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Balance politique

et sceau de la prophétie

Rémy Bayou

Cette courte étude est née d’une interrogation relative au credo républicain : Liberté,
Égalité, Fraternité. Dans une première partie, nous allons chercher à ancrer ces notions dans
un contexte plus vaste que celui qui a cours d’ordinaire ; puis nous chercherons à
développer une théorie de la constitution politique, qui se révèlera blasonnée par le symbole
de la Balance. Puis nous illustrerons ces résultats avec l’ennéade des outils de la franc-
maçonnerie. Enfin nous étendrons la portée de ces résultats à travers une considération
gestuelle, que nous qualifierons de Sceau.

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I. Physique

Nous allons essayer de comprendre comment peuvent émerger les notions de Liberté,
Égalité et Fraternité à partir d’un concept plus universel de triple puissance, que l’on
assimilera aux principes alchimiques du Soufre 🜍 , du Mercure ☿ et du Sel 🜔 que l’on
caractérise comme suit :

— le principe du Soufre représente ce qui est combustible et part en fumée.


— le principe du Mercure représente la sphère liquide du médium.
— le principe du Sel représente ce qui cristallise et précipite.

Ces principes évoquent donc directement 3 mondes : le ciel pour le Soufre, l’atmosphère
pour le Mercure et la terre pour le Sel. Cette différenciation qualitative dote le macrocosme
d’une orientation (que nous noterons ⊥ pour indiquer qu’elle a sa base en terre et sa pointe
dans le ciel) et par rapport à laquelle nous pouvons analyser l’orientation des êtres qui y
vivent : les plantes, les animaux et les hommes.

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• les plantes se déploient le long d’un axe unique (α) qui reproduit les 3 puissances Soufre,
Mercure et Sel de manière parallèle au champ macrocosmique : en effet les racines de la
plante représentent leur pôle Sel tandis que les parties aromatiques représentent leur pôle
Soufre. La plante possède 1 axe parallèle au macrocosme (⊥) et porteur des 3 puissances,
c’est pourquoi on peut la noter symboliquement : 1 ⊥ 3.

• les animaux étant doués de mobilité, leur axe principal (α) devient orthogonal au champ
macrocosmique, et pour cela il doit être supporté par deux axes secondaires (β)
correspondant aux pattes. L’axe principal est orienté de la tête vers la queue, car la tête
contient le Sel de la boîte crânienne tandis que les organes reproducteurs forment sa partie
Soufre. Les pattes sont orientées vers le bas et sont elles-mêmes organisées suivant les 3
puissances : la cuisse est la partie Soufre et le pied ou sabot est la partie Sel. L’animal
possède ainsi 2 axes porteurs des 3 puissances, dont le principal (α) est orienté
orthogonalement au macrocosme, ce que l’on peut noter : 2 ⊣ 3.

• l’homme se conçoit alors comme un redressement de l’animal. L’axe principal de


l’homme est anti-parallèle au champ macrocosmique : conformément à ce que rapporte la
tradition, l’homme est bien un « arbre inversé ». La paire de pattes antérieure de l’animal
devient qualitativement différente de la paire postérieure et se transforme en axe tertiaire :
une paire de bras (γ) orientée vers le haut car cette résurrection met l’homme en état
d’oraison. L’homme possède ainsi 3 axes porteurs des 3 puissances, dont le principal (α)
est orienté anti-parallèlement au macrocosme, c’est pourquoi l’on note : 3 ⊥ 3.

Alors si la plante est un organisme simple (1×3), l’animal est un organisme double (2×3) et
l’homme un organisme triple (3×3). De plus les 3 systèmes de l’homme se retrouvent
alignés : de sorte que l’on peut parler non plus seulement d’un axe (α, β, γ) organisé de
manière triple, mais d’un véritable système Sel 🜔* (transformation de l’axe γ ), d’un
véritable système Mercure ☿* (transformation de l’axe α) et enfin d’un véritable système
Soufre 🜍* (transformation de l’axe β) — avec pour chaque système une organisation par les
puissances Sel-Mercure-Soufre.

Chez l’homme nous avons donc le premier être de la nature où se manifeste une
« reproduction fractale » ou une « élévation au carré » des puissances Sel-Mercure-Soufre
qui organisaient le macrocosme. Nous suggérons que cette propriété soit un reflet de l’idée
traditionnelle voulant que l’homme soit un abrégé du grand monde, ou microcosme.

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Par construction, les 3×3 = 9 parties distinguées sont en affinité avec les 9 articulations
principales de l’organisme humain.

Articulations de l’Organisme Humain

🜔 ☿ 🜍

🜔* Système Nerveux Poignet Coudes Épaules

☿* Système Rythmique Cervicales Thoraciques Lombaires

🜍* Sys Métabolique Chevilles Genoux Hanches

Nous venons de suggérer qu’il était légitime de passer du grand monde de la nature au petit
monde de l’homme individuel ; imaginer que l’on puisse étendre l’analogie à l’homme en
tant qu’être collectif ne devrait pas faire de difficulté. L’idée d’une correspondance entre
l’organisme humain et l’organisme social n’est pas nouvelle : c’est un lieu commun de la
cosmologie taoïste, et nous pensons qu’elle fut un objet de la recherche Rose-Croix au sens
large. Un ouvrage de Sédir (Histoire et doctrines des Rose-Croix) rapporte par exemple le
système de Jean Malfatti de Montereggio :

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Ce sont ces mêmes 9 principes que nous discernons (à la terminologie près) — mais que
nous allons pour notre part rapporter au système des articulations plutôt qu’aux organes :

• l’Université, l’Art et le Clergé sont plus simplement nommés Science, Art et Religion et
ils représentent les trois champs classiques de la philosophie ou sagesse — ainsi des
stoïciens qui divisaient leur cursus en logique (science), psycho-physique (art) et éthique
(religion).

• le Gouvernement, la Magistrature et l’Armée correspondent aux trois pouvoirs


classiques du champ politique, plus simplement nommés Législatif, Judiciaire et
Exécutif.

• le Peuple, l’Industrie et le Commerce correspondent aux trois secteurs classiques


(primaire, secondaire et tertiaire) de l’économie, si l’on comprend que le Peuple associé
à l’estomac représente en fait la notion de Ressource naturelle.

Le chemin parcouru jusqu’ici nous a donc aidé à discerner, dans les grandes institutions qui
organisent le champ collectif, un reflet des articulations du corps humain. Et parce que ce
corps humain peut être considéré comme un microcosme, comme un reflet du tout, alors
nous sommes enjoints à chercher dans l’organisme social lui-même le reflet d’idées
cosmiques. De telles idées cosmiques ont été proclamées lors de la Révolution française :
« Liberté, Égalité, Fraternité » — quel que soit l’usage qu’on en ait fait par la suite.

Que signifient ces grandes idées ?

• que la Sagesse intéresse l’Individu dans sa liberté souveraine, dans sa quête de sens ou
d’orientation, une quête nécessairement cosmique étant donné l’origine toute céleste des
idées ; mais elle n’est pas concernée par les valeurs plus terrestres d’égalité et de
fraternité.

• que la Politique est relative à l’État, qui doit absolument rester séparé des églises
(scientifiques & religieuses) autant que des maisons (familiales & économiques), sans
quoi il se transforme en système de domination au lieu de garantir, comme état de droit,
la bonne cohabitation de tous par l’égalité devant la loi.

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• que l’Économie regarde le fait que la Nation fasse corps. Cette interdépendance est a
priori incompatible avec la liberté individuelle, et elle ne se préoccupe pas non plus
d’égalité au sens strict. La circulation des richesses à l’origine du lien social participe
d’une forme de réciprocité plus obscure : tel le système de dons et de contre-dons
analysé par Marcel Mauss, qui se rapproche de la notion de Fraternité.

Articulations de l’Organisme Social

🜔 ☿ 🜍

Sagesse Science Art Religion


🜔*
(Liberté) (Poignet) (Coude) (Épaule)

Politique Législatif Judiciaire Exécutif


☿* (Cou) (Dos) (Sacrum)
(Égalité)
Économie Services - III Industrie - II Ressources - I
🜍*
(Fraternité) (Chevilles) (Genoux) (Cuisses)

Ce qu’il importe de reconnaître c’est que ces idées cosmiques puissent se tenir de manière
séparée. Mais pour être ainsi relativement autonomes, il faut à tout le moins qu’elles
puissent exister de manière fonctionnelle : condition qu’une forme d’existence monolithique
ne saurait remplir, mais qui requiert plutôt une constitution circulaire et dynamique, à partir
de principes antagonistes équilibrés par un troisième principe : constitution dont la marche
humaine nous fournit le paradigme, en équilibrant sans cesse l’appui au sol et la projection
dans le vide. C’est pourquoi il fallait reconnaître que chaque grande idée s’applique à un
système, car c’est seulement à travers un tel système qu’elles sont susceptibles de
fonctionner de manière indépendante.

Nous sommes habitués à penser en termes d’état Unitaire : l’État intervient autant dans le
domaine de la culture que dans le domaine économique. À l’encontre de cette conception,
nous appelons la distinction des fonctions la loi d’Anarchie (positive) : à la manière dont
Proudhon concevait dès 1848 le remplacement de certaines forces étatisées par des
associations culturelles et des forces économiques autogérées.

Dans la partie suivante, nous allons nous intéresser au champ politique ainsi « purifié »,
c’est à dire uniquement concerné par la valeur d’Égalité.

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II. Logique

Aristote considérait que le pouvoir pouvait être exercé par trois types de nombres :

• le Un (monarchie)
• le Quelques-uns (aristocratie)
• et le Tous (démocratie)

Les Anciens avaient observé qu’aucune de ces formes de gouvernement n’est stable sous sa
forme pure, et ils appelaient la théorie de leur instabilité anacyclose. À la manière des
pythagoriciens, nous allons mettre ces formes de gouvernement en relation avec trois
réalisations imparfaites du concept d’Égalité.

• la monarchie correspond à la médiété harmonique H, dont la suite a=3, b=4 et c=6


fournit un exemple. Par rapport au terme médian, la puissance du petit est inférieure à
celle du grand : b÷a < c÷b. On parle de sous-égalité car les petits (de ce monde) ont
moins de pouvoir que les grands (de ce monde).

• la démocratie correspond à la médiété arithmétique A, dont la suite a=3, b=5 et c=7


fournit un exemple. Par rapport au terme médian, la puissance du petit est supérieure à
celle du grand : b÷a > c÷b. On parle de sur-égalité car les petits ont plus de pouvoir
que les grands.

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• en revanche, l’aristocratie ne correspond pas à une médiété entre 3 termes (a b c) mais
au concept légèrement différent de proportion (aussi appelée analogie ou proportion
géométrique) qui se joue entre 4 termes (a, b, c, d) tels que b÷a = d÷c, et dont la suite
a=2, b=6, c=10, et d=30 fournit un exemple. Nous appelons cette proportion Ḡ — avec
un trait suscrit pour bien marquer la différence avec la notion de médiété.
Contrairement aux médiétés A et H, la proportion Ḡ ne permet pas une évaluation de la
puissance par rapport à un terme médian, car c’est une égalité disjointe. La disjonction
signale que nous avons affaire à un « fossé » entre deux classes sociales (absence de
classe moyenne) ; mais la proportion géométrique apparaît d’autre part profondément
égalitaire de par sa « construction » : nous dirons donc que la proportion Ḡ illustre un
régime aristocratique où l’extraction des meilleurs (quelque soit leur origine)
illustrerait en principe la notion d’égalité, mais qui par sa lacune structurelle du « lieu
commun » ne semble pas capable, malgré de bonnes intentions de principe, à effectuer
cette sélection sur des bases équitables entre les petits et les grands.

À ces réalisations imparfaites de l’égalité politique (sous-égalité, sur-égalité, égalité


disjointe), Aristote préférait la constitution mixte : possédant des aspects à la fois
monarchique, aristocratique et démocratique, il considérait que les imperfections de chaque
forme politique pouvaient se contrebalancer, et aboutir un régime stable et égalitaire. Cette
théorie de la constitution mixte ou synarchique remonte au moins au pythagoricien Archytas
de Tarente, et peut-être même à Pythagore.

La description la plus complète de cette constitution mixte est donnée par le grec Polybe,
qui profita de son état de prisonnier à Rome pour connaître les rouages de sa République : et
il évoque ainsi le caractère monarchique du Consul, le pouvoir aristocratique du Sénat et la
démocratie des Comices. Si la République a officiellement remplacé la monarchie en −509,
ce n’est que progressivement qu’elle s’est accomplie, lorsque le conflit entre le patriciat et la
plèbe cède la place à une forme de consensus, constitué autour des valeurs communes d’une
nouvelle noblesse.
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Et c’est précisément sous l’influence des idées pythagoriciennes que fut mise en oeuvre
cette réorganisation civique de Rome qui allait devenir (quoiqu’en dise un certain
démocratisme se refusant à considérer l’échec de la démocratie d’Athènes) le modèle des
Républiques américaine et française.

L’aristocratie muterait ainsi en République en devenant capable, par une constitution mixte,
de recruter les meilleurs quelle que soit leur origine sociale. Nous pourrions alors dire que la
République ne met plus en oeuvre la proportion à 4 termes de l’aristocratie pure, mais
qu’elle réduit ces 4 termes — et le hiatus social qui leur est inhérent — aux 3 termes d’une
médiété géométrique G : b÷a = c÷b — médiété géométrique qui est selon Platon la vraie
égalité parce qu’ « au plus grand elle attribue davantage, au plus petit moins, donnant à
chacun en proportion de sa nature ».

Mais suivant notre raisonnement, il importe de comprendre qu’on ne peut pas simplement
exhiber la médiété géométrique G dans sa perfection « platonicienne », mais qu’il faut
encore la construire explicitement comme un mélange entre A (démocratie), H (monarchie)
et Ḡ (aristocratie pure). C’est à cette fin que nous introduisons la « proportion parfaite » (6,
8, 9, 12) des pythagoriciens, qui suggère une solution à ce problème de construction. Il
s’agit en effet d’une proportion Ḡ à 4 termes, mais qui est tout à fait particulière, puisqu’elle
« contient » aussi bien H que A — c’est un résultat bien connu, qui est suggéré ci-dessous
par les tridents.

La mise en évidence de cette proportion parfaite est déjà un progrès majeur dans la
résolution de notre problème, puisqu’elle met en présence les 3 ingrédients dont nous avons
besoin (A, H, Ḡ). Mais pour que la sauce prenne, il faudrait encore que ces ingrédients
puisse former une médiété géométrique G au sens platonicien : ce qui paraît de prime abord
absolument impossible, puisque notre proportion compte 4 termes c’est-à-dire un de trop.

Et pourtant nous allons pouvoir identifier cette proportion à une médiété, ou disons à une
quasi-médiété, qui serait comme la réalisation la plus proche de l’idéal en ce bas monde.

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En effet le « pivot » de cette proportion, à savoir √6×12 = √8×9 = √72 est encadré par un
couple d’entiers successifs : 8 < √72 < 9. En adoptant le point de vue « quantique » de
l’arithmétique des entiers, on pourrait ainsi dire que l’existence de ce pivot est d’emblée
répartie sur les nombres 8 et 9 qui se trouvent ainsi jumelés. Par contraste, la suite (2, 6, 10,
30) que nous avons donnée plus haut en exemple, ne possède pas cette propriété puisque son
pivot √60 est compris entre les entiers successifs 7 et 8, qui n’appartiennent pas à la
proportion : dans ce cas les termes médians 6 et 10 ne sont donc pas appelés à former de
liaison. C’est ce jumelage ou « joug » passé entre les nombres 8 et 9 qui permet selon nous,
de considérer la proportion parfaite sous la forme d’une quasi-médiété géométrique G* à 3
termes qu’on écrira (6, 8—9, 12). Le symbole de l’étoile indique simplement qu’il s’agit
d’une quasi-médiété.

Pour résumer, nous avons une proportion parfaite (6, 8, 9, 12) :


— qui est une proportion géométrique Ḡ (aristocratie)
— qui possède la propriété « parfaite » de réaliser H (monarchie) et A (démocratie)
— et que nous pouvons en outre considérer, par la propriété de jumelage, comme une quasi-
médiété géométrique G*

Pour la proportion parfaite, ce jumelage G* joue le rôle d’un catalyseur, et permet à cette
proportion de devenir support de la médiété géométrique vraie : le G de la République de
Platon. Nous symbolisons ce jumelage de deux manières : en joignant le 8 et le 9 avec un
lasso dans la proportion parfaite, et en indiquant une Balance en état d’équilibre. Sans cet
opérateur d’équilibre, la Balance serait soumise à cette instabilité cyclique des pouvoirs
(anacyclose) ; l’opérateur G* permet de les contre-balancer les uns par les autres.

Musicalement, le rapport de 9/8 désigne le ton : ainsi le jumelage G* du 8 et du 9 pourra


apparaître comme l’opération qui permet de trouver le « ton juste » entre A, H et Ḡ afin de
constituer la République G. Ce que nous avons résumé dans l’encadré avec la « formule de
la République ». Que le lecteur veuille pardonner la lourdeur de nos notations (Ḡ, G*, G)
mais elles nous ont semblé nécessaires pour ne pas s’emmêler les pinceaux.

G = G* (A, Ḡ, H)

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Ce travail de construction est certes encore très « théorique », mais il nous aura permis de
montrer que la médiété géométrique comme idéal platonicien de la République, se construit
à partir de 3+1 principes qu’on peut représenter graphiquement comme une balance en état
d’équilibre.

On devra maintenant se demander comment cette « alchimie » est réalisable en pratique.


Nous venons de considérer l’existence de 3 types de pouvoir (A, H, Ḡ) et nous avons vu
auparavant que le champ politique était constitué par 3 articulations : l’exécutif, le
judiciaire et le législatif. Il semble légitime à ce stade d’imaginer que chaque type de
pouvoir donne le meilleur de lui-même lorsqu’il fonctionne dans une articulation précise du
champ politique. En vertu d’un certain bon sens, nous ferons cette répartition :

• le gouvernement par un chef (H) est le meilleur en ce qui concerne l’action (exécutif)

• un collège d’experts (Ḡ) est le plus adapté pour traiter de décisions subtiles (judiciaire)

• chacun (A) doit être entendu eu égard aux règles qui prévalent dans la cité (législatif)

Nous pouvons alors évoquer l’idée d’une double loi à l’origine de la concorde
républicaine : la loi Anarchie-Synarchie, que nous résumons ci-dessous dans un tableau.

Anarchie
Culture Politique Économie

Législatif Judiciaire Exécutif


🜔 ☿ 🜍

🜔 ☿ 🜍

Monarchie Aristocratie Démocratie


H Ḡ A
Synarchie

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— nous avions appelé Anarchie la loi de séparation des Autorités ou instances Culture-
Politique-Économie, permettant de dégager les articulations du politique (législatif,
judiciaire, exécutif) dans leur pureté.

— nous appelons Synarchie la « correspondance fonctionnelle », en fonction du bon sens,


que nous venons de proposer entre ces articulations politiques et les 3 types de Pouvoirs
(monarchie H, aristocratie Ḡ, démocratie A).

Nous avions attribué un principe alchimique à chaque articulation du politique (législatif,


judiciaire, exécutif), mais les 3 pouvoirs possèdent également une correspondance naturelle
avec ces principes : la monarchie correspond au principe Sel de la tête, l’aristocratie au
principe Mercure du coeur, et la démocratie au principe Soufre du ventre ou des membres.
On doit donc remarquer que la correspondance fonctionnelle que nous proposons introduit
ici la figure d’un chiasme ✻ en appariant le Sel au Soufre.

Nous allons trouver une illustration cabalistique à ces réflexions à partir du champ
hébraïque. La forme de gouvernement du peuple hébreu a progressivement évolué : ce
furent d’abord les Prêtres (cohen) qui guidèrent le peuple, puis les Juges (shofet), les Rois
(melek) et enfin les Prophètes (nabi).

• les Prêtres (‫ )כ‬sont une tribu « d’élus » qui représentent le peuple devant Dieu, comme
l’assemblée démocratique est un ensemble d’élus représentant le peuple.

• le Juge (‫ )ש‬représentent évidemment le domaine judiciaire.

• le Roi (‫ )מ‬représente le domaine exécutif — contrairement au Juge, il peut lever des


impôts et mettre en route des travaux.

• le Prophète (‫ )נ‬enfin remet le peuple dans le droit chemin : il représente ainsi le


principe du lien équilibrant, qui donne au peuple sa conscience ou consistance.

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Par un curieux hasard relevant de la notarique, on peut former avec les initiales de ces
quatre pouvoirs le mot MiShKaN désignant le Tabernacle. On remarquera que les 3
premiers pouvoirs somment alors symboliquement à 20+300+40 = 360 — comme s’il était
suggéré que la prophétie n’intervient pas ici sous la forme d’une « instance » mais sous la
forme d’une « opération » permettant de lier les 3 pouvoirs : symboliquement l’opération
d’addition 20+300+40 qui forme les 360 degrés du cercle.

La prophétie est ainsi un équivalent de notre loi de Synarchie, soit l’élément qui harmonise
les 3 pouvoirs et qui nous est apparu blasonné par un chiasme ✻ : chiasme qui peut nous
évoquer le caducée d’Hermès — donc baguette de héraut-prophète — symbole de la
connaissance analogique du cosmos. Et curieusement la lettre Nun de l’hébreu s’épelle
Nun-Vav-Nun, et dessine donc précisément une baguette ou un clou (Vav) entre deux
serpents (Nun), en vertu du sens primitif de ces lettres.

Nous pouvons également représenter le dispositif du Tabernacle sous la forme de la


Balance, que nous avons introduite avec la proportion parfaite. Le fait de comprendre le
Nun comme « unificateur » des autres lettres n’était pas évident sans le contexte politique
avec lequel nous avons analysé le mot MiShKaN. Pareillement notre Balance met en
lumière d’autres relations cachées dans ce mot :

— la Royauté (40 = ‫ )מ‬et la Prêtrise (20 = ‫ )כ‬se trouvent chacune sur un bras de la balance,
dans un rapport numérique de 2 : rapport d’octave qui consonne particulièrement bien, à
notre oreille, avec leur vis-à-vis ou disposition duale.

— la Justice (300 = ‫ )ש‬et la Prophétie (50 = ‫ )נ‬sont en relation verticale sur la balance, et
dans un rapport numérique de 6 : nombre qui pourrait confirmer la nature de catalyseur ou
de copule que joue le Prophétie pour l’ensemble du dispositif dont la Justice est le milieu.

‫משכן‬

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Nous pouvons maintenant remarquer le fait curieux que les unités qui entrent dans la
composition des lettres-nombres du MiShKaN — 20, 300 et 40 — rappellent fortement la
Tétraktys. Seul le Nun de valeur 50 y fait exception. Mais nous pouvons tenir compte d’une
chose : dans l’alphabet hébreu il n’y a que 3 lettres qui s’épellent de manière
palindromique : ce sont le Vav (‫)וו‬, le Mem (‫ )מֵם‬et le Nun (‫)נוּן‬. Parmi ces lettres, seul le Nun
possède un « trait d’union » sous la forme du Vav médian — c’est exactement ce que nous
disions plus haut en comparant le Nun à un caducée. Pour nous, la présence de ce Vav
médian permet au Nun d’apparaître, avec une certaine stabilité, sous la forme du rebis
(chose double) des alchimistes. En traitant la lettre arabe Nun à partir de principes
graphiques, René Guénon parvint à une conclusion similaire sur la nature double et solaire
de cette lettre. Cette symétrie consubtantielle à la lettre Nun est suggérée graphiquement,
sur notre Balance, par sa fonction d’axe de symétrie ; elle rejoint de plus notre construction
de l’opérateur G* introduite avec la proportion parfaite : où par un passage à la limite
analogue, nous avions jumelé les nombres 8 et 9.

Ces remarques nous conduisent ainsi à pouvoir lire le Nun comme ayant implicitement la
valeur 100, qui laisse apparaître l’unité, et permet donc à la Tétraktys d’apparaître à travers
le mot MiShKaN. Nous dirons encore très rapidement, à l’attention des prévenus en ce
domaine, que la lettre Qof qui porte le nombre 100 est l’initiale du mot qorban dont la
traduction usuelle est « sacrifice » mais qui signifie littéralement le rapprochement des
puissances angéliques : et c’est effectivement un tel « sacrifice » qu’opère notre chiasme
G* afin que descende l’Esprit de la République G.

Compte tenu du nombre 100, et en imitant quelque peu l’esprit du Lo Shu chinois, nous
pourrions écrire le grand symbole des pythagoriciens sous la forme d’une Tétraktys-
Balance.

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À l’époque des pythagoriciens, les nombres se notaient encore avec des lettres, aussi
pouvait-on désigner la Décade avec la dixième lettre IOTA. Ce qui justifie une lecture
intuitive de la Tétraktys-Balance par le nom I-TAO : soit la direction-orientation des cycles
« naturels » du TAO par le ferment I d’une intelligence prophétique. À ce sujet on pourrait
ajouter que dans les anciens textes hermétiques, la notion de kairos (qui nous semble
profondément lié à la fonction prophétique) était parfois liée au mot rhope qui désigne une
inclinaison, une inflexion, et plus spécifiquement le moment critique où une balance change
de position autour de son pivot.

Cette disposition de la Tétraktys pourrait encore s’interpréter à l’aune de cet autre attribut
michaëlique qu’est l’Épée, attribut qui est suggéré par le Zohar pour le Tétragramme :
« L’épée du Saint, béni soit-il, est formée du Tétragramme : le Yod en est le pommeau, le
Vav la lame, les deux Hé les deux tranchants ».

Résumons le parcours que nous avons accompli jusqu’ici. Dans une première partie, nous
avons travaillé à partir de principes physiques pour donner aux articulations de l’organisme
social un fondement cosmique, et justifier que l’on puisse aborder les 3 pouvoirs du champ
politique (législatif, judiciaire, exécutif) de manière autonome, ce que nous appelé loi
d’Anarchie. Dans une seconde partie nous avons cherché à construire un modèle de la
République des anciens philosophes, qui se veut un mélange équilibré entre les 3 régimes
possibles (monarchie, aristocratie, démocratie) et nous avons été amenés à voir dans la
proportion parfaite un modèle mathématique de cette République, à condition d’opérer sur
elle une opération G* de jumelage. Cette opération théorique renvoie, en pratique, à ce que
nous avons appelé loi de Synarchie, consistant à associer par un certain chiasme ✻ les 3
pouvoirs politiques aux 3 types de régimes. Opération ayant tout l’air d’un coup de baguette
magique, conférant la monade qui vient harmoniser une triade. Enfin nous avons vu que ces
considérations politiques autorisaient quelques interprétations cabalistiques inédites du mot
hébreu MiShKaN signifiant Tabernacle. Ce détour par la cabale nous aura permis de mieux
comprendre la nature profondément prophétique du coup de baguette hermétique qui
conditionne l’existence du Temple-République d’Apollon.

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III. Maçonnerie

Nous allons maintenant illustrer la démarche théorique précédente avec une « matière »
spécifique : les 9 outils de la tradition maçonnique. Notre première tâche consistera à
attribuer ces outils aux différents grades de la franc-maçonnerie (maître, compagnon,
apprenti) : à cette fin nous ne nous appuierons pas sur des considérations traditionnelles
mais nous adopterons le point de vue « naïf » du tailleur de pierre connaissant le
fonctionnement d’un atelier.

Dans l’Étude, le Maître Architecte étalonne avec la Règle


mais trace avec le Compas et l’Équerre

Les Anciens considéraient que la construction géométrique la plus noble utilisait la règle et
le compas. La tradition maçonnique évoque quant à elle le couple équerre−compas, parfois
associé à la règle. À notre sens, cette règle de maçon ne doit pas se concevoir comme un
instrument de tracé mais comme un instrument donnant l’étalon, telle la pige du maître
d’oeuvre. Cette règle est avant tout un système métrologique, une règle graduée.

Quant à l’équerre du maçon, il est clair qu’elle peut servir d’instrument traçant, et nous
voudrions montrer qu’on peut vraiment la considérer comme équivalente à la règle du
géomètre. Nous offrons un argument théorique et un argument pratique :

— tout d’abord, la construction de l’angle droit à la règle et au compas est une procédure
simple et standard : dans le fond, se doter d’une équerre plutôt que d’une règle ne change
absolument rien.

— si la règle et le compas suffisent théoriquement (sur le papier) pour


construire l’angle droit, il n’en va pas de même en pratique (sur le caillou).
Supposons que j’aie à dessiner une perpendiculaire sur ma queue d’aronde avec
la règle et le compas. Non seulement la procédure précédente devient plus
complexe puisque la matière à gauche m’oblige à faire, au préalable, un déport
de mon arête — mais elle devient même techniquement impossible puisque le
surplomb m’empêche de mettre en oeuvre le compas. Ainsi pour le maçon, la
règle doit nécessairement se présenter comme une équerre.

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Dans l’Atelier, le Compagnon Tailleur déplace avec le Levier
mais découpe avec le Maillet et le Ciseau

Le Levier intervient en propre à ce niveau, d’abord pour transporter la pierre


depuis la carrière, et ensuite pour tourner la pierre dans l’espace. Nous ne
revenons pas sur l’utilisation évidente du Maillet et du Ciseau, sinon que sur le
plan mécanique, le Ciseau est équivalent au Coin (qui peut également servir à
stabiliser le caillou sur le poste de travail).

Remarquons aussi que le Compagnon se sert des outils du Maître : la taille de la pierre
nécessite en effet des outils de mesure (Règle graduée), de contrôle (Équerre) et de tracé
(Équerre et Pointe à tracer).

Sur le Chantier, l’Apprenti Maçon étale avec la Truelle


mais contrôle avec le Niveau et le Fil à Plomb

Le Niveau, le Fil à plomb et la Truelle sont des outils spécifiques au chantier, nous n’y
revenons pas.

Nous remarquerons seulement que l’Apprenti-Maçon se sert des outils du Maître, ne serait-
ce qu’au moment du tracé des fondations : il est alors nécessaire de disposer d’un étalon de
mesure, d’une équerre et d’un compas (ces trois fonctions pouvant même être assumées par
la corde à noeuds qui résume ainsi la présence du Maître sur le chantier).

De la même manière l’Apprenti-Maçon se sert des outils du Compagnon pour la préparation


du chantier : il se sert de Levier sous différentes formes (notamment sous la forme de la
poulie qui lui est mécaniquement équivalente), il se sert du Coin (équivalent mécanique du
Ciseau) sous la forme de plan incliné, et du couple Marteau-Ciseau (sous forme de pioche
ou de marteau-piqueur) lorsqu’il doit préparer le terrassement.

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Nous avons achevé l’attribution des outils aux différents grades, et nous allons maintenant
organiser chaque triade suivant une polarité Sagesse-Amour ou Sel-Soufre :

— le compas exprime la sagesse et l’équerre l’amour ; la règle se tient au milieu.


— le ciseau exprime la sagesse et le maillet l’amour ; le levier se tient au milieu.
— le niveau exprime la sagesse et le fil à plomb l’amour ; la truelle se tient au milieu.

Ainsi nous avons 3 outils que nous qualifierons de célestes (compas, maillet, fil à plomb), 3
outils que nous qualifierons de terrestres (équerre, ciseau, niveau) et enfin 3 outils neutres.
Et nous allons attribuer un principe alchimique à chaque triade en fonction de l’utilisation
de ces outils par l’homme. Nous pouvons dès lors ranger ces outils dans leur Tablier.

Maître Compagnon Apprenti

🜔 Compas Ciseau Niveau

☿ Règle Levier Truelle

🜍 Équerre Maillet Fil à plomb

Ce que nous venons de faire est tout à fait comparable à ce que nous avons appelé plus haut
la loi d’Anarchie : en particulier elle permet de dégager la Règle, le Levier et la Truelle
comme outils politiques. Le Tablier apparaît alors comme un outil qui symbolise
expressément cette loi de séparation.

Mais nous pouvons encore compléter cette opération avec un analogue de la Synarchie :
pour cela il faut utiliser sur ces outils politiques le chiasme ✻ ou Caducée unificateur. En
considérant la truelle comme une cuillère — en latin trulla désigne un petit récipient —
nous pouvons générer créativement un outil synergique, une Balance composée par :

• les deux truelles formant les plateaux


• le levier formant le pied avec son fléau
• la règle qui repère le point d’équilibre

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Résumons le parcours que nous avons effectué dans ce chapitre :

— nous avons attribué spécifiquement 3 outils pour chaque grade (maître, compagnon,
apprenti), en justifiant du point de vue « du métier ». De plus il est apparu, de manière
intéressante, que la triade d’un grade est utilisée à chaque fois et dans une certaine mesure
par les grades inférieurs.

— puis nous avons ensuite disposé ces outils dans un Tablier en fonction d’une
interprétation alchimique : ce qui revient à appliquer la loi d’Anarchie.

— enfin nous avons généré par le chiasme ✻ un outil synergique à partir de la Règle, de la
Truelle et du Levier : une Balance. Cette génération est un analogue de la loi de Synarchie
qui réalise le mélange équilibrant des pouvoirs politiques.

Pour bien fixer les idées, nous préciserons que le Tablier permet de dégager l’espace où
ranger nos neuf outils. C’est donc une première forme d’unification, offrant un lieu de
cohabitation, mais elle devra être complétée par le chiasme qui est le principe activement
unifique pour trois de ces outils, qui viennent alors composer la Balance comme synergie.

Il est bien entendu remarquable que cet outil synergique ait pris naturellement la forme de la
Balance, qui était apparu auparavant comme un « sceau » de la République. Pour nous cela
signalera une certaine adéquation de la matière utilisée dans ce chapitre, à savoir les outils
concrets, avec les principes théoriques.

Toutefois, la Balance que nous avons mise en évidence n’opère que de manière limitée : en
effet la Synarchie que nous avons dégagée ne touche que la partie politique de l’organisme
social (législatif, judiciaire, exécutif) et son analogue dans les outils, la Synergie, ne vient
s’appliquer que sur les outils médians (règle, truelle, levier). Une question ne manque donc
pas de se présenter : existe-t-il un principe qui viendrait harmoniser l’ensemble du champ
social, et pas seulement sa partie politique ? Existe-t-il un principe qui viendrait harmoniser
l’ensemble des outils, et pas seulement les outils médians ?

La réponse que nous allons donner, c’est que si la Balance se construit par le chiasme ✻ à
partir du champ médian, elle n’en a pas moins une efficacité qui s’étend en fait à l’ensemble
des 9 principes. Mais cette extension ne pourra être suggérée que par une « monstration ».

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IV. Sceau

Ce que nous allons chercher à faire, c’est de « réaliser » la présence


des outils dans le corps humain, à partir de notre Tablier. Nous
allons l’analyser colonne par colonne.

— la première colonne, celle du maître, renvoie au principe de la Forme. Nous dirons que la
forme de la tête humaine signe l’action du Compas ; que la forme droite mais coudée des
jambes signe l’action de l’Équerre, et que la forme des bras et des mains est sous le signe de
la Règle : cette partie du corps est effectivement particulièrement adaptée à la mise au point
d’un système de mesures naturelles : doigt, paume, empan, coudée, etc…

— la seconde colonne, celle du compagnon, renvoie au principe du Mouvement ou de la


vie. Le Ciseau est le mouvement du souffle qui circule depuis le haut du corps vers son
milieu. Le Maillet est le mouvement du sang qui circule depuis le bas du corps (où la
circulation est la plus vigoureuse) vers le milieu. Le Levier est le mouvement qui vit dans le
milieu, à savoir dans l’expression des bras.

— la troisième colonne, celle de l’apprenti, renvoie au principe de la Conscience. Le Niveau


renvoie au fait de garder la tête froide, c’est-à-dire « techniquement » au fait de porter le
regard vers la ligne d’horizon afin d’envisager les choses dans le contexte le plus large
possible : ce mouvement idéal du regard peut être vécu comme un léger abaissement de la
tête, autrement soumise à une fièvre ou fierté qui la coupe du réel. Le Fil à plomb renvoie à
la volonté de s’élever spirituellement en prenant contact avec les profondeurs. Et ce sont les
pieds chauds qui deviendront le symbole de cette quête : ce sont les pieds sûrs de la chèvre
du Capricorne, les pieds légers de Nietzsche qui « courent par dessus la vase », ou encore
les « pieds agiles » de Myrto chez Nerval qui provoquent le réveil du volcan. La Truelle
enfin, représentera l’ouverture du coeur, qui rend ce dernier tolérant ou « tempérant ».

L’opération du chiasme ✻ unifiait la Règle, le Levier et la Truelle. Maintenant que


ces principes ont été intégrés dans le corps, nous pouvons dire que le chiasme
devient dans ce cas une bénédiction : il s’agit en effet par le chiasme ✻ d’animer le
principe formel des bras et des mains (Règle) avec un geste (Levier) provenant
d’un élan du coeur (Truelle).

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Mais par ce geste, il est patent que l’action du chiasme ne s’arrête à la partie médiane du
corps, mais qu’elle s’étend vers le tête (Compas) et vers les jambes (Équerre). En
particulier, dans la bénédiction se régulent le souffle et les battements du coeur (action
conjointe du Ciseau et du Maillet) en même temps que s’affirment d’un part une certaine
humilité (Niveau) et d’autre part le désir spirituel (Fil à plomb). Et parce que nous avons
évoqué le chiasme comme l’opération du prophète, nous appellerons ce geste de bénédiction
le « sceau du prophète ». Le prophète apporte un sceau qui unifie les 9 champs de
l’organisme corporel et social, et cette synergie apparaît sous la forme de la Balance. La
bénédiction est le sacrifice du prophète.

Jusqu’à maintenant nous avons toujours considéré les outils comme appartenant à des
groupes, à des triades. Nous aimerions désormais en proposer une linéarisation
pythagoricienne-platonicienne : c’est-à-dire présenter les outils un par un, en affinité avec
un Nombre, en les faisant suivre d’une très courte formule.

1 : le Tablier (anarchie) et le Caducée (synarchie), le sacrifice


2 : la Règle, le volume sacré du corps et de la loi
3 : le Compas, la science inspirée
4 : l’Équerre, la réalisation concrète
5 : le Ciseau, l’expérience et l'érudition
6 : le Maillet, l’enthousiasme, le coeur-chaleur
7 : le Levier, la force qui déplace les montagnes
8 : le Niveau, la lucidité et la patience
9 : le Fil à plomb, le désir fondamental, le secret des profondeurs
10 : la Truelle, le vase pour l’esprit d’Apollon, le coeur-lumière

C’est uniquement à partir de la symbolique des nombres que nous avons établi cette
correspondance, et il est pourtant remarquable que cette liste laisse naturellement apparaître,
à travers son ordonnance, les triades d’outils : celle du maître (2-3-4), celle du compagnon
(5-6-7) et celle de l’apprenti (8-9-10). Quant au nombre 1 c’est le sacrifice d’Hermès qui
unifie les 9 outils. Et la synergie des 9+1 sous la forme de la Balance, n’est autre que le
Temple propre à accueillir Apollon, identifié au G ou Esprit de la République.

Nous voyons ainsi se profiler une interprétation inédite du G maçonnique, qui respecte son
sens traditionnel de « géométrie » mais en élargit l’esprit au collectif — par-delà donc le
perfectionnement individuel auquel invitent les arts libéraux — puisque le G que nous
présentons désigne avant tout la médiété géométrique en tant qu’idéal platonicien de la
société humaine.
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Si nous considérons « numériquement » le geste de bénédiction, nous trouverons que les
éléments de la tête font 3+5+8 = 16, tandis que le milieu fait 2+7+10 = 19 et à nouveau
4+6+9 = 19 pour les jambes. Cette répartition du nombre 54 nous paraît intéressante parce
qu’elle suggère un regroupement entre les parties médiane et inférieure : mettant ainsi en
évidence la dualité fondamentale qui existe entre les pôles tête-conscience et corps-énergie.

Nous sommes de plus rendus attentifs à un détail : dans les nombres 3-5-8 de
la tête nous pouvons reconnaître des termes de la suite « dorée » de Fibonacci
; mais ils ont été repérés dans une perspective différente par l’alchimiste
persan Jâbir, qui avait isolé sur le carré magique de Saturne un petit carré
1+3+5+8 dont il qualifiera la somme 17 de nombre de la Balance.

De plus, les nombres 3-5-8 mis bout-à-bout forment le nombre 358 qui est en kabbale celui
du serpent (nahash) comme celui du messie (machiah) : on pourrait ainsi comprendre que la
perche, sur laquelle Moïse élève le serpent d’airain, apporte l’unité qui fait du serpent, ainsi
transformé en caducée, un onguent médical.

Ces deux éléments nous permettent de compléter notre raisonnement : si la bénédiction se


manifeste d’abord par la jonction des mains au niveau du coeur, nous dirons qu’elle tire
pourtant son impulsion du pôle conscience. Parce que la conscience de l’homme est une
conscience pensante, elle a rendu l’homme libre, mais au prix de son exil des conditions
d’existence paradisiaques. C’est aussi par la conscience que doit commencer le travail de
réintégration, lorsque la tête reconnaît les errances auxquelles elle est sujette (caverne de
Platon) pour considérer l’or fixe du soleil : le chemin du coeur passe par la tête.

Il nous semble enfin que la liste que nous présentons singularise la Truelle comme dixième
et dernier outil : une mise en lumière qui n’aurait pas été possible simplement par les triades
d’outils. Bien que la Truelle entre dans la composition de la Balance, elle nous semble d’un
autre point de vue être un support privilégié où apparaît cette synergie : elle est, autrement
dit, cette Partie remarquable où transparaît le Tout. Nous pourrons ainsi considérer la
représentation symbolique de la Truelle comme un blason du sceau de la prophétie.

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