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Isha Schwaller de Lubicz

HER-BAK

« DISCIPLE »
DE LA SAGESSE EGYPTIENNE
Illustration de Lucie Lamy

1956

FLAMMARION
PRÉFACE

Ce livre s’adresse aussi bien aux égyptologues qu’à tous ceux qui, sans
préparation spéciale, désireraient connaître l’étonnante civilisation
pharaonique. Il est né du désir d’exposer en une synthèse vivante, et sous
une forme facilement accessible à la mentalité occidentale, l’ensemble des
problèmes évoqués par l’antique Égypte et de la Connaissance impliquée
dans son œuvre. Cette forme de présentation dialoguée a été imposée par la
nécessité de créer l’ambiance permettant de comprendre le rythme de ce
monde ancien sans le déformer par notre propre point de vue.
Cet ouvrage essaie d’exprimer l’enseignement donné, dans le cadre des
temples thébains, au disciple d’un Sage égyptien. Si nous pouvions, en
suivant son chemin, retrouver la méthode employée par ses Maîtres, nous
aurions en main quelques clés pour le déchiffrement de leur enseignement
symbolique.
Nous pourrions peut-être résoudre la plus grande difficulté qui déroute
notre mentalité analytique : difficulté de discerner, sous l’apparente
complexité du développement de leur mythe, la simplicité essentielle de leur
vision synthétique. Nous pourrions, en adoptant leurs propres méthodes,
constater que l’enseignement égyptien, même lorsqu’il expose le détail des
parties, le fait toujours en synthèse, montrant le lien vital de la partie avec
le tout.
Nous pourrions entrevoir leurs divers modes de formation mentale et
psycho-spirituelle, pour les membres d’une élite connaissant la destinée de
l’Homme, et sachant transcrire, sous la signature du symbole, les lois de
l’Univers qu’il résume.
Tel est le but et le programme d’Her-Bak Disciple : partager avec le
lecteur sa propre initiation aux arcanes d’une Sagesse qui fut la source de
toute la civilisation méditerranéenne.
Mais notre formation rationnelle est si éloignée de la mentalité
pharaonique, que Vexpression symbolique des thèmes égyptiens cache à nos
jugements préconçus Vétendue de leurs connaissances.
Pour le lecteur qui, généralement, n’a pas même le point d’appui d’une
documentation sommaire sur « l’état de la question », il n’est possible
d’apprécier ni l’intérêt actuel de la révélation pharaonique, ni le progrès
réalisé dans sa compréhension.
C’est pour cette raison que nous avons adjoint à l’ouvrage – en
quatrième partie – une série de « Commentaires » développant pour le
lecteur moderne les sujets d’Her-Bak ne pouvait traiter qu’en mode
égyptien.
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Pour la même raison, nous avons annexé à l’histoire de « Pois Chich »
un Appendice documentaire donnant un aperçu concis des bases
classiquement admises pour l’étude de l’Égypte ancienne.
RÉSUMÉ

DE
HER-BAK « POIS CHICHE
La jeunesse d’Her-Bak et les diverses phases de sa première formation
2
font l’objet d’un ouvrage intitulé Her-Bak « Pois Chiche » .
Un petit garçon égyptien, fils d’un chef de cultures du domaine de
Menkh, grand Maître des Techniciens, se trouve, par une rencontre fortuite,
en contact avec le « Sage » de ce temps-là. Celui-ci, ayant pressenti chez
l’enfant les qualités caractéristiques d’un être prédestiné, lui conseille
d’abord, pour développer ses dons innés, de cultiver la terre et d’observer la
vie des plantes et des animaux.
Un harpiste aveugle, philosophe intuitif et sage, est le premier maître de
Pois Chiche dont le nom à double sens signifie le pois chiche et aussi « face
de faucon » – c’est-à-dire d’Horus –, parce que ce pois porte l’image d’une
face de faucon, l’oiseau d’Horus.
Lorsque son expérience de la nature est jugée suffisante, le seigneur du
domaine, Menkh, devient le second maître de Pois Chiche. Il le fait entrer à
l’école des scribes, puis l’oblige à prendre contact avec les lois de la
matière par l’apprentissage des diverses techniques. Pendant ces quatre
années de culture préparatoire, la précocité de l’enfant prédestiné le met aux
prises avec différents cas de conscience, qui développent en lui le sens de la
responsabilité et forment son jugement. Enfin Pois Chiche se trouve heurté
par les inégalités sociales et les faiblesses de certains dirigeants. Il est
obsédé par le désir de connaître les secrets du Temple et la réalité des Neter,
mais il se révolte devant ce qu’il nomme « superstition et crédulité
populaires ».
Le Sage entre alors en jeu et lui pose le problème du choix entre deux
chemins : la formation humaine d’un chef actif dans le gouvernement du
royaume, ou l’acquisition de « maîtrise » qui l’acheminera vers la
« Connaissance ».
Ayant pesé les obstacles causés par sa nature instinctive, et d’autre part
l’appel de sa destinée, Pois Chiche choisit le chemin de Sagesse et se
soumet à la direction du Maître, qui lui donne son nom d’Her-Bak (face
d’Horus) et le conduit vers le Temple.
*
**
Dans la troisième partie de l’ouvrage, Her-Bak est introduit dans le
Temple extérieur, dit « Péristyle », et le Sage le présente à ses nouveaux
professeurs. Ceux-ci, qui n’ont pas de contact avec l’enseignement
ésotérique du Temple intérieur, rebutent d’abord Her-Bak par la sécheresse
de leurs conceptions utilitaires. Il accepte cependant cette discipline
mentale, avec les heurts et les épreuves qui forment son discernement. Her-
Bak reçoit alors des leçons plus vivantes sur le sens symbolique de « Nout,
mère céleste », des formes architecturales, et des animaux sacrés. Il apprend
à connaître l’Humain, jusqu’à la nuit d’épreuve où la révélation de « son
propre Neter » lui ouvre enfin la porte du Temple intérieur.
Mais avant d’être admis au grand enseignement, le disciple, introduit par
le Sage, est présenté au Pharaon.
*
**
L’histoire d’Her-Bak se situe entre les XXe et XXIe dynasties, dans le
cadre des temples de Moût et d’Amon (actuellement Karnak), donc sur la
rive orientale du Nil, face à la montagne thébaine qui domine la Vallée des
Rois.
PREMIÈRE PARTIE

I
LA QUESTION

Le moment indécis qui termine la nuit par l’annonce de l’aube impose le


silence. L’enseignement reçu dans le Temple extérieur fait déjà partie du
passé. Que sera la lumière promise ?
Entre les deux, Her-Bak attend.
Le Sage lui a dit : « Une réponse est profitable en proportion de
l’intensité de la recherche. Le problème clairement envisagé, la question
nettement définie, portent en eux les éléments de la solution.
« Nous devons t’imposer cette épreuve avant de t’introduire parmi les
disciples du Temple : si nous n’autorisions qu’une seule question, à
laquelle attribuerais-tu l’intérêt principal ?
« Pèse attentivement les raisons de ton choix et grave-les en ta mémoire :
tu les exposeras en paroles concises lorsque tu seras appelé. »
Her-Bak s’est incliné. Il a revisé les sujets de sa recherche passionnée ; il
a fouillé leurs bases profondément, s’efforçant d’élaguer les arguments
futiles pour dégager les racines essentielles… Et maintenant Her-Bak
attend.
*
**
L’aube a blanchi la terre ; les premiers rayons dorés précisent sur le fond
de pierre une silhouette : la silhouette du messager.
Her-Bak marche à sa rencontre et se laisse conduire sans crainte,
conscient d’avoir donné, sans négligence la mesure de son actuelle
possibilité.
*
**
Le candidat est introduit dans la salle hypostyle où la lumière vive et
l’obscurité se combattent ; des gardes ont été postés pour en interdire
l’approche. Du côté de l’Orient une voix appelle le novice ; Her-Bak se
dirige vers elle.
Dans le fond de la colonnade, trois hommes siègent à la droite du Sage,
trois hommes vénérés dans le Temple en leur nom de Maître de Mystique,
Maître des Mesures, Maître du Symbole. Her-Bak est empoigné par la
majesté de ce groupe ; rien, dans leur costume, ne signale leur dignité, et
cependant il prend conscience que ce sont eux les piliers véritables du
Temple.
En quel monde nouveau l’a-t-on transporté ? Quelques pas seulement le
séparent du Péristyle, et déjà lui semblent lointaines les rumeurs et les
querelles. Oh ! s’il n’est point reçu, puisse-t-il au moins demeurer comme
humble serviteur de cette majesté ! Her-Bak s’est prosterné en formulant ce
vœu, et dans sa joie fervente il oublie tout, même l’épreuve.
Il se lève à l’appel du Sage.
— Her-Bak, approche-toi ; voici l’heure de prouver que ton effort est à la
hauteur de ton rêve. As-tu formulé ta question ?
— O mon Maître, qu’il me soit permis d’énoncer ma recherche dans
l’ordre où elle s’est déroulée ; car j’ai saisi un bout de la corde, mais je ne
sais où elle me conduira.
— Mon fils, ce lieu n’est plus celui des paroles oiseuses. Expose ton
problème tel que tu l’as conçu.
Alors le novice parla :
— La première question sortie de mon cœur a été celle-ci : « Pourquoi
suis-je sur Terre ? » Mais, discutant avec moi-même, je ne l’ai point trouvée
astucieuse. Sais-je ce que je suis, moi ? Sais-je ce que c’est, « la Terre » ?
« La Terre, c’est ce qui n’est point le ciel ni la Douât, car il est écrit :
« Tout ce qu’il y a dans le Ciel, dans la Terre, et dans la Douât. » La Terre
est sous le ciel… et aussi sous mes pieds ; donc je suis sur la Terre, et aussi
sous le ciel.
« Que fait l’homme sur Terre ? Il naît, il vit, il meurt. Où était-il avant de
naître ? Dans son père et sa mère. D’où est venu le premier père ? …
« Quand l’homme meurt, il retourne dans la terre ; lorsque l’homme finit,
la Terre demeure. Existera-t-elle toujours ?
« Elle change d’aspect avec les saisons ; on m’a dit que ce sont le Soleil,
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la Lune et Sothis qui font ces saisons : donc la vie terrestre dépend d’eux ?
J’en dépends donc aussi puisque je vis sur terre ?
« Ce Soleil, cette Lune, et Sothis, de qui dépendent-ils ? Sont-ils plus
forts que tout le ciel ? Ou bien existe-t-il des forces au-dessus d’eux ? On
m’a dit qu’il y avait des étoiles plus grandes que ces astres : quelle est la
plus puissante ? Mais voici que je perds ma question… Non, car si je sais
cela je saurai ce qui commande le Monde.
« Est-ce vrai ce que je dis ? Je n’en suis pas certain, car si la Terre se
transforme, pourquoi n’en serait-il pas de même pour le Soleil, pour la
Lune, pour Sothis ? Ce qui peut changer ne doit-il pas mourir ?
« Si cela est exact, la mort est plus forte que tout ; la mort serait-elle le
sujet fondamental ?
« Je dois chercher plus loin, car la mort est la fin de quelque chose. De
quelle chose ? – D’une existence. Me voici revenu au même point : quel est
le but de l’existence ?
« Ce ne peut être la mort : il doit y avoir d’autres buts, sinon le Monde
est horreur et folie ! Sans doute, ce n’est pas la question définitive, car je
devrais d’abord en résoudre une autre : est-ce moi qui choisit mon but, ou
m’est-il imposé ? Existe-t-il une volonté qui m’oblige ? Existe-t-il une loi
qui m’entraîne, comme sont entraînés le Soleil, la Lune et Sothis ?
« On m’a parlé des lois de Nature : si je suis conduit par elles je n’ai pas
de liberté, donc pas de but. Alors qu’avons-nous à chercher ? A quoi sert le
Temple ?
« Pourtant le Temple existe ; depuis les anciens Temps, on y enseigne la
Sagesse… Un fait est certain : je puis en mériter ou en perdre l’accès, j’ai
donc une certaine liberté. L’acquisition de cette Sagesse pourrait être mon
but ; ce but est-il absurde ? Il le serait s’il n’y avait dans le Temple aucune
Connaissance véritable. Moi, je n’ai pas le droit, parce que je ne sais rien,
d’en déduire que les Sages de tous les Temps ont menti ; or, puisqu’ils
affirment que je puis accepter ou refuser le chemin de vérité, ce choix est
une liberté. D’où me vient cette liberté ? Elle dépasse donc les lois de
Nature ? Est-elle plus forte que ces lois ? … Qu’est-ce qui dans la Nature
est moins libre que moi ?
« Je ne sais pas si l’animal a une liberté. Certainement moindre que la
mienne ! Je ne crois pas qu’il puisse dominer les lois de Nature ; la plante
ne le peut pas, ni la pierre : ceci est déjà une différence.
« Donc, pour savoir d’où vient ma liberté, je dois demander : « Qu’est-ce
que l’homme ? » Si l’homme est l’être le plus complet sur terre, je devrais,
en le connaissant, pouvoir connaître le reste ; cependant je suis homme et je
ne me connais pas ! Je ne sais pas ce qui est en moi ; le médecin qui
enseigne dans le Péristyle n’explique pas d’où vint le premier homme, ni le
but de la Vie, ni le sens de la mort…
*
**
« O mes Maîtres, je m’étais arrêté sur ce doute avant d’avoir assisté aux
funérailles. Alors j’ai vu la mort, la fin des choses. Et j’ai dit : si la mort est
la fin totale, à quoi sert la science ? Le chanteur a raison : mieux vaut jouir
de la vie sans autre souci. En ce cas le Temple et la Sagesse sont des
absurdités, les rites funéraires sont absurdités… Certes j’ai pensé cela. Mais
ensuite j’ai dit : ce serait une autre absurdité que de conclure sans preuves.
Le Maître de Mystique l’interrompit :
— Toi, Her-Bak, crois-tu que la mort soit une fin totale ?
— Mon cœur refuse de le croire. Mais je dois chercher et trouver ma
« question » sans m’occuper de ce que je crois.
Les Maîtres acquiescèrent avec satisfaction. Her-Bak reprit son exposé :
— Les funérailles m’ont frappé dans mon amour pour Nadjar ; j’ai
compris la séparation ; avant la mort il était semblable à nous : le même air,
il le respirait ; les mêmes choses, il les voyait. Maintenant, ses yeux ne
voient plus, ses narines ne sentent plus… Y a-t-il quelque chose de lui qui
voit encore ?
« Si cela n’est pas c’est l’annihilation totale ; si cela est, voit-il des
choses que nous ne voyons pas ? Dans ce cas, nos yeux – les nôtres – sont-
ils morts à cet autre monde qu’ils ne voient pas ? S’il en était ainsi, notre
vie et la sienne ne seraient séparées que par une différence ? Où est sa vie à
lui ? Ce qu’il avait appris est-il mort avec lui ?
« Un Maître menuisier m’a dit : « La mort est transformation. » Si le
corps est momifié, il ne peut plus changer : où est la transformation ? On
parle du BA et du KA qui peuvent « revenir ». Que sont-ils ? Où sont-ils ?
Leur corps est mort ; comment peuvent-ils être vivants s’ils n’ont plus de
corps pour manger ?
« Voici donc une autre question : qu’est cela, être vivant ? … Mais
j’ignore trop de choses, je ne sais pas si ceci est la question fondamentale.
*
**
Les Maîtres se regardaient en souriant. Le Sage dit :
— Il a cherché en vérité, il a osé parler : l’aiderons-nous à élaborer sa
question ?
Les Maîtres s’inclinèrent, le Maître Mystique dit à Her-Bak :
— Pour élaborer une question, va d’abord au cœur du problème. Chaque
être est conduit par une « poussée » qui gouverne toute sa vie : quelle est la
tienne ?
— Apprendre ce que je dois savoir pour que mon existence accomplisse
son but essentiel.
— Commence donc par chercher ce but.
— Comment le ferai-je ?
Le Maître Géomètre répondit à Her-Bak :
— Tout axiome de vérité doit pouvoir s’exprimer géométriquement, car
tout phénomène se situe dans l’espace comme la résultante de mouvements
et de rythmes qui lui donnent sa forme et son caractère par le nombre. Tu
cherches ton but ? Place donc au point central ton existence. D’où vient-
elle ? Où va-t-elle ?
— Elle vient de ma naissance.
— Des lignes de force et des nombres ont déterminé cette naissance ; ton
existence démontre les caractéristiques harmoniques qui te conduisent vers
un but : voilà le champ dans lequel tu dois maintenant chercher. L’embarras
d’Her-Bak fit sourire le Sage qui lui dit :
— Pars d’un point connu de toi ; à quoi aboutit l’existence ?
— A la mort, et peut-être à autre chose que j’ignore ?
— Donc tu ne peux connaître ton but définitif sans connaître ta « fin »
définitive. Mais ton but actuel te dirigera vers la connaissance de cette fin.
Car les lignes de force – ou tendances – de chaque être déterminent son but
actuel ; or celui-ci est fatalement orienté par sa fin et son but définitifs.
— Mon but actuel est de connaître ma fin véritable. Le Maître du
Symbole répondit :
— Alors, établis le rapport entre cette tendance – qui est la tienne – et
celle des autres formes d’existence. La tendance du minéral est définie par
son inertie ; il attend et subit la transformation imposée à sa passivité. La
tendance du végétal, exprimée par quelques mouvements – limités par sa
fixation au sol –, consiste à trouver les conditions favorables à sa
respiration, à sa nourriture et à sa fécondation. La tendance de l’animal est
de rechercher sa nourriture, son gîte et son accouplement.
« Ces tendances révèlent, pour chaque individu, son but. Pour le minéral,
son inertie et la lenteur de ses transformations rendent ce but
imperceptible ; pour le végétal, le but est la production de la semence ; pour
l’animal, le but est la continuation de l’espèce et la satisfaction des
instincts.
« Les tendances et le but de la nature animale répondent-ils à tes
aspirations ?
— Jamais ils ne me suffiront !
Cherche donc, en cette différence, la différence de ta fin véritable avec
celle des autres êtres ; la mesure dans laquelle ta tendance et ton but les
surpasseront mesurera la qualité de ta fin et de ton but définitifs.
Le Maître Mystique interrogea le candidat :
— Crois-tu qu’il y ait continuité de vie après la mort du corps ?
— Mon cœur le souhaitait ; depuis ces paroles, il le croit, mais rien ne
me le prouve.
— Qu’importe ! Écoute d’abord ta conviction, même si elle semble
absurde à ton raisonnement.
Le Sage intervint disant :
— Ce précepte est juste malgré son danger apparent. En effet, s’il existe
un ensemble de lois qui relie toutes les formes de la Vie, cela établit entre
ces formes des rapports sensoriellement incontrôlables qui, échappant à la
logique rationnelle, pourront être appelés absurdes jusqu’au moment où
l’expérience aura démontré que le fait concret peut résulter de l’intangible.
« Le refus, sans discrimination, de cet « absurde » ferme la possibilité de
connaissance de ces lois. Il faut donc apprendre à distinguer entre la
certitude du cœur, ou Foi, et la croyance ou adhésion aveugle à des mots.
« Foi et croyance aveugle établissent comme postulat « l’absurde » ;
cette croyance est à rejeter ; mais la Foi est indispensable pour entrer dans
la connaissance divine. Accepte donc provisoirement ta « certitude du
cœur » ; puis, cherche les preuves de sa vérité ou de son erreur.
Her-Bak répliqua :
— Où trouverai-je ces preuves ? J’ignore ce qu’est la mort.
Le Maître Géomètre indiqua la méthode :
— Une question se formule en conclusion d’un certain nombre de doutes
et de réponses insatisfaisantes. Il faut procéder par élimination. Ici, la mort
est le fait indéniable ; tandis que la vie n’est pas un fait, mais un ensemble
d’effets d’une cause incompréhensible, abstraite. Il faut donc partir du fait
de la mort. Si tu considères ce fait d’après son apparence, comment peux-tu
le définir ?
— Comme une fin ; ce qui paraît en résulter, c’est le rien.
— O Her-Bak, ta conclusion est inexacte, car il y a un résidu tangible : le
cadavre. Quant au changement qui a transformé le corps en cadavre, tu
peux envisager deux possibilités. Ou bien il ne reste qu’un corps dont le
mouvement vital a été simplement supprimé : dans ce cas il y a
soustraction. Ou bien, en dehors du corps mort, il reste ce qui en est sorti :
dans ce cas il y a division.
« Donc, la mort est soustraction si la vie a définitivement cessé, si elle a
été simplement anéantie ; la mort est division si quelque chose a été séparé
du corps résiduel.
Her-Bak réfléchit ces paroles en lui-même, puis il soumit aux Maîtres sa
conclusion :
— Chercher ce qui a pu sortir du corps, voilà donc ce que je dois faire ?
— Pour le trouver, répondit le Symboliste, observe dans la Nature ce qui
provoque la mort et comment elle se manifeste. Ce qui la provoque, c’est la
cessation (ou achèvement) d’une raison de vivre ; en tel cas, la mort
démontre quelle était cette raison de vivre.
— La cause de la mort peut être accidentelle…
— Même dans ce cas : la cessation de la « raison de vivre » peut
permettre ou provoquer cet accident.
« La Nature montre le rapport de la mort et du but : la fleur meurt à la
naissance de la graine ; le blé meurt lorsque le grain est mûr ; certains
insectes mâles meurent par la copulation. Chez tous les êtres animaux la
décrépitude commence avec l’épuisement des fonctions procréatrices.
« Pour les hommes, la même loi présente une différence : il existe des
hommes et des femmes qui, grâce aux facultés de leur Intellect, ne sont plus
esclaves de cette fonction, et dont, par conséquent, la « raison de vivre »
outrepasse le but animal ; la mort, pour ceux-là, peut donc avoir un sens
différent.
« Comment se manifeste la mort ?
Après quelque hésitation, Her-Bak dit :
— Par l’arrêt du mouvement et la cessation de chaleur.
— Ta réponse est exacte : le premier effet apparent est la fin de
l’impulsion incompréhensible qui donna au cœur et au corps le
mouvement ; alors le corps est abandonné à des transformations
destructrices : ceci te prouve que ce qui l’abandonne est ce qui le maintenait
en continuité.
Le Maître Mystique ajouta :
— C’est ce que nous appelons l’âme animante.
— Mais d’où vient le premier mouvement ?
Le Symboliste répondit en s’appuyant sur la Nature :
— De l’instant incompréhensible où s’éveille le germe dans la matrice ;
car, sans matrice, que pourrait la semence ? La Nature jette la semence à
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profusion ; beaucoup se perd, n’ayant point rencontré de matrice . L’être
femelle, qui reçoit la semence, conçoit le germe et le nourrit de sa propre
substance. Or la mère se fane lorsque cette fonction s’épuise en elle.
« Il y a cependant une mère qui enfante et nourrit sans cesse les germes :
c’est la terre ; elle est nourricière de tous les végétaux, et, en définitive, des
autres êtres dont ils sont l’aliment ; elle est mère des minéraux ; tout corps
est destiné à revenir dans son sein.
Le Sage eut une lueur d’ironie dans les yeux, il murmura :
— Certes, mais entre-temps ces corps ont vécu, et la terre, elle, n’est
point morte…
— C’est la mère nourricière perpétuelle, dit le Symboliste ; à force de
donner elle peut s’appauvrir, mais elle puisera de nouveau aux sources de
Nature pour transmettre la vie. Seul, un feu Sethien excessif peut arrêter son
pouvoir régénérateur : ainsi devient la « terre rouge » désertique.
— Dis-moi, Her-Bak, connais-tu une mère qui puisse ne pas mourir ?
— Comment serait-ce possible ? Tout ce qui naît ne doit-il pas subir la
mort ?
— C’est pourquoi une telle mère ne doit ni être née, ni avoir forme
corporelle ; car c’est sur le corps que la mort exerce son pouvoir. Et cette
mère, nourrice de la Vie, sera nécessairement de la nature de ce qui donne
la Vie et que nous appelons âme.
Le Sage émit une conclusion provisoire :
— Ainsi le problème de la Vie n’est pas encore approfondi ; mais la
possibilité de la Mère-qui-ne-meurt-pas t’approche de la solution, car elle te
révèle le sens de la mort : cette mort n’est alors qu’un passage de l’être dans
le ventre de la grande Mère Nom qui provoque toutes les transformations.
— Si la mort est un moment de transformation, il doit en effet rester, en
dehors du corps inerte, quelque chose qui continue à vivre…
Le Sage rectifia :
— … qui est la Vie.
Her-Bak s’efforçait de retenir chaque parole. Enfin il posa « la
question » :
— Le problème fondamental serait donc : « Qu’est-ce que la Vie ? »
Qu’est-ce que la Vie si elle est autre chose qu’apparence passagère,
maturation de semence et tran sition entre naissance et mort ?
Aucun des Maîtres n’ouvrit la bouche pour parler. Enfin le Sage dit :
— Avant de te répondre, chacun de nous doit à son tour t’interroger.
Quant à moi, je désire savoir pourquoi tu n’as pas choisi comme question
celle qui t’a toujours inquiété : « Qu’est-ce que le Neter ? »
Her-Bak déclara sans hésiter :
— J’ai passé tout mon temps à le demander ! Je commence à croire que
c’est la dernière chose à chercher…
Un sourire égaya le visage des Maîtres. Le Sage approuva :
— Tu peux même ajouter : c’est la chose qu’il est inutile de chercher. Si
le Neter n’est pas en toi, tu ne le trouveras nulle part ; s’il y est, il se
révélera en toi-même, et tu le découvriras alors en toutes choses.
« Or donc, que chacun des Maîtres pose sa question.
Le Maître Mystique demanda :
— O toi, Her-Bak, quel est ton plus profond désir ?
— C’est de sentir la Vie en moi et en toutes choses.
— Alors apprends à connaître le monde en toi ; mais ne cherche jamais à
te trouver, toi, dans le monde car ce sont tes illusions personnelles que tu y
transposerais.
Le Maître Géomètre demanda :
— O toi, Her-Bak, que veux-tu connaître ?
— Le « plus vrai » !
— Est-ce ton souhait, même si le « plus vrai » n’était pas agréable ?
— Je veux connaître le plus vrai.
— Alors cherche-le dans les Nombres et la fonction géométrique ; ils te
donneront des résultats qui s’imposent, et qu’aucune considération
personnelle ou sentimentale ne peut dévier.
Le Maître du Symbole demanda :
— O toi, Her-Bak, que veux-tu faire ?
— Donner aux autres ce que j’aurai acquis.
— Pour donner il faut avoir ; pour enseigner il faut connaître la nature de
ceux auxquels on donne, c’est-à-dire leur symbole ; étudie les hommes et
les choses à travers le symbolisme.
Le Sage dit à Her-Bak :
— Mon fils, les trois Maîtres t’ont fait goûter la moelle de leur branche
respective. Plaise à chacun d’eux d’y ajouter une définition de l’Homme.
Le Maître Mystique dit :
— L’Homme est le Naos du Verbe divin. Le Maître Géomètre dit :
— L’Homme est la mesure de l’Univers.
Le Maître du Symbole dit :
— L’Homme est la statue vivante du Grand Monde dont il résume tous
les symboles.
Le Sage, à son tour, déclara :
— Moi, je te dois la réponse à ta question fondamentale : « Qu’est-ce
que la Vie ? ». Je la donnerai demain, pour ton entrée dans le Temple
intérieur. Et toi Her-Bak, que donnes-tu ?
Her-Bak se prosterna :
— Mon obéissance et ma foi…
Et se relevant, il ajouta :
— … ceci est naturel ; mais, ô mon Maître, si tu m’enseignes ce qu’est la
Vie, je te donne ma vie.
II

LA RÉPONSE

Et voici le grand jour ! Dans la salle hypostyle Her-Bak attend le Sage


depuis l’aurore ; et son impatience décroît avec l’écoulement des heures.
Magie étonnante du lieu ! Il est entré en conquérant ; sa joie l’a exalté,
proportionnant son rêve aux dimensions de l’édifice… La masse disparaît,
les colonnes s’effacent ; il va et vient au milieu d’elles, radieux, tel un
somnambule inconscient de la hauteur et de l’abîme… Mais ces tours et
détours épuisent son exaltation ; il s’aperçoit de son attente, l’absence du
Sage l’inquiète. Aurait-il oublié Her-Bak ?
Une heure passe ; il s’impatiente ; il se voit, seul, dans la colonnade ; les
prêtres et les étudiants silencieux, occupés par leur propre travail,
n’empêchent pas la solitude. Il prend peu à peu conscience de la
disproportion physique, et les fûts énormes l’écrasent ; ils les contourne, il
s’y mesure comme un pygmée impuissant devant une œuvre de géants.
Une heure passe encore, ses pensées évoluent. Ces géants n’étaient-ils
pas des hommes comme lui ? Ils n’ont pas eu peur de la « masse » !
L’œuvre a révélé l’artisan et l’artisan a couvert l’œuvre d’une pensée
exubérante, une pensée qui échappe à toute mesure. Qu’importe le
pygmée ? Her-Bak relève le front ; n’est-il point l’héritier de ceux-là ? Un
frisson d’orgueil le secoue ; il s’applique à chercher le sens secret des
textes…
Une heure a passé, et Her-Bak, la tête dans ses mains, mesure avec effroi
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les ténèbres contenues dans le mot « ignorer » !
Alors le Sage vint, comme la réponse à l’appel. Il dit à Her-Bak :
— L’entrée dans le Temple couvert oblige au silence absolu sur
l’enseignement reçu. Ne point répéter la parole entendue ne suffit pas :
interpréter, commenter, est une trahison jusqu’au jour où tu seras jugé
« affermi dans l’Intelligence du cœur ». Es-tu prêt ?
— Maître, j’entends, j’obéirai. Le Sage dit :
— Soit. O Her-Bak, mon disciple, tu es autorisé à franchir le seuil de la
porte. Va !
Le novice hésita. Il se trouvait devant l’entrée centrale, aux grands
vantaux de bois ouvragés d’or ; il s’approcha ; le Sage l’arrêta :
— Mon fils tu commets une erreur ; où vas-tu ? En un lieu ignoré de toi ;
entre ce lieu et toi, entre ce que tu seras et ce que tu étais, il y a un passage,
un chemin ; en toute action vitale c’est ce chemin qui importe, car il
implique tous les rapports de temps, d’espace et de moyens possibles entre
une origine et sa fin ; c’est le déroulement de la loi à travers le « moyen ».
Ces rap ports peuvent varier selon ce moyen, c’est-à-dire selon la direction
du chemin ; son point de départ, matériel ou idéal, c’est la porte. Remarque
ceci : elle détermine la direction et la nature du chemin. C’est ce que nos
Sages ont surtout signifié par les symboles, les inscriptions et l’orientation
des portes. Sois toujours attentif aux paroles qui se rapportent à chacune
d’elles : elles sont, en tous les cas, révélatrices, car notre langue n’est pas
vulgaire, mais initiatique.
« La porte est en même temps pouvoir, et destin inéluctable. Elle est
pouvoir parce qu’elle révèle le sens de ce vers quoi elle introduit ; elle est
destin parce que, l’ayant franchie, on subit la directive et le sens imposés.
« La porte principale livre passage au « Maître-de-la-Maison » quand il
se manifeste au-dehors ; c’est la porte d’extériorisation qui s’ouvre à deux
battants. Autre est celle qui introduit.
Le Sage prit la main d’Her-Bak et le conduisit vers la gauche devant une
porte basse, peu visible dans l’ombre.
— Voici l’entrée de ton chemin ; celle-là est proportionnée à celui-ci : le
sentier de la Connaissance est étroit, il ne permet ni détours ni complexités
arbitraires ; car la loi est rigide, le canon sans indulgence. Celui qui cherche
le Réel n’accorde plus sa foi aux apparences.
Le Sage observait le visage assombri d’Her-Bak :
— Crains-tu cette rigidité ?
— J’en redoute la froideur.
— La froideur est dans l’exactitude de la Loi, mais la Vie est mouvante
et le Feu est ardent ! Tu choisiras la nourriture qui te convient, sous
condition de te laisser guider dans son emploi, car, toute déviation te ferait
glisser dans l’erreur. Écoute mes paroles avec attention.
« L’enseignement des trois Maîtres est intégral, chacun pour soi :
• le Mystique t’apprendra la joie extatique du don ;
• le Symboliste éveillera ton intuition quant aux rapports vivants des
choses et des êtres ;
• le Géomètre t’initiera aux propriétés du Nombre et au « devenir » des
formes. Mais il serait erroné de confondre et de transposer de l’un à l’autre
leurs procédés.
« La science des mesures est « connaissance de Lois imperturbables », à
condition qu’elle parte de la réalité et non d’une supposition (ce que seuls
les Sages – nos Maîtres – ont su faire). Tous les axiomes philosophiques,
qui sont à la base même de la Théologie, doivent pouvoir se transcrire en
mathématique, nécessairement géométrique car les mathématiques qui ne
s’expriment pas géométriquement ouvrent la porte aux hypothèses du
rationalisme, qui conduisent à l’erreur.
« La Mystique est une « prise de conscience » directe par
confondement ; c’est un état de « transparence » qui permet la vision directe
et globale d’une harmonie : ce n’est point une compréhension. Vouloir
obtenir cet effet par un jeu de pensée et d’enchevêtrement de notions, c’est
vouloir tomber dans l’imagination et l’erreur.
— Comment peut-on parvenir à cet état de transparence ?
— En supprimant les « écrans » qui s’interposent. Jusqu’à ce que tu y
sois parvenu, sois précis dans ta recherche ; fuis toute fantaisie ; garde-toi
de transposer de l’un à l’autre les procédés des trois enseignements : toute
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indiscipline en ce sens fait dévier les disciples des plus belles révélations .
Le Sage se tut. Le silence se prolongea. Ayant pesé les conséquences de
cette discipline, le novice manifesta une inquiétude :
— O mon Maître j’entends tes paroles ; oserai-je avouer un regret ? Si
votre science est strictement délimitée, mesurée et inscrite, je ne vois pas
quel champ de recherche reste encore ouvert à l’étudiant…
— O insatiable ! L’outrecuidant Pois Chiche s’impose encore dans Her-
Bak. Puisse Her-Bak élargir son cœur et ouvrir son oreille ! Écrite ou non,
la Vérité est là depuis toujours, tandis que ton âme n’est incarnée en toi que
pour un temps ; elle est venue pour prendre conscience de tout cela. Ce qui
importe, c’est le développement de ta conscience qui est le rapport entre ta
personne et la Puissance causale.
« D’ailleurs sois sans inquiétude ; chaque vérité que tu « apprendras à
connaître » sera, pour toi, aussi nouvelle que si elle n’eût jamais été inscrite.
Elle aura toujours valeur de « découverte », par sa résonance avec ton
propre nombre et ta fonction particulière dans l’Univers ; car ceci est
spécial à chaque étudiant, ainsi que l’application, dans sa vie personnelle,
de la conscience acquise.
Le disciple s’inclina profondément :
— J’ai compris.
Le Sage s’approcha de la porte ; sur un signal convenu, le vantail
s’ouvrit de l’intérieur. Alors il regarda Her-Bak, il l’embrassa :
— Entre mon fils, et que ton destin s’accomplisse. La joie faisait
trembler Her-Bak en tous ses membres ; il franchit le seuil sous les yeux
d’un gardien qui referma la lourde porte.
Le Sage dit alors :
— Ici nous pénétrons dans le monde intérieur où s’opèrent tous les
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mystères du Verbe, dont la face, her , n’est qu’un miroir . Ta face, ô Her-
Bak, est ouverte sur le monde extérieur par sept portes : trois sont doubles,
ayant une entrée orientale et une entrée occidentale ; la septième est centrale
et unique, encore a-t-elle un double canal intérieur avec double fonction.
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« L’atmosphère de Chou les baigne toutes pareillement ; cependant
chaque ouverture capte en cette même atmosphère, par adaptation, une
qualité différente :
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• les yeux ar-ti reçoivent la lumière de Chou ;
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• les narines cher-ti respirent l’air de Chou ;
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• la porte centrale, la bouche, ra , a double fonction : laisser entrer les
offrandes de nourritures et laisser sortir (extérioriser) le Maître-de-Maison,
le Verbe-parole.
« Chacune d’elles est spécifiée quant à son nom et sa fonction ; mais la
porte centrale est désignée par le nom générique, ra : ouverture, entrée,
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porte. Constate que l’œil (ar-t), la narine (cher-t), et l’oreille (mesdjer ),
contiennent la même lettre r dans leur nom. Ainsi tu dois apprendre le sens
de chaque porte si tu veux savoir où elle te conduit ; observe sa forme,
observe son nom, sa situation et ses symboles : ils te révéleront sa fonction.
— Mon Maître n’a-t-il pas oublié une porte, l’oreille, qui entend toutes
les voix de Chou ?
— L’étudiant peut oublier, le Maître sait ce qu’il omet ; tu peux dire :
l’air de Chou, la lumière de Chou, l’ombre de Chou, la sécheresse de Chou,
parce que Chou est Neter primordial élémentaire ; c’est-à-dire qu’avec sa
jumelle Tefnedj, sans laquelle il n’aurait pu être, il contient les quatre
Qualités constitutives du Monde ; mais il cause la manifestation du Verbe
qui devient parole, la voix – kherou –, et toutes les voix de la Nature. C’est
pourquoi les oreilles sont appelées « les vivantes » (ankhoui) car elles sont
les portes qui le reçoivent.
Her-Bak exprima timidement sa surprise :
— Ce que tu dis de Chou, ne l’ai-je pas entendu d’Amon ?
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— Chou est immanent à la création perpétuelle en tant que Principe
primordial dans cette création ; son nom, Chou, évoque la nature aérienne et
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spatiale. La plume – son symbole (symbole spirituel) – est légère et non
divisée (non dualisée).
« La plume d’Amon est différente : elle est rigide, dualisée,
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compartimentée, colorée, et pénètre tout le ciel ; car le Neter universel
Amon (qui est aussi de nature et puissance aérienne), contenant les quatre
qualités de Chou et de Tefnedj, est essentiellement le milieu spirituel
générateur de l’être dans l’Univers.
« Le nom d’Amon est celui d’une « eau aérienne » portant en elle le
principe de stabilité.
« Alors que Chou donne à notre atmosphère ses qualités de feu, de
lumière et d’air, l’eau amniotique d’Amon entoure la génération de l’être
dans le monde, comme est baigné le fœtus dans la matrice.
Le nouveau disciple ne cachait pas son émotion. Il dit :
— O Maître, à peine ai-je franchi la première des portes, et déjà tant de
symboles se révèlent ! Cependant je ne sais pas encore en quel lieu je me
trouve…
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— Cette salle marque l’entrée du Temple couvert , dit le Sage. On y
consacre les offrandes reçues dans la salle précédente.
Her-Bak contempla les puissantes colonnes, la table-autel, les dressoirs
d’offrandes et les divers objets de ce rite.

Fig. 1. – Her-Bak contempla les représentations de la


table-autel, les dressoirs d’offrandes et les divers objets de ce rite,

— Je ne comprends pas l’offrande, dit-il : si les Neter sont des


puissances qui régissent la Nature, ils n’ont pas besoin de ce qu’on leur
apporte.
Le Sage répondit :
— Ils n’en ont pas besoin, mais l’homme a besoin d’eux.
« Ne te laisse pas tromper par la confusion trop facile entre le caractère
causal abstrait des Neter, et la forme concrète sous laquelle ils ont dû être
représentés pour éviter, grâce à un symbole positif, la transposition erronée
que pourrait susciter l’enseignement théologique abstrait.
« L’homme étant toujours tenté d’inventer des dieux à son image, mieux
vaut lui offrir des tableaux dont l’expression hiératique et les bizarreries de
composition excluent toute possibilité d’erreur sentimentale, et
d’interprétation du divin par l’humain.
« Les Neter sont l’expression de Principes et fonctions de la Puissance
divine se manifestant dans la Nature.
« Le nom et l’image des Neter figurés par les mythes sont la définition
de ces Principes et fonctions, offerte à l’étudiant pour qu’il apprenne à les
connaître et à les chercher en lui-même ; car les Neter sont en toi.
« On ne peut pas expliquer ceci à la foule, mais on peut en susciter la
conscience par un acte effectif. C’est une des raisons de la nécessité de
l’offrande : l’offrande, lorsqu’elle coûte à celui qui l’accomplit, éveille en
lui la conscience et le désir efficace de l’action du Neter. Ce désir est
l’attraction – aimantation – que nous nommons MER, c’est l’expression
d’un « manque », d’un besoin, ou d’un vide qui veut être comblé. C’est le
principe actif du sacrifice, qui est basé sur la loi de compensation.
« Mais tu risques de te tromper sur le sens de « compensation », si tu ne
comprends pas le jeu du croisement et de la force réactive dans toute la
Nature. Or tu dois t’habituer à ce mode de pensée si tu veux déchiffrer nos
symboles, car nous « croisons » toutes les notions. Souviens-toi donc de ces
axiomes :
« Tout phénomène est effet réactif ; une cause active ne produit jamais
un effet direct, puisqu’elle reste abstraite – c’est-à-dire non perceptible – si
la résistance manque.
« Lorsqu’une résistance, de même nature que la cause agissante, absorbe
cette cause et l’annule, regarde ceci comme un premier croisement qui est
une « mort » ; mais la résistance réagissant – c’est-à-dire devenant active à
son tour comme la force qui rejette le marteau frappant l’enclume –, elle
aura pour effet le phénomène-vie, que nous signifions par le deuxième
croisement.
— Cette loi de croisement appliquée à l’offrande signifie-t-elle que le
sacrifice fait au Neter doit produire, par réaction, son effet en moi-même ?
— Cette conclusion est exacte quant à la magie morale du sacrifice.
« La pratique du sacrifice est une défense de la conscience humaine
contre l’effet annihilant de la recherche de « satisfaction ». L’homme
animal subit cette tendance à la satisfaction, comme la Nature obéit à la loi
d’inertie. Or la satisfaction d’un désir est neutralisation de la puissance
qu’est le désir, c’est une sorte de mort : telle est la possession d’une chose
ardemment souhaitée. La seule force active qui résulte de la possession est
la crainte de perdre l’objet possédé : c’est un mouvement égoïste,
constrictif, qui, par conséquent, diminue plus ou moins la puissance
attractive de l’appel.
Her-Bak acquiesça vivement :
— En ce cas, l’offrande des prémices des troupeaux et de la moisson a
sans doute pour but de réagir contre cet instinct possessif qui interrompt
l’échange entre l’homme et les Neter ?
— O Her-Bak, tu parais encore oublier que les Neter sont aussi en toi ; il
ne s’agit donc point d’échange ainsi que l’interprètent les profanes.
« L’offrande des prémices, comme tout sacrifice véritable, provoque
chez le donateur la foi, ou puissance réalisatrice de la chose qu’il désire,
tandis que l’effet d’une simple prière risque fort d’être compromis par le
doute inconscient qu’elle évoque, par réaction, en celui-là même qui la
formule.
— Le sacrifice, ou don, offert pour obtenir la chose désirée, est pourtant
un échange…
— Non pas « échange » dans le sens de marché, ou troc de « quantités »,
mais « compensation » selon la loi de Maât ou d’équilibre immanent à la
Nature dualisée, comme la nuit fait équilibre au jour, et l’expir à l’aspir. Ce
qui te trouble, c’est la confusion entre les intentions diverses de l’offrande
qui peut avoir pour but :
• de susciter, par la magie du sacrifice, la foi créatrice de la chose
souhaitée ;
• ou d’évoquer cette chose, soit par le désir (mer), soit par la magie des
analogues ;
• ou de provoquer sa réalisation par un effet de réaction.
— Quelle est la différence entre l’évocation et la provocation ?
— La provocation excite la réaction de la chose, être ou puissance à
laquelle on s’adresse, en lui offrant une résistance.
« Si tu défies un combattant en mettant en doute sa valeur, sa réaction
doublera son audace. Le vent fortifie les tiges des arbres et des épis en
provoquant leur puissance réactive, c’est-à-dire vitale. L’os, dévoré par un
vautour ou un chien, provoque l’émission des sucs qui en permettront la
digestion.
Her-Bak, attentif, répliqua :
— Alors ces animaux risquent de dépérir lorsqu’on leur supprime ce
genre de nourriture ?
— Effectivement, le manque de calcaire atrophie leur fonction digestive
caractéristique, puisqu’ils sont organisés pour cela.
« Quant à l’évocation, elle appelle la réalisation de l’objet désiré, en lui
offrant la chose, le principe, ou l’idée qui peut être son aimant. Elle peut le
faire directement, ou par la magie des analogues.
« Dans le premier cas, elle agit en créant le manque ou le vide, et ce vide
devient le MER, l’attraction, l’aimant pour la chose de sa nature. Si tu veux
drainer un terrain, il te suffit de creuser un canal plus profond que le niveau
des eaux avoisinantes pour que toutes ces eaux viennent s’y rassembler : la
profondeur de ton canal sera l’aimant, MER, de ces eaux. Si ton estomac
n’a pas envie de nourriture, tu peux susciter son activité – donc sa faim – en
évoquant ton aliment préféré. Si tu plantes des arbustes dans le désert en
leur donnant l’eau strictement nécessaire pour qu’ils y prennent vie, leurs
racines iront chercher profondément l’eau souterraine, et leurs feuilles
attireront l’humidité de l’atmosphère. Ta plantation peut ainsi transformer le
sol stérile en un terrain fertile : qu’auras-tu fait, sinon évoquer les fonctions
Amoniennes-Osiriennes de la Nature, par l’offrande de végétaux « à
Osiris », pour triompher du feu Sethien de ce désert ?
« Dans le deuxième cas, l’évocation se sert de la magie des analogues,
c’est-à-dire du choix intelligent d’un analogue ayant les caractéristiques de
la chose souhaitée : on présente souvent en offrandes funéraires des fleurs
disposées en bouquets montés, comme si, en une croissance exceptionnelle,
ils sortaient les uns des autres.
« On évoque ainsi par analogie ce que l’on souhaite au défunt : la fleur
porte la semence, le symbole – ou analogie – de ces bouquets « montés »
est la montée nouvelle de la vie ressuscitante qui ne s’appuie plus sur la
terre. Il arrive même parfois que l’on donne à l’image de la momie une
hauteur démesurée, pour accentuer et intensifier ce symbole.
— N’est-ce pas la même intention qui s’exprime par ce vœu, si souvent
répété dans nos textes : « Que ton nom refleurisse ? »
Le Maître approuva son élève :
— Cette parole est véridique. Le cérémonial des funérailles en donne un
autre témoignage par le costume des pleureuses dont les robes et les
chevelures évoquent l’eau de « rajeunissement ».
— Nos mythes ne le confirment-ils pas en montrant la résurrection
d’Osiris effectuée par les larmes d’Isis et de Nephtys ?
— Ta compréhension est correcte, enrichis-la de cette autre notion :
l’évocation par la magie des analogues te révèle un aspect ignoré du
profane ; l’offrande, dans ce cas, n’est pas un don, mais le symbole de ce
que le Neter invoqué peut donner
Fig. 2. – Parfois on donne à l’image de la momie une hauteur démesurée…

Her-Bak émit une objection :


— Il n’apparaît point, cependant, que la matière offerte soit identique à
la chose demandée : si j’offre une cuisse de taureau…
— … c’est que tu as besoin de ce qu’elle représente. Pour en juger
sainement il te manque la science des correspondances analogiques de la
Nature, toujours appliquées dans nos images symboliques.
« Commence par observer les caractéristiques des matières offertes : la
chair nourricière d’une cuisse de quadrupède ne représente pas la même
valeur fonctionnelle que le khepech – sa patte avant – qui donne la mesure
et la direction de la force motrice qui siège en la cuisse.
« Apprends aussi à distinguer les gestes des bras et des mains de celui
qui apporte l’offrande ou accomplit le sacrifice : le bras tendu offre
l’emblème de la chose désirée ; les mains élevées s’opposant au Neter le
provoquent ; le geste suppliant des mains creusées pour recevoir, est un
geste d’évocation. Considère sans négligence tous les détails de l’offrande :
chacun d’eux est une parole, et chaque tableau est un livre.
Le disciple, rêveur, contemplait les murailles sculptées.
— Chacune de ces scènes banales peut donc nous révéler divers
enseignements ?
— Pourras-tu désormais en douter ? A défaut d’autres preuves, ne
suffirait-il pas d’évoquer le souci minutieux des détails et leurs coïncidences
avec les textes connexes, les retouches opportunes des mesures dans la
succession des époques, la correspondance rigoureuse des gestes avec
l’intention de l’offrande ?
« Mais la preuve efficace sera l’expérience, si tu appliques notre mode de
pensée au déchiffrement de nos compositions. Leur mérite essentiel réside
en ce fait que leur correspondance intégrale avec les lois de la Nature leur
donne un caractère d’universalité ; si tu découvres le principe interprété
dans un tableau, tu pourras t’en servir pour expliquer ce qui lui correspond :
dans le devenir du poussin ou du fœtus, ou d’un homme sur la Terre, ou
d’un être dans la Douât… à condition de ne pas te tromper quant à la phase
symbolisée.
— O Seigneur de Sagesse, combien grandes sont tes paroles ! J’ai
compris tous les sens de l’offrande !
Le Sage étendit la main vers la table d’offrandes.
— Non, mon fils, malgré tout ce que je t’ai dit, tu n’as pas entendu le
sens le plus secret. Tu as passé la nuit devant la statue de Ptah
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emmailloté , et tu ne l’as pas compris :
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« Pth est l’énergie créatrice, ligotée par sa chute dans la matière. Il est
cause de vie, mais il ne sera vivant que lorsqu’il sera délié par le hotep :
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htp ou pth renversé, c’est-à-dire qu’il aura fait la paix (hotep) – ou
l’union – entre lui et les choses à animer ; car il y a, en Ptah, un feu
destructeur qui, par le hotep, deviendra générateur. C’est pourquoi hotep est
aussi bien le nom de la paix que celui de l’offrande ; car cette paix, ou
conciliation entre natures opposées, est la plus parfaite des offrandes : celle
où le donateur se donne lui-même par communion et devient « médiateur »,
c’est-à-dire ferment d’union.
Her-Bak émerveillé regardait les symboles que lui montrait le Sage ; il
demanda :
— Comment cet enseignement peut-il rester secret puisqu’il est écrit
dans ces deux mots, pth, htp ?
— Hélas, l’homme cherche le simulacre, et redoute le sens réel !
— O mon Maître, un tel don nécessite une offrande. Le seul objet auquel
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je sois attaché, c’est le bijou que tu m’avais donné …
Her-Bak l’enleva et le remit au Sage.
— C’est un peu de mon cœur que j’arrache ! Est-ce assez ?
— Aucun don n’est proportionné au don du Ciel, mais sacrifie ton
orgueil et l’offrande acquerra de l’efficacité.
Le Maître déposa le bijou sur l’autel ; il croisa les deux bras du disciple,
il prit ses mains dans ses propres mains croisées en disant :
— La chose que Ptah a créée lui est rendue, afin qu’il fasse hotep en toi,
et devienne vivant en ce qu’il a créé.
*
**
Le Sage fut le premier à rompre le silence ; il posa sa main sur le front
du novice.
— Qu’attends-tu, Her-Bak ? Aurais-tu oublié quelque chose ?
— Maître, j’ai été comblé, muni, pendant cette heure, plus que pendant
toute une année de Péristyle !
— Quoi d’étonnant, mon fils ? Les portes ne sont pas les mêmes ! Mais
n’attendais-tu pas une réponse ? Ou peut-être estimes-tu l’avoir déjà reçue ?
— O mon Maître, je crois que tu as parlé de la vie en m’expliquant
hotep ; cependant j’ai tout à apprendre, tout à recevoir : daigneras-tu me
faire encore le don de la réponse promise ?
Le Maître conduisit le disciple dans une chambre obscure ; une lampe
éclairait faiblement les murs couverts de textes et de scènes sculptées ; une
grande image de Min présidait.
Le Sage fit asseoir Her-Bak en face du Neter, jambes croisées, mains
ouvertes sur les genoux ; il brûla des parfums dans une cassolette ; il
attendit que le silence eût calmé l’impatience du disciple. Alors dans cette
atmosphère sereine, il éleva sa voix, grave d’une gravité exceptionnelle ; il
dit : – Qu’est-ce que la Vie ? « C’est l’expression de la présence divine.
« Le pouvoir, immanent aux choses créées, de se transformer par
successives destructions de leurs formes, jusqu’à la libération de l’âme ou
force agissante de l’influx originel : cela est la Vie.
« Ce pouvoir est dans la nature même de chaque chose.
« La successive destruction des formes, ou métamorphoses, par le Feu
divin avec renaissance de nouvelles formes vivantes, cela est l’expression
de la conscience. Ce sera le but spirituel de toute vie humaine que de désirer
arriver à l’état conscient d’âme indépendante des contingences corporelles.
Ce que je viens de dire concerne l’âme vivante accordée à l’homme
précédemment animé – comme tout être vivant – d’une première âme
animante ; cette animation fera de l’homme une créature supérieure au
règne animal-humain.
« Celui qui reconnaît le sens divin de la Vie sait aussi que la
connaissance n’a qu’un but, c’est de suivre la marche des étapes
successives qui libèrent du « périssable », car les choses ne meurent que par
leur corps ; mais l’âme est Verbe divin, retourne à sa source, et ne meurt
pas.
« Malheur au KA qui ne retrouve plus son âme !
*
**
Her-Bak, les yeux clos, recueillait chaque parole de la réponse dont il
ressentait le poids. Lorsque après un long temps de silence il manifesta sa
gratitude, sa voix n’exprimait plus la curiosité inquiète, mais la certitude du
cœur qui, enfin, a trouvé son « piquet d’amarrage ».
Le Maître lui permit d’en savourer la joie… puis il donna l’élan pour un
nouveau départ :
— Ne te laisse pas satisfaire par les termes de ma réponse : le noyau ne
révèle pas l’arbuste qu’il contient. Enfouis ma parole dans ton cœur afin
qu’elle y produise ses racines et son germe ; puis reviens, sans te lasser, y
chercher ta nourriture, jusqu’à ce que tu en aies épuisé la substance.
III

LES TROIS CERCLES

Her-Bak croyait connaître les principaux aspects de la grande cité qui


encercle les temples ; les premiers jours passés dans son nouveau milieu lui
prouvèrent son erreur. Il s’aperçut bientôt qu’il avait parcouru certains
chemins – toujours les mêmes – certaines cours des temples, quelques
jardins, un quartier d’artisans, des greniers et leurs dépendances.
Or l’immense cité, fortifiée par les chemins de garde et les bastions de
ses enceintes, comprenait des îlots encastrés entre les murailles des
sanctuaires, les jardins enclos, les chemins bordés d’ateliers aux techniques
secrètes. Ce labyrinthe dissimulait aux visiteurs profanes la vie intérieure
d’un monde fermé.
L’un de ces îlots abritait la retraite de personnalités qui ne fréquentaient
point le Péristyle ; parmi celles-là Her-Bak reconnut les trois Maîtres et
Nefer-Sekherou.
Un autre îlot groupait des maisons basses, domiciles des étudiants et des
disciples ; plus loin, une palmeraie clairsemée ombrageait quelques
demeures particulières, retraites passagères de hauts personnages.
Des chemins directs reliaient ces demeures aux services principaux des
temples sans passer par les voies communes ; ceci motivait les détours et
sinuosités qui avaient intrigué le novice.
Her-Bak avait frôlé, sans le savoir, au cours de certaines promenades, ce
monde intérieur dont l’activité ne ressemblait en rien au va-et-vient fébrile
du monde extérieur pourtant si proche. Nul ne s’y occupait des autres, en
dehors de la vie et du travail communs ; chacun suivait sa route, encadré par
ses propres limites, sans envier celle du voisin.
Du plus grand jusqu’au plus petit, l’enseignement et l’expérience étaient
pour chacun l’exclusif souci ; dans la tension de la recherche, on s’habituait
à effacer toute agitation égoïste, sous peine d’être banni comme un obstacle
indésirable. La paix était sauvegardée par l’intérêt commun. Devant ces
défenses invisibles, les attaques de l’extérieur, les intrigues, les jalousies,
venaient s’échouer comme les vagues sur la rive.
Her-Bak s’étonna de cela… et de beaucoup d’autres choses. Depuis sa
première surprise – alors qu’il retrouva, comme voisin de logement, Aqer le
mystérieux compagnon de sa débauche – il avait harcelé de questions son
nouvel ami.
Mais Aqer ce jour-là ne lui répondit pas avec sa patience habituelle :
— Ton étonnement me surprend, lui dit-il. Toi, si avide de connaissance,
tu devrais comprendre la paix nécessaire à sa conquête.
— Certainement, dit Her-Bak, je la comprends. Mais je suis surpris de la
trouver chez des hommes qui ont, nécessairement, leurs défauts, leurs
colères, leurs ambitions, comme les autres…
Aqer éclata de rire.
— Quant aux défauts, n’en doute pas : le meilleur d’entre nous n’est-il
pas un marais en évolution ? Cela n’est point un obstacle, pourvu qu’on
n’importune pas les voisins. Quant aux ambitions, tu seras bientôt rassuré…
ou déçu si elles ont planté des racines en ton cœur ; car tu t’apercevras
qu’elles sont, pour l’intuition, ce qu’est le charançon pour un grenier.
D’ailleurs, celui qui travaille pour elles en secret ne tarde pas à être
reconnu, et la porte se ferme devant lui.
— L’ambition n’est-elle pas un mobile puissant et souvent légitime ?
— C’est parfait ce que tu dis, pour l’homme qui cherche à dominer
parmi les autres hommes ; quant à celui dont l’intérêt n’est pas attiré par les
effets mais par les causes, l’ambition perd sa raison d’être : celui-là sera
curieux des jeux de la Nature, du destin, et des lois directrices, plutôt que de
chercher la puissance parmi les hommes.
— Mais il peut arriver que l’envie de paraître prédomine ?
— Celui qui la subit est refoulé hors du cercle intérieur.
— C’est-à-dire hors du Temple couvert ?
Aqer hésitait à répondre. Her-Bak s’en aperçut, il s’excusa :
— Ne parle pas si ton cœur n’est point libre de le faire. Mais les
questions s’entassent dans le mien, dois-je les étouffer ? Je vois des
hommes vénérables te traiter en familier ; mon ancien professeur Pasab,
devenu Oupouat, me parle avec déférence : or je suis plus ignorant que
lui !…
Aqer prit les mains d’Her-Bak, il le regarda joyeusement :
— Toi et moi nous sommes heureux, ô mon ami, car nous trouverons
toujours des oreilles bienveillantes pour recevoir nos questions, et des
bouches pour y répondre ! Combien d’hommes peuvent en dire autant ?
Lève-toi et viens, car tu es invité par un grand per sonnage, et nous ne
pouvons pas le faire attendre. Mets ta robe de lin fin pour lui faire honneur,
et suis-moi.
Her-Bak, fort intrigué, se hâta d’obéir et suivit son ami silencieusement.
*
**
Bientôt on quitte les murailles pour un paysage empourpré par le soleil
déclinant.
Sur le bord du chemin, des sycomores et des dattiers isolent et protègent
plusieurs pavillons.

Fig. 3. Sur le bord du chemin, des palmiers-doum et des dattiers.

Aqer s’est arrêté devant l’un d’eux ; il laisse son ami contempler la petite
maison charmante : un bloc rectangulaire d’une éblouissante blancheur.
Tout est minuscule mais parfait : les murs construits en briques enduites,
sont lisses comme plaques de calcaire scié ; des petites fenêtres, haut
placées, animent les murs latéraux de leurs stores en vannerie nubienne ; la
corniche est rehaussée de couleurs vives ; la porte est close par une serrure
ouvragée. L’ancien menuisier admire en connaisseur les joints de l’huisserie
faite de bois de meri rouge et d’ébène ; il s’écrie :
— Quel travail admirable ô Aqer ! Quel ajustage ! En vérité, c’est
22
menkh .
Aqer approuve en riant :
— Tu ne saurais mieux dire, ô mon ami.
Sur un mot, le portier les introduit ; ils entrent dans la salle à quatre
colonnettes au milieu desquelles devisent amicalement trois personnages,
bien connus d’Her-Bak. L’un d’eux, le Maître de maison, les regarde entrer
en souriant. Her-Bak, muet d’étonnement, reste chevillé en sa place :
— Mon seigneur Menkh !…
Un geste de Menkh le précipite à ses pieds, mais le Seigneur le relève et
le serre dans ses bras en disant :
— Ne tremble pas mon fils : n’es-tu pas mon invité en ce jour ?
Her-Bak se ressaisit ; il salue tour à tour le Sage et Nefer-Sekherou, qui
l’accueillent cordialement avec son compagnon ; puis il prend place sur le
tabouret qui lui est assigné par Menkh.
Aqer semblait fort à l’aise en ce milieu ; la grande déférence qu’il
témoignait envers ses hôtes était compensée par le ton familier de ses trois
supérieurs.
23
Quant à l’ancien « porteur-de-sandales », sa joie était si grande qu’il
oubliait d’être gêné par son rôle nouveau d’invité.
Deux petits serviteurs nubiens s’affairaient autour des dressoirs chargés
de coupes de fruits gardés au frais sous des feuillages, de gâteaux au miel,
de lait cuit, de vins de dattes et de raisin. Ils placèrent une table basse
auprès des deux amis, et la couvrirent des vaisselles nécessaires.
Her-Bak, fort occupé à répondre aux questions de Menkh, suivait d’un
regard vague tous leurs préparatifs. Un négrillon s’approche avec un pot de
bronze en sa cuvette.
— Le vase pour l’eau, Excellence !
Her-Bak suit l’exemple d’Aqer, il baigne ses doigts et ses lèvres…
— La serviette, Monseigneur !
Le second négrillon lui essuie les doigts avec respect.
Her-Bak un peu troublé, s’adapte promptement à l’ambiance ; il se laisse
servir, répondant avec enthousiasme aux questions, retrouvant avec l’ancien
maître toute la verve de Pois-Chiche.
Le Sage et Nefer-Sekherou furent instruits en un moment des réactions
diverses d’Her-Bak, écolier, néophyte, et disciple.
Menkh laissait épuiser l’effervescence du « revoir » ; chacun observait le
« nouveau », enregistrant les traits saillants qui précisaient son caractère. Et
le nouveau parlait, laissant entasser dans sa coupe les gâteaux et douceurs
qu’il dévorait distraitement. Les deux négrillons prenaient plaisir au jeu ;
leur regard malicieux le mit en garde… il éloigna son tabouret :
— Qu’ai-je fait ? je ne suis pas un crocodile apprivoisé !
Le Sage esquissa un sourire indifférent :
— Tout s’apprend ; pour le disciple, chaque geste est sujet de maîtrise.
Her-Bak accepta franchement la leçon, il s’excusa de son verbiage ;
Menkh l’en empêcha.
— Aujourd’hui tu es un ami parmi nous, laisse parler ton cœur.
Her-Bak dit :
— En ce cas, ô mes Maîtres, veuillez comprendre que mes yeux ne sont
pas habitués à mon nouveau milieu ; n’y pourriez-vous jeter quelque
lumière ? J’ai questionné Aqer, sans doute ai-je été indiscret : il n’a pas pu
me répondre.
Le Sage interrogea Aqer ; celui-ci répéta les questions d’Her-Bak sans
rien omettre. On l’écouta, mais nul n’ouvrit la bouche pour satisfaire la
curiosité du nouveau.
Les négrillons apportèrent les lampes ; ils offrirent du vin de dattes : on
les renvoya comme on chasse les moineaux, et le calme du soir imprégna
l’atmosphère. Menkh fit approcher les sièges des disciples ; le cercle se
forma. Alors le Sage dit à Nefer-Sekherou :
— O toi qui es l’habile conseiller des relations sociales, veuille donner à
mon disciple quelques éclaircissements sur ce sujet ; s’il ne démérite point,
il vivra dans notre intimité : il est bon qu’il en connaisse les plans et les
directives.
Nefer-Sekherou dit à Her-Bak :
— Tu as connu divers aspects de la vie commune et sociale ; tu as vécu
parmi des paysans ; tu as observé des gérants, des scribes, des
fonctionnaires ; tu as eu l’occasion d’apprécier la valeur des bons ou des
mauvais artisans. Quelle impression as-tu gardée quant à la qualité de tous
ces employés ?
Her-Bak réfléchit, soupira, et n’osa formuler son avis. Menkh dit :
— Ta présence parmi nous nécessite une absolue franchise ; dis toute ta
pensée Her-Bak.
Le nouveau disciple se vit dans l’obligation d’obéir. Il répondit :
— J’ai donné mon amour et mon admiration à mes Maîtres ici présents, à
24
mon instructeur Pasab, à Nadjar, au Maître potier, au harpiste Mesdjer , et
à quelques artisans exceptionnels. A part ceux-là, je n’ai connu que des
paysans, des ouvriers, des fonctionnaires, des scribes, même des prêtres,
avides pour le gain et la faveur des Grands plutôt qu’amoureux du métier et
de la Vérité ! Et je suis étonné qu’une telle différence entre ces hommes et
les Maîtres permette de réaliser de grandes choses en ce pays.
Menkh regarda le Sage qui acquiesça volontiers :
— Le problème est clairement posé !
— En effet, dit Menkh : comme tu l’as constaté, il n’y a point de
possibilité d’infuser systématiquement la Sagesse dans la masse.
« Cependant, observe les faits. Tu peux traverser en tous sens les Deux-
Terres : dans tout le pays cultivé, jalonnant les pistes du désert, tout le long
des rives du fleuve, partout tu trouveras des temples, des monuments
funéraires et des stèles, couverts de textes sculptés, ornés souvent de
matières précieuses œuvrées en perfection.
« En tous lieux tu rencontreras des sanctuaires en construction ou
transformation, des chantiers de carriers et de Maîtres de la pierre qui
érigent des colonnes, des statues ou des stèles ; des équipes de sculpteurs et
de peintres qui modifient sans cesse les inscriptions des monuments.
Imagine la foule innombrable de ces travailleurs répartis dans tous les
nomes des Deux-Terres, puisque chaque nome a ses temples modifiés ou
« remis à neuf » selon la nécessité de chaque Temps.
« Or tu apprendras plus tard les formes compliquées exigées par la
« langue » architecturale pour la taille de chaque pierre, ses mesures
différant selon sa destination, la complexité des détails anormaux qui
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inscrivent les secrets de dates et de Nombres dans chaque mur . Cette
précision inconcevable, et la difficulté de calculs et d’exécution, nécessitent
pour ces travaux la coopération d’experts, aussi bien dans la préparation des
ensembles que dans l’exécution technique architecturale et graphique.
« Essaie d’imaginer combien le renouvellement d’un seul sanctuaire
exige de surveillants initiés et d’équipes parfaites ; multiplie ce nombre par
celui des chantiers qui couvrent les Deux-Terres, et tu pourras te demander
comment se fait le recrutement d’une telle multitude de techniciens
compétents.
Her-Bak stupéfait murmura :
— D’où viennent-ils ? Je ne peux pas le comprendre d’après ce que mes
yeux ont vu !
Menkh continua son exposé :
— Apprends à raisonner en te basant sur l’évidence. Mets en parallèle les
petits artisans qui pourvoient aux nécessités du peuple et des domaines,
avec les techniciens employés pour nos œuvres durables et les Maîtres qui
veillent à la perpétuité des traditions : pourrais-tu les classer dans les
mêmes catégories ?
« Les fondeurs de ces alliages extraordinaires utilisés dans l’outillage de
taille pour les matières les plus dures, sont-ils à comparer avec les
fabricants d’instruments vulgaires ?
« Faut-il mettre sur le même pied les propriétaires de domaines, confinés
dans l’unique souci de leurs intérêts personnels, et les possesseurs de
connaissances traditionnelles capables de faire prospérer extraordinairement
les vignes de Khonsou, aussi bien que les magnifiques bovidés d’Amon ?
Tu trouveras, parmi nos Sages, des hommes qui se sont vantés de posséder
ces capacités et d’avoir, cependant, réalisé ce chef-d’œuvre qu’est une
26
statue colossale ou l’édification d’un temple .
« Ou bien tu devras reconnaître, devant les preuves matérielles, le
caractère universel de leur connaissance, ou bien tu devras admettre des
fonctions symboliques… qui n’enlèveraient rien à ce fait que les
personnages en question ont laissé dans leurs œuvres architecturales les
témoignages indiscutables de leur science.
— Ont-ils réellement cumulé ces fonctions ?
— Ce n’est pas l’accomplissement journalier d’une fonction qui importe,
répondit le Sage, mais la connaissance fondamentale qui en donne la
maîtrise et en permet la transmission.
« Le premier élément nécessaire à l’enseignement est le « maître » ; le
second est l’élève capable de continuer la tradition du maître. Mais laisse le
chef des Techniciens terminer ce qu’il voulait te démontrer.
— Il y a, dit Menkh, dans notre situation, un paradoxe inexplicable pour
celui qui ne connaît pas notre organisation intérieure, et tu l’as fort bien
pressenti, Her-Bak.
« Tu trouveras parmi le clergé la même différence que dans les autres
professions : si tu considères les prêtres-fonctionnaires des temples, même
de hauts grades, qui assurent leur vie matérielle et sociale par un titre –
souvent transmissible héréditairement –, tu ne peux pas les confondre avec
27
les initiés à nos hautes Sciences, ceux dont la Connaissance fut acquise
par un désintéressement et une impersonnalité sévères, garanties de leur
discrétion. Les preuves en sont : la continuité de l’enseignement traditionnel
transmis sur les murs de nos temples en chaque Temps, le secret inviolé qui
le protège, et l’anonymat de leurs œuvres.
« Tu connais assez les milieux de fonctionnaires et de scribes pour savoir
qu’on ne peut pas dominer leurs passions pour les conduire normalement à
cette impersonnalité. Il faut donc qu’il existe un moyen de prélever, à
travers ces différentes classes, les éléments capables de recevoir un
enseignement supérieur qui élève leurs professions à une qualité
extraordinaire, tout en assurant leur silence et leur incorruptibilité.
« Mais si ce moyen existe, il explique pourquoi nous n’avons pas de
castes ni de classes exclusivement délimitées, puisque les éléments d’élite
sont extraits de toutes ces classes, puisqu’ils peuvent passer d’une
28
profession à une autre et, éventuellement, les cumuler .
Her-Bak se réjouit de cette explication :
— J’en ai connu plusieurs exemples, et mon Seigneur Menkh en est un
témoignage.
— Sans doute, Her-Bak, mais ne perds pas de vue le fossé qui sépare les
deux éléments du problème : d’une part, les hommes de notre pays sont
classés socialement selon leur profession, et cet ordre officiel peut être
modifié sur demande justifiée, avec acquiescement des gouvernants. Cet
ordre – qui régit les fonctionnaires, les scribes et même les prêtres, les
artisans, employés et paysans participant à la vie fonctionnelle de l’Égypte
–, cet ordre est passible d’injustices et de faiblesses inhérentes à la nature
humaine. Si notre Science et nos techniques dépendaient de cette
organisation, elles auraient – comme en tout pays – dévié selon les caprices
et les interprétations particulières.
« D’autre part, le témoignage de nos œuvres et de nos textes rend
évidente une continuelle fidélité à l’unité de notre tradition.
« Il y a donc coexistence de deux réalités indiscutables : l’une est
l’imperfection des hommes, grands et petits, qui n’ont d’autre horizon que
les devoirs asservissants de la vie matérielle et sociale ; l’autre est la
splendeur et la perfection de l’œuvre accomplie pour le Temple.
« Telle coexistence est invraisemblable pour ceux qui ignorent la
classification secrète que nous allons te révéler, et qui est basée sur ce fait
que la valeur individuelle est appréciée par des Maîtres compétents, selon la
qualité du cœur et la valeur professionnelle.
Le Sage confirma les paroles de Menkh et les compléta :
— La difficulté est de discerner, à chaque échelon de la société, les
éléments évolutifs, les aptitudes méconnues, les êtres disposés à un progrès
rapide. Et lors même qu’ils sont « aperçus », il faut leur donner les moyens
de révéler leurs « possibilités ».
« On n’impose pas aux hommes une vertu que leurs passions
contrecarrent en toute occasion ! Il faut que la joie, provoquée par l’éveil de
leurs dons innés, suscite chez eux la conscience de la noblesse véritable :
noblesse du sens altruiste, noblesse du travail pour une cause
impersonnelle, noblesse de l’incorruptibilité.
« Pour obtenir tel résultat, la constitution sociale n£ suffit pas, car les
efforts individuels y sont pesés selon les succès matériels, quels que soient
les moyens employés. Une balance plus subtile est nécessaire :
l’incorruptible balance de Maât. Or nul n’est compétent en ce domaine s’il
n’a lui-même été formé à cette école. C’est pourquoi un organisme
supérieur doit intervenir, un organisme de « conscience psychologique »
pénétrant l’ordre social sans le violer, mais qui l’empêche d’étouffer les
« lotus » qui veulent chercher la lumière à la surface.
Nefer-Sekherou, sur la demande du Sage, entreprit alors d’expliquer à
Her-Bak cette structure intérieure :
— Notre société vivante est conçue comme un arbre qui a racines, tronc,
feuilles et fruits. Chaque organe de l’arbre a ses lois de génération et de
production ; nous devons te montrer comment sont choisies les cellules du
tronc pour que les cellules de la moelle soient puissantes, capables de
vivifier l’arbre entier et de perpétuer sa force à travers toutes les
tribulations. La Sagesse est la racine, ou point fixe, de cet arbre.
« Imagine un noyau autour duquel vont en s’élargissant trois cercles ou
disques, concentriques comme les cercles formés par les couches
concentriques du tronc autour de la moelle de l’arbre. Le noyau est le centre
vital de notre société ; il englobe la source de sagesse dont le Roi V.S.F. est
le bras agissant.
« Je ne détaillerai point ce noyau. Que ceci te suffise aujourd’hui. Le
premier cercle qui l’entoure est le cercle intérieur, ou d’initiation aux divers
secrets enseignés par le Temple ; le deuxième cercle est mixte ; le troisième
est extérieur, c’est-à-dire sans aucun rapport avec la vie particulière du
premier. Beaucoup de fonctionnaires en font partie : des artisans – et même
des prêtres subalternes –, des scribes, des cultivateurs et gérants de toutes
classes.
« Ces trois cercles s’incorporent, sans délimitation apparente, dans les
diverses classes de notre peuple. Or de même que, dans le tronc d’arbre, la
couche génératrice des cellules est toute proche de l’écorce, et que parmi les
cellules émises, certaines sont repoussées vers l’extérieur, et d’autres vers
les couches intérieures du bois, de même le peuple peut générer des êtres
capables de monter de cercle en cercle vers le centre. N’es-tu pas un
exemple de celles-ci, toi, Her-Bak, alors que ton père est resté parmi les
cellules de la masse ?
« Considère maintenant le deuxième cercle – intermédiaire ou mixte –
dans lequel évoluent des gens de classes diverses : prêtres, scribes,
fonctionnaires de tous grades, techniciens, artisans, qui manifestent des
possibilités compréhensives sans présenter encore les garanties suffisantes
de sécurité pour les instruire davantage.
« C’est un cercle d’observation, où sont offerts les moyens de culture par
les groupements, corporations, rites et fêtes, et par les diverses techniques ;
là sont sélectionnés les sujets admissibles au cercle intérieur.
Her-Bak s’étonnait de plus en plus :
— Comment l’ai-je ignoré ? Ai-je fait partie d’un de ces cercles sans le
savoir ?
— Nul ne connaît leur existence avant d’être de l’intérieur : il n’est point
de barrières visibles. Les « extérieurs » n’ont pas de secrets à cacher ; les
mixtes reçoivent les avantages qui leur conviennent : ils n’ont rien à
envier… si ce n’est la Sagesse. Seuls, ceux de l’intérieur doivent connaître
les autres pour savoir ce qu’ils doivent taire ou révéler.
« Car toutes nos techniques et toute notre science comportent certaines
clés, intransmissibles à l’ambitieux qui les profanerait, à l’insoumis qui les
déformerait, au méchant qui en abuserait.
Her-Bak admirait cette organisation insoupçonnée ; il demanda :
— Accepter d’en faire partie oblige donc à l’obédience, et à des qualités
qui ne sont pas exigées pour les autres ?
— N’est-ce point évident ? La participation de tels dons ne demande-t-
elle pas une conscience supérieure ?
— Pour mériter un tel bonheur, je serai le pire ennemi de mon propre
animal !
Le Sage acquiesça :
— Nous recevons ton engagement. Remarque aussi que si tu n’en étais
point capable tu n’aurais pas été invité parmi nous ; car la vie de ce groupe
est tenue à l’abri des incursions et indiscrétions extérieures, afin d’éliminer
intrigues et obstacles que les intérêts personnels suscitent inévitablement.
« Ainsi nous obtenons cette harmonie et cette paix qui t’ont émerveillé.
La paix est le fruit d’un combat, non d’un sommeil. Nos amis sont vivants,
mais leur but étant identique, la « recherche » domine l’intérêt égoïste, et le
combat est en soi-même, jamais contre son voisin.
— Je veux encore, dit Nefer-Sekherou, préciser un détail essentiel. Dans
le dessin des cercles concentriques, trace deux triangles dont les bases
touchent l’extérieur et dont les sommets se joignent au centre ; dans l’un
situe le Temple, et dans l’autre la cour du Pharaon : tu auras une idée
schématique, mais exacte, de la pénétration des deux grands pouvoirs à
travers les trois cercles.
« Dans l’intérieur, dans le mixte et dans l’extérieur, tu trouveras des
membres de la Cour, du Clergé et des Écoles ; car il ne s’agit point ici de
distinctions honorifiques, mais de qualités évidentes et d’états de
conscience éprouvés.
« C’est ainsi que tel dignitaire peut être un « extérieur » tandis que son
collègue est déjà destiné au grand enseignement ; c’est pourquoi l’on voit
certains d’entre eux cumuler des fonctions apparemment inconciliables ;
quelques-unes sont réelles, d’autres symboliques et comprises seulement de
ceux qui « savent ».
— Devrai-je donc, demanda Her-Bak, douter des titres que se donnent
les possesseurs des stèles et des tombeaux ?
— Tous ceux-là, s’ils ont été autorisés à se « perpétuer » ainsi, ont dû
s’adapter au symbole du nom qui leur fut imposé. Leur fonction peut être
réelle, parce qu’adéquate à leur nature ; mais s’il est bon qu’ils y ajoutent
un pur symbole, ils n’hésitent point car c’est un enseignement qu’ils
inscrivent et non leur vie.
— Je ne m’étonnerai plus, dit Her-Bak, de l’œuvre réalisée avec une telle
abnégation ! Voici donc des hommes qui ont délibérément accepté d’effacer
leur personnalité pour devenir les représentants d’un symbole ? …
L’émotion du disciple toucha les Maîtres ; un instant de communion les
fit vibrer à l’unisson. Her-Bak se prosterna dans un profond respect.
— O vous qui m’avez fait l’honneur de m’appeler, je veux servir comme
vous servez, dussé-je être le dernier de vos serviteurs !
Menkh se leva ; il prit une coupe, il la remplit de vin et l’offrit au Sage
qui, l’ayant portée à ses lèvres, la présenta à son disciple en disant :
— Nous n’avons pas encore bu le vin ensemble ; bois, Her-Bak, et que le
silence soit dans ta bouche désormais.
*
**
Chacun ayant bu le vin, Menkh reprit sa place auprès du Sage ; Her-Bak
vint s’asseoir familièrement à leurs pieds et leur dit :
— Lorsque j’étais Pois Chiche, mon derrière a reçu trois fois la réponse à
29
mes questions indiscrètes sur le Temple ; j’en comprends maintenant la
raison ! Oserai-je désormais interroger sans risquer l’insolence ?
Menkh répondit en riant :
— Tu le peux, puisque le Maître de Sagesse t’a fait l’honneur de
t’adopter comme disciple sans passer par le stade d’étudiant.
— Faites-vous donc telle différence entre l’étudiant et le disciple ? …
Comment se peut-il que pareille chose soit accordée au serviteur-ici-
30
présent ?
Le Sage dit à Her-Bak :
— Je me suis fait ton répondant devant les Sages de tous les temps pour
hâter ta formation : ai-je été imprudent ?
— O mon Maître, je serai sourd, aveugle et muet, plutôt que de jamais
trahir !
— O incorrigible ! muet suffit : ouvre au contraire tes yeux et tes
oreilles, car il te sera demandé un effort exceptionnel. La différence est
grande entre les étudiants, instruits en nos sciences et nos techniques, et les
disciples, initiés à leurs causes profondes.
— Les étudiants du Temple couvert sont-ils dans le cercle intérieur ?
— Ils n’en font pas partie avant d’être arrivés à un accomplissement qui
comporte certains secrets de métier. Quelques grands techniciens, quelques
hauts fonctionnaires sont des nôtres, sans cependant avoir reçu la formation
du disciple. Celle-ci demande une transformation qui ouvre l’intuition à la
connaissance des Causes.
« Inversement, le disciple fait toujours partie de notre cercle ; mais il est
obligé à une totale soumission.
— A ce prix, qui donc ne l’accepterait pas ?
— Tu te trompes, mon fils, la volonté n’y suffit point : la prédestination
est nécessaire.
— Qui donc pourrait deviner l’être prédestiné ?
— Ceux qui sont cultivés pour cela ; tu en connaîtras les moyens si tu
parviens jusqu’à ce point.
— N’est-ce pas un monde nouveau que je découvre, murmura le
disciple. Comment peut-il se maintenir en harmonie avec les autres
hommes ?
Nefer-Sekherou répliqua :
— Tu peux dire que c’est lui qui rend possible l’harmonie. Si la foule se
gouverne selon ses instincts, les plus forts brimeront les plus faibles malgré
toutes les révoltes de ceux-ci, et les passions humaines auront toujours le
sceptre en main, quelle que soit la classe dirigeante ; car l’avare envieux
veut gouverner pour posséder, et l’ambitieux veut posséder pour gouverner ;
le sceptre de ces deux-là est le fouet. Or la masse courbe l’échiné devant
celui qui tient le fouet ! Alors le pouvoir s’échelonne entre les plus habiles
accapareurs.
— N’y a-t-il pas eu des révoltes en pareil cas ?
— Qu’en est-il advenu ? L’anarchie a changé les maîtres, l’opprimé est
devenu l’oppresseur ; il en est ainsi chaque fois que les privilèges sont
accordés selon l’importance des biens et des revenus, ou selon la naissance.
— N’est-ce pas trop souvent le cas sur notre Terre ?
— Hélas ! il en est ainsi pour certaines charges, non point cependant
pour nos techniques secrètes ni pour les fonctions qui exigent la
connaissance des Lois Universelles. On ne peut pas empêcher totalement
l’injustice dans le monde extérieur, car les passions humaines sont
indomptées. Mais si le cercle intérieur est vivant il donne l’impulsion au
pays, comme le feu de la moelle, à travers ses canaux conducteurs, anime
tous les organes.
« Ces canaux sont nos Frères, formés selon les traditions de hiérarchie
qualitative ; ils maintiennent le principe qui donne la suprématie à la
véritable valeur professionnelle et morale.
— Ces Frères sont-ils les grands dignitaires du royaume ?
— Dignitaires ou non, ce ne sont pas leurs titres qui importent ; ils jouent
le rôle de ferments qui vitalisent toute la pâte selon la spécification du
moment.
— Alors ce sont des Sages ?
— Ils suivent les impulsions des Sages de leur Temps.
— Ont-ils quelquefois gouverné le pays ?
— Dans les grandes époques ils l’ont fait de manière effective ; mais en
tous temps ils ont puisé leur force dans cette Fraternité, ce qui leur
permettait d’affirmer sans vanité leur réelle Sagesse : car cette Sagesse n’est
pas l’œuvre d’un homme, mais d’une formation traditionnelle.
« Dans les périodes de déchéance, ceux qui ont survécu ont joué un rôle
effacé, évitant la destruction totale des racines, sauvegardant ces trésors et
legs de Sagesse, pour les transmettre aux successeurs.
Aqer avait écouté attentivement Nefer-Sekherou ; il se permit une
objection :
— Il n’en est pas moins étonnant que ces bases traditionnelles soient
restées, immuables, malgré les troubles et les invasions ; car nos lettres, nos
symboles, les secrets du canon et des mesures, n’ont jamais été ni perdus ni
profanés depuis les Anciens Temps…
Le Sage approuva les paroles d’Aqer.
— Notre science des Nombres, et certaines clés qui en découlent, nous
ont permis, dit-il, de prévoir les dates néfastes et de prendre les précautions
nécessaires : l’immuabilité dont tu parles en est précisément le témoignage.
Nefer-Sekherou ajouta :
— Le fait que nos envahisseurs n’ont jamais imposé leurs doctrines,
mais se sont adaptés aux nôtres, est encore une preuve de la valeur effective
de notre Connaissance, puisque les nouveaux venus ont trouvé leur intérêt à
l’adopter.
— Notre histoire te confirmera ce fait, dit Menkh à Her-Bak : ce fut
ainsi, en vérité ! Quant à nos troubles intérieurs, c’est la simplicité de nos
mœurs qui nous a permis d’en éviter les conséquences, c’est-à-dire une
chute définitive ; notre richesse métallique aurait rendu possible un échange
considérable avec les pays environnants : nous avons réduit cet échange à
l’essentiel ; nous avons évité ce qui eût introduit le luxe personnel et nous
eût obligés à remplacer le « troc » par une valeur d’échange entre
particuliers.
« Car lorsque le luxe devient indispensable, la prépondérance est donnée
aux riches ; alors la société n’est plus régie par le principe de Qualité, mais
par favoritisme et cupidité.
Aqer répliqua :
— Cependant le luxe aurait accru l’émulation des artisans !
Nefer-Sekherou répondit :
— Nous appliquons le luxe aux choses impersonnelles : culte,
monuments, représentation symbolique : nous l’appliquons même pour la
vie privée lorsqu’il peut apporter l’idée de Qualité en quelques rares objets,
sans tomber dans l’erreur de la complication et de l’âpre recherche de la
quantité. Certes, Menkh avait raison : lorsque la classe dirigeante n’est pas
sélectionnée par la Qualité, elle l’est forcément par la richesse matérielle ;
c’est toujours l’annonce de la déchéance de cette société, et le plus bas
échelon qu’elle puisse atteindre.
Her-Bak interpella son Maître :
— Je ne vois pas clairement l’importance de cette idée de Qualité.
— Il y a, répondit le Sage, deux tendances qui dirigent le choix et l’effort
des humains : la recherche de la quantité et la recherche de la qualité ; ces
deux tendances classent les hommes, car les uns suivent les voies de Maât,
les autres la satisfaction de leurs instincts animaux.
« La quantité se rapporte aux valeurs matérielles et à leur possession.
Elle est gouvernée par la déesse terrestre de la fécondité. Apet-Taourt
(Touéris).
« Apet est le symbole des nombres et des mesures matérielles : Ta-ourt,
31
ventre toujours plein des semences qu’il fait croître et multiplier .
32
« La quantité s’exprime par âch (ou âcha ) qui signifie : nombreux,
33
multiplicité ; or, tu remarqueras que le renversement de âch est châ – le
sable – dont l’un des caractères est la multiplicité des grains.
« La mentalité quantitative, expression de la conscience cérébrale, est la
considération analytique des parties, sans lien vital entre elles.
« La Qualité « en soi » est la puissance créatrice. La création manifeste
une hiérarchie de qualités spécifiées, qui sont les aspects multiples du
grand Neter et les attributs des Neter ; donc elles appartiennent au monde
des Causes, c’est-à-dire qu’elles se rapportent aux « valeurs » qui forment
et régissent la matière ; mais elles se manifestent dans la Nature qui est le
monde des phénomènes, et deviennent alors perceptibles et appréciables par
comparaison.
« Nous attribuons aux diverses qualifications de la perfection des noms
déterminés par leurs aspects matériels : menkh, àqer, an.
« Pour menkh, l’idée d’assemblage par tenons et mortaises spécifie l’idée
d’excellence dans le sens de complexion liée, de jonction parfaite ; l’idée
d’exactitude, correction, conformité, précision.
« Pour àqer, l’idée matérielle est la surface polie, nettement définie, sans
défaut : « une femme brillante de àqeret », au teint lisse, poli ; la dernière
préparation d’un mur, poli, stuqué, avant d’y inscrire un texte. Cet aspect
matériel spécifie l’idée d’excellence, dans le sens d’accomplissement d’une
phase ou d’une fonction définie, d’un état ou d’un chemin délimité, àqer
exprime l’idée d’une qualité fixée, d’un état achevé, d’un résultat acquis.

Fig. 4. – menkh signifie assemblage parfait. Au-dessus des deux


ouvriers qui frappent avec un maillet sur le ciseau, le groupe de
signes menkh déterminé par le ciseau.

« Pour an, l’œil a été choisi pour déterminer ce mot qui exprime
l’individualisation de la Qualité ; an est donc la manifestation – ou
34
extériorisation – de la qualité propre à un être ou à une chose Le symbole
est exact, car un œil révèle – par sa couleur et par sa forme – les qualités
35
énergétiques de l’homme ainsi que ses réactions organiques et morales .
« Mais sur toutes les qualités particulières dominent deux Qualités
essentielles : l’une est un rapport d’harmonie entre la « chose » et son
attribution ; nous l’exprimons par her ; l’autre est l’intensité vitale propre à
la « chose » considérée, intensité qui lui donne un pouvoir
d’accomplissement et de « continuité » ; nous la nommons nefer. Ce mot
nefer exprime, pour la chose ainsi qualifiée, ce qu’est le souffle pour le
sang, la force nerveuse pour le corps, et la puissance séminale pour
l’individu.
« Le principe de nefer est le principe qualitatif. Il ne peut être ni
dénombré ni mesuré matériellement. Nos facultés cérébrales et sensorielles
ne nous permettent d’apprécier les qualités que par la spécification qui
résulte de comparaisons des quantités : une matière plus ou moins dure, un
homme plus ou moins fort, plus ou moins habile ; cette appréciation est
relative aux possibilités de perception de chaque individu. Il en est de même
pour des qualités d’ordre moral qui se mesurent par les actes.
« La plante a plusieurs qualités perceptibles sensoriellement, telles que sa
couleur, sa saveur, son odeur ; mais elle possède aussi certain pouvoir
thérapeutique plus subtil que ces qualités apparentes, et ce pouvoir est une
36
des caractéristiques de sa qualité vitale, ou principe qualitatif .
« Ce principe qualitatif – nefer – est perceptible pour nous par
l’intelligence du cœur.
— Mon Maître enseigne-t-il que l’Intelligence du cœur ne peut pas se
tromper ?
— Ce que nous enseignons, Her-Bak, c’est que cette « Intelligence du
cœur » est la vision du réel ou communion avec le réel, c’est-à-dire avec ce
qui est en réalité, c’est-à-dire encore avec la nature et la qualité essentielle
de la chose considérée. Or cette vision (ou connaissance) intégrale exclut
toute possibilité d’interprétation personnelle – intellectuelle ou émotive –,
ou bien elle ne correspond plus à ce que nous nommons « Intelligence du
cœur » ; car c’est cette interprétation qui est faillible, parce que susceptible
de « jugements » subjectifs.
« Chez l’animal, surtout sauvage, cette intelligence est résumée en ce
qu’on appelle l’instinct, qui ne se trompe pas parce qu’il ne risque pas
d’être dévié par le raisonnement mental. Chez l’homme elle devient
l’intuition lorsqu’elle peut être traduite sans erreur par la conscience
cérébrale.
Her-Bak résuma ce qu’il avait compris :
— C’est donc cette intuition qu’il importe de cultiver pour arriver à
percevoir les qualités vitales – nefer – des choses et des êtres, et leur qualité
harmonique, her ?
Le Sage répondit :
— Nous la cultivons lorsque nous incitons l’artisan au souci de la qualité
dans le moindre travail, lorsque nous éveillons, chez nos étudiants, la
conscience des rapports qui relient au Ciel les choses de cette Terre, et plus
généralement lorsque nous formulons les lois analogiques, enfin lorsque
nous exprimons, par la figuration des Neter et par les symboles de nos
lettres, les fonctions et les qualités de la Nature.
« Celui qui se laisse éduquer par cette symbolique constante devient
rapidement un « ouvert-de-cœur ».
Nefer-Sekherou compléta ce discours en répondant à la question d’Her-
Bak qui l’avait motivé :
— Dans le cas social qui t’intéressait, la « sélection qualitative » des
individus est un choix judicieux déterminé par des facultés et les dons innés
qui garantissent l’accomplissement parfait dans le métier ou la profession ;
ce choix doit être ensuite justifié par les qualités d’énergie, de constance et
de loyauté qui permettent d’exalter ces dons.
— Tout ceci est exact, répliqua le Sage, mais ne serait point applicable
sans l’intermission discrète des trois cercles. Car on ne peut pas étouffer la
« masse » en l’obligeant à pratiquer ce qui dépasse encore ses moyens
actuels. Il faut lui laisser la possibilité d’exprimer ses turpitudes, et d’en
acquérir la conscience en subissant leurs effets.
« L’action sélective ne peut jouer que par tâtonnements successifs et par
épreuves indirectes, ce qui est le but effectif des trois cercles. C’est alors
que nous pouvons orienter chacun des éléments sélectionnés vers ses
aptitudes véritables, et lui donner des moyens efficaces pour développer la
puissance de ses dons innés.
Her-Bak se montra convaincu.
— La perfection de votre œuvre prouve le succès de vos méthodes. Mais
le fait même d’être sélectionné n’est-il pas une emprise sur la conscience
individuelle, et une atteinte à la joie de vivre ?
— Non, mon fils : tout ce qui fait la joie de vivre pour l’homme de la
Terre est accordé à chaque classe dans la limite de ses besoins réels. C’est la
culture et les aspirations de chaque individu qui déterminent le choix qui en
est fait. Ce choix, d’ailleurs, ne fait que le diriger progressivement vers des
joies d’une qualité supérieure. Et nul n’est obligé de préférer aux plaisirs
sensuels la « recherche » austère et impersonnelle qui est celle du cercle
intérieur et du noyau.
« Ceux qui ont opté pour cette voie sont le « petit nombre », et leur joie
ne serait point comprise du « grand nombre » ; mais ce petit nombre
comprend les aspirations du grand nombre et s’efforce d’en assurer la
satisfaction équitable, de même que les cellules de la moelle dispensent leur
vitalité jusqu’aux cellules de l’écorce.
« Et c’est cela qui légitime et nécessite l’existence des trois cercles.
Aqer acquiesça aux paroles du Maître, mais il cherchait une autre
possibilité de maintenir le progrès acquis par cette sélection.
— Ne croyez-vous pas à la loi d’hérédité ? Cette hérédité ne peut-elle
pas être une base de continuité pour une classe dirigeante ?
Le Sage voulut répondre lui-même à cette question d’Aqer :
— L’hérédité, dit-il, concerne le sang et le corps ; elle n’affecte pas la
réincarnation de l’âme individualisée. Pour l’âme ancestrale, il y a lignée
d’incarnation dans un même sang ; mais cette lignée obéit à certaines lois
des Nombres.
« Le fils ne reçoit de ses parents que des signatures physiques, émotives
et mentales, c’est-à-dire des tendances et caractéristiques coopérant à la
spécification du corps mortel, de l’âme animique et du KA inférieur. Je ne
te parle ici que des germes héréditaires incarnés dans le foie et la rate,
37
comme tu l’apprendras plus tard .
« Ces caractéristiques personnelles créent des enveloppes d’un rythme
« spécifié » ; transmises ainsi de père en fils, elles constituent un « canal » à
travers lequel l’âme ancestrale pourra retrouver, après plusieurs générations,
le « milieu » correspondant à son rythme qui pourra la ré-attirer. Nous
pouvons donc dire qu’en principe il y a hérédité ; mais en fait ce serait une
erreur que d’accorder sans contrôle les pouvoirs à l’hérédité immédiate.
D’ailleurs, diverses considérations de temps et de coïncidences entrent aussi
en jeu.
« Mais nous devons tenir compte de ce legs atavique, pour ainsi dire mis
en réserve, afin qu’à l’heure du renouveau l’âme puisse retrouver son
milieu spécifique.
Aqer manifesta une profonde gratitude :
— O Maître de Sagesse, tu nous apprends une très grande chose qui doit
être la clé de plusieurs problèmes…
— … lesquels nous n’aborderons pas aujourd’hui ! « Maintenant tu
comprendras que la continuité de nos précieuses traditions nécessite une
constante sélection ; or, malgré l’existence d’un noyau impersonnel
dirigeant occultement, cette sélection serait impraticable sans l’épreuve
progressive des trois cercles.
« Mais la participation à nos connaissances secrètes est l’objet d’un
choix plus sévère ; elle est sanctionnée par les difficultés de notre écriture
symbolique et de notre représentation théologique ; car celle-ci parle aux
profanes comme images religieuses, mais aux « ouverts-de-cœur » comme
révélation des Principes.
Le Sage se leva ; les deux disciples l’imitèrent. Her-Bak s’émerveillait,
plus que de tout au monde, de ce qu’il avait entendu ; il remercia Menkh de
l’avoir appelé. Celui-ci répondit :
— Tu reviendras, mon fils, si tu fais prospérer tout ce que tu reçois.
Her-Bak ne put réprimer sa curiosité :
— Mon Seigneur demeure-t-il toujours dans ce pavillon ? … Qu’est
devenue la belle maison où je fus porteur de sandales ?
— Tout y est demeuré dans l’état que tu as connu. Tu es ici dans mon
lieu de retraite pour les jours passés parmi mes Frères ; si nous sommes les
canaux vivificateurs du pays, ne faut-il pas que nous puissions renouveler
cette Vie ? …
Et la joie d’Her-Bak s’accrut à ces paroles : il avait trouvé son but et son
chemin.
IV

LES MEDOU-NETER

Assis au milieu des étudiants, Her-Bak reçoit, pour la première fois,


l’enseignement du Linguiste assisté du Maître Symboliste.
Le Linguiste, l’ayant observé en silence, l’interroge :
— O toi Her-Bak, nouveau venu parmi nous, as-tu reçu l’enseignement
des Medou-Neter ?
— Certes, ô mon Maître ! Je les connais fort bien : je fus un élève de
l’école des scribes.
— Sois loué pour ta science, ô mon fils, instruis-nous à ton tour : quel est
38
le nombre exact de nos lettres fondamentales ?
— Dois-je répondre quant aux signes qui représentent l’idée, les groupes
de lettres, ou les lettres isolées ?
— Ma question était claire ; les lettres fondamentales sont les principes
élémentaires de la constitution des mots ; aucun homme perspicace ne peut
douter que chacune d’elles ne se situe en ordre numérique, étant elle-même
nécessairement un Nombre. Tu ne peux l’ignorer puisque tu les connais…
Her-Bak balbutie une excuse ; le Maître insiste :
— Sans doute peux-tu nous expliquer les propriétés de la lettre ou ?
— ………
— Et la nature de la lettre m ?
— Que mon Maître soit indulgent : nos professeurs n’ont point parlé de
ces détails…
— O toi, Her-Bak, ne t’excuse pas de les ignorer, mais d’avoir prétendu
les connaître. Ce ne sont pas des détails : ce sont les bases essentielles de
notre enseignement. Cependant ces bases ne sont livrées ni aux scribes, ni
aux écoliers ; aucune main n’eut jamais le droit de les écrire : c’est le dépôt
sacré des Sages de la « Maison de Vie ».
Le Linguiste se tut, et nul n’osa l’interpeller sur ce sujet. Alors il parla de
nouveau, en pesant chacun de ses mots :
39
— Ce sont là les secrets de Thot et de Sechat ; Sefekht les inscrit dans
toute la Nature ; nul ne peut, sans son aide, en délier le septuple sceau.
— Cette parole est obscure pour un débutant ! Dois-je entendre qu’on
peut en être instruit sans pour cela les comprendre ?
— La bouche du Maître révèle à l’oreille du disciple les principes
fondamentaux ; le disciple les entend… selon l’ouverture de son cœur.
— S’il en est ainsi, l’homme indigne n’en percevra pas le sens réel ;
pourquoi donc les cacher sous un si grand secret ?
— La langue peut fausser l’enseignement mal compris : ainsi naissent les
doctrines erronées.
— Qu’il me soit encore permis de poser une question : beaucoup de
scribes paraissent « grands-de-savoir » dans les lettres et signes des diverses
époques ; serait-ce donc possible sans connaître les bases ?
— Ta question est judicieuse ; or donc, apprends ceci : quant aux vérités
essentielles, l’enseignement sacré débute par la complexité du « devenir »
et s’achève dans la simplicité de « l’origine », car en elle sont les secrets
imprononçables.
Les étudiants écoutaient avidement les paroles du Maître, s’étonnant de
n’avoir jamais suscité cette réponse.
Her-Bak observait curieusement leurs réactions. Il exprima son
étonnement :
— Comment cette méthode n’a-t-elle pas révolté les élèves ?
— Au contraire, ô mon fils ! L’homme de cette Terre est ainsi fait qu’il
se plaît dans les doctrines compliquées et les détails de l’apparence ; le
rapport subtil qui les relie n’intéresse que les rares prédestinés qui ne se
laissent pas rebuter par l’aride simplicité ; car l’enseignement concis exige
l’effort personnel et le développement de la faculté intuitive de l’étudiant.
Ainsi se fait naturellement la sélection.
Le visage du disciple s’éclaira.
Le Linguiste l’interrogea de nouveau :
— Lorsque tu es entré, ignorant, à l’école des jeunes scribes, comment
as-tu appris à connaître les hiéroglyphes ?
— En écrivant des mots.
— C’est exact. Comment peux-tu discerner le sens de plusieurs mots
40
écrits avec les mêmes lettres ?

Fig. 5. – Thot, Maître des « medou-Neter ».

41
— Par le signe imagé qui spécifie la nature de chacun ; tel est le signe
42
des trois fleurs pour désigner un végétal.
— Lorsqu’un de ces mots n’exprime pas une chose matérielle, mais une
idée, comment le reconnais-tu ?
— Par l’image qui signifie ce qui est sans forme et n’a point de corps.
— Quel est ce signe ?
43
— Le rouleau de papyrus fermé, scellé .

— Ce papyrus a forme et corps ; pourquoi a-t-il été choisi pour exprimer


une notion qui n’en a point ?
Her-Bak balbutia une vague réponse :
— … Parce qu’il faut s’exprimer par quelque chose…
— Ce « quelque chose » pouvait aussi bien être un point, un trait, un
signe sans objet ?
— Ma réponse était stupide, la remarque du Maître est exacte ; pourquoi
donc ne pas avoir choisi l’un de ces signes ?
— D’abord parce qu’ils seraient conventionnels ; ensuite pour apprendre
au lecteur que rien dans la Nature n’est Qualité pure.
« La Qualité « en soi » n’est pas perceptible par les sens ; c’est
l’Inconnaissable ; nous ne pouvons lui donner de nom. Cependant les
44
initiés savent que nos lettres expriment, en tant que Nombres, divers
aspects de la Qualité pure. Le Symboliste compléta la remarque du
Linguiste :
— Sache ceci Her-Bak : tout, dans la Nature, a un support matériel, ou
est en relation quelconque avec un fait matériel.
Le novice, scandalisé, répliqua :
— La pensée serait-elle donc matérielle ?
— O disciple, tu ne peux pas penser sans attribuer l’idée (le concept) à
quelque fait ou chose tangible. Si tu penses au froid, la sensation du froid se
rapporte à ce que ton corps en connaît ; si tu penses au bien ou au mal, tu
rapportes ce bien ou ce mal à l’être qui le fait ; si tu penses à la formation
d’une idée, cette idée est émise par un cerveau ; si tu penses à l’espace, à
l’étendue du ciel, tu les mesures par rapport à la Terre et aux astres.
« Tout ce que tu peux réfléchir en ton cerveau est comparé – donc relatif
– à des choses sensoriellement perceptibles. C’est pourquoi les idées que tu
nommes « non matérielles » sont représentées par des choses concrètes.
« Mais le signe dont tu parles montre un papyrus roulé, scellé ; l’œil n’en
voit pas le contenu : il faut donc en chercher le sens non apparent, ce qui
nécessite souvent l’Intelligence du cœur (intuitive).
Le disciple Aqer intervint :
— O Maître, est-il juste de dire que ce signe, dans l’Ancien Temps,
n’avait pas ce sens d’immatérialité, mais déterminait les objets servant à
l’écrivain ?
— Il n’y a point d’erreur en cela, répondit le Linguiste, mais tu devras
apprendre que la mentalité des Anciens ne délimitait pas la Matière et
l’Esprit comme nous commençons, hélas, à le faire. La mentalité humaine
se modifie selon les Temps, et, avec elle, ses diverses expressions.

Fig. 6. – Les scribes tenant le rouleau de papyrus en main.

— Devons-nous en déduire que la nôtre devient plus subtile ?


— Plus complexe, ô mon fils : symptôme de décadence et non de
perfectionnement. Qu’importe ? Chaque époque accomplit son destin…
Mais, à travers les âges, le sens des symboles essentiels reste le même : le
45
rouleau signalera toujours un sens caché sous un sens apparent .
« O toi, Her-Bak, ce qui vient d’être dit te prouve ton erreur : tu sais
écrire les medou-Neter, mais tu ne les connais point. Ce que tu dois en
comprendre aujourd’hui, c’est leur valeur éducative ; comment se fait-il
qu’ayant une écriture cursive qui représente nos hiéroglyphes par des signes
d’exécution plus facile, nous choisissions, pour les textes initiatiques, les
signes imagés qui exigent l’habileté du dessinateur ?
Un étudiant nouvellement promu se hâta de répliquer :
— Cette question a souvent troublé les professeurs du Péristyle !
Le Linguiste répondit :
— Ce n’est pas surprenant, car ils sont entraînés par l’amour du
complexe, où les jeux de pensée se donnent libre cours. Cette tendance vers
la complexité ne peut aller qu’en s’accentuant, suivant le développement
des facultés mentales. Il faut une puissante discipline pour résister à ce
courant et revenir sans cesse à la source.
— Maître, dit Her-Bak, où faut-il chercher cette source ?
— Dans le legs de nos premiers Maîtres. L’humanité date de loin ; de
grands cataclysmes ont passé sur la Terre. Quelques hommes « grands-de-
46
science-véritable » sont venus organiser notre pays à l’image du ciel ,
pour y garder en « vase clos » – et y cultiver – la Sagesse.
« Dans ce but ils ont institué le système le plus favorable à sa
transmission.
« Cela n’a pu se faire que par la préexistence d’une tradition
philosophique, et parce qu’une pensée précise en a coordonné au préalable
tous les éléments, actuels et futurs.
— C’est ainsi, expliqua le Symboliste, que chacun des medou-Neter fut
choisi de manière à signifier réellement toutes les qualités et fonctions
implicite ment contenues en son image : chaque hiéroglyphe est donc en
lui-même le symbole vivant – ou expression réelle – du sens désiré.
« Tout ce qui existe, tout ce qui est connu de nous, est un fait ou dépend
d’un fait ; c’est pourquoi chacun de nos symboles représente une chose
tangible, qui conduit la pensée vers les notions exactes, et d’ordre vital,
suggérées par cette chose.
Her-Bak manifestait une grande surprise :
— Puisqu’il en est ainsi, je ne comprends pas leur nom : medou-Neter ;
les Neter ne sont pas des puissances tangibles !
— Détruis cette erreur, ô mon fils. Si Geb est Neter de la terre, c’est
parce qu’il donne à la substance son propre caractère qui en fera la terre ;
donc lui-même est cela : sans lui la terre ne serait pas ; il est la « nature »
sèche et froide incarnée en matière terrestre. Tout ce qui existe dans la
Nature est incarnation des Neter principiels.
— Le nom de ce Neter est quelquefois écrit Gebb.
— C’est exact : le redoublement du b matérialise le principe.
Ayant ainsi parlé, le Symboliste s’excusa de son intervention et pria le
Linguiste de continuer sa leçon. Celui-ci dit à Her-Bak :
— Toi qui débutes dans notre enseignement, sache que je ne te révélerai
ni les propriétés ni le nombre de nos lettres avant que tu ne sois devenu
conscient de la valeur de ces secrets. Mais tu as besoin d’un exemple pour
apprendre à pénétrer notre pensée ; je te le donnerai par deux hiéroglyphes
sur lesquels tu pourras exercer ta recherche :
47 48
• je veux te parler de la lettre r et de la lettre n .
« La lettre r s’écrit par la forme lenticulaire de la bouche entrouverte.
Pour en comprendre tous les sens, tu dois chercher les notions exactes, les
qualités et les fonctions représentées par ce signe.

49
« D’abord sa nature : la bouche – ra – est l’ouverture supérieure du
corps ; elle est « l’entrée » qui communique par deux canaux avec les
poumons et avec l’estomac ; c’est pourquoi ce hiéroglyphe donne aussi le
nom générique de l’entrée : ra.
« La bouche s’ouvre et se ferme pour manger, respirer et parler, comme
50
l’œil – ar. T – s’ouvre ou se ferme pour recevoir ou refuser la lumière. La
fonction de la bouche est double, passive et active : elle reçoit l’air et la
nourriture, elle émet le souffle et la voix. De même est double la fonction de
l’œil : réception de la lumière et expression des réactions organiques et
émotives.
« La forme de la bouche se modifie par l’écartement des lèvres pour
l’accomplissement de ses fonctions. Son ouverture s’élargit ou se rétrécit,
comme l’ombre projetée sur un disque par un autre disque qui l’éclipsé
51
graduellement . Dans le disque partiellement occulté, la lentille – ou
bouche noire – est donc la partie complémentaire du croissant resté
52
visible .
« Cette déformation graduelle donne des fractions de grandeurs
différentes qui représentent des parties du disque occulté. Ce caractère de
fractionnement a donné le nom de ra 53 aux parties d’un tout (fractions
numériques, chapitres…). De même l’augmentation de la « lentille » par
diminution du croissant justifie le choix de cette même lettre r pour
exprimer l’augmentation (plus que = r).
« Toi, le « scribe savant dans les medou-Neter », tu pourras remarquer le
54
déterminatif du mot abed (mois) qui dessine une petite lentille dans un
55
croissant …
— Oh ! personne n’avait pu m’expliquer la signification de ce dessin
bizarre !
— Tu avoueras cependant qu’il eût dû attirer l’attention des étudiants…
Tu comprendras maintenant le sens que nous donnons au mois, qui est le
jeu constant de croissance et de décroissance de la lentille – ou bouche
sombre – dans le croissant lumineux.
— Si ces corrélations te surprennent, fit observer le Symboliste,
souviens-toi que toutes nos conceptions sont basées sur les fonctions de la
Nature. L’œil et la bouche sont en rapport avec les deux luminaires : les
deux yeux sont leurs symboles. Le nom de l’œil ar.t signifie aussi : faire,
56
créer. Et le nom de Râ ne s’écrit-il pas avec la bouche r ? Le ciel est notre
modèle, et Râ en est le souverain Maître.

« Le Verbe de Râ se manifeste par l’ombre ou chose, c’est-à-dire : toute


chose est l’ombre de Râ, qui augmente et diminue, qui monte et qui
descend, qui « devient » et « retourne » ; le hiéroglyphe r est le symbole de
cette réalité.
— Tu comprends, dit le Linguiste, que la lettre r soit de nature solaire ;
on y rattache les idées d’activité, de mouvement circulaire, et de toutes
révolutions (des astres et des êtres) dans une orbe cyclique.
Her-Bak essayait de coordonner ces nouvelles notions :
57
— Ceci n’est-il pas en rapport avec le signe chen qui enferme le nom
58
– r en – de nos rois ?
— Effectivement : le nom est la signature d’un cycle, ou boucle formée
sur la corde infinie de l’âme ; cette boucle délimite une existence – ou
incarnation – sous ce nom ren qui est son destin actuel.
59
« La connaissance de la lettre n complète le sens du mot ren.n n’est
pas l’image d’un objet ni d’un être, mais, par le signe de l’onde, représente
une fonction. Ouvre tes oreilles, Her-Bak : le soleil se lève et se couche, le
jour suit la nuit, l’homme et la femme s’attirent et se repoussent, le pendule
va et vient, la dualité est « être » et « non-être », c’est un oui et un non, un
haut et un bas ; c’est cela qui fait la manifestation, par possibilité de
comparaison.
« Toute la Nature est une affirmation de la dualité, une alternance plus ou
moins rapide. Ce mouvement d’alternances est l’onde de toute nature
(énergétique, aérienne, ou liquide), car l’Énergie originelle est comme une
eau calme qui, sous une impulsion, va se manifester en ondes ; et ces ondes,
allant en s’élargissant, vont transporter cette énergie du centre à la
périphérie. C’est cette nature de « l’onde » que représente la lettre et le
dessin de n. La nature de cette lettre justifie son emploi dans le nom de
60
noun, Eau chaotique originelle ; de nou , Eau aérienne primordiale ; de
Nom, dont les ondes englobent la Terre. On peut dire aussi que n est : ce qui
environne.
Le Symboliste précisa :
— C’est la mesure de l’onde – ou ensemble d’ondes – qui circonscrit
l’atmosphère d’un ciel (Nout), d’un lieu (nedj : ville), d’un temps (ounedj :
heure). Chaque ville, chaque heure, a son caractère particulier qui diffère
selon les émanations, les passions, les activités des organismes – astres ou
êtres – qu’elle englobe.
« Sache encore ceci : de par sa nature d’onde qui manifeste l’alternance,
n analyse et révèle les qualités composantes qui se complémentent. Toute
chose est ainsi « révélée » par la fonction de n.
— Tu trouves en ceci, expliqua le Linguiste, la justification de la
61
locution ànedj her k (révèle ta face) ; car nedj , en son sens exact, exprime
cette « mise en évidence » des éléments constitutifs d’une chose, d’un
organisme ou d’une parole. Si tu veux t’exprimer avec exactitude, tu
emploieras ce terme pour une recherche ou discussion par dissociation des
éléments, non point par synthèse. Her-Bak demanda :
62
— Quel est le rôle de dj dans le mot nedj ?
— N’ai-je pas dit que je t’expliquerais deux lettres, et point davantage ?
— Tu l’as dit, ô mon Maître, mais puis-je moi-même chercher à
comprendre les autres ?
— Tu peux étudier leur caractère vivant d’après leurs symboles ; ceci
sera fructueux pour ton progrès. Mais garde-toi d’en tirer des conclusions
fantaisistes au-delà de ce sens concret !
« Ce que j’ai expliqué de ces deux lettres est sommaire et très incomplet,
car je ne veux révéler ni leur nombre, ni leurs rôles secrets. Tu comprendras
63
plus tard la raison de notre silence ; lorsque tu la sauras ta bouche sera
close, comme la nôtre. Mais ce n’est point l’heure de parler de ces choses…
— Nous pouvons encore, proposa le Symboliste, enseigner la
signification de trois mots essentiels qui sont formés par ces deux lettres.
« n est ce par quoi se manifestent les apparences, c’est-à-dire ce qui
révèle le « contenu du contenant » ; aussi est-ce cette lettre qui exprime la
64
relation de, à, qui (n, nti ).

Fig. 7. – Le mot nrw, avec ses lettres composantes et ses symboles ;


la lettre supérieure, âa, signifie « grand ».
65
« n est l’onde vibrante qui apporte (an ) et transmet l’énergie, comme
tout ce qui est émané en Nout.
66
« Si tu ajoutes à « la valeur active et émettrice de r, tu as ner , l’énergie
67
« quantifiée » ; ner est l’énergie, qui, dans la boucle du nom ren , est
absorbée et enfermée dans le nom de toute chose ; c’est l’activité propre de
cette chose et la puissance de sa nature et de son nom. C’est pourquoi il est
dit : « connaître le nom véritable d’une chose, c’est connaître son pouvoir :
le prononcer exactement c’est libérer son énergie ».
— Est-ce là le pouvoir magique du nom ? s’écria le disciple du Sage.
— Certes, mon fils, c’est un pouvoir redoutable. Il est fort heureux pour
les hommes que les noms véritables ne leur soient pas révélés, étant donné
l’état d’inconscience qui est normalement le leur.
Her-Bak soupira :
— C’est plus prudent, mais quel dommage !
Les élèves éclatèrent de rire, les Maîtres hochèrent la tête avec
indulgence. Le Symboliste demanda :
— O toi, Her-Bak, es-tu certain de comprendre l’intérêt de cette leçon ?
Le disciple confus se défendit impétueusement :
— Que mon Maître veuille bien ne pas en douter ! Mon cœur n’est point
aussi léger que ma langue ; il a compris en peu de temps :
• qu’il faut être attentif à l’inversion des lettres – telles que m et nr – qui
met en évidence leur sens symbolique ;
• que les images hiéroglyphiques doivent être étudiées dans leurs
moindres détails ;
• enfin que la connaissance de la Nature est nécessaire pour comprendre
le sens des lettres dans les mots.

— Tout ceci est exact, tu as entendu et compris ; je t’enseignerai donc le


68
deuxième mot. Entre ces deux lettres, n et r, intercale la lettre , qui est la
lettre du souffle, et de l’air animant une vie primitive, ner est l’énergie,
définie dans la Nature par la substance en laquelle elle agit. f lui apporte
69
l’animation et en fait une qualité vitale : nefer .

« Son symbole est le cœur, suspendu par un canal à un trait fixe horizontal,
tel un gouvernail godillant qui, par son impulsion sur l’élément liquide,
70
donne la direction vers la droite ou vers la gauche. L’image est absurde ,
le symbole est réel : le mouvement du cœur est rythmé comme les
alternances du monde ; sa contraction et sa dilatation sont l’alternance
essentielle, cause de toute formation. Le canal aérien porte le souffle nef ; le
cœur donne le mouvement alterné ; souffle et mouvement, mobile et moteur
du mobile, générateurs de la qualité essentielle de la vie (la chaleur), donc
la qualité vitale de l’énergie : nefer.
— Nous avons, suggéra Her-Bak, d’autres mots pour exprimer cette
71
notion, par exemple le mot qd .
Le Linguiste reprocha vivement au novice son incompréhension :
— qd a un sens plus quantitatif et plus concret que nefer ; il exprime la
manière d’être, les modalités et les caractéristiques matérielles.
« Si tu veux profiter de cette leçon, mets en comparaison avec nefer le
72
troisième de ces mots essentiels, neter ;en celui-ci, f est remplacé par
73 74
th qui est une lettre terrestre, ou par t qui est terrestre et passive.

Le Maître fut encore interrompu par le disciple impatient :


— Ceci est invraisemblable : les Neter ne peuvent être ni terrestres ni
passifs, ou, moi, je ne comprends rien à la divinité !
La réplique reçut la réponse qu’elle méritait :
— Il est bon pour les hommes que les Neter ne dépendent pas de leur
intelligence ! Tout ce qui est terrestre est naturel, Her-Bak ! Or qu’est-ce
que la Nature, si ce n’est pas la manifestation des Neter ? Et qu’est-ce que
la passivité ? Passif est celui qui subit. Qui donc subit les lois de la Nature
sans jamais pouvoir y déroger, sinon ceux qui en sont les propres
principes ?
Her-Bak ayant reconnu son erreur et son insolence, le Linguiste s’adressa
aux disciples qui avaient écouté silencieusement ; il leur dit :
— Nous avons instruit votre jeune frère en ces sujets dont vous
connaissez déjà les éléments ; si l’un de vous a quelque incertitude, qu’il
l’expose sans hésiter.
Abouched interrogea le Symboliste :
— Je croyais qu’un Neter était une entité, et que nefer exprimait
l’accomplissement.
— Le sens que tu donnes à ces mots est exact en tant qu’aspect
particulier, ce n’est pas leur signification intrinsèque ; l’entité est constituée
par les caractères et propriétés essentielles d’un type-principe : chaque
nombre est une entité, mais Apet est le Neter du Nombre ; chacune de nos
lettres est une entité, mais Sefekht est Neter de tout symbole écrit.
75
« Les Neter sont les « Idées » immanentes ou virtuellement contenues
en la Nature, qui donnent forme à la substance à travers les phases de la
création continue et de toute genèse. Les Neter sont agents et fonctions, soit
actifs, soit passifs, de la Nature.
« nefer est : état de maturité d’une qualité vitale. nefer est le moment
d’accomplissement qui donne, à la chose ou à l’être, puissance génératrice :
soit de sa propre semence (puberté), soit de sa qualité particulière
(accomplissement fonctionnel), soit d’énergie propre (accroissement de
vitalité et continuité).
« Neter-nefer est donc un principe de la Nature (agent ou fonction) en
état de puissance génératrice de la qualité ou fonction qu’il représente.
« Quant aux sens communs que la langue vulgaire attribue à nefer, ils
donnent – avec moins de précision – des confirmations de son sens absolu,
puisqu’ils expriment : la perfection, la beauté, la bonté, la puberté, la virilité
(les neferou de Min), et autres états d’accomplissement – des mauvaises
qualités aussi bien que des bonnes.
Abouched remercia le Maître du Symbole :
— C’est un grand thème à réflexions, tout ce que tu m’as dit ! Il me
serait utile de le fixer par un exemple : la qualité vitale du Neter Osiris en la
semence n’est-elle pas ce qui fait, en cette semence, son réveil, sa mort, et
sa résurrection en germe vivant ?
— Elle l’est, en vérité ; mais tu englobes, dans cette définition, diverses
phases ou aspects de sa fonction comme de sa Qualité. Selon la phase ou
l’aspect considéré, Osiris sera qualifié d’une épithète différente : Neter-
nefer, ou Neter-âa, ou oun-nefer.
« L’épithète Neter-nefer situe Osiris au moment où il peut exercer sa
puissance génératrice pour revitaliser la chose à laquelle il se rapporte.
« L’épithète Neter-âa spécifie la fonction Osirienne dans son aspect de
principe cyclique de l’éternel « retour », par lequel le sujet parcourt son
chemin, allant au maximum de sa possibilité, puis revenant sur lui-même
pour réitérer perpétuellement.
« L’épithète oun-nefer exprime aussi l’idée de cycle continu, mais
appliqué à l’existence terrestre.
« Dans le mot oun (existence), le choix du symbole du lièvre précise ce
sens de l’existence terrestre. Le lièvre, animal extrêmement prolifique, vit
cependant en solitaire : il fait son gîte à l’abri de buttes de terre. Notre
hiéroglyphe du lièvre insiste sur ses immenses oreilles. Or remarque le nom
de l’oreille – mes-djer – : mes, donner naissance, produire ; djer, limite,
atteindre les limites. En réalité, djer signifie la délimitation d’un lieu ou
d’une chose, c’est-à-dire la définition de son horizon, comprenant par
conséquent ses diverses orientations.
« Mesdjer, nom de l’oreille, exprime donc ce qui produit l’orientation, et
le sens même de l’orientation des diverses directions de l’horizon, non
seulement l’horizon terrestre mais celui de toute existence.
« Mais il est un autre rapport entre le lièvre et Osiris. Il y a en Osiris un
double aspect ; d’une part il est le Neter du renouvellement périodique de la
vie végétative. C’est la transposition de la Vie essentielle en vie végétative ;
c’est le passage de la « Puissance » en « acte », c’est le pouvoir latent qu’a la
substance de se manifester en matière existante, dans la limite déterminée
par la semence de cette matière.
« Mais, du fait de cette transposition ou manifestation, ce Neter devient
le pouvoir végétatif de la chose existante et en subit les lois. Le rythme
d’Osiris est celui du « devenir », qui contient, immanent, la nécessité du
retour ; son activité est dans la montée de la sève ; sa passivité est dans
l’inévitable de son épuisement : vie et mort en perpétuel recommencement.
« Ceci est l’autre aspect d’Osiris. Si son activité est puisée à la source de
Vie Universelle, elle est cependant soumise aux lois de la vie particulière,
c’est-à-dire aux rythmes et Nombres de la Nature ; Osiris est donc le Neter
de l’ordre naturel. Or la nécessité de ce perpétuel recommencement est sa
76
parenté Sethienne, ou aspect Sethien. Car Seth – Soutekh – est l’avidité
de possession et de continuité, qui capte et veut fixer l’activité vitale
d’Osiris.
« De même le lièvre a une double signature :
• Sethienne par sa couleur rousse, ses gîtes en terrain désertique, et la
dualisation représentée par ses oreilles ;
• Osirienne, parce qu’ayant le sens de l’ouïe très développé, il symbolise
77
la fonction Osirienne de définition des directions spatiales qui
conditionnent toute l’existence, car c’est cette fonction qui est exprimée
dans l’épithète neb r djer, attribuée à Osiris ; ensuite parce que l’époque de
sa reproduction correspond au Temps de la régénération d’Osiris (fêtes des
78 79
Mystères d’Osiris ) ; enfin par certaine particularité sexuelle .
« L’épithète oun-nefer situe donc le principe Osirien dans la spécification
d’une existence terrestre, avec un aspect fixateur Sethien.
— Tes paroles, répondit Abouched, me sont une grande lumière, car elles
permettent de différencier le principe cosmique d’Osiris et son principe
particulier.
Le Maître du Symbole approuva le disciple :
— L’aspect cosmique de ce principe est le cycle qui dépend uniquement
de toutes les conditions du ciel.
« Son aspect particulier se rapporte à l’existence d’une espèce.
« Si tu parles du principe cosmique agissant dans la génération de la
semence, tu le nommeras Neter-âa ; si tu parles de la genèse spécifique de
la semence, Osiris deviendra oun-nefer ; il en sera de même pour ses autres
fonctions.
— Ceci est clair pour Osiris ; mais si l’un de ces termes est appliqué à un
autre Neter, comment faut-il le traduire ?
— De la même manière, en l’appliquant au principe ou à la fonction de
ce Neter. Ainsi, Râ, en tant que Neter-âa, exprime le jeu de perpétuel aller
et retour entre les deux horizons Est et Ouest.
— Est-il juste de dire Neter-our comme l’on dit Neter-âa ?
— Tu devrais trouver la réponse dans l’étude de chaque mot. La notion
de grandeur exprimée par our diffère de la notion exprimée par âa.
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« âa signifie « grand », à l’extrême limite des possibilités de la chose
qualifiée : sa plus grande mesure, sa plus grande valeur, son plus grand
rendement ; ceci avec l’idée sous-entendue qu’ayant atteint ce maximum de
chemin, de grandeur ou de puissance, elle ne peut que revenir sur elle-
même pour réitérer.
« L’idée de limite, personnelle à chaque être, particulière à chaque chose,
est contenue en âa.
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« our est l’amplitude avec possibilité d’accroissement, ce sens étant
rattaché à l’idée d’origine et d’universalité. Quoique l’idée cyclique y soit
aussi incluse, comme en toute chose naturelle, elle y est moins restrictive
que dans âa par ses possibilités d’élargissement, d’amplification en volume
et en accroissement.

« Or, un Neter est un des principes cosmiques ; il définit donc une loi, et
comme tel il a ses propres limites. L’épithète our ne convient donc qu’aux
Neter dont la propriété d’accroissement fait partie de leur qualité
fonctionnelle ; ainsi en est-il d’Isis, de Nephtys, Neith, Moût, et Osiris dans
ce cas particulier.
« Le Neter universel est lui-même le principe de our, et pour cette cause,
Horus est dit aussi Horus-our.
Her-Bak absorbait les paroles du Maître comme la terre avide absorbe
l’eau nouvelle. Un monde de possibilités se révélait à lui ; il avait hâte d’en
franchir les obstacles.
Il interrogea le Linguiste :
— Oserais-je avouer qu’une de tes répliques m’a troublé ? Tu dis à
Abouched : « Tu devrais trouver la réponse dans l’étude de chaque mot. »
Pour ce faire, n’est-il pas indispensable de connaître la valeur des lettres
essentielles, puisque chacune d’elles a son nombre et ses propriétés ?
Le Maître Symboliste échangea quelques mots avec le Linguiste ; celui-
ci dit à Her-Bak :
— Notre réponse à ta question sera le dernier enseignement de cette
leçon ; certes, cette connaissance est nécessaire à la compréhension de nos
textes secrets ; tu ne peux même, sans elle, saisir le sens véritable ni des
mots essentiels, ni des noms, ni des dieux.
« Cependant, je t’ai averti : cette science ne sera pas incluse dans cette
première initiation ; tu vas comprendre la raison de cette restriction. La
parole, djed, est l’expression audible du Verbe-Idée. La fixation visible se
fait à l’aide de signes ou caractères qui, dans notre écriture sacrée, lui
donnent une forme représentative de l’Idée. Chacun de nos « signes-
caractères-lettres » est donc une parole concrétisée (medou), signifiée par
l’image la mieux appropriée ; ils suivent ainsi l’exemple donné par Sefekht
(la déesse de l’écriture), qui signe toute production de la Nature par les
lignes, les formes et les couleurs qui manifestent son caractère.
« Chaque signe-lettre a trois attributs : la forme, le Nombre, le son.
« Le son, modulé par prononciation de la lettre, est son attribut essentiel ;
c’est son « Verbe », donc le principe de son action magique ; ceci t’explique
pourquoi les initiés sont priés, au début de certains textes, de ne pas les
prononcer à haute voix s’ils en connaissent la lecture secrète.
« Le Nombre est la nature intrinsèque de la lettre. Les Nombres,
constituant les principes déterminateurs des formes, sont les véritables
lettres fondamentales. Or, le son et la forme d’une lettre sont ses attributs
« évidents » ; son Nombre réel a toujours été plus ou moins dissimulé par
divers subterfuges.
« La forme des lettres est caractéristique de la conception philosophique
de son auteur et de son mode éducatif. Un nombre déterminé de signes
constitue notre écriture : les medou-Neter.
« Toute langue écrite est une construction dont les éléments-principes
(verbes et nombres) sont formulés par des symboles naturels ou
conventionnels ; la langue la plus réelle est celle où le conventionnel est
réduit au minimum possible. L’architecture de cette écriture est
l’assemblage des signes. Dans les combinaisons de nos medou-Neter
viennent jouer des rapports de nombres et de fonctions représentées par les
lettres assemblées ; de sorte qu’il devient possible d’écrire les éléments
d’un enseignement secret – tels que les phases d’une genèse ou
l’explication d’une allégorie – en choisissant les mots et la disposition de
leurs lettres pour composer une phrase d’apparence banale.
« La connaissance des analogies et la recherche de certaines clés
facilement décelables pourraient, par une étude approfondie, en permettre le
déchiffrement ; mais il intervient ici une difficulté, voulue par le Sage
(philosophe) qui a fait choix d’une des lignées du « Devenir » pour son
expression linguistique. Or sur ce point nous nous taisons, ce qui fait-que,
par l’étude seule, on n’y parviendra pas !
— O Maître, pourquoi ce jeu cruel ?
— Parce que cette architecture est imaginée sur l’architecture de
l’Univers ; révéler cette construction, c’est révéler les secrets de la Genèse
et du « devenir » des choses. Or ceci ne doit jamais être accordé qu’à des
hommes éprouvés qui n’abuseront point de cette connaissance. Et c’est cela
qui justifie, dans notre histoire, le Temple et les secrets du Temple.
Her-Bak s’inclina ; puis il interrogea son Maître :
— Notre langue est-elle l’unique forme possible pour traduire la
Connaissance ?
— Elle est la plus parfaite, répondit le Sage, mais elle n’est pas l’unique
possibilité : un autre système, établi sur la même Connaissance, peut guider
la recherche de la Sagesse. Mais la construction de notre langue par les
Anciens est telle, qu’elle nous permet d’établir une sorte de miroir dans
lequel nous pouvons lire le développement des âges de notre histoire, avec
les phases de chute et de régénération, comme on pourrait lire les plans
superposés d’un monument construit et surchargé par étapes successives, si
82
l’on en connaissait le plan total préétabli .
« Alors il est possible de situer, par les lettres et les combinaisons de ces
lettres formant des mots, le nom et le caractère de ces événements ;
autrement dit, nous pouvons lire ce qui est écrit par le destin.
« Quelquefois même, nous donnons aux événements historiques les
noms que nous avons ainsi « lus ».
Le disciple était partagé entre l’admiration et une vague déception :
— Si le secret total ne peut pas être trouvé par mon travail personnel, à
quoi servira ma recherche ?
— A conquérir le droit à cette Connaissance, par la formation d’une
mentalité qui ne la trahira pas.
— Que faut-il faire pour acquérir cette mentalité ?
— Commencer par éviter les procédés qui s’y opposent :
« Ne cherche pas à expliquer la formation de notre langue comme un
apprentissage progressif ; ses éléments parfaits furent donnés par des Sages
qui établirent dès l’origine ses règles et son évolution.
« Ne cherche pas cette origine dans une composition hétérogène
d’idiomes différents, car toutes les langues qui ont des racines communes
avec la nôtre viennent d’une même source qui remonte au-delà des Temps
connus de toi.
« Ne mets pas en doute l’unité philosophique de notre langue à cause des
nuances modifiées par les temps et les lieux ; car ces différences ne sont que
secondaires – parfois voulues, parfois accidentelles – et n’ont jamais touché
ses éléments essentiels.
83
« Sache que certaines variations , effectuées selon des règles prévues
pour des époques déterminées, sont en elles-mêmes un enseignement qui en
confirmera l’ordonnance préétablie.
« Doute, si tu veux, de toutes ces assertions ; mais si tu les contrôles avec
sincérité dans leurs effets, elles se prouveront par l’éclaircissement des
énigmes.
— O mon Maître, je vois ce qu’il ne faut pas faire. Qu’il me soit donné
d’apprendre comment je dois chercher !
Le Linguiste répondit :
— La règle essentielle est celle-ci : PENSE SIMPLEMENT « Évite les critiques
et arguments spécieux. La pensée de nos Maîtres fut d’autant plus simple
qu’elle était plus proche de sa source ; plus nous nous en éloignons, plus
notre tendance est de la compliquer.
« Cherche directement le fait naturel montré par le symbole. Ensuite,
l’ayant approfondi en tous ses aspects, tu pourras apercevoir la loi
universelle dont ce fait naturel est lui-même le symbole.
Fig. 8. – Ne commets pas l’erreur de mettre un mot à la
place de l’image, en disant par exemple : « la chouette c’est m ».

« N’oublie jamais l’image ou forme du hiéroglyphe. Qu’elle soit une


copie exacte de la chose ou de l’animal, ou qu’elle soit une composition
mythique (tels l’animal de Seth et celui d’Anubis), cette image est
84
composée d’éléments naturels dont chaque détail a son sens symbolique .
« Mais ne commets pas l’erreur de mettre un mot à la place de l’image,
en disant, par exemple : « la chouette c’est m ». Considère la nature, les
qualités et les fonctions de la chose représentée. Exemple : l’image du pied,
b, évoque l’idée de ce qui se pose, l’idée d’appui, et l’idée de dualité parce
qu’un seul pied ne suffit pas pour marcher. Ainsi tu dois chercher les
raisons simples et vitalement vraies, qui ont déterminé leur choix.
« Si plusieurs lettres sont groupées sous un symbole, compare les
différents mots exprimés par ce même groupe, sous ce symbole ou sous un
85
symbole différent ; médite sur leurs lettres , dont tu ignores les
« nombres » mais dont les images suggèrent au moins quelques fonctions.
Le fait de chercher le rapport naturel de ces groupes analogues éveillera en
toi la logique vitale qui fut celle de leurs créateurs.
« Garde-toi d’accuser la négligence d’un scribe ou la puérilité d’un
auteur, devant les anomalies d’un texte ou certains détails anodins : ainsi
fait l’insensé qui, se fiant à l’apparence grossière, rejette la clé d’un trésor.
« Apprends à préférer l’évidence naturelle à l’argumentation astucieuse
du sceptique.
« Apprends à refuser les compromis prudents.
« Apprends à t’approcher du vrai en osant l’absurde apparent.
« Celui qui n’a pas souffert par sa propre recherche ne connaîtra pas la
valeur du don de la réponse.
« Apprends à sacrifier joyeusement un long temps de travail erroné, pour
un instant de vérité.
« Alors tu pourras recevoir la science des Anciens sans courir le danger
d’ingratitude et de profanation.
V

LE VOYAGE

Le vent du nord gonfle la voile et soutient l’effort des rameurs ; il attaque


le flot qui résiste, et le couvre de crêtes écumeuses. Le fleuve en décrue
abandonne d’épaisses couches limoneuses, qui déjà se craquellent au soleil
et se hérissent de tiges vertes.
Lentement se déroulent aux yeux des voyageurs les paysages des deux
rives, terrains de culture quadrillés de milliers de rigoles, encadrés par les
horizons désertiques. Des groupes de palmiers protègent de leur ombre les
masures de terre brune, taches sombres si reposantes dans la lumière
impitoyable.
Pays étrange d’Égypte, qui n’est point arrosé par la pluie des nuages !
Terre noire abreuvée par les eaux d’Hapi, qu’il faut puiser sans cesse quand
il redescend vers son lit !
Des hommes nus manœuvrent nuit et jour les « cha-doufs » espacés le
long de la berge haute, tirant le balancier, plongeant le récipient qu’un
contrepoids remonte au niveau des rigoles. Leur chant mélancolique et le
grincement du chadouf rythment le labeur fastidieux qui fertilise les deux
rives.
L’homme ne se plaint pas : la puissance de Râ et les richesses d’Hapi
multiplient les fruits de sa peine… Lentement, le bateau remonte vers le
Sud, laissant passer le flot qui coule vers le Nord, comme coulent les jours,
siècles et millénaires, devant la terre indifférente.
*
**
La voix du Maître égrène des noms de temples, de villages, de temples,
d’animaux sacrés, de temples, de Sages, de chapelles et de dieux, comme
les pierres d’un collier.
Heureux disciples du pays le plus sage du monde, où le plus exact des
symbolismes conduit même les moins avides à percevoir la vérité de
l’Univers, en leur offrant la possibilité de concevoir en eux les lois de la
Nature !
Ouvre tes yeux, Her-Bak, sur les couleurs des pluviers, les circuits du
faucon et les mœurs du vautour. Ouvre tes oreilles aux noms évocateurs des
nomes et des cités. Remonte le cours d’Hapi jusqu’à l’origine des
86
Origines… Des barrières d’îlots t’arrêteront ; va étudier sur place la leçon
des roches chaotiques ; va déchiffrer les signatures des pèlerins qui ont
87
ajouté au symbole du lieu le symbole de leur nom .
Va chercher dans la pierre d’Abou (Éléphantine), sombre comme la peau
de l’éléphant, le secret de Khnoum, le divin potier qui modèle la terre et
amène toute chose à l’existence.
Va contempler le chaos rocheux de l’île Senmout (Bigeh) ; Senmout au
corps maigre, aguicheur et brutal de la lionne, la Sekhmet aquatique et
solaire. Le double sexe du rocher de Kenset qui marque la limite sud de la
terre de Kemit, la montagne sainte de Sethet (Sehel) et le granit rouge de
88
Sounou te parleront des origines du Monde, comme ils ont parlé aux
étudiants et aux Sages qui ont gravé en énigmes, sur la roche, le témoignage
de leur compréhension.
Va suivre, dans les ouadis, les traces des voyageurs qui ont jalonné de
89
stèles instructives le chemin de Rohenou .
Tu pourrais remonter le fleuve jusqu’au pays des marécages, où pousse
90
le jonc du Sud : partout tu trouverais des temples, des statues, des stèles,
édifiés au moment opportun, dans le style qui correspond à la lourdeur de la
terre noire d’origine.
*
**
91
Redescends, maintenant : les décades s’écoulent, les qerti du Sud ont
rappelé Hapi ; bientôt les bancs de sable risqueront de faire échouer le
bateau…
Il faut rentrer, Her-Bak. A l’abri des murailles du Temple tu devras
méditer sur les énigmes entrevues : les noms et symboles des sites ne te
livreront leurs secrets qu’en étant réfléchis par ton cœur. Les dalles de
l’école sont rudes, le visage des dieux est rigide, la discipline impitoyable…
Mais ton Maître t’attend.
*
**
Une année a passé, fertile en études profondes ; et le disciple a eu la joie
de franchir le seuil symbolique d’une nouvelle porte qui lui donnait accès à
un enseignement supérieur.
De nouveau, Hapi a déversé son abondance sur la terre. De nouveau le
flot se retire, s’abaissant peu à peu, vers son lit. Laissons se calmer les
tourbillons ; laissons apparaître les berges…
Les matelots ont appareillé ; embarquons pour le doux voyage qui, sans
effort, va nous porter avec le flux rapide vers les grands sanctuaires du
Nord.
Les disciples, alanguis par la chaleur du jour, se laissent bercer,
somnolents…
92
— Que faites-vous, paresseux ? N’êtes-vous pas les chemsou du
93
Conquérant ? Her-Bak, ne vois-tu pas Sobek , caché dans le limon ?
— Il n’y a pas de crocodile sur la berge !
— Tes yeux sont trop réalistes, Her-Bak ! N’est-ce pas en ces lieux
qu’Horus a vaincu les ennemis de Râ ? Vois ce dos de peau grise…
— N’est-ce point un îlot qui émerge ?
— C’est l’hippopotame de Seth ; il s’enfonce, mais sa tête affleure la
surface… Sa tête ? Non, trois points : les deux yeux, le nez qui surnage
pour prendre l’air un instant.
« Horus en deviendra le maître ! Regarde la « terre secrète » : Chetou la
tortue, que la lance divine ira fixer au fond des eaux.
Her-Bak ne refuse plus le rêve, il s’adapte à ce jeu. Et le voyage devient
l’évocation du mythe, connu seulement des initiés. Horus évolue devant lui,
luttant, se transformant, légitimant les noms des lieux et des cités. Les yeux
à demi clos, Her-Bak peut contempler sa face altière de faucon ; il le voit,
changé en disque ailé, sur la proue du bateau, entouré des cobras Nekhbet et
Ouadjt ; il s’étonne d’apprendre comment le fils d’Isis se transforme lui-
94
même en Horus Behedty (celui d’Edfou) ; il voudrait s’enquérir du sens
de ces mystères…

FIG. 9. – C’est l’hippopotame de Seth… Horus en deviendra le Maître !

— Prends patience, ô disciple ! Apprends à voir et entendre avant


d’approfondir la réalité des Neter.
On approche d’Abydos ; les barques funéraires de plus en plus
nombreuses, portent les défunts à leur dernier pèlerinage. Le bateau des
disciples passe sans s’arrêter : c’est en retournant vers le Sud qu’il
conviendra de visiter le sanctuaire Osirien.
*
**
Le pays a changé d’aspect ; les rives se sont aplanies, les palmeraies
s’espacent, et les cultures couvrent de grandes étendues.
Voici qu’un cri de joie jaillit de toutes les bouches : on approche du but,
des pyramides surgissent à l’horizon.
L’étape sera longue, réjouissez-vous ! Nombreuses sont les merveilles
qui vous attendent : temple de Hat-Ka-Ptah (Memphis), écoles d’Iounou
(Héliopolis), nécropoles et temples funéraires, gigantesques travaux de ces
masses triangulaires qui semblent défier l’inconstance des hommes et
témoigner, pour la durée des Temps, de la grandeur des anciens Maîtres et
de la perpétuité de leur affirmation !
*
**
Affirmation indéfectible de la pyramide ! Son nom est sa définition ; elle
95
est le MER , elle est l’aimant, de la terre pour le ciel et du ciel pour la
terre ; sa rampe est le chemin de sa révélation.
Rampe qui relie la terre noire de la vallée au sable rouge du désert ;
rampe qui symbolise la montée de la Vie, depuis le ver de terre jusqu’à
l’Homme Royal qui domine tous les aspects de la Nature, et peut en inscrire
l’histoire dans le plus abstrait des symbolismes !
96
Pouvoir de Pharaon, « la plus grande Maison », de noblesse consciente
et de religieuse majesté ; Il se plaît à contempler avec passion la longue
suite des travaux qui fixeront l’Enseignement pour la postérité.
Tout-puissant et muet pendant son existence, Il patronne paisiblement le
legs de Connaissance qui parlera pour Lui après sa mort. O pyramide !
monument cosmique ou tombeau, tu ne raconteras point l’histoire
personnelle de ton constructeur, mais l’immense expérience de son
patriarcat sur Terre à travers la longue lignée traditionnelle ; tu diras la
montée de l’Homme, dont Pharaon marque en chaque règne une étape.
C’est en cela que ce Pharaon – qui deviendra en sa croissance « fils de
Râ » – se rend à Lui-même un culte secret.
Les formes dessinées, sculptées ou construites, signifient toujours
quelque chose. Elles sont comme les caractères d’une écriture universelle
que chacun lit sans le savoir. La pyramide met en forme une chute ; ce peut
être le tombeau d’un corps, mais c’est aussi – en image et en vérité – la
descente puis le berceau de l’Esprit.
Groupés autour du Maître, les disciples contemplent religieusement,
recueillant avidement sa parole comme l’écho certain des voix anciennes :
— Au commencement de notre histoire fut la grandiose simplicité.
Enseignement des Nombres par les formes, auquel finalement doit revenir
le disciple quand il a su s’orienter vers les bases fondamentales à travers la
complexité de nos mythes.
« La pyramide est une vérité cosmique. Sa base est carrée et ses quatre
côtés triangulaires ; en principe, ces quatre trinités forment l’assise
quadrangulaire déterminant un corps primitif à cinq pointes ; ceci constitue
la forme mystique de l’expression de la pyramide, puisque, de cette façon,
se trouvent définis tous les éléments des Nombres dans leur aspect abstrait.
Le fait d’exécuter cette forme sur certaines proportions impose
géométriquement des rapports qui vont d’eux-mêmes déterminer les
principes des mesures de longueur et de volume.
« C’est ici la relation entre le caractère mystique et le caractère
géométrique : ils sont, vitalement, étroitement liés.
*
**
Her-Bak regardait le plateau désertique où les pyramides géantes
dominaient la cité des tombeaux.
Le Sphinx, témoin des très anciens Temps, veille le secret des morts et
des vivants, montrant aux uns et aux autres l’Orient de la résurrection.
Le disciple essaya de dénombrer les temples rencontrés au cours de ce
pèlerinage, il soupira :
— Je n’arriverai pas à en faire le compte, mais peu nombreux sont ceux
que nous aurons visités !…
La parole du Maître répondit en donnant au voyage sa véritable
signification :
— Toute existence effectue un périple grâce auquel, portée dans la
barque du corps, l’âme s’imprègne de conscience, comme tes yeux
s’imprègnent des couleurs, et tes oreilles des verbes de la Nature.
« Ainsi font les oiseaux migrateurs. Chacun d’eux accomplit son
parcours pour répondre à l’appel vital de sa propre nature. L’un cherche
l’eau des marécages, l’autre certains rayons de Râ ; tel autre suit la maturité
des grains. L’itinéraire de chacun est tracé par l’itinéraire de Râ, et par ses
propres « possibilités » d’adaptation aux conditions changeantes des
terrains et des climats…
« Et dans chaque voyage, la conscience de chaque espèce se réveille,
s’enrichit de nouveaux éléments. Ainsi ton âme est l’immortelle errante,
dans les courts trajets de la Terre, à travers les kheprou de la Douât, et dans
les glorieuses traversées du Ciel.

FIG. 1o. – Les barques funéraires portent les défunts à leur dernier pèlerinage.

« Ce n’est pas le nombre des images perçues qui importe, mais les
impressions ineffaçables dont ta conscience s’est enrichie. C’est surtout leur
correspondance avec tes possibilités actuelles. Souviens-toi des oiseaux
migrateurs ; chacun est rappelé par ses désirs et le but de sa vie.
« Le but définit le voyage… Autre est le pèlerinage passif du « mortel »
dans sa passion Osiriaque, autre est la pérégrination consciente de l’Horus,
qui conquiert sa maîtrise divine en asservissant une à une toutes les forces
animales.
« Ne te laisse pas illusionner par le charme et la variété des paysages de
la rive. Ose chercher un horizon plus vaste ; c’est à toi de tracer l’itinéraire
de ton voyage : il aura l’amplitude de ton désir.
Her-Bak, à son retour, eut la joyeuse surprise de trouver Aouab parmi les
étudiants du Temple intérieur. Cette promotion l’étonna, car la naïveté de
son ami donnait à son intelligence un aspect enfantin qui ne semblait pas
compatible avec la recherche ardue qui leur était imposée.
Le Sage profita de cette occasion pour lui rappeler l’enseignement des
trois Maîtres au jour de la « Question » :
— Si tu veux devenir un adepte de la Sagesse, Her-Bak, il ne t’est pas
permis d’oublier que les voies de Maât sont identiques en leur but, mais
triples en leurs moyens : on peut éveiller l’Entendement par la conscience
des symboles et des analogies, par la connaissance des Nombres, ou par le
don absolu du Moi pour le confondre avec le Soi.
« Il est vrai que les trois voies s’interpénétrent puisque la conscience de
l’une éveille la conscience des autres ; cependant tout chercheur attiré par
Maât doit choisir le chemin correspondant à ses possibilités. Le don
impersonnel et l’altruisme d’Aouab sont une disposition excellente qui l’a
fait adopter par le Maître Mystique. S’il a le courage d’acquérir la
conscience du Bien et du Mal relatifs, sans perdre sa candeur c’est-à-dire le
pur amour du seul Bien absolu, il atteindra la Connaissance par la voie la
97
plus simple qui est celle du Confondement .
— Ta parole me réjouit pour Aouab, répondit le disciple, mais peux-tu
m’expliquer ce que vous entendez par « un Sage » ?
— Certes, je le puis ; le Sage est l’homme conscient, capable de
concevoir en lui-même les trois voies, capable d’aimer impersonnellement,
de connaître ce qui est, sans préjugés, capable d’obéir à la loi de Nature, et
de transcrire ce qu’il a connu.
« Mais ce chemin ne permet point de pitié pour soi-même, ô mon
disciple…
VI

L’ILLUSION

Clair de lune sur un terrain désert entouré de palmiers. Étudiants et


disciples, assis en demi-cercle, ressemblent à des statues de pierre. La
lumière blafarde sculpte les visages, accusant leur perplexité. Un silence
oppressé ferme toutes les bouches, tandis que s’éloigne le magicien. Quand
sa silhouette disparut – ombre parmi les autres ombres – tous les regards se
reportèrent sur le cercle tracé au sol, comme pour y guetter quelque
nouvelle féerie.
Le Maître Mystique et le Symboliste observaient l’expression des
visages en parlant à voix basse. Le Mystique interpella le disciple
Abouched :
— Que penses-tu du spectacle qui t’a été donné ? Parle sans hésiter !
Le visage d’Abouched se plissa dans une moue de dégoût :
— Je n’aime pas ces fantasmagories. Si elles sont « illusions », j’ai honte
de les subir ; si ces phénomènes sont véritables ils révoltent ma raison ; je
refuse ce monde de l’absurde !
— Celui qui cherche le « réel » ne peut pas déclarer : « Je n’aime point,
je refuse », sans sortir du chemin. Ce jugement personnel le fait dévier. Que
pensent les autres spectateurs ?
Aouab, les yeux encore émerveillés, s’écria :
— Ce magicien est fantastique, tous ses gestes sont des miracles !
— Quant à moi, dit Her-Bak, je ne puis pas apprécier la valeur de ce
qu’il fait, car je ne sais pas ce qui est possible ou impossible.
— Tous ces phénomènes, déclara Oupouat, n’ont pas pour moi la même
valeur ; je pense qu’il faudrait les différencier ?
Le Maître l’approuva :
— Oupouat dit la vérité. Il faut classer en trois caté gories les prodiges
accomplis par le magicien. O toi, Aouab, décris ce que tes yeux ont vu.
Aouab ne se fit point prier :
— Le magicien a pris un bâton dans sa main, il l’a jeté sur le sol : le
bâton est devenu serpent, qui rampait comme rampe un serpent !… Il l’a
saisi par la queue et l’a tiré vers lui : le serpent est devenu bâton.
« Ensuite il a fait une chose terrible : il a coupé la tête d’un canard, le
canard s’est mis à marcher, et sa tête est revenue se placer sur son corps.
« Le troisième prodige était si étonnant que je ne savais plus en quel lieu
je me trouvais. Le magicien a pris de la cire, il en a façonné un singe, il a
récité sur lui un grimoire : l’image est devenue singe vivant, qui est allé
dans le palmier chercher des dattes pour son maître. Quand il fut revenu, le
magicien récita son grimoire : il ne resta du singe que l’image de cire !
Le Mystique questionna les assistants :
— Chacun de vous a-t-il vu de ses yeux tout ce que raconte Aouab ?
Tous témoignèrent d’une seule voix, affirmant l’exactitude du récit. Les
deux Maîtres approuvèrent la réponse, mais leur rire surprit les étudiants.
— Avez-vous vu couler le sang du canard décapité ? demanda le Maître
Mystique.
— Certes nous l’avons vu ! Le magicien nous l’a fait remarquer.
— C’est parfait ce que vous avez dit ; allez donc et cherchez les gouttes
de ce sang.
Les élèves se levèrent en hâte ; ils examinèrent toute la surface du cercle
où avait opéré le magicien ; mais, de sang, ils ne trouvèrent nulle trace.
Le Maître Mystique les fit asseoir :
— Vous ne trouverez pas ce qui n’a point existé, leur dit-il ; puis, les
ayant laissé exprimer leur surprise, il s’expliqua :
— Celui qui s’adonne à l’étude des Causes doit être prémuni contre tous
les mirages. Les phénomènes produits devant vous ont caractérisé les
principales illusions dont vous pouvez être le jouet. La plus vulgaire des
trois était le faux prodige de la tête coupée : le magicien existait, le canard
existait, les spectateurs existaient ; mais la décapitation ne fut exécutée que
dans votre imagination. Aouab protesta ; le Mystique l’interrompit :
— Vous avez vu le canard et le couteau ; mais à partir de cet instant, le
magicien a créé dans sa pensée la scène de décapitation et de remise en
place de la tête ; il vous l’a imposée comme vision réelle, jusqu’au moment
où, libérés de cette suggestion, vous avez vu le canard bien vivant aux pieds
du magicien… qu’il n’avait pas quittés.
Her-Bak, très intrigué, demanda :
— Le magicien aurait-il pu opérer ce miracle ?
— Le magicien ne peut jamais aller contre la Nature ; il peut la dévier
mais doit suivre ses lois : il ne pourra pas remplacer un membre supprimé,
il ne pourra ni modifier la marche d’une étoile ni changer l’ordonnance
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d’aucune loi essentielle .
99
« Mais il a le pouvoir d’arrêter ou de modifier la conscience cérébrale
des spectateurs ; car nos sens servent à constater, non pas à connaître.
— Il y a, précisa Oupouat, un chemin entre « voir » et « prendre
conscience » de ce que l’on voit.
— Effectivement : sur ce chemin il y a le cerveau, outil de mémoire et de
comparaison ; c’est aussi le siège de toutes les illusions et le laboratoire de
Seth. Son travail est bon ou mauvais, selon l’usage que nous en faisons ;
100
mais l’Intelligence du cœur est véridique, elle ne peut pas tromper. Elle
est éveillée, ou endormie, ou étouffée, mais il n’y a jamais de mal en ce
centre.
Abouched était fort humilié de s’être laissé mystifier ; il se plaignit au
Maître :
— Comment avons-nous pu subir, tous ensemble, cette imposture ? C’est
l’usage abusif d’un pouvoir !
Le Maître blâma son amertume :
— C’est une expérience précieuse : tu as tort de la regretter. L’illusion
cérébrale est la plus fréquente des aberrations. Le magicien, par sa maîtrise
de la pensée, a supprimé la vôtre et vous a imposé ce mirage, vous rendant
perceptible l’illusion que vous subissez constamment à un moindre degré.
Or c’est l’inconscience de cette erreur qui la rend dangereuse.
— Que faut-il faire pour en prendre conscience ? demanda Her-Bak au
Maître Mystique.
— Il faut cultiver cette conscience, mon fils, par des observations
continuelles. Par exemple, observe les données sur lesquelles tu fondes tes
pensées… Regarde ce paysage : que vois-tu entre ces deux palmiers ?
— La montagne.
— Cette montagne est-elle plus grande ou plus petite que ces arbres ?
— Je sais qu’elle est plus grande, mais elle me paraît plus petite parce
qu’elle est plus éloignée.
— Alors, constate ce que tu vois, et prends conscience qu’il se fait – avec
ou sans ta volonté – un travail de pensée qui mesure la distance et te fait
voir ce que tu ne vois pas. Sans cette pensée, tu ne saurais pas qu’il y a une
distance.
— L’épervier pense-t-il pour mesurer l’espace qui le sépare de sa proie ?
répartit Abouched qui disséquait chaque argument.
— Il ne pense pas, il « l’éprouve ». De même la fourmi connaît de très
loin, par instinct, la présence du gâteau tentateur ; elle viendra directement
vers lui, sans erreur. Cependant elle cherchera longtemps pour franchir un
obstacle, incompréhensible pour elle puis qu’elle ne peut pas le
« raisonner ».
« Il se fait à travers nos sens un jeu automatique de croisement de
notions, et c’est cela l’illusion. Si tu n’es même pas conscient de la
relativité de tes perceptions, comment peux-tu discerner le reflet imposé par
un homme qui possède la maîtrise de l’évocation ?
Her-Bak ne cachait pas son inquiétude :
— O Maître, que devons-nous donc considérer comme vrai ?
— Rien de ce que nous constatons par nos sens, dit le Sage. Car toute
constatation sensorielle se fait par un jeu de rapports (donc relativité) tel
qu’une chose est toujours définie par plusieurs autres. Or, chacune de ces
choses ne peut être connue de nous que par ce qui est perceptible à nos
sens. Ses qualités incontrôlables par eux nous échappent.
« C’est encore cette imperfection qui rend possible l’illusion de
« miracle » quand le singe de cire grimpe dans le palmier pour y cueillir des
dattes.
Le candide Aouab se révolta devant ce doute :
— Ceci ne peut pas être un mirage, puisque j’ai mangé une des dattes
cueillies !
— L’illusion n’est pas dans le fait, qui, dans ce cas, est véridique. Il ne
s’agit point ici de suggestion, mais d’un monde – ou état – dont vous
ignorez l’existence parce qu’il n’est pas, normalement, perceptible à nos
sens.
« Des forces sans formes et des êtres désincarnés se meuvent dans notre
atmosphère, sans contact apparent avec nous parce qu’appartenant à un état
de substance qui ne correspond pas au nôtre. Nous n’avons qu’un seul point
commun avec elles : notre vie émotive. Ce qui, en nous, cède à notre
émotion, se livre aux influences de ce monde étranger.
« L’homme peut parvenir, par une discipline rigide, à maîtriser ces
« forces » et à les asservir ; car elles sont avides d’emprunter une substance
leur permettant de se matérialiser, afin d’entrer en contact avec notre
existence.
« Ainsi le magicien leur a fourni le substrat de la cire, et l’image du singe
qu’il évoquait. Mais pour les rendre actives il a dû prononcer la formule
magique par laquelle il les soumettait à son pouvoir ; par son souffle et par
sa parole, les « forces » prirent possession de l’image et accomplirent par
101
elle le geste désiré .
Aouab trépignait d’enthousiasme :
— Quelle merveille ! L’homme peut donc faire tout ce qu’il veut ?
— Ne résume-t-il pas toutes les possibilités de la Nature ? Mais cette
magie n’est pas une merveille : c’est un danger qu’il n’est guère utile
d’affronter, car notre émotivité nous fait courir le risque d’être, à notre tour,
la proie aveugle de ces forces invisibles.
« Il est trop facile et fréquent de susciter inconsciemment des
phénomènes indésirables ! Il faut apprendre à ne pas subir les projections
d’imaginations qui créent la peur, évoquent des illusions sensorielles, et
produisent des formes et phénomènes pouvant quelquefois devenir
tangibles.
« Or ces productions ne sont pas plus réelles que la conscience cérébrale
ne l’est elle-même.
— Mais, répliqua vivement Abouched, quel sera notre critérium ? Que
pouvons-nous appeler réel ? Ce qui persiste au delà de notre jugement
subjectif ? L’illusion peut être collective, et peut même s’étendre sur toute
l’humanité quand il s’agit d’idées qu’un raisonnement, apparemment
correct, impose.
— Ton argument est juste, répondit le Maître Mystique. Nous devons
donc avoir recours à la preuve expérimentale sensoriellement tangible.
Cette preuve même ne sera valable que pour la chose de sa nature : le corps
affectera le corps, et non l’émotion ; l’émotion affectera le sens émotif ; le
spirituel affectera l’esprit.
« Or, le fait corporel peut être tel qu’il affecte aussi l’émotivité par la
position que nous prenons devant la chose. Ainsi votre canard décapité
n’aurait pas affecté un animal incapable d’imagination émotive, car celui-ci
n’aurait pu réagir que devant le fait corporel ; or puisque le cou n’a pas été
coupé, l’animal spectateur n’aurait pas subi votre illusion. Autre est le cas
du chien : il aura peur du geste qui fait semblant de ramasser un caillou…
« C’est donc l’association d’idées qui crée l’illusion ; c’est le souvenir
superposé à un fait corporel. La menace d’une pointe aiguë peut provoquer
le sentiment de la piqûre, le feu celui de la brûlure : pouvons-nous dire que
cette piqûre et cette brûlure soient des illusions ?
— L’absence de blessure nous servirait de preuve, répondit Abouched.
— Sans doute, mais l’imagination (ou sentiment imaginé) peut être assez
puissante pour provoquer cette blessure ; alors où sera la réalité ?
« Si nous ne voulons considérer comme réel et indiscutable que
l’expérience sensoriellement contrôlée, sans réaction subjective, toute notre
science se trouvera limitée au corporel-matériel de l’Univers, et cette
science ne dépassera pas le cadre de la vie minérale et végétale, puisque
déjà l’animal supérieur a des réactions qui ne sont pas exclusivement
corporelles.
« Or nous avons mille preuves que l’instinct animal peut obéir à des
influences qui sont analogues et non identiques. Il y a donc, dans le
complexe de l’être vivant supérieur – et surtout chez l’homme –, des
possibilités que l’on peut appeler des réactions subjectives discutables, mais
qui, pour cet individu, ne sont pas moins réelles que le vulgaire fait
expérimental sensoriel, puisque l’effet corporel se produit par le jeu vital.
Abouched parut inquiet :
— Ceci n’ouvre-t-il point la porte à une science dangereuse ? …
— Dangereuse, certes, lorsqu’elle n’est pas sagement contrôlée, mais
infiniment plus vaste que celle d’une conception purement matérialiste.
Remarque d’ailleurs que nous parlons ici d’une science et non d’une
pratique.
« Essayez de comprendre, sans préjugés, la nature et la réaction du
phénomène. Votre canard décapité n’a pas laissé de sang, donc il ne fut
décapité que par votre émotion ; cette émotion a réagi si fortement sur vos
sens et votre imagination que vous avez vu formellement ce que les paroles,
le geste évocateur et la pensée du magicien ont créé en vous. C’est
exactement l’histoire de la brûlure évoquée par le feu, c’est celle de la peur
du chien qui hurle parce qu’il sent déjà la pierre que l’on ne jette pas sur
lui. On peut aussi faire mourir de peur.
« Donc, si illusoire que soit le phénomène créé par ce magicien, il restera
pour vous, spectateurs émus par ce fait, une réalité… autant que vous êtes
réels vous-mêmes comme êtres humains vivants, et seulement tant que vous
serez tels.
— Illusion et réalité devraient donc être indissociables pour l’homme qui
veut dépasser sa nature mortelle ? suggéra Oupouat en demandant au Maître
une confirmation.
— Cette façon de voir est fort sage, mon fils ; on peut, en l’adoptant,
découvrir un monde non corporel, et ceci, progressivement, jusqu’au
confondement avec la Cause, laquelle, bien que non corporelle pour nos
sens, est cependant la seule Réalité absolue car elle persiste depuis toujours
et pour toujours.
« Ce qui distingue l’homme de l’animal, c’est précisément cette
conscience, fruit d’une certaine indépendance de l’âme vivante dans le
corps mortel. Il résulte de cela un jeu complexe d’émotivité et
d’imagination avec réaction sur les sens, et, si cela devient une source
d’illusions par rapport au fait corporel (mécaniquement indiscutable), c’est
aussi la manifestation d’un état d’existence qui n’est pas corporel.
Le Sage confirma les paroles du Maître Mystique et les précisa :
— Toute la Nature se nourrit et subsiste par l’Esprit, qui est énergie non
corporelle, sensible seulement par ses effets. Nous sommes certains de cette
« descente » de l’impondérable en le pondérable, de l’invisible dans le
visible : c’est ce qui fait la force de notre enseignement ; et si les illusions
que vous venez de subir ne vous avaient menés qu’à cette considération,
elles auraient rempli leur but principal.
« Donc, si nous vous mettons en garde – non point contre l’illusion mais
contre l’inconscience de ces possibilités –, je dois aussi vous conseiller de
ne pas obscurcir en vous, par rt-éfiance excessive, l’intelligence des choses
véridiques de la Nature.
« Le minéral, le végétal et l’animal inférieur ne subissent pas les
illusions imaginaires ; vous devez en conclure, vous les humains, que,
pouvant les subir, vous avez en vous quelque chose qui vous distingue des
règnes inférieurs.
« Connaître l’existence de l’illusion c’est avoir un moyen d’en acquérir
la maîtrise, par la démonstration des erreurs sensorielles, et le discernement
du « complexe-conscience » d’où résulte l’illusion.
Abouched et Her-Bak écoutaient avec avidité, mais la curiosité d’Aouab
n’était pas satisfaite, car personne n’avait parlé du prodige du serpent. Il le
fit remarquer au Mystique qui répondit à son désir :
— Je vous ai montré deux aspects malsains de la magie ; plaise au
Maître Symboliste de vous parler de notre vraie magie. Alors vous
comprendrez la transformation du bâton en reptile.
— La vraie magie reste positive, dit le Symboliste, c’est-à-dire qu’elle ne
crée pas de fantasmagories mentales ni émotives. Elle sait que l’actualité
des formes n’a point de valeur, mais elle connaît celle de l’Esprit causal
incarné dans ces formes. C’est donc l’application du vrai sens du
Symbolisme, qui est la révélation de la Cause abstraite par la forme
concrète.
« Or ceci est un grand enseignement, car l’Esprit causal – non incarné –
reste incompréhensible. Mais les formes entre elles constituent une réalité
qui, pour relative qu’elle soit, devient réalité par la révélation de la Cause.
Her-Bak, qui concentrait toute son attention, répliqua :
— Il y a donc autant de possibilités de connaître le Neter Universel qu’il
y a de formes ?
— C’est ton cœur qui t’a dicté cette parole, répondit le Maître, car ces
possibilités sont effectivement le chemin par lequel l’Esprit Causal a dû
passer pour devenir « chose ». Lorsque tu apprendras la science des
« formes dans l’espace », tu comprendras la merveille qu’est cette
102
« possibilité », car c’est la vérité qui s’impose sans expérience ; par elle
le symbolisme nous permet de pénétrer, par un sens intuitif, un monde qui
nous est fermé par notre pensée rationnelle.
« Connaissant les « possibilités » d’une forme vivante, on peut retrouver
le chemin que sa nature causale – ou Neter – a suivi pour devenir cette
forme ; alors, on peut aussi l’évoquer.
« Mais je m’exprime en termes trop arides pour l’enfant Aouab… et mon
discours l’endort ! Aouab, éveille-toi, je vais parler ton langage : quand le
cynocéphale Hetet salue le jeune soleil du matin, quand il chante – en son
nom de Benti – la gloire de Râ dans son dernier rayonnement, quand il
103
urine toutes les heures aux deux équinoxes , quand il révèle sa puissance
respiratoire par son énorme poitrine velue et par son long nez de chien, ces
caractéristiques signifient ses « possibilités ». Ainsi en est-il pour
l’autruche, pour le corbeau, pour le chacal et pour chaque animal. Ils sont
nés de conditions qui leur imposent ces habitudes et ces signatures, sans
lesquelles ils ne seraient ni cynocéphale, ni autruche, ni corbeau, ni chacal.
FIG. 11. – Le cynocéphale Hetet salue le jeune soleil du matin.

Aouab, confus, remercia le Maître :


— Maintenant, dit-il, je comprends ! Mais quelles sont les possibilités du
serpent ?
— Le serpent est un être primaire, dépourvu de membres et rampant sur
son ventre. Son mouvement ondulant est donné par la mobilité de sa
colonne vertébrale, élément essentiel de sa structure. Ses autres signatures
sont : la platitude de sa tête, sa langue bifide, ses dents, et souvent son
venin. Le venin accentue le caractère de feu, déjà donné par la moelle de sa
longue colonne.
« Le serpent est la chose glissante, comme un limon gluant ; il sera le
prototype – ou symbole – de tout ce qui est de nature rampante, visqueuse,
ondulante, laquelle peut être ignée ou aquatique selon l’espèce représentée
par l’image.
— Le Symbole du serpent peut-il donc évoquer le « principe » du
serpent ?
— Certes ; la magie des analogues fait appel à la « Cause » réelle qui est
l’origine de la forme naturelle ; elle l’évoque par sa forme même et par son
geste essentiel. O toi, Aouab, as-tu remarqué le geste du magicien lorsqu’il
a transformé son bâton ?
— J’ai vu sa main jeter la baguette sur le sol, répondit Aouab avec
empressement.
Her-Bak rectifia :
— Il a donné à son bâton un mouvement ondulant qui a même dessiné
sur la terre la trace d’un serpent.
— Tu as bien observé, Her-Bak. Au contraire, lorsqu’il voulut faire
cesser l’enchantement, il saisit la queue du serpent et la tira violemment en
ligne droite. Ces gestes évocateurs sont exemples typiques de la magie des
analogues, définie par la relation des parentés ou lignées.
« Une cause ne peut donner des effets variés que si la genèse de l’effet
est accidentellement modifiée en cours de route : comme si de l’eau pure
traversait divers colorants, prenant ainsi des teintes qui la différencient,
mais créant, du fait de la source unique, des parentés ou « analogies » entre
ces eaux colorées, malgré la diversité des nuances.
Her-Bak posa timidement une question :
— Le geste « serpentant » suffit-il pour produire ce phénomène ?
— Il est probable, dit le Symboliste en riant, que tu l’imiterais en vain !
Il faut mettre les formes naturelles dans les circonstances favorables à
l’évocation de leur « Cause » ; ceci exige la conscience de ce monde des
Causes, et des « natures » de leurs effets.
« C’est pourquoi la maîtrise de cette magie n’est point chose vulgarisée.
— Ne la voit-on pas appliquée dans les rites et les images funéraires ? dit
Abouched qui en apercevait diverses applications. Qu’est-ce que la
figuration des nourritures offertes pour le KA du mort, sinon une véritable
évocation ? … Le peuple même la pratique, cette magie imitative, en
milliers de gestes que je serais tenté de nommer « sorcellerie » plutôt que
Connaissance.
— Attention ! dit le Symboliste, il faut être précis dans ce domaine. Les
rites et images sont répétés d’après les données de « ceux qui savent » ;
nous en reparlerons en temps opportun. Quant aux gestes magiques
populaires, ce sont des routines adoptées par la crainte ; ce sont les débris
d’une science traditionnelle, détournée de son but éducatif pour des
applications utilitaires.
« Il ne faut pas confondre maîtrise et singerie, conscience et ignorance
superstitieuse !
— Cependant, devons-nous penser que ces pratiques sont efficaces ?
— La vraie magie est la science du geste juste, de la parole juste, au
moment juste. Toute dérogation à ce principe rendra le geste inefficace.
— N’existe-t-il pas des sortilèges qui opèrent par la violence, à
l’encontre des lois naturelles ?
— Celui qui agit en violentant ces lois ne peut que les dériver
momentanément. Il en subit tôt ou tard le contrecoup.
— J’ai horreur de cette magie, conclut Abouched, mais j’ai vu beaucoup
d’hommes s’inquiéter des gestes maléfiques et réciter des formules pour
attirer les influences bénéfiques du jour. Est-il intéressant de s’adonner à
ces pratiques ?
— O mon fils, si tu étais encore dans le Péristyle, je répondrais : « Tout
dépend du but poursuivi ; d’ailleurs, si tu y crois l’effet se produira. » Mais
au disciple je dirai : « La connaissance des analogies est intéressante en soi
comme toute loi d’harmonie ; celui qui l’étudié pour en acquérir la
conscience peut profiter de son savoir pour atténuer certaines coïncidences
désharmonieuses. Mais il est trop facile de glisser dans la superstition qui
provoque, par imagination, le mal qu’elle prétend éviter. »
— Si je me vante d’un succès, demanda Her-Bak, ou d’une joie, ou d’un
avantage espéré, est-il faux d’effacer par certains gestes ou formules la
malchance qui pourrait en résulter ?
— Ces gestes et formules, expliqua le Symboliste, sont destinés à
104
compenser le doute qui compromet la chose souhaitée, ou à neutraliser
l’influence maléfique des envieux.
« Ces pratiques sont excusables chez le peuple ignorant qui se défend
instinctivement ; elles sont une entrave pour l’homme désireux de dépasser
cette animalité.
Her-Bak sollicita une précision formelle :
— O Maître, peut-tu nous dire, en vérité, s’il y a ou s’il n’y a pas de
gestes maléfiques ?
— Je te répondrai, ô mon fils, en réalité : tout geste a ses répercussions,
comme un caillou jeté dans l’eau, comme un cri poussé dans la montagne.
Ses conséquences, harmonieuses ou désharmonieuses, dépendent des
coïncidences de temps et de milieu, des sympathies ou antipathies qu’il
suscite dans la Nature.
« Or l’homme n’est pas destiné à être l’esclave de ces jeux de réaction
inévitables, mais à en devenir indépendant par conscience et
impersonnalité. Le pauvre être hanté par ces appréhensions, toujours aux
aguets des possibilités fâcheuses, est asservi par elles et crée, par surcroît,
celles qui n’existent point.
« Pour toi, disciple, cette attitude serait une chute. Elle empêche la
« dilatation du cœur » indispensable à l’Entendement ; elle nourrit le souci
personnel et la crainte peureuse qui stérilise.
Her-Bak, en remerciant le Maître, se permit une remarque personnelle :
— La crainte me révolte ; je ne comprends pas sa nature.
Le Symboliste l’expliqua :
105
— Son Symbole, sndj – qui représente une oie morte et « troussée » –
est significatif de fixation d’un volatile dont le cadavre, comme celui d’une
momie, est dépouillé de tous ses éléments de mouvement.
« La crainte est une crispation qui agit par les centres nerveux ; cette
crispation provoque une contraction qui peut freiner le cours de la vie,
coaguler certaines humeurs, paralyser les échanges normaux. Elle
désorganise le mouvement des éléments vitaux, fixant les uns, altérant la
106
nature des autres. Si tu te souviens du mot ndj , qui révèle les éléments
constitutifs d’une chose, tu retrouveras une idée analogue de
désorganisation.
— La contraction de sndj a-t-elle toujours un rôle malfaisant ?
— O Her-Bak, il n’y a point de sagesse en ta question : connais-tu une
seule fonction naturelle dont le rôle soit uniquement malfaisant ?
« Si Seth n’existait pas, y aurait-il Horus ? … Qu’est-ce que le lait caillé
qui te nourrit ? Quel est le sens de cette crainte simulée en présence du
Pharaon ?
« De même que la présure coagule le lait et dissocie ses éléments, de
même la présence du Roi est supposée agir avec si grande puissance sur ses
sujets, qu’ils doivent défaillir par un « saisissement » qui les fixe sur place,
suspend le cours de la vie et paralyse leurs facultés individuelles.
« Ce rite obligatoire est un hommage symbolique à la puissance
fascinante de la personne royale.
— Cette explication m’est une grande lumière quant au sens de sndj et à
l’influence du Roi sur ses sujets : je ne pouvais pas admettre que la crainte
dût s’allier au respect ! Mais ceci ne s’adapte pas à la crainte des dieux,
comme dans l’expression : « crainte de Moût »…
Le Symboliste dit :
— Suppose que je te commande : « Crains l’eau » ; comment
l’entendrais-tu ? Si tu tombes dans le fleuve sans savoir nager, l’eau te
tuera. Cependant elle n’est pas méchante ; mais elle ne peut pas être autre
chose que de l’eau. Par rapport à ton organisme qui ne te permet point de
vivre sous l’eau, elle agira contre toi ; car elle ne peut pas modifier sa
nature, qui lui confère la puissance” propre à son caractère et qui – si elle
n’est pas vaincue ou modifiée par une autre puissance – agira en
destructrice.
« Sache donc que notre parole « craindre » ne signifie pas « avoir peur »,
mais : prendre conscience de la puissance caractéristique de chaque force
naturelle, de chaque principe, de chaque Neter.
Le Maître se tut, et laissa ses élèves méditer en silence ses paroles.
*
**
Alors, Abouched s’adressa aux deux Maîtres et leur dit :
— Pour moi qui regarde aujourd’hui ces choses sous une lumière si
nouvelle, je suis troublé par la difficulté de discerner « réalité » et
« illusion ».
Oupouat intervint, disant :
— Un vieillard, qui passe sa vie à rêver dans les temples, m’a souvent
affirmé que tout est illusion : non seulement les fantasmagories émotives et
mentales, mais toute chose qui frappe nos sens, fût-ce les astres ou notre
propre forme.
Le Symboliste s’adressa au Maître Mystique :
— Oupouat touche au fond du problème de l’illusion ! Le Maître
répondit, parlant à tout l’auditoire :
— C’est excellent : n’est-ce point ce dont nous voulions vous instruire ?
La plus grande illusion qui puisse dévier un étudiant, c’est de s’imaginer
107
que la Mystique est une vie de rêve, cherchant le Neter dans un ciel
lointain en méditations nébuleuses.
« La Mystique est le chemin de communion avec la Cause d’où
découlent toutes les « causes ». Or ceci ne peut se faire qu’à travers la
matière produite par ces « causes », et dans l’homme même qui en est
l’expression synthétique.
« C’est pourquoi la conscience physique est nécessaire pour la
réalisation de la Connaissance ; sans elle on tombe fatalement dans
l’évocation imaginative.
— Cette forme d’évocation, dit le Symboliste, qui est la base des visions
108
trompeuses et des « révélations » fantaisistes est fondée sur la même
erreur que celle du vieillard d’Oupouat : si tout est illusion, ces projections
imaginaires ne sont pas plus illusoires que l’illusion des choses.
— Évidemment ! dit Abouched, un point étant exact, l’identique ne l’est-
il pas ? Une illusion vaut l’autre.
Le Mystique rectifia :
— Si cette parole était vraie, il n’y aurait pas de causalité – ou Verbe
créateur – ni finalement d’incarnation de ce Verbe, puisque la forme, fruit
de cette incarnation, serait illusion par rapport à la réalité de ce Verbe.
« Or cette forme, qui n’est « devenue » que par ce Verbe, est
nécessairement Lui dans une de ses spécifications ; tout notre enseignement
symbolique est basé sur cette certitude. Je dois donc admettre que la forme
passagère, illusoire quant à la valeur définitive que nous lui accordons, ne
l’est pas en tant qu’incarnation d’un Principe abstrait ou d’une possibilité de
fonction.
— Puisque nos sens sont nos éléments de contrôle, la limite de l’erreur
est indéfinissable.
Le Maître se servit de l’objection d’Abouched pour préciser ces données
essentielles :
— Si nous observons une chose, dit-il, la forme que nos sens nous en
révèlent est illusoire, parce qu’elle est relative à nos perceptions
imparfaites ; mais quant à la Forme causale ou Idée de la « chose », cette
forme est en soi-même une réalité.
« Voici un exemple : si le Verbe s’incarne en une étoile, celle-ci est
réalité en tant qu’effet du Verbe, qui ne pouvait pas, en ces circonstances,
prendre d’autres formes. Mais notre rapport sensoriel avec cette étoile
devient relatif, puisque nous ne pouvons l’observer que par comparaison.
Alors la fonction cérébrale intervient et ne voit que la forme actuelle, sans
son rapport avec la Cause qui, elle, est réelle.
Oupouat résuma ce qu’il avait entendu :
— Cette illusion due à nos sens n’a donc pas plus de valeur que la
suggestion qui modifie notre conscience des choses. Mais la forme
naturelle, dans son rapport avec sa cause, est réelle.
— Ta conclusion est juste, dit le Sage. Ce serait donc une faute grossière
de rejeter dans un monde illusoire la forme de l’Univers, sous prétexte que
tout n’est qu’apparence.
Abouched montrait un visage impatient :
— N’y a-t-il pas un jeu futile en ces définitions méticuleuses ? La
perception du monde dépend de la vision et compréhension personnelles :
elle sera donc variable selon chacun de nous.
Le disciple géomètre intervint avec véhémence :
— Comment la Vérité peut-elle être interprétée arbitrairement ? La
Vérité est absolue, c’est le Nombre. Le Nombre détermine la forme ; qu’y
a-t-il d’arbitraire en cela ?
— Je ne puis pas admettre cet absolutisme, dit Abouched : l’homme peu
doué pour cette vision abstraite a le droit de considérer comme réelle son
opinion, puisqu’il la conçoit comme telle dans sa sincérité !
— Nos Maîtres, répliqua le géomètre, nous enseignent que le Nombre est
109
réalité universelle ; la sincérité est relative à une opinion personnelle ; il
n’y a point d’équivalence entre ces deux termes.
Oupouat intervint en conciliateur :
— Il y en aurait, si la sincérité se rapportait à la conviction acquise par
une réelle expérience vitale ; si elle se rapporte à une opinion d’arguments
ou à un sentiment personnel, il n’y a point d’équivalence.
— Un homme, prétendit Abouched, ne peut pas juger la compréhension
de son voisin, car son expérience vitale n’est jamais celle de ce voisin.
— C’est évident, admit le géomètre : elles diffèrent comme diffèrent les
propriétés de deux nombres ; mais la loi d’harmonie qui les régit est la
même, comme celle qui régit ta position dans la Nature et celle de ton
voisin. L’arbitraire est exclu de ces lois.
Le Sage intervint pour rappeler aux élèves que nulle discussion ne
pouvait apporter la lumière si elle s’éloignait du point essentiel.
— Or, dit-il, les éléments essentiels de la vie et de nos réactions sont peu
nombreux ; au contraire les interprétations cérébrales sont infiniment
variées, mais elles ne sont qu’arguments et non réalités.
— Je constate, conclut Her-Bak, la difficulté d’entendre avec le cœur au
lieu d’argumenter ; les Sages qui nous ont légué leur science affirment qu’il
n’y a pas d’autre moyen de les comprendre : je me croirais stupide de
discuter encore.
Aouab sourit à Her-Bak :
— Je n’ai pas besoin de comprendre, dit-il : si je me délivre de tout ce
qui est « moi », je pourrais reconnaître tout ce qui n’est pas moi.
— Tu le peux, répondit le Mystique, si tu n’oublies pas que ton corps est
le temple de cette connaissance.
Il se tourna vers Abouched et lui dit :
— Le pur don mystique, renonçant à toute autre recherche, peut acquérir
par « transparence » une connaissance intérieure qu’il ne se soucie pas de
transcrire cérébralement. Mais ceci est un cas très rare. Dans tous les autres
cas, une discipline rigoureuse est nécessaire pour empêcher la pensée de
« re-créer » le Monde et les Neter selon sa propre image. C’est pour quoi il
importe d’enseigner ce qui est, en dépit de toute opinion.
« Mais nul n’est obligé d’accepter ces rigueurs du « Temple » ; les
bavardages du Péristyle en sont la preuve. Cependant, tu le remarqueras,
nous ne permettons jamais à ces bavardages de s’inscrire pour la postérité !
— Je comprends cette rigueur, mais elle explique, hélas ! la monotonie
de nos textes et la répétition fastidieuse des formules !
— O Abouched, tu as assez de preuves déjà pour ne pas te laisser
tromper par cette apparence. Si tu observes les anomalies des écritures, les
dispositions variées des lettres de chaque mot, et même la couleur des
signes, tu pourras bientôt déchiffrer, sous ces formules banales, des énigmes
d’un intérêt insoupçonné.
— Si je n’en étais pas certain, je n’écouterais pas la question que me
suggère mon impatience : « Qui me donnera la clé de ces énigmes ? »
— Toi-même, si tu connais un jour le secret de nos lettres.
Her-Bak voyait avec regret les Maîtres s’apprêter au départ. Il leur
présenta se requête ainsi qu’on implore un Neter :
— O mes Maîtres, si je ne savais pas la rigueur du secret entourant les
medou-Neter, je poserais une question qui pèse sur ma langue…
Le Symboliste y consentit :
— Délivre ta langue, ô Her-Bak ! Cette question, pose-la.
— Voici : je cherche le rapport entre za, pouvoir magique, sa, dos, et saa,
Sage.
— Tu avais raison d’hésiter, mon fils ! Mais puisque tu as remarqué ces
rapports, nous te donnerons un élément pour les comprendre.
110
« Le pouvoir signifié par za ne se rapporte pas à la projection des
pensées ni de la volonté, si ce n’est dans une interprétation populaire et par
extension. Ce mot exprime la puissance active du feu dont la colonne
vertébrale est le canal ; il a, dans notre corps, divers lieux de résidence et
d’irradiation. Il peut être feu Sethien, brûlant et destructeur, quand il est
contracté, ou dévié vers le sexe ou vers le cerveau. C’est pourquoi le dos est
dit appartenir à Seth. Mais ce feu, subtilié, devient vivifiant et animateur.
C’est le vrai feu magique ; il est triple dans sa nature, il peut faire vivre ou
faire mourir.
— C’est un pouvoir redoutable ! Existe-t-il chez tous les hommes ?
— Il y est en puissance latente, mais peu d’hommes savent le cultiver
sagement ; très peu savent le maîtriser. Sa puissance est parfaite lorsque
l’homme, étant animé, l’irradie sans effort personnel, comme un soleil
111
vivifiant. Celui-là est saa ; c’est l’Homme sage, chez lequel le feu
Horien domine le Sethien et le soumet à son service.
« Le même feu, non encore évolué, donne les caractéristiques et la
112
signature particulière de la « personne » sa (za) ; ce même feu, devenu
113
spermatique, transmet les caractéristiques paternelles au fils sa (za).
114
— Je remarque, dit Her-Bak, que c’est toujours la lettre S horizontale
(z) qui donne le caractère personnel et Sethien…
— … et d’opposition, c’est exact. Cette lettre spécifie, sépare et
115
particularise ; exemple : sep (fois, cas, exemple, division…).
116
« L’autre forme de S – verticale – est active et fait agir ; elle
symbolise le feu vital libéré, subtilié, dont la maîtrise donne la valeur
humaine ; c’est pourquoi nous mettons ce symbole dans la main de certains
nobles.
117
« Tu vois maintenant le sens véritable de S dans la formule royale
118
ankh oudja snb , où s’exprime ce feu parfaitement équilibré ; c’est aussi
119
sa raison d’être dans le mot snb : même sens. Es-tu satisfait, ô disciple ?

FIG. 12. – L’autre forme de s, verticale, est active et fait agir,


c’est pourquoi nous mettons ce symbole dans la main de certains nobles.

Her-Bak remercia, protestant qu’il n’osait espérer cette réponse.


Le Mystique lui dit :
120
— J’ajouterai cependant autre chose : sou , signifie « lui », autre
121
aspect de la « personne » ; or, dans les symboles royaux, sout est en
122
rapport avec le roi du Sud, et bit avec le roi du Nord. Mais, pour
désigner la Royauté, c’est le symbole sout et non celui de bit qui sera
employé. Tu en comprendras la raison si tu te souviens de ce qui t’a été
enseigné :

FIG. 13. – Si, pour tirer ses flèches, le Roi bande l’arc mieux que
n’importe quel archer, il est le principe du pouvoir pénétrant.

« Pharaon est le roi terrestre, Lui, la « Personne » par excellence dont on


s’efforce toujours d’affirmer la puissance d’action et l’importance
fonctionnelle du geste :
• si le roi court, il est ce qui se meut ;
• si, pour tirer ses flèches, il bande l’arc mieux que n’importe quel
archer, il est le principe du pouvoir pénétrant ;
• s’il est au gouvernail de la barque sacrée, il est ce qui dirige ;
• si sa main tient serrée les liens de ses captifs, s’il oblige ses ennemis à
lui servir de marchepied en « les mettant sous ses sandales », il est le geste
vainqueur qui subjugue les forces adverses.
« Il est perpétuellement l’Idée en action incarnée, c’est-à-dire
personnifiée dans l’existence terrestre. Or tu peux mettre sout en rapport
avec : la personnalité, la fixation terrestre, la couronne blanche, et la
perfection Osirienne, perfection – ou « pureté » – représentée par la
blancheur.
« Et le Neter Osiris, maître du « renouvellement » des existences
terrestres, est celui qui définit les phases de la Royauté terrestre, chaque
123 124
phase étant la boucle qui définit le nom du Roi .
Her-Bak murmura :
— Quel est donc le sens de l’abeille dans le symbole du roi du Nord ?
Le Sage se leva et dit :
— bit est en rapport avec la révélation Horienne.
VII

LE COLOSSE

Le Sage dit à Her-Bak :


— Deux sentiers peuvent guider tes pas dans la montagne : le premier la
contourne en circuits nombreux, explorant toutes ses zones, ses détails et
ses accidents ; la pente est douce, le voyage aisé, varié, distrayant. Il évite
les points périlleux ; il n’affronte jamais la cime et s’arrête aux refuges
connus.
« L’autre sentier s’élève en pentes raides, traverse sans détours les
différentes zones, longe les précipices et parvient au sommet, accessible
seulement à l’homme qui supporte la crudité de la lumière et les dangers du
sentier.
« De ces deux voies, Her-Bak, laquelle choisiras-tu ?
Her-Bak répond sans hésiter :
— Le chemin rapide et direct.
— Alors, sois vigilant : ce qui est praticable sur les chemins de la Terre
est plus ardu dans les voies de Maât.
« L’erreur de direction, discernable même en traversant le désert, ne l’est
pas toujours dans la recherche du Vrai si l’on perd le fil directeur…
— Que craindrai-je ? N’es-tu pas mon Maître et mon guide ?
— O Her-Bak, l’expérience te prouvera que le Maître ne peut
qu’indiquer le chemin ! Tant qu’il s’agit de l’exercice du jugement
rationnel, et de l’acquisition des notions qui constituent la base d’un
« savoir », un professeur peut donner à l’élève les notions précises qui lui
furent à lui-même inculquées. Ce travail fait partie d’un chemin facile et
sinueux.
« Je dis qu’il est facile parce qu’il met en action des facultés normales,
appartenant au mental inférieur et n’exigeant pas l’intervention de facultés
plus subtiles, généralement endormies chez l’Humain. Les facultés mentales
« normales » dépendent de la vitalité des parties cérébrales qui leur
correspondent, et de l’acuité des impressions sensorielles. Elles agissent les
unes sur les autres par l’analyse et la comparaison des notions enregistrées.
« Je dis que ce chemin est sinueux parce que les jeux de pensée qui en
résultent se servent d’arguments basés sur ces notions – faillibles par leur
relativité –, et qu’ils autorisent tous les détours nécessaires pour considérer
les divers aspects de la question.
« C’est un chemin sinueux et facile par rapport à la rigueur de la
recherche des Causes, qui d’une part s’appuie sur l’éveil de facultés plus
subtiles, et d’autre part est contrôlée par la connaissance traditionnelle des
Lois universelles irréductibles.
« Or la tentation est grande, pour le chercheur, d’interpréter ce qu’il
perçoit selon ses opinions et ses jugements préconçus, de se perdre dans les
détails, et de nommer absurde ce qui, pour le moment, lui est inaccessible !
« Il est dur de tourner le dos à la pensée rationnelle. Tu n’as pas peur du
gouffre ? Ton instinct cherchera l’appui d’un bâton… Tu ne crains pas le
chemin solitaire ? L’opinion des hommes te fera parfois hésiter ! En toi-
même tu trouveras l’épreuve : ton sens utilitaire, ta dialectique orgueilleuse,
voudront le fait tangible et la preuve logique alors que ton cœur ne doutait
point…
Her-Bak cherchait le motif de cette insistance. Il répondit :
— Cet avertissement sera ma sauvegarde ; je veillerai à ne point dévier,
ni par entêtement ni par lâcheté.
Le Sage acquiesça :
— Puisse ton propre Neter signer cette volonté en tout ton être !
— Mon propre Neter ? … O mon Maître, voici que, de nouveau, tu
soulèves mon problème le plus angoissant !
— C’est le problème de V « homme », Her-Bak, et c’est le problème du
roi, qui jen est le prototype. C’est le problème essentiel de l’Égypte.
« N’as-tu jamais été surpris de l’importance donnée aux statues
gigantesques de certains Pharaons ? Pourquoi un Maître de Sagesse tel
qu’Amenhotep fils de Hapou a-t-il estimé comme une œuvre capitale la
125
construction de son colosse ? Pour le comprendre il faut étudier le
rapport du principe Pharaon avec le principe du Neter et le principe de
Yhomme.
« N’as-tu pas constaté que, dans les protocoles royaux, le Pharaon est
souvent qualifié de « Neter » ? Quelle est, selon toi, la différence entre le
Neter, le roi, et l’homme ?
Ayant longuement médité, Her-Bak répondit :
— Je vois trois différences : le corps, la puissance et la perfection. La
première différence concerne le corps physique : l’homme et le roi ont un
corps, le Neter n’en a point.
— S’il n’en a point, pourquoi nos images attribuent-elles un corps aux
Neter ?
— J’ai posé cette question ; il me fut répondu qu’on leur donne des corps
pour faire habiter les dieux dans des formes qui les rapprochent des
hommes.
— C’est la réponse commune ; elle est valable pour les images, pour les
statues, et même pour les temples. Il y a, magiquement, une part de vérité
en cela ; elle suffit généralement aux croyants.
— Pour moi, riposta le disciple, elle ne suffit pas ! Je veux trouver dans
le Neter ce qui, dans le Neter et moi, est plus grand que l’image.
— Ce désir te rapproche de la réalité ; mais cette réalité doit devenir une
évidence pour toi ; car son ignorance te ferait tomber dans l’erreur opposée
à celle du vulgaire. L’idolâtrie et le spiritualisme sont deux pôles de
l’illusion humaine qui dualise tout, – même l’axe divin du Monde –, pour
pouvoir définir, comparer, condamner.
« Soit que l’homme mette sa foi dans la valeur exclusive de la Matière
(science et phénomènes physiques, plaisirs du corps ou biens matériels),
soit qu’il donne sa foi à la puissance d’une image divine : c’est toujours la
Matière qu’il adore, il donne à l’effet la valeur de la Cause… Au contraire,
s’il ne situe et n’adore l’Esprit qu’en dehors de la Matière, il commet la
faute de Seth, et nie le Créateur incarné dans la créature.
« Les Neter sont des Principes fonctionnels de la Nature. La théologie te
développera leur hiérarchie, depuis les « forces » connaissables par les
phénomènes physiques qui en sont les effets, jusqu’aux Puissances-
Fonctions génératrices de la Matière, et enfin, au sommet, les Agents
suprêmes – ou Causes – qui déterminent ces Fonctions. Leur aspect abstrait
ne peut être saisi ni par nos sens ni par notre intelligence rationnelle ; mais
nous pouvons, par ceux-ci, étudier les témoignages de leurs Qualités
essentielles à travers l’échelle des êtres terrestres. C’est pour ce rôle de
témoin que nous avons fait un choix d’animaux, typiquement caractérisés
par des fonctions essentielles.
« Or l’Humain étant le résumé de toutes ces fonctions, nous présentons
le roi comme le prototype de l’Humain : l’homme, roi des êtres terrestres
aux diverses phases de son évolution…
— … avec une différence de puissance cependant, interrompit Her-Bak :
car cette puissance me semble totale chez le Neter, grande chez le roi, et
bien faible chez l’homme !
— La puissance, dit le Sage, est une source originale d’action ; elle est
donc immanente à la nature du Neter. Mais cette puissance comporte deux
éléments : cette force naturelle, et sa possibilité d’agir. Or cette possi bilité
peut être modifiée par d’autres « Puissances Neter », et surtout conditionnée
par l’être, la chose ou le milieu sur lesquels elle agit : c’est-à-dire que ceux-
126
ci peuvent être plus ou moins attractifs (mer ) pour cette force. Ainsi
l’homme, selon sa disposition, pourra devenir son aimant (meri) ou rester
réfractaire à son action.
« Quant au roi, il a les pouvoirs conférés à lui par le Ciel et par les
hommes dans le sens où, toi, tu l’entends. Dans ce cas, l’inverse est donc
possible : l’homme peut aussi supprimer ou détrôner le roi.
Her-Bak était embarrassé :
— Quelque autre sens m’échappe sans doute, car ceci ne concorde point
avec ce qu’on écrit du roi :
« Rendez hommage au Roi toujours vivant en vous-même…
« C’est un rassasiement dans les cœurs…
« C’est un soleil qui se manifeste par son rayonnement…
« C’est un générateur qui fait évoluer le genre humain… » Mais ceci se
rapporte sans doute à la différence de perfection qui doit distinguer le Neter
du roi, et le roi de l’homme ?
— Pèse la valeur de tes mots, Her-Bak : la perfection est l’excellence
d’un accomplissement ; or un Neter étant un Principe – agent ou fonction –
de la Nature, il ne peut être ni plus ni moins parfait. Mais tu peux comparer
le roi et l’homme.
— S’il n’est point de comparaison de perfection entre le roi et le Neter,
comment le roi peut-il être nommé Neter ?
— Précisément au titre de représentant d’un Principe : le principe de
l’Homme, type royal de l’Humain pour la phase de genèse à laquelle
correspond son pays en son époque. C’est toujours l’histoire de cette genèse
qui domine tout notre enseignement, et tu dois considérer l’échelle des êtres
qui en résultent sur notre Terre – depuis la pierre jusqu’à l’homme –,
comme étant des incarnations de fonctions, qui trouvent leur aboutissement
et leur résumé dans l’Humain.
« Or entends bien ceci : un grain de blé est en soi tout le blé ; il est la
plante qui l’a produit, il est la plante à venir ; il est la perfection du blé et
résume en lui toute l’idée du blé. Toute semence est ainsi la perfection de
son espèce ; elle est l’ultime but physique de son existence, c’est-à-dire la
victoire sur la mort de l’espèce. La semence en est donc le résumé.
« Mais l’espèce, dans la Nature, n’est qu’un état de transition. En la
cause originelle, la perfection est le but. Les espèces sont les phases de
génération dans le retour vers cette perfection. Chaque espèce représente un
arrêt dans le devenir d’une fonction organique, laquelle se trouve fixée
(corporifiée) avant d’avoir atteint son but final qui est de jouer son rôle dans
l’organisme humain. Cette fonction organique, ainsi arrêtée, donne des êtres
spécifiés par ces caractéristiques fonctionnelles, participant d’ailleurs aux
lois générales de la vie : assimilation, croissance, reproduction.
« Cependant n’oublie pas que dans la création « idéelle », avant qu’il y
eût spécification, l’homme était la totalité parfaite de toutes les fonctions.
Si, dans le « devenir » terrestre, mille accidents fortuits se produisent, avec
de nombreuses déformations par adaptation, l’ensemble constitue cependant
une marche naturelle vers sa « fin » qui est l’homme, donc se trouve, en cet
homme, situé, marqué, signé.
« L’homme, synthèse de toutes les possibilités fonctionnelles de la
Nature, est donc comme la semence universelle de cette Nature. C’est
pourquoi, dans ses proportions – et même dans ses variations au cours de sa
croissance –, l’homme est un résumé des proportions, mouvements et
croissance des corps célestes. Il ne peut être qu’une mesure de son Univers.
— Il y aurait donc une science qui résumerait toutes les autres : la
science de l’homme ?
— Oui, Her-Bak : C’EST L’HOMME, mesure et clé du Grand Monde.
Le disciple écouta dans le silence les résonances de cette parole. Puis il
posa encore une question :
— Si l’homme est la synthèse de la Nature, il en est donc le roi ?
— L’homme, semence ultime et sommet des êtres vivant sur Terre, en est
le roi comme Pharaon est le roi du peuple et du pays dont il est le ferment,
127
heqa .
— Voilà qui est inattendu ! J’ignorais que le mot heqa, nom d’un sceptre
et d’un gouverneur, fût aussi celui d’un ferment.
— Ne sois pas stupide, Her-Bak, apprends la signification naïve du
symbole : heqa n’est-il pas un crochet qui peut « agripper », comme le
crochet du berger qui retient les moutons dans le troupeau ? Et n’est-ce pas
le rôle du ferment qui « saisit » la pâte et la transforme en levain de sa
nature ? … heq entre dans la formation du mot henq-t, bière, dont le
ferment donne un puissant levain.
« Ainsi Pharaon est ferment de son peuple, selon la nature de son pays et
128
de son Temps. L’étude de son nom, per âa (vulgairement traduit
« grande maison »), te révélera sa véritable signification.
129
« Le mot per – maison, lieu – contient aussi la notion de « sortir,
paraître, se manifester ».
« per exprime le « lieu » défini par ce qu’il contient et qu’il doit
manifester. Cette définition est celle de la maison, toujours caractérisée par
celui qui l’habite, comme le corps – maison du KA – est caractérisé par ce
KA. Le hiéroglyphe de per est un rectangle dont l’ouverture indique une
possibilité d’entrée et de sortie. Le mouvement de sortie est exprimé par
130
l’adjonction de la lettre r :
• per r = sortir, se manifester hors de…, donc la manifestation de « ce qui
131
était dans ». Le même mot avec l’adjonction de t, pert , exprime le
produit manifesté : graine, semence, issues du « lieu » qui les contenait
(ovule fécondé, fleur ou épi en formation). Observe maintenant les mots
formés par cette racine :
132
• kheper est l’état de gestation, de transformation ou « devenir » du
germe ;
133
• neper est le grain mûri, vivant, énergétique ;
134
• nepri est son Neter ou puissance active ;
135
• pert est le produit manifesté.
« Il y a donc une intention d’identification entre le produit manifesté
pert, la manifestation per, et le lieu-maison per, puisque le même
hiéroglyphe et la même racine définissent ce lieu.
« Ces constatations nous conduisent à cette conclusion que le nom de
Pharaon, per âa, identifie aussi le roi au lieu dont il est le principe actif.
D’autre part, le mot âa signifie la grandeur dans le sens de l’extrême limite
des possibilités de la chose qualifiée. Il s’applique donc ici à la plus grande
mesure de la puissance humaine, qui se perpétue par la succession des rois
de la même « Grande Maison ».
« Chaque Pharaon est un des moments de cette continuité. Mais
remarque aussi qu’il est « fait » de tous les pert – ou produits – que lui
apporte son royaume : les pert ou produits de l’activité de ses sujets, et les
pert ou produits de la terre qui en sont l’image. Il participe à tous ces pert,
les anime et les fait prospérer, comme un levain donne la vie à la pâte,
formant un circuit continu entre le royaume et Pharaon.
— Ce principe est-il applicable aux rois des autres pays ?
— Qu’en penses-tu, Her-Bak ? Le chef momentané d’un peuple peut-il
être autre chose que l’expression de la tendance de ce moment ? Mais ce
levain peut être régénérateur ou destructeur, selon la qualité des tendances
et la sagesse de leur adaptation.
« Pour la succession de nos rois, la sélection et la culture de l’héritier du
trône rendent cette expression plus effective encore afin que le principe
royal se perpétue, en se renouvelant selon la nature de chaque époque. Si
même une époque est particulièrement caractérisée, le Pharaon peut, pour le
principe, être dit « son Neter ».
— Ayant ainsi porté le principe royal « à sa plus grande mesure », je
comprends, dit Her-Bak, qu’on lui élève des statues qui doivent sans doute
exprimer les caractéristiques de chaque Pharaon ?
— Chaque statue exprime effectivement les rapports de mesures, de
nature et de fonctions avec la phase qu’il représente.

« La statue royale idéale est le Colosse, qui situe Pharaon comme témoin
de cette phase et symbolise l’homme, image et mesure de son Univers.
— O mon Maître, je comprends l’importance de la statue, si elle
enseigne par ses détails et ses proportions une telle réalité !
— Sur cette réalité, mon fils, est basé tout notre système de symboles.
Dans les anciens Temps, nos Sages furent prudents pour son application
afin de ne point profaner le sens vital, secret, de la corrélation universelle.
Avec la décadence, les mots et les détails se sont multipliés, révélant
certains éléments tenus en réserve jusqu’alors ; l’étudiant consciencieux
trouvera confirmation de ceci à chaque pas. Mais notre architecture a gardé
sans déviation l’enseignement rigoureux des Lois universelles.
« Et le Colosse demeure la grande leçon de l’homme.
*
**
L’HOMME
« Il ne s’agit pas ici d’étudier en détail le corps humain. Je situerai
seulement les points essentiels qui, par leur symbolisme et leur nom, sont
déjà un enseignement.
« Il est intéressant de remarquer d’abord que les mesures de longueur ont
été basées sur les bras et les mains, avec le doigt comme unité.
« L’homme est considéré ésotériquement comme une étoile à cinq
136
branches ; la branche supérieure dessine le tronc avec la tête ; les deux
branches latérales sont les bras ; les deux tiges inférieures sont les jambes
qui touchent la terre.
« Les bras et les mains servent de mesure ; l’avant-bras â, qui, avec la
main, donne la coudée, est aussi le symbole de l’individualité.

FIG. 14. – « Les danses par les danseurs. »

« Les mains agissent, donnent ou reçoivent ; mais le côté droit est actif
alors que le gauche est passif ; tu sauras donc que s’il nous arrive de figurer
un personnage avec deux mains droites ou deux mains gauches, cela dénote
l’intention de spécifier son caractère actif ou passif dans ce cas particulier.
« Le dos, soutenu par la colonne vertébrale, est nommé iat, comme les
choses axées par deux pôles : Nord-Sud, haut et bas (bâton, perchoir, etc.).
« Son pôle Nord, la tête avec la boîte crânienne totale se nomme tep ;
• son pôle Sud, le talon et la plante des pieds, est appelé tb.t ;
• les douze côtes – qui enveloppent la poitrine comme une sphère à
double spire – se nomment spr. Or il faut observer que ce cadre qui se
gonfle et se dégonfle suivant le mouvement de l’aspir ou de l’expir porte le
même nom que la fonction spr, qui signifie « aspirer, tendre vers,
implorer »…
« La racine men, contenant l’idée de base, de fondation, de stabilité,
donne les noms de la cuisse – mena, base et stabilité du tronc –, et du sein,
base nourricière pour l’enfant.
« Si tu veux connaître la formation, nutrition et transformation de notre
chair, tu devras étudier les viscères de la nutrition et de la génération
contenus dans le ventre, khat, en te souvenant que le mot khet exprime
également le bois, la « chose », et un feu ; khat est aussi le nom du cadavre.
« Quant aux organes d’animation et de régénération, ils sont situés dans
la cage des côtes qui contient le hati, c’est-à-dire le groupe du cœur et des
poumons, inséparables dans ces fonctions. Le cœur de chair, àb, est un
137
danseur àb dont le mouvement de contraction et dilatation est le
propulseur de l’activité vitale et le mobile de la vie animale. Il régit le
rythme du flux sanguin.
« Mais le cœur, seul, ne pourrait pas remplir son rôle de moteur
animateur : il est assisté par un organe double, les poumons, où se
138 139
rencontrent le feu de l’air porté par le souffle nef , et le sang, senef .
De même que le feu ne peut vivre sans air, de même le cœur de chair a
besoin des poumons, sma, pour animer le sang et unir l’air au feu.
140
Her-Bak esquissait sur le sol le symbole de l’union, sma :
— L’union des poumons est-elle la cause de leur nom, sma ?
— Certainement, si tu donnes à ce mot son sens véritable ; sma signifie :
allier – pour les animer –deux éléments de même origine (mais qui ont été
séparés), de telle manière que chacun participe aux qualités de l’autre et
s’en améliore, sans cependant se confondre avec lui.
141
— Je comprends le symbole sma taoui (alliance des deux Terres) : les
fleurs du Nord se nouent, au centre, avec les fleurs du Sud, et cependant
vivent chacune pour soi.
— Ainsi font nos Deux-Terres, dit le Sage : unité par alliance dans le
gouvernement central, sans se confondre.
« Hati est donc le nom de cette triade qui donne l’impulsion vitale
142
organique. Le symbole du hati est la partie antérieure du corps du lion,
portant le cœur de cet animal solaire et sa poitrine au souffle puissant. Sa
143
tête, avec sa crinière caractéristiquement solaire, complète le symbole .
« Les poumons, aspirant l’air, sont animés par le souffle d’Amon, tandis
que le cœur obéit à l’impulsion de Râ et de son Verbe Horien, her.
« Et toute la vie de l’être humain ainsi développé, nourri et animé, est
144
reflétée dans sa face, her .
« La face est donc le miroir du Verbe her, dont les cinq modes
d’expression sont perçus par les cinq sens. Or il est dit que la céleste Hathor
145
est la « maison du Verbe Horus », comme l’enseigne son nom, het her .
C’est pourquoi nos images représentent souvent la forme d’Hathor
isolément.
Her-Bak se récria :
— Parles-tu de cette face étrange qui porte des oreilles de vache ?
Comment faut-il interpréter ce symbole ?

FIG. 15. – Le symbole de l’union, sma. La plante du Nord (sous


la couronne rouge) se noue au centre avec la plante du Sud
(sous la couronne blanche).
— Très simplement, par la nature même de cet animal. La vache est le
mammifère passif par excellence. Or l’oreille est essentiellement passive :
sa perfection d’audition est proportionnée à sa passivité. De même la
neutralité est la condition de l’Entendement pour l’oreille intérieure.
146
« Le nom de l’oreille est mesdjer , formé des racines mes (naître, ou
né) et djer qui signifie « limite » et « lier ». Son nom symbolise ses deux
fonctions essentielles : djer (limite) est une allusion au fait que, dans les
canaux de l’oreille interne, siège le sens de l’orientation c’est-à-dire les
directions de l’espace qui nous « situent ». C’est ce centre qui nous donne le
sens de l’équilibre.
« La signification de mesdjer – naître et lier – attire l’attention sur la
manière particulière dont l’oreille exerce le sens de l’ouïe, car elle relie
directement les sons ou « verbes » perçus par les deux oreilles.
« C’est leur réceptivité pour le « verbe » qui a motivé leur appellation :
« les vivantes », et qui les met en relation avec Hathor mère d’Horus.
— L’oreille doit avoir quelque rapport avec Ptah, puisque j’ai vu des
stèles d’imploration à Ptah, sur lesquelles on a gravé des oreilles.
— Ptah est le feu corporifié, qui fut donc conçu dans une « oreille »
terrestre, c’est-à-dire dans la matière passive, inerte (terre, ovule, etc.), dont
il devient alors le mobile, créateur de forme corporelle.
« Hathor, la vache céleste », est la divine passivité qui reçoit et conçoit
sans cesse tous les aspects du Verbe. Elle est l’aspect céleste (cosmique) de
la passivité dont Moût est l’aspect terrestre. Maintenant tu pourras
comprendre le symbole de l’oreille passive.
— L’œil n’a-t-il pas aussi un rôle passif ?
— L’ŒIL a double fonction : il reçoit la lumière et il émet une énergie.
Mais les yeux sont essentiellement doubles : leur vision est dualisée et
croisée dans le cerveau ; c’est pourquoi nous symbolisons la vue – maa –
par les deux yeux accompagnés de la faux séparatrice. Leur caractère est
double aussi : l’œil droit est solaire, et le gauche lunaire. Le nom de l’œil
147 148
est àr.t , dont la racine àr signifie « faire » dans le sens de créer,
149
d’œuvrer. Ne confonds pas avec le mot dy ou rdy , dont la signification,
« faire », est prise dans le sens d’exécuter.
150
« Le nom de l’ODORAT (sentir l’odeur) est khnem . D’autre part
l’odeur est appelée seti, nom identique à celui de la semence qui « donne
forme » à la matière réceptrice (ovule, etc.). Or la fonction de « sentir » –
khnem – porte le même nom que Khnoum, le Neter potier qui « donne
forme » à la matière fécondée.
« Quant au sens du GOUT, le nom de son Neter est hou, qui signifie en
même temps le principe nourricier de tout aliment, et le principe du
« goût ». Dans la bouche est située la faculté du discernement des saveurs,
parce que les sels ne sont actifs que dans la dissolution, et que le milieu
humide est nécessaire pour discerner les différentes sapidités de la
substance matérielle. La langue est l’organe charnel qui « prend » la
nourriture, la malaxe avec l’aide des dents, et en déguste la saveur ; elle est
aussi le siège d’un tact très subtil. Enfin, elle est en rapport avec les organes
de la nutrition dont elle est le miroir.
151
« Le nom de la langue, nés , mérite d’être considéré, car les deux
lettres de ce mot, n et s, désignent les deux aspects du Feu qui anime le
monde.
— O Maître, supplia Her-Bak, pourrais-tu m’expliquer cette grande
chose ?
— Les medou-Neter sont là pour t’apprendre à les approfondir.
J’ajouterai ceci pour t’aider : la prononciation de ces deux lettres se fait par
152
le bout de la langue, avec le souffle du nez pour n , et le souffle de la
153
bouche pour S .
« Or ns est la double source d’Énergie de l’Homme-Univers ; l’une, n, se
manifeste surtout dans le sang et ses qualités ; l’autre, s, dans la moelle et ce
qui en dépend. Remarque maintenant que l’inversion de ces lettres donne la
154
racine sen qui signifie « deux ».
Her-Bak reconnut l’évidence :
— Le fait de les avoir choisies pour former le mot « deux » permet de
croire qu’elles expriment ce qui est le plus caractéristiquement double.
— La conclusion est saine : sache ne pas l’oublier.
« Ce que tu dois retenir pour suivre la pensée de nos Maîtres, c’est que
tous les organes coopèrent au fonctionnement du « tout », sous la direction
du cœur et de la langue comme le disent nos textes : « tout ce que voient les
yeux, ce qu’entendent les oreilles, ce que sent le nez, toutes ces perceptions
viennent vers le cœur qui les synthétise en conscience vitale ; ce qui sera
ainsi conçu sera « répété » par la langue et œuvré par hati. »
« Ainsi se fait, à l’imitation de la création et par œuvre circulaire, la
manifestation de toutes choses. Et si tu écoutes en toi les divers sens des
mots « cœur », « hati », « langue », tu pourras comprendre les rapports des
organes humains avec les organes cosmiques, et les fonctions cosmiques
représentées par les fonctions humaines.
« De même, tu peux étudier les relations des sens avec les éléments
constitutifs du Monde. Tu viens d’entendre la raison pour laquelle le goût
est le sens de ce qui est liquide (élément eau) ; la vue est le sens de ce qui
est rayonnant (élément feu) ; l’odorat est le sens de ce qui est vaporeux
(élément air) ; le toucher est le sens de ce qui est corporel (élément terre).
« Mais cette définition est l’explication commune des rapports évidents
entre les états de la matière et les organes sensoriels ; c’est le point de vue
pratique, ou effectif.
« Il est un autre point de vue, moins évident parce que d’ordre plus subtil
et causal, qui considère la qualité génératrice de chaque sens et sa source
élémentaire (principielle).
« La passivité Hathorienne, génératrice du Verbe, est la source de la
qualité d’audibilité. Mais cette « face céleste » contient aussi les quatre
autres génératrices :
• le Feu-Lumière est cause de la qualité de visibilité ;
• l’Air (essentiel) est cause de la qualité de tangibilité ;
• l’Eau (essentielle) est cause de la qualité de sapidité ;
• la Terre (essentielle) est cause de la qualité d’odorabilité.
« Tu remarqueras que ce point de vue est différent de ma première
définition quant aux rapports élémentaires du tact et de l’odorat : il s’agit
ici, en effet, de qualités secrètes de l’Air et de la Terre considérés comme
facteurs de genèse. C’est cet aspect qui les rend « secrètes », c’est-à-dire
non révélées communément. Pour la Terre, compare ce qui vient d’être dit
au sujet de Khnoum et de l’odorat. Quant à l’Air, cause de la tangibilité,
souviens-toi que c’est le Neter de l’Air, Chou, qui, en séparant « ciel » et
« terre », leur donne une existence tangible par cette dualisation.
155
— Puisque la face, her , porte les organes des sens, dit Her-Bak, elle
est comme un miroir dans lequel se reflète tout ce que nous pouvons
percevoir.
— Effectivement ; et c’est le motif pour lequel le mot her désigne aussi
le chef – heri –, dont le rôle est de se tenir en contact avec le monde
extérieur par ses facultés de perception : voir, entendre, observer. Il « fait
face » aux administrés, et représente l’autorité suprême qui, par lui, peut
être avertie, renseignée. C’est pourquoi il ne faut jamais oublier que la
signification profonde du mot her est : le sens de la présence. Lorsque tu dis
« her àb », pour exprimer « dans », « au cœur de », tu dis exactement :
« qui est présent au cœur de » ; her sa – derrière – signifie « présent
derrière » ; et de même pour les autres formules qui emploient her en ce
sens.
— C’est la présence exprimée par l’exercice des sens de la face,
156
confirma le disciple. Mais pourquoi le signe du ciel est-il si souvent
157
ajouté au titre du chef, her ?
— Parce que ce signe, nommé her dans ce cas, exprime la position « au-
dessus », « supérieure ».
« La tête de l’homme dessinée de profil et contenant le cerveau,
symbolise un autre aspect de l’autorité.

158 159
C’est le sommet du corps humain, tep , renversement du ciel pet ,
monde des idées, reflet du monde des archétypes. C’est le centre de
relation, comparaison, oragnisation et commandement. Le chef tep n’est pas
forcément en rapports directs avec ceux qu’il dirige ; c’est pourquoi tu
trouveras le plus souvent les deux mots accolés – heri tep –, car presque
tous les chefs de notre royaume sont obligés de cumuler les fonctions
d’observation et de commandement pour assurer l’exécution des lois.
— O Maître, tu nous as enseigné que le cerveau a un rôle secondaire par
rapport à l’intelligence intuitive ; comment se fait-il que, dans les images de
certains textes funéraires, la tête soit représentée isolée, parfois sortant
d’une butte ou d’une plante, comme si elle était l’élément survivant du
défunt ?
— Ton interprétation est inexacte, parce que ton ignorance des divers
éléments de l’être la rend encore incomplète. En attendant une instruction
plus précise, souviens-toi que la tête humaine n’englobe pas seulement les
organes de la pensée et les localisations cérébrales de toutes les fonctions du
corps ; elle contient aussi les centres physiques, sièges des états supérieurs
(spirituels) dont nous parlerons plus tard, et qui, lorsqu’ils sont éveillés,
sont en liaison avec le cœur spirituel. De sorte qu’elle est un petit monde
total, où sont représentés, en poste de commande, tous les « états d’être » et
toutes les activités possibles de l’homme.
« Enfin c’est dans la tête que s’accomplit le plus haut mystère de la
« sublimation », en énergies subtiles, des éléments physiques élaborés par le
corps, de même que les sens corporels – qui ont leurs organes dans la face –
s’y transforment en « sens spirituels ».
« C’est pourquoi la tête représente la plus haute gestation des fonctions
humaines, et la symbolise après son existence terrestre.
Le disciple écoutait avec une attention soutenue, et redoutait la
possibilité d’une erreur d’interprétation.
— Un enseignement si important, dit-il, ne doit laisser subsister aucun
doute ; peux-tu m’éclairer sur ce point : si l’« Intelligence du Cœur » doit
concevoir la Connaissance comme le « produit lié » de toutes les
perceptions, je ne peux pas comprendre – malgré ce que tu viens de
m’apprendre – pourquoi la tête, tep, est le symbole du chef qui coordonne et
commande ?
— Certes, dit le Sage, cette question demande une réponse, car une
instruction incomplète pourrait fausser ton jugement. Or ton idée du chef
est incorrecte : le chef, heri, tep, ou heri tep, n’est ni le roi – ferment de son
peuple – ni l’animateur spirituel du royaume et du roi. Je t’apprendrai, au
moment favorable, ce que tu dois savoir de cette double autorité. Mais tu
peux, dès aujourd’hui, en trouver aussi l’image dans l’homme, où sont
représentés – ne fût-ce qu’en ébauche – tous les échelons de la conscience.
« De même que la lumière ardente de Râ est reflétée par la Lune en
lumière froide et atténuée, de même la vision du cœur est reflétée par le
cerveau. Mais alors que le cœur synthétise toutes perceptions et en crée la
conscience vitale, le cerveau les sépare et les localise ainsi que les autres
fonctions de comparaison et de coordination, qui sont les éléments du
discernement rationnel indispensable au chef. C’est pourquoi le nom du
160 161
cerveau aàs est l’inversion de sàa qui est la conscience du cœur.
— Je croyais que l’organe cérébral était nommé âmm ?
— Si tu veux connaître la nature des choses, tu dois étudier
attentivement le nom qui leur est attribué, et la raison de cette attribution.
« Le nom des viscères de la tête est aïs (a i s), ce même mot désigne
aussi les viscères du ventre. Ce n’est point surprenant si l’on observe la
ressemblance de leurs deux masses aux multiples replis. L’analogie de leurs
fonctions est aussi réelle que l’apparence : le cerveau, aàs, reçoit les
impressions perçues par les sens, comme les intestins reçoivent les aliments
préparés par l’estomac.
« Or, la séparation et localisation des diverses substances de cette masse
alimentaire se fait dans les lieux de l’intestin spécifiés pour cette sélection.
De même, divers « lieux » des circonvolutions cérébrales captent – chacun
selon sa fonction – chacune des perceptions sensorielles. Ces perceptions
étant ainsi isolées et situées, sont ensuite, dans d’autres lieux
« fonctionnels » du cerveau, comparées, critiquées, puis projetées hors de
l’organe matériel en « idées ».
« Les diverses parties des viscères de la tête agissent donc comme celles
des viscères du ventre, sélectionnant les éléments reçus selon leurs
« affinités fonctionnelles » particulières. Mais il faut discerner ici les
fonctions organiques matérielles – donc quantitatives – d’avec les fonctions
plus abstraites, d’ordre qualitatif.
« C’est ici que la Sagesse de notre langue te permettra d’entrevoir
vitalement ce qu’une spéculation ne pourrait pas exprimer.
« Compare ces deux mots :
• le premier mot, ais, nom des viscères d’en haut comme de ceux d’en
bas ;
• le second mot, âmm, qui exprime une fonction attribuable aussi bien au
corps matériel qu’à la personnalité « pensante » : c’est la fonction d’ingérer,
d’absorber, d’un côté les aliments, de l’autre les perceptions. Je parle ici de
la fonction immatérielle, cause du geste physique de l’organe qui, sur son
impulsion, avale et incorpore.
« Cela est juste pour l’animal qui engloutit la proie convoitée, pour le
cerveau qui absorbe les perceptions des sens, et pour l’« avaleuse » des
162
morts, Ammit , laquelle n’est pas autre chose que la Nature réabsorbant
en elle les éléments qui, dans le corps en décomposition, appartiennent à la
Nature.
« âm est la racine qui exprime cette fonction.
« âmm, par le redoublement de m, donne l’idée de renfermer en soi,
d’accaparer, â donne la notion de mesure individuelle. En effet : Nature,
ventre et cerveau, absorbent proportionnellement à leur capacité.
« Considère maintenant aïs comme l’organe matériel (viscères,
cérébraux et abdominaux) ; et sia est le fruit immatériel des perceptions
assimilées par l’Intelligence du cœur.
« Quant au produit de l’organe cérébral ais, c’est-à-dire les pensées, elles
sont la résultante d’un apport extérieur d’une part : idées émises par
d’autres cerveaux, et reçues par la faculté mentale d’absorption âmm ; et,
d’autre part, d’un acquis personnel : constatations sensorielles ou intuitives,
transformées par les comparaisons, dissociations et associations des notions
enregistrées. Ces pensées individuelles deviennent alors des formes
mentales réellement émises par le cerveau ais, et qui peuvent être reçues par
la fonction absorbante âmm d’autres cerveaux, sans l’intermédiaire de
paroles ni d’écrits, donc par évocation.
« Comprends ceci, Her-Bak : de même que la sphère de rayonnement du
Soleil dépasse son globe physique, àten, et lui fait une sphère de chaleur, de
lumière et de diverses radiations, de même ton « corps fonctionnel » de
pensées, âmm, dépasse ton cerveau organique ais ; et c’est cela qui te
permet de rappeler à toi les souvenirs et les idées inscrites des âmm, par
l’appel des centres correspondants de ais, lesquels n’en sont que les relais
organiques.
Her-Bak s’efforçait de s’assimiler le symbolisme positif des hiéroglyphes
et le sens des racines, dont il apercevait maintenant l’importance.
— Cette leçon ardue, déclara-t-il, m’était vraiment indispensable pour
apprendre comment le jeu des lettres peut enseigner SANS THÉORIE, par
l’évocation symbolique, la relation entre les « causes fonctionnelles »
subtiles agissant dans le corps humain, et les fonctions organiques qui en
sont l’expression.
— Ton effort a porté son fruit, dit le Sage. Tu as compris exactement le
but de mes explications, qui doivent te servir d’exemple pour déchiffrer
notre enseignement. Mais tu devrais encore concentrer ton attention pour
apprendre à tirer toute la moelle du sujet. Peux-tu me résumer ta conclusion
actuelle ?
— Si j’ai bien entendu, dit Her-Bak, les lieux organiques du cerveau ais,
et le corps fonctionnel non matériel, âmm, collaborent à l’élaboration des
pensées qui s’inscrivent en âmm, et le jeu des organes ais peut retrouver à
volonté les notions inscrites ?
— C’est exact, mais cela réussit proportionnellement à la vigueur et à
l’équilibre des viscères ais : c’est ce qu’on appelle la bonne ou la mauvaise
mémoire. Cela prouve aussi la relativité et failhbilité des notions ainsi
enregistrées, puisqu’elles proviennent de coordinations plus ou moins
parfaites des apparences.
« Autre chose serait la transcription, par la pensée, de la connaissance sia
acquise par le cœur. Cette conscience est une mise en rapport de la chose
perçue avec ce qui y correspond en nous-mêmes. En opposition à cette
réalité, j’ai nommé « excréments » les pensées résultant d’une association
de notions extérieures à ton être réel.
« Le monde – ou l’état – âmm, est l’état d’absorption perpétuel de tout ce
qui, dans la Nature, est mesurable et assimilable quantitativement : aliments
matériels ou concepts rationnels. C’est l’avidité de la Nature.
« sia est le monde – ou l’état – dans lequel la transformation de
l’impulsion Sethienne (séparatrice, analysante) en impulsion Horienne
(synthétisante), permet le discernement entre le personnel ou particulier (à
163 164
ou i ) et l’Universel (a ), ce qui est le sens critique du Sage.
« Ainsi nous retrouvons encore le concret (ais) capable de conduire, par
son renversement, à l’abstrait sia dont le fruit est immortel.
« Mais pour que mes paroles éveillent ta logique vitale et ne soient pas
traduites en notions figées, tu dois apprendre à discerner ces deux
mentalités, profitant de la plus complexe pour enregistrer les détails
révélateurs, mais sachant éviter l’analyse d’éléments « disséqués », qui en
détruirait le lien vital et obscurcirait l’idée simple originelle.
Her-Bak ne put cacher sa perplexité :
— Mon Maître pourrait-il me dire comment je puis penser que la pensée
est inutile pour acquérir la Connaissance ?
— Rien dans l’homme n’est inutile à l’homme ; mais il faut attribuer à
chaque élément son juste rôle. Ta pensée doit traduire ce que ta conscience
a gravé dans ton corps entier ; l’inverse est un chemin d’erreur : si tu inscris
en ta conscience ce que, par arguments, tu as élaboré, il en résultera des
imaginations et des systèmes arbitraires. Tu ne peux rien inventer ; tu dois
165
t’assimiler ce qui est en réalité . C’est le renversement de la mentalité où
le cerveau est roi.
« L’instinct – ou conscience animale comme celle des fourmis ou des
abeilles – connaît sans effort de pensée les corrélations animiques de la
Nature, sans cependant pouvoir coordonner les notions. Mais l’homme,
doué de raison, qui croit en l’Esprit incarné, et qui donne à sa conscience
supérieure la prépondérance sur la pensée, cet homme dépasse l’instinct
animal et développe l’intuition.
« Je t’appelle dans le vrai chemin, Her-Bak ! Je te parle, moi homme
vivant, à toi homme vivant ; je ne distingue pas ton esprit de ton corps, car
tout ton corps est nécessaire pour saisir cet enseignement. Tu ne sais rien du
Neter, peu de choses du roi ; tu es homme, l’homme est ton Univers ; par lui
tu sauras tout si tu tournes le dos à la science de Seth.
« Mais pour cela, tu dois connaître ce qui fait la supériorité de l’homme
sur l’animal, et même sur l’animal humain – c’est-à-dire sur l’homme
terrestre n’ayant reçu que la première animation. C’est cette première
animation, ainsi que la qualité de son KAindividuel, qui le distingue des
animaux supérieurs.
« Or l’homme serait capable de recevoir deux animations : l’une aboutit
à l’extrême possibilité de la Nature ; l’autre est l’origine d’un retour vers la
Cause.
— Si la première animation aboutit à la fin de la Nature, cette Nature ne
peut donc rien faire de plus parfait que l’homme ?
— C’est exact. L’homme, né de la femme – c’est-à-dire l’Humain –, est
le plus parfait des êtres qui portent en eux leur semence pour se reproduire
sur Terre.
— S’il en est ainsi, la seconde animation doit conduire l’homme au delà
de cette Nature ?
— Elle doit le conduire au delà et en deçà, car ce principe animateur qui
est son KAdivin, est de l’essence même de l’Imprononçable ; il est
indépendant de la Nature et de ses Neter, qui n’ont d’influence que sur ses
KAinférieurs.
— Mais la Nature est-elle dépendante de l’Imprononçable ?
— Nécessairement, sans quoi il y aurait deux absolus. Mais elle est
soumise aux cycles du Devenir, dont le KAdivin est indépendant.
— Tu as dit : « L’homme né de la femme » ; y a-t-il un homme qui ne
soit pas né de la femme ?
— La femme donne toujours le corps terrestre ; tandis qu’elle le geste et
nourrit de sa propre substance, se produisent les animations « premières »
de ce corps ; ce sont les deux moments critiques du quarantième jour et du
quatrième mois.
« Il y a, dans la vie de l’homme en dehors de la matrice de sa mère, une
continuation de la génération qui est celle de la conscience du
KAindividuel ; et c’est aussi à la quatrième période de son âge (sur Terre)
que se fait cette animation.
« Alors commence, pour ce « roi des êtres terrestres », la possibilité d’un
règne qui dépasse l’Humain-terrestre par la culture de cette conscience
supérieure qu’il doit gester en lui comme son corps fut geste par sa mère.
Ce faisant, il s’affranchit des lois de la Terre ; et cela d’autant plus que
l’influence de son KAdivin devient prépondérante.
« C’est ici la semence du « vrai Roi ».
« Ce vrai Roi est la semence de son être incorruptible ; c’est l’Horus
humain « tissé » par son KAdans l’homme qui a cultivé ses rapports avec ce
KA. Son royaume n’est pas de cette Terre, car cet homme, ainsi que tu le
supposais, rayonne au delà de cette Nature.
— Où est le siège de ce Roi ?
— Dans son cœur. Ce n’est pas une vaine parole, ni un mythe, ni une
image. C’est une réalité positive. Mais crois-tu connaître ton cœur ?
— Je sais qu’il fait vivre mon corps, mais je ne le connais pas.
— Le cœur qui fait vivre ton corps est le vase de chair, distributeur du
sang : àb, l’éternel assoiffé dont le rythme gouverne ta vie. Ce rythme, il
l’impose à tout ton organisme, comme les émanations de notre Soleil Râ
s’imposent, selon leur degré d’intensité, aux « errantes » (les planètes) qui
vivent dans son orbe.
« Râ, cœur de notre monde, ainsi que le cœur – soleil de notre corps – ne
pourraient accomplir leur rôle animateur si leur forme matérielle était leur
seule réalité… destructible puisque corruptible !
« Or nos textes parlent toujours du « Soleil indestructible »… Lorsqu’on
recommande au défunt de ne pas perdre son cœur – àb ou hati – dans
l’autre monde, on n’entend pas, évidemment, l’organe de chair enfermé
dans la tombe !
« Le cœur, ainsi que le Soleil, est le centre d’un monde ; il a, comme lui,
deux aspects : l’un est visible et corporel, l’autre n’est perceptible que par
166
ses effets. De même l’àten solaire (ou disque apparent) est le corps de
l’astre réel, centre de sphères de lumière, de chaleur et de diverses énergies.
« Le véritable cœur solaire est la source de cette énergie qui donne la vie
à notre monde.
« Le cœur de chair, àb, est le corps de ce soleil de vie et de Feu qui est le
centre de rayonnement de l’âme BA dont l’aspect inférieur est porté par le
sang.
« Notre vrai cœur solaire, centre d’attraction de notre KAspirituel, est le
centre de ralliement de tout ce qui, en nous, le désire et accepte ses
impulsions.
« Le cœur de chair, qui en dépend et qui bat dans sa sphère, peut alors
être équilibré et animé par lui.
« Alors ce cœur total devient un cœur de feu, un centre de Lumière, une
source de vie qui a toute puissance pour soumettre les esprits animaux de
notre « personnalité »…
*
**
Her-Bak méditait ces paroles, qui donnaient à sa vie un but immédiat.
— Mais le Maître savait que la « vision », pour se fixer, devait se
rattacher à un élément positif.
— Je t’ai montré le but, mon fils, lui dit-il. Il importe maintenant que tu
comprennes le « moyen ». Es-tu capable de le trouver dans mes explications
sur les medou-Neter ?
— Si j’ai bien entendu le sens de tes paroles, dit Her-Bak, je crois
pouvoir conclure que l’homme a deux moyens de comprendre et de
coordonner, selon qu’il accorde son intérêt à l’intelligence comparative, ais,
ou à l’intelligence intuitive, sia ?
— C’est en effet le problème tel que tu viens de le poser. Nos Maîtres y
ont donné une telle importance qu’ils l’ont fixé dans une formule : « hou est
dans la bouche et sia dans le cœur ». Tu as appris que hou, Neter du goût,
est le principe du discernement des saveurs, donc matériel. Si tu te
remémores la leçon des medou-Neter, tu sauras que la double lettre aà (ai)
symbolise les deux aspects de l’Activité originelle : i exprime le « Moi » et
a exprime le « non-Moi », c’est-à-dire le « Soi ».
« sia est le discernement du Moi et du Soi. C’est donc le principe de la
Sagesse, c’est-à-dire de la connaissance de toute chose. C’est
l’Entendement, qui donne la conscience vitale.
« L’intelligence comparative, ais, étant conditionnée par la puissance et
la précision des facultés cérébrales, ses conclusions sont relatives.
« Dans ce jeu de ais et sia, intervient la personnalité qui, recevant la
Connaissance sia, peut se « laisser porter » docilement, ou réagir en lui
faisant obstacle : là est le principe de l’émotion. Si cette émotion n’est pas
étouffée ou déviée par une interprétation rationnelle, elle sera intéressante,
car c’est elle qui manifestera organiquement la conscience de ce qui a été
révélé. Elle agit par le plexus solaire sur le cœur, et éveille la Lumière du
« cœur solaire », d’où vient le nom d’« Intelligence du Cœur ».
« La maîtrise de ces facultés, avec soumission totale de la pensée à
l’Intelligence du cœur, est exprimée par saa, d’où est éliminé le principe du
Moi i, et qui signifie : le principe de Sagesse.
Her-Bak, aux pieds de son Maître, ne savait comment exprimer sa
gratitude. Il murmura :
— Il est donc une voie qui conduit à la Connaissance… et l’homme peut
choisir ! Je comprends maintenant le chemin.
Le Maître prit les mains du disciple dans les siennes :
— Oui, Her-Bak. Aujourd’hui est ton « troisième jour ».
Her-Bak écoutait l’émotion qui enflammait son cœur ; il l’accueillit
comme un don du Neter, et il se sentit fortifié d’une certitude nouvelle.
— Maintenant que tu es sur le « chemin », il est un moyen facile de t’y
maintenir : c’est d’admettre, sans critique arrogante, la réalité de la tradition
transmise de la bouche à l’oreille et gardienne de nos secrets.
« Quelques-uns de nos préceptes te révéleront maintes énigmes si tu sais
les lire, et si tu les « entends » selon la pensée qui les a formulés. Écoute
donc ceux-ci, et vois si ce n’est pas la confirmation véritable de mon
enseignement sur le cœur :
« Celui que Dieu aime, il « écoute », mais celui qui « n’écoute pas » est
haï du Neter (opposé à son cœur sia). »
« C’est le cœur qui fait que son maître écoute ou n’écoute pas… »
« Ce que l’on souhaite à un homme par la formule « Vie-Santé-Force »,
c’est la perfection de son cœur… »
« Le cœur d’un homme, c’est son Neter personnel. »
« Her-Bak, comprends-tu maintenant ton propre Neter ?
VIII

LE CIEL

Le Sage ayant fait appeler son disciple le conduisit en silence devant la


porte symbolique d’un enseignement supérieur.
Il le fit entrer et lui dit :
— Mon fils, un an, jour pour jour, s’est écoulé depuis que tu as franchi
cette porte. Est-ce le même seuil que tu viens de fouler ?
— Certainement : cette porte est la même.
— Est-ce le même lieu dans lequel tu te retrouves ? Le disciple regarda
le Maître avec surprise :
— Il ne peut pas en être autrement !
— Et cependant, Her-Bak, le lieu n’est plus le même. Une année s’est
accomplie ; un circuit a refermé sa boucle ; un autre a déjà commencé. Le
Temps a déplacé le « lieu », car rien n’est immobile dans l’Univers. Et toi,
crois-tu donc être resté le même ?
— La confiance joyeuse éclaira la réponse du disciple :
— Je crois que ton enseignement a changé ma mentalité et transformé en
forces vives mes plus mauvaises résistances.
— Ne dis pas seulement « notre enseignement » : la méthode de
concentration et de méditation que tu as appliquée depuis ton entrée dans le
Temple a développé ton Entendement ; tu as appris à transcrire par ta
pensée ce que tu as perçu par ton cœur. Tes propres expériences t’ont
prouvé l’efficacité de notre système symbolique, pour enseigner ou pour
voiler les mystères de la Nature. Tu as reçu les directives élémentaires pour
l’étude de l’homme en toi-même, et de l’homme dans la société.
Aujourd’hui nous voulons élargir ton horizon.
« Qu’est-ce que Nout ?
— C’est le ciel qui contient toutes les étoiles.
167
— Qu’est-ce que pt ?
— C’est… ce qui contient toutes les étoiles.
— Pourquoi aurions-nous deux noms pour une même chose ?
Her-Bak réfléchit ; sa réponse fut hésitante :
168
— J’ai vu l’image de Nout portant le signe du ciel sur ses bras levés :
peut-être le ciel pt est-il au-dessus du ciel de Nout…
— … comme un couvercle sur une boîte ? Oh ! Her-Bak, cette parole
est-elle digne d’un disciple ? Tu n’as plus d’excuse pour une telle faiblesse
d’expression ! Seras-tu plus avisé pour étudier le mot sBA (étoile) ?
— Que dirai-je ? Vous m’avez appris à regarder le « fait », dans la
Nature et à travers nos symboles ; à me méfier des suppositions
fantaisistes ; j’ai passé tout le temps à observer les végétaux, les animaux,
mon propre corps. O Maître sage, sois indulgent s’il ne m’est pas resté une
heure pour explorer les étoiles !
La réponse du Maître consterna le disciple :
— Certes, je m’en voudrais d’augmenter ton labeur ! Le ciel est un
lointain voyage : remettons ce projet à plus tard !
L’étudiant ne vit plus qu’un fait : l’occasion nouvelle qui fuyait par sa
faute. Il déplora sa boutade et rappela le souvenir d’un enseignement
169
passé :
170
— Tu m’avais expliqué, dit-il, que le mot sba exprime trois choses,
différentes en apparence : étoile, porte, instruction. Je sais que ces
similitudes ont toujours une raison d’être ; je comprends que la porte – qui
est une ouverture – soit un symbole de l’enseignement. Mais quel est le
rapport de ces deux mots avec l’étoile ?
Le Sage n’ouvrit point la bouche pour répondre. Her-Bak poursuivit son
idée :
— L’étoile est inscrite dans ces trois mots ; or le sens de sba, instruire,
n’équivaut-il pas à « donner une lumière » ? Et la porte sba n’est-elle pas ce
par quoi l’on passe ? Le mot « étoile », sba, aurait-il un sens analogue aux
deux autres : ce par quoi passe… quelle chose ? la lumière ? …
— Par cette méthode, dit le Sage, tu pourras trouver la réponse dans les
lettres du mot sba. De la même manière, cherche à déterminer le sens du
ciel Nout et du ciel pt. Réfléchis sur tout cela tout le jour. Si ta méditation
réussit à ouvrir tes oreilles, nous répondrons ce soir à tes questions.
*
**
Lorsque la nuit totale fut venue, le Sage fit gravir à Her-Bak un étroit
escalier de pierre donnant accès aux terrasses. Un couloir s’ouvrait à mi-
chemin ; il y entra et pénétra dans une chambre qui ressemblait à un
caveau : larges dalles du sol, linteaux monolithes du plafond, murs de blocs
rugueux… atmosphère écrasante où la déchirure d’une fente en sifflet
réserve la surprise d’un morceau de ciel étoile.
Le Sage s’assit lentement sur une natte ; le disciple l’imita et se tint
immobile, respectueux et muet devant lui.
Alors le Maître questionna son disciple :
— C’est à toi de parler maintenant ; ce qu’il y a dans ton cœur, exprime-
le ; fais connaître les pensées qui sont venues en toi…
— Malheureusement, soupira Her-Bak, il y a plus de questions que de
réponses en « ce qui est venu » ! Car voici : j’ai d’abord contemplé les
symboles des deux mots, Nout et pt. J’ai remarqué que Nout est représentée
171
par un vase supporté par le signe du ciel , tandis que pt s’écrit par les
172
deux lettres p et t posées sur ce même signe .
« Et j’ai dit : Nout a donc pour symbole le « vase » ; son image est un
corps de femme vêtu d’ondes. Le signe du ciel ne représente pas une chose,
mais une idée. Le vase est ce qui contient : vase et femme donnent donc à
Nout le caractère de « ce qui contient ». Mais la femme geste aussi et
enfante les semences qu’elle reçoit : ainsi doit-il en être de Nout ?
173 174
« Quant au p et au t du mot pt (ciel), je ne connais pas la valeur de
ces lettres ni le sens exact de leurs symboles : je ne puis donc pas en
expliquer la signification.
— Ton raisonnement, dit le Sage, est exact quant à Nout. Quant à pt,
c’est le siège des Neter.
— Quant à moi, répliqua l’élève, je ne suis pas satisfait ! Ce double nom
me trouble : Nout et pt représentent-ils deux ciels ? Quelquefois le symbole
175
du ciel soutient le vase Nout ; quelquefois Nout élève ce signe du ciel
176
sur ses bras ; lequel est au-dessus de l’autre ?
— Prends garde, Her-Bak : tu confonds l’image physique avec le
symbole…
« Je puis essayer de te faire comprendre, en séparant des notions qui, en
fait, sont inséparables.
« Il y a dans cet Univers une unité, une coïncidence, une superposition
d’éléments que notre pensée est impuissante à concevoir sans les scinder. Si
tu veux décrire rationnellement cette « unité » qui est comme un volume –
cube ou sphère – contenant tout, tu seras toujours obligé de couper ce
volume en tranches : tu ne verras alors que des surfaces, des parties
« anatomiques » de ce « tout ».
« A toi, disciple, de prouver ta conscience et d’appliquer nos méthodes,
en te servant des symboles pour expliquer ce que tu as compris.
Le disciple imposa silence à ses arguments tumultueux. Alors une image
simple se précisa :
— En mon corps, dit-il, je vois une enveloppe contenant les organes où
les nourritures se trans forment ; je vois, en des vaisseaux, des humeurs –
sang et eaux de diverses natures – qui circulent ; je vois des canaux, remplis
d’air qui vient régénérer le sang.
« Je puis nommer tous ces porteurs des « vases » : corps ou vase de
Nout ? … Mais rien de tout cela ne fonctionnerait s’il n’y avait pas
l’énergie qui donne à toutes ces choses le mouvement et la force…
— … tu peux dire : « le feu générateur ».
— Oui mon Maître, mais ce feu n’est pas visible, on ne le juge qu’en ses
effets ; c’est comme un autre monde dont dépendrait la vie de chaque vase.
Sans lui ces vases seraient inertes ; cependant s’ils ne fonctionnaient pas il
n’y aurait point d’énergie.
« Quel monde prédomine ? celui des vases, ou la force invisible ? … Il
faudrait, pour le savoir, éprouver ensemble tout ce fonctionnement sans
délimiter l’un et l’autre. Avec ma pensée je ne le pourrai jamais : je serais
obligé de regarder chacun d’eux pour soi, et par rapport aux autres !
Le Sage acquiesça :
— C’est excellent ce que tu as dit. Tu peux, en tant qu’observateur,
prendre trois positions.
« Première position : tu te places au-dessus, dans le monde des
abstractions (spéculations métaphysiques), où tu essaies de concevoir le jeu
des Forces causales et des Idées créatrices.
« Deuxième position : tu te places dans ce qui « devient » (par
l’observation naturelle des lois de la gestation), et tu vis avec ce qui
« devient ».
« Troisième position : tu te situes en tant qu’homme, produit final de la
création, en face de cette création, et tu en étudies chacun des éléments
(étude rationnelle et analytique).
« Ce sera l’épreuve de ta compréhension de ne pas confondre ces trois
états, qui pourtant, ensemble, constituent une unité. En effet,
177
• quant à la première position, la création est continue ; ce que tu
seras parvenu à connaître du monde abstrait existe, et provoque la gestation
qui donne les corps, c’est-à-dire les quantités ;
• quant à la deuxième : tu es toi-même en gestation ;
• quant à la troisième : tu es, également, un produit de cette gestation, toi,
homme conscient qui regarde.
« Et toi, homme conscient, que vois-tu ? Tes yeux constatent la présence
des astres dans le ciel ; or nous montrons le voyage des astres dans le cadre
du corps de Nout, dont les pieds et les mains délimitent les deux
178
horizons (qui ne sont pas nécessairement l’horizon visible, mais peuvent
signifier la limitation de notre compréhension). Nous prenons pour symbole
un corps de femme ; nous donnons parfois à sa robe le caractère d’une eau
(gestatrice), pour désigner précisément la gestation.

FIG. 16. – Nous montrons le voyage des astres dans le cadre du


corps de Nout, dont les pieds et les mains délimitent les deux horizons.

« Les produits de cette gestation seront les astres de son ciel, dont chacun
est une personnalité qui a sa propre vie.
« Et dans le corps de Nout la gestation, aussi, continue. Il y a
simultanéité en toutes ses fonctions. Tu l’as compris et exprimé dans ton
image du corps humain. Rentre de nouveau en toi-même, et essaie
d’éprouver la synthèse de ces mondes divers, dont chacun manifeste sa
propre fonction tout en participant à la vie de l’ensemble.
« Le « vase de chair », qui porte les organes de la nutrition, n’est pas
seulement ton corps : chaque organe qui concourt à la transformation des
nourritures en ta propre substance, est un vase de chair ; et chacune de ses
particules est de la nature de ce vase.
« Le « vase des eaux » n’est pas seulement le système des vaisseaux qui
transportent les liquides : chacun des liquides du corps est lui-même un
« vase », avec ses qualités spécifiques.
« Le « vase de l’air » n’est pas seulement l’arbre qui répartit l’air dans la
poitrine : le sang est le « vase » qui distribue dans les moindres parties du
corps les qualités animatrices de l’air. Par lui, et par toute son enveloppe
extérieure, ces qualités vivificatrices sont absorbées par les diverses
humeurs qui deviennent ses « vases », chacune selon son rôle.
« Or, en chacun de ces « vases » (ou mondes, ou états de substance –
solide, fluide, aérien –), en chacun les deux autres collaborent selon leur
nature particulière. Et quoique l’on puisse dire « les chairs, les humeurs et
l’air ». Ces trois se trouvent alliés dans une action commune, vivante et
simultanée. Ainsi en est-il du corps de Nout, qui symbolise la génération et
la gestation de tous les corps célestes.
« Ce sont les mouvements et circuits de ces différents corps et « vases »,
et tout l’ordre harmonique dont ils dépendent, qui font les aspects
géométriques de l’astronomie du ciel pt. Si tu pouvais percevoir
l’inextricable entrecroisement d’ondes, d’effluves, de sillages et de
radiations diverses, tu comprendrais le sens précis de mes paroles.
« pt est le « lieu » et le Feu grâce auxquels sont gestées par Nout les Idées
qui sont dans le ciel pt. Mais si tu veux situer ce « lieu », tu te trouveras
aussi impuissant que pour situer en ton corps le lieu du Feu vital ; car si tu
connais certains organes d’émission et de transfert, souviens-toi qu’il n’est
pas une parcelle du corps qui en soit démunie, faute de quoi elle se
corromprait et cesserait d’être, comme lorsque l’âme quitte le corps. Car
c’est l’aspect « âme » du ciel qui rend Nout vivante (animée).
— Tout ceci, murmura Her-Bak, est conforme à ce que mon cœur m’a
montré.
Alors tu peux comprendre aussi que pt est le « lieu » où les Nombres
sont situés et vont s’imposer, dans les grands comme dans les petits cycles,
et à toutes les heures. Et de même qu’aucune partie de ton corps n’est
indépendante de son Feu, de même aucune substance composante de
l’Univers, aucune étoile, n’est indépendante de pt.
Her-Bak, ayant longuement réfléchi, demanda :
— Quand on dit : « Ce qu’il y a dans le Ciel, dans la Terre, et dans la
Douât », que faut-il entendre par ces trois lieux ?
— Ces trois lieux se rapportent aux trois états d’un même Esprit, depuis
son origine jusqu’à la fin de ses kheprou (transformations). Mais encore une
fois, toute délimitation précise est impossible ici !
« Le Ciel est le monde de l’Esprit, c’est-à-dire des Hiérarchies Causales
(monde Archétypique).
« La Douât est le monde de la Forme-Principe, (monde Ectypique) ; c’est
le monde des formes qui délimitent (définissent) l’Esprit pour le
179
corporifier .
« La Terre est le monde des corps, c’est-à-dire de l’Esprit informé
(monde Typique).
180
« La Douât est beaucoup moins un lieu qu’un état ; et toi, dans ton
sommeil, tu vis sans le savoir dans la Douât. Elle comporte différentes
régions qui correspondent à divers états de conscience, et, par rapport à
notre Terre, à divers temps.

FIG. 17. – L’un des lions représente « hier » et regarde l’Occident ;


l’autre se nomme doua (demain) et regarde l’Orient.

« De même que, dans la Nature, il y a deux moments où les ténèbres sont


en rapport avec la lumière – lorsque la lumière se cache dans les ténèbres et
lorsqu’elle en sort –, de même il y a deux phases de la Douât qui
représentent deux aspects inverses de la transition et des états qui en
181
procèdent. L’image aker du double lion (ou parfois du double hati de
lion) symbolise les deux temps extrêmes de la Douât.
« L’un des lions représente « hier » et regarde l’Occident ; l’autre se
nomme doua (demain), et regarde l’Orient. Tous les deux tournent le dos au
soleil « de l’horizon » qui est, nécessairement, celui « d’hier », donc
descendu sous l’horizon. Ils sont dans la nuit, parce que ce soleil voyage,
invisible, dans la Douât.
« Mais le lion d’Occident a regardé ce qui est entré dans cette Douât ;
tandis que le lion d’Orient regarde ce qui en sortira. Ils sont les deux
gardiens qui ouvrent et ferment l’entrée et la sortie du monde des ténèbres.
— C’est pourquoi nous prenons le lion (lion couché ou son hati) comme
182
motif du verrou, c’est-à-dire de l’élément coulissant des serrures de
portes.
— N’ai-je pas vu parfois des taureaux figurés à la place des lions ?
— C’est exact ; le rôle des gardiens est le même, c’est leur nature qui
diffère.
« Mais tous ces symboles sont encore pour toi des images muettes, Her-
Bak ! Il est difficile d’exprimer en termes définis ce qui n’est pas
perceptible à nos sens… Si je puis, en temps opportun, éveiller en toi la
conscience des différents états qui font l’homme vivant – akh, BA, KA –,
nous reviendrons sur ce sujet.
« Tu dois maintenant prendre contact avec le ciel visible, où tu
constateras qu’il n’y a point de « femme Nout » ni de signe pt ; et
cependant ces symboles orienteront ta recherche pour trouver, dans le ciel
les « lieux » qui incarnent les fonctions vitales de Nout, et pour chercher
dans les fonctions géométriques le secret de pt.
*
**
Le Sage et son disciple gravirent de nouveau l’escalier qui débouchait
sur la terrasse des astronomes.
Un travail silencieux absorbait l’attention des observateurs, qui ne se
soucièrent point de leur présence ; quelques-uns d’entre eux, établis à poste
fixe, pointaient le passage des étoiles au méridien ; quelques débutants se
livraient à des essais de visées et au maniement des secteurs, des viseurs et
des cercles.
Le Sage présenta Her-Bak au Maître des astronomes et lui dit :
— Je te confierai mon disciple afin que tu l’instruises sur les lois du ciel,
dans la mesure où il profitera de cette première leçon. Aujourd’hui, je te
prie de lui donner seulement les notions préliminaires de cette science de
vérité, afin qu’il puisse ensuite, par son propre travail, montrer ce qu’il
méritera d’entendre de ta bouche.
L’Astronome s’inclina.
— Maître des Maîtres, tes désirs sont des ordres. Mais je suis
responsable des secrets qui me sont légués : permets que ton disciple soit
jugé par ses propres paroles.
« O toi, Her-Bak regarde l’Occident… C’est parfait. Maintenant, tourne-
toi lentement vers l’Orient en observant toujours le ciel, et décris ce que tu
vois.
Her-Bak obéit ; puis il dit :
— En tournant, je vois sans cesse de nouvelles étoiles.
— Si tu restes immobile toute la nuit, que verras-tu ?
— Je verrai passer les astres devant moi.
— Qui se meut ? Les astres ? ou toi qui les regardes ?
— Moi, je suis immobile : ce sont donc les étoiles qui passent…
Her-Bak s’arrêta ; il réfléchit ; puis il ajouta :
— … sinon il faudrait que ce soit notre Terre qui se déplace comme je
viens de le faire : est-ce possible ?
Le trouble d’Her-Bak fit sourire l’Astronome ; il laissa le disciple peser
ses objections, puis il l’interrogea :
— Si les étoiles se déplacent, si le Soleil et la Lune voyagent, pourquoi
serions-nous, seuls, immobiles dans l’Univers ? … Cette idée te révolte ?
Exprime ta pensée sans hésiter.
Her-Bak répondit :
— Il serait extraordinaire d’imaginer un déplacement de notre Terre que
nous sentons si fixe devant le ciel mouvant… Cependant, tout ce que
j’apprends me prouve si souvent l’illusion de mes sens que je n’oserais
point nier ce mouvement si tu me l’affirmais comme véritable.
L’Astronome regarda » son élève avec bienveillance :
— Je ne t’affirmerai rien, lui dit-il ; ta conscience de l’illusion suffira
pour te rendre prudent. Ce qui importe aux habitants de la Terre, c’est de
connaître leurs rapports vitaux avec le ciel. Quant aux mouvements des
astres, mieux vaut constater ce que tu vois que de créer des imaginations
qui peuvent te faire dévier du sens réel.
« Pour cette raison, nous nous situons au centre du ciel que nous
regardons ; et tous les déplacements des astres sont observés pratiquement
par rapport à nous-mêmes.
— Cependant, objecta Her-Bak, il n’y a pas de chemins dans le ciel ;
toutes les étoiles se ressemblent : comment peut-on les reconnaître ?
L’Astronome lui répondit :
— Le ciel des étoiles nous apparaît en mouvement constant ; or on a
remarqué qu’il ne se déplace en ligne droite dans aucun sens, mais qu’il
semble se mouvoir comme un disque tournant autour d’un point. Ce point
n’est pas exactement au milieu de notre ciel ; c’est l’étoile, ou le lieu autour
duquel se meuvent les Indestructibles [circumpolaires]. Ces groupes
d’étoiles décrivent autour de ce point un circuit qui les ramène au même
endroit au bout d’un an. Nous les nommons « Indestructibles », parce
qu’elles ne quittent jamais le ciel.
« Toutes les autres se déplacent dans le même sens, mais disparaissent,
chacune à leur tour, à l’horizon. Celles que tu vois ce soir se retrouveront
dans une année, à cette même heure, à cette même place, excepté les cinq
étoiles errantes [planètes] dont nous reparlerons. C’est pourquoi le nom de
l’année est ren-pt, c’est-à-dire : nom-du-cycle – ou circuit – du ciel.
— Je ne me souviens pas, dit Her-Bak, d’avoir jamais trouvé le symbole
du ciel dans l’écriture du mot renpet.
— C’est un fait à remarquer : nous évitons d’attirer l’attention sur la
structure philosophique des mots importants. Mais la structure littérale des
mots t’apprendra leur valeur.
« Or, malgré ces déplacements d’étoiles, on observa que l’ensemble du
183
ciel était constitué par des groupements d’astre ; une très ancienne
Sagesse donna des noms à ces groupes, définissant leurs caractères et
permettant de les situer. Il fut encore remarqué qu’une grande procession
d’étoiles naviguaient comme le feraient des barques sur un large fleuve
184
traversant le ciel d’Orient en Occident . Les Anciens, observant que les
astres de cette procession réapparaissaient aux mêmes places au bout d’un
an, leur attribuèrent trente-six secteurs ; les étoiles correspondantes furent
185
nommées les bakou (les décans ) ; or tu sais que chacun des bakou règne
dans notre ciel pendant dix jours.
— Ce mot, bakou, a-t-il quelque rapport avec bak, nom du serviteur ou
du producteur ?
— Sans nul doute, puisque les bakou exécutent la volonté de leur maître
Amon-Râ. Car c’est lui, le Soleil, qui, sur tout son parcours, est le maître et
l’animateur des douze régions qu’il visite. C’est pourquoi nous le figurons
voyageant dans ses barques – l’une pour le jour et l’autre pour la nuit –,
accompagné d’étoiles différentes, suivant les heures.
« Mais je veux attirer ton attention sur le symbolisme de ce « fleuve »
céleste auquel nous donnons une triple intention :
• la première est d’évoquer l’image des ondes mouvantes qui constituent
le ciel ou corps – ou robe – de Nout, ondes à travers lesquelles évoluent
tous les astres ;
• d’autre part, nos Sages ont voulu par ce symbole déterminer la zone –
ou large bande – en laquelle circulent les bakou et les « errantes », les cinq
186
grandes voyageuses , mais à des vitesses différentes.
« Enfin il suggère la notion du circuit qui permet, par comparaison, de
fixer les différents lieux du ciel.
« En effet si tu observes tout le déplacement céleste d’Est en Ouest, tu
constates que les « Indestructibles », voisines du « point fixe », font en un
même temps un moindre chemin. Ma comparaison de disque n’était donc
qu’une image explicative sans réalité ; car, si elle était exacte, les étoiles
vers le Sud feraient plus de chemin – donc iraient plus vite – que celles du
« grand fleuve »… Ainsi ces déplacements se présentent comme si nous
étions au centre d’une sphère creuse qui tourneraient autour de nous.
« Ce sont ces différences de vitesse qui permettent de distinguer les
étoiles errantes [planètes], qui traversent tout le ciel entre les rives du large
« fleuve » en un temps différent de celui des bakou, ce temps constituant
pour chacune d’elles son propre cycle. Deux d’entre elles accompagnent de
très près le Soleil, soit en le précédant, soit en le suivant (aux yeux de
l’observateur terrestre). Elles ont une croissance et une décroissance
semblables à celles de la Lune, mais à longues périodes.
« La première est si proche de Râ que son chemin se confond avec le
parcours solaire. Son nom est Sobeg [Mercure] et quelquefois Sobek. Cette
étoile a un double aspect : quand elle est trop proche du Soleil elle est
187
« brûlé » et prend une nature solaire-sethienne : c’est alors qu’elle
devient Sobek. Autrement elle est de nature lunaire et se nomme Sobeg.
Thot symbolise, en beaucoup de cas, cette dernière fonction.
« La deuxième compagne du Soleil [Vénus] remplit aussi une double
fonction, selon qu’elle assiste soit au lever soit au coucher de Râ. A son
188
lever elle le précède ; elle se nomme douaou et s’identifie au benou ,
l’oiseau qui porte l’âme d’Osiris.

FIG. 18.— L’oiseau Phœnix, ou benou.

Le Sage dit à Her-Bak :


— Remarque son nom, douaou, et l’heure de son action : l’aube qui
correspond à l’un des états ou régions de la Douât.
— En effet : c’est le point où la lumière commence à vaincre l’obscurité.
— Tu dois donc comprendre pourquoi l’on attribue à l’étoile douaou le
rôle de transporter vers la les âmes qui sont prêtes à sortir des ténèbres…
189
« L’autre nom de cette étoile – celui du soir – est ouât ; son Neter est
190
Isis ; elle apporte hou au Soleil, comme viatique pour son voyage de
nuit.
— Ce nom de onâti signifie-t-il « unique » ?
— C’est un jeu de mots sur un sens très caché.
— O mes Maîtres, comment pourrai-je inscrire toutes ces notions
nouvelles dans ma mémoire ?
— Par un seul procédé : n’inscris pas des notions, regarde vivre nos
images.
L’Astronome continua son exposé :
— Les trois autres « errantes » sont les grandes voyageuses. Nous les
voyons traverser le ciel à des vitesses différentes, chacune pour elle, sans
cependant sortir des rives du Grand Fleuve qu’elles suivent même parfois
en sens inverse (rétrograde). Leur lumière est constante : elle ne croît ni ne
décroît sensiblement. Elles peuvent être dans notre ciel de jour ou de nuit.
— Comment donc, s’écria le disciple, peut-on le savoir pour le jour,
puisqu’elles sont invisibles ?
— Il est facile d’observer leur course par rapport aux autres étoiles ; si
donc nous sommes capables de prévoir leur retour, nous devons
191
nécessairement connaître leur chemin !
« La première des trois voyageuses [Mars] est nommée l’Étoile de l’Est
192
du ciel, et l’Horus Rouge ; elle est dite aussi hor-akhti .
« La deuxième [Jupiter] porte plusieurs noms qui révèlent ses diverses
attributions : les principaux sont : l’Étoile du Sud, et her-oup-cheta. Ce
n’est pas l’heure de te développer toute la science des étoiles errantes ; je te
donnerai seulement ici le sens profond de leurs appellations. Le nom de
l’étoile du Sud, her-oup-cheta, signifie « l’Horus qui ouvre la terre
secrète ».
« La troisième [Saturne] est dite « l’Étoile d’Occident qui traverse le
ciel », et « Horus Taureau du ciel ». Pour comprendre ces noms il faut
considérer qu’ils se rapportent aux influences de ces étoiles sur notre Terre ;
il est évident que l’Étoile d’Occident [Saturne] n’appartient pas plutôt à
l’Occident qu’à l’Orient ; mais l’Occident est le côté de l’horizon où le
Soleil s’enfonce sous la terre et laisse régner les ténèbres : c’est donc une
allusion à la nature de Saturne qui domine sur les lieux ténébreux, sur la vie
193
cachée souterraine, et sur le sombre Amenti , la fin des choses. Son nom,
« Taureau du ciel », révèle sa parenté avec la Lune qui porte souvent le
même nom ; nous en comprendrons tout à l’heure la raison.
« Le nom de l’Horus Rouge, « l’Étoile de l’Est » [Mars], indique son
caractère coloré, ardent, actif combatif.
194
« De même, l’Horus oup-cheta qui est sba resy, l’Etoile du Sud
[Jupiter], se trouve, par son nom, en rapport avec la couronne blanche et le
caractère réalisateur qui est celui du Sud. Si tu te souviens que l’ouverture
de la bouche, oup-ra, et celle des yeux, signifient leur ré-animation, tu
pourras en déduire que le mot oup-cheta se rapporte encore à l’animation
mystérieuse de la terre, ce qui est un des rôles d’Amon dont le nom signifie
aussi « caché », secret. Car Amon règne sur l’Invisible, tandis que Râ est le
Neter du monde visible.
« Or tu trouveras une parenté dans les mouvements des deux astres
[Soleil et Jupiter] : le Soleil parcourt le fleuve des 36 décans en 12 mois ;
l’Étoile du Sud [Jupiter] le parcourt en 12 ans environ puisqu’il traverse 3
195
décatis en un an . Il y a donc un rapport de nombres entre le Soleil et
cette étoile Amonienne [Jupiter] comme il y en a un entre Râ et Amon.
Her-Bak questionna timidement l’Astronome :
— Et le grand Amon-Râ ? …
Le Sage l’interrompit :
— Tu n’as pas encore entendu l’histoire des Neter, laisse venir chaque
chose en son temps. Ce qui doit t’intéresser maintenant, c’est de constater
un parallèle semblable entre la Lune et l’Étoile d’Occident. Cette étoile
[Saturne] parcourt le fleuve des 36 bakou en autant d’années que la Lune
passe de jours (approximativement) à accomplir son cycle mensuel, c’est-à-
dire à peu près 29 ans.
« Il existe ainsi entre elle [Saturne] et la Lune, le même rapport de
nombres qu’entre l’Étoile du Sud [Jupiter] et Râ. Et comme la Lune règle
les temps de gestation sur la Terre, l’Étoile d’Occident [Saturne] est
effectivement le Maître du Temps pour la Terre.
« Ces rapports établissent une parenté entre le Neter Thot et ces deux
astres, car Thot a quelquefois caractère lunaire, et d’autre part son nom
djehouty est bien proche de djehty [le plomb qui est le métal de Saturne].
— Thot serait-il aussi le Neter de cette Étoile d’Occident ?
— Il l’est précisément dans ce rapport fonctionnel de mesureur des
temps lunaires : n’oublie pas que Thot et Sechat comptent les années sur
une fronde de ce palmier qui pousse une nouvelle branche pendant chaque
lune. Ceci t’expliquera pourquoi le nom de djehouty (Thot), mesureur des
temps lunaires, s’identifie au nom du métal djehty, le plomb, qui est de la
nature de notre Étoile d’Occident [Saturne], laquelle est aussi Maîtresse des
temps lunaires.
— Chacune de vos paroles, dit Her-Bak, me révèle la science inscrite
dans les medou-Neter ; c’est un immense programme d’études que vous
placez devant moi ! Mais comment se fait-il qu’un seul Neter puisse
symboliser plusieurs étoiles ? Le Sage répondit :
— Tu l’apprendras toi-même quand tu étudieras les différentes formes et
symboles de Thot, selon ses diverses fonctions.

FIG. 19. – Thot compte les années sur une


fronde de ce palmier qui pousse une nouvelle
branche pendant chaque lune.

— Quel est donc le Neter de la Lune ? … Tantôt on lui attribue Thot,


tantôt Khonsou, et parfois Osiris ; cependant on dit aussi : « Nekhbet est la
Lune » !
— Hé quoi, Her-Bak ! le Soleil n’a-t-il qu’un seul nom ?
— Il en a plusieurs : Khepri le matin, Râ pendant le jour, Toum le soir.
L’Astronome rectifia la réponse imparfaite :
— Ceci n’est point exact : Khepri est quelquefois le nom du Soleil du
soir ; il arrive que Toum soit celui du matin. Ne dit-on pas aussi : Râ-
Horakhti, et Amon-Râ ? Qu’y a-t-il de surprenant dans les différents noms
de la Lune ?
— Si j’ai bien compris, dit Her-Bak, ce sont leurs fonctions qui sont
196
indiquées par ces noms ?
FIG. 20. – La barque solaire descend vers l’Occident. A
gauche l’âme de Khepri, à droite l’âme de Toum, au centre
Râ sous la forme d’un scarabée à tête de bélier.

— Ta remarque est judicieuse ; observe aussi les différences évidentes


entre ces deux luminaires : le Soleil éclaire le ciel pendant le jour ; la Lune
éclaire la nuit. La Lune n’est qu’un miroir du Soleil ; comme telle, elle
change constamment d’aspect à travers son cycle mensuel, dans sa
croissance jusqu’à la pleine Lune, et sa décroissance jusqu’à la nouvelle
Lune. Son nom de Nekhbet exprime un des aspects de ses rapports avec Râ.
« Mais son voyage dans le ciel la met, comme nous, en relation avec
d’autres astres. Les caractéristiques fonctionnelles complexes qui en
résultent sont symbolisées par plusieurs Neter qui, dans ce cas, portent son
croissant, quoique nul d’entre eux ne soit le Neter de la Lune. Cependant
197
Osiris-Iah pour des raisons que je n’expliquerai pas, est effectivement
un des aspects réels de la Lune.
« N’attends pas aujourd’hui autre chose que les notions superficielles
indispensables pour orienter tes premiers pas. Nous n’écrivons jamais sur ce
sujet : notre enseignement du ciel est rigoureusement oral ou imagé ; il
approfondit les Lois divines et leurs correspondances naturelles en tout
« devenir ».
« Il est la base de l’orientation de nos temples, des proportions de nos
monuments, de l’organisation du royaume, et du sens caché de nos dieux.
C’est à travers ces données que tu pourras déceler les preuves de cette
Connaissance. Tu n’en trouveras aucune explication détaillée dans nos
textes.
Le disciple enregistra cet avertissement :
— Je commence, dit-il, à comprendre la nécessité du secret : car tout se
tient dans l’Univers, et les choses les plus petites en apparence peuvent
révéler les plus grandes.
Le Sage l’interrompit :
— Ne parle pas dans le vide, Her-Bak : que sont ces « plus grandes
choses » ?
— O mon Maître, ce sont les plus sacrées.
— Qu’est-ce que les plus sacrées ?
Her-Bak n’hésita pas longtemps :
— Je crois, dit-il, que c’est tout ce qui se rapporte au secret de la Vie…
L’Astronome salua le Sage.
— Que le Maître soit loué dans le disciple. Mais le disciple sait-il ce
qu’est la Vie ?
— Hélas ! soupira Her-Bak, mon Maître me l’a dit, et je suis incapable
de le répéter ! Mais j’en comprends la relation avec ce qui vient de m’être
enseigné.
Cette réponse me suffit, déclara l’Astronome ; puisque tu as le sens du
« sacré », je t’autorise à demander, ce soir, ce que tu veux d’abord
connaître.
Her-Bak posa cette question :
— Pourquoi les corps célestes ne tombent-ils pas les uns sur les autres ?
L’Astronome lui répondit :
— Nous devons considérer le monde céleste comme un grand corps dont
nous ne sommes qu’une infime particule. Ainsi le ciel a un cœur, un foie,
des poumons, tous les organes nécessaires à la vie de l’homme.
« Nous ne voyons qu’une minime partie de ce monde, qui est discontinu
198
dans ses quantités composantes ou étoiles , mais continu par la mutuelle
199
dépendance vitale de toutes ses parties . Chacun des individus qui le
composent entretient sa vie propre et son intégrité par sa force réactive ; et
cette force réactive le maintient en sa place et son rythme, dans le
mouvement général. Mais si cette force s’éteint, l’échange des humeurs
équilibrantes s’interrompt, et un cataclysme se produit dans le corps ou dans
l’Univers auquel appartient cet « organe ».
Her-Bak dit :
— Le symbole de Nout serait donc plus qu’une image ? Il exprimerait
une vérité imperceptible pour nos sens ?
— Souviens-toi que le monde entier est vivant et que, la source de tout
étant Un, la vie également est une… malgré les apparences.
Her-Bak dit :
— J’essaierai de « sentir » ce qu’on ne peut pas voir… Daigne encore
me parler des étoiles les plus importantes pour notre Terre.
— Avant toute autre, c’est Sopdit (Sirius-Sothis). Elle est, comme le dit
200
son nom, la grande « pourvoyeuse ». C’est elle qui régit le flot du divin
Hapi ; je dis bien : le DIVIN Hapi.
« Elle est le centre vital de notre Monde ; elle en est aussi le pôle froid.
Elle est le Poids, c’est-à-dire l’Énergie qui anime notre Univers. Ce sont ses
apparitions qui mesurent nos plus grandes époques.
« Mais toi, Her-Bak, dis-moi ce que tu sais de notre Soleil ?
— On dit que Nout l’avale chaque soir et le met au monde chaque
matin ; cette image me semble grossière. Ne l’ai-je pas entendue nommer :
« la truie qui mange ses petits cochons » ? Ce mode d’expression me
révolte ! S’il faut regarder le fait, pourquoi ne pas le montrer tel qu’il est
dans le ciel, sans choisir ces images vulgaires ? Ceci me donne envie de
fermer les yeux pour chercher les Causes divines qui régissent ces
phénomènes.
— Fort bien, Her-Bak, c’est un résultat très probant ! Si nous ne
montrions que ce qui est visible, l’apparence serait trompeuse, car tu ne
vois jamais l’aspect complet du ciel. Il faudrait expliquer par des notions
abstraites ses lois déterminantes : aussitôt ta raison chercherait l’appui du
fait concret ; celui-ci, forcément incomplet, ne te montrerait pas la vie de
l’Univers…
« Car l’expérience est certaine ; les images concrètes suscitent, par
compensation, la recherche de l’abstraction ; tandis que les notions
201
abstraites incitent à les fixer en images concrètes . Si l’image n’est pas
vitalement réelle, le chercheur sera dévoyé – qu’il s’agisse de mystique ou
de philosophie.
« C’est pour éviter cette erreur que nous exprimons les Principes et
Fonctions cosmiques en images et paroles brutalement concrètes. Le
profane s’y laissera tromper ; « l’enfant de la Science », auquel ceci est
destiné, en cherchera, par réaction, l’intention. Si l’allégorie de Nout parle
de « mise au monde », c’est qu’il y a gestation (malgré l’absurdité
apparente) ; cherche donc ce que peut être cette gestation.
— Comment est-ce possible ? Ce Soleil, enfanté chaque jour, est
cependant toujours le même Soleil…
— Non, mon fils, il n’est pas exactement le même ; mais pour le
comprendre il faut faire l’effort de méditer encore la simultanéité des
fonctions. N’importe quelle semence donne un individu de son espèce qui
va se reproduire par sa propre semence. Mais il est évident que la nouvelle
semence donnant un nouvel individu, celui-ci ne sera pas identique au
précédent : sinon il n’y aurait ni adaptation ni dégénérescence. De même
dans les révolutions célestes, telles que le renouveau quotidien du Soleil,
nous pouvons dire que, si un jour ressemble à l’autre, il ne lui est pas
identique.
« Ajoute à ceci la coïncidence des astres, qui varie constamment. C’est
ainsi qu’un soleil est tous les jours nouveau, par la différence quotidienne
de sa situation, dans son propre circuit et dans les autres circuits qui
s’effectuent en coordination avec le sien : tels sont le circuit lunaire, la
coïncidence périodique des cycles luni-solaires, et jusqu’aux périodes
sothiaques. Et ces révolutions se renouvellent sans jamais devenir
identiques, puisque chacune d’elles se trouvera en corrélation avec des
révolutions plus vastes.
202
« Ainsi nous définissons les phases du Temps – ter – depuis la plus
petite jusqu’à l’année cosmique. Et si nous avons des saisons journalières,
nous avons aussi des saisons mensuelles, des saisons annuelles, jusqu’aux
saisons sothiaques et cosmiques.
— Étais-je aveugle jusqu’à cet instant ? C’est une autre vision
qu’éveillent tes paroles ! J’oserai désormais regarder le Soleil comme
naissant chaque jour, grandissant, vieillissant, et rentrant chaque soir dans le
grand corps de Nout en le fécondant pour renaître d’elle le lendemain.
L’Astronome félicita son élève :
— Ce mode de pensée, qui te semblait puéril, te donnera plus tard des
fruits inattendus. Et si quelque « raisonneur » trop prudent raille cette
croyance, réponds-lui qu’il ne connaîtra jamais la plus précieuse partie de
notre Science.
« Car si nous possédons encore cette Connaissance, c’est parce que nous
avons sauvegardé, pendant des millénaires, la mentalité des Sages nos
Maîtres. Ceux-ci voyaient, sous les astres apparents, les fonctions vivantes
d’un Univers organisé où tous les corps – astres et êtres – ne sont que les
lieux de passage âmes à travers les multiples kheprou. C’est ce que la
légende exprime en disant que chaque étoile est une âme ; c’est le sens du
dessin de l’étoile à cinq branches, qui est le symbole de l’Homme.
Her-Bak sondait son cœur pour y ancrer chaque parole. Il essaya
d’obtenir une clarification :
— Je comprends le principe du renouvellement. Mais je n’aurais pas cru
que le Soleil fût dépendant de la Lune !
— Il ne l’est point, mon fils, mais il crée avec elle un rapport qui joue un
rôle pour notre Terre. Toute la vie terrestre dépend immédiatement de ces
deux astres ; d’un point de vue vital il est impossible de les considérer l’un
sans l’autre.
— Râ n’est-il pas Maître du ciel ?
— Sache donc ce qui est écrit : « Râ est Maître du ciel parce qu’il a deux
yeux, le Soleil et la Lune. »
— Comment Râ peut-il avoir deux yeux : lui-même, Râ, et la Lune ?
Le Sage se leva ; il déroula un papyrus et répondit à son disciple :
— Voilà ce qu’il fallait remarquer. Cette parole révèle une vérité
fondamentale. Le Soleil dont nous voyons le globe – l’àten – n’est que l’œil
du Divin Râ, Maître vénérable du ciel. On dit de Lui :
« Il est lointain, supérieur ; il plonge ses regards sur les Neter, et les
Neter ne peuvent lever les yeux vers Lui. » Il est celui qui dit en vérité :
« J’ai créé le Ciel et la Terre, j’y ai mis les âmes des Neter. »
« On le montre naviguant sur le dos de Nout, comme étant la puissance
de son dos, la Puissance de Feu qui la domine.
« Râ est Maître du ciel ; c’est Lui qui fait le Jour.
« Il éclaire notre univers et, ainsi, en contient les étoiles.
« Et Nout est la Nature, qui enfante et reprend ce qu’elle a enfanté.
« Et les Neter sont dans la Nature ;
« Râ n’est point dans la Nature, mais elle vient de lui.
« Et Nout en son nom de Nature, est le Temps, qui n’est que la distance
entre la semence et le fruit. »
Her-Bak écoutait encore, tandis que le Maître refermait lentement son
rouleau. L’Astronome et le Sage échangèrent quelques mots à voix basse.
Alors Her-Bak parla, comme pour lui-même, reliant les notions reçues :
— Nout, en son nom de Nature, est le Temps ; c’est la Nout gestatrice…
203
« L’Etoile d’Occident Taureau du ciel comme la Lune, est le Maître
des temps lunaires…
« Le temps lunaire n’est pas le temps solaire, mais il y a des
coïncidences entre les deux…
« Le circuit du « fleuve » de Nout se divise en 36 parties : 3 décades,
pour chacun des 12 mois ; c’est le temps du circuit solaire…
« L’année se divise en saisons : 3 saisons de 4 mois… Le Nombre 3
serait-il le Nombre du Temps ? …
L’Astronome regarda le Sage qui répondit :
204
— Ceci est le sens véridique du mot ter qui exprime le temps
« défini », c’est-à-dire le principe de la division du temps. Ce principe est
de nature ternaire, et ce ternaire constitue une unité, car nous ne pouvons
jamais comprendre une unité qui ne soit pas composée de trois éléments,
comme la première surface est définie par trois côtés.
« Ce principe ternaire est en rapport avec les divisions du ciel que
traverse le Soleil en son circuit annuel. Les 12 mois de l’année, qui
comportent chacun 3 décades, divisent ce parcours céleste en 12 sections ou
205
« lieux » qui sont comme des maisons où le passage de Râ dure un mois.
« Or, pendant la moitié de l’année, c’est-à-dire pendant son voyage à
travers six de ces maisons, le Soleil se déplace vers le Nord ; et pendant
l’autre moitié, c’est-à-dire dans les six autres maisons, il retourne vers le
Sud. Ainsi son double mouvement divise son parcours en deux demi-
circuits : le ciel du Nord et le ciel du Sud, aussi différents de caractères que
206 207
le sont le hat et le peh .
« Si tu tranches un fruit en deux moitiés, coupant son axe par le milieu,
la moitié tenue par la queue sera son ciel du Nord ; celle qui a porté la fleur
sera son ciel du Sud ; et cette différence différencie la nature de ces deux
moitiés. Ainsi sont les aterti (les deux ater) : l’ater du Nord et l’ater du
Sud, dont les deux ater – Nord et Sud – de l’Égypte sont les miroirs.
« Chacun de ces ater est donc un demi-circuit du Grand Fleuve – aterou
– du ciel ; ils sont les deux palais contenant les « maisons » du ciel ; ils sont
les deux « temples » groupant, pour le Nord et pour le Sud, un nombre égal
de « chapelles » qui sont les lieux de séjour du Soleil.
Her-Bak s’émerveilla :
— O mes Maîtres, c’est le ciel entier que vous me révélez ce soir !
— Non mon fils, ce sont quelques principes fondamentaux qui te
guideront pour en entreprendre l’étude. Ne commets pas l’erreur d’en faire
l’analyse, car tu perdrais le sens des éléments vitaux qui en sont la réalité.
Notre méthode est sage. Ce n’est pas sans raison que nous refusons
l’influence d’écoles étrangères qui ont précisé les notions.
L’Astronome se leva :
— Les heures passent : quittons la théorie et voyons ses applications
dans notre mesure du temps.
Her-Bak fut conduit dans une chambre aux murs épais, isolée de
l’extérieur par d’autres chambres et couloirs ; toutes précautions étaient
prises pour y maintenir une température constante. Sur des tables de pierre,
208
des vases gradués laissaient écouler l’eau lentement .
— Regarde le dessin des spires tracées à l’intérieur du vase, dit
l’Astronome en montrant une clepsydre. Les marques circulaires
horizontales donnent les heures par le niveau de l’eau. Les marques
verticales donnent les fractions par une division régulière qui tient compte
de la forme du volume, permettant à chaque instant, par l’affleurement de
l’eau sur le circuit de cette spire, de déterminer l’heure jusqu’en ses plus
petites fractions.
« Mais pour les temps d’observations stellaires, nous nous servons
d’instruments plus précis. Nous avons souligné l’aspect double du ciel :
vivant, et géométrique ; l’aspect géométrique représente une logique rigide
209
dont la constatation nécessite l’instrument mécanique .
Her-Bak regardait la clepsydre :
— Le symbole du vase donnant les heures est très beau, dit-il, puisque
l’heure, ounedj, est la douzième partie du corps de Nout, pour la nuit
comme pour le jour : Nout… nou (vase) (des) ounedj (heures).
« Je n’aurais point compris ce rapprochement quand j’étais dans le
Péristyle ! Et mes professeurs auraient trouvé ridicule ce jeu de mots.

FIG. 21. – Nout, la vache céleste, soutenue par Chou. Les deux
positions de la barque solaire évoquent son double mouvement.

— La routine et les préjugés déforment la vision des hommes, et chacun


croit que son horizon est la limite du monde… Mais toi, Her-Bak, connais-
tu le sens de l’heure ?
— C’est la douzième partie de…
— Ceci n’est un secret pour personne ! Je demande son sens vital.
Her-Bak resta muet.
L’Astronome railla son silence et lui dit :
— Il est bon de savoir qu’on ignore. Toute notre vie dépend de la marche
du ciel, puisque nous constatons les influences annuelles du Soleil, et
mensuelles de la Lune, dans toute la Nature. De même il y a des influences
à durées plus longues, causées par les coïncidences de ces astres et de la
situation du Soleil dans les constellations.
« Il y a des périodes plus courtes qui sont les douze tranches du jour et de
la nuit, c’est-à-dire les heures, qui sont de durée égale pour la vie courante,
mais dont la durée réelle est inégale selon la présence du Soleil dans le ciel.
« Une expérience de plusieurs millénaires nous transmit la Science des
influences, indiscutables, des constellations du Grand Fleuve et des astres
les plus proches. Les influences combinées de ces forces aveugles modifient
le caractère et les dispositions des hommes, selon la nature de l’individu ;
c’est pourquoi chacun d’eux se trouve, « selon l’heure », en harmonie ou en
désharmonie avec les choses qu’il approche.
« C’est le sens de notre expression « dans son heure ». Et nous en tenons
compte dans les attributions des emplois et fonctions ; car tout prêtre, tout
fonctionnaire, est classé selon les données de sa nature astrologique. La
destinée des Pharaons, elle-même, est observée dès son début d’après cette
science précise.
« Mais nous reviendrons plus tard sur ce sujet. Cette nuit t’apporte
plusieurs clés qui furent refusées à de nombreux chercheurs.
Her-Bak troublé murmura :
— Pourquoi cette nuit, ô mon Maître ?
— Parce que c’est l’heure de parler… Heureux celui pour lequel cette
heure est aussi celle d’écouter.
IX

LIBRE ARBITRE ET FATALITÉ

Et Her-Bak observa le ciel. Pendant plusieurs mois, il vécut la nuit plus


que le jour. « Celui-qui-connaît-les-choses-du-ciel » considéra comme un
devoir sacré de développer les qualités innées de cet être d’exception.
Aucun étudiant, aucun disciple n’avait témoigné d’une telle intensité
dans sa recherche du « plus vrai ». Il fuyait l’à-peu-près ; il n’acceptait
210
point de compromis… L’Astrologue put exécuter ce programme
difficile : former son élève à l’observation précise des astres, aux calculs
exacts de leurs parcours, à l’explication concrète des phénomènes apparents
(les phases de la Lune, les conjonctions, les oppositions, le déplacement du
Soleil à ses couchers et ses levers), et, malgré cet aspect rationnel, le
maintenir sans cesse dans la perception intérieure de l’action invisible des
Causes.
Il habitua Her-Bak à « vivre » constamment les mouvements du ciel en
demeurant conscient de toute la Nature, à se libérer de l’obsession des
allégories comme de l’obsession des apparences.
Un jour vint où le disciple constata par lui-même l’influence de telles
positions d’astres sur les inclinations et les actes humains. Ce fut une joie
profonde pour le Maître, qui, d’un commun accord avec le Sage, révéla peu
à peu à Her-Bak le sens de certaines figurations : ainsi la légende des sept
Hathor qui président à la naissance – dotant le nouveau-né d’un destin
bénéfique ou maléfique –, devint, pour l’élève attentif, l’aide ou
l’opposition des Forces qui affluent sur l’humanité selon les coïncidences
du ciel avec la Terre.
L’image légendaire se présenta pour lui comme la loi de Nécessité et le
211
rapport des positions d’étoiles du « grand fleuve » avec l’heure de la
naissance. L’étude patiente et approfondie d’un grand nombre de cas – dans
la Nature et dans les classements individuels enregistrés par le Temple –,
transformèrent les hypothèses en conviction par évidence.
Le temps passait ; Her-Bak s’instruisait… et devenait mélancolique. Le
Sage, qui le surveillait, comprit le motif de sa crise. Il la laissa mûrir
jusqu’à son maximum, puis provoqua la réaction.
Une éclipse de Lune réunit les observateurs sur les terrasses. Le Sage et
Her-Bak, retirés à l’écart, écoutaient l’Astrologue qui détaillait la
progression du phénomène. Le Maître décrivit avec insistance les fâcheux
effets de l’éclipse sur les végétaux et sur les hommes ; l’impression de
tristesse angoissée, qui croissait avec la lueur rougeâtre de la Lune, mit le
comble à l’exaspération du disciple. Il se révolta franchement :
— Quel effroyable fardeau, cette Fatalité ! Quelle négation de l’effort
personnel ! Si toute destinée est fixée par les astres, il n’y a rien à modifier :
pourquoi lutter contre soi-même ? Il est vain de hâter, au prix de sacrifices,
une évolution qui ne peut se faire qu’en son temps !
Le Sage regardait la Lune avec sérénité… Avec sérénité il dit à son
disciple :
— Tu as raison mon fils ; la Nature et l’homme-animal sont soumis au
destin fixé par les étoiles ; à quoi leur servirait d’en connaître les lois ?
C’est une recherche décevante et un luxe inutile… Puisque tu l’as compris,
abandonne ce labeur fastidieux. Fonde un foyer, nourris ta femme, revêts
son dos ; fais de ton existence un jour heureux… si les étoiles le permettent.
Un désespoir soudain envahit le cœur d’Her-Bak, un désespoir semblable
à celui de Pois Chiche lorsqu’il renia son père comme un étranger… Un
sanglot serra sa gorge ; des larmes, qu’il cherchait vainement à retenir,
l’aveuglèrent.
L’éclipse était maintenant totale ; des psalmodies, scandées par des
tambourins et des sistres, gémissaient dans l’obscurité. Her-Bak se leva,
tendant ses poings serrés vers la Lune et vers les chanteurs invisibles :
— A quoi bon tous ces simulacres ? Pourront-ils hâter d’un instant le
retour de la lumière ? Ainsi la vie : tout est comédie que l’homme se joue à
lui-même ! Tout est écrit : donc tout est vain !
Le Sage empêcha l’Astrologue d’intervenir. Il répondit :
— Si tu en es certain, suis le conseil du harpiste : cherche des plaisirs
plus faciles… Il ne faut pas aller contre ton cœur.
— Mon cœur ou ma raison, qu’importe ? Ne sont-ils pas guidés par les
étoiles ? Mes instincts, ma nature, mon corps, sont caractérisés par des
Nombres, des astres, des forces dont je suis le jouet ! Pourquoi nous donner
l’illusion d’être maître par notre cœur ? Mon cœur est un fantoche, esclave,
comme le reste, de la Fatalité…
Le Maître attendit l’accalmie en écoutant les résonances de cette
première douleur d’homme.
Puis sa voix grave s’éleva, et le disciple vint s’asseoir, frémissant, dans
l’attente de la réponse.
— O mon fils, ta dernière parole contient une erreur : ton cœur, siège de
l’Entendement « sia », est-ce en quoi se manifeste l’âme, ou plutôt ton
KAdivin ? Or celui-là n’est pas esclave de la Fatalité car il ne fait pas partie
de la Nature. Tout le reste sur Terre, tout, même le disque solaire – l’àten du
212
jour qui nous éclaire – tout fait partie de la Nature. Mais le KA spirituel
comme le DIVIN Râ, n’est pas de la Nature.
« Si cette étincelle divine incarnée en ta personne devient consciente de
ton humanité, elle croît en semence vivante, et tu deviens, par elle, maître
de ton destin si tu lui permets de dominer en toi l’animal-humain : car l’âme
n’est pas assujettie aux influences des astres.
— Cependant tout mon être subit ces influences !
— Certes, comme tu viens de subir l’impression déprimante de l’éclipsé,
car l’être instinctif est sous leur dépendance. Mais dès que l’homme-animal
est soumis aux directives de cette conscience supérieure, il ne subit des
astres que des inclinations, non point des obligations : car l’âme est libre et
peut modifier son chemin. Cependant, je le répète, la condition de cette
indépendance est la réalisation de cette conscience immortelle. Her-Bak
refusa d’accepter cet espoir sans avoir une certitude ; il insista :
— Si mon âme n’a pas subi l’influence de l’éclipsé, j’ai donc, par mon
être inférieur, renié ma conscience : le résultat est le même !
— Non, car tu as obéi à cette conscience qui te poussait à élucider ce
213
doute. Là se situe le libre choix : ton corps éprouvera toujours
l’inclination des astres ; tu t’en libéreras si tu sais rester neutre et suivre,
sans te laisser troubler, les directives de ton cœur (sia). C’est ce que nous
nommons le chemin de Maât. Les merveilles qui en sont dites, les
promesses dont ce chemin est l’objet, seraient paroles vaines si elles ne se
rapportaient point à ce fait positif : il libère de la Fatalité l’homme devenu
conscient de cette liberté.
Her-Bak soumit une objection :
— Cette libération ne s’accomplit-elle pas d’elle-même progressivement
sans que la volonté de l’homme intervienne, comme se transforment
progressivement les espèces ?
— C’est un bel exploit, ô mon fils, répliqua le Sage, de formuler en une
seule phrase deux erreurs de cette taille !
« Apprends d’abord que cette libération est le fruit d’un effort humain
personnel pour dépasser la Nature. Quant à l’évolution des espèces, sache
au contraire qu’il n’y a pas évolution progressive physique : le progrès
n’existe que dans l’acquisition de la conscience.
« L’existence des espèces apparaît comme une marche normale,
périodique et régulière, avec des renouveaux qui ont des caractères
semblables mais non identiques.
« Chaque mois, chaque décade, voient naître divers insectes qui éclosent
à leur heure ; la même loi pousse l’oiseau à préparer son nid quand
s’approche l’heure de la ponte. A côté de cette suite, contrôlable parce que
répétée sur de courtes périodes, il faut reconnaître l’existence de
phénomènes moins facilement contrôlables, parce que espacés par de longs
intervalles : je veux parler des genèses spontanées (apparition de nouvelles
semences), qui créent des êtres inconnus.
214
« On voit surgir à certaines époques , des animaux, des plantes, des
minéraux, pour lesquels aucune semence n’existait. Ces naissances
anormales obéissent à des mouvements plus vastes, comme si notre Terre
avait changé de lieu dans le ciel… Or c’est effectivement exact. La cause de
ces phénomènes apparemment sporadiques réside dans l’harmonie
universelle ; et ces modifications du ciel, diversifiant les époques, sont aussi
les causes créatrices de ces variétés. Quand une nouvelle période est venue,
les individus produits par les périodes précédentes subsistent jusqu’à
dégénérescence de la force séminale par épuisement de l’impulsion vitale
primitive, puis ils disparaissent.
« Ne te laisse pas tromper par les accidents soi-disant fortuits, qui,
ensemble, constituent un tableau d’une logique séduisante. Juge d’après la
cause, non d’après les effets. Or cette cause se trouve révélée dans les
principes de la génération.
— Dois-je croire qu’il ne faut pas considérer les productions de la Nature
comme une chaîne ininterrompue d’êtres divers, sortant les uns des autres
par transformation naturelle ?
— Certes ! cette théorie se baserait sur un perfectionnement physique
des espèces par évolution graduelle, ce qui serait une erreur.
Her-Bak répliqua :
— Tu m’as dit que dans la Nature il y avait genèse des différents organes
qui vont, dans l’homme, former un tout : il y a donc également, dans le
règne animal, une évolution où l’on voit cette totalité se réaliser jusqu’au
mammifère ? Or voici que tu nies cette évolution !…
Le Sage répondit :
— Tu confonds évolution, avec adaptation et suc cession. Je t’ai dit aussi
que chaque organe était l’incarnation d’une Fonction principielle qui prend
215
conscience d’elle-même dans la matière.
« Dans l’acte de création, toutes les « Possibilités » – donc Fonctions,
donc organes et espèces – sont contenues en Idées. Leur information
corporelle en espèces se fait suivant les Temps du ciel – ou cycles – et
représente une succession d’accidents. Ainsi l’homme n’est pas une
synthèse des espèces corporifiées : il est une synthèse des conditions
cosmiques, et cette synthèse ne peut s’incarner que lorsque la Nature a
corporifié tous les organes, ou expressions de fonctions idéelle-ment
terminées. Alors l’homme est une expression totale de son Univers ; il est
donc l’effet d’une synthèse du ciel.
« Or dans l’état primordial (paradisiaque) il n’y a pas en l’homme
« d’opposition » : par conséquent il n’y a pas non plus pour lui de mort. Il
est une perfection à l’image du Tout, et l’intention de la Cause créatrice ne
peut être que cela. Mais en cette unité humaine paradisiaque il peut se
produire la scission – ou division – comme en la création du ciel et de la
Terre : alors il y a chute. Or cette division n’est pas nécessaire. En l’Homme
parfait il y aurait simultanéité des états, et, sans division encore, il y aurait
identité avec la Cause créatrice. Tandis que, dans notre position (ou
conscience) d’hommes ayant subi la chute, nous voyons ces états séparés en
phases.
« La création est donc le principe de la chute ; tandis que la perfection
voulue par la Cause, et sans les accidents de la chute, n’est plus création
216
dans le même sens, mais manifestation – en incarnation directe – de
l’Unité.
« Les espèces sont la formation des Nombres et Fonctions en Idées dans
la création principielle, c’est-à-dire les Possibilités réalisées dans une sorte
de « succession hors du temps », ce qui semble absurde à l’intelligence
rationnelle. La création principielle doit donc être regardée comme une
création virtuelle qui nous apparaîtra comme effective dans le corporel.
« Nous pouvons dire maintenant qu’étant parues sur Terre, les espèces
217
n’évoluent que par la conscience , mais elles peuvent se modifier par
adaptation aux conditions d’existence et aux nécessités des « époques ».
Quant au mystère de leur parution sur Terre, écoute attentivement les termes
de ma réponse et essaie de donner aux mots leur sens vrai : chaque Neter, en
218
son heure , appelle à la vie la « partie », et les assemblages de parties, qui
lui correspondent.
« Ce fait donne l’apparence d’une chaîne continue d’évolution. Si cette
évolution existait on verrait également le passage du mammifère à
l’homme, et la progression de l’intelligence humaine partant de l’ignorant
219
pour arriver à la plus haute Connaissance actuellement enregistrée . Or
plus nous regardons en arrière dans notre histoire, plus nous constatons les
témoignages de l’existence de cette haute Connaissance qui, en remontant
vers les temps les plus reculés, est manifestement toujours plus proche de
« l’intellect » réceptif, ou intuition ; et plus nous revenons vers l’humanité
de nos jours, plus nous la voyons, avec la complexité progressive du
rationalisme, tomber dans l’analyse matérielle et s’éloigner de la
220
synthétique vitale des anciens Maîtres. Or cette science sacerdotale a
toujours connu l’intervention fortuite de certains facteurs cosmiques, qui ne
sont reniés par la pensée humaine que parce qu’ils dépassent l’horizon de
221
ses facultés cérébrales .
« Les témoignages indiscutables de cette Connaissance prouvent
l’existence, dans les Temps les plus reculés, d’une humanité supérieure qui
a pu dégénérer en chacune des races épuisées, mais qui n’a pas pu
progresser en partant d’une évolution animale. Il n’y a pas de passage
222
possible de la brute animale à l’homme raisonnable ; il y a donc
nécessité d’une « inspiration » spéciale qui sépare absolument le règne
humain du règne animal.
— Cette « inspiration », demanda le disciple, a-t-elle donné à l’homme la
« science infuse », ou l’a-t-il acquise par la suite ? Ce qui revient à dire : y
a-t-il évolution de conscience à travers les races humaines, ou
dégénérescence ?
— Tu confonds encore ici deux problèmes, celui de la conscience en soi,
et celui de l’évolution des races. Nous étudierons plus tard la « nature » de
223
la conscience ; sache seulement, aujourd’hui, que tu dois distinguer la
conscience innée de la conscience acquise.
« La conscience innée est imprimée déjà dans le nouveau-né par les
circonstances d’hérédité, et d’incarnation personnelle. Cette conscience (qui
est l’Intelligence du cœur) est la conscience intuitive latente, qui peut être
éveillée par la culture du sens intuitif.
« La conscience acquise (psychologique) est la conséquence de cette
conscience innée, éprouvée et constatée continuellement à travers
l’expérience sensorielle du corps.
« Quant aux races humaines, elles sont les « époques » successives de
l’humanité terrestre. Quoiqu’elles puissent coexister sur Terre, chacune
d’elles a incarné et développé une des facultés psychiques dont la totalité
fait l’homme supérieur. La réalisation de la faculté particulière à chaque
race conduit celle-ci à son sommet, puis à sa décadence quand une nouvelle
« saison » humaine prépare le bourgeonnement de la faculté « suivante ».
« Prends pour exemple la race noire : elle a reçu la conscience de la
Nature instinctive ; elle en a même adoré les Puissances (culte animiste), et
224
a développé la conscience qui leur correspondait (vision animique ). Son
infériorité, qui n’est que l’ignorance de la masse, consiste à croire que cette
conscience est une perfection. Mais ses Sages ne s’y laissent pas tromper.
« Or tu aperçois chez nous les premiers symptômes d’un abus analogue
dans l’usage de la faculté rationnelle. La puissance mentale, qui doit être
maintenant développée, conduira l’humanité à la certitude insolente de la
supériorité de la pensée rationnelle. Cet abus sera la chute de ceux qui
n’auront pas compris l’échelle des consciences. Car le sommet de l’homme
terrestre est l’acquisition des facultés intuitives-spirituelles, qui doivent
soumettre à leur service des facultés cérébrales.
« Les Sages d’une race sont ceux qui cumulent consciemment les
facultés précédemment acquises, et qui développent la faculté spécifique de
leur race en reconnaissant sa valeur relative dans l’échelle des consciences,
tout en cultivant individuellement les facultés supérieures.
« Chaque race porte en elle sa conscience innée et l’impulsion nécessaire
au « bourgeonnement » de la faculté qui lui est propre. La conscience
qu’elle y acquiert lui est propre aussi ; cependant cette expérience de son
élite enrichit la conscience de l’humanité et constitue un progrès global.
Cette race, ayant épuisé cette expérience, peut ensuite dégénérer : le progrès
reste acquis dans la conscience Universelle (de « l’Homme Cosmique »).
C’est ainsi que se fait l’évolution de la conscience à travers la succession
des races, malgré la dégénérescence de chacune d’elles.
— N’y a-t-il pas eu, en tous Temps, des hommes qui ont développé
toutes les facultés ?
— Oui, s’ils en ont apporté les éléments dans leur incarnation : ce sont
donc seulement des cas individuels.
— Par conséquent il n’y a pas évolution progressive physique de
l’humanité ?
— Non, il y a évolution de sa conscience qui provoque une augmentation
de la sensibilité générale. L’effort pour y parvenir est un effort vital qui
provoque une réaction sur les centres et le système nerveux, et sur la
disposition sexuelle ; ceci met en jeu le libre arbitre, sans lequel il n’y a
point de libération.
« Cette prise de conscience ne dépend pas des volontés ou possibilités
intellectuelles, mais de l’intensité de la poussée intérieure. Or cette
intensité, qui définit « l’élite », naît d’une inquiétude, ou conflit causé par le
choc de la conscience intuitive éprouvant une réalité qui s’oppose à ce qui
n’est pas réel en nous-mêmes.
« Ce heurt de conscience – si fructueux – ne se produit que par les faits
qui laissent en l’âme une empreinte. C’est pourquoi nous cherchons le choc
de la réalité brutale, plutôt que le raffinement sensuel ou cérébral qui
stérilise.
— Je comprends cet effet par mes propres révoltes ! s’écria le disciple.
Le Sage dit :
— Ne te révolte pas si tu veux recueillir le fruit. Accepte les chocs
émotifs, épreuves ou aspects heurtants de la vie ; ne leur fais pas
opposition : ils sont les plus puissants outils de ton avancement.
« Her-Bak, entends ceci, puisque tu veux savoir comment l’humanité
progresse : il n’est point de passage global d’une race à une autre, pas plus
que d’espèce à espèce ; mais il y a sélection des individus qui feront la
semence de la race suivante. La Nature suit son cours par phases
successives, avec tendance à dégénérescence par effet d’inertie.
« L’humanité, abandonnée à elle-même, acquiert sa conscience trop
lentement pour sa durée de vie, car l’homme naturel fuit la souffrance
éducatrice. Cependant on la voit de temps à autre faire un bond prodigieux :
soudain, dans un monde épuisé, surgit un être exceptionnel, en tel moment
et tel lieu qui se trouvent favorables à son développement. Cet être est le
fruit d’une conscience supérieure qui s’incarne volontairement. Cette
« Présence » devient semence, qui suscite l’éveil d’autres êtres prédisposés.
225
« Ainsi se forment, en des Temps déterminables , les nouvelles élites
qui accroissent l’acquis de la conscience humaine.
Le disciple écoutait avec un intérêt croissant ; la conclusion lui parut
évidente :
— Telle fut sans doute la source de notre Sagesse.
— Oui, Her-Bak, et tu pourras maintenant comprendre l’anomalie qui
rendait si perplexes tes professeurs du Péristyle : ils ne s’expliquent point
que les débuts de notre histoire aient témoigné de la coexistence d’une vie
primitive et d’une Connaissance indéniable…
— O mon Maître, quel apaisement serait la solution de cette énigme !
— Cherche les conclusions de ce que je t’ai dit : l’homme exceptionnel
qui prédomine dans un Temps est toujours celui qui possède des facultés
que son « milieu » n’a pas encore développées (je parle de facultés, non pas
de « pouvoirs » personnels). En ce cas, il devient le précurseur d’une
époque en voie de réalisation et pour laquelle il indique le chemin. Toute la
« masse » ne suivra pas ce conducteur ; les hommes qui se trouveront
sensitivement adaptés à cet état de conscience se grouperont, constituant un
germe de race.
« Ainsi les races se succèdent selon un mode que l’on peut prévoir ; car
si l’individu exceptionnel est une création sporadique, précurseur de ce qui
vient, le groupement ne peut se former que si l’ambiance cosmique y incite.
Cette ambiance obligera même le groupement à chercher la contrée qui lui
correspond : d’où les migrations.
— Ici encore, dit Her-Bak, c’est un jeu de déterminisme qui intervient.
— Nécessairement ! c’est ce jeu qui permet de prévoir tous ces
phénomènes, et cela n’est possible que par une vision d’ensemble,
mouvante parce que vivante, mais obéissant à des lois déterminantes.
*
**
Le disciple suivait, dans le passé, la correspondance de ces lois avec les
faits connus :
— Ceci, dit-il, pourrait être l’histoire de la fondation de Kemit…
— Oui, mon fils ; le commencement de cette histoire remonte à un
Temps très ancien, nous assistons maintenant au début de sa dernière phase.
— Cette parole m’effraie : comment peux-tu parler de « sa dernière
phase » ?
— J’entends par ces mots la dernière phase de notre mission initiatique.
La Vérité est unique, mais son mode d’expression suit le rythme de chaque
époque. Nous devions obéir à ce rythme jusqu’à l’avènement du futur
Envoyé…
— Comment, ô mon Maître, peut-on connaître ces choses à longue
distance ?
— Cette prévision est facile quand on a sous les yeux le tableau de
226
genèse générale tracé par les Anciens , et dont la véracité du passé
garantit la véracité de l’avenir.
— Nous ne pouvons pas nous réjouir de cet avenir !
— Il n’y a point à se réjouir ni à se désoler. Chacun doit agir en son
Temps selon le rythme de ce Temps : telle est la Sagesse. Nous avons obéi,
car notre rôle était de révéler au Monde la science du cœur et la synthèse.
« Mais les périodes transitoires entre deux Temps successifs sont
caractérisées par le trouble et l’indécision. Seule la Connaissance des Sages
pourrait atténuer ces désordres. C’est pourquoi il importe aujourd’hui de
t’instruire, Her-Bak… Mais tu parais encore hésitant sur ton chemin.
— Je ne le serai plus désormais. J’ai compris le principe et l’objet du
libre arbitre ; telle erreur ne doit plus se reproduire ! Pourrais-je seulement
connaître le programme de ce « chemin » ? Quel est le but actuel de notre
enseignement ?
— Détailler, dans la limite du possible, ce que les Anciens ont
« concentré » ; révéler, sous les symboles et récits historiques, les bases
positives de notre Connaissance dans le mode adaptable à la mentalité
nouvelle.
« Jusqu’à la fin de notre « Temps », chaque moment doit inscrire son
symbole : par la forme et par la proportion des monuments, par les noms
des Pharaons et des hommes et par les moindres détails qui peuvent
transmettre aux générations futures le message et la preuve de notre
Science. Ce sera le rôle de chaque Sage, jusqu’à notre chute finale, de
veiller à l’accomplissement de ces transformations, selon les Nombres et les
canons prévus depuis le commencement.
Le disciple contemplait son Maître avec des yeux émerveillés ; il
murmura :
— Ma plus grande surprise est ta sérénité qui peut prévoir, sans trouble,
notre chute comme notre grandeur !
— Qu’importe chute ou grandeur si elle est conforme à l’harmonie ?
« Le Sage ne doit s’attacher ni à une terre ni à un peuple, s’il veut guider
impersonnellement. Il considère en chaque race les facultés qui lui sont
inhérentes ; il constate, sans les juger, les acquisitions de conscience qui ont
diversifié les réflexes vitaux et les mœurs. Il sait que, dans chacune de ces
races, une élite se forme qui surnage dans la dégénérescence de la masse :
chacune de ces élites est, en soi, intéressante.
« Il voit en tout peuple le fruit, adapté, de la nature du « lieu » ; car le ciel
fait la terre et la contrée, et celle-ci fait l’homme qui y vit. Il considère cet
enchaînement, inévitable pour tout ce qui dépend de la Nature. Son effort
tend à susciter le milieu harmonieux qui supprime pour la foule les douleurs
inutiles ; mais il aide et protège l’éclosion des élites.
Her-Bak s’agenouilla et baisa les mains de son Maître.
— Ceci suppose une puissance qui maîtrise les passions humaines !…
— C’est le fruit d’une vision impersonnelle, mon fils. Tout disciple de la
Sagesse doit en acquérir la maîtrise. Toi, enfant de l’Égypte, tu dois en être
instruit pour ne pas commettre d’erreur et pour comprendre la mission de
cette terre merveilleuse.
« Depuis plusieurs milliers d’années, les Égyptiens étaient le peuple élu
pour devenir le témoin de la Sagesse indéfectible qui assiste l’humanité.
« D’autres pays ont pu développer une érudition considérable, mais
l’Égypte a gardé, dans son intégrité, le principe fondamental qui fut, dès le
commencement, son programme. Elle est restée fidèle au symbole du fleuve
unique, le fleuve issu de la Terre Noire, son origine, et qui fertilise les
Deux-Terres.
« Elle a joué, dans tous les détails, son rôle de miroir concret reflétant
l’abstraction de l’Harmonie. Elle a transcrit les lois du Devenir pour une
« tranche » d’humanité, depuis le Temps qui lui fut assigné pour instruire
les hommes, mesurant sa Révélation selon la progression convenable. Elle a
réalisé le creuset symbolique où les pays avoisinants apportaient leurs
tributs pour contribuer à la formation du futur « Soleil » Horien.
« Elle est parvenue à son but. Mais elle atteint déjà le point périlleux où
l’élève croit égaler le Maître et préfère la formule à l’Esprit, l’image à la
réalité…
« Car lorsqu’une Connaissance traditionnelle prend la forme d’une
religion, avec son cortège de doctrines, de cultes compliqués, de clergés
tout-puissants, la pureté de la tradition s’altère au profit des croyances
227
imposées et des lois religieuses qui sont les points d’appui de l’autorité
cléricale. Alors ce qui était symboles devient histoires positives, les
« Qualités » divines deviennent, pour le peuple, des idoles ; alors les prêtres
prennent la place de Dieu et s’arrogent le droit de dominer les consciences.
Ainsi s’épuise la puissance mystique d’une Révélation lorsque, par analyse
et complications, la religion s’éloigne et dévie de la pure Révélation initiale.
« Ainsi peut s’expliquer la dégénérescence d’un clergé, lorsqu’il assume
encore un pouvoir périmé, avec le culte de sanctuaires que l’Esprit n’habite
déjà plus. Mais je parle de culte et non de notre Connaissance : la Sagesse
demeure, impérissable, même lorsqu’il arrive que la forme religieuse ne
corresponde plus à l’impulsion de l’époque. L’initié est toujours
responsable de ce qui fut reçu et acquis, et de ce qui doit encore être écrit.
La conscience réalisée par une chaîne d’initiés reste notre apanage ; leur
Sagesse est pour toujours inscrite dans nos pierres et sur nos murs, et un
Temps arrivera où les hommes, déçus par leur science stérile, reviendront y
chercher les lois fondamentales.
« L’Égypte est immortelle, parce qu’elle est, par sa nature, la gardienne
de l’immortelle Sagesse ; de même sa terre noire sort, fertilisée, des eaux du
Nil qui la submergeaient, paraissant devoir la détruire.
« Il n’y a, pour les peuples vivants, ni gloire ni chute définitives. Chaque
terre a son peuple, son âme, son caractère ; et il existe, pour chaque peuple,
une destinée orientée par son génie – ou KA– particulier. Chacun, aux
heures décisives de son histoire, subit l’impulsion de son patrimoine
spirituel qui est la somme du « génie » – plus ou moins sage – de ses pères.
« Et, malgré les vicissitudes de son existence et l’incohérence de ses
directives, ce peuple présente périodiquement les symptômes
caractéristiques de sa destinée primordiale ; de sorte que les prophéties des
Sages se retrouvent valables en des époques analogues : ces prophéties ne
sont-elles pas la connaissance de la concordance des Temps ? … C’est
pourquoi nous pouvons prévoir que l’Égypte redeviendra, dans un Temps
éloigné, un centre et refuge de Sagesse pour un monde désemparé.
Le disciple suivait avec un grand respect l’enchaînement des Lois
surhumaines qui dominaient toute cette histoire. Il en comprenait l’évidence
sacrée et la méditait silencieusement… Enfin il s’efforça de reprendre
contact avec la destinée de son pays.
— Maître, me diras-tu ce que va devenir l’organisation magnifique
établie par nos anciens Maîtres ?
— Elle subsistera encore, selon le rythme acquis, continuant son œuvre
de perpétuité jusqu’à la nouvelle Révélation. Alors nous devrons protéger
nos trésors, pour en préserver le message jusqu’au jour de « reparaître à la
lumière ».
— O Maître, quand viendra ce jour ?
— Ce sera quand l’humanité, adonnée comme jadis à la science maudite,
se trouvera de nouveau près de la catastrophe.
« Mais je parle plus que tu ne peux entendre, ô Her-Bak ! Hâte-toi de te
préparer pour pouvoir, par toi-même, lire comme j’ai lu.
Her-Bak, d’une voix affermie, répondit :
— Maître, je servirai comme tu as servi !
X

HIÉRARCHIE DES NETER


228
THÉOGONIE – THÉOLOGIE

La nuit se dilue dans la clarté de l’aube ; une lourde vapeur est montée
de la terre, effaçant toute forme. Le Sage et son disciple, assis sur le flanc
de la « Cime », se trouvent enveloppés dans une brume légère.
Le Sage murmura :
— Il est bon quelquefois de perdre de vue notre terre, pour être délivré
de l’obsession des formes.
Her-Bak répondit en écho :
— Sans doute l’homme qui s’en libérerait pourrait connaître les Neter…
— N’est-ce pas sur cette montagne que Pois Chiche est venu les
chercher ?
229
— Pois Chiche ne les a pas rencontrés .
— Si Her-Bak pouvait éprouver en lui-même le rapport des effets et des
causes, il pourrait aujourd’hui les trouver.
« Le nuage descend : que vois-tu maintenant ?
— Je vois une brume épaisse qui couvre la vallée ; le fleuve est invisible
et l’on ne distingue plus ni temples ni maisons.
— Pourquoi parles-tu de maisons, de fleuve, de vallée ? Il n’y a rien
puisque tu ne vois rien… ou bien il y a tout ! La brume qui te cache le
monde des Puissances est plus opaque, infiniment, que ce voile jeté sur la
vision coutumière. Si tu constates l’une, pourquoi douter de l’autre ?
« Cependant, autre chose est de connaître « en soi » ces Puissances
motrices du monde, autre chose est d’en étudier la théorie qui en explique
les fonctions. Car les définitions schématiques n’ont point de vie ; or nous
vivons de ces Puissances : elles t’ont formé, modelé, signé, caractérisé.
Mais alors qu’en te voyant toi-même tu oublies la multiplicité des forces
qui te font vivre, il arrive qu’inversement, si tu détailles leurs
manifestations dans la Nature, tu oublies la source unique dont elles sont les
noms et Qualités.
« C’est pourquoi il n’est pas sans danger d’en risquer l’analyse. Car le
cerveau est prompt à se l’approprier ; et ces notions figées voilent la
connaissance de leur action génératrice.
— Dois-je entendre qu’on risque, en voyant les multiples Neter,
d’oublier le Neter unique ?
— C’est en effet le principal danger. Mais les hommes ont besoin
d’images : s’ils n’en ont point, ils inventent des idoles ; mieux vaut donc les
orienter sur des réalités qui conduiront le chercheur sincère vers la source.
— Si les Neter sont les Qualités et Fonctions de l’Unité inconnaissable,
peut-on parvenir à cette source sans avoir détaillé les Neter ?
— Le contemplatif le pourrait par pur confondement. L’homme proche
de la Nature en découvre certaines puissances ; mais plus la pensée l’en
éloigne, et plus il se fourvoie ; et si, à travers la Nature, il ne vénère plus les
divers aspects de l’Éternel, il s’adorera lui-même : sa pensée deviendra son
Neter destructeur… Et ce danger est plus terrible que tout autre.
« C’est pourquoi je t’instruirai maintenant comme ont été instruits nos
instructeurs. Mais je m’efforcerai de montrer l’harmonie des Neter dans un
mode qui soit lui-même une clé, ouvrant une porte sur leurs autres sens.
*
**
« Il est dit qu’au pied de cette colline les huit Neter du commencement,
ayant formé l’œuf du Monde, sont venus dormir sous la butte, attendant à
chaque décade la visite du « grand serpent »… Essayons de les évoquer.
« Tout est en tout, parce que tout vient d’Un qui se regarde et ainsi se
divise. Mais avant de se diviser, Il est le chaos primordial qui porte en lui
toutes les possibilités.
« Et ces possibilités ont double aspect : le passif et l’actif. Elles y sont en
puissance et ne sont point différenciées. Cette « confusion est le total des
activités du Monde ; mais ces activités sont niées par leur propre passivité,
car dans cet état l’une ne prédomine pas sur l’autre. Et je ne puis les
nommer sans les « penser », et les penser c’est déjà les différencier.
« Le premier nom possible dans cette confusion est Noun, c’est-à-dire
l’énergie N qui, se niant elle-même (nn), se polarise manifestant ce qui était
en son « eau chaotique » : le principe « Esprit-Lumière » heh et le principe
Ténèbre kek. Alors il y aura Nou, l’Eau céleste nourricière génératrice du
Monde, Amonienne, invisible.
« Ainsi sont Noun et Nounet, Heh et Hehet, Kek et Keket, Niaou et
Niout : quatre « doubles » en un, qui « sont » en puissance avant d’être
manifestés. La dualité de ces Primordiaux signifie la contradiction qui
manifeste le Chaos en le divisant. C’est toujours l’androgynat originel qui,
dans sa confusion des natures, est incompréhensible.

FIG. 22. – Alors il y aura Nou, Veau céleste nourricière génératrice du monde.

« Mais le Verbe agissant, le principe Lumière surgit ; et du fait d’agir, il


opère la séparation et manifeste le Neter créateur de la double puissance
(séparer, unir, faire paraître et anéantir) : Lui Atoum, qui fait le premier soir
et le premier matin.
230
« Ainsi furent dans le Principe : la lumière du jour herou et
231
l’obscurcissement de cette lumière rouha .
« Lorsqu’il y a « deux », le troisième y est en puissance. Ce troisième est
le mouvement. Et par le mouvement circulaire, c’est-à-dire de soi-même en
soi-même, Atoum-Râ s’engendra, émettant les deux premières Qualités :
Chou, principe du Sec, et Tefnedj, principe de l’Humide.
« Et ceux-ci devinrent terre-ciel : Geb-Nout. Alors le Verbe créateur
232
opposa Geb à Nout ; et Chou, en son nom caché de reh , sépara le ciel-
Nout de Geb-terre.
233
« Alors parut la Lumière unificatrice du Verbe her ; reh, le dualisateur,
évoqua les Puissances complémentaires, et Nout donna naissance à Andjet
(Osiris), Aset (Isis), Soutekh (Seth) et Nebhet (Nephtys).
« Alors parut la Lumière du Verbe ternaire, Horus-Our posséda ses deux
yeux : le Soleil et la Lune. Et le Monde devint, par la lutte incessante des
puissances complémentaires.
Le Sage se taisant, Her-Bak lui demanda :
— Pourquoi le nom de Ptah n’a-t-il pas été prononcé ?
— Maintenant je puis le prononcer, car il est manifesté.
« J’ai parlé de la création principielle (métaphysique), avant qu’il y eût
ciel et terre. Ptah est le premier artisan de la création matérielle et opère sa
continuité.
*
**
« Or, ceci est le tronc de l’arbre généalogique de tous les Neter.
« Ptah, Principe actif causal, par sa chute dans le « corporel », divise en
deux ce tronc : et ceci donne l’image de la Trinité. Des deux parties du
tronc jailliront de multiples embranchements ; mais chacun d’eux gardera le
caractère fondamental de la partie du tronc dont il dépend ; l’une des deux
est de nature abstraite ; l’autre, celle de Ptah, prendra la nature concrète.
« La première donne les Neter de cause et de mobile ; la deuxième
définit les Neter qui donnent les formes. Il arrive que leurs branches
s’enchevêtrent, comme par mariage.
« Mais parce que tout vient d’Un, tout est de la nature originelle de cet
Un ; cette nature est incompréhensible si elle n’est pas manifestée par la
diversité. Et ce qui est réel dans la synthèse des fonctions paraîtra, dans leur
analyse, comme une incohérence et une interversion de filiation. Cependant
sois certain que l’absurdité n’est point en cette réalité, mais en
l’impuissance de ton raisonnement devant ce mystère de la Création…
234
puisque le Monde est, et qu’il fut avant que soient toi et ta raison !
« Ces premières notions de la Hiérarchie des Neter ne sont qu’un résumé
concis dont l’étude comporterait un développement considérable. Je veux
cependant te donner un exemple plus explicite de notre conception des
Neter.
« Je t’ai dit qu’Atoum-Râ, s’engendrant dans le Nou, tira de lui-même les
deux Qualités primordiales ; Chou, principe du Sec, et Tefnedj, principe de
l’Humide. Ce serait une erreur d’interpréter ces deux Neter comme des
Qualités absolues. Rien n’est absolu dans ce qui sort de la Cause absolue.
« Le Feu essentiel, Cause de toutes choses créées, n’est pas manifesté
avant la première dualité ; Chou et Tefnedj sont les premiers effets de sa
polarisation ; l’aspect actif du Feu donne le Sec, Chou ; son aspect passif
donne l’Humide, Tefnedj.
« Mais si l’on dit que Chou est le principe du Sec, et Tefnedj le principe
de l’Humide, il faut ajouter immédiatement (appliquant la loi du
croisement) que l’un est manifesté par l’autre, c’est-à-dire que l’Humide est
le témoignage de la présence du Sec, et que le Sec ne peut apparaître que
s’il est issu de l’Humide : donc l’Humide est, au commencement de toutes
choses, la première manifestation… quoique ces deux principes soient
produits d’une Cause unique, le Feu originel.
« C’est le Feu de Toum (ou Atoum) qui est producteur des Qualités
fondamentales, leur agent d’union, d’annihilation, et de séparation ; de sorte
que Toum est significateur de fonctions apparemment contradictoires :
totalité des potentialités contenues en l’unité, annihilation, séparation, et
lien.
« Les quatre Qualités qui sont les agents du Devenir (le Sec, l’Humide,
le Chaud et le Froid), ne sont que des modalités du Feu de Toum, qui dans
leur manifestation s’opposent deux à deux : le Sec s’opposant à l’Humide,
le Chaud au Froid. Tous les états du Devenir étant sans cesse mouvants,
nous ne pouvons représenter une Qualité qu’à l’état relatif, car elle est
toujours plus ou moins modifiée par l’une des autres Qualités.
« Le Sec est la qualité dominante de Chou, mais Chou est aussi la
chaleur de l’Humide qui fait l’Air. L’Humide est la qualité dominante de
Tefnedj ; Tefnedj est le froid de l’Humide qui fait l’Eau, mais elle est aussi
la qualité contractante – le Feu froid – par laquelle, de l’eau, sortira la Terre
(froid-sec).
« Il y a donc croisement de qualités entre ces deux Neter, et, par ce
croisement, il y a dans le mâle Chou un aspect féminin, et dans la femelle
Tefnedj un aspect masculin.
« C’est pourquoi tu verras souvent Chou-Tefnedj symbolisés par deux
lions (l’aspect mâle et l’aspect femelle du principe igné), qui président à
l’état intermédiaire précédant le début du jour et le début de la nuit, comme
au commencement de tout ce qui vient à l’existence.
235
— Ces deux lions sont-ils en rapport avec le double lion aker ?
— Les mêmes principes sont en jeu, mais considérés sous un autre point
de vue. L’un des lions aker regarde vers la lumière, et l’autre vers les
ténèbres ; de même les qualités essentielles de Chou et de Tefnedj sont
opposées. Cette opposition nécessite une annihilation réciproque en laquelle
s’effectue un croisement de leurs propriétés respectives, de sorte que cette
apparente destruction donne naissance à une nouvelle unité tenant des deux
premiers Principes élémentaires, laquelle unité se séparera elle-même en
deux autres.
— Pourquoi cette nouvelle unité devra-t-elle se dédoubler ?
— Parce que, dans le Devenir, aucun des éléments primordiaux ne peut
rester immuable : chacun d’eux évoque nécessairement sa propre
contradiction, et, par cela même, provoque la destruction mutuelle des deux
aspects issus de cette division. Mais, dans cette destruction, chacun apparaît
comme une « tête de lignée » d’une activité déterminée.
« Les modalités essentielles du Feu originel exprimées dans les deux
premiers couples (Chou et Tefnedj, Geb et Noui), font donc de ceux-ci
quatre têtes de lignées ; et chacune d’elles caractérisera tout Neter, toute
chose et tout être, en lesquels dominera son Neter primordial. Ainsi Chou se
trouve en parenté directe avec Maât. Ainsi certaines propriétés de Tefnedj
sont exprimées dans Sekhmet. Ainsi Osiris est dit « héritier de Geb », de par
sa nature terrestre ; mais il est fils de Nout en tant qu’Eau céleste du
renouveau. De même, Horus peut être dit « fils d’Osiris » et « héritier du
trône de Geb », dans son rapport avec l’existence terrestre ; tandis qu’il sera
dit « fils d’Isis » comme étant né de l’eau marécageuse, ou « fils d’Hathor »
comme étant né du ciel.
Her-Bak éprouvait une grande difficulté à suivre l’enchaînement
métaphysique d’un mythe dont il n’avait connu jusqu’alors que le
symbolisme imagé.
— Maître, dit-il, tu m’as expliqué comment les Principes primordiaux
engendrent et qualifient ce qui en est issu. Mais je n’ai pas compris
comment peut s’accomplir la séparation d’une unité.
— Ne t’en étonne point, mon fils ; nul ne pourra jamais le comprendre !
Il suffit de savoir que la puissance séparatrice d’Atoum continue à agir en
toute sa descendance. De même que Chou-Tefnedj sont nés d’une
« ouverture » – ou division – de l’Unique, de même ils deviennent le
principe de l’ouverture et duahsation de tout ce qui suivra. Chou, avec « ses
deux bras », séparera Nout de Geb ; quant à Tefnedj, elle représente ce qui
est à séparer, c’est-à-dire l’Eau du ciel et le Feu de la terre.
« Cette incompréhensible séparation place toujours notre intelligence
devant un mystère qui défie toute analyse ; et les « croisements qualitatifs »
créent un renversement de fonctions qui déroutent notre logique et ne
peuvent s’exprimer que par symboles… C’est pourquoi il est sage de
chercher plutôt la synthèse de ces fonctions secrètes, à travers nos symboles
qui en révèlent les effets vitaux.
Her-Bak répondit :
— Je comprends la nécessité de cette méthode, car le raisonnement est
impuissant devant le mystère ! Cependant l’histoire des Neter est destinée à
instruire les hommes : il faut donc qu’il y ait un fil conducteur pour en saisir
l’enchaînement, sinon elle serait un trouble pour le chercheur sincère,
comme elle le fut peut-être entre les clergés des divers temples ?
FIG. 23. – Chou avec ses deux bras séparera Nout de Geb.

Le Sage dit :
— L’ignorance du fil conducteur excuse telles sup positions ; sa
connaissance te montrera leur puérilité. Admets d’abord l’affirmation dont
notre enseignement t’apportera les preuves :
• il n’y eut pas de luttes théologiques entre les théologies successives ;
• pas de compétitions entre les temples et les villes pour la prédominance
de leur Neter ;
• pas d’adaptation opportuniste à quelque but politique.
« Certes les passions humaines essaient toujours d’intervenir ; mais le
contrôle incessant de nos Sages ne leur permit de toucher aux symboles que
dans la mesure et la manière correspondant au rythme de l’époque : le plan,
conforme à la réalité Cosmique, était fixé d’avance, nul n’avait le droit
d’innover.
— Je le comprends pour les grandes lignes, mais je supposais que le
peuple avait multiplié les Neter des premiers Temps.
— Théologiquement le peuple ne peut rien inventer. Posé devant le ciel
et la Nature, il peut, constatant certains phénomènes, leur attribuer
superstitieusement une cause surnaturelle : il n’en déduira jamais une
théologie. Quant aux clergés, ils ne modifient qu’en accentuant l’aspect
utilitaire qui peut affermir leur pouvoir. Jamais une religion initiatique
n’évolue en ajoutant de nouveaux éléments aux bases théologiques, mais en
analysant celles-ci.
« La forme théologique est toujours apportée par un instructeur initié,
avec toutes les bases essentielles. Lorsqu’une Révélation se perpétue à
travers plusieurs millénaires, les noms divins devront se modifier pour
correspondre à ce qu’ils représentent. Pour donner force religieuse à une
théologie, l’initié inspiré lui accorde souvent un caractère historique ; et
cela ne va pas contre la vérité, car il est impossible à un homme non inspiré
de donner une Révélation correspondant au Temps et qui soit véridique.
Her-Bak jetait sur le Sage un regard suppliant :
— O mon Maître, me feras-tu connaître le fil conducteur ?
Le Sage répondit :
— Soit, je parlerai… pour ton bonheur ou ton mal heur : si ton cœur est
simple et sans arrogance, ce fil te conduira vers les portes secrètes ; sinon tu
seras plus aveuglé qu’auparavant.
Her-Bak baisa la main du Sage et lui dit gravement :
— Maître, j’en ai fait l’expérience ; j’écouterai.
*
**
Le Soleil était sorti de l’horizon ; l’ardeur de ses rayons avait vaincu la
brume ; sa lumière découpait crûment toutes les formes. Alors le Sage
consentit à dévoiler pour son disciple la Hiérarchie des Neter :
— Il y a, lui dit-il, l’histoire abstraite de la création primordiale ; celle-ci
se rapporte aux divers aspects de la Puissance créatrice, et à ses expressions
ou « Paroles » successives dans le Monde des Principes ; il y a l’histoire
236
concrète de leur réalisation, à travers la succession des procréations .
« La première histoire est divine.
« Dans l’Unité première sont Her et Reh. L’un est comme le miroir de
l’autre, comme à l’origine les ténèbres regardent les ténèbres d’où jaillira la
lumière. Reh regardera la face de Her ; et ce sera la première opposition
dont la lutte cause le Monde :
« Her étant la Lumière du Verbe ; Reh – dont la manifestation sera Seth –
étant le séparateur, destructeur, stérile, cause de la dualisation qui fait le
« monde » par opposition. C’est pourquoi Horus et Seth sont nommés les
237
Reh-ouy . (La même appellation appartient aux deux sœurs
« complémentaires » Isis-Nephtys, quoiqu’elles soient moins caractérisées :
les Reh-ty.)
« L’un ne peut être sans l’autre, car l’un est la cause de l’autre. Cette
dualité se poursuivra d’une façon constante dans la Nature : elle est le
principe de la sexualité qui est cause de naissance, donc de mort.
« La première trinité, divine, originelle, est indivisible et
incompréhensible dans son unité. Lorsque nous nommons le Principe
créateur : Atoum, Amon ou Râ, c’est déjà d’une trinité qu’il s’agit. A partir
de cette première trinité nous parlerons de Ptah et des triades divines, dont
chacune est l’origine d’une lignée dans la création continue :
Horus – Hathor – Ihi ;
Ptah – Sekhmet – Nefer-Toum ;
Amon – Moût – Khonsou ;
Osiris – Isis – Horus leur fils ; telles sont les principales triades.
« Et ce qui, dans ces diverses lignées, concerne les réalisations, fait
partie de la deuxième histoire.
« La première histoire te fera connaître encore les Neter du quaternaire,
les quatre piliers du monde, ou éléments constitutifs. Ils sont signifiés sous
quatre aspects principiels, dont chacun est quadruple car l’élément simple
n’est pas perceptible :
• leur principe qualitatif est donné dans les deux premiers couples : Chou
et Tefnedj, Geb et Nom ;
• leur nature à’éléments-innés est représentée par les quatre « BA »
contenus dans la colonne djed : BA de Râ ou Feu, BA à” Osiris ou Eau, BA
de Chou ou Air, BA de Geb ou Terre (les quatre barres de la colonne djed) ;
• l’aspect féminin – substantiel-non-matériel – des éléments, est
symbolisé par les quatre femmes : Net (Neith), Serqet (Serket), Aset (Isis),
Nebhet (Nephtys) ;
• les natures organiques animales des éléments sont données par les
quatre fils d’Horus : Amset, Hapi, Douamoutef, Qebhsenouf.
« Je ne parlerai point du divin Nombre Cinq, qui sera un jour ton Neter
de Lumière.
« Le Nombre Sept te donnera le nom de Sefekht qui signe toute chose en
ce monde.
« Tu connais déjà les huit Primordiaux, associés de Thot, et les Neter de
l’Ennéade.
« Le Nombre Dix est le triangle du monde des Principes.
Her-Bak était fort intrigué par l’omission du Nombre Six ; il en fit la
remarque avec hésitation
— … car, dit-il, ce n’est sans doute point un oubli de mon Maître…
L’astuce fit sourire le Sage qui répondit :
— Six un est Nombre secret dont le caractère est « équilibre » et en
même temps « séparation » ; il « ouvre » et « ferme ». Mais la valeur de cette
définition ne t’appa-raîtra que plus tard, si tu approfondis l’étude des
Nombres et de nos lettres.
Her-Bak s’excusa de cette interruption et supplia son Maître de continuer
cet enseignement.
*
**
Le Sage dit :
— La deuxième histoire te montrera les fonctions de la Nature en aspect
réalisateur.
« Les deux fonctions maîtresses résultent de l’opposition dans la Dualité,
qui fait le Bien et le Mal et donne la science de la Nature ; ce sont la
contraction et la dilatation. Pour comprendre leur expression symbolique,
souviens-toi que toute fonction en action provoque la réaction
complémentaire ; nos mythes et nos clés te seront inaccessibles si tu
négliges ce fait essentiel.
« Ainsi le scorpion serq est, en soi-même, principe de fixation
« contractante » ; de ce fait il provoque la dilatation « aspirante ». C’est ce
double jeu qu’il symbolise par sa vie et par le dessin – normal ou anormal –
qui le représente.
— En effet, constata Her-Bak, il est étrange qu’on le représente parfois
sans queue !
Le Maître répliqua :
— Ce que tu appelles sa queue est la partie la plus allongée de
l’abdomen. Si cette partie est supprimée dans le dessin, c’est que l’on omet
l’idée de venin, et que l’importance est donnée à la « dilatation aspirante.
« Il y a, dans le crocodile de Sobek, l’expression d’une qualité
contractive. L’idée de contraction est aussi exprimée dans le radical saq, par
le jeune saurien repliant sa queue. Mais le symbole parfait de la contraction
(fixation) est Sokar.
« La fonction de dilatation appartient à Anup (Anubis). Oupouat
représente un aspect particulier de cette fonction. Le nom du parfait
238
accomplissement de la dilatation est ouadj .
« La digestion a son symbole en Anubis dans son aspect de chacal, qui
dévore même les os et transforme en substance vivante la matière putride.
« La digestion de la semence – digestion qui tue et décompose pour
former et gester un nouvel être – appartient à Moût. Ce principe féminin ne
peut pas donner vie sans faire mourir la semence, c’est-à-dire sans fixer en
« volume » corporel l’impulsion de vie qu’apporte la semence. Le premier
effet sera putréfaction. Si le principe féminin fécondé n’est pas lui-même
vivant, la putréfaction sera corruption, et Moût deviendra mat (mort).
« Sekhmet, autre forme de Moût en sa fonction Hathorienne, est un
aspect de ce qui tue pour animer.
« Apet-Ta-ourt (Touéris) au ventre énorme et aux seins de nourrice est le
symbole de l’abondance, de la fécondité maternelle et de la concrétisation ;
c’est le corps et le ventre contenant ce qui est en gestation. Elle est aussi le
principe de la terre maternelle et nourricière.
« Khnoum est le Neter de toute conjonction. « Heqet est celui de la
renaissance par re-génération du ferment, et de la multiplication.
*
**
« Si je voulais détailler les diverses expressions du Principe féminin, je
devrais d’abord séparer ses rôles dans les Principes de vie d’avec ses
fonctions dans l’existence terrestre. Or je ne puis pas le faire, les unes
rendant les autres compréhensibles.

FIG. 24. – Les quatre divinités : Isis, Nephtys, Serket et Neith,


aux angles du sarcophage. Les quatre fils d’Horus, dont deux sont
sur une face et deux sur l’autre. Au centre, Inpou (Anubis).

« Ses quatre grands aspects sont figurés par les quatre déesses : Aset
(Isis), Nebhet (Nephtys), Net (Neith), Serqet (Serket).
« Isis est le Principe féminin de la Nature, en qualité de siège et lieu qui
situe toute activité. Elle est l’aimant qui attire la semence mâle et en
provoque le jaillissement ; c’est la passivité agissante de la féminité et la
mère de l’existence.
« Son principe fluide (ses larmes) est spiritualisant : il ne ressuscite point
239
le corps terrestre d’Osiris mais son « djed » (sublimé), d’où jaillira
périodiquement « l’Eau nouvelle » de toute sève.
« Elle est la substance maternelle qui, dans le marécage, geste et nourrit
Horus qui révélera la face spirituelle de son père Osiris.
« Nephtys est la passivité négative de la féminité. De nature subtile, elle
corrompt pour donner la vie ; elle est immanente à Isis dans sa fonction de
pleureuse qui provoquera la putréfaction, et « fera » ainsi le « digéreur »
240
Anubis (évoquera cette fonction).
« Neith est la Féminité spirituelle animatrice, la double énergie
lumineuse, sans forme, qui provoque la formation par fixation des
compléments (croisements). Vierge, elle mit au monde avant qu’on mît au
monde ; extrême dilatation, elle provoque la contraction, c’est pourquoi
nous mettons son symbole dans la poitrine dilatée du cobra. De ses flèches
croisées, elle fixe la substance. Le mouvement de sa navette tisse la
première matière du Monde.
« Serket est la féminité sexuelle ; elle est la puissance ténébreuse
contractive qui provoque la dilatation (donc l’aspiration).

FIG. 25. – A droite Nephtys, à gauche Isis qui, dans sa fonction


de pleureuse, provoquera la putréfaction et « fera » ainsi le« digéreur » Anubis.

Her-Bak émit une objection :


— Plusieurs fonctions étant attribuées à une même déesse, comment
peut-on les distinguer dans son image ?
— Ses costumes sont-ils toujours les mêmes ? Les quatre déesses dont je
viens de parler n’ont-elles pas des robes variées : parfois plumes, parfois
écailles, parfois robes de femmes ? Et les attributs de leur coiffure ? …
Connaissant les principes, il faut être aveugle pour ne pas discerner les
grandes lignes de leurs sens symboliques !…
« Ce sera ton travail personnel d’étudier chacun des Neter en son rôle
cosmique et dans ses fonctions particulières, et d’essayer de les classer en
l’une ou l’autre des deux « histoires ».
« Or, je te préviens que tu travailleras en vain si tu ne connais pas le
rapport qui relie ces deux branches en unité vivante. Si tu ignores cet autre
aspect, ces deux histoires te paraîtront (à toi comme à tant d’autres) divisées
en multiples théogonies particulières, discontinues, non motivées parce que
sans lien harmonieux avec l’Univers.
— C’est ainsi qu’elles me sont apparues, reconnut le disciple, et j’avais
perdu tout espoir de les comprendre.
— Si tu ignores cet autre aspect, reprit le Sage, tout ce que j’ai dit ne
t’expliquera pas pourquoi les dieux changent de nom, pourquoi certains
cultes sont modifiés ou momentanément supprimés, pourquoi celui d’Amon
paraît tardivement dans notre histoire, pourquoi l’oriental Andjeti deviendra
VOsiris occidental ; enfin pourquoi et en quoi se confondent certains
caractères de Moût et d’Hathor, de Maât et de Neith…
« Cet enseignement, qui est la clé des deux autres, est la théogonie des
cycles célestes. Cette théogonie est en rapport avec les caractéristiques
résultant de la révolution continuelle du ciel. Ces mouvements perpétuels
qui se rapportent au Soleil, à la Lune et au grand cercle des bakou (décans),
donnent quatre cycles qui intéressent immédiatement notre vie : le cycle du
jour, le cycle du mois, le cycle de l’année, le cycle de coïncidence de Lune
et Soleil. Il y a d’autres cycles plus vastes parmi lesquels tu dois noter celui
qui se rapporte au déplacement de l’étoile centrale (polaire) ; je nommerai
241
ce dernier le « grand cycle ».
« Or ces quatre cycles sont les circuits vivants dans lesquels se
manifestent les Neter. Ce sont eux qui motivent les diverses théogonies et la
structure compliquée de la théologie.
« Le cycle journalier justifie et révèle le sens des symboles suivants :
• les trois noms de Râ – Khepri, Râ, Toum –, et le caractère de ces Neter
créateurs ;
• le voyage de Râ dans le ventre et sur le dos de Nom ; les Neter qui
l’accompagnent dans ses barques du jour ;
• les entités de la Douât qu’il visite en son trajet de nuit ;
• les secrets des « abîmes » – qerti –, dont chaque Neter « endormi »
s’éveille au moment du passage de Râ, et se rendort ensuite jusqu’à sa
prochaine visite. Et ce cycle journalier est déjà l’image de ce qui se passera
dans les autres cycles.
« Le cycle mensuel fait comprendre :
• la triade Ptah – Sekhmet – Nefertoum ;
•la nature luni-solaire de Khepri (le scarabée) avec l’explication de ses
symboles ;
242
• le sens de l’œil oudjat , de Nekhbet, et du rôle lunaire d’Hathor aux
quatre faces.
243
« Le cycle annuel montre le défilé des bakou (décans) ; en lui s’inscrit
tout le drame d’Osiris, dont il est la mesure et la clé, ainsi que les kheprou
(transformations) symbolisées par le ternaire Ptah – Sokar – Osiris.
« Maintenant je veux dire une chose que tu ne trouveras jamais écrite
chez nous. Douze constellations sont situées dans le double ciel des ater
(Nord et Sud), qu’elles divisent en douze secteurs, correspondant à peu près
aux douze mois. Elles dessinent dans le « Grand Fleuve » céleste douze
figures, formes ou « signes », qui ont été nommés selon le caractère
animique effectivement donné par eux au mois (abed) qui leur correspond.
« Dans le circuit que j’ai nommé « grand cycle », et qui s’effectue en
sens inverse du cycle annuel, notre Terre est sous l’influence d’un de ces
244
signes pendant un peu plus de 2 000 ans . Ce temps se divise en trois
phases, comme le mois se divise en trois « terou », mais le début et la fin de
chaque Temps ne sont pas nettement délimités, car ils subissent (à un
moindre degré) l’influence de la phase qui précède et de celle qui vient.
« Pour chacun de ces douze Temps, on a donc donné à son Principe
animateur le nom secret correspondant à son signe. Le règne de Mena se
situe pendant le Temps du signe Taureau – KA – dont les caractères sont :
masse et stabilité (men) ; puissance de combat par la nuque et les cornes ;
puissance fécondatrice, feu si ardent (khem) qu’il émet sa semence sans
mouvement.
245
« La Puissance que nous nommons khem et menou fut sa première
symbolisation : foudre, feu redoutable ; puis feu fécondant symbolisé par le
taureau (incarnation de Ptah) feu réalisateur, puis par le Neter Min au
phallus puissant, enfin par Montou qui a le double caractère de feu Horien
(faucon) et de feu terrestre fécond (taureau).

« Et le taureau prit une importance considérable dans nos symboles, car


il est l’incarnation animale du Principe animique par lequel a été caractérisé
le début de l’organisation des « Deux-Terres ».
— Quelle curieuse coïncidence, fit observer Her-Bak : les statues datant
de cette époque sont remarquables par la puissance et l’épaisseur du cou et
246
de la nuque , et les pyramides ont le même caractère massif.
— Oui, le caractère de masse et de « bases ».
« Or, lorsque vint le Temps du nouveau signe – le Bélier –, on vit
subitement apparaître Amon remplaçant Montou ; Osiris était alors devenu
occidental.

« Aujourd’hui le Bélier est à son apogée, comme notre propre histoire ;


ses images remplissent nos temples. Le déclin d’Amon occidental a
commencé, et déjà se prépare la gestation du Soleil Amonien – le jeune feu
de l’Agneau, fils du Bélier – ; c’est pourquoi notre grand Neter est devenu
Amon-Râ.
« Ainsi un signe suit un autre signe, imposant son symbole aux hommes
de la Terre ; et lorsque Râ se lèvera dans le signe des Poissons, le poisson
deviendra nécessairement le symbole du nouvel initiateur.
— Il n’y eut donc ni fantaisie ni but utilitaire dans les transformations
des cultes et des dieux ? demanda le disciple auquel cette conclusion
apportait un grand apaisement.
— Non, mon fils. Tout est réglé d’avance, par le ciel dont on connaît les
mouvements.
« Étudie maintenant les diverses théogonies : tu les verras expliquées par
l’un des quatre cycles qui dépendent les uns des autres, les plus petits étant
contenus dans les plus grands. Ceci crée, pour ceux qui ne connaissent pas
cette clé, une complexité inextricable.
*
**
« Maintenant, cherche l’unité dans cette diversité ; établis le lien qui relie
les cultes essentiels : Râ (dont Atoum est un « moment »), Amon et Ptah.
« La triade de Memphis – Ptah – Sekhmet – Nefertoum – est l’histoire de
toutes les incarnations de Ptah en répétitions successives (ouhem) de ce qui
fut au commencement, à travers tous les règnes de la Terre, depuis les
minéraux jusqu’à l’œuf humain.
« Le Créateur, en son aspect de Ptah, forme la terre, Tatanen, qui le
reçoit et en laquelle il est « inné ». C’est le Neter des mines, le fondeur de
métaux, et l’Ouvrier des ouvriers. Mais il est emmailloté, sans liberté
d’action des jambes ni des bras. Sekhmet est son « aimant » ; elle est la
puissance destructive de la terre, qui « tire à elle » le feu de Ptah et le
délivre de ses liens.
« La victoire de Sekhmet-Hathor est le renversement de Ptah en hotep ;
la première transformation de Ptah qui en résulte est Sokar, dont la
contraction (ou fixation mortelle) est la principale fonction ; ensuite il
ressuscitera en son fils Nefertoum. Il est dit que Hapi, nom du taureau sacré,
est l’âme de Ptah.
« Tu connais la triade Amon – Moût – Khonsou ;
• Amon, en son nom absolu, est caché ;
• Il apparaît comme Râ dans le Noun, et féconde ce en quoi il s’est créé.
Tous les dieux primordiaux de la terre étaient reliés à son corps, quand, en
sa qualité de Ptah-Tanen, Il les créa formellement.
« Et Râ paraît, comme sa face qu’il révèle à l’Orient.
« Amon est le Principe créateur dans son aspect d’eau aérienne – « eau
amniotique » du Monde – et, comme tel, occidental. Fécondateur et
nourricier, il est, dans la Nature, époux de Moût, maîtresse du lac lunaire
247
d’Acherou ; alors il engendre Khonsou.
« Râ est Un. Il a plusieurs aspects, mais il n’a point de triade.
« Atoum est un « moment » de Râ. Dans la création « seconde » il
248
devient « l’homme-origine » représentatif de Râ.
« Râ-Universel ne peut agir directement dans la Nature, puisqu’il en est
la Cause cosmique ; c’est donc le Râ de la Nature, Atoum, qui agit en sa
place : et son corps matériel est l’Aten, le globe lumineux apparent.
« La Source divine de Lumière, que nous nommons Râ pour pouvoir le
prononcer, a son temple à Iounou (Héliopolis). Sa puissance réalisatrice de
Créateur terrestre a son temple à Hat-Ka-Ptah (Memphis). Sa puissance
animatrice est fécondatrice et nourricière sous son nom d’Amon. En son
nom & Amon-Râ elle résume son double aspect et tous les Neter contenus
en puissance dans son nom imprononçable. Son temple est en Ouast
(Thèbes).
« Et ces trois ne sont qu’Un : « Amon-Râ-Ptah, trois en Un. » Mais
l’homme ne peut connaître cet Un que par ses Qualités (spécifications). Et
celles-ci se manifestent diversement selon les Temps : le ciel est le grand
livre en lequel Thot inscrit les signatures de ces diverses Qualités ; et
chaque chose qui naît sur terre porte, signées en caractères de Thot, les
qualités astrales du ciel qui y sont reflétées.
« Et chaque Temps est imprégné d’une des grandes Qualités. Le Temps
qui précéda notre histoire fut qualifié par le signe des Gémeaux, qui était le
249 250
domaine de Thot . Les chemsou d’Horus formèrent la semence
solaire-Horienne, correspondant dans la Genèse à la création primordiale :
c’est pourquoi le temple solaire d’Iounou (Héliopolis), fut à l’origine de
notre histoire.
« Le culte de Ptah, à Hat-Ka-Ptah (Memphis), inaugura l’époque
organisatrice du Taureau.
« Au Temps du Bélier commença le règne de Ouast (Thèbes), qui s’est
développé dans sa gloire au point culminant de ce signe. Or, Ouast est le
sommet de notre puissance et la fin de notre mission initiatique.
« Telle est la suite des « directions » célestes qui ont influencé notre
développement.
Le Sage s’arrêta pour laisser à Her-Bak la possibilité de classer ces
notions. Celui-ci dit alors :
— Lorsque j’étais élève dans le Péristyle, un prêtre m’avait appris une
formule que j’avais qualifiée de légende superstitieuse. Je crains
aujourd’hui d’avoir jugé en étourdi.
— Cette formule, récite-la.
Le disciple obéit :
— « Le message du Ciel est donné à Iounou (Héliopolis), répété à Hat-
Ka-Ptah (Memphis), écrit en caractères de Thot et envoyé à Nout-Amon
(Thèbes), d’où est donnée la « réponse », par Amon, à Ouast (Thèbes) qui
peut tuer ou faire vivre.
« Tout est Amon-Râ-Ptah, Un en trois. »
— Tu dois la comprendre maintenant, dit le Maître : la théologie de Hat-
Ka-Ptah donne la répétition réalisatrice de la création primordiale ; alors
251
sont spécifiés et « organisés » les nomes avec leurs symboles
correspondant aux « signatures » de Thot. L’accomplissement de notre
enseignement est réservé à Ouast (Thèbes) ; et Ouast donne la révélation
totale de la théologie pure (métaphysique) avec l’inscription de toute la
Connaissance, en ses monuments et en ses tombeaux.
« Tout ce qui fut acquis au cours de notre longue « mission », tout ce qui
fut réalisé, doit être résumé en ce lieu ; ce qui n’empêche pas que les divers
trônes des Neter (ou temples) des « Deux-Terres » inscrivent les détails de
la phase qu’ils représentent.
« Ainsi la parole est véridique : la « réponse » est donnée à Ouast où
vient se terminer notre révélation ; c’est pourquoi il est dit que les dieux
primordiaux sont enterrés au pied de notre montagne d’Occident.
« L’arbre théologique, dont toutes les branches se trouvent « situées » par
les quatre cycles, incarne les Principes créateurs et les « Fonctions » dans
leurs aspects les plus subtils. Il révèle à « l’intelligent-de-cœur » l’harmonie
du Monde des Causes, inexplicable en théorie. Les symboles font parler ces
images vivantes, et l’homme perspicace y trouvera les directives vitales qui
en découlent.
— Maître, dit le disciple après un long silence, oserai-je demander
pourquoi tu n’as pas parlé de Thot, ni de Maât ?
— Ai-je parlé d’Horus ? répliqua le Sage… Écoute donc, si tu es disposé
à ne pas gaspiller ce trésor des Sages : Horus-Universel est, à l’origine, en
Râ-Universel. Thot est son vizir ; il est le messager qui formule toutes ses
Paroles. Tu le trouveras partout.
« Et Maât, qui relie l’Universel au terrestre, le Divin à l’humain, Maât
est incompréhensible pour l’intelligence cérébrale. Son état est
252
cosmique . Elle porte en elle la substance immatérielle du Monde, qui est
253 254 255
de tous les Temps. Coin , base , plume , sont ses emblèmes.
« Son symbole en forme de coin, tracé horizontalement, est en réalité une
partie d’une figure géométrique qui engendre le jeu principal des Nombres.
Comme tel, il est « moteur ». D’un point de vue vital, il symbolise ce que
256
peut représenter le marais d’où sort la première végétation . Comme tel,
il est une base : la base de toute chose vivante.
« Le même symbole tracé verticalement est un coin. Car Maât est le coin
qui sépare l’hétérogène de ce qui est devenu homogène, de même que
Chou, au Commencement, sépara ciel-Nout de terre-Geb.
« Et le troisième emblème de Maât, la plume, est aussi le symbole de
257
Chou ; car Maât représente, dans la création corporelle, ce que Chou
signifie dans la création principielle.
« De même que le Monde ne peut pas être sans Chou, de même il ne peut
conserver sa vie sans Maât. Chou fut émis par Toum, comme Maât est née
de Râ.
« De même qu’en Chou est le Feu principiel de l’air, qui donne à la terre
la sécheresse du sable châ, et à l’eau la chaleur qui permettra le marécage
che, de même Maât est la réalisatrice de ces principes.
« Chou, Neter élémentaire primordial, est inséparable de l’humide
Tefnedj. Maât, fille de Râ, est conjointe d’Amon en sa nature et son action.
Elle est inséparable d’Amon-Râ dans la « création continue » dont elle
réglemente continuellement les deux plateaux de la balance ; car elle
258
abandonne à la « dévoreuse », Ammit , les déchets destructibles de toute
chose ; et, au contraire, elle nourrit leur essence véritable. Ainsi son feu
justicier est l’épreuve du Réel.
« C’est pourquoi il est dit que Thot est scribe de Maât : car la destinée
qu’il inscrit, avec les caractères que dessine Sechat, sont les signatures
véridiques des impulsions transmises par Thot et réalisées par Maât.
— J’essaie en vain, objecta le disciple, d’imaginer la nature et le rôle
précis de Maât ; car tu en parles comme si elle était au commencement des
choses, tout en jouant un rôle actuel pour les humains.
— Telle est effectivement la réalité, dit le Sage. Mais il est difficile pour
l’intelligence humaine, de saisir en même temps l’unité de la source
créatrice et la multiplicité manifestée dans la Nature.
« Les Neter, ou Puissances de Nature, sont des Puissances spirituelles,
Qualités de la Force divine, qui sont virtuellement tout ce qui paraîtra,
agira, se développera dans les créatures ; ce sont des états de conscience ;
mais cette conscience ne doit pas être confondue avec la conscience qui
résulte de l’existence. La conscience des Neter est donc une Qualité qui
entre en rapport avec toutes les choses, dans un caractère qui lui est
constant et sans se modifier elle-même. Par exemple la Qualité chaude : elle
peut entrer en rapport avec tous les effets et toutes les choses de la Nature
sans se modifier elle-même. Au contraire, la créature, dans le
développement de sa conscience, modifie constamment son état propre, ce
qui fait précisément son chemin vers sa libération du corporel.
« Maât est la totalité de cette conscience, et par conséquent la conscience
de la Puissance créatrice. Elle est, en toutes choses, l’individualisation de
l’Activité causale en tant que conscience. Elle en est la réalisatrice ; le
Verbe divin est défini par elle et prend ses noms par elle. Et, par
l’indestructibilité de cette conscience, elle est le triomphe de la Vie sur la
mort.
« Mais que suis-je pour exprimer avec ma langue cette Réalité
inexprimable ? et qu’es-tu, toi, Her-Bak, pour l’entendre ? …
Her-Bak tressaillit comme si on l’eût éveillé brutalement d’un rêve :
— Je suis l’ignorant auquel on avait dit : « Maât est la nourriture des
Neter et des humains… » Mais voici que tes paroles ont déchiré un coin du
voile qui m’aveuglait : si Maât est la conscience du Créateur et de la
création, elle est donc la Sagesse du Monde, et je puis à la fois l’enrichir de
ma propre conscience et me nourrir en elle de la conscience
259
universelle …
Les yeux mi-clos, le Sage savourait la réponse du disciple et goûtait avec
lui cet instant de Lumière. Il regarda la Cime, durement éclairée par le
Soleil puissant. Il se leva pour redescendre vers le fleuve et il dit :
— Il semble qu’aujourd’hui Her-Bak se soit approché des Neter… Mais
le fait important est d’avoir « connu Maât » ! Si tu peux garder cette vision,
tu seras bientôt mûr pour apprendre son rôle véritable dans l’humain, et tu
verras combien était réelle ta compréhension de ce jour.
*
**
En descendant de la montagne Her-Bak dit à son Maître :
— Cette vision des Neter simplifie la recherche ! Elle permet de
discerner les principes fondamentaux des nuances analytiques.
— Oui, pour qui cherche la Cause essentielle plutôt que les détails.
— Un fait me trouble encore : pourquoi les Neter sont-ils parfois
représentés avec une tête animale sur corps humain, parfois avec un
symbole animal sur tête humaine, et quelques-uns d’entre eux par l’animal
lui-même ?

FIG. 26. – Nekhebit, Maîtresse du Sud.

— Souviens-toi d’abord de ceci : l’animal est un corps animiquement


animé, qui fait partie de la Terre. L’homme est un animal spirituellement
animé, qui fait partie de l’Homme Cosmique ; c’est pourquoi l’étoile à cinq
branches est symbole de l’homme.
« La tête est le résumé du corps ; si l’on met une tête animale sur un
corps humain – même si l’image représente un Neter – on spécifie un
principe fonctionnel humain (donc cosmique puisque l’homme est le
résumé de l’Univers), mais dont l’état actuel ne représente qu’une partie de
la totalité humaine, parce qu’il est spécifié dans la « conscience
fonctionnelle » – ou qualité – représentée par la tête animale.
« Si le corps entier est animal, on ne veut représenter que cette qualité ou
fonction animale donc terrestre. Car l’être humain, en tant que microcosme,
est susceptible (s’il parvient à l’animation suprême) de devenir une totalité ;
tandis que l’image entière de l’animal représente un état stabilisé du
« devenir » de la conscience organique.
« Le symbole posé sur la tête humaine comme une couronne a la valeur
d’un accomplissement, de même que le couronnement. Il signifie la qualité
de la nature de cet homme (ou de ce Neter) ou de l’état atteint par lui.
*
**
— A ton tour, Her-Bak, réponds-moi : « Que crois-tu posséder par cette
leçon ? Her-Bak répondit joyeusement :
— Le plan total du Monde des Causes, en rapport avec notre Terre !
— Non mon fils. Tu as les rapports des quatre cycles célestes les plus
importants, avec les Principes créateurs et les fonctions de Nature. Qu’en
pourras-tu faire ?
— Il me sera possible d’étudier des Neter, maintenant que je sais en quel
cycle et quelle branche ils opèrent.
— C’est exact, et suffisant pour te donner une clarté générale sur
l’Harmonie Universelle ; c’est beaucoup plus que ne possèdent ceux qui
t’avaient enseigné jusqu’alors ! Cependant tu peux espérer davantage : car
260
je ne t’ai pas donné (et ne te donnerai pas ici) le plan secret qui montre
les rapports et le jeu de tous ces Principes, non plus en symboles et
approximations, mais en précision et en réalité.
« Ce plan dévoile le développement inévitable de notre destin. Sa
connaissance est la cause de notre stabilité. C’est elle qui nous a guidés
pour prévoir et organiser l’adaptation à chaque époque, pour avoir la
sagesse d’abandonner aux destructeurs les valeurs d’un Temps achevé et de
sélectionner les éléments de l’avenir. Car le milieu doit être adapté à son
Temps, et les hommes à leur milieu.
« C’est elle qui nous a permis de choisir sans erreur, d’après leurs
aptitudes innées, un nombre extraordinaire de techniciens et d’artisans.
Ainsi nous avons pu garder un noyau d’initiés aux techniques secrètes, et
renouer toujours le fil entre deux époques prospères.
Le mystère de ce plan passionnait le disciple ; il essaya d’avoir un
éclaircissement ;
— O mon Maître, puis-je savoir si ce plan merveilleux est toujours resté
le secret de nos Sages ? Tout secret doit pouvoir être découvert…
— Les Anciens ont bien préservé celui-là ! Imagine, si tu le peux, le plan
d’une maison aux étages multiples, dont la simplicité illusoire cache des
pièges à chaque pas : ses portes apparentes et ses entrées secrètes, sa crypte
dont chaque issue est une embûche nouvelle, ses escaliers trompeurs et ses
couloirs enchevêtrés…
« Si le ciel ne te met pas en main ses clés et son fil directeur, jamais tu
n’en découvriras le plan !
— Le silence est-il une condition suffisante pour l’obtenir ?
— Prouve d’abord ton aptitude à la recherche. Entends bien ceci, Her-
Bak : peu nombreux sont ceux qui en eurent la connaissance totale ; mais
tous ceux qui en étaient capables – disciples de Thot, astronomes ou
techniciens –, tous ont reçu la part nécessaire à leur formation particulière.
« Maintenant tu sais en quoi consiste notre secret ; il ne tient qu’à toi d’y
participer, en partie ou en totalité.
*
**
Le lendemain Her-Bak vint questionner son Maître ; il lui dit :
— Osiris tient une si grande place parmi nos dieux que j’ai été surpris de
ton silence à son égard.
Le Maître répondit :
— Osiris est le Neter de « l’Ordre Naturel ». Son histoire est celle de
tous les êtres de notre monde terrestre. Son rôle est si complexe qu’il ne
pouvait pas être expliqué dans le tableau succinct de la « Hiérarchie des
Neter ».
« Pour le connaître il faudrait étudier tous ses noms, ses fonctions et ses
attributions, ce qui équivaudrait à la science totale de la Nature… Car tu ne
peux pas, sans commettre d’erreur, isoler son histoire de celles de Seth,
d’Isis et de Nephtys, ces Principes étant les agents du « Devenir » et des
révolutions de la Nature.
« Sa filiation le situe dans ses deux aspects essentiels : Osiris est issu de
Geb et de Nout ;
• Geb est le Neter-Principe de la terre ;
• Nout est le Principe du ciel qui contient toutes les étoiles.
« Or il n’est pas dit qu’Ohm ait hérité de Nout, mais qu’il est « l’héritier
du trône de Geb », c’est-à-dire que son royaume est celui de la Terre, et des
diverses formes d’existence qui dépendent de la Terre.
« En tant que fils de Nout, il exerce aussi ses fonctions dans les astres qui
sont en relation avec les rythmes de la Terre : la Lune, les étoiles
261 262
errantes « qui sont ses demeures », les Infatigables qui ne quittent
pas le ciel de notre Terre. Il est le Neter de Sah-Orion et de tous les sâh. Il
donne à Râ son corps terrestre.
« Si tu veux comprendre les quatre Principes issus de Geb et de Nom, tu
dois les considérer dans leurs rapports mutuels qui te révéleront des
croisements « naturels » dont ils sont la clé ; je ne puis pas te préciser ici les
éléments et les fonctions en jeu dans ces croisements, ce qui nécessiterait un
traité de philosophie « Naturelle » ; je te signalerai seulement les données
essentielles pour en approfondir la signification.
« D’autre part, il y a un rapport de nature entre Osiris et Isis, rapport
indiqué par le siège d’Isis qui fait aussi partie du nom d’Osiris. Il y a un
rapport entre Seth et Nephtys, rapport également signalé par leurs noms :
Nebty qui est un nom de Seth, et Nebhet (Nephtys).
« Quant à Isis, elle est un aspect terrestre d’Osiris lorsque Osiris est
« l’Eau nouvelle » ; au contraire, elle est larmes et eau de régénération
quand Osiris représente l’aspect terrestre (comme dans son rôle d’oun-
nefer). De même par rapport à Seth : elle est Lumière et vie et ce qui délivre
des chaînes de Seth.
« D’autre part, si Osiris engendre avec Isis un fils posthume, Horus, il
engendre aussi Anubis avec Nephtys.
« Dans la Douât, Osiris a un triple rôle :
• dans la genèse de toute chose, il est le Soleil noir ;
• dans le « monde des ténèbres », il est le principe de pérennité, et le
témoin de ce qui peut survivre, devant le tribunal de vie ou de mort dont ses
quarante-deux assesseurs sont les juges ;
• enfin il est le fondement des sâh, dont il détermine les transformations
et renouvellements.
« Le drame d’Osiris est le prototype du drame du KA humain, dans les
vicissitudes de son incarnation, dans le développement de sa conscience à
travers ses avatars terrestres, et dans la conquête de la « royauté » humaine.
C’est pourquoi ce drame est notre principale révélation, tout en étant le
précurseur du Rédempteur.
« Le mythe d’Osiris se divise en trois phases.
« La première phase est le règne terrestre du couple divin, Osiris-Isis,
initiateurs de la conscience humaine quant à la connaissance des lois
naturelles et des transformations de la matière. C’est cette phase qu’on a
traduite par le « règne historique » d’Osiris précédant nos rois humains. Cet
aspect d’Osiris est demeuré le modèle du rôle de notre Pharaon.
« La deuxième phase est sa passion, qui détruit sa forme terrestre et
donne la semence spirituelle d’Horus. Car il y a, en Osiris, la semence
d’Horus que, dans notre mythe, la milane Isis extrait du phallus passif
d’Osiris, détruit et spirituellement reconstitué. Mais constate encore ceci :
c’est après le massacre de l’Osiris mortel – et de ses parties composantes –
qu’Isis pourra reconstituer son corps « indestructible » et en extraire
l’essence Horienne. Et cet Horus sera mis à part et élevé en secret, jusqu’au
263
jour où il devra « révéler la face de son père », c’est-à-dire son essence
divine ; ceci sera l’histoire Horienne terrestre, qui fait suite à l’histoire
terrestre d’Osiris.
« Car, à partir de la destruction de son corps mortel, Osiris continue à
renaître dans tous les êtres terrestres, à y mourir, à descendre dans la Douât
264
inférieure où il apporte la promesse d’une régénération. Tandis
qu’Horus – fils d’Isis et de la semence spirituelle d’Osiris – venge la mort
corporelle de son père, en « révélant sa face » et en attaquant l’ennemi
Sethien sous toutes ses formes terrestres.
« Alors « il sort couronné par ordre de Geb, et reçoit le gouvernement
des Deux Rives »…, c’est-à-dire qu’il réunit les deux « puissances » de son
père Osiris, maître de l’Orient (Andjeti du premier Temps) puis maître de
l’Occident.
« Mais ceci n’est encore que l’histoire d’Horus terrestre qui précède
l’histoire de l’Horus Rédempteur.
« La troisième phase est la résurrection d’Osiris qui symbolise, dans
l’existence naturelle, la réanimation de la terre et du germe enseveli ; et,
dans la vie surnaturelle, la réunion de l’âme au corps Osiriaque,
indestructible parce que purifié.
« Tel est le sens du mythe en sa totalité.
Her-Bak exprima son étonnement qu’Isis et Osiris n’eussent d’abord été
représentés que par leurs deux symboles : le nœud tit et la colonne djed.
Le Sage répondit :
— Dans la simplicité des premiers Temps, la Connaissance fut traduite
par les symboles essentiels, limitant au strict nécessaire les images, parce
265
que la première période de notre histoire devait représenter les Principes,
c’est-à-dire les Nombres créateurs, les Formes idéelles, et les Fonctions
cosmiques entrant en œuvre dans la Nature.
« Cette première période de royauté fut nécessairement théocratique. Il
fallait assurer le développement symbolique des règnes et de
l’enseignement, en exacte conformité avec le caractère de ce Temps ; cela
ne pouvait se réaliser qu’avec la collaboration d’une élite instruite de ces
choses, donc forcément un « petit nombre ».
« Le développement progressif de l’enseignement devait suivre la
complexité progressive de l’œuvre de Nature, pour aboutir à la réalisation
de l’Homme royal terrestre, dont nos derniers rois seront l’image.
« Ce programme supposait une extension graduelle des prérogatives
266
royales , d’abord en faveur de l’élite, puis descendant peu à peu
jusqu’aux derniers degrés de l’échelle sociale, au fur et à mesure de
l’évolution présumée des consciences humaines.
« Toute cette histoire correspond à l’involution Osirienne du Monde,
évoluant ensuite sa conscience à travers toute la Nature par les expériences
de nombreux avatars, avec des alternances de victoires et de chutes, de
lumière et de troubles.
267
« Le nom d’Osiris fut révélé ouvertement à l’époque correspondant à
sa réalisation dans l’humain. Après avoir été « le premier des
Occidentaux », Osiris devait enseigner aux hommes la possibilité de la
régénération.
« Isis était la grande salvatrice en ce mystère. Mais son rôle est aussi
difficile à comprendre que celui d’Osiris ; il ne faut jamais oublier qu’elle
est sœur d’Osiris et de Set h et participe de la nature des deux : elle est Aset,
ou Set, qui, par sa double nature, peut en certains cas favoriser Seth, et en
d’autres cas triompher de lui en enfantant Horus.
« Magicienne de la Nature qui peut prendre toutes les formes, incarner
toutes les fonctions, elle est, en tant que Principe maternel, cause des
« chutes » de l’Esprit en matière ; et, par ses larmes régénératrices, elle aide
à sa résurrection.
« Sous sa forme Sopdit, elle est pourvoyeuse de vie ; sous sa forme
Hathorienne elle est, dans l’Amenti, l’introductrice et la médiatrice des
morts.
« Elle est l’hirondelle céleste qui peuple les nids de la Terre, et régit avec
Osiris les voyages entre Ciel et Terre.
« Si tu étudies tous ses noms, tu apprendras les relations de notre Terre
avec le ciel… Mais si tu veux connaître les Principes secrets d’Osiris et
268
d’Isis, reviens aux symboles primitifs : le djed, véritable corps d’Osiris ,
269
et le nœud mystérieux d’Isis .
— Maître, permets encore une dernière question : quelle est la différence
entre Amon « dont toutes les créatures sont le KA », et Osiris qui est le
Neter de toute existence terrestre ?
— Osiris est le Neter de la Nature ; il est né de Geb et de Nout… mais
Amon est céleste et n’est jamais né.
XI
270
ASTROLOGIE

— … Autre est la rive d’Orient, autre est la rive d’Occident. Même


limon pour les deux rives, mais opposition de lumière ; car l’Amenti reflète
la gloire du Levant, et l’Orient s’illumine aux rayons du Couchant : c’est
toujours la résistance qui « manifeste »…
La voix du Maître s’éteignit dans le silence. Sur la haute terrasse d’un
temple de la rive occidentale, les disciples guettaient l’apparition de Râ ; de
l’intérieur d’une chapelle un chant harmonieux s’éleva, saluant les premiers
rayons.
« Le Ciel a visité la Terre,
Joie céleste sur la Terre ! Joie céleste sur la Terre ! »
A l’exemple des Maîtres, les disciples s’étaient levés, respectueux,
recevant – comme l’Occident – le baptême d’or de la lumière.
En face d’eux, le sanctuaire et les palais de l’immense cité s’éclairaient
peu à peu, s’étendant à perte de vue vers le Nord comme vers le Sud.
Le Sage dit :
— Pour vos yeux habitués à l’autre rive, le pays a changé d’aspect… à si
peu de distance ! Cependant vous croyez à l’une et à l’autre vision ; quel est
l’homme assez sage pour demeurer conscient de ces relativités ? …
Abouched demanda :
— Quel intérêt y aurait-il à se situer toujours dans un monde idéal ?
— Sois sans crainte, Abouched : chacun se situe dans le monde où il vit !
L’essentiel est d’avoir un point fixe pour contrôler, de temps à autre, la
réalité de « son » propre monde.
« Vous êtes cinq, ici, à regarder ce paysage ; vous avez visité les
principaux sanctuaires des Deux-Terres ; chacun de vous peut-il me dire
quel est le vrai cœur de l’Égypte ?
Sans hésiter, Aouab s’écria :
— C’est Nout-Amon, notre cité, Ouast !
— Sa prépondérance est celle d’un Temps, répondit le Maître ; je ne
vous parle pas d’un moment historique. Chaque lieu a « sa nature » qui
détermine sa fonction : c’est en ce sens que j’ai posé ma question.
L’opinion d’Oupouat refléta sa tendance :
— Abdjou (Abydos), où tous les hommes aspirent à rejoindre Osiris,
m’apparaît comme le centre de Remit, répondit-il.
— Le centre des Deux-Terres est exactement Khemenou (Hermopolis),
suggéra l’étudiant géomètre. N’est-ce point la patrie des Primordiaux ?
Abouched proposa Aneb-hedj (le Mur blanc, Memphis) :
— Ptah étant « l’organisateur » des Deux-Terres, je choisirais la cité de
son temple, dit-il.
Le Sage regardait Her-Bak qui réfléchissait en silence. Répondant à
l’interrogation muette de son Maître, le disciple exprima sa pensée :
271
— Tu m’as dit qu’Iounou était la ville du Soleil et que son Temple
enseignait la génération de Râ. Le cœur étant solaire, je suppose qu’Iounou
est le cœur de Kemit ?
Le Maître dit :
— Cette réponse est sage et le jugement excellent. Iounou est le cœur, ou
plutôt l’oreille du cœur, qui « reçoit le message du Ciel ».
« Le géomètre a raison de dire que Khemenou est le point central des
Deux-Terres : il en est le centre régénérateur. Quant au « Mur Blanc » et à
Abdjou, il faut, pour comprendre leurs rôles, les regarder sans préjugé
d’historien. Ce fut toujours l’aspect vivant qui nous guida, et le respect du
plan préétabli.
« Jamais les prêtres ni les rois n’eurent la liberté de choisir et de situer
les sanctuaires et les capitales. Le cadre – de temps et de lieu – leur fut
strictement imposé. Les faits et gestes personnels dont chacun d’eux remplit
ces cadres sont de la « petite histoire » humaine. Ce ne sont pas ces détails
de valeur secondaire que nous enregistrons pour la postérité.
Abouched insista :
— Les récits de conquêtes, épisodes de chasse, de tir ou d’autres
exploits, ne se rapportent donc pas à des faits authentiques ?
— Il arrive qu’un de ces événements, ou actes personnels, serve de base
à un récit symbolique ; mais la forme, les détails et les dates sont modifiés,
sans souci de la vérité historique, pour signifier ce qui doit être enseigné.
L’invraisemblance de nombreux épisodes de chasse ou de conquête aurait
dû attirer votre attention : vit-on jamais archer transperçant, comme un
fourré de papyrus, des cibles de cuivre de plusieurs doigts d’épaisseur ?
L’extravagance de ce récit et d’autres aussi extraordinaires fait déjà
soupçonner l’allégorie, dont le Plan des Anciens nous donnerait les motifs
et les preuves.
« Lui seul pourrait encore témoigner de la véracité de mon affirmation :
les deux sites, Abdjou (Abydos) et Abou (Éléphantine) virent, chacun, le
début de deux grandes époques : Abdjou pour l’histoire commencée par
Mena, Abou pour une histoire parallèle précédente.
« Mais l’unification effective des royaumes devait se faire sous la
prédominance du « Mur blanc » (Memphis), qui est en vérité la balance et
l’équilibre des Deux-Terres.
— Cependant, répartit Aouab, notre Ouast devait prévaloir sur les autres.
— En son heure, mon enfant, qui est l’heure d’Amon. Ne jugez point ces
choses avec puérilité. Il faut considérer notre pays dans sa totalité, avec ses
caractéristiques qui ont causé sa destinée.
« Kemit est la Terre Noire créée par notre grand aterou-Hapi (fleuve
Nil), qui vivifie et détermine les deux zones de notre pays – Nord et Sud –,
comme le grand aterou des bakou (la bande zodiacale) anime et détermine
le ciel du Nord et le ciel du Sud.
« A l’Est et à l’Ouest de notre vallée, notre pays s’étend en contrées
stériles et hostiles : la « Rouge » de Seth – dechr le désert – qui la protège
en l’isolant. Le cours du Nil (Hapi) sépare le royaume en deux régions
différentes : la longue vallée de la Terre du Sud ne ressemble pas à la Terre
du Nord qui s’élargit en un vaste triangle fertile ; car le fleuve issu du pays
noir (Nubie, le pays de l’or), se sépare en trois branches (ou plutôt quatre
branches), pour arroser ce grand jardin. Une branche s’incline vers
l’Occident, une autre vers l’Orient ; celle du milieu se divise à nouveau
pour aboutir aux marécages qui ont donné naissance à Horus, fils d’Isis.
« Notre fleuve s’épanouit comme la fleur du papyrus en un large
« ouadj », dont la longue tige prend racine parmi les joncs du Sud au pays
272
noir, base du royaume de la couronne blanche. Et la fleur triangulaire
d’Hapi fertilise de son eau de vie le royaume du Nord, dont les villes
racontent les phases du drame d’Osiris. Ce triangle est considéré par nous
comme la tête, ou plutôt la face, qui reflète toutes les fonctions accomplies
dans la terre du Sud. La face n’est-elle pas ce lieu où toute la nature de
l’homme a son expression vivante ? Par les sens de la face, l’homme voit,
entend et nomme tous les êtres inférieurs à lui…
« Dans ce jardin sont envoyés, jusqu’aux sources du fleuve, les souffles
frais et la vitalité du Nord, tandis qu’Hapi lui apporte du Sud l’eau
nourricière qui anime toute sève. Ainsi, comme dans l’arbre et dans notre
corps, un double courant s’établit qui entretient la vie. Et, sur tout ce
parcours, des nœuds ou lieux sont caractérisés par les coïncidences
naturelles : composition du sol, formes et couleurs de la roche, prédilection
d’un animal pour chaque site. Tous ces faits ont déterminé le choix et le
nom des sanctuaires de nos Neter.
Abouched émit une objection :
— N’est-ce pas un jeu puéril que de diviniser chaque fait naturel ?
— Nous ne divinisons rien, rectifia le Sage, mais nous savons que le
Neter est avant l’homme, l’Idée avant la « chose ». Nous savons que la
même fonction, dans les mêmes circonstances, produira des effets
semblables : il est sage d’observer les caractères de la fonction et des
circonstances qui ont donné tel phénomène ; le Neter n’est-il pas « Qualité
exprimée » ? Ainsi, par la Nature on remonte au Neter ; de même, par la
symbolique du Neter, on peut connaître la Nature.
« Ce n’est pas un hasard si tel temple a choisi pour symbole vivant le
faucon, l’ibis, le vautour, le chacal ; c’est qu’effectivement la nature de ce
lieu attire tel animal qui lui correspond, comme on le constate pour les
faucons à DjeBA (Edfou), pour les vautours à Nekheb (El Kab), qui
pullulent dans ces parages : car ranimai est l’expression vivante de ce lieu.
« Les hommes qui y vivent subissent les conditions qui attirent ces
animaux ; il y a donc entre eux des correspondances sympathiques, qui
peuvent devenir bénéfiques si l’homme, en les respectant, s’adapte à leur
existence. Car c’est le rapport instinctif qui joue dans ces relations, et non la
raison ni la volonté.
« Ceci est le principe des « enseignes » des nomes ; parfois on a
remplacé l’animal par des objets réels ou composites. Quelle que soit
l’image de l’enseigne, elle symbolise toujours le caractère fonctionnel
(naturel) de ce nome dans la genèse de notre pays, dont l’organisation est à
273
l’image de la genèse du Monde .
274
« C’est ainsi que le nome de Khemenou (Hermopolis ) a pour
emblème le lièvre qui, par sa façon d’être et de vivre, est le symbole de
l’existence terrestre. Or l’image du lièvre est employée comme hiéroglyphe
275
dans le mot « exister ». En effet Khemenou est la ville des huit
« Primordiaux », fondateurs de la terre primordiale, donc premier siège de
l’existence.
— Puisque le sujet de « l’enseigne » vient d’être évoqué, dit Abouched,
l’occasion serait sans doute favorable pour demander la signification de
l’emblème de notre ville Ouast ? J’ai cherché en vain un rapport avec objets
ou animaux !
— Tu chercherais longtemps, répondit le Sage. C’est un de nos plus
beaux symboles. On peut le tracer plus simplement, il sera beaucoup plus
276
éloquent : un tronc d’arbre d’où sort une branche qui se dédouble .
Renverse l’image pour que le tronc unique devienne la tête du sceptre,
277
raccourcis les deux branches de la fourche : tu auras le ouas . Un devient
Deux, qui produit une autre dualité : « Je suis Un qui devient Deux ; je suis
278
Deux qui devient Quatre . » C’est le symbole de l’Origine. Tu en
trouveras des témoignages dans les trésors de nos rois, qui comportent des
cannes faites d’une simple branche taillée en cette forme, quelquefois dorée
279
pour en montrer la valeur symbolique .
Her-Bak fit observer que la tête figurait souvent une forme animale
280
inconnue et que le sceptre de Ouast se compliquait d’une plume et d’un
lien.
— En effet, dit le Maître : la tête fait allusion à la tête de Seth, que ce
signe doit vaincre par la plume et le lien. L’oreille est celle de l’âne, qui est
le symbole secret d’un « support » primitif.
— Tout ceci est très mystérieux, ô mon Maître ! soupira Her-Bak.

Fig. 27. – Deux Nils, portant sur la tête les emblèmes des nomes Hermopolite et Héliopolite du Nord.

La voix du Sage se fit sévère :


— Connaissais-tu tout ce que nous t’avons enseigné ? As-tu la prétention
de recevoir en quelques leçons une science qui est le trésor de Sagesse de
plusieurs millénaires ? … Il est probable que le jugement de cette Sagesse
était plus justifié que le raisonnement des ignorants ; si donc elle estimait
opportun de voiler certaines vérités sous des symboles, nous agirions
comme des fous en les dévoilant sans prudence. Sois déjà fort heureux que
nous te mettions sur la voie de leur sens véritable.
Le disciple s’excusa et remercia son Maître, puis il dit :
— La plume de l’enseigne ouast est-elle en relation avec la plume de
l’Amenti (Ouest) ?
— Certainement, car ouast est le nom d’une fonction occidentale ; de
même le nom d’Aset exprime une fonction orientale (Est). Que chacun de
vous fasse de cette parole l’usage qui lui plaira : j’ai dit la vérité.
— Apet-Aset est le nom de notre temple, fit remarquer Her-Bak : Nout-
Amon aurait donc deux aspects : oriental par Aset, occidental par Ouast ?
— Elle a ces deux aspects, parce qu’elle est le temple d’Amon-Râ ; elle
en a même trois, car le temple qui complète Apet-Aset (Karnak) est Apet-res
(Louxor) qui se rapporte au Sud. Or ces deux temples portent le nom
d’Apet, avec un double sens : le ventre d’Apet parce qu’ils parlent des
mystères de la génération, et le Nombre, apet, dont ils révèlent et appliquent
281
spécialement les lois .
Abouched, qui s’efforçait de concevoir une vision d’ensemble, exprima
le souhait d’étudier la situation des nomes (orientale ou occidentale) en
rapport avec leurs noms et symboles.
Le Sage répondit :
— Les éléments dont tu disposes sont incomplets, car cette signature et
ces noms de nomes sont déterminés par ce plan général que tu ignores ;
cependant tu tireras profit d’une observation de principes : tout le côté droit
de ton cœur reçoit et renvoie aux poumons le sang bleu, le côté gauche
reçoit et renvoie dans le corps le sang rouge. Le départ du sang rouge
régénéré est un commencement, un renouveau de vie à chaque jet comme le
lever de Râ à l’Orient ; l’arrivée du sang bleu vicié, ou plutôt épuisé, est une
fin, comme le coucher du Soleil à l’Occident.
« Et tu ne peux rien changer à cet ordre, qui correspond à l’ordre
universel. Ta main droite est active, ta gauche est passive et reçoit ; ainsi en
est-il sur la Terre : les habitants de l’Orient diffèrent de ceux de l’Occident.
En toutes choses il faut observer et suivre la Nature.
« Quant au Nord et au Sud, j’ai déjà exprimé que le royaume du Nord
reflète les nomes et sanctuaires du Sud, comme se reflètent en ta face toutes
les fonctions de ton corps.
Aouab, ayant consulté Her-Bak à voix basse, risqua timidement une
question :
— N’y a-t-il pas quelque rapport entre ce symbolisme et la signification
des deux couronnes ?
— Certainement, dit le Sage : de même qu’en ton organisme deux
humeurs entretiennent ta vie – la lymphe blanche et le sang rouge –, de
même nos Deux-Terres doivent représenter ce double courant de la Vie
Universelle. Toute la Terre du Sud est dominée par la couronne blanche, et
son symbole est le jonc, sout, qui se rapporte au feu blanc de la moelle. La
Terre du Nord est dominée par la couronne rouge, dont le nom nt ou n se
rapporte au feu rouge, n, du sang.
« Les Deux-Terres, comme les deux humeurs, ont besoin l’une de l’autre
et vivent l’une par l’autre. Il est dit que, dans le partage de nos royaumes
entre les deux frères ennemis, le Sud fut adjugé à Seth et le Nord à Horus.
— C’est justice, répartit Aouab, puisque les déserts sont la terre de Seth.
— Aouab a raison, dit Abouched, mais alors pourquoi la couronne
blanche domine-t-elle la Terre Rouge ?
— Parce que, répondit le Maître, un phénomène est toujours suscité par
le jeu des complémentaires ; action provoque résistance, qui suscite la
réaction : ce « troisième » terme est le phénomène. Le sang rouge a besoin
de l’humeur blanche nourricière, et celle-ci est vitalisée par le feu rouge du
sang. Telle est la grande loi de Nature : si tu veux une chose, cherche son
complément qui la provoquera ; Seth est la cause d’Horus, Horus est la
rédemption de Seth.
— Je comprends maintenant, dit Aouab, pourquoi Seth est représenté
comme un Neter auquel on rend hommage ! Cela fut longtemps un scandale
pour moi.
Oupouat fit observer que la légende situe dans le royaume du Sud les
premiers combats victorieux d’Horus contre les ennemis de Râ.
— Horus, dit le Sage, combat en toutes choses pour le triomphe de
l’Esprit dans la matière, et de la Lumière dans les ténèbres : Horus est donc
aussi dans les ténèbres. Après les victoires dont tu parles, il retourne dans le
pays noir duquel il est sorti… pour recommencer ensuite de nouvelles
conquêtes. Car Horus n’est jamais en repos, puisqu’il est l’âme du Monde.
Il y a plusieurs formes d’Horus, selon le travail qu’il accomplit ; ses
couronnes sont variées.
— Au contraire, intervint Aouab, il n’y a qu’une forme de Seth.
— Que dis-tu, riposta Her-Bak : il y a le crocodile de Seth,
l’hippopotame de Seth et l’oryx agressif !
L’Astronome confirma ces paroles et les expliqua :
— Il y a tout ce qui tend à contracter et à fixer l’Esprit dans la matière,
fixation que Seth cherchera toujours à rendre définitive.
« Cette lutte d’Horus contre Seth (qui est un mythe cosmique), est
l’essence de toute notre histoire : ses heures de triomphe correspondent à
nos périodes lumineuses ; les périodes Sethiennes suscitent des gloires trop
humaines, qui sont toujours suivies de longues phases d’obscurité.
— Puisque le Temple a le moyen de prévoir l’avenir, ne peut-il pas éviter
ces périodes funestes ? demanda Abouched.
— Non mon fils, ce serait violenter la loi du Temps ! Le rôle du Sage
n’est pas d’agir contre nature, mais de préserver le « fil conducteur » pour
empêcher les hommes de bonne volonté de se perdre dans les ténèbres.
— Quelle est, dans tout ce jeu complexe, la liberté du Pharaon ? … Car
je doute de plus en plus que ce qui fut écrit sur les gestes de nos rois se
rapporte à des faits authentiques !
— Viens, dit le Sage, nous allons vous montrer les sources de l’Histoire.
Les Maîtres guidèrent les élèves vers une vaste terrasse où ils furent
accueillis par les astronomes de ce temple. Un cri d’admiration jaillit de
toutes les poitrines : un immense cercle d’or éblouissait les yeux ; sa
circonférence mesurait à peu près 365 coudées à l’extérieur, et 360 coudées
à l’intérieur ; la largeur de la bande avait environ trois quarts d’une coudée.
282
L’Astronome expliqua aux disciples la place des décans et des
constellations ; puis il montra les noms, tracés en écriture secrète, des douze
« signes » des mois (àbedou). Il leur dit :
— Ce cercle est une image schématique de la réalité vivante, animée et
mouvante. Les principes seuls y sont fixés, non point leurs formes ni leurs
proportions.
« Le Soleil parcourt ces douze signes en une année, avec un léger retard
à chaque circuit, comme si son point de départ annuel reculait un peu à
chaque tour. La proportion de ce retard est telle, qu’après 21 siècles environ
le Soleil commencera son parcours avec un signe de retard. Ce sera comme
s’il accomplissait ce « grand cycle », sur le même circuit, en sens inverse de
son cycle annuel.
« Le résultat en est que, tout en subissant l’influence d’un signe chaque
mois, nous subissons, pendant ces 21 siècles, l’influence du signe dans
lequel le Soleil opère ce retard et qui devient son domicile du « grand
cycle ». Or il est actuellement dans le signe du Bélier et recule vers celui
des Poissons.
« Mais ce double jeu se complique par le passage des « étoiles errantes »
(planètes) et la présence d’autres astres importants.
« La variation des mouvements établit des coïncidences harmoniques
dont la Terre subit les effets. L’enfant qui naît reçoit, à l’instant de son
premier aspir, la signature de ces influences qu’il portera durant toute sa
vie.
« Cette signature le prédispose à certains états de santé, de caractère et
d’aptitudes, en même temps qu’elle imprime en lui des affinités et des
antipathies pour tels animaux, telles plantes ou tels aspects de la Nature.
Une antique expérience a classé ces constatations en une science.
Abouched, qui avait déjà reconnu expérimentalement la réalité de ces
assertions, acquiesça sans réticences :
— C’est une aide précieuse pour diriger chaque homme vers le travail
qui lui convient. Cela doit épargner beaucoup d’apprentissages inutiles.
— Certes, ce choix dirigé multiplie le nombre et la valeur des
techniciens. Mais son principal intérêt réside dans la connaissance du
développement des quatre cycles, et de leurs effets sur les lieux et les
habitants de notre pays.
— Je suppose, insinua Her-Bak, que les modifications périodiques des
noms et cultes des Neter correspondent à ces variations célestes ?
L’Astronome répondit :
— Les Temps qui se suivent s’engendrent les uns les autres sans cesser
d’obéir au grand rythme cosmique, de sorte que les différentes étapes – ou
tranches – du Temps ont des caractères différents, dont la prédomi nance
modifie, pour chaque étape, « l’atmosphère » d’un lieu, accentuant ou
affaiblissant le caractère du Neter de ce lieu.
283
« Prenez pour exemple les deux saisons si dissemblables, per-t et
284
chemou ; si tel nome est caractérisé par les Neter de chemou, et tel autre
par ceux de per-t, il est évident qu’en chemou les Neter de per-t seront
faibles, et l’importance de leurs sanctuaires diminuera. Mais lorsqu’ils
reprendront leur vigueur en per-t, ceux de chemou perdront leur
prépondérance.
« Cet exemple simpliste d’un fait annuel peut être reporté sur les grandes
périodes historiques d’un pays ou d’un monde. C’est une clé pour l’homme
qui ne renie pas le ciel.
— Certes, c’est une clé, dit Oupouat, pour la compréhension des
influences périodiques et de leurs répercussions culturelles, mais qu’est-ce
qui détermine le caractère primordial d’un lieu, de telle façon qu’on puisse
le mettre en rapport avec les mouvements célestes ?
— Cela n’entre pas directement dans la science des mouvements actuels
des astres, mais se trouve déterminé par une autre connaissance qui est celle
285
de la genèse .
286
— Peut-on considérer l’astrologie comme une science précise et
certaine ?
— Oui pour tout ce qui ressort de la Nature, mais non pour ce qui est de
l’âme. Cependant la véracité de cette science dépend de l’emploi de
certaines clés – secrètes parce que sacrées –, sans lesquelles ses calculs ne
seront toujours que probabilités… Abouched, impatient se révolta :
287
— Ce secret !… Pourquoi ces réticences obsédantes ?
— La leçon du passé suffit pour justifier notre silence ! De quoi te
plains-tu, Abouched ? Ne reçois-tu pas la pleine mesure qui te convient ?
Abouched s’excusa :
— O Maître je le sais. Ma boutade est sans valeur, car on n’entend pas ce
pourquoi l’on n’est point disposé !… Puis-je encore demander si les
288
noms des humains ont autant d’importance que ceux des Neter ?
— Ne sais-tu pas, dit le Maître, que le nom est un « Verbe »
magique ? … Il ne tient qu’à vous d’ailleurs – à vous qui connaissez les
textes sacrés –, de relier les similitudes et d’en tirer les conclusions
évidentes : un enfant pourrait le faire ; c’est votre esprit rationnel qui vous
aveugle.
« N’est-il pas écrit que le nom d’un homme est l’expression de sa
personnalité et des qualités de son KA ? Le père émet ce nom en tant
qu’héritage et signature de sa propre semence ; la mère le nourrit et colore
de sa propre substance ; mais cette conception et cette gestation sont elles-
mêmes caractérisées par le « moment » astral où elles s’accomplissent, car
il est dit que « toute parole qui sort de la bouche de Dieu est la nourriture »
qui crée les forces vitales ; il est écrit aussi que le pain des dieux est « dit
par Geb et sorti de la bouche de l’Ennéade divine ». Cette « Parole » émet
sans cesse, conjointement avec la signature de chaque semence, le nom du
produit qui en sort, et son effet est plus actif à l’instant de sa conception et
de sa naissance.
— Ton enseignement, dit Abouched, me confirme la valeur magique du
nom à laquelle je crois volontiers !
— C’est une valeur réelle, dit le Sage. Le nom a une importance
considérable ; il correspond en vérité à l’être qui le reçoit, c’est un portrait
dont l’influence agit magiquement sur son existence ; car le nom prononcé
réagit sur le KA de son possesseur.
« L’homme supérieur, c’est-à-dire spirituellement réalisé, a d’ailleurs
plusieurs noms se rapportant à ses divers états. C’est la raison d’être des
multiples noms de Pharaon, correspondant à sa personne, à son KA, à son
être spirituel, et au « moment » qu’il représente.
— Ces noms du roi, demanda Her-Bak, peuvent donc révéler sa nature et
son rôle dans l’histoire ?
— Ils sont en effet cette révélation. Mais pour les « déchiffrer » il faut les
mettre en relation avec le ciel. Alors on pourra comprendre la raison du
choix de certains noms pendant telle période, pour les fonctionnaires
comme pour les rois, noms qui disparaissent ensuite pour un temps.
Abouched fit observer que cela pourrait expliquer pourquoi tels
fonctionnaires ont situé leurs tombeaux auprès d’un Pharaon d’une époque
antérieure.
— Non, répondit le Maître, tu n’en comprendras la raison que par le plan
secret. Mais la compréhension des noms te donnera le motif des
changements d’orthographe, et de beaucoup d’anomalies.
— N’est-ce pas le cas pour les temples détruits et reconstruits sur le
même emplacement ?
— Effectivement ces temples sont plutôt « démontés » que détruits, pour
être « renouvelés » selon les symboles et mesures de l’époque. La Sagesse
nous a enseigné qu’il faut créer « à neuf » chaque Temps nouveau pour que
la nouvelle semence puise une sève nouvelle. Mais nous savons que le
vieux tronc est une base excellente par ses racines profondes ; il suffit de
couper toutes les branches, pour greffer sur le tronc un jeune rameau.
« Ainsi faisons-nous, repliant les vieilles pierres sous la nouvelle
construction, choisissant même, dans les réserves d’anciens temples
démontés, les éléments qui doivent symboliquement servir d’assise pour le
Principe actuel. Agir m-maou (à nouveau) est la règle du déplacement
périodique des centres directeurs, non point par caprice, mais en obéissance
aux hepou (les Lois Universelles).
Oupouat insista :
— O Maître, pouvons-nous savoir comment s’établissent ces périodes de
renouvellement ?
— Il serait plus sage de demander comment se délimitent les phases
289
d’une genèse ! L’évolution d’un œuf fécondé donne une similitude
suffisante : temps de fécondation, temps de destruction ; temps successifs
de regermination sortant des éléments décomposés, de gestation, puis de
formation, jusqu’au dernier accomplissement.
— Maître, pourquoi dis-tu : « dernier accomplissement » ?
— Parce que chaque temps comprend lui-même plusieurs phases dont
chacune aboutit à un accomplissement. La période commencée par Mena
est la deuxième phase d’un Temps nouveau.
Abouched écoutait avec un intérêt passionné :
— Si ces périodes sont régulières, dit-il, il doit être facile de les
calculer ?
— Non, car il y a régularité de principes mais pas régularité de durée ; de
même que dans la Nature le temps de gestation varie selon les espèces, de
même dans l’histoire humaine il y a des différences de durée. Mais c’est un
jeu complexe pour lequel est indispensable la connaissance de nos
290
« mesures ».
Chacun méditait en silence. Her-Bak, assis en face de l’entrée, était
fasciné par l’encadrement de la porte dont les signes gravés, recouverts
d’or, resplendissaient sous le Soleil. Il dit à l’Astronome :
— Je retrouve ici les symboles qui accompagnent sur de nombreuses
portes, la scène du « grand pas ». Nul n’a pu m’en donner une explication
satisfaisante ; seraient-ils en rapport avec cette science du ciel ?
L’Astronome regarda le Sage ; celui-ci répondit :
— Les disciples ici présents se sont engagés au silence : je dirai ce qu’ils
peuvent entendre.
Il approcha du seuil et montra sur l’encadrement les deux dessins
291
représentant le signe pet coupé en deux . Il dit :
— Vous voyez ici les symboles des deux moitiés de ce grand cercle d’or ;
ils indiquent le sujet traité dans cette scène.
292
« Les deux signes qui les accompagnent représentent les solstices.
L’idée est exprimée d’une façon simpliste, selon notre mode habituel : la
courbe du ciel, parfois montée sur une longue tige droite est le plus souvent
supportée par deux tiges inégales, comme sont inégaux les axes de la
courbe décentrée du parcours du Soleil (ou de la Terre) dans le ciel.
« Une simple observation de l’ombre d’une tige verticale montre déjà
293
l’inégalité de cette courbe, depuis le solstice du quatrième mois d’akhet
294
jusqu’à l’équinoxe du troisième mois de per-t .
295
« Les deux moments des solstices marquent les grands tournants du
cycle solaire annuel qui sont signifiés par le « grand pas ». Or la courbe,
ayant deux centres, est marquée par deux longueurs inégales des distances
extrêmes : la plus proche et la plus lointaine. Dans l’existence terrestre, ces
dates ont une grande importance pour l’agriculture. Elles ont aussi un autre
sens, que l’étude du ciel pourra vous révéler.
« J’expliquerai aujourd’hui deux symboles qui ont aiguisé ta curiosité,
Her-Bak, car ils témoignent de nos connaissances astrologiques.
Le Sage s’approcha du cercle d’or ; il pointa son bâton sur le « signe »
Taureau.
— Dans ce signe sont nées notre histoire et l’organisation du royaume
avec Mena et ses successeurs. C’est pourquoi nous porterons son caractère
et vénérerons son symbole, jusqu’à notre fin.

FIG. 28. – Scène du Grand Pas. Derrière le Roi, les symboles du scorpion et du KA, sous le demi-ciel.

« Mais un signe n’agit pas seul, car son vis-à-vis réagit comme un
complément. Vous voyez que le signe opposé au Taureau est le Scorpion ;
nous avons donc subi l’influence réactive du Scorpion en même temps que
celle du Taureau. Or, constatez que l’un des symboles est le scorpion monté
296
sur le « chen » qui est un nœud sur le circuit.
« Le deuxième hiéroglyphe est une composition symbolisant par son KA
le taureau, puisqu’il en est le nom (ka). Les quatre éléments qui donnent à
la colonne djed la stabilité sont inscrits dans le KA dont cette colonne est la
base (men), spécifiant ainsi les caractéristiques du taureau : l’assise, la
puissance vitale et la stabilité.
297
« Les bras du KA supportent un symbole qui est ici le hiéroglyphe
secret du « Bélier » d’Amon qui suit le Taureau et dans lequel s’achèvera
notre histoire.
Les disciples manifestèrent leur émerveillement.
Le Sage continua :
— Nous sommes maintenant dans le signe du Bélier ; son opposé est le
signe akh (horizon) (la Balance) qui est en rapport avec la balance de Maât.
Or vous savez combien sont importants les rôles de akh et de Maât dans
notre symbolique et notre théologie…
« Mais lorsque le Soleil se lèvera dans le signe des Poissons, le poisson
sera le symbole du nouvel « Envoyé », et le signe qui jouera le rôle réactif
sera son vis-à-vis : ta rpà la « femme » (signe de la Vierge).
La lumière était aveuglante. Il n’y eut pas d’autres paroles ce jour-là.
DEUXIEME PARTIE

BA ET KA

298
INTRODUCTION AUX « SEPT JOURS » DE BA ET KA

Les textes égyptiens qui parlent des sujets traités dans les sept « jours »
de BA et KA sont toujours énigmatiques, les Égyptiens ayant considéré BA
et KA comme inséparables des états qui leur correspondent dans l’Univers ;
plus exactement, ils pensaient que ces états, dans l’homme et dans
l’Univers, ne font qu’un.
Ce sujet constitue le programme de base et le but essentiel du Mythe
égyptien, qui, à son origine, est unique. Son apparente déformation dans la
suite des Temps a pu laisser croire que l’on avait affaire à plusieurs mythes
différents ; tandis qu’en réalité il s’agissait du développement successif
d’un thème unique et de son adaptation progressive aux phases de l’Égypte
et à la conscience du peuple.
Les Égyptiens, en dehors des Théogonies fondamentales, l’enseignent
sous des formes variées : parfois par épisodes du séjour dans la Douât,
relatant les transformations des divers éléments de « l’être » ; parfois par
des contes ou des légendes présentant un de ces éléments sous son aspect
particulier ; parfois dans des tableaux qui précisent quelques-uns de leurs
rapports mutuels. Or les formes étranges des symboles qui illustrent les
textes dits « funéraires », ainsi que le caractère énigmatique de ceux-ci,
opposent souvent à l’étudiant moderne un obstacle apparemment
insurmontable.
Cette présentation mystérieuse avait pour but d’éveiller la
compréhension intuitive des hommes cultivés dans cette mentalité, ne
livrant aux profanes que le sens apparent des textes et des gestes rituels. Le
déchiffrement de leur sens initiatique exige la connaissance de la science
égyptienne quant à la valeur philosophique des lettres, et quant aux
analogies existant entre les principales formes du règne animal et les divers
organes et centres occultes du corps humain, ainsi qu’avec les différents
états subtils qui leur correspondent.
Ce sont là les bases indispensables à l’interprétation exacte du BA et du
KA. Notre but, dans cet ouvrage, était de préciser les notions essentielles
résultant de cette recherche, dans la mesure nécessaire à la compréhension
de la science égyptienne quant aux divers états de l’être, du devenir de
l’homme et de son évolution spirituelle. Nous nous sommes efforcés – pour
rester conformes à la réalité – d’en montrer une structure synthétique, mais
cela n’était possible qu’après avoir étudié particulièrement chacun des
éléments.
Ce sujet ardu devait être situé à cette place dans le programme d’Her-
Bak, mais il est nécessaire de connaître l’ouvrage entier avant d’aborder
l’étude approfondie des « sept jours » de BA et KA, leur ensemble
constituant en soi-même une totalité qui est l’histoire de l’animation.
Les problèmes qui y sont traités sont si condensés qu’on ne peut se les
assimiler par une lecture superficielle. Cependant les précisions données
sont suffisantes pour permettre, en suivant la méthode indiquée, de se
familiariser avec cette partie fondamentale de l’enseignement égyptien.
Évidemment, les bases de ces données essentielles ne sont – et ne
peuvent être – qu’identiques à celles de toute tradition véridique ;
néanmoins l’expression égyptienne nous paraît la plus précise et la plus
facilement assimilable pour la mentalité occidentale.
Elle est précise, par la valeur rigoureusement exacte des lettres et signes,
choisis dans chaque cas pour définir le sens particulier attribué à un mot.
Elle est simple, parce que dénuée d’images littéraires et d’interprétations
sentimentales dont le caractère subjectif nuirait à la réalité de cette
métaphysique.
La plus grande difficulté réside dans la compréhension du KA, pour la
traduction duquel aucun mot n’existe dans la langue française, BA est plus
facile à exprimer par le mot âme, en tant que souffle animateur de tout ce
qui vit ; mais pour le KA il est préférable de garder le mot égyptien, en
tenant compte de ses différentes acceptions, car toute traduction ne serait
qu’approximative, ne pouvant exprimer le sens philosophique donné par la
composition de ce mot.
Seul, le mot KA peut révéler les divers aspects qui y furent
originellement inclus (aspects différenciés par les nuances de son
inscription hiéroglyphique), sans cependant créer l’idée d’une multiplicité
dans son essence.
Le nombre de mots égyptiens employés fréquemment dans ces sept
chapitres est assez restreint pour que l’on puisse faire l’effort de s’en
souvenir, ce qui facilitera la pénétration de ce mode de pensée.
*
**
Connaissant les difficultés créées par la complexité du sujet, nous
insistons pour prier le lecteur d’observer les recommandations suivantes :
1º Nous conseillons une première lecture attentive des sept « jours » de
BA et KA dans l’ordre donné, et sans s’attarder aux difficultés premières ;
puis l’étude particulière de chacun des « jours », en alternant chacun d’eux
avec le septième, puis le deuxième avec le septième, etc., car ce septième
est la synthèse et la clé qui permet de revoir avec fruit chacun des autres.
2° Ne pas se lasser de rechercher sans cesse, à l’aide de l’index, tout ce
qui a été dit dans l’ouvrage entier, sur chaque sujet mentionné.
SOMMAIRE DES SEPT CHAPITRES DE BA
ET KA

Premier jour
Notions élémentaires sur akh, BA, KA.
Les origines du « devenir ».

Deuxième jour
Les quatre lettres principielles : N, H, S, M.
Racines essentielles qui en découlent. La « Synthèse des Principes ».
La source des KA. Les deux Maât.
La « Hiérarchie des Neter » comparée à la « Synthèse des Principes ».

Troisième jour
Le KAet la peau meska.
Les « vases » du corps khat.
L’unité humaine ouâ.
Comment l’Unité devient « diversité ».
La nature du KA et des KA.
Les Principes Neter en l’homme.

Quatrième jour
Le nom. Le « moi » nek, inek.
La « corde ». Volonté d’existence, ikou.
Les sept « Puissances fatales ».
Les kaou et les hemsout.
Cinquième jour
La conscience, ses éléments.
Formes et degrés de la conscience.
Les milieux d’inscription.
La responsabilité.
L’Ombre, khaibit.
Les diverses mémoires.
La « dévoreuse » âmmit.
La scène de la pesée.
Les deux Maât. Les deux « soifs » : àb et tekh.
Le destin personnel : chaï.
Les enveloppes et les peaux.
Cœur solaire et cœur lunaire.
La « nedj » de l’homme.

Sixième jour
Les divers « lieux » ou états (de l’être et de la Douât).
Nout, « échelle » de l’homme.
La réincarnation.
khaïbit.
maâ-kherou.
Meskhent et Renenedjet.
Le sâh et Sah (Orion).
Les voies d’Occident et d’Orient.

Septième jour
Le djet, corps subtil indécomposable.
Formation de l’œuf humain.
Rôle de Meskhent et Renenedjet.
Lien de tous ces éléments.
Explication globale du KA.
Voie Osirienne, voie Horienne (Rédemption).
XII

BA ET KA

PREMIER JOUR

La splendeur joyeuse du matin rajeunit les vieux os de la terre, couvre


d’or la montagne, fait chatoyer le fleuve, et met en fête les jardins. L’heure
est si douce qu’on oublie la chaleur cruelle de la veille ; on oublie que dans
quelques heures il faudra de nouveau s’abriter, se méfier de la lumière
impitoyable !… La verdure, ressuscitée par la fraîcheur nocturne, laisse
boire par le Soleil le superflu de la rosée ; les corolles s’ouvrent confiantes,
avivent leurs nuances au rayonnement oblique du Soleil.
Arbres et fleurs sont en effervescence de sève, de parfums, et de
bruissements d’ailes. Les couleurs des parterres sont d’une extravagante
gaieté : la blancheur des anthémises éclaire les tapis de bleuets et le rouge
éclatant des coquelicots. Le Sage ne se lasse point d’admirer, observant
l’adresse des huppes, la malice des corneilles, les querelles affairées des
moineaux… Mais c’est en vain qu’il interprète en philosophe toute
l’exubérance de cette vie : l’oreille et le cœur d’Her-Bak sont tendus vers
un autre sujet.
— O mon Maître, je suis venu dès l’aube dans le temple, car tu m’avais
promis de me parler de akh, de BA et de KA…
— O disciple, es-tu certain que j’oublie ma promesse ? Qu’y a-t-il de
plus vivant qu’un jardin ? Qu’y a-t-il de plus vrai que la vie ?
Deux couples de guêpiers se posèrent non loin d’eux, et reprirent leur vol
comme des flèches d’or vert, pour venir se confondre avec l’or vert d’un
mimosa.
— O toi, Her-Bak, sais-tu ce qui colore ces plumages ? Sais-tu ce qui
donne à la huppe son instinct pour deviner, sous terre, le vermisseau ? D’où
vient le coloris de ce volubilis ?
— De la semence.
— Qui donc spécifia la semence ? Ta logique peut trouver des arguments
pour me répondre… Ce qui est vie ne peut être compris que par la vie. Si
ton pinceau pose une couleur sur un dessin, cette couleur est un artifice ;
mais le bleu de cette corolle est une réponse de la semence aux jeux de la
lumière.
— Toute semence subit ces jeux ; cependant les couleurs diffèrent…
— … comme diffèrent les yeux et les cheveux des hommes ; crois-tu que
les yeux bruns révèlent un caractère identique à celui des yeux bleus ? Les
hommes qui les portent peuvent être deux frères : d’où vient la
différence ? … As-tu vu l’étoile à cinq branches qui est tombée dans ce
volubilis ? Si tu avais la patience et la foi suffisantes pour étudier ces
signatures et leurs correspondances, tu apprendrais plus aisément la nature
de BA et de KA qu’en enregistrant des mots dans ta mémoire.
— BA, KA, akh, sont des principes spirituels : la plante et l’animal
peuvent-ils m’enseigner ce qui anime l’homme ?
Un essaim de mouches à miel bourdonnait autour d’Her-Bak qui essayait
en vain de les chasser. Le Sage le réprimanda :
— Si tu ne les crains pas, elles seront inoffensives ; ta frayeur les rend
agressives ; leur instinct est mieux averti que ta raison ! Elles pourraient
t’instruire du sujet qui t’intéresse.
— Quel rapport y a-t-il entre l’âme et l’abeille ?
— As-tu donc oublié leurs noms ?
299
— Bi.t est le nom de l’abeille, et du miel : ce n’est pas le même mot
300
que BA (âme).
— Qu’en sais-tu ? i et a ne sont-ils pas les deux aspects du premier des
medou-Neter ? Tu as accumulé trop de savoir, Her-Bak ; il faut apprendre à
redevenir enfant !
Les mouches, enivrées par le parfum de l’acacia, se disputaient ses fleurs
qu’elles suçaient avidement.
— Que prend l’abeille en butinant, dit le Sage, sinon la plus subtile
sécrétion de la fleur ? Elle n’enlève rien de sa chair : la fleur, butinée par
elle, vit sans souffrir de ce larcin. Et cependant, cette mouche dorée en
compose un liquide doré qui est la plus pure des nourritures, car il
s’assimile directement, sans putréfaction ni déchet. Jamais tu ne prendras
nos symboles en flagrant délit de non conformité.
— Mais le symbole dont tu parles, le miel, est un produit !
— Il n’était point question de l’Esprit créateur, mais de BA. Malgré mes
efforts pour te faire vivre une synthèse, ta pensée cherche une structure
compréhensible. Je vais essayer de l’apaiser par une explication
intelligible ; mais après cette concession, sois assez avisé pour venir
chercher la vérité dans les symboles.
« Je devrai donc, pour ta « raison », situer un commencement, akh est, au
commencement de toute genèse, la lumière sortie des ténèbres. Ceci déjà
suppose : les ténèbres, et la lumière incluse dans ces ténèbres, et la « Cause-
origine » qui contenait virtuellement ces « deux ». Lorsque Râ surgit hors
du Nout, il est akh.
— Je croyais que la parution de la lumière était khâ ?
— Tais-toi, disciple, écoute avant de discuter.
« Du fait que Râ surgit il y a soir et matin, Occident et Orient ; ainsi
301
existe l’horizon, akht : toujours un, deux, trois ; peux-tu concevoir
Orient sans Occident, et les deux « extrêmes » sans horizon ? Chacun de ces
termes nécessite les deux autres ; et le troisième terme de cette trinité n’est
compréhensible que par les deux premiers : akh peut-il advenir sans lumière
en ténèbres ? Et l’horizon existe-t-il s’il n’est pas mesuré par l’Orient et
l’Occident ?
« Or souviens-toi que le troisième élément d’une trinité originelle est le
rapport abstrait entre deux éléments connus.
— Il peut arriver que l’élément initial soit ignoré de l’homme…
— Si tu ne le supposes pas connu, tu ne pourras point poser le problème :
302
Amon est inconnu, Moût le manifeste par Khonsou qui révèle sa face .
Mais le « troisième » appartient autant au « premier » qu’au « deuxième » :
c’est cela qui crée la confusion.
« Car ce « troisième » est un rapport de « Qualité » qui fait de lui
l’intermédiaire, comme Trois entre Deux et Un ; alors ta raison ne
comprend plus, car la Qualité est abstraite ! Mais elle devient connaissable
par le phénomène qu’elle détermine ; et ce phénomène, troisième élément
apparent, devient le quatrième c’est-à-dire le premier d’une nouvelle lignée.
Le mâle et la femelle peuvent rester ensemble sans qu’une relation
s’établisse ; mais quand la saison du rut éveille le « troisième », leur dualité
s’affirme en s’appelant ; et ce troisième terme est : amour-attraction, mer.
« Ce rapport, qui met en action les fonctions sexuelles, est
essentiellement qualitatif, comme la cause naturelle qui le suscite ; et,
quoique père et mère soient les procréateurs du produit, la puissance
d’amour, MER, est la cause réelle, Puissance universelle qui suscite dans la
Nature la force agissant sur la sève et le sexe. Car le rapport abstrait entre
deux termes concrets est toujours la valeur réelle. C’est le troisième terme
véritable, c’est le « mobile » qui provoque le rapport des deux premiers
termes. Or le phénomène – ou produit – qui en résulte, sera le troisième
terme apparent de cette trinité et deviendra le premier d’une nouvelle
trinité.
« Ainsi les trinités s’engendrent l’une l’autre ; chacun des éléments
pourra changer de nombre et de fonction : si tu ne sais pas découvrir leur
facteur abstrait, leur mobile, tu ne comprendras ni leur enchaînement ni leur
symbole.
Le disciple suivait mot à mot ce discours ; il demanda :
— Faut-il considérer akh-BA-KA comme la trinité humaine ?
Le Sage répondit :
— Ils sont la trinité spirituelle qui « fait » l’homme, mais ils ne sont pas
la propriété exclusive de l’homme : on parlera de akh, du BA, du KA, pour
les autres sujets de la Nature, et même, en certains cas, pour les Neter.
« Ce sont trois états spirituels qui ne se dissèquent pas comme des
organes animaux. On ne peut pas les considérer comme indépendants l’un
de l’autre, pas plus que ne le sont les trois côtés d’un triangle. La raison se
fourvoie dans leur analyse ; leur connaissance incomplète engendre
beaucoup d’erreurs.
Her-Bak répliqua :
— Ne dit-on pas que akh résulte de la réunion du défunt à son KA
303
purifié .
— Qu’est-ce qui, dans le défunt, « passe à son KA » ? Son corps ? Il est
dans le tombeau ! Son BA ?
Her-Bak répliqua vivement :
— Non, il est dit que BA rejoint le KA lorsque ce KA est réuni au djet.
— Qu’est-ce que le djet ?
— Le djet est le corps imputrescible.
— Cela ne peut concerner la momie : elle ne quitte point le sarcophage !
Est-il donc un autre élément que tu n’aies pas nommé ?
— Serait-ce l’Ombre khaïbit ?
— Qu’est-ce que l’Ombre ? N’est-ce pas la forme de l’objet qui
intercepte la lumière ? Or, lorsque la lumière s’incarne en la substance
(semence), cette substance ne s’oppose pas à la lumière pour faire une
ombre, mais pour faire un corps, qui sera l’ombre de la lumière. Ceci est
khaïbit, l’Ombre (fantôme).
« Réfléchis désormais avant de questionner ! Toute croyance populaire
touchant un sujet essentiel doit être approfondie pour en saisir l’intention
originelle ; car nous ne livrons au public que l’image compréhensible. Fais-
tu donc partie du public ?
— O mon Maître, ton reproche est mérité : ma question était celle d’un
étourdi, et l’étourdi n’est pas un bon modèle.
Le Sage parut satisfait ; il continua :
— Maintenant je puis répondre à ta première objection :
l’épanouissement des rayons solaires à l’horizon se nomme khâ, en tant que
témoignage de la présence du disque lumineux. Tu en diras autant de
l’apparition du Roi sur son trône, ou de l’imposi tion de la couronne sur sa
tête : khâ est la manifestation matérielle d’une puissance ou d’un feu
virtuellement contenu en l’être qui le manifeste ; c’est l’individualisation du
feu ou puissance, khâ n’est pas le feu : il est son affirmation par témoignage
matériel. Dans le mot khou, tu trouves exprimée la même idée d’un feu – ou
force – enclos dans un espace, une matière ou une chose ; c’est en ce sens
qu’il faut entendre khou, protection, pouvoir, amulette. Le mot khou, dans le
sens de consacrer, traduit aussi l’idée d’inclure dans une chose (offrande,
statue ou temple), un feu actif ou puissance énergétique, ce que l’on traduit
vulgairement par « pouvoir magique ».
« Reprenons maintenant notre étude de akh. akh (ou iakh) est la parution
spirituelle de la lumière ; c’est l’Esprit qui se manifeste, non pas l’Esprit de
304
l’origine mais l’Esprit inné dans la matière .
305
« N’oublie jamais que akh exprime « la lumière triomphant des
ténèbres », à n’importe quel moment que se produise cette résurrection :
306
• lors de la création continue (akh),
• lors de la renaissance spirituelle de l’Homme (iakh) ;
307
• ou de la renaissance du germe végétal dans le limon (akh et akh-t ).
Mais ceci n’est pas expliqué communément.
— Selon tes paroles, dit Her-Bak, akh aurait trois aspects ; le premier
aspect est métaphysique : lumière générée dans les ténèbres ;
• le second aspect, naturel : lumière incorporée, puis générée par les
éléments en putréfaction ; décomposition de la semence en germination ;
réveil du feu dans la terre limoneuse qui rend prospère ce qui était stérile ;
• le troisième est humain, mais je ne sais pas le définir.
— Ce troisième aspect, dit le Sage, est la lumière spirituelle triomphant
des éléments humains qui se recomposeront en unité. Cependant cette
« unité » elle-même ne sera pas une fin, mais une étape vers une plus haute
perfection ; à plus forte raison, l’iakh n’est pas une fin : c’est « l’état » du
devenir spirituel dont les spécifications indiquent divers degrés de
308
spiritualisation, iakhou aker, iakhou aper, iakhou chepes .
*
**
« Si tu as compris la triple manifestation de akh, tu peux comprendre
309
aussi le triple aspect de KA .
« Le KA, originellement, est la Forme qui donne forme à la Substance
310
pour faire la Matière ; c’est le Principe spirituel de la fixité, c’est lui qui
va devenir le point d’appui pour toute manifestation ; c’est lui qui va subir,
à travers ce « devenir », des modifications multiples, depuis la forme la plus
basse jusqu’au perfectionnement du corps indestructible.
311
« KA , puissance « Amour-cosmique », te sera incompréhensible ; et si
je dis : « KA est la force attractive qui cause et fixe l’incarnation de Ptah
dans la matière », ma parole sera trop abstraite. Mais si je dis que KA, le
taureau, est l’incarnation animale du feu de Ptah, tu pourras le comprendre
par les propriétés du taureau : ardeur et puissance d’émission, stabilité
312
(fixité), force de la nuque .
« KA puissance Cosmique, est l’essence de l’Idée du taureau. Porteur de
la puissance génératrice, il donne la spécification héréditaire, depuis la
source créatrice originelle jusqu’aux procréateurs terrestres, KA est donc le
porteur de tous les pouvoirs de manifestation, et le mobile des fonctions
universelles ; aussi l’on peut dire qu’il est « le Père des pères des Neter »,
313
car le KA est le Principe réalisateur de la création continue : sans lui, le
père n’aurait pas de puissance effective ; par lui, le fils révèle la face de son
père. C’est grâce à lui que tout sera « nommé ».
« Les propriétés actives de Râ sont ses KA ; les qualités vitalisantes de
toutes nourritures sont leur KA. Car le KA est la source de tous les appétits.
« Tous les aspects de KA se retrouvent en l’homme, mais tous ne lui sont
pas soumis. Les qualités supérieures du KA, nourries par les feux subtils de
la moelle, ne sont incorporées en l’homme que lorsque celui-ci en possède
la connaissance et la maîtrise.
— Ces définitions, dit Her-Bak, clarifient certaines assertions qui me
semblaient contradictoires : car il est dit que l’homme ne possède pas
toujours son KA pendant sa vie terrestre, et d’autre part on parle des KA du
Pharaon.
Le Sage répondit :
— Tu devras réfléchir désormais pour apprendre à différencier les
aspects du KA. Les viscères portent les KA animaux, et les appétits qu’ils
incarnent subsistent un certain temps après la mort ; c’est pour ces KA que
sont offertes les nourritures funéraires.
« Mais le KA humain individualisé est de beaucoup supérieur à ces KA
animaux. Tu vois souvent, dans nos images, un Neter influant sa puissance
dans la nuque de l’homme : or les vertèbres de la nuque supportent la tête
qui commande à l’organisme vivant et exprime la conscience. La nuque est
un « lieu » mystérieux ; c’est un des sièges physiques du KA supérieur, un
de ses relais qui le mettent en rapport avec les KA organiques.
« Ces considérations te permettent déjà de discerner trois aspects du KA
:
• le KA originel, créateur de tous les KA ;
• les KA de la Nature : minéraux, végétaux, animaux ;
• enfin, le KA individualisé de l’homme, qui comporte son caractère
hérité et sa propre signature, et qui fixe son destin.
Le Sage et son disciple marchèrent quelque temps en silence. Ils avaient
quitté les jardins et cheminaient dans l’avenue des grands béliers d’Amon.
Le soleil devenait ardent ; l’ombre épaisse d’un sycomore leur parut propice
pour une halte. Her-Bak dit à son Maître :
— Après ce que tu m’as appris sur KA, je ne vois pas ce qui peut rester à
dire sur BA ?
Le Sage répondit :
— Il reste à parler de ton propre Neter. D’ailleurs, tu dois faire une
distinction très nette :
1° considérer le corps, l’ombre, KA, BA et akh, par rapport à une genèse
de la conscience ;
2° considérer l’histoire de BA et KA dans leur incarnation : cela est
l’enseignement secret de nos « mystères ».
« Si tu m’entends, tu auras les notions préliminaires essentielles :
• à l’origine il y a BA ; à la fin il y a BA ; entre l’origine et la fin, BA est
en toute chose, puisque c’est le Souffle qui fait la vie. De cela résulte que
l’Esprit BA est le souffle dans tous les éléments constituant le monde,
jusqu’à la perfection finale.
« BA présente, comme KA, trois aspects :
1° BA est l’âme Cosmique, l’Esprit de Feu, animateur des Neter et des
divers lieux du monde. C’est en ce sens qu’il faut comprendre : « les âmes »
d’Orient, d’Occident, de Pe, de Dep, de Nekhen, ou d’Héliopolis.
2° BA est l’âme naturelle fixée dans la forme corporelle, de caractère
Osirien, c’est-à-dire subissant les renaissances cycliques. Cet aspect est
symbolisé par le bélier aux cornes horizontales.
3° BA est enfin représenté par l’oiseau à tête humaine : c’est le symbole
de l’âme humaine, qui va et vient du ciel en terre pour errer auprès de son
corps jusqu’à ce que la purification du KA-djet leur permette de la recevoir.
C’est elle que nos images montrent perchée sur le sycomore de Nout au
pied duquel tu es assis. J’aurais beaucoup de choses à dire sur ce
sycomore ! Mais cela appartient à ton propre travail.

FlG. 29. – L’âme BA est représentée par l’oiseau à tête humaine…


perchée sur le sycomore de Nout devant lequel est assis le défunt, ou s’abreuvant au bassin.

Le Sage se leva. Il prit un chemin ombragé qui les conduisit en peu de


temps devant l’embarcadère. Son bateau l’attendait. Her-Bak y monta
joyeusement et resta silencieux aux pieds du Maître, à l’abri de la cabine
couverte de nattes multicolores.
La barque remonta le courant, lentement, au rythme cadencé des avirons.
Une brise fraîche se levant, les rameurs s’arrêtèrent ; on hissa la voile
carrée, le bateau s’inclina, et vogua sans bruit vers le Sud.
Et la pensée du Maître obéit au symbole de l’eau.
— Il est plus facile, mon fils, de se laisser porter par le flot que de
remonter vers sa source ! Cependant ceci est possible en se servant
habilement des vents, même s’ils paraissent contraires.
« La succession des existences est un flot qui emporte les hommes, sans
que ceux-ci aient conscience d’autre chose que des accidents – bons ou
mauvais – du chemin. Pour chaque individu, le trajet de son existence
actuelle semble la totalité du parcours ; on se laisse entraîner sans observer
le fleuve qui vous porte… Bien peu sauront vaincre leur indolence pour
prendre conscience de la nature des courants, des vents et des rives ; cet
effort est la nourriture de ton propre Neter qui ne s’incarne que dans ce but.
Her-Bak était songeur ; une inquiétude crispait son visage. Il répondit à
la question du Maître qui l’interrogeait pour en connaître la cause :
— Les notions que tu m’as données restent confuses dans ma pensée
comme des principes sans point d’appui. Qu’est-ce que mon propre Neter ?
Qu’est-ce qui constitue l’individualité de « cela » qui s’est incarné en moi ?
— La réponse que tu demandes, Her-Bak, serait la dernière d’un
enseignement total que tu n’as pas reçu.
— D’ailleurs ton inquiétude est justifiée, car mes explications
précédentes sont les définitions sommaires que l’on peut donner en
« préface » pour déblayer les pensées confuses de l’élève. Pour qu’il me
soit permis de compléter cette instruction, tu dois d’abord témoigner de la
mesure de ta compréhension.
— C’est pourquoi, répliqua vivement le disciple, je te demanderai ceci :
tu m’as parlé de akh, de BA, de KA ; l’Esprit étant l’Un absolu, comment
peut-il se diviser en divers éléments ?
Le Maître hocha la tête avec satisfaction :
— Ta question est correcte, dit-il, et me permet de pénétrer dans la réalité
du sujet. Écoute donc la leçon de ce « premier jour ».
*
**
« Tout ce qui existe vient d’Un. Cet Un, devenant conscient de lui-même,
se divise (origine du « couple », ou dualité qui est la Nature), et ainsi fait le
Monde.
« Par la vie, tout sera finalement appelé à retourner en cette Unité, à
travers les hiérarchies spirituelles des êtres devenus conscients.
— Quel est le nom de cet Un ?
— En tant qu’Absolu, il est inconnaissable. En tant que Créateur du
Monde, nous le nommons : Atum-Râ, Amon-Râ-Ptah.
314
« Mais en tant qu’Être source de l’être, il est iaaou et chaque humain
porte en lui son image, comme un reflet renversé.
— Ce reflet n’est-il pas la « personne » sa (za) ?
— Je ne parle pas ici de l’effet déjà spécifié, mais de la cause : je parle
du principe de ce qui sera « personnel » et qui s’oppose à l’Être
315
impersonnel ; ce principe est le Moi, nek, (nk) ou inek .
« Ce mot, Moi inek, ne signifie pas l’être animé ni caractérisé ; nek
exprime la soif d’existence, en soi-même et « pour soi », sans autre but que
de ne pas disparaître. C’est la transposition de l’impulsion originelle vers
l’existence, devenue « volonté de continuité » c’est-à-dire tendance
copulative (nek) pour la perpétuation du Moi.
« Le mot iou exprime le Principe impersonnel de l’Être ; le Moi inek est
son figurant personnel.
316
« Par rapport à iou impersonnel, nek est « l’Autre » (ki )
317
« iou étant le principe de l’Être en tant qu’activité originelle, (i ),
318
délimitée par un espace (ou), sa spécification personnelle est sou (lui),
car S exprime la « spécification caractéristique ». La continuation terrestre
319
de la « personne » est exprimée par iouâ (l’héritier), car â ajoute à l’idée
de l’être l’idée de mesure individuelle ; iouâ est la « mesure » d’un type,
d’une individualité.
« Maintenant, Her-Bak, c’est ici l’enseignement de réalités qui ne
permettent pas les paroles oiseuses ; mûris profondément chacune de tes
questions si tu veux que chaque réponse t’apporte la clarification souhaitée.
Her-Bak, ayant longuement réfléchi, demanda :
— Comment l’Impersonnel peut-il devenir personnel ? Comment l’Un
peut-il devenir l’Autre ?
— Certes, répondit le Maître, ceci touche à l’essence même des medou-
Neter, et je ne puis t’en parler sainement qu’à travers nos hiéroglyphes.
Écoute donc.
320
« La première de nos lettres, par son double aspect ia (àa), exprime
l’Origine en sa double possibilité, active, passive ;
321
• ensuite vient la possibilité du volume, exprimée par aou , le principe
de l’élargissement, de l’Espace-Substance. C’est pourquoi ce mot, aou,
signifie dilatation, ampleur.
« Ces deux syllabes assemblées, ia aou, expriment l’origine de l’Être
dans sa plénitude non divisée, non spécifiée. Écoute l’enseignement de nos
Sages : au commencement, iaaou vivait dans le corps unique, « avant qu’il
y eût dualisation, avant que fussent les choses terrestres »… quand il n’y
avait pas encore de naissance… quand aucun dieu n’existait… quand le
322
« désir pour IKOU » n’était pas encore formulé …
— Qu’est-ce que IKOU ?
— IKOU est le reflet de l’Activité originelle dans la tendance à la
personnification. Mais avant sa descente dans la matière, IKOU est appelé
323
« l’Ancien Maître du Ciel et de la Terre », car il est la Puissance qui a
324
précipité la Substance dans la Matière et l’Être dans le Devenir .
« Le « désir pour IKOU » cause la dualisation, la procréation, et la
succession des phases du Devenir.
« Son expression humaine est ki (l’autre), et nek, ou inek (moi).
« Ce qui cause la chute dans la Matière, c’est IKOU ; ce qui suit cette
chute, c’est le Devenir, KHEPER, avec toutes ses phases et péripéties
inévitables ; d’où le nom du scarabée, kheprer, qui est le symbole de ces
transformations.
325
« Le Devenir est l’histoire de la genèse universelle dont le sommet et
le terme sur la Terre est l’homme.
« Ensuite commence l’histoire surnaturelle de la prise de possession de
ses éléments spirituels, BA et KA, qui constituent une nouvelle animation.
C’est la genèse de l’homme conscient, celui qui a « appris à connaître » –
326
rekh –, c’est-à-dire qui a conquis la « Raison supérieure ». Ce mot est
327 328
justifié, car kher est le rapport de la « chose » à la cause, et rekh est
la conscience de ce rapport.
« Cette genèse aboutit après la mort à une renaissance spirituelle.
Her-Bak émit une objection :
— Maître, tu dis que BA et KA doivent être réunis en l’homme ; BA et
KA étant spirituels, font partie de cet Un dont « l’Autre » est émané :
comment l’Autre peut-il être sans l’Un ? Comment l’Un peut-il se trouver
séparé de cet Autre qui est formé en lui ? …
Le Sage se leva :
— Ce problème est d’un ordre trop abstrait pour être immédiatement
résolu. Il y avait, dans mes paroles, des éléments plus positifs pour en
clarifier l’exposé : si tu parviens à les formuler, je répondrai demain à tes
questions.
« Cependant souviens-toi, en cherchant à élaborer ce problème, que ses
données ne sont jamais clarifiées par le cerveau humain, mais seulement par
l’Intelligence du cœur de l’Osiris qui est en l’Homme.
Et la barque accosta près de l’embarcadère de l’Apet-reset (Apet du Sud,
Louxor).
XIII

BA ET KA

DEUXIÈME JOUR

Her-Bak, par faveur spéciale, passa la nuit dans une des chambres
d’étude du temple. L’atmosphère était favorable à sa méditation, comme si
les murs eussent été imprégnés du sujet qui le préoccupait.
Lorsque son Maître vint l’y trouver au matin du lendemain, Her-Bak lui
soumit un problème :
— Tu enseignes que toute genèse commence par la division ; la division
est dualisation d’une Unité première : pourrait-il y avoir division s’il n’y
avait pas différence de nature entre les deux parties d’origine ?
— Tes paroles sont imprécises et ce sujet exige une exactitude
329
rigoureuse. Toute genèse , dans le monde créé, commence par une
division, comme la création se fait par la scission incompréhensible de
l’Unité.
« L’erreur est de transporter dans l’Unité la notion de dualité (c’est-à-dire
sexualité) que te donne la séparation. Pourtant tu ne peux pas penser
autrement ; c’est là le mystère de la Création, réalité que les Sages, seuls,
peuvent démontrer.
« Sache donc que le moteur originel est l’Esprit-Verbe dont la force sera
le Feu, c’est-à-dire le Principe même de l’impulsion et non le feu commun
qui en est seulement l’image. Nous ne pouvons comprendre ses Qualités
que lorsqu’elles ont évoqué leurs complémentaires ; celles-ci constituent le
Principe Eau, que l’on pourrait appeler aussi : la résistance s’opposant à
« l’Activité-Feu », et créant de ce fait le premier « lieu » en lequel se situe
le Monde.
« Tu ne peux pas imaginer sans erreur les Qualités abstraites de ces deux
Éléments principiels ; mais si tu étudies les hiéroglyphes par lesquels nous
les représentons, tu apprendras à connaître leurs rapports mutuels et leurs
effets, d’après le rôle que jouent ces hiéroglyphes dans la formation des
mots qui s’y rapportent.
« Quatre lettres symbolisent le rôle de ces Qualités élémentaires dans la
330
création : N, H, S, M .
« Le sens métaphysique des deux premières, N et H, se rapporte au
mouvement de l’Esprit animateur : les deux autres, S, M, en sont la
résultante dans l’œuvre de Nature.
« Mais tu dois d’abord te souvenir que N symbolise l’Énergie cosmique
agissant comme onde ; or c’est son caractère d’alternance qui fait la
manifestation. Par extension N représente le principe de l’onde, quelle que
soit la nature de celle-ci.
« N, en tant que Qualité pure, Énergie pure, Vie divine, est inconcevable
pour nous. Elle est le principe du Feu agissant, l’Essence même de la
331
Forme, cause de toutes les formes ; tandis que H est le Principe de la
Substance, de la nature du principe Eau, en laquelle agit le Feu essentiel
source de la Forme. Mais cette substance, H, émanée de la source Divine, et
incréée, est aussi abstraite – spirituelle – que le Feu cosmique qui l’anime.
« Les deux medou-Neter N, H, considérés dans leur sens abstrait, sont les
attributs de la Vierge-Cosmique dont le mystère divin ne peut jamais être
expliqué par une langue humaine : Vierge sans cesse unie au Verbe-Feu
divin qui la féconde et qu’elle enfante éternellement, elle est Mère de la
Lumière incréée que nous nommons le Divin Râ.
« N devient plus compréhensible dans la « création continue », comme
alternance de l’Énergie en Neith, dont les deux flèches signifient cette
alternance qui donne « aspect » à toute chose dans le Temps : lumière et
obscurité, chaleur et froid, montée et descente, dilatation et contraction.
« Leur manifestation dans la Nature est symbolisée par la double lettre S
332
; l’aspect affirmatif, générateur, est signifié par S vertical , l’aspect
333
négateur et Sethien (brûlant) est signifié par S horizontal (z ).
334
« Le croisement des flèches de Neith et le croisement de sa navette
représentent la neutralisation de deux « activités ».
335
« D’autre part les croisements de H signifient la « mise en
mouvement » des Fonctions primordiales par lesquelles s’engendre la
première Substance et qui seront les causes métaphysiques du « devenir »
de la Matière. Cette Substance qui en résulte est le premier état que nous
puissions concevoir comme Substance animante et animée ; c’est le second
sens de la lettre H.
Ce hiéroglyphe est le meilleur symbole synthétique qui puisse en être
donné : une corde (ou fil ou écheveau) qui paraît double par le fait qu’elle
se croise elle-même. Ce signe magnifique se passe de commentaire.
« Les croisements de H déterminent les instants de neutralité de
l’Activité causale, puis provoquent la réactivité qui sera cause du
336
phénomène. Cette neutralité sera le principe de M . De même que S est la
résultante de N dans le monde du Devenir, de même le principe M est la
résultante de H.
« Il faut aussi distinguer alternance et croisement. L’alternance précise le
temps, les croisements précisent des états.
« M dans son aspect abstrait, exprime la neutralité, l’impassibilité, le
point mort de la balance ; c’est le principe du « vase » passif, sans forme,
qui donne naissance à la forme créée par l’activité gui la remplit. M est
l’Idée du « contenant », du milieu réceptif, inerte par lui-même, qui peut
être animé par une activité.
« Dans son aspect concret, elle est le caractère passif de l’eau, qui peut
prendre les formes de tout ce qui la contient. En tant que « milieu », elle
peut recevoir et laisser gester en elle toute semence, dont elle deviendra
alors le vase ou « contenant ».
337
« Les deux lettres H et M assemblées, HM , expriment la passivité
vivante, apte par sa neutralité à recevoir une impulsion, mais capable aussi
– lorsque la réaction prédomine sur la passivité – de laisser prendre forme à
l’activité qu’elle localise.
« Pour préciser encore la nature de ces quatre lettres, souviens-toi que
NH signifie la perpétuité de la Vie Universelle, et que les lettres SM
composent le nom de ce qui peut prendre forme, sm, et de ce qui en naît,
338
ms .
« Enfin ces quatre lettres assemblées donnent le nom du natron, hsmn,
qui est le premier sel du Monde.
Her-Bak dit à son Maître :
— Je parviens à imaginer le principe de HM et de M ; me rappelant ce
que tu m’as dit de Thot et d’Horus je puis encore apercevoir le sens
véritable de H ; mais il m’est difficile de concevoir, sans les confondre, les
caractères des « Feux » de N, de Neith et de S…
Le Sage répondit :
— Ne s’agit-il point des bases mêmes du Monde ? Ne prétends jamais
les comprendre avant d’avoir obtenu, par l’intensité de ton désir, qu’elles se
révèlent en toi-même. Je ne t’en donne aujourd’hui que les simples notions
nécessaires à la compréhension de la constitution de l’homme. Écoute-les
comme telles, sans confondre les symboles et la réalité.
« N reste toujours qualitative, mais à divers degrés de manifestation ;
dans ce sens la raison peut discerner trois états de N :
« Le premier est N Originelle, Qualité pure, Énergie pure,
incompréhensible.
« Le deuxième est Énergie essentielle indéterminée, qui, se polarisant,
339
donne les aspects complémentaires symbolisés par les deux colonnes an .
340
Elle est Nt (ou Neith) aux deux flèches : elle est l’Énergie animante de
l’Univers, qui soutient toutes choses par son activité ; elle donne la rougeur
du sang ; la couronne rouge est son symbole.
« Le troisième degré est sa manifestation dans le Monde terrestre sous la
forme d’onde, quelles que soient sa nature et ses propriétés : onde porteuse
d’une des manifestations de l’Énergie, onde qui « environne », onde qui
réfracte et révèle les apparences de toutes choses.
« Mais les deux flèches de Nt trouvent, dans l’œuvre de Nature, leur
concrétisation dans le double Feu de S, principe actif qui donne la Forme ;
et cette expression de la Dualité, virtuelle en N, est la cause du choix des
341
deux lettres S, N, pour exprimer le « double », le nombre deux, s .
« S est Principe actif, Feu essentiel immortel, inné dans la Matière, mais
déterminé par la semence en laquelle et par laquelle il agit, laquelle
semence lui sert de ferment spécificateur.
Her-Bak pesait chaque parole, mesurait la valeur des mots, mais perdait
pied dans l’abstraction et cherchait l’appui d’une image.
— O Maître, ce que tu dis de N, de Neith, et de S, se confond en ma
pensée avec l’idée de Ptah, et je ne parviens pas à les différencier !
Le Sage parut satisfait de l’objection ; il invita Her-Bak à approfondir ce
sujet :
— En étudiant le ciel pet, tu as appris qu’il est le lieu où se jouent, se
croisent et se définissent les différentes Puissances-Fonctions que nous
symbolisons par les Neter. Imagine toutes ces Fonctions, non plus en
puissance mais en action dans tout germe, dans tout œuf en gestation : tu
auras l’image de Ptah agissant comme formateur forgeron de toute chose
dans l’Univers. Ptah est le Principe actif causal qui, par sa chute dans le
« corporel », a été ligoté. C’est la chaleur de cette Activité qui va être
source de toute vie, et que nous symbolisons par le Feu.
« De même que l’œuf fécondé porte en lui la Forme spécificatrice qui
sera celle de l’embryon, et porte en même temps la substance nourricière
qui multipliera progressivement la matière de son corps, de même est
façonnée perpétuellement par Ptah la première matière du Monde ; et cette
première matière que nous nommons pat (ou paout si l’idée du volume y est
342
incluse), est déjà la création corporelle ou « continu ».
« Or l’œuf fécondé porte en lui le Principe S, Feu essentiel déterminé par
l’espèce, dont cet œuf est issu ; tandis que l’œuf fécondé porte le Feu
spermatique, S, du père qui a fécondé l’œuf, et ce S spécificateur
caractérisera le poussin qui en naîtra. Or, pendant toute sa gestation, l’œuf
sera animé par le feu non spécifié de N, comme l’est notre sang pendant
toute notre existence.
« Telle est la différence entre les modes d’action des Feux N et S :
• S spécificateur particulier,
• N animateur continu universel. Le complément de cette activité sera
symbolisé par meh, la vache meh-ourt, correspondant à l’Eau-mère passive,
universelle, qui a conçu et qui geste la matière engendrée par ces « Feux ».
« Ainsi tu as les premiers éléments pour connaître les quatre bases du
Monde : N, H, S, M.
*
**
Her-Bak écoutait ces notions nouvelles et s’efforçait de les relier aux
enseignements déjà reçus. Tant de perplexité contractait son visage que le
Maître s’en étonna. Le disciple avoua les raisons de son embarras :
— La définition que tu donnes de S, spécificateur qui donne la forme et
les caractères de chaque être, me paraît identique à ce que tu enseignes sur
343
KA : « Forme qui donne forme à la Substance pour faire la Matière…
Qui donne la spécification héréditaire »…
Le Sage interrompit Her-Bak :
— Tu confonds les Temps et les phases, et ceci n’est pas étonnant car il
est difficile de saisir en effets succes sifs ce qui est simultané. Dans leur
Origine S et KA « sont » simultanément ; pourtant dans le Devenir, S
précède le KA et les KA… Mais j’aurais tort d’expliquer par arguments
logiques une réalité que les Sages se sont contentés d’affirmer en paroles
essentielles.
« Si tu as étudié et mûri la « Hiérarchie des Neter », tu as un aperçu des
Fonctions Principielles. Hier je t’ai donné des notions très succinctes sur les
éléments spirituels des êtres et sur les causes du Devenir.
« Maintenant que tu peux entrevoir les principaux détails du problème, je
voudrais essayer d’ébaucher la synthèse des Principes afin que tu puisses
situer (depuis le commencement du Commencement) l’origine de l’homme
créé de Dieu, puis l’homme né de la femme, jusqu’à son retour en l’Homme
Cosmique… ce qui est l’histoire de la Conscience.
« La première étape est une dégradation de la Cause unique, primordiale
et indéfinissable, vers le « corporel ». Nous, de notre point de vue, nous ne
pouvons pas comprendre autre chose puisque nous sommes du côté
corporel.
« Or il est impossible d’inventer aucune « combinaison », aucun
système, si ingénieux soient-ils. Ce que je t’en dirai ne sera que quelques
mots, quelques lettres, constituant fidèlement un précieux extrait du Plan
des Anciens.
« Ce que je t’en transmets ici est véridique, mais détaché de ce trésor
comme une pierre d’un collier, pour apporter une parole substantielle dans
laquelle ne se glisse aucune opinion ni interprétation arbitraire sur un aussi
grave sujet.
*
**
344
La Synthèse des Principes
« Dans l’Origine d’où émane tout ce qui est, il y a trois Principes en Un ;
ces trois Principes sont innommables, et nous ne les désignons que par trois
lettres, A, N, H. L’un ne peut se situer avant l’autre, car ils sont Unité
parfaite quoique chacun ait en soi ses propriétés typiques. L’un est
inconcevable sans l’autre, et l’un procède de l’autre. Or A est le Principe-
Action, essentiel-originel, source de toute activité ; N et H procèdent de A et
sont par A, mais on ne peut parler de A qu’à travers N et H.
« C’est donc en N et H qu’il faut chercher la source de tout ce qui
constituera l’échelle des Puissances, puis leur manifestation.
*
**
« Dans le Principe Éternel il y a le triangle A, N, H, trois en un ; A est en
N et H qui procèdent de A.
« N ou AN, double en un, est le Feu divin, Principe de la Qualité, source
de la Forme ;
« H ou AH, double en un, est la Substance spirituelle dans la passivité de
laquelle peut agir AN.
« En elles sont virtuellement contenues toutes les Puissances qui en
procèdent :
• de N procéderont : NT, qui contient les Causes du Ciel et de la Terre,
• et le Principe de S en son unité primitive,
• et le Principe ternaire du KA originel.
« De H procéderont : M, passivité neutre et principe du « contenant »,
• et le principe du Verbe Her, Face qui est à l’image du Tout.
« Mais tous ces Principes, n’ayant pas encore agi les uns sur les autres,
étaient unis en eux-mêmes et il n’y avait point d’opposition.
*
**
« Or lorsqu’ils se reflètent dans leur propre image ils se révèlent en leurs
effets.
« De N procèdent : NT et Nout qui contient NT,
l’Energie NR, Lumière vivante ou énergie agissante parce qu’elle a
345
trouvé sa résistance qui la mesure , et toutes ses Qualités et propriétés
immanentes,
l’Élément principiel Feu, contenant en puissance les divers feux du
Monde,
les Principes des « Caractéristiques » : le KAdivin et le double feu de S
non divisé ;
et par eux : le Principe du Nom,
le Principe paternel,
et le Principe du Temps ;
et toutes les « Possibilités » des formes et de leurs noms.
« De H et de M procèdent :
le Verbe animateur Her (ou Esprit substantiel) ;
l’Élément principiel Eau, matrice de l’Esprit ;
le Principe de la Masse, matrice du Feu, qui fera la Matière ;
et, par ces derniers, le Principe maternel,
et la matrice de l’Humanité.
*
**
« Or il n’y avait pas encore, en cet état, la division des forces qui cause la
Nature. Mais la Puissance créatrice des Formes-en-possibilités était connue
de chacune d’elles parce que confondue avec elles.
« Et l’ultime Forme, l’Humain, image de la Totalité divine, connaissait et
nommait toutes les autres Formes. Et cela était la conscience Maât, fille-
épouse-mère de la Lumière omnisciente, source de tous les KA divins, qui
viendront s’incarner dans les matrices humaines, pour y prendre conscience
des forces inférieures et y éveiller l’Horus humain, qui accomplira le retour
à l’Homme Cosmique.
« Et cette nouvelle Conscience, conscience du « discernement », est la
seconde Maât : la Maât du jugement.
« Et cette « nécessité » devint la possibilité de la « séparation », appelée
par le Soi évoquant le Moi, le « Même » (djes) évoquant « l’Autre » (ta) et
émanant le désir de l’existence (ikou).
346
« La détermination de cette initiative est symbolisée par dj , premier
agent « du choix » :
• si le Moi s’identifie avec le Soi par la Conscience, tout demeurera dans
la Vie Éternelle ;
347
• mais si le Moi s’oppose au Soi, c’est la chute dans la Matière ; alors
commence la grande lutte de Maât qui, à travers vie et mort, devra souffrir
dans le corporel pour reconquérir l’état initial ;
alors N devient l’Onde, qui réfracte et révèle les qualités
348
particulières ;
et les flèches de Neith polarisent les Qualités ;
S se divise en Feu Horien et Feu Sethien ;
et HM devient matrice ;
et SM devient la forme (semence) ;
et M devient Moût, féminité gestante, et moût la mort qui en résulte.
« Et tout cela, œuvre de Ptah, est la « création continue », Ptah forgeron
des choses, père des KAOU de la Nature, porteur intermédiaire des KA
humains.
*
**
Le Sage se tut, et Her-Bak, respectueux, continuait à écouter…
Le Maître rompit le silence et lui dit :
— Lorsque tu méditeras sur ces paroles, il t’arrivera de les comparer à la
Hiérarchie des Neter, et tu pourras être surpris de la différence des noms,
des mots et du mode d’enseignement…
« En voici la raison : la Hiérarchie des Neter t’enseigne la genèse – ou
apparition successive – des Puissances ou Qualités divines issues de
l’Éternelle Cause, et leur projection vivante dans la Nature.
« La Synthèse des Principes se rapporte aux lois des Nombres-Entités,
contenus en l’Unité originelle puis issus de la première division et
349
constituant la structure abstraite de la Nature concrète .
« Et ces deux enseignements parlent d’une même réalité ; mais la
Synthèse des Principes comporte la connaissance des éléments spirituels de
l’homme, donc indique la possibilité d’un chemin de retour vers la Source
dont ils sont issus.
« Connaissant cet extrait de l’enseignement secret qui est notre
patrimoine, tu pourras t’y référer pour relier les éléments que je dois
évoquer séparément.
« Nous les regarderons dans leur troisième état, c’est-à-dire en fonction
dans la Nature, pour comprendre leur rôle dans la constitution de l’être
humain.
« Toute chose existante est devenue telle par l’action réciproque des deux
éléments primordiaux représentés par S et H, et chacun d’eux a caractérisé
en cette chose les éléments qui leur correspondaient. Tu en vois l’exemple
dans la coexistence du globe jaune et de l’eau blanche dans l’œuf souht.
« Ces deux principes sont assemblés en tout être vivant ; ils y sont
350
voisins (sah ) comme sont voisins le jaune et le blanc dans l’œuf souht.
« Mais pour que devienne le poussin, ce jaune et ce blanc devront se lier,
pourrir ensemble dans un chaos où se développera le germe ; or ce germe a
pris forme par l’essence active sou et est nourri par la substance passive de
ht, qui constitue la base vivante de l’œuf souht.
Her-Bak émit une suggestion :
— Ces paroles semblent montrer un deuxième aspect de la dualité : SN
(sen) signifiant « deux », et SH le double Principe ?
Le Maître répondit :
— Il y a d’autres aspects encore, mais ces deux expressions sont
fondamentales. Leur différence réside en leur situation dans l’histoire de
l’être.
« Tout ce que je t’ai dit aujourd’hui est le développement des éléments
abstraits de la philosophie spéculative, c’est-à-dire ce que la raison nous
enseigne à distinguer. Maintenant passons à l’histoire de l’être : histoire de
l’Esprit, histoire du corps, et histoire de la conscience.
« L’histoire spirituelle n’est concevable pour toi que par méditation – ou
351
confondement ; autrement tu peux essayer de la saisir schématiquement,
par les notions abstraites que tu viens de recevoir et par notre enseignement
symbolique.
« L’histoire corporelle est accessible par l’étude de la gestation dans
toute la Nature.
« L’histoire de la conscience est connaissable par notre propre
expérience, qui peut être accélérée par l’étude des divers états de la
Conscience universelle, car l’ignorance de ces sujets accroît l’aveuglement.
Cette histoire est celle du BA et du KA.
« Le passage de l’histoire spirituelle à l’histoire corporelle – comme
celui de la Substance à l’état de Matière – est un mystère : c’est le mystère
de l’Incarnation.
« Or ceci se fait continuellement dans la Nature, car N, H, S, y jouent un
rôle animateur. Tu ne dois jamais perdre de vue cette réalité ; et la difficulté
est de ne pas confondre leurs deux rôles exprimés par les mêmes lettres ; ici
les medou-Neter te seront d’un grand secours par les subtilités qui en
diversifient la signification.
« Pour répondre à ta question sur les deux expressions de la dualité, SN
et SH, je dirai que SH joue, dans l’hsitoire corporelle, un rôle analogue au
rôle de SN dans l’histoire spirituelle, mais avec un renversement apparent
dans l’ordre des facteurs… ce qui est encore une résultante de la loi du
croisement.
« Et de même que l’histoire spirituelle et l’histoire corporelle
s’interpénétrent par le mystère de l’Incarnation, puis de l’animation, de
même s’interpénétrent cette histoire corporelle et l’histoire de la
conscience, puisque c’est à travers le corps que se forme cette conscience.
« Or le rôle de SH est incompréhensible si l’on ne tient pas compte de
cette simultanéité, car S ex H représentent à la fois les deux Principes
incorporels et les mêmes Principes devenus corporels, qui constituent
« l’œuf » de toute chose vivante.
« Quoique toute matière soit formée par l’action de S et H (ce qui
constitue déjà un premier essai d’union), chaque élément matériel qui en
résulte présente les caractéristiques du Principe qui prédomine en lui : tels
sont le jaune et le blanc de l’œuf, souht. Toute l’histoire « naturelle » est
fondée sur le « voisinage » (sah) de ces deux compléments, dont les
tentatives d’union, les séparations et les reconstitutions successives, causent
les formations, les avatars et renouvellements perpétuels de l’existence.
« Or Osiris, qui est le Maître de SAH (Orion), est le Neter de cette
existence, qui subit les vicissitudes de ces tentatives d’union entre les
Principes S et H.
« L’œuf, souht est une image de l’œuf humain individuel, dont le corps
(seule partie visible) fait oublier les autres éléments « causes » –
énergétiques et spirituels, – ainsi que leur préexistence substantielle et leur
post-existence après la mort du corps.
« Tout le « Devenir » de l’homme, et les diverses phases de ses
transformations (kheprou) ont pour cause déterminante la confusion des
Principes actifs et passifs, S et H, de son être, et la recherche de l’union.
Cette union se fait peu à peu par alternance déformations et destructions, à
travers lesquelles diminue l’antagonisme entre les éléments dissemblables.
C’est ainsi que tu peux expliquer la transformation progressive des matières
nutritives grossières jusqu’aux particules les plus subtiles de la moelle, à
condition qu’elles trouvent à chaque étape le « ferment » qui les
transformera ; c’est ce rôle que jouera le KA en tant que ferment de la
grande transformation.
« Ainsi advient-il à tout moment du jour ou de la suite des existences, et
pour les divers états de l’être (c’est-à-dire de la conscience), jusqu’à la
réalisation de la conscience totale en état indestructible.
— Ma vie terrestre ne serait donc qu’un moment de la vie de mon œuf ?
demanda Her-Bak.
— C’est une phase de son développement, car il était avant que soit ton
corps physique, et le fruit de cet œuf est une première liaison de S et de H
par l’individualité â devenue consciente. Alors cette individualité est sâh,
elle n’est plus décomposée par la mort en destruction définitive, mais elle se
352
trouve apte à évoluer spirituellement comme nous le verrons par la suite .
Her-Bak répliqua gravement :
— Pourquoi donc, possédant une science aussi fondamentale, ne pas
l’avoir écrite intelligiblement au lieu de l’exprimer en énigmes,
incompréhensibles pour celui qui n’est pas directement guidé ?
— Ne sais-tu pas déjà que tout ce qui s’écrit intelligiblement s’adresse à
la pensée de « l’Autre » (ki) ? Et cet « Autre » s’oppose toujours à l’être
impersonnel, dont l’expression est l’Intelligence du cœur. Au contraire,
l’énigme symbolique met en jeu la conscience des rapports analogiques et
des fonctions vitales, qui permet d’apercevoir l’abstrait grâce au concret.
« Demain nous parlerons de l’histoire naturelle de l’homme terrestre
soumis aux Neter ; mais souviens-toi sans cesse de ceci : quant aux
transformations de l’être humain pendant son existence, à sa mort et après
sa mort, tout ce qu’on peut en affirmer par arguments et par spéculations
abstraites n’a point de valeur véritable. Tout ce qu’on peut en expliquer sur
la foi de visions et conceptions imaginaires n’est que fantaisies sans
fondement.
« Or la réalité des états spirituels, et de leurs transformations en
l’Humain, est effective et connaissable.
— Ce que nous en disons à travers nos mythes et nos symboles n’est pas
le fruit de compositions arbitraires, mais d’une connaissance positive de ces
divers états. « Une partie de ces affirmations est contrôlable dès le début par
expérience personnelle ; l’autre partie deviendra progressivement accessible
à l’homme « ouvert de face, ouvert de cœur », mûri par le refus des
préjugés et la recherche impitoyable du réel.
XIV

BA ET KA

TROISIÈME JOUR

Le troisième jour le Maître dit :


— L’homme dépend des Neter, c’est-à-dire des Puissances-Fonctions de
la Nature, en tout ce qui concerne l’évolution naturelle de son existence
terrestre.
« Tu sais déjà que chaque partie de ton corps est l’incarnation d’une ou
plusieurs de ces Fonctions ; donc chacune d’elles est douée, selon sa
correspondance, d’affinités caractéristiques et de réactions particulières à sa
« nature ». Le minéral, le végétal et les principes animaux sont représentés
353
en l’Humain, avec la conscience inhérente à chacun d’eux et les
tendances qui leur sont propres ; ce sont les bases élémentaires de l’instinct.
« Mais à cette conscience organique s’ajoutent les caractéristiques
personnelles qui sont apportées dès la naissance par les influences
héréditaires et célestes.
« Tout ceci constitue la nature instinctive, les tendances passionnelles et
les dispositions organiques du nouveau-né qui porte leurs signatures
imprimées sur sa peau, principalement sur son visage, sur la paume des
mains et la plante des pieds. Or ce qui se révèle par cette signature, c’est le
354 355
KA ; ceci est exprimé par le nom de la peau animale, meska (produit
du KA).
« Ce KA est celui de l’homme-animal terrestre ; il est l’être instinctif-
passionnel inné, qui subit les impressions des KA animaux des viscères de
l’homme. C’est pour lui que sont faites les offrandes funéraires, pour
apaiser ses appétits qui survivent au corps physique pendant un temps
variable, selon l’état spirituel du défunt.
« Quoique ce KAagisse dans le corps entier, son siège principal est le
ventre khat qui est le vase des organes de nutrition et de reproduction. C’est
pourquoi le nom du ventre, khat, désigne aussi le corps en tant que masse
composée d’éléments en gestation continue.
— Mais, répliqua Her-Bak, le cadavre porte un nom semblable, khat.
— Évidemment : le cadavre n’engendre-t-il pas de nouvelles vies
animales ? Ceci confirme le sens de khat comme « vase » générateur de la
vie matérielle.
356
« Le corps humain comporte d’autres « vases » considérés comme
supérieurs parce que porteurs d’éléments et d’énergies plus subtils : tels
sont le cœur, la colonne vertébrale, le sang, les glandes et les centres
nerveux. Ceux-ci sont en rapport avec l’air animé et le feu vital de
l’Univers, c’est-à-dire avec les souffles d’Amon-Râ. Ils correspondent aussi
à des fonctions et à des tendances supérieures, ce qui est en accord avec
l’harmonie divine du Monde dont l’homme est l’image vivante résumée.
« Le sang, senef, arrose ton corps entier et revient dans le cœur chargé
d’éléments épuisés ou impurs ; mais le cœur l’envoie se réanimer dans les
poumons ; là il se trouve en contact avec nef – feu et air d’Amon-Râ –, qui
consume ce qui est vicié, et renouvelle la vitalité, ib (le cœur), et sma (les
poumons), sont les vases de cette transformation et sont nommés hati,
« En ce hati se localisent plusieurs centres d’activité de tes tendances
357
supérieures : la région médiane , voisine du cœur, est un des lieux de
concentration des forces nerveuses qui réagissent à tes impulsions émotives,
d’une part ; d’autre part elle est le siège mystérieux de l’expression de
l’Entendement ou Intelligence du cœur, sia. Là s’établit le rapport entre
l’appel égoïste et l’appel spirituel ; là se livrent bataille les deux volontés de
l’homme.
— Cependant, n’est-ce pas mon cerveau qui discute et décide ?
— Ton cerveau n’est que l’instrument d’élaboration des notions et des
arguments, toujours suspects d’ereurs et de partialité ; mais les mobiles
réels sont les tendances passionnelles c’est-à-dire ton KAinférieur d’une
part, et, d’autre part, les tendances spirituelles c’est-à-dire tendances de
libération. D’ailleurs les jugements rationnels n’inscrivent pas en toi
d’expériences indestructibles, car seules les réactions vitales sont les agents
de la conscience immortelle. Si tu ne tiens pas compte de cette vérité, tu ne
358
parviendras pas à la réalisation de ton Unité glorieuse « ouâ ».
— Maître, qu’entends-tu par cela ?
— L’homme est encore plus complexe que tu ne l’imagines, comme te le
montreront les sept leçons de cet enseignement. Cependant la source est
unique, car tout vient d’Un : Amon-Râ-Ptah, trois en Un. L’homme qui de
nouveau a réuni ses éléments en une totalité consciente est redevenu
« unifié », une Unité, ouâ.

FIG. 30. – Ptah emmailloté : principe actif causal ligoté


par sa chute dans le corporel.

« Apprends d’abord comment l’Unité devient diversité :


« Ptah est le premier artisan de la création corporelle, Principe actif
causal ligoté par sa chute dans le « corporel » ; et bien qu’il soit emprisonné
au plus profond de cette Matière dont il est promoteur, sa chaleur active est
le moteur secret de la génération.
359
« Or Ptah est le moteur secret de ta vie, mais Khnoum est le potier de
tes formes, car il est la Puissance qui unit les semences humaines qu’Amon-
Râ a bénies de son souffle (nef), afin que les deux compléments mâle et
360
femelle se trouvent, par sa fonction (khnem ), parfaitement assemblés
(menekh). Il les pétrit ensuite « de ses deux mains » pour réveiller le Ptah
emmailloté et pour rendre effectifs les « dons » des diverses Hathor. Car
plusieurs Puissances – ou Entités fonctionnelles – assistent Khnoum au
moment de naissance : les deux principales sont Renenoutet et Meskhent
dont nous parlerons prochainement.
« Ces Puissances apportent à l’enfant les caractéristiques qui seront sa
« nature innée » ; or cette nature est son KA : c’est pourquoi on te montre
361
ici Khnoum modelant en même temps l’enfant naissant et son KA. Le
KAest donc la caractéristique spécifique selon laquelle l’Esprit incarné s’est
informé ; ce KA est le point fixe qui assurera l’identité de cet être humain à
travers tout son Devenir (ses divers kheprou).
« Mais dès que ce KA a pris corps, il développe dans ce corps une
énergie personnelle, ou volonté d’existence, qui deviendra le « Moi », inek.
Or nek, force primitive et aveugle de l’animalité humaine, et pour cela
dénuée de tout sentiment supérieur, est le principe de l’égo-ïsme ; et ce Moi,
croissant en force avec l’enfant, cristallisera à son profit les tendances du
KA, pour affirmer son existence et en assurer la continuité.
« Ce inek – ce Moi –, quoique force naturelle aveugle, apparaît donc
comme la personnalité véritable ; pourtant il n’est que le reflet du KA et des
KA de l’individu ; c’est lui qui illusionne l’homme sur la valeur de sa
pensée, qui n’est aussi qu’un jeu de forces passagères et de valeurs
relatives. La pensée est « l’autre » (ki) par rapport à l’Intelligence du
362
cœur , comme nek est « l’autre » par rapport à iou, l’être.
« Toute valeur réelle appartient au KA : c’est lui qui a « lié » l’Esprit ;
c’est le seul élément grâce auquel l’immortalité pourra être obtenue et la
seule garantie de la pérennité de l’Entité humaine, car il est la
caractéristique par excellence qui n’a d’affinité qu’avec les éléments qui
l’ont formé ; et seuls les éléments de même caractéristique pourront revenir
l’animer par affinité (aimantation) naturelle.
« Or le Moi-inek, accapareur des tendances inférieures profitables à son
égoïsme, ne se soucie point de cette « affinité » essentielle ; il adoptera sans
scrupules toutes impulsions hétérogènes qui serviront l’égo-centrisme. Ceci
constitue les éléments impurs et destructibles qui seront, pour l’individu, les
obstacles à la « possession de son KA» sur cette Terre et à sa réunion
définitive dans la Douât.
— Je conçois, dit Her-Bak, qu’il est impossible de révéler toutes ces
choses sans une instruction préalable ! Il m’a fallu, pour la comprendre,
votre longue préparation qui a porté mon intérêt sur la correspondance entre
toutes les parties de mon corps et les éléments de l’Univers.
Le Maître appuya cette constatation :
— Tu peux même oser davantage : au lieu de cor respondance tu peux
363
parler d’assimilation ; car c’est la conscience, ou confondement des
divers éléments de ton être avec tous ceux de l’Univers, qui fera ta
conscience altruiste au détriment de l’égoïsme. Toutes tendances
accaparantes de ton inek – de ton Moi – perdent leur raison d’être si tu
deviens Universel, conscient de l’harmonie cosmique, et conscient de ce fait
que ni tes qualités ni ta science ne te sont person nelles, mais sont les reflets
imparfaits des attributs de ton Créateur.
« Or on peut prêcher aux hommes cette doctrine : elle reste croyance
fictive tant que l’individu n’a pas donné conscience à tous ses membres, à
364
tout son être, de leur identité fonctionnelle avec tous les Neter .
« Comme le disent nos vieux textes, les portes des lieux bénéfiques de la
Douât restent closes pour le défunt qui ignore leur nom et celui de leurs
365
gardiens !
« C’est ainsi – disent ces textes – que l’homme absorbe en lui tous les
Neter, accomplit avec eux leurs fonctions cosmiques, identifie ses KA avec
leurs KA, et se nourrit de leurs qualités. Il peut alors dire sans blasphème :
« Je suis Chou, je suis Nout en son nom de… »
— N’est-ce pas seulement au roi défunt que l’on attribue ces paroles ?
— Que signifie le roi, sinon l’accomplissement de l’homme total,
parfait ? Car il n’est pas question ici de son Moi, mais de l’Osiris
reconstitué par toutes les vertus et fonctions de Nout.
— Je suis surpris que tu aies pu parler de la lutte entre les deux mondes
de l’homme sans faire intervenir le BA. Quels sont ses rapports avec KA ?
Le Maître prévint le disciple que la réponse à sa question nécessiterait
une répétition de principes déjà exposés :
— Puisque tout vient d’Un, dit-il, nous devons, pour le comprendre,
revenir encore une fois au commencement.
« ia originel est le Principe causal du souffle en son double mouvement,
aspiration, expiration ; c’est le premier aspect de l’Esprit unique iaaou ; son
deuxième aspect est BA, divin intermédiaire du Ciel et de la Terre ; de
même KA originel est le troisième aspect, l’Esprit créateur fixateur.
« BA est l’agent passif (substance indifférenciée) de cette trinité
animatrice ; mais il devient puissance active animante pour la Nature.
« BA est le souffle animateur dont le départ cause la mort de l’être qu’il
a quitté ; mais ce BA dont je parle est l’âme sensitive, celle qui est portée
366
par le sang ; dès son départ le sang se coagule et le cœur cesse de battre.
Ce BA est le porteur de nef, l’énergie N de Neith et le souffle F d’Amon.
Lorsque BA anime le sang senef, puis – par le souffle et le sang – vient
encore animer la moelle, il se transforme en énergie ner, et en qualité vitale
nefer qui est l’essence de toutes les qualités dans un être vivant. Cette
énergie, qui est le feu actif du Monde, spécifiée dans la moelle de l’homme,
367
devient sa , son feu ou pouvoir vital ; l’homme qui parvient à s’en rendre
conscient peut l’accroître et le diriger à son gré. C’est ce pouvoir dirigé que
368
nous exprimons par ouser ; et l’homme noble, ser, est en principe celui
qui en a acquis la maîtrise.
« Or ce pouvoir est une des puissances du KA, lequel reste, comme tu le
vois, constamment en rapport avec BA !
« Et voici, je voudrais te parler maintenant de l’âme individuelle, celle
qui appartient en propre à l’humain ; cependant je ne pourrai pas le faire
clairement sans expliquer la conscience, et ceci sera le sujet d’une
prochaine leçon. Je ne puis aujourd’hui te parler de ton BA que par rapport
au KA, grâce auquel elle devient une Entité.
« BA, esprit pur sans forme, a toujours besoin d’un support pour se
manifester ; le support est l’affinité sélective de la chose à animer, affinité
causée et caractérisée par le KA dont je t’ai expliqué la fonction.
« C’est la caractéristique du KA qui fait un choix parmi les éléments des
nourritures ou de l’atmosphère ambiante, parce qu’il n’a d’affinité qu’avec
ce qui est de sa nature spécifiée, et il le fera de même après la mort du
corps, pour les éléments vitaux des offrandes et de l’ambiance.
« Le KA, élément stable d’un homme, se différencie des KA des autres
hommes par la spécificité de son affinité sélective particulière. Le BA
Universel est en rapport constant avec cet homme qu’il anime, et avec son
KA ; mais ce KA l’assimile en générant un nouvel être qui est son âme
individualisée, restée divine, incorruptible, donc immortelle et cependant
gouvernée par l’affinité qu’elle a contractée pour les caractéristiques de ce
KA.
— Ce BA individuel est donc l’élément le plus spirituel de l’homme ?
demanda le disciple.
— Certes, car il est, par sa nature divine, sa parenté avec le Créateur. Par
cela il sera toujours incompréhensible pour l’intelligence cérébrale, dont la
nature relative ne peut entrer en rapport avec l’Esprit. C’est pourquoi il est
aussi impossible de situer cette âme BA et de la définir, que de l’enfermer
dans un corps ; car elle est incommensurable, indivisible – c’est-à-dire
infractionnable –, libre, mobile, et impassible relativement aux vicissitudes
de l’homme ; et son rapport avec lui n’est qu’un rapport de conscience qui
est le lien.
— Je comprends, dit Her-Bak, qu’on la figure comme un oiseau à tête
humaine, volant librement, venant visiter le défunt sans se laisser
emprisonner.
Il hésita un moment, puis il reprit :
— On dit cependant qu’il s’agit d’obtenir que l’âme du défunt puisse se
manifester au jour librement : ceci sous-entendrait qu’elle peut se trouver
empri sonnée ? …
Le Sage répondit :
— L’âme spirituelle ne peut en aucune façon être enfermée. Ce qui est
signifié par ce symbolisme, c’est l’effort de libération de la conscience
supérieure du défunt aux prises avec l’obsession de ses éléments inférieurs,
qui le hantent… « comme son ombre ». C’est en effet son « Ombre » –
khaïbit – qui est le sujet ou l’objet des luttes qui retardent la réunion du KA
supérieur et du BA. Car l’âme divine, BA, ne pourra être fixée que par le
KA spécifique de l’homme en son djet, lorsque seront éliminés les éléments
hétérogènes à sa nature et corruptibles. Mais souviens-toi qu’avant de
traduire un symbole – tel que l’oiseau BA à tête humaine –, il faut
approfondir tous les aspects de ce qu’il représente, et de plus, en chaque
figura tion, considérer les circonstances et le texte qui l’accompagnent.
Her-Bak enregistrait tout ce qu’il recevait, mais il s’impatientait de ne
pouvoir dès maintenant coordonner les notions aperçues :
— J’essaie d’entendre et d’obéir, dit-il au Sage : je ne chercherai pas à
saisir ce qui m’est actuellement insaisissable ; mais ne pourrais-je recevoir
de mon Maître quelques précisions qui me semblent indis pensables ? Car
mon KA n’est-il pas ma « personne » véritable, celle qui ne meurt pas avec
mon corps et dont, par conséquent, je dois avant tout me soucier ? … Or je
crains fort d’avoir souvent pris pour mon KA le nek, le Moi, son triste
figurant ; mais je renouvellerai certainement cette imposture si je
n’apprends pas à discerner ce que tu as nommé KA supérieur de l’homme,
et son KA inférieur.
— N’est-ce pas le but final de cet enseignement ? Attends donc d’avoir
pénétré tous les éléments du problème.
XV

BA ET KA

QUATRIÈME JOUR

Au matin du quatrième jour le Sage, ayant fait asseoir son disciple,


demeura longtemps sans lui adresser la parole ; comme Her-Bak s’en
inquiétait, il reçut cette réponse :
— Si la leçon d’hier ne suggère aucune question, il n’y a point d’appel
pour l’enseignement d’aujourd’hui.
Her-Bak saisit avec empressement cette occasion.
— O mon Maître, je n’osais insister sur la défini tion des KA, attendant
le moment que tu jugeras opportun ; mais un autre problème me harcèle :
quel est donc ce « Moi » qui subsiste après la mort de l’homme… celui-là
dont les textes disent qu’il doit retourner vers son KA, qu’il doit garder son
cœur, ne pas perdre son BA, ne pas perdre son nom sur terre ? …
« Quel est-il « celui-là » dont le corps est dans le tombeau, et qui n’est ni
son BA, ni son KA, ni son cœur, puisque son but est de devenir possesseur
de tous ces éléments ?
« Le seul attribut par lequel on le désigne est son nom, qu’il est
susceptible de perdre, puisqu’on situe son BA, son KA, son akh, son corps,
en dehors de « cela » à quoi on donne son nom.
Le Sage répondit :
— Ce nom est la désignation particulière de « celui-là » auquel
appartiennent les éléments de la personne qui portait ce nom. La naissance
terrestre les associe en un individu ; la mort vient les dissocier ; l’existence,
accomplie entre la naissance et la mort, est la boucle formée sur la corde de
son destin : les déterminantes de cette boucle sont celles de son nom.
« Or la mort ne coupe point la corde, dont le déroulement se continue
dans la Douât, préparant la prochaine boucle, jusqu’à la dissolution finale
369
de la corde . Si tu veux en connaître la nature, considère le nom donné à
la « corde », nouh, dérivé du principe de l’existence terrestre, oun, et de ce
370
qui la délimite, nou .
« Le Moi, inek, est cette volonté d’existence personnelle, déterminée par
l’incarnation de l’être spirituel, et qui s’appropria les tendances et les
appétits correspondant aux affinités de son KA. Il n’est ni le corps ni aucun
de ses éléments spirituels ; il est la volonté d’existence du « Moi » qui tend
à rapporter à lui tous les éléments vitaux qui « l’habillent ». Il est la force de
cohésion de la « corde » qui subsistera donc autant que l’égo-centrisme du
nek empêchera la libération totale de l’âme.
« La corde peut former des circonvolutions, des boucles et des nœuds,
changer de direction ou de nom : elle reste la force conductrice qui reliera
une existence à Vautre, à condition que le nom de la précédente existence ne
soit pas effacé avant une nouvelle existence, ce qui romprait la corde et
371
briserait son destin terrestre .
— Qu’arrive-t-il lorsqu’un homme change de nom pendant sa vie
terrestre ?
— Le nouveau nom, adopté consciemment, continue la corde en
modifiant son rythme, donc ses rapports harmoniques avec le Monde.
« Il est important de comprendre que cette force, nek, « volonté
d’existence du Moi », est une force aveugle de la Nature, force de cohésion
372
et de continuation qui, en tout être organisé, cause la tendance
copulative nk.
373
« Elle est une des conséquences des sept « Puissances Fatales » dont
je dois te parler aujourd’hui. On peut les nommer « fatales » – cha, ou
chaou – parce qu’elles sont les sept Puissances constructives indispensables.
374
On pourrait dire qu’elles sont les sept branches de l’étoile de Sefekht qui
375
signe toute créature (Sefekht-Sechat ).
« Nous avons déjà effleuré le sujet du dédoublement de l’Unique, iaaou ;
considère-le maintenant sous l’aspect de la formation des quatre directions
contenues en possibilité dans l’Unique. La première syllabe du mot iaaou,
ia, exprime la polarisation de l’Origine : Nord et Sud, haut et bas, et tout ce
qui, dans la Nature, présente obligatoirement cette polarisation, par exemple
iat, bâton, perchoir, colonne dorsale, la tombe (de la tête aux pieds).

FlG. 31. –… les sept branches de l’étoile de Sefekht (Sechat) qui signe toute créature.

« La seconde syllabe, aou, exprime l’idée d’extension, d’amplitude, par


possibilité du « volume » : ainsi la sphère en rotation a son axe, le reste
n’est que volume. Nul ne pourra jamais expliquer ni le « pourquoi » ni le
« comment » de la division de ia et aou, qui produit le volume par la
fixation des quatre directions ; mais nous savons déjà que nous exprimons
par IKOU la tendance de l’Un à se voir en un « autre » dont le principe est
exprimé par ki.
« IKOU est donc la première de ces Puissances mystérieuses, qui sont les
impulsions naturelles inhérentes à la division originelle, et dont les
conséquences sont l’existence corporelle en laquelle elles se manifestent.
« La conséquence de IKOU sera inek et nek.
376
« La deuxième de ces Puissances est MER , principe Universel
d’attraction, affinité, amour. Les deux extrémités d’un axe sont de nature
différente ; le Nord est différent du Sud, l’aspect mâle différent de l’aspect
femelle, et l’un attire l’autre.
« MER, amour, attraction, est la puissance qui pousse vers leur réunion
deux « complémentaires » séparés par IKOU. Ceci est le mobile essentiel
de la Nature qui est « devenue » par division, et qui n’œuvre que grâce à la
conjonction des compléments. L’affinité sélective est le mode d’action de la
Puissance MER; c’est le pouvoir d’attraction d’une chose pour l’élément
vital convenant à sa nature. C’est ce que nous voulons exprimer par la Merit
du Nord et la Merit du Sud, comme étant les affinités sélectives des Deux-
Terres du Nord et du Sud qui, chacune, reçoivent de Nout et d’Hapi les dons
attirés par leur nature particulière.
« L’opposé de MER est khesef, la répulsion.
« La troisième Puissance est SEKHEM, troisième agent du Devenir,
SEKHEM est la Puissance qui fait les Ténèbres par annulation
(complémentation) des deux principes abstraits d’où va sortir le fruit
concret.
377
« khem est le lieu secret de toute génération ; c’est le centre obscur et
caché qui abrite le Neter ou Verbe incarné, jusqu’au temps de sa
manifestation.
— Il semblerait objecta Her-Bak, que la matrice, hem.t, devrait être ce
lieu ?
— Non, hem. t est le vase de khem ; hem. t-matrice est le contenant
passif du chaos vivant, khem, qui résulte de l’incarnation d’un feu agissant,
destructeur ou générateur, tels ceux de la foudre ou de la semence.
« khem est ce chaos ténébreux qui génère la Lumière en l’ignorant
toujours, comme la mère ne connaît son enfant qu’au moment où il est sorti
378
d’elle . C’est pourquoi le mot khem, dans la langue vulgaire, exprime
l’ignorance.
379
« SEKHEM est son Pouvoir effectif. C’est la Puissance annihilatrice
qui permet toute conception : les semences mâle et femelle ne produiraient
rien sans cette force impitoyable qui veut la destruction d’une forme pour la
conception d’une nouvelle forme et de la vie.
380
« SEKHEM est le libérateur des éléments qui composent le KA ; c’est
ce SEKHEM qui en effectue le dégagement difficile, afin de préparer à son
BA un support, et de concevoir le nouvel être spirituel dans la Douât.
« La personnification de SEKHEM est Sekhmet. Elle est l’aspect
décomposant d’Hathor dans la gestation du nouvel être après la mort, et
celui de Moût dans la gestation des êtres terrestres.
381
« La quatrième Puissance est KHEPER , puissance de transformation
qui fait le germe.
« La cinquième et la sixième sont les conséquences – ou effets – de
IKOU et de MER ; ce sont les deux puissances AB et tekh dont nous
reparlerons dans la cinquième leçon.
382
« La septième Puissance est SECHAT-SEFEKHT , puissance de
cristallisation des « signatures » dans la Nature, de fixation de « l’Idée »
dans la Matière ; elle est l’expression des caractéristiques du KA dans la
forme de l’individu.
« Il est impossible de comprendre l’histoire corporelle, puis incorporelle,
de la vie humaine, sans apprendre d’abord à connaître ces sept Puissances.
Les trois premières sont les impulsions causales du Devenir (IKOU, MER,
SEKHEM). Les quatre dernières, KHEPER, AB, tekh, SECHAT-
SEFEKHT, en sont les agents réalisateurs : ce sont les mouvements
résultant des trois impulsions causales, et en manifestant l’effet.
« Toutes sont incompréhensibles dans leur principe, car elles ressortent
de l’état spirituel de la « Substance » dont la pensée humaine est
impuissante à concevoir les Lois. Mais leurs effets sont perceptibles : il
importe d’en étudier profondément le caractère et les fonctions, si l’on veut
pénétrer les mystères de la Douât et des transformations spirituelles de
l’Humain.
« Ces Puissances sont les Mobiles qui régissent toute existence dans
notre Univers. Il ne faut pas les confondre avec les propriétés du KA et des
383
kaou . Les kaou sont les qualités actives des corps célestes, modifiées
pour chacun d’eux par leurs influences réciproques.
« Reflétées dans chaque corps terrestre selon la spécification de la
semence, elles deviennent ses kaou, ou qualités vitales particulières. Mais
toute qualité, dans la Nature dualisée, a sa contrepartie : pour les kaou ce
sont les attributs passifs, les hemsout, qui se manifestent comme leurs
résistances.
— Râ a quatorze kaou, dit Her-Bak ; a-t-il aussi des hemsout ?
— Il les a quant à son corps matériel et à tout ce qui lui correspond sur la
Terre.
« Mais il n’y a pas de hemsout « résistantes » pour les Entités glorieuses
qui ont réalisé l’Unité.
— La résistance des hemsout en fait-elle des forces mauvaises ?
384
— Il n’y a pas de mal absolu ; leur inertie devient funeste et peut être
mortelle si elle neutralise l’activité des kaou ; mais il en résulte la vie
lorsque cette résistance suscite la réaction, et que domine l’énergie réactive
nekh.
385
« Remarque à ce sujet que si la racine hm exprime la passivité
vivante, hms exprime l’inertie parce que hm domine l’activité s.
— Pourquoi donc ce mot hm a-t-il été choisi pour exprimer la majesté
royale et le prophète ?
— Tu n’as pas compris, ô disciple étourdi, que c’est précisément cette
passivité intérieure qui donne au roi sa majesté, et au prophète sa vision !
C’est l’état de non-volonté qui leur permet de recevoir une impulsion de
Sagesse, de capter la Lumière et de connaître sans erreur la Loi et la Voie
386
véritables ; ainsi la femme et la matrice (hem ) sont les éléments passifs
de l’humanité animale, passivité qui leur permet de recevoir et de gester.
Ainsi la résistance passive du gouvernail (hem) donne la direction au
bateau.
— O mon Maître, je comprends comment nos medou-Neter forment la
« vue juste » et les « idées justes ». Je vois comment il faut chercher les
diverses acceptions de la passivité. Trouverai-je un enseignement analogue
pour le principe d’activité ?
— L’activité mâle du taureau, KA, symbolise les qualités actives des
kaou, inhérentes à la nature de tout corps et de tout organe, parce qu’ils sont
créatures de Ptah ; et quoique ces organes ne soient pas autre chose que des
fonctions cosmiques incarnées, ils participent, en chaque individu, des
caractéristiques du KAparticulier de cet individu. Quant à ce KA particulier,
je n’en ai pas encore précisé les aspects.
« Lorsque, par ton propre effort, tu voudras approfondir cette étude,
observe les nuances de ce que je t’ai dit. Lorsque je parle des kaou des
corps célestes, je n’entends pas seulement les astres qui éclairent les nuits,
mais tous les corps glorifiés desquels émane, comme du Soleil, une
Lumière. Quant à ces corps glorifiés, la Qualité spirituelle de leur KA est
différente, et il ne s’agit plus des qualités vitales naturelles.
« Quant aux kaou de Râ, leurs pouvoirs sont divers, selon qu’ils émanent
de son corps matériel ou de son « corps » divin.
« Or je veux te montrer ici un exemple précis de nos rapports
symboliques : l’œil de Râ (le soleil) est le corps apparent de l’Entité divine
qui est le créateur et le vivificateur de la Terre ; c’est le centre et le maître
de notre Monde. Il est le corps parfait qui totalise les Qualités et les
fonctions des astres qui dépendent de lui (les planètes), et cela dans un état
d’intensité, de subtilité et de lien équilibré qui fait de lui, en vérité, le
Maître – neb – de tous ses sujets imparfaits (planètes). C’est pourquoi le
corps « incorruptible » de Râ (djet), est donné comme le type idéal de ce
que Pharaon doit être pour nos terres : un être émetteur de Vie, d’équilibre
et de force, ferment de son peuple, et dont le corps physique soit le porteur
de ses qualités actives ou kaou, de même que le corps de Râ émet ses
quatorze kaou.
« Râ est ici considéré comme le cœur vivant des organes ou mondes qui
dépendent de lui ; ainsi en est-il de Pharaon, qui est le KA et le chef de tous
les KA de son royaume.
« Maintenant, laissons passer la nuit sur cet enseignement ; la nuit n’est
pas comme le jour, et la mort dissocie ce que la naissance assemble.
Demain nous essaierons de prendre connaissance de ces divers états.
XVI

BA ET KA

CINQUIÈME JOUR

Le cinquième jour, Her-Bak essaya d’entrevoir le rapport existant entre


la personnalité humaine et ses éléments spirituels, BA et KA:
— Comment les éléments spirituels de l’homme – le BA, le KA –
peuvent-ils vivre séparément et cepen dant se retrouver un jour ? Comment
le Moi, n’ayant ni son BA ni son KA, peut-il chercher et retrouver ceux-
là ? …
Le Sage répondit par le développement d’une notion fondamentale :
— Ta question, dit-il, manque de profondeur : tu considères les effets
avant d’avoir pris conscience des causes ; or le problème de la conscience
est la clé de ces autres problèmes.
« Le premier élément de la conscience est la constatation ; le deuxième
est l’enregistrement. Pour la plante, la constatation est sa nécessité
organique quant à certaines conditions d’existence. Un arbre qui manque
d’eau desséchera : l’enregistrement sera ce dessèchement ; la conscience
qui en résultera pour l’arbre fera pousser ses racines en profondeur pour
chercher l’eau dont il aura besoin. Cette constatation et cet enregistrement
constituent progressivement la conscience de chaque règne et de chaque
être vivant sur Terre, depuis le plus primitif jusqu’à l’homme. Et toutes ces
consciences se retrouvent en l’homme qui, lui-même, le plus souvent, les
ignore.
« Mais remarque ceci : toute possibilité de conscience exige la
constatation (donc l’instrument de constat) et le milieu d’inscription.
« Pour l’être humain il y a plusieurs milieux d’inscription. Le cerveau,
qui enregistre les notions, est le siège de la mémoire la moins durable,
puisque, dépendant de la matière cérébrale, elle disparaît à la mort avec
l’organe qui était son instrument : lorsque, pour savoir quelque chose, nous
sommes obligés de faire appel à la mémoire et autres facultés cérébrales,
cela prouve que ce savoir n’est pas encore inscrit dans la conscience
profonde qui survit à la mort corporelle. Pour que ce savoir puisse survivre,
il faut que l’acquis ait affecté la nature de l’être de telle manière que
l’individu ne puisse plus vivre sans en tenir compte, c’est-à-dire que cet
« acquis » ait pénétré l’être entier pour affecter ses états non mortels.
« La conscience organique est la conscience innée à travers les règnes,
elle se traduit par l’instinct ; elle est, dans l’individu, la conscience des
fonctions, qui s’exprime par les appétits et les tendances passionnelles.
« Le rapport entre la conscience instinctive-passionnelle et la conscience
cérébrale, devient émotion et conscience vitale.
« Ce que le cerveau a enregistré de la mémoire émotive s’efface à la
mort de cet organe. Mais ce qui, dans les émotions, est causé par la
conscience vitale et par les appétits organiques, instinctifs, passionnels,
impressionne un autre milieu d’inscription qui subsiste plus ou moins
longtemps après la mort.
« Le milieu d’inscription des consciences acquises se modifie avec
l’évolution de l’être, passant de la matérialité du sujet à des états de moins
en moins corporels ; et ceci, qui est vrai pour les fonctions organiques, l’est
aussi pour les états supérieurs créés en l’homme par l’animation spirituelle
qui lui est propre.
« L’expression de la conscience évolue à travers toute la Nature ; elle
arrive, à travers l’Humain, à la possibilité de libération, c’est-à-dire à la
fibre disposition de ses expériences personnelles, ce qui est la maîtrise ou
conscience de toutes les consciences.
— Sans doute cette possibilité est-elle le privilège de l’Homme
supérieur ?
— Évidemment ! Cette conscience est alors individualisée ; tu verras
bientôt de quel nom tu peux la désigner. Dans chacun de ces passages – ou
kheprou – (depuis l’organisme vivant le plus primitif jusqu’à l’homme), elle
a laissé (inscrit) une conscience innée inférieure ; de même, lors de la mort
de l’homme, elle quitte le corps et les kaou inférieurs, et va attendre le
désincarné dans le Monde supérieur qui est de sa nature.
« L’homme peut accepter ou refuser d’entrer en rapport avec cette
387
Conscience supérieure et avec ses éléments d’animation ; ce sont la
fréquence et l’intensité de ces rapports qui constituent la richesse ou la
pauvreté de sa responsabilité, dans le choix des mobiles auxquels il obéit ;
or la responsabilité est l’agent de la Conscience la plus haute ; car c’est
elle qui, peu à peu, instruit l’homme du rapport de la cause à l’effet.
« L’être qui se sent responsable sans excuse, même s’il cède à ses
instincts, inscrit dans sa conscience, en caractères indélébiles, la valeur de
son expérience. C’est le troisième milieu d’inscription. Nous verrons
ensuite ce qu’il faut entendre par ces milieux. Regardons d’abord les effets
de ces inscriptions diverses.
« Je ne te parlerai pas de la mémoire cérébrale qui n’a pas de survie pour
le défunt ; sache seulement que si nous la nommons sekhaou nous
entendons aussi par ce mot la deuxième mémoire, qui est l’inscription des
tendances innées dans le KA fixé par l’incarnation, puis l’inscription de la
conscience instinctive acquise pendant cette existence. Ce milieu
388
d’inscription sera l’Ombre khaïbit .
« khaïbit est le corps instinctif et émotionnel du défunt, étant, à cause de
ces « inscriptions », à son image et à sa ressemblance.
« Nous distinguons, chacune pour soi, les consciences organiques des
viscères qui incarnent les quatre grandes fonctions de la vie animale ; ces
viscères sont généralement séparés de la momie, embaumés et enfermés
389
dans des vases isolés , parce qu’ils ne suivent pas le même processus
d’évolution. Si l’homme a pris conscience de ces « entités fonctionnelles »
pendant son existence, elles deviennent des éléments subtiliés de son être
futur ; c’est ce que l’on exprime en les représentant, élevés sur un lotus,
devant le trône d’Osiris. Sinon ils rentrent à nouveau dans la « conscience
390
de Nature » d’où ils étaient sortis .
« Ces consciences organiques constituent les KA animaux du défunt (les
quatre KA élémentaires organiques), et font partie, ainsi que l’Ombre
khaïbit, de son KA inférieur.
« La troisième mémoire est le troisième milieu d’inscription que j’ai
décrit comme étant la prise de conscience de la valeur réelle de toutes les
expériences du défunt. tekh est le siège de ce « cœur-conscience » dont je
391
parlerai tout à l’heure . Il est en rapport avec la plus haute partie de l’être
spirituel et cela constitue son KA supérieur. Mais il est aussi en rapport avec
le KA inférieur, parce que celui-ci est cet aspect de Ptah emprisonné que,
seule, la conscience du KA spirituel peut venir libérer avec l’aide du BA,
grâce à l’affinité de l’un pour les caractéristiques de l’autre. C’est ce que
nous figurons par l’image de l’âme-oiseau qui revient rôder auprès de la
tombe, d’où l’on souhaite à l’Ombre de pouvoir sortir librement.
*
**
« C’est maintenant le moment de te parler du grand symbole qui résume
en un seul tableau tous les éléments de ce drame qui décide du sort du
défunt. Nous représentons ce défunt assistant à la pesée de son cœur en
392
présence de Maât, Thot, et parfois Anubis .
« Les autres éléments présents sont généralement :
• deux entités que nous connaîtrons par la suite, Renenoutet et
Meskhent ;
• chai, le Destin du défunt, soit sous la forme de cet homme, soit sous la
forme d’un socle à tête humaine ;
• BA, l’âme-oiseau, perchée sur une porte ou un naos, à l’écart ;
• enfin le monstre de la nature animale ouvrant sa gueule de crocodile
pour engloutir – c’est-à-dire réabsorber – tout ce qui, dans cet homme, n’a
pas été « unifié ». Son nom est âmmit, ou âm-mout la « dévoreuse ». âmm
est l’avidité de la nature toujours prête à absorber, et réintégrer en leurs
éléments respectifs, tout ce qui se trouve dissocié dans un être en
décomposition. La combinaison hétéroclite de son corps (tête de crocodile,
poitrine de lion, arrière-train d’hippopotame), signifie les natures
élémentaires dont chacune réabsorbe ce qui lui appartient.
« Tu dois maintenant considérer avec attention quels sont les éléments en
jeu dans la balance :
• sur un plateau, le cœur ;
• sur l’autre plateau, la plume ou l’image de Maât.
« Mais n’oublie pas de remarquer le troisième objet : le peson, ou « fil à
plomb », suspendu au fléau de la balance ; on lui donne souvent la forme
393
d’un petit cœur ; son nom est tekh qui signifie aussi l’ivresse, la
saturation par imbibition.
« Donc ce qui est pesé est le cœur, àb, parfois nommé hati, centre
occulte de la vie émotive.
« Le poids qui « juge » le cœur sur l’autre plateau de la balance, c’est
Maât, symbolisée par la plume. Or Maât assiste aussi au jugement : ce n’est
donc pas la même Maât ; ou plutôt tu dois comprendre l’assistante Maât
comme étant le divin Principe universel, et l’autre – celle qui s’oppose au
cœur sur le deuxième plateau – comme la Mâat individuelle, c’est-à-dire
celle que le défunt devait réaliser en lui. Écoute l’enseignement de nos
394
Sages sur ce sujet, car c’est le plus haut de notre Théologie :
« Mâat est la Conscience cosmique, l’Idéation universelle, la Sagesse
essentielle, émanée sans cesse du Divin Râ dont elle est, elle-même, la
nourriture.

FIG. 32. – Maât, symbolisée par la plume.

« De Maât sont émanés tous les rayons de Sagesse incarnés, tous les KA
des humains. C’est pourquoi l’on fait dire parfois au défunt : « J’ai été
émané de la bouche de Râ. »
« Maât est donc, en Vérité, la plus haute Conscience spirituelle de
l’Homme, celle qui vient l’animer lors de l’animation supérieure. Car Maât
est l’intermédiaire et le véhicule de l’essence de Râ ; et l’homme n’est
spirituellement vivant que lorsque son KA inférieur s’unit à son
KAsupérieur qui est un « rayon » de Maât, devenu, en sa propre conscience,
sa propre Maât.
« Or, comprends bien ceci : rien ne peut s’assimiler à Maât de ce qui
n’est pas de sa nature, c’est-à-dire conscience véritable indestructible. Tout
ce qui fut produit ou émis par la personnalité inférieure, et qui est de nature
mortelle, factice, cérébrale, ou étranger au KA essentiel de l’individu, tout
cela sera rejeté inévitablement. D’où le « jugement de Maât » ; car la Maât,
juge du cœur, est le propre Verbe de l’Homme devenu conscient et réalisé,
c’est-à-dire maâ-kherou. Si le cœur (nommé parfois àb, parfois hati), centre
psychique occulte de la vie émotive, n’est pas identifié avec son Verbe-
395
Maât, il ne pourra pas s’unir à lui et risquera fort d’être « perdu » dans la
grande aventure de la Douât.
« Il est donc essentiel de connaître les fonctions respectives des deux
cœurs qui jouent un rôle capital dans ton histoire.
Her-Bak s’écria :
— O mon Maître, qu’as-tu dit ? Je n’ai pas deux cœurs en mon corps !
— Ce n’est pas moi, dit le Sage, ce sont nos hiéroglyphes qui te
l’affirment. Je ne parle pas ici de ton cœur spirituel et de ton cœur de chair,
car l’un n’est que le symbole et l’organe physique de l’autre ; j’entends, par
deuxième cœur, le contrôleur des oscillations de la balance, le peson, tekh,
auquel le Neter qui surveille la pesée donne toute son attention.
« Le symbolisme du mot tekh touche à l’un de nos mystères les plus
sacrés ; cependant je ne puis me taire sur ce sujet, car son ignorance rendrait
incompréhensible ce que j’ai encore à te dire. Or son explication est un
problème très ardu, que je peux te clarifier par le parallélisme de son
symbolisme avec celui du mot àb. En effet, dans les deux cas il y a un
double jeu de mots et de pensée qui met en rapport des fonctions physiques
avec des états ou fonctions psychiques, et avec un objet ou un organe qui en
explique le double sens, concret et abstrait.
« Dans les mots àb soif et AB désir, quoique leurs déterminatifs soient
différents, c’est le mot àb, cœur, qui donne le rapport exact qui les relie.
« Le mot àb, écrit avec la lettre concrète, à, exprime la soif ; le mot AB,
écrit avec la lettre abstraite a, exprime le désir, ab. Ce double aspect d’une
fonction (besoin physique et désir psychique) se retrouve dans le sens
donné au mot cœur, àb, selon qu’on entend le cœur « organique » qui boit le
sang continuellement, ou le centre de manifestation psychique que nous
appelons aussi cœur.
« De même le symbolisme de tekh représente un double jeu entre le nom
de l’objet, tekh, et l’état d’ivresse (ou saturation) exprimé par son
homonyme, et, d’autre part, entre le rôle de ce fil à plomb, tekh, et la
capacité d’absorption impliquée par l’état de saturation tekh.
« Il y a en effet un rapport direct entre ces deux notions : l’ivresse
concrétise ici l’idée générale d’imbi-bition jusqu’à saturation. Or, une
matière sèche se trouvant imbibée par un liquide, sa saturation délimite sa
capacité d’absorption.
— Tel est par exemple le cas d’une éponge sèche qu’on imbibe d’eau ?
— L’image n’est pas juste, car il ne s’agit pas ici de contenant et de
contenu : sinon on pourrait dire qu’un vase rempli d’eau est tekh, ce qui est
faux. Cette idée d’ivresse implique la notion de l’extinction d’un feu. Alors,
la capacité d’absorption d’une chose dépend de sa plus ou moins grande
aridité, causée par la puissance de son feu intérieur. Le feu qui est, en toute
chose, l’agent de cette aridité, est le feu de Soutekh (Seth). Qu’il agisse
dans la terre désertique ou dans la fièvre qui consume un organisme, ou
dans l’âcreté des passions égoïstes, c’est toujours lui qui tend à accaparer
toutes les forces naturelles au profit des passions animales qui sont son
combustible.
« Pour combattre cette action destructrice, notre symbolique donne
l’action compensatrice des « eaux du ciel et de la terre », « eau de
rajeunissement » qui régénère les défunts, larme d’Isis et « eau nouvelle »
d’Hapi qui rend végétale la terre desséchée.
« Or cette imbibition suppose la capacité d’absorption de ce qui reçoit
l’eau revivifiante ; et cette capacité est d’autant plus grande que le feu
desséchant est plus intense.
« Il est donc vrai de dire que la capacité d’absorption, qui est la
conséquence de l’état de saturation, est le témoin de la mesure du feu qui a
causé la possibilité de cette « compensation ». Or tel est le rôle du tekh, le
« fil à plomb » qui contrôle l’équilibre des plateaux de la balance, donc le
témoin de la compensation.
« Les lois de génération indiquent que toute chose vivante est
nécessairement constituée par une action alternée du feu et de l’eau. Le feu
de Soutekh ne cherche jamais, de lui-même, à absorber l’eau
compensatrice, mais, au contraire, à tout consumer pour accroître sa force
comburante. Mais son agressivité, existant dans la chose vivante, y devient
une activité qui suscite en cette « chose » une puissance réactive de défense
appelant l’élément compensateur. C’est cette réaction qui rend cette chose
« absorbante », et ceci jusqu’à satiété, c’est-à-dire jusqu’à l’épuisement de
l’avidité du feu ; alors la réaction de la « chose » pourra se faire en sens
inverse (en faveur du feu), si l’élément adverse (eau) devenait à son tour
prédominant.
« tekh se trouve donc, dans toute génération comme dans la balance, le
« témoin » intermédiaire qui assure le libre jeu des forces adverses par la
mesure des possibilités.
« Ce rôle de témoin, entre le cœur « émotif » àb du premier plateau de la
balance et la Maât individuelle de l’autre plateau, donne aussi à tekh un rôle
important dans la définition du destin chaï, représenté parfois dans la scène
396
du jugement par un socle à tête humaine .
« chaï est la « mesure » de la destinée individuelle, dont la prédestination
(pré-natale et natale) est inscrite par Sechat dans l’embryon humain, et que
les volontés et les gestes quotidiens continuent à signer.
— Cela, dit Her-Bak, je le comprends ; mais l’aspect spirituel du cœur
reste pour moi une énigme ; plus énigmatique encore sont ces paroles : « O
mon cœur de ma mère… tu es le KA de mes transformations. »
Le Sage répondit en le priant d’approfondir ce qui venait d’être
expliqué :
— Tu comprendras cette parole si tu reprends le parallélisme entre le rôle
du cœur àb et le rôle de tekh :
« Le cœur àb est l’agent d’équilibre du flux sanguin ; tekh est l’agent
d’équilibre des éléments complémentaires, feu et eau, en toute génération ;
il y joue le rôle de témoin intermédiaire de leurs oscillations.
« Or de même que le mot àb se rapporte à un organe ainsi qu’à une
fonction, de même il existe nécessairement, dans l’organisme humain, un
siège correspondant à la fonction de tekh, ainsi qu’une correspondance de
fonction dans les rapports de l’homme avec son KA.
« En effet, le KA supérieur joue en l’homme un rôle analogue à celui de
« l’eau de réanimation ». Le KA inférieur, qui comporte les caractéristiques
psychiques (innées et acquises) de la personnalité, et qui subit les
impulsions animales de l’organisme, subit aussi l’agressivité du feu Sethien
ainsi que la réaction compensatrice.
« tekh, point de contact de ces diverses impulsions du double KA, en est
le témoin constant. Il joue donc le rôle d’un « cœur-conscience » qui garde
l’impression de cette continuelle expérience vitale, et par conséquent survit
à la destruction du corps.
« Par conséquent il est ce « KA des transformations » incarné dans
l’embryon dès sa formation dans le sein de sa mère, car il est en effet le
témoin constant des transformations successives de l’être.
— En effet, dit Her-Bak, la compréhension du tekh apporte une
clarification inattendue à ce texte troublant : « O le cœur de ma mère, ô KA
de mes transformations ! » Mais c’est l’aspect complexe du cœur qui laisse
encore en moi quelque confusion !
— Ce n’est pas surprenant, s’exclama le Sage ; ton trouble est causé par
l’imagination qui sépare et délimite les divers éléments de l’être spirituel.
« Tout est en tout ; chaque élément contient le principe de tous les autres,
avec accentuation des propriétés qui sont les siennes propres. Si l’on coupe
une jambe d’un homme, le membre corporel est supprimé, mais non le
principe de ce membre qui demeure vivant en cet homme ; et celui-ci
continue d’y éprouver diverses sensations, comme si sa jambe n’était pas
amputée.
« Il est donc erroné d’admettre une discontinuité entre les divers états de
la Forme, depuis le plus matériel jusqu’au plus spirituel. Chaque partie d’un
être – corporelle ou spirituelle – participe de l’être entier ; à plus forte
raison, le cœur (qui est le Soleil de l’être humain dans son aspect corporel
comme dans sa Réalité divine) ne peut être indépendant des autres parties
de l’homme…
— … pas plus que le Soleil n’est indépendant de la Terre ?
— Précisément ! Il y a entre eux des inter-échanges continuels dont
dépend l’harmonie du système total. Dans la constitution du Monde, tout est
forcément « devenu » suivant une même harmonie : si les étoiles errantes
(planètes) participent du cœur-Soleil, elles ont elles-mêmes un soleil dans
leur cœur.
« Ainsi les éléments constitutifs de l’homme sont en rapport avec leurs
analogues cosmiques. Ton KA divin, qui est un « rayon » de la Maât
397
Universelle , est, avec ton âme-BA, en relations identiques à celles qui
relient Maât au divin Râ dont elle est à la fois la fille et la nourriture.
« Ton cœur physique, en tant que soleil de ton corps, porte en lui le
double principe actif-passif, ce que nous exprimons, dans son image, par
398
l’œuf (ou grain) solaire surmonté du croissant lunaire . Le cœur, dans son
état passif (lunaire), est l’aspect féminin, maternel. Si je le considère ainsi,
je dis « la Mère est dans le cœur » ; mais si je veux scinder la notion de la
« mère » et la regarder en elle-même, alors c’est le cœur qui est dans la
mère.
Her-Bak, exaspéré, se révolta :
— A quoi servent de telles énigmes, sinon à compli quer un problème
déjà bien assez obscur ?
Le Sage répliqua :
— Tu demandes l’explication des mystères du Monde : voudrais-tu que
je me serve des formules superficielles qui satisfont les gens du
Péristyle ? …
Le disciple, confus, s’inclina. Le Maître poursuivit :
— L’activité solaire dans le cœur donne à l’être la Forme, et le rend
tributaire de Râ. La passivité de la Lune fait l’Entendement, si elle fixe la
Lumière. L’activité solaire apporte la Lumière, si elle est provoquée par la
passivité.
« La Loi véridique est le croisement ; c’est la clé des énigmes.
« L’énigme est pour les possesseurs de la clé.
« La logique est pour les aveugles qui ne touchent que la terre de leur
bâton… »
Le Maître se tut.
Her-Bak, les yeux clos, gravait profondément en lui ces principes, pour
en découvrir par la suite l’évidence.
Enfin, calme et respectueux, il parla :
— A peine ai-je entrevu l’enseignement caché dans l’image du cœur, et
déjà je comprends « le témoignage accusateur que mon cœur-conscience
tekh porterait » contre mon cœur humain si celui-ci refusait cette leçon !…
« Chaque détail est à considérer dans ce tableau du jugement. Sois béni
pour ce que tu m’en as révélé. Pourrais-je encore savoir quel rôle joue inek
(le Moi) dans cette scène ?
Le Sage répondit :
— Le Moi est le porteur du nom (ren) qui assiste, impuissant, au
399
jugement de son cœur. Le nom est le Verbe apparent de la personnalité
humaine terrestre ; il devrait être l’expression de son KA et de sa nature, s’il
était correctement attribué. Il est toujours la formule magique qui conserve
son image dans la mémoire des hommes.
« Il est le vêtement du Moi-inek ; c’est pourquoi, lorsque cet inek égoïste
s’efface devant l’homme devenu conscient de son but altruiste, nous
modifions son nom pour le mettre en harmonie avec son être et sa fonction
véritables.
— Pourquoi l’âme-oiseau (BA) reste-t-elle à l’écart dans la scène du
jugement ?
— L’âme divine est neutre, impassible et indifférente à cette histoire
personnelle.
« Si l’homme n’a pas cultivé l’affinité de son KApour cette âme, s’il n’a
pas établi, par un appel constant vers son être spirituel, le rapport qui est
400
leur conscience réciproque, l’âme retourne en sa patrie , et son être
unifié, ouâ, ne pourra pas se réaliser.
— Tu n’as point expliqué le rôle des deux personnages, Meskhent et
Renenedjet, qui assistent au jugement.
— O toi, Her-Bak, tu demandes trop de choses en un jour ! Tu ne peux,
d’ailleurs, les connaître qu’après avoir compris ce que nous entendons par
les formes, les enveloppes et les peaux.
« Si tu veux parler de l’apparence d’une chose en ce que tes yeux et tes
doigts peuvent en percevoir, comment la nommeras-tu ?
— Nous avons plusieurs mots pour l’exprimer…
— Ceux qui t’intéressent actuellement sont : irou, qd, sem. La différence
est grande entre ces mots dont le profane déforme souvent le sens.
« Dans le mot sem, m est ce qui retient la Forme ; sem, en son sens
absolu signifie « faire que prenne forme », forme d’ailleurs spécifiée par s.
— sm signifie aussi bénir…
— N’est-ce pas le sens spirituel de bénir ? Si tu veux apprendre la
Sagesse par la langue, tu dois chercher le sens primordial des syllabes, et ne
pas te laisser dévoyer par le langage vulgaire qui nous sert à transmettre
l’enseignement secret en le voilant.
« Le principe fondamental de la forme est qd ; c’est le caractère essentiel
de la « chose », sa forme innée, autour de laquelle sa forme apparente se
construira.
« Le sens absolu de irou est : l’état actuel, qui a été œuvré, formé ; état et
qualité transformables parce que non « innés » mais acquis.
« Nos vieux textes jouent sans cesse sur ces trois mots, aussi ne faut-il
point les négliger.
— N’y a-t-il pas aussi, dans le mot kheprou, une expression des formes ?
401
— kheper est le devenir de la forme, la manifestation de la
transformation.
« Il y a dans notre pensée une grande subtilité, qui ne vient pas d’un jeu
analytique puéril mais de la connaissance du mobile profond dissimulé sous
l’apparence ; et nous nous efforçons, par le choix des images et des mots,
d’éveiller le discernement du lecteur.
« En toute chose nos Maîtres ont considéré ce qui est contenu, et ce qui
contient : ce qui est contenu est ce qui est caché (àmn) ; ce qui contient est
ce qui cache.
« Ainsi dans l’embryon humain, ànm est la peau extérieure ; àmn est ce
qui est caché à l’intérieur, tout ce qu’Amon y a formé : membranes, air et
eau, avec l’élément stable, mn, contenu en Amon.
402
« khen est notre principal symbole de ce qui enveloppe l’intérieur, et
de la force naturelle qui crée elle-même son enveloppe.
« L’énergie réactive nekh est cette force, exprimée dans son effet par le
403
mot nekht .
« Le symbole de khen est une peau de quadrupède, entière sauf la tête ;
elle a pris et gardé la forme de l’animal parce qu’émanée et produite par
lui, montrant ainsi le sens de l’enveloppe et de la peau. Car la peau reçoit
l’inscription des caractéristiques personnelles : c’est pourquoi elle nous sert
de symbole dans la scène funéraire du tikenou et dans les mystères
d’Abydos, qui enseignent la nécessité de « rentrer dans la peau » pour
renaître à une vie nouvelle.
« Ce n’est pas une image idéale : la peau est le symbole vivant et
perceptible des enveloppes imperceptibles qui gardent la « forme » de
l’homme ; khen en est l’expression matérielle parfaite, parce qu’elle
exprime l’identité de nature de l’intérieur et de l’extérieur, celui-ci étant la
créature de celui-là. Or, en parlant de l’intérieur je n’entends pas seulement
le corps organique, mais les puissances vitales et l’action de ses deux
« cœurs », tekh et àb, qui sont les facteurs effectifs de l’expression des
qualités et caractères individuels.
« De même que la peau khen garde la forme de l’animal, de même les
enveloppes invisibles qui sont émanées de l’homme, tout en faisant partie
de son être intérieur, gardent ses empreintes après la mort ; car ces
enveloppes sont les « milieux d’inscription ».
Her-Bak répliqua :
— Comment se fait-il que nous ne puissions pas percevoir ces
enveloppes ?
Le Sage répondit :
— Vois-tu l’air que tu respires ? Cependant tu sens sa présence, comme
tu peux sentir à distance l’atmos phère sympathique ou répulsive d’un
homme. Tu dois encore revenir aux medou-Neter pour comprendre sans
erreur ce que nous entendons par enveloppes.
404
« Le principe causal de l’enveloppe est out ; efforce-toi d’entendre
aussi son sens profond. Nous représentons out par une peau vide, que l’on
405
montre parfois fixée et enroulée sur une tige sortant d’un pot ; l’autre
406
image qui le détermine est le principe de la glande .
« out signifie la délimitation, la définition d’un espace par la fixation en
corps : d’où emploi de ce mot pour exprimer l’embaumement, qui fixe la
momie en état incorruptible et maintient sa forme moulée par les
bandelettes qui l’enserrent. Pour la même raison, out signifie la peau
Sethienne d’Anubis qui retenait l’Esprit emprisonné.
« out est le Ciel contenu, la « chose » délimitée en volume, et ce qui
prend volume. C’est le germe idéal de l’organe, de la glande, et de la
fonction incarnée. C’est pourquoi il est dit que « khaïbit est purifiée s’il n’y
a plus de out en elle » c’est-à-dire plus de germe d’organe, ou de fonction
animale en devenir.
FIG. 33. – Nous représentons out par une peau vide, que l’on montre parfois fixée et enroulée sur une
tige sortant d’un pot.

« Maintenant étudie tous les mots construits sur l’idée out :


Nout est le « vase énergétique, aérien, de tous les « out » du Monde ;
« moût est le vase matériel de out, c’est lui qui retient la Forme, et la fixe
dans un espace ou « contenant ».
407
« tout est la fixation matérielle de l’image totale dans laquelle out s’est
déterminé.
« sout est la spécification concrétisée de out.
Enfin, si tu te souviens du double Principe SH, tu comprendras que
l’œuf, souht, est le type parfait de out concrétisé, animé de ses deux
principes vitaux essentiels, S H.
« Or, ceci te confirme le sens exact de sâh, dans lequel out est remplacé
par â, la lettre de l’individualité ; tu n’y trouves plus le t de concrétisation ;
en effet, sâh est l’état de l’être qui a gardé, après la mort, ces deux principes
de vie assemblés (non pas conjoints) comme tu le sais déjà.
« Il est intéressant de constater que nous déterminons souht par la forme
de l’œuf, et sâh par le sceau qui est une fermeture d’enveloppe. Nos vieux
textes parlent fréquemment du mort « qui doit briser son œuf » ; il arrive,
dans ces textes, que souh soit déterminé par le signe de la ville, nedj : il ne
s’agit pas alors d’une ville, mais de sa propre Nout qui est comme son œuf,
son enveloppe survivante.
« La Nout de l’homme est semblable à la Nout du ciel, dont les organes
408
physiques sont les constellations du Grand Fleuve ; les fonctions de ces
organes diffèrent, pour le corps de l’homme comme pour les régions de
Nout. Cependant, quoique ces régions soient différentes, leurs influences
s’interpénétrent et, quoique s’interpénétrant, elles ne peuvent communiquer
qu’avec les états qui leur sont essentiellement identiques, et par le moyen
409
d’un intermédiaire. Le cœur est en sympathie immédiate avec cet
intermédiaire, et joue le même rôle dans le corps humain que notre Soleil
dans notre Univers.
Her-Bak résuma les paroles du Maître :
— Qu’il s’agisse de l’homme, de la ville ou du ciel, la Nout reste le
« vase » énergétique de tous les out qu’elle contient.
Le Sage répondit :
— Tu as raison d’insister sur cette définition, car l’étude approfondie de
out t’évitera beaucoup d’erreurs dans la compréhension des « enveloppes ».
C’est un sujet difficile, qui se prête à trop d’interprétations fantaisistes.
« Pour obvier à ce danger nous avons varié les symboles de Nout, afin
d’empêcher le chercheur de fixer sa pensée sur une image déterminée.
« Prends pour exemple Nout dans son symbole de ciel nocturne. Notre
Terre est entourée d’un ciel dont les groupes d’étoiles lui font une ceinture
de lumière et de vie ; elle en reçoit tour à tour les effluves pendant le cycle
d’une année (renpet). Ce ciel, qui est sa Nout, enfante chaque jour pour elle
le Soleil qui rentre chaque soir dans son sein. Alors la nuit succède à la
lumière et la Terre s’endort jusqu’au matin. Mais pendant le sommeil, les
divers êtres terrestres vivent d’une autre vie dont ils ne gardent pas le
souvenir au réveil : ainsi se succèdent les existences des hommes qui
naissent, meurent, ou plutôt s’endorment pour s’éveiller à une vie différente
dans la Douât.
« Ce sommeil peut aboutir tôt ou tard à un sommeil éternel (mort
définitive), si le KA et le BA ne peuvent être réunis à l’être inférieur qui n’a
cultivé avec eux aucune affinité.
« Quant au désincarné qui « passe à son KA », tout ce qu’il a éprouvé et
conçu dans ses consciences – vitales, instinctive et spirituelle –, demeure
inscrit dans sa Nout personnelle ; et ces diverses inscriptions
impressionnent, selon leur nature, les « milieux », « formes », ou « états »
spirituels de son être, qui deviennent ainsi ses propres créations.

FIG. 34 – Nout au sycomore.

« Nous représentons cette Nout personnelle comme un arbre qui totalise


par ses fruits la « récolte » des existences vécues par un KA humain. Sur le
dernier des fruits, Thot-Sechat inscrivent le nom du porteur de ce KA, que
sa divine Nout nourrit de ses propres fruits : la moisson de ses existences.
« La racine de cet arbre est en terre, tant que l’homme poursuit sa
destinée terrestre à travers ses ouhem-mesout (renaissances). Son tronc est
le corps de la Nout, ou même le corps de cet homme s’il est devenu
conscient. Ses branches et ses feuilles entrelacées sont dans le ciel ; ce sont
ses propres émanations, ou enveloppes, états énergétiques ou spirituels par
lesquels il communiait avec les états cosmiques de même nature. Ce sont
ses milieux d’inscription, qui conservent et totalisent les impressions de la
« personne » et définissent sa destinée…
« Je devrais détailler ces milieux d’inscription ; je devrais te montrer le
rapport entre l’œuf humain et chaque fruit du sycomore… mais ceci
dépasserait le cadre de cette leçon.
« Tu dois, toi aussi, dormir une nuit, Her-Bak, pour pouvoir entendre
demain un nouvel enseignement… qui sera le même sujet considéré sous
d’autres noms et sous un angle différent.
XVII

BA ET KA

SIXIÈME JOUR

Her-Bak veilla plus qu’il ne dormit cette nuit-là, obsédé par le souci de
ne point oublier l’enseignement reçu. Il accueillit son Maître par ces mots :
— Si j’ai bien entendu ce que tu m’as appris, le corps humain est
l’apparence sensible de plusieurs autres formes, plus ou moins purement
spirituelles, dont l’ensemble constitue l’individualité. Le temps de
survivance de chacune diffère, selon son harmonie avec la Maât de cet
homme.
— Ta définition est correcte, répondit le Sage, si ta compréhension de ces
« formes » l’est aussi.
— La fatigue d’un effort continu crispait le visage du disciple ; il
supplia :
— O mon Maître, comment pourrai-je, sans erreur, imaginer ces « états »
si complexes ? Nos symboles nous représentent isolément l’oiseau BA, le
KA, l’Ombre, le Destin, et cependant tu montres en l’être humain leur
présence simultanée ; tu parles de leurs différences et de leur parenté… Si la
mort les sépare, que peut devenir chacun d’eux dans la Douât ? Et que
devient le Moi qui était leur image sur Terre ? On parle de leurs divers lieux
410
de séjour, l’île neserser (nsrsr), le sekhet-iarou (champ des souchets ), le
sekhet-hotep (champ des offrandes) : s’agit-il de symboles ou de réalités ?
Cette diversité me trouble ; ne peux-tu ramener la paix en mon cœur ?
Le Sage estimait à sa juste mesure l’effort de son disciple ; mais il ne
voulut pas compromettre un éveil intuitif en étouffant son inquiétude :
— Ces symboles, dit-il gravement, seront toujours des mystères pour
l’homme qui n’est pas « ouvert de face », c’est-à-dire dont les sens
intérieurs (intuitifs) ne sont pas éveillés, ne pouvant ainsi percevoir par ses
sens extérieurs (corporels) que l’aspect terrestre, tangible, des êtres.
« Mais appelle à ton aide la Maîtresse du Ciel, Hathor, qui contemple en
même temps la Terre, le Ciel et la Douât ; Hathor, la mère de ton Dieu, la
maison de l’Horus divin, de « ton Neter qui est dans ton œuf ».
« Fais de tes yeux ses yeux, pour connaître les divins Luminaires ; rends
tes oreilles si passives qu’elles reçoivent le Verbe du céleste Taureau ; que
tes narines, dociles au rythme de son souffle, aspirent et conçoivent la Vie ;
que ta bouche, fermée aux paroles oiseuses, apprenne à proférer les Verbes
de Maât… Alors tu comprendras le sens de ces symboles, qui ont été tracés
pour ces « ouverts de face » et ces « ouverts de cœur » qui peuvent
percevoir l’autre face d’Hathor.
« Il était sage, en ta question, d’associer l’idée des régions à celle des
états de l’être dans la Douât ; tu ne peux pas séparer l’une de l’autre en
vérité. De même qu’une nom (ville) est l’ensemble des « atmosphères »
émanées du ciel et des hommes, qui donnent à cette ville son propre
caractère dont se ressent aussi celui des habitants, de même la Nout d’un
homme est un complexe d’influences et d’impressions résumant les divers
états de ses personnalités successives. De même un lieu de la Douât est une
ambiance caractérisée, nettement distincte d’une autre ambiance, par le fait
que sont attirés en ce « lieu » les êtres dont la disposition et l’état ont
affinité avec lui.
« Si tu conçois cela tu comprendras aussi l’idée de venir, de passer d’une
ambiance – ou lieu – à un autre lieu ; nous voulons par cela exprimer l’effet
d’une Puissance inéluctable : la loi d’affinité sélective, qui s’impose entre
choses, états et êtres, de la même nature. Ainsi l’entendaient les rédacteurs
des textes quand ils parlaient du défunt en disant : « Il est venu à la terre de
vie… Tu es venu vivant… Il est venu en son nom de… en qualité de tel
Neter ou telle fonction. » C’est comme si l’on disait : « Il est passé à l’état
de… il est devenu de la nature de… »
Her-Bak se laissa diriger par cette impulsion nouvelle :
— C’est en effet un autre mode de pensée que je dois cultiver !… Puis-je
cependant te demander s’il y a un espace – ou distance – entre ces différents
« lieux » ?
— L’espace et le temps sont relatifs à chaque état : la vie d’un
moucheron, par rapport à la conscience du temps, lui paraît aussi longue en
durée que, pour un éléphant, les nombreuses années de son existence. Pour
l’âme divine immortelle il n’y a ni Temps ni Espace ; elle est, par son
« support » humain, en rapport avec Temps et Espace ; mais elle n’en est
pas affectée, ayant, par sa nature divine, la conscience simultanée de toutes
dimensions et de toutes durées.
« Mais ceci, Her-Bak, ne peut pas entrer encore dans ton intelligence !
C’est pourquoi tu es obligé de l’instruire par nos symboles, car ils sont le
plus court chemin pour « passer » du monde des apparences à celui des
Réalités.
« Retiens d’abord ceci : parler des « lieux » de la Douât, c’est parler des
états de l’être et de ses kheprou successifs. S’il t’arrive, pendant ton
sommeil, de visiter des paysages connus ou inconnus, c’est ton « corps
émotif » qui se déplace tandis que ton corps matériel repose sur ta couche ;
ces deux corps sont reliés par un cordon subtil dont la brisure cause la mort.
(C’est pourquoi il ne faut jamais réveiller brutalement le somnambule.)
« Cette « forme » sortie de toi fait partie de ce qui, après ta mort, sera
411
l’Ombre khaïbit . Elle a des propriétés que ne possède pas ton corps
physique parce que sa substance plus subtile n’est pas assujettie aux mêmes
lois : elle peut voguer dans l’espace sans appui ; elle peut traverser les
murailles, car, n’étant pas physique, les obstacles physiques n’existent pas
pour elle. Mais les états (ou mondes ou corps) spirituels lui sont
inaccessibles de la même manière que la muraille est infranchissable pour
ton corps.
« Temps et Espace ont avec elle un rapport très différent de ce que ton
intelligence en conçoit ; d’ailleurs tu as assurément fait l’expérience
d’aventures extraordinaires, d’une longue durée, qui t’arrivent en rêve et qui
ont été provoquées par un incident survenu un instant avant ton réveil ; en
ce cas, ta conscience mentale et intuitive suscite les images des scènes
vécues par ton « corps émotif » ; mais ceci te montre la différence entre ta
conception physique du Temps et de l’Espace et leur connaissance par ta
412
« forme » émotive . Par cet exemple tu conçois que tu peux prendre
conscience du plus inférieur de ces « corps » – ou états – invisibles.
« Si, d’autre part, en éveillant ton oreille intérieure, tu parviens, par
l’Intelligence du cœur sia, à connaître l’analogie qualitative entre tels
végétaux et tels êtres vivants, tu mets en rapport ton KA avec leurs KA, et
ceci dans un mode d’autant plus subtil que tu recherches cette connaissance
avec élimination du mental et sans la faire dépendre de tes impressions et
tes goûts personnels.
« Or cette conscience du « KA » est d’un échelon supérieur à la
conscience émotive ; et quoique l’Ombre, khaïbit, soit comme le vêtement
de ton KA inférieur, elle participe nécessairement de cette conscience plus
élevée, qui la rend plus subtile et moins tyrannique dans ses affinités
terrestres.
« Monte encore un échelon, efforce-toi de revivre certains cas de
conscience où tes tendances inférieures entraient en lutte avec la sagesse du
cœur : le remords d’une faute ou la brisure d’un désir égoïste, qui ont inscrit
en ta conscience la mémoire ineffaçable d’une valeur réelle ; cette
conscience est directement en rapport avec ton KA divin, et enrichit ta
413
Forme-Destinée – ton chaï – d’éléments bénéfiques.
« Il y a des degrés supérieurs qui sont les degrés de conscience et de
libération de la « personne » inférieure ; ils peuvent être acquis sur Terre par
l’homme sage, alors ils sont perfectionnés dans la Douât par ceux-là qui
parviennent à la « possession de leur KA».
« C’est cette échelle dont il est parlé dans nos textes lorsqu’ils « saluent
Nout en son nom d’échelle ». Tu comprends maintenant que c’est sa propre
échelle que l’être humain doit ainsi gravir : la conscience progressive de sa
propre Nout, dont la richesse s’accroît en chacun de ses kheprou.
— Je le comprends, dit Her-Bak ; et j’entrevois aussi ce qu’il faut
entendre par les régions de la Douât… Sans doute ce ne sont pas des
champs, des rivières et des îles ?
— Nous sommes obligés de donner des images familières aux humains,
car ils sont pour la plupart incapables de concevoir le sens abstrait.
« Cependant un exemple peut encore te montrer la raison des symboles
choisis. Tu as connu les mirages du désert : s’ils représentent des paysages
existants ce sont des images trompeuses et renversées. Ainsi en est-il des
414
tableaux illusoires de sekhet-iarou . Toutes les « inscriptions » de la vie
415
instinctive-émotive ont leur reflet dans « la robe de Nout », et ces reflets
durent un certain temps délimité par la durée des consciences inférieures
qui enregistrent ces impressions.
« Les habitants de sekhet-iarou sont les êtres demeurés encore attachés
par leur Ombre aux attraits de la vie terrestre ; ils y retrouvent les mirages
de ce qui fut leur existence, aux prises avec les embûches des forces hostiles
416
qui veulent les empêcher de passer dans l’état supérieur . Car il en est
dans l’autre monde comme dans le nôtre : les esclaves du « Moi », que les
tendances tyranniques de leur KA inférieur tiennent éloignés de leur
KAsupérieur, s’efforcent de multiplier leurs compagnons d’esclavage.
« Le sekhet-iarou et le sekhet-hotep sont considérés comme les « cieux
inférieurs » ; ils sont représentés avec des lacs et des cours d’eau parce
qu’on y flotte dans l’attente incertaine des transformations successives ; par
des îles pour signifier la fixation de certains états ; par des champs parce
qu’il s’agit de « faire sortir du marécage sa propre plante », c’est-à-dire le
nouveau corps subtil conforme à ce nouvel état, qui soit apte à être porteur
du « vrai visage ».
« Ici intervient un autre stage dans ce qu’on appelle l’île neserser (nsrsr),
qui ne peut se situer ni dans le temps ni dans l’espace, mais qui est un
intermédiaire entre la vie terrestre et le sekhet-hotep dont le séjour est une
première béatitude.
« Le mot de neserser exprime l’état créé par le jeu ou circuit perpétuel
des deux feux ou forces énergétique, n et s, qui prennent forme dans les
êtres terrestres.
« Ce sont ces feux qui colorent et qui spécifient les « natures ». C’est
pourquoi il est dit que « l’héritier y rejoint son père pour assurer son
héritage et la continuation du nom paternel sur la Terre ». On veut parler ici
du lien occulte et des rapports d’affinités instinctives caractéristiques, qui se
maintiennent entre le père désincarné et le fils qui perpétue son nom.
« On pourrait considérer neserser comme une Terre plus subtile, qui
refléterait toutes les tendances dans leur aspect universel. C’est en ce
« lieu » que le désincarné doit épuiser et consumer ses désirs instinctifs,
jusqu’au moment où, ayant éliminé sa « soif », il est libéré de sa chaîne et
retrouve son « vrai visage ».
— N’est-ce pas ici, demanda Her-Bak, le même sens que tes paroles :
retrouver intégralement son propre Verbe maâ-kherou, c’est-à-dire réaliser
sa propre Maât ?
Le regard du Maître exprima sa satisfaction.
— Tu as bien entendu, mon fils ! C’est pour cette raison qu’on situe en
ce lieu la « pesée » du cœur par Maât ; car si cette épuration s’est
accomplie, ce n’est plus le inek (Moi) qui commande mais le sâh : celui
qui, devenu maître de ces « feux », possède aussi son cœur, son KA, et peut
poursuivre en paix sa prise de conscience à travers les kheprou de ces cieux
inférieurs.
— Pourquoi, dans ce cas, aura-t-il encore besoin de ses kheprou ?
— Il doit, avant d’atteindre la béatitude suprême des cieux supérieurs,
avoir retrouvé la connaissance de tous les stades intermédiaires, qui sont les
états du Devenir et dont le reflet sur Terre donne les diverses formes de vie.
S’il a réussi, dans son existence terrestre, à identifier tout son être et toutes
417
ses fonctions aux Neter fonctionnels et aux Puissances cosmiques, ces
kheprou deviennent inutiles et il est apte à « devenir comme l’une
418
d’elles » : il est libéré du monde des apparences.
« Si son expérience est encore insuffisante il attendra, dans la béatitude
du sekhet-hotep, l’heure de revenir sur la Terre, en recueillant les fruits de
« l’existence » sans être séparé ni de son KAni de son BA. Ainsi se
régénère un nouvel être qui pourra, dans sa prochaine vie terrestre,
s’incarner comme une Conscience supérieure à la précédente.
Her-Bak se montrait fort surpris.
— Serait-il vrai que l’homme revienne plusieurs fois sur la Terre ?
— C’est vrai d’innombrables fois pour les êtres qui n’ont pas « reconnu »
leur KA. Mais alors la « personne » n’en bénéficie pas consciemment : elle
l’ignore, car la conscience individuelle ne subsiste que par le KA ; on ne
peut donc pas dire en cette occurrence qu’il y ait réincarnation, mais
continuité de la vie instinctive confondue avec les autres existences
instinctives. Il n’y a donc point d’intérêt à enseigner cette doctrine au
peuple qui ne vit que la vie instinctive.
« Quant à l’homme qui acquiert la conscience du KA, il doit apprendre la
nécessité d’accroître en lui le sens de la « responsabilité » et des
conséquences futures de tous ses actes. Pour cette raison, il doit être
personnellement instruit de ces choses que nous laissons, autrement, sous-
entendre par les mots ouhem-ankh, ouhem-mesout, et par diverses allégories
cachant sous l’idée de « renouvellement de vie » celle de « répétition des
419
naissances ».
« C’est pour ces hommes-là que nous symbolisons les différents lieux,
états et jugements, qui déterminent les périodes d’attente dans la Douât,
avec les épreuves ou la béatitude qui résultent de leur degré de libération.
« C’est pour ceux-là que nous insistons sur la nécessité de garder la
mémoire du nom sur la Terre, car c’est un élément de réincarnation. Les
statues, les tombeaux décorés de scènes journalières, ont (en plus de
l’enseignement symbolique) l’avantage d’être des appâts pour assurer la
réincarnation du KA dans la même région ou la même lignée.
« Ce n’est pas le moment opportun pour donner les preuves et les raisons
profondes qui justifient cette doctrine. Cependant je puis encore t’expliquer
deux symboles qui s’y rapportent. Je t’ai parlé des deux entités, Meskhent
et Renenoutet, qui assistent à la pesée du cœur. Or elles se retrouvent
présentes à la naissance… Tu pourras comprendre leurs rôles si tu te
remémores ce que tu as appris en ces six jours, et si tu étudies leurs noms à
la lueur de ces notions nouvelles.
« Tu te souviens que le nom, ren, s’il est judicieusement choisi, doit être
la formule de l’identité individuelle et la définition du cycle personnel dans
lequel se réalisent ses « Possibilités ». D’ailleurs, qu’il soit bien ou mal
attribué, le nom devient, à force d’être prononcé, l’image de son porteur
qu’il évoquera toujours dans la mémoire des hommes.
« Renen-outet est le « mouvement perpétuel » qui « fait tourner en rond »
les fonctions de la Nature. Elle est la nécessité du circuit, chaque fonction
engendrant la suivante si fatalement que la fin appelle un recommencement
analogue au point de départ.
« C’est Renenoutet qui transforme en lait les humeurs sanguines de la
mère qui nourrissaient le fœtus ; c’est elle qui fait monter la sève quand le
temps est passé de la léthargie Osiriaque ; c’est elle qui va nourrir tour à
tour les radicelles de la semence enterrée et le grain au sommet de l’épi, la
racine de l’arbre et son fruit. C’est ce mouvement de Renenoutet qui permet
l’érection du djed, dans la Nature comme dans l’homme ; et lorsque celui-ci
a réveillé, en son djed, son feu de Vie, c’est elle qui le conduit à son
sommet, à l’uraeus frontale qui est le troisième œil de ton Horus. Alors « les
Neter la redoutent » car cet œil de feu les maîtrise et domine leurs forces
420
aveugles .
421
« Ainsi Renenoutet est un agent de tout renouvellement (renp),
comme du circuit vivant de l’année dans le ciel (renpet). Elle enferme l’être
nouvellement né dans l’orbe du cycle qui est personnel à cet être ; elle le
« berce » dans son propre rythme, et le maintient dans les limites de ses
« Possibilités ». Elle est donc la conservatrice du nom de chaque espèce et
de chaque individu, puisqu’elle est la mesure de leur cycle particulier qui
détermine leur retour périodique.
« Quant à Meskhent, elle est cette force expansive qui fait surgir
l’extérieur de l’intérieur, qui fait « paraître au jour », qui fait naître ce qui
« était dedans » : l’enfant, la peau, l’enveloppe subtile émanée de chaque
homme et grâce à laquelle il pourra, comme par une peau, aspirer et fixer la
lumière rayonnée.
« Pendant l’existence terrestre, ces deux Puissances font partie intégrante
de l’individu et de sa Nout ; la mort du corps les sépare du cadavre, mais
elles restent attachées à son entité survivante par l’affinité du nom et de
cette « Meskhent », peau spécificatricê qui garde son empreinte.
« S’il y a renaissance elles réapparaissent, et ce sont elles qui font le lien
avec la dernière existence : Renenoutet comme gardienne de son cycle
terrestre, Meskhent comme matrice en laquelle s’est re-généré, dans la
Douât, l’être qui s’incarnera.
« C’est là ce qu’entendent les textes qui parlent de la « maison-
Meskhent » habitée par le désincarné dans les cieux inférieurs : « maison ou
vase », disent-ils. Et ils précisent encore cette signification : « cette maison
(meskhent), en cette nuit de naissance, est un vase ».
« Ce « lieu de séjour » ou « maison » ou « enveloppe subtile », est cette
Meskhent en laquelle son Moi – inek – doit s’effacer « sans résidus » pour
faire place à son sâh, c’est-à-dire aux Principes essentiels de l’entité
vivante. Cet objectif sera réalisé quand « toute soif sera éteinte » et toutes
« poussières effacées » ; tu comprends, n’est-ce pas, que cette soif est
l’attrait des tendances passionnelles, et que les poussières sont les résidus
hétérogènes du Moi.
« Parvenu à ce point, le sâh peut « s’élever » dans le sekhet-hotep où il
trouvera « l’abondance » spirituelle d’un état supérieur, et où il pourra jouir,
dans la béatitude, des fruits de la conscience acquise. La caractéristique du
sekhet-hotep est la possibilité d’y devenir akh parmi les akhou (esprit parmi
les esprits) ; c’est-à-dire qu’après les épreuves de sekhet-iarou, l’esprit
pourra sortir victorieux des ténèbres marécageuses…
Her-Bak interrompit son Maître :
— Est-il écrit aussi qu’il y retrouvera sa Meskhent ?
— Oui, mais purifiée et plus glorieuse. O Her-Bak, ne te laisse pas
troubler par ces images ; l’éveil d’une conscience supérieure efface les
formes illusoires, les remplaçant par la vision des Causes qui déterminent
ces effets. Ainsi se développe et s’épure la vision du nouvel être, par états
successifs aussi différents l’un de l’autre que le sont les états de
transformation du ver en chrysalide, puis en nymphe, puis en papillon.
Nommerons-nous ces diverses étapes : mondes ? lieux ? ou corps ? …
Chacun d’eux vit de sa vie spéciale, avec les êtres de même disposition, et
ceci constitue « son monde ». Et chaque changement d’état n’est qu’une
épuration, un « dévêtement » successif des formes de transition accumulées
sur Terre et qui obscurcissent sa vision de la Réalité lumineuse.
« Mais écoute encore ce que tu dois connaître de ces cieux inférieurs. La
caractéristique des chemins d’accès du sekhet-iarou est la purification dans
l’eau et dans le marécage ; alors, disent nos vieux textes, le « purifié » y
sera conçu par le ciel comme Sah (Orion) auquel il s’assimile, et c’est
422
Sothis qui sera le troisième élément de cette triade qui conduira
l’heureux sâh vers les sources de vie, nefer, du ciel. Or si tu veux penser
avec Sagesse pour approfondir ces symboles, tu remarqueras que Sah
(Orion) est, avec Sothis, la constellation qui règle les Temps Osiriens de la
Terre et des hommes ; le sâh humain est donc aussi Osiriaque, et devra
renaître sur Terre comme Osiris renaît dans la végétation au Temps du
renouveau.
423
« Observe aussi que Sothis – soped – est la « pourvoyeuse », et que
chacun de ses éléments représente un des deux Principes S H. Elle est donc,
en vérité, la sœur des sâh, auxquels elle donne les facultés Osiriaques-
Isiaques et la nature nourricière qui est la sienne.
« La caractéristique de l’île neserser est la fixation de conscience de ce
qui a nature de terre et de feu ; c’est ainsi que l’on y situe la lutte des deux
feux N, S, qui y justifie le jugement du double cœur (ab-tekh) ainsi que la
présence des Ancêtres terrestres et des animaux terrestres ; on y « devient
fils de Geb » Neter de la terre.
« Il y a cependant, dans la Douât, une autre possibilité, car il est
conseillé « d’éviter les voies d’eau de l’Occident et de choisir les voies de
l’Orient » ; or cela ne concerne plus le chemin d’Osiris, mais le chemin
d’Horus… et ce sera l’enseignement du septième jour.
XVIII

BA ET KA

SEPTIÈME JOUR

Le septième jour, Her-Bak supplia son Maître de lui résumer clairement


les éléments constitutifs de l’homme sur la Terre et dans la Douât. Le Sage
répondit :
— Si je pouvais tout préciser comme en un plan rigide, que t’en resterait-
il ? Des mots, des notions suscitant des images qui ne seront pas conformes
à la réalité. Tu ne peux pas isoler ces « corps » ou ces états, car l’Humain
est un œuf en gestation constante ; les noms que nous donnons à chacun
d’eux ne définissent que des états transitoires, qui, souvent, participent l’un
de l’autre et peuvent alors recevoir un autre nom, de même que la Terre
peut recevoir en même temps la lumière du Soleil et celle de la Lune qui,
pourtant, sont lumière unique.
« J’ai volontairement, pendant ces instructions, parlé de chaque « état »
aux moments favorables à son exposition ; tu pourras relier ce qui concerne
chacun d’eux, mais résiste à la tentation de définir et de séparer, car ton
erreur serait certaine.
FiG. 35. – Ce djed est la base de la stabilité relative, le principe
de toute durée dans le monde Osirien. Le Pharaon lui offre les tissus,
qui l’habillent.

« Ce qui te trouble, c’est la dispersion des sujets, parce que tu cherches à


comprendre en dehors de toi-même. Si tu veux faire une œuvre solide, ne
travaille pas avec le vent : cherche toujours un point fixe, un point ferme
que tu connais ; ce point ferme, c’est toi. Ta forme corporelle est une fixité
illusoire, parce que périssable ; mais ce qui l’a « causée » est une fixité
424
réelle, parce que c’est le djed , le Verbe d’Amon-Râ-Ptah, fixé en toi et
devenu ton propre djed. Ce djed est la base de la stabilité relative, le
principe de toute durée dans le monde Osirien, qui est le monde du devenir
et retour. Or il ne tient qu’à toi d’en faire une fixité éternelle, c’est-à-dire
ton propre djet immunisé contre tous les agents destructeurs.
— O mon Maître, qu’est-ce que ce djet ? Tu ne me l’as point encore
enseigné.
— Pouvais-je parler de la fin avant le commencement ? … Le djet est le
Verbe divin inné, emprisonné au plus profond du corps mortel, puis réveillé,
libéré et devenu ton corps « essentiel », fixe, c’est-à-dire indécomposable.
« Ce réveil est le mystère de nos mystères, concernant le secret de la
résurrection. Aussi n’en parlerai-je ici que pour situer en sa place un
chaînon qui manquerait à l’unification de l’ensemble. Mais si les rites
Osiriens enseignent le moyen d’obtenir ce corps immortel, nous enseignons
aussi « qu’il reste prisonnier de la terre et d’Osiris si Râ ne vient le
délivrer », s’il ne « dénoue les câbles » et « ne délie les nœuds ».
« Ces deux Principes – Râ-Osiris – sont cependant, dès l’origine, les
deux animateurs du djed humain ; nous les symbolisons par les deux âmes
(baoui) de Râ et d’Osiris, enfermées dans le djed matériel. Ce sont ces deux
courants de Vie universelle, dont la source est unique mais qui se dualisent
425
dans la créature, différenciant les deux feux nefer du double djed Osirien
ainsi qu’ils différencient les deux yeux et les deux luminaires.
« Cette dualité est cause de la perpétuité terrestre, des répétitions
d’existence (ouhem mesout) et des interminables kheprou de la voie
d’Osiris. Pour sortir de cet esclavage, il faut que l’âme Solaire absorbe en
elle l’âme Osirienne, et que « l’Universel » soit vainqueur du
« particulier ».
« Tu as deux yeux, Her-Bak ; leur fonction est la vue, maa ; c’est l’effet
d’une profonde Sagesse d’écrire parfois ce mot avec les deux yeux et la
faux qui sépare : car l’image donnée par le regard serait double, si elle
n’était pas réunie dans le cerveau. Or ces deux yeux sont animés par le
double nefer, double feu qui longe ta colonne dorsale ; la lumière de Râ
anime ton œil droit, tandis que ton œil gauche appartient à ton KA Osirien.
Lorsque l’homme s’unit à son KA supérieur, cet œil gauche devient aussi
426
celui de Maât (d’où est issu ce KA ) ; alors peut se faire l’union de Râ-
Maât qui illumine le troisième œil Horien, œil de la vision intuitive ; ainsi
cesse l’action dualisante (la faux symbolique de la vision naturelle), et se
réalise l’union dans la Maât personnelle. Comprends-tu maintenant le
symbole de l’uraeus frontale du Pharaon ?
— C’est le troisième œil Horien ! Cette image symbolise donc une
extraordinaire puissance du Pharaon ?
— Dis plutôt : de l’homme accompli dont le Pharaon idéal est le
symbole. C’est effectivement la Puissance, car c’est la victoire de la vision
réelle sur la vision illusoire ; c’est le KApersonnel instruit et maîtrisé par
son KA supérieur, et la fusion de leur double Conscience.
« Alors – disent les textes – ce KA total, lorsqu’il sera uni à son djet
indestructible, avec l’aide de l’âme deviendra le grand ferment (our-heka),
qui peut subjuguer tous les autres KAinférieurs, s’en nourrir et les
transmuer en sa nature spirituelle.
— Cette réalisation que tu décris se rapporte-t-elle à la vie de l’homme
sur Terre ou dans la Douât ?
Le Maître répondit à Her-Bak en attirant son attention sur l’importance
de cette question :
— Cette réalisation, dit-il, ne peut se parfaire dans la Douât que si elle a
déjà été plus ou moins effectuée dans la limite des possibilités de notre vie
terrestre. Mais remarque ceci : j’ai situé ici, comme un point cen tral, le but
et sommet de notre Humanité. Dans la foule des hommes terrestres, un petit
nombre seulement, devenu « les connaissants », est capable d’y aspirer. Les
autres, ignorants ou restés attachés à leurs instincts, seront encore soumis
aux alternances troublantes de la Terre et de la Douât. Pour ces derniers,
l’ignorance de ce but – qui fait de l’homme le centre de son Monde – rend
incompréhensible le début et la fin, la naissance et la mort, puisqu’ils ne
savent rien ni des éléments qui se sont associés pour faire l’être humain, ni
de la dissocia tion qui termine son existence.
« Si tu veux te connaître, Her-Bak, pars de ton propre état puis reviens à
sa source, et ton commencement t’enseignera ta fin. Ce que tu es
actuellement est la totalisation de la vie Amonienne, parce que tu incarnes
en ton humanité les KA de toute la Nature. Or Ptah, KA de la trinité Amon-
Râ-Ptah, est créateur des corps et des KA de la Nature ; et ce sont ces KA
427
de la Nature qui constituent le KA d’Amon .
— Pourquoi dis-tu le « KA d’Amon » et non « d’Amon-Râ-Ptah » ?
— Parce que, bien que les trois ne soient qu’Un, Amon est cet aspect
Occidental dont une phase est accomplie pour notre Terre ; de même que,
précédemment, le culte de Ptah et l’image de Min symbolisèrent une
première phase d’incarnation. Maintenant se lève à l’horizon l’espoir d’une
aube solaire dont Râ sera le caractère.
« Cette suite cosmique se retrouve dans les phases successives d’une
destinée individuelle. Regarde-toi, toi-même, comme cette statue de chair
qui enferme et cache les multiples aspects de ton être vivant. A ton
commencement, dès ta conception, Khnoum a modelé ton œuf comme il a
modelé l’œuf du Monde ; mais avant que cet œuf eût pris consistance de
corps, il l’avait déjà formé en « essence » avec les Idées de tes membres,
aidé en cela par les Forces en jeu au moment de ta conception. Alors,
428
successivement, il l’enveloppa de peaux ; et chaque repli de ces peaux
reçut la signature de la Force cosmique qui lui correspondait.
— Que dois-je entendre par ces « peaux » ?
— Il ne s’agit pas toujours de membranes, mais d’exsudations de nature
plus ou moins subtile, aérienne, ou fluide, qui sont issues de l’embryon ou
429
de sa mère, c’est-à-dire de la Terre ou du ciel . Chacune est un état, une
atmosphère, une enveloppe ou une peau, qui parfois entoure et parfois
pénètre l’embryon, l’astre ou la graine, selon sa fonction et sa subtilité.
« Que ce soit l’eau amonienne de Nou ou l’enveloppe aérienne d’Amon,
chacune d’elle correspond respectivement au liquide dans lequel baigne
l’embryon, et à la membrane qui contient ce liquide. Une autre enveloppe
430
ultérieurement formée, issue de l’embryon lui-même et par laquelle la
mère lui transmet les humeurs nourricières, correspond à l’atmosphère
lunaire qui entoure notre Terre.
431
« Enfin l’enveloppe extérieure donnera toutes les peaux externes et
internes de l’enfant. Le nouveau-né ne garde à sa naissance physique que
ces dernières peaux matérielles, mais chacun des « états » cosmiques qui
avaient constitué à leur image les enveloppes de l’embryon demeurent dans
l’enfant, devenant les « états » subtils de son être vivant.
« Lorsque tu sauras déchiffrer nos énigmes, tu trouveras d’innombrables
détails sur les rapports de ces divers états avec les organes du corps et les
centres nerveux, ainsi que leur devenir dans la Douât. Je dois ici me limiter
aux stricts exemples nécessaires.
« C’est en la formation de l’œuf-embryon que Renenoutet et Meskhent
viennent jouer leur rôle. Ton nom essentiel te fut transmis par Renenoutet
qui, « en son nom de ton propre cycle et rythme personnel », formula et
berça le KA de ta personne humaine, dont la caractérisation a son siège
432
dans le foie . Meskhent est cette « peau de renaissance » qui rapporte, par
l’entremise de la mère, la forme qui sera l’Ombre du KA spirituel, comme
la Lune est l’ombre du Soleil. Or sache que cette forme a son berceau dans
la rate où se génère le sang blanc d’Osiris, tandis que le sang rouge se forme
433
dans le foie , mais vient se vivifier dans le hati (poumons et cœur), où se
fait son animation par nefer, la vie d’Amon-Râ. Ainsi devient l’âme
« sensitive » (ton BA animal) transportée par le sang. Ton cœur, ib-hati, en
est le siège, centre émotif intermédiaire entre ton KA divin et ton KA
inférieur.
Her-Bak aurait voulu classer chaque notion…
— O combien il est difficile de discerner les divers aspects du KA !
— Tu as dit le mot juste : les divers aspects, car leur diversité n’est pas
dans la source ou la Cause, mais dans les effets. Si tu reflètes la lumière
solaire en plusieurs miroirs faits de métaux différents, cette lumière prendra
une couleur et des qualités différentes selon le miroir qui la reflétera. Ainsi
chacun des KA entités issus de la source unique de Maât, se caractérise en
l’homme qui l’incarne par la signature des forces vitales – ou kaou naturels,
organiques et instinctifs – qu’il y rencontre, et par la conscience innée de
434
tekh ; enfin, quand il y a réincarnation, par la Meskhent et Renenoutet
qui rapportent les inscriptions précédentes et la destinée, chaï, qui en
découle. L’homme ignorant de son monde spirituel n’a que peu ou point de
rapports avec son KA divin ; son KA personnel est réduit à la totalité de ses
kaou inférieurs, et il deviendra après sa mort son Ombre khaïbit. Mais la
recherche des mobiles spirituels, et le développement de sa conscience,
modifient la qualité de ce KA jusqu’au moment où, par l’éveil des facultés
spirituelles, il entre en contact avec son KA divin ; alors il diminue
proportionnellement la tyrannie de son KA inférieur.
« Telle est l’expression la plus simple que je puisse donner sur la réalité
du KA. J’ai dû la préparer par de nombreuses répétitions d’explications
préliminaires sur les Forces qui s’y rapportent, faute de quoi les termes
mêmes de cette définition pourraient être traduits en erreurs.
Her-Bak, rasséréné, s’écria :
— Certes, je le comprends ! il n’est donc pas possible, dans l’existence
humaine terrestre, de délimiter nettement les divers aspects de ce KA
puisqu’ils participent de toutes les activités de l’être.
— Il est l’agent de la conscience du tekh, témoin constant des
transformations de l’être ; il est la personnalité inscrite dans le foie et signée
dans la peau par Sechat ; il participe des réactions émotives du hati et des
KA de son corps animal ; il est nourri par les kaou des aliments, et enrichi
435
par le double nefer . Il donne la puissance sa, qui n’est pas autre chose
436
que son expression énergétique tandis que l’expression de sa Conscience
divine – ou connaissance – est sia.
Her-Bak dit :
— Je comprends maintenant ce que l’homme peut acquérir pendant son
existence ! Mais que deviennent, à sa mort, ses diverses « enveloppes » ou
« milieux d’inscription » ?
— C’est à ce moment qu’elles se différencient, selon l’état où les
abandonne le défunt, khaïbit se précise en se dégageant comme l’Ombre, ou
forme impure du KA individuel. Nous disons « impure » dans le sens de
double nature, donc non homogène, donc destructible ; car, tout en tenant
de l’Esprit, elle est affectée par le corps en ses affinités instinctives non
épuisées.
« Elle garde les impressions de la soif « envieuse » Sethienne et de la
soif exaltante du ab. Elle tient à la fois du germe héréditaire incarné par la
mère dans la rate, et de la « forme » personnelle imprimée par l’hérédité
437
paternelle et par l’incarnation personnelle dans le foie . Le premier
aspect, transmis par la mère, sera exprimé par les réactions émotives du
cœur-hati, et inscrit dans le cœur-conscience tekh ; c’est pourquoi il est
écrit, faisant allusion au mystère du tekh : « ô mon cœur de ma mère, tu es
le KA de mes kheprou… » Ce cœur-conscience est en effet le témoin
permanent de l’expérience vitale dans les existences et transformations d’un
homme. Le deuxième héritage, paternel et personnel, pénètre toutes les
cellules de l’être et s’en dégage après la mort en gardant la forme du corps.
« Cette double nature constitue khaïbit. Dans le cas de l’homme normal
elle dure autant que le corps charnel du cadavre. Mais l’être devenu maître
de son KA se libère plus rapidement de cette Ombre, puisqu’il a épuisé ses
affinités instinctives qui l’en rendaient esclave. Nos textes sont remplis des
détails du « devenir » du corps émotif supérieur.
« C’est alors que l’on peut parler de la libération du djet, qui est le corps
des Fonctions – ou des Neter fonctionnels – devenues conscientes dans
l’homme, de telle sorte que celui-ci peut dire en vérité : « Mes cuisses sont
comme Nout… Mes pieds comme Ptah… Je suis Nout en son nom de… »,
etc.
Le disciple retenait son souffle, stupéfait.
438
— Est-ce donc là ce mystérieux djet ?
— C’est l’aspect que je puis t’en révéler aujourd’hui. Son nom devrait
éveiller l’attention : djed signifie parole, donc Verbe ; chaque fonction
n’est-elle pas un Verbe, un Neter fonctionnel ou attribut de la grande Cause
créatrice ? djet, conscient de tous ces djed, est le maître de ces Neter
comme l’affirment nos textes :
« Lorsque l’homme a délié son propre Neter », il devient « émetteur »
comme Ptah et fait l’œuvre de « ceux qui sont dans leurs antres », c’est-à-
439
dire qu’il participe à l’œuvre des Puissances Cosmiques , mais avec la
conscience acquise de l’Homme divin cosmique.
— Si j’ai bien compris, conclut Her-Bak, cet aspect est la réalisation de
l’Horus humain ?
— Oui, si tu considères qu’il ne s’accomplit pas en un moment, mais
qu’il s’effectue par un patient tissage de l’âme Horienne dans le corps
Osirien.
Her-Bak eut un sursaut de surprise.
— Tu emploies le mot « tissage » : est-ce l’explication de ces fameux
tissus que les anciennes stèles mentionnent souvent ?
— C’est, en effet, une de leurs significations. Tu comprendras aussi le
440
sens du symbole chems appliqué aux « Suivants d’Horus » : sa pointe
recourbée représente, lorsqu’elle est détaillée, une tête de faucon ; et le
corps de ce signe est le tissage du fil, qui est Horus Universel, Verbe du
divin Râ, prenant conscience et possession de l’être humain en lequel il
« tisse » l’Horus humain. Ainsi il s’incarne dans les hommes en apportant
l’animation suprême à ceux qui y sont disposés.
— On donne beaucoup de noms à Horus…
— … autant que d’états transitoires entre sa qualité divine d’animateur
universel, et sa réalisation dans l’Homme accompli. C’est ainsi qu’on le
nomme Hor l’Éloigné, en tant que principe Horien en état de devenir. On le
nomme Hor remet.t (celui des hommes), comme « étant issu des membres
de l’homme », en lequel il accomplit ses luttes contre l’ennemi (la
personnalité Sethienne). C’est lui qui acquiert la conscience de ses membres
et de ses fonctions, sur Terre d’abord, puis plus difficilement dans « l’île »
neserser.
« L’ennemi d’Horus est ce qui résiste à la poussée libératrice ; c’est ce
qui retient les tendances égocentriques ; c’est le principe de cohésion des
éléments constitutifs du « Moi » (inek) qui s’opposent au confon-dement
avec la conscience universelle du KA divin. Lorsque cette résistance est
vaincue, la personne est soumise à la Raison divine du KA supérieur ; c’est
l’union consciente des deux KA, qui éveille la Raison humaine supérieure :
celle qui permet le rapport de la connaissance intuitive avec les « notions ».
« Ce que je viens de dire concerne la maîtrise de l’être spirituel, l’autre
partie de l’être étant le centre fixe qui devient le djet ; celui-ci, purifié
comme je l’ai déjà dit, sera le point d’appui de la résurrection, et le ferment
qui pourra fixer l’être spirituel dont je viens de parler.
« Alors se réalisera le divin ouât, l’Unité recomposée, telle « l’Étoile
441
Unique » – ou plutôt unifiée – qui réunit en elle le double nefer et
accompagne Râ à son lever ainsi qu’à son coucher. Cet être accompli,
accroissant toujours sa Lumière, peut enfin devenir indépendant et radiant
442
par lui-même comme un divin Soleil indestructible .
— Il n’y a donc point d’absurdité dans les textes qui montrent le défunt
comme une étoile au ciel ?
— Ce qui est absurde, c’est de mépriser ces textes parce qu’on ne sait
pas les déchiffrer !
— Mais puis-je encore demander quel est le siège de l’Horus en moi-
même ?
— Ne t’ai-je pas assez montré que, dans son accomplissement, il est ton
443
âme BA devenue peu à peu consciente par ton KA incarné .
« Nos textes te disent « qu’il s’élève de tes vertèbres » c’est-à-dire du
double feu nefer qui les anime, « qu’il anime ton cœur spirituel », « qu’il
ouvre ta bouche et tes yeux » (c’est-à-dire tes sens intérieurs) à la
perception du Réel… « qu’étant réalisé en toi », et qu’enfin t’ayant
« dépouillé de tes noms passagers, et libéré de l’humanité qui est dans tes
membres », il « révélera ton vrai visage » (her maât) c’est-à-dire la face de
ta Maât, et « fera de toi un des KA d’Horus Universel » (une entité de
l’Homme cosmique).
« Mais de même qu’Horus, fils d’Isis et d’Osiris, subit de nombreuses
épreuves et retrouve, étape par étape, sa puissance, de même lui arrive-t-il
444
en l’Humain : les « Suivants d’Horus » qui le tissent en eux-mêmes ,
c’est-à-dire l’incarnent peu à peu en leur être inférieur, comme la trame fait
un corps de tissu à la chaîne par la circulation de la navette.
*
**
Le disciple réfléchit en silence, puis il dit :
— Cet enseignement est plus qu’une explication ; c’est un programme
pour arriver au but réel de l’existence !
« Mais qu’advient-il au défunt peu avancé dans ce chemin ?
— Il subit les longues épreuves de la Douât. Lorsque son « Moi » (inek)
est assez épuré pour devenir un sâh, il attend, dans la béatitude relative des
cieux inférieurs, le moment de sa renaissance, soit spirituelle soit phy sique.
Sa demeure est sa meskhent, dont je t’ai expliqué précédemment le sens, car
c’est elle qui conserve les souvenirs de sa conscience acquise et les images
de ses aspirations émotives et spirituelles ; c’est ce que signi fient les
tableaux représentant la vie du défunt dans l’autre monde comme un reflet
de son existence terrestre.
« S’il y a réincarnation, c’est cette Meskhent qui « rapporte » le KA qui
avait été libéré par Sekhmet.
« Je répète ce que j’ai dit au début de cette instruction : c’est la difficulté
d’exprimer en termes concrets des états d’esprit et de conscience, qui a
nécessité l’emploi de tant d’images et de symboles. Ces images
s’approchent plus de la réalité que les froides définitions.
445
« Le symbole des « peaux de renaissance » qui conservent dans la
Douât la dernière conscience de l’être et la transmettent en ses futures vies,
446
est exprimé par l’image du mot naissance, mes , qui dessine trois peaux
de chacal liées par le signe du placenta : trois peaux, autant que
« d’enveloppes » effectives… sur lesquelles je ne puis m’étendre davantage
dans ce bref exposé.
« Dans le vieux texte qui, parlant du rôle de la Meskhent, dit : « Cette
maison, en cette nuit de naissance, est un vase », le mot vase est aussi juste
que « peau », il en confirme et en précise le sens.
Après un instant de silence le Sage dit encore :
— Je ne te donne ici que les éléments essentiels pour comprendre les
écrits de nos Maîtres ; je dois y ajouter une clé, qui est la manière dont ils
ont exprimé l’Harmonie et l’identité de fonctions entre les Mondes visibles
et les Mondes invisibles.
« Ils ont nommé « Impérissables » les constellations avoisinant le point
fixe du ciel (pôle), et qui sont toujours visibles dans la nuit. Parmi elles sont
Meskhent (ou Meskhetiou, Grande Ourse) et l’hippopotame qui s’appuie sur
le poteau d’amarrage (point qui fixe le bateau), c’est-à-dire la menit
(stabilité). Ils assimilent Meskhent aux cieux inférieurs, où s’effectuent les
kheprou et se préparent les renaissances…
« Sois convaincu, mon fils, que les similitudes de mots et le jeu de leurs
lettres peuvent révéler le sens profond de ces mystères de la Douât ! Le mot
Sah (Orion), nom de la constellation voisine de Soped (Sothis), est très
proche du mot sâh, état des « bienheureux », « suivants d’Osiris ».
« Ces trois constellations (Meskhetiou, Menit, Sah) ont chacune sept
étoiles principales, nombre de toute manifestation terrestre Osirienne. Mais
tandis que Meskhent et Menit restent toujours visibles, contournant le point
fixe du Nord de notre ciel, Sah-Orion paraît et disparaît ; il accompagne
Soped-Sothis sur la rive Sud du Grand Fleuve (bande zodiacale) ; il se lève
au début de notre ciel d’hiver et il est dans le ciel nocturne à l’époque des
447
fêtes Osiriennes de Khoïak (décembre) se trouvant en opposition avec le
Soleil.
« C’est donc avec sagesse que nos Maîtres ont assimilé Sah-Orion à
Osiris, puisque le cycle annuel de Sah-Oiion correspond comme dates aux
renpout – ou cycles – d’Osiris, qui règlent la vie végétative de la terre selon
l’éloignement ou le rapprochement du Soleil.
448
« L’histoire de ces renpout (cycles ) est l’histoire Osirienne du Monde
449
depuis la création des Types primordiaux, les paât , selon qu’il est écrit :
« O passeur du champ des paât, passe-nous rapidement vers la terre sma (où
se créent les formes) de ce champ où furent créés les Neter, en leurs jours,
au début des renpout. »
« Le défunt sâh est soumis aux alternances de ces cycles-renpout, comme
Sah-Oxion, dans le ciel, suit les Temps Osiriaques. C’est pourquoi il est dit
« qu’il est conçu avec Sah-Ovion à l’Occident, et enfanté avec lui à
l’Orient ».
« Ces alternances des états Osiriens sont les passages successifs des
ténèbres à la lumière : les séjours dans l’obscur Amenti (Occident), et la
« renaissance au jour ». Mais cette renaissance nécessite une base de
« rappel » que nos Maîtres ont assimilée aux étoiles « Impérissables »
(circumpolaires) : Meskhent (Grande Ourse) et Menit (Petite Ourse),
compagnes du centre fixe (pôle). Ces constellations s’identifient :
1° avec le principe de perpétuité qui conduit les effets à de nouvelles
causes, et qui ramène la « peau » ou « vase » de souvenirs-consciences –
Meskhent – à la renaissance déterminée par les affinités avec le KA de son
sâh.
2° avec le principe de stabilité (mnt) d’un autre de nos symboles : la
cuisse (menet) d’Osiris, dont l’eau de revivification permettra la
renaissance et le redressement de son djed.
3° avec le principe de stabilité signifié par le poteau d’amarrage, meni,
qui réattire les KA vers l’affinité de leur djed terrestre, ou de leur djet
spiritualisé.
« Remarque aussi, pour compléter cette clé, les similitudes de mots qui
confirment cette unité de pensée : menit est aussi le port où revient se fixer
le bateau ; menet est encore l’hirondelle, oiseau migrateur qui s’éloigne de
son nid pour obéir aux cycles des saisons et y revenir l’année suivante.
« Enfin, étudie encore le symbole du djed, la colonne d’Osiris, qui fait
parfois allusion à la fin de ces alternances en inscrivant, dans ce pilier, les
deux yeux surmontés d’un unique nefer à la place du troisième œil.
Un long silence régna, puis Her-Bak dit au Maître :
— Si j’ai bien compris tes paroles, la voie Horienne dont tu as parlé
précédemment apparaît comme le progrès, puis le terme, de la voie
Osirienne qu’il amène à la délivrance ?
Le Sage répondit :
— C’est la prédominance du Soleil divin qui le fait triompher, selon la
parole sacrée : « il faut marcher sur les voies d’Orient, pour suivre Râ et
non point Osiris »… car « celui qui s’attache à sa maison de terre » mourra
encore… celui qui s’en détache et cherche Horus-Râ, est délié par lui ; Râ
ne le remet pas à Osiris, afin qu’il ne meure plus. »
FlG. 36. – La renaissance et le redressement du pilier djed.

Le disciple fixait sur son Maître un regard de reconnaissance ; il lui dit


d’une voix émue :
— Bien que tu m’aies comblé en ces sept jours, mon cœur m’incite à te
poser une dernière question : l’homme est-il pour toujours condamné à
suivre ce long chemin du dégagement des « enveloppes », c’est-à-dire des
purifications ?
Le Sage hésita quelque temps, puis il répondit gravement :
— C’est en effet la dernière question…
« IL EST VRAI qu’il y a intention de perfection contenue en la première
450
Création. Et c’est là le mystère de PHorus-Rédempteur .
« Le temps de sa révélation n’est pas encore venu. Mais rien ne
t’empêchera d’en rechercher la voie individuellement…
« Et sache, mon fils, que tu ne peux trouver de plus haute science sur
notre Terre.
TROISIEME PARTIE

XIX

LE LEGS DE L’EGYPTE

A l’heure matinale de l’instruction quotidienne, la fougue d’Her-Bak se


sentit dominée par l’immobilité impassible du Sage. Le silence du Maître
imposa peu à peu sa sérénité au disciple, éliminant toute onde divergente
entre les deux statues assises face à face. Et le regard du Maître enveloppait
Her-Bak, le scrutait, le sondait au-delà de la forme corporelle, rayon de
lumière dans une eau transparente. Les yeux à demi clos, il contemplait son
œuvre comme un sculpteur contrôle son ébauche avant d’en modeler les
lignes définitives.
Sans doute l’examen ne fut-il pas alarmant, car le front soucieux du
Maître se détendit ; le reflet de sa sérénité apaisa le cœur du disciple.
Questions et réponses muettes affirmèrent la foi commune… Un intime
confondement effaça la distance entre l’expérience de « l’Ancien » et la
confiance du néophyte. Leur destin fut scellé en pacte silencieux. Et Sechat
put enregistrer la conjonction bénéfique de deux étoiles.
Alors le Sage dit :
— O mon fils, te voici parvenu à la première étape du grand chemin ;
certes, ce ne fut pas une phase héroïque : il est aisé de recevoir, il est plus
difficile de faire valoir avec gratitude ce que l’on a reçu. Nous t’avons mis
en main les clés élémentaires ; ces clés ouvrent les portes de plusieurs
sciences précises, cachées sous nos symboles, il ne tient qu’à toi d’aller vers
elles par ton propre travail.
Her-Bak fut envahi d’un véritable effroi.
— Maître, tes conseils me sont indispensables ! Seul, que pourrai-je
faire ? …
La voix ferme du Sage répondit :
— Nous contrôlerons tes recherches ; trouve d’abord les « portes » ;
prouve ton discernement et ton respect pour l’éternelle Sagesse. Ensuite
nous pourrons t’ouvrir nos trésors.
Le visage du disciple révélait une lutte violente… Il en triompha
rapidement, comprenant l’intérêt passionnant de cette conquête ; il dit :
— Maître, les conditions posées sont équitables ; acquérir sans effort
personnel est une usurpation, et je comprends que ces trésors exigent une
sélection. Je veux gagner cette Sagesse, je ne veux pas la capter. Je
travaillerai, sans jamais oublier d’où me viennent les éléments de base.
— Alors, cherche en paix, mon fils, tu trouveras ; autrement la Lumière
s’éteindrait devant l’ingrat.
— Ai-je un dernier conseil à recevoir quant à la méthode de recherche ?
— Tu as compris toi-même la première condition du succès ; la
deuxième est celle-ci : que ton souci constant soit d’éveiller ta conscience
supérieure, ta divine Maât, car en elle est toute Connaissance. Si tu ne la
reconnais point, il ne te restera comme moyen d’investigation que tes
facultés cérébrales ; si ta pensée rationnelle est ton seul guide, elle te
conduira vers une philosophie du néant.
« C’est pourquoi nous avons toujours évité de donner au peuple une
formation intellectuelle qui ne soit pas de sa nature. Mais si quelque enfant
du peuple témoigne de facultés plus intuitives, aucune porte d’entrée ne lui
est fermée.
« Nous devons alors agir avec prudence et ne pas le perdre de vue. Si
cette « vision du cœur » ne s’éveille pas chez lui, il travaillera selon ses
possibilités sous notre surveillance, comme tu l’as constaté dans les
différents lieux d’enseignement extérieur. Car toute façon de penser est
admise dans un état théocratique, qui finalement, par sélection, est gouverné
par l’élite du peuple.
« Si, sous l’influence des textes et des symboles, l’Intelligence du cœur
s’illumine, son chemin sera largement ouvert et sa pleine liberté acquise.
— N’y eut-il pas, dit Her-Bak, des périodes où ce choix fut rendu
impossible par l’indépendance totale du peuple ?
Le Sage répondit :
— Il y a eu – il y aura encore – ces crises de volonté égalitaire dont le
résultat est toujours vulgarisant : le goût de la perfection se tarit, les Sages
sont réduits au silence, l’élite peu à peu s’épuise… jusqu’à disparaître.
« Alors survient la phase vraiment noire, parce qu’il n’y a plus d’élite et
que le peuple veut construire sans connaître les bases. Il cherche
sincèrement à réorganiser sa vie : sans ces bases il ne peut procéder que par
essais ; les tentatives infructueuses accentuent sa misère et forment sa
conscience. Cependant c’est le peuple qui suscitera, par degrés, la formation
de la nouvelle élite, car lui-même appellera des chefs de « qualité ».
« Et le nouveau Temps ne ressemblera jamais au Temps passé, parce que
cette élite naît de nécessités nouvelles.
Her-Bak répliqua :
— Cela semblerait dire que le Mal est nécessaire au Bien ?
— Le peuple, comme l’individu, forme sa conscience à travers les
épreuves. Quant à organiser avec stabilité, cela ne lui est pas possible si
ceux qui connaissent les lois de l’Harmonie n’établissent pas les fondations.
— Le clergé, qui prétend posséder ces bases, n’a-t-il pas abusé de son
pouvoir ?
— Ce n’est pas le clergé qui détient les clés fondamentales ; il accomplit
les rites, il assure le maintien des traditions, il assume toutes les charges
religieuses et funéraires. Il exécute.
« Les plus sages des prêtres participent à certaines études de hautes
sciences ; les clés suprêmes ne sont jamais entre leurs mains. Ceux qui
possèdent les clés doivent être indépendants de toute autorité ; car la
Sagesse – ou science de l’Harmonie universelle – doit guider tous les autres
pouvoirs pour empêcher les abus et maintenir l’harmonie chez les hommes.
— N’est-ce point le rôle de Pharaon ?
— Tu ne connais pas encore le rôle de Pharaon. Nous reviendrons sur ce
sujet. C’est maintenant « le jour » de résumer le but et le mode de notre
enseignement…
*
**
« Nos Maîtres sont venus pour accomplir l’œuvre de reconstruction, dans
un noyau isolé au milieu des déserts afin que rien ne vînt contaminer ce
« petit Monde », généré à nouveau.
« Ils ont dit au désert : « Tu es notre frontière, la « Rouge de Seth »
hostile à toute vie. »
451
« A la montagne aride ils ont dit : « Tu es le mal (djou ), nul ne doit
chercher à te franchir pour quitter notre terre. »
« Ils ont dit au grand fleuve : « Tu es le bienfaiteur ; tes sources sont au
ciel et dans les abîmes de la terre, et nous vivrons de toi. »
« Ils ont dit au limon : « Tu es la terre noire, et tu seras l’aimant du ciel et
de tous les Neter. »
« Ils ont dit au ciel : « Tu es notre taureau fécondateur et notre vache
nourricière. Tu es notre patrie ; tes régions sont les lieux de pèlerinage de
nos âmes. Lorsque viendra le jour « de s’unir à la terre », nos âmes
remonteront en compagnie des grandes âmes et ne s’y trouveront point
dépaysées, car notre royaume sera formé à ton image : tes chemins seront le
plan de nos chemins ; tes mouvements régleront notre existence ; ce qui est
en bas sera comme ce qui est en haut. »
« Ils ont dit aux humains : « Vivez avec le ciel et avec la Nature, car la
connaissance de la Nature vous donnera la connaissance du ciel ; votre nom,
votre cité, est comme la Nout d’en haut, ne cherchez pas à vous en éloigner
car elle est de votre nature. Faites pour elle ce qu’elle fait pour vous :
nourrissez-la de votre labeur comme elle vous nourrit de ses grains… et
vous ne connaîtrez point la détresse. »
« Ils ont dit aux mortels : « Ne craignez pas le jour « où l’on passe à son
452
KA », si vous avez vécu pour posséder votre KA sur la Terre. Le mal
survient à l’insensé qui vit pour son ventre et son sexe ; mais celui qui
cherche le Neter retournera vers lui. Chaque pays a ses Neter ; les Neter de
votre cité sont ceux de votre propre nature, mais au-dessus de ces Neter est
le Neter qui est en l’homme ; par sa connaissance, l’homme devient maître
des lieux, des chemins et de toutes choses. »
« Ils ont dit aux travailleurs : « Cherchez le geste parfait en tout labeur, et
pour chaque labeur le chant qui lui convient ; et votre peine se changera en
joie. »
« Ils ont dit aux techniciens : « Thot a situé une balance qui donne
l’équilibre sur la Terre. Celui qui la connaît sera maître de la matière.
Toutes choses fabriquées, belles par leurs mesures, prouvent la maîtrise de
celui qui les a composées.
« Toute œuvre doit être l’expression du Nombre, de la Mesure et de la
Qualité. Monument, statue ou objet, l’œuvre parfaite est une initiation, donc
un honneur et sa propre récompense. Mais la gloire en revient aux Maîtres
qui nous ont légué cette Connaissance, aussi serait-il injuste d’y inscrire le
nom de leur exécuteur. »
« Ils ont dit aux chefs : « Chacun de vous représente un mode d’autorité
dont le principe est à l’image d’une puissance naturelle, qualité
fonctionnelle ou Neter. Vos sceptres, bâtons et insignes en seront les
symboles ; connaissez-les et exercez l’autorité dans la limite exacte de cette
453
fonction. Le heqa sera le ferment du peuple qu’il gouverne ; tel il sera,
tel deviendra ce peuple : qu’il se connaisse donc lui-même.
454
« Le porteur du kherp devra conformer la justice humaine à la justice
divine de Maât : qu’il prenne conscience des deux.
455
« Le porteur du bâton commandera le travail pour lequel il a la
« parole » ; qu’il dirige et châtie comme il est nécessaire pour éviter toute
déformation. Ce bâton sera son honneur ou son propre châtiment. »
« Ils ont dit à eux-mêmes : « Nous serons un modèle pour les autres pays
et pour les générations futures. Si nous nous conformons à l’Harmonie
divine nous n’aurons rien à craindre des étrangers ni des envahisseurs : ils
seront obligés de s’adapter à nous ; car les hepou, les Lois Universelles,
sont plus puissantes que les décisions arbitraires des hommes. »
Le Sage se tut. Her-Bak dit à son Maître :
— Tout ce plan est grandiose, mais les hommes sont faibles et le peuple
ignorant… Comment l’application de ce programme a-t-elle pu se réaliser,
et subsister malgré toutes les crises ?
Le Sage répondit :
— Ce qui détourne l’homme de la justice, c’est la violence de ses
passions : cupidité, plaisirs du corps, ambition, vanité de l’œuvre
personnelle. Il est faux de vouloir supprimer la passion ; il est sage de la
diriger dans le sens d’intensité de vie.
« Il est bon d’atténuer la cupidité en supprimant son objet : nous avons
diminué les causes de l’envie en réduisant les besoins de la vie quotidienne
et le luxe personnel – même pour les chefs et pour le Pharaon – aux strictes
nécessités de l’existence, de l’exercice des fonctions et du prestige de
l’autorité. Le luxe du décor fut concentré sur les images, les temples et le
culte de la Divinité ; sur la représentation symbolique des Neter et des
Pharaons, sur les objets initiatiques, et sur le culte funéraire.
« Quant aux plaisirs du corps, il est vrai que « tout mal vient à
l’intempérant par son ventre et son sexe » ; mais il est vrai aussi que la
sobriété imposée provoque la réaction passionnelle : les réjouissances
populaires, dans certaines fêtes liturgiques, autorisent périodiquement la
libération des instincts.
« L’ambition est un stimulant que nous rendons inoffensif, car les postes
directeurs responsables de l’harmonie, de la tradition, et de la perfection
des techniques, sont inaccessibles au favoritisme.
« La vanité de l’œuvre personnelle est transformée en fierté légitime du
technicien quant à sa connaissance des règles, des canons, et du « geste
essentiel ». La grandeur d’une œuvre est proportionnelle à sa conformité à
l’œuvre Cosmique ; elle sera parfaite si elle est symbole parfait.
« Vus sous cet angle, toute fantaisie personnelle apparaît comme un jeu
puéril sans valeur et le génie humain comme une vision du Réel. Ainsi la
vanité de l’individu devient vaine : nous ne lui offrons pas d’aliment ! Nous
savons que tout vient du Ciel ; c’est le Ciel que nous glorifions en disant :
« J’ai réussi en toutes choses, car j’ai agi selon Maât. » Mais nous ne le
chargeons point de nos turpitudes et, pour réparer leurs dommages, nous ne
comptons que sur nous-mêmes !
« Les astres nous révèlent les tendances des hommes : nous leur
obéissons. Il y a plusieurs aspects du KA en chaque individu ; chacun d’eux
ne répond qu’à ce qui l’intéresse : l’homme-animal travaille pour son ventre
et pour son profit ; l’homme supérieur cherche sa nourriture dans le monde
des âmes et des Causes ; il se sustente de Maât.
« Ne demande pas au chien de comprendre le Ciel ! Mais il te servira
pour recevoir sa pâture. Si toi, qui es un homme, tu donnes la prédominance
au souci de ta subsistance, tu perdras la science du Ciel.
« L’homme est un petit monde ; la connaissance de lui-même le rend
conscient d’être à l’image du grand Monde. Cette conscience développe le
sens de l’Universel : ainsi avons-nous élevé le regard de l’homme vers le
Neter ; et le Neter est descendu vers l’homme qui était devenu son aimant.
« Rien ne sert de prêcher aux hommes la Sagesse : il faut l’instiller dans
leur sang. Car le sang est le support de l’âme sensitive ; les yeux et les
oreilles sont les fenêtres de l’âme, il faut donc surveiller ce qu’elles lui
communiquent.
« Ce n’est pas ce que la raison apprécie, juge, accepte ou refuse, qui
s’imprime dans l’être humain, mais la vision quotidienne des objets,
l’audition des mots et des noms familiers.
« Le rapport qui s’établit entre le nom et la nature de la « chose », entre
sa forme et sa fonction, c’est cela qui se grave dans le cœur comme
définition vivante de cette chose. Si le nom et la forme de l’objet
correspondent à sa « vérité », les perceptions des sens cultivent l’homme
selon Maât ; s’ils sont arbitraires, l’œil et l’oreille inscrivent en lui des
erreurs.
« Ainsi furent établis – et modifiés périodiquement pour correspondre à
chaque Temps – les formes, les mots et les noms…
« Ainsi nous avons accompli Maât.
*
**
« Heureux celui qui pourra dire : « J’ai passé ma vie à observer le Ciel,
c’est-à-dire les lois de Maât » ; l’homme passe, mais le Ciel demeure. Toute
vérité est en lui. L’histoire personnelle de l’individu n’est pas intéressante
pour la postérité, car le destin d’un homme ne vaut que pour lui-même.
Mais si son nom, son rythme et son mode d’action sont en accord parfait
avec le rythme de son Temps, ou d’une phase déterminée, alors son nom
pourra servir de base pour un thème d’enseignement ; ce sera l’histoire d’un
nom et d’un moment d’une genèse, sans souci d’un récit personnel.
« Nos généalogies sont des relations de principes ; elles relatent
l’évolution d’une époque, non des individus. Mais nous veillons pour que
soient assurées, dans les époques importantes, les filiations correspondant à
la Nécessité du Temps ; car les rois doivent en être les prototypes
accomplis.
« Pharaon est un « ferment » : notre devoir est de garder l’intégrité de ce
ferment. Il n’est point en ceci d’autre morale que ce devoir qui dépasse le
jugement des profanes. Nous connaissons les lois de transmission du sang
et de l’incarnation des âmes ; et nous disposons toutes choses dans ce but.
« Ainsi nous avons obéi, en tous les détails de la vie, aux règles établies
depuis les anciens Temps ; et nous obéirons jusqu’à la fin de notre mission
sur la Terre. »
XX

PHARAON ET SAGE

Sur le flanc oriental de la montagne thébaine, Lui et le « compagnon »


gravissent en silence le sentier caillouteux qui contourne le pied de la Cime.
Ralentissant le pas, le Maître met sa main sur l’épaule de son disciple :
— Te souviens-tu, mon fils, du double événement dont ce pèlerinage
marque l’anniversaire : la première ascension de Pois Chiche vers la Cime,
puis la présentation d’Her-Bak à son Roi ?
— Me serait-il possible d’oublier les instants qui ont déterminé mon
orientation ? Mais, en les évoquant, j’éprouve quelque gêne à m’en féliciter
comme de résolutions méritoires : car, en réalité, qui donc est responsable
de cette décision ? … Dans ces deux occasions, qui fut maître du choix ? Ta
lumière n’a-t-elle pas éclairé mon chemin ? Aurais-je pu m’y dérober ? …
« J’ai souvent l’impression que ma volonté est un leurre, et que ma
décision est une acceptation dont je suis le témoin impuissant.
Le Maître s’arrêta comme sous un choc imprévu :
— Voici enfin une parole qui te donne le droit de parler de conscience !
Toi, Her-Bak, apprécies-tu la valeur d’une telle compréhension ?
« L’erreur la plus commune aux hommes est de croire à leur liberté. Ils
subissent les impulsions, dont ils sont les esclaves aveugles parce qu’il n’y
a point en eux de témoin pour le constater.
— Cette constatation n’est pas encourageante, puisqu’elle nie la valeur
de l’effort volontaire !
— Le sujet est trop grave pour jongler avec des paroles ; la routine te
trompe sur le sens de ces mots : effort et volonté. Ta volonté n’est pas
constante parce qu’elle est loin d’être unique : elle est multiple, comme le
sont tes forces animales et les diverses puissances de ton KA inférieur.
« Chacune de celles-ci est capable d’efforts pour réaliser son but
particulier ; chacune d’elles obéit à mille contingences dépendant de ton
monde intérieur comme des conditions extérieures ! L’animal aussi est
capable d’efforts pour réaliser ses envies ; tes buts « intelligents », les
volontés « raisonnables » de ton moi, ne sont pas moins relatifs que tes
volontés animales… A laquelle de ces volontés donnes-tu la valeur réelle
dans ce que tu dénommes « effort volontaire » ? …
Her-Bak hésita quelque temps, refusant tous les faux-fuyants. Il répondit
enfin :
— Alors je n’en vois qu’une seule qui mérite ce nom : c’est la volonté de
mon KA supérieur, ou de ce qui, en moi, me sert d’aimant pour l’attirer.
Le regard d’Her-Bak supporta sans faiblir le regard ému de son Maître.
— Ta réponse, mon fils, témoigne de la présence de cet aimant…, et cet
aimant est le témoin dont la présence qualifie ta volonté ! Or si c’est ce
témoin qui choisit, si c’est lui qui ordonne, tu peux dire : « Je fais, je
décide, je veux » ; sinon tu es poussé, tu exécutes, sans pouvoir discerner
l’origine de tes impulsions – personnelles ou étrangères – dont tu te fais
inconsciemment le serviteur.
— L’aimant que tu nommes « témoin », c’est mon désir !
— Le mot désir est vague et trop sujet à l’illusion. Le témoin, en toi,
c’est la Conscience générée par un contrôle impitoyable sur tes différents
« moi ». A proprement parler, c’est Véveil de la Lumière innée dans laquelle
toute impulsion, toute parole, toute action, perdent leur artifice et
démasquent nécessairement leur véritable intention.
— Cet éveil est passager : quand la lumière s’obscurcit, on perd – pour
quelque temps au moins – son souvenir…
— La Lumière ne peut pas s’éteindre, mais l’homme peut dormir et
l’ignorer. C’est pourquoi ce « réveil » est le but continu du disciple.
Lorsqu’un homme, par quelque choc, est soudain réveillé de sa torpeur, il
peut, avant d’y retomber, apercevoir la différence entre l’esclavage de ses
multiples volontés anarchiques, et l’intérêt vital de pouvoir, en connaissance
de cause, les coordonner…
« Et cette lueur de conscience devient – si tu sais par concentration la
456
fixer – l’aimant de ton témoin immortel : ton KA divin. Or ce divin
témoin suscitera en toi la nécessité – c’est-à-dire le désir – d’éprouver de
plus en plus fréquemment sa présence… Et bienheureux est l’homme qui
parvient à faire, de ce désir, sa véritable « volonté » !
Un flot de sang ardent colora le visage du disciple.
— O maître, c’est dans un tel moment que l’on peut mesurer le chemin
parcouru. Quelle distance entre l’enthousiasme inconscient du premier
voyage à la Cime, et la certitude sereine de ma décision, aujourd’hui !
« Et mon insolence devant le Pharaon ? A peine pourrais-je maintenant
457
l’imaginer !
— La contemplation de ton Roi fut-elle un choc inattendu ?
— Oh ! quelle leçon pour mon outrecuidance ! N’avais-je point la
prétention de le juger ?
— Fort bien, mon fils ; qu’en est-il advenu ?
— Je fus le grand vaincu en cette histoire, vaincu jusqu’à en perdre
conscience et m’effondrer inanimé ! Lorsque enfin je me décidai à lever les
yeux sur mon Roi, tout mon orgueil se révolta d’avoir cédé à l’émotion…
« Mais cet orgueil s’évanouit sous tes paroles. Une vision étrange
s’imposa : dans Pharaon je voyais le terme définitif d’un Pouvoir,
l’aboutissement du royaume, sa limite, sa fin ; dans le Sage, mon Maître, je
ne voyais pas de fin, pas de limite à son pouvoir… Je regardais le Roi, je
regardais mon Maître… et je ne savais plus lequel était le Roi !
Le Sage répondit gravement :
— Ne commets pas d’erreur, mon fils : Pharaon et le Sage sont les deux
aspects d’une Puissance ; Pharaon en est le bras droit, l’action, le
mouvement, le vouloir humain. Le Sage est le bras gauche dont la main
tient la clé de vie.
« Cette réalité n’est jamais expliquée ouvertement ; mais ton propre
destin m’oblige à t’avertir : tout Pharaon est guidé par un Sage. S’il est dit
quelquefois que « le Roi donne les plans et le canon d’un temple », tu dois
savoir aussi qu’il prend conseil de ceux qui connaissent ces plans. Or ce
sont les Sages qui se sont transmis sans défaillance ce legs sacré ; car ces
plans sont mobiles, et la connaissance des Temps est nécessaire pour en
modifier correctement les mesures et les symboles selon l’époque.
« Le Sage est le traducteur des hepou ; le Roi en est l’exécuteur.
« Au Roi appartiennent l’apparence, la gloire humaine et la domination
terrestre ; au Sage, la Réalité spirituelle, l’inspiration, et le détachement de
la Terre.
« La vie du Sage est « unifiée », quelles que soient ses fonctions
apparentes, nécessairement en harmonie avec son rôle d’instructeur car il
est l’esclave (hem) du Ciel.
« Double est l’existence de Pharaon : sa vie royale est l’esclave (hem) de
la fonction et de la « phase » qu’il représente. Expression d’un moment
cosmique, il le révèle par son nom, par son histoire symbolique à laquelle il
est contraint d’adapter les faits essentiels de son règne.
« Sa vie personnelle est humaine et indépendante, en ce qui ne touche
pas la transmission du sang et du pouvoir royal. Ainsi son destin particulier
peut agir sur le destin particulier de son peuple.
Her-Bak émit une objection :
— Si ce Roi commet une erreur, le Sage ne peut-il pas intervenir ?
— Il le ferait si cette erreur portait atteinte à notre mission ; autrement il
n’a pas le droit de violenter un destin personnel que le royaume doit subir.
Mais il peut, par la suite, redresser une déviation ou modifier l’historique
dont le réalisme pourrait fausser le symbole.
— Cette dualité ne risque-t-elle point de provoquer des mésententes ?
— La mésentente ne vient-elle pas du fait que l’un veut usurper une
fonction qui appartient à l’autre ? Ta main droite songe-t-elle à se révolter
contre ta main gauche ? Dans un pays organisé à l’image vivante du ciel, les
deux « pouvoirs » sont dépendants de l’Harmonie universelle. Cette
« nécessité » les unit ; elle est la base très stable de l’autorité.
— De quel droit l’homme peut-il prétendre à l’autorité ?
— Cette question est essentielle, ô mon fils !
« La Connaissance est la conscience de la Réalité. La Réalité est
l’ensemble des lois qui gouvernent la Nature, et des Causes d’où découlent
ces lois. Rien n’est arbitraire en cette Réalité ; Maât en est la concordance
parfaite, c’est-à-dire qu’elle est équité et vérité.
« L’autorité est le pouvoir d’imposer à autrui sa pensée ou sa volonté ; la
pensée personnelle et la volonté arbitraire font l’abus de l’autorité.
L’autorité selon Maât guide selon la Réalité. Le Roi est son représentant.
« Or le Roi est action, et celui qui agit subit les impulsions de la
personnalité. L’autorité royale est le pouvoir de sout, Lui, personne
corporelle porteur conscient de son KA, et KA de son royaume. Son action
sera colorée par les impulsions de ce KA.
« Le Sage est un canal de la Sagesse universelle ; neutre parce
qu’impersonnel, il établit le rapport entre le destin particulier du royaume et
du Roi, et le destin du Monde. Sa conscience est la lumière du Roi. Son
jugement n’est pas entaché par la volonté d’action : s’il agit, c’est par
obéissance à son Roi. Sa vision reste impersonnelle, sans aucun préjugé de
doctrine ; et sa Connaissance rend légitime l’autorité du Roi.
— C’est une harmonie grandiose, dit Her-Bak, et qui explique la
continuité de doctrine depuis nos origines. Mais existe-t-il quelque chose
d’indestructible sur cette Terre ?
— En réalité tout se transforme, puisque c’est une gestation perpétuelle.
Notre Sagesse serait en défaut si elle ne l’avait point prévu. Écoute et
constate ceci : des troubles peuvent survenir, l’étranger peut usurper le
trône, l’anarchie peut momentanément renverser l’ordre établi. Ce qui
advient alors est une réalité incroyable pour celui qui n’a pu vérifier ce que
je vais te dire : ceci même est prévu dans le tableau génial où les Anciens
458
ont transcrit le développement des divers plans du Monde . Tu pourras un
jour l’y trouver toi-même, ainsi que les événements à venir. En ces périodes
noires le Sage reste dans l’ombre, comme dans un îlot qui devient l’oasis de
ces temps troublés, préservant le fil conducteur afin que le désordre même
obéisse à l’ordre de son Temps.
« Cela t’expliquera pourquoi chaque envahisseur continue, comme
malgré lui, nos traditions… Et ce sera ainsi jusqu’à la fin inévitable de notre
mode d’enseignement.
— Ne m’avais-tu pas dit que ce temps était arrivé ?
— Pas encore. Nous sommes à la fin de notre révélation ; nous nous
hâtons d’en inscrire les derniers témoignages. Ceux qui viendront après
nous ne pourront que copier ce qui fut déjà dit, et le répéter jusqu’aux
459
derniers jours de ta-meri .
Her-Bak contemplait le Sage avec une fièvre de reconnaissance ; il lui
dit :
— Tu es mon Maître pour toujours, et le Maître des Maîtres !
— Non mon fils ! Je suis un anneau de la chaîne… Au-dessus de nous
sont les « Maîtres-Principes », incarnations de la Sagesse : Imhotep et
Amenhotep fils de Hapou.
Her-Bak manifesta son étonnement.
— Amenhotep, dit Houi, fut-il un si grand être ?
— Il fut notre deuxième grand Instructeur.
« Le premier Instructeur, le grand Maître Imhotep, inspirateur du roi
Zozer, vint apporter la conclusion d’une précédente époque de Sagesse. Il
donna le plan général des Temps et des phases qui devaient caractériser la
période commençante et celles qui suivraient jusqu’à la fin de notre
histoire.
« Et cette Connaissance comprenait son application aux Mesures
architecturales, aux modifications de la langue et des noms, en
correspondance avec chaque phase des Temps. Sa connaissance du corps
humain et des méthodes de Sagesse lui valut la réputation d’un divin
médecin.
« Amenhotep – fils de Hapou – a renouvelé, et appliqué au Temps actuel,
les données de la science d’Imhotep, inscrivant dans ses monuments les
mesures et fonctions particulières à cette phase, et le rôle symbolique de son
roi. Or ce rôle expliquait les phases passées et à venir car il aboutissait à la
génération solaire du Principe royal, qui terminait le Temps d’Amon et
préparait la future Révélation.
« Mais la mission de ce grand être a encore dépassé ce rôle momentané,
car Imhotep et Amenhotep – fils de Hapou – demeurent, pour toujours, les
deux colonnes de notre Sagesse.
Her-Bak écoutait religieusement. Il murmura :
— Cette Sagesse est donc un édifice qui peut défier le temps et…
l’inconstance des hommes ?
Le Sage le regarda :
— Je n’ai point parlé pour « les hommes », mais pour un disciple des
Maîtres !
Her-Bak, les yeux mi-clos, répondit à voix basse :
— Le « disciple » est troublé par cette perspective : la grandeur
incroyable d’une telle continuité… la Présence effective dont elle est le
témoignage…
— La redouterais-tu, Her-Bak ? Cette Présence dont tu prends
conscience aujourd’hui devrait être pour toi le gage de la Réalité qui te
conduit…
— O mon Maître, elle mesure aussi les faiblesses de mon animal !
Saurai-je dominer assez rapidement mes impulsions violentes pour ne
jamais dévier d’un tel chemin ?
Le Sage s’arrêta, hochant la tête pensivement :
— Ce n’est pas l’animal qui sera ton plus grand obstacle, mais l’humain
orgueilleux de sa propre pensée ; ce sera le critique vaniteux qui pourrait
vouloir nous juger, disséquer, différencier notre morale, notre histoire, notre
religion…
« Telle n’est pas notre réalité !
Il se tut, embrassant du regard le fleuve et la vallée, les temples et les
villages, inondés de la même lumière qui estompait tous les détails.
— Sois attentif, Her-Bak : la vie de l’homme est l’apprentissage de sa
conscience en tant qu’organisme total (image de l’Univers), mais aussi de
la conscience de ses rapports harmoniques avec l’organisme Universel, et
même avec l’organisme social dont il est une cellule.
« Telle est notre « morale-histoire-religion ».
« Le Bien social est ce qui nous donne la paix dans la famille et dans la
société ;
• le Bien individuel est ce qui conduit l’homme à la possession de son
KA sur la Terre ;
• le Bien suprême est la fixation de son BA qui donne naissance à son
propre Neter.
460
« Le Mal est tout ce qui éloigne de ces buts.
« Notre programme est d’éviter ce Mal et de favoriser ce Bien, par tous
les moyens naturels : depuis l’argument du bâton jusqu’à l’éducation par les
symboles. La « prise de conscience » en est le résultat et le but. Mais son
acquisition demande l’évidence de l’expérience :
• l’obligation provoque la révolte ;
• la loi donne puissance au péché ;
• la théorie évoque l’argument contraire ;
• place l’homme devant la conséquence de ses actes : il fera sa propre
morale.
« La mort est la porte d’une survie conditionnée par l’existence terrestre ;
l’homme ne pourrait point l’oublier : les cultes funéraires lui rappellent la
survie du KA de ses défunts.
« Peuples, grands et rois savent qu’ils se nourrissent du Neter :
• les mortels se nourrissent des grains de Renenoutet ;
• les vivants se nourrissent des symboles divins ;
• tout homme meurt en Osiris et attend de lui la promesse de
résurrection ; et son sarcophage est la Nout qui le couve entre ses deux bras.
« Et l’homme communie avec ses morts par les offrandes funéraires ;
• il communie avec ses Maîtres par les libations en leur nom ;
• il communie avec le Ciel par toutes les fêtes qui célèbrent la
domination du Ciel sur notre Terre.
« Ciel et Terre, dieux et hommes, Pharaon et royaume, sont reliés
inséparablement par les fils du tissage de Neith ; et notre seule histoire
véridique est inscrite continuellement par le calame de Sechat.
« Ainsi morale et religion sont inhérentes à la vie quotidienne ; et
l’histoire – qui est la légende des rois – n’est que l’application obligatoire
du symbole.
— Le tableau de cette « unité », s’écria Her-Bak, m’évitera certainement
la tentation de disséquer !
Le Sage soupira :
— Ce ne sera point ta seule tentation !
« Les hommes te diront : « A quoi bon cette science cachée sous tant de
mystères ? A quoi sert d’avoir écrit sur le sol les secrets des Nombres et de
tout le mécanisme cosmique, si vous ne le montrez qu’à quelques initiés ?
A quoi sert de cacher des clés de rapports et de mesures à l’intérieur de
murs ou de tombes supposées fermées pour toujours ? …
Le visage d’Her-Bak s’assombrit ; il demanda :
— Avez-vous une réponse pour cette question ?
— Oui Her-Bak : nous avons inscrit tout cela sans omettre le moindre
symbole (même en certains endroits où l’œil humain ne le verra peut-être
jamais), pour que l’œuvre soit, pour elle-même, conforme à la divine Loi
créatrice.
« Et ceci est notre plus beau titre de noblesse et le plus haut témoignage
de notre « culture » : agir pour l’Inutile, sans bénéfice – même moral –
apparent, pour que l’œuvre porte en elle la signature du « réel » dont elle est
l’expression, aussi parfaitement que la plante est conforme à l’Idée
contenue en la semence. Et cela pour rien, pour la joie pure que cela soit,
sans que nul œil ne le constate, sans que nulle oreille ne l’entende, mais
qu’en perpétuité un geste d’harmonie soit accompli…
« Quelle affirmation du « sens divin » dans notre humanité ! Quelle
victoire sur l’imbécile vanité ! Quel triomphe de l’impersonnalité, de l’Art
pour l’Art sans utilité, de l’Amour pour l’Amour sans aucun objet ! Quelle
adoration de ce qui est au mépris de ce qui paraît !
Un éclair de joie véritable flamba dans les yeux d’Her-Bak, et le Maître
reconnut son disciple. Mais il savait que la gemme doit être dépouillée de sa
gangue ; sa voix se fit plus dure pour continuer :
— Cependant, parmi ceux qui entrevoient la Lumière, bien peu ont le
courage de l’aimer dans cet absolu. Plusieurs d’entre eux, déjà savants, sont
morts en posant la question : « A quoi bon ? » Ce qui prouve que la
Connaissance n’est pas nécessairement la Sagesse… Toi qui auras à
parcourir ce chemin, sache qu’il sera long avant de parvenir au but qui est
de pouvoir ce que tu sais.
« Sa longueur ne se mesure pas en durée, mais en épreuves par ces
diverses tentations. Après celle du doute, viendra l’autre danger : celui de
croire à la réalité de ces images et monuments couverts d’argent et d’or, au
lieu d’y voir seulement le témoignage certain de la Sagesse.
« Cette Sagesse est la réalité du souffle du Verbe divin, qui est l’Ame et
l’Énergie du Monde. Nous avons appris à connaître cette puissance par nos
ancêtres inspirés de Dieu ; et nous savons en disposer pour mettre la Nature
au service de l’homme sans violence. « Il y eut aussi des hommes qui en
firent du mal ; il y aura encore de ces « savants » ténébreux qui chercheront
à l’exploiter par des moyens négatifs et destructeurs…
— Comment est-ce possible ? demanda le disciple.
— Le feu peut brûler ou faire vivre ; la Vérité est une, mais on peut
l’approcher en faisant appel à la Cause et à sa puissance créatrice, seule voie
qui ouvre les yeux de la conscience sur la Pensée divine et les secrets du
devenir ; on peut aussi la chercher par la matière et la violence : voie qui
mène à la destruction.
« Malheur à ceux qui cèdent à cette tentation !
« Or c’est la plus dangereuse de toutes, car ce dernier chemin flatte
l’orgueil de l’homme qui attribue à son intelligence rationnelle la gloire de
ses découvertes et de sa science maudite. Tandis que l’autre voie exige la
simplicité de cœur et de pensée ; elle exige l’acceptation de n’être qu’un
chaînon dans le devenir de la conscience divine en l’humain.
Her-Bak murmura :
— Évidemment c’est l’annihilation de toute vanité personnelle !
— Oui Her-Bak, mais c’est l’indispensable condition de la révélation de
l’Esprit par la Nature.
La réponse du disciple fut empreinte d’une émotion joyeuse :
— Aujourd’hui, affirma-t-il, je connais la valeur de cette acceptation !
*
**
Ils étaient arrivés sur le plateau qui relie la chaîne de la Cime à la chaîne
montagneuse parallèle. Un éperon domine la vallée des tombes royales,
telle la proue d’un navire sur l’embouchure d’un grand fleuve.
Maître et disciple s’avancèrent à son extrémité. Une forte brise du nord
complétait l’illusion du voyage. Her-Bak la respirait à pleins poumons,
joyeux, vivifié, exalté par la sérénité qui planait sur ce domaine du silence.
Il s’écria :
— Il n’y a point de tristesse en ce lieu ! On dirait plutôt une halte que la
fin d’une destinée. Il me semble voguer vers l’Orient d’une nouvelle
lumière… Le Sage répondit gravement :
— C’est ainsi que tu dois contempler l’avenir. A nos pieds nous avons
enterré nos derniers rois « mis-sionnés » ; leurs successeurs n’en seront plus
que le reflet. Laisse-les épuiser les vagues du rythme acquis. Quant à toi,
habitue tes yeux à mesurer la succession des Temps, et le Temps qui suivra
ton Temps] car tu dois dépasser la conscience actuelle pour sortir du rythme
séparateur.
« Cherche, au-dessus des vallées et montagnes, la force qui permet que
les « trois » deviennent Un. Ainsi tu dépasseras ton époque. Un guide doit
voir au-delà de ce qu’il conduit et connaître l’enchaînement des phases pour
comprendre les mouvements humains et leur destination.
« Connais d’abord les cinq Temps de l’incarnation du Neter.
« L’Un-Inconnaissable est descendu dans le Ciel : cela est le premier
Temps.
« Là Il est devenu les Neter du Ciel : cela est le deuxième Temps.
« Les Neter du Ciel sont descendus sur notre Terre : cela est le troisième
Temps ; et ils ont fait les « règnes » de la Nature.
« Plus tard viendra le Temps où le Dieu, incarné en Homme-Divin, sera
la révélation du Créateur : ce sera le quatirème Temps.
« Enfin il arrivera que les hommes en lesquels le Neter sera devenu
conscient, laisseront la Terre et ses temples et ses dieux, pour adorer l’Esprit
en confonde-ment et en Vérité : ce sera le cinquième Temps.
— Ne pourrait-on hâter cette évolution sans déroger aux grandes Lois ?
— C’est le but de l’initiation, mais ceci n’est possible que pour le « petit
nombre ».
Her-Bak répliqua :
— Si l’intelligence cérébrale est l’écueil, ne peut-on pas en convaincre
les hommes ?
Le Sage observa longuement son disciple avec un sourire de pitié ; puis
il parla, mettant dans son regard et dans sa voix une dureté impitoyable :
— O toi Her-Bak, es-tu assez fort pour entendre cette autre parole ? …
« Avec l’argument tu ne montreras jamais la vérité aux hommes, parce
que leur conscience cérébrale est Sethienne et exige l’opposition et l’option.
Comment pourraient-ils, avec cette conscience, comprendre la Conscience-
Maât qui, elle, n’est que confondement sans opposition ?
« Si tu cherches l’Etre en confondant avec lui ton propre être, la dualité
cesse, la compréhension intellectuelle cesse : alors à quoi bon chercher ce
confondement, puisque tu n’es plus toi, mais que tu es « la chose » ; donc tu
ne la connais pas dans ton Moi… Et cette considération décevante empêche
instinctivement les hommes de la Terre de s’engager dans cette voie ! »
Une nouvelle tempête d’incertitude troubla le pauvre néophyte ; la tête
plongée dans ses mains il médita longtemps, tantôt acceptant et tantôt
refoulant la révolte naissante…
Enfin une clarté se fit ; il renoua le fil des enseignements reçus, puis,
délibérément, il regarda son Maître et déclara :
— Tu m’as montré la Source unique du Monde ; tu m’as prouvé, par le
fait, que, connaissant la science de cette Vérité, on pouvait se jouer de la
matière. Tu m’as révélé l’existence du secret des Temps, qui permet de
réussir chaque chose en son heure. Tu m’as appris à penser avec le cœur et
à traduire cette connaissance avec la tête. Tu m’as parlé du calcul mystique
des Nombres qui résout les problèmes insolubles en arithmétique et en
géométrie. Tu as ébauché devant moi la philosophie de la construction de
notre langue, guide pour toute notre vie ; tu m’as placé sur le chemin où je
puis, avec l’aide du Neter, trouver la Lumière de Sagesse. Maintenant tu
veux m’éprouver en me montrant l’inanité de tout effort, la vanité du but…
« Il ne me reste qu’à t’affirmer ceci : je ne puis contredire tes paroles ; tu
parais avoir raison… Mais contre toute raison, je crois. Je crois en ton autre
parole :
• je crois en ce qui est, au mépris de ce qui paraît ;
• je crois à l’Esprit qui prend forme en la matière ;
• je crois en la semence divine qui, dans le cœur de l’homme, attend sa
résurrection ;
• je crois au règne divin vers lequel tend le règne humain ;
• je crois à la transmission continuelle du message de Sagesse à travers
tous les Temps de notre humanité ; je crois…
« … Et je sais que ma foi est une certitude… que je ne comprends pas.
Les yeux à demi clos, le Maître recueillait le premier fruit de l’œuvre. Sa
parole, vibrante d’émotion contenue, ne fut pas une réponse, mais un écho :
— … Et tu ne la comprendras jamais ! Cette Foi est l’Intelligence du
cœur ; c’est un autre monde que la pensée : elle ne s’y transpose pas !
« Telle est la vérité par rapport à l’erreur : l’erreur peut isoler la vérité et
la faire paraître, elle ne deviendra jamais vérité. On ne peut pas transposer
l’erreur dans la vérité ; on ne peut que nier la négation, et ce sera
affirmation qui toujours s’affirmera elle-même.
« La foi voulue ou imposée n’est pas Foi, mais disicipline de pensée. La
Foi est conscience de l’âme, acquise par identification avec l’objet de sa
foi ; et chaque acquisition est une victoire sur le « Moi » qui, lui, se pose
devant l’objet pour le comprendre.
« Quand la foi cesse d’être conviction, quand la foi n’est plus comprise,
quand elle nous envahit, nous enveloppe, c’est le « don de Lumière » qui
s’impose en nous.
« Lorsque le flux monte et rencontre les rives, cela est croyance ; lorsque
le flux monte et déborde les rives, cela est conviction ; quand le flot a tout
envahi et que tout est fondu en lui, cela est la Foi, par le divin hotep, et
devient l’absolue certitude.
« Par le « savoir » on arrive à la croyance ;
• par le « pouvoir » on arrive à la conviction ;
• par le « confondement » on arrive à la Foi, puis à l’absolue certitude.
« Quand tu sauras, ose. Alors, souhaite ne plus savoir et ne plus vouloir ;
donne ton Moi pour connaître le Soi ; et cette communion deviendra
Lumière et Foi.
Le visage du disciple rayonnait.
— Je retrouve mon Maître et ma joie !
Le Sage répondit :
— Tu ne les avais point perdus, mais le heurt éveille la Conscience, qui
est Foi. Ainsi se prépare la renais sance : lorsque l’homme s’est survécu,
qu’il devient l’aimant du Neter parce que simple, naïf, enfant, pauvre d’une
science qu’il a dépassée, riche d’une expérience qu’il a fini d’éprouver,
alors il peut être ouhem ankh – renouvelé de Vie –, et la Science véritable
est ouverte pour lui.
Un silence oppressé suivit cette parole. Le regard intérieur du Maître
éprouvait le cœur du disciple.
Enfin il prononça les paroles définitives :
— Her-Bak, où vas-tu maintenant ?
— A tes côtés, mon Maître, de sommet en sommet !
— Non mon fils : d’abord, fais ton propre chemin.
« Ma parole est en toi, tu es muni du nécessaire : va, seul, pour appliquer
ce que tu as appris. Ici finit ce que le Maître peut donner au disciple avant
qu’il ait prouvé sa Connaissance. Moût et Amon ont formé les éléments de
l’œuf ; remonte vers le Nord, va dans Héliopolis, le premier sanctuaire de
Râ ; va pour apprendre à être seul…
« Alors tu reviendras ici, demander à Amon la Vie.
Her-Bak savait toute objection superflue… Les yeux clos il subit le choc.
Il écouta ; il comprit le sens des paroles, et, dans sa Foi, il obéit. Son
courage affronta celui du Maître ; il le désivagea, mesure la distance entre
Celui-qui-sait et celui qui commence…
« L’inévitable » éclairant subitement sa route il posa les ultimes
questions comme viatique du pèlerin :
— Maître, réponds encore à celui qui va s’éloigner. « Suis-je seul, en
réalité ?
— L’homme qui cherche « le plus Vrai » est seul devant lui-même ; tu
seras seul devant les hommes, seul comme le noyau dans la masse du fruit ;
mais tu seras un avec ceux du noyau.
« Deviens le germe vivant du noyau : alors tu attireras à toi ceux de la
« masse » qui peuvent devenir du « noyau ».
— Et les autres, ceux de la « masse » ?
— Si tu deviens Vivant, ils recevront de toi ce que chaque être de la
Terre peut recevoir de son Soleil, selon sa capacité et sa faim.
— Suis-je indépendant ?
— Tu es dépendant de ce dont tu ne peux pas te passer ; tes tyrans sont
tes désirs et tes nécessités qui t’imposent leurs volontés : routines, maladies,
besoins et envies matériels, affectifs, passionnels, spirituels. Apprends à les
dévisager, à les choisir ou à les refuser.
— Ai-je toujours la liberté du choix ?
— L’homme « naturel » est soumis aux Neter : forces de la Nature,
Destin, astres et Terre. La conscience de leurs influences permet de
conquérir ta liberté.
— Quelle est la mesure de ma responsabilité ?
— C’est la mesure de ta conscience.
— L’ignorance des Lois et des moyens est-elle une excuse de
l’inconscience ?
— Devant quel juge est valable l’excuse ? L’acte et son intention sont
juges et jugement. Chaque désir intense a sa répercussion dans le monde où
il est formulé ; toute action a ses racines dans les dispositions latentes de
son auteur ; ses effets se projettent sur l’écran du Destin, bien au-delà des
lointains perceptibles !
— Les mobiles profonds des dispositions personnelles n’ont-ils pas signé
chacun de nous à sa naissance ?
— Cette signature est la signification des qualités du KA. Toute qualité a
un aspect bénéfique et un aspect maléfique ; le mal est en l’exercice égoïste
et inopportun de cette qualité ; le bien est en son application conforme à
l’Harmonie.
— Encore faut-il être averti de cette Loi !… Les deux causes du Mal
seraient donc l’ignorance et l’égoïsme ?
— Ils le sont ; c’est pourquoi la disposition altruiste est une signature de
l’être supérieur.
— Cette supériorité ne le rend-elle pas responsable de l’ignorance des
inférieurs ?
La joie fit resplendir le visage du Maître.
— O mon fils, tu viens de recevoir ta plus belle Lumière ! Car toute
Connaissance est vaine si elle n’a mesuré la souffrance de l’homme et
communié en sa misère. C’est cette même Conscience qui a forgé le cœur
des « Maîtres » et qui a soutenu leur courage… Car l’ignorance ne se laisse
pas attaquer sans résistance :
• l’intellectuel est satisfait de sa science des apparences ;
• le passionnel a peu de perdre son plaisir,
• et la foule redoute tout ce qui la dépasse.
« C’est pourquoi ta principale épreuve sera la solitude.
« Tu devras chercher, seul, la Science sacrée dont je ne t’ai donné que les
instruments de recherche. Ce que tu as appris sera la langue pour
l’exprimer ; la Nature sera ton école ; le ciel sera ton Maître.
« Fais le silence autour de toi ; n’écoute pas les hommes, ni leurs
louanges, ni leurs sarcasmes, ni leurs reproches.
« Tout est en toi : connais-toi donc toi-même, et cherche dans la Nature
la correspondance de ce qui est en toi. Alors se fera la communion, et tu
auras la Connaissance, et toute obscurité s’éloignera de toi.
« Mais le lien entre l’enseignement de tes Maîtres et celui de ta propre
recherche se fera seulement par le travail.
« Œuvre, pour confirmer la vérité des paroles et prouver que la
philosophie est certaine. Ton succès sera la signature de la bénédiction du
Neter.
« Alors ta foi sera rayonnante : elle pourra nourrir ceux qui ont faim… Et
dans ce bonheur tu trouveras aussi ta dernière épreuve.
Her-Bak se prosterna aux pieds du Sage.
— O Maître, serait-ce la tentation d’ingratitude de celui qui est
« arrivé » ? …
— Non ; d’ailleurs cette ingratitude n’atteindrait pas le Maître, mais
l’ingrat qui serait aussitôt détourné du chemin.
« La dernière épreuve est le détachement de l’œuvre, pour atteindre son
propre sommet.
— Comment peut-on œuvrer sans s’attacher à l’œuvre ? …
— Rien de vrai ne se fait sans l’impulsion de la Lumière ; la Lumière est
en soi sa récompense ; il faut savoir abandonner le fruit qui a fait connaître
la Lumière.
Le Sage se recueillit ; une force émanait de lui, sereine, virile,
pénétrante. Il posa ses mains sur la tête de son disicple.
— O Her-Bak, ô Égypte, tu es le Temple dans lequel repose le Neter des
Neter.
« Éveille ce Dieu…
« Ensuite laisse crouler le Temple.
QUATRIÈME PARTIE

— PLANCHES I A VII
— TABLE DES COMMENTAIRES.
— COMMENTAIRES.
— TABLE DES FIGURES.

Les planches I, II, III (signes hiéroglyphiques) veulent montrer les signes entrant dans la
composition alphabétique d’un mot. Cette nécessité n’a pas toujours permis de reproduire la
disposition correcte des groupements qui désignent généralement ces mots.
FIGURATIONS DES NETER

1 – Amon
2 – Anubis
3 – Atoum
4 – Apet
5 – Bès
6 – Chou
7 – Fils d’Horus
8 – Geb
9 – Hathor
10 – Horus
11 – Isis
12 – Khnoum
13 – Khonsou
14 – Maât
15 – Min
16 –Montou
FIGURATIONS DES NETER

17 – Mout
18 – Nephtys
19 – Nefertoum
20 – Neith
21 – Nekhbet
22 – Nout
23 – Osiris
24 – Ouadjit
25 – Ptah
26 – Reneoutet
27 – Sechat
28 – Sekhmet
29 – Serket
30 – Seth
31 – Sobek
32– Thot
Carte de l’Égypte.
COMMENTAIRES
TABLE DES COMMENTAIRES

I. L’écriture hiéroglyphique
II L’enseignement intérieur ou ésotérique
III Les animaux dans le mythe égyptien
IV Quelques précisions nécessaires à la compréhension de
l’enseignement égyptien
V Théologie – Neter
VI Astrologie – Astronomie
VII L’Homme Microcosme
VIII L’enseignement des tombes égyptiennes.
COMMENTAIRES I
L’ÉCRITURE HIÉROGLYPHIQUE

1. LES HIÉROGLYPHES.
L’écriture hiéroglyphique est une écriture valable à travers tous les
Temps, car les végétaux, les animaux et les parties du corps humain qui la
composent en majorité, portent leurs symboles – c’est-à-dire la signature de
leurs fonctions –, à travers tous les Temps.
Témoignage de Plotin (IIIe siècle apr. J. -C.) :
« Les Sages de l’Égypte me paraissent avoir fait preuve d’une science
consommée ou d’un merveilleux instinct quand, pour nous révéler leur
Sagesse, ils n’eurent point recours aux lettres qui expriment des mots et des
propositions qui représentent des sons et des énoncés, mais qu’ils figurèrent
les objets par des « hiéroglyphes » et désignèrent symboliquement chacun
d’eux par un emblème particulier dans leurs mystères. Ainsi chaque
hiéroglyphe constituait une espèce de science ou de sagesse et mettait la
chose sous les yeux d’une manière synthétique, sans conception discursive
ni analyse ; ensuite, cette notion synthétique était reproduite par d’autres
signes qui la développaient, l’exprimaient discursivement et énonçaient les
causes pour lesquelles les choses sont ainsi faites, quand leur belle
disposition excite l’admiration. » (Plotin, Enéades, V, 8,6, Trad. Bouillet,
III, 1, 117.)
De Philon le Juif (l™ siècle apr. J. -C.) : « Les discours des Égyptiens
fournissent en outre une philosophie qui s’exprime au moyen de symboles,
philosophie dont ils font montre dans les lettres appelées « sacrées »… »
(Cf. Marestaing, Rec. 33, 1911, p. 3-12.)
— « Écriture ammonienne » ou « lettres ammo-niennes » se dit de
l’écriture mystérieuse des livres que Sanchoniathon trouva dans les temples
d’Égypte, et qu’il consulta pour rédiger son histoire. (Larousse, A. 279.)
De Plutarque : « Il n’y a, en effet, aucune différence entre les textes
appelés hiéroglyphes et la plupart des préceptes des Pythagoriciens… »
(Plutarque, Isis et Osiris, 10.)
« … Rien n’est aussi spécial à la philosophie pythagoricienne que
l’usage des symboles, tels que ceux qu’on emploie dans la célébration des
Mystères. C’est là une manière de parler qui tient à la fois du silence et du
discours… Ce qui se dit est très clair et très évident pour ceux qui sont
accoutumés à ce langage ; c’est pour les ignorants qu’il est obscur et
inintelligible. Le sens de ces symboles n’est pas le véritable, mais il faut y
chercher celui qu’ils semblent recouvrir. » (Plutarque, Frag. 33, trad.
Bétolaud.)
Les Anciens Égyptiens ont exclu toute définition rationnelle à cause de
l’impossibilité de fixer quoi que ce soit dans l’évolution constante de la
genèse cosmique. Tout ce qui fait partie de l’Univers perceptible ne peut
être défini que par la transparence d’une image symbolique qui laisse
percevoir le jeu mouvant de ses rapports vitaux avec sa cause. C’est
pourquoi l’écriture égyptienne est composée de symboles inscrits dans la
Nature. Aussi les hiéroglyphes ne sont-ils pas seulement des « signes-
mots » – comme on aurait trop tendance à le croire –, mais les signatures
d’activités ou fonctions causales dont ils sont les témoins. Ils pourront donc,
dans certains cas (par exemple pour représenter le caractère général d’une
fonction), n’être pas la simple copie d’un objet, mais un composé
symbolique de caractéristiques identiques dans divers objets.

2. L’ALPHABET ÉGYPTIEN.
Le problème de l’alphabet est la clé de l’expression philosophique de
l’Égypte ancienne. Cet alphabet – dont les égyptologues nient encore
l’existence bien qu’elle soit formellement affirmée par des commentateurs
grecs et latins –, se compose d’un nombre de lettres précis et ordonné.
Est lettre simple le hiéroglyphe principiel caractéristique d’une phase de
la Genèse ou d’une fonction essentielle. Chaque lettre symbolise par son
image certains états d’être et qualités qui découlent de cette fonction
fondamentale. De plus, la situation qu’elle occupe dans l’alphabet secret
des Égyptiens lui attribue un Nombre dont elle représente aussi les
propriétés.
L’ordre des Nombres analyse les éléments – ou agents – de la Genèse et
les fonctions qui déterminent leurs transformations en toutes phases.
L’ensemble de l’alphabet résume donc toute une philosophie dans les
éléments de base d’un langage.
Si le Nombre de chaque lettre fut gardé secret dans l’enseignement
exotérique, le symbole hiéroglyphique était offert aux étudiants comme une
évidence naturelle. En constatant ces évidences on peut apprendre à
reconnaître les éléments apportés par une lettre dans la formation d’un mot,
en tant qu’idées, qualités et fonctions. Cependant, le rôle d’une lettre est
modifié par celui de la lettre qui la précède ou qui la suit ; c’est le rapport
de ces deux lettres qui explique le sens de la racine ou du mot.
La notion de racine – les syllabiques. Les multiples aspects que peut
produire l’Activité causale dans la Nature sont analysés grâce à des
combinaisons de hiéroglyphes essentiels donnant naissance à des racines
simples. Dans ce cas, un hiéroglyphe peut symboliser à lui seul le
groupement de ses composants, il prend alors la valeur de syllabique. Ce
syllabique est bilitère ou trilitère.

3. LA PREMIÈRE LETTRE aà.


461
Le hiéroglyphe qui représente la lettre a est le vautour
« percnoptère ». Cet oiseau est muet, même dans ses querelles ; à peine
émet-il, très rarement, un faible cri, au coucher du Soleil.
Cette lettre a, occlusive glottale, est muette, comme est muette
l’aspiration, demi-mouvement du souffle total.
L’Égyptien représentait donc par cet oiseau muet cette aspiration muette.
Cette aspiration, étant inconcevable sans l’expiration, ne peut être que la
moitié d’une lettre devant exprimer le mouvement total en une lettre double.
462
L’autre moitié ne peut être que à représentée par la tige de roseau,
parfois interchangée avec a. La prononciation originelle de à devait
correspondre au premier cri d’expiration du nouveau-né.
Le rapport entre ces deux formes de a est défini par cette loi :
La Cause originelle est métaphysique d’abord ; dès qu’elle entre en voie
de réalisation de l’effet qu’elle génère, elle devient active.
Ainsi est délimité le chemin entre les deux demi-lettres a et à.
a exprime le mouvement aspirant, absorbant, dilatant, et se rapporte à la
Cause métaphysique.
à est expiration, émission de souffle et de voix, et correspond à la Cause
active, qui n’est autre que la Cause métaphysique en voie de réalisation de
l’effet qu’elle génère.
C’est pourquoi à (expirée) exprime une activité positive.
Son symbole est le panache de roseau, forme primitive de vie végétative
qui sort du marécage. Elle est émettrice et réalisatrice (àr, créer, faire ; àt,
père), à apporte le mouvement, l’énergie, la substance, la qualité, la forme
(àb, cœur ; àf, chair ; àm, être dans ; an, apporter ; àrou, forme).
Les égyptologues attribuent à cette lettre à le caractère et la
prononciation de la lettre i et la transcrivent î, sans expliquer cependant
pourquoi, dans certains mots, elle se prononce a. Son caractère de cause
active en donne la raison : si l’activité qu’elle exprime est de nature
universelle, elle est prononcée a, comme Amon ; si elle a un sens personnel
et particulier, elle se prononce i, comme ît (père) ou îmen. t (droite, et
occident).
Quant à la lettre a (aspirée), la résistance de la glotte au mouvement
d’aspiration, la rendant imprononçable à voix haute, lui donne un caractère
privatif-négatif (comme dans at. t, pauvre, dénué) ; mais l’aspiration,
nécessitant la dilatation des poumons, apporte l’idée d’extension (aou,
dilatation), de désir et d’aspiration (ab, désir), d’absorption et de
préhension (am, saisir).

4. HOMONYMES-HOMOPHONES.
Les égyptologues appellent « homophones » des mots composés des
mêmes lettres, mais « ayant un sens différent avec un son identique ». Vu la
difficulté de restituer la vocalisation égyptienne exacte, il serait préférable
de les appeler « radicaux à mêmes consonnes formatives ».
Or, ces mots composés des mêmes lettres sont à rattacher à une racine
mère. Leur orthographe particulière – parfois signes alphabétiques simples,
ou jeu d’alphabétiques et de syllabiques – permet le plus souvent de
spécifier leur nature.
La parenté entre ces homophones est précisée par le Nombre et la valeur
symbolique des lettres de la racine mère. L’analyse de chacun de ces mots
devra donc se faire en partant de ces lettres de base, envisagées dans l’un
des trois rôles qui leur sont attribués :
• rôle abstrait, qui se rapporte aux principes ou causes abstraites ;
• rôle concret, qui représente la matière, la nature, ou les caractéristiques
d’existence des choses et des êtres ;
• rôle fonctionnel, qui représente une fonction vitale, fonction que cette
lettre peut aussi exercer par rapport aux autres lettres du mot.
Le syllabique aura pour but de souligner un de ces aspects.

5. VARIATIONS D’ORTHOGRAPHE.
Une étude fructueuse à entreprendre serait celle de la fixation des
différentes phases du développement de la langue égyptienne. En dépassant
le cadre des manuels généraux, il serait bon désormais de grouper
systématiquement les formes grammaticales et le vocabulaire de périodes
déterminées. On apercevrait alors rapidement une modification linguistique
obéissant à un plan philosophique général, plutôt qu’à un simple
phénomène d’usure de la langue.

COMMENTAIRE II
L’ENSEIGNEMENT INTÉRIEUR OU
ÉSOTÉRIQUE

1. ÉSOTÉRISME – « INITIATION » – « SENS SECRET »


Pour lire le sens profane – exotérique – des textes hiéroglyphiques, la
grammaire égyptologique suffit. Pour lire leurs sens ésotériques, il faut
penser comme ceux qui les ont composés.
« L’ésotérisme n’est pas à entendre comme un procédé d’écriture ou
d’expression cabalistique, mais comme « l’esprit de la lettre », c’est-à-dire
ce qui ne peut pas être transcrit clairement, non qu’il y ait volonté de
cacher, mais par cause de l’inaptitude de l’intelligence « cérébrale » à le
comprendre.
« Le caractère du moyen de transcription de cet ésotérisme doit donc être
tel qu’il s’adresse aux facultés du lecteur ; celui-ci lira et entendra suivant
ses facultés propres, normales ou supérieures (intuition, vision spatiale).
Chacun verra, dans la parabole ou dans l’architecture du vrai temple, ce
qu’il peut y voir : utilité, esthétique, mythe et légende, principe
philosophique ou vision de genèse, matérielle et spirituelle » (R.A.
Schwaller de Lubicz, Le Temple dans l’Homme.)
Le mot « ésotérique » est employé par nous dans le sens du mot grec « ce
qui est à l’intérieur » ; c’est-à-dire le sens intérieur, par opposition au sens
apparent.
De même pour le mot initiation. Nous ne donnons jamais à ce mot le
sens d’occultisme ni de pratiques mystérieuses. Le mot « initier » signifie
en propres termes : faire commencer, faire entrer dans…
Un initié est celui qui a pénétré dans la connaissance du mobile vital,
« connaissance » s’opposant ici au « savoir » qui est la conséquence de
l’observation sensorielle des apparences.
« La science des choses divines, dit Jamblique, est étrangère à toutes les
autres et séparée de toute opposition ; elle ne consiste point à accorder ou à
poser des opinions ; mais elle était uniformément la même de toute éternité
dans l’âme à qui elle coexiste…
« … A dire vrai, cette connaissance même n’est pas l’union avec la
nature divine : car elle en est séparée par une différence… et nous ne
pouvons pas juger cette union divine comme s’il dépendait de notre caprice
de l’approuver ou de la désapprouver ; car nous sommes contenus en elle,
nous en tirons la plénitude de notre être… » (Jamblique, Mystères, 1re
partie, 3.)
Quant à l’idée de secret attachée à l’enseignement ésotérique, il est
intéressant de confronter sur ce sujet quelques opinions « autorisées » :
« L’enseignement est appelé illumination parce qu’il révèle les choses
cachées… C’est encore ce que Platon a signifié quand il a dit : « Prends
bien garde à cela pour que tu n’aies jamais à te repentir d’avoir laissé
tomber ces choses en mains indignes : la meilleure précaution est de ne pas
écrire, mais d’apprendre ; car il est impossible que ce qui a été écrit ne se
perde pas. » (Clément d’Alexandrie, Ep. II, 312 D, 314 B.C.)
« … et le saint apôtre Paul parle de la même façon, et garde cette
habitude du secret, prophétique et ancienne, d’où sont venues aux Grecs
leurs belles doctrines : « Nous énonçons la sagesse parmi les parfaits, la
sagesse non de ce monde ni des princes de ce monde qui sont détruits, mais
nous énonçons la sagesse de Dieu dans le mystère, la sagesse cachée. » (I,
Corinth. 2, 6.)
« Et un peu plus loin il montre ainsi les précautions qu’il faut prendre
quand on parle à la foule : « Et moi, frères, je ne pouvais vous parler
comme à des spirituels, mais comme à des charnels, comme à des enfants
dans le Christ ; je vous ai donné du lait, non une nourriture solide, car vous
ne pouviez pas [la supporter] ; et vous ne le pouvez pas encore, car vous
êtes encore charnels. » (3, I-3-)
« Ni la prophétie ni le Sauveur lui-même n’ont proclamé les divins
mystères avec une telle simplicité qu’ils fussent accessibles à n’importe qui,
mais ils ont parlé en paraboles. Et les Évangiles disent du Seigneur qu’il « a
tout dit en paraboles et qu’il ne leur disait rien sans paraboles » (Matthieu,
13, 34). Pour beaucoup de raisons, la Sainte Écriture cache donc le vrai sens
de ce qu’elle dit, tout d’abord afin que nous soyons zélés et habiles à
chercher, que nous nous tenions toujours en éveil pour trouver les paroles
du Seigneur ; puis parce que, pour la plus grande masse, l’intelligence de
l’Écriture ne serait même pas profitable… » (Clément d’Alexandrie, Strom.
VI, 124, 6 ; 125, 1-4 ; 126, 1-4.)

2. LE SECRET DANS LE TEMPLE ÉGYPTIEN.


Le mot égyptien cheta, que nous traduisons par « secret », n’a pas le sens
généralement attribué à ce mot français : ce que l’on veut cacher.
cheta signifie le plus souvent « inaccessible ». L’inaccessible est ce que
nous ne pouvons pas toucher, ou atteindre, ou connaître, à cause de
l’insuffisance de nos propres moyens. Un sommet inaccessible n’est pas
« caché », mais ne peut pas être atteint par l’alpiniste inexpérimenté ; la
trigonométrie n’est pas une science cachée, mais inaccessible pour
l’ignorant. De même l’enseignement des Égyptiens est exposé aux yeux de
tous, sur les murs des temples, sur les stèles, dans les tombeaux ; leur
science et leurs plans les plus « secrets » ne sont inaccessibles qu’aux
hommes qui ne sont pas adaptés à la mentalité des Sages égyptiens.
Or, cette mentalité n’était pas la disposition innée d’un peuple, mais la
formation délibérée d’une élite : tous les documents relatifs à la mentalité
du peuple et de la société prouvent nettement cette différence. Il est
important de constater ce fait à cause de deux conséquences :
1° Si la mentalité de l’élite égyptienne ne fut pas innée mais acquise,
nous devons pouvoir aussi nous y adapter par l’application de leurs
propres méthodes ; alors leurs inscriptions cesseront d’être « inaccessibles »
et livreront leur sens véritable selon le degré d’adaptation de l’étudiant.
2° Les Maîtres égyptiens étaient obligés de donner à leurs textes et
tableaux une double intention : d’une part pour les profanes non
« éduqués », d’autre part pour les profanes formés par eux. Afin que les
divers sens profonds pussent être découverts par les étudiants cultivés, ils
usèrent de plusieurs procédés (scripturaux et architecturaux) qui
nécessitaient, pour la lecture correcte, l’application de connaissances
symboliques et d’une pensée synthétique, ainsi que l’exercice des facultés
intuitives cultivées par leur méthode d’enseignement.
La sélection des étudiants plus ou moins aptes à l’étude des grands
problèmes se faisait donc naturellement, par l’étendue et la qualité de leur
compréhension.
Parmi les procédés ingénieux employés pour enseigner sans profaner,
nous citerons :
1° diverses clés architecturales, parmi lesquelles la construction
463
simultanée sur plusieurs axes, la « transparence » et la « transposition »;
2° la juxtaposition d’images dans un même tableau, grâce à des
retouches et à des modifications de mesures ; évidemment, la
compréhension de cette clé nécessite la connaissance du sens et de la valeur
464
de la « mesure »;
3° la juxtaposition de mots dans une même phrase, grâce aux diverses
manières d’écrire un même mot et aux anomalies d’orthographe ou de
grammaire, qui permettaient de dissimuler sous une forme banale une
pensée plus profonde.
Enfin ils divisaient souvent le développement d’un thème ou la solution
d’un problème en plusieurs éléments, exposant chaque élément dans le
temple, la stèle ou le tombeau dont le caractère lui correspondait.
Cette disposition présentait un double avantage pédagogique :
• elle obligeait l’étudiant à ne pas se limiter dans un unique aspect du
sujet, et à connaître les différents points de vue enseignés par ses Maîtres ;
• elle l’obligeait à discerner les éléments nécessaires à l’élaboration d’un
problème, et à savoir les reconnaître dans les lieux et les textes où ils étaient
développés, pour en reconstituer ensuite la synthèse.
465
Ces modes d’expression du sens ésotérique étaient donc en même
temps des procédés éducatifs grâce auxquels ces écritures mystérieuses
pouvaient devenir accessibles aux étudiants qui acceptaient une telle
formation.

3. LE SYMBOLE.
Un exemple donné par Plutarque sur le symbolisme égyptien : « Je veux
d’abord interpréter pour toi la théologie des Égyptiens : ceux-ci, en effet…
révèlent par des symboles certaines images de notions mystiques, cachées et
invisibles, de même que la nature, dans les formes sensibles, a exprimé
jusqu’à un certain point par des symboles les raisons invisibles des
choses… »
Sur le symbolisme du limon :
« Écoute donc, maintenant, selon l’esprit même des Égyptiens,
l’interprétation intellectuelle des symboles… Considère donc le limon
comme représentant tout ce qui est corporel, matériel, nutritif, génital, toute
forme matérielle de la nature emportée avec les courants instables de la
matière ou qui reçoit le fleuve de la genèse et se dépose avec lui, ou bien la
cause première préexistante dans une raison fondamentale des éléments et
de toutes les puissances élémentaires. » (Jamblique, Mystères, VIIe partie, 1
et 2.)
Pour définir le sens du mot « symbole » tel qu’il est entendu dans cet
ouvrage, nous emprunterons quelques passages du Temple dans l’Homme,
de R.A. Schwaller de Lubicz.
« Le sens admis actuellement pour le mot « symbole » implique toujours
un caractère conventionnel. Une figure ou un signe représentent, par
analogie ou convention, une idée.
« Pour être conforme au sens véritable du symbole dans l’Ancienne
Égypte, nous devrions employer le terme « medou-Neter », dont la
traduction grecque, « hiéroglyphes », déforme le sens égyptien. Les medou-
Neter sont les Neter – ou Principes – portés par un signe.
« Le mot symbole signifie pour nous la chose même, ou l’idée
matérialisée qu’il évoque ; il ne la représente pas seulement par analogie. Il
y a une réalité, c’est-à-dire une cause à effet inéluctable dans les medou-
Neter ou symboles, comme dans l’image chrétienne de la Croix, comme
dans la vie ou la légende du Saint dont le religieux prend le nom.
« … Dans tous les cas le symbole s’impose, même s’il est choisi
arbitrairement, parce qu’il évoque nécessairement un complexe de pensées
qui se projettent en lui ; et c’est cette projection qui s’impose ensuite à
nous… Cependant cette compréhension moderne du symbole diffère de la
mentalité pharaonique à laquelle nous devons, pour être véridiques, nous
conformer.
« Dans nos langues modernes, il n’y a pas de mot pour désigner le sens
exact du symbole, tel qu’il était conçu par les Anciens. C’est pourquoi nous
aimerions le remplacer par le mot medou-Neter, qui exprime les signes
porteurs des Neter (Neter signifiant le Principe, ou l’Idée dans le sens
platonicien).
« D’après leur conception de la Nature, tous les produits de la terre,
toutes les plantes et tous les animaux étaient les symboles d’un ensemble
d’éléments vitaux cristallisés dans chacun d’eux ; chacun ne pouvant être ce
qu’il est que par les conditions et circonstances causant sa naissance.
Chacun est la manifestation, ou incarnation d’une Idée, et constitue un
chaînon dans l’évolution de la Conscience, depuis le Verbe originel (le
Verbe de Ptah), jusqu’au retour conscient en la Cause.
« … La symbolique égyptienne peut nous donner connaissance d’un
autre sens que le sens vulgairement admis pour un grand nombre de mots…
L’image laisse la porte ouverte sur un monde qualitatif et fonctionnel. Par
exemple en disant : « Un homme marche », nous voyons un homme
marchant, mais nous le voyons d’une façon limitée : ce n’est que le fait de
se mouvoir, de marcher, que nous imaginons. Nous pouvons le placer
ensuite dans le passé, le présent, le futur et toutes les nuances de ces temps ;
nous situons ce mouvement en Temps et Espace. Au contraire, si nous
voyons une image représentant un homme qui marche – ou simplement des
lignes figurant un homme –, nous ne l’imaginons plus, nous ne le situons
plus : il est là, c’est la fonction qui nous intéresse, et la qualité de cette
fonction. Nous pouvons ensuite peindre cet homme en vert ; ce ne sera plus
seulement la fonction de marcher avec les jambes qui sera évoquée : ce
mouvement pourra signifier végétation ou croissance. Or marcher et croître
sont deux fonctions différentes pour notre raisonnement, mais en réalité il y
a un lien abstrait entre marcher et croître : c’est le mouvement, sans
considération de Temps et de Chemin.
« Si nous voulons définir ce mouvement, nous le réduirons
immédiatement en Temps et Espace, tandis que le sentiment du mouvement
– qu’il soit en marche ou en croissance –, n’a plus besoin d’être défini :
l’image – le symbole – fait office de définition, et nous pouvons
effectivement éprouver cet état (en quelque sorte nous confondre avec lui
sans le raisonner), comme le ferait n’importe quel enfant en regardant des
images.
« Ainsi la figuration – le symbole – est notre seul véritable moyen pour
transmettre un sens ésotérique que, dans une écriture alphabétique, nous
devons rechercher dans la parabole ou, éventuellement, dans la métaphore
ou l’allégorie. La mentalité chinoise est caractéristique de cette mentalité
symbolique transcrite : on circonscrit l’idée, mais on ne la nomme pas.
Quelque chose de cette mentalité, que nous retrouvons dans l’Égypte
pharaonique, est restée dans les peuples du Moyen-Orient : question et
réponse indirectes.
« La figuration symbolique et l’écriture imagée sont la pure forme
hiératique d’expression ésotérique. C’est par la symbolique, et seulement à
travers elle, que nous pourrons lire la pensée des Anciens. Ce n’est que par
la symbolique que nous pourrons coordonner les éléments connus de cette
grande civilisation, et que l’écriture prendra son véritable sens.
« A propos de ce mode d’expression, nous citerons ici Ampère, Essai sur
la Philosophie des Sciences, t. II, p. 103-104 :
« Ces rites, ces dogmes, cachent souvent des idées autrefois réservées à
un petit nombre d’initiés, et dont le secret, enseveli avec eux, peut
cependant être retrouvé par ceux qui font une étude approfondie des
renseignements de tout genre qui nous restent sur les anciennes croyances et
sur les cérémonies qu’elles prescrivaient. De là une science à laquelle on a
donné le nom de Symbolique, que je lui conserverai, et où l’on se propose
de découvrir ce qui était caché sous des emblèmes si divers. »

COMMENTAIRE III
LES ANIMAUX DANS LE MYTHE ÉGYPTIEN

« Le culte étonnant et incroyable que les Égyptiens rendent aux animaux


offre de grandes difficultés à qui en recherche les causes ; les prêtres ont,
sur ces causes, une doctrine secrète. » (Diodore, II, 86.) Les animaux
jouent un rôle important dans la symbolique égyptienne ; mais les diverses
modalités de leur figuration les classent nettement en trois catégories, que
nous définirons comme :
• animaux mythiques,
• animaux symboliques,
• animaux sacrés.

1. LES ANIMAUX MYTHIQUES.


Les animaux mythiques n’ont pas d’existence effective : ce sont des
images synthétiques symbolisant des fonctions causales ou des puissances
métaphysiques. Ces images jouent un rôle mythique : soit comme symbole
hiéroglyphique – tels l’animal de la lettre f et l’animal de Seth –, soit
comme cabale de paroles ou d’images, tels le benou et les diverses formes
du griffon.
Chaque animal mythique constitue une énigme philosophique ; ses
figurations sont des compositions, exposant les éléments du problème posé
par cette énigme, sans tenir compte d’aucune vraisemblance anatomique.
C’est pourquoi il serait aussi vain de vouloir attribuer à des espèces
déterminées le canidé de Seth ou le reptile de la lettre f, que le quadrupède à
tête de serpent ou le griffon quadrupède à tête de faucon et à ailes
466
dorsales , Les uns et les autres sont évidemment des animaux
composites !
Nous citerons, par ordre alphabétique : l’animal de la lettre f, l’animal de
Seth, le Benou et le Phœnix, le griffon.

467
2. L’ANIMAL DE LA LETTRE F .
Une documentation massive a été réunie par le savant égyptologue et
naturaliste Keimer, tendant à prouver qu’il faudrait reconnaître, dans le
hiéroglyphe f, une vipère à cornes. Or les représentations figurées de cette
lettre montrent plusieurs caractéristiques qui ne s’accordent pas avec cette
assertion : les soi-disant « cornes » sont le plus souvent dessinées comme
des palettes courbes qui, parfois, s’élargissent comme de grandes oreilles ;
elles ne ressemblent pas aux cornes de la vipère qui ont la forme d’épines ;
leur emplacement même est différent.
Le corps très court qui a plutôt, sur ces images, les proportions d’une
grande limace, est rempli par des croisillons réguliers qui pourraient aussi
représenter un tissu.
On est obligé d’admettre, devant ces bizarreries, que l’animal est une
composition conventionnelle concrétisant plusieurs idées d’un symbolisme
réaliste : l’idée d’une forme primitive de vie, sous l’aspect d’un être
rampant, gluant, qui évoque aussi bien l’image d’une limace que celle d’une
vipère (vivipare : qui émet la chair vivante) ; l’idée d’une force vitale
dualisée en ses deux aspects que symbolisent toujours les deux cornes ou
les deux oreilles.
Cette dualité est précisée et confirmée dans l’image figurée sur le
manche d’un couteau d’ivoire conservé aujourd’hui à PUniversity Collège :
deux petits serpents (ou vipères, ou limaces ?) ayant la forme et les oreilles
du signe f, et qui sont entrecroisés comme un caducée ; le double
croisement crée la forme et donne la vie ; deux hexagrammes y confirment
le symbole.
On peut aussi nommer cette dualité : activité-réactivité. Or on trouve un
témoignage de ces assertions dans les groupements kherou-f et khesef, où la
lettre f croise le signe de kherou et le phonogramme khesef.
Dans le premier de ces groupements, kherou-f, le hiéroglyphe de kherou
(voix, « Verbe ») est traversé en croix par l’animal de la lettre f (souffle
porté) ; or un signe peut croiser un autre signe quand il y a possibilité
d’action de ce signe sur l’autre signe pour la définition d’un lieu et la
formation d’une chose.
Dans le deuxième groupement, khesef (qui représente un fuseau pour
filer), le fuseau traversé par l’animal f signifie l’obstacle, le mouvement
contraire à celui du fuseau, c’est-à-dire : résistance réactive. Cette image
illustre exactement l’idée des deux croisements nécessaires à la formation
de toute chose. Or cette idée est résumée dans le symbolisme de f – cornes
et croisillons – qui en exprime aussi le résultat : la substance corporelle àf.
Le symbole de f résume donc les idées :
— idée du souffle porté, et idée principielle de porter, fà ;
— idée du souffle émis (faou, vent, nef, air) ;
— idée de ce qui est émis, rejeté, sécrété (fed. t, sécrétion, sueur, etc.) ;
— idée de la « chose » formée : substance corporelle (àf, chair).

3. L’ANIMAL DE SETH.
L’animal de Seth est une figuration symbolique, composée selon le
caractère ou la fonction qu’il doit exprimer.
Généralement sa couleur est rouge (le rouge Sethien). Souvent ses yeux
sont rouges (à Edfou). Sa caractéristique constante est : deux oreilles droites
et raides ; la queue relevée avec l’extrémité fourchue (affirmation Sethienne
de la dualité).
Le papyrus Ebers (1, 14) dit que le mal fait par Seth s’appelle « les
choses rouges ». Ses actions bienfaisantes sont « les choses vertes » (Pyr.
1595). C’est l’opposition entre la stérilité désertique et la fertilité de ce qui
est devenu « végétable ». C’est cette stérilité qui est symbolisée par la
maigreur de son corps, souvent réduit à un simple trait.

468
4. BENOU-PHŒNIX
D’après Gardiner, le benou serait la même espèce que l’oiseau
représentant le héron « shenty », c’est-à-dire VArdea cinera ou l’Ardea
purpurea.
En fait, les rôles donnés au benou sont des rôles mythiques auxquels on
ne peut attribuer une espèce déterminée.
Tel le phœnix que la légende hermétique fait brûler sur un bûcher pour
renaître de ses cendres.
Les Égyptiens mettent en rapport la Vénus du matin avec le benou,
l’oiseau porteur de l’âme à’Osiris. C’est un oiseau fabuleux dont Hérodote
a parlé sous le nom de phœnix. Il n’en a vu, dit-il, que la peinture : sa forme
et sa grandeur approchaient de celles de l’aigle ; ses plumes étaient rouge et
or. Parlant d’après une légende héliopolitaine, Hérodote raconte que le
phœnix arrivait tous les cinq cents ans en Égypte, partant d’Arabie, lorsque
son père venait à mourir : il enveloppait son corps dans un œuf de myrrhe et
le transportait ainsi en Égypte pour l’y déposer dans le temple du Soleil.

5. LE GRIFFON.
Latin : gryphus.
Grec : grups (vautour).
Cf. Greisen (crampon) – gripe = grappin (cramponner).
Le Griffon est un animal fabuleux, moitié aigle moitié lion, qui « veillait
à la garde des trésors ».
Sa correspondance en égyptien est « âkhekhou », déterminé par un
animal fantastique : serpent avec quatre pattes et deux ailes, ou oiseau à tête
Sethienne et ailes pointues. On trouve aussi des lions ou léopards ailés avec
serres de griffon dans plusieurs représentations de tombes royales ou de
panneaux décorant un trône.
Son symbolisme se rapporte à une phase de surévolution du principe
royal ou de ce qu’il représente.

6. LES ANIMAUX SYMBOLIQUES.


Nous appelons « animaux symboliques » ceux dont le type de base a une
existence effective, et représente une famille animale dont les mœurs et les
caractéristiques anatomiques sont les signatures de certaines fonctions
essentielles.
Ils sont symboliques en ce sens que leur figuration réunit sur un même
individu les particularités de plusieurs espèces ou plusieurs variétés d’une
même espèce, et cela autant qu’il est nécessaire pour exprimer toutes les
fonctions qui doivent être symbolisées.
Nous citons ici comme animaux symboliques : l’abeille, l’oiseau BA,
l’animal d’Anubis et d’Oupouat, la grenouille, l’hippopotame, le lion, le
scarabée, le serpent, le vautour.

469
7. L’ABEILLE .
L’abeille était l’emblème de souveraineté pharaonique du roi du Nord,
porteur de la couronne rouge. La raison de ce choix comme symbole royal
est facile à comprendre : la société d’une ruche constitue un « corps
organisé » autour d’un centre reproducteur et multiplicateur de la race qui
est la reine. Autour de cette reine gravitent, comme autant d’organismes
vivants, différents groupes d’individus spécifiés dans chacune des fonctions
nécessaires à la vie de la ruche et de sa reine.
Ainsi l’abeille est le prototype du Principe royal, que l’Égypte concevait
comme centre et ferment de son peuple et dont les fonctionnaires étaient les
organes individualisés.
Le choix de ce symbole pour le royaume du Nord est d’ordre plus subtil :
alors que la royauté blanche du Sud a pour emblème le jonc – végétal
primitif sorti du marécage –, la royauté rouge du Nord est représentée par
l’insecte producteur du miel doré, qui est l’extrait quintessencié du règne
végétal. L’étude détaillée des caractéristiques et des mœurs de l’abeille
accentuerait la profondeur de ce symbolisme : tel par exemple, pour le vol
nuptial de la reine, le concours d’altitude qui décide du choix du mâle
fécondateur…
Il est à remarquer que le nom du miel – bi. t (bà) – est très proche de BA,
nom de l’âme.

8. L’OISEAU BA.
L’oiseau BA n’a pas pu être identifié d’une façon certaine par les
égyptologues parce que, d’après Keimer, aucun oiseau de ce genre ne se
trouve aujourd’hui en Égypte. Seule, dit-il, la grande cigogne Jabiru du
Soudan pourrait correspondre à ses représentations hiéroglyphiques.
Ses caractéristiques sont : les hautes pattes d’un échassier ; un long bec
dont le bout est renflé à la partie supérieure, et la base renflée à la partie
inférieure. Enfin et surtout les excroissances – ou caroncules – qui pendent
sous la base du cou, sur la poitrine, mais que l’on trouve aussi parfois sous
la gorge (Ancien Empire), ou qui sont même parfois omises.
En tout cas les détails qui varient dans les diverses figurations dénotent
certainement des différences symboliques.
On pourrait, dans certains dessins, rapprocher l’oiseau BA de la cigogne,
connue aussi bien en Égypte qu’en Europe. Son caractère migrateur
justifierait son emploi comme symbole de l’âme.

9. LE « CHACAL » D’ANUBIS.
Les auteurs classiques n’ont jamais rangé le chacal au nombre des
animaux sacrés ; mais ils ont nommé Cynopolis (« ville du chien »,
aujourd’hui Cheikh el-Fadl), la ville où était vénéré Anubis ; alors que la
ville consacrée à Oupouat était nommée Lycopolis (ville du loup).
Le chacal d’Égypte – Canis lupaster – a le poil de couleur gris jaunâtre,
la queue courte et touffue. On trouve, parmi les figurations des tombes de
Béni Hassan, un canidé à oreilles droites et à queue touffue qui se lit sab, et
470
qui paraît se rapporter au petit chacal de la vallée du Nil . Cependant, ni
le chacal, ni le loup, ni aucun des canidés égyptiens ne réunit à la fois les
caractéristiques de l’animal sacré d’Anubis et d’Oupouat : oreilles droites,
longues et pointues du renard, queue du chacal ou du loup, robe noire d’un
« chien errant » égyptien. Le plus approchant pourrait être ce « chien errant
d’Égypte », sans cependant lui correspondre entièrement ; il a les oreilles
droites et pointues – plutôt courtes –, la queue pendante, longue et touffue,
poil court et hérissé allant du roux au gris, mais quelquefois noir. Il vit et
mange la nuit, et se nourrit de charognes ; il a deux trous-terriers : l’un à
l’Est et l’autre à l’Ouest, quittant l’un pour l’autre dès que l’un commence à
recevoir la lumière.
On a rarement trouvé des espèces sauvages parmi les animaux momifiés,
mais le plus souvent des espèces bâtardes, des canis lupaster, et
principalement des chiens errants d’Égypte qui sont un croisement de
diverses espèces. On a trouvé aussi dans une statue d’Anubis (Musée du
Caire) un squelette embaumé appartenant à l’espèce des chiens errants.
Mais il est évident que l’animal sacré d’Anubis et d’Oupouat est une
figuration composite donnant les caractéristiques nécessaires à la
représentation de telle ou telle fonction. (Cf. Her-Bak « Pois Chiche »,
chap. XXXIV.)

10. LA GRENOUILLE.
En égyptien, qrr. Le nom du Neter grenouille est Heqet = hqt. Ce mot est
donné, d’après Gardiner, dès les XVIIIe et XIXe dynasties, comme
idéogramme de la formule « ouhem ânkh », c’est-à-dire de répétition de vie
(repeating life).
D’autre part, le têtard, en égyptien, se nomme hefen (hfn), et ce mot
signifie aussi « cent mille ». Or ce têtard est placé sur le chen (la boucle-
circuit) qui est dessiné au pied de la tige de palmier sur laquelle Thot
compte les années.
Enfin, il y a homonymie entre le mot hqt (grenouille) et le mot hnqt ou
hqt (bière), comme s’il y avait un rapprochement entre l’idée de ferment –
ou levain – de la bière (levure de bière), et le ferment individuel qui serait la
base des « répétitions de vie ».
Il est évident que la courte existence d’une grenouille (cinquante à
soixante ans) ne peut pas légitimer le symbolisme du têtard pour les « cent
mille » ou millions d’années souhaitées dans ces formules ; il faut donc que
vienne jouer ici un symbolisme : sans doute celui des transformations
successives du têtard en grenouille, et sans doute aussi celui du levain.
*
**
Les grenouilles et les crapauds sont des batraciens, ordre des anoures.
Leurs caractéristiques essentielles sont :
• leurs transformations ou métamorphoses depuis leur sortie de l’œuf
jusqu’à l’âge adulte.
• Ils sortent de l’œuf sous forme de têtards ; pas de membres, une
nageoire impaire, continue, entourant l’extrémité caudale ; pas de
squelette ; cœur à deux cavités ; pas de poumons : respiration branchiale.
• Le passage du têtard à l’état adulte présente des transformations
compliquées :
• apparition des pattes postérieures, puis antérieures ;
• aux branchies externes succèdent les branchies internes, puis des
poumons qui persistent seuls chez l’adulte. Mais ces poumons sont de
simples sacs qui jouent surtout un rôle hydrostatique et communiquent
presque directement avec la bouche, la trachée et les bronches étant peu
développées. La respiration cutanée, au contraire, est très importante.
• Le squelette des adultes comporte des vertèbres individualisées, des
côtes réduites qui se soudent aux vertèbres. On trouve chez eux la première
différen ciation des régions de la colonne vertébrale : région cervicale,
région dorso-lombaire, région sacrée.
Chez la grenouille et le crapaud (chez les anoures) apparaît pour la
première fois l’oreille interne moyenne, qui se forme comme un diverticule
du pharynx et reste en communication avec lui par la trompe d’Eustache.
Le cœur des adultes a trois cavités : un ventricule, deux oreillettes. Le
têtard a six, puis quatre paires d’arcs aortiques. L’adulte n’a plus qu’une
paire de crosses aortiques et une paire d’artères pulmonaires indépendantes.
• Fécondation externe : le mâle féconde les œufs au moment de leur
expulsion. Les œufs sont pondus généralement dans les herbes aquatiques,
ou déposés au fond de l’eau.
• Les organes mutilés se régénèrent souvent, surtout chez les jeunes.
• La sueur et le sang du crapaud sont toxiques.
• Le crapaud peut jeûner pendant de longs mois.

11. L’HIPPOPOTAME.
Quadrupède biongulé, l’hippopotame est le type de la masse animale,
pesante et informe. Le ventre est pendant sur les courtes pattes ; le sacrum
est plus élevé que le garrot. La tête, aussi informe que le corps, est
quadrangulaire avec un museau monstrueusement large. La lèvre supérieure
recouvre la bouche. Les narines obliques sont très en arrière.
L’hippopotame vit sur terre et dans les parties stagnantes des cours d’eau.
Lorsqu’il plonge il ne reste pas plus de quelques minutes sous l’eau. Il dort
volontiers dans l’eau : des mouvements des pieds réguliers le maintiennent
à la surface, où émergent seulement les yeux, les narines et les oreilles.
La femelle est unipare ; elle nourrit et soigne son petit pendant
longtemps avec une grande sollicitude.
L’hippopotame est un dévastateur des cultures car il engloutit des
quantités énormes de végétaux. Il est très friand des plantes aquatiques les
plus fines, tels que les papyrus et les lotus.
L’hippopotame, dit Hérodote, n’était sacré que dans le nome paprémite.
Il était l’animal symbolique d’Apet : symbole de la maternité gestante et
471
nourricière .
Il était considéré comme Sethien parce que véritable incarnation de la
bestialité, de la masse et de la multiplication quantitative.
12. LE LION.
L’Égypte a suffisamment détaillé le symbolisme du lion pour démontrer
les caractères qu’elle lui attribuait.
Elle en a fait un hiéroglyphe alphabétique, la lettre r, mais une r plus
mouillée que la lettre r du mot Râ (Soleil) puisqu’elle correspondait souvent
à la lettre l qui n’existe pas autrement en égyptien.
Elle a pris les deux moitiés du corps du lion pour signifier les deux
notions essentielles : devant-avant (hati), derrière-arrière (peh).
La première, qui dessine la tête avec sa crinière solaire, sa poitrine et ses
pattes avant, se nomme hati, qui est aussi le nom du groupe organique
cœur-poumons. Le nom et le dessin de ce hati réunissent les symboles de
Soleil et feu (tête solaire et cœur), et d’air par le puissant coffre respiratoire
du lion.
Le nom du derrière, peh, signifie aussi « terrain marécageux ». Son
dessin montre les pattes arrière, le bassin et la croupe ; la queue est
redressée mais elle n’est pas dualisée comme la queue Sethienne. Son
caractère est la terre, mitigée par l’eau, ainsi que le confirme son nom, peh.
Or, l’importance donnée à cette symbolisation des éléments est accentuée
par les autres figurations du lion : Chou et Tefnedj – qui sont les doubles
472
qualités primordiales (sec et chaud, froid et humide) – sont représentés
par deux lions.
D’autre part, ce sont deux lions – ou deux hati de lions – tournant le dos
(à droite et à gauche) au Soleil de l’horizon, qui représentent les deux
473
aspects de ce Soleil : celui qui se couche dans la montagne et celui qui
en sort le matin. Et le premier se nomme « hier », et le second se nomme
« demain » (Livre des Morts).
Enfin le symbole du feu solaire, dans le lion, est précisé par la couronne
de flammes (semblable à la « couronne » du Soleil) qui entoure sa tête
quand on veut accentuer ce caractère, par exemple autour de la tête de
Sekhmet.
Quant à la symbolisation de l’eau par le lion, il serait plus difficile de le
croire s’il n’y avait les nombreux exemples de lions-gargouilles qui font
écouler l’eau du toit des temples. Ce fait est confirmé dès la Ve dynastie :
on trouve des gargouilles en forme de lions « verseurs d’eau » dans la cour
de la pyramide de Sahuré. On trouve aussi, dans la chambre de la pyramide
à degrés de Saqqarah, une table d’offrandes en pente sur le dos de deux
lions pour laisser couler les liquides d’offrandes dans un vase situé au-
dessous (Hor m heb, – Sahuré, Mariette, Musée du Caire. Cf. Burschardt,
Sahuré).
La raison en est expliquée par Plutarque : « Ils honorent le lion, et ornent
leurs temples avec des têtes de lion ayant des gueules ouvertes parce que le
474
Nil déborde quand le soleil passe par le signe du Lion (juillet-août). » Or
les lions verseurs d’eau témoignent de ce fait dès l’Ancien Empire.
Pour la sagesse égyptienne, le Feu et l’Eau étaient les deux mobiles du
Monde, les deux « verrous » qui ouvrent et ferment toutes les portes de la
Nature. C’est pourquoi ils ont aussi choisi le lion comme verrou qui ouvre
et ferme, en expliquant, parfois par un texte approprié, le caractère du feu
ou de l’eau qui joue ce rôle dans tel cas particulier.

13. LE SCARABÉE.
Le scarabée, en égyptien khepra, est un des thèmes principaux des textes
funéraires, indispensables à connaître. Horapollon décrit trois scarabées
vénérés : le scarabée « sacré » qui féconde son propre germe, le fait gester
dans une boule de fumier (dans les ténèbres), et enfouit cette boule en la
roulant à reculons. Le deuxième scarabée est consacré à Isis parce qu’il a
des cornes comme la Lune. Le troisième, dit Horapollon, a une corne
unique et est consacré à Thot-Hermès.
Les caractéristiques du scarabée sacré sont si intéressantes qu’elles
méritent des détails précis. Sa couleur d’insecte parfait est noire, mais sa
nymphe, qui a la forme d’une momie, est jaune ambre, et lorsqu’il s’en
dépouille, il a le thorax, les pattes et la tête rouge sombre, l’abdomen blanc,
et les élytres blanc jaunâtre. Un mois est nécessaire pour l’accomplissement
de la couleur noir d’ébène.
Il faut différencier la boule dont se nourrit le scarabée d’avec la boule
gestatrice de son germe.
La première est grossièrement composée de bouse de mulets ou de
bovidés, plus ou moins mélangée d’aiguilles de foin ; il l’enfouit sous terre,
s’enferme avec elle et la dévore méthodiquement en excrétant, au fur et à
mesure, le résidu, en un fil continu qui peut atteindre trois mètres de long.
Ce scarabée, dit l’entomologiste Fabre, peut digérer à peu près son volume
de nourriture en une seule séance d’une douzaine d’heures !
La boule qui sert de nid au futur scarabée est faite d’une bouse plus
subtile, plus molle et mieux liée (généralement bouse de mouton) ; la pilule
est d’abord un peu creusée en forme de vase nou, avec un petit col-
bourrelet, rond, qui est ensuite étiré pour donner à la boule une forme de
poire ; quand le germe est déposé, le col est obturé par un souple bouchon
qui permet à l’air d’y pénétrer. Ainsi est créé un milieu maternel, gestant et
nourrissant, qui explique le caractère andro-gyne donné au scarabée
légendaire.
Le scarabée est consacré par ses symboles remarquables :
1° Symboles solaires : lorsqu’il a ses deux élytres déployées, il est
l’image du Soleil dans son double chemin – ascendant et descendant.
Enfouissant sa boule, il figure « Râ qui descend dans sa montagne ».
Khepra, nom du scarabée, est le nom du Soleil à son lever.
2° Symbole lunaire : vingt-huit jours de gestation.
3° Il symbolise le principe de l’être qui produit et réalise par lui-même
ses successives transformations, comme l’enseigne son nom et les mots
dont il découle :
• kheper = exister, devenir, prendre forme.
• Kheprer = qui produit lui-même sa genèse ; principe de l’être qui cause
lui-même les phases de ses transformations.
• kheprou = formes, transformations.
C’est pour cette raison que les Égyptiens posaient sur la momie le
scarabée à l’emplacement du cœur. Ce n’est pas le cœur de chair qu’il
représentait, mais le cœur psychique, le cœur subtil dont ils disaient que le
défunt ne devait jamais le perdre, et qui subissait l’épreuve des kheprou
(transformations).
La matière rituelle du scarabée du cœur était de l’or et de l’argent, afin
que les deux principes – solaire et lunaire – y fussent alliés.
On a trouvé aussi des scarabées de momie en pierre noire ou vert
sombre, symbole de l’état de transformation.

14. LE SERPENT.
Le serpent est un des thèmes les plus fréquents dans la symbolisation
égyptienne. L’uraeus est presque inséparable de la coiffure pharaonique,
elle entre dans la titulature royale, elle décore les frises et corniches des
temples.
Mais le serpent a diverses significations. Dans les tombes des rois où
sont développés les aspects occultes de l’être humain et les mystères de la
Douât, on voit de multiples serpents, différant comme formes et comme
attributions.
Pour comprendre le sens de ces scènes mystérieuses, il faut considérer
d’abord les caractéristiques génériques de ces reptiles, puis ce qui les
différencie.
— Caractères généraux des serpents : l’absence de membres sur le long
cylindre du corps, la platitude de la tête, et l’importance presque exclnsive :
475
de la colonne vertébrale munie de côtes sur toute sa longueur . Le serpent
est une colonne vertébrale habillée de peau, colonne si souple qu’elle peut
prendre toutes les positions, enveloppe si extensible qu’elle peut « avaler »
un volume considérable. Mouvement rampant inévitable.
L’idée générale symbolisée par le serpent est la nature rampante,
ondulante, visqueuse, qui peut être ignée ou aquatique selon l’espèce
représentée.
Différences symbolisées par les espèces (réelles ou mythiques) :
1° Serpents venimeux, soit par morsure, soit par crachat. Leurs
principales figurations sont :
Le cobra (l’uraeus), caractérisé par sa poitrine développée, symbolise le
centre vital de la respiration, symbole accentué par la navette de Neith que
l’on inscrit en son milieu. Le trajet du feu vital est évoqué par le dessin de
la colonne vertébrale. La montée victorieuse de ce feu jusqu’au centre
frontal, est symbolisée par l’uraeus frontale du Pharaon. Les corps ou
« mondes » constituant l’être humain, sont représentés dans l’uraeus lovée
476
ou dressée : le corps matériel (absorbant et digérant) figuré par les replis
du serpent, semblables aux intestins ; le corps psychique, symbolisé dans le
dessin complexe de sa poitrine ; l’état supérieur (spirituel) représenté par la
tête, qui n’a pas de calotte crânienne et qui est couronnée.
Les vipères. Les deux vipères – ou feux primordiaux du monde – qui se
dressent dans le dessin des « buttes » primordiales. La vipère à cornes qui
dans le hiéroglyphe F, symbolise le souffle de vie ; ce symbolisme est
accentué par les deux idéogrammes de la vipère entrant ou sortant de son
trou (signifiant « sortir », « entrer ») ou l’expir et l’aspir du souffle. Ces
vipères ont été choisies comme les meilleurs symboles pour ces deux idées.
2° Parmi les serpents non venimeux, les Egyptiens ont figuré :
• les reptiles terrestres ou aquatiques, du genre couleuvre (idée générale
du reptile, voir ci-dessus) ;
• les serpents encerclant les momies : figurant la force vitale dont le
corps était le support ;
• les longs serpents aux multiples boucles et replis : figurant, par le
nombre de leurs circonvolutions, les phases de progrès et chutes successifs
qui constituent la longue évolution d’un être ;
• les « serpents-fleuves » sur lesquels on voit la tête du défunt naviguer à
travers ses pérégrinations d’outre-tombe. (Voir chap. VII.)
Enfin, ajoutons à ce schéma grossier les figures composites des multiples
serpents mythiques auxquels on a donné des jambes, des bras, des ailes,
pour figurer les divers « feux » ou énergies dont les textes et tableaux
funéraires enseignent la fonction dans la genèse du Monde et des êtres.
Ce nom de « feu » est souvent précisé pour expliquer le symbole de
certains serpents (surtout cobra).
A remarquer aussi les uraeus qui sortent du disque solaire dans la plupart
de ses représentations.
URAEUS. – iârt ou àârt.
L’uraeus est le cobra, représenté dressé avec la poitrine élargie, sur le bas
du corps qui forme des lacets.
Le nom égyptien, iârt – ou àârt – est formé de la racine iâr ou àâr, qui
signifie « monter ». Ce nom fait allusion au geste du cobra dont la tête
s’élève, mais aussi à la montée du serpent de feu le long de la colonne
vertébrale, et jusqu’au front du Pharaon où il est représenté, se dressant
devant la coiffure ou la couronne.
OUADJIT. – Ouadj.t est le nom du Neter féminin qui « patronne » et
protège le royaume du Nord ou Delta. Elle porte la couronne rouge.
Lorsqu’elle est mise en parallèle avec Nekhbet, « patronne » et
protectrice du Sud, elle est représentée par une uraeus portant deux grandes
ailes et la couronne rouge ; dans ce même cas, Nekhbet – vautour ou uraeus
– porte la couronne blanche.

15. LE VAUTOUR DE MOÛT ET DE NEKHBET.


Le grand vautour de la mythologie égyptienne y représente plusieurs
fonctions sous diverses formes et diverses couleurs. Son image est
l’idéogramme du vautour, nrt, et de la déesse Moût – mwt – et le
phonogramme de moût, la mère. Sa tête au bec crochu est le phonogramme
et nrt qui exprime la force – la force nerveuse –, et la puissance victorieuse.
Sous la forme du vautour, portant fréquemment le flagellum sur son dos,
477
il représente la « grande Nekhebit la blanche ».
Avec ses ailes chatoyantes des couleurs symboliques de la genèse, il
plane aux plafonds des temples et des tombes, il obombre les images du
Pharaon, il coiffe la tête d’Isis et de certaines reines. Son corps en forme
d’œuf et ses grandes ailes protectrices expriment ses fonctions de couveuse
et de mère.
Quoique l’on retrouve ici – comme toujours – les particularités de
plusieurs espèces combinées en une même image (souvent même avec des
détails qui n’appartiennent à aucune anatomie !), on peut cependant repérer
au moins deux espèces qui ont servi de base à ces représentations
symboliques :
• le Gypse fulvus (gypse fauve) et
• l’Otogypse auriculeus (oricou).
Le Gypse fulvus a la tête et le cou en partie dénudés, en partie recouverts
de poils et duvets blanchâtres. La base du cou est entourée d’une large
fraise de longues plumes fines lancéolées, blanc-crème ou chamois.
Les plumes du dos varient entre le roux, le brun et le gris ; celles de la
poitrine et des flancs sont de couleur sableuse ou grisâtre. Plumes noires
aux grandes ailes et à la courte queue. Grande taille, environ 1,15 m de
long ; envergure des ailes, 2,72 m. Le Gypse fulvus perche et niche dans les
rochers escarpés. Il dévore les chairs et les viscères des cadavres et de
toutes les charognes qu’il rencontre.
L’Otogypse oricou, d’après Brœhm, est aussi grand et plus « épais » que
le gypse fauve ; tête énorme, bec long et vigoureux ; ailes immenses, très
larges et un peu arrondies. Plumage brun-noir de suie, avec bordure claire
sur les grandes couvertures supérieures des ailes. Les parties dénudées du
cou et des pattes sont gris de plomb, les joues violettes.
C’est le plus vorace des vautours ; en cinq minutes, dit Brœhm, quatre ou
cinq de ces oiseaux dévorent un grand chien avec ses os dont ils ne laissent
que le crâne et les pattes. Ils ont besoin de beaucoup d’eau, pour boire et
pour se nettoyer.
Certains naturalistes affirment que ces deux espèces pondent un seul
œuf ; d’autres – dont Keimer – disent « plusieurs ».
Quelles que soient les différentes opinions sur certains détails, et sur
l’attribution de telle espèce à telle ou telle figuration, le fait évident est la
volonté symbolique qui choisit pour chaque cas les couleurs et les
particularités nécessaires à l’expression d’une qualité ou d’une fonction.
Les caractéristiques des vautours les plus intéressantes à retenir pour la
compréhension du symbolisme sont : la force énorme de leur bec qui
déchire et qui brise, de leur salive qui dissout, de leurs serres qui agrippent.
Leur vue perçante et leur flair découvrent de très loin le cadavre. Ils
cherchent leur proie et s’en nourrissent en plein jour, entre dix heures du
matin et le coucher du Soleil.
D’après Horapollon, le vautour désirant concevoir ouvre sa vulve dans la
direction du vent du nord, et se laisse féconder pendant cinq jours
(Horapollon, Hiéroglyphes, I, II).
Cf. Elien, II, 46, sur les vautours femelles fécondées par le vent du sud et
du sud-est.
Cf. Capart, Quelques observations sur la déesse d’El-Kab, 1946.
Ce grand vautour, symbole de Nekhebit, déesse d’El-Kab, abonde encore
aujourd’hui dans ces parages.

16. LES ANIMAUX SACRÉS.


Ceux-ci étaient des animaux vivants, protégés comme « tabous » dans les
nomes où ils étaient vénérés, et recevant après leur mort les honneurs de la
momification. Certains d’entre eux – tels les crocodiles du Fayoum –
étaient nourris et soignés par les prêtres. Dans de rares cas – tels le bélier de
Mendès et les taureaux sacrés –, certains types sélectionnés étaient l’objet
d’un culte rituel.
Ces animaux « sacrés », ou simplement « tabous », ont été choisis
comme tels par les Sages égyptiens parce qu’ils manifestent, dans leur
comportement et leurs caractéristiques fonctionnelles, les qualités
essentielles de puissances animiques dont ils sont typiquement l’incarnation
animale. Ainsi les Principes métaphysiques symbolisés par l’animal
mythique ont pris corps dans l’animal vivant, et celui-ci porte leurs
signatures.
Les animaux qui doivent être classés dans cette catégorie sont : le bélier,
le chat, le crocodile, le cynocéphale, le faucon, l’ibis et le taureau.
Les autres animaux cités dans la symbolique égyptienne ne remplissent
pas toutes les conditions qui déterminent ce caractère. Par exemple,
l’animal d’Anubis ou d’Oupouat est un type indéfini entre le chien, le
chacal et le loup – voire même le renard – et, pour cette raison, ne peut être
considéré comme un animal symbolique, malgré les cas de momification de
ses espèces composantes. De même que pour la vache d’Hathor, ou pour
l’hippopotame de Seth, ou pour le scorpion de Serket : c’est au Neter – ou
Principe symbolique – qu’est donnée toute l’importance, et non plus à son
incarnation dans l’animal vivant.
17. LE BÉLIER.
Deux espèces sont représentées dans les figurations symboliques : la
première a des cornes tordues spira-liquement, et étendues horizontalement
dans une direction perpendiculaire à l’axe du corps. A cette espèce
appartiennent le bélier sacré de Mendès et le bélier symbolique du Neter
Khnoum, le « potier » artisan de l’œuf du Monde et de tous les êtres qui
viennent à l’existence.
La seconde espèce a des cornes qui encadrent la tête à droite et à gauche,
se dirigeant d’abord en arrière, puis descendant en décrivant une courbe à
grand rayon dont la pointe revient en avant. C’est le bélier d’Amon.
Les Neter représentés avec des cornes de bélier, portent parfois en même
temps les deux formes de cornes.
Le principal symbole de cet animal est son rapport avec le signe du
Zodiaque qui porte son nom : signe de printemps, de fécondation et de
renouveau, qui correspond effectivement au bélier, mâle du troupeau de
brebis, et père de l’agneau dont la signification cabalistique fut toujours le
jeune feu de vie « agni ».
C’est à ce titre qu’il est le symbole de Khnoum, principe de conjonction,
et de formation du germe.
En tant que signe zodiacal de l’année précession-nique, le Bélier fut
consacré à Amon dont le culte se développa pendant cette période.

18. LE CHAT.
La déesse à tête de chat, Bastit, était la sœur de Sekhmet dont elle
représente l’aspect doux. Elle boit du lait alors que Sekhmet boit du sang…
Le phonogramme bas, qui fait partie du nom de Bastit, est une jarre
d’huile. Quelquefois Bastit tient en main la tête de Sekhmet, pour montrer
qu’elle peut avoir l’aspect redoutable.
Le chat était l’animal sacré à Bubaste, où Bastit avait son temple ; les
chats y étaient tabous, et on les y envoyait pour être momifiés.
Le chat a un aspect lunaire et un aspect solaire. Il est doué d’une
extraordinaire souplesse de la colonne vertébrale et d’une puissance
énergétique très intense.

19. LE CROCODILE.
Les particularités remarquables du crocodile sont : d’abord la curieuse
phase intermédiaire qu’il représente dans le règne animal. Quoique classé
comme reptile, il a des points communs avec les poissons, et d’autres avec
les oiseaux ; par l’organisation et la position de sa dentition, il est apparenté
aux poissons : il a, dit-on, 66 à 70 dents qu’il renouvelle pendant toute sa
vie. Par les caractéristiques de son développement embryologique et de son
anatomie, il se révélerait être un ancêtre des oiseaux : par son cœur, ses
reins, ses poumons (il ne respire pas dans l’eau) ;
• il pond des œufs ;
• son œil est semblable à l’œil de l’oiseau.
D’autre part ses poumons spongieux le rapprochent du mammifère.
Son deuxième caractère essentiel est son extraordinaire puissance vitale
physique, dont la force musculaire se manifeste dans la queue. Il pond un
grand nombre d’œufs (on en a compté jusqu’à 60 et même, dit-on, 99). Sa
croissance est aussi remarquable que sa fécondité : il multiplie jusqu’à cent
fois sa longueur originelle.
La troisième particularité du crocodile est son caractère de dualisme. Sa
vie est double : dans l’eau la nuit, sur terre le jour. Il a deux aortes qui se
rejoignent au-dessous du cœur ; l’artère droite (qui seule subsiste chez les
oiseaux) est la plus importante.
Les plaques de sa carapace forment de véritables « os dermiques », qui
lui constituent comme un deuxième squelette extérieur. Enfin, bien qu’il
reste étendu au soleil pendant le jour, ses yeux ne supportent pas la forte
lumière, dont ils se protègent par une troisième paupière.
Le crocodile était réputé pour son impossibilité de regarder en arrière.
Horapollon le qualifie de « rapace prolifique et furieux ». Tous les animaux
le fuient, excepté le héron et un petit oiseau – le tro-chileus, dont certains
auteurs font une sorte de pluvier –, qui entre dans sa gueule pour y manger
les insectes qui s’y trouvent. Son ennemi mortel, d’après Diodore, est
l’ichneumon, qui cherche ses œufs pour les briser, et entre même dans sa
gueule pour aller dévorer ses intestins, et ressortir indemne du corps qu’il a
ainsi tué (sic).
Le crocodile est si vorace qu’il lui arrive même de manger ses propres
enfants. Certains auteurs le mettent en relation avec Saturne, pour ce fait et
pour d’autres raisons : d’après Plutarque (Isis et Osiris, 76) et Elien (Nat.
anim., V, 42), la femelle porte ses œufs pendant 60 jours, en pond 60, les
couve 60 jours, a 60 vertèbres, 60 dents, et vit 60 ans. Or ces auteurs font
remarquer que le nombre 60 est la première unité dont se servent les
astronomes, et ils établissent un rapport entre Seb-Sobek et Chronos, dieu
du Temps.
Le crocodile était considéré comme animal sacré dans certains lieux
d’Égypte (par exemple au lac sacré du Fayoum). Comme tel il était protégé,
nourri et apprivoisé. Un homme blessé ou tué par un crocodile était
considéré comme privilégié, et les prêtres se chargeaient de son
embaumement.
Son Neter, Sebek – ou Sobek – était généralement représenté par un corps
humain ayant une face de crocodile. Sobek a, comme son animal
symbolique, un caractère Sethien, très explicable par les particularités du
crocodile : puissance matérielle et dualisme. C’est ce dualisme qui est
accentué dans le temple de Kom Ombo, dont Sobek est un des principaux
478
Neter . (Deux sanctuaires, deux portiques, etc.)
A Ombos (Kom Ombo) le Soleil est identifié avec le crocodile Sebek ;
on lit sur le temple : « Sebek-Râ, qui s’avance hors du Nou primordial, la
première de toutes les divinités… » C’est la forme du crocodile qui s’élance
du Nou sacré et primordial, qui dure comme principe. Tout ce qui est entré
dans l’existence n’y est entré qu’après l’origine de ce principe. (Brugsh,
Rel. und Myth., p. 105 ; A. Deiber, Cl. d’Alexandrie, p. 39-40.)
Il faut remarquer que « Sobek crocodile » symbolise deux fonctions
essentielles : la contraction de la première matière devenant solide, et la
fonction de broyer et mettre en poudre, qui précède toute transformation.

20. LE CYNOCÉPHALE.
Ce grand singe au museau allongé est remarquable par sa crinière, et sa
pèlerine particulièrement chevelue.
Ses cris et gambades à l’aube et au crépuscule lui ont donné un rôle
479
symbolique important. Creuzer suivant Horapollon, explique qu’il était
en même temps le hiéroglyphe :
« 1° de la Lune parce que cet animal, selon les Égyptiens, devenait
aveugle, et avait un flux de sang menstruel à la Nouvelle Lune, ce pourquoi
il était nourri dans les temples ;
2° de l’écriture ;
3° de la caste sacerdotale parce qu’il ne mange pas de poisson ;
4° du Monde, étant comme celui-ci composé de soixante-douze parties. »
Le cynocéphale était, à cause de ses rapports avec la Lune et le Soleil, un
symbole du Temps : sous son nom de Hetet, il salue le Soleil du matin ;
480
sous son nom de Benti, il salue son coucher . Il est dit qu’aux deux
équinoxes de l’année, ce singe urine douze fois par jour – à savoir à chaque
481
heure –, et qu’il fait la même chose pendant les deux nuits .
Pour ces raisons, il est souvent représenté assis contre la clepsydre, de
laquelle l’eau s’écoule par son pénis.
Le cynocéphale, dont on trouve souvent les statues dans les temples (par
exemple à Karnak, temple de Khonsou) est le symbole de Thot, et d’un des
quatre « fils d’Horus », Hapi.

21. LE FAUCON D’HORUS.


Parmi les diverses espèces de faucons connus en Égypte, on ne trouve
chez aucune d’elle la totalité des caractéristiques du faucon symbolique
d’Horus. Victor Loret l’identifie à Falco peregrinus, en prenant pour
exemple le faucon de la tombe de Ramsès IX. « Oh a raison de dire que
l’oiseau d’Horus du tombeau de Ramsès IX est le faucon commun ou le
faucon « pèlerin »… Cependant, « qu’il ait été schématisé ou dessiné
d’après nature, l’ensemble de ses caractères rappelle beaucoup mieux la
forme du Falco Babyloniens que la variété ou espèce européenne Falco
peregrinus ».
« Cette figure présente, réunis sur le même individu, plusieurs des
caractères qui ont servi aux ornithologistes à distinguer les différentes
formes ou variétés pérégrinoïdes du faucon » (Gaillard et Daressi, Faune
Momifiée de l’Ancienne Égypte, p. 48-50).
Les détails spécifiques de l’image du faucon Horien sont : les sommets
élargis des ailes qui forment de fortes épaules, les tarses emplumés qui lui
font une sorte de culotte de plumes, de teinte claire rayée de taches brunes.
Sa tête est plate, son bec courbe. Les yeux surtout sont remarquables par le
dessin caractéristique qui a fait de « l’œil d’Horus » un signe
hiéroglyphique : une tache noire verticale descend sous l’œil, comme un
piquet assez semblable à celui du signe qd ; cette tache s’étend en arrière en
forme de croissant noir, surmonté d’un croissant rose, et dont la corne
redescend en courbe vers l’avant.
Pour le faucon d’Horus comme pour les autres animaux mythologiques,
on constate la réunion sur une même image, des caractéristiques de
plusieurs espèces, pour exprimer toutes les nuances des fonctions qui
doivent y être symbolisées.
Les Anciens Égyptiens distinguaient ce faucon d’avec les rapaces
vulgaires, et le déclaraient « noble » dans son vol comme dans sa chasse ; il
n’y a ni ruse ni prudence dans son attaque : il s’élève très haut, en montée
directe, par élans successifs sans aucun tournoiement, puis descend en
plongeon subit qui le précipite sur sa proie. Il attaque l’oiseau en plein vol,
lui perce le cœur ou la carotide, et boit son sang directement. Parfois,
cependant, il le plume et le mange.
Sa vue perçante est si puissante qu’il peut fixer le Soleil.
D’après Horapollon, le faucon peut symboliser :
• un Neter, parce qu’il est prolifique, de vie longue et de vue perçante ;
• la hauteur, par sa montée directe ;
• le sang, parce qu’il ne boit que du sang ;
• la victoire sur l’ennemi, qu’il attaque en volant renversé sous lui ;
• l’âme, par son nom, bak, proche de BA, et parce qu’il boit le sang
[porteur de l’âme].
• Enfin il symbolise l’accouplement et le Soleil, parce que la femelle
accepte le mâle trente fois par jour (trente, nombre des jours du mois
solaire).

22. L’IBIS.
L’ibis est l’oiseau de Thot, lequel est généralement représenté avec une
tête d’ibis.
Il y avait deux espèces d’ibis : le plus vénéré, qui avait la réputation de
combattre les serpents, était noir, et ne se trouve plus qu’au sud de Ouadi
Halfa. Celui-ci est l’oiseau du hiéroglyphe gem, qui signifie « trouver ».
L’autre espèce est l’oiseau de Thot : blanc, avec plumes noires à la tête,
au cou, au sommet des ailes et au croupion.
L’ibis blanc et l’ibis noir ont un très long bec recourbé et de hautes
jambes fines.
Ils étaient protégés comme tabous, et leurs cadavres étaient envoyés à la
ville de Thot, Hermopolis, pour y être momifiés et conservés.

23. LE TAUREAU.
Le nom égyptien du taureau – KA – explique pourquoi il avait été choisi
comme « animal sacré », dont le principal caractère était une « incarnation
de Ptah », c’est-à-dire du Feu générateur de tous les êtres terrestres.
482
Le KA , en effet, est la puissance vitale de la Nature, mobile animateur
de tous les êtres de la Terre. La force animale d’un être fait partie de son
KA inférieur. Le KA a un aspect actif, et un aspect passif qui est parfois
483
représenté par les hemsout .
Le taureau est le type animal de la force génératrice, de la force
passionnelle, de la force matérielle et de la force passive. C’est son aspect
actif qu’on entend par « taureau Apis », et l’aspect passif par « bœuf Apis ».
Le taureau Apis (appelé en grec « Epaphus »), était le nom du « bœuf »
ou plutôt taureau sacré de Memphis. Son choix était fait par des prêtres dès
la mort du dernier Apis. Il fallait trouver un veau noir, ayant au front une
tache blanche carrée, une image d’aigle sur le dos, un « nœud » sous la
langue en forme de scarabée. Les poils de la queue devaient être mi-blancs,
mi-noirs. Enfin un croissant blanc sur le côté droit. Il devait avoir « été
conçu dans un coup de tonnerre » (« par un rayon céleste », disent certains
textes). Aussitôt trouvé, il était nourri pendant quarante jours, servi
uniquement par des femmes ; puis on le conduisit à Memphis dans une
barque dorée. Il était reçu en grande cérémonie, paré, nourri
somptueusement. Il avait ses vaches « concubines » soigneusement
choisies. Sa mort était un deuil public, et ses funérailles étaient faites en
grande pompe.
Apis, disait-on, incarnait « l’âme de Ptah ». D’autre part, la couleur noire
du taureau sacré est comparée à la couleur du limon qui est comme le corps
d’Osiris, Neter de fertilité végétable ; sa naissance, ses taches, son
484
accouplement, sont en rapport avec la Lune dont Osiris est la puissance .
On a trouvé à Memphis un monument souterrain, le Sérapeum, qui
contenait les sarcophages des Apis.
— Les autres aspects du taureau sacré étaient : Montou, Boukhis et
Mnévis.
Montou était la représentation animale de la force terrestre d’Horus dans
son aspect combattant. Quand on lui donnait une tête de faucon sur un
corps d’homme, il symbolisait la même force, mais subtiliée.
Montou taureau était honoré dans quatre temples de la région thébaine :
Medamoud, Hermonthis (Erment), Tôd et Karnak. Ces quatre aspects
étaient les « quatre faces de Montou » ou les « quatre mâles de
l’Ogdoade ». On les considérait cependant comme « unis en un ».
Boukhis (aussi nommé par les Grecs : Bacis » et « Onouphis ») était un
aspect de Montou, taureau sacré d’Hermonthis. Il était traité comme Apis.
Mnévis, taureau sacré d’Héliopolis, qui, d’après Plutarque, aurait été
considéré comme « père d’Apis », et honoré en second lieu après Apis
(Plutarque, Jsis et Osiris, p. 323 sq.).
Il était noir, « avec des épis sur le corps et la queue », et était traité de la
même manière qu’Apis.
COMMENTAIRE IV
QUELQUES PRÉCISIONS NÉCESSAIRES
A LA COMPRÉHENSION DE L’ENSEIGNEMENT ÉGYPTIEN

Ce qu’il faut entendre par :

1. SUBSTANCE ET MATIÈRE – FORME ET FORMES.


Substance et Matière sont à considérer comme synonymes en tant que
« porteurs » de quelque chose. Mais le mot « substance » aura plus
précisément le caractère universel et non spécifié, tandis qu’on appellera
philosophiquement « matière » la substance caractérisée mais non
corporifiée. Ainsi le sang maternel nourricier sera matière portant la
substance qui nourrira l’enfant.
Communément on confond matière et corps, tandis que nous devrions
comprendre le corps comme matière formée dans un aspect spécifique.
Trois états sont donc considérés dans cette proposition : substance,
matière, corps. Ce dernier ne peut pas « devenir » sans uniforme qui le
spécifie ; ainsi nous avons une matière portant substance, qu’une forme
(semence) précise en tant qu’espace comme corps. Le corps est l’enfant –
ou le produit – de cette trinité en laquelle la substance est l’Esprit, Informe
est le « Père » ou animateur (l’impulsion), et le corps est la substance en
matière formée, comme produit caractérisé par l’animation.
Dans la création pure (principielle), chaque élément de ce ternaire est
une abstraction, et le résultat (que nous appelons « corps ») sera la première
matière de l’Univers ayant caractère universel.
Le mot « matière » peut donc avoir deux sens : le sens communément
admis de « corps », et le sens philosophique exprimé ci-dessus.
La Forme et les formes.
Il faut faire une distinction entre le principe Forme et les formes. Le
principe Forme est cette Puissance qui rend matérielle la substance sans
forme, dans ce sens que c’est la Forme qui fait l’Être.
Quant aux formes de ce qui est déjà matériel, ce sont des spécifications
commandées par la Proportion, comme cela est défini ci-dessous au § 2.

2. NOMBRE. MESURE. PROPORTION.


D’après Hippolyte : « Pythagore a appris des Égyptiens les Nombres et
les Mesures, et, stupéfait de la sagesse digne de foi, spécieuse et difficile à
communiquer des prêtres d’Égypte, dans un désir d’émulation il a prescrit
lui aussi la loi du silence et enjoint à qui veut apprendre de méditer en repos
dans des temples souterrains. » (Refut., I, 2,18, p. 8-22. Wendl.)
• Qu’est-ce que le Nombre ?
• Qu’est-ce que la Mesure ?
485
• Qu’est-ce que la Proportion ?
« — L’énumération se confond avec la conscience psychologique et ne
peut donc pas être définie, mais préside à la pensée. Quand Descartes
demande : « Suis-je ? », il compte, et de ce fait il répond à sa question
puisqu’il ne pourrait pas questionner s’il n’était pas ; il ne pourrait pas
penser s’il ne comptait pas : moi, je questionne qui ?
« Le Nombre commence avec la scission de l’Unité primordiale.
« Dans cette scission, l’Unité causale se regarde, et il y a le Soi et le Moi,
c’est-à-dire deux états. D’autre part le Point sans quantité, sans étendue, ne
peut pas devenir surface sans que se réalise ce qui est le mystère de
l’Origine. Quand ce point, cette unité insécable, devient surface, c’est l’Un
qui est devenu Deux, et ce Deux avec l’unité, constitue une surface
triangulaire puisque toute notion de première surface exige une limitation
par trois côtés. Effectivement toute définition de Un exige l’existence de
Deux, alors il y a Un et Deux. Au commencement de toute chose il y a cette
scission, c’est pourquoi on peut dire : « toute la Nature compte ». La cellule
vivante se procrée par scission, elle se dénombre. La semence ne peut
germer vers le haut qu’en jetant en même temps sa racine en terre, elle se
dénombre. Il faudra la conscience psychologique de l’homme pour se
rendre compte que l’on compte ; un nouveau phénomène de scission sera
donc nécessaire, un nouvel acte, qui est un renversement de cette
conscience que j’appelle innée, pour que naisse ou apparaisse la conscience
psychologique, la conscience du Moi. Nous pouvons conclure : le
« mystère », la création en général, se situe entre les nombres Un et Deux,
et la notion la plus simple que nous puissions avoir du nombre Un est
ternaire. Pour cette raison, pour la science du Nombre, Un vaut Trois. Puis
vient la suite naturelle arithmétique de un à dix, ou plus exactement de un à
neuf, puisque dix représente en arithmétique, dans le système décimal, ce
que l’octave est en musique : une reprise de l’unité. Cette suite n’est pas
arbitraire puisqu’elle se construit sur les possibilités ; en effet, il faut deux
nombres pour pouvoir additionner, et il faut deux nombres valant plus
qu’un pour pouvoir multiplier.
« Que cette explication primaire suffise ici pour répondre à la question :
« Qu’est-ce que le Nombre ? » Son origine est le mystère de la scission de
l’Un incompréhensible, en Deux et Trois compréhensibles ; son caractère
est d’être l’expression la plus simple des fonctions de la Nature, et sa nature
propre est inséparable de la conscience. »
*
**
486
« — La Mesure est un rapport de nombres inégaux , et, de ce fait, un
rapport de quantités. La Mesure estdonc relative ; c’est une définition
quantitative. Lorsque nous constatons qu’un nombre N est plus grand que le
nombre n ou inversement, nous le mesurons quantitativement. Nous
mesurons quantitativement la qualité, l’énergie, la force, la puissance,
l’intensité, etc. ; c’est toujours la mise en rapport de grandeurs. « Je dois
pourtant signaler l’existence d’une mesure vitale pure, qui n’est pas
quantitative. Elle consiste dans la qualité réactive de la semence par rapport
à la force vitale qui est transcendante et incommensurable. La spécification
est une mesure non quantitative, c’est une qualification. Mais en ce qui
concerne le thème traité ici, nous devons considérer la mesure comme
définition quantitative, c’est-à-dire appliquée dans les effets quantitatifs ou
rapports de grandeurs. En Égypte pharaonique chaque triade de Neter a sa
mesure propre, parce qu’elle préside une lignée de formes naturelles,
engendrées par la puissance causale du Neter. Ainsi chaque temple consacré
à une triade a d’abord sa coudée particulière. Nous aurons une coudée
royale, une coudée Osirienne, une coudée Horienne, une coudée
Hathorienne (Dendérah), une coudée noire (fonctionnelle, et appliquée à la
crue du Nil qui apporte le limon noir), etc. Mais la situation du lieu va
également jouer un rôle, et les mesures appliquées dans le Temple et les
nomes vont se rapporter à la latitude. Ce n’est pas ici le lieu d’en donner les
preuves, mais ceci est démontrable. Bien entendu la différence entre les
lieux rapprochés est, en tant que latitude, si petite qu’une application en
coudées de mesures serait pratiquement impossible. Aussi ai-je dit : il s’agit
de mesures appliquées, et ceci sur des grandeurs telles que cette différence,
multipliée, devient contrôlable. Dans ce cas, il s’agit toujours de « brasses »
487
comme unités de mesure .
« C’est l’objet de la Mesure qui modifie l’unité de celle-ci. Ainsi la
longueur en général, le chemin en particulier, le volume, la distance
abstraite, l’intensité, le poids (qu’il s’agisse de matières précieuses ou
ordinaires), la contenance de grains ou de liquides, tout a sa mesure propre,
rattachée par la symbolique du Mythe à une philosophie vitale. Voici un
échantillon d’une énigme de ce genre : toutes les parties de l’œil oudja
égyptien servent à désigner les fractions du hkt ou mesure de capacité des
grains. D’autre part l’addition de ces fractions ne donne pas une unité
complète, mais seulement les 63/64 de celle-ci. Pourquoi prendre l’œil pour
désigner ces mesures ?
« En réalité nous devons, avec la pensée pharaonique, comprendre qu’il
n’y a qu’une seule et unique Unité qui englobe tout, c’est-à-dire l’Unité
causale. Tout le reste, donc toute la création, ne peut alors être que fraction
de cette Unité ; et la Mesure, qui est une définition de quantité, n’est qu’une
fraction d’un principe qui préside à la nature de la chose à mesurer.
*
**
« La Proportion est le rapport de grandeurs sans détermination de
quantités, elle est donc purement qualitative. Quand deux lignes droites se
coupent (se croisent) n’importe comment, elles déterminent deux paires
d’angles égaux. Si une troisième ligne vient joindre les deux branches de
l’un de ces angles, elles forment ensemble une surface triangulaire. C’est
l’angle donné qui est le maître de la situation. Le troisième côté du triangle
pourra se placer différemment et former ainsi des surfaces triangulaires très
différentes, créant un grand nombre de grandeurs proportionnelles des deux
branches primitives du triangle. Ces proportions varient de l’infiniment
grand de l’une des branches par rapport à l’infiniment petit de l’autre. Cette
proportion peut ensuite se réduire jusqu’à égalité, puisque c’est l’ancienne
petite branche qui va grandir, et la grande qui va diminuer. Donc, à partir
d’un angle donné, les possibilités des triangles qui peuvent être formés
théoriquement représentent un nombre infiniment grand, divisé par deux.
Nous voici encore une fois posés devant cette réalité métaphysique : une
Unité d’où sort le monde par la mystérieuse dualisation de l’Origine. Mais
cette fois, nous constatons que cette dualité crée une première forme stable,
la première surface ; celle-ci est triangulaire, et cette forme est déterminée
488
par une proportion .
« Si, dans un triangle quelconque, nous déplaçons un côté parallèlement
à lui-même, augmentant la surface ou la diminuant autant que nous le
voudrons, tous les triangles formés par ce déplacement seront semblables,
et leurs côtés resteront proportionnellement égaux, quoique les surfaces
soient quantitativement différentes les unes des autres.
« C’est le Principe de proportions qui fixe et maintient la Forme.
« Nous avons vu qu’un nombre infini de formes triangulaires est possible
à partir d’un angle donné. Ces angles eux-mêmes peuvent aller depuis zéro
(plus une quantité infiniment petite) jusqu’à l’angle droit (moins une
489
quantité infiniment petite ). Ceci est juste philosophiquement, mais la
créature est tangible et se distingue de l’Unité créatrice par le fait d’être
définissable, donc elle a des frontières. C’est à cela que fait allusion ce que
j’appellerai la « harpe cosmique » pythagoricienne, c’est-à-dire la fondation
proportionnelle des types, base de toutes les formes.
« En nous servant du triangle sacré, 3 : 4 : 5, qui est nécessairement
rectangle, nous aurons un côté a qui vaudra 4 et un côté b qui vaudra 3,
pour un côté c – ou hypoténuse – qui vaut 5 et joue ici le rôle de corde
vibrante. En divisant chacune des trois parts du côté 3, soit par 3, soit par 5,
nous aurons des divisions de 1/3, de 1/9 et de 1/15. Ceci nous permettra
toutes les fractions nécessaires pour toute la gamme musicale : le côté a
nous donnera le Fa avec les 3/4 de la corde, et l’octave du Do originel avec
la moitié. Il suffit donc de diviser l’hypoténuse qui vaut 1, en 8/9 pour Ré,
en 4/5 pour Mi, en 3/4 pour Fa, en 2/3 pour Sol, en 3/5 pour La, en 8/15
pour Si, Lorsque l’hypoténuse sera divisée en deux parties égales, chacune
d’elles donnera l’octave du Do primitif.
« Si nous admettons que cette hypoténuse est une corde à tension
constante pour les mêmes triangles de toutes grandeurs, nous aurons un son
très haut par la réduction, et un son très grave par l’augmentation de la
longueur de l’hypoténuse du triangle 3 : 4 : 5 ; cette hypoténuse – ou corde
– sera ainsi divisée en ces sept proportions qui vont de 1 à 1/2, donc de 1 à
2 en tant que Nombre. C’est l’oreille qui nous impose cette gamme, et non
un jugement raisonné. L’oreille nous montre ainsi, en une sensation directe,
qu’il y a sept formes fondamentales de son par le fractionnement, ou la
division, de 1 à 2 ; et, puisque nous retrouvons ce même septuple
fractionnement dans tous les phénomènes (lumière, rayonnement en
général, rayons X, etc.), les Sages de tous les Temps ont, avec juste raison,
défini la création du monde en sept jours, le système planétaire en sept
globes, les périodes les plus essentielles de la vie de l’homme en sept mois,
sept ans, etc.
« Nous constatons alors que la Proportion est un principe, et n’est pas
seulement un rapport puisqu’elle est :
1° ce qui fait la forme,
2°ce qui maintient la continuité de la forme, donc de l’espèce.
« La science proprement dite des proportions est la géométrie ; or les
Anciens Égyptiens ayant été, dans l’Antiquité, désignés comme « les plus
grands géomètres qui existent », nous avons quelques raisons pour nous
adresser à leur enseignement et pour étudier minutieusement leurs jeux
géométriques, surtout lorsqu’ils nous indiquent des angles, lesquels sont les
« pères » d’un système de proportions, et d’un système septuple qui parle
de la vie. »

490
3. CRÉATION « CONTINUE ».
La Création est le « Fiat Lux » de la Genèse, c’est-à-dire la manifestation
des Principes virtuels immanents à l’Unité-Cause. Ces Principes vont
ensuite générer la Nature par le caractère éternel de la Création. Cette
génération ne peut être autre chose que la même fonction créatrice, mais
agissant dans la succession des formes, devenant procréatrice. Il y a
création quand quelque chose se fait de rien, et cette même création devient
puissance génératrice quand, par la forme ou semence, il y a concrétisation
de la substance abstraite.
La Création, provoquant le « devenir » de l’Univers sortant de rien, se
situe nécessairement hors du Temps puisque la durée n’est le propre que de
la créature ; on peut donc dire qu’elle se situe au commencement des
Temps, c’est-à-dire de l’Univers à durée limitée. La Création qui est un acte
momentané de transition entre l’indivisible Unité et les formes, n’est
momentanée que par rapport à l’effet produit, mais est nécessairement une
fonction continue de concrétisation de l’abstraite substance. Ainsi la
créature, qui est dans le temps, puisqu’elle a un commencement, n’est pas
éternelle ; tandis que la Création, par rapport à l’Univers créé, a caractère
éternel, c’est-à-dire sans commencement ni fin ; elle est continue, sinon il
faudrait admettre qu’il y ait une raison « raisonnable » pour faire cesser
l’état de sérénité de l’Unité originelle, ce qui imposerait déjà une dualité,
une volonté par rapport à quelque chose.

4. LA GENÈSE. LES KHEPROU OU TRANSFORMATIONS.


L’origine grecque du mot « genèse » lui donne le sens de devenir,
production. Le Dictionnaire Philosophique de Lalande le définit en termes
très clairs : « La genèse d’un objet d’étude (par exemple d’un être, d’une
fonction, d’une institution) est la façon dont il est devenu ce qu’il est au
moment considéré, c’est-à-dire la suite des formes successives qu’il a
présentées, considérées dans leur rapport avec les circonstances où s’est
produit ce développement. »
La genèse d’une chose suppose donc des états ou « modes d’être »
successifs, des transformations.
Devenir, production, mode d’être ou de forme transitoire,
transformations : on ne peut pas mieux rendre les significations du symbole
« scarabée », kheprer, et des mots apparentés :
• kheper : exister, devenir, prendre forme ;
• kheprer : qui se produit lui-même ; principe du Neter qui produit les
formes de son existence ;
• kheprou : formes, transformations, etc.
Le symbole « scarabée » et son nom définissent le sens égyptien de la
genèse, et celui qui lui est donné dans notre ouvrage.
Le scarabée symbolise le principe de l’être qui réalise par lui-même les
éléments de son devenir et de sa transformation. C’est pour cette raison que
les Égyptiens le posaient, sur les momies, à la place du cœur. Il représente,
en effet, le cœur du défunt, non pas son cœur de chair, mais son « cœur
subtil » qui subsiste après la mort, celui que le défunt ne doit jamais perdre,
et qui subit l’épreuve des transformations.
L’idée de « genèse » telle qu’elle est décrite ci-dessus, est la fondation
même de l’enseignement égyptien. Elle affirme le principe du Créateur
producteur de lui-même, puis de toutes les formes dont il est la cause.

5. ADORER, IAOU, DOUA.


On ne trouve pas, en égyptien, de correspondance au sens absolu que
l’on prête aujourd’hui au mot « adorer ».
Les mots auxquels on attribue ce sens – iaou, doua – ont des applications
diverses dont il conviendrait d’étudier l’origine et les détails. Par exemple,
douait signifiait « aube » ; doua signifie : premier rapport de l’être avec la
lumière naissante. Ceci a donné : adoration matinale, puis prière, hommage.
De la même manière, le mot françait « aubade » a signifié « chant de
l’aube », puis, par déformation, chant d’accueil ou hommage.
Dans l’écriture égyptienne, les images qui déterminent les mots les
rattachent à une série symbolique. Les actions vitales et les impulsions
humaines sont exprimées par les gestes des mains et des bras. Manger,
parler, sont signifiés par la main portée à la bouche, l’autre main restant
inactive ; la lassitude est figurée par les deux bras pendant, inertes ; l’action
amoindrie du vieillard, par la main appuyée au bâton. Le plus significatif de
la pensée égyptienne est le hiéroglyphe qui détermine le pronom « moi » et
la personne « sa » : un homme assis, appuyant sa main gauche sur son
cœur, et élevant sa main droite comme pour témoigner de sa présence. La
main, témoin de l’homme, et l’homme témoin de l’Univers : c’est toute
l’Égypte.
Les gestes par lesquels les Égyptiens s’adressent à la divinité traduisent
consciemment les impressions et impulsions que l’humanité exprime
instinctivement par ces mêmes attitudes. Les mots qui sont déterminés par
ces gestes doivent donc contenir la même intention.
On dit : « Il tend ses deux bras vers toi en iaou. » Il faut donc d’abord
comprendre le geste pour saisir la valeur du mot.
L’enfant tend ses bras vers sa mère ou vers l’objet convoité ; l’homme
élève ses mains vers le ciel pour exprimer sa gratitude, ou son désir, ou sa
louange, ou son appel au secours ; la signification diffère selon la position
des mains. Dans les tableaux qui accompagnent les textes, le détail des
gestes précise le sens que l’on doit attribuer aux mots. Or chaque nuance est
à observer dans les gestes des personnages ; les mains s’élèvent en coupe
pour recevoir ; elles rendent hommage en présentant leurs paumes en face
de celui qu’elles honorent. Les paumes tournées vers le suppliant attirent à
lui ce qu’il demande. Telle est la plus simple traduction de ces gestes
symboliques.
Cependant, les deux mots, iaou et doua, qui se rapportent au geste
d’hommage, lui donnent deux significations différentes qu’il importe de
connaître pour ne pas les confondre dans une traduction qui n’exprimerait
pas leur sens philosophique positif.
La signification égyptienne de l’adoration (ou prière-louange) dans le
mot iaou est une mise en rapport du sujet (adorateur) avec l’objet (adoré),
par identification du sujet avec la qualité ou fonction qui émane de l’objet
de son adoration. Il y a donc assimilation de la fonction ou qualité de l’objet
par le sujet.
L’action doua est différente, car elle situe le sujet en face de l’objet ou du
principe animateur auquel elle s’adresse. Il y a donc en doua une idée de
dualité : ce qui donne et ce qui reçoit ; il y a manifestation d’une puissance
d’animation ou d’une qualité de l’objet – ou Neter –, et d’autre part, il y a
reconnaissance, par le sujet, de la qualité manifestée par l’objet. De plus,
l’action doua suppose une provocation par laquelle le sujet suscite la
réaction de l’objet – ou du Neter –, pour obtenir le don (ou effet) souhaité.

6. LA MAGIE EN ÉGYPTE.
Nous ne pouvons parler de la magie en Égypte sans nous référer à
491
l’ouvrage bien documenté du Professeur Lexa . Cette documentation
confirme le fait, déjà évident, que la magie était pratiquée en Égypte depuis
le commencement de son histoire. Mais l’opinion des égyptologues qui ont
étudié cette question diffère quant à la définition de la magie, à son principe
d’action et aux causes de sa réussite ou de ses échecs.
Une réflexion du Professeur Lexa nous autorise à chercher la raison de
ces divergences dans un malentendu quant à la conception de la « Nature »
par les anciens Égyptiens.
« Les anciens Égyptiens, dit-il, connaissaient bien la différence entre les
phénomènes naturels et [les phénomènes] magiques, et entre les médecines
naturelles et [les médecines] magiques. Selon leur opinion, [un] phénomène
naturel était l’effet d’une force naturelle, un phénomène magique [était
l’effet] d’une vertu magique. Outre la loi de la causalité naturelle, ils
connaissaient encore la loi de la causalité magique. La médecine d’après la
loi de la causalité naturelle guérissait la maladie ; la formule magique
prononcée pendant la fabrication du médicament d’après la loi de la
causalité magique et au moment où on le prenait, faisait son effet plus fort
et plus vite. »
Il donne ensuite sa propre définition de la magie :
« C’est l’activité tendant à produire l’effet dont la connexion avec cette
action n’est pas subjectivement explicable par la loi de causalité. »
Il semble bien que deux points seraient à éclaircir pour contrôler la
valeur de ces assertions : quelle était, dans la pensée égyptienne, la limite
des forces naturelles ? Et la seconde question qui est un corollaire de la
première : en quoi et comment les Égyptiens ont-ils différencié les
causalités naturelles et les causalités magiques ?
Or, ils établissaient une étroite connexion entre les phénomènes naturels
et les Fonctions principielles ou Neter.
Il n’existe pas un seul phénomène « naturel » qui ne soit attribué à
l’action des Neter : si la graine se décompose en racines qui vont en
profondeur, en germe qui lève, et en matière nourricière de ce germe, c’est
la force Sethienne qui démembre Osiris, c’est la puissance Osirienne qui se
manifeste dans le « redressement » du germe, c’est la puissance de
Renenoutet (une des fonctions du principe féminin universel Isis-Hathor)
qui « fait monter son lait » pour nourrir la pousse nouvelle.
Ces images ne sont pas des figures littéraires : elles sont l’expression des
forces causales naturelles qui agissent d’une manière analogue en tous les
êtres terrestres puisqu’ils dépendent de la Nature. Or le caractère de cette
Nature est Osirien-Sethien, c’est-à-dire toujours destiné à subir, comme
Osiris, ou à provoquer la division-dualisation comme Seth. L’origine de
cette division remonte à Atoum ou Toum, qui est le premier principe de
naissance et de mort avec la première dualisation de l’Origine. Pour les
Égyptiens, la Nature commence à ce point et ne finit que lorsque le principe
Horien, devenu conscient dans l’Humain, acquiert, par l’unification avec la
Cause, la maîtrise sur les Neter de la Nature, c’est-à-dire de la Terre et des
cieux inférieurs. C’est le principe de Rédemption, qui n’est qu’annoncé en
Égypte par la figuration du jeune « Horus sauveur » maîtrisant les animaux
malfaisants (scorpions, serpents, etc.).
Cette réalisation, qui signifie la victoire de la conscience spirituelle sur
les forces naturelles, marque donc la limite du domaine de celles-ci.
Pour les Égyptiens, une seule puissance dépasse la Nature : l’âme
universelle, l’Esprit. Lorsqu’ils parlent d’un Neter, s’ils le considèrent sous
cet aspect ils le désignent comme Maître de tous les Neter, ou comme
Maître du Ciel, de la Terre et de la Douât, et au suprême degré, comme
l’Inconnaissable.
Il y aurait donc deux limites au domaine de la Nature : la Cause
spirituelle qui le précède, et la spiritualité consciente et victorieuse qui le
suit. Entre ces deux limites, tous les Neter sont de la Nature ; à ce titre, ils
montrent leur relativité par une limitation, ou conditionnement de leur
puissance. Râ lui-même, en tant que Neter solaire dépendant des rythmes
cycliques (jeunesse, maturité, décadence), subit les enchantements d’Isis
qui lui « arrache » le secret de son nom. Mais en tant que divin Principe
animateur, il est hors d’atteinte de ces influences.
Il découle de ceci que l’Égypte devait considérer comme phénomènes
naturels tout ce qui est causé par le jeu des forces naturelles, dont le
domaine ainsi conçu se trouvait beaucoup plus étendu que dans les
définitions reproduites par le Professeur Lexa.
Selon la pensée moderne, l’expression « forces naturelles » peut être
traduite par les propriétés actives de la matière en ses différents états, par
les divers aspects et propriétés de l’énergie, et les lois qui les régissent.
Selon la pensée égyptienne, elles correspondent aux qualités
fonctionnelles des Neter, et aux sept puissances que nous avons traduites au
chapitre XV par les « Puissances fatales ».
Mais nous commettrons une erreur si nous considérons ces forces actives
sans tenir compte de la source dont elles émanent et dont elles ne sont que
les fonctions manifestées. L’Égypte a nommé BA et KA les deux aspects de
la source d’énergie Universelle : BA, principe purement spirituel, en dehors
de la Nature ; KA, principe fixateur du BA à travers tous les degrés de
l’énergie. Dans son état supérieur il dépasse la Nature, mais en dessous de
cet état spirituel il devient le générateur des forces réactives qui donnent les
caractéristiques de tous les êtres vivants, comme de tout ce qui est
492
manifesté dans l’Univers (depuis les astres jusqu’à leurs éléments
constituants), des différents états de la matière et des divers aspects de
l’énergie, que la science rationnelle traduit par les états physique, mental,
psychique.
L’Égypte résume les diverses modalités de l’être dans la formule : « Tout
ce qui est dans la Terre, dans le Ciel et dans la Douât. » (La Douât est
comprise dans son double aspect : préformatrice et transformatrice.) Mais
elle donne des précisions dans ces diverses expressions du BA et du KA. La
Puissance animatrice – BA – est, en elle-même, indépendante de la Nature,
quoiqu’elle coopère avec elle sans jamais être affectée par elle. Le KA, dans
ses manifestations inférieures, subit les avatars de toutes les incarnations,
dont il est par l’intermédiaire de tekh, le « point fixe ».
*
**
Les deux mots égyptiens qui désignent les pouvoirs magiques des Neter
et de l’homme, sont sa, et hekà ou hekàou. Le mot hekàou évoque les
puissances du KA ; le mot sa, qui est l’homophone de sa (dos), met ce
pouvoir en rapport direct avec le double flux énergétique qui longe la
colonne vertébrale, et le courant central que les Neter influent au Pharaon
par l’imposition de la main sur la nuque ou sur le bas du dos.
Toutefois il faut discerner si le Neter qui fait ce geste est considéré
comme « de la Nature » ou comme divin animateur ; dans ce dernier cas,
l’acte « magique » qui provoque son « don de force » ne pourrait plus être
magie naturelle, mais magie spirituelle qui est d’un ordre essentiellement
différent.
*
**
Ces considérations sur les conceptions égyptiennes étaient
indispensables pour la définition correcte de leur magie, puisqu’elles nous
amènent, comme première conséquence, à définir comme phénomènes
naturels tout ce qui ne concerne pas l’animation.
Leur deuxième conséquence est une notion de parenté essentielle entre
tous les KA, donc entre les forces vitales de l’homme et toutes celles de la
Nature. Il s’ensuit qu’en dehors des procédés scientifiquement admis, il
existe pour l’homme des possibilités d’agir sur les différents états de l’être,
de l’énergie et de la matière, à condition qu’il emploie la faculté
correspondant à l’état qu’il veut modifier, ou qu’il se serve d’un agent –
matière ou objet –, de même signature que celle de l’effet souhaité. Si le
sang d’un veau noir peut empêcher le grisonnement des cheveux (pour
prendre l’exemple cité par Lexa), c’est que la qualité du KA de ce sang
imprégnera de sa signature le sujet qui le recevra, et servira de ferment
colorant pour la chevelure. Si une parole est susceptible d’altérer la stabilité
d’une matière, c’est que le mode du « verbe » – ou rythme de vibration – de
cette parole agit en telle discordance avec l’état vibratoire de cette matière
qu’elle peut en désagréger la structure, de même qu’un verre peut se trouver
brisé par certaines sonorités musicales. Et ces deux effets sont des
phénomènes physiques.
Beaucoup d’autres modes d’action peuvent être employés dans les actes
magiques : autant que de modalités des « forces » mises en jeu. Les
relations d’analogie, de sympathie ou d’antipathie, en sont les principaux
éléments. Dans tous les cas, il s’agit donc de produire ou de modifier des
phénomènes naturels, même s’ils sont d’états subtils tels que le mental ou
le psychique qui font partie, en Égypte, des « ondes » du corps de Nout et
sont modifiables par les ondes de même nature ; en langage moderne, cette
intervention serait nommée « suggestion », mentale ou émotive.
La différence entre l’action naturelle et l’action magique devrait,
logiquement, être définie comme différence entre l’action rationnelle et
l’action irrationnelle, l’irrationnel étant pris dans le sens de ce qui n’est pas
logiquement explicable par les lois scientifiques classiquement reconnues.
Il est donc évident que les limites de l’irrationnel reculeraient avec la
493
connaissance des lois vulgairement dites « occultes », telles que les lois
d’affinité, sympathie et antipathie, aussi réelles dans les états subtils
(mental, nerveux ou énergétique) que sont réelles les affinités dans les
combinaisons chimiques.
Tous les phénomènes dépendant de ces lois étant, dans l’esprit des
Anciens, naturels, les moyens employés pour les obtenir sont forcément
naturels.
Mais puisque aucun phénomène n’est indépendant de l’harmonie
universelle, et que cette harmonie comprend en même temps les influences
des astres, des vibrations psychiques, mentales et énergétiques qui
composent « l’ambiance » du moment, la meilleure définition de la magie
serait probablement : « la science des moyens qui permettent d’établir un
rapport de coïncidences favorables à la production du phénomène désiré ».
Ces coïncidences peuvent être créées en modifiant la disposition du sujet
à influencer, pour le mettre en état de réceptivité ou de résistance par
rapport aux forces naturelles dont on désire attirer ou contrecarrer l’action.
Le cas de « modification des constellations », cité par Lexa, est un exemple
de fausse interprétation d’une telle intervention : il n’est, certes, pas
possible de changer l’influence ni la position d’une constellation ! Mais on
peut adapter la réceptivité du sujet, soit en modifiant son état physique, ou
psychique, ou mental, soit en employant des formules, objets ou matières
qui compensent la désharmonie redoutée entre le sujet et l’influence
actuelle de la constellation.
Ce genre de protection, qui peut aussi bien se rapporter aux diverses
forces de la Nature, était fréquemment employé en ancienne Égypte ; il
serait nommé, dans la terminologie moderne, « procédé scientifique », ou
« pratique magique », selon qu’il s’agirait d’un but et d’un procédé admis
par la science moderne (telle la protection contre la foudre par le
paratonnerre), ou d’un moyen étranger à la science officielle (telle la
protection d’un bateau contre la foudre par une peau de hyène hissée au
grand mât). Entre le magnétisme de la peau de hyène et celui de la peau de
chat sauvage pour les rhumatisants, faudra-t-il distinguer médecine et
magie ?
La couleur des vitraux des cathédrales, les parfums d’encens, de myrrhe,
etc., employés dans les sanctuaires d’Égypte comme des autres religions,
qu’ils fussent dénommés artifices magiques ou rites religieux, n’étaient-ils
pas des moyens naturels d’agir sur les états mental et psychique des
assistants pour les rendre plus réceptifs aux influences souhaitées ?
Les Anciens communiquaient l’efficacité d’une formule à l’eau d’un
breuvage ou d’une ablution : quel est le mode d’action de l’eau bénite des
sanctuaires ? …
La base de toutes ces anciennes traditions était d’abord la foi consciente
en une Unité d’origine, une Cause efficiente qui reste, malgré les multiples
effets qui en découlent, indépendante de ses diverses manifestations ;
ensuite, la connaissance d’une hiérarchie de puissances, plus ou moins
accessibles à l’Humain selon qu’elles étaient Qualités immanentes à la
Cause absolue (nommée en Égypte « l’Inconnaissable »), ou émanées d’elle
en effets relatifs et devenant – à divers degrés de subtilité – puissances de
Nature.
Les rapports directs de l’homme avec les premières Puissances
(spirituelles) sont essentiellement réduits à la pénétration immédiate, ou
confondement de l’esprit en Esprit. Les moyens pour y parvenir ont
toujours été des procédés d’exclusion ou de maîtrise des états
intermédiaires (psychique et mental) susceptibles de s’interposer. Ils ont
donné naissance aux rites religieux : liturgie ou magie du verbe, magie
« sympathique » religieuse (reliques, images symboliques, scapulaires,
gestes et couleurs), pour subjuguer les puissances inférieures et pour rendre
propices les supérieures.
Parallèlement à cette « magie » religieuse cherchant les effets
secondaires, on a toujours constaté l’existence d’une magie analogue
servant des buts utilitaires, et qui, partant d’une cause mentale ou
psychique, produit des phénomènes physiques, ou au moins, sensorielle-
ment perceptibles.
Les Sages de l’Égypte – comme en tous les Temps –, lorsqu’ils ont
utilisé ou toléré la magie dans l’un ou l’autre de ses différents modes, pour
des buts scientifiques ou d’exaltation mystique ou de guérison, ne se sont
pas trompés sur le caractère de relativité des résultats obtenus, partant de ce
principe que tous les phénomènes sont illusoires, c’est-à-dire résultent de
relativités. Un seul aspect échappe à cette relativité, c’est l’action directe de
l’Esprit.
En effet, il est vrai que l’Esprit pur, l’âme spirituelle – Universelle ou
individuelle –, ne dépend pas de la Nature. Cependant il peut arriver qu’en
connaissance de cause l’homme puisse créer les coïncidences naturelles qui
provoquent l’action de l’Esprit sur la matière. Ceci seul dépasse l’action
naturelle et constitue la véritable Magie spirituelle avec laquelle ne peut être
confondue aucune des autres pratiques de magie, ni même une partie des
rites religieux qui n’affecte que les forces psychiques et mentales.
En dehors de cette Science spirituelle, apanage de quelques rares Sages,
il faut encore distinguer de la vulgaire magie la connaissance des rapports
harmoniques de la Nature, ou philosophie de la magie, qui n’est alors que la
science du geste juste, dans le milieu juste, au moment juste.
Quant à ses applications, souvent abusives et dénaturées par l’avidité et
l’incompréhension populaires, elles ont donné naissance à la magie
superstitieuse et à la grossière sorcellerie.
On pourrait objecter (au sujet de la scène du canard décapité décrite au
chap. VI) que dans le « Conte de Khoufou (Chéops) et le magicien », ce
dernier n’accepte pas d’opérer ce même « prodige » sur un homme, laissant
supposer par son refus qu’il ne s’agissait pas d’une suggestion mais d’une
décapitation effective. Or ce refus est suffisamment légitimé par le fait que
l’émotion des spectateurs pourrait provoquer un choc psychique capable
d’entraîner la mort de l’homme.
Mais il est vrai aussi que, par l’usage de certaines forces psychiques, il
est possible d’obtenir la désagrégation matérielle sans modification de la
494
forme particulière, et, sur cette image substantielle , même une
décapitation peut avoir lieu sans affecter la forme de l’être matériel.
Cette remarque effleure un sujet qui dépasse infiniment le cadre de cet
ouvrage. Aussi ne se justifie-t-elle que par l’obligation de ne pas induire le
lecteur en erreur en omettant un aspect réel de la question.

COMMENTAIRE V
THEOLOGIE – NETER

1. MONOTHÉISME, POLYTHÉISME, IDOLÂTRIE.


Quelques brèves considérations pour éviter qu’on se méprenne sur le
sens des mots employés dans cet ouvrage.
Il n’est pas question de discuter ici les nuances et causes de confusions
entre les termes employés par la philosophie moderne – théisme et déisme,
monothéisme et hénothéisme, panthéisme et polythéisme –, puisque les
dictionnaires philosophiques en donnent les définitions et les différences.
Ce qui nous importe est d’éviter l’erreur d’une étiquette hâtivement jetée
sur la conception religieuse et la métaphysique égyptiennes.
Rien ne prête davantage à des interprétations erronées que le mot
« religion », qui, employé en Occident, confond les traditions antiques avec
des mythes, des cultes et des « églises », ou corps de fidèles groupés dans
les mêmes foi et loi religieuses.
Ne pouvant approfondir ici cette question, nous employons le mot
« religion » dans le sens d’enseignement global, – philosophique,
théologique et mystique, – qui découle d’une Connaissance acquise par
révélation ; mais nous ne lui prêtons pas la signification (habituelle en
Occident) de ce qui « relie » des fidèles autour de croyances et cultes
obligatoires ; car cette conception ne correspond nullement aux
enseignements égyptiens, pas plus d’ailleurs qu’à ceux de l’Hindouisme,
avec lesquels la multiplicité des symboles leur crée une parenté.
La religion, dans son principe, est la conscience de la relation entre
l’homme et sa Cause ; une religion est une révélation particulière de cette
relation, conforme à une époque cosmique que subit l’histoire humaine.
La Cause créatrice (métaphysique), considérée par toute religion, étant
indéfinissable, ne peut pas varier ; ce qui varie, c’est la théologie, c’est-à-
dire la philosophie de la relation entre la Cause originelle et ses effets ; et
celle-ci n’est connaissable que par confondement avec cette Cause.
Ne peuvent donc être religions véritables que celles qui sont fondées sur
cette Connaissance, c’est-à-dire sur la conscience des lois du Devenir.
Toutes ces religions sont forcément identiques en leurs bases et ne
peuvent différer que par leurs moyens d’expression. Leurs vérités
fondamentales appartenant à un domaine métaphysique (inaccessible aux
facultés cérébrales et sensorielles), leur mode d’expression est
nécessairement symbolique.
Or le philosophe doit chercher, en toute théologie, la conception
« métaphysique » cachée sous un aspect concret, et la raison du choix de
son mode de transmission.
Le plus grand obstacle pour comprendre chacune d’elles est l’étiquette
que lui attribue notre rationalisme qui veut tout classer schématiquement.
Théisme, Déisme, Monothéisme, Panthéisme et Polythéisme sont des
appellations attribuées par des jugements personnels qui altèrent le sens
métaphysique des grandes religions ayant éclairé l’humanité ; elles créent
des opinions erronées sur la conscience « sur-naturelle » qui a présidé à
leurs théologies.
Il faut, en toutes les figurations religieuses, savoir discerner ce qui
enseigne symboliquement une Réalité métaphysique, et ce qui en est
l’adaptation populaire dans un but religieux.
La métaphysique est encore, pour le rationaliste occidental, une
considération de notions abstraites en dehors de toutes représentations
concrètes. La métaphysique, selon la pensée orientale et certains exégètes
chrétiens, est la Connaissance des causes, des fonctions et des états qui ne
tombent pas sous les sens. Elle ne dépend pas du savoir, mais de l’exercice
de facultés intuitives, supérieures aux facultés cérébrales, émotives et
sensorielles, et qui permettent la prise de conscience (ou connaissance
directe) par l’identification du sujet avec l’objet de sa recherche.
La révélation est l’illumination momentanée qui met l’Intelligence
spirituelle humaine en contact avec l’Intelligence spirituelle Universelle,
quel que soit le nom qu’on lui donne.
Les théologies sont basées sur cette révélation ; c’est pourquoi le sens
profond de leurs bases est forcément le même, puisque ces bases
proviennent d’une source unique immuable.
Il y a, dans toute religion, trois aspects : la Connaissance fondamentale
(ou métaphysique) des Causes, sa forme de transmission (images et mythes)
et son but moralisateur. Lorsqu’on soumet la philosophie au but moral, il
arrive que celui-ci dénature l’enseignement des Principes. Or, il existe un
parallélisme entre les conceptions théologiques égyptiennes et hindouistes,
dans ce fait qu’elles ont évité cet écueil. Ainsi leur comparaison pourra-t-
elle clarifier le sujet qui nous intéresse.
L’Unité absolue échappe à la raison. Les Anciens, en Égypte comme aux
Indes, en parlaient comme de l’Inconnaissable ; puis ils prenaient sa
manifestation ternaire comme base de raisonnement, démontrable
mentalement par les faits naturels.
Le Judaïsme parle de l’Éternel en lui donnant différents noms selon
l’aspect sous lequel Il se révèle, et selon son mode d’action.
495
L’Hindouisme le fait aussi, mais dans un esprit différent, car il
n’oppose jamais le Créateur à la créature ; il affirme sans cesse que « ceci
est Cela » et que « Cela est en ceci », que la vérité est dans cette unité et
dans la prise de conscience de l’un par l’autre, et que l’erreur est dans la
scission mentale créée par l’ignorant. Sa conception métaphysique du
Principe causal animateur et formateur, ne sépare pas l’Être universel de
l’Etre individualisé ; il conçoit que « ceci » n’est qu’un des états transitoires
de « Cela » dont les formes principielles et les fonctions sont représentées
par les multiples figurations de son panthéon.
Mais ni la métaphysique égyptienne ni celle de l’Hindouisme
n’affaiblissent leur absolutisme par l’incorporation de préceptes moraux,
considérant ceux-ci comme les conséquences relatives de la condition
relative de l’homme terrestre. Il ne faut donc pas confondre, dans leur
enseignement, ce qui concerne la Cause originelle et le monde divin des
Principes, avec ce qui concerne le devenir des mondes inférieurs et de
l’homme terrestre.
L’Égypte et l’Inde considèrent que la descente de l’Esprit en matière est
une prise de conscience à travers toutes les possibilités immanentes à la
Cause originelle (la « passion » du Verbe animateur). Le but des deux est
d’enseigner le moyen de passer du mortel à l’immortel par le retour
conscient à la Cause ; mais le mode d’action est différent.
L’enseignement égyptien s’appuie sur le symbole de la Nature ; son
mode effectif est la projection du ciel sur la Terre, du monde métaphysique
dans le monde physique, des Fonctions causales cosmiques dans le corps
humain. C’est l’initiation à la conscience de « l’Identité », par identification
continuelle.
L’Hindouisme enseigne les lois du « relatif », démontre l’illusion de ce
relatif et invite directement au renoncement à la forme pour retourner à
l’Unité. Quant à ce relatif, l’Hindouisme constate les lois inéluctables du
Devenir ainsi que de l’enchaînement des actes et de leurs effets ; il donne à
chaque homme les lois du chemin qui correspond à sa caste, c’est-à-dire
l’état où il se trouve dans son incarnation actuelle.
L’Égypte montre l’exemple du « Roi », c’est-à-dire de l’Homme
accompli, et laisse chacun y accéder selon ses possibilités.
Quant à la multiplicité de leurs figurations, elle exprimait, dans ces
théologies antiques, la manifestation des attributs (en principes et en
fonctions) de l’Être inconnaissable qui, par ce procédé, devenait
relativement connaissable pour l’interprétation intellectuelle.
La Kabbale hébraïque, la tradition chrétienne et l’Islamisme, les
exprimèrent respectivement par les Sephiroth, les neuf chœurs des Anges,
les noms de l’Éternel, les « perfections » de Dieu, et les noms d’Allah. Les
fonctions mystérieuses des Nombres principiels furent aussi figurés dans la
Bible, la Kabbale, les quatre Évangiles, les douze Apôtres, et les divisions
du Coran.
Mais depuis l’Égypte ancienne jusqu’à nos jours, on peut constater une
direction inverse dans le développement des connaissances humaines d’une
part, et de la figuration théologique d’autre part ; la première allant de la
simplicité vers la complexité, alors que la deuxième va du complexe au
simple. En effet la méthode intuitive des premiers Temps, qui fait participer
les hommes à la science divine, est remplacée par les méthodes et culture
cérébrales, mères des multiples sciences analytiques ; tandis que la
figuration théo-logique, compliquée chez les Anciens, aboutissait au simple
Credo chrétien et à la grandiose affirmation coranique, fondée sur la
négation du relatif : « Il n’y a pas de Dieu si ce n’est Dieu », ALLAH, double
souffle originel du Monde, exprimé par la première lettre de l’alphabet
égyptien.
2. TOTEM ET NETER.
Quelques auteurs ont prétendu que les Neter égyptiens étaient les
« survivants de fétiches ou totems préhistoriques » importés par des clans
ou même des tribus de races différentes. Si cette hypothèse s’appuie sur les
représentations d’enseignes, sur des palettes ou des vases datant de l’époque
pré-dynastique, on peut aussi la transformer en cette autre hypothèse : les
emblèmes des enseignes furent les symboles donnés avant les temps
dynastiques, en correspondance avec les éléments essentiels d’un mythe
préétabli, et dont le développement devait se faire progressivement sur un
rythme déjà prévu. Si l’opinion de ces auteurs est basée sur le préjugé que
les totems sont des superstitions de peuplades primitives aux « mœurs
sauvages », il serait sage de réviser cette croyance, ainsi que la définition du
totem.
Ce mot « totem » n’a pas pu être pris par ces auteurs dans un sens
égyptien, puisque l’égyptologie ne connaît pas encore le terme qui pourrait
lui correspondre ; ils n’ont pu l’employer que dans le sens admis
normalement par l’usage. C’est donc cette signification que nous devons
adopter pour étudier la question.
Des ouvrages importants ont été publiés dans les différents aspects de ce
que l’on a résumé sous le terme de « totémisme », dont le nom même
diffère dans chaque pays (et souvent chaque tribu), et dont on avoue que le
sens n’est pas encore nettement déterminé.
Les plus claires de leurs définitions peuvent être résumées ainsi : le totem
est une classe – ou espèce – d’êtres animés (végétaux ou animaux) – ou
même de choses naturelles inanimées –, qui est l’objet d’un culte pour un
clan ou un individu, parce que ceux-ci croient avoir avec cette espèce, une
parenté de sang, certains auteurs disent même « une identité
substantielle »… « un même ancêtre »… « un même sang », etc.
Or si ces définitions du totem comprennent aussi des choses inanimées,
la consanguinité ne peut pas être une explication générale du principe
totémique. En revanche, l’idée d’une parenté ou d’une affinité qui relie
l’homme à son totem est commune à tous les cas.
On a étudié en Afrique, en Australie et en Amérique, le totem individuel,
le totem des clans, le totémisme sexuel (totem des hommes et totem des
femmes), enfin leur rapport, dans certains clans, avec l’exogamie.
Cependant sa signification profonde est mal connue, parce qu’on se
contente généralement de décrire ses applications et ses conséquences mais
qu’on ne définit pas sa base philosophique. Et ceci est cause, pour les
profanes, de fréquentes confusions entre le totem protecteur du clan ou de
l’individu, le totem réceptacle d’âme, le symbole, l’amulette, et d’autres
éléments de la magie « sympathique ». Or il importe de différencier les
pratiques superstitieuses d’avec l’application consciente d’une doctrine
philosophique, car la connaissance du totem représente,
psychologiquement, un intérêt particulier ; son principe doit être nettement
distingué de celui du symbole et de celui de l’amulette.
Une amulette est un porteur d’influences, préparé artificiellement, soit
avec un objet, soit avec diverses matières choisies d’après la « magie des
analogues ». Par un rite religieux ou magique, ou simplement par la foi, on
influe dans cet objet une force ou « idée active » qui le met en relations
sympathiques avec le croyant qui le porte avec vénération.
Le symbole naturel est la « chose » naturelle manifestant, par sa fonction
et ses caractéristiques, son Idée, ou le principe Universel qu’il matérialise.
Le symbole figuré est la projection de l’Idée en l’image représentée.
Le totem, animal ou végétal, est un porteur d’affinités naturelles
(similitude de rythme et d’état psychique) qui établissent un lien animique
entre lui et des êtres humains.
Le drapeau et le blason permettent de préciser ce qui différencie le totem
et le symbole. Le drapeau d’une nation n’est pas un totem, mais un
emblème arbitraire d’un idéal autour duquel on se rallie. Le drapeau
devient un symbole s’il porte la figuration d’une chose naturelle définissant
la « nature » de ses partisans (tels le soleil chinois ou le croissant lunaire
musulman) ; c’est un emblème, ou symbole artificiel, si la figuration
représente une idée conventionnelle (tels la faucille et le marteau).
Le drapeau d’un régiment approche déjà du principe du totem, parce
qu’il a inscrit ses batailles et le sang versé, et suscite, dans ce régiment, un
comportement dans un rythme identique.
Le blason peut n’être qu’un emblème, mais il peut aussi être un totem
s’il porte l’image, complétée par la devise, d’une plante ou d’un animal qui
soit le totem véritable de la famille.
Le symbole est réel et universel ; l’emblème est conventionnel ; le totem
est réel, mais particulier.
Il faut différencier, du principe totémique pur, le « réceptacle d’âme » ;
celui-ci – qui peut être un animal, une plante ou un objet – garde en dépôt
(d’après l’interprétation européenne) l’âme ou l’une des âmes d’un
individu, pour sauver celui-ci, en cas d’accident, d’une mort définitive. De
même, la pratique de l’exo-gamie qui découle parfois de l’application
totémique, n’est pas partie fondamentale de sa doctrine. Elle est liée à l’idée
du sang – mais en tant que porteur de l’âme (âme sensitive, voir Troisième
jour de BA-KA),– et peut-être parfois à la volonté de diriger l’hérédité
totémique par la lignée mâle.
Le totem « réceptacle d’âme », ainsi que la pratique de l’exogamie, sont
des corollaires du principe totémique et appartiennent au problème de
l’animisme qui dépasse le cadre de cette étude. Mais on trouvera des
éléments de clarification dans les divers aspects du BA et du KA égyptiens
(voir les « Sept jours » de BA-KA).
Le principe totémique essentiel est basé sur cette croyance qu’un
individu ou une famille ou un clan peuvent trouver, dans les règnes animal
ou végétal, un « patron d’affinités typiques » dont le rythme et la nature
psychique sont en coïncidence avec les leurs propres. Ce patron est le
véritable totem, dont l’intérêt est d’établir une communauté psychique de
forces vitales et de projection entre lui-même – ou son espèce – et les
individus ou groupements qui en dépendent. Cependant le totem n’est
qu’une similitude animique, dont la connaissance peut permettre à l’homme
d’orien ter sa vie psychique et animique dans un milieu et un rythme qui
seront favorables à la manifestation de son propre Neter, parce
qu’harmonieux avec sa signature.
Par exemple, l’ignorance du principe totémique fait vivre l’Occidental
dans un milieu et une éducation conventionnels, qui se trouvent souvent en
désharmonie avec ses tendances profondes. Au contraire, l’homme ou la
tribu qui ont adopté pour totem un animal dont le rythme et le caractère sont
en affinité avec les leurs, y adaptent consciemment leur mode d’existence ;
ceci met de la cohérence dans leur attitude et dans l’expression de leurs
tendances, et leur permet de connaître les temps et conditions qui leur sont
bénéfiques ou maléfiques.
A la doctrine totémique se rattachent le plus souvent des tabous, c’est-à-
dire des interdictions (qui concernent généralement l’alimentation et la vie
sexuelle) particulières aux groupements totémiques, aux lieux, et
quelquefois aux dates de l’année.
Il faut remarquer que tout ce qui concerne les lois totémiques se rapporte
à la vie animique-psychique de l’homme (l’Égypte dirait : aux aspects
inférieurs du BA et du KA) ; et ceci est exact, qu’il s’agisse de protéger ou
d’accroître les forces vitales de l’homme, soit de lui assurer des influences
animiques favorables, ou de garder l’intégrité d’une « lignée » totémique.
*
**
Le choix d’un totem dénote donc une grande sagesse, car il implique la
connaissance des analogies et sympathies naturelles, et des causes
déterminantes des « signatures » de la Nature.
Cependant l’efficacité d’un totem nécessite sa reconnaissance et son
adoption volontaire par l’individu ou le groupe qui lui est apparenté. Mais il
ne peut y avoir rien d’arbitraire dans ce choix, puisqu’il s’agit d’affinités
particulières ; c’est pourquoi la vieille « culture » de certaines tribus – dites
sauvages – impose l’état de transe au récipiendaire, pour qu’il reconnaisse
son totem en dehors de toute décision arbitraire ou de toute imagination.
C’est le caractère de parenté d’affinités, et d’adoption consciente, qui
différencie nettement le totem d’avec le Neter.
Le Neter est un principe – ou agent – d’une loi ou d’une fonction
cosmique ; il agit et se manifeste en vertu de son propre déterminisme, qui
est une loi de « nécessité » indépendante des sujets qui la subissent. Le
Neter agit selon sa fonction, qu’il soit ignoré ou connu des humains ; il est
indifférent aux noms qui lui sont attribués.
On serait tenté, par exemple, de confondre Neter et totem dans le Neter
niouty, qui signifie le Neter de la ville ou de la propre Nout d’un homme (de
lui-même). Cependant une différence, si subtile qu’elle paraisse parfois,
existe entre le Neter et le totem d’une ville, et surtout entre le Neter et le
totem d’un homme : leur Neter est leur propre principe, leur propre KA
total, leur « forme semence » spécifiée, autour de laquelle s’est
« construite » leur personnalité. Leur totem est l’analogue naturel de leurs
rythmes et tendances (KA inférieur) auquel la ville ou l’homme demandent,
de par son rapport animique avec leur animisme personnel, d’accroître
quelqu’une de leurs forces vitales ou de mettre à leur service les forces
animiques leur correspondant dans la Nature. Pour l’homme, exalter son
Neter niouty (son Neter personnel), c’est cultiver ses facultés supérieures
pour réaliser l’entité signée en tout son corps par son incarnation.
S’il paraît difficile de trouver en égyptien un mot correspondant
exactement à l’idée du totem, le fait totémique existe néanmoins : tel nome
ou telle ville protégeait un animal qu’il était interdit de tuer ou de maltraiter.
Cet animal était généralement le symbole d’un aspect du Neter niouty
(c’est-à-dire du Neter de la ville) ; tels étaient le chat pour la ville de la
déesse Bastit, Bubaste ; l’ibis pour Hermopolis, ville de Thot ; le faucon
pour Edfou, ville d’Horus. Or on constate encore aujourd’hui la
prédominance de ces animaux dans chacun de leurs lieux consacrés : il y a
donc un rapport naturel entre telles bêtes et tels lieux. Néanmoins, tous les
Neter niouty n’avaient pas un symbole animal.
Les Égyptiens ont associé, dans plusieurs compositions picturales, les
espèces animales et végétales ayant des affinités vitales, prouvant ainsi leur
connaissance des rapports analogiques qui leur permettaient de vivre en
symbiose. Ils se servirent de cette connaissance pour créer un état
harmonieux entre les hommes et les choses, et ceci par un double mode
d’action : positif et négatif.
Leur action positive consistait à attirer les influences bénéfiques en
agissant sur l’Idée – ou cause métaphysique – d’une « forme », par cette
forme vivante (animale ou végétale) ; ils n’agissaient jamais par
spéculations abstraites mais par des faits concrets, pour provoquer la cause
abstraite.
Aux yeux des Egyptiens, l’ensemble des données qualitatives qui
définissent l’être vivant délimite son nom – ou puissance spécifique –
puisqu’ils les ont exprimées par les lettres de ce nom. Suivant la loi
d’analogie constamment appliquée chez eux, ces noms peuvent révéler par
homophonie leur parenté avec plusieurs êtres ou choses qui ont des
fonctions ou possibilités analogues.
On peut donc attribuer à ces « espèces » ou types choisis comme
représentants de Puissances naturelles le terme de totems, puisqu’il peut
s’établir des rapports d’harmonie entre ces « représentants » et les hommes
et lieux qui ont les mêmes caractères. Ces rapports sont les relations
totémiques.
Le moyen positif des Égyptiens pour rendre ces relations efficaces était
la vénération imposée envers ces totems-animaux, ainsi que
l’embaumement et la sépulture dont ils les gratifiaient. Les moyens négatifs
étaient les interdits (bout) ou « tabous » qui punissaient les meurtres de ces
animaux ou les dommages qui leur étaient causés dans leurs domaines
respectifs.
Cependant le totem ne peut pas être confondu avec le Neter du lieu, dont
il ne représente que le caractère de ses forces animiques et certains aspects
de sa fonction. Il ne faut pas non plus confondre le totem avec l’enseigne du
nome, qui était composée d’un support en forme de perchoir, surmonté d’en
emblème : animal, plante, ou objet symbolique.
Il importe de comprendre selon la mentalité égyptienne la signification
de ces divers éléments, si l’on veut traduire correctement les textes se
rapportant aux divisions, terrains, productions et temples de l’Égypte.
Les nomes, sep. t, sont des divisions des Deux-Terres (Haute et Basse
Égypte) correspondant aux phases d’une genèse dont l’Égypte, dans toute
son étendue, représente le développement. Chacun des nomes avait sa
métropole, son sanctuaire principal, son ou ses Neter dont le symbole
n’était pas nécessairement celui de l’enseigne.
Le perchoir de l’enseigne signifie une élévation, une « exaltation » – ou
sublimation – du sujet qu’il supporte ; il faut donc donner à celui-ci
(animal, plante ou objet) un sens plus subtil ou plus « principiel » que le
sens matériel. L’animal totémique n’était généralement pas l’emblème de
l’enseigne, et la plupart de ces emblèmes n’ont pas le caractère de totem.

3. VULGARISATION CONTEMPORAINE DE LA THÉOLOGIE PHARAONIQUE.


Nous pensons utile de donner aux lecteurs quelques extraits typiques des
plus récents ouvrages de synthèse sur la religion égyptienne, publiés par des
égyptologues français.
D’abord, une idée générale de SAINTE FARE GARNOT sur « les dieux et les
êtres divins », dans La Vie religieuse dans l’Ancienne Égypte, 1948, p. 63-
64 :
« Les dieux sont des êtres à part, très différents des autres créatures…
D’autre part, la transcendance des âmes devenues glorieuses par la vertu
des rites et la grâce du jugement funéraire n’est pas naturelle : elle est
acquise. Entre les dieux et les êtres divins, le contraste des origines trace
une frontière très nette ; n’est pas qui veut un faucon, un sycomore, une
étoile. D’autres différences peuvent être reconnues sans peine. L’organisme
des immortels n’est pas seulement comme l’admettait Maspero, tissé d’une
fibre plus subtile que celle des hommes ; d’après certains textes [Papyrus
WESTCAR (Moyen Empire), inscription de Redesiyeh (Nouvel Empire)],
leurs chairs sont en or. Immortels par droit de naissance, ils ont des
pouvoirs qui leur assurent la domination du monde. Plus vigoureux, plus
intelligents que les habitants de la terre, dont ils modifient à leur gré les
destins, ils commandent en outre aux grandes forces de la nature. A ces
traits, valables pour les divinités provinciales, maîtresses des nomes,
s’ajoute, dans le cas du démiurge, l’omniscience, l’omniprésence et la
suprême justice : Maât est la fille de Rê. Néanmoins, les dieux sont astreints
aux servitudes qui définissent, en un sens, la condition humaine : ils ont des
besoins, alimentaires et sexuels, subissent le joug des maladies et, dans
certains cas (Osiris) la mort ne les épargne point. »
Ensuite, quelques extraits de la Religion Égyptienne de J. VANDIER, sur
les principaux systèmes théogoniques de l’Égypte (2e édition, 1949, P-33 à
36) :
« Système héliopolitain. Ce système suppose à l’origine du monde un
chaos primordial que l’on imaginait comme une masse liquide inerte. Cet
océan… était désigné sous le nom de Noun (Nénou et Nouou). Le soleil est
sorti du Noun, mais il n’a pas été créé par lui ; c’est par sa propre puissance
que le soleil s’est créé, méritant ainsi l’épithète qu’on lui applique si
souvent : « celui qui existe par lui-même »…
… « Atoum, ou Rê, ce sont là les noms qu’on donne habituellement au
dieu héliopolitain, tira de lui-même, en se masturbant et crachant, le
premier couple divin, Shou et Tefnedj, qui personnifient l’air et l’humidité.
Ces dieux mirent au monde la terre et le ciel, Geb et Nout, et ceux-ci, à leur
tour, donnèrent le jour à Osiris, à Isis, à Seth et à Nephthys. Ainsi se trouva
formée une compagnie divine composée d’un démiurge et de quatre couples
de dieux. On donna à cette compagnie le nom d’Ennéade…
… « L’œuvre des théologiens d’Héliopolis apparaît nettement comme un
compromis. L’introduction des dieux de la légende Osirienne dans
l’Ennéade prouve en effet que cette légende était déjà entièrement
constituée au moment de la victoire héliopolitaine, et qu’elle avait pris, dans
les croyances populaires, une telle importance qu’il n’était pas possible d’en
faire abstraction…
« Système hermopolitain. La doctrine hermopolitaine semble avoir été
élaborée en réaction contre les prétentions des théologiens d’Héliopolis…
Le soleil ne s’était pas créé lui-même mais était issu d’une compagnie de
huit dieux, l’Ogdoade, qui avait en quelque sorte préparé sa venue. Cette
Ogdoade se composait de quatre couples divins qu’on se représentait sous
la forme de grenouilles et de serpents. Ces dieux primordiaux avaient créé
un œuf et l’avaient déposé sur une éminence émergée du Noun à
Hermopolis même. De cet œuf était né le soleil qui, par la suite, avait créé
et organisé le monde actuel. Une telle doctrine ne niait pas l’action créatrice
du soleil, mais la subordonnait à celle d’une compagnie divine originaire du
XVe nome de Haute-Égypte. Enfin le soleil n’était pas né à Héliopolis mais
à Hermopolis qui, par là même, acquérait sur le gouvernement du monde,
des droits supérieurs à ceux de sa rivale. On aperçoit nettement, sous le
couvert de spéculations théologiques, les prétentions politiques
d’Hermopolis. Un des dieux de cette compagnie était le Noun, l’océan
primordial, lequel apparaît” dans ce système, non plus comme une masse
liquide, mais comme un élément actif et créateur… »
La doctrine Memphite fut, d’après Vandier, établie pour « donner à Ptah,
dieu de Memphis, cette première place qu’Atoum occupait depuis si
longtemps »… Ptah est avant tout le dieu créateur de qui dépend
étroitement tout ce qui existe. La théologie memphite admet cependant, à
côté de Ptah, huit dieux primordiaux qui ne sont d’ailleurs que les
hypostases du démiurge : Taténen, dieu memphite qui personnifie la terre
émergeant du chaos initial, Noun et Naunet, premier couple de l’Ogdoade
d’Hermopolis, Atoum qu’on appelle « le Grand », et quatre autres dieux
dont les noms sont perdus, mais qu’on a cru pouvoir identifier à Horus, à
Thot, à Néfertêm, et à un dieu-serpent (?). Parmi ces dieux, Atoum joue,
dans l’œuvre créatrice de Ptah, le rôle le plus important ; c’est qu’il
possède, en effet, à titre éminent, deux facultés indispensables dans l’acte
créateur : l’intelligence qui siège dans le cœur et dont la forme divine est
Horus, et la volonté qui se manifeste par la langue et dont la forme divine
est Thot.
J. Vandier dorme ensuite quelques éclaircissements sur les membres de
l’Ennéade héliopolitaine.
« Atoum, dieu d’Héliopolis, n’est pas un dieu local d’origine animale ou
végétale : en effet, il est toujours représenté comme un homme, et on ne lui
connaît pas d’emblème. Son nom, qui se rattache à l’idée de totalité ou à
celle de néant, exprime une abstraction, et doit avoir été créé par les
théologiens pour établir un trait d’union entre la religion locale et la religion
cosmique. Créé artificiellement dieu local, il fut rapidement identifié au
dieu soleil, et adoré comme tel sous le double nom de Rê-Atoum…
… « SHOU est le dieu de l’air ; dans le plus ancien système
cosmogonique, il semble avoir pour rôle de séparer le ciel et la terre, et de
permettre ainsi au soleil d’accomplir sa course. Les théologiens
d’Héliopolis qui lui donnèrent le nom abstrait sous lequel il est connu (Shou
signifie « le vide ») en firent le père de Geb et de Nout… Tefnout n’a en
réalité aucun rôle cosmique bien défini. Elle personnifie l’humidité, mais il
semble bien qu’elle n’ait été créée que pour servir de compagne au dieu de
l’air…
« GEB est sans doute l’ancien nom commun qui désignait la terre. De
bonne heure, la terre fut divinisée et adorée sous l’aspect d’un homme
auquel on conserve le nom de Geb. Ce nom s’écrit en égyptien avec une
oie… suivie du complément phonétique b.
… « nout (c’était sans doute le nom qui servait à l’origine à désigner le
ciel), personnifie la voûte céleste ; comme les autres dieux cosmiques, elle
fut assimilée à une déesse locale… Elle est représentée comme une femme,
mais très souvent aussi comme une vache… (op. cit., p. 57).
… « OSIRIS. – Alors que les légendes solaires étaient surtout
cosmogoniques et qu’elles étaient nées, le plus souvent, du spectacle du
monde qu’elles essayaient d’expliquer, la légende d’Osiris semble avoir son
point de départ dans un épisode historique… Osiris était un roi que son
frère Seth avait fait périr par jalousie ; la femme d’Osiris, Isis, eut un fils
posthume, Horus, qui, lorsqu’il fut devenu grand, vengea la mort de son
père (op. cit., p. 44).
Vandier cite, au sujet d’Osiris (op. cit., p. 58 à 61) diverses opinions
d’égyptologues : « KEES suppose qu’Andjty n’est qu’un surnom
d’Osiris… » D’après Vandier, RUSH donne surtout à Osiris le caractère de
dieu de la terre ; BREASTES souligne son caractère de dieu du Nil. D’après
MORET, Osiris aurait été « un roi, considéré en tant que tel, comme le
créateur de la végétation ; il aurait vécu, serait mort et aurait ressuscité
comme vit, meurt et ressuscite la nature… On serait parti du visible, c’est-
à-dire de la renaissance de la nature, pour aboutir à l’invisible, c’est-à-dire à
la renaissance d’Osiris d’abord, puis de l’homme en général ».
D’après GARDINER : « Osiris apparaît toujours comme un roi… Il est
considéré comme le roi mort, le rôle du roi vivant étant invariablement joué
par son fils et son héritier, Horus.
… « La résurrection d’Osiris… est décrite, non pas comme celle d’un
dieu de la végétation jeune et vigoureux, mais comme celle d’un roi mort
rappelé à une vie tout à fait semblable à celle qu’il aurait pu mener sur
terre… L’auteur (GARDINER ) établit que les fêtes d’Osiris nous
présentent manifestement un drame de la royauté composé sur le modèle de
l’histoire mythique d’Osiris et d’Horus, et non pas une fête de la
végétation. »
D’après Vandier, l’aspect cosmique d’Osiris est d’origine purement
héliopolitaine : « Lorsque les prêtres d’Héliopolis, poussés à la fois par un
intérêt politique et par un souci religieux, se mirent en devoir d’établir un
système hénothéiste, dans lequel le soleil Rê occupait la première place, ils
se trouvèrent dans l’obligation de composer avec les systèmes religieux les
plus populaires de l’époque révolue et avant tout, avec la légende osirienne.
La tâche était malaisée, car Osiris n’avait aucun des caractères d’un dieu
cosmique… dans certains passages (des Pyramides) où Osiris était
directement opposé à Rê, il est considéré comme le maître du monde
inférieur, et sa destinée est nettement liée à celle de l’homme mort (cf.
KEES). Mais les Égyptiens de cette époque semblent avoir eu une idée
assez confuse du monde inférieur : on verra qu’ils le considéraient comme
une sorte de contrepartie du ciel, mais qu’ils l’avaient bientôt confondu, par
suite de leur inaptitude à admettre l’existence d’un univers invisible, avec le
ciel nocturne. Le monde inférieur devint ainsi le royaume des étoiles, et
Osiris, qui était censé régner dans ces régions, put, dès lors, être rattaché au
monde céleste. »
Nous continuons ces citations pour montrer la construction d’une
hypothèse égyptologique, développée par Vandier.
… « Cette hypothèse a le grand avantage d’expliquer le rapprochement,
attesté déjà dans les textes des Pyramides, entre Osiris et le « prince des
étoiles », Orion. Mais ce n’était là qu’un premier pas : dans bien des
formules (cf. KEES), Osiris apparaît comme le maître du ciel. Ce ne sont
plus seulement les étoiles qui lui sont soumises, mais aussi l’univers que
parcourait le dieu-soleil : les barques solaires deviennent sa propriété et le
passeur du lac céleste est appelé le passeur d’Osiris… Comment une telle
évolution peut-elle s’expliquer ? En cette matière on ne peut que proposer
une hypothèse. Osiris est un ancien roi mort divinisé ; d’après le dogme
héliopolitain, le destin du roi mort découlait de son origine divine ; c’était
parce que le roi était fils du soleil qu’il montait au ciel, après sa mort,
auprès de son père Rê. Ce privilège royal ne pouvait pas logiquement
échapper à Osiris qui fut rapproché, comme les autres rois morts, de Rê. Ce
fut ainsi qu’il devint maître du ciel… On sent très bien que le
rapprochement des deux dieux reste artificiel, qu’il est exclusivement exigé
par la nécessité d’introduire Osiris dans un système religieux qu’on voulait
universel, mais qu’il n’a jamais constitué une croyance vivante. »
Quant à Isis, « rien, d’après Vandier (op. cit., p. 62), ne la prédisposait au
rôle d’épouse fidèle qu’elle a joué dans la mythologie. Son nom signifie
« le siège » et il semble qu’elle n’ait été à l’origine que la personnification
du trône royal. L’union d’Osiris et d’Isis, par son caractère mystique,
témoigne nettement de son origine théologique ». D’autre part, « … le
sanctuaire principal d’Isis, que les Égyptiens appelaient Nétérou… se
trouvait à 13 kilomètres de Busiris, patrie d’Osiris… Dans ce cas, le couple
Osiris-Isis aurait été créé, comme beaucoup de couples divins, par l’union
de deux divinités locales dont les sanctuaires étaient voisins… »
Sainte Fare Garnot (op. cit., p. 58) présente ainsi Isis : « Sa femme Isis,
la magicienne couronnée, peut être considérée comme le modèle des
épouses et l’incarnation même de la fidélité conjugale. C’était… une
créature céleste, la « régente du ciel »… Établie de bonne heure dans le
Delta, mère d’un dieu fils qu’elle protège avec sollicitude, elle a rallié plus
tard le cycle des dieux osiriens dont elle a épousé le chef de file. »
SETH ET NEPHTHYS. – Sur le grand Neter principiel, Seth, Sainte
Fare Garnot (op. cit., p. 20) s’exprime ainsi : « Quels que soient ses défauts
et ses torts, Seth est un très grand dieu, dont la puissance et le crédit
paraissent avoir été considérables… »
Vandier (op. cit., p. 63) voit en Seth, « un dieu local honoré dans le XIe
nome, puis dans le Ve nome de Haute-Égypte. La ville d’Ombos (ve nome)
où se trouvait son sanctuaire principal dut jouer un rôle important dans
l’unification du Sud ; du moins est-ce la seule façon d’expliquer la place
prépondérante qui lui est attribuée dans le nouveau royaume. La chute de
celui-ci amena la perte de Seth : occupant la première place, il fut
particulièrement poursuivi de la haine des vainqueurs et la légende lui
attribue l’entière responsabilité de la mort d’Osiris. Si on adopte cette
interprétation… on est amené, en transposant les faits sur le plan politique,
à supposer que les nomes du Sud avaient provoqué la chute du royaume
terrestre d’Osiris. On a vu que KEES avait sur cette question une opinion
tout à fait différente. Seth a pour compagne Nephthys dont le nom signifie
« la maîtresse du château ». Elle ne semble pas avoir eu, à l’origine, un rôle
très important et doit avoir été créée par les prêtres d’Héliopolis pour établir
un parallélisme rigoureux entre les deux derniers couples et l’Ennéade. »
AMON. – Dans l’Ogdoade d’Hermopolis, considérant le rôle d’Amon,
Vandier (op. cit., p. 63) fait remarquer qu’il était devenu le dieu suprmêe de
l’Égypte : « Cette primauté devait amener, dans la conception que les
théologiens se faisaient de sa nature divine, des transformations essentielles.
En effet, les Égyptiens ne pouvaient pas admettre que le plus grand dieu ne
fût pas le plus ancien. On imagina donc le système suivant : à l’origine
existait un dieu-serpent dont le nom, Kematef, signifiait « celui qui a
accompli son temps ». Ce serpent, qui n’était qu’une forme d’Amon,
mourut, laissant à son fils, le serpent Irta « le créateur de la terre », le soin
de créer l’Ogdoade. Ce deuxième serpent était, lui aussi, une forme
d’Amon. On compte donc trois générations de ce dieu : Kematef, assimilé
au grand Amon de Karnak, Irta, assimilé à l’Amon ithyphallique de Louxor,
et Amon, membre de l’Ogdoade. Ces spéculations étaient l’œuvre des
prêtres thébains ; ceux-ci, par esprit de particularisme, devaient modifier sur
un autre point la doctrine primitive. D’après eux, l’Ogdoade n’était pas
originaire d’Hermo-polis, mais de Thèbes. Les huit dieux primordiaux,
portés par les eaux, avaient nagé de Thèbes, leur patrie, à Hermopolis où ils
avaient créé le soleil, puis une fois leur œuvre accomplie, étaient revenus
mourir dans la région thébaine, non loin de Médinet Habou. C’était là qu’on
leur avait élevé un temple, là aussi que l’Amon de Louxor (le serpent Irta)
venait, tous les dix jours, leur apporter des offrandes funéraires. En résumé,
on peut diviser l’histoire d’Amon en trois phases : d’abord il est simplement
un dieu primordial dont l’existence n’est guère connue que d’un cercle
étroit de théologiens ; pendant la première époque intermédiaire, il est
adopté pour des raisons politiques, comme dieu principal de Thèbes et il
devient rapidement le dieu dynastique ; son rôle pendant de longs siècles est
presque exclusivement politique ; à basse époque, sous l’influence de
l’esprit archaïsant qui régnait alors, on revint à l’ancienne conception, et
Amon est, de nouveau, considéré comme un dieu primordial, ou plutôt
comme l’ancêtre des dieux primordiaux. Signalons enfin qu’à cette époque,
Horus lui-même est rattaché au cycle d’Amon ; on le tient en effet pour le
fils et l’héritier de l’Ogdoade. »
HORUS. – Sur le grand Neter principiel et essentiel Horus, Vandier (op.
cit., p. 67) dit : « D’après l’égypto-logue SETHE, le faucon Horus, originaire
du 111e nome de Basse-Égypte, est un dieu guerrier qui joua un rôle
extrêmement important dans la formation du royaume unifié d’Héliopolis.
Ce fut lui, ou plutôt son nome, qui prit l’initiative de la révolte contre le
royaume séthien. La victoire lui fut attribuée, et il fut considéré, par là
même, comme le vengeur d’Osiris… Or ce rôle de vengeur, dans l’esprit
des Égyptiens, revenait de droit au fils : d’où la nécessité de faire d’Horus
le fils d’Osiris. Cet Horus, fils d’Isis (l’Harsiésis des Grecs), s’il se
confondait, par le rôle qu’il avait joué dans l’histoire, avec le grand Horus
de Damanhour (l’Harœris des Grecs), s’en distinguait cependant par ses
origines. Haroéris, en effet, n’était pas né à Chemnis (VIe nome), mais à
Behedet-Damanhour dans le IIIe nome, et sa mère n’était pas Isis, mais
Hathor.
… « Il est évident que cette théorie de SETHE n’a pas pu être admise par
KEES, pour qui l’Horus de Damanhour est une création analogique
relativement récente. Voici donc, d’après lui, comment les faits ont dû se
passer. Le premier acte se serait passé au cours de la préhistoire : Osiris-
Andjty, roi du Delta oriental, et non de l’Égypte entière, a été vaincu, non
pas par Seth et la Haute-Égypte, mais par le roi du Delta occidental…
Osiris avait épousé Isis mais n’avait pas eu d’héritier. Cependant Isis, en
tant que personnification du trône royal, devait être considérée dans son
territoire comme une déesse-mère. Isis, grâce à ses connaissances
magiques, avait, sans le secours de son époux, mis secrètement au monde
l’enfant divin dans les marais du Delta. Cet enfant fut, par la suite, identifié
au dieu vainqueur Horus, et, à la suite de son introduction dans le cycle
divin busirite, fut considéré comme le fils d’Osiris. »
Sainte Fare Garnot (op. cit., p. 17 et 59) explique ainsi le rôle d’Horus
comme dieu solaire : « Compagnon du soleil, le faucon divin ne pouvait
manquer d’être identifié, tôt ou tard, à l’astre du jour, et c’est sans
étonnement que nous les voyons confondus sous le nom de Rê-Horakhti…
Les lieux du culte de l’Horus céleste étaient nombreux dans l’ancienne
Égypte. A Béhédet du Nord… comme à Béhédet du Sud (Edfou)… le
« grand dieu seigneur du ciel » se sentait chez lui, non moins qu’à
Hiéraconpolis-Nekhen… et ailleurs encore. Naturellement il avait une
famille organisée dans le cadre traditionnel de la triade, et qu’on se
préoccupait fort peu d’assortir à son personnage, puisqu’on lui donnait pour
une épouse une vache, Hathor, et pour postérité un enfant mâle, Ihi,
496
l’amateur de musique (Dendérah), ou bien un petit Horus, Har-
497
somtous (Edfou)… » Plus loin, parlant du fils d’Isis : « Son fils, Horus
l’enfant, n’était à l’origine qu’un petit garçon divin ; sous cet aspect, le
corps nu, la tête ornée de la mèche bouclée, caractéristique du jeune âge, un
doigt à la bouche, comme les bébés, il tient, dans l’iconographie tardive une
place honorable. Toutefois, la parenté de son nom avec celui du grand
Horus céleste lui a permis d’assurer très tôt la forme hiéra-concéphale, en
même temps qu’il est devenu le fils posthume d’Osiris… »
*
**
Ces opinions, arbitraires et contradictoires, des égyp-tologues classiques,
nous obligent à préciser encore notre position sur ce sujet.
Nous disons donc :
• si l’Égyptologie classique restait dans son rôle purement scientifique,
en notant ce que disent explicitement les documents et en décrivant les
figures du mythe et leurs attributs, elle serait utile et très respectable. Mais
certains égyptologues classiques – à commencer par l’érudit Erman et ses
disciples – estiment devoir tirer des conclusions, trouvant spirituelles leurs
railleries, et ceci faute d’avoir compris le rôle réel du mythe, le sens
profond d’une liturgie et les bases et buts d’une théologie.
L’erreur classique est de prétendre que la théologie pharaonique n’est
qu’un assemblage de mythes locaux ou de tribus, un « syncrétisme » puéril.
Les divers thèmes sont considérés comme des théories s’opposant les unes
aux autres, opposition soi-disant motivée par des jalousies de clergés ou par
des raisons politiques !
Nous allons essayer de jeter un peu de clarté sur l’aspect fondamental de
la théologie pharaonique.

4. THÉOGONIE. – THÉOLOGIE.
498
La Théogonie est la genèse, ou apparition successive, des Puissances
ou Qualités divines issues de l’Unité originelle où elles sont à l’état latent,
puis leur genèse aans la création continue par laquelle elles se manifestent à
travers la Nature.
La Théologie, ou science des « états » de la divinité, explique
théoriquement la genèse et manifestation de ces Puissances.
Sans la Nature et sans le classement « intelligent » de ce qu’elle
manifeste, il n’y aurait pas de théologie ; tandis que la Théogonie est une
réalité en soi, indépendante de l’intelligence humaine. C’est la philosophie
spéculative qui la classera, mais ce classement n’est pas une nécessité.
La Théogonie est donc une Réalité.
La Théologie est une construction de l’intelligence.
*
**
Les Qualités divines sont des « En Soi », c’est-à-dire des abstractions qui
peuvent être enseignées en trois modes : soit par une philosophie
spéculative, soit par des figurations imagées, soit par la démonstration de
leurs effets dans la Nature.
Le Temple égyptien a exprimé son enseignement par la figuration
symbolique et parfois mythique, évitant ainsi l’erreur stérilisante des
schémas, des classements et des spéculations théoriques qui conduisent trop
souvent l’intellect orgueilleux à la véritable hérésie.
L’Inconnaissable ne peut être approché que par la pure méditation sans
objet, ou par l’intuition éveillée par les symboles analogiques.
Le Temple égyptien a adopté cette dernière méthode ; celle-ci n’exclut
pas cependant l’initiation à la « métaphysique » de la théologie : elle en
donne même tous les éléments dans ses textes et ses tableaux, mais toujours
voilés sous un sens banal apparent. Il faut, pour déchiffrer leur sens réel,
connaître la valeur philosophique de chaque hiéroglyphe, les clés de leur
disposition, et aussi le langage de l’architecture : nature, coloration, taille et
mesure des pierres, disposition de ces pierres en coïncidence avec les textes
et les images, etc.
Alors le danger des théories arbitraires s’efface nécessairement devant la
coïncidence des Nombres, des Mesures et des Temps avec les fonctions et
les Qualités représentées hiéroglyphiquement.
Le sens profane des textes les situe historiquement (dans le Temps) ; le
symbole des noms, des gestes et fonctions des personnages permet de
découvrir les principes abstraits par leurs rapports analogiques avec ces
représentations concrètes.
LA TERRE FAIT LE CARACTÈRE DE SES HABITANTS. Chaque contrée accepte ou
refuse d’acclimater telle espèce animale, modifie la couleur et la saveur des
végétaux ; de sorte que c’est la terre elle-même qui définit, par ses
influences, les véritables limites des zones constituant des « pays » de
caractère particulier.
L’art et le symbolisme, qui expriment le rapport de la conscience et de la
vie, subissent forcément l’influence de la terre ; non seulement parce que
leurs sujets et leurs images sont fournis par la nature, la faune et la flore de
leurs pays respectifs, mais parce que le caractère individuel de ceux-ci
donne nécessairement son empreinte aux modes d’expression des hommes
qui y vivent. Si l’on ajoute à cette imprégnation l’influence des époques
astrologiques où naquirent les divers systèmes symboliques, on comprend
que chacun d’eux, tout en exprimant des réalités immuables, l’ait fait dans
un mode correspondant au pays et au Temps de sa conception.
Par conséquent, on ne peut pas espérer transposer littéralement un
symbolisme dans un autre, sous peine de commettre des erreurs par la
différence des points de vue – ou positions – adoptés par les initiateurs,
selon la « signature » du pays et du Temps.
Il y a cependant plus qu’une analogie entre les divers systèmes du
symbolisme religieux ; mais on ne peut pas établir leurs rapports en les
superposant : leurs rythmes et leurs méthodes étant forcément différents, il
en résulterait des combinaisons erronées qui dénatureraient le sens de
chacun d’eux.
Le seul moyen de trouver leur relation est de les étudier chacun pour soi,
comme des secteurs d’un cercle éclairés par une Vérité centrale. Ainsi dans
une année solaire, les mois et les saisons concourent à l’accomplissement
d’un cycle de végétation, chaque période apportant son expression
particulière pour un effet global cycliquement répété.
Cette image est plus qu’une figure littéraire, car les ressemblances et
dissemblances des saisons entre elles peuvent être comparées à celles des
divers symbolismes initiatiques. Les facteurs – ou puissances naturelles –
ne jouent pas le même rôle en toutes les périodes saisonnières : la neige et
la gelée, bénéfiques en hiver, sont désastreuses pour les bourgeons du
printemps ; la chaleur, la pluie, le vent, sont des Neter bénéfiques ou
maléfiques selon les dates de leur apparition. Ainsi les vérités
fondamentales sont enseignées aux hommes sous un aspect ou sous un
autre, selon le caractère de l’époque ou de la « tranche » d’humanité pour
laquelle elles sont révélées.
C’est pourquoi, par exemple, le symbolisme hindou ne peut pas se
transposer dans le symbolisme égyptien ; ce ne sont pas seulement les noms
qui diffèrent dans l’expression, mais la couleur, le rythme de pensée, et la
correspondance avec la formation du peuple qui en est le dépositaire. De
même le symbolisme judaïque, bien que sorti de l’Égypte, n’est pas
superposable au système égyptien ; il ne le rencontre que dans plusieurs
points clés qui sont, en eux-mêmes, la révélation d’un héritage. Les mêmes
vérités y sont exprimées en mode différent, coloré par la mentalité du
peuple d’Israël, elle-même modifiée successivement par les différents lieux
(désert, Chaldée, Palestine) où il a émigré.
Chaque mythe en soi est un système complet, montrant une vérité
identique sous un point de vue différent. Ce sont des différences, et non des
divergences ; et ces différences demeurent, tant que l’enseignement reste
dans le domaine du relatif, où la multiplicité des aspects est nécessaire à la
compréhension logique. Mais elles s’effacent graduellement lorsqu’on se
rapproche du centre, c’est-à-dire lorsqu’on simplifie l’expression, se
concentrant sur l’étude des Causes principielles sans se laisser séduire par la
diversité de leurs effets.
Or ceci ne peut pas aboutir par des spéculations métaphysiques, car ces
spéculations éloignent de la « vision directe » qui est le but central, la
perception « en soi » des Puissances causales du Monde. En ce centre
essentiel, but final de toutes les initiations, toutes sont unifiées, et les
« systèmes » sont abolis puisque ceux-ci sont les chemins employés pour y
parvenir. La progression vers le centre n’est donc pas marquée par des
complications, mais par la simplification.
Ce qui, graduellement, se simplifie, c’est la nature du symbolisme qui,
en son temps le plus excentrique, s’appuie sur les multiples manifestations
des Forces et des fonctions à travers les diverses productions et organismes
de la Nature.
Plus proche du centre est le symbolisme géométrique, qui traduit le jeu
des formes Idéelles, causes génératrices des formes organiques. Plus pur
encore est le jeu des Nombres principiels qui ont été l’objet des initiations
symboliques les plus secrètes du Monde ; encore ces symbolismes n’ont-ils
été découverts qu’aux hommes susceptibles d’une formation particulière,
qui donnait à leurs facultés supérieures le développement nécessaire pour
en « entendre » le sens réel.
D’après cette progression, il apparaît qu’en Égypte les pyramides furent
l’expression de la plus pure symbolique, témoignant ainsi d’un état plus
voisin de la perfection « centrale » que ce qui leur a succédé. Elles étaient
donc, dans la simplicité de leur symbolisme essentiel, plus proche de la
SIGNIFICATION universelle qui est à la base de tout système initiatique.

Le développement de l’Égypte « historique » a montré la complexité


progressive de ses symboles, ceci coïncidant avec une croissante
démocratisation cultuelle et culturelle ; et ceci est encore une confirmation
de ce principe : la multiplicité des symboles est particulari-sation, utile au
développement d’une compréhension logique, et favorable aux multiples
points de vue de l’intelligence analytique. Mais c’est encore accroître les
possibilités d’erreurs qui en résultent, que de vouloir isoler les divers
systèmes théogoniques égyptiens comme on le ferait pour les théologies
étrangères entre elles, car elles font partie d’un plan unique et préétabli.

499
Les points de vue de la Théologie égyptienne .
Dans toute tradition théologique, la partie théogonie, traitant du
problème de l’Origine, ne l’enseigne jamais rationnellement. Ces notions
métaphysiques ne peuvent, en effet, s’exprimer que par le jeu du Nombre
dans les formes architecturales, dans les mesures et proportions des images.
Dans les textes, les fonctions princi-pielles et le rôle des Nombres sont
exprimés par la nomenclature des phases (ou périodes) d’une genèse, par
des Principes personnifiés et par les noms, et même les âges, de ces
personnifications.
Plusieurs systèmes théogoniques, présentant d’apparentes divergences,
ont été formulés par les Temples les plus importants – Héliopolis,
Hermopolis et Memphis –, sans compter les mythes d’Osiris, d’Horus, et
plusieurs légendes inscrites en divers lieux et diverses époques.
Si l’on considérait tous ces récits mythiques comme étant les chapitres
500
d’une théologie unique enseignant les lois de la Genèse selon des points
de vue déterminés, le fil qui les relie apparaîtrait rapidement, et leurs
contradictions s’effaceraient.
Supposons un enseignement astronomique qui développerait plusieurs
histoires intéressant les mêmes astres, en leur attribuant des rôles différents
selon la position choisie par l’observateur (par exemple système
héliocentrique ou système géocentrique), ou encore selon la situation de ces
astres dans le thème de chaque histoire (car ce thème peut se rapporter à
l’un des cycles astronomiques : mois lunaire ou année solaire, ou cycle
précessionnique, etc.). Chaque histoire serait alors véridique malgré les
divergences, et les rôles différents attribués à chaque astre seraient légitimés
par les divers points de vue d’un unique enseignement.
Cette conclusion est celle qui s’impose si l’on remplace l’étude des
astres par l’étude des Neter en suivant les diverses filières du mythe
égyptien. On s’aperçoit alors que les bases essentielles de la connaissance
humaine (histoire du Ciel, de la Terre et de l’Homme), qui sont séparées
dans la science moderne, se trouvent liées dans la science pharaonique dont
les théogonies expriment une unique philosophie.
Vues sous cet angle, leurs divergences deviennent des différences dont on
peut discerner les motifs.
Les différences de temps (ou d’époques des inscriptions) sont en rapport
avec le rôle attribué aux périodes historiques dans la genèse qu’elles
symbolisent.
Les différences de lieux sont en rapport avec le principe développé
particulièrement dans chaque Temple initiateur (par exemple principe
solaire à Héliopolis, principe lunaire à Dendérah).
Les différences de noms correspondent aux rapports des Temps (ou
grandes dates) astronomiques, avec les phases de la genèse étudiée : genèse
d’une chose, ou d’un être, ou d’un peuple, ou de l’Humanité.
Ceci étant reconnu, il faut s’appliquer à discerner les « points de vue » de
la théologie égyptienne.
La première difficulté provient de ce que chaque système a pour but
d’enseigner plus spécialement le rôle d’un des agents de la genèse. Il ne
faut donc pas en entreprendre l’étude particulière avant d’avoir déterminé
sa situation dans le plan général. Cette distinction étant établie, on
s’aperçoit encore que cette genèse est considérée sous plusieurs points de
vue qu’il faut savoir différencier, faute de quoi les divers éléments de cette
théologie (doctrines, mythes et légendes) prendront une apparence de
complexité incohérente.
Si l’on veut en découvrir la structure préétablie, c’est une genèse totale
qu’il faut étudier à travers l’ensemble des systèmes théogoniques, et non
point chaque système pour soi.
Suivant cette méthode, nous étudions donc les différents points de vue de
la théologie égyptienne en suivant la filière de chacun d’eux à travers
divers systèmes théogoniques (Memphite, Héliopolitain, etc.), sans jamais
rapporter les noms ou épisodes au système dont ils émanent, puisque ces
divers éléments du mythe ont été répartis entre tous ces systèmes (selon la
date et le lieu de leur promulgation) pour correspondre à l’une des phases
du point de vue envisagé.
Or on peut distinguer quatre points de vue dans cette théologie :
• Le point de vue métaphysique, qui est « l’histoire divine » des Neter et
se situe au commencement de toute chose.
• Le point de vue naturel, qui se rapporte aux fonctions de la Nature,
c’est-à-dire au monde de la manifestation.
• Le point de vue cosmologique ; il se rapporte aux cycles célestes qui
font la synthèse des deux premiers points de vue.
• Le point de vue mystique, qui se rapporte à la libération de la
conscience qui dépasse la Nature.
Ces quatre points de vue s’enchevêtrent à travers l’histoire des Neter, qui
est développée sur toute l’étendue (en temps et en espace) de l’histoire
égyptienne, à tel point que ces deux histoires se confondent souvent. Et
cette union intime du mythe théologique avec le fait historique adapté,
démontre l’existence d’un programme préétabli, avec des étapes fixées
quant aux dates et aux lieux que l’on devrait successivement choisir pour
leur réalisation.

5. LA « SYNTHÈSE DES PRINCIPES ». (Deuxième jour de BA et KA.)


La « Synthèse des Principes » se rapporte aux Principes métaphysiques,
ou Forces causales primordiales qui, par les fonctions des Nombres-entités,
opèrent dans les trois mondes désignés en Égypte par la formule : « Ce qu’il
y a dans le Ciel, dans la Terre, et dans la Douât. »
Ciel = monde sur-céleste, ou archétypique,
Douât = monde céleste, ou ectypique,
Terre = monde élémentaire ou typique (voir chap. vin).
Lorsque, dans une énumération, la Terre est située en second lieu, entre
le sur-céleste (Ciel) et le céleste (Douât), les Égyptiens désignent par cette
Douât le monde des transformations qui succède à l’existence des formes
terrestres. Car ils conçoivent un double aspect de la Douât : le monde des
préformations – céleste ou ectypique –, et le monde des transformations.
501
Mais leur Sagesse, concevant l’Univers comme le jeu perpétuel des
Forces créatrices, transformatrices et transumatrices, n’en délimite pas les
fonctions par une division schématique objectivante que nous sommes
toujours tentés d’appliquer pour faciliter la compréhension intellectuelle.
La Synthèse des Principes est l’expression de la métaphysique
502
égyptienne révélée par le Plan des Anciens .
BA, KA et akk en sont la manifestation à travers les divers états de l’être.

6. LES NETER.
503
Pour comprendre la signification des Neter , il faut les considérer en
dehors de la complexité théologique, dans le milieu même qui est leur
domaine d’action : la Nature. En somme, c’est la Nature que nous avons
sans cesse devant les yeux, c’est la Nature qui nous impose ses lois, c’est
elle qui manifeste le devenir de l’être à travers toutes ses transformations.
Quels que soient les noms égyptiens donnés aux puissances qui la régissent,
ils se rapportent toujours à des Principes connaissables par leurs effets,
c’est-à-dire par des phénomènes naturels. Ces Principes sont les Neter, et
ces phénomènes sont les effets de la manifestation des Neter, ou Fonctions
504
cosmiques .
Cependant leur classification dans le panthéon égyptien révèle une
hiérarchie évidente. Si la plupart de ces Neter représentent des Fonctions
génératrices de la matière et des organismes de la Nature, quelques-uns sont
situés comme agents déterminateurs de ces Fonctions, ce que nous
pourrions nommer principes de Cause. Ceux-ci sont représentés dans
l’aspect trinitaire, mais on cite plusieurs trinités, et leurs caractères diffèrent
comme leurs noms, parce qu’elles ne se rapportent pas aux mêmes temps de
la Genèse.
Autre est la Trinité créatrice, Amon-Râ-Ptah « trois en un », autres sont
les trinités secondaires telles que :
• Amon-Mout-Khonsou,
• Osiris-Isis-Horus,
• Horus-Hathor-Ihi.
Chaque Principe de ces trinités est présenté dans différents rôles et ceci
est un sujet de confusion si l’on ne distingue pas les deux aspects essentiels
505
qui peuvent leur être attribués : Principe de la Nature, ou hors la Nature .
Cette distinction est possible grâce aux noms et aux qualificatifs par
lesquels ils sont, en chaque occasion, désignés.
C’est ainsi qu’Anton peut être considéré dans sa qualité absolue « au
nom caché » :
• ou comme animateur de la semence, à travers Moût principe de
maternité,
• ou comme Amon-Râ dans la Nature, en tant que semence animée
porteuse de l’hérédité.
C’est ainsi qu’on différencie Râ, divin créateur non dépendant de la
Nature, et Râ, Neter solaire assujetti aux lois des mondes qu’il régit.
La trinité Osirienne est la plus facile à comprendre, parce qu’elle
correspond au monde de la Nature, et de l’homme naturel ; ses Neter sont
les maîtres de la Nature dont ils régissent – et en même temps subissent – la
loi des cycles de l’existence. Mais l’Horus de cette triade ne doit pas être
confondu avec l’Horus de la trinité Horus-Hathor-Ihi.
Horus est la clé de la théologie égyptienne, comme le Verbe est la clé du
Nouveau Testament chrétien.
Au commencement et en tous temps, Horus universel (fréquemment
exprimé par Horus our) est l’axe de l’âme animatrice du Monde. Il est
l’animateur de l’Homme adamique pré-naturel, avant sa chute dans la
dualisation.
La « chute dans la Nature » crée son antagoniste, Seth, qui, par son
opposition constante, manifeste les puissances latentes d’Horus dans la
Nature, depuis Horus l’Ancien, puis Horus fils d’Isis, jusqu’à l’Horus
victorieux qui devient, dans l’Humain, l’Horus surnaturel qui réunit les
compléments divisés et résout toute opposition.
Hathor est, pour ainsi dire, inséparable d’Horus puisqu’elle est la
Maison du Verbe, son miroir qui le manifeste, et son pouvoir « actuel ».
C’est par lui qu’elle peut être la nourrice du Monde, la « Vache céleste ».
Elle est un des aspects du grand Principe féminin universel, que l’Égypte
présente comme Un et multiple, et qu’elle situe au delà de la multiplicité en
unifiant ses apparences passagères : soit qu’elle parle de Neith, la « Mère
divine » primordiale, ou de Maât (situées hors du Temps comme dans le
Temps), ou d’Hathor, épouse et mère du Verbe Horus, ou de Nout qui
engendre les Neter, puis d’Isis génératrice de l’Horus semence d’Osiris, de
Moût en ses diverses formes, etc.
Et tous ces Neter féminins ne sont que les révélations et manifestations
de la grande Mère universelle dont Maât est la Sagesse divine, lien, par
cette conscience, entre le « divin » et le « naturel ».
Il faut, à ce propos, remarquer ce qui différencie les Neter et l’Humain
relativement au microcosme :
• un Neter n’est pas le microcosme, il en est un aspect ou une Fonction
principielle. C’est l’Humain qui est le microcosme : il synthétise les Neter.
Si l’on approfondit la théologie égyptienne, on constate qu’en dehors des
trois Principes, créateur, animateur et rédempteur, et du Principe féminin
universel, les Neter sont de la Nature – entendant par Nature tous les états
transitoires et relatifs par rapport à l’état éternel de l’Esprit d’origine, et à la
conscience spirituelle acquise à travers la Nature. L’Égypte inclut, dans cet
état hors Nature, le BA (âme spirituelle, universelle et particulière) et le KA
divin (KA humain supérieur qui fait partie de Maât, la Conscience
506
universelle ).

7. LIGNÉE OSIRIENNE. OBÉDIENCE AMONIENNE.


La lignée Osirienne est la succession naturelle des phases du « devenir »
de tout ce qui vient à l’existence sur Terre, pour y mourir et préparer dans la
Douât la renaissance à cette existence. Ainsi le grain enfoui dans le sol
prépare sa nouvelle germination.
Les cycles annuels de cette vie végétale sont une image correcte de la
lignée Osirienne.
L’obédience Amonienne est la correspondance à la phase précessionnique
d’Amon à laquelle la vie historique de l’Égypte se soumet consciemment.

8. LES COMPAGNONS D’HORUS.


En égyptien chemsou Hor. Les Égyptiens entendaient par Horus
l’élément de surévolution, dans l’Univers et dans l’Humanité. Osiris étant
le Neter de la Nature et des êtres naturels, Horus en est l’élément sur-
naturel, c’est-à-dire ce qui est entré, par la conscience acquise, dans le
règne supérieur ou sur-humain.
Les « Compagnons d’Horus » signifient : l’état préparatoire de ce règne
supérieur, et, dans l’homme, tout ce qui tend vers cette réalisation.
Les Égyptiens ont exprimé cette notion par un symbole, par un
hiéroglyphe et par un mythe.
Le symbole est donné, dans les textes des Pyramides, par l’image,
fréquemment répétée, des « tissus d’Horus ».
Le hiéroglyphe est l’idéogramme du mot chems (chms) qui signifie
« accompagner » : c’est un bâton crochu, portant en son centre un rectangle
quadrillé. Lorsque le dessin de la pointe courbe est détaillé, il représente
une tête de faucon ; le rectangle est un tissage du fil qui est la « vie
Horienne », qui doit tisser dans l’homme le « tissu d’Horus », c’est-à-dire
sa vie supérieure.
507
Le mythe est celui des « Compagnons d’Horus » dont le règne aurait
précédé les premières dynasties, alors que l’Égypte avait deux centres, Pe et
Nekhen, c’est-à-dire Bouto et Hiérakonpolis. Ces deux centres étant les
508
« lieux » symboliques de la formation d’Horus , on pourrait dire que les
Compagnons d’Horus signifient ses propres artisans, ceux qui préparent son
« avènement », dans le sens où les partisans d’un futur roi disposent tous les
éléments qui l’attireront sur le trône.
Ce mythe, rapporté au devenir individuel de l’homme, symbolise par les
Compagnons d’Horus les états préliminaires à la réalisation (tissage total)
de l’Horus humain, c’est-à-dire de son avènement au Règne supérieur.

9. LES SEPT PUISSANCES « FATALES » ET LES NOMBRES.


Les mots égyptiens attribués par le Sage à ces sept Puissances se
rapportent aux forces réactives suscitées, dans le monde de la manifestation,
par l’entrée en activité des sept premiers Nombres.
Il faut remarquer que ces Puissances ne sont pas les sept premiers
Nombres ni leurs forces actives, mais des forces réactives suscitées par ces
dernières. Et, comme chacun de ces Nombres primordiaux auxquels elles
correspondent, chacune de ces Puissances engendre la suivante comme
conséquence fatale.
La première de ces Puissances, IKOU ou IK, est la plus difficile à
comprendre – faute d’exemples nombreux –, car elle était estimée secrète
comme l’origine du Devenir. Elle fut cependant manifestée par son
renversement, ki, dont la signification vulgaire, « l’autre », révèle le sens de
ik. En effet, ki est « l’autre » de ik (comme est « l’Autre » par rapport au
« Même » de Platon), de même que ki exprime, en langage profane, la
pensée, expression d’une virtualité.
Effectivement, ik – ou IKOU – est l’impulsion qui a précipité l’Etre dans
509
le Devenir, en incitant l’« Un » au désir de se voir en un « autre », dont
le principe est exprimé par ki.
Or, la conscience de cette dualité engendre la deuxième Puissance, MER,
qui est l’impulsion d’attraction qui attire vers leur réunion ces deux unités,
ce qui devient dans la Nature l’affinité ou attirance entre deux compléments
pour la fécondation.
L’effet neutralisant de leur conjonction éveille, par réaction, le feu
SEKHEM, qui détruit la forme des éléments conjoints en même temps qu’il
génère une nouvelle vie.
Cette troisième Puissance, SEKHEM, qui découle fatalement des deux
premières, est aussi apparentée par son nom avec le nombre Trois, khemt.
Et de même que le nombre Quatre est le premier effet de multiplication,
donc la base du Devenir, de même la quatrième Puissance KHEPER est le
principe du Devenir et des transformations correspondant aux phases de
toute genèse.
(Kheper, kheprou = existence, devenir, transformation.)
Cette quatrième Puissance, KHEPER, ouvre le monde de la réalisation,
qui commence à manifester l’action conjuguée des trois Puissances
causales, ik, MER, sekhem. Son effet sera la « chose », que celle-ci soit
considérée comme réalité relative à un moment de genèse, ou comme effet
produit par une genèse.
Le nom de la « chose », en égyptien, est khet. Or la chose, khet, n’est pas
une « puissance », mais le produit de la quatrième Puissance (kheper), qui
exige, pour sa subsistance, l’activité de deux facteurs qui sont : la
cinquième Puissance, AB – IB, et la sixième Puissance, TEKH.
Le sens profane de ces mots est : AB, désir ; ib, soif ; tekh, boisson,
ivresse.
Pour reconnaître leur sens philosophique, la cabale du renversement des
lettres sera un point d’appui en nous faisant comprendre la cause par
l’effet :
• la cinquième Puissance a deux aspects : l’aspect abstrait, AB, et
l’aspect concret, ib, qui expriment la soif ou désir d’absorption de l’élément
vital nécessaire à la persistance de la « chose », abstraite ou concrète.
Le renversement de leurs lettres donne, pour le sens abstrait, BA, l’âme
qui absorbe l’Esprit Universel ; et, pour le sens concret, bi. t, l’abeille qui
aspire le suc des fleurs.
La sixième Puissance, tekh, est la capacité d’absorption, même jusqu’à
510
saturation, causée et mesurée par la réaction du feu Séthien sou-tekh ,
sans lequel la chose, khet, n’aurait pas d’existence.
Remarquons que le désir-soif AB-IB met cette cinquième Puissance en
correspondance (à une phase plus avancée) avec l’impulsion attractive de la
deuxième Puissance, MER. De même, la sixième Puissance, tekh, est,
comme la troisième, SEKHEM, la réaction d’un feu.
ab et BA, ib et bi, tekh et khet, sont assurément une cabale à signification
plus profonde qu’un simple jeu de lettres !
Enfin, la synthèse des six premières Puissances fatales est la septième
Puissance, SEFEKHT, qui signifie « sept ».
sefekht est le terme de la manifestation, qui, par réaction à l’impulsion
causale, permet de dénombrer les qualités immanentes à l’unité septénaire
telles que : sept couleurs de ? a lumière, sept sons essentiels de la gamme,
sept années pour le renouvellement des cellules du corps, etc.
L’autre nom de la septième Puissance est SECHAT ; et ce nom exprime
sa fonction, qui est l’inscription des « signatures » en toute chose générée
511
sur note Terre .
Or sechat signifie « écriture ».

COMMENTAIRE VI
ASTROLOGIE – ASTRONOMIE

1. ASTROLOGIE. – ASTRONOMIE.
« Il n’y a peut-être pas de pays où les positions et les mouvements des
astres soient observés avec plus d’exactitude qu’en Égypte. Ils conservent,
depuis un nombre incroyable d’années, des registres où ces observations
sont consignées. On y trouve des renseignements sur les mouvements des
planètes, sur leurs révolutions et leurs stations ; de plus, sur le rapport de
chaque planète avec la naissance des animaux, enfin sur les astres dont
l’influence est bonne ou mauvaise. En prédisant aux hommes l’avenir, ces
astrologues ont souvent trouvé juste ; ils prédisent aussi fréquemment
l’abondance et la disette, les épidémies et les maladies des troupeaux. Les
tremblements de terre, les inondations, l’apparition des comètes et
beaucoup d’autres phénomènes qu’il est impossible au vulgaire de connaître
d’avance, ils les prévoient d’après des observations faites depuis un long
espace de temps. On prétend même que les Chaldéens de Babylone, si
renommés dans l’astrologie, sont une colonie égyptienne et qu’ils furent
instruits dans cette science par les prêtres d’Égypte. » (DIODORE DE SICILE, I,
LXXXI.)

« Les Thébains d’Égypte se disent les plus anciens des hommes et


prétendent que la philosophie et l’astrologie exacte ont été inventées chez
eux… Ils paraissent aussi savoir calculer les éclipses de soleil et de lune, de
manière à pouvoir en prédire avec certitude tous les détails. » (DIODORE DE
SICILE, I, L.)
« Ils sont les auteurs de diverses inventions, telles que celle de désigner à
quel dieu chaque mois et chaque jour est consacré ; de déterminer, d’après
le jour où un homme est né, les événements de sa vie, comment il mourra,
quelles seront ses qualités. » (HÉRODOTE, II, LXXXII.)
« Pythagore a, dit-on, appris chez ces mêmes Égyptiens ses doctrines
concernant la divinité, la géométrie, les nombres… Ils prétendent aussi que
Démocrite a séjourné cinq ans chez eux et qu’il leur est redevable de
beaucoup de connaissances astrologiques. Œnopide passe également pour
avoir vécu avec les prêtres et les astrologues égyptiens et pour avoir appris
d’eux, entre autres choses, l’orbite que le soleil parcourt, son inclinaison, et
son mouvement opposé à celui des autres astres. Ils disent la même chose
d’Eudoxe qui s’acquit beaucoup de gloire en introduisant en Grèce
l’astrologie et beaucoup de connaissances utiles. » (DIODORE DE SICILE, I,
XCVIII.)
*
**
On ne peut pas espérer trouver dans les documents laissés par l’Ancienne
Égypte une preuve de sa connaissance astrologique, avant d’avoir corrigé
l’erreur, trop accréditée, de considérer la science des influences célestes
comme une science particulière.
Le symbole est l’expression la plus parfaite de l’ésotérisme de la
Sagesse. Le mythe est l’image totale, la synthèse des trois aspects de la
Connaissance : théologie, astronomie, médecine. Selon la pensée des
Anciens, chacun de ces aspects emprunte aux deux autres les éléments de sa
raison d’être. Ainsi la médecine, considérée comme la science des causes
pathologiques et des moyens thérapeutiques, ne peut avoir de valeur
indiscutable que si elle considère les influences spirituelles enseignées par
la théologie, et l’harmonie cosmique du ciel et de ses cycles qui établit le
rapport entre les êtres vivants et l’Univers.
La croissance des plantes, le rut des animaux, la migration des oiseaux,
obéissent aux Temps du ciel. La fièvre varie selon les heures du jour et de la
nuit ; on a constaté que le retour et la gravité des épidémies étaient modifiés
par les saisons et les phases lunaires.
La maladie a sa cause essentielle dans un désaccord de l’homme avec
son état spirituel, et dans un déséquilibre entre ses éléments physiques et ses
éléments subtils (psychique et mental) : ceux-ci agissent sur le corps
comme le magnétisme et l’électricité atmosphériques agissent sur la terre.
Or ces états subtils de l’atmosphère et de l’homme sont eux-mêmes
conditionnés par les diverses vibrations énergétiques résultant des
mouvements et positions des corps célestes. C’est pourquoi l’efficacité d’un
moyen thérapeutique dépendra en grande partie de la date et de l’heure
choisies pour son application.
La science du ciel (ou astronomie) joue un rôle intermédiaire entre la
médecine – science du corps vivant –, et la théologie – science
métaphysique.
L’astrologie – qui est l’aspect vital de l’astronomie – est intégrée dans
une synthèse que représente le Mythe, et ne doit pas être considérée comme
une spéculation philosophique particulière (ainsi que notre mentalité
rationnelle nous pousserait à le faire).
Or, si l’Ancienne Égypte associe parfois Osiris, Isis et d’autres Neter à
certaines étoiles ou constellations, c’est qu’elle a choisi cette forme pour
exprimer sa connaissance astrologique.
Si nous voyons le corps de Nom couvrir et « mesurer » la momie dans le
sarcophage, c’est une démonstration éloquente de la conception égyptienne
de l’homme-microcosme, image et mesure du macrocosme.
La même idée est suggérée dans le zodiaque de Dendérah (qui paraît
avoir été divulgué à l’époque ptolémaïque), où un corps de femme, étendu,
sculpté en proportions parfaitement correctes, mesure tout le ciel zodiacal.
Avant cette époque « révélatrice », où l’enseignement des temples fut
512
extériorisé , l’Égypte se servit d’artifices multiples (allégories
historiques, géométrie architecturale, domination de certains Neter sur les
étoiles), pour enseigner les mouvements astrologiques et leurs rapports avec
la vie des hommes et des êtres terrestres. Mais ce qui rend très difficile la
découverte des connaissances astrologiques de l’Égypte, c’est qu’elle
applique, sur ce sujet, son principe de croisement : ayant associé certains
aspects des Neter et des astres, elle parlera des astres quand elle voudra
montrer les fonctions des Neter, et elle se servira du mythe pour voiler, sous
les faits et gestes des dieux, les influences des planètes et des constellations.
Or si l’on considère que les organes sont l’incarnation des fonctions
cosmiques représentées par les Neter, on comprendra l’artifice égyptien qui
réussit à combiner le jeu des fonctions organiques avec l’influence céleste
astronomique et avec le moment spirituel métaphysique.
L’astrologie moderne, basée sur notre astronomie mathématique, ne peut
pas s’exprimer sans une analyse dispersante et sans explications
compliquées, n’ayant plus à sa disposition la synthèse du mythe. La
tradition sur laquelle elle s’appuie étant, de son propre aveu, incomplète,
elle est obligée de remplacer les clés manquantes par l’observation
empirique, établissant les conditions où l’état astronomique du ciel
correspond à telles impulsions ou à tels événements. Ceci réduit l’astrologie
actuelle à la forme divinatoire, appliquée par les « thèmes » où
l’interprétation ouvre la porte à des possibilités d’erreurs ; en effet, elle ne
dépend plus seulement de règles rigoureuses, mais du discernement et des
facultés intuitives de l’astrologue.
Il manque à cette astrologie deux éléments nécessaires à l’interprétation
parfaite d’un thème astrologique :
1° la connaissance précise des mouvements géométriques engendrés par
la gestation constante de l’Univers, et dont la clé est indiquée dans certains
monuments égyptiens ;
2° le discernement des trois mondes dont l’interdépendance détermine la
destinée d’un être :
• monde causal : spirituel-métaphysique,
• monde intermédiaire : céleste-stellaire,
• monde effectif : naturel-terrestre, gestateur et transformateur.
Or la concomitance de leurs modes d’action et de leur interpénétration
continuelle les rend indiscernables (hors de la « vision directe ») sans les
procédés d’enseignement synthétique des Anciens.
Une autre divergence entre leur pensée et celle des astrologues modernes
est l’interprétation des natures planétaires.
Ce serait une erreur d’attribuer aux Égyptiens la personnification des
astres et des Neter en tant qu’entités nettement délimitées.
Chaque astre, comme chaque principe ou élément de la Nature, est
modifié dans sa fonction et son action par sa corrélation avec le jeu des
autres éléments dans un même moment.
Le caractère de chaque Neter-Principe, et de chaque astre par rapport à
notre Terre, est ainsi considéré par l’ancienne Égypte comme
circonstanciel, et ceci justifie la multiplicité des noms et titres qui montrent
chacun d’eux dans leurs diverses relations.
Ce sont les états d’Horus-Universel (dont les manifestations sont
symbolisées par les divers noms et attributions d’Horus), et ce sont les
fonctions de la « Femme céleste » qui importent aux Sages d’Égypte, et
ceux-ci ne craignent pas d’attribuer une même fonction à plusieurs astres ou
Neter selon le moment considéré. Ils prendront autant de symboles qu’il
sera nécessaire pour parler des puissances actives du ciel sans les dénaturer,
ni par un classement schématique ni par la définition rigoureuse du
caractère des astres.
Ainsi parleront-ils des sept vaches célestes et des sept gouvernails du
ciel ; ainsi parleront-ils des étoiles (sba) comme des portes (sba) à travers
lesquelles peuvent passer des influences diverses. Comment pourraient-ils,
dans cet esprit, délimiter d’une façon rigide le caractère et le rôle des
planètes ?
C’est sous l’aspect de porteur ou de médiateur qu’ils ont envisagé les
deux planètes « intérieures », Mercure et Vénus.
Ils ont considéré les planètes « extérieures » – Mars, Jupiter, Saturne –
comme des aspects d’Horus. C’est Horus qui joue le rôle essentiel dans ces
planètes mâles : ce sera donc le mythe d’Horus qu’il faudra étudier pour
comprendre quel aspect d’Horus leur est attribué. Il n’y a pas de fantaisie
possible dans cette interprétation, car elle doit trouver sa confirmation dans
les détails circonstanciés des voyages de la barque solaire et de ses divers
occupants, ainsi que des autres interprétations astronomiques.
Les représentations symboliques des étoiles et des constellations se
rapportent principalement au rôle joué par chacune d’elles dans un moment
déterminé de l’harmonie générale. Il ne faut donc jamais oublier de situer ce
moment avant de se permettre une interprétation.
L’Égypte ne sépare pas la Puissance causale de ses effets terrestres qui
rentrent dans un cadre théologique unique. Le Neter est l’expression d’un
simultanéisme de Cause et d’effet.
Et les phénomènes cosmiques, liés eux-mêmes avec leur Cause divine,
sont les bases de toute théologie puisqu’ils gouvernent la Terre.
*
**
L’Égypte a appliqué sa « science du ciel » aux directives de la vie
humaine, et particulièrement à la détermination des noms. On constate en
effet que les noms des rois et des fonctionnaires sont trop souvent
caractéristiques d’une époque pour ne pas être une définition de celle-ci.
Mais cette question exigerait une démonstration plus approfondie.

2. LES DÉCANS.
La division de chaque signe zodiacal en trois secteurs est justifiée par
l’intention de situer trois phases de chaque signe. Chaque décan détermine
schématique-ment les secteurs du commencement, du milieu ou de la fin du
signe, avec des chevauchements d’influence du premier décan du prochain
signe sur le dernier décan du signe actuel.
La subdivision du circuit annuel en 36 décans, transmise par l’astronome
Ptolémée, est encore observée par les astrologues modernes, mais ce
fractionnement en 36 parties égales est une conception schématique ne
correspondant pas à la mentalité pharaonique, pas plus qu’à un nombre
exact de symboles attribués aux décans.
Les mois égyptiens sont comptés de 30 jours, comme douzième partie
d’une division géométrique du cercle : ce n’est donc pas une division
astronomique.
Chaque signe zodiacal est une région peuplée d’un nombre inégal
d’étoiles importantes. C’est le passage du Soleil sur le méridien où se
situent ces étoiles qui leur donne leur valeur. Par conséquent, l’importance
d’un décan réside dans le nombre d’étoiles particulièrement influentes qu’il
comporte. Ces influences sont représentées par des personnages ou autres
symboles qui ne sont, effectivement, que les moments caractéristiques de
ces décans.

3. MAISONS ET SIGNES ZODIACAUX.


La fonction attribuée aux Maisons, aux Signes et à leurs subdivisions, est
de « colorer » ou « influencer » selon leur nature, le Soleil et les planètes
qui les « habitent » momentanément. C’est toujours l’idée de domicile,
selon le terme employé par l’astrologie.
Pour les lecteurs peu familiarisés avec les termes astrologiques, nous
rappelons qu’il ne faut pas confondre les Maisons avec les Signes du
Zodiaque.
Le Zodiaque peut être considéré sous deux aspects : le Zodiaque
astronomique et le Zodiaque astrologique.
Le Zodiaque astronomique est une « ceinture » de douze constellations
occupant une zone circulaire de la sphère céleste, et qui s’élargit à 8,5° au
nord et 8,5° au sud de Fécliptique (cercle que le soleil semble parcourir en
un an).
Cette « bande » zodiacale contient aussi, évidemment, les orbes des
planètes qui semblent accomplir le même circuit.
Les douze constellations zodiacales sont d’étendue très inégale, les unes
plus petites et les autres plus grandes que les divisions du Zodiaque
astrologique auxquelles elles correspondent.
Le Zodiaque astrologique est l’inscription des douze constellations – ou
signes zodiacaux – sur douze tranches égales occupant les douze mois de
l’année, à partir du Bélier dont le début se situe au « point vernal », à
l’équinoxe du printemps.
Les Maisons, qu’il ne faut pas confondre avec le Zodiaque astrologique,
sont douze divisions de la sphère céleste, calculées par les astrologues pour
déterminer l’orientation des astres par rapport au lieu et à l’instant de
naissance du thème étudié. La situation des douze Maisons dépend du
déplacement quotidien des astres d’Est en Ouest – mouvement fictif
déterminé par la rotation de la Terre d’Ouest en Est –, mais elle est relative
au méridien du lieu et à son horizon.
L’étendue des Maisons, calculée selon l’heure et la latitude, peut être,
selon la méthode employée, égale ou inégale.
L’astrologue Ptolémée obtenait douze Maisons égales en divisant
l’écliptique en quatre secteurs, déterminés par les quatre points touchés par
le méridien et par l’horizon (du lieu). Ces secteurs, divisés en trois tranches,
donnaient douze Maisons égales. Depuis lors, plusieurs autres méthodes ont
prévalu, et l’opinion des astrologues modernes est partagée, quant à la
division égale ou inégale.
Ce qu’il importe de considérer, c’est que le Zodiaque astrologique est
une division en temps, alors que le Zodiaque astronomique est une division
en chemin. Les Maisons, calculées selon la méthode inégale, sont une
division en chemin superposé au temps.
Le circuit de la Terre autour du Soleil engendre un déplacement apparent
du Soleil dans les Signes du Zodiaque, de sorte que le Soleil « habite » un
des Signes chaque mois. La situation des Signes, pour une heure donnée,
dépend donc du circuit annuel, tandis que la position des Maisons dépend
du circuit journalier. Il s’ensuit que les Maisons se superposent aux Signes
du Zodiaque astrologique, mais leur étendue et leur situation sont
indépendantes de celles de ces signes, de sorte que leur correspondance est
différente pour chaque thème ; ainsi n’importe quelle Maison peut se
superposer au premier Signe (le Bélier), etc. ; de même une Maison peut
occuper plus ou moins d’un Signe.
La première Maison, correspondant à l’heure de naissance du thème, se
trouve située dans le Signe zodiacal qui se lève à l’Orient en cet instant ;
elle définit donc, par cette situation, l’influence dominant sur le thème, ou
la vie.
Ainsi la position de naissance des douze Maisons est comme la fixation
d’une destinée individuelle par rapport à un « moment » d’un thème
universel.

4. LES RÉGIONS DU CIEL ET LES NOMES.


Les 42 nomes – divisions territoriales de l’Égypte (22 pour la Haute-
Égypte et 20 pour le Delta) – ont, par leurs noms, leur Neter, leurs
métropoles et leurs emblèmes, un caractère symbolique nettement
déterminé. Si l’on ne considère que la distribution topographique de Basse-
Égypte, on ne comprendra pas l’ordre donné dans les textes ptolémaïques
où l’on saute, sans cause explicable, d’un point à l’autre du Delta. Il faut
donc chercher la cause de ce désordre apparent. Or cet ordre fut adopté par
les géographes sacerdotaux de l’Égypte, et l’étude de ses symboles donne à
la distribution des nomes un autre sens qu’un motif utilitaire.
Le « nome » est exprimé en égyptien par deux mots : sepet (spt) et
hesep.t (hsp.t). Ces deux mots contiennent la racine de « spécification », sp
et sp. Le caractère religieux, donné au nom par son Neter et son emblème,
permet de lire dans le mot spt non seulement le sens de « division », mais
aussi – d’après la valeur philosophique des lettres – le sens de
« spécification (s) du ciel (pt) » ; et ceci d’autant plus que dans l’autre nom
du nome – hsp.t – la lettre h apporte un élément d’animation.
Les emblèmes et noms des nomes sont chacun le symbole de la nature
d’un lieu. Or dans le ciel aussi les divisions du zodiaque déterminent les
lieux, qui diffèrent d’importance et d’influence comme diffèrent les nomes
égyptiens. Ces lieux du ciel sont, d’après les données astrologiques, en
rapport avec les régions et fonctions du corps humain, de même que les
nomes sont en rapport avec les parties du corps d’Osiris. C’est toujours la
même relation de l’homme microcosme avec le macrocosme, confirmant la
parole d’Hermès : « l’Égypte est organisée à l’image du ciel ».
Maintenant, pour nous conformer à la pensée des Anciens qui, dans les
listes processionnelles des nomes, met en rapport, pour chacun d’eux,
l’emblème toté-mique du lieu avec les produits de la terre, nous devons
essayer de comprendre comment et pourquoi les fonctions causales
attribuées aux Neter et aux emblèmes sont mises en relation avec leur
projection effective dans les fonctions terrestres. Le mythe égyptien, avare
de théories mais prodigue de symboles et de Nombres, peut nous suggérer
la réponse.
On sait que, dans de nombreux temples, on ensemençait une image
d’Osiris en terre humide, pour identifier la terre végétante au corps du
Neter. Ainsi l’Égypte entière était un Osiris dont chaque membre ou organe
était vénéré dans un lieu qui correspondait à sa fonction.
D’autre part il est dit que les morceaux du corps d’Osiris démembré par
513
Seth étaient au nombre de quatorze ; l’un d’eux – le phallus –, ayant été
dévoré par un poisson, il restait treize parties, ou plutôt douze et le cœur. Ce
cœur, organe solaire et centre vital du corps, avait son cénotaphe à Athribis,
métropole du nome du « Grand Noir » (le taureau noir). Le nom égyptien
d’Athribis, était ht-heri-ib, qui signifie « demeure ou lieu du cœur », ou,
selon la tradition populaire, « du pays central ».
Ceci s’accordait parfaitement avec le rôle d’Osiris, Soleil noir et
souverain de la Douât, et faisait par conséquent d’Athribis le centre des 12
lieux gardiens des 12 autres morceaux.
Le nombre douze de ces lieux les apparente aux douze régions du voyage
de Râ, au passage desquelles le Soleil déverse sur la Terre des influences
différentes.
Ces précisions vont nous donner la clé du rapport existant entre les
Nombres des lieux célestes, des lieux du corps Osirien, des 42 nomes et des
514
42 juges. Il est à remarquer que les Nombres qui jouent dans l’histoire
d’Osiris sont des multiples de sept, comme il convient au Neter qui régit
l’existence terrestre, en subissant les lois du monde sublunaire : on lui
attribue 28 années de règne sur Terre (4 fois 7, comme les jours du mois
lunaire) ; son corps est démembré en 2 fois 7 = 14 morceaux ; et ses
assesseurs dans le jugement des morts sont au nombre de 42 (6 fois 7), qui
est aussi le nombre des nomes égyptiens.
Or, dans le jugement – ou pesée du cœur – Osiris n’est pas le juge, mais
le témoin : principe de vie persistant à travers les morts et les renaissances,
il est le témoin perpétuel des transformations continuelles de l’être et des
vicissitudes de la conscience humaine en voie de réalisation. Les juges sont
les 42 « assesseurs » d’Osiris devant chacun desquels le défunt doit se
disculper d’un des 42 péchés.
Ce chiffre 42 nous reporte au nombre fatidique de 40 à 42, qui est celui
de toute phase chaotique précédant une transformation 1, ou échelon de
conscience, et dont la décision a pouvoir de vie ou de mort : telle la
décision de mort ou de vie du germe humain, 40 à 42 jours après la
conception.
Les textes du Livre des Morts répètent sans cesse que la condition posée
pour les victoires successives du défunt dans la Douât est qu’il connaisse le
nom de chaque juge ou de chaque gardien qui l’arrête au passage.
Autrement dit, juges et gardiens représentent les consciences fonctionnelles,
dont la connaissance – ou réalisation – confère à l’homme progressivement
les éléments de son immortalité.
Quant au lien qui rattache ces Nombres et fonctions de nature osirienne
et terrestre aux Nombres et fonctions causales et célestes, ce lien est
souligné par l’insistance avec laquelle les textes et les images parlent des
dons de vie, de force et de prospérité que les Puissances célestes déversent
sur la Terre, mais en y adjoignant toujours l’idée de réciprocité :
construction de temples, énumération de travaux accomplis, tableaux
d’offrandes apportées par les hommes ou les nomes en témoignage de leur
activité et de leur fertilité.
Or l’histoire des 42 péchés devant les 42 juges et la nécessité
515
« d’apprendre à connaître » leurs noms écartent l’idée d’une redevance
516
dans ces offrandes, mais impose celle de la balance dans le sens de
conscience reconnaissant l’influence constante du ciel et des forces vitales
reçues par les nomes et les hommes, et mettant en regard la justification de
leur mise en valeur par chacun d’eux, responsable du don reçu.

5. LE PLAN DES ANCIENS.


Différents textes égyptiens, relatant la conception et la naissance d’un
enfant, montrent la coopération de certains Neter ou Puissances qui « font
don » à l’enfant de leurs qualités respectives. D’autres textes établissent des
calendriers d’influences, bénéfiques ou maléfiques, susceptibles de modifier
les entreprises journalières, actes, gestes ou projets.
En effet, toute chose, avant d’être manifestée, est d’abord conçue en
possibilité, qu’il s’agisse d’une production matérielle ou mentale, ou d’un
être vivant, ou d’une fondation de famille, de groupe ou de nation. A
chacun des moments décisifs (conception, puis naissance ou manifestation),
le produit de la conception est doué de propriétés (ou dons) qui vont
déterminer le rythme de sa destinée. Ces dons, ou influence des Neter ou
Puissances pour chaque jour et chaque heure, sont décrits symboliquement
de diverses manières ; or la lecture de ces textes exige la connaissance des
valeurs de chaque lettre.
Mais la Sagesse de l’Égypte a plusieurs voies d’accès ; de même que la
détermination de la forme diffère dans la production du cristal et dans celle
517
de la cellule , tout en obéissant à des lois analogues, de même l’Égypte a
enseigné ces lois par deux modes d’inscription différents :
• l’Architecture, et les tableaux sculptés fondés sur la géométrie, qui
révèlent les jeux de Nombres et de formes contenant les Principes de tel
temple, ou régissant le sujet de tel tableau ;
• les medou-Neter (hiéroglyphes), images d’organismes vivants et
d’objets symboliques, qui enseignent les fonctions des Nombres et le
devenir des formes dans l’organisme vivant.
Le cristal et la cellule peuvent nous servir d’images pour saisir la pensée
de ce double enseignement.
La formation du cristal s’opère dans des directions et suivant des angles
déterminés, c’est ce qu’on appelle son système axial. Ce système constitue
l’Idée de la forme future. Le procédé de sa croissance est quantitatif : le
cristal augmente par nourrissement, c’est-à-dire par addition des particules
fournies par son eau-mère ; c’est la multiplication de la quantité.
La cellule obéit à une loi de croissance quantitative, mais le phénomène
de la vie donne à son accroissement un caractère qualitatif qui se manifeste
dans sa fonction d’assimilation. Cristal et cellule obéissent à la loi du
Nombre, mais le cristal en révèle l’Idée, tandis que la cellule en montre la
procréation.
On serait tenté d’ajouter : la cellule est vivante et le cristal inerte… Mais
si nous cherchons les Neter exprimant les deux aspects du Nombre, nous
518 519
trouvons Apet et Sefekht . Le nom d’Apet, évoquant l’Idée du ciel pet,
laisserait supposer qu’elle est le Neter des Nombres principiels. Sefekht, par
son nom qui signifie « sept », se trouve en rapport avec la Nature qui se
développe sur un monde septénaire, tandis que, sous son nom de Sechat,
elle évoque les signatures spécifiques des êtres vivants. Il semble donc
qu’Apet devrait être Neter des Nombres abstraits et de la géométrie, alors
que Sefekht serait le Neter des Nombres concrétisés dans la Nature : or,
c’est au contraire Apet qui symbolise la fécondité maternelle ; tandis que,
520
dans la fondation d’un temple, c’est Sechat qui tient le cordeau pour le
521
tracé du plan !
Nous avons ici un remarquable exemple de croisement des notions, où la
pensée égyptienne s’assimile à la vie. Apet n’est pas Neter de la maternité,
mais de la multiplication ; elle est ventre en tant que volume qui corporifie
la Substance, qui la matérialise ; elle est ciel, en tant qu’espace tri-
dimensionné qui engendre tous les volumes. Elle est mamelle, parce qu’elle
symbolise la fonction de nourrissement ou multiplication quantitative qui
s’effectue par affinité sélective.
522
Le secret de cette fonction abstraite est révélé par le signe sa sur
lequel s’appuie fréquemment Apet ; ce signe – que l’on traduit
généralement par « pouvoir magique ou de protection du Neter » –
représente la puissance fonctionnelle du Neter, c’est-à-dire dans le cas
à“Apet, ses pouvoirs d’affinités magnétiques, tant pour la création du
volume par les axes que pour la matérialisation qui s’ensuivra.
Ce symbole est la seule allusion à l’aspect abstrait de cette fonction, dont
la monstrueuse image à.’Apet ne montre que l’aspect concret : la
multiplication de la masse. Mais cette masse, dans cette image, est animale,
pour montrer que la loi d’affinité sélective (qui permet le nourrissement du
cristal) devient, dans les règnes végétal et animal, la sélection dans
l’assimilation.
Sefekht est le Neter du septénaire, nombre de la révélation des qualités
dans la Nature. En son nom de Sechat elle est la spécification du Nombre,
son adaptation à la mesure personnelle, et sa révélation par l’inscription des
lignes et des formes qui sont la signature particulière de chaque être. C’est
pourquoi, dans la délimitation du plan d’un temple, Sechat tient le cordeau
avec le Roi : c’est la mesure du Roi (c’est-à-dire du principe de son Temps)
qui détermine la géométrie du temple ; et c’est le principe du Nombre
spécifié et des qualités révélées – Sechat-Sefekht – qui trace le plan sur le
sol comme elle trace la signature des êtres sur leur peau. C’est aussi
pourquoi elle tient la fronde de palmier où s’inscrivent les années du Roi,
523
c’est-à-dire ses Temps et mesures .
Sechat, comme Apet, exprime à la fois un principe abstrait des Nombres
et des formes et leur manifestation concrète. Mais la plus métaphysique des
deux est Apet, parce qu’elle est Neter des Nombres détermina-teurs des
formes principielles ; or c’est à elle que les Sages ont donné la forme la plus
grossière, comme il convient à leur mentalité qui ne sépare jamais le
concret de l’abstrait, ni les lois d’harmonie de leur expression vivante. Le
temple égyptien est vivant, il est conçu de telle manière qu’il puisse, avec le
temps, croître géométriquement comme un cirstal, et végéta-tivement
comme une plante.
Et c’est sur ces lois de Nature que fut établi le « Plan des Anciens », plan
qui n’a rien d’arbitraire parce qu’il est l’inscription de leur connaissance du
Monde. C’est l’application ingénieuse des lois d’action et de réaction, de la
géométrie spatiale et des fonctions de genèse. Ce plan n’a été trouvé dans
aucun papyrus ni aucun texte descriptif.
Les Anciens l’ont inclus dans leur architecture qui le cache aux profanes
et le révèle à ceux qui connaissent leurs clés. Ce plan donne le secret des
lettres qui, à leur tour permettent d’en déchiffrer le sens. Il révèle leur
connaissance des Temps du Monde et de l’Égypte, et le sens de leurs
dynasties.
Son thème est une tranche de la vie de la Terre avec ses correspondances
cosmiques, thème auquel l’Égypte a adapté sa prétendue « histoire », qu’il
dépasse en étendue et en profondeur. Ce plan, partout où il se trouve, est
ingénieusement « camouflé ». Mais le pays entier, avec ses symboles
naturels, ses nomes, ses temples, ses stèles et ses tombeaux, confirme et
développe chacun de ses détails.
L’Égypte n’a pas vulgarisé, mais elle n’a jamais caché. Elle a mis sous
les yeux des chercheurs les éléments de ce qu’elle a nommé « les secrets
des lettres de Thot », sachant ce secret inviolable pour celui qui n’a pas
acquis la mentalité des Anciens. Et, dans ses ruines mêmes, elle lègue
encore aux archéologues modernes le moyen de le découvrir.

6. FATALITÉ. GRÂCE ET DÉTERMINISME.


Parlant de la « fatalité » chez les Égyptiens, d’après les opinions
hermaïques, Jamblique dit :
« Les dieux rompent la fatalité ; mais les différentes natures issues d’eux
et impliquées dans la genèse du monde et dans le corps accomplissent la
fatalité…
« … Mais tout, dans la nature, n’est point enchaîné par la fatalité ; il y a
un autre principe de l’âme supérieur à toute nature et à toute genèse, grâce
auquel nous pouvons nous unir aux dieux, dominer l’ordre cosmique et
participer à la vie éternelle et à l’action des dieux supra-célestes. D’après ce
principe, nous sommes capables de nous délivrer nous-mêmes. »
(Jamblique, Mystères, 6e partie, 7.)
*
**
524
Nous entendons par « temps déterminable », certaines tranches de
périodes qui, par rapport aux grandes périodes, représentent de courts
moments sur le plan général, mais qui – par rapport à la vie humaine – ne
sont pas assez longues pour qu’une adaptation puisse se faire.
Ce qui est prévisible c’est la date d’un changement dans le schéma des
temps. Mais les temps sont avant tout des rythmes et non des durées ; on
peut assigner à ces rythmes des nombres, qui sont des valeurs
fonctionnelles, mais non des « chiffres » ou calculs de durée précise.
Ces dates de changement correspondent – par la loi d’Harmonie générale
– à des modifications dans la mentalité des peuples, donc modifications
d’ambinace qui permettent de nouvelles influences.
Quant aux moments précis où se manifesteront ces nouvelles
illuminations, il en est comme des instants de lumière (ou grâce)
individuels : ils ne sont pas contrôlables. La connaissance des temps peut
permettre d’en prévoir les périodes favorables, mais leur moment précis
dépend d’une Puissance supérieure aux forces naturelles, donc en dehors
des lois de Fatalité.

COMMENTAIRE VII
L’HOMME MICROCOSME

L’HOMME PHYSIQUE
1. L’HOMME MICROCOSMIQUE.
La conception classique du cosmos est : « l’Univers considéré comme un
système bien ordonné ».
Le fait de considérer un macrocosme et un microcosme séparément
situerait l’un et l’autre dans le temps et l’espace, leur accordant une
grandeur.
Or pareille situation serait une réalité relative à leur aspect phénoménal,
c’est-à-dire à l’existence senso-riellement perceptible des éléments qui les
composent. Ce point de vue ne considère pas les forces ou mobiles qui
déterminent les formes perceptibles de ces « cosmos ».
On établit ainsi un rapport erroné – une comparaison de grandeurs –,
entre l’Univers « grand cosmos » et le « petit cosmos » humain, alors qu’il
faut y voir une identité à travers les fonctions causales et leur projection
dans l’existence phénoménale. La différence consiste en ce que le fait
d’« exister » est le monde des apparences, dans lequel les forces causales se
manifestent dans le temps et l’espace : c’est le monde des fonctions
corporifiées en organes à travers toute l’échelle des êtres.
Or cette échelle, qui va du plan infime des organismes vivants jusqu’à
leur résumé total qui est l’homme, est l’échelle de la conscience, c’est-à-
dire la connaissance de chaque fonction essentielle acquise par l’expérience
vitale de chaque élément organique qui en est l’effet manifesté.
Tous les éléments organiques sont les signatures des fonctions causales
devenues effectives.
L’homme, comme produit actuellement final de la Nature, est la synthèse
de toutes ces « incarnations » fonctionnelles, et son organisme représente la
totalité de ces signatures.
L’incarnation des Fonctions causales constitue la genèse. Or puisque ce
sont les mêmes Fonctions essentielles qui sont les causes actives de toute
genèse, il est évident que leurs effets sont régis par des lois fondamentales
identiques (ce qui explique les analogies qui en résultent entre ces multiples
effets). Ainsi il y a analogie fonctionnelle entre le monde vitalement
organisé du système solaire et le monde organisé de la Terre, et finalement
de l’homme ; ainsi il y a rapport analogique entre le Macrocosme et le
Microcosme humain qui en est l’image-synthèse.
Mais puisque tous les organismes sont la projection et corporification de
Fonctions causales, il y a donc un « monde Causal » dont le monde
phénoménal n’est que l’effet. C’est précisément ce qui se trouve dans le
sujet terrestre qui totalise les « possibilités » fonctionnelles, c’est-à-dire
l’homme.
Le monde Causal se réfléchit en lui comme monde fonctionnel
organique, mais alors que ce dernier est limité dans le temps et l’espace par
le corps physique de l’homme, les Forces et états les plus subtils de
l’Univers pénètrent cet homme comme des ondes coïncidentes sans le
limiter à sa forme matérielle ; sa limitation à leur égard est mesurée par la
limitation de sa conscience.
L’homme est microcosmse dans le même sens que l’arbre par rapport à
sa semence le contenant virtuellement, virtualité qui sera alors son
macrocosme puisque la semence comprend toutes les possibilités de cet
arbre, son espèce, sa variété et toutes ses propriétés. Mais cette semence ne
développera ces dernières que si elle reçoit de la terre et du ciel les énergies
corresponsantes. A plus forte raison, l’homme, qui a en lui la semence
totale de l’Univers, y compris la semence de ces états spirituels, peut
s’identifier à cette totalité et s’en nourrir ; et la relation de ce Microcosme
avec le Macrocosme n’est plus alors une relation d’image et de grandeur,
mais une identité qui n’est dépendante que de son degré de perfection d’être
humain, par rapport à l’Homme en tant que finalité prévue par la Cause.

2. ORGANES ET FONCTIONS.
A propos du rapport établi entre les organes humains et les Neter, il ne
faut pas conclure que le membre ou l’organe attribué ou dédié à un Neter
représente ce Neter ou ses fonctions. Les Égyptiens croisent toujours les
notions ; ils définissent les choses par l’effet qu’elles produisent et non par
leur caractère propre. Si l’on parle de la face de Râ cela ne veut pas dire que
Râ soit la face, mais ce qui agit sur les cinq sens de la face, c’est-à-dire du
Verbe émetteur des « verbes ».
Il faut encore remarquer que les textes égyptiens n’attribuent pas
toujours les mêmes Neter aux mêmes membres et organes du corps
humain ; ces relations varient selon les fonctions considérées dans chaque
texte. L’enseignement de chacun d’eux ne pourra être clarifié que par
l’étude des rapports intentionnellement établis entre les Neter désignés dans
un texte.
En revanche, les noms des organes et des Neter révèlent directement
leurs fonctions vitales ou cosmiques, si l’on tient compte des jeux de mots
et des symboles.

3. L’ŒIL.
L’œil joue un rôle considérable dans la symbolique égyptienne. Les deux
yeux y signifient les deux luminaires : l’œil droit pour le Soleil et l’œil
gauche pour la Lune. Il est dit que la face d’Horus Universel (Horus l’Aîné)
a deux yeux, le Soleil et la Lune, et qu’il fait le jour ou la nuit selon qu’il
ouvre ou ferme l’œil solaire. Dans ce rôle, cet Horus s’identifie au divin Râ,
dont l’œil droit est aussi le Soleil, ou Râ manifesté.
Le nom de l’œil est irt ; sa racine, ir, est l’homonyme de îr, « faire,
créer ».
Il est dit que les larmes (rem) de l’œil de Râ ont créé les hommes (remt).
Les larmes d’Isis ressuscitent le cadavre d’Osiris. Ce rôle créateur de l’œil
divin rappelle le vieux symbole chrétien : l’œil du Créateur dans le triangle,
symbole de la Trinité.
Il est dit aussi que l’œil d’Horus fils d’Isis fut découpé par Seth, en petits
fragments qui furent rassemblés par Thot en un œil complet (meh) et sain
(ondjat). L’image de cet œil oudjat est prise comme un type de mesure : le
hekat, mesure de capacité pour les grains, valant 4,785 litres.
La fraction attribuée à chacun des fragments est un exemple de jeu
symbolique sur les Nombres. Cet œil est détaillé en six parties : la pupille,
les deux triangles (interne et externe) du « blanc » de l’œil, qui entourent la
pupille ; le sourcil, le fil spiralique qui descend sur la joue et qui est
identique au fil qui s’élève de la couronne rouge, enfin le signe gd, petit
bâton en forme de piquet à cran d’arrêt que l’on dessine sous l’œil. Ces
deux derniers signes font partie de la figuration de l’œil du faucon d’Horus.
Or, le triangle blanc interne vaut 1/2 ; la pupille vaut 1/4 ; le sourcil vaut
1/8 ; le triangle externe vaut 1/16 ; le fil spiralique vaut 1/32 ; le signe qd
vaut 1/64. L’addition de toutes ces fractions donne 63/64, c’est-à-dire le
total moins 1/64…
Il est intéressant de remarquer que le hiéroglyphe qd, auquel est attribué
la plus petite fraction, signifie « configuration », « caractère », et construire,
et qu’il exprime aussi l’entier, le complet, comme si ce 1/64 évoquait la
semence infime qui, dans toute chose créée, est aussi l’infime partie et
cependant la contient tout entière…
Il faut aussi noter que cet œil oudjat – dit « complet » (meh) – contient
les trois couleurs essentielles du symbolisme égyptien : le noir (de la terre
noire) par la pupille, le blanc de la couronne blanche par les deux triangles,
et le rouge de la couronne rouge par le fil spiralique.
Enfin il faut se souvenir que le nerf optique est l’unique nerf qui,
s’épanouissant en un organe extérieur, puisse être contrôlé visuellement
dans l’activité de sa fonction. Non seulement la sensibilité et la mobilité de
l’œil lui permettent d’exprimer tous les réflexes moraux, mais l’état des
yeux révèle celui des organes qui leur correspondent, tels que les poumons,
les ovaires, les testicules. (Remarquez le rapport constamment établi entre
l’œil d’Horus et les testicules de Seth.)

4. L’OREILLE.
Pour signifier l’audition attentive, les Égyptiens disaient : « donner maâ
(la tempe) », c’est-à-dire prêter son attention, alors qu’en pareil cas nous
dirions « prêter l’oreille ». Or R.A. Schwaller de Lubicz fait remarquer que
l’os temporal recouvre la zone auditive du cerveau ; c’est-à-dire que « les
Égyptiens accordaient plus de valeur à la fonction vitale dont cette zone est
le centre qu’à l’organe de la perception auditive, l’oreille » (R.A. Schwaller
de Lubicz, Le Temple dans l’Homme, p. 31).
D’autre part, dans la construction de leurs personnages, « l’axe de
stabilité passe par l’oreille (oreille interne, siège du centre de l’équilibre) et
aboutit à la plante du pied » (op. cit., p. 54). On sait que le siège du centre
de l’orientation se trouve dans les canaux semi-circulaires de l’oreille
interne. La lésion de ces canaux altère le sens de l’orientation et de
l’équilibre du corps. Or le sens des directions de l’espace est une condition
essentielle à l’existence de toute chose vivante, puisque toute chose a
volume, donc dépend fondamentalement de ces « directions ».
Des paroles hindoues montrent une analogie de pensée avec le
symbolisme égyptien. Ces textes des Upanishads révèlent la connaissance
des Anciens quant à la fonction spatiale de l’oreille :
« Il (le Créateur) médite sur l’homme (Universel) ; sous l’effet de sa
méditation… ses oreilles éclosent ; de ses oreilles, le son ; et du son, les
points cardinaux (Aitareyopanishad, I, 4).
« … puis, ces Pouvoirs étant manifestés, Il leur assigne leurs stations
respectives : « les points cardinaux, devenant le son, entrèrent dans les
oreilles… » (Op. cit., II, 4.)
Parlant de Purusha, l’Homme universel, il est dit encore :
« Ses yeux sont le soleil et la lune ; ses oreilles sont les points
cardinaux. » (Mundakopanishad, II, 4.)
Le symbolisme égyptien, lorsque les principes en sont connus, est plus
accessible à la mentalité moderne, parce que plus direct et plus positif que
celui de l’Hindouisme. Mais ces textes des Upanishads peuvent faire
comprendre pourquoi ces antiques traditions enseignent que la fonction
« universelle » de l’oreille est, d’une part, d’engendrer le son et les
« directions » de l’espace, et, d’autre part, de recevoir le son et d’en
produire la conscience.
Il est remarquable que les Égyptiens aient choisi, comme symbole
hiéroglyphique de l’ouïe, l’oreille d’un animal caractéristique pour
l’intensité de cette fonction.
D’après l’étude d’Horapollon sur les hiéroglyphes (I, 47), le signe
symbolisant l’ouïe est l’oreille du taureau : la vache, lorsqu’elle est en
chaleur, mugit fortement pour appeler le taureau ; celui-ci entend cet appel à
très grande distance et accourt immédiatement.

5. LA VIE, ANKH.
La Synthèse des Principes, au « Deuxième jour » de BA-KA, explique
que les lettres du triangle originel – a n h – expriment la vie
525 ; 526
Principielle de même les trois lettres du signe ânkh, â n kh
expriment la vie manifestée.
En effet, la vie est la manifestation de l’Esprit dans la matière. La
527
puissance de vie est la mesure de sa force réactive . Or la lettre â est la
lettre de l’individualisation et de sa mesure ; nekh exprime la force
528
réactive ; le mot ânekh signifie donc la mesure individuelle de la force
réactive. Si cette force diminue, il y a déclin ou vieillesse ; si elle est
supprimée il y a mort.
Or l’Égypte ne limitait pas la vie à l’existence physique : elle appliquait
l’épithète « vivant » à la conscience individuelle du défunt, à laquelle elle
reconnaissait la possibilité de continuer son expérience dans l’au-delà. On
trouve, dans les textes du Livre des Morts, des Sarcophages et des
Pyramides, de nombreux exemples de cette affirmation : « Tu es venu
vivant… Tu vis vivant… » On lui promet la participation à l’œuvre des
forces cosmiques, s’il « apprend à les connaître » et à s’identifier à elles ;
mais on lui recommande de résister aux forces mauvaises qui veulent
empêcher ses progrès ; on lui souhaite de « ne pas perdre son cœur », et
d’arriver à « épuiser sa soif » (c’est-à-dire les désirs qui le rattachent à la
Terre), etc.
Il s’agit donc encore d’une lutte entre les activités opposées : autant entre
ses propres tendances contradictoires qu’entre les forces hostiles et les
forces bienfaisantes qu’il peut rencontrer. C’est sa propre réactivité qui
décidera de sa victoire ou de sa perte : il y a donc aussi, à un degré plus
subtil que sur Terre, l’expression d’une force réactive individualisée, qui est
la vie ânkh.
L’HOMME INTERMEDIAIRE. L’INTELLECT
6. LES DEUX INTELLIGENCES.
Ce commentaire, paragraphe 7, parle des deux voies que peut suivre la
science. Ces deux voies exigent des moyens différents, c’est-à-dire deux
modes d’intelligence : celui de la comparaison, et celui de la connaissance
« a priori ».
L’homme, par sa synthèse microcosmique, a inscrit en son être la
conscience des règnes inférieurs, ce que l’on appelle « l’instinct ». Cet
instinct est une conscience innée qui parle à notre raison sans que soit
nécessaire la perception sensorielle de l’objet. C’est « l’Intelligence du
cœur » ; elle se manifeste lorsque nous avons développé l’intuition qui en
permet l’expression. Ainsi pouvons-nous avoir des certitudes qu’il nous est
impossible de comprendre, telles la certitude de l’Unité insécable, la
certitude de la spirale sphérique, même la certitude de l’Axe (par exemple
l’axe de la Terre qui est imaginaire seulement).
L’instinct nous met vitalement en rapport avec la vie qui nous entoure ;
l’Intelligence du cœur, ou connaissance a priori, exige une transcription de
l’instinct. Cette transcription peut rester pure par la voie de l’intuition
synthétisante, ou se perdre dans la voie de l’analyse, ou mode d’intelligence
discursive. Nous appelons parfois cette dernière « intelligence cérébrale »,
529
parce qu’elle est fonction des organes cérébraux qui permettent la
comparaison, son élément essentiel.
Nous associons donc Connaissance et intuition d’une part, intelligence
cérébrale (discursive) et compréhension d’autre part.
Or, les inscriptions des notions se font dans le cerveau pour les notions
concrètes et constituent le savoir par un mécanisme d’affirmation et de
négation.
Les inscriptions de la Connaissance se font par le « canal » de l’énergie
nerveuse dans l’homme subtil de nature indestructible. Néanmoins cette
dernière acquisition ne pourrait pas se faire sans l’instrument cérébral qui
met en rapport la conscience innée avec le monde objectif.
La différence finale entre les deux intelligences consiste donc dans la
qualité et la permanence de l’acquisition.
L’intelligence analytique augmente le savoir, ou notions cérébralement
enregistrées, et permet de maintenir « l’acquis » psychique.
L’Intelligence du cœur, Connaissance, éprouve et imprime dans l’état
subtil de l’être la conscience du conflit entre le « mortel » et
l’« immortel » ; par ce fait qu’elle efface peu à peu les « impressions »
psychiques qui empêchent la libération des liens terrestres. On trouvera la
correspondance formelle de cette conception dans les enseignements du
Temple égyptien. (Voir les paragraphes 13, 15 et 16 de ce Commentaire, et
les sept chapitres de « BA et KA »).

7. LOGIQUE ANALYTIQUE ET LOGIQUE VITALE ou Loi de Nécessité.


Lorsque nous mettons en opposition ces deux formes de logique, nous
entendons deux méthodes de pensée aussi différentes dans leurs prémisses
que dans leur mode d’examen des éléments considérés.
La logique analytique et la syllogistique juxtaposent des éléments
sensoriellement contrôlables (donc de caractère quantitatif), ou des
assertions hypothétiques, en établissant des balances ou équations. Cette
méthode agit par « dissection » des éléments d’un sujet. Or cette dissection,
comme celle des organes d’un être vivant, déforme la notion de leurs
rapports réels, puisqu’en les isolant elle supprime l’interdépendance de
leurs rôles fonctionnels qui constituait leur harmonie vitale. La logique
vitale est constructive et formatrice. Elle part d’une synthèse exprimée ou
sous-entendue, qui considère toute chose, phénomène ou idée, comme
l’effet nécessaire d’une cause ; elle définit l’enchaînement « vital » des
phases génétiques implicitement contenues dans cette cause.
Dans la loi vitale qui préside, par exemple, à la croissance d’une plante,
le produit final – la semence multipliée – est virtuellement contenu dans le
germe, ainsi que toutes les formes ou phases de la plante croissante. Cette
Nécessité, ou loi des conséquences d’une cause, est indiscutable. Transcrite
en loi générale, elle devient la logique vitale qui est la science de la genèse.

8. LE SCARABÉE ET LA CALOTTE CRÂNIENNE.


530
Le scarabée est le symbole de la connaissance par confondement,
« l’Intelligence du cœur ». Or cette intelligence a besoin, pour devenir
conscience psychologique, c’est-à-dire pour créer la conscience du Moi,
d’être traduite par les facultés cérébrales qui sont un des symbolismes du
scarabée.
Le dessin du scarabée aux élytres fermées ressemble, par sa forme et sa
531
division ternaire, à celui de la calotte crânienne qui contient le cerveau
pensant, miroir lunaire de l’Intelligence du cœur solaire.
Pour expliquer ce symbole et ses conséquences, nous extrairons quelques
passages du Temple dans l’Homme, de R.A. Schwaller de Lubicz.
Les deux lobes hémisphériques du cerveau contenus dans la calotte
crânienne sont séparés par une lame en forme de faux (prolongement de la
dure-mère). Cette lame divise en deux moitiés cette partie corticale du
cerveau, siège d’enregistrement des notions de l’intelligence raisonnée,
basée sur la comparaison « … en opposition avec l’Intellect (de saint
Thomas d’Aquin) ou Intelligence du cœur (des Égyptiens) qui donne le
concept direct sans qu’une comparaison soit nécessaire. Il ne s’agit pas
simplement de la séparation d’un organe unique en deux parties, mais de
celle d’une fonction dans les deux aspects qui font la conscience
psychologique et l’intelligence cérébrale.
« … Les deux lobes du cerveau deviennent, du fait de cette dualisation,
le siège des inscriptions affirmatives et négatives, qui en font l’instrument
de transcription de l’Intelligence directe et unique d’un « Homme
Adamique ».
« … Si, dans la figuration de l’homme, nous séparons symboliquement
cette calotte crânienne, nous laissons subsister seulement l’Homme divin,
l’Homme Adamique (Kadmon) avant sa chute dans la Nature, car après sa
chute il se trouvera en constante opposition (Adam mâle et Eve femelle), et
devra, de ce fait, naître et mourir ; il ne pourra plus rien comprendre par
confon-dement avec l’Unité créatrice, mais seulement par comparaison de
compléments (conscience psychologique).
« … Globalement, le cerveau, centre de toutes les coordinations de
notions, est donc le siège de toutes les réactions personnelles. Chez tous les
vieux peuples, les « simples d’esprit » sont considérés comme des inspirés,
ou susceptibles d’être inspirés directement, agissant en l’absence de toute
volonté propre, raisonnée.
« … Les deux lobes hémisphériques du cerveau sont l’instrument de la
mémoire et de la décision, donc du choix.
« L’Homme Adamique (sans cette partie du cerveau) représente alors le
Principe ou Neter, susceptible de vivre et d’agir, mais seulement comme
l’exécutant d’une impulsion qu’il reçoit ; donc il joue le rôle d’un
intermédiaire entre l’impulsion abstraite, hors Nature, et son exécution dans
la Nature, sans choix propre. Cette entité a, dans cet aspect, un caractère
primitif « prénaturel ».
« Par contre, l’homme naturel va se servir de son instrument cérébral
comme outil de son savoir et de ses actions librement décidées ; celles-ci
seront alors en accord ou en contradiction avec l’harmonie naturelle.
Lorsque, par son expérience, il aura développé sa conscience jusqu’à
l’ultime perfection, cet instrument cérébral ne lui sera plus nécessaire pour
l’acquérir, mais uniquement pour agir, en cette incarnation.
« La vie de ce « surhomme » sera à nouveau celle de l’homme « divin »,
mais en conscience, c’est-à-dire non plus en Neter aveugle, mais comme un
être portant en lui toute la Connaissance, l’acquis de toutes les expériences
possibles.
« Ainsi l’homme sans cette calotte crânienne représente aussi bien
l’Homme Adamique pré-naturel que l’homme ayant surpassé la Nature.
Entre les deux se situe l’homme terrestre, subissant naissance et mort.
« Il est intéressant de trouver cet organe contenu dans une ossature
externe, comme l’est la carapace d’un insecte. On pourra comparer cette
caractéristique, de même que les sutures du crâne et toute la figure ainsi
formée par la calotte crânienne, avec l’image du scarabée (dont le thème est
plus spécialement traité en Égypte sous Thoutmôsis III et Aménophis III). »
Cette similitude de forme entre la calotte crânienne et le scarabée ajoute
donc un autre sens au symbole de celui-ci :
la calotte crânienne contient les organes cérébraux, dualisés et dualisants,
de l’intelligence ; ce sont leurs fonctions qui créent, par le jeu du croisement
(ou inversion) des notions, la conscience psychologique de l’homme
puisqu’ils lui permettent la comparaison, le jugement, le choix, la décision ;
de ce fait, elles deviennent les agents de réalisation de l’homme de la
Nature, en opposition avec l’Homme Adamique.
Ce symbole, s’ajoutant aux précédentes significations du scarabée,
permet de comprendre son emploi aux moments les plus caractéristiques de
transformations (les kheprou) de l’homme, représenté par le principe Royal
dans la suite des dynasties égyptiennes.
Les Pharaons de la XVIIIe dynastie ont mis le scarabée spécialement en
valeur parce que ses symboles correspondaient particulièrement aux
caractères de leur époque : coïncidence des temps luni-solaires avec la fin
de la royauté lunaire Osirienne-Amonienne, et l’avènement prochain de la
royauté solaire (les Ramsès des XIXe et XXe dynasties).

9. LA CONSCIENCE.
« En admettant une Cause-source de l’Univers, cette Cause est
nécessairement unique. Or, si la raison nous impose l’idée d’une unité
insécable, donc sans quantité, la notion de cette unité échappe à notre point
de vue de créature faisant partie de cet Univers, conséquence de la Cause
unique. Cette unité n’existe pour nous que si la comparaison est possible ;
or comparaison signifie conscience et dualité. Par conséquent la création
s’accomplit [se situe] entre les Nombres Un et Deux ; et la dualité sera le
caractère fondamental de l’Univers créé.
« … La dualité [la Nature en tant qu’état dualisé], implique la
comparaison, et une succession de phénomènes… L’Unité crée en « se
regardant elle-même »… Nous pouvons appeler cette Unité : Dieu ou
Énergie sans polarité en tant qu’Unité insécable, et Dieu ou Énergie
polarisée en tant qu’Unité consciente d’elle-même.
« De ce fait, l’Univers n’est que conscience, et ne présente qu’une
évolution de conscience, de l’origine à sa fin qui est retour à sa cause ;
c’est-à-dire évolution d’une « conscience innée » vers la conscience
psychologique qui est « conscience de la conscience innée », première étape
vers la conscience libérée des contingences physiques… (C’est-à-dire la
Conscience permanente ou immortelle.)
« … L’homme est l’individualisation de toutes les fonctions, affinités et
pouvoirs de l’Univers, et la Conscience est la mesure de l’individualisation,
rendant actuel ce qui est virtuel dans l’harmonie cosmique.
« … L’individualisation a corporifié dans l’organisme les fonctions de
« genèse » séparant les effets de la Pensée créatrice dans le temps et
l’espace ; la conscience doit les unifier à nouveau.
« … Ainsi, la conscience vient de la connaissance des éléments de la
genèse,… puis de la connaissance du lien spirituel qui les unit. Autrement
dit, il y a connaissance du Bien et du Mal, et la connaissance de l’Unité ;
l’intelligence du mortel qui sépare comme la faux, et l’Intelligence du
permanent qui unifie. » (Extraits du Temple dans l’Homme, R.A. Schwaller
de Lubicz.)

1o. LE NOM. L’HÉRÉDITÉ.


Au cours du dialogue de Platon, Cratyle prend position en ces termes :
« C’est une puissance supérieure à l’homme qui a donné aux choses les
noms primitifs, en sorte qu’ils soient nécessairement justes.
« La justesse des noms consiste à faire voir la nature des choses.
« On peut dire absolument que, quand on sait les noms, on sait aussi bien
les choses. »
Les Égyptiens attachent une importance considérable au nom ; ils lui
donnent la valeur d’un rythme de puissance effective.
L’idée du nom – ren – est liée à l’idée du rythme cyclique (cycle de
l’année renpet), ou de boucle nouée sur la corde continue d’une destinée
dont elle détermine un épisode (cartouche des rois). Le nom est
effectivement considéré comme la détermination d’un rythme vital,
caractéristique d’une étape de genèse personnelle, dont le symbole est la
corde sur laquelle se « boucle » le nom actuel.
Au commencement des choses, Râ est reconnu comme le premier auteur
du nom. La théologie égyptienne est basée sur l’attribution de l’Activité
créatrice au Principe solaire (spirituel), que ce soit sous son nom d’Atoum,
de Râ, ou d’Amon (Râ), puis sous son aspect de Ptah, son réalisateur. Or le
premier effet de cette Activité créatrice est de donner le nom, puisqu’il
n’existait aucune chose tant « qu’il n’avait pas été émis de nom pour elle ».
Il est écrit que « Râ fit, de ses noms, le cycle des Neter »…
D’autre part, la Genèse dit que Dieu « fit venir vers Adam les animaux
des champs et les oiseaux des cieux pour voir comment il les nommerait »,
de sorte que le nom de chacun d’eux fut émis par Adam. Or ceci se situe
avant la chute, c’est-à-dire qu’il s’agit de l’Homme Adamique non divisé,
l’Homme primordial qui contenait en lui toutes les potentialités de la
Création, lesquelles, pour devenir formelles, devaient recevoir leur nom :
être « parlées », émises en Formes essentielles.
Pour comprendre la pensée égyptienne quant à l’attribution du nom, il
faut considérer que la fécondation est appelée beKA, exprimant par ce mot
l’idée d’être imprégné par un souffle vital et par une force vitale. Dans cet
acte de fécondation, KA est actif et masculin ; il apporte la forme ou essence
spécifique, KA, transmise par le père, ainsi que le KAappelé par les
circonstances particulières de la naissance et constituant le destin de
l’enfant.
En effet, dans la conception de l’être humain, c’est la semence paternelle
qui, selon les textes égyptiens, « émet le nom » ; c’est elle qui imprime le
nom spécifique ou lignée. Mais l’Égypte dit aussi que la mère « fait » –
c’est-à-dire œuvre ou façonne – le nom individuel. C’est ainsi qu’une reine
– telles Hatckepsout et Mout-m-ouia –, recevant la semence qui la féconde,
en manifestera, dès l’instant de la conception, ses impressions intuitives et
psychiques en prononçant le nom de l’enfant qu’elle va gester. D’autres cas
de paranomase se retrouvent dans la Bible (Voir, entre autres, les noms des
fils de Jacob, Genèse, 30).
*
**
Les précédentes données sur le rôle des parents dans la transmission des
tendances ne définissent pas la ressemblance de l’enfant avec les
caractéristiques du père et le psychisme de la mère ; en effet, ces éléments
héréditaires trouvent un élément réactif dans le KA individuel incarné par
l’embryon, ce KA à l’image duquel Khnoum a façonné le corps de l’enfant.
De plus le jeu d’action et réaction intervient dans la résultante des deux
influences imposées à l’embryon.
L’hérédité maternelle joue le rôle de substance-milieu dans la forme
psychique de l’embryon, par rapport à l’hérédité paternelle qui joue le rôle
d’essence active donnant la forme spécifique de sa lignée. L’enfant porte
donc la signature de la réaction de son propre KA à la double influence
héréditaire.
Mais il faut tenir compte que cette hérédité a été choisie par le KA
comme présentant des affinités correspondant à ses nécessités d’expériences
vitales : soit comme facilités d’expression de ses tendances essentielles, soit
au contraire comme occasion de luttes favorables à certaines acquisitions de
conscience.

L’HOMME PSYCHO-SPIRITUEL
11. L’AME DANS LES DIVERSES TRADITIONS.
Les divers états de l’être – depuis l’état matériel jusqu’à l’état le plus
spirituel – ont été enseignés par toutes les traditions ésotériques, qui les ont
désignés par des noms différents selon leur langue et la valeur numérique de
leurs lettres alphabétiques. Leur étude démontre que toutes ces traditions
enseignent une Vérité unique, malgré la différence des mots et quelques
nuances d’expression qui précisent le point de vue de leur « génie »
particulier.
On peut entendre par « génie » l’état d’âme ou de conscience du temps –
et du peuple – qui a nécessité cette Révélation ; on pourrait dire aussi, pour
les grandes Révélations, la « loi du Manou » de son cycle.
Il n’est pas possible de développer ici la totalité des noms et des nuances
par lesquels les traditions successives ont désigné les modalités de la
conscience humaine que le Christianisme appelle d’un nom unique : l’âme.
Les nuances qui peuvent différencier ces diverses expressions
proviennent :
1° de la difficulté de déterminer des états sensoriel-lement
imperceptibles, et qui ne sont pas délimités par des cloisons étanches ;
2° du fait que ces états sont des projections ou plutôt des incarnations
dans l’Humain, d’états identiques dans l’Universel.
Ces nuances peuvent devenir des divergences selon les interprétations
des traducteurs étrangers qui, s’ils ne connaissent pas les valeurs
numériques et symboliques de chaque alphabet, ne peuvent pas pénétrer la
signification métaphysique des termes employés.
Une autre difficulté de transcription provient de la structure artificielle de
nos langues européennes qui n’ont à leur disposition ni la correspondance
des Nombres ni le jeu des symboles pour transcrire les mots construits sur
ces principes. Le même obstacle a créé des divergences de compréhension
dans notre propre langue pour des termes à sens abstraits – tels que :
« intellect, raison, pensée, conscience » – qui augmentent la confusion dans
l’interprétation des textes et obligent chaque auteur à sa propre définition.
C’est ainsi que, dans l’interprétation des textes hindous, certains
orientalistes traduiront le nom du Principe Suprême non manifesté, tantôt
par Brahman et tantôt par Brahma. C’est ainsi que Mahat – l’Idéation
Universelle, l’Ame-Intelligence Universelle – sera généralement considérée
comme correspondant en l’Humain au principe Buddhi, tandis que d’autres
verront Mahat en rapport avec le principe supérieur de Manas, l’Ego
conscient.
La tradition Védique comporte diverses « positions » ou manières
d’envisager le sujet (les six Darshanas) ; il s’ensuit une variation dans
l’ordre des Principes étudiés et parfois dans l’application de leurs noms, qui
peut créer un trouble dans l’esprit des commentateurs occidentaux. Nous
avons essayé d’en résumer ici très succinctement les interprétations les plus
autorisées, en donnant exclusivement les notions nécessaires au sujet qui
nous intéresse, et en les classifiant pour en faciliter la vue d’ensemble.

TRADITION VÉDIQUE

LE MONDE DIVIN
BRAM, Absolu, Suprême, Universel, insécable, impersonnel, neutre,
non qualifié, non-Etre. Considéré comme Esprit universel, Suprême « Soi »,
il est Atma – ou Atman – qui pénètre toutes choses en lesquelles il devient
jivâtman.

LE TERNAIRE PRINCIPE DIVIN :


• Brahmâ-Ishwara, aspect qualifié de Bram, l’Être par rapport au Non-
Être, considéré dans la triplicité des Fonctions divines, la TRIMURTI :
• Brahmâ-Ishwara, Être des êtres, duquel procèdent tous les êtres
manifestés (Père) ;
• Vishnu, aspect ou fonction d’Ishwara animateur et conservateur des
êtres créés, passif (Fils).
• Siva (ou Shiva), aspect ou fonction d’Ishwara ; conciliateur,
transformateur, destructeur (par processus « mort-naissance », qui est
inséparable du processus « création-réaction ») (Saint-Esprit).
L’aspect « réceptif » de la triple Énergie immanente à la Trimurti, qui par
le « mouvement » du désir en cause la manifestation, est personnifié par les
symboles féminins des trois Shakti :
• Saraswati, Shakti de Brahma,
• Lakeshmi, Shakti de Vishnu,
• Parvâti, Shakti de Shiva.

L’ACTIVITÉ PRINCIPE DE LA TRIMURTI CRÉATRICE, est exprimée par les trois


Principes : Purusha, Prakriti, Mahat-Buddhi.
Purusha, considéré en soi, en dehors de la manifestation, est la Lumière,
source de toute lumière ; il est Celui qui est, qui fut, et qui sera.
Considéré par rapport à la manifestation :
• Purusha est l’Essence universelle qui donne forme à la Substance ; le
Logos créateur, expression de Brahma-Ishwara en tant qu’Homme
Cosmique. Il est un des pôles de la Manifestation, dont l’autre pôle est :
• Prakriti, la Substance universelle, Principe de la Nature « naturante ».
• Mahat – le Grand Principe, qui est aussi Buddhi – est l’Esprit-Idéation-
Sagesse Universelle.

LA NOUVELLE UNITÉ COMPOSÉE, PRAKRITI, Substance éternelle, base


substantielle, contient les trois Gunas qui sont la Trinité créatrice : Sattwa,
Rajas, Tamas. Ces trois Gunas sont les aspects qualitatifs de l’Esprit, cause
déterminante de toutes les Qualités.

LES QUALITÉS ÉLÉMENTAIRES, OU Tanmatras, sont engendrées par la trinité


des Gunas. Ce sont :
Vâyu (l’Air), Tejas (le Feu), Ap (l’Eau), Prithivi (la Terre), contenus dans
YAkasha ou Ether. Ces éléments principiels se manifesteront dans la Nature
par les cinq Èhutas, ou éléments sensibles, constitutifs de tous les corps.
Ici, il n’est pas tenu compte de la formation de la Substance en Matière –
Purusha en Prakriti – de l’Idéation universelle, Mahat, mais plutôt de
l’évolution de la Conscience. On y indique les « lieux » du Monde de ce
« devenir et retour ».

MONDE DE L’INDIVIDUALISATION
La projection – ou individualisation – des Principes universels en
l’Humain est généralement traduite par les termes suivants :
— Atmâ Esprit universel qui constitue le milieu
ou énergétique de tout être, le souffle, le Grand Soi sous ses deux
aspects :
Atman, universel, paramâtman ;
individuel, jivâtman,
— Buddhi, véhicule à’Atmâ,
premier principe spirituel manifesté en l’Humain ;
principe de la Raison essentielle, dans le sens de Logos ou
Verbe. Buddhi est assimilé à Mahat le Grand Principe, Idéation-
Sagesse universelle.
De Buddhi-Mahat émanent les deux facultés « internes » :
Ahankara et Manas.
— Manas et Ahankara. Manas, le Mental
(sens interne par rapport aux sens externes), en relation par son
aspect supérieur avec Buddhi, et avec Ahankara – la conscience
du Moi – comme avec ses facultés inférieures qui constituent la
Pensée formelle.
532
— Chitta, conscience intellectuelle et imaginative .
— Kâma, Force instinctive,
cause des mouvements passionnels et instinctifs, essense du
sang (et qui a son siège dans le foie).
— Linga-sharira, « double » éthérique, ou forme subtile
(a son siège dans la rate). Ce Linga-sharira (ou sûkshma-
sharirà), est composé des trois enveloppes subtiles (ou Koshas)
qui sont des états de conscience résultant des trois éléments
inférieurs de l’homme : les souffles vitaux, ou diverses formes
du Prâna, les facultés mentales, et les cinq essences
élémentaires ou tanmâtras.
— Enfin cinq facultés sensorielles,
— cinq facultés d’action,
— cinq prâna, ou courants vitaux
qui sont les manifestations de l’Énergie universelle, Atmâ-Jivâ,
dans l’individu.

TRADITION DES PARSES


La Tradition des Parses, dans le Zend-Avesta, considère en l’âme
humaine plusieurs puissances distinctes :
— akko, le principe spirituel « lumière venue du Ciel
et qui doit y retourner »,
— l’âme responsable qui est triple :
le principe de sensation, Roë, principe d’intelligence, Rouan,
principe de jugement et d’imagination ;
— le djan, principe vital du corps ;
— le ferouër, le type individuel qui descend au moment
de la conception et s’unit au corps pour le quitter avant la mort.

TRADITION HÉBRAÏQUE
La Kabbale hébraïque enseigne que l’âme humaine est composée de trois
éléments principaux :
• neshama, le plus élevé des trois, Esprit de la Lumière divine,
indépendant du corps physique.
• rouah, âme responsable, siège des impulsions intellectuelles et
instinctives.
• nephesh, esprit moins subtil, vie des sens, mobile des mouvements de
la vie animale ; c’est cette âme inférieure qui est dite « portée par le sang ».
• Un quatrième élément est admis par la Kabbale sous le nom de
« Principe individuel » : Yeshida, l’Idée ou forme émanée de l’âme, qui est
présente dès la conception et quitte le corps avant la mort.
Enfin quelques auteurs admettent encore l’esprit vital, souffle de vie qui
réside dans le cœur et régit la vie animale végétative.
*
**
Le but principal de la Kabbale est de montrer les rapports existant entre
l’Homme Cosmique et l’homme terrestre, afin d’enseigner à celui-ci les
possibilités de Maîtrise quant aux puissances latentes en son individualité,
le but suprême étant l’union avec ce Divin Homme Cosmique.
L’hindouisme donne un enseignement analogue dans certains éléments
du Véda, mais développé dans toutes les nuances de toutes les possibilités,
ce qui crée, pour la mentalité occidentale, une complexité inextricable.
Il y a des parentés évidentes entre la Tradition des Parses et les livres
hébraïques d’une part, et certains éléments hindous d’autre part. L’intérêt ne
consiste pas dans l’ancienneté de tels ou tels ouvrages dont l’interprétation,
d’ailleurs, varie en beaucoup de détails selon les diverses écoles.
La valeur immuable de chaque Tradition réside dans les noms et les
symboles attribués par chacune d’elles ; les noms se rapportent aux
Nombres, et les symboles aux fonctions vitales de la Nature, permettant, par
analogie, de saisir les rapports métaphysiques enseignés dans ces traditions,
à condition que chacune d’elles soit étudiée pour elle-même, et que l’on ne
commette jamais Verreur de transposer ses noms et ses symboles dans ceux
d’une autre Tradition.
L’avantage de l’enseignement égyptien est que les textes authentiques
nous sont offerts sur le lieu même de leur inscription, sans avoir été
dénaturés par des transcriptions successives. Ses Nombres, ses clés et ses
symboles permettent, en étudiant selon la méthode égyptienne, d’atteindre
directement le sens ésotérique voilé par le sens apparent. Or la Tradition
révélée par ces textes présente une parenté avec les autres Traditions
initiatiques. Le principe de l’Homme Cosmique – ou Macrocosme –
projetant son image dans le microcosme humain, est affirmé par l’Égypte
où tous les membres et organes sont assimilés aux Principes des Neter.
(Voir, dans ce Commentaire, le § 15.)
Nous retrouvons dans le Véda la même affirmation. Pour exemple :
« Lumineux et sans forme est en vérité cet Homme (Purusha, l’Homme
Cosmique). Il ne naquit jamais… De lui naissent la vie, le mental et tous les
sens…
« La substance ignée est sa tête ; ses yeux sont le soleil et la lune ; ses
oreilles sont les points cardinaux ; sa voix, les lois manifestées ; sa vie est
l’air ; son cœur l’univers ; la terre est pour ses pieds ; Il est, en un mot,
l’intime Soi de toute créature. » (Mundakopanishad II, 2,3, 4.)
Le développement des attributs de l’Adam Kadmon (l’Homme divin) –
les dix Séphiroth de la Kabbale hébraïque –, quoique de date relativement
récente (depuis le XIIe siècle), est trop apparenté aux traditions antiques
pour ne pas être pris en considération ; il a l’avantage de donner des
précisions remarquables par leur conformité aux idées égyptiennes.
Il y a d’abord l’affirmation du Zohar : « Tout ce qui est sur terre est
également en haut. » (Zohar, 156 b.) Il y a ensuite la théorie des Séphiroth
dont le centre, Yesod – le Fondement –, est le milieu et le fondement des
autres Puissances, la « matrice du Monde ». Les neuf autres Séphiroth sont
groupées en trois tri-nités, considérées comme monde de l’Émanation,
monde de la Création, monde de la Formation.
La traduction française de leurs noms hébraïques exprime mal leurs
significations métaphysiques :

1re Séphiroth : la Couronne ;


2e Séphiroth : la Sagesse ;
3e Séphiroth : l’Intelligence ;
4e Séphiroth : la Grâce, ou Grandeur, ou Amour ;
5e Séphiroth : la justice ou Force ;
6e Séphiroth : la Beauté ;
7e Séphiroth : le Triomphe ou Victoire ;
8e Séphiroth : la Gloire ou Splendeur ;
9e Séphiroth : le Fondement ;
10e Séphiroth : la Royauté ou le Règne.
Une interprétation des Séphiroth situe chacune d’elles sur une partie du
corps humain.
Cette image est une application récente de la conception égyptienne qui
met en relation les bras et les jambes de l’homme avec les fonctions d’un
Neter, spécifiant aussi par la droite ou la gauche la nature de l’action qu’ils
veulent représenter.
Le symbole de la « Couronne » exprime, dans les deux Traditions, le
même mystère de la première manifestation de la Puissance Suprême. Mais
le rapprochement le plus intéressant est l’idée du Règne, ou Royaume, situé
sous les pieds de l’Homme. C’est un bel exemple de Tradition venant, à
travers des millénaires, illustrer le même principe. Outre les deux sceptres
(le crochet et le fouet), différents pour chacune des mains, la puissance
royale est exprimée en Égypte par deux attributs : la couronne (qui varie
selon la Qualité considérée), et la domination par les pieds, ou plutôt le
dessous des pieds, exprimés souvent par les sandales pour mieux affirmer
cette intention ; Pharaon a placé ses enneims « sous ses sandales » ; il a
« toutes les terres sous ses sandales »…, etc.
Tous les enseignements traditionnels ont considéré comme l’élément
évolutif de l’homme le feu caché dans la colonne vertébrale ; le réveil de ce
feu, endormi à la base du sacrum, et son circuit à travers les différents
centres du corps, faisaient partie de l’initiation pratique à l’obtention de la
Maîtrise humaine ; c’est pourquoi le Roi, type idéal de cette réalisation,
devait en exprimer les symboles.
Le talon et la plante des pieds, reposant sur la terre avec l’énergie de
laquelle ils mettent l’homme en contact, doivent établir ce rapport pour la
maîtrise totale du fluide vital. Ceci ne peut se faire que si le feu du sacrum
est éveillé et libéré pour circuler à travers tout son « royaume humain ».
533
C’est le symbole de la queue de taureau effilée comme la base de la
moelle épinière, et portée par le Roi au cours de la fête Sed : la fête de la
queue (sed) ou de la force du KA, ranimée et conduite jusqu’aux pieds pour
le revivifier et accroître sa Puissance royale.
C’est aussi le symbole de la « barre » de Min, qui relie son diadème à ses
talons, comme une « prise de terre » qui dirige son feu.
Une autre forme de cette idée est donnée dans les scènes où le Roi,
empoignant les chevelures de ses ennemis agenouillés, « saisit » leurs
forces vitales – leur KA dessiné par leurs bras élevés – tandis qu’il a, « sous
ses sandales », les deux ennemis noyés représentant le feu Sethien (les
testicules de Seth) maîtrisé et sublimé en Puissance « surhumaine ».
*
**
Les divers éléments qui constituent l’être humain portent donc des noms
différents dans chaque Tradition ; il arrive même que leur nombre et leur
classement varient selon les écoles d’une même Tradition, et ceci n’infirme
nullement la réalité de leur Connaissance.
Ces éléments occultes de l’être humain sont des états ou modalités de
conscience QUI EXISTENT en dehors de toute appellation et de tout
classement ; la connaissance expérimentale de chacun de ces états constitue
les divers degrés de la Maîtrise, pour laquelle les différences de langage
n’importent pas. Mais leur étude théorique exige une connaissance de la
langue employée.
L’appellation trop globale de « l’âme » empêche le discernement des
états subtils de l’être humain, et du mode de conscience qui se rapporte à
chacun d’eux. Cette ignorance ouvre la porte à des illusions funestes quant
à la nature des divers phénomènes psychiques qui peuvent se produire. Au
contraire, la complexité d’une analyse trop poussée crée l’exacerbation du
Mental, autre obstacle à la connaissance du Soi.
Nous avons mentionné simplement, dans ce paragraphe, les éléments
essentiels définis par chaque Tradition, pour permettre au lecteur de
constater une unité dans ces testaments de la Sagesse universelle, et dans
celui de l’enseignement égyptien que nous envisagerons spécialement dans
le paragraphe 12 de ce Commentaire. Mais il ne faut pas, en comparant ces
résumés, céder à la tentation du superposer les noms ou les symboles de ces
diverses Traditions, car on risquerait de confondre des points de vue
différents et de dénaturer l’intention de chacun d’eux. (Voir à ce sujet le
commentaire V, paragraphe 4.)

12. L’AME EN ÉGYPTE BA-KA.


L’Égypte mentionne les principaux états métaphysiques de l’homme,
mais sans les décomposer par une analyse complexe comme le fait
l’Hindouisme. Elle n’y est pas obligée, car elle dispose des symboles
hiéroglyphiques, isolés ou groupés, pour exprimer les différents aspects
d’un même principe ; il y a, en ce procédé, moins de danger d’erreur qu’en
étudiant séparément les éléments qui ne peuvent pas être isolés.
Mais la complexité subsiste quant aux divers sens occultes de chacun de
ces éléments. Il est encore possible pour l’imagination de situer les deux
états extrêmes du composé humain : le plus spirituel d’une part, et, d’autre
part, le plus proche du corps, l’ombre (ou fantôme), corps « émotif » qui
garde notre image et l’empreinte de notre vie psychique.
Mais il est difficile de définir les éléments intermédiaires – qui sont
parfois analysés et parfois réunis sous un même vocable, tels que les
différents aspects du BA et ceux du KA – parce qu’ils participent de la
nature supérieure et de la nature inférieure.
BA, par rapport à KA, est l’Esprit animateur,
KA, par rapport à BA, est l’individualisation de la conscience dans les
états plus ou moins subtils ou grossiers de l’être, et qui permet de fixer
l’Esprit animateur.
BA apporte le souffle vital ; sa caractéristique est la non-fixité : BA a
toujours besoin d’un support.
KA est un principe de fixité et de fixation-attraction ; il est la puissance
capable d’attirer, de fixer et de transformer le principe vital ou animateur,
BA.
Le mot bka – qui exprime l’imprégnation, la fécondation de l’ovule
féminin – montre l’association nécessaire de ces deux éléments pour une
conception, c’est-à-dire une incarnation du KA essentiel et spécifique,
donné par la semence, animé par le souffle vital de b.
*
**
La présence – effective ou latente – de ces deux principes se retrouve
sous-entendue par la symbolique égyptienne, à tous les degrés de l’échelle
du Devenir.
BA et KA sont, dans l’histoire du Devenir de l’être, les deuxième et
troisième principes ou états, manifestant la Trinité créatrice, puis
formatrice, puis régénératrice. Le premier principe n’est pas akh, comme on
pourrait le croire d’après la terminologie habituelle, mais a qui contient
virtuellement les deux aspects (activité, passivité, àa ou ia) de la Source-
Origine, akh est cette Puissance originelle générée dans les ténèbres de la
matière, dont elle triomphe en « lumière sortant des ténèbres ».
Le deuxième élément, BA – qui est considéré en Égypte sous trois
aspects : âme Universelle, âme naturelle et âme humaine –, a, quant à soi,
double caractère :
• de même que dans la Trinité originelle, le DEUX a double caractère
(participant à l’UNITÉ dont il procède, il en a l’essence divine ; mais
participant aussi à la Nature qu’il va « causer » par sa dualité, il a un aspect
particulier, individuel), de même BA est à la fois Universel, et particulier
dans l’Humain. Cependant il est, par sa nature d’Esprit, indivisible : c’est-à-
dire que si le BA vient à cesser d’être individuel, il se trouve à nouveau
confondu avec sa source.
Ce n’est pas le BA Universel (divin) de l’homme, mais son BA
individuel, qui est symbolisé par l’oiseau à tête humaine allant et venant, ou
s’abreuvant à proximité de la tombe, ou perché sur le sycomore.
Ce sycomore représente la totalité des « milieux d’inscription » qui
constituent la nedj personnelle du défunt, avec l’image de son KA nourri
par elle des fruits de l’existence : il est donc compréhensible que l’âme
individuelle ne puisse pas être totalement isolée, sous peine d’être
« perdue » selon la crainte exprimée dans les textes ; elle doit s’y
« abreuver » de ses énergies propres pour garder le contact avec le KA
fixateur.
Ici, comme toujours, il faut se garder d’analyser schématiquement les
parties d’un tout : l’âme est un des éléments de cette « nout-sycomore », et
la position qu’on lui donne (soit voletant, soit s’abreuvant, soit perchée sur
une des branches) est la figuration d’un des aspects que représente
534
synthétiquement le sycomore .
Il faut se souvenir que tout vient d’Un et que tous les éléments ou états
de l’être ne sont que la manifestation de cet Un, malgré les divers noms
qu’on leur donne pour en exprimer les aspects différents. Ces aspects eux-
mêmes peuvent être interchangeables selon leurs modalités d’action et
réaction réciproques, à travers les triades de « manifestation » issues de la
trinité originelle : d’où les noms interchangés entre les diverses fonctions.
Cette remarque est valable pour les noms des Principes divins dans toutes
les Traditions, comme pour les définitions des états essentiels de l’être.
Ainsi en est-il pour BA et KA, où leur jeu continuel d’inter-échange
donne à chacun d’eux un rôle tantôt actif et tantôt passif.
Étant mis en garde contre cette erreur d’interprétation schématique, nous
pouvons étudier BA et KA dans leurs caractères respectifs.
BA est l’aspect impersonnel parce qu’Universel, quoique qualifié par les
affinités contractées avec le KApar les circonstances déterminantes de la
naissance.
On peut le faire participer – ainsi que le KA supérieur – à l’image du
« vrai visage » que doit retrouver le défunt, car il est la manifestation de la
nature élémentaire qui a « coloré » l’individu.
C’est ainsi qu’Orion serait appelé l’âme d’Osiris parce que la nature
élémentaire d’Osiris est manifestée par le caractère de l’époque à laquelle la
constellation d’Orion domine dans le ciel nocturne.
De même « l’âme de Râ » et « l’âme d’Osiris » sont manifestées dans le
djed humain par la nature des deux flux énergétiques qui longent la colonne
vertébrale (Ida et Pingala de la Tradition hindoue).
*
**
Si le BA humain a double caractère (particulier, et tenant de l’Universel),
le KA est triple en ses qualités constitutives ; il est actif, passif et neutre, ce
qui correspond au hiéroglyphe qui le désigne : deux branches verticales (les
deux avant-bras), et la branche qui les relie.
Il serait trop simple de dire que KA est la force vitale. Cette expression
peut sous-entendre divers états énergétiques qui sont les attributs du KA,
mais son imprécision prête à la confusion, car la force vitale comprend
aussi d’autres énergies, telles que nefer – engendrée par le souffle – qui est
un fruit du BA ; telle encore la force réactive nekh qui est le principe de la
vie manifestée, ânkh.
Si les deux BA de Râ et d’Osiris représentent, dans le djed et dans la
Nature, les deux flux de vie – droite et gauche, solaire et lunaire –, les deux
bras du KA, tendant leurs mains ouvertes, symbolisent ce qui reçoit et fixe
ce double flux. Quelques versets des Upanishads précisent le même
enseignement, parlant des divers aspects du Moi humain : « Autre que celui
formé par l’essence de la nourriture… il est un « moi » formé par la
vitalité ; c’est d’elle qu’il est rempli… Sa tête est la vie supérieure ; la vie
pénétrante est sa droite, la vie inférieure est sa gauche… »
(Taittirîoypanishads II, 2.)
Les deux courants reçus par le KA se complémentent dans la clavicule,
créant ainsi la première et la dernière fixation (ossification).
L’action de ces deux courants est souvent affirmée par les textes
exprimant la nécessité de l’action (ou de l’influence) des deux bras.
Mais l’Égypte considère aussi le KA, par rapport à l’Humain, sous trois
aspects :
• dans l’Universel, d’où il tient son origine ;
• chez le Roi, microcosme, type de l’Homme accompli ;
• chez l’homme commun, non encore accompli.
Dans l’Universel :
• la théologie thébaine résume tous les Neter en un être total (Homme
Cosmique), dont l’Esprit, inconnaissable (au nom caché), est manifesté par
les fonctions à’Amon ;
Râ en est la tête, ou expression de toutes les formes du Verbe ;
Ptah en est le corps, ou manifestation du Feu créateur en toutes les
Possibilités, Fonctions et organes.
Chacun de ces trois éléments divins est triple ; étant lui-même A (akh),
BA, KA ; mais on peut dire que, dans cette trinité, Amon en est l’Esprit, A ;
Râ en est l’âme, BA ; Ptah en est le KA.
Amon, en tant que pur Esprit serait inconnaissable s’il n’était pas
manifesté par son principe de fixité, Min, en toutes les créatures qui sont le
KA à’Amon.
Râ, Neter du Verbe et de tous ses aspects, est le Maître de notre Monde
terrestre, son âme solaire, et le dispensateur des quatorze KAOU, puissances
déterminantes et vivificatrices de tous les KA.
Ptah est le principe même du KAfécondateur en toute semence terrestre,
et transformateur en toute génération.
*
**
La projection de ce divin Homme Cosmique (macro-cosme) dans le
microcosme, est figurée par le Roi, type idéal de l’homme accompli. C’est
pourquoi, dans les scènes de théogamie – concernant la conception
spirituelle et la génération de ce Roi, issu directement de l’Homme
Universel –, on représente tous les KA de l’enfant, nourris et animés par les
Principes célestes.
Dans la théogamie de Deir el-Bahari, les deux « formes » de l’enfant
sont allaitées par deux déesses-vaches (Hathoriennes) qui représentent les
deux sources maîtresses de toute vie – solaire et lunaire –, lesquelles sont
sensées lui infuser le double nefer. Les douze autres KA sont animés par
douze Principes qui tiennent l’enfant assis entre leurs bras, une de leurs
mains animant la nuque et l’autre animant le bas de la colonne vertébrale.
Ces douze personnages portent sur leur tête les signes alternés des KA et
des HEMSOUT, c’est-à-dire des douze énergies célestes, alternées en mâles et
femelles telles qu’elles sont qualifiées en réalité dans les douze signes
zodiacaux.
Dans la théogamie du temple de Louxor, le registre supérieur (céleste)
montre les deux déesses nourrices, tandis qu’au registre inférieur (terrestre)
deux nourrissons s’abreuvent au pis de deux vaches ; ces deux scènes se
rapportent certainement aux KA, supérieur (divin) et inférieur (humain).
Quant aux Principes animateurs des enfants-KA, ils ne sont que neuf au lieu
de douze ; six d’entre eux sont des hemsout ; les trois autres portent le signe
heb qui signifie « fête_ » ; or on sait que « heb-fëtc » se rapporte toujours en
Égypte – comme dans la Bible – aux fêtes astronomiques, ce qui confirme
le sens déjà attribué aux Principes animateurs, à Deir el-Bahari.
Ici les enfants-KA, au lieu d’être passifs comme ceux de Deir el-Bahari,
tètent leur propre doigt, ce qui signifie que le KA de l’enfant-Roi
(Aménophis III) est assez puissant pour capter lui-même, et individualiser
en lui, ces influx célestes ; cette interprétation est confirmée par l’image de
deux enfants s’abreuvant eux-mêmes au pis de deux vaches. Le nombre des
« animateurs », neuf au lieu de douze, se rapporte aux fonctions et
caractéristiques particulières à Aménophis III.
*
**
On admet en général que Pharaon possède en lui les quatorze KAOU du
système solaire, c’est-à-dire le KA total du Soleil, dont il devient alors
l’image dans son royaume, « comme un Soleil indestructible » (mi Râ djet).
En effet ce corps de Puissances individualisées est son « être
indestructible » ; par cela même il devient le KA animateur de son
royaume.
La représentation du KA royal a des particularités qui ne sont pas
accordées aux autres hommes :
• le signe du KA est parfois posé sur la tête d’une petite image du
Pharaon, qui le suit comme son « double » ; ceci suppose une totalisation
des « enveloppes » indestructibles du Roi, unifié avec son KA ;
• son KA tient souvent entre ses bras son nom d’Horus, ce qui indique la
réalisation Horienne du Pharaon en état de « devenir » ; la phase de cette
réalisation est spécifiée par ce nom.
On voit aussi la main du KA tenant une haute tige supportant la tête du
Pharaon et son collier ; cette tête est symbole de son KA divin, comme il est
indiqué dans de nombreuses scènes où cette image est décrite comme
« divin KA royal vivant ».
Ce KA divin est figuré par la tête du Roi parce qu’il représente son
« Entité » avec son « vrai visage ».
A partir de la XVIIIe dynastie, les protocoles royaux présentent, au début
de leur nom d’Horus, le taureau (ka) nekht : puissance vitale réactive dans
son aspect générateur. L’image et le nom, KA, du taureau s’appliquent à la
puissance génératrice du KA, en tant qu’incarnation et manifestation de la
puissance Ptah individualisée dans le Roi, Ptah étant le KA de tous les KA
terrestres.
L’épithète KA nekht spécifie la puissance réactive du KA, lequel ayant
« subjugué les ennemis », c’est-à-dire les éléments inférieurs, devient un
« générateur solaire » et peut « être émetteur comme Ptah ». Or cette
caractéristique correspond à la période de ces dynasties qui, dans la genèse
du Principe royal (image de celle de l’humain), réalisent la génération du
Roi solaire symbolisée par les Ramsès.
*
**
Tout ce qui est dit du KA du Roi est le modèle et le programme de ce qui
doit se passer pour les hommes en voie d’accomplissement spirituel. Ceux-
ci étant le petit nombre, l’Égypte ne développe pas le thème du KA de la
même manière pour la foule des humains.
Le KA divin n’est pas incarné dans l’homme commun, qui n’est dirigé
que par son KA inférieur et ses KAOU ; c’est pourquoi on ne représente pas
normalement ce KA avec le symbole habituel. Cependant on apporte des
offrandes pour son KA, et le prêtre chargé de cet office est nommé
« serviteur du KA ». Ce KA, ne concernant que l’homme inférieur, ne peut
être représenté que par la statue ou l’image du défunt, qui est la figuration
de sa « spécification » individuelle, ou KA intermédiaire (KA de ses
« transformations »), et KA instinctif.
*
**
Étant donné la difficile complexité du sujet, il n’est sans doute pas
superflu de résumer ici la thèse enseignée par l’Égypte :
L’homme a, comme les animaux, un corps, khet, animé par l’Esprit
universel, BA (qui devient en lui l’âme animique portée par le sang, et dont
le départ cause la mort du corps).
Il a, comme les animaux, une ombre-fantôme, khaïbit.
Il a, comme eux, des ka, c’est-à-dire des qualités et forces vitales,
organiques et fonctionnelles, nourries par les kaou des aliments.
Il a, comme les animaux supérieurs, un KA (inférieur) qui comporte les
signatures et les caractères – innés et acquis – de la personnalité, et toutes
les impulsions animales, passionnelles, psychiques et organiques.
Supérieur aux animaux, l’homme a un KA supérieur qui est son entité
spirituelle, issu de Maât (qui est la Conscience Cosmique), et qui, en sa
propre conscience, devient sa propre Maât.
Ce KA supérieur est en contact avec l’homme animal par les noyaux
subtils – centres nerveux occultes – qui sont ses relais. Il est attiré vers
l’enfant qui va naître, par son affinité avec les caractéristiques du KA
535
inférieur incarné dans l’embryon , il prend contact avec lui, mais ne
s’incarnera que si, par son développement, la conscience acquiert une
indépendance suffisante pour lui donner la maîtrise sur le KA inférieur. Or
c’est le but que l’Ancienne Égypte présente aux hommes avec insistance :
parvenir à « l’union consciente des deux KA, qui éveille la Raison humaine
supérieure, et qui permet le rapport de la connaissance intuitive avec les
536
notions ».
Alors peut venir se fixer l’élément divin de l’homme : le BA divin, son
âme Horienne, qui se trouve attirée par le KA total réalisé, et cette union est
le gage définitif de l’immortalité.

13. BIEN ET MAL.


Dans la langue égyptienne, le mot djou exprime la notion du mal ; son
signe hiéroglyphique est la montagne séparée en deux par la vallée :
séparation et dualisation. Un autre mot signifiant la faute et le mal est asfet,
qui vient de asf, couper, séparer. Ce dernier n’est qu’une confirmation de la
notion clairement exprimée par le hiéroglyphe djou. L’animal typhonique
de Seth (le Satan égyptien) est le plus souvent représenté avec une queue
fourchue, dressée verticalement.
La montagne divisée par une vallée représente – concrétisées dans la
Nature – l’opposition et la séparation, pour le haut comme pour le bas
comme pour l’Orient et l’Occident, puisque le même dessin désigne les
deux montagnes entre lesquelles se couche et se lève le Soleil. C’est à cette
opposition dualisante que se rattache, en Égypte, l’idée du mal. Jamais nous
n’y trouvons l’expression d’un mal ni d’un bien absolus. En effet, s’il y
avait Bien et Mal absolus, ils ne pourraient coexister dans la Cause
originelle qui, alors, ne serait plus absolue étant dualisée. Bien et Mal, en
tant qu’opposition, ne peuvent exister que dans la Nature, et ne sont donc
pas absolus.
De même que, dans la Genèse Moïsiaque, la « faute » est causée par
l’intervention du serpent (qui évoque la distinction entre un bien et un mal,
et provoque la séparation de l’état paradisiaque – spirituel – et de l’état
naturel), de même, dans la symbolique du mot djou (ou dou), un aspect du
537
serpent dj représente le principe séparateur et la chute de l’Esprit dans la
Nature, dualisant ainsi l’Unité. C’est pourquoi le même dj entre dans la
composition du mot djed (la colonne Osiriaque), provoquant la séparation
des éléments qui la composent, et devenant le promoteur de la vie
végétative Osirienne.
Il est dit en effet que Seth est frère d’Osiris, et ceci définit la relativité du
Bien et du Mal selon la métaphysique égyptienne, toujours basée sur la
Nature où l’un n’est déterminé que par l’autre. Or remarquons que le
hiéroglyphe djou, qui symbolise le mal par une dualisation, donne à ce mal
un caractère temporaire et relatif puisque les deux montagnes restent reliées
par leur base.
Une autre expression – tacite – de la dualité est la lettre b, qui,
représentée par un pied, suppose nécessairement l’existence du second pied
sans lequel le premier ne pourrait pas marcher. En raison de ce caractère qui
est un des sens de cette lettre, b est devenu un nom de Seth, et entre comme
lettre dominante dans le mot ben signifiant « mal » et « mauvais ».
*
**
Les deux principales expressions de la notion du bien sont nefer et maâ.
Mais nefer exprime un moment d’évolution d’une qualité vitale, un degré
d’intensité : son état de maturité ou d’accomplissement d’une phase
essentielle. Tandis que maâ exprime un rapport de conformité entre la
« chose » et son type idéal ; c’est un état d’intégrité quant à ses qualités
spécifiques. Un animal est nefer quand il a atteint la plénitude de sa vitalité
sexuelle ou de sa force animale ; il est maâ s’il représente le type très pur de
son espèce, sans mélange de qualités – bonnes ou mauvaises – qui ne lui
sont pas spécifiques. Un nom est maâ s’il exprime intégralement la nature
de son porteur.
La vision se nomme maa, parce qu’elle est la reproduction conforme de
l’objet perçu ; mais pour l’audition attentive (prêter l’oreille), les Égyptiens
disent « donner maâ », donner la tempe, derrière laquelle se trouve la
538
« zone cérébrale auditive ». Cette expression donne à maâ le sens occulte
de l’entendement, dans le sens de conception directe de ce qui est perçu.
C’est en effet le rôle de l’oreille dont la perception est immédiate, tandis
que la vision est une perception médiate puisqu’elle est le résultat d’un
croisement par l’intermédiaire des centres optiques cérébraux, avec
comparaison et accommodation ; il y a donc une conscience visuelle
« raisonnée » cérébralement, tandis que la conscience auditive est directe
(c’est-à-dire non raisonnée), ce qui la met en rapport avec la « conscience
du cœur » ou Entendement.
ma signifie : conforme à, semblable à. C’est la conformité d’une chose
avec une autre chose.
maâ signifie : conformité à la nature de son prototype, réalisation
intégrale de son propre type. Qu’il s’agisse d’un spécimen d’un des règnes
de la Nature ou d’une individualité humaine, ceci équivaut à la réalisation
de la conscience de l’individu, conscience sans laquelle celle-ci n’aurait pu
éliminer les éléments étrangers à sa propre nature.
On peut donc dire que maâ équivaut à « conscience » ou conformité de
son Moi avec son Idée incarnée. L’homme qui peut acquérir la conscience
de cette conscience réalise sa propre Maât ; et la divine Maât universelle est
la Conscience universelle, c’est-à-dire la Conscience de toutes les
consciences.
Cette réalisation de conscience, qui est confondement, est – à quelque
degré qu’elle s’accomplisse – un mouvement de retour vers l’Unité par
cessation d’opposition et de délimitation personnelle. C’est donc cette
définition qui est contenue dans le mot maâ pour exprimer la notion de
Bien-Justice-Vérité : ce qui est, pour l’homme, le bien à rechercher et
acquérir pendant son existence.
C’est le chemin de retour – mais avec l’acquis de la conscience – « vers
la Cause-Origine qui se dualisa, se regardant elle-même pour acquérir cette
539
conscience ». C’est « l’aplanissement des montagnes » (djou) pour que
« soient comblées les vallées » (Luc, 3,5). C’est ainsi que le mal djou se
résout dans le bien maâ, par la dissolution de ce qui empêchait cette
unification.
Cette compréhension nous permet aussi d’élucider le sens que les
540
Égyptiens ont donné au mot « pur », ouâb . Ce mot est composé de ouâ
(un, unique), et de b qui exprime la dualité ; cette signification est précisée
par la corne (symbole d’opposition et de division) purifiée par le jet d’eau
du vase nou. La purification est donc représentée comme la dissolution des
éléments d’opposition qui empêchent la réalisation de maâ.
Nous avons parlé du mot ben qui signifie « mal » et « mauvais » à cause
de la prédominance de b sur n ; l’inversion de ces lettres donne neb qui
signifie « maître », posant ainsi comme condition de la maîtrise, la victoire
sur la dualité.
*
**
Ainsi le bien et le mal sont considérés en Égypte relativement à un but
suprême dont ils révèlent la définition : mal est ce qui éloigne du but
d’unification ; bien est ce qui le réalise, ou en supprime les obstacles.
La morale, en Ancienne Égypte, est colorée par cette relativité : elle est
d’ordre pratique, montrant les bienfaits de telle manière d’être. Les
caractères des Neter sont décrits avec l’indifférence que comporte une étude
des fonctions de Nature ; c’est une constatation, dénuée de toute intention
critique ou laudative, ou moralisatrice. En revanche, on déplore tous les
comportements désharmonieux (injustice, violence, égoïsme) qui éloignent
un homme de sa propre maîtrise et de la « maison du Dieu ».
Les préceptes de morale sont des conseils de prudence et de modération,
relatifs à l’équilibre individuel et social. Tout ce qui les dépasse rentre
immédiatement dans la formation mystique et pratique, laquelle cherche, à
tous les échelons, la « communion » ou conscience de l’abstrait dans le
concret, du spirituel dans le corporel, et du divin dans l’humain.

14. LES RÉVÉLATIONS OSIRIENNE, HORIENNE, CHRÉTIENNE.


541
Nous entendons ici par Révélation un enseignement initiatique
concernant les rapports de l’homme avec sa Cause et avec sa Fin,
enseignement exprimé dans le mode convenant à l’axe humain auquel elle
correspond ; nous entendons ici par « âge » l’état d’Intelligence (faculté
d’intuition consciente) d’un homme, d’une élite ou d’une époque de
l’humanité.
Une telle Révélation, lorsqu’elle est livrée au public, se fait
nécessairement en plusieurs phases, car elle s’adresse aux divers échelons
de l’humanité dont quelques-uns seulement sont disposés à se l’assimiler
pour en enrichir leur conscience. C’est pourquoi la révélation « populaire »
ne peut jamais qu’annoncer ce qui, pour quelques exceptions, sera réalité.
Les rites et les cultes sont le voile du mystère et la préparation de la
révélation ;
• la révélation effective est le dévoilement du mystère, et remplace le
culte extérieur par la réalisation de cette révélation en l’initié.
La Révélation égyptienne, dans la période historiquement connue, s’est
faite en deux phases – la phase Osirienne et la phase Horienne –, précédant
la Révélation Christique, laquelle, par rapport à l’Égypte, était le
couronnement des deux autres.
*
**
La Révélation Osirienne enseignait :
1° Le « devenir » de l’être et le développement de la conscience à travers
les règnes de la Nature, jusqu’à la réalisation de l’Osiris qui est en
l’homme.
2° La passion de « l’être Osiriaque », c’est-à-dire de l’âme végétative
dans la Nature, puis du KAanimal humain, jusqu’à la « reconnaissance »,
par la conscience humaine, de toutes ses parties composantes ; le résultat
final sera la réalisation du corps indestructible, suivant l’exemple à’Osiris.
3° Les mystères de la régénération spirituelle et de la participation de
l’humain aux fonctions Osiriaques universelles, ce qui est un gage de survie
dans les cieux inférieurs.
La Révélation Osirienne se rattache aux lois de Nature, aux cycles luni-
terrestres, et à l’histoire de l’humanité terrestre et de la royauté terrestre ;
aussi a-t-elle pour corollaires les principes du couple, de la famille, de la
perpétuation du nom, et de l’assouvissement de la vengeance.
Elle annonce la possibilité d’une évolution supérieure, par le premier
aspect du mythe Horien qui comporte l’engendrement à’Horus par la
semence spirituelle d’Osiris, libérée par la destruction du corps mortel.
Horus, fils d’Osiris et d’Isis, peut lutter activement et victorieusement
contre Seth, dont Osiris a dû subir passivement les sévices. Cependant cet
Horus, fils d’Osiris et d’Isis, est encore « héritier du trône de Geb », c’est-
à-dire en rapport avec le devenir de la terre ; il a seulement un pouvoir
supérieur à Osiris, étant le « gouverneur des Deux Rives », c’est-à-dire de
la lumière comme des ténèbres, et pouvant prédominer sur les puissances
sethiennes.
*
**
La Révélation Horienne enseigne :
1° La puissance réactive du KA humain (KA nekht) qui tend à
supplanter son être animal instinctif (sa nature terrestre et lunaire) par la
prédominance du Principe solaire (le cœur spirituel), ce qui est exprimé par
la royauté solaire. Remarquons que les Pharaons portent, dans leur nom
d’Horus, l’attribut KA nekht à partir de la XVIIIe dynastie, pendant la
« génération » du Principe royal solaire, qui se réalise dans les rois solaires
ramessides.
2° La révélation de l’Horus humain, le « Neter qui est en l’homme »
qu’il faut arriver à « délier » de ses entraves instinctives.
542
3° La nécessité d’abandonner « les voies d’eau d’Osiris »
(d’Occident), pour suivre « le chemin de Râ » (la lumière d’Orient) qui
« délivre des chaînes terrestres et dénoue les liens » (de YHorus).
C’est aussi la fin de YAmon lunaire et le règne à’Amon solaire (Amon-
Râ).
*
**
La Révélation Horienne annonce :
La possibilité de la Rédemption, c’est-à-dire la libération de la nature
luni-terrestre (monde des reflets et des formes) par la dépendance
immédiate du Divin Principe central (cœur solaire). La libération (ou
rédemption) de la faute – ou dualisation originelle – est annoncée par le
symbole de « VHorus qui unit les Deux-Terres », c’est-à-dire qui réalise
l’Unité. En effet, à la fin de l’Égypte, le temple d’Edfou « dont les plans
furent donnés dès le temps d’Imhotep », prépare cet enseignement par les
symboles de l’Horus d’Edfou, l’Horus Behedety (YHorus céleste et solaire :
le Soleil aux deux ailes). A Dendérah, le temple d’Hathor, Maîtresse du
Ciel, révélera celle en laquelle s’unissent le Soleil et la Lune.
Et le fils de ces deux Neter célestes est « Horus qui unit les Deux-
Terres ».
Le temple de Philae donne le résumé total de l’histoire d’Isis et d’Osiris,
avec la conclusion qui est la libération finale de l’âme divine d’Osiris dans
le DIVIN Horus. Et ceci est l’annonciation de la nouvelle Révélation.
*
**
La Révélation Chrétienne est celle de l’Homme-Dieu, Chvist-Horus,
incarné en l’humain. Elle enseigne la rédemption de la faute originelle (ou
première dualisation) par la conciliation dans l’Homme-Dieu des deux
natures (divine-humaine) unifiées. Cette unification se réalise à travers son
incarnation et sa passion, et se « sublime » dans la résurrection et
l’ascension.
S’il y a parallélisme entre la passion Osiriaque et la passion Christique,
comme entre la descente d’Osiris dans la Douât et la descente du Christ aux
enfers, il y a ensuite une différence considérable, car Osiris règne dans la
Douât, tandis que le Christ remonte à la droite du Père en tant que Christ
rédempteur qui, à son tour, annonce la Révélation de l’unification en Esprit
et en Vérité.

16. ASSIMILATION, IDENTIFICATION, CONFONDEMENT.


La voie de la Sagesse égyptienne n’est pas celle de l’abstraction pure, ni
du renoncement monastique, ni de la négation du corps, ni d’un code moral
rigoureux : elle montre les vicissitudes de l’être qui n’a pas appris, pendant
sa vie terrestre, à connaître sa relation avec les diverses puissances dont il
porte en lui la signature. Elle incite l’homme à considérer ses membres, ses
organes et ses fonctions comme incarnations des fonctions de l’Homme
Cosmique.
Or cette « assimilation » ne reste pas spéculative ; elle est d’ordre
pratique par le bénéfice, actuel et futur, qui en est le fruit. Elle dépasse la
science des analogies ; elle éveille et éduque la conscience des fonctions
543
organiques résumées en l’humain ; c’est cette conscience supérieure qui
est la prérogative de l’homme et qui le fait Roi de la Nature.
Le mot « assimilation » exprime en physiologie la fonction, commune à
toutes les cellules vivantes, de combiner en leurs propres éléments les
produits de la digestion déjà sélectionnés et transmis par le sang. Il exprime
donc, en propres termes, le dernier acte d’un processus complexe
comportant préalablement : absorption, sélection et faculté de réaction des
organes, cellules ou milieux de réception.
Dans un mode plus large, nous entendons ici par « assimilation » la
fonction globale, propre à l’être vivant, de choisir dans la chose absorbée
par lui – et de s’incorporer – les éléments convenables à sa propre nature.
Le résultat de l’assimilation peut être un fusionnement, si les éléments
incorporés ont même nature et même forme que les éléments récepteurs ;
• ce sera une transformation si les éléments « absorbants » changent en
leur propre nature les éléments absorbés.
Cette définition de l’assimilation est valable pour tous les états de
conscience inférieurs de l’être humain : physique (organique), psychique
(émotif) et mental, qui sont pénétrables par les productions et émanations
d’états similaires dans la Nature.
C’est cette possibilité de contact entre états similaires de l’homme et du
Cosmos qui justifie le thème égyptien de l’assimilation entre les fonctions
organiques humaines et cosmiques.
Si nous appliquons à la compréhension de ce thème notre définition de
l’assimilation – dont font partie l’absorption, la sélection et la faculté de
réaction des milieux réceptifs –, nous pouvons dire que l’assimilation
comporte :
• la connaissance des noms et fonctions diverses des Neter ;
• la connaissance des homophones qui permettent d’étudier les rapports
analogiques ;
• la connaissance du nom de la chose (objet de telle assimilation), et de
sa fonction ; connaissance « extérieure » par la valeur numérique et
symbolique des lettres hiéroglyphiques de ce nom ; connaissance
« intérieure » par la conscience de la fonction qui lui correspond dans le
corps humain.
Cette conscience n’est pas acquise par une observation analytique de sa
propre personne (physique ou psychique), car ce souci du Moi éloigne
celui-ci de la connaissance du Soi ; mais c’est la conscience de la
transposition de la fonction universelle dans la fonction particulière. Cette
assimilation diminue progressivement l’importance du Moi, et prépare la
voie à l’état mystique d’identification. C’est cet état de conscience qui
donne la connaissance immédiate (directe) de l’objet par le sujet, puisque
ceci devient cela ; c’est la source des éclairs de génie, ou de l’expérience
spirituelle du Sage, selon que cet état est passager ou continu, accidentel ou
maîtrisé.
L’assimilation et l’identification ont une signification assez proche de ce
que nous appelons confondement. Quoique ce mot ne soit pas
académiquement reconnu, nous l’avons adopté faute d’un terme assez axact
pour exprimer l’identification momentanée d’une entité avec une autre
entité.
Le confondement ne peut se réaliser qu’entre deux états – ou plans – de
même nature, et on peut lui donner différents noms selon le degré de
conscience qui le produit. Ainsi l’animal est souvent prescient de
l’intention, offensive ou inoffensive, de l’homme qu’il rencontre ; cette
prescience instinctive est possible parce qu’il n’y a pas de solution de
continuité entre l’état psychique de cet homme et celui de l’animal, qui
connaît l’intention de l’homme par la perception directe d’impressions
affectant un milieu psychique commun à l’homme et à l’animal.
La réciprocité n’est généralement pas possible : l’homme peut supposer
l’intention de l’animal, mais il ne Yéprouve pas lorsque son mental
s’interpose et « décale » le plan où devrait s’exercer son attention.
La perception directe de l’animal étant purement instinctive (c’est-à-dire
qu’elle est le résultat d’un contact animique et non d’une formation
délibérée), nous ne pouvons pas la nommer « confondement » si nous
prêtons à ce mot l’intention de suppression des limitations et spécifications
personnelles qui dénatureraient la perception. Le confondement – ou
fusionnement intime d’éléments analogues – donne, à l’être qui le réalise
consciemment, la connaissance de ce avec quoi il se confond.
L’identité n’existant pas entre deux êtres ou deux choses de la Nature,
l’identification ne peut se réaliser que dans les états de conscience
supérieurs ; autrement on ne peut pas, en termes exacts, parler
d’identification, mais de confondement.
Si nous posons la question : « Existait-il une mystique en Égypte ? »
nous devons, pour y répondre efficacement, étudier le sujet sous un point de
vue nettement déterminé.
Il est d’usage, en Occident, de nommer « mystique » toute recherche
spirituelle qui dépasse les devoirs imposés par le cadre d’une religion, ou
encore toute recherche « psychique » qui outrepasse le domaine de
l’expérience sensorielle et de la logique rationnelle. Par extension, on
applique ce qualificatif à toute doctrine dont l’idéalisme subjugue ses
adhérents jusqu’à obtenir d’eux le sacrifice de leurs buts et intérêts
individuels, au profit d’un intérêt général : humain, social ou spirituel.
L’une comme l’autre de ces acceptions implique la recherche d’un
affranchissement de règles ou limitations conventionnelles. Le mot
« mystique » a été ainsi appliqué à des recherches fantaisistes et utopistes,
aussi bien qu’à la conquête légitime d’un état de conscience supérieur. Et
cette confusion, basée sur l’ignorance, donne généralement, dans la pensée
occidentale, un sens péjoratif à l’expression « mystique ».
Il n’y a aucune relation, quant au but ni quant aux moyens, entre la
recherche mystique et certains phénomènes ou pouvoirs dits « occultes »,
ou, plus scientifiquement, « parapsychiques », tels que les divers modes de
divination, de magnétisme, etc. Ces phénomènes appartiennent à des
« états » énergétiques, intermédiaires entre l’état matériel et les états plus
subtils, ou spirituels. Ils correspondent à ce qui, dans l’homme, est nommé
puissances mentales, émotives et magnétiques (magnétisme animal
humain).
Or le but de la recherche mystique est l’acquisition de la conscience
impérissable de l’homme, et ceci par la communion progressive de son
corps physique qui est sa réalité temporelle, avec son être spirituel qui est sa
réalité immortelle et sa « parenté » avec sa Cause divine. Les autres
modalités de son être (mentale, émotive, magnétique) ne sont que des
formations transitoires qui s’opposent – plus qu’elles ne coopèrent – à la
prédominance de l’Impersonnel sur le Personnel.
L’exercice des pouvoirs dits « occultes » peut être d’un grand intérêt et
donner certains résultats bénéfiques ; mais il risque fort d’exalter la
puissance du Moi aux dépens de celle de Soi, ce qui est le but opposé à
celui du mystique (lequel, d’ailleurs, redoute le danger de leurs illusions).
On ne pourrait donc pas les confondre avec la « mystique » sans commettre
une erreur de principe.
Nous parlerons donc de « mystique » dans le sens d’extension de la
conscience individuelle dans la Conscience universelle. Ainsi comprise, la
mystique est exprimée dans l’Hindouisme par le mot yoga qui signifie
« union ». Le yoga comporte plusieurs modes d’application, ou chemins
convergeant vers un but identique, avec de multiples nuances selon les
moyens adoptés pour y parvenir, et selon l’objet de la connaissance que le
sujet désire s’assimiler (phénomènes de la Nature, divers états de la matière,
des êtres corporels et de leurs facultés mentales et spirituelles).
Dans tous les cas, il nécessite une disposition d’im-personnalité et exige
l’abolition de l’égo-centrisme ainsi que des barrières d’idées et de
jugements préconçus.
En effet, ni le mystique, ni le yogui ne prétendent acquérir une
« connaissance » à l’aide de notions acquises ni de déductions rationnelles,
mais par l’exercice de leurs sens internes qui les met en contact avec la
chose à connaître. Ceci nécessite le contrôle d’un discernement éprouvé, et
la vérification, par des maîtres compétents, de la valeur (effective ou
illusoire) des résultats obtenus.
Or le mot « mystique » s’applique légitimement à tous les degrés de cette
recherche :
• tel est le cas du forgeron qui, voulant connaître la paille ou défaut
intérieur du morceau de fer qu’il travaille, sentira (éprouvera) sa matière si
réellement qu’il pourra situer le point précis de ce défaut imperceptible ;
• tel est le cas du médecin capable de percevoir, sans instruments, les
déficiences et troubles organiques de son malade ;
• tel le cas du marin dont le flair conscient dicte à l’instant précis le geste
qui évite le naufrage ;
• tel le cas du jardinier qui s’est « assimilé » les conditions de vie qui
régissent les végétaux, jusqu’à être capable de multiplier anormalement ses
produits, en qualité et en quantité.
Ces divers cas d’intuition consciente nécessitent, à des degrés
proportionnés, un état de « neutralité » cérébrale et sentimentale qui est
l’élément essentiel de la mystique.
Lao-Tseu enseigne le même principe dans sa doctrine du Tao, qui est le
confondement de ce qui connaît avec ce qui est connu :
« Le nageur qui, paisiblement, traverse le torrent, est un bon nageur.
« Celui qui peut entrer dans les remous et en sortir vainqueur, est un très
bon nageur.
« Mais celui qui sait plonger dans le torrent, se laisser saisir par le
tourbillon et rejeter par lui en toute sérénité, celui-là est le nageur parfait,
et pratique le Tao… »
C’est-à-dire qu’il ne subit plus l’attaque du torrent puisqu’il se confond
avec lui.
Qu’il soit appliqué à l’étude des phénomènes de la Nature, ou de leurs
causes principielles (noumènes), ou des rapports de l’homme avec la Cause
divine, le procédé reste le même et donne la « note clé » de la disposition
nécessaire à la Connaissance directe.
*
**
Donc si nous cherchons les traces de mystique en Égypte, nous devrons
d’abord éliminer les altérations vulgaires de ce mot, ainsi que toute
expression s’écar-tant du sens intégral précédemment défini. Nous
n’appellerons pas « mystique » l’assistance aux cérémonies cultuelles, cet
acte étant la simple participation à une « forme » religieuse ; ni la
soumission aux lois morales, ecclésiastiques ou sociales, car ces lois ne
ressortissent pas de la mystique, mais de l’éthique, et posent le jugement
relatif du Bien et du Mal (relatif parce que conditionné par les rapports
sociaux et religieux ainsi que par le temps et le lieu). S’il existe une loi
mystique, elle n’est justiciable d’aucune logique rationnelle puisque son but
est de la dépasser ; elle ne peut être déterminée que par son objectif. Car
l’objectif visé est nécessairement individuel, puisqu’il est le confondement
du chercheur avec l’objet de sa recherche. Une organisation – ecclésiastique
ou laïque – ne peut faire autre chose qu’offrir les possibilités de cette
réalisation personnelle, en créant la mentalité, l’ambiance et les conditions
qui peuvent la favoriser.
Telle fut, au Moyen Age, l’émulation créée par les corporations, avec les
secrets de métier qui exigeaient, pour être découverts, la conscience du
geste juste et l’éveil du sens intuitif ; telle fut l’ambiance des cathédrales,
où l’architecture, la sculpture et le vitrail cultivaient le sens du symbole et
la recherche passionnée de vérités transcendantes.
Au contraire, il est évident que l’ambiance des institutions et de
l’existence modernes suscite les dispositions inverses : rôle prépondérant de
« l’économie », donc mentalité utilitaire ; avidité intellectuelle et sensuelle,
arrivisme fébrile, manie de l’analyse qui annihile toute tendance intuitive…
Autant de facteurs d’égocentrisme qui peuvent s’accommoder de formalités
religieuses, mais s’opposent à la culture d’une mystique effective. Et
l’opposition est si grande que nous devons, pour en reconnaître les traces
dans l’Antiquité, chercher une comparaison dans un monde connu de nous.
Or l’œuvre de l’Égypte porte les signatures de cet esprit mystique qui a
caractérisé le Moyen Age :
• on y retrouve la même abnégation dont témoigne l’anonymat des
œuvres ; la même perfection du geste, plus excessive que dans nos
cathédrales ; le sens – vraiment mystique – de la valeur intrinsèque de la
« mesure » et de la puissance active d’un symbole, jusqu’à les exécuter à
l’intérieur d’un mur ou de la base d’une colonne ; enfin des prodiges de
techniques, une connaissance de la Nature (depuis la découverte de filons
métalliques inaccessibles, jusqu’à celle des fonctions les plus subtiles de
l’organisme humain), qui donnent l’avantage à leurs facultés intuitives sur
nos instruments les plus précis.
En somme, si l’œuvre de l’Égypte ancienne témoigne de l’abnégation du
Moi, c’est pour le développement du Soi, qui donne une extension
extraordinaire à la conscience humaine. Or cette extension est précisément
le but de la mystique.
*
**
Pourrait-on objecter que la perfection des techniques et l’observation
rigoureuse de la symbolique ne témoignent pas nécessairement d’une
conscience intuitive, parce qu’elles peuvent aussi résulter d’une intelligence
servile aux traditions ?
La première réponse est la modification continuelle des proportions et
des symboles, pour se conformer aux correspondances dynastiques-
astronomiques.
Ces renouvellements exécutés inlassablement sur tous les murs de tous
les monuments, et adaptés à chaque cas particulier, excluent une hypothèse
de copies routinières. Il faut donc qu’une même directive ait agi pendant
des millénaires pour assurer la formation d’innombrables équipes, en
développant leur conscience dans un mode extraordinaire…
Mais, si l’aspect mystique de cette formation est réellement la base de
l’œuvre égyptienne, nous devons en trouver la preuve dans les dispositions
prises pour son développement. Or voici la réponse des faits :
• quant aux conditions d’existence, il n’existait pas de problème
financier, le troc étant le principal moyen d’échange ; le souci utilitaire fut
réduit au minimum par la limitation du luxe individuel ; le Temple prenait
forcément la charge des innombrables techniciens, surveillants compétents
et maîtres responsables qui pouvaient donc travailler en cultivant les
facultés nécessaires.
Quant à la formation psychologique, son œuvre en reste le témoin ; elle
s’appuie sur la vie concrète, projette les fonctions du ciel sur la Terre, et
cherche en l’homme la connaissance du Neter. Elle développe un sens de
l’humour qui défie l’hypocrisie pudibonde et déroute la logique cérébrale.
Elle n’adapte pas les Neter – ou Puissances de Nature – à une
philosophie spéculative, mais elle adapte la pensée à la réalité de ces
Puissances, sans se soucier si cette expression est choquante ou
déraisonnable :
• il n’est pas raisonnable de dessiner une tête d’animal sur un corps
humain… mais cela empêche d’attribuer une réalité concrète à la figuration
des Neter ;
• il n’est pas raisonnable de dire que Nout avale le soleil chaque soir et le
met au monde chaque matin… mais cela oblige à considérer la renaissance
de chaque jour, contrairement à la pensée rationnelle qui n’y voit qu’un
circuit mécanique et figé ;
544
• il n’est pas raisonnable de représenter Hathor comme une vache
céleste… mais cela rappelle aux humains qu’ils sont constamment sustentés
par la vie nourricière qu’ils reçoivent du ciel.
Par ses textes initiatiques sur les états de l’être (BA, KA, akh, en leurs
divers aspects), l’Égypte détruit l’ignorance qui rend l’homme étranger à
son être occulte.
Sa méthode fuit l’analyse et cherche la synthèse. La théorie est
remplacée par des affirmations de principes et de faits, par la preuve
expérimentale, par les rapports de symbiose et d’analogie qui conduisent du
plus bas au plus haut.
Elle éveille la conscience de la relativité par le croisement continuel des
notions. Les textes et tableaux sont des compositions dont les jeux de
nombres et d’analogies exigent la transposition du concret dans l’abstrait.
L’étudiant est placé devant des superpositions de faits naturels, d’images
symboliques et de correspondances astronomiques, et se trouve obligé de
chercher la correspondance vitale des fonctions vitales exprimées dans une
telle synthèse.
L’extension de sa conscience est favorisée par l’identification des
organes et fonctions de son corps avec les fonctions des Neter, c’est-à-dire
545
de l’Homme Cosmique .
L’abnégation du Moi au profit du Soi est cultivée par le renoncement à
l’œuvre personnelle, pour coopérer à la perpétuité de l’enseignement
traditionnel ; par l’inscription, dans toute l’architecture, des Nombres et des
lois de genèse qui démontrent l’inéluctable Harmonie et la vanité de
l’orgueil d’innover.
La compensation de cette abnégation est l’extension de la conscience
supérieure et sa participation à la Conscience universelle qui peut aller
(selon l’expression textuelle) jusqu’à « devenir émetteur comme Ptah, et
faire l’œuvre de ceux qui sont dans leurs antres… », c’est-à-dire participer
aux fonctions cosmiques. Tels encore ces autres souhaits : « devenir le
KAd’Horus et des Neter… », pouvoir « s’unir aux Neter et en devenir le
maître… ». (C’est l’idée exprimée dans le mythe de Siegfried, l’HOMME
CONSCIENT redouté de Wotan parce qu’il dominera les Puissances fatales,
les dieux de Nature.)
L’autre thème, souvent répété aux Pyramides et dans les Sarcophages, est
d’éveiller « le Neter qui est en l’homme… le délier… le délivrer des voies
d’Osiris… le libérer de ses entraves… », enfin « vaincre l’ennemi (le Moi)
pour que resplendisse l’Unique ».
Les textes funéraires abondent en détails sur ce thème fondamental ; or il
est évident que si les Sages n’avaient pas instruit les élites du contenu de
ces textes, ceux-ci n’auraient pas eu de sens.

COMMENTAIRE VIII
L’ENSEIGNEMENT DES TOMBES
ÉGYPTIENNES
Il n’y a pas de logique apparente dans les représentations et textes de ces
tombes, si l’on y cherche une « histoire » de la vie du défunt. Trop d’images
apparemment absurdes contrediraient cette assertion : exagération de
proportions, de faits, d’images : disproportion de la taille du « maître » avec
celle des ouvriers, un « homme-arbre », des animaux fantastiques, etc.
Le symbolisme seul peut donner le programme et la clé de ces tombes,
dont la décoration a été composée comme si elles étaient destinées à
instruire leurs visiteurs. Si l’on écarte cette hypothèse, on ne peut pas
expliquer le développement considérable des thèmes – cosmogoniques,
astronomiques et mystiques – exposés dans les tombes pharaoniques
(Pyramides des Ve et VIe dynasties, tombes des rois et des reines du
Nouvel Empire dans la nécropole thébaine), ni l’accentuation des anomalies
546 547
à but symbolique dans les tombes d’un Ramose ou d’un Khérouf ,
telles que des yeux aveuglés ou au contraire exagérés, des taches et des
découpures volontaires sur les membres, sur le cou, sur le sexe, etc., sans
souci de la détérioration de l’image !
Si les tombes n’étaient destinées qu’à servir de sépulture, scellée dès
l’accomplissement des funérailles, pourquoi y trouverait-on les témoignages
d’études faites longtemps après la mort de leur possesseur ? Par exemple la
« mise en carreaux » de certains tableaux, exécutés sur la peinture d’une
548 549
époque postérieure (tombes de Kenamoun , d’Anena ) ; par exemple
encore des annotations telles que les graffiti datant de Ramsès II (XIXe
dynastie) trouvés dans la tombe de Ptah-Shepes (Ve dynastie). Pourquoi
550
Kha-m-hat (XVIIIe dynastie) aurait-il gravé dans sa tombe, à l’entrée de
la chambre intérieure, cet appel aux visiteurs :
« O ceux qui seront sur Terre des grands et des petits, ô tous les scribes
sachant dénouer les difficultés graphiques et habiles dans les hiéroglyphes,
ceux qui s’élancent à la recherche des connaissances, ceux qui jouissent
béatement des résultats acquis, tous ceux qui passeront par cette chapelle
que j’ai construite pour être un lieu de repos de bienheureux, ceux qui
contempleront les parois et y liront à haute voix mes phrases… » etc. ?
(A.S. 40, p. 602.)
Tous les tombeaux dont les murs sont couverts de tableaux et de textes
gravés, peints ou sculptés, présentent des caractéristiques assez
remarquables pour mériter une étude comparée, seule capable de révéler
l’intention de leurs auteurs. Cette comparaison doit s’appliquer, d’une part
aux diverses époques de leur construction, d’autre part à la fonction sociale
attribuée à leurs destinataires : rois, grands dignitaires ou chefs d’artisanat.
D’une époque à l’autre (Ancien Empire, Moyen Empire, Nouvel
Empire), on constate des différences dans leur disposition intérieure, dans
leur situation et même dans leur orientation, qui demandent une observation
approfondie. Sous l’Ancien Empire, à l’époque des Pyramides, les
tombeaux des grands fonctionnaires du règne sont groupés dans le
voisinage immédiat de la Pyramide royale qui comporte tout un complexe
architectural : temple dit « funéraire », barques votives, rampe d’accès et
temple de la vallée.
A la XVIIIe dynastie au contraire, les tombes royales se trouvent réunies
à Thèbes dans le cirque terminal de la Vallée des Rois, alors que les temples
« funéraires » s’échelonnent dans la vallée du Nil à la limite des cultures.
Les tombes des particuliers, des grands fonctionnaires et des nobles de
chaque règne – dont l’accroissement des prérogatives correspond à une
situation plus indépendante – s’étagent dans les collines avoisinant le
temple.
On constate en effet, au cours des trois grandes périodes, une progression
systématique dans la participation des « grands » du royaume aux mystères
et aux rites funéraires qui furent, dans l’Ancien Empire, des privilèges
royaux. Cette progression est parallèle à la prise de pouvoir des princes et
gouverneurs – de provinces ou nomes – laquelle aboutit aux périodes quasi
féodales de la première époque intermédiaire.
Le mode d’expression de l’enseignement ésotérique suit un rythme
analogue : la concision des textes de l’Ancien Empire est en harmonie avec
la rigidité géométrique des monuments (constructions de Zozer à Saqqarah,
Pyramides, temple du Soleil à Abousir, etc.). Avec le Aloyen Empire
commence une expansion de l’enseignement qui s’amplifie graduellement à
partir de la XVIIIe dynastie, dans les thèmes architecturaux comme dans la
statuaire et les textes. Les secrets du symbolisme et les mystères de l’au-
delà sont alors développés dans les tombeaux jusqu’à la fin des Ramsès.
Dans les monuments de la période ptolémaïque on arrive à la prolixité,
aussi bien dans la floraison de ses colonnes et chapiteaux que dans ses
hiéroglyphes. Sous le couvert de nouveaux signes – qui d’ailleurs
multiplient les énigmes hiéroglyphiques –, on révèle (pour ceux qui
connaissent les clés de lecture) ce qui, jusqu’alors, avait été voilé sous un
symbolisme concis. Des portes monumentales résument le programme des
anciens temples. Les nouveaux temples – Edfou, Dendérah, Philae –
totalisent selon leur caractère respectif la philosophie égyptienne.
Cependant, l’enseignement initiatique des destinées humaines a
synthétisé sa plus haute expression dans la nécropole thébaine du Nouvel
Empire, parce que celle-ci fut la sépulture des trois dynasties qui réalisèrent
le sommet de la mission pharaonique : les dynasties solaires des Ramsès
(XIXe et XXe) préparées et « gestées » par la XVIIIe, avec son Sage,
Amenhotep, fils de Hapou.
Ce rôle capital de la XVIIIe dynastie a été signifié par le culte qui fut
rendu, pendant les XIXe et XXe dynasties, à ses fondateurs – Aménophis Ier
et la reine Ahmès Nefertari, et Thoutmès III (XVIIIe dynastie) –, en tant que
patrons divins de cette « Vallée des Rois ».
C’est pourquoi cette nécropole thébaine, dans l’ensemble de ses vallées
funéraires, représente un grandiose foyer initiatique, par les groupements
sélectionnés des trois thèmes d’instruction.
En effet, cet enseignement prend trois aspects, selon qu’il est donné dans
le tombeau d’un chef d’artisanat, ou d’un grand fonctionnaire, ou d’un
Pharaon.

PHARAONS, GRANDS DIGNITAIRES, NOBLES ET FONCTIONNAIRES.


Pour pouvoir discerner les nuances de leurs rôles symboliques, il faut
d’abord considérer attentivement comment les Sages égyptiens situaient les
titulaires des rôles essentiels du gouvernement, dans leur relation
fonctionnelle avec le Pharaon.
Il faut remarquer d’abord que le nombre des tombes décorées est
relativement restreint, et confirme l’attestation souvent répétée que l’octroi
d’une telle sépulture, comme celui d’une stèle, était une faveur insigne
réservée à des êtres d’élite.
Il est difficile de distinguer exactement « nobles », fonctionnaires et
dignitaires, puisque tous ceux que nous connaissons par leurs tombeaux
s’attribuent une ou plusieurs fonctions, effectives ou parfois fictives.
Quel que soit son rang et son rôle, le propriétaire d’un tombeau
développe un thème particulier, qui exprime en images vivantes le rapport
de son nom et de son état de conscience personnel avec ce qui, dans la
Nature, est en affinité naturelle avec son propre rythme. Rien alors n’est
insignifiant dans les tableaux représentés, qu’il s’agisse du costume et des
parures du maître de la tombe, ou de l’animal – ou de l’objet – que l’on a
placé sous son siège, ou d’enseignements mimés, telles les danses du
tombeau de Kherouf dont le symbolisme se rapporte à la préparation et au
rôle du ferment dans la pâte à pain.
Si l’on met en liaison le nom d’un personnage avec les rôles et les
dignités qui lui sont attribués, on constate qu’une relation symbolique existe
entre ces divers éléments qui, autrement, paraîtraient souvent
incompatibles. Par exemple, on verra tel « maître », éminent dans la science
du « devenir » de la matière et de son accroissement, se nommer
« Conducteur des bovidés d’Amon ». Tel autre qui, par sa connaissance des
« lettres de Thot », peut former des disciples, s’intitulera « Chef des
recrues » (avec des figurations symboliques de jeunes soldats).
Ces exemples, où la fonction abstraite est représentée par une fonction
concrète, illustrent bien leur processus d’enseignement, et témoignent –
entre mille autres exemples – du fait que les attributions (réelles ou fictives)
du titulaire d’une tombe correspondent aux connaissances particulières
acquises et enseignées par lui. Ses fonctions peuvent donc être modifiées,
ou même cumulées, selon les phases de son propre développement.
La Sagesse égyptienne avait pour base une connaissance approfondie des
lois de « genèse » ; or ces lois se réduisent, dans leur application, à un
nombre limité de fonctions, qu’il est possible de déterminer en jugeant de
l’Universel d’après le particulier. D’où ce jeu continuel qui se sert du
concret pour éveiller le sens de l’abstrait.
L’idée de la fonction était si importante pour les Maîtres égyptiens, qu’ils
lui ont donné le nom de l’être originel, iaou, qui, matérialisé par la lettre t
(iaout), fait de la fonction une expression de « l’être ».
Chaque fonction, dans un organisme, est une participation au travail de
cet organisme.
Toute fonction qui participe à la vie organique sur Terre est ressortissante
de la même fonction principielle. Il ne peut pas y avoir une seule fonction
qui n’ait pas son archétype dans le monde des Forces par lequel est régi le
Monde organisé. Chaque cellule du cœur « bat » comme le cœur, même si
elle reste vivante en dehors de lui : c’est-à-dire qu’elle est animée par la
fonction contractante-dilatante qui est, dans le cosmos, le « geste cœur ».
Les fonctions d’une chose vivante constituent déjà le corps « idéel » de
cette chose quand elle n’est contenue que virtuellement dans sa semence,
avant que son corps matériel soit développé. Chaque fonction de ce corps
matériel sera donc la manifestation d’une fonction pré-existante, qui elle-
même est la répercussion d’une des Fonctions essentielles de « l’organisme
universel ».
Par conséquent, l’homme qui étudierait l’une de ces fonctions à travers
ses « effets » dans les êtres et les phénomènes terrestres, pourrait acquérir la
connaissance synthétique de sa source, ou Fonction principielle, c’est-à-dire
d’un « geste de l’être » – d’une iaout d’iaou – qui détermine et entretient
l’existence des êtres terrestres. Cette connaissance, il pourrait l’appliquer à
l’enseignement d’une maîtrise, dans le domaine psychologique, ou
technique, ou social…
Pouvons-nous imaginer l’assemblée extraordinaire que devait composer
une élite dont chaque membre, ayant approfondi un de ces aspects
fonctionnels, pouvait apporter l’enseignement de son expérience positive ?
Quel monument colossal pouvait accumuler, pendant des millénaires, un
noyau si vivant dont la méthode d’organisation s’atteste par ses œuvres
depuis les premières dynasties jusqu’à la fin des Ptolémées !
S’il en était ainsi, on pourrait s’expliquer la continuité de leur
programme d’enseignement, les travaux formidables de leurs artisans et de
leurs architectes ! Et ce serait vraiment une formule grandiose…
Or Pharaon était le centre ou « ferment » de cet organisme, dont
l’évolution dirigée suivait l’ordre prévu pour les différentes époques, en
rapport avec les dates cosmiques. Et les « dits » fonctionnaires apportaient à
leur roi des éléments « nourriciers » particuliers à leur nature et activité
particulières, différant comme diffèrent les fonctions d’un organisme
corporel et les natures des planètes qui gravitent autour d’un soleil. Pharaon
en représentait le foyer vital, et, par rapport à l’histoire d’un monde, un
moment de genèse universelle. C’est pourquoi l’enseignement des tombes
royales est d’intérêt universel, et toujours en rapport avec le mythe solaire.
Considérant sous cette lumière les diverses tombes initiatiques, on peut
en différencier les caractéristiques dont on retrouve partout les trois
catégories, mais dont la nécropole thébaine offre une synthèse accomplie.
Cette synthèse révèle le programme du Temple égyptien pour la formation
de ses initiés ; et cette formation comprenait trois phases, qu’illustrent
respectivement les figurations des trois catégories de tombeaux.
La première phase comportait l’observation des lois de la matière et des
phénomènes naturels, et l’apprentissage du geste essentiel en chaque
« fonction ». Les moyens étaient l’agriculture, l’élevage et l’artisanat. C’est
cette formation qui est mise en évidence dans les tombes de certains
fonctionnaires, de chefs de culture et de diverses techniques. Leurs tableaux
et leurs textes joignent à une documentation vivante des associations
d’animaux et de végétaux témoignant d’une science approfondie des lois de
symbiose qui les rapprochent, ainsi que des affinités et particularités qui
donnent à chaque « spécimen » la caractéristique dont il est le
« hiéroglyphe ».
La deuxième phase comporte l’initiation progressive à la connaissance
des lois causales, à la science ésotérique des Nombres et des lettres,
prudemment voilée par la cabale des textes. Mais cet enseignement est
habilement réparti dans les tombes de la deuxième catégorie, afin d’en
réserver la lecture à ceux qui, possédant les clés et le fil conducteur,
pouvaient en relier les éléments volontairement dispersés. Enfin, le but
essentiel de cette deuxième phase est l’enseignement vital qui intéresse
directement la formation et le devenir de l’homme.
Pour pouvoir déchiffrer le symbolisme de cet enseignement, il faut en
discerner les deux aspects. Le premier aspect comporte ce qui concerne
l’expérience personnelle du défunt et peut servir de guide à ceux qui lui
sont apparentés par un thème de recherches ou un état de conscience
identiques.
Le deuxième aspect comporte l’enseignement proprement dit, où les lois
abstraites sont figurées sous une forme concrète. Il se sert, pour s’exprimer,
de la coïncidence (et parfois superposition) des figures et des lettres, des
jeux d’homonymes, révélant des rapports analogiques ; enfin des noms,
costumes, gestes et paroles, attribués à chaque personnage. Quoique, dans
chaque tombe, le symbolisme fût basé sur le thème individuel de son
possesseur, ce thème servait d’appui à l’expression d’une phase de genèse
correspondant à l’état d’évolution actuel du défunt, et par conséquent au
symbolisme de son nom. Mais il faut considérer que l’initiation égyptienne
était une expérience positive, dans laquelle la formation psycho-spirituelle
ne se séparait pas de la connaissance de la matière et des lois qui en
régissent la genèse et les transformations, la maîtrise de l’une étant la
condition de la maîtrise de l’autre, et le résultat tangible de cette association
étant l’œuvre monumentale du Temple égyptien, de ses Sages et de ses
techniciens.
Or une des leçons les plus intéressantes de ces tombes « initiatrices » est
de constater, par leur étude comparée, le procédé habile employé pour
donner à chaque étudiant une somme de science traditionnelle et de clés
correspondant à son œuvre et à ses tendances particulières, sans cependant
divulguer les secrets fondamentaux qui constituaient le noyau de ce fruit.
On constate en effet que la science révélée symboliquement dans une
telle nécropole est divisée pour ainsi dire en tranches concentriques
appuyées sur la certitude d’une tradition millénaire et sans cesse
expérimentée. Et ceci la différencie de la science moderne évoluant
d’hypothèses en hypothèses, et dont les branches divergentes sont toujours
analytiques et trop souvent limitées par un point de vue particulier, sans
connexion avec telle ou telle autre branche.
Au contraire, toutes les « tranches » de l’enseignement égyptien avaient
pour centre unique les lois de genèse universelles, qui donnaient à chaque
tranche – ou thème – un caractère de synthèse, reliaient chaque technique
aux autres techniques, et montraient le lien vital des « dignitaires-
fonctionnaires » gravitant autour de leur Roi.
Or la synthèse centrale restait la clé ultime pour ceux qui avaient su
trouver, dans divers thèmes ou tranches, la même loi de causalité. Et
cependant chaque étudiant, technicien ou fonctionnaire trouvait, grâce à ce
procédé, sa pleine mesure selon ses possibilités : qu’il s’agisse d’artisanat,
de culture, d’astronomie, d’architecture, de jeux de Nombres ou de
fonctions régissant l’harmonie du royaume, chaque possesseur de tombeau
s’émerveille de l’œuvre accomplie, de l’expérience acquise, et des progrès
qu’il a réalisés « dans la voie de Maât », ce qui signifie textuellement
« dans la voie de la vérité ». Quelques-uns d’entre eux se situent
formellement comme « initiés aux secrets des lettres de Thot » et aux autres
connaissances ésotériques. Tel ce texte du second prophète d’Amon,
Amenhotep Si-Se : « J’ai appris à connaître chacune des choses cachées ;
toutes les portes s’ouvrirent devant moi, et l’accès de toutes voies me fut
ouvert. » (Davies, The Tombs of two Officials of Tuthmosis IV, p. 9, Pl. XIII ;
Sethe, Urk. IV, 1208-10.) Cf. aussi « L’appel aux visiteurs » de la tombe de
Kha-m-hat, ci-dessus.
Tel autre (Ramose) parlera des personnages représentés auprès de lui,
comme de « ses frères », quoique les noms de ceux-ci prouvent que cette
fraternité n’est pas familiale. D’ailleurs on trouve dans plusieurs tombes des
postures et mouvements évoquant les signes de reconnaissance de certaines
confréries. Tels sont, dans la tombe du vizir Ramose (XVIIIe dynastie) les
gestes des personnages figurant dans les funérailles ; de même dans
plusieurs tombeaux du règne de Ramsès II.
Le rapport des noms avec la décoration des tombeaux est une précieuse
551
leçon du symbolisme, dont la tombe de Sen-nefer est un exemple
typique :
• sen signifie « deux », nefer est le principe qualitatif ; nefer exprime une
qualité vitale à l’état de maturité ou d’accomplissement.
Le hiéroglyphe du mot nefer représente le cœur surmonté de la trachée
552
comme s’il y était suspendu . Autrement dit, ce signe –
physiologiquement absurde – exprime exactement l’idée du mobile
organique (cœur et canal d’aération) dont la fonction détermine l’activité
vitale du corps.
Or dans la tombe de Sen-nefer, nous voyons ce personnage porter en
pendentif deux cœurs, symbole correspondant à son nom. L’un de ces cœurs
est jaune et l’autre blanc. En Égypte le jaune et le rouge sont en rapport
avec le Soleil, l’or, le sang rouge, le principe mâle ; le blanc se rapporte à la
Lune, à l’argent, à la lymphe blanche, à la nature féminine.
D’autre part, une grande partie du plafond est « tapissée » de vignes :
répétition du même symbole par les deux couleurs possibles du raisin,
rouge et blanc.
La tombe elle-même est double : une en haut, une en bas. A droite de
l’entrée de la tombe supérieure nous trouvons les greniers (blé et pain) ; à
gauche une vigne (raisin et vin), principes essentiels de la nourriture sous
les deux « espèces ». Nous voyons dans la tombe inférieure les deux yeux
oudja réunis par la boucle chen ; ailleurs les deux Anubis « ouvreurs » des
deux « chemins » ; ailleurs encore l’homme et sa femme purifiés sous le
double flot d’un même baptême : partout le dualisme des natures qui, étant
purifiées de tout ce qui leur serait hétérogène, finissent par se réunir,
jusqu’à identifier les deux cœurs de Sen-nefer dans la même couleur
jaune…, jusqu’à faire « végéter » ensemble l’homme et la femme dans
l’arbre unique, symbole de régénération par complémentation.
L’étude du texte n’est pas moins éloquente ; par exemple ce souhait
formellement exprimé à Sen-nefer : « Que sorte de toi la paralysie de ton
cœur, en faisant paraître ce qui est dessus et ce qui est dessous… » On est
évidemment tenté d’évoquer la Table d’Émeraude : « Ce qui est en bas est
comme ce qui est en haut, pour faire le miracle d’une seule chose… » Ces
paroles du Trismégiste comme les symboles égyptiens peuvent, par
analogie, s’appliquer dans les « trois mondes »…
Lorsqu’il s’agit d’un Vizir ou d’un haut personnage, on stipule sa
relation avec le Souverain dont il est l’auxiliaire (on pourrait presque dire :
dont il est une fonction ou une qualité). C’est ainsi que le vizir Ramose –
dont le nom Râ-mes est déjà précurseur d’une dynastie solaire – participe à
deux règnes qui préparent cette dynastie : Âménophis III qui en est le
« gestateur », et Aménophis IV (Akhenaton) qui s’intitule « le premier de
Râ ». Or Ramose spécifie cette double relation par deux tableaux qui
prennent respectivement le caractère de chacun de ces Pharaons.
La troisième phase de la formation individuelle, qui est l’enseignement
suprême de la science de « l’être » et des destinées humaines, est illustrée
dans les tombes royales, où l’existence personnelle s’efface devant le rôle
symbolique du Roi. Car le Pharaon est situé ici comme un Nombre dans
une Époque astronomique, dont un de ses noms indique la caractéristique.
Un autre de ses noms correspond à la phase qu’il représente dans la genèse
de son pays. Enfin un autre nom se rapporte à sa caractéristique
personnelle.
Ses épithètes, ses attributs, et l’enseignement de sa tombe, se conforment
à ces rôles ; et lorsqu’une dynastie (telles la XVIIIe et la XIXe) prépare ou
accomplit la domination solaire, le thème principal de la tombe royale se
rapporte au mythe solaire, depuis sa génération avec tous les symboles du
scarabée, jusqu’à la description de la course de Râ dans l’autre monde,
compartimentée en douze régions correspondant aux douze heures de la
nuit. Ces descriptions sont d’ailleurs la reproduction de « livres » plus
553
anciens, principalement « VAm-Douat » et le « Livre des Portes ».
On pourrait définir les tombes royales en disant qu’elles établissent le
rapport entre le microcosme et le macrocosme, avec les conclusions
psycho-spirituelles qui en découlent.
Une connaissance profonde des lois d’analogie et des « états de l’être »
permit aux Maîtres égyptiens de cumuler, dans ces tableaux, des
enseignements astronomiques et astrologiques, c’est-à-dire sur le cours des
astres et leur influence sur les Temps de la Terre, avec une représentation
symbolique des métamorphoses – ou états de conscience – qui marquent les
étapes de l’évolution de l’être jusqu’à la libération définitive du KA
humain.
Il faut noter ici une curieuse caractéristique qui semblerait, à première
vue, incompatible avec la perfection inhérente à l’idée d’un prototype
humain incarné par le Pharaon. On trouve, en effet, dans chaque tombe
royale, quelque chose d’inachevé, soit dans la gravure des textes, soit par la
composition d’un tableau, soit dans la décoration fruste – ou même absente
– d’une salle : il semblerait qu’on ait toujours évité de limiter le Principe
royal par la durée d’un règne, comme si ce règne n’était qu’un épisode
d’une royauté continue, la signature épisodique d’une Présence permanente,
dont le nom, comme la tombe, est en évolution constante, conformément à
son visage du moment…
La progression observée dans la forme et la décoration des couloirs, des
puits, des chambres et des plafonds conduisant vers la salle du sarcophage,
viendrait confirmer cette idée.
Au début de la XVIIIe dynastie – de Thoutmès Ier à Thoutmès III –, les
couloirs sont grossièrement creusés, sans forme précisée, sans décoration.
Chez Aménophis II, ils restent encore imparfaitement dressés mais ont
déjà une forme mieux définie.
C’est à partir de Thoutmès IV que ces couloirs prennent leur forme
architecturale définitive et que les murs du puits et d’une chambre auxiliaire
se couvrent d’une décoration, peinte d’abord, puis en bas-relief peint à
partir d’Horemheb. Il faut arriver à la tombe de Seti Ier pour rencontrer les
couloirs décorés de bas-reliefs, de peintures et de textes, et un plafond
astronomique.
Une progression analogue se remarque dans la variation des axes du
plan, et des niveaux des différentes parties de la tombe.
Les axes des divers éléments du tombeau, qui forment des angles
accentués à la XVIIIe dynastie, se redressent à partir d’Horemheb pour se
résoudre en deux éléments rectilignes légèrement décrochés, et finalement
en un plan rectiligne.
De même à partir de la XIXe dynastie, les variations de niveau
s’atténuent progressivement : les escaliers et les plans inclinés
disparaissent, et, dans la tombe de Ramsès VII par exemple, l’axe
parfaitement rectiligne de la tombe permet à la lumière du jour d’éclairer le
sarcophage.
Enfin il est intéressant de remarquer chez Hor-m-heb — dernier Pharaon
précédant la dynastie solaire des Ramsès –, que l’on trouve pour la première
fois l’Horus solaire introduisant le roi dans son tombeau.

LES DEUX CHEMINS.


Cette ébauche de classification serait incomplète sans la distinction des
deux chemins qui peuvent colorer l’une ou l’autre des trois catégories de
tombes. Car il ne s’agit plus ici de science ou de métier, mais du rythme et
du mode de l’évolution individuelle dans son expérience terrestre. Ces deux
chemins, fréquemment spécifiés dans les textes funéraires, y sont nommés :
• voie d’Osiris ou « longues voies d’eau de l’Occident », et
• voie d’Orient, qui suit Râ et non Osiris.
La première suit les innombrables expériences des existences terrestres,
dont Osiris – Neter de la Nature — est le modèle et le principe de
perpétuelle régéné ration. Conformément à l’histoire d’Osiris qui subit les
sévices de Seth, l’homme y subit toutes les contingences de la vie
quotidienne où l’assujettissement de conces sions continuelles affaiblit son
effort vers la libération.
La deuxième est la voie Horienne, c’est-à-dire la réalisation rapide du
principe Horien (Christique) par un éveil intensif de la conscience
supérieure. Cette voie, comme le vol du faucon d’Horus, progresse par
bonds audacieux et directs n’ayant pour objectif que son but de libération et
le poursuivant sans excuses dans sa chute comme dans sa montée.
Chacun de ces chemins aboutit, après la mort, à des états – ou lieux – de
béatitude ou d’épreuves différant selon la qualité de conscience acquise et
le degré de libération réalisé. Ces états ont été symbolisés par les divers
lieux – champs, jardins, cours d’eau, etc. – appelés en d’autres religions :
cieux, paradis, purgatoire, etc.
Ces deux voies ont, chacune, leur enseignement ésotérique et leurs
Maîtres. Des modèles typiques d’ésotérisme Osirien se trouvent par
exemple dans les tombes thébaines de Mentou-m-hat et de
554
Pediamenopet , dont la complexité des chambres, puits, couloirs et
obstacles dans les lieux d’accès, pourrait évoquer les légendes des épreuves
d’initiation, et des détours interminables de la voie Osirienne.
**
**
Pour comprendre l’importance donnée par les Égyptiens aux funérailles
et à la sépulture, nous devons éliminer notre point de vue personnel et
essayer de nous assimiler leur propre conception de la vie et de la mort.
Tous les textes funéraires parlent de la mort comme d’un instant de
transition – « la fixation du piquet d’amarrage » – qui précède le début d’un
nouveau voyage. Le dernier jour de vie terrestre est nommé « jour de
l’abordage » sur la rive d’un autre monde : le monde des Neter (les
Puissances causales), qui peuvent accueillir ou rejeter l’être non mortel du
défunt lorsqu’il vient à « passer à son KA ». C’est en effet son KA divin
qu’il doit rejoindre pour reconstituer son individualité immortelle… s’il n’a
pas perdu tout contact avec lui pendant sa vie terrestre.
Les rites des funérailles ont pour principal objectif de dégager cet
« être » des résidus corruptibles qui seraient une entrave à sa liberté
posthume, tout en rendant imputrescible – par l’embaumement – la momie
réduite à l’état d’enveloppe squelettique, et ceci dans un but qui ne fut
jamais, par les Sages, révélé explicitement.
Nous pouvons cependant relever quelques indices de leur pensée secrète
dans leurs propres paroles qui, pour cette raison, méritent d’être
sérieusement approfondies. Ils donnent à l’ensevelissement le sens de
« faire prospérer les bois du sarcophage ». Ils appellent ce sarcophage
qrsou ; or il est intéressant d’étudier les mots formés par la combinaison de
ces trois lettres q, r, S : qs, os ; sqr, prisonnier ; sqr est aussi le nom de
Sokaris, YOsiris funéraire, dont la barque symbolique comporte une plante
renversée, mais qui peut être redressée ; sqr signifie « respirer » ; c’est aussi
le nom de Serqet, déesse scorpion dont le rôle est de provoquer la fonction
de respiration dans le corps fixé par sqr. On prie Thot également de soulever
le couvercle pour « donner l’air à celui qui est dans le sarcophage ».
L’autre nom de ce sarcophage – neb-ânkh, c’est-à-dire « maître de vie »
– vient encore confirmer l’idée de réanimation de ce qui s’y trouve retenu
prisonnier (dans la momie ou dans le sarcophage ?)…
Enfin la tombe elle-même se nomme is, dont le signe phonétique est une
botte de roseaux ; c’est un autre témoignage de la même idée attachée à la
sépulture : idée de possibilité de nouvelle végétation, faire re-végéter ce qui
a été fixé.
A ceci se rapporte le rôle des deux pleureuses, Isis et Nephtys, desquelles
on implore, dans tous les tombeaux, l’eau régénératrice qui avait ressuscité
Osiris. Tous les Neter qu’on y rencontre jouent un rôle dans le même mythe
qui pourrait se résumer par la parole évangélique affirmant la nécessité,
pour que le grain puisse re-végéter, qu’il soit remis en terre, mort et
décomposé.
Textes et tableaux ne parlent que de la survie qui suit cette phase
transitoire, et symbolisent les « Principes » qui coopèrent à l’œuvre de
revivification : Moût, grand vautour dont le nom signifie « mère » et
« mort », ouvre ses ailes de couveuse et tient dans ses serres la boucle de
pérennité ; Anubis couché sur son coffre est dit « gardien du secret » (de la
transformation) ; le scarabée Khepra en enseigne les phases. Nout, la grande
« mère » céleste étendue sous le couvercle du sarcophage, semble insuffler
la vie au défunt tandis que, sur les murs, nous la voyons dans l’arbre
symbolique se pencher vers lui pour l’abreuver et le nourrir.
Le thème de la vie posthume est celui des kheprou, phases de
transformations qui peuvent être heureuses ou malheureuses et conduire le
défunt vers une béatitude ou vers des épreuves douloureuses, selon la
qualité des impulsions et des intérêts qui prédominèrent pendant sa vie
terrestre : car les impressions inscrites par ces mouvements passionnels
survivent dans leur forme émotive. Si ces impressions et forces attractives
sont telles qu’elle le rattachent uniquement à une vie physique, elles
provoqueront une dissociation de tous ses éléments composants, avec
555
réabsorption de ceux-ci par les divers règnes de la Nature : c’est alors la
mort définitive de l’individualité.
C’est pourquoi le but essentiel du disciple égyptien était la formation,
pendant sa vie terrestre, de son « djet » – semence du corps imputrescible –,
considérant comme objectif suprême la réalisation de l’akhou – corps
lumineux spirituel –, car pour cet homme-là, son corps physique ayant été,
avant sa mort, « doublé » d’un corps glorieux, cette mort devient une
libération et non un anéantissement.
Cette formation correspond aux progrès de la connaissance de soi-
même : « Homme, connais-toi toi-même… et tu connaîtras les Dieux. » Ses
échelons sont ceux de « l’échelle de Nout » qu’il faut – disent les textes –
gravir pour atteindre les Puissances célestes. Ce sont les éveils de
conscience progressifs, les efforts de libération qui sont, dans l’au-delà,
hérissés d’obstacles, de portes successives dont on doit « connaître les
gardiens » pour pouvoir les franchir ou s’élever d’un échelon.
La réalisation de l’individualité spirituelle est nommée symboliquement
le « tissage d’Horus », et correspond à la parole chrétienne : « former le
Christ en soi ». C’est le but mystique du chrétien comme c’était l’objectif
suprême du disciple égyptien : réaliser en soi l’union du divin et de
l’humain, afin que celui-ci se laisse transmuer en celui-là et conquière par
lui son immortalité.
Le fait que tous les sarcophages portent un extrait de cette doctrine,
inscrit soit sur ses parois soit sur des papyrus, témoigne de l’importance
donnée à sa connaissance pratique. L’Ancienne Égypte attachait une grande
valeur à son œuvre architecturale, témoignage de sa Sagesse « pour les
siècles des siècles » ; mais l’enseignement de ses tombeaux révèle son souci
essentiel : former des hommes divins.
De même que le Sage chinois pratique l’union avec le Tao, les paroles du
Sage égyptien prêchent l’union avec Maât, la conscience individuelle
intégrée dans la Conscience Universelle.
L’expérience mystique égyptienne domine toute sa philosophie, et sa
conception de la mort est le triomphe de la Vie.

Luxor, 1950.
Plan-de-Grasse, Pâques 1956.
TABLE DES FIGURES
1. Scène d’offrande, bas-relief, grès - LOUXOR, temple d’Amon,
XVIIIe dynastie.
2. Scène funéraire, peinture murale - THEBES, tombe d’Amenemonet,
XVIIIe dynastie.
3. Palmiers-doum, sycomores et dattiers, peinture murale - DEIR EL
MEDINEH, tombe de Sennedjem, XIXe dynastie.
4. Construction d’une barque, bas-relief - SAQQARAH, tombe de Ty,
Ve dynastie.
5. Thot, bas-relief, calcaire - ABYDOS, temple de Seti Ier, XIXe
dynastie.
6. Scribes, bas-relief - SAQQARAH, tombe de Ty, Ve dynastie.
7. Groupe hiéroglyphique n r w, bas-relief, calcaire - KARNAK, XVIIIe
dynastie.
8. Chouette, bas-relief, calcaire - KARNAK, XVIIIe dynastie.
9. Horus dans la barque, bas-relief, grès - EDFOU, temple d’Horus,
époque ptolémaïque.
10. Barque funéraire, peinture murale - THEBES, tombe de Menna,
XVIIIe dynastie.
11. Cynocéphales et barque solaire, peinture murale - DEIR EL
MEDINEH, tombe de Sennedjem, XIXe dynastie.
12. Personnage tenant en main le signe S, bas-relief, calcaire -
THEBES, tombe de Ramose, XVIIIe dynastie.
13. Roi tirant à l’arc, bas-relief, granit - KARNAK, temple d’Amon,
e
XVIII dynastie.
14. Danseurs, bas-relief, grès quartzeux - KARNAK, temple d’Amon,
XVIIIe dynastie.
15. Nils liant les plantes du Nord et du Sud, bas-relief, granit noir -
LOUXOR, temple d’Amon, cour de Ramsès, socle d’un colosse assis,
XIXe dynastie.
16. Nout, le ciel, bas-relief, calcaire - ABYDOS, cénotaphe de Seti Ier,
côté Ouest du plafond de la salle du sarcophage.
17. Les deux lions aker, peinture - MUSÉE DU CAIRE, sarcophage de
Khonsou, XVIIIe dynastie.
18. Phœnix, peinture - VALLÉE DES REINES, tombe de Nefertari,
e
XIX dynastie.
19. Thot, bas-relief, grès quartzeux - KARNAK, temple d’Amon,
XVIIIe dynastie.
20. Barque solaire, peinture murale - VALLÉE DES ROIS, tombe de
e
Ramsès VI, XX dynastie.
21. Vache céleste, relief peint - VALLÉE DES ROIS, tombe de Seti Ier,
XIXe dynastie.
22. Nou, bas-relief, calcaire - ABYDOS, temple de Seti Ier, XIXe
dynastie.
23. Chou séparant Geb de Nout
24. Sarcophage, granit rouge- VALLÉE DES ROIS, tombe
d’Horemheb, XVIIIe dynastie.
25. Scène funéraire, peinture - MUSÉE DU CAIRE, sarcophage de
Khonsou, XVIIIe dynastie.
26. Vautour, bas-relief, calcaire - KARNAK, XIIe dynastie.
27. Nils agenouillés, bas-relief calcaire - ABYDOS, temple de Seti Ier,
XIXe dynastie.
28. Scène du « Grand pas », bas-relief, grès quartzeux - KARNAK,
temple d’Amon, XVIIIe dynastie.
29. Le défunt assis devant le sycomore, peinture murale - THEBES,
tombe d’Ouserhat, XVIIIe dynastie.
30. Ptah, peinture murale - VALLÉE DES REINES, tombe de Nefertari,
XIXe dynastie.
31. Le Roi et Sechat, bas-relief, grès quartzeux - KARNAK, temple
d’Amon, XVIIIe dynastie.
32. Maât, peinture - VALLÉE DES REINES, tombe de Nefertari, XIXe
dynastie.
33. Isis et Osiris, bas-relief, calcaire - ABYDOS, temple de Seti Ier,
XIXe dynastie.
34. Nout au sycomore, peinture murale - THEBES, tombe de Nakht,
e
XVIII dynastie.
35. Le Roi offrant les tissus au djed, bas-relief, calcaire - ABYDOS,
temple de Seti Ier, XIXe dynastie.
36. Le redressement du djed, bas-relief, calcaire - ABYDOS, temple de
Seti Ier, XIXe dynastie.
TABLE DES MATIÈRES
PRÉFACE
Résumé d’Her-Bak « Pois Chiche »

PREMIÈRE PARTIE

I. — La Question
II. — La Réponse
III. — Les trois cercles
IV. — Les medou-Neter
V. — Le voyage
VI. — L’Illusion
VII. — Le Colosse
VIII. — Le Ciel
IX. — Libre arbitre et Fatalité
X. — Hiérarchie des Neter
XI. — Astrologie

DEUXIEME PARTIE

BA et KA

Introduction aux sept jours de BA et KA


Sommaire des sept chapitres de BA et KA
XI. — Premier jour.
XII. — Deuxième jour.
XIII. — Troisième jour.
XV. — Quatrième jour.
XVI. — Cinquième jour
XVII. — Sixième jour
XVIII. — Septième jour.

TROISIEME PARTIE

XIX. — Le Legs de l’Égypte


XX. — Pharaon et Sage

QUATRIEME PARTIE

PLANCHES I A VII
COMMENTAIRES.
I. – L’écriture hiéroglyphique
II. – L’enseignement intérieur ou ésotérique
III. — Les animaux dans le mythe égyptien. 3
IV. — Quelques précisions nécessaires à la compréhension
de l’enseignement égyptien
V. — Théologie – Neter
VI. — Astrologie – Astronomie
VIL. — L’Homme Microcosme
VIII. — L’enseignement des tombes égyptiennes
TABLE DES FIGURES
9772 – 1980. – IMPRIMERIE TARDY QUERCY S.A. – BOURGES ;
N°d’édition 10678 – 3e trimestre 1980. PRINTED IN FRANCE.

Notes
[←1]
Voir le Résumé de Her-Bak « Pois Chiche ».
[←2]
Her-Bak « Pois Chiche » (Édition Flammarion, Paris, 1955).
[←3]
Sirius
[←4]
Ici, matrice exprime l’idée générale du milieu qui reçoit la semence.
[←5]
Un même mot, khetn, exprime « ignorer » et « ténèbres ».
[←6]
Erreurs causées par les transpositions des procédés de chaque voie :
• en Mystique : déformation d’élans mystiques en spéculations rationnelles ;
• en Symbolique : déformation des lois vitales et des analogies réelles, en fantasmagories
ou en paradoxes fabuleux ;
• en Géométrie : déformation du sens métaphysique des Nombres et des formes, en
imaginations utopiques.
[←7]
Voir signe 16, Pl. I.
[←8]
Le mot her, face, est l’homonyme de her, Horus, qui est le Verbe animateur.
[←9]
Chou, frère jumeau de Tefnedj, et fils d’Atoum. Voir N° 3, Pl. V.
[←10]
Voir signe 17, Pl. I.
[←11]
Voir signe 18, Pl. I.
[←12]
Voir signe 19, Pl. I.
[←13]
Voir signe 20, Pl. I.
[←14]
Voir le Commentaire IV, § 3.
[←15]
Voir signe 21, Pl. I.
[←16]
Voir signe 22, Pl. I.
[←17]
Temple couvert, c’est-à-dire le Temple « intérieur :
[←18]
Voir Her-Bak « Pois Chiche », chap. XLIV.
[←19]
Voir signe 23, Pl. 1.
[←20]
Voir signe 24, Pl. I.
[←21]
. Voir Her-Bak « Pois Chiche », chap. XL.
[←22]
menkh : parfaitement ajusté.
[←23]
. Voir Her-Bak « Pois Chiche », chap. XVIII et XIX.
[←24]
Voir Her-Bak « Pois Chiche »
[←25]
Voir R.A. Schwaller de Lubicz, Le Temple dans l’Homme.
[←26]
Tel fut Amenhotep fils de Hapou.
[←27]
Voir le Commentaire II, § 1.
[←28]
Voir Her-Bak « Pois Chiche », Appendice III, § 3.
[←29]
Voir Her-Bak « Pois Chiche ».
[←30]
« Serviteur-ici-présent » : locution respectueuse employée devant un supérieur pour
remplacer le pronom je ou moi.
[←31]
Apet-Touéris. Voir n° 4, Pl. V.
[←32]
âcha – nombreux.
[←33]
châ = sable.
[←34]
Voir les caractères de la lettre n, chap. IV.
[←35]
Voir le Commentaire VII, § 3.
Traduction classique de ces mots : menkh = assemblé par tenons et mortaises, d’où :
durable, solide, sûr, àqer = excellent, an = être beau.
[←36]
Son « arcane ».
[←37]
. Voir chap. XVIII, et le Commentaire VII, § 10.
[←38]
Voir le Commentaire I, § 2.
[←39]
Sechat-Sefekht : Neter de l’écriture et de tout ce qui s’inscrit et se « signe » dans la Nature.
On lui donne une forme féminine, portant sur la tête une étoile sous une paire de cornes
renversées.
[←40]
Voir Her-Bak « Pois Chiche », Appendice IV, § 7.
[←41]
Signe « déterminatif ».
[←42]
Signe « déterminatif ».
[←43]
Voir signe 28, Pl. I.
[←44]
Voir le Commentaire II, § 1.
[←45]
Tels sont les rouleaux portés par les statues et les images des cathédrales, ou entourant
certains textes.
[←46]
Voir Her-Bak « Pois Chiche », Appendice I, § 3.
[←47]
Lettre r, Pl. IV.
[←48]
Lettre n, Pl. IV.
[←49]
Voir signe 19, Pl. I.
[←50]
Voir signe 17, Pl. I.
[←51]
Voir signe 29, Pl. I.
[←52]
Voir signe 30, Pl. I.
[←53]
Voir signe 19, Pl. I.
[←54]
Voir signe 15, Pl. I.
[←55]
C’est le symbole schématique du jeu de la lentille proportionnellement au croissant.
[←56]
Voir signe 19, Pl. I.
[←57]
Voir signe 32, Pl. I et fig. 26.
[←58]
Voir signe 33, Pl. I.
[←59]
Lettre n, Pl. IV et fig. 7.
[←60]
Voir fig. 22.
[←61]
Voir signe 34, Pl. I.
[←62]
Lettre dj, Pl. IV.
[←63]
Voir le Commentaire II, § 2.
[←64]
Voir signe 35, Pl. I.
[←65]
Voir signe 36, Pl. I.
[←66]
Voir signe 37, Pl. I. Ner, en hébreu = Lumière, en tant que première manifestation de
l’Énergie.
[←67]
Voir signe 33, Pl. I.
[←68]
Lettre ƒ, Pl. IV.
[←69]
Voir signe 38, Pl. I.
[←70]
Absurde, car le cœur n’est pas « suspendu » à la trachée.
[←71]
Voir signe 39, Pl. I.
[←72]
Voir signe 40, Pl. I.
[←73]
Lettre th, Pl. IV.
[←74]
Lettre t, Pl. IV.
[←75]
Voir le Commentaire V, § 6.
[←76]
Voir tekh, chap. XVI.
[←77]
Voir le Commentaire VII, § 4.
[←78]
Fin décembre, janvier, février.
[←79]
La vie solitaire du lièvre et son extrême excitabilité sexuelle en font un intrus redouté des
tribus lapines. Aussi arrive-t-il que les lapins mâles attaquent le lièvre en quête de femelles, le
terrassent et l’émasculent avec leurs dents. Or il est dit aussi que le sexe d’Osiris fut dévoré
par un poisson.
[←80]
Voir signe 41, Pl. I et fig. 7
[←81]
Voir signe 42, Pl. I.
[←82]
Voir le Commentaire VI, § 5.
[←83]
Voir le Commentaire I, § 5.
[←84]
Voir le Commentaire III, § 1.
[←85]
Même si, étant remplacées par un « syllabique », elles ne sont pas inscrites, car leur valeur
reste sous-entendue et doit s’ajouter au symbole du syllabique.
[←86]
Cataractes.
[←87]
Sur les nombreuses stèles des îles du Nil.
[←88]
Sounou : Assouan.
[←89]
Wadi Hammâmât, dans la montagne de pierre bekhen.
[←90]
Symbole royal du Sud. Voir signe 43, Pl. I.
[←91]
Cavernes.
[←92]
Les escorteurs.
[←93]
Le crocodile de Seth.
[←94]
Une des formes d’Horus.
[←95]
Pyramide = mer.
[←96]
Voir per-da, chap. VII.
[←97]
Voir le Commentaire VII, § 15.
[←98]
Voir le Commentaire IV, § 6.
[←99]
Voir le Commentaire VII, § 7 et § 9
[←100]
Voir le Commentaire VII, § 6.
[←101]
Voir le Commentaire IV, § 6.
[←102]
A priori.
[←103]
« Aux deux équinoxes de l’année, ce singe urine douze fois par jour, à savoir à chaque
heure, et il fait la même chose pendant ces deux nuits » (Horapollon, I, 16).
[←104]
Le fait d’exprimer un désir ou un souhait suscite, par réaction dans le « subconscient », un
doute qui compromet la réalisation du souhait, et cela d’autant plus que ce doute est plus
inconscient.
[←105]
Voir signe 31, Pl. I.
[←106]
Voir signe 34, Pl. I et nedj, chap. IV, p. 66.
[←107]
Voir le Commentaire VII, § 16.
[←108]
Voir chap. Ier.
[←109]
Voir le Commentaire IV, § 2.
[←110]
Voir signe 44, Pl. I.
[←111]
Voir signe 45, Pl. I.
[←112]
Voir signe 46, Pl. I.
[←113]
Voir signe 47, Pl. I.
[←114]
Lettre s (z), Pl. IV.
[←115]
Voir signe 48, Pl. I
[←116]
Lettre s, Pl. IV.
[←117]
Lettre s, Pl. IV.
[←118]
Voir signe 49, Pl. II.
[←119]
Voir signe 50, Pl. II.
[←120]
Voir signe 43, Pl. I.
[←121]
Voir signe 51, Pl. II
[←122]
Voir signe 52, Pl. II
[←123]
Voir le chap. XV.
[←124]
Voir signe 32, Pl. I.
[←125]
Amenhotep fils de Hapou avait construit aussi, entre autres monuments, le temple de
Louxor qui est le Temple de l’Homme.
[←126]
. Voir signe 124, Pl. III.
[←127]
Voir signe 53, Pl. II.
[←128]
Voir signe 54, Pl. II.
[←129]
Voir signe 55, Pl. II.
[←130]
Voir lettre r, Pl. IV.
[←131]
Voir signe 56, Pl. II.
[←132]
Voir signes 57 et 58, Pl. II.
[←133]
Voir signe 59, Pl. II.
[←134]
Cf. la tombe thébaine de Kha m hat.
[←135]
Voir signe 56, Pl. II.
[←136]
On peut en trouver des exemples figurés dans certaines tombes royales.
[←137]
àb = cœur et danseur.
[←138]
Voir signe 67, Pl. II.
[←139]
Voir signe 68, Pl. II.
[←140]
Voir signe 69, Pl. II et fig. 15.
[←141]
Voir signe 70, Pl. II et fig. 15.
[←142]
Voir signe 71, Pl. II.
[←143]
Astrologiquement le Soleil est sous la domination du signe zodiacal du Lion.
[←144]
Voir signe 73, Pl. II.
[←145]
Voir signe 74, Pl. II.
[←146]
Voir signe 20, Pl. I.
[←147]
Voir signe 17, Pl. I.
[←148]
Voir signe 75, Pl. II.
[←149]
Voir signes 76-77, Pl. II.
[←150]
Voir signe 120, Pl. III.
[←151]
Voir signe 61, Pl. II.
[←152]
Lettre n, Pl. IV.
[←153]
Lettre s, Pl. IV.
[←154]
Voir signe 62, Pl. II.
[←155]
Voir signe 16, Pl. I.
[←156]
Voir signe 12, Pl. I. Ce signe est le même pour signifier « ciel », pt, et « au-dessus », her.
[←157]
Voir signe 63, Pl. II.
[←158]
Voir signe 65, Pl. II.
[←159]
Voir signe 64, Pl. II.
[←160]
aàs = ais. Voir signe 79, Pl. II.
[←161]
sàa = sia. Voir signe 80, Pl. II.
[←162]
Monstre représenté dans la scène du Jugement (pesée). Voir chap. X et XVI.
[←163]
Lettre à, Pl. IV. Voir le Commentaire I, § 3.
[←164]
Lettre a, Pl. IV.
[←165]
Voir le Commentaire VII, § 6.
[←166]
Voir signe 66, Pl. II.
[←167]
Voir signe 64, Pl. II.
[←168]
Voir signe 81, Pl. II.
[←169]
Voir Her-Bak « Pois Chiche », chap. XXIV.
[←170]
Voir signe 13, Pl. I.
[←171]
Voir signe 82, Pl. II.
[←172]
Voir signe 64, Pl. II.
[←173]
Lettre p, Pl. IV.
[←174]
Lettre t, Pl. IV.
[←175]
Voir signe 82, Pl. II.
[←176]
Voir signe 81, Pl. II.
[←177]
Voir le Commentaire IV, § 3.
[←178]
Voir signe 83, Pl. II. Cf. Her-Bak « Pois Chiche », fig. 50.
[←179]
Voir le Commentaire IV, § 1.
[←180]
Voir chap. XVII et XVIII. Cf. Her-Bak « Pois Chiche », Appendice V, § 4.
[←181]
Voir signe 84, Pl. II.
[←182]
Coulissant entre droite et gauche, entre Occident et Orient.
[←183]
Constellations.
[←184]
Bande zodiacale.
[←185]
Voir le Commentaire VI, § 2.
[←186]
Les planètes.
[←187]
Terme astrologique qualifiant la planète lorsqu’elle se trouve à moins de 8° 30’ du Soleil.
[←188]
Le benou correspond au Phénix, l’oiseau fabuleux qui renaît de ses cendres. Cf.
Commentaire III, § 4.
[←189]
ouâ = un.
[←190]
hou = nourriture.
[←191]
Voir le Commentaire VI, § 1.
[←192]
Horus de l’horizon.
[←193]
L’Occident et la Terre des morts.
[←194]
Oup signifie « ouvrir ».
[←195]
Pour la division du mois et le nombre des bakou, voir le Commentaire VI, § 2.
[←196]
. Voir le Commentaire VI, § 1.
[←197]
Iah est le nom de la Lune.
[←198]
Matière.
[←199]
Continu par l’Esprit.
[←200]
Sepdi : provisions, approvisionnement.
[←201]
Les objectiver.
[←202]
Voir signe 85, Pl. II.
[←203]
Saturne
[←204]
Voir signe 85, Pl. II
[←205]
Voir le Commentaire VI, § 3.
[←206]
Voir signe 71, Pl. II. Partie antérieure du corps du lion, hat, devant, avant.
[←207]
Voir signe 72, Pl. II. Partie postérieure du corps du lion, peh, derrière, etc.
[←208]
Clepsydres.
[←209]
Un texte mentionne l’existence d’horloges mécaniques donnant même les phases de la
Lune.
[←210]
Voir le Commentaire VI, § I.
[←211]
Bande zodiacale.
[←212]
Le KA spirituel, ou KA divin, est le KA supérieur, désigné dans le
christianisme par le terme trop global « âme » qui est employé dans ce
chapitre pour simplifier l’exposé. Pour la justification de ces mots :
âme, BA, KA, voir les sept chapitres : « Les sept jours de BA et KA. »
[←213]
Voir le Commentaire VI, § 6.
[←214]
Périodes géologiques.
[←215]
Voir le Commentaire VII, 9.
[←216]
Corporification.
[←217]
Conscience : cf. R.A. SCHWALLER DE LUBICZ, Le Temple de l’Homme. Derain, dépositaire,
Lyon.
[←218]
Voir p. 158 « dans son heure ».
[←219]
Distinguons encore ici « savoir » et « connaissance ». On peut passer de l’ignorance au
savoir ; mais pour atteindre la « connaissance », il faut l’intervention d’un sens supérieur, dont
les possibilités dépassent les facultés sensorielles et cérébrales.
[←220]
« Science sacerdotale », c’est-à-dire sacrée, dans le sens de non profane, parce qu’elle
nécessite chez l’étudiant un sens métaphysique exercé, le discernement du « réel » et la
conscience de ses responsabilités.
[←221]
Voir le Commentaire VII, § 6.
[←222]
L’homme raisonnable : doué des facultés de raison discursive, et d’Intellect (au sens
thomiste), c’est-à-dire la faculté supérieure de connaissance, tant discursive qu’intuitive.
[←223]
Voir le Commentaire VII, § 9.
[←224]
Psychique-émotive.
[←225]
Voir le Commentaire VI, § 6.
[←226]
. Voir le Commentaire VI, § 5.
[←227]
Voir le Commentaire V, § 1.
[←228]
Voir le Commentaire V, § 4.
[←229]
Voir Her-Bak « Pois Chiche », chap. XXVI et XXX.
[←230]
Voir signe 86, Pl. II.
[←231]
Voir signe 87, Pl. II.
[←232]
Voir signe 89, Pl. II.
[←233]
Voir signe 90, Pl. II.
[←234]
Raison discursive (rationnelle).
[←235]
Voir fig. 17.
[←236]
Voir le Commentaire V, § 4, § 5, § 6.
[←237]
Les deux reh.
[←238]
Voir signe 91, Pl. II.
[←239]
. Le mythe d’Osiris ne le montre pas recommençant à vivre corporellement sur terre. Il
passe dans la Douât où il devient souverain et principe de pérennité pour les êtres qui s’y
trouvent.
[←240]
Anubis est fils de Nephtys et d’Osiris.
[←241]
Causé par la précession des équinoxes.
[←242]
Voir signe 130, Pl. III.
[←243]
A ne pas confondre avec la grande année, et avec des cycles encore plus vastes.
[←244]
160 ans.
[←245]
Min, dont le symbole est celui de la foudre.
[←246]
Voir les hommes de la famille de Chéops, dans la nécropole de Gizeh.
[←247]
Voir Her-Bak « Pois Chiche », chap. XXXVII.
[←248]
L’homme adamique, androgyne, qui n’est pas encore rejeté dans la Nature.
[←249]
Hermès-Mercure.
[←250]
Chemsou : suivants, ou compagnons, ceux qui évoluent avec Horus, ou plutôt en lui. Voir
le Commentaire V, § 8. Historiquement, l’histoire ou phase des Chemsou d’Horus est située
comme la dernière période préhistorique.
[←251]
Disposés, selon leur situation et la nature de leur terre, comme les organes du corps de
l’Égypte. Voir Her-Bak « Pois Chiche », Appendice I, § 3.
[←252]
Maât, cf. chap. xvi et Her-Bak « Pois Chiche », Appendice V, §5.
[←253]
Voir signe 92, Pl. II.
[←254]
Voir signe 93, Pl. II.
[←255]
Voir signe 94, Pl. II.
[←256]
Voir les nombreuses représentations de la fleur qui sort d’un germe placé dans l’eau de ce
bassin.
[←257]
Voir signe 21, Pl. I.
[←258]
« Dévoreuse » : âmmit, âmmout (avaleuse des morts). Voir chap. VII et XVI.
[←259]
Voir chap. XVI.
[←260]
Voir le Commentaire VI3 § 5.
[←261]
Les planètes.
[←262]
Les circumpolaires.
[←263]
Cf. les trente années de vie cachée de Jésus-Christ jusqu’au jour où il doit manifester sa
mission et se révéler comme « fils du Père ».
[←264]
« Descente aux enfers. »
[←265]
C’est-à-dire de la royauté « historique » qui recommençait un nouveau « Temps » ou
« âge » avec Mena.
[←266]
Participation au titre « Osiriaque », aux rites et aux privilèges funéraires.
[←267]
. Voir le Commentaire VII, § 14.
[←268]
Voir signe 137, Pl. III et fig. 35 et 36.
[←269]
Voir signe 139, Pl. III
[←270]
. Voir le Commentaire VI, § 1.
[←271]
Iounou est Héliopolis.
[←272]
Le delta du Nil.
[←273]
Voir les Commentaires IV, § 4, et V, Cf. Her-Bak « Pois Chiche », chap. XXXIV et
Appendice I, § 3.
[←274]
Hermopolis du Sud.
[←275]
Voir oun, p. 62.
[←276]
Voir signe 142, Pl. III.
[←277]
Voir signe 95, Pl. II et fig. 26.
[←278]
Cercueil de Petamon, prophète d’Amon. Cf. MASPERO, Notes, in Recueil 23, 1901, p. 196.
[←279]
Trésor de Tout-Ankh-Amon.
[←280]
Ouast = Thèbes. Voir signe 96, Pl. II.
[←281]
Voir les Commentaires IV, § 2 et VI, § 5.
[←282]
Voir le Commentaire VI, § 2.
[←283]
Janvier, février, mars, avril.
[←284]
Mai, juin, juillet, août.
[←285]
Voir le Commentaire IV, § 4.
[←286]
Voir le Commentaire VI, § 1.
[←287]
Voir le Commentaire II, § 2.
[←288]
Voir le Commentaire VII, § 10.
[←289]
Voir le Commentaire IV, § 4.
[←290]
Voir le Commentaire IV, § 2.
[←291]
Voir signe 97, Pl. III.
[←292]
Voir signe 98, Pl. III.
[←293]
Solstice d’hiver.
[←294]
21 mars.
[←295]
21 juin, 21 décembre.
[←296]
Voir signe 99, Pl. III.
[←297]
Voir signe 100, Pl. III.
[←298]
L’enseignement des deux aspects de l’âme et de la Conscience Humaine a été traité par
ISHA SCHWALLER DE LUEICZ dans La Lumière du chemin (Éd. La Colombe, 1960).
[←299]
Voir signes 52, Pl. II et 101, Pl. III.
[←300]
Voir signe 102, Pl. III.
[←301]
L’horizon est représenté par les deux montagnes entre lesquelles on situe le soleil.
[←302]
Khonsou, produit par Amon et Moût, révèle la « face » d’Amon comme la plante révèle ce
qui était contenu en la semence.
[←303]
Il est écrit que le corps djet devient indestructible quand il est réuni à son KA dans la
« Maison de Râ ». Alors peut se réaliser l’être parfait par la réunion définitive de son BA.
[←304]
Voir le Commentaire IV, § I.
[←305]
Voir signe 103, Pl. III.
[←306]
Voir le Commentaire IV, § 3.
[←307]
Voir signe 104, Pl. III. Remarquer que toutes ces formes de akh, qui sont représentées par
des images différentes, ont la même orthographe : akh, voir signe 105, Pl. III, à laquelle
s’ajoute parfois le t.
[←308]
Voir les différents états de « Sainteté » du catholicisme : Vénérable, Bienheureux, Saint.
[←309]
Voir le Commentaire VII, § 12.
[←310]
Voir le Commentaire IV, § 1.
[←311]
Voir KA, signe 117, Pl. III.
[←312]
Voir image du taureau, Chap IX.
[←313]
C’est pourquoi le taureau est dit « incarnation de l’âme de Ptah créateur » ; et le temple de
Ptah à Memphis est nommé Hat-ka-Ptah (jeu de mots).
[←314]
Voir signe 108, Pl. III.
[←315]
Pronom personnel égyptien de la première personne : je, moi = nek ou inek
[←316]
ki = l’autre.
[←317]
Lettre à, i ; traduite par à, ou i.
[←318]
En opposition à la définition de sou, on traduit l’impersonnalité concrétisée de iou par tou
qui est le pronom indéfini « on ».
[←319]
Voir signe 107, Pl. III.
[←320]
Voir signe 3, Pl. I et Her-Bak « Pois Chiche », chap. XXXIII.
[←321]
Voir signe 109, Pl. III.
[←322]
Cf. SPEELERS, Textes cercueils : Discours 162 (400-401).
[←323]
Notez bien : ciel et terre, donc dualité, tandis que iaaou est encore Unité.
[←324]
L’archange rebelle de la tradition judéo-chrétienne.
[←325]
Voir le Commentaire IV, § 4.
[←326]
rekh = apprendre à connaître.
[←327]
Voir signe 111, Pl. III.
[←328]
Voir signe 110, Pl. III.
[←329]
Voir le Commentaire IV, § 4.
[←330]
Voir les lettres n, h, s, m, Pl. IV.
[←331]
Voir le Commentaire IV, § 1.
[←332]
Voir lettre s, Pl. IV.
[←333]
Voir lettre J (z), Pl. IV.
[←334]
Voir signes 112 et 113, Pl. III.
[←335]
Voir lettre h, Pl. IV.
[←336]
Voir lettre m. Pl. IV.
[←337]
Voir signe 115, Pl. III et hem, chap. XV.
[←338]
mes = naître, né. Voir signe 114, Pl. III.
[←339]
an, voir signe 116, Pl. III.
[←340]
Voir signe 112, Pl. III.
[←341]
senou = deux, double, jumeaux. Voir signe 62, Pl. II.
[←342]
Voir le Commentaire IV, § 3.
[←343]
Voir chap. XII.
[←344]
Voir le Commentaire V, § 5.
[←345]
Résistance, mais non opposition.
[←346]
Le serpent dj. Voir lettre dj, Pl. IV.
[←347]
Voir chap. IX.
[←348]
Comme le prisme qui, en réfractant, fait paraître la couleur.
[←349]
Voir le Commentaire V, § 5.
[←350]
sah = voisins, proches.
[←351]
Voir le Commentaire VII, § 15.
[←352]
Voit Chap. XVIII.
[←353]
Voir le Commentaire VII, § 9.
[←354]
Voir signe 117, Pl. III.
[←355]
Voir signe 118, Pl. III.
[←356]
« Vases », voir Her-Bak « Pois Chiche », chap. XX.
[←357]
Plexus solaire.
[←358]
Voir signe 119, Pl. III
[←359]
Nom de Khnourn, voir signe 120, Pl. III et Khnoum, N° 12, Pl. V.
[←360]
Khnem est le principe de « conjonction ».
[←361]
Chambre de la naissance, au temple de Louxor.
[←362]
sia
[←363]
Voir le Commentaire VII, § 15.
[←364]
Voir le Commentaire VII, § 9 et § 10.
[←365]
Voir les Commentaires VII, § 16 et VIII.
[←366]
Voir le Commentaire VII, § 11.
[←367]
Voir signe 44, Pl. I.
[←368]
Voir signe 121, Pl. III.
[←369]
Les scènes funéraires des tombeaux royaux (Séti, etc.) montrent partout cette corde.
[←370]
Remarquer le rapport de nouh et de houn, jeune enfant.
[←371]
Voir les Commentaires VII, § 10 et VIII.
[←372]
Affinité.
[←373]
Voir le Commentaire V, § 9.
[←374]
Voir signe 122, Pl. III.
[←375]
Voir signe 123, Pl. III.
[←376]
Voir signe 124, Pl. III.
[←377]
khem = sanctuaire, feu intense, annulation, ignorance. Voir signe 125, Pl. III.
[←378]
… Et la lumière était dans les ténèbres, et les ténèbres ne l’ont point connue (Jean, I, 5).
[←379]
Voir signe 126, Pl. III.
[←380]
Voir le Commentaire V, § 9.
[←381]
Voir signes 57 et 58, Pl. II.
[←382]
sefekht = sept. Voir signe 123, Pl. III et le Commentaire V, § 9.
[←383]
kaou, pluriel de KA.
[←384]
Voir le Commentaire VII, § 13.
[←385]
Voir signe 115, Pl. III et p. 232.
[←386]
. Voir signe 127, Pl. III.
[←387]
BA et KA supérieurs. Voir le Commentaire VII, § 11 et § 12.
[←388]
Voir le Commentaire VII, § II.
[←389]
Vases dits « canopes ».
[←390]
Dévoreuse des morts : âm-mout.
[←391]
Voir p. 249. Cf. La Lumière du chemin (Isha Schwaller de Lubicz, Éd. La Colombe).
[←392]
Cette scène, appelée aussi psychostasie, est une de celles que les Égyptiens ont volontiers
reproduites et dont on a trouvé de nombreux exemples, spécialement dans le « Livre des
Morts ». La composition varie, selon le programme et l’état spirituel attribués au défunt.
[←393]
Voir signe 128, Pl. III.
[←394]
Voir chap. X.
[←395]
Les textes funéraires expriment souvent la crainte de ce danger.
[←396]
Ce socle représente probablement une coudée.
[←397]
Voir chap. XVIII.
[←398]
Voir signe 10, Pl. I.
[←399]
Voir le Commentaire VII, § 10.
[←400]
C’est-à-dire qu’elle abandonne l’individualisation, et se confond de nouveau avec son
origine.
[←401]
Voir signes 57 et 58, Pl. II.
[←402]
Voir signe 132) Pl. III. Ce mot, écrit avec ce hiéroglyphe, signifie : ce qui est à l’intérieur,
la partie cachée d’une demeure, etc.
[←403]
Voir signe 131, Pl. III.
[←404]
. Voir signe 133, Pl. III.
[←405]
Voir signe 134, Pl. III.
[←406]
Voir signe 135, Pl. III.
[←407]
Voir signe 136, Pl. III. tout signifie : image, statue, réunir, assembler.
[←408]
Zodiaque.
[←409]
Affinité sélective.
[←410]
« Champ des roseaux » ou « des souchets », et « Champ des offrandes », sont les
traductions de l’égyptologie classique.
[←411]
Voir chap. XVI.
[←412]
État ou corps émotif (appelé parfois improprement « astral »).
[←413]
cha, chaou = destin, ce qui est fixé.
[←414]
Champ des souchets (des roseaux).
[←415]
Prise ici dans le sens â’akasha. Voir le Commentaire VII, § II.
[←416]
C’est un des aspects de ce qu’on appelle, dans la religion chrétienne, le purgatoire.
[←417]
. Voir le Commentaire VII, § 15.
[←418]
Comme l’une de ces Puissances. Voir Genèse 3, 22.
[←419]
La réincarnation.
[←420]
Voir le Commentaire VII, § 16.
[←421]
Renenoutet est un agent « déterminant » des renouvellements, tandis cfu’Osiris en est le
principe actif général.
[←422]
Allégorie d’Orion qui, au renouveau du Printemps, va vers un lever héliaque avec Sothis,
et sera ainsi (pour la Terre) « confondu » dans la lumière solaire.
[←423]
Voir le Commentaire VI, § I.
[←424]
djed = parole, et aussi la colonne d’Osiris. Voir signe 137, Pl. III et fig. 35 et 36.
[←425]
Le double pilier d’Osiris est souvent représenté dans les tableaux des textes funéraires.
[←426]
Voir chap. XVI.
[←427]
Voir le Commentaire VII, § 12 et p. 176.
[←428]
Comme Adam-Ève eurent une « robe de peau » après la « chute » (Genèse, 3, 21.)
[←429]
Comme les enfants de Geb et Nout.
[←430]
L’allantoïde.
[←431]
Le chorion.
[←432]
Voir le Commentaire VII, § 10.
[←433]
Cette fonction de la rate et celle du foie n’ont été citées ici que pour leur rapport immédiat
avec le sujet de ce chapitre ; en fait, le rôle de ces deux organes est beaucoup plus complexe,
et donne un bel exemple du croisement des fonctions, par l’action de la rate sur les globules
rouges, et du foie sur les globules blancs.
[←434]
tekh : voir p. suiv. et chap. XVI.
[←435]
Voir au début du chapitre : le double feu nefer de la colonne vertébrale.
[←436]
Magnétisme vital, etc.
[←437]
Voir le Commentaire VII, § 10. Cf. ISHA SCHWAIXER DE LUBICZ, La Lumière du chemin (Éd.
La Colombe).
[←438]
Cf. p. 304.
[←439]
Puissances représentées dans les tableaux astronomiques.
[←440]
Voir signe 140, Pl. III.
[←441]
Vénus ; cette épithète est aussi attribuée à Horus, en certains cas.
[←442]
mi Râ djet (comme le corps indestructible de Râ).
[←443]
Réalisation christique. Voir le Commentaire VII, § 11.
[←444]
Cf. les chrétiens par rapport au Christ : ils doivent réaliser Christ en eux.
[←445]
La renaissance spirituelle est à comprendre comme un « éveil » à un état spirituel
supérieur.
[←446]
Voir signe 114, Pl. III.
[←447]
Noël : khoïak. La date de Noël correspond à l’époque des fêtes osiriennes d’Abydos.
[←448]
« Siècle des siècles » des chrétiens.
[←449]
Paout = les Temps primordiaux, l’origine des Temps, paouty et paât – type primordial.
[←450]
Voir le Commentaire VII, § 14.
[←451]
Voir le Commentaire VII, § 13.
[←452]
Le jour de la mort.
[←453]
Voir signe 53, Pl. II.
[←454]
Voir signe 141, Pl. III.
[←455]
Voir Her-Bak « Pois Chiche », chap. XXIII.
[←456]
Cf. ISHA SCHWAIXER DE LUBICZ, La Lumière du chemin, chap. VI. (Éd. La Colombe.)
[←457]
Voir Her-Bak « Pois Chiche », dernier chap. : « Pharaon. »
[←458]
. Voir le Commentaire VI, § 5.
[←459]
ta-meri _= « terre aimée » ou plutôt « terre aimant ». C’est un des noms de l’Égypte.
[←460]
Voir le Commentaire VII, § 13.
[←461]
Voir lettre a, Pl. IV.
[←462]
Voir lettre à, Pl. IV.
[←463]
Cf. R.A. SCHWALLER DE LUBICZ, Le Temple dans l’Homme.
[←464]
Mesure, cf. Commentaire IV, § 2.
[←465]
Sens « intérieur », cf. ci-dessus, § 1.
[←466]
Tombes de Beni-Hassan.
[←467]
Voir lettre ƒ, Pl. IV.
[←468]
Voir fig. 18
[←469]
Voir l’image de l’abeille, Chap. VI dernière page.
[←470]
GAILLARD et DARESSY, Faune momifiée de l’Ancienne Égypte, II
[←471]
Voir l’image d’Apet, photo en hors-texte.
[←472]
Voir Her-Bak « Pois Chiche », Appendice V, § 5
[←473]
Les deux aker, V. fig. 17.
[←474]
PLUTARQUE, Isis et Osiris, p. 329. Même idée chez Horapollon.
[←475]
Jusqu’à l’anus.
[←476]
Dans certaines tombes, l’uraeus est placée sur une colonne djed.
[←477]
Voir Her-Bak « Pois Chiche », Appendice I, § 5 et fig. 26.
[←478]
Voir Her-Bak « Pois Chiche », Appendice I, § 5, Kom Ombo.
[←479]
CREUZER, Religions de l’Antiquité, notes sur le Livre III.
[←480]
Voir chap. VI, p. 83.
[←481]
HORAPOLLON, I, 16.
[←482]
Pour les divers aspects du KA, voir les chap. XII à XVIII.
[←483]
Voir chap. XV, p. 270.
[←484]
. PLUTARQUE, Isis et Osiris ; HÉRODOTE, L. II ; KREUTZER, 498.
[←485]
Tout le texte qui suit est la transcription de la réponse qui fut donnée par R.A. Schwaller de
Lubicz en 1949.
[←486]
On peut se semander si la valeur a/a=1 est une mesure, c’est-à-dire si l’on peut considérer
le rapport de nombres égaux comme une mesure. Je pense que le rapport d’un nombre avec
lui-même est une définition de la Quantité et non une mesure, puisque l’Unité par elle-même
n’est pas une mesure, à moins qu’elle ne soit mise en rapport avec le nombre Deux. C’est le
rapport i : a/a qui serait mesure et non a/a = i.
[←487]
La brasse est la distance entre l’extrémité des deux mains quand les bras sont tendus
horizontalement en prolongement de la clavicule. La brasse, encore utilisée de nos jours dans
la marine, est la millième partie d’un mille marin. Un mille marin vaut une minute d’arc. Cet
arc est une partie du cercle de méridien entourant la terre en passant par les Pôles. Or
l’aplatissement du Pôle Nord de la terre donne à ce méridien une modification de sa courbure,
et par suite, de son rayon traceur. Ainsi la minute d’arc (donc le mille marin, donc la brasse)
varie suivant ce rayon, depuis l’Equateur jusqu’au Pôle. De nos jours, on a
conventionnellement admis le cercle correspondant à l’arc de la courbe à 450 de latitude Nord.
[←488]
On pourrait aussi appeler le disque : première surface, délimitée par une ligne unique dont
chaque moment peut être considéré commencement ou fin ; la grandeur de la circonférence est
dite « irrationnelle ». Avec le triangle nous avons affaire à la première surface rationnelle, qui
présente une forme résultant d’une proportion.
[←489]
Pour la commodité du raisonnement nous adoptons le triangle rectangle, parce que le
triangle obtus, jusqu’à 18o°moins une quantité infiniment petite, ne représente que le
dédoublement du triangle rectangle.
[←490]
Thème développé par R.A. Schwaller de Lubicz dans Symbole et Symbolique.
[←491]
LEXA, La Magie dans l’Égypte Antique, Geuthner, Paris.
[←492]
Les 14 kaou de Râ, etc.
[←493]
Ce qui signifie pas autre chose que « officiellement ignorées »
[←494]
Voir dans ce Commentaire le § 1.
[←495]
On entend par Hindouisme (ou Védisme, ou Brahmanisme), la Connaissance traditionnelle
basée sur le Véda, avec les diverses sciences qui en dépendent. Le Bouddha – qui n’était pas
un Brahmin – a modifié plusieurs principes du Brahmanisme, tel que celui des castes, pour
offrir à tous les hommes le chemin de la Délivrance.
[←496]
Porteur d’un sistre.
[←497]
Horus qui unit les Deux-Terres.
[←498]
Pour l’interprétation égyptologique moderne de la théologie égyptienne, voir ce
Commentaire, § 3.
[←499]
Voir Her-Bak « Pois Chiche », Appendice V, § 1.
[←500]
Voir le Commentaire IV, § 4.
[←501]
On pourrait dire l’enjeu… mais effectivement les Égyptiens ne dissocient pas l’effet de son
mouvement causal, et rappellent à toute occasion l’action de ce mouvement causal comme
étant la réalité dans les effets apparents.
[←502]
Voir le Commentaire VI, § 5.
[←503]
Il ne faut pas confondre Neter et totem. Voir, à ce sujet, Totem et Neter, dans ce
Commentaire, § 2.
[←504]
C’est ce que signifie la ligature qui enserre le hiéroglyphe Neter (voir N° 40) : la Fonction
cosmique principielle est « ligotée » par sa matérialisation ; ainsi le Neter est esclave de son
propre déterminisme.
[←505]
Voir le Commentaire VI, § 1.
[←506]
Cf. Index : Maât, et Her-Bak « Pois Chiche », Appendice V, § 5.
[←507]
Voir Her-Bak « Pois Chiche », Appendice II, § 3.
[←508]
Voir Her-Bak « Pois Chiche », Appendice I, § 5 : Hiérakonpolis.
[←509]
Comme Adam, cherchant son « semblable », provoque sa dualisation.
[←510]
Soutekh, nom de Seth.
[←511]
Voir Sechat, fig. 31.
[←512]
Ce fait est caractérisé par la construction des grandes portes des enceintes, où se trouvent
résumés les principes de chaque temple.
[←513]
Si, dans la suite des temps, certaines versions particulières portèrent le nombre des
morceaux à 16 ou même davantage, le mythe originel de 14 resta toujours inchangé.
[←514]
40 jours de J. -C. au désert pour sa tentation. Trois périodes de 40 jours où les Hébreux
errent dans le désert.
[←515]
Locution égyptienne textuelle.
[←516]
L’image de la balance est couramment employée dans les figurations de la psychostasie,
qui est la scène du « jugement ». Voir Pl. VIII.
[←517]
Ce n’est pas une idée égyptienne que nous exprimons par cristal et cellule, mais une image
employée par nous pour expliquer deux formes de l’enseignement égyptien.
[←518]
Voir Apet, N° 4, Pl. V.
[←519]
Voir Sefekht (Sechat), N° 27, Pl. VI.
[←520]
La même déesse porte parfois le nom de Sefekht et parfois le nom de Seehat.
[←521]
Voir fig. 31.
[←522]
Voir signe 44, Pl. I.
[←523]
Cf. R.A. SCHWALLER DE LUBICZ, Le Temple dans l’Homme.
[←524]
Voir chap. IX.
[←525]
Voir chap. XIII.
[←526]
Voir signe 129, Pl. III.
[←527]
Voir R.A. SCHWALLER de LUBICZ, Le Temple dans l’Homme, p. 12-13.
[←528]
Voir chap. XV.
[←529]
Voir Commentaire, § 8.
[←530]
Voir Commentaire III, § 13.
[←531]
Voir signe 145, Pl. IV.
[←532]
. On exprime aussi par chitta, la « Substance mentale » universelle.
[←533]
Le nom du taureau est KA.
[←534]
Voir la fig. 29.
[←535]
Voir ce Commentaire, § 10.
[←536]
Voir ce Commentaire, § 10.
[←537]
Voir lettre dj, Pl. IV.
[←538]
. Voir R.A. SCHWALLER DE LUBICZ, Le Temple de l’Homme, p. 31.
[←539]
Voir Voir R.A. SCHWALLER DE LUBICZ, Le Temple de l’Homme.
[←540]
Voir signe 9, Pl. I.
[←541]
Voir Commentaire II, § I.
[←542]
Chemin des longues purifications par les épreuves réitérées de l’existence terrestre.
[←543]
Voir le chap. XVI.
[←544]
Voir le fig. 21.
[←545]
Voir ce Commentaire, § 15.
[←546]
Tombe n° 55.
[←547]
Tombe n° 192.
[←548]
Tombe n° 93.
[←549]
Tombe n° 81.
[←550]
Tombe n° 57.
[←551]
Tombe nº 96.
[←552]
Voir l’image de nefer, Chap. IV
[←553]
. Textes de VAm-Douat dans les tombes des Thoutmès et des Aménophis. Plafonds
astronomiques de Seti Ier et des Ramsès.
[←554]
Montou-m-hat, règne de Taharqa, tombe n° 34. Pediamenopet, époque Saîte, tombe n° 33.
[←555]
Voir le monstre âmm. t. chap. XVI

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