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Cahiers de civilisation médiévale

Le symbolisme des nombres à l'époque romane


Guy Beaujouan

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Beaujouan Guy. Le symbolisme des nombres à l'époque romane. In: Cahiers de civilisation médiévale, 4e année (n°14), Avril-
juin 1961. pp. 159-169;

http://www.persee.fr/doc/ccmed_0007-9731_1961_num_4_14_1186

Document généré le 07/12/2017


Guy BEAUJOUAN

Le symbolisme des nombres


à l'époque romane1

I/arithmétique de Boèce et son influence


lorsqu'il apparaît dans le catalogue d'une bibliothèque médiévale ou sous la plume d'un auteur
des XIe et xne siècles, le mot « arithmétique » ne désigne pour ainsi dire jamais l'art de Y « abaque »
ou de 1' « algorisme », c'est-à-dire la technique du calcul : il se réfère seulement à la science des
nombres telle qu'elle est enseignée par le De institutione arithmetica de Boèce2.
I*es nombres y sont d'abord répartis en « pairs » et « impairs ». I^es pairs peuvent être « pairement
pairs » (2P), « pairement impairs » (2W+1) 2 ou « impairement pairs » (2w+i) 2P. I^es impairs à
leur tour sont « premiers » ou « composés ». D'après leur composition, les nombres sont parfaits s'ils
sont égaux à la somme de leurs parties aliquotes, surabondants (superflui) s'ils lui sont supérieurs,
déficients (diminuti) s'ils lui sont inférieurs. 28 est parfait car égal à 1+2+4+7+ 14.
Considérées maintenant dans leurs relations réciproques, deux quantités peuvent être égales ou
inégales. Il y a cinq espèces d'inégalités :
— le multiple ;
— le « superparticulier » ——— , par exemple le sesquialter — ou le sesquitertius — ;
a
— le « superpartient » a-\-m , quand m>i ;
a
— le « multiple superparticulier » na-\-i
a
na-\-m
— le multiple « superpartient »
a
L,es nombres peuvent aussi être envisagés en fonction des figures géométriques

10 est triangulaire, 9 carré, 12 rectangulaire, 10 pyramidal, etc.

1. Conférence présentée à Poitiers, le 16 juillet i960, au Centre d'études supérieures de Civilisation médiévale. Je tiens à remercier
tout particulièrement de sa bienveillante gentillesse M. André Vernet, professeur à l'École des Chartes : le présent exposé doit beaucoup
à ses suggestions et à ses notes.
2. Ed. G. Friedlein, I<eipzig, 1867, et P.I,., I^XIII, 1079-1168.

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GUY BEAUJOUAN

On appelle « circulaire » ou « sphérique » un nombre qui, multiplié indéfiniment par lui-même, se


termine toujours de la même manière, tels sont le 5 et le 6.
Iy'ouvrage de Boèce s'achemine vers le bouquet final avec l'étude de la proportionnalité qui peut
/ Q Q A\
être arithmétique, géométrique ou harmonique ( — = ] . I^e cube obéit à cette dernière puisqu'il
\ a b—a)
a 6 faces, 8 angles et 12 arêtes et que —
To
0 =—
12
8— — 08-. Je parlais du bouquet qui clôture ce feu d'artifice
d'ingéniosité : il est constitué par la maxima perfectaque harmonia dont les trois intervalles réalisent
simultanément une proportionnalité arithmétique, géométrique et harmonique. Dans la suite 6, 8,
9, 12, par exemple, 6— 9 —12 est arithmétique de raison 3 ; 6 - 8 - 12 est harmonique, car —
6 =-^8—
— 6-p ',
12 = —
8 . Cette harmonie parfaite
l'ensemble constitue enfin une proportion géométrique, car —
9 6
comprend les intervalles musicaux fondamentaux :
« diapason » (double) : 6/12
« diapente » {sesquialter) : 9/6
« diatesseron » {sesquitertius) : — ou —
6 9
« ton simple » : 9/8.

Ces considérations ne sont pas dépourvues d'une certaine poésie, elles montrent bien le sens profond
d'un livre qui recherche, dans la simplicité, des concepts mathématiques selon lesquels a été créé
l'Univers, la vraie beauté et l'essence même de la réalité 3.
Influencés qu'ils étaient par Macrobe, Chalcidius et Martianus Capella, les commentateurs
médiévaux de l'arithmétique n'en trahissent pas l'esprit lorsqu'ils s'adonnent aux divagations du
néo-platonisme 4.
Ivimité à la terre et au feu qui l'éclairé, le monde eût manqué d'harmonie : une proportionnalité
d'ordre géométrique devait donc s'introduire entre ces deux éléments extrêmes : elle ne peut être
du type a2— ab — ô2 puisque le monde a trois dimensions, de là la nécessité des quatre éléments dont
l'enchaînement peut être comparé à celui des nombres 8, 12, 18, 27 6.
De même, les sphères sur lesquelles sont piqués les astres et dont le centre est la terre avaient, au
dire des Pythagoriciens, des rayons proportionnels à 1, 2, 3, 4, 9, 8, 27 (c'est-à-dire 1, 2, 3, 22,
32, 23, 33), la distance de la terre à la lune étant prise comme unité. Il existe entre ces nombres des
proportions simples (double, sesquialter, sesquitertius) génératrices des intervalles musicaux
fondamentaux (« diapason », « diapente », « diatesseron », ton simple). I^e mouvement des sphères produit

3. Sur les antécédents grecs de l'arithmologie professée par Nicomaque de Gérasa et Boèce, P. H. Michel, De Pythagore à Euclide,
Paris, 1950. — Je ne puis aborder ici le problème du symbolisme des nombres chez les gnostiques et les manichéens. Solides éléments
dans F. Sagnard, La gnose valentinienne et le témoignage de saint Irénée, Paris, 1947, en. x, p. 358-386, l'arithmologie de Marc le Mage ;
I,. Troje, Die Dreizehn und die Zwôlf im Traktat Pelliot..., ein Beitrag zu den Grundlagen des Manicheismus, I^eipzig, 1925. — Sur
l'importance des nombres 3 et 4 à l'époque mérovingienne : É. Salin, La civilisation mérovingienne, t. IV : Les croyances, Paris, 1959, p. 119-
121.
4. Sur les gloses de l'arithmétique de Boèce (celles de la Bibl. Nat. de Paris en particulier), voir G. Schepss, Zu den mathematisch-
musikalischen Werken des Boethius, dans « Abhandl. aus d. Geb. d. klass. Altertum-Wissensch. », 1891, p. 107-113 ; Gesckichtlisches aus
Boethius Handschriften dans « Neues Archiv », t. XI, 1885, p. 123-140.
5. P. Duhem, Le système du monde, t. I, p. 28-32. Voir Paris, B. N., lat. 7184, fol. 92 ; lat. 7359, fol. 1.

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I,E SYMBOLISME DES NOMBRES A i/ÉPOQUE ROMANE

donc une ineffable symphonie, que nous ne percevons pas parce que nous y sommes habitués ou
parce qu'elle est trop puissante pour la faiblesse de notre ouïe6.
Gloses étymologiques à la manière d'Isidore, commentaires philosophiques inspirés de Macrobe,
de Chalcidius et de Martianus Capella, là ne se limitent pas les réflexions qu'inspire, au début du
moyen âge, l'étude de l'arithmétique spéculative.
Est-il exact que toutes les espèces d'inégalités (multiples et sous-multiples, superpartients,
superparticuliers, multiples superpartients et multiples superparticuliers) procèdent de l'égalité ? Étant
donné l'une quelconque d'entre elles, peut-on toujours trouver la voie qui la ramène à l'unité ?
Ces questions, à nos yeux assez saugrenues, constituent peut-être le problème central que pose et
prétend résoudre le livre de Boèce. Son importance philosophique est grande, car si l'inégalité
procède de l'égalité, le péché au contraire ne vient pas de Dieu 7.
Les commentaires sont donc nombreux sur le dernier chapitre du livre I et le début du livre II :
rappelons ceux de Gerbert8, Abbon de Fleury fl, Notger le Bègue10, Bernard d'Hildesheim u...
Le ms. latin 14064 de la Bibliothèque Nationale renferme, au fol. 37, une importante scolie de ce
passage transcrite en notes tironiennes. Le ms. 498 de Chartres contenait également, au fol. 144,
une Explicatio cuiusdam dicti Boetii circa finem primi capituli secundi libri arithmeiice.

II
Les données numériques des saintes Écritures
Inséparable de la cosmologie néo-platonicienne, l'arithmétique spéculative va trouver, avec l'essor
du christianisme, un nouveau terrain d'application u.
Déjà saint Augustin avait admis que les spéculations sur les nombres ne sont pas inutiles pour
comprendre certains passages obscurs des saintes Écritures, car ce n'est pas sans raison qu'il est
dit à la louange de Dieu dans la Sagesse (XI, 21) : omnia in mensura et numéro et pondère disposuisti.
Sept siècles plus tard, Abélard ira beaucoup plus loin lorsqu'il affirmera, en dépit de son nomina-
lisme, que parmi les sciences du quadrivium les deux plus indispensables au théologien sont la
dialectique et l'arithmétique.
Ceci n'empêche pas que le symbolisme des nombres reste un domaine étranger aux médiévistes.
Le travail classique de Hopper utilise essentiellement les textes publiés dans la Patrologie, sans
savoir que le plus important (celui d'Isidore) est apocryphe, sans soupçonner surtout que les
traités fondamentaux du xne siècle sont encore inédits. Cette ignorance se retrouve dans plusieurs
études récentes sur le symbolisme roman u. Il n'y a pas lieu de s'en étonner car, comme l'a judicieu-

6. Paris, B. N., lat. 7359, fol. 84 (belle figure du xme siècle d'après un modèle plus ancien). — F. Eyssenhardt, Macrobii commen-
tarium in Somnium Scipionis, Iydpzig, 1868 ou 1893, p. 112 ; Duhem, op. cit., t. II, p. 10.
7. Schepss, Zu den mathematisch-tnusikalischen Werken des Boethius (supra, n. 4), p. ni.
8. N. Bubnov, Gerberti opéra mathetnatica, Berlin, 1899, p. 32-35 ; H. Silvestre, Une copie de la scolie de Gerbert à l'Arithmétique
de Boèce II, 1, dans « Scriptorium », t. III, 1949, p. 133-134.
9. Bubnov, p. 299 : c'est, en réalité, un extrait du commentaire sur le Calculas de Victorius d'Aquitaine, cf. A. Van de Vyver,
Les œuvres inédites d' Abbon de Fleury, dans « Revue bénédictine », t. XI/VII, 1935, p. 138.
10. Bubnov, p. 297.
11. H. Duker, Historisch-kritische Untersuchung ûber den « Liber mathematicalis des heil. Bernard », Hildesheim, 1875 ; F.-J. Tich,
Saint Bernard of Hildesheim, Notre-Dame, 1942.
12. V.-F. Hopper, Médiéval Number Symbolism: Its Sources, Meaning and Influence on Thought and Expression, New York, 1938.
13. E. R. Curtius, La littérature européenne et le moyen âge latin, Paris, 1956, spécialement p. 607-623 ; M. M. Davy, Essai sur la
symbolique romane (XII* siècle), Paris, 1955 ; E. W. Bulatkin, The Arithmetical Structure of the Old French « Vie de Saint Alexis »,
dans « Public. Modem I<ang. Assoc. America », t. I,XXIV, 1959, p. 495-502.

IÔI
GUY BEAUJOUAN

sèment souligné le r. p. Chenu, les théologiens font peu volontiers l'histoire des parties entièrement
caduques de leur discipline 14. C'est ainsi que l'abondante littérature des allegoriae et des distinctiones
est à peine connue. Ai-je besoin de dire que les mathématiciens sont encore bien plus imperméables
que les théologiens à de telles préoccupations ?
Notre point de vue n'en sera pas moins ici celui de l'histoire des sciences. Nous ne chercherons
pas à voir comment on a utilisé l'arithmétique pour commenter la Bible, mais au contraire comment,
des innombrables précisions numériques données par l'Écriture, on a cru pouvoir induire une
arithmologie nouvelle, plus à même d'élever notre âme vers Dieu que celle de Boèce.
I^es matériaux sont rassemblés dès le haut moyen âge dans le Liber numerorum qui in sanctis
scrifituris occurrunt, attribué à Isidore de Séville 15. Raban Maur se place au cœur même du problème
lorsqu'il soutient que la perfection du nombre 6 ne lui vient pas de ce que Dieu créa l'Univers
en six jours ; c'est, au contraire, parce que 6 est, en soi, parfait que Dieu créa l'Univers en six
jours ; s'il l'avait créé autrement, six n'en serait pas moins parfait 16.
Hugues de Saint- Victor fait passer cette idée du domaine de la théologie à celui des mathématiques.
Il distingue, en effet, neuf manières d'interpréter la valeur mystique des nombres rencontrés dans
l'Écriture17 :
i° selon leur ordre (secundum ordinem positionis) : 2 représente le péché parce que c'est une déviation
de l'unité ;
2° selon leur composition {secundum qualitatem compositionis) : 2, parce qu'il est divisible, représente
les choses transitoires et corruptibles, tandis que 3, du fait qu'il est impair, symbolise les réalités
indissolubles et incorruptibles ;
3° selon leur extension (secundum modum porrectionis) :
[7 > 6 évoque le repos après le travail ;
8 > 7 — l'éternité après la vie d'ici-bas ;
9 < 10 — le manque de perfection ;
11 > 10 — la démesure] ;
40 selon leur forme géométrique (secundum formam dispositionis) : 10 est linéaire et signifie la
rectitude de la foi, 100 est carré et représente la largesse de la charité, 1.000 est cubique et possède
l'élévation de l'espérance ;
5° selon la manière de compter (secundum computationem) : 10 est parfait puisque le système de
numération est à base décimale ;
6° selon la multiplication (secundum multiplicationem) : 12 représente l'universalité parce qu'il
est le produit de 4, symbole de la matière (les quatre éléments), par 3, symbole de l'esprit (la
Trinité) ;
70 selon l'addition de leurs parties aliquotes (secundum partium aggregationem) , c'est la théorie
des nombres parfaits selon Boèce ;

14. M.-D. Chenu, Théologie symbolique et exégèse scolastique aux XIIe et XIIIe siècles, dans « Mélanges J. De Gheixinck », t. II,
1951, p. 509-526.
15. P.Iy., IyXXXIII, 179-200 ; Cl. I,eonari>i, Intorno al « Liber de numeris » ai Isidoro ai Siviglia, dans « Archivio Muratoriano »,
t. lyXVIII, 1956, p. 203-233. — Sur le remaniement irlandais de ce texte, vers 775, cf. R.-E. McNaixy, Der irische « Liber de numeris » :
eine Quellenanalyse der pseudo-isidorischen « Liber de numeris », Munich, 1957.
16. Raban Maur, De clericorum institutione, III, 22 (P.I*., CVII, 399).
17. Hugues de Saint-Victor, Prenotationes elucidatorie de scripturis et scrvptoribus sacris, I, 15 (P.I,., CI^XXV, 22) ; cf. Hopper,
op. cit., p. 100-103.

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I,E SYMBOLISME DES NOMBRES A i/ÉPOQUE ROMANE

8° selon ce qu'ils représentent (secundum multitudinem) : 3 désigne la Trinité, 4 les choses


temporelles à cause des quatre éléments, des quatre saisons, des quatre parties du monde, etc. ;
90 selon l'accumulation {secundum exaggerationem) : c'est l'emploi d'un nombre quelconque.

III
Eudes de Morimond
Hopper a eu raison d'insister sur le fait que Hugues de Saint- Victor applique au symbolisme des
nombres une méthode systématique et presque scientifique. Il en a cependant exagéré l'importance
et le caractère exceptionnel, faute de connaître les recherches encore plus poussées poursuivies,
à peu près à la même époque, dans l'ordre de Cîteaux.
Le corpus auquel nous nous référons a pourtant été signalé, il y a plus d'un siècle et demi, par
Daunou dans les tomes XII et XIV de l'Histoire littéraire de la France 18. Il comprend, entre autres
choses, les Analytica numerorum d'Eudes de Morimond, le De sacramentis numerorum a ternario
usque ad duodenarium de Guillaume d'Auberive, et le De sacramentis numerorum de XIII ad XX de
Geoffroy de Haute-Combe. Dans sa thèse, à tort bien oubliée 19, Charles Jourdain a brièvement
analysé ces textes, mais, prenant G. de Alba Ripa et G. de Alta Cumba pour un seul personnage,
il a cru que l'ensemble du corpus émanait d'un même auteur.
La personnalité même d'Eudes ou, si l'on préfère, Odon de Morimond (t 1161) nous est fort mal
connue 20. Pourtant, avant d'aborder la troisième clausula de son premier traité, il nous livre ses
impressions personnelles sur le début de la deuxième croisade : il écrivait donc en 1147 ou 1148
et il avait alors, semble-t-il, 31 ans : Super lustra duo triennio jam sub hàbitu monastice conversationis
exacto, cum ante habitum bis fere ter ternos volverem annos, suspiro sine quiète otium et quietem 21.
Il compléta ultérieurement son œuvre consacrée à l'unité et à la dualité par un Tractatus de analeticis
ternarii dont il rédigeait la quatrième distinction au moment même ou mourut saint Bernard,
le 20 août 1153.
Étant consacrée aux nombres 1, 2 et 3, l'œuvre d'Eudes de Morimond se prête, évidemment,
assez peu à des considérations mathématiques supérieures : elle n'en prétend pas moins à
l'originalité, et ceci avec quelque raison. L'introduction méthodologique qui en constitue la première
partie comporte, en effet, plusieurs éléments importants étrangers, on va le voir, à Hugues de
Saint-Victor et partant ni même mentionnés dans l'ouvrage de V. F. Hopper. Eudes de Morimond
insiste en effet tout particulièrement sur la signification symbolique des figures par lesquelles
sont représentés les nombres. Il ne fait pourtant pas la moindre allusion aux chiffres
arabes (fût-ce sous la forme des apices de Gerbert) et les effets qu'il tire de l'alphabet numéral grec
(a=i. — p=2. — Y=3, etc.) sont peu originaux22. Plus curieux, déjà, apparaît, dans un domaine
tout voisin, le recours aux chiffres romains. Non modo enim iste sex littere C, D, L, V, I, X numeris
notandis institute sunt quamvis jam fere sole ponantur™.

18. « Hist. litt. France », t. XII, p. 612-613 ; t. XIV, p. 200-205, 449-450.


19. Ch. Jourdain, Dissertation sur l'état de la philosophie naturelle en Occident et principalement en France pendant la première moitié
du XIIe siècle, Paris, 1838, p. 92-100.
20. G. Hueffer, Vorstudien zu einer Darstellung des Lebens und Wirkens des heiligen Bernard von Clairvaux, Munster, 1886, p. 13-
26 ; M. Bernards, Zu den Predigten Odos von Morimond, t 1161, dans « Citeaux in de Nederl. », IV, 1953, p. 101-123, donnant une
bonne liste des manuscrits même pour les traités arithmologiques.
21. Texte cité d'après B.N., lat. 3352*.
22. Sur cette question, la meilleure étude reste peut-être encore : F. Dornseiff, Das Alphabet in Mystik und Magie, 2e éd., Berlin,
1925-
23. B.N., lat. 3352*, fol. 12 v°.

I63
Guy beaujouan

mtier peut être mis à contribution :


A =900 G= 400 N= 90 T= 160
B=3oo H= 200 0= 40 v== 5
C=ioo T 1 p==3oo ■yr 10
D=5oo TT 100 Q=5oo Y= 150
E=25o L= 50 R== 80 Z=i .000
F= AO M=i .000 S =170

On notera, au passage, quelques variantes par rapport aux équivalences communément admises 24
A= 900 au lieu de 500
100 — 151
0= 40 — 11
p= 300 — 400
s= 170 — 70
Z=i ,ooo — 2.000
Une bonne interprétation mystique des données de l'Écriture sainte ne saurait, non plus, se
concevoir sans tirer parti des expressives figurations du comput manuel. Rappelez-vous la parabole
du semeur (Matt., XIII, 8) : « Une autre partie tomba dans la bonne terre, elle donna du fruit un
grain cent, un autre soixante, un autre trente. » Dans son libelle contre Jovinien, saint Jérôme
explique pourquoi 100, 60 et 30 symbolisent respectivement les vierges, les veuves et les épouses 25.
C'est que, pour représenter 30, les extrémités du pouce et de l'index s'embrassent doucement :
Ipsa digitorutn conjunctio quasi molli se complexans osculo et foederans maritum pingit et conjugem.
Pour 60, le pouce est incliné et comme soumis à l'index qui l'entoure, c'est l'image de la veuve dont,
désormais, la continence réprime le souvenir des voluptés de naguère. Pour certains commentateurs
du moyen âge x, c'est aussi, plus simplement, la figuration de la veuve romaine, le front courbé
sous son voile 27. En ce qui concerne la virginité, ce n'est déjà plus l'existence terrestre, mais la
vie céleste ; ce que traduit le calcul digital, puisque les unités et les dizaines se représentent de la
main gauche et les centaines de la main droite : la position même des doigts complète l'allégorie en
formant une sorte de couronne virginale.
L'exemple et l'autorité de saint Jérôme ouvrent ainsi la porte aux spéculations les plus audacieuses.
L'auriculaire symbolise la foi et la bonne volonté (il prépare nos oreilles à entendre) w ; l'annulaire
(medicus) la pénitence qui est le remède à nos péchés ; le médius la charité, l'index la raison
démonstrative et le pouce la divinité. Cette succession même a une signification profonde. L'extension
des doigts marque la persévérance, leur érection la foi, leur inclinaison vers le bas l'humilité.
Inutile de dire que lorsque, pour représenter les nombres au-delà de 10.000, la main se porte sur
le cou, la poitrine, le nombril ou la cuisse, ces gestes revêtent un caractère symbolique.

24. Ces variantes ne semblent pas le fait des copistes : elles se retrouvent, pour la plupart, dans les manuscrits du haut moyen âge,
cf. P. I^ejay, Alphabets numériques latins, dans « Rev. philol., littérat. et hist. anciennes », n. s., t. XXII, 1898, p. 146-162, surtout le
tableau comparatif p. 151-153.
25. P.I,., XXIII, 213. Albert le Grand donnera de la parabole du semeur une autre interprétation arithmologique. 100 représente
le produit par les 10 commandements des 5 sens intérieurs ajoutés aux 5 sens extérieurs. 60, les 6 efforts de la grâce obéissant aux
10 commandements. 30, les 3 biens conjugaux (institutio, practica, fructus) par ces 10 mêmes commandements (Expositio Matthei XIII,
8, citée d'après Hopper, op. cit., p. 104).
26. Curieux texte anonyme du xne siècle dans B.N., lat. 17875, fol. 226 v°-229 v° ; voir aussi Brit. Mus., Royal 15 B IX, fol. 73-75.
27. B.N., lat. 17875, fol. 227 : « Sic curvatus pollex et indice precinctus figurât I,X. Que figura numeri bene coaptatur viduitati.
Consuetudo namque fuerat apud Romanos viduas ante frontem vel faciem semper portare velamen quod erat signum viduitatis et
humiliationis. Quod significatur per pollicem incurvatum et indicem ante frontem pollids. »
28. B.N. lat. 3352*, fol. 21 : « Auricularis tam fidei quam intentionis recipit sacramentum quia uti ille préparât auditum, sic fides
réparât intellectum, sic intentio munda mundat obedientie bonum. »

164
SYMBOLISME DES NOMBRES A i/ÉPOQUE ROMANE

L'enthousiasme délirant d'Eudes se manifeste tout au long d'une œuvre qu'il n'est pas possible ici
d'analyser longuement. Mais le rappel à l'ordre ne dut pas se faire longtemps attendre si l'on en
juge par le défi que l'auteur lance à ses détracteurs, et nommément à Pierre, archidiacre et doyen
de Besançon 29. Il se défend d'abord comme un beau diable : Non sum locutus Deum esse numerum.
Il sait ce qu'il a écrit et il n'en démord pas :
Tractatus ille apud Bellam Vallem habetur et eum habere potes cum libuerit et cum
licuerit légère. Scio et certus sum quid scripserim ego. Asserui numerum et sapientiam
et verbum esse unum. Quod scripsi, scripsi. Nec me penitet armatum multa ratione qua
id probare sufficiam. Qui est adversarius meus, accédât et tune loquatur : stemus et
appropiemus simul.
Eudes n'ignore pas le reproche fait à Hugues de Saint- Victor :
Me siquidem présente, dixisti in eo displicuisse tibi libros quos doctor per omnia clarissimus
Hugo descripsit quod ratione sola et non auctoritatibus utebatur.
Mais lui, Eudes, ne fait que parler comme saint Augustin et il obligera son contradicteur
à reconnaître que ce qui devait être dit l'a été, et que ce qui ne devait pas l'être ne l'a pas été.
On peut supposer cependant qu'Eudes amenda son traité et que l'édition parvenue jusqu'à nous
ne reproduit pas exactement la version originale : c'est du moins ce qu'incite à penser la note
suivante, insérée dans plusieurs manuscrits :
Scire volo tractatum hune in alio volumine usque ad harmoniam dualitatis scriptum a
me et fidei accomodatum et perditum et hoc habentem principium « Ascendit in animum... »
Quem qui invenerit secundum hune curet illum corrigere et non erit scisma sed liber
unus et veritas una 80.
Eudes de Morimond s'était proposé d'appliquer ses théories à chacun des nombres de i à 10 :
Omnes numéros ab unitate ad denarium prosequimur. Mais son traité s'arrête au nombre 2,
et seul le nombre 3 fait l'objet d'un supplément rédigé, nous l'avons dit, quelque cinq ans
plus tard.

IV
Guillaume d'Auberive et Geoffroy d'Auxerre
La véritable continuation des Analytica numerorum est donc constituée par le De sacramentis
numerorum a ternario usque ad duodenarium, œuvre d'un autre cistercien, Guillaume, abbé
d'Auberive (de 1165 jusqu'à sa mort survenue avant 1180) 31. Faute de dater exactement la
composition de ce traité, on peut lui assigner un terminus ad quem, puisqu'il a été, à son tour,
complété entre 1165 et 1170 (pour les nombres 13 à 20) par un troisième cistercien, Geoffroy,
abbé de Haute-Combe.
Plus communément appelé Geoffroy d'Auxerre32, ce dernier personnage est bien connu comme
abbé de Clairvaux : S. Lenssen33 a récemment étudié les intrigues politiques qui l'obligèrent à

29. B. N., lat. 3352e ; cf. la notice de Noyon dans « Rev. des biblioth. », t. XXIII, 1913, p. 399. — I<a lettre à Pierre de Besançon se
trouve aussi dans un ms. de Cambridge (Trinity Collège 391).
30. B.N., lat. 3352e, fol. 83 v°.
31. J. I^eclercq, L'arithmétique de Guillaume d'Auberive (neuvième étude de la première série des Analecta monastica de cet auteur),
dans « Studia Anselmiana », t. XX, 1948, p. 181-204.
32. I,eclercq, Les écrits de Geoffroy d'Auxerre, dans * Revue bénédictine », t. I^XII, 1952, p. 274-291 ; A.-H. Bredero, Un brouillon
du XIIe siècle: l'autographe de Geoffroy d'Auxerre, dans « Scriptorium », t. XIII, 1959, p. 27-60.
33. S. I,enssen, L'abdication du bienheureux Geoffroy d'Auxerre comme abbé de Clairvaux, dans • Collect. ord. Cisterc. », t. XVII,
1955. P- 98-110.

165
GUY BEAUJOUAN

abdiquer en 1165. C'est sans doute à la faveur de cette oisiveté forcée qu'il composa son ouvrage.
Il devait l'avoir terminé en 1171 lorsqu'il devint abbé de Fossanova. C'est, du moins, ce qui semble
ressortir d'une lettre adressée par Guillaume d'Auberive à un certain maître A. de Besançon 34
Illud quoque, quia gratissimum credidi, dignationi vestre intimare curavi quod magnus
ille et inter primos temporum nostrorum quos novimus Scripturaram sanctarum discus-
sores, egregium Gaufredum loquor, nunc abbatem Fosse nove, ut prions operis corpus
augeret, manum dignanter apposuerit a duodenario qui finis huius ad vicenarium usque
tractando progrediens, augens non parvam precedentibus scientiam et doctrinam...
In quo nimirum non minus arte cautus quam humilitate devotus, cum instar preceden-
tium stilum contrahere studuerit ne manus elegantia ea quibus apponebatur e vicine
splendore consumeret, non tamen pro voto obtinuit ut non altior appareret, tanto in
sacramentorum discussione profundior, quanto meritis intelligentia subtilior ubi et de
perfectoram generatione sacramentoque seorsum sublimiter disserens, luce clariores
perfectionis distinxit gradus congruumque tractatus sui in perfectione finem constituit,
quem prioribus in unum corpus conexum non parvum mutue dilectionis pignus vobis
gratanter omnino pro sui dignitate suscipiendum legendum transmisi.
Cette lettre inédite constitue une introduction particulièrement autorisée aux deux opuscules
arithmologiques de Geoffroy d'Auxerre, le De sacramentis numerorum de XIII ad XX et le De
creatione perfectorum et sacramento. Elle en explique le ton réservé ou, si l'on veut, l'apparente
sécheresse ; elle devrait inciter aussi à examiner plus attentivement les commentaires inédits de
Geoffroy d'Auxerre sur le Cantique des cantiques et V Apocalypse.
Dom Jean Leclercq a parcouru les traités arithmologiques de Guillaume d'Auberive et de Geoffroy
d'Auxerre dans le ms. 60 de Luxembourg36. Les notices et extraits qu'il en a publiés en 1948
nous dispenseront de tenter ici une nouvelle analyse 36. Dom Leclercq n'a pas grande sympathie
pour les spéculations de ses devanciers sur le symbolisme des nombres : elles lui semblent une
sorte d'amusement ou, au mieux, un prétexte à des digressions dont les accents mystiques
constituent à ses yeux le seul véritable intérêt. Il traite à plus forte raison sans ménagements l'œuvre
la plus systématique, et, si j'ose dire, la plus scientifique de tout le corpus: celle de Thibaud de
Langres.

V
Thibaud de Langres
De ce Theobaldus Lingonensis nous ne savons rien. Dom Leclercq l'imagine comme un écolâtre
séculier, mais cette impression n'est corroborée par aucun document.
Dans le ms. 60 de Luxembourg et dans le ms. lat. 2583 de la Bibliothèque Nationale, le traité de
Thibaud fait suite à ceux de Geoffroy d'Auxerre : il est en revanche isolé dans le ms. lat. 14444
de cette même B. N. (manuscrit originaire, notons-le, de Saint- Victor). Il ne s'agit plus ici d'épilo-
guer sur le sens particulier de chaque nombre, mais de donner, comme Hugues de Saint- Victor,
les règles générales de ce symbolisme. Les quatuor modi quibus significationes numerorum aperiuntur
sont les suivants :
— secundum gêner ationem ;
— secundum se;
— secundum compositionem ;
— secundum habitudinem.

34. Troyes, Bibl. Mun., ms. 969, fol. 191 v°.


35. Nous les avons nous-même étudiés dans les mss. B.N., lat. 2583 et 301 1.
36. V. supra, n. 31.

166
I<E SYMBOLISME DES NOMBRES A i/ÉPOQUE ROMANE

A. — Secundum gênerationem, le nombre prend un sens de trois manières :


i° Per aggregationem.
a) \Jaggregatio continua; c'est ainsi que les quatre Évangiles correspondent au Décalogue, puisque
1+2+3+4=10. Pour l'Ascension on chante le 13e cantique des degrés : Mémento Domine David...
(psaume CXXXI) : cet usage trouve sa justification dans le développement de 13 par « agrégation
continue » :
1+2+3 ...+12+13=91
On reconnaît dans ce total les neuf chœurs de dix anges et le Christ qui, le jour de l'Ascension,
a repris sa place au-dessus d'eux.
b) \J aggregatio intercalaris, en d'autres termes la somme d'une progression de raison supérieure à 1,
peut être utilisée.
c) \J aggregatio drconcisa, c'est-à-dire la progression ne commençant pas à l'unité.
C'est ainsi que, pendant les sept jours que durait la fête du Tabernacle, les Juifs immolaient
successivement 13, 12, 11, 10, 9, 8 et 7 veaux parce que, lors de leur entrée en Egypte, les âmes
issues de Jacob étaient en tout 70.
2° Per fartitionem, les nombres prennent une valeur mystique selon qu'ils sont parfaits (perfecti),
surabondants (super flui) ou déficients (diminuti).
I^es nombres parfaits ramènent l'auteur sur le plan des mathématiques pures. Il connaît la règle
euclidienne selon laquelle de tels nombres se trouvent en faisant la somme des puissances de 2
(pairement pairs) disposées dans leur ordre naturel à partir de l'unité, et en multipliant le nombre
ainsi obtenu, s'il est premier, par sa plus grande moitié :
1+2+4=7 7x4=28
II insiste sur le fait qu'il n'y a aucun nombre parfait entre 10.000 et 100.000. Cette perfection
n'est pas la seule comme le dit Macrobe : on peut ainsi trouver aux nombres de grandes vertus
en examinant leur correspondance avec les figures géométriques.
I/auteur explique, comme Hugues de Saint- Victor, la supériorité de 3 sur 2 : il voit là l'origine de
l'habitude qu'a le peuple d'entreprendre plutôt le mardi (troisième férié) que le lundi (deuxième
férié) les choses importantes.
30 Per multiplicationem : cette méthode précédemment énoncée par Hugues de Saint- Victor est
illustrée de nombreux exemples.

B. — Secundum se, les nombres prennent une valeur aussi de trois manières :
i° Secundum signa : il n'est pas question des chiffres ; le calcul digital et la représentation des
nombres par les lettres grecques sont seuls envisagés.
a) L,e calcul digital dont les règles sont sommairement énoncées d'après Bède explique la valeur
mystique des nombres conformément aux principes préconisés par Eudes de Morimond :
a) secundum ordinem;
(3) secundum quantitatem : le médius exprime la foi parce qu'il est le troisième, et la charité parce
qu'il est le plus long ;
y) secundum officium : l'annulaire (medicus) figure la pénitence qui est le remède à nos péchés ;
l'auriculaire prépare nos oreilles à entendre ;

167
GUY BEAUJOUAN

8) secundum dignitatem, le pouce a la primauté ;


e) secundum positionem: Thibaud résume très brièvement les idées d'Eudes de Morimond, non
sans rappeler le texte fondamental de saint Jérôme.
b) I,es lettres grecques exprimant les nombres traduisent également leur valeur symbolique :
a) a forma : valant 300, le tau en forme de croix désigne ceux qui a principio mundi habituri erant
fidem Crucifixi comme par exemple les 300 combattants de Gédéon qui avaient lapé l'eau comme
des chiens (Jud., VII, 7) ;
p) a mysterio : la lettre pythagoricienne Y vaut 400, elle représente les deux routes ouvertes à la
vie humaine au terme de l'enfance, celle du vice et celle de la vertu ;
y) ab ordine; pensez à l'Apocalypse : Ego sum alpha et oméga.
2° Secundum officium sollempne. I,e nombre est chargé de signification selon qu'il apparaît, dans
les textes sacrés, avec son triple office (numerare, or dinare et formare).
30 Secundum proprietatem (virginité et stérilité du 7).

C. — Secundum compositionem.
a) I^es nombres se divisent selon Martianus Capella en mâles et femelles. 1& nombre pair est femelle
en raison de sa faiblesse, d'ailleurs 2 est consacré à Junon et le second jour de la création ne fut pas
un jour de bénédiction.
b) Selon leurs propriétés géométriques : pour être le premier cube 8 représente la solidité et
l'immortalité. De même Pythagore jurait par 4 parce que c'est le premier carré.

D. — Secundum habitudinem:
i° Y ordo : c'est à cause de l'infamie de 11 (transgression du Décalogue) que les apôtres substituèrent
Mathias à Judas ;
2° la proportio telle que la définit Boèce est également mise à contribution ; Thibaud explique
ainsi, après Martianus Capella, pourquoi 6 est attribué à Vénus qui est réputée l'harmonie majeure ;
30 Yaffinitas ne se définit pas avec la même rigueur : elle est simple lorsque deux nombres sont
sensiblement égaux. Il y a en outre :
— affinitas continentie « quando aliquis numerus intra alterius numeri duos extremos terminos
continetur » ;
— affinitas inherentie lorsque deux nombres s'attachent à un troisième : Vénus (6=7 — 1) est
l'épouse de Vulcain (8=7+1) ;
— affinitas denominationis lorsque les deux nombres considérés présentent des analogies quant
à la somme de leurs parties aliquotes ;
— affinitas obviationis lorsqu'ils en engendrent un troisième par des moyens différents ; il y a
affinité entre 10 et 2 parce que :

10 10 10 = 2x2x2;
,

2 5 10

168
SYMBOWSME DES NOMBRES A i/ÉPOQUE ROMANE

— affinitas compositionis lorsqu'ils sont composés des mêmes termes mais différemment, tels 7
et 12 :
7 = 4+ 3
12 = 4 X 3.
Ainsi Thibaud de I^angres reprend en l'amplifiant la méthode de l'abbé Hugues de Saint- Victor :
malgré la futilité de son objet, son traité peut être considéré comme une œuvre scientifique, tant
y est manifeste l'effort pour soumettre à des règles générales une multitude de faits particuliers.

* ♦
Si je n'étais dans l'obligation de me limiter, je tenterais de montrer encore comment les doctrines
des philosophes de Saint- Victor et des cisterciens du diocèse de Langres se retrouvent, au xme siècle,
dans le De mysteriatione numerorum de John Peckam37; j'analyserais notamment le passage où
le célèbre maître franciscain tente de justifier l'opinion de Richard de Saint- Victor, selon laquelle il
existe entre les trois personnes de la sainte Trinité une sorte de relation à la fois arithmétique,
géométrique et harmonique.
I^es textes sur le symbolisme des nombres sont donc beaucoup plus nombreux et beaucoup plus
explicites qu'on ne l'imagine généralement. l>ur contenu peut paraître, ou non, décevant : il a du
moins le mérite de constituer une introduction solide à d'éventuelles recherches sur l'emploi des
nombres dans la littérature et dans l'art.

37. Texte étudié d'après les mss. B. N., lat. 7366 et nouv. acq. lat. 625 : les cinq premiers chapitres ont été publies en
appendice par G. Melani, Tractatus de anima Johannis Peckham, Florence, 1948, p. 138-144.

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