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285 | Janvier-Juillet
Résistances territoriales dans les campagnes des Suds
Introduction
Mathilde Allain et Nasser Rebaï
p. 5-12
https://doi.org/10.4000/com.13595
Texte intégral
1 La première partie de ce dossier a rassemblé six contributions qui insistent sur la
dimension du temps long des processus de résistance dans les campagnes des Suds.
Composé de sept autres contributions, le second volume poursuit la réflexion en
s’intéressant aux pratiques mises en œuvre pour organiser les luttes territoriales, ainsi
qu’aux ressources et aux identités sur lesquelles s’appuient les différents collectifs étudiés.
Ce deuxième volet revient également sur les limites que rencontrent ces processus dans
des contextes sociopolitiques marqués par la contrainte, que celle-ci soit sociale,
☝🍪
économique ou politique.
2 Il est intéressant d’observer à quel point les textes réunis dans ce dossier prennent au
✓ Tout
sérieux accepter
les « arts de la résistance » – que ceux-ci soient explicitement formulés comme tels
ou non – et valorisent la diversité et l’hétérogénéité des pratiques. Les travaux identifient
une ✗pluralité d’acteurs, regroupant des organisations paysannes, des associations
Tout refuser
d’usagers de l’eau, des habitants ruraux, des notables, des organisations autochtones, des
« natifs » du territoire, des étrangers, etc. Ils mettent en exergue la manière avec laquelle
Personnaliser
ces acteurs organisent et conçoivent la « résistance », ce qui induit parfois une lutte sur le
plan juridique,
Politique une évolution stratégique des causes locales voire, paradoxalement, une
de confidentialité
collaboration avec les grandes entreprises.
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des cas africains. En effet, Baticle et Boutinot, dans leur texte sur le Cameroun, tout
comme Soma, dans son travail sur le Burkina Faso, insistent d’abord sur les
Ce transformations
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cookies et ruraux et leurs conséquences sur les populations. Cela est en
vous donne le contrôle sur d’outils théoriques et aux disciplines des auteurs, mais peut
partie dû à la disponibilité
également
ceux rendre
que vous compte des contraintes spécifiques des situations étudiées. L’expression
souhaitez
activer
d’une contestation peut être plus difficile pour des populations rurales en contexte
autoritaire, tout comme il est délicat d’y réaliser des enquêtes et d’observer ces résistances.
Cela ne doit pas occulter le fait que, depuis plusieurs années, des réflexions sur différents
pays africains sont venues nourrir le débat sur la structuration et la politisation de
mouvements paysans autour de la défense de ressources foncières ou de la promotion de
l’agroécologie (Pesche, 2009 ; Lavigne Delville et Saïah, 2015 ; Bottazzi et Boillat, 2021).
De même, alors que l’autoritarisme des dernières décennies au Maghreb a laissé peu de
place à l’analyse des dynamiques sociopolitiques dans les espaces ruraux, que le « déficit
de mobilisation des paysans maghrébins » (Bessaoud, 2016 : 132) a été signalé, le travail
de Benidir sur le Maroc contribue au renouvellement des analyses sur les campagnes au
sud de la Méditerranée et s’inscrit dans la continuité de publications récentes centrées sur
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l’étude des facteurs de mobilisation des agriculteurs et l’analyse des stratégies collectives
pour la défense des ressources et des territoires (Fautras, 2015 ; Gana, 2018).
8 Si ce numéro invite par conséquent à penser la circulation de modes d’action et de
concepts permettant de rendre compte d’une diversité de pratiques, il doit également être
souligné qu’il apporte davantage de nuances par rapport à une vision, parfois romantique,
de mondes ruraux « en lutte » contre le néolibéralisme. En mettant davantage l’accent sur
les résistances plutôt que sur les mouvements sociaux les plus visibles, nous avons reçu
des articles provenant de pays et de régions relativement moins étudiés pour l’activisme
environnemental en Amérique latine comme les zones minières du Brésil, le nord du Chili
ou la Colombie, trois pays qui ont connu des transformations profondes de leurs
économies agraires au cours des dernières décennies. Sur ces terrains, les auteurs mettent
d’ailleurs en exergue des mobilisations en situation de contrainte (poids des entreprises,
contraintes constitutionnelles, contextes de violence) qui pèsent durablement sur les
possibilités de mobilisation sociale. D’autres textes, comme ceux de Baticle et Boutinot sur
l’espace forestier au Cameroun, ou celui de Soma sur la périphérie de Bobo Dioulasso,
portent sur des luttes très localisées, qui se politisent difficilement. On le constate aussi à
travers les contributions de Nicolas-Artero sur le Chili, d’Erdi sur la Turquie, ou de
Garrault sur la Cisjordanie, ce qui rend compte des difficultés, pour les acteurs ruraux, de
globaliser ces résistances.
9 Il est par ailleurs important de signaler que les contributions qui entrent dans ce dossier
ont proposé des approches méthodologiques variées qui éclairent davantage sur les
processus de résistance territoriale dans les campagnes des Suds. Ainsi, les travaux de
Varnier, sur le Chili, ont reposé sur une analyse minutieuse de la photographie qui donne
la mesure de cette stratégie d’appropriation de l’espace si singulière mise en œuvre par les
populations mapuches. Pour Erdi, en Turquie, et Benidir, au Maroc, l’usage de l’image est
également central, et signale comment les populations locales se servent de supports
visuels pour faire exister leurs revendications au-delà du contexte local. Etienne-
Greenwood, en Argentine, fait reposer son étude sur une démarche compréhensive quand
Soma, au Burkina Faso, Lebeaupin-Salamon, au Brésil, et Nicolas-Artero au Chili,
proposent de confronter les points de vue des acteurs afin d’identifier les mécanismes – et
les blocages – des processus de résistance qu’ils étudient.
10 Enfin, la comparaison des différents cas d’étude présentés dans ce numéro permet de
dépasser les approches culturalistes de la résistance. Les auteurs discutent d’ailleurs la
place de l’ethnicité et mettent en exergue les stratégies de reconnaissance territoriale
menées au nom de l’identité par une pluralité d’acteurs locaux (communautés
autochtones, habitants « ancestraux », paysans, Afro-descendants, etc.). Par exemple, la
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lecture croisée des travaux de Baticle et Boutinot sur le Cameroun, de Laurent sur la
Colombie, et de Benbabaali sur l’Inde, permet de comprendre que les luttes territoriales se
Ce confondent
site utilise avec des luttesetpour la reconnaissance d’identités particulières permettant de
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préserver le contrôle
espaces desur
vie, de production agricole, de chasse, d’accès aux ressources et
ceux
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revenus. Revendications socioéconomiques et politiques se conjuguent ainsi
activer modalités. Les auteurs mettent également en avant les difficultés des
suivant différentes
acteurs sociaux à se construire dans des contextes où plusieurs processus d’assignations
identitaires ont été mis en œuvre au cours de l’histoire, que ce soit par des textes
constitutionnels, comme le montre les articles de Bertoli sur la Colombie, par la
délimitation de frontières héritées de la colonisation, à l’instar de ce que décrivent Baticle
et Boutinot sur le Cameroun et Garrault sur la Cisjordanie, ou par le pouvoir politique ou
des groupes sociaux dominants. Dans tous les cas les auteurs soulignent les limites des
politiques de reconnaissance du multiculturalisme pour la protection effective des
territoires et des identités des habitants ruraux. Souvent, ces derniers sont poussés à
« jouer » avec les identités attribuées tout en valorisant la pluralité des sentiments
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sociohistorique des formes de domination qui se superposent sur ces espaces et ces
populations. Dominations coloniales, néocoloniales, volonté des États de fixer les
Ce populations,
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vous donne le contrôle sur les zones rurales. Les espaces étudiés ont connu différentes
commerciale, ont transformé
phases
ceux quedevous
« ruées vers l’or », vers les ressources, qu’elles soient énergétiques (mines,
souhaitez
pétroles, activer
etc.) ou agroindustrielles (agriculture intensive, exploitation du bois, etc.) depuis
les premières politiques agraires jusqu’aux nouvelles formes de gouvernementalité
environnementale (voir le débat sur les aires protégées, la conservation et l’usage de ces
espaces par les habitants par exemple, très présent dans les cas camerounais et burkinabé
de ce numéro).
13 La deuxième invitation porte sur l’étude de la pluralité des acteurs de la domination et
les différentes formes d’appropriation privée et publique de l’espace. Les actions des États,
des institutions financières internationales, des entreprises nationales et étrangères ainsi
que des groupes sociaux dominants ont un impact, à différentes échelles, sur le quotidien
des populations rurales et contribuent à la transformation souvent très rapide de ces
espaces. L’ouverture des marchés agricoles et la globalisation des flux de matières
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premières entraînent par exemple une mise en concurrence accrue entre les campagnes
des Suds pour la production de biens alimentaires et de ressources. Il est donc intéressant
de comprendre l’enchâssement de ces différentes formes de domination ainsi que les
transformations des acteurs et des pratiques d’autorité sur les populations rurales.
14 Pour conclure nous avons également souhaité, avec ce numéro double, proposer une
autre vision des mondes ruraux des Suds dans la mondialisation et rappeler la légitimité
d’étudier ces espaces pour rendre compte des transformations plus profondes qui affectent
les sociétés contemporaines. La comparaison des articles et études de cas donne à voir des
campagnes qui ne défendent pas une vision passéiste ou archaïque des luttes agraires et
des résistances qui ne sont pas si facilement identifiables comme des luttes
environnementales. Ces résistances signalent cependant la grande vulnérabilité d’acteurs
qui subissent de plein fouet la course aux matières premières accentuée au cours des
dernières décennies, ou l’autoritarisme de certains États dans la mise en œuvre de projets
d’aménagement. Pour résister les habitants des campagnes utilisent différentes
ressources, se réapproprient leurs espaces, inventent de nouveaux modes d’action,
recherchent des alliés au sein des villes, réinvestissent différemment leur identité et
tentent de « faire avec » les différents contextes de contrainte et de marginalisation. Ainsi,
nous espérons que les contributions de ce dossier « hors norme » permettront une plus
grande prise de conscience des injustices et des inégalités vécues dans les campagnes des
pays des Suds.
Bibliographie
Bottazzi P., Boillat S., 2021. « Agroecological Farmer Movements and Advocacy Coalitions in
Sub-Saharan Africa : Between De-Politicization and Re-Politicization », in Räthzel N., Stevis D.,
Uzzell D. (eds), The Palgrave Handbook of Environmental Labour Studies, Cham, Palgrave
Macmillan, 415-44. DOI : https://doi.org/10.1007/978-3-030-71909-8_18
DOI : 10.1007/978-3-030-71909-8_18
Fautras M., 2015. « Injustices foncières, contestations et mobilisations collectives dans les espaces
ruraux de Sidi Bouzid (Tunisie) : aux racines de la « révolution » ? » Justice spatiale–Spatial justice,
n° 7. URL : http://www.jssj.org/article/injustices-foncieres-contestations-et-mobilisations-
collectives-dans-les-espaces-ruraux-de-sidi-bouzid-tunisie-aux-racines-de-la-revolution/
Gana A., 2018. « Protestations et action collective en milieu agricole et rural. Enjeux et paradoxes
du processus de changement politique en Tunisie », in Allal A., Geisser V. (dir.), Tunisie, une
démocratisation au-dessus de tout soupçon ?, Paris, CNRS, 57-72.
Lavigne Delville P., Saïah C., 2015. « Fonder sa légitimité par le plaidoyer : Synergie paysanne et
la lutte contre les accaparements fonciers au Bénin ». Revue Tiers-Monde, n° 224, 103-122. DOI :
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DOI : 10.3917/rtm.224.0103
Pesche D., 2009. « Constructions du mouvement paysan et élaboration des politiques agricoles en
Ce Afrique
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subsaharienne : Leetcas du Sénégal ». Politique africaine, n° 114, 139-155. DOI :
vous donne le contrôle sur
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ceux
DOI :que vous souhaitez
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Référence électronique
Mathilde Allain et Nasser Rebaï, « Introduction », Les Cahiers d’Outre-Mer [En ligne], 285 | Janvier-
Juillet, mis en ligne le 01 juillet 2022, consulté le 09 mars 2023. URL :
http://journals.openedition.org/com/13595 ; DOI : https://doi.org/10.4000/com.13595
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Auteurs
Mathilde Allain
Maîtresse de Conférences en science politique. Université Sorbonne Nouvelle. Institut des Hautes
Études de l’Amérique Latine (IHEAL). Centre de recherche et de documentation sur les Amériques
(CREDA, UMR 7227).
“Descuidar las vidas precarias e insistir en las recetas técnicas de corte neoliberal” [Texte
intégral]
Entrevista a Francisco Sabatini acerca de la crisis social y sanitaria en Santiago de Chile
« Négliger la situation des vies précaires et insister sur des recettes techniques
d’inspiration néolibérale » [Texte intégral | traduction]
Entretiens avec Francisco Sabatini sur la crise sociale et sanitaire à Santiago du Chili
Paru dans Les Cahiers d’Outre-Mer, 282 | Juillet-Décembre
Droits d’auteur
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