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Chapitre 1 : Introduction

Depuis la crise de l‟endettement et l‟imposition des plans


d‟ajustement structurel au début des années 1980, il y a un intérêt
grandissant pour la finance populaire. Intérêt des chercheurs qui essayent de
comprendre les raisons du succès des tontines (associations rotatives
d‟épargne et de crédit) dans les pays africains là où les formes
d‟intermédiation financières classiques ont échoué. Intérêt des experts en
développement, des organismes de coopération et des ONG qui s‟appuient
sur les principes et procédures de la finance populaire pour élaborer des
programmes de microcrédit en faveur des catégories sociales laissées en
marge du système bancaire. Intérêt des populations elles-mêmes qui
étonnent par leur créativité et leur capacité d‟innovation en matière de
conception d‟instruments souples et adaptés au contexte socioculturel pour la
collecte de l‟épargne et son affectation productive et/ou sociale.
S‟il est vrai que les Sénégalais participaient déjà, et depuis fort
longtemps, aux tontines, les années 80, marquées par une crise économique
profonde, ont favorisé leur éclosion aussi bien en milieu rural qu‟en milieu
urbain. La forte mobilité des sénégalais dans l‟espace internationale a
contribué à la reproduction de ces pratiques financières populaires dans la
plupart des pays d‟immigration. Le dynamisme des tontines face à l‟inertie
du système bancaire, soulève des paradoxes et des questions urgentes qui
méritent bien d‟être abordées.
Paradoxe de la réussite de l‟informel là où le secteur financier
moderne a lamentablement échoué et déçu. En effet, les banques
commerciales établies au Sénégal n‟ont jusque-là pas réussi à servir plus de
10% de la population active du pays (J-B. Fournier et al. 1993)1. Ce qui
signifie que l‟écrasante majorité des Sénégalais est obligée de recourir à des
formes alternatives de financement pour satisfaire leurs besoins d‟épargne,
d‟assurance et de crédit. Par ailleurs, au milieu des années 80, plusieurs
banques ont fait faillite à cause essentiellement de leur incapacité, d‟une
part, de s‟ajuster par rapport à l‟environnement socio-économique et, d‟autre
part, à recouvrir les crédits alloués à des entrepreneurs politiques puissants
tels que les chefs religieux et coutumiers et les responsables du parti au
pouvoir.
Paradoxe également du recours simultané aux arrangements
financiers populaires par des catégories sociales aux conditions socio-
économiques diverses. Des femmes au foyer de Thilogne et de Pikine
Médina Gounasse, aux travailleurs des banques commerciales dakaroises en
1
Fournier, J-B; Camille, G. M. et Giguère, P. (1993), “The definition of a legal and
operational framework for mutualist financial network: what the actors have to say.
The ATOBMS project experience in Senegal”. In Saving and Development no 3,
XVII, p. 332.

9
passant par les petits et grands commerçants des marchés et les émigrés
sénégalais vivant en France, la tontine, à l‟image du caméléon, change pour
s‟adapter aux moyens et aux besoins des participants. La diversité de la
participation rejoint naturellement celles des motivations et des finalités. Les
motivations d‟ordre psychologique ou social recoupent les préoccupations de
nature purement économique et financière. Les désirs d‟accumulation
côtoient les obligations sociales de la redistribution. Les besoins de
consommations, d‟investissement, de prévoyance et de prestige social
s‟accordent intimement dans une même mélodie dialectique. La question
demeure de savoir comment la tontine parvient à combiner tout cela en
même temps et être un lieu de symbiose entre traditions et modernité,
réciprocité et marché, continuité et innovation, etc.
Dans la littérature consacrée aux tontines, les chercheurs mettent
souvent l‟accent soit sur les motivations économiques, soit sur les
considérations sociales, en fonction de leur spécialisation, pour expliquer la
participation des individus dans les tontines. Les anthropologues mettent
l‟accent sur les relations sociales à l‟intérieur des tontines tandis que les
économistes et financiers portent leur attention sur les fonctions d‟épargne et
de crédit. En voulant séparer ses deux dimensions, on passe à côté de ce qui
fait l‟originalité de ces instruments financiers qui est qu‟ils intègrent dans
une fusion dynamique logique sociale et logique économique. Nos
recherches font de ce mélange des genres un point essentiel dans
l‟explication de la réussite et du dynamisme des tontines au Sénégal.
Pour comprendre le dynamisme qui caractérise aujourd‟hui les
tontines dans les milieux populaires africains, il s‟avère indispensable de
repérer leur ancrage dans les pratiques millénaires de réciprocité et de
sociabilité dont les rapports de parenté et de voisinage constituent les
principaux supports. Les échanges de dons et de contre-dons au cours des
événements sociaux majeurs tels que les mariages, les fêtes religieuses, les
funérailles et les baptêmes sont au cœur du lien social en Afrique. Pour
certains, comme Adebayo, la tontine existait déjà dans les sociétés africaines
précoloniales. Mais elle était enchâssée dans le système de réciprocité qui
favorisait la circulation de la main d‟œuvre, des produits agricoles et
artisanaux ou encore des bijoux en or ou en argent à la place d‟espèces
monétaires. De même que pour Lelart, la tontine a existé avant même
l‟usage de la monnaie, il écrit :

“Elle (la tontine) a d‟ailleurs préexisté à l‟usage de la monnaie. Elle


permettait autrefois de constituer une communauté de travail pour

10
rentabiliser les travaux agricoles et pour réparer le toit des maisons quand la
tempête s‟était abattue sur le village” (Michel Lelart 1985, p. 93)2.

Plusieurs autres auteurs font de ces mécanismes de solidarité


communautaire au niveau villageois, les ancêtres des tontines monétaires
actuelles (Henry, A.; Tchente, G-H.; Guillerme-Dieumegard, P., 1991;
J-R Essombe Edimo, 1995; C. Mayoukou, 1996)3. Ils parlent tous des
tontines de travail dans l‟Afrique précoloniale qui se sont transformées
progressivement avec l‟introduction de la monnaie en tontines d‟argent.
Cependant, des travaux de certains historiens révéleront la présence de
systèmes monétaires déjà très complexes dans certaines sociétés de l‟Afrique
de l‟Ouest (Jones, 1958; Hopkins, 1966; Johnson, 1970)4. Ainsi, Adebayo
défend l‟hypothèse de l‟existence de tontines monétaires déjà avant
l‟introduction des monnaies occidentales (Adebayo, 1994)5. Il montre à quel
point le système monétaire yoruba était complexe et avait occasionné des
changements sociaux profonds sur les structures hiérarchiques de cette
société. Les Associations Rotatives Epargne et de Crédit (AREC), que nous
appelons ici tontines, étaient l‟une des formes d‟intermédiation financière à
cette époque. Elles favorisaient des échanges sociaux équilibrés contribuant
à saper les fondements de la hiérarchie sociale des Yoruba basée sur la
naissance.
Mais quel que soit le rôle que ces systèmes monétaires précoloniaux
ont pu jouer dans le développement des échanges en Afrique de l‟Ouest, leur
mécanisme de fonctionnement connaissait des limites évidentes liées à la
nature même de leur médium en l‟occurrence les cauris. Leur transport est
problématique au delà d‟une certaine quantité et ces systèmes monétaires ne
disposaient pas de composantes scripturales ce qui limite de manière

2
Lelart, M., (1985), “L‟épargne informelle en Afrique, Revue des Etudes
comparatives, nº14, 2e trimestre, pp. 53-78.
3
Henry, A.; Tchente, G-H.; Guillerme-Dieumegard, P., (1991), Tontines et banques
au Cameroun, Karthala, 166p. Essombé Edimo, J-R., (1995), Quel avenir pour
l‟Afrique? Financement et développement, Editions Nouvelles du Sud, 172p.
Mayoukou, C., (1996), “La réputation, un mécanisme incitatif dans la fonction
d‟intermédiation des tontiniers en Afrique Subsaharienne”. Réseaux de Recherche
sur l‟Entrepreneuriat, AUPELF-UREF, Note de recherche nº96-57, 19p.
4
Jones, G.I., (1958), “Native and trade Currencies in Southern Nigeria during the
Eighteenth and Nineteenth Century”, Africa No 28, 1958, 43-54. Hopkins, A.G.,
(1966), “The Currency Revolution in South-West Nigeria in the Late Nineteenth
Century”, Journal of the Historical Society of Nigeria 3/3, pp. 471-483. Jonhson,
M., 1970), “The Cowrie Currencies of West Africa”, The jourrnal of African History
11: 17-49, pp. 331-353.
5
Adebayo, A.G., (1994), “Money, Credit and Banking in Pre-colonial Africa. The
Yoruba Experience”, Anthropos 89, pp. 379-400.

11
significative leur large utilisation comme moyens de paiement6. Les
changements que l‟introduction de la monnaie occidentale par le biais de la
colonisation va entraîner dans la vie économique et sociale des sociétés
africaines sont sans commune mesure avec ceux qu‟ont pu provoquer les
systèmes monétaires traditionnels.
Comme le souligne Bouman, l‟introduction de la taxation, des
produits manufacturés, de l‟éducation, des cultures de rentes qui est allée de
paire avec celle de la monnaie va avoir des effets spectaculaires dans
presque tous les domaines de la vie sociale: désarticulation des systèmes de
production d‟auto subsistance, bouleversement des habitudes alimentaires et
vestimentaires, réforme des modes et procédures de réciprocité, adaptation
des mécanismes de solidarité, etc. (Bouman, 1995)7.
Les pratiques de réciprocité où domine la circulation des biens
matériels vont laisser la place, petit à petit, à de nouvelles formes de
réciprocité où l‟argent va jouer de plus en plus le rôle de médium
incontournable. Cette monétarisation des rapports de réciprocité est
progressive et se manifeste à travers le caractère aujourd‟hui de plus en plus
mixte des dons au cours des cérémonies familiales, aussi bien en milieu rural
qu‟en milieu urbain. Avant l‟introduction de la monnaie les produits
agricoles et artisanaux étaient au cœur des rapports d‟échange et de
réciprocité. La dot, les dons et les cadeaux étaient en nature et se comptaient,
par exemple, en têtes de bétail.
Avec l‟avènement de la monnaie sous sa forme moderne, les
contributions versées à l‟organisatrice d‟une cérémonie familiale
commencent à être mixtes. Elles comportent ainsi aussi bien des produits
agricoles, artisanaux et manufacturés que de l‟argent liquide. Les
mbotaay8ou les piye woudere qui correspondent aux arrangements sociaux
solidaires articulés à l‟organisation des cérémonies familiales en milieu
wolof9 et haalpulaar10 valorisent aujourd‟hui plus l‟argent liquide que les

6
Le fait que les systèmes monétaires précoloniaux n‟avaient pas de composantes
scripturales n‟est pas lié à la connaissance ou non l‟écriture par ces sociétés.
L‟écriture était certainement connue à l‟époque précoloniale par la plupart des
sociétés sénégambiennes.
7
Bouman, F.J.A., (1995), “ROSCA: on the origin of the species”, Savings and
Development, No 2, XIX, pp. 117-145.
8
Les mbotaay en milieu wolof et piye woudere en milieu haalpulaar sont des
associations de femmes qui prennent en charge l‟organisation des cérémonies
familiales. A chaque fois qu‟une des participantes organise une cérémonie familiale,
les autres sont tenues de lui remettre des cadeaux en nature ou en espèces.
9
Les Wolof constituent le groupe ethnique dominant au Sénégal. Ils représentent
43,3% de la population sénégalaises. Ils sont dominants dans les grandes villes
comme Dakar et dans certaines zones rurales comme le Baol, le Djolof et le Walo.
10
Les Haalpulaar constituent le deuxième groupe ethnique dominant au Sénégal.

12
contributions en nature à moins que celles-ci soient des biens manufacturés
appréciés par les bénéficiaires. Les raisons de ce changement du contenu des
rapports de réciprocité sont à chercher dans la nature pratique de l‟argent
comme moyen d‟échange en ce sens qu‟il favorise une réciprocité équilibrée.
Les rapports de genre s‟affirment dans ces relations de réciprocité à
travers une division sexuelle des rôles dans l‟organisation des cérémonies.
Les hommes se chargent de tout ce qui est rituel religieux tandis que les
femmes sont assignées à tout ce qui est coutume et organisation pratique des
cérémonies. Dans le cas du mariage, par exemple, les hommes nouent
l‟alliance entre les deux familles selon les principes et règles islamiques à la
mosquée alors que les femmes accueillent les hôtes et préparent les repas. En
plus de ces tâches, les femmes se trouvent être les pivots des rapports de
réciprocité. En effet, c‟est elles qui échangent des cadeaux, des dons et des
contre dons à l‟occasion de ce genre de cérémonie. Il est vrai que du fait de
leur dépendance économique vis-à-vis des hommes ce sont ces derniers qui
sont censés leur remettre leurs contributions pour faire face à leurs
obligations sociales. Ce rôle essentiel des femmes sénégalaises dans les
rapports de réciprocité au cours des cérémonies familiales est, peut-être, une
des explications de la prédominance actuelle de celles-ci dans les
arrangements financiers populaires à caractère mutuel.
On peut avancer l‟hypothèse que les tontines constituent une forme
d‟adaptation des relations de réciprocité par rapport à la monétarisation. Une
telle hypothèse est d‟autant plus plausible que les tontines semblent tirer de
ces modes de réciprocité traditionnels leur modèle d‟organisation, leurs
procédures, leur conception de la confiance et du contrôle social. Le principe
de la rotation et du hasard, les rencontres périodiques avec leur fonction de
socialisation qui caractérisent encore les mbotaay et les piye woudere se
retrouvent comme tels dans les tontines. Par ailleurs, il n‟est pas rare que les
femmes mettent en place des tontines qui sont destinées uniquement à la
prise en charge des événements sociaux au même titre que les mbotaay et
piye woudere.
C‟est dire que les pratiques financières populaires actuelles
s‟enracinent dans une très longue histoire de réciprocité et d‟entraide
mutuelle à l‟occasion des événements sociaux. Les mariages, les baptêmes,
les funérailles, les fêtes religieuses, les rites de passage correspondent à des
moments privilégiés durant lesquels la solidarité entre parents, voisins ou
frères de religion se manifeste à travers une prise en charge collective des
besoins matériels et financiers que leur célébration requiert. La première

On les retrouve surtout dans la moyenne vallée du fleuve Sénégal. Ils représentent
23,8% de la population du Sénégal. Nos enquêtes à Thilogne et parmi les émigrés
sénégalais en France ont essentiellement porté sur ce groupe.

13
grande différence entre ces formes traditionnelles d‟entraide et les
associations rotatives d‟épargne et de crédit est que les premières
n‟impliquent pas l‟égalité à terme entre les contributions effectuées et les
prestations obtenues par chaque participant contrairement aux secondes où il
s‟établit à la fin du cycle tontinier un équilibre relatif entre ce qu‟on donne et
ce qu‟on reçoit effectivement. La deuxième grande différence est que les
premières sont fondées sur l‟obligation sociale inhérente aux rapports de
parenté ou de voisinage alors que les secondes reposent sur des principes
contractuels donc sur la volonté individuelle des participants.
Ce livre comporte sept chapitres. Le premier chapitre fait le survol
des recherches menées sur les pratiques financières informelles en les
replaçant dans le contexte des années 80 marquées par l‟application des
plans d‟ajustement structurel qui ont poussé les populations urbaines et
rurales à définir des stratégies de survie en s‟appuyant sur des instruments
financiers populaires tels que les tontines. Le deuxième chapitre porte sur les
tontines à la fois de quartiers et de marché à Thilogne. Il examine
notamment le caractère social des tontines de quartiers qui épousent les
structures et hiérarchies sociales des haalpulaar de la vallée du Fleuve
Sénégal. Au niveau des quartiers du village de Thilogne, les tontines
remplissent plus une fonction sociale qu‟une fonction financière ou
économique. Les tontines de marché à Thilogne par contre remplissent
presqu‟exclusivement une fonction financière et économique dans la mesure
où l‟écrasante majorité des participants veulent utiliser l‟argent pour
réinvestir dans leurs activités commerciales.
Le troisième chapitre porte sur les tontines de quartier, de marché et
des lieux de travail à Dakar. Les tontines de quartiers à Dakar bien que
gardant les aspects sociaux que l‟on retrouve dans les tontines de quartier en
milieu rural ont tendances à regrouper des participants appartenant à
différents groupes ethniques et religieux. Elles se spécialisent notamment
dans le financement des besoins de consommation mais assument également
pour une minorité de participants le rôle d‟un outil financier qui permet
l‟accès au crédit pour l‟investissement. Au niveau des marchés de Dakar, les
tontines comme d‟ailleurs les banquiers ambulants jouent un rôle capital
dans le financement des activités économiques informelles dont les acteurs
ont souvent du mal à accéder aux services bancaires. Au niveau des lieux de
travail, les tontines remplissent essentiellement une fonction
d‟investissement dans l‟immobilier.
Le quatrième chapitre porte sur les arrangements financiers
informels que l‟on retrouve chez les émigrés sénégalais en France. Les
tontines sont introduites en France par les émigrés pour reconstituer leurs
identités locales et en même temps s‟assurer d‟une entraide mutuelle en cas
d‟adversité. L‟argent des tontines est le plus souvent envoyé vers le pays
d‟origine pour aider la famille à faire face aux besoins de consommation et

14
pour être investi dans l‟immobilier à Dakar ou dans des activités génératrices
de revenus pour des proches.
Le cinquième chapitre aborde la question de la confiance dans les
tontines. Utilisant les données récoltées sur les trois lieux d‟enquête, nous
analysons la construction des relations de confiance dans ces pratiques
financières informelles. Nous mettons également en exergue les cas de
défaillance et les sanctions imposées par les participants pour limiter le
nombre d‟abus de confiance. Le nombre très réduit de défaillances avec abus
de confiance montre bien que la peur de perdre sa réputation ainsi que de
faire face aux conséquences des sanctions sociales sont les véritables garants
du fonctionnement harmonieux de ces pratiques financières informelles.
Le sixième se focalise sur les relations entre les tontines, les
banquiers ambulants, les programmes de microcrédit et les banques. Il existe
bel et bien une articulation entre les trois du point de vue des acteurs
impliqués. Les banquiers ambulants jouent un rôle d‟intermédiation entre
leurs clients et les banques commerciales dans lesquelles ils détiennent des
comptes d‟épargne. Ainsi par le truchement des banquiers ambulants, les
banques peuvent attirer la petite épargne qui est souvent négligé du fait des
coûts élevés de sa mobilisation. De même, les tontines jouent un rôle
essentiellement dans le remboursement des prêts octroyés par les organismes
de microcrédit. Les femmes bénéficiaires des lignes de crédit auprès des
organismes de microcrédit participent très souvent aux tontines qui leur
permettent d‟effectuer les paiements sur leur crédit dans les délais. Nous
concluons que ces articulations avec les banques et les organismes de
microcrédit sont à développer davantage pour parvenir à une mise en place
de produits financiers adaptés aux besoins des agents économiques. Le
dernier chapitre revient sur les enseignements que l‟on peut tirer des
différents chapitres en guise de conclusion.

15
Chapitre 2
Pratiques financières informelles à Thilogne
Introduction

Le problème du financement des activités socio-économiques se


pose avec beaucoup d‟acuité dans le monde rural sénégalais où on note une
absence presque totale des banques commerciales. Ainsi, se développent un
peu partout des formes de financement initiées par les populations elles-
mêmes. Les tontines viennent s‟ajouter à d‟autres pratiques financières
populaires établies depuis fort longtemps; nous pensons par exemple aux
garde-monnaies, au recours aux parents, voisins et amis et aux boutiquiers
pour l‟obtention du crédit, aux formes variées d‟entraide entre parents et
voisins dans des moments d‟adversité.
Thilogne, comme tous les villages du Sénégal, est laissé en marge du
service bancaire. Il n‟existe aucune banque sur l‟étendu de l‟arrondissement
qui regroupe plus de cinquante villages de taille variable. On ne note que la
présence de la poste qui fait office de structure financière formelle. Cette
dernière se limite au paiement des mandats et des salaires, et à la collecte de
l‟épargne. Il n‟existe, par conséquent, aucune institution de crédit dans les
environs de Thilogne. La banque la plus proche est située à Ourosogui, à 50
Km du village. Cette situation a pour résultat le faible recours aux
institutions financières formelles par les Thilognois. Pour satisfaire leurs
besoins de financement, ils font plutôt recours à la famille, aux amis, aux
commerçants ou à différents arrangements financiers populaires parmi
lesquels dominent les tontines.
L‟émergence et le développement des tontines à Thilogne soulèvent
une question essentielle. Comment les tontines, dont la logique repose sur
des principes d‟égalité entre participants, ont-elles pu pénétrer le tissu social
d‟une société hautement hiérarchisée comme la société haalpulaar. Ce
chapitre tentera d‟apporter une réponse à cette question en comparant les
tontines de quartier, où les aspects sociaux prédominent, aux tontines de
marché qui mettent l‟accent sur les dimensions économiques et financières.

Les origines des tontines à Thilogne

Les tontines, sous leur forme monétaire, sont un phénomène


nouveau à Thilogne. Pourtant, il existe dans les quartiers et au niveau
villageois des formes d‟entraide similaires aux tontines. Les travaux de
construction des maisons, de défrichage et de labourage des champs sont
généralement assurés par une main-d‟œuvre collectivisée et rotative en
fonction des besoins des familles d‟un voisinage donné. Ces formes
d‟organisation sont assez bien répandues en Afrique. On les appelle, dans la
littérature consacrée à la finance informelle, des tontines de travail (Nzemen,
1988; Henry A., Tchente G-H. et Guillerme-Dieumegard P., 1991; Lelart,
1985; Bouman, 1994)11. De même, les réseaux sociaux d‟entraide au cours
des cérémonies familiales, les piye woudere, s‟apparentent à bien des égards
aux tontines. Les femmes font à ces occasions des échanges de biens
matériels, d‟argent et de services qui ont un caractère rotatif même si,
contrairement aux tontines, il n‟est pas garanti, à terme, un équilibre entre ce
qu‟on donne et ce qu‟on reçoit.
Les tontines monétaires rotatives ont été introduites dans la zone par
le biais des commerçants Wolof et des citadines mariées au village. Ainsi, au
niveau des marchés de Thilogne, 5 des 6 tontines ayant fait l‟objet d‟enquête
sont organisées par des Wolof étrangers aux villages. De même que les
tontines des quartiers sont, le plus souvent, initiées par des femmes qui ont
eu un contact prolongé avec le milieu urbain. C‟est le cas d'Aissata, 31 ans et
mère de trois enfants. Elle est née et a grandi à Dakar. Elle s‟est mariée avec
un jeune thilognois, qui, au moment d‟aller en France, l‟envoie au village
pour qu‟elle reste avec ses parents. Quelques mois après son arrivée, elle
organise une tontine dans son quartier. Elle vient avec une expertise tirée de
sa longue participation dans les tontines de son voisinage à Dakar. Le cas
d‟Aissata n‟est pas isolé puisque 8 des 11 tontines ayant fait l‟objet
d‟enquête dans les quartiers de Thilogne ont pour responsable des femmes
qui ont d‟une manière ou d‟une autre un lien avec la ville. Le fait que le nom
que l‟on donne aux tontines à Thilogne soit d‟origine wolof conforte
l‟hypothèse que les tontines sont des pratiques financières récentes à
Thilogne. On les appelle tegge, ce qui est une déformation du mot wolof tegg
qui est également l‟un des noms qu‟on donne aux tontines en milieu urbain.
On rencontre les tontines dans deux espaces différents à Thilogne:
au niveau des quartiers et dans les marchés. Selon leur lieu d‟implantation,
elles connaissent des variations importantes en termes d‟organisation, des
critères d‟adhésion, des motivations et de l‟utilisation des fonds qui y sont
mobilisés.

11
Nzemen, M., (1988), Théorie de Pratique des Tontines au Cameroun.
L‟Harmattan, Yaoundé. Henry, A.; Tchente, G-H.; Guillerme-Dieumegard, P.,
(1991), Tontines et banques au Cameroun, Karthala, 166p. Lelart, M. et Lespès, J.L.,
(1985), “Les tontines africaines: une expérience originale d‟épargne et de crédit,
Revue de l’Economie Sociale, juillet-septembre, pp.157-159. Bouman, F.J.A.,
(1994), “ROSCA and ASCRA: Beyond the Financial Landscape ». In Financial
Landscape Reconstructed”, Westview Press, 1994, pp. 375-394.

20
Les tontines de quartiers à Thilogne

La relative nouveauté des tontines à Thilogne ne veut pas dire que


les pratiques financières informelles étaient absentes de ce village. En fait,
les besoins de crédit et d‟épargne étaient pris en charge par d‟autres
mécanismes et d‟autres réseaux sociaux. Du fait de l‟absence de structures
bancaires, les besoins financiers sont satisfaits par le recours à la famille, aux
voisins, aux amis et aux commerçants. Pour l‟épargne, les personnes
réputées pour leur probité morale, sont sollicitées. Elles accumulent et
thésaurisent l‟argent qui leur est confié dans des cachettes qui sont, souvent,
sans grande sécurité. Certains mettent l‟argent dans des pots qu‟ils enterrent
dans leurs cases, d‟autres le mettent dans des pochettes en cuir dont ils ne se
séparent jamais. D‟une manière générale, ce sont les personnes âgées qui
jouent ce rôle de garde-monnaie à Thilogne. Malgré la mise en place au
niveau des services de poste de la caisse nationale d‟épargne, ces pratiques
sont encore bien vivantes dans le village et dans le monde rural sénégalais
d‟une manière générale.
Pour l‟accès au crédit, la famille, les amis, les voisins et les
commerçants jouent un rôle fondamental. Ils constituent les pourvoyeurs de
l‟essentiel des crédits dans le monde rural comme le montre une enquête
récente de la Direction Nationale de la Prévision et de la Statistique portant
sur les ménages (ESAM, 1998)12. Il est clair qu‟un individu ou un ménage en
difficulté s‟adresse d‟abord à son entourage immédiat, c‟est-à-dire à sa
famille, à ses amis et à ses voisins, avant d‟aller vers l‟extérieur, c‟est-à-dire
les commerçants ou les garde-monnaies. Selon l‟enquête ESAM, 61,5 % des
emprunts dans le monde rural sont faits auprès de la catégorie des parents et
amis. Les emprunts auprès des commerçants vont jusqu‟à 20,9% tandis que
les emprunts auprès des banques ne représentent que 0,5%.
Les chiffres de l‟ESAM montrent très bien le rôle essentiel que
jouent les réseaux familiaux, d‟affinité ou de voisinage dans la prise en
charge des besoins financiers des ruraux. Les tontines constituent des
arrangements financiers nouveaux qui viennent s‟ajouter et non se substituer
aux pratiques financières anciennes. Mais, on peut se demander si le
caractère fortement hiérarchisé de la société haalpulaar - qui est largement
dominante à Thilogne - favorise le développement d‟arrangements sociaux
égalitaire comme les tontines. En d‟autres termes comment les tontines
s‟accommodent-elles des relations sociales hiérarchiques?

12
ESAM: Enquête Sénégalaise Appliquée aux Ménages. Direction de la Prévision et
de la Statistique. Ministère de l‟Economie et des Finances.

21
Participation dans les tontines de quartier et hiérarchie sociale

Comme le précise Bouman, le principe de base de la tontine est celui


du contrat. Les participants s‟accordent librement sur un certain nombre de
points tels que le montant de la contribution, la manière de déterminer le
bénéficiaire de la levée, la périodicité des contributions et des levées, etc. A
la fin du cycle, abstraction faite de l‟inflation, chaque membre aura reçu
exactement ce qu‟il a mis dans la tontine. Autrement dit, à terme, la
réciprocité entre les membres d‟une tontine est équilibrée, en ce sens qu‟on
donne autant qu‟on reçoit (Bouman, 1995)13. Cela signifie que les
participants traitent sur une base égale. Ce qui est exactement le contraire
des relations sociales hiérarchiques où les dominants ne coopèrent avec les
dominés qu‟avec un certain écart pour ne pas remettre en cause leurs
privilèges sociaux.
Dès lors, il est important de s‟arrêter sur les critères de recrutement
des participants dans les tontines de quartier. Ainsi, la composition des 11
tontines ayant fait l‟objet d‟enquête suit les règles de la hiérarchie sociale. Il
y a 8 tontines composées exclusivement de participants issus de la catégorie
des Rimɓe14 et de celle des Nyeenyɓe15 tandis que les 3 qui restent ne
renferment que des Horɓe (féminin de Maccuɓe16) (Wane, 1965)17.
Dans une tontine de quartier à Thilogne regroupant 11 Toroɓɓe, 6
Burnaaɓe et 3 Seɓɓe, les participantes refusent catégoriquement la
participation des femmes appartenant à la caste des Maccuɓe. Pour Houleye,
32 ans, mère de quatre enfants et appartenant au groupe des Toroɓɓe, si elles
acceptent d‟intégrer les Horɓe, ces dernières en profiteront pour remettre en
cause la supériorité des Toroɓɓe, des Burnaaɓe et des Seɓɓe Elle explique:

13
Bouman, F.J.A., (1995), “ROSCA: on the origin of the species”, Savings and
Development, No 2, XIX, pp. 117-145.
14
ɓ se prononce en combinant les lettre B et P en Français.
15
Ny se prononce come gn en Francais come Bretagne.
16
C se prononce th comme dans Thilogne.
17
Wane, Y., (1969): Les Toucouleur du Fouta Tooro, stratification sociale et
structure familiale, IFAN, Dakar. Dans ce travail Wane doone une classification
détaillée de la hiérarchie sociale Haalpular. La désignation Toucouleur était
beaucoup plus usité dans les recherches jusqu‟à récemment. Ici Toucouleur et
Haalpular désignent le même groupe ethnique.

22
“Il faut être prudent avec les Horɓe parce qu‟elles ne savent pas qui elles sont.
Quand on participe dans les mêmes tontines avec des contributions égales, elles
n‟hésiteront pas à dirent qu‟elles sont maintenant nos égales. L‟expérience de notre
association de quartier, Diokere Endam, est là pour le confirmer. Elles et leurs
hommes se sont dit que, comme on participait dans une association démocratique,
les Rimɓe et les Nyeenyɓe devaient les servir et puiser de l‟eau pour elles quand
elles ont à organiser leurs cérémonies familiales. Cela est inconcevable pour nous
les Rimɓe. On peut accepter de coopérer avec eux dans le quartier si et seulement si
elles acceptent de rester à leur place”.

En fait, dans les tontines regroupant les Rimɓe et les Nyeenyɓe, les
relations entre participants sont construites selon le modèle de la hiérarchie
sociale. Ainsi, par exemple, les Nyeenyɓe sont censés servir aux Rimɓe à
boire et à manger durant les rencontres. De même qu‟on désigne toujours
une Nyenyo (singulier de Nyeenɓye) pour véhiculer l‟information concernant
la tontine. Quand il y a un changement dans le calendrier des rencontres, un
événement important concernant un des participants, la programmation des
rencontres de début ou de fin du cycle tontinier, etc., elle est chargée par les
responsables de faire le tour des maisons pour en informer les membres. En
contre partie de ces services, les Nyeenyɓe reçoivent des Rimɓe le versement
d‟une commission financière quand c‟est leur tour de bénéficier des fonds de
la tontine. Quand elles ne reçoivent rien d‟une Dimo (singulier de Rimɓe)
qui vient de recevoir la levée, les Nyeenɓye ont le droit de salir son image en
chantant: “Dimo rokku, dimo mo rokata yeynaani jam”, qui veut dire traduit
littéralement, Dimo donne, une Dimo qui ne donne pas ne veut pas la paix.
C‟est le respect de ces principes par les Rimɓe et les Nyeenyɓe qui
garantissent la possibilité de la coopération entre ces deux groupes sociaux à
l‟intérieur des tontines. Chaque participante occupe une place dans la tontine
en fonction de son statut social. L‟exclusion des Horɓe des tontines de
quartiers regroupant les Rimɓe et le Nyeenyɓe s‟explique par le refus par les
premières de ces principes hiérarchiques. Pour les Horɓe, l‟égalité du
montant des contributions dans la tontine pour tous les membres appelle
également l‟égalité tout court entre les participants.
Les Horɓe sont donc obligées de mettre en place leurs propres
Tontines puisqu‟elles ne sont pas acceptées dans les tontines des Rimɓe et de
Nyennyɓe. Hawa, 39 ans et mère de 3 enfants, appartient à la caste des
Maccuɓe. Elle considère que leur exclusion des tontines du quartier est
arbitraire dans la mesure où elles peuvent payer les contributions requises
comme toutes les autres participantes appartenant aux groupes des Toroɓɓe
et des Burnaaɓe. Elle affirme que les participantes de sa tontine qui sont
toutes des Horɓe sont prêtes à accepter la participation de toutes les femmes

23
du voisinage sans discrimination. Elle affirme:

« La tontine n‟a rien à voir avec les castes. Ce qui est important c‟est d‟être à mesure
de verser régulièrement ses contributions. Je ne vois pas pourquoi on refuse la
participation de quelqu‟un qui est honnête et qui peut contribuer le montant requis
jusqu‟à la fin de la tontine. C‟est vraiment absurde! En tout cas, nos tontines n‟ont
rien à envier à celles des Rimɓe et des Nyeenyɓe ».

La reproduction des clivages entre catégories sociales hiérarchiques


dans les tontines de quartier à Thilogne montre bien que ces dernières
privilégient les aspects sociaux par rapport aux aspects financiers. La
participation dans les tontines de quartier révèle apparemment de la part des
acteurs une volonté d‟affirmer leurs appartenances sociales plutôt que celle
de bénéficier d‟un service financier. C‟est ce qui explique que les
contributions sont très faibles, entre 50 et 2500 F CFA par semaine, toutes
les quinzaines ou tous les mois.

Tableau n°1: Nombre moyen de participants et montants moyens des


contributions et des levées dans les tontines de quartier à Thilogne.

Nombre moyen de participants 28


Montant moyen des contributions 520 F CFA
Montant moyen des levées 14.560 F CFA
Nombre de tontines enquêtées 11
A. Kane : enquêtes de terrain.

Le nombre moyen de participants est certes assez important mais il


est inférieur du double à celui des tontines de marché. Les tontines de
quartier, fondées exclusivement sur les exigences de sociabilité, regroupent
d‟une manière générale plus de participants que les tontines de quartiers où il
y a un équilibre entre les besoins de sociabilité et les besoins d‟ordre
économique ou financier. La première catégorie de tontines de quartier
représente ¾ de l‟ensemble des tontines ayant fait l‟objet d‟enquête au
niveau des quartiers de Thilogne. Par ailleurs, les montants moyens des
contributions et des levées ne rendent pas compte des disparités qui existent
entre ces deux catégories de tontines. Les tontines exclusives de sociabilité
se caractérisent par des contributions très faibles variant souvent entre 50 et
200 F CFA tandis que les tontines combinant aspects sociaux et aspects
financiers se distinguent par des contributions plus importantes entre 500 et
2500 F CFA. Donc les chiffres contenus dans le tableau n°3 ne font que nous
donner une idée vague des ordres de grandeur par rapport aux trois variables
retenues ici. Cela explique pourquoi le montant moyen des levées au niveau

24
des tontines de quartiers soit plus de 22 fois inférieure à celui des tontines de
marché à Thilogne.
La participation dans les tontines de quartiers à Thilogne n‟est pas
très importante comparée à celle des tontines de marché. Le nombre total de
participants dans les quartiers de Thilogne ne dépasse pas 313 femmes. En
outre, il n‟y a pas l‟enchantement que l‟on a noté au niveau des tontines de
marché où certains individus participent dans plusieurs tontines en même
temps ou plusieurs fois dans une même tontine. Ce manque d‟enthousiasme
par rapport à la participation aux tontines de quartiers ne peut se justifier que
par l‟introduction récente de ces pratiques financières populaires.
Les tontines de quartiers à Thilogne sont exclusivement de
participation féminine comme dans les tontines de quartiers à Dakar et parmi
les émigrés sénégalais en France. La dominante sociale au sein de ces
tontines semble être la raison principale à cette exclusivité. Elles se
réunissent très souvent toutes les semaines ou quinzaines ou bien tous les
mois de manière rotative chez les différents membres. La femme qui reçoit
le groupe est celle qui doit bénéficier des contributions. Elle a l‟obligation de
servir à ses hôtes du thé, de l‟arachide, de la boisson fraîche et dès fois à
manger.
Les rencontres sont très importantes aux yeux des participantes qui
les considèrent comme des cadres d‟expression de leurs problèmes en tant
que femmes. L‟expérience que l‟on y gagne vaut autant, sinon plus, que
l‟argent que l‟on y retire. Aissata dit en ces termes l‟importance qu‟elle
accorde aux rencontres:

« Ce qui est réellement important pour moi, c‟est moins l‟argent qu‟on me donne
que le fait de se rencontrer, de discuter et de s‟amuser. Nous nous connaissons toutes
les unes les autres et souvent nous rencontrons les mêmes problèmes au sein de nos
familles respectives. Le fait d‟entendre les autres parler et banaliser des problèmes
que l‟on se croyait être seule à affronter est assez réconfortant. Nous sommes
tellement absorbés par les travaux domestiques que l‟on n'a pas très souvent
l‟occasion d‟échanger et de discuter, la tontine nous offre cette occasion une fois par
semaine. C‟est véritablement pour moi un moment de liberté. Nous avons à peu près
le même âge et sommes toutes des femmes, ce qui naturellement facilite la
communication parce qu'on n'a pas honte de dire tout ce qu‟on pense. On sait
d‟avance qu‟on ne va choquer personne. Le peu d‟argent que nous retirons de la
tontine nous sert soit à acheter des ustensiles de cuisine, des effets de toilette, des
habits ou à faire face à nos obligations à l‟occasion des mariages ou des baptêmes ».

Ces propos expliquent pourquoi seules les femmes participent dans


les tontines de quartier à Thilogne. Les tontines sont perçues comme des
espaces de discussion et d‟échange d‟expérience et d‟information entre
femmes. Pour garder toute son efficacité, cet espace doit naturellement être
fermé aux hommes dont l‟autorité aurait réduit au silence la volonté

25
d‟expression des femmes dans tout leur être. Ici donc, la tontine répond,
avant tout, à un besoin socio-psychologique d‟une catégorie sociale
marginalisée au sein de l‟unité domestique. Cela dit les tontines de quartiers
ne constituent pas, loin s‟en faut, des espaces de contestation de l‟ordre
dominant comme pourrait le suggérer notre interprétation. Ce qui préoccupe
les femmes qui participent dans les tontines de quartier à Thilogne, c'est
l‟acquisition de connaissances et d‟informations pratiques susceptibles
d‟améliorer leur vie domestique. Il existe, alors une variété de motivations
poussant les femmes à recourir aux tontines de quartiers.

Les motivations des participantes aux tontines de quartier à Thilogne.

Les raisons évoquées par les femmes pour expliquer leur choix de
participer dans les tontines de quartiers sont diverses. Mais la raison
considérée comme déterminante est d’être ce que sont ses parents, ses
voisins et ses amis. Ce qui veut dire que, comme nous l‟avons déjà souligné,
l‟affirmation d‟une certaine appartenance sociale est plus importante pour
l‟individu qui participe dans une tontine que les bénéfices économiques ou
financiers qu‟il peut en tirer. C‟est ce qui explique probablement
l‟importance qu‟on accorde aux rencontres tontinières. Les retardataires, les
absentes et les perturbatrices des réunions sont sanctionnées par des
amendes.
Au-delà du désir d‟identification par rapport à un groupe, les
tontines permettent aux femmes qui y participent d‟échanger des
informations, des expériences et des connaissances pratiques. En effet,
durant les rencontres certaines d‟entre elles demandent des conseils à leurs
paires, d‟autres étalent leurs propres expériences dans tous les domaines en
tirant les leçons de leurs échecs comme de leurs réussites. Elles discutent de
la sexualité, de l‟éducation des enfants, de la santé, et des conflits avec les
hommes. De part la qualité des discussions, toutes les participantes
capitalisent de l‟information et sortent enrichies des rencontres tontinières.
Les tontines de quartier constituent en ce sens de véritables cadres de
socialisation des adultes par une mise en commun des connaissances et des
expériences dans tous les domaines d‟intérêt. En plus de cette dimension,
malgré le fait qu‟elles soient des arrangements financiers temporaires, les
tontines de quartier établissent entre les différentes participantes des liens de
solidarité durables qui permettent le recours des uns aux autres en cas de
problème. Par exemple, dans toutes les situations d‟adversité ou
d‟événements heureux (maladie, décès, mariage ou baptême), les femmes
savent qu‟elles peuvent compter sur leur groupe tontinier.
Donc, la volonté d‟appartenir à un groupe social qu‟évoquent les
femmes pour justifier leur recours aux tontines n‟est qu‟une explication
partielle des motivations de leur participation à ce genre d‟arrangement

26
financier populaire. En effet, malgré la prédominance des aspects sociaux, il
y a bel et bien de la part des femmes des préoccupations économiques et
financières qui justifient leur adhésion aux tontines. Dans le cas par exemple,
des femmes qui ont des activités économiques telles que le petit commerce,
la teinture ou la coiffure, les tontines jouent un rôle important dans le
développement de ces dernières. Pour cette catégorie de femmes, la levée
d‟une tontine peut permettre de renouveler le stock de marchandises ou
d‟acheter du matériel de travail. En plus, les participantes de la tontine sont
une clientèle fidélisée pour ces femmes.
Dans cette perspective, les femmes qui organisent les tontines de
quartiers combinent l‟affirmation d‟une appartenance commune avec la
satisfaction tout aussi nécessaire des besoins socio-économiques et
financiers divers. Les propos de Diabou sont éclairants dans cette
perspective:
« Je participe dans les tontines du quartier parce que je veux être ce que sont mes
parents, mes voisins et mes amis. Je trouve que c‟est une bonne idée de se rencontrer
à tour de rôle chez chacune d‟entre nous pour discuter des choses utiles, nous
amuser et nous contraindre les uns par les autres à dégager une petite épargne
négligeable qui permettra par la suite de disposer d‟une somme importante. Par ce
système, la plupart d‟entre nous parviennent à acheter petit à petit du matériel de
cuisine (bols, plats, verres, bassines, etc.) des vêtements et des chaussures à la mode,
et des effets de toilettes. D‟autres y tirent leurs contributions pour les piye wudere à
l‟occasion des cérémonies familiales. L‟argent peut être également utilisé pour
régler des imprévus: ordonnance, transport, et hospitalité envers des visiteurs ».
Il ressort de ces propos que le recours à la tontine se justifie
également par la volonté de se faire contraindre par le groupe pour réaliser
ses propres desseins avec ses moyens tout aussi propres. Du point de vue
strictement économique et financier, la contrainte à l‟autocontrainte est la
principale motivation des femmes impliquées dans les tontines de quartier.
Dans cette perspective, les tontines de quartier ne diffèrent pas tellement des
tontines de marché. Dans les deux cas, les participants acceptent
volontairement de se faire contraindre pour lutter contre leurs propres désirs
et plaisirs immédiats en vue d‟une gratification plus alléchante dans le futur.

27
Tableau nº2 : Répartition en pourcentage des types de motivations dans les
tontines de quartier18.

Motivation Pourcentage Nombre de répondants


Accès difficile aux services 7 22
bancaires
Simplicité des procédures dans 11 22
les tontines
Capital social de recours 30 22
Pression sociale pour parvenir à 33 22
épargner
Absence d‟intérêt sur le crédit 19 22
A. Kane: enquêtes de terrain

Les données de ce tableau ont été obtenues par le biais d‟une des
questions à éventail de notre questionnaire. Au total, 22 femmes ont choisi
les types de motivations qui conditionnent leur participation aux tontines.
Nous devons rappeler que nous avions réalisé une pré-enquête dont les
résultats ont permis de dégager cinq grands types de motivations
économiques pour la participation aux tontines. Les 22 femmes des 11
tontines de quartier devaient choisir parmi ces cinq types ou créer un
nouveau type de motivation qui décrit mieux les raisons de leurs recours à
cette forme d‟arrangement financier populaire. Chacune d‟elles avait
également la possibilité de choisir tous les cinq types en même temps ou
encore d‟ajouter autant de types qu‟elle juge pertinents pour rendre compte
de ses motivations.
La première motivation qui semblait évidente avant nos enquêtes est
la difficulté d‟accès aux services bancaires. Nous étions partis de l‟hypothèse
que les populations participent aux tontines parce qu‟elles sont, d‟une

18
Les données contenues dans ce tableau et les tableaux suivants ont été obtenues
par le biais d‟un questionnaire dont l‟élaboration a été précédée par une pré-enquête
qui a révélé l‟importance des cinq catégories de motivations retenues dans ce
tableau. Les personnes interrogées ont eu la liberté de choisir toutes les réponses
proposées. Ce qui veut dire qu‟un individu peut donner plus d‟une réponse, voire
cinq à la fois. C‟est ce qui explique le décalage entre le nombre de répondants et le
nombre de réponses. Pour obtenir en termes de pourcentage la représentativité de
chaque catégorie de motivations, nous avons reporté le nombre de réponses pour la
catégorie au nombre total de réponses des cinq catégories. Les enquêtes ont eu lieux
entre 1997 et 2000.

28
certaine manière, exclues des circuits formels de financement. Les résultats
de notre enquête infirme cette hypothèse à Thilogne en ce sens que
seulement 7% des réponses expriment ce type de motivation. En fait un tel
résultat n‟est pas vraiment surprenant dans une zone rurale caractérisée par
l‟absence de structures bancaires. Il n‟y a que la poste de Thilogne qui joue
un rôle officiel d‟intermédiation financière. La plus proche banque est à
Matam, à 60 kilomètres du village. La plupart des populations ignorent
l‟existence même des banques. On comprend alors pourquoi elles n‟ont pas
le sentiment d‟en être exclues.
La deuxième motivation est la simplicité des procédures comparées
à la complexité des procédures bancaires. 11% des réponses mettent en avant
ce type de motivation. Là également les seuls éléments de comparaison que
les participantes aux tontines thilognoises peuvent disposé se réfèrent aux
procédures d‟ouverture des livrets d‟épargne et de retrait d‟argent à la poste
de Thilogne. En fait, rares sont les femmes qui disposent de livret d‟épargne
à la poste. Le seul contact avec la poste se réduit au retrait des mandats
envoyés par les maris qui sont à l‟extérieur. Dans ce domaine la poste a une
image assez négative dans la mesure où les délais de paiement des mandats
après réception sont très longs. Les femmes qui veulent retirer coûte que
coûte leurs mandats doivent passer par les commerçants qui acceptent de
payer une moitié des mandats en argent liquide et l‟autre en marchandises.
Dans ces situations, la participation à une tontine offre aux femmes
l‟opportunité de pouvoir négocier avec la responsable de la tontine ou la
bénéficiaire de la levée pour avoir un crédit qu‟elles rembourseront après le
retrait des mandats.
La troisième motivation est l‟accumulation d‟un capital social de
recours en cas de difficulté. Elle renvoie également à l‟aspect convivial des
tontines avec les rencontres fréquentes et des relations personnalisées entre
les participants. 30% des réponses font de ce type de motivation déterminant
pour la participation des femmes dans les tontines de quartier à Thilogne. Ce
résultat infirme d‟une certaine manière l‟hypothèse de recherche qui
consistait à dire que les tontines n‟avaient pas de fonction d‟assurance19. En
fait, en participant aux tontines, les femmes thilognoises accumulent un
capital social de recours en périodes d‟adversité. Quand elles sont
confrontées à des difficultés, elles peuvent toujours faire appel de façon
individuelle ou collective aux membres de leurs tontines. Ce faisant

19
Dans notre groupe de recherche sur les tontines et les mutuelles, nous avions posé
comme hypothèse que les tontines, contrairement aux mutuelles ouvrières du 19e
siècle, n‟assument pas des fonctions d‟assurance. Ici, nous voyons que les tontines
ont des fonctions d‟assurances même si elles demeurent, la plupart du temps,
latentes.

29
implicitement, la tontine remplit une fonction latente d‟assurance envers ses
participantes.

La quatrième motivation est le recours à la pression sociale du


groupe pour parvenir à mobiliser une épargne dont les femmes sont
persuadées qu‟elles ne peuvent la réaliser si elles sont laissées à elles-
mêmes. A la vue des résultats, ce type de motivation est dominant au sein
des tontines de quartier. En effet, 33% des réponses favorisent ce type de
motivation pour expliquer la participation aux tontines. Ce résultat confirme
nos soupçons sur l‟intention de la plupart des participants aux tontines de se
faire forcer à épargner par un groupe pour échapper, un temps soit peu, aux
exigences de redistribution de leur environnement social immédiat.
La cinquième et dernière motivation est l‟absence d‟intérêt sur le
crédit dans les tontines. Contrairement au crédit octroyé par les commerçants
ou encore les prêteurs sur gage, les tontines de quartier ont l‟avantage de
respecter la conception islamique du crédit. Ainsi, 19% des réponses mettent
en exergue l‟absence d‟intérêt inhérente aux tontines comme une source de
motivation pour la participation. De ce point de vue, les tontines présentes
plus d‟avantages comparées même aux réseaux familiaux ou de voisinage où
l‟octroi d‟un crédit attend toujours une contrepartie de la part du donataire.
Quand on est endetté envers un ami, un parent ou un voisin, on a une corde
attachée au coup et entre les mains de ce dernier. Il peut nous demander des
services qu‟on ne peut refuser que difficilement. Au contraire, dans la
tontine, les premiers à recevoir la levée sont aussi libres que les derniers.
Après la spécification des motivations des femmes à participer aux
tontines dans les quartiers de Thilogne, il est important de rendre compte de
l‟utilisation qu‟elles font de l‟argent tiré de ces arrangements financiers
populaires. Quels sont les besoins que les femmes entendent satisfaire par le
biais des tontines à travers la mobilisation patiente et continue d‟une épargne
personnelle?

Les besoins satisfaits par les tontines de quartier

L‟utilisation de l‟argent tiré des tontines est exclusivement orientée


vers la consommation. D‟une manière générale, l‟obtention de la levée sert à
l‟acquisition d‟un bien de consommation dont la femme a longtemps
souhaité avoir à sa disposition.

30
Tableau nº3 : Répartition en pourcentage de l‟utilisation des levées en
fonction des types de besoins.

Besoins Pourcentage Nombre de répondants


Consommation 47 22
Investissement 13 22
Prévoyance 27 22
Prestige social 13 22
Kane: enquêtes de terrain.

Le tableau nº3 rend compte de la prédominance de la satisfaction des


besoins de consommation au sein des tontines de quartier à Thilogne. En
effet, une des questions de notre questionnaire s‟intéresse à l‟utilisation que
les participants aux tontines font de l‟argent reçu sous forme de crédit ou
d‟épargne de ces dernières. Nous avons sélectionné deux participantes dans
chacune des 11 tontines de quartier pour répondre à cette question. Ainsi, les
22 réponses ont été classées par nous dans quatre catégories en fonction de la
nature des dépenses réellement effectuées ou que les répondants projettent
de faire quand ils recevront la levée.
Il faut souligner qu‟il a été particulièrement difficile de classer
certains types de dépenses du fait qu‟elles peuvent être considérées comme
relevant à la fois de la consommation, de l‟investissement et du prestige.
L‟Achat d‟un congélateur en est un bon exemple. Quand, il sert au stockage
des produits alimentaires et à la production de boissons fraîches pour la
famille, il est un objet de consommation. Mais si en plus, l‟usager y met de
la boisson sucrée et des crèmes glacées destinées à la vente, il devient un
instrument de travail procurant des revenues; dans ce cas, son achat devient
un investissement. En plus, comme il n‟est pas donné à n‟importe qui
d‟avoir un congélateur dans le village, l‟acquisition d‟un tel bien procure un
prestige certain à l‟individu et à sa famille. Dans ce cas de figure, nous avons
classé la réponse dans les trois catégories en même temps. Pour les dépenses
avérées de consommation, d‟investissement, de prévoyance ou de prestige,
les réponses ont été classées une fois dans la catégorie correspondante.
Après ces quelques précisions voici la répartition en termes de pourcentage
de la nature des dépenses réalisées dans les tontines de quartier à Thilogne.
Un peu moins de la moitié des répondants utilisent l‟argent tiré des
tontines pour acheter des biens de consommation courante ou d‟autres types
de produits. Ensuite, la prévoyance semble préoccuper les participants, plus
de ¼ des répondants affirment utiliser l‟argent reçu comme une épargne

31
servant à se prémunir contre les éventualités telles que les dépenses de santé
et de scolarité pour les enfants. Les besoins d‟investissement et de prestige
viennent en dernière position avec chacun 13% de réponses. Les besoins
d‟investissement se rencontrent au sein des quartiers avec les femmes qui ont
des activités de petit commerce, les teinturières, les céramistes, etc.; tandis
que les besoins de prestige renvoient à l‟organisation des cérémonies
familiales et à la célébration des fêtes religieuses.
Pour rendre compte de cette orientation des tontines de quartier vers
la consommation, il faut souligner l‟attitude répandue chez les femmes de
fixer d‟avance le bien matériel qu‟elles payeront après l‟obtention de la
levée. Certaines d‟entre elles peuvent anticiper le paiement de l‟objet désiré
sous forme de crédit auprès d‟un commerçant que l‟argent de la tontine
servira à repayer. Souvent, il arrive que de manière collective, les femmes
décident d‟avance du bien matériel à acquérir avec les fonds mobilisés dans
la tontine. Ainsi, chacune d'entre elles est obligée d‟acheter le bien en
question quand vient son tour de lever les fonds.
Les objets ainsi ciblés sont souvent des biens matériels jugés
indispensables pour les femmes et donc sont socialement valorisés. Dans le
monde rural, ce sont les objets d‟ornement de la femme et de son espace
propre, c‟est-à-dire sa chambre, qui conditionne le choix des objets à cibler.
Les vêtements, les chaussures, les effets de toilette et les bijoux participent à
l‟ornement de la femme elle-même qui est très important dans la
concurrence entre coépouses, par exemple, dans une société où la polygamie
est la règle. Les draps, les rideaux, les tapis, les bols et les plats chinois
qu‟elles accrochent aux mûrs renvoient à l‟ornement de la chambre qui
reflète de manière éclatante la coquetterie et le charme de la femme face à sa
coépouse. Les marmites, les bassines, les ustensiles de cuisines, les canaris
sont également importants dans l‟univers de la femme dans le ménage et font
par conséquent l‟objet d‟une attention particulière. Chaque femme veut être
autonome dans ces trois sphères et s‟efforce à l‟épargne par le biais des
tontines pour y arriver.
Les tontines de ce genre ont très souvent à leur tête une
commerçante qui est à l‟origine de la création de la tontine et qui a pour
objectif d‟évacuer sa marchandise composée essentiellement des biens
recherchés par les femmes. Cette femme essaye toujours de détecter ce que
les femmes désirent le plus disposer, ustensiles de cuisine, habits à la mode,
effets de toilette, objets d‟ornement divers, etc. avant de faire sa commande
et de débuter la tontine. On voit très bien que l‟organisation de ce genre de
tontine fait partie intégrante d‟une stratégie marchande de la part de certaines
commerçantes qui créent un besoin pour en saisir toutes les opportunités
commerciales.
L‟argent des tontines est également dépensé dans l‟organisation des
cérémonies familiales au cours desquelles les femmes rivalisent en actes de

32
libéralité. Dans cette perspective, ce qui est visé par les femmes, c‟est
essentiellement l‟accroissement de leur prestige social. Certaines femmes
participent dans les tontines de quartier uniquement en prévision de
mariages, de baptême ou des cérémonies religieuses telles que la Tabaski, le
Korité ou le Maouloud. Dès fois, il arrive que des participantes soient
prioritaires pour l‟obtention de la levée du seul fait qu‟elles envisagent
d‟organiser une cérémonie familiale.
La participation aux tontines de quartier répond également à un
besoin de prévoyance sociale. Certaines circonstances particulières telles que
la maladie, le sinistre ou une quelconque adversité peuvent favoriser la
victime qui se voit non seulement octroyer la levée mais également recevoir
des autres membres de la tontine des contributions volontaires variables de
soutien et de sympathie. Ce rôle des tontines est d‟autant plus important que
dans les campagnes comme à Thilogne, il n‟existe aucune forme de sécurité
sociale institutionnelle ou mutuelle prenant en charge la protection sociale
des villageois contre les adversités de la vie. Ainsi, les tontines ont des
fonctions d‟assurance au niveau individuel qui viennent compléter les efforts
collectifs déployés par les ressortissants thilognois à travers les caisses
villageoises pour améliorer les conditions de vie des populations locales face
à la démission des pouvoirs publics.
Compte tenu des formes d‟organisation, des conditions d‟adhésion,
des motivations et des besoins ciblés, les tontines des quartiers de Thilogne
diffèrent à bien des égards de celles qu‟on retrouve au niveau des marchés
du même village.

Les tontines de marché à Thilogne

Nous avons fait nos enquêtes auprès de six tontines dans deux
marchés de Thilogne: le marché permanent ou jeere et le marché
hebdomadaire ou luuma, qui se tient à la sortie du village tous les jeudis. Au
niveau du jeere de Thilogne, comme nous l‟avons souligné plus haut, sur les
quatre tontines ayant fait l‟objet d‟enquête, les trois sont organisées par des
wolofs20, étrangers au village. Cela renforce la thèse que les tontines
monétaires constituent un phénomène d‟apparition récente au niveau du
village. C‟est avec l‟arrivée de la communauté wolof notamment des
mourides21, au début des années 80, que les premières tontines monétaires
ont fait probablement leur apparition. Cette communauté très dynamique
20
Les wolofs correspondent au groupe ethnique dominant au Sénégal. Ils
représentent plus de 40% de la population sénégalaise. Près de 80% de la population
sénégalaise parle le wolof comme première ou deuxième langue
21
Mouride renvoie à une confrérie religieuse réputée pour son dynamisme
économique et ses interférences dans la vie politique sénégalaise.

33
dans les activités commerciales et de service a reproduit au niveau local des
pratiques financières existantes déjà dans leurs milieux d‟origine.
Depuis les années 80, on a noté une présence de plus en plus
importante des mourides à Thilogne et dans les villages environnants. Pour
l‟essentiel, on les retrouve dans le secteur commercial. En 1998, ils
occupaient 9 boutiques sur les 21 que compte le village. Ils occupent
également d‟autres secteurs d‟activités au niveau du village tels que la
construction des bâtiments, la boucherie, la boulangerie, etc. En plus de ces
occupations, ils font également de la spéculation sur les produits agricoles et
sur le foncier. Ils achètent des produits agricoles tout juste après les récoltes
du diéri ou du walo à un prix dérisoire pour ensuite les revendre durant la
période de soudure ou des semences à des prix exorbitants. De même, qu‟ils
achètent des terrains d‟habitation aux habitants du village pour les revendre
quelques années après au double ou triple du prix d‟achat initial. La présence
des mourides à Thilogne, où ils parviennent à réussir économiquement, est
assez paradoxale compte tenu du fait que l‟écrasante majorité des hommes
thilognois en âge de travailler sont en dehors du village pour des raisons
économique comme si on ne pouvait réussir qu‟ailleurs et pas chez soi.
Au début, comme le confirme Cheikh, 37 ans, père de deux enfants
et qui est l‟organisateur des deux tontines de marché les plus importantes du
point de vue du nombre de participants et du montant des contributions, les
tontines de marché ne regroupaient que des talibés mourides22. Elles
constituaient pour ces derniers le seul recours possible pour satisfaire leurs
besoins financiers. Elles permettaient aux uns d‟accéder au crédit et aux
autres de sécuriser leur épargne dans un environnement rural caractérisé par
l‟absence d‟une quelconque intermédiation financière institutionnelle. Mais
au delà de la satisfaction des besoins financiers, les tontines des
commerçants mourides à Thilogne jouaient également un rôle de protection
sociale à l‟égard des participants. En effet, en dehors des contributions
tontinières, les participants cotisaient de manière occasionnelle et spontanée
pour prendre en charge les frais médicaux d‟un membre malade. D'autres
circonstances malheureuses telles que le décès d‟un membre ou de l‟un de
ses proches parents, l‟accident ou le vol occasionnaient une réaction
sympathique du groupe se manifestant par la collecte de contributions
volontaires au profit de la victime.
Avec le temps, la communauté mouride a fini par s‟intégrer petit à
petit à la vie du village. Cette intégration se manifeste dans tous les niveaux
de la vie sociale. Par exemple, malgré la rigidité de la stratification sociale,
certains commerçants mourides se sont mariés à des thilognoises. De même

22
Talibé signifie un adepte d‟une confrérie religieuse. Les mourides se considèrent
comme talibé d‟Ahmadou Bamba et de ses descendants. Ce dernier est le père
fondateur de la confrérie mouride dont Touba constitue le lieu de rayonnement.

34
que dans le milieu sportif, ils sont intégrés dans les équipes de quartiers.
C‟est la même dynamique d‟intégration qui a favorisé la participation des
commerçants locaux dans les tontines de marchés organisées par des
commerçants mourides. Les organisateurs de tontines sont des commerçants
mourides qui sont parmi les premiers à être installés à Thilogne. Ils ont tissé
des relations solides avec leur clientèle et les autres commerçants locaux. Ils
s‟appuient sur ces relations pour organiser des tontines.
Il faut cependant noter que les commerçants thilognois ont toujours
entretenu entre eux des relations d‟entraide. Ceux qui ont besoin de liquidité
pour acheter des marchandises peuvent les acquérir auprès des autres qui ont
besoin d‟épargner. Les petits commerçants peuvent prendre des
marchandises à crédit auprès des grands commerçants et rembourser par
petite tranche sans intérêt. Il y a également un système de crédit entretenu
par les grands commerçants envers leur clientèle. Il consiste essentiellement
à accorder à des familles qui dépendent des transferts des émigrés la
possibilité de prendre les produits de première nécessité tels que le riz,
l‟huile, le savon, le sucre, le lait en poudre ou d‟autres marchandises à crédit.
Mais dans ce cas précis, les commerçants gagnent beaucoup dans la
transaction dans la mesure où le prix à crédit est toujours supérieur au prix
au comptant. Ce système ne se limite pas seulement aux grands
commerçants; les boulangers aussi acceptent de donner du pain à crédit à
toutes les familles qui ont des représentants à l‟étranger qui leur envoie de
l‟argent à la fin de chaque mois. Il est assez remarquable que les
commerçants, les boulangers ainsi que leurs clients utilisent la terminologie
bancaire pour qualifier le système. Ils parlent de comptes et d‟ouverture de
comptes.
C‟est dire qu‟avant même l‟arrivée des commerçants mourides et des
tontines monétaires, il existait dans les marchés de Thilogne des pratiques
financières établies entre, d‟une part les petits et les grands commerçants et
d‟autre part les commerçants et les clients. Les besoins de crédit étaient
satisfaits même si très souvent pour y accéder, les individus et les familles
doivent accepter de payer des intérêts à des taux usuriers. L‟épargne était
également réalisée par les petits commerçants auprès des grands et des
clients auprès des premiers. Cependant, il n‟est pas rare que les commerçants
aient des difficultés énormes pour recouvrir leurs fonds auprès de la
clientèle. Les registres des commerçants sont remplis de dettes impayées
pour des durées allant de 6 mois à 10 ans. Le système connaît aussi des
exclus, individus et familles n‟ayant aucune source de revenu monétaire. Les
commerçants n‟acceptent, très souvent, de donner du crédit qu‟à ceux dont
ils sont persuadés qu‟ils peuvent, d‟une manière ou d‟une autre, rembourser
leurs dettes. Le fait pour une famille d‟avoir un membre à l‟étranger qui lui
envoie régulièrement de l‟argent est un critère de solvabilité.

35
Les tontines de marchés trouvent dans ces pratiques d‟épargne et de
crédit un terrain fertile pour se développer. D‟autant plus qu‟elles présentent
l‟avantage d‟offrir aux commerçants et aux marchands des services
financiers plus efficaces parce que collectivisés. Ceux qui ont besoin
d‟épargner et ceux qui veulent accéder au crédit trouvent tous satisfaction
dans la tontine. Le fait qu‟elle accepte des contributions variables - les
individus qui disposent de peu de moyens réunissent leurs cotisations pour
avoir une main23 dans la tontine tandis que ceux qui disposent de beaucoup
de moyens peuvent avoir jusqu‟à cinq mains - contribue à l‟adhésion en son
sein du plus grand nombre des vendeurs du marché. L‟originalité des
tontines de marchés par rapport aux garde-monnaies ou au système de crédit
des commerçants ou boutiquiers réside dans l‟initiation des participants à
l‟effort d‟épargne. Chaque participant doit tirer de ses recettes journalières le
montant d‟une contribution, entre 200 et 2500 F CFA, qui, ajouté aux
contributions des autres membres et accumulé pendant cinq jours, constitue
une somme dont l‟obtention sous forme de crédit ou d‟épargne permet de
réaliser un grand projet de consommation, de construction ou
d‟investissement.
Les caractéristiques essentielles des tontines de marchés à Thilogne
peuvent être résumées en trois grands principes:
1-Elles ont à leur tête un organisateur qui est à l‟origine de la
création de la tontine. C‟est généralement une personne à qui tout le monde
prête une certaine réussite socio-économique et qui a, par conséquent, une
très grande capacité de mobilisation sociale. C‟est en vertu de cette capacité
de mobilisation qu‟il parvient à convaincre les autres commerçants à
participer dans sa tontine. Cette position d‟organisateur de tontine est
privilégiée dans la mesure où elle confère à celui qui l‟occupe un certain
nombre de pouvoirs et d‟avantages. Il est le seul à disposer du pouvoir de
légiférer, c‟est lui qui fixe le nombre de participants, le montant et la
périodicité des contributions et des levées, le montant de la commission à lui
verser et l‟ordre de distribution des levées. En contre partie de ces pouvoirs,
il a la responsabilité de faire face, seul, aux situations de défaillance qui
peuvent advenir au cours du cycle tontinier.
2-Elles sont dominées par des préoccupations financières plutôt que
sociales. La satisfaction des besoins financiers tels que l‟accès au crédit, et la
constitution et la sécurisation d‟une épargne importante semblent être la
finalité principale poursuivie par les participants. Du point de vue de
l‟organisateur, en plus de cette dernière finalité, il y a la réalisation du profit
par le biais de la réception de commissions financières des différents

23
Main est ici une unité de participation. On dit d‟un individu qu‟il détient une main
dans la tontine quand il ne cotise qu‟une fois le montant requis par participant et
selon la périodicité fixée. Quand on dispose de deux mains, on double la mise
périodique de la tontine.

36
participants. Le fait que l‟aspect financier domine dans les tontines de
marché explique pourquoi il n‟est pas indispensable que les différents
participants se connaissent mutuellement. De même, ni le versement des
contributions, ni la distribution des levées ne nécessite la rencontre des
participants. En effet, c‟est à l‟organisateur de faire le tour du marché chaque
jour pour récupérer les contributions des membres. C‟est également lui, qui
doit remettre la levée au bénéficiaire loin des regards indiscrets. C‟est ce qui
explique que la structuration des tontines de marché favorise la participation
des individus appartenant à différentes catégories sociales ou castes.
3-La périodicité des contributions et des levées est adaptée au
rythme des activités des différents participants. Dans toutes les tontines de
marché, les contributions se font par jour. Chaque participant dégage de ses
bénéfices journaliers le montant de la contribution requise. L‟organisateur
cumule les contributions journalières des membres pendant cinq jours avant
de remettre la somme cumulée à l‟un des participants. La périodicité des
contributions et des levées étant très courtes, la durée du cycle tontinier ne
dépasse pas, le plus souvent, six mois. Les contributions sont aussi adaptées
aux moyens financiers des uns et des autres. Ainsi, comme nous l‟avons
souligné un peu plus haut, il y a des membres qui peuvent disposer de deux,
trois voire quatre mains, ce qui veut dire qu‟ils doublent, triplent ou
quadruplent le montant de la contribution journalière. Au même moment,
deux, trois ou quatre personnes peuvent se regrouper pour constituer une
seule main, ce qui veut dire qu‟ils se cotisent entre eux le montant d‟une
contribution journalière et se partagent la levée.

Tableau n°4: Nombre moyen de participants et montants moyens des


contributions et des levées dans les tontines de marché à Thilogne.

Nombre moyen de participant par 57


tontine
Montant moyen des contributions 5835 F CFA
Montant moyen des levées 323.595 F CFA
Nombre de tontines enquêtées 6
A. Kane: enquêtes de terrain.

Le tableau montre bien que le nombre de participants dans les


tontines de marché est important du fait certainement que tous les
commerçants, marchands et vendeurs sont impliqués dans une au moins des
six tontines ayant fait l‟objet d‟enquêtes. Cependant, il faut préciser que
généralement les individus participent dans plusieurs tontines ou plusieurs
fois dans une même tontine en doublant, triplant ou quadruplant les
contributions journalières requises. Autrement dit, ils peuvent disposer de

37
plusieurs mains au sein d‟une seule et même tontine de marché. Le montant
moyen des contributions est également assez élevé. Mais il faut souligner
qu‟il correspond aux contributions journalières cumulées pendant cinq jours
qui constituent la périodicité des levées dans les tontines de marché à
Thilogne. Ce qui conduit logiquement à un montant de la levée, pour une
durée moyenne de sept mois, très élevé. Il fait plus de trois fois la moyenne
des revenus des ménages qui est estimée à 100.038 F CFA par an en milieu
rural (ESAM, 1997). Ces quelques chiffres permettent de mesurer
l‟importance des tontines dans la prise en charge des besoins financiers au
niveau des marchés de Thilogne.
Il est important par ailleurs de spécifier les critères sur lesquels
repose la participation dans les tontines de marché. Ce qui revient également
à préciser les motivations et les besoins divers qui expliquent, d‟une manière
ou d‟une autre, le recours à ces arrangements financiers.

La participation dans les tontines de marché à Thilogne

Du point de vue de la participation, il faut noter deux choses. D‟une


part, les tontines de marché à Thilogne sont mixtes. La participation des
hommes est égale à celle des femmes. D‟autre part, elle n‟est pas limitée aux
seuls commerçants des marchés. Certains enseignants du primaire ou du
secondaire, certains travailleurs salariés participent également aux tontines
de marché. Le nombre total de participants dans les tontines de marché à
Thilogne est de 342. Cependant, comme nous l‟avons déjà indiqué, on note
que du fait de la participation double ou triple et du regroupement de deux,
trois ou quatre personnes en une seule main, il est difficile d‟établir le
nombre exact d‟individus impliqués dans les tontines de marché.
L‟équilibre qui s‟établit entre les deux sexes dans la participation
aux tontines des marchés trouve son explication à partir de deux faits
majeurs. Le premier est l‟organisation des tontines de marchés par des
hommes qui ne tiennent compte dans leurs critères de recrutement que la
capacité du candidat à la participation à honorer effectivement ses
engagements envers la tontine. Les organisateurs des tontines de marché à
Thilogne n‟ont pas des préjugés, souvent très présents chez les organisatrices
de tontine, sur la prétendue tentation des hommes à défaillir.
Le deuxième élément renvoie au type de relations existant entre les
participants aux tontines de marchés. Ils peuvent bien se connaître dans la
vie de tous les jours, ils peuvent même être de proches parents, voisins ou
amis, sans pour autant se connaître nécessairement comme membres d‟une
seule et même tontine. C‟est dire que socialement la tontine n‟a pas une
existence propre. C‟est par le détour de l‟organisateur que les participants
parviennent à satisfaire leurs besoins financiers. La faiblesse du lien social
entre participants explique d‟une certaine manière la neutralité des

38
conditions de participation. C‟est d‟ailleurs la principale raison de
l‟intégration dans les tontines de marché de différents individus appartenant
à des castes et catégories sociales différentes.
Le troisième élément qui nous paraît important de souligner par
rapport à la participation dans les tontines de marché, c‟est que les
participants ne se recrutent pas seulement au sein du marché. En effet, on
note la participation de certains travailleurs salariés dans les tontines de
marché à Thilogne. Les salariés, notamment les enseignants, le personnel de
santé, les agents d‟animation du Centre d‟Expansion Rural, qui participent
aux tontines de marché remettent à l‟organisateur de la tontine leurs
contributions mensuelles, c‟est-à-dire le cumul des contributions journalières
pendant un mois. Très souvent quand les contributions sont très élevées, les
salariés se regroupent en groupe de deux, trois ou de quatre pour disposer
d‟une main dans la tontine. Dans la tontine de Cheikh, par exemple, trois
enseignants se cotisent les 75.000 F CFA qui correspondent à la contribution
mensuelle. A la fin de chaque mois, chacun d‟entre eux remet à Cheikh ses
25.000 de contribution. Quand vient leur tour de lever les fonds,
l‟organisateur remettra à chacun un tiers de la levée.
Cela confirme l‟adaptabilité des tontines de marché par rapport à
l‟activité professionnelle de ses participants. Chacun contribue selon son
propre rythme, l‟essentiel étant qu‟à termes chacun reçoit une somme
proportionnelle à ses propres efforts d‟épargne. Il est clair que chaque
participant aux tontines de marché a son propre dessein, ses propres
motivations, ses propres besoins et projets en recourant à la tontine. Mais au
delà de ces différences, la participation aux tontines peut être comprise pour
tous comme un effort individuel de se faire contraindre à l‟épargne pour
réaliser ses desseins.

Les motivations des participants aux tontines de marché

Devant le dynamisme actuel des arrangements financiers populaire


on ne peut pas contourner la question des motivations qui sous-tendent la
participation massive des populations à ces formes d‟intermédiation
financières. Il existe, plusieurs motivations qui mettent en avant des
préoccupations d‟ordre, à la fois, social et économique. Pour mesurer en
termes de pourcentage l‟importance de ces motivations dans la détermination
de la participation des thilognois dans les tontines de marché, nous avons
choisi d‟interroger 30 participants. Ils ont répondu à une question à éventail
contenue dans notre questionnaire. Il faut préciser que la typologie des
motivations a été le résultat d‟une pré-enquête réalisée auprès des
responsables de tontines et des participants simples. Les entretiens de la pré-
enquête ont permis de repérer cinq grands types de motivation qui sont
soumis au choix des personnes ayant fait l‟objet d‟enquête. Ils avaient le

39
choix de choisir un ou plusieurs types de motivations qu‟ils jugeaient
importants dans leur décision de participer. Ils avaient aussi le choix
d‟ajouter à cette liste de motivations d‟autres ayant déterminé leur recours
aux tontines de marchés. Le tableau suivant récapitule les résultats sur la
question des motivations qui poussent les thilognois à participer aux
tontines.

Tableau nº5 : Répartition en pourcentage des types de motivations


expliquant le recours aux tontines de marché.

Motivations Pourcentage Nombre de répondants


Accès difficile aux services 38 30
bancaires
Simplicité des procédures dans les 21 30
tontines
Capital social de recours 3 30
Pression sociale pour parvenir à 21 30
épargner
Absence d‟intérêt sur le crédit 17 30
A. Kane: enquêtes de terrains.

La première motivation des participants aux tontines de marché est


le désir d‟accéder à des services financiers pour soutenir le développement
de leurs activités commerciales. Ainsi, 38% des réponses font de la difficulté
d‟accéder aux services bancaires une des raisons principales du recours aux
tontines. Il faut souligner que parmi les répondants de cette catégorie, il y
avait particulièrement des salariés (des instituteurs, des enseignants du
secondaire et un infirmier) qui insistaient sur l‟inexistence de structures
bancaires à Thilogne pour expliquer leur participation aux tontines de
marché. Ils viennent des villes où ils disposaient des comptes bancaires par
lesquels transitaient leurs salaires. A Thilogne, comme nous l‟avons souligné
plus haut, il n‟y a que la poste qui fait office d‟une institution financière
formelle. Elle ne joue d‟ailleurs pas le rôle d‟une institution de crédit; ses
domaines d‟intervention se limitent aux transferts monétaires et à l‟épargne.
En plus, pour le paiement des salaires transférés et le retrait d‟argent des
livrets d‟épargne, il faut un temps d‟attente de 5 à 10 jours. Donc, il est
compréhensible que les participants aux tontines de marché évoquent les
difficultés d‟accès aux services bancaires pour expliquer leur recours à cette
forme populaire d‟intermédiation financière.
La deuxième motivation est la simplicité et la flexibilité des
procédures dans les tontines de marché comparées notamment à celles de la
poste de Thilogne. Les 21% des réponses mettent l‟accent sur ce type de

40
motivation pour expliquer la participation aux tontines de marché. En effet,
dans les tontines il n‟y a pas de papier à signer ni de formalités à remplir
pour avoir accès aux services contrairement aux procédures de la poste ou
des banques. Il est clair que pour une population essentiellement
analphabète, les procédures formelles avec des contrats écrits sont très
compliquées. Elle préfère des procédures flexibles avec des contrats oraux
plus facilement compréhensibles.
La troisième motivation est l‟accumulation du capital social de
recours. Pour les participants des tontines de marché à Thilogne, ce n‟est pas
une motivation importante. Seulement, 3% des réponses est favorable à ce
type de motivation. Ce résultat s‟explique certainement par le fait que les
tontines de marché ne donnent pas l‟occasion à leurs participants de se
rencontrer fréquemment pour que des affinités et des amitiés se nouent
comme à l‟intérieur des tontines de quartier. Dans les tontines de marché,
comme nous l‟avons souligné déjà, les participants ne se rencontrent jamais,
c‟est l‟organisateur qui fait le tour du marché pour récupérer les
contributions journalières et c‟est également lui qui se déplace pour remettre
la levée à son bénéficiaire. Cependant, l‟organisateur de la tontine constitue
pour les participants une ressource importante en termes de recours dans des
situations difficiles. L‟inverse est encore plus vrai, car chaque participant
constitue pour l‟organisateur une personne à laquelle il peut faire appel dans
une situation d‟adversité.
La quatrième motivation est la pression sociale pour épargner. Aux
yeux des participants aux tontines de marché ce type de motivation est assez
important. En effet, 21% des réponses mettent en avant la volonté de se faire
contraindre par le groupe tontinier pour parvenir à dégager une épargne
importante comme une motivation essentielle qui explique leur participation
aux tontines de marché. Ce type de motivation se justifie par rapport aux
sollicitations multiples dont les marchands font l‟objet dans leur
environnement social immédiat. Coumba, vendeuse de poissons au marché
de Thilogne, explique:

« Je vends du poisson pour aider mon mari à entretenir la famille. Ainsi, je dépense
pratiquement tout ce que je gagne pour nourrir, vêtir et soigner les membres de ma
famille. En plus de cette charge, j‟ai des obligations sociales envers mes parents et
mes voisins, à chaque fois qu‟il y a un mariage ou un baptême, je dois débourser de
l‟argent pour soutenir l‟organisatrice. Malgré tout cela, mes proches parents, mes
voisins viennent toujours solliciter des prêts d‟argent. Et cela sans compter ceux qui
viennent prendre du poisson à crédit dont je suis sûr qu‟ils ne rembourseront jamais
pour la plupart. Dans ces conditions, il est pratiquement impossible de réaliser
quelque chose d‟important avec mes revenus. C‟est pour parvenir à faire quelque
chose de significatif avec mes modestes bénéfices que j‟ai accepté de participer dans
la tontine de Cheikh. Je commence à voir les fruits de cette participation puisque j‟ai
pu augmenter le volume de mes ventes grâce à l‟argent que j‟ai reçu de la tontine. Je

41
fais plus de profits et je parviens en même temps à satisfaire mes besoins personnels
et ceux de mes enfants ».

Ces propos rendent compte de deux idées essentielles. La première


est relative à la ponction des revenus individuels par l‟environnement social
dans son ensemble. Les pressions sociales pour la redistribution et pour
l‟obtention du crédit placent le détenteur de revenu dans une position
délicate. Dans la plupart des cas, la rentabilité économique de ses activités le
préoccupe autant que la rentabilité sociale de ces dernières. L‟entrepreneur
individuel est ici au cœur de l’économie sociale solidaire où la logique du
partage et de la redistribution prend le dessus sur celle de l‟accumulation. Le
partage ne se fait pas forcément par une distribution financière, il se
manifeste généralement par une prise en charge des individus ne disposant
pas de revenus: enfants, personnes âgées, handicapés physiques et mentaux,
chômeurs, etc...
La deuxième idée rend compte des stratégies définies par l‟individu
détenteur de revenus pour, à défaut d‟y échapper, réduire de manière
significative la pression sociale pour la redistribution. La participation aux
tontines peut être interprétée comme faisant partie de ce genre de stratégie.
Mais l‟efficacité du recours à la tontine pour accumuler doit être relativisée
dans la mesure où, dans bien des cas, l‟argent accumulé est réinvesti selon
les principes de l‟économie sociale solidaire. En effet, même si, l‟épargne
mobilisée ou le crédit obtenu par le biais de la tontine sert pour étendre les
activités de l‟individu, ce qui logiquement engendre l‟augmentation de ses
revenus, cela ne signifie pas qu‟il soit parvenu à contourner les pressions
sociales. En fait, l‟augmentation des revenus engendre à son tour
l‟augmentation de la capacité de prise en charge des parents sans revenus.
Par ailleurs, la participation aux tontines de marché permet aux
participants, en plus de la mobilisation de l‟épargne forcée, d‟acquérir une
certaine forme de comptabilité. En effet, la plupart des commerçants,
marchands et des vendeurs ne savent ni lire, ni écrire et par conséquent,
n‟ont aucune forme de comptabilité. Il n‟est pas rare qu‟ils commettent
l‟erreur fatale pour un entrepreneur de confondre recettes et bénéfices. La
plupart d‟entre eux échappe à cette confusion en transformant
continuellement leurs liquidités en marchandises. La participation dans une
tontine constitue pour cette catégorie de commerçants un moyen de
s‟imposer une certaine discipline comptable. Les propos de Fama, une
boutiquière à Thilogne, sont révélateurs en ce sens:

« Il est très difficile pour moi de savoir ce que je gagne dans mes activités
commerciales. Je transforme continuellement mes liquidités en marchandise pour
éviter de gaspiller mon argent. Mais je suis également contraint de dépenser pour
mon habillement, ma nourriture, les cérémonies familiales. Très souvent, je tire
l‟argent à dépenser sur mes recettes journalières sans savoir exactement si je me suis

42
limitée à mes bénéfices ou si j‟ai entamé mon fond de roulement. Il faut ajouter à
cela, les crédits que je fais à mes clients dont je suis obligée de retenir par cœur les
noms et les montants. Une défaillance de mémoire se solde toujours par des pertes
énormes, parce que les clients souhaitent vivement, avec l‟usure du temps, que
j‟oublie ce qu‟ils me doivent. Face à cette situation, la participation à la tontine me
permet au moins de tirer mes dépenses non plus de mon tiroir mais de mon épargne.
En effet, je suis au moins sûre que l‟épargne journalière que je verse à la tontine est
en deçà de mes bénéfices journaliers. Donc, dans une certaine mesure la tontine me
permet d‟avoir une discipline financière dont j‟ai besoin pour rentabiliser mes
activités commerciales ».

La discipline financière que recherche Fama peut s‟obtenir de deux


manières différentes. La première manière est qu‟elle accepte librement de
se contraindre à épargner régulièrement selon une périodicité fixe. Elle peut
le faire en versant chaque jour une certaine somme dans un condamne24 qui
est un coffre-fort en bois ou un pot fermé des deux côtés et percé d‟un petit
trou. Le condamne est conçu de telle façon qu’on peut y glisser des pièces de
monnaie ou des billets de banques sans grand effort tandis que pour les
retirer, il faut nécessairement le détruire. Les mots que l‟on utilise pour
décrire le retrait de l‟argent du condamne en pulaar comme en wolof sont
très significatifs: fusde en pulaar et tothie en wolof veulent dire
effectivement détruire. La conception du condamne comme instrument
d‟épargne renferme déjà une certaine idée de contrainte de soi. L‟individu
crée une barrière entre lui et son argent. Il ne peut franchir la barrière sans
détruire son propre instrument d‟épargne. Mais au fond cette contrainte de
soi ne suffit pas à résister aux désirs personnels de l‟individu et aux
pressions sociales de l‟environnement. Il n‟est pas rare que l‟on détruise son
condamne pour satisfaire ses besoins personnels ou pour venir en aide à un
membre de la famille, à un voisin ou un ami en difficulté.
La deuxième manière est la médiation d‟un individu ou d‟un groupe.
Dans ce cas précis, la contrainte est double et dialectique. A la contrainte de
soi vient s‟ajouter une contrainte extérieure, celle d‟une tierce personne ou
d‟un groupe. La combinaison dialectique des deux contraintes aboutit à ce
qu‟Elias appelle la contrainte sociale à l’autocontrainte (N. Elias, 1994)25. Il
faut noter que la volonté individuelle est au centre de la contrainte sociale à
l‟autocontrainte dans la mesure où la finalité de celle-ci est une contrainte
effective de soi par le moyen du recours à une contrainte extérieure. Par le
biais de ce truchement avec soi, l‟individu qui participe dans la tontine

24
Le condamne, qui vient du verbe condamner, est l‟équivalent de la tirelire en
Occident.
25
Elias, N., (1994). The Civilizing Process. 1 vol. Oxford: Basil Blackwell, pp. 443-
56.

43
réalise son projet personnel - et dont il se sent incapable de réaliser s‟il est
laissé avec sa propre volonté - par l‟intermédiaire du groupe avec ses
moyens tout aussi personnels.
La cinquième et dernière motivation des participants aux tontines de
marché est l‟absence d‟intérêt sur le crédit. 17,24% des réponses considèrent
le fait de pouvoir accéder au crédit sans avoir à payer des intérêts comme
une source de motivation pour participer aux tontines de marché.
L‟importance de ce type de motivation dans les tontines de marché à
Thilogne n‟est pas surprenante dans la mesure où nous sommes dans une
société musulmane dans laquelle l‟intérêt sur le crédit est prohibé. Il faut
souligner que les organisateurs des tontines de marché à Thilogne exigent
des participants le versement d‟une commission financière quand vient leur
tour de recevoir la levée. Mais le versement de cette commission financière
n‟est pas perçu comme un intérêt sur le crédit par les participants d‟autant
plus que même les épargnants, en l‟occurrence les derniers à bénéficier de la
levée, ont l‟obligation de verser le même montant à l‟organisateur. Le
versement de la commission financière est plutôt considéré comme le
paiement du travail d‟organisation réalisé par l‟organisateur qui collecte les
contributions en déployant chaque jour des efforts physiques considérables.
En réalité en plus de ces motivations essentielles, les tontines de
marché existent parce qu‟elles répondent effectivement à un certain nombre
de besoins financiers. Les besoins sont aussi variés que le nombre de
participants mais ils peuvent être ramenés à deux au niveau des tontines de
marché de Thilogne: besoins de crédit pour l‟investissement et besoin
d‟épargne pour la prévoyance et la consommation.

Les Besoins satisfaits par les tontines de marché

Les besoins satisfaits par l‟argent des tontines de marché à Thilogne


sont divers, bien que les besoins d‟investissement dans des activités
économiques informelles soient dominants. Selon Dieng, un organisateur de
tontine au marché de Thilogne, les participants et participantes dans sa
tontine lui demandent assez souvent de faire coïncider leur tour de lever les
fonds avec l‟arrivée des marchandises dont ils ont besoin. La plupart des
marchandises vendues au marché de Thilogne viennent de Dakar ou de
l‟intérieur du pays. Les camions chargés de les transporter arrivent à des
jours fixes de la semaine. Les clients, qui sont les marchands et les
commerçants du marché, savent la date d‟arrivée des transporteurs. Ainsi les
participants aux tontines peuvent avec la complicité de l‟organisateur
disposer de leur levée les jours d‟arrivées, ce qui leur permettra de se
ravitailler en marchandises. Dieng nous explique pourquoi les participants
veulent coûte que coûte transformer l‟argent reçu de la tontine en
marchandise:

44
« L‟argent liquide fait toujours peur pour nous les commerçants. On peut le perdre
comme on peut le dépenser rapidement dans des choses qui ne sont pas prioritaires
sans s‟en rendre compte. La levée que l‟on retire de la tontine est de 125.000 F CFA,
ce qui est beaucoup pour un petit marchand de poissons (frais et séchés), de légumes
ou de céréales. Alors pour sécuriser l‟argent contre notre volonté de dépenser, contre
la perte ou le vol, contre les sollicitations multiples, nous le transformons en
marchandise. Ce qui est plus sûr et plus rentable dans la mesure où en revendant la
marchandise on obtient des bénéfices ».

Cependant l‟argent des tontines de marché à Thilogne peut


également être utilisé pour la réalisation de projets individuels bien définis
comme la construction, l‟acquisition matérielle d‟équipement. Cheikh,
l‟organisateur de deux tontines de marché que nous avons cité plus haut, dit
avoir toujours en tête un projet à réaliser et dont le coût avoisine le montant
de la levée avant d‟entreprendre d‟organiser une tontine. Il explique sa
propre stratégie comme suit:

« La première fois que j‟ai organisé une tontine, c‟était en 1982, j‟avais besoin de
500.000 F CFA pour réaliser mon rêve d‟avoir une boulangerie traditionnelle. A
cette époque je vendais du poisson séché, des oignons et une variété de condiments,
je disposais à peu près de la moitié de la somme dont j‟avais besoin. Pour avoir
l‟autre moitié, j‟ai contacté les commerçants mourides et quelques amis au niveau
du marché pour organiser une tontine dont la levée devait être de 250.000 F CFA. Je
me suis débrouillé pour convaincre 25 personnes dont j‟étais sûr qu‟ils pouvaient
honorer leurs engagements. Chaque participant devait contribuer 1000 par jour.
C‟était moi qui faisais chaque jour le tour des boutiques, des cantines et des étales
pour récupérer les contributions de tous. J‟accumulais les contributions pendant cinq
jours avant de les remettre à un des participants qui me remettait une commission de
2500 F CFA. J‟ai été le premier à avoir la levée. J‟ai immédiatement construit un
four traditionnel et acheter tout le nécessaire pour démarrer mes activités de
boulanger. Au bout de 4 mois et 5 jours chaque participant avait reçu sa levée et je
m‟en sortais avec une nouvelle boulangerie ».

Pour la construction de sa maison dans son village natal, Cheikh a


procédé de la même manière pour mobiliser petit à petit les fonds
nécessaires. On voit très bien que c‟est là une démarche intelligente
d‟accéder au crédit non seulement gratuitement mais plus encore en recevant
de la part des épargnants un intérêt versé sous forme de commission. Ainsi,
Cheikh est devenu une sorte de tontinier de marché dont le rôle est la
collecte de la petite épargne et l‟allocation du microcrédit.
D‟autres participants utilisent l‟argent de la tontine pour acheter des
outils de travail ou des biens d‟équipement pour leurs activités. La plupart
d‟entre eux ont acquis l‟essentiel de leurs équipements de travail à travers la
participation dans les tontines de marché. Ils ont la même stratégie que

45
Cheikh, c‟est-à-dire qu‟ils se fixent un objectif précis avant de décider de
participer dans une quelconque tontine. Ndèye, marchande de condiments et
des produits de consommation courante, a pu acheter un congélateur avec
l‟argent épargné par le biais de la tontine. Elle explique l‟intérêt de participer
aux tontines:

« Avec ma participation aux différentes tontines du marché (trois au total), je


parviens à réaliser petit à petit des choses qui me tenaient à cœur. J‟ai pu acheter une
machine à coudre, une pompe à huile, une nouvelle balance, une machine à broyer
l‟arachide grillée et maintenant un congélateur. J‟ai l‟équipement qu‟il me faut pour
travailler correctement en toute autonomie. En même temps, je participe dans
d‟autres tontines de quartiers qui me permettent d‟avoir les équipements
indispensables à la vie ménagère et de m‟acquitter de mes obligations à l‟occasion
des mariages, des baptêmes ou des décès ».

La conclusion que l‟on peut tirer à partir de ces différents


témoignages de participants aux tontines de marché est que celles-ci sont
plus orientées à la satisfaction des besoins d‟investissement dans des
activités économiques informelles qu‟à la prise en charge des besoins de
consommation. Cela est d‟autant plus clair que les différents participants ont
très souvent une idée précise de l‟utilisation qu‟ils feront de l‟argent reçu de
la tontine sous forme, soit de crédit, soit d‟épargne. L‟achat de marchandises
ou de biens d‟équipements destinés à renforcer l‟activité entreprise est sans
aucun doute une forme d‟investissement à court, moyen ou long terme qui
augmente d‟une manière ou d‟une autre les profits des commerçants et des
marchands. Ce qui veut dire que les tontines jouent ici, contrairement aux
préjugés bien établis, un rôle fondamental dans le renforcement des activités
génératrices de revenus.

Tableau nº6: Répartition en pourcentage de l‟utilisation des levées en


fonction des types de besoins.

Besoins Pourcentage Nombre de répondants


Consommation 6 30
Investissement 75 30
Prévoyance 13 30
Prestiges social 6 30
Kane: enquête de terrain.

Tout compte fait, l‟argent des tontines de marché est réinvesti dans
les activités commerciales ou de services des participants. En effet, une des
questions de notre questionnaire s‟intéresse à l‟utilisation que les participants
font de l‟argent reçu sous forme de crédit ou d‟épargne des tontines. Nous

46
avons tiré 5 participantes dans chacune des 6 tontines de marché pour
répondre à cette question. Ainsi, les 30 réponses ont été classées par nous
dans quatre catégories en fonction de la nature des dépenses réellement
effectuées après la disposition de la levée. Il faut souligner qu‟il a été
particulièrement difficile de classer certains types de dépenses du fait
qu‟elles pouvaient être considérées comme relevant à la fois de la
consommation, de l‟investissement et du prestige.
Comme le montre le tableau nº8, qui représente la répartition des
réponses de 30 participants par rapport à l‟utilisation qu‟ils ont fait de
l‟argent reçu des tontines de marché, exactement 2/3 de l‟argent des tontines
de marché servent à satisfaire des besoins d‟investissement. La prévoyance,
qui consiste ici à la constitution d‟une épargne pour prendre en charge des
frais médicaux ou scolaires des membres de la famille restreinte, constitue le
deuxième besoin prioritaire des répondants. Les besoins de consommation et
de prestige viennent en dernière position avec 6 % chacun. Ce résultat
contredit l‟affirmation que les tontines sont essentiellement destinées au
financement des cérémonies familiales et des dépenses ostentatoires.

Conclusion

La contradiction entre les principes d‟égalité qui caractérisent les


tontines et les rapports hiérarchiques propres aux haalpulaar est résolue par
l‟homogénéité des tontines de quartiers du point de vue l‟appartenance aux
castes et catégories sociales. Pour les femmes participantes à ces tontines de
quartier à Thilogne, la tontine ne peut regrouper que des participantes ayant
un même statut social ou acceptant de reproduire les règles des rapports
sociaux hiérarchiques entre castes. De ce point de vue, on peut conclure que
malgré les transformations sociales, dues à l‟émigration et à la
monétarisation de l‟économie communautaire, qui remettent en cause
lentement mais sûrement les fondements hiérarchiques de la société
haalpulaar, on note la persistance dans les mentalités de cette forme de
stratification sociale.
Les tontines des marchés contrastent avec cette image des tontines
homogénéisées en fonction du statut social des participants. La
prédominance des attentes purement économiques et financières et l‟absence
des relations mutuelles et directes entre les participants rendent possible
l‟intégration d‟individus appartenant à toutes les castes et catégorie sociale
sans discrimination aucune. Le fait que les organisateurs des tontines de
marchés soient pour la plupart des Wolof, étrangers au village, contribue
également à cette hétérogénéité des tontines de marché.
Du point de vue des motivations à la participation et de l‟utilisation
de l‟argent des tontines, on constate une certaine ambivalence de la part des
participants aussi bien des tontines de marchés que des tontines de quartiers.

47
Les motivations de nature économique rejoignent des préoccupations d‟ordre
social. Les finalités d‟investissement et de prévoyance s‟associent avec la
satisfaction des besoins de consommation et de prestige social. Il est vrai que
cette balance s‟incline du côté des motivations économique et des finalités
de prévoyance au niveau des tontines de marché tandis qu‟au niveau des
tontines de quartiers les préoccupations sociales et le financement de la
consommation et du prestige semble l‟emporter.
Après avoir abordé les tontines dans un contexte rural caractérisé
par une homogénéité ethnique malgré la diversité des appartenances
sociales, nous allons dans le chapitre suivant tenter de voir comment ces
arrangements financiers populaires évoluent dans un contexte urbain marqué
par une diversité d‟appartenance ethnique.

48
Chapitre 3
Pratiques financières informelles à Dakar
Introduction

A Dakar, les arrangements financiers populaires connaissent un


développement important comparé aux zones rurales comme Thilogne. Ce
fait est quand même surprenant dans la mesure où l‟essentiel des structures
bancaires que compte le Sénégal est concentré au niveau de la ville de
Dakar. On aurait pu imaginer un développement des tontines dans un
contexte rural où, comme nous l‟avons déjà vu avec le cas de Thilogne, les
banques sont absentes. A l‟inverse, on aurait pu s‟attendre à un faible
épanouissement des tontines dans le contexte dakarois où toutes les banques
commerciales du pays sont regroupées. Dès lors, on est en droit de demander
les raisons qui poussent les dakarois à participer massivement dans les
tontines. Est-ce que parce qu‟ils rencontrent, dans leur écrasante majorité,
des problèmes d‟accès aux services financiers formels ou plutôt est-ce que
les tontines satisfont des besoins spécifiques que les banques n'intègrent pas
dans leurs services?
Par ailleurs, la diversité des appartenances ethniques au niveau de la
ville de Dakar pose le problème de la coopération et de la confiance dans les
tontines dont les participants n'appartiennent pas à la même ethnie. En
d‟autres termes comment la coopération entre des individus aux
appartenances sociales et culturelles différentes est-elle possible dans les
tontines dakaroises ? Y a-t-il des variations importantes de ce point de vue
entre les tontines des quartiers, des marchés et des lieux de travail?
C‟est autour de ces questions que va s‟articuler ce chapitre. Nous
commencerons par donner une présentation de la ville de Dakar dans
plusieurs de ses aspects: historique, démographique, économique et social.
Ensuite, nous verrons les deux différents types de tontines en précisant la
prédominance de l‟un par rapport à l‟autre quand on passe des tontines de
quartiers et des lieux de travail aux tontines des marchés. Enfin, nous
présenterons le profil socio-économique des participants pour saisir les
raisons qui les poussent à recourir aux tontines et le type de besoins qu‟ils
entendent satisfaire par ce biais. Là également, nous analyserons les
différentes variations entre les tontines de quartier, de marché et des lieux de
travail.

Les tontines à Dakar

On ne dira jamais assez combien les phénomènes tontiniers et


mutuels sont devenus aujourd‟hui des composantes essentielles de la vie
quotidienne des dakarois. Les tontines sont partout dans les quartiers, les
marchés et les lieux de travail où elles regroupent des hommes et surtout des
femmes appartenant à des ethnies, des religions, des confréries, des
catégories socioprofessionnelles différentes. Elles constituent pour une
écrasante majorité de la population urbaine, mis à part le recours à la famille,
aux voisins, aux amis et aux commerçants, les seuls instruments
d‟intermédiation financière permettant de sécuriser l‟épargne, d‟accéder au
crédit et de s‟assurer contre les aléas de la vie urbaine. Mais même les
catégories sociales les plus aisées qui, en principe, constituent la clientèle
privilégiée des banques et des établissements financiers institutionnels
n‟échappent pas au charme des tontines, natt ou piye. Mieux l‟implantation
de ce genre d‟arrangements financiers populaires au cœur même du système
financier officiel, dans les banques et au trésor public, suffit pour convaincre
de l‟adhésion massive des populations urbaines, toutes catégories
confondues, à cette forme d‟intermédiation.

Les tontines de quartier à Dakar

Les quartiers de Dakar offrent à l‟observateur une image hautement


contrastée. S‟il existe des situations extrêmes entre les quartiers abritant la
petite bourgeoisie sénégalaise comme Sicap Fann et Point E, et ceux où se
sont retranchées les populations les plus démunies comme Pikine Médina
Gounasse, la plupart des quartiers présente une situation bigarrée où
cohabitent riches, couches moyennes et pauvres (E. S. Ndione, 1993, p.
96)26. Du point de vue de l‟habitat, les quartiers des couches sociales aisées
se reconnaissent facilement par des villas de type occidental, des routes
larges, goudronnées et électrifiées, un assainissement adéquat pour
l‟évacuation des eaux usées et des rues désertes de jour comme de nuit. Du
point de vue social, ces maisons abritent des familles réduites approchant le
modèle de la famille nucléaire.
Les quartiers populaires présentent des caractéristiques opposées à
celles des quartiers des couches sociales aisées. Des maisons en baraques
côtoient des maisons en ciment avec des toitures de zinc ou de tuiles. Des
ruelles étroites, des culs de sac, des maisons sans portes. L‟absence de
lampadaires, de canaux d‟évacuation des eaux usées plonge ces quartiers
dans une obscurité totale où le passant, à défaut d‟être agressé, est sûr de
patauger dans des eaux sales versées dans de petits trous devant les maisons.
A l‟intérieur des maisons, on note l‟entassement des personnes de tous âges
dans de petites chambres. Selon la recherche conjointe Ifan-Orstom, sur 100
concessions, 46,2% abritent entre 10 et 19 personnes à Pikine (P. Antoine et
autres, 1995, p. 50)27. L‟ambiance des rues est de rigueur de jour comme de

26
Ndione, E. S., (1993), Dakar: une société en grappe. Karthala Enda Graf Sahel,
1993, 213p.
27
Antoine, P.; Bocquier, P.; Fall, A. S.; Guissé, Y. M. et Nanitelamio, J., (1995),
Les familles dakaroises face à la crise, IFAN, ORSTOM et CEPED, Dakar, 209 p.

52
nuit. Les voisins se mettent devant leurs maisons où ils palabrent à longueur
de journée au tour des sujets d‟actualité qu‟ils recueillent avec l‟écoute des
radios privées.
Dans les quartiers à situation sociale bigarrée comme les Parcelles
Assainies, les villas les plus modernes côtoient de modestes maisons en dur
et par endroit des baraques. Quoique meilleure comparée aux quartiers
populaires, la qualité de vie du point de vue des équipements urbains reste
très précaire. Comme dans les quartiers populaires, les rues sont très animées
et l‟insécurité permanente. Pour l'essentiel, les 26 unités des Parcelles
Assainies sont bien aménagées du point de vue de l‟occupation de l‟espace28.
On peut dire que les occupants, pour l‟écrasante majorité en tout cas,
appartiennent à la “classe moyenne” sénégalaise. Les propriétaires des
maisons se recrutent parmi les salariés, les émigrés, les grands commerçants,
les transporteurs, etc.
Le dénominateur commun de cette panoplie de quartiers est le
dynamisme des femmes qui s‟activent dans des réseaux sociaux qui
constituent les supports de la solidarité et de l‟intégration au sein des unités
de voisinage à Dakar (A. S. Fall, 1992)29. Les tontines de quartier occupent
une place prépondérante dans cette mouvance associative des femmes. Elles
n‟ont de semblable que les Associations Sportives et Culturelles des jeunes.
Les rencontres périodiques qu‟elles favorisent sont intégrées dans le rythme
de la vie des quartiers. Elles sont fondées dans tous les quartiers sur les
mêmes principes de base, la rotation des fonds entre les différentes
participantes, la détermination de l‟ordre des levées soit par tirage, soit par
consensus, soit encore par une décision unilatérale de l‟organisatrice, une
périodicité régulière et un cycle limité dans le temps en fonction du nombre
de participants. Malgré cette apparente homogénéité des tontines de
quartiers, il est possible de les différencier en regardant de prés les types de
relations, d‟un côté, mutuelles et directes et, de l‟autre côté, médiatisées par
une tierce personne, liant les participantes.

Les tontines simples ou mutuelles

Les tontines simples sont celles qui requièrent que leurs membres
aient entre eux une connaissance des uns et des autres. Sur les 136 tontines

28
Les Parcelles Assainies sont divisées en 26 unités inégales du point de vue de la
superficie et du nombre d‟habitants. La notion d‟unité peut être identifiée ici à celle
de quartier.
29
Fall, A. S., (1991), Réseaux de sociabilité et insertion urbaine dans
l‟agglomération de Dakar, Thèse de doctorat de sociologie, Faculté des Lettres et
Sciences Humaines, Université Cheikh Anta Diop, Dakar, 280p.

53
de quartier de notre échantillon, les 103 sont des tontines simples; ce qui
représente 75,7%. Parmi ces tontines 11 ont un fondement familial, 5 suivent
des contours ethniques tandis que 87 intègrent des voisines immédiates sans
tenir compte de leur origine ethnique ou de leur appartenance sociale. La
participation dans ce genre de tontine est presque exclusivement féminine.
En effet, dans les 103 tontines mutuelles, seulement 12 font état d‟une
participation indirecte des hommes. Les aspects sociaux, en l‟occurrence la
sociabilité, ont une importance prépondérante par rapport aux aspects
économiques et financiers. Ce qui se traduit, en termes d‟organisation, par
l‟obligation non pas seulement de verser sa contribution mais également et
surtout celle d‟être présent à l‟occasion de la constitution et de la remise des
levées. Dans toutes les tontines simples des quartiers de Dakar, les absences
et les retards le jour de la levée sont sanctionnés par des amendes. Il faut
avoir de bonnes raisons pour pouvoir s‟excuser de s‟absenter lors des
rencontres tontinières. Les rencontres sont également, dans 28 tontines de
notre échantillon et à l‟image des levées, rotatives. Dans ce cas, la femme
devant recevoir la levée est connue d‟avance. La rencontre se fait chez elle et
elle doit servir à ses hôtes familiers des choses à déguster. Ainsi la tontine
favorise en plus de la circulation de l‟argent, la circulation des femmes d‟une
maison à une autre mais aussi celle de l‟information et de l‟expérience (A.
Henry et autres, 1991)30.
En ce sens, les tontines simples permettent une triple accumulation.
D‟abord, l‟accumulation de l‟argent - qui est l‟accumulation la plus visible -
qui permet de satisfaire les besoins financiers des participantes. Ensuite,
l‟accumulation des connaissances personnelles qui étend le réseau social du
recours en cas de difficultés. La pratique du jumelage ou Ndeydikke31 à la fin
du cycle tontinier, dans certain cas, rend compte du souci des participantes
des tontines simples de perpétuer les relations d‟échange et de réciprocité en
dehors du cadre tontinier. Enfin, la dernière forme d‟accumulation est celle
de l‟expérience des femmes dans divers domaines de leur vie sociale. Les
discussions au cours des rencontres périodiques favorisées par les tontines
sont très instructives pour les femmes. Chacune d‟entre elles capitalise de
l‟information et des connaissances pratiques susceptibles de l‟aider à mieux
faire face, par exemple, aux problèmes de la santé reproductive, de l‟hygiène

30
Idem
31
Le Ndeydikke est un terme wolof. A l‟origine c‟est une pratique d‟échange de
dons articulée aux cérémonies familiales. Les femmes qui sont liées dans un tel type
de rapports ont une obligation sociale réciproque de s‟entraider de manière
particulièrement onéreuse quand l‟une d‟entre elle organise une cérémonie familiale.
Ce phénomène est aujourd‟hui articulé à l‟organisation des tontines mutuelles où il
renforce les relations entre les participantes dans et au-delà de la tontine en leur
imprimant un caractère obligatoire.

54
et de la santé des enfants, de la vie conjugale d‟une manière générale, de la
gestion de leurs activités, etc. Margaret Niger-Thomas reporte les mêmes
préoccupations dans les njangi ou tontines simples camerounaises. Elle écrit
dans ce sens: “apart from the economic aspect, members enjoy humane and
social benefits when they come together in their njangi and „meetings‟.
People also make friends through these groups and learn from one another”
(M. Niger-Thomas 1995, p.109)32. Dans cette perspective, les tontines
simples constituent de véritables cadres de socialisation mutuelle et
collective pour les femmes (A. Henry et autres, 1991, p15)33.
Les tontines simples se caractérisent également par le fait que les
décisions sont concertées et prises de manière collégiale bien qu‟il existe
toujours à leur tête une femme très influente, parce qu‟ayant une capacité de
mobilisation sociale supérieure à celle des simples participantes, qui très
souvent pèse de tout son poids dans la prise de décision. Cette femme, que
l‟on appelle aussi mère-natt (mère de la tontine), est la responsable morale
de la tontine. En plus de la mère de tontine, il y a une secrétaire dont le rôle
est d‟enregistrer dans un carnet la liste des participantes et leurs
contributions périodiques ainsi que les amendes payées par les absents et les
retardataires. Pour rappeler aux différentes participantes les jours de
rencontre de la tontine, une femme, très souvent issue des groupes sociaux
castés, fait le tour des maisons à la veille de la rencontre. Cette structure se
retrouve dans 64 parmi les 103 tontines mutuelles. Dans les autres la mère de
la tontine cumule les trois fonctions.
Les tontines simples disposent généralement d‟un fond de caisse qui
est constitué des toutes premières contributions, qui sont accumulées au lieu
d‟être remises sous forme de levée, et des amendes payées par les absents,
les retardataires ou les perturbatrices des rencontres périodiques. En effet,
dans 81 sur les 103 tontines mutuelles, il existe un fond de caisse. Le fond de
caisse est entre les mains de la responsable de la tontine et sert, d‟une part, à
prévoir les conséquences des éventuelles défaillances de paiement et, d‟autre
part, à célébrer, dans certains cas, la fin du cycle tontinier par l‟organisation
d‟une petite fête très symbolique au cours de laquelle on jumelle deux à deux
les différentes participantes. En cas de défaillance, on tire du fond de caisse
les contributions manquantes pour remettre à la bénéficiaire une levée
complète. Les membres qui ont des difficultés passagères pour honorer leurs
engagements envers la tontine peuvent également recevoir du crédit à partir
du fond de caisse. Nous verrons le rôle crucial que le fond de caisse joue
dans la construction et le maintien des relations de confiance dans les
chapitres suivants.

32
Niger-Thomas, M. (1995), “Women‟s Access to and Control of Credit in
Cameroon : The Mamfe Case”, in Money-Go-Rounds, Ardener S. and Burman S.
(ed.), Berg Publishers, 1995, pp.95-110.
33
Idem

55
Les tontines simples n‟ont pas, dans la majorité des cas, de
règlements écrits (Le soleil 14/15-08-1996)34. Seulement, 7 parmi les 103
tontines disposent d‟un règlement intérieur. Pour les autres, c‟est à la réunion
constitutive de la tontine que la responsable morale trouve un consensus
entre les différentes participantes. Elles s‟entendent sur les questions
d‟organisation pratique telles que le montant des contributions, le nombre de
membres à ne pas dépasser, la périodicité des contributions et des levées, la
manière de déterminer l‟ordre de distribution des levées et éventuellement
l‟utilisation de l‟argent dans les tontines orientées vers la satisfaction d‟un
besoin matériel ou social jugé comme vital. Elle énumère oralement les
différents points du consensus qui doivent être retenus par chaque
participante. Certains points de ce règlement oral peuvent être modifiés par
les participantes au cours des prochaines rencontres. On peut déroger, par
exemple, sur la manière de déterminer l‟ordre de distribution des levées pour
permettre à un membre faisant face à des difficultés connues de tous de
recevoir la levée. Ce qui montre la flexibilité des règles tontinières par
rapport aux règles bancaires fixées et figées dans et par l‟écriture.

Les tontines avec organisatrice

Les tontines avec organisatrice se reconnaissent par l‟absence de


relations directes et de connaissance mutuelle entre les différentes
participantes. Elles représentent 33 dans notre échantillon de 136 tontines de
quartier, soit 24,3% de l‟ensemble. A leurs centres se trouvent les
organisatrices qui sont de véritables professionnelles dans l‟organisation des
tontines et sont payées pour leur travail. Dans les quartiers de Dakar,
l‟organisatrice de ces tontines est, comme la responsable morale dans les
tontines simples, une femme à laquelle on accorde beaucoup de crédit dû à la
force de son charisme, à la forte personnalité qu‟elle incarne, à l‟important
rôle qu‟elle joue dans la cohésion sociale au sein de son voisinage, etc. C‟est
sur son vaste réseau social que l‟organisatrice se base pour créer une ou
plusieurs tontines. Elle décide seule du nombre de participants, le montant
des contributions et des levées, la manière dont doit être déterminé l‟ordre de
distribution des levées, le montant de la commission à lui verser, les
périodicités des contributions et des levées, etc. En même temps, elle est

34
Mbagnick Diagne: “Pour une gestion plus efficiente des tontines”. Le soleil
14/15-08-1996. Il reporte dans cet article un compte rendu du séminaire sur “la
rationalisation des pratiques de tontines” organisé par le Programme de Recherche
sur le Droit Economique et des Affaires du Sénégal (PRDEAS) à la Maison de Lille
de Saint-Louis. Les participants au séminaire ont voulu concevoir un cadre juridique
adapté aux pratiques financières populaires tout en les mettant à l‟abri des
défaillances.

56
seule et entièrement responsable des conséquences des éventuelles
défaillances de paiement. Elle a l‟obligation de remettre à la participante qui
bénéficie de la levée l‟intégralité de la somme convenue même si elle doit
débourser de sa poche les contributions manquantes des membres ayant
défailli. Les organisatrices de ces tontines dans les quartiers de Dakar
justifient d‟ailleurs le fait d‟exiger le versement d‟une commission par
l‟exclusivité de leur responsabilité face à des situations de défaillance.
Dans les tontines avec organisateur, les aspects financiers prennent
le dessus sur les aspects sociaux. La collecte des contributions et la
distribution des levées ne nécessitent pas la rencontre des participantes. Ce
qui favorise une participation plus importante des hommes même si les
organisatrices sont exclusivement des femmes; la participation des hommes
est signalée dans 18 des 33 tontines commerciales de quartier. C‟est
l‟organisatrice qui reçoit chez elle les différentes participantes qui viennent
un à un verser leurs contributions. Quand toutes les contributions sont
réunie, elle se rend chez le bénéficiaire de la levée ou le convoque chez elle
afin de lui remettre la levée. Il n‟y a pas de rencontre entre les membres, ni
au début, ni à la fin du cycle tontinier. Les relations au sein de la tontine se
limitent à celles qu‟entretient l‟organisatrice avec chaque participant pris
individuellement. Donc, il est clair que pour les participants comme pour les
organisatrices de ce genre de tontines la priorité n‟est pas le renforcement
des liens de sociabilité au sein du voisinage mais plutôt la satisfaction des
besoins divers nécessitant la mobilisation de sommes d‟argent importantes
hors de portée de l‟individu laissé à sa seule volonté.
Le rôle de l‟organisatrice de la tontine s‟apparente beaucoup à celui
d‟un banquier qui facilite l‟intermédiation financière entre créanciers et
débiteurs avec des moyens très modestes. A la seule différence que l‟intérêt
ne va pas des débiteurs aux créanciers et à la rémunération de
l‟intermédiation mais plutôt des deux premières catégories à l‟organisatrice.
Même les derniers à recevoir la levée, bien que réalisant une épargne allouée
sous forme de crédit aux premiers, doivent verser à l‟organisatrice une
commission financière souvent égale au montant d‟une contribution. Ce qui
revient pour elle à recevoir deux levées pour le prix d‟une seule
participation. On peut conclure à partir de ce fait que l‟organisatrice profite
de son réseau de relations pour en faire une source de revenu. Elle convertit
son « capital social » en capital financier pour employer les termes de
Bourdieu (P. Bourdieu, 1994)35. Le capital social se confond ici avec le
mérite de la confiance des autres sans lequel il est impossible à
l‟organisatrice de tirer profit de son réseau social quelle que soit sa capacité
de mobilisation. Nous reviendrons beaucoup plus en détail sur ce point dans

35
Bourdieu, P., (1994). Raisons pratiques. Sur la théorie de l‟action, éditions du
Seuil, Paris, 247 p.

57
le chapitre consacré aux relations de confiance dans les arrangements
financiers populaires.

Profils socio-économiques de quelques participantes aux tontines de


quartier36.

Au delà de cette classification, il est important de souligner que les


tontines comme d‟ailleurs les autres types de réseaux sociaux d‟entraide
mutuelle (Mbotaay, sani diamra, dahira, tours, etc.) ne constituent pas
l‟apanage des seuls pauvres des quartiers populaires de Dakar. Ils sont des
phénomènes culturellement enracinés qui rendent compte du résultat de
l‟adaptation par rapport à la monétarisation progressive de la vie
économique et des rapports sociaux et qui, par conséquent, n‟excluent
presque aucune frange, aucune catégorie sociale à Dakar (E.S.Ndione,
1992)37. Les quartiers des couches sociales moyennes, comme les Parcelles
Assainies, ou des couches sociales relativement aisées des Sicap participent
souvent simultanément aux tontines et au système financier institutionnel.
Alain Henry, Guy-Honoré Tchente et Philippe Guillerme-Dieumegard
résument bien ce recours simultané aux deux systèmes financiers, devenu
très banal dans les pays africains, par l‟expression “à la banque le matin, à la
tontine le soir” (A. Henry et autres, 1991, p. 31)38. La participation dans les
tontines de quartiers à Dakar, comme nous allons le montrer dans ce qui suit,
n‟est pas déterminée nécessairement par la situation socio-économique des
individus.
La participation dans les tontines de quartier est volontaire. De ce
fait, les tontines correspondent à ce que James Nwannukwu Kerri appelle les
associations volontaires fondées sur l‟intérêt commun des membres (J. N.
Kerri 1976, p. 23)39. Chaque femme décide librement de se joindre à une
tontine en tenant compte de ses moyens, de ses besoins et des relations
qu‟elle entretient avec les responsables ou initiatrices de celle-ci. Cela dit,
les femmes qui participent dans les tontines de quartiers présentent des

36
Les profils socio-économiques de ces femmes participant dans les tontines de
quartiers sont tirés des entretiens que nous avons eus avec une vingtaine d‟entre elles
au cours de nos recherches de terrain à Dakar entre octobre 1997 et mai 1998. Il faut
préciser qu‟il s‟agit plus d‟exemples destinés à donner une image plus ou moins
claire des participantes que d‟études de cas à proprement parler.
37
Ndione, E. S., (1992), Le don et le recours. Ressorts de l‟économie urbaine. Enda-
Editions, Dakar, 1992, 210p.
38
Idem
39
Kerri, J. N., 1976), “Studying Voluntary Associations as Adaptive Mechanisms: A
review of Anthropological Perspectives”, Current Anthropology, vol. 17, nº1, March
1976.

58
profils socio-économiques très variés bien qu‟en fonction du type de
quartiers, populaires ou cités résidentielles, on note des situations sinon
homogènes tout au moins similaires. La présentation des profils socio-
économiques de certaines participantes permet d‟avoir une idée de cette
variation et de l‟adaptation des tontines à toutes les situations socio-
économiques des familles dakaroises.

Maïnouma

Maïnouma, 37 ans et mère de 4 enfants, vit avec son mari dans une
petite maison de deux pièces à Pikine Médina Gounasse. Son mari est
vendeur de cola en face de la station d‟essence de Pikine Tally Boumag. Il
tire, à en croire Maïnouma, des revenus très modestes ne permettant pas de
prendre en charge les besoins les plus élémentaires de la famille tels qu'une
alimentation suffisante. Elle reçoit chaque matin 300 F CFA de son mari
pour la “dépense” quotidienne. Elle doit se débrouiller avec pour que ses
enfants ne meurent pas de faim. Pour ce faire, elle vend devant le portail de
sa maison des légumes, de l‟arachide, et des condiments de toute sorte. Les
bénéfices tirés de ses activités complètent ce qu‟elle reçoit de son mari pour
assurer le minimum à la famille. Son frère aîné, qui est chauffeur dans
l‟administration lui apporte un soutien régulier malgré sa propre charge
familiale.
Elle ne sait pas exactement combien elle gagne par jour encore
moins par mois parce qu‟elle ne différencie pas l‟argent qu‟elle reçoit de son
mari ou de son frère et les recettes venant de son petit commerce. “Chaque
jour, dit-elle, je me débrouille pour qu‟il y ait quelque chose à manger pour
mon mari et mes enfants. Je ne calcule même pas, tout ce qui me tombe entre
les mains est dépensé en fonction des urgences des besoins de ma famille”.
Les trois premiers enfants de Maïnouma ont abandonné l‟école avant même
de terminer leurs études primaires. La fille aînée âgée de 17 ans, travaille
comme une bonne aux parcelles assainies avec un revenu mensuel de 7.500
F CFA. Les deux garçons qui viennent immédiatement après elle, travaillent
tous les deux comme apprentis tailleurs chez un cousin de leur père. A part
l‟argent de poche que leur patron leur donne à l‟approche des fêtes de
Tabaski et de Korité, durant lesquelles il y a beaucoup de travail, ils ne
reçoivent aucune rémunération. Le quatrième enfant suit des études
coraniques à Keur Massar.
Le choix de participer à une tontine se justifie, d‟après elle, par le
fait qu‟elle était convaincue que faire face aux problèmes socio-économiques
en tant que groupe était plus raisonnable et plus rentable que les faire face
seule en tant qu‟individu. En tant que voisines, il était normal de se prêter
main forte les unes les autres. “Ici à Dakar, dit-elle, ton voisin est ton
premier parent. S‟il y a un désastre chez toi, il est le premier à te secourir

59
avant que les membres de ta propre famille ne viennent d‟autres quartiers de
la ville. Donc, il est tout fait normal de se joindre à toutes les initiatives
tentant de stimuler l‟entraide au sein du voisinage”.
Maïnouma participe dans une tontine de quartier avec ses voisines
immédiates. La mise est de 500 F CFA tous les 15 jours et le montant de la
levée est de 16.000 F CFA avec 32 participantes. Sa fille aînée participe
également à la même tontine. L‟argent qu‟elles tirent toutes les deux de la
tontine permet de payer, de temps en temps, les factures d‟eau et d‟électricité
mais également compléter la ration alimentaire mensuelle que son mari est
en devoir de payer au boutiquier du coin qui leur accorde du crédit à la
consommation. Cette ration est composée essentiellement de 100 kg riz, de 5
litres d‟huile, de cinq paquets de sucre de 50 kg de mil, une barre de savon.
En plus, l‟argent peut également être utilisé en cas d‟urgence pour faire face
à des frais médicaux ou de transport. Tout compte fait l‟argent que
Maïnouma obtient auprès de la tontine est entièrement dépensé pour la prise
en charge des besoins familiaux.

Aldiouma

Aldiouma est originaire du village de Thilogne et vit depuis maintenant


quinze ans à Dakar avec son mari. Elle est âgée de 49 et n‟a jamais été à
l‟école. Elle ne sait ni lire, ni écrire mais elle sait calculer mentalement. Son
mari avait émigré en France jusqu‟à la fin des années 1970. Après la mort du
mari de sa nièce, il est revenu définitivement avec la pression des parents
pour s‟occuper de la grande famille de sa nièce à Dakar. Il remplace le mari
de celle-ci dans le commerce de tissu dans un marché de la place. En ce
moment, Aldiouma était au village où elle entretenait un petit commerce en
détail chez elle. Après deux ans, elle vient rejoindre son mari et la famille de
sa nièce à Dakar. Au début, ils habitaient à la Sicap dans une villa spacieuse
composée de deux bâtiments renfermant au total six pièces dont un très
grand salon. Peu à peu, la maison avait attiré du monde, des parents et des
voisins venant du village. Il y avait des élèves, des émigrés en transit à
Dakar, des malades venus pour se faire soigner si ce n‟est des femmes ayant
fuis les durs labours du monde rural pour venir se reposer à Dakar. La
maison comptait alors de plus d‟une trentaine de personnes, ce qui
constituait une charge insupportable pour son mari qui décide de renvoyer la
famille de sa nièce au village. Au même moment, il construit un étage de 10
pièces aux Parcelles Assainies où il transfert en 1990 sa propre famille.
Au moment où Aldiouma et sa famille s‟installaient aux Parcelles Assainies,
leur quartier était peu habité. Profitant de sa position de pionnier, elle
accueillait les bras ouverts ses voisines qui venaient petit à petit s‟installer
dans le quartier. Elle se rend régulièrement chez ses voisines de quartier pour
des visites de courtoisie. Elle se présente et apporte son soutien financier à

60
l‟occasion des cérémonies familiales organisées dans le voisinage. Elle
intervient également en cas de conflit dans le voisinage en offrant ses bons
offices. Elle justifie de tels actes en se référant à la religion musulmane qui
recommande d‟être solidaire et de se prêter une attention réciproque entre
voisins. Ainsi, elle est parvenue à gagner la confiance et l‟estime de ses
voisines. En 1992, elle initie deux tontines. La première ne regroupe que les
haalpulaar du quartier propriétaires de maison et la mise est de 1000 F CFA
par mois avec 40 participantes et une levée de 40.000 tous les 15 jours. La
deuxième par contre regroupe ses voisines immédiates issues de différentes
ethnies. La mise est de 10.000 par mois et le nombre de participantes de 24.
La levée de 240.000 F CFA est remise à deux participantes chaque mois ce
qui ramène la durée du cycle de la tontine à un an.
Comme à la Sicap, petit à petit, la maison se remplissait de monde,
essentiellement des parents et des voisins du village. Aldiouma a 8 enfants
dont quatre garçons et quatre filles. Son fils aîné est en Europe et sa fille
aînée vit avec son mari non loin de son quartier. Sa deuxième fille est mariée
à un cousin qui se trouve aux Etats Unis mais elle vit encore chez ses
parents. Sa troisième fille a été confiée à sa marraine qui est la sœur du mari
d‟Aldiouma. Au total, elle vit avec ses cinq enfants auxquels il faut ajouter
les 7 enfants de ses deux sœurs, de son frère et une fille adoptive. A cela il
faut ajouter le cousin de son mari et d‟autres parents et voisins au nombre de
six venus se faire soigner à Dakar. Au total, la maison comptait au moment
de nos enquêtes plus de 20 personnes. La dépense alimentaire dépassait à
elle seule plus 100.000 F CFA par mois. Les factures d‟eau et d‟électricité
grimpaient très souvent jusqu‟à 150.000 F CFA. A cela, il faut ajouter les
frais médicaux, les frais de transport ou d‟hospitalisation des malades, les
frais scolaires et de transport des élèves. Conscient de sa lourde charge,
certains émigrés dont les parents sont hébergés dans la maison envoient
régulièrement de l‟argent au mari mais cela ne suffit pas.
Pour aider son mari, Aldiouma se lance dans la couture et obtient un
petit atelier dans un nouveau marché au sein duquel, elle a reconduit sa
stratégie d‟approche des voisins. Elle s‟est débrouillée pour connaître tout le
monde et être connue de tous. En 1994, elle y crée également une tontine de
marché avec une mise d‟abord de 500 F CFA par jour. En 1997, la mise est
passée de 1000 F CFA à 2500 F CFA par jour. La levée se fait tous les cinq
jours et elle est de 437.500 F CFA avec 35 participants. Contrairement aux
autres organisatrices de tontine de marché que nous avons rencontré,
Aldiouma ne reçoit pas de commission financière de la part des bénéficiaires
de la levée. Elle évoque des principes religieux pour justifier son refus
d‟accepter les commissions financières. L‟argent tiré de la tontine est utilisé
pour aider à la prise en charge des besoins de la famille. Elle utilise l‟argent
également pour l‟achat du matériel de couture, des tissus, des bobines de fils,
des boutons, des fermetures, des machines à coudre. Elle avoue également

61
dépenser beaucoup d‟argent dans les cérémonies familiales. A chaque fois
qu‟il y a un mariage ou un décès dans son voisinage immédiat ou au village,
elle n‟hésite pas de faire le déplacement pour témoigner de sa solidarité tout
en apportant un soutien financier remarquable.

Penda

Penda est âgée 23 ans. Elle n‟est pas encore mariée et vit avec ses
parents à la Médina. Elle fait partie d‟une famille de 11 personnes. Son père
est décédé, il y a de cela 3 ans. Sa mère s‟est remariée avec le frère de son
père qui avait déjà 2 épouses. Ce dernier travaille dans une boutique d‟un
libano-syrien qui vent des tapis, des chaises, des couvertures et d‟autres
produits importés d‟Asie. La famille de Penda vit dans une maison en dur
qui avait été construite par son père qui travaillait comme officier de police.
Les dépenses de la famille sont prises en charge en partie par sa mère qui
reçoit une pension depuis le décès de son mari et en partie par son frère aîné
qui travaille dans une agence immobilière et vit avec sa femme et ses deux
enfants dans la famille.
Penda participe dans une tontine de quartier afin, dit-elle, de
s‟occuper d‟elle-même. C‟est son petit ami, un instituteur d‟une trentaine
d'années, qui lui donne l‟argent nécessaire pour honorer ses engagements par
rapport à la tontine. Les contributions sont fixées à 1.500 F CFA tous les 10
jours et la levée s‟élève à 22.500 F CFA. Penda utilise l‟argent reçu de la
tontine pour acheter des effets de toilette, des produits de dépigmentation,
des habits ou chaussures à la mode et pour se payer des coiffures en vogue.
Penda prétend faire tout ceci pour plaire à son petit ami dont elle entend
convaincre ainsi à l‟épouser. Elle affirme :
“Il faut savoir s‟entretenir soi-même en tant que fille pour garder son petit
ami. Il faut le charmer continuellement sans relâche avec l‟argent que tu reçois de
lui. Autrement, il va tomber dans le charme d‟une autre fille plus respectueuse
d‟elle-même. Dans le cas échéant, tu n‟as absolument rien à dire parce que tu as été
très négligente. Il faut comprendre que le rang est très serré. Chaque fille veut avoir
un petit ami avec une bonne situation. Si tu en rencontres un, il faut tout faire pour le
garder”.
C‟est donc pour se valoriser que Penda participe dans la tontine de
quartier avec des voisines du même âge qui ont la même préoccupation, les
mêmes soucis et les mêmes espoirs.

Ngoné

Ngoné est âgée de 39 ans et vit avec sa famille de 6 membres à la


Sicap Amitié II. Son mari travaille comme conseiller technique. Ngoné ne
sait pas combien il gagne par mois mais elle nous confie que rien ne manque

62
dans la maison. Ils habitent dans une villa très moderne avec 4 chambres, un
grand salon, une salle à manger, une salle à bain et une cuisine bien équipée.
Ngoné n‟a pas, comme son mari, suivit de longues études, elle a abandonné
à la fin de ses études secondaires. Avec le financement de son mari, elle a
commencé à voyager en Espagne, en Italie et dans les pays asiatiques pour
payer des habits, des chaussures de marques, des bijoux, des montres, des
bracelets, des effets de toilettes et des produits de dépigmentation qu‟elle
revend à Dakar. Elle fait partie de cette catégorie de femmes qu‟on appelle
les femmes d‟affaires. Les femmes d‟affaires font de l‟import-export. La
plupart du temps, elles ont une clientèle qui est composée des couches
sociales moyennes ou aisées qui essayent autant que faire se peut de se
brancher à la mode. Du fait de leur mobilité les femmes d‟affaires sont
souvent fichés par les hommes comme des infidèles qui n‟hésitent pas à
utiliser tous les moins pour corrompre les agents de la douane. Ngoné a ses
clients parmi ses voisines et les collègues de travail de son mari et reçoit de
leur part des commandes précises de produits qu‟ils souhaitent avoir et qu‟ils
ne trouvent pas dans le marché local.
Ngoné participe dans une tontine de quartier regroupant 15
participantes. Les contributions sont fixées à 100.000 F CFA par mois et la
levée est de 1.500.000 F CFA. Toutes les participantes disposent d‟activités
commerciales, de couture ou de coiffure desquelles elles tirent des revenus
substantiels. Ngoné avoue que la tontine l‟a beaucoup aidé dans ses débuts.
Elle a pu recevoir la levée en troisième position et disposer de 3.000.000
pour son premier voyage en Espagne. Elle a obtenu 1.500.000 F CFA de sa
tontine et 1.500.000 de son mari sous forme de crédit. Par ailleurs les
participantes à la tontine constituent sa clientèle préférée. Elle vend souvent
à crédit aux participantes de la tontine et attend tranquillement leur tour de
disposer de la levée pour récupérer son argent. Il faut dire que Ngoné
renvoie l‟ascenseur dans la mesure où elle est une cliente pour les membres
de la tontine qui ont des activités de couture ou de coiffure qui l‟intéresse ou
encore d‟autres services à offrir. L‟argent que Ngoné reçoit de la tontine est
immédiatement réinvesti dans ses activités commerciales. Pour épargner,
elle a ouvert un compte bancaire à la Banque Internationale pour le
Commerce et l‟Industrie au Sénégal (BICIS). Elle entend investir dans
l‟immobilier avec le concours de son mari et de la tontine.

Ndèye Fatou

Ndèye Fatou, 34 ans et mère de 3 enfants, habite à la Sicap Mermoz


depuis son mariage en 1986. Elle vit avec son mari qui est employé de
banque. Son mari, qui est comptable de formation, a d‟abord travaillé à la
Banque Nationale de Développement du Sénégal (BNDS) avant d‟être
engagé dans une autre banque de la place après la faillite de la BNDS. Il a un

63
salaire suffisant pour entretenir convenablement sa famille malgré la prise en
charge de ses parents restés au village et de ses frères et cousins venus faire
leurs études à Dakar. Ndèye Fatou n‟a pas de travail autre que celui de la
gestion des affaires domestiques.
Elle participe à trois tontines de quartier qui répondent à des besoins
différents. Elle tire les cotisations de la dépense quotidienne et de l‟argent
qu‟elle reçoit de temps à autre de son mari. La première tontine à laquelle
elle participe regroupe 23 participantes qui sont toutes des femmes mariées
dans son voisinage immédiat. Les contributions sont fixées à 5000 F CFA
tous les 15 jours et la levée est de 115.000 F CFA. Elle utilise l‟argent de
cette tontine pour ses besoins personnels: habillement, produits de beauté,
bijoux en or ou en argent, etc. La deuxième tontine à laquelle Ndèye Fatou
participe regroupe 18 femmes qui sont également du voisinage et dont la
grande majorité participe à la première tontine. Les contributions sont de
15.000 F CFA par mois et la levée est de 270.000 F CFA. Elle utilise
l‟argent de cette tontine pour l‟équipement de sa maison. Elle a pu acheter
des meubles pour son salon, un téléviseur couleur, un magnétoscope, un
congélateur, des draps et des rideaux pour le confort de sa maison. La
troisième est dernière tontine à laquelle Ndèye Fatou participe regroupe 32
participantes. Les contributions sont de 2.500 F CFA tous les 10 jours et la
levée est de 80.000 F CFA. L‟argent de cette tontine est destiné à la prise en
charge de besoins variés: habillement des enfants, transport, cotisations au
cours de cérémonies familiales, frais liés à la santé et à l‟éducation des
enfants, etc... Au total, c‟est 32.500 F CFA qu‟elle débloque à la fin de
chaque mois pour honorer ses engagements envers ces trois tontines.
Les profils des participantes aux tontines dans les quartiers de Dakar
montrent clairement des situations socio-économiques contrastées entre les
femmes résidant dans les quartiers populaires et celles qui habitent les
quartiers de la “classe moyenne” et les quartiers de la “classe aisée”. La
tontine constitue dans ces différents espaces un instrument financier adapté
et destiné à répondre à des besoins spécifiques. Ainsi, si la tontine de
Maïnouma et de sa fille, dans le quartier populaire de Pikine Médina
Gounasse, leur permettent de répondre aux besoins vitaux de leur famille
(alimentation, eau et électricité), les tontines auxquelles participe Aldiouma
aux Parcelles Assainies (un quartier dont les habitants peuvent être classés
dans la classe moyenne), bien que répondant aux besoins de survie d‟une
famille élargie, sont également destinées à consolider le capital social de
celle-ci et à soutenir une activité génératrice de revenu.
Le cas de Penda montre une relation assez nette entre cycle de vie et
fonctions de la tontine. Les adolescentes des lycées et les jeunes filles non
mariées ont des préoccupations fondamentalement différentes quand elles
participent aux tontines que celles des femmes mariées ayant des enfants en
charge. Si Maïnouma et Aldiouma sont préoccupées par les besoins vitaux

64
de leurs familles et, Ngoné et Ndèye Fatou se soucient de l‟équipement de
leur maison et du développement de leurs activités commerciales, Penda,
elle, est plus attirée par les produits de beauté, des habits et chaussures à la
mode pour séduire les hommes.
Ngoné et Ndèye Fatou représentent les femmes privilégiées de la
société sénégalaise. Elles sont mariées à des cadres dont les revenus élevés
les mettent, elles et leurs enfants à l‟abri du besoin. Elles ne sont pas tenues
comme Maïnouma et Aldiouma à se battre quotidiennement pour la survie
de leurs familles. Les tontines auxquelles elles participent sont destinées
uniquement à les aider à équiper leurs maisons du matériel symbolisant le
succès du salarié à Dakar (télévision, meubles de luxe, équipements
électroménagers, etc.) ou à développer leur business de femmes d‟affaires.
On peut remarquer que les profils socio-économiques des membres
des tontines de quartier de Dakar présentés ci-dessus ne sont constitués que
des femmes. Ce qui révèle une participation aux tontines de quartier presque
exclusivement féminine.

Prédominance des femmes dans les tontines de quartiers

La participation dans les tontines aussi bien simples qu‟avec


organisatrice dans les quartiers de Dakar se caractérise essentiellement par la
prédominance des femmes. Dans les tontines simples, qui constituent un peu
plus des 2/3 de l‟ensemble des tontines de quartiers observées, on note une
participation exclusivement féminine. Les autres 1/3 correspondent à des
tontines avec organisatrice où la participation des femmes est dominante et
celle des hommes tolérée. Dromain arrive à des résultats similaires dans une
enquête qui a porté sur un échantillon de 199 tontines. Sur les 5.094
adhérents interrogés au niveau national, les femmes représentent 73,67%. A
Dakar, les enquêtes de Dromain avance un pourcentage encore plus élevé,
sur 3.909 participants dans les tontines de la ville, les 74,06% sont des
femmes. (M. Dromain 1990, p. 172-73)40. Du point de vue de la
prédominance de la participation des femmes, les tontines de quartiers à
Dakar présentent les mêmes caractéristiques que celles des quartiers de
Thilogne que nous avons abordées dans le chapitre précédent.
L‟importance accordée aux aspects sociaux semble être
déterminante dans l‟explication de cette exclusivité dans les tontines simples

40
Dromain, M., (1990), “L‟épargne ignorée e négligée : les résultats d‟une enquête
sur les tontines au Sénégal”, in Lelart M. (ed.), La Tontine, AUPELF-UREF, John
Libey Eurotext, Paris, 356p.

65
(M. Rowlands 1995, pp. 118-119)41. La tontine simple des quartiers de
Dakar est avant tout un lieu de sociabilité dans une unité restreinte de
voisinage. Elle s‟inscrit dans une longue tradition de réciprocité entre
voisines au cours des cérémonies familiales. Les femmes d‟une unité de
voisinage en dépit de leurs différentes appartenances ethniques, religieuses
et familiales mettent toujours en place de manière spontanée des réseaux
sociaux de sociabilité pour venir en aide aux organisatrices de cérémonies
familiales. Le réseau le plus répandu est le mbotaye42 dont les membres ne
peuvent être uniquement que des femmes. Cette exclusivité de la
participation féminine dans le mbotaay permet de comprendre aussi, à notre
avis, la prédominance des femmes dans les tontines de quartier. Le mbotaay
est considéré comme une association féminine qui ne peut tolérer la
participation des hommes.
La question est alors pourquoi les femmes veulent-elles coûte que
coûte empêcher les hommes de participer dans les tontines simples. Par
rapport à cette question, deux réponses peuvent être envisagées. La première
se rapporte à l‟organisation socio-économique de l‟unité domestique qui fait
des hommes les pourvoyeurs des ressources matérielles et financières et des
femmes les gestionnaires du budget familial. Cette division des rôles en
fonction du genre trouve sa légitimation dans la religion musulmane et dans
les structures sociales dominées par la patrilinéarité. Il est vrai que de plus en
plus les femmes participent activement à la constitution des revenus
familiaux. Dans le cas des femmes chefs de famille, veuves ou filles mères,
elles sont les seules à répondre aux besoins de leur famille (Codou Bop,
1995).
Mais l‟écrasante majorité des ménages sénégalais reflète le mode
d‟organisation socio-économique où c‟est l‟homme qui approvisionne la
famille en biens matériels et financiers et la femme est la gestionnaire. D‟une
manière générale, la grande majorité des femmes qui participent dans les
tontines au niveau des quartiers tirent leurs contributions du budget
domestique dont elles ont en charge la gestion. Ce qui veut dire que dans une
certaine mesure que la participation aux tontines se fait aux dépens des
hommes. Dès lors, les femmes ont bien intérêt à ne pas intégrer les hommes
afin qu‟ils ne découvrent pas les stratégies définies par elles pour parvenir à
accumuler à partir de la ponction du budget familial. Cela est surtout vrai

41
Rowlands, M., (1995), “Looking at Financial Landscapes : A Contextual of
ROSCAs in Cameroon”, in Money-Go-Rounds, Ardener S. and Burman S. (ed.),
Berg Publishers, 1995, pp. 111-124.
42
Le terme mbotaye vient probablement du verbe wolof boot qui veut dire porter
sur le dos. Le verbe boot est employé pour décrire le port du bébé sur le dos de la
maman. Ainsi, boot peut signifier également protection, sécurité, attention renvoyant
aux liens d‟affection entre la mère et l‟enfant.

66
pour les familles polygames dans lesquelles chaque épouse essaye de
profiter au maximum du budget familial pour entretenir convenablement ses
propres enfants aux dépens des autres.
Le privilège de la gestion du budget familial conduit souvent à des
querelles et des tiraillements entre belle-fille et belle-mère. D‟une manière
générale, un jeune couple vit avec les parents du mari et il se pose toujours le
problème de la gestion du budget familial entre la belle-mère et la belle-fille.
Les belles-mères ont tendance à vouloir gérer le budget tout en se libérant de
certaines tâches domestiques aux dépens de belles-filles. Ce scénario est
souvent admis par les belles-filles au début de la vie d‟un jeune couple,
surtout si le père du mari contribue encore à la prise en charge des besoins de
la famille. Mais au fur et à mesure que les parents des maris vieillissent, les
belles-filles ont tendance à réclamer qu‟on leur confie la gestion du budget
familial. Ce passage est dans plusieurs cas teinté de conflits ouverts entre
belles-mères et belles-filles.
La deuxième explication de l‟exclusivité de la participation féminine
dans les tontines simples de quartier est qu‟elles constituent pour les femmes
des espaces d‟expression, d‟échange d‟expériences, de socialisation mutuelle
qui serait dénaturés par la participation des hommes qui incarnent une
certaine autorité et une certaine ascendance vis-à-vis des femmes.

« Entre femmes tout est possible, affirme Aissata, nous pouvons discuter de
tout sans aucun complexe. Mais devant nos maris, il n‟est pas possible
d‟aborder certains sujets tels que la sexualité par exemple. Les hommes sont
nos kilifa (responsable), nous leur devons du respect. C‟est pourquoi notre
tontine est exclusivement composée de femmes. Je pense que d‟ailleurs les
hommes ne viendront jamais demander à participer directement dans notre
tontine ».
Cela dit, certains hommes participent indirectement dans les tontines
mutuelles de quartiers en passant par une sœur, une cousine ou une amie.
Dans certains cas, les femmes qui disposent de plusieurs “mains”, c‟est-à-
dire qui doublent ou triplent leurs contributions dans une même tontine,
constituent des intermédiaires qui favorisent la participation indirecte des
hommes dans les tontines mutuelles. Dans ce cas, la femme intermédiaire
reçoit de l‟homme les contributions périodiques et lui remet le montant de la
levée quand vient son tour d‟en disposer. Elle peut alors obtenir une
commission financière pour son rôle d‟intermédiaire. Cette forme de
participation indirecte des hommes dans les tontines simples ne gêne pas les
femmes d‟autant plus qu‟elle se fait à l‟insu des autres membres et que les
hommes ne viennent pas assister aux réunions périodiques.

67
Comparaison entre les tontines des différents types de quartiers.

Au delà de cette prédominance de la participation des femmes, il est


important de souligner que les tontines présentent des caractéristiques
différentes en fonction de la nature des quartiers dans lesquels elles sont
organisées. Comme nous allons le montrer dans ce qui suit le nombre moyen
de participant comme les montants moyens des contributions et des levées
varient quand on passe des quartiers populaires aux quartiers résidentiels qui
abritent les couches sociales moyennes et/ou aisées.
Cette comparaison entre différents types de quartiers est d‟autant plus
importante qu‟elle permet de remettre en cause le préjugé bien établi que les
tontines ne concernent que la frange de la population urbaine exclue d‟office
des circuits financiers institutionnels qui ne s‟intéressent qu‟aux classes
aisées et moyennes. Il est vrai, cependant, que pour l‟écrasante majorité des
habitants des quartiers populaires de Dakar comme la Médina et Pikine
Médina Gounasse les tontines et les réseaux sociaux de solidarité constituent
les instruments financiers privilégiés pour satisfaire leurs besoins d‟épargne,
d‟accès au crédit, de prévoyance et d‟assurance.
Dans cette perspective, on constate la variation du nombre de
participants, du montant des contributions et des levées par tontines en
fonction de la typologie des quartiers. Dans les quartiers populaires, la
participation, du point de vue du nombre de membres, est plus massive
comparée à celle des quartiers abritant des couches sociales bigarrées,
moyennes ou riches. Le nombre moyen de participants dans les tontines au
niveau des quartiers populaires ayant fait l‟objet d‟enquête, en l‟occurrence
Médina et Pikine Médina Gounasse, est de 52 par tontine alors qu‟il est
respectivement de 43 dans les quartiers des couches sociales moyennes ou
bigarrées correspondant aux parcelles assainies et de 23 seulement dans les
quartiers des couches sociales relativement aisées comme les Sicap. Le
nombre relativement important de participants dans les tontines des quartiers
populaires et des couches sociales moyennes s‟explique par l‟existence en
leur sein de plus d‟une dizaine de tontines avec organisatrice ou familiales
dépassant une centaine de participants. Dans les tontines simples, le nombre
moyen de participants ne dépasse guère la trentaine. Il est de 24 à la Médina
et de 27 à Pikine Médina Gounasse.
Ces chiffres correspondent au nombre de participants au moment des
enquêtes. Le nombre de participants a également varié avec le temps. Pour
rendre compte de cette évolution du nombre de participants, nous avons
retenu deux points de repère: le nombre de participants dans une tontine au
moment de sa création, c‟est-à-dire au départ, et le nombre de participants au
moment des enquêtes, c‟est-à-dire au dernier cycle tontinier. Ainsi, le
nombre moyen de participants est passé de 39 à 52 dans les quartiers

68
populaires (Pikine Médina Gounasse et la Médina), de 36 à 43 dans les
quartiers à couches sociales moyennes ou bigarrées (Les Parcelles Assainies)
et de 15 à 23 dans les quartiers des couches sociales aisées (Les Sicap).
L‟augmentation du nombre de participantes est plus importante dans
les quartiers populaires que dans les quartiers des couches moyennes ou
aisées. Par conséquent le nombre moyen de participants est encore de loin
plus important dans les quartiers populaires que dans les autres types de
quartiers. Il dépasse plus du double le nombre moyen de participants dans les
quartiers des couches sociales aisées. L‟explication de ces variations du
nombre moyen de participants aux tontines par rapport aux trois types de
quartiers est certainement liée au degré d‟exclusion par rapport aux circuits
financiers institutionnels et aux différents modes de sociabilité (Dromain,
1990). Les habitants des quartiers populaires sont les plus exclus et ont,
donc, tendance à participer dans les tontines pour satisfaire leurs besoins
d‟intermédiation financière tandis que les couches moyennes et aisées sont
plus ou moins intégrées à des degrés divers au système bancaire et peuvent,
par conséquent, recourir simultanément aux banques ou aux tontines en
fonction des opportunités qu‟elles offrent. L‟occupation anarchique de
l‟espace dans certains quartiers populaires qui se manifeste par la contiguïté
des maisons, favorise une sociabilité plus intense du fait que les voisins sont
en contact en permanence. A l‟opposé, les quartiers des couches sociales
aisées se caractérisent par des modèles d‟habitat occidentaux où les
occupants tentent tant bien que mal à reproduire un style de vie moderne qui
s‟accompagne d‟une sociabilité réservée. Dans certains quartiers résidentiels
tels que Point E par exemple, il a été très difficile de trouver des
participantes aux tontines de quartiers.
Les montants des contributions et des levées ainsi que le volume
financier ont également connu une évolution positive et progressive dans la
même période. A l‟inverse du nombre de participantes, les montants de
contributions et des levées sont plus élevés dans les tontines des quartiers
des couches sociales aisées et moyennes que dans celles des tontines des
quartiers populaires. En effet, le montant moyen des contributions dans les
tontines des quartiers des couches sociales relativement aisées, les Sicap, est
de 6735 F CFA alors qu‟il est de 1945 F CFA dans les tontines des quartiers
populaires et de 2190 dans les tontines des quartiers abritant la classe
moyenne en l‟occurrence les parcelles assainies. Le montant moyen des
levées connaît également des variations importantes entre les tontines des
différents types de quartiers. Ainsi, il est de 75.715 F CFA dans les tontines
des quartiers populaires alors qu‟il représente 80.900 F CFA dans les
tontines des quartiers des classes moyennes et 142.700 F CFA dans les
tontines des quartiers des couches sociales aisées.

69
Les motivations des participants aux tontines de quartier à Dakar

Après avoir présenté ces quelques caractéristiques de la participation


dans les tontines et leur variation en fonction de la typologie des quartiers
dakarois, il est opportun de considérer les raisons qui poussent autant de
femmes à recourir en priorité à cette forme d‟arrangement financier. A la
suite d'Ardener, on est en droit de demander pourquoi parmi les divers
arrangements financiers disponibles, les populations urbaines, surtout les
femmes, ont une préférence prononcée pour la tontine (S. Ardener 1995, p.
1).
Les raisons du recours aux tontines de quartiers sont très diverses et
varient en fonction des attentes et des besoins des différents membres.
Cependant l‟écrasante majorité des femmes qui participent aux tontines de
quartier à Dakar admet participer aux tontines pour se faire forcer à
l‟épargne. En effet, la constitution d‟une épargne substantielle pouvant servir
à réaliser des projets de consommation ou d‟investissement semblent être
l‟objectif poursuivi par les participantes aux tontines de quartier. Pour y
parvenir, il faut, comme le souligne Ndèye Fatou, “mettre son argent hors de
portée de la main”. Car autrement, on ne peut s‟empêcher de le dépenser au
gré des circonstances du moment. Ainsi, c‟est très difficilement que l‟on
parvient, laissé avec sa propre volonté, à accumuler selon une périodicité
régulière une épargne d‟un montant fixe comme à travers la tontine.
On peut imaginer qu‟une femme décide de verser dans un tiroir
personnel ou un compte bancaire une somme fixe selon une périodicité
régulière pendant un certain temps nécessaire à la constitution d‟un montant
suffisant pour réaliser un projet personnel. Ce qui apparemment ne diffère
pas beaucoup de la participation à une tontine où la participante serait la
dernière à lever les fonds tontinier. La seule différence, et elle est de taille,
est la disponibilité de l‟argent dans le premier cas de figure qui
s‟accompagne du risque de l‟utiliser avant le terme qu‟on s‟est fixé et sa
dissimulation, dans le deuxième cas de figure, parmi les participantes ayant
déjà bénéficié de la levée; ce qui oblige la participante d‟attendre son tour
pour voir la “couleur de l‟argent”.
Les femmes ayant répondu à nos questions mettent l‟accent sur les
difficultés qu‟elles rencontrent en tant que mères de familles à dégager une
épargne suffisante pour démarrer ou encore renforcer une activité génératrice
de revenu, équiper confortablement leurs maisons, habiller, soigner et
éduquer convenablement leurs enfants. Les propos de mère Mbaye sont
éloquents dans cette perspective:

« Les mères de familles, que nous sommes, courent perpétuellement derrière le bien
être de nos enfants. On dépense tout ce qu‟on a pour prendre en charge leurs besoins

70
variés. C‟est pour cette raison qu‟il est difficile de mettre une petite somme d‟argent
à côté en vue de réaliser quelque chose de significatif. Si tu décides de mettre 500 F
CFA à côté chaque jour pendant un mois tu vas très tôt t‟apercevoir que ce n‟est pas
possible. Tu peux commencer mais dès qu‟un besoin urgent se présente, tu vas te
sentir obliger de dépenser le peu que tu avais pu épargner. Tant que l‟argent est
accessible, qu‟on le veuille ou non, on le dépensera avant le terme qu‟on s‟est soi-
même fixé. On peut être aussi tenté de mettre 400 ou 300 F CFA au lieu des 500 F
CFA par jour qu‟on s‟était promis. Bref, on ne se sent pas vraiment obligé
d‟épargner ».

Ces propos sont identiques à ceux des participantes aux tontines de


Thilogne. Il y a dans les deux cas, une reconnaissance de la part des
participantes de leur incapacité à épargner, de manière individuelle, une
somme importante si elles sont laissées à elles-mêmes. La tontine offre une
alternative dont toutes les femmes participant aux tontines de quartier
semblent être conscientes. Elle oblige les participantes à se conformer à leur
propre volonté d‟épargner un montant fixe selon une périodicité régulière.
En effet, dès qu‟on s‟engage dans une tontine, on n‟a pas d‟autres
alternatives que de donner ses contributions périodiques et attendre son tour
de disposer de la levée, autrement on court le risque de perdre la face devant
ses pairs. Par ailleurs on est sûr de disposer sous forme de crédit ou
d‟épargne la somme que l‟on se fixe pour objectif d‟atteindre à terme. C‟est
dire que la tontine, par le fait qu‟elle est une entreprise collective, renferme
en elle-même une pression sociale poussant les individus qui y participent à
se conformer à leurs propres volontés. Le but ultime du recours à cette
pression sociale pour chaque participant dans les tontines de quartier est de
parvenir à un contrôle efficace de soi afin de réaliser ses propres desseins.

71
Tableau n°7: Les facteurs explicatifs du recours aux tontines43.

Motivation Nombre de répondants


Accès difficile aux services bancaires 38
Simplicité des procédures dans les tontines 58
Relations personnalisées 100
Pression sociale pour parvenir à épargner 136
Absence d‟intérêt sur le crédit 55
A. Kane: enquêtes de terrain.

Comme nous l‟avons déjà souligné avec les tontines de Thilogne, la


contrainte sociale à l‟auto contrainte telle qu‟elle a été analysée par Elias,
c‟est-à-dire comme un rapport dialectique entre la contrainte sociale qui est
extérieure à l‟individu et l‟auto contrainte qui découle de sa propre volonté
et qui lui est donc intérieure, constitue apparemment un bon modèle
explicatif pour comprendre la logique des acteurs qui recourent à la pression
sociale du groupe pour épargner ( N. Elias 1994, pp. 443-56)44.
Comme le montre le tableau précédent, dans les 136 sur les 387
réponses, soit 35%, le bénéfice de la pression sociale du groupe pour
parvenir à épargner une somme d‟argent souhaitée est considéré comme la
principale raison explicative du recours à la tontine. La personnalisation des
relations dans les tontines à l‟opposé des circuits financiers institutionnels
constitue également un facteur explicatif du recours à la tontine pour
beaucoup de participants. En effet, 100 sur 387 réponses, soit 26% de
l‟ensemble, mettent en avant la convivialité inhérente aux tontines comme
une source de motivation à la participation dans ce genre d‟arrangement. Ce
qui fait parler à certains “d‟argent chaud” dans les tontines, comparé à
“l‟argent froid” des banques. L‟importance de cette motivation rend compte
de la volonté des participantes aux tontines d‟étendre leurs réseaux sociaux

43
Les données contenues dans ce tableau ont été obtenues par le biais d‟un
questionnaire dont l‟élaboration a été précédée par une pré-enquête qui a révélé
l‟importance des cinq catégories de motivations retenues dans ce tableau. Les
personnes interrogées ont eu la liberté de choisir toutes les réponses proposées. Ce
qui veut dire qu‟un individu peut donner plus d‟une réponse, voire cinq à la fois.
C‟est ce qui explique le décalage entre le nombre de répondants et le nombre de
réponses. Pour obtenir en termes de pourcentage la représentativité de chaque
catégorie de motivations, nous avons reporté le nombre de réponses pour la catégorie
au nombre total de réponses des cinq catégories.
44
Elias, N., (1994), The Civilizing Process. 1 vol. Oxford: Basil Blackwell, pp. 443-
56.

72
qui se révèlent très utiles quand on fait face à certains problèmes ou
urgences. Quand on est dans le besoin, on peut facilement recevoir un
soutien moral et dès fois financier des membres de sa tontine, ce qui n‟est
pas possible avec une banque. Plusieurs tontines de quartiers sont d‟ailleurs
articulées à d‟autres regroupements solidaires qui constituent autant de
recours pour leurs membres en cas d‟adversité.
Par ailleurs, la simplicité des procédures tontinières est considérée
également comme un facteur explicatif du recours aux tontines de quartier.
En effet, 58 sur 387 réponses, soit 15%, désignent du doigt la simplicité et la
flexibilité des tontines comme l‟une des raisons majeures poussant les
participants à préférer ce genre d‟arrangement financier par rapport à un
quelconque autre. Cela s‟explique par le fait que la plupart des participants
ne savent, ni lire, ni écrire et considèrent que les procédures bancaires, de
par leur formalisme et leur mode de communication, sont très complexes
pour eux. Il est très surprenant que les avantages économiques et financiers,
comme raison explicative du recours à la tontine, n‟aient recueilli que 55 sur
387 réponses, soit 14%. Cela est peut-être dû au fait que les tontines simples
qui sont prédominantes au niveau des quartiers mettent très souvent l‟accent
sur les aspects sociaux de ce type d‟arrangement plutôt qu‟à leurs aspects
financiers. Le dernier facteur du recours à la tontine est l‟exclusion des
participants par rapport aux banques. Seulement 38 sur 387 des réponses,
soit 10% suggèrent que c‟est l‟impossibilité d‟accéder aux banques qui
constitue la raison principale qui les pousse à adhérer aux tontines.
Après avoir expliqué les raisons qui poussent les individus à
participer dans les tontines de quartiers, il est opportun de saisir les finalités
poursuivies par ce type d‟arrangements financiers.

Besoins satisfaits par les tontines de quartier à Dakar

Les tontines de quartiers semblent répondre à des besoins


spécifiques comparées aux tontines de marché et des lieux de travail. Les
tontines simples qui représentent un peu moins des ¾ de l‟ensemble des
tontines de quartiers sont orientées pour l‟essentiel vers la satisfaction des
besoins de consommation des ménages aussi bien en alimentation qu‟en
équipements divers concourant au confort du ménage. Cependant, certaines
tontines simples et presque l‟ensemble des tontines avec organisatrice au
niveau des quartiers concourent également à la satisfaction des besoins
d‟investissement dans des activités économiques informelles diverses
(couture, teinture, coiffure, commerce a domicile et import-export) de
prestige social (organisation des cérémonies familiales) et d‟obligations

73
religieuses (pèlerinage à la Mecque, célébration des fêtes religieuses telles
que la Tabaski, la Korité, le Gamou de Tivaoune, le Magal de Touba, etc.)45.
Dans certains cas, les tontines simples des quartiers de Dakar se
spécialisent dans la satisfaction d‟un besoin de consommation ciblé pour sa
valeur aux yeux des différentes participantes. En effet, 37 sur les 136
tontines de quartiers, soit un peu plus du quart, poursuivent la satisfaction
d‟un besoin précis. Ainsi, on a des tontines spécialisées dans l‟achat des
bijoux en or ou en argent, d‟autres se préoccupant de permettre à leurs
participantes de faire l'oumra ou le pèlerinage à la Mecque, d‟autres encore
visent l‟équipement des ménages en meubles, matériels électroménagers,
télévisions, magnétoscopes, etc. Les participantes dans ces genres de
tontines sont condamnées à utiliser l‟argent reçu de la tontine conformément
au besoin ainsi ciblé. Ce genre de tontine est assez bien répandu en Afrique.
Margaret Niger-Thomas observe le même phénomène chez les femmes
camerounaises de Mamfe qui ont des njangi ou tontines d‟équipement. Elle
note également que l‟on retrouve ces genres de njangi parmi les femmes des
couches sociales relativement aisées (M. Niger-Thomas 1995, pp. 100-
101)46. Pour comprendre la logique qui se cache derrière une telle option, les
explications d‟Oumy nous paraissent fondamentales:

« Il y a des biens matériels que toute femme qui se respecte doit impérativement
avoir au sein de son ménage. Notre tontine permet à chacune d‟entre nous de
disposer à partir de sa propre épargne avec la pression du groupe qui ne tolère pas
que l‟argent soit dépensé autrement par rapport au besoin prioritaire. Notre tontine
existe depuis 1983 et c‟est grâce à elle que toutes les maisons du voisinage ont été
équipées en meubles (fauteuils, armoires, télévisions, réfrigérateurs, ustensiles de
cuisines divers, etc.). Il n‟y a jamais eu de dispute, tout le monde s‟accorde sur la
nécessité de disposer de tels équipements pour recevoir les hôtes, empêcher les
enfants d‟aller regarder la télé ailleurs, pouvoir stocker certains produits
alimentaires, bref améliorer le confort matériel des familles respectives ».

Les contributions dans ces genres de tontines sont élevées


comparées à celles des autres tontines simples des quartiers de Dakar. Elles
sont de 27.500 F CFA par mois en moyenne alors que la moyenne des
contributions dans l‟ensemble des tontines de quartier est de 3425 F CFA par
participant, soit huit fois moins. Ce qui fait qu‟on les trouve plus dans les

45
La Tabaski est la fête du mouton chez les musulmans, la Korité est la fête qui
marque la fin du ramadan, le Gamou de Tivaoune célèbre la naissance du prophète
Mohammed(PSL) par la confrérie Tidjane et le Magal est un pèlerinage annuelle à la
ville Sainte de Touba par la communauté Mouride.
46
Niger-Thomas, M. (1995), “Women‟s Access to and Control of Credit in
Cameroon: The Mamfe Case”, in Money-Go-Rounds, Ardener S. and Burman S.
(ed.), Berg Publishers, 1995, pp.95-110.

74
quartiers des couches sociales moyennes (parcelles assainies) ou aisées (les
Sicap) que dans les quartiers populaires comme la Médina et surtout Pikine
Médina Gounasse. En fait les objets ciblés dans ces genres de tontines sont
ceux que les participantes considèrent comme étant indispensables par
rapport à leur statut social. Cependant, il arrive que les initiatrices de ces
tontines spécialisées tirent un grand profit du fait qu‟elles correspondent au
fournisseur du bien ciblé ou qu‟elles ont une entente avec le fournisseur qui
leur fait un prix exceptionnel quand vient leur tour de payer le bien.
Les tontines peuvent également être spécialisées dans la satisfaction
de besoins religieux. C‟est le cas des tontines de quartier pour le pèlerinage
qui présentent des caractéristiques spécifiques du point de vue de
l‟organisation. La tontine d'Hadja Sokhna, 53 ans et mère de 6 enfants,
reflète cette spécificité. C‟est une tontine qui regroupe 30 femmes. Les
contributions sont de 25.000 F CFA par mois et par femme, soit un montant
de 750.000 F CFA par mois. Les contributions mensuelles sont cumulées
pendant une période de six mois. Ce qui fait un montant total de 4.500.000 F
CFA qui vont être répartis entre cinq bénéficiaires qui doivent disposer
chacun de 900.000 F CFA pour soit le pèlerinage, soit l'oumra47. Ainsi
chaque année, la tontine permet à 10 de ses participants d‟effectuer le
déplacement pour la Mecque. Au bout des trois ans, l‟ensemble des membres
aura effectué leur pèlerinage aux lieux saints de l‟islam.
Mais il faut noter que certaines femmes utilisent les tontines de
pèlerinage pour des voyages d‟affaires en Arabie Saoudite. Elles y vont pour
acheter des marchandises telles que des vêtements en soie, des chaussures et
des bijoux de toute sorte qu‟elles reviennent vendre au Sénégal. Pour cette
catégorie de femmes, les tontines de pèlerinage, vu le montant important des
levées, constituent une bonne occasion d‟accéder gratuitement au crédit.
Dans le cas où la désignation des bénéficiaires se fait par consensus et non
par tirage au sort, elles font tout pour faire partie des premières à disposer
des levées. Par ailleurs, la trésorière qui est très souvent la responsable
morale de la tontine peut investir l‟argent de la tontine dans ses propres
activités d‟autant plus qu‟il faut accumuler l‟argent pendant six mois avant
de le redistribuer. Cela est surtout vrai pour les organisatrices de tontines qui
sont spécialisées dans l‟import-export. Mais la plupart des organisatrices des
tontines de pèlerinage nient l‟existence de telles pratiques et disent verser
l‟argent dans un compte en attendant les levées semestrielles.

47
L‟oumra est une visite des lieux saints de l‟islam avant ou après le grand
pèlerinage. L‟oumra n‟est pas une obligation religieuse au contraire du pèlerinage
qui constitue l‟un des cinq piliers de la religion musulmane. Mais le pèlerinage ne
devient obligatoire pour un fidèle que quand il dispose de suffisamment de moyens
pour effectuer le déplacement et entretenir convenablement sa famille pendant son
absence.

75
Mais la majorité des femmes qui participent aux tontines de
pèlerinage le font moins par obligation religieuse que par désir d‟accroître
leur prestige social. En effet, le recours à la tontine pour disposer des
moyens nécessaires pour aller à la Mecque est en contradiction avec les
principes religieux du pèlerinage, car celui-ci n‟incombe qu‟à ceux des
musulmans qui en ont les moyens. Il n‟est pas recommandé d‟emprunter de
l‟argent pour effectuer le pèlerinage, or c‟est ce que font exactement les
femmes qui bénéficient des premières levées dans les tontines spécialisées
pour le pèlerinage. La seule justification de l‟existence de ces tontines
malgré leur déphasage par rapport aux principes religieux est la recherche du
prestige attaché au pèlerinage dans la société sénégalaise.

Tableau n°8: Besoins satisfaits par les tontines de quartiers à Dakar.

Consommation 77
Investissement 49
Prévoyance 22
Prestige 25
Nombre de répondants 173
A. Kane: enquête de terrain.

Le tableau précédent rend compte de l‟utilisation des fonds reçus de


la tontine par 173 répondants dans les tontines de quartiers. Nous avons
classé les dépenses effectuées en quatre rubriques en l‟occurrence la
consommation, l‟investissement, la prévoyance et le prestige. Les dépenses
de consommations sont celles qui rentrent dans la prise en charge des
besoins domestiques primordiaux tels que l‟alimentation, l‟eau et
l‟électricité, l‟habillement, le transport, l‟éducation et la santé des enfants,
etc... Les dépenses d‟investissement sont celles qui sont destinées à l‟achat
de marchandises pour les marchandes ou de matériel renforçant la capacité
de production des petits entrepreneurs, bref favorisant l‟expansion des
activités génératrices de revenus.
La prévoyance renvoie ici à l‟argent mis de côté pour prendre en
charge des situations imprévues telle la maladie, l‟accident, l‟hospitalisation
d‟un membre de la famille, l‟hospitalité envers des hôtes de marque, etc...
Les dépenses de prestige sont celles liées à l‟organisation des cérémonies
familiales ou à la célébration des fêtes religieuses. Mais, comme nous
l‟avons mentionné à propos des tontines de Thilogne, certaines dépenses de
consommation qui visent l‟acquisition ou la préservation d‟un statut social
peuvent également être considérées comme relevant du prestige. De même
que l‟achat d‟un congélateur peut être considéré à la fois, comme un
investissement si la propriétaire en profite pour vendre des crèmes glacées et

76
générer ainsi des revenus, et comme dépense de consommation s‟il l‟utilise
aussi pour stocker des produits alimentaires destinés à la consommation. Ce
qui veut dire qu‟il n‟y a pas de limites fixes entre ces différentes catégories
de dépenses.
Cependant la classification des types de dépenses est très utile
puisqu‟elle nous donne une idée de l‟utilisation faite par les participantes de
l‟argent des tontines. Nous reprendrons la même classification pour les
tontines de marché et des lieux de travail. Les 136 répondants peuvent
donner plus d‟une réponse dans les cas où ils utilisent ou projettent d‟utiliser
l‟argent pour satisfaire des besoins à la fois de consommation,
d‟investissement, de prestige ou de prévoyance. Ainsi pour déterminer le
pourcentage de l‟utilisation des fonds tontiniers en fonction des types de
besoins dégagés plus haut, nous nous référons, non pas au nombre de
répondants, mais plutôt à celui des réponses.
Selon cette classification parmi 173 réponses, 45% rendent compte
de l‟utilisation de l‟argent reçu de la tontine pour satisfaire des besoins de
consommation. Ce qui révèle l‟orientation principale des tontines de quartier
vers la satisfaction des besoins de consommation des ménages que nous
avons souligné un peu plus haut. De ce point de vue, les tontines des
quartiers de Dakar s‟apparentent à celle des quartiers de Thilogne. Après la
consommation vient l‟investissement dans des activités de petit commerce,
de vente de légume, de condiment, de fruits, de cacahouètes, etc., ou encore
des petits métiers tels que la teinture, la couture, la coiffure, etc. En effet,
28% des réponses font état de l‟utilisation des fonds tontiniers pour réaliser
ce genre d‟investissement. Cette catégorie de participants est attirée par le
crédit moins cher des tontines. Les participants auront dans ce cas une
préférence prononcée pour les premières levées. Du point de vue de
l‟investissement dans les activités économiques, les tontines de quartiers de
Dakar sont plus dynamiques comparées aux tontines des quartiers de
Thilogne.
Au même moment, les besoins de prévoyance, en matière de santé
notamment, concernent 13% des réponses. Ces derniers mettent de côté
l‟argent reçu de la tontine pour faire face à des dépenses éventuelles de
consultations médicales, de paiement d‟ordonnances, de prise en charge des
frais scolaires, etc. D‟une manière générale, les participants qui ont la
prévoyance comme objectif préfèrent recevoir la levée en dernière position
étant donné que même s‟ils la reçoivent au début, ils seront obligés de
l‟épargner autrement.
Enfin, les dépenses de prestige que l‟on met souvent en exergue
quand on parle des tontines africaines ne représentent que 14% des réponses.
Ce sont des dépenses liées à l‟organisation des cérémonies familiales, telles
que le mariage, le baptême et les funérailles, ou à la célébration des fêtes
religieuses, telles que la Korité et la Tabaski, ou encore à la réalisation des

77
pèlerinages ou des visites aux guides religieux. En fait, on peut légitimement
considérer que les dépenses de prévoyance et de prestige constituent
également des formes de consommation. Dans ce cas, c‟est 72% des
réponses qui concernent l‟utilisation des fonds tontiniers pour la satisfaction
des besoins de consommation. Ce qui justifie notre affirmation que les
tontines de quartier sont orientées vers la satisfaction des besoins de
consommation. Nous verrons dans ce qui suit qu‟il y a une différence
fondamentale entre les tontines de quartier et les tontines de marché quant à
l‟utilisation de l‟argent par les participants.

Les tontines de marché

Les marchés de Dakar, comme les quartiers, regorgent


d‟arrangements financiers populaires. Du tontinier ou garde-monnaie à
l‟usurier en passant par les tontines et les mutuelles d‟épargne et de crédit,
les marchés de Dakar constituent, sans aucun doute, l‟un des lieux
privilégiés où se développe la finance informelle. Mais les tontines
constituent le type d‟arrangement de loin le plus fréquent. Nous avons mené
nos enquêtes dans six grands marchés de Dakar: HLM, Colobane, Grand-
Yoff, Thiaroye, Sandaga et Tilène. Dans chaque marché, nous avons enquêté
sur 16 tontines distinctes les unes des autres. Ce qui fait au total 96 tontines
de marchés ayant fait l‟objet d‟enquête à Dakar. Mais, nous sommes
persuadés n‟avoir pas épuisé le nombre de tontines existant au niveau de
chaque marché. Cependant si l‟on considère les 70 marchés répertoriés par
l‟UNACOIS dans Dakar et sa banlieue sans tenir compte de leur taille. Si
chaque marché renferme au moins 16 tontines, c‟est plus de 1120 tontines
qui existeraient au sein des marchés de Dakar. Ce chiffre n‟est qu‟une
approximation qui permet d‟avoir une idée plus ou moins précise de
l‟importance des tontines dans les marchés.

La participation dans les tontines de marché à Dakar

Pour l‟essentiel les participants aux tontines de marchés sont des


hommes et surtout des femmes menant des activités informelles: marchants,
vendeurs à la sauvette, commerçants, vendeuses de poissons ou de légumes,
tailleurs, artisans, restauratrices, etc... Le profil socio-économique des
participants aux tontines de marché nous offre une image contrastée. Des
grands commerçants spécialisés dans l‟import-export avec des fonds de
roulement de dizaines de millions de francs CFA aux vendeurs de
cacahouètes dont le capital ne dépasse pas 1000 F CFA, les marchés de
Dakar abritent une multitude de situations intermédiaires dont le
dénominateur commun est d‟opérer en dehors des cadres institutionnels et au
mépris des principes élémentaires de l‟économie formelle.

78
L‟occupation de l‟espace des marchés offre à l‟observateur une
image chaotique. Aux cantines en dur, en bois ou en zinc viennent se
juxtaposer des tables de toutes dimensions laissant entre elles des allées on
ne peut plus étroites. Aux alentours des étales de sacs par terre ou encore des
bassines remplies de céréales, de farine, d‟arachide viennent envahir la voie
publique sans autorisation préalable. Pour combler le décor, il faut ajouter
les milliers de vendeurs à la sauvette qui, marchandises à la main, circulent à
longueur de journée dans le marché et parfois au-delà dans les quartiers
environnants. D‟ailleurs, il existe des marchants ambulants de tissus et de
matériels domestiques de toute sorte, de produits de beauté, de bijoux, etc.
qui font le porte-à-porte, jetant des ponts entre marchés et quartiers. On les
appelle les borom-bethiek et ils sont spécialisés dans la vente à crédit.
Chaque jour, munis de leurs carnets, ils font le tour des maisons pour
récupérer échéance après échéance leurs paiements et placer d‟autres
articles. Quoique opérant en dehors des marchés, ils y conservent leurs
assises, car c‟est là qu‟ils viennent se ravitailler en marchandises auprès des
grossistes mais également participer aux tontines.
Parmi ces entrepreneurs de tout calibre, peu savent lire et écrire et
une infime minorité entretient effectivement une comptabilité. Pour
l‟écrasante majorité, il n‟y a pas de grande différentiation entre l‟univers
domestique et l‟univers de l‟entreprise. Les dépenses pour l‟entretien de la
famille sont directement tirées, non pas des bénéfices, mais des recettes
journalières. D‟ailleurs pour beaucoup l‟essentiel n‟est pas la différentiation
entre recettes et bénéfices mais plutôt d‟être certain que l‟on ne vend pas ses
marchandises à perte. C‟est d‟ailleurs pour cette raison que les commerçants
acceptent le marchandage avec leurs clients, car la flexibilité des prix leur
permet d‟avoir une marge de bénéfice appréciable. Le premier prix donné
par le commerçant quand il marchande est très souvent le triple du prix de
revient de l‟article en vente. L‟objectif qu‟il se fixe est de le vendre avec au
moins 50% de bénéfices. Par cette stratégie, le commerçant peut
évidemment gagner beaucoup d‟argent qui peut couvrir plus ou moins les
dépenses domestiques.
Dans cette atmosphère, la participation dans les tontines ou le
versement d‟une épargne journalière auprès d‟un tontinier de marché
constituent des éléments d‟appréciation approximative de la rentabilité des
entreprises économiques informelles qui pallient partialement l‟absence
d‟une comptabilité rigoureuse. C‟est peut-être là, l‟une des explications-clefs
de l‟adhésion massive des occupants des marchés de Dakar aux
arrangements financiers tontiniers. A cette explication, il faut ajouter
l‟exclusion de la plupart des entrepreneurs, évoluant dans ces espaces
dominés par l‟économie informelle, des circuits financiers institutionnels.
Les banques commerciales sénégalaises sont très sceptiques par rapport à ses

79
entrepreneurs considérés comme une catégorie de clients potentiels à haut
risque.
Le nombre moyen de participants dans les tontines de marché est
actuellement de 30. Cependant il varie considérablement en fonction des
marchés. Il est plus élevé à Colobane, Thiaroye et Grand-yoff qu‟à Tilène,
Sandaga et HLM. Cette variation s‟explique d‟abord par la taille des
marchés, les premiers étant plus grands que les derniers, ensuite par
l‟existence d‟autres opportunités en matière d‟épargne et d‟accès au crédit
qui viennent concurrencer les tontines; ce qui est le cas des tontiniers de
Sandaga et de Tilène qui collectent plus de la moitié de la petite épargne au
niveau de ces deux marchés. La mise en place des programmes de micro
crédit par la F.D.E.A. (Femmes Développement Entreprise en Afrique), par
l‟A.C.E.P. (Alliance Crédit et Epargne pour la Production) et par
L‟UNACOIS (Union National des Commerçants et des Industriels du
Sénégal) au profit des petits entrepreneurs au niveau de Tilène, Sandaga et
HLM, contribue également à expliquer la faiblesse du nombre moyen de
participants au sein des tontines de ces marchés.

Profils socio-économiques de participants aux tontines de marché

Nabou

Nabou est âgée de 43 ans, mariée et mère de cinq enfants. Elle vend
du poisson au marché de Grand-yoff depuis 15 ans. Nabou n‟a jamais
fréquenté l‟école, elle accuse ses parents d‟en être les responsables. Elle dit
mener cette activité pour aider son mari à entretenir leur famille. Son mari
est un chauffeur de taxi. Son salaire ne dépasse pas 60.000 F CFA, ce qui
n‟est pas suffisant pour couvrir les besoins de leur famille. La famille loue
un appartement de trois pièces à 28.000 F CFA par mois sans compter le
paiement de l‟eau et de l‟électricité. Leurs trois enfants vont à l‟école. Le
plus âgé va à un collège situé à une dizaine de kilomètres de leur domicile.
Pour éviter les frais de transport son père le dépose chaque matin devant le
portail de son école. Pour rentrer chez lui après ses cours, il prend très
souvent un “car rapide”. Toutes ses dépenses dépassent largement le salaire
du mari. Nabou peut prendre du poisson à crédit auprès de ces fournisseurs.
Elle se lève très tôt le matin pour aller à Hann par “car rapide” pour prendre
le poisson frais auprès des pêcheurs traditionnels. Son revenu varie
considérablement d‟un jour à un autre. Les meilleurs jours de marché, elle
parvient à avoir un profit de 4000 à 5000 F CFA tandis que les mauvais jours
de marché, elle dépasse rarement les 1500 F CFA. Elle se dit incapable
d‟évaluer son revenu mensuel mais il est clair qu‟elle dispose d‟un revenu
mensuel au moins égal à celui de son mari. Le mari se charge de l‟achat de la
ration alimentaire composée de riz, de mil, de sucre, d‟huile et d‟autres

80
produits. Pour la dépense quotidienne, Nabou se débrouille. Elle apporte du
poisson frais et de ses bénéfices journaliers, elle achète des légumes et
d‟autres condiments nécessaires à la cuisine. C‟est sa petite sœur qui se
charge de faire la cuisine au moment où elle et son mari sont au travail. Ils
mangent durant la journée du riz au poisson, comme la plupart des familles
dakaroises, et du mbahal (à base de riz) durant la nuit.
Les dépenses de santé, d‟habillement et les frais scolaires sont pris
en charge par Nabou. Son mari n‟achète des habits qu‟aux enfants et ce
durant uniquement les fêtes religieuses telles que la Korité et la Tabaski. A
la veille de la rentrée, c‟est Nabou qui achète des habits à ses enfants pour
qu‟ils ne soient pas l‟objet de raillerie de la part de leurs camarades de
classe. Elle dit que les hommes ne se soucient pas de ces problèmes et
laissent toujours leurs femmes se débrouiller seules. Quand les enfants
tombent malades, c‟est également elle qui paye l‟essentiel des frais
médicaux. Elle fait tout ça parce qu‟elle est consciente que les revenus de
son mari ne lui permettent pas d‟assumer pleinement ses responsabilités de
père de famille. Vu tous ces problèmes, Nabou ne peut pas se payer le luxe
de gaspiller son argent. C‟est pour cela qu‟elle participe à plusieurs tontines
en même temps dont la plus importante est la tontine de marché avec une
mise journalière de 500 F CFA et une levée de 50.000 F CFA tous les cinq
jours. C‟est avec cette tontine que Nabou est parvenue à payer désormais
comptant les 50 Kg de poissons à ses ravitailleurs qui avaient l‟habitude de
lui remettre du poisson à crédit qui de ce fait lui revenait plus cher.
Elle participe également à deux autres tontines de quartier dans son
voisinage dont les contributions sont respectivement de 2500 F CFA tous les
quinze jours avec une levée de 42.500 F CFA (17 participants) et de 3.000 F
CFA tous les mois avec une levée de 37.500 F CFA (25 participants). Dans
le dernier cas, chaque mois ce sont deux participants qui se partagent la
levée de 75.000 F CFA, ce qui revient à 37.500 F CFA chacun. L‟argent
reçu de ces différentes tontines est affecté en partie au renforcement du
budget familial pour prendre en charge les dépenses que nous avons
énumérées ci-dessus et l‟autre partie est destinée à renforcer les activités
génératrices de revenus au niveau du marché. Nabou associe maintenant la
vente du poisson avec celle de condiments, de légumes et d‟arachide. Grâce
à la participation à la tontine de marché, elle a pu étendre ses activités et y
tirer des revenus plus substantiels. L‟argent tiré des tontines emprunte
également les circuits sociaux par le biais des contributions durant les
cérémonies familiales et les transferts financiers ou de biens matériels au
profit des parents restés aux villages ou en proie à des difficultés à Dakar.

81
Arame Fall

Arame Fall est âgée de 48 ans. Elle est mère de neuf enfants âgés de
9 à 27 ans. Elle est mariée à un homme de 56 ans qui est un menuisier. Elle a
une coépouse qui a 4 enfants et avec laquelle elle partage la maison de sept
pièces qui appartient à leur mari. Le mari dispose de revenus assez
importants. Il a un atelier de menuiserie avec tout le matériel nécessaire. Il
fait travailler deux employés et six apprentis. Il fabrique sur commande des
lits, des meubles de toute sorte, des tables, des chaises et des armoires.
Arame affirme que son mari gagne beaucoup d‟argent mais qu‟il refuse de le
dépenser pour le bien être de sa famille. Il assure la ration alimentaire de la
famille et remet chaque matin à l‟une de ses femmes dont c‟est le tour de
faire la cuisine une somme de 2500 F CFA pour l‟achat des légumes, des
condiments et d‟autres produits nécessaires à la cuisine. Arame estime
qu‟avec une grande famille comme la leur cela ne suffit absolument pas. Elle
est obligée de tirer de ses propres revenus pour compléter la dépense
journalière quand vient son tour. Arame vend des céréales, de l‟arachide, du
poisson séché, du pain au singe au marché de Tilène depuis maintenant 25
ans. Elle habite dans la banlieue dakaroise à Thiaroye. Elle prend chaque
matin les transports en commun pour se rendre au marché. Malgré ces frais
de transport, elle tire des revenus assez importants de son travail. Elle estime
ses profits journaliers entre 4000 et 7000 F CFA. Du fait de sa longue
présence dans le marché, elle est connue presque de tous les vendeurs et
marchandes. Elle dit avoir été la première à initier une tontine dès son
installation au niveau du marché. Actuellement, elle organise trois tontines
de marché avec des mises de 500 F CFA, de 1000 F CFA et de 2.500 F CFA
par jour et des levées respectivement de 55.000 F CFA tous les cinq jours
(22 participants), 90.000 F CFA tous les cinq jours (18 participants) et
250.000 tous les 15 jours (20 participants). Dans tous les cas, Arame reçoit
une commission financière égale à une contribution journalière à chaque
levée.
Elle participe également à deux tontines de quartier dont les mises
sont de 2500 F CFA tous les dix jours et de 10.000 F CFA tous les mois avec
des levées de 62.500 F CFA dans le premier cas(25 participants) et de
150.000 F CFA dans le deuxième (15 participants). L‟utilisation de l‟argent
des tontines par Arame semble être bien planifiée. L‟argent des tontines de
marché sert à renforcer ses activités commerciales en lui permettant de
s‟approvisionner en marchandise et d‟étendre son entreprise tandis que les
commissions financières et les tontines de quartier servent à satisfaire ses
propres besoins et ceux de sa famille restreinte. Elle dit faire face seule aux
frais scolaires, aux frais de transports, aux frais médicaux et aux frais

82
d‟habillement de ses propres enfants. Elle accuse son mari de ne s‟occuper
que des enfants de sa deuxième épouse.

Salif

Salif est âgé de 28 ans et vient de se marier très récemment. Après


avoir fait trois ans à l‟université, il n‟a pas pu obtenir sa licence en Langue
Etrangères Appliquées et a décidé d‟abandonner les études. Il rejoint son
grand frère à Dakar pour faire du commerce. Ce dernier lui trouve une
cantine au marché de Grand-Yoff où il vend depuis trois ans maintenant des
tissus de tout genre allant des produits textiles des entreprises locales comme
le légos de Sotiba (types de tissus) aux pagnes traditionnels des tisserands
Ndiagou en passant par le wax et le bazzin importé. Salif a laissé sa femme
dans son village natal après son mariage et est tenu d‟envoyer de l‟argent
mensuellement pour participer à l‟entretien de la famille élargie. Ses frères
ont également laissé leurs épouses au village auprès de leurs parents et
doivent par conséquent envoyer de l‟argent comme lui. La mise en commun
des frais diminue considérablement la charge que chacun aurait due faire
face s‟il entretenait isolément sa propre famille. Ce compromis permet à
Salif de faire des économies.
Contrairement à l‟écrasante majorité de commerçants, Salif
entretient une comptabilité très simple dans un registre où il inscrit
quotidiennement les articles vendus, leur prix de revient, leur prix de vente
et les bénéfices réalisés. Il estime que les revenus varient considérablement
d‟un jour à un autre et d‟un mois à un autre. A la veille des fêtes de Korité et
de Tabaski, ses revenus peuvent atteindre facilement 200.000 F CFA le mois
tandis qu‟en période normale, ils dépassent rarement 75.000 F CFA. A
Dakar, Salif n‟a pas beaucoup de frais. Il loue une chambre à 6000 F CFA
qu‟il partage avec un cousin. Pour le manger, ils sont six à participer à un
“bol” et chacun verse à la femme chargée de faire la cuisine une somme de
7500 F CFA par mois. La femme leur prépare deux repas par jour qu‟ils
prennent en commun au marché au milieu de la journée et dans la chambre
du frère de Salif dans la soirée. Le petit déjeuné est pris en charge par les
voisins de chambre.
Salif n‟a pas de compte bancaire et participe par conséquent à une
grande tontine de marché avec une mise de 2500 F CFA par jour et une levée
de 500.000 F CFA tous les cinq jours. L‟organisateur de la tontine exige le
versement d‟une commission financière de 5000 F CFA par levée, ce que
Salif juge tout à fait acceptable vu le temps et l‟énergie que celui-ci déploie
pour récupérer les contributions journalières. Salif confie son épargne à son
frère qui lui dispose d‟un compte bancaire. La dernière fois qu‟il a reçu la
levée, Salif l‟avait divisé en deux. Il a versé à son frère une moitié de
l‟argent et l‟autre moitié a été réinvesti dans le commerce. Salif projette de

83
faire la même chose avec la prochaine levée de la tontine. A terme, il veut
accumuler petit à petit l‟argent nécessaire à la construction d‟une maison de
trois pièces dans son village natal.

Marième

Marième est âgée de 43 ans, elle est mère de cinq enfants. Elle s‟est
mariée deux fois. Son premier mari, avec lequel elle a eu ses trois premiers
enfants, un garçon et deux filles, est un riche commerçant qui a trois
magasins de pièces détachées à Dakar. Elle a été divorcée par son mari sous
la pression des parents de ce dernier qui, d‟après elle, ne pouvaient pas la
digérer dans la maison. Les deux autres épouses de son mari s‟étaient
également alliées contre elle et ses enfants. Après plusieurs conflits, son mari
avait décidé de la répudier. Après deux ans, elle s‟était remariée avec un
transporteur qui avait lui aussi deux épouses. Avec ce dernier, elle a eu ses
deux derniers enfants tous deux des garçons. Elle vit avec ses enfants à
Ouagou Niaye dans une maison de quatre pièces héritée par ses premiers
enfants après le décès de leur père.
Marième ne compte que très peu sur son mari pour nourrir, habiller,
soigner, s‟occuper de l‟éducation de ses enfants. Elle a un restaurant au
marché de Colobane, en face de la gare routière où plusieurs chauffeurs et
commerçants viennent manger à midi. Malgré, une bonne dizaine de
gargotes qui côtoient son restaurant, Marième parvient à retenir sa clientèle
et à faire des profits substantiels. Elle gagne d‟après ses estimations entre
12.000 et 15.000 F CFA par jour. Ce qui s‟empresse-t-elle d‟ajouter ne
représente pas grand-chose vue sa charge familiale et ses obligations sociales
envers ses parents et ses voisins. Elle n‟a aucune comptabilité écrite et
n‟emploie que sa propre fille et celle de sa soeur aînée. La seule charge de
son restaurant est le paiement du louer de la petite pièce qu‟elle occupe. Ce
qui lui revient à 30.000 F CFA par mois. A l‟intérieur du restaurant se
trouvent deux longues tables en bois et des bancs de mêmes dimensions
destinées aux clients.
Pour épargner Marième a initié au niveau du marché une tontine
dans laquelle participent les autres restauratrices et certains de ses clients les
plus réguliers. Les contributions sont fixées à 5000 F CFA par jour et une
levée de 225.000 F CFA tous les trois jours avec 15 participants dont 12
femmes et 3 hommes. Contrairement aux autres organisatrices de tontines au
niveau des marchés de Dakar, elle ne perçoit pas de commissions financières
pour son rôle d‟organisatrice. Cela est peut-être dû au fait que ce sont les
participants qui se déplacent pour venir lui remettre leurs contributions dans
son restaurant. Marième affirme qu‟elle utilise l‟argent qu‟elle reçoit de sa
tontine pour acquérir du matériel de restauration bols, plats, cuillères,
couteaux, marmites, meubles, etc.. Elle projette d‟acheter un congélateur

84
pour vendre en même temps de la boisson fraîche. Elle affirme que sa
tontine a pour but d‟aider ceux et celles qui y participent d‟avancer dans leur
travail. Elle conseille personnellement chaque participant d‟utiliser l‟argent
de la tontine pour étendre ses activités. La tontine n‟a de sens d‟après elle
que si elle permet aux participants de réaliser quelque chose de significatif
avec l‟épargne ainsi accumulée.
Pour satisfaire les besoins de sa famille et remplir ses obligations
sociales au cours des cérémonies familiale Marième participe également à
une autre tontine de quartier où la mise est de 5000 F CFA tous les 10 jours
et la levée de 160.000 F CFA avec 32 participantes. L‟argent de cette tontine
aide Marième à équiper sa maison, à faire face à des urgences telles que la
maladie d‟un des membres de sa famille, les frais de transport de ses enfants
qui vont au lycée, les contributions aux cérémonies familiales des parents,
des voisins et des amis.
Tous ces participants ont en commun de mener des activités
économiques informelles. Comme nous l‟avons déjà souligné, les
entrepreneurs du secteur économique informel rencontrent d‟énormes
difficultés pour avoir accès aux services bancaires. Mais les profils présentés
ci-dessus montrent clairement l‟hétérogénéité de cette catégorie
d‟entrepreneurs. Au delà de la diversité des activités, il y a une différence
entre les acteurs du point de vue des moyens financiers. Cependant, la
reproduction de ces différentiations n‟est pas systématique dans les tontines
des marchés. Pour la plupart des cas, ce sont des entrepreneurs de tout
calibre qui forment ensemble une tontine avec la possibilité de ceux qui
disposent de moyens financiers importants de doubler, voire tripler la mise.
Ceux qui n‟ont pas assez de moyens ont la possibilité de se regrouper à deux,
trois voire quatre pour disposer d‟une main dans la tontine. Par cette
flexibilité des conditions de recrutement, il n‟y a pratiquement pas d‟exclus
pour des problèmes économiques. Autrement dit, la tendance à se regrouper
du fait de la similarité des conditions socio-économiques opère faiblement
dans les tontines au niveau des marchés de Dakar.

Caractéristiques particuliers des tontines de marché

La forme de tontine la plus répandue est la tontine avec organisateur


où l‟aspect financier est dominant. En effet, les 81 sur 96 tontines de marché
de notre échantillon, soit 84,37%, présentent les caractéristiques propres aux
tontines avec organisateur. Cette forme de tontine a toujours à sa tête un
organisateur ou une organisatrice comme nous l‟avons expliqué un peu plus
haut. D‟une manière générale, il n‟est pas nécessaire que les participants
aient une connaissance mutuelle les uns des autres. Par contre, l‟organisateur
ou l‟organisatrice entretient des relations fondées sur une connaissance
personnelle avec chaque participant ou participante. Seulement 15 sur 96

85
tontines de marchés, soit 15,63%, présentent des caractéristiques des tontines
simples. Les participants se connaissent mutuellement et se rencontrent au
moins une fois au cours du cycle tontinier. Les levées sont distribuées sur la
base d‟un tirage intégral ou encore par consensus et en fonction des
urgences.
La périodicité des contributions est journalière dans toutes les
tontines de marché. Il y a souvent un décalage entre la périodicité des
contributions et celle des levées. Les contributions journalières sont
collectées et accumulées pendant une période de trois, cinq ou sept jours
avant d‟être remises sous forme de levée à un des participants. Dans les 78
tontines, parmi les 96 qui ont fait l‟objet d‟enquête au niveau des marchés
dakarois, la périodicité des levées est de cinq jours. La durée assez réduite de
la périodicité des levées conduit à des cycles tontiniers relativement courts
comparés aux cycles tontiniers au niveau des tontines de quartiers ou des
lieux de travail. La durée moyenne d‟un cycle tontinier est de 6 mois dans
les tontines de marché alors qu‟il est 2 ans pour les tontines de quartiers et de
18 mois pour les tontines des lieux de travail. Ce qui veut dire que la vitesse
de circulation de l‟argent est plus élevée dans les tontines de marché
comparés aux autres lieux de recherche.
Dans les tontines de marché, l‟organisateur de la tontine fait le tour
du marché chaque matin pour récupérer les contributions des différents
participants. Il cumule les contributions journalières pendant 5 jours, dans la
majorité des cas, avant de les remettre sous forme de levée à l‟un des
membres désigné par tirage au sort ou par sa décision unilatérale. Certaines
tontines favorisent les membres qui ont besoin de liquidité pour se ravitailler
en marchandises tandis que d‟autres font un tirage global avant même le
démarrage pour déterminer à l‟avance l‟ordre dans lequel les levées vont être
remises aux participants. Dans tous les cas, c‟est l‟organisateur qui en
décide.
L‟écrasante majorité des organisateurs de tontine dans les marchés
reçoivent une commission fixée à l‟avance à chaque levée (57 sur 96). Dans
la plupart des cas (42 sur 57), le montant de la commission est égal au
montant de la contribution journalière. Mais il existe des organisateurs qui
demandent l‟équivalent de cinq contributions journalières. A termes, cela
veut dire qu‟ils vont obtenir deux levées pour le prix d‟une seule
contribution. En fait, même dans les tontines où les organisateurs n‟exigent
pas le versement d‟une commission (31 sur 96), les bénéficiaires des levées
décident volontairement, dans la plupart des cas, de donner une certaine
somme en guise de récompense pour leur travail d‟organisation. Il existe
cependant un petit nombre d‟organisateurs de tontines qui évoquent des
principes religieux pour justifier leur refus de demander ou d‟accepter le
paiement d‟une commission financière (8 sur 96). Ils considèrent cet argent
comme du ribat (argent illicite). Ceux qui exigent le paiement d‟une

86
commission de la part des participants à leurs tontines ont une interprétation
différente du ribat. Ils considèrent qu‟ils dépensent du temps et de l‟énergie
pour collecter les fonds et les remettre aux bénéficiaires et sont donc en droit
d‟être payé pour leur travail d‟organisation.
La proximité spatiale au sein du marché joue un rôle fondamental
dans l‟établissement des relations de confiance, de contrôle social et de
solidarité qui est garant du bon fonctionnement de la tontine. Au niveau des
tontines de marché, l‟organisateur sélectionne les participants en fonction de
ses liens privilégiés avec les marchands, les commerçants, les artisans dont
les étales, les cantines ou les ateliers sont proches de son lieu de travail. Ce
qui fait qu‟il y a une lisibilité assez importante de la situation de chaque
individu. “Un coup d’œil sur le stock de marchandise d’un commerçant ou
d’une marchande”, nous confie une organisatrice de tontine à Tilène, “suffit
pour avoir une idée assez nette sur sa capacité financière à honorer ses
engagements vis-à-vis de la tontine”. En cas de défaillance, l‟organisateur
peut procéder à la saisie des marchandises du défaillant et les revendre pour
payer les victimes. Dans ce cas de figure, il demande aux autres participants
de lui prêter la main puisque c‟est par la force et non par le recours aux
tribunaux que la saisie se fait.
Cette menace de saisie des marchandises du défaillant est essentielle
pour décourager les mauvais payeurs. C‟est la raison pour laquelle,
contrairement aux tontines de quartiers, les tontines de marché ne disposent
pas de fond de caisse pour pallier les défaillances. De même, les différentes
stratégies notées au niveau des tontines de quartiers pour éviter les
défaillances telles que les truquages des tirages au sort ne sont pas très
fréquentes dans les tontines de marché (Cf. au chapitre consacré aux
relations de confiance dans les tontines).
Les tontines de marché illustrent parfaitement le fait que les tontines
constituent des arrangements financiers informels répondant concrètement et
de manière adéquate aux besoins en matière de financement de leurs
participants. Dans toutes les tontines de marché ayant fait l‟objet d‟enquête à
Dakar et à Thilogne, les contributions se font quotidiennement au rythme des
activités. Chaque participant est sûr de pouvoir disposer chaque jour du
montant de la contribution. C‟est généralement une petite somme
négligeable par rapport aux recettes journalières. Ce faisant les commerçants
épargne sans le sentir comme nous le confirme Nabou qui ajoute que c‟est là
tout le charme de la tontine.
Ce sentiment d‟épargner sans se priver pousse les marchands à
préférer la tontine à toute autre forme d‟intermédiation financière. C‟est ce
qui amène Demba, un organisateur de tontine de marché à Grand-Yoff, à
affirmer que:

87
« La tontine est l‟outil le plus commode pour nous les marchands pour à la fois
épargner et accéder au crédit. Personne n'est exclu d‟avance. Plusieurs individus
disposant de revenus très faibles peuvent constituer une seule « main » et se partager
la levée. Chacun donne ce qu‟il peut et reçoit en contre partie une somme
correspondant à son effort d‟épargne. La périodicité des contributions et des levées
est adaptée à la nature de nos activités ».

Les motivations de participation aux tontines de marché

Les raisons qui poussent les individus à participer dans les tontines
de marché sont diverses. Mais, dans les marchés plus que dans n‟importe
quel autre lieu, les tontines jouent un rôle fondamental dans le financement
des micro-entreprises. Comme nous l‟avons souligné un peu plus haut, la
plupart des petits entrepreneurs n‟entretiennent aucune forme de
comptabilité écrite. A cette catégorie d‟entrepreneurs les tontines de marché
permettent d‟avoir une idée approximative de la rentabilité de leurs activités
commerciales, de production ou de service. Cette appréciation est d‟autant
plus importante qu‟il n‟y a pas très souvent de différentiation entre le budget
du ménage et le capital financier de l‟entreprise. L‟épargne réalisée auprès
des tontines de marché constitue une garantie pour les petits entrepreneurs de
ne pas dépenser tous leurs bénéfices et dans certains cas toutes leurs recettes
journalières dans la prise en charge des besoins du ménage qui conduit
souvent à la faillite.

Tableau n°9: Les facteurs explicatifs du recours aux tontines de marché à


Dakar.

Non accès aux banques 45


Simplicité des procédures tontinières 76
Relations personnalisées (argent chaux) 56
Pression sociale pour l‟épargne 91
Absence d‟intérêts sur le crédit 68
Nombre de réponses 336
A. Kane: enquêtes de terrains.

Dans cette perspective, les tontines de marché permettent à leurs


participants d‟acquérir une certaine discipline dans la gestion de leurs micro-
entreprises. C‟est pour cette raison que tous les participants s‟accordent pour
dire qu‟ils recourent aux tontines essentiellement pour se faire forcer à
épargner. Dans ce cas, les participants des tontines de marché n‟échappent
pas à la règle en mettant en exergue la nécessité pour eux de recourir à la
pression sociale inhérente aux tontines pour parvenir à épargner. Comme le

88
montre le tableau suivant, 91 sur 336 réponses, soit 27%, relient leur
participation aux tontines de marché à leur volonté de se faire contraindre
pour parvenir à dégager une épargne substantielle destinée au renforcement
de leurs activités génératrices de revenus. Là également, la contrainte sociale
à l‟auto contrainte semble fournir un modèle d‟explication adéquat.
Cela dit, il existe d‟autres formes de motivation qui poussent les
petits entrepreneurs des marchés dakarois à recourir à la tontine. Beaucoup
sont séduits par la simplicité des procédures, l‟adaptation par rapport au
rythme des activités et la réduction au strict minimum des coûts de
transaction comparées à ce qu‟offrent les banques. Ainsi 76 sur 336
réponses, soit 23%, font état du recours aux tontines de marché pour la
qualité des services offerts par rapport à ce qu‟ils peuvent espérer des
institutions financières classiques. Dans la même lancée, 45 sur 336
réponses, soit 13%, pointent du doigt l‟exclusion par rapport aux circuits
financiers institutionnels comme un facteur déterminant le recours des
commerçants aux tontines de marché. Cette exclusion se manifeste
essentiellement par les conditions extrêmement discriminatoires pour
l‟ouverture des comptes d‟épargne ou d‟accès au crédit. Certaines banques,
comme la BICIS par exemple, exige un dépôt minimum de 200.000 F CFA
pour l‟ouverture d‟un compte épargne. A cela il faut ajouter, les frais de
gestion des comptes très élevés que l‟on fait payer aux clients. Les
conditions d‟accès au crédit, notamment l‟exigence de garantie et les taux
d‟intérêt extrêmement élevés pour les petits entrepreneurs fichés comme des
clients à haut risque, ne donnent aucune chance à ces derniers de recourir
aux banques pour le financement de leurs activités.
Au même moment, les tontines offrent la possibilité de réalisation et
de sécurisation de l‟épargne mais également et surtout celle d‟accéder au
crédit sans avoir à payer dans la plupart des cas des intérêts. C‟est la raison
pour laquelle, 68 sur 336 des réponses, soit 20%, mettent l‟accent sur la
solidarité entre débiteurs et créanciers au sein des tontines comme un facteur
essentiel favorisant l‟adhésion massive des occupants des marchés aux
tontines. Cette solidarité se traduit par le fait que les uns et les autres voient
leurs besoins comme complémentaires et ne nécessitant, par conséquent,
aucune forme de compensation sous forme d‟intérêts versés par les premiers
aux seconds. Dans la même ligne de pensée, 56 sur 336 réponses soit 17%,
considèrent la personnalisation des relations dans les tontines de marché
comme une source de motivation à la participation. En effet, les tontines
permettent aux participants d‟étendre leur réseau de relations sur lequel ils
peuvent compter en cas de difficulté.
Après la présentation de ces quelques résultats sur les facteurs
explicatifs du recours aux tontines des marchés, il convient de considérer les
objectifs visés par les participants en intégrant ces arrangements financiers
informels. Ce qui nous conduit à analyser l‟utilisation que les participants

89
ont faite ou projettent de faire de l‟argent qu‟ils ont reçu ou vont recevoir des
tontines.

Les besoins satisfaits par les tontines de marché

A l‟opposé des tontines de quartiers, les tontines de marché sont


essentiellement orientées vers la prise en charge des besoins
d‟investissement dans les activités économiques informelles. On peut dire
que les tontines de marché sont aux micro-entreprises informelles ce que les
banques sont aux grandes entreprises ou au PME du secteur économique
moderne. C‟est dire qu‟il y a une synergie entre les activités économiques
informelles et les pratiques financières populaires. Cette stimulation
réciproque entre les deux domaines ne s‟affirme nulle part ailleurs avec
autant d‟éclat qu‟au niveau des marchés.

Tableau n°10: Besoins de financement satisfaits par les tontines enquêtées.

Consommation 26
Investissement 81
Prévoyance 18
Prestige 2
Nombre de réponses 127
A. Kane: enquête de terrain.

En effet, 81 sur 127 réponses, soit 64%, mettent en relief l‟utilisation


de l‟argent reçu des tontines de marché pour renforcer leurs activités, étendre
leurs micro-entreprises ou encore acheter du matériel nécessaire au bon
fonctionnement de ces dernières. Ces formes d‟investissement ont un impact
réel dans le développement des activités économiques informelles. Elles
permettent à certains d‟augmenter leurs volumes de marchandises et de
ventes, et à d‟autres de diversifier leurs activités. Dans tous les cas, les
services financiers des tontines de marché favorisent la consolidation et la
perpétuation des activités génératrices de revenus pour les populations
urbaines.
D‟autres types de besoins sont également pris en charge par les
tontines de marché quoique de façon marginale. En effet, 26 sur 127
réponses, soit 20%, font état de l‟utilisation de l‟argent reçu des tontines de
marché pour satisfaire des besoins de consommation courante des ménages
(alimentation, habillement, loyer, eau et électricité et transport. De même, 18
sur 127, soit 14%, affirment utiliser l‟argent des tontines de marché pour la
prévoyance notamment des dépenses sanitaires, scolaires et de transport.

90
Seulement 2 sur 127, soit 2%, reconnaissent utiliser les fonds tontinier pour
des besoins de prestige liés notamment à l‟organisation des cérémonies
familiales. Cependant, il faut noter que presque toutes les femmes qui
participent dans les tontines de marché sont également membres des tontines
de quartiers. Il y a une sorte de spécialisation des tontines en fonction des
lieux d‟implantation pour ces femmes travaillant au niveau des marchés. Les
tontines de quartier assurent la satisfaction des besoins de consommation, de
prévoyance et de prestige alors que les tontines de marché se préoccupent de
la satisfaction des besoins d‟investissement

Les tontines dans les lieux de travail

Les tontines des lieux de travail se distinguent des autres types de


tontines au niveau des quartiers et des marchés par leur formalisme et une
participation équilibrée entre les deux sexes. Les arrangements financiers
populaires sont très présents dans les différents lieux de travail: dans les
entreprises, les services administratifs, dans les écoles et les universités, dans
les banques et les établissements financiers. Nos enquêtes ont exclusivement
porté sur les tontines organisées dans les banques commerciales et au niveau
du trésor public. Les tontines regroupent des employés de banques et des
cadres moyens, hommes et femmes confondus.
Les deux caractéristiques majeures des tontines des lieux de travail
sont leurs procédures formelles et le montant élevé de leurs contributions.
D‟une manière générale, tous les membres d‟une tontine de travail se
connaissent mutuellement dans la mesure où ils partagent le même lieu de
travail et ont entre eux des relations à la fois professionnelles et informelles.
Dans cette perspective, toutes les tontines des lieux de travail peuvent être
considérées comme des tontines simples. Cependant, le fait que les
participants ne se réunissent qu‟une seule fois, au moment de procéder à un
tirage intégral de l‟ordre dans lequel va se faire la distribution des levées,
montre l‟orientation plus financière que social de ce genre de tontines. A cet
égard les tontines simples des lieux de travail se distinguent beaucoup des
tontines simples de quartier où les rencontres sont régulières et donnent, à la
fin du cycle notamment, l‟occasion d‟organiser de somptueuses festivités.
L‟idée de créer la tontine peut venir d‟un individu ou d‟un groupe
d‟individus qui contactent leurs collègues pour solliciter leur participation.
Très souvent ces derniers se sentent obligés de participer pour ne pas donner
l‟impression de ne pas s‟intéresser à la vie sociale au sein du lieu du travail.
Ce sentiment d‟obligation est d‟autant plus établi que dans la plupart des cas
les tontines des lieux de travail s‟accompagnent de la mise en place des
caisses de solidarité en cas de maladie ou de décès.
Du point de vue organisationnel, les tontines des lieux de travail ont
à leur tête un responsable chargé de récupérer les contributions des membres

91
et de les remettre au bénéficiaire de la levée. Ce qui les rapproche des
tontines avec organisateur. Au niveau du trésor et dans les banques
commerciales, les contributions se font par des ordres de virement signés et
déposés auprès de l‟agent comptable qui se charge alors de couper à la
source les montants des contributions sur les salaires des participants. La
détermination de l‟ordre dans lequel les levées seront distribuées se fait par
un tirage au sort complet avant même le commencement des versements.
Chaque membre dispose d‟une liste des participants précisant devant chaque
nom le mois qui correspond à son tour de lever les fonds de la tontine. C‟est
sur la base de cette liste que les ordres de virement sont établis au nom du
bénéficiaire potentiel. La levée peut ainsi être versée directement dans le
compte bancaire du bénéficiaire. La périodicité des contributions est
confondue avec celle des levées comme dans les tontines de quartiers et à
l‟opposé des tontines de marchés. Elle est mensuelle à l‟image de la
perception des salaires.

La participation dans les tontines des lieux de travail

La participation dans les tontines des lieux de travail n‟est pas très
différente de celle que nous avons constatée au niveau des tontines de
quartiers et de marchés. Dans les tontines des lieux de travail, la
participation des femmes et celle des hommes s‟équilibre. Cela peut
s‟expliquer par le fait que malgré qu‟elles soient des tontines de type simple,
les tontines des lieux de travail accordent une plus grande importance aux
aspects financiers qu‟aux aspects sociaux. Le nombre moyen de participants
par tontine est de 21 dans les lieux de travail ayant fait l‟objet d‟enquête. Les
participants ne se réunissent qu‟une seule fois dans le cycle tontinier au
moment de procéder au tirage complet de l‟ordre des levées. D‟ailleurs,
même en ce moment, ce n‟est pas tous les participants qui sont présents, il y
a ceux, comme Camara, qui disent avoir confiance à leurs collègues et qui
décident par conséquent de ne pas assister au tirage. Dans cette perspective,
on peut affirmer, comme à l‟égard des tontines commerciales ou avec
organisateur, que les tontines des lieux de travail n‟ont pas une vie sociale
qui leur soit propre.
Il est important de voir la relation entre la participation dans les
tontines des lieux de travail et la qualification ou le niveau des salaires des
travailleurs. On sait que les employés subalternes ont une qualification et un
niveau de salaire très bas (moins de 100.000 F CFA). Même s‟ils travaillent
au sein d‟une banque, leurs revenus ne leur permettent pas d‟être éligibles
pour accéder au crédit pour la consommation ou l‟investissement. Disposant
de comptes bancaires, ces employés peuvent facilement épargner pourvu
qu‟ils puissent résister à la forte tentation de répondre aux besoins à la fois
personnels et familiaux pressants. La participation de cette catégorie aux

92
tontines des lieux de travail se justifie parfaitement par le désir d‟accéder au
crédit et de se faire forcé à épargner.
Pour les agents en charge du service bancaire en l‟occurrence
caissiers, agents comptables ou de saisie et secrétaires qui ont un niveau
d‟instruction et de salaire moyen, entre 100.000 et 250.000 F CFA, l‟accès
au crédit bancaire pour la consommation ou l‟investissement peut être
accepté à ceux, parmi eux, qui disposent de suffisamment de garanties telles
qu'un titre foncier, une voiture ou autres matériels d‟une grande valeur. Mais
l‟épargne constitue, même pour cette catégorie, un véritable casse-tête du
fait des sollicitations financières des membres de la famille restreinte ou
élargie. Souvent, les personnes prises en charge sont tellement nombreuses
que le salarié dépense presque tout son salaire dans l‟alimentation de sa
famille élargie, le paiement du loyer et des factures d‟eau, d‟électricité et de
téléphone et la prise en charge des frais de santé, de scolarité et de transport.
La participation de cette seconde catégorie aux tontines des lieux de travail
se justifie par la volonté de se faire contraindre par ses collègues pour
épargner ou accéder à un crédit permettant la réalisation d‟un projet de
consommation ou d‟investissement.
Pour les cadres moyens qui gagnent plus de 250.000 F CFA, l‟accès
au crédit bancaire est relativement facile mais ils sont soumis, comme les
deux premières catégories, aux mêmes obligations de prise en charge des
parents proches ou lointains. D‟ailleurs la charge varie souvent en fonction
des revenues. Un cadre moyen a de forte chance d‟avoir une charge sociale
beaucoup plus importante qu‟un simple secrétaire ou agent comptable. A
moins qu‟ils rompent les liens avec la famille élargie, les grands salariés ont
besoins au même titre que les petits salariés de se faire contraindre pour
parvenir à dégager une épargne importante.

Les motivations des participants aux tontines des lieux de travail

On aurait dû s‟attendre à une différence importante du point de vus


des motivations entre les participants des tontines de quartier ou de marché
et ceux des tontines des lieux de travail du fait que les derniers disposent
presque tous de comptes bancaires. Nos enquêtes révèlent qu‟il n‟en est
absolument rien. Le recours à la pression sociale du groupe pour parvenir à
épargner est là également une raison fondamentale qui explique le recours
aux tontines de travail. En fait, on peut penser que les travailleurs qui
disposent de comptes bancaires gagneraient à y épargner au lieu de mettre
leur argent dans la tontine pour bénéficier de toutes les opportunités de profit
sur l‟épargne qu‟offre le système bancaire. Mais beaucoup affirment être
dans l‟impossibilité d‟épargner dans leur compte du fait de leur écrasante
charge sociale qui les pousse à retirer tout leur salaire avant le 15 du mois.

93
Nous avons entendu un de nos informateurs maudire sa carte bancaire qui
est, d‟après lui, la source de sa détresse financière.

« Avec cette maudite carte, il est impossible de disposer d‟un peu d‟argent dans son
compte durant les dix derniers jours du mois ».

Ces propos rendent compte des difficultés que les détenteurs de


revenus rencontrent pour épargner, malgré la disposition d‟un compte
bancaire, du fait principalement de leurs charges familiales et des
sollicitations de crédit ou de dons provenant de leur environnement social
immédiat. Cette pression à la redistribution est d‟autant plus forte que les
sénégalais ont une représentation fausse du salarié qui est supposé être à
mesure d‟advenir aux besoins de ses parents les plus lointains. Chez les
haalpulaar, par exemple, si l‟on dit de quelqu‟un qu‟il a un liguey toubab ou
travail salarié, tous les parents qui quittent le village pour aller à Dakar sont
recommandés à lui. On attend de lui qu‟il héberge et donne à manger
gratuitement tous les membres de sa famille élargie, qu‟il achète les
ordonnances, les frais de transport et d‟hospitalisation de ceux qui sont
venus se faire soigner, qu‟il remette aux jeunes migrants de sa famille de
l‟argent qui doit servir de fonds de roulement pour un petit commerce ou
encore l‟achat de matériel pour l‟exercice d‟un petit métier tel que le cirage
des chaussures, la vente des billets de la loterie nationale ou la coiffure.
Toutes ces sollicitations se font sans tenir compte du niveau de salaire de
l‟individu. Il faut d‟ailleurs dire que les détenteurs de revenus essayent de
jouer le jeu en espérant y gagner du prestige social.
Au vu de ces différentes contraintes pour l‟épargne, la participation
dans une tontine d‟un lieu de travail peut constituer un prétexte pour refuser
de manière légitime de satisfaire les sollicitations. Ainsi 26% des répondants
au sein des tontines des lieux de travail déclarent y participer pour la
pression sociale qui leur est inhérente qui les oblige à mobiliser une épargne
suffisante pour la réalisation de leurs projets personnels. Certains, comme
Camara, affirment que si ce n‟était pas la participation à la tontine, ils
n‟auraient probablement jamais concrétisé certains de leurs projets tels que
la construction d‟une maison, l‟achat d‟une voiture ou certains équipements
ménagers.

« L‟avantage de la tontine par rapport à un compte bancaire, selon Camara, c‟est que
l‟argent n‟y ait disponible qu‟au moment opportun contrairement à la Banque où tu
peux retirer ton argent quand tu veux, surtout depuis l‟avènement des cartes
bancaires. Dans les tontines, tu ne reçois l‟argent que quand vient ton tour et la
somme est toujours suffisamment importante pour te permettre de concrétiser
certains projets d‟envergure ».

94
Tableau n°11: Les facteurs explicatifs du recours aux tontines des lieux de
travail.

Accès difficile aux services bancaires 2


Simplicité des procédures tontinières 6
Personnalisation des relations 8
Pression social pour épargner 9
Absence d‟intérêt sur le crédit 9
Nombre de réponses 34
Kane: enquêtes de terrains.

La solidarité entre participants qui se manifeste par l‟absence du


paiement d‟un intérêt par les débiteurs au profit des créanciers est également
considérée par 26% des participants comme une raison de recourir aux
tontines plutôt qu‟aux banques qui affichent des taux d‟intérêt très élevés.
Mariane, par exemple, dit être à mesure d‟obtenir de sa banque un prêt pour
construire sa maison mais vu le taux d‟intérêt, elle préfère participer à la
tontine même si par ailleurs ça prend un peu plus de temps, car elle ne verse
au bout du compte aucun intérêt pour les prêts qui lui sont accordés.
Par ailleurs, le fait que tous les participants travaillent ensemble est
également considéré par plusieurs répondants, 24% au total, comme une
raison explicative de leur adhésion aux tontines des lieux de travail. Pour
cette catégorie, la participation aux tontines est une forme d‟affirmation de
leur appartenance professionnelle. Ce qui explique que beaucoup de
travailleurs interrogés ressentent presque une obligation de participer aux
tontines des lieux de travail. Cette obligation est d‟autant plus fondée que les
tontines sont, dans certains cas, articulées à des caisses de solidarité qui ont
pour fonction essentielle de venir en aide à des collègues éprouvés, sinistrés
ou accidentés. En fait, seuls les cadres supérieurs et les chefs d‟entreprise
sont en dehors de ces mécanismes de solidarité en privilégiant les liens
hiérarchiques et les rapports formels au sein de l‟entreprise.
D‟autres participants affirment être séduits par la simplicité et la
flexibilité des procédures tontinières. Au total, 18% des répondants préfèrent
la tontine par rapport aux banques pour cette raison. Ainsi, certains comme
Ali affirment qu‟avec les tontines, on ne perd pas du temps à faire la queue
devant un guichet, on ne paye pas de frais de gestion de compte, on ne fait
pas face à des lourdeurs administratives pour accéder à un crédit et on ne
paye pas de frais d‟étude de dossier, tout ce dont on a besoin c‟est la
solidarité entre collègues.

95
Enfin, il est assez remarquable que certains employés de banques
aient le sentiment d‟être exclus du système bancaire au même titre que les
petits entrepreneurs du secteur informel au niveau des quartiers et des
marchés. En effet, 6% de nos répondants affirment que du fait des conditions
requises pour être éligible pour l‟obtention du crédit, ils sont, à la même
enseigne que la majorité des dakarois, les laissés pour compte du système
bancaire. Bien qu‟ils disposent de comptes bancaires, certains d‟entre eux
comme Coumba affirment que celui-ci ne joue qu‟un rôle de transit de leurs
salaires qui sont immédiatement reversés dans les circuits tontiniers.

Les besoins satisfaits par les tontines des lieux de travail

Les tontines des lieux de travail se distinguent aussi des tontines de


marché et de quartier par l‟utilisation que les participants font de l‟argent
reçu sous forme de crédit ou d‟épargne des tontines. D‟une manière
générale, l‟argent est utilisé pour la satisfaction des besoins d‟investissement
dans une activité secondaire génératrice de revenus substantiels dépassant
dans certains cas le salaire de l‟intéressé. En effet, 6 sur 18 répondants, soit,
33%, affirment utiliser l‟argent de la tontine pour étendre et renforcer leurs
activités secondaires. Ce sont essentiellement des activités de commerce, de
service et dans de rares cas de production. Très souvent, ces activités sont
gérées par le conjoint ou un parent proche de l‟intéressé. On peut donner
l‟exemple de Diallo, qui est employé au Trésor publique, pour illustrer cette
pratique. Il participe à une tontine de 50.000 F CFA par mois dont la levée et
de 1.200.000 F CFA avec 24 participants. Avec l‟argent de la tontine et une
prime de service appelée “le 13ème mois”, il a financé le projet de
commerce de sa femme qui s‟est lancée dans l‟import-export de produits fort
appréciés par la petite bourgeoisie et les classes moyennes tels qu‟habits et
chaussures à la mode, effets de toilettes, etc.. Les bénéfices générés par le
commerce sont partagés par les deux conjoints.
Les besoins de prévoyance sanitaires et scolaires constituent
également une préoccupation majeure des participants aux tontines des lieux
de travail. En effet, 28% des répondants utilisent l‟argent des tontines pour le
paiement des ordonnances, des frais d‟hospitalisation et des frais scolaires
éventuels. Ami est l‟une des participantes de la Tontine de la CBAO dont le
montant mensuel des contributions est de 60.000 F CFA et la levée de
720.000 F CFA avec 12 participants. Elle affirme que l‟argent qu‟elle
épargne par le biais de la tontine lui permet de faire face particulièrement
aux imprévus. On peut, bien entendu, classer les dépenses effectuées pour
prendre en charge l‟hospitalisation d‟un membre de la famille comme des
dépenses de consommation au même titre que l‟alimentation et
l‟habillement. Cependant, l‟idée de se prémunir contre des situations
éventuelles justifie ici l‟utilisation du terme de la prévoyance.

96
Les besoins de consommation viennent en troisième position au
regard de l‟utilisation que les participants aux tontines des lieux de travail
font de l‟argent tiré de ces dernières. 4 sur 18 répondants, soit 22%,
s‟intéressent à la consommation. D‟une manière générale, il s‟agit de la
consommation de biens durables tels que les maisons, les meubles, les
voitures et d‟autres équipements concourant au confort matériels des
ménages. Ainsi, Mariane - qui est l‟initiatrice d‟une tontine à la CBEAO
avec 24 participants et une contribution mensuelle de 100.000 F CFA, soit
une levée de 2.400.000 F CFA - a pu terminer la construction de sa maison
de deux étages à la cité Campénal. Elle continue de participer pour, dit-elle,
petit à petit équiper sa maison de manière idéale, c‟est-à-dire de tous les
objets qui symbolisent la réussite sociale d‟une salariée.
Enfin, certains participants des tontines des lieux de travail utilisent
l‟argent de la tontine pour l‟organisation des cérémonies familiales ou des
fêtes religieuses au cours desquelles elles sont supposées faire preuve de
libéralité pour mériter aux yeux des autres leur statut social privilégié. En
effet, 3 sur 18 des répondants, soit 17%, disent se préoccuper
particulièrement par ce genre de dépenses. Il n‟est pas rarement de voir
certaines participantes négocier avec un prochain bénéficiaire des fonds de la
tontine afin de prendre sa place dans l‟ordre des levées pour être à mesure de
faire face à une cérémonie familiale imminente. Là également, on peut
mettre ce genre de dépenses dans la catégorie des dépenses de
consommation. Cependant, le fait qu‟elles visent particulièrement
l‟acquisition ou la préservation d‟un statut social les distingue des autres
types de dépenses de consommation destinées à la prise en charge des
besoins vitaux de la famille.

Tableau n°12: Besoins de financement satisfaits par les tontines enquêtés.

Consommation 4
Investissement 6
Prévoyance 5
Prestige 3
Nombre de réponses 18
A. Kane: enquête de terrain.

Par ailleurs, il faut souligner que les participants aux tontines des
lieux de travail, surtout les femmes, participent simultanément aux tontines
de quartier. Dans ce cas, il est possible que les tontines de quartier servent à
la satisfaction des besoins de consommation tandis que les tontines des lieux
de travail prendraient en charge les besoins d‟investissement et de
prévoyance. Du moins c‟est ce que suggère le cas d‟Ami qui participe aux

97
tontines des lieux de travail pour la prévoyance et aux tontines de quartier
pour l‟équipement de sa maison et la prise en charge des frais occasionnés
par l‟organisation des cérémonies familiales et religieuses.
Par ailleurs, il faut mentionner que l‟utilisation de l‟argent des
tontines par les participants peut varier d‟un cycle tontinier à un autre en
fonction de leurs priorités du moment. Dans cette perspective, les chiffres
avancés ici ne concernent que le dernier cycle des tontines ayant fait l‟objet
d‟enquête. Pour ceux qui avaient disposé déjà de la levée, nous nous sommes
intéressés à l‟utilisation faite de l‟argent tandis que pour ceux qui étaient en
attente de recevoir prochainement la levée, nous nous sommes focalisé à
leurs projections de l‟utilisation des fonds tontiniers.

Conclusion

Ce qu‟il faut retenir de ce chapitre est que les tontines sont des
arrangements financiers populaires taillés sur mesure et adaptés par
conséquent aux besoins et aux moyens dont disposent les participants. Nous
avons relevé une variation des préoccupations des participants en fonction de
la nature des relations qu‟ils entretiennent entre eux. Quand ces relations
sont mutuelles et fondée sur le voisinage ou la parenté, comme au niveau des
tontines de quartier, les objectifs poursuivis tendent à être autant sociaux
qu‟économiques ou financiers. Par contre, si les relations entre participants
sont médiatisées par un organisateur, comme dans la plupart des tontines de
marché, les bénéfices économiques et financiers semblent être la finalité
recherchée.
Mais au delà de cette différentiation entre tontines simples et
tontines avec organisateur, il apparaît clairement une sorte de spécialisation
des tontines en fonction de leur lieu d‟implantation. Ainsi, les tontines de
quartier semblent être orientées vers la prise en charge des besoins de
consommation courante ou durable tandis que les tontines des marchés
s‟activent dans le financement des activités économiques informelles. Au
même moment, les tontines des lieux de travail affichent un intérêt
particulier au financement d‟activités secondaires et l‟acquisition de biens
matériels symbolisant la réussite du salarié. Cette forme de spécialisation est
surtout manifeste chez les femmes participant simultanément aux tontines de
quartier et de marché ou des lieux de travail.
Par ailleurs, les résultats exposés dans ce chapitre remettent en cause
deux assomptions souvent présentent dans la littérature sur les arrangements
financiers informels. La première est celle qui prétend que l‟existence des
tontines est le résultat de l‟exclusion des catégories sociales pauvres du

98
système bancaire (Dromain, 1990; Essombe Edimo, 1995)48. La présence des
tontines au sein même des banques et chez les couches sociales aisées suffit
pour réfuter cette prétention. Il est clair que les tontines ne sont pas
l‟apanage des seuls pauvres encore moins des plus pauvres. Ils constituent
des instruments adéquats permettant aux participants de profiter de la
pression sociale qui leur est inhérente pour se forcer à l‟épargne dans le but
de disposer d‟un montant à la hauteur de leurs projets.
La deuxième assomption consiste à présenter les tontines comme des
structures de financement orientées vers la satisfaction uniquement des
besoins de consommation ou de prestige (Dupuy et Servet, 1987)49. Ce qui
ternit l‟image de la tontine dans le paysage de l‟intermédiation financière où
elle est comprise comme le lieu où transitent les millions de francs gaspillés
au cours des cérémonies familiales au nom du statut et du prestige social.
Les données contenues dans ce chapitre indiquent le contraire au moins pour
les tontines des marchés et des lieux de travail qui jouent un rôle primordial
dans le financement d‟activités économiques génératrices de revenus.

48
Dromain, M., (1990), “L‟épargne ignorée e négligée : les résultats d‟une enquête
sur les tontines au Sénégal”, in Lelart M. (ed.), La Tontine, AUPELF-UREF, John
Libey Eurotext, Paris, 356p. Essombé Edimo, J-R., (1995). Quel avenir pour
l‟Afrique? Financement et développement, Editions Nouvelles du Sud, 172p.
49
Dupuy, C. et Servet, J-M., (1987), “Pratiques informelles d‟épargne et de prêt :
exemples sénégalais”, Economie et Humanisme, No 294, mars-avril 1987, pp. 40-54.

99
Chapitre 4
Pratiques financières informelles des
sénégalais à Paris : Adaptation et
innovations dans les pratiques de solidarité
Introduction

Les arrangements financiers populaires, tels que nous les avons


décrits dans les deux chapitres précédents, sont également présents chez les
émigrés sénégalais vivants en France. Nous nous intéressons ici au cas des
émigrés haalpulaar originaires de la vallée du fleuve Sénégal. Compte tenu
des innombrables possibilités d‟accès aux circuits financiers institutionnels
dans leur société d‟accueil, il peut être considéré comme surprenant que les
émigrés y reproduisent les tontines et les caisses villageoises. L‟accès au
crédit y est certainement beaucoup plus facile et l‟épargne y présente
l‟avantage d‟être sécurisée et d‟être rémunérée avec des taux plus
intéressants que ceux qu‟offrent les banques sénégalaises. Par ailleurs, le
bénéfice des services de la sécurité sociale et des sociétés d‟assurance
favorise en principe une protection sociale efficace et anonyme pour les
émigrés en situation régulière ou disposant simplement d‟un salaire.
On aurait dû s‟attendre de ce fait à un relâchement des solidarités
communautaires à l‟échelle de la famille, de la caste, de l‟ethnie ou du
village au profit des solidarités de type contractuel dans lesquelles l‟émigré,
libéré de ses appartenances communautaires, serait le centre et jouirait d‟une
certaine autonomie. Malgré cet environnement propice à l‟éclosion des
libertés individuelles par rapport à l‟emprise des obligations sociales de leurs
communautés d‟origine, les émigrés haalpulaar reproduisent en France des
formes de solidarité communautaire de type tontinier et mutuel notamment.
Les questions que l‟on se pose à cet effet sont deux ordres. Premièrement,
comment les tontines et les caisses de solidarité sont-elles reproduites dans le
pays d‟accueil? Deuxièmement, y a-t-il des variations importantes dans les
motivations et les finalités des tontines quand elles voyagent du Sénégal à
l‟étranger?
Notre argument est que les tontines, les caisses de solidarité sont
reproduites parce qu‟elles prennent en charge des aspects socioculturels
importants et indispensables pour la survie et l‟adaptation des émigrés
sénégalais. Les émigrés, qui viennent pour l‟essentiel du monde rural, sont
habitués à des relations sociales directes et personnalisées qui sont en
déphasage total avec les relations abstraites qu‟impliquent les rapports entre
l‟individu pris en isolé et les institutions modernes. Dans cette perspective, il
n‟y a pas, chez les émigrés haalpulaar, un rapport d‟exclusivité entre le
recours aux banques et aux sociétés d‟assurance et la participation aux
arrangements financiers informels. Les deux ne s‟excluent pas mais se
complètent.
Comme dans les deux chapitres précédents, nous allons commencer
par décrire brièvement le contexte dans lequel les tontines et les caisses
communautaires ont vu le jour et évolué chez les émigrés haalpulaar en
France. Ensuite, nous verrons comment les tontines et les mutuelles sont
organisées et fonctionnent par rapport aux arrangements financiers
populaires rencontrés à Thilogne et à Dakar. Enfin, nous verrons les
motivations des émigrés à participer dans les arrangements financiers
populaires et les types de besoins qu‟ils ont l‟intention de satisfaire par ce
biais.

Le contexte : de l’émigration passagère à l’émigration durable.

L‟immigration est devenue l‟objet d‟un débat passionné en Europe


ces dernières années. Les hommes politiques, incapables d‟expliquer
l‟exclusion, la précarité et le chômage dont sont victimes de plus en plus un
grand nombre de leurs concitoyens, trouvent dans le thème de l‟immigration
un détour miracle pour mieux occulter l‟inexpliqué. Tous les partis
politiques de gauche comme de droite, tout au long des deux extrêmes en
l‟occurrence des “lepenistes” aux communistes, font de l‟immigration un
sujet incontournable qu‟il faut nécessairement aborder au cours des
campagnes électorales. Ils tentent selon leurs idéologies respectives, et
autant que faire se peut, d‟exorciser ou d‟exacerber la hantise de
l‟immigration dans les consciences des électeurs. Cependant, au delà de ces
spéculations politiciennes, par ailleurs mal informées, l‟immigration, comme
le montrent des publications récentes, est loin d‟être à la source du mal qui
ronge de l‟intérieur les sociétés de consommation européennes (D. Fassin, A.
Morice et C. Quiminal, 1997 ; P. Dewitte, 1999 ; J. Barou et H. Khoa LE,
1993 ; M. Timera, 1996)50.
Nous n‟allons pas aborder ici tous les problèmes relatifs aux aspects
juridiques, politiques et socio-économiques de la présence en France des
africains d‟une manière générale et des Haalpulaar originaires de la vallée
du fleuve en particulier. Nous tenterons essentiellement de voir l‟évolution
au fil des ans de l‟émigration de ce groupe ethnique dans ce pays en mettant
l‟accent sur ses modes d‟insertion professionnelle, son adaptation par rapport
à son environnement social nouveau, ses comportements en matières
d‟épargne, de protection sociale et de transfert, ses relations avec la

50
Fassin, D.; Morice, A.; et Quiminal, C., (1997), Les lois de l‟inhospitalité. Les
politiques de l‟immigration à l‟épreuve des sans-papiers. Ed. La Découverte, Paris,
282p. Dewitte, P. (1999), Immigration et Intégration. L‟état des savoirs. Ed. La
Découverte, Paris, 444p. Barou, J. et Le H. K., (1993) : L‟immigration entre loi et
vie quotidienne, l‟Harmattan, Paris, 176p. Timera, M., (1996), Les Soninke en
France. D‟une histoire à une autre. Ed. Karthala, 244p.

104
communauté d‟origine. Nous nous garderons de généraliser à partir du cas
des haalpulaar de la vallée malgré les similitudes notoires que l‟on peut
relever entre leurs comportements socio-économiques et ceux des autres
communautés négro-africaines en France notamment les Soninké qui
viennent de la même région.
L‟émigration des haalpulaar en France est un peu plus récente,
comparée à celle des Soninké par exemple. On peut situer ses débuts après la
deuxième guerre mondiale. Néanmoins, c‟est au début des années soixante
que l‟émigration haalpulaar en France a véritablement commencé. Elle est
mal accueillie à ses débuts par les familles et les communautés villageoises
du fait qu‟elle suppose une longue absence des migrants à cause de la
distance qui sépare l‟Europe et l‟Afrique. Au même moment, elle est
souhaitée et encouragée par les autorités françaises qui se voient obligées de
recourir à la main d‟oeuvre étrangère pour reconstruire leurs infrastructures
dévastées par la guerre et soutenir leur croissance et expansion économique
(Guy Le Moigne, 1995, p.7)51. Au fil des ans, ces deux positions extrêmes
vis-à-vis de l‟émigration en France, fait de scepticisme pour les haalpulaar
et d‟enthousiasme pour les français, se sont interverties.
Ce renversement de situation s‟explique par deux facteurs
économiques conjugués. Au niveau de la vallée du fleuve Sénégal, la grande
sécheresse du début des années 70 n‟offre aucune autre alternative que celle
de l‟émigration plus lointaine et plus durable (P. Lavigne Delville, 1991)52.
Pourtant, au même moment les projets d‟irrigations promettaient un bel
avenir aux populations de la vallée. Mais la nécessité de trouver des revenus
pour pallier le déficit céréalier chronique ne pouvait attendre la réalisation
des aménagements hydro-agricoles qui devait se faire progressivement et en
priorité dans les zones pionnières, c‟est-à-dire dans le Delta du fleuve. La
moyenne vallée dont les terres sont classées par la loi sur le domaine
national de 1964 comme zones de terroirs n‟a pas connu l‟aménagement de
grandes surfaces susceptibles de répondre de manière durable ou même
ponctuelle aux défis des sécheresses répétitives53. La concentration de

51
Le Moigne, G., (1995), L‟immigration en France. PUF, Collect. Que sais-je?, 3e
édition, 126p.
52
Delville, P. L., (1991), La rizière et la valise : irrigation, migrations et stratégies
paysannes dans la moyenne vallée du fleuve Sénégal. Syros-Alternatives, Paris,
231p.
53
La loi sur le domaine national de 1964 instaure la nationalisation des terres. Le
domaine foncier a été divisé en quatre zones en fonction de l‟utilisation ou non
antérieure des terres par les populations. Ainsi, il y a les zones urbaines qui
correspond aux parcelles d‟habitation, les zones de terroir qui correspondent aux
terres qui ont fait l‟objet de propriété coutumière, les zones pionniers constituées des
terres considérées comme des No man lands et les zones classées qui renvoient aux
réserves naturelles et aux forêts.

105
l‟essentiel du patrimoine foncier entre les mains de quelques familles
toroɓɓe ou seɓɓe influentes constituaient également un obstacle au
développement d‟une irrigation profitable à la grande majorité.
Au niveau de la France, le choc pétrolier de 1973 n‟est pas allé sans
causer de dommages notoires dans l‟économie. Les autorités françaises
changent de fusil d‟épaule en passant d‟une politique volontariste
d‟immigration à une politique de contrôle des étrangers en France avec
l‟arrêt officiel de l‟immigration en 1974 (Guy le Moigne, 1995, p. 7)54.
Cependant cette période voit une entrée massive des haalpulaar en France.
Si dans les années 60, l‟émigration ne concernait que les hommes en âge de
travailler, la fin des années 70 est marquée par l‟arrivée des femmes venues
rejoindre leurs maris. Ce phénomène prendra plus d‟ampleur après les
mesures du gouvernement socialiste tendant à intégrer les immigrés par la
politique du regroupement familial. Saisissant l‟opportunité de ces mesures
les haalpulaar, comme d‟ailleurs les autres africains, font venir femmes et
enfants pour s‟établir de manière définitive ou au moins durable en France
pour ne rentrer au pays que de manière occasionnelle au gré des
circonstances.
Le durcissement de la politique d‟immigration en France avec les
lois Pasquois et les accords de Schengen au niveau de la communauté
européenne font du regroupement familial le seul moyen dont disposent les
émigrés ayant la nationalité française de faire venir leurs parents restés au
Sénégal (D. Fassin, A. Morice et C. Quiminal, 1997).55 C‟est le cas quand les
émigrés arrangent des mariages entre leurs filles appartenant à la deuxième
génération et bénéficiant de la nationalité française avec des parents proches
au Sénégal dans le seul but de les faire venir en France.
Le milieu des années 90 marque la fin de la ruée des haalpulaar vers
la France. Cela s‟explique moins par la cohérence et la rigueur des politiques
appliquées que par l‟écho des tracasseries policières, de la discrimination
raciale en matière d‟emploi, bref de la situation difficile des émigrés même
en règle du fait de la montée de la xénophobie confondue non sans raison
avec l‟élargissement de la base électorale de l‟extrême droite notamment du
Front National. Les flux migratoires ont de ce fait changé de direction, les
haalpulaar vont plus vers les Etats Unis d‟Amérique que vers la France ou
l‟Europe.
Après ce bref survol de l‟évolution de l‟émigration des haalpulaar
en France, il est important d‟aborder ici la situation socio-économique dans

54
Guy Le Moigne, G., (1995), L‟immigration en France. PUF, Collect. Que sais-
je?, 3e édition, p. 7
55
D. Fassin, A. Morice et C. Quiminal (1997). Fassin, D.; Morice, A.; et Quiminal,
C., (1997), Les lois de l‟inhospitalité. Les politiques de l‟immigration à l‟épreuve
des sans-papiers. Ed. La Découverte, Paris, 282p.

106
laquelle se trouvent les émigrés sénégalais. Quelles sont leurs occupations du
point de vue du travail et comment ont-elles évolué ? Quel est leur niveau de
revenu et comment le gèrent-ils en fonction de leur situation familiale ?
Quelles sont les formes d‟organisations collectives ont-ils mises en place et
pour la satisfaction de quels besoins ?
La réponse à ces trois questions nous semble nécessaire pour la
compréhension des motivations des émigrés à participer dans les
arrangements financiers populaires.
Nous ne disposons pas de données statistiques précises sur
l‟occupation des émigrés sénégalais en France. Cependant, les interviews de
groupe portant sur les associations villageoises permettent d‟affirmer que
l'écrasante majorité des ressortissants de Thilogne en France travaille dans
les usines comme ouvriers spécialisés, dans les restaurants et cafés, dans le
bâtiment, dans les magasins et boutiques. Donc, le salariat constitue la voie
d‟insertion professionnelle la plus couramment empruntée par les émigrés
sénégalais. A part les premiers arrivants, la plupart des émigrés thilognois en
France dispose d‟un contrat de travail à durée déterminée (CDD)
renouvelable au minimum tous les deux ans. Ce qui montre si besoin en était
la précarité des emplois qu‟occupent les émigrés même en situation
régulière. Le cas des émigrés clandestins est encore plus alarmant puisqu‟ils
sont à la merci de chefs d‟entreprises qui les exploitent autant qu‟ils le
peuvent.
Il faut souligner que chez les émigrés haalpulaar et soninké seuls les
hommes travaillent en dehors du cadre domestique. Les femmes s‟occupent
généralement des travaux ménagers : cuisine, linge, entretien des enfants,
etc. La plupart des femmes ne sont pas autorisées par leurs maris à travailler
pour gagner de l‟argent, ce qui crée une situation de dépendance avec toutes
ses conséquences sur la répartition du pouvoir, de l‟autorité et des
responsabilités au sein du ménage. Cela est entrain de changer avec la
seconde génération d‟émigrés. En effet, les mêmes hommes qui refusent de
voir leurs épouses travailler acceptent que leurs filles bien instruites accèdent
au travail salarié. Par ailleurs, le divorce et le veuvage constituent des portes
de sortie de la dépendance envers les hommes. Les femmes divorcées ou
veuves sont libres d‟accéder au travail salarié et donc de disposer de revenus
propres. En plus, elles gèrent très souvent directement les allocations
familiales en vertu de leur position de chef de ménage.
Du point de vue des revenus, l‟étude portant sur “Epargne des
Migrants et Outils Financiers Adaptés” estime le revenu moyen des
ressortissants de la vallée du fleuve, de 20 ans et plus, à 5.500 FF par mois et
par personne. La même enquête évalue les dépenses moyennes à environ
3.800 FF par mois et par personne. Ce qui veut dire que les émigrés
disposent d‟une capacité d‟épargne potentielle de 1.800 FF ( Blion, R.
Verriere, V.; Rosset, G.; Giordan, M.; Bretton L. et Rondepierre M., 1998, p.

107
44)56. Ce revenu est essentiellement composé du salaire, des allocations
familiales pour les émigrés ayant des enfants vivant en France et des
bénéfices tirés d‟activités secondaires entretenues très souvent en dehors de
toute légalité : petit commerce de tissus, de bijoux, d‟encens, de produits de
beauté et de vêtements africains. Certains cumulent également travail salarié
et activités artisanales telles que la cordonnerie, la bijouterie ou la teinture.
Mais si l‟on compare le niveau moyen du salaire des émigrés de la vallée à
celui de la France, on s‟aperçoit très rapidement qu‟ils font partie de la
catégorie la plus mal payée. En effet, les données de l‟INSEE de 1995, font
apparaître que seulement ¼ des salaires nets en France étaient inférieurs à
6.700 FF (INSEE, 1997).
Cependant, il existe des variations intéressantes en termes de
revenus en fonction de la durée du séjour, du nombre d'enfants, du statut
matrimonial, du niveau d‟instruction, du sexe etc. Les émigrés établis depuis
les années 1960 et qui vivent avec leurs familles en France disposent de
revenus plus réguliers et plus substantiels comparés aux derniers venus des
années 1980 qui ont très souvent des emplois temporaires et des salaires
précaires.
Demba, 53 ans, est entré en France en 1972, il travaille chez Renault
depuis 1977 et gagne maintenant entre 9.000 et 10.000 FF par mois. En plus
de ce revenu, les allocations familiales lui rapportent plus de 6.000 FF par
mois. Au même moment, Samba, 30 ans, arrivé en France en 1990, travaille
dans une entreprise immobilière privée avec un contrat à durée déterminée et
un salaire mensuel de 5.800 FF. La situation de Demba est encore enviable
pour des milliers d‟émigrés tapis dans l‟ombre de la clandestinité et
sciemment exploités par des chefs d‟entreprises sans pitié. Thierno, 34 ans,
est de ceux-là. Il travaille dans un restaurant comme plongeur et ne gagne
que 3.000 FF par mois. Il vit en France depuis maintenant plus de huit ans
dans la clandestinité. Pendant tout ce temps, sa femme est restée au village
se contentant des mandats que Thierno lui envoie de temps à autre. Dans la
dernière lettre de sa femme, que nous avons lue pour lui, celle-ci lui disait
que “les mandats qu‟il envoie ne suffisent pas pour atténuer la souffrance
d‟une longue attente d‟un époux qui ne revient pas”. Certaines femmes, dans
la même situation que la femme de Thierno, ont choisi le divorce tandis que
d‟autres se sont vues presque forcées à l‟infidélité et les plus malchanceuses
ont eu des enfants en dehors du mariage. Malgré tout ça, Thierno ne veut pas
rentrer sans avoir régularisé sa situation de peur de ne plus pouvoir revenir
après la sortie de la France.

56
Blion, R.; Verriere, V.; Rosset, G.; Giordan, M.; Bretton L. et Rondepierre M.,
(1998): Rapport Final sur “Epargne des Migrants et Outils Financiers Adaptés”.
CIMADE - EUROPACT - ABPCD, 162p.

108
Des milliers d‟émigrés font face au même dilemme et développent
plusieurs stratégies pour s‟en sortir: mariage avec des françaises y compris
les filles de la deuxième génération d‟émigrés, recours au statut de réfugiés
politiques, mouvements à l‟intérieur de l‟Europe à la recherche de pays
“régularisateurs”, etc... Ils sont tous une proie facile pour des entrepreneurs
portés à opérer dans l‟illégalité pour accroître de manière exponentielle leurs
profits.
Si les émigrés établis avec leurs familles en France ont les revenus
les plus élevés comparés aux autres catégories d‟émigrés, ils ont aussi des
charges plus lourdes du fait qu‟ils ont à entretenir leurs propres familles en
France et celle de leurs parents, frères et sœurs restés au Sénégal. Les
émigrés qui ont laissé leurs familles au Sénégal ou qui sont encore des
célibataires ne prennent en charge que leurs besoins personnels en France et
ceux de leurs familles restées au pays. Ils ont une vie en France moins chère
du fait qu‟ils sont logés dans des foyers à location modérée où ils se
regroupent à 2, 3 voir 4 par chambre et se partagent les frais d‟hébergement.
De même, ils se cotisent et s‟organisent pour prendre en charge les frais
d‟alimentation. Ce qui réduit considérablement leur coût de vie en
augmentant leur capacité d‟épargne.
C‟est le cas des jeunes thilognois qui vivent au foyer de Coignière.
Ils gagnent entre 3.500 et 6.000 FF par mois. Ils partagent à deux les
chambres dont le loyer est de 600 FF par mois. Ainsi, le loyer revient à 300
FF pour chaque personne. Ils se cotisent 200 FF par mois pour prendre en
charge leurs frais d‟alimentation. Ils font la cuisine à tour de rôle uniquement
durant la soirée. Chacun prend un petit sandwich comme repas de midi à ses
propres frais. De ce fait malgré les faibles salaires dont ils disposent, ils
parviennent à épargner beaucoup d‟argent et à opérer des transferts de fonds
substantiels vers le Sénégal aussi bien sous forme de soutien à la famille que
sous forme d‟investissement dans le commerce, l‟agriculture et surtout
l‟immobilier.
Quiminal observe le même phénomène à propos des stratégies
définies par les Soninké pour parvenir à épargner des sommes importantes
malgré la faiblesse de leurs revenus (C. Quiminal, 1991)57.
Les émigrés qui vivent avec leurs familles, par contre, sont obligés
de louer un appartement de 2, 3 voire 5 pièces en fonction de la taille de
leurs familles qui est très souvent large. Ce qui revient relativement cher
malgré les subventions au logement dont ils bénéficient. Ils doivent, par
ailleurs, faire face seul aux frais d‟alimentation, aux factures d‟eau,
d‟électricité et de téléphone, aux frais médicaux, scolaires et de transport de

57
Quiminal, C., (1991), Gens d‟ici, gens d‟ailleurs. Christian Bourgeois, Paris,
222p.

109
leurs enfants, etc. Ce qui constitue une très lourde charge dans le cas d‟une
famille nombreuse. Cependant, il est vrai qu‟en termes de transfert d‟argent
vers le Sénégal, les émigrés, ayant laissé leurs épouses au village, envoient
des sommes plus importantes et de manière plus régulière que ceux qui sont
établis en France avec leurs familles.
La séparation entre ces deux catégories nous paraît importante si
l‟on veut comprendre les comportements des émigrés en matière d‟épargne,
d‟assurance et de transfert de fonds vers la société d‟origine. Si l‟on ne peut
pas disposer de chiffres exacts quant au nombre d‟émigrés dans chaque
catégorie pour l‟ensemble des ressortissants de la vallée, il est possible en
répartissant les ressortissants d‟un même village en fonction des deux
catégories, avoir une idée plus ou moins nette de leurs poids respectifs. Pour
ce faire, nous avons utilisé la liste des membres de la caisse villageoise de
Thilogne. Nous avons classé les 238 membres en trois catégories :
célibataires, mariés vivant avec leurs épouses en France et mariés ayant
laissé leurs femmes au Sénégal.
Prés de 30% des émigrés thilognois vivent avec leurs familles en
France composées essentiellement de leurs femmes, leurs enfants et de très
proches parents tels que des frères, des soeurs, des neveux, etc. L‟écrasante
majorité d‟entre eux vivent en banlieue parisienne notamment les Mureaux,
Lavarière, Trappes, Dreux et Rambouillet. D‟autres habitent dans de petites
villes comme Compiègne, Orléans, Nancy, le Havre. Prés de la moitié des
ressortissants de Thilogne ont laissé leurs familles au village. Le reste, près
de 20%, est composé de célibataires. Au cours des 3 dernières années, il y a
eu beaucoup de mariages entre des filles de la seconde génération qui sont
nées et ont grandi en France avec des jeunes migrants entrés dans le pays à la
fin des années 1980. Pour la seule année 1997, nous avons relevé cinq
mariages de ce genre.
Ces différences de statut et de situations familiales influencent dans
une certaine mesure les comportements des émigrés haalpulaar en matière
d‟épargne et de transfert. Les émigrés vivant avec leurs familles en France
épargneront peu du fait de leurs charges. Ils transféreront également peu
pour l‟entretien de leur famille au village. A l‟inverse, les émigrés mariés
ayant laissé leurs familles au Sénégal, parviennent à épargner plus par
rapport à leurs revenus parce qu‟ils participent aux regroupements de
consommateurs dans les foyers pour diminuer le coût de leur vie en France.
Mais ils ont, en même temps, l‟obligation de faire des transferts importants
en direction de leurs familles pour entretenir leurs femmes et leurs enfants
restés au village. Les jeunes célibataires se retrouvent dans une position
confortable dans la mesure où ils peuvent mener une vie relativement moins
chère en France en intégrant la “marmite” des foyers et ils n‟ont pas
l‟obligation de transférer des sommes importantes pour l‟entretien de leurs
familles au village. Ce que ces catégories ont en commun est le recours aux

110
arrangements financiers populaires qui constituent pour tous des instruments
irremplaçables de protection sociale.
La plupart des émigrés sénégalais participe dans des arrangements
financiers tontiniers et mutuels qui visent la satisfaction de besoins à la fois
psychologiques, financiers et socioculturels. Mais les femmes participent
plus volontiers aux tontines rotatives tandis que les hommes ont une
préférence pour les caisses communautaires. Dans les tontines regroupant les
femmes, les rencontres sont régulières et les discussions instructives. Elles
échangent leurs vues sur les problèmes communs, partagent les informations
relatives aux services sociaux avec lesquels elles traitent, s‟entraident dans
l‟émancipation par rapport à l‟emprise des hommes en profitant
intelligemment des lois françaises, etc... Tout cela fait des tontines des
cadres de socialisation collective pour les femmes qui les utilisent pour
s‟adapter par rapport à leur nouvel environnement. Certains hommes ont
perçu le danger que les tontines, avec leurs rencontres fréquentes, puissent
constituer par rapport à leur autorité. Certains tentent de prévenir la
participation de leurs épouses dans de tels cercles en évoquant l‟influence
négative qu‟ils peuvent avoir sur elles.
Les hommes participent d‟une manière générale dans les caisses
villageoises, ethnique ou de caste. Dans le cas des caisses villageoises ou de
caste ce sont des hommes qui viennent du même village ou de villages
environnants qui se retrouvent pour se garantir une entraide mutuelle en cas
d‟adversité. Les contributions des membres sont accumulées dans un fond
qui débourse occasionnellement, en fonction de circonstances précisément
prévues, des aides financières au profit des membres en difficultés. Dans le
cas des caisses communautaires ethniques ce sont des hommes appartenant
au même groupe ethnique venant de villages différents et très souvent
lointains les uns par rapport aux autres qui se regroupent pour prendre en
charge de manière organisée et collective ceux de leurs membres en
difficulté. Dans le cas des haalpulaar et des soninké, ces associations
regroupent des individus de différentes nationalités dont des mauritaniens,
des sénégalais et des maliens tous originaires de la vallée du fleuve Sénégal.
D‟une manière générale, toutes les caisses de type communautaire
remplissent une fonction d‟assurance pour les participants. Les adversités les
plus fréquemment prises en charge sont la maladie, l‟accident dans toutes
ces formes, les funérailles qui impliquent le rapatriement du corps au village
natal, les sinistres et l‟endeuille du fait du décès d‟un proche. Toutes les
caisses communautaires ont en commun le fait qu‟elles n‟ajustent pas, ni les
cotisations, ni les prestations par rapport aux risques encourus ou encore au
degré de gravité de l‟adversité subie. Elles établissent clairement la liste des
situations qui méritent d‟être prises en charge et le montant des aides jugées
adéquates par rapport aux situations. Par exemple, dans la mutuelle
communautaire ou caisse de solidarité des haalpulaar de Compiègne, un

111
membre ayant perdu un de ses deux parents, reçoit un billet d‟avion pour
aller présenter ses condoléances à sa famille au Sénégal ou encore un
membre ayant perdu un proche parent en l‟occurrence frères ou soeurs
directes reçoit une somme de 1.000 FF de la mutuelle. Toutes ces
dispositions sont consignées dans le règlement intérieur de la mutuelle.
Il semble y avoir une division sexuelle de la participation dans les
arrangements financiers populaires. On remarque une participation presque
exclusivement féminine dans les tontines tandis que seuls les hommes
participent dans les caisses communautaires villageoises. Les caisses
communautaires ayant pour fondement l‟ethnie ou la caste ont toujours une
section féminine et une section masculine. Les rencontres réunissent les deux
sections dans une même maison mais dans des chambres séparées. Nous
aborderons dans la partie qui suit les différentes formes d‟organisation et de
fonctionnement des arrangements financiers populaires chez les émigrés
haalpulaar en France.

Les caractéristiques des arrangements financiers populaires chez les


émigrés sénégalais à Paris.

Les arrangements financiers populaires parmi les émigrés sénégalais


en France présentent beaucoup de traits similaires avec ceux que nous avons
abordés dans les deux précédents chapitres. Cela est dû probablement au fait
qu‟ils constituent des reproductions des pratiques financières populaires par
les migrants sénégalais dans leur société d‟accueil. Autrement dit, les
émigrés sénégalais ont débarqué en France avec ses formes d‟organisations
qui sont plus adaptées à leurs besoins culturels en termes d‟intermédiation
financière et de protection sociale. Mais la différence de l‟environnement
socio-économique français avec les milieux rural et urbain sénégalais ne va
pas sans imposer à ces tontines et caisses communautaires parmi les émigrés
un certain nombre d‟innovations ou tout au moins d‟adaptations. C‟est dire
que les arrangements financiers populaires parmi les émigrés disposent aussi
des caractéristiques qui leur sont propres et qui les distinguent de ceux de
leur milieu d‟origine. On rencontre essentiellement deux types
d‟arrangements financiers parmi les émigrés : les tontines et les caisses de
solidarité.

Les tontines émigrées :


La participation dans les tontines des émigrés sénégalais en France

A l‟image des tontines thilognoises et dakaroises, les tontines des


émigrés sénégalais en France se caractérisent par la prédominance de la
participation des femmes comparée à celle des hommes. Les tontines simples
ne regroupent que des femmes. L'explication que nous avons donnée à

112
propos des tontines simples des autres lieux de recherche dans les chapitres
précédents reste valable pour le cas des tontines des émigrés sénégalais en
France. Là également, le fait que les aspects sociaux soient plus, ou au moins
aussi, importants que les aspects financiers favorise la participation
exclusive des femmes dans ce genre de tontine. Cependant dans le cas des
tontines simples réunissant des ressortissantes d‟un même village habitant
différentes villes en France, les rencontres se font en présence des hommes.
En effet, chaque époux conduit sa femme au lieu de rencontre. Mais les
femmes se réunissent dans une cellule séparée de celle où séjournent les
hommes. Les premières tontines en France que nous avons appelé des
tontines solidaires contre l‟isolement présentaient le même scénario.
Quant aux tontines simples qui regroupent des femmes issues de la
même ethnie et résidantes dans la même ville en France, les rencontres ne
nécessitent pas la présence de leurs maris. Mais dans ces cas, les femmes
discutent de leurs problèmes communs, échangent des expériences, des
solutions et des informations utiles à propos de leur vie domestique et leurs
rapports avec leur société d‟accueil au travers des services sociaux par
exemple. En plus, les tontines simples des émigrés sénégalais constituent
également des espaces d‟expression culturelle et d‟identification par rapport
à des appartenances ethniques, de caste, de village ou de région. Les
participantes s‟habillent comme au village et les discussions s‟animent sur
un fond de musique locale. Au-delà des problèmes qu‟elles rencontrent dans
leur vie quotidienne en France, les femmes racontent leurs souvenirs du pays
et tout ce qui fait le charme de la vie au village. La seule différence que l‟on
peut noter dans les rencontres des femmes émigrées au sein de ce genre de
tontines comparées à celles que nous avons observées à Thilogne est la
participation dans les mêmes tontines des personnes issues de différentes
castes. Mais là également, les sentiments de supériorité ou d‟infériorité sont
bien présents chez les femmes placées au sommet ou en bas de la hiérarchie
sociale des haalpulaar.

Profils de femmes émigrées participant aux tontines

Coumba

Coumba, 41 ans et mère de sept enfants, est arrivée en France en


1979. Son mari travaille dans une usine de montage de voiture depuis son
entrée en France en 1975. La famille habite un appartement F5 dans la
banlieue parisienne de Boulogne. Comme toutes les femmes émigrées,
Coumba a eu des débuts difficiles en France. Elle s‟est engagée très tôt dans
les réseaux tontiniers pour sortir de l‟isolement. En dehors des travaux
domestiques, Coumba n‟a aucune autre occupation parce que pour son mari,
“la place d‟une bonne épouse c‟est sa chambre et non point l‟usine.” Elle est

113
dépendante de son mari pour la satisfaction de ces besoins matériels et
financiers.
Mais Coumba gère le budget familial. C‟est elle qui va au
supermarché pour faire les achats, c‟est elle également qui s‟occupe des frais
scolaires et de santé des enfants. Ce qui veut dire qu‟une partie du salaire de
son mari et des allocations familiales passe entre ses mains. Elle participe à
deux tontines et à une caisse de solidarité. Les contributions dans la première
tontine qui est de nature mutuelle s‟élèvent à 50 Euro par participante. Le
nombre de participantes est de 17. Elles vivent pour la plupart à Boulogne.
Les participantes sont issues de l‟ethnie haalpulaar et sont originaires de la
vallée du fleuve Sénégal. Le facteur ethnique est très important dans la
configuration des tontines des émigrés. C‟est ainsi que les femmes
haalpulaar originaires de la Mauritanie, du Mali et du Sénégal se retrouvent
plus facilement dans une tontine mutuelle qu‟avec les femmes wolofs ou
soninké malgré le fait qu‟elles partagent avec ces dernière la même
nationalité. Il existe cependant des cas de tontines mutuelles haalpulaar
intégrant une infime minorité de femmes soninké qui parlent le pulaar
couramment. La périodicité des contributions et des levées est mensuelle.
Les participantes se retrouvent à la fin de chaque mois chez l‟une d‟entre
elles qui a été désignée comme la bénéficiaire de la levée. Les rencontres
durent toute l‟après-midi et la bénéficiaire sert à ses visiteurs de la boisson
fraîche, du thé et de l‟arachide. Les retardataires et les absentes payent une
amende de 2 Euro en cas de retard et 5 Euro en cas d‟absence. Cependant les
absences et les retards justifiés ne font pas l‟objet d‟amende.
Coumba affirme participer dans cette tontine pour la sociabilité et la
convivialité qu‟elle renferme. “C‟est une occasion, dit-elle, de se retrouver
pour discuter de nos problèmes et recevoir de la part des autres des conseils
utiles puisés de leurs expériences”. C‟est un cadre d‟échange d‟informations
et d‟entraide mutuelle entre des femmes confrontées aux mêmes défis. Le
montant de la levée est de 850 Euro. Mis à part les frais occasionnés par la
réception des membres de la tontine, Coumba utilise l‟argent de la tontine au
gré des circonstances. La dernière fois qu‟elle a disposé de la levée, elle
avait envoyé plus de la moitié à son jeune frère qui avait fini les études
coraniques pour la prise en charge des frais de la cérémonie traditionnelle
qui accompagne une telle performance. Elle ne se rappelle plus comment
elle a dépensé le reste de l‟argent mais dit avoir satisfait des besoins
personnels et aidé sa famille restée au village.
La deuxième tontine à laquelle Coumba participe est une tontine
avec organisatrice réunissant 24 participants. La plupart des participants se
connaissent mutuellement mais ni les contributions ni les levées ne
requièrent la rencontre des participants. Les contributions sont fixées à 100
Euro par participant et par mois. Ce qui fait une levée de 2400 Euro. La
durée du cycle tontinier est de 2 ans au bout desquels chaque participant aura

114
bénéficié une fois de la levée. D‟une manière générale, les participants à ce
genre de tontine disposent de projets bien établis qu‟ils entendent financer
par le détour de la tontine. Coumba projette de rentrer au Sénégal tous les
deux ans. La tontine constitue pour elle un instrument idéal d‟épargne pour
faire face à ses frais de voyage. Elle paye toujours d‟innombrables cadeaux
pour toute sa famille, ses amies et ses voisines. Elle s‟arrange avec
l‟organisatrice de la tontine pour disposer de la levée au moment opportun.
En plus de ces deux tontines, Coumba participe également à la
caisse de solidarité des Toroɓɓe de Thilogne en France. La caisse regroupe
tous les ressortissants thilognois en France appartenant à la caste des
Toroɓɓe. Elle est composée de deux sections: une section féminine et une
section masculine. L‟objectif de la caisse est de raffermir les liens de parenté
entre membres. Elle apporte une aide financière et morale aux membres qui
organisent une cérémonie familiale en France. Les membres qui font face à
des difficultés telle que la maladie, l‟accident, la clandestinité, les ennuis
avec la police ou la justice reçoivent aussi un soutien financier et moral
significatif. Les cotisations sont de 5 Euro pour les femmes et de 10 Euro
pour les hommes tous les deux mois. Les membres se retrouvent tous les
deux mois chez l‟un des couples toroɓɓe vivant en France. Les membres
n‟habitent pas la même ville mais les absences aux rencontres sont très rares
et toujours justifiées. Coumba a reçu plus d‟une fois les membres de la
caisse chez elle à Boulogne. Elle affirme que l‟organisation de la réception
coûte à son mari plus de 300 Euro, mais elle croît que ça vaut le coût, car
c‟est une manière de signifier à leurs hôtes combien ils comptent pour eux.

Penda

Penda a 41 ans et est mère d‟une fille unique de 22 ans. Elle est la
troisième et dernière femme de son mari. A ce titre elle a beaucoup
d‟avantages par rapport à ces coépouses. C‟est ainsi qu‟elle est venue, avec
sa fille, rejoindre son mari en France laissant les autres femmes au village.
Elle vit avec son mari, 6 enfants des deux premières femmes et sa propre
fille dans un appartenant de 4 pièces occupé de la manière suivante: une
chambre pour elle et son mari, une chambre pour les garçons, une chambre
pour sa fille et un salon pour recevoir des hôtes. La maison reçoit de manière
continue des visites surtout des marabouts ou des griots de passage à
Compiègne. Il est ainsi parce que le mari est le président de l‟association des
haalpulaar de Compiègne qui est très dynamique dans le domaine religieux.
En plus, Penda est une descendante directe de la dynastie des deniyanke qui
a régné pendant des siècles sur le Fouta. A ce titre, elle est très fière et les
griots viennent très souvent raconter l‟épopée de ses ancêtres qu‟elle paye
avec une grande générosité.

115
Mais Penda, comme d‟ailleurs l‟ensemble des femmes émigrées de
la première génération, ne travaille pas et dépend donc entièrement de son
mari. Contrairement aux autres femmes émigrées qui ont beaucoup d‟enfants
et donc des allocations familiales consistantes, elle n‟a qu‟une seule fille.
Son mari travaille comme ouvrier spécialisé tandis que les deux garçons
aînés travaillent dans un restaurant. Sa fille poursuit quant à elle des études
de comptabilité. Penda reçoit de son mari le budget mensuel de la famille,
dans lequel les deux garçons aînés participent, et le gère à sa guise. En plus,
elle dispose d‟un budget personnel alimenté par les dons mensuels de son
mari et destiné à son “entretien”. C‟est de ces deux budgets qu‟elle tire sa
participation aux tontines dont elle est la dirigeante.
La première tontine est simple et regroupe presque exclusivement
des femmes haalpulaar. La seule exception est Hawa qui est issue de
l‟ethnie soninké mais qui parle couramment le pulaar. Le nombre de
participantes est de 15. Elles se connaissent très bien les unes des autres et se
payent occasionnellement des visites de courtoisie. Les rencontres se font à
la fin de chaque mois chez Penda et durent toute l‟après-midi souvent toute
la soirée. Le montant des contributions par membre s‟élève à 150 Euro par
mois et la levée est 2250 Euro. La détermination de l‟ordre dans lequel les
levées vont être distribuées est faite par tirage au sort. Il est cependant
possible pour une participante dans un besoin urgent de liquidité de négocier
pour obtenir par consensus la levée. Penda reçoit souvent de la part des
bénéficiaires de la levée une petite somme d‟argent destinée à la prise en
charge des frais d‟organisation des rencontres. Elle prépare pour l‟occasion
des boissons sucrées, du follere et du ɓohe. Elle sert également du thé, des
arachides et des fruits pour ses hôtes. Penda utilise l‟argent qu‟elle reçoit de
la tontine pour satisfaire des besoins variés: achat d‟habits, de chaussures
pour elle et sa fille et envois d‟argent aux parents restés au village.
Penda participe aussi dans une caisse de solidarité. Toutes les
participantes de la tontine précédente sont également membres de cette
caisse. Mais d‟autres femmes haalpulaar habitant toutes à Compiègne
participent uniquement dans la caisse. Le nombre de participantes est de 27
dont les 26 sont des haalpulaar et 1 est soninké qui parle couramment le
pulaar. Les contributions sont 50FF par mois et par participante. L‟argent est
accumulé dans un compte bancaire. L‟objective de la caisse est de soutenir
financièrement les participantes qui veulent aller en vacance au Sénégal qui
font face à cette occasion à des frais très lourds à supporter. Il était prévu que
chaque membre qui décide de partir en vacance avait droit à 3000 FF de
soutien financier tirés de la caisse. Cependant si un membre a bénéficié une
fois de ce soutien, il devra attendre que tous les autres membres aient obtenu
un soutien similaire pour pouvoir recevoir à nouveau une aide de ce genre.

116
Salla

Salla est âgée de 34 ans et mère de 4 enfants. Elle vit avec son mari
et sa coépouse dans le même appartement. Elle est la deuxième femme et
l‟épouse préférée de son mari. Elle a tout fait pour pousser son mari a
renvoyé au Sénégal sa coépouse avec laquelle elle ne s‟entend pas du tout.
Le mari avait d‟ailleurs pris la décision de la satisfaire mais tous ses parents
en France s‟étaient alors mobilisés pour l‟en empêcher. La polygamie étant
illégale au regard des lois françaises, le mari rencontre d‟énormes difficultés
à chaque fois qu‟il doit renouveler les permis de séjour de sa famille. La
dernière fois les autorités préfectorales l'avaient sommé de choisir entre les
deux femmes celle qui allait être reconnue officiellement comme son épouse,
l‟autre tombant alors dans une situation de clandestinité. Il a fini par choisir
Salla comme épouse légale du fait de son penchant pour elle.
Salla ne travaille pas et dépend, comme presque toutes les femmes
haalpulaar, des revenus de son mari qui travaille dans une usine comme
ouvrier spécialisé. Elle participe à la fois dans une tontine simple et dans une
caisse de solidarité. La tontine regroupe 20 participantes et les contributions
sont de 500 FF par mois. A chaque levée, les participantes se réunissent chez
la responsable. Les retards et les absences non justifiés sont sanctionnés par
des amendes respectivement de 10 FF et de 25 FF. Salla utilise l‟argent reçu
de la tontine pour prendre en charge ses besoins personnels tels que
l‟habillement, les produits de beauté. Elle envoie également de l‟argent à des
frères et sœurs restés au Sénégal qui dépendent beaucoup d‟elle. D‟ailleurs
avec l‟argent de la tontine et l‟aide de son mari, elle a pu faire venir un de
ses frères qui poursuit des études universitaires en France.
Salla participe dans une caisse d‟entraide. Elle réunit 32
participantes. Les cotisations sont fixées à 100 FF par femmes et par mois.
La caisse vient en aide aux membres qui organisent des cérémonies
familiales ou doivent aller en vacance au Sénégal. La caisse réunit toutes les
femmes haalpulaar de Trappes, une banlieue parisienne. Quand une des
participantes organise un baptême ou un mariage, toutes les autres
participantes sont tenues de venir assister à la cérémonie. Le soutien
financier que la caisse d‟entraide apporte aux membres qui organisent des
cérémonies familiales varie entre 2000 FF pour les mariages et 1000 FF pour
les baptêmes. Pour les participantes qui vont en vacance au Sénégal, la
caisse remet 2.500 FF. Mais une participante ne peut pas bénéficier deux fois
un soutien financier en moins de deux ans.

117
Ramata

Ramata, 31 ans, est arrivée en France en 1994. Elle est mariée à un


homme de 53 ans. Le mariage de Ramata est exemplaire en ce sens qu‟elle a
donné son accord pour le mariage sans avoir vu son mari. Ce dernier, aussi,
ne l‟avait vu qu‟à travers une photo. Il y a beaucoup de mariages qui sont
conclus de cette manière chez les émigrés sénégalais. Le prestige social dont
jouissent les émigrés du fait de leur “réussite” se traduit aussi par leur accès
aux femmes souvent les plus belles et les plus jeunes. C‟est ce qui explique
la grande différence d‟âge entre Ramata et son mari. Ils vivent avec un fils
du mari dans le même appartement. Comme les autres femmes émigrées,
Ramata ne travaille pas et dépend donc financièrement des revenus de son
mari. Celui-ci lui remet l‟argent nécessaire pour honorer ses engagements
envers les tontines dans lesquelles elle participe.
Elle est membre d‟une tontine et de deux caisses de solidarité. La
tontine regroupe 15 femmes haalpulaar de son voisinage dans les Mureaux,
banlieue parisienne et les contributions mensuelles sont de 750 FF. Les
participantes se retrouvent le premier samedi de chaque mois chez la
responsable morale de la tontine qui n‟est autre que celle qui a eu l‟initiative
de la créer. Les retards et les absences sont sanctionnés par le paiement
d‟amendes respectives de 10 et de 25 FF. La levée s‟élève à 11.250 FF et
l‟ordre de distribution parmi les participantes est déterminé par tirage au
sort. Ramata utilise l‟argent de la levée pour satisfaire des besoins variés :
achat d‟habits, de bijoux, de draps, envoies de mandats aux parents, aux
frères et sœurs, paiement des crédits contractés auprès des vendeurs de
tissus, de produits de beauté, des tailleurs et des bijoutiers, etc.
La première caisse de solidarité à laquelle elle participe regroupe
exclusivement les femmes haalpulaar des Mureaux qui sont au nombre 27.
A la fin de chaque mois chacune d‟entre elles cotise 50 FF dans la caisse qui
est destinée à venir en aide aux membres qui organisent une cérémonie
familiale ou qui veulent aller en vacance au Sénégal. Les participantes ne
sont pas tenues de faire le déplacement pour verser leurs cotisations, elles
peuvent les envoyer au responsable. L‟argent est accumulé dans un compte
bancaire sous le nom de la responsable qui est seule habilité à faire des
versements et des retraits. Ramata n‟a pas encore eu la chance de bénéficier
d‟une aide de la caisse mais pour elle cela ne constitue aucun problème
puisqu‟elle espère un jour en profiter.
La deuxième caisse de solidarité à laquelle elle participe regroupe
les femmes venant de son village et issues de la même caste. Les
contributions sont de 50 FF à la fin de chaque mois. L‟argent est accumulé
dans la caisse de solidarité qui vient au secours des membres en difficulté.
Les rencontres sont organisées à tour de rôle chez chacune d‟entre elles qui,

118
à cette occasion, prend en charge le repas et le dîner de ses hôtes. Les
absences à ce genre de rencontre sont très rares dans la mesure où elles
constituent pour les participantes originaires du même village et de la même
caste et qui habitent dans différentes villes de France une occasion unique
pour se voir et échanger des informations. Les maris des femmes ont
également une caisse de solidarité similaire mais bien que les rencontres se
fassent dans une même maison, les hommes et les femmes discutent et
mangent séparément. Ramata a reçu de la caisse de solidarité un montant de
1.500 FF quand elle avait perdu sa maman il y a deux ans.
Les différents profils présentés ci-dessus rendent compte de deux
choses fondamentales pour la compréhension des conditions d‟existence des
femmes émigrées en France. Elles viennent presque toutes du milieu rural où
elles étaient habituées à des modes de sociabilité intenses et à la dépendance
financière et économique vis-à-vis de leurs maris. Leur participation aux
tontines et aux caisses de solidarité assure, à bien des égards, la continuité de
leur situation sociale originale dans leur société d‟accueil. Les rencontres
périodiques essayent de reconstituer l‟ambiance des relations intenses de
sociabilité propre aux villages d‟origine tandis que la prise en charge des
contributions par les maris implique la reproduction des relations de
dépendance des femmes envers ces derniers. Cependant, il demeure clair
qu‟il existe des facteurs de différentes natures, notamment socioculturels,
économique et psychologiques, qui expliquent l‟adhésion massive des
émigrés aux tontines et aux caisses de solidarité.

Typologie des arrangements financiers populaires en milieu émigrés

Les arrangements financiers populaires se sont ramifiés à travers les


pays occidentaux suivant les itinéraires des migrants. Partout, ils affichent
leur image de souplesse et gagnent une adhésion massive des femmes qui
sont les principales concernées. Cependant, bien qu‟ils soient à coup sûr des
reproductions des pratiques financières populaires du Sénégal, les
arrangements financiers populaires des émigrés n‟en présentent pas moins
des singularités qui rendent compte des efforts d‟innovation pour les adapter
à un environnement urbain très complexe. Cette adaptation des tontines et
des caisses de solidarité à l‟environnement parisien reflète aussi le processus
d‟adaptation des femmes émigrées par rapport à leur société d‟accueil. Dans
cette perspective, les tontines ont connu une évolution significative entre les
années 1960/70 où la présence des femmes était faible avec comme
conséquence immédiate leur isolement et la non maîtrise des repères
culturels de leur nouvel environnement, et les années 1980/90 qui sont
caractérisées par une présence plus remarquable et par conséquent des
réseaux sociaux à caractère ethnique plus dynamiques et plus nombreux.
Cette évolution s‟est manifestée par le passage des tontines solidaires contre

119
l‟isolement orientées vers la satisfaction de besoins psychologiques et
culturels aux tontines à préoccupation financière qui concourent à la
satisfaction de besoins d‟intermédiation financière : épargne, crédit,
prévoyance et assurance.

Les tontines solidaires contre l’isolement

Comme dans le cas des tontines thilognoises, les tontines parisiennes


ont fait leur apparition très récemment parmi les émigrés sénégalais surtout
les femmes. C‟est seulement au milieu des années 1970 que les premières
tontines ont fait leur apparition. Cela est probablement dû au fait qu‟avant
cette période le nombre de femmes sénégalaises vivant en France était
réduit. En effet, l‟initiative d‟émigration était monopolisée par les hommes
au cours de cette période. Ce sont ces derniers qui, après être bien établis,
décident de faire venir leurs femmes et leurs enfants en France. Au début,
compte tenu de l'illusion du retour définitif au village qui les habitait,
plusieurs émigrés n‟ont pas voulu emmener leurs épouses en France.
Il faut dire qu‟en plus de cette illusion, il existe d‟autres contraintes
socioculturelles et économiques à la venue des femmes. Pour les familles
restées au village, le départ des femmes constitue un véritable manque à
gagner dans la mesure où il occasionne généralement la diminution du
volume des transferts monétaires opérés par les émigrés. C‟est la raison pour
laquelle les parents ou les frères de l‟époux s‟opposent souvent fermement à
la volonté de ce dernier de faire venir sa femme. C. Quiminal et M. Timera
rendent compte du même type de réaction de la part des patriarches du Ka58
soninké par rapport au départ des femmes pour rejoindre leurs maris en
France (C. Quiminal, 1991; M. Timera, 1996)59. Par ailleurs, pour ceux qui
sont polygames ou ont eu déjà beaucoup d‟enfants, faire venir les femmes et
les enfants constituent un véritable casse-tête. En plus des coûts du transport,
il leur est difficile de trouver des logements spacieux pouvant accueillir une
famille nombreuse. Pour cette dernière catégorie les procédures
administratives à suivre pour faire venir femmes et enfants sont très
compliquées compte tenu de la prohibition de la polygamie en France.
En fait la rupture va venir des jeunes couples. Les émigrés mariés au
milieu des années 1970 ont eu tendance à faire venir leurs épouses pour
s‟établir en France. Ainsi, l‟arrivée des premières femmes haalpulaar en
France remonte au milieu des années 1970. Elles viennent pour l‟écrasante
majorité directement des villages. On peut imaginer dans ces conditions les

58
Le Ka soninké correspond à unité de production et de consommation regroupant
trois générations d‟une même lignée. Le patriarche est l‟homme le plus âgé de la
famille étendue. Il vit dans une même maison avec ses fils et ses petits fils et filles.
59
Idem

120
difficultés qu‟elles ont eues à rencontrer pour s‟adapter à leur nouvel
environnement social et institutionnel. Comme on peut s‟y attendre, la
réaction de ces premières femmes était de se regrouper dans des associations
pour faire face collectivement à leurs problèmes communs dont le plus
important est bien entendu la solitude et l‟isolement.
En effet, pour les femmes haalpulaar, les premières années en
France ont été particulièrement difficiles. Elles étaient obligées de s‟adapter
à un environnement socioculturel fondamentalement différent de celui de
leur milieu d‟origine. Le plus difficile à gober a été l‟inexistence de rapports
sociaux intenses au sein du voisinage qui pousse inéluctablement les femmes
à s‟enfermer dans leurs appartements pendant que leurs maris sont au travail.
Les difficultés de communication au supermarché, avec l‟administration
notamment les services sociaux, sont également importantes aussi bien pour
les hommes que pour les femmes émigrées du fait de leur faible niveau
d‟instruction et la non maîtrise du français.
C‟est dans ce climat que les tontines regroupant des femmes
émigrées ont été initiées d‟abord entre celles qui viennent du même village,
ensuite entre celles qui habitent la même ville voire le même bâtiment et qui
sont de la même ethnie. C‟est dire qu‟au début les tontines répondaient avant
tout à un besoin psychologique et social des femmes émigrées qui
supportaient très mal la vie solitaire qui leur était réservée. A Thilogne, il a
eu plusieurs cas de femmes qui ont demandé à leur mari de les renvoyer au
village du fait qu‟elles ne pouvaient pas supporter d‟être cloîtré entre quatre
mûrs attendant paisiblement leur retour du travail pour avoir quelqu‟un avec
qui communiquer. Certaines ont même préférer le divorce plutôt que de
vivre pareille situation.
Le cas de Bodiel, une fille de 26 ans marié à un émigré de 35 ans en
1984, est exemplaire. Tout juste après la célébration du mariage religieux,
elle est allée rejoindre son mari à Orléans. Confrontée à la dure réalité de
l‟isolement, elle finit par craquer et demander le divorce deux mois après
pour rentrer au village. Les villageois étaient scandalisés par sa réaction et
cherchaient des explications dans le domaine de la sorcellerie. Pour
beaucoup, y compris la famille de Bodiel, une telle décision ne pouvait être
volontaire, elle a dû être victime d‟un mauvais sort de la part d‟ennemis
jaloux et envieux. Mais au-delà de ces spéculations, l‟intéressé nous confie
que la vie en France est insupportable pour elle et qu‟elle n‟avait pas d‟autre
choix que de demander le divorce.
D‟autres, qui n‟ont pas eu le courage et la perspicacité de Bodiel, ont
versé dans la démence totale et ont été considérées comme étant victimes de
mauvais sort de la part de coépouses jalouses parce qu‟elles n‟ont pas eu la
chance d‟aller rejoindre leurs maris en France. Le cas W.B. revient souvent
dans les discussions des émigrés à propos des conséquences de l‟isolement.
Cette femme de 32 ans avait rejoint son mari en 1979. Devant les difficultés

121
d‟adaptation, elle avait demandé à son mari de la renvoyer au Sénégal. Ce
dernier fait la sourde oreille en prétendant que toutes les autres femmes
émigrées sont confrontées aux mêmes problèmes. D‟après, les témoignages
d‟amis proches, le mari la battait quand elle lui supplier de bien vouloir la
renvoyer au Sénégal. Après 2 ans en France, elle a sombré dans une folie
irréversible qui la conduit vers une fin tragique quand elle a mis du feu dans
leur appartement alors que le mari était au travail. Elle s‟en sortira indemne
après quelques jours d‟hospitalisation. Son mari pris alors la décision de la
renvoyer au Sénégal après avoir longtemps nié sa maladie
Pour celles qui étaient décidées à rester les tontines constituaient un
cadre idéal de rencontre et de discussion. Le fait que les femmes se
rencontraient et échangeaient leurs expériences, leurs connaissances, leurs
soucis, leurs craintes, leurs solutions et leurs espérances était plus important
que l‟argent qui y circulait. Boudy, 42 ans et mère de six enfants, décrit leur
première tontine en France :

« La première tontine que nous avons créée en 1976 ne regroupait que six
participantes. Nous étions tous originaires de Thilogne et nous nous connaissions
déjà au village. Chacun cotisait 150 FF et la périodicité des rencontres était d‟un
mois. Nous n‟habituons pas toutes à Paris. Nous étions deux à habiter la banlieue
parisienne. Deux venaient d‟Orléans, une de Compiègne et l‟autre de Pont Saint
Maxence. A la fin de chaque mois, nous nous rencontrions chez l‟une d‟entre nous à
laquelle nous remettons nos contributions de 150 FF, ce qui fait au total 750 FF. En
ce moment, c‟était beaucoup d‟argent mais il fallait toujours y ajouter 400 ou 500
FF pour faire face aux frais d‟organisation de la rencontre. Chaque femme était
conduite par son mari, donc il faut préparer un repas et un dîner pour au moins
douze personnes. Les rencontres nous aidaient beaucoup à supporter la solitude à
laquelle chacune d‟entre nous était confrontée à cette époque où il n‟y avait pas
encore beaucoup de femmes haalpulaar en France. Chez nous, nous avions tout ce
qui nous facilitait la vie, mais nous nous sentions en prison dès que nos maris nous
quittaient pour aller au travail. L‟ambiance des rencontres était telle que nous avions
du mal à nous quitter. Dès fois, c‟est vers 4 heure ou 5 heure du matin que nous nous
séparions avec l‟insistance de nos maris ».

Les tontines, comme nous le voyons dans cet exemple, avaient pour
objectif au départ d‟offrir aux femmes émigrées l‟occasion de se rencontrer
et de discuter de leurs problèmes. Les participantes étaient très souvent de
proches parentes ou voisines qui se sont connues avant leur arrivée en
France. L‟argent reçu des autres participants n‟avait d‟autres objectifs que de
couvrir les frais occasionnés par la rencontre. C‟est dire qu‟au début, la
préoccupation principale des tontines était plus la satisfaction de besoins
socio-psychologiques que la prise en charge des besoins financiers. La
sociabilité développée alors par le biais des tontines était indispensable à
l‟équilibre psychologique des femmes enfermées pratiquement tous les jours
dans leurs appartements avec leurs petits enfants et complètement coupées

122
du monde extérieur. Dans certains cas, elles n‟avaient même pas
l‟opportunité d‟aller faire les achats dans les super marchés du fait qu‟elles
n‟étaient pas encore familiarisées avec la monnaie française et ne parlaient
pas la langue.

Marième nous confie :


« Je passais tout mon temps à pleurer seule dans mon appartement. La vie est plus
facile et plus reposante ici comparée au village où je devais chaque matin piler le
mil, faire des va et vient entre le puits et la maison, laver le linge de toute la famille
avec mes mains, mais je ne pouvais pas supporter rester cloîtré entre quatre mûrs
comme dans une prison et attendre le retour de mon mari pour avoir quelqu‟un avec
qui parler. L‟ambiance à laquelle j‟étais habituée au village me manquait beaucoup,
je ne pouvais pas y penser sans verser des larmes. Les rares amies que j‟avais ici en
France habitaient dans d‟autres villes et vivaient le même calvaire. C‟est d‟ailleurs
pourquoi nous avons initié la tontine qui nous permettait de nous voir au moins une
fois le mois ».

A travers ces propos, on perçoit l‟ambivalence de la situation des


femmes émigrées. D‟un côté, elles sont libérées des corvées de la vie au
village en accédant à un confort matériel propre à leur nouvel environnement
social et de l‟autre elles se voient privées des formes de sociabilité intense au
sein de leur voisinage immédiat auxquelles elles étaient habituées au village.
D‟une manière générale, cette ambivalence va en s‟atténuant au fil des
années. Pour cause, la présence des femmes haalpulaar en France s‟est
considérablement renforcée dans les années 1980-90 ce qui leur permet de
mettre en place de nouvelles formes de sociabilité intenses similaires à celles
de leur milieu d‟origine. Ainsi, les femmes affirment-elles avec vigueur leur
désir de rester en France de manière définitive en s‟opposant aux projets de
retour au pays, après la retraite, nourris par leurs maris.
En fait la situation des hommes était plus supportable dans la mesure
où ils sont occupés par leur travail et ont aussi la possibilité de rencontrer
d‟autres émigrés au niveau des foyers qui accueillent des célibataires ou des
personnes ayant laissé leurs familles au Sénégal. Les femmes n‟osent pas
s‟aventurer à aller dans ces cercles où il n‟y a que des hommes sous peine
d‟être accusées d‟infidélité à leurs maris. La jalousie des hommes constitue
un élément fondamental dans les relations entre partenaires émigrés. Les
hommes préfèrent que leurs épouses restent enfermées dans leurs
appartements pendant qu‟ils sont au travail. Pour leur divertissement, ils
achètent des téléviseurs et des magnétoscopes qu‟ils jugent suffisants pour
maintenir les femmes dans l‟espace domestique.
Dans certains cas extrêmes, comme il nous a été reporté, les hommes
demandent à leurs épouses de ne pas décrocher le téléphone pendant leur
absence. Pour vérifier, ils téléphonent chez eux de temps en temps pour voir
si leurs femmes respectent bien leurs consignes. Si par malchance ces

123
dernières désobéissent, elles seront accusées d‟utiliser le téléphone pour
fixer des rendez-vous avec d‟autres hommes. Avec tous ces soupçons qui
planent au-dessus de leurs têtes, les femmes ne participent dans un
quelconque regroupement social qu‟avec l‟autorisation de leurs époux. Ces
regroupements doivent être exclusivement composés de femmes comme
dans le cas des tontines simples pour avoir l‟assentiment des hommes.
Au milieu des années 1980, l‟augmentation des femmes émigrées et
le changement de l‟ambiance familiale avec la naissance des premiers
enfants vont favoriser le décloisonnement progressif de la femme émigrée et
son intégration dans de nouveaux cercles sociaux développant de nouveaux
mécanismes de solidarité. Les tontines commencent alors à prendre en
charge des préoccupations financières en plus des considérations sociales qui
les ont vues naître. Si les tontines des premières années ne regroupaient que
des femmes originaires du même village ou de villages environnants, les
tontines qui ont fait leur apparition au milieu des années 80 sont plus
intégratives en ce sens que l‟appartenance ethnique et le voisinage au niveau
de la société d‟accueil vont devenir les critères essentiels de sélection des
participantes.

Les tontines simples des années 1980-90

On retrouve parmi les émigrés sénégalais, les deux types de tontines


que nous avons décrites dans les chapitres précédents. Les tontines simples
sont cependant dominantes par rapport aux tontines avec organisateur. Là
également, la participation des femmes est dominante pour ne pas dire
exclusive. La seule participation masculine dans une tontine simple qui nous
a été reportée est celle d‟un homme qui a remplacé sa deuxième femme
rentrée au Sénégal avant la fin du cycle tontinier. Bien que dans ce cas aussi,
celui-ci ne fait qu‟envoyer sa contribution et ne participe donc pas aux
rencontres périodiques. L‟explication de cette prédominance des femmes est
à chercher dans le rôle socio-psychologique que les tontines ont joué dans le
passé et continuent de jouer dans la vie des femmes émigrées dans un
contexte de dépaysement et de cloisonnement. L‟absence ou le faible niveau
d‟instruction et l‟inexistence d‟une source de revenus pour les femmes
émigrées limite leur chance de disposer d‟un compte bancaire. Ce qui a pour
conséquence aussi, le recours aux tontines comme seuls instruments
financiers pour la majorité d‟entre elles.
En effet, 29 sur les 32 femmes interrogées, soit 91%, n‟ont eu
aucune instruction même pas primaire. De ce fait la maîtrise de la langue et
la compréhension des procédures bancaires aussi simples qu‟elles soient,
constituent des facteurs de blocage pour l‟utilisation des circuits financiers
institutionnels. Cependant le fait que les femmes soient confinées au travail
domestique par leurs maris et qu‟elles n‟aient pas ainsi l‟opportunité de

124
disposer de revenus salariaux favorise l‟absence de contacts entre elles et les
banques. Les hommes, par contre, bien que présentant dans une large mesure
les mêmes caractéristiques que les femmes quant au niveau d‟instruction et
de maîtrise de la langue du pays hôte, disposent de comptes bancaires par où
transitent leurs salaires et se sont, de ce fait, familiarisés petit à petit avec le
système bancaire.
Mais, ces propos méritent d‟être nuancés dans la mesure où les
rapports entre les femmes et les institutions financières formelles ont changé,
quoique lentement, dans le temps. Ainsi, les leaders des caisses de solidarité
disposent souvent de comptes bancaires où ils versent les contributions
périodiques de leurs membres. De même, les femmes divorcées ou veuves
qui correspondent à des chefs de ménage disposent de comptes bancaires par
où transitent les allocations familiales et d‟autres revenus en provenance des
services sociaux. D‟autres femmes disposent également de comptes
d‟épargne communs avec leurs maris où elles versent l‟argent tiré des
différentes tontines auxquelles elles participent si elles n‟ont pas déjà une
idée précise de ce qu‟elles veulent faire dans l‟immédiat. Pour la majorité
des femmes haalpulaar émigrées, le rapport aux structures bancaires est
médiatisé par leurs époux.
Nos enquêtes ont porté sur sept tontines simples à Boulogne,
Trappes, les Mureaux, Compiègne, Lavarière et Dreux. Nous avons suivi les
femmes haalpulaar originaires de Thilogne pour voir dans quels types de
tontines elles participaient. Ainsi, dans les 7 tontines simples ayant fait
l‟objet d‟enquête, il y a au moins une participante d‟origine thilognoise.
Parmi les sept tontines simples, les cinq sont exclusivement composées de
participantes appartenant au même groupe ethnique, en l‟occurrence les
haalpulaar de la vallée. Les deux autres tontines sont dominées par les
haalpulaar qui tolèrent la participation de femmes issus de l‟ethnie soninké
ou wolof et résidentes dans leur voisinage immédiat.
Les tontines simples parisiennes réunissent, contrairement aux
tontines mutuelles dakaroises, des femmes appartenant à la même ethnie et
originaires pour la plupart de la vallée du fleuve Sénégal. Dans le reste des
tontines simples, on retrouve toujours une prédominance d‟une ethnie qui
tolère la participation de femmes issues d‟autres groupes ethniques et
habitant dans un même voisinage. Les haalpulaar et les Soninké ont
tendance à constituer des tontines mono-ethniques tandis que les Wolofs
semblent être plus ouverts à l‟intégration dans leurs tontines de femmes
appartenant à d‟autres groupes ethniques originaires du Sénégal.
Le nombre moyen de participants par tontine est de 17, ce qui est
relativement très faible comparé au nombre moyen de participants dans les
autres lieux de recherche. La périodicité des contributions et des levées est
mensuelle dans toutes les sept tontines. A la fin de chaque mois les
participantes se rencontrent soit dans un endroit fixe (4 sur les sept tontines),

125
soit à tour de rôle chez chacune des participantes (3 sur les sept tontines).
Dans le premier cas de figure, la détermination de l‟ordre dans lequel les
levées vont être distribuées se fait par tirage au sort le jour même de la
rencontre tandis que dans le deuxième cas, les participantes procèdent à un
tirage au sort intégral dès la première rencontre pour permettre à chaque
femme de savoir le jour qu‟elle doit recevoir le groupe et se préparer en
conséquence.
Les participantes aux tontines simples des femmes haalpulaar
émigrées sont tenues d‟être présentes le jour de la levée ou prévenir leur
absence en envoyant à la responsable de la tontine leurs contributions. Dans
six sur les sept tontines simples, les retardataires doivent payer des amendes
variant d‟une tontine à une autre entre 5 et 15 FF. Les absences non justifiées
font l‟objet d‟une amende variant entre 15 et 25 FF. Dans les cinq sur les
sept tontines, le membre qui s‟absente le jour de la rencontre sans pour
autant envoyer sa contribution doit payer une amende qui varie de 20 à 25
FF et 5 FF par jour jusqu‟au paiement effectif de la somme due auprès de la
responsable de la tontine.
Le montant moyen des contributions est de 775 FF par femme. Le
montant des levées varie de 12.000 FF à 20.000 FF pour une durée moyenne
d‟un an et cinq mois. Ce qui représente des sommes importantes pour la
plupart des femmes haalpulaar qui n‟ont pas la chance de disposer d‟un
revenu du fait du refus de leurs époux de les voir travailler. D‟ailleurs mis à
part, les femmes divorcées et les veuves qui peuvent accéder au travail
salarié, les participantes aux tontines mutuelles obtiennent leurs
contributions de leurs époux.
Dans toutes les sept tontines simples, les membres entretiennent des
comptes dans un carnet où sont enregistrés les noms et le montant des
contributions de chaque participante. Mais, au contraire des tontines simples
dakaroises, celles des émigrées n‟ont pas de fond de caisse destiné à prévenir
les défaillances éventuelles. Les précautions prises pour éviter de telles
situations consistent à exiger un engagement des époux des femmes qui
participent à rembourser l‟argent de la tontine en cas de problème.
Le phénomène du Ndeydikke ou jumelage deux à deux des
participantes à la fin du cycle tontinier, qui assure à terme une certaine
familiarité entre les membres, n‟est pas présent dans les tontines simples des
femmes émigrées contrairement aux tontines simples dakaroises. Cela peut
s‟expliquer par l‟homogénéité du point de vue de l‟appartenance ethnique
des participantes dans les tontines émigrées qui n‟exigent pas la mise en
place de stratégies destinées à asseoir un climat de confiance mutuelle au
sein de la tontine. L‟hétérogénéité du point de vue de l‟appartenance
ethnique dans les tontines dakaroise justifie la mise en place de telles
stratégies.

126
Les tontines simples des femmes sénégalaises en France sont
caractérisées essentiellement par leur participation mono-ethnique
contrairement aux tontines simples dakaroises. Cela s‟explique par le fait
que l'écrasante majorité des femmes vient directement des villages et a
tendance donc à se regrouper en fonction de l‟appartenance ethnique et
linguistique. Dans la mesure où il n‟y a pas, comme à Dakar avec le wolof,
une langue d‟unification que tout le monde est supposé parler, pour éviter les
problèmes de communication, les femmes s‟organisent en réseau ethnique.
Mais au même moment, les tontines simples favorisent une certaine
intégration des castes au sein de l‟ethnie, contrairement aux tontines simples
de Thilogne qui se caractérisent, comme nous l‟avons souligné dans les
précédents chapitres, par des clivages suivant les contours de la hiérarchie
sociale. Au sein des tontines simples thilognoises, les Rimɓe et les Nyeenyɓe
participent dans les mêmes tontines tandis que les Horɓe en sont exclues et
organisent les leurs à part. Au sein des tontines mutuelles des femmes
haalpulaar en France, les barrières entre les castes sont plus ou moins levées
ne serait ce qu‟au niveau de la participation. Encore qu‟on essaye de
reproduire au sein de la tontine des formes de hiérarchie qui s‟inspirent
fortement de la logique de fonctionnement des castes. Au cours de la
rencontre, les femmes issues des castes en bas de la hiérarchie sociale
servent à boire et à manger aux femmes issues des castes au sommet de la
hiérarchie.
De ce point de vue, les tontines avec organisatrice sont plus flexibles
quant à une participation pluriethnique que les tontines simples. Elles
peuvent également, comme nous l‟avons noté à Dakar et à Thilogne,
accepter la participation des hommes bien que celle des femmes reste
toujours dominante comme nous allons le voir dans ce qui suit.

Les tontines avec organisatrice

Les tontines avec organisatrice chez les émigrés sénégalais


présentent des caractéristiques particulières par rapport à celles que nous
avons rencontrées au niveau des quartiers et surtout des marchés aussi bien à
Thilogne qu‟à Dakar. Du point de vue de l‟organisation, il peut y avoir plus
d‟une organisatrice par tontine. D‟une manière générale, elles regroupent des
femmes et des hommes qui appartiennent soit à la même ethnie, soit à
différents groupes ethniques. Les trois tontines avec organisatrices que nous
avons suivies réunissent des Haalpulaar, des Soninké et des Wolofs avec une
prédominance des deux premières ethnies par rapport à la dernière. Une
tontine avec organisatrice à Boulogne, par exemple, a à sa tête deux
organisatrices issues d‟ethnies différentes. Chacune des organisatrices a la
responsabilité envers les participantes de la tontine appartenant à sa propre
ethnie. Les deux organisatrices ont des liens d‟amitié depuis leur arrivée en

127
France. Leurs maris travaillent dans la même usine et se rendent visite
fréquemment. C‟est cette relation d‟affinité qui a poussé les deux
organisatrices à mettre en commun leurs réseaux sociaux ethniques pour
parvenir à mobiliser d‟importantes sommes d‟argent destinées pour
l‟essentiel à des investissements immobiliers à Dakar.
Le nombre de participants dans la tontine avec organisateur de
Boulogne est de 27 dont 13 Haalpulaar, 11 Soninké et 3 Wolof. La tontine
compte 22 femmes et 5 hommes. Les contributions sont de 500 FF par mois,
ce qui fait une levée de 13.500 FF. La distribution des levées se fait par une
décision concertée entre les deux organisatrices. L‟ordre dans lequel les
levées se font tient compte du degré d‟ancienneté des participants dans la
tontine. Les nouveaux arrivants sont toujours classés derniers dans l‟ordre
des levées. Mais en cas d‟urgence, une participante peut disposer
exceptionnellement de la levée.
L‟intégration des nouveaux membres se fait toujours sur
présentation et garantie d‟un ancien participant. Ce procédé s‟explique par
l‟éloignement du point de vue spatial entre les membres. Si certains
participants y compris les deux responsables habitent Boulogne, il y a
d‟autres membres qui habitent Paris 18e et les proches banlieues telles que
Trappes, les Mureaux, Courbevoie et Rambouillet. Les deux responsables
exigent toujours une adresse officielle de la part des candidats à la
participation. En plus, elles se renseignent sur la situation financière des
intéressés pour vérifier s‟ils peuvent oui ou non honorer leurs engagements.
Il est prévu qu‟en cas de non-paiement, c‟est à la personne qui a introduit le
défaillant dans la tontine de payer à sa place. Il n‟a cependant pas été noté
des défaillances dans la tontine depuis sa création en 1988. Il peut arriver
qu‟il y ait des retards de paiements qui sont souvent réglés avant la période
suivante.
La deuxième tontine avec organisatrice que nous avons rencontrée
est celle Coumba à Trappes. Elle réunit également des membres appartenant
à différents groupes ethniques. Le nombre de participants est de 20 dont 14
Haalpulaar, 3 Soninke et 1 Bambara. Les femmes sont dominantes dans la
tontine, elles sont au nombre de 17 contre 3 hommes. Les contributions sont
fixées à 1.100 FF par mois et par participant. Le montant des cotisations est
de 22.000 FF mais seulement les 20.000 FF sont redistribués sous forme de
levée. Les 2.000 FF restant sont versés dans une caisse qui sera partagée
entre les différents participants à la fin du cycle tontinier. Cet argent est
versé dans le compte d‟épargne de Coumba qui en reçoit le bénéfice des
intérêts.
Contrairement à la tontine précédente, celle de Trappes ne regroupe
que des individus habitant dans le même voisinage. Malgré cette proximité,
la collecte des contributions ne fait pas l‟objet d‟une rencontre. Les
participants remettent leurs contributions les uns après les autres à

128
l‟organisatrice chez elle. Après le 5 de chaque mois, si le montant de la levée
est complet, Coumba procède avec l‟une des voisines les plus proches le
tirage au sort pour déterminer le gagnant ou la gagnante avant de se déplacer
pour lui remettre l‟argent. Pour son travail d‟organisation, elle ne réclame
pas de paiement de la part des bénéficiaires de la levée. Cependant, il n‟est
pas rare qu‟un bénéficiaire lui remette 50 ou 100 FF pour la remercier pour
son travail d‟organisation. Ce qui est différent des tontines avec organisateur
à Thilogne et à Dakar dans lesquelles les organisateurs fixent avant même le
commencement de la tontine le montant de la commission à leur verser après
réception de la levée par chaque participant.
Cependant, les tontines avec organisateur peuvent également réunir
uniquement des participants appartenant au même groupe ethnique comme la
tontine de Kadia à Compiègne. Elle n‟accepte dans sa tontine que des
participantes haalpulaar qu‟elle connaît personnellement. La seule exception
est Cira qui est intégrée parce qu‟elle parle parfaitement bien le pulaar bien
qu‟étant soninké. En effet, par les visites de courtoisie qu‟elle rend à toutes
les femmes haalpulaar de la ville, elle sait si les femmes qui veulent
participer sont solvables ou non. Un mari qui a un travail salarié constitue
pour Kadia une garantie que sa femme pourrait honorer ses engagements
envers la tontine. Mais pour plus de précaution, elle demande aux maris des
femmes qui participent d‟être les garants pour qu‟en cas de problèmes, elle
puisse récupérer l‟argent de la tontine. Le nombre de participants est de 22 et
le montant des contributions est de 700 FF par mois et par participante. Ce
qui fait une levée de 15.400 FF remise à un des membres à tour de rôle.
La détermination de l‟ordre dans lequel les levées vont être
distribuées se fait par tirage au sort. Mais compte tenu du fait que les
membres ne sont pas forcément présents le jour de la levée, l‟organisatrice
peut remettre l‟argent à une femme de son choix en prétendant qu‟elle a été
effectivement désignée par le tirage. La tontine de Kadia est articulée à une
caisse de solidarité qui regroupe toutes les femmes haalpulaar de
Compiègne. Comme dans les autres cas, la caisse de solidarité est destinée à
secourir ceux des participantes faisant face à des difficultés ou organisant
une cérémonie familiale ou encore projetant d‟aller en vacances au Sénégal.
Après cette revue des types de tontines existant chez les émigrés, il
est important de préciser les motivations des participants à recourir à ce type
d‟arrangement financier et les finalités que ces derniers poursuivent à travers
cette participation.

Les motivations des participants aux tontines en milieu émigré


sénégalais

Les facteurs qui expliquent la participation des émigrés aux tontines


sont divers. Certains mettent l‟accent sur le rôle que les tontines jouent dans

129
l‟adaptation des émigrés par rapport à leur société d‟accueil alors que
d‟autres s‟intéressent au rôle économique de ces instruments
d‟intermédiation financière. Dans tous les cas, leur rôle est crucial dans les
stratégies établies par les émigrés sénégalais pour mobiliser autant d‟épargne
possible destinée à être transférée sous forme de soutiens financiers aux
familles ou sous forme d‟investissements productifs dans l‟agriculture et
l‟élevage ou dans l‟immobilier à Dakar notamment.
Comme nous l‟avons expliqué un peu plus haut, les femmes
émigrées de la première génération ne sont pas autorisées par leurs maris à
travailler en dehors de l‟espace domestique. Il en est ainsi parce qu‟elles
n‟ont pas pris l‟initiative de venir en France avec leurs propres moyens mais
ont été toutes amenées par leurs maris après leur établissement en France.
Quand elles étaient au village, elles dépendaient exclusivement des mandats
envoyés par les maris à la fin de chaque mois et n‟avaient pas l‟opportunité
de trouver un travail salarié. La continuité de la dépendance financière
envers les maris, quoique contestée de plus en plus par les femmes qui
veulent travailler et gagner de l‟argent au même titre que les hommes,
demeure garantie par l‟adhésion aux principes de loyauté et d‟obéissance
aux maris par les femmes. En acceptant de suivre le désir des hommes de les
cantonner dans l‟espace domestique comme femmes au foyer, les femmes
haalpulaar émigrées sont en droit de demander et d‟obtenir les contributions
mensuelles des différentes tontines dans lesquelles elles participent.
Ainsi, certaines femmes participent-elles dans plusieurs tontines
pour mieux soutirer de l‟argent à leurs maris. Il suffit pour convaincre les
hommes nous confie Fatim de dire que toutes les autres femmes participent
et qu‟on est la seule à rester en dehors de la tontine. Dans ce cas, les femmes
profitent de l‟orgueil des hommes qui ne veulent pas que leurs femmes
soient stigmatisées comme ne pouvant pas participer dans certaines tontines
du fait du montant élevé des contributions.

130
Tableau n°13: Les motivations du recours aux tontines60.

Accès difficile aux services bancaires 0


Simplicité des procédures 8
Relations personnalisées 10
Pression sociale pour épargner 7
Absence d‟intérêt sur le crédit 7
Nombre de réponses 32
A. Kane: enquêtes de terrains.

Pour les femmes émigrées, l‟une des raisons principales de leur


participation aux tontines est la personnalisation des relations qui permet de
capitaliser des connaissances qui peuvent s‟avérer utiles dans des moments
difficiles. En effet, 31% des répondants considèrent la personnalisation des
relations inhérente à la tontine comme la source dominante de leur
motivation à y participer. Cela veut dire que derrière l‟accumulation
purement financière les participantes se préoccupent de tisser le réseau le
plus étendu possible pour maximiser les chances d‟être secouru à un moment
opportun. De ce point de vue, les tontines des femmes émigrées présentent
une certaine particularité par rapport aux tontines thilognoises et dakaroises
où les participants avancent le recours à la pression sociale du groupe pour
épargner comme la principale source de motivation. Au niveau des tontines
parisiennes seulement 22% des répondants expliquent leur recours à la
tontine par leur intention de se voir forcer par le groupe pour mobiliser des
sommes d‟argent important pour réaliser des projets qui leur tiennent au
cœur.
Une autre source de motivation retenue par les femmes émigrées est
la simplicité des procédures tontinières comparées aux procédures bancaires.
Ainsi 25% des répondants admettent leur préférence pour la tontine du fait
de la simplicité du fonctionnement de celle-ci qui n‟exige pas des
connaissances particulières en matière de gestion financière encore moins la
maîtrise de la langue française comme moyen de communication et de
l‟écriture comme mode d‟expression. Quand on tient compte du fait que la
plupart de ces femmes viennent du monde rural où elles n‟ont pas eu la

60
Les données contenues dans ce tableau correspondent au nombre de réponses
apportées par rapport à une question à éventail par les participants aux tontines ayant
fait l‟objet d‟enquête. La question était de savoir les raisons qui les poussent à
recourir à ce genre d‟arrangement. Nous avons ensuite regroupé les réponses en cinq
catégories qui nous semblent rendre compte des raisons les plus significatives.

131
chance d‟aller à l‟école, on évalue à sa juste valeur la préférence des
procédures tontinière par rapport aux procédures bancaires.
D‟autres participantes, 22% des réponses, soulignent que la
solidarité manifeste entre créanciers et débiteurs au sein de la tontine est un
facteur déterminant dans leur motivation à participer à ce type
d‟arrangement. Cette catégorie de répondants affirme que la tontine est plus
respectueuse des prescriptions de l‟islam qui bannit toute forme de profit
relatif au crédit. D‟après leur interprétation, l‟absence d‟intérêt pour les
créditeurs qui correspondent aux derniers bénéficiaires de la levée dans la
tontine sénégalaise marque la volonté des participantes à se conformer aux
recommandations de l‟islam. Cependant ce discours est en contradiction
avec la disposition par les mêmes participants de compte d‟épargne desquels
ils perçoivent des intérêts. La plupart des caisses de solidarités disposent de
compte d‟épargne d‟où elles tirent des intérêts substantiels. De même, la
participation de la plupart des participants dans les jeux de hasard tels que le
PMU (Pari Mutuel Urbain) qui dénote une apprêté au gain est en déphasage
total avec les principes islamiques ainsi évoqués.
Enfin, il est notoire que contrairement aux participants des tontines
thilognoises et dakaroises, les participantes aux tontines parisiennes ne
ressentent aucune exclusion par rapport au système bancaire. Au contraire, il
y a une grande synergie entre le système bancaire et les pratiques tontinières.
Pour les participantes qui disposent de compte bancaire personnel, l‟argent
reçu de la tontine est immédiatement reversé à la banque quand il n‟y a pas
de projet de consommation ou d‟investissement ou encore des urgences dans
le cours terme. Par ailleurs, les banques françaises n‟imposent pas de
conditions draconiennes pour l‟ouverture des comptes même si l‟accès au
crédit est uniquement réservé aux émigrés disposant de revenus stables et
réguliers.

Besoins satisfaits par les tontines en milieu émigré

Les tontines des émigrés sénégalais à Paris se particularisent


également par le type de besoins qu‟elles prennent en charge. Nous avons vu
un changement de fonction des tontines chez les émigrés entre les années
1970 et la fin des années 1980. En effet, la présence marginale des femmes
sénégalaises dans les années 1970 a favorisé la mise en place de
regroupements tontiniers dont la préoccupation première était d‟offrir aux
femmes des espaces de rencontres et de discussions nécessaires à leur
équilibre psychologique par rapport à l‟isolement systématique auquel elles
étaient condamnées dans leur voisinage immédiat. Le changement de la
situation migratoire avec l‟arrivée massive des femmes et l‟apparition d‟une
deuxième génération va affecter l‟évolution des tontines qui vont prendre en
charge d‟autres fonctions à caractère de plus en plus financier.

132
Tableau n°14: Besoins de financement satisfaits par les tontines enquêtés.

Consommation 5
Investissement 7
Prévoyance 2
Prestige 6
A. Kane: enquête de terrain.

Comme pour les tontines de marché et des lieux de travail à Dakar et


à Thilogne, l‟utilisation dominante de l‟argent des tontines des émigrés est
orientée vers l‟investissement dans l‟immobilier ou dans des activités
économiques informelles dans le pays d‟origine. En effet, 35% des
répondants utilisent l‟argent, soit pour l‟achat de terrain ou pour la
construction d‟une maison à Dakar, soit pour la mise en place de micro-
entreprises dont la gestion est souvent confiée à un membre de la famille.
Fama, une participante dans une tontine à Boulogne, affirme que leur tontine
a permis à plusieurs de ces membres d‟acquérir des titres de propriété à
Dakar. Cette tontine regroupe 25 participantes et les contributions
mensuelles sont de 1000 FF par mois, soit une levée de 25.000 FF, ce qui est
suffisant pour permettre au bénéficiaire d‟acheter un terrain nu ou de le
construire s‟il en disposait déjà. Ceux qui disposent déjà de deux voir trois
maisons à Dakar, peuvent investir l‟argent dans de petits projets agricoles ou
commerciaux qu‟ils confient à des frères ou sœurs non occupées.
La deuxième grande finalité des tontines des émigrés est la prise en
charge des besoins de prestige social de leurs membres qui se manifeste à
travers des transferts monétaires destinés à l‟entretien de la famille, des
voisins et des amis. Ce qui accroît le prestige social de l‟émigré aux yeux des
villageois qui l‟accueillent comme un héros à chaque fois qu‟il vient passer
ses vacances au village. 30% des répondants affirment utiliser l‟argent des
tontines pour faire face à leurs obligations familiales ou pour soutenir un
frère qui a un projet d‟émigration vers les pays riches. Dieynaba affirme
avoir envoyé 8.000 FF de l‟argent qu‟elle a reçu de sa tontine à son jeune
frère en transit au Burkina Faso pour qu‟il puisse trouver un visa pour les
Etats Unis. Elle dit l‟avoir fait pour ne pas attirer les critiques de sa famille
qui lui reprocherait de ne pas s‟occuper de son jeune frère comme il le faut.
Mais l‟utilisation de l‟argent des tontines n‟est pas exclusivement
tournée vers le pays d‟origine. En effet, 25% des répondants utilisent
l‟argent reçu sous forme de levée pour satisfaire des besoins de
consommation qui leur sont propres. D‟une manière générale, ces
participantes utilisent l‟argent pour acheter des vêtements, des chaussures et
des bijoux à la mode. C‟est surtout la mode du pays d‟origine qui constitue

133
la référence. Il existe des réseaux d‟importation des habits africains qui
placent leurs articles à crédit auprès des femmes émigrées qui comptent sur
leurs tontines pour repayer leurs dettes. A Compiègne, plusieurs émigrés se
lancent dans le commerce informel de tissus, d‟habits africains et de bijoux
en plus de leur travail salarié. Ils comptent leur clientèle essentiellement
parmi les femmes émigrées et acceptent par conséquent de vendre leur
produit à crédit en attendant le tour de leurs clients dans leurs tontines
respectives.
Seulement, une petite proportion de répondants en l‟occurrence 10%
affirme utiliser l‟argent reçu des tontines pour des besoins de prévoyance.
Cette faible proportion s‟explique, d‟une part, par la participation des
émigrés dans des mutuelles de santé au niveau de leur localité et, d‟autre
part, par la prise en charge dont ils bénéficient auprès de la sécurité sociale et
d‟autres services sociaux. En plus de cela, les caisses de solidarité apportent
des soutiens financiers et moraux conséquents à ceux des émigrés qui font
face à des adversités liées à leur nouvel environnement.
Contrairement aux tontines simples et avec organisateur qui
impliquent une rotation de l‟argent mobilisé parmi les membres, les caisses
de solidarité privilégient l‟accumulation de l‟argent dans un fond qui servira
à secourir les nécessiteux parmi les adhérents.

Les caisses de solidarité

La caisse de solidarité peut être définie comme une association


d‟épargne pour la protection sociale des adhérents. Elle diffère des tontines
simples et avec organisateurs par le fait que l‟épargne mobilisée n‟est pas
immédiatement redistribuée sous forme de levée aux différents participants
et à tour de rôle. Par conséquent, la réciprocité entre les individus y
participant n‟est pas de nature équilibrée comme c‟est le cas dans les
tontines rotatives. Par ailleurs, bien qu‟elles aient en commun le principe de
l‟accumulation, la caisse de solidarité est différente des ASCRAs
(Accumulative Savings and Credit Associations) dans la mesure où les
ressources financières mobilisées dans la première ne sont pas destinées à
être remises aux adhérents sous de forme de crédit remboursable avec intérêt
comme c‟est le cas dans les dernières (Bouman, 1995)61.
La caisse de solidarité repose sur des principes mutuels et une
solidarité communautaire. Les principes mutuels se manifestent ici aussi
bien dans la manière de constituer les fonds de la caisse que dans celle de
distribuer les aides. Seuls les membres participant effectivement à la

61
Bouman, F.J.A., (1995), “ROSCA: on the origin of the species”, Savings and
Development, No 2, XIX, pp. 117-145.

134
constitution des ressources financières peuvent bénéficier des prestations.
Les contributions sont égales et les mêmes pour tous les adhérents. Ces
derniers font potentiellement face aux mêmes risques et incertitudes. Seul le
hasard détermine les bénéficiaires des aides de la caisse. C‟est cet ensemble
de conditions objectives qui préside à l‟acceptation par tous du déséquilibre
de la réciprocité qui fait que certains, les plus mal chanceux, reçoivent plus
qu‟ils ne donnent à la caisse.
Les caisses de solidarité chez les émigrés sénégalais remplissent la
fonction essentielle d‟assurance mutuelle pour les participants. Aussi bien
les femmes que les hommes participent à ce genre d‟arrangements.
Cependant seules les personnes du même sexe peuvent participer ensemble
dans une même caisse. Les caisses de solidarité réunissent, soit des hommes
ou des femmes qui se sont connues avant leur arrivée en France du fait qu‟ils
viennent du même village et dans certains cas de la même caste, soit des
femmes ou des hommes appartenant à la même ethnie. Dans le premier cas
de figure, les participants peuvent habiter dans différentes villes de la France
comme la caisse des Toroɓɓe ou des Seɓɓe de Thilogne en France. Pour les
participants qui vivent dans des villes très lointaines de Paris, l‟envoi des
cotisations peut suffire mais pour les autres la présence est exigée. Ce type
de caisse a pour fondement une proximité spatiale et sociale ayant le lieu
d‟origine des participants comme référence. Dans le second cas de figure, les
participants habitent dans une même ville comme la caisse des femmes ou
des hommes haalpulaar de Compiègne, de Trappes, des Mureaux ou
d‟Orléans. Le fondement sur lequel repose ce deuxième genre de caisses est
une proximité spatiale et sociale ayant la société d‟accueil comme référence.
Les caisses de solidarité assument dès lors une fonction explicite de
protection sociale ou d‟assurance contrairement aux tontines simples où cette
fonction est implicite. Les adversités les plus fréquemment prises en charge
par les caisses sont la maladie, l‟accident, le décès, l‟ennui avec la justice,
retour au pays. Il peut être surprenant de classer le retour au pays comme une
forme d‟adversité mais les participants aux caisses de solidarité, surtout les
femmes, perçoivent celui-ci comme un véritable casse-tête. Quand les
émigrés rentrent dans leurs villages d‟origine, ils sont tenus de payer des
cadeaux à tous les membres de leurs familles étendues et de distribuer de
l‟argent aux catégories sociales, comme les griots par exemple, qui sont en
droit, selon les coutumes, de recevoir des dons. Toutes ces obligations
sociales de redistribution expliquent pourquoi le retour au pays est un
problème pour les émigrés.

La caisse de solidarité des Toroɓɓe de Thilogne en France

La caisse de solidarité des Toroɓɓe de Thilogne regroupe toutes les


personnes, hommes et femmes originaires de Thilogne et appartenant à la

135
catégorie sociale des Toroɓɓe. Elle comporte deux sections: une section
féminine et une section masculine. Les membres habitent dans différentes
villes de France avec une majorité vivant en île de France et ses environs. Ils
se rencontrent tous les deux mois chez l‟une des 12 familles appartenant à
cette caste. La famille qui accueille les membres doit prendre en charge le
repas et le dîner de ses hôtes.
Les hommes prennent en charge les frais des rencontres tandis que
les femmes s‟occupent de l‟organisation matérielle des rencontres. Les
hommes séjournent dans le salon où ils passent la journée à discuter, à
échanger des informations, à partager des souvenirs et à rigoler les uns des
autres. Les femmes s‟attellent à la préparation du repas, du dîner et au
service des boissons et des fruits. Après l‟accomplissement de ces tâches,
elles se retranchent dans la chambre à coucher du couple accueillant où elles
discutent des sujets d‟intérêt commun.
Les contributions à la caisse sont fixées à 50 FF pour les hommes
travailleurs et 25 FF pour les étudiants boursiers et les femmes. La caisse des
hommes est séparée de celle des femmes. L‟objectif de la caisse de solidarité
est de prendre en charge les difficultés auxquelles les membres peuvent faire
face en France. Elle prévoit d‟offrir des aides financières à des membres qui
souffrent de maladie grave nécessitant une intervention médicale coûteuse.
Ainsi, un membre qui est hospitalisé pendant plus d‟un mois a droit à une
aide financière de 3.000 FF. Un membre ayant perdu un de ses deux parents,
a droit à un billet d‟avion allé simple pour faire le déplacement et présenter
ses condoléances à sa famille. Quand un membre décède, la caisse débloque
2.000 FF pour soutenir sa famille. Pour les événements heureux, la caisse
remet à chaque membre qui se marie ou qui “fait marier” son fils ou sa fille
une aide de 1000 FF. Les membres qui célèbrent la naissance d‟un enfant
obtiennent 500 FF de la caisse.

La caisse de solidarité des ressortissants du quartier de Goléra


(Thilogne) en France

Elle réunit tous les ressortissants de Thilogne appartenant au quartier


de Goléra sans tenir compte de leur origine sociale. Les rencontres se
tiennent à Boulogne tous les trois mois. Les contributions ne sont pas fixes et
varient en fonction des circonstances. A la veille de la fête du Maouloud62,
on demande à chaque participant de cotiser une somme de 200 FF que l‟on
envoie à la mosquée du quartier pour faire face aux frais qu‟occasionne ce
genre d‟événements. En période normale, les cotisations sont de 50 FF par
mois et par personne. L‟objectif de la caisse est de participer à la prise en

62
Le Maouloud marque la célébration de l‟anniversaire de la naissance du prophète
Mohammed (PSL) chez les Haalpulaar.

136
charge des aspects religieux au niveau du quartier d‟origine et de
promouvoir une entraide mutuelle entre les membres aussi bien en France
qu‟au niveau du quartier.
Les fonds mobilisés sont utilisés dans différents domaines. Seul le
décès d‟un membre ou d‟un proche permet l‟accès des adhérents au fond de
la caisse. Elle débloque une aide financière de 1000 FF au profit du membre
ou de sa famille en pareille circonstance. Pour le reste, l‟argent de la caisse
est utilisé pour répondre aux besoins du quartier. Ainsi, la caisse à contribuer
de manière significative à la construction de la mosquée du quartier et à
l‟achat du matériel de sonorisation. Elle prend en charge de manière
épisodique le paiement de l‟eau au niveau du quartier dispensant les familles
de ces frais.
En 1996, elle a construit un magasin au niveau du quartier qui est
destiné à vendre les denrées de première nécessité telles que le riz, le mil, le
niébe, le sucre, le savon à des prix imbattables au niveau du marché local. La
caisse avait envoyé 20.000 FF pour le démarrage du magasin mais la
personne à laquelle on avait envoyé l‟argent en avait détourné la moitié. Les
membres se préoccupent de l‟avenir du projet compte tenu de l‟impossibilité
de trouver des hommes de confiance désirant rester au village pour gérer le
magasin.
Par ailleurs, à chaque rencontre, les membres mobilisent
parallèlement aux cotisations régulières des contributions volontaires
destinées à venir en aide à l‟imam de la mosquée du quartier et à certaines
familles pauvres n‟ayant personne sur qui compter. La caisse participe
également à la prise en charge des malades qui viennent du quartier pour se
faire soigner à Dakar. Il suffit aux intéressés d‟envoyer une lettre adressée à
l‟intention des ressortissants du quartier en France pour que ces derniers
réagissent pour l‟aider à se faire soigner.
Ce type de caisse de solidarité est différent des caisses de solidarité
où participent des personnes appartenant à la même ethnie mais originaire de
villages voire de pays différents. Au niveau des caisses de solidarité
regroupant des individus venant du même village et appartenant à la même
caste ou au même quartier, la participation est à la limite obligatoire tandis
que dans les caisses de solidarité regroupant des émigrés appartenant à la
même ethnie mais qui ne se sont connus qu‟en France, la participation est
volontaire.

La caisse de solidarité des Haalpulaar de Compiègne

La caisse de solidarité des Haalpulaar de Compiègne regroupe des


émigrés appartenant à la même ethnie mais originaires de différents villages
et de différents pays. En effet, ils viennent tous de la vallée du fleuve
Sénégal bien que certains soient de nationalité sénégalaise, d‟autres de

137
nationalité malienne ou mauritanienne. En définitive, ce qui les réunit c‟est
le fait d‟être haalpulaar et d‟habiter dans la même ville en France. La caisse
à été créée en 1993. Mais avant cette date, les émigrés haalpulaar de
Compiègne manifestaient leur solidarité spontanée envers ceux d‟entre eux
qui faisait face à des situations d‟adversité. Comme l‟explique Abou “ en cas
de décès d‟un proche, d‟accident de travail, d‟hospitalisation, les gens
viennent en groupe pour témoigner de leur soutien et ils mobilisent séance
tenante des contributions volontaires au profit de la victime”.
La création de la caisse de solidarité n‟est rien d‟autre qu‟une
formalisation de ces pratiques avérées de solidarité entre les émigrés
haalpulaar de Compiègne. Au lieu des contributions volontaires et
épisodiques devant un fait accompli, ils décident d‟être prévoyant en cotisant
mensuellement pour constituer un fond duquel seront tirées les aides
financières destinées à soutenir les victimes d‟un certain nombre
d‟adversités. L‟assemblée générale constitutive fixe alors le montant des
cotisations mensuelles à 50 FF par membre. Dans certaines circonstances
particulières, comme le décès d‟un membre ou la réception d‟un guide
religieux, elle a prévu la mobilisation de contributions volontaires pour
compléter si nécessaire les fonds de la caisse.
L‟objectif affiché de la caisse est de venir en aide aux membres qui
se trouvent dans le besoin d‟être secourus. La caisse attribue un soutien
financier dans cinq situations définies: l‟hospitalisation d‟un membre pour
une maladie jugé grave, l‟accident de travail, décès d‟un proche (deux
parents, frères ou sœurs, fils ou filles du membre), décès du membre lui-
même (dans ce cas de figure le soutien va à sa famille) et sinistres tels que
l‟incendie par exemple. A chacune de ses cinq situations correspond un
montant fixe d‟aide accordée à la victime par la caisse comme le montre le
tableau suivant:

Tableau nº15: Montant des aides financières en fonction des situations


d‟adversité.

Situations Montant de l‟aide en Euro


Hospitalisation 300
Décès d‟un proche 150
Décès d‟un membre 1000
Accident de travail 500
Sinistre 500
A. Kane: enquêtes de terrains.

La caisse est dirigée par un président, un trésorier et un secrétaire.


Pour évaluer les situations, il existe une commission sociale dont le

138
jugement détermine l‟octroi d‟une aide financière ou non par rapport à un
cas concret. Malgré cela, les conflits ne manquent pas au sein de la caisse. Ils
opposent souvent les membres vivant avec leurs familles en France et les
membres célibataires ou ayant laissé leurs familles en Afrique. Le cas de
Mody est assez exemplaire dans ce sens. En 1996, un membre déclare avoir
été victime d‟un incendie dans son village qui a ravagé tous ses biens
matériels. En ce moment, la caisse n‟avait pas prévu d‟aider financièrement
les membres victimes d‟un tel sinistre. Après réunion, les adhérents décident
de remettre une aide de 2.000 FF à l‟intéressé et d‟inclure, par voie d‟une
justice distributive, cette situation parmi celles qui méritent un soutien
financier de la part de la caisse de solidarité.
Une année plus tard, un membre vivant avec sa famille est victime
d‟un incendie à Compiègne avec des dégâts matériels limités. Un des
membres de la commission sociale et amis de la victime remet à la femme de
ce dernier une somme de 2.000 FF de la part de la caisse. La décision fait
l‟objet d‟une vive contestation de la majorité des membres qui avancent
plusieurs raisons pour disqualifier la victime d‟une quelconque aide.
Certains évoquent les dégâts négligeables causés par l‟incendie, d‟autres
s‟appuient sur le fait que le matériel détruit par l‟incendie était assuré et que
par conséquent la victime allait recevoir du nouveau matériel de sa
compagnie d‟assurance. Cet incident a abouti à la dissolution de la caisse en
1999.
Cet exemple montre bien que les situations conflictuelles ne
manquent pas dans ce genre d‟arrangements. D‟une manière générale, c‟est
le chevauchement entre système d‟assurance institutionnel et système
d‟assurance communautaire qui est à la base des conflits. Il est vrai que tous
les émigrés ont accès aux différents produits des compagnies d‟assurance.
Cependant les émigrés haalpulaar célibataires ou ayant laissé leurs familles
au village se contentent souvent d‟une simple assurance maladie qui de
surcroît ne couvre pas leurs épouses et leurs enfants restés au Sénégal. A
l‟opposé, les émigrés établis en France avec leurs familles souscrivent à
plusieurs types d‟assurance qui couvrent de fait aussi bien leurs femmes et
leurs enfants que leurs biens matériels. Du coût, le premier groupe d‟émigrés
fait face à plus d‟incertitudes et a besoin plus de la solidarité communautaire
comparé au second. Ce qui fait l‟objet de contestation est le fait que les
émigrés vivant avec leurs familles en France puissent obtenir en cas de
sinistre un double soutien financier de la part de leurs compagnies
d‟assurance et de la caisse de solidarité.
Ce genre de conflits connaît plus de résonance dans les caisses de
solidarité où les participants ne se sont connus qu‟une fois en France, comme
dans le cas précédent, que dans celles où les participants se connaissaient
déjà avant d‟arrivée en France. Dans le premier cas, la communauté est à
construire sur de nouvelles bases, en l‟occurrence le voisinage au sein de la

139
société d‟accueil d‟individus ayant la même appartenance ethnique tandis
que, dans le second cas, ce sont des individus constitués déjà en
communauté de parents ou de voisins avant même de venir en France.

Conclusion

En guise de conclusion à ce chapitre, nous soulignerons l‟importance


de trois faits majeurs caractérisant les arrangements financiers populaires
chez les émigrés haalpulaar. Le premier est le rôle fondamental que les
tontines et les caisses de solidarité ont joué dans l‟adaptation des émigrés
surtout les femmes par rapport à leur nouvel environnement. Ces types de
regroupement ont permis aux émigrés de reproduire dans leur société
d‟accueil les modes de sociabilité intense et les mécanismes de solidarité
personnalisée propres à leur société d‟origine. Pour beaucoup d‟entre eux, ce
sont ces cercles communautaires qui ont rendu la vie en France supportable.
De ce point de vue, les tontines et les caisses de solidarité en milieu
émigré ne constituent pas uniquement des outils financiers adaptés mais
également et surtout des instruments identitaires. C‟est la raison pour
laquelle elles sont moins “intégratrices” que les tontines dakaroises du point
de vue de la diversité ethnique des participants. Ainsi, les individus
appartenant à la même ethnie mais à différentes nationalités se retrouveront
dans une même tontine plus facilement que des individus appartenant à une
même nationalité mais à des ethnies différentes. Les Haalpulaar du Sénégal,
du Mali et de la Mauritanie se retrouvent plus aisément dans une tontine ou
une caisse de solidarité que les Haalpulaar du Sénégal et les Wolof, les
Soninke, les Diola ou Serer de la même nationalité.
Le deuxième point qui mérite d‟être souligné est qu‟il n‟y a pas un
rapport d‟exclusivité, comme nous l‟avons expliqué pour les tontines
dakaroises, entre les pratiques financières populaires et le recours aux
banques, aux sociétés d‟assurance, à la sécurité sociale. Bien que dans bien
des cas, les femmes émigrées qui ne disposent pas de revenus salariaux, ne
sont pas instruites et ne parlent pas français, n‟ont que peu de chance d‟avoir
accès à ces institutions financières. Pour cette catégorie, les tontines et les
caisses de solidarité constituent des outils financiers irremplaçables. Mais en
plus de cet aspect financier, les tontines sont des espaces de socialisation et
d‟émancipation pour les femmes émigrées. Elles y échangent des
informations sur le pouvoir potentiel que leur offre la loi française et les
voies et moyens d‟en profiter.
Le troisième point qu‟il importe de souligner est l‟utilisation
différenciée des tontines et des caisses de solidarité par les émigrés. Les
tontines simples ou avec organisateur sont destinées au financement des
besoins de consommation et de transferts monétaires vers la société

140
d‟origine sous forme notamment d‟investissement dans l‟immobilier ou de
soutien à la famille. Les caisses de solidarité sont, par contre, destinée à la
prise en charge des membres qui font face à des difficultés en France. Ces
dernières renferment de ce fait une fonction explicite d‟assurance et de
protection sociale. Si la réciprocité est équilibrée à termes dans les tontines
entre les participants, elle demeure asymétrique dans les caisses où
seulement les membres dans le besoin bénéficient des soutiens financiers.

141
Chapitre 5
La confiance au cœur des pratiques
financières informelles
Introduction

Nous avons défini la tontine dans les chapitres précédent comme un


groupe d‟individus qui s‟accordent pour constituer selon une périodicité fixe
et régulière un fond commun qui sera remis (en totalité ou en partie) une fois
à chacun des participants à tour de rôle (Ardener, S. et Burman, S., 1995)63.
Chaque participant doit attendre son tour pour disposer de la levée. Ce qui
crée une situation de dépendance des derniers dans l‟ordre des levées vis-à-
vis des premiers bénéficiaires qui sont de potentiels défaillants. Les tontines
offrent, de ce point de vue, une configuration sociale idéale pour la saisie des
mécanismes de structuration, de maintien et de déstructuration des relations
de confiance à l‟intérieur d‟un groupe d‟acteurs plus ou moins restreint.
L‟exemple qui va suivre montre bien les mécanismes de fonctionnement de
la tontine et la structure de dépendance des participants les uns envers les
autres en fonction de leur emplacement dans l‟ordre de distribution des
levées. Ce qui exige des derniers d‟avoir confiance aux premiers qui à leur
tour doivent donner des engagements crédibles quant à leur volonté de
rembourser tour après tour les crédits reçus.

Tableau nº16 : Configuration des opérations financières dans une tontine de


six participants.
Ordre A B C D E F Levée Crédit Epargne Mois
1er 10 10 10 10 10 10 60 50 0 J
e
2 10 10 10 10 10 10 60 40 10 F
e
3 10 10 10 10 10 10 60 30 20 M
e
4 10 10 10 10 10 10 60 20 30 A
5e 10 10 10 10 10 10 60 10 40 M
e
6 10 10 10 10 10 10 60 0 50 J
Total 60 60 60 60 60 60 360 150 150 6 mois

A, B, C, D, E et F décident de créer une tontine dont les


contributions sont fixées à 10 F CFA par mois. A la fin de chaque mois, ils
se réunissent pour mobiliser une somme de 60 F CFA qui sera remise une
fois et à tour de rôle à chacun d‟entre eux. Au mois de janvier qui
correspond au début de la tontine, la levée de 60 F CFA est donnée à A. Puis
selon l‟ordre alphabétique B, C, D, E et F recevront le même montant

63
Ardener, S. et Burman, S., (1995), Money-Go-Rounds. The importance of
Rotating Savings and Credit Associations for Women, Berg, Oxford/Washington
D.C., 326 p.
successivement entre le mois de février et celui de juin qui referme le cycle
tontinier.
Dans cette tontine, A, qui correspond au premier participant à
recevoir la levée, obtient de chacun des cinq autres participants un prêt de 10
F CFA, ce qui fait au total un crédit de 50 F CFA plus sa propre contribution
de 10 F CFA. B qui se positionne deuxième dans l‟ordre des levées obtient
d‟un côté 10 F CFA de A sous forme de remboursement et de l‟autre 40 F
CFA de crédit alloués par les quatre derniers participants. C récupère ses
prêts d‟un montant de 20 F CFA auprès de A et B puis obtient 30 F CFA de
crédit venant des autres participants. D classé quatrième dans l‟ordre des
levées, reçoit 30 F CFA sous forme de remboursement venant de A, B et C
tandis qu‟il obtient au même moment un prêt de 20 F CFA de la part de E et
F. E étant avant-dernier, se voit rembourser 40 F CFA par A, B, C et D, et
obtient un crédit de 10 F CFA de F. F, correspondant au dernier dans l‟ordre
de distribution des levées, est à l‟inverse de A. Il récupère sous forme
d‟épargne l‟ensemble des prêts qu‟il a octroyé aux cinq premiers participants
et ne reçoit pas de crédit (Michel Lelart, 1990). La question essentielle est
bien évidemment pourquoi les cinq derniers participants ont-ils confiance en
A, les quatre derniers en B, les trois derniers en C, les deux derniers en D et
F en E ? Ont-ils oui ou non de bonnes raisons de faire confiance les uns aux
autres ? Est-ce que les situations sociales de proximité dans un village
(Thilogne), de diversité et d‟anonymat dans les grandes villes (Dakar et
Paris) influencent les mécanismes de construction, de maintien ou de
déstructuration des relations de confiance dans les tontines ? Quelles sont les
stratégies adoptées par les participants aux tontines pour prévenir ou faire
face aux éventuelles défaillances ? Pourquoi certaines tontines réussissent
merveilleusement bien à asseoir une cohésion sociale du groupe et une
confiance mutuelle solide là où d‟autres échouent lamentablement ?
Ce chapitre a pour objectif d‟apporter des éléments de réponses par
rapport à ces questions essentielles pour la compréhension de l‟établissement
des relations de confiance dans les arrangements financiers populaires au
Sénégal. Il sera découpé en quatre grandes parties. La première tentera de
préciser en quoi les relations de confiance sont problématiques dans les
arrangements financiers tontiniers. La deuxième partie mettra l‟accent sur les
stratégies déployées par les acteurs pour prévenir ou faire face aux situations
de défaillance. La troisième partie va se focaliser sur l‟évolution et le
renforcement des relations de confiance dans le temps à l‟intérieur des
tontines. La quatrième et dernière partie analysera dans quelle mesure il est
possible de parler du mérite de la confiance comme d‟un capital social
convertible en capital financier. Mais avant d‟aborder ces différentes parties,
il s‟avère opportun de donner une définition de la confiance en précisant son
rôle fondamental dans n‟importe quelle relation sociale comme l‟atteste sa
récurrence dans les différents écrits à propos de la finance populaire.

146
La problématique de la confiance dans les arrangements financiers
populaires

“It needs no more than a cursory inspection to show that the theme
of trust involves a problematic relationship with time. To show trust is to
anticipate the future. It is to behave as though the future were certain. One
might say that through trust time is superseded” (Luhmann 1979)64.
La confiance est presque toujours liée à la contingence du temps à-
venir dont on peut difficilement saisir avec certitude ce qu‟il nous réserve.
Dès lors toute interaction sociale inscrite dans le temps et se prolongeant
dans le futur exige des parties qui l‟engagent l‟établissement d‟une relation
de confiance. Dans le cas d‟une relation d‟échange de don ou de crédit, il
faut nécessairement à la fois la prise d‟engagements de la part des donataires
jugés crédibles par les donateurs et la production d‟attentes chez les derniers
considérées comme légitimes par les premiers. Les relations à l‟intérieur des
arrangements financiers populaires, comme elles font appel à des échanges
programmés dans le temps dans lesquels les premiers dans l‟ordre des levées
correspondent à des créanciers et les derniers à des débiteurs, exigent
qu‟elles soient fondées sur une certaine confiance des derniers envers les
premiers.
Dans cette perspective, la confiance est d‟abord et avant tout une
relation entre deux ou plusieurs individus qui font face à une situation
d‟incertitude liée au temps à-venir ou à un manque d‟information sur la
crédibilité des engagements des uns et des autres par rapport à une situation
présente. Ainsi entendue, la confiance semble jouer un rôle déterminant dans
n‟importe quelle relation d‟échange dans laquelle chaque partenaire a des
attentes claires envers l‟autre et où il existe un laps de temps entre l‟échange
de biens ou de service. Comme le souligne Mauss, parlant des échanges de
dons, un certain temps passe avant que la contre prestation ne soit fait, ce qui
requiert la confiance du donateur au donataire. Dans le cas des tontines, c‟est
le temps qui s‟écoule entre les différentes périodes des levées qui rend
nécessaire l‟existence des relations de confiance entre les participants se
positionnant d‟un extrême à un autre dans l‟ordre de distribution des levées.
La confiance varie en fonction des circonstances et des enjeux.
Avoir confiance que le soleil se lèvera demain n‟est pas du même ordre
qu‟avoir confiance que la voiture que l‟on vient d‟acheter au garagiste n‟est
pas une carcasse encombrante. Dans le premier cas, la confiance a le sens du
mot anglais “confidence” et s‟appuie sur l‟idée qu‟il en a été ainsi depuis
l‟aube des temps et ne peut en être autrement tandis que dans le deuxième

64
Luhmann, N., (1979), Trust and Power. Chichester: Wiley, p: 11.

147
cas le risque est réel et énorme que le garagiste profitant de notre ignorance
abuse de notre confiance en nous livrant une carcasse bonne à rien. Le mot
confiance sera entendu ici dans le deuxième sens où l‟anticipation court un
certain risque de trahison. Pour mieux préciser cette dernière acception de la
confiance, partons de la définition de Chris Snijders qui écrit:

“Suppose you have a choice between two options, [A] the status quo
and [B] running the risk of ending up in one of two situations. If you choose
[B] you can end up in a situation that you prefer to the status quo, but it is
also possible to end up in a situation you do not prefer to the status quo.
Furthermore, assume that the situation you will end up in is under the control
of another conscious actor and that given this other actor‟s disposition or
preferences it is not unlikely that you end up in the situation where you are
worse off than the status quo. I then define “I trust that other actor” as
choosing option [B] before you know the other actor‟s behavior” (Chris
Snijders 1996, pp. 9-10)65.

La définition de Snijders prend sa source dans la théorie des jeux et


place par conséquent l‟acteur social appelé à faire confiance devant un
dilemme à l‟instar de celui du prisonnier (M. Olson, 1987)66. Ces modèles
théoriques empruntés à l‟économie, isolant l‟individu de son environnement
social et le dotant d‟une rationalité et d‟un pouvoir imaginaire, n‟embrassent
pas la complexité des relations de confiance entre acteurs intégrés dans des
structures sociopolitiques disposant de codes civiles et moraux dont la
violation ne va pas sans sanctions (P. Dasgupta, 1988, pp. 49-72)67. Dans
l‟exemple de Snijders si l‟on intègre la possibilité de sanctions positives ou
négatives, l‟acteur auquel on fait confiance évaluera toutes les conséquences
possibles (d‟un côté prison, potence, mise en quarantaine et de l‟autre
récompense, respect et honneur) de ses actions éventuelles avant de les
entreprendre. Il nous semble important d‟arrêter un certain nombre de
dimensions pertinentes pour la saisie des relations de confiance dans les
tontines. Dans ce sens, les dimensions retenues par Yamagishi et Yamagishi
peuvent nous être d‟un grand secours (Yamagishi et Yamagishi, 1994)68.

65
Snijders, C. (1996), Trust and Commitments. ICS, 249p
66
Olson, M., (1978), Logique de l‟action collective, PUF, Paris, 199p, traduction
française de The Logic of Collective Action, Harvard University Press, 1966.
67
Dasgupta, P., (1988), “Trust as a Commodity”. In Trust, Making and Breaking
Cooperative Relations, Edited by Diego Gambetta, pp. 49-72.

68
Yamagishi and Yamagishi (1994): Trust and Commitment in the United States
and Japon. Motivation and Emotion, 18, 2: 129-166.

148
Yamagishi et Yamagishi ont contribué à la spécification
conceptuelle de la confiance en distinguant trois dimensions essentielles. Ils
retiennent la confiance par assurance, la confiance fondée sur la
connaissance et la confiance en général. La confiance par assurance consiste
en l‟attente que l‟on peut avoir vis-à-vis d‟un acteur social d‟agir dans le
sens de préserver ses propres intérêts. Dans l‟exemple de Snijders, si le
choix de [B] correspond à l‟intérêt bien compris des deux acteurs en
interaction, “Je” peut avoir confiance en l‟autre tout en pensant, non sans
raison, que celui-ci ne trahira pas ses propres intérêts. La confiance fondée
sur la connaissance renvoie à l‟attente que l‟on peut avoir vis-à-vis de l‟autre
en se référant à ses comportements antérieurs. On peut avoir confiance à un
garagiste qui prétend nous vendre une bonne voiture parce que nous avons
acheté plusieurs voitures chez lui avec la même prétention qui s‟est avérée
être toujours vraie. Par son comportement passé, on dispose de bonnes
raisons de lui faire confiance. Quant à la confiance en général, elle repose
entièrement sur le bon sens. Quand on prête sa voiture à un ami, on peut
s‟attendre à ce qu‟il la ramène en se fondant sur une confiance générale que
n‟importe qui ramènera la propriété d‟autrui après l‟avoir empruntée.
Les deux premières dimensions de Yamagishi et Yamagishi en
l‟occurrence la confiance par assurance et la confiance par connaissance
peuvent nous être d‟un grand secours pour analyser les relations de
confiance dans les tontines. Ainsi, la capacité financière des participants à
honorer leurs engagements envers la tontine et la proximité constituent de
bons indicateurs de la confiance par assurance tandis que la réputation et
l‟honnêteté attestée par l‟expérience est un indicateur pertinent de la
confiance par connaissance (Mayoukou, 1996)69. Mais avant de voir
comment ces dimensions et ses indicateurs sont pertinents dans l‟analyse de
la confiance dans les tontines, il est important de s‟arrêter sur la conception
qu‟on a jusque-là eue des relations de confiance dans ces arrangements
financiers populaires.
La confiance, comme d‟ailleurs la solidarité dans les tontines
africaines, ont été jusque-là appréhendées comme des propriétés inhérentes
aux tontines par plusieurs spécialistes de la finance informelle (Alain Henry,
Guy-Honoré Tchente et Philippe Guillerme-Dieumegard, 1991; Hassane
Zaoual, 1996; Jean Essombe-Edimo, 1998)70. Jean Essombe-Edimo parle de

69
Mayoukou, C., (1996), “La réputation, un mécanisme incitatif dans la fonction
d‟intermédiation des tontiniers en Afrique Subsaharienne”. Réseaux de Recherche
sur l‟Entrepreneuriat, AUPELF-UREF, Note de recherche nº96-57, 19p.

70
Henry, A.; Tchente, G-H.; Guillerme-Dieumegard, P., (1991), Tontines et banques
au Cameroun, Karthala, 166p. Zaoual, H., (1996), “Les “Economies Tontinières”:
une autre figure des sites africains”. In Organisation économique et Cultures
Africaines. De l‟homo economicus à l‟homo situs. Sous la direct. De Issiaka-Prosper

149
la solidarité avec son corollaire la confiance comme constituant l‟essence
même ou la raison d‟être des tontines africaines. Mais l‟auteur n‟analyse pas
les moments de crise de confiance qui conduisent dans certains cas à la
dissolution de la tontine. La confiance est loin, comme il semble le suggérer,
une vertu inhérente à la personnalité africaine. Dans la même lancée, Zaoual
pense que l‟environnement culturel africain avec des valeurs comme celles
du respect de la parole donnée rend plus facile l‟existence des relations de
confiance à l‟intérieur de la tontine. Là également, il suffit de regarder avec
minutie les relations à l‟intérieur de la tontine pour se rendre compte que la
parole donnée n‟est pas un critère auto suffisant pour déterminer
l‟établissement des relations de confiance entre participants d‟une tontine.
Au contraire, comme nous allons le montrer un peu plus loin, le soupçon et
la ruse règnent dans plusieurs tontines et se manifestent par le truquage des
tirages au sort par exemple.
La proximité géographique (voisinage) ou sociale (parenté ou
affinité) a été considérée par beaucoup comme étant le fondement sur lequel
les relations de confiance sont construites (J. M. Servet et E. Baumann,
1996)71. Ce qui semble suggérer que partout où la proximité joue un rôle
essentiel dans la mise en place de la tontine, l‟établissement des relations de
confiance en découle sans grandes difficultés. Or une observation minutieuse
et patiente de la manière dont les participants sont recrutés, l‟ordre des
levées est déterminé et les défaillances sont prévenues ou sanctionnées
permet d‟appréhender combien les relations de confiance à l‟intérieur de ces
arrangements financiers sont problématiques dans les quartiers de Dakar où
la proximité spatiale joue un rôle fondamental dans la constitution des
tontines.
En réalité, les relations de confiance à l‟intérieur des tontines n‟ont
rien de naturel, elles sont des constructions sociales qui varient en fonction
du lieu d‟implantation et des types de relations, directes ou médiatisées,
qu‟entretiennent les différents participants. Chacune des 268 tontines ayant
fait l‟objet d‟enquête est une expérience unique en soi pour dire combien les
tontines sont diverses et variées du point de vue du nombre de participants,
des règles de fonctionnement, des montants des contributions, de la
périodicité des contributions et des levées, des procédures de détermination
de l‟ordre des levées, etc... Mais en tenant en considération de la nature des

Lalèyê, Henry Panhuys, Thierry Verhelst, Hassan Zaoual, L‟Harmattan, pp. 241-46.
Essombé Edimo, J-R., (1998), “Dynamique financière des tontines: quels
enseignements pour le financement des petites entreprises en Afrique, Revue Tiers
Monde, t.XXXIX, nº 156, pp. 861-83.
71
Servet, J-M. et Baumann, E., (1996): “Proximité et risque financier en Afrique.
Expériences sénégalaises”. In Entreprises et Dynamique de Croissance, De Bernard
Haudeville et Michel Lelart (eds), Aupelf-Uref, SERVICED, pp. 213-25.

150
relations entre les participants, il est possible d‟arriver à regrouper les
tontines sénégalaises en deux groupes, comme nous l‟avons déjà fait dans les
chapitres précédents. Il y a d‟un côté les tontines simples et de l‟autre les
tontines médiatisées par un organisateur. Les relations de confiances varient,
il va sans dire, en fonction de ces deux types de tontines comme nous allons
le démontrer dans ce qui suit.

Confiance et typologie des tontines

Les tontines se caractérisent essentiellement, comme nous l‟avons


vu plus haut, par la constitution d‟un fond dont les participants disposent à
tour de rôle. Les premiers à disposer du fond se placent dans une position
confortable non pas seulement parce qu‟ils reçoivent du crédit gratuitement
mais aussi et surtout parce qu‟ils sont à l‟abri des conséquences des
défaillances éventuelles par le fait qu‟ils correspondent aux potentiels
défaillants. Les derniers à disposer du fond, à l‟inverse des premiers, sont
dans une situation pour le moins inconfortable en ce sens qu‟ils épargnent
sans toucher d‟intérêts, mais plus encore, ils sont vulnérables aux éventuelles
défaillances. Dans cette perspective, les derniers à bénéficier de la levée
doivent impérativement avoir confiance aux premiers à en disposer pour que
la tontine puisse exister. Dès lors la détermination de l‟ordre dans lequel les
levées doivent se faire est un indicateur essentiel des relations de confiance
dans le groupe tontinier.
La détermination de l‟ordre dans lequel les levées doivent se faire
varie en fonction du type de relations entre les participants. En effet, il y a
deux formes de structurations des relations entre les participants dans les
tontines sénégalaises (Claude Dupuy, 1990)72. La première forme renvoie à
celle où les participants entretiennent des relations fondées sur une
connaissance mutuelle, c‟est-à-dire que tous connaissent personnellement
chacun et que chacun connaît personnellement tous. Les tontines
caractérisées par cette forme de configuration sont appelées tontines simples
ou mutuelles. La deuxième forme est celle où les relations entre les
participants sont médiatisées par un organisateur qui entretient avec chacun
d‟eux des liens mutuels et personnel, c‟est-à-dire qu‟il connaît tous et est
connu de tous. Ce genre de configuration est présent dans les tontines que

72
Dupuy, C., (1990), “Les comportements d‟épargne dans la société africaine :
études sénégalaises”, In Lelart M. (ed.), la Tontine, AUPELF-UREF, John Libey
Eurotext, Paris, pp. 31-51.

151
Michel Lelart qualifie de commerciales (M. Lelart et Gnansounou, G.
1989)73.
Les tontines simples se rencontrent essentiellement dans les quartiers
ou les lieux de travail où la proximité permet aux participants de disposer sur
les uns et les autres un ensemble d‟informations sur le profil moral de
chacun (E. Baumann et J. M. Servet, 1996)74. La détermination de l‟ordre
des levées dans ce type de tontine se fait généralement par tirage au sort ou
par consensus tenant compte de l‟urgence des besoins des uns et des autres.
Les tontines avec organisateur se retrouvent plus particulièrement dans les
marchés. La détermination de l‟ordre des levées dans la plupart des cas est
du seul ressort de l‟organisateur de la tontine. Ces deux types de tontines ont
des stratégies différentes pour prévenir les défaillances ou réparer leurs
conséquences.

Les stratégies pour la prévention des abus de confiance

L‟une des préoccupations majeures des participants aux tontines est


comment éviter que l‟un d‟entre eux abuse de la confiance des autres après
avoir bénéficier de la levée. Il existe plusieurs stratégies dont l‟objectif est de
réduire au minimum les risques de défaillance. Il y a, d‟une part, des
stratégies de prévention qui ont pour but de faire face financièrement aux
conséquences d‟une éventuelle défaillance pour assurer la continuité de la
tontine et, d‟autre part, des stratégies de sanctions sociales qui visent à
obliger les défaillants à repayer leurs dettes envers la tontine. Ces différentes
stratégies varient bien entendu en fonction de la nature des relations entre
participants d‟une tontine.
La prévention dans les tontines simples se manifeste par la
constitution d‟un fond de caisse. En effet, dans ces dernières, les toutes
premières contributions des participants ne sont pas redistribuées sous forme
de levée mais elles alimentent plutôt un fond de caisse. La présence à l‟heure
des participants le jour de la levée étant obligatoire, les absents et les
retardataires sont sanctionnés par le paiement d‟une amende. Les amendes
liées au retard ou à l‟absence des membres les jours de réunion viennent
s‟ajouter à ce fond de départ. Le fond de caisse est conçu principalement
pour faire face aux situations de défaillance. Donnons l‟exemple d‟une
tontine simple de Pikine Médina Gounasse:
La tontine regroupe uniquement des femmes qui sont toutes des
voisines mais appartenant à des ethnies différentes. Elle existe depuis 1989

73
Lelart, M. et Gnansounou, G., (1989), “Tontines et tontiniers sur les marchés
africains: le marché Saint-Michel de Cotonou”, in African Review of Money, Fiance
and Banking, 1/89, pp. 69-89.
74
Idem

152
et compte 32 participantes. Les membres, tous des femmes mariées, ne
disposent pas de source de revenus réguliers. Près des 2/3 tirent leurs
contributions du budget familial dont elles sont les gestionnaires. Le reste
des participantes mène des activités informelles du type petit commerce,
couture, teinture, vente de légumes ou d‟arachides grillées d‟où elles tirent
des revenus très modestes et très irréguliers. Les contributions sont fixées à
2.500 F CFA tous les 15 jours. La tontine a une responsable morale qui est
une teinturière de 41 ans et mère de cinq enfants dont le père est un
menuisier. La famille est relativement aisée comparée aux autres familles du
voisinage. Elle habite dans une maison en dur de quatre pièces dont trois
chambres et un salon. Une chambre pour la femme et son conjoint, une
chambre pour les filles et une chambre pour les garçons. Elle prend en
charge cinq autres personnes qui sont des parents directs du mari. C‟est dans
la maison que tous les 15 jours se réunissent les participantes de la tontine.
Les premières contributions, soit un montant de 80.000 F CFA, sont
bloquées dans un fond de caisse entre les mains de la responsable morale.
Les retardataires sont tenus de payer une amende de 250 F CFA tandis que
les absents ont l‟obligation de verser leurs contributions plus une amende de
500 F CFA au plus tard le lendemain de la rencontre. L‟argent des amendes
vient renforcer le fond de caisse d‟où les contributions manquantes sont
tirées en cas d‟absence ou de défaillance.
La première situation de défaillance et la plus fréquente est celle
d‟un participant qui n‟a plus les moyens de contribuer avant même d‟avoir
disposé de la levée. C‟est le cas par exemple de Marieme, 37 ans et
participant dans une tontine de quartier a Pikine Médina Gounasse qui, à la
suite des frais médicaux occasionnés par l‟hospitalisation de son mari, n‟a
pas pu continuer à verser ses contributions à la tontine. D‟une manière
générale, les motifs de cessation de contributions sont connus de tous du fait
de la proximité entre les participants. Cette forme de défaillance est sans
grande conséquence pour la continuité de la tontine dans la mesure où le
défaillant correspond à un créancier. Dans les cas où les motifs sont jugés
sérieux, le défaillant peut emprunter ses contributions au fond de caisse
jusqu‟à la fin du cycle tontinier pour récupérer ses contributions initiales. Par
contre si les motifs sont jugés fantaisistes, dans la plupart des tontines
simples, le défaillant perd ses contributions antérieures au profit du font de
caisse.
La deuxième situation de défaillance est celle d‟un participant qui
refuse ou n‟a plus les moyens de continuer à contribuer après avoir disposer
de la levée. Cette attitude est perçue comme un abus de confiance si le
défaillant ne dispose pas d‟excuses recevables pour se justifier. S‟il s‟agit
d‟une seule défaillance, la tontine peut ne pas être paralysée puisque les
contributions manquantes seront tirées du fond de caisse pour compléter la
levée. Mais si les défaillances se multiplient, le fond de caisse ne pourra pas

153
les compenser, ce qui aboutit dans certain cas à la faillite totale de la tontine.
Comme ce fût le cas de la tontine dirigée par Ramatoulaye, 42 ans et mère
de trois enfants. Après la mort de son mari, elle avait rejoint la maison de ses
parents à la Médina où, avec l‟accord de ses voisines, elle avait créé une
tontine regroupant 23 femmes. Les contributions de 1000 F CFA devaient se
faire tous les 10 jours chez elle.
La tontine avait fonctionné ainsi pendant près d‟un an. Au courant
du second cycle, Ramatouleye trouve un mari aux Parcelles Assainies un
quartier situé à près d‟une vingtaine de kilomètres de chez elle. Elle confie à
l‟une de ses amies la tontine. Alors les femmes qui avaient déjà reçu la
levée, commencent à s‟absenter et au bout d‟un mois les levées
n‟atteignaient même plus la moitié de ce qu‟elles auraient dû être. Les
femmes qui n‟avaient pas encore eu l‟occasion de disposer de la levée
arrêtent de contribuer en exigeant que leurs contributions antérieures leur
soient remboursées. Alertée, Ramatouleye accepte, en tant que responsable,
de rembourser les perdants tout en espérant convaincre les défaillantes de lui
remettre son argent. Ramatouleye affirme n‟avoir pas pu obtenir les
paiements des défaillantes qui fuient le quartier dès qu‟elles savent qu‟elle
est chez ses parents. Malgré l‟existence d‟un fond de caisse dans la tontine
de Ramatoulaye, il était impossible de faire face à une telle vague de
défaillance. Cependant dans la majorité des cas le fond de caisse constitue un
instrument financier efficace pour assurer la continuité des tontines en proie
à une ou deux défaillances.
A la fin du cycle tontinier, le fond de caisse est soit redistribué à
parts égales entre les différents participants, soit utilisé pour organiser une
petite fête pour raffermir les liens établis entre eux par le détour de la
tontine. Dans ce dernier cas, on procède à un jumelage des participants qui
marque le début de relations d‟échange fondées sur l‟obligation entre les
différentes jumelles ou ndeydikke75 en wolof. Cette pratique du ndeydikke
peut être également interprétée comme une stratégie de la part des
participants d‟asseoir un climat de confiance mutuelle pour favoriser la
continuité de la tontine. En effet, à la fin de chaque cycle réussi, les mêmes
participants se retrouvent pour recommencer un nouveau cycle à la fin
duquel d‟autres jumelles et d‟autres obligations vont naître participant au
renforcement des relations de confiance à l‟intérieur du groupe.

75
Le phénomène du Ndeydikke est emprunter aux relations de réciprocité
accompagnant la célébration des mariages chez les wolof. Dans les tontines, le ndèye
dikke veut tout simplement dire la jumelle. Le jumelage entre les participantes d‟une
même tontine après la fin du cycle est très fréquent dans les quartiers de Dakar. Dans
certaines tontines de Pikine Médina Gounasse, Il nous a été rapporté qu‟au cours de
la cérémonie de jumelage les participantes portent tous des habits identiques. Dans
ces cas la tontine devient un véritable groupe de référence à l‟image de la famille ou
de l‟ethnie.

154
Les tontines simples avec fond de caisse sont une spécificité propre
aux tontines de quartiers dakarois. A Thilogne, les tontines simples ne
disposent pas de fonds de caisse. Il existe cependant des amendes liées à
l‟absence ou au retard des participantes le jour des réunions. Cet argent est
partagé à la fin du cycle entre les différents membres. Il n‟y a pas donc
l‟organisation d‟une cérémonie de jumelage marquant la fin du cycle. Peut
être parce que chaque rencontre périodique est en elle-même déjà une fête.
La femme qui doit recevoir la levée organise toujours une petite fête à
l‟honneur de ses hôtes venus la trouver chez elle. Dans certains cas, l‟argent
qu‟elle reçoit sous forme de levée est en deçà des dépenses qu‟elle effectue
pour l‟organisation de la réunion. Elle doit donner à boire (boissons fraîches
et thé vert) et à manger (arachide grillée, thiakri, gâteaux, etc.). Il y a
d‟ailleurs une sorte de concurrence entre les membres pour organiser la
rencontre la plus réussie. Dans ce genre de tontine, les aspects sociaux sont
dominants par rapport aux aspects financiers (Michel Dromain, 1990)76.
Chez les émigrés sénégalais à Paris, il n‟existe pas aussi de fond de
caisse à proprement parler. Mais il y a presque toujours parallèlement à la
tontine une caisse de solidarité. Cette caisse est alimentée par des cotisations
régulières, en moyenne 50 FF par femmes, et a pour objectif principal
d‟aider les membres qui font face à des difficultés. Ici, il ne faut pas entendre
le mot difficulté uniquement dans le sens d‟adversité ou de sinistre.
L‟organisation d‟une cérémonie familiale ou aller en vacances au Sénégal du
fait que ça nécessite des dépenses très importantes est perçue comme étant
une difficulté. A chacune de ces occasions les membres reçoivent une aide
financière de 1500 FF en moyenne pour les mariages et de 3000 FF pour le
retour au Sénégal77.
L‟absence de fond de caisse en prévision des éventuelles
défaillances dans les tontines parisiennes s‟accompagne également de
l‟absence de cérémonie spéciale ou ndeydikke marquant la fin du cycle
tontinier. Cependant comme dans le cas des tontines simples thilognoises,
les participantes aux tontines parisiennes font de chaque tour une grande
fête. Dans le cas des tontines qui regroupent des participantes qui ont eu
l‟occasion de se connaître avant de venir en France parce qu‟elles viennent
du même village ou de villages environnants, la femme qui doit recevoir la
levée est tenue de préparer un repas et un dîner pour ses hôtes. Dans ce genre
de tontines, les participantes n‟habitent pas forcément dans une même ville.
La plupart d‟ailleurs font des centaines de kilomètres pour se rendre chez la
bénéficiaire de la levée. Par contre dans les tontines où les membres se sont

76
Dromain, M., (1990), “L‟épargne ignorée e négligée : les résultats d‟une enquête
sur les tontines au Sénégal”, in Lelart M. (ed.), La Tontine, AUPELF-UREF, John
Libey Eurotext, Paris, 356p.
77
Cf. Rapport Final sur “Epargne des Migrants et Outils Financiers Adaptés, 1998.

155
connus en France, elles regroupent très souvent des femmes d‟une même
ethnie habitant dans la même ville. Les rencontres dans ce genre de tontines
n‟occasionnent pas de grandes dépenses et se font d‟ailleurs dans un lieu fixe
généralement chez la responsable de la tontine.
Dans tous les cas, les rôles que remplissent les fonds de caisses et les
cérémonies de fin de cycle tontinier en termes de renforcement de la
familiarité et de la confiance mutuelle entre participantes dans les tontines
simples de quartier à Dakar sont absents dans les autres lieux de recherche.
Cela s‟explique certainement par le fait que les tontines dakaroises se
caractérisent, d‟une manière générale, par l‟intégration de participantes
issues d‟ethnies, de langues et de cultures différentes contrairement aux
tontines thilognoises et parisiennes qui renferment des femmes appartenant à
une même ethnie, caste ou catégorie sociale, comme nous l‟avons indiqué
dans les chapitres précédents. En effet, si dans certains cas les tontines
parisiennes présentent une certaine diversité de participation, l'écrasante
majorité des tontines suit les contours ethniques. De ce fait, il semble normal
que les participantes des tontines dakaroises développent des initiatives
allant dans le sens de renforcer la familiarité et la confiance mutuelle pour
rendre plus durable la coopération entre des acteurs aux appartenances
socioculturelles diverses à l‟intérieur des arrangements financiers populaires.
La prévention se manifeste également dans le recrutement des
participants. Ne devient pas membre d‟une tontine qui veut. Dans les
grandes villes comme Dakar et Paris, le recrutement des participants tient
compte d‟un certain nombre de critères tels que la régularité du revenu ou la
stabilité de l‟habitat du candidat à la participation. Dans les quartiers de
Dakar, on refuse catégoriquement d‟intégrer les locataires du fait qu‟ils
peuvent déménager d‟un jour à un autre et partir avec l‟argent de la tontine.
A Paris, les femmes qui participent dans les tontines doivent avoir
nécessairement l‟engagement de leur mari, détenteur de revenu, à verser en
cas de problème la somme due à la tontine. A Thilogne, par contre, la
proximité spatiale et surtout sociale (castes ou catégories sociales) et la
faiblesse des contributions rendent plus facile le recrutement des participants
dans les tontines en ce sens précis que la fuite s‟avère improbable voire
impossible.
Dans la même logique, le recrutement dans les tontines de marché et
des lieux de travail est moins problématique dans la mesure où la disposition
d‟une boutique avec un stock suffisant de marchandises ou d‟un salaire
régulier semblent constituer une garantie suffisante pour faire confiance à la
capacité financière du candidat à la participation à respecter ses
engagements. Au cas contraire, la saisie des marchandises ou la rétention sur
le salaire à la source sont des mesures effectives de dissuasion.
La prévention dans les tontines avec organisateur se présente
différemment de celle décrite en haut. Dans ces dernières, il n‟existe pas de

156
fond de caisse. L‟organisateur de la tontine est le seul à faire face aux
situations de défaillance. En contre partie de ses responsabilités, il a le
privilège de déterminer seul l‟ordre dans lequel les levées seront distribuées.
En plus, il reçoit et dès fois exige des participants le versement d‟une
commission financière qui, à y voir de près, joue le même rôle que le fond de
caisse des tontines simples (F. J. A. Bouman, 1994)78. En effet, en cas de
défaillance (dans ces deux formes décrites plus haut), l‟organisateur de la
tontine tire les contributions manquantes des commissions financières qu‟il
reçoit des participants avant d‟exercer une pression sur le défaillant pour le
forcer à rembourser ses dettes envers la tontine. En cas de non défaillance,
les commissions financières constituent la rémunération du travail accompli
par l‟organisateur pour le bon fonctionnement de la tontine.
Dans les deux types de tontines, il est possible de repérer différentes
stratégies dont l‟objectif essentiel est d‟éviter les situations de défaillance.
Elles se fondent d‟une part sur le soupçon de la non crédibilité de certains
membres qui ont une morale douteuse et d‟autre part sur la bonne réputation
d‟autres participants qui ont un profil moral parfait. Elles consistent
essentiellement à favoriser la deuxième catégorie de participants par rapport
à la première dans la détermination de l‟ordre des levées. On peut noter deux
stratégies dominantes: le truquage des tirages au sort dans les tontines
simples et la distribution des levées en fonction de l‟ordre décroissant du
degré de confiance envers les différents participants dans les tontines avec
organisateur.

Le truquage des tirages au sort

La manière dont nous avons décrit les tontines simples un peu plus
haut concerne évidemment la grande majorité d‟entre elles près des 2/3.
Cependant, il existe des tontines simples où les relations de confiance entre
participants sont problématiques. C‟est dans ce genre de tontine que l‟on
constate le déploiement de la part des participants les plus influents, qui sont
très souvent les responsables moraux du fait qu‟ils ont été les initiateurs de la
tontine, de stratégies multiples tendant à sécuriser le bon fonctionnement de
celle-ci par la prévention des situations de défaillance. Dans 54 sur 152
tontines simples ayant fait l‟objet d‟enquête, soit 35,52 %, les tirages au sort,
destinés à déterminer l‟ordre dans lequel les levées doivent se faire, étaient
truqués soit pour favoriser un participant reconnu pour son honnêteté, soit

78
Bouman, F.J.A., (1994), “ROSCA and ASCRA: Beyond the Financial
Landscape ». In Financial Landscape Reconstructed”, Westview Press, 1994, pp.
375-394.

157
pour prévenir un participant soupçonné d‟être malhonnête de bénéficier de la
levée dans les premières positions.
Mère Mbaye, 47 ans, est vendeuse de céréale et de condiments au
marché de Tilène et est responsable d‟une tontine simple à la Médina. Elle
est lébou79 et se plaît à souligner qu‟elle est parmi les véritables autochtones
du quartier, c‟est-à-dire que ses parents, comme elle, sont nés et ont grandi
dans le quartier. Elle vit avec son mari et ses six enfants dont deux filles et
quatre garçons. A cela il faut ajouter la mère de son mari et ses deux neveux.
Le mari, ses deux garçons et ses neveux pratiquent la pêche artisanale et
passent l‟essentiel de leur temps à la mer alors de que mère Mbaye et sa fille
cadette vont au marché à quelques pas de chez eux tous les jours. La plupart
de ses voisines de quartier comme de marché l‟appelle à juste titre mère-
natt80 ou responsable de la tontine. Elle explique en quoi consiste sa stratégie
pour éviter les défaillances:

« Dans notre tontine, la distribution de la levée se fait par tirage au sort. Mais si nous
avons peur que certaines participantes vont défaillir après avoir bénéficié de la
levée, nous ne mettons pas leurs noms dans l‟urne où on doit tirer le nom du
bénéficiaire ».

Le truquage du tirage au sort est d‟autant plus facile à faire que


l‟écrasante majorité des participants dans ces tontines simples ne savent, ni
lire, ni écrire. Ils ne peuvent pas ainsi savoir si oui ou non leurs noms sont
effectivement dans l‟urne. Si les responsables veulent favoriser un membre
pour qu‟il obtienne la levée, ils remplissent son nom sur tous les bouts de
papier contenus dans l‟urne rendant la probabilité pour lui d‟obtenir la levée
égale à 1. Il n‟y a aucun système de vérification des opérations de tirage.
Mieux, les victimes des truquages disent avoir une entière confiance à
l‟honnêteté des responsables qui les pratiquent. Ainsi, dans les tontines
simples, on peut constater une configuration paradoxale des relations de
confiance en ce sens précis que pour éviter les abus de confiance, les
responsables abusent de la confiance des participants considérés comme de
potentiels défaillants.

79
Les lébou constituent un sous groupe parmi les wolofs qui correspondent au
groupe ethnique le plus important du point de vue du nombre au Sénégal. On
considère que les lébou sont les seuls autochtones à Dakar. Ils habitent dans des
villages comme Ouakam, Yoff, Thiaroye, Soubedioune qui ont fini par être engloutis
par l‟agglomération dakaroise
80
Natt est le nom wolof donné à la tontine. On utilise également les mots sani
diamra pour les tontines en nature et mbotaye pour celles articulées aux cérémonies
familiales. Dans les autres groupes ethniques on utilise souvent les expressions
wolofs. Les haalpulaar parlent cependant de piye pour nommer les tontines.

158
Cette attitude des responsables de la tontine envers ceux qui sont
soupçonnés d‟être des défaillants en puissance amène à poser la question de
savoir si un abus de confiance est légitime quand il s‟agit d‟en prévenir un
autre. Dans la logique des responsables des tontines simples, tout ce qui va
dans le sens de mettre la tontine à l‟abri des défaillances éventuelles, même
s‟il s‟agit d‟un abus de confiance, est légitime. Ils ne se sentent nullement
coupables en abusant la confiance de ceux en qui ils n‟ont pas une grande
confiance. Au contraire, ils pensent que ceux qui se sont forgé une mauvaise
réputation ne méritent pas que l‟on soit honnête envers eux. Mère Mbaye
justifie la légitimité cette pratique de truquage en ces termes:

« Qu'est-ce que vous voulez? Que l‟on remette les premières levées à des personnes
en qui personne dans la tontine ne fait confiance! Ah non! Nous les avons acceptées
dans la tontine en espérant qu‟elles vont changer. Pour autant, nous ne prendrons
aucun risque, elles seront inéluctablement les dernières dans l‟ordre des levées.
Nous faisons le tirage honnêtement pour ceux qui méritent le respect et la confiance
de tous. Mais pour les autres, c‟est déjà un effort de les accepter dans la tontine,
nous ne sommes pas dupes. Par ces temps difficiles qui courent, il n‟est pas tolérable
que quelqu‟un prenne l‟argent de la tontine et refuse de repayer ».

Ces pratiques de truquage des tirages pour la détermination de


l‟ordre des levées sont propres aux tontines simples dakaroises à l‟exception
de celles des lieux de travail qui disposent de procédures plus ou moins
formelles pour la détermination de l‟ordre des levées. Dans les tontines
simples des lieux de travail, les risques de défaillance sont très faibles du fait
que les contributions sont réglées par des ordres de virement bancaires et
sont donc coupées à la source. Le tirage est fait dans toutes les tontines des
lieux de travail avant même le commencement des contributions et il est
intégral, c‟est-à-dire que chaque participant sait dès le départ son
emplacement dans l‟ordre des levées.
Les truquages des tirages au sort n'ont pas été rencontrés à Thilogne
ou chez les émigrés sénégalais. L‟explication que l‟on peut donner par
rapport à cette variation est qu‟à Thilogne les tontines simples regroupent
d‟une manière générale des femmes appartenant à la même caste ou
catégorie sociale et que chacune d‟entre elle essaye de son mieux de
préserver son honneur personnel qui est lié à celui de sa famille ou ndimaagu
en faisant preuve d‟honnêteté envers les autres. A Dakar, la diversité
ethnique combinée à l‟anonymat de la vie urbaine pousse les participantes
aux tontines à relativiser les valeurs d‟honneur et d‟honnêteté encore très
vivaces dans les villages. Pour compléter cette explication, il faut souligner
qu‟à Thilogne le montant des contributions est souvent très faible et par
conséquent ne fait pas l‟objet d‟une grande tentation. Il n‟est pas raisonnable
d‟engager son honneur pour une somme de 200 ou 600 F CFA. Le jeu n‟en
vaut pas la chandelle. Alors qu‟à Dakar, les levées peuvent atteindre

159
facilement 500.000 F CFA comme c‟est le cas des tontines de pèlerinage à la
Mecque. De tels montants peuvent faire tomber un participant dans la
tentation de recevoir la levée et de refuser à repayer aux autres participants.
A Paris cependant, on retrouve presque toutes les conditions
présentes dans le contexte dakarois mais les truquages des tirages au sort
pour déterminer l‟ordre des levées sont absents. La première raison
explicative est que la plupart des tontines ne regroupent que des participants
appartenant au même groupe ethnique haalpulaar, soninke ou wolof et
viennent directement pour l‟écrasante majorité des villages arrivant à Paris
avec les valeurs culturelles locales. Le sens de l‟honneur, ndimaagu ou ngor,
constitue pour les participantes aux tontines simples un pilier essentiel de la
confiance mutuelle. Chaque participante est presque persuadée que personne
ne risquera son honneur et sa réputation en refusant de rembourser à la
tontine après avoir disposé de la levée. Dans la grande majorité des tontines
simples chez les émigrés le tirage se fait d‟ailleurs intégralement dès le début
de la tontine en présence des différentes participantes, ce qui rend impossible
un quelconque truquage.
La conclusion à laquelle on peut aboutir par rapport à ces pratiques
de truquage des tirages au sort est qu‟elles révèlent qu‟un climat de soupçon
et de doute règne dans la plupart des tontines simples de quartier à Dakar lié
très certainement à la diversité des appartenances ethniques et culturelles et
l‟anonymat du cadre urbain. Mais elles constituent des stratégies dont
l‟objectif principal est de réduire de manière considérable les risques de
défaillance en privilégiant les individus qui sont supposés être les plus
méritants de la confiance du groupe ou de ses responsables. Dans cette
perspective, elles ne diffèrent pas des autres stratégies que l'on retrouve dans
les tontines avec organisateur.

La distribution des levées en fonction de l’ordre décroissant du degré de


confiance

Dans les tontines avec organisateur, l‟organisateur, qui a le privilège


de déterminer seul l‟ordre des levées, a la latitude de le faire en fonction de
ses propres critères de confiance envers les différents participants. Pour
éviter les défaillances dont il est le seul responsable, il remet les premières
levées, qui sont les plus risquées, aux participants en qui il a une entière
confiance tandis que les participants dont il doute de la moralité ou des
moyens seront classés comme de bons derniers. Dans 87 sur les 116 tontines
avec organisateur, soit 75 %, les organisateurs reconnaissent volontiers
distribuer les levées en fonction du degré de confiance qu‟ils ont envers les
différents participants.
Les organisateurs des tontines retiennent plusieurs critères pour
remettre les premières levées à certains participants plutôt qu‟à d‟autres. La

160
première et la plus importante est sans nul doute la capacité matérielle ou
financière du participant à honorer ses engagements. Au niveau des marchés
à Thilogne comme à Dakar le stock de marchandises dont dispose un
participant est un bon indicateur de la crédibilité de son engagement à
contribuer le montant requis durant la totalité du cycle. Mais si le participant
a effectivement les moyens d‟honorer ses engagements envers la tontine, il
reste cependant à savoir s‟il en a la volonté. Le deuxième critère qui renvoie
à la réputation du participant, c‟est-à-dire à sa moralité, a pour objectif
d‟écarter des premières positions les participants qui ont certes les moyens
mais ont également une mauvaise volonté. Ici, la réputation est fondée sur un
ensemble d‟information sur les comportements passés et présents de
l‟individu par rapport à son entourage (C. Mayoukou, 1996)81. Ces
comportements jugés honnêtes ou malhonnête, justes ou injustes, loyaux ou
déloyaux et déterminent la perception que le groupe a de l‟individu. C‟est la
combinaison de ces deux critères qui permet à l‟organisateur d‟arrêter
l‟ordre dans lequel les levées vont se faire tout au long du cycle tontinier. On
arrive à une configuration telle que représentée dans le schéma suivant:

81
Mayoukou, C., (1996), “La réputation, un mécanisme incitatif dans la fonction
d‟intermédiation des tontiniers en Afrique Subsaharienne”. Réseaux de Recherche
sur l‟Entrepreneuriat, AUPELF-UREF, Note de recherche nº96-57, 19p.

161
Schéma nº1: ordre décroissant de confiance en fonction de la réputation et
des moyens82.

Moyens suffisants Moyens faibles

Première Position Deuxième Position


Bonne
Réputation * Bonne réputation * Bonne réputation

* Moyens suffisants * Moyens faibles

Troisième Position Dernière Position


Mauvaise
Réputation * Mauvaise réputation *Mauvaise réputation
* Moyens suffisants * Moyens faibles

Comme il apparaît dans le schéma, les participants avec


suffisamment de moyens et une bonne réputation vont occuper les premières
places dans l‟ordre de distribution des levées. Ainsi mère Mbaye,
organisatrice de tontine au marché de Tilène dit remettre les premières
levées aux participants qui disposent de cantines par rapport à ceux qui ont
des étales par terre. En effet, la disposition d‟une cantine est un signe pour
elle de richesse et donc de capacité financière à honorer les engagements
envers la tontine. A Thilogne Cheikh privilégie dans la distribution des
premières levées les boutiquiers et les fonctionnaires par rapport aux
marchandes de légumes et de condiments ou encore les vendeuses de
poissons. Un regard même furtif sur le stock et la nature des marchandises
suffit, d‟après Cheikh, pour se faire une idée des dispositions financières des
uns et des autres. A Paris, les organisatrices de tontines comme Kadia
mettent l‟accent sur les sources de revenus du ménage telles que le salaire et
les allocations familiales et le standing de vie qui renvoie au confort du
ménage: voiture, salon, téléviseur, magnétoscope, habillements et parures,
etc.

82
Le schéma rend compte des préférences de la majorité des organisateurs de
tontines surtout au niveau des marchés de Thilogne et de Dakar.

162
Par contre ceux qui ne disposent pas de suffisamment de moyens et
sont d‟une mauvaise réputation correspondent aux potentiels défaillants et
occupent par conséquent les dernières positions. En effet, si en plus de la
précarité de la situation économique et financière de l‟individu (vendeur à la
sauvette par exemple), ce dernier est réputé pour ses comportements
malhonnêtes envers sa clientèle ou les autres occupants du marché, il se
retrouve comme l‟explique mère Mbaye à la queue dans l‟ordre de
distribution des levées. Elle ajoute: rien n’échappe à personne dans ce
marché, c’est à chacun de veiller pour ne pas ternir son image”. Mais les
positions intermédiaires montrent une préférence pour la bonne réputation
par rapport aux moyens dont disposent les participants dans la détermination
de l‟ordre des levées. Ce qui veut dire que les participants qui disposent de
peu de moyens et qui ont une bonne moralité seront privilégiés par rapport à
ceux qui ont beaucoup de moyens et peu de moral. Aïssata, une organisatrice
de tontine de marché aux parcelles assainies affirme remettre les premières
levées aux participants qui ont de faibles moyens financiers et qui sont
cependant intègres et pleins de volonté. La seule précaution qu‟elle prend est
qu‟elle ne leur remet que la moitié de la levée. L‟autre moitié leur sera
remise au milieu ou à la fin du cycle tontinier. Selon elle, cette catégorie de
participants crée moins de problèmes, en termes de ponctualité par exemple,
comparée à certains participants qui ont une assise financière solide.
Donc, cette stratégie de distribuer les levées en fonction de l‟ordre
décroissant de confiance qu‟on a envers les participants est présente dans la
quasi totalité des tontines ayant à leur tête un organisateur dans les différents
lieux de recherche. Elle est fondée sur une proximité géographique et
professionnelle qui permet aux organisateurs de tontines de disposer
d‟informations complètes sur la moralité, les activités, les problèmes
financiers des participants. C‟est cette transparence qu‟affirme Cheikh quand
il dit:

« Je suis dans ce marché pendant plus de 20 ans et j‟organise des tontines depuis
1982. Je suis bien placé pour connaître les personnes honnêtes et celles qui ne le
sont pas ou le sont moins que d‟autres. Tu peux faire le tour du marché, il n‟y a pas
un seul vendeur ou commerçant avec lequel je n'ai pas traité. C‟est dire que je
connais très bien les personnes qui participent à mes tontines. J‟ai très clairement
défini les conditions de participation dans mes tontines. Il n‟y a pas de tirage, c‟est
moi qui décide seul à qui je dois remettre la levée après avoir recueilli les
contributions de tous. Je donne les premières levées à des gens en qui j‟ai une
entière confiance, les autres doivent vraiment attendre la fin du cycle. Je ne vais pas
prendre de risques. J‟ai déjà eu une expérience amère dont je ne suis pas prêt à
oublier. Quelque fois tu as pitié des gens, tu leur remets l‟argent pour qu‟ils puissent
travailler avec et ils te créent tous les problèmes du monde ».

163
Il nous a raconté qu‟au début il avait tendance à remettre les
premières levées aux participants qui n‟avaient pas beaucoup de moyens
financiers en espérant ainsi qu‟ils pourront profiter de l‟argent pour
développer leurs activités. Mais en 1987, un participant de cette catégorie, à
qui il avait remis la première levée, est parti avec 190.000 F CFA de la
tontine. Il a été obligé de payer à sa place en tant qu‟organisateur pour
préserver sa bonne réputation. Depuis cet incident, il a redoublé de vigilance
dans l‟établissement de l‟ordre dans lequel il distribue les levées.
Les propos de Cheikh sont sans ambiguïté sur la détermination de
l‟ordre des levées en fonction de l‟ordre décroissant de confiance envers les
différents participants dans ses tontines. Les autres tontines de marché à
Thilogne obéissent aux mêmes principes pour prévenir les défaillances
éventuelles. La même stratégie se retrouve dans la plupart des tontines de
marché où l‟organisateur a le dernier mot sur l‟établissement de l‟ordre dans
lequel les levées doivent se faire. Dans les 62 sur les 96 tontines de marché
ayant fait l‟objet d‟enquête à Dakar soit 64,5 %, les organisateurs
reconnaissent tenir compte du degré de confiance qu‟ils ont envers les
différents participants dans la détermination de l‟ordre des levées. Les
organisatrices des rares tontines à dominante financière dans les quartiers de
Dakar font recours à la même stratégie pour distribuer les premières levées.
A Paris, les organisatrices des tontines distribuent les levées en fonction des
liens de familiarité qu‟elles entretiennent avec les différentes participantes. Il
arrive très souvent que de nouvelles participantes soient acceptées par
l‟organisatrice sous la présentation d‟une participante régulière envers
laquelle elle a une très grande confiance. Dans ce cas, ces dernières
recevront les levées en fin du cycle tontinier. Les organisatrices des tontines
chez les émigrés sénégalais à Paris privilégient dans la distribution des
levées les participantes qui se sont distinguées par leur régularité de
participation qui est considérée comme un indicateur de fidélité et de
confiance.
Cependant, il peut arriver que des participants considérés par
l‟organisateur comme faisant partie de la première catégorie préfèrent
recevoir en dernière position la levée. En effet, contrairement à la logique
financière qui veut que les premières levées soient plus profitables et donc
plus attrayantes du fait qu‟elles soient des crédits gratuits, certains
participants ont la préférence pour les dernières levées. Leur but est
essentiellement “d‟optimiser leurs disponibilités financières à un moment
donné en fonction d‟opportunités extérieures à la tontine” (T. Pairault, 1990,
p: 103)83. La prévision d‟une dépense dans un futur proche comme

83
Pairault, T., (1990), “Sociétés de tontines et banques des petites et moyennes
entreprises à Taiwan. In La Tontine, M. Lelart. Ed. AUPELF-UREF. John Libbey
Eurotext. Paris, 1990, pp. 281-308.

164
l‟organisation d‟un mariage par exemple, peut justifier une telle attitude.
Dans cette perspective, la constitution d‟une épargne importante et sa
sécurisation correspondent aux deux objectifs majeurs que ce genre de
participants vise à travers la participation aux tontines. Dans ce cas,
l‟organisateur réaménage l‟ordre de distribution des levées en privilégiant les
membres qui présentent moins de risques en fonction de son jugement. Dans
des cas extrêmes où il ne trouve pas de preneurs des premières levées parmi
la catégorie des hommes ou femmes de confiance, il peut décider
d‟accumuler les premières contributions à son propre compte au lieu de les
remettre à des participants d‟une morale douteuse. Dans ce cas, il remet à la
fin du cycle plusieurs levées en même temps aux différents participants à
l‟insu de ces derniers. Il peut ainsi disposer d‟importantes liquidités qu‟il
peut placer ou investir dans ses propres activités en attendant la fin du cycle.
Il peut également arriver que dans certains cas, les participants ayant
des moyens faibles et une bonne réputation soient mis dans les premières
positions pour leur permettre avec le crédit gratuit qui leur ait alloué
d‟accroître leurs revenus. Cette pratique est assez fréquente dans les tontines
de marché dans lesquelles l‟organisateur entretient des relations d‟affinité
avec certains participants. Dans ce cas, pour pallier toute éventualité, il ne
leur remet que la moitié de la levée. Ils recevront l‟autre moitié soit au
milieu, soit à la fin du cycle tontinier.
Jusque-là, nous avons analysé les relations de confiance du seul
point de vue de l‟organisateur envers les participants. Qu‟en est-il de
l‟inverse? Pourquoi les participants ont-ils ou non de bonnes raisons de faire
confiance à l‟organisateur de la tontine? Ces questions sont d‟autant
cruciales que la défaillance de l‟organisateur lui-même a des conséquences
en termes de pertes financières plus graves que celle d‟un simple participant
comme nous le montre le cas suivant:
Ami Mboup, 44 ans, vendeuse de légumes au marché de Thiaroye
est organisatrice d‟une tontine de 26 participants dont 4 hommes et 22
femmes. Les contributions sont de 1000 F CFA par jour et les levées se font
tous les 5 jours. L‟organisatrice fait chaque jour le tour du marché pour
récupérer les contributions des participants qu‟elle doit en principe cumuler
pendant 5 jours pour remettre le montant total de 130.000 F CFA à un des
participants dont elle est la seule à connaître. Après trois levées
effectivement remises à des participants, l‟organisatrice commence à
accumuler sans redistribuer à l‟insu, bien entendu, des participants qui se
considèrent chacun en ce qui le concerne comme étant parmi les derniers à
recevoir la levée. Après avoir accumulé 21 levées, soit au total 2.730.000 F
CFA, l‟organisatrice vient auprès des participants pour les entretenir de ses
problèmes financiers et de son incapacité à leur remettre leur argent. Les
participants procèdent à la saisie de ses marchandises dont la valeur

165
n‟excédait même pas le montant de trois levées avant de se plaindre auprès
de la gendarmerie.
Du fait qu‟ils plaçaient beaucoup de confiance à Ami, certains
membres de la tontine comme Safi disent ne pas croire à ce qui est arrivé. Ils
ont participé dans la tontine d‟Ami pendant six ans sans qu‟il n‟y ait eu
aucun problème. Dans les discussions du marché, dès qu‟on aborde les
tontines, le cas d‟Ami revenait comme pour souligner la difficulté de faire
confiance même à ses voisins et amis les plus proches. Safi affirme:

« Par ses temps qui courent, il est difficile de faire confiance à quelqu‟un. Je n‟avais
jamais imaginé qu‟Ami viendrait un jour pour me dire qu‟elle n‟est pas à mesure de
payer l‟argent de la tontine. De toute façon, c‟est une bonne leçon pour moi, la
prochaine fois je réfléchirais beaucoup avant de participer à une tontine ».

La défaillance de l‟organisateur se solde toujours pour les


participants par des pertes énormes comme le confirme l‟exemple ci-dessus.
Elle est d‟autant plus aisée que ce dernier est le seul à décider discrètement
de la détermination de l‟ordre des levées et que les participants ne se
connaissent pas mutuellement pour échanger des informations sur le
déroulement de ces dernières. Chacun peut croire qu‟il est le bon dernier
sans savoir que les fonds sont accumulés par l‟organisateur au lieu d‟être
redistribués à tour de rôle parmi les participants. C‟est seulement à la fin du
cycle que tous se présentent devant l‟organisateur pour exiger leur levée
pourvu que ce dernier soit encore là. Le quotidien Le soleil a reporté le
jugement devant le tribunal régional de Dakar d‟un cas de défaillance
similaire. Fatou Samb gérante d‟une tontine au Marché HLM a détourné
1.692.500 F CFA du fait qu‟elle accumulait sans redistribuer l‟argent qu‟elle
recevait de la part d‟une cinquantaine de participants. Elle s‟est présentée le
jour de l‟audience avec un montant de 1.040.500 F CFA, ce qui lui a valu la
clémence du tribunal qui ne l‟a condamné qu‟à 6 mois de prison avec sursis.
Mais elle a été sommée de rembourser dans les meilleurs délais le reliquat de
625.000 F CFA (Le Soleil du 25 janvier 1998). Interroger sur les motifs,
Fatou Samb déclare qu‟elle avait l‟intention d‟envoyer son fils en Italie. Elle
espérait qu‟une fois là-bas ce dernier trouverait facilement du travail et lui
enverrait l‟argent de la tontine avant la fin du cycle tontinier. C‟est alors
qu‟elle a versé près de 500.000 F CFA à un intermédiaire chargé de trouver
un visa d‟Italie pour son fils. L‟intermédiaire est disparu avec l‟argent, son
fils ne pouvait pas aller en Italie et elle n‟avait pas suffisamment d‟argent
pour combler le trou financier de la tontine. Ce qui l‟a conduit à avouer aux
participants de la tontine ses déboires financiers. Ces derniers portent plainte
et emmènent l‟affaire devant la justice.
Si de tels cas sont très rares, le fait de prolonger le cycle d‟une
périodicité à l‟insu des participants pour bénéficier d‟une levée
supplémentaire est monnaie courante chez les organisateurs de tontines. Cela

166
ne veut pas dire que les participants ont des problèmes pour savoir
exactement le nombre de fois qu‟ils doivent cotiser tout au long d‟un cycle,
c‟est plutôt la confiance qu‟ils ont envers les organisateurs qui ne les fait pas
douter de la bonne foi de ces derniers. Les participants vigilants ne tombent
pas évidemment dans ce piège et c‟est par leur détour que les informations
relatives à ces pratiques peuvent être obtenues.
Pour revenir aux questions que nous avons posées un peu plus haut,
il faut souligner que l‟organisateur fait toujours partie de la catégorie des
participants disposant de suffisamment de moyens et ayant une bonne
réputation. De ce fait, il inspire confiance et les personnes qui l'entourent
acceptent d‟intégrer sa tontine. Le fait que l‟organisateur de la tontine ait pu
convaincre les participants à adhérer est un indicateur suffisant de sa
crédibilité à leurs yeux. Un individu ayant une mauvaise réputation dans son
entourage, pour une raison quelconque, aura du mal à arriver à mobiliser des
personnes dans une tontine dont il a pris l‟initiative de créer et de diriger.

Les bonnes raisons de faire confiance selon les participants

D‟une manière générale les participants et les responsables ou


organisateurs de tontines retiennent quatre critères pour faire confiance les
uns aux autres: les moyens dont dispose l‟individu qui renseigne sur sa
capacité à respecter ses engagements envers la tontine, sa moralité qui
dépend de sa réputation attestée par l‟expérience, sa régularité de
participation dans une tontine dans laquelle il n‟a jamais défailli et enfin les
relations d‟affinité ou de familiarité qu'il entretient avec les autres
participants, les responsables ou les organisateurs. Le tableau suivant donne
l‟importance accordée à chaque critère par les participants des tontines dans
les différents lieux de recherche.

167
Tableau n nº17: Critères important selon les participants pour faire confiance

Lieux Capacité Honnêteté Régularité Affinité


financière De participation
Thilogne 6 13 10 2
Marché 2 6 7 1
Quartiers 4 7 3 1
Dakar 77 146 160 47
Quartiers 36 72 84 22
Marchés 37 65 65 25
Travail 4 9 11 0
Paris 7 10 9 1
Total 90 169 179 50
A. Kane : enquêtes de terrain

Les données recueillies sur le terrain montrent que la réputation dans


l‟environnement social immédiat joue un rôle fondamental dans le
recrutement des membres dans une tontine. En effet, 35% des répondants
considèrent que l‟honnêteté attestée par l‟expérience constitue un critère
essentiel pour faire confiance à un participant à une tontine. Ce qui veut dire
que toutes les personnes à la morale douteuses auront du mal à être acceptées
comme membres d‟une tontine. Chaque individu se forge une certaine
réputation bonne ou mauvaise en fonction des relations antécédentes avec
son environnement social qui détermine en dernière analyse le degré de
confiance qu‟on lui accorde dans la tontine. C‟est dans cette perspective que
la proximité constitue un élément essentiel dans la construction des relations
de confiance dans les tontines (Eveline Baumann, 1996)84. C‟est elle qui
permet la maîtrise presque parfaite de l‟information sur les participants
potentiels (Jean-Michel Servet, 1990)85.
Pour Jean-Michel Servet et Eveline Baumann, la combinaison de la
proximité physique ou géographique avec celle qu‟ils appellent
psychologique et sociale crée des conditions idéales pour la maîtrise de
l‟information et par conséquent de la consolidation des relations de

84
Baumann, E., (1996): “ Les banquiers de quartier au Sénégal”. Afrique
Contemporaine, nº177, 1er trimestre, pp.54-63.
85
Servet, J-M., (1990), “Risque, incertitude et financement de proximité en Afrique.
Une approche socio-économique”. Tiers Monde, nº145, janvier - mars, pp.41-57.

168
confiance dans les tontines (J-M. Servet et E. Baumann, 1996)86. Cette
combinaison se réalise parfaitement dans le cas des tontines thilognoises où
la cohabitation au sein d‟une même unité de voisinage se double de
l‟appartenance à une même caste ou catégorie sociale. C‟est la raison pour
laquelle la réputation découlant des relations antérieures avec
l‟environnement social est considérée par 42% des répondants à Thilogne
comme le critère le plus important pour faire confiance à un participant. Ce
même critère est également important au sein des tontines parisiennes où il
gagne l‟adhésion de 37% des répondants. Dans le cas des tontines
parisiennes, il faut souligner que d‟une manière générale elles sont fondées
plus souvent sur une proximité sociale que spatiale. Au même moment, seuls
34% des répondants dans les tontines dakaroises pensent que l‟honnêteté
attestée par l‟expérience constitue un critère discriminant pour faire
confiance à un participant. Cela est peut-être dû au fait qu‟à Dakar la
proximité au sein des unités de voisinage dans les quartiers ou les marchés
s‟accompagne d‟une diversité ethnique, linguistique et religieuse.
Dans les tontines qui existent pendant des années, c‟est plutôt la
régularité dans la participation qui est le critère retenu pour faire confiance à
un participant. En effet, 37% des répondants déclarent avoir confiance aux
personnes qui ont participé plus d‟une fois dans leur tontine sans défaillir.
Dès lors une participation régulière sans défaillance de la part d‟un individu
dans une tontine est considérée comme un signe d‟honnêteté. Mais ce critère
de confiance ne peut être retenu que pour les tontines qui ont une existence
plus ou moins longue. Pour ce deuxième critère, il existe également des
variations intéressantes qui prennent le contre-pied des variations du critère
précédent en fonction des terrains de recherche. C‟est à Dakar que l‟on
enregistre le pourcentage le plus élevé de répondants, 37%, qui retiennent la
régularité de participation dans les tontines comme le critère le plus
important pour faire confiance. Dans ce cas, la confiance ne s‟installe dans le
groupe qu‟après la réussite des premiers cycles où l‟absence de défaillance
tend à prouver la bonne foi des uns et des autres. Au même moment les
pourcentages des répondants qui déclarent faire confiance aux individus qui
se sont illustrés par leur participation régulière et sans défaillance dans la
tontine sont respectivement de 32% à Thilogne et 33% à Paris.
En réalité, les deux premiers critères sont très liés dans la mesure où
ils font tous référence à la moralité des participants aux tontines en la reliant
à la réputation que se sont forgés les uns et les autres dans leur entourage
social. Ce qui permet de clarifier la crédibilité des engagements des
participants, c‟est à la fois la proximité et l‟expérience vécue aussi bien au

86
Servet, J-M. et Baumann, E., (1996): “Proximité et risque financier en Afrique.
Expériences sénégalaises”. In Entreprises et Dynamique de Croissance, De Bernard
Haudeville et Michel Lelart (eds), Aupelf-Uref, SERVICED, pp. 213-25.

169
sein de la tontine qu‟en dehors d‟elle. En effet, plus les participants sont
proches les uns des autres du point de vue à la fois spatial et social plus on
dispose d‟informations fiables les uns sur les autres permettant de juger de la
crédibilité de leurs engagements respectifs et moins les relations de
confiance sont problématiques. De même, plus les tontines durent, c‟est-à-
dire que les mêmes participants recommencent la tontine à la fin de chaque
cycle pendant des années, plus les relations entre les participants sont
transparentes, plus les membres du groupe se font confiance. Dans les focus
groupe de huit tontines de quartiers, de quatre tontines de marché et d‟une
tontine de lieux de travail, les participants s‟accordent pour dire qu‟après
trois cycles tontiniers sans défaillance, ils sont convaincus de l‟honnêteté des
uns et des autres. D‟ailleurs, d‟une manière générale, la tontine n‟est
renouvelée à la fin d‟un cycle que quand il n‟y a pas eu beaucoup de
défaillances.
Quant aux autres critères en l‟occurrence la capacité financière à
honorer ses engagements - ou encore les moyens dont dispose le participant -
et l‟affinité, ils constituent des critères d‟une moindre importance pour les
répondants. En effet, ils représentent respectivement 18% et 10% de
l‟ensemble des réponses. Il existe des variations intéressantes en fonction des
terrains de recherche. Les participants aux tontines parisiennes accordent
plus d‟importance à la capacité financière des individus à honorer leurs
engagements envers la tontine que les participants aux tontines dakaroises et
thilognoises. Le pourcentage est de 26% pour les tontines des émigrés
sénégalais à Paris tandis qu‟il est respectivement de 19% à Thilogne et 18%
à Dakar. Pour les participants qui font confiance aux autres participants par
affinité, ils sont plus importants à Dakar où ils représentent 11% des
répondants alors qu‟ils font seulement 6% à Thilogne et 4% chez les émigrés
à Paris.
Malgré l‟effort déployé par les participants et les organisateurs ou
responsables pour asseoir un climat de confiance dans les tontines, il existe
beaucoup de défaillances dans les tontines sénégalaises même si la plupart
des tontines parviennent tant bien que mal à les survivre et à continuer
d‟exister par la mise en place de sanctions sociales plus ou moins
opératoires.

Défaillances et sanctions

La spontanéité avec laquelle, les relations de confiance s‟établissent


entre les participants peut renforcer l‟illusion que celles-ci vont de soi. Le
discours des participants n‟est pas d‟un grand secours dans la mesure où ils
idéalisent les rapports sociaux en ne voyant que leurs côtés harmonieux et
ordonnés. Au niveau du discours, la confiance est difficilement saisissable
du fait qu‟il relève du non-dit. Eveline Baumann et François Leimdorfer ont

170
étudié la confiance du strict point de vue du discours en montrant la
complexité avec laquelle celui-ci est construit (E. Baumann et F. Leimdorfer,
1997). Ils écrivent:
Lorsque l‟on replace la « confiance » dans les relations discursives
effectives, il apparaît tout de suite qu‟elle est d'autant plus difficile à cerner
qu'elle relève largement du non dire. Non dite, elle est implicite, elle fait
partie des évidences partagées des interlocuteurs, à moins bien sûr que la
défiance ou la méfiance soit tue, ce qui constituera alors un problème
spécifique. Dite, la confiance aura un effet récursif sur la situation et mettra
en évidence son absence potentielle ou la nécessité de son actualisation. Dire
la confiance, c‟est à la fois dire qu‟elle est nécessaire, et dire qu‟elle n‟était
pas une évidence partagée par tous. Dire la confiance, sauf dans les cas où
elle est véritable acte de parole et où elle doit être énoncée pour exercer ses
effets (dans le cas du vote de confiance, par exemple), c‟est aussi la faire
passer d‟un implicite (de la situation) à un présupposé (du discours).
Il est rare justement que « la défiance ou la méfiance soit tue », ce
qui veut dire comme le soulignent les deux auteurs que le vécu des relations
de confiance est problématique. En effet, les défaillances notées dans
plusieurs tontines de quartiers et de marchés sont là pour le confirmer.
Comme le montre le tableau suivant, dans les 268 tontines ayant fait l‟objet
d‟enquêtes, on enregistre au total 54 cas de défaillance, soit 20% dans
l‟ensemble. Mais ce pourcentage cache des variations intéressantes; les cas
de défaillances sont beaucoup plus nombreux dans les tontines de quartiers
que dans les autres lieux d‟enquête. Sur les 54 cas, 41 sont recensés au
niveau des seuls quartiers de Dakar. Mais il faut préciser que ce chiffre
concerne les deux formes de défaillances possibles. La première et la plus
fréquente (32 des 54 cas) renvoie à l‟incapacité d‟un participant à continuer
à contribuer dans la tontine avant d‟avoir reçu la levée. Selon le règlement
de chaque tontine, ce dernier perd ses cotisations antérieures au profit du
groupe ou les récupère seulement à la fin du cycle. Cette forme de
défaillance ne conduit pas à des conséquences désastreuses. La deuxième
forme de défaillance consiste pour un participant à refuser de remettre ses
contributions après avoir bénéficié de la levée. C‟est la forme la moins
fréquente (22 cas sur 54) mais aussi la plus grave dans la mesure où elle est
traitée comme un abus de confiance.

171
Tableau no 18 : Nombre de défaillances dans les tontines ayant fait l‟objet
d‟enquête.

Lieux Défaillance sans Défaillance avec Total


abus abus
Thilogne 2 1 3
Marchés 1 1 2
Quartiers 1 0 1
Dakar 29 21 50
Quartiers 23 18 41
Marchés 6 3 9
Travail 0 0 0
Paris 1 0 1
Total 29 22 54
A. Kane : enquêtes de terrain

Il apparaît très clairement que la confiance est plus problématique


dans les quartiers de Dakar comparés aux autres lieux de recherche. En effet
le nombre de défaillance est de loin plus élevé dans les tontines de quartiers
à Dakar que dans les autres lieux de recherche. Il représente 76% des
défaillances dans l‟ensemble des tontines ayant fait l‟objet d‟enquêtes dans
les trois terrains de recherche et 82% des défaillances dans les seules
tontines dakaroises. Au même moment, les défaillances sont très faibles dans
les tontines thilognoises et parisiennes qui font au total 7% de l‟ensemble.
Même ce pourcentage correspond, sauf dans un seul cas au marché de
Thilogne, à des défaillances liées à l‟incapacité d‟un participant à continuer à
contribuer avant d‟avoir reçu la levée.
Cette variation peut être expliquée par le fait que la plupart des
participantes aux tontines de quartiers n‟ont aucune source de revenu
identifiable. La plupart d‟entre elles tirent leurs cotisations du budget
familial et dépendent par conséquent du revenu de leur mari. En cas de
conflits, de divorce, de licenciement ou de décès du mari, les femmes
peuvent se retrouver sans ressources et par voie de conséquence dans
l‟impossibilité d‟honorer leurs engagements envers la tontine. Par ailleurs, la
diversité socioculturelle qui caractérise les tontines de quartiers peut
également favoriser des situations de défaillances dans la mesure la peur de
perdre la face ou de subir des représailles et moins intense que celle que l‟on
peut avoir envers des membres d‟un même village ou d‟une même ethnie
comme c‟est le cas dans les tontines thilognoises et parisiennes.
Quand on compare les tontines de quartiers et les tontines de
marchés à Dakar, on constate également un écart appréciable entre les cas

172
d‟abus de confiance. Dans les marchés la saisie des marchandises du
défaillant par l‟organisateur ou les participants est une mesure dissuasive qui
peut expliquer la rareté des défaillances malgré la diversité des origines
socioculturelles des participants. En outre de plus en plus les organisateurs
des tontines de marchés exigent de leurs participants un engagement signé et
légalisé par la police ou la gendarmerie qui ouvre la porte à des poursuites
judiciaires. Toutes ces dispositions peuvent justifier la rareté de cas de
défaillances dans les tontines de marchés comparées à la situation quasi
endémique des défaillances dans les tontines de quartiers. Au niveau des
tontines des lieux de travail à Dakar, aucune défaillance n‟a été enregistrée
du fait très certainement des procédures formelles qui les caractérisent. Les
contributions se font par des ordres de virement signés à l‟avance et déposés
auprès de l‟agent comptable qui se charge de les couper à la source des
salaires des participants. La levée est directement versée au compte du
bénéficiaire sans autre protocole. Cette façon de procéder élimine tout risque
de défaillance dans les tontines des employés des banques commerciales et
du trésor public qui ont fait l‟objet d‟enquête.
Il existe une variété de formes de sanctions pour forcer les
défaillants à rembourser l‟argent des tontines. Dans les tontines simples le
commérage, la pression sociale du groupe et le recours à l‟autorité
coutumière ou aux parents constituent les instruments privilégiés pour
emmener le défaillant à payer sa dette envers la tontine. Dans les tontines de
marché, la saisie des marchandises est une pratique courante pour forcer un
participant défaillant à se conformer aux règles de la tontine. Cependant le
commérage semble être le moyen le plus efficace au niveau des trois terrains
de recherche. Souvent pour ne pas perdre la face et pour éviter le commérage
les participants des tontines font tout pour rembourser ce qu‟ils doivent à la
tontine. Comme l‟atteste l‟expérience d'Astou dans une tontine de la Médina
qui permet de voir jusqu‟où le commérage peut mener le défaillant:

« J‟ai été victime d‟un vol dans lequel j‟ai perdu mes bijoux et mon argent. Je venais
tout juste de recevoir la levée de ma tontine. Je devais par conséquent continuer à
remettre mes contributions. Mais compte tenu des difficultés que je rencontrais je ne
pouvais plus honorer mes engagements. Et c‟est là que mon calvaire a commencé.
Car les autres participantes, elles n‟essayent pas de comprendre ce qui s‟est passé.
Elles ont commencé à me mettre au centre des discussions. On entendait partout
dans le quartier mon nom. On racontait du n‟importe quoi sur ma personnalité, ma
famille et mes amis étaient très gênés. J‟avais vraiment honte de sortir de ma maison
parce que partout où je passais je surprenais des gens dire des choses horribles sur
moi. Si je porte un joli boubou, on dit que c‟est grâce à l‟argent que j‟ai volé de la
tontine que je l‟ai eu. Pour faire taire toutes ces personnes j‟ai vendu mes meubles,
mes habits pour rembourser. Actuellement, je n‟ai plus rien mais j‟ai au moins la
paix ».

173
Si dans certain cas comme celui-ci le commérage suffit pour forcer
le défaillant à repayer sa dette envers la tontine, dans d‟autres il peut s‟avérer
inefficace. Dans ces cas, on fait recourir à d‟autres instruments de pression
sociale comme pour les femmes mariées l‟alerte du mari. En effet, certaines
femmes au foyer qui tirent leurs contributions du budget domestique à l‟insu
du mari, feront tout pour rembourser l‟argent qu‟elles doivent à la tontine
dès qu‟on leur parle de contacter leur mari en cas de non-paiement. On peut
également recourir aux autorités coutumières ou les chefs de quartiers pour
qu‟elles fassent entendre raison au défaillant. Ce n‟est que quand toutes ces
formes de pression sociale sont épuisées que l‟on recourt à la police et à la
justice.
Malgré ces cas de défaillance, il faut souligner que 92 % des tontines
ayant fait l‟objet d‟enquête n‟ont pas connu de défaillances graves
(défaillance après avoir reçu la levée) et sont parvenues par conséquent à
asseoir des relations de confiance qui se sont renforcées et consolidées avec
le temps.

Evolution des tontines dans le temps et consolidation des relations de


confiance

On peut partir du principe que les tontines qui se reproduisent


plusieurs fois après leur premier cycle de fonctionnement sont celles où les
relations de confiance sont les plus établies. En effet, on peut défendre que
plus une tontine est reproduite plusieurs fois avec plus ou moins les mêmes
participants plus les relations de confiances entre ces derniers se renforcent.
Il en est ainsi parce qu‟au bout d‟un certain nombre de cycles réussis, les
participants ne doutent plus de la bonne foi des uns et des autres et par
conséquent, ils redoutent moins d‟éventuelles défaillances. A partir de ce
moment, ce sont les nouveaux adhérents qui vont faire l‟objet d‟une
attention particulière du fait qu‟ils n‟ont pas encore prouvé leur honnêteté
par l‟expérience. Ils seront dès lors considérés comme de potentiels
défaillants et consignés dans les derniers rangs dans l‟ordre de distribution
des levées.
Le renforcement des relations de confiance entre participants avec le
temps est également rendu compte par l‟augmentation progressive aussi bien
du nombre d‟adhérents que du montant des contributions. Au fur et à mesure
que les tontines se reproduisent plusieurs fois sans défaillance, c‟est-à-dire
que plus ou moins les mêmes participants se retrouvent à la fin de chaque
cycle pour entamer un autre, le nombre d‟adhérents et le montant des
contributions ont tendance à augmenter. Les graphiques suivant rendent
compte éloquemment de cette évolution dans le temps liée positivement au
renforcement des relations de confiance entre participants.

174
Il faut souligner que 63% des tontines (168 sur 268) ayant fait l‟objet
d‟enquête dans les trois lieux de recherche ont entre 5 et 10 ans d‟existence
alors que seulement 8% (22 sur 268) des tontines avait moins d‟un an
d‟existence et en étaient pour la plupart à leur premier cycle. Pour le reste
des tontines ayant fait l‟objet d‟enquête 13% (35 sur 268) avaient entre 1 an
et 5 ans d‟existence, 12 % (32 sur 268) entre 10 et 15 et 4% (11 sur 268)
avaient plus de 15 ans d‟existence. Ces chiffres sont évidemment à
relativiser par le fait que certains informateurs avaient du mal à se souvenir
de la date exacte de la création de leur tontine et ont donné par conséquent
des dates approximatives. A cela il faut ajouter la difficulté à préciser si c‟est
une même et identique tontine qui se reproduit ainsi pendant des années.
Pour surmonter cette difficulté, nous avons considéré que la continuité d‟une
tontine quelconque dépend essentiellement de la régularité des participants
qui ont été à l‟origine de sa conception. Si le noyau d‟individus constituant
la tontine au départ s‟est maintenu jusqu‟au moment où nous avons effectué
nos enquêtes, nous considérons qu‟il s‟agit là d‟une seule et même tontine
qui a évolué dans le temps en s‟ouvrant à la participation d‟autres individus,
en changeant probablement ses règles de fonctionnement, ses montants de
contributions et de levées. Dans le cas des tontines avec organisateur, le
maintien du même organisateur est considéré comme un indicateur suffisant
pour déterminer la continuité ou non de la tontine.
Pour mesurer l‟augmentation ou la diminution du nombre de
participants dans les tontines des trois lieux de recherche, nous n‟avons pris
en compte que deux points temporels: le nombre de participants au départ
dans les différentes tontines comparé au nombre de participants au moment
des enquêtes (ou nombre actuel de participants). Nous n‟avons pas pris en
considération la différence de durée d‟existence entre les tontines et les
variations du nombre de participants entre les cycles intermédiaires entre le
premier et le dernier cycle. Malgré ces limites évidentes, la comparaison
entre le nombre de participants au départ et le nombre de participants au
dernier cycle montre une augmentation substantielle du nombre moyen de
participant par tontine au niveau des trois terrains de recherche (Cf. le
graphique ci-dessus). Cette augmentation du nombre moyen de participants
peut être interprétée comme un indicateur du climat de confiance qui règne
dans les tontines. Climat qui attire des individus qui étaient au départ
réticents par peur des éventuelles défaillances. On peut imaginer qu‟au
départ certains individus doutent de la crédibilité de certains participants et
attendent de voir les premières expériences avant de décider si oui ou non ils
vont intégrer la tontine.
Mais l‟augmentation du nombre de participants peut également être
expliquée par d‟autres facteurs tels que l‟augmentation des participations
multiples qui consiste pour un individu d‟adhérer dans plusieurs tontines en
même temps ou encore le manque de confiance envers les banques du fait

175
des mauvaises expériences des clients qui n‟ont pas pu récupérer leurs
créances à la suite de la faillite de plusieurs banques sénégalaises au milieu
des années 80. Ces derniers s‟investissent davantage dans les tontines malgré
la restructuration bancaire de 1989 qui a, semble-t-il, assaini le
fonctionnement de l‟intermédiation financière institutionnelle. En fait
l‟augmentation du nombre de participants dans les tontines s‟accompagne
également d‟une augmentation progressive du montant moyen des
contributions dans les différents terrains de recherche.
L‟évolution positive du montant moyen des contributions est encore
un indicateur plus révélateur du renforcement des relations de confiance
dans une tontine. D‟une manière générale, le montant des contributions dans
une nouvelle tontine est toujours très bas. Cela est surtout vrai pour les
tontines thilognoises et dakaroises. Les tontines des immigrés sénégalais ont
eu un montant moyen des contributions au départ égal à 58.000 F CFA alors
que celui-ci était de 525 F CFA pour les tontines thilognoises et de 1585 F
CFA pour les tontines dakaroises. Ces montants varient considérablement
d‟une tontine à une autre et en fonction des lieux d‟implantation: quartiers,
marché, lieux de travail. Cette faiblesse du montant des contributions au
départ peut être comprise comme une forme de réticence des participants
qui, par peur que la tontine échoue, n‟acceptent de contribuer que pour des
sommes modiques dont la perte n‟entraîne pas beaucoup de dommages.
Dans la majorité des cas, des tontines ayant fait l‟objet d‟enquête, les
montants des contributions ont évolué progressivement dans le temps
comme dans cette tontine simple de Pikine Médina Gounasse qui existe
depuis 1984. Le nombre actuel de participants est de 35 alors qu‟au départ il
n‟était que de 22. Le montant des contributions, qui était au départ de 200 F
CFA tous les quinze jours, atteint 2.500 F CFA tous les quinze jours
aujourd‟hui. Cette augmentation s‟est faite progressivement, de 200 au
premier cycle, il est passé à 500 F CFA au troisième cycle. Puis de 500 F
CFA, il est passé 1000 F CFA au cinquième cycle, ensuite à 2000 F CFA au
huitième cycle et enfin à 2.500 au dixième cycle. La responsable de cette
tontine Ndèye Khady, 49 ans, explique les raisons de cette augmentation en
ces termes:

« Au début, les participantes n‟étaient pas enthousiastes et c‟est normal, car on


entend toujours des histoires effrayantes de défaillance dans les natt des quartiers.
De ce fait, il était raisonnable de commencer avec un montant de contribution assez
bas et de l‟augmenter au fur et à mesure que les gens se familiarisaient les uns avec
les autres. Au bout d‟un certain temps, les participantes se découvrent mutuellement.
On sait qui est honnête et qui ne l‟est pas. Nous avons écarté deux femmes du fait de
leur irrégularité après les deux premiers cycles. Les autres participantes n‟ont posé
aucun problème et on était persuadé de la bonne volonté et de la bonne foi des uns et
des autres. Ainsi, ensemble, nous avons décidé d‟augmenter le montant des
contributions à plusieurs reprises pour disposer chacun d‟une somme assez

176
importante qui puisse servir à quelque chose de significatif. D‟autres participantes
ont intégré la tontine toujours sous le couvert des participantes initiales. Aujourd'hui,
c‟est comme si nous avions des liens de parenté réels entre nous et pourtant nous
venons d‟ethnies, de castes ou catégories sociales différentes. Tout ça, c‟est parce
que chacun d‟entre nous a tout fait pour mériter la confiance que le groupe a placé
en lui ».

L‟exemple montre très bien comment petit à petit les participantes


forgent une certaine familiarité entre elles. Celle-ci élimine au fur et mesure
les craintes que chacune peut avoir, non sans raison, au départ. Plus, les
participantes deviennent familières les unes par rapport aux autres, plus leurs
relations de confiance se renforcent et plus elles sont tentées d‟augmenter le
montant des contributions. Dans la même lancée, plus une tontine se
reproduit sans grande difficulté, plus elle attire des candidats à la
participation qui, peut être, s‟étaient abstenus en attendant de voir les
résultats des premières expériences. Ce qui peut expliquer l‟augmentation
tout aussi progressive du nombre de participants dans les tontines.
L‟investissement dans le renforcement des relations de confiance
permet à certains participants, organisateurs ou responsables de gagner plus
de crédibilité aux yeux des autres participants ce qui naturellement augmente
leur capital social dont certains n‟hésitent pas à convertir en capital financier
en exigeant de la part des bénéficiaires le paiement d‟une commission
financière égale dans la plupart des cas au montant de la contribution.

La confiance comme capital social

Avoir une bonne réputation permet l‟obtention d‟un certain nombre


d‟avantages dont le plus important est sans commune mesure le mérite de la
confiance des autres. En effet, dès l‟instant que l‟individu dispose d‟une
bonne réputation, il peut être sûr de pouvoir convaincre son entourage social
à accepter de coopérer avec lui dans une quelconque action collective qui
profitera à tous. Donc avoir une bonne réputation c‟est aussi disposer d‟un
capital social potentiellement mobilisable. Souvent, c‟est effectivement la
mobilisation de ce capital social qui donne naissance à la tontine.
En effet, les dirigeants des tontines sont d‟une manière générale des
personnes ayant une très bonne réputation dans leur entourage social. Ce qui
leur confère une capacité de mobilisation sociale énorme. Cette capacité de
mobilisation sociale se vérifie dans la création de réseaux sociaux tels que
les mbotaay, les groupements féminins, les sani diamra, etc. dans leur
environnement social immédiat et par leur initiative. En effet, c‟est en vertu
du mérite de la confiance de cet environnement social que les dirigeants
parviennent à mobiliser un groupe d‟individus pour la constitution d‟une
tontine. Souvent ce qui détermine les individus à accepter de participer aux

177
tontines c‟est le charisme de l‟organisateur qui est indissociable avec sa
bonne réputation.
C‟est dans cette perspective que nous entendons parler de la
confiance comme d‟un capital convertible en d‟autres types de capitaux. En
effet, dans la tontine, l‟organisateur du fait de la confiance qu‟on lui accorde
bénéficie des versements de commissions. Chaque membre lui remet
souvent l‟équivalent du montant de la contribution quand vient son tour de
lever les fonds. Ce qui, à y regarder de près, revient pour l‟organisateur à
bénéficier de deux levées pour le prix d‟une contribution. Car à chaque
levée, il reçoit un montant égal à sa contribution comme une commission.
En fait, la convertibilité de la confiance en capital financier dans les
tontines ne concerne pas seulement leurs organisateurs. Les simples
participants gagnent ou perdent en fonction de leur positionnement dans
l‟ordre des levées. Les premiers dans l‟ordre des levées gagnent parce que,
d‟une part, ils reçoivent un crédit sans avoir à payer d‟intérêts et, d‟autre
part, ils sont à l‟abri des éventuelles défaillances du fait qu‟ils correspondent
aux potentiels défaillants. Les derniers dans l‟ordre des levées perdent pour
des raisons inverses à celles qui font gagner les premiers.
C‟est pourquoi la détermination de l‟ordre des levées est un enjeu de
taille dans les tontines. Elle peut se faire soit par tirage, soit par désignation
discrétionnaire de l‟organisateur ou par consensus. Mais dans tous les cas,
comme nous l‟avons déjà montré, les participants développent des stratégies
qui consistent à favoriser les personnes ayant une très bonne réputation,
c‟est-à-dire des personnes en qui le groupe a confiance tandis que les
personnes à la morale douteuse sont consignées dans les derniers rangs. La
convertibilité du capital de confiance en capital financier pousse les
différents individus à définir des stratégies consistant à soigner leur image
dans leur entourage social pour convaincre les autres qu‟ils méritent leur
confiance. Ainsi, chacun essaye de produire des comportements susceptibles
de créer un sentiment d‟admiration dans l‟environnement social. Eveline
Baumann et François Leimdorfer ont bien perçu la valorisation de la
confiance dans le discours et les différentes stratégies qu‟elle peut faire
naître. Ils écrivent dans ce sens:
“On voit donc que dans la langue et le discours, la confiance est un
rapport socialement valorisé, une valeur et, par conséquent, une norme
positive. Elle implique que le donateur occupe une position où sa posture de
confiance est souhaitable. La relation peut être réciproque, soit que les sujets
sont en même temps donateurs et bénéficiaires (« la confiance règne », « es
herrscht Vertrauen »), soit que le bénéficiaire est à l'origine de la confiance
(« inspirer la confiance », « Vertrauen einflössen »). Le fait que l‟on puisse
inspirer et gagner la confiance indique que dans l‟interrelation, un sujet peut
produire des signes et des actes tels que la posture de confiance va naître
chez le donateur potentiel. Observons enfin que la confiance est toujours

178
valorisée de manière positive puisqu'elle se donne, se gagne ou se perd, et la
relation instituée est toujours entre un donateur et un bénéficiaire” (E.
Baumann et F. Leimdorfer, 1997)87.
Dans les tontines aussi, la confiance se gagne ou se perd avec les
privilèges et les avantages auxquels elle donne droit. Dans cette perspective,
les participants, les responsables ou les organisateurs des tontines
développent des stratégies diverses pour inspirer ou provoquer la confiance
des autres dans l‟objectif d‟en tirer profit. Ceux qui y parviennent comme
Cheikh, organisateur de tontines au marché de Thilogne, peuvent disposer
d‟un revenu supplémentaire substantiel. Ce dernier organise deux tontines
qui lui rapportent 200.000 F CFA au bout de six mois pour la première
tontine et 150.000 F CFA au bout de huit mois pour la deuxième. Les autres
organisateurs des tontines de marché à Thilogne perçoivent également au
minimum l‟équivalent d‟une contribution à chaque levée.
A Dakar, on rencontre de véritables spécialistes des tontines au
niveau des quartiers et surtout des marchés. Mère Mbaye en organise quatre
tontines de quartier à la Médina et 2 tontines de marché à Tilène ce qui lui
procure un revenu supplémentaire de 100.000 pour les tontines de quartier et
160.000 F CFA pour les tontines de marché. Aïda quant à elle dirige cinq
tontines de quartier et une tontine de marché et reçoit une commission de
142.000 F CFA au total. Les banquiers ambulants ou tontiniers des marchés
de Sandaga et de Tilène gagnent encore plus que les simples organisateurs
de tontine. Ndiaye, 49 ans, a ainsi abandonner son commerce de poulets pour
ne s‟occuper que de la récolte de la petite épargne et l‟allocation du
microcrédit. Il récupère sur une base journalière, la petite épargne de ses
clients qui est entre 100 et 5000 F CFA par jour pour une durée minimum
d‟un mois et maximum d‟un an. Pour sa rémunération, il touche l‟équivalent
d‟une contribution journalière sur une épargne mensuelle et l‟équivalent de
dix contributions pour une durée annuelle. Ce qui veut dire que pour un
versement de 5.000 F CFA par jour, il gagne 50.000 F CFA au bout d‟une
année. La disposition de plus 200 clients au niveau du marché, lui procure un
revenu mensuel assez important. A cela il faut ajouter les bénéfices qu‟il tire
de l‟allocation du crédit et les intérêts que lui verse la banque sur son compte
épargne dans lequel il sécurise les dépôts de sa clientèle.
En effet, Ndiaye dispose d‟un compte bancaire où il verse l‟argent
qu‟il récupère auprès de sa clientèle. Mais en plus de son rôle de collecteur
d‟épargne, il octroie du crédit à certains de ses clients moyennant le
versement d‟un intérêt de 10% avec une échéance maximum de six mois. Du
fait de la confiance que lui accordent plusieurs commerçants, vendeuses de

87
Baumann, E. et Leimdorfer, F., (1997), “ La confiance? Parlons-en: "Confiance"
et "Vertrauen" dans le discours”. In La construction sociale de la confiance,
Collection Finance et Société, Paris, pp: 364-365)., p: 379).

179
poissons et de condiments, marchandes du marché Sandaga qui préfèrent lui
verser leur épargne plutôt que de participer dans les tontines de marché. Sa
clientèle se compte par centaine ce qui lui permet de gagner au minimum
200.000 F CFA par mois, ce qui est largement au dessus du salaire moyen
dans la fonction publique.
Ces quelques exemples suffisent pour montrer comment le mérite de
la confiance permet à son dépositaire de créer une source importante de
revenu du fait de sa capacité de mobilisation sociale qu‟il utilise pour mettre
en place une tontine ou un réseau d‟intermédiation dont il serait le centre ou
le pivot comme dans le cas des tontiniers. Cela va sans dire que plusieurs
personnes tentent de se positionner comme organisateur de tontine ou
tontinier mais peu y parviennent du fait de la prudence des participants
potentiels qui constituent en dernière analyse les seuls arbitres du mérite de
la confiance.

Conclusion

Les relations de confiance sont, comme nous venons de le montrer,


au cœur des pratiques financières populaires au Sénégal. Elles s‟appuient sur
la proximité physique ou sociale favorisant des relations personnalisées qui
facilitent le repérage des risques et l‟efficacité des sanctions sociales pour la
prévention ou la réparation des défaillances. Loin d‟être une donnée
naturelle inhérente à la culture africaine, comme semble le prétendre
certains, les relations de confiance sont problématiques à l‟intérieur des
tontines dans la mesure où les organisateurs, les responsables et les simples
participants élaborent des stratégies inspirées par le soupçon ou le manque
de confiance et consistant à abuser la confiance de ceux supposés à tort ou à
raison comme des défaillants en puissance. C‟est parce que la confiance ne
va pas de soi que les tirages sont truqués et que la distribution de l‟ordre des
levées se fait en fonction de l‟ordre décroissant de confiance que l‟on a
envers les différents participants.
Les situations de défaillance sont là pour confirmer, si besoin en
était, que si l‟établissement des relations de confiance se fait de manière
aisée dans certaines tontines, dans d‟autres, les participants ont du mal à se
remettre d‟une défaillance d‟un organisateur ou de plusieurs participants en
même temps. Dans certains cas, on peut parler de véritables crises de
confiance entraînant la disparition pure et simple de la tontine. Il est vrai que
ces cas de défaillances sévissent plus à Dakar qu‟à Thilogne ou chez les
émigrés sénégalais en France. Cela est certainement lié à la configuration
sociale différente des tontines dans ces trois lieux. Si elle est marquée par
une homogénéité sociale parfaite au niveau de Thilogne et relative au niveau
de Paris, elle est caractérisée par une très grande diversité au niveau de

180
Dakar rendant plus difficile l‟établissement des relations de confiance entre
les participants issus d‟ethnies et de cultures différentes.
Il est clair que la proximité physique et sociale, par le fait qu‟elle
met à la disposition des participants un ensemble d‟informations sur le profil
moral de chacun qui est le reflet de sa réputation dans son environnement
social immédiat, mais aussi et surtout parce qu‟elle permet un contrôle social
plus strict, constitue un pilier essentiel sur lequel reposent les relations de
confiance à l‟intérieur des tontines. Ce qui veut dire que partout où la
proximité physique est complétée par une proximité sociale (tontines
thilognoises et dans une moindre mesure les tontines parisiennes), les
relations de confiance s‟établissent plus aisément que là où il n‟existe que la
proximité physique comme c‟est le cas dans la plupart des tontines
dakaroises. Cependant la reproduction des mêmes tontines dans le temps et
la mise en œuvre de stratégies d‟intégration et de familiarité des participants
issus de milieux ethniques différents finissent par facilité l‟établissement des
relations de confiance dans les tontines urbaines. L‟augmentation du nombre
de participants et celle des montants des contributions est un indicateur de la
consolidation progressive des relations de confiance entre les participants
d‟une tontine donnée au fur et à mesure qu‟elle évolue sans grande difficulté
dans le temps.
L‟une des conclusions majeures qu‟il faut tirer à partir des données
présentées dans ce chapitre, c‟est très certainement à quel point le mérite de
la confiance peut être profitable à son dépositaire. Les organisateurs des
tontines ou les tontiniers du fait de la confiance qu‟on leur accorde peuvent
accroître de manière exponentielle leurs revenus en recevant de la part des
participants le versement d‟une commission financière à chaque levée. Dans
la même lancée, c‟est le mérite de la confiance qui permet à certains
participants de recevoir la levée en premier lieu et d‟accéder ainsi à un crédit
gratuit et d‟être à l‟abri à la fois de l‟inflation et des conséquences des
défaillances éventuelles. Cette situation peut pousser les différents
participants à soigner leur image et leur réputation en vue de tirer profit du
mérite de la confiance, ce qui naturellement renforce et consolide les
relations de confiance.

181
Chapitre 6
Microcrédit et Banquiers ambulants
Introduction

L‟objet de ce chapitre est de situer la place et le rôle des


arrangements financiers populaires au Sénégal. Comme le souligne Dromain
à propos de ce pays, les tontines et les caisses mobilisent une épargne qui est
“ignorée et négligée” par la comptabilité nationale (M. Dromain, 1990)88.
Très souvent, on associe les pratiques financières populaires avec les
dépenses ostentatoires des cérémonies familiales ou, au mieux des cas, avec
les stratégies de survies des plus démunis. Au regard des résultats de nos
enquêtes qui sont exposés dans les chapitres précédents, il s‟avère que les
tontines et les caisses jouent un rôle assez important dans la mobilisation de
l‟épargne intérieure et l‟allocation du crédit pour aussi bien la consommation
que l‟investissement dans des activités génératrices de revenus.
Si ce rôle des tontines et des caisses est essentiel pour beaucoup de
sénégalais, il demeure difficile pour les décideurs politiques de considérer
ces instruments financiers populaires comme des formes d‟intermédiation au
même titre que les banques. Les rapports entre les premières et les secondes
ont été souvent analysés comme antagoniques. On parle très souvent de la
dichotomie entre système financier institutionnel et système financier
informel quand on aborde les problèmes de financement du développement
des pays africains (P. Hugon, 1990; D. Kessler, A. Lavigne et P.-A. Ullmo,
1985)89. La dualité illusoire entre l‟économie formelle et informelle dans les
pays en développement sert de modèle pour la description du paysage
financier propre à ces derniers. La question centrale de nos recherches sur ce
sujet a été de savoir si ses frontières théoriques entre finance institutionnelle
et pratiques financières populaires renvoient à des réalités empiriques du
point de vue des acteurs impliqués dans les deux systèmes.
Pour répondre à cette question, nous allons d‟abord analyser dans un
premier temps les raisons de l‟inadéquation du système financier classique,
c‟est-à-dire de type bancaire, par rapport à son environnement économique
et socioculturel au Sénégal. On mettra l‟accent sur les procédures bancaires
et les conditions d‟accès aux services comme constituant le fondement de

88
Dromain, M., (1990), “L‟épargne ignorée e négligée : les résultats d‟une enquête
sur les tontines au Sénégal”, in Lelart M. (ed.), La Tontine, AUPELF-UREF, John
Libey Eurotext, Paris, 356p.
89
Hugon, P., (1990), “La finance non-institutionnelle : expression de la crise du
développement ou de nouvelles formes de développement”, In Lelart (ed.), La
Tontine, AUPELF-UREF, pp. 309-321. Kessler, D.; Lavigne, A. and Ullmo P.-A.,
(1985), “Ways and means to reduce financial dualism in developping countries,
Working paper, OECD Development Centre
l‟exclusion du grand nombre d‟agents économiques des circuits financiers
officiels. Ensuite, nous verrons comment les systèmes financiers
décentralisés tentent de pallier les limites du système bancaire en s‟appuyant
sur les principes d‟organisation et de fonctionnement qui ont garanti le
succès des tontines. En fin, nous nous focaliserons sur les stratégies
élaborées par les acteurs de la finance populaire pour jeter des ponts entre les
différents systèmes financiers dans lesquels ils sont impliqués.

L’inadaptation des institutions financières classiques

Dans les faits, il est facile de constater l‟inadaptation de


l‟intermédiation financière classique, de type bancaire notamment, par
rapport aux besoins de financement du grand nombre d‟agents économiques
au Sénégal et ailleurs en Afrique (Bernd Balkenhol, 1996; M. Lelart, 1990,
S. Ardener et S. Burman, 1995)90. Ainsi, l‟essentiel des transactions
financières passe inéluctablement par les canaux des arrangements financiers
populaires accentuant de ce fait le caractère dual du paysage financier au
Sénégal. “Le dualisme, comme le souligne Jean-Roger Essombe Edimo, part
d’une observation simple et d’après laquelle, dans la plupart des pays en
développement, la grande majorité des opérations financières est réalisée en
dehors du circuit formel de l’épargne et du crédit” (J-R. Essombe Edimo
1995, p. 63)91. Il est opportun de s‟interroger ici sur la manière dont
l‟existence parallèle des banques et des pratiques financières populaires a été
interprétée par les théories du dualisme financier. De ce point de vue, il y a
deux perspectives de compréhension du dualisme financier dans les pays en
développement. La première met l‟accent sur les limites du système bancaire
tandis que la seconde intègre la dimension culturelle des pratiques
financières populaires.

Les limites du système bancaire

La première perspective d‟analyse du dualisme consiste à expliquer


le développement des arrangements financiers populaires comme une contre
partie des carences du système financier formel. Les circuits financiers

90
Balkenhol, B. et al. (1996), Banques et petites entreprises en Afrique de l‟Ouest.
L‟Harmattan, 192p. Lelart, M., (1990), “Une tontine mutuelle dans l‟administration
béninoise”. In La Tontine, M. Lelart. Ed. AUPELF-UREF, pp. 53-80. Ardener, S. et
Burman, S., (1995), Money-Go-Rounds. The importance of Rotating Savings and
Credit Associations for Women, Berg, Oxford/Washington D.C., 326 p
91
Essombé Edimo, J-R., (1995), Quel avenir pour l‟Afrique? Financement et
développement, Editions Nouvelles du Sud, 172p.

186
formels n‟étant pas à mesure de satisfaire les besoins en matière de
financement de l‟écrasante majorité des agents économiques, il va de soi que
ces derniers conçoivent, malgré leurs moyens souvent limités, des systèmes
d‟intermédiation financière alternatifs (J.U. Holst, 1985 et P. Hugon 1990)92.
Dans ce cas, on considère que la levée des contraintes d‟accès aux services
bancaires aura pour résultat l‟absorption à terme du système financier
informel par le système financier formel.
Les limites des institutions financières formelles au Sénégal sont
essentiellement de trois ordres. Premièrement, leur incapacité de concevoir
des instruments de financement accessible à la grande majorité des ménages
sénégalais et des entrepreneurs du secteur informel et des petites et
moyennes entreprises. Deuxièmement, leur manque d‟initiative pour, d‟une
part, attirer l‟épargne populaire et, d‟autre part, s‟adapter à leur
environnement socioculturel en tenant compte des contraintes structurelles
qui affectent les clients potentiels. Troisième, leur manque d‟intérêt pour les
pratiques financières populaires desquelles elles peuvent apprendre des
méthodes efficaces d‟intervention en milieu culturel africain.
En effet, les banques et les établissements financiers formels
favorisent dans leurs opérations les clients disposant d‟une grande surface
financière ou de revenus importants, stables et réguliers. Ainsi, la clientèle
des institutions financières officielles se réduit, dans un pays comme le
Sénégal, aux moyennes et grandes entreprises, aux salariés de la fonction
publique et des entreprises privées. Parmi, cette clientèle privilégiée, seules
les entreprises du secteur moderne et les salariés d‟un certain niveau de
revenu ont la possibilité d‟accéder au crédit. Les petits salariés et les petites
et moyennes entreprises du secteur informel ne peuvent accéder au crédit
bancaire que s‟ils ont de garanties suffisantes telles qu‟un titre foncier, un
bien immobilier, une voiture, etc. Pour cette dernière catégorie, les banques
ne constituent rien d‟autre que des institutions où transite le salaire (cas des
petits salariés) ou au mieux des cas des institutions de collecte et de
sécurisation de l‟épargne (cas des petites et moyennes entreprises du secteur
non structuré).
Jean-Bernard Fournier, Camille G. Moreau et Pierre Giguère
estiment, dans leur évaluation du projet ATOBMS93, que seulement moins

92
Holst, J.U., (1985), Le rôle des intermédiaires financiers informels dans la
mobilisation de l‟épargne, in Epargne et Développement, Economica, 1985. Hugon,
P., (1990), “La finance non-institutionnelle : expression de la crise du
développement ou de nouvelles formes de développement”, In Lelart (ed.), La
Tontine, AUPELF-UREF, pp. 309-321.
93
ATOBMS veut dire Assistance Technique aux Opérations Bancaire Mutualiste au
Sénégal. C‟est le nom d‟un projet commun de la Banque Mondiale, de l‟Agence
Canadienne pour le Développement International et du Gouvernement du Sénégal
dont la réalisation est confiée à la Société de Développement International

187
de 10% de la population active du Sénégal a accès aux institutions
financières formelles (J-B. Fournier, C.G. Moreau et P. Giguère, 1993)94.
Les chiffres de l‟Enquête Sénégalaise Auprès des Ménages donnent
également une indication sur l‟exclusion de la majorité des ménages des
circuits financiers institutionnels. En effet, selon cette enquête qui a porté sur
3.300 ménages, la répartition du nombre d‟emprunts des ménages sénégalais
au cours de l‟année 1997, selon la source de financement, fait apparaître que
les catégories des parents/amis et des commerçants ont octroyé un nombre
plus important de crédit comparé à la catégorie des banques et autres
établissements financiers. A Dakar près de 60% des crédits octroyés aux
ménages sont financés par la catégorie des parents/amis. Les commerçants
ont octroyé 23% des crédits déclarés par les ménages. Les banques n‟ont
financé que 4,1% du nombre total d‟emprunts des ménages sénégalais. Mais,
si l‟on tient compte du montant des crédits octroyés aux ménages, l‟ordre se
renverse. Les banques et autres institutions financières apportent 59,8% du
montant total des crédits alloués aux ménages sénégalais tandis que les
catégories des parents/amis et des commerçants n‟offrent que 33,7% de ce
montant (ESAM, 1998, p. 158).
En plus du problème d‟accès au crédit, la faible mobilisation de
l‟épargne intérieure est un problème crucial pour le Sénégal qui dépend de
l‟épargne extérieure pour le financement de son développement. Les
instruments institutionnels mis en œuvre pour la collecte de l‟épargne des
individus et des ménages n‟ont pas pu relever le taux national d‟épargne qui
est resté très faible, de l‟ordre de 11,1% pour l‟année 1996 (DPS, 1997, p.
301). Les banques et les établissements financiers négligent et ignorent la
petite épargne. Il en est ainsi parce que le coût de gestion d‟un compte de
1000 F CFA est le même que celui d‟un compte d‟une dizaine ou centaine de
millions. Ce qui justifie la préférence des banques pour les gros épargnants.
La Caisse Nationale d‟Epargne qui est spécialement conçue pour la
mobilisation de l‟épargne nationale ne touche qu‟une infime minorité de la
population. Comme par rapport à l‟accès au crédit, les structures informelles
telles que les tontines jouent un rôle considérable dans la mobilisation et la
sécurisation de l‟épargne du plus grand nombre d‟agents économiques au
Sénégal.
En plus de ces limites, les banques ont subi un sérieux revers au
milieu des années 80. En 1989, la restructuration bancaire a abouti à la
suppression de 7 banques - sur les 16 que comptait le pays - considérées

Desjardins (SDID).
94
Fournier, J-B; Camille, G. M. et Giguère, P., (1993), “The definition of a legal and
operational framework for mutualist financial network: what the actors have to say.
The ATOBMS project experience in Senegal”. In Saving and Development no 3,
XVII, p. 332.

188
comme non viables par les pouvoirs publics. Les causes de la faillite de ces
banques démantelées sont à chercher dans leur caractère public ou
parapublic qui a favorisé l‟octroi de crédits de nature clientéliste à des
entrepreneurs politiques tels que les chefs religieux ou coutumiers très
influents. Ces crédits ne seront jamais payés remettant en cause l‟équilibre
financier de ces banques qui se sont retrouvés dans l‟incapacité de restituer
les dépôts de leurs clients.
Pour éviter que soit entamée davantage la confiance des citoyens
envers le système bancaire, l‟Etat procède à une restructuration bancaire en
se retirant pour laisser la place à des structures privées. La Société Nationale
de Recouvrement (SNR) est mise en place pour assurer la liquidation des
créances des banques ayant déposé leurs bilans. Les créances des 7 banques
s‟élèvent à 260 milliards dont au moins 54 étaient recouvrables sur 4 ans.
Après deux ans de fonctionnement, la SNR n‟est parvenue à récupérer que
16,5 milliards essentiellement de la part des petits et moyens débiteurs. Les
gros débiteurs n‟ont pas été inquiétés. Il est notoire qu‟après deux ans et
demi de procédures de recouvrement aucun dossier n‟a été transféré à la
justice (O. Thibaud, 1993, pp. 1502-1503)95. Cette situation n‟est pas allée
sans compromettre la confiance des déposants envers le système bancaire, ce
qui a pour conséquence, bien évidemment, le développement des
arrangements financiers populaires considérés comme plus crédibles.
Par ailleurs, la crise financière internationale des années 1980
marque la fin d‟une période qui est caractérisée par un afflux de capitaux
abondants et à bon marché des pays riches vers les pays pauvres. De plus en
plus, les pays en développement sont forcés à compter sur la mobilisation
des ressources intérieures pour le financement de leur développement. Ce
changement brutal et forcé va mettre à nu, d‟une part, les déficiences et
l‟inefficacité des structures bancaires au Sénégal et, d‟autre part le
dynamisme des structures financières informelles pour la collecte de
l‟épargne intérieure et son affectation productive. En plus des performances
économiques et financiers, certains attribuent aux tontines une dimension
culturelle (Nzemen, 1993; Essombe Edimo, 1998)96.

95
Thibaud, O., (1993), Spécial Sénégal. Dossier, Marchés Tropicaux, juin, nº2483,
pp. 1487-1509.

96
Nzemen, M., (1993), Tontines et développement ou le défi financier de l‟Afrique.
Presses Universitaires du Cameroun, 234p. Essombé Edimo, J-R., (1998),
“Dynamique financière des tontines: quels enseignements pour le financement des
petites entreprises en Afrique, Revue Tiers Monde, t.XXXIX, nº 156, pp. 861-83.

189
La dimension culturelle

La deuxième perspective d‟analyse du dualisme est celle qui


considère les arrangements financiers populaires comme ayant une
dimension culturelle dont il est impossible d‟intégrer dans la logique de
gestion financière formelle. Ce qui veut dire, en d‟autres termes, que les
pratiques financières populaires continueront à exister quels que soient les
efforts déployés par les pouvoirs publics et quelles que soient les stratégies
définies par les banquiers pour attirer le plus grand nombre de ménages et
d‟entrepreneurs du secteur économique informel (D. Germedis, 1990, p. 6)97.
On considère dans ce cas que les pratiques financières populaires
s‟enracinent dans la tradition africaine et qu‟elles font parti d‟un héritage
culturel que les populations charrieront toujours avec elles. Dès lors, les
tontines ne seraient pas uniquement des instruments financiers destinés à
satisfaire des besoins économiques avérés, elles sont en même temps des
canaux par lesquels passent des éléments d‟identité.
L‟argument que nous pouvons avancer pour défendre ce point de
vue est la participation dans les tontines d‟acteurs ayant un accès facile aux
services bancaires. Nous avons déjà vu qu‟au niveau des lieux de travail,
notamment dans les banques, les salariés organisent des tontines malgré le
fait qu‟ils disposent tous de comptes bancaires. De même que nous avons
constaté dans le chapitre 4 que les émigrés sénégalais continuent de
participer aux tontines alors qu‟ils ont accès au système bancaire de leur
pays d‟accueil. La question est alors pourquoi ces catégories d‟individus
recourent-elles aux arrangements financiers populaires? La réponse est
évidemment, ici, que les tontines véhiculent des éléments culturels qui
constituent le plus qu‟elles ont à offrir aux participants comparées aux
banques.
La dimension culturelle peut être mieux comprise si l‟on compare
les bases sur lesquelles reposent les banques et les tontines. Nous avons déjà
souligné que les tontines se fondent essentiellement sur des relations
personnalisées. Dans les tontines simples, par exemple, la tontine est comme
une seconde famille pour les participants. C‟est de ces relations
personnalisées que découlent les relations de confiance et de contrôle social
qui assurent le bon fonctionnement des tontines. Contrairement aux tontines,
les banques développent avec leurs clients des relations impersonnelles. On
s‟adresse aux guichets à des personnes inconnues et donc interchangeables.

97
Germidis, D., (1990), “Interlinking the Formal and Informal Financial Sectors in
Developping Countries”. Savings and Development, Quarterly Review, nº1, 1990,
XIV, pp. 5-22.

190
Les opérations bancaires se font dans l‟anonymat presque absolu. De ce fait,
les relations de confiance entre les banques et leurs clients se fondent
essentiellement sur la maîtrise de l‟information concernant la situation
financière et matérielle de ces derniers. La banque ne fait confiance que si un
certain nombre de conditions objectives sont remplies par le client. De ce
point de vue, il est clair que les tontines sont de loin plus près des valeurs et
des normes culturelles locales que les banques.
Mais en plus de ces différences certes essentielles entre les deux
systèmes, il est à noter que du point de vue des procédures, les tontines sont
encore mieux adaptées à l‟environnement culturel que les banques. Les
procédures bancaires sont souvent très longues et les règles qui les
accompagnent sont strictes et rigides. En plus, la communication avec les
clients passe essentiellement par écrit. A l‟opposé, les tontines
fonctionnement avec des règles flexibles et des procédures simplifiées. Ce
qui explique aussi la préférence de plusieurs catégories sociales, y compris
les salariés et les émigrés pour les tontines comparées aux banques.
Entre les banques et les tontines, viennent s‟insérer aujourd‟hui des
mutuelles d‟épargne et de crédit, des coopératives et des caisses villageoises
qui entendent dépasser les limites inhérentes au système bancaire pour
satisfaire les besoins en matière de financement des catégories sociales
exclues des institutions financières officielles. Ainsi, apparaît un troisième
pôle qu‟on appelle système financier décentralisé et qui remet en cause la
prétendue dualité du paysage financier au Sénégal.

Le système financier décentralisé: l’avènement de la micro-finance

De ce qui précède, on peut conclure que les circuits financiers


officiels sont très loin d‟être faits pour les pauvres. Ils négligent la petite
épargne et ignorent les besoins de crédit manifestés par les couches sociales
moyennes et pauvres. Or, il est de plus en plus clair que la mobilisation de
l‟épargne intérieure passe inéluctablement par la prise en considération de
l‟épargne populaire. Cette conviction est partagée par les différentes
structures d‟intervention dans le domaine de l‟épargne et du crédit :
programmes d‟appui aux mutuelles d‟épargne et de crédit, ONG, projets à
volet épargne et crédit, etc. Elles tentent de pallier les limites des démarches
de financement des institutions financières formelles pour répondre aux
besoins des catégories sociales en marge du système bancaire. Toutes ces
interventions en matière de financement des pauvres sont unies par
l‟appellation du microcrédit.
Le microcrédit est brandi aujourd‟hui comme un instrument
financier adéquat pour le financement des laissés-pour-compte du secteur
bancaire. Il est célébré à travers des conférences et des colloques comme un
remède miracle pour sortir des millions de personnes de la misère et de la

191
pauvreté98. Il repose sur une idée simple, octroyer des petits prêts aux
pauvres tout en se gardant de leur demander des garanties matérielles comme
le font les banques. On développe d‟autres stratégies pour éviter des taux de
recouvrement faibles. La caution solidaire est l‟une de ses stratégies les plus
usitées. Elle consiste à exiger des demandeurs de crédit d‟intégrer un groupe
solidaire qui s‟engage à payer à la place des membres qui refuseraient de
rembourser leur crédit
Compte tenu des succès annoncés à grandes fanfares de l‟expérience
de la Grameen Bank en Bangladesh et de la BancoSol en Bolivie, l‟espoir est
démesuré chez les praticiens et les experts du développement (Morduch,
1999)99. L'euphorie gagne les organismes de développement et les ONG qui
mettent en œuvre partout en Afrique des programmes de microcrédit
destinés à améliorer le sort des pauvres. Les organismes de développement,
les associations caritatives et les ONG établis au Sénégal sont entrés dans la
cadence et ont très vite copié des modèles qui ont fait leurs preuves ailleurs
en y ajoutant un peu de vernis local. A Dakar comme dans le monde rural
sénégalais, on assiste alors à un foisonnement des programmes de
microcrédit.
On peut classer ces programmes en deux grandes catégories. La
première catégorie regroupe toutes les mutuelles d‟épargne et de crédit qui
émanent des structures de coopération. L‟exemple le plus achevé de ce genre
est le réseau de mutuelles mises en place par le Programme d‟Appui aux
Mutuelles d‟Epargne et de Crédit du Sénégal (PAMECAS) de la coopération
canadienne. Ce programme, s‟inspirant des expériences canadiennes en
matière de mutualité, propose une démarche combinant proximité sociale et
gestion financière rigoureuse.
La deuxième catégorie regroupe les systèmes d‟épargne et de crédit
conçus par les ONG locales ou étrangères. D‟une manière générale, elles
partent du constat d‟échec de l‟intermédiation financière institutionnelle à
atteindre les couches sociales les plus vulnérables dans le contexte de
l‟ajustement structurel. Elles proposent des démarches originales s‟appuyant
sur les fondements sociaux des pratiques informelles d‟épargne et de crédit.
Il existe plusieurs exemples d‟ONG intervenant de cette manière au niveau
aussi bien du milieu rural que dans les villes : Femmes Développement
Entreprise en Afrique (FDEA), ENDA Tiers Monde, FAFD (Fédération des
Associations du Fouta pour le Développement), pour ne citer que celles-là.

98
Voir Microcrédit Summit Report de 1997
99
Morduch, J., (2000), “The Microfinance Schism”, World Development, Vol. 28,
No. 4, pp. 617-629.

192
Appui des structures de coopération

Nous entendons par structure de coopération l‟ensemble des


programmes et projets initiés par des pays tiers en faveur du Sénégal. Dans
le domaine de l‟épargne et du crédit les initiatives Nord américaines ont été
les plus vigoureuses avec notamment la mise en place du PAMECAS par les
Canadiens et de l‟ACEP par l‟USAID des Américains. Ces deux structures
bien qu‟ayant évolué différemment occupent aujourd‟hui les premiers rangs
parmi les systèmes de financement décentralisés au Sénégal. L´ACEP était
au début un Projet essentiellement tourné vers le financement des
entrepreneurs du monde rural. Elle a fini par devenir une mutuelle d‟épargne
et de crédit avec le retrait de l‟USAID. Elle couvre l‟ensemble du territoire
national et a des antennes aussi bien dans le monde rural que dans les villes.
Le PAMECAS par contre est un Programme qui a pour objectif de
créer et d‟appuyer des mutuelles d‟épargne et de crédit. Il s‟inspire de la
mutualité canadienne. Il considère la mobilisation de l‟épargne populaire
comme pouvant jouer le rôle de pierre angulaire du développement des pays
du sud. La démarche du PAMECAS est aujourd‟hui généralisée au niveau de
toutes les structures intervenant dans le domaine de l‟épargne et du crédit.

L´ACEP (Alliance du Crédit et de l’Epargne pour la Production).

L‟Alliance du Crédit et de l‟Epargne pour la Production (ACEP) est


présentée, dans le paysage des mutuelles d‟épargne et de crédit au Sénégal,
comme une réussite. Cette dernière s‟explique, d‟une part, par le fait que
c‟est une mutuelle qui a hérité des fonds du Projet ACEP de l‟USAID et,
d‟autre part, par sa démarche de financement et de recouvrement fondé sur la
proximité avec les clients.
En effet, l‟ACEP-Projet est le fruit de la coopération entre l‟USAID
et le gouvernement du Sénégal. A ces débuts, le projet intervenait
exclusivement dans le bassin arachidier. A cette époque ACEP signifiait
Projet de Développement des Collectivités Locales et de l‟Entreprise Privée
dans le monde rural. Ce projet avait comme principal souci de promouvoir
l‟entreprise privée en définissant une démarche alternative de financement
permettant l‟accès des paysans au crédit. Le projet a fonctionné pendant 3
ans avant qu‟une évaluation externe ne révèle un déficit financier de
75.000.000 F CFA.
Au vu du rapport de l‟évaluation externe, l‟USAID a failli fermer le
projet. Mais pour ne pas perdre le capital d‟expérience accumulé, il décide
de changer l‟orientation du projet en posant deux objectifs majeurs : la
rentabilité et la création d‟une institution financière autonome et pérenne
avant le 31 décembre 1993, date de clôture du projet. L‟objectif de

193
rentabilité est dicté par le souci de créer une rupture avec l‟environnement
traditionnel de gestion des projets qui est caractérisé par une gestion
hasardeuse, des détournements de fonds et par conséquent des échecs
lamentables. En effet, dans les projets, la motivation des responsables locaux
et des employés est souvent limitée du fait des préoccupations d‟emploi à la
fin de celui-ci. Chacun essaye de profiter au maximum du projet pour faire
face à la situation de l‟après-projet. Cette attitude n‟est pas étrangère au
déficit financier de 75.000.000 F CFA constaté dans les comptes du projet
ACEP.
Pour répondre à ce problème du manque de motivation des
responsables et des employés locaux, l‟USAID se fixe comme deuxième
objectif après la rentabilité la pérennisation de l‟ACEP comme une structure
financière viable. En effet, l‟objectif de la pérennisation donne aux employés
l‟espoir de garder durablement leur emploi. Ce qui est une source de
motivation et de volonté de gérer rigoureusement et sainement l‟institution
financière qui sortira du projet ACEP.
Contrairement aux autres mutuelles d‟épargne et de crédit qui
accumulent l‟épargne des membres pendant un certain temps avant de
commencer à distribuer des crédits, l‟ACEP du fait de son héritage financier,
a octroyé des crédits dès sa naissance. Elle ne finance exclusivement que des
entreprises informelles déjà établies. Le choix des entrepreneurs du secteur
économique informel répond au souci de la mutuelle de dépasser les limites
des institutions financières classiques qui considèrent le financement de cette
catégorie d‟entrepreneurs comme étant trop risqué.
Pour répondre aux besoins de cette catégorie d‟entrepreneurs,
l‟ACEP initie une démarche originale qui constitue une véritable pédagogie
d‟intervention en milieu informel. Elle développe des relations de proximité
entre ses agents sur le terrain et sa clientèle. Les agents doivent s‟assurer de
la capacité de gestion et de la santé financière des entrepreneurs qui veulent
bénéficier des crédits de l‟ACEP. Ils font des enquêtes de moralité dans
l‟entourage des potentiels bénéficiaires. Ils font des visites surprises sur les
lieux d‟opération des entreprises. Dans certains cas, ils vérifient également la
charge sociale de l‟entrepreneur en venant leur rendre visite chez eux pour
constater le nombre de personnes dépendant des revenus générés par
l‟entreprise. C‟est sur cette démarche que reposent les bons résultats affichés
par l‟ACEP.

194
Tableau n°19: Bilans annuels comparés de l‟ACEP de 1993, 1996 et 2005
(montants en F CFA)

Années 1993 1996 2002-2005


Nombre de membres 3.372 5.548
Nombre de prêts 2.109 4.906 97.504
Montant de l‟actif 1.762.000.000 4.135.000.000 8.587.779.500
Montant des prêts 1.584.000.000 5.833.000.000 19.796 milliards
Montant de l‟épargne 35.117.773 258.717.773 3.719 milliards
Rapport d‟activités de l‟ACEP 19993, 1996, 2002 et 2005.

Le tableau no 19 rend bien compte de l‟évolution fulgurante des


chiffres de l‟ACEP. Le nombre de prêts est passé de 2.109 en 1993 à 4.906
en 1996 et à 97.504 en 2002. Le montant des prêts comme celui de l‟épargne
ont connu également une évolution exponentielle. Le montant des prêts est
passé de 1.584 milliards en 1993 à 5.833 milliards en 1996 avant d‟atteindre
les 19.796 milliards en 2005. De même le montant de l‟épargne collectée est
passé de 35.117.773 F CFA en 1993 à 258.717.773 avant d‟atteindre la
somme de 3.719 milliards en 2005.
Le bilan financier de l‟ACEP entre 1993 et 2005 rend bien compte
de la mutation qui est entrain de s‟opérer dans le domaine de la mutualité au
Sénégal. Ainsi, l‟ACEP permet à plusieurs entrepreneurs du secteur informel
de bénéficier des prêts relativement importants qui leur donnent
l‟opportunité d‟étendre et de consolider leurs entreprises. Cependant,
l‟ACEP n‟est pas à coût sûr une institution financière pour les pauvres. Il y a
plusieurs entrepreneurs du secteur informel qui ont du mal à accéder au
crédit de l‟ACEP. En réalité sauf les entrepreneurs qui disposent d‟une
certaine assise financière et d‟une grande capacité de gestion ont la chance
d‟accéder aux lignes de crédit de cet organisme. L‟ACEP est une institution
de crédit qui se soucie, comme les banques, d‟augmenter ses profits en de
limiter ses pertes. Une telle structure de financement n‟est pas faite pour les
individus qui sont en dessous du seuil de pauvreté. Le bilan financier
contenu dans le tableau précédent montre bien les énormes profits réalisés
par l‟ACEP sur le dos des entrepreneurs du secteur économique informel. La
philosophie de l‟ACEP repose essentiellement sur l‟idée que les
entrepreneurs de l‟économie informelle ne cherchent pas du crédit à moindre
coûts mais l‟accès tout court au crédit. Fort de cette conviction, l‟ACEP
propose des taux d‟intérêts sur le crédit qui avoisinent ceux des banques
commerciales de la place. De ce point de vue, ils reproduisent la logique
bancaire; ce qui fait que l‟ACEP connaît aussi ces millions d‟exclus.

195
Le PAMECAS (Programme d’Appui aux Mutuelles d’Epargne et de
Crédit au Sénégal)

Le Programme d‟Appui aux Mutuelles d‟Epargne et de Crédit au


Sénégal (PAMECAS) a démarré en 1994. Il devait durer cinq ans et a donc
pris fin en 1999. Entre temps, il a mis en place un réseau de plusieurs
mutuelles d‟épargne et de crédit. Il a également contribué à la création de
plusieurs autres institutions de crédit, aussi bien en milieu rural qu‟en milieu
urbain. La finalité du PAMECAS, d‟après son cahier des charges, était
d‟aider les ménages sénégalais et les petits opérateurs économiques à avoir
accès à des services d‟intermédiation financière à des coûts réduits. Pour
atteindre cette finalité, le Programme a réussi la mise en place et la
consolidation d‟institutions financières à caractère mutualiste. L‟objectif des
responsables était, à terme, de susciter l‟émergence d‟un réseau de 20
mutuelles d‟épargne et de crédit en milieu urbain (Dakar, Pikine et Rufisque)
qui continuera à exister de manière viable à la fin du programme.
Le PAMECAS a été pendant ses cinq ans d‟existence au centre de
l‟intermédiation décentralisée au Sénégal. Il a appuyé du point de vue
professionnel l‟Alliance du Crédit et de l‟Epargne pour la Production
(ACEP) dans sa transition de structure projet à une structure mutualiste en
contribuant au développement de sa capacité de mobilisation de l‟épargne,
de gestion et de contrôle de ses ressources. Mais l‟encadrement du
PAMECAS ne s‟est pas limité exclusivement à l‟ACEP, il a pris en charge
également la formation au niveau des principaux intervenants engagés dans
le développement des mutuelles, des caisses et coopératives d‟épargne et de
crédit au Sénégal tel que l‟Union Nationale des Commerçants et des
Industriels du Sénégal (UNACOIS).
Le programme a travaillé en étroite collaboration avec la cellule
AT/CPEC (Assistance Technique aux Caisses et Coopératives d‟Epargne et
de Crédit) dans ses efforts pour maintenir et renforcer la concertation,
l‟échange et la coordination entre les différents intervenants du secteur
financier mutuel. Ce travail consiste pour l‟essentiel à la recherche d‟un
cadre institutionnel et juridique susceptible de favoriser l‟épanouissement
des structures décentralisées de financement sous le contrôle de l‟Etat. La
cellule AT/CPEC assure la suivie des recommandations et résolution du
projet ATOBMS (Assistance Technique aux Opérations Bancaires
Mutualistes au Sénégal) qui a été un cadre de réflexion entre les coopérants
(Banque Mondiale, Agence Canadienne pour le Développement
International et Société de Développement International Desjardins), les
décideurs politiques (Ministère de l‟Economie, des Finances et du Plan) et

196
les acteurs impliqués dans des structures d‟intermédiation financières autres
que bancaires (J-B. Fournier, C.G. Moreau et P. Giguère)100.
En 1997, les pays membres de l‟Union Monétaire Ouest Africaine
(UMOA) ont ratifié un projet de lois destiné à encadrer la prolifération des
structures financières décentralisées. Les lois qui ont été conçues par le
projet PARMEC (Projet d‟Appui à la Réglementation des Mutuelles
d‟Epargne et de Crédit) visent à réglementer les pratiques financières
parallèles aux services financiers bancaires (Lelart, 2000)101. Elles mettent
les coopératives, les caisses et les mutuelles d‟épargne et de crédit sous la
tutelle du ministère des finances qui doit contrôler les opérations comptables
et veiller à leur bon fonctionnement dans la légalité. Mais ce qui est
surprenant c‟est que cet ensemble de lois ne fait pas mention des pratiques
financières populaires qui, du coût, tombent dans l‟illégalité. Dans
l‟entendement des législateurs, les tontines et les caisses communautaires
doivent évoluer vers la forme de mutuelles d‟épargne et de crédit et être
déclarées au ministère des finances en vue de leur reconnaissance officielle.
On peut parler d‟une tentative de formalisation des pratiques financières
populaires. Il est clair que la concrétisation de telles intentions pose toujours
problème compte tenu de l‟éclatement et de la large diffusion des tontines.
C‟est, en définitive, la promotion du concept des mutuelles
d‟épargne et de crédit et de l‟outil coopératif qui était recherchée dans la
réalisation du Programme PAMECAS. Il a voulu susciter l‟engouement des
populations pour de telles structures de financement décentralisées pouvant
répondre plus que les institutions d‟intermédiation financière classiques à
leurs besoins de financement. Le programme a visé plus particulièrement les
femmes en tentant d‟appuyer techniquement et financièrement ces dernières
pour le renforcement de leurs activités économiques. De même, le
programme a eu comme stratégie l‟intégration des groupements féminins en
tant qu‟acteurs collectifs aux réseaux de mutuelles d‟épargne et de crédit
qu‟il a mis en place.
La démarche du PAMECAS est essentiellement tirée de la tradition
mutualiste canadienne dont Alphonse Desjardins est l‟inspirateur. Alphonse
Desjardins a créé la première mutuelle d‟épargne et de crédit qui porte son
nom en 1901 à Lévi. Comme l‟écrit Bernard Taillefer, « la révolte contre
l‟usure fut l‟une des principales motivations de Desjardins». (B. Taillefer

100
Jean-Bernard Fournier, Camille G. Moreau et Pierre Giguère: “The Definition of
a Legal and Operational Framework for a Mutualist Financial Network: What the
Actors Have to Say - The ATOBMS Project Experience in Senegal. In Saving and
Development, nº3, 1993, XVII, pp. 331-351.
101
Lelart, M. et al., (2000), Finance informelle et financement du développement,
FMA-AUPELF-UREF, 249p.

197
1996, p : 24)102. Il est vrai que le modèle du canadien doit beaucoup à la
tradition mutualiste européenne avec notamment les méthodes de l‟allemand
Raiffeisen. Mais l‟originalité du système Desjardins réside sur une
conception plus souple de la responsabilité accompagnée d‟une mesure de
couverture des risques. En effet, il remet en cause la notion de la
responsabilité illimitée chère au modèle européen tout en exigeant le
paiement de droits d‟adhésion à fonds perdus.
La couverture des risques et par conséquent la protection des
déposants est assurée, d‟une part, par le paiement des droits d‟adhésion et,
d‟autre part, par la constitution d‟un capital social composé de parts sociales
obligatoires, pouvant être versées en plusieurs tranches de manière à ne pas
écarter les pauvres du système. C‟est cette méthodologie d‟intervention et
surtout la philosophie et l‟humanisme du modèle Desjardins qui ont le plus
favorisé la naissance et l‟expansion à travers le monde du mouvement
mutualiste du même nom.
Le PAMECAS est l‟un des héritiers de ce mouvement Desjardins. Il
part du constat, d‟une part, de l‟exclusion des pauvres des services financiers
institutionnels et, d‟autre part, de l‟existence de pratiques usurières dans les
marchés et les quartiers de Dakar. C‟est justement pour répondre à ces deux
problèmes majeurs qui paralysent l‟épargne populaire que le programme a
été conçu. Il replace l‟épargne populaire au cœur même du développement et
pense qu‟une bonne stratégie de collecte et de redistribution de cette dernière
peut contribuer à alléger, voire à terme, supprimer la dépendance financière
du Sénégal vis-à-vis de l‟extérieur.
En plus des mutuelles qu‟il a mises en place, le PAMECAS a assuré
également la formation des ressources humaines de plusieurs autres
mutuelles et projets à volet micro crédit. Plusieurs initiatives locales se sont
inspirées du modèle Desjardins en sollicitant l‟appui du programme pour
créer leurs propres systèmes mutuels. L‟Union Nationale des Commerçants
et des Industriels du Sénégal (UNACOIS) à monter un véritable réseau de
mutuelles au niveau des marchés de Dakar et dans les régions avec
l‟encadrement et les conseils du programme. Les 25 Mutuelles de
l‟UNACOIS ont octroyé plus de 10 milliards de F CFA de crédit et mobilisé
près de 15 milliards d‟épargne pour la seule année 1999 (Sud Quotidien,
1999)103.

102
Taillefer, B., (1996), Guide de banque pour tous; Innovations africaines, éditions
Karthala, Paris, 1996, 314p.
103
Sud Quotidien: “Les Mutuelles de l‟UNACOIS concurrencent les Banques. Le
sud du 15 décembre 1999.

198
Tableau n° 20: Bilan du réseau des mutuelles PAMECAS entre 1997 et
2005.

Année 1997 2005


Nombre de 12.349 (dont 5.924 203 607 (52% dont
membres femmes) femmes)
Nombre de prêts 1.218 -
Montant des prêts 178.471.594 (F CFA) 13 368 171 477 F CFA
Montant de 519.300.238 (F CFA) 12 591 667 162 F CFA
l‟épargne
Rapport des services de la comptabilité du Pamecas, 1997 et 2005.

Au vu des résultats déjà enregistrés, le programme a pu sans aucun


doute asseoir une démarche alternative par rapport aux structures de
financement classiques. En effet, il est clair que les mutuelles d‟épargne et
de crédit conçues par le programme parviennent à intégrer plus les pauvres
que les structures bancaires. De ce point de vue, le PAMECAS n‟est pas
comparable avec l‟ACEP. L‟originalité des mutuelles du PAMECAS réside
dans le fait qu‟elles mettent l‟accent sur la mobilisation de l‟épargne
populaire. C‟est à partir de l‟épargne mobilisée que les crédits sont tirés. Ce
qui fait que la démarche du programme n‟est pas très loin des principes qui
gouvernent les pratiques financières populaires. Contrairement à l‟ACEP qui
ne finance que des petites entreprises déjà bien établies, le PAMECAS
finance des entrepreneurs débutants en associant crédit et formation. Si on
compare le nombre de membres des deux structures, on se rend compte que
le PAMECAS a un nombre de membres deux fois supérieur à celui de
l‟ACEP, tandis que du point de vue du volume des prêts, l‟ACEP atteint le
montant de 5.833.000.000 F CFA là où le PAMECAS ne dépasse pas
178.471.594 F CFA. Avec ses moyens modestes, le PAMECAS sert mieux
les pauvres comparé à l‟ACEP. Malgré cette approche novatrice, il faut noter
que les mutuelles du PAMECAS ne peuvent pas à elles seules répondre aux
besoins de financement divers des populations.

Appui des ONG étrangères et locales

Beaucoup d‟ONG étrangères ou locales interviennent dans le


domaine de l‟épargne et du crédit d‟une manière ou d‟une autre. La plupart
du temps, ces ONG ont des groupes cibles qui correspondent d‟après leurs
analyses aux groupes les plus marginalisés par rapport à l‟accès aux services
financiers institutionnels. Par conséquent les femmes et les populations
rurales constituent les principales bénéficiaires des actions des ONG en

199
matière d‟intermédiation financière. Dans le monde rural, elles ont suscité la
création de caisses villageoises autonomes qui, pour la plupart, sont
devenues de véritables banques pour les populations locales. La grande
différence entre les programmes de microcrédit des organismes de
coopération et ceux mis en place par les ONG est que les derniers dépendent
fortement des subventions des ONG du Nord et des organismes de
coopération. De ce fait, les programmes de microcrédit des ONG touchent
généralement plus de pauvres que les programmes des organismes de
coopération.
En effet, les ONG intègrent le microcrédit dans des programmes plus
larges ayant trait à leurs préoccupations d‟améliorer les conditions de vie de
certains groupes cibles tels que les plus pauvres, les femmes, les jeunes, etc.
Certaines ONG interviennent directement en montant des mutuelles
d‟épargne et de crédit et des caisses villageoises, le cas de la FDEA, d‟autres
le font indirectement en passant par des structures relaies beaucoup plus
proches des populations, c‟est le cas du Catholic Relief Services (CRS) qui
travaille avec beaucoup d‟Associations, d‟Unions et de Fédération
d‟associations à travers tout le Sénégal.

L’expérience de la FAFD avec l’appui du CRS

La Fédération des Associations du Fouta pour le Développement


(FAFD) intervient dans le domaine de l‟épargne et du crédit avec l‟appui du
Catholic Relief Services (CRS). Elle travaille exclusivement avec des
Unions d‟Associations Villageoises de Développement (AVD) dans la
région de Saint-Louis. Les femmes constituent la principale cible de ce
programme d‟épargne et de crédit. Pour la FAFD, elles sont le plus besoin
d‟un appui du fait des contraintes qu‟elles rencontrent pour avoir accès aux
circuits financiers institutionnels.
La FAFD a financé deux Unions d‟Associations Villageoises de
Développement : l‟Union des Jeunes Agriculteurs de Koyli Weendu (UJAK)
et l‟Union de Orkadiéré. Ces Unions ont reçu de la FAFD des fonds de crédit
d‟un montant de 5.000.000 F CFA. Chaque Union est chargée de traiter
directement avec les différentes AVD pour l‟octroi du crédit et le
recouvrement des fonds au terme des échéances. Ce sont les AVD qui
doivent désigner dans chaque village 20 femmes qui vont bénéficier d‟un
crédit de 30.000 F FCA pour une période de 6 mois renouvelable une fois.
Le taux d‟intérêt est de 5%. Les intérêts accumulés au cours d‟une campagne
de crédit sont reversés dans les caisses des AVD. Seul le fond de crédit roule
de village en village.
L‟objectif de la FAFD et du CRS est de parvenir à une autonomie
financière des femmes du monde rural en leur offrant du crédit et en leur
formant à l‟épargne. En effet, dans les villages bénéficiaires de l‟appui de la

200
FAFD, les femmes ont acquis une grande expérience en matière d‟épargne et
de crédit. Certaines d‟entre elles sont parvenues à partir des crédits obtenus à
créer les conditions de leur autonomie financière en investissant dans des
activités génératrices de revenus : petit commerce, maraîchage, vente de
poissons, teinture, couture, etc.
Mais, cette expérience connaît bien des limites. D‟abord, en ce qui
concerne la modicité des montants octroyés sous forme de crédit et de la
durée relativement courte des échéances qui est de six mois. C‟est ce qui
explique l‟incapacité de beaucoup femmes à profiter de ce type de crédit
pour disposer d‟un fond de roulement suffisamment important afin d‟assurer
l‟autofinancement, autrement dit l‟autonomie financière. Selon Penda, 43
ans et marchande de poisson à Orkeniéré, les prêts octroyés par la FAFD
sont très faibles comme les échéances de paiement sont également très
courtes. Elle fait le bilan de son expérience avec la FAFD en ces termes:

« Quand l‟union d‟Orkeniéré est venue nous proposer des crédits en 1994,
nous étions tous très enthousiastes. Ils ont demandé à notre Association Villageoise
de choisir 20 femmes avec lesquelles ils vont travailler. Mais seules les femmes qui
avaient une activité économique étaient éligibles. C‟est ainsi que j‟ai été prise
comme bénéficiaire. J‟ai reçu alors 30.000 F CFA du gérant de notre caisse
villageoise. J‟ai augmenté mon stock de poissons fumés mais pas celui de poissons
frais malgré les conseils de nos encadreurs. En fait j‟avais peur de me retrouver avec
des grandes pertes puisque dès fois on a du mal à évacuer la quantité de poissons
frais qu‟on a l‟habitude de vendre par jour. Il n‟y a pas plus écœurant pour moi
qu‟une grande quantité de poissons frais non vendue. On n'a pas où les mettre, on les
mange ou ils pourrissent. C‟est pourquoi, j‟avais personnellement une préférence
pour les poissons fumés ».

A la fin de chaque mois je remboursais au gérant de la caisse 6.000


F CFA dont 5.000 F CFA de crédit, 250 F CFA d‟intérêt et 850 F CFA
d‟épargne personnelle. Au bout des six mois premiers, j‟avais remboursé les
30.000 F CFA de crédit et 1.500 F CFA d‟intérêt. En plus, j‟avais réalisé une
épargne de 5.200 F CFA. Ensuite, je faisais partie du groupe de 20 femmes
éligibles pour un second financement de 6 mois. Le gérant a sélectionné, les
bénéficiaires du second financement sur la base de la régularité des
remboursements mensuels des premiers bénéficiaires. J‟ai pu repayer les
30.000 F CFA du deuxième financement sans aucun problème. On voulait
avoir un troisième financement mais on nous a expliqué que le fond de crédit
devait aller dans un autre village voisin où seront sélectionnées d‟autres
femmes. Ils m'ont proposé de transformer notre épargne collective de
208.000 F CFA (10.400 F CFA x 20) plus les 60.000 F CFA d‟intérêts versé
durant l‟année en un fond de crédit. Nous étions d‟accord mais on ne
comprenait pas pourquoi il fallait déplacer le fond de crédit dans la mesure
nous avions réussi à rembourser nos crédits dans les délais. Aujourd‟hui,

201
notre fond de crédit ne parvient pas à répondre aux besoins de crédit de tous
les membres. Nous sommes obligés de recevoir les crédits à tour de rôle.
D‟autres expériences (en l‟occurrence la FDEA) ont su éviter cette
erreur en allouant des crédits, à des groupes de femmes en milieu aussi bien
rural qu‟urbain, dont le volume évolue en fonction de l‟effort des débitrices
pour une durée indéterminée d‟avance.

L’expérience de la FDEA

La FDEA (Femmes Développement Entreprise en Afrique) a pour


principale ambition de permettre aux femmes de faire valoir leur esprit
d‟entreprise en les finançant et les encadrant. Elle met l‟accent sur l‟accès au
crédit, l‟apprentissage à l‟épargne et la formation à la gestion qui semblent
être les problèmes majeurs auxquels les femmes entrepreneuses sont
confrontées. La FDEA part du constat, du reste partagé par les autres
intervenants, que les femmes sont les agents économiques les plus
dynamiques mais en même temps les plus défavorisées par rapport à l‟accès
aux circuits financiers officiels. Elles sont pour la plus grande majorité dans
l‟incapacité à disposer de suffisamment de ressources matérielles et
financières pour mériter la confiance des banques.
La FDEA dispose d‟une mutuelle d‟épargne et de crédit et des
caisses villageoises dans la région de Kaolack. A Dakar, elle finance, par le
biais de sa mutuelle, des groupes de femmes disposant de petites entreprises
ou pratiquant des activités génératrices de revenus notamment dans le
secteur économique informel. C‟est dans ce cadre qu‟un groupe de 11
femmes installé dans le marché de Tilène (l‟un des plus grands marchés du
centre ville de Dakar) a bénéficié des crédits de la FDEA. La plupart des
femmes de ce groupe sont vendeuses de produits alimentaires, de légumes,
de poissons séchés. L‟une d‟entre elle est restauratrice. Mais elles sont toutes
dans un même périmètre et proches les unes des autres.
La FDEA impose comme condition de l‟octroi du crédit la
constitution d‟une caution solidaire dont le principe est l‟endossement de la
responsabilité du non remboursement des prêts de la part d‟une femme par
l‟ensemble du groupe (Rahman, 1999)104. Le principe de la caution solidaire
utilise les moyens de pressions sociales que l‟on rencontre dans les tontines
ou d‟autres structures organisationnelles populaires pour sécuriser les
créanciers en l‟absence de garanties et d‟apports personnels souvent exigés
par les intermédiaires financiers classiques. Les 10 femmes du marché de
Tilène qui ont bénéficié du financement de la FDEA participaient déjà dans

104
Rahman, A., (1999), Women and Micro-Credit in Rural Bangladesh: An
Antropological Study of Grameen Bank Lending, Boulder, Westview Press, 1999.

202
une même tontine. Le montant des crédits évolue en fonction du
comportement du groupe. Ainsi, le premier financement était modeste,
30.000 F CFA par femme. Mais au fur à mesure que les échéances se
succédaient sans grand problème de remboursement, le montant du crédit a
grimpé jusqu‟à 80.000 F CFA par femme. Nous verrons plus loin le rôle
crucial que la tontine de ces femmes a joué dans la réussite de cette
opération de crédit.
Pour son intervention dans l'arrière-pays, la FDEA a initié un
programme pilote de microcrédit dans la région de Kaolack. Pour la phase 1
de ce programme pilote, elle a enregistré 851 membres. Pour bénéficier des
crédits octroyés par l‟ONG, il faut nécessairement payer une part sociale de
2.500 F CFA. Le nombre de femmes ayant adhéré est de 361 contre
seulement 216 hommes. Les groupements féminins enregistrés sont au
nombre de 251 contre 23 groupements mixtes ou composés exclusivement
d‟hommes. Le prix de l‟action de la coopérative de crédit mutuel est 1.500 F
CFA. Les actions ne peuvent être détenues que par les membres de la FDEA
qui se sont acquittés de leurs droits d‟entrée de 2.500 F CFA. Le montant de
l‟épargne s‟élève à 27.989.607 F CFA au niveau des différentes caisses
villageoises. Le nombre de crédits octroyés en dix mois d‟activités est de
142. Le montant des crédits atteint 35.828.600. La durée moyenne des prêts
est de 6 mois et les taux d‟intérêts sont de 4% pour l‟épargne et de 15% pour
le crédit. Le taux de recouvrement est de 98%.
La FDEA rencontre des problèmes sérieux pour la pérennisation de
son programme de microcrédit. Elle dépend entièrement des subventions
qu‟elle reçoit des bailleurs de fonds (ONG du Nord et Organismes de
coopération) qui, de plus en plus, adhèrent à l‟idée de créer les conditions
d‟autofinancement des mutuelles et des caisses d‟épargne et de crédit. Pour
faire survivre son programme de microcrédit, elle doit coûte que coûte
rentabiliser ses fonds de crédit en faisant en sorte que les bénéfices qu‟ils
génèrent puissent couvrir les charges de gestion et de personnel.
Malgré leurs efforts constants de réduire l‟exclusion des populations
par rapport à l‟intermédiation financière institutionnelles, les structures de
coopération, comme les ONG, sont loin de parvenir à couvrir les besoins de
financement des ménages sénégalais aussi bien dans les villes qu‟au niveau
des campagnes. Elles connaissent deux limites fondamentales. La première
limite est qu‟elles ne financent que des besoins d‟investissement et non de
consommation. Ce qui favorise les pratiques usurières des commerçants sur
le crédit à la consommation que ces structures d‟intervention entendent
pourtant combattre. La deuxième limite est leur incapacité à intégrer les plus
pauvres qui ont une propension à épargner nulle ou négative. Les initiatives
populaires en matière d‟épargne et de crédit intègrent plus de pauvres du fait
qu‟elles émanent des populations elles-mêmes.

203
Articulation entre Tontines, organismes de micro crédit et banques

Les théories de la dualité financière dans les pays en développement


donnent l‟impression qu‟il y a une opposition voire une incompatibilité entre
arrangements financiers populaires et institutions financières formelles. Si en
théorie, il est possible de tracer des lignes de démarcation entre les deux,
dans les faits et du point de vue des acteurs, l‟un n'exclut pas forcément
l‟autre. L‟existence des tontines dans les banques commerciales à Dakar,
c‟est-à-dire au cœur même du système financier formel, suffit pour
convaincre du recours parallèle aux deux systèmes financiers en fonction des
objectifs poursuivis par les acteurs.
Nos recherches révèlent que les acteurs, surtout ceux qui travaillent
dans le secteur économique informel en particulier les femmes, établissent
des passerelles entre leurs tontines et les organismes de micro crédit ou les
banques. Dans bien des cas, quand la redistribution des fonds de la tontine
est précédée par une phase plus ou moins longue d‟accumulation, un compte
bancaire est ouvert au nom de la responsable où les contributions
périodiques sont versées en attendant leur redistribution sous forme de levée.
C‟est le cas des tontines de pèlerinage où les contributions sont accumulées
pendant près de 6 mois ou un an avant d‟être redistribuées.
Pour rendre compte de ces interfaces entre arrangements financiers
populaires et banques ou programmes de microcrédit, nous allons nous
arrêter sur quelques exemples qui sont assez révélateurs.

L’expérience du Réseau de Caisses d’Epargne et de Crédit des femmes


de Dakar.

L‟expérience du réseau de caisses d‟épargne et de crédit des femmes


de Dakar rend compte de l‟utilisation de l‟expertise des femmes en matière
d‟épargne et de crédit à travers la participation aux tontines pour la mise en
place d‟une institution financière adaptée au besoin de ses membres. La
première caisse d‟épargne et de crédit des femmes de Dakar a été créé en
1987 à Grand-Yoff avec le conseil d‟ENDA-GRAF. Elle était constituée de
13 groupes de 103 femmes au total. Chacun de ces treize groupes était
organisé en tontine pour satisfaire les besoins de financement des
participantes avec l‟épargne collectivisée. L‟initiative de créer la caisse vient
de l‟équipe d‟ENDA-GRAF qui encadrait ces groupes de femmes de
manière isolée. L‟équipe d‟ENDA-GRAF a suggéré aux 13 groupes de
s‟intégrer les uns aux autres pour mettre en place une caisse d‟épargne et de
crédit qui aura une plus grande capacité à répondre à leurs besoins financiers
que leurs tontines respectives.

204
L‟accumulation des contributions individuelles des 103 femmes
pendant 6 mois a permis d‟avoir un fonds de crédit de 998.800 F CFA. Les
fonds collectés ayant été jugés insuffisants pour satisfaire toutes les
demandes de crédit, ENDA-GRAF a alloué un prêt de 2.966.250 F CFA à la
caisse. Ce qui fait un total de 3.950.000 F CFA de fonds de crédit à la
disposition des 103 femmes qui peuvent y accéder pour créer ou renforcer
leurs activités économiques diverses.
Les conditions à remplir pour avoir accès au crédit de la caisse sont
simples. Il faut, d‟abord, être membre, mener une activité économique
rentable et non prohibée par les lois et règlements, et ne pas être salarié.
Ensuite, avoir versé la part supplémentaire calculée chaque année lors de
l‟établissement des différents comptes de résultat. En plus, il faut avoir versé
une caution d‟un mois à l‟avance, égale à ¼ du crédit sollicité. Enfin, il ne
faut pas être bénéficiaire d‟un crédit en cours, de la caisse ou d‟une
institution de crédit.
Mami, 34 ans, mariée et mère de trois enfants a rempli toutes ces
conditions et a reçu régulièrement du crédit de la caisse. Elle fait parti des
membres fondateurs de la caisse en 1987. Au début, elle avait versé une
épargne journalière de 50 F CFA pendant les six premiers mois ce qui fait un
versement global de 9.000 F CFA. Elle fait partie d‟un des treize groupes
composant la caisse. Son groupe, à elle, compte 10 membres tous des
femmes menant des activités marchandes au niveau du marché de Grand-
Yoff. Pendant près de 10 ans, elles ont organisé ensemble une tontine de
marché avec des versements journaliers qui ont varié dans le temps entre 50
F CFA et 500 F CFA. En dehors de cette tontine, Mami n‟a jamais bénéficié
d‟un crédit d‟une quelconque institution financière. En 1988, elle et son
groupe reçoivent un crédit de 200.000 F CFA pour une durée de 6 mois.
Chacune d‟entre elles dispose alors d‟un crédit de 20.000 F CFA
remboursable en 6 mensualités.
Mami investit le crédit reçu dans ses activités économiques. Elle
augmente le volume de ses produits de vente en les diversifiant. Si au début
elle vendait uniquement du poisson séché en une faible quantité, compte
tenu des limites de ses moyens financiers, après le crédit certes modeste, il
augmente la quantité de poisson séché en doublant ses bénéfices. Pour le
remboursement du crédit, elle et son groupe continuent à verser
quotidiennement dans une tontine d‟accumulation entre les mains de leur
présidente une somme de 150 F CFA. Ainsi, à la fin du mois, chacune pourra
rembourser les 3.600 F CFA exigés par la caisse. Par cette combinaison
originale entre système de microcrédit et tontine, sur laquelle nous allons
revenir plus loin, Mami et son groupe parviennent à respecter les échéances
fixées par la caisse pour le remboursement des crédits alloués.
Entre 1988 et 1997, Mami et son groupe ont reçu sept fois du crédit
de la part de leur caisse. Le dernier crédit octroyé en fin 1996, s‟élève à

205
600.000 F CFA soit 60.000 F CFA par femme. Depuis le premier
financement jusqu‟au dernier, la tontine d‟accumulation a joué le rôle de
garantie du remboursement des crédits alloués. Les contributions ont évolué
avec l‟accroissement du montant du crédit. Elles sont passées de 150 F CFA
à 500 F CFA par jour. Elles sont fixées de manière à permettre à chaque
femme de disposer d‟un montant un peu supérieur aux remboursements
mensuels. Cette stimulation réciproque entre micro crédit et pratiques
financières populaires contribue énormément à la consolidation et à
l‟expansion des activités économiques des femmes de Grand-Yoff. Le cas de
Mami rend bien compte de ce succès. Elle affirme :

« Maintenant en plus du poisson, je vends également des légumes, des céréales et


une gamme variée de condiments. Les crédits successifs que j‟ai reçus de la part de
la caisse ont joué un rôle déterminant dans la diversification de mes produits de
vente et dans l‟expansion de mes activités et de mes revenus. Il est clair que les
montants des crédits que j‟ai reçu jusque-là de la caisse sont très modestes mais ils
ont l‟avantage de correspondre à mes capacités d‟endettement qui, il va de soi,
s‟accroissent avec l‟extension de mes activités économiques. Il est clair que si la
caisse m‟avait donné dès le départ le montant 60.000 F CFA, j‟aurais eu d‟énormes
difficultés à rembourser parce que j‟aurais pris d‟énormes risques pour le mettre à
profit. J‟apprécie bien la démarche de la caisse qui consiste à octroyer de petites
sommes que l‟on accroît en fonction de l‟enthousiasme des bénéficiaires à travailler
et à rembourser. La démarche m‟a permis personnellement d‟accroître et de
diversifier petit à petit mes activités et mes revenus sans avoir à prendre de gros
risques.

Le succès de la première caisse va favoriser la mise en place d‟une


deuxième caisse, organisée autour des premières participantes. Elle
rassemble 57 femmes qui ont mobilisé 435.000 F CFA d‟épargne par le biais
des contributions régulières comme dans les tontines. Elle a reçu, pour le
démarrage de ses activités de crédits, un prêt de 870.000 F CFA d‟ENDA-
GRAF. Le fonds de crédit s‟élève alors à 1.305.000 F CFA.
Pour les deux caisses, le montant maximum du prêt accordé est égal
a 4 fois le capital déposé à la caisse. Comme dans certaines tontines le
montant des contributions est variable en fonction de la capacité et de la
volonté d‟épargne des femmes. La durée du crédit varie de 6 à 12 mois avec
un différé d‟un mois pour les crédits de 6 mois et de 2 mois pour les crédits
de 12 mois. Le taux d‟intérêt est fixé à 10% l‟année. On note parfois des
retards dans les versements des mensualités mais le taux de recouvrement est
100%. Mame Marème, une des responsables de la caisse à ENDA-GRAF
considère que “plus que le risque de poursuite judiciaire, c’est la caution
sociale qui pousse les femmes à respecter leurs engagements”. Le fait que
les 13 groupes de femmes avaient préexisté comme des tontines autonomes a
sans nul doute contribué au renforcement du principe de la caution solidaire.
En effet, les leaders des groupes qui correspondent aux organisatrices ou

206
responsables des tontines d‟antan, jouent un rôle capital dans le
recouvrement des crédits collectifs. Elles utilisent les mêmes stratégies que
dans les tontines pour éviter toute défaillance: recrutement minutieux des
participantes sur la base de la confiance fondé sur la réputation, pression
sociale sur les retardataires dans les versements mensuels, commérage sur
les mauvais payeurs, etc. En plus, la présidente signe un engagement
explicitant les responsabilités de chaque partie et contresigné par le
commissariat de police.
Pour la constitution de l‟épargne, la caisse des femmes de Grand-
Yoff dispose de trois produits: les dépôts simples, l‟épargne-logement et
l‟épargne-pèlerinage à la Mecque.
Pour les dépôts simples, les femmes peuvent effectuer des
versements pour une durée minimale de 6 mois. Le taux d‟intérêt pour
l‟épargne est fixé à 3% le semestre. Pour bénéficier du versement des
intérêts, les épargnants ne doivent pas retirer leurs dépôts avant le délai de 6
mois. La plupart des femmes, évoluant au niveau du marché de Grand-Yoff,
verse leur petite épargne quotidienne à la caisse qui dispose d‟un bureau sur
place. Elle varie entre 50 et 500 F CFA par jour. Cette épargne n‟est retirée
qu‟à la veille des fêtes religieuses telle que la Korité, la Tabaski, le Magal de
Touba ou le Gamou de Tivaoune. L‟organisation d‟une cérémonie familiale
comme l‟avènement d‟une adversité imprévue peut donner occasion à un
retrait prématuré de l‟épargne réalisé. La caisse joue de ce point de vue le
même rôle que les banquiers ambulants ou tontiniers de marché.
En ce qui concerne l‟épargne-logement, la caisse, avec l‟appui de
l‟équipe d‟ENDA-GRAF, a lancé une opération d‟envergure à partir du mois
d‟août 1990. En 1997, plus de 300 femmes s‟étaient déjà engagées dans ce
nouveau produit d‟épargne. De nouvelles femmes s‟inscrivent tous les mois
pour participer à cette opération. Elles se sont engagées à effectuer des
dépôts d‟un montant minimal de 5.000 F CFA par mois. Cette opération,
comme le souligne Mame Marème, l‟une des responsables de l‟encadrement
des femmes à ENDA-GRAF, outre qu‟elle augmente les capacités
financières de la caisse, permet aux femmes d‟accéder à la propriété
foncière et au logement.
Elle explique comment les dernières femmes à avoir adhéré
s‟organisent pour rattraper les premières adhérentes:
« Les dernières adhérentes à l‟épargne-logement sont organisées en “club
d‟épargne” dont l‟objectif est de leur permettre d‟arriver à la hauteur des premières
adhérentes, en termes de volume d‟épargne. Chacun de ces “clubs” regroupe 20
membres et fonctionne à l‟image des tontines: tirage au sort après un mois de
cotisations et le compte du bénéficiaire est crédité de 200.000 F CFA”. Ces “club
d‟épargne” vont fonctionner jusqu‟à ce que le compte de chacune des participantes
soit crédité de la même somme »
En début 1997, c‟est 31.000.000 F CFA qui ont été mobilisés pour le
compte de l‟épargne-logement. Un an auparavant 15.000.000 F CFA ont été

207
versés à la banque de l‟habitat. Ce qui veut dire qu‟au delà d‟ENDA-GRAF,
la caisse est connectée à une banque. Une première tranche de 300 parcelles
a été viabilisée et distribuée parmi les adhérentes par tirage au sort. On voit
ici clairement qu‟une articulation entre les tontines, les programmes de
microcrédit initiés par les ONG et les banques peut permettre aux femmes et
aux entrepreneurs du secteur informel d‟accéder plus facilement au
logement.
Le dernier produit d‟épargne de la caisse des Femmes de Dakar est
l‟épargne-pèlerinage. Pour ces produits, la caisse s‟est essentiellement
fondée sur l‟expérience des tontines spécialisées dans le financement du
pèlerinage à la Mecque que nous avons abordées dans le chapitre consacré
aux tontines dakaroises. Là également, l‟encadrement d‟ENDA-GRAF
reconnaît qu‟il s‟est fortement inspiré du système tontinier. Mame Marème,
que nous avons cité plus haut, déclare à propos de l‟épargne-pèlerinage que:
“il s’agit également d’une épargne non rémunérée basée sur le système de la
tontine”. Cette forme d‟épargne à commencer en avril 1991. Les femmes qui
se sont déjà associées s‟engagent à verser mensuellement une somme de
15.000 F CFA. Le bilan annuel déterminera le nombre de femmes qui seront
tirées au sort pour effectuer le voyage à la Mecque. Après la dévaluation du
franc CFA en 1994, les femmes augmentent les contributions mensuelles à
25.000 F CFA pour faire face aux coûts du voyage qui ont presque doublés
entre temps.
Pour le bon fonctionnement des caisses, les femmes ont mis en place
une structure administrative dont les membres sont essentiellement des
bénévoles ou des animateurs d‟ENDA-GRAF. L‟Assemblée Générale est
souveraine. Elle réunit l‟ensemble des membres une fois par an pour
désigner de manière démocratique les femmes qui vont composer le conseil
d‟administration et les différents comités. Elle définit également la politique
de crédit, les modalités de fonctionnement de la caisse, décide des grandes
orientations et des éventuelles modifications de fonctionnement. Le conseil
d‟administration, composé de 13 membres, est élu pour un mandat de trois
ans. Le mandat d‟administrateur est incompatible avec celui du comité de
crédit, du conseil de surveillance et de commissaire aux comptes. Dans la
même lancée, ne peut être membre du conseil d‟administration toute
personne exerçant une activité qui entre en concurrence avec celle de la
caisse ou toute personne membre d‟un conseil d‟administration d‟une autre
institution de crédit.
Les responsables des différents comités sont choisis parmi les
membres fondateurs. Le comité de gestion se réunit tous les trois mois pour
faire une évaluation financière de la caisse en termes de volume de crédit et
d‟épargne, des profits, du taux de recouvrement, du respect des échéances,
etc. Il est composé de trois membres: un secrétaire comptable qui entretient
les comptes, une animatrice d‟ENDA-GRAF qui joue un rôle de conseiller et

208
un membre de la caisse représentant les adhérentes. Le comité de crédit et de
recouvrement est constitué de 5 membres. Il se réunit tous les mois pour
examiner les demandes de crédit selon les critères définis par l‟A.G. Il veille
également au recouvrement des crédits en cours. Le comité de contrôle est
également composé de 5 membres qui veillent à l‟utilisation des crédits pour
le financement d‟activités économiques et aident à mieux orienter les crédits
vers les secteurs d‟activité rentables. Le comité de gestion des conflits est
constitué de 13 femmes dont trois présidentes de groupes parmi les 13
groupes initiaux. Il est chargé de prévenir et de régler d‟éventuels conflits
entre les membres. Il doit instaurer un climat propice de collaboration à
l‟intérieur des groupes et entre eux.
Malgré cette organisation assez rationnelle de la caisse du point de
vue théorique, son fonctionnement pratique pose un problème très difficile à
résoudre. Il vient du fait que le rôle des responsables choisis n‟est pas, dans
certains cas, maîtrisé par ces derniers. Ce qui a pour cause le manque de
formation des femmes impliquée dans la gestion de la caisse. En effet, le
taux d‟analphabétisme reste encore très élevé malgré les efforts consentis par
l‟ONG partenaire dans le cadre de l‟alphabétisation.
Malgré cette limite, l‟expérience de la caisse a fait tâche d‟huile. En
effet, comme le souligne l‟animatrice d‟ENDA-GRAF :

«D‟autres femmes de Grand-Yoff et d‟autres quartiers de Dakar, en


l‟occurrence Ouakam, Grand-Dakar, Médina, etc. ont, au fur et à mesure, sollicité la
caisse pour trouver les ressources nécessaires au développement de leurs activités
économiques. La prise en compte de ces demandes entre dans le cadre du
programme de lutte contre l‟exclusion et l‟appauvrissement de la femme initié par
ENDA Tiers-Monde».

Mais craignant que l‟accroissement du nombre de membres, venant


d‟autres quartiers, allait diminuer la pression sociale, gage essentiel du bon
recouvrement des créances, les femmes de Grand-Yoff vont développer une
stratégie d‟encouragement et d‟appui à la création de caisses autogérées par
les femmes des autres quartiers avec l‟accompagnement de la caisse-mère de
Grand-Yoff. Ainsi sont nées 3 autres caisses à Grand-Dakar, à la Médina et à
Ouakam entre 1992 et 1993 avec un appui financier et un encadrement
technique de la caisse de Grand-Yoff et d‟ENDA-GRAF.
L‟ensemble de ces caisses comptait, au moment de nos enquêtes en
1997-98, près de 7.800 membres dont près de 2.900 pour la seule caisse de
Grand-Yoff. Le capital social libéré des 4 caisses s‟élevait à 13.740.615 F
CFA. Le montant des dépôts atteignait pour les caisses de Grand-Yoff, de
Grand-Dakar et de la Médina 47.215.046 F CFA. Le montant des crédits
octroyés en 1993/94 pour ces trois caisses s‟élève à 234.375.000 F CFA.
L‟encours du crédit était de 66.907 606 F CFA pour la même période. Le
montant moyen des crédits est de 50.000 F CFA pour l‟ensemble des caisses.

209
Deux difficultés majeures se posent au réseau des caisses d‟épargne et
de crédit des Femmes de Dakar. La première est relative aux ressources
encore limitées dont il dispose par rapport aux demandes sans cesse
croissantes qui font que le volume qu‟un membre peut obtenir se révèle très
petit ou parfois même insignifiant par rapport aux capitaux qu‟exige
l‟expansion de son activité. La deuxième difficulté à laquelle le réseau fait
face est celle de l‟intégration des femmes dont les capacités d‟épargne sont
très faibles et qui ont des difficultés d‟accès à la caisse et en sont donc
presque des exclues.
L‟expérience des caisses populaires des femmes de Dakar que nous
venons de présenter montre clairement des tentatives d‟articulation entre
institutions de crédit et pratiques financières populaires. Ces tentatives
d‟articulation entre tontines, programmes de micro crédit et banques sont
entrain de devenir monnaie courante bien qu‟elles soient dans la plupart des
cas le fait des populations elles-mêmes.

L’expérience des femmes de Tilène

Les principes et les procédures des organismes de microcrédit sont


dans une position intermédiaire entre les modèles de financement bancaire et
les pratiques financières populaires. Leur démarche est originale en ce sens
qu‟elle s‟inspire à la fois des méthodes de gestion bancaire et des modes de
conception de la confiance et du contrôle social fondés sur la proximité et
propres aux arrangements financiers populaires. De ce point de vue,
l‟articulation entre les tontines et les mutuelles d‟épargne et de crédit ou les
organismes de microcrédit est encore plus aisée à réaliser pour les acteurs
qui les combinent intelligemment pour saisir les opportunités qu‟elles ont à
offrir.
L‟articulation d‟une tontine de femmes au marché de Tilène avec le
programme de micro crédit de la FDEA (Femmes Développement
Entreprises en Afrique) est un bon exemple de l‟interaction réussie entre
organismes de microcrédit et arrangements financiers populaires. En effet, la
FDEA, comme la plupart des organismes de micro crédit, offre des volumes
de financement modeste au départ. Ils sont augmentés au fur et à mesure que
le recouvrement des créances se fait sans grandes difficultés. Ainsi, le
financement de départ accordé à l‟une des tontines de femmes du marché de
Tilène qui regroupe dix participantes était de 300.000 F CFA. Ce qui revient
à un montant de financement de 30.000 F CFA par femme remboursable au
bout de six mois avec un taux d‟intérêt de 10%. Pour la garantie des crédits
octroyés, les femmes ont adopté le principe de la caution solidaire. Ce qui
veut dire qu‟à défaut de paiement d‟un des membres, le groupe entier
s‟engage à payer à sa place.

210
Pour éviter des situations de défaillance, les 10 femmes organisent
en même temps une tontine d‟accumulation qui permet aux unes et aux
autres de respecter leurs engagements envers la FDEA en payant leur crédit
en concordance avec les échéances fixées. Les contributions journalières de
la tontine d‟accumulation sont toujours fixées en fonction du montant du
crédit reçu de la FEDA. Ainsi, au départ le montant des contributions était
fixé à 250 F CFA compte tenu des 30.000 F CFA de crédit alloués à chaque
femme. Chacune des 10 femmes verse à la fin de la journée cette somme
auprès de la responsable morale de la tontine. Au bout des 6 mois, chaque
participante a accumulé 45.000 F CFA par l‟intermédiaire de la tontine,
c‟est-à-dire 15.000 F CFA de plus que le montant du crédit reçu auprès de la
FDEA. Ce qui a permis un recouvrement de l‟intégralité du crédit octroyé
plus les intérêts. La FDEA décide alors de renouveler le financement en
l‟augmentant.
Le deuxième financement octroyé par la FDEA à ce groupe de
femmes est passé de 300.000 F CFA à 450.000 F CFA, soit 45.000 F CFA
par femme. Les femmes décident alors d‟augmenter le montant des
contributions journalières pour parvenir à accumuler suffisamment d‟argent
pour rembourser à temps leur crédit. Les contributions de la tontine
d‟accumulation passent alors de 250 à 300 F CFA par jour et par femme. Au
bout des six mois, chacune d‟entre elles a accumulé 54.000 F CFA par le
biais de la tontine. Ce qui a permis de rembourser en conformité avec les
échéances fixées le montant du crédit reçu plus les intérêts.
Satisfaite de ses résultats, la FDEA augmente une fois de plus le
volume du financement de 450.000 F CFA à 900.000 F CFA. Ce qui revient
à 90.000 F CFA par femme. Les contributions de la tontine augmentent de
300 à 600 F CFA par jour et par femme. La tontine permet à chacune d‟entre
elle de mobiliser 108.000 F CFA au bout de 6 mois, ce qui est suffisant pour
honorer leurs engagements envers la FDEA. L‟articulation entre cette tontine
et le programme de micro crédit de la FDEA montre bien la fécondité de la
conjugaison entre pratiques financières populaires et financements
institutionnels. Cette articulation entre tontines et organismes de financement
institutionnels n‟est pas exclusivement le fait d‟un groupe d‟individus. En
effet, les individus qui reçoivent du crédit sur une base individuelle peuvent
également recourir aux tontines pour mieux respecter leurs engagements
envers les mutuelles d‟épargne et de crédit ou les banques.
C‟est le cas de Khadi, 37 ans et vivant avec son mari et ses trois
enfants à la Médina. Elle vend du poisson frais au marché de Tilène. Elle a
reçu du crédit, d‟un montant de 45.000 F CFA, de la mutuelle du
PAMECAS à Soumbedioune. Elle doit rembourser ce montant plus 10%
d‟intérêt au bout de six mois. Pour ce faire, elle a décidé de participer à deux
différentes tontines. La première est une tontine de marché regroupant 17
participants et exigeant des contributions quotidiennes de 250 F CFA. Les

211
levées se font tous les cinq jours et s‟élèvent à 21.250 F CFA. Au bout d‟un
peu moins de trois mois, cette tontine permet à Khadi de mobiliser près de la
moitié de la somme due à sa mutuelle d‟épargne et de crédit. La deuxième
tontine à laquelle elle participe est une tontine de quartier qui regroupe 25
femmes. Les contributions s‟élèvent à 2.500 F CFA tous les 10 jours ce qui
fait une levée de 62.500 F CFA. Au bout des 8 mois qui correspondent à la
durée du cycle, Khadi est sûr de disposer d‟une somme supérieure au
montant de son crédit plus les intérêts qu‟elle doit verser. Cet exemple
renforce davantage l‟idée que les tontines favorisent dans l‟ombre des taux
de remboursement élevés pour les programmes de micro crédit. Khadi
explique:

« Si ce n‟était pas les deux tontines auxquelles je participe, je ne pourrais pas


certainement respecter les échéances de paiement fixées par ma mutuelle. Je me dis
dès le départ que l‟argent des deux tontines est destiné à payer le crédit que j‟ai reçu
de la mutuelle. D‟ailleurs dès la réception des levées, je verse sans tarder l‟argent à
ma mutuelle. Il arrive même que je paye par avance, c‟est-à-dire avant les
échéances. C‟est la contrainte de versements réguliers inhérente aux tontines qui me
facilite le paiement de mes dettes dans les délais ».

Le cas de Khadi est loin d‟être un cas isolé. La plupart des femmes
qui bénéficient d‟un crédit auprès des organismes de microcrédit participe
aux tontines de quartier ou de marché. Les taux élevés de recouvrement dans
les différents programmes de microcrédit à Dakar doivent beaucoup à la
participation des bénéficiaires dans les arrangements financiers populaires.
Une autre articulation entre pratique financière populaire et banques est
assurée par les banquiers ambulants des marchés de Dakar.

Les banquiers ambulants des marchés

Il existe au niveau des grands marchés de Dakar, comme à Sandaga


et à Tilène, des tontines avec organisateurs qui sont particulières du fait
qu‟elles mettent l‟accent sur l‟accumulation de la petite épargne plutôt que
sur la rotation des fonds sous forme de crédit et/ou d‟épargne au profit des
participants. On appelle les organisateurs de ce type de tontine les banquiers
ambulants ou les tontiniers de marché (Michel Lelart et S. Gnansounou
1989)105. Ils peuvent être aussi bien des hommes que des femmes. Ils
jouissent d‟une bonne réputation qui justifie la confiance qu‟on leur accorde
au sein des marchés. Ce sont de véritables banques ambulantes. Ils ont

105
Lelart, M. et Gnansounou, G., (1989), “Tontines et tontiniers sur les marchés
africains: le marché Saint-Michel de Cotonou”, in African Review of Money, Fiance
and Banking, 1/89, pp. 69-89.

212
souvent des centaines de clients qui leur versent quotidiennement leur petite
épargne (entre 100 F CFA et 10.000 F CFA). Les tontiniers, comme les
organisateurs des tontines, font le tour des marchés pour collecter l‟épargne
de leur clientèle.
Ils jouent un rôle essentiel de canalisation de la petite épargne vers
les banques commerciales. On sait que du fait des coûts de transactions, les
banques préfèrent les gros épargnants plutôt que les petits. Les petits
épargnants de leur côté, du fait des conditions exigeantes d‟ouverture des
comptes épargne et des coûts réels de transaction du point de vue de
l‟épargnant (transport, agios et temps d‟attente devant le guichet), préfèrent
recourir aux tontines ou aux tontiniers de marché pour sécuriser leur
épargne. En effet, il est absurde pour un individu qui veut épargner une
somme de 200 F CFA par jour d‟aller à la banque quand il faut payer 300 F
CFA pour s‟y rendre et attendre toute une matinée devant le guichet. Ce cas
de figure est vérifiable dans les marchés de Dakar où les vendeuses de
poissons, de légumes et de condiments versent à la fin de la journée 100 ou
200 F CFA dans les tontines. Elles ne se déplacent pas pour effectuer des
versements et donc elles ne payent pas de frais de transport et ne perdent pas
du temps. C‟est l‟organisateur de la tontine ou le banquier ambulant qui fait
le tour du marché pour collecter les contributions. De ce point de vue,
l‟intermédiation que l‟organisateur ou du banquier ambulant assure entre sa
clientèle et la banque diminue de manière appréciable les coûts de
transactions aussi bien pour les banques que pour les petits épargnants.
Cette diminution des coûts de transaction est rendue possible par les
relations de confiance personnalisées entre, d‟une part, les organisateurs des
tontines et les banquiers ambulants et, d‟autre part, les petits épargnants.
C‟est la proximité dans laquelle ils opèrent qui favorise une accumulation de
connaissances sur la moralité de chacun et diminue les coûts liés à
l‟évaluation du risque. Par ailleurs, la proximité et les relations de confiance
personnalisées permettent la mise en place d‟un système de contrôle social
efficace capable de prévenir les défaillances ou d‟imposer des sanctions
sociales, souvent mille fois plus efficaces que les sanctions de nature
judiciaire.
A. Ndiaye est un de ces tontiniers de marché à Sandaga. Il dispose
d‟un grand carnet où figurent les noms de ses 275 clients menant des
activités diverses dans le marché: commerçants de tissus, vendeuses de
légumes et de poissons, vendeurs à la sauvette, restauratrices, etc. Chaque
matin, il se présente devant chaque client qui lui verse une somme convenue
d‟avance. La plus petite somme qu‟on lui verse quotidiennement est de 250
F CFA et la plus grande de 10.000 F CFA. Quand il finit de collecter l‟argent
de ses clients, A. Ndiaye le verse, aussitôt après, dans son compte bancaire
domicilié dans une des banques de la place. La durée de la collecte de

213
l‟épargne comme son montant dépendent exclusivement du client. Elle peut
être d‟un mois au minimum et d‟un an au maximum.
Pour son travail d‟intermédiation A. Ndiaye perçoit sous forme de
rémunération le montant d‟une contribution journalière quand la durée de la
collecte de l‟épargne du client est mensuelle. Si la durée de la collecte est de
six mois, il reçoit le montant de cinq contributions journalières. Pour une
durée annuelle, il obtient dix contributions journalières. En termes concrets,
pour une contribution de 1000 F CFA par jour le montant de la rémunération
en fonction de la durée sera comme indiqué dans le tableau suivant :

Tableau nº21 : Variation des rémunérations des tontiniers de marché en


fonction de la durée (montants en F CFA)

Versement 1 mois 3 mois 6 mois 9 mois 12 mois


quotidiens
1000 1000 2500 5.000 7.500 10.000
A. Kane enquête de terrains.

A. Ndiaye octroie discrètement des crédits moyennant un intérêt de


10 % à certains de ses clients fidèles. Compte tenu du fait que les clients
peuvent à tout moment exiger leurs dépôts, il n‟utilise qu‟un 1/3 de ses
liquidités pour ses services de crédit. Les échéances sont également très
courtes du fait de cette contrainte. Elles vont de 3 mois à 9 mois au
maximum. En plus de ce que lui reportent ces services d‟épargne et de
crédit, A. Ndiaye reçoit de sa banque des intérêts substantiels compte tenu
du volume de son épargne. Ces différents avantages l‟ont poussé à laisser
tomber son premier travail, qui était la vente des poulets de chaires, pour se
consacrer uniquement à ce rôle d‟intermédiation financière. Ndiaye joue
ainsi un rôle d‟intermédiation entre ces clients (petits épargnants qui ne
peuvent accéder à la Banque) et les banques commerciales qui ne
s‟intéressent qu‟aux épargnants disposant d‟une importante surface
financière. Au bout du compte, l‟intermédiation au deuxième degré qu‟il
pratique est profitable à la fois pour les banques, ces clients et lui-même.
Compte tenu des potentialités de mobilisation de l‟épargne dans les
arrangements financiers populaires, il serait profitable au système bancaire
d‟explorer les possibilités de développer ce genre de double intermédiation
pour toucher de manière indirecte les petits épargnants. Au Ghana, il a été
reporté des exemples de ce genre de médiation entre les « sussu collectors »
des marchés et les banques commerciales de la place (J. Howard, M. Jones,
O. Sakyi-Dawson, Nicola Harford, Aba Sey 1999, p. 79)106. Les estimations

106
J. Howard, M. Jones, O. Sakyi-Dawson, Nicola Harford, Aba Sey (1999),
Improving Financial Services for Renewable Natural Ressources Development in

214
auxquelles nous sommes parvenues dans le cadre de nos recherches donnent
une idée assez nette du manque à gagner des circuits financiers
institutionnels compte tenu de leur attitude de méfiance envers les
arrangements financiers populaires. En effet, au bout d‟une durée moyenne
de 2 ans, c‟est 2.817.348.867 F CFA qui circulent à l‟intérieur des 232
tontines de marché et de quartier ayant fait l‟objet d‟enquête à Dakar. Si
nous supposons que le nombre de tontines trouvées dans les quatre quartiers
(34 tontines par quartier) et six marchés (16 tontines par marché) ayant fait
l‟objet d‟enquête est assez bien réparti dans les autres quartiers et marchés
de Dakar et que les sommes qui y circulent sont du même ordre de grandeur,
nous estimons à près 6200 le nombre total de tontines existant à Dakar et 56
milliards F CFA la masse monétaire circulant à l‟intérieur de celles-ci pour
une durée moyenne de 2 ans. Ces chiffres sont loin d‟être exagérés quand on
se réfère aux estimations de Gautrand qui avance qu‟en 1987 c‟est plus de 17
milliards de dollars qui ont été mobilisés par les tontines en Afrique sub-
saharienne (J. Gautrant 1987). Dans un pays comme le Cameroun, les
tontines auraient, à elles seules, mobilisé pour plus de 3,5% du P.I.B. en
1984 (soit plus de 72% de la monnaie fiduciaire en circulation dans le pays),
et pour plus de 5% de ce même P.I.B. en 1985 (N. Nzemen, 1988, 1989 et
1993)107.

Les systèmes informels de transferts monétaires chez les émigrés

Chez les émigrés, l‟articulation entre tontines, caisses de solidarité et


banques est encore plus notoire. L‟articulation la plus frappante est celle
entre les systèmes de transferts monétaires et les banques locales. Le
système de transferts monétaires des émigrés repose sur un partenariat entre
trois personnes. Il y a l‟émigré établi en France qui est l‟initiateur du
système, un représentant à Dakar qui est un homme de confiance et un
représentant à Thilogne. D‟une manière générale, les représentants sont des
membres de la famille de l‟opérateur ou des commerçants. Les opérateurs du
système, qui peuvent être des individus ou des groupes, ouvrent un compte
bancaire dans une des banques dakaroises qu‟ils alimentent régulièrement,
soit par des transferts bancaires à partir de leur compte en France, soit par

Ghana: Establishing Policy Guidelines for Informal Financial Sector. Fianl Report,
Department for International Development (Porject R6471 CA), 110p
107
Nzemen, M., (1988), Théorie de Pratique des Tontines au Cameroun.
L‟Harmattan, Yaoundé. Nzemen, M., (1993), Tontines et développement ou le défi
financier de l‟Afrique. Presses Universitaires du Cameroun, 234p.
Nzemen, M., (1989), “Estimation des flux financiers des tontines au Cameroun”,
Revue STATECO-INSEE., Nº60, pp. 37-54.

215
des mandats remis sous forme d‟argent liquide à leurs parents ou amis qui
rentrent au Sénégal.
L‟opérateur encaisse les mandats des émigrés qui veulent faire des
transferts monétaires à leurs familles. Pour chaque 1.000 FF envoyé, il reçoit
une commission de 100 FF, soit 10% de la somme. Après encaissement, il
envoie par fax ou téléphone la liste des bénéficiaires des mandats à Dakar.
Son représentant va retirer de son compte bancaire l‟équivalent du montant
total des envois. Les envoyeurs avertissent leurs familles pour qu‟elles
aillent récupérer l‟argent chez l‟agent de Dakar. Pour les mandats à
destination de Thilogne, c‟est le représentant à Dakar qui se charge de les
envoyer par le biais d‟un émissaire qui fait la navette entre le village et la
capitale.
Samba, 59 ans et père neuf enfants, est un de ces opérateurs de
transfert informel. Il reçoit les émigrés thilognois et des villages
environnants qui veulent envoyer de l‟argent à leurs familles dans son atelier
situé dans 18e arrondissement de Paris. Il a comme représentant à Dakar son
beau-fils qui travaille au trésor public comme comptable. Son représentant à
Thilogne est un commerçant qui lui est apparenté. D‟après ces estimations, il
envoie en moyenne chaque mois plus de 150.000 FF. Ce qui lui rapporte
15.000 FF par mois. Après la soustraction des frais de fonctionnement, le
bénéficie est partagé avec ces agents de Dakar et de Thilogne. Samba prend
les 50%, l‟agent de Dakar perçoit 30% alors que l‟agent de Thilogne reçoit
20 % du profit réalisé.
Comme on peut le constater, ce système de transfert informel utilise
en réalité en amont comme en aval le système bancaire. La question est de
savoir pourquoi les émigrés ne choisissent pas d‟envoyer leurs mandats par
des transferts bancaires comme les opérateurs. Il existe un réseau mondial de
transferts, le Western Union, qui intègre des banques et des bureaux de
postes se situant dans les zones les plus difficiles d‟accès dans la moyenne
vallée. Les émigrés n‟utilisent le système Western Union que rarement,
quand ils n‟ont pas vraiment le choix parce que les coûts de transferts de ce
dernier font presque le double de ceux des opérateurs. Pour un mandat de
500, Western Union touche une commission de 80 FF, soit 16% de la somme
à envoyer alors que les opérateurs informels demandent 10% du même
montant.
L‟existence d‟un tel système de transfert démontre encore une fois la
capacité des arrangements financiers populaires à s‟adapter et à saisir des
opportunités dans l‟espace transnational. Dans ce cas précis, on voit les
stratégies que les opérateurs des transferts monétaires utilisent pour proposer
à une clientèle communautaire des services financiers de transfert presque
deux fois plus rentables que ceux proposés par les banques. On voit là
également au grand jour l‟infiltration des circuits financiers institutionnels
par les arrangements financiers populaires à l‟insu des banquiers.

216
Conclusion

La réponse à la question de savoir si le dualisme financier, qui est


très claire du point vue théorique, renvoie à une réalité empirique, est
négative compte tenu des innombrables passerelles établies entre systèmes
bancaires et arrangements financiers populaires. En fait, avec le
développement du système financier décentralisé au Sénégal, on ne peut
même plus continuer à analyser le paysage financier en termes de deux pôles
duaux dans la mesure où le microcrédit apparaît comme un troisième pôle.
Les initiatives d‟articulation entre, d‟un côté, les tontines et, de l‟autre, les
banques et programmes de microcrédit démontrent que la combinaison de
ces systèmes de financement peut conduire à une intermédiation financière
plus rentable, plus intégrante et plus efficace.
On a vu comment les opérateurs du secteur financier populaire
parvenaient à réduire considérablement les coûts de transaction de la collecte
de la petite épargne aussi bien pour les banques que pour les épargnants. Un
bon exemple de cette connexion féconde entre arrangements financiers
populaires et système bancaire est celui des banquiers ambulants au niveau
des marchés. Ils collectent sur une base journalière la petite épargne des
marchés pour ensuite la verser dans un compte bancaire, établissant ainsi à
l‟insu de la banque un canal qui permet indirectement aux petits épargnants
d‟accéder à la banque et à la banque de profiter de l‟épargne populaire.
En plus, la combinaison entre pratiques financières populaires et
système bancaire ou programme de microcrédit améliore considérablement
les taux de remboursement comme nous l‟avons montré avec l‟expérience
des femmes de Tilène et la FDEA. Ici, c‟est une tontine qui permet aux
bénéficiaires d‟un programme de microcrédit de pouvoir rembourser leurs
crédits en respectant rigoureusement les échéances. Le système de transfert
monétaire initié par les émigrés sénégalais en France démontre la capacité
des arrangements financiers populaires à se développer et à s‟épanouir dans
un espace transnational en utilisant les circuits financiers institutionnels tout
en étant plus flexible et plus rentables qu‟eux.
Par conséquent, la connexion des arrangements financiers populaires
aux circuits financiers institutionnels, compte tenu des complémentarités
évidentes des deux systèmes du point de vue des acteurs, se dégage comme
l‟une des priorités quand on veut faire accéder le plus grand nombre
d‟entrepreneurs économiques au crédit. Pour se faire, il faut reconnaître les
tontines comme des instruments financiers au même titre que les banques ou
les organismes de micro crédit et essayer de jeter des ponts entre les deux
sans demander aux premières de renoncer à leurs principes et procédures sur
lesquels reposent leur réussite et leur originalité. La systématisation des

217
combinaisons intelligentes réalisées par les acteurs eux-mêmes, comme nous
l‟avons montré dans cette communication semble être la voie royale à
emprunter par tous ceux qui se préoccupent de l‟accès des catégories
sociales pauvres au crédit dans les pays en développement.

218
Chapitre 7 : Conclusion générale
La première conclusion que l‟on peut tirer de ce travail de recherche
est que les arrangements financiers populaires, où qu‟elles se retrouvent,
sont des pratiques financières adaptées aux valeurs, aux besoins et aux
moyens de leurs participants. Ainsi, à Thilogne, les tontines épousent par
endroit les formes de la hiérarchie sociale; à Dakar, elles reflètent la diversité
culturelle et constituent un des canaux à travers lesquels se réalisent
l‟intégration urbaine; tandis que chez les émigrés sénégalais en France, elles
suivent les contours ethniques au point d‟intégrer en leur sein des
participants de différentes nationalités appartenant à la même ethnie (plutôt
que des individus de même nationalité mais n‟ayant pas la même
appartenance ethnique).
C‟est, sans nul doute, ce caractère flexible qui est à la base de leur
adoption comme instruments financiers adéquats par une variété de
catégories sociales aux conditions socio-économiques contrastées. Des
tontines des femmes au foyer dans les quartiers de Thilogne, dont les
contributions ne dépassent pas 50 F CFA, aux tontines des commerçants de
Dakar, qui mobilisent des millions de francs CFA, en passant par les tontines
des femmes émigrées, dont les mises atteignent 100.000 F CFA par
personne, il existe des milliers de situations intermédiaires qui rendent
compte de l‟extrême souplesse de cet instrument financier. Dans chacun de
ses lieux, les tontines prennent des caractéristiques particulières qui sont le
résultat de leur adaptation à l‟environnement dans lequel baignent leurs
participants. De ce point de vue, elles méritent bien leur nom de “caméléon”
dans la mesure où elles gardent partout leur arrangement de base en
changeant le contenu des dispositions de fonctionnement.
Au delà de Thilogne, Dakar et des émigrés sénégalais en France, les
arrangements financiers populaires sont partout où ils se retrouvent des
instruments financiers taillés sur mesure selon la volonté de leurs
participants. C‟est de ce caractère que les tontines et les caisses de solidarité
tirent à coup sûr leur dynamisme et leur succès actuel favorisant une
adhésion massive en leur sein des sénégalais, toutes catégories confondues,
aussi bien en milieu rural et urbain qu‟au niveau des émigrés de la vallée du
fleuve en France. C‟est ce qui également explique que partout en Afrique
que les tontines et les caisses villageoises sont beaucoup plus importantes
pour les populations, qui y trouvent leurs comptes, que les structures
financières officielles.
La deuxième conclusion que nos recherches nous autorisent à tirer
est que les arrangements financiers populaires jouent un rôle de plus en plus
important dans le financement du développement. Ils vont au-delà du
financement de la consommation ostentatoire et du prestige social, qui leur
est très souvent associé, en permettant à leurs participants de créer des
activités économiques génératrices de revenus ou d‟étendre des entreprises
informelles déjà existantes. L‟exemple de Cheikh qui a pu financer son
projet de création d‟une boulangerie traditionnelle à Thilogne par le bais
d‟une tontine de marché est assez éloquent. On peut citer l‟exemple de
centaines de femmes dans les quartiers et les marchés de Dakar qui financent
l‟expansion de leurs activités économiques grâce aux tontines. L‟argent des
tontines, au niveau surtout des marchés et des lieux de travail, sert mieux les
besoins d‟investissement dans des activités économiques génératrices de
revenus plutôt que ceux de consommation ostentatoire liée à la recherche du
prestige social dans ces lieux. Ce rôle de facilitation d‟accès au crédit à une
frange importante des acteurs économiques est d‟autant plus important que
le système bancaire a failli à sa mission de rendre accessible le crédit aux
entrepreneurs qui sont les véritables supports du développement
économique.
En plus d‟être un outil économique et financier, la tontine renferme
des aspects sociaux qui font son originalité par rapport au système bancaire.
En effet, elle est un lieu de sociabilité où les membres accumulent des
connaissances pratiques, échangent des informations, se donnent des
conseils utiles et se soutiennent mutuellement. C‟est dans cette perspective
que la tontine constitue pour ses participants pris individuellement une
garantie de secours en cas de problème. Les membres qui font face à des
difficultés économiques ou sociales savent qu‟ils peuvent toujours compter
sur la solidarité agissante de leur groupe tontinier. Cela veut dire qu‟en plus
de l‟accumulation financière, la tontine donne l‟occasion à ses adhérents
d‟accumuler du capital social, des connaissances personnelles qui constituent
autant de recours possibles en cas de difficulté. Les tontines assument, ainsi,
implicitement une fonction d‟assurance qui n‟est visible que quand on
regarde les relations de soutien mutuel que ses membres entretiennent en
dehors d‟elle, mais à cause d‟elle.
Dans certain cas, les participants aux tontines créent une caisse de
solidarité destinée à venir en aide à ceux d‟entre eux qui font face à des
adversités de tout genre. Dans d‟autres cas, les participants mobilisent de
manière spontanée des contributions volontaires pour manifester leur
solidarité envers un des leurs qui est malade, éprouvé par le décès d‟un
proche ou organisant une quelconque cérémonie familiale. Ces différents
mécanismes de solidarité liés aux tontines font de la participation à ces
dernières une forme de prévoyance sociale. L‟intégration de ces cercles de
relations est indispensable pour tout individu voulant se prémunir contre les
aléas de la vie. C‟est là un plus que les tontines offrent par rapport aux
banques.
Le mélange des genres entre, d‟une part, logique économique et
financière et, d‟autre part, logique sociale au sein des arrangements
financiers populaires est, sans nul doute, ce qui fait de ces derniers des

222
instruments financiers attrayants pour les populations des pays en
développement dont la majorité est pauvre.
La troisième conclusion générale concerne la facilité avec laquelle
les arrangements financiers populaires, de nature communautaire
notamment, prennent un caractère transnational avec la migration
internationale et la reproduction par les migrants de pratiques financières de
leur pays d‟origine. Cette transnationalité démontre la capacité de
mobilisation et d‟organisation des communautés locales face à la
mondialisation. La présence des tontines et des caisses dans les pays
occidentaux rompt l‟illusion que ses pratiques soient localisées dans les pays
pauvres. Pour les émigrés, ces pratiques remplissent, en plus de leurs
fonctions économiques et sociales, une fonction d‟identité communautaire.
Les conclusions principales auxquelles ce travail de recherche a
abouti ont des implications théoriques importantes qui contredisent ou
renforcent des théories déjà existantes dans la littérature consacrée aux
tontines et aux caisses de solidarité. D‟abord, elles remettent en cause les
théories évolutionnistes qui présentent les tontines comme des réalités figées
appelées à disparaître avec l‟expansion de l‟économie de marché (C. Geertz,
1963). Au lieu d‟être un point statique de passage, notre travail montre qu‟au
contraire les arrangements financiers populaires sont dynamiques et
changent pour s‟adapter à l‟environnement qui les entoure. Plus encore, les
tontines témoignent d‟une grande flexibilité qui fait qu‟elles s‟adaptent plus
vite que les institutions financières officielles par rapport aux situations de
crise économiques par exemple. Il faut rappeler que c‟est en pleine crise
économique, dans les années 80, que les tontines se sont le plus développées
pendant que les banques croupissaient les unes après les autres conduisant à
restructuration bancaire à la fin cette décennie.
Par ailleurs, les théories qui ont insisté sur le rôle social ou
économique de la tontine n‟ont pas souvent vu que les deux étaient
intimement liés. Nos recherches montrent que les tontines où qu‟elles se
retrouvent intègrent les deux aspects dans une synthèse dynamique où à tout
moment l‟un des aspects peut apparaître à la surface sans toutefois anéantir
l‟autre. La plupart, des théories présentent la dimension sociale de la tontine
comme un aspect folklorique, un verni qui vient cacher les logiques
calculatrices des individus qui y participent. Elles privilégient alors la
dimension économique et financière aussi bien pour expliquer les
motivations qui poussent les individus à participer et les finalités que ces
derniers attendent poursuivre dans les tontines (Dupuy, 1990 ; Hospes, 1994;
Hugon, 1990). En fait, comme il ressort de nos recherches, la tontine ne peut
être comprise que comme un phénomène social total pour reprendre
l‟expression de Marcel Mauss. Si l‟on laisse de côté ou l‟on traite
superficiellement de la dimension sociale, on ne peut qu‟aboutir qu‟à des

223
explications partielles de ce qui est au fondement du dynamisme des
tontines.
En outre, nos recherches revendiquent une certaine originalité par
rapport au caractère transnational des tontines et des caisses de solidarité. A
notre connaissance, les théories sur les tontines et les caisses se sont fondées
essentiellement sur le caractère « localiste » de ce genre d‟arrangements
financiers populaire. Nos recherches montrent l‟étonnante capacité
d‟adaptation des tontines mais surtout des caisses dans l‟espace
transnational. De ce point de vue, nos recherches enrichissent les débats en
cours sur les liens entre les migrants et leurs communautés d‟origine en ce
sens qu‟elles rendent compte de la naissance de diaspora villageoises qui
prennent en mains, à partir de différentes places du globe, le devenir de leur
localité d‟origine. La mondialisation de l‟économie n‟affaiblit pas les liens
entre les migrants et leur village au contraire ces derniers prouvent, par les
réseaux transnationaux qu‟ils mettent en place, qu‟aussi loin et qu‟aussi
dispersés qu‟ils soient, ils trouvent toujours les moyens de s‟organiser pour
le maintien des liens avec le village.

La tontine comme lieu d’apprentissage à l’épargne

La tontine est aussi un lieu d‟apprentissage à l‟épargne pour les


participants. Epargner est un comportement qui demande beaucoup de
discipline. Il est d‟autant plus difficile a adopté en milieu populaire
sénégalais que les revenus sont maigres et les sollicitations d‟aide de
l‟environnement social sont permanentes, pressantes et persistantes. Pour qui
veut épargner dans ce milieu la tontine constitue un instrument adéquat dans
la mesure où elle lui permet de recourir à la pression sociale du groupe pour
se forcer à l‟épargne. En fait, confier son argent à un garde-monnaie ou
encore utiliser le condamne (tirelire) pour épargner sont des pratiques
courantes de contrainte de soi pour aboutir à une accumulation financière.
Mais ces pratiques contrairement à la tontine résistent mal aux pressions
sociales qui poussent le détenteur du revenu à redistribuer au lieu
d‟accumuler. En effet, les types de contraintes de soi en œuvre sont
différents dans les deux cas. Dans le cas du recours au garde-monnaie et au
condamne, l‟individu s‟efforce à l‟épargne tandis que dans le cas du recours
à la tontine il se fait forcer à l‟épargne.
La participation en plusieurs tontines en même temps et dans le
temps fini par imposer à l‟individu une certaine discipline dans la gestion de
ses moyens financiers. Il intériorise à la longue la discipline d‟épargner.
C‟est dire que l‟apprentissage à l‟épargne par le biais de la tontine aboutit à
la naissance d‟une contrainte à l‟auto contrainte comme Elias l‟a décrit à
propos des processus d‟intériorisation des comportements sociaux par le
biais de l‟éducation. La théorie d'Elias est intéressante ici dans la mesure où

224
elle nous permet de voir le processus par lequel les participants aux tontines
passent pour intérioriser la discipline d‟épargner. C‟est cette intériorisation
qui permet aux entrepreneurs du secteur économique informel qui ne
disposent d‟un système quelconque de comptabilité d‟échapper à la faillite
en sécurisant une partie de leur liquidité dans les circuits tontiniers.

Rôle des femmes

Il ressort de nos recherches une prédominance des femmes dans les


arrangements financiers tontiniers; cela révèle, d‟une part, le rôle crucial que
les tontines jouent dans l‟accès à l‟information, l‟accumulation de
connaissances pratiques et l‟intégration de réseaux dynamiques de solidarité
pour cette catégorie sociale et, d‟autre part, la présence grandissante des
femmes sénégalaises dans le secteur économique informel.
En effet, dans les différents lieux de recherche, les rencontres
tontinières sont très instructives pour les femmes. Chaque femme vient
apporter aux autres, selon son expérience et ses connaissances, des conseils
utiles. De même que chaque femme reçoit des autres des conseils
susceptibles d‟améliorer son vécu dans tous les domaines. Les tontines sont
alors de véritables cadres d‟échange et de socialisation mutuelle entre les
femmes qui y participent. Nous avons vu, par exemple, le remarquable rôle
que les tontines ont joué dans l‟adaptation des femmes sénégalaises
émigrées. C‟est en leur sein que la femme qui débarque en France venant
directement de son village natal apprend petit à petit à se familiariser avec
les équipements modernes qui l‟entourent, les services sociaux,
l‟administration, ses nouveaux droits et devoir dans le pays d‟accueil en
comparaison avec ceux de son pays d‟origine, etc. Pour beaucoup d‟entre
elles, ce sont ces cercles communautaires qui ont rendu la vie en France
supportable. De ce point de vue, les tontines et les caisses de solidarité en
milieu émigré ne constituent pas uniquement des outils financiers adaptés
mais également et surtout des instruments d‟identité pour les femmes. De ce
fait, les tontines contribuent de manière appréciable à l‟adaptation et à
l‟émancipation de la femme émigrée. A Dakar et à Thilogne également, les
tontines sont des cadres de sociabilité incontournables qui participent
énormément à la promotion des femmes dans tous les domaines.
Les tontines constituent également pour les femmes, qui
correspondent à la catégorie sociale la plus marginalisée en matière d‟accès
au service bancaire, des instruments financiers irremplaçables qui épaulent
leurs diverses activités économiques. Au niveau des quartiers et des marchés
de Thilogne et de Dakar, les tontines ont permis à des milliers de femmes de
démarrer une activité économique génératrice de revenus ou encore
d‟étendre et de consolider une activité déjà existante. Dans les milieux des
émigrés sénégalais en France, c‟est par le biais des tontines que les femmes

225
émigrées accèdent à la propriété de titres fonciers à Dakar ou créent des
entreprises commerciales ou de service qu‟elles confient à leurs frères ou
sœurs restés au pays. Au niveau des lieux de travail à Dakar, les tontines
permettent aux femmes salariées, malgré le fait qu‟elles soient mal payées
comparées aux hommes, de disposer de tous les biens matériels symbolisant
la réussite du salarié au Sénégal. Ainsi, l‟argent de la tontine est utilisé pour
l‟achat d‟un terrain ou la construction d‟une villa, l‟achat de meubles de luxe
ou des équipements électroménagers, l‟achat d‟une voiture, etc. La
participation dans les tontines donne également aux femmes salariées
l‟opportunité de mener une activité économique secondaire qui permet
d‟accroître ses revenus.
Les tontines constituent aussi des cadres de sécurité pour les
femmes. La participation aux tontines donne aux femmes l‟occasion
d‟étendre leur réseau social qu‟elles peuvent mobiliser à tout moment pour
faire face à une adversité, un besoin ponctuel d‟aide morale ou financière,
une célébration demandant beaucoup d‟argent, etc. Ainsi, dans toutes
tontines de femmes à Thilogne, Dakar et parmi les émigrés sénégalais en
France, les membres entretiennent de relations de solidarité qui se
manifestent à différentes occasions. A Thilogne et Dakar, par exemple, la
célébration d‟une cérémonie familiale par une participante à une tontine
donnée mobilise systématiquement toutes les autres participantes qui, non
seulement se présentent physiquement et aident à l‟organisation mais aussi
contribuent financièrement de manière volontaire à la prise en charge des
dépenses effectuées. En milieu émigré, quand une des participantes à une
tontine rentre en vacances au pays, toutes les autres viennent une à une ou en
groupe chez elle pour la souhaiter bon voyage et lui remettre un soutien
financier pour faire face à l‟achat d‟innombrables cadeaux pour ses parents,
ses voisins et ses amis au Sénégal.
Dans certains cas, les femmes créent à côté de leurs tontines des
caisses de solidarité destinées à porter secours aux membres dans le besoin
d‟un soutien collectif. C‟est le cas, comme nous l‟avons vu des femmes
émigrées en France qui mettent place parallèlement à leurs tontines des
caisses d‟où elles tirent des aides financières pour soutenir celles d‟entre
elles qui rentrent au pays ou organisent des cérémonies familiales. On
rencontre également à côté des tontines des femmes au niveau des lieux de
travail des caisses de solidarité qui viennent secourir les membres frappés
par le deuil ou la maladie. On peut conclure, de ce fait, que les tontines sont
également utilisées par les femmes comme des instruments de protection
sociale.

226
Solidarité ou accumulation

Un autre aspect surprenant des arrangements financiers populaires


est le dosage plus ou moins équilibré entre solidarité et profit, réciprocité et
logique de marché. La logique de la tontine n‟est ni celle de la rationalité
économique pure, ni celle de l‟obligation sociale contraignante, elle est
l‟intégration complexe des deux. Ainsi, les aspects sociaux et les
préoccupations économiques ne rentrent pas en contradiction comme on
pourrait s‟y attendre. Au contraire, pour les participants aux tontines, les uns
ne vont pas sans les autres. Capitaliser des relations personnelles et des
connaissances pratiques est aussi important qu‟accumuler de l‟argent. C‟est
cette logique qui explique que dans les tontines simples on ne tient pas
compte de l‟intérêt sur le crédit encore moins de l‟inflation.
Mais cela ne signifie pas une mise au placard dans ces arrangements
des aspects économiques et financiers. Au niveau des marchés, les tontines
avec organisateur donnent une image qui ressemble beaucoup à la logique du
profit et du marché. Bien que, là également, le versement d‟une commission
financière à l‟organisateur, après la disposition de la levée par les
participants, n‟est pas perçu en termes de profit mais plutôt en termes de
rémunération du travail accompli par ce dernier pour la bonne marche de la
tontine. Pour justifier, le versement de cette commission, aussi bien les
organisateurs que les participants mettent l‟accent sur les efforts physiques
que les premiers dépensent pour récupérer chaque matin les contributions
auprès des derniers. Par ailleurs, les aspects sociaux sont bien présents dans
les tontines de marché malgré l'apparent règne du calcul économique en leur
sein. C‟est l‟accumulation patiente d‟un capital social qui permet à un
individu de devenir organisateur d‟une tontine. Les profits tirés de
l‟organisation d‟une tontine sont souvent réinvestis pour entretenir et étendre
le réseau de relations sociales de l‟organisateur.
C‟est dire qu‟il y a imbrication complexe entre logiques sociales et
logiques économiques et financières dans les tontines. Cependant, il apparaît
clairement une sorte de spécialisation des tontines en fonction de leur lieu
d‟implantation. Ainsi, les tontines de quartier semblent être orientées vers la
prise en charge des besoins de consommation tandis que les tontines des
marchés s‟activent dans le financement des activités économiques
informelles. Au même moment, les tontines des lieux de travail affichent un
intérêt particulier au financement d‟activités secondaires et l‟acquisition de
biens matériels symbolisant la réussite du salarié. Cette forme de
spécialisation est surtout manifeste chez les femmes participant
simultanément aux tontines de quartier, de marché ou de lieu de travail.
Dans cette perspective, les résultats exposés dans ce travail
remettent en cause deux hypothèses souvent présentes dans la littérature sur
les arrangements financiers informels. La première est celle qui prétend que

227
l‟existence des tontines est le résultat de l‟exclusion des catégories sociales
pauvres du système bancaire (Dromain, 1990; Hugon, 1990; Bouman et
Hospes, 1994). La présence des tontines au sein même des banques et chez
les couches sociales aisées suffit pour réfuter cette prétention. Il est claire
que les tontines ne sont pas l‟apanage des seuls pauvres encore moins des
plus pauvres. Ils constituent des instruments adéquats permettant aux
participants de profiter de la pression sociale qui leur est inhérente pour se
forcer à l‟épargne dans le but de disposer d‟un montant important.
La deuxième hypothèse consiste à présenter les tontines, comme
l‟avons déjà souligné, comme des structures de financement orientées vers la
satisfaction uniquement des besoins de consommation ou de prestige (Dupuy
et Servet, 1987). Ce qui ternit l‟image de la tontine dans le paysage de
l‟intermédiation financière où elle est comprise comme le lieu où transitent
les millions de francs gaspillés au cours des cérémonies familiales au nom
du statut et du prestige social. Les données contenues dans ce travail
indiquent le contraire au moins pour les tontines des marchés et des lieux de
travail qui jouent un rôle primordial dans le financement d‟activités
économiques génératrices de revenus.

Confiance

La configuration des relations au sein des tontines exige


l‟instauration d‟un climat de confiance entre les participants. La conclusion à
laquelle nous avons abouti est que les relations de confiance dans les
tontines ne vont pas de soi. Elles sont le résultat d‟un processus de
construction dans lequel la réputation et le soupçon jouent un rôle
déterminant. Elles s‟appuient sur la proximité physique ou sociale favorisant
des relations personnalisées qui facilite le repérage des risques et l‟efficacité
des sanctions sociales pour la prévention ou la réparation des défaillances.
Loin d‟être une donnée naturelle inhérente à la culture africaine, comme
semble le prétendre certains, les relations de confiance sont problématiques à
l‟intérieur des tontines dans la mesure où les organisateurs, les responsables
et les simples participants élaborent des stratégies inspirées par le soupçon
ou le manque de confiance et consistant à abuser la confiance de ceux
supposés à tort ou à raison comme des défaillants en puissance (EssomBe
Edimo, 1995; Nzemen, 1993). C‟est parce que la confiance ne va pas de soi
que les tirages sont truqués dans les tontines simples et que la distribution de
l‟ordre des levées se fait en fonction de l‟ordre décroissant de confiance que
l‟on a envers les différents participants dans les tontines avec organisateur.
Les situations de défaillance sont là pour confirmer, si besoin en
était, que si l‟établissement des relations de confiance se fait de manière
aisée dans certaines tontines, dans d‟autres, les participants ont du mal à se
remettre d‟une défaillance d‟un organisateur ou de plusieurs participants en

228
même temps. Dans certains cas, on peut parler de véritables crises de
confiance entraînant la disparition pure et simple de la tontine. Il est vrai que
ces cas de défaillances sévissent plus à Dakar qu‟à Thilogne ou chez les
émigrés sénégalais en France. Cela est certainement lié à la configuration
sociale différente des tontines dans ces trois lieux. Si elle est marquée par
une homogénéité sociale parfaite au niveau de Thilogne et relative au niveau
de Paris, elle est caractérisée par une grande diversité au niveau de Dakar
rendant plus difficile l‟établissement des relations de confiance entre les
participants issus d‟ethnies et de cultures différentes.
Il est clair que la proximité physique et sociale, par le fait qu‟elle
met à la disposition des participants un ensemble d‟informations sur le profil
moral de chacun, constitue un pilier essentiel sur lequel reposent les relations
de confiance à l‟intérieur des tontines. Ce qui veut dire que partout où la
proximité physique est complétée par une proximité sociale (tontines
thilognoises et dans une moindre mesure les tontines parisiennes), les
relations de confiance s‟établissent plus aisément que là où il n‟existe que la
proximité physique comme c‟est le cas dans la plupart des tontines
dakaroises. Cependant la reproduction des mêmes tontines dans le temps et
la mise en œuvre de stratégies d‟intégration et de familiarité des participants
issus de milieux ethniques différents finissent par facilité l‟établissement des
relations de confiance dans les tontines urbaines. L‟augmentation du nombre
de participants et celle des montants des contributions est, comme nous
l‟avons vu, un indicateur de la consolidation progressive des relations de
confiance entre les participants d‟une tontine donnée au fur et à mesure
qu‟elle évolue sans grande difficulté dans le temps.
Il est à noter également à quel point le mérite de la confiance peut
être profitable à son dépositaire. Les organisateurs des tontines ou les
tontiniers du fait de la confiance qu‟on leur accorde peuvent accroître de
manière exponentielle leurs revenus en recevant de la part des participants le
versement d‟une commission financière à chaque levée. Dans la même
lancée, c‟est le mérite de la confiance qui permet à certains participants de
recevoir la levée en premier lieu et d‟accéder ainsi à un crédit gratuit et
d‟être à l‟abri à la fois de l‟inflation et des conséquences des défaillances
éventuelles. Cette situation peut pousser les différents participants à soigner
leur image et leur réputation en vue de tirer profit du mérite de la confiance,
ce qui naturellement renforce et consolide les relations de confiance dans les
tontines.
Par ailleurs, la prédominance des femmes dans les tontines a été
interprétée par certains comme résultant de la plus grande capacité de ces
dernières d‟asseoir entre elles des relations de confiance comparées aux
hommes (Ardener and Burman, 1995; Niger-Thomas, 1995; Henry et al.
1991). Cette interprétation est d‟ailleurs reprise par les programmes de
microcrédit dont les responsables affirment, des chiffres à l‟appui, que les

229
femmes sont beaucoup plus crédibles que les hommes en matière de
paiement du crédit. Nos recherches aboutissent à une conclusion beaucoup
plus nuancée dans la mesure où elles montrent bien que les défaillances sont
plus importantes dans les tontines de quartier à Dakar dans lesquelles on
note une participation presque exclusivement féminine. En plus, les
stratégies sous-jacentes à l‟apparente harmonie des tontines féminines sont
généralement fondées sur le soupçon et la ruse plutôt que sur une confiance
mutuelle solide.

Les limites des arrangements financiers populaires

Les limites du système tontinier sont résumées en trois mots par Bouman
comme l‟indique le titre de son livre: short, small and insecure (Bouman,
1989). La durée des prêts tontiniers est souvent courte. Elle dépend bien
évidemment du nombre de participants et de la périodicité des contributions
et des levées. Elle est de 8 mois, 12 mois et 23 mois en moyenne
respectivement dans les tontines des marchés, des lieux de travail et des
quartiers. En plus, les prêts sont relativement petits en termes de volume
financier. Ils varient souvent entre des dizaines et des centaines de milles. Ils
dépendent là aussi du nombre de participants et du montant des
contributions. Par ailleurs, les épargnants qui correspondent aux derniers à
disposer des fonds de la tontine ne sont pas légalement protégés contre les
éventuelles défaillances. Ils doivent, comme nous l‟avons montré, compter
sur l‟honnêteté des premiers bénéficiaires des levées et sur les pressions
sociales du groupe qui sont censées forcer les défaillants à payer leurs dettes.
Ces contraintes et limites constituent en même temps la force des tontines en
ce sens que ce sont elles qui assurent la souplesse et la flexibilité de ces
dernières.
Il faut souligner que les caractéristiques que Bouman attribue aux
tontines rendent compte certes d‟un certain nombre de problèmes que les
arrangements financiers populaires rencontrent mais dans le fond elles sont
trop simplistes. En effet, le fait que les cycles tontiniers soient courts
augmente la vitesse de la circulation de l‟argent entre les participants
permettant à chacun de satisfaire rapidement ses besoins en termes de
financement. Au niveau des tontines de marché où la durée du cycle n‟atteint
pas la plupart du temps un an, les tontines permettent aux participants de
renouveler leur stock de marchandises selon une fréquence idéale. La
faiblesse des prêts en termes de volume financier est assez relative dans la
mesure où, nous avons bien montré que le montant des contributions est fixé
en fonction des moyens et des besoins des participants. Il y a des tontines
dont les levées ne dépassent pas des milliers de francs CFA, comme il y a
des tontines dont les levées se chiffrent en millions de francs CFA. Dans

230
tous les cas, les tontines ont l‟avantage d‟être mieux adaptées par rapport aux
besoins de financement des participants.
Pour l‟insécurité des épargnants au sein des tontines, il faut souligner
que les défaillances dans les tontines ne sont pas la règle mais une exception.
Les participants aux tontines sont bien conscients des risques de défaillance
et mettent, par conséquent, plusieurs stratégies, comme nous l‟avons montré
plus haut, pour diminuer de manière significative l‟insécurité à laquelle font
face les derniers dans l‟ordre de distribution des levées. Dans le cas du
Sénégal où le système bancaire a connu des revers sérieux à la fin des années
80 pénalisant plusieurs épargnants, les individus ont tendance à avoir plus de
confiance aux tontines qu‟aux banques.

Interface avec les institutions financières formelles

Compte tenu des difficultés de nature structurelle que les


entrepreneurs du secteur économique informel rencontrent pour accéder aux
circuits financiers institutionnels, les tontines constituent, comme nous
l‟avons déjà souligné, des instruments financiers irremplaçables pour cette
catégorie d‟autant plus qu‟elles remplissent d‟autres fonctions sociales
indispensables à l‟épanouissement de celle-ci. Ainsi, à défaut de constituer
une véritable alternative d‟accès au crédit pour les entrepreneurs du secteur
informel, la tontine peut servir, comme nous l‟avons vu, un rôle important
par le biais du système de cautionnement mutuel. Elle peut remplacer
l‟exigence de garantie dans les systèmes classiques de financement, pour
faciliter le recouvrement des crédits alloués, soit par les banques, soit par les
organismes de micro crédit.
Nos recherches montrent bien qu‟il y a toutes sortes de
combinaisons possibles entre les arrangements financiers populaires et les
banques ou les programmes de microcrédit. Les passerelles établies par
certains individus ou groupes entre arrangements financiers populaires et
système bancaire ou organisme de microcrédit montrent bien que
l‟opposition tranchée entre les deux systèmes n‟est qu‟une vue d‟esprit. Les
individus et les groupes impliqués aussi bien dans les tontines que dans les
institutions financières officielles profitent des avantages des deux systèmes
de financement. Ces initiatives individuelles et ponctuelles de la part des
acteurs financiers populaires doivent susciter chez les banquiers, les
décideurs politiques et les organismes de coopération une certaine ouverture
d‟esprit pour qu‟à leur tour ils tendent leurs bras ouverts aux arrangements
financiers populaires.
Le financement du développement ne peut pas se passer de cette
complémentarité entre les tontines et les banques ou organismes de
microcrédit. Il faut dépasser, à notre avis, le scénario qui consiste à confier
aux banques le financement des grandes entreprises et donner aux tontines le

231
rôle de financer les petites et moyennes entreprises (Nzemen, 1993; Essombe
Edimo, 1995; Lelart, 2000). Si l‟on renforce et l‟on développe davantage les
passerelles entre les deux systèmes de financement, les banques participeront
indirectement au financement des activités économiques informelles, de la
même manière que l‟épargne mobilisée à travers les tontines pourrait bien
financer, par l‟intermédiaire des banques, les grandes entreprises.
Par ailleurs, nous avons montré le rôle crucial que les caisses
villageoises jouent dans le développement local. Elles essayent de combler le
vide laissé par l‟Etat dans sa politique de désengagement. Mais compte tenu
de leurs moyens limités, elles ne peuvent pas aller au delà du développement
des secteurs sociaux tel que la santé et l‟éducation. Leur connexion aux
banques est claire au niveau de leurs sections situées à l‟étranger. A Paris et
à New York, les sections disposent de compte bancaire. Au niveau du
Sénégal, cette articulation entre caisses villageoises et banques reste à faire.
Elle est d‟autant plus urgente que les caisses villageoises ont besoin d‟un
appui financier conséquent pour propulser le développement économique
des localités d‟origine en plus de leurs interventions dans le domaine social.
Par conséquent, la connexion des tontines et des caisses aux circuits
financiers institutionnels, compte tenu des complémentarités évidentes des
deux systèmes du point de vue des acteurs, se dégage comme l‟une des
priorités quand on veut faire accéder le plus grand nombre d‟agents
économiques au crédit. Pour se faire, il faut reconnaître les tontines et les
caisses comme des instruments financiers au même titre que les banques ou
les organismes de microcrédit et essayer de jeter des ponts entre les deux
sans demander aux premières de renoncer à leurs principes et les procédures
sur lesquels reposent leur réussite et leur originalité. La systématisation des
combinaisons intelligentes réalisées par les acteurs eux-mêmes, comme nous
l‟avons montré dans ce travail semble être la voie royale à emprunter par
tous ceux qui se préoccupent de l‟accès des ruraux, des femmes, bref des
pauvres au crédit dans les pays en développement.

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souligner que les enquêtes dont les résultats sont exposés dans ce rapport
ont été réalisées entre Mars 1994 et Avril 1995. En principe les enquêtes de
cette nature se font tous les quatre ans.

246
Table des matières

Chapitre 1 : Introduction 7

Chapitre 2 : Pratiques financières Informelles à Thilogne 17

Introduction 19
Les origines des tontines à Thilogne 19
Les tontines de quartiers à Thilogne 21
Participation dans les tontines de quartier et hiérarchie sociale 22
Les motivations des participantes aux tontines
de quartier à Thilogne 26
Les besoins satisfaits par les tontines de quartier 30
Les tontines de marché à Thilogne 33
La participation dans les tontines de marché à Thilogne 38
Les motivations des participants aux tontines de marché 39
Les Besoins satisfaits par les tontines de marché 44
Conclusion 47

Chapitre 3 : Pratiques financières informelles à Dakar 49

Introduction 51
Les tontines à Dakar 51
Les tontines de quartier à Dakar 52
Les tontines simples ou mutuelles 53
Les tontines avec organisatrice 56
Profils socio-économiques de quelques participantes
aux tontines de quartier 58
Prédominance des femmes dans les tontines de quartiers 65
Comparaison entre les tontines des différents types de quartiers 68
Les motivations des participants aux tontines de quartier à Dakar 70
Besoins satisfaits par les tontines de quartier à Dakar 73
Les tontines de marché 78
La participation dans les tontines de marché à Dakar 78
Profils socio-économiques de participants aux tontines de marché 80
Caractéristiques particuliers des tontines de marché 85
Les motivations de participation aux tontines de marché 88
Les besoins satisfaits par les tontines de marché 90
Les tontines dans les lieux de travail 91
La participation dans les tontines des lieux de travail 92
Les motivations des participants aux tontines des lieux de travail 93
Les besoins satisfaits par les tontines des lieux de travail 96
Conclusion 98

Chapitre 4 : Pratiques financières informelles des sénégalais à


Paris 101

Introduction 103
Le contexte : de l’émigration passagère à l’émigration durable 104
Les caractéristiques des arrangements financiers populaires
chez les émigrés sénégalais à Paris. 112
Les tontines émigrées : La participation dans les tontines
des émigrés sénégalais en France 112
Profils de femmes émigrées participant aux tontines 113
Typologie des arrangements financiers populaires en milieu émigrés 119
Les tontines solidaires contre l’isolement 120
Les tontines simples des années 1980-90 124
Les tontines avec organisatrice 127
Les motivations des participants aux tontines en milieu
émigré sénégalais 129
Besoins satisfaits par les tontines en milieu émigré 132
Les caisses de solidarité 134
La caisse de solidarité des Toroɓɓe de Thilogne en France 135
La caisse de solidarité des ressortissants du quartier
de Goléra (Thilogne) en France 136
La caisse de solidarité des Haalpulaar de Compiègne 137
Conclusion 139

Chapitre 5 : La confiance au cœur des pratiques financières


informelles 143

Introduction 145
La problématique de la confiance dans les arrangements

248
financiers populaires 147
Confiance et typologie des tontines 151
Les stratégies pour la prévention des abus de confiance 152
Le truquage des tirages au sort 157
La distribution des levées en fonction de l’ordre décroissant
du degré de confiance 160
Les bonnes raisons de faire confiance selon les participants 167
Défaillances et sanctions 170
Evolution des tontines dans le temps et consolidation
des relations de confiance 174
La confiance comme capital social 177
Conclusion 180

Chapitre 6 : Microcrédit et Banquiers ambulants 183

Introduction 185
L’inadaptation des institutions financières classiques 186
Les limites du système bancaire 186
La dimension culturelle 190
Le système financier décentralisé: l’avènement de la micro-finance 191
Appui des structures de coopération 193
L´ACEP (Alliance du Crédit et de l’Epargne pour la Production) 193
Le PAMECAS (Programme d’Appui aux Mutuelles
d’Epargne et de Crédit au Sénégal) 196
Appui des ONG étrangères et locales 199
L’expérience de la FAFD avec l’appui du CRS 200
L’expérience de la FDEA 202
Articulation entre Tontines, organismes de micro crédit et banques 204
L’expérience du Réseau de Caisses d’Epargne et de Crédit
des femmes de Dakar 204
L’expérience des femmes de Tilène 210
Les banquiers ambulants des marchés 212
Les systèmes informels de transferts monétaires chez les émigrés 215
Conclusion 217

Chapitre 7 : Conclusion générale 219

La tontine comme lieu d’apprentissage à l’épargne 224


Rôle des femmes 225
Solidarité ou accumulation 227

249
Confiance 228
Les limites des arrangements financiers populaires 230
Interface avec les institutions financières formelles 231
Références Bibliographiques 233

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