Vous êtes sur la page 1sur 136

1

BANQUE CONTRE MICROFINANCE: LES ENJEUX DE L’INTERMEDIATION


FINANCIERE DANS LA ZONE CEMAC

PAR

MBOUOMBOUO NDAM Joseph


Directeur du cabinet Universal Finance Consult (UFINA)
BP 4996 Yaoundé (Cameroun)
Tel : (237) 983 94 91
(237) 222 22 70
Mail : jmndam9@yahoo.fr
2

DEDICACE

A Edwige, Hakim et Malik,


Tendre affection.
3

REMERCIEMENTS

Ce travail est la transformation du mémoire de DESS que nous avons soutenu en


février 2004 en banque, monnaie et finance internationale à l’Institut des Relations
Internationales du Cameroun (IRIC). Cet exercice a été effectué sur l’insistante
recommandation du Docteur Gbetnkom Daniel, encadreur dudit mémoire qui nous a
convaincu de l’originalité du sujet et de la pertinence des informations qu’il apporte dans un
domaine en pleine gestation. Nous lui savons gré de nous avoir aidé à croire en nous et de
nous avoir solidement inculqué le sens du dépassement de soi. Nous remercions avec la
même ferveur Monsieur Etienne Tsama, ancien directeur général de banque, ancien ministre
de finance du Cameroun et enseignant à l’IRIC. C’est au détour d’un entretien avec lui que
nous est venue l’inspiration de ce sujet. Le point de vue que nous défendons est l’opposé du
sien mais, il est justement de ceux qui nous ont fait comprendre l’apport de la contradiction
dans le progrès de la science.
Nous exprimons toute notre gratitude à Messieurs Nkou Nkou Celestin, expert en
microfinance au PPMF, Madren Henri, responsable du département de la microfinance à la
COBAC, Omam, chef cellule du Registre des COOP-GIC au MINAGRI, Bomda Justin,
Directeur de l’ADAF, Bollo Mbongo de ACEP Cameroun, Njimwafegue Abraham de
COFINEST qui ont accepté de répondre à nos questions et qui ont aimablement mis à notre
disposition toute la documentation voulue.
Nous sommes également très reconnaissant à l’endroit de Madame Piemeu Hélène,
Public Relations Officer à la Banque Mondiale qui nous a facilité l’accès à la documentation
de la Banque Mondiale, Messieurs Ouandji Jacques Paul, Directeur des opérations à la CBC
BANK, Bamuh Melvin, ancien étudiant à l’IRIC et cadre à l’UNION BANK, Nzimo
Léonard, chief marketing et credit officer à l’AMITY BANK et Fouepi Martin, directeur
général de la COFIMONT avec qui nous avons eu des entretiens fort utiles.
Nous remercions enfin tous les anonymes qui ont accepté de se prêter à notre sondage,
nous permettant ainsi de tester nos hypothèses.
4

TABLE DE MATIERES

Pages
INTRODUCTION GENERALE 11
IERE PARTIE : RESTRUCTURATION BANCAIRE ET INTERMEDIATION 20
FINANCIERE: ANALYSE BILANTIELLE
Chap1: Evaluation de l’intermédiation bancaire à l’aune de la restructuration 21
Crise et restructuration bancaires 21
 les causes de la crise 22
 la restructuration bancaire 25
Echec de l’intermédiation bancaire 30
 La banque et financement de l’économie 31
 La banque et ses autres missions 37
 Le fiasco annoncé des bourses des valeurs 41
Chap2 : La révolution microfinancière au Cameroun 44
Panorama de la microfinance au Cameroun 44
 Les origines mondiales de la microfinance 44
 Avènement et expansion de la microfinance au Cameroun 45
 Organisation du secteur de la microfinance au Cameroun 50
Les atouts de la microfinance 54
 L’assise culturelle de la microfinance 54
 La sollicitude des pouvoirs publics et des organismes d’aide 55
 Le mode opératoire des EMF 57
Evaluation de l’intermédiation microfinancière 46
 L’intermédiation sociale par les EMF 58
 L’intermédiation financière par les EMF 63
IIEME PARTIE : BANQUES OU ETABLISSEMENTS DE MICROFINANCE : 68
LE CHOIX EST-IL POSSIBLE?
Chap3 : Analyse de la relation banque/microfinance au Cameroun 71
Logique et réalité de la relation banques/microfinance au Cameroun 71
 Une vocation de complémentarité 71
 Une réalité conflictuelle 77
Causes du conflit banques/EMF au Cameroun 79
 Les faiblesses de la microfinance 79
 Les autres motifs des banques 88
Conséquences du conflit 92
 Accentuation du dualisme financier 92
 Handicap au développement économique 93
 Distorsions sectorielles et géographiques 94
 Perturbation des politiques économiques et monétaires 95
 Menaces pour le bon fonctionnement des bourses de valeurs 95
chap4 : Les sentiers de la convergence 97
Le rôle de la profession 97
 Le rôle de la banque 97
 Le rôle de la microfinance 98
Le rôle des divers partenaires 105
5

 Le rôle de l’état 105


 Le rôle de la banque centrale et de la COBAC 109
 Le rôle des organismes d’aide au développement 110
Le rôle des usagers 113
Conclusion générale 118
6

LISTE DES TABLEAUX ET DES FIGURES

Page
Tableaux
Tableau 1 Structure des ressources des banques camerounaises au 24
30/06/88
Tableau 2 Bilan des banques camerounaise avant et après correction 27
au 30/06/88
Tableau 3 Participation de l’état au capital des banques au 30/06/90 28
Tableau 4 Répartition du crédit principal des PMI selon les secteurs et 33
les sources
Tableau 5 Le réseau des trois principales banques camerounaises en 35
décembre 2004
Tableau 6 Poids de la microfinance dans le paysage financier 48
camerounais
Tableau 7 La catégorisation des EMF par la réglementation COBAC 51
Tableau 8 L’intermédiation sociale au service de l’intermédiation 62
financière
Tableau 9 La ventilation des crédits de la microfinance par secteur 66
d’activité
Tableau 10 Les agrégats de rentabilité de la microfinance 100

Figures
Figure1 Evolution des résultats des banques camerounaises de 1990 30
à 2004
Figure2 Evolution comparée des ressources bancaires et du crédit à 36
l’économie de 1994 à 2004
Figure3 Architecture du secteur de la microfinance 53
7

LISTE DES ENCADRES


Encadré 1 La Gramen Bank en raccourci 49
Encadré 2 Prêts individuels contre prêts collectifs 55
Encadré 3 Le programme de microcrédit de la COFINEST 56
Encadré 4 Les EMF ont du génie 73
Encadré 5 Quelques exemples de partenariat réussi entre la banque et 74
la microfinance à travers le monde
Encadré 6 Pourquoi les taux d’intérêt des EMF sont-ils si élevés 79
Encadré 7 Les déboires du PADER à Koutié 84
Encadré 8 Le système MC2 de Afriland First Bank 89
Encadré 9 Les prêteurs privés et les garde monnaie 92
Encadré 10 Le secteur autonome dans les EMF 99
Encadré 11 Le CGAP et le CAPAF 112
Encadré 12 Le projet ACEP Cameroun 113
8

LISTE DES ACRONYMES ET SIGLES

ACDI : Agence Canadienne pour le Développement International


AFD : Agence Française de Développement
ANEM-CAM : Association Nationale des Etablissements de Microfinance
APECAM : Association Professionnelle des Etablissements de Crédit du
Cameroun
BAD : Banque Africaine de Développement
BCD : Banque Camerounaise de Développement
BDEAC : Banque de Développement des Etats de l’Afrique Centrale
BEAC : Banque des Etats d’AFrique Centrale
BID : Banque Islamique de Développement
BIT : Bureau International du Travail
BVMAC : Bourse des Valeurs Mobilières d’AFrique Centrale
CAMCCUL : Cameroon Co-operative Credit Union League
CAPAF Programme de Renforcement des capacités en microfinance pour
l’Afrique francophone
CAPME : Centre d’Assistance aux Petites et Moyennes Entreprises
CEMAC : Communauté économique et monétaire d’Afrique Centrale
CGAP Consultative Group to Assist the Poorest
CIMA Conférence Interafricaine du Marché des Assurances
CNC : Conseil National du Crédit
COBAC : Commission Bancaire de l’Afrique Centrale
COOP/GIC (registre Registre des Coopératives et des Groupements d’Initiative
des…) : Commune
COOPEC : Coopérative d’Epargne et de Crédit
CRETES : Centre de Recherche et d’Etude en Economie et Sondage
DSX: Douala Stock Exchange
EMF : Etablissement de Microfinance
F. CFA : Franc de la Communauté Financière Africaine
FIDA : Fonds International pour le Développement Agricole
FOGAPE : Fonds d’Aide et de Garantie aux Petites et Moyennes Entreprises
GEREA : Groupe d’Etude et de Recherches en Economie Appliquée
GIC : Groupement d’Initiative Commune
IDE : Investissement Direct Etranger
MC2: Mutuelle Communautaire de Croissance
MINAGRI : Ministère de l’Agriculture
MINEFI : Ministère de l’Economie et des Finances
OCDE : Organisation de Coopération et de Développement Economique
OHADA: Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires
ONCPB Office National de Commercialisation des Produits de Base
OPCVM : Organisme de Placement Commun de Valeurs Mobilières
PME : Petite et Moyenne Entreprise
PNUD : Programme des Nations Unies pour le Développement
PPMF : Projet d’Appui au Programme National de Microfinance
PVD : Pays en Voie de Développement
SNH Société Nationale des Hydrocarbures
SNI Société Nationale d’Investissements
9

TPE : Très Petite Entreprise


UEAC : Union Economique d’Afrique Centrale
UEMOA : Union Economique et Monétaire Ouest Africaine
UMAC : Union Monétaire d’Afrique Centrale
10

RESUME

La restructuration bancaire des années 90 a été effectuée dans la zone CEMAC comme
dans toute la zone franc, sous hypothèse d’un système bancaire au service du développement
de l’économie. Le résultat s’en est trouvé biaisé dans un marché dominé par les banques
d’origine étrangère dont le principal souci est la réalisation du bénéfice maximum dans des
conditions optimales de sécurité. L’aggravation du hiatus entre la banque et le tissu social
qui s’en est suivi va doper le secteur de la microfinance dominé par les coopératives
d’épargne et de crédit. La prise en charge de ce secteur par les pouvoirs publics permet de le
sécuriser et de le dynamiser. Malheureusement, de nombreuses faiblesses structurelles
l’empêchent d’offrir des solutions de rechange satisfaisantes aux carences de l’intermédiation
bancaire. La conflictualité des relations entre les deux secteurs compromet davantage
l’efficacité du système d’intermédiation financière dont ni l’une ni l’autre composante ne
fournit des solutions idoines aux besoins de la population.
L’élaboration des stratégies pour y remédier est l’objet de cette étude. Elle indique
les voies à suivre par toutes les parties prenantes de l’intermédiation financière, notamment
l’Etat et les bailleurs de fonds qui doivent poursuivre les reformes de l’ensemble du système
financier. Les buts visés sont principalement le renforcement des capacités de la
microfinance et la domestication des objectifs des banques. L’implication de la microfinance
et surtout de la banque par le réexamen de leur modus operandi devrait permettre d’arriver à
une convergence de leurs objectifs et bénéficier à tout le système d’intermédiation
financière.
Mots-clés : Système officiel d’intermédiation financière, conflit, convergence.
11

INTRODUCTION GENERALE

La restructuration bancaire des années 90 dans la zone CEMAC comme dans toute
l’ancienne zone franc s’est essentiellement déclinée en termes de sacrifices et de
renonciations pour les états concernés. Licenciements massifs, fermetures d’établissements,
réduction du nombre d’agences, injection d’argent frais, perte de pouvoirs sont les principaux
ingrédients qui ont permis aux états de ramener la sérénité et la prospérité dans le secteur
bancaire. On se serait attendu en contre partie à une meilleure implication des banques en
faveur de l’économie au lieu de leur actuel repli opérationnel. Le secteur productif est ainsi
obligé de se tourner vers des sources alternatives de financement tels les usuriers, les tontines
et la microfinance qui va connaître un développement exponentiel à la faveur de cette
circonstance. Après une première phase de croissance désordonnée de ce secteur où les
structures de type coopératives d’épargne et de crédit (COOPEC) tiennent une place
prépondérante, sa prise en charge par les pouvoirs publics a permis de le sécuriser et de le
dynamiser. Malheureusement, de nombreuses faiblesses structurelles persistent et l’empêchent
d’offrir des solutions de rechange satisfaisantes aux carences de l’intermédiation bancaire. Les
économies de la CEMAC se retrouvent ainsi avec un système d’intermédiation financière en
complet déphasage avec les besoins du tissu productif. Les couches faibles de la population
sont les plus lésées, étant complètement rejetées par les banques et ne trouvant pas auprès de
la microfinance les solutions adéquates à leurs problèmes. Dès lors, il se pose un véritable défi
à toutes les parties prenantes de l’intermédiation financière, à savoir, les structures elles-
mêmes, les usagers et surtout les bailleurs de fonds et les pouvoirs publics qui doivent mettre
en place une politique efficiente de financiarisation de toutes les couches de la société, tant il
est vrai que l’exclusion économique est le ferment de l’exclusion sociale. Mais les
réaménagements nécessaires pour y arriver devraient-ils être faits en privilégiant un secteur
par rapport à l’autre ou en les promouvant ensemble ? Autrement dit, y a t-il un problème de
choix entre la banque et la microfinance en zone CEMAC ? La question mérite d’être posée,
au regard des relations tendues qu’on observe entre ces deux activités dans la zone et plus
particulièrement au Cameroun.
Les expériences observées à travers le monde tendent pourtant à faire penser que les
deux activités sont complémentaires par essence. Il semblerait que le désamour qui caractérise
leurs relations dans la zone CEMAC se nourrisse moins d’une impossibilité de coexistence
que de leurs lacunes respectives. Ainsi, l’extraversion des objectifs de la banque et la
faiblesse des capacités de la microfinance feraient barrière entre elles et les empêcheraient de
12

faire face à leur mission. Dans cette hypothèse, un réexamen critique de leur modus operandi
devrait certainement permettre d’arriver à une convergence de leurs objectifs et bénéficier à
tout le système d’intermédiation financière.
Tel est l’objectif principal de cette étude qui ambitionne de participer à l’élaboration des
stratégies de normalisation des relations entre la banque et la microfinance de créer des pistes
de synergie entre elles. S’agissant de la microfinance, il nous a semblé également opportun
d’en dresser un panorama rétrospectif au terme de cette année 2005 consacrée par les
instances mondiales au microcrédit en reconnaissance de son importance dans la lutte contre
la pauvreté. Comment les autorités de la CEMAC et plus particulièrement celles du
Cameroun captent-elles le mouvement ? Peut-on faire mieux ? Pour quel but et avec quels
moyens ?
Nous nous évertuons à répondre à ces diverses interrogations en utilisant comme
matériaux les diverses études faites sur la crise et la restructuration bancaires dans l’ancienne
zone franc et les rapports d’enquête de la COBAC sur la microfinance qui nous ont permis
d’apprécier à quel point l’explosion du phénomène de la microfinance au Cameroun était la
conséquence logique des imperfections de la réforme bancaire. Notre propre expérience
d’ancien employé de banque et d’établissement de microfinance nous a laissé une forte
impression de difficile cohabitation entre les deux secteurs, ce que n’ont pas démenti les
entretiens avec de nombreux professionnels1 de la finance au Cameroun ni un sondage que
nous avons effectué auprès d’une population disséminée dans 4 provinces du Cameroun
(Ouest, Nord-Ouest, Littoral et Centre) et composée de 100 ménages, 92 PME et TPE, 50
EMF, 7 banques sur les 10 en activité. Le dépouillement et l’analyse des résultats ont permis
de vérifier nos pressentiments sur la conflictualité Banque/EMF dans la zone CEMAC et
l’hiatus entre les objectifs du système financier officiel et les besoins de la population. La
nécessité de fédérer les missions et les moyens des deux composantes du système
d’intermédiation financière apparaît comme la seule voie à suivre si on veut les ramener au
diapason des besoins de la population.
Cette évaluation de l’intermédiation financière que nous effectuons dans la zone
CEMAC sera encore plus fertile si nous cadrons auparavant la notion d’intermédiation
financière pour mieux en saisir les différentes dimensions et statuer sur le sens exact qu’elle
aura dans notre analyse. Un recensement de ses acteurs dans la zone CEMAC permettra
d’expliquer pourquoi la tontine en est exclue malgré l’évidence de son impact sur le
comportement financier des agents économiques de la zone d’étude.
1
Il s’agit ici des employés de banque et d’EMF, de prestataires privés de services financiers et des enseignants.
13

a) qu’est ce que l’intermédiation financière ?


Les diverses définitions de la banque mettent en évidence le rôle de tampon que cette
institution joue entre les agents économiques à capacité de financement et les agents à besoin
de financement. Ce mécanisme d’ajustement des positions contraires constitue la fonction
d’intermédiation financière dont la dimension varie suivant les approches.
L’approche courante, encore connue sous l’appellation d’intermédiation de bilan met en
exergue la fonction particulière des banques dans la relation entre les demandeurs et les
offreurs de capitaux. Ici, les intermédiaires financiers ont pour rôle essentiel d’accorder des
prêts aux demandeurs de capitaux à partir des dépôts qu’ils collectent auprès des épargnants.
Cette forme classique d’intermédiation financière ne permet malheureusement pas de mettre
en évidence les nombreux développements de l’activité bancaire sous la pression de la
concurrence et des exigences de l’économie moderne.
C’est pourquoi au cours des dernières décennies l’intermédiation financière s’est
enrichie d’une approche "marché" dans laquelle les banques jouent essentiellement un rôle de
courtage. L’intermédiation de marché met en évidence les innovations auxquelles l’industrie
bancaire a dû s’astreindre pour s’adapter à la montée en puissance des marchés financiers
dont la conséquence est le déclin de la finance bancaire traditionnelle centrée sur la collecte
des dépôts et l’octroi des crédits (Scialom, 1999). L’intermédiation de marché, tout en
soutenant la globalisation financière élargit le champ d’activité de la banque.
L’approche africaine de l’intermédiation financière invite les banques à ajouter une
nouvelle donne à leur mission pour tenir compte des spécificités du contexte local. Ici,
l’activité d’intermédiaire financier ne peut prospérer qu’en couplant l’offre de crédit avec
l’offre des opportunités. Cette nouvelle perspective de l’intermédiation financière a pour
finalité de compenser la faiblesse des capacités et la précarité de l’environnement
institutionnel et matériel qui ne favorisent pas l’acquisition rapide et le bon usage de
l’information par les opérateurs économiques. Par ailleurs, la rareté des établissements de
capital-risque2 et la fermeture des organismes de financement des PME accroissent la
responsabilité de la banque comme centre d’innovation et de financement. Sime Zadouo
(2002) insiste sur la nécessité pour les banques camerounaises de promouvoir le service
d’assistance - conseil aux PME afin d’aboutir à un meilleur montage des dossiers. Bekolo Ebe
(2002) pour sa part affirme que le succès de l’intermédiation financière ne saurait faire
2
Le capital risque est une forme de financement qui consiste pour l’établissement financier à injecter des fonds
dans une affaire en difficulté dont elle prend le contrôle. Lorsqu’elle aura redressé l’affaire, elle la revendra en
réalisant une plus-value.
14

l’économie de l’adaptation des banques aux réalités locales. Ondo Ossa assigne aux
intermédiaires financiers l’impératif de s’impliquer dans le processus d’intégration régionale.
Quoi qu’il en soit, nous pensons que la réussite de la mission d’intermédiation financière doit
se mesurer tant par rapport à l’intensité de l’activité d’épargne - crédit que par son implication
dans la régulation du jeu social. C’est cette forme d’intermédiation financière tropicalisée qui
prévaudra dans notre étude.

b) Pourquoi l’intermédiation financière ?


Toutes les approches ci-dessus de l’intermédiation financière s’accordent sur la nécessité
de pallier les risques d’un contact direct entre les emprunteurs et les prêteurs. Ces risques sont
d’origines diverses et selon la nature du risque, nous pouvons dénombrer avec Scialom (1999)
qui reprend Gurley et Shaw (1960), quatre types de justifications à l’intermédiation
financière.
Il s’agit d’abord de l’opposition entre les caractéristiques des actifs financiers des agents
économiques dont les exigences en matière des échéances, des risques et des rendements
diffèrent selon qu’ils sont prêteurs ou emprunteurs. Les positions de ces agents seraient
inconciliables en l’absence d’intermédiaires financiers.
L’aversion différenciée au risque rend également indispensable la présence des
intermédiaires financiers pour qui le risque fait partie inhérente de l’activité alors que les
agents non financiers ne l’acceptent qu’en exigeant des primes trop importantes pour le
prêteur (Pyle,1971). Les agents non financiers vont transférer les risques aux intermédiaires
financiers moyennant une réduction de leurs gains.
Les intermédiaires financiers bénéficient par ailleurs des coûts de transaction modérés
du fait des économies d’échelle réalisées dans la collecte des dépôts et la distribution des
crédits. On soulignera également la réduction des nombreux autres coûts tels le coût de la
recherche de l’information, le coût de négociation des conditions financières, le coût de
contrôle pour lesquels les intermédiaires financiers sont outillés dés leur mise en place.
Enfin, les intermédiaires financiers sont moins exposés que les prêteurs privés aux
asymétries d’information qui font que l’emprunteur soit toujours plus renseigné sur sa
situation que le prêteur. La tenue des comptes clients constitue en effet une importante niche
de renseignements sur les prêteurs et les emprunteurs. Les intermédiaires complètent leurs
informations en recourant aux autres sources fiables que sont la Centrale des risques3, les
échanges de renseignements inter professionnels ou les correspondants étrangers.
3
Fichier tenu par les Banques Centrales et recensant tous les bénéficiaires de crédit à partir d’un certain seuil.
15

Biales (1999) résume ces diverses considérations en définissant les intermédiaires


financiers comme les institutions "qui réalisent l’adéquation quantitative et qualitative entre
l’épargne disponible des prêteurs et les besoins de financement des emprunteurs…en
apportant une garantie qui repose sur leur notoriété, leur surface financière et la division des
risques à laquelle ils procèdent."
Les intermédiaires financiers dans les pays en voie de développement sont en outre
nécessaires pour réduire la part de l’informel dans l’économie, favoriser les inclusions
financières et sociales, résorber la thésaurisation et freiner la fuite des capitaux vers des
régions où ils sont plus actifs. Dans un contexte d’insécurité et d’incertitude, ils sont plus
qu’ailleurs chargés de polariser les risques et de proposer des opportunités.

c) qui sont les intermédiaires financiers au Cameroun


Au Cameroun, trois types de structures financières peuvent prétendre à la qualité
d’intermédiaire financier tel que convenu ci-dessus. Deux sont du secteur officiel : les
banques commerciales et les établissements de microfinance dûment agréés par l’Autorité
Monétaire, le Ministre des Finances en l’occurrence. Le troisième est du secteur informel. Il
s’agit des groupes de tontine qui occupent malgré cela une place de choix dans le paysage
financier du Cameroun.
La définition du terme "banque commerciale" ou "établissement de crédit" que nous
adoptons dans notre travail est celle des autorités de la COBAC et de la Banque de France.
Selon cette définition," les Etablissements de crédit sont les organismes qui effectuent à titre
habituel des opérations de banque. Celles-ci comprennent la réception des fonds du public,
l’octroi des crédits4…" Cette définition confirme le caractère d’intermédiaire financier des
banques commerciales qui reçoivent d’une part les fonds des agents à capacité de financement
et d’autre part accordent des crédits aux agents à besoin de financement. Les déposants ne
sont pour autant à aucun moment privés de la possibilité de disposer de leur épargne à
première demande, d’où la notion de " création monétaire5" qui s’associe étroitement à celle
d’intermédiation bancaire. L’autre conséquence de cette définition est d’exclure de la
catégorie des banques commerciales et d’intermédiaires financiers des structures qui y sont

4
Article 4 de la convention du 17 janvier 1992 portant harmonisation de la réglementation bancaire dans les
Etats de l’Afrique Centrale.
5
La notion de création monétaire caractérise la capacité des banques à mettre de la monnaie à la disposition de
leurs clients par simple jeu d’écritures ; cette monnaie scripturale va à son tour accroître les dépôts de la banque,
ce qui permet d’affirmer que " les crédits créent les dépôts".
16

souvent abusivement classées telles que les Banques Centrales, les Trésors Publics, les
services financiers postaux (caisse d’épargne postale, centre des chèques postaux), les
institutions financières spécialisées (établissements de leasing, sociétés de crédit à la
consommation, messageries financières…) ou les fonds de pension et les assurances. En effet,
aucune de ces institutions ne remplit simultanément les deux fonctions essentielles de
l’intermédiation financière telle que nous l’avons définie, à savoir la collecte des fonds et
l’octroi des crédits à toutes les catégories d’opérateurs économiques.
La notion de microfinance, d’apparition récente, regroupe une vaste gamme de
structures financières de taille et de forme juridique diversifiées, généralement répertoriés
comme "systèmes financiers décentralisés". Son orthographe est encore source de division,
certains le transcrivant en un seul terme, d’autres le rendant en deux mots distincts. La
Banque Mondiale (Ed, 2000) opte pour "Institutions de Microfinance" et les définit comme "
des institutions qui offrent selon des modalités commerciales, des services de crédit aux
ménages économiquement actifs et aux entreprises trop petites pour être desservies par les
banques commerciales". L’acceptation de la Banque Mondiale fait abstraction du mode
organisationnel, se focalisant uniquement sur l’activité, qu’elle soit pratiquée par des entités
formelles ou informelles, individuelles ou sociétaires, privées ou publiques. Le terme
"Etablissements de Microfinance" ( EMF ) est utilisé au Cameroun en remplacement de celui
de "Etablissements de Crédit à Caractère Spécial" (ECCS) proposé par les pouvoirs publics
lors de l’opération d’assainissement du secteur de la microfinance initiée à partir de fin 1998
par l’Autorité Monétaire. L’objectif de cette opération était de discipliner un secteur en forte
croissance et insuffisamment régenté par la seule loi sur les COOP/GIC 6 qui ne fixe aucune
barrière à l’entrée et explique l’amateurisme et l’aventurisme observés au cours de la première
révolution microfinanciére au Cameroun. Cette dénomination a été récusée par les concernés
qui la trouvaient trop réductrice, voire péjorative. Les textes réglementaires élaborés sous la
houlette de la COBAC au terme de cette restructuration font de la microfinance " une activité
exercée par les entités agrées n’ayant pas le statut de banque ou d’établissement financier...
qui pratiquent à titre habituel des opérations de crédit et/ou de collecte de l’épargne et offrent
des services financiers spécifiques au profit des populations évoluant en marge du circuit
bancaire traditionnel7". Cette définition fait clairement de la microfinance un intermédiaire
financier exerçant les deux activités principales de cette fonction, à savoir l’épargne et le
crédit. Elle affiche aussi son souci de faire le distinguo entre la banque et la microfinance

6
Loi 92/006 du 14 août 1992 relative aux COOP/GIC
7
Article1du Règlement 01/02/CEMAC/UMAC/COBAC du 13 avril 2002
17

même si dans les faits, la plupart des établissements de microfinance ainsi cadrés par la
réglementation sont en réalité des micro banques effectuant la quasi-totalité des opérations de
banque classiques dans une optique essentiellement commerciale. Cette catégorie d’EMF qui
contrôle plus de 90% du marché camerounais est l’objet principal de notre étude. Les ONG
pratiquant le crédit sans collecte de l’épargne sont évoqués surtout à titre comparatif.
Le phénomène de tontine tient une place stratégique dans le comportement financier des
populations africaines en général et du Cameroun en particulier. En 1985 elle concernait
47,3% des ménages camerounais (Marchés Tropicaux, 1987). Joseph (1977) exalte les mérites
de ce mécanisme de mise en commun des ressources financières qui, pendant la colonisation,
"permettait aux bamilékés de mettre leurs entreprises à l’abri de la politique discriminatoire
des banques et autres organismes de crédit". Selon cet auteur, c’est comme cela que," malgré
la mauvaise volonté des banques à accorder des prêts aux camerounais pour leur permettre
d’entrer dans le commerce local ou dans l’import/export, cette tribu dynamique a pu dès les
années 50, occuper des niveaux intermédiaires du secteur commercial et plus tard, faire jeu
égal avec les Grecs et les Libanais". Notre propre enquête confirme qu’elle est une
importante source de financement pour les entreprises dont 37% d’approchées avouent y
recourir pour se financer, même quand elles sont clientes des banques. La tontine est
également la destination préférée de l’épargne des ménages dont 44% des sondés avouent
être des adhérents. Toutes les analyses à son sujet s’accordent sur son fondement à la fois
social et financier. Ce sont ces deux objectifs qui sont assignés à la tontine par les ménages
que nous avons sondés, dans une proportion de 9,5% pour l’objectif de liant social et 86,5%
pour l’objectif d’intermédiation financière.
Les recherches se perdent en conjectures quant aux origines du système de tontine et il
semble qu’il ait existé bien avant la monétarisation de l’économie du Cameroun. Selon
Nzemen (1988), les groupes de tontine sont "des associations informelles fondées sur des
critères homogènes et le respect de la parole donnée dont le but est de promouvoir toute
action de solidarité entre les membres ou de constituer périodiquement un marché financier
informel et fermé, permettant à ses membres de placer leur épargne pour les uns et d’accéder
au crédit pour les autres". En fait, la tontine est une variante du système AREC (association
rotative d’épargne et de crédit) très répandu dans les PED et dont la forme la plus élémentaire
consiste à remettre à des bénéficiaires successifs, le montant cotisé périodiquement par
l’ensemble des membres (Germidis, 1991). Nous retrouvons ici les fondamentaux de
l’intermédiation financière que sont la collecte de l’épargne et l’octroi des crédits. Mais en
18

même temps, des réserves apparaissent qui empêchent la tontine d’être un intermédiaire
financier ordinaire :
- La tontine échappe à toute institutionnalisation comme le reconnaît Nzemen (1988) :
" A cause de leur souplesse axée à la fois sur la confiance et la rapidité des actes, les tontines
restent difficilement « reglémentables » par l’Etat". C’est ce que confirme Bekolo Ebe
(2002) tout en insistant sur la nécessité de combler le vide juridique qui entoure les tontines et
qui est source d’incertitude pour les « tontiniers ». La difficulté d’institutionnalisation
provient de la diversité de l’affectio societatis qui peut être d’essence familiale, tribale,
religieuse ou professionnelle et qui influence l’intensité des engagements.
- Le caractère rotatif de la tontine fait qu’un membre ne peut pas en bénéficier plus
d’une fois par cycle (Osende Afana, 1966). Elle ne peut donc pas être un recours permanent
comme les banques ou les EMF qu’on peut solliciter plusieurs fois au cours de la même
année.
- La tontine est un marché financier fermé (Nzemen, 1988). Certains groupes de tontine
ont même un caractère ésotérique et ne s’ouvrent qu’aux initiés. Il est par ailleurs impossible
d’effectuer un repérage comptable exact de la tontine à cause de la tenue irrégulière des
registres et autres documents comptables.
- Les opérations de tontine se font généralement en numéraires et ne donnent lieu à
aucune création monétaire.
- Les financements par la tontine se font presque exclusivement sur le court terme pour
respecter le cycle qui va rarement au-delà de deux ans.
- Le bénéfice de la tontine se fait au terme d’une mise aux enchères du lot cotisé par tous
les membres, ce qui donne lieu souvent à des taux usuraires. Des taux supérieurs à 50% ont
parfois été observés, ce qui enlève toute rationalité au financement par la tontine.
Pour ces diverses raisons, la tontine reste un intermédiaire financier imparfait dont le
caractère informel n’en permet pas une étude exhaustive. C’est pourquoi, malgré son
importance dans le comportement financier des ménages camerounais, nous l’excluons de
notre analyse pour nous limiter aux banques commerciales et aux établissements de
microfinance. Signalons toutefois l’existence de pistes de collaboration entre la tontine et le
secteur financier formel confirmée par la moitié des ménages auprès desquels nous avons
mené notre enquête et qui jugent cette collaboration indispensable. Les domaines de synergie
recensés par cette enquête sont l’utilisation des instruments bancaires par la tontine tels les
chèques ou les bons au porteur lors des cotisations et la sécurisation des avoirs de la tontine
auprès des banques et des établissements de microfinance.
19
20

RESTRUCTURATION BANCAIRE ET INTERMEDIATION FINANCIERE:


ANALYSE BILANCIELLE
21

Le système officiel d’intermédiation financière de la zone CEMAC, à l’instar de


celui de toute l’Afrique noire francophone est le produit d’une profonde révolution dont
l’élément catalyseur est la crise bancaire de la fin des années 80. Le dysfonctionnement de
tout le système de paiement a obligé les Etats à un lifting complet de leurs édifices financiers
comportant de nombreuses renonciations et sacrifices. La forte réduction de l’implantation
des banques est couplée avec l’instauration d’une plus grande discipline dans l’activité
bancaire sous la surveillance de la COBAC engendrée elle-même par cette restructuration.
Dans le même temps, de nouveaux acteurs sont apparus ou ont pris une nouvelle dimension
sur le marché, contribuant à modifier profondément le visage du système d’intermédiation
financière. C’est ainsi qu’à la faveur de la libéralisation financière, les établissements de
microfinance ont proliféré dans les espaces délaissés par les banques pendant que des bourses
de valeurs immobilières se créent timidement ici et là. Cette première partie de notre travail se
propose d’établir un bilan de l’intermédiation financière officielle telle que modulée par cette
révolution. Nous ausculterons pour ce faire ses principales composantes que sont la banque
(chapitre1) et la microfinance (chapitre 2). Nous ouvrons au passage une fenêtre sur la
situation des bourses de valeurs dans la zone CEMAC.

CHAPITRE I: EVALUATION DE L’INTERMEDIATION BANCAIRE A L’AUNE DE


LA RESTRUCTURATION
Les performances actuelles de l’intermédiation bancaire au Cameroun sont largement
tributaires de la crise qui a frappé ce secteur dans les années 80 et de la restructuration
conséquente au cours des années 90. Il convient dès lors de revisiter cette triste épopée des
banques camerounaises si on veut mieux percevoir leur comportement d’intermédiaire
financier. L’exercice n’est pas simplement intellectuel mais procède aussi de la volonté de
repérer les causes du dysfonctionnement pour participer à l’élaboration des gardes fous
contre sa résurgence.

A- CRISE ET RESTRUCTURATION BANCAIRES


La fin des années 80 dans tous les pays de l’ancienne zone franc (aujourd’hui zone CFA
après la disparition du franc français) est marquée par une grave crise du secteur bancaire qui
voit des établissements jusque là réputés solides, avoir du mal à restituer les dépôts des
clients. A quels facteurs peut-on attribuer ce phénomène et quelles sont les mesures
correctives qui ont été adoptées ?
22

1- les causes de la crise bancaire

Les divers travaux8 réalisés sur la crise bancaire dans la zone CFA en général
permettent de lui distinguer trois groupes de causes. Ce sont les causes exogènes, les causes
endogènes et les facteurs mixtes.
a) les facteurs exogènes
Ils tiennent au rôle prépondérant joué par l’Etat dans les années 80 dans toutes les
banques en tant qu’actionnaire majoritaire qui en oriente la gestion et en tant qu’agent
économique qui contrôle la majorité des grosses entreprises clientes des banques. Il sera ainsi
le principal générateur et diffuseur des facteurs de la crise du système bancaire.
La crise de liquidités subie par l’Etat à la suite de la baisse des cours des matières
premières au milieu des années 80 va obérer la trésorerie des banques de trois manières : le
trésor public ponctionne les avoirs bancaires pour faire face aux déficits de budget ; l’Etat
accumule des arriérés de la dette intérieure, provoquant la baisse de niveau des dépôts privés ;
la plupart des crédits adossés sur les marchés publics enregistrent des impayés qui
alourdissent le portefeuille des banques.
Mais l’Etat n’a pas seulement été une simple victime résignée. En sa qualité de
régulateur de l’activité économique et de faiseur des lois, il a participé à la déconfiture des
banques en prenant ou en refusant de prendre des initiatives de son domaine de compétence.
On peut citer dans ce registre la mauvaise orientation des crédits sous la pression des pouvoirs
publics dans la logique de planification qui primait sur celle de la rentabilité. On peut aussi
citer l’incompétence de certains gestionnaires imposés par l’Etat qui nommait les directeurs
généraux des banques et leurs adjoints en fonction des critères propres à lui. On peut
également évoquer la faiblesse de l’encadrement de l’activité des banques dont les
défaillances faisaient l’objet d’un simple constat sans aucune action corrective ou coercitive
en l’absence d’un organisme habilité, ou la précarité de l’environnement juridique et
judiciaire peu propice à l’activité des banques. Un autre facteur imputable à l’Etat est la
répression financière interne qui se traduit par la réglementation des taux et le contrôle du
crédit à travers la fixation des plafonds de réescompte9. A cette répression financière interne,

8
Nous recommandons particulièrement les travaux des chercheurs du GEREA rassemblés par Bekolo Ebe
(2002) en ce qui concerne le cas spécifique du Cameroun et ceux de Mathis (1992) sur le même phénomène
observé au niveau de l’Afrique noire francophone.
9
Le plafond de réescompte est le montant maximum de refinancement des crédits que la Banque Centrale fixe
périodiquement pour chaque banque.
23

il convient d’ajouter la répression externe tenant à la politique monétaire sous contrainte


extérieure à laquelle sont soumis les pays de la zone (Tchuidjang Pouemi, 1980).

b) les facteurs endogènes.


Il s’agit des causes sécrétées par la profession bancaire elle–même et dont Mengue
Mengue (2002) procède à une analyse succincte. Il est d’abord évoqué la mauvaise gestion
technique des banques caractérisée par la distorsion entre les ressources et les emplois. En
l’absence des ressources longues, les banques utilisent essentiellement les dépôts à vue pour
financer des crédits à moyen terme. On peut également déplorer la mauvaise maîtrise des
outils d’analyse financière qui ne favorise pas une étude rationnelle des dossiers de crédit
avant leur octroi et l’inexistence des services d’audit interne ou d’inspection et l’inefficacité
des procédures de recouvrement caractérisée par l’absence des services du contentieux dans la
plupart des banques.
La mauvaise gestion frauduleuse des banques est un autre facteur incriminant, s’agissant
des actes contraires à la déontologie bancaire posés sciemment par les organes dirigeants de la
banque dans le but de bonifier l’image de leur établissement. On citera dans ce chapitre le
maquillage de la qualité des portefeuilles avec des créances compromises conservées parmi
les créances saines afin de bénéficier de leur refinancement par la Banque Centrale, la
comptabilisation des profits fictifs lorsque ces créances gelées continuent de faire l’objet de
perception d’intérêts gonflant abusivement le compte d’exploitation, la fuite en avant dans les
financements mal étudiés dans l’espoir de compenser les pertes antérieures et enfin les crédits
exagérés aux affaires des dirigeants de la banque ou les crédits sans intérêts aux amis des
dirigeants.
Un autre facteur endogène ayant favorisé la faillite des banques est la structure des
ressources bancaires dans lesquels le refinancement par la BEAC et les correspondants
tiennent une large part (voir tableau 1). Or le coût de cette catégorie de ressources est
généralement plus élevé que celui accordé sur les dépôts clientèle. L’importance relative de la
part des dépôts publics est un autre facteur d’aliénation des banques comme nous l’avons vu
supra. La faiblesse des capitaux permanents avec des fonds propres négatifs accentue la
précarité de l’équilibre des banques.
24

Tableau 1: Structure des ressources des banques camerounaises au 30 juin 1988 (en
milliards FCFA).

Désignation Montant Pourcentage


Banques et correspondants 418,8 30,4
BEAC 323,2
Correspondants étrangers 54,0
Autres 41,6
Dépôts de l’Etat 282,9 20,5
Dépôts clientèle 519,2 37,7
Autres passifs 122,8 8,9
Capitaux permanents et provisions 34,5 2,5
Capitaux propres -37,5
Associés extérieurs 37,1
Autres capitaux et provisions 34,9
Total 1378,2 100

Source : Mathis (1992, page127)


c) les causes mixtes.
La théorie de l’agence10 démontre l’importance de la corruption comme facteur de la
déconfiture des banques au Cameroun (Bekolo Ebe, Bayemi et Bikoue, 2002) . Elle a en effet
contribué à pervertir la relation banque/client et encouragé le client à commettre certains actes
graves tels que le maquillage des comptes de l’entreprise, le détournement des crédits de
l’objet qui a pourtant déterminé leur octroi, le changement d’identité ou le décès fictif du
bénéficiaire d’un crédit, le gonflement du besoin de crédit, l’excédent étant destiné à la
corruption de l’agent de la banque. Il va bien évidemment en découler un risque de
contrepartie dès lors que le client corrupteur sait qu’il bénéficiera de la bienveillante
indulgence de l’agent corrompu. Par ailleurs, la corruption gonfle le coût des transactions
pour l’économie à cause de tous les frais entraînés par le recouvrement contentieux que les
banques vont répercuter sur la facturation des crédits. Enfin, la corruption pollue le cadre
institutionnel et judiciaire qui ne peut plus intervenir efficacement pour corriger les
asymétries d’informations, éliminer les coûts indus des transactions et fluidifier le
10
Cette théorie trouve son fondement dans l’évolution des sociétés par actions qui rend compliqué le contrôle
des actionnaires ou propriétaires (ici appelés "le principal") sur les actifs et la gestion des entreprises. Aussi,
délèguent-ils par contrat tacite ou formel leurs pouvoirs à des mandataires (appelés "agent") qui peuvent être les
dirigeants (pouvoir de gestion) ou des auditeurs externe (pouvoir de contrôle). Cette théorie peut être étendue à
toutes les formes de relations entre un propriétaire de droit et un dépositaire de ce droit.
25

dénouement des transactions. L’exemple le plus couramment cité est celui des garanties dont
la réalisation est généralement très ardue au Cameroun.

Ces différents facteurs vont provoquer un dysfonctionnement total du système bancaire


dont le point culminant se situe à la fin de l’exercice 1986/1987. La plupart des banques sont
incapables de restituer à première demande les dépôts des clients, surtout lorsqu’il s’agit de
gros montants. Il se développe un cercle vicieux de défiance avec les clients qui à leur tour,
deviennent réticents à confier leurs avoirs aux banques voire même à rembourser les crédits
précédemment reçus, par crainte de ne pouvoir en obtenir d’autre. Le secteur financier
informel se développe exponentiellement tandis qu’on assiste à un assèchement des liquidités
dans les circuits économiques officiels. Ecrasées par le poids des pertes et des provisions
liées aux cumuls excessifs des créances compromises, les banques sont fortement fragilisées
et il devient impératif pour les pouvoirs publics de trouver des solutions. Les institutions de
Brettons Wood mettent également la pression en érigeant l’assainissement du système
bancaire au rang des conditionnalités majeures d’intervention en faveur des économies
sinistrées du tiers monde. Cette reforme aura lieu en deux temps au Cameroun.

2- La restructuration bancaire au Cameroun

a) La première restructuration
Elle débute en 1988 et vise deux objectifs déclarés. Il faut d’une part adapter l’offre
bancaire aux conditions de la faible demande induite par la mauvaise conjoncture
économique et d’autre part, assurer la solvabilité, la liquidité et la rentabilité des banques en
activité. Il y aura ainsi un resserrement du paysage bancaire avec la liquidation pure et simple
des établissements ayant des créances compromises supérieures à 50% de leur portefeuille et
fusion des établissements qui sont moins affectés. Le deuxième objectif sera concrétisé par
l’apurement du passif de l’Etat auprès des banques. Celui-ci s’engage à rembourser certaines
dettes des entreprises publiques à hauteur de 160 milliards FCFA et celles envers la BEAC à
concurrence de 205 milliards. Il transfère également près de 600 milliards de créances
douteuses des banques à la Société Camerounaise de Recouvrement de Créances (SRC) créée
à l’occasion. Le capital social des banques est reconstitué par apport d’argent frais à
concurrence de 22 milliards et l’Etat accorde ou parraine l’octroi des subventions et des prêts
participatifs aux banques par les bailleurs de fonds en vue de compenser l’insuffisance des
provisions. Auparavant, les bilans des banques ont été corrigés pour mieux refléter la réalité
26

de leur situation. Cette correction fait apparaître un important écart de 230,5 milliards de F
CFA entre la situation déclarée des banques et l’estimation de la réalité par l’expert commis à
ce propos (voir Tableau 2). L’ampleur de cet écart donne la mesure de la fiction entretenue
pendant des années de mauvaise gestion. Enfin, les banques ferment les guichets jugés non
rentables et procèdent à la réduction de leurs effectifs avec l’accord des autorités de tutelle.
Afin de prévenir tout futur dysfonctionnement, les Etats de la zone CEMAC, tous affectés par
le même problème décident en octobre 1990 de la création d’un organisme de réglementation
et de contrôle de l’activité bancaire, la Commission Bancaire de l’Afrique Centrale
(COBAC). Au total, les sacrifices consentis sont lourds avec 80 guichets fermés, 3000
emplois environ supprimés et près de 500 milliards de franc CFA injectés par l’Etat et les
bailleurs de fonds (Mengue Mengue 2000). Cela n’empêche pas le système de connaître dès
la fin de 1993, de nouvelles secousses qui vont nécessiter une nouvelle intervention. Avant
d’examiner celle-ci, il convient d’abord de relever les lacunes ayant empêché la pleine
réussite de la première restructuration.

b) Les causes de l’échec de la première restructuration


Nous pouvons citer en premier lieu la prépondérance de l’Etat dans le capital des
banques avec par conséquent la continuation d’une trop grande mainmise sur l’orientation de
leur politique (voir tableau 3), la contestation de l’autorité de la COBAC par les juges qui
reprochent aux textes de cette institution de ne pas s’inscrire dans l’ordonnancement juridique
local, la lourdeur du portefeuille des banques, l’Etat ne remboursant pas l’endettement des
entreprises publiques comme il s’y était engagé. Les systèmes financiers connexes
(assurances, coopératives d’épargne et de crédit) sont ignorés dans la reforme alors qu’ils
connaissent aussi des problèmes qui affectent l’équilibre général du système financier. La
conséquence de ces lacunes est que les banques, bien que réhabilitées restent illiquides et ne
peuvent pas financer l’économie. Le Ministre camerounais des Finances va confirmer l’échec
de cette première restructuration en avouant que seules 3 banques sur les 8 en activité ont
des bilans acceptables en fin 1994/95 (Jeune Afrique Economie Hors série, 1997, P. 140).
27

Tableau 2 : Bilan des banques camerounaises avant et après correction au


30/6/1988 (en milliards CFA)
Avant Après Ecart
correction correction
ACTIF
CREANCES SUR LES BANQUES 136.1 136.1 -
dont douteux 4.7 4.7 -
CREANCES SUR L’ETAT 100.8 100.8 -
Bons d’équipement 71 71 -
Crédits aux administrations 29.1 29.1 -
Chèques postaux et Trésor Public 0.7 0.7 -
CREDIT A LA CLIENTELE (nets) 972.9 742.4 -230.5
Créances saines 823.9 588 -235.9
entreprises publiques 120.1 132.9 12.8
autres 703.8 455.1 -248.7
Créances douteuses (brutes) 253 488.7 235.7
entreprises publiques 29.9 39.9 10
autres 223.1 448.8 225.7
provisions pour dépréciation 104 334.3 230.3
entreprises publiques 0 8.1 8.1
autres 104 326.2 222.2
VALEURS A RECOUVRER 51.5 51.5 -
AUTRES ACTIFS 117 117 -
TOTAL 1378.3 1147.8 -230.5
28

PASSIF
ENGAGEMENTS VIS AVIS DES 418.8 418.8 -
BANQUES 323.2 323.2 -
BEAC 54 54 -
Etablissements associés 414.6 414.6 -
Autres 282.9 282.9 -
DEPOTS DE L’ETAT 519.2 519.2
DEPOTS DE LA CLIENTELE 109.1 109.1 -
entreprises publiques 410.1 410.1 -
autres 122.8 122.8 -
AUTRES PASSIFS 34.5 -223.2 -
CAPITAUX PERMANENTS ET -37.5 -295.2 -257.7
PROVISIONS 66.4 66.4 -257.7
Capitaux propres 37.1 37.1 -
Autres capitaux permanents 5.6 5.6 -
Dont sur établissements associés 27.3 -
Provisions 1378.3 1147.8 27.3
AJUSTEMENTS -230.5
TOTAL
Source : Mathis (1992, page127)
29

Tableau 3: Participation de l’Etat au capital des banques au 30/06/ 1990 (en


pourcentage)
Etablissement Etat (1) Privés Privés
camerounais étrangers
SGBC 45 - 55

BIAO-Cameroun 35 - 65

BICIC 51 49

MBC 35 65

SCB -CL 35 65

IBAC 35 65 -

Standard Chartered 34 - 66

BCC-Cameroun 35 - 65

CCEI-Bank - 95 5

1) Y compris les démembrements de l’Etat (SNI, ONCPB, SNH, BCD etc.)


Source : Mathis (1992, pages134 et 135)
c) La deuxième restructuration
Elle va démarrer au début de l’année 1995 et visera à libéraliser d’avantage le secteur
bancaire tout en rectifiant les erreurs commises lors de la première. L’autorité de la COBAC
sera renforcée et ses décisions s’imposeront dorénavant aux juridictions nationales. Elle est
par ailleurs reconnue comme la seule autorité habilitée à décider de la liquidation d’une
banque et à en organiser les modalités. Le paysage bancaire est davantage assaini avec la
liquidation des trois banques dont la situation s’est fortement compromise depuis la dernière
restructuration. Celles qui le méritent sont recapitalisées par apports conjoints de l’Etat et des
maison mères à hauteur de 50 milliards FCFA en tout et le fonctionnement de la SRC est
réorganisé par l’ordonnance du 17 août 1995 qui intègre dorénavant un représentant des
banques en liquidation dans son Conseil d’Administration . Ces mesures sont renforcées par
l’engagement solennel du gouvernement à œuvrer pour le retour et la consolidation d’un
secteur financier sécurisé et performant11. A ce titre, il s’engage à renforcer les structures de

11
Déclaration du 13 septembre 1996 sur la reforme du secteur financier.
30

contrôle et de supervision, à limiter sa participation au capital social des banques à un


maximum de 20% et à faire appliquer scrupuleusement les décisions de la COBAC.
En respect de cet engagement, l’Etat va amorcer le règlement de sa dette envers les
banques par "titrisation"12 d’une moitié et amortissement linéaire de l’autre moitié sur une
durée de 12 ans après 4 ans de grâce. Il va également mettre en place diverses mesures
répressives contre les débiteurs indélicats qui ne peuvent plus souscrire aux fonds
d’investissement, ni aux privatisations, ni aux marchés publics. La sécurité du chèque est
renforcée par un acte de l’Association Professionnelle des Etablissements de Crédit du
Cameroun (APECAM) qui rend obligatoire l’encaissement sur un compte bancaire de tout
chèque13 . La reforme des taux d’intérêt est initiée en vue d’établir les conditions d’une saine
concurrence dans le secteur bancaire. Le dispositif prudentiel des banques est renforcé,
prévoyant notamment un taux de réserve spéciale de 15% alimenté par des prélèvements sur
les bénéfices et fixant à un milliard de FCFA le capital minimum des banques. D’autres
mesures visant à mieux sécuriser les dépôts et à offrir de nouvelles alternatives de
financement à l’économie sont mises à l’étude telles que la création d’un fonds régional de
garantie interbancaire et la création d’une bourse de valeurs mobilières régionale. La reforme
du secteur des assurances dans le cadre de la Conférence Interafricaine du Marché des
Assurances (CIMA) et l’avènement du code OHADA viendront conforter la quiétude du
secteur financier.
La restructuration bancaire a ainsi donné lieu à une transformation globale de
l’ensemble du système bancaire camerounais et la description détaillée que nous en avons
faite permet de mesurer l’ampleur des sacrifices consentis par l’Etat et les bailleurs de fonds.
La société a payé sa part de tribut avec le lot des "compressés" venus gonfler les rangs des
chômeurs. Les banques retrouvent leurs équilibres dés les années 1997 et sont dorénavant
mieux gérées comme en témoignent l’abondante trésorerie et la rentabilité affichée par tout le
système (voir figure 1). Mais était-ce le seul résultat recherché? Les banques restructurées

12
Emission obligataire à un taux variable annuellement en fonction du marché ; opération gérée par la Caisse
Autonome d’Amortissement.
13
Les avis sont partagés sur l’efficacité de cette mesure qui visait à accroître les ouvertures de compte en
banque et à limiter l’utilisation abusive du chèque comme instrument de crédit au lieu d’instrument de
paiement. Non seulement le chèque continue à servir d’instrument de garantie et de crédit, mais il est de moins
en moins accepté dans les transactions commerciales à cause de l’impossibilité de l’encaisser en espèces par le
bénéficiaire et de l’incivisme des émetteurs qui ne se soucient pas de la disponibilité préalable de la provision.
La conséquence en est l’entrave aux échanges commerciaux et surtout la multiplication des opérations en
espèces qui échappent au système financier officiel.
31

ont-elles pu mieux jouer leur rôle d’intermédiaire financier au service du développement


économique et de l’équilibre social en général ? Telles sont les questions qui nous interpellent
dans la suite de cette étude.

Figure1 : Evolution des résultats d'exploitation des banques camerounaises de 1 990 à


2004 (en millions de FCFA)

25 000

20 000

15 000

10 000
résultats

5 000

-
1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004

-5 000

-10 000
années

ource : Construit par l’auteur à partir des statistiques de la BEAC

B – ECHEC DE L’INTERMEDIATION BANCAIRE


L’intermédiation bancaire au Cameroun peut être jaugée à travers ses prestations en
matière de financement de l’économie et son apport dans la régulation du jeu social et la
dynamisation du processus d’intégration régionale. Nous verrons ainsi que l’excellente
rentabilité affichée par le système bancaire (voir figure 1) depuis sa restructuration n’est
nullement le corollaire d’une meilleure implication dans le circuit économique et social.
32

1- La banque et financement de l’économie


La vocation fondamentale de la banque est le financement de l’économie,
l’intermédiation financière en étant l’outil principal. Biales (1999) dit à ce propos que "la
banque est une institution qui assure une grande partie du financement de l’économie grâce à
des prêts variés adaptés aux besoins des emprunteurs…" L’examen de la relation entre la
banque et chacune des articulations de l’économie camerounaise nous permet de nous rendre
compte que la banque est loin d’y jouer son rôle.

a) La banque et les PME/PMI


Les PME/PMI tiennent une place essentielle dans les économies des pays en
développement en valorisant les matières premières locales dont elles assurent la
transformation sur place. Elles créent des emplois à la mesure des compétences locales et
permettent la satisfaction à moindre coût des besoins élémentaires. Le secteur des PME/PMI
fait preuve de plus de dynamisme que le secteur public dont la plupart d’entreprises sont en
faillite et en cours de liquidation. Il présente aussi un avantage d’autonomie par rapport à
certaines grosses entreprises privées trop dépendantes de l’extérieur pour leurs
approvisionnements ou pour leurs ventes. Les statistiques les concernant sont imprécises,
nombres d’entre elles appartenant au secteur informel. Nous estimons néanmoins qu’elles
représentent 60 à 65% du tissu industriel et commercial du Cameroun. Une enquête menée par
l’USAID, le CRETES et AGRO-PME et commentée par Sime Zadouo (2002) montre que
seulement 35% du financement des PMI camerounaises est d’origine bancaire, le reste étant
fourni par les tontines, l’épargne personnelle et accessoirement par la famille, les fournisseurs
et les autres sources étrangères (voir tableau 4). Notre propre enquête montre que le
financement bancaire en faveur des PME est faible (20,7 % de l’ensemble) et concerne
essentiellement les approvisionnements, c’est-à-dire le court terme.
De fait, il existe une profonde cassure entre d’une part les PME/PMI camerounaises à la
recherche de financements pour leur expansion et les banques dont les caisses débordent de
liquidités. Les deux parties se rejettent mutuellement les causes de ce divorce. Les banques
reprochent aux PME/PMI d’être mal structurées, s’agissant d’entreprises du secteur informel
en majorité avec une documentation inexistante ou mal tenue. Les PME/PMI sont aussi mal
gérées par des promoteurs qui confondent leur patrimoine et celui de l’entreprise, font
l’amalgame entre le chiffre d’affaires et le bénéfice, détournent les crédits bancaires de leur
objet. En outre, les promoteurs méconnaissent l’environnement juridique et fiscal, s’exposant
à de nombreux risques administratifs qui peuvent compromettre le remboursement des crédits
33

obtenus. Ndong Ntah (2002) déplore en outre l’absence d’un fichier pouvant fournir des
informations actualisées et fiables sur les PME comme le font les agences de rating ou les
centrales de bilan dans les pays développés, ce qui aurait favorisé une meilleure gestion des
risques. Les PME pour leur part reprochent aux banques leur excès de formalisme et
l’exigence de nombreuses garanties, la lenteur de traitement des dossiers, le coût prohibitif du
crédit et l’incompatibilité de celui-ci avec certains de leurs besoins. Ces reproches sont
confirmés par notre propre enquête au cours de laquelle 41,3% des PME visitées excipent
l’excès de formalisme et l’excès des garanties comme principales causes de la rupture avec les
banques. Il est à souligner que la cherté du crédit bancaire n’est pas un facteur dissuasif
puisque seulement 2,2% d’entre elles l’avancent comme grief contre les banques. Sime
Zadouo (2002) reconnaît toutefois à la décharge des banques que la faiblesse des ressources
longues, même quand elles sont sur liquides, les empêche de s’engager en faveur des PME qui
présentent un taux de risque trop élevé. Quoiqu’il en soit, les PME/PMI sont sevrées de
financements, d’autant plus que les banques de développement telle la BCD et les organismes
d’appui aux PME/PMI tels le CAPME et le FOGAPE ont été fermés lors de la restructuration
bancaire, comme si la liquidation des établissements impliquait aussi celle de leurs objectifs.
Le Ministre malien des investissements, dans un débat sur les ondes de Radio France
Internationale14 regrette à ce propos qu’on n’ait pas tenu compte de ce que ces établissements
avaient réalisé de positif avant de les fermer sans aucune solution de substitution.

14
"Le débat africain" du 11 juin 2003
34

Tableau 4 : Répartition du crédit principal des PMI selon les secteurs et les sources (en %)

Sources Banques Tontines EMF Epargne Sources Parents Autres Total


Secteurs commerciales personnelle étrangères et amis sources
Boulangerie 25 25 12 21 1 11 5 100

Agro- 24 8 9 29 19 8 3 100
indust.
Textile 33 21 13 10 8 3 12 100

Bois 24 22 11 26 1 7 9 100

Imprimerie 35 21 9 19 - 8 8 100

Chimie 41 16 9 11 16 4 3 100

Méca-elec 34 10 15 15 11 8 7 100

Ensemble 31 18 11 18 8 7 7 100

Source : Zadouo (2002)


35

b) La banque et le financement de l’agriculture et des autres activités rurales


Ce secteur intervient pour 46% dans le PNB du Cameroun en 2002 (Banque Mondiale,
2003) et nous estimons qu’il absorbe plus de 75% de la population active. L’agriculture de
subsistance y tient une place de choix en tant qu’elle permet de nourrir les masses urbaines et
les pays voisins moins bien lotis. L’apport de la banque est insignifiant, voire nul pour ce
secteur également. La désertion des zones rurales par les banques était déjà symptomatique de
l’absence de volonté de travailler avec ce secteur. Les banques ont justifié ce retrait par la
faible rentabilité et l’absence d’infrastructures qui rendaient difficile le contrôle des agences
dont la fonction principale était la collecte des dépôts. L’effritement des ressources des
agriculteurs sous l’effet de la baisse des cours des matières premières rendait dès lors
injustifié leur maintien. La vocation urbaine des banques est confirmée par la concentration de
plus de 42% des agences à Douala et Yaoundé tel que le montre le tableau 5. Vincent (2002)
Souligne à ce propos"que le secteur agricole est la principale victime de la situation
d’oligopole ou de quasi-monopole des banques qui ne favorise ni l’innovation, ni l’audace et
qui ne permet pas au client de compter sur l’effet de concurrence". La réticence des banques
commerciales envers le monde rural, le secteur informel et les pauvres en général se justifie
entre autres par l’absence de prestige à tirer de leur financement qui n’a pas le même effet
médiatique que celui des très grosses entreprises. On peut aussi évoquer l’éloignement et
l’enclavement des sites de l’investissement, l’absence ou la faiblesse des garanties, le montant
trop faible des crédits individuels par rapport aux coûts de suivi à engager, le risque très élevé
des campagnes agricoles en l’absence de la bonne maîtrise des techniques modernes par les
paysans et à cause de l’imprécision des données climatologiques et pédologiques. Klotchkoff
(1997) remarque à juste titre que "chaque récolte est une loterie et il suffit d’un peu trop de
pluie ou de soleil pour ruiner l’exploitant agricole et l’empêcher de rembourser le banquier
qui a financé les intrants et les machines."
36

Tableau 5 : Le réseau des 3 principales banques au Cameroun en décembre 2004

Ville SGBC BICEC SCB-CL Total par ville Pourcentage


Douala 8 4 2 14 24,1
Yaoundé 3 3 5 11 18,9
Bafoussam 1 1 1 3 5,2
Bamenda 1 1 - 2 3,4
Garoua 1 1 1 3 5,1
Limbe 1 - 1 2 3,4
Maroua 1 1 1 3 5,1
Mbouda 1 - - 1 1.7
Nsamba 1 1 - 2 3,4
Bafang - 1 - 1 1,7
Bertoua - 1 - 1 1,7
Buéa - 1 - 1 1,7
Dschang - 1 1 2 3,4
Ebolowa - 1 - 1 1,7
Edéa - 1 - 1 1,7
Kribi - 1 - 1 1,7
Kumba - 1 - 1 1,7
Limbe - 1 - 1 1,7
Mbalmayo - 1 - 1 1,7
Ngaoundéré - 1 1 2 3,4
Sangmlima - 1 - 1 1,7
Autres localités - 3 - 3 5,1

Total 18 27 13 58 100

Source : construit par l’auteur à partir des prospectus des banques

c) La banque et les grandes entreprises


Les grandes entreprises ont la préférence des banques qui apprécient leur meilleure
lisibilité en termes de documentation et de style de gestion. Elles bénéficient en outre du
parrainage des grands groupes internationaux dont elles sont généralement les filiales. Mais
ici aussi il convient d’être circonspect. En effet, les financements portent essentiellement sur
le court terme et les interventions susceptibles de financer le développement 15 sont rares.
Comme le reconnaît Ziady (2002),"en zone franc, la rentabilité des banques est davantage
liée à la qualité qu’au volume des crédits accordés. Non seulement les banques ont choisi leur
clientèle, mais elles prétendent ne pas disposer de ressources longues pour accorder des
15
C’est-à-dire des montants importants pour des longues durées
37

crédits à long et moyen terme". Notre enquête confirme ce constat en montrant que
l’intervention des banques en faveur de l’outil de production, autrement dit le crédit
d’équipement est rare avec 4 cas sur 22 soit 18,2 % seulement.

Pourquoi cette frilosité des banques envers l’économie en général ?


La crise est la raison la plus couramment avancée. Les banques sont très rétives à
retomber dans la situation d’où elles n’ont pu se tirer que grâce au soutien de l’Etat.
L’appauvrissement de celui-ci et son recul dans le capital des banques rend cette solution
inenvisageable en cas de nouvelle crise. Mais d’autres raisons sont également
évoquées comme le taux de rémunération très élevé (plus de 8%) offert par la BEAC aux
banques qui détourne ainsi leurs interventions en faveur du secteur productif, sauf à des taux
prohibitifs. La faiblesse des systèmes judiciaires malgré les améliorations dues à l’avènement
du code OHADA est aussi incriminée, de même que le mauvais montage des dossiers par les
entreprises ou la faible représentation des nationaux dans l’actionnariat des banques 16. Nous
soulignerons également l’alignement aveugle des règles prudentielles sur les normes
internationales sans tenir compte des spécificités locales 17. Au total, on conviendra de l’échec
de la banque dans le financement de l’économie, ce qui explique le paradoxe de sa trésorerie
pléthorique dans une économie pourtant à besoin structurel de financement. La figure 3
confirme cette faillite de l’intermédiation bancaire en faisant ressortir un important décalage
entre la croissance des ressources bancaires et le crédit à l’économie. Les banques ne sont pas
inactives pour autant et entretiennent leurs comptes d’exploitation en surfacturant les
commissions sur tout service rendu à la clientèle. Elles peuvent ainsi afficher une excellente
rentabilité que leur envieraient même les grandes banques internationales18. Mais ce
subterfuge ne pourra durer indéfiniment car, "dans les économies saines, la bonne santé des
banques est d’abord le reflet du développement" (Ziady, 2002).

16
Sur les 10 banques commerciales actuellement en activité au Cameroun, seules 3 sont à majorité
camerounaise (CBC Bank, Amity Bank et Afriland First Bank) toutes les autres étant contrôlées par les grands
groupes internationaux qui ne prennent que les risques qu’elles maîtrisent.
17
C’est le cas du ratio des crédits non couverts par une garantie qui ne tient pas compte de la difficulté à
constituer des garanties dans un contexte où les titres de propriété sont rares ou sujets à controverse. A titre
d’illustration, il n’est pas rare de rencontrer 2 titres fonciers pour un même immeuble, impliquant deux
propriétaires différents.
18
26,4% pour l’ensemble des banques camerounaises entre 1996 et 2000- (Source : Banque de France)
38

Figure 2 : Evolution comparée des ressources bancaires et du crédit à l’économie


de 1994 à 20004 (en millions de FCFA)

1 800 000

1 600 000

1 400 000

1 200 000

1 000 000

800 000

600 000

400 000

200 000

-
1 994 1 995 1 996 1 997 1 998 1 999 2 000 2 001 2 002 2 003 2 004

Total des ressources

Total des crédits

Source : Construit par l’auteur à partir des statistiques de la COBAC

2- la banque et ses autres missions


Nous touchons ici aux aspects de la dimension africaine de l’intermédiation bancaire qui
ne peut se cantonner dans la simple fonction de création des richesses grâce au mécanisme
d’allocation des ressources. Elle est confrontée à de nombreux autres défis dont la réalisation
est autant importante pour le développement économique que l’intermédiation financière
stricto sensu.
39

a) La banque et la régulation du jeu social


L’environnement humain de la banque en Afrique la convie à s’impliquer dans la
stabilisation de l’équilibre social en aidant à réguler les relations entre les groupes sociaux et à
résorber la fracture sociale. L’interventionnisme étatique d’avant la crise procédait de ce
souci, même s’il a favorisé de nombreux abus. Alors que la pression des bailleurs de fonds a
contraint l’Etat à se faire plus discret, on conviendra également de l’échec de ce volet de
l’intermédiation bancaire. On peut en effet être légitimement réticent à l’endroit d’un secteur
qui a mis au chômage plus de trois mille personnes dont beaucoup n’y étaient pas préparées 19.
Tout le prestige d’un corps de métier jusque là réputé inébranlable s’en est trouvé fortement
compromis, émoussant les vocations chez les étudiants. Nous en voulons pour preuve
l’introduction encore timide d’une filière banque dans les enseignements professionnels (3
établissements seulement en 2004 sur la quinzaine délivrant des brevets de technicien
supérieur). On peut aussi déplorer la baisse des pouvoirs d’achat amplifiée par l’intensité de
la solidarité africaine20. D’autre part, la faiblesse du financement des investissements des
entreprises et le refus de tout financement aux PME ne favorisent ni la mise en valeur des
ressources locales, ni la création d’emplois. Cette attitude de la banque concourt du reste à
perpétuer le cercle vicieux de la délinquance financière puisque les rares entreprises
bénéficiaires de crédit se trouvent confrontées à une population démunie de revenus et de
facilités de crédits. Celle-ci ne peut par conséquent pas régler aisément ses achats auprès des
entreprises qui à leur tour, vont répercuter leurs impayés et leurs méventes sur les banques.
En fin de boucle, les banques durcissent encore plus leurs conditions d’octroi de crédit. Par
ailleurs, la préférence affichée des banques pour la clientèle haut de gamme et l’excès de
formalisme renforcent le sentiment d’exclusion de la petite clientèle nationale et consacrent le
caractère élitiste de la banque en zone CEMAC. En outre, le refus du financement du secteur
rural ne contribue pas à améliorer la qualité de vie dans la campagne et à y fixer la population
des désœuvrés qui vont encombrer dangereusement les grandes villes. On peut enfin déplorer
la fragilisation de la position de l’Etat dans le management des banques, ce qui a anéanti son
pouvoir d’orienter les financements vers les secteurs sociaux en même temps que
disparaissaient les structures locales de financement du développement et d’appui aux PME.
Au total, la relation entre la banque et la société est marquée par une grave antinomie
qu’on peut justifier par l’origine de la banque camerounaise (Tchouassi et Ndjanyou, 2002).

19
C’est le cas de la BICIC où les licenciements n’ont été précédés d’aucune négociation, les employés
apprenant du jour au lendemain leur licenciement.
20
Un salaire nourrit en moyenne 3 familles : celle du salarié et celle d’origine de chacun des époux.
40

Celle-ci a été imposée d’en haut par l’Etat colonial et reste répulsive par conséquent pour une
large couche de la population. La banque au Cameroun comme dans tous les pays d’Afrique
francophone s’est développée culturellement, économiquement et socialement pour servir une
clientèle d’origine étrangère en déphasage avec les mentalités locales. L’élite locale qui a
progressivement remplacé les cadres expatriés depuis les indépendances est l’objet principal
de toutes les stratégies commerciales des banques (Klotchkoff, 1997). Mais l’excès de
formalisme des banques rebute aussi cette population qui n’entretient pas avec elle des
relations cordiales. De manière générale, les banques au Cameroun ont du mal à relever le
défi d’adaptation aux réalités locales qui est un impératif pour la mobilisation efficace des
ressources en faveur du financement du secteur productif (Bekolo Ebe, 2002)

b) La banque et le défi de la taille en zone CEMAC.


Nous avons ici un autre défi fixé par Bekolo Ebe (2002) aux banques africaines au
regard du contexte actuel de l’activité bancaire mondiale dans lequel la stratégie de taille et de
diversification est une condition de survie. Nous pouvons nous étonner avec lui de ce que les
banques de la CEMAC rament à contre courant de cette tendance en se suffisant de la petite
taille et en limitant volontairement le développement de leurs opérations. En réalité, leur
trésorerie pléthorique et leur excellente rentabilité sont un leurre si on les compare au niveau
de l’activité bancaire mondiale, ou simplement africaine. Le classement 2005 des banques
africaines (J.A.L’Intelligent 2005) fait ressortir seulement 5 banques de la CEMAC parmi les
20 premières de la zone CFA avec un total cumulé de bilan de 3,2 milliards USD, soit à peine
le tiers de la zone CFA. Au niveau du continent, la première banque de la CEMAC (la BGFI
au Gabon) vient au 77éme rang et la première camerounaise (BICEC) au 81éme ! En
considérant les 4 critères fondamentaux de performance (rentabilité, résultats nets, total des
dépôts, total des crédits), on ne trouve aucune banque de la zone franc parmi les 10 premières
africaines. Il convient de signaler que ces rangs n’ont pas beaucoup évolué depuis 5 ans,
témoignant du sur-place du système bancaire de la zone. On peut également déplorer dans ce
registre la gestion micro-économique des banques sans aucune ambition régionale à quelques
rares exceptions près. De toutes les banques de la CEMAC, seules deux camerounaises
(Afriland Bank et CBC Bank) et une gabonaise (BGFI) ont ouvert des filiales hors de leur
pays d’origine. La conclusion qu’on peut en tirer est que les banques de la CEMAC se
contentent d’une situation de rente sans vouloir prendre les initiatives rendues pourtant
nécessaires par le contexte local d’insuffisance de financement de l’économie. Les
fluctuations des cinq dernières années après les fortes hausses des années 94 à 98 (voir
41

figure1) devraient les inciter à réfléchir sur la justesse de leur stratégie. Raillant cette
situation, un cadre expatrié d’une banque camerounaise nous faisait remarquer que le chiffre
d’affaires d’une petite agence de banlieue parisienne est plus important que celui de tout le
réseau de leur filiale au Cameroun.
c) La banque et l’intégration régionale.
En sus de financer l’économie, l’intermédiation bancaire est confrontée en Afrique
Centrale à l’enjeu de l’intégration régionale (Ondo Ossa, 2002) qui apparaît en effet
comme le meilleur moyen pour les petits pays de faire face aux défis de la mondialisation. De
fait, l’étroitesse des marchés de ces pays ne leur permet pas d’influencer leurs termes
d’échange ni d’offrir suffisamment d’opportunités à leur faible niveau d’industrialisation
(Gbetkom ,1995) alors qu’en se mettant ensemble ils réalisent des gains multiples, leur
permettant de mieux s’arrimer au train de la mondialisation. Ainsi, l’unification des espaces
économiques permet-elle aux entreprises de réaliser des économies d’échelle en disposant
d’un marché plus vaste où elles peuvent utiliser à plein leurs capacités de production et
écouler à des meilleures conditions leurs productions supplémentaires. La mobilité de la
main- d’œuvre vers les zones économiquement actives et les transferts financiers dans la
sous- région des pays riches vers les pays pauvres favorisent la réduction de la pauvreté. Bien
intégrés, les pays en développement peuvent se présenter en groupe pour mieux défendre
leurs intérêts dans les négociations internationales et résorber la fracture Nord-Sud. Les
mécanismes régionaux de surveillance et d’arbitrage favorisent la résolution des conflits et
améliorent la gouvernance. Le rôle de la banque dans la réalisation de ces objectifs est de
faciliter la circulation des moyens de paiement, d’assurer la sécurité et la rapidité du
règlement des opérations commerciales et financières. Elle contribue de cette façon à
fluidifier les transactions entre les habitants de la zone, mais aussi à fiabiliser les potentiels
investisseurs extérieurs. Les capitaux affluent plus aisément quand ils sont rassurés sur la
possibilité de rapatriement aisé des bénéfices et de retrait sans difficulté en cas de nécessité.
L’organisation du système bancaire de la CEMAC autour de la structure centrale
BEAC21 est un atout pour faire face à cette mission. La structure centrale devrait jouer le rôle
de courroie de transmission entre la zone et l’extérieur et en même temps, faciliter la
distribution à l’intérieur de la zone. Malheureusement, nous constatons la piètre performance
des transferts intra zone avec des transactions qui mettent parfois des semaines entre deux
pays ou des transactions que les banques rejettent après avoir vainement essayé de les

21
Les pays de la zone CFA ont une grande avance dans ce domaine sur ceux de l’Union Européenne dont le
regroupement autour d’une banque centrale commune date seulement de 2001 avec l’avènement de l’euro.
42

effectuer. Les coûts des transferts sont exorbitants, comparés à ceux à destination de
l’Europe. Ceci explique entre autres le piétinement de l`intégration par le marché dans la
CEMAC (Gbetnkom, 2002) malgré les réaménagements structurels effectués en son sein en
vue de faciliter cet objectif (Avom et Gbetkom, 2003)22.
Les raisons à cette défaillance sont nombreuses. Nous pouvons en relever quelques unes
avec Yandza (1997) tels le manque de collaboration entre les banques de la zone qui
n’entretiennent pas de compte de liaison entre elles et le diktat des maisons mères en Europe
qui exigent que tous les transferts soient centralisés chez elles dans un souci de contrôle et de
mesure des transactions du groupe23. On peut y ajouter la précarité des moyens de
communication et le refus d’expansion régionale des banques. Les principales conséquences
en sont la faiblesse des relations d’affaires entre les agents économiques de la zone, la
multiplication des transactions en espèces, la fuite des capitaux vers les places financières où
ils sont plus liquides.
Autant de défaillances qui nous rendent perplexes quant à l’efficacité des reformes
engagées face à la crise bancaire. Si celles-ci ont ramené la sérénité et la rentabilité dans le
secteur bancaire, elles n’ont pas dégrippé les mécanismes de financement de l’économie et la
cassure entre la banque et la société s’est aggravée (Essomba, Ambassa et Um- Ngouem,
2002). La bourse des valeurs mobilières nationale, la Douala Stock Exchange (DSX) a fait
naître beaucoup d’espoirs quant au financement des entreprises camerounaises malgré les
conditions controversées de son avènement. Avant d’analyser les performances de
l’intermédiation microfinancière, et au terme de deux ans d’existence de la DSX, il serait
intéressant d’évaluer dans quelle mesure elle a pu pallier les carences de l’intermédiation
bancaire.

C- LE FIASCO ANNONCE DES BOURSES DES VALEURS


Le marché financier camerounais est créé en décembre 1999 par une loi visant à
instaurer un cadre de gestion des titres que l’Etat émet en contre partie de sa dette intérieure.
Pendant ce temps, les études sont menées par les experts et par les bailleurs de fonds en vue
de la création d’une Bourse Régionale des Valeurs Mobilières (BRVM) devant renforcer
l’intégration régionale. Mais les évènements vont se précipiter dés décembre 2000 lorsque les
chefs d’Etat de la CEMAC, réunis à Djaména en l’absence du chef d’Etat camerounais

22
La CEMAC couronne deux organes d’intégration dont l’un économique, l’UEAC et l’autre monétaire,
l’UMAC.
23
Cette mesure entraîne bien évidemment des surcoûts et un allongement des délais.
43

décident de fixer à Libreville et non à Yaoundé le siège de cette bourse. Le poids économique
du Cameroun dans la sous- région avec plus de 75% d’entreprises susceptibles de se faire
coter commandait pourtant le choix de Yaoundé comme siège de cette institution. Sous le
coup de la frustration, les autorités camerounaises décident de créer leur bourse, la Douala
Stock Exchange (DSX), sans jamais préciser si elles se désolidarisaient de l’initiative
communautaire. S’il est vrai que la création d’une bourse de valeurs est la marque de toute
économie ambitieuse et désireuse de se donner les moyens de booster sa croissance,
l’inauguration de la DSX en avril 2003 pose aux autorités camerounaises de nombreux défis à
l’ère de la mondialisation où la tendance est plutôt à la réunification des espaces
économiques.
De fait, en décidant de créer une bourse nationale concurrente de l’option régionale
prônée par les bailleurs de fonds, les autorités de Yaoundé se sont imposées une auto
challenge qu’elles doivent absolument gagner pour prouver la justesse de leur choix. A
contrario, un échec risque de fragiliser d’avantage la position du Cameroun dans les
négociations avec ces bailleurs en cette difficile période d’ajustement structurel. La place de
Douala a paradoxalement le devoir de renforcer l’intégration régionale par son succès qui
confortera le Cameroun dans son rôle de locomotive sous-régionale et lui permettra à terme
de satelliser la bourse de Libreville. Ceci est la condition sine qua none de la survie du
système en zone CEMAC trop étroite pour deux bourses rivales. La réussite de la DSX
comme celle de la BRVM favorisera également la mobilisation de l’excédent de trésorerie des
banques locales correspondant à des dépôts à court terme pour le financement des prêts à long
terme, grâce aux mécanismes de mutualisation des risques et des échéances. Il est par ailleurs
impératif de réduire la dépendance de l’Etat vis-à-vis des bailleurs extérieurs en mobilisant
l’épargne oisive des ménages pour le financement des déficits budgétaires. Enfin, la DSX
devrait apporter plus de transparence aux opérations de privatisation en l’ouvrant d’avantage
aux nationaux au lieu du flou actuel qui fait la part trop belle aux capitaux étrangers. Après
deux ans d’existence, peut-on penser que la DSX s’est donné les moyens de relever ces défis ?
Il est permis d’en douter, au regard de quelques lacunes structurelles qui ont présidé à sa mise
en place et de nombreux errements qui émaillent son quotidien.
On peut en effet reprocher à l’initiative camerounaise de n’avoir pas été précédée d’une
étude spécifique du marché qui aurait permis de détecter et de résorber les nombreux facteurs
de blocage d’une bourse efficiente. Nous pensons au cadre fiscal peu incitatif aux
investissements et au régime de change insuffisamment libéralisé pour attirer les capitaux
extérieurs soucieux de se désengager rapidement en cas de nécessité. Les systèmes de
44

communication sont précaires et ne favoriseront pas une circulation fluide des ordres. Il
n’existe aucune politique incitative de l’épargne populaire et la microfonance, seule capable
de drainer cette épargne populaire est marginalisée par le système financier officiel. Le
système de paiement est inefficace avec des délais de paiement anormalement longs. Les
problèmes énergétiques cassent le rythme de la vie économique et contribuent avec la faible
gouvernance générale (taux élevé de corruption et de fraudes, déficit de transparence de la
part des dirigeants d’entreprises, défaut de communication des informations aux
actionnaires…) à détériorer le rating du Cameroun. Il est impératif à ce propos que la
Commission des Marchés Financiers (CMF) joue son rôle à fonds, nonobstant toute pression.
On relèvera ici l’anomalie de la mise en place de cet organe de régulation et de contrôle après
celle de l’organisme qu’elle doit superviser avec droit de regard sur le choix des dirigeants et
autres initiatives d’importance. Le statisme de la bourse de Douala après tout le tintamarre qui
a accompagné son inauguration n’est pas sans décourager ses plus fervents défenseurs et il est
à redouter l’émoussement de l’enthousiasme des potentiels investisseurs malgré le griotisme
politique qui a entouré la première et unique opération 24. Cette léthargie de la DSX a pour
corollaire l’effritement de son capital qui sert à financer les charges en l’absence de toute
opération génératrice de revenus. Certains n’hésitent d’ailleurs pas à parler de faillite pure et
simple de la société qu’ils invitent à mettre la clé sous le paillasson (Mutations, 2006)
La plupart des lacunes sus- évoquées sont également valables pour la BRVM qui tarde à
prendre ses marques et qui selon toute évidence est consciente de sa fragilité en l’absence
d’une franche implication du Cameroun. Le problème se complique avec le traditionnel
conflit de leadership régional qui oppose le Cameroun au Gabon. On peut toutefois oser
espérer que la rationalité l’emportera sur les susceptibilités et les orgueils. En attendant,
aucune des deux bourses ne paraît (pour l’instant ?) susceptible d’apporter la réponse idoine
aux besoins de financement de l’économie de la sous-région. Et quoiqu’il en soit, la bourse,
en supposant qu’elle devienne efficiente un jour dans la zone, reste par essence réservée à
l’élite et le défi de la financiarisation de l’ensemble de l’économie camerounaise reste entier,
accroissant la responsabilité de la microfinance dans la prise en charge des revenus moyens et
des pauvres. Comment fait-elle face à ce challenge ?

24
Emission d’un emprunt obligataire en faveur de la CUD pour les travaux de voirie de la ville de Douala.
45

CHAPITRE II : LA REVOLUTION MICROFINANCIERE AU CAMEROUN


Pendant de longues années, l’activité de microfinance du secteur formel est restée un
phénomène marginal au Cameroun, confinée aux seules provinces anglophones où elle avait
une connotation essentiellement corporatiste. Le durcissement des conditions bancaires au
sortir de la crise crée une vaste population d’exclus bancaires (clients et employés) qui va
trouver dans ce secteur un domaine de reconversion d’autant plus aisé que la réglementation y
est floue et perméable. L’importance prise par le secteur et la multiplication des incidents vont
amener les pouvoirs publics à s’en préoccuper d’avantage en même temps que les bailleurs de
fonds veulent en faire un instrument privilégié de lutte contre la pauvreté. Autant de raisons
qui invitent à une profonde auscultation de ce secteur en pleine effervescence. Comment la
microfinance s’est-elle installée au Cameroun ? Quel espace occupe-t-elle et que vaut-elle
comme intermédiaire financier?

A- PANORAMA DE LA MICROFINANCE AU CAMEROUN

1- Origines mondiales de la microfinance


Le crédit coopératif et populaire fait son apparition au milieu du 19ème siècle en Europe
occidentale puis en Amérique du Nord avant de se répandre avec une force inégale et sous des
formes diverses dans presque tous les pays du monde. Les premières caisses rurales sont
créées dans les campagnes allemandes à l’initiative de Friedrich Wilhem Raiffeisen, Maire
d’une petite commune du Sud de l’Allemagne. Le but est de faire jouer "la garantie
collective" pour faciliter l’obtention des crédits auprès des banques à leurs membres comme
cela se pratique encore dans les sociétés de caution mutuelle. Il s’agit pour cet humaniste de
trouver des solutions à la souffrance des populations rurales marginalisées par la révolution
industrielle. En même temps, deux contemporains de Raiffeisen, l’allemand Herman Schulze
et l’italien Luigi Luzzatti créent en zone urbaine des établissements de crédit populaire pour
fournir du crédit aux artisans et aux petits commerçants urbains. Le mouvement s’est peu à
peu étendu aux pays voisins de l’Allemagne. L’Amérique est atteinte en 1900 lorsque
Alphonse Desjardins créé au Québec les premières coopératives de crédit en s’inspirant de
l’encyclique " Revum Novarum" du Pape Léon XIII et des expériences européennes. Du
Québec, le mouvement va rapidement se propager dans les provinces anglophones du Canada
et atteindre les Etats-Unis en 1909 sous le nom d’Unions de Crédit (Crédit Unions).
Le crédit coopératif ci-dessus doit être distingué du système de caisse d’épargne né
également au début du 19e siècle en Europe occidentale et visant à mettre dans un esprit
46

philanthropique, des services financiers à la disposition des classes moyennes et des milieux
populaires urbains eux aussi exclus du grand capital. Le public visé ici n’est pas la population
à besoin de financement, mais celle qui dégage une épargne. Les sommes déposées sur un
carnet d’épargne sont utilisées pour effectuer des prêts ou des placements dont les intérêts
permettront de rémunérer les déposants après couverture des frais de fonctionnement. Les
pouvoirs publics vont chercher à profiter de cette possibilité de se procurer des ressources
abondantes dans des conditions peu onéreuses et vont créer à leur tour des caisses d’épargne
nationales qui s’appuient sur le réseau des bureaux de poste et celui du Trésor public25.
C’est au Docteur Muhammad Yunus que nous devons l’acceptation actuelle de la
microfinance qui tient d’outil de développement ou tout au moins d’intégration économique et
sociale des couches défavorisées. A la faveur de travaux pratiques avec ses étudiants sur les
théories de l’investissement, ce brillant économiste bangladais découvre l’extrême indigence
financière de ses concitoyens fabricants de tabourets en bambou qui n’ont aucun moyen de
constituer des stocks de matières premières. Leurs besoins en crédit est pourtant infime : 27
dollars en tout pour 42 paysans qui ne peuvent avoir accès aux banques. Leur ayant prêté
cette somme de sa poche, il peut découvrir combien leur activité gagne en plus-value tout en
générant de nouveaux emplois lorsqu’ils peuvent acheter d’avance la matière première,
échappant ainsi aux fluctuations importantes des prix. Il va formaliser cette expérience en
créant en 1976 la Gramen Bank qui propose des prêts aux populations pauvres du Bangladesh
et dont le succès va inspirer de nombreuses autres expériences à travers le monde (voir
encadré 1 "La Gramen bank en raccourci").

2- Avènement et expansion de la microfinance au Cameroun


Trois grands moments peuvent être distingués dans l’installation de la microfinance au
Cameroun.
En effet, les premiers établissements s’ouvrent entre 1964 et 1968 sous l’impulsion des
missionnaires catholiques soucieux de sécuriser l’épargne des paysans et de leur faciliter
l’accès au crédit en l’absence des banques commerciales (Ngwafor Egbe, 2000). Cette activité
restera pendant longtemps l’apanage des régions anglophones du Cameroun avec une forte
connotation corporatiste avant de prendre une envergure nationale à la suite de la
restructuration bancaire qui a mis au chômage de nombreux cadres compétents en mal de
reconversion. Le durcissement des conditions d’accès au crédit à une large frange de la
population va s’y ajouter pour provoquer la deuxième révolution du secteur. En effet, cet

Les informations analysées dans cette section sont tirées de Rivoire (1979).
25
47

afflux de nouveaux acteurs provoque une croissance exponentielle de l’activité qui s’étend
également dans tout le pays. Cette explosion du secteur n’est malheureusement pas
accompagnée par sa sécurisation, ce qui va provoquer au cours des années 90 des nombreux
incidents telles la disparition des gérants avec la caisse, les tensions aiguës de trésorerie, la
multiplication des contentieux de recouvrement, les fermetures intempestives. Ce désordre va
inciter le ministre des finances, garant de l’épargne publique à procéder au début des années
2000 à la restructuration du secteur à travers 3 principales mesures.
La première concerne l’assainissement du fichier pollué par de nombreux établissements
fictifs n’ayant jamais existé ou ayant fermé les portes depuis longtemps. La deuxième mesure
porte sur le renforcement du cadre institutionnel du secteur. L’objectif visé est de dénébuler le
flou qui entoure l’activité de microfinance et sécuriser le secteur. La conséquence de cette
préoccupation sera la mise en place de deux textes réglementaires dont l’un à caractère
administratif a pour vocation de préciser les conditions d’existence et d’exercice des
établissements de microfinance. Le deuxième texte a un caractère plus technique et a pour but
d’assurer la permanence de la disponibilité des dépôts des usagers de ce secteur 26. La
troisième mesure consiste en la mise en place des mécanismes d’appui en faveur de la
microfinance par les pouvoirs publics avec le concours des bailleurs de fonds. Le but visé est
de renforcer les capacités techniques, humaines et financières de cette activité pour mieux
l’utiliser dans la lutte contre la pauvreté. Le lancement du Projet d’Appui au Programme
National de la Microfinance (PPMF) est la cristallisation de cette mesure. Le PPMF est une
structure étatique chargée de servir d’interface à l’action gouvernementale et de drain aux
aides des bailleurs. Il démarre ses activités en 2002 avec une ligne de 8 milliards de FCA
octroyée par le FIDA ; il lui revient d’œuvrer auprès des autres bailleurs pour augmenter la
cagnotte.
Cet encadrement étatique, matérialisée par l’institutionnalisation du secteur et la mise en
place des mécanismes d’appui et de financement permet à ce secteur de revendiquer la qualité
d’intermédiaire financier officiel au même titre que les banques commerciales, même si elle
n’a pas accès à certaines opérations complémentaires de l’intermédiation financière comme
les endos de chèque pour compensation ou les transferts internationaux. L’action de l’Etat est
à la mesure des sacrifices précédemment consentis pour la restructuration des banques et
procède de la mission régalienne de protection de l’épargne publique. Elle témoigne aussi

26
Il s’agit d’une part du Règlement N° 01/02/CEMAC/UMAC/COBAC du 13 avril 2002 relatif aux conditions
d’exercice et de contrôle de l’activité de microfinance dans la CEMAC et d’autre part, des Règlements COBAC
EMF2002/01 à 21 portant normes prudentielles applicables aux EMF.
48

du souci des Etats de la CEMAC de se doter d’un système d’intermédiation financière


performant, capable de soutenir leur développement par la sécurisation des avoirs des agents
économiques et surtout par l’allocation rationnelle des ressources au secteur productif. Elle
est enfin une réponse à l’engouement mondial en faveur de la microfinance qui se voit
promue au rang d’instrument privilégié de lutte contre la pauvreté et connaît ainsi sa troisième
révolution.
Le dynamisme du secteur des EMF se caractérise non seulement par le grand nombre
de structures (600 établissements environ en 2003) mais aussi par une excellente implantation
territoriale avec 287 localités couvertes contre 15 pour les banques (COBAC, 2000). Le
secteur est devenu en outre un important pourvoyeur d’emplois avec près de 5000 personnes
qui traitent un portefeuille d’environ 200 000 clients (COBAC, 2000). Le tableau 6 permet
d’établir une comparaison entre la banque et la microfinance au Cameroun et de se convaincre
que celle-ci n’est plus un simple épiphénomène mais un important paramètre de l’économie
dont il convient d’examiner l’organisation.
Tableau 6: Poids de la microfinance dans le paysage financier du Cameroun (au 31/12/1999)

Données Fonds Dépôt Nombre Nombre


Total bilan Crédits
(en millions CFA) propres épargne structures clients

Microfinance (au 52 619 7 666 35 786 25 356 652 200 000


30/6/99)

Banques
(au 31/12/99) 991 421 132 602 559 842 522 569 15 250 000

Total 1 044 040 140 268 595 628 547 825 667 450 000

Source :
Part de la COBAC
microfinance 5,04% 5,47% 6,01% 4,63% 97,75% 44,44% (2000)
51

Encadré 1 : L a Gramen Bank en raccourci


La Gramen Bank est créé en 1976 par le Docteur Yunus Muhammad, professeur
d’économie bangladais formé dans les écoles américaines. Son objectif est de pallier au refus
des banques d’octroyer des crédits aux pauvres réputés insolvables et non rentables.
Brisant ce mythe, le Dr Yunus instaure un système de prêt basé sur la solidarité des
emprunteurs à travers les groupes de caution mutuelle. Les membres du groupe
(généralement 5 personnes) se soutiennent grâce à un système de parrainage, de conseils et
d’entraide, évaluant ensemble la viabilité des projets et veillant mutuellement au
remboursement. Les prêts sont accordés à tour de rôle après remboursement par les
précédents bénéficiaires et suivant le principe d’incrémentation, c’est-à-dire que le montant
octroyé croît au fur et à mesure de la régularité du remboursement. Les femmes, jugées plus
solvables et plus responsables sont préférées dans l’octroi des prêts. Les montants accordés
croissent avec la régularité des remboursements. Les groupes bénéficient de l’appui
technique (encadrement de la production) et social (encouragement à l’épargne, conseils sur
l’hygiène, l’éducation, le planning familial, apprentissage de la vie en communauté….) de la
part des équipes de la Gramen
L’excellent taux de recouvrement (98%) est la meilleure preuve du génie du système
qui bénéficie d’un large consensus au plan local et international. Ainsi, sous l’impulsion de la
Banque Mondiale, est-il en train de s’étendre non seulement à de nombreux autres PED, mais
aussi à certains pays développés comme la France ou les Etats Unis qui en font une arme de
réduction de la fracture urbaine.
Des reproches ne manquent pas toutefois, à l’instar de celle logique des
fondamentalistes musulmans qui le taxent d’arme de lutte contre l’islam. Le privilège
accordé aux femmes dans l’octroi des prêts serait selon eux, une volonté manifeste de briser
l’ordre social islamique en renforçant leur situation financière au détriment de celui des
hommes. Mais plus surprenante est celle de certains "experts" qui arguent que l’endettement
est un bien curieux moyen de sortir les gens de la pauvreté et reprochent à la Gramen de
rapporter les plans d’ajustement structurel à l’échelle des ménages. Malgré ces voix
dissonantes, les éloges sont nombreux et présentent le Dr Yunus comme la "mère Teresa" des
banquiers et pensent qu’il mérite largement le Nobel de l’économie.
Source : Dipa Chandra Barua (1998)
52
53

3- organisation du secteur de la microfinance au Cameroun

a) Les types d’établissements.


L’enquête COBAC (2000) permet de recenser trois types d’établissements de
microfinance sur le marché camerounais.
- Les structures de type mutualiste (Coopératives et mutuelles d’épargne et de crédit)
dominent le secteur avec près de 95 % de structures, d’où la fréquente confusion entre
l’appellation d’ EMF et celle de COOPEC au Cameroun. Cette préférence s’explique par les
facilités de constitution et les exonération fiscales dont bénéficie cette forme juridique. Elle
présente cependant l’inconvénient de restreindre le champ d’activités en autorisant les
opérations uniquement avec les membres à l’exclusion des simples usagers.
- Les entreprises capitalistes sont les structures effectuant l’activité de microfinance sous
forme de société de capitaux (sociétés anonymes généralement). Peu répandue au départ à
cause de son coût fiscal, cette catégorie prolifère de plus en plus sous l’effet de la
transformation des anciennes COOPEC attirées par la base de clientèle plus large.
- Les banques de projet gèrent le volet financier des projets de développement. C’est le
cas des Caisses Villageoises du Projet Pilote " Crédit Rural Décentralisé" créé en 1995 sur
l’initiative de la Banque Mondiale et le projet ACEP Développement Cameroun de la
coopération française spécialisé dans les crédits aux TPE urbaines. Elles fonctionnent sur la
base d’une dotation accordée par l’organisme parrain et octroient uniquement des crédits sans
collecte de l’épargne. Les intérêts très réduits sont destinés à couvrir les frais de
fonctionnement.
Cette distribution des établissements est consacrée par la réglementation du secteur qui
introduit la notion de catégorie caractérisée par la forme juridique, le type d’activité et la base
de clientèle (voir tableau 7 : la catégorisation des EMF)

b) La structuration du secteur de la microfinance.


Depuis la reforme sus évoquée, tous les établissements de microfinance sont placés
sous la tutelle technique du ministre des finances. Ceux de type mutualiste (COOPEC)
dépendent également du ministre de l’agriculture en sa qualité de tutelle traditionnelle du
secteur mutualiste. Cette double dépendance n’est pas sans poser quelques problèmes sur la
performance de ces établissements comme nous le verrons plus loin. La figure 2 ci-après
schématise les liaisons hiérarchico -fonctionnelles du secteur des EMF.
54

Tableau 7 : La catégorisation des EMF par la réglementation COBAC

Catégorie Activités Capital minimum Forme juridique

1ére CAT Epargne/Crédit uniquement avec Non déterminé Coopératives ou mutuelles d’épargne
les membres et de crédit

2ème CAT Epargne/Crédit avec les membres 50 millions Sociétés Anonymes


et les tiers

3ème CAT Crédits aux tiers sans collecte de 25 millions (sauf projets) Diverse (projets, sociétés,
l’épargne établissements.)
55

Source : Règlement 01/02/CEMAC/UMAC/COBAC


56

c) Le contrôle des EMF.


L’article 49 du règlement 01/02/CEMAC/UMAC/COBAC soumet les EMF à un triple
niveau de contrôle. Le premier niveau est celui du contrôle interne exercé par les propres
organes de la structure. Le deuxième niveau est le contrôle externe effectué par le
commissaire aux comptes statutaire ou des auditeurs externes choisis en fonction des
objectifs. Le troisième niveau est exercé par la COBAC qui s’assure par des vérifications sur
place ou sur pièces du respect des normes. La COBAC est habilitée à prendre à l’encontre des
EMF défaillants des sanctions pouvant aller jusqu’au retrait de l’agrément.

Nous avons ainsi établi la taxinomie de la microfinance au Cameroun qui se consolide


progressivement sous l’effet d’une double circonstance. Il s’agit d’une part de l’intense
émulation mondiale en faveur de la lutte contre la pauvreté qui met en exergue tous les
systèmes financiers pouvant permettre d’atteindre rapidement les populations pauvres et
d’autre part, du resserrement des conditions de l’activité bancaire au Cameroun dû à la crise
qui a ouvert le champ aux autres intermédiaires financiers. L’encadrement des pouvoirs
publics et des bailleurs de fonds a permis à la microfinance d’acquérir plus de lisibilité et de
mieux s’insérer dans le paysage financier. Ces efforts sont-ils payés en retour ? Autrement dit,
la microfinance a- t’elle su capitaliser les atouts dont elle est créditée et pallier aux carences
de l’intermédiation bancaire ? Le recensement de ces atouts nous aidera à y répondre.
57

Figure 3 : Architecture du secteur des EMF au Cameroun

TUTELLE
Tutelle administrative (Coopec uniquement) Tutelle technique (tous les EMF)

MINAGRI MINFIB

AGREMENT/SUPERVISION

Cellule des
Sociétés Inscription au registre Vérification de la régularité administrative des dossiers
Coopératives et
des GIC Services Provinciaux des
Cellule des Marchés Financiers et des
COOP-GIC
Systèmes Financiers Décentralisés

CONTROLE

COBAC
(avis conforme pour agrément, suivi du respect des normes, sanctions)

APPUI

FINANCIER ET INSTITUTIONNEL

PPMF

ORGANISATION INTERNE

- Divers réseaux
(CAMCCUL, CABA, MC2...) Association Etablissements
professionnelle Indépendants
- Etablissements indépendants (ANEM-CAM)

ENSEMBLE DES EMF

Source : Construit par l’auteur à partir des archives du PPMF


58

B- LES ATOUTS DE LA MICROFINANCE


Le secteur de la microfinance que nous venons de présenter bénéficie de nombreux
atouts qui lui permettent d’être en osmose avec les besoins de la population et expliquent la
prolifération de cette formule financière malgré le durcissement des conditions de création.
Nous allons procéder au recensement de ces forces afin de vérifier plus tard si elles sont
utilisées à bon escient.

1- L’assise culturelle de la microfinance


La microfinance est culturellement très proche de la tontine et des autres formes de
finance informelle avec lesquelles elle se confond parfois. Elle réussit de ce fait, mieux que
les banques commerciales, à s’approprier de cette importante niche d’épargne pour l’intégrer
au système formel. De nombreux EMF dont les promoteurs sont par ailleurs des membres de
tontine ont ainsi mis en place des systèmes de bons au porteur permettant les cotisations
directement à leurs guichets, ce qui limite les risques d’agression qui pèsent sur les tontines.
Et en règle générale, les tontines sont une cible privilégiée des EMF qui développent diverses
stratégies pour les attirer, contrairement aux banques qui s’en intéressent surtout pour les
combattre. Ce qui est intéressant à relever ici est la domiciliation directe du produit de la
tontine dans les livres de l’EMF, le bénéficiaire n’ayant plus qu’à l’utiliser par tirages sur son
compte dans l’EMF. Le compte ouvert par celui-ci auprès d’une banque commerciale pour
sécuriser ses fonds permet de boucler le circuit de l’informel au formel. Cette fonction de
facilitation des flux entre le formel et l’informel est à l’origine du classement des COOPEC
dans le secteur semi- informel par certaines études (Germidis, 1991).
Le micro crédit inventé par le Docteur Yunus fait l’objet d’une appropriation culturelle
camerounaise devant les nombreuses barrières à la création ou à l’entretien des groupes de
caution mutuelle tels le déficit du réflexe de solidarité en zone urbaine, l’ignorance et les
tracasseries administratives pour la formalisation des groupes en zone rurale, la difficulté de
planifier les besoins contradictoires des membres en général etc… (voir encadré 2 "prêts
individuels contre prêts collectifs"). Ici, les prêts sont accordés en s’appuyant sur les mêmes
mécanismes qui permettent les prêts dans les circuits informels, à savoir la pression des
proches, le recours à l’autorité traditionnelle ou religieuse, le dépôt–gage des reliques et autres
objets à valeur plus affective qu’économique… malgré l’irrationalité apparente de la méthode,
les établissements qui s’y investissent enregistrent des performances semblables à celles de la
Gramen bank, notamment en ce qui concerne les taux d’impayés rarement supérieurs à 10%.
(voir encadré 3 : Le programme de micro crédit de la COFINEST)
59

Encadré 2 : Prêts individuels contre prêts collectifs


Avantages Désavantages
- Adaptés aux besoins individuels des - Sélection et contrôle difficiles et
clients coûteux

Prêts - Le client n'est pas tributaire d'un - Coûts de transaction élevés pour les
ındıvıduels groupe IMF
- Le client n'a pas a couvrir ses pairs - Besoin de garantie ou de garants
irresponsables

- Problèmes liés a la composition


changeante du groupe et a l'évolution
- Faibles coûts de transaction pour les
des membres
IMF
- Coûts de transaction assumés par le
- La pression sociale conduit à une
groupe / constitutıon et formation du
Prêts meilleure sélection et un contrôle plus
groupe
collectıfs efficace
- Peut ne pas convenir aux besoins
- Pas de garantie (importante) requise
individuels
- Soutien mutuel
- Vulnérable en cas de crise générale
- Elargissement de la clientèle
- Demande plus de temps a
l'emprunteur
- Moins efficace dans les communautés
hétérogènes
Source:www.lamicrofinance.org
60

2- La sollicitude des pouvoirs publics et des organismes d’aide.


Les pouvoirs publics et les organismes d’aide au développement sont généralement bien
disposés à l’endroit du système de la microfinance réputée être très proche des couches
pauvres de la population. Après des décennies d’échec des programmes d’aide au
développement malgré la multitude des formules utilisées, les bailleurs de fonds, obnubilés
par les expériences heureuses enregistrées sous d’autres cieux (Gramen bank au Bangladesh ,
Banco do sol en Bolivie…) voudraient diffuser ces modèles et s’appuyer davantage sur la
microfinance pour combattre la pauvreté. Cette orientation justifie le vaste mouvement
mondial en faveur de cette activité, caractérisée par des appuis multiformes. Ainsi l’année
2005 a t-elle été proclamée année internationale de la microfinance par la Banque Mondiale
et de nombreux organismes tels le BIT, le PNUD, l’ACDI, l’AFD, la BAD, la BDEAC ou le
PROPARCO ont-ils mis en place des programmes de microfinance comprenant un volet appui
technique et/ou un volet appui financier.
La microfinance représente ainsi une opportunité d’obtenir des appuis divers pour les
populations pauvres, même si les procédures sont parfois longues et complexes. L’Etat
camerounais suit et amplifie le mouvement à l’instar de l’engagement pris dans le Document
de Stratégie de Réduction de la Pauvreté (DSRP) approuvé par le FMI et la Banque Mondiale
et dans lequel le gouvernement camerounais accorde une large place à l’action en faveur du
renforcement
Encadré 3 : des capacités et de
Le programme delamicro
sécurisation delal’activité
crédit de COFINESTdu secteur de la microfinance. Il
s’y engage
Dans en outre
le souci à s’appuyer son
de rentabiliser sur abondante
les systèmestrésorerie
financiers
endécentralisés
réduisant le pour
taux assurer aux
d’impayés
pauvres l’accès
enregistré suraules
crédit.
crédits ordinaires, la COFINEST a lancé depuis janvier 2005 un
programme de micro crédit basé essentiellement sur la confiance et le parrainage des divers
cercles informels auxquels appartiennent les bénéficiaires (famille, associations tribales,
groupes de chorale, groupes de danse traditionnelle…) en l’absence de véritables garanties
matérielles. Les candidats sont repérés avec précision (habitation, lieu d’activité) et un
simple entretien avec le responsable du groupe social qui les parraine permet d’informer
celui-ci du projet d’octroi de crédit et d’obtenir sa caution morale pour le remboursement
sans qu’il n’y ait besoin de signer un quelconque acte. La pression du groupe et l’autorité du
responsable suffisent généralement pour discipliner les bénéficiaires. Les procédures de
mise en place sont très allégées en faveur de projets à cycle très court (six mois maximum
en général). Les agents de crédit sont payés sur le principe d’une base fixe et d’une partie
variable en fonction du nombre de crédits placés et du taux de recouvrement au cours du
mois. Ce système permet d’accroître leur implication en faveur du programme et, après un
an de fonctionnement, le portefeuille enregistre un encours de prêts d’environ un milliard de
FCFA avec un taux d’impayé d’à peine 2%
Source : COFINEST
61

3- Le mode opératoire des EMF


Il constitue un autre des atouts des EMF qui se distinguent par leur souplesse
et l’absence de toute discrimination dans les entrées en relations, contrairement aux banques
qui ne recrutent que la clientèle capable de faire régulièrement des gros dépôts. Les EMF, tout
en faisant preuve de célérité dans le traitement des dossiers, s’efforcent également à adapter
leurs produits aux besoins de la clientèle, ce qui leur permet de financer ''l’infinançable'' pour
les banques commerciales. Par ailleurs, les EMF développent des relations de proximité avec
la clientèle en se déplaçant sur le terrain, en rendant visite aux paysans isolés et en assurant le
suivi sur place. Il se noue ainsi un lien de confiance qui leur permet de mieux appréhender les
éventuelles difficultés du client et d’assurer un recouvrement ou un aménagement de créances
adaptés à la situation individuelle de chacun (Trémollières, 2004). Enfin, les EMF s’évertuent
à développer des programmes spécifiques pour les couches les plus défavorisées comme les
jeunes et les femmes dont l’importance dans le développement social et économique des PED
est de plus en plus reconnue27.
Cette osmose entre l’activité microfinancière et les aspirations de la population nous
projette dans la logique des technologies autonomes ou appropriées en opposition avec les
technologies importées telle qu’analysée par Brasseul (1989). Cet auteur recommande aux
PED d’adopter, chaque fois que le choix est possible, des technologies épousant "leur culture,
leur niveau de vie et leurs ressources…Les produits de ces technologies correspondent aux
besoins des consommateurs à faible revenu et elles opèrent sur une échelle plus réduite pour
27
L’importance d’accorder des financements aux femmes a été démontrée par diverses études. Quainoo, (1999)
souligne que pour des raisons culturelles, les femmes constituent la couche la plus défavorisée des populations
africaines (faible accès à l’éducation, aux ressources et au pouvoir) tout en ayant la charge de nourrir la famille,
de veiller à l’éducation et à la santé des enfants qui sont par conséquent peu scolarisés et incapables de briser le
cercle vicieux de la pauvreté. Le sérieux des femmes dans le remboursement des crédits, tel que confirmé par de
nombreuses statistiques milite pour cette option.
62

générer des produits plus simples et mieux adaptés aux besoins." La microfinance, même sous
sa forme institutionnelle apparaît comme la technologie financière la mieux appropriée aux
besoins de la majorité de la population. Génère-t-elle pour autant un résultat satisfaisant ?

C- EVALUATION DE L’INTERMEDIATION MICROFINANCIERE


L’intermédiation microfinancière s’effectue suivant deux modes combinés, imposés par
la nature de sa clientèle et le besoin de pérenniser son action. Il s’agit de l’intermédiation
sociale et de l’intermédiation financière proprement dite que nous allons examiner tour à tour.
1- l’intermédiation sociale par les EMF.
Selon la Banque Mondiale (2001), la microfinance est "autant offre d’argent que
livraison des services intégrés d’aide, d’information, d’éducation, de conseils et de
formation". Telles sont définis les principes généraux de l’intermédiation sociale qui est
parfois une condition préalable à l’exercice de l’intermédiation financière classique comme le
montrera l’examen détaillé de ses fondements et les axes empruntés.

a) Les fondements de l’intermédiation sociale.


Les crédits des EMF sont souvent précédés ou suivis d’un appui destiné à créer ou à
renforcer une opportunité d’affaires, à accroître le revenu des usagers qui se transformeront
plus tard en dépôts dans les caisses de l’EMF, à favoriser le remboursement régulier des
crédits accordés. Cette mission de la microfinance est d’autant plus cruciale que son activité
cible "un public de manque" ne possédant ni revenu, ni épargne, ni crédit, ni emploi
permanent, ni opportunités d’affaires (Institut de la Banque Mondiale, 2001). De nombreux
EMF se sont créés autour de cette philosophie qui s’inspire de celle des groupes de tontine.
Mais, contrairement aux groupes de tontine où la solidarité est l’aiguillon essentiel,
l’intermédiation sociale par les EMF camerounais trouve son véritable fondement dans
l’obligation pour ces structures de renforcer les capacités de leur clientèle pour en faire des
opérateurs économiques "bancables"28. Par ce procédé, la microfinance "fabrique" sa clientèle
ou la renforce quand elle existe déjà, contrairement à la banque qui ne participe pas à la
création des affaires et sélectionne sa clientèle uniquement dans le haut de gamme.

b) Les différents axes de l’intermédiation sociale.

28
Toutefois, les EMF du type banque de projet proposent avec l’appui des bailleurs de fonds, des véritables
plans d’action sociale destinés à améliorer la qualité de vie des populations sans en attendre une retombée
commerciale ou financière. Les domaines concernés sont généralement la santé, la scolarisation, ou l’irrigation.
63

L’intermédiation sociale peut épouser des formes variées suivant les objectifs visés :
Il peut s’agir d’aider l’usager à créer un capital productif pour le faire passer du stade
d’opérateur économique occasionnel à celui de permanent. C’est le cas de l’épargne
quotidienne avec collecte des fonds chez le client par les agents de l’EMF. Le client acquiert
ainsi le réflexe d’épargne et se retrouve au bout de quelque temps propriétaire d’un capital.
L’intérêt accordé ne réussit cependant pas à constituer une motivation suffisante à la
discipline des clients et les cas de défection ne sont pas rares. C’est ce qui justifie le succès
des plans Epargne/Crédit pratiqué par de nombreux EMF. Il s’agit d’un système de cotisation
à très faible taux pendant une durée contractuelle généralement courte (3 à 6 mois) au bout de
laquelle un crédit correspondant à 2 ou 3 fois le montant cotisé est mis à la disposition du
cotisant pour lui permettre de créer ou renforcer son fonds de commerce. Ce produit s’adresse
généralement aux micro entrepreneurs qui n’ont aucun autre moyen d’accéder au système
financier officiel. Les crédits qui leur sont accordés en récompense d’un effort préalable
d’épargne leur permettent de relever progressivement leur niveau d’activité et d’ouvrir à
terme un compte "normal". C’est ce qui lui vaut l’appellation de " crédit promotion sociale"
dans certains établissements.
Un autre objectif peut être d’aider l’usager à améliorer le rendement de son activité en
lui fournissant l’assistance technique nécessaire. C’est généralement le cas dans le
financement des projets agricoles où le crédit est accompagné de l’encadrement technique du
bénéficiaire par l’EMF lui-même ou par un organisme plus outillé, partenaire de l’EMF. Le
but visé est d’accroître la productivité afin que le bénéficiaire du prêt puisse générer un
revenu suffisant pour la couverture des remboursements du crédit et de ses autres dépenses.
Il peut également être question pour l’EMF de trouver les débouchés commerciaux et
suivre l’encaissement des ventes des produits de l’usager. Ce service est généralement le
pendant du précédent. L’EMF cherche par cette voie à assurer un rapide retour de son
financement.
Il peut enfin s’agir d’appuyer la constitution des groupes de solidarité. L’EMF appuie
l’organisation de ses usagers en groupes de 5 à 10 membres autour d’un programme commun
d’activité économique. Cette aide part des actions de formation sur la notion de groupe
jusqu’à l’assistance administrative de constitution tels la rédaction et l’enregistrement des
64

statuts29 ou l’animation de la vie du groupe. Ces groupes deviendront autant des groupes de
garantie mutuelle facilitant l’octroi des prêts groupés ou prêts en bloc30 (Germidis, 1991).
Il est difficile de quantifier l’impact de l’intermédiation sociale par les EMF
camerounais mais d’emblée, on peut relever qu’elle constitue un important vecteur de
cohésion sociale en renforçant les pratiques communautaires chez ses usagers. Nous devons
également relever son importance en tant qu’instrument d’encadrement et de promotion
socio-économique des populations. Guérin et Roesch (2005) confirment l’indispensable
nécessité de l’intermédiation sociale en faveur des pauvres : "L’accompagnement, la
formation, l’aide à la commercialisation et à l’information sont autant d’éléments tout autant,
sinon plus importants (que le crédit)". Le tableau 8 permet à ce propos de mesurer l’étendue
de son impact sur les performances de l’intermédiation financière. Nous sommes toutefois
obligés de tempérer notre enthousiasme en reconnaissant qu’elle est surtout pratiquée par les
ONG, les volets financiers des projets de développement et quelques EMF à vocation
communautaire. La majorité des EMF des nationaux manquent de moyens humains et
financiers pour s’y investir et force est de reconnaître que nombre d’entre eux sont des
initiatives à visée capitaliste, se préoccupant davantage des intérêts des promoteurs au
détriment de toute considération sociale.

29
Ces formalités anodines d’apparence sont des barrières souvent infranchissables pour les paysans dont
l’illettrisme en fait des victimes idéales pour les agents de l’Administration. Le versement d’un pourboire
préalablement à tout service est érigé en système sans aucune garantie d’obtenir le service.
30
Ce système de prêt est une variante du modèle développé par la Gramen Bank (voir encadré 1). Il fait aussi
intervenir des groupes de paysans solidairement responsables de leurs dettes. Les crédits sont accordés au
groupe en une fois et le chef de groupe effectue la distribution aux membres. Il se chargera au moment opportun
de recouvrer le remboursement. Le membre peut aussi obtenir un prêt individuel en bénéficiant de la caution du
groupe. Cette méthode permet de contourner l’inconvénient de la conflictualité des projets rencontré dans le
principe de la rotation des octrois.
65
Tableau 8 : L’intermédiation sociale au service de l’intermédiation financière
Objectifs visés Forme Instrument s Mesure d’impact sur l’activité
1) pour l’usager d’intermédiation financière
2) pour l’EMF

1) Créer ou accroître le capital productif Education à l’épargne Epargne quotidienne volontaire Nombre de clients "ordinaires"
2) augmenter le nombre de clients Plan épargne/crédit* Accroissement des dépôts épargne
*(crédit de x fois le montant Nombre de crédits accordés
épargné au terme d’une durée
contractuelle)
1) Améliorer le rendement de l’activité Assistance technique département spécialisé de l’EMF Réduction du taux d’impayés
2) Générer un revenu suffisant pour le Recours à un organisme spécialisé Accroissement des dépôts épargne
remboursement du prêt
1) Favoriser les ventes Assistance commerciale Proposition des débouchés Réduction du taux d’impayés
2) Assurer la capacité de remboursement Encaissement des ventes Commissions sur les services rendus
"Rapatriement" des encaissements
1) Constitution des groupes de solidarité Assistance administrative Accomplissement des formalités Nombre de prêts accordés sur la base
2) Constitution des groupes de caution Formation sur la notion de Animation des réunions des groupes de caution solidaire
solidaire groupe Secrétariat
67

2- L’intermédiation financière par les EMF.


L’intermédiation strictement financière par les EMF diffère peu de celle effectuée par les
banques commerciales. Il s’agit d’une part de collecter et de sécuriser l’épargne des agents
économiques à capacité de financement et d’autre part, d’accorder des financements aux
agents à besoin de financement. Nous nous intéresserons ici davantage au profil des
bénéficiaires et à la mesure des performances comparées à celles de l’intermédiation bancaire.
a) La clientèle des EMF
La clientèle des EMF se recrute dans toutes les couches sociales, le principe du secteur
étant de s’ouvrir sans aucune discrimination à toutes les sollicitations. Il n’est pas rare d’y
rencontrer des opérateurs économiques de premier ordre, clients des banques commerciales,
qui utilisent les EMF pour relayer leurs opérations vers les zones non bancarisées. D’autres
opérateurs obéissent à des motivations essentiellement affectives. Il s’agit par exemple de
soutenir l’initiative d’un co-villageois promoteur d’un EMF ou alors de mettre à la disposition
de sa communauté d’origine un fonds de prêt rotatif à travers un EMF qui en assure la
gestion. Des opérateurs économiques moyens, déjà clients des banques commerciales
viennent auprès des EMF rechercher des financements complémentaires à ceux reçus auprès
des banques (Assiga Ateba, 2002). Mais en règle générale, la clientèle des EMF est constituée
de tous ceux qui ne peuvent accéder aux banques pour des raisons de taille (TPE), de forme
organisationnelle (entreprises du secteur informel) et de type d’activité (agriculture, artisanat,
petit négoce). Quand bien même quelques-uns réussissent à ouvrir un compte en banque, ils y
obtiennent difficilement de crédits (PME, agriculture, artisanat). Le secteur des EMF se
présente ainsi comme le refuge de tous les exclus bancaires et comme un puissant moteur
d’intégration sociale. Sur le plan numérique, il tient la comparaison avec le secteur bancaire
en matière de clientèle avec 230 000 clients recensés au 30 décembre 2003 par le rapport de
la Banque de France 2003 sur la Zone Franc contre environ 280 000 pour l’ensemble des
banques (extrapolation à partir du recensement de la COBAC (2000) qui en dénombrait 250
000).

b) l’activité d’épargne- crédit par les EMF


La majorité des structures que nous avons visitées ont pour activités principales la
collecte de l’épargne et l’octroi du crédit, c’est-à-dire l’intermédiation financière
traditionnelle qui occupe le premier rang avec un total de 60 points sur 100. Les services
accessoires à l’épargne–crédit comme les transferts ou le change sont marginaux, faisant à
peine 10% du volume global d’activité. Les 30% restant représentent les services de crédit
68

sans collecte de l’épargne, les autres prestations financières (assurances, domiciliations


diverses…) et les prestations non financières. Dans les établissements opérant
l’intermédiation financière complète, les performances de l’activité "collecte de l’épargne"
déterminent celles d’ "octroi des crédits " car, contrairement aux banques commerciales, les
EMF ne font pas de la création monétaire. Les crédits sont accordés à partir des ressources
effectivement disponibles en caisse. Le non accès aux sources de financement autres que les
dépôts clientèle (marché monétaire, réescompte, marchés financiers, correspondants
étrangers) explique cette contrainte et partant, la faiblesse de l’activité "épargne –crédit"
considérée sur le seul plan quantitatif. Sur le plan qualitatif toutefois, on peut mesurer l’effort
de la microfinance à travers le taux de transformation calculé ici par le ratio :

Crédits accordés
Fonds propres + dépôts reçus

Les EMF affichaient au 30/12/99 un taux de 58% contre 75,5% aux banques (COBAC,
2000). On appréciera mieux cet effort des EMF si on prend en compte les autres sources de
financement des banques citées ci haut auxquels les EMF n’ont pas accès. Ainsi, le ratio se
calculera pour les banques en posant :

Crédits accordés
Fonds propres + dépôts reçus + refinancement BEAC+ ressources extérieures
extérieuresextérieures
et donnera pour un numérateur inchangé, un résultat plus à l’avantage des EMF du fait de
cette appréciation du dénominateur chez les banques. La ventilation par secteur d’activité, tel
que présenté par le tableau 8 montre que les EMF consacrent 13,3% de leurs prêts au secteur
agricole contre à peine 4 %31 par les banques (Statistique CNC). Ils financent également des
secteurs où la banque est complètement absente comme l’artisanat et l’éducation (10,37% en
septembre 2000).
Ces divers avantages de l’intermédiation microfinancière par rapport à la banque restent
cependant relatifs et ne peuvent masquer une réalité décevante. En effet, le tableau 7 montre
la prépondérance du financement du secteur commercial par les EMF. Il s’agit en majorité des
prêts accordés à des très petits détaillants ("bayam salam") sur des délais très courts. Les

31
Les bénéficiaires des prêts agricoles par les banques sont les grandes exploitations à caractère industriel
(banane, café, cacao) appartenant généralement aux expatriés et rarement les plantations individuelles des
nationaux qui produisent pour la consommation locale. A contrario, seuls les établissements de microfinance
acceptent de prendre des risques sur cette catégorie d’agriculteurs.
69

prêts accordés à l’agriculture (13,4%) comprennent encore ceux accordés à des pseudo
paysans qui utilisent les crédits reçus des EMF pour faire une réservation sur les récoltes des
paysans contre la fourniture des intrants. Plus généralement, l’activité d’épargne- crédit par le
secteur de la microfinance est insignifiante et incapable en son état actuel de représenter une
alternative satisfaisante aux carences de l’intermédiation bancaire. Les résultats obtenus le
sont d’ailleurs au prix des risques de non remboursement et d’immobilisation élevés 32. En
réalité, les EMF sont obligés de prêter la quasi-totalité des fonds collectés car disposant de
très peu d’opportunités de placements rentables. La partie de l’épargne non prêtée est en
réalité utilisée dans les immobilisations et voire la couverture de certaines charges de gestion.
Les principales raisons de cet engagement excessif des dépôts par les EMF sont leur non
admission au marché monétaire et la modicité des taux de rémunération des placements
financiers proposés par les banques qui ont déjà une trésorerie pléthorique. Le tableau 6
montre que les EMF ne représentent qu’une part infime du marché de l’argent avec seulement
6% des dépôts d’épargne et 4,63 % de participation au crédit au 31 décembre 1999 alors
qu’elles représentent 97,5% des structures existantes. Par ailleurs, la microfinance reste
complètement absente sur certains segments du marché de l’argent comme le financement de
l’habitat et des équipements lourds, les placements financiers spécialisés, le financement du
commerce international et les services complémentaires à l’intermédiation financière tels la
gestion des fortunes ou l’accompagnement sur les marchés financiers.
Notre enquête montre que les EMF n’occupent qu’une place marginale dans l’appui aux
PME et TPE en ne finançant que 17 entreprises sur les 92 interrogées contre 34 pour les
tontines, 22 pour les usuriers et 19 pour les banques. Les ménages ne trouvent pas
véritablement satisfaction auprès des EMF puisque sur les 18 ménages clients de ce secteur
que nous avons interrogés, seuls 3 y ont déjà obtenu un crédit. Les interventions en faveur de
l’outil de production sont encore plus rares avec seulement 3 crédits d’équipement accordés
aux entreprises sur un total de 22. Une large frange des EMF interrogées (33,3%) est réticente
à l’endroit du financement de l’agriculture qu’elle trouve trop risqué. Les EMF qui ont une
position de neutralité envers ce secteur sont pour la plupart des structures opérant en zone
urbaine et n’ayant aucun contact avec le secteur agricole. Il est également dommage de
relever que la production des garanties est comme chez les banques, le critère primordial

32
Le risque d’immobilisation est celui couru par un intermédiaire financier de ne pas restituer les dépôts à
première demande en cas d’octroi exagéré de crédits. Le risque de non remboursement est celui couru de ne pas
obtenir le remboursement des crédits accordés à cause d’une mauvaise étude des dossiers ou d’une conjoncture
défavorable.
70

d’octroi des crédits avec un score de 42,8% , ce qui est un facteur limitatif d’octroi des crédits
dans un contexte d’indigence des titres de propriété.
Tableau 9: Ventilation des crédits de la microfinance par secteur d’activité (au 30
décembre 1999)
Secteur Montant (en millions CFA) %
Agriculture/Elevage 3 225 13,34%
Commerce/Artisanat 11 968 49,50%
Education 2 506 10,37%
Habitat 2 015 8,33%
Santé 1 187 4,91%
Autres 3 277 13,55%
Total 24 178 100%

Source : COBAC (2000)


Ces chiffres confirment l’insuffisance de l’intermédiation microfinancière dont les
piètres performances l’éloignent des espoirs placés en elle. La logique même du crédit en est
la première explication. En effet, un crédit n’est accordé que si la capacité de remboursement
est prouvée. Or, la microfinance s’adresse à une population démunie qui compte sur elle
justement pour s’insérer dans le circuit économique. Les EMF camerounais, qu’ils soient
d’essence locale à logique commerciale ou qu’ils soient le prolongement financier des
programmes d’aide à préoccupation sociale, ont le même souci du retour des prêts octroyés.
L’évaluation de la capacité de remboursement et l’exigence des garanties sont les critères
préalables essentiels, ce qui exclue d’office de nombreux candidats. Une autre explication non
moins importante tient aux nombreuses faiblesses du secteur dont certaines sont de nature à
menacer son existence même.
En attendant d’examiner ces faiblesses et d’en proposer des pistes de contournement,
force est de déplorer la fragilité de l’économie camerounaise avec un système
d’intermédiation financière bancale dont aucun membre ne fournit des réponses adéquates aux
besoins des populations. C’est ce qui explique la faible financiarisation de la société avec
seulement 500.000 camerounais environ (soit à peine 3% du total de la population estimée à
16 millions en 2004) qui sont titulaires d’un compte auprès des banques ou des EMF. Notre
propre enquête confirme cette désertion du système officiel d’intermédiation financière par les
populations avec seulement 39% des ménages interrogés qui ont un compte auprès d’une
banque et 18% auprès des EMF. Ces ménages se recrutent du reste essentiellement auprès des
personnes de niveau d’instruction élevé et habitant le secteur urbain. En nous fondant sur
l’adage selon lequel "l’union fait la force", nous sommes en droit de penser qu’une parfaite
71

collaboration entre les deux branches de l’intermédiation financière officielle leur permettrait
de réaliser des meilleures performances en s’ouvrant à une plus large frange de la population,
d’où l’intérêt d’examiner le type de rapports qu’ils entretiennent entre eux au Cameroun. Cet
arbitrage vise in fine à se prononcer sur la place de chacun d’eux dans les préoccupations des
pouvoirs publics. Doit-on privilégier l’un par rapport à l’autre ou les deux doivent-ils être
soutenus avec la même énergie ? Et dans ce cas, que faire pour renforcer leur synergie et les
rendre plus efficaces ?
72

DEUXIEME PARTIE :
BANQUES OU ETABLISSEMENTS DE MICROFINANCE : LE CHOIX EST-IL
POSSIBLE?
73

Avec l’appui des organismes d’aide au développement, les pouvoirs publics


ambitionnent de faire jouer à la microfinance un rôle majeur dans la lutte contre la pauvreté,
ce qui justifie les nombreuses attentions à l’endroit de ce secteur sous forme de sa régulation
et de la mise en place de dispositifs d’appui institutionnel et financier. Ce soutien ouvre la
porte à un débat qui prend de plus en plus d’acuité parmi les professionnels de la finance dans
la zone CEMAC au fur et à mesure que les objectifs de la banque semblent s’éloigner des
besoins des couches pauvres (soit plus de 80% de l’ensemble de la population). La question
qui se pose avec insistance est de savoir si l’institution bancaire doit disparaître au profit de la
microfinance dans la zone CEMAC.
Une première tendance soutient que l’adéquation qui existe entre les mécanismes
traditionnels de solidarité et le "modus operandi" de la microfinance lui permet de répondre
plus efficacement que les banques aux besoins de la majorité des populations de la zone
CEMAC, à savoir les pauvres, les opérateurs du secteur agricole et tout l’informel. Cette
tendance considère l’institution bancaire comme une sangsue qui se nourrit du sang des
économies de la CEMAC sans leur apporter grand chose. Elle prône par conséquent
l’intensification du soutien des pouvoirs publics et des autres parties prenantes de
l’intermédiation financière en faveur de la microfinance au détriment de la banque accusée de
ségrégationnisme et d’élitisme.
Une deuxième tendance soutient que la microfinance n’est qu’un simple appoint au
système financier, facilitant certes la lutte contre la pauvreté mais étant incapable de faire
évoluer les conditions macroéconomiques d’un pays. Les défenseurs de cette position
recommandent plutôt la continuation de la reforme bancaire par l’appui à la densification du
réseau des établissements en place et à la création des établissements spécialisés tels les
établissements de crédit bail, de factoring ou de financement spécifique des PME et de
l’agriculture.
Au niveau mondial, la tendance est toute autre et vante l’efficacité de la collaboration
entre les établissements bancaires et les institutions de microfinance. Cette position s’appuie
sur de nombreux modèles de réussite. Dans cette logique, banque et microfinance participent
d’un continuum qui œuvre pour le seul et unique objectif de financiarisation de toutes les
strates de l’économie. Le modèle est-il transposable au Cameroun ou doit-on obligatoirement
trancher entre les deux systèmes ? Et dans ce cas à qui faut-il donner la préférence ? Quels
sont les écueils à la synergie banque/ microfinance au Cameroun et comment y remédier ?
C’est à ce débat que nous allons nous associer dans cette deuxième partie de notre travail en
établissant au troisième chapitre une radioscopie détaillée de la relation banque/microfinance
74

au Cameroun. Le quatrième chapitre se consacre à la recherche des mesures à initier par


toutes les parties prenantes de l’intermédiation financières afin qu’on puisse arriver à
l’obligatoire convergence des objectifs et des moyens de ses deux principales composantes.
75

CHAPITRE III : ANALYSE DE LA RELATION BANQUES/ETABLISSEMENTS DE


MICROFINANCE AU CAMEROUN

On ne peut manquer de s’étonner du débat sur la cœxistence de la banque et de la


microfinance lorsqu’on considère les circonstances de l’avènement et du développement de la
microfinance. De fait, au Cameroun comme ailleurs dans le monde, le crédit coopératif et
mutualiste s’est développé pour satisfaire les besoins des couches délaissées par les banques
soit par leur absence physique, soit par la discrimination à leur encontre. Ce secteur devrait
par conséquent être le prolongement naturel de la banque dans les sphéres où celle-ci ne peut
être présente elle-même et inversement, la banque devrait permettre le bouclage aisé des
opérations initiées par la microfinance. C’est le cas dans de nombreuses régions du monde.
En est-il différement au Cameroun ?

A- LOGIQUE ET REALITE DE LA RELATION BANQUE /EMF

1-une vocation de complémentarité


La relation entre la banque et la microfinance devrait obèir à une logique de
complémentarité reposant sur un fondement à la fois spatial, temporel et fonctionnel.

a) les fondements de la complémentarité

1°- la complémentarité spatiale


Les zones prioritaires d’installation des EMF sont celles où les banques sont
complètement absentes, nonobstant l’existence d’une activité économique "bancable". C’est
cette logique qui a présidé à l’expansion du mouvement Raiffesen d’abord dans les zones
rurales d’Europe puis les milieux urbains actifs mais délaissés par les banques.
A la fin de la restructuration bancaire au Cameroun, les banques se sont repliées dans les
grandes villes et notamment à Yaoundé et Douala où elles bénéficient de la bonne qualité des
infrastructures ( voir tableau 5 : le réseau des 3 principales banques au Cameroun). Elles
refusent dorénavant de s’investir dans les agences éloignées, difficiles à contrôler et non
rentables. Les zones rurales et les villes de moindre importance ou d’accès difficile ont ainsi
été entièrement désertées. Des villes comme Foumban, Banyo, Bafia, Bangangté ou Obala
comptant plus de 100 000 habitants se sont retrouvées sans aucune agence bancaire. Cette
absence de structure d’accompagnement financier a été à l’origine de la fermeture ou de la
76

délocalisation des nombreuses initiatives économiques et par conséquent la stagnation de ces


villes. Les EMF qui n’ont pas la même echelle de calcul de coût que les banques héritent
logiquement de la responsabilité de pallier à cette absence physique.

2° la complémentarité temporelle
Préalablement à leur installation dans une localité, les banques peuvent avoir besoin de
tester et/ou de renforcer le potentiel financier des populations devant constituer leur clientèle.
Les EMF peuvent jouer ce rôle d’éclaireur qui sonde et prépare le terrain pour le compte de
la banque. Dans cette optique, la banque peut soutenir l’ouverture et le fonctionnement d’un
EMF dans une localité où elle ambitionne de s’installer. L’observation des perfomances de
l’EMF dans cette localité permettra à la banque de mieux décider de l’opportunité de s’y
installer à son tour. Cette démarche réduirait les risques d’un scénario d’ouverture / fermeture
d’agence toujours préjudiciable à l’image de la banque, celle-ci ne s’installant qu’après que
les résultats de l’EMF l’aient convaincue de l’interêt à s’installer dans la localité.
Les EMF peuvent également servir de centre de maturation aux futurs clients des
banques qui y prennent du volume et améliorent la lisibilité de leur activité avant d’ouvrir un
compte sur les lignes de la banque.
La complémentarité peut se conçevoir aussi du haut vers le bas avec les anciens
employés de banque qui apportent aux EMF l’expérience accumulée pendant les années de
pratique bancaire. C’est du reste dans cette population que se récrute essentiellement les
principaux cadres des EMF

3° La complémentarité fonctionnelle
Les EMF rendent à leur clientèle des services à la carte qui ne sont consignés dans les
manuels de procédures d’aucune banque. De nombreuses opérations procédant de
l’intermédiation sociale (donc à rentabilité non immédiate) demanderaient à la banque un
redeploiement structurel au coût financier trop élevé par rapport à la microfinance qui n’a pas
la même grille de côut, notamment en ce qui concerne les salaires. Nous prendrons l’exemple
du plan "épargne/crédit" (ou "crédit promotion sociale") très prisée par les EMF. Un EMF
bien installé nous a revelé collecter par ce biais dans son agence de Foumbot plus de 50
millions FCFA par mois qu’il reverse à sa banque. Celle-ci apprécie certainement cet appoint
de trésorerie qu’elle n’aurait pas pu collecter elle-même sans gros investissements préalables
en termes de local, personnel, sécurité etc..
77

Dans l’autre sens, les EMF ont besoin des banques pour le dénouement des opérations
autorisées seulement à celles-ci, à l’instar de la compensation des chèques, du cautionnement
et de la domiciliation des marchés publics, de la négociation des travellers chèques, des
transferts internationaux. Ces opérations sont ordonnées aux EMF par leur clientèle non
titulaire de compte bancaire et ils ne peuvent les exécuter qu’en les domiciliant dans une
banque commerciale.
A certains égards, les EMF camerounais ont une nette avance sur les banques en matière
de prise en charge des divers actes de la vie courante des ménages et sont parfois catalyseurs
de la modernisation des banques (voir encadré 4 "Les EMF ont du génie").
Les EMF peuvent enfin légitimement revendiquer le rôle de vecteur de redistribution de
l’abondante trésorerie des banques sous forme de crédit à une clientèle et pour des opérations
qu’elles maitrisent mieux que les banques. Cette fonction de détaillant de prestations
financières dévolue aux EMF pour le compte des banques commerciales serait bénéfique au
bon déroulement de l’intermédiation financière dans un contexte où la microfinance est plus
proche de la population sans avoir les moyens suffisants de satisfaction des besoins qui lui
sont adressés. De l’autre côté, les banques surliquides ont peur de s’investir directement dans
un créneau qu’elles maîtrisent imparfaitement. Elle confirme la logique d’étroite
interdépendance dans laquelle se situe la rélation banque/EMF et dont le respect permet de
conforter l’efficacité de l’intermédiation financière dans de nombreux pays (voir Encadré 5 "
Quelques exemples de parténariat réussi entre la microfinance et la banque à travers le
monde").
78

Encadré 4 : Les EMF ont du génie


Afin d’aider les ménages à faire face à diverses nécessités de la vie courante, de
nombreux EMF camerounais ont mis au point des produits innovants que leur envieraient
les grandes banques occidentales et que les banques camerounaises n’hésitent pas à copier.
- L’opérateur des transferts rapides "Western Union", premier à s’installer au Cameroun et
leader sur ce marché y est entré par l’entremise d’un EMF. Le promoteur, ancien haut
cadre dans une banque de la place avait participé aux premières négociations à l’issue
stérile entre son employeur de l’époque et cet opérateur. Dès la création de son EMF, il
saisit cette opportunité d’être le parrain du produit au Cameroun avec le succès qu’on lui
connaît aujourd’hui.
- Un autre EMF a mis en place le produit "Domestica" qui permet de collecter et de régler
toutes les factures d’eau, d’électricité et de téléphone des adhérents, même dans les
localités où elle n’a pas d’agence.
- Un ancien responsable du département "Commerce international" d’une grande banque
de la place, devenu directeur général d’un EMF y a inventé le "Comdoc" qui s’apparente
au crédit documentaire et facilite les échanges de marchandises entre les grandes régions
du Cameroun, voire avec les pays voisins sans déplacement de personnes et avec
possibilité de crédit.
- Le plan épargne/crédit permet à de nombreux EMF de faire concurrence aux collecteurs
informels (voir encadré 9). Il permet en outre aux petits opérateurs économiques de se
constituer progressivement un capital productif favorisant le changement de leur niveau
d’activité. A ce titre, il mérite bien son appellation de " crédit promotion sociale" en
usage dans plusieurs EMF

Source : Investigations personnelles


79

Encadré 5 : Quelques exemples de partenariat réussi entre la banque et la


microfinance à travers le monde.
- En Bolivie, la Banco del Sol facilite l’accès des établissements de microfinance au
marché financier : elle rachète les portefeuilles performants des EMF et émet en contre partie
des titres qu’elle place sur les marchés financiers, permettant aux EMF d’obtenir des
ressources longues (20 ans et plus).
- Au Ghana, le système SUSU regroupe des agents indépendants qui sont utilisés à divers
titres par les banques dans leurs rapports avec les petits opérateurs économiques ruraux ou
urbains :
 Nsoatreman Rural Bank (NRB) prête des fonds à un taux concessionnaire à l’agent
SUSU à charge pour celui-ci de replacer ces fonds auprès de ses clients contre une commission
reçue de la banque pour chaque prêt. Les durées des prêts peuvent aller jusqu’à 36 mois. A
l’échéance, l’agent SUSU se charge de percevoir le remboursement qu’il reverse à NRB.
 Agricultural Development Bank (ADB) encourage l’ouverture des caisses villageoises
SUSU qui collectent des dépôts auprès des personnes ne pouvant se déplacer elles-mêmes vers
ADB. Les dépôts sont reversés à ADB qui paye une commission aux collecteurs SUSU.
 City Saving and Loan Limited accorde des prêts à court terme aux agents SUSU pour
satisfaire les besoins de trésorerie à court terme de leurs clients (quelques jours à quelques
semaines).
 Action Aid Ghana (AAG) développe avec les SUSU un système de services
d’intermédiation et autres prestations financières à domicile.
- Au Sri Lanka, les EMF ont constitué un fonds de garantie couvrant 60 % du montant
de tous leurs crédits commerciaux. Ce fonds est versé à une banque qui le replace auprès de
marché monétaire.
Source : Ledgerwood (1999) et Quainoo (1999)
80

b) les principaux axes de la complementarite Banques/EMF


En nous inspirant des expériences réussies à travers le monde et des conclusions de
Barlet (2003), nous pouvons proposer les axes ci-après suivant lesquels cette collaboration
peut se développer.

1°- le département interne spécialisé


Dans cette formule, la banque érige en son sein une unité spécialisée dans la prestation
des services de microfinance, notamment le microcrédit. Le personnel et les moyens
appartiennent à la banque qui intègre les orientations et les stratégies de cette entité dans les
siennes propres. La banque peut ainsi affecter son excédent de trésorerie aux opérations de
microcrédit tout en restant le maître du jeu. L’absence d’autonomie qui en découle, combinée
avec l’absence de culture microfinancière des agents préposés constituent la principale
faiblesse de cette construction. Il est fort à parier du reste que les banques qui l’adopteraient
voudraient la circonscrire aux seules zones urbaines où elles sont installées, pénalisant une
fois de plus la campagne. Quand bien même elles s’y aventureraient, elles auront du mal à
vaincre la traditionnelle méfiance des paysans vis à vis des banques commerciales en général.

2°- la filiale autonome


Ici, la banque crée une structure autonome dont elle est néamoins actionnaire
majoritaire. Cette position lui permet d’en orienter les objectifs généraux sans toutefois
intervenir dans la gestion courante. La structure autonome peut ainsi s’investir dans l’activité
de microfinance dans le respect des canons de ce secteur, tout en bénéficiant de l’appui de la
banque. La banque en retour bénéficie de l’exclusivité des opérations. Elle prête les fonds si
nécessaire et sert de relais pour les opérations non autorisées aux EMF. Cette formule ne met
pas la banque à l’abri du risque d’image et elle redoutera que les éventuels échecs de la
structure de microfinance ne soient préjudiciables à sa réputation.

3°- l’alliance stratégique


81

Dans cette formule, la banque noue un contrat de parténariat avec un EMF bien établi
(réseau étendu, bonne réputation, états financiers équilibrés…). La banque joue le rôle de
bailleur de fonds sous forme de prêts garantis ou non , mais sans aucune interférence sur son
utilisation ni sur aucun autre aspect de la politique de l’EMF. La seule contrainte pour celui-ci
est le remboursement régulier des fonds avancés au taux convenu. La formule peut paraître
avantageuse pour les EMF dont l’étroitesse de trésorerie est la règle, mais qui osent prêter aux
exclus bancaires parcequ’ils savent se faire rembourser. Le taux d’interêt élévé que leur
clientèle accepte de payer garantit un différentiel suffisant pour rentabiliser la formule. Il est
toutefois à redouter que la recherche effrénée de la trésorerie par les EMF ne fragilise leur
position et les empêche de nouer des " bons accords" qui attribuent à chaque partenaire sa part
des coûts, des gains et des responsabilités (Barnet, 2003).
Les reserves émises au sujet de toutes ces formules témoignent de ce qu’aucune ne
constitue la panacée et demande pour une meilleure efficacité, un suivi rigoureux et une
adaptation permanente au contexte. Mais l’effort en vaut la chandelle, au régard de la réalité
des rapports entre la banque et la microfinance au Cameroun.

2- une realité conflictuelle


La relation Banque/EMF au Cameroun est soumise à des fortes tensions malgré
quelques plages de collaboration motivés par l’interêt et par conséquent très discriminatoires.

a) un parténariat très sélectif


Les banques commerciales traitent les établissements de microfinance au Cameroun
suivant un mode fortement discriminatoire en fonction de la taille. Les EMF importants en
termes de dépôts collectés sont l’objet d’une cour assidue de la part des banques aguichées
par cette trésorerie bon marché. Le promotteur d’un de ces EMF nous a montré au cours d’un
entretien, son registre de versements auprès des banques qui affichait une moyenne
quotidienne de 500 millions de francs CFA ainsi que les correspondances que lui adressent les
banques pour lui proposer divers services à des conditions très favorables.
Par contre, les EMF de moindre importance sont traités avec dédain et en règle générale,
il existe un profond gouffre de défiance entre le secteur des banques commerciales et celui
des EMF. Nous allons exposer les caractéristiques de cette opposition avant d’en rechercher
les causes et d’en établir les conséquences.

b) Les contours du conflit banque / EMF


82

Au cours de nos investigations dans les differentes banques de la place, nous avons pu
noter les faits ci-après.
Certaines banques commerciales sont très reticentes en matière d’entrée en relations
avec les EMF. D’aucunes ont strictement interdit toute ouverture de compte aux coopératives
d’épargne et de crédit. Dans de nombreuses autres, les ouvertures de compte aux EMF ne se
font que de manière exceptionnelle et uniquement pour recuperer une grosse opération.
Quelques unes sont plus souples33 mais soumettent toutes les demandes d’ouverture de
compte des EMF à un accord préalable de leur Comité de Direction. Celles qui ne posent
aucune condition aux ouvertures de compte aux EMF avouent cependant ne leur accorder
aucune facilité de trésorerie. Les escomptes de chèque se font exceptionnellement sur de très
bonnes signatures et toutes les autres prestations font l’objet d’une suveillance particulière.
Notre enquête confirme cette situation avec quatre banques sur sept qui trouvent que le
secteur de la microfinance est un secteur risqué et sont par conséquent méfiantes à son
endroit.
Nombreux dirigeants d’EMF nous ont avoué se sentir très mal à l’aise devant les
guichets des banques où ils savent qu’on les tolère à peine. Leur souhait serait d’avoir un
accès direct à la BEAC pour y domicilier leur trésorerie et éventuellement obtenir des
refinancements ou voir la création d’un organisme spécifique destiné à leur rendre ces
services.
De nombreuses banques, surtout celles contrôlées par les interêts etrangers, contestent la
qualité d’intermédiaire financier aux EMF et refusent par conséquent de traiter les chèques
que ceux-ci ont reçu de leurs clients. Elles exigent que les chèques leur soient directement
déposés par les béneficiaires alors qu’il s’agit justement des personnes à qui elles ont fermé
leurs portes pour raison de taille ou de type d’activité. Les clients des banques qui, pour une
raison ou une autre ouvrent un compte auprès d’un EMF sont parfois victimes de pressions
multiples de la part de leurs banques pour fermeture de ce compte. Les represailles vont de la
non délivrance de chéquier au refus d’octroi de crédit, voire de rupture des rélations à
l’initiative de la banque en question. La responsabilité de la banque est une fois de plus
démontrée dans la faible circulation des chèques et plus généralement dans la piètre
bancarisation de la sociètè camerounaise. C’est sous leur pression que la COBAC a inséré
dans les textes reglementant les EMF une clause leur interdisant d’adopter la dénomination de

33
Les banques qui font preuve de souplesse à l’endroit des EMF d’essence locale sont celles à capitaux
majoritairement nationaux. Par contre, les filiales des banques étrangères sont très bien disposées à l’endroit des
ONG et des banques de projet.
83

banque ou d’établissement de crédit. La définition classique de la banque n’est-elle pourtant


pas celle d’une structure qui collecte les dépôts et accorde des crédits ? la microfinance ne
fait-elle pas d’ailleurs mieux en y ajoutant l’intermédiation sociale ? L’attitude des banques
frise parfois l’offense au bon sens et il est fondamental d’en sonder les causes si on veut
mettre fin à la rélation conflictuelle entre les deux branches de l’intermédiation financière et
fluidifier les relations financières entre toutes les couches de la population dont certaines ont
facilement accès aux guichets des banques tandis que d’autres ne peuvent travailler qu’avec la
microfinance.

B- CAUSES DU CONFLIT BANQUE/EMF


Le standing des EMF est fortement écorné auprès du public qui a encore en mémoire le
souvenir des déboires de la crise bancaire. Les fermetures intempestives qui ont souvent eu
lieu dans le secteur des EMF et les fréquentes difficultés à restituer les dépôts à première
demande ne contribuent pas à rassurer les opérateurs économiques et encore moins les
banques. Les nombreuses faiblesses de la microfinance sont à l’origine de cette piètre image
et exacerbent l’affrontement. L’aversion des banques vis à vis du secteur de la microfinance se
nourrit cependant de divers autres prétextes que nous allons prospecter.

1- Les faiblesses de la microfinance


Nous pouvons classer ces faiblesses en deux catégories principales qui sont celles
générées par l’activité microfinancière elle-même et celles liées à son environnement.

a) Les faiblesses inhérentes à la microfinance elle-même

1°- Les faiblesses liées au mode opératoire


La souplesse du mode opératoire des EMF procède du souci d’attirer et de fidéliser la
clientèle, mais elle est en même temps porteuse de nombreux risques. Ainsi la célérité est-elle
couplée avec la précipitation et l’absence de précautions qui sont à l’origine de nombreux
déboires comme l’ouverture de compte et/ou la mise en place de crédit en faveur de personnes
insuffisamment identifiées et localisées. Le développement des relations de proximité tant
vanté entraîne de nombreux surcoûts tels les frais de transport, les frais de communication, la
perte de temps de travail qui obèrent le compte d’exploitation. Les produits et les services
nouveaux sont vendus à la clientèle sans avoir été véritablement testés ni consignés dans un
manuel de procédures (Ledgerwood, 1999), d’où les nombreux risques d’erreur ou de
84

dénouement laborieux. Les taux d’intérêts pratiqués par la microfinance sont trop élevés.
L’enquête de la COBAC (2000) révèle que la majorité des établissements dépasse le taux de
30% pour les avances et 40 % pour les prêts à court et moyen terme. Il n’est pas rare de
trouver des établissements qui atteignent, voire dépassent 100%, l’astuce consistant à
procéder à la facturation mensuelle (voire quotidienne) des concours aux clients 34. En dépit
des différentes explications avancées (Voir encadré 6), ces taux usuraires sont un véritable
paradoxe pour une activité ciblant les plus pauvres.

Encadré 6: Pourquoi les taux d’intérêt des EMF sont-ils si élevés ?

Les taux élevés pratiqués par les EMF reflètent le coût réel des fonds avec lesquels ils
travaillent et dont les composantes sont les coûts de transaction, la prime de risque, le
coût d’opportunité, les frais administratifs, le coût de l’intermédiation sociale.
Les usagers favorisent la surenchère sur ces taux en acceptant de payer la prime de
disponibilité quasi immédiate des fonds. La comparaison avec les solutions alternatives
(prêteurs sur gage, usuriers, tontines…) sont du reste favorables à la microfinance. Le
caractère saisonnier des activités rurales intensifie la pression sur les taux d’intérêt dans
les campagnes où les prêteurs sont souvent en situation de quasi-monopole et utilisent le
coût comme critère de sélection entre un nombre très élevé de demandeurs.
Les crédits de la microfinance portent généralement sur des sommes modestes et pour
des durées brèves. Hors, comme pour toute autre marchandise, il est établi que le "crédit
au détail" est toujours plus cher que le "crédit de gros" et les taux sur les crédits à court
terme sont plus élevés que ceux des prêts à long terme.
Source : Adapté de Germidis (1991)

2°- Les faiblesses liées à la capacité.


Les EMF sont en majorité crées sans fonds propres consistants et travaillent
essentiellement avec les dépôts des clients. Cette situation précarise leur équilibre financier
d’autant plus que, pour attirer la clientèle, ils sont obligés d’accorder des crédits sans étude
rigoureuse du dossier35. La multiplication des impayés qui en résulte est l’une des causes de

34
Comme pour les banques, notre propre enquête relève que ce coût prohibitif du crédit microfinancier ne
constitue pourtant pas une barrière entre elle et les usagers dont aucun sondé ne lui en a fait le reproche.
35
De nombreux usagers ne consentent d’ailleurs à ouvrir de compte dans les EMF qu’en contre partie d’une
promesse ferme d’octroi de crédit.
85

la vive tension de trésorerie qui caractérise le secteur. Notre enquête a permis de déceler des
EMF qui présentent un encours d’impayés supérieur à 65% des crédits accordés. Le
recouvrement des créances et l’étroitesse de la trésorerie sont avancés comme les principales
difficultés des EMF camerounaises avec un score de 31% chacun. Il faut ensuite relever le
faible niveau technique du personnel en l’absence des ressources suffisantes pour rémunérer
les personnes qualifiées. Le besoin de formation du personnel est récurrent chez la majorité
des structures que nous avons investiguées. Il se situe au troisième rang des besoins avec un
score de 20,9%. Ce besoin se révèle être également la troisième attente des EMF auprès des
pouvoirs publics (17,4%) après celle de l’organe de refinancement (27,5%) et les subventions
(27,4%). Les EMF se plaignent de l’absence d’une structure adéquate où ils peuvent envoyer
le personnel se former comme c’est le cas avec les banques. Le programme sur la
microfinance mis en place par un institut régional sis à Douala se préoccupe essentiellement
de l’aspect coopératif en éludant l’aspect "techniques bancaires" qui est pourtant très
important chez les COOPEC camerounaises versées dans l’intermédiation financière
classique. Par ailleurs, le coût de ce programme est très élevé 36, ce qui constitue un facteur
limitatif d’accès aux EMF. L’introduction d’un cours de microfinance est encore hésitante
dans les universités camerounaises qui déplorent l’absence d’expertise en matière
d’enseignants. Les bibliothèques brillent par leur indigence en ce qui concerne les manuels
sur la microfinance et très peu de cabinets d’expertise financière ont incorporé dans la liste de
leurs prestations des interventions spécifiques en faveur du secteur. La faiblesse des systèmes
d’information de gestion et des systèmes d’organisation, la mauvaise sécurisation des
opérations sont les corollaires de la faible qualification du personnel. Ainsi, la plupart des
structures que nous avons enquêtées ne sont pas informatisées (44%). Plusieurs autres le sont
imparfaitement avec des logiciels qui ne couvrent pas l’ensemble des opérations, aucun cahier
de charges n’ayant été imposé au fournisseur. Seuls 56% des établissements visités suivent un
manuel de procédures37et il s’en trouve 45% qui n’ont pas de plan comptable, ni de système
d’archivage. L’incompatibilité entre les objectifs sociaux et la rentabilité contraint souvent les
EMF à abandonner les programmes sociaux en l’absence d’appui financier extérieur. La
priorité est donnée aux financements des activités à rentabilité immédiate (voir tableau 8), ce
36
3325 Euros (soit 2 181 00 Fcfa) pour une formation de 7 mois.
37
Le manuel de procédures est la formalisation de tous les systèmes d’organisation nécessaires au
fonctionnement rationnel et efficient de l’entreprise dans les meilleures conditions de sécurité. Il s’agit
essentiellement des organisations administratives, techniques, commerciales et financières. L’entreprise dispose
ainsi d’un outil de gestion qui permet de définir pour chaque tâche l’ensemble des intervenants, le
chronogramme d’exécution et les points de contrôle.
86

qui explique entre autres la réticence à l’endroit de l’agriculture tel que le montre notre
enquête.
3°- Les faiblesses liées à la mauvaise gouvernance.
De nombreux problèmes de mauvaise gouvernance plombent le quotidien des EMF. Le
premier trait en est l’absence de transparence dont ils font preuve dans le souci de (mal)
masquer la faible capitalisation de départ : gonflement des actifs, dissimulation des pertes,
provisionnement insuffisants, maintien des créances compromises en portefeuille, perception
indue des intérêts sur ces créances etc…). Ces pratiques sont la réplique exacte de celles qui
ont provoqué la déconfiture bancaire des années 80 et sont motivées par la volonté de rassurer
les actionnaires, d’attirer la clientèle et les bailleurs de fonds. Ce faisant, les établissements se
mettent en position de précarité dans la perspective des contrôles stricts programmés par la
COBAC à partir d’avril 2007. Les écritures de régularisation seront alors très importantes et
risquent d’emporter quelques uns. Ne vaut-il pas mieux dès maintenant revenir à la vérité des
chiffres et réfléchir avec les divers partenaires (membres, bailleurs, Etat) sur les voies et
moyens de s’en sortir? Nous osons à ce niveau avancer deux remarques :
- Les subventions attendues des bailleurs ne sont pas une prime à la bonne santé
financière des EMF, mais plutôt un coup de main à des structures sainement gérées et
affichant clairement leur volonté d’aider les pauvres, même (et surtout) en l’absence des
moyens pour le faire.
- La faible capitalisation des EMF n’est pas une tare et non plus une exclusivité
camerounaise. C’est même plutôt la règle mondiale et on appréciera d’autant plus la capacité
à s’attirer des sympathies extérieures malgré ce handicap.
La mauvaise gouvernance se retrouve aussi dans la piètre qualité de la collaboration
entre les élus et les gestionnaires dans le pilotage de l’appareil. Le problème naît de
l’excessive présence des élus dans la gestion opérationnelle dont ils ignorent pourtant les
subtilités ou alors de leur complet désintéressement, laissant libre cours à toutes les initiatives
des gestionnaires. Dans l’un et l’autre cas, il y a risque d’enlisement et il convient de savoir
trouver la juste mesure.
La précarité de la situation du personnel est également une importante niche de risques
pour les EMF qui pratiquent généralement des très faibles salaires malgré une occupation
abusive du personnel. Sime Zadouo (2002) déplore la clochardisation du personnel des EMF
dont il situe le salaire moyen à 10.000 FCFA largement en dessous du SMIG camerounais
(23.000 F CFA). Les plans de carrière sont inexistants et il est très souvent fait abstraction
des droits sociaux primordiaux tels les cotisations sociales ou les droits aux congés. Le
87

personnel ainsi fragilisé est tenté par la fraude, la démotivation, la prise d’intérêt sur les
opérations…
Nous ne saurons éluder dans ce registre la mauvaise collaboration entre les EMF dont
nombre d’entre eux n’ont adhéré à leur association professionnelle (Association Nationale des
Etablissements de Microfinance au Cameroun – ANEM CAM) qu’en respect d’une
prescription légale et qui s’en désintéressent complètement par la suite. Il faut dire à leur
décharge que la naissance de l’ANEN-CAM n’est pas inspirée par un besoin de
regroupement ressenti par les établissements mais par le simple souci de se conformer à la
réglementation (Ekotto, 2005). L’ANEN-CAM est minée par des problèmes de leadership et
de conflit d’intérêt. La qualité de dirigeant et de membre, la durée des mandats, la
représentativité des réseaux et des structures indépendants restent à définir. En attendant,
l’ANEN-CAM est un monstre bicéphale avec deux statuts représentant les deux factions
rivales. Les dispositions favorables aux membres des réseaux dans la réglementation sur la
microfinance et les nombreux appels à l’ordre des autorités n’ont toujours pas réussi à faire
comprendre aux établissements la nécessité de se mettre ensemble. A l’exception des
établissements appartenant au même réseau, il n’existe aucun système d’échanges de services
entre les EMF. Il se développe par ailleurs une concurrence déloyale aiguë chaque fois que
plusieurs établissements couvrent un périmètre restreint. Des taux de rémunération excessifs
sont alors pratiqués pour attirer les dépôts.
La dénaturation de la philosophie coopérative par de nombreuses COOPEC est le
dernier trait de mauvaise gouvernance des EMF que nous évoquerons. En réalité, plusieurs
établissements utilisent la formule coopérative uniquement pour bénéficier des facilités
juridiques et fiscales qu’elle comporte38. Très peu en respectent les contraintes, surtout celles
qui confèrent des avantages aux adhérents telles la tenue régulière des Assemblées Générales,
la publication des comptes de résultat, la distribution des dividendes. A ces faiblesses
intrinsèques s’ajoutent de nombreuses contraintes extérieures.

b) Les faiblesses liées à l’environnement de la microfinance


Le secteur de la microfinance au Cameroun connaît de nombreux problèmes
imputables à l’environnement dans lequel il évolue. Nous examinerons tour à tour le contexte
socio politique, le niveau des infrastructures et la qualité de l’encadrement par les pouvoirs
publics.
1°- le contexte sociopolitique.
38
Il s’agit notamment de la facilité de constitution et de l’exonération de certains impôts.
88

L’activité de microfinance est victime d’un déficit d’image auprès du public échaudé
par le souvenir récent des dirigeants qui ont disparu du jour au lendemain avec la caisse. La
faiblesse du cadre juridique dont se plaignent les banques commerciales pénalise encore plus
les EMF moins outillés pour y faire face. L’exacerbation des exclusions tribales rejaillit sur la
répartition de la clientèle, l’implantation géographique, la politique de crédit et les
recrutements, limitant les performances des EMF. On remarquera en illustration de cette
situation que la clientèle des EMF camerounais se recrute essentiellement sur la base tribale.
On assiste depuis quelque temps à la prolifération d’EMF créés en sous-main par des élites
politiques et qui bénéficient de nombreux passe-droits tels la domiciliation des comptes de
certaines entités publiques ou du paiement des marchés publics. L’aisance de trésorerie qui en
découle crée en même temps une situation de dépendance qui fragilise la structure, d’autant
plus que le développement des capacités d’adaptation à des circonstances moins favorables
(formation, organisation) est négligé.
La fiscalité du secteur est très floue, laissant les établissements à la merci du
harcèlement des agents fiscaux qui menacent de fermeture ceux qui n’obtempèrent pas à
leurs exigences non fondées.

2°- la faiblesse des infrastructures


La précarité des infrastructures physiques pousse les EMF à s’installer dans les grandes
villes au détriment des campagnes où se rencontre pourtant la majorité des pauvres,
population cible de la microfinance. A titre d’illustration, sur les 604 établissements recensés
par l’enquête COBAC en 2000, 80% ont leur siège social dans les grandes villes avec une très
forte concentration dans les 4 principales villes que sont Douala (81), Yaoundé (48), Bamenda
(37) et Bafoussam (22). Parmi celles qui ont leur siège dans les petites villes, nombreuses ont
ouvert une Agence de référence dans une au moins de ces grandes villes, abritant l’essentiel
de l’activité et du staff. La faiblesse de l’infrastructure mentale caractérisée par le taux élevé
d’analphabétisme et l’assimilation insuffisante de la logique de crédit remboursable, combinés
avec le caractère essentiellement informel de la clientèle sont un facteur limitant de l’activité
des EMF. Il s’est en effet installé dans de nombreuses communautés rurales une mentalité
d’éternel assisté, favorisée par les anciennes formules d’assistance étatique aux paysans qui
comprennaient des distributions directes d’intrants ou d’argent39. Les hommes politiques

39
Il s’agissait en réalité pour l’Etat de s’assurer de la bonne qualité des produits à exporter en distribuant aux
paysans des plants sélectionnés, des engrais, du matériel agricole et de l’argent. Le différentiel entre le prix
d’achat au paysan et le prix de vente à l’exportation par l’Etat monopoliste permettait de récupérer aisément ce
89

aggravent le mal avec les distributions de dons à des fins électoralistes aux villageois. Il faut
dire que le terrain était déjà fertilisé par la tradition de solidarité africaine que de nombreux
villageois ont dévoyé en s’attribuant le rôle de malheureux permanent que l’élite urbaine a le
devoir, voire l’obligation d’aider. C’est ainsi que certains d’entre eux considèrent les crédits
accordés par les EMF comme une nouvelle forme d’assistance qui leur est due et ne
comprennent pas qu’on leur en demande le remboursement (voir encadré 7 : les déboires du
PADER à Koutié).

Encadré 7 : les déboires du PADER à Koutié


Le Programme d’Appui au Développement Rural (PADER) est une initiative lancée en
1999 par un ancien cadre de banque dans la ville de Foumbot pour fournir une assistance
multiforme aux paysans. Les domaines visés sont la facilitation des diverses démarches
auprès des administrations, l’appui dans la recherche des financements, l’assistance technique
afin d’améliorer la qualité des productions, la recherche des débouchés et le suivi des
encaissements. Le village de Koutié est choisi comme zone pilote et sous la houlette du
PADER, une vingtaine de GIC y sont crées à but de produire du maïs. Rapidement, il réussit à
obtenir auprès d’une coopérative d’épargne et de crédit tenue par un ami et ancien collègue un
financement avec lequel il achète des semences et des engrais. Ces intrants sont remis aux
chefs de groupe pour distribution aux membres avec un peu d’argent pour la soudure. Les
remboursements sont prévus pour s’effectuer sur la vente des récoltes à une usine de
fabrication de provende de la région avec qui le PADER a déjà passé un contrat au prix
moyen du marché. Les relations sont très cordiales entre le programme et les villageois sous
forme de visites mutuelles pour conseils, assistance aux réunions des GIC, inspection des
champs, simple causerie etc.… L’horizon s’obscurcit au moment des récoltes : les GIC
cessent de tenir leurs réunions, des villageois disparaissent avec leurs récoltes, d’autres
évoquent une vague injustice dont ils auraient été victimes au moment du partage des intrants
pour se désolidariser du remboursement. La majorité restante argue de ce qu’en réalité, le
financement reçu est un don d’un homme politique très populaire de la région avec qui le
promoteur du PADER avait souvent été vu. (En fait quelque temps auparavant, les deux
hommes avaient essayé de monter un projet de développement qui devait s’appuyer d’une
part sur la technicité du banquier et d’autre part sur la popularité de l’homme politique et son
entregent pour s’assurer l’adhésion des villageois et obtenir des financements internationaux.
L’excessive politisation du projet avait causé son échec). Approché par le PADER pour
expliquer la vérité aux villageois, l’homme politique n’en fait évidemment rien pour ne pas
"sacrifice" (Ossende Afana, 1966).
détruire ce capital politique gratuitement constitué. Le PADER qui n’a pas les moyens de
rembourser le crédit perd un ami et hérite d’un procès pour abus de confiance.
Source : Expérience personnelle
90

3°- le déficit d’encadrement par les pouvoirs publics.


L’encadrement de l’activité de microfinance par les pouvoirs publics présente de
nombreuses failles. Nous indexons en premier lieu la réglementation qui présente de
nombreuses lacunes. Une illustration en est l’abaissement des normes en faveur des
établissements de moindre envergure telle la non exigence de capital minimum ou de
dirigeant permanent. Cette "discrimination positive" qui vise à encourager l’activité de
microfinance est en même temps un facteur de limitation des efforts et d’accroissement des
risques d’instabilité financière. Il y a fort à craindre par ailleurs que l’absence de contrôle
pendant les périodes de grâce de 3 et 5 ans accordée aux EMF pour se mettre en conformité
avec les dispositions des textes réglementaires n’aient favorisé de nombreux abus difficiles à
rattraper par la suite. On pourrait également reprocher à ces textes de ne pas proposer de
canevas pour la production des états financiers ni de plan comptable spécifique, laissant
chaque établissement suivre son modèle. Non seulement la tâche de l’organe de surveillance
s’en trouve compliquée, mais il n’est pas aisé de produire un état consolidé du secteur.
La lenteur chronique de traitement des dossiers par l’administration aggravée par la
corruption ambiante engendre souvent des situations paradoxales pour les EMF. C’est le cas
avec le processus d’agrément qui est anormalement long. Des établissements attendent parfois
pendant plus de deux ans une suite à leur demande. Certes, la réglementation prévoit en son
article 23 qu’une structure qui n’a pas reçu de suite à son dossier après un délai de trois mois
peut considérer l’agrément comme acquis. Mais ne serait-il pas plus simple de traiter les
dossiers avec diligence? Ceci d’autant plus que les établissements qui anticipent sur cet
accord de l’administration ne sont pas à l’abri d’une fermeture pour ce motif par la suite. Cela
a été le cas en décembre 2005 où de nombreux établissements dans cette situation ont été
invités à fermer sans d’ailleurs qu’aucune mesure de sauvegarde de l’épargne collectée n’ait
été prise. Le même problème se pose avec le changement de catégorie. De nombreux EMF
dont la surface financière ne peut plus être rentabilisée sur les seuls membres, désirent passer
de la 1ère à la 2ème catégorie pour profiter de la base de clientèle plus large que confère cette
91

catégorie40. L’établissement doit pour cela au préalable passer de la forme coopérative à la


forme de société anonyme obligatoire pour la 2 ème catégorie. Il perd dès lors le droit aux
exonérations fiscales bénéficiant aux COOPEC, notamment l’impôt sur les sociétés sans
savoir quand il pourra bénéficier des avantages techniques de la 2 ème. Au cours d’un
séminaire sur la fiscalité des établissements de microfinance, nous avons recensé 14
établissements qui attendent depuis près de deux ans une réponse à leur demande. Rien ne
garantit d’ailleurs une suite heureuse du dossier et on est en droit de s’inquiéter sur le sort
fiscal des recalés.
Les conflits de compétence entre les administrations différentes pénalisent l’activité des
EMF. Il existe à ce propos une profonde dissension entre le ministère des finances et celui de
l’agriculture dans la supervision des activités des EMF de forme coopérative. Le premier
reproche au second la légèreté avec laquelle ses services procèdent à l’agrément administratif
des COOPEC sans aucun contrôle physique ni aucun dispositif de contrôle à posteriori pour
des structures qui vont pourtant avoir à manipuler l’épargne publique. Le ministère de
l’agriculture pour sa part reproche à celui des finances de sublimer l’aspect financier et de
faire peu de cas des principes cardinaux de la philosophie coopérative que sont la démocratie,
l’équité et la transparence. Cette opposition est parfois source de blocage de certains
programmes en faveur du secteur, chaque administration estimant en être le légitime tuteur.
Le Projet d’Appui au Programme National de Microfinance (PPMF) mis en place pour
servir d’interface à l’action gouvernementale et booster le secteur de la microfinance présente
un bilan plutôt mitigé après plus de 3 ans d’existence, comme en témoigne la baisse de sa
crédibilité auprès des EMF las d’attendre l’appui financier qu’ils croyaient promises par cet
organisme. On peut effectivement reprocher au PPMF de n’avoir pas suffisamment expliqué
ses objectifs aux EMF et de paraître aux yeux de nombre d’entre eux comme un robinet qui
refuse de s’ouvrir. En fait, la double tutelle du PPMF par le MINAGRI et le MINFIB
conjuguée avec le contrôle strict du bailleur de fonds sur tout décaissement 41 ralentit
considérablement son action. Il n’est pas rare qu’une décision mette des semaines pour
obtenir toutes les signatures nécessaires à sa mise en œuvre. Il faut aussi dire que les critères
40
La 1ère catégorie est habilitée à faire des opérations d’épargne et de crédit uniquement avec ses membres. La
2ème catégorie effectue les mêmes opérations avec les membre et avec les tiers sans aucune limitation
41
Les procédures de décaissement des fonds du FIDA sont très rigoureuses et doivent dans tous les cas
commencer par la mise en place de la contre-partie camerounaise de l’ordre de 15% environ pour chaque
décaissement. Les difficultés budgétaires ont empêché le Cameroun d’y faire face. A la fin de la deuxième
année du projet, un seul décaissement de 8 000 dollars par le FIDA avait pu avoir lieu servant à la mise en place
du projet.
92

financiers et académiques ont fortement primé dans la constitution des effectifs du PPMF qui
manque cruellement de ressources humaines rompues aux expériences de développement
rural et de la pauvreté urbaine. Quoiqu’il en soit, 16% des EMF que nous avons interrogés au
cours de notre enquête déclarent ne pas connaître le PPMF et 64% trouvent qu’il ne joue pas
son rôle, ce qui est une preuve flagrante du déficit de communication et d’inefficacité de cet
organisme. Il reste à espérer que les reformes qui y ont cours actuellement lui permettent de se
réconcilier avec ses objectifs.
Les nombreuses faiblesses ci-dessus de la microfinance vont servir de ferment aux
motifs invoqués par les banques pour marginaliser la microfinance.

2) Les autres motifs des banques

a) la protection du label "banque"


Le souci des banquiers d’éviter que leur métier ne soit pollué par les mauvaises
pratiques et la mauvaise réputation conséquente de la microfinance apparaît comme la
première justification de la réticence des banques envers les EMF. C’est ainsi qu’une note de
l’APECAM (voir annexe 2) décommande les ouvertures de comptes bancaires aux
Coopératives d’Epargne et de Crédit du temps où celles-ci dépendaient seulement du
Ministère de l’Agriculture et n’étaient par conséquence soumises qu’à la seule formalité (fort
simplifiée du reste) d’inscription au régistre des COOP-GIC. Il s’agissait pour l’APECAM de
protéger le label "banque", abusivement utilisé par certaines COOPEC 42. Celles-ci étaient par
ailleurs coupables de nombreuses indélicatesses susceptibles de ternir la réputation d’un
secteur en pleine reconquête de son honorabilité après la crise des années 80/90. Les banques
tenaient par conséquent à ce que le public fasse nettement la difference entre elles et le secteur
fragile de la microfinance.
L’APECAM reproche également aux EMF d’effectuer des opérations financières
illégales comme les transferts intenationaux ou l’emission des moyens de paiement, même si
ceux-ci ne circulent qu’à l’intérieur du réseau de l’EMF émetteur. Si on peut comprendre le
souci de l’APECAM de se démarquer nettement aux yeux du public d’un secteur alors peu ou
prou reglementé et objet de moult incidents, on s’expliquera difficilement que l’aseptisation
de la microfinance à travers la précision des conditions d’exercice et la battérie d’appuis mise

42
Les banques ont d’ailleurs exigé et obtenu l’interdiction de l’utilisation du terme "banque" par les EMF
(Article 6, alinéa 2 du Règlement CEMAC sur la microfinance).
93

en place par les pouvoirs publics n’aient pas vraiment réussi à amadouer les banques et à
normaliser les relations. D’autres causes de l’affrontement subsistent.

b) les conflits de "castes"


Un conflit larvé oppose les anciens collègues dont certains, reconvertis dans la
microfinance entretiennent un sentiment de jalousie envers ceux restés dans la sphère
supérieure. Ceux-ci ont tendance à considérer les employés de la microfinance comme des
parias déchus du "paradis" pour des fautes avilissantes ou pour incapacité et ne tiennent pas à
se compromettre avec eux. Les rapports sont encore plus tendus avec les employés des EMF
non banquiers de métier à qui ceux-ci reprochent de ternir la noblesse de leur profession.

c) la discrimination sectorielle
Les banques à capitaux majoritairement étranger rechignent à collaborer avec un secteur
qui les mettrait en rapport (même lointain) avec des secteurs d’activité qu’elles ont sorti de
leur rayon d’action tels l’agriculture, l’artisanat et le secteur informel urbain. Seul l’attrait de
la trésorerie de certains EMF adoucit leur position.

d) les insuffisances des textes réglementaires


La définition des domaines d’intervention des EMF en matière d’opérations de banque
reste floue et certaines banques ont peur de s’engager avec eux dans des opérations qui
pourraient se retourner contre elles en cas de problème43. Il en est ainsi du problème de
l’endos des chèques pour encaissement par les EMF complètement éludé par le règlement N°
01/02/CEMAC/COBAC. Le texte autorise les EMF à emettre des chèques mais limite la
circulation de ceux-ci à l’intérieur du réseau des EMF sans préciser s’ils peuvent ou non
endosser en tant qu’établissement de crédit, ceux émis par les banques commerciales. Ainsi
une banque commerciale sera toujours réticente à encaisser un chèque tiré sur une autre
banque commerciale et ayant transité par un EMF où le bénéficiaire a son compte.
Ces mauvaises relations entre le secteur bancaire et celui de la microfinance sont
confirmées par les résultats de notre propre enquête. Nous avons pu relever que si toutes les
banques enregistrent des EMF dans leur clientèle, elles sont 4 sur 7 à trouver que c’est un
secteur trop risqué , ce qui jusifie leur réticence à lui accorder des financements en espèces.
Seule 1 banque avoue accorder des concours par caisse aux EMF. L’escompte des chèques est

43
La responsabilité civile de la banque censée connaître le droit et les techniques bancaires peut lui être
opposée dans un procès.
94

pratiqué par 5 banques sur 7 mais avec une sélection très rigoureuse des valeurs 44. Les
concours par signature sans décaissement telles les cautions emportent la préférence des
banques qui exigent toutefois un déposit 45 à concurrence de leur engagement. Au cours de la
même enquête, nous avons rélévé le scepticisme de banques quant à la capacité des EMF à
les relayer auprès des opérateurs économiques avec seulement 2 établissements bancaires
prêtes à utiliser les services des banques pour completer leur approche clientèle. Seules les 3
banques à capitaux nationaux sont par conséquent prêtes à s’investir dans une quelconque
action en faveur du renforcement des capacités des EMF. L’Union bank et l’Afriland First
Bank s’y investissent déjà avec succès ( voir encadré 8 : le système MC2 de Afriland First
Bank).
Les EMF que nous avons rencontrés déplorent les mauvaises relations avec les banques
qui sont réticentes à leur ouvrir des comptes ou qui rejettent leur signature d’endos et leur
accordent difficilement de crédits. Celles qui trouvent ces relations cordiales (18%) se
plaignent néamoins de l’excessive surveillance dont leurs opérations font l’objet. Ainsi, une
facilité ne peut être accordée qu’après parfait dénouement de la précédente et le moindre
incident peut donner lieu à la cessation des relations. Seules les EMF importants à qui les
banques font la cour en vue de récuperer leur trésorérie trouvent que ces relations sont bonnes
(8%).
Après avoir recensé ces principaux facteurs explicatifs des rapports d’exclusion que les
deux branches de l’intermédiation financière officielle entretiennent entre elles, il nous reste à
étudier les conséquences de cet affrontement pour l’activité économique en zone CEMAC.

44
Seuls les chèques émis par les entreprises de bonne réputation et par conséquent peu susceptibles de retourner
impayés sont acceptés à l’escompte.
45
Le déposit est une somme d’argent non productive d’intérêts consignée dans les livres de la banque en garantie
d’un concours octroyé au client.
95

Encadré 8: Le système MC2 de Afriland First Bank

Lancé en 1992 par l’Afriland First Bank (CCEI Bank à l’époque), le mouvement des MC2 vise
à doter les collectivités villageoises de micro- banques autogérées.
Le capital initial de 10 millions de F CFA minimum pour une agence est fourni par les résidents
du village et les citadins qui participent ainsi au développement de leur village.
L’Afriland First Bank joue le rôle de banque de dépôt et fournit l’assistance technique en
partenariat avec l’ADAF (Appropriate Development for Africa Foundation), une ONG spécialisée
dans la microfinance. Cette assistance porte sur la formation, le contrôle et le relais des opérations
avec l’extérieur. Aucune aide financière n’est prévue.
La gérance est collégiale par les membres eux-mêmes et autant que possible, les "sages" du
village y sont associés (autorités traditionnelles et religieuses) pour veiller à l’intégration des valeurs
culturelles locales et arbitrer les éventuels conflits. Des projets d’accompagnement sont initiés par
l’ADAF pour permettre la formation d’entrepreneurs ruraux sur diverses techniques (élevage, bois,
informatique, céramique etc…).
Les MUFFA sont la version féminine des MC2, fonctionnant selon les mêmes principes.
Au 30 juin 2003, on dénombre 48 MC2 et 3 MUFFA affichant 37 004 adhérents pour 4,8
milliards de FCFA d’épargne mobilisé et 9,5 milliards de F CFA de crédits accordés, la différence
étant couverte par les subventions des organismes d’aide que l’Afriland a réussi à intéresser à ce
programme.
En étant un modèle de liaison entre les secteurs financiers informel et formel, le système de
MC2 offre de nombreux avantages à tous les participants :
- La bonification de l’image de marque de la banque ;
-Des revenus à l’ONG (commissions sur les prestations et produits des centres
d’apprentissage) ;
- Une intermédiation financière sur mesure pour les villageois.
Le plus grand mérite du système MC2 est d’avoir transcendé le problème des exclusions
tribales qui handicapent tant l’action de nombreuses EMF. Les agences MC2 s’ouvrent sans
difficulté particulière dans toutes les régions du Cameroun.
Depuis novembre 2003, les MC2 se sont dotées d’un organe faîtier, l’Association des MC2
(AMC2) dont l’objectif est de remplacer progressivement l’Afriland first bank dans la fonction
d’appui technique.
Source : Prospectus ADAF et Afriland First Bank
96

C LES CONSEQUENCES DU CONFLIT BANQUE/EMF


Le conflit banque /EMF est à l’origine de nombreuses pertubations socio-économiques
dans la zone CEMAC. Nous en avons relevé quelques unes.

1- Accentuation du dualisme financier


Les mauvaises rélations entre les deux segments de l’intermédiation financière officielle
aggravent le dualisme financier "formel contre informel" qui caractérise les économies en
voie de développement. Le circuit financier de l’informel vers le formel se boucle
imparfaitement dès lors que la microfinance, plus proche culturellement de la finance
informelle est difficilement tolérée par le "major" de l’intermédiation formelle qu’est la
banque commerciale. Celle-ci ne peut pas faire profiter la microfinance des facilités de la
Banque Centrale et des contacts extérieurs auxquels elle est supposée avoir seule accès 46. Au
contraire, l’affrontement affaiblit le système d’intermédiation formelle et provoque la
prolifération des formules financières qui échappent à toute rationalité. C’est le cas des
prêteurs privés et des garde-monnaie qu’on rencontre en grand nombre dans les zones rurales
et dans les cercles informels urbains (voir Encadré 9 : Les prêteurs privés et les garde
-monnaie).
Encadré 9 : Les prêteurs privés et les garde-monnaie
Il n’est pas rare non plus de rencontrer des opérations de "tournage" qui consistent pour
1/ Les prêteurs privés : Ce sont des individus qui prêtent à titre gratuit ou onéreux
un client du secteur formel à s’y endetter à moindre taux pour replacer les fonds obtenus à des
de l’argent aux parents et amis en s’appuyant sur le principe de relations personnelles
taux usuraires dans le secteur informel. L’annexe 3 porte un exemple de contrat de prêt entre
et de réciprocité. Le cas le plus répandu est celui des personnes exerçant une autre
un professeur de lycée et un commerçant provenant d’une opération de tournage. Le
activité (fonctionnaires, commerçants, agriculteurs….) et disposant d’un capital qu’ils
professeur a obtenu de sa banque un crédit qu’il a utilisé en partie pour s’acheter une voiture
font fructifier par des prêts à intérêt auprès des demandeurs divers. Les taux sont
et en partie pour une opération de tournage dont les bénéfices lui permettent d’amoindrir
généralement très élevés, à la mesure des risques courus par le prêteur.
l’impact du remboursement du crédit sur son salaire. Le perdant est bien évidemment le
2 / Les garde monnaie : Il s’agit des personnes qui se sont constituées comme
commerçant qui, n’ayant pas accès à l’intermédiation financière officielle est obligé
collecteurs d’épargne sur la simple base de la confiance de la population cible.
d’accepter les conditions usuraires du "tourneur". L’usure étant interdite par la loi, les parties
Généralement, ces dépôts ne rapportent pas d’intérêt, même si quelques garde monnaie
ont maquillé le contrat de prêt en contrat d’affaires.
donnent parfois des cadeaux ou rendent des menus services aux déposants. Les dépôts
Ces opérations de tournage se rencontrent également dans les projets de microfinance
sont collectés tous les jours à taux fixe et reversés à la fin du mois ou du trimestre sous
mis en place par les bailleurs de fonds et les ONG octroyant des prêts à des conditions de taux
déduction des frais de gardiennage (en général, l’équivalent d’un jour de cotisation). Il
et de formalités très allégées. Des personnes sans scrupules profitent de cette aubaine pour se
n’existe aucune possibilité de prêt et l’épargne constituée ne reçoit aucune
constituer un fonds rotatif de prêt usuraire.
rémunération. Il n’est remis aucun reçu au moment de la cotisation et le déposant ignore
parfois le domicile du collecteur. Malgré cela, les adhérents que nous avons rencontrés
46
Cette affirmation n’est vraie qu’en partie puisque de nombreux EMF ont réussi à établir des canaux efficaces
aux marchés de Foumbot, Bafou, Santa et Mbouda, pensent que le garde-monnaie leur
de transactions avec l’extérieur ne transitant pas forcément par les banques locales.
rend service en gardant leur argent et apprécient par dessus tout l’absence de formalisme
et la discrétion présupposée.
Source : Adapté de Germidis (1991) et investigations personnelles
97

2-Handicap au développement économique


L’excellent score réalisé par les tontines et les autres formules financières parallèles
comme les prêteurs privés et les usuriers dans notre propre enquête confirme la solidité de
leur présence sur le marché de l’argent. En effet 74% des ménages sondés sont membres
d’une tontine avec une forte prédominance pour les tontines d’essence familiale ou tribales
(42% de l’ensemble). Ces ménages recourent en abondance aux usuriers et aux prêteurs privés
avec 82% qui ont déjà obtenu un prêt auprès d’eux. Les ménages clients des banques ou des
EMF ne sont pas en reste puisque sur 59 qui y entretiennent des comptes, 58 avouent avoir
déjà bénéficié du financement de ce secteur parallèle. Quant aux entreprises, 23,8% d’entre
elles nous ont avoué s’être déjà financées par ce biais tandis que 37% s’adressent
régulièrement aux tontines pour se financer. Ces résultats sont confirmés par le tableau 4 qui
montre l’importance de l’intervention des sources atypiques dans le financement des
PME/PMI camerounaises.
98

La multiplication de ces formules financières irrationnelles, additionnée à la dictature


des groupes de tontine47 est un frein à la circulation normale de la monnaie dans l’économie et
handicape le développement de la CEMAC. En effet, la finance informelle est incapable de
supporter les coûts liés à la défaillance de l’emprunteur, même si elle est capable d’acquérir
l’information sur les emprunteurs à moindre coût et de maintenir la confiance des déposants.
La conséquence en est que les prêts accordés dans le secteur informel sont strictement des
prêts à court terme, inadaptés au financement du développement. Gasse Helio (2003)
reproche par ailleurs à la finance informelle son incapacité à effectuer en même temps les
deux fonctions de l’intermédiation financière et insiste pour un renforcement du secteur
formel.
La rupture entre les deux segments de l’intermédiation financière officielle constitue
aussi un frein aux échanges commerciaux entre les agents économiques de segments
différents, obligés de traiter uniquement en espèces puisque les chèques des EMF ne sont pas
acceptés par les banques et celui de la banque est difficilement encaissé par les EMF48.

3- Distorsions sectorielles et géographiques


La piètre qualité de la relation du secteur bancaire avec celui de la microfinance
contribue à aspirer l’épargne rurale vers les zones urbaines. En effet, les banques qui
acceptent d’ouvrir des comptes aux EMF reçoivent les dépôts collectés par celles-ci dans les
zones rurales, sans leur fournir en retour les prestations pouvant profiter aux paysans. Les
EMF, obligés de travailler seulement avec leurs maigres ressources donnent la priorité au
financement des activités urbaines sur lesquelles elles ont une meilleure lisibilité et dont le
taux de rentabilité est plus élevé et plus sûr. Plus généralement, le dualisme système formel
contre système informel qui se prolonge par le conflit banque commerciale contre
établissement de microfinance compromet l’efficacité et la justice dans la distribution des
crédits entre les divers segments de la population et les zones géographiques. Les segments
formels à fort potentiel sont préférés aux segments informels lents et déstructurés, accentuant
de ce fait les inégalités sociales et économiques.
4 - Perturbations des politiques économique et monétaire

47
L’adhésion à un groupe de tontine est avant tout une contrainte sociale, pour confirmer son appartenance à un
clan, une religion, un corps de métier etc.…
48
Les dispositions restrictives de l’APECAM sur la circulation du chèque bancaire étaient déjà un facteur
limitant des échanges commerciaux internes au Cameroun.
99

Le dualisme des deux branches de l’intermédiation financière officielle devient une


sérieuse entrave à une politique économique, monétaire et financière harmonieuse au fur et à
mésure que le secteur des EMF prend de l’importance. Germidis (1991) souligne à ce propos
"qu’il est difficile d’identifier les sources de création monétaire et de fixer des objectifs
monétaires dans une structure financière dualiste." La régulation par les volumes ou par les
taux d’interêt est peu efficace quand un niveau considérable de liquidité échappe au secteur
bancaire, principal animateur du marché monétaire et bientôt de la bourse des valeurs. Même
si les EMF n’ont encore qu’une part restreinte du marché du crédit, la liberté des taux qui leur
est laissée est une entrave certaine à l’efficacité de toute politique monétaire49.

5- Ménaces pour le bon fonctionnement des bourses de valeurs


Le conflit banque / EMF réduit les chances des marchés financiers naissants de la zone
CEMAC d’atteindre l’épargne populaire et de se départir de la réputation élitiste qu’on leur
prête. On peut en effet se demander par quel biais, les banques qui bénéficient de l’exclusivité
de la fonction de Prestataires de Services d’Investissement (PSI) à la Douala Stock Exchange
vont pouvoir atteindre les opérateurs du secteur rural et ceux de l’informel urbain dont elles
sont complètement coupées, si elles ne s’appuient pas sur les EMF mieux implantés dans cette
sphère.

Au total, il y a lieu de déplorer l’anachronisme du conflit entre les banques et les EMF
en zone CEMAC, contrairement à l’harmonie qui existe entre les deux secteurs dans les pays
développés (Rivoire 1979). Les contraintes de la modernité invitent pourtant à une confusion
des espaces entre les différents maillons du système financier. Dans plusieurs pays en
développement comme au Pakistan en Inde, au Ghana et plus généralement dans tous les pays
de la zone CEDEAO, les efforts des pouvoirs publics et des autres acteurs ont permis de
développer une solide synergie entre la microfinance et la banque, bénéficiant à l’ensemble du
système financier et du tissu productif. Il est urgent d’y arriver dans la zone CEMAC et plus
particulièrement au Cameroun dont le potentiel économique a besoin de s’exprimer dans un
système financier performant. Cette indispensable convergence entre la déontologie des

49
On peut néanmoins aussi affirmer que toute politique de limitation des taux de la microfinance ne peut être
qu’injuste tant que l’Etat n’assure pas aux EMF l’accès aux capitaux à faible coût (subventions, marché
monétaire, marchés financier…)
100

banques commerciales et la logique des EMF permettant d’y arriver exige une implication de
toutes les parties prenantes de l’intermédiation financière.
101

CHAPITRE IV : LES SENTIERS DE LA CONVERGENCE


La prise de conscience des entraves que les mauvaise relations entre le secteur bancaire
et celui de la microfinance font peser sur le bon déroulement de l’intermédiation financière a
emmené les pouvoirs publics à procéder en fin 1998 au toilettage de la microfinance et à lui
imposer un cadre institutionnel qui la rende plus rassurante. Dans la même optique, la BEAC
a créé dépuis janvier 2003 un département de la microfinance spécialement chargé du suivi du
secteur et dont une des principales missions est d’œuvrer en faveur du rapprochement avec le
secteur bancaire. Mais cela reste insuffisant et de nombreuses autres actions doivent être
menées tant par la profession50 elle- même que par l’Etat et les autres parties prenantes de
l’intermédiation financière en vue de renforcer les capacités de la microfinance et d’établir
des passerelles solides entre elle et les banques commerciales. L’objectif final est de donner à
l’intermédiation financière un caractère plus fluide et plus globalisant.
Nous allons procéder à une revue de ces mésures tout en précisant qu’elles sont loin
d’être limitatives, tout système financier devant être repensé en permanence pour s’adapter
aux mutations de l’économie et rester compétitif.

A- LE ROLE DE LA PROFESSION

1- le rôle de la banque
La situation de rente dans laquelle se complaisent les banques commerciales de la
CEMAC en général et du Cameroun en particulier, avec une trésorérie pléthorique et une
rentabilité en trompe-l’oeil est comme la bulle boursière qui finit toujours par éclater avec des
conséquences imprévisibles. Les banques en place seront de plus en plus contraintes de céder
d’importantes parts de marché aux nouveaux arrivants qui, plus innovants, mettront en place
des produits plus adaptés aux besoins de la population. C’est ce qui explique la montée en
puissance des banques d’essence africaine comme ECOBANK, CBC Bank mais surtout
Afriland First Bank (ex CCEI) qui occupe le 22ème rang au niveau de toute la zone franc et le
quatrième au Cameroun si l’on s’en tient au total du bilan (J.A.L’Intelligent 2005). L’un des
facteurs unanimement reconnus de cette réussite est l’osmose que cet établissement a tissé
avec le système financier informel et celui de la microfinance à travers son réseau MC2. Eze
Eze (2002) confirme la justesse de cette option en recommandant aux banques de "se déployer
vers d’autres intermédiaires financiers pour atteindre la masse critique permettant de réaliser

50
Nous désignons par ce terme l’ensemble constitué par la banque et la microfinance.
102

des économies d’échelle". L’encadré 3 montre l’étendue du domaine d’un tel parténariat et sa
profitabilité pour toutes les parties.
La rélation entre d’une part la banque commerciale et d’autre part le secteur rural et
l’économie informelle en général se situe dans un contexte d’asymétrie d’informations en
défaveur de la banque. Elle peut y pallier en développant une rélation d’agence avec le secteur
des EMF mieux intégré dans l’économie informelle. L’incitation ne serait pas seulement la
rémunération financière51 mais comprendrait aussi un appui institutionnel allant de la
formation au contrôle de l’activité de l’agent qui est ici la microfinance par le principal qui est
la banque.
Une masse considérable d’épargne reste inactive dans les zones rurales et dans le secteur
informel urbain où il y a par ailleurs d’énormes possibilités de remploi pour l’excédent de
trésorérie des banques. Les coûts et les risques pour y accéder sont trop élévés pour les
banques commerciales et la faible capacité des EMF les empêche d’y pourvoir
convénablement.
Le développement fulgurant des NTIC avec le téléphone mobile qui couvre de
nombreuses campagnes camerounaises devrait pousser les banques à plus de hardiesse dans
leur engagement en faveur des zones rurales, soit en y rouvrant des agences, soit en déléguant
des opérations aux EMF qui y sont installés. Les doléances peuvent dorénavant être
rapidement reçues et les instructions transmises avec diligence. C’est l’une des clés du succés
du système ISUZU au Ghana. Les collecteurs d’épargne et les distributeurs de crédit sont en
contact permanent avec les banques mandantes grâce au téléphone mobile.
En règle générale, les banques doivent considerer la microfinance pour ce qu’elle est, à
savoir une nouvelle niche d’activités regorgeant de nombreuses opportunités mais aussi des
risques spécifiques qu’il faut connaître et chercher à maîtriser comme pour tout autre nouveau
produit. Chaque banque devrait sélectionner, chacune selon ses propres critères, un ou
plusieurs EMF avec qui elle nouera un contrat de parténariat basé uniquement sur la poursuite
des interêts réciproques à l’exclusion de toute considération phylantropique et en suivant une
des pistes que nous avons levées plus haut.

2- le rôle de la microfinance
Les principaux reproches des banques commerciales aux EMF portent sur leur précarité
financière, leur mauvaise gouvernance et l’imprécision de leurs objectifs. Partant de ce
constat, les EMF devraient agir dans trois directions pour être plus attractifs pour les
51
Il s’agit ici des interêts servis sur les dépôts des EMF et des autres appuis financiers tels les avances de fonds.
103

banques. Il s’agit d’assurer la viabilité financière, de conforter la gouvernance et de bien


cerner les objectifs poursuivis.

a) rechercher la viabilité financière


Les subventions ne sauraient être la panacée de la pérennité financière des EMF.
Ledgerwood (1999) a démontré que les subventions , loin de doper les EMF peuvent plutôt
avoir un effet anesthésiant sur leur efficacité. Elles peuvent en effet inhiber l’effort de collecte
de l’épargne, provoquer le relâchement de l’effort de recouvrement des créances ou accroître
la tendance à l’octroi facile des petits prêts risqués et improductifs. Ce point de vue est
partagé par tous les organismes d’aide qui, pour cette raison, n’apprécient pas toujours
l’appelation de " bailleurs de fonds" qui suggère l’image de moulin à billets. Il en est de
même des Administrations en charge de la microfinance qui priviligient l’appui institutionnel
à l’octroi des subventions.
La recherche de la pérennité doit être fondée sur celle de la rentabilité de l’activité de
microfinance, à savoir la poursuite d’un résultat bénéficiaire à partir d’un capital
effectivement investi. Les objectifs sociaux que beaucoup n’avancent d’ailleurs que pour
obtenir des subventions ne doivent aucunement occulter ce principe élémentaire de toute
activité économique.
L’exigence de capital de départ permet d’assurer une meilleure implication des
promotteurs. Il doit être conforté progressivement tout au long de la vie de l’EMF grâce aux
differents mécanismes de capitalisation que sont l’apport des anciens membres, l’ouverture à
de nouveaux membres, le report des résultats, les bénéfices du secteur autonome (voir encadré
10: Le secteur autonome dans les EMF).
104

Encadré 10 : Le secteur autonome dans les EMF


Le secteur autonome qualifie toute activité lucrative non bancaire mise en place par
un EMF en période d’abondante trésorerie. Les recettes générées par cette activité sont
automatiquement reversées dans un compte ouvert sur les lignes de l’EMF pour renflouer
la trésorerie et les bénéfices sont utilisé pour conforter la structure financière soit par
incorporation au capital, soit par inscription à un compte courant d’associé bloqué, soit
par constitution de dépôts stables (bons de caisse ou compte à terme). L’EMF peut
également bonifier son compte d’exploitation en facturant les crédits accordés à cette
entité à un taux plus élevé qu’aux autres clients.
Mais à cause des risques qui y sont attachés, il est conseillé de ne pas prendre cette
initiative si les conditions suivantes ne sont pas réunies :
- sa prise en charge par le système comptable de l’EMF
- la transparence totale de sa gestion
- la non-concurrence avec les tâches ordinaires de l’EMF.
Le secteur autonome peut être pratiqué sous la formule de département interne
de l’EMF ou sous celle d’entité juridiquement autonome (filiale). Mais en tout état de
cause, la réglementation limite à 20% le maximum de sa contribution au chiffre
d’affaires de l’EMF (département interne) ou de parts que l’EMF peut posséder dans
son capital (filiale)

S’agissant de la recherche du profit, il est plus que jamais temps de dépasser le faux
débat de logique financière contre logique sociale ou logique développementale. Même si
l’EMF est considéré comme un instrument de lutte contre la pauvreté, il doit aussi être
considéré comme une entreprise, c’est-à-dire un centre de profit. Son organisation et son
fonctionnement doivent privilegier à la fois la rentabilité et l’appropriation sociale (Institut de
la Banque Mondiale, 2001). Cette rentabilité peut être determinée à l’aide des agrégats
présentés au tableau 9.
105

Tableau 10 : Les agrégats de rentabilité de la microfinance

1- Produit Net Bancaire (PNB)

Intérêts sur les dépôts


Intérêts sur les crédits +
+ Intérêts des emprunts
= Intérêts sur les placements - (reçus de l’organe faîtier,
+ des banques ou des
Commissions diverses bailleurs)

Ce produit constitue le résultat de l’activité strictement bancaire de l’EMF

2- Resultat Brut d’Exploitation (RBE)

= - Charges d’exploitation
PNB (Salaires, loyers…)

Ce résultat constitue également la marge de couverture contre les risques.

3- Résultat Net (RN)

= - Provisions
RBE +
Amortissements

Ce résultat est aussi appelé capitalisation et permet la constitution progressive des réserves.
Il doit être positif et suffisant52
Source : Institut de la Banque Mondiale (2001)

52
Il est admis que le résultat d’une activité est suffisant lorsque les bénéfices dégagés permettent une
rémunération satisfaisante des capitaux mis en œuvre. Le taux de rémunération est calculé par le ratio "
Bénéfice net/Capitaux propres" ou mieux "Bénéfice net/ Actif net". Il est considéré comme suffisant à partir de
5 ou 10% selon la conjoncture et le secteur d’activité. L’actif net est la différence entre les capitaux propres de
l’entreprise et ce qu’elle doit aux tiers. Il s’agit en d’autres termes de ce qui reviendrait aux propriétaires en cas
de liquidation de l’entreprise (Lavaud, 1982).
106

Le respect de quelques principes de gestion rationnelle facilitera la réalisation de cet


objectif de rentabilité. Nous pouvons citer la bonne planification de l’activité, la pratique des
taux pouvant garantir un differentiel satisfaisant sans tomber dans la pratique de l’usure, la
surveillance des charges de gestion qui doivent effectivement concerner l’activité et rester
dans des proportions acceptables, la mise en place d’un système d’information de gestion
performant, comprennant un manuel de procédures complet, un système comptable et un
système de contrôle efficaces. L’informatisation des opérations, en sus de faciliter leur
exécution, permet également de mieux procéder à leur contrôle. Nous recommanderons aussi
le renforcement du professionalisme du personnel et la formation des élus 53, la réduction des
impayés par une bonne politique du crédit favorisée par l’étude sérieuse des dossiers, la
constitution des amortisseurs systémiques54, le suivi efficace des recouvrements contentieux.
L’observation des ratios édictés par la COBAC permet d’assurer l’équilibre entre l’origine des
ressources et leur utilisation afin d’atténuer les risques d’immobilisation. L’annexe 4 liste les
principaux ratios à respecter par les EMF et dont l’objectif affiché est la responsabilisation et
la sécurisation des dépôts des usagers. La bonne gouvernance des EMF permet de mieux se
conformer à la réglementation du secteur grâce à la rationalité qu’elle apporte dans les
relations entre les différents acteurs tout en précisant le rôle des uns et des autres.

b) améliorer la gouvernance des EMF


Nous avons relevé quatre aspects des EMF où la gouvernance a besoin d’être améliorée
pour rendre le secteur plus attrayant. Ils portent sur la nature des relations entre les élus et les
techniciens, le mode d’exercice et de conservation du pouvoir, la qualité de la gestion du
personnel, le type des rapports que les EMF entretiennent entre eux.

1°- la rélation entre les élus et les techniciens.


Il est important d’équilibrer les pouvoirs entre les élus et les techniciens en charge de la
gestion en clarifiant de manière formelle les limites de compétence qui sont généralement
floues dans les documents statutaires. Il s’agit de trouver la juste mésure entre l’immixtion
permanente des élus dans la gestion courante et un trop grand désinterressement vis à vis de

53
Il ne s’agit pas ici d’une formation bancaire stéréotypée mais de l’apprentissage des fondamentaux des
principes du crédit coopératif et des solides notions de comptabilité, même en langue maternelle (Institut de la
Banque Mondiale, 2001).
54
Les amortisseurs systémiques comprennent les mécanismes d’assurance, de caution mutuelle, de fonds de
garantie et des autres garanties matérielles qui permettent d’amoindrir les pertes en cas de crise
107

l’établissement (Institut de la Banque Mondiale et Agence Française de Développement,


2001). Cet équilibrage sera obtenu grâce à un climat de dialogue et de respect mutuel. Les
rôles étant parfaitement définis, le jeu des pouvoirs s’exercera aisément au travers d’un
système d’information de gestion efficace qui facilite la fluidité de la circulation des
décisions, des informations, des comptes-rendus et autres instructions du sommet vers la bas
et vice versa.

2°- le mode d’exercice et de conservation du pouvoir


En l’absence de règles précises limitant les mandats successifs ou en raison de leurs
bonnes prestations, les organes dirigeants de certains EMF sont maintenus indéfiniment en
place. Il se crée ainsi un risque d’obsolescence du pouvoir avec pour corollaire la négligence,
l’émoussement des reflexes de méfiance, le contournement des procédures etc… Le directeur
de ces structures est une sorte de deus ex machina qui délègue très peu de pouvoirs,
centralisant sur lui seul un maximum de tâches, y compris les plus futiles. L’entreprise est à la
merci de sa moindre indisponibilité (maladie, déplacement, congés, décès…). Pour y pallier, il
doit travailler au délà du supportable avec les risques de surménage qui sont encore plus
dangereux pour le système, aucun mécanisme de son remplacement automatique n’étant
prévu.

3°- la gestion des ressources humaines


De nombreux risques découlent de la mauvaise gestion du personnel des EMF dont les
principaux traits sont le bas niveau des salaires, l’absence des contrats de travail en bonne et
due forme, le non règlement des charges sociales, l’absence de plan de carrière qui sont autant
de sources de démotivation et d’incitation aux pratiques frauduleuses. Un manuel de
procédures complet devrait comprendre un volet administratif organisant la gestion du
personnel depuis l’embauche jusqu’à la séparation (retraite, licenciement ou décès) et statuant
sur le plan de carrière, le plan de formation, les mécanismes de motivation et de
sanction….C’est le prix à payer pour la quiétude sociale et une meilleure implication du
personnel.

4°- la coopération entre les EMF


L’exemple du réseau CAMCCUL montre tout l’intérêt qu’ont les EMF à établir une
base solide de collaboration entre eux. Le projet de l’Association Professionnelle doit
impérativement être finalisé pour servir de forum d’échange d’expériences et de défense des
108

intérêts de la profession. Mais les EMF doivent aller plus loin dans leur prise en charge. Il leur
revient de prendre l’initiative de la mise en place d’un système de compensation de leurs
valeurs si les pouvoirs publics traînent à le faire. Les organismes d’aide peuvent efficacement
y contribuer s’ils ont en face d’eux un interlocuteur suffisamment représentatif du secteur
comme pourrait l’être l’Association Professionnelle. C’est cette representativité qui permet
aux réseaux CAMCCUL et MC2 de benéficier de nombreux concours extérieurs qui ne
transitent pas par l’administration, gagnant ainsi en souplesse et en célérité. Quoiqu’il en soit,
les EMF doivent retenir qu’en microfinance comme en tout autre programme économique, les
destinées singulières sont rarement longtemps prospères. C’est ce qui justifie d’ailleurs les
dispositions favorables aux membres des réseaux dans la réglementation CEMAC sur la
microfinance (Mbouombouo Ndam, 2005).

c) mieux cadrer les objectifs opérationnels


Les EMF n’ont pas les moyens de se disperser comme le font la plupart d’entre eux,
cherchant à profiter du moindre créneau sans en avoir mésuré les risques et les coûts. Cette
dispersion comprend aussi bien la démultiplication des activités que l’ouverture intempestive
des agences. La tendance doit pourtant être à la spécialisation spatiale et fonctionnelle,
permettant aux EMF d’être plus efficaces et donc plus rentables dans une sphère mieux
couverte. Les EMF doivent pour ce faire, mettre en place des produits et des services adaptés
à la clientèle cible et développer une stratégie d’approche en fonction de la zone d’activité.
En zone rurale où les reflexes de solidarité sont plus prononcés, la microfinance aura
une approche communautariste, axée sur le développement des capacités personnelles
(leadership, sens d’initiative, appréciation du risque) et collectives (sens de l’intérêt commun,
notion de partage, d’entraide et d’écoute …) et sur le développement des mécanismes des
prêts aux groupes plus qu’aux individus. C’est le lieu où l’intermédiation sociale doit se
combiner parfaitement avec l’intermédiation financière.
En zone urbaine par contre où règne l’individualisme, elle se préoccupera d’avantage de
diversifier les prestations financières comme les octrois de crédits par caisse et par signature,
la domiciliation des marchés, les transferts, la mise à disposition et la gestion des moyens de
paiement pour permettre à sa clientèle de bénéficier des mêmes services que la clientèle des
banques avec qui elle présente beaucoup plus une difference de taille que de type d’activité.
109

d) maitriser la croissance
Beaucoup d’EMF connaissent une période euphorique grâce à l’abondante trésorerie
générée par le parténariat avec un grand opérateur des transferts internationaux rapides.
D’autres recoltent le fruit de leur réputation de sérieux ou de l’absence de concurrence dans
leur zone d’activité, ce qui se traduit par un afflux de clients et de dépôts. Une étude de Cérise
(2002) montre l’importance du risque d’implosion pendant les périodes de "success story". Il
peut s’installer un comportement laxiste en matière de contrôle facilitant les fraudes,
l’inexécution ou l’exécution imparfaite des tâches. Les problèmes de gouvernance sont
négligés et la formation du personnel est délaissée. La vigilance reste un impératif permanent,
s’agissant d’un secteur jeune et encore mal maîtrisé. Les profits générés pendant les périodes
fastes ou dans les activités exceptionnelles doivent servir à améliorer le système
d’information de gestion, à bonifier le capital humain (formation, motivation…) et à conforter
le matelas systémique en vue d’amortir les éventuels chocs futurs.

B- LE ROLE DES DIVERS PARTENAIRES

1- le rôle de l’etat
L’Etat assume déjà son rôle en ayant lancé depuis bientôt 5 ans un programme
d’assainissement et de renforcement des capacités des EMF. Notre propos ici sera de suggérer
les mésures qui devraient empêcher ce programme de sombrer dans le régistre des chantiers
étatiques inachevés.

a) Améliorer la coordination du programme


Il faut en premier lieu éviter l’inflation des structures d’encadrement qui ne peut que
nuire à l’efficacité du programme. On peut s’interroger à ce propos sur la vraie utilité du
Comité National de Microfinance à côté de la Cellule de Suivi des Marchés Financiers et des
Systèmes Financiers Décentralisés d’une part et la Cellule des Sociétés Coopératives et des
Groupes d’Initiative Commune d’autre part, lesquels doublonnent avec le PPMF. Cette
démultiplication de structures reflète l’absence des coordination dans l’action des deux
Ministères de tutelle qui ont chacun une approche différente de l’activité des COOPEC et qui
embarassent les Institutions d’aide tiraillées entre les deux pôles. Il est arrivé que la
détermination du Ministère devant gérer un programme devienne une condition suspensive à
sa mise en place.
110

La solution suggérée par un responsable du MINAGRI est de garder la formule de


cotutelle, mais de renforcer la Cellule de Suivi des Marchés Financiers et des Systèmes
Financiers Décentralisés du MINEFI par des cadres du MINAGRI qui y apporteraient leur
expertise sur les principes coopératifs. Pour notre part, nous proposons de faire abandonner la
forme coopérative par tous les EMF qui font de l’intermédiation financière universelle, à
savoir l’épargne /crédit en faveur des usagers membres et non membres. Beaucoup
contournent la loi en faisant prendre des souscriptions symboliques par les non membres,
préalablement à l’octroi de crédit. Un contrôle strict permettrait de les détecter et de les
contraindre à prendre la forme de société anonyme tel que prévu par le règlement
01/02/CEMAC/UBAC/COBAC dont l’application doit être plus juste et plus rigoureuse 55. Les
établissements qui garderont la forme de COOPEC resteront sous le seul giron du MINAGRI
qui veillera à ce qu’ils fonctionnent strictement suivant les principes coopératifs. Le projet de
création d’un Service de COOPEC au MINAGRI doit être accéléré pour permettre le suivi
spécifique de ce secteur. Le principal avantage de ce partage est de mettre fin au conflit de
tutelle entre les deux Administrations, mais surtout d’aider à débusquer les entreprises
capitalistes qui se réfugient sous la forme coopérative pour échapper à l’impôt.

b) Associer le secteur privé


Les pouvoirs publics et les bailleurs de fonds ne doivent pas hésiter à fare appel à
l’expertise privée pour l’encadrement du secteur de la microfinance. L’initiative privée,
dépouillée des contraintes carriéristes et politiques s’est souvent montrée plus efficace que le
secteur public dans l’accompagnement des actions en faveur des populations ( Mbouombouo
Ndam, 2001). Nous suggerons une formule dans laquelle le PPMF ou une structure
équivalente serait érigé en structure autonome mais supervisée par une entité publique , à
l’image de ce qui se passe entre la société de bourse (société privée) et la Commission des
Marchés Financiers (entité publique). L’Etat pourrait alors garantir des prêts auprès
d’organismes spécialisés en vue de créer sous la responsabilité du PPMF, un fonds de
refinancement des prêts que les EMF accordent à leurs clients. Des cabinets extérieurs
peuvent également être valablement sollicités pour le contrôle et l’appui institutionnel, tel
l’élaboration d’un canévas des états financiers.

55
Il faut par exemple veiller à ce que le dépôt de garantie bancaire soit effectivement constitué en éditant le
modèle d’attestation de blocage de provision comportant un engagement irrévocable de conservation par la
banque pendant toute la durée de vie de l’EMF.
111

c) Clarifier les textes reglémentaires


Un autre effort que les pouvoirs publics devraient faire est celui de lever les ambiguités
sur les textes réglementant la microfinance afin que les limites de leurs compétences soient
claires pour leurs partenaires, notamment les banques commerciales. Celles-ci attendent de
savoir si elles peuvent ou non accepter les endos des chèques pour encaissement en faveur des
EMF.
Nous pensons que les EMF doivent y être habilités, ne fût-ce que pour soulager nombre
de leurs clients incapables d’entretenir un compte bancaire, mais susceptibles de bénéficier de
paiements par chèque. L’EMF escomptera facilement ces chèques, étant sûre de les encaisser
aisément auprès de la banque. Ce problème est heureusement une préoccupation majeure du
MINEFI où on nous a informé de la mise en place d’un atélier « EMF-BEAC-Banque » dans
le cadre des réflexions sur l’amélioration des conditions d’activité de la microfinance. L’un
des thèmes de cet atélier est celui de l’endos des chèques par les EMF, les deux autres étant la
coordination de l’action des bailleurs de fonds et la fiscalité du secteur.

d) diligenter le traitement des dossiers


Les dispositions de l’article 23 autorisant de considérer l’agrément comme acquis après
trois mois de dépôt du dossier ne sont pas respectées par l’administration qui n’hésite pas à
fermer les établissements ayant ouvert dans ces conditions. Et quand bien même elles le
seraient, il n’y aurait qu’un soulagement minime pour les établissements. En effet, la
présomption d’agrément à la place d’une attestation en bonne et due forme les maintient dans
l’anxiété d’un probable rejet et aménuise leurs positions dans les négociations avec les
bailleurs et les autres parténaires. Les autorités sont donc invitées à prendre les mesures
adéquates pour fluidifier la circulation des dossiers et permettre aux établissements de profiter
sereinement du prestige et de l’élargissement de la base opérationnelle afférant à l’obtention
de l’agrément ou au changement de catégorie (Mbouombouo Ndam, 2006).

e) amenager une fiscalité spécifique


Le chantier de la fiscalité est un autre terrain en friche où les établissements seraient
heureux de voir les pouvoirs publics s’investir. Il est paradoxal qu’un système sensé lutter
contre la pauvrété soit victime d’autant d’incohérences en la matière. Quels sont les impôts à
payer ? Quand faut-il les payer ? Quels sont les autres devoirs fiscaux des EMF ? Autant de
questions qui attendent des reponses précises de la part des autorités fiscales. L’analyse de
Tendances (2005) donne quelques éclaircissements en la matière mais sans avoir un caractère
112

officiel. L’analyse reconnaît d’ailleurs l’impérieuse nécessité d’un texte spécifique au secteur
des EMF privilegiant l’activité et non la forme juridique. Ce texte devrait être suffisament
clair et comporter des allègements à la hauteur des bonnes intentions qu’on clame pour le
secteur (Mbouombouo Ndam, 2006).

f) Accelérer les réformes du secteur financier


L’Etat a également le dévoir de favoriser le développement des voies alternatives de
financement de l’économie. L’avènément du marché boursier est un élément de reponse en ce
qui concerne les besoins de financement à long terme. Il reste à souhaiter que les pésanteurs à
son véritable décollage soient levées. Il est impératif par ailleurs d’encourager la
multiplication des sociétés de capital-risque et de crédits à la consommation et de réactiver le
système de financement spécifique des PME et des TPE. L’importance de privilegier ce
secteur est reconnu même par les pays du plus grand libéralisme tels les Etats-Unis qui ont
créé depuis 50 ans la "Small Buisiness Agency" directement rattachée à la Maison Blanche et
spécialisée dans le financement des PME. En France, cette mission est dévolue à la Banque
de Développment des PME (BDPME) co-initiative de l’Etat Français et de la Caisse de Dépôt
et de Consignation. L’Etat allemand entretient un fonds destiné à financer les jeunes
promoteurs. Sime Zadouo (2002) rappelle à ce propos qu’en Afrique, "l’Etat a un rôle régalien
dans l’encadrement et la promotion des PME d’une manière générale et des PME agricoles
plus singulièrement". La réouverture des établissements de financement des PME et de
l’agriculture devrait quant à elle, contribuer à réduire la pression sur les EMF et leur fournir
une nouvelle niche d’activité ( et donc de ressources) par la domiciliation à leurs caisses des
financements de ces organismes en faveur des PME.

g) assouplir les conditions de l’activité de crédit


Le dispositif prudentiel en zone franc est très strict et constitue un des facteurs limitatifs
de l’intermédiation financière et partant, de la collaboration entre la microfinance et la
banque. A titre d’exemple, le taux de reserve spéciale imposée aux banques de la zone franc
est de 15% contre 8% en France. Les banques ne peuvent pas détenir de créances supérieures
à 10% du total de leurs encours sur le même débiteur. Les garanties imposées sont sans égale
mesure avec ce qui se passe en France et rendent impossible l’octroi de certains prêts. Dans
un tel contexte, la banque est réticente à avancer des fonds à la microfinance pour des prêts
qu’elle ne contrôle pas. Ces exagérations se retrouvent dans la battérie des ratios imposés aux
EMF dont le caractère strictement prudentiel traduit le souci des états d’assurer en priorité la
113

disponibilité des dépôts et non l’activité de crédit. Il convient de trouver la juste mesure qui
permette aux deux secteurs de jouer à fonds leur rôle d’instruments de financement de
l’économie et non de simples coffres-forts.

h) Organiser l’enseignement de la microfinance


L’enseignement de la microfinance devrait être inseré dans le programme des filiéres
scolaires consacrées aux finances. Les étudiants pourront ainsi acquerrir des connaissances
théoriques sur cette activité qu’on ne peut plus se contenter de découvrir sur le terrain et d’en
réinventer les procédures en fonction des circonstances et des établissements. La lisibilité de
la microfinance et par conséquent sa fiabilité seraient renforcées par une harmonisation de sa
pratique dont le canevas serait tracé par l’école. Le contenu de cet enseignement pourrait
largement s’inspirer du programme du CAPAF dont de nombreux modules correspondent déjà
aux besoins exprimés par les établissements. Une meilleure prise en compte des spécificités
locales devrait permettre d’aboutir à plus d’efficacité du programme56.

2- Le rôle de la Banque Centrale et de la COBAC


La Banque Centrale, en sa qualité de structure centrale de l’activité financière et
monétaire en zone CEMAC doit œuvrer à la facilitation des relations des EMF entre eux et
avec les banques commerciales. A ce titre, elle doit permettre aux EMF d’accéder au système
de refinancement des crédits et au marché monétaire, ce qui contribuerait à améliorer
l’équilibre de leur trésorerie. Elle doit également créer un cadre réglementaire des relations
entre le secteur bancaire et celui de la microfinance en vue de faciliter les échanges de
valeurs et les transferts entre autres.
Il serait également judicieux de mettre en place pour le secteur (comme c’est déjà le cas
pour les banques), une centrale de risques permettant de recenser les clients indélicats. Cela
réduirait la pratique courante de nombreux usagers qui laissent des ardoises dans plusieurs
établissements. La mise en place d’un plan comptable sectoriel tenant compte des spécificités
de l’activité de microfinance et donnant un canévas de confection des états financiers est
attendue avec la même impatience. Les établissements y trouveraient un guide précieux pour

56
Contrairement à l’Afrique de l’ouest, la plupart des EMF de la zone CEMAC sont des quasi banques de par
la nature de leurs opérations, ce qui justifie la forte demande de formation en techniques bancaires effectives
telles les techniques de collecte de dépôt et d’octroi des crédits, les techniques de recouvrement ou la gestion
des instruments de paiement.
114

la tenue de leur comptabilité et la lisibilité du secteur en serait améliorée grâce à la facilité de


confection des états consolidés.
La COBAC, en sa qualité de gendarme de l’activité monétaire doit renforcer le système
de supervision et de contrôle dont l’effectivité et la régularité ne peuvent que rassurer les
usagers et les partenaires du secteur de la microfinance.

3- Le rôle des organismes d’aide au developpement


Ledgerwood (1999) a mis en évidence quelques attentes des EMF envers les
organismes d’aide et d’appui au développement. Selon elle, les bailleurs doivent renforcer les
capacités des institutions et non leur donner des subventions. Cet appui se décline en
formations, équipement, aide à l’organisation, évaluation, suivi-conseils etc… Les aides
financières ne doivent en effet venir que si la capacité de leur saine absorbtion a été créée.
C’est ici le lieu de louer l’action du CAPAF qui assure le relais du programme du CGAP en
Afrique francophone en vue de renforcer les capacités des prestataires privés de services de
formation et d’assistance en faveur de la microfinance. (voir Encadré 10 : Le CGAP et le
CAPAF). On regrettera toutefois que ce programme soit surtout conçu pour les EMF du type
banque de projet et les caisses rurales alors que le paysage des EMF au Cameroun est de plus
en plus dominé par les micro-banques exprimant un besoin en formation bancaire classique
(voir note 55 ci-dessus). La non disponibilité de la version anglaise de leur programme
marginalise les EMF de la partie anglophone du Cameroun qui a pourtant le mérite d’avoir
hébergé les premiers établissements et qui represente une part considérable du marché.
Les bailleurs doivent également continuer d’influencer la reforme du secteur en
soutenant le gouvernement dans ses efforts de renforcement des organes d’appui, de
supervision et de contrôle, tout en veillant à ce que le cadre réglementaire ne soit pas trop
contraignant. L’appui au gouvernement dans l’amélioration de l’environnement physique et
humain de la microfinance par le renforcement des infrastructures rurales, des services de
santé et l’éducation des populations est un autre impératif. Il faudrait ensuite que les bailleurs
harmonisent leurs politiques pour éviter les interférences susceptibles de neutraliser les effets
recherchés. Ekotto (2005) relève à ce propos que l’absence de coordination entre les differents
donateurs peut aboutir à des conditions et des injonctions contradictoires, voire conflictuelles,
de même que les méthodes d’un bailleur peuvent s’opposer à celles d’un autre. On imagine
facilement le dilemme des établissements, contraints à des révisions permanentes de leurs
procédures ou au reniement de leur mission pour bénéficier des aides. Une solution pourrait
être la segmentation géographique et fonctionnelle du marché. Quoiqu’il en soit, le Comité
115

National de Microfinance est interpellé pour servir de centre de cordination des aides et de
concertation entre les bailleurs. La nécessité de la coordination de l’action des donateurs est
relevée par le Cook et Latortue (2005) qui déplorent le déficit de communication entre les
agences et préconisent la création d’un centre de liaison mondiale de microfinance
La diffusion des expériences positives observées ailleurs permettrait de créer des
cercles vertueux de réussite. Ceci peut se faire à travers l’appui à l’organisation des forums
locaux ou l’organisation des voyages de formation profitant aux personnels des EMF et non
aux fonctionnaires comme c’est souvent le cas.
D’autres actions peuvent être favorablement envisagées tels que la mise en place des
centres de formation sur la microfinance ou l’appui à l’accès aux capitaux d’origine
commerciale comme les financements bancaires, les marchés financiers et les organismes
spécialisés.
Une question sur laquelle il est urgent de trancher est de savoir si les organismes d’aide
doivent continuer à mettre en place des projets de microcrédit ou s’ils doivent se limiter à
appuyer les initiatives locales. Les organismes d’aide reprochent à ces initiaves leur
motivation purement capitaliste dans laquelle la recherche du profit annihile les
considérations sociales. On reconnaitra effectivement aux EMF lancés par les bailleurs et les
ONG l’avantage de respecter la vocation essentiellement sociale de la microfinance. Les
profits sont recherchés surtout pour la couverture des charges de fonctionnement et
l’autonomisation du projet. Il n’est pas rare que des subventions continuent à être octroyées
au projet en cours d’exécution, assurant l’équilibre de la trésorerie. Les taux d’interêt sont par
conséquent bas et parfois en dessous du taux du marché. Ces projets font preuve de beaucoup
plus de souplesse que les micro banques lancées par les nationaux en ce qui concerne la
sélection de la clientèle, le formalisme et la célérité de traitement des dossiers ou l’exigence
des garanties. L’équité de traitement de la clientèle et une meilleure motivation du personnel
(salaires, prestations sociales, formation etc…) sont autant d’élements qui militent en faveur
de l’exercice de la microfinance par les apporteurs de capitaux eux-mêmes. Malgré tout, il
semblerait à de nombreux égards plus judicieux que ces organismes se limitent à l’appui des
initiatives locales qui s’intègrent mieux au contexte socio-culturel et repondent plus
efficacement au besoin de financiarisation de toutes les couches de la société. Cela s’entend
l’accès au crédit certes, mais aussi la pratique régulière de l’épargne, l’accès aux services
accessoires d’argent (transferts, change, assurances …), toutes choses que ne font pas les
ONG. Guérin et Roesch (2005) confirment que "l’assurance et l’épargne sont préférées par les
pauvres quand on leur laisse le choix", l’enjeu étant de "pallier l’absence de protection sociale
116

qui prévaut dans nombre de pays du Sud". Les projets de microfinance initiés par les
bailleurs ont une propension exagérée à privilégier les femmes dans l’octroi des
finanacements. Poussée à l’extrême, cette tendance peut participer à compromettre les
équilibres dans la société et dans les ménages en inversant trop brutalement les rôles. La
minoration de la part de l’informel dans les activités économiques est un important défi de la
microfinance qui ne peut le relever qu’en proposant aux basses couches de la société les
mêmes services financiers dont bénéficie la haute sphère auprès des banques et autres
établissements spécialisés. Telle est la principale préoccupation des micro banques des
nationaux qui méritent d’être soutenus dans cet effort. Nous avons également démontré (et de
nombreuses études le confirment) que la recherche du profit est un puissant facteur de
pérennisation des programmes de microfinance. On ne saurait donc condamner les
établissements qui ambitionnent de faire des profits, pourvu que, ce faisant, ils aident
effectivement les pauvres. Par ailleurs, l’octroi facile et peu coûteux des crédits par les ONG
inhibe l’effort de bon management des projets financés et favorise les comportements de
"tournage" (utilisation du crédit de l’ONG pour la pratique de l’usure). Dans tous les cas, cette
aumône déguisée est un facteur d’accroissement des impayés dans les EMF des nationaux. En
effet, les usagers ont l’occasion de faire la comparaison des taux d’intérêt et deviennent
réticents au remboursement des crédits précedement obtenus de ces EMF qu’ils trouvent
dorénavant trop chers. La différence des objectifs et des côuts d’obtention des fonds justifie
pourtant cette différence ( voir encadré 4 : Pourquoi les taux d’interêt des EMF sont si élévés).
Il est dès lors difficile de se prononcer sur la rentabilité de la microfinance, ce qui contribue à
en éloigner les banques commerciales. Un autre reproche à l’endroit des banques de projet
tient au mode d’évaluation de leur impact dont les critères rationnels devraient permettre de
décider de l’opportunité de la continuation du programme. Au lieu de cela, les projets
s’évaluent sur des bases quantitatives en termes de nombre ou de montant de crédits accordés,
sans se soucier des éventuels effets néfastes sur l’environnement, la cohésion sociale, la
formation de l’épargne ou l’équilibre entre cultures vivrières et cultures de rente. Il ne s’agit
pour autant pas d’arroser les EMF des nationaux avec les fonds des ONG, mais de les utiliser
pour renforcer leurs capacités et mettre en place une ligne de refinancement accessible selon
des critères de performance qui seront une stimulation à l’effort. La reduction des charges
(frais de formation, petit équipement…) et du coût d’accés au financement qui en découleront
contribueront certainement à faire baisser les taux d’interêt dans les micro banques des
nationaux.
117

D-LE ROLE DES USAGERS


Comment éviter que les couches pauvres de la population, principaux bénéficiaires de
la microfinance n’en deviennent aussi les fossoyeurs ? La question ne manque pas d’interêt
au régard de l’importance des impayés dans les crédits accordés par les EMF initiés par les
nationaux. Profitant de l’inexistence d’une centrale de risques et de tout système d’échange
d’informations entre les EMF, de nombreux usagers s’endettent simultanément auprès de
plusieurs établissements pour le même objet et ont du mal par la suite à honorer les
remboursements. D’autres usagers, déjà bénéficiaires de crédits bancaires n’hésitent pas à
recourir aux EMF pour faire face aux échéances bancaires dont ils redoutent l’action
contentieuse plus que celle des EMF peu outillés en la matière. Nous avons par ailleurs
démontré ci-haut que la pratique directe de la microfinance par les bailleurs de fonds ou par
les ONG est un facteur d’accroissement des impayés dans les EMF des nationaux.
L’obtention d’un crédit auprès des EMF ne réussit pas à vaincre le reflexe de thésaurisation
chez de nombreux usagers qui ne versent que le strict nécessaire au remboursement du crédit,
le reste de leurs revenus continuant à échapper au circuit formel. Le souvenir de la crise
bancaire et de la défaillance de certains établissements de microfinance accentue cette
pratique qui ne facilite pas la reconstitution des fonds de l’EMF et limite sa capacité
d’intervention.
Il serait cependant illusoire de penser que les usagers de la microfinance vont
s’astreindre à la discipline financière sous le simple effet des injonctions et autres rappels à
l’ordre. L’action des organismes d’aide au développement et de l’Etat sous forme de
renforcement des infrastructures mentales (information, éducation) reste décisive pour y
arriver. On appréciera à ce propos l’initiative de certains bailleurs de fonds qui ont inséré
dans leurs objectifs l’assimilation d’une logique de crédit remboursable par les entreprises
bénéficiaires. C’est le cas de l’AFD avec le projet ACEP qui valorise d’ailleurs l’épargne
dans sa deuxième phase en en faisant une condition obligatoire d’obtention de tout prêt.
(Voir encadré 11 : le projet ACEP-Cameroun).
118

Encadré 11: Le CGAP et le CAPAF


L e " Consultative Group to Assist the Poorest " (CGAP) est créé sous l’instigation de la
Banque Mondiale suite à un accord entre les grands bailleurs de fonds lors d’une conférence sur la
faim en 1993. Le CGAP qui compte 26 membres aujourd’hui a pour objectif de renforcer la
coordination entre les bailleurs de fonds en matière de microfinance, d’assainir l’environnement et
de promouvoir les meilleures pratiques auprès des responsables politiques et des opérateurs des
institutions de microfinance. C’est ainsi qu’il a mis au point un système d’information de gestion
modulable en fonction de la taille et des objectifs de chaque institution de microfinance (IMF). Le
fonds central du CGAP est alimenté par la Banque Mondiale et les bailleurs de fonds à hauteur de
30 milliards de dollars US.
Le Programme de Renforcement des Capacités en Microfinance pour l’Afrique Francophone
(CAPAF) est une initiative conjointe du CGAP et du ministère français des affaires étrangères
lancée en janvier 2000 pour une durée initiale de 4 ans. Son objectif est le renforcement des
capacités des prestataires privés nationaux des services de formation et d’assistance technique aux
IMF à travers :
- l’identification et le renforcement des formateurs nationaux par le biais des sessions de
formation de formateurs
- la coordination des formations dispensées par les partenaires nationaux
- la coordination de l’assistance technique apportée aux IMF par les divers acteurs locaux
- la collecte et la diffusion de l’information sur les meilleures pratiques internationales et
locales.
Source: Ledgerwood (1999) et site CAPAF (http:www.capaf.org/index_activ.html.)
119
120

Encadré 12 : Le projet ACEP- Cameroun


L’Agence de Crédit pour l’Entreprise Privée du Cameroun (ACEP- Cameroun) est un
projet conçu par le gouvernement camerounais en vue du financement des très petites
entreprises urbaines. Les activités démarrent en 1999 avec l’appui financier de l’Agence
Française pour le Développement (AFD) à hauteur de 1,6 milliard FCFA et de l’Union
Européenne à hauteur de 600 millions FCFA. Le projet est localisé dans les villes de Douala et
Yaoundé et il est prévu dans sa deuxième phase de l’étendre aux autres centres urbains. Les
prêts sont accordés avec des formalités réduites à des secteurs d’activités variées, n’ayant pas
accès aux banques : vendeurs de beignets, revendeurs de vivres (bayam salam), menuisiers,
tailleurs, transporteurs, cordonniers, artisans etc… le leitmotiv étant d’inculquer aux usagers la
notion de prêt remboursable. Les ingrédients mis en place à cet effet sont :
- le développement des relations de proximité avec les usagers à travers la multiplication
des bureaux dans les villes couvertes et les fréquentes visites aux affaires financées, surtout en
cas d’impayé
- une sévère sélectivité dans le choix des affaires à financer, caractérisée par sa
restriction aux affaires ayant une existence physique réelle et une ancienneté prouvée d’au
moins un an. La production d’un avaliste est obligatoire.
- une politique d’incrémentation des prêts (accroissement du montant des crédits en
récompense de la régularité de remboursement des crédits précédents).
Le taux d’intérêt de 16,33% l’an est aisément accepté par la clientèle et à la fin de la
première phase (30 août 2005), le projet a accordé un total de 12,3 milliards de prêts pour
12 820 dossiers repartis entre 33% de femmes et 67% d’hommes avec un taux d’impayés
inférieur à 5%.
La deuxième phase qui a commencé en septembre 2005 consacre la transformation du
projet en société anonyme contrôlée par une banque commerciale (la BICEC) qui assurait déjà
le service de caisse dans la première phase. Elle détient 35 % du capital, des investisseurs
privés se partageant le reste. Le plan de route de cette phase prévoit l’extension du programme
aux autres villes grâce à l’ouverture d’une agence ACEP à côté de chaque agence BICEC qui en
compte 27 actuellement reparties dans 21 villes. Il est également question de développer le
réflexe de l’épargne chez les usagers en assortissant dorénavant chaque prêt d’une épargne
obligatoire sous forme de dépôt de garantie rémunéré.
Source : ACEP –Cameroun
121

Il apparaît en définitive que les efforts à déployer pour rendre la microfinance plus rassurante
et améliorer ses rélations avec la banque est un vaste programme qui ne peut aboutir qu’avec
la participation de toutes les parties prenantes de l’intermédiation financière, même si l’état y
a logiquement une bonne part. Nombre d’actions déjà ménées sont hautement positives et on
ne saurait éluder la bonification de l’image de la microfinance qui en a résulté au cours des
dernières années. Mais il est impératif de continuer les reformes dans des meilleures
conditions de coordination des énergies afin que la croissance du secteur le soit non seulement
en quantité mais aussi en qualité. Car en fait, pour être performante, les économies de la
CEMAC ont un impérieux besoin d’un système d’intermédiation financière qui prenne en
compte toutes les catégories de la population. Nous avons en effet démontré que le secteur
bancaire, restructuré au prix de lourds sacrifices financiers, politiques et humains a, pour des
raisons essentiellement sécuritaires, restreint sa zone d’intervention aux seules sphères
supérieures de l’économie malgré la trésorérie pléthorique qu’elle génère dorénavant. Son
implication est par ailleurs très faible dans la régulation des transactions sociales. Il est à
craindre que ce manque d’ambition ne mette davantage la zone CEMAC à la traîne du
phénomène de mondialisation dans lequel le système financier joue un rôle de premier ordre.
Une nouvelle restructuration bancaire apparaît comme un impératif et une urgence pour
mettre les objectifs de la banque au diapason des besoins de la société.
Le secteur de la microfinance dispose de nombreux atouts pour permettre de parer aux
carences de l’intermédiation bancaire. Le plus important est sans contexte la proximité entre
les fondements de cette formule financière et les caractérisiques des besoins de la plus grande
partie de la population qui appartient à la classe des pauvres. L’ingéniosité des employés du
secteur de la microfinance, anciens employés de banque pour la plupart, est renforcée par le
soutien des pouvoirs publics et des bailleurs de fonds qui veulent en faire l’instrument
privilégié de la lutte contre la pauvrété. Mais les résultats restent très largement en dessous
des attentes à cause des nombreuses faiblesses structurelles dont souffre ce secteur. Cette
inefficience des deux composantes du système officiel d’intermédiation financière de la
CEMAC est aggravée par la qualité de leurs relations. Au lieu de la logique de
complementarité qui devrait sous-tendre leur action et conferer plus d’efficacité à leur
mission, elles développent plutôt un mécanisme d’exclusion mutuelle qui se nourrit de
plusieurs justifications. La plus couramment avancée est la faible capacité humaine, technique
et matérielle du secteur de la microfinance qui provoque la méfiance du secteur bancaire,
d’où l’absolue nécessité d’améliorer la lisibilité de la microfinance et de faciliter la
convergence entre elle et la banque. L’action concertée de tous les acteurs devrait permettre à
122

cette formule financière d’exprimer la pleine mésure de son potentiel et de completer l’action
des banques dans les sphères où celle-ci est absente.
123

CONCLUSION GENERALE
L’objectif de cette étude était de déterminer lequel des secteurs de la microfinance ou
de la banque est le mode d’intermédiation financière idoine pour les économies de la
CEMAC. Au terme de nos analyses, il s’avère indispensable d’aller au-delà de ce simple
problème de choix entre deux activités complémentaires par vocation pour nous préoccuper
de l’ensemble du système financier de cette zone. En effet, quel que soit l’option choisie, le
mécanisme d’intermédiation financière ne sera efficace que dans le cadre d’un environnement
financier sain et compétitif. Ceci est un impératif pour la mobilisation massive de l’épargne
intérieure dans les PVD et par conséquent pour la réduction de leur dépendance par rapport
aux financements extérieurs. Ces considérations confèrent à notre conclusion la double
responsabilité de prendre clairement position sur l’opportunité de coexistence des deux
activités dans la zone CEMAC et d’aviver l’attention sur la nécessité d’accélération des
reformes du système financier.

a) Banque ou EMF en zone CEMAC : un faux débat


L’analyse des prestations des établissements bancaires dans la zone CEMAC depuis la
reforme a conforté notre scepticisme quant au succès de cette opération. La restructuration a
essentiellement visé l’amélioration des mécanismes de recouvrement des créances, la
rentabilité et la liquidité de l’activité bancaire. Le renforcement de la réglementation et de la
surveillance a permis de ramener la confiance des usagers à l’endroit des établissements
bancaires et le marché s’est élargi avec l’ouverture de nouveaux établissements étrangers et
nationaux. Mais la fonction d’intermédiation financière a pâti du durcissement des conditions
de crédit et de la mauvaise expansion financière 57 (Mathis, 1992 et Lenoir, 1997). La
restriction de la concurrence provoquée par la segmentation du marché entre banques
étrangères et banques nationales, entre grandes entreprises et petites et moyennes entreprises
contribuent à plomber l’action des banques. Le financement des investissements, les crédits
aux PME et au secteur rural sont les principales victimes de ce dérèglement.
Si les banques justifient à juste titre leur frilosité par le souvenir de la crise et par la
mauvaise lisibilité des entreprises locales notamment les PME, il n’en reste pas moins vrai
que le système productif ne peut que se gripper en l’absence de financements réguliers et
appropriés. La situation est d’autant plus cruciale que le financement par les marchés ne
s’annonce pas sous les meilleurs auspices avec les errements des bourses de valeurs
régionales en gestation prolongée. Une réflexion est nécessaire pour réconcilier les objectifs
57
Les dépôts à court terme croissent beaucoup plus vite que les dépôts à long terme
124

de la banque avec les besoins et les capacités de la société. Il y va de la survie de l’économie


mais aussi de celle des banques qui ne peuvent durablement fonctionner en divorce avec la
majorité de la population.
La microfinance peut contribuer à atténuer les critiques qui s’adressent à la banque en
étant la courroie de transmission entre sa trésorerie pléthorique et les usagers du secteur
informel et les PME. Ce faisant, la microfinance apparaît comme l’instrument adéquat pour
résorber la fracture sociale qui caractérise les économies sous-développées. Cette formule
financière est peut-être une solution de survie et non une solution de développement comme
ne manquent pas de le répéter ses nombreux détracteurs, et qui pour cette raison, pensent
qu’elle ne mérite pas qu’on s’en préoccupe outre mesure. Leur conviction est renforcée par les
nombreuses insuffisances structurelles que présente la microfinance. Mais à qui s’adresse ce
développement si ce n’est à ces millions de pauvres qu’il faut nourrir, soigner et éduquer
avant de les " développer " ? Peut-on parler de développement si la majorité de la population
est exclue du circuit économique officiel et avec elle une bonne partie de l’épargne nationale ?
Cette inquiétude nous ramène au problème du dualisme économico-financier des PVD
où un secteur formel faible en nombre, mais contrôlant l’essentiel des richesses cohabite sans
collaborer avec un secteur informel surpeuplé. Ici encore, la microfinance peut jouer un rôle
décisif, en étant outillée pour servir de tampon entre le secteur formel et le secteur informel.
En réalité, "la microfinance doit être considérée comme un moyen prometteur d’articulation
et d’intégration des deux secteurs de par son rôle d’offre de services financiers à la petite
clientèle et de par sa ressemblance aux mécanismes informels de solidarité" (Germidis, 1991).
A ce titre, elle peut permettre de mieux quadriller les couches non structurées de la population
en matière de mobilisation de l’épargne intérieure. L’émulation en faveur des groupes de
tontine est la meilleure preuve de l’existence de cette épargne (Gasse Helio, 2003) qui ne sert
malheureusement pas au développement, les tontines prêtant essentiellement à court terme
(Gautrand, 1987). La microfinance, grâce à ses excellentes relations avec la tontine a le devoir
et la capacité d’amener cette épargne vers le secteur formel. L’intermédiation sociale
pratiquée par les EMF est un excellent moyen de sortir l’économie rurale du maquis de
l’informel et de faciliter ses relations avec le secteur formel lorsque par exemple ils assistent
les micro entrepreneurs dans les démarches administratives ou lorsqu’ils les branchent sur les
circuits commerciaux formels.
De fait, l’activité bancaire se caractérise par sa résistance aux innovations qui l’empêche
de s’adapter aux changements conjoncturels tels la crise, l’inflation ou la prospérité. Par
contre, la microfinance, obligée de se battre quotidiennement pour sa survie fait preuve d’une
125

grande créativité qui lui permet de proposer des solutions à la carte à toutes les couches de la
population. Elle participe de cette manière aux politiques directes de réduction de la pauvreté,
à propos desquelles Brasseul (1989) souligne qu’elles sont favorables à la croissance en
augmentant la productivité (effet de « trickle-up » ou réaction vers le haut). Pour toutes ces
raisons, la microfinance ne peut pas être considérée comme un simple appoint à l’activité
bancaire mais plutôt comme un maillon essentiel de l’édifice financier des pays de la
CEMAC. A contrario, elle ne peut prétendre se substituer totalement à la banque commerciale
qui a seule la capacité, la technicité et le rayonnement nécessaires pour certaines opérations
d’envergure ou spécialisées.
Au total, la banque et la microfinance sont toutes deux nécessaires et indispensables au
bon déroulement de l’activité économique dans la zone CEMAC. Toutefois, elles ne pourront
jouer efficacement leur rôle d’intermédiaires financiers, déclencheurs et accompagnateurs du
développement que dans le cadre d’une étroite intégration des objectifs et des moyens.
Cependant, la conflictualité de leurs relations est une sérieuse entrave à l’accomplissement de
leur mission comme notre analyse vient de le démontrer. La précarité de la microfinance, en la
rendant répulsive à la banque est la principale cause de cette opposition. Mais il y a lieu de se
rassurer quant à une normalisation future des rapports entre les deux activités lorsqu’on
observe l’importance accordée par toutes les banques commerciales aux EMF de grande
envergure. Ceci témoigne d’un mouvement de convergence lent et irrégulier sans doute, mais
inexorable et irréversible entre les deux secteurs. Il y a là la preuve de la sensibilité des
banques aux efforts de performance des EMF et par conséquent une invite à cet effort. Les
pouvoirs publics et les bailleurs de fonds sont interpellés pour favoriser l’accélération du
mouvement en aidant la microfinance à mieux se structurer afin d’être plus rassurante pour la
banque. C’est ici le lieu d’inviter la coopération monétaire de la CEMAC à faire preuve de la
même rigueur qui l’a distinguée lors de la restructuration bancaire et qui a abouti à la mise en
place d’un mécanisme efficace de surveillance et de régulation de l’activité bancaire
matérialisée par la COBAC. Cette coopération monétaire doit se faire ressentir dans
l’encadrement de la microfinance dont une croissance désordonnée ne peut qu’être porteuse
de risque pour l’ensemble du système financier de la zone. On déplorera à ce titre l’énorme
retard dans la mise en place des mécanismes d’encadrement du secteur dans les autres pays
de la CEMAC et les imperfections observées au Cameroun.
Quoiqu’il en soit, l’engagement des deux acteurs clé de l’intermédiation financière
officielle en faveur de la synergie de leurs actions reste déterminant, voire obligatoire. La
banque parce qu’elle a ainsi une occasion exceptionnelle de se mettre véritablement au service
126

du système productif local, la microfinance parce qu’elle n’a pas le droit de décevoir les
espoirs qu’elle a suscités en matière de lutte contre la pauvreté et parce qu’elle doit
rentabiliser tous les investissements financiers et institutionnels dont elle fait l’objet à ce titre.

b) Banque et microfinance dans un environnement financier compétitif


La réconciliation entre la banque et la microfinance étant ainsi acquise, il restera à
parachever l’assainissement de l’environnement du système d’intermédiation financière. En
d’autres termes, le mécanisme de collecte des ressources et de distribution des crédits ne
pourra atteindre sa plénitude que dans un système financier qui a résolu toutes ses
contradictions.
A ce propos, l’insuffisance des établissements de crédit-bail et des sociétés de capital-
risque, la fermeture sans solution de substitution des structures de financement spécifique de
l’agriculture sont autant de vides criards qu’il faut combler pour permettre aux économies de
la CEMAC de mieux profiter de leurs atouts. On n’insistera jamais assez sur la nécessité
d’accompagner l’action des banques et des COOPEC par celle des structures de financement
des PME, comme c’est déjà le cas pour les pays de la CEDEAO toujours en avance sur la
CEMAC en matière d’innovations financières58.
Les Etats doivent impérativement éviter d’écorner la confiance restaurée des populations
envers le système financier par des situations du genre de l’actuelle crise de paiement de la
Caisse d’Epargne Postale Camerounaise à laquelle il convient de trouver rapidement une
véritable solution au lieu des palliatifs adoptés jusqu’à présent. Nous recommandons
d’ailleurs très vivement la professionnalisation des structures financières postales qui
devraient évoluer vers l’intermédiation financière complète si elles veulent rester
compétitives59.
S’agissant de l’intégration régionale, la recommandation de Njiendeu (1989) de créer
dans les banques des départements s’occupant exclusivement du financement des échanges
intra-communautaires semble difficilement réalisable dans le contexte actuel. En effet, l’Etat
devenu minoritaire dans l’actionnariat des banques ne peut plus intervenir dans leur
structuration qui s’organise uniquement en fonction de leurs intérêts. La réussite de
58
Le Fonds de Garantie Interbancaire (Fonds GARI) est créé depuis décembre 1994 pour faciliter l’accès des
PME de la CEDEAO aux prêts à long et moyen terme. Il s’agit d’un organisme à vocation sous-régionale avec
un capital initial de 8,6 milliards de FCFA (porté à 12,9 en 1998) détenu par les Etats, les banques et les
bailleurs de fonds (Mancolan, 1998).
59
C’est déjà le cas dans la plupart des grandes économies dont les services financiers postaux s’investissent
dans les deux axes de l’intermédiation financière, à savoir l’épargne et le crédit.
127

l’intégration des pays de la CEMAC ne faisant pas partie des priorités d’un secteur contrôlé
par les banques à dominance étrangère, il revient aux Etats d’explorer avec soin les autres
pistes pouvant favoriser leur rapprochement. A ce titre, la BEAC devrait jouer à fond son rôle
de structure de compensation régionale et un appui spécial devrait être accordé aux EMF qui
s’investissent dans l’accompagnement de la commercialisation des produits agricoles entre les
pays de la zone.
Enfin, les Etats de la CEMAC doivent répondre au défi de la modernité en levant les
blocages qui empêchent le démarrage effectif de leurs marchés financiers. Ils doivent en
même temps avoir conscience de ce que l’espace économique de la CEMAC est trop étroit
pour le fonctionnement de deux bourses de valeurs mobilières concurrentes (Mbouombouo
Ndam, 2003). Seule une satellisation de l’une par l’autre permettrait un fonctionnement
efficace en faveur de l’économie de toute la zone. L’intermédiation directe par la banque et la
microfinance serait alors complétée par l’intermédiation indirecte 60 du marché financier
beaucoup plus outillée pour le développement.
A terme, les pays de la CEMAC doivent résoudre le problème du choix contraint
résultant de l’appartenance à la zone euro ( Pelletier, 1999) et se déterminer clairement par
rapport au maintien ou à la rupture des liens entre les deux monnaies. Nous avons vu que la
répression financière externe tenant à la politique monétaire sous contrainte extérieure
(Tchuidjang Pouemi, 1980) était une des causes de la déconfiture des banques. Dongmo
Tsakem (2003) rappelle les enjeux de l’une ou l’autre position. Il y a d’un côté, l’illusion
d’appartenir à une zone monétaire forte dont on partage toutes les contraintes sans profiter de
tous les avantages. Ici, le parapluie de la métropole qui amortit les fluctuations du cours de la
monnaie a pour corollaire la cession de la politique monétaire et en définitive de la politique
économique (Tchuidjang Pouemi, 1980). De l’autre côté, il y a la satisfaction d’orienter soi-
même sa politique monétaire et d’intégrer les données mondiales en fonction de ses propres
convenances. Mais il ne faut pas dans ce cas perdre de vue les incertitudes qu’engendrerait la
rupture des liens, les risques monétaires s’ajoutant dorénavant aux autres risques de l’activité
économique déjà très nombreux dans les PED. Les errements du naira nigérian, du cédi
ghanéen ou du zaïre congolais militent en faveur des conservateurs. Mais faudrait-il pour
autant rester des éternels "mineurs monétaires" ? Ces exemples ne devraient-ils pas plutôt

60
De nombreux auteurs préfèrent le terme de " désintermédiation" pour caractériser l’absence d’intermédiaire
entre les investisseurs ou épargnants et les entreprises. On peut contester cette position puisqu’à aucun moment,
les épargnants ne rencontrent les entreprises, les transactions s’effectuant obligatoirement par le biais des PSI.
128

contraindre les pays de la CEMAC à accompagner leur émancipation par plus de pugnacité
dans le management de leurs économies ?
129

BIBLIOGRAPHIE

Amissah Quainoo A. (1999): Financial services for women entrepreneurs in the informal
sector of Ghana. Studies in rural and microfinance, N°8 June.
Assiga Ateba E. (2002): système d’intermédiation dualiste: comportement des agents, marché
du crédit et asymétries d’information. Intermédiation financière et financement du
développement en Afrique, PUY, Yaoundé.
Avom D. et Gbetnkom D. (2003) : La surveillance multilatérale des politiques budgétaires
dans la zone CEMAC: bilan et perspectives. Monde en Développement, N°123, Tome 31.
Banque de France (2003) : la microfinance dans la zone CEMAC. Rapport zone Franc 2003
Banque Mondiale (1998): The determinant of banking crisis in developing and developed
countries. Staff papers (World Bank) vol 45 N° 1, march.
Barlet K. (2003) : Les banques commerciales en microfinance. Bim n° 25 novembre 2003
Bekolo Ebe B., Bayemi O. et Bikoue M. (2002): Corruption et crise de l’intermédiation
financière au Cameroun. Une analyse par la théorie des contrats et de l’agence.
Intermédiation financière et financement du développement en Afrique, PUY, Yaoundé.
Biales (C. et M.), Leurion R., Rivaud J. L. (1999) : Dictionnaire d’économie et des faits
économiques contemporains. FOUCHER, Paris.
BIM (2003) N° 25 novembre
Brasseul J. (1989) : Introduction à l’économie du développement. Armand Collins, Paris.
Caprio G., Hunter W. C., Kaufman G., Lepziger S. (1998): Preventing Bank crises: Lessons
from recent global failures, The World Bank, Washington D.C.
Carmichael J., Ponerleano M. (2002): Non Bank financial Institutions. The World Bank,
Washington D.C.
Collier P., (Eds, 1990): Financial Systems and development in Africa, collected papers from an
EDI policy seminar held in Nairobi- Kenya from January 29 to February 1.
Cook T. et Latortue A. (2005) : atteindre les ODM : Une vision concrète du défi d’une aide
plus efficace (et non simplement plus conséquente).Microfinance Matters, N°16 septembre.
Dang E (2006) : Les échos de la DSX : faillite. Mutations n° 1568 du 11 janvier 2006
Dipal Chandra B (1998). Sustainable Micro-credit Program to Serve Very Poor People: The
Experience of Grameen Bank, Bangladesh, communication présentée lors d’un séminaire
organise par Direito ao Credito a Lisbonne, Portugal, du 28 septembre au 02 Octobre 1998
Djondo G. (1997): La banque au service de la régionalisation. Jeune Afrique Hors série.
Dongmo Tsakem E. (2003) : Faut-il tuer le franc CFA ? Le forum de L’IRIC n° 001 avril.
Ekotto J (2005) l’ANENCAM tarde à prendre ses marques. Tendances n°003 juillet
Email Capaf: http : wwwcapaf.org/index_activ.html
Essomba Ambassa C. et Um-Ngouem T. (2002) : Comportement d’intermédiation bancaire et
financement des PME Camerounaises. Intermédiation financière et financement du
développement en Afrique, PUY, Yaoundé.
130

Essomba Ambassa T. (1990) : Comportement financier et stratégie de financement à long


terme des PME Camerounaises, Thèse de Doctorat, Université Paris IX-Dauphine.
Eze Eze D. (2002) : Structure bancaire et financement de l’économie camerounaise.
Intermédiation financière et financement du développement en Afrique, PUY, Yaoundé.
Fouda Owoundi (1987) : Evolution du système financier et pratique informelle d’épargne et
de prêt en Afrique Centrale, Thèse Doctorat du 3e cycle, Université Lyon II.
Gasse Helio M. (2003) : Les tontines dans les pays en développement. Mémoire de Maîtrise
Sciences Economiques, Université de Versailles, Saint Quentin – en – Yvelines.
Gautrand (1987) : Ces milliards qui échappent à l’économie, Jeune Afrique Economie n° 101,
novembre.
Gbetnkom D. (1995) : la dynamique de l’intégration économique régionale par le marché :
l’examen du cas de l’ UDEAC, Thèse de doctorat du 3ème cycle, Université de Yaoundé II.
Gbetnkom D. (2002) : Régionalisme en Afrique et mondialisation : Antinomie ou
complémentarité ? Économie et Gestion Appliquée, vol 2, January-June.
Gentil D. et Fournier Y. (1993) : les paysans peuvent-ils devenir banquiers ? Epargne et crédit
en Afrique, SYROS, Paris.
Germidis D., Kessler D., Meghir R. (1991): Systèmes financiers et développement: quel rôle
pour les secteurs formel et informel ? OCDE, Paris.
Gertler M. et Gilchrist S. (1993): The role of the credit market imperfections in the monetary
transmission mechanism. Arguments and evidence. Scandinavian journal of economics, vol 95.
Guérin I. et Roesch M. (2005) : Microcrédit, outil fragile, Le Monde du 29 novembre
Gurley J. et Shaw E. S. (1955): Financial aspects of economic development, American
Economic Review, December, vol 45, n° 4.
Gurley J. et Shaw E. S. (1960): Money in theory of finance. Brooking Institution, Washington
D.C,
Haman (1989). " Intermédiation Financière et Fluctuation Macro économique ". Mémoire
de Maîtrise Sciences Economiques, Université de Sciences Sociales de Toulouse.
Jeune Afrique l’Intelligent (2005) Hors série n° 9, octobre
Joseph C. (1977): Radical nationalism in Cameroon: social origins of the UPC. Clarendon
Press, Oxford.
Khandker S. R., Khalily B. et Khan Z. (1998): Sustanability of GRAMEEN BANK: what do we
know? The World Bank, Washington D.C.
Klotchkoff J.C. 1997) : Les relations banque-particulier : la panoplie des services offerts aux
clients. Jeune Afrique hors série.
Le Noir A. (2002) : Interview, Economia 22-23, août-septembre.
Ledgerwood J. (1999): Manuel de Microfinance: Une perspective institutionnelle et financière.
Banque Mondiale, Washington D.C.
Mancolan B. (1998) : le fonds GARI : une tentative opportune de fonds de garantie
interbancaire, Marchés Tropicaux n° 1524 juillet.
131

Mansour N. (1997) : Relations banque-entreprise : un flirt difficile, Jeune Afrique Hors série.
Mathis J. (1992): Monnaies et banques en Afrique francophone. EDICEF AUPELF, Paris.
Maures (1993) : Evaluation d’organismes financiers faisant le lien entre les systèmes
financiers formels et les systèmes financiers informels, Mémoire DEA- MFB Université
Lyon- Lumière.
Mbouombouo Ndam J. (2001) : Plaidoyer pour un soutien accru du secteur privé.
Communication présentée au symposium sur les nouvelles stratégies d’aide au développement.
Africa Economic Research Consortium et Banque Mondiale, du 3 au 4 avril, Dar -es Salam,
Mbouombouo Ndam J. (2003) : Il faut croire à la DSX. Mutations n° 972 du 22 juin.
Mbouombouo Ndam J. (2006) : Microfinance : la carotte doit suivre le bâton. Mutations du 1er
janvier 2006
Mengue Mengue J. (2002) : Analyse critique et évaluation de la restructuration bancaire au
Cameroun. Intermédiation financière et financement du développement en Afrique, PUY,
Yaoundé.
Monkam A. (2002) : Quel modèle de financement pour la création et le développement de
l’entreprise endogène ? Conjoncture PME, n° 20, mars.
Muhamad Yunus (1997) Vers un monde sans pauvreté, LATTES, Paris.
Ndjieundeu G. (1989) : Un statisme des échanges intra-communautaires. Communication
présentée au séminaire-atelier sur les problèmes et perspectives d’avenir de l’UDEAC.
Fondation Friedrich-Ebert et CCMIC du 5 au 7 avril, Yaoundé.
Ndong Ntah M. (2002) : Financement bancaire des PME : crise et rédynamisation.
Intermédiation financière et financement du développement en Afrique, PUY, Yaoundé.
Ngwafor née Egbe G. E. (2000): Rural Financial Institutions; The case of the North West
province of Cameroon. Mémoire DESS IRIC, Yaoundé.
Nzemen M. (1988) : Théorie de la pratique des tontines au Cameroun, SOPECAM, Yaoundé.
Ondo Ossa A. (2002) : Intermédiation financière et marché concurrentiel en Afrique centrale.
Intermédiation financière et financement du développement en Afrique, PUY, Yaoundé.
Ossende Afana (1966) : l’économie de l’ouest africain, perspectives de développement.
François Maspero, Paris.
Pelletier P. (1999) : Le rattachement du FCFA à l’euro : un choix contraint. Problèmes
économiques n° 2604 février.
Pischke J., Dale W., Adams et Gordon D. (Eds, 1984): Rural financial market in developping
countries, their use and abuse, John Hopkins University Press, Baltimore.
Pyle D. (1971): On the theory of financial intermediation. Journal of Finance, n° 2,
Rivoire J. (1979) : Les Banques dans le Monde. "Que sais-je", PUF, Paris.
Robinson M. S. (2001, 2002 et 2003) : The Microfinance Revolution :
* Vol.1 Sustainable finance for the Poor. The World Bank Washington DC (2001)
132

* Vol. 2 Lessons from Indonesia. The World Bank Washington DC (2002)


* Vol 3 The emerging industry. The World Bank Washington DC (2003)
Scialom L. (1999) : Economie bancaire. la Découverte, Paris,

Silem A. et Albertini J. M. (Eds, 1995) : Lexique Economie. Dalloz, Paris.

Sime Zadouo M. (2002) : Le paysage de la microfinance au Cameroun, Conjoncture PME, n° 20,


mars.
Tchokomakoua V. (1991) : Esquisse d’un cadre juridique pour le secteur informel
du Cameroun. Débats économiques de la Fondation Friedrich Ebert, n° 2, mai.
Tchomba G. (1997) : Des crédits bancaires trop courts : l’exemple du Cameron .Jeune
Afrique Economie Hors Série.
Tchouassi G. et Ndjanyou (2002) : Affaiblissement du rôle d’intermédiation financière
dans les économies des pays d’Afrique au Sud du Sahara : un essai d’explication.
Intermédiation financière et financement du développement en Afrique, PUY, Yaoundé.
Tchuidjang Pouemi J. (1980): Monnaie, servitude et liberté: la répression monétaire de
l’Afrique, Jeune Afrique, Paris.
Touna Mama E. (2002) : La politique de crédit et le financement du développement au
Cameroun. Intermédiation financière et financement du développement en Afrique, PUY,
Yaoundé.
Tremollieres (2004) : la microfinance au service des économies émergentes. Banque
Magazine, n° 654, janvier.
Vincent T. (1997) : Lentes et laborieuses restructurations, Jeune Afrique Hors série.
Yandza R. (1997) : Les difficultés des transferts bancaires en Afrique, Jeune Afrique Hors
série.
Yaron J., Mc Donald P. B. Jr et Pirek G. L. (1997): Rural finance: Issues, Design and best
practices, The World Bank Washington D.C.
Ziady H. (2002) : Zone franc : Le royaume des banques tranquilles. Economia 22-23, août-
septembre.
133

ANNEXES

Annexe 1 Note de l’APECAM décommandant les ouvertures de compte aux COOPEC


Annexe 2 Les principaux ratios de la microfinance
134

Annexe 4 : les principaux ratios de la microfinance

INTITULE ET DESCRIPTION DU RATIO OBJECTIFS VISES NORME FIXEE


1- FONDS DE SOLIDARITE Couverture des éventuels déficits 40% du capital effectif après imputation des déficits de
constitué par des prélèvements équitables sur les d’exploitation l’exploitation
apports en numéraires
2- RESERVE OBLIGATOIRE Renforcer le potentiel - EMF de 1ère catégorie : 15% des bénéfices
prélevé sur les bénéfices à affecter d’autofinancement - EMF de 2ème catégorie : 15% des bénéfices à affecter
3-RATIO DE COUVERTURE DES RISQUES Assurer une couverture minimale
Fonds propres nets des crédits par les fonds propres Au moins égal à10%
Total des crédits et autres engagements*
*tels les engagements par signature, les créances
douteuses ou les créances immobilisées sur les
correspondants°
° net des provisions
4- QUOTA DES OPERATIONS AUTORISEES Eviter que des sociétés purement Au plus égal à 20%
A TITRE ACCESSOIRE commerciales ne se cachent
Total des opérations accessoires derrière le label "microfinance"
Produit d’exploitation
135

Eviter une trop grande a) - EMF de 1ère catégorie : 15% au plus


5- RATIO DE DIVISION DES RISQUES concentration de crédits sur - EMF de 2ème catégorie : 25% au plus
a) Fonds propres nets quelques gros clients
Crédit à un même bénéficiaire* b) inférieur ou égal à 8 (EMF de 1ère et 2ème catégorie
seulement)
*ou des bénéficiaires présentant une étroite
relation d’interdépendance financière

b) total des gros risques*


fonds propres nets

* ensemble des clients présentant chacun des


risques supérieurs à 10% des fonds propres nets

6-COUVERTURE DES IMMOBILISATIONS Les immobilisations sont financées Le 1er ratio doit être égal à 100% au minimum
a) ressources permanentes par les ressources permanentes Le 2ème ratio doit être égal à 50% au plus
total des immobilisations corporelles dans lesquelles les fonds propres
b) financement des immobilisations par des tiennent une bonne part
emprunts
Fonds propres nets
136

7- ENGAGEMENTS EN FAVEUR DE NOUS- Eviter que le staff et les élus ne Au plus égal à 20%
MEMES* s’approprient les dépôts des autres
Total des crédits en faveur de nous-mêmes usagers
Fonds propres nets
* Personnel, élus et assimilés

8- NOMBRE DE PARTS MAXIMUM Eviter que l’EMF ne soit contrôlé Au plus égal à 20% des parts sociales
DETENUES PAR UN MEME MEMBRE* par quelques membres qui
*détention par soi-même ou par personne imposent leur loi aux autres
interposée
9- COUVERTURE DES CREDITS PAR LES Eviter de trop engager les dépôts Au plus égal à 70%
RESSOURCES DISPONIBLES des clients
En cours (crédits nets -crédits adossés*)
Fonds propres nets+dépôts des membres -
immobilisations nettes
* crédit bénéficiant d’une garantie financière
(exp. bon de caisse, caution d’une institution
financière…)
137

10- RECOURS AUX LIGNES DE Assurer une plus grande autonomie Au moins égal à 50%
FINANCEMENT* de l’EMF
Ressources propres
Lignes de financement
* accords de prêts avec les organismes extérieurs
à l’EMF

Vous aimerez peut-être aussi