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L’invention de la gestion des finances publiques.

Volume II
Du contrôle de la dépense à la gestion des services publics (1914-1967)

The Invention of Public Finance Management: From Expenditure Control


to Public Service Management (1914–1967, volume I
La invención de la gestión de las finanzas públicas – Del control del gasto
a la gestión de los servicios públicos (1914-1967), volumen II

Philippe Bezes, Florence Descamps, Sébastien Kott et Lucile Tallineau (dir.)

Éditeur : Institut de la gestion publique et du développement économique, Comité pour


l’histoire économique et financière de la France
Lieu d'édition : Paris
Année d'édition : 2013
Date de mise en ligne : 5 décembre 2013
Collection : Histoire économique et financière - XIXe-XXe
ISBN électronique : 9782821830332

http://books.openedition.org

Édition imprimée
Date de publication : 1 juin 2013
ISBN : 9782111293731
Nombre de pages : 684

Référence électronique
BEZES, Philippe (dir.) ; et al. L’invention de la gestion des finances publiques. Volume II : Du
contrôle de la dépense à la gestion des services publics (1914-1967). Nouvelle édition [en ligne].
Paris : Institut de la gestion publique et du développement économique, 2013 (généré le 30
mai 2016). Disponible sur Internet : <http://books.openedition.org/igpde/2886>. ISBN :
9782821830332.
Ce document a été généré automatiquement le 30 mai 2016.

© Institut de la gestion publique et du développement économique, 2013


Conditions d’utilisation :
http://www.openedition.org/6540
Cet ouvrage analyse la montée en puissance des enjeux de contrôle puis d’efficacité et de
productivité dans la gestion des finances publiques de 1914 à 1967. à travers une micro-
chronologie politico-administrative inédite, il étudie le développement de techniques de
contrôle de la dépense, d’une part, et d’instruments de gestion, de l’autre. Secoué par deux
guerres et une crise économique sans précédent, mobilisé en 1945 dans la reconstruction du
pays après plusieurs changements de régime, l’état libéral se voit sommé de repenser la
gestion de ses finances.
L’ouvrage décrit les efforts d’élaboration d’un système rationalisé de contrôle de la dépense
avant 1945, puis, après la Libération, l’émergence de dispositifs gestionnaires destinés à
mesurer le rendement et les résultats de l’action des services publics. Il analyse comment le
système financier public se trouve pris entre une rationalité juridique qui déploie toutes ses
potentialités et une rationalité gestionnaire qui élabore ses premiers concepts et outils,
l’une et l’autre concurrencées par la macro-économie. Il offre ainsi un regard neuf sur les
phénomènes d’influence croisée entre secteurs public et privé. Brossant un vaste panorama
des acteurs, institutions, techniques et savoirs au cœur du « système financier » de 1914 à
1967, ce deuxième volume poursuit l’entreprise d’une histoire du « gouvernement des
finances publiques ».

The Invention of Public Finance Management: From Expenditure Control to Public Service
Management (1914–1967, volume I Philippe Bezes, Florence Descamps, Sébastien Kott, Lucile Tallineau
(dir.)
This work analyses the increasing importance of controls, as well as effectiveness and productivity in
the management of public finances between 1914 and 1967. Using a unique political-administrative
micro-chronology, it studies the development of expenditure control techniques on the one hand, and
management tools on the other hand. The liberal State – shaken by two wars and an unprecedented
economic crisis, and mobilised in 1945 for the reconstruction of France after several changes in
regime – was obliged to rethink the management of its finances. This work describes the efforts to
introduce a rationalised system of expenditure control prior to 1945, and then, following the
Liberation, the emergence of management tools for measuring the efficiency and results of public
service actions. It analyses how the public finance system found itself caught between a legal
rationale that deployed its full potential, and a management rationale that was in the process of
drawing up its initial concepts and tools. Both approaches found themselves in competition with
macroeconomics. The volume thus offers a new look at the intersecting influences between public and
private sectors. Offering a broad sweep of stakeholders, institutions, techniques and skills at the heart
of the "financial system" between 1914 and 1967, this second volume is the continuation of a history of
"public finance governance".
En el segundo volumen de esta obra se examina la importancia que fue cobrando entre 1914 y 1967 la
problemática del control en la gestión de las finanzas públicas, primero, y la cuestión de la eficacia y
productividad, posteriormente. Recurriendo a una microcronología político-administrativa inédita,
este estudio examina el desarrollo de las técnicas de control del gasto, por un lado, y de los
instrumentos de gestión, por otro lado. Azotado por dos guerras y una crisis económica sin
precedentes y movilizado para la reconstrucción del país tras varios cambios de régimen político, el
Estado liberal francés se vio obligado a replantearse la gestión de sus finanzas. Este libro describe los
esfuerzos realizados para elaborar un sistema racionalizado de control del gasto antes de 1945, así
como el surgimiento de dispositivos de gestión después de la Liberación para medir el rendimiento y
los resultados de la acción de los servicios públicos. También analiza cómo el sistema financiero
público se encuentra encajonadoentre una racionalidad jurídica que despliega todo su potencial y
una racionalidad de gestión que elabora sus primeros conceptos e instrumentos, al mismo tiempo que
la macroeconomía compite con ellas. Así, este estudio ofrece una nueva perspectiva sobre los
fenómenos de influencia mutua entre el sector público y el privado. Este segundo volumen, que
presenta un vasto panorama de los protagonistas y las instituciones, técnicas y competencias
esenciales del “sistema financiero” entre 1914 y 1967, es una continuación de la empresa acometida
para elaborar una historia del “gobierno de las finanzas públicas”.

PHILIPPE BEZES
Philippe Bezes est chargé de recherche CNRS au Centre d’études et
de recherches de sciences administratives et politiques (CERSA,
Université de Paris 2) et enseignant à Sciences po.

Philippe Bezes is a CNRS [French National Centre for Scientific


Research] researcher at the Centre d’études et de recherches de
sciences administratives et politiques [Administrative and Political
Science Research Centre] (CERSA, University of Paris 2) and a
lecturer at the Paris Institute of Political Studies.

Philippe Bezes es responsable de investigación del CNRS (Centro


Nacional francés de Investigaciones Científicas) en el Centro de
Estudios e Investigaciones de Ciencias Administrativas y Políticas
(CERSA, Universidad de París 2) y enseñante en la Escuela de Ciencias
Políticas de París-Sciences Po.

FLORENCE DESCAMPS
Florence Descamp est maître de conférences en histoire à l’Ecole
pratique des Hautes Etudes.

Florence Descamp is a Senior Lecturer in history at the École


pratique des hautes études.

Florence Descamp es profesora titular de historia en la Escuela


Práctica de Altos Estudios de París.

SÉBASTIEN KOTT
Sébastien Kott est maître de conférences, habilité à diriger des
recherches à l’Université de Paris-Ouest-Nanterre-La Défense.

Sébastien Kott is a Senior Lecturer and authorised research director


at the Université de Paris-Ouest-Nanterre-La Défense [Paris West
University Nanterre La Défense].

Sébastien Kott es profesor titular habilitado para dirigir


investigaciones en la Universidad de París-Oeste-Nanterre-La
Défense.

LUCILE TALLINEAU
Lucille Tallineau est agrégée de droit public, professeur émérite à
l’Université de Paris-Ouest-Nanterre-La Défense.
Lucille Tallineau holds an agrégation in public law and is an
Emeritus Professor at the Université de Paris-Ouest-Nanterre-La
Défense.

Lucille Tallineau es catedrática de derecho público y profesora


emérita de la Universidad de París-Oeste-Nanterre-La Défense.
NOTE DE L’ÉDITEUR
Cet ouvrage a été publié avec le soutien de la Caisse des Dépôts.
SOMMAIRE
Introduction
Florence Descamps
Le contrôle, figure dominante de la gestion des finances publiques dans l’entre-deux-guerres
Les innovations gestionnaires de la période 1945-1967
Métissage et hybridation : rationalité juridique ou rationalité managériale (1956-1962) ?
Les acteurs du « système financier » : dynamiques institutionnelles, interactions et
recompositions
Entre pouvoir et savoir, la construction d’une expertise en finances publiques ?

Première partie. Contrôler pour maîtriser la dépense publique

L’impossible gestion des finances publiques pendant la Grande Guerre


Fabienne Bock
Introduction
I. Les budgets de guerre
II. Manquements aux règles de la comptabilité publique et nouvelles pratiques
III. Une administration débordée
Conclusion

Du contrôle de la dépense à la réforme du système financier. Les ambitions de la


commission Selves (1917-1918). Une commission matrice ?
Florence Descamps
Introduction
I. La maturation de la réflexion sur le contrôle et l’exécution du budget (1909-1917)
II. La création de la commission Selves de 1917-1918 : une commission de synthèse ou une
commission prospective ?
III. La sous-commission du Contrôle administratif
IV. La sous-commission du Contrôle judiciaire (juridictionnel)
V. La sous-commission du Contrôle parlementaire
Conclusion

Le développement du contrôle de l’efficacité de la dépense publique en


Allemagne aux lendemains de la Première Guerre mondiale
Stéphanie Flizot
Introduction
I. La création d’un commissaire aux économies et l’impossible réforme administrative
II. La codification du droit budgétaire et financier et l’affirmation d’un contrôle de l’efficacité de
la gestion financière publique

Gaston Jèze et l’utilité de la dépense publique, L’élaboration d’une théorie


générale des dépenses publiques
Matthieu Conan
Introduction
I. Une théorie générale qui se construit principalement autour de l’utilité publique de la dépense
II. Des préoccupations qui se situent étonnamment dans le droit-fil des logiques réformistes
contemporaines
Conclusion

Le grand réveil de la Cour des comptes (1914-1941) : du jugement des comptes au


contrôle de la gestion des administrations
Florence Descamps
Introduction
I. Le temps des propositions, 1914-1924
II. Le temps de la maturation, 1929-1934
III. Le temps des décisions : la réforme de la Cour des comptes et du Contrôle financier, 1935-
1936
Conclusion

Labeyrie et la comptabilité administrative de l’État


Christian Descheemaeker
Introduction
I. L’ambition de Labeyrie : donner la première place à la comptabilité administrative de l’État
II. Les réformes portant sur la comptabilité de l’État et sur son contrôle par la Cour des comptes
III. Le véritable changement : dans la comptabilité de l’État, et surtout dans les contrôles dits de
comptabilité administrative de la Cour des comptes
Conclusion

Les offices : une innovation institutionnelle ou un problème pour le contrôle


budgétaire ?
Alain Chatriot
Introduction
I. Des créations diverses accélérées par la Première Guerre mondiale
II. Nouvelles règles et problèmes afférents
III. Contrôler les offices : débats politiques et travail d’une commission
Conclusion

Qualité de la gestion, économie et efficience de la dépense publique dans les


rapports annuels de la Cour des comptes sur la période de l’entre-deux-guerres
Stéphanie Flizot
Introduction
I. Un contrôle du coût et du rendement de la gestion publique
II. La Cour des comptes et la notion de prix de revient dans l’entre-deux-guerres
Conclusion

Les comités de réforme administrative et d’économies budgétaires, 1919-1959 :


vie et mort d’une politique de gestion publique ?
Florence Descamps
Introduction
I. La construction du couple économies budgétaires-réforme administrative (1919-1923)
II. Les comités d’économies ou la réforme administrative par l’organisation de la déflation
budgétaire, 1932-1939
III. Les commissions d’économies de la IVe République, 1945-1950 : succès et désillusions
IV. Le chant du cygne : la dernière commission d’économies de la IVe République ou la première
de la Ve République ?
Conclusion

Deuxième partie. Innovations et premières tentatives d’évaluation


de la dépense

Gabriel Ardant, le Comité central d’enquête sur le coût et les rendements des
services publics, 1946-1953 : vers une évaluation des résultats de l’action
administrative ?
Florence Descamps
Introduction
I. La création du CCECRSP : aboutissement ou innovation ?
II. Les ambitions de Gabriel Ardant : faire du CCECRSP un organe permanent de la réforme
administrative ?
III. L’organisation du travail au CCECRSP : entre respect des traditions et innovations
IV. Résultats et bilan des travaux du CCECRSP

La contribution des organismes du privé au perfectionnement des méthodes des


administrations publiques des années 1930 aux années 1960 : l’exemple de la
Commission Générale d’Organisation Scientifique (CEGOS) et de l’Institut
Technique des Administrations Publiques (ITAP)
Antoine Weexsteen
Introduction
I. Entre privé et public : promouvoir l’action de la CGOST et consulter pour l’administration
II. L’épisode de Vichy
III. À la source de la création de la fonction Organisation et Méthodes dans l’administration :
l’évolution de la CEGOS et la fondation de l’ITAP
Conclusion

Des entreprises publiques au service de la politique économique : la tutelle des


Finances (1945-1970)
Laure Quennouëlle-Corre
Introduction
I. L’impératif de financement
II. Renforcer le contrôle, un souci récurrent
III. Vers une remise en question du rôle de l’État
Conclusion

La création de la Cour de discipline budgétaire et financière : enjeux et débats


Stéphanie Flizot
Introduction
I. La remise en cause progressive de l’irresponsabilité pécuniaire des administrateurs
II. Vers la reconnaissance juridique d’une responsabilité financière sui generis des
administrateurs
III. La loi n° 48-1484 du 25 septembre 1948 tendant à sanctionner les fautes de gestion commises
à l’égard de l’État et de diverses collectivités
Conclusion

L’évaluation du prix de revient dans les années 1950 : le contrôle financier des
administrations centrales
Sébastien Kott
Introduction
I. L’évolution du contrôle des dépenses engagées vers le contrôle financier central
II. Évolution des contrôleurs ou évolution des administrations ?
Conclusion

Une tentative de politique de productivité dans les services publics : Gabriel


Ardant et le Commissariat général à la Productivité, 1954-1959
Florence Descamps
I. Le Commissariat général à la Productivité ou la réforme administrative par le bas
II. Le département Organisation des services publics et les bureaux O & M (1955-1958)
III. La mise en place d’une politique publique de productivité dans les services publics, 1956-1958
IV. Le rêve du Commissariat général à la Productivité : la création d’un Service central
d’organisation et méthode, 1956-1959
Conclusion

Troisième partie. Rationalité juridique ou rationalité gestionnaire ?

La Comptabilité publique de Gilbert Devaux : un plaidoyer pour le maintien


d’une gestion publique des finances publiques en France dans les années 1950
Philippe Masquelier
Introduction
I. Un document inséparable de la carrière de son auteur et du contexte troublé dans lequel
s’inscrit celle-ci
II. La comptabilité publique de Gilbert Devaux, ou la volonté de réinscrire la gestion des finances
publiques dans une dynamique historique à dominante juridique
III. La comptabilité publique, pierre de touche de l’évolution de la gestion publique des finances
publiques sous la pression de « la technique »
Conclusion

Le décret de 1956 et l’ordonnance de 1959 : leurs conséquences sur la gestion


financière de l’État
Lucile Tallineau
I. Un cadre de gestion plus cohérent
II. Des éléments contrastés relatifs à l’exercice de la gestion
Conclusion

Le décret du 29 décembre 1962, toilettage juridique ou contribution au


renouvellement de la gestion des finances publiques ?
Perception et restitution au travers des écrits qui lui furent consacrés
Matthieu Conan
Introduction
I. Les positions développées dans le cadre de la mise en œuvre de l’instruction n° 69-124 PR du 5
novembre 1969
II. Les positions développées dans le cadre de la mise en œuvre de l’instruction n° 87-128 PR du
29 octobre 1987

Élaboration, mise en œuvre et évolution du décret de 1962 depuis ses origines


Vincent Feller
Introduction
I. Pourquoi un nouveau règlement général en 1962 ?
II. La mise en œuvre du décret du 29 décembre 1962 entre 1963 et 1998
Conclusion

Le contrôle du bon emploi des fonds publics : un premier aboutissement en 1967


?
Stéphanie Flizot
I. Contrôle sur la gestion et réforme administrative dans les rapports publics des années 1945-
1967
II. Le contrôle du bon emploi des fonds publics dans la loi du 22 juin 1967
Conclusion : quelles répercussions sur la Cour des comptes ?

Annexe
Bibliographie
Index des noms de personnes
Introduction
Florence Descamps

Le présent ouvrage fait suite à un premier volume, L’invention de la


gestion des finances publiques, consacré au XIXe siècle, qui a inauguré
la publication des actes du séminaire Histoire de la gestion des finances
publiques, lancé en 2005 à l’initiative du Comité pour l’histoire
économique et financière de la France 1 . Les contributions réunies
ici sont le fruit de travaux qui se sont poursuivis de 2006 à 2009, elles
ont été resserrées, recentrées et retravaillées 2 , afin de répondre à
la problématique retenue pour le séminaire depuis 2005 :
s’interroger sur l’éventuelle contradiction entre le droit budgétaire
et comptable tel qu’il s’est sédimenté depuis la Restauration et
l’émergence d’une nouvelle manière de concevoir la gestion des
deniers publics ; repérer les efforts que les acteurs ont déployés, dès
le XIXe siècle 3 , pour articuler droit et approche gestionnaire 4 ;
traquer les signes de la préoccupation gestionnaire chez les acteurs du
« système financier 5 » et en étudier la diffusion dans l’espace public
6
; analyser dans les textes juridiques les tentatives de traduction,
d’intégration ou d’hybridation entre le droit budgétaire et
comptable et la pensée gestionnaire naissante ; guetter l’apparition
de nouveaux outils de gestion publique et en établir la généalogie ou
l’inspiration…
La période couverte par le volume II s’étend de la veille de la guerre
de 1914-1918 au milieu des années 1960, avec des incursions
comparatives et contemporaines jusqu’à la LOLF (2001), objet
d’analyse final et programmé de ce séminaire pluriannuel et
transdisciplinaire. Historiens et juristes se partagent ici les
contributions, les sociologues et les politistes stricto sensu s’étant
momentanément absentés avant de revenir en force pour la période
suivante et pour la RCB. Alors que le premier volume avait su
dépasser les frontières nationales, on ne compte cette fois-ci qu’une
trop rare communication sur l’Allemagne (Flizot). La référence aux
pays étrangers (Grande-Bretagne, Allemagne, Italie, États-Unis) est
néanmoins présente dans de nombreuses contributions (Descamps,
Tallineau, Flizot), traduisant la naissance dans la période considérée
d’une science comparée des finances publiques et suggérant
l’émergence d’une sphère transnationale d’experts financiers
publics…
Tout en s’attachant à suivre les méandres du processus décisionnel
par l’établissement d’une microchronologie politique et
administrative, le choix a été fait de mettre en valeur la longue
durée, car le processus de réforme du système de gestion des
finances publiques s’étire sur plusieurs décennies 7 . De fait, même si
la Libération demeure un moment politico-administratif décisif du
point de vue des idées gestionnaires et des initiatives
institutionnelles, sous l’ébullition réformatrice, nombre des
initiatives qui accompagnent le retour au régime républicain de la
IVe République héritent largement des expérimentations de l’entre-
deux-guerres, et les fruits de ces novations ne voient véritablement
le jour qu’après la Reconstruction. Par-delà la rupture de la seconde
guerre mondiale et de l’occupation allemande, la période est donc
marquée par d’insistantes continuités dans les questionnements et
par une forte homogénéité thématique. Sans prétendre à
l’exhaustivité que l’historiographie et l’état actuel de la recherche en
histoire des finances publiques ne sauraient permettre d’atteindre,
le volume ouvre principalement trois pistes de réflexion, qui
coïncident avec trois moments chronologiques bien distincts et qui
font l’objet des trois parties successives : le contrôle comme figure
dominante de la gestion des finances publiques dans le premier XXe
siècle ; la création après 1945 d’organes administratifs permanents
dédiés explicitement à la gestion et l’émergence tâtonnante de
novations gestionnaires, de nature à la fois endogène et exogène à
l’administration 8 ; l’inégale intégration de ces innovations dans les
textes du droit budgétaire et comptable à la jonction des années 1950
et 1960 et leur incertaine réception par les acteurs du système
financier public. Chacune de ces trois séquences permet : 1. de
restituer le jeu des acteurs institutionnels du « système financier »,
pris dans des dynamiques interactives de pouvoir, de concurrence
réformatrice, de divergence doctrinale, voire de conflit ; 2. d’étudier
la généalogie de nouveaux outils de gestion publique, leur
émergence et leur appropriation par les acteurs administratifs, à
travers une microsociologie des pratiques administratives, en
descendant jusqu’au niveau du bureau, de la circulaire ou du rapport
d’enquête ; 3. de repérer par une analyse fine et détaillée des textes
constitutionnels, législatifs ou réglementaires les indices ou les
symptômes de la poussée gestionnaire.
Avant de donner un bref aperçu des études proposées, en préalable
et en facteur commun pour l’ensemble de la période 1914-1965, il
faut souligner le poids déterminant de la contrainte extérieure, aiguillon
du changement. D’un côté, la contrainte extérieure oblige les acteurs
institutionnels à repenser ou à réorganiser le « système financier »,
et de l’autre, elle leur sert d’argument pour légitimer les
changements qu’ils préconisent en vue de promouvoir un autre
modèle de gestion. Il en est ainsi de la guerre de 1914-1918 (Bock,
Descamps, Flizot, Chatriot), qui perturbe lourdement les modes de
gestion des finances publiques par l’amplification conjoncturelle des
dysfonctionnements comptables et budgétaires (multiplication des
comptes spéciaux, des pratiques budgétaires non orthodoxes et des
irrégularités comptables), met au jour les défaillances structurelles
du « système financier » hérité du XIXe siècle (une comptabilité
administrative laissée à l’abandon, des contrôles sur la dépense
inexistants, un système financier devenu aveugle à lui-même) et
prépare l’incubation de nouvelles idées en matière de gestion. Une
décennie plus tard, la crise budgétaire et financière de 1932-1935
impose dans l’urgence aux gouvernants la recherche et l’invention
de nouveaux dispositifs budgétaires (les comités de contrôle et
d’économies budgétaires, la montée en charge de la direction du
Budget, le leadership de la Cour des comptes, la réforme comptable
(Descamps, Flizot, Chatriot, Descheemaeker), tandis qu’entre 1940 et
1944, l’organisation du système de gestion des finances publiques
connaît un profond – quoique éphémère – remaniement. Quelques
années plus tard, ce sont la création du Marché commun en 1957 et
l’ouverture à la concurrence de l’économie française qui conduisent
à la mise sous pression des services publics français, considérés
comme à la traîne de la modernisation et de la « bataille de la
productivité ». Enfin, c’est la crise financière, institutionnelle et
politique de l’État en 1957-1958 qui déclenche le processus qui
mènera jusqu’à la mise en place d’un nouveau régime, la Ve
République, et jusqu’à l’adoption d’une nouvelle « constitution
financière », attendue depuis près d’un siècle. Plus structurellement,
au-delà d’un déficit budgétaire chronique qui s’installe dès 1918,
c’est la croissance en longue durée de la dépense publique, liée à la
poussée et à la mutation d’un État qui assume désormais un rôle
économique, industriel, sanitaire et social, qui oblige ce dernier à
modifier les cadres de sa gestion. Dans un contexte d’urgence
budgétaire et de croissance des besoins, à rebours de la doctrine
d’inspiration libérale qui le sous-tend, le système financier juridique
traditionnel, davantage conçu pour limiter la dépense, vérifier sa
légalité et assurer sa légitimité démocratique que pour la gérer, se
voit sommé de s’adapter et de se moderniser. Du fait de toutes ces
contraintes, politiques et économiques, la gestion publique revêt
donc une importance centrale dans la période : elle fait l’objet d’un
véritable débat entre experts, responsables administratifs et acteurs
politiques, mais aussi avec l’opinion publique, et elle occupe une
place récurrente dans l’agenda gouvernemental. Enfin, elle donne
lieu à plusieurs réalisations, qui dépassent largement le seuil
expérimental et sont autant de tentatives de rénovation ou de
changement de système.

Le contrôle, figure dominante de la gestion


des finances publiques dans l’entre-deux-
9
guerres
Alors que l’État se découvre au sortir de la guerre de 1914-1918 ruiné
financièrement, inadapté dans ses structures et dans ses modes de
gestion, désorganisé et « encombré », la réflexion réformiste des
responsables du système de gestion des finances publiques emprunte
dans l’entre-deux-guerres, deux voies distinctes mais convergentes
(Descamps) : d’un côté, le choix d’une politique de finances publiques
de rationnement budgétaire (diminuer les flux financiers) ; de
l’autre, la rénovation des structures du « système financier » et de
ses modes de gestion par la construction d’un système rationalisé de
contrôle de la dépense (instituer des points de surveillance et de
verrouillage). Dans les deux cas, il s’agit de gérer les finances
publiques avec économie (cf. l’analogie avec l’économie domestique),
voire à l’économie. Le choix durable de cette politique publique, du
début des années vingt à la fin des années cinquante, même si elle
s’exprime à travers une terminologie péjorative (doublons, abus,
dysfonctionnements, doubles emplois, suppressions, réduction des
effectifs, économies), ouvre néanmoins la voie aux premières
réflexions sur la mesure et l’appréciation des résultats des
administrations.
L’entre-deux-guerres s’illustre de fait par une série d’innovations en
matière de gestion des services publics (Conan, Chatriot, Descamps,
Flizot, Descheemaeker) ; l’apparition des budgets annexes, la
multiplication des offices puis des sociétés d’économie mixte
trouvent à l’origine leur justification dans un argumentaire à
caractère gestionnaire (abandon du contrôle a priori pour plus
d’efficacité, recherche d’une plus grande flexibilité et liberté pour
les rémunérations, les recrutements ou les licenciements,
accroissement des capacités d’investissement, d’emprunt ou de
capitalisation, adoption d’une comptabilité analytique et
patrimoniale pour un meilleur calcul des coûts et du prix de revient,
etc.). Dans le sillage de ces nouveaux dispositifs comptables et
budgétaires des années 1920, émergent de nouvelles manières de
penser la gestion des services publics : la réforme administrative, le
« désencombrement » et l’« industrialisation » des services, le souci
des coûts et la mesure du « rendement », l’idée d’une « utilité » de la
dépense publique…
Mais en définitive, en dépit de ces germes d’innovations, la figure
dominante de la gestion des finances publiques pour tout le premier
XXe siècle demeure la croyance, partagée par la majorité des
responsables politiques et budgétaires, selon laquelle la mise en
place d’un système rationalisé de contrôles enserrant le processus de
la dépense depuis sa prévision et son autorisation jusqu’à son
exécution, devrait permettre de maîtriser les dépenses publiques. En
arrière-plan domine l’idée qu’un État bien administré, c’est un État
où la dépense publique est contrôlée, en amont comme en aval, et
dans tous les sens du terme : autorisée et justifiée, tempérée et
limitée quantitativement, bref, sous contrôle. Sous la IIIe République
et pour une bonne part encore sous la IVe République, gérer, c’est
contrôler, et contrôler, c’est gérer. Mieux encore, c’est bien gérer. Le
contrôle absorbe donc la gestion. Dans l’entre-deux-guerres,
l’expansion du système juridique de contrôle, sa difficultueuse
imposition aux acteurs ministériels et parlementaires, son
institutionnalisation progressive dans des lois et des règlements,
dans des organes à la fois temporaires et permanents, dans des corps
de hauts fonctionnaires spécialisés, son extension progressive à
l’ensemble de la sphère publique mobilisent toutes les énergies et
finissent par monopoliser presque toutes les initiatives
gestionnaires, ou à tout le moins, par les subordonner à ce but.
Le résultat, c’est la construction d’un échafaudage horizontal et
pyramidal de contrôles 10 , à plusieurs étages, selon un cycle
cinquantenaire de réformes et de sous-réformes spécialisées, qui
démarre au début du XXe siècle avec le contrôle des dépenses
engagées 11 , qui déborde la seconde guerre mondiale et jette ses
derniers feux entre 1946 et 1953 et s’éteint en 1970-1971 avec le
contrôle financier local. Cette poussée du contrôle, persévérante et
insistante, s’explique structurellement et politiquement par
l’installation définitive, à partir des années 1880, d’un régime
démocratique et parlementaire au sein duquel les Chambres veulent
assumer la plénitude de leurs pouvoirs budgétaires en prévoyant, en
orientant, en décidant, en autorisant et en contrôlant les recettes et
les dépenses, ainsi que leur usage. Elle s’explique aussi par le
maintien du cadre idéologique hérité du XIXe siècle, partagé par
l’ensemble des acteurs institutionnels, politiques et financiers, qui
résiste dans l’entre-deux-guerres malgré le conflit mondial, malgré
la crise de 1929 et même dans l’après 1945, celui d’une conception
libérale du rôle de l’État, d’un État neutre, cantonné à ses fonctions
régaliennes, restreint, raisonnable, économe et surveillé. Elle
s’explique surtout par la crise budgétaire et financière des années
1930 : le renforcement des contrôles, c’est en définitive la réponse
gestionnaire que les responsables des finances publiques ont conçue
et opposée à la dérive des finances publiques. La classique doctrine
juridique du contrôle (examen, vérification, approbation ou sanction
de l’écart) est alors revisitée, retravaillée, actualisée et mise au
service d’une finalité plus large, celle de la maîtrise de la dépense
publique et de la réduction du déficit budgétaire.
Néanmoins, sous l’accroissement quantitatif et qualitatif des
contrôles appliqués à la dépense, il se produit une transformation
majeure de la notion de contrôle, à savoir la mutation progressive du
contrôle juridique de régularité et de conformité à la loi en un
contrôle de la gestion des administrations (Descamps,
Descheemaeker, Flizot, Kott) 12 . Dans la période, on observe donc la
coexistence de deux figures du contrôle, celle, traditionnelle et
juridique, du contrôle de l’autorisation, du contrôle de régularité des
opérations et du contrôle des comptes, et celle, plus moderne et plus
gestionnaire, du contrôle de l’action des services et de « l’utilité » de
la dépense, théorisée précocement par Gaston Jèze dès les années
1920 (Conan, Flizot, Tallineau). Pour résumer, on pourrait dire qu’on
passe du visa a priori du contrôleur des dépenses engagées,
instrument de gestion de premier degré, assez fruste, placé en
amont, à un outil de gestion, plus élaboré et potentiellement plus
interprétatif, placé en aval, le rapport de comptabilité
administrative à la Cour des comptes (Descheemaeker, Flizot) ou
celui du contrôleur financier sur la gestion des départements
ministériels (Kott). Nous formulons alors l’hypothèse que la politique
publique des contrôles, mise en place dans l’entre-deux-guerres et
poursuivie jusque dans les années 1950, pourrait constituer à la fois
une phase hybride où coexistent et se combinent plusieurs manières
de penser la gestion publique et l’étape nécessaire permettant de
passer du droit à la gestion au sens moderne du terme. De fait, la
définition de la gestion héritée du XIXe siècle comme production
d’informations comptables et budgétaires, fiables et claires, se
maintient et s’affirme, tout en s’enrichissant d’une nouvelle
acception comme connaissance de l’activité des administrations. Dès
lors que ce dernier fait est acquis, les acteurs financiers publics,
même si les rythmes en sont hétérogènes, sont mûrs pour évoluer
progressivement vers une mesure des résultats de l’action
administrative et pour poser les jalons tâtonnants et expérimentaux
d’un embryonnaire contrôle de l’efficacité.
Si, dans l’entre-deux-guerres, les deux notions, contrôle et (bonne)
gestion, sont en grande partie confondues, il en va bien
différemment après 1950. Au cours des années 1950, tout l’effort des
réformateurs du système financier consiste précisément à distinguer
contrôle et gestion, à dégager cette dernière de sa gangue juridique
et à « inventer » des concepts, des principes et des méthodes
alternatifs, susceptibles de fonder une science autonome de la
gestion publique qui ne se réduise pas au seul contrôle. Le meilleur
exemple de cet itinéraire gestionnaire est sans doute Gabriel Ardant,
venu de l’Inspection des finances, artisan de la rénovation des
contrôles et inventeur des études de coûts et rendements et de la
productivité administrative (Descamps).

Les innovations gestionnaires de la période


1945-1967
Après 1945, même si à la Libération, on assiste au retour en force des
réflexes de l’entre-deux-guerres (économies budgétaires et
contrôles), se produit le tournant fondamental, celui de la
conversion progressive, lente mais décisive des mentalités à l’idée
d’un État conducteur de l’économie et de la croissance, moteur de
l’investissement et du financement de l’économie, acteur de la
transformation sociale. C’est un nouveau paradigme pour l’État, qui
se doit de moderniser sa gestion des finances publiques, autant qu’il
ambitionne de mener la modernisation de l’économie française. La
problématique de la « modernisation » comme discours, idéologie et
programme d’action gouvernemental, s’applique dans les mêmes
termes à la réforme du « système financier », à l’adoption de
nouveaux outils de gestion par l’État et à la rénovation de son
organisation budgétaro-comptable. Cette rénovation se fait selon
deux voies parallèles, d’inspirations très différentes,
complémentaires, mais qui n’auront pas la même postérité ni la
même durabilité administrative.
L’après-guerre voit se construire au ministère des Finances et des
Affaires économiques une puissante science économique d’État,
fondée sur l’invention de la comptabilité nationale et des budgets
économiques, ainsi que sur un important appareil statistique logé à
l’Institut national des statistiques et des études économiques
(INSEE). L’expansion du Service des études économiques et
financières (SEEF), incarné par son principal responsable, C. Gruson,
inspecteur des Finances, manifeste la « conversion » à l’économie de
la rue de Rivoli. Sous son impulsion, les outils et les principaux
acquis de la macroéconomie sont insérés dans le droit budgétaire à
la fin des années 1950 (Tallineau) et connaissent un succès croissant
tout au long des années 1960.
Parallèlement, la gestion des finances publiques se voit rénovée par
toute une série d’initiatives et de créations institutionnelles à
caractère directement gestionnaire : la Cour des comptes et la
réaffirmation de son rôle budgétaire en lien avec les commissions
des finances du Parlement (Descamps, Flizot) ; le Comité central pour
l’étude des coûts et rendements des services publics (CCECRSP) et les
études de coûts et rendements (Descamps, Flizot, Wexteen) ; la
création de la Cour de discipline budgétaire et financière (CDBF) et le
contrôle des ordonnateurs (Flizot) ; la commission Jacomet de
réforme budgétaire (Tallineau) ; l’Institut technique des
administrations publiques (ITAP) et le conseil en gestion des
administrations publiques (Wexteen) ; le Commissariat général à la
Productivité et la productivité administrative (Descamps) ; la
conversion gestionnaire de la direction du Budget (Descamps) ; le
contrôle financier rénové des ministères (Kott) ; la tutelle et la (non)
gestion des entreprises publiques (Quennouëlle) ; la tentative de
rapprochement de la comptabilité publique avec le plan comptable
général (Conan, Feller, Masquelier)… Toutes ces expériences ont
pour point commun la volonté de dépasser la simple régulation des
moyens financiers et de s’attacher à la mesure des résultats de
l’action des services publics eux-mêmes.
Les contributions réunies dans la deuxième partie permettent de
prendre connaissance dans le détail de ces initiatives, d’en évaluer le
caractère gestionnaire, d’en effectuer la pesée et d’en mesurer
l’impact. Discours ou réalité ? Diffusion en surface ou en profondeur
? Échec ou succès ? Effet de mode, gadgétisation ou transformation
réelle des cadres de gestion ? Parmi ces innovations gestionnaires,
certaines ont un caractère endogène, d’autres un caractère allogène
ou exogène, importé des entreprises publiques, des cabinets
d’ingénieurs-conseil ou des modèles étatiques étrangers… On assiste
ainsi aux premiers transferts et aux premiers effacements de la
frontière public/privé. Le système de gestion des finances publiques
se révèle poreux, plus plastique que dans l’entre-deux-guerres,
laissant passer ici ou là des concepts, des idées, plus rarement des
hommes. Ces contagions, ces transferts, ces porosités se jouent
essentiellement au sommet de la pyramide administrative, par
l’intermédiaire des membres des grands corps qui ont la capacité de
sortir de l’administration centrale des Finances et qui ont des
horizons et des parcours de carrière beaucoup plus diversifiés que
les administrateurs (offices industriels, établissements publics,
ministères techniques, entreprises publiques, organismes
internationaux, missions internationales de benchmarking). Ils se
produisent également à la périphérie, sur les frontières du ministère
des Finances et des Affaires économiques, grâce à l’implication de
quelques ingénieurs des manufactures de l’État, de quelques
contrôleurs des Armées ou de quelques techniciens des statistiques
ou de l’organisation du travail revendiquant une expertise « en
nouvelles méthodes de gestion ». Cela dit, même si des innovations
importantes sont repérables dans les discours, parfois même dans
l’intitulé des institutions et des missions, il faut veiller à ne pas
donner à ces novations l’importance qu’elles n’ont pas eue à l’échelle
de l’État : elles constituent des germes de changement, mais elles
restent somme toute assez latérales par rapport au système financier
central et ne parviennent pas à emporter l’adhésion de l’ensemble
des acteurs financiers publics, pas plus qu’elles n’influencent
durablement la gestion des finances publiques et des administrations
dans la période.

Métissage et hybridation : rationalité


juridique ou rationalité managériale (1956-
1962) ?
Certaines de ces novations gestionnaires ont néanmoins fait l’objet
d’importations, de traductions, de transferts dans le droit budgétaire
et comptable au cours des années 1950 ; un véritable effort a été fait
entre 1953 et 1962 pour mettre à jour les textes législatifs et
réglementaires et pour intégrer quelques-unes des avancées
gestionnaires de la période. À cet égard, la séquence 1956-1959
constitue un moment juridique, législatif et constitutionnel
exceptionnel pour les finances publiques françaises, notamment si
l’on mesure le laps de temps séculaire qui sépare le décret de 1862 de
l’ordonnance organique de 1959 et si l’on pense aux quarante ans qui
vont s’écouler entre 1959 et 2001, date du vote de la LOLF.
L’ouvrage propose donc une étude minutieuse de l’inscription dans
l’ordre juridique d’une partie de ces efforts et de ces nouvelles
manières de penser la gestion des administrations, notamment à
travers l’examen des articles du décret organique du 26 juin 1956, de
l’ordonnance organique du 2 janvier 1959 et du décret du 29
décembre 1962 (Conan, Feller, Kott, Tallineau). Sont retenus et
commentés la rénovation des projets de lois de finances et
l’introduction d’un rapport économique et d’un rapport financier,
l’adoption (timide) d’une présentation fonctionnelle, la rénovation
de la nomenclature budgétaire et comptable, l’introduction
d’annexes sur les coûts et rendements des services publics, le
rapprochement de la comptabilité publique et du plan comptable
général…
Parmi ces trois textes, le décret organique du 19 juin 1956 constitue
un exemple particulièrement éclairant de l’hybridation et du
dialogue possible entre droit, économie et gestion. Ce texte
manifeste un état de la science des finances publiques et de la «
législation financière », ainsi qu’un état des expertises mobilisées et
disponibles en 1955-1956 ; il porte les marques de la « conversion »
du ministère des Finances aux nouvelles sciences de gouvernement
que constituent l’économie et ce qui fait figure à l’époque de science
de gestion appliquée aux services publics. Effectuant la synthèse des
innovations des années 1950 tant du côté de la direction du Budget
que du côté du SEEF, de la Comptabilité publique que de l’INSEE, il
exprime un consensus entre acteurs administratifs et politiques au
sujet du système financier et cristallise un équilibre des pouvoirs
exécutif et législatif.
Pourtant, deux ans à peine après son entrée en vigueur, à l’issue
d’une crise politique et institutionnelle sans précédent depuis 1945
et à la faveur d’un changement de république, le décret organique de
1956, pic de la « gestionnarisation » des finances publiques sous la
IVe République, se voit recouvert par un texte alternatif, rendu
nécessaire par le changement de Constitution, celui de l’ordonnance
organique du 2 janvier 1959. Or, celle-ci, même si elle consolide
quelques acquis des années 1950, se montre nettement moins
entreprenante en matière de gestion que le décret, pourtant marqué
par la prudence. L’ordonnance de 1959, qui s’inscrit dans un autre
contexte politique, institutionnel et constitutionnel que celui du
décret de 1956, se situe en réalité dans une autre filiation
conceptuelle, fondée sur le droit et sur la réaffirmation du modèle
juridique de gestion de l’État (Masquelier, Tallineau, Kott, Conan). Le
décret de 1962 sur la comptabilité publique, en dépit de velléités de
rapprochement avec la comptabilité des entreprises, campe sur les
mêmes positions. Après la séquence 1959-1962, il se produit une
sorte de gel ou de cristallisation budgétaro-comptable que ni les
trente-quatre propositions de réforme, inventoriées par L. Tallineau
13
, ni la roborative rationalisation des choix budgétaires (RCB),
pourtant bien dotée en ressources sociologiques, idéologiques,
intellectuelles, techniques… et mathématiques, ne parviendront à
ébranler, jusqu’à la LOLF.

Les acteurs du « système financier » :


dynamiques institutionnelles, interactions et
recompositions
Déjà évoquées dans le précédent volume sur le XIXe siècle, certaines
institutions du « système financier » sont particulièrement bien
couvertes dans ce deuxième volume (Descamps, Flizot, Kott,
Descheemaeker, Tallineau, Masquelier) : au premier plan, comme on
pouvait s’y attendre, on retrouve la rue de Rivoli et la rue Cambon.
L’administration des Finances, fragilisée à la veille de 1914, se trouve
fortement ébranlée par le conflit mondial (Bock, Descamps). Mais
dès les années 1920, elle entreprend sa propre réorganisation en
même temps que celle du « système financier ». La réforme du
contrôle des dépenses engagées est acquise en 1922 grâce à la loi
Marin ; toutefois, la lenteur de sa mise en place, les résistances
qu’elle suscite et surtout l’émergence du problème comptable, qui
n’avait pas été anticipé, fragilisent le dispositif ; à la fin des années
1920, les défaillances françaises du système des comptes et de la
comptabilité administrative sont identifiées et reconnues
publiquement (Descamps, Descheemaeker, Flizot, Tallineau). Dès
lors, la réforme comptable devient pour l’ensemble des responsables
du système financier une préoccupation centrale, car sans
comptabilité claire et fiable, la mise en place d’un contrôle a
posteriori de la gestion des administrations est impossible et la
maîtrise des dépenses illusoire 14 . Les réformes de 1934, 1935 et 1936
trouvent leur origine dans ce constat de cécité et de faillite
comptable (Descamps, Descheemaeker, Flizot). Aux côtés d’une
direction de la Comptabilité publique en pleine mue, dopée par la
crise budgétaire, émerge une puissante direction du Budget, qui
invente et expérimente toute la palette des outils de contrôle et de
rationnement budgétaire, et qui s’efforce de concentrer entre ses
mains la politique budgétaire, la gestion de la fonction publique et la
réforme administrative. Sous la IVe République, en dépit des
poussées concurrentes de la direction générale de la Fonction
publique, du CCECRSP et du Commissariat général à la Productivité,
la direction réussit à conserver ou à récupérer les attributions
acquises dans les années 1930, entreprend sa modernisation et se
convertit aux « techniques modernes » de gestion (Descamps).
La Cour des comptes de son côté connaît à partir des années 1920
une véritable effervescence réformiste. Dotée dès 1920 de
pseudopodes à caractère plus ou moins permanent (les comités
d’économies et de réforme administrative, la Commission des offices,
le Comité supérieur de contrôle financier de 1936, le CCECRSP de
1946, la CDBF et la CVCEP de 1948 15 ), elle cherche à accroître son
rôle dans le système de gestion des finances publiques et sait nouer
des alliances opportunistes avec la commission des finances du
Sénat, avec la rue de Rivoli ou la Présidence du Conseil. Entre 1930 et
1948, prenant le leadership des réformes, la Cour concentre en
définitive une bonne part des initiatives et des novations
intellectuelles, techniques et institutionnelles en matière de gestion
publique (Descamps, Descheemaeker, Chatriot, Flizot) ; las, elle ne
conservera pas la même vitalité ni le même enthousiasme
gestionnaire sur la fin de la période (Flizot).
Au second plan mais non sans poids politique, les commissions des
finances du Parlement, colonnes du régime parlementaire de la IIIe
et de la IVe République, apportent une contribution décisive dans la
mise au point des textes budgétaires de la fin des années 1930
(Descamps) et dans celle des années 1950 (Tallineau) ; mais sur la
longue durée, c’est sans doute une chronologie du déclin qui se
dessine, depuis la procédure des décrets-lois de l’entre-deux-guerres
jusqu’à la mise au pas du Parlement par la nouvelle Constitution de
la Ve République et par l’ordonnance organique de 1959. On identifie,
plus fugitivement évoqués, les services de la Présidence du Conseil,
le Conseil d’État, et de façon intermédiée, à travers le prisme de la
Cour des comptes, les collectivités locales ou les offices (Flizot,
Chatriot). Quelques créations latérales, éphémères « administrations
de mission », mais porteuses de novations importantes, focalisent le
regard, avant leur absorption administrative, leur dévitalisation ou
leur écartement définitif : le Commissariat général à la productivité,
le CCECRSP, l’ITAP (Descamps, Flizot, Wexteen)…
D’autres pôles émergents du système budgétaro-comptable restent
dans l’ombre, comme les entreprises publiques, qui pour l’après 1945
auraient mérité un traitement spécifique et de plus amples
développements. Certes, P. Masquelier nous donne un aperçu des
perturbations occasionnées par la nationalisation des entreprises en
matière de comptabilité publique et L. Quennouëlle nous renseigne
sur la façon dont la rue de Rivoli conçoit la tutelle et la « gestion »
des entreprises nationales ; mais on aurait aimé en savoir plus sur
l’existence (ou non) d’innovations, d’interactions, d’échanges ou de
transferts entre l’État et les entreprises nationales en matière
d’outils gestionnaires, comme ce sera le cas dans les années 1960. On
peut sans doute estimer que la problématique du contrôle reste
dominante dans cette période 16 et que rien ne se passe de
déterminant du point de vue de l’État avant le Rapport Nora (1968),
mais cette hypothèse resterait à vérifier du côté de la SNCF, de la
RATP, d’Air France ou d’EDF. Par ailleurs, même si S. Kott nous offre
un éclairage sur la gestion des départements ministériels (vu de la
direction du Budget), il manque également quelques études de cas
particulières, quelques monographies de ministères ou
d’établissements publics, pour repérer si des outils gestionnaires
spécifiques n’auraient pas été développés à un moment ou à un autre
en leur sein et éventuellement repris ou étudiés par les autorités
budgétaires centrales (cf. les capacités gestionnaires de ministères
techniques comme les PTT, les Armées ou les Travaux publics,
ministères traditionnellement innovants en matière de gestion) ou
si, réciproquement, des méthodes de gestion du système financier
central n’auraient pas migré vers des institutions périphériques
(grille de la fonction publique, contrôle budgétaire, inspection, etc.)
17
.
De façon générale, le système politico-administratif apparaît comme
non stabilisé et traversé de fortes dynamiques internes. Les pôles
d’impulsion de la réforme, parfois divergents mais toujours
concurrents, connaissent des chronologies différentielles : les
commissions des finances du Parlement en lent déclin, le ministère
des Finances qui s’impose comme un acteur majeur de la prévision,
de la préparation et du contrôle budgétaire, de la réforme
administrative et de la gestion de la fonction publique, la lente
montée de la Présidence du Conseil, le réveil puis le retrait de la
Cour des comptes… À l’intérieur du ministère des Finances ou dans
son orbite directe, se redessinent au gré des configurations politico-
historiques les territoires de l’Inspection des finances et de la Cour
des comptes, complémentaires et rivales, tandis qu’au sein d’un
même corps de hauts fonctionnaires financiers, dans une quasi
même génération et pour un même domaine d’intervention, se
distingue un exceptionnel quatuor de réformateurs du système de
gestion des finances publiques : Ardant le gestionnaire (1906-1977),
Goetze le pragmatique (1912-2004), Devaux le juriste (1906-1981) et
Gruson, l’économiste (1910-2000).

Entre pouvoir et savoir, la construction d’une


expertise en finances publiques ?
Par-delà les frontières institutionnelles, c’est bien une science
empirique des finances publiques qui se construit progressivement,
depuis le règlement de la guerre de 1914-1918 jusqu’à la mise en
place de Bretton-Woods, en passant par la crise budgétaire des
années 1930. Restreinte à un très petit milieu d’experts où les hauts
fonctionnaires « financiers » côtoient parlementaires, anciens
ministres et professeurs de droit mais sont toujours majoritaires,
elle s’élabore dans ces enceintes feutrées, étroites et sélectives que
sont les commissions de négociations financières internationales ou
de réforme administrative interne, les comités d’experts, les sous-
commissions de la SDN, les missions d’enquête des corps de contrôle,
la Revue de science et de législation financières ou l’Institut de droit
comparé de Paris. Là, au gré des négociations et des crises, elle se
ramifie et se segmente dans toute une série de spécialités financières
(comptabilité, budget, contrôle, réforme administrative, diplomatie
financière, monnaie, statistiques, etc.) qui participent de l’extension
de cette « culture du chiffre » déjà mise en lumière dans la même
période pour les entreprises. Au sein de ces lieux d’expertise, les
membres des grands corps, Inspection des finances et Cour des
comptes, démontrent leur capacité à accéder à la position de
spécialistes, tout en imposant leur statut de « généralistes » des
finances publiques et en s’attachant à construire une compétence
financière et budgétaire, transversale, interministérielle et
potentiellement arbitrale, grâce à la position de « contrôleurs ».
Cette expertise partagée n’empêche pas l’expression de divergences
ou de concurrences doctrinales, corporatives, institutionnelles ou
politiques (par exemple, la fixation de la date du début de l’année
financière qui a mobilisé plusieurs commissions sur plusieurs années
ou la notion de budget). À cet égard, il faut souligner, du point de
vue de la doctrine et du magistère, la personnalité exceptionnelle de
Gaston Jèze, professeur à la Faculté de droit de Paris, qui enjambe le
conflit mondial et surplombe l’entre-deux-guerres (Conan, Tallineau,
Descamps), mais n’a après 1945 ni disciple ni successeur de sa
stature. De sorte qu’après la seconde guerre mondiale, on assiste à
une sorte d’effacement des juristes de finances publiques qui, au sein
de leur propre discipline, subissent la concurrence d’autres droits
plus structurés et plus prestigieux comme le droit administratif (cf.
le rôle du juge et de la jurisprudence) ou le droit constitutionnel et
qui affrontent au même moment l’arrivée d’une nouvelle science de
gouvernement : l’économie.
Dans les années 1950 s’impose donc sans partage la prééminence des
hauts fonctionnaires des Finances qui monopolisent la réflexion, la
prospective, l’enseignement (Sciences Po, ENA), l’expertise, le
conseil et la rédaction des textes législatifs et réglementaires dans le
domaine des finances publiques (Ardant, Goetze, Devaux, Gruson).
Une seule personnalité fait exception à cette règle : Robert Jacomet
(1881-1962), contrôleur général des Armées, ancien expert
budgétaire à la SDN, qui préside en 1948 la commission de réforme
budgétaire, mais termine sa carrière à la veille du décret de 1956.
À l’intérieur des finances publiques, à la fin de notre période, s’opère
la latéralisation, voire la rétrogradation, de la comptabilité dans les
préoccupations gestionnaires des administrateurs tout autant que
dans celles des juristes. Après 1962, le désintérêt de la doctrine pour
la question comptable est flagrant (Conan, Feller), la comptabilité en
tant que matière devient le monopole des praticiens et trouve son
refuge quasi exclusif à la direction de la Comptabilité publique et à la
Cour des comptes (cf. J. Magnet et l’enseignement de la comptabilité
publique). Si la comptabilité publique, enjeu majeur dans l’entre-
deux-guerres, se voit désormais reléguée à un rang secondaire des
finances publiques, on peut dire qu’il en est de même pour la
discipline des finances publiques par rapport à la montée de
l’économie, nouvelle science gouvernementale qui focalise dans les
années 1950 puis 1960 tous les efforts du ministère des Finances
(création du SEEF puis de la direction de la Prévision, expansion de
l’INSEE, triangulation avec le Plan, etc.). Dans ce contexte, le «
système financier » se reconfigure, centré sur une rue de Rivoli
enrichie de nouvelles instances d’analyse et de prévision
économique et appuyée sur une Inspection des finances
expansionniste, tandis que la Cour des comptes connaît un relatif
effacement (Flizot). Mais en définitive, on peut dire que dans les
deux enceintes, l’approche gestionnaire reste minorée et marginale.
La construction nationale de cette expertise financière et budgétaire
des hauts fonctionnaires dans la première moitié du XXe siècle se
double de l’apparition d’une sphère transnationale de circulation des
savoirs et des connaissances en finances publiques, grâce à trois
étapes bien identifiées : dès avant 1914 et jusqu’au tournant des
années 1920, les pouvoirs publics français investissent dans la
connaissance monographique des modèles nationaux de systèmes
financiers (Allemagne, Italie, Grande-Bretagne) ; à la fin des années
1920, les échanges internationaux organisés dans le cadre de la SDN
permettent l’épanouissement dans les années 1930 d’une science
comparée et transnationale des systèmes budgétaires occidentaux ;
dans les années 1950, domine l’attraction du modèle de gestion
américain et, dans une moindre mesure, du modèle britannique
(Tallineau, Descamps, Flizot).
Au sein de cette sphère des finances publiques, des personnalités
dominantes prennent le leadership et se muent en « entrepreneurs de
réforme » : pour les hommes politiques, citons Caillaux, Klotz, Auriol
ou Bouthillier ; pour les hauts fonctionnaires, Bloch, Courtin, Féret
du Longbois, Labeyrie, Drouineau, Jacomet, Ardant, Devaux, Goetze ;
pour les universitaires, Jèze, etc. À chacune de ces personnes, au-
delà des questions techniques, sont attachés des enjeux politiques
déterminants : le partage de l’initiative budgétaire entre l’exécutif et
le Parlement ; le budget, acte politique ou document comptable et
juridique ; le contrôle juridique des actes administratifs ou le
contrôle de l’efficacité de l’action administrative ; la prééminence de
l’exécutif ou le rééquilibrage des pouvoirs en faveur du Parlement ;
la dévolution du pouvoir aux experts ou aux représentants du peuple
; légalité ou efficacité… Tout au long de la période, certains débats,
tâtonnants, restent mal ou non résolus : le contrôle de l’exécution de
la dépense, la responsabilité des ordonnateurs et leur contrôle, le
statut et le rôle des comptables, l’évaluation de la dépense lors de la
loi de règlement, le degré d’hybridation ou de contradiction entre
contrôle administratif et contrôle financier, la transformation du
contrôle de la gestion en un progressif contrôle de gestion qui
pointera son nez dans la période suivante 18 …
En définitive, si l’on se place au milieu des années 1960, après la mise
en place de ce qu’il est convenu d’appeler le « bloc constitutionnel »
de la Ve République, faut-il conclure au triomphe du droit budgétaire
et comptable ? La minoration, voire l’effacement de la
problématique gestionnaire peut paraître consommée : déclin de
l’ITAP, réorientation du CCECRSP, dissolution du Commissariat
général à la Productivité, recul des textes de 1959 par rapport à ceux
de 1956, maintien d’une logique budgétaire de moyens aux dépens
d’une logique de résultats, persistance de l’absence de moyens
techniques et informatiques de gestion, disparition ou latéralisation
des services « dédiés » à la gestion des services publics, timidité
gestionnaire de la Cour des comptes et des contrôleurs financiers
ministériels, abandon par la direction du Budget de ses ambitions
d’innovation et d’expérimentation gestionnaire… Cette dissolution
de la poussée gestionnaire met en valeur a contrario la puissance
persistante du modèle juridique (le droit comme contexture de
l’administration et de l’État et comme mode de gestion de l’État), de
ses partisans (l’ENA, le Conseil d’État, les facultés de droit, la Cour
des comptes, Devaux qui a mis tout son poids de directeur du Budget
dans la balance en 1959), de sa résistance aux innovations
gestionnaires et aussi sa capacité à les ingérer, même s’il rabote ou
dilue les plus hétérodoxes… Un trio symbolique de hauts
fonctionnaires pourrait illustrer cette mise en tension du droit et de
la gestion : Ardant éliminé en 1959 par le couple Debré/Devaux, ou la
gestion terrassée par le droit ! Cette élimination se donne à voir
comme le symbole de la concurrence dans l’État des savoirs, des
compétences et des disciplines, des corps de hauts fonctionnaires et
des experts publics, des modèles de gestion et de gouvernance. Très
vite, la fin de la décennie des années 1960 verra se dessiner une autre
compétition, cette fois-ci entre l’économie et la gestion !
Mais en réalité, la question se déplace du côté des acteurs
administratifs et de leur capacité (ou non) à recevoir et à
s’approprier les novations institutionnelles, juridiques, techniques
ou pratiques. Les nouvelles manières de penser la gestion de l’État,
quand bien même elles parviennent à investir des positions
juridiques (ce qui a été le cas en 1956 par exemple), ne trouvent pas
forcément des administrateurs ni même des juristes prêts à les
adopter, à les mettre en pratique, à leur donner une actualité ou à les
construire en enjeux de gestion publique (Conan, Feller, Masquelier,
Tallineau). Dans ce domaine comme dans d’autres, c’est la lenteur
des changements, l’inertie des comportements et des « outillages
mentaux » qui frappent l’observateur. Ainsi que le décalage de
rythme et de temporalité entre le temps des « entrepreneurs de
réforme » (assez rapide, si l’on pense aux actions qu’ont pu mener
des personnalités comme Caillaux, Labeyrie, Jacomet, Haguenin,
Bouthillier, Ardant, Goetze, Devaux), le temps des juristes et de la
production de doctrine, le temps plus long de la concertation et de
l’établissement du consensus (les comités consultatifs, les
commissions de réforme), le temps du politique et de la décision
(temps de l’exécutif/temps du Parlement), le temps de l’inscription
dans la loi puis dans la circulaire, le temps de l’appropriation des
nouveaux outils de gestion par les agents et les services
gestionnaires, sans parler du décalage qui peut exister entre
l’administration inspectante et l’administration administrante, entre
l’administration centrale et les « services extérieurs ».
La progression de la réforme se fait donc au cours d’un processus
d’ajustement itératif, cahotant et non linéaire, par bonds, lorsque
sont réunies les conditions d’une configuration politico-financiaro-
administrative favorable : 1920-1923, 1934-1936, 1956-1959. En ce qui
concerne le système de gestion publique, il n’y a dans la période ni
cumulativité, ni linéarité, ni continuité dans la réforme ; le passage
du témoin ne se fait pas toujours, pas plus que la transmission
d’expérience, d’une génération à l’autre ; il se produit des reculs et,
parfois même, l’effacement pur et simple de dispositifs pourtant
institués légalement. Jusqu’à ce qu’une nouvelle génération remette
l’ouvrage sur le métier, à nouveaux frais 19 !

NOTES
1. P. Bezes, F. Descamps, S. Kott, L. Tallineau (dir.), L’invention de la gestion des finances
publiques, Élaborations et pratiques du droit comptable et budgétaire au XIXe siècle, 1815-1914,
Paris, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 2010.
2. Un certain nombre de communications orales présentées au cours du séminaire ont fait
l’objet de publications dans un autre cadre, auxquelles on se reportera avec profit, comme
O. Dard, Jean Coutrot, De l’ingénieur au prophète, Besançon, Presses de Franche-Comté, 1999 ;
D. Berthereau, L’expertise de la commission de vérification des comptes des entreprises publiques
(1948-1976), thèse d’histoire, Paris IV, 2005 ; O. Henry, « L’impossible professionnalisation du
métier d’ingénieur-conseil (1880-1954) », Le Mouvement social, n° 214, janvier-mars, 2006 et
Les guérisseurs de l’économie. Sociogenèse du métier de consultant (1900-1950), Paris, CNRS
Éditions, 2012 ; R. Boulat, Jean Fourastié, un expert en productivité. La modernisation de la France
(années trente-années cinquante), Besançon, PUF, 2008 ; N. Carré de Malberg, Le grand état-
major financier : les inspecteurs des Finances, 1918-1946, Paris, Comité pour l’histoire
économique et financière de la France/IGPDE, 2011, notamment la deuxième partie sur le
métier d’inspecteur des Finances, mis en ligne le 27 octobre 2011, consulté le 9 février 2012.
URL : http://igpde.revues.org/95.
3. Les travaux sur la première moitié du XIXe siècle montrent que sous les monarchies
censitaires, la construction du droit budgétaire et comptable n’est pas séparable d’un «
souci gestionnaire » ; c’est notamment le cas de l’ordonnance de 1838 qui organise de façon
cohérente la liaison entre la loi des comptes et le budget et qui, en se livrant à une
description concrète et détaillée du contrôle sur l’activité des ministères, manifeste une
préoccupation de gestion qui va jusqu’à l’exigence de résultats.
4. Nous appelons « approche gestionnaire » le raisonnement qui consiste à prendre en
compte l’efficacité (la réalisation des objectifs) et l’efficience (les coûts) dans l’allocation et
l’utilisation des ressources budgétaires. Sur la distinction entre les notions de régulation,
administration, gestion et management, nous renvoyons à l’introduction de P. Bezes dans le
volume I, qui a présenté toutes les nuances et toutes les dynamiques historiques de ces
concepts.
5. Depuis 2005, le propos du séminaire est d’étudier l’histoire du « système financier » tel
qu’il a été défini par le marquis d’Audiffret, concepteur et organisateur de la comptabilité
publique au XIXe siècle, à savoir l’histoire du système de gestion des finances publiques.
Cette histoire, qui s’intéresse à la « machinerie » budgétaro-comptable et non aux flux
financiers, qui privilégie l’analyse politico-institutionnelle sur l’analyse économique des
masses budgétaires, est plus largement une histoire de l’État vue depuis la gestion des
deniers publics, et plus particulièrement, une histoire de la gestion de la dépense (règles,
principes juridiques, techniques, pratiques comptables et budgétaires, savoirs et outils de
pilotage, d’allocation et d’utilisation des ressources financières de l’État).
6. L’expression est à entendre comme l’espace des administrations publiques autant que
comme les enceintes publiques du débat et de la concertation, de la doctrine et de l’opinion
autour des finances publiques.
7. Certains projets élaborés dès avant 1914 n’aboutissent qu’à la fin des années 1930 (le
contrôle financier a posteriori) ; des idées ébauchées pendant l’entre-deux-guerres ne
trouvent un début de réalisation qu’après 1950 (les premières mesures des résultats de
l’administration) et certaines des intuitions des années 1950 ne trouveront une forme
aboutie qu’avec la LOLF en 2001 (le budget de programme et les indicateurs de
performance).
8. Le lien avec les travaux en histoire de la comptabilité privée (B. Colasse, N. Praquin, M.
Nikitin, Y. Lemarchand, B. Touchelay pour ne citer que quelques chercheurs), qui se sont
beaucoup développés depuis plusieurs années, n’a malheureusement pu être établi autant
qu’il aurait été nécessaire. L’histoire comparée de la question comptable dans le secteur des
entreprises et dans la sphère publique, l’étude de leurs interactions, de leurs points de
divergence ou de convergence, la comparaison des rythmes de l’innovation comptable dans
un secteur et dans l’autre et l’analyse des éventuels transferts ou emprunts qui ont pu
intervenir à tel ou tel moment du XXe siècle constituent un chantier de recherches à lui
tout seul, qui pourrait donner lieu dans l’avenir à des travaux fructueux.
9. La notion de contrôle, pourtant très usitée en finances publiques, curieusement, n’a
guère suscité de définitions théoriques formelles dans notre période, contrairement au
terme « contrôle de gestion » qui dans le dernier quart du XXe siècle a une signification
bien précise (voir infra). Le terme contrôle est utilisé dans les manuels le plus souvent à des
fins distinctives pour désigner les pouvoirs et les différentes procédures que l’État et le
Parlement ont à leur disposition pour « vérifier », « examiner », « surveiller », voire
sanctionner les administrations et les services. On parlera du contrôle hiérarchique ou du
contrôle de tutelle, du contrôle de légalité ou d’opportunité, du contrôle administratif,
parlementaire ou juridictionnel, du contrôle de la préparation ou de l’exécution, etc.
Retenons que le contrôle a toujours quelque chose à voir avec la comparaison entre ce qu’a
été une activité administrative et ce qu’elle aurait dû être ou devrait être. Ou que le
contrôle consiste à « s’assurer qu’une chose est bien telle qu’on l’a déclarée ou telle qu’elle
doit être par rapport à une norme donnée » (J.-F. Fabre, Le contrôle des finances publiques,
Paris, PUF, 1968, p. 8). Voir aussi Traité des sciences administratives, ouvrage collectif, Paris/La
Haye, EPHE/Mouton, 1966 (notamment D. Levy, « Aspects généraux du contrôle », p. 633).
10. Contrôle a priori/contrôle a posteriori ; contrôle des dépenses engagées central/local ;
contrôle des ordonnateurs/contrôle des administrateurs ; contrôle juridictionnel/contrôle
parlementaire ; contrôle des comptes/contrôle des comptables/contrôle des
administrations ; contrôle budgétaire des collectivités locales/contrôle financier des offices
et des sociétés d’économie mixte/contrôle des associations subventionnées.
11. S. Kott, Le contrôle des dépenses engagées, Évolutions d’une fonction, Comité pour l’histoire
économique et financière de la France, 2004.
12. L’État manifeste donc précocement sa volonté de mettre en place des dispositifs de
contrôle budgétaire ; à cet égard, il ne démontre pas de retard particulier par rapport aux
entreprises, au contraire. En revanche, le contrôle de la gestion des administrations n’est
pas encore un contrôle de gestion, au sens moderne du terme. Sur la chronologie de la mise
en place du contrôle budgétaire dans les entreprises au XXe siècle, N. Berland, L’histoire du
contrôle budgétaire en France, thèse, université Paris-Dauphine, 1999.
13. L. Tallineau, « Quarante ans de propositions de réforme de l’ordonnance du 2 janvier
1959 », RFFP, n° 73, 2001, p. 19-29.
14. La question comptable est donc dans l’entre-deux-guerres tout aussi prégnante pour
l’État que pour les entreprises ; là encore, il n’y pas d’effet retard dans l’administration par
rapport au secteur privé.
15. Pour la commission de vérification des comptes des entreprises publiques (CVCEP) qui
appartient à la même séquence réformatrice, on se reportera à la thèse de D. Berthereau, op.
cit.
16. Sur ce sujet, on se reportera à la thèse de D. Berthereau sur la CVCEP, op. cit.
17. Le constat de cette lacune a d’ailleurs conduit les organisateurs du séminaire à intégrer
ce type d’étude pour l’analyse de la RCB et de son acclimatation dans les années 1970 et
pour l’éclosion de nouveaux outils gestionnaires dans les années 1980 et 1990.
18. Si la décennie 1970 voit émerger la notion de contrôle de gestion, il faut attendre les
années 1990 et surtout 2000 pour que le concept et les pratiques qui y sont attachées
s’installent dans le paysage des finances publiques. Selon la circulaire du 21 juin 2001 du
ministère du Budget, le contrôle de gestion est « un système de pilotage mis en œuvre par
un responsable dans son champ d’attribution en vue d’améliorer le rapport entre les
moyens engagés – y compris les ressources humaines – et soit l’activité développée, soit les
résultats obtenus dans le cadre déterminé par une démarche stratégique préalable ayant
fixé des orientations [...] Il permet d’assurer, tout à la fois, le pilotage des services sur la
base d’objectifs et d’engagements de service et la connaissance des coûts, des activités et
des résultats ». Forum de la performance, http://www.performance-
publique.budget.gouv.fr/la-performance-de-laction-publique/approfondir/le-controle-de-
gestion/les-missions-et-activites-du-controle-de-gestion.html.
19. La RCB, sa naissance et son développement dans le système de gestion publique ont fait
l’objet de plusieurs séances du séminaire en 2010 et 2011 ; cette nouvelle poussée
gestionnaire, sans continuité aucune avec les expérimentations des années 1950, sera
étudiée dans le volume III, à paraître.

AUTEUR
FLORENCE DESCAMPS

Normalienne et agrégée d’histoire, Florence Descamps est maître de conférences en histoire


à l’École pratique des hautes études (EPHE). Elle y anime un double séminaire sur la création
et l’utilisation des témoignages oraux en histoire contemporaine et sur l’histoire du
ministère des Finances au XXe siècle. Elle participe depuis 2005 au groupe de pilotage du
séminaire Histoire de la gestion des finances publiques XIXe-XXe siècles et a codirigé la
publication du premier volume des actes L’invention de la gestion des finances publiques.
Élaborations et pratiques du droit comptable et budgétaire au XIXe siècle (1815-1914). Elle a publié
de nombreux articles sur le ministère des Finances au XXe siècle et sur la réforme de l’État.
Dernièrement, elle a publié « La RCB 1966-1971 : une première expérience managériale au
ministère des Finances ? », in E. Godelier, M. Le Roux, G. Garel, A. David et E. Briot (dir.),
Pensée et pratiques du management en France. Inventaire et perspectives 19e-20e siècles, 2011,
consultable en ligne sur http://mtpf.mlab-innovation.net/fr/sommaire/chapitre-2/la-rcb-
1966-1971-une-première-expérience-managériale-au-ministère-des-finances.html?
PHPSESSID=6a35f3663f90efc5f44bf6a739069703 ; « Les inspecteurs des Finances et la
réforme de la gestion publique au XXe siècle », in F. Cardoni, N. Carré de Malberg et M.
Margairaz (dir.), Dictionnaire historique des inspecteurs des Finances 1801-2009, Paris, Comité
pour l’histoire économique et financière de la France/IGPDE, 2012, p. 141-150 et « Les
techniciens des Impôts et la naissance d’une expertise fiscalo‑financière : L’État moderne
1928-1939 », in F. Monnier et J.-M. Leniaud (dir.), Experts et décisions, Paris/Genève, Droz,
2013, p 47-57.
Première partie. Contrôler pour
maîtriser la dépense publique
L’impossible gestion des finances
publiques pendant la Grande Guerre
Fabienne Bock

Introduction
Si, durant tout le XIXe siècle, des principes nouveaux et des
méthodes en constante évolution ont contribué à une régulation
accrue des finances publiques, la Grande Guerre l’a fait voler en
éclats, au point qu’on ne peut même pas retrouver dans les pratiques
des ministères qui se succèdent d’août 1914 à octobre 1919 les
principes énoncés en 1814 par le baron Louis : l’exécutif est
incapable de préparer un budget et de le soumettre aux Chambres et
le ministère des Finances ne peut fournir au Parlement un état
annuel des dépenses. C’est ce que constate devant la Chambre le 7
juin 1920 François Marsal, ministre des Finances du gouvernement
Millerand, qui déclare :
« Depuis six ans, nous vivons sous un régime précaire et provisoire, auquel les
circonstances créées par la mobilisation nous ont condamnés. L’application de
presque toutes les règles qui faisaient la force de notre comptabilité publique a
dû être suspendue. La plus grande partie des recettes et des dépenses n’ont pu,
jusqu’à ce jour, recevoir d’imputations définitives. Les écritures d’aucun des
exercices postérieurs à 1914 n’ont pu être arrêtées. Aucune affectation n’a pu
être donnée au produit des emprunts. Dans les livres des comptables comme
dans ceux du Trésor se sont multipliés les comptes d’attente qui présentent des
soldes de plusieurs milliards formés aussi bien de dépenses, dont chaque jour
passé rend la régularisation plus difficile, que de véritables avances, dont, avec le
temps, le recouvrement apparaît de plus en plus compromis. Il est impossible,
sans avoir débrouillé ce chaos et apuré cet arriéré, de rétablir dans nos affaires la
clarté indispensable, de fixer les prescriptions d’après lesquelles devront
désormais s’effectuer les services, de tracer les cadres budgétaires dans lesquels
ils devront rentrer, d’instaurer véritablement un contrôle des dépenses
publiques, à la création duquel les Chambres n’ont cessé, depuis dix ans,
1
d’apporter leur attention ».
Les difficultés, le chaos qu’évoque Marsal persistent en 1923 :
Lasteyrie, son successeur au ministère des Finances dans le
gouvernement Poincaré, reconnaît que ses services sont incapables
d’estimer avec exactitude le montant des bons de la Défense en
circulation et, revenant sur les difficultés de son ministère, il évoque
« la formidable activité dépensière de tous les services » et constate
que « les comptables [du Trésor], débordés, se trouv[ent] incapables
de se conformer aux règles traditionnelles qui assurent la
centralisation des écritures des dépenses de l’État 2 ».
La guerre, par sa durée, par la mobilisation de tous les hommes et de
toutes les forces économiques de la nation, a créé une situation que
l’appareil de l’État a dû affronter dans l’urgence, sans y être préparé,
dans une constante improvisation. En matière budgétaire comme
dans l’ensemble de leurs domaines de compétences, les relations
entre le Gouvernement et le Parlement ont été modifiées. Quant au
ministère des Finances, il a dû, pour faire face à une explosion inouïe
des dépenses, renoncer à certaines règles de la comptabilité publique
: l’essentiel était de répondre aux demandes des ministères
dépensiers, la Guerre et l’Armement surtout, alors même que la
mobilisation l’avait privé d’une partie de ses fonctionnaires le
laissant dans une situation de sous-effectifs pendant toute la durée
du conflit.

I. Les budgets de guerre


En 1925, Gaston Jèze estimait impossible « de fixer, même de façon
approximative, le montant des dépenses de guerre de l’État ». Il
ajoutait que l’espoir « de déterminer de manière précise les dépenses
en numéraire engagées par l’État [devait] être abandonné pour une
période indéterminable, en raison de la désorganisation du ministère
des Finances par la mobilisation et du désordre des écritures
publiques ». Près de cent ans plus tard, la recherche n’a guère
progressé et l’on ne peut se fonder que sur la somme des crédits
votés par le Parlement entre 1914 et 1919 pour approcher l’ampleur
des dépenses engagées durant la guerre. Alors qu’en 1914, le budget
de l’État – budget en équilibre – avoisinait les 5 milliards de francs,
ce sont 208 milliards qui sont consentis par les Chambres en 6 ans,
avec une progression constante : 6,5 milliards en 1914, 22,8 en 1915,
32,9 en 1916, 41,7 en 1917, 54,5 en 1918, 49,8 encore en 1919. Même
en tenant compte de l’inflation, la progression est vertigineuse. Par
ailleurs, ces sommes n’ont pas été inscrites dans des budgets annuels
: aucun budget n’a pu être présenté durant toute la guerre à
l’exception d’un budget concernant les dépenses « ordinaires »,
c’est-à-dire non liées à la guerre, présenté par Klotz 3 à l’automne
1917. À partir du troisième trimestre de 1915, le Parlement vote tous
les trois mois des crédits, les douzièmes provisoires, qui permettent
d’assurer les dépenses liées à la solde et à l’entretien des militaires,
les pensions versées aux mutilés, aux veuves et aux orphelins et
surtout de financer la fabrication des armements en quantité
croissante, l’achat à l’étranger des matières premières nécessaires
aux industries de guerre et bientôt au ravitaillement du pays. Au
début de l’année 1915 cependant, certains membres du
Gouvernement et tout particulièrement le ministre de la Guerre,
Alexandre Millerand, avaient caressé l’idée de prolonger la situation
créée en août 1914 par l’ajournement du Parlement, estimant le
régime parlementaire incompatible avec la situation de guerre. Or,
dans leur majorité, députés et sénateurs tiennent à être associés à la
direction de la nation en guerre et refusent cette éventualité,
Clemenceau en tête, qui publie dans son journal l’Homme enchaîné un
éditorial qui fait figure d’avertissement au Gouvernement. Rappelant
que le Parlement, convoqué en décembre 1914 pour avaliser les
décisions prises par l’exécutif en son absence, a voté le 22 décembre
des crédits provisoires pour 6 mois (6 douzièmes provisoires), il
précise : « nous les avons accordés parce que nous étions sûrs de
siéger encore à l’expiration de l’échéance. Il en irait désormais tout
différemment 4 ». Le vote – non pas du budget, mais des crédits
permettant de financer la guerre – apparaît donc bien comme l’atout
essentiel du Parlement : soit son droit à siéger et à voter les dépenses
est reconnu et le régime parlementaire est maintenu, soit l’exécutif
sort du cadre institutionnel de la IIIe République. Le choix du
gouvernement Viviani ne se fait pas attendre. Le 7 mai 1915,
Alexandre Ribot, ministre des Finances, annonce qu’il demandera un
vote trimestriel des crédits, donnant ainsi au Parlement l’assurance
qu’il siégerait sans interruption et qu’il exercerait son droit de
contrôle non seulement sur le montant des crédits, mais sur la
politique du Gouvernement dans son ensemble. Au prix de quelques
aménagements 5 , le Parlement maintient donc ses droits
constitutionnels, mais, en pratique, l’esprit de l’Union sacrée qui
persiste jusqu’à l’été de 1917, puis le soutien d’une majorité fidèle au
gouvernement Clemenceau à partir de novembre 1917, limitent
sérieusement son rôle. Le vote des crédits donne lieu à quelques
débats, surtout à partir de 1916, mais ils ne sont jamais refusés ni
même sérieusement critiqués ou diminués par les Chambres qui
n’ont guère les moyens de les contester. Ce n’est qu’avec la rupture
de l’Union sacrée à l’été 1917 que les débats sur les douzièmes
provisoires prendront quelque ampleur, sans jamais que se constitue
une majorité pour les refuser.
Y a-t-il eu, pour le moins, un contrôle a posteriori des dépenses ? En
1915, le Gouvernement prévoit de soumettre au Parlement un état
récapitulatif des dépenses engagées. Mais il en est en fait incapable
et l’incertitude ne sera pas levée puisque en 1920 François Marsal
déclarait que « Les écritures d’aucun des exercices postérieurs à 1914 n’ont
pu être arrêtées ». Il faut enfin noter que, hors contrôle du Parlement,
des comptes spéciaux sont créés pour acheter et revendre
ravitaillement et matières premières pour les besoins des armées, de
la population civile et des industries. En principe, le solde aurait pu
s’équilibrer ; en fait, ces comptes laissent, à la fin du conflit, un
déficit supérieur à 22 milliards de francs 6 .
Si les dépenses évoluent au coup par coup, il en est de même pour les
recettes, l’impôt n’en fournissant qu’une faible part. Après une
longue résistance, le Sénat s’était finalement résolu à voter l’impôt
sur le revenu le 14 juillet 1914 et, en décembre 1915, les Chambres
décident sa mise en application, avec quelques aménagements, pour
l’année 1916. Mais la situation de guerre le rend techniquement
difficile à instaurer et peu productif. Quant à l’impôt sur les
bénéfices extraordinaires de guerre établi par la loi du 1er juillet
1916, dont la perception s’étalera jusqu’à la fin des années 1920, il ne
donnera que de maigres résultats. Outre l’augmentation de la
circulation fiduciaire, rendue possible dès le 4 août 1914 par la
suppression de la convertibilité de la monnaie en or, c’est donc par
l’emprunt que la guerre sera financée. Dès le 13 septembre 1914, un
décret autorise l’émission des premiers bons de la Défense nationale
(à 10 ans, portant un intérêt de 5 %, net d’impôt) ; par la suite, les
Chambres autoriseront d’autres emprunts à l’intérieur du pays ainsi
qu’auprès des alliés, essentiellement la Grande-Bretagne et les États-
Unis.

II. Manquements aux règles de la


comptabilité publique et nouvelles pratiques
Si le contrôle parlementaire des dépenses s’est avéré largement
illusoire, c’est aussi parce que d’autres règles de la comptabilité
publique ont été transgressées. Celles-ci interdisaient les avances
aux fournisseurs et n’autorisaient que le versement d’acomptes pour
services faits. Les besoins de la production d’armements vont
entraîner une modification de ces pratiques. Jusqu’en 1914, les
armements étaient fabriqués presque exclusivement dans les
arsenaux et poudrières de l’État. Quelques établissements privés,
comme Schneider ou Marine-Homecourt, en produisaient
cependant, mais à destination de clients étrangers. Dès septembre
1914, la nécessité d’accroître la production pour remplacer les
munitions et les armes hors d’usage et assurer la fourniture des
matériels militaires de toutes sortes pour un conflit dont la durée et
l’intensité dépassent d’ores et déjà les prévisions, amène non
seulement le ministère de la Guerre 7 à s’adresser aux firmes déjà
versées dans cette industrie, mais à solliciter le concours de toutes
les entreprises industrielles susceptibles de se convertir à la
production d’armements. Pour répondre à cette demande, celles-ci
sollicitent alors des avances que l’État accorde dès la fin de l’année
1914, d’abord pour régler les salaires des ouvriers et les achats de
matières premières, puis, en 1915, pour les achats d’outillage. Cette
dernière pratique qui modifie les règles habituelles est légalisée par
la loi du 28 septembre 1915 qui prévoit en théorie des garanties pour
l’État (hypothèques ou nantissements et redevance si les
installations financées continuent de fonctionner après la guerre). À
partir de 1916, un nouveau pas sera franchi dans la collaboration
entre l’État et l’industrie : pour rationaliser les achats de matières
premières à l’étranger, des consortiums seront créés à l’image du
Comptoir des produits métallurgiques. Créé par le Comité des
Forges, le Comptoir a le monopole des importations et revend à un
seul client, l’État, qui se charge de répartir les matières premières
selon les besoins des industries et les priorités qu’il a définies, et qui
surveille – en théorie – les activités du Comptoir 8 .
Ces pratiques, improvisées dans l’urgence, donnent lieu à de
nombreux abus, aucun service administratif n’étant véritablement à
même de vérifier le sérieux de l’entrepreneur et l’utilisation des
sommes versées. De plus, surtout lors des premiers contrats, aucune
clause ne préservait les intérêts de l’État « prêteur ». Enfin, les prix
facturés à l’État, seul acheteur, mais client captif de ses fournisseurs
qu’il ne peut mettre en concurrence puisqu’il absorbe toute leur
production et en demande sans cesse davantage, sont souvent
largement surévalués, comme en témoignent les bénéfices
extraordinaires réalisés par la plupart des industries de guerre 9 . Le
sous-secrétaire d’État à l’Armement, Albert Thomas, le constatait
dans une note à l’un de ses collaborateurs : « l’administration de la
guerre, seul consommateur et consommateur obligatoire, obligé de
faire appel à toutes les forces, ne pouvant mettre les industriels en
concurrence, [est] obligé de se plier à leurs exigences ». Il
poursuivait en jugeant qu’alerter l’opinion publique et s’appuyer sur
elle pour empêcher les bénéfices excessifs risquerait d’entraîner une
diminution de la production alors que tout devait être mis en œuvre
pour la développer 10 .
C’est pourtant à son initiative qu’est créé le premier organisme
visant à contrôler les contrats passés entre son administration et les
fournisseurs privés : la commission des contrats est créée le 12
septembre 1915, présidée d’abord par André Claveille 11 , puis par
Arthur Fontaine 12 . Son initiative est suivie par le ministre du
Commerce, Étienne Clémentel, qui met en place le 27 septembre 1915
un comité consultatif pour les prix d’achat, de cession et les
conditions générales des marchés. Ce comité rassemble des
directeurs des ministères du Commerce et de l’Agriculture et des
parlementaires. D’autre part, la Chambre et le Sénat prendront la
décision en décembre 1915 de créer des commissions parlementaires
avec pour objet le contrôle des marchés de guerre. Ces commissions
obtiendront les pouvoirs d’enquête 13 et, renouvelées à chaque
législature, poursuivront leurs travaux jusqu’au milieu des années
1930 14 .
Il est remarquable que le ministère des Finances soit fort peu
représenté dans les deux comités d’initiative ministérielle : seul
Lucien March, directeur de la statistique de la France qui fait partie
de la commission des contrats de l’Armement, se rattache à ce
ministère qui, pour sa part, n’a pas créé d’organisme de ce type. Est-
ce à dire qu’il ne se soucie pas de la bonne gestion des deniers de
l’État ? Il semble plutôt qu’il n’a pas les moyens d’exercer son
contrôle sur les dépenses des ministères et des différents services de
l’armée. Un exemple cité par Gaston Jèze 15 éclaire la situation aux
armées. Les autorisations de dépenses sont délivrées par les
généraux en chef (prérogative que leur a accordée le règlement
militaire), et doivent être envoyées en même temps aux intendants
qui effectuent les achats dans les limites des autorisations reçues et
aux payeurs aux armées qui les soldent ; les autorisations de
dépenses enregistrées doivent ensuite être régularisées par
ordonnance ministérielle. Or, les bordereaux d’émission des mandats
que doivent envoyer les intendants ne parviennent pas à
l’administration centrale de la Guerre qui ne peut donc justifier ses
prévisions de crédits. Pour remédier à cette situation, signalée par la
commission du Budget de la Chambre, le ministre de la Guerre et le
ministre des Finances réagissent conjointement au début de l’année
1915. Le ministre de la Guerre demande à chaque intendant ou sous-
intendant un état mensuel des mandats émis, par chapitre du budget
; ces états seraient ensuite rassemblés dans un état collectif envoyé
au ministre de la Guerre. En même temps, le ministre des Finances
prescrit aux payeurs aux armées de veiller à ce que le total des
mandatements effectués par les intendants reste dans les limites des
autorisations données et il leur demande de fournir au ministre un
état mensuel des autorisations de dépenses délivrées. Les deux
ministres insistent pour qu’il y ait accord dans chaque formation
entre la comptabilité du payeur et celle de l’ordonnateur. « Toutes
ces prescriptions ne furent pas suivies » conclut laconiquement
Gaston Jèze… D’ailleurs, une note du 7 août 1915 de la direction
générale des Services du matériel commence par ces phrases :
« L’impérieuse nécessité de satisfaire sans délai aux besoins des armées empêche
de continuer à se conformer strictement aux règles de la comptabilité des
dépenses engagées. Il n’en est pas moins indispensable de mettre le ministre des
Finances à même de réaliser les moyens de paiement des dépenses au fur et à
mesure qu’elles s’engagent et de les réaliser chez les payeurs intéressés […] En
conséquence, chaque fois qu’une Direction administrative donnera un ordre de
commande, prescrira un achat, ou, d’une façon générale, engagera une dépense,
elle devra remettre immédiatement à la Direction générale du contrôle une fiche
indiquant la nature de la dépense, le montant évalué aussi approximativement
que possible, la date et le lieu du paiement ».
Mais la conclusion est la même : ces prescriptions ne furent pas
observées par les services 16 .
Il ressort de ces exemples que le ministère des Finances se trouve en
quelque sorte en deuxième ligne : ce sont les administrations et les
ministères dépensiers qui, les premiers, ne respectent pas les règles
de gestion. Rien d’étonnant à cela : le travail des intendants et sous-
intendants militaires est extrêmement difficile. Ainsi, au début de la
guerre, le camp retranché de Paris ne disposait d’aucune réserve de
nourriture ou d’équipement. Le sous-intendant Gruet, responsable
de la sous-intendance B du camp retranché, est mis en disponibilité
en 1916 pour les irrégularités de sa gestion. Entendu par la
commission des marchés de la Chambre, il avance pour sa défense
que les magasins étaient vides et qu’il a dû faire face à une situation
où il lui était impossible de contrôler chaque offre. Ses arguments
trouvent un écho dans le rapport du contrôleur militaire général
Bossut qui avance le chiffre de 1 300 marchés conclus pour une
valeur de 110 millions de francs entre août et décembre 1914 et qui
tend à le disculper. De plus, les intendants et sous-intendants du
cadre ayant été affectés dans les formations de l’avant, l’armée a fait
appel, pour remplir ces fonctions à l’arrière, à des réservistes
insuffisamment préparés : c’est le cas par exemple du sous-intendant
Moureaux, conservateur des hypothèques dans le civil qui, affecté à
la sous-intendance du Mans, a dû effectuer des achats se montant à
plus de 100 000 F par jour durant les premiers mois de la
mobilisation 17 .
C’est donc dans la pratique des administrations et des services
confrontés à la nécessité d’approvisionner coûte que coûte l’armée
d’abord, les civils ensuite, que se produisent les manquements aux
règles des marchés publics et que la tenue des écritures laisse
sérieusement à désirer. Dès lors, que peut faire le ministère des
Finances, sinon rappeler au règlement et finalement couvrir les
sommes engagées, même de façon irrégulière, voire perçues par de
véritables escrocs ? Sans même parler de l’impossibilité matérielle
de contrôler cette masse énorme de tractations de tous ordres, il faut
rappeler que tout retard dans l’approvisionnement, toute entrave,
même justifiée en théorie, aux livraisons attendues, auraient d’abord
été perçus comme une atteinte à la défense nationale. Quant aux
avances aux industriels, elles engagent des sommes sans commune
mesure avec celles versées par les intendants militaires mais sans
plus de garanties. Le service des Poudres du ministère de la Guerre a
ainsi passé 6 contrats avec la société des Forces motrices et usines de
l’Arve entre septembre 1914 et 1916. La commission des Marchés
estime que les avances de l’État, qui se chiffrent en millions, ont été
à fonds perdus et elle relève de plus que les montages financiers et
les fusions de société ont empêché l’administration des Finances de
fixer exactement l’impôt sur les bénéfices de guerre 18 .

III. Une administration débordée


Face à cette extension sans précédent des tâches de l’État,
l’administration centrale des Finances est d’autant plus désarmée
que ses effectifs ont été réduits et qu’aucun service supplémentaire
19
n’a été créé durant le conflit. En janvier 1920, la direction du
Personnel émet une note dans laquelle elle constate : « Tout le
monde étant unanime pour constater que la situation au ministère
des Finances était lamentable… les travaux de l’administration des
Finances se sont accrus dans des proportions considérables. Le
personnel a été réduit par la mobilisation ; il a été également réduit
par les vacances qui se sont produites ; son rendement a été diminué
par la fatigue générale et cependant il doit faire face à une tâche de
plus en plus lourde 20 ». En 1923 encore, Lasteyrie explique
l’imprécision des chiffres sur les bons de la Défense nationale en
circulation « par la hâte avec laquelle a dû être organisée, dès 1914,
sans moyens adéquats de personnel et de matériel, une émission
portant sur des quantités de titres sans précédent et reposant sur
des pratiques entièrement nouvelles ». Comme les autres ministères,
les Finances ont vu naître divers comités et commissions aux statuts
et aux missions les plus divers. C’est par cet expédient et non par la
création de nouvelles structures administratives que les questions
nouvelles soulevées par la guerre et l’accroissement des missions de
l’État ont pour la plupart été prises en charge 21 . Le Tableau général
de la composition et des attributions des divers ministères 22 , publié le 2
février 1918, en comptabilise près de 300 en activité à cette date,
dont 45 relèvent du ministère des Finances 23 alors qu’en 1914,
L’Almanach National n’y recensait que deux comités techniques et
trois commissions… On trouve, au sein de ces organismes dont il
n’est pas aisé de suivre la naissance, les motifs de la création,
l’évolution et la disparition, des hauts fonctionnaires mais aussi des
parlementaires et parfois des représentants des industries privées :
chargés de résoudre des problèmes techniques, ils traduisent aussi
par leur composition l’esprit de l’Union sacrée qui a prévalu pendant
au moins les trois premières années de la guerre et qui s’incarnait
ainsi hors du Parlement, dans les services de l’État. Quant aux
fonctions attribuées aux commissions et comités rattachés aux
Finances, elles révèlent les nouvelles conditions créées par la guerre
et les nouvelles tâches de l’État : commissions sur la surveillance de
la circulation monétaire, sur le régime des pensions militaires, sur
les bénéfices de guerre, commissions liées aux conditions d’entrée et
de sortie des produits contingentés (commission interalliée des
dérogations aux prohibitions de sortie, sous-commission des
mesures douanières de l’Office des produits chimiques, commission
de la classification douanière des aciers, commission chargée
d’étudier les différentes questions relatives à la masse des douanes).
D’autres constituent plutôt des instances de réflexion que des lieux
de décision comme la commission chargée d’étudier l’organisation
de crédits propres à faciliter le relèvement économique des
territoires atteints par l’invasion. D’autres enfin laissent perplexe
quant à leur fonction au ministère des Finances, comme la «
commission relative au régime des ateliers de salaison ». Il serait
vain d’en poursuivre l’énumération. Leur création constitue avant
tout, comme dans les autres ministères, une réponse aux problèmes
nouveaux, imprévus qui surgissent quotidiennement de l’état de
guerre, et une solution à la pénurie de personnel au sein des
directions du ministère.

Conclusion
On peut retenir que, durant la Grande Guerre, le principe de
l’autorisation de dépenses par le pouvoir législatif a été au moins
formellement respecté, tout en notant que le Gouvernement qui les
demandait, pas plus que le Parlement qui les votait, n’avait les
moyens de prévoir leur importance et de vérifier leur utilisation. Les
efforts du Parlement pour contrôler au sein des commissions –
commission du budget de la Chambre, commission des finances au
Sénat et commissions d’enquête sur les marchés de guerre – n’ont eu
que des résultats limités.
Quant au ministère des Finances, les nécessités de la défense
nationale l’ont placé dans une situation difficile et inédite. Face aux
demandes sans cesse croissantes des ministères impliqués dans
l’effort de guerre – principalement la Guerre, l’Armement, mais aussi
le Commerce et l’Industrie – il ne pouvait guère que couvrir les
dépenses engagées, sous peine d’apparaître comme un frein à la
nécessaire mobilisation militaire et économique de la nation. Dans
ces conditions, sa fonction de contrôle ne pouvait que passer au
second plan et cela d’autant plus que les ministères dépensiers
étaient dans l’incapacité de prévoir leurs besoins, même à court
terme, et de faire respecter les procédures régulières sur lesquelles
ce contrôle aurait dû s’exercer. En outre, pas plus que ceux des
autres ministères, ses services n’étaient préparés à gérer les
relations nouvelles qui s’instauraient entre les industriels et l’État.
Seul acheteur des armements et des équipements, amené
progressivement à organiser les achats à l’étranger pour le
ravitaillement du pays en denrées alimentaires et en matières
premières et à en assurer la répartition, l’État, par les sommes qu’il
avançait aux industriels, s’était aussi fait prêteur, voire associé de
certaines entreprises. Toutes ces activités ont donné lieu à des
contrats dont le ministère des Finances n’était pas en mesure de
vérifier les clauses ni d’y garantir les intérêts de l’État. Si, en outre,
on prend en compte la levée des emprunts, à l’intérieur comme à
l’extérieur du pays, et la pénurie de personnel, on ne s’étonnera pas
des insuffisances de la gestion des finances publiques durant le
conflit. Leurs effets se feront sentir après la guerre où ils
participeront des difficultés des années 1920 et 1930. En se limitant à
la période de la guerre proprement dite, on peut en revanche
estimer que le laxisme de la gestion a été un des facteurs qui a
permis la mobilisation économique et, ce faisant, participé à la
victoire…

NOTES
1. Cité par Gaston Jèze, Les dépenses de guerre de la France, Dotation Carnegie pour la Paix,
Paris, 1926, 215 p., p. 24.
2.Ibid., p. 27.
3. Le portefeuille des Finances n’a eu que trois titulaires pendant toute la guerre. Il est
d’abord aux mains d’Alexandre Ribot du 26 août 1914 au 21 mars 1917. Celui-ci, devenu
président du Conseil, le confie à Joseph Thierry (21 mars-12 septembre 1917). Louis-Lucien
Klotz le reprend dans le gouvernement Painlevé et le conserve dans le cabinet Clemenceau.
4. Éditorial du 2 mai 1915.
5. Sur ce point, voir Fabienne Bock, Un parlementarisme de guerre, Belin, 349 p., 2002.
6. Inventaire de la situation financière de la France au début de la Treizième législature,
décembre, Journal officiel, Documents parlementaires, Chambre, 1924, annexe n° 441.
7. Le ministre de la Guerre, Alexandre Millerand, réunit les principaux industriels français
le 20 septembre 1914 à Bordeaux où le Gouvernement s’est replié.
8. Robert Pinot, secrétaire du Comité des Forges, a donné une vision idyllique de cette
collaboration dans un livre de souvenirs, Le Comité des forges au service de la nation (août 1914-
novembre 1918), Paris, 1919, 348 p.
9. À titre d’exemple, on peut noter que les bénéfices nets de la firme Hotchkiss passent de 1
572 000 F en 1913 à 14 057 000 en 1916 et 22 264 000 F en 1917 (Annuaire Desfossés, 1920).
10. Archives nationales, archives Albert Thomas, 94 AP 60, note non datée.
11. A. Claveille était jusqu’à cette date directeur des Chemins de fer de l’État. Il quitte la
présidence de la commission des contrats pour devenir directeur des fabrications à
l’Armement.
12. Créateur et directeur de l’Office du travail.
13. Les pouvoirs d’enquête donnent aux commissions des prérogatives qui avoisinent celles
d’une enquête judiciaire.
14. Cf. F. Bock, Un parlementarisme..., op. cit. et « Les commissions d’enquête dans la tradition
parlementaire française », communication au colloque du CIHAE, septembre 2006. Actes à
paraître en 2012.
15. G. Jèze, Les dépenses de guerre ..., op. cit. , p. 201.
16.Ibid. p. 199.
17. Commission des marchés de la Chambre, procès-verbaux des auditions. Archives
nationales, C 7736.
18. Rapport de la commission d’enquête, Journal officiel, Documents parlementaires,
Chambre, 1919, annexe n° 7067, p. 3034. Sur l’ensemble des questions relatives aux marchés
de guerre, voir F. Bock, Un parlementarisme..., op. cit.
19. La direction du Budget, la seule innovation de la période au ministère des Finances, n’a
été créée qu’en 1919 ; cf. Nathalie Carré de Malberg, « La naissance de la direction du Budget
et du Contrôle financier et les grandes étapes d’un développement contrasté », La direction
du Budget entre doctrines et réalités, 1919-1944, Comité pour l’histoire économique et financière
de la France, Paris, 2001, p. 65-105.
20. Cité par Nathalie Carré de Malberg, Ibid., p. 74-75.
21. Voir à ce sujet, Pierre Renouvin, Les formes du gouvernement de guerre, Dotation Carnegie
pour la Paix, Paris, 1925, et Fabienne Bock, « L’exubérance de l’État », Vingtième Siècle, n° 3,
juillet 1984, p. 41-51.
22. Ministère de la Guerre, publication du Bulletin officiel.
23. Certains de ces organismes constitués au début de la guerre ont déjà disparu à cette
date, d’autres seront créés avant la fin de la guerre et le recensement, fort difficile, n’est
sans doute pas exhaustif.

AUTEUR
FABIENNE BOCK

Fabienne Bock est professeur émérite à l’université Paris-Est Marne-la-Vallée, (ACP). Elle a
publié notamment Un parlementarisme de guerre – 1914-1918, Paris, Belin, 2002. Elle a
contribué à divers ouvrages collectifs, en particulier : « Intérêt national et intérêts
industriels : un aspect de la question de l’aluminium en France pendant la Grande Guerre »,
in La politique et la guerre, éd. Agnès Vienot/Noesis, 2002, p. 94-107, « Parlement, pouvoir
civil, pouvoir militaire (Allemagne, France, Italie, Royaume-Uni) », in Encyclopédie de la
Grande Guerre, sous la direction de Stéphane Audoin-Rouzeau et Jean-Jacques Becker,
Bayard, 2004, p. 495-508, « Clemenceau président de la commission des Affaires étrangères
et de la commission de l’Armée du Sénat », in Clemenceau et la Grande Guerre, 1906-1929, Geste
éditions, 2010 et Fabienne Bock et Thierry Bonzon, « Il faut que vous sachiez ce qui se passe
chez nous… 246 lettres de militaires français au Parlement en 1917 » in Obéir/désobéir Les
mutineries de 1917 en perspective, sous la direction de André Loez et Nicolas Mariot, La
Découverte, 2008, p. 153-166.
Du contrôle de la dépense à la réforme
du système financier. Les ambitions
de la commission Selves (1917-1918).
Une commission matrice ?
Florence Descamps

Introduction
À la fin du XIXe siècle, alors que la IIIe République cherche à assurer
plus solidement ses fondations parlementaires et démocratiques,
s’ouvre un long cycle de réflexion et de réforme sur le contrôle de la
dépense publique et des ordonnateurs 1 , depuis le contrôle de la
préparation du budget jusqu’au contrôle de son exécution, en
passant par la réforme de la comptabilité publique et celle du
contrôle des dépenses engagées. Un cycle du contrôle, ponctué de
projets et d’expérimentations, de réussites et d’échecs, d’impasses et
d’innovations, dans lequel s’impliquent tour à tour les commissions
des finances du Parlement 2 , certains ministres des Finances ou du
Budget plus volontaristes que d’autres 3 , la Cour des comptes et des
hauts fonctionnaires réformateurs ; un cycle de cinquante années,
qui va durer jusqu’à la Libération, date à laquelle de nouvelles
priorités, plus économiques et plus économistes, prendront le pas sur
les préoccupations de contrôle 4 . L’importance de cette thématique
dans les discours, les préoccupations et l’action des acteurs
politiques et financiers nous autorisent à y voir une figure
privilégiée, voire exclusive, de la préoccupation gestionnaire sous la IIIe
République : gérer, c’est contrôler ! Il nous semble que c’est en effet
dans la définition, l’extension, le renforcement et l’ajustement des
contrôles que les pouvoirs publics cherchent à cette époque la réponse
à la question de la bonne gestion (administration) des finances
publiques…
Au cours de ce cycle, qui est marqué par la poussée continue du
ministère des Finances en matière de régulation et de contrôle sur
les finances publiques, mais qui laisse largement subsister d’autres
acteurs, se donne à voir un système de pouvoirs encore non stabilisé
entre le ministère des Finances et les autres ministères techniques,
entre le ministère des Finances et les commissions des finances des
assemblées, entre le ministère des Finances et la Cour des comptes.
La guerre de 1914-1918 qui se situe au milieu de ce cycle constitue un
événement charnière car elle déstabilise, par les désordres, les
contraintes et les changements qu’elle engendre, l’ensemble du
système, obligeant les acteurs du système financier public à se
repositionner et à proposer des ajustements ou des réformes plus
structurelles.
La commission Selves, du nom de son président, créée par le
ministre des Finances Klotz par le décret du 17 octobre 1917 et
installée le 8 décembre 1917, se situe à un moment historique
intéressant. Sa création s’inscrit dans la continuité et dans la
filiation des travaux sur le contrôle, menés depuis 1909 par les
ministres et les commissions des finances, qui n’ont pas abouti mais
que les pouvoirs publics veulent désormais mener à leur terme 5 .
Cette création est significative de la pression accrue que les
parlementaires entretiennent depuis le début du conflit pour
contraindre le Gouvernement à rendre compte de sa gestion devant
les Chambres, et ce d’autant plus que ce dernier, pour conduire la
guerre, s’est affranchi de bon nombre de règles comptables et
budgétaires. Les commissions financières sont donc décidées à
accroître le contrôle parlementaire sur l’exécutif. Enfin, les
responsables des finances publiques, même s’ils ne mesurent pas
encore totalement les désordres comptables et financiers introduits
par quatre années de conflit 6 , pressentent que le système financier 7
hérité du marquis d’Audiffret et du XIXe siècle a vécu et que le
moment est venu de réfléchir d’une manière prospective à la
rénovation et à la réorganisation du système de gestion des finances
publiques.
La commission Selves se situe donc à un moment de basculement
entre le XIXe et le XXe siècle, à un moment comme suspendu entre
un avant-guerre riche en idées et en projets, mais modeste en
réalisations, et un après-guerre marqué par l’urgence, la contrainte
budgétaire et les désordres financiers. Au début de cette année 1918,
alors que les responsables politiques et administratifs commencent à
percevoir l’étendue du choc de la guerre et de ses conséquences
sociales, économiques, monétaires, administratives et
organisationnelles, ils peuvent encore croire qu’il leur est possible
de réfléchir, « en chambre » et « à froid », à la reconstruction
rationnelle du système financier, en faisant abstraction de la
conjoncture et des contraintes structurelles qui vont peser sur lui.
De fait, il est frappant de voir combien dans les débats de la
commission est rare toute allusion ou toute référence à la guerre, à
la conjoncture économique et financière ou à la situation dans les
services administratifs qui étaient pourtant à cette date déjà
extrêmement désorganisés. En creux, dans cette distance (délibérée
?) à l’égard de l’actualité, dans cette curieuse absence de connexion
au réel, sans doute peut-on lire l’autonomie du champ administratif
qui fonctionne en quelque sorte en roue libre, selon ses propres
principes et ses propres normes.
Composée de hauts fonctionnaires et de parlementaires, la
commission Selves constitue un lieu intéressant pour dresser l’état
du système de gestion des finances publiques en 1918, pour
distinguer les doctrines et les positions institutionnelles, pour
observer les rapports de force politico-administratifs en présence,
pour repérer les filiations avec les héritages du passé et discerner les
nouvelles idées qui émergent. Le mandat reçu du ministre par la
commission est en effet plus large que celui des précédentes
commissions, plus techniques ou plus strictement organisationnelles
: la réflexion doit porter sur « les réformes à apporter dans
l’organisation du contrôle de l’exécution du budget ». Non soumise à
des objectifs d’économies ni à la pression de l’urgence, c’est à la fois
une commission de synthèse, qui va récapituler tous les travaux
précédents et s’intéresser à la totalité de la chaîne du processus
budgétaire, et une commission de réforme, tournée vers l’avenir,
explicitement conçue comme telle par un ministre lui-même
fortement impliqué dans les questions de finances publiques 8 .
La commission Selves, point de basculement entre deux périodes,
constitue une étape de maturation importante pour les acteurs du
système de gestion des finances publiques, par l’embrassement
qu’elle autorise de la totalité du système financier, par la prise de
conscience qu’elle permet des dysfonctionnements, par les
rencontres et les échanges qu’elle provoque, par l’inventaire des
problèmes et des solutions d’avenir qu’elle propose 9 . Nous nous
intéresserons donc aux analyses produites par cette commission,
mais aussi à ses membres et à ses chefs de file : quel diagnostic
portent-ils sur le système financier ? Qui sont les principaux acteurs
de cette réflexion, quel est leur poids respectif au sein de la
commission et qui y prend l’avantage ? Quelles propositions font-ils
? Quelles sources d’inspiration ou quelles références utilisent-ils ?
Quelles ont été les suites de ces préconisations ? Notre propos
s’organisera autour de deux points successifs :
1. Les travaux qui ont précédé la commission Selves, 1909-1917.
2. Les travaux des trois sous-commissions, leurs discussions et leurs préconisations.

I. La maturation de la réflexion sur le contrôle


et l’exécution du budget (1909-1917)
La commission Selves s’inscrit en effet dans une série de travaux
importants que la guerre a interrompus ou empêchés d’aboutir 10 . Il
faut citer notamment trois commissions ministérielles (1909, 1911 et
1913), ainsi qu’un projet de loi (1914) sur le contrôle financier, qui va
devenir la référence incontournable de l’entre-deux-guerres.

A. La commission sur le contrôle administratif de


l’exécution du budget (1909)

La commission Caillaux 11 , du nom de son président, ministre des


Finances de Clemenceau 12 , créée par décret le 2 mars 1909, est une
commission de hauts fonctionnaires et de techniciens, composée des
directeurs de la Comptabilité, des directeurs du Contrôle et des
contrôleurs des dépenses engagées des divers ministères techniques
; elle est chargée « d’étudier les modifications à apporter dans la
comptabilité des dépenses engagées et toutes autres mesures
propres à assurer dans les meilleures conditions le contrôle
administratif de l’exécution du budget de l’État ». Cette commission
a été formée en réponse à une demande de la commission des
Finances du Sénat en juillet 1908, qui voulait qu’on recherche « les
mesures propres à réaliser dans les différentes institutions de
contrôle la similitude d’organisation et l’unité de méthodes
indispensables ». Lors de sa première réunion, le 18 mars 1909, le
ministre fixe de façon précise ses objectifs : « fortifier l’action du
contrôle des dépenses engagées en établissant sa liaison avec les
diverses opérations que comporte un service de dépenses publiques ;
fixer avec précision la situation administrative des fonctionnaires
chargés d’exercer ce contrôle ».
La commission se penche sur l’engagement de la dépense, dossier qui
lui a été assigné de façon prioritaire, puis sur le contrôle de
l’exécution du budget pour lequel elle souhaite élaborer un texte
réglementaire applicable par toutes les administrations. Enfin, elle
met à son programme la révision du décret de 1862 et la mise à jour
des règlements comptables propres à chaque ministère. Trois sous-
commissions travaillent en parallèle. La première sous-commission,
qui est la plus importante, se voit chargée du contrôle des dépenses
engagées ; elle tient onze séances de travail : définition de
l’engagement de dépenses ; organisation dans les administrations ;
fonction des contrôleurs auprès des ministres ; sanctions des
observations formulées ; relations des contrôleurs entre eux et avec
le ministre. Elle rédige un projet de texte en dix-huit articles, qui, du
fait de l’interruption de ses travaux, n’a pas le temps d’être
approuvé. La deuxième sous-commission qui a tenu six séances de
travail est chargée du contrôle de l’exécution du budget : contrôle
inopiné, sédentaire, centralisé, avantages et inconvénients ;
renforcement du contrôle administratif dans les ministères. Là
encore, un texte en sept articles est rédigé, mais non discuté. Quant à
la troisième sous-commission chargée de la révision des règlements
de comptabilité, elle ne semble avoir tenu qu’une première et seule
séance, sans produire ni rapport ni texte 13 .
Les travaux de la commission Caillaux ont servi directement à la
rédaction des articles de la loi du 13 juillet 1911 sur le contrôle
financier votée deux ans plus tard 14 : les articles 147, 148, 149 sont
les fruits des travaux de la première sous-commission et les articles
150 et 151 de la seconde sous-commission. La loi définit et renforce
les pouvoirs des contrôleurs des dépenses engagées (critères
d’appréciation de la régularité des propositions d’engagement,
imposition d’un visa préalable sur la proposition d’engagement,
extension du champ des avis du contrôleur à tout document exigeant
le contreseing du ministre des Finances, institution d’« un contrôle
des dépenses à engager 15 »). L’article 150 prévoit la création d’une
commission administrative chargée d’organiser les corps de contrôle
dans les ministères qui n’en possèdent pas. Quant à l’article 151, il
institue un rapport annuel des contrôleurs des dépenses engagées.
Le décret du 31 août 1911, pris par Klotz, vient compléter ces
dispositions en créant la commission des contrôleurs des dépenses
engagées qui tient des réunions trimestrielles sous la présidence du
ministre des Finances, tandis qu’un décret du 6 octobre 1912 institue
une commission rattachée au ministre des Finances chargée de
suivre les rapports annuels présentés par les corps de contrôle en
exécution de l’article 151 de la loi du 15 juillet 1911. Enfin, signe de
l’importance accordée aux nouveaux contrôleurs, pendant la période
de juin 1911 à janvier 1912, date à laquelle Caillaux est ministre des
Finances puis président du Conseil et Klotz ministre des Finances,
intervient une vague importante de nominations, renforçant la
présence des inspecteurs des Finances dans le nouveau corps.
Pour compléter le dispositif du côté de la Cour des comptes, les
décrets du 13 mars et du 31 août 1911 instituent au ministère des
Finances une commission des référés, chargée de centraliser la
correspondance entre la Cour et les ministres tenus de faire parvenir
leurs réponses aux observations de la Cour dans un délai de quatre
mois. L’objectif est d’épauler la trop faible autorité de la Cour des
comptes par celle du ministère des Finances 16 .

B. La commission Bloch de 1911

La commission « en vue d’organiser le contrôle de l’exécution du


budget prévu par l’article 150 de la loi du 13 juillet 1911 » est créée le
13 novembre 1911 par Klotz, successeur de Caillaux aux Finances, ce
dernier accédant à la Présidence du Conseil. Présidée par Maurice
Bloch, procureur général près la Cour des comptes, composée à
nouveau uniquement de hauts fonctionnaires 17 , la commission
poursuit ses travaux durant trois ans ; elle n’élabore pas de réflexion
générale mais travaille sur l’organisation du contrôle financier,
département ministériel par département ministériel 18 ; elle se
consacre surtout à l’élaboration de projets de règlements
d’administration publique (RAP) pour les ministères qui ne
possèdent pas de corps de contrôle 19 : la Justice (14 mars 1914),
l’Instruction publique et les Beaux-Arts (3 mai 1915), le Commerce et
l’Industrie (date inconnue), les Travaux publics (24 juin 1914 20 ). En
1917, les projets de RAP sont en cours d’examen au Conseil d’État qui
attend pour se prononcer de disposer de la totalité des textes
ministériels 21 .
La commission prévoit que le contrôle de l’exécution du budget,
distinct du contrôle des dépenses engagées, sera confié sous la forme
d’un Comité de contrôle à l’Inspection générale des finances et aux
inspections techniques de chaque département, pour
l’administration centrale comme pour les services extérieurs, et
dans le cas où aucun corps de contrôle financier n’existe, à
l’Inspection des finances. La guerre interrompt à l’été 1914 les
travaux de la commission, mais celle-ci reprend ses activités à partir
du 23 octobre 1919 22 .

C. La commission Stourm sur les mesures à prendre pour


le vote du budget à sa date normale (1913)

Brève incise dans le cycle de réflexion et de réforme concernant le


contrôle financier, créée également par Klotz, ministre des Finances
de Briand, le 29 janvier 1913, la commission Stourm se consacre à un
sujet connexe : le vote du budget et la procédure budgétaire. La
préoccupation du Gouvernement est de réduire les délais de
préparation et de discussion du budget, de lutter contre les
douzièmes provisoires et de trouver le moyen de parvenir à voter le
budget avant le 31 décembre. Présidée par Stourm, ancien
inspecteur des Finances et secrétaire perpétuel de l’Académie des
sciences morales et politiques 23 , la commission est composée
uniquement de hauts fonctionnaires 24 , à l’exception de deux
professeurs de droit, Paul Cauwès 25 et Gaston Jèze 26 . La
commission tient 15 séances et produit quatre rapports particuliers
sur le budget 27 . Le rapport général, rédigé par Jèze et remis le 9
mars 1914, n’est publié au Journal officiel que trois ans plus tard, le 27
novembre 1917 28 . Du fait des divergences qui opposent Jèze aux
autres membres de la commission sur le changement de date de
l’année financière, le rapport se contente d’une série de
préconisations générales concernant le contrôle financier
parlementaire et la rationalisation de la procédure budgétaire 29 .

D. Le projet Caillaux (1914)


Aboutissement de sa réflexion sur le contrôle de l’exécution du
budget, une lettre du 13 janvier 1914 de Caillaux, ministre des
Finances de Doumergue, adressée au président de la commission du
Budget, fait état de nouvelles propositions en ce qui concerne le
budget de l’exercice 1914 30 ; il propose de renforcer le contrôle des
dépenses engagées en soumettant tous les projets de lois et toutes les
demandes de crédit, y compris le projet de budget, au contrôleur des
dépenses engagées. Cette lettre se transforme en projet de loi
portant organisation du contrôle de l’exécution du budget, déposé le
15 janvier 1914 sur le bureau des Chambres (n° 3390). Le projet est
voté par la Chambre des députés le 31 mars 1914 et transmis au
Sénat où il ne sera jamais examiné, en dépit d’une reprise du projet
par Noulens, ministre des Finances de Viviani le 9 juillet 1914 (n°
313).
Couronnement de cinq années de travaux depuis 1909, le projet de
loi Caillaux du 15 janvier 1914 établit un contrôle permanent des
actes financiers des administrations, investit de ce soin des agents
indépendants, les contrôleurs, et en soumet les résultats au Parlement
par le truchement de la Cour des comptes. Il propose de soumettre
au contreseing du ministère des Finances tous les décrets, décisions
et arrêtés ayant pour effet de créer des charges permanentes pour
l’État. En ce qui concerne le nouveau corps de contrôle 31 , le projet
prévoit que les contrôleurs vérifieront dans le détail les opérations
de recettes effectuées par les administrations centrales, qu’ils
surveilleront les lois, décrets et ordonnances, qu’ils signaleront les
erreurs, fautes et abus dans le maniement des deniers publics et
qu’ils proposeront les sanctions à prendre contre les
administrateurs, ainsi que toute mesure de réforme tendant à
perfectionner le fonctionnement des administrations ou à procurer
des ressources. Il est également prévu que les rapports des
contrôleurs des dépenses engagées et des corps de contrôle, après
avoir été discutés dans un Comité ministériel ad hoc, seront envoyés
au ministère des Finances et à la Cour, ainsi que les rapports
d’ensemble annuels, conformément à l’article 151 de la loi du 13
juillet 1911. Pour la discussion des infractions, une section spéciale
de contrôle budgétaire sera instituée à la Cour des comptes, qui
instruira la totalité des rapports et signalera dans un rapport
particulier adressé au président de la République tous les faits
susceptibles de porter préjudice aux finances de l’État. Selon les
hauts fonctionnaires de l’époque, « le projet de loi de 1914 tendait
donc à faire de la Cour des comptes un organe de la centralisation à
l’égard des administrations, un organe d’information à l’égard des
Chambres ; on estimait ainsi que la haute juridiction, en
coordonnant les résultats d’un contrôle administratif étendu et en
les portant rapidement à la connaissance du Parlement, devait
mettre les représentants de la Nation en mesure d’exercer les
sanctions nécessaires sans les retards qui amoindrissent leur portée
32
». Dans l’économie du projet, toutes les instances de contrôle,
qu’il s’agisse du ministère des Finances ou de la Cour des comptes,
voient leurs pouvoirs augmenter, au détriment des ministères «
dépensiers 33 » ; le Parlement reste cependant à l’arrière-plan, et
c’est à la Cour des comptes que Caillaux offre un nouveau rôle au
sein du système financier : le contrôle supérieur de la gestion des
administrations. La guerre suspend les travaux.

E. Les avancées du contrôle parlementaire pendant la


guerre

Pendant la guerre, les commissions des finances reprennent


l’initiative et réclament un renforcement du contrôle parlementaire
sur la dépense publique 34 . C’est ainsi que la loi du 15 juillet 1914,
qui autorise l’engagement de dépenses extraordinaires destinées à
pourvoir aux besoins de la Défense nationale, charge des sous-
commissions des commissions des finances de suivre et contrôler de
façon permanente l’emploi des crédits affectés à la Défense
nationale. Un peu plus tard, à l’initiative du député Grodet, l’article
12 de la loi du 31 mars 1917 prescrit la communication des rapports
des contrôleurs des dépenses engagées et des corps de contrôle sur
l’exécution du budget de leur ministère aux commissions des
finances (mais pas à la Cour des comptes). Enfin, aux termes de
l’article 7 de la loi du 30 juin 1917 pris à l’initiative du sénateur
Milliès-Lacroix, les rapporteurs des commissions des finances sont
chargés de contrôler de façon permanente les crédits inscrits aux
budgets des différents ministères ; tous les renseignements d’ordre
budgétaire doivent leur être fournis et un état des travaux en cours
ainsi que de la situation des crédits doit leur être communiqué le 1er
octobre de chaque année. Mais ces mesures restent parcellaires et
surtout inefficaces face à la montée inexorable des dépenses de
guerre et face à la multiplication d’opérations comptables et
budgétaires hétérodoxes.

II. La création de la commission Selves de


1917-1918 : une commission de synthèse ou
une commission prospective ?
C’est dans ce contexte de resserrement du contrôle parlementaire
que le 18 octobre 1917, Klotz, ministre des Finances de Clemenceau,
reprenant à son tour après Caillaux le dossier du contrôle financier,
décide de créer une grande commission de réforme sur la question
de l’exécution du budget.
A. La composition de la commission Selves

La commission, rattachée au ministre des Finances, est pléthorique


(une cinquantaine de membres), mais, pour la première fois depuis
dix ans sur un tel sujet, elle comporte 19 parlementaires. Présidée
par un sénateur, J. de Selves 35 , et vice-présidée par un député, G.
Thomson 36 , elle compte sept sénateurs et douze députés : Bérard 37
, Boivin-Champeaux 38 , Chéron 39 , Couyba 40 , Perchot 41 , Riou 42 ,
Auriol 43 , Brousse 44 , Bender 45 , Besnard 46 , Denais 47 , Dubois 48 ,
Eymond 49 , Gardey 50 , Landry 51 , Sembat 52 , Treignier 53 .
Les hauts fonctionnaires sont néanmoins majoritaires (26) et
représentent l’ensemble des acteurs du système financier : Adam
(inspecteur général des Colonies, contrôleur des dépenses engagées),
Arnauné (conseiller maître à la Cour des comptes 54 ), d’Alombert
(contrôleur général de l’Armée, directeur du Contrôle au ministère
de la Guerre), Bloch (procureur général à la Cour des comptes 55 ),
Celier (sous-directeur au ministère des Finances 56 ), Chauvy (sous-
directeur à la direction de la Comptabilité publique 57 ), Courtin 58
(président de chambre à la Cour des comptes), Delaire (conseiller
maître à la Cour des comptes 59 ), Desforges (directeur de la
Comptabilité générale à la Marine), Épinay (inspecteur des Finances,
contrôleur des dépenses engagées aux Chemins de fer), Fravaton
(conseiller maître à la Cour des comptes 60 ), Féret du Longbois 61
(conseiller maître à la Cour des comptes), Maret (chef de service de
l’Inspection des finances 62 ), Mauclère (contrôleur général de
l’Armement, directeur des Poudres), de Mouÿ (président de section
au Conseil d’État 63 ), Ogier (directeur du Contrôle et de la
Comptabilité au ministère de l’Intérieur), Pasquet (directeur du
Personnel, secrétaire général du ministère des PTT), Payelle 64
(premier président de la Cour des comptes), Petit (inspecteur des
Finances 65 ), Pignerol (inspecteur des Finances, contrôleur des
dépenses engagées 66 ), Privat-Deschanel (directeur de la
Comptabilité publique au ministère des Finances 67 ), Serres
(contrôleur général, directeur du Contrôle au ministère de la
Marine), Le Boucq de Ternas (inspecteur des Finances, adjoint au
chef de service de l’Inspection 68 ), Cordonnier (chef adjoint du
cabinet du ministre), Daniel (conseiller référendaire à la Cour des
comptes 69 ), Jouasset (inspecteur des Finances 70 ).
Parmi les hauts fonctionnaires, on compte 18 membres des corps de
contrôle dont huit magistrats de la Cour des comptes, quatre
inspecteurs des Finances dans les cadres, trois contrôleurs généraux
exerçant des fonctions de direction, trois contrôleurs des dépenses
engagées (deux inspecteurs des Finances 71 et un inspecteur général
des Colonies), neuf directeurs ou sous-directeurs d’administrations
centrales en activité (directions de la Comptabilité ou du Contrôle),
un conseiller d’État. Parmi les hauts fonctionnaires, ceux des
Finances forment un bloc majoritaire et homogène 72 , mais ce sont
les magistrats de la Cour des comptes qui vont se révéler au fil des
séances les plus assidus. À ces hauts fonctionnaires s’ajoutent cinq
personnalités : l’ancien ministre du Commerce Delombre 73 , l’ancien
député Reinach 74 , Jèze, professeur à la Faculté de droit de Paris,
Liesse, membre de l’Institut 75 et Stourm, ancien inspecteur des
Finances, secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences morales et
politiques 76 .
La tonalité parlementaire est clairement radicale et radicale-
socialiste ; deux ombres politiques tutélaires flottent sur la
commission, celle de Gambetta pour les plus parlementaires plus
âgés, celle de Caillaux pour les plus jeunes, notamment sur les hauts
fonctionnaires qui ont été membres de son cabinet aux Finances
(Privat-Deschanel, Chauvy, Pignerol) ou ont été ses directeurs rue de
Rivoli (Bloch, Arnauné, Féret du Longbois). Fravaton et Célier sont
quant à eux des « anciens » du cabinet de Klotz. Plusieurs
parlementaires ont eu des responsabilités ministérielles dans le
domaine des Postes et des Télégraphes ou du Commerce et de
l’Industrie. On remarque parmi les parlementaires de « grands »
absents : Caillaux lui-même, auteur du projet de loi de 1914 poursuivi
à partir de 1917 pour « intelligences avec l’ennemi » ; Noulens,
ancien ministre des Finances dans le cabinet Viviani de l’été 1914,
successeur et relais de Caillaux sur son projet de loi 77 ; des députés
tels que Louis Tissier 78 , Aristide Jobert 79 , Adrien Veber 80 ou
Albert Grodet 81 qui ont tous déposé dans les années antérieures des
résolutions ou des propositions de loi sur le contrôle, et surtout
Louis Marin, bien connu dès avant la guerre pour son intérêt pour
les questions financières et budgétaires et futur auteur en 1918 du
projet de réforme sur le contrôle des dépenses engagées 82 , qui
appartiennent à l’opposition.
La commission, conformément à la volonté de Klotz, réunit donc
dans un équilibre en apparence balancé des députés, des sénateurs,
des anciens ministres, des universitaires, des experts, des
responsables gestionnaires et des contrôleurs. Mais au fil des
séances, du fait de la faible participation des parlementaires et de la
quasi-absence des directeurs d’administrations centrales, la
commission Selves se réduit le plus souvent à une commission de
hauts fonctionnaires des Finances, voire à une commission de
membres des corps de contrôle, dans laquelle les représentants de la
Cour des comptes l’emportent numériquement et qualitativement 83
. Parmi eux, un certain nombre a déjà siégé au sein de la commission
Caillaux de 1909, de la commission Bloch de 1911 ou de la
commission Stourm de 1913-1914 sur le vote du budget. On notera
également l’extrême imbrication des statuts, des corps et des
fonctions : les membres de la Cour des comptes sont quasiment tous
d’anciens inspecteurs des Finances qui ont assumé des
responsabilités de directeurs au ministère des Finances
(Comptabilité publique, Contrôle des administrations financières,
Régies financières, Personnel, Mouvement général des fonds) ; les
inspecteurs des Finances ont aussi exercé les fonctions de
contrôleurs des dépenses engagées, tandis que les contrôleurs
généraux des Armées exercent des fonctions de directeurs, etc. À
l’exception des parlementaires de droite exclus politiquement, la
commission concentre la quasi-totalité des experts en finances
publiques existant à Paris, et l’on ne peut qu’être frappé par
l’étroitesse et la consanguinité de ce tout petit milieu de praticiens
et de penseurs des finances publiques.

B. Klotz et la séance plénière d’ouverture le 8 décembre


1917

Quelles sont la philosophie et les missions assignées par le ministre à


la commission de réforme ? Selon Klotz 84 , il n’y a pas de devoir plus
démocratique que de suivre et contrôler l’emploi de l’impôt une fois
qu’il a été consenti et voté par le peuple, c’est un acquis de la
Révolution : « Le besoin de clarté est l’honneur des démocraties ». Ce
devoir est accru dès lors que le conflit demande des efforts et des
sacrifices supplémentaires à la Nation. Outre cette conviction
républicaine, Klotz a le désir de reprendre le fil des travaux laissés
en suspens en 1914 et d’en hâter l’application. Il s’agit de reprendre
ce qui a déjà été formulé et d’apporter les « améliorations nouvelles
qui s’imposeront », car « une œuvre considérable reste à édifier ». La
commission ne répond donc pas dans son esprit à une contrainte «
conjoncturelle », mais à une problématique structurelle : « Les
réformes à réaliser devront avoir un caractère permanent » et ne
seront « nullement des mesures exceptionnelles limitées à la durée
des hostilités ». Il faut donner des bases nouvelles au système de
gestion des finances publiques.
Le contrôle parlementaire est aux yeux de Klotz le plus important : «
Il est le couronnement de tout l’édifice du contrôle : le Parlement qui
vote les crédits doit apprécier souverainement l’emploi qui en est
fait ». Ce contrôle, qui s’appuie sur les deux autres contrôles
administratif et judiciaire, manque selon le ministre de moyens
d’investigation et il est trop tardif pour permettre d’identifier les
véritables responsabilités. Le contrôle administratif qui a connu de
récentes avancées depuis la loi du 13 juillet 1911 sur le contrôle des
dépenses engagées et le contrôle judiciaire présentent encore de «
graves lacunes » ; il faut y remédier par une réforme des corps de
contrôle (cf. commission de 1911) et par celle de la Cour des comptes,
qui ne doit plus voir ses attributions réduites au jugement des
comptes mais au contraire étendues aux actes des ordonnateurs (cf.
le projet Caillaux de 1914). Les priorités assignées à la commission
par Klotz sont donc l’amélioration du contrôle budgétaire sous
toutes ses formes en lui donnant les pouvoirs et les moyens qui lui
manquent et le renforcement de chacun des modes de contrôle en
établissant entre eux la liaison indispensable. L’ambition du
ministre, c’est « l’institution d’un système efficace de contrôle des
dépenses publiques ».
Dès la séance d’ouverture, il est décidé de scinder la commission en
quatre sous-commissions : contrôle administratif, contrôle
judiciaire, contrôle parlementaire, coordination des travaux et
révision des conclusions 85 . Le président de Selves définit les
méthodes de travail : la direction de la Comptabilité publique devra
sous huit jours dresser l’état des lieux en 1917, rédiger des notes de
synthèse et établir l’historique du dossier 86 ; devront être listés et
distribués à chaque membre de la commission tous les projets de loi
concernant l’exécution du Budget, qu’ils soient d’initiative
gouvernementale ou parlementaire 87 . Chaque sous-commission
devra par ailleurs dresser sa liste des questions à étudier et délimiter
le champ de ses réflexions 88 . Les travaux s’interrompent à la fin du
printemps 1918, sans qu’aucune explication ait pu être donnée à
cette interruption, et à des dates différentes selon les trois sous-
commissions. Nous n’avons pas retrouvé trace d’un quelconque
rapport de synthèse de la part de la quatrième sous-commission «
Coordination et conclusions ». Cette commission de synthèse, dirigée
par les parlementaires, s’est-elle seulement jamais réunie ? Les trois
sous-commissions ont une physionomie politico-administrative bien
différente et nous nous appesantirons sur chacune d’entre elles.

III. La sous-commission du Contrôle


administratif
A. Sa composition

Cette sous-commission, qui est la plus importante numériquement


(24 membres dont sept parlementaires 89 ), est celle qui, assez
logiquement, compte le plus de hauts fonctionnaires (15). On
dénombre trois administrateurs, onze membres des corps de
contrôle, trois inspecteurs des Finances dans les cadres, trois
contrôleurs des dépenses engagées, quatre membres de la Cour des
comptes, un contrôleur général des Armées, deux spécialistes des
finances publiques, Jèze et Liesse, un représentant du cabinet de
Klotz. C’est celle où la participation parlementaire est la plus faible ;
dès la première séance, Sembat et Boivin-Champeaux ne viennent
plus, seul Landry, vice-président, se montre assidu, mais dans les
débats, la contribution des parlementaires est quasi inexistante.
Courtin, président de chambre à la Cour, va devenir le principal
animateur de cette sous-commission : c’est lui qui y fait la quasi-
totalité des exposés, qui rédige la plupart des rapports et qui établit
les conclusions, de sorte que nous parlerons désormais de la sous-
commission Courtin. Elle est aussi la sous-commission qui embrasse
le champ le plus large et qui fait le plus grand nombre de
propositions innovantes : la réforme de l’administration centrale des
Finances et celle des administrations centrales des ministères
techniques, la réforme du contrôle de la préparation et de
l’exécution du budget, la réforme de la Cour des comptes et celle de
la comptabilité et des nomenclatures.

B. Méthodes de travail et conclusions

La sous-commission Courtin commence par un état des lieux, en


établissant le bilan écrit des travaux de la commission Caillaux de
1909, de la commission Bloch de 1911 et de l’application du décret de
1893 sur le contrôle des dépenses engagées. Afin de gagner du temps,
Bloch propose d’adopter la méthode de l’exposé oral, selon le
schéma suivant : un premier volet décrivant l’existant
(fonctionnement et lacunes), un second volet concernant les
améliorations ou les réformes à apporter. L’exposé est discuté en
séance puis fait l’objet de conclusions écrites.
Courtin prend la direction des séances. Assisté de Petit, inspecteur
des Finances, il ne fait pas moins de dix exposés oraux, tous
retranscrits dans les procès-verbaux, de cinq à dix pages
dactylographiées 90 , où chaque exposé est à lui tout seul un
véritable cours de finances publiques 91 . Selon Courtin, le contrôle
de la dépense doit être conçu comme un processus financier
dynamique, comportant cinq phases successives : engagement de la
dépense, exécution du service, liquidation, ordonnancement,
paiement 92 , auquel doit s’ajouter dorénavant le contrôle des
recettes. À chaque étape du processus, il souhaite que le ministère
des Finances obtienne un « droit de regard et parfois même un droit
de veto » et qu’il puisse « exercer un contrôle sur ses collègues » en
matière de dépenses 93 .
La sous-commission tient douze séances du 8 décembre 1917 au 27
mai 1918, pour lesquelles Courtin propose et rédige chacune des
conclusions 94 . À la fin des travaux, un document récapitulatif est
rédigé, intitulé : Les textes adoptés ou retenus en vue de la Révision : I.
Principes généraux, II. Contrôle de la préparation du budget ; III.
Application du contrôle de l’engagement des dépenses aux projets de loi ; IV.
Contrôles des engagements des dépenses ; V. Corps de contrôle ; VI. Contrôle
des paiements ; VII. Contrôle des comptes spéciaux ; VII. bis Contrôle des
budgets communaux et départementaux ; IX. Responsabilité des
administrateurs. Les questions qui ont donné lieu aux débats les plus
animés et les plus riches portent sur le contrôle de la préparation du
budget dans les ministères et au ministère des Finances (sujet non
prévu à l’origine), sur le contrôle des recettes et sur la responsabilité
des ordonnateurs. Nous donnerons ici un résumé des principales
conclusions de la sous-commission Courtin, en les commentant
brièvement.

1. Principes généraux

Dans un préambule, la sous-commission réaffirme son intérêt pour


la réforme de l’État et notamment pour l’amélioration du
recrutement des chefs de service 95 . Elle rappelle la nécessité
d’entretenir la moralité, la discipline et le sens du devoir chez les
fonctionnaires, incite à engager une réflexion spécifique sur les
chefs 96 , fait l’éloge du mérite et de la prise de responsabilités tout
en rappelant le bien-fondé de la discipline hiérarchique et des
sanctions. Elle appelle pour terminer à la vigilance vis-à-vis de
l’esprit de contrôle et de ses abus, afin que soit préservée la liberté
de l’exécutif ministériel.

2. Contrôle de la préparation du budget

La sous-commission réclame le retour aux sains principes de l’unité


budgétaire. Elle propose la création dans chaque ministère d’un
Comité spécial budgétaire consultatif composé des représentants des
services techniques et de représentants du ministre des Finances,
appelé à donner son avis sur toutes les questions d’ordre financier et
budgétaire, notamment sur le projet de budget. Elle propose le
renforcement du rôle du directeur du Budget et de la Comptabilité
dans chaque ministère technique ; ce dernier serait chargé de
centraliser les demandes de crédits des services, de préparer le
budget et de le soumettre au Comité spécial budgétaire 97 ; il serait
nommé par décret soumis au contreseing du ministre des Finances
98
. Ses observations ainsi que celles du Comité spécial seraient
transmises au ministre des Finances 99 . La sous-commission Courtin
préconise aussi le renforcement et l’élargissement du rôle du
contrôleur des dépenses engagées : celui-ci siégerait au Comité
consultatif spécial de son ministère ainsi qu’au Comité central du
ministère des Finances ; il serait chargé de centraliser les
propositions budgétaires, de vérifier leur mise en forme et de
formuler un avis sur le projet de budget ainsi que sur toutes les
mesures susceptibles d’accroître les charges de l’État. Elle propose
enfin la création, auprès du ministre des Finances, sous la présidence
du directeur général de la Comptabilité publique, d’un comité central
budgétaire consultatif, composé des représentants du ministre des
Finances, des présidents de chaque comité budgétaire ministériel,
des directeurs de la Comptabilité chargés du Budget et des
contrôleurs des dépenses engagées ; ce comité central serait appelé à
délibérer sur le budget général avant de le transmettre au ministre
des Finances (de même pour les demandes de crédits
supplémentaires et extraordinaires).
C’est Chauvy, sous-directeur à la Comptabilité publique, qui dès la 3e
séance met en exergue les défaillances de la préparation du budget
et affirme que le contrôle de la préparation du budget devrait être
dans les mêmes mains que le contrôle de son exécution. Lui
emboîtant le pas, soutenu par Bloch et Petit, Courtin propose alors
trois dispositifs possibles afin de renforcer les pouvoirs du ministère
des Finances en matière de préparation et d’exécution du budget,
sans sacrifier l’« intérêt technique » des ministères dépensiers : soit
la création d’un conseiller financier, représentant le ministère des
Finances auprès du ministre dépensier, qui serait chargé de défendre
les intérêts du Trésor, de contrôler la préparation du budget et de
suivre son exécution ; soit la mise en place d’un binôme conseiller
financier/conseiller technique auprès du ministre dépensier ; soit la
création d’un comité spécial budgétaire consultatif auprès du ministre
dépensier 100 . C’est cette dernière solution que la sous-commission
adopte finalement. Pour conclure, Courtin développe l’idée, émise
par Chauvy, d’une direction du Budget indépendante aux Finances, à
qui serait confiée la charge du contrôle de la préparation centralisée
du budget 101 . Si cette proposition, soutenue par Bloch et Jèze, n’est
pas reprise dans les propositions conclusives, c’est que son
importance est jugée telle qu’elle fait l’objet d’une commission de
réforme spécifique, mise en place par Klotz le 13 mars 1918 et placée
sous la présidence de Courtin 102 .

3. Application du contrôle de l’engagement des dépenses aux


projets de loi
Les projets de loi d’initiative gouvernementale et les propositions de
loi d’initiative parlementaire devront suivre la procédure adoptée
pour les lois de finances, à savoir leur soumission au contrôle des
dépenses engagées.
103
4. Contrôle des engagements de dépenses

Le comité budgétaire consultatif spécial ministériel devra donner


son avis sur les dépenses que le contrôleur des dépenses engagées
aura refusé de viser ; en cas de difficulté, il en sera référé au
contrôleur des dépenses engagées au ministère des Finances qui lui-
même pourra appeler le Conseil des ministres à statuer. Tout projet
ministériel susceptible d’entraîner directement ou indirectement
des dépenses nouvelles 104 devra être soumis à un examen préalable
du représentant du ministre des Finances et obtenir l’avis de ce
dernier 105 . Pour les autorisations d’engagements de dépenses, il
devra être élaboré une réglementation générale, assortie des
écritures ad hoc, valable pour tous les ministères mais qui pourra le
cas échéant être spécialisée selon les besoins particuliers des
services. Selon Courtin, le contrôle de la liquidation et de
l’ordonnancement des dépenses devrait incomber également aux
corps de contrôle 106 , ce qui pose le problème des nomenclatures et
de leur harmonisation.

5. Corps de contrôle

Il s’agit d’appliquer l’article 150 de la loi de finances du 13 juillet


1911 concernant la création de corps de contrôle financier dans les
ministères qui en sont dépourvus. Les rapports d’ensemble des corps
de contrôle devront être systématiquement communiqués à la Cour
des comptes et les rapports particuliers seront tenus à sa disposition
107
. Toute latitude sera donnée aux corps de contrôle d’enquêter sur
tous les sujets qui leur sembleraient utiles, hors exécution du
budget.
108
6. Contrôle des paiements

La sous-commission insiste sur la nécessité d’une révision complète


des nomenclatures pour assurer l’efficacité du contrôle sur pièces.
Elle réaffirme la nécessité de lutter contre les infractions à l’unité
budgétaire et contre la création d’organismes autonomes (les offices)
ou de budgets spéciaux. Elle demande le rétablissement du contrôle
mensuel par la direction de la Comptabilité publique sur les
documents produits par les comptables et leur vérification
mensuelle dans les écritures centrales 109 .

7. Contrôle des comptes spéciaux

La sous-commission demande que les comptes spéciaux soient


soumis au contrôle des corps de contrôle tel que cela a été prévu par
l’article 150 de la loi du 13 juillet 1911 et que les résultats de ces
contrôles soient communiqués sans délai au ministre des Finances
110
.

8. Contrôle des budgets communaux et départementaux

La sous-commission souhaite renforcer, en accord avec le ministère


de l’Intérieur, le contrôle du ministère des Finances sur les budgets
communaux et départementaux 111 ; elle suggère de créer un rouage
administratif supplémentaire où le ministère des Finances serait
représenté et chargé de contrôler les divers services d’assistance
départementaux 112 .
9. Responsabilité des administrateurs

Sur la forte insistance de Jèze et en dépit des réticences de Courtin,


la sous-commission propose la création d’un comité consultatif
spécial, logé auprès du ministre des Finances et composé de
membres des grands corps de l’État 113 , qui serait chargé d’éclairer
le ministre en matière d’exécution du budget et de le renseigner sur
les irrégularités commises par les agents de l’État, devant lequel
comparaîtrait tout fonctionnaire fautif en matière de certification de
dépenses, ou d’évaluation, ou de défaillance en matière de recettes.
Les propositions de comparution seraient établies par les
représentants des corps de contrôle, communiquées d’office au
ministre des Finances et mentionnées dans les rapports annuels 114 .
Ce comité consultatif spécial qui semble préfigurer une cour de
discipline financière siégerait comme lui au ministère des Finances
115
.
Nulle part n’est abordée la question de l’articulation de ce contrôle
des ordonnateurs avec le pouvoir juridictionnel de la Cour des
comptes sur les comptables. La question des sanctions, qui oppose un
Courtin très dubitatif 116 et un Jèze convaincu 117 , n’est pas résolue ;
seule la lecture des procès-verbaux permet de saisir la vivacité des
débats et les divergences en présence 118 . Enfin, le contrôle des
recettes, qui a donné lieu à des échanges également animés, ne fait
l’objet d’aucune conclusion 119 , sauf en ce qui concerne les comptes
spéciaux 120 . Là encore, les points de vue sont inconciliables entre
Jèze et les représentants du ministère des Finances et de la Cour.
Au sein de la sous-commission se dessinent au fur et à mesure, sous
l’influence de Courtin, un consensus et une alliance entre les
Finances et la Cour des comptes pour accroître les pouvoirs et les
attributions de ce ministère en matière de préparation, de contrôle
et d’exécution du budget. L’enjeu est considérable : est-il souhaitable
et faisable d’accorder une primauté au ministre des Finances et de
rompre ainsi la tradition républicaine qui assure l’égalité et la
collégialité aux membres du Gouvernement ? Outre le renforcement
du contrôle des dépenses engagées dans les ministères techniques,
outre le renforcement du contrôle de la préparation du budget, c’est
bien au ministère des Finances que la sous-commission veut confier
un rôle décisif dans la centralisation et la coordination des contrôles
par la création d’organes supérieurs rattachés au ministre des
Finances. De ce point de vue, l’économie du projet n’est pas du tout
la même que celle du projet Caillaux qui faisait de la Cour des
comptes le centre et le sommet des contrôles administratifs,
comptables et financiers. Les contrepoids aux propositions de
Courtin sont faibles, les autres directeurs des ministères se taisent
ou sont absents et, de façon générale, la discussion laisse peu de
place à la critique contre les Finances. Seul, Jèze ose remettre en
cause le droit de transaction du ministère des Finances et réclamer
un contrôle rapproché dans le temps de la Cour sur les recettes
fiscales et non fiscales. Les parlementaires quant à eux se signalent
par la faiblesse de leurs propositions ; est-ce par manque de
pugnacité, par désintérêt, par incompétence ou par convergence
avec les hauts fonctionnaires des Finances ? Dans tous les cas, Jèze
est le seul à plaider pour le renforcement du contrôle des
ordonnateurs. Courtin, polytechnicien, inspecteur des Finances,
ancien directeur du ministère des Finances, président de chambre à
la Cour, homme d’autorité et d’influence, apparaît comme le
principal architecte de ce dispositif de renforcement des pouvoirs de
la rue de Rivoli. Son programme est ambitieux, il embrasse la
réforme du ministère des Finances (l’éclosion d’une fonction
budgétaire autonome, le renforcement du contrôle centralisé de la
dépense et de la gestion), la réforme interne des ministères
techniques (Services de comptabilité, Budget, contrôle des dépenses
engagées), la réforme de la comptabilité de l’État, la réforme des
corps de contrôle et de la Cour des comptes, plus modestement celle
du contrôle des collectivités locales et des recettes. Bénéficiant de la
liberté de parole et de l’indépendance attachées à la Cour, il ne
craint pas de demander l’accroissement des pouvoirs du ministère
des Finances, voire sa préséance sur ses collègues de gouvernement.

IV. La sous-commission du Contrôle judiciaire


(juridictionnel)
A. Composition, méthodes de travail et objectifs

La sous-commission compte quinze membres 121 , sept


parlementaires (ou anciens parlementaires), quatre magistrats de la
Cour des comptes, un conseiller d’État, deux administrateurs, un
inspecteur des Finances. Elle est la sous-commission la moins
nombreuse, au point qu’il faudrait davantage parler de groupe de
travail que de sous-commission. La participation des parlementaires
est des plus réduites voire nulle, à l’exception de celle de l’ancien
député Delombre qui vient quatre fois. Les magistrats de la Cour des
comptes du coup y sont majoritaires et, pour certaines séances, ils se
retrouvent entre eux, à quatre ou cinq, pour réfléchir à la réforme de
leur propre maison. Les réunions se tiennent d’ailleurs rue Cambon.
Le président Payelle, désigné comme vice-président de la sous-
commission, joue avec sérieux son rôle d’introducteur et de
conducteur des débats, le procureur général Bloch intervient
fréquemment, mais très vite, c’est Féret du Longbois qui prend
l’ascendant.
Les procès-verbaux correspondent aux six premières séances de
travail, du 8 décembre au 14 mars 1918 122 . Aucun document de
synthèse n’a été retrouvé, ni relevé de conclusions ni rapport
général 123 . L’objectif assigné par le ministre est de « fortifier le
contrôle judiciaire » en donnant à la Cour « des moyens nouveaux et
des pouvoirs plus étendus, notamment en ce qui concerne la gestion
des ordonnateurs sur laquelle elle n’a pas un droit de regard
suffisant 124 ». Payelle fixe l’ordre des travaux : vérifier les
conditions dans lesquelles s’effectuent la vérification et le jugement
des comptes ; examiner les conditions dans lesquelles sont préparés
les documents rendus publics par la Cour auprès du Parlement ;
examiner les lacunes à combler dans ses attributions de juridiction
et de contrôle et rechercher les remèdes à ces lacunes. Payelle
propose enfin quelques grandes réflexions sur lesquelles il
souhaiterait que la sous-commission réfléchisse et se prononce :
1. L’étude du contrôle des recettes et du contrôle des dépenses réalisés par
l’administration (engagement, exécution, liquidation, ordonnancement, paiement,
contrôle a posteriori et contrôle préventif). La Cour des comptes française peut-elle, sur
125
le modèle italien, s’ingérer directement dans le contrôle administratif ?
2. L’étude des documents comptables. Quelle est la valeur des pièces comptables ?
Permettent-elles d’atteindre la réalité de la gestion administrative ? Les nomenclatures
sont-elles ajustées à l’action administrative et permettent-elles d’atteindre la réalité
des actes administratifs, alors qu’elles sont trop souvent défectueuses ou lacunaires,
notamment aux Armées ? Pour Payelle, appuyé par Féret du Longbois, un important
travail doit être entrepris, notamment pour l’amélioration de la nomenclature
budgétaire et pour les services qui sont apparus pendant la guerre.
3. « Le vif du sujet » selon Payelle : le contrôle des ordonnateurs. La Cour a à sa
disposition quatre moyens principaux : le contrôle sur pièces, les référés, les
déclarations générales et le rapport public. Mais elle ne dispose que d’une information
lacunaire de la part des ministères. Comme l’a déjà souligné le projet de loi Caillaux en
1914, l’efficacité du contrôle de la Cour des comptes exige davantage de moyens, et
notamment que lui soient envoyés les rapports des corps de contrôle des ministères et
en particulier ceux de l’Inspection générale des finances et des contrôleurs des
dépenses engagées. Réciproquement, les contrôleurs des dépenses engagées et les
corps de contrôle devraient avoir connaissance des référés de la Cour des comptes. Il
s’agit donc d’instaurer une coopération dans les deux sens entre la Cour, l’Inspection
des Finances et les corps de contrôle. Il faut aussi que la Cour puisse convoquer devant
126
elle les contrôleurs pour une discussion contradictoire , ajoutant ainsi une
procédure orale à la procédure écrite traditionnelle. Pour le contrôle des
ordonnateurs, tout en se référant au projet Caillaux, Payelle, prudent, ne mentionne
pas la création d’un nouvel organisme, il préfère avant toute chose resserrer les liens
entre la Cour et le Parlement, notamment par le biais du rapport annuel qu’il
souhaiterait rendre le plus public possible. Il élude la question des sanctions, qu’il
laisse à la sous-commission du Contrôle parlementaire. Le but de ces réformes est
d’éclairer plus vite et mieux le Parlement et de lui donner les moyens de définir les
véritables responsabilités.

Enfin, au cœur de la réflexion, souligne Payelle, se trouve la question


de la comptabilité, ou plus exactement des comptabilités (matières,
comptabilité d’ordre ou en deniers, départementales et communales)
et des budgets (annexes ou généraux). Finalement, le programme de
travail suivant est adopté : le contrôle des recettes 127 ; le contrôle
de la dépense ; le contrôle des ordonnateurs.

B. Débats et résultats

Au cours des débats, Féret du Longbois, appuyé par Bloch et Delaire,


mène le jeu et tient, toutes proportions gardées, un rôle similaire à
celui de Courtin au sein de la sous-commission de contrôle
administratif. C’est lui qui rédige les conclusions sur les
nomenclatures et les pièces justificatives 128 , c’est lui qui fait le
rapport sur le contrôle des recettes 129 ; il revendique à cette
occasion pour la Cour non seulement le contrôle de la légalité sur les
recettes et sur les perceptions 130 , mais aussi le contrôle de l’assiette
des impôts et leur recouvrement, ainsi que le contrôle des produits
divers du Budget et des recettes non fiscales. Il réaffirme avec force
la nécessité d’un contrôle administratif sur tout service liquidateur
de recettes soumis au contrôle de la Cour des comptes et rappelle
l’obligation de produire les pièces justificatives nécessaires à la
vérification des droits constatés. Il demande l’interdiction de
modifier ou d’édicter des nomenclatures de pièces justificatives sans
avis conforme de la Cour et réclame la participation de la Cour à
l’élaboration de nouvelles nomenclatures de recettes 131 .
Se plaçant explicitement sous le patronage du projet de loi Caillaux
de janvier 1914, Féret du Longbois propose l’organisation d’une
meilleure liaison et d’une meilleure coopération entre les différents
contrôles, entre la Cour et l’Inspection des finances, et demande
l’extension des pouvoirs de la Cour en matière d’information (droit
d’initiative pour provoquer une instruction, droit d’enquête auprès
des ordonnateurs et au sein des administrations). Enfin, il redit tout
le prix qu’il attache à la communication systématique des rapports
d’ensemble établis par les corps de contrôle et par les contrôleurs
des dépenses engagées à la Cour des comptes, à l’instar de ce qui se
fait désormais pour les commissions financières du Parlement depuis
la loi du 31 mars 1917 132 . En revanche, comme le président Courtin,
il se montre très réservé à l’égard d’une section du contrôle
budgétaire ou d’un nouvel organisme pour les administrateurs
coupables d’irrégularités ou de fautes de gestion ; il considère cette
innovation comme « non acceptable », car elle met en place « une
sorte de Cour des comptes dans la Cour des comptes dont elle sape
l’organisation à sa base même 133 ». Il suggère que, pour la
responsabilité des ordonnateurs, la Cour intervienne dans des
formes analogues à celles présidant à la rédaction du rapport annuel
134
. La question des sanctions des administrateurs fautifs,
administratives ou pécuniaires, est mise en débat sans qu’aucune
réponse y soit apportée, la sous-commission s’en tenant finalement
au statu quo 135 . Dans le cas d’infraction constatées, un comité
spécial, placé à la tête de chaque ministère, instruirait les affaires et
ce ne serait qu’à l’issue de cet examen que les conclusions seraient
envoyées à la Cour et au ministre des Finances.
Dans les débats revient plusieurs fois la question de la publicité du
rapport public 136 : les membres de la sous-commission, notamment
Delombre, se plaignent qu’il demeure introuvable dans le commerce
et même à l’Imprimerie nationale. Féret du Longbois rappelle que
c’est par mesure d’économies, et sur demande de la Chambre que les
distributions du rapport public ont été restreintes : 200 au Sénat au
lieu de 550 ; 250 à la Chambre au lieu de 640 ; 45 au Conseil d’État au
lieu de 65 ; 160 à la Cour des comptes ; 10 à la Comptabilité publique ;
36 aux autres services du ministère des Finances ; 50 aux Archives et
95 aux autres ministères, soit 846 rapports distribués gratuitement.
Aucune résolution n’est adoptée à ce sujet 137 .
Les débats de la sous-commission du Contrôle judiciaire, réduite le
plus souvent à un entre soi de magistrats, permettent de mesurer
l’état d’esprit réformateur de la Cour des comptes et son degré
d’offensivité. La Cour, notamment sous l’impulsion de Féret du
Longbois, semble prête en 1918 à envisager une extension de ses
attributions en direction du contrôle des recettes, dont le ministère
des Finances à l’époque a le monopole exclusif 138 ; elle manifeste
ainsi qu’elle a pris acte de la rénovation du système fiscal français
depuis la mise en place de l’impôt sur le revenu et qu’elle a
conscience qu’il lui faudrait y jouer un rôle accru dans l’avenir. Elle
se montre également preneuse d’une information élargie sur la
gestion des administrations grâce à une meilleure liaison avec les
corps de contrôle et l’Inspection des finances 139 . En revanche, elle
se montre très prudente à l’égard du renforcement de ses pouvoirs
en matière de contrôle des ordonnateurs et des administrateurs, et
très hésitante en ce qui concerne une éventuelle évolution vers un
contrôle a priori, sur le modèle italien. Enfin, elle écarte la question
du contrôle des comptes des communes, à l’époque jugés par les
conseils de préfecture, que l’ancien député Delombre aurait voulu
soumettre à la Cour. En 1918, la Cour émerge avec lenteur et
prudence du long immobilisme institutionnel dans lequel elle a été
plongée depuis son impériale création. Invoquant la tradition et
l’orthodoxie, elle ne manque pas d’opposer une certaine inertie,
voire une certaine résistance aux innovations institutionnelles
proposées, mais sous l’impulsion de ses représentants les plus
hardis, elle esquisse une mise en mouvement qui portera ses fruits
dans l’entre-deux-guerres.

V. La sous-commission du Contrôle
parlementaire
A. Composition

La sous-commission compte quatorze membres 140 : sept


parlementaires et un ancien ministre, deux directeurs généraux 141 ,
un responsable du Contrôle, un conseiller maître, deux inspecteurs
des Finances, un professeur de droit, Jèze. C’est la seule sous-
commission où, sur le papier, les parlementaires sont majoritaires et
c’est la seule commission à laquelle les parlementaires prennent
véritablement une part active : Thomson, le président, Reinach, vice-
président, Delombre et, dans une moindre mesure, Chéron et Denais.
Jèze en revanche est le membre le plus assidu et ne manque aucune
séance. La sous-commission fonctionne en réalité avec un très petit
nombre de participants, trois personnes pour certaines séances, cinq
ou six la plupart du temps. Là encore, il s’agit davantage d’un groupe
de travail que d’une commission. En cours de route, la sous-
commission se renforce de la présence de conseillers maîtres,
notamment de Féret du Longbois qui, de fait, se trouve la seule
personne à avoir eu une part active dans les trois sous-commissions.
Cette fois-ci, c’est Jèze qui prend la direction des débats et des
travaux. Rappelons que Jèze a été membre de la commission de 1911
sur le contrôle financier et qu’il a été rapporteur général de la
commission Stourm instituée au ministère des Finances par Klotz en
1913 pour examiner les mesures propres à assurer le vote du budget
à une date normale 142 . Son rapport général vient tout juste d’être
publié au Journal officiel le 27 novembre 1917 quand se constitue la
commission Selves. Cette dernière, quatre ans après la commission
Stourm, est donc pour lui une belle occasion de remettre l’ouvrage
sur le métier. De fait, en tant que rapporteur de la sous-commission,
Jèze joue un rôle moteur ; c’est lui qui détermine l’ordre du jour et le
programme de travail, c’est lui qui fournit tous les textes de
discussion, c’est lui qui fait tous les exposés introductifs et qui rédige
le texte des résolutions 143 ; c’est lui qui fait les exposés de droit
comparé concernant les exemples étrangers 144 . En apparence, c’est
la sous-commission la moins innovante, car elle reprend un grand
nombre de points mis en débat lors de la commission Stourm, mais
elle franchit cependant une étape décisive en proposant une liste de
mesures concrètes de réforme, notamment sur le calendrier de la
procédure budgétaire et sur l’encadrement du travail parlementaire.

B. Programme de travail

Les travaux de la sous-commission se déroulent du 8 décembre 1917


au 9 mars 1918 sur dix séances 145 . L’établissement du programme
de travail donne lieu à un débat préalable intéressant : s’affrontent
d’un côté une approche politique, avec la réaffirmation des « grands
principes républicains », la délimitation des pouvoirs budgétaires du
Sénat et de la Chambre 146 , la mise en cause de l’initiative
parlementaire en matière d’ouverture de crédits 147 et, de l’autre,
une approche technicienne, plus concrète et plus pratique, portant sur
la contexture du budget, les nomenclatures, les crédits additionnels,
etc. Jèze, quant à lui, veut écarter les sujets déjà traités par la
commission de 1913-1914, pour lesquels certaines propositions ont
été faites, par exemple le changement de date de l’année financière,
et il veut essayer d’avancer sur de nouveaux points. C’est à lui que la
sous-commission confie l’organisation des travaux.
Jèze commence par un exposé sur le contrôle parlementaire : « En
matière budgétaire, le rôle du Parlement n’est pas d’exercer un
contrôle technique, mais d’examiner les besoins des services publics,
de surveiller l’exécution des volontés du Parlement et de s’attacher
aux méthodes de gestion des crédits par les administrations 148 ». Il
propose ensuite d’étudier les trois phases du contrôle parlementaire,
« le contrôle avant le vote du budget, le contrôle en cours
d’exécution du budget, le contrôle après l’exécution du budget, c’est-
à-dire sur les comptes ». Cette approche inclut en amont l’étude des
pouvoirs de la commission du Budget (l’exemple anglais d’une
commission spéciale des Comptes peut-il inspirer les réformateurs
français ?) et en aval, celle de la commission des comptes définitifs.
Descendant dans le détail, il établit la liste des questions qui lui
semblent prioritaires : 1. La forme du document budgétaire et sa
nomenclature ; 2. Les comptes spéciaux qui échappent à tout
contrôle ; 3. L’initiative parlementaire ; 4. Les crédits additionnels et
la nécessité de créer des recettes corrélatives ; 5. Les crédits
d’engagement des programmes de dépenses et des « réformes
réalisées par étapes » (les futures lois de programmation) ; 6. La
suppression des douzièmes provisoires ; 7. La composition de la
commission du Budget et de la commission des finances ; 8. Les
pouvoirs des commissions financières et de leurs rapporteurs
(études préparatoires ou délégation de la Chambre 149 ?) ; 9. Le vote
public ou secret des dépenses ; 10. Les crédits-matière. On le voit, les
préoccupations de Jèze sont essentiellement budgétaires.
À cette liste, Chéron demande qu’on ajoute le contrôle des budgets
départementaux et communaux. En face de Jèze, Thomson, Reinach
et Delombre jouent un rôle majeur et lui portent la contradiction ; à
partir de la 6e séance, Féret du Lonbois renforce la composante
administrative de la sous-commission et prête main-forte sur bon
nombre de sujets à Jèze 150 . À cet égard, c’est sans doute la sous-
commission la plus équilibrée, dans la mesure où les contributions
proviennent des trois composantes de la commission, parlementaire,
universitaire et administrative, mais c’est aussi celle où les
divergences politiques sont les plus importantes.

C. Les résultats

La totalité des discussions tourne autour de la procédure budgétaire


et du vote du budget qui, depuis le début de la guerre, n’est plus
assuré dans les formes réglementaires. Mais les membres sont tout à
fait conscients que le conflit n’a fait qu’aggraver des désordres
financiers qui préexistaient de façon chronique, voire structurelle, à
la guerre : budgets annexes, comptes spéciaux, crédits additionnels
supplémentaires et extraordinaires, fonds de concours,
dépassements de crédits, douzièmes provisoires… Chacun des
membres est pénétré de la nécessité de rétablir le vote régulier du
budget, mais des tensions sont perceptibles entre les défenseurs des
libertés parlementaires et les partisans de leur limitation.

1. La révision de la nomenclature budgétaire


C’est Jèze qui fait le premier exposé, reprenant les principes qu’il a
déjà eu l’occasion de développer au sein de la commission Stourm
151
. Selon Jèze, il est urgent de réduire le nombre des chapitres du
budget 152 , et ce pour quatre raisons principales : par souci
d’économies, par souci de rationalisation, pour empêcher le législatif
de se substituer à l’exécutif et d’augmenter de façon électoraliste les
crédits et pour empêcher les services d’épuiser artificiellement les
crédits ouverts 153 . Il recommande d’établir une plus grande
homogénéité des chapitres et de les libeller de façon claire. Enfin, il
serait nécessaire d’adopter une nomenclature uniforme pour tous les
ministères et de la stabiliser d’une année sur l’autre, de façon à
établir des comparaisons entre le présent et le passé et entre
chapitres. Delombre défend le principe inverse, à savoir
l’augmentation du nombre de chapitres, qu’il souhaite mieux libellés
et mieux surveillés par un contrôle des dépenses engagées renforcé.
On retrouve là le tropisme constant du Parlement qui cherche par la
multiplication du nombre de chapitres à appliquer le principe de
spécialité des crédits et à étendre son contrôle sur l’exécutif
ministériel. Au final, la sous-commission adopte quatre
préconisations : assurer une meilleure homogénéité des chapitres,
fixer de meilleurs libellés et établir une nomenclature uniformisée
en élaborant une table de concordance avec les anciens budgets
anciens (travail à confier à une commission spécialisée de
techniciens) ; interdire toute modification de nomenclature, sauf par
une loi spéciale votée en dehors de la discussion budgétaire.
154
2. La date de point de départ de l’exercice budgétaire

C’est une question prioritaire pour Reinach 155 , qui se réfère à


Gambetta et aux débuts constitutionnels de la IIIe République, mais
le député se montre sceptique sur l’efficacité du changement de date
et préférerait adopter des moyens plus radicaux : pénalités
financières, appels à l’opinion publique, promulgation du budget au
31 décembre même si son examen n’est pas achevé comme en
Angleterre 156 . Sur ce sujet, Jèze avoue lui aussi hésiter, mais il
considère que l’expérience mérite d’être tentée ; il expose à nouveau
les expériences étrangères de l’Angleterre et des États allemands
(choix de la date du 1er avril), de l’Italie et des États-Unis (1er juillet)
et propose de suivre le modèle italien. Il dénonce enfin les
résistances de l’Administration, qu’il attribue à un refus de voir les
vacances d’été raccourcies. Les parlementaires de la sous-
commission s’insurgent et s’opposent catégoriquement au
changement de date : selon eux, tout changement provoquera
troubles et désordres dans l’organisation comptable ; la cause des
retards du vote du budget doit être recherchée selon eux dans la
dérive des « mœurs parlementaires ». Ils préconisent à leur tour la
réforme des méthodes de travail parlementaires, l’adoption d’une «
discipline » politique, l’instauration de délais contraignants pour
chaque étape de la procédure d’examen… Isolé, Jèze renonce une fois
de plus au changement de date 157 ; il expose alors d’autres voies «
propres à assurer le vote du budget à sa date normale » telles que la
méthode britannique qui consiste à limiter les débats budgétaires («
clôture par compartiments », absence de commission du budget) ou
la méthode américaine qui restreint les temps de parole des
orateurs, méthodes qui ont le mérite à ses yeux de ne pas laisser le
législatif se substituer à l’exécutif 158 .

3. Délais de la procédure budgétaire et règlements


159
parlementaires

Féret du Longbois qui rejoint la sous-commission à partir de la 6e


séance vient appuyer les efforts de Jèze. Il demande très fermement
une loi budgétaire fixant des délais et des dates butoirs pour
présenter le projet de budget au Parlement et les rapports des
commissions financières : il propose que le dépôt du budget par le
Gouvernement soit réalisé deux mois après le vote du projet de loi de
finances précédent et au plus tard au 1er mars ; la distribution des
rapports de la commission du budget s’effectuerait deux mois après
le dépôt du budget et au plus tard le 1er mai, l’idéal étant que la
Chambre vote le projet avant sa séparation à la veille de l’été.
Jèze s’en prend ensuite aux mauvaises pratiques de la commission du
budget qui fait double emploi avec le Gouvernement et empiète sur
les pouvoirs de l’exécutif. Une plus grande modestie, des rapports
financiers plus courts, l’abrégement des discussions, la limitation du
temps de parole, le renforcement du rôle du président de la
commission du Budget, gardien du règlement, permettraient de
raccourcir les délais d’examen du budget. Son ultime proposition
consistant à n’examiner les départements ministériels que tous les
quatre ans est rejetée catégoriquement ; en revanche, les
participants tombent d’accord pour proposer que la commission du
budget puisse déterminer elle-même chaque année les services à
examiner.
Ensuite, la sous-commission liste et examine les moyens
envisageables pour contraindre le Parlement à réduire son temps
d’examen et de discussion et vote une série de résolutions 160 :
n’introduire dans la loi de finances que des dispositions visant
directement les recettes et les dépenses ; bloquer la discussion du
budget sur un nombre de jours de semaine précis et déterminés, sur
le modèle anglais ; limiter le nombre des orateurs (cf. la mise en
œuvre d’une discipline des partis 161 ) ; concentrer les interpellations
sur un seul jour de la semaine ; supprimer les débats pour les
chapitres pour lesquels aucune modification n’est demandée ;
adopter le système anglais de la clôture ; discuter sans interruption
tous les chapitres de dépenses d’un même ministère ainsi que les
dispositions législatives qui s’y rattachent, exception faite des
chapitres relatifs à l’équilibre budgétaire et aux subventions des
budgets annexes ; interdire les motions et les projets de résolution
pendant la discussion du budget (préconisée par la commission
Stourm 162 ) ; interdire les amendements tendant à une
augmentation ou à une diminution purement indicative de crédits…

4. Vote

Sur le maintien du vote des recettes après le vote des dépenses 163 et
sur le maintien du vote public (et non secret) 164 , la sous-
commission se prononce à l’unanimité.

5. Composition des commissions des finances

En revanche, la sous-commission exclut l’élection proportionnelle


des membres de la commission des finances du Sénat, proposée par
Jèze afin d’associer la totalité du corps politique au vote du budget et
d’empêcher les manœuvres d’obstruction de l’opposition. L’idée
consiste à aligner la commission des Finances du Sénat sur le modèle
de la commission du Budget qui comporte une représentation
proportionnelle des partis politiques et admet la représentation de
la minorité parlementaire 165 . Jèze, invoquant le modèle anglais,
affronte sur ce point les sénateurs qui ne veulent se voir dicter
aucune mesure concernant le fonctionnement de leur propre
institution. Les conclusions de la sous-commission sur la première
partie du programme de travail sont rassemblées dans le Rapport
sommaire sur les mesures propres à assurer le vote du budget à sa date
normale, rédigé le 8 mars 1918 par Jèze. C’est le seul document de
synthèse que l’on possède de cette sous-commission, il s’inscrit dans
l’étroite filiation de la commission Stourm de 1913 mais vise à
proposer non pas des réformes politiques et constitutionnelles pour
lesquelles la sous-commission ne s’estime pas légitime, mais des
mesures techniques « plus modestes, mais dont l’efficacité […] a paru
probable ».

6. Unité budgétaire

La 10e séance inaugure le 2 mars 1918 un nouveau chapitre du


programme de travail consacré à l’unité budgétaire et au nécessaire
respect de cette règle. Jèze et Féret du Longbois se livrent à une
typologie fine et détaillée des comptes spéciaux du Trésor et des
causes qui ont conduit à leur apparition, ainsi qu’à celle des budgets
extraordinaires, des budgets spéciaux et des budgets autonomes des
services industriels de l’État. La guerre est désignée comme la
grande démultiplicatrice de ces mauvaises pratiques et la sous-
commission est unanime pour dénoncer ce « morcellement du
budget » et pour recommander le retour à l’unité budgétaire. Alors
que la discussion commence seulement, le 20 mars 1918, sans
qu’aucune raison n’en soit à ce jour connue, les procès-verbaux de la
sous-commission s’interrompent.
En s’attaquant à la procédure et au calendrier budgétaire, la sous-
commission du Contrôle parlementaire n’est pas la moins ambitieuse
; elle est en tout cas la plus politique et les parlementaires de la sous-
commission qui y participent ne s’y sont pas trompés. Ce qui est en
jeu en arrière-plan, c’est la répartition des pouvoirs budgétaires
entre l’exécutif et le législatif, la contestable et contestée
substitution de l’un par l’autre, le tropisme d’ingérence de la
commission du Budget, la répartition inégale des pouvoirs
budgétaires entre la Chambre et le Sénat et, enfin, la mise en
question du droit d’initiative financière des Chambres 166 . Or, la
sous-commission n’a pas de mandat pour proposer des réformes
constitutionnelles, de sorte que ses membres décident prudemment
de ne proposer que des mesures techniques et organisationnelles
concernant le travail parlementaire. Il n’en reste pas moins que
toutes les mesures préconisées vont dans le sens d’une limitation,
d’un encadrement du travail et des pouvoirs parlementaires 167 . Par
rapport à la commission Stourm, la sous-commission enregistre
quelques avancées, notamment sous l’autorité de Féret du Longbois,
en proposant la fixation concrète d’un calendrier budgétaire et en
énumérant un ensemble de résolutions destinées à discipliner et
encadrer le travail budgétaire des deux Chambres. Le fait que des
parlementaires se soient associés à ces résolutions est un progrès par
rapport à la commission Stourm qui n’était composée que d’experts
techniques, mais leur petit nombre et leurs divisions ne les
autorisent guère à de grandes audaces.
Au sein de cette sous-commission, Jèze joue un rôle majeur, même
s’il se trouve souvent mis en minorité, et il a maintes fois l’occasion
d’exposer sa doctrine budgétaire : « le budget n’est pas seulement un
acte financier, mais c’est un acte politique » ; il « est l’exécution d’un
programme politique 168 ».Il souligne qu’à l’occasion de son
contrôle, le Parlement doit évaluer et critiquer le fonctionnement
des services : « il est légitime que la discussion d’un crédit
budgétaire fournisse l’occasion de critiquer le fonctionnement du
service public pour lequel le crédit est demandé ; la conclusion
normale de la discussion qui s’engage à ce sujet est le vote, la
diminution ou le refus du crédit ». À cette conception politique du
budget s’oppose celle de Delombre, qui définit le budget comme « un
état de prévisions financières ». Un débat promis à une longue
postérité au XXe siècle 169 … Le grand modèle de Jèze pour le travail
parlementaire reste le modèle anglo-saxon, il y puise de nombreuses
références afin d’étayer son propos, et ce d’autant plus que les
parlementaires français semblent reconnaître au modèle
britannique une préséance d’antériorité et d’ancienneté en même
temps qu’un brevet de démocratie 170 . Jèze trouve dans cette sous-
commission une belle opportunité pour exposer dans une enceinte «
autorisée » ses idées et tenter de faire évoluer les esprits. Enfin,
quels qu’aient été ses résultats, à l’échelle de l’entre-deux-guerres,
cette sous-commission constitue un des rares groupes de travail (le
seul à notre connaissance) à avoir mis à plat la procédure budgétaire
et à y avoir réfléchi de façon approfondie.

Conclusion
Quelles ont été les suites de la commission Selves ? Rarement citée
dans les années 1920 (aucun rapport général n’a été publié), elle fait
partie de ces commissions qui semblent n’avoir laissé de traces
qu’archivistiques. Pour le bonheur des historiens. Pourtant, par
l’ampleur de ses travaux qui couvrent l’ensemble du système de
gestion des finances publiques, la commission Selves est une
commission matrice pour la maturation et l’incubation d’idées qui
vont circuler tout au long de l’entre-deux-guerres et qui, pour
beaucoup, aboutiront sous la pression de la contrainte extérieure et
de la crise budgétaire et politique des années 1930. À très court
terme, la scission de la direction générale de la Comptabilité
publique et la création d’une direction du Budget autonome en 1919
au ministère des Finances par Klotz en sont des fruits directs ; au
tout début des années 1920, plusieurs projets de réforme à la Cour
des comptes reprennent les pistes ouvertes par le projet de loi
Caillaux et par la commission Selves, tandis que certaines des
réflexions des hauts fonctionnaires de la sous-commission Courtin
trouvent un aboutissement dans la loi Marin de 1922 sur le contrôle
des dépenses engagées… À moyen terme, les années 1930 verront
retravaillées et concrétisées des propositions explorées par la
commission Selves : la réforme de la comptabilité publique et des
nomenclatures en 1930-1934, l’instauration d’un contrôle financier
local en 1930-1936, la création des Comités ministériels de contrôle
financier en 1935, la réforme de la Cour des comptes en 1936 et la
création d’un Comité supérieur de contrôle financier… D’une
décennie à l’autre, il y a eu diffusion par capillarité des idées et des
propositions ; la transmission et la maturation des projets se sont
faites par l’intermédiaire d’institutions dotées d’une forte mémoire
administrative (la Cour des comptes) ou d’une belle continuité
politique (la commission des Finances du Sénat avec Caillaux ou
Chéron), ainsi que par des personnages clés tels que Caillaux pour le
monde politique ou Bloch pour la haute administration. Ce
phénomène a été facilité par l’étroitesse du milieu des experts en
matière de finances publiques.
De fait, le milieu des « techniciens » en finances publiques est en
1918 extraordinairement étroit, homogène, consanguin pourrait-on
dire, constitué d’un tout petit nombre de ministres experts, d’une
poignée de parlementaires, d’un ou deux professeurs de droit et
d’une dizaine de hauts fonctionnaires qui se répartissent les postes
de responsabilité au ministère des Finances, à la Cour des comptes et
au contrôle des dépenses engagées. Il est d’ailleurs difficile de faire
un sort distinct aux inspecteurs des Finances, aux directeurs, aux
magistrats de la Cour et aux contrôleurs des dépenses engagées, car
compte tenu de l’étroitesse du recrutement, du petit nombre de
postes concernés et du déroulement des carrières, la plupart de ces
hauts fonctionnaires cumulent au cours de leur parcours plusieurs
de ces qualités ou fonctions. Le seul sang neuf provient des
ministères techniques, à savoir, d’un côté, du ministère du
Commerce, de l’Industrie ou des Postes et Télégraphes, et de l’autre
du Contrôle général de la Guerre et de la Marine. Mais les
représentants de ces ministères ne jouent qu’un rôle tout à fait
mineur dans les études produites et dans les discussions. À l’opposé,
grâce à leur ancienneté, leur expérience, leur parcours varié, leur
position au sein du système financier et à la tête des commissions de
réforme (les magistrats de la Cour sont vice-présidents ou
rapporteurs), et grâce au temps dont ils disposent 171 , les membres
de la Cour des comptes jouent un rôle majeur dans les débats :
Payelle, Courtin, Bloch, Féret du Longbois mènent la réflexion,
proposent des solutions et font pression sur les parlementaires.
L’Inspection des finances en tant que corps de contrôle apparaît plus
effacée, mais, forte de son expérience au contrôle des dépenses
engagées, se voit confier les tâches d’étude et d’appui (Petit,
Pignerol) 172 . Il n’en reste pas moins qu’une alliance objective se
noue entre la Cour des comptes et l’Inspection des finances 173 , en
vue d’augmenter dans un même mouvement les pouvoirs et les
attributions du ministère des Finances et ceux de la Cour des
comptes 174 . La marque et l’influence de Caillaux restent fortes et
l’impulsion de Klotz décisive. On notera pour terminer que nombre
de ces hauts fonctionnaires ne joueront pas de rôle opérationnel
dans la réforme du système de gestion des finances publiques au-
delà de 1921, à l’exception notable de Bloch, soit en raison de leur
âge et de leur départ en retraite, soit du fait d’un changement de
fonctions, soit d’un décès prématuré. En revanche, le magistère de
Jèze s’étendra sur tout l’entre-deux-guerres, même si le professeur
ne sera plus associé directement aux commissions de réforme des
années 1930.
S’élabore au sein de ce petit milieu d’experts, tout au long de ces
séances de travail, un véritable corps de doctrines en finances
publiques, dans le domaine du budget, des recettes, de la
comptabilité et du contrôle ; les hauts fonctionnaires budgétaires
apportent là une contribution notable à la nouvelle discipline des
finances publiques en cours de constitution depuis la fin du XIXe
siècle. De ce processus d’élaboration, Courtin est un des
représentants les plus éloquents et son principal interlocuteur est
Jèze, avec qui il a des échanges nourris et argumentés, même si, dans
une claire dissymétrie, l’autorité ultime revient bien souvent au haut
fonctionnaire. Soulignons aussi l’existence de Victor de Marcé,
spécialiste de la comptabilité publique et du commentaire du décret
de 1862, qui va devenir dans les années 1920 le spécialiste de droit
comparé en matière de systèmes de contrôle étrangers. Ces experts
issus des principales institutions financières détiennent des
positions d’autorité à l’École libre des sciences politiques et à
l’Institut. À la Faculté de droit de Paris et à la tête de la Revue de
science et de législation financière, Jèze, expert reconnu des pouvoirs
publics, a conquis et dispose d’un espace pour développer ses
analyses et les pousser en avant ; il est le grand pourvoyeur d’études
et d’analyses sur les modèles étrangers, auprès desquels les
réformateurs puisent l’inspiration pour réfléchir, amender ou
perfectionner le système de gestion publique français. Le
benchmarking est donc largement pratiqué à l’époque, tant pour
renouveler le stock d’idées que pour légitimer certains changements
ou au contraire pour valoriser les valeurs françaises. Dans la
commission, deux modèles sont très présents, d’un côté le modèle
anglais et ses pratiques parlementaires rigoureuses et encadrées, de
l’autre, le modèle italien dans lequel la Cour des comptes joue un
rôle non seulement juridictionnel, mais gestionnaire.
Paradoxalement, alors que les parlementaires étaient invités par
Klotz à présider la commission et à jouer un rôle décisif dans les trois
sous-commissions, c’est de leur côté que le bilan apparaît le plus
modeste. Concentrés (cantonnés ?) dans la seule sous-commission du
contrôle parlementaire, minoritaires et absentéistes, privés de ténor
politique ou d’expert de premier plan 175 , divisés, ils se laissent
dominer par les stratégies offensives des hauts fonctionnaires ou par
les analyses de Jèze, et se replient sur une défense du
parlementarisme budgétaire. Les résolutions ou les propositions de
réforme formulées (imposées ?) par Jèze et Féret du Longbois ne
seront guère suivies d’effet dans les années 1920 et ne connaîtront
un début de réalisation que dans les années 1930, dans un contexte
de crise budgétaire et politique aiguë, grâce aux décrets-lois.
La commission Selves, libre de toute préoccupation d’économies
budgétaires, n’a pas encore pris la mesure du désastre comptable et
financier engendré par quatre années de conflit ou, du moins, elle
n’a pas pour mission de le résoudre 176 ; écartant les préoccupations
conjoncturelles, elle met au cœur de ses priorités prospectives la
question structurelle du contrôle de la dépense. Présidée par des
parlementaires, elle essaie de penser la rénovation du système de
gestion des finances publiques dans le cadre démocratique et
parlementaire du régime républicain : comment permettre au
Parlement de contrôler plus efficacement l’emploi des crédits votés,
en instaurant plus de transparence, plus de sincérité et plus de clarté
dans le contrôle de la préparation et de l’exécution du budget ? Mais,
dominée par les hauts fonctionnaires « budgétaires », en l’absence
d’un leadership politico-parlementaire, elle ne peut se prononcer en
définitive qu’en faveur du renforcement des pouvoirs de contrôle du
ministère des Finances. En dépit d’un contexte propice (la guerre et
ses dérapages financiers), l’occasion de basculer du côté du contrôle
parlementaire est manquée… Il n’en reste pas moins que la
commission Selves, première commission tripartite du XXe siècle
(hauts fonctionnaires, parlementaires et universitaires), est l’une des
rares commissions sous la IIIe République à avoir eu conjointement
une réflexion technique sur la réorganisation du système des
finances publiques et une réflexion critique sur la répartition du
pouvoir budgétaire entre l’exécutif et le Parlement. Focalisée sur la
question de l’information budgétaire et de sa clarté, elle ne se pose
pas encore la question du rendement et de l’utilité de la dépense,
thèmes que les années 1920 et 1930 se chargeront bien vite de mettre
à l’ordre du jour.

NOTES
1. Voici le bilan que trace René Stourm du système de contrôle des finances publiques en
France : « Absence de contrôle vis-à-vis des ordonnateurs, contrôle administratif partiel sur
les subordonnés seulement ; contrôle judiciaire totalement absent », in Le budget, 1896, p.
564, cité par Sébastien Kott, Le contrôle des dépenses engagées, évolutions d’une fonction, Paris,
Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 2004, p. 105.
2. Cette poussée continue en faveur du contrôle est à mettre principalement à l’actif des
commissions des finances. C’est d’abord sur le contrôle des dépenses engagées que celles-ci
se mobilisent : en 1890, l’article 59 de la loi de finances du 26 décembre prévoit la tenue
d’une comptabilité des dépenses engagées ; en 1893, le décret du 14 mars installe un
contrôleur des dépenses engagées dans chaque ministère. Grâce à l’article 78 de la loi de
finances du 30 mars 1902, ce dernier est désormais nommé conjointement par le ministre
des Finances et le ministre intéressé, et le décret de nomination est contresigné par les deux
ministres (loi de finances du 31 mars 1903). Parmi les parlementaires les plus impliqués
dans les questions de contrôle et plus généralement dans les questions de gestion des
finances publiques, entre 1880 et 1918, on peut citer : Faure, Brisson, Pradon, Proust,
Gotteron, Bozérian, Doumer, Gérard, Cazeneuve, Leroy-Beaulieu, Milliès-Lacroix, Bérenger,
Reinach, Brousse, Noulens, Caillaux, Dausset, Grodet, Bokanowski, Tissier, Jobert, Revault,
Veber, Marin…
3. Parmi les ministres des Finances les plus impliqués avant 1914, citons Rouvier, Caillaux,
Klotz…
4. La préoccupation du contrôle ne disparaît pas totalement dans l’après-1945, elle subsiste
dans les années 1950 (cf. la réforme du contrôle financier et la réforme du contrôle d’État
sur les entreprises publiques dans les années 1950, et celle du contrôle financier local en
1970-1971), mais elle perd le caractère stratégique et prioritaire qu’elle avait dans la
période précédente tout en suscitant des perfectionnements constants.
5. Sur la généalogie des lois, règlements et pratiques du contrôle avant 1914, S. Kott, Le
contrôle des dépenses engagées..., op. cit.
6. C’est à l’occasion de la commission Courtin (1918) et de la commission qui étudie « les
conditions du règlement de l’exercice 1914 » que les responsables des finances publiques
prennent conscience de l’immensité et de la gravité des désordres engendrés par la gestion
d’une économie de guerre : nouvelles pratiques comptables, vacances des postes
comptables, comptabilités non tenues, dépassements de crédits, irrégularités, comptes
d’attente, comptes spéciaux en tout genre et en tous sens, création d’Offices, etc.
7. Cf. C.-G. d’Audiffret (marquis), Le système financier en France, Paris, 1863, 6 volumes.
8. Louis-Lucien Klotz, né en 1868, député de la Somme à partir de 1898, rejoint en 1914
l’Union républicaine radicale et socialiste. Il est cinq fois ministre des Finances entre 1911 et
1913, il est également le ministre de la fin de la guerre et du retour à la paix dans le
gouvernement de Clemenceau (novembre 1917-mars 1920). Il a écrit ses souvenirs en 1924,
De la guerre à la paix. Il est connu pour avoir exigé de l’Allemagne des réparations, mais il a
également une œuvre importante dans le domaine des finances publiques ; ministre des
Finances de Caillaux puis de Poincaré, du 27 juin 1911 au 21 janvier 1913, il s’intéresse de
près aux questions de contrôle.
9. La commission a travaillé pendant quatre mois environ et laissé une documentation
conséquente. Le SAEF conserve sous la cote B 33 972 les procès-verbaux des trois sous-
commissions, ainsi qu’une documentation annexe qui permet d’étudier les méthodes de
travail de la commission.
10. La commission Selves a elle-même listé les projets d’initiative gouvernementale ou
parlementaire concernant le contrôle budgétaire déposés entre 1903 et 1916 et en a
dénombré 19.
11. B 33 972, Note sur les travaux de la commission instituée en 1909 pour la réorganisation du
contrôle administratif de l’exécution du Budget, 31 décembre 1917.
12. Joseph Caillaux, né en 1863, inspecteur des Finances (1891), député puis sénateur de la
Sarthe, président du parti radical à partir de 1912, ministre des Finances de 1898 à 1902,
puis de 1906 à 1909, président du Conseil en 1911-1912, ministre des Finances en 1913-1914,
a à son actif une œuvre considérable en matière de finances publiques. Il est passé à la
postérité pour sa réforme de l’impôt sur le revenu votée in extremis en 1914, mais son
tropisme réformateur ne s’est pas limité à la fiscalité : il s’est appliqué à l’ensemble du
système financier. De 1909 à 1914, il s’attaque résolument au contrôle de la gestion des
administrations. Il agit de concert avec Klotz, ministre des Finances, avec lequel il partage
le poste de ministre des Finances entre 1909 et 1917.
13. La question comptable n’est pas en tant que telle à l’ordre du jour en 1917 alors qu’elle
va devenir centrale à la fin des années 1920 ; il faut attendre la prise de conscience de l’état
de délabrement dans lequel se trouve le système comptable après la guerre pour que la
réforme de la comptabilité publique soit mise à l’agenda politique.
14. SAEF, B 13 383, circulaire du ministre des Finances, 1er mars 1912 sur l’application de la
loi.
15. S. Kott, op. cit., p. 164.
16. Le dispositif n’a pas les résultats escomptés et en 1924 le dispositif sera abrogé,
remplacé par une réforme du rapport public.
17. Composition (décret du 13 novembre, JO du 17 novembre 1912, p. 9718) : Bloch,
directeur général de la CP, Delamotte, directeur de la comptabilité aux Affaires étrangères,
Célier, sous-directeur à la CP, Corréard, chef de service de l’Inspection des finances, Fabry,
inspecteur des Finances, Féret du Longbois, directeur du contrôle des administrations
financières, Bolley, directeur au ministère du Commerce.
18. B 33 972, Note du procureur général à la Cour des comptes, 14 mars 1914.
19. Les ministères bénéficiant de corps de contrôle sont les suivants : le ministère des
Finances (Inspection générale des finances réorganisée le 20 mai 1831 et le 26 juillet 1907) ;
le ministère des Colonies (inspection générale créée le 20 juillet 1887) ; le ministère de
l’Intérieur (inspection générale réorganisée le 20 décembre 1907) ; le ministère des Armées
(contrôle général institué par la loi du 16 mars 1882) ; le ministère de la Marine (contrôle
général organisé par la loi du 2 mars 1902).
20. Le projet est sanctionné par le décret du 7 mai 1918.
21. La commission n’a traité ni du ministère des Affaires étrangères ni du ministère des
PTT.
22. B 33 316. Dans les années 1920, la commission Bloch se concentre sur les Travaux
publics, l’Instruction publique, les Régions libérées, la Marine marchande, les Anciens
Combattants, l’Agriculture, les Offices dépendant de ces départements ministériels… Les
travaux avancent extrêmement lentement, en raison des résistances, des marchandages et
des manœuvres dilatoires opposées par les ministères à la nomination d’inspecteurs des
Finances à la tête de ces Comités ; pour certains ministères, les discussions ont duré
jusqu’en 1933, voire en 1935.
23. René Stourm, né en 1837, fils de sénateur, entre dans l’administration des Finances en
1856 ; inspecteur des finances en 1863, il est chef de cabinet du ministre des Finances Magne
de 1867 à 1870, puis administrateur des Contributions indirectes à partir de 1874. Mis en
disponibilité par les Républicains en 1879, il se consacre à la publication des Finances de
l’Ancien Régime et de la Révolution (1882). En 1885, l’École libre des sciences politiques lui offre
la chaire d’économie politique de Leroy-Beaulieu qu’il occupe jusqu’en 1896, date à laquelle
il rejoint l’École pratique des hautes études à la chaire d’économie politique, statistiques,
finances, succédant ainsi à L. Say. Membre de l’Institut depuis 1896, il est nommé en 1913
secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences morales et politiques et meurt brutalement
le 23 décembre 1917. Il a publié son cours à l’École libre des sciences politiques sur Le
Budget, qui a connu 7 éditions entre 1889 et 1913 et qui est devenu un classique des finances
publiques.
24. Laurent, premier président de la Cour des comptes, Courtin, président de chambre,
Privat-Deschanel, procureur général à la Cour des comptes, Bloch, directeur général de la
Comptabilité publique, Féret du Longbois, directeur du Contrôle des administrations
financières, et Celier, sous-directeur à la direction générale de la Comptabilité publique.
25. Paul Cauwès, professeur d’économie politique à la Faculté de droit de Paris, est le
fondateur avec Charles Gide de la Revue d’économie politique en 1887.
26. En 1913, Gaston Jèze, né en 1869, est déjà un expert reconnu des pouvoirs publics.
Professeur à la Faculté de droit de Paris depuis 1909, il est considéré comme l’un des
fondateurs de la discipline des finances publiques en France, reconnue officiellement par
l’Université en 1899. Dès 1896, il publie avec Marcel Boucard, maître des requêtes au Conseil
d’État, un premier manuel, les Éléments de la science des finances et de la législation financière
française. En 1903, il fonde la Revue de science et de législation financière et en 1910, il publie
son Traité de science des finances. Le budget : théorie générale, les pouvoirs du Gouvernement et des
chambres législatives en matière de dépenses et de recettes publiques, qu’il remaniera plusieurs
fois dans le cadre de ses cours de finances publiques à la Faculté de droit de Paris dans les
années 1920 et 1930.
27. CHAN, 317 AP 43. Liste des rapports préparatoires : 1. Rapport Courtin sur les mesures
réglementaires susceptibles d’accélérer la discussion du Budget ; 2. Rapport Laurent-Cauwès
sur la composition et le fonctionnement des commissions financières du Parlement ; 3.
Rapport Privat-Deschanel sur la modification de la date d’ouverture de l’année financière ;
4. Rapport Jèze sur le Budget, qui recouvre lui-même trois contributions distinctes, la
première sur le maintien en vigueur du budget précédent, sur le vote du budget par
acomptes et sur la régularisation des douzièmes provisoires ; la deuxième sur la division du
budget en lois distinctes en vue d’accélérer la discussion et le vote du budget ; la troisième
sur la réduction du nombre de chapitres de dépenses comme moyen d’accélérer le vote du
budget
28. G. Jèze, Rapport général, Journal officiel, Annexe, 27 novembre 1917, p. 279-290. Le rapport
comporte des développements importants sur les exemples étrangers, qui annoncent les
études de droit comparé dont Jèze se fera une spécialité, tant dans la Revue de science et de
législation financières qu’au sein de l’Institut de droit comparé créé en 1935 à la Faculté de
droit de Paris. Il comporte également une étude historique récapitulative sur le Budget
français, de 1896 à 1913.
29. Réduction du nombre de chapitres et regroupement des services, ouverture des
commissions des finances aux minorités politiques, spécialisation de sous-commissions par
ministères, restriction du pouvoir d’initiative des commissions des finances, refus des
adjonctions budgétaires, limitation de la durée de discussion (sans interruption),
réglementation des douzièmes provisoires.
30. N° 3379, 10e législature, en trois articles. Pour le détail, voir infra.
31. Voir aussi la proposition de loi du député Pradon, 17 mai 1888, n° 2686, Journal officiel du
24 juillet 1888, Annexe, p. 665 sqq., reproduite in S. Kott, op. cit., p. 449-450.
32. B 33 972, Note sur l’organisation actuelle du contrôle…, op. cit., p. 25.
33. Quelques semaines plus tard, le député Tissier, qui estime que le ministère des Finances
s’ingère par trop dans les comptes des ministères dépensiers, fait une proposition de loi le
19 mai 1903 tendant à la mise en place d’un service de contrôle administratif global,
incluant le contrôle des dépenses engagées, le contrôle économique et le contrôle de
gestion. Les fonctionnaires de ce service seraient recrutés par concours, au sein du
personnel des ministères et leurs rapports seraient directement transmis au Parlement.
Dans ce dispositif, la Cour des comptes et le ministère des Finances seraient tous deux
court-circuités, les contrôleurs communiquant directement avec les parlementaires. Voir S.
Kott, op. cit., p. 137.
34. De nombreuses propositions de loi, de résolutions, de rapports ou de questions écrites
manifestent la volonté des parlementaires de renforcer le contrôle de l’exécutif. Voir, par
exemple, le 20 mai 1915 et le 19 novembre 1915, les deux propositions de Jobert (n° 933 et n°
1468) ayant pour objet de reconnaître aux membres du Parlement un droit permanent
d’enquête sur les services de la nation et de contrôle des dépenses publiques (séance du 1er
juillet 1915), la proposition Veber (n° 1558) sur la nomination de commissions permanentes
de contrôle dans les ministères (n° 1558), la proposition Grodet du 24 juin 1916 sur la
nomination d’une commission de 22 membres chargés d’examiner les propositions et
projets de loi en général, toutes les questions se rapportant à l’organisation du contrôle de
l’exécution du budget de l’État et à l’emploi des deniers publics (n° 2249) ou la question
écrite de Louis Marin sur le contrôle parlementaire de l’exécution du budget et de
l’utilisation des crédits…
35. Justin de Selves, né en 1848, avocat, préfet dans plusieurs départements entre 1880 à
1890, directeur général des Postes et Télégraphes de 1890 à 1896, préfet de la Seine de 1896
à 1991, sénateur du Tarn-et-Garonne de 1909 à 1927 ; ministre des Affaires étrangères de J.
Caillaux en 1911-1912.
36. Gaston Thomson, né en 1848, proche de Gambetta, député de Constantine à partir de
1877, membre de la Gauche républicaine et de l’Alliance démocratique ; ministre de la
Marine dans les cabinets Clemenceau et Rouvier, intéressé par les questions de contrôle.
37. Alexandre Bérard, né en 1859, député de l’Ain à partir de 1893, sénateur à partir de 1908
jusqu’en 1923, appartient à la Gauche démocratique, puis à la Gauche radicale et enfin à
l’Union démocratique à partir de 1902 ; il est sous-secrétaire d’État aux Postes et
Télégraphes de 1902 à 1907.
38. Paul Boivin-Champeaux, né en 1864, sénateur du Calvados de 1907 à 1921.
39. Henry Chéron, né en 1867, député à partir de 1906, sénateur à partir de 1913 ; sous-
secrétaire d’État à la Guerre en 1906, sous-secrétaire d’État à la Marine en 1910, ministre du
Travail en 1913, futur ministre des Finances de 1928 à 1930.
40. Maurice Couyba, né en 1866, député puis sénateur de la Haute-Saône de 1897 à 1920,
ministre du Commerce et de l’Industrie en 1911-1912 dans le cabinet Caillaux, et du Travail
en 1913.
41. Louis Perchot, né en 1867, sénateur des Basses-Alpes de 1912 à 1921.
42. Charles Riou, né en 1840, sénateur du Morbihan de 1900 à 1920.
43. Vincent Auriol, né en 1884, député socialiste de Muret en Haute-Garonne à partir de
1914, futur ministre des Finances de Léon Blum en 1936.
44. Emmanuel Brousse, né en 1866, député radical des Pyrénées-Orientales de 1906 à 1924,
montre un grand intérêt pour les questions de budget et de contrôle des finances publiques
; il a été le rapporteur général de la commission des comptes définitifs. Le 12 juillet 1907,
Brousse fait un rapport général sur le projet de loi portant règlement définitif du budget de
l’exercice 1907 et développe différents aspects du contrôle parlementaire. Lors de la
discussion de la loi de finances de 1913, E. Brousse et J. Reinach déposent des amendements
tendant à faire reconnaître par la loi le droit pour les commissions financières de la
Chambre et du Sénat d’obtenir communication des rapports de contrôle et des suites
données aux observations et propositions formulées dans ces rapports, à l’exception des
parties pouvant renfermer des renseignements concernant le secret de la Défense
nationale. Les amendements sont disjoints et les rapports de contrôle conservent pour
quelque temps encore leur caractère confidentiel. Jusqu’en 1917 où les commissions
financières obtiennent la communication des rapports de contrôle. Le 19 mars 1914,
Brousse pose une question (n° 5287) sur les suites données par le ministère des Finances aux
observations formulées par la commission des comptes définitifs sur l’exécution des
budgets de 1910 et 1911, et fait un rapport sur les articles de la loi de finances de l’exercice
1914 concernant le renforcement du contrôle des dépenses engagées (n° 3379).
45. Émile Bender, né en 1871, député d’Odenas dans le département du Rhône à partir de
1914.
46. René Besnard, né en 1879, député d’Indre-et-Loire de 1906 à 1919, ministre du Travail en
1913.
47. Joseph Denais, né en 1877, député de la Seine de 1911 à 1917.
48. Louis Dubois, né en 1859, député membre de la Fédération républicaine, futur ministre
des Postes et Télégraphes dans le second gouvernement Clemenceau (1919).
49. Édouard Eymond, né en 1859, député de Gironde à partir de 1912.
50. Abel Gardey, né en 1882, député radical du Gers de 1914 à 1919 ; futur ministre des
Finances en 1933.
51. Adolphe Landry, né en 1874, économiste, député de Corse à partir de 1910, Union
républicaine radicale et radicale-socialiste.
52. Marcel Sembat, né en 1862, député socialiste de la Seine à partir de 1893 ; ministre des
Travaux publics de 1914 à 1916.
53. Eugène Treignier, né en 1853, député de la Creuse de 1906 à 1919, président de la
commission des comptes définitifs et des économies ; il obtient en 1916 contre l’avis de
Ribot, ministre des Finances, des pouvoirs d’enquête parlementaires et suit de près les
budgets de la Guerre, des Travaux publics et des chemins de fer.
54. François-Auguste Arnauné, né en 1855, est entré en qualité de commis à
l’administration centrale des Douanes où il a grimpé tous les échelons jusqu’à celui, en 1890,
de chef de bureau, en alternance avec divers postes en cabinet ministériel. Directeur du
Contrôle des administrations financières et de l’Ordonnancement le 14 mai 1895, directeur
du Personnel et Matériel le 11 novembre 1898, caissier payeur central le 9 janvier 1900,
directeur de l’administration des Monnaies et Médailles le 9 février 1900. Nommé conseiller
maître le 19 juillet 1907, il assure par intérim la direction de l’administration des Monnaies
et Médailles du 3 août 1914 au 8 octobre 1914. Il est le chef du cabinet du ministre des
Finances Ribot le 29 août 1914, puis son directeur de cabinet quand ce dernier cumule la
Présidence du Conseil et les Affaires étrangères du 21 mars 1917 au 12 septembre 1917. Il est
nommé président de chambre à la Cour le 27 février 1923.
55. Maurice Bloch, né en 1861, inspecteur des Finances (1890), est directeur général des
Contributions directes de 1908 à 1912, puis directeur général de la Comptabilité publique de
1912 à 1913. Il est procureur général près la Cour des comptes de 1913 à 1932. Il préside ou
participe à de nombreuses commissions, parmi lesquelles celle de 1909, celle de 1911, celle
de 1913 décrites plus haut ; il est à nouveau membre de la commission pour l’étude du
changement de point de départ de l’année financière en 1919. Il préside le Comité supérieur
d’enquête sur les économies institué en 1920 auprès du ministère des Finances. Il est
nommé premier président en 1933 et meurt la même année.
56. Alexandre Célier, né en 1881, inspecteur des Finances (1908), au cabinet du ministre des
Finances en 1912 (Klotz), sous-directeur de la Comptabilité publique de 1911 à 1917, chef de
cabinet du ministre des Finances en 1917 (Klotz) et directeur du Mouvement général des
fonds en 1918-1921.
57. Auguste Chauvy, né en 1871, attaché au secrétariat du Parquet à la Cour des comptes de
1896 à 1898, inspecteur des Finances (1900), contrôleur des dépenses engagées au ministère
du Commerce, Industrie, Travaux publics, Travail et prévoyance sociale de 1907 à 1909 ;
chef de cabinet du ministre des Finances en 1909 (Caillaux) ; démissionnaire en 1913 ;
mobilisé en 1914-1918 ; chef du Service financier du ravitaillement en 1917 ; sous-directeur
de la Comptabilité publique par intérim en 1917 et directeur de la Comptabilité publique en
1919. À partir de 1920, il rejoint le monde des affaires.
58. Louis Courtin, né en 1858, polytechnicien (1878), inspecteur des Finances (1888), chef
adjoint au cabinet du ministre des Finances en 1894 et en 1896, directeur du Personnel au
ministère des Finances en 1898, directeur de la Dette inscrite en 1898, directeur du Contrôle
des administrations financières et de l’Ordonnancement en 1899, directeur général des
Contributions indirectes en 1900, président de la première chambre à la Cour des comptes
en 1903. Professeur à l’École libre des sciences politiques à partir de 1894.
59. Gaston Delaire, né en 1846, conseiller maître le 8 décembre 1903. Membre du Comité du
centenaire de la Cour et du Comité de jurisprudence.
60. Antoine Fravaton, né en 1850, surnuméraire de l’administration de l’Enregistrement en
1869, engagé militaire pendant la guerre de 1870, secrétaire à l’Enregistrement en 1870,
receveur le 6 août 1872, conservateur des Hypothèques de première classe à Rambouillet le
9 juin 1897 puis à Versailles. Chef du cabinet du ministre des Finances Klotz en 1910.
Directeur du Personnel et du Matériel au ministère des Finances en 1912. Conseiller maître
en 1913.
61. Eugène Féret du Longbois, né en 1860, polytechnicien, surnuméraire puis rédacteur à
l’administration centrale des Finances ; directeur adjoint de la Comptabilité publique en
1908, directeur du Contrôle des administrations financières et de l’Ordonnancement,
contrôleur des dépenses engagées du ministère des Finances en 1912, directeur du
Mouvement général des fonds en 1913 et conseiller maître en 1917. Il est le président en
1919 de la commission de simplification des services de l’administration centrale du
ministère des Finances. Il est membre de la commission d’étude du point de départ de
l’année financière en 1919 et membre en 1920 du Comité supérieur d’enquête.
62. Jean Maret, né en 1863, inspecteur des Finances (1892), mobilisé en 1914-1917, chef de
service par intérim de l’Inspection de 1917 à 1919.
63. Henri de Mouÿ né en 1855, auditeur au Conseil d’État en 1879 ; président de la section
des finances à partir de janvier 1915.
64. Georges Payelle, né en 1859, avocat à la Cour d’appel de la Paris, chef de cabinet du
ministre des Finances en 1894 (R. Poincaré), directeur du Personnel et du Matériel au
ministère des Finances en 1894, caissier payeur central du Trésor public en 1895, directeur
général des Contributions directes en 1900, procureur général près la Cour des comptes en
1908, premier président de la Cour des comptes en 1912.
65. Lucien Petit, né en 1873, polytechnicien (1893), inspecteur des Finances (1899).
66. Henri Pignerol, né en 1878, polytechnicien (1898), inspecteur des Finances (1907),
membre du cabinet du ministre du Finances en 1909 (J. Caillaux), contrôleur des dépenses
engagées au ministère du Commerce, PTT, Travaux publics et Transports de 1911 à 1917 ;
contrôleur des dépenses engagées du ministère du Blocus et des Régions libérées en 1918 ;
directeur du Contrôle des administrations financières, du Budget et de la Comptabilité dans
le même ministère de 1918 à 1923. Directeur des Services financiers de la Ville de Paris en
1923.
67. Georges Privat-Deschanel, né en 1868, polytechnicien (1887), inspecteur des Finances
(1893), ancien chef de cabinet de J. Caillaux, ministre des Finances en 1899, directeur du
Personnel et du Matériel au ministère des Finances de 1900 à 1902, directeur de la Dette
inscrite de 1902 à 1905 et du Contrôle des régies en 1905, directeur des Manufactures de
l’État de 1905 à 1907 ; directeur de la Comptabilité publique de 1907 à 1912 et à nouveau de
1913 à 1919, en même temps qu’il est secrétaire général du ministère des Finances.
procureur général de la Cour en 1912-1913 ; il prend sa retraite en 1920. Il est membre de la
commission Stourm chargée d’étudier les mesures pour le vote du Budget à sa date normale
en 1913 et de la commission de Selves en 1917-1918.
68. Pierre Le Boucq de Ternas, né en 1866, inspecteur des Finances (1895), chargé du Service
de l’Inspection générale des finances en 1909-1910 et de 1914 à 1919, maître de conférence à
l’École libre des sciences politiques.
69. Max Daniel, né le 17 février 1876 à Paris, auditeur à la Cour des comptes (1907).
Conseiller référendaire le 26 février 1911. Chef de cabinet du sous-secrétaire d’État des
Finances Émile Métin en 1917.
70. Georges Jouasset, né en 1888, inspecteur des Finances (1916), chargé de mission au
Mouvement général des fonds en 1914, à la direction de la Comptabilité publique de 1915 à
1919, sous-directeur puis directeur de la Comptabilité publique en 1920.
71. Pignerol est pour le ministère des Finances l’expert du contrôle des dépenses engagées.
72. Parmi les hauts fonctionnaires des Finances, cinq sont polytechniciens.
73. Paul Delombre, né en 1848, avocat républicain, député d’Allos de 1899 à 1906 dans le
département des Basses-Alpes, artisan du centenaire de 1889 et de l’Exposition universelle
de 1900 ; ministre du Commerce et de l’Industrie dans le quatrième cabinet Dupuy du 1er
novembre 1898 au 18 février 1899, ancien président de la commission du Budget, spécialiste
du contrôle des dépenses engagées et des problèmes comptables.
74. Joseph Reinach, proche de Gambetta, député des Basses-Alpes de 1889 à 1914, défenseur
de Dreyfus. Pendant toute la guerre, il écrit sous le pseudonyme de Polybe (Les commentaires
de Polybe) ainsi qu’une histoire au quotidien de la guerre et des soldats. Il s’intéresse à partir
de 1911 au contrôle des finances publiques (cf. son discours le 11 avril 1911, lors du rapport
général de la commission du Budget de la Chambre). Il dépose avec P. Leroy-Beaulieu le 7
juillet 1911 une proposition de loi tendant à organiser le contrôle préventif des dépenses (n°
1140). Dans ce projet, les contrôleurs des dépenses engagées devront être choisis parmi des
agents des Finances ; toute mesure tendant à augmenter directement ou indirectement les
charges de l’État devra être soumise au visa du contrôleur ; toute mesure ayant donné lieu à
un refus de visa sera soumise au Conseil des ministres et présentée au visa de la Cour des
comptes ; en cas de refus de la Cour des comptes, celle-ci pourra se voir imposer
l’enregistrement sur requête du président du Conseil et du ministre des Finances. Le 12
juillet 1911, Brousse fait le rapport général sur le projet de loi portant règlement définitif
du budget de l’exercice 1907 (Considérations sur le contrôle en général et notamment sur le
contrôle parlementaire, n° 1226). Deux ans plus tard, lors de la discussion de la loi de finances
de 1913, Brousse et Reinach déposent trois amendements tendant à faire reconnaître par la
loi le droit pour les commissions des finances de la Chambre et du Sénat d’obtenir
communication des rapports de contrôle et des suites données aux observations et
propositions formulées dans ces rapports, à l’exception des parties pouvant renfermer des
renseignements concernant le secret de la Défense nationale. Ces amendements sont
disjoints. Par la loi du 31 mars 1917, les commissions des finances obtiennent la
communication des rapports des corps de contrôle.
75. André Liesse, né en 1854, journaliste, économiste et chroniqueur. Élu à l’Académie des
sciences morales et politiques en 1912, section Économie politique, statistiques et finances.
Il écrit régulièrement des chroniques de finances publiques et d’économie dans la Revue de
science et de législation financière dans les années 1925-1930.
76. Peu de temps après sa nomination, Stourm meurt brutalement le 23 décembre 1917,
quelques jours après le décès de l’un de ses fils sur le front.
77. Projet de loi Noulens du 9 juillet 1914 portant organisation du Contrôle de l’exécution
du budget (n° 313).
78. Proposition de loi du 13 mars 1914 sur le contrôle administratif des départements
ministériels (n° 3686).
79. Proposition de loi ayant pour objet de reconnaître aux membres du Parlement le droit
permanent d’enquête sur les services de la nation et de contrôle des dépenses publiques
(séance du 20 mai 1915, n° 933) ; proposition de résolution ayant pour objet d’assurer le
contrôle efficace de toutes les dépenses publiques (séance du 19 novembre, n° 1468).
80. Projet de résolution n° 1558 concernant la nomination de commissions permanentes de
contrôle dans les ministères, séance du 10 décembre 1915, reprise de la proposition du 18
mars 1907, n° 861.
81. Proposition du 24 juin 1916 ayant pour objet la nomination d’une commission de 22
membres chargée d’examiner les propositions et projets de loi et en général toutes les
questions se rapportant à l’organisation du contrôle de l’exécution du budget et à l’emploi
des deniers publics (n° 2249).
82. Quelques propositions de Marin dans le domaine des finances publiques : projet de
résolution tendant à modifier le point de départ de l’exercice financier lors de la séance du
20 décembre 1898 (n° 563), reprise lors de la séance du 4 avril 1911 (n° 916), reprise en
proposition de loi lors de la séance du 17 mars 1911 (n° 837) puis à nouveau lors de la séance
du 5 décembre 1917 (n° 4015) ; proposition de loi le 12 juillet 1912 sur la clarté, la sincérité
et l’unité des écritures budgétaires ; question écrite n° 111, 1917 sur le contrôle
parlementaire de l’exécution du budget et de l’utilisation des crédits ; projet de loi du 28
novembre 1921, Annexe, n° 3419, Annexe, p. 3429. Voir aussi CHAN, 317 AP 43 et 46.
83. Les magistrats de la Cour sont les plus nombreux et les plus actifs au sein des deux sous-
commissions du contrôle judiciaire et du contrôle parlementaire. La participation des
directeurs et des administrateurs du ministère des Finances remonte un peu au sein de la
sous-commission du contrôle administratif.
84. Klotz est un spécialiste des finances publiques et manifeste une grande continuité de
vues (loi du 13 juillet 1911 sur le CDE, création d’une commission des Référés en 1911,
création d’une commission permanente auprès du ministre des Finances chargée de suivre
les rapports annuels des corps de contrôle en 1912, loi du 31 mars 1917 sur la
communication des rapports des contrôleurs des dépenses engagées et des corps de
contrôle sur l’exécution du budget aux commissions financières des deux chambres).
Dernière pièce à l’édifice, le 17 mars 1918, il crée une commission sur la réforme de
l’administration centrale des Finances et c’est lui qui fera voter l’érection d’une direction
du Budget autonome au ministère des Finances (loi du 20 octobre 1919). cf. N. Carré de
Malberg, « La naissance de la direction du Budget et d’un contrôle financier et les grandes
étapes d’un développement contrasté, 1919-1940 », in La direction du Budget entre doctrines et
réalités, 1919-1944, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, Paris, 2001,
p. 65-104.
85. Cette dernière sous-commission est composée de Selves, Sembat, Treignier, Thomson et
des rapporteurs de chaque sous-commission.
86. B 33 972, Note sur le contrôle de l’exécution du budget et les principales réformes en cours ou en
projet, et Note sur le contrôle de l’exécution pendant la guerre et son amélioration.
87. Une liste de 19 projets, documents, projets de loi, propositions de lois, rapports, lettres,
questions écrites ayant trait au contrôle budgétaire entre 1903 et 1917 est établie.
88. La proposition de Jèze de faire en sorte que tous les documents de travail de chaque
sous-commission soient communiqués aux autres sous-commissions n’est pas acceptée ; en
revanche, le principe de la communication à tous les membres des propositions définitives
l’est, ainsi que celui de la communication des procès-verbaux des séances.
89. Le président est Sembat, les vice-présidents Boivin-Champeaux et Landry ; les autres
membres sont Perchot, Bender, Besnard, Dubois, Adam, Arnauné, Chauvy, Courtin, Bloch,
Épinay, Jèze, Liesse, Maret, Ogier, Pasquet, Petit, Pignerol, Serres, Le Boucq de Ternas,
Cordonnier et Daniel (secrétaire).
90. Courtin est professeur à l’École libre des sciences politiques depuis plus de vingt ans.
Voici la liste de ses exposés : le contrôle administratif ; le contrôle des recettes fiscales et
non fiscales ; le contrôle administratif des dépenses ; le contrôle de l’engagement des
dépenses ; le contrôle de l’exécution du service ; l’application du contrôle des engagements
de dépenses aux crédits d’engagement délégués ; le contrôle de la liquidation et de
l’ordonnancement des dépenses ; le contrôle des paiements ; le contrôle des budgets
départementaux et communaux ; la responsabilité des administrateurs.
91. Trois autres experts apportent des éclairages complémentaires : Chauvy, inspecteur des
Finances et sous-directeur à la Comptabilité publique, sur le contrôle des recettes non
fiscales ; Pignerol, inspecteur des Finances et contrôleur des dépenses engagées, sur les
comptes spéciaux ; Jèze, sur la responsabilité pécuniaire des administrateurs et sur les
exemples étrangers d’institutions judiciaires jugeant la responsabilité des ordonnateurs.
92. Adam propose que soit adopté le système du Contrôle général de la Guerre, de la Marine
ou des Colonies, qui concentre entre ses mains les différentes formes de contrôle. Bloch
explique pourquoi la duplication de ce modèle est impossible, en particulier aux Finances :
il faudrait un contrôleur auprès de chaque agent de recette, ce qui entraînerait le
doublement des cadres actuels.
93. PV de la 4e séance, 2 janvier 1918, p. 12.
94. À l’appui des conclusions viennent des documents annexes (résolutions, notes
techniques ou explicatives) sur des sujets précis tels que les comptes spéciaux, le
renforcement du contrôle des dépenses engagées, le contrôle de la trésorerie en Grande-
Bretagne, le renforcement du rôle du ministère des Finances dans la préparation du budget
ou le renforcement des directions de la Comptabilité dans les ministères techniques.
95. Jèze, lors de la 7e séance, recommande que les hauts fonctionnaires qui ont des
responsabilités financières (marchés, adjudications) acquièrent « des compétences choisies
dans le monde du commerce et de l’industrie ».
96. Cf. les réflexions menées à la même époque par le conseiller d’État Chardon sur
l’organisation de la République publiées entre 1904 et 1911, réunies dans un ouvrage Les
deux forces, le nombre, l’élite, Paris, 1921. Henri Chardon, né en 1861, entré au Conseil d’État
en 1885, a partagé la première partie de sa carrière entre des postes en cabinet ministériel
ou en administration et des présidences de commissions. Entre 1916 et 1919, il est directeur
du Personnel et de la Comptabilité au ministère des Travaux publics.
97. L’organisation des services comptables et du contrôle des dépenses engagées dans les
départements ministériels est un sujet débattu depuis la fin du XIXe siècle par les Finances,
le Parlement et les ministères dépensiers. Cf. la proposition de loi du député Pradon du 17
mai 1888, n° 2686, Journal officiel du 24 juillet 1888, Annexe, p. 665 sqq., reproduite in S. Kott,
op. cit., p. 449-450. Deux ans plus tard, la loi de 1890 instaure une comptabilité des dépenses
engagées dans les ministères, mais sans préciser l’articulation entre contrôle des dépenses
engagées et comptabilité. En 1900, hormis le cas particulier du ministère de la Guerre, la
dualité des deux services reste la règle commune et le Rapport Brunnet en date du 27
octobre 1900 évaluant les premiers résultats de l’application de la loi de 1890 sur le contrôle
des dépenses engagées ne préconise pas du tout leur fusion, mais le maintien de leur
séparation. En revanche, dès 1903, les parlementaires ont l’idée de réunir les deux fonctions
(cf. la proposition de loi du 19 mai 1903 in S. Kott, op. cit, p. 129-137). Dans le cadre de la
commission Selves, Courtin, adoptant le même point de vue, propose à son tour de réunir
Comptabilité et contrôle des dépenses engagées, avec la nomination d’un représentant du
ministre des Finances à la tête de cette nouvelle entité et l’extension des attributions du
contrôleur des dépenses engagées à toutes les phases du contrôle du budget (préparation,
engagement, exécution). Pignerol présente un projet d’avis dans le même sens à la 5e
séance (cf. sa Note au sujet des réformes à apporter aux attributions actuelles des agents chargés du
contrôle des dépenses engagées, 18 janvier 1918). Cette proposition de fusion est
catégoriquement refusée par les membres de la Cour des comptes au nom de la séparation
des rôles et des fonctions : le directeur de la Comptabilité ne doit pas être un représentant
du ministre des Finances et le contrôleur des dépenses engagées ne saurait être juge et
partie. La loi Marin de 1922 réunira dans un même service comptabilité et contrôle des
dépenses engagées, mais les deux fonctions de directeur de la Comptabilité et de contrôleur
resteront distinctes.
98. Dès 1888, les Finances ont essayé d’obtenir que les directeurs de la Comptabilité des
ministères techniques soient nommés par le ministre des Finances, sans succès, compte
tenu de la résistance des ministères dépensiers. En 1890, les députés Proust et Gotteron
reprennent le dossier (séance du 10 mai 1890, Annexe, n° 549, p. 704, art. 1) mais
n’obtiennent aucune avancée. En 1912, la commission du Budget essuie un nouvel échec,
ainsi que Marin en 1918 (projet de loi du 28 novembre 1921, Annexe, n° 3419). Voir S. Kott,
op. cit., p. 171-173 et p. 450 et p. 469. Consciente des résistances administratives et
politiques, la sous-commission Courtin propose ici un compromis : le directeur de la
Comptabilité serait nommé par le ministre « dépensier », mais sa nomination serait munie
du contreseing du ministre des Finances. C’est ce qui a été fait en 1902 pour les contrôleurs
des dépenses engagées (loi de finances du 30 mars 1902, article 78). La loi Marin de 1922
placera les contrôleurs des dépenses engagées sous la seule autorité du ministère des
Finances ; ils devront être issus de l’administration des Finances et ne pourront exercer
d’autres fonctions en dehors de leur service de contrôle.
99. Au même moment, l’article 57 du projet de loi portant fixation du budget ordinaire des
services civils déposé à la Chambre le 13 novembre 1917 (n° 3941) demande à ce que les
directeurs de la Comptabilité soient nommés par décret contresigné par le ministre des
Finances et que les propositions budgétaires établies par les services soient centralisées par
le directeur de la Comptabilité, qui les soumettra à l’approbation du ministre assorties de
son avis et observations, en même temps qu’elles seront communiquées au ministre des
Finances.
100. Courtin rejette l’intervention de la Cour des comptes dans l’administration directe et
dans le contrôle administratif, inspirée de l’exemple italien (PV de la 6e séance) et préfère
celle d’un comité à caractère collégial. L’idée sera reprise, sous une forme plus coercitive en
1935.
101. « Un tel organisme est nécessaire pour donner une garantie au Parlement qui, lorsqu’il
est appelé à voter le budget, doit avoir l’assurance que les évaluations qui lui sont
présentées sont sincères, conformes aux textes organiques et qu’elles ont été
rigoureusement établies » ; « cet organisme est également nécessaire au ministre des
Finances qui, responsable de l’équilibre budgétaire et du crédit du pays, doit, comme le
Parlement lui-même, avoir l’assurance que les évaluations sont la traduction financière
rigoureuse et vraie des lois organiques, et doit avoir l’assurance qu’on ne l’amène pas à
demander au contribuable un nouveau sacrifice injustifié ». Cet organisme devra être en
mesure de se prononcer sur deux points : « la judicieuse répartition en chapitres des crédits
et, pour chaque chapitre, l’exacte évaluation des charges ». Cet organisme « doit être un
organisme dépendant de l’administration et en particulier du ministre des Finances » et
doté d’une forme réglementaire et non pas « rudimentaire » comme aujourd’hui au sein de
la direction de la Comptabilité publique (PV de la 5e séance, 4 février 1918, p. 7-10).
102. La commission Courtin, chargée de la réorganisation de l’administration centrale des
Finances, se réunit du 26 avril 1918 au 7 août 1918 (B 59 119) ; actualisant une ancienne
proposition de l’inspecteur des Finances Drouineau en mai 1914, elle conclut à l’urgence de
créer une direction du Budget autonome.
103. Courtin, qui reçoit le soutien de Bloch et de Petit, fait un exposé important sur
l’application du contrôle des engagements de dépenses aux crédits d’engagements délégués
et sur la nécessité pour les ordonnateurs secondaires de tenir une comptabilité des
dépenses engagées. La sous-commission conclut à l’urgence d’une réglementation générale
concernant les délégations de crédits d’engagements et à la nécessaire soumission des
crédits délégués au contrôle des engagements de dépenses. On notera que les
préconisations sur le contrôle local des dépenses engagées et le contrôle des ordonnateurs
secondaires, pourtant âprement discutées en séance, n’apparaissent pas dans les
conclusions finales de la sous-commission.
104. Courtin ne distingue pas de seuil financier pour l’examen de projets ministériels par le
contrôleur, Petit, lui, évoque l’idée d’un montant de dépenses au-dessous duquel le projet
ne serait pas examiné par le contrôleur.
105. L’instauration du visa préalable et obligatoire sur toute proposition d’engagement de
dépense sera définitivement réalisée par la loi Marin de 1922.
106. Pignerol, quant à lui, suggère la fusion du service de l’ordonnancement avec le
contrôle des dépenses engagées ; cette solution devient impossible dès lors que la sous-
commission choisit le principe de la séparation de la direction de la Comptabilité et du
contrôle des dépenses engagées.
107. Courtin fait l’exposé sur le contrôle de l’exécution des services (service fait, contrôle
des résultats, efficacité, zèle des agents). Il hésite à rendre publics tous les rapports des
corps de contrôle et à les communiquer aux chambres ; en revanche, reprenant certaines
des dispositions du projet de loi Caillaux de 1914, il réclame qu’ils soient envoyés
systématiquement à la Cour des comptes, qui à son tour déciderait d’y donner suite soit par
référés soit par le biais du rapport public, la Cour devenant l’organe de centralisation de
tous les rapports de contrôle. En commission, le chef de service de l’Inspection s’oppose
catégoriquement à la communication systématique des rapports particuliers des inspecteurs
des Finances et réaffirme leur confidentialité.
108. Courtin fait l’exposé sur le contrôle des paiements. Selon lui, les nomenclatures sont
d’une très grande importance et répondent à une nécessité de bonne gestion ; ce sont sur
elles que repose « l’efficacité du contrôle sur pièces ». Lorsqu’elles ne sont pas de bonne
qualité, l’administration risque de rencontrer ou de susciter une paperasserie outrancière,
l’irréalité, l’insincérité, la non-transparence… Une révision générale s’impose donc, avec «
des vues générales et un principe directeur », qui devra être confiée à une commission
spéciale.
109. Courtin, ancien directeur de la Comptabilité publique, soutenu par Bloch et Arnauné,
s’insurge contre la suppression des écritures mensuelles de la Comptabilité publique au
profit d’écritures finales en fin d’année. Selon lui, cette mesure imposée par le Parlement au
ministère des Finances, pour des raisons d’économies budgétaires et de réduction de
personnel, est une réforme dangereuse, car elle a supprimé des garanties indispensables et
provoqué « un relâchement qui est devenu général ». Il préconise de rétablir de toute
urgence les écritures mensuelles, avant qu’un grand désordre ne s’installe dans la tenue des
comptabilités, dans la gestion des balances et dans la surveillance des comptables. Après la
rationalisation des nomenclatures, c’est la seconde préconisation qui a directement trait
aux questions comptables. La réorganisation de la comptabilité publique sera dans les
années 1930 au cœur des préoccupations des responsables des finances publiques (1930-
1936).
110. Cf. la note sur le contrôle des comptes spéciaux de Pignerol (avril 1918), sur leur
nécessaire soumission aux corps de contrôle (loi du 13 juillet 1911) et sur la nécessaire
transmission des rapports de ces derniers au ministre des Finances.
111. La sous-commission se montre fort prudente à l’égard des prérogatives du ministère de
l’Intérieur, toujours très susceptible sur la tutelle des collectivités locales ; elle n’avance que
très précautionneusement sur la voie d’un contrôle des dépenses engagées local. Aucune
conclusion officielle n’est reprise sur ce sujet, en dépit d’une séance ambitieuse menée par
Courtin. Il faudra attendre 1930 pour que le principe d’un contrôle des dépenses engagées
local soit reconnu par la loi et six années de plus pour que les pouvoirs publics élaborent un
premier dispositif qui ne sera d’ailleurs appliqué que de façon tronquée.
112. PV de la 12e séance. Courtin fait l’exposé sur le contrôle des budgets départementaux
et communaux, qui échappent, au niveau des dépenses comme des recettes, au contrôle des
Finances.
113. Sur le modèle de ce qui avait été prévu lors du projet de statut des fonctionnaires de
1910, à savoir un comité composé de représentants du Conseil d’État, de la Cour de cassation
et de la Cour des comptes. Cf. le projet de résolution rédigé par Petit en faveur de la
création d’un conseil de discipline financière, composé de membres de grands corps, 10 juin
1918.
114. Cf. les propositions alternatives de Drouineau, inspecteur des Finances et ancien
contrôleur des dépenses engagées sur le contrôle des dépenses publiques, 19 décembre
1917.
115. La sous-commission du contrôle administratif a une divergence sur ce point avec la
sous-commission du Contrôle judiciaire ; cette dernière logerait le comité spécial de
discipline à la Cour des comptes plutôt qu’au ministère des Finances.
116. Courtin fait l’exposé sur la responsabilité pécuniaire des administrateurs, dans lequel il
rappelle les objections faites à cette responsabilité et les difficultés pour appliquer la
moindre sanction. Il conclut à l’impossibilité de trouver un système probant. La loi Marin,
très ambitieuse sur ce point, échouera également à mettre en place un système crédible et
applicable. L’ouvrage sera remis sur le métier en 1936 et sous Vichy, sans succès ; il faut
attendre 1948 et la Cour de discipline budgétaire et financière pour qu’une nouvelle
tentative soit faite de façon plus durable, mais pas forcément plus convaincante.
117. Jèze dénonce ce renoncement et fait un exposé sur la faute administrative et sa
réparation, en prenant des exemples historiques et des exemples à l’étranger, aux États-
Unis, en Italie et en Grande-Bretagne. Il propose de distinguer faute lourde et faute légère
de service, de permettre aux agents de « protester » et d’attribuer à la Cour des comptes la
compétence de statuer sur les fautes des administrateurs et de les juger. Les divergences
entre Jèze et les membres de la Cour des comptes présents sont extrêmement fortes. La
sous-commission se prononce par le vote contre la responsabilité pécuniaire des
administrateurs, Jèze reste isolé.
118. L’un des rares points de référence communs reste le projet Caillaux du 15 janvier 1914
qui donne mission à la Cour des comptes de signaler au Parlement les errements relevés par
les corps de contrôle. C’est l’un des points de repli possibles pour l’ensemble des
réformateurs.
119. PV de la 3e séance, 12 janvier 1918. Courtin fait l’exposé sur les principes du contrôle
administratif en général, puis sur le contrôle des recettes fiscales qui ne relève que de
l’administration des Finances, cette dernière ayant seule la charge de la vérification des
droits. À l’administration des Finances, Courtin, ancien directeur du Contrôle des
administrations financières et des Contributions indirectes, adresse un satisfecit appuyé, au
grand dam de Jèze.Ce dernier, qui est la seule personnalité de la sous-commission
n’appartenant pas à la haute fonction publique financière, se montre beaucoup plus critique
; il remet en cause le droit de transaction ou de remise du ministère des Finances, qui
occasionne de nombreux abus, et propose plusieurs mesures : instaurer la responsabilité
pécuniaire des administrateurs, sur le modèle anglais et italien ; créer un contrôle
administratif sur les recettes qui saisirait immédiatement le Parlement des irrégularités
constatées et étendre sur elles le contrôle de la Cour qui s’exerce trop tard et avec trop de
mansuétude. Ces propositions soulèvent instantanément des objections de la part des
membres de la Cour, qui protestent contre la mise en cause des administrateurs et des
ministres. Et puis, souligne Bloch après Courtin, comment mettre un agent de contrôle
derrière chaque agent de recettes ? Le contrôle des recettes fiscales n’est donc pas retenu
dans les conclusions. La sous-commission du Contrôle judiciaire se montrera, elle, plus
offensive, réclamant le contrôle des recettes fiscales et non fiscales.
120. PV de la 4e séance, exposé de Chauvy sur le contrôle des produits divers à caractère
non fiscal. Selon lui, des recettes non fiscales échappent au contrôle des Finances,
notamment dans les budgets annexes ou dans les comptes spéciaux, et il convient
d’instaurer sur ces recettes le contrôle du ministre des Finances. Il demande à ce que le
contrôle de ces recettes soit organisé dans les ministères sur le même modèle que le
contrôle des dépenses engagées et qu’il soit placé entre les mains de représentants du
ministère des Finances (décrets contresignés par les Finances ; avis préalable et contrôle
d’exécution placé sous la direction du contrôle des dépenses engagées ; soumission au
contrôle de l’Inspection des finances). Il est décidé de confier une enquête à ce sujet aux
contrôleurs des dépenses engagées.
121. Le président est le député radical-socialiste Treignier ; les autres membres sont Bérard,
Riou, Eymond, Gardey, Bloch, procureur général, Célier, inspecteur des Finances et sous-
directeur à la direction de la Comptabilité publique, Delaire, conseiller maître, Delombre,
ancien président de la commission du Budget, Desforges, directeur de la Comptabilité
générale à la Marine, Féret du Longbois, conseiller maître, de Mouÿ, président de Section au
Conseil d’État, Payelle, premier président à la Cour, Petit, inspecteur des Finances,
Cordonnier, chef adjoint de cabinet du ministre des Finances, secrétaire. Jèze ne participe
pas à cette sous-commission.
122. Une réunion est annoncée pour le 21 mars et on trouve une note de Petit sur le
contrôle judiciaire datée de mai 1914…
123. La documentation rassemblée par la sous-commission comporte une note anonyme «
sur l’organisation et les attributions actuelles de la Cour des comptes en France », une note
sur le renforcement du contrôle de l’emploi des deniers publics par Petit, inspecteur des
Finances, et un volumineux rapport de droit comparé sur « le contrôle des Finances à
l’étranger, Allemagne, Angleterre, Russie, Italie » de V. de Marcé, mars 1918, 57 p. Victor de
Marcé, né en 1864, conseiller référendaire, est l’auteur d’un Traité de la Comptabilité publique
paru en 1905. Il entame une série d’articles de droit comparé, le premier en 1892 sur « La
Cour des comptes et la comptabilité publique en Belgique », puis en 1900 sur « Le contrôle
de l’exécution du Budget en Angleterre » dans la Revue politique et parlementaire. Il prépare
dès les années 1910 un grand Traité du Contrôle des finances publiques en France et à l’étranger et
en publie une première partie en 1919 sur La Cour des comptes en Italie et en Allemagne (Picard,
1919 et Alcan, 1920).
124. PV de la 2e séance, 9 janvier 1918.
125. V. de Marcé est chargé d’un rapport sur le contrôle préventif de la Cour sur les
dépenses en Italie, mais nulle trace n’en a été trouvée.
126. Cette idée avancée par Bloch était également présente dans le projet Caillaux ainsi que
dans le rapport de Brousse sur la proposition de loi de 1914 attribuant une voix délibérative
aux commissaires du Gouvernement et contrôleurs appelés devant la Chambre du Conseil.
127. Seul, ce dossier a laissé des archives complètes.
128. PV de la 5e séance, 7 mars 1918.
129. PV de la 3e séance du 7 février 1918.
130. Cf. le contrôle de la légalité des taxes municipales qui sera soumis au contrôle de la
Cour des comptes en 1935 (décret-loi du 30 octobre). La sous-commission judiciaire est
d’accord sur ce point avec la sous-commission du contrôle administratif.
131. PV de la 5e séance, 7 mars 1918.
132. PV de la 4e séance, 28 février 1918. Payelle, Bloch, Delaire et Petit appuient fortement
la résolution de demander la communication obligatoire et systématique des rapports des
corps de contrôle à la Cour des comptes et ils insistent dans l’autre sens sur la
communication des référés de la Cour des comptes à l’Inspection des finances. Idem avec le
Conseil d’État. La question de la communication des rapports particuliers de l’Inspection
des finances n’est pas soulevée ; seuls semblent concernés les rapports d’ensemble annuels.
Petit, dans sa note sur le contrôle de l’emploi des deniers publics, insiste sur la coordination
à mettre en place entre la Cour des comptes, les corps de contrôle, les contrôleurs des
dépenses engagées, la commission des Référés instituée en 1911 et la commission chargée
de suivre les rapports annuels des corps de contrôle (1912). La loi du 10 août 1922 sur le
contrôle des dépenses engagées prévoira la transmission du rapport d’ensemble annuel des
contrôleurs au ministre concerné, au ministre des Finances, aux commissions financières
des deux chambres et à la Cour des comptes, mais pas ceux de l’Inspection.
133. PV de la 3e séance, 7 février 1918 et annexe.
134. Il y a donc une divergence entre la sous-commission du Contrôle judiciaire qui
préconise que la responsabilité des ordonnateurs soit mise en cause et établie par la Cour
des comptes puis pointée dans le rapport public, et la sous-commission du contrôle
administratif qui, sur l’insistance de Jèze, a proposé de créer un comité spécial auprès du
ministère des Finances.
135. PV de la 6e séance, 14 mars 1918. Le scepticisme des magistrats à l’égard de la
responsabilité pécuniaire des administrateurs s’exprime à nouveau fortement.
136. PV de la 6e séance, 14 mars 1918.
137. Le décret du 13 mars 1924, complété par le décret du 5 décembre 1929, imposera à
l’administration des Finances un délai de 7 mois à compter de la publication du rapport
public pour réunir et publier les éclaircissements fournis par les différents services en
réponse aux observations de la Cour. Ce qui aura pour principal effet de rallonger encore les
délais de publication du rapport public. Il faut attendre la loi du 12 mars 1936, article 18, et
le décret-loi du 2 mai 1938 pour voir le rapport public distribué aux chambres et publié au
Journal officiel en même temps qu’il est remis au président de la République.
138. Voir la note anonyme de 25 pages sur l’organisation actuelle du Contrôle de l’exécution
du Budget : seul le ministère des Finances, constate l’auteur, a un contrôle sur les recettes
(agents supérieurs du Trésor, inspecteurs des Régies financières et inspecteurs des
Finances).
139. Petit, inspecteur des Finances, se situe dans la filiation du projet Caillaux : il veut faire
de la Cour le lieu de centralisation de tous les rapports de contrôle financier. La position du
chef de service de l’Inspection est en revanche beaucoup plus réservée.
140. Le président est le député Thomson ; les autres membres sont Chéron, Couyba, Auriol,
Brousse, Denais, d’Alombert, Delombre, Fravaton, Jèze, Mauclère, Privat-Deschanel,
Reinach, Stourm, Jouasset (secrétaire).
141. Privat-Deschanel, directeur de la Comptabilité publique, n’a participé à aucune séance,
et Mauclère, directeur des Poudres, disparaît dès la 4e séance.
142. Jèze a rédigé dans le cadre de la commission Stourm, outre le rapport général, trois
autres rapports, l’un sur le vote du budget, le deuxième sur les douzièmes provisoires et le
troisième sur la division du budget en plusieurs lois et sur la réduction du nombre de
chapitres. Les trois rapports sont distribués aux membres de la commission. Les
propositions de Jèze, faute de consensus, sont demeurées très générales : en finir avec les
retards apportés au vote du budget, qui portent atteinte au caractère démocratique du
régime ; réformer les mœurs parlementaires ; rendre « coûteuse » et impopulaire la
procédure des douzièmes provisoires…
143. G. Jèze, Rapport Sommaire sur les mesures propres à assurer le vote du Budget à sa date
normale, Paris, le 8 mars 1918, 11 p.
144. G. Jéze, Note sur la procédure du vote des crédits (estimates) par la Chambre des communes en
Angleterre, 28 janvier 1918, 6 p.
145. Tous les procès-verbaux des séances ont été conservés, sauf pour la 11e séance, fixée
au 25 mars 1918, qui devait être consacrée aux comptes spéciaux. On ignore s’il y a eu
d’autres séances.
146. Depuis l’installation de la République en 1876, le droit du Sénat d’augmenter les
dépenses est contesté par la Chambre des députés ; ce flou constitutionnel est lié à la
naissance « par défaut » du régime républicain en 1876. À partir de 1879, les rapports entre
les deux chambres se normalisent, la Chambre des députés conserve la préséance sur le
Sénat, mais accepte ponctuellement des amendements budgétaires de la part de la Chambre
haute.
147. Reinach est le principal représentant de cette manière de voir ; comme Thomson, il
invoque la pensée de Gambetta ; il réclame notamment la suppression des pouvoirs
budgétaires du Sénat au profit d’un simple contrôle et la suppression du pouvoir d’initiative
du Parlement en matière de dépenses. Chéron, en revanche, défend les droits du Sénat.
148. PV, 2e séance, 15 décembre 1917, p. 3.
149. La sous-commission adopte une attitude prudente à l’égard de la commission du
Budget, mais elle aimerait bien revenir sur certains des acquis des commissions.
150. Jèze, qui essuie un nouveau revers sur la question du changement de date de l’année
financière, se voit éclipsé progressivement par Féret du Longbois.
151. PV de la 3e séance du 22 décembre 1917.
152. Avant la guerre de 1870, il y avait environ 300 chapitres ; à la veille de 1914, ils
dépassent selon Jèze 1 500 chapitres… Ce travail de rationalisation sera effectué en 1930 !
153. Jèze met à part le cas particulier des crédits d’armement qui ont besoin d’être étalés
sur plusieurs exercices et qu’il ne faut pas perdre d’une année sur l’autre.
154. Cette question occupe trois séances (16 janvier 1918, 2 février 1919 et 9 février 1918).
Le 16 janvier, seules trois personnes sont présentes : Reinach, Jèze, Delombre.
155. Une nouvelle proposition de loi déposée à la Chambre par Bon et Jobert vient de
remettre le sujet sous les feux de l’actualité.
156. Le calendrier proposé par Reinach est le suivant : présentation du budget avant le 20
janvier, transmission en l’état au Sénat au plus tard au 31 octobre, et promulgation le 31
décembre dans l’état où il a été présenté par le Gouvernement même si son examen par le
Sénat n’est pas achevé. Reinach se prononce pour la prééminence de la Chambre en matière
budgétaire, conformément à la doctrine radicale. Ses propositions sont rejetées comme
contraires aux libertés parlementaires.
157. En définitive, le repoussement de la date d’ouverture de l’année financière sera voté
par la loi du 27 décembre 1929, mais la réforme sera finalement rapportée le 31 mars 1932.
158. Cette confusion des pouvoirs est une des hantises de Jèze.
159. PV des 6e, 7e et 8e séances.
160. Au même moment, proposition de résolution de Breton, député, tendant à délimiter les
discussions budgétaires, n° 1205.
161. Cf. l’article 60 du règlement de la Chambre des députés, adopté en 1911 et appliqué une
seule fois en 1913, qui limite, lorsque le budget est discuté en commission générale, le temps
de parole des orateurs à 15 minutes.
162. Cf. le vote par la Chambre des députés le 8 novembre 1911 d’une règle interdisant les
interpellations pendant la discussion du budget.
163. PV de la 9e séance, 8 mars 1918. Selon Jèze et Féret du Longbois, « les dépenses
constituent la seule légitimation de l’impôt » ; c’est un principe républicain et
démocratique, instauré par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Delombre
approuve : « Dans une démocratie, l’impôt ne peut être autre chose que la contrepartie des
dépenses d’intérêt général, ces dernières doivent être arrêtées en premier lieu », p. 2-4.
164. PV de la 9e séance 8 mars 1918, p. 4-5.
165.Ibid., p. 5-6. C’était déjà une des préconisations de la commission Stourm. Jèze souligne
que la droite a toujours été exclue de la commission des finances du Sénat.
166. Procès-verbal de la 1re, de la 5e et de la 9e séance.
167. PV de la 9e séance. « Le président estime que les résolutions qui ont été adoptées sont
bonnes dans l’ensemble, tout en faisant quelques réserves sur une tendance un peu trop
marquée à la limitation des droits du Parlement ».
168. PV de la 4e et de la 8e séance.
169. Ce débat, qui porte la marque du marquis d’Audiffret, organisateur du « système
financier » français au XIXe siècle, opposera plus tard deux directeurs du Budget successifs
de la IVe République, Goetze et Devaux ; le premier, principal artisan du décret organique
de juin 1956, parle du budget comme d’un « acte » politique, tandis que le second, principal
auteur de l’ordonnance organique de janvier 1959, parle du budget comme d’un « ensemble
de comptes »…
170. PV de la 7e séance. « Le président souhaiterait que l’exposé de ce qui se passe à
l’étranger figurât à l’appui des travaux de la sous-commission et fût mis sous les yeux du
Parlement : si celui-ci voyait qu’en Angleterre, vieux pays parlementaire, on n’accepte pas
un rouage qui est considéré chez nous comme indispensable, qu’aux États-Unis, des
limitations rigoureuses ont été imposées à la liberté de discourir, cela constituerait une
indication très heureuse ».
171. Les directeurs d’administrations centrales, débordés, ne participent pas en personne à
la commission, notamment ceux des Finances ; au mieux, ils y envoient leurs adjoints. La
réforme appartient à ceux qui ont le temps d’y réfléchir, les corps de contrôle.
172. Elle résiste néanmoins avec succès à la communication de ses rapports particuliers à la
Cour des comptes.
173. Ce sont en réalité les mêmes personnes, mais à des âges différents de leur carrière.
174. Cette compréhension réciproque de l’intérêt commun et des intérêts de chacune des
parties contraste avec ce qui se passera dans les années 1930 où les projets de Labeyrie à la
Cour des comptes rencontreront la résistance du ministère des Finances et où la réforme de
1936 sous le Front populaire viendra étendre le rôle de la Cour des comptes aux dépens du
ministère des Finances.
175. Ni Caillaux ni Marin ne siègent dans la commission.
176. C’est au cours des travaux de la commission Courtin de 1918 que les responsables
budgétaires et comptables prennent la mesure du bouleversement suscité par la guerre (cf.
B 59119, exposé introductif de Privat-Deschanel, 26 avril 1918, p. 2-4).

AUTEUR
FLORENCE DESCAMPS

Normalienne et agrégée d’histoire, Florence Descamps est maître de conférences en histoire


à l’École pratique des hautes études (EPHE). Elle y anime un double séminaire sur la création
et l’utilisation des témoignages oraux en histoire contemporaine et sur l’histoire du
ministère des Finances au XXe siècle. Elle participe depuis 2005 au groupe de pilotage du
séminaire Histoire de la gestion des finances publiques XIXe-XXe siècles et a codirigé la
publication du premier volume des actes L’invention de la gestion des finances publiques.
Élaborations et pratiques du droit comptable et budgétaire au XIXe siècle (1815-1914). Elle a publié
de nombreux articles sur le ministère des Finances au XXe siècle et sur la réforme de l’État.
Dernièrement, elle a publié « La RCB 1966-1971 : une première expérience managériale au
ministère des Finances ? », in E. Godelier, M. Le Roux, G. Garel, A. David et E. Briot (dir.),
Pensée et pratiques du management en France. Inventaire et perspectives 19e-20e siècles, 2011,
consultable en ligne sur http://mtpf.mlab-innovation.net/fr/sommaire/chapitre-2/la-rcb-
1966-1971-une-première-expérience-managériale-au-ministère-des-finances.html?
PHPSESSID=6a35f3663f90efc5f44bf6a739069703 ; « Les inspecteurs des Finances et la
réforme de la gestion publique au XXe siècle », in F. Cardoni, N. Carré de Malberg et M.
Margairaz (dir.), Dictionnaire historique des inspecteurs des Finances 1801-2009, Paris, Comité
pour l’histoire économique et financière de la France/IGPDE, 2012, p. 141-150 et « Les
techniciens des Impôts et la naissance d’une expertise fiscalo‑financière : L’État moderne
1928-1939 », in F. Monnier et J.-M. Leniaud (dir.), Experts et décisions, Paris/Genève, Droz,
2013, p 47-57.
Le développement du contrôle de
l’efficacité de la dépense publique en
Allemagne aux lendemains de la
Première Guerre mondiale
Stéphanie Flizot

Introduction
La République de Weimar constitue, en Allemagne, une période de
transition entre un contrôle des finances publiques centré sur une
vérification de la régularité des comptes et un contrôle portant sur
l’efficacité de la gestion publique. Il est vrai que les années qui
suivirent la première guerre mondiale réunissaient les conditions
politiques et financières propices à cette évolution 1 , alors que les
dépenses publiques se devaient d’être sévèrement réduites pour
financer à la fois le paiement des réparations de guerre et l’effort de
reconstruction.
Or, l’Allemagne affronte à cette époque une crise financière sans
précédent. La dette du Reich atteint 144 milliards de marks en 1919,
contre 5 milliards de marks en 1913, car le Gouvernement a
largement financé la guerre par un endettement à long terme 2 . Les
conséquences de ces finances de guerre, qui firent de l’emprunt le
moyen principal de couverture des dépenses 3 , s’additionnaient aux
autres conséquences économiques et financières des années de
guerre. De 1914 à 1920, le nombre d’emplois dans la fonction
publique avait ainsi considérablement augmenté par une
multiplication des emplois superflus.
Le traité de Versailles et l’obligation pesant sur l’Allemagne de
réparer les dommages de guerre, puis le poids des réparations fixées
à la suite de la conférence de Londres de mai 1921 à 132 milliards de
marks-or, rendirent encore plus évidente l’exigence d’un
assainissement complet des finances publiques, d’une augmentation
des impôts, ainsi que de massives suppressions d’emplois. Cet
assainissement se trouvait d’autant plus nécessaire que les
flottements sur le montant des réparations de guerre avaient mis les
éventuels créanciers de l’Allemagne dans l’incertitude sur sa
solvabilité. Le pays se trouva ainsi pendant un certain temps « dans
l’incapacité de contracter des prêts étrangers à long terme 4 ».
Malgré la création, dès décembre 1919, d’une contribution
extraordinaire sur la fortune, le lancement d’un emprunt forcé et
diverses augmentations d’impôts, le budget du Reich restait
largement déficitaire 5 . En 1919, le déficit était ainsi équivalent au
budget de 1913 6 . La situation politique et financière imposait des
mesures urgentes. Fort heureusement, une prise de conscience
générale avait permis de comprendre que les aménagements à la
marge ne seraient plus suffisants. La recherche d’économies et
d’efficacité dans l’utilisation des deniers publics nécessitait
d’améliorer la performance de la gestion publique.
Cette volonté de rationalisation prit une double direction. La
création d’un commissaire aux économies (I), d’une part, et
l’affirmation d’un principe d’efficacité de la gestion publique, d’autre
part, principe du reste érigé comme norme du contrôle confié à la
Cour des comptes (II).

I. La création d’un commissaire aux


économies et l’impossible réforme
administrative
Le Gouvernement, en adoptant le 9 octobre 1920 les lignes
directrices sur la gestion financière du Reich, avait chargé son
ministre des Finances, Joseph Wirth, de s’assurer de la nécessité de
toutes les charges et dépenses imputées au budget de l’État. Peu
après, sa proposition de désigner un commissaire pour la
simplification et la rationalisation de l’administration fut acceptée. À
l’automne 1920, un commissaire pour la simplification et la
rationalisation de l’administration du Reich fut donc désigné en la
personne de Friedrich Carl qui, né à Strasbourg en 1876, avait
précédemment travaillé dans l’administration financière alsacienne.
Ce commissaire, rattaché au ministre des Finances, devait transposer
ses lignes directrices et œuvrer pour une administration
économique et efficiente. Il fut très vite désigné sous le nom de «
dictateur des finances » et sa mission consista rapidement à
formuler des propositions concrètes d’économies susceptibles
d’alléger les charges budgétaires. Celles-ci furent présentées au
Conseil des ministres dès le mois de décembre 1920 ; le commissaire
aux économies conseillait de fusionner les ministères de l’Économie
et du Travail en un ministère unique et de supprimer trois autres
départements ministériels, dont les attributions auraient été
exercées par les ministères épargnés. Il demandait également au
Gouvernement d’adopter des lignes directrices définissant
l’organisation des départements ministériels. Il souhaitait également
l’édiction de principes permettant la mise à la retraite ou le
licenciement des employés et fonctionnaires, lesquels étaient donc
appelés à faire les frais de la rationalisation administrative.
Les propositions du commissaire aux économies destinées à alléger
les charges budgétaires visaient également à transférer à des
organismes privés un certain nombre de missions exercées par la
puissance publique, dans le domaine de la culture ou de la recherche
scientifique en particulier 7 . Mais ce rapport, dont les propositions
furent jugées radicales et excessives, fut oublié au cours de la trêve
de Noël. Son auteur, désavoué, démissionna après que le
Gouvernement se fut, le 21 février 1921, prononcé pour la création
d’une commission aux économies qui serait placée sous la présidence
du ministre de l’Intérieur. Ce changement de rattachement
ministériel tient largement au fait que le ministre de l’Intérieur avait
été l’un des plus farouches adversaires des propositions formulées
par le commissaire à la simplification administrative. Celui-ci
refusait un abandon des missions exercées par la puissance publique,
mais entendait libérer le budget du Reich par un mouvement massif
de décentralisation. Il faut comprendre également que la désignation
de cette nouvelle commission était toujours autant de temps de
gagné en l’absence de consensus sur la réforme administrative à
adopter. En attendant, le Gouvernement demanda donc aux alliés un
premier moratoire qui lui fut accordé lors de la conférence de
Cannes de janvier 1922, tant il paraissait évident que l’Allemagne se
trouvait dans l’incapacité de payer. La conférence de Londres avait,
en effet, exigé que l’Allemagne règle dès 1921 3,3 milliards de marks-
or au titre des réparations de guerre, dont un milliard pour le 30
mai. Le Reich, ne pouvant verser que 150 millions, finança l’essentiel
de cette somme par des bons du Trésor qu’il eut beaucoup de mal à
honorer 8 .
À l’automne 1922, la commission des économies n’avait encore émis
aucune recommandation concrète. Du reste, lorsque se réunit à
Berlin, en octobre 1922, la commission des réparations de guerre afin
d’évaluer l’aptitude de l’Allemagne à payer, son impression est assez
négative. Elle note en particulier l’incapacité du Gouvernement
allemand à présenter des propositions concrètes, alors que les
discussions sur le moratoire provoquent une nouvelle dévaluation
du mark 9 . Dévaluation qui fut encore aggravée par la fuite des
capitaux qui suivit l’assassinat par les membres d’une organisation
antisémite du ministre des Affaires étrangères du Reich, Walther
Rathenau.
Le gouvernement Wirth décida donc le 26 octobre 1922, la création
d’une commission rassemblant les partis de la coalition
gouvernementale pour se prononcer sur les décisions économiques
et financières à prendre, y compris quant aux réparations. Il apparut
vite que les propositions du malheureux commissaire aux économies
n’étaient pas si radicales qu’elles le paraissaient ; il fallut alléger le
budget par la suppression d’un certain nombre d’administrations,
licencier et augmenter les impôts. Les conclusions de la commission
de coalition inspirèrent la note que le Gouvernement allemand
adressa à la commission des réparations le 13 novembre 1922. Le
Gouvernement y présentait des mesures de réduction des dépenses
et d’augmentation des recettes devant permettre d’équilibrer le
budget du Reich 10 . Les mesures qui allaient être prises devaient
dégager des économies, supprimer les administrations superflues,
réduire les effectifs et rendre globalement l’administration moins
coûteuse.
C’est dans ce contexte que le président de la Cour des comptes, F.
Saemisch 11 , fut chargé par le Gouvernement le 28 novembre 1922
de contrôler l’ensemble du budget et l’exécution budgétaire de
chaque département ministériel. Il devait l’informer des résultats de
ces vérifications ; faire toutes propositions d’économies ou de
simplification de l’administration. Étaient visées en particulier la
diminution des moyens en personnel, la suppression
d’administrations jugées superflues et, plus largement, toute
proposition permettant d’améliorer le rendement des recettes
budgétaires. Les dépenses qui n’apparaissaient pas absolument
nécessaires devaient être signalées. À cette époque cependant, cette
demande du Gouvernement ne fait pas officiellement du président
de la Cour des comptes le nouveau commissaire aux économies, mais
l’indépendance que lui confère sa position en fait le conseiller
privilégié du Gouvernement dans son effort d’assainissement
financier. Il le restera malgré les vingt changements de
gouvernements qui vont se succéder jusqu’à la suppression du
bureau du commissaire aux économies au cours de l’année 1934, et
ce malgré l’absence de véritable fondement juridique à cette
fonction qui n’était ancrée ni dans la loi, ni dans la Constitution.
Parallèlement, en France, les difficultés budgétaires de l’époque
nécessitent de recourir à l’emprunt pour couvrir les dépenses. On
considère que l’Allemagne finira par payer et cela permet d’éviter
d’opérer un assainissement des finances. Cette politique porte la
dette publique à 100 milliards de francs à la fin de l’année 1921, alors
qu’un moratoire est accordé à l’Allemagne. Le budget de 1923 prévoit
à son tour un déficit de 4 milliards de francs que l’on entend couvrir
par l’emprunt « sous prétexte qu’il correspondait aux intérêts des
dettes contactées pour la réparation des dommages de guerre 12 ».
La crise monétaire et les difficultés à obtenir des crédits extérieurs
contraignent cependant le gouvernement Poincaré à déposer, le 17
janvier 1924, un projet d’assainissement financier comportant des
augmentations d’impôts et la possibilité de procéder, par décrets en
Conseil d’État, « à toutes les réformes et simplifications
administratives permettant de réaliser à bref délai des économies
d’au moins un milliard par an 13 ». Un comité d’experts financiers
est finalement désigné le 30 mai 1926 pour proposer toutes mesures
propres à assurer l’assainissement financier demandé par les
principales places financières internationales.
À compter du mois de novembre 1923, l’inflation atteint en
Allemagne son plus haut cours. Dès le 15 novembre, le mark
revalorisé est émis 14 . Parallèlement, le gouvernement continue de
chercher des moyens de limiter les dépenses publiques en agissant
sur les structures administratives. En accord avec le président de la
Cour des comptes, le gouvernement adoptera au cours des années
1925-1926 les principes qui vont guider la tâche confiée au
commissaire aux économies du Reich. Ces principes serviront encore
en 1952 lorsqu’il s’agira de définir les missions qui seront confiées à
compter de cette date au commissaire fédéral pour l’efficacité dans
l’administration. Le commissaire aux économies fut doté d’un
bureau, situé non à Postdam au siège de la Cour des comptes, mais au
cœur de Berlin. Il s’entoura de spécialistes divers, ingénieurs,
anciens maires, universitaires qui composèrent un éventail varié de
compétences allant des finances à la musique, des bibliothèques à la
sphère médicale, de la construction mécanique à l’administration
communale, et qui avaient accès à tout document et toute
administration du Reich. Les enquêtes et expertises qu’il conduit ont
lieu sur place et une importance particulière est portée au fait que
leurs résultats doivent, dans la mesure du possible, reposer sur un
dialogue et une concertation avec les administrations concernées 15 .
Pour les seules années 1929 à 1933, le commissaire aux économies a
rédigé et émis un total de 440 rapports et avis, conseillant le
Gouvernement tant sur les questions financières que sur celles des
structures administratives ; il intervient également indirectement
dans la procédure d’élaboration des propositions budgétaires en lui
soumettant des propositions d’économies chiffrées. Son rôle fut
renforcé par le fait qu’il participait aux séances du Conseil des
ministres. N’étant soumis à aucun pouvoir d’instruction, il avait pour
responsabilité de s’exprimer en son nom propre, sans tenir compte
des contingences politiques, et de faire toutes propositions en
rapport avec ses fonctions. Au cours de cette période, le commissaire
aux économies s’attacha particulièrement à la suppression de
plusieurs administrations ou à leur regroupement, et s’attaqua aussi
aux emplois supplémentaires et peu utiles hérités de la période
précédente. Ses travaux s’intéressèrent également à la
rationalisation des structures administratives de plusieurs services
ou entités particulières comme la Poste 16 . Un effort particulier fut
porté sur la simplification et l’uniformisation des procédures
administratives (telles ses propositions relatives à l’unification des
formulaires administratifs ou à la standardisation des conditions de
livraison applicables aux achats publics). À la fin de la seconde
guerre mondiale, les principes directeurs adoptés au cours des
années 1925-1926 furent réutilisés lors de la création de la zone
économique du territoire unifié regroupant les zones britannique et
américaine d’occupation constituées en janvier 1947, et un
commissaire aux économies institué. La décision du Conseil
économique de la zone unifiée du 27 septembre 1948 fixait les
missions de ce commissaire : s’assurer de la nécessité de toutes les
structures administratives de la zone unifiée et de leurs besoins en
personnel 17 .
Trois ans après la création de la République fédérale d’Allemagne,
Konrad Adenauer, reprenant la tradition issue de la République de
Weimar, nommait à son tour aux fonctions de commissaire pour
l’efficacité dans l’administration le président de la Cour des comptes
fédérale. Le même postulat guide ses missions : veiller à une
diminution des dépenses publiques ne peut suffire, l’ensemble de
l’organisation et des procédures administratives doit être révisé et
rationalisé 18 . Cette exigence, que l’on retrouvait dans l’opinion
publique, avait également été formulée au Bundestag dès octobre
1950 avant que la commission du Budget ne demande au
Gouvernement de « désigner sans tarder un commissaire aux
économies 19 » dont la mission serait, conformément à celle confiée
à ses prédécesseurs, une rationalisation et une simplification de
l’administration afin de la rendre moins coûteuse. Reprenant les
lignes directrices formulées au cours de la République de Weimar,
une décision du Conseil des ministres en date du 8 janvier 1952
confirma ses missions 20 : conseiller le Gouvernement sur toutes les
questions permettant une simplification et une diminution du coût
de l’administration. La tâche du commissaire fédéral à l’efficacité
administrative reste, comme celle de ses prédécesseurs, séparée de
la vérification des comptes ; son analyse doit essentiellement porter
sur le caractère adapté ou non de l’administration aux conditions
actuelles 21 .

II. La codification du droit budgétaire et


financier et l’affirmation d’un contrôle de
l’efficacité de la gestion financière publique
La loi organique du 31 décembre 1922 (loi RHO) allait, pour la
première fois, élaborer une codification complète du droit
budgétaire et financier. La Constitution du 11 août 1919 avait
introduit dans le corpus constitutionnel la notion de vérification des
comptes, son article 86 § 2 mentionnant que cette matière serait
régie par une loi. Trois années furent nécessaires à l’adoption de ce
qui serait « la constitution financière de la République de Weimar 22
» et dont les principes allaient régir le contrôle des comptes publics
jusqu’à l’adoption de la loi BRH du 11 juillet 1985 23 . Le projet de loi
organique prévue par la Constitution fut déposé le 9 juin 1922 au
Reichstag par le ministre des Finances Hermes. Bien que discuté au
sein de la commission du budget, il ne fut guère modifié, si ce n’est
sur quelques points rédactionnels mineurs. Lors de son examen en
séance plénière, personne ne demandant la parole, les 132 articles de
ce texte furent adoptés en bloc à la majorité des deux tiers comme
l’exigeait la Constitution s’agissant d’une loi organique 24 . Le texte
entra en vigueur au 1er janvier 1923. L’importance accordée au
contrôle de l’efficacité de la gestion publique ou Wirtschaftlichkeit,
s’exprimait dans l’article 17 de ce texte qui transposait le principe
affirmé par une décision du Conseil des ministres en date du 9
octobre 1920. Selon cette décision, les besoins financiers du Reich
exigeaient que le budget ne prévoie que des dépenses strictement
nécessaires. L’article 26 complétait cette disposition en énonçant que
les ressources budgétaires ne devaient être employées que de
manière économe et rentable.
Il y avait bien eu précédemment des tentatives pour dépasser le
simple contrôle de la régularité formelle des comptes. Les
dispositions relatives à l’efficacité de la gestion financière de l’État
faisaient ainsi écho à l’article 10 de l’instruction royale du 18
décembre 1824 sur la Haute Chambre des comptes prussienne. Ce
texte, qui lui demandait de ne pas limiter ses vérifications à
l’exactitude des comptes, l’avait chargée de s’assurer que le
rendement des impôts était aussi productif qu’il pouvait l’être, et de
déterminer si leur produit pouvait être supérieur. La Haute Chambre
des comptes devait également vérifier que les dépenses étaient aussi
économes que possibles. Elle devait à ce titre analyser la possibilité
d’une réduction des dépenses et, plus largement, déterminer « dans
quels domaines il serait nécessaire d’apporter des améliorations
pour le bien-être de la nation ». Mais à cette époque, la Haute
Chambre des comptes prussienne est un organe directement
subordonné au monarque ; elle n’est qu’un moyen pour le souverain
de s’assurer de la maîtrise de son administration et de lutter contre
le gaspillage 25 . La démarche désormais suivie est autre : il s’agit de
s’assurer de la cohérence entre les moyens mis en œuvre et les
objectifs poursuivis. En application des dispositions du nouveau Code
budgétaire de 1922, la Cour des comptes devait, en effet, rechercher
si les objectifs assignés aux diverses administrations pouvaient être
atteints avec des moyens plus restreints en personnel ou en
matériel. L’article 96 de la loi RHO demandait d’ailleurs
expressément à la Cour de vérifier si des emplois inutiles n’avaient
pas été maintenus 26 .
Cette volonté s’insérait, par ailleurs, dans une nouvelle réalité : celle
du contrôle parlementaire de l’exécution du budget ; contrôle qui
allait de loin dépasser le caractère formel de la décharge donnée
sous le régime de la monarchie. Lors des débats parlementaires sur
le projet de loi organique, la commission du budget avait
particulièrement insisté sur l’importance de ces dispositions qui
rendaient possible un contrôle de l’efficacité économique de
l’administration. En application de la loi RHO, et à la différence de la
période monarchique, la Cour des comptes devait désormais
répondre non seulement aux demandes du ministre des Finances,
mais aussi à celles du Reichstag (art. 101). Au cours de la décennie
qui suivit, le contrôle parlementaire reposera largement sur la
cinquième commission du Reichstag en charge du budget. Au début,
la commission du budget et la commission des comptes travaillèrent
de manière séparée, de sorte que, comme le fit observer un auteur,
l’une ne savait rien du passé et l’autre rien de l’avenir (Heimann).
Mais à partir de l’année 1928, la commission des comptes fut
intégrée au sein de la commission du budget, tandis qu’un ou
plusieurs représentants de la Cour des comptes participaient
régulièrement à ses séances pour l’informer des travaux et
observations de la Cour.
La loi organique de 1922 répondait aux attentes du Parlement qui,
bien avant la première guerre mondiale, se plaignait du caractère
très formel du contrôle effectué par la Cour des comptes et de son
incapacité à examiner la gestion financière de l’État. Des débats
importants en ce sens eurent lieu en 1909 27 . Le souhait du Reichstag
était que l’administration soit elle-même l’objet du contrôle, ce qui
demandait une intensification des contrôles sur place réalisés par la
Cour des comptes 28 . Le Parlement demandait également une
accélération dans le contrôle des comptes et l’élaboration des
rapports de vérification, afin que ceux-ci cessent d’avoir un intérêt
strictement rétrospectif. Ces dispositions relatives à l’efficacité de la
gestion publique s’intégraient dans la modernisation du contrôle
financier qu’opérait la loi organique de 1922 en permettant des
contrôles sur place et par échantillons, lesquels offraient à la Cour
des comptes des opportunités énormes pour redéployer ses capacités
de contrôle en la déchargeant de l’examen minutieux de l’ensemble
des pièces justificatives ; l’administration de la Marine, par exemple,
envoyait en effet chaque année à la Cour plus de 24 000 kg de pièces
à elle seule.
Ce texte qui simplifiait le contrôle des comptes permit de
révolutionner la portée des vérifications. Les contrôles sur place
remplacèrent les longs et fastidieux échanges écrits par des
échanges oraux directs et approfondis avec les services concernés.
Ces évolutions plaçaient alors l’Allemagne dans une position très
innovante au regard des procédures de vérification alors en vigueur
dans les autres États 29 .
La loi de 1922 avait également étendu les compétences de
vérification de la Cour des comptes. Celles-ci portaient désormais sur
l’ensemble de la gestion financière. Ce qui englobait les exploitations
industrielles et commerciales du Reich et les entreprises dans
lesquelles le Reich détenait une participation. Cette extension de ses
compétences conduisit d’ailleurs à recruter en son sein des
spécialistes de comptabilité commerciale, qui eurent à vérifier tant
des bilans présentés par la Reichspost ou la Reichsbahn (Compagnie
des chemins de fer) que l’activité du Reich en sa qualité d’actionnaire
de diverses sociétés. Malgré ces dispositions, la sensibilité de tout ce
qui touchait à l’épineuse question des réparations de guerre
empoisonna les rapports de la Cour des comptes et du
Gouvernement. Ainsi, lorsque la Cour fit des observations sur le
caractère déraisonnable du nombre de personnes composant la
délégation allemande à la conférence de Londres qui examinait le
plan Dawes ou lorsqu’elle critiqua les voyages d’études de directeurs
d’administration centrale en Amérique du Nord, le ministre des
Affaires étrangères et son homologue des Finances saisirent
l’occasion pour contester les compétences de la Cour en considérant
qu’il s’agissait là de décisions politiques ; le Gouvernement n’avait à
en rendre compte qu’aux seules assemblées, la Cour n’ayant qu’à se
limiter à la vérification des comptes 30 .
Il est vrai que les rapports critiques rédigés par la Cour des comptes
sur l’exécution du budget prirent une importance particulière en
raison de la vigilance que l’on portait à l’étranger sur la situation des
finances publiques allemandes et de la connaissance qu’en avaient la
commission Dawes et l’agent général au paiement des réparations de
guerre 31 . Le chancelier du Reich fut plusieurs fois interrogé à leur
sujet lors de ses déplacements en France, en Angleterre ou en Italie
et plus généralement lors de ses entretiens avec les représentants
des puissances créancières de l’Allemagne. Le Conseil des ministres
fut donc saisi de cette question et ce point fut abordé dans un
entretien entre le président de la Cour des comptes et le secrétaire
d’État aux finances, J. Popitz, qui lui fit part de l’effet indésirable de
ces rapports. La Cour des comptes fut bien obligée d’aborder
également cette question au sein de son collège. Elle le fit au cours
du mois de décembre 1931, non sans faire au préalable observer
qu’elle tenait compte depuis des années, lors de la publication de ses
observations, du contexte troublé existant. Pourtant, elle se déclara
prête à tenir compte davantage de ces effets lors de l’élaboration de
ses rapports qui, en application de la loi, devaient être émis en pleine
indépendance sous sa propre responsabilité et hors de toute
considération politique. Il restait, du reste, possible d’informer le
Gouvernement de manière séparée des manquements observés dans
l’administration et de lui communiquer ses propositions
d’amélioration 32 . Malgré ces aléas, le contrôle de l’efficacité de la
gestion financière allait devenir la norme de contrôle la plus
importante de la Cour des comptes allemande. Si ses premiers
rapports gardèrent le poids des décennies passées et restèrent
encore largement consacrés aux questions de régularité des comptes
et de conformité à l’ordonnancement juridique 33 , la Cour entendait
participer activement au renouveau de la gestion financière
publique et, dès les années 1920, des séances de formation furent
organisées en ce sens au profit de son personnel de vérification 34 .
Plus qu’un vœu politique et qu’une exigence morale, le principe de
l’efficacité de la gestion financière publique devait permettre un
approfondissement du contrôle des comptes qui, délaissant le détail
précis, allait désormais porter sur la cohérence du fonctionnement
administratif dans son ensemble et s’intéresser à ses coûts. Ces
raisons expliquent que le contrôle de l’efficacité de la gestion
financière publique fut confirmé dès l’avènement au pouvoir de
Hitler. L’envoi au président de la Cour des comptes par le secrétaire
d’État aux finances de la loi du 13 décembre 1933 réformant la loi
RHO fut accompagné d’un courrier lui expliquant, sur les
recommandations du chancelier du Reich, de quelle manière ces
dispositions devaient être comprises et quels étaient les points sur
lesquels ce dernier souhaitait attirer l’attention de la Cour. « Un soin
particulier doit être porté à l’utilisation des ressources publiques.
Transparence et efficacité sont la condition première de toute
administration. S’en assurer constitue plus qu’un devoir en ces
temps de reconstruction. Un soin minutieux doit donc être porté à
une utilisation économiquement efficiente des ressources publiques.
La compétence de la Cour des comptes, sur qui reposent la
surveillance et le contrôle de la gestion économique et budgétaire du
Reich, prend aujourd’hui un sens particulier ». Alors que la Cour des
comptes apparaissait pour la plupart des dignitaires nazis comme «
une relique de la République de Weimar » et « un réservoir de
fonctionnaires politiquement douteux », et que plusieurs d’entre
eux, dont Ribbentrop, projetaient de la supprimer, un entretien
entre Hitler et Saemisch en date du 30 mars 1933, dont le contenu
n’est qu’imparfaitement connu, avait confirmé Hitler dans la
nécessité de maintenir ses prérogatives 35 . La loi du 13 décembre
1933 étendit même, en application de son article 64 a, ses
compétences de vérification à tout organisme bénéficiant de
financements publics, la Cour pouvant en l’occurrence vérifier les
organismes bénéficiaires de subventions 36 .
À la chute du régime nazi, les alliés trouvèrent les succursales de la
Cour des comptes situées à Hambourg et à Munich en l’état, et elles
servirent de cour des comptes dans les zones d’occupation. Dès mai
1945, la succursale de la Cour des comptes de Munich reprit ses
activités et fit office de Cour des comptes pour la zone américaine,
tandis que celle de Hambourg fit de même dès le mois de juillet 1945
s’agissant de la zone d’occupation britannique en prenant le nom de
Cour des comptes du Reich pour la zone britannique. Par la suite,
une Cour des comptes pour la zone unifiée fut créée dont le
président, Josef Mayer, deviendra en 1952 président de la Cour des
comptes fédérale et également le premier commissaire fédéral à
l’efficacité dans l’administration de la nouvelle Allemagne.
Cette notion de Wirtschaftlichkeit ainsi consacrée aux débuts de la
République de Weimar sera érigée aux lendemains de la seconde
guerre mondiale en une norme à valeur constitutionnelle 37 . La
notion de Wirtschaftlichkeit traduit l’idée de rentabilité économique
de l’action administrative. Et la création du commissaire aux
économies, autant que le développement du contrôle de l’efficacité
de la gestion publique, avaient pour ambition d’optimiser
l’utilisation des ressources publiques par un double effort de
rationalisation de l’action publique et de maîtrise de ses coûts.

NOTES
1. H. A. Dommach, « Der Rechnungshof während der Amtszeit seines Präsidenten Saemisch
(1922-1938) », in Die Kontrolle der Staatsfinanzen, Geschichte und Gegenwart, 1714-1989, Duncker
& Humblot, Berlin, 1989, p. 66.
2. L’État fédéral ne disposait alors que de faibles ressources fiscales propres,
essentiellement les droits de succession et l’impôt sur la fortune votés en 1913. L’impôt sur
le revenu, ou Einkommensteuer, ne deviendra, en effet, un impôt fédéral qu’après 1920.
3. Sur ce point, H. Laufenburger, Crédit public et finances de guerre (Allemagne, France, Grande-
Bretagne, États-Unis), Librairie de Médicis, Paris, 1944, p. 29 sqq.
4. Heinrich A. Winkler, Histoire de l’Allemagne, XIXe-XXe siècle, le long chemin vers l’Occident,
Fayard, 2005, p. 352.
5. G. Castellan, L’Allemagne de Weimar, 1918-1933, A. Colin, 1969, p. 154 sqq.
6. A. Wahl, L’Allemagne de 1918 à 1945, A. Colin, 1999, p. 34.
7. Sur ce point, « Schriftenreihe des Bundesbeauftragten für Wirtschaftlichkeit in der
Verwaltung », 50 Jahre Bundesbeauftragte für Wirtschaftlichkeit in der Verwaltung, Verlag W.
Kohlhammer.
8. H.A. Winkler, Histoire de l’Allemagne..., op. cit., p. 354.
9. « Schriftenreihe des Bundesbeauftragten… », art. cité.
10. H. A. Winkler, op. cit., p. 365.
11. Qui restera président de la Cour des comptes de 1922 à 1938, cette stabilité contraste
évidemment avec l’instabilité gouvernementale ; car de 1919 à 1929, ce sont 13 ministres
des Finances qui vont se succéder. F. Saemisch était entré au ministère des Finances du
Reich aux lendemains de la première guerre mondiale et fut dès octobre 1919 conseiller
auprès du ministre des Finances Erzberger pour la préparation de la réforme financière à
adopter, mais il ne travailla pas personnellement sur la préparation de la loi RHO. Voir H. A.
Dommach, « Der Rechnungshof während der Amtszeit... », art. cité, p. 70.
12. G. Lachapelle, Les finances de la IIIe République, Flammarion, 1937, p. 110.
13.Ibid., p. 117.
14. Le Rentenmark. Monnaie provisoire introduite le 15 novembre 1923 et garantie par des
dettes hypothécaires sur l’industrie et l’agriculture qui permit la stabilisation du cours du
mark par rapport au dollar à son taux d’avant-guerre.
15. H. A. Dommach, art. cité, p. 83.
16.Ibid., p. 84 sqq.
17. Sur ce point, Jens-Hermann Treuner, Der Bundesbeauftragte für Wirtschaftlichkeit in der
Verwaltung, p. 8.
18. Voir l’énoncé des motifs de la décision gouvernementale créant le commissaire fédéral
pour l’efficacité dans l’administration : « La situation financière de l’État exige le plus haut
degré d’efficacité de l’ensemble des administrations. Pour atteindre ce but, une limitation et
une évaluation minutieuse des dépenses publiques sont insuffisantes. L’administration doit
aussi être remodelée rationnellement par des mesures tenant à son organisation même »,
Kabinettsbeschluss vom 8. Januar 1952 betreffend Einsetzung eines Bundesbeauftragten für
Wirtschaftlichkeit in der Verwaltung, in Bundes Anzeiger, 5. Juli 1952, p. 6.
19. J.-H. Treuner, Der Bundesbeauftragte..., op. cit.
20. Kabinettsbeschluss vom 8. Januar 1952 betreffend Einsetzung eines Bundesbeauftragten
für Wirtschaftlichkeit in der Verwaltung, in Bundes Anzeiger, 5. Juli 1952, p. 6.
21. Pour cela, il lui est également demandé de réfléchir à la délimitation des compétences
entre les diverses autorités fédérales, mais aussi à la répartition des missions confiées à la
Fédération, aux États fédérés et aux communes, Lignes directrices de 1952, note 1.
22. L’expression est de H. A. Dommach.
23.Bundesrechnungshofgesetz.
24. Sur ce point, F. von Pfuhlstein, « Der Weg von der preussischen Generalrechenkammer
zum Bundesrechnungshof », in 250 Jahre Rechnungsprüfung, Frankfurt am Main, 1964, p. 72.
25. Il existait des dispositions tout à fait similaires en Autriche au XIXe siècle. L’ordonnance
de 1866 donnait à la Cour des comptes autrichienne la mission de rechercher si le revenu de
l’État ne pouvait être accru avec les dispositions existantes, si les recettes avaient été
recouvrées dans les délais, si l’emploi des crédits avait été fait avec le maximum d’économie
possible, si l’on pouvait diminuer les dépenses d’administration ou le montant des crédits
affectés à tel ou tel objet.
26. La définition que donnait la loi organique de 1922 de la notion de Wirtschaftlichkeit a
été analysée comme comportant à la fois le principe du minimum quant à l’utilisation des
moyens et celui du maximum quant à leur efficacité eu égard aux objectifs poursuivis, H. H.
von Arnim, « Wirtschaftlichkeit als Massstab des Rechnungshof », in Die Kontrolle der
Staatsfinanzen, Geschichte und Gegenwart, 1714-1989, Duncker & Humblot, Berlin, 1989, p. 261.
27. H. G. Zavelberg, « 275 Jahre staatliche Rechnungsprüfung in Deutschland, Etappen und
Entwicklung », in Die Kontrolle der Staatsfinanzen, Geschichte und Gegenwart..., op. cit., p. 47.
28. Une loi du 21 mars 1910 avait certes autorisé les contrôles sur place dans certaines
hypothèses, mais ceux-ci étaient restés exceptionnels. La loi de 1922 étendit cette possibilité
qui fut désormais laissée à l’appréciation de la Cour des comptes.
29. H. G. Zavelberg, art. cité, p. 52.
30. H. A. Dommach, art. cité, p. 89.
31. Dans le cadre du plan Dawes, et jusqu’en 1929, un agent général des réparations (deux
américains occuperont successivement ce poste), installé à Berlin, surveille le respect par
l’Allemagne du dispositif mis en place pour assurer le paiement des réparations de guerre,
et en particulier les ressources budgétaires affectées à ce paiement (impôts indirects sur le
tabac et l’alcool, taxe sur les transports…), ainsi que les hypothèques sur les grosses
entreprises industrielles du Reich et la Reichsbahn…
32. F. von Pfuhlstein, « Der Weg von der preussischen Generalrechenkammer… », art. cité,
p. 77.
33. H. G. Zavelberg, op. cit., p. 49.
34. Intégrant notamment la comptabilité commerciale.
35. Sur ce point, H. A. Dommach, « Der Rechnungshof während der Amtszeit… », art. cité, p. 98
sqq.
36. Elle mettra, d’ailleurs, cette disposition en application à l’égard du parti nazi et de ses
organisations après avoir eu connaissance de pratiques irrégulières au sein des SA. La
conception de Schwartz, trésorier du parti nazi, qui lui refusait le droit de mettre le nez
dans ses affaires, ne trouva pas de soutien auprès de la direction du parti et, notamment, de
Rudolf Hess, proche d’Hitler, pour qui la Cour des comptes devait pouvoir contrôler toutes
les formations financées par l’État. H. A. Dommach, « Der Rechnungshof während der
Amtszeit... », art. cité, p. 107.
37. Les termes de contrôle de la gestion économique et budgétaire de la Fédération sont
ceux qui figurent encore aujourd’hui à l’article 114 de la Constitution de 1949 pour définir
les missions de la Cour des comptes fédérale. « La Cour des comptes, dont les membres
bénéficient de l’indépendance des juges, contrôle les comptes ainsi que l’efficience et la
régularité de la gestion budgétaire et économique de la Fédération », article 114, al. 2 de la
Loi fondamentale.

AUTEUR
STÉPHANIE FLIZOT

Stéphanie Flizot est maître de conférences en droit public, titulaire de l’habilitation à


diriger les recherches. Ses travaux et publications portent sur les finances et la gestion
publiques, appréciées sous un angle historique et de droit comparé, ainsi que sur la fiscalité.
Sa thèse consacrée aux relations entre les institutions supérieures de finances publiques et
les pouvoirs publics dans les pays de l’Union européenne a obtenu le prix de la Cour des
comptes et est parue à la LGDJ. Elle a également publié récemment « Les règles
constitutionnelles de limitation de l’endettement, l’exemple allemand », in Jus politicum n°
8, juillet 2012 ; « L’organisation de la Cour des comptes européenne, enjeux et défis »,
audition devant le Comité du contrôle budgétaire du Parlement européen, COCOBU, 30 mai
2012, Future Role of the European Court of Auditors : Challenges ahead and possible reform,
http://www.europarl.europa.eu/document/activities/cont/201205/20120514ATT45035/201
20514ATT45035FR.pdf ; « Les services locaux du ministère des Finances : enjeux et débats
aux lendemains de la Première Guerre mondiale », Gestion et Finances publiques – La revue,
numéro spécial Histoire des finances publiques, mars 2012 ; « L’évaluation des fraudes fiscales,
panorama européen », Gestion et Finances publiques – La revue, numéro spécial Contrôle fiscal,
décembre 2011 ; « La mise en place des Cours des comptes en Europe, XIVe-XIXe siècles », in
A. Dubet et M.-L. Legay, La Comptabilité publique en Europe, 1500-1850, Presses universitaires de
Rennes, 2011, p. 93-106 ; « Les tendances relatives à l’organisation et aux réformes du
contrôle de l’État sur les collectivités locales en Europe », in A. Hastings-Marchadier, La
performance et les contrôles financiers de l’État sur les collectivités locales, LGDJ, 2011, p. 319-333.
Gaston Jèze et l’utilité de la dépense
publique, L’élaboration d’une théorie
1
générale des dépenses publiques
Matthieu Conan

Introduction
« L’impôt est une prestation pécuniaire requise des particuliers par
voie d’autorité, à titre définitif et sans contrepartie, en vue de la
couverture des charges publiques ».
Il s’agit là de la définition de l’impôt donnée par Jèze et reprise
invariablement dans bon nombre de cours de droit fiscal général à
l’heure actuelle : elle sert de base à la définition contemporaine des
impositions de toute nature compte tenu des évolutions qu’a
connues la notion d’impôt. Si la mémoire de Gaston Jèze se perpétue
ainsi aujourd’hui, c’est essentiellement pour son apport décisif à
l’élaboration d’une théorie générale de l’impôt qui constitue
toujours la donnée première et essentielle de tout enseignement de
droit fiscal digne de ce nom.
De manière assez surprenante, l’influence contemporaine de Jèze en
termes de dépenses publiques ne se veut pas identique. Tout au plus
lui attribue-t-on la paternité de l’adage célèbre caractéristique des
finances classiques « Il y a des dépenses, il faut les couvrir », sans
d’ailleurs en trouver trace explicitement dans ses écrits principaux.
Or, de manière tout à fait paradoxale, Jèze a élaboré une très
intéressante théorie générale des dépenses publiques dont il n’est
absolument pas fait état à l’heure actuelle...
L’objectif premier de ces développements va consister à se replonger
dans l’œuvre de Jèze pour ces aspects oubliés propres à la dépense
publique, afin d’en montrer tout l’intérêt au regard d’une approche
de la notion de dépense définie par rapport à son utilité publique.
Une telle référence à l’utilité publique de la dépense chez ce grand
juriste du premier tiers du XXe siècle se veut nécessairement
pertinente d’un point de vue historique, à l’égard de mécanismes
gestionnaires précurseurs qui peu à peu tendent à investir la sphère
du droit budgétaire pour nous amener progressivement, à terme, à
mettre en œuvre une approche de type LOLF.
L’objectif subsidiaire de ce travail va être de s’efforcer d’apporter un
début d’explication aux raisons pour lesquelles cette démarche très
spécifique et a priori, de première importance, a été occultée par ses
collègues juristes financiers et sacrifiée – à l’évidence – sur l’autel
des finances modernes. Il est tout de même assez édifiant de pouvoir
lire dans l’hommage post mortem réalisé en 1954 par la Revue de
législation et de science financières sous la plume de son nouveau
directeur, le professeur à la faculté de droit de Paris, Henry
Laufenburger, que la dépense publique était « un des rares points
faibles des travaux de Jèze 2 ». La Revue de législation et de science
financières après cinquante années de parution effective se
transformera en Revue de science financière très rapidement ensuite
en 1956, un changement de dénomination qui se veut tout sauf
fortuit, en tout état de cause absolument pas mineur contrairement
à ce qui fut dit à l’époque 3 . Jèze a créé la Revue de législation et de
science financières en 1903. Il convient avant tout de faire une
présentation de son œuvre. Sera nécessairement exposée ici,
parallèlement, la carrière de celui qui, dans les milieux
universitaires, reste présenté aujourd’hui comme l’un des principaux
promoteurs de la science financière en tant qu’enseignement
autonome dans les universités.
Gaston Jèze est né à Toulouse le 2 mars 1869. « Une attention toute
particulière doit être donnée à son premier ouvrage et à sa date 4 »
puisque c’est en 1896 que paraît Éléments de la science des finances et de
la législation financière française, sous la double signature de Max
Boucard et de Gaston Jèze par conséquent 5 . Jèze est tout jeune,
puisqu’il n’a que 27 ans, et l’ouvrage, selon Claude-Albert Colliard, «
fait figure de nouveauté sinon de révolution » : « Ce livre va être
véritablement le premier traité d’une jeune science qui tend, dès
lors, à un développement autonome ». Lorsque cet ouvrage paraît, la
législation financière ne fait partie que depuis sept ans seulement du
programme officiel d’enseignement des facultés de droit. Le décret
du 24 juillet 1889 portant réforme de la licence en droit avait
timidement introduit la législation financière au nombre des neuf
matières constitutives des options de la troisième année et dont trois
devaient être choisies par les étudiants. Pour Claude-Albert Colliard,
cet ouvrage fait tout simplement de Jèze le « fondateur de la science
financière en France », à considérer les autres ouvrages de finances
disponibles alors des René Stourm, Léon Say et Paul Leroy-Beaulieu.
Une telle reconnaissance est d’autant plus remarquable que c’est en
tant que simple docteur en droit que Jèze s’est lancé dans l’écriture :
sa thèse, soutenue quatre ans plus tôt en 1892, est une thèse de droit
romain (Les lois agraires sous la République) et de droit civil
(Interprétation de l’article 1408 du Code civil) comme il est d’usage alors.
C’est en tant que simple chargé de cours à la faculté de droit d’Aix-
en-Provence que sortira la seconde édition de ce traité en 1902.
L’année suivante, en 1903, il se lance dans une autre aventure, celle
de la Revue de science et de législation financières (RSLF), créée toujours
avec son ami Max Boucard, maître des requêtes au Conseil d’État.
Celle-ci se révélera déterminante quant à l’avènement de cette
discipline des sciences financières dont la caractéristique première
est d’appréhender le processus financier dans toutes ses dimensions,
qu’elles soient de nature économique, politique, sociale et bien
évidemment juridique. L’apport de Jèze sur ce dernier aspect se veut
tout simplement décisif. « Jèze juriste financier n’est pas différent de
Jèze juriste tout court : le premier ne fait que transposer dans un
domaine particulier, en les adaptant, les principes et les techniques
définis par le second 6 ». Jèze se révélera être tout autant un grand
administrativiste, promoteur de la notion de service public en lieu et
place de la notion de puissance publique 7 .
Ce début de XXe siècle apportera aussi la consécration universitaire
puisqu’il fut institué agrégé à Lille, où il restera jusqu’en 1909 pour
rejoindre alors Paris. C’est en 1910 que le professeur agrégé à la
faculté de droit de l’université de Paris, Gaston Jèze, fait paraître son
célèbre Traité de science des finances – Le Budget : « Le livre que je
présente aujourd’hui au public est le premier volume du Traité de
science des finances que j’ai le dessein d’écrire et dont j’ai esquissé le
plan dans la quatrième édition de mon Cours élémentaire de science des
finances et de législation financière française. Mon intention est de
consacrer une douzaine de volumes à la Science des finances. C’est
une œuvre de longue haleine 8 ». Un tel projet ne verra pas le jour,
nécessairement contrarié par la guerre : les problèmes posés par le
financement de cette dernière lui permirent en contrepartie de
développer un des autres pans essentiels de son œuvre 9 . La
cinquième édition de 1912 de son Cours élémentaire de science des
finances reste, selon Maurice Duverger, « le dernier tableau
d’ensemble brossé par l’auteur dont il ne reprendra plus tard que des
parties séparées dans ses cours de doctorat 10 ». Il y aura bien
encore en 1922 une sixième édition du Cours de science des finances et
de législation financière française, qui ne constitue cependant plus
qu’une étude spécifiquement limitée aux seules « dépenses publiques
» et « théorie générale du crédit public » en l’espèce 11 . À compter
de l’année universitaire 1924-1925, et cela jusqu’à l’année 1935-1936,
sera édité le Cours de finances publiques professé à la faculté de droit
de l’université de Paris au second semestre par Jèze, développant
normalement à chaque fois une thématique différente 12 .
L’année 1936 est marquée par les manifestations étudiantes anti-Jèze
de la droite nationaliste réclamant sa démission qui font suite à son
acceptation de défendre devant la Société des nations Hailé Sélassié,
le Négus d’Éthiopie, chassé d’Addis-Abeba par les troupes italiennes
de Mussolini. Président de l’Institut international du droit 13 , Jèze
fut le conseiller de divers gouvernements étrangers comme aussi du
Gouvernement français. Théoricien des finances publiques, il réussit
à se transformer en praticien à l’occasion. Il présenta ainsi le 9 mars
1914, au nom de la commission instituée au ministère des Finances le
29 janvier 1913, le rapport général sur les mesures propres à assurer
le vote du budget à sa date normale 14 ; il fut encore membre du
Comité des experts réuni en 1926 afin d’élaborer un plan de
redressement économique et financier destiné à stabiliser le franc 15
. Jèze mettra un terme à son activité universitaire en 1937, mais il
continua de s’intéresser aux phénomènes financiers jusque dans les
toutes dernières années de sa vie, puisque, à plus de quatre-vingts
ans, il donnait toujours des articles au Journal des finances. Il meurt à
Deauville le 5 août 1953.
Il a été fait référence précédemment au Cours de science des finances et
de législation financière française de 1922 ; celui-ci, avons-nous dit, ne
se veut plus, après la guerre, qu’une approche approfondie de
thématiques financières déterminées. Au regard de la problématique
initialement posée, on constate que cette sixième édition est
notamment dédiée aux dépenses publiques. Les cours de doctorat
qui vont par la suite faire l’objet de publications annuelles
présenteront des sujets d’étude normalement différents d’une année
sur l’autre et exclusifs de l’aspect dépenses, à trois exceptions près :
les cours des années 1928-1929, 1929-1930 et 1930-1931 emportent le
même titre « Théories générales sur les phénomènes financiers, les
dépenses publiques, le crédit public, les taxes, l’impôt 16 ». Au
regard des considérations développées en termes de dépenses
publiques en 1922, ce cours a pour principale qualité de nous
montrer la progression de la réflexion de Jèze sur le sujet : il
convient d’y voir au regard des difficultés que soulevait
antérieurement l’auteur, des hypothèses émises, une pensée cette
fois véritablement et définitivement aboutie. Le Cours de finances
publiques 1929-1930 – qui va nous servir de référence ici – se veut un
ensemble de « Théories générales sur les phénomènes financiers 17
». Au même titre que le crédit public, les taxes ou l’impôt, les
dépenses publiques se voient donc appréhender sous l’angle
ambitieux et nouveau de la théorie générale. Le point de départ de la
réflexion de Jèze réside ici dans l’imprécision des termes et le sens
large qui entourent l’expression « dépenses publiques », « même
dans les ouvrages de comptabilité publique ». Il considère que les
mots « dépenses publiques » s’appliquent indifféremment aux
crédits, c’est-à-dire aux autorisations données par le Parlement, aux
engagements de dépenses, aux dettes elles-mêmes, aux ordres de
paiement ou encore aux paiements. Il est nécessaire selon lui que
soit précisée au moyen d’un qualificatif la dépense que l’on vise :
dépense autorisée, dépense engagée, dépense constatée, dépense
ordonnancée, dépense payée. Mais plus encore, il invite le lecteur à
dépasser ce premier stade de « l’opération complexe » que constitue
la dépense, pour mieux se plonger dans une théorie générale des
dépenses publiques.
« Dans une théorie générale des dépenses publiques, il y a lieu
d’étudier :
1. L’aspect politique et l’aspect financier des dépenses publiques ;
2. Les éléments essentiels de la notion de dépense publique ;
3. Les caractéristiques des dépenses publiques par comparaison avec les dépenses des
individus ;
4. Le fait et les causes de l’accroissement des dépenses publiques, ainsi que la mesure
dans laquelle une dépense publique entraîne une charge pour les individus ;
18
5. Le classement et la classification des dépenses publiques .»
Ces cinq thèmes de réflexion correspondent aux titres donnés aux
cinq chapitres qui vont donc structurer le livre premier de ce cours
professé en 1930 et intitulé « Les dépenses publiques ». Chacun de
ces thèmes est à appréhender pour lui-même et naturellement aussi
dans une perspective globale et agrégative les uns par rapport aux
autres. Il conviendra ici de présenter cette théorie générale dont la
caractéristique essentielle est de se voir construite précisément
autour de l’utilité publique de la dépense (partie I) et d’où il ressort,
par ailleurs, que les préoccupations de l’auteur se situent
étonnamment dans le droit-fil des logiques réformistes
contemporaines (partie II).

I. Une théorie générale qui se construit


principalement autour de l’utilité publique de
la dépense
Cette théorie générale s’est progressivement élaborée au fil des
premiers écrits de Jèze. Il est particulièrement intéressant de
comparer ici les développements successifs que l’auteur consacre à
la dépense publique sur vingt ans. Les « copiés-collés » n’existaient
certes pas encore, mais pourtant le corps du texte reste le même, que
soient considérés un premier article paru à la RSLF en 1911 19 , le
Cours de science des finances et de législation financière française de 1922,
un second article de la RSLF de 1928 20 et enfin le Cours de finances
publiques 1929-1930. Seules quelques formules, quelques paragraphes
nouveaux viennent enrichir la version première. Il y a donc chez
Jèze l’expression, d’une part, d’une grande continuité, et
l’expression, d’autre part, d’un approfondissement de la réflexion.
L’utilité publique se veut en tout état de cause centrale et ce dès
l’origine. La formulation clé selon laquelle « la dépense publique ne
peut avoir pour objet que l’utilité publique » se retrouve tout autant
inscrite dans l’article de la RSLF de 1911 21 qu’au sein du Cours de
finances publiques de 1930 22 (A). L’autre formulation, tout aussi
intéressante et très complémentaire selon laquelle « la division en
dépenses utiles et dépenses inutiles est la division fondamentale »
apparaît dans le cours de 1930 23 , comme avant dans le Cours de
science des finances et de législation financière française de 1922, à la
différence cependant qu’il ne s’agit pas encore de « la » division
fondamentale mais simplement d’« une » division fondamentale 24
(B).

A. « La dépense publique ne peut avoir pour objet que


25
l’utilité publique »

Cette citation est directement issue des développements relatifs au


thème n° 2 qu’il convient pour Jèze d’explorer dès lors que l’on
s’engage dans l’élaboration d’une théorie générale des dépenses
publiques. Il s’agit dans ce cadre de définir « les éléments constitutifs
de la notion de dépense publique dans les États modernes 26 ». Selon
Jèze, la dépense publique présente trois éléments essentiels
correspondant à l’emploi d’une somme d’argent, pour le compte
d’un patrimoine administratif, afin de satisfaire un besoin public. Il
va de soi que la satisfaction d’un besoin public est ici tout à fait
centrale. « Que faut-il entendre par satisfaction d’un besoin public
27
? ». À cette question, Jèze considère que « la notion de “besoin
public” est très difficile à préciser », car tout simplement changeante
suivant les époques et les pays. « Dans les États civilisés modernes,
c’est un élément essentiel ». Ce caractère découle tout à la fois des
notions modernes de service public d’une part, et de l’impôt d’autre
part : « la dépense publique ne peut avoir pour objet que l’intérêt
public » d’un côté ; « c’est l’impôt qui couvre la majeure partie des
dépenses publiques » de l’autre côté. « Or l’impôt doit peser
également sur tous les individus ; si certaines dépenses avaient pour
objet la satisfaction d’un intérêt privé, la règle de l’égalité des
individus serait violée ». La notion de besoin public tend par
conséquent à se confondre avec celle d’intérêt public.
Jèze nous explique que « dans les anciennes monarchies, on
confondait les dépenses privées du roi et les dépenses publiques… Il
fut un temps où l’on ne se préoccupait pas trop de l’objet de la
dépense, parce que l’on croyait que, économiquement, toute dépense
était un bien. Bodin, en 1576, disait que les dépenses publiques
étaient toujours une bonne chose : cela fait circuler l’argent. ». Les
économistes Adam Smith et Jean-Baptiste Say ont cependant montré
qu’il ne fallait pas confondre ces deux données différentes que sont «
la restitution de l’argent impliquée par la dépense et l’utilité de la
dépense. Toute dépense – qu’elle qu’en soit l’objet – aboutit à une
circulation d’argent ; mais si la dépense est faite pour un objet
inutile, il y a en réalité, une dilapidation de richesses. Le
contribuable verse son argent et ne reçoit rien en échange ». Les «
écrivains politiques » – on dirait aujourd’hui publicistes – ont quant
à eux « dégagé la notion objective de service public, distingué les
dépenses publiques des dépenses du roi, affirmé l’égalité des
individus devant les charges publiques ». Le résultat de cette double
évolution de ces « théories économiques et politiques a été la règle
moderne : la dépense ne peut avoir pour objet que l’utilité publique
». Et Jèze d’ajouter que « Beaucoup de constitutions politiques l’ont
formulée expressément ». Il donne en exemple la Constitution
fédérale des États-Unis (art. 1 § 8 : l’impôt ne peut être établi que « to
pay the debts and provide for the common defence and general welfare of
the U.S. »), ainsi que les nombreuses constitutions des États fédérés
qui comportent une formulation analogue ; il fait également
référence pour la France à toutes les constitutions révolutionnaires
qui « contiennent une disposition expresse : Déclaration des droits
1789, art. 13… ».
La source première de l’analyse de l’utilité publique de la dépense
développée par Jèze trouve donc son fondement, notamment, dans
l’article 13 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen aux
termes duquel, « Pour l’entretien de la force publique, et pour les
dépenses d’administration, une contribution commune est
indispensable : elle doit être également répartie entre tous les
citoyens, en raison de leurs facultés ». Cette référence, essentielle
aujourd’hui pour tout juriste, ne saurait constituer une surprise : elle
s’inscrit dans une logique aux contours parfaitement bien balisés.
Elle est importante, car elle crédibilise aussi la suite de la
démonstration engagée par l’auteur. « Le besoin public peut-être
immédiat ou seulement lointain. Dans les États modernes, les
dépenses publiques faites en vue de satisfaire à des besoins publics
non immédiats sont très considérables : la politique des États
civilisés est, dans une très large mesure, une politique de prévoyance
». La démarche dans laquelle s’est engagé Jèze le conduit à classer
naturellement les dépenses entre elles, les unes par rapport aux
autres, et à distinguer ainsi « parmi les dépenses publiques de
prévoyance […] ce qu’on a appelé les dépenses de placement. Ce sont
toutes celles qui vont se traduire, pour les générations futures, par
une augmentation de revenus, une diminution de dépenses, une
amélioration notable de l’outillage national ».
Serait privilégiée aujourd’hui la dépense d’investissement en lieu et
place de la dépense de placement, ce que confirme l’approche
développée par l’auteur dans un premier temps. « Le placement peut
consister dans l’exécution d’un travail public dont l’exploitation par
l’État procurera au Trésor des recettes : chemins de fer, lignes
télégraphiques, téléphoniques, plantations de forêts, etc. Ce sont des
placements industriels. En réalité, il y a là, non pas une dépense,
mais plutôt une sortie de fonds ». Jèze, dans un second temps, va
également plus loin quant à cette notion de placement : « Le
placement peut consister en une réforme administrative, en une
amélioration notable de l’outillage national, desquelles résulteront
une réduction de dépenses, une plus grande facilité pour la
production nationale […], une plus grande productivité des impôts,
une plus grande sécurité […] Ici le placement n’est pas de la même
nature : les augmentations de recettes ou les diminutions de
dépenses sont beaucoup moins certaines : il y a vraiment dépense et
non pas sorties de fonds ». Ce thème de la réforme administrative se
veut naturellement très intéressant au regard de l’approche
contemporaine. Mérite d’être souligné ici le caractère aléatoire de
l’effet financier escompté.
Jèze montre, par ailleurs, qu’il est possible d’aller très loin dans la
voie de la satisfaction des besoins publics. Ainsi, est-il normal de
considérer que les dépenses de guerre « faites pour la protection des
individus » dans une optique par conséquent de défense nationale
répondent bien à un tel objectif. Jèze estime que certains « écrivains
allemands » ont cependant pu s’engager sur des chemins dangereux
à considérer les dépenses militaires.
« En 1855, un Allemand, Dietzel, n’a pas craint d’affirmer que la guerre – non pas
seulement défensive, mais même offensive – est une cause légitime de dépenses
publiques. Les dépenses de ce genre peuvent tendre, en effet, à l’acquisition d’un
territoire bien placé, ayant de grandes richesses naturelles, à l’ouverture de
débouchés économiques pour l’industrie nationale, à la suppression ou à
l’affaiblissement de rivaux dangereux au point de vue économique, etc. ».
D’une façon plus générale, il y a là « un très grand péril qui menace
les démocraties modernes » tant « la notion d’intérêt public peut
être entendue dans un sens abusif ». « Les élus du peuple font
souvent de folles libéralités à leurs électeurs, dans l’espoir de
mériter leur reconnaissance et de se faire réélire ». Les dépenses
publiques vont dès lors se répartir en dépenses utiles et dépenses
inutiles : une telle répartition constitue en soi pour Jèze LA « division
fondamentale ».

B. « La division en dépenses utiles et dépenses inutiles


28
est la division fondamentale »

Cette citation correspond très précisément à la dernière phrase


assurant la liaison entre les développements du thème n° 3 (« les
caractéristiques des dépenses publiques par comparaison avec les
dépenses des individus ») et ceux du thème n° 4 (« le fait et les
causes de l’accroissement des dépenses publiques, ainsi que la
mesure dans laquelle une dépense publique entraîne une charge
pour les individus »). L’un et l’autre thème placent au centre de la
réflexion « les individus », omniprésents tout au long de l’étude (soit
en position d’usagers, soit en situation de contribuables). La
distinction entre « dépenses utiles » et « dépenses inutiles »
correspond à l’un des classements opérés par l’auteur au titre des
premiers développements du thème n° 5 (« le classement et la
classification des dépenses publiques »).
Jèze fait progresser sa théorie générale des dépenses publiques
autour de leur utilité au fur et à mesure que sont abordées les
différentes thématiques qui en sont constitutives. Ici, « l’intérêt
public » de la dépense précédemment rencontré se mue en « intérêt
général », notion phare du droit administratif qui, étrangement
jusqu’à présent, n’avait pas encore été utilisée 29 . « L’objet de la
dépense publique doit être d’intérêt général et non d’intérêt
particulier ». C’est principalement ce qui va distinguer les dépenses
publiques des dépenses des individus.
« Cette préoccupation des intérêts généraux ne doit jamais être perdue de vue :
elle rend à peu près impossible les comparaisons entre les exploitations d’État et
les exploitations privées. Une société commerciale, un individu cherchent avant
tout et exclusivement le bénéfice pécuniaire immédiat. Il ne faut ni s’en étonner,
ni s’en indigner ; le capitaliste qui place son argent en actions d’une société
concessionnaire de service public […] se préoccupe exclusivement du dividende
prochain : il ne s’inquiète pas de rendre service au pays. L’exploitation publique a
d’autres objets en vue et de portée plus lointaine. Ceci fait que telle dépense,
qu’une société commerciale bien administrée n’engagerait certainement pas, est
considérée comme nécessaire dans l’exploitation publique. Exemple :
distribution et levée quotidiennes de lettres dans les campagnes ; construction
de voies ferrées dans des régions sans trafic… Rien n’est plus absurde que de
reprocher à l’État de ne point exploiter les postes et les chemins de fer
commercialement. C’est justement parce que l’on veut que l’exploitation ne soit
pas commerciale que les postes, les chemins de fer sont organisés en service
d’État. Il ne faut jamais perdre de vue qu’une nation n’est pas une entreprise
industrielle, mais une société de frères. Le point de vue social est prépondérant.
»
Le propos se veut extrêmement porteur et favorable pour les
services publics : « Les dépenses publiques doivent servir
uniquement à la satisfaction de besoins généraux ; elles doivent
toujours être dictées par l’intérêt général et non par des intérêts de
classe, de personnes ou de régions ».
Il est cependant très intéressant et très important de noter ici que
ces règles ne sont pas non plus dictées sans considérations
gestionnaires. Et c’est précisément dans le degré d’utilité de la
dépense, que la légitimité (et la poursuite…) de la dépense publique
va pouvoir s’apprécier.
« Il faut toujours comparer le degré d’utilité d’une dépense publique avec le coût
du service, avec le montant de la dépense. Un service public doit fournir, une
utilité générale, directe ou indirecte, au moins égale à la dépense qu’il entraîne.
En effet, une dépense publique a pour conséquence ordinaire un impôt, c’est-à-
dire un prélèvement sur les patrimoines individuels ; ce prélèvement n’est
30
justifié que s’il y a un résultat utile produit .»
Jèze inscrit donc la dépense publique dans un rapport arithmétique
au regard de son utilité. C’est précisément un tel rapport qui lui
permet de proposer sa « classification en dépenses utiles et dépenses
inutiles 31 » qu’il présente donc comme sa « division fondamentale
». Les trois autres classifications des dépenses publiques proposées
par Jèze se veulent très classiques. La classification dépenses
nationales et dépenses locales n’emporte guère de commentaire. La
répartition entre dépenses ordinaires ou normales et dépenses
extraordinaires ou anormales se réalise au regard du critère de la
périodicité annuelle. La distinction opérée entre dépenses
productives et dépenses improductives repose sur le fait objectif de
générer ou non des recettes : elle conditionne en tout état de cause
la division des dépenses en fonction de leur utilité qui nous importe
ici : « Toute dépense utile est productive. Toute dépense inutile –
même si elle procure au Trésor des recettes – n’est pas productive : à
côté des recettes qu’elle procure, il y a des charges de toute sorte
(pécuniaires et autres) qu’elle entraîne et qui l’emportent sur les
avantages 32 ».
Le postulat ainsi posé dans toute sa rigueur, se voit toutefois atténué
une première fois : « les dépenses utiles se divisent en dépenses pour
les services publics directement productifs de recettes pécuniaires
(ex. : construction d’un chemin de fer, d’une route ou d’un pont à
péages), et en dépenses pour des services indirectement productifs
de recettes pécuniaires (ex. : construction d’une route, d’une rue,
pour l’usage desquelles aucun péage n’est perçu ; guerre défensive
33
) ». Jèze considère à plusieurs occasions la situation de ces
dépenses utiles mais indirectement productives : elles ne « sont
productives que de bien-être, de sécurité, de paix sociale,
d’avantages économiques, intellectuels, moraux ; tout cela est
difficile à évaluer en argent, d’une manière précise, mais a une
valeur économique incontestable 34 ». Il admet en tout état de cause
« qu’il est difficile de traduire en chiffres les résultats des dépenses
publiques les plus sûrement productives (police, justice, instruction,
voies de communication, etc. 35 ) ». Le postulat se voit atténuer une
seconde fois :
« Il se peut que, au moment où elle est faite, une dépense soit inutile, c’est-à-dire
que les avantages directs ou indirects qui en résulteront ne correspondent pas au
quantum de la dépense faite […] Mais, il se peut que, plus tard, par suite d’un
certain développement économique imprévu, cette dépense d’abord inutile
36
devienne utile ».
Il apparaît très difficile de dire, au moment où une dépense publique
est engagée, si elle possède le degré d’utilité de nature à la légitimer :
« dès que les gouvernants constatent que le but visé n’est pas atteint
et ne peut pas l’être, ils ont le devoir de renoncer à la dépense 37 ».
Originellement, l’utilité de la dépense aura conditionné le recours
éventuel à l’emprunt qui ne saurait se concevoir, par principe, que
pour les dépenses de placement correspondant aux seules sorties de
fonds 38 . Jèze insiste évidemment sur l’usage qui doit être fait par les
gouvernants du recours à l’emprunt « qui permet de répartir, dans le
temps, la charge d’une dépense » et, par là même, de « maintenir le
rapport raisonnable entre les dépenses publiques et le revenu
national 39 » pour lequel, reconnaît l’auteur, il est bien difficile hors
période de guerre de dire où le point d’équilibre doit résider 40 . « En
fait, les gouvernants y recourent largement car, à peu près partout,
les dépenses publiques croissent plus vite que les revenus publics : la
conséquence est l’augmentation progressive des dettes publiques 41
».

II. Des préoccupations qui se situent


étonnamment dans le droit-fil des logiques
réformistes contemporaines
Jèze se fait à l’époque précurseur. Son approche des dépenses
publiques au sein de son Cours de finances publiques de 1930 l’exprime
parfaitement bien au moment de dresser la bibliographie du livre
premier qui leur est dédié :
« Peu d’ouvrages sont consacrés spécialement à l’étude des dépenses publiques
en général. Beaucoup de financiers affirment même que les dépenses publiques ne
font pas partie de la science des finances. Même aujourd’hui, les ouvrages de
finances ne consacrent aux dépenses publiques que des développements réduits ;
ils s’en occupent ordinairement à propos du budget. ».
Les auteurs auxquels renvoie ici Jèze se veulent exclusivement
étrangers au premier rang desquels figure sans surprise l’économiste
Allemand Wagner 42 . La démarche se veut dès lors audacieuse et
cette théorie générale des dépenses publiques élaborée alors est de
nature à nous surprendre encore aujourd’hui, à considérer les
thématiques qui sont au centre de la démarche contemporaine
aboutissant à la substitution de l’ordonnance organique relative aux
lois de finances du 2 janvier 1959 par la LOLF du 1er août 2001. De ce
point de vue, s’avèrent tout aussi intéressantes l’analyse qui sert à
initier la réflexion de Jèze et la conclusion à laquelle il aboutit : son
analyse relative à l’organisation parlementaire (A), sa conclusion
relative à l’organisation budgétaire (B) se situent étonnamment, en
effet, dans le droit-fil des logiques réformistes actuelles.

A. Au préalable, une organisation parlementaire devant


assurer la primauté du politique sur le financier

Les logiques gestionnaires évoquées dans la première partie de cette


étude s’avèrent particulièrement bien marquées chez Jèze, et cela
même dès l’instant où sa réflexion en matière de dépenses publiques
s’engage. Les considérations qui vont suivre trouvent
spécifiquement leurs sources dans les développements que l’auteur
consacre au thème n° 1 relatif à « l’aspect politique et l’aspect
financier des dépenses publiques ». Jèze entend bien marquer
d’entrée la place respective du politique et du technicien vis-à-vis de
la dépense publique. « En finances publiques, le rôle des techniciens
est considérable ; il n’est pas exclusif. Bien plus, il est secondaire en
ce sens que, ordinairement, les techniciens n’interviennent qu’après
les hommes politiques, une fois que ceux-ci ont résolu le problème
politique qui est à la base des problèmes financiers 43 ». Pour Jèze,
les dépenses soulèvent deux questions essentielles :« 1. Quelles sont
les dépenses publiques à faire ? 2. Comment les faire de manière à
obtenir, pour le minimum de dépense, le maximum de services ou de
marchandises, le maximum de rendement ? La première est une
question politique ; la deuxième est une question de technique
financière ».
Il appartient aux parlementaires d’apporter la réponse à la première
question posée. « Pour résoudre correctement les problèmes
politiques, les parlements sont les mieux placés, et non pas les
techniciens financiers ». Jèze part du constat selon lequel « L’État
moderne est un ensemble de services publics que les gouvernants
créent, organisent et dont ils assurent le bon fonctionnement ». Les
besoins de services publics ne se font pas les mêmes d’une époque à
l’autre, d’un État à l’autre.
« Aujourd’hui, la tendance est de multiplier les services publics et de les
perfectionner. Cette tendance se traduit par une loi financière bien connue, celle
de l’accroissement continu des dépenses publiques. Dans tous les États, on a
constaté que les dépenses publiques vont en augmentant. La foule croit
facilement que cet accroissement est nécessairement une mauvaise chose, le signe
d’une gestion financière maladroite ou malhonnête. Il n’en est rien. À coup sûr,
l’accroissement des dépenses publiques peut résulter du gaspillage et de la
malversation. Mais il provient aussi de l’accroissement du nombre de services
publics et de leur perfectionnement. C’est une tout autre chose. Il est absurde de
se plaindre de l’accroissement continu des dépenses publiques sans en
rechercher les raisons diverses. Par exemple, les gouvernants d’un pays donné
décident de construire des routes, des chemins de fer, des canaux, des ports, des
écoles, un réseau télégraphique, téléphonique, etc. En principe en agissant ainsi ;
ils remplissent leur devoir. Mais le montant des dépenses publiques va croître
considérablement. Chaque perfectionnement du service aboutira, presque
fatalement, à une augmentation des dépenses, même si la gestion financière est
habile et honnête. »
Si la gestion financière fait ici une entrée remarquée dans le champ
de la réflexion, il ne lui appartient pas de résoudre certaines
difficultés d’ordre politique qui relèvent à l’évidence du Parlement.
En revanche, « une fois résolu le problème politique, une fois
constatés les services publics organisés par les gouvernants, le rôle
des techniciens financiers commence. Quels sont les meilleurs
moyens techniques financiers pour atteindre rapidement et
sûrement le but visé par les gouvernants ? Le fonctionnement d’un
service public nécessite des services personnels, des choses
(meubles, immeubles, argent). Quels sont les procédés les plus efficaces
pour se les procurer ? C’est une question de technique financière ».
La recherche de l’efficacité insoupçonnée a priori fait donc également
son apparition chez Gaston Jèze, la recherche « des meilleurs procédés
de technique financière pour faire fonctionner, avec la plus grande efficacité
et aux moindres frais, les services publics organisés » : le propos est
fondamentalement inscrit dans la modernité. L’approche elle-même
consistant à distinguer entre le choix politique de la dépense
publique réservé au Parlement d’une part, et le choix technique
appartenant au gestionnaire quant à la façon d’utiliser l’argent
public pour le meilleur service public possible d’autre part, n’est pas
non plus sans rappeler le mode d’organisation générale qui a présidé
à la réforme du texte organique relatif aux lois de finances.

B. Au final, une organisation budgétaire devant se


réaliser d’après l’objet des dépenses

Il convient naturellement ici de se garder de tout anachronisme


incongru, et de voir dans les écrits de Jèze les prémices de la LOLF. Il
s’agit simplement d’apprécier dans le cadre d’une approche relative
à l’histoire de la gestion des finances publiques en quels termes, si
celui qui est considéré comme le plus grand juriste spécialiste de la
matière du début du XXe siècle avait intégré dans sa réflexion une
telle logique gestionnaire. Les éléments qui viennent d’être
présentés à l’instant se veulent particulièrement démonstratifs. Ils
doivent être cependant complétés par l’approche que Jèze met en
œuvre à l’égard du mode d’organisation budgétaire existant en 1930
et jusqu’à la période contemporaine. Les considérations suivantes
résultent de l’analyse des derniers développements du thème n° 5
constitutif de sa théorie, qui viennent compléter précisément « le
classement et la classification des dépenses publiques » déjà évoqués
précédemment 44 .
« Il est indispensable, pour la bonne administration des dépenses publiques, que
les pouvoirs publics établissent, dans les budgets, dans les comptes, dans les
statistiques, un bon classement, un bon groupement des dépenses. Le groupement
doit être fait d’après l’objet des dépenses. Un bon groupement des dépenses
publiques d’après leur objet n’est pas seulement une satisfaction donnée au
besoin d’ordre, de logique et de systématisation ; c’est par-dessus tout une
condition essentielle pour que la gestion financière d’un pays soit claire, sincère, économe.
»
Les promoteurs de notre nouveau texte organique ne renieraient
aucunement une telle préoccupation : pas de gestion financière
possible sans sincérité des comptes. Il est donc nécessaire de revoir
l’organisation budgétaire et plus particulièrement d’opérer un
classement des dépenses publiques au regard d’une nomenclature
revue et corrigée. « En France, le groupement des dépenses
publiques est très défectueux. Les dépenses sont groupées non par
objet, mais par ministère ; les dépenses de chaque ministère sont
classées au petit bonheur. »
« Au premier abord, il semble qu’il y ait un principe de classification rationnelle
[…] si l’on va dans le détail l’on s’aperçoit qu’il n’y a pas en réalité de groupement
logique. Chaque ministre énumère ses dépenses à la queue leu leu, sans ordre ni
méthode, au hasard des circonstances, sans vouloir se plier à un principe général
uniforme de groupement. Le ministère des Finances a toujours opposé la plus
vive résistance à toute mesure de regroupement. Aussi, le budget général des
dépenses est-il un amas incohérent. Au cours du temps, on modifie, on retouche,
on ajoute, on supprime. Les rubriques données aux chapitres de dépenses sont
souvent libellées en termes vagues, si bien qu’on ne sait pas pour quel objet la
dépense est demandée. Il n’est pas rare que, pour un même objet de dépenses,
des crédits soient répartis entre plusieurs ministères ou dans un même ministère
entre plusieurs chapitres. Cette pratique semble voulue par les bureaux dans le
but de dissimuler le montant total d’une dépense en la morcelant et en la
distribuant dans différents coins du budget. Pour savoir ce que coûte tel ou tel
service, il faut dépister ces manœuvres, se livrer à des rapprochements très
difficiles. Dans ces conditions, un contrôle sérieux de la dépense n’est pas
possible. »
Nous n’en sommes pas encore à concevoir les missions et
programmes, mais la critique est cinglante et, surtout, elle ne date
pas de 1930 : Jèze écrivait déjà en 1914 qu’« un même service voit ses
crédits répartis entre plusieurs ministères et pour savoir ce que
coûte au juste tel ou tel service, il faut se livrer à des
rapprochements difficiles, parfois impossibles ». Jèze commentait
alors l’article 98 de la loi de finances du 15 juillet 1914 qui initiait «
une réforme qui, si elle est continuée, pourra être considérable. La
loi de 1914 ne prescrit, hic et nunc, aucune classification nouvelle des
dépenses et des recettes publiques ; mais elle la prépare 45 ». La
guerre annihilera naturellement toute velléité en la matière. Il n’en
demeure pas moins qu’à l’initiative du député Marin 46 , comme en
témoignent d’autres auteurs que Jèze comme le professeur Julien
Laférrière dans la RSLF de 1913, « de divers côtés, on se préoccupe de
procéder à une classification rationnelle des dépenses permettant de
mieux saisir le coût des différents services et leur importance
relative 47 ». Retrouver la thématique de l’évaluation chez Jèze en
1930 ne constitue donc pas en soi une surprise : « Le rapprochement du
coût des services et de leur rendement, la détermination de l’importance
relative de chaque service par rapport aux autres services et par
rapport aux recettes publiques et au revenu national doivent être
possibles et faciles ». Ce qui est vraiment surprenant, c’est la
modernité du propos et de la démarche prise dans sa globalité, à
savoir celle d’une théorie générale de la dépense publique.

Conclusion
Pour conclure, il peut être particulièrement judicieux, dans un
premier temps, d’apprécier la permanence susceptible d’exister
entre, d’une part, cette approche des années 1930 de la dépense
publique fondée sur son utilité publique et, d’autre part, l’œuvre de
reconstruction financière entreprise après 1945 en établissant un
parallèle avec l’article de Gabriel Ardant paru dans la Revue de science
et de législation financières de 1949 intitulé « Fondements économiques
et sociaux des principes budgétaires 48 » (et tout particulièrement
au regard de la seconde partie de l’article : « Insuffisance des
principes traditionnels. Nécessité de les compléter par la mesure du
coût et de l’utilité des services publics 49 »). Cet article témoigne de
la volonté de Jèze d’ouvrir les pages de la Revue dont il assure la
direction, aux idées neuves qui émergent après-guerre en termes de
dépenses publiques : ces idées neuves sont en relation directe avec la
création en 1946 du Comité central d’enquête sur le coût et le
rendement des services publics dont Gabriel Ardant, Inspecteur des
finances, fut précisément le premier secrétaire général 50 .
Pour autant, il convient aussi, dans un second temps, de s’interroger
sur le fait qu’une telle continuité nous échappe totalement
aujourd’hui : cette réflexion d’avant-guerre de Jèze sur la dépense
publique est tout simplement occultée, absente de tout
référencement contemporain. Il est ainsi particulièrement choquant
de constater qu’à aucun moment Ardant ne lui fait référence dans
cet article : Jèze n’y est jamais cité alors même que la modernité de
sa réflexion relative à l’utilité des dépenses publiques qui viennent
d’être exposées transcende ses écrits d’avant-guerre. Pour reprendre
ses propres mots, Ardant renvoie essentiellement aux travaux des «
techniciens » de l’époque comme Robert Jacomet, présidant la
commission en charge de l’avant-projet de loi organique devant
régler le mode de présentation du budget prévu par l’article 16 de la
Constitution du 27 octobre 1946, pour mieux rejeter les auteurs du
début du siècle comme Leroy-Beaulieu, qualifiés alors de « libéraux
». Il est dommage que ce travail de Gabriel Ardant, considéré
aujourd’hui par la doctrine comme « Le » grand article sur les
dépenses publiques de l’après-guerre, ne se soit pas révélé
intellectuellement un peu plus honnête à l’égard de Jèze : en 1949, ce
dernier a 75 ans et son œuvre derrière lui… En termes d’explication,
il y a très certainement ici à avancer l’orientation générale prise par
les Finances publiques de l’après-guerre et le rejet en effet d’une
certaine conception libérale des finances qu’incarne indirectement
Jèze, au profit des logiques keynésiennes triomphantes d’alors. En
portera ainsi définitivement la marque l’article de Pierre Lalumière
paru à la Revue de science financière de 1963 « Les cadres sociaux de
la connaissance financière », dans lequel Jèze se voit directement et
nommément pris à partie 51 .
À l’heure où cependant la LOLF, entre autres objets, revient à une
conception de la loi organique débarrassée du dogme keynésien, il
n’est certainement pas totalement inutile de se replonger dans les
écrits de Jèze relatifs à cette dépense publique, dont on considérera,
en tout état de cause, qu’ils ne sont pas aussi « classiques », comme
certains ont trop souvent voulu, et malencontreusement, le laisser
penser.

NOTES
1. Cette publication fait suite à une communication prononcée le 12 juin 2007 dans le cadre
de l’Institut de la gestion publique et du développement économique, séminaire « Histoire
de la gestion des finances publiques de 1815 à nos jours », organisé par le Comité pour
l’histoire économique et financière de la France, Institut de la gestion publique et du
développement économique.
2. « Gaston Jèze, économiste financier », RSLF 1954, p. 32.
3. Henry Laufenburger et M. Cluseau, « La Revue a cinquante ans », RSLF 1956, p. 5.
4. Claude-Albert Colliard, « Gaston Jèze, théoricien des finances publiques », RSLF 1954, p. 8.
5. Paris, Giard et Brière.
6. Maurice Duverger, « Gaston Jèze, juriste financier », RSLF 1954, p. 21.
7. Cf. les éditions chez Giard des ouvrages Les principes généraux du droit administratif (6
volumes) à partir de 1925 et Les contrats administratifs (4 volumes) à compter de 1927.
8. Paris, V. Giard et E. Brière libraires-éditeurs. Préface p. VI. Le plan proposé est le suivant :
I – Le budget. Théorie générale. Les pouvoirs du Gouvernement et des chambres législatives
en matière de dépenses et de recettes publiques ; II – Le budget. La procédure et les
méthodes budgétaires. La période budgétaire ; III – La comptabilité publique. L’engagement
et le paiement des dépenses publiques. La création et le recouvrement des recettes
publiques ; IV – Le service de la trésorerie ; V – Le contrôle des opérations financières ; VI –
Les dépenses publiques ; VII – Le crédit public. La dette publique ; VIII – Les revenus publics.
Théorie générale. Le domaine. Les exploitations industrielles et commerciales. Les taxes ; IX
– Théorie générale de l’impôt ; X et XI – Étude particulière des différents impôts ; XII – Les
finances des administrations locales et spéciales : budget, comptabilité, contrôle, dépenses
et recettes.
9.Les finances de guerre (1914-1918), édité par Marcel Giard entre 1915 et 1919 pour la France,
comporte quatre volumes ; entre 1915 et 1923 pour l’Angleterre, il en comporte sept. Voir P.
Coulbois, « Gaston Jèze et les finances de guerre », RSLF 1954, p. 37 sqq.
10. « Gaston Jèze, juriste financier », op. cit., p. 19.
11. Paris, Marcel Giard libraire-éditeur.
12. Voir, annexée à l’hommage que rend à Jèze après sa mort la Revue de Science et de
Législation financières 1954, la bibliographie complète des Cours de finances publiques édités
par Marcel Giard, p. 52 (1924-1925 : La technique du crédit public. Le remboursement de la
dette publique ; 1925-1926 : La date de remboursement de la dette publique. Histoire de
l’amortissement en France ; 1926-1927 : La date de remboursement de la dette publique.
Histoire de l’amortissement en Angleterre ; 1927-1928 : Théories générales sur les
phénomènes financiers. Le crédit public. Les taxes. L’impôt ; 1928-1929, 1929-1930 et 1930-
1931 : Les dépenses publiques. Le crédit public. Les taxes. L’impôt ; 1931-1932 : Théorie
générale sur les revenus publics. Les revenus du domaine et des exploitations d’État. Les
taxes. L’impôt ; 1932-1933 : Théorie générale des revenus publics. Théories générales des
taxes et de l’impôt ; 1933-1934 : Théorie générale des revenus publics. Théories générales
des taxes et des impôts. Étude particulière des différents impôts (impôts personnels) ; 1934-
1935 : Théorie générale des revenus publics. Théories générales des taxes et des impôts.
Étude particulière des différents impôts ; 1935-1936 : Théorie générale de l’impôt. Étude
particulière des différents impôts).
13. Gaston Jèze est l’auteur en 1896 d’une Étude théorique et pratique sur l’Occupation comme
mode d’acquérir des territoires en droit international.
14.JO du 27 novembre 1917, annexe p. 279 sqq.
15. Voir C. Rist, « Gaston Jèze : l’homme », RSLF 1954, p. 5-6 et M. Cluseau, « Gaston Jèze et la
monnaie », RSLF 1954, p. 33 sqq. Gaston Jèze publie en 1932 La stabilisation des monnaies.
16. Cf. supra la note de bas de page n° 11.
17. Paris, Marcel Giard libraire-éditeur, 1930.
18.Cours de finances publiques 1929-1930, op. cit., p. 36.
19. « Les éléments constitutifs de la dépense publique dans les États modernes », p. 365.
20. « Aspect politique des problèmes financiers », p. 26.
21.Op. cit., p. 372-373.
22.Op. cit., p. 48-49.
23.Cours de finances publiques 1929-1930, op. cit., p. 77.
24.Cours de science des finances et de législation financière française, op. cit., p. 51. Dans l’édition
de 1922, il est fait renvoi pour la mise en œuvre de cette classification entre dépenses utiles
et dépenses inutiles aux théories générales sur le crédit public p. 242 sqq.
25.Cours de finances publiques 1929-1930, op. cit., p. 49 (mais antérieurement aussi RSLF 1911, p.
371-372).
26. Titre donné au chapitre II du livre premier du Cours de finances publiques 1929-1930, op. cit.,
p. 43.
27. Se reporter ici pour les développements qui vont suivre aux pages 47 à 51 du Cours de
finances publiques 1929-1930. L’article « Les éléments constitutifs de la notion de dépense
publique dans les États modernes », paru à la RSLF 1911, exposait déjà l’essentiel de ces
différents points en des termes très souvent identiques.
28.Cours de finances publiques 1929-1930, op. cit., p. 77. La formule se retrouve également au
terme du chapitre II de la première partie du livre premier du Cours de science des finances et
de législation financière française de 1922, op. cit., p. 51.
29. Se reporter ici pour les développements qui vont suivre aux pages 71 à 74 du Cours de
finances publiques 1929-1930. Le Cours de science des finances et de législation financière française
de 1922 exposait déjà l’essentiel de ces différents points en des termes très souvent
identiques (p. 46 sqq).
30.Cours de finances publiques 1929-1930, op. cit., p. 73.
31.Cours de finances publiques 1929-1930, op. cit., p. 112-113.
32.Ibid., p. 112. Postulat antérieurement inscrit dans le Cours de science des finances et de
législation financière française de 1922, mais dans le cadre de la présentation des théories
générales sur le crédit public, op. cit., p. 242.
33.Cours de finances publiques 1929-1930, op. cit., p. 112.
34.Op. cit., p. 111.
35.Op. cit., p. 71.
36.Op. cit., p. 112.
37.Op. cit., p. 73.
38.Op. cit., p. 215-217. Cf. supra IA.
39.Op. cit., p. 75.
40.Op. cit., p. 74.
41.Op. cit., p. 75.
42.Op. cit., p. 35.
43. Les extraits utilisés ici sont issus du chapitre premier du livre premier du Cours de
finances publiques 1929-1930, op. cit., p. 37-42. Ce chapitre avait quasiment au mot près fait
l’objet d’une publication au sein de la RSLF 1928 sous le titre « Aspect politique des
problèmes financiers », p. 26.
44.Cours de finances publiques 1929-1930, op. cit., p. 122-127. Cf. supra I. B.
45.RSLF 1914, Chronique, p. 503-504. L’article 98 de la loi de finances du 15 juillet 1914 y est
reproduit.
46. Cf. tout d’abord le rapport sur les comptes du ministère des Affaires étrangères pour
l’exercice 1907, Chambre des députés, n° 1170, 11 juillet 1911, suivi de la proposition de loi
tendant à assurer la clarté, la sincérité et l’unité des écritures budgétaires, n° 2196, 12 juillet
1912.
47.RSLF 1914, Chronique, p. 99 sqq.
48.Op. cit., p. 406 sqq.
49.Op. cit., p. 429.
50. Cf. Florence Descamps, « La création du Comité central d’enquête sur le coût et le
rendement des services publics : 1946-1950 », Revue française d’administration publique hors-
série 2007/5, p. 27 sqq.
51.Ibid., p. 35 : « Les seuls problèmes réels des finances publiques du XIXe siècle ont été des
problèmes politiques et par conséquent des problèmes juridiques. En faisant du Parlement
source de toute légalité la pièce maîtresse de leur système, les auteurs classiques donnaient
forcément dans leurs études la primauté au droit. L’enrobement juridique a été une
conséquence de leur parti pris politique. Certains auteurs ont pu ainsi de bonne foi (par
exemple G. Jèze) défendre une conception politique de la science des finances et ne traiter
en réalité que l’aspect juridique des finances publiques (en pratique les diverses techniques
financières). Cette position était d’une grande habileté tactique. En abritant derrière une
réglementation juridique leur volonté politique, les financiers classiques et les milieux
libéraux donnaient mauvaise conscience à leurs adversaires. Le droit financier a été utilisé
comme une arme de combat idéologique au service d’une certaine conception des rapports
politiques. C’est en ce sens que l’on peut dire que dans le contexte du XIXe siècle la science
des finances classiques a été « progressiste ».

AUTEUR
MATTHIEU CONAN

Matthieu Conan est professeur agrégé de droit public à l’université de Paris-Ouest-


Nanterre-La Défense. Il y assure la fonction de doyen de l’UFR Droit & Science politique
depuis 2009, après y avoir dirigé durant deux années l’IPAG. Auteur d’une thèse de doctorat
consacrée à La non-obligation de dépenser (Bibliothèque de Science financière, LGDJ 2004,
Paris, 425 p., préface de Lucile Tallineau), il enseigne les finances publiques et le droit fiscal
au sein des M2 Droit public général et M2 Gestion des collectivités territoriales de l’UFR,
ainsi que dans la Préparation aux concours administratifs de catégorie A de l’IPAG. Il
codirige, par ailleurs, depuis 2008 le Centre de recherche sur le droit public (CRDP) de
l’université. Il vient de participer au commentaire et à l’annotation de la troisième édition
du Code des juridictions financières à paraître aux éditions du Moniteur en début d’année 2013,
après avoir assuré l’actualisation de la sixième édition du Mémento Finances locales, en
collaboration avec le professeur Raymond Muzellec. En préparation avec le même auteur, la
seizième édition du manuel Intégral concours Finances publiques aux éditions Dalloz-Sirey.
Matthieu Conan est membre du Conseil des prélèvements obligatoires depuis le mois de
juillet 2012.
Le grand réveil de la Cour des
comptes (1914-1941) : du jugement des
comptes au contrôle de la gestion des
administrations
Florence Descamps

Introduction
Il est communément admis que, depuis les grandes réformes
budgétaires et comptables de la Restauration et de la monarchie de
Juillet qui ont renforcé le rôle de la Cour des comptes fondée en 1807
par Napoléon Ier 1 jusqu’aux innovations de la Libération et de la IVe
République commençante, la Cour des comptes, appuyée sur
l’indestructible monument du décret de 1862 sur la Comptabilité
publique, aurait vécu un long fleuve tranquille, celui des institutions
vénérables et établies, placées à l’écart de la gestion des affaires
courantes. Pourtant, pouvait-elle traverser la première moitié du
XXe siècle, deux guerres mondiales, une crise politique, financière et
budgétaire majeure de l’État, un changement de régime politique,
sans voir sa place réexaminée au sein du système de gestion des
finances publiques ? Pouvait-elle échapper au vaste ébranlement qui,
dans l’entre-deux-guerres, a atteint l’État, ses missions, son
organisation, son fonctionnement et sa représentation ? De fait, le
premier XXe siècle apparaît pour la Cour des comptes comme un
moment particulièrement dense en questionnements, en projets et
même en réalisations, signant son réveil après un long
assoupissement et marquant son irruption sur le devant de la scène
de la réforme de l’État et de la gestion publique. Alors que les
contraintes politiques, économiques et financières de l’entre-deux-
guerres font du contrôle budgétaire une préoccupation centrale des
pouvoirs publics, ces derniers pouvaient-ils ne pas s’intéresser à la
place et au rôle de la Cour des comptes dans le contrôle de la
dépense ? Cette dernière devait-elle rester inféodée au ministère des
Finances, devenir l’auxiliaire active du Parlement ou bien se
constituer en troisième pôle indépendant dans une triangulation la
reliant d’un côté au pouvoir exécutif (le ministère des Finances ou la
Présidence du Conseil) et de l’autre au pouvoir législatif (les
commissions des finances de deux Chambres) ? Jusque-là cantonnée
à la toute extrémité de la chaîne de l’exécution budgétaire, assignée
au strict jugement des comptes et des comptables, sous-utilisée, ne
pouvait-elle prendre une part accrue dans le contrôle des
ordonnateurs et dans le contrôle de la gestion des administrations,
voire dans leur gestion tout court ? Pour ce faire, quelle mue devait-
elle accomplir et quels outils de gestion devait-elle forger ? C’est de
cette ambition que nous voulons tracer les linéaments, en essayant
de restituer les tâtonnements et les initiatives qu’ont prises en
faveur de la rénovation de la Cour des comptes les différents acteurs
du système financier entre 1914 et 1941.

I. Le temps des propositions, 1914-1924


A. Le projet de loi Caillaux de janvier 1914
Si Joseph Caillaux est passé à la postérité dans l’histoire des finances
publiques pour les réformes fiscales qu’il est parvenu à faire voter
entre 1900 et 1914, et en particulier celle de l’impôt sur le revenu, il
ne faut pas oublier que cet inspecteur des Finances qui est l’un des
premiers ministres des Finances techniciens du XXe siècle, s’est
également intéressé au système comptable et budgétaire, et
notamment au contrôle de la dépense publique. En 1909, Caillaux
crée une première commission sur le contrôle administratif de
l’exécution du budget, dont les importants travaux sont prolongés
par la commission Klotz de 1911 sur le contrôle des dépenses
engagées et aboutiront à la loi du 15 juillet 1911. Revenu rue de
Rivoli en 1913, désireux de parachever le système mis en place par
Klotz, Caillaux remet l’ouvrage sur le métier et, le 15 janvier 1914,
dépose sur le bureau de l’Assemblée un ambitieux projet de loi
portant organisation du contrôle de l’exécution du budget 2 .
Ce texte monument n’a pas de précédent et va constituer pendant
plus de vingt ans la référence incontournable pour tous les
réformateurs désireux de rénover le système de contrôle budgétaire.
Il englobe dans un même texte la réforme du ministère des Finances,
qui se voit dotée d’un corps de contrôleurs aux pouvoirs renforcés, et
celle de la Cour des comptes, à qui le ministre souhaite confier en
dernier ressort et pour le compte du Parlement le contrôle supérieur
de la gestion des administrations. Toute l’originalité du projet repose
sur la revalorisation du rôle de la Cour des comptes, constituée en
second pilier du système financier à côté du ministère des Finances.
L’objectif ultime est de donner au Parlement les moyens de prendre
des « sanctions administratives » contre les fonctionnaires fautifs,
des « sanctions budgétaires » contre les administrateurs en
réduisant les crédits mal employés ou inutiles, et enfin « des
sanctions politiques en mettant au besoin en cause la responsabilité
ministérielle ». Dans cette organisation, la Cour des comptes est
conçue comme l’auxiliaire technique du Parlement et le principal
organe d’information des Chambres, tout en se voyant placée au
sommet du système pyramidal de contrôle administratif et
budgétaire.
Le projet Caillaux du 15 janvier 1914 établit donc un contrôle
permanent des actes financiers des administrations, investit de ce
soin des agents du ministère des Finances, les contrôleurs des dépenses
engagées, et soumet au contreseing du ministre des Finances tous les
décrets, décisions et arrêtés ayant pour effet de créer des charges
permanentes pour l’État. En ce qui concerne les contrôleurs, le texte
prévoit qu’ils vérifieront dans le détail les opérations de recettes
effectuées par les administrations centrales, que leur seront soumis
tous les projets de lois ayant pour effet de créer des charges
permanentes pour l’État et toutes les demandes de crédit, qu’ils
surveilleront les lois, décrets et ordonnances, qu’ils signaleront les
erreurs, fautes et abus dans le maniement des deniers publics et
qu’ils proposeront les sanctions à prendre contre les
administrateurs, ainsi que toute mesure de réforme tendant à
perfectionner le fonctionnement des administrations ou à procurer
des ressources. Leurs observations seront validées par le Comité des
contrôleurs et transmises au ministre concerné ainsi qu’au ministre
des Finances qui en saisira la Cour des comptes. Leurs rapports
d’ensemble, accompagnés des explications données par les services
et des observations finales du Contrôle, seront transmis au premier
président de la Cour des comptes.
La mesure la plus innovante et la plus hétérodoxe tient à la création
à la Cour des comptes d’« une section spéciale du contrôle
budgétaire », qui pourra demander aux ministères de faire procéder
à des enquêtes sur tel ou tel point particulier, qui recevra les
rapports particuliers et les rapports d’ensemble des corps de
contrôle (l’Inspection des finances est évidemment visée dans cet
article) et les discutera selon une procédure contradictoire. Les
départements ministériels y seront représentés par des
commissaires du Gouvernement dotés d’une voix délibérative et la
Cour pourra s’associer la contribution de fonctionnaires « capables
de lui apporter des éclaircissements sur des affaires expressément
désignées, notamment des contrôleurs des dépenses engagées »,
dotés d’une voix consultative. Les infractions constatées feront
l’objet d’un rapport particulier au président de la République, publié
dans les huit jours par les soins du procureur général, tandis que le
rapport public annuel, délibéré au sein de la Section spéciale de
contrôle budgétaire, remis au plus tard le 15 juillet au président de la
République, sera publié dans les huit jours suivants directement par
le procureur général, sans l’intermédiation du ministère des
Finances 3 . Dans ce nouveau système, la Cour des comptes devient
l’organe de centralisation de l’information sur la gestion des
administrations et le siège de la coordination du contrôle budgétaire
pour le compte du Parlement.
Il n’est pas surprenant que le projet de loi ait suscité des objections
ou des oppositions, car les innovations contenues dans le projet
modifient l’équilibre des pouvoirs entre les différents acteurs
institutionnels et suscitent de nombreuses interrogations : quelle est
la nature du contrôle effectué par le contrôleur des dépenses
engagées sur l’ordonnateur (régularité ou opportunité) ? N’y a-t-il
pas un risque de rupture de l’égalité républicaine entre les ministres
au bénéfice du ministère des Finances ? Le ministère des Finances
peut-il accepter sans difficultés la communication des rapports des
corps de contrôle à la Cour des comptes, y compris ceux de
l’Inspection des finances et la publication indépendante par la Cour
de ses observations ? En instituant une section spéciale budgétaire,
Caillaux ne fait-il pas basculer la Cour, jusque-là pure juridiction, du
côté de la gestion des administrations ? L’ouverture des
délibérations de la Section spéciale budgétaire aux commissaires du
Gouvernement n’attente-t-elle pas à l’indépendance de la Cour ? Le
projet de loi Caillaux, novateur et ambitieux, ne laisse pas de
surprendre et suggère en tout cas que le ministre estime que la Cour
des comptes dispose en son sein des compétences financières et
comptables suffisantes pour réaliser cette réforme 4 .
De fait, dans les années 1910 et 1920, la Cour des comptes peut tout à
fait rivaliser numériquement et qualitativement avec la rue de
Rivoli, car elle dispose de ressources humaines et d’une expertise en
finances publiques largement équivalentes à celles du ministère des
Finances 5 . Et pour cause, la plupart de ses cadres supérieurs et
dirigeants proviennent de la rue de Rivoli ou y ont exercé des
responsabilités ; c’est ainsi que le premier président Charles Laurent
(1907-1909), le président Payelle (1908-1933), le président Courtin
(1913-1924), le procureur général Privat-Deschanel (1912-1920), le
procureur général Bloch (1913-1933), le conseiller maître Fravaton
(1913-1919), le conseiller maître Féret du Longbois (1917-1923), le
conseiller maître puis président de chambre Arnauné (1907-1926)
ont été directeurs aux Finances avant 1914, tandis que de jeunes
magistrats prometteurs ont fait leurs classes dans les services ou
dans les cabinets ministériels des Finances des années 1910 ou 1920
(de Fouchier, Labeyrie 6 )…
Voté par la Chambre des députés le 31 mars 1914, mais privé de son
principal porteur politique du fait de la démission du ministre
impliqué dans l’affaire Calmette, perturbé par le déclenchement de
la guerre, le projet de loi Caillaux, en dépit des efforts de Noulens,
ancien rapporteur général du Budget à la Chambre et ministre des
Finances du cabinet Viviani pendant l’été 1914 (projet de loi n° 313),
ne sera jamais voté par le Sénat.

7
B. La commission Selves de 1917-1918

Trois ans et demi plus tard, Louis Klotz, ministre des Finances de
Clemenceau, à la fois continuateur et compétiteur de Caillaux dans
l’ordre des finances publiques, reprend le dossier et installe en
décembre 1917 une commission « chargée d’étudier les réformes à
apporter dans l’organisation du Contrôle de l’exécution des budgets
». Présidée par le sénateur et ancien ministre Justin de Selves, mais
animée principalement par des magistrats de la Cour des comptes, la
commission organise son travail autour de trois axes : le contrôle
administratif, le contrôle « judiciaire » (on ne dit pas encore
juridictionnel), le contrôle parlementaire. Le projet de loi Caillaux
sert de base de travail en sous-commission, non sans quelques
divergences entre les rapporteurs. Ainsi, soucieuse de ne pas laisser
la Cour empiéter sur les prérogatives de l’exécutif, c’est rue de Rivoli
et non rue Cambon que la sous-commission Courtin du contrôle
administratif loge le comité budgétaire central et le Conseil de
discipline financière envisagés. À l’opposé, la sous-commission
Payelle du Contrôle juridictionnel, s’inspirant directement du projet
Caillaux, souhaite « fortifier le contrôle judiciaire » et accorder à la
Cour « des moyens nouveaux et des pouvoirs plus étendus,
notamment en ce qui concerne la gestion des ordonnateurs sur
laquelle elle n’a pas un droit de regard suffisant ». Sont ainsi
réclamées l’instauration d’un contrôle de la Cour sur les recettes et
les comptes spéciaux du Trésor, l’obtention d’un droit d’enquête au
sein des administrations, la transmission des rapports des corps de
contrôle des ministères à la Cour, notamment ceux du contrôle des
dépenses engagées et de l’Inspection générale des finances 8 , la
possibilité de convoquer les contrôleurs pour une discussion
contradictoire qui viendrait enrichir d’une procédure orale une
procédure jusque-là uniquement écrite (référés, déclarations
générales de conformité, rapport annuel). En revanche, le conseiller
maître Féret du Longbois se montre sceptique face à l’idée de
Courtin de créer un Conseil de discipline financière et ne reprend
pas non plus l’idée de Caillaux d’une section supérieure de contrôle
budgétaire logée à la Cour des comptes, il préfère opter pour une
publicité renforcée du rapport annuel. En dépit des divergences et
des hésitations qu’elles manifestent, les réflexions de Courtin,
Payelle, Bloch et Féret du Longbois, qui s’inspirent toutes du projet
Caillaux, attestent de l’existence d’un courant modernisateur en
faveur d’une rénovation du rôle de la Cour des comptes et d’un
rapprochement entre cette dernière et la gestion des
administrations.

9
C. Le projet Féret du Longbois de 1921

Aux lendemains de la guerre, alors que les charges publiques


explosent, la Chambre du Bloc national exige la réduction du déficit
budgétaire et un meilleur contrôle des dépenses publiques 10 . Tandis
que l’administration centrale du ministère des Finances est elle-
même en pleine réorganisation 11 et que la direction de la
Comptabilité publique se trouve submergée par l’arriéré comptable
issu de la guerre, la conférence des présidents de chambre de la Cour
des comptes se concerte sur la réponse à apporter à la proposition de
loi déposée en 1921 par le député Fleury-Ravarin, tendant à la
réforme du fonctionnement et du recrutement de la Cour des
comptes et prévoyant à la fois une auxiliarisation de la Cour par le
Parlement et un rapprochement du contrôle administratif et du
contrôle judiciaire 12 . Très attachée à la séparation des pouvoirs et à
son indépendance juridictionnelle, la Conférence charge le conseiller
maître Féret du Longbois d’élaborer un contre-projet plus en
harmonie avec la conception que cette dernière se fait de ses
missions. Le premier président rappelle d’entrée de jeu la « doctrine
» : « la Cour ne saurait être juge de l’utilité des dépenses autorisées
par le Parlement ni être à la fois l’organe du contrôle administratif et
du contrôle judiciaire » ; le contrôle administratif doit être assuré
par le ministre (et non par la Cour elle-même), assisté collégialement
d’un Comité de fonctionnaires supérieurs, chargé du contrôle à la
fois technique et financier des engagements de dépenses 13 . C’est la
doctrine Courtin qui s’oppose aux innovations avancées par Caillaux.
S’inspirant du projet de loi Caillaux de 1914 et des propositions de la
commission Selves de 1917, Féret du Longbois souhaite cependant
renforcer le contrôle de la Cour sur l’exécution du budget, mais il
récuse le modèle anglais de l’Audit Office proposé en modèle par le
député Fleury-Ravarin et ne souhaite pas voir la Cour s’engager dans
une discussion contradictoire avec les administrations sous le
contrôle des commissions des finances du Parlement. Il réclame
cependant la transmission à la Cour de tous les rapports de corps de
contrôle, qu’ils soient particuliers ou d’ensemble, ainsi qu’un droit
d’initiative pour la prescription de toutes les enquêtes et
investigations que la Cour jugera utile à Paris et en province ; ce
droit d’enquête serait octroyé à une commission spéciale qui sera «
l’organe d’instruction et d’approvisionnement du rapport public ».
De façon alambiquée, il suggère la création au ministère des Finances
« d’un organisme plus mobile et plus étroitement mêlé aux pratiques
quotidiennes des administrations, une commission qui serait
présidée par un président de chambre de la Cour » et qui siégerait
rue de Rivoli. Ce « Comité permanent de contrôle » serait l’auxiliaire
de la Cour et communiquerait avec elle sans intermédiaire ; il
comprendrait quatre magistrats désignés par le premier président,
trois inspecteurs des Finances choisis par le ministre des Finances, le
directeur du Budget et du Contrôle financier, le directeur de la
Comptabilité publique et les directeurs ou chefs de service de qui
relèvent les corps de contrôle des ministères.
Ainsi donc, Féret du Longbois a-t-il fini par se rallier à la proposition
Courtin de la commission Selves ! Sans doute espère-t-il qu’en
logeant ce « Comité permanent » rue de Rivoli et qu’en ménageant
une composition paritaire avec l’Inspection, ce dernier obtiendra
plus facilement la communication des rapports des inspecteurs des
Finances et des contrôleurs des dépenses engagées 14 . L’idée d’une
commission de discipline financière a quant à elle disparu, Féret du
Longbois ne voyant pas quelles sanctions crédibles cette commission
pourrait appliquer aux ordonnateurs et aux administrateurs
défaillants ! Au projet Fleury-Ravarin qui confiait au Parlement le
contrôle financier supérieur, au projet Caillaux qui introduisait le
contrôle budgétaire au sein de la juridiction, Courtin et Féret du
Longbois, en magistrats respectueux de la séparation des pouvoirs,
préfèrent celui d’un Comité permanent de contrôle rattaché au
ministre des Finances, mais auquel la Cour prendrait une part active.
Le projet Féret du Longbois, adopté à l’unanimité par la conférence
des présidents, reste sans suites politico-administratives, privé de
son principal initiateur qui meurt prématurément en juin 1921.

D. Le projet Lasteyrie de 1922

Poursuivant l’œuvre de Klotz et de Doumer, Charles de Lasteyrie,


inspecteur des Finances et ministre des Finances de Poincaré (1922-
1924), poursuit la rénovation et la rationalisation du système
financier public mis à mal par quatre années de conflit et débordé
par les nouvelles interventions économiques et sociales de l’État. Il
achève la réorganisation de l’administration centrale des Finances
(décret du 28 juin 1923) et s’attaque à la liquidation des dépenses de
guerre en créant le Service d’apurement des comptes spéciaux du
Trésor (loi du 1er décembre 1922) que Denoix, directeur du Budget de
1920 à 1925, qualifie de véritables budgets « occultes 15 ». C’est sous
son ministère que les travaux et les réflexions conjointes du pouvoir
exécutif et du pouvoir législatif sur le contrôle des dépenses
engagées aboutissent, avec la loi Marin du 10 août 1922 et le
règlement d’administration publique du 15 juin 1923, et que la loi
relative à l’apurement des comptes des exercices de guerre et des
exercices arriérés est votée 16 . En dépit de tous ces efforts, le
ministre des Finances voit son attention appelée par les difficultés
persistantes de la direction de la Comptabilité publique, de la caisse
centrale du Trésor et du Mouvement général des fonds en matière
d’écritures comptables et de suivi de la Trésorerie 17 . Au-delà des
difficultés conjoncturelles qui affectent la comptabilité aux
lendemains du conflit, se fait jour chez les responsables des finances
publiques l’idée selon laquelle nulle réforme du contrôle des
dépenses et des recettes ne peut être réalisée sans une réforme
préalable ou parallèle de la comptabilité publique.
En novembre 1922, Lasteyrie transmet à la Cour des comptes un
projet qui propose à la fois une réforme de la comptabilité publique
et une réforme du contrôle judiciaire 18 . D’après le rapport effectué
par Brin, conseiller référendaire promis à un grand avenir à la Cour
19
, les auteurs du projet ministériel proposent dans une première
partie une refonte totale du système comptable public : la
responsabilité des ordonnateurs se substituerait à celle des
comptables ; ce seraient les ordonnateurs qui présenteraient à la
Cour leurs comptes de gestion avec toutes les pièces justificatives et
qui assumeraient la responsabilité financière jusqu’alors assurée par
les comptables ; en conséquence, le contrôle des comptables sur les
ordonnateurs (article 91 du décret du 31 mai 1862) serait supprimé.
Le contrôle judiciaire des comptables du Trésor quant à lui serait
partagé entre la Cour des comptes et les Conseils de préfecture
institués juges de premier ressort.
Devant ce projet révolutionnaire, la réaction de la Cour des comptes
ne se fait pas attendre ; sous le phrasé administratif et lisse du
compte-rendu de la conférence des présidents perce l’indignation
des magistrats, ainsi que leur opposition frontale à la philosophie
administrative, financière et comptable du projet : réduction des
comptables à la fonction de caissiers, perte du contrôle des dépenses
des ordonnateurs, affaiblissement du ministre des Finances
contrôleur général de l’exécution du budget, absence de garantie
pour le Trésor public, risque de demande de hausse des traitements
ou d’indemnités spéciales des ordonnateurs, sanctions difficiles ou
inapplicables. Les présidents sont unanimes « pour que la
responsabilité des comptables soit intégralement maintenue » au
nom de « la sauvegarde de l’ordre comptable », du respect de[s] «
principe[s] de la loi organique de 1807 » et du décret de 1862. La Cour
des comptes partage néanmoins avec le ministre une préoccupation
centrale : comment « mettre en cause les ordonnateurs devant la
Cour pour des cas limités et précis », d’autant plus que dans de
nombreux cas les comptables ne sont au final pas sanctionnés ?
Dans une deuxième partie, le projet Lasteyrie prévoit une réforme
du contrôle judiciaire, qui confierait à la Cour le soin de juger
l’engagement et l’utilité de la dépense. On notera avec intérêt la
préoccupation nouvelle du ministre pour les résultats de l’action
administrative et son idée d’y associer la Cour des comptes, même si
le rapporteur la récuse aussitôt : selon Brin, le contrôle de
l’engagement échappe à la Cour, comme « le contrôle de l’utilité
échappe à la compétence de la Cour qui ne procède pas à des
enquêtes sur place et n’a pas de lumière technique 20 ». Par ailleurs,
Brin proteste contre la décentralisation du jugement des comptes,
s’insurge contre le fait de le confier aux conseils de préfecture qu’il
trouve trop peu compétents et offrant trop peu de garanties, et
dénonce le « fractionnement du contrôle judiciaire » qui constitue
un « retour aux anciennes chambres des comptes » ; il craint aussi le
recrutement d’agents supplémentaires dans les préfectures… Le
rapporteur se prononce donc pour le « maintien purement et
simplement d’un corps unique de contrôle judiciaire ».
Enfin, dans la troisième partie de son rapport, Brin se prononce
contre la modification des règles d’imputation (date
d’ordonnancement et non plus du service fait), contre la suppression
de la comptabilité des exercices clos et redit son attachement au
système de l’exercice, qui offre selon lui de meilleures garanties de
bonne gestion et de contrôle pour établir la situation financière des
budgets successifs. Au final, la conclusion de Brin est sans appel : « Il
n’y a à retenir du projet ministériel que quelques dispositions
accessoires » ; le projet ministériel est « inutile et dangereux 21 ».
Certes, le projet poursuit un but honorable : soulager la direction de
la Comptabilité publique, dégager des locaux pour le ministère des
Finances et pour la Cour des comptes ; certes, « les cadres actuels de
la Comptabilité publique sont insuffisants en quantité et en qualité
»… Mais il existe, selon le rapporteur, « d’autres moyens que le
bouleversement total de la comptabilité publique et la dispersion de
la Cour des comptes ». Et Brin de lister les voies à explorer : répartir
les attributions du TPG entre plusieurs types de comptables (par
spécialité), constituer la comptabilité publique en régie, inciter les
corps de contrôle à modifier leurs méthodes de travail et leur
trouver des débouchés dans la maîtrise, et surtout, reprendre le
rapport Féret du Longbois, approuvé par la Cour en 1921 et transmis
à Doumer, ministre des Finances à l’époque, qui propose un contrôle
accru des ordonnateurs et dont les conclusions répondent aux
préoccupations des commissions financières du Parlement. Selon le
rapporteur, l’intérêt principal du projet Féret du Longbois consiste
en la création d’un « comité permanent de contrôle et d’instruction
présidé par un président de chambre et dont la mission serait de
procéder à l’examen des rapports des corps de contrôle, d’y relever
pour les porter à la connaissance de la Cour des comptes les
irrégularités, les fautes et les malfaçons imputables aux
administrateurs et aux ordonnateurs, et de procéder avec les
pouvoirs les plus étendus à toutes recherches, constatations,
enquêtes sur pièces et sur place qui paraîtraient utiles ou seraient
demandées par la Cour, en vue de la préparation du rapport public
22
».
En 1922, le projet Féret du Longbois fait donc l’unanimité des
présidents de chambre, il constitue une voie moyenne pour la
rénovation de la Cour des comptes, entre une conception
strictement juridictionnelle qui apparaît désormais comme dépassée
et la solution hétérodoxe et aventureuse proposée par le ministre
des Finances Lasteyrie. Trop radical, trop étranger à la tradition
française et au droit budgétaire et comptable sédimenté depuis les
monarchies censitaires, le projet Lasteyrie est récusé ! Néanmoins,
de Caillaux à Brin, en passant par Courtin et Féret du Longbois, l’idée
d’un organe supérieur de contrôle budgétaire, placé dans la main de
la Cour des comptes, alimentant un rapport public rénové, fait son
chemin, s’attachant les esprits les plus ouverts et les plus
entreprenants…
Sous le cabinet Poincaré, alors que la réforme de l’État est pourtant
l’une des priorités de l’agenda gouvernemental 23 , une seule
réforme, à la veille de la chute du Gouvernement, concerne la Cour
des comptes, et elle est bien modeste : le décret du 13 mars 1924
oblige les ministres à répondre aux référés dans un délai de quatre
mois pour la métropole et de huit mois pour les colonies,
directement à la Cour, avec copie à la direction du Budget et du
Contrôle financier. La montagne accouche d’une souris ! Sous le
cartel des gauches, en 1925, en dépit du retour prometteur mais trop
éphémère aux Finances de Caillaux réhabilité, la réforme
structurelle du contrôle budgétaire et de la comptabilité publique
s’efface derrière les urgences monétaires et financières du moment
24
. À la fin des années 1920, en dépit des efforts de ministres et de
magistrats réformateurs, le volet Cour des comptes des projets de
réforme du système de gestion des finances publiques, qui
conjuguent une réflexion ancienne sur le contrôle de la gestion des
administrations et la volonté plus conjoncturelle aux lendemains de
la guerre de mettre en place un dispositif de contrôle budgétaire
permettant de réduire ou de réguler les dépenses 25 , n’a pas abouti ;
la Cour des comptes, après cette brève séquence d’effervescence
réformatrice, retourne sagement à sa mission séculaire : le jugement
des comptes. Pourtant, sous la pression de l’opinion, la Cour se voit
contrainte de se mettre en mouvement.

E. Premières mobilisations de la Cour des comptes

À l’instar de la direction de la Comptabilité publique 26 , la Cour subit


dans la seconde moitié des années 1920 de graves difficultés dans la
reddition des comptes, l’arriéré s’accumulant en même temps que
les liasses de pièces justificatives dans les arrière-cours de la rue
Cambon. Dès 1926 et jusqu’au milieu des années 1930, les désordres
et les retards français en matière d’apurement des comptes publics
font l’objet de critiques récurrentes de la part de l’administration
des Finances et de la Cour des comptes « en interne », ainsi que de la
part des parlementaires et des experts financiers internationaux qui,
au sein des diverses commissions internationales de la SDN, se
livrent à des études comparées des systèmes budgétaires et
comptables d’une soixantaine de pays (cf. le rôle éminent du
contrôleur général Robert Jacomet 27 ).
Les procès-verbaux des conférences des présidents de chambre, très
répétitifs et routiniers de 1923 à 1925, attestent à partir de 1926 de la
montée de la pression au sein de (sur ?) la Cour des comptes 28 . À
défaut de connaître une réforme refondatrice impulsée d’en haut,
prenant conscience de l’impérieuse nécessité qu’il y a à résoudre
l’arriéré comptable qui la discrédite, c’est sur sa réorganisation
interne que la Cour se penche. À partir de mars 1926 et tout au long
de l’année 1927 29 , puis de façon plus espacée jusqu’en 1931, de
nombreuses séances de la conférence des présidents, sous
l’impulsion décisive du procureur général Bloch 30 , sont consacrées
à la redéfinition des méthodes de travail des magistrats, à la
simplification des méthodes et à la recherche d’une hausse des
rendements : révision du barème des vacations des rapporteurs pour
accroître la qualité et le nombre des rapports ; adoption de la
vérification « par épreuves » et simplification des méthodes
d’examen des pièces justificatives ; recherche d’un meilleur
roulement des rapporteurs entre les Chambres ; recherche d’un
contrôle et d’une mesure des travaux effectués dans chaque chambre
; recherche d’une répartition méthodique et rationnelle des
comptabilités par chambre ; débat sur l’idée d’une spécialisation par
chambre 31 ou d’une spécialisation des magistrats en fonction de
leurs capacités ; fixation des semestres de travail et diminution de la
durée des vacances ; renforcement de la discipline des magistrats et
des rapporteurs concernant les retards, les absences injustifiées et
les négligences ; mise au point d’un « registre de charge » par
chambre et d’un registre particulier de charges par rapporteur ;
établissement d’une liste des commissions auxquelles participent les
magistrats… Fin 1929, les efforts commencent à porter leurs fruits et
le 20 novembre 1929, le premier président Payelle se félicite du fait
que les comptes de l’année 1918 vont enfin pouvoir être examinés et
que le Comité spécial d’apurement a réussi par son plan de réduction
de l’arriéré et par des « méthodes de célérité inédites » à couvrir les
années 1917-1920 ; il est alors décidé que les exercices 1926-1929
seront apurés de la même façon « expéditive ».
Outre ces efforts d’accroissement de la productivité, suite aux
plaintes des parlementaires qui déplorent la non-publication
annuelle du rapport public et les difficultés à se le procurer, le 1er
mai 1929, la conférence des présidents rouvre le dossier du rapport
public 32 ; ce dernier a été suspendu pendant les années de guerre et
n’est plus publié que tous les deux ans depuis 1918. Contre l’avis du
président Chotard qui s’inquiète de la capacité de la Cour à alimenter
un rapport public annuel (sic), sur l’insistance de Bloch qui propose
le renforcement du nombre de conseillers maîtres siégeant au
Comité du rapport public et la comparution directe du rapporteur
auteur du renvoi devant ce même Comité, la Cour des comptes
décide le retour au principe d’un rapport public annuel et demande
au ministère des Finances de distribuer le rapport au Parlement six
mois après sa transmission au président de la République, comme
avant 1914 33 . Sans succès. Finalement, le décret du 5 décembre 1929
fixe le délai de réponse des administrations à sept mois après les
observations de la Cour, progrès bien mince dans un calendrier
auquel son étirement retire toute efficacité. Ces perfectionnements
internes apparaissent fort timides par rapport aux projets des
années 1914-1921, et ce n’est qu’avec le ministère Tardieu début 1930
que la réforme du système de gestion des finances publiques et donc
de la Cour des comptes est remise véritablement à l’agenda.

II. Le temps de la maturation, 1929-1934


A. La commission Chéron pour la réforme de la Comptabilité
publique et du Contrôle (1930)

Le gouvernement Tardieu, qui bénéficie des fruits durables de la


stabilisation monétaire et du redressement budgétaire opérés par le
gouvernement Poincaré en 1926, entreprend un ambitieux
programme de modernisation économique et sociale (plan
d’équipement national, assurances sociales, etc.) et met en avant sa
volonté de réformer l’État, qu’il veut rendre moins aveugle et plus
efficace, notamment par l’appel aux « techniciens » 34 .
L’une des premières réformes administratives du cabinet Tardieu a
trait au système budgétaire et comptable. Le 27 décembre 1929, à
l’issue de seize années de débats mettant aux prises d’un côté les
juristes et les experts de finances publiques, de l’autre les directeurs
de la Comptabilité publique, les magistrats de la Cour des comptes et
les parlementaires de la commission des finances, la loi fixant la date
de l’ouverture de l’année financière au 1er avril au lieu du 1er janvier
est votée ; par ce changement de date, ses auteurs espèrent mettre
fin au système des douzièmes provisoires et voter le budget en temps
et en heure 35 . Dans la foulée, Chéron, ministre des Finances de
Poincaré puis de Tardieu, crée le 21 janvier 1930 la commission de
réforme de la Comptabilité publique et du Contrôle 36 , qu’il charge,
en application de la nouvelle loi, de mettre à jour les règles de la
comptabilité publique et du décret de 1862, d’étudier si le
changement de date doit être étendu aux collectivités locales et,
subsidiairement, si le système de la gestion doit être substitué à celui
de l’exercice. Rassemblant la quasi-totalité des experts de la
comptabilité publique de l’époque, divisée en trois sous-commissions
d’inégale importance, la commission, de simple commission
d’application qu’elle était à l’origine, se mue en commission
réformatrice et travaille pendant plus de quatre années sur
l’aggiornamento de la comptabilité publique et du contrôle de
l’exécution du budget 37 .
La première sous-commission, présidée par Chotard, premier
président, devait étudier l’extension de la loi du 27 décembre 1929
aux budgets des collectivités locales et la question de la substitution
du système de la gestion à celui de l’exercice ; à ces deux questions,
après études comparatives à l’étranger, la commission répond par la
négative. Elle fait des propositions en revanche pour réduire les
délais d’exécution du budget, pour perfectionner la procédure des
exercices clos et pour raccourcir les délais de production des pièces
comptables destinées à la Cour et à leur centralisation.
Définitivement sceptique sur l’efficacité de la loi du 27 décembre
1929, quelques semaines à peine après le vote de la loi, elle émet la
possibilité de revenir à la date du 1er janvier 38 .
La deuxième sous-commission, présidée par Drouineau, inspecteur
des Finances, se consacre à la mise à jour des règles de la
comptabilité publique et à la réécriture du décret de 1862 39 . De
février 1930 à mai 1934, elle effectue au fil de ses quarante et
quelques séances un travail considérable de regroupement, de
rationalisation et de simplification de la présentation des écritures
centrales, des comptes des ministères et du compte général du
ministère des Finances 40 , de réécriture des circulaires, des
instructions et des articles du décret de 1862 : 4 000 articles sont
étudiés et discutés 41 , un avant-projet de loi rédigé, le décret de 1862
intégralement remis à jour… À partir des 1 200 comptes qu’elle a
examinés, la sous-commission propose aussi l’élaboration d’un «
projet type de classement » uniforme et l’adoption d’une nouvelle
classification des comptes par nature des opérations et non selon les
besoins des services. À terme, l’objectif est de « faire apparaître
séparément et de façon très apparente la situation du budget et de la
trésorerie », ainsi que d’« établir et de publier chaque mois une
situation comptable complète et claire fournissant au Parlement les
éléments de contrôle qui lui font défaut », afin de suivre « comme en
Angleterre avec précision et à intervalles rapprochés les résultats de
l’exécution du budget et les mouvements de trésorerie ». Il s’agit d’«
apporter à l’avenir dans la présentation des comptes l’ordre et la
clarté qui sont pour le Parlement la condition même d’une exacte
information et d’un contrôle efficace ». Le rapport général de la
sous-commission est approuvé le 19 octobre 1932 par la commission
plénière et le ministre, pour une entrée en vigueur du nouveau
régime comptable au 1er janvier 1934 42 . Ces travaux vont trouver
une issue partielle dans les décrets-lois de 1934 sur la comptabilité,
mais la refonte exhaustive du décret de 1862 ne verra jamais le jour.
Dans ce travail de rationalisation 43 , les hauts fonctionnaires du
ministère des Finances et de la Cour des comptes, font davantage
œuvre de mise à jour, de simplification et de perfectionnement que de
refondation, au grand dam de Labeyrie jeune conseiller maître que ses
ambitions poussent à vouloir réformer le « système financier » tout
entier (voir infra) 44 . De fait, dans les travaux de la sous-commission,
à aucun moment, il n’est fait allusion aux projets réformistes de
Labeyrie et les articles concernant la Cour des comptes dans le projet
de décret n’organisent qu’un toilettage timide des dispositions
anciennes 45 .
La troisième sous-commission, présidée par le conseiller d’État
Tardit, se consacre quant à elle à la réforme du contrôle
juridictionnel. Elle propose de retirer aux conseils de préfecture et
aux conseils privés des colonies, jugés inefficaces, leurs attributions
en matière d’apurement des comptes de gestion et de confier à la
Cour le soin de juger les comptes des receveurs spéciaux, tout en
chargeant les TPG d’arrêter les comptes des communes et des
établissements publics dont la comptabilité n’est pas confiée à un
receveur spécial. Elle propose surtout, dans la filiation directe du
projet de loi Caillaux de 1914 qui est à cette occasion rediffusé au
sein de la commission Chéron par Labeyrie 46 , de modifier
l’organisation et la compétence de la Cour, en instituant un comité
de contrôle financier chargé d’exercer une surveillance sur
l’ensemble des actes de la gestion financière de l’État, logé à la Cour.
Ces travaux donnent lieu à deux avant-projets de loi, le premier sur
l’apurement des comptabilités locales, et le second en décembre 1930
de Maurice Petsche, sous-secrétaire d’État aux Finances, sur la
réforme de la Cour des comptes.

B. Le premier rapport Labeyrie (26 juillet 1930)

C’est dans le cadre de cette sous-commission du contrôle


juridictionnel que s’inscrit la contribution de Labeyrie, conseiller
maître à la Cour des comptes 47 . Sa note technique, d’une
cinquantaine de pages, présente neuf propositions de réforme
quasiment exclusivement centrées sur la réforme de la comptabilité
publique 48 . L’auteur propose que soit instaurée, en parallèle à la
comptabilité de la Trésorerie tenue par les comptables du Trésor et
vérifiée sur place, une « comptabilité générale du budget et des
services autonomes de l’État » distincte de la précédente, « tenue
localement par des contrôleurs généraux, chargés pour le compte du
ministre des Finances de vérifier la régulière justification des actes
financiers des administrateurs dont ils auront préalablement suivi
l’engagement ». Dans cette nouvelle organisation, la Cour des
comptes se contente de vérifier succinctement la comptabilité de la
trésorerie, elle centralise et contrôle de façon détaillée les
comptabilités des contrôleurs généraux, puis elle en rapproche les
résultats de la comptabilité centrale du budget tenue aux Finances.
Exerçant « seule pour le compte du Parlement le contrôle supérieur
de l’emploi des deniers publics », elle rend public dans son rapport
annuel le résultat de son contrôle et certifie les résultats des deux
comptes indépendants présentés par le ministre des Finances, celui
du Trésor et celui du Budget.
Cette première note de Labeyrie reprend certaines des propositions
de Caillaux concernant le contrôle supérieur effectué par la Cour des
comptes sur la gestion des administrations (centralisation de tous les
rapports des corps de contrôle, publication en direct du rapport
annuel, procédure contradictoire d’examen et de discussion avec les
représentants des administrations, rapports publics spéciaux en cas
d’irrégularités graves ou de préjudices causés à l’État). Il emprunte
une voie tout à fait nouvelle en s’attaquant à la réorganisation du
ministère des Finances, en instituant une nouvelle comptabilité
budgétaire sans laquelle il ne saurait y avoir de connaissance des
résultats de l’action administrative, en créant un nouveau corps de
contrôleurs généraux rattachés à la direction du Budget et en
confiant à la Cour des comptes le soin d’établir de véritables
déclarations de conformité. En revanche, dans ce schéma, plus n’est
besoin comme en 1914 de créer une section supérieure de contrôle
budgétaire au sein de la Cour des comptes, puisque c’est la Cour tout
entière qui devient l’organe supérieur du contrôle budgétaire des
administrations. Autour de la réforme comptable, qui mobilise tous
les acteurs du système financier entre 1930 et 1934, s’affrontent en
réalité deux conceptions antagoniques du pilotage financier de
l’État, portées d’un côté par le couple historique que forment le
Mouvement général des fonds et son auxiliaire, la Comptabilité
publique, centré sur la trésorerie et adossé au réseau des
comptables, et de l’autre, par un couple institutionnel alternatif que
pourraient constituer la Cour des comptes et la nouvelle direction du
Budget, centré sur le contrôle des ordonnateurs et appuyé sur un
puissant dispositif de contrôle budgétaire.
Labeyrie, en même temps qu’il communique sa note à la commission
Chéron et à Petsche, sous-secrétaire d’État aux Finances, la transmet
sans doute également à Caillaux, son mentor, qui a retrouvé son
siège de sénateur depuis 1927. De fait, quelques jours tard, le 21 août
1930, le journal Le Capital, édition économique publie une tribune de
l’ancien ministre des Finances, « La comptabilité budgétaire,
nécessité d’une réforme », dans laquelle Caillaux dénonce à nouveau
le retard français dans l’apurement des comptes 49 , met en cause les
capacités de l’administration des Finances, invoque son ancien
projet de réforme de janvier 1914 et se fait l’écho des projets de son
ancien collaborateur : « Une refonte, qui prendra pour point de
départ le projet de 1914, du système de comptabilité organisé sous la
Restauration est indispensable. Si on ne l’entreprend pas, si on ne la
réalise pas très vite, avec l’accroissement des dépenses, avec surtout
les charges singulières qu’on a tendance à infliger à l’État […], on
sera bientôt perdu dans les chiffres, noyé dans des comptabilités
inextricables ». Il s’agit de mettre fin à « l’embrouillamini général de
comptabilités ». Les réactions de l’administration des Finances à la
note de Labeyrie puis à l’article de Caillaux se bornent à une réserve
prudente dans le premier cas et à une note de justification dans le
second, expliquant au ministre le travail en cours mené par la
direction de la Comptabilité publique pour remédier à l’arriéré et au
désordre des comptes 50 .
De façon générale, au tournant des années 1930, la réforme de la
comptabilité publique suscite un véritable intérêt chez les
réformateurs de la gestion des finances publiques. Suite aux travaux
de la commission Chéron, une commission de réforme de la
comptabilité au ministère de la Guerre est créée en 1932 ; c’est Brin,
conseiller maître, qui en prend la présidence et qui y mène à bien la
réorganisation de la comptabilité-matières 51 . Aux initiatives
ministérielles, il faut ajouter les réflexions d’individualités
anticonformistes ; c’est ainsi que la revue L’État moderne ouvre ses
colonnes aux travaux de Marcel Soquet, directeur financier d’une
chambre de commerce et d’industrie. Pas moins de quatre numéros
en 1930 et 1931 explorent sous la plume de ce dernier les avantages
comparés de la comptabilité commerciale, de la comptabilité des
entreprises industrielles et de la comptabilité publique et
réfléchissent à la façon dont les responsables publics pourraient
s’inspirer de la comptabilité des entreprises. Les propositions de
réforme de Soquet seront réunies dans un ouvrage, La réforme de la
comptabilité publique, publié en 1934.

C. L’avant-projet de loi Petsche, novembre-décembre


52
1930

Quatre mois après la note Labeyrie de l’été 1930, la commission


Chéron examine fin novembre 1930 l’avant-projet de loi Petsche
émanant de la sous-commission du contrôle juridictionnel et
proposant une réforme importante de la Cour des comptes. Dans le
gouvernement Tardieu, Petsche, conseiller référendaire à la Cour des
comptes, qui a commencé sa carrière ministérielle en 1921 auprès de
Loucheur, ministre des Régions libérées, en s’occupant de
négociations financières internationales, est sous-secrétaire d’État
aux Finances ; il est chargé de faire la liaison entre Paul Reynaud,
ministre des Finances, et Louis Germain-Martin, ministre du Budget.
La tendance du moment est encore et toujours au renforcement du
contrôle des finances publiques ; le budget 1930 que Reynaud fait
voter avec la loi du 16 avril 1930 est marqué par le renforcement du
contrôle parlementaire sur la trésorerie et prévoit que le ministère
des Finances communiquera tous les six mois aux Chambres un état
des encaisses du Trésor et de la dette publique.
Petsche, qui fait partie de ces jeunes ministres intéressés par la
réforme de l’État 53 , reprend à son compte une partie des
conclusions de la commission Chéron et présente un « projet de loi
tendant à modifier l’organisation et la compétence de la Cour des
comptes ainsi que les attributions des conseils de Préfecture
interdépartementaux et des conseils privés des Colonies ». Discuté et
approuvé en commission plénière le 24 novembre 1930 ainsi qu’en
conférence des présidents à la Cour des comptes le 28 novembre
1930 54 , le projet de loi Petsche suscite un rare consensus 55 .
Rappelant dans l’exposé des motifs la nécessité d’un meilleur
contrôle budgétaire et celle d’un contrôle accru sur les
administrateurs, citant en référence le projet Caillaux de 1914, il
propose, à côté des trois chambres existantes, la création d’un
comité de contrôle financier, logé à la Cour des comptes et placé sous
la présidence du premier président. Chargé de la centralisation des
rapports des corps de contrôle et des observations de la Cour lors de
son jugement des comptabilités, doté d’un droit d’initiative pour
toute enquête ou investigation dans les ministères, le comité de
contrôle financier s’appuiera sur une procédure contradictoire et
bénéficiera de la présence des commissaires du Gouvernement
représentant les services intéressés, dotés d’une voix délibérative.
Les erreurs ou les abus seront signalés par le comité au président du
Conseil des ministres en même temps qu’au ministre intéressé et au
ministre du Budget. Le rapport annuel de la Cour des comptes sera
rédigé par le comité de contrôle financier et publié huit jours après
avoir été remis au président de la République par le premier
président. Afin d’acquérir la formation adéquate à leurs nouvelles
tâches, les auditeurs seront chargés pendant un an de missions
d’étude dans les corps de contrôle des divers ministères et devront
s’initier au contrôle sur place 56 . Et Petsche de conclure : si le projet
était voté, il « permettrait d’obtenir une liaison logique, une
coordination utile entre les divers contrôles. La Cour verrait se
développer son rôle normal d’auxiliaire du Parlement. Le Comité de
contrôle financier deviendrait un organe de liaison entre le contrôle
parlementaire d’une part et les contrôles administratifs et judiciaires
d’autre part » (p. 6).
Dans une deuxième partie, conformément à la loi du 16 avril 1930
(art. 133) qui vient d’être votée, le projet de loi Petsche prévoit une
réforme de l’apurement des comptes des collectivités locales et un
contrôle des dépenses engagées local : d’une part « les attributions
des conseils de préfecture et des conseils privés des Colonies en
matière d’apurement des comptes seront transférés aux trésoriers
payeurs généraux ou coloniaux, avec procédure d’appel devant la
Cour des comptes », de l’autre, « les TPG dresseront chaque année
des rapports d’ensemble où ils exposeront les observations que la
vérification des comptes leur auront inspirées » et ils les
transmettront à la Cour des comptes. Enfin, l’exposé des motifs
annonce la mise en place d’une comptabilité pour les
ordonnancements budgétaires, distincte de la comptabilité de caisse,
tant pour les ordonnateurs centraux que secondaires, et rappelle la
création décidée par l’article 133 de la loi du 16 avril 1930 d’un
contrôle des dépenses engagées local. Le projet Petsche vise ainsi à
l’intégration et à l’articulation des deux systèmes de contrôle
financier, central et local.
Le projet de loi est transmis au premier président et discuté en
conférence des présidents lors de la séance du 28 novembre 1930, où
il suscite la plus grande satisfaction 57 . Le premier président Payelle
s’autocongratule en indiquant que les dispositions du projet « ont
été élaborées au sein d’une commission où figuraient des membres
et d’anciens membres de la Cour particulièrement autorisés ». Dix
ans après la commission Selves et le projet Féret du Longbois, la Cour
s’est ralliée au schéma Caillaux de 1914. La chute du gouvernement
Tardieu le 13 décembre 1930 handicape sérieusement le projet de loi,
qui est transmis aux ministres en juin 1931, mais qui se heurte à la
résistance de ces derniers, hostiles à tout contrôle de leurs pouvoirs
« dépensiers » 58 .

D. Le rapport Labeyrie du 24 novembre 1933

C’est dans un contexte historique profondément différent que prend


place le (second) rapport Labeyrie. Prenant conscience à partir de
l’été 1932 de la gravité de la crise économique et confrontés à la
montée du déficit budgétaire, les gouvernements du néo-cartel des
gauches adoptent une politique d’économies et mettent leurs espoirs
dans la réforme administrative et dans la réduction du train de vie
de l’État 59 . Il devient urgent que les travaux de la commission
Chéron aboutissent dans les meilleurs délais, car dans l’esprit des
dirigeants, la réforme de la comptabilité est désormais la réforme
préalable à toute politique de maîtrise des dépenses publiques. Les
deux ministres des Finances et du Budget, Bonnet et Lamoureux,
décident par décret du 8 avril 1933 que dans un délai de 6 mois devra
leur être soumis « un projet de réorganisation complète de la
comptabilité publique, comportant toutes améliorations et
simplifications susceptibles d’être apportées aux règles de la
comptabilité publique et au contrôle des finances publiques » et que
ce projet devra s’appliquer aux établissements annexes de l’État.
C’est à Labeyrie, qui vient de quitter le poste de secrétaire général du
ministère des Finances auquel l’avait nommé le 21 décembre 1932
Palmade, ministre du Budget 60 , qu’est confiée à titre personnel par
G. Bonnet la rédaction du rapport 61 . Nommé procureur général le
16 mai 1933, il est installé dans ces fonctions le 2 juin et succède à
Bloch, nommé premier président, qui lui cède parallèlement la
présidence du Comité supérieur d’économies créé en octobre 1932. À
cette occasion, Labeyrie prend connaissance des résultats de la
grande enquête lancée par le Comité d’économies et la direction du
Budget sur les indemnités des fonctionnaires et découvre ou affecte
de découvrir le sort très avantageux réservé aux comptables du
Trésor et aux trésoriers payeurs généraux 62 ; il complète ainsi sa
connaissance des services du ministère des Finances jusque-là
limitée à la seule administration centrale. Le 24 novembre 1933, il
remet à G. Bonnet son rapport 63 .
Se glissant dans les habits du marquis d’Audiffret, fondateur du «
système financier » au XIXe siècle, Labeyrie développe en priorité
une ambitieuse réforme de la comptabilité publique qui passe par la
restauration de la comptabilité administrative, abandonnée selon lui
depuis la seconde moitié du XIXe siècle. Subsidiairement, le
magistrat en profite pour régler ses comptes avec le ministère des
Finances et pour proposer la refonte de ses structures et de ses
personnels. Car sous couvert de réformer la comptabilité de l’État,
c’est aussi la réforme du ministère des Finances que vise l’éphémère
secrétaire général du ministère, son organisation, la répartition des
tâches entre les directions, la pertinence des liaisons et des
transmissions, le recrutement des cadres, le rôle et la
responsabilisation des « chefs ». Laissant de côté la réorganisation
des régies financières, chasse gardée de ses amis syndicalistes G. Mer
et J. Patouillet, c’est à une attaque en règle de l’administration
centrale des Finances que l’auteur se livre, sans précaution oratoire
aucune 64 : la direction de la Comptabilité publique, ses désordres et
sa lenteur, l’inefficace direction du Budget, le Mouvement général
des fonds et ses comptes de trésorerie non orthodoxes, les privilèges
indus des TPG 65 , les percepteurs non contrôlés, les impuissants
contrôleurs des dépenses engagées, les coûteux contrôleurs
financiers proposés par la direction du Budget, l’inutile Inspection
générale des finances qui n’accomplit pas les missions de vérification
qui lui ont été confiées. En proposant l’institution d’un large corps
unique et rationalisé de « contrôleurs comptables » qui absorberait
les contrôleurs des dépenses engagées des administrations centrales,
les futurs contrôleurs financiers des offices, et s’enrichirait de
contrôleurs à l’échelon local, en rattachant ce corps à la direction du
Budget rebaptisée direction de la Comptabilité générale et du
Contrôle financier, en cantonnant les trésoriers payeurs généraux
dans le rôle de simples caissiers pour le compte du Mouvement
général des fonds, Labeyrie bouleverse l’organisation historique du
ministère et ses situations acquises ! Au bénéfice de la Cour des
comptes.
En effet, en troisième partie, Labeyrie dresse un bilan très sévère du
rôle de la Cour des comptes au sein du « système financier ». Selon
lui, la Cour n’a pas les moyens d’exercer son contrôle sur les finances
de l’État, pour six raisons principales : limitées au seul jugement des
comptes, ses attributions sont trop restreintes ; elle ne dispose pas
des documents comptables nécessaires ; les comptes des TPG qui lui
sont soumis sont partiels, incomplets voire faux ; la Cour n’a aucune
vue d’ensemble de la gestion des administrations ; sa productivité est
faible ; ses observations sont formulées trop tardivement pour être
utiles au Parlement. Sa proposition phare pour remédier à cette
déréliction de la Cour des comptes consiste dans l’instauration d’un
contrôle budgétaire de la Cour sur la gestion des ministères grâce à
l’examen des pièces de comptabilité administrative transmises
mensuellement ou trimestriellement à la Cour des comptes. Pour le
reste, comme en 1930, Labeyrie se contente de reprendre les
propositions de Caillaux de 1914 : la transmission à la Cour des
rapports de tous les corps de contrôle, l’obtention d’un droit
d’enquête dans les administrations, l’adoption d’une instruction
contradictoire et orale qui permettra aux commissaires du
Gouvernement de faire-valoir le point de vue des administrations
contrôlées 66 ; la publication accélérée du rapport public annuel
effectuée directement par la Cour. Enfin, il conclut sur la nécessité
de revoir les méthodes de travail en interne de la Cour. Élément
nouveau et original par rapport à sa note de 1930, lorsqu’il réfléchit
à la place de la Cour des comptes dans le contrôle de la dépense
publique, c’est au modèle italien que Labeyrie fait référence ; ce
dernier impose une séparation absolue entre la caisse qui effectue
les opérations matérielles et la comptabilité qui enregistre les actes
après les avoir contrôlés ; dans ce schéma, et plus encore depuis une
loi récente de 1933, la Cour des comptes italienne prend une part
active à l’établissement de la comptabilité de l’État et au contrôle
préventif de la dépense 67 .
Labeyrie, dans un contexte de crise budgétaire et financière aiguë,
soutenu par ses amis politiques tant ministres que parlementaires 68
, se fait le héraut d’une grande ambition pour « le système financier
» français et pour l’institution qu’il sert depuis plus de trente ans, la
Cour des comptes, qu’il veut rajeunir et redynamiser. Nouvel
Audiffret, il signe le premier et le dernier rapport du XXe siècle sur le
« système financier » dans son ensemble, englobant dans une même
réflexion la réforme de la comptabilité publique et du contrôle
budgétaire, celle de l’administration centrale des Finances, celle des
services financiers dits « extérieurs » et celle de la Cour des comptes
dont il fait la clef de voûte de l’ensemble. Dans cette construction, il
applique certes une « méthode cartésienne 69 », mais assoit cette
rénovation sur le bouleversement complet du ministère des Finances
et du réseau du Trésor public, sur l’abaissement des trésoriers
payeurs généraux, sur la transformation de la direction du Budget et
sur la création d’un nouveau corps de contrôleurs comptables
centraux et locaux 70 .
Remis à la veille d’une crise politique et institutionnelle majeure, son
rapport reste sans suites 71 ; étonnamment, il n’est même pas évoqué
en conférence des présidents, alors que Labeyrie, procureur général,
y siège de droit 72 . Au printemps 1934, le Gouvernement préfère
retenir pour sa réforme de la comptabilité publique les propositions
moins subversives de la commission Chéron.

E. Le rapport Maulion, décembre 1934

La crise politique de février 1934 a ébranlé la République et écarté du


pouvoir les ministres du néo-cartel des Gauches ; avec l’arrivée des
ministres conservateurs, Piétri et Germain-Martin, Labeyrie perd ses
appuis politiques gouvernementaux, mais ses fonctions de procureur
général près la Cour des comptes lui procurent dorénavant une
indépendance et une position de poids dans le monde très étroit des
finances publiques. En outre, la réforme de l’État demeure plus que
jamais d’actualité et le gouvernement Doumergue qui a reçu les
pouvoirs de légiférer par décrets-lois doit préparer pour la rentrée
de septembre 1934 un vaste plan de réforme administrative.
Parmi les décrets-lois du printemps 1934, celui du 28 avril donne au
premier président de la Cour des comptes le pouvoir de procéder aux
réformes nécessaires du décret de 1807, notamment « pour
améliorer son rendement » (art. 5). Lors de la séance solennelle du 3
juillet 1934, tandis que le premier président Chotard proteste contre
les décrets-lois du 28 avril et des 7 et 8 mai 1934 qui instaurent la
limite d’âge et contraignent à la retraite les magistrats âgés 73 , en
réponse à la diminution des effectifs de personnel, Labeyrie annonce
son intention de changer les méthodes de travail de la Cour 74 :
moins de paperasserie, moins de formalisme, moins de contrôles
tatillons, plus de suggestions positives de perfectionnement. Il
préconise un contrôle plus rapproché de la Cour sur les collectivités
locales, sur les offices et les établissements autonomes de l’État et
souhaite utiliser le rapport public comme réservoir à idées pour la
réforme administrative ; il conclut sur la nécessité urgente de faire
de la Cour des comptes l’organe « de contrôle supérieur » pour
toutes les comptabilités publiques.
Les décrets-lois de juin et juillet 1934 réalisent la réforme de la
comptabilité publique selon la commission Chéron, c’est à dire selon
les vues des Finances 75 , mais Labeyrie refuse de s’en contenter et,
pendant l’été 1934, il tente avec l’aide de ses alliés de la commission
des Finances du Sénat une contre-offensive. Dans le cadre des
travaux parlementaires des Chambres sur la réforme de l’État, le
sénateur Maulion 76 présente au nom de la commission de réforme
de l’État du Sénat un rapport tout à fait révolutionnaire sur la Cour
des comptes 77 . Le rapporteur se montre à son tour critique sur la
comptabilité publique et reprend l’argumentaire désormais classique
de Labeyrie sur sa nécessaire réorganisation 78 ; mais l’essentiel n’est
pas là, il propose que la Cour des comptes soit désormais soustraite à
la tutelle du ministère des Finances et placée sous l’autorité du
président du Conseil. Tout en continuant à recevoir trimestriellement
les opérations du service de la Trésorerie accompagnées de leurs
pièces justificatives, la Cour des comptes, qui serait désormais
chargée du contrôle et de la comptabilité des recettes et dépenses
publiques, disposerait de représentants délégués auprès des
départements ministériels et des ordonnateurs secondaires dans les
départements et les territoires outre-mer, qui exerceraient les
attributions des contrôleurs des dépenses engagées actuels et des
comptables publics 79 . Un comité supérieur de contrôle financier
créé à la Cour serait chargé d’examiner les comptes transmis par les
délégués ainsi que les rapports des corps de contrôle des divers
ministères, « de surveiller l’observation des lois, décrets, arrêtés,
ordonnances et décisions diverses, de signaler les erreurs, fautes,
abus commis dans l’engagement des dépenses, le maniement des
deniers, la consommation, la conservation des matières, la gestion
des biens de l’État ainsi que diverses collectivités publiques, de
proposer des réformes tendant à perfectionner le fonctionnement
des services publics, à procurer des ressources, à réaliser des
économies ».
Des contrôles sur place seraient prévus ; en cas d’irrégularités ou de
faits de nature à porter préjudice aux finances de l’État, le Comité
supérieur de contrôle en ferait rapport au président du Conseil, au
ministre intéressé et au ministre du Budget. Le Comité serait chargé
du rapport public qui serait diffusé simultanément au président de la
République et aux Chambres. Les départements ministériels seraient
représentés au Comité supérieur de contrôle financier par des
commissaires du Gouvernement dotés d’une voix délibérative et
pourraient faire intervenir des « fonctionnaires susceptibles de
fournir des éclaircissements ». La Cour des comptes établirait le
compte des recettes et des dépenses de l’État, qu’elle
accompagnerait d’un rapport contenant ses observations et ses vues
en matière de réforme et d’une déclaration de conformité avec les
comptes de trésorerie établis par le ministère des Finances. Ces
documents seraient remis par le premier président de la Cour des
comptes au président du Conseil qui les transmettrait au Parlement,
pendant que les comptes de trésorerie seraient publiés par les soins
du ministère des Finances.
Dans ce schéma qui confie le contrôle budgétaire des ordonnateurs
et des administrateurs à la Cour, cette dernière perd son caractère
de juridiction, considéré comme incompatible avec les attributions
qui lui sont dévolues, et devient, selon l’expression de Maulion, «
une grande administration indépendante assimilable en tout point à
l’Audit Office de la Grande-Bretagne 80 ». Reprenant les grandes
lignes des projets Caillaux et Petsche, le rapport Maulion s’inspire à
la fois du modèle italien (contrôle préventif des dépenses) et du
modèle britannique (contrôle de la gestion des administrations par
l’Audit Office) ; il pousse jusqu’à leur extrémité les idées de Labeyrie
en rattachant les contrôleurs comptables de 1933, rebaptisés
délégués, à la Cour des comptes et non plus au ministère des Finances
et recrée de toutes pièces une nouvelle administration comptable et
budgétaire rattachée à la Cour et au président du Conseil ; ce faisant,
il rompt totalement avec les fondements napoléoniens de la « haute
juridiction » et avec toute la tradition juridique et administrative
française. Qui pouvait soutenir politiquement et administrativement
un tel projet ? Le ministère des Finances ? On peut sérieusement en
douter. Le président du Conseil, Gaston Doumergue ? Caillaux lui-
même ? Le Parlement et ses commissions des finances ? En l’état
actuel des archives, il nous est impossible de répondre. Ce texte, qui
fait une synthèse audacieuse des propositions Caillaux, Petsche et
Labeyrie et emprunte autant au modèle de la Cour des comptes
italienne qu’à l’Audit Office britannique, ne sera pas retenu par les
pouvoirs publics. Il n’en révèle pas moins l’intérêt passionné que
cette question du contrôle de la gestion des administrations soulève
alors dans les milieux parlementaires, et notamment à la
commission des Finances du Sénat. Quelques mois plus tard, lors du
banquet du 6 décembre 1934 de L’État moderne, Labeyrie expose les
réformes en cours en matière de comptabilité et redit son ambition
de faire de la Cour des comptes le chef de file d’un plan de réforme
général du système financier français.

III. Le temps des décisions : la réforme de la


Cour des comptes et du Contrôle financier,
1935-1936
Le nombre de mesures comptables, budgétaires et de contrôle
financier prises entre 1934 et 1936 trahit l’effort que l’État
entreprend pour rationaliser, clarifier, simplifier et réorganiser son
système de gestion des finances publiques, alors même qu’il affronte
une crise budgétaire et économique sans précédent et qu’il cherche à
maîtriser les conséquences financières de ses interventions
économiques et sociales en augmentation constante depuis 1918. Les
réformes se succèdent, selon des temporalités et des sources
d’inspiration différentes. Certaines mesures résultent des travaux de
la commission Chéron de 1930, certaines du rapport Labeyrie de
1933, d’autres remontent au projet de loi Caillaux de 1914 ou à la
commission Selves de 1918 ; d’autres proviennent des rapports
publics de la Cour des comptes ou des commissions d’économies et
de réforme administrative des années 1930 (le comité supérieur
d’économies de 1932-1933, la commission des offices de 1933) ;
d’autres enfin sont prises sous l’emprise de la crise budgétaire des
années 1930 (les décrets-lois de 1934 et 1935 81 ) ou des réformes du
Front populaire. Trois fils s’entrecroisent, fortement intriqués : d’un
côté, la réforme de la comptabilité publique 82 et du contrôle des
dépenses engagées (1934-1935) 83 , de l’autre, celle du contrôle
financier en 1934, 1935 et 1936, construction pyramidale sans
précédent à laquelle nous allons nous attacher.

A. Le contrôle financier des offices

Plusieurs sources alimentent la mise en place des nouveaux


dispositifs de contrôle sur les offices. Outre la pression constante
depuis les années 1920 du Parlement et des commissions des
finances, les initiatives en matière de renforcement des contrôles
proviennent de l’Inspection, de la Cour des comptes, du contrôle des
dépenses engagées et de la direction du Budget et du Contrôle
financier elle-même, dont les deux directeurs entre 1930 et 1935 sont
successivement Erik Haguenin 84 et Yves Bouthillier, tous deux
inspecteurs des Finances et tous deux artisans de la politique de
déflation budgétaire. Le dernier pôle d’impulsion est la commission
des offices créée par la loi du 28 février 1933 dans le cadre de la
politique d’économies budgétaires de Bonnet et de Lamoureux 85 ,
dont le rapport final, établi par Brin en 1935, ne sera publié au
Journal officiel que le 4 juin 1936 86 , mais dont les premiers résultats
aboutissent sous Germain-Martin avec les décrets du 28 février, du 4
avril, du 17 avril, du 25 juillet et du 15 décembre 1934 87 . Ces décrets
notamment codifient les règles de gestion et de contrôle applicables
aux offices et étendent le contrôle de la Cour des comptes aux
organismes para-étatiques et « autonomes » qui se sont multipliés
depuis la guerre. Ils obligent les offices à présenter au ministre des
Finances, deux mois avant l’ouverture de l’exercice, leur projet de
budget et attribuent à un agent chargé du contrôle financier
représentant du ministère des Finances le rôle de contrôleur des
dépenses engagées ; ils organisent par ailleurs un système complexe
d’approbation des comptes qui s’apparente à une certification des
comptes par la Cour 88 ; enfin, ils suppriment les offices faisant
double emploi ou devenus inutiles.
Les décrets-lois du 25 octobre 1935 rendent ces premiers dispositifs
opérationnels en créant pour les « établissements autonomes » des
postes supplémentaires de contrôleurs financiers, recrutés parmi les
corps d’inspection et de contrôle 89 , nommés par le ministre des
Finances et placés sous l’autorité de la direction du Budget 90 ; cette
dernière, qui mérite plus que jamais sa seconde titulature (« et du
Contrôle financier »), connaît sans doute avec ce contrôle des offices
son apogée sous la IIIe République. Ce dispositif du contrôle financier
est étendu par le décret du 30 octobre 1935 aux sociétés ayant fait
appel au concours financier de l’État 91 et connaîtra un ultime
prolongement par le décret-loi du 20 mars 1939 aux associations,
ainsi qu’aux fondations reconnues d’utilité publique dont plus de la
moitié des ressources est fournie par l’État 92 .

B. Le contrôle financier des administrations centrales

À l’échelon ministériel central, le décret-loi du 30 octobre 1935


portant réforme de la comptabilité et du contrôle financier (art. 8 à
18) institue des comités de contrôle financier dans chaque ministère en
leur attribuant les missions de contrôle définies par les articles 150
et 151 de la loi du 13 juillet 1911 93 . Les comités ministériels de
contrôle financier ont qualité pour examiner tous les projets et
toutes les mesures de caractère financier émanant du département
ministériel auquel ils sont attachés ; ils ont pour mission de veiller à
l’observation des lois, des décrets et des décisions ministérielles qui
régissent le fonctionnement des différents services ; ils contrôlent
l’exécution du budget et signalent les abus, les erreurs et les fautes,
recherchent les économies à réaliser et proposent les réformes qui
leur paraissent opportunes touchant l’organisation administrative
du département ministériel auprès desquels ils exercent leur
mission. Leur contrôle peut s’exercer sur tous les établissements
autonomes et collectivités, dépendant dudit département et leur
compétence s’étend sur toutes les opérations administratives tant de
l’administration centrale que des services extérieurs. Les comités de
contrôle financier disposent d’un droit d’enquête sur pièces et sur
place et peuvent faire appel aux compétences des inspections
ministérielles et de la Cour des comptes. Les remarques et
constatations des différents comités ministériels de contrôle sont
reprises dans un rapport général annuel, adressé au ministère des
Finances et communiqué au président du Conseil, à la Cour et au
Parlement. Enfin chaque comité de contrôle financier ministériel est
chargé de surveiller la suite donnée aux observations formulées par
la Cour.
Les comités de contrôle financiers, qui comptent quatre ou cinq
membres 94 , sont présidés soit par des magistrats de la Cour des
comptes soit par des inspecteurs généraux des Finances (sauf aux
Armées et à la Marine) ; ils sont composés pour moitié par des
magistrats ou des inspecteurs des Finances ; le contrôleur des
dépenses engagées est membre de droit avec une voix consultative.
Ils sont réunis trimestriellement en conférence par le ministre des
Finances. Le nouveau dispositif collégial de contrôle budgétaire, qui
coiffe désormais le contrôleur des dépenses engagées, associe pour la
première fois dans l’histoire des magistrats de la Cour non
seulement au contrôle de la gestion des départements ministériels
mais à leur gestion tout court, notamment à la préparation du
budget ministériel. En revanche, alors que cette proposition a été
récurrente entre 1914 et 1934, le décret-loi ne prévoit pas d’échelon
supérieur de contrôle budgétaire à la Cour des comptes ; on peut
supposer que le ministre des Finances Germain-Martin et le
directeur du Budget Y. Bouthillier s’y sont directement opposés, afin
de conserver au ministre des Finances les fonctions de contrôleur
général des Finances.
La victoire du Front populaire et les règlements de comptes
politiques internes qui s’ensuivent au ministère des Finances, le
souhait de limiter la puissance de la direction du Budget, la volonté
de rationaliser l’organisation centrale des Finances et de parachever
la mise en place d’un système de contrôle financier efficace et
spécialisé par type d’organisme, conduisent le nouveau ministre des
Finances socialiste, Vincent Auriol, à scinder en deux la direction du
Budget et du Contrôle financier 95 et à créer le 14 novembre 1936
une direction distincte pour le Contrôle financier et les
Participations publiques 96 . Cette dernière emporte avec elle le
contrôle financier des offices administratifs, industriels et
commerciaux, celui des collectivités locales et des colonies… et les
postes de contrôleurs financiers ; elle fonctionne comme le bras
armé de la commission des offices dont elle met en œuvre les
conclusions. La direction du Budget, amputée, recentrée sur la
préparation du budget de l’État et les écritures budgétaires, ne
conserve plus que le contrôle des dépenses engagées des
administrations centrales 97 .
Par ailleurs, à peine installé, jugeant l’organisation du contrôle
financier incomplète ou inachevée, Auriol, remet l’ouvrage sur le
métier 98 : conseillé par Labeyrie qui vient d’être nommé le 6 mai
1936 gouverneur de la Banque de France mais qui garde ses fonctions
de procureur général à la Cour et qui préside la commission
préparatoire à la réforme de la comptabilité administrative, il
dépose le 18 juin 1936 sur le bureau de l’Assemblée un nouveau
projet de loi tendant à la réforme de la comptabilité et des contrôles,
inspiré du projet Labeyrie de 1933 99 .

C. La réforme de la Cour des comptes et la création du


Comité supérieur de contrôle financier

Alors que le nouveau projet de loi est adopté par la Chambre des
députés le 26 juin 1936 100 , Labeyrie peut enfin croire toucher au
but, mais la commission des finances du Sénat refuse la création de
postes des contrôleurs comptables, qui constitue pourtant la
proposition pivot du système labeyrien. Les raisons de ce refus sont
sans doute à la fois budgétaires 101 , techniques, doctrinales,
organisationnelles et administratives 102 , voire politiques, car il ne
faut pas sous-estimer la rivalité et les divergences qui peuvent
opposer Caillaux, président de la commission des Finances du Sénat,
et Auriol ministre socialiste du gouvernement Blum, dont Labeyrie
s’est rapproché depuis la constitution du Front populaire. En
définitive, les sénateurs, jugeant que les cadres de la comptabilité
publique définis en 1930 et mis en place en 1934-1935 sont suffisants,
estiment que la priorité consiste dans l’achèvement de l’édifice
pyramidal du contrôle financier et surtout dans la réforme de la Cour
des comptes 103 .
Se ralliant au point de vue du Sénat, de Petsche et de Caillaux 104 ,
Auriol abandonne les contrôleurs comptables de Labeyrie 105 , scinde
en deux son projet de loi, avec d’un côté les décrets du 1er septembre
1936 sur la comptabilité administrative et le contrôle des dépenses
engagées local, et, de l’autre, la loi du 13 août 1936 sur le contrôle
financier supérieur. Dans son étude, C. Descheemaeker montre
comment la réforme de la comptabilité administrative de 1936, en
dépit de l’échec quasi immédiat du contrôle des dépenses engagées
local, a fini au terme d’un cheminement long et sinueux par
atteindre ses objectifs et par renouveler profondément le contrôle de
la gestion des administrations par la Cour des comptes. À l’inverse, la
loi de finances du 13 août 1936 (art. 21 et 22) sur le contrôle
supérieur financier qui a pourtant connu un succès immédiat n’a pas
perduré au-delà de 1940.
La loi du 13 août 1936, voulue expressément par les parlementaires,
institue donc à la Cour des comptes un comité supérieur de contrôle
financier, qui « a pour mission de coordonner l’action des comités de
contrôle financier institués par l’article 8 du décret du 25 octobre
1935 106 et de préparer le rapport annuel 107 ». Très inspiré du
projet Petsche de 1930, ce Comité supérieur de contrôle financier,
présidé par le premier président, comprend le procureur général, un
président de chambre 108 et six conseillers maîtres. Des conseillers
référendaires et des auditeurs sont adjoints audit comité en qualité
de rapporteurs ; suite à leur nomination, ces derniers doivent
effectuer un stage d’un an dans les services de contrôle des
différents ministères. L’article 21 précise que les présidents des
comités de contrôle financier institués dans chaque ministère par le
décret du 25 octobre 1935 assistent aux séances du comité supérieur
de contrôle avec voix consultative pour les affaires ressortissant à
leur département.
Le comité supérieur de contrôle se confond donc désormais avec le
comité du rapport public lui-même rénové par la mise en place de la
réforme de la comptabilité administrative et par la création d’une
IVe chambre chargée d’instruire le rapport annuel 109 . Dans une note
aux rapporteurs, le premier président Guinand précise :
« La IVe chambre est chargée essentiellement de réunir les éléments du rapport
public ; elle ne rend pas d’arrêt ; elle est dotée non pas d’un greffe mais d’un
secrétariat ; elle est en quelque sorte l’organe d’instruction du comité supérieur
de contrôle lequel, présidé par le premier président, comprend le procureur
général, les membres de la IVe chambre, et, en outre, avec voix consultative, les
présidents des Comités de contrôle financier et les commissaires de
gouvernement. Des conseillers référendaires et des auditeurs sont désignés pour
participer aux travaux de la IVe chambre ; en principe, ils assureront les
fonctions de rapporteurs auprès du comité supérieur. Les membres de la IVe
chambre ainsi que les conseillers référendaires et les auditeurs attachés à celle-ci
seront, sous réserve d’un roulement ultérieur, spécialisés dans l’étude des
110
questions ressortissant à un ministère déterminé ».
Ainsi donc, du gouvernement Laval au gouvernement Blum, le
renforcement du contrôle de la gestion des administrations est un
sujet qui a fait consensus à droite comme à gauche, au ministère des
Finances, à la Cour des comptes comme au sein des commissions des
finances, et qui a mobilisé de 1930 à 1936, dans un effort de
persévérance, de cohérence et de rationalisation, toutes les énergies
des réformateurs des finances publiques 111 . Au terme d’un
processus de réforme qui a duré plus de vingt ans, ce que Caillaux,
ministre des Finances, n’a pu obtenir en 1914, la triple alliance de
Caillaux, président de la commission des finances du Sénat, de
Petsche, membre de la commission des finances de l’Assemblée, et de
Vincent Auriol ministre des Finances, a fini par l’obtenir 112 .

D. La Cour des comptes et le contrôle de la gestion des


administrations

Les archives du ministère des Finances et de la Cour des comptes


montrent que l’échafaudage pyramidal de 1935-1936 destiné au
contrôle financier de la gestion des administrations publiques a
fonctionné réellement dès 1936 113 .
Les comités de contrôle se mettent en place progressivement dans
les ministères tout au long de l’année 1936 et 1937 114 , rencontrant
ici ou là quelques résistances corporatistes ou administratives ; c’est
dans les ministères militaires que la nouvelle organisation a le plus
de difficultés à s’imposer, du fait des réticences des contrôleurs
généraux de l’Armée ou de la Marine à se laisser coiffer par des
membres de la Cour ou par des inspecteurs des Finances. Les
magistrats de la Cour eux-mêmes ne sont pas exempts de cette
attitude corporatiste ; Brin, nommé par décret du 7 décembre 1935
membre du comité de contrôle du ministère de la Guerre, proteste
auprès du premier président et demande à ne plus être placé dans la
dépendance ou sous la tutelle de la direction du Contrôle financier
du ministère de la Guerre 115 ; autrement dit, il n’accepterait de
siéger dans le comité de contrôle qu’à la condition d’en être le
président ! Certains établissements autonomes, certaines
collectivités publiques comme la Ville de Paris ou le département de
la Seine rechignent à appliquer les nouvelles dispositions du
contrôle financier et du contrôle des dépenses engagées, de même
que le ministère de l’Intérieur s’obstine à nommer un contrôleur des
dépenses engagées issu des préfectures et non du ministère des
Finances.
Le nouveau Comité supérieur de contrôle, qui vient couronner tout
l’édifice financier et qui se confond avec la nouvelle IVe chambre
tout en faisant office de comité du rapport public, est mis en place le
5 novembre 1936 116 . Son organisation s’achève en avril 1937 par la
nomination des commissaires du Gouvernement chargés de
représenter les services et d’assister aux séances du comité
supérieur de contrôle, auxquelles par ailleurs participent les
présidents des comités ministériels de contrôle financier et les
contrôleurs des dépenses engagées. Enfin, par une lettre du 16 août
1938, Labeyrie, qui a succédé à Guinand en septembre 1937, invite les
contrôleurs financiers des offices à participer aux séances du comité
supérieur, en attendant la mise à jour du décret-loi du 30 octobre
1935 117 . De nombreuses séances entre présidents de chambre ont
lieu à partir de 1937 pour répartir la charge de travail et pour
permettre à la Cour d’assumer sa nouvelle mission de contrôle
financier sans pour autant délaisser ses anciennes attributions
juridictionnelles 118 .
Les archives de la Cour montrent que les rapports annuels des
comités de contrôle financier ministériels et les rapports des
contrôleurs des dépenses engagées parviennent à la Cour dès la fin
de l’année 1936 119 , qu’ils sont communiqués aux magistrats chargés
des rapports sur la comptabilité administrative et que ces derniers
les utilisent effectivement, notamment pour préparer les insertions
au rapport public. Le 14 janvier 1937, il est décidé que les
observations émanant des comités de contrôle financier ministériel
seront présentées, afin d’être mieux mises en valeur, dans une partie
distincte du rapport public 120 . La IVe chambre, en tant que comité
chargé du rapport public reçoit également les rapports des
contrôleurs des dépenses engagées et, sur demande spéciale, ceux de
l’Inspection générale des finances 121 . Enfin, elle est également en
relations étroites avec la direction du Budget 122 . En vue d’une
insertion au rapport public ou d’une séance à venir du comité
supérieur de contrôle, la IVe chambre peut commander des enquêtes
générales et transversales et utiliser, outre ses propres rapporteurs
123
, les corps d’inspection des ministères, ce qui est une innovation
considérable. Les sujets étudiés par la IVe chambre sont
extrêmement variés 124 : les subventions ; la comptabilité
industrielle et la comptabilité permettant d’établir un prix de
revient ; les coûts des procès et de la justice ; les marchés de
fournitures ou de construction, les opérations immobilières, l’achat
des terrains, les HBM ; la présentation et la nomenclature
budgétaire, avec un « classement rationnel des dépenses » ; les
dépenses de personnel et de régies ; l’établissement d’une
comptabilité des avances consenties par l’État ; les régies d’avances ;
la réglementation des heures supplémentaires dans l’enseignement ;
la standardisation du mobilier ; les dépenses d’électricité et de
chauffage ; la tutelle financière, budgétaire et comptable des
collectivités locales et le contrôle des subventions ; le sauvetage ou le
renflouement d’établissements bancaires privés et plus
généralement les interventions de l’État en faveur d’organismes
privés ; les conséquences que pourrait avoir la nationalisation des
industries de guerre sur les dépenses de matériel et de personnel ; la
réorganisation et le contrôle de la Caisse des dépôts et de ses
activités 125 ; le contrôle des participations de l’État et le rôle de
l’État actionnaire ou commanditaire ; le contrôle des offices ; les
pratiques de détachement et de mise en disponibilité ; la
réglementation des indemnités ; la réorganisation de départements
ou de services ministériels 126 …
Les archives de Charra, commissaire du Gouvernement et secrétaire
général du ministère des Finances en 1938, successeur de G. Mer et
prédécesseur de Bouthillier, ancien directeur adjoint du Budget,
conservées pour les mois de mai et juin 1938 127 , confirment
l’intense activité du Comité supérieur de contrôle présidé par
Labeyrie. Convoqué une fois par semaine, Charra vient répondre
devant le comité de la gestion du ministère des Finances et de ses
services, mais aussi des recettes et des offices placés sous sa tutelle
128
. La procédure d’examen, dans la continuité des préconisations
de Caillaux en 1914, de Bloch en 1917, de Labeyrie en 1933 et de
Maulion en 1934, est contradictoire et elle n’est plus exclusivement
écrite, contrairement aux traditions de la Cour. Avant la séance, le
premier président envoie au commissaire du Gouvernement la série
de questions qui vont être abordées en séance ; chaque sujet donne
lieu préalablement à une note ou à un rapport établi par les
chambres concernées, communiqué aux services correspondants
ainsi qu’au président du comité de contrôle financier ministériel.
Coordonnés par le commissaire du Gouvernement, les services
répondent et justifient leur action par écrit en présentant un tableau
contradictoire des réponses, examiné en séance. En séance, le
commissaire du Gouvernement, assisté du contrôleur des dépenses
engagées, du président du comité de contrôle financier ou des
directeurs techniques concernés répond aux observations du comité.
Le comité établit ensuite ses conclusions et ses préconisations en vue
d’une éventuelle insertion dans le rapport public 129 .
La Cour des comptes, déjà fortement associée à la gestion
ministérielle des services dans le cadre des comités d’économies
budgétaires et de réforme administrative, dans les comités de
contrôle financier et dans les nouvelles fonctions de contrôleurs
financiers des offices, étend grâce à la réforme de 1936 son contrôle
et son expertise en direction des nouveaux organismes économiques
et sociaux de l’État 130 . L’ambition de s’ériger en instance supérieure
du contrôle administratif, l’extension des attributions de la Cour
dans le domaine de la préparation et de l’exécution budgétaire, la
rénovation des méthodes comptables et la création de nouveaux
outils de contrôle et de gestion achèvent de dessiner une nouvelle
Cour des comptes, bien éloignée de sa stricte et traditionnelle
fonction juridictionnelle. Conçue dans l’espoir de mieux connaître et
de mieux contrôler la dépense publique 131 , la réforme de 1936, en
combinant les deux volets de la comptabilité administrative et du
contrôle supérieur financier, bascule la Cour des comptes du côté de
la gestion des administrations et des ordonnateurs, ouvre à la rue
Cambon de larges perspectives en matière de réforme administrative
132
et érige la Cour en pôle concurrent de la rue de Rivoli, alors qu’à
la même époque la direction du Budget et la direction du Contrôle et
des Participations publiques forgent leurs propres outils de suivi et
de contrôle. À cet égard, ne peut-on considérer le Comité de réforme
administrative créé par P. Reynaud en 1938 après la chute du Front
populaire, présidé par G. Pichat, membre du Conseil d’État mais logé
rue de Rivoli, animé par A. Boissard, inspecteur général des Finances
et rattaché directement à Y. Bouthillier, secrétaire général du
ministère des Finances, comme un comité rival, destiné à faire pièce
au comité supérieur du contrôle financier maîtrisé par la Cour des
comptes, mis en place par le gouvernement Blum et présidé par
Labeyrie, éternel compétiteur et adversaire de Bouthillier depuis
1930 133 ?
Quoi qu’il en soit, les travaux de la IVe chambre et du Comité
supérieur de contrôle financier, tant par leurs sujets que par leurs
méthodes de travail, préparent et annoncent ceux du Comité central
d’enquête sur le coût et le rendement des services publics de 1946 et
ceux de la Commission de vérification des comptes des entreprises
publiques de 1948. À la croisée de ces innovations et de ces
apprentissages, émerge la figure du conseiller maître Brin, qui se
fera le passeur sous la IVe République de plusieurs expérimentations
de l’entre-deux-guerres : le contrôle des offices, les enquêtes, le
contrôle sur place, les rapports de comptabilité administrative, la
procédure contradictoire et orale, l’évaluation de la gestion d’un
département ministériel, le prix de revient…
Point d’aboutissement de plus de 25 ans de réflexion et de débats sur
le « système financier », l’échafaudage pyramidal du contrôle
financier construit en 1934-1936 constitue la réponse principale
apportée dans l’entre-deux-guerres à la question de la gestion et
plus particulièrement à la maîtrise de la dépense publique. Le
dispositif prend plusieurs visages : le premier, coercitif, celui d’un
empilement des contrôles et d’un véritable carcan pour les
ordonnateurs 134 , qui ne résistera d’ailleurs pas à l’épreuve de la
guerre ; l’autre, plus novateur, celui d’une modernisation du rôle de
la Cour des comptes par son association au contrôle de la gestion des
administrations. Ainsi, en 1938, le procureur général Godin, dans son
discours lors de l’audience de rentrée de la Cour des comptes du 4
octobre, peut-il se féliciter de l’alliance objective nouée entre la
Cour, le Comité de contrôle supérieur, les comités de contrôle
financier ministériels et les commissaires du Gouvernement. Parlant
du ministère des Finances et de la Cour 135 , il les qualifie ainsi : «
non point deux adversaires en présence, mais des alliés, attachés à la
réalisation d’un même idéal de rectitude financière ; ainsi, la main
dans la main, le juge et l’autorité exécutive chercheront ensemble les
erreurs toujours possibles et les abus même inconscients ».
Enfin, l’instauration de ce dispositif qui réunit sous une même tête
contrôle a priori et contrôle a posteriori peut également s’entendre
comme l’étape préalable et nécessaire à l’appréciation des résultats
de l’action de l’administration et à l’évaluation de la gestion d’un
département ministériel. Cette ambition, qui ne prendra corps que
sous la IVe République, voire sous la Ve République, perce dans les
propos du ministre des Finances et de Labeyrie le 16 octobre 1936,
lors de l’installation du premier président Guinand, en présence de
Daladier, ministre de la Défense nationale, de Gardey, rapporteur
général de la commission des Finances du Sénat, et de Mauger,
président de la commission des comptes définitifs du Sénat. Se
référant à Mollien, Auriol, conclut en s’adressant aux magistrats : «
Nous avons voulu faire de la Cour des comptes le grand organe de
contrôle financier que possèdent la plupart des nations étrangères.
Nous avons voulu que l’action de la Cour fût prompte, efficace et
éclatante […] C’est à ce dessein que répondent l’établissement des
nouvelles règles de la comptabilité publique et la création du comité
supérieur de contrôle financier. Désormais, suivant pas à pas
l’exécution financière des différents services de l’État, vous serez
mieux à même d’en apprécier la gestion. Par les contacts permanents
que vous aurez avec les représentants de l’administration, vous
connaîtrez mieux les difficultés auxquelles ceux-ci se heurtent sans
cesse […] ».
Et le procureur Labeyrie de préciser : « Hier, votre action principale
consistait à rechercher les fautes commises par les comptables et à
arrêter leurs comptes ; ce n’est qu’incidemment que vos regards se
portaient sur la gestion administrative que vous pouviez seulement
apercevoir à travers la responsabilité des comptables. Demain, ce
dont vous vous trouverez chargés, c’est principalement de l’examen
direct des actes des administrateurs. […] Vous n’aurez plus à vous
attacher presque uniquement à l’application étroite de dispositions
réglementaires de détail, mais surtout à rechercher non seulement si
les administrateurs ont bien suivi les instructions reçues, dans leur
esprit plutôt que dans leur lettre, mais également si la volonté du
législateur a été respectée et si leur gestion a été conforme à l’intérêt
public. Votre contrôle devra s’élever au-dessus du formalisme qui le
dirigeait jusqu’ici ».
Il ne s’agit donc plus de partir en chasse des erreurs factuelles, des
fautes, des irrégularités ou des abus, mais « d’apprécier la gestion »
des administrations, et ce grâce aux nouveaux outils mis à
disposition de la Cour : la comptabilité administrative des
ministères, les séances du Comité supérieur de contrôle financier, le
rapport public… Le cap est donné et, même si la Cour mettra
quelques années à se conformer effectivement à ses nouvelles
missions, elle ne le modifiera plus !
Face aux exigences du réarmement et pendant la durée de la guerre,
le dispositif de contrôle financier, soumis à de très fortes tensions
136
, est partiellement suspendu et le Comité supérieur de contrôle
financier ne se réunit plus. Lors de l’instauration du régime de
Vichy, le « système financier » est profondément bouleversé : avec la
suppression du Parlement et des commissions des finances, c’est en
effet l’un des piliers du système financiaro-budgétaire qui disparaît.
Par le décret du 24 août 1940, le nouveau ministre des Finances
Bouthillier, qui en vertu de la loi du 17 juillet 1940 a relevé de ses
fonctions le premier président Labeyrie, demande à Drouineau, chef
du Service de l’inspection des finances, faisant office de premier
président de la Cour des comptes, de préparer un « projet de réforme
des contrôles juridictionnels et administratifs s’exerçant sur les
comptables et les ordonnateurs ». Après de nombreuses
consultations au sein de la Cour, le contrôle juridictionnel est
finalement maintenu et modifié par les lois du 4 avril, du 16 mai et
du 29 octobre 1941 ; les méthodes de travail, en partie inspirées par
celles de l’Inspection avec qui les liens sont resserrés, sont
renouvelées, notamment par l’introduction du contrôle sur place
maintes fois évoqué dans les années 1930, tandis que la mise en
œuvre des contrôles de comptabilité administrative introduits par la
réforme Labeyrie de 1936 se poursuit résolument. Le rapport public
en revanche concentre les critiques du nouveau premier président,
qui veut lui substituer une nouvelle procédure, « logique et
expéditive dans un régime d’autorité », celle qui consiste à signaler
par voie de référé les fautes de gestion « directement et
immédiatement au secrétaire d’État et au chef de l’État 137 » ; il lui
est finalement substitué un simple « compte-rendu d’activités »
annuel remis au chef de l’État français, dont on dispose de 1942 à
1944.
C’est en réalité du côté du comité budgétaire, créé par décret le 16
novembre 1940 et installé le 30 novembre, présidé par Drouineau et
censé remplacer les commissions des finances dans la discussion du
budget, que le rôle de la Cour des comptes connaît ses plus grands
changements. La Cour assure à partir du printemps 1941 le
secrétariat général du comité budgétaire (Bresson) 138 ; elle lui
fournit, outre son président et son rapporteur général (Rosset,
assisté de Chalandon et de Sarget), une vingtaine de rapporteurs
enquêteurs de tous grades 139 , chargés de l’examen des budgets
présentés par les différents départements ministériels 140 .
Drouineau met dans ce nouveau dispositif budgétaire voulu par
Bouthillier tout son espoir 141 :
« Dans notre organisation financière, seule la Cour, où viennent se centraliser
toutes les pièces de dépenses, est en mesure d’établir un tableau complet et exact
de l’emploi des crédits. Et cependant, par une lacune incroyable, aucun usage
142
n’était fait de ce merveilleux instrument . En constituant à la Cour le
secrétariat général du Comité budgétaire, en faisant examiner par les conseillers,
aussitôt l’arrivée des pièces à la Cour, les pièces justificatives de dépenses pour
les chapitres de budget qui sont les plus intéressants à surveiller, en établissant
une liaison constante entre les rapporteurs et le secrétariat général du Comité,
j’espère pouvoir donner à celui-ci, au moment de l’élaboration du budget de
1942, des renseignements précis et utiles pour la détermination des dotations
budgétaires. Et quelle que soit la forme que la constitution future donnera à
l’autorité budgétaire, j’ai la conviction que l’expérience en cours deviendra la
base d’une institution durable et féconde ».
Et Bouthillier de répondre en détaillant ses attentes à l’égard des
magistrats de la Cour :
« Le régime que nous voulons construire est fondé sur les deux principes
d’autorité et de responsabilité ; mais l’autorité n’est légitime qu’avec la garantie
du contrôle et la responsabilité n’est assurée que par la rigueur des sanctions […]
C’est dans [le] contrôle sur les administrateurs que je vois pour l’avenir le
développement le plus remarquable de votre rôle. […] C’est sur vous et sur vous
seuls que peut compter le Gouvernement pour être exactement renseigné […]
Désormais, il ne dépendra que de la haute valeur de vos travaux que vos conseils
soient considérés comme des arrêts […] Informateurs du chef de l’État pour les
fautes individuelles, informateurs de l’autorité budgétaire et du secrétaire d’État
aux finances pour les fautes de l’administration, votre tâche est immense ».
Les contrôles de comptabilité administrative menés par la Cour sont
donc mis à contribution pour alimenter le comité budgétaire en
informations et en argumentaires contre les demandes de crédits des
ministères « dépensiers 143 ». Cet espoir sera en grande partie déçu
et le comité budgétaire, privé de l’appui que constituait la puissante
commission des Finances du Sénat, ne remplira aucunement l’office
que le ministre des Finances et le premier président de la Cour des
comptes voulaient lui voir jouer 144 . Quoi qu’il en soit, avec le comité
budgétaire, construction financière ultra-centralisée qui cumule les
missions des commissions des finances de l’ancien Parlement, celles
du Comité supérieur de contrôle financier 145 et doublonne en partie
le travail de la direction du Budget, la Cour des comptes se voit
basculer du côté du pouvoir budgétaire ; devenue non plus
l’auxiliaire du Parlement, comme le voulait la tradition républicaine,
mais l’auxiliaire de l’exécutif, elle se trouve de facto associée à la
préparation et à la discussion du budget autant qu’au contrôle de son
exécution.
C’est aussi dans le cadre du comité budgétaire que Drouineau relance
les travaux effectués à la Cour en 1939 sur la définition de la
responsabilité des administrateurs et sur « l’organisation d’une
procédure capable de mettre en jeu des sanctions effectives de cette
responsabilité 146 ». Ne croyant pas à l’empilement des contrôles
financiers, c’est dans un régime nouveau de responsabilité et de
sanctions pour les administrateurs qu’il met en réalité ses espoirs : «
Le jour où une faute grave sera punie immédiatement, sévèrement et
avec publicité, le contrôle financier deviendra un rouage efficace et
bienfaisant dans la vie publique 147 ». Vingt-cinq ans après la
commission Selves consacrée à la réforme du « système financier »
(1918), alors que le Comité supérieur de contrôle financier vient
d’être abandonné, c’est la proposition du président Courtin en 1918
qui se trouve désormais inscrite à l’agenda de la réforme des
finances publiques, celle d’une « chambre de discipline budgétaire
148
».
À la Libération, l’ancien échafaudage à trois étages du contrôle
financier mis en place en 1935-1936, carcan rigide et inadapté aux
exigences des décideurs et des gestionnaires de la Reconstruction
149
, n’est pas rétabli, même s’il n’a jamais été abrogé ; il tombe dans
l’oubli. Le dispositif de 1922 reste seul en place pour les
administrations centrales, amendé et perfectionné en 1953, complété
par le contrôle d’État en 1944 pour les entreprises publiques puis par
le contrôle financier local en 1971. La préoccupation du contrôle qui
a tant marqué l’entre-deux-guerres s’efface au second plan devant
d’autres priorités plus économiques et plus économistes : la
valorisation de l’intervention de l’État, le rôle positif de la dépense
publique, la planification, la modernisation de l’économie et de
l’État, la mystique de l’investissement, la productivité, la prévision,
la croissance, l’expansion… Pour la Cour des comptes, parmi les
réformes des années 1930 et 1940 subsiste essentiellement la
réforme de la comptabilité administrative, définitivement acquise
mais rapidement occultée par les réformes de la toute jeune IVe
République au parfum d’innovations 150 : la constitutionnalisation du
rôle budgétaire de la Cour auprès des commissions des finances du
Parlement (art. 18 de la Constitution du 27 octobre 1946 151 ), le
Comité central d’enquête sur le coût et le rendement des services
publics en 1946, la Ve chambre pour les organismes de Sécurité
sociale (loi du 31 décembre 1949), la Commission de vérification des
comptes des entreprises publiques (loi du 6 janvier 1948) et la Cour
de discipline budgétaire et financière (loi du 29 janvier 1948). Ces
initiatives institutionnelles recueillent les fruits des efforts de
l’entre-deux-guerres pour renforcer le contrôle sur les
administrations et les ordonnateurs et manifestent l’intérêt que les
responsables publics portent désormais à la gestion des services
publics. Vaccinée contre la tentation vichyste de devenir l’auxiliaire
du seul pouvoir exécutif, la Cour des comptes réoriente ses regards
vers le Parlement et entame la longue marche soixantenaire qui la
mènera à « l’équidistance » entre l’exécutif et le Parlement…

Conclusion
Entre 1914 et 1948, la Cour des comptes connaît un moment
réformiste particulièrement dense, qui n’a pas d’équivalent selon
nous au XXe siècle, jusqu’à la séquence de la LOLF votée en 2001.
Cette séquence s’explique par une configuration exceptionnelle : un
contexte de crise budgétaire qui place la gestion des finances
publiques au premier plan des préoccupations gouvernementales,
des hommes politiques intéressés par la rénovation du « système
financier » et plus particulièrement par le rôle de la Cour au sein de
ce système, (Caillaux, Chéron, Petsche, Maulion, Gardey, Mauger,
Auriol, Bouthillier), des hauts fonctionnaires entrepreneurs de
réformes, convergents, persévérants et appuyés politiquement
(Courtin, Féret du Longbois, Bloch, Labeyrie, Drouineau, Bouthillier),
des objectifs clairs (mettre en place un contrôle de la gestion des
administrations), des réformes « gestionnaires » discrètes, en
apparence modestes mais réellement mises en œuvre (la réforme
comptable, la réforme du contrôle financier, la réforme de la Cour
des comptes), l’apprentissage de méthodes de travail nouvelles et
l’acquisition de métiers nouveaux (conseil, enquête, contrôle sur
place…). La Cour prend dans ces années-là des initiatives
administratives et politiques de premier plan et se voit soutenue à
partir des années 1930 tant par le pouvoir exécutif que par les
commissions des finances qui se préoccupent de sa place dans le
système financier ; elle renforce son contrôle en matière de
comptabilité et de gestion pour les administrations centrales, étend
ses interventions vers le secteur économique (les offices) et social
(les associations), prend pied dans la réforme administrative et la
réorganisation des services et déborde à l’extrême fin de la période
sur le pouvoir budgétaire… Cette dynamique l’autorise à faire jeu
égal dans la période avec un ministère des Finances qui ne connaît
pas encore l’expansion quantitative et qualitative qui sera la sienne
dans l’après 1948 et lui permet de disputer à ce dernier, voire de
prendre, momentanément, le leadership dans la réforme du système
de gestion des finances publiques et de l’État.

NOTES
1. La mission dévolue à la Cour des comptes par Napoléon Ier réside essentiellement dans le
jugement des comptes des comptables de l’État ; les réformes de la Restauration et de la
monarchie de Juillet ont confié à la Cour le contrôle supérieur des finances de l’État en lui
demandant notamment de garantir par une déclaration annuelle la conformité des comptes
des comptables qu’elle juge, avec les comptes administratifs ministériels et avec le compte
général de l’administration des Finances. Sur l’échec de cette ambition, voir la contribution
de C. Descheemaeker dans ce même volume.
2. Projet de loi n° 3390, 10e législature, 15 janvier 1914.
3. Selon la loi du 22 avril 1832, le Rapport annuel de la Cour doit être imprimé et distribué
aux chambres, mais le décret du 31 mai 1862 (art. 447) a précisé que le rapport devait être
désormais accompagné des « éclaircissements de l’administration », ce qui ralentit
considérablement la procédure de publication puisqu’il faut désormais attendre les
réponses des services aux observations de la Cour… Le resserrement du calendrier, réclamé
par Caillaux, est donc tout à fait stratégique : il permettrait à la Cour de peser dans la
préparation du budget, ainsi que dans les débats parlementaires qui accompagnent la
discussion et le vote du budget.
4. Il est difficile de dire si des magistrats de la Cour ont contribué directement à ce projet de
loi ; en revanche, on sait que, de 1917 à 1936, ils en ont fait la référence de tous leurs projets
de réforme. Nous n’avons pas d’informations particulières sur l’élaboration et la rédaction
de ce projet de loi, qui à ce jour a pour seul auteur identifié Joseph Caillaux. Notons que son
jeune chef de cabinet est à l’époque Émile Labeyrie dont il sera question plus loin.
5. La Cour des comptes se compose en 1914 de trois chambres. Outre le premier président,
le procureur général, l’avocat général et le greffier en chef (futur secrétaire général à partir
de 1925), on décompte trois présidents de chambre, 18 conseillers maîtres, 92 conseillers
référendaires, 27 auditeurs, soit au total 144 magistrats. Nous remercions J. F. Potton de
nous avoir communiqué ces informations.
6. Il faut attendre 1933 pour voir nommer un premier président et un procureur général
issus de la Cour : Maurice Chotard issu de l’auditorat et Émile Labeyrie, en provenance de la
première présidence.
7. SAEF, B 33 972.
8. Une seule de ces préconisations sera reprise dans la loi Marin du 10 août 1922 sur le
contrôle des dépenses engagées : la communication à la Cour des comptes des rapports
d’ensemble des contrôleurs des dépenses engagées (art. 7), mais pas ceux de l’Inspection des
finances. Sur la loi Marin, son contenu, ses prolégomènes et ses enjeux, Sébastien Kott, Le
contrôle des dépenses engagées, Évolutions d’une fonction, Paris, Comité pour l’histoire
économique et financière de la France, 2004.
9. Séances du 4 et du 11 mars 1921, archives de la Cour des comptes, Registre des
conférences des présidents 1895-1922, 2004 001/1.
10. Sur les retards et les désordres comptables, F. Faure et Fleury-Navarin, « La Cour des
comptes et le contrôle des dépenses publiques », in Revue politique et parlementaire, 1921, p.
5-26. Les comités d’économies et les réformes administratives se succèdent entre 1920 et
1922 : commission Selves 1917-1918, commission Courtin en 1918-1919, commission
d’économies Hébrard de Villeneuve à l’été 1919, création de la direction du Budget en
octobre-novembre 1919, Comité supérieur d’enquête sur les économies dit comité Bloch en
1920, comité Marin de réforme administrative en 1922…
11. La direction du Budget est instituée par la loi du 21 octobre 1919 et le décret du 7
novembre 1919. Cf. Nathalie Carré de Malberg, « La naissance de la direction du Budget et
d’un contrôle financier et les grandes étapes d’un développement contrasté 1919-1940 », in
colloque Comité pour l’histoire économique et financière de la France, La direction du Budget
entre doctrines et réalités 1919-1944, Paris, 2001, p. 65-104.
12. Proposition de loi Fleury-Ravarin, Documents parlementaires, Chambre des députés,
Journal officiel, annexe n° 2065, p. 763, 1921, 8 articles. « Nous voudrions un organe chargé de
la vérification méthodique des opérations effectuées, des pièces comptables et des comptes,
dans lesquels est retracée toute la vie financière de l’exercice écoulé, un organe qui vienne
dire au Parlement tout ce qu’il y a d’intéressant dans ces comptes, toutes les infractions au
budget ou aux volontés du Parlement, tous les abus, toutes les dépenses paraissant inutiles,
tout ce qui annonce ou peut faire redouter le gaspillage des deniers publics ». Selon le
député, cet organe ne saurait être que la Cour, qui reprendrait les attributions du Comité
supérieur d’enquête de 1920 et qui serait dotée des plus larges pouvoirs d’enquête sur
pièces et sur place. Son rapport annuel, complété des référés et des réponses des
administrations, serait adressé avant le 1er juillet, à l’instar de la Grande-Bretagne, de
l’Italie ou de la Belgique aux commissions des finances de la Chambre et du Sénat qui
pourront convoquer devant elles le procureur général, le ministre des Finances et les chefs
de service des administrations contrôlées pour des séances contradictoires. Outre le
renforcement des pouvoirs de contrôle du Parlement et plus particulièrement des
commissions des finances, le projet parlementaire est marqué par la volonté d’associer la
Cour au contrôle administratif de la dépense et de « rajeunir » les méthodes de travail de la
Cour (contrôle sur pièces, droit d’enquête, séances contradictoires orales, référés, rapport
public, communication des rapports d’inspection, etc.). Fleury-Ravarin, né en 1861,
sénateur puis député du Rhône, a réussi avec succès l’auditorat du Conseil d’État ; il s’est
intéressé avant 1914 aux questions de fiscalité et aux budgets des chemins de fer. Sur les
propositions de Faure et Fleury-Navarin, « La Cour des comptes et le contrôle des dépenses
publiques », op. cit.
13. Séance du 11 mars 1921, Registre des conférences des présidents 1895-1922, 2004 001/1.
14. La conférence des présidents de manière significative se refuse à autoriser la Cour à
communiquer ses référés au Parlement, au nom de l’indépendance de la juridiction.
15.Mémoires de G. Denoix, premier directeur du Budget, in La direction du Budget entre
doctrines et réalités 1919-1944, Paris, Comité pour l’histoire économique et financière de la
France, 2001, p. 521-569.
16. Préparé par la commission Colson en 1921, le projet de loi gouvernemental déposé le 8
novembre 1921 est voté le 29 décembre 1923.
17. SAEF, B 59 119, commission Courtin, 7 août 1918.
18. Conférence des présidents, 29 novembre 1922, 2004 001/2, et lettre du ministre des
Finances au premier président de la Cour des comptes (SAEF, B 12 387).
19. Pierre Brin, né en 1882, est conseiller référendaire en 1921 et conseiller maître en 1930.
Il fait ses premières armes dans la réforme administrative en tant que secrétaire rapporteur
du Comité d’enquête sur les économies administratives de 1920 à 1925. Président de la
commission de réforme de la comptabilité du département de la Guerre le 30 juin 1930, il
assure le secrétariat de la commission sur les Offices de 1933-1934 et en rédige le rapport
général, publié en 1936. Vice-président du Conseil supérieur des assurances sociales en
1936, il est nommé président de chambre en 1937, procureur général en octobre 1944 puis
premier président en 1948. Il préside à partir de 1946 le Comité central d’enquête sur les
coûts et les rendements des services publics.
20. On mesure le chemin que va parcourir Brin, futur président du Comité d’enquête sur le
coût et le rendement des services publics après 1945.
21. Registre des conférences des présidents de chambre, 29 novembre 1922, p. 9.
22. En 1946, Brin, présidera le Comité d’enquête sur le coût et le rendement des services
publics ; cet organisme aura pour principale activité la réalisation d’enquêtes sur pièces et
sur place dans les services publics.
23. Le rapport Marin est publié au Journal officiel le 10 décembre 1923, mais nulle mesure de
réforme n’a été prévue pour la Cour des comptes par la commission Marin, qui compte
pourtant le procureur général Bloch parmi ses membres.
24. Le comité des experts, créé le 31 mai 1926, alerte néanmoins les pouvoirs publics sur les
offices, qui se sont multipliés depuis la guerre et qui échappent au contrôle du ministère des
Finances comme à celui de la Cour.
25. Le vote de la loi Marin sur le contrôle des dépenses engagées en 1922 est inséparable de
la mise en place à la même époque des premières politiques publiques d’économies et de
réduction des effectifs de fonctionnaires, de l’apparition des premiers Comités d’économies
budgétaires et de réforme administrative et de la prise d’autonomie de la direction du
Budget à partir de 1920.
26. Note de Brunet, sous-directeur, sur les retards accumulés dans la reddition des comptes,
s. d., SAEF, B 50 366.
27. R. Jacomet, Les budgets. Le contrôle de leur exécution. Domat-Montchrestien, Paris, 1935 et
L. Tallineau, « Le questionnaire ayant pour but de faire ressortir les traits généraux du droit
budgétaire (1935) », in colloque La direction du Budget entre doctrines et réalités 1919-1944, Paris,
Comité pour l’histoire économique et financière de la France, p. 317-381.
28. Conférence des présidents, 10 mars 1927, 2004 001/2.
29. Conférence des présidents, séances du 10, 11, 19 et 28 mars, 27 juillet, 30 novembre 1927,
2004 001/2.
30. Cf. la note de Bloch, procureur général, aux rapporteurs en août 1926, son exposé en
conférence des présidents le 24 janvier 1927, sa mercuriale du 31 janvier 1927 et sa note du
8 février 1927. Bloch a été directeur de la Comptabilité au ministère des Colonies en 1900-
1901, directeur des Contributions directes au ministère des Finances et directeur de la
Comptabilité publique en 1912-1913.
31. Par exemple, pour plus d’efficacité, l’idée est émise de créer une « chambre coloniale »
ou de regrouper les comptes afférents à l’Empire dans une même chambre ; idem pour le
contentieux. Mais des divergences importantes au sein de la Conférence opposent les
partisans de la spécialisation et ceux de la tradition : selon l’ordonnance de 1838 et le décret
du 31 mai 1862, « le principe de la juridiction financière, c’est le roulement, non la
cristallisation des magistrats ».
32. Conférences des présidents, 1er mai, 30 juillet 1929, 7 novembre 1930, 2004 0001/2.
33. La proposition est bien en retrait de celle de Caillaux en 1914.
34. F. Monnet, Refaire la République, André Tardieu, une dérive réactionnaire (1876-1945), Paris,
Fayard, 1993.
35. G. Jèze, professeur à la Faculté de droit de Paris, fondateur de la discipline des finances
publiques, est l’un des plus actifs militants de la modification de la date d’ouverture de
l’année financière ; il défend cette mesure depuis la commission Stourm de 1913 et invoque
les modèles anglais, allemand, américain qui ont tous choisi la date du 1er avril. Il se heurte
à l’époque à l’opposition unanime des magistrats de la Cour des comptes et des directeurs
des Finances. Sa deuxième tentative en 1918 au sein de la commission Selves se solde par un
échec ; en 1919, la commission Bloch chargée à nouveau d’étudier le changement du point
de départ de l’année financière semble se rallier à la solution de Jèze, mais la commission
des finances de l’Assemblée emmenée par Marin s’y oppose ; le ministère des Finances en
1920 présente à son tour un projet de loi en ce sens, mais aucun vote n’intervient. En 1926,
le Comité des experts revient à la charge, précédé de plusieurs rapports d’experts,
notamment le rapport Peytral de 1926. SAEF, B 50 364.
36. SAEF, B 33317 et décret du 21 janvier 1930, JO du 22 janvier 1930, p. 725. La commission a
été modifiée par décret le 19 mars 1931 et le 27 mai 1932 afin de proroger sa mission en ce
qui concerne l’amélioration et la simplification des règles de la CP (JO du 1er avril 1931 et du
27 mai 1932). Elle rassemble, sous la présidence de Petsche sous-secrétaire d’État aux
Finances, Laurent, premier président honoraire de la Cour des comptes, Privat-Deschanel,
procureur général honoraire, Bloch, procureur général, Tardit, président de section au
Conseil d’État, Chotard, président de chambre, Fochier, conseiller d’État, Labeyrie,
conseiller maître, Fouchier, conseiller maître, Sauvalle, inspecteur général des Finances,
Drouineau, inspecteur général des Finances, Labussière, directeur de la Comptabilité de
l’Intérieur, Guérin, directeur de la CP, Villard, directeur du Budget et du Contrôle financier,
Guiraud, receveur, Veraguth, TPG, Goby, contrôleur de l’Armée. Lui sont adjoints des jeunes
rapporteurs, Saint-Raymond et Lainé, conseillers référendaires, Hervé-Gruyer, auditeur,
Ripert, Boissard et Allix, inspecteurs des Finances.
37. Au même moment, conformément à certaines préconisations de la commission et sur la
pression du Parlement, le gouvernement Tardieu parachève la loi de 1922 sur le contrôle
des dépenses engagées en l’étendant aux dépenses des ordonnateurs secondaires (loi de
finances du 16 avril 1930, art. 133). La direction du Budget met à l’étude les modalités de ce
nouveau contrôle (B 33 316).
38. Quelques jours après le décret du 16 décembre 1930 portant application du changement
de date de l’année financière, la conférence des présidents de chambre essaie d’évaluer les
conséquences du nouveau dispositif sur les comptables, sur la présentation des comptes
départementaux, sur les arrêts de caisse et sur les transmissions à la Cour. Les magistrats
réitèrent leur opposition à la nouvelle formule qu’ils qualifient d’« illogique et
d’inutilement compliquée » (séance du 19 décembre 1930, 2004 001/2. p. 327). En 1931, en
dépit du nouveau dispositif, le vote du budget n’évite pas les retards habituels. Un an plus
tard, la loi du 31 mars 1932 abroge la loi du 27 décembre 1929.
39. Sur la réforme de la CP qui s’est déroulée de 1930 à 1936, B 33 230, 33 317, 50 367, 50 366,
50 365, 33 357.
40. Drouineau insiste sur le fait que la sous-commission doit se concentrer sur la réforme
des écritures qui n’exige pas de loi, mais une simple décision ministérielle (PV du 5 mai
1930). Celle-ci prendra effet avec l’instruction du 20 novembre 1933 et sera parachevée par
les décrets-lois de juin 1934.
41. Y compris les articles concernant le contrôle des dépenses engagées, les marchés
publics, la procédure et la nomenclature budgétaire ou la Cour des comptes…
42. Pour un bilan des travaux de la commission, SAEF, B 50 366, note du 21 décembre 1933.
43. Drouineau et Bloch veulent intégrer la comptabilité des offices, qui échappe au contrôle
des Finances et de la Cour.
44. Labeyrie se montre très critique dans son rapport de 1933 sur les travaux de cette sous-
commission, parlant de « mesures fragmentaires dont l’application apportera sans doute
quelques améliorations de détail, mais ne constitue nullement la réforme attendue à l’effet
d’établir une comptabilité claire, complète, rapide de toutes les recettes et les dépenses de
l’État » (Rapport, p. 79). En réponse, la direction de la Comptabilité publique dans sa note
bilan du 21 décembre 1933 se félicite du travail accompli, notamment du fait qu’une «
situation du Budget et du Trésor sera désormais établie et publiée mensuellement ; [qu’elle]
permettra au Parlement de suivre en cours d’exercice l’emploi des crédits budgétaires, la
marche du recouvrement des recettes, les variations de la situation comptable de la
Trésorerie ».
45. B 33 317, séance du 17 mai 1934. L’inspecteur général des Finances Drouineau s’oppose
comme à l’accoutumée à la communication à la Cour des rapports de l’Inspection. Quant aux
projets de Labeyrie sur la réforme comptable de 1930 et 1933, ils ne sont pas évoqués et leur
auteur n’est pas auditionné.
46. Bloch et Labeyrie se prononcent d’entrée de jeu en faveur de l’extension des
attributions de la Cour en matière de contrôle des ordonnateurs, au profit du Parlement (B
33 317, séance du 4 février 1930).
47. E. Labeyrie, qui a démarré sa carrière à la Cour des comptes en 1900 comme secrétaire
auprès de son père Henri Labeyrie, premier président, est une « créature » de Caillaux : chef
de son secrétariat particulier en février 1902 rue de Rivoli, il est nommé conseiller
référendaire en septembre de la même année ; en 1913-1914, il est son chef de cabinet, puis
en 1925 son directeur de cabinet sous le cartel des gauches ; il est nommé conseiller maître
en 1925.
48. SAEF, B 50 317, Note Labeyrie du 26 juillet 1930, p. 54-56. Cette note a été précédée d’une
première mouture, présentée le 1er mars 1930 à la Cour des comptes ; elle n’a pas été
discutée au sein de la deuxième sous-commission Chéron consacrée à la comptabilité !
L’antagonisme Drouineau-Labeyrie trouve-t-il ici sa source ?
49. SAEF, B 50 366. Au cours de la discussion du budget 1932, le 30 mars 1931, Caillaux à la
tribune du Sénat reprend le même argumentaire ; la CP assure sa défense auprès du
ministre le 14 avril 1931. Le même thème sera repris dans le rapport Labeyrie de 1933 puis
dans le rapport du sénateur Maulion de 1934, « Étude sur la réforme du Contrôle financier
et de la Cour des comptes » (voir infra).
50. SAEF, B 50 317, note de J. Brunet, sous-directeur, 5 août 1930 et B 50 366, note au
ministre de Guérin, directeur de la Comptabilité publique, 25 octobre 1930. Des propositions
de Labeyrie, le sous-directeur retient la création d’une inspection des comptables
directement placée sous l’autorité de la Comptabilité publique, le rattachement des
contrôleurs généraux des Finances à la direction du Budget et le renforcement de la Cour. Il
ironise sur le caractère « révolutionnaire » des mesures et suggère de ne pas diffuser
prématurément la note.
51. Archives de la Cour, dossier de P. Brin. Les travaux de cette commission aboutissent à un
premier décret du 25 décembre 1932, suivi de deux autres en 1934 et 1935. Pour ses services,
Brin reçoit à deux reprises en 1932 et en 1936 les félicitations de Daladier, ministre de la
Guerre, ainsi que les deux conseillers référendaires qui l’ont assisté, Grandsaignes et Walter,
et le jeune auditeur Devillez.
52. B 50 317.
53. Les interventions de Petsche sur la réforme administrative sont repérées dès 1930 par
L’État moderne. En 1932, Petsche, toujours associé à P. Reynaud, s’intéressera au contrôle des
offices.
54. Le procureur général Bloch semble avoir pris une part active dans l’élaboration du texte
Petsche ; en conférence des présidents, c’est lui qui présente le projet et qui répond aux
objections présentées par les autres magistrats. Sont successivement évoqués le problème
des commissaires du Gouvernement qui apparaissent comme « juges et parties » au sein du
Comité de contrôle financier, le principe de la nomination des membres par le ministre des
Finances, grave entorse à l’indépendance de la Cour, mais qui pourrait se résoudre par une
désignation préalable par le premier président, le souhait du premier président de voir
siéger au Comité les trois présidents de chambre à l’instar du Comité du rapport public. Une
lettre est envoyée en ce sens à Petsche (note au ministre du 29 novembre 1930). Selon Bloch,
les réunions du Comité de contrôle financier devront être fréquentes. (Conférence des
présidents, séance du 28 novembre 1930, 2004 001/2).
55. Commission Chéron, séance du 24 novembre 1930, B 50 366 et 50 317 ; conférence des
présidents, séance du 28 novembre 1930, 2004 001/2 ; Rapport Labeyrie de 1933.
56. Cette proposition est la seule véritable innovation introduite depuis le projet Caillaux ;
elle trahit l’origine de Petsche, ancien auditeur à la Cour des comptes, et pointe l’effort de
modernisation que d’aucuns voudraient voir faire par la Cour des comptes.
57. Conférence des présidents, 28 novembre 1930.
58. Selon Labeyrie, le projet Petsche aurait été enterré par les Finances (Rapport 1933, p. 77-
79). Aucun document dans les archives de la CP ne confirme à ce jour cette affirmation et la
CP semble avoir relayé normalement le projet auprès du ministre (cf. notes au ministre du
directeur, 5 mars et 14 avril 1931, B 50 366). En revanche, la mise en place d’un contrôle des
ordonnateurs rencontre une opposition intraitable du conseiller d’État Tardit, qui reste
néanmoins isolé.
59. Dans les trois gouvernements radicaux de l’année 1933 (Daladier, Sarraut et
Chautemps), se succèdent au Budget Lamoureux, Gardey et Marchandeau, tandis qu’aux
Finances se maintient Bonnet. Les ministres du Budget et des Finances s’accordent pour
poursuivre et accentuer la politique d’économies amorcée par leurs prédécesseurs,
Palmade, Chéron et Germain-Martin (dispositif Palmade du 15 juillet 1932, création du
Comité supérieur d’économies le 22 octobre 1932 ; décret Chéron de janvier 1933
suspendant le recrutement des fonctionnaires ; loi d’économies du 28 février 1933 ; plan
d’économies de Gardey de novembre 1933 ; loi d’économies Marchandeau du 23 décembre
1933).
60. Le poste de secrétaire général aux Finances, occupé pour la dernière fois par Privat-
Deschanel entre 1913 et 1919, a disparu après la guerre ; dans les années 1920 et au début
des années 1930, c’est le directeur du Contrôle des administrations financières qui en fait
office ; en 1932, c’est Bouthillier qui occupe le poste. En décembre 1932, contre tous les
usages, alors qu’aucun magistrat de la Cour n’a jamais été nommé directeur rue de Rivoli,
Labeyrie est nommé secrétaire général du ministère des Finances par Palmade, ministre du
Budget… De façon éphémère puisque, dès le mois d’avril, Labeyrie est de retour à la Cour
des comptes. Bouthillier continue d’occuper de 1932 à 1935 le poste de chef du Service du
contrôle des administrations financières et deviendra secrétaire général du ministère des
Finances en 1938, après le rétablissement du poste par V. Auriol en 1936.
61. Bonnet et Labeyrie fréquentent tous deux les banquets de L’État moderne qui s’apparente
à l’époque à ce que l’on pourrait appeler à la fois un club et un think tank pour les
gouvernements radicaux-socialistes d’avant 1936, notamment sur la réforme de l’État ou
sur la réforme fiscale. Est-ce en compensation de son départ du secrétariat général des
Finances que Bonnet a confié à Labeyrie la rédaction de ce rapport ?
62. Cf. son rapport p. 42-46.
63. Le rapport Labeyrie se trouve au SAEF (B 50 366) et à la bibliothèque de la Cour des
comptes. Long de 93 pages, il comporte quatre annexes : une note de Le Vert, auditeur à la
Cour, sur le service des comptables centralisateurs régionaux de l’administration des PTT,
une note historique de Grandsaignes, conseiller référendaire, sur l’organisation des services
financiers de l’État en France, le discours de Labeyrie du 2 juin 1933 lors de son installation
comme procureur général et une seconde note de Grandsaignes sur la comptabilité publique
italienne.
64. Labeyrie n’appartient pas à l’Inspection des finances ni à la caste des grands directeurs
de la rue de Rivoli ; il a effectué la majeure partie de sa carrière sous la protection de
Caillaux puis de Palmade et Bonnet et vient de quitter le poste transversal de secrétaire
général des Finances pour le poste (inamovible) de procureur général à la Cour. Il a une
liberté, voire une brutalité de ton, qui tranche avec les préconisations feutrées des
traditionnelles commissions de la rue de Rivoli.
65. Labeyrie annonce clairement que leurs émoluments devront être « considérablement
réduits » (p. 46).
66. Cette procédure contradictoire sera précisément celle retenue par le Comité supérieur
de contrôle financier de 1936, mais aussi par le CCECRSP en 1946 et par la CVCEP en 1948.
67. Le cas italien semble bien connu des experts des finances publiques français. Étudié par
l’inspecteur général des Finances Certes en 1887-1888, il l’est à nouveau de façon détaillée
par le conseiller maître V. de Marcé pour le compte de la commission Selves en 1918, puis
par l’inspecteur des Finances H. de Peyster, qui se spécialise dans les missions d’études
internationales ; ce dernier se rend notamment en Italie en 1921 pour le compte du ministre
des Finances Doumer. En 1933, Labeyrie commande une note sur la Cour des comptes
italienne à Grandsaignes, conseiller référendaire. Dans cette note, l’auteur expose le
contrôle préventif qu’effectuent les agents de la Cour des comptes italienne auprès des
ordonnateurs (double visa) et les différentes réformes qui ont affecté cette organisation
entre 1869 et 1928. Il montre comment « la comptabilité administrative est établie et
contrôlée au jour le jour, ce qui facilite la reddition des comptes au Parlement et la rend
très rapide. En même temps, le contrôle préalable assure d’une façon parfaite l’exactitude et
la sincérité de la comptabilité ». D’une façon générale, les travaux menés au sein des
commissions préparatoires de la SDN entre 1926 et 1932 en vue de la conférence sur le
désarmement, ont permis de grands progrès dans l’étude comparative des systèmes
budgétaires et financiers des pays représentés. À la suite de cette expérience fondatrice, R.
Jacomet, contrôleur général de l’Armée et représentant de la France à la SDN, créera en
1935 avec le doyen Allix la section des finances publiques de l’Institut de droit comparé. Le
30 avril 1935, c’est à l’Institut de droit comparé que Grandsaignes prononce une conférence
sur le contrôle préventif italien et ses avantages, publiée dans la Revue de droit comparé en
1937 (p. 43-70). Lors de cette séance, sont présents l’inspecteur général des Finances
Peyster, V. de Marcé, conseiller maître et spécialiste des systèmes comparés de comptabilité
publique et de contrôle financier en Europe, Labeyrie, procureur général, et Mauger,
président de la commission des comptes définitifs du Sénat. La discussion est vive entre
Grandsaignes partisan d’un contrôle préventif des dépenses et des recettes confié à un
grand corps indépendant « qui ne négligerait pas la critique de la gestion », Peyster plus
âgé, peu favorable au contrôle préalable en raison de la dilution des responsabilités et
sceptique sur son efficacité sur le terrain, Marcé, qui rappelle ses propres travaux d’avant-
guerre, Labeyrie, qui revient à la charge sur la nécessité de comptes plus exacts et plus
rapides, et Mauger, très offensif sur la reddition des comptes définitifs et virulent contre le
ministère des Finances.
68. Depuis 1932, Caillaux est président de la commission des Finances du Sénat.
69. Selon l’expression utilisée par le sénateur Maulion dans son rapport d’août 1934 (p. 8,
voir infra).
70. Labeyrie dans son rapport de 1933 pointe le motif budgétaire dans l’échec de la création
en 1930 d’un contrôle des dépenses engagées local : « Sans doute a-t-on reculé devant
l’importance des crédits qui eussent été nécessaires à la création d’au moins 90 emplois
nouveaux de contrôleurs de dépenses engagées dans les départements » (p. 42). Il ne semble
pas voir que son projet en 1933, alors que la réduction des effectifs des fonctionnaires est un
des objectifs prioritaires du Gouvernement, se heurte au même obstacle ! Dans son rapport,
pas une fois il n’aborde la question du financement de sa réforme et la façon dont il pense
obtenir du Parlement les créations de postes correspondantes.
71. On ne connaît pas les réactions des chefs de service de la rue de Rivoli, mais on peut
imaginer qu’en écrivant ce rapport, Labeyrie ne s’est pas fait que des amis. Parmi eux,
Drouineau, et surtout Bouthillier, inspecteur des Finances, avec qui il va croiser le fer à
partir de 1934 jusqu’à l’épisode final en juillet 1940.
72. Séance solennelle, le 3 juillet 1934, 2004 001/27. Le rapport fait en revanche l’objet d’une
note défensive de la part de la CP le 21 décembre 1933 (B 50 366).
73. Quatorze magistrats sont concernés selon le premier président. Labeyrie dénonce une «
loi de sacrifice » et parle des magistrats « sacrifiés en expiation des prodigalités du Budget
et de la Trésorerie » (2004 001/27. discours, p. 1).
74. Depuis son installation comme procureur général, Labeyrie ne cesse de vouloir
moderniser les méthodes de travail de la Cour, qu’il s’agisse de la reddition des comptes et
du travail juridictionnel, des relations avec les administrations publiques, de l’information
du Parlement ou du contrôle de l’exécution du budget (cf. son discours de rentrée le 23
septembre 1933). Une commission interne dite des vacations est créée le 17 novembre 1933
pour mieux apprécier le travail des magistrats et leur productivité. Le retard qui s’accumule
et qui enfle à partir de 1932, alors que la direction de la Comptabilité publique semble avoir
amélioré ses résultats, met en cause la responsabilité de la Cour. Lors de l’audience
solennelle du 1er août 1934, l’avocat général Saint-Raymond déclare que le nombre de
comptes en attente est passé de 12 213 à 14 373 entre juillet 1932 et juillet 1934 et conclut
sévèrement : « La Cour ne juge guère plus des deux tiers des comptes qui lui sont
annuellement adressés ». Face à cette carence de l’institution, il réclame un changement
dans l’organisation du travail : « La division du travail, la spécialisation des tâches sont, en
matière industrielle, la condition nécessaire du développement de la production. […]
Transposées dans le domaine de la vérification comptable, ces principes gardent leur
valeur, mais rencontrent de sérieuses difficultés d’application. L’une des principales dans
notre système de comptabilité publique provient du fait que les justifications relatives à
chaque service sont dispersées dans la comptabilité de 90 départements. Les mêmes
errements s’y reproduisent, les mêmes questions se présentent à l’examen des différents
rapporteurs. Il importe que les pertes de temps et d’efforts qui en résultent soient
désormais évitées. La généralisation du travail par équipe, sous la direction de magistrats
expérimentés, doit permettre à ceux-ci de répartir entre leurs collaborateurs l’étude de
diverses questions, de les guider dans leurs tâches, de les aider à résoudre les problèmes qui
seront posés devant eux. De fréquents contacts entre les différentes équipes, la
réorganisation des services de documentation, faciliteront cette économie des forces,
conditions essentielles pour que la Cour puisse remplir le rôle qui lui a été dévolu par nos
institutions » (2004 001/27).
75. L’objectif prioritaire est l’établissement rapide et synthétique de situations de trésorerie
trimestrielles.
76. Sénateur radical-socialiste du Morbihan, inscrit au groupe de la gauche démocratique,
Paul Maulion a été vice-président de la commission d’administration générale,
départementale et communale. En août 1934, il est le rapporteur général de la commission
de la réforme de l’État.
77. Archives de la Cour des comptes, Rapport Maulion, 10 août 1934, « Étude sur la réforme
du contrôle financier et de la Cour des comptes, présentée à la commission de la réforme de
l’État du Sénat », le 10 décembre 1934.
78. Caillaux, depuis sa présidence de la commission des Finances du Sénat, tonne sur la
mauvaise gestion des finances publiques et en appelle sans se lasser à une nouvelle
comptabilité budgétaire, exacte et fiable : « On nous propose et nous votons des chiffres qui
sont des prévisions, démenties nécessairement par les réalités, qu’il s’agisse de recettes ou
de dépenses. Ce n’est que des années après que sont connus les résultats exacts », cité par G.
Berstein in colloque sur La direction du Budget entre les deux guerres, op. cit., p. 186 (Journal
officiel, Débats, séance du 26 février 1934). L’une des autres marques de cette attention
accrue du Sénat pour la reddition des comptes est la mise en place le 24 janvier 1934 d’une
commission des comptes définitifs ; composée de 18 membres, elle est vice-présidée par
Chéron, ancien ministre (1934-1936) et présidée par Mauger, sénateur radical-socialiste
jusqu’en 1938.
79. Selon Maulion qui a compris qu’il fallait anticiper les objections budgétaires, le coût
serait équivalent à tous les corps de contrôle superposés ou juxtaposés déjà existants.
80. « La comptabilité administrative, centralisée à la Cour des comptes, permettra
l’établissement très rapide des comptes de l’État. Les opérations ayant été vérifiées au fur et
à mesure de leur réalisation, le rapport annuel de la Cour pourra être remis très peu de
temps après la clôture de l’exercice. D’autre part, la vérification des comptes de la
trésorerie, opération presque matérielle et faite trimestriellement, prendra également fort
peu de temps. Les Chambres pourront donc être saisies en temps utile des documents
nécessaires à l’exercice de leur contrôle. Il a paru opportun de laisser au ministre des
Finances le soin de présenter lui-même le compte des opérations de la Trésorerie, qui sont
de son ressort exclusif et dont la Cour se borne à vérifier l’exactitude. Les nouvelles
dispositions entraîneront une modification profonde des méthodes de travail et de la
procédure de la Cour des comptes. Cette haute assemblée perdra son caractère de
juridiction incompatible avec les attributions qui lui sont dévolues. Elle se bornera en effet à
exercer un contrôle sur les comptes de ses délégués et un contrôle sur les comptes de la
Trésorerie, elle ne statuera plus par voie d’arrêt. Elle deviendra une grande administration
indépendante, assimilable en tout point à l’Audit Office de Grande-Bretagne », Rapport
Maulion, p. 26-27.
81. La politique de déflation budgétaire initiée par Germain-Martin atteint son acmé sous le
gouvernement Laval, avec les décrets-lois d’économies de Régnier (réduction des dépenses
publiques de 10 %, abattement sur les traitements des fonctionnaires, chasse aux cumuls
des rémunérations et aux abus, réduction des subventions, prélèvements supplémentaires,
etc.) Les archives de la Cour attestent du soutien du premier président Chotard à la
politique de rigueur gouvernementale (séance solennelle, 2004001/27) ; le 19 juillet 1935,
Chotard déclare : « La Cour des comptes est de tous les grands corps de l’État celui qui a la
mission la plus directe de l’aider dans ce sauvetage des finances […] Nous sommes tous plus
que jamais avec le Gouvernement, avec la légalité, avec le droit, pour la réalisation des
réformes qui mettront dans le fonctionnement de l’État, la souplesse et la moralité ». Le 16
octobre 1935, il se félicite de la contribution des magistrats au redressement financier, soit
dans les cabinets ministériels, soit dans les commissions de réforme administrative
instituées dans les différents ministères, soit dans les Comités chargés de la révision des
pensions et dirigés par le procureur général. Le 25 novembre 1936, il affiche sa satisfaction
d’avoir obtenu un assouplissement du statut des magistrats, qui autorise « la position de
mise en disponibilité pour exercice de fonctions publiques », « sans les enlever
définitivement à la Cour » et qui permet de multiplier leurs concours au Gouvernement.
82. La question de la comptabilité et de sa réforme se situe dès 1920 et particulièrement
dans la période 1930-1934 au cœur des préoccupations des responsables des finances
publiques, qu’il s’agisse des ministres des Finances ou du Budget (Klotz, Lasteyrie, Chéron,
Petsche, Palmade, Bonnet, Germain-Martin et Auriol), des hauts fonctionnaires des Finances
(Célier, Chauvy, Privat-Deschanel, Denoix, Guérin, Brunet, Drouineau, Bizot, Devaux), des
magistrats de la Cour des comptes (Fouchier, Féret du Longbois, Labeyrie, Bloch, Chotard,
Brin, Pomme de Mirimonde, Marcé, Hervé-Gruyer, Grandsaignes), des experts des
ministères techniques (R. Jacomet) ou des parlementaires experts en finances publiques
(Fleury-Ravarin, Milliès-Lacroix, Bérenger, Marin, Faure, Brousse, Caillaux, Chéron, Petsche,
Maulion, Mauger, Schmidt, Gardey). La référence à l’époque n’est pas seulement le modèle
britannique souvent cité et commenté, notamment par Jèze et Jacomet, mais aussi
l’exemple italien, bien connu des hauts fonctionnaires financiers français (Peyster, Marcé,
Grandsaignes, Labeyrie). Cette préoccupation comptable est partagée dans les années 1930
par les professeurs de droit et de finances publiques (Jèze, Allix, Cassin, Reuter), qui dans la
dynamique des travaux de la SDN, à partir de 1935, se mobilisent au sein de l’Institut de
droit comparé et de sa toute nouvelle section des finances publiques. À cet égard, le
diagnostic posé sur la comptabilité publique par les juristes de l’Institut de droit comparé
rejoint largement celui de Labeyrie dans ses rapports de 1930 et 1933 : insuffisance des
comptes des ministres, poids de la comptabilité de caisse, importance du ministère des
Finances dans l’établissement des écritures, faiblesse de la comptabilité des
ordonnancements, faiblesse du contrôle de la Cour sur l’exécution budgétaire et non
participation au contrôle préventif des dépenses, faiblesse du contrôle parlementaire,
focalisation sur la présentation des budgets aux dépens de la reddition et de la certification
des comptes, etc. Sur l’Institut de droit comparé et la question budgétaro-comptable, L.
Tallineau, « Le questionnaire ayant pour but de faire ressortir les traits généraux du droit
budgétaire (1935) », in La direction du Budget 1919-1944, Paris, Comité pour l’histoire
économique et financière de la France, 1999, p. 342-348.
83. Sur ces deux réformes, C. Descheemaeker infra.
84. SAEF, B 33 330 et B 33 316.
85. Loi du 28 février 1933, articles 78, 79 et 80, Journal officiel, Lois et décrets, 1er mars 1933, p.
2000. Rattachée à la Présidence du Conseil, cette commission est chargée d’examiner « dans
un délai de trois mois à dater de la présente loi les statuts et les comptes des divers Offices
autonomes dépendant de l’État, soit pour les incorporer dans les services normaux des
ministères, soit pour apporter à leur organisation et à leur gestion toutes les modifications
suggérées par l’expérience et imposées par les nécessités d’économies et le souci de clarté ».
Elle est composée de quatre parlementaires, du directeur du Budget, de Decron, inspecteur
général des Finances, de Brin, conseiller maître, de Laurent, secrétaire général de la
Fédération générale des fonctionnaires, d’un conseiller référendaire et d’un auditeur à la
Cour des comptes (secrétaire).
86.Rapport général, P. Brin, commission des Offices, 15 septembre 1935, JO, annexe, 4 juin
1936, p. 437-446 et rapport public pour 1937-1938, Paris, JO, 15 décembre 1938, p. 29-34.
87. Par exemple, le décret du 19 avril 1934 fusionne l’Office des mutilés et celui des pupilles
de la nation.
88. La mise en œuvre de cette déclaration spéciale de sincérité et de conformité prévue par
l’article 22 du décret du 15 décembre 1934 est précisée par différents textes pour chacun
des offices concernés, par exemple l’Office des combustibles liquides (décret-loi du 25
novembre 1935), le service des Alcools (décret du 18 décembre 1935), les Chemins de fer de
l’État (arrêté ministériel du 11 mai 1936), l’Office industriel de l’azote (décret du 30 juillet
1936), l’Office national de la navigation (décret du 3 novembre 1936). Après la réforme de
1936 et la création de la IVe chambre, la nouvelle réglementation est précisée et complétée
lors de la conférence des présidents du 5 février 1937, sur le rapport du conseiller maître
Calan (2004 001/27, p. 367-369) : 1° jugement des comptes par la chambre juridictionnelle et
arrêt rendu sur la responsabilité du comptable ; 2° examen du « deuxième cahier »
d’observations par la IVe chambre avec présence du conseiller maître qui a rapporté à la
chambre juridictionnelle et qui a voix délibérative à la IVe chambre ; 3° réunion de la
chambre juridictionnelle et de la IVe chambre sous la présidence du premier président pour
adopter le rapport, prononcer la déclaration spéciale de conformité et arrêter les termes du
rapport qui devra accompagner cette déclaration. Voir aussi la note aux rapporteurs n° 195
du 12 février 1937, 2004 001/52.
89. En 1935, les contrôleurs financiers sont au nombre de dix ; en 1938, ils sont quinze,
parmi lesquels cinq inspecteurs des Finances (Le Bec, Delsériès, Sergent, Tournier, Turquet)
et sept membres de la Cour des comptes (Barrié, Devillez, Grandsaignes d’Hauterive, Hervé-
Gruyer, Janton, Lorain). La direction centrale compte par ailleurs trois autres inspecteurs
des Finances chargés de mission (Wailly, Herrenschmidt, Macaux).
90. Dès 1933, Labeyrie, qui soupçonne la direction du Budget de vouloir disposer de postes
de débouchés pour ses administrateurs, juge les contrôleurs financiers de la direction du
Budget coûteux et inutiles !
91. Les modalités de contrôle par la Cour des comptes sont précisées par la note du premier
président aux magistrats n° 195 du 23 février 1939.
92. C’est le premier président Drouineau et le procureur général Godin sous Vichy qui
organiseront le contrôle des associations subventionnées, désormais soumises au contrôle
de la Cour des comptes (conférence des présidents, séance du 19 mai 1941 et arrêté du
même jour, 2004 001/2) ; à cette fin, est mis en place un comité interne, qui établit des
rapports et des notes à destination des départements ministériels, concluant soit au
maintien soit à la suppression de la subvention.
93. La création de ces comités de contrôle financier ministériels, à caractère collégial,
coiffant le contrôleur des dépenses engagées, a été évoquée dès 1918 par la commission
Selves chargée d’étudier le contrôle administratif ; c’est notamment une des grandes idées
de Courtin président de chambre à la Cour, qui voulait confier à de tels comités la
préparation du budget ministériel en même temps que le contrôle de son exécution. Le
nouveau premier président, Guinand, lors de son installation le 16 octobre 1936, en fait
l’éloge.
94. Les ministères de la Guerre et de la Marine ont obtenu dans un premier temps la
réduction des comités de contrôle financier à deux membres, dont un représentant des
Finances (décret du 7 décembre 1935), mais en 1937, ils finissent par s’aligner sur le régime
général.
95. Bouthillier, directeur du Budget, considéré comme le principal artisan de la politique de
déflation budgétaire et administrative, est envoyé en disgrâce à la direction des finances de
la Ville de Paris et du département de la Seine. Sur cette scission et les vicissitudes
administratives que subit la direction en 1935-1936, N. Carré de Malberg, Le grand état-major
financier : les inspecteurs des Finances 1917-1946, Les hommes, le métier, les carrières, Paris, Comité
pour l’histoire économique et financière de la France, 2011, p. 252-258.
96. CHAN, 552 AP 21 et SAEF, B 46 061.
97. En 1938, le contrôle des dépenses engagées compte 17 contrôleurs et 11 contrôleurs
adjoints ; parmi eux, seulement deux inspecteurs des Finances (Cornille et Veyrac). Sous
Vichy, le Budget recouvrera progressivement le contrôle des offices et des établissements à
caractère administratif, industriel et commercial, puis le contrôle des colonies et des
collectivités locales… et les postes de contrôleurs financiers des offices afférents.
98. Le cabinet Auriol compte trois membres de la Cour des comptes, Flouret et
Grandsaignes, conseillers référendaires, et Janton, auditeur, qui suivent les dossiers de
finances publiques, notamment la réforme de la comptabilité et des contrôles.
99. CHAN, 552 AP 21, Projet de loi n° 348, 18 juin 1936, JO, p. 959-960, un article unique, très
général. Il est fait mention d’une coordination accrue des contrôles administratif,
juridictionnel et parlementaire, de la mise en place d’un contrôle des administrateurs
défaillants et d’un contrôle resserré des Offices.
100. Sur les débats parlementaires qui ont entouré le projet Auriol au cours de l’été 1936,
voir le rapport Schmidt au nom de la commission des finances de la Chambre (n° 436, 25
juin 1936, JO, p. 1016-1019), le rapport Gardey au nom de la commission des finances du
Sénat (n° 543, 9 juillet 1936), le rapport Gardey sur le collectif portant création du comité
supérieur de contrôle (Sénat, 13 août 1936, JO, p. 1312), l’avis Mauger présenté au nom de la
commission des comptes définitifs (n° 578, 21 juillet 1936), l’avis Maulion présenté au nom
de la commission de réforme de l’État (Sénat, n° 586, 22 juillet 1936, JO, p. 343-347), le
rapport Petsche au nom de la commission des finances de la Chambre sur le projet de
création du Comité supérieur de contrôle (n° 1055, 8 août 1936, JO, p. 1650-1651). CHAN,
Archives Vincent Auriol, 552 AP 21.
101. Le Front populaire mettant fin à la politique d’économies budgétaires du
gouvernement Laval, Labeyrie a pu croire que le Parlement lui octroierait les postes de
contrôleurs comptables dont il a besoin pour sa réforme… Espérance déçue par le blocage
du Sénat, ultime gardien des deniers publics.
102. La commission des Finances du Sénat récuse le projet d’une Cour des comptes qui
cesserait « de juger les comptes des payeurs pour se consacrer uniquement au contrôle et à
l’examen critique de la gestion des ordonnateurs ». Gardey rappelle ainsi les principes qui
doivent guider selon lui la mission de la Cour : « Quiconque a pénétré même sommairement
dans les services comptables ne peut manquer d’avoir été frappé du souci constant qui y
règne de ne pas donner prise à la moindre observation du juge des comptes […] D’autre
part, si la Cour des comptes perdait ses attributions juridictionnelles pour devenir une sorte
de surintendance générale, devrait-elle conserver son inamovibilité et son titre de cour ? Et
si elle le conserve, ne peut-on entrevoir la possibilité de circonstances où le Parlement
trouverait, non plus à son côté, mais en face de lui le corps dont il aurait si
considérablement accru le rôle ? » (Rapport n° 543, p. 17). Le rapporteur conclut donc qu’il
faut laisser les réformes comptables de 1934-1935 porter leurs fruits et ne pas légiférer à
nouveau, alors même que la réforme commence à peine d’être appliquée et qu’il est risqué
de toucher à « une administration établie » telle que la Comptabilité publique. On imagine
aisément que Brunet, nouveau directeur de la Comptabilité publique et coauteur de la
réforme de 1934 n’a pas souhaité rouvrir le dossier !
103. La commission des comptes définitifs du Sénat, présidée par Mauger, sénateur radical-
socialiste, se prononce elle aussi en faveur d’une réforme de la Cour des comptes, ainsi que
Petsche pour la Chambre.
104. Caillaux, depuis la fin des années 1920, estime que les projets de budget ne sont ni
sincères ni crédibles ; depuis la crise de 1934 et l’adoption des décrets-lois, les budgets ne
sont plus votés selon la procédure normale, mais selon des procédures exceptionnelles qui
ne permettent pas à la commission des Finances du Sénat de procéder à un examen sérieux
des propositions budgétaires (cf. G. Berstein, in colloque sur La direction du Budget entre les
deux guerres, op. cit., p. 192). Sa conclusion est qu’il faut aller vers plus de contrôle a posteriori
conformément à son intuition de 1914.
105. Avec l’abandon des contrôleurs comptables, la réforme du ministère des Finances
tombe elle aussi ; le réseau des comptables du Trésor est maintenu et les trésoriers payeurs
généraux demeurent les pivots du système financier à l’échelon local. La résistance de
l’administration des Finances, l’opposition du Sénat et le manque de moyens budgétaires se
sont ligués pour empêcher toute modification de l’organisation héritée du passé. Quant à la
réforme de l’administration centrale des Finances, elle s’oriente dans une tout autre
direction ; la scission de la direction du Budget, la création d’une direction du Contrôle
financier et des Participations publiques, la recréation d’un secrétariat général absorbant la
direction du Personnel et le Service du contrôle des régies financières, la création de
comités consultatifs pour la réforme de la fiscalité et pour la gestion des régies financières
doivent davantage au nouveau secrétaire général du ministère des Finances, G. Mer,
fondateur de L’État moderne, haut fonctionnaire syndicaliste de l’Enregistrement et
spécialiste du système fiscal, qu’à Labeyrie, réformateur du système comptable.
106. Le rapporteur du Sénat a pris soin de préciser que le comité supérieur de contrôle «
remplira, dans des conditions à déterminer, une mission permanente de contrôle, mais sans
intervenir dans le fonctionnement des services. Les examens sur place ne devront jamais
avoir le caractère d’une inspection. Le comité coordonnera l’action des comités spéciaux de
contrôle financier, mais ne pourra se substituer à eux » (Sénat, débats parlementaires, 1936,
A. Gardey, séance du 13 août 1936).
107. Il faudra attendre la loi du 12 mars 1936 et le décret-loi du 2 mai 1938 pour que le
rapport public soit dans le même temps distribué aux deux chambres, remis au président de la
République et publié au Journal officiel.
108. On se souvient qu’en 1930, la Cour aurait voulu que les trois présidents de chambre
soient membres de droit du Comité supérieur de contrôle financier.
109. Archives de la Cour, plumitif du comité du rapport public 2004 001/53 et 60.
110. Archives de la Cour, 2004 001/52, note aux rapporteurs n° 188, p. 2.
111. Le rapport au président de la République du 31 août 1936 signé par Auriol explicite très
clairement cette filiation et cette continuité entre la commission Chéron, le projet de loi
Petsche, le rapport Labeyrie, les décrets-lois de l’été 1934, les décrets du 30 octobre 1935 et
la loi du 13 août 1936.
112. C’est compter sans la vigilance de Labeyrie qui, dès l’installation du nouveau premier
président, Guinand, le 16 octobre 1936, fixe déjà un nouveau cap à la réforme du contrôle : «
la réglementation de la responsabilité des ordonnateurs. Ce n’est que lorsque ceux-ci, qui
détiennent une partie des pouvoirs de l’État, sauront que leurs fautes seront
obligatoirement soumises à des juges chargés, en toute indépendance, d’en déterminer la
gravité et d’appliquer des sanctions fixées par la loi, que le contrôle de leurs actes trouvera
toute son efficacité ». La cour de discipline financière chère à Courtin resurgit à son tour…
113. SAEF, B 33 230 ; archives de la Cour et rapports publics 1936, 1938 et 1939.
114. En 1938 (tome XXXVI, p. 531-533) et en 1939 (tome XXXVII, p. 245-286), la Revue de
science et de législation financières fait le point sur la mise en place des comités de contrôle ;
elle mentionne passim que certains des rapports du contrôle des dépenses engagées de tel
ou tel ministère ne parviennent toujours pas à la Cour.
115. Archives de la Cour, dossier personnel de Brin.
116. Le Comité supérieur de contrôle est composé du premier président (Guinand), du
procureur général (Labeyrie), du président de la IVe chambre (Fouchier), des présidents des
comités de contrôle financier ministériels et des commissaires de Gouvernement. Lui sont
adjoints des rapporteurs : Savin, Bresson, Priem, Simonnet, Crépey…
117. Ce sera fait dans la loi de finances du 31 décembre 1938 (art. 63).
118. C’est l’occasion de renforcer certains principes expérimentés ou amorcés dans les
années antérieures (la spécialisation des chambres et des magistrats), d’élaborer des
nouveaux outils (le retour aux deux cahiers d’observations) ou de les transformer
radicalement (le rapport public).
119. Plumitif du comité du rapport public, 2004 001/60. Le 5 novembre 1936, c’est la
première séance de la toute nouvelle IVe chambre ; toute une série de rapports de comités
de contrôle financier ministériels y sont examinés et discutés ; il en résulte la
programmation d’une série de notes aux présidents des comités de contrôle financiers
ministériels concernés. Le 12 novembre 1936, il est précisé que les relations et les
correspondances entre la Cour et les comités de contrôle financier se feront par
l’intermédiaire du président de la IVe chambre, Louis de Fouchier ; idem pour les
contrôleurs des dépenses engagées. Le président de la IVe chambre peut envoyer des
instructions générales aux présidents des comités de contrôle financier avec lesquels il
correspond de manière très suivie. C’est ainsi par exemple que le 26 novembre 1936, le
président de la IVe chambre prévoit une note générale à tous les présidents de comités de
contrôle financier sur les abus en matière d’honoraires d’architectes. Le 10 décembre 1936,
c’est avec le ministère des Finances, avec le président du comité de contrôle financier des
Finances et avec le président du comité de contrôle financier du ministère des Colonies que
le président Fouchier décide de correspondre.
120. Plumitif du comité du rapport public 2004 001/60, séance du 13 mai 1937. Cf. le rapport
public de 1938, dernier rapport à avoir été publié au Journal officiel avant la guerre, qui
reproduit les observations issues des rapports annuels des comités ministériels de contrôle
financier pour la gestion 1936-1937. Le rapport pour 1939 (non publié) est lui aussi nourri de
développements tirés des rapports des comités de contrôle financier et des travaux du
comité supérieur de contrôle.
121. Un exemple : les résultats de l’enquête de l’Inspection des finances sur le service du
contrôle des dépenses engagées et sur le service des approvisionnements de la commune de
Toulouse sont communiqués à la IVe chambre (2004 001/60, séance du 19 novembre 1936 et
séance du 4 février 1937).
122. 2004 001/60, séance du 26 novembre 1936. La Cour et la direction du Budget se sont
mutuellement promis de se donner communication du contenu de leurs correspondances
respectives avec les comités de contrôle financier.
123. 2004 001/61. La note n° 185 aux rapporteurs du 25 juin 1936 énumère les questions
auxquelles il conviendra désormais de s’intéresser : les achats d’essence et l’absence de
centralisation des achats de fournitures, les marchés publics et la « théorie de l’imprévision
» ; les révisions de prix pour les marchés ; les primes d’avance et d’exactitude dans les
marchés de fournitures et de travaux ; les retards dans l’exécution des marchés de travaux ;
toutes les questions se rapportant aux subventions, etc.
124. Plumitif du comité du rapport public 2004 001/60, séances du 5 novembre 1936, 10 et
17 décembre 1936, 14 janvier 1937, 21 janvier et 29 janvier 1937, 4 février 1937, 17 et 18 mars
1937, 8 avril, 15 avril, 22 avril et 29 avril 1937, 13 mai et 27 mai 1937.
125. Séance du 29 janvier 1937. Faut-il ou non assujettir la Caisse au contrôle financier de
l’État ? Sur cette question importante, c’est Brin qui mène le débat et qui fait part de son
expertise.
126. Le 15 avril 1937, à l’ordre du jour, la réorganisation du ministère de l’Intérieur, le 29
avril 1937, celle de l’Éducation nationale et des Universités, le 27 mai 1937, celle du
ministère des Colonies.
127. SAEF, B 33 230.
128. Voici quelques extraits des ordres du jour : séance du 4 mai 1938 : contrôle des
dégrèvements ; sociétés des HBM et de crédit immobilier ; services de préservation
antituberculeuse ; office d’HBM de Courbevoie ; détournements de M. X. Séance du 11 mai
1938 : contrôle des subventions de l’État aux compagnies de navigation ; contrôle des taxes
aux affectations spéciales ; contrôle du musée du Trocadéro. Séance du 25 mai 1938 :
contrôle des dépenses engagées de la Ville de Paris ; cumul des rémunérations publiques ;
contrôle des recettes à l’impôt et aux Domaines. Séance du 1er juin 1938 : situation
financière du budget annexe des PTT ; défaut d’envoi à la Cour des comptes des offices
industriels marocains ; participations dans les mines de potasse et attributions aux
départements d’Alsace-Lorraine ; ONIA. Séance du 8 juin reportée au 15 juin : comptes
d’Alsace-Lorraine ; chemins de fer d’Alsace-Lorraine ; réorganisation du régime des chemins
de fer d’intérêt général ; caisse de solidarité contre les calamités agricoles ; frais de
trésorerie ; mise en vigueur de la réforme de la comptabilité instituée par le décret du 1er
septembre 1936 ; clôture des recouvrements des contributions directes. Séance du 22 juin
1938 : sous-évaluation des dépenses obligatoires au moment de la présentation du budget ;
procédures de règlement amiable en matière de marchés de travaux publics. Séance du 29
juin 1938 : prélèvement de 1 % en faveur des asiles de Vincennes et du Vésinet. Séance du 20
juillet 1938 : rapports du comité supérieur de contrôle financier et des comités de contrôle
financier des différents ministères avec les contrôleurs financiers des offices et des
établissements autonomes.
129. La réforme de 1936 sera parachevée par le décret-loi du 2 mai 1938 qui fixe de
nouvelles règles pour la publication du rapport public au Journal officiel.
130. 2004 001/27. Séance solennelle d’installation, 16 octobre 1936, discours de V. Auriol
ministre des Finances et allocution du premier président Guinand qui insistent tous deux
sur les interventions croissantes de l’État dans l’économie et dans les relations sociales : «
L’extension incessante des attributions de l’État et des collectivités publiques, leurs
interventions toujours plus nombreuses dans le domaine de l’activité économique, rendent
particulièrement nécessaire l’application stricte des règles tutélaires qui sont de tous les
temps et de tous les pays » (V. Auriol).
131. Le premier président Guinand, lors de son installation le 16 octobre 1936, affirme que
la réforme de 1935-1936 « doit permettre d’une part la production rapide des comptes en
vue d’éclairer à chaque instant le ministre des Finances et de renseigner le Parlement au
moment même où ils sont appelés à prendre des décisions budgétaires, l’examen des
comptes devant devenir l’élément essentiel de la justification des comptes ; d’autre part, le
renforcement du contrôle que rendent nécessaire l’ampleur des dépenses publiques, la
multiplicité des formes qu’elles revêtent et la complexité des services qu’elles doivent
permettre d’assurer » (2004 001/27).
132. Le procureur général Godin lors de la séance solennelle du 4 octobre 1938 (2004
001/28) présente le bilan de la IVe chambre dite « administrative » pour 1937-1938. Sur les
400 questions dont a été saisie la IVe chambre, si plus de la moitié sont venues des chambres
juridictionnelles, 60 sont issues d’« observations administratives » ou d’études réalisées par
des rapporteurs de la Cour et 70 proviennent des comités de contrôle financier ministériels.
Ces travaux ont alimenté 47 insertions au rapport public, 72 référés, 35 notes aux comités
de contrôle financier, 16 notes au Parquet et préparé les 7 séances du comité supérieur de
contrôle financier.
133. D’un côté Bouthillier, jeune inspecteur des Finances né en 1901, conseiller budgétaire
et financier de Germain-Martin, ministre de droite, parfaite figure du jeune technocrate,
antiparlementariste et partisan d’un régime d’autorité, directeur du Budget et principal
artisan de la politique de déflation budgétaire de Laval, adversaire des syndicats de
fonctionnaires ; de l’autre, Labeyrie, né en 1877, l’homme de Caillaux, arrivé à la Cour par la
faveur politique, proche des milieux parlementaires radicaux-socialistes et socialistes,
partisan du syndicalisme des fonctionnaires, ancien secrétaire général des Finances,
adversaire de la politique « anti-fonctionnaires » de Doumergue et Laval, conseiller d’Auriol
ministre SFIO… Entre ces deux hommes que tout oppose, la rivalité personnelle,
générationnelle et politique se double d’une rivalité administrative et doctrinale dans la
conception et la réforme du système de gestion des finances publiques.
134. Drouineau devenu premier président en 1941 se montre très critique à l’égard du
système de contrôle financier mis en place dans l’entre-deux-guerres : « Le contrôle
financier ne se suffit pas à lui-même. Il n’est qu’un moyen […] Un contrôle financier même
rudimentaire sera efficace si ses constatations sont suivies de sanctions. À l’inverse, le
contrôle financier pourra être savamment et puissamment organisé, s’il n’aboutit pas à des
sanctions, il est inutile. C’est pour avoir méconnu cette réalité que, durant les cinquante
dernières années on a sans cesse multiplié, réaménagé, superposé les organismes de
contrôle financier, en croyant que leur inefficacité constatée venait de leur insuffisance. Le
régime nouveau fondé sur la responsabilité effective des administrateurs peut permettre un
renversement complet » (discours du premier président Drouineau lors de la réception à la
Cour des comptes de M. Yves Bouthillier, ministre secrétaire d’État à l’Économie nationale
et aux Finances, le 5 juin 1941, p. 9, 2004 001/28). Le ministre des Finances, Bouthillier, n’est
pas plus amène et parle dans sa réponse à Drouineau de la « manie verbale du contrôle »
sous la IIIe République, « qui provoquant le pullulement des contrôles ruinait le contrôle
même » (discours de Bouthillier, le 5 juin 1941, p. 2, 2004 001/28).
135. Les archives de la direction de la CP attestent de la coopération qui s’est établie entre
la Cour des comptes, le Comité supérieur de contrôle, la direction du Budget et la CP dans
les années 1936-1939.
136. SAEF, B 33 316. À partir de 1937, la direction du Budget et le CDE du ministère de la
Défense nationale, maintes fois mis devant le fait accompli, protestent contre les multiples
transgressions de la réglementation des marchés, des commandes et des engagements de
dépenses commises par les services de la Guerre et du Réarmement…
137. Discours du premier président Drouineau lors de la réception à la Cour des comptes de
M. Yves Bouthillier ministre secrétaire d’État à l’Économie nationale et aux Finances, le 5
juin 1941, 2004 001/28.
138. Le comité budgétaire a tenu 14 sessions, jusqu’en juillet 1944.
139. 21 exactement. L’Inspection des finances fournit le même nombre de rapporteurs,
parmi lesquels Rueff, Ardant, Clappier, Delouvrier…
140. Les rapporteurs appartiennent à la Cour et à l’Inspection des finances. À partir de la loi
du 16 mai 1941, la Cour connaît une hausse des effectifs de ses conseillers maîtres ; elle
compte désormais 36 conseillers maîtres (8 par chambre), 70 conseillers référendaires et 34
auditeurs, auxquels s’ajoutent les quatre présidents de chambre, le procureur général et
l’avocat général, ainsi que le premier président et le secrétaire général. La IVe chambre
créée par la réforme Auriol-Labeyrie devient à partir du 30 octobre 1940 une chambre
comme les autres.
141. Discours de Drouineau, 5 juin 1941.
142. Drouineau, en parlant ainsi, est d’une parfaite mauvaise foi ; c’était exactement le but
de la réforme de 1936, dans son volet comptabilité administrative comme dans son volet
Comité supérieur de contrôle financier.
143. 2004 001/62. Drouineau définit soigneusement dans une note aux rapporteurs en date
du 7 mai 1941 les relations entre le comité budgétaire et la Cour dans son contrôle de la
comptabilité administrative : « La vérification des pièces de dépenses des chapitres
spécialement signalés au budget de 1941 commencera aussitôt la réception des pièces à la
Cour. Elle ne doit pas être une vérification par épreuves ni par sondages, mais une
vérification intégrale et approfondie. Les observations mettant en cause la responsabilité
des payeurs telles que : paiements injustifiés, erreurs de décomptes, etc. seront renvoyées
au rapporteur du compte de gestion. Les observations mettant en cause la responsabilité
des ordonnateurs telles que : irrégularités dans les marchés, critiques d’ordre administratif,
etc. feront l’objet d’un référé. Les observations relatives au mauvais emploi des crédits
seront renvoyées au secrétariat général du comité budgétaire. Les rapporteurs pourront
consulter sans déplacement les dossiers du secrétariat général. En outre, les rapporteurs
établiront en fin d’exercice le tableau général de l’emploi des crédits, selon un cadre de
développement qui sera nécessairement approprié à chaque chapitre et sur lequel ils se
mettront préalablement d’accord avec le secrétaire général du comité budgétaire. J’appelle
tout spécialement l’attention de MM. les rapporteurs sur l’importance de ce travail. C’est en
effet une des lacunes les plus graves de l’organisation actuelle que l’absence de ce compte
rendu que seule la Cour des comptes est en mesure d’établir. En effet, le compte rendu par
le ministre est purement financier et global. Les directeurs de divers établissements
adressent bien à leur ministre un rapport annuel qui dans une certaine mesure pourrait
atteindre le but recherché ; mais cette production est très fragmentaire. Les contrôleurs des
dépenses engagées auraient avec leurs fiches d’engagement les éléments nécessaires pour
établir ces relevés ; mais en fait, ils ne le font pas et d’ailleurs ils ne connaissent pas, par le
détail, les dépenses faites sur les crédits de délégation. Seule donc la Cour a tous les
éléments de cette récapitulation et les seuls éléments valables, puisque ce sont des
paiements effectués. L’établissement de tous ces relevés, tous les enseignements
comparatifs que l’on pourra en tirer, seront pour l’autorité budgétaire (quelle que soit la
forme définitive que celle-ci puisse recevoir) un document capital pour la détermination
des dotations budgétaires – ainsi que pour le jugement à porter sur le bon emploi que les
administrations font des crédits qui leur sont alloués ». Le 5 octobre 1943, dans sa note pour
les rapporteurs n° 256 au sujet de la comptabilité administrative, il insiste : « Il peut arriver
que l’examen des mandats et pièces justificatives vous permette, non pas de relever des
irrégularités indiscutables, mais de constater que des dépenses régulières en la forme sont
inutiles, excessives, critiquables du point de vue d’une saine et économique gestion des
crédits. Dans cette hypothèse, la seule suite à donner à vos découvertes, c’est le renvoi au
comité budgétaire. Vous ne devez pas craindre de multiplier ces renvois. Le comité
budgétaire en effet, lorsqu’il est saisi de demandes d’augmentation de crédits formulés par
les administrations, manque le plus souvent d’éléments certains sur le point de savoir si les
dotations des chapitres sont excessives ou insuffisantes. Tous les renseignements que vous
lui communiquerez sur la gestion des crédits, tous les exemples de gaspillage que vous lui
apporterez lui seront donc précieux ; ils constitueront en quelque sorte un témoignage de
moralité sur le degré de confiance que l’on peut accorder à tel ou tel service. Ils lui
fourniront ainsi une base solide de discussion pour écarter les demandes injustifiées de
crédits » (2004 001/52).
144. Cf. de son propre aveu Bouthillier lui-même, Le drame de Vichy, Paris, Plon, 1950, p. 368-
372. Voir aussi la lettre alarmiste adressée par le président du comité budgétaire
(Drouineau) le 22 décembre 1941 au maréchal Pétain concernant « la progression constante
et rapide des dépenses »,comité budgétaire, Rapport au Maréchal de France, chef de l’État sur le
budget de l’exercice 194, p. 21-22 et le rapport du comité budgétaire sur le budget de l’exercice
1944 où le président du comité budgétaire déplore la création de 190 000 emplois nouveaux
en cinq ans, soit près de 40 000 par an (p. 15).
145. Les insertions au rapport public ont cependant disparu ainsi que la procédure
contradictoire orale, marque distinctive du Comité supérieur de contrôle financier.
146. Rapport public 1939 non publié, 28 juillet 1939, p. 26- 30, 2006 001/43.
147. Discours du premier président Drouineau lors de la réception à la Cour des comptes de
M. Yves Bouthillier, ministre secrétaire d’État à l’Économie nationale et aux Finances, le 5
juin 1941. En dépit de ses déclarations, Drouineau n’est guère précis sur la définition des
responsabilités des administrateurs ni sur la nature des sanctions qui pourraient être
introduites dans le droit comptable et budgétaire.
148. Selon Jean-François Potton, La Cour des comptes pendant les années noires (1939-1945),
Paris, La Documentation française, 2010, p. 40, c’est l’auditeur Costa qui aurait rédigé
plusieurs notes et rapports sur cette question ; leurs conclusions sont adoptées par le
premier président et le comité budgétaire en 1943.
149. Conférence du président Brin à l’ENA le 12 octobre 1950, dossier personnel, Archives
de la Cour. L’auteur indique deux raisons à l’abandon des comités de contrôle financier : ils
« enserraient vraiment trop l’action du ministre » et « les corps de contrôle ministériels ne
tenaient pas à être placés sous la tutelle de la Cour des comptes qui elle-même n’avait
nullement réclamé une telle réforme ». P. Brin se montre ici bien oublieux de la réforme de
1936 et du soutien apporté par les responsables de la Cour des comptes à la mise en place du
dispositif pyramidal de contrôle financier. D’ailleurs en 1947, le rapport public sur la
gestion des administrations entre 1939 et 1945 n’est pas aussi catégorique et souligne bien
que le contrôle de la gestion des administrations et des offices n’est plus aussi aisé,
maintenant que l’ancien dispositif a disparu. Sans doute, en 1950, P. Brin veut-il se faire
discret sur une réforme associée à E. Labeyrie, dont le nom depuis 1946 n’est plus en odeur
de sainteté auprès des nouveaux pouvoirs publics. Sur l’opprobre jeté sur E. Labeyrie à la
Libération, J.-F. Potton, La Cour des comptes..., op. cit., p. 20 ; 86-91.
150. La Cour des comptes, moins impliquée politiquement dans le régime du Vichy et dans
la collaboration avec l’occupant, placée en retrait de la gestion économique au jour le jour
de l’État sous l’Occupation, ne subit pas en 1944-1946 le même discrédit que l’Inspection des
finances ni les mêmes mises en cause politiques ; entre 1946 et 1948, elle perçoit les
dividendes de sa discrétion politique et de sa relative bonne tenue et voit ses missions
étendues.
151. Archives de la Cour, séance solennelle du 30 juillet 1946, 2004001/29. « Devant
l’augmentation des crédits budgétaires demandés par les diverses administrations, le
Gouvernement et l’Assemblée constituante ont estimé que la Cour des comptes, qui seule
connaît l’emploi fait des crédits budgétaires, était bien placée pour donner à la commission
des finances des renseignements lui permettant de réduire en connaissance de cause des
crédits exagérés ; et en application de la loi du 28 févriers 1946, consacrant cette nouvelle
procédure, 24 magistrats de la Cour ont été adjoints, à titre de conseillers techniques » aux
rapporteurs de la commission des finances. Trois mois plus tard, lors de la séance solennelle
du 8 novembre 1946, le nouveau premier président Le Conte dit sa satisfaction de voir
reconnue la place de la Cour dans le fonctionnement des institutions : « L’Assemblée
nationale pourra charger la Cour des comptes de toutes les enquêtes et études se rapportant
à l’exécution des recettes et des dépenses publiques ou à la gestion de la trésorerie »
(2004001/29).
AUTEUR
FLORENCE DESCAMPS
Normalienne et agrégée d’histoire, Florence Descamps est maître de conférences en histoire
à l’École pratique des hautes études (EPHE). Elle y anime un double séminaire sur la création
et l’utilisation des témoignages oraux en histoire contemporaine et sur l’histoire du
ministère des Finances au XXe siècle. Elle participe depuis 2005 au groupe de pilotage du
séminaire Histoire de la gestion des finances publiques XIXe-XXe siècles et a codirigé la
publication du premier volume des actes L’invention de la gestion des finances publiques.
Élaborations et pratiques du droit comptable et budgétaire au XIXe siècle (1815-1914). Elle a publié
de nombreux articles sur le ministère des Finances au XXe siècle et sur la réforme de l’État.
Dernièrement, elle a publié « La RCB 1966-1971 : une première expérience managériale au
ministère des Finances ? », in E. Godelier, M. Le Roux, G. Garel, A. David et E. Briot (dir.),
Pensée et pratiques du management en France. Inventaire et perspectives 19e-20e siècles, 2011,
consultable en ligne sur http://mtpf.mlab-innovation.net/fr/sommaire/chapitre-2/la-rcb-
1966-1971-une-première-expérience-managériale-au-ministère-des-finances.html?
PHPSESSID=6a35f3663f90efc5f44bf6a739069703 ; « Les inspecteurs des Finances et la
réforme de la gestion publique au XXe siècle », in F. Cardoni, N. Carré de Malberg et M.
Margairaz (dir.), Dictionnaire historique des inspecteurs des Finances 1801-2009, Paris, Comité
pour l’histoire économique et financière de la France/IGPDE, 2012, p. 141-150 et « Les
techniciens des Impôts et la naissance d’une expertise fiscalo‑financière : L’État moderne
1928-1939 », in F. Monnier et J.-M. Leniaud (dir.), Experts et décisions, Paris/Genève, Droz,
2013, p 47-57.
Labeyrie et la comptabilité
1
administrative de l’État
Christian Descheemaeker

Introduction
Les années 1930 ont été riches en projets de réformes comptables et
les propositions d’Émile Labeyrie, qui fut procureur général près la
Cour des comptes puis premier président de cette juridiction, y
occupent en 1930-1933 une place importante. La comptabilité de
l’État est en effet un sujet essentiel dans les projets destinés à
améliorer la gestion publique et ces propositions font partie de
l’histoire de la gestion publique. Le présent article traite d’une
grande ambition comptable et d’un échec, mais d’un échec qui n’est
que partiel : une réforme a bien lieu, même si ce n’est pas
exactement celle qui était proposée et voulue par son auteur.
Le contexte des propositions de réforme de Labeyrie est
mouvementé. La France, qui connaissait les graves séquelles
financières de la Grande Guerre, subit certes la crise économique
plus tardivement et moins violemment que d’autres pays ;
néanmoins, quelques années d’optimisme économique sont vite
remplacées par la rigueur budgétaire.
Émile Labeyrie (1877-1966) commence sa carrière en 1900 à la Cour
des comptes comme attaché au secrétariat du premier président,
c’est-à-dire de son père, Henri Labeyrie (1844-1901). Par cette voie
étroite qui permet de contourner les aléas du concours de l’auditorat
et est ouverte au népotisme républicain, il devient conseiller
référendaire en 1902. Sa carrière, ses idées et son influence ne se
comprennent que si l’on tient compte des liens qui l’unissent
pendant plus de trente ans à Joseph Caillaux, dans le secrétariat ou le
cabinet duquel il œuvrera dès 1902, puis en 1913-1914 et encore en
1925.
C’est précisément en 1925 que Labeyrie est promu conseiller maître
et c’est avec ce grade qu’il siège à la commission Chéron à partir de
1930 – début de la période étudiée – puis qu’il est chargé en avril
1933 de préparer une réforme comptable. En juin 1933, avant d’avoir
remis ce rapport, il est nommé procureur général. En mai 1936, sous
le Front populaire, il accepte de remplir les fonctions de gouverneur
de la Banque de France, mais sans être remplacé dans son poste au
parquet de la Cour des comptes. En juillet 1937, il retrouve son poste
puis est nommé en octobre premier président de la Cour, à un
moment où des mesures qu’il avait préconisées – et d’autres qui
s’écartent de ses propositions – commencent à être appliquées 2 . La
guerre survient alors que celles des réformes prônées par Labeyrie
qui sont passées dans la réalité administrative sont à peine entrées
en vigueur, ce qui a évidemment une incidence sur leur effectivité.
Certaines seront durables, d’autres éphémères.
Avec le recul, les changements que l’on doit à Labeyrie concernent
bien moins la façon dont les services du ministère des Finances
tiennent la comptabilité administrative de l’État – son objectif
premier – que la façon dont la Cour des comptes contrôle la gestion
des services de l’État – son objectif second.
I. L’ambition de Labeyrie : donner la première
place à la comptabilité administrative de
l’État
Labeyrie considère qu’un État ne peut être correctement gouverné
sans l’outil de gestion de base que constitue une comptabilité exacte.
Il formule sur ce sujet ses propositions en deux occasions dans une
période où la comptabilité de l’État est en mauvais état et où les
projets de réforme sont nombreux. À l’époque, il siège à la Cour des
comptes et, s’il est nommé secrétaire général du ministère des
Finances le 21 décembre 1932, il n’y fait qu’un passage éclair. Deux
documents retracent ses propositions de réforme : en 1930 et en
1933.
Pour que l’État dispose d’une comptabilité fiable, Labeyrie propose
une réorganisation des services du ministère des Finances et des
divers contrôles existants. Il veut aussi transformer la façon dont la
Cour des comptes contrôle les finances de l’État. La comptabilité
administrative de l’État – c’est-à-dire celle des ordonnateurs,
distincte de celle des comptables – est au centre de ses
préoccupations, qu’il s’agisse de la façon dont les services la tiennent
ou des contrôles qui s’exercent sur eux.

A. La note Labeyrie de 1930

La première intervention de Labeyrie prend la forme d’une note


rédigée dans le cadre de la commission pour la réforme de la
comptabilité publique et du contrôle, dite commission Chéron 3 ,
créée par un décret 21 janvier 1930. Il s’agit d’une note personnelle
dans laquelle il tient à affirmer l’ampleur de ses vues par rapport à
une commission dont il jugera plus tard les travaux fragmentaires.
L’objet de la commission Chéron est ambitieux et ses travaux ne le
sont pas moins. Elle se subdivise en trois sous-commissions, travaille
trois ans et se livre à une très large réécriture de nombreux textes
comptables 4 . La note que Labeyrie rédige dans ce cadre, peu après
le début des travaux de la commission, expose des idées qui se
veulent plus larges et plus novatrices. Daté du 26 juillet 1930, ce
document d’une cinquantaine de pages 5 commence par un
historique du système financier remontant à l’Empire et la
Restauration. Elle traite d’une part de la tenue de la comptabilité de
l’État, avec une claire mise en cause des services du ministère des
Finances, d’autre part des contrôles de la Cour des comptes, dont elle
fait ressortir les carences. Neuf propositions sont formulées, mêlant
les deux thèmes.
La note Labeyrie demande que l’État dispose bien de deux
comptabilités distinctes, celle des ordonnateurs et celle des
comptables, tenues et centralisées avec le même soin, appuyées l’une
et l’autre de justifications, les autres propositions visant à ce que
cette double comptabilité donne une image qui puisse être qualifiée
de fidèle de l’état de ses finances. Selon cette note, la comptabilité de
la trésorerie doit être séparée de celle du budget et des services
autonomes de l’État. La comptabilité du budget sera tenue localement
par des contrôleurs généraux rattachés au ministère des Finances.
Les pièces justificatives produites par les contrôleurs généraux
seront centralisées par la Cour des comptes qui contrôlera sur pièces
l’exactitude de leurs comptabilités individuelles.
La Cour, dont la mission sera d’exercer, pour le compte du
Parlement, le contrôle supérieur de l’emploi des deniers publics,
devra faire connaître annuellement dans un rapport public les
résultats de son contrôle et certifier les résultats des deux comptes
indépendants présentés par le ministère des Finances, l’un succinct
(celui du Trésor) et l’autre détaillé (celui du Budget). La Cour
disposera des travaux des grands corps de contrôle administratif
dans les conditions prévues par le projet de loi Caillaux du 15 janvier
1914 6 . Elle utilisera aussi les rapports des contrôleurs des dépenses
engagées. Les questions importantes seront examinées
contradictoirement avec les représentants de l’administration.
Enfin, les irrégularités graves constatées par la Cour des comptes ou
les faits de nature à causer un préjudice sérieux aux finances de
l’État feront l’objet de rapports publics spéciaux.
Dans cette note très dense, Labeyrie propose des changements
importants car, si la comptabilité administrative existe, elle n’est pas
tenue, ni centralisée comme elle le devrait. L’instrument de gestion
de l’État est tiré de la centralisation des écritures des comptables
(comptabilité de trésorerie ou de caisse) ; il devrait, selon lui, être
tiré de la comptabilité des ordonnateurs (comptabilité de budget ou
encore comptabilité administrative). À la Cour des comptes, il est
demandé de contrôler les deux comptabilités, ce qui paraît aller de
soi, et a une réelle portée : il ne s’agit plus de contrôler la gestion
d’un ordonnateur à travers les opérations décrites dans les comptes
d’un comptable, mais à partir de ses propres comptes et
implicitement de mettre l’accent sur ce deuxième type de contrôle.
Labeyrie toutefois passe trop rapidement sur des sujets complexes
comme la dualité de la comptabilité des engagements (quand un
ordonnateur signe un marché, il engage les finances de l’État ; le
contrôleur des dépenses engagées qui appose son visa comptabilise
l’engagement) et de celle des mandatements (quand l’ordonnateur
mandate un paiement au profit du fournisseur, il consomme des
crédits). Entre ces deux comptabilisations, dévolues dans la note
Labeyrie aux mêmes contrôleurs généraux, un décalage existe dans
le temps pour une opération donnée. Il est difficile de se contenter
d’un seul outil comptable, les engagements de l’État ayant autant
d’importance pour la gestion budgétaire de l’État que les
mandatements et l’état de la trésorerie (résultat des encaissements
et des décaissements), traditionnellement privilégiée, ne pouvant
être négligé si le Gouvernement veut éviter une crise financière.
Aussi Labeyrie devrait-il insister plus qu’il ne le fait sur les aspects
concrets, voire techniques, de ses propositions. Il laisse dans la
pénombre l’articulation entre les engagements, qui ne sont pas sa
préoccupation immédiate, et les mandatements, qui sont le centre de
sa réflexion.
Sans doute en raison des liens qui unissent son auteur à Caillaux,
celui-ci publie un article sur la note d’Émile Labeyrie. L’article,
intitulé « La comptabilité budgétaire, nécessité d’une réforme »,
paraît dans le journal Le Capital du 21 août 1930 :
7
« Une refonte, qui prendra pour point de départ le projet de 1914 , du système
de comptabilité organisé sous la Restauration est indispensable. Si on ne
l’entreprend pas, si on ne la réalise pas très vite, avec l’accroissement des
dépenses, avec surtout les charges singulières qu’on a tendance à infliger à l’État
[…], on sera bientôt perdu dans les chiffres, noyé dans des comptabilités
inextricables ».
Les travaux de la commission Chéron ne déboucheront guère avant
les décrets-lois de 1934 et 1935, ce qui est tardif par rapport à
l’actualité financière et politique. Entre-temps, en 1933, une nouvelle
occasion est donnée à Labeyrie de faire avancer ses idées.

B. Le rapport Labeyrie de 1933

La deuxième intervention de Labeyrie, à la différence de sa note de


1930, est un rapport qui lui est très officiellement demandé en 1933.
L’heure est aux économies budgétaires et c’est donc dans des
circonstances politiques et économiques totalement modifiées par
rapport à 1930 que se situe cette proposition. Labeyrie est chargé en
avril 1933 de proposer une réforme. La mission lui est confiée à titre
personnel, ce qui est peu fréquent 8 . Peu après, il est nommé
procureur général près la Cour des comptes et installé dans ces
fonctions le 2 juin. Il rend son rapport le 24 novembre 1933, dans le
délai fixé par le décret, alors que le ministre des Finances est
toujours Georges Bonnet.
Labeyrie ne travaille pas comme la commission Chéron. Il va vite et
ne prétend pas préparer les textes d’application de ses propositions.
Son rapport de 1933 9 présente de grandes ressemblances sur le
fond avec la note qu’il avait rédigée en 1930. Deux fois plus long
qu’elle, le rapport traite de deux sujets principaux : rétablir une
comptabilité administrative qui a cessé d’exister, sujet auquel sont
consacrés les plus longs développements ; réformer en profondeur le
contrôle de la Cour des comptes sur l’État, sujet traité plus
succinctement. La réforme de la comptabilité administrative est la
ligne directrice du rapport.
S’agissant d’abord de la place à donner à la comptabilité
administrative de l’État, Labeyrie se réfère au système financier
conçu par le marquis d’Audiffret au XIXe siècle 10 . Sa volonté est
double : restaurer un bel édifice quelque peu ruiné ; achever cet
édifice qui n’a jamais été terminé. Il y a du Viollet-le-Duc dans sa
méthode. L’affirmation de la continuité, quelle que soit l’ampleur des
transformations qu’il propose, conduit Labeyrie à insister sur
l’évolution historique du système français de comptabilité publique.
Dans cet esprit, une longue citation est faite du rapport public de la
Cour des comptes de 1848 sur l’année 1846. La volonté novatrice et
réformatrice de Labeyrie, qui est indéniable, consiste ainsi à
reprendre ce que d’Audiffret voulait construire – et avait
partiellement construit – trois quarts de siècle plus tôt. Plutôt qu’un
paradoxe, on y verra la démonstration de la solidité des vues de
Charles-Louis d’Audiffret et du fait que, pour tenir convenablement
une comptabilité dans une organisation aussi complexe que celle des
services de l’État, les solutions ne sont pas nombreuses.
S’agissant ensuite des modalités du contrôle par la Cour des comptes
de la comptabilité et de la gestion des services de l’État, le rapport
renvoie au projet de loi Caillaux de 1914 déjà cité et mentionne la
proposition de loi Petsche de fin 1930 11 .
Après avoir défini ses objectifs en même temps qu’il donne ses
références, Labeyrie formule des critiques. La première vise la
mauvaise tenue de la comptabilité de l’État dont l’administration des
Finances est, à ses yeux, la principale responsable. Pour suivre
l’exécution des opérations d’un exercice budgétaire, il importe de
connaître non pas les paiements, ce que fournit la comptabilité de
caisse des comptables du Trésor, mais les mandatements : il faut
suivre « les dépenses et non les paiements de ces dépenses », écrit-il,
les paiements pouvant intervenir avec un décalage substantiel. Au fil
des années, le ministère des Finances et les ministères « dépensiers »
ont sacrifié la comptabilité administrative – c’est-à-dire celle des
ordonnateurs de l’État – à la comptabilité de caisse. Le système
d’origine s’est délabré et a perdu sa belle ordonnance.
La réorganisation conçue par Labeyrie pour remédier à la situation
qu’il dénonce repose sur des contrôleurs comptables qu’il propose de
nommer dans les administrations centrales et dans les départements
:
en tant que comptables, ils tiennent la comptabilité administrative ;
en tant que contrôleurs, ils visent les ordres de paiement pour que ceux-ci puissent
être exécutés.

Les fonctions de contrôleur comptable et de préposé aux caisses du


Trésor doivent être séparées. Par conséquent, à l’échelon du
département, ces fonctions ne doivent pas être confiées à deux
subordonnés d’un même fonctionnaire, le trésorier-payeur général,
mais réparties entre un contrôleur comptable et lui (la note de 1930
utilisait les termes de contrôleur général et de trésorier général pour
ces deux hauts fonctionnaires).
Si les contrôleurs comptables doivent être distincts des caissiers, la
proposition de Labeyrie implique que le contrôle de l’engagement
des dépenses, organisé à l’échelon central depuis la loi de 1922 et
prévu (mais non organisé) depuis 1930 à l’échelon déconcentré des
services de l’État 12 , leur soit confié. Ces contrôleurs comptables
tiendront donc la comptabilité des engagements de chaque service
de l’État ainsi que celle de ses mandatements (ou ordonnancements).
Dans ce schéma, ils absorbent les contrôleurs des dépenses engagées
de la loi de 1922. Les uns et les autres seront rattachés à des
directions différentes du ministère des Finances. La réforme
comptable voulue par l’auteur du rapport se transforme en réforme
de l’organisation du ministère des Finances 13 .
La deuxième critique du rapport Labeyrie porte sur le contrôle que la
Cour des comptes exerce sur les finances de l’État et sur la gestion de
ses ordonnateurs. Selon lui, la Cour n’a pas les moyens d’être
efficace. Juger les comptes des comptables de l’État, mission dévolue
à la Cour par Napoléon Ier lors de sa création, ne permet pas de
contrôler sa gestion. Certes, des réformes sont intervenues sous la
Restauration et la monarchie de Juillet pour confier à la Cour le
contrôle supérieur des finances de l’État afin de donner au
Parlement et au Gouvernement les garanties qu’ils attendaient.
C’était une innovation importante qui a conduit la Cour à affirmer,
par des déclarations annuelles, l’accord des comptes des comptables
qu’elle jugeait, d’une part avec les différents comptes administratifs
présentés par chacun des ministres, d’autre part avec le compte
général de l’administration des Finances 14 . Toutefois, le déclin de la
comptabilité administrative a retiré progressivement toute portée
aux déclarations générales de conformité prononcées chaque année
15
alors qu’elles auraient pu, si l’expression ne paraît pas
anachronique, devenir une certification des comptes de l’État.
D’une façon générale, la surveillance des comptables, quoique
indispensable, est mal assurée. Elle ne peut être obtenue que par
l’association de différents contrôles : la vérification de leurs livres,
l’examen des pièces justificatives et des inspections fréquentes et
inopinées. Globalement, le jugement de Labeyrie est sévère : alors
que le contrôle de la Cour est réel sur les finances des collectivités
locales 16 , il est partiel sur l’État. En effet, la Cour donne son aval
chaque année à des comptes incomplets ou inexacts et continue à
n’en avoir aucune vue d’ensemble. En outre, elle formule ses
déclarations et ses observations trop tardivement pour qu’elles
soient utiles au Parlement. Labeyrie n’est pas tendre pour le mode
d’organisation, les méthodes de travail et les procédures de la Cour.
Toutefois, autant la critique du contrôle de la Cour des comptes sur
les finances de l’État est vive, autant les réformes proposées par
Labeyrie sont succinctes.
La première proposition 17 touche à la production des pièces
justificatives de la comptabilité administrative. Elle est traitée par
une citation du rapport public de la Cour de 1848 : « … l’envoi direct
des pièces à la Cour préviendrait, en outre, la confusion et
l’adirement des titres justificatifs des recettes et des dépenses
publiques, retenus trop longtemps par des vérificateurs
irresponsables ». Ainsi, c’est par un renvoi à un document de 1848
qu’est proposée la mesure qui va changer pour longtemps les
méthodes de contrôle de la gestion des services de l’État par la Cour.
L’auteur du rapport précise qu’il n’est pas entré dans les modalités
d’application de ses propositions et notamment dans les délais
d’envoi de différents documents ; c’est le cas de la transmission
mensuelle ou trimestrielle à la Cour des pièces justificatives de la
comptabilité administrative, qui n’est pas traitée par Labeyrie, et qui
pose les bases d’une rénovation du contrôle de la gestion des
ministères par la Cour.
Pour Labeyrie, l’application de ses propositions doit conduire à ce
que le vrai contrôle de la gestion de l’État se fasse non plus à
l’occasion du jugement des comptes des trésoriers-payeurs généraux
(TPG), mais au vu des pièces de la comptabilité administrative, ces
contrôles d’un nouveau type donnant le moyen à la Cour de faire des
observations dans des délais courts et avec une portée plus large.
Le rapport présente trois autres propositions qui portent sur les
relations de la Cour avec les administrations. Comme pour celle
mentionnée ci-dessus, la justification de ces propositions ne figure
pas dans le rapport, Labeyrie renvoyant à l’exposé des motifs du
projet Caillaux de 1914, ainsi qu’au discours qu’il a prononcé le 2 juin
1933 lors de son installation comme procureur général 18 . Les trois
propositions sont loin d’épuiser le sujet du contrôle des services de
l’État par la Cour des comptes.
La première concerne la transmission à la Cour des rapports des
grands corps d’inspection 19 , proposition qui est reprise depuis
1914. Les autres propositions portent sur les procédures, qui doivent
devenir contradictoires et rapprocher la Cour des services qu’elle
contrôle, et sur la publication de ses observations dans le rapport
public annuel. Labeyrie considère aussi que les méthodes de travail
de la Cour sont à revoir. En particulier, et cette proposition aura une
suite importante, l’examen des dépenses de l’État, groupées d’après
leur nature et non plus d’après les caisses qui les ont payées,
améliorera sensiblement le rendement de la Cour et de ses
magistrats. Cette mesure, à laquelle sera attachée à la Cour des
comptes l’action réformatrice de Labeyrie, figure modestement dans
une note de la page 73 du rapport.

C. L’idée-force : des comptes de l’État complets et exacts

Au début de son rapport de 1933, Labeyrie cite Jean-Baptiste Say : «


La première règle de l’économie est de tenir ses comptes et le
premier pas qui conduit au désordre est de les négliger 20 ». Son
idée-force est que l’État a besoin de deux comptabilités parallèles,
d’un côté celle de la trésorerie et des caisses et, de l’autre celle de
l’exécution du budget par les ordonnateurs. « Ce que, dans le langage
technique, on nomme comptabilité administrative constitue la
véritable comptabilité de l’État », écrit Labeyrie dans son rapport. «
La nécessité de parvenir à une comptabilité administrative
rigoureuse des faits de recette et de dépense de chacune de toutes les
unités qui opèrent pour le compte de l’État est à la base même de la
réforme qui nous occupe ». L’État doit disposer d’une comptabilité
d’ensemble, issue des comptabilités administratives de chacun de ses
différents ministères et services. Une comptabilité véritable n’existe
que lorsqu’il y a au jour le jour inscription dans des conditions
déterminées et sur des livres déterminés de toutes les opérations de
recettes et de dépenses et, à intervalles déterminés, regroupement
synthétique de ces écritures. La comptabilité administrative doit
être centralisée et contrôlée.
Or, le bel édifice comptable de la Restauration n’existe plus. Les
dispositions du décret de 1862 sur la comptabilité publique relatives
à la comptabilité des ministères, issues des dispositions de
l’ordonnance du 10 décembre 1823, ne sont plus appliquées.
« Faute d’un système comptable rigoureux, les dépenses des ministères inscrites
en comptabilité sont largement sous-estimées et les comptes de l’État sont faux
[…] La cause en est que, depuis le Second Empire, l’administration des Finances,
n’attachant d’importance qu’à la comptabilité du Trésor et à la responsabilité de
ses comptables, s’est peu à peu désintéressée de la comptabilité administrative.
Celle-ci est pourtant au moins aussi importante, comme l’avaient du reste
compris les grands administrateurs financiers de la Restauration. »
La critique est fondamentale : l’État n’a pas d’organisation ni de
règles assurant que ses comptes soient exacts et qu’il connaisse sa
situation financière. Selon le rapport, « aujourd’hui, cette
administration (des finances) se désintéresse totalement de la
comptabilité administrative ; elle ne la réglemente plus, elle ne la
centralise plus, elle n’en surveille plus la régulière tenue ; bien plus,
elle sait qu’en beaucoup de services elle est inexistante et ne s’en
inquiète pas ».
Selon Labeyrie, le système financier français a été déformé avant
d’être parachevé : « si la séparation des caisses du Trésor et de la
comptabilité des services de l’État avait pu être obtenue dès l’origine
(à l’époque, la réforme ne pouvait être réalisée que
fragmentairement), il est infiniment probable que notre système
n’aurait cessé par la suite de se perfectionner au lieu de se
désorganiser ».
Que les comptes de l’État ne soient pas exacts n’est pas un problème
momentané. Selon Labeyrie, cette situation lourde de conséquences
pour un gouvernement est ancienne et durera tant que :
la comptabilité des services de l’État se confondra avec la comptabilité des caisses ;
une masse très importante de recettes et de dépenses de l’État pourra être entreposée
dans des comptes de caisse sans apparaître dans les comptes des services qu’elles
concernent ;
les recettes et les dépenses ne seront comptabilisées qu’après recouvrement et
paiement et que leurs justifications seront produites à l’appui des opérations des
caisses et non des opérations d’ordonnancement.

Et tant que ces circonstances persisteront, le contrôle de la Cour des


comptes sur les comptes de l’État sera illusoire.
La priorité dont Caillaux faisait état dans son article de 1930 était de
mettre fin à « l’embrouillamini général de comptabilité ». Exposée
par Labeyrie dans un rapport administratif, la critique est exprimée
autrement, mais c’est la même. Labeyrie n’est ni un praticien, ni un
théoricien de la comptabilité. Il raisonne en organisateur de
l’administration et de la conduite des affaires publiques, animé
d’idées simples. Si son objectif est de réformer la comptabilité de
l’État, c’est pour donner au Gouvernement et au Parlement le moyen
de connaître avec la même exactitude la situation de la trésorerie, la
consommation des crédits budgétaires et d’avoir dès lors un outil de
pilotage qui fait défaut. Cette lacune est surprenante dans une
administration financière qui avait un rayonnement international. À
lire le rapport, cette réputation, en 1933, était usurpée.

II. Les réformes portant sur la comptabilité de


l’État et sur son contrôle par la Cour des
comptes
De très nombreuses mesures de réforme comptables, budgétaires et
financières ont été prises, principalement dans la période 1934-1936,
à la suite des réflexions de la période précédente. Le travail accompli
a été considérable et reflète l’effort entrepris par l’État pour mettre
de l’ordre dans son organisation comptable et financière et aussi
pour encadrer et contrôler les nouvelles activités qui lui échoient
depuis la première guerre mondiale et la crise économique.
Les mesures prises relèvent soit de préoccupations immédiates, soit
d’une volonté plus ancienne de réforme. Élaborées dans l’urgence
(en particulier sous le Front populaire) ou longuement mûries, elles
ont des sources d’inspiration différentes. De nombreuses mesures
résultent des travaux de la commission Chéron de 1930-1933,
certaines du rapport Labeyrie de 1933, d’autres remontent au projet
de loi Caillaux de 1914 ou à la commission de réforme sur l’exécution
du budget de 1917-1918. D’autres enfin résultent des observations de
la Cour des comptes. Toutefois, si les mesures prises au cours des
années 1930 ont des origines diverses, le cercle de ceux qui
réfléchissent et formulent des propositions dans les domaines
comptable et budgétaire est restreint et Labeyrie y est bien placé 21 .
Enfin la réforme de 1936, importante pour la Cour, est décidée par le
ministre des Finances du Front populaire, Vincent Auriol, dont il est
un proche 22 .
Toutes les propositions du rapport de 1933 n’ont pas été suivies
d’effets. Certaines des mesures adoptées n’ont pas été appliquées,
pour des raisons tenant au manque de moyens, à la guerre et à
l’Occupation ou à l’inertie administrative. Quelques-unes enfin ne
l’ont été que de façon éphémère. Parmi les mesures prises seront
examinées celles qui concernent la comptabilité de l’État et une
partie de celles, nombreuses, qui concernent la Cour des comptes.
Pour la réforme du contrôle financier 23 , nous renvoyons à la
contribution de Florence Descamps dans le même volume ainsi qu’à
ses écrits antérieurs.

A. Les mesures concernant la comptabilité


administrative de l’État

Les mesures réformatrices touchant la comptabilité de l’État (1934-


1935) ne sont pas la réforme de la comptabilité de l’État. Elles vont
cependant permettre des progrès et même régler en partie le
problème de l’inexactitude de ses comptes. Préparées pour la plupart
depuis 1930, comme il a été dit, elles profitent du contexte politique :
après la crise de février 1934, le gouvernement Doumergue doit
préparer et proposer un grand plan de réforme de l’État. Cinq
décrets-lois sont pris en juin-juillet 1934 24 .
Les décrets-lois et décrets de 1934 sont suivis et complétés par des
décrets-lois du 30 octobre 1935, dont ceux « portant réforme de la
comptabilité administrative ». En 1936, l’un des décrets du 1er
septembre complète le dispositif en confiant la tenue de la
comptabilité administrative à l’échelon déconcentré aux services
locaux du contrôle des dépenses engagées 25 .
Au vu de ces textes, la réforme voulue par Labeyrie relative à la
comptabilité administrative de l’État semble être intervenue. En fait,
l’exposé des motifs des décrets-lois de 1935, au-delà de la similitude
des termes, montre qu’il s’agit de confier les écritures centrales de la
comptabilité des ordonnateurs aux contrôleurs des dépenses
engagées 26 . C’est bien une mesure de réorganisation, mais elle
diffère de celle imaginée par Labeyrie. La Revue de science et de
législation financières de 1939 27 en fera l’éloge : « Le contrôleur des
dépenses engagées devient chef de la comptabilité du département
ministériel et prépare les comptes définitifs des dépenses. Cette
réforme donne plus d’unité dans les méthodes et plus de rapidité
dans la centralisation des comptabilités. Cette façon de procéder
permet de fournir au Parlement beaucoup plus rapidement que par
le passé tous les éléments nécessaires à l’exercice de son contrôle ».
Antérieurement à ces mesures de réorganisation, des décisions
ministérielles du 19 octobre 1932 et du 24 mars 1933 proposées par la
commission Chéron avaient regroupé les comptes ouverts dans les
écritures du Trésor. Un décret-loi du 25 juin 1934 relatif à la
comptabilité de l’État abrège la période complémentaire et introduit
largement le système de la gestion. Il comporte, comme le décret
simple du même jour, des mesures demandées par la Cour des
comptes. Le second décret répond notamment à une demande
formulée par elle à propos de la comptabilisation des recettes. Le
changement de méthode résultant de ce décret sera étudié et
critiqué par la Cour dans son rapport délibéré en juillet 1939 et non
publié (insertion n° 10).
La question s’était posée de l’étendue des mesures à prendre 28 :
faut-il aller jusqu’à une réforme profonde de la comptabilité
publique ? En 1936, le débat est tranché : il n’est plus question de
réforme comptable profonde.

B. La réforme du contrôle des dépenses engagées local

L’expansion du contrôle financier après la réforme de 1922 concerne


essentiellement les organismes autonomes qui vont être soumis à ce
qui deviendra le « contrôle d’État 29 » et l’échelon déconcentré des
services de l’État. Elle sera durable dans le premier cas, éphémère
dans le second.
À l’échelon local des administrations d’État, l’article 133 de la loi du
16 avril 1930 avait étendu le contrôle aux dépenses engagées par les
ordonnateurs secondaires, renvoyant pour ses modalités
d’application à un texte réglementaire. Ce texte important, qui
intervient finalement le 1er septembre 1936, sera un échec : échec
d’abord de Labeyrie, dont les idées n’ont pas convaincu ; les
contrôleurs comptables qu’il avait imaginés aussi bien à l’échelon
déconcentré qu’à l’échelon central des services de l’État ne verront
pas le jour ; échec aussi de la réforme réalisée par les décrets de 1935
et 1936 instituant le contrôle des dépenses engagées auprès des
ordonnateurs secondaires de l’État. Certes, ce n’était pas la
proposition de Labeyrie, mais la mesure néanmoins répondait
partiellement à ce qu’il souhaitait.
Les contrôleurs déconcentrés des dépenses engagées comptables
seront institués, mais seulement sur le papier. La réforme n’aboutira
que longtemps après, avec le décret du 13 novembre 1970 30 ; elle
sera accentuée par le décret du 16 juillet 1996 relatif au contrôle
financier déconcentré, modifié notamment en 2004. Les contrôleurs
budgétaires et comptables ministériels (CBCM) de 2006 ont une
filiation avec les contrôleurs comptables de Labeyrie de 1933, mais à
l’échelon central seulement.
Lors de la présentation le 18 juin 1936 du nouveau projet de loi
tendant enfin à la réforme générale de la comptabilité publique et du
contrôle par le Gouvernement, inspiré par Labeyrie et adopté par
l’Assemblée, la commission des Finances du Sénat refusa la création
de postes de contrôleurs locaux d’un certain rang. Un motif de
sociologie administrative aura pesé lourd, que Labeyrie n’avait pas
manqué de percevoir en commentant dans son rapport de 1933
l’échec de la création en 1930 d’un contrôleur des dépenses engagées
local : outre le coût de la mesure, il fallait compter avec la résistance
du réseau comptable du Trésor public.
Pourtant, l’échec de la réforme du contrôle local des dépenses
engagées réalisée par le décret du 1er septembre 1936 n’était pas
totalement prévisible. Le 16 octobre 1936, lors de l’audience
solennelle de rentrée de la Cour des comptes, le premier président
Pierre Guinand (1876-1944) exposait encore l’importance de cette
mesure 31 :
« Désormais, cette comptabilité (administrative) sera tenue dans chaque
ministère par un agent dépendant du ministère des Finances et nommé par lui, le
contrôleur des dépenses engagées qui devient un véritable directeur de
comptabilité. D’autre part, des agents dépendant eux aussi du ministre des
Finances exerceront le contrôle local de l’engagement des dépenses […] et, en
même temps, tiendront, outre la comptabilité des dépenses engagées, la
comptabilité administrative qui sera centralisée dans chaque ministère par le
contrôleur des dépenses engagées. »
Quelques semaines plus tard, par décret du 23 novembre 1936, le
Gouvernement se contentait pourtant de charger des fonctions de
contrôleur des dépenses engagées des subordonnés des TPG.
Un tel palliatif ne pouvait que conduire à l’échec 32 . Le contrôleur
des dépenses engagées local faisant les mêmes vérifications que
celles effectuées par le service de la dépense de la trésorerie
générale, la conséquence en fut rapidement tirée et le contrôle des
dépenses engagées local fut supprimé en 1939 33 . Le successeur de
Labeyrie, le procureur général André Godin, dans un discours 34 lors
de l’audience de rentrée de la Cour des comptes du 4 octobre 1938,
ironise sur ces mesures : le contrôle des dépenses engagées local a «
accru simplement la besogne matérielle de quelques agents. Mais, en
matière de contrôle, autant dire qu’elles n’ont touché à rien et que,
par rapport au passé, la situation demeure à peu près complètement
inchangée […] Avec ces mesures de réforme, il semble que l’autorité
exécutive se soit laissée aller ici à un mouvement d’exceptionnelle
fantaisie que les inspirateurs de la réforme n’avaient pas prévu ».
Plus lapidaire, la Cour, dans son rapport public de 1947 sur les
années 1940 à 1945, écrira : « Le service local du contrôle des
dépenses engagées, qui n’avait jamais été sérieusement organisé,
avait dû être définitivement supprimé ».
Le contrôle des dépenses engagées des services de l’État à l’échelon
local était la mesure qui se rattachait le plus à la réforme de la
comptabilité administrative voulue par Labeyrie. Le faux-semblant
auquel cette mesure aboutit est rapidement rapporté. Une fois de
plus, le réseau comptable du Trésor domine alors que, aux yeux de
Labeyrie comme avant lui de d’Audiffret, la fiabilité des comptes
supposait qu’au-delà de la séparation des ordonnateurs et des
comptables, principe auquel l’administration française affichait un
attachement profond, il y ait de part et d’autre, dans les services
ordonnateurs comme dans les services comptables, une comptabilité
digne de ce nom. Ce n’était pas le cas 35 .
C. Les mesures de réforme de la Cour des comptes

Les mesures touchant à l’organisation, au fonctionnement, aux


compétences, aux procédures et aux méthodes de la Cour sont
nombreuses à partir de 1934. On citera les mesures relatives au
contrôle des collectivités territoriales 36 , au contrôle des
établissements publics administratifs, industriels et commerciaux 37
, au contrôle des associations subventionnées 38 , à la procédure de
gestion de fait 39 , ainsi que des mesures de suppression d’emplois et
d’abaissement de la limite d’âge. Le décret-loi du 28 avril 1934 a en
effet donné au premier président le pouvoir de procéder aux
réformes nécessaires du décret de 1807 et un des décrets-loi du 30
octobre 1935 autorise le Gouvernement à réaliser par décret les
réformes administratives destinées à renforcer le contrôle
comptable de l’administration des Finances et de la Cour des
comptes.
Sous le Front populaire, le projet de loi de juin 1936 présenté par
Auriol aboutit à la réforme de la Cour par la loi du 13 août 1936 et les
décrets du 1er septembre 1936. Cette loi importante 40 (art. 21), en
même temps qu’elle institue le Comité supérieur de contrôle
financier, crée à la Cour des comptes une quatrième chambre. Rien
n’est dit dans la loi de la spécificité de cette chambre «
administrative », à la fois coordonnatrice des contrôleurs des
dépenses engagées des ministères et comité du rapport public. Cette
réforme de 1936 va être expliquée ci-après. Elle comporte une
dimension matérielle importante : au prix d’un travail considérable,
les liasses de pièces justificatives des trésoriers-payeurs généraux
sont livrées à la Cour non plus après la clôture de l’exercice, mais
trimestre par trimestre 41 ; au lieu d’être livrées après la fin de
chaque exercice à l’appui du compte de chaque TPG – compte que la
Cour continue de juger – elles sont reclassées par ministère et par
chapitre budgétaire et, seulement à ce stade, département par
département.
Avec le recul, une lacune est à relever dans ces réformes, d’autant
plus qu’elle concerne un sujet que Labeyrie avait traité : la procédure
contradictoire dans les contrôles. Une évolution vers une véritable
procédure de ce type se fera jour dans les pratiques de contrôle,
après la guerre, avec la création de la commission de vérification des
comptes des entreprises publiques – mais précisément, celle-ci aura
un fonctionnement nettement différent de celui de la Cour, tout en
cohabitant avec elle dans le palais Cambon. Et le développement
d’une double phase observations provisoires/observations
définitives dans le contrôle de la gestion sera bien plus tardif, sous
l’influence du contrôle des entreprises publiques une fois que la
CVCEP aura été intégrée dans la Cour des comptes (1976), puis sous
l’influence des procédures appliquées au contrôle des collectivités
territoriales par les chambres régionales des comptes instituées en
1982 42 . En 1936, la question de la contradiction dans les procédures,
si importante pour les contrôlés, est omise dans le train de mesures
réformatrices.

III. Le véritable changement : dans la


comptabilité de l’État, et surtout dans les
contrôles dits de comptabilité administrative
de la Cour des comptes
L’expression de comptabilité administrative est claire : il s’agit de la
comptabilité des administrateurs, c’est-à-dire des ordonnateurs.
L’usage qui en a été fait l’a rendue pleine d’ambiguïtés au point
qu’elle en est venue à désigner à la Cour des comptes un type de
contrôle et non un type de compte.
La réforme de 1936, de nature technique, a permis à la Cour d’utiliser
autrement les pièces justificatives des comptables supérieurs de
l’État et c’est cette nouvelle façon d’exploiter des pièces de la
comptabilité des comptables publics qui a été qualifiée par elle de «
contrôle de comptabilité administrative ». Ce glissement sémantique
est trompeur, d’autant plus qu’il s’agit bien d’une mesure résultant
des propositions de Labeyrie de 1933, mais non pas de la grande
réforme qu’il avait l’ambition d’obtenir.

A. Une comptabilité administrative de l’État mieux tenue,


mais qui ne prend pas la place que Labeyrie voulait lui
donner

Si Labeyrie voulait rendre à la comptabilité des ordonnateurs la


place qui devait lui revenir dans le système mis en place en France
depuis le XIXe siècle, c’était, comme il a été dit, pour que l’État
dispose d’un outil de gestion clair et exact. La confrontation entre la
comptabilité des comptables publics et la comptabilité des
ordonnateurs était en outre une vérification indispensable pour que
la Cour des comptes soit en mesure d’attester, à l’intention du
Parlement, la régularité de la comptabilité de l’État.
Les réformes voulues par Labeyrie n’ont pas eu lieu dans la forme
qu’il proposait, loin s’en faut, mais la situation des comptes de l’État
s’est néanmoins améliorée : alors qu’ils étaient faux depuis des
années, ils cessent d’être considérés comme tels.
Les critiques contre les lacunes et les défauts de la comptabilité de
l’État étaient récurrentes depuis la fin de la première guerre
mondiale et particulièrement vives dans le rapport Labeyrie de 1933.
Elles disparaissent. Les diverses mesures techniques prises dans les
années 1932 à 1936, et sans doute un patient travail de remise en
ordre de la part des services, ont redressé la situation. Au vu de ce
constat, l’impression est que Labeyrie s’était peut-être mépris sur les
raisons pour lesquelles l’administration ne parvenait pas à établir
des comptes exacts. Le problème était sans doute plus technique et
moins institutionnel qu’il ne le pensait.
La Cour des comptes estime, pour sa part, que la remise en ordre de
la comptabilité de l’État a eu lieu. Dans son rapport annuel délibéré
le 28 juillet 1939 43 , elle fait le point sur les mesures de réforme
postérieures au rapport Labeyrie : « On se préoccupa d’abord de
remettre de l’ordre dans la comptabilité des recouvrements et des
payements et les premières mesures adoptées eurent pour but de
permettre l’établissement rapide des situations de trésorerie ».
C’était le premier but à atteindre. Lors d’une audience solennelle le 8
juillet 1938, le premier président Labeyrie, si critique en 1933 sur le
système comptable et plus généralement sur le système
d’information de gestion dont l’État disposait, tient des propos
particulièrement optimistes en se référant à l’ensemble des réformes
intervenues.
« En France, un effort considérable a été poursuivi à cet effet (avoir le moyen de
connaître et d’apprécier la gestion) au cours des toutes dernières années ; […] il
semble que nulle part n’ait été conçu un système plus rationnel, plus cohérent
pour informer les gouvernants des résultats de la gestion administrative et
financière et des critiques auxquelles elle donne lieu […] Sans doute les
institutions les meilleures ne valent-elles que par leur mise en œuvre. Mais nous
pouvons être assurés, après une expérience de quelques mois, que les
importantes réformes accomplies dans les textes porteront vite tous leurs fruits.
»
Cette satisfaction affichée par Labeyrie tranche avec la virulence de
ses critiques de 1930 et 1933 et surprend quand on sait que ses
propositions de réforme n’ont été que partiellement retenues et
appliquées.
L’explication du changement conduit à nuancer les critiques
formulées à l’encontre des mesures de réforme. Certes, la tenue
d’une comptabilité administrative des ordonnateurs secondaires
était, dans les projets de Labeyrie, étroitement liée à l’institution
d’un contrôle local des dépenses engagées. Toutefois, l’échec
complet de cette dernière mesure n’implique pas que la tenue des
comptes de l’État ne s’est pas améliorée. Les mesures de 1936 eurent
pour résultat positif de séparer au sein des trésoreries générales la
comptabilité de caisse, traditionnellement tenue avec soin, et la
comptabilité des mandatements, suivie avec moins d’attention. Bien
sûr, elles ne sont pas devenues clairement distinctes l’une de l’autre
comme l’aurait voulu Labeyrie. Mais une comptabilité correcte des
mandatements est un acquis de la réforme de 1936 et il convient,
comme l’a fait R. Ludwig 44 , de nuancer l’impression d’échec.

B. Les contrôles de comptabilité administrative, une


nouvelle organisation des contrôles de la Cour des
comptes sur les services de l’État

Les contrôles dits de comptabilité administrative sont l’acquis le plus


durable de la réforme. L’utilisation par la Cour des travaux des
comités de contrôle financier ministériels n’en est pas moins le
changement qui se manifeste en premier. Cet aspect de la réforme,
plus visible car il met la Cour en contact avec les services de l’État et
les corps d’inspection, n’aura qu’une brève existence. Il concerne en
premier lieu la quatrième chambre de la Cour.
Cette chambre, signe visible de la réforme apportée par la loi du 13
août 1936 45 , a, dans les premiers temps, une nature spécifique : à la
différence des trois autres chambres, elle n’a pas d’activité
juridictionnelle. Dans la même forme que les autres chambres et
comme chaque année, sa composition est fixée par un arrêté du
premier président du 16 octobre 1936 pour l’année judiciaire
s’ouvrant à cette date 46 . Cette nouvelle chambre 47 reçoit des
compétences importantes : le rapport public, le support du Comité
supérieur de contrôle 48 mais non, comme on aurait pu l’imaginer,
les contrôles de comptabilité administrative. De 1937 à 1940, avec
une rapidité d’adaptation étonnante, cette chambre examine des
rapports des comités ministériels de contrôle financier qui s’ajoutent
à des renvois faits par les trois autres chambres à partir de leurs
propres contrôles. Ce mode de fonctionnement nouveau s’arrêtera
aussi vite qu’il a commencé, avec la disparition des comités de
contrôle financier fin 1940, en même temps que disparaît le rapport
public par décision du gouvernement de Vichy.
Le comité du rapport public, régi jusqu’alors par l’article 447 du
règlement général sur la comptabilité publique de 1862 (texte créant
à l’origine un « comité particulier » et plusieurs fois modifié), est
remplacé par la nouvelle chambre. Signe de continuité, la quatrième
chambre utilise comme registre de ses délibérations – ce qu’on
appelle le « plumitif » – le registre des réunions du comité du
rapport public et aucune mention n’y signale la substitution 49 . La
nouvelle chambre siège d’emblée à un rythme soutenu : une séance
par quinzaine et souvent par semaine, sous la présidence du premier
président et en présence du procureur général, sauf rares
exceptions. Les rapports examinés sont nombreux et très variés.
Concernant les services de l’État, la quatrième chambre examine
aussi bien des renvois faits par une chambre dite juridictionnelle à
l’occasion de l’examen d’un rapport sur les comptes d’un comptable,
notamment un rapport sur les comptes du payeur central (2/3 des
questions examinées en 1936-1937 50 ) que les rapports internes à la
Cour sur des sujets spécifiquement administratifs (15 %). Elle
examine aussi des renvois de comités de contrôle financier d’un
ministère (17 %), voire des rapports de contrôleurs des dépenses
engagées d’un ministère.
Les réformes ont ainsi accru fortement la matière à partir de laquelle
la Cour formule ses observations. Son information s’en trouve
grandement diversifiée et élargie. Les décisions prises par la
quatrième chambre sont toutes de nature administrative : envoi d’un
référé à un ministre, note au Parquet afin que celui-ci envoie une
communication à une administration 51 , mention au rapport public,
renvois à un comité de contrôle financier ministériel. La quantité de
sujets abordés est étonnante : en un après-midi, dix à vingt rapports
sont examinés. Certes, les thèmes peuvent être très étroits,
exactement comme une observation dans un rapport sur une
comptabilité dite juridictionnelle, dans laquelle le rapporteur
explique l’irrégularité d’un paiement. Les sujets peuvent aussi être
beaucoup plus larges et porter, par exemple, sur l’organisation de la
tutelle de l’État sur une catégorie d’établissements publics ou de
sociétés. La procédure utilisée soulève à l’évidence des questions. La
réactivité du contrôle qui est recherchée peut être mise en échec par
des renvois d’un organe à un autre : contrôleur des dépenses
engagées d’un ministère, comité de contrôle financier du même
ministère, quatrième chambre, Comité supérieur de contrôle, la
réponse à l’insertion au rapport public de la Cour passant elle aussi
d’une instance à une autre.
Le deuxième aspect de la réforme des contrôles de la Cour, plus lent
mais beaucoup plus durable, est l’apprentissage en son sein, à partir
de 1937, des contrôles dits de comptabilité administrative. À
l’inverse de la mise en route de la quatrième chambre, le
changement est laborieux. Avec le nouveau mode et le nouveau
rythme de production des liasses comptables de l’État, la Cour est en
mesure d’effectuer plus vite ses contrôles sur les services de l’État en
contrôlant les liasses de pièces justificatives dès leur livraison
trimestrielle. Elle est aussi mieux à même de contrôler la gestion de
l’État en contrôlant les dépenses d’un chapitre budgétaire dans son
ensemble. Le nouveau mode de classement des pièces lui donne le
moyen d’avoir une vision d’ensemble. Il permet de formuler des
observations sur la gestion des ministères, la mise en débet d’un
trésorier-payeur général devenant un sous-produit de ce contrôle de
la gestion alors qu’auparavant le contrôle de la gestion d’un
ordonnateur était le sous-produit du jugement des comptes d’un
comptable.
Pour cette raison, on peut comprendre que la Cour, afin de
distinguer ce mode de contrôle réservé aux services de l’État du
contrôle traditionnel fondé sur le compte du comptable (contrôle
juridictionnel, appelé autrefois contrôle judiciaire), l’ait qualifié de
contrôle de « comptabilité administrative ». Mais c’est une
impropriété de langage, car la Cour ne contrôle pas les comptes des
ordonnateurs principaux de l’État 52 ; elle utilise autrement les
pièces jointes à la comptabilité des comptables, ce qui n’est pas la
même chose. De même que, comme Labeyrie l’avait dénoncé en 1933,
l’État en était venu à présenter une centralisation de sa comptabilité
administrative fondée sur les données des comptables et non sur
celles des ordonnateurs, de même la Cour des comptes contrôle à
partir de 1937 la gestion des ordonnateurs en exploitant mieux les
pièces justificatives transmises par ceux-ci aux comptables à l’appui
des mandats de paiement, puis par les comptables au juge des
comptes.
Cette question de vocabulaire a son importance et les confusions
doivent être évitées. Le manuel de vérification destiné aux
rapporteurs de la Cour quarante ans après la réforme, comportait
encore ces précisions : « pour l’État comme pour les autres
collectivités publiques, la comptabilité administrative, au sens
général, est bien la comptabilité, tenue par les ordonnateurs, des
décisions qui donnent naissance à une recette ou à une dépense,
tandis que la comptabilité des recettes et des dépenses effectives est
tenue par les comptables. Ainsi définie, elle ne doit pas être
confondue avec la comptabilité administrative au sens reçu à la
Cour, qui n’est qu’une présentation sous une autre forme des
opérations budgétaires décrites par ailleurs dans les comptes de
gestion des trésoriers-payeurs généraux 53 ».
Jusqu’à ce que l’informatique transforme dans les années récentes le
circuit des pièces et en simplifie le classement et – c’est moins sûr –
l’exploitation, la Cour des comptes a contrôlé de cette façon les
services de l’État. L’expression « contrôle de comptabilité
administrative », employée dans la programmation des contrôles
comme dans les statistiques annuelles, s’estompe peu à peu 54 au
profit de l’expression « contrôle de la gestion ».
Pour revenir aux années 1930, les premières pièces de comptabilité
administrative au sens propre à la Cour sont livrées à partir de 1937.
La réforme suppose d’abord que les pièces classées selon la nouvelle
méthode parviennent bien à la Cour et arrivent dans les délais. Or, la
situation est variable : une partie seulement des liasses arrive dans
les temps. Ensuite, il faut que les magistrats de la Cour apprennent à
les exploiter autrement qu’ils ne le faisaient quand elles étaient
livrées département par département (c’est-à-dire TPG par TPG).
Pour que les contrôles évoluent, un temps d’apprentissage est
nécessaire. Le rapport annuel de la Cour publié en 1938 indique ainsi
qu’il ne comporte pas encore d’observations tirées du contrôle de la
comptabilité administrative : « en raison des délais qu’a nécessités la
mise en train de cette nouvelle organisation et des délais qui,
inéluctablement, séparent le moment où les comptabilités sont
établies et celui où elles peuvent être utilement examinées par la
Cour. »
Un autre indice du temps d’adaptation nécessaire est le fait que,
dans ses débuts, la quatrième chambre est alimentée bien plus par
les rapports des contrôleurs des dépenses engagées des différents
ministères ou par les comités ministériels de contrôle financier que
par les rapports de comptabilité administrative élaborés au sein de la
Cour.
Les ambitions de Labeyrie dans son rapport de 1933 et celles des
chefs de la Cour à partir de la réforme de 1936 sont claires : étendre
le contrôle à l’efficacité de la gestion. Y parvenir suppose une
transformation des méthodes de travail. Il faut que les magistrats
apprennent à travailler vite, pour que leur contrôle intervienne peu
après les faits et soit utile ; il leur faut aussi user du contrôle sur
place et faire ainsi mentir le vieil adage : « Le référendaire est cul-de-
jatte ». Avant même que les textes aient été modifiés, la production à
la Cour des volumineuses pièces de la comptabilité administrative et
l’ampleur de la tâche ont amené les rapporteurs à constater qu’« une
conversation avec les auteurs des pièces comptables est souvent
beaucoup plus fructueuse que le dépouillement, même très expert,
de ces pièces interminables 55 ». Un texte de 1941, motivé en partie
par les difficultés liées à l’Occupation, prévoit une expérimentation
de contrôles sur place dans six départements 56 . Il est lié au
rapprochement entre la Cour et l’Inspection des finances sous la
houlette de Jean-Marie Drouineau, tout à la fois chef du service de
l’Inspection et chargé des fonctions de premier président. Cette
transformation importante pour la Cour des comptes sera
définitivement acquise 57 .
Le contenu et les résultats des contrôles de comptabilité
administrative sont plus difficiles à apprécier tant que les référés
transmis par la Cour dans la période qui suit la réforme de 1936
n’auront pas été dépouillés 58 puisque à partir de 1940, en l’absence
de rapport public, c’est le seul vecteur des observations de la Cour à
destination des ministères. En tout état de cause, la culture des
rapporteurs doit évoluer et la tâche n’est pas si simple, car on sait
combien, en l’absence de résultat financier, il est difficile d’apprécier
l’efficacité d’une gestion publique. La réforme de 1936 a facilité
l’élaboration par la Cour de tels rapports de portée plus large
qu’auparavant ; elle n’en est pas l’unique explication, car de tels
rapports ont existé antérieurement. Sous Vichy, les rapports de
comptabilité administrative ont d’ailleurs tendance à s’amenuiser,
faute de moyens, jusqu’à devenir de simples commentaires
comptables d’utilisation des crédits de fonctionnement et de
personnel.
L’organisation de la Cour est fluctuante. La quatrième chambre
devait à l’origine, en octobre 1936 59 , avoir un rôle pivot. En fait, la
prudence de son président conduit à imaginer un partage entre la
deuxième chambre – celle qui avait compétence pour juger les
comptes du payeur central – et la quatrième 60 . Peu après cette
mesure initiale malcommode, les liasses dites de comptabilité
administrative commencent à parvenir à la Cour et l’ampleur de la
tâche apparaît. Les contrôles sont alors répartis pour l’année
judiciaire 1937-1938, ministère par ministère, entre les trois
premières chambres de la Cour, dites « chambres juridictionnelles »
par opposition à la chambre administrative destinataire de renvois
de leur part 61 . Dès qu’il remplace Labeyrie 62 , Drouineau, chef de
service de l’Inspection générale des finances qui fait désormais
fonction de premier président, concilie des tendances
contradictoires en donnant à la quatrième chambre – qui a perdu
son rôle de Comité du rapport public puisque celui-ci est supprimé –
compétence exclusive sur la comptabilité administrative de
l’ensemble des ministères, domaine de contrôle qu’il met d’ailleurs
en sommeil (arrêtés du 8 août 63 et du 30 octobre 1940). En même
temps, il lui attribue quelques compétences juridictionnelles et en
fait ainsi, à partir du 1er décembre 1940, une chambre presque
comme les autres, dotée désormais d’un greffier et rendant des
arrêts. Comme en 1937, la répartition des tâches est inégale, la
quatrième étant particulièrement chargée. L’année suivante, les
contrôles de comptabilité administrative sont de nouveau répartis
entre les quatre chambres. Dès l’année judiciaire 1941-1942,
l’ensemble des comptabilités, juridictionnelles (listes par
organismes) et administratives (listes par ministères) sont réparties
entre les quatre chambres de la Cour.
Après cinq ans de tâtonnements, un équilibre interne a ainsi été
trouvé. La répartition des contrôles de comptabilité administrative –
comme des contrôles juridictionnels – entre toutes les chambres est
restée la règle depuis lors. La recherche d’une organisation adéquate
s’accompagne de la recherche de méthodes adaptées au traitement
relativement rapide d’une grande masse de documents. Ce sera une
tâche à reprendre en permanence, les risques étant le pointillisme
ou au contraire un survol ne méritant pas le nom de contrôle.
Le procureur général Godin, dans son discours lors de l’audience de
rentrée de la Cour des comptes du 4 octobre 1938, affirmait que la
Cour recevait les pièces de la comptabilité administrative « avec une
précision et une célérité quasi automatiques » et les résultats
chiffrés de l’activité de la quatrième chambre qu’il donne sont
importants. Pourtant, l’envoi des liasses selon les nouvelles
méthodes a soulevé dès l’origine puis pendant les années de guerre,
selon la Cour elle-même, de réelles difficultés d’application qui ne
confirment pas les propos du représentant du ministère public 64 .
Malgré tout, les ambitions quant aux délais et à la productivité des
contrôles resteront très grandes. Ainsi, dans un discours du 13 mai
1943, le procureur général Yves Bouthillier déclare : « les magistrats
[…] vont s’appliquer plus particulièrement au contrôle de la
comptabilité administrative des exercices 1941 et 1942. Les buts
poursuivis par la création de cette comptabilité, c’est-à-dire la
vérification des dépenses d’un même ministère, dans leur ensemble,
et un contrôle des opérations aussi rapproché que possible des faits,
ont été atteints 65 ».
La volonté d’efficacité du contrôle exprimée dans le rapport Labeyrie
reste intacte, même si les résultats tardent.

C. L’absence persistante d’une certification de


l’exactitude des comptes de l’État

Labeyrie rappelait dans son rapport de 1933 la logique du système


institué en France sous la Restauration et largement imité par
d’autres pays. Les fonctions d’ordonnateur (administrateur) doivent
être indépendantes de celles de comptable (caissier). De ce principe
posé par l’ordonnance de 14 septembre 1822 (art. 17) et repris dans
l’article 17 du décret du 31 mai 1862 – et repris de nouveau en 1962 –
résulte implicitement que la comptabilité de l’ordonnateur doit être
indépendante de celle du comptable, le décret réglementant et l’une
et l’autre. Chacune de ces comptabilités doit être centralisée,
puisque les ordonnateurs et les comptables de l’État sont multiples,
et contrôlée. Le dispositif comporte une autorité – la Cour des
comptes – qui atteste que les deux comptabilités ont été rapprochées
et qu’elles sont exactes.
La réalité, soulignait Labeyrie, est différente. La comptabilité des
ordonnateurs est mal tenue et parfois inexistante. Elle est mal
contrôlée et n’est pas centralisée. C’est donc la comptabilité de caisse
qui est utilisée pour arrêter le compte de l’État et le rapprochement
de ces deux comptabilités n’a plus grand sens. À l’origine, « le service
de la comptabilité générale était bien au ministère des Finances,
celui qui centralisait toutes les comptabilités administratives de
l’État et les rapprochait des comptes individuels des comptables dont
il centralisait également les résultats ».
Insensiblement, la situation s’est dégradée.
« La comptabilité de l’État, écrit-il dans son rapport, tenue par l’administration
des Finances, est, à l’heure actuelle, établie d’après les opérations des caisses du
Trésor et non d’après les actes de recette et de dépense accomplis sur les ordres
de ceux qui ont la charge d’administrer ses différents services ».
Sans entrer dans un excès de technique 66 , le fondement du contrôle
était la confrontation entre les deux comptabilités tenues
séparément. La réforme introduite par les décrets du 1er septembre
1936, entrée en vigueur le 1er janvier 1937, se traduit par des
modifications que la Cour expose dans la déclaration générale de
conformité délibérée par la chambre du conseil le 28 juillet 1941,
mais ne bouleverse pas le sens de ce qui est fait par elle. La
confrontation entre les deux comptabilités, règle logique, figurait
encore dans l’ordonnance du 2 janvier 1959 : le projet de loi de
règlement est accompagné de la déclaration générale de conformité
entre les comptes individuels des comptables et la comptabilité des
ministres. La même règle se retrouve dans le règlement général sur
la comptabilité publique du 29 décembre 1962 qui avait remplacé le
décret de 1862, mais le vocabulaire est légèrement différent : le
rapprochement est prévu entre les comptes des comptables et le
compte général de l’administration des Finances (art. 150) 67 . La loi
du 22 juin 1967 sur la Cour des comptes utilise d’autres termes
encore : conformité entre les comptes individuels des comptables et
les comptes généraux de l’État (art. 10).
Les textes ont en fait entériné l’évolution dénoncée par Labeyrie : ils
n’attendent de la Cour, par la déclaration générale de conformité
adoptée annuellement par la chambre du conseil 68 , que
l’attestation d’un contrôle de cohérence entre des données qui
toutes proviennent de l’administration des Finances : quelle que soit
l’expression utilisée par les textes législatifs et réglementaires, les
documents comptables que la Cour des comptes confronte sont tous
établis par la même administration. La logique voulue dès la
Restauration, perdue de longue date lorsque Labeyrie rédigeait son
rapport, n’a pas été rétablie. La centralisation des comptabilités des
ordonnateurs existe sous une forme qui ôte à sa confrontation avec
la centralisation des comptes des comptables principaux de l’État
toute portée véritable. Cette situation peu rationnelle a duré jusqu’à
l’entrée en vigueur de la loi organique sur les lois de finances de
2001, la dernière déclaration générale de conformité portant sur les
comptes de 2005, et on ne peut que s’étonner de la longévité de cette
formalité coûteuse en temps. C’est alors seulement que la Cour des
comptes, changeant complètement de référentiel juridique, a été
chargée de la mission de certificateur des comptes de l’Etat 69 à
laquelle elle avait résisté lors de sa création 70 et l’a exercée pour la
première fois en 2007 sur les comptes de l’État de 2006. Une longue
histoire se terminait et il n’était que temps.
La certification ne règle pas le problème soulevé par Labeyrie en
1933. Elle aborde le sujet comptable autrement. Depuis longtemps,
l’État tient une comptabilité patrimoniale à côté d’une part de la
comptabilité des ordonnateurs, axée sur l’engagement puis la
consommation de crédits disponibles au budget, et d’autre part de la
comptabilité des comptables, axée sur les encaissements et les
décaissements (trésorerie). Les comptables ont tenu à partir du 1er
janvier 1970 une comptabilité générale, au sens que la comptabilité
privée donne à cette expression, même si celle qui était appliquée
aux services de l’État en application de l’article 133 modifié du
règlement général sur la comptabilité publique ne découlait pas
directement du plan comptable général mais ne faisait que s’en
inspirer. L’innovation consistant à retenir une approche
patrimoniale de la comptabilité est une modification substantielle
des dispositions adoptées en 1933. Elle n’a été déterminante que
lorsque l’État a adopté un référentiel comptable plus proche encore
des règles du secteur privé par arrêté du 21 mai 2004, modifié par
des arrêtés des 17 avril 2007, 13 mars 2008 et 11 mars 2009 après avis
du comité des normes de comptabilité publique 71 .
C’est à partir de ce moment que la notion de certification s’impose :
la Cour des comptes, sans se désintéresser de la comptabilité des
ordonnateurs et de la comptabilité de caisse, entre dans la logique
d’une comptabilité générale et examine de près les dettes et les
créances, les provisions et les stocks. Jusqu’alors préoccupée, par
exemple, de l’inventaire des biens de l’État (tableau général des
propriétés de l’État), souvent lacunaire, elle va désormais s’attacher
en outre à ce que les immeubles qui y figurent soient affectés d’une
valeur correspondant aux règles comptables, il est vrai changeantes.
Désormais, la réforme Labeyrie est loin.

Conclusion
Labeyrie a fait ressortir avec acuité en 1930 et 1933 une grave lacune
dans la gestion publique : la comptabilité de l’État était mal tenue et
les comptes étaient faux. Ses propositions de réforme partent de ce
constat pour dessiner ce que doit être un dispositif administratif
capable de tenir convenablement la comptabilité. Ce faisant, il
attaque de front le ministère des Finances pour son incapacité à
produire depuis des années des comptes fiables, instrument essentiel
de la gestion publique. Il fait un choix : rétablir la comptabilité
administrative, au sens précis de l’expression, et lui donner la
priorité sur la comptabilité de caisse privilégiée par le ministère et
son réseau de comptables. Pour y parvenir, il préconise une
réorganisation administrative qui ne se fera pas. Néanmoins la
comptabilité administrative de l’État s’améliore et, si elle ne devient
pas l’instrument principal de pilotage financier que Labeyrie avait
l’intention et la volonté de rétablir, celui-ci peut estimer à juste titre
que des progrès réels ont été accomplis sous son influence.
C’est la Cour des comptes qui a le plus changé sous l’influence de
Labeyrie. En 1986, le procureur général Moinot 72 évoquait « la
réforme de 1935 faite sous l’autorité du procureur général Labeyrie »
et notait à cette occasion qu’en plus d’un siècle, « la Cour avait à
peine vieilli ». Ces remarques étaient une façon discrète d’évoquer le
« grand réveil 73 » de l’institution de la rue Cambon et de le dater
non pas de 1945, mais des années 1930. Les idées qui ont été
retracées, et qui ne sont pas seulement celles de Labeyrie, ne
s’inscrivent pas dans un mouvement linéaire de rénovation des
modes de gestion et de contrôle des services de l’État. Les points de
vue n’ont pas toujours convergé, les résistances n’ont pas manqué et
certaines réformes comme les comités de contrôle financier n’ont
été que des parenthèses administratives. Retracer les réformes
imaginées, proposées ou réalisées dans les années 1930-1940 est une
tâche qui dépasse les limites du présent travail. Le foisonnement est
indéniable, les redites et reprises fréquentes 74 .
Les préoccupations de Labeyrie et le mouvement de réforme dans
lequel il a été largement impliqué n’en ont pas moins abouti au
palais Cambon à des changements marquants et durables. La Cour a
connu une évolution réelle, même pendant l’Occupation, tandis que
s’amorçaient et mûrissaient d’autres réformes qui seront menées
après la fin de la guerre : extensions successives du champ de
compétence propre de la Cour, inscription d’une de ses missions
dans la Constitution de 1946, création d’institutions dites associées
que sont le Comité d’enquête sur le coût et le rendement des services
publics, la Commission de vérification des comptes des entreprises
publiques, la Cour de discipline budgétaire et financière.
La mémoire collective de la Cour des comptes attache le nom de
Labeyrie à une réforme qui est celle des contrôles des services de
l’État : les contrôles dits de « comptabilité administrative », manière
entièrement renouvelée d’exploiter les pièces justificatives des
comptables principaux de l’État. Le rapport Labeyrie de 1933 décrit
une réforme de la comptabilité administrative de l’État qui est autre.
Cette situation est paradoxale, mais l’étude des propositions et des
réformes ne fait ressortir ni attribution erronée à Labeyrie de ce qui
reviendrait à un autre, ni usurpation. Le glissement sémantique est
en revanche incontestable. Il s’est produit à la Cour des comptes où
l’expression « comptabilité administrative » a été durablement
utilisée avec une signification qui est trompeuse, ce qui donne raison
à Pol Regnault, déjà cité, qui commence son ouvrage de 1937 sur la
réforme de la comptabilité publique par un chapitre entier sur la
terminologie, car il en connaît l’obscurité. Ainsi expliquée, la
réforme Labeyrie de 1935-1936 n’est pas le projet Labeyrie de 1930-
1933, mais son auteur conserve et mérite sa réputation de
rénovateur. À ce titre, il a sa place dans l’histoire de la gestion
publique en France et dans l’histoire de la Cour des comptes.
NOTES
1. Le présent article est tiré d’une partie des deux exposés présentés avec Florence
Descamps le 16 mars 2007 à Bercy et le 23 avril 2007 à Noisiel (Seine-et-Marne), dans les
locaux de la chambre régionale des comptes d’Île-de-France, dans le cadre du séminaire.
Voir Florence Descamps et Christian Descheemaeker, « Le rapport Labeyrie ou la
réinvention de la comptabilité administrative 1933-1940 », Revue française de finances
publiques, n° 101, mars 2008.
2. Il est révoqué par Vichy en octobre 1940.
3. Du nom du ministre des Finances du gouvernement Tardieu. Voir Revue de science et de
législation financière, 1930, p. 539.
4. Sur la commission Chéron, voir Florence Descamps dans le même volume.
5. Voir le commentaire qu’en fait Pol Régnault La réforme générale de la comptabilité publique,
Paris, 1937, et Revue de science et de législation financière, 1934 et 1935.
6. Le projet de loi Caillaux de 1914 préconisait la communication des rapports des corps de
contrôle à la Cour des comptes ; déposé par Caillaux, ministre des Finances, voté par la
Chambre des députés le 31 mars 1914, il fut ensuite transmis au Sénat qui, en raison de la
guerre, ne le vota pas. La commission de 1917-1918 réclamait la transmission des rapports
de contrôle à la Cour et était tombée d’accord sur la communication systématique des
rapports annuels, à défaut des rapports particuliers tenus simplement à la disposition de la
Cour.
7. Le projet de loi Caillaux déjà cité.
8. Décret du 8 avril 1933, article 1er : « Dans un délai de six mois, sera soumis aux ministres
des Finances et du Budget un projet de réorganisation complète de la comptabilité publique,
comportant toutes améliorations et simplifications susceptibles d’être apportées aux règles
de la comptabilité publique et au contrôle des finances publiques. Ce projet s’appliquera
également aux établissements annexes de l’État ». Article 2 : « M. Labeyrie, conseiller maître
à la Cour des comptes, est chargé de la préparation et de la présentation dudit projet ».
9. Le rapport Labeyrie se trouve notamment à la bibliothèque de la Cour des comptes. Il est
commenté dans l’ouvrage collectif La Cour des comptes publié en 1984 par le CNRS, p. 657 à
660. Une analyse du document figure dans P. Regnault, La réforme générale..., op. cit.
10. Audiffret, Le système financier de la France, Paris, imprimerie et librairie administratives
de Paul Dupont, 1863, 6 volumes.
11. Sur le projet de loi Petsche, voir Florence Descamps dans ce même volume.
12. La réforme du contrôle de l’engagement des dépenses décidée par la loi du 24 décembre
1890 et reprise par la loi de 1922 a été étendue aux dépenses des ordonnateurs secondaires
par la loi de finances du 16 avril 1930 (art. 133). Aucune mesure d’application n’a encore été
prise quand Labeyrie rédige son rapport.
13. Il le fait avec une grande brutalité de ton. Sur la réforme du ministère des Finances, voir
Florence Descamps dans le même volume.
14. Sébastien Kott, « Les prescriptions budgétaires et comptables dans les grands textes
financiers », Revue française de finances publiques, n° 86, avril 2004, pages 57 à 73.
15. Puisqu’elles attestaient la conformité entre des éléments de comptabilité issus non pas
de deux ensembles différents – les ordonnateurs et les comptables – mais du même
ensemble, la comptabilité de caisse tenue par les comptables.
16. Au-delà d’un seuil financier donné ; la Cour juge les comptes des comptables, et contrôle
aussi les comptes administratifs des ordonnateurs et, de fait, leur gestion.
17. P. 85 et 90 respectivement.
18. Repris en annexe du rapport.
19. Le discours de Labeyrie à l’audience solennelle de la Cour du 2 juin 1936 est plus clair
que son rapport : la Cour aura à sa disposition les informations que les grands corps
d’inspection – l’Inspection des finances n’est pas mentionnée, mais c’est elle qui est visée en
premier lieu – recueillent sur place (archives de la Cour, 2004-001, cote 27).
20. Jean-Baptiste Say, Cours complet d’économie politique pratique ; l’économie des sociétés, tome
VI, Paris, Raspilly, 1829, p. 213.
21. Même s’il s’éloigne pendant un an de la Cour des comptes pour occuper les fonctions de
gouverneur de la Banque de France (1936-1937) au moment du changement de statut de la
Banque centrale.
22. Florence Descamps, « L’État moderne, une contribution originale des fonctionnaires des
Finances à la réforme de l’État, 1928-1940 », Revue française d’administration publique, n° 120,
décembre 2006.
23. Auquel le rapport Labeyrie donnait peu de place mais qui s’est inséré dans les réformes
comptables.
24. Pour l’exposé des motifs des décrets-lois sur la comptabilité de l’État, voir le rapport au
président de la République en date du 25 juin 1934, Revue de science et de législation financière,
1934.
25. Mesure déjà préconisée par L. Courtin, président de chambre à la Cour, au sein de la
commission de réforme de 1917-1918. D’autres mesures sont prises concernant :
– d’une part, la comptabilité des collectivités locales : décret-loi du 25 juin 1934 relatif à la
comptabilité communale (textes législatifs) ; le décret-loi du 8 août 1935 reprendra cette
réforme et corrigera le dispositif de 1934, jamais appliqué et qui n’allégeait que peu la tâche
d’apurement de la Cour ; décret réglementaire du 27 juillet 1934 relatif à la comptabilité
communale (textes réglementaires) ; la liste de ces textes de 1934 est donnée dans la Revue
de science et de législation financières de 1934, p. 421.
– d’autre part, celle des établissements publics administratifs, industriels et commerciaux,
la prolifération des offices étant une importante préoccupation de l’époque : décret du 15
décembre 1934 qui organise un système complexe : jugement des comptes du comptable
public ; déclaration annuelle sur la conformité de la balance générale avec le bilan proposé
par le conseil d’administration à l’approbation des ministres (c’est en fait une certification
des comptes qui est instituée, ce qui est à la fois innovant et difficile à appliquer. On
retrouvera une disposition de même nature lors de la création en 1948 de la commission de
vérification des comptes des entreprises publiques, laquelle doit émettre un avis sur les
comptes des organismes).
26. Pol Regnault en fait une présentation trop critique (p. 78) : il n’y voit qu’une
comptabilité de paiement, ce qui est excessif. Sa critique vient du fait que la réforme
consiste à faire tenir des écritures comptables sans justificatifs, ceux-ci restant attachés à la
comptabilité de paiement. Pour Pol Regnault, comptabilité signifie écritures comptables
appuyées de pièces justificatives.
27. Étude, p. 244 à 287.
28. D’autres mesures importantes sont prises : elles ne concernent pas la comptabilité de
l’État, mais celle des collectivités locales.
29. Décrets du 4 août 1934 et du 15 décembre 1934 ; décrets-lois du 25 octobre 1935 ; décret
du 30 octobre 1935. Sur le contrôle des offices, voir Alain Chatriot et Florence Descamps,
dans le même volume.
30. Sébastien Kott, Le contrôle des dépenses engagées – Évolutions d’une fonction, Comité pour
l’histoire économique et financière de la France 2004, p. 321 à 371 ; Robert Ludwig, « Le
contrôle local des engagements de dépenses en France – de l’histoire d’un échec (1936) à
l’espoir d’une réussite (1970) », Revue de science financière, 1971, p. 505-620.
31. Premier président de septembre 1936 à août 1937, successeur de Chotard (1933-1936) et
prédécesseur d’Émile Labeyrie.
32. Robert Ludwig, article de 1971 : l’instruction qui devait régler les conditions
d’application ne vit jamais le jour. « Il n’y eut donc jamais ainsi de visa préalable des
engagements locaux de dépense pas plus que de comptabilité des dépenses engagées. Le
contrôleur local des dépenses engagées ne pouvait en conséquence conseiller les
administrateurs et les ordonnateurs locaux comme les textes le prévoyaient. Leurs relations
avec les contrôleurs centraux demeureront inexistantes ».
33. Décret du 28 septembre 1939 confiant à titre provisoire le service local du contrôle des
dépenses engagées au TPG ; décret du 6 octobre 1939 supprimant le visa du contrôleur des
dépenses engagées sur les documents signés également par le TPG.
34. Il illustre son propos d’un compte rendu anecdotique de la visite d’un magistrat de la
Cour dans une trésorerie générale. « Que le second fondé de pouvoirs de la trésorerie
générale ne vise pas un mandat émis par le préfet et son propre chef (le trésorier général)
ne pourra payer ce mandat. Si bien que ces deux hommes, le trésorier général et son second
fondé de pouvoirs seront, à l’égard l’un de l’autre, tantôt chef et tantôt subordonné ». Suit
un long dialogue entre un magistrat de la Cour et un second fondé de pouvoirs qui illustre
l’échec complet non seulement du contrôle local de l’engagement des dépenses, mais aussi
de la tenue d’une comptabilité administrative distincte de la comptabilité de caisse. Une
comparaison peu flatteuse est faite avec l’administration byzantine du Xe siècle.
35. Voir à cet égard le constat désabusé mais réaliste que Labeyrie, premier président, fait
dans son introduction au dernier rapport public de la IIIe République (non publié, 28 juillet
1939, p. 26-30 ; bibl. Cour des comptes).
36. Décret-loi du 8 août 1935 : la Cour des comptes, juge de droit commun et non plus juge
d’attribution. Institution de l’apurement administratif des comptes des petites communes
par les TPG. La procédure sera précisée par un décret du 18 mars 1936. Le décret-loi avait
été précédé par un décret du 25 juin 1934 qui retirait déjà aux conseils de préfecture leurs
compétences pour instituer un apurement administratif, mais qui n’était pas bien conçu.
Cette réforme organise le régime de contrôle des petites communes qui sera en vigueur
jusqu’à la création des chambres régionales des comptes en 1982 puis à nouveau à partir de
1988.
37. Décret du 15 décembre 1934 fixant la comptabilité des établissements industriels et
commerciaux de l’État et organisant leur contrôle.
38. Décret-loi du 30 octobre 1935 ; plus tard, décret-loi du 20 mars 1939 donnant à la Cour
des comptes le droit de contrôler les associations ainsi que les fondations reconnues
d’utilité publique dont plus de la moitié des ressources est fournie par l’État. Les mesures
d’application seront plus tardives (notamment un arrêté du premier président du 19 mai
1941, archives de la Cour, 2004-001, cote 19).
39. Décret-loi du 23 octobre 1935 donnant à la Cour la faculté d’infliger une amende à un
comptable de fait. Sans rapport avec la commission de réforme de 1930, cette mesure tient à
la gestion de fait découverte dans la gestion des hospices civils de Lyon et à l’insuffisance de
mesures répressives existantes. Ce décret-loi, mal rédigé et qui soulevait des difficultés
d’application, sera remplacé par l’article 3 de la loi n° 129 du 25 février 1943.
40. Sont consacrés dans cette loi des principes défendus par Caillaux dans son projet de loi
de 1914. Vingt-deux ans après, Caillaux et Labeyrie sont parvenus à leurs fins (cf. conclusion
de l’article de Florence Descamps, « De la persévérance en matière de réforme
administrative ou comment Caillaux est parvenu à ses fins dans l’entre-deux-guerres »,
Comptes et nouvelles, n° 72, janvier 2008, revue de l’association des magistrats de la Cour des
comptes).
41. Le contexte était propice. De même que la tenue des comptes s’est améliorée vers 1933,
de même la production des comptes des comptables publics a repris un rythme à peu près
normal après des années au cours desquelles les retards s’étaient accumulés. À l’audience
solennelle de la Cour du 16 octobre 1935, il est indiqué que les comptes de 1933 sont déjà
parvenus à la Cour et que ceux de 1934 sont annoncés à très bref délai, ce qui signifie que les
délais réglementaires de production sont sur le point d’être respectés, changement majeur.
42. Réforme de procédure introduite par la loi du 5 janvier 1988.
43. Remis au président de la République en mai 1940, mais jamais publié.
44. Article de 1971, p. 521.
45. La Cour en comptait trois depuis 1807. Une cinquième chambre verra le jour en 1950
lorsque la Cour recevra compétence sur la Sécurité sociale, une sixième et une septième
chambre en 1976 lorsque la commission de vérification des comptes des entreprises
publiques (CVCEP) sera intégrée à la Cour.
46. À lire le résumé des interventions du procureur général Labeyrie à la conférence des
présidents de la Cour lors de sa mise en place, la quatrième chambre est bien le résultat
immédiat de sa réforme.
47. Que préside Louis de Fouchier (1869-1962), qui vient d’être nommé à ce grade et restera
en fonction jusqu’à sa retraite en 1940.
48. Et, activité fort différente, le contrôle des taxes municipales.
49. La substitution se fait exactement le 5 novembre 1936 (archives Cour des comptes, 2005-
006, cote 53). À noter que, dès le début de 1936, le comité du rapport public avait vu ses
compétences s’étendre dans un sens qui annonce la quatrième chambre qui naîtra à la fin
de l’année (note du premier président n° 180 du 10 février 1936). Les changements étaient
dans l’air, comme le montre la note du premier président aux magistrats n° 185 du 25 juin
1936 qui indique aux rapporteurs de comptabilités juridictionnelles des thèmes qui
pourraient faire l’objet d’un renvoi au comité du rapport public : la Cour cherche à aborder
de manière transversale des sujets intéressant la gestion de l’État malgré l’éparpillement
des opérations entre tous les TPG. Les contrôles de comptabilité administrative n’auront pas
d’autre objet.
50. Les chiffres figurent dans le discours du procureur général Godin (1872-1954, procureur
général d’octobre 1937 – il succède à Labeyrie – à janvier 1942) à l’audience solennelle du 4
octobre 1938 (archives de la Cour, 2004 – 001, cote 26, audiences solennelles 1937-1941) ; le
total des questions examinées par la quatrième chambre dans l’année judiciaire 1936-1937
est de 400 environ.
51. Dénommée, dans la terminologie de la Cour alors en vigueur, note « du » Parquet.
52. À lire l’étude d’Emmanuel Chalandon dans la Revue de science et de législation financières,
1937, p. 527, on croirait le contraire : que la réforme de 1936 a vraiment rendu secondaire le
contrôle de la comptabilité des paiements par la Cour des comptes et prioritaire le contrôle
de la comptabilité des ordonnateurs.
53.Manuel de vérification interne à la Cour, 3e partie, chapitre I, feuillets datés de 1978,
exemplaire de l’auteur.
54. Pas au point de disparaître : la mercuriale annuelle du Parquet (statistique des contrôles
effectués) l’utilise encore.
55. Procureur général Godin, dans son discours lors de l’audience de rentrée de la Cour du 4
octobre 1938.
56. La théorie de l’expérimentation en matière de réforme administrative n’est pas
l’exclusivité de la Ve République, elle a été mise en pratique sous Vichy dans le cadre de la
mise en place de nouvelles méthodes de contrôle.
57. Le procureur général Bouthillier, le 13 mai 1943, tient des propos assez prudents : «
L’institution de la vérification sur place est une réforme plus profonde. Commandée, sinon
imposée, par les événements, en particulier par la difficulté des échanges de
correspondance et, dans certains cas, d’envois des pièces justificatives, elle n’est, au surplus,
qu’une expérience déjà féconde mais dont les enseignements restent à tirer. […] au moment
où certains d’entre vous vont gagner les départements où s’exercera leur mission, nous
ajouterons […] quelques recommandations. La vérification sur place n’est en aucun cas une
inspection des services ».
58. Un travail qui attend un chercheur…
59. Note du premier président aux magistrats n° 188. Elle prévoit que les rapporteurs
chargés de contrôler les comptes des TPG établissent désormais deux cahiers au lieu d’un
seul rapport. Le premier est relatif aux aspects juridictionnels et il sera examiné par la
chambre juridictionnelle compétente pour cette comptabilité ; le second cahier, portant sur
des sujets ne pouvant donner lieu qu’à des interventions de nature administrative de la
Cour, sera délibéré par la quatrième chambre, la chambre juridictionnelle en ayant
toutefois connaissance. Le dispositif est, dans le détail, d’une grande complexité.
60. Note du premier président du 11 mars 1937 : l’une « explore », l’autre « étudie ».
61. Arrêté du premier président du 19 novembre 1937 (archives de la Cour 2004-001 cote
19).
62. Après une période où, à cause de la mobilisation de 1939 et d’un premier transfert
provisoire de la Cour à Saumur, tous les moyens sont concentrés sur les trois chambres
juridictionnelles.
63. L’arrêté n° 293 du 8 août 1940 est ainsi motivé : « Considérant que, bien que la
démobilisation ait rendu à la Cour un certain nombre de rapporteurs qui, depuis un an,
n’avaient plus participé à ses travaux, il importe de poursuivre sans désemparer
l’apurement des comptes rendus par les comptables de façon que la juridiction puisse se
trouver bientôt sans arriéré important et en mesure d’appliquer son contrôle aux
opérations récentes des services publics ; considérant d’autre part que la nécessité dans
laquelle va se trouver la France d’apporter de profondes modifications à l’organisation de
ses services et à ses méthodes de gestion diminuera l’intérêt, sans les événements de ces
derniers mois, des observations critiques et des vues de réformes sur l’administration
financière ; que la Cour peut donc, sans inconvénient grave, n’appliquer qu’une partie
moins importante qu’en temps normal de ses moyens d’action à l’examen des comptabilités
administratives de la période d’avant-guerre et de la période de guerre ».
64. « C’est ainsi que […] la centralisation, la présentation des pièces et leur envoi à la Cour
avaient donné lieu à de graves mécomptes. Les envois mensuels, en particulier, ne purent
être régulièrement assurés parce qu’ils exigeaient, à intervalles très rapprochés, une
centralisation laborieuse ; cette centralisation eut lieu d’abord à intervalles irréguliers,
tantôt d’un seul mois, tantôt de deux ou trois mois, quelquefois de quatre ; le principe des
envois trimestriels fut finalement adopté pendant les années de guerre, mais la Cour a dû
constater récemment que l’envoi des pièces de la comptabilité administrative avait
tendance à devenir de plus en plus tardif et, alors qu’il devait permettre de suivre en
quelque sorte au jour le jour l’exécution des opérations, il n’a lieu, aujourd’hui, qu’après un
délai de plus d’un an ; ce n’est en effet qu’en novembre 1945 que sont parvenues à la Cour
les pièces justificatives du 3e trimestre 1944 » (rapport de la Cour des comptes sur les
années 1940 à 1945, publié en 1947, p. 4).
65. De façon non moins ambitieuse, le premier président Le Conte (1876-1960, premier
président de 1946 à 1948 après en avoir exercé les fonctions à partir de juillet 1945), dans
son discours du 30 juillet 1945, considère comme possible de vérifier chaque année les
dépenses de l’État de l’année précédente, objectif qui donnerait toute sa valeur au contrôle
a posteriori.
66. La Restauration et la monarchie de Juillet connaissaient non pas une, mais deux
déclarations générales de conformité.
67. Bertrand Schwerer, « La déclaration générale de conformité », Revue administrative,
1989, n° 250.
68. C’est-à-dire la formation la plus solennelle de la Cour des comptes.
69. En application de l’article 58-5 de la LOLF.
70. Sébastien Kott, « Le développement des relations entre la Cour des comptes et le
Parlement 1815-1832 », Revue française de finances publiques, numéro spécial Bicentenaire de
la Cour des comptes, septembre 2009, p. 201 à 212.
71. Devenu, en application de l’article 115 de la loi de finances rectificative pour 2008 du 30
décembre 2008, le conseil de normalisation des comptes publics.
72. Dans l’éloge funèbre d’Albert Pomme de Mirimonde le 14 janvier 1986, après le décès de
ce magistrat (1897-1985) qui, sous un aspect « vieille Cour », a été l’un des acteurs de la
rénovation de l’institution, mais qui est étonnamment absent des réformes évoquées dans le
présent article (il a préparé en revanche la réforme du contrôle des collectivités locales).
73. Selon l’expression de Florence Descamps in « La contribution de la Cour des comptes à la
réforme du système de gestion des finances publiques 1918-1940 », Revue française de
finances publiques, numéro spécial, août 2009, dans sa conclusion p. 53 et titre de sa
communication dans ce même volume.
74. Quelques lacunes peuvent aussi être relevées, à propos en particulier du régime de
responsabilité personnelle et pécuniaire des comptables publics sur lequel repose l’activité
juridictionnelle de la Cour des comptes. Il est à cet égard surprenant que Labeyrie, si
préoccupé de rénover la comptabilité administrative et de doter les services de l’État d’un
outil de gestion fiable, n’ait pas abordé la question de la responsabilité personnelle et
pécuniaire des trésoriers-payeurs généraux et que, si prompt à critiquer le ministère des
Finances, il n’ait pas fustigé l’usage abusif du pouvoir de remise gracieuse du ministre des
Finances en cas de débet infligé par le juge des comptes, voire son principe même.

AUTEUR
CHRISTIAN DESCHEEMAEKER

Christian Descheemaeker est président de chambre à la Cour des comptes depuis 2007 après
avoir été notamment président de la chambre régionale des comptes de Rhône-Alpes (1999-
2001) puis de la chambre d’Île-de-France (2001-2007). Vice-président de l’Institut français
des sciences administratives, membre du bureau de l’Association française pour l’histoire
de la Justice, il préside depuis 2009 le comité d’histoire de la Cour des comptes et des
juridictions financières. Il est l’auteur de La Cour des comptes Documentation française, trois
éditions en 1992, 1998 et 2005, de trois fascicules du Jurisclasseur administratif sur les
juridictions financières et d’articles sur divers aspects des activités de la Cour des comptes,
des chambres régionales des comptes et de la Cour de discipline budgétaire et financière. Il
a publié avec Florence Descamps « Le rapport Labeyrie de 1933 : la réinvention de la
comptabilité administrative » dans la Revue française de finances publiques n° 101, février
2008.
Les offices : une innovation
institutionnelle ou un problème pour
le contrôle budgétaire ?
Alain Chatriot

Introduction
La création de très nombreux offices entre le début du XXe siècle et
le milieu des années 1930 a fait l’objet de très nombreux débats
politiques, juridiques, économiques. Si leur inscription dans la
thématique large de la réforme de l’État est importante 1 , on peut
aussi tenir les offices comme des créations institutionnelles qui
répondent à un problème de gestion des dépenses publiques… tout
en en créant de nouveaux !
La catégorie juridique des offices est particulièrement floue. Le
député Paul Jacquier souligne dès 1932 cette confusion dans un
rapport pour la commission des finances :
« L’office autonome n’a été défini par aucun texte législatif. Des établissements
portant le nom d’office ne présentent aucune des formes d’indépendance qui
caractérisent ceux que nous examinons. Au contraire, des organismes portant les
noms les plus divers : “instituts, expositions, réunions”, rentrent dans cette
catégorie, car ils possèdent l’autonomie financière et l’indépendance
2
administrative ».
Si les historiens se sont peu intéressés à ces formes institutionnelles
hybrides, la littérature consacrée à ces questions durant les années
1920 et 1930 est massive : les professeurs de droit dirigent des thèses
sur les sujets 3 , y consacrent articles et synthèses 4 . Cet
investissement des juristes correspond surtout à l’imprécision de la
catégorie et l’un d’entre eux précise ironiquement en 1930 : « Les
offices forment une forêt très dense et dont l’obscurité paraît
souvent avoir été recherchée à dessein 5 ». D’autres insistent sur la
nouveauté du questionnement de l’entre-deux-guerres en
comparaison avec les formes des services publics définies au début
du siècle : « Alors que monopoles ou régies sont d’anciens types
d’exploitation, dont les modalités ont été depuis longtemps fixées,
l’office est une forme récente, confuse et diverse, d’une complexité
reconnue par tous 6 ».

I. Des créations diverses accélérées par la


Première Guerre mondiale
Avant 1914, les spécialistes de droit administratif s’interrogent sur
l’efflorescence d’« organismes nouveaux auxquels on donne le nom,
d’ailleurs assez mal choisi, d’Offices ou d’Offices généraux 7 ». Les
institutions concernées, rattachées à différents ministères, sont
disparates : Office de législation étrangère (créé en 1908), Office
national du tourisme (1910), Office national de la navigation (1912),
Office des renseignements agricoles (1901), Office national du
commerce extérieur (1898 8 ), Office national des brevets d’invention
et des marques de fabrique 9 (1901), Office colonial (1899 et 1904),
Office du travail 10 (1891), Office national des retraites (1910) et
Office de criminologie (1912). Louis Rolland, qui en donne la
présentation toujours reprise par la suite dans les traités de droit
administratif, signale les points communs, comme le fait d’être
principalement des organes de renseignement et d’étude, même si la
tendance semble alors être à un rôle élargi, et les différences
concernant surtout le degré « d’individualité administrative ». Le
juriste explique en effet que « certains offices ne sont guère plus que
des bureaux d’un ministère, spécialisés dans une tâche déterminée,
et pourvus d’une dénomination particulière 11 », d’autres, au
contraire, disposent de la personnalité morale et de l’autonomie
financière. Cette « personnification » de l’office entraîne une
organisation spéciale avec l’existence à côté du directeur et du
personnel d’un conseil de direction et d’un conseil de
perfectionnement. Pour Rolland, le débat est en fait de savoir si la
personnification des services publics est une bonne chose ou pas (le
Sénat, lors des débats budgétaires entre 1908 et 1912, se montre
assez hostile à cette tendance). Rolland y est plutôt favorable en
citant les maîtres de la doctrine juridique de l’époque : Maurice
Hauriou, qui approuve le fait que dans la gestion de ces offices, la
compétence technique soit proche du pouvoir de décision, Léon
Duguit, pour qui les offices renvoient à l’idée d’une «
décentralisation par services 12 ».
Hauriou, dans son Précis de droit administratif et de droit public,
commente sommairement le phénomène qui n’est pour lui qu’une
configuration de la question plus large des établissements publics. Il
parle à son propos d’un « mouvement curieux » et insiste sur le fait
que, le plus souvent, les offices sont institués d’abord par arrêté
ministériel, puis que le législateur intervient pour leur reconnaître
la personnalité civile 13 . Le député Jacquier, dans un « historique
rapide des offices », notait qu’avant la guerre, « la naissance de ces
organismes a coïncidé avec le mouvement d’autonomie
administrative qui s’est manifesté à cette époque. L’État a étendu son
intervention à des domaines de plus en plus variés. Il a créé des
monopoles, s’est fait entrepreneur de transports. De ce fait, l’unité
du budget général a subi une désagrégation croissante et l’on a
assisté à la création de véritables budgets indépendants tels que les
comptes spéciaux, les budgets annexes. C’est à côté de ces divers
budgets que sont venus se ranger les offices 14 ».
L’« exubérance de l’État » en France pendant la première guerre
mondiale est un phénomène repéré et commenté par les acteurs
avant d’être bien signalé par des chercheurs 15 . Dans l’analyse
majeure qu’il donne en 1925 sur les « formes du gouvernement de
guerre », l’historien Pierre Renouvin insiste sur le fait que « pour
faire face à sa tâche, l’administration est obligée de créer de
nouveaux organes, qui sont chargés d’étudier les problèmes nés de la
guerre, de préparer les décisions et de prendre les mesures
d’exécution 16 ». Renouvin cite en particulier toutes les créations
d’offices concernant les questions agricoles (Office de la
reconstitution agricole créé en 1917, les produits chimiques agricoles
en 1918), le ravitaillement (Office central des vivres en 1917) et la
main-d’œuvre (agricole, des ouvriers de l’armement…). Il présente
enfin la création de l’Office national des mutilés et réformés créé en
exécution de la loi du 2 février 1918. Le cadre de l’office lui apparaît
ici plus justifié si l’organisme doit recueillir des renseignements et
donner au gouvernement son avis sur les mesures qui concernent les
mutilés, il doit aussi contrôler les associations et gérer un budget fait
de subventions et de dons.
Le conseiller d’État Henri Chardon commente également ces
créations dans son livre sur « l’organisation de la République pour la
paix » :
« Quelques services ou offices nouveaux (aviation, forces hydrauliques, services
des essences et des pétroles, office des pêches maritimes, offices de recherches
scientifiques) qui viennent moins de la guerre que des progrès scientifiques et
dont, plusieurs, encore rudimentaires, ne sont que le développement d’anciens
bureaux ».
Chardon est plutôt enthousiaste sur les possibilités offertes par cette
formule institutionnelle :
« Partout où le service public le permettra, il faut développer la notion d’office
national avec autonomie budgétaire et poser le principe que les services
industriels de la nation doivent, dans la plus large mesure, vivre et se développer
17
avec leurs propres recettes ».
Un commentateur proche du patronat, le normalien et agrégé
Robert Fabre, engagé par le Comité central des houillères de France
18
, présente la situation de manière plus critique :
« La fin des hostilités – période triomphale de l’étatisme industriel et commercial
– laissait l’État français à la tête d’une impressionnante série d’Offices, de
consortiums, de bureaux d’achat et de répartition, administrés en majorité, par
un personnel militarisé. Les uns, assez rares, présentaient un solde bénéficiaire,
19
les autres accusaient des déficits croissants ».
Certaines créations directement liées au conflit militaire 20
connaissent une liquidation financière au sortir de la guerre mais
d’autres questions se posent. L’Office des houillères sinistrées du
Nord et du Pas-de-Calais créé en 1919 est en fait confié pour une
partie à la profession. Préfaçant un travail présentant l’action de cet
office, le président du Comité central des houillères de France, Henri
de Peyerimhoff en explique l’origine :
« La formule de cet office, qui n’a de commun que le titre avec les multiples
créations étatistes ou para-étatistes de la guerre et de l’après-guerre, a été
imaginée et discutée par M. Loucheur, dont l’inlassable activité n’a pas été à
l’abri de légèreté ni d’erreur, mais a fourni à tant de reprises des solutions
21
averties et ingénieuses ».
Si, pour le représentant du syndicat patronal, le nom de Louis
Loucheur 22 est rappelé non sans acrimonie, il s’inscrit bien ici dans
cette génération de ministres modernisateurs de l’État, de son
administration et de l’économie aux côtés d’Étienne Clémentel et
d’Albert Thomas.
La forme « office » est aussi envisagée pour les houillères de la Sarre
car les conditions du traité de Versailles interdisaient la remise de
l’exploitation à des sociétés privées et désignaient l’État français
comme gérant : la solution de la société mixte est finalement
adoptée. La question se pose également pour les mines de potasse
d’Alsace. Malgré la volonté du sénateur Léon Perrier, la formule de
l’office n’est retenue ni en 1924 ni en 1927 et c’est la loi du 23 janvier
1937 qui transforme la régie d’État créée en 1919 en établissement
public industriel et commercial.
À la sortie de la guerre, la formule enthousiasme aussi une partie de
la CGT réformiste. Dans le projet de « direction générale de
l’Économie nationale » que prépare le Conseil économique du travail
en 1919 et 1920, à côté des nationalisations industrialisées, une série
d’offices est envisagée 23 .
Le débat se pose également dans le courant des années 1920 sur les
choix à effectuer pour le mode d’exploitation des nouveaux
transports aériens. Entre régies coopératives et compagnies privées,
le débat de la fin des années 1920 est marqué par de nettes
oppositions dont les rapports officiels rendent compte 24 . De la
même manière sur le dossier du logement, débattu au Conseil
national économique en 1925 et 1926, l’idée de « créer un service
public de l’habitation » par le biais d’un office national du logement
est agitée par la CGT et les coopérateurs de consommation, mais les
représentants patronaux se montrent très réservés 25 . Parfois, ce
sont les représentants patronaux qui plaident pour la solution de
l’office comme lorsque le baron Petiet, représentant de l’industrie
automobile, appelle de ses vœux en 1928 la création d’un « Office des
routes », afin d’« écarter l’incertitude du vote annuel du budget qui
ne permet pas des plans plus longs que l’année budgétaire elle-même
[…], écarter l’incertitude du vote tardif et irrégulier du budget qui,
même pour une année déterminée, empêche de prendre en temps
utile les dispositions nécessaires pour la réalisation des travaux 26 ».
Un des domaines de débat donne lieu à une création importante,
celle de l’Office national des combustibles liquides, créé le 10 janvier
1925 et qui concerne l’industrie pétrolière. Parmi les projets
d’offices, il faut signaler enfin celui concernant le tourisme, en
transformant les premières esquisses administratives, qui est un bon
symbole de la manière dont cette forme institutionnelle vient
structurer un débat organisationnel assez vif 27 . De même, la gestion
du charbon conduit certains parlementaires à envisager la création
d’un office consacré à la houille 28 .
On peut suivre un jeune docteur qui écrit en 1930 :
« Telle est la situation actuelle de l’autonomie financière des services publics.
Elle reflète d’une part l’étatisme économique, c’est-à-dire la conception et la
politique qui tendent à absorber l’activité commerciale ou industrielle due à
l’initiative privée, et d’autre part l’étatisme administratif qui tend à concentrer
dans les mains des agents de l’État la gestion ou la tutelle de tous les services
29
ayant un caractère public ».
Avec la première guerre mondiale, les offices sont une des formes
institutionnelles qui accompagnent le développement d’un État plus
interventionniste dans la sphère économique et sociale.

II. Nouvelles règles et problèmes afférents


L’intérêt de cette formule des offices consiste bien sûr au fait de
s’écarter des règles budgétaires de l’administration. Un docteur en
droit exprime clairement le mouvement sur la moyenne durée pour
la gestion des finances françaises :
« L’histoire de nos finances publiques au cours du XIXe siècle nous montre les
financiers de l’État faisant tous leurs efforts pour lutter contre des habitudes de
comptabilité publique déplorables parce que manquant de cohésion et par là
même de sincérité. Ils arrivent à imposer à nos finances des règles nécessaires à
l’établissement d’un budget sain et exact. Mais si ces règles – unité du budget,
spécialité et annualité des crédits, non-affectation des recettes, en particulier –
s’imposent pour les services administratifs, il est certain que leur observation est
absolument opposée à la bonne gestion de services économiques. Les exemples
désastreux tirés des cas de régies directes, en particulier, affirment cette
impossibilité de concilier la comptabilité commerciale et industrielle qui
30
nécessite la rapidité et la clarté dans la lecture de ses écritures ».
Certains observateurs craignent cependant que cette nouvelle liberté
ouvre la porte à un État trop puissant :
« Car c’est un des dangers les plus grands du développement de l’autonomie
financière que l’étatisation qu’elle entraîne. On a vanté la souplesse de la formule
“Office national”, lui permettant de se plier à toutes les conditions, aux objets les
plus divers ; c’est justement là le danger. S’adaptant à tous les domaines
administratifs comme industriels, avec la même facilité, permettant une gestion
publique des services les plus variés, tout en ne les séparant pas de l’État lui-
31
même, l’autonomie financière est un admirable instrument de socialisation ».
Les règles du contrôle sont en effet limitées. Elles sont clairement
présentées dans la plupart des thèses de droit alors soutenues sur le
sujet :
« Tout d’abord le contrôle administratif est amoindri : l’intervention du ministre
des Finances est rarement exigée, le personnel comptable est soustrait à son
autorité et placé dans la dépendance du ministre intéressé qui seul règle les
questions financières. Malgré l’extension aux établissements publics par la loi du
10 avril 1922 du contrôle des dépenses engagées, certains services en sont
exempts (Azote, Chemins de fer de l’État) et pour d’autres il n’est pas encore
organisé. La Cour des comptes a fréquemment relevé des confusions entre les
fonctions d’ordonnateur et de comptable, d’administrateur et de contrôleur –
Cour des comptes, rapport de 1927. Le Parlement ne vote pas les budgets des
services autonomes, pas plus qu’il n’approuve leurs comptes. Son rôle est réduit
au vote de crédits supplémentaires en cas de déficit, de la loi portant règlement
de l’exercice en cas de bénéfice ; la communication aux commissions financières
des deux Chambres des états de précision et des comptes est une mesure sans
efficacité. Quant à l’insertion dans les annexes du projet de budget général (loi 29
juin 1918) du relevé des dépenses et des recettes des services autonomes, c’est
une mesure qui ne s’applique qu’à une partie d’entre eux et une telle publication
ne saurait tenir lieu de vérification. Enfin, le contrôle de la Cour des comptes est
rendu inopérant par le retard apporté dans la production des comptes et par le
fait que certains services (Chemins de fer de l’État) n’y sont pas soumis. En un
mot, suppression presque totale du contrôle préventif, affaiblissement du
contrôle a posteriori : tels sont les deux inconvénients que présente l’autonomie
32
financière ».
Un autre docteur complète le propos dans le même sens :
« De même que pour tous les services publics, les opérations des offices sont
soumises à la Cour des comptes, qui intervient à un double titre : examen de la
gestion des ordonnateurs et jugement des comptes. La Cour des comptes est
entravée dans cette deuxième mission par un grand nombre de circonstances de
fait : tout d’abord, l’agent comptable, tout en étant nommé avec le consentement
du ministre du budget, échappe en réalité à son autorité pour dépendre du
ministre auquel l’établissement est rattaché. […] Il convient d’ajouter à cela les
retards souvent fort longs apportés à la production des comptes, l’insuffisance
des pièces justificatives accompagnant les ordres de paiement, interdisant par
conséquent au comptable d’apprécier à sa juste mesure le service fait, et enfin le
33
manque d’unité concernant les offices ».
Les juristes peuvent ainsi dénoncer la porte ouverte à l’illusion
budgétaire :
« Ainsi s’affirme le caractère occulte parce qu’extrabudgétaire des opérations
traitées de la sorte. Il y a là un manque de clarté évident, et qui est susceptible au
surplus d’entretenir de dangereuses illusions : rien de plus simple, en effet, que
de créer un office en le dotant du produit de certaines taxes ; aucune dépense ne
figure plus au budget général. Tout se passe en apparence comme s’il ne grevait
34
pas les finances de l’État ».
La conséquence est alors simple et consiste à plaider pour un retour
aux règles budgétaires classiques :
« Si l’autonomie financière permet de voir clair dans les comptes des services
autonomes, par contre elle engendre la complication dans le budget de l’État ; la
totalisation des recettes et des dépenses devient impossible, l’obscurité est une
cause de gaspillage. On voit donc que l’unité et l’universalité ne sont pas des
règles théoriques, mais bien des principes consacrés par l’usage et auxquels il y a
35
danger à apporter des dérogations ».
Vif aussi est le débat, assez polémique, sur le choix des dirigeants des
offices – la situation est d’ailleurs très variée suivant les offices
créés. Deux jeunes auditeurs au Conseil d’État, promis à une belle
carrière, Pierre Laroque et Roland Maspétiol, consacrent en 1930 une
analyse à la question de la tutelle administrative 36 dans laquelle ils
posent ainsi le problème :
« Il est utile sans doute d’associer les intéressés et les techniciens à la gestion des
services, mais leur collaboration devra conserver un caractère purement
consultatif, et s’ils figurent dans les conseils d’administration, ils devront
toujours être en minorité. La direction effective ne doit appartenir qu’à des
administrateurs aux vues larges, capables d’apprécier dans son ensemble où se
trouve l’intérêt général, capables d’avoir une politique générale, économique et
financière. La nomination par le pouvoir central peut seule permettre ce résultat
37
».
Plus largement, certains dénoncent fermement la politisation et le
favoritisme qui entoure certains choix :
« Nous n’insistons pas ici sur le grand nombre de postes de choix que renferme la
direction d’un office : le pullulement anormal des offices à certaines époques
d’après-guerre ne paraît pas avoir de cause plus véritable que le placement de
38
certains privilégiés à ces hauts postes enviés ».
P. Laroque et R. Maspétiol en 1930 posent clairement les enjeux de ce
type d’institution :
« Individualiser un service, c’est avant tout le soustraire au contrôle
parlementaire et aux règles normales de la hiérarchie administrative et de la
comptabilité. À ces règles il en faut substituer d’autres, au contrôle supprimé il
faut substituer une tutelle permettant d’engager effectivement la responsabilité
39
des administrateurs. C’est là chose très délicate ».
Ils indiquent le risque de « dilapidation des deniers publics » :
« Ce risque sera d’autant plus grave que le service sera remis le plus souvent aux
mains des techniciens ou de représentants des usagers, naturellement tentés
d’engager des dépenses considérables, n’envisageant que le besoin particulier
qu’ils ont mission de satisfaire et non l’intérêt général des finances publiques. En
présence de ces dangers et de la difficulté du contrôle à raison de l’emploi des
procédés commerciaux, il est permis de se demander si la formule du budget
annexe ne serait pas mieux adaptée que celle de l’office autonome à la gestion
40
des services industriels de l’État ».
Mais le débat polémique sur les offices ne devient réellement public
qu’à partir de la crise de l’Office national industriel de l’azote (ONIA),
« type le plus parfait de l’office industriel 41 ». À la suite du traité de
Versailles, la France obtient de l’Allemagne défaite un certain
nombre de brevets, touchant en particulier à l’industrie chimique.
Un contrat est signé entre l’État français et la Badische Anilin und
Soda Fabrik Actiengesellschaft 42 donnant à la France la capacité de
produire de l’azote pour obtenir des engrais. À partir de cette
convention, plusieurs essais de concession du brevet à des sociétés
privées ont été menés, puis un essai de régie intéressée et même un
essai de société mixte avant que l’idée d’un office aboutisse à la loi
du 11 avril 1924 43 . L’un des points importants est que le sénateur
Léon Perrier a mobilisé la Haute Assemblée pour proposer la solution
de l’office afin de s’opposer une vision plus étatiste voulue par la
partie la plus à gauche de la Chambre des députés. Le conseil
d’administration regroupe des représentants des associations
agricoles, des représentants des chambres de commerce, des
représentants des producteurs d’énergie électrique et des
producteurs de houilles et des scientifiques, en plus des
fonctionnaires à la place relative très variable suivant les offices.
Certains commentateurs pointent la contradiction de la loi
finalement votée :
« Le législateur a voulu, d’une part, laisser à l’État, appelé à fournir la plus grosse
partie des fonds de l’entreprise, le contrôle indispensable à la défense de ses
intérêts, et, d’autre part, assurer à celle-ci la souplesse et l’indépendance
nécessaires à une exploitation industrielle : ce sont là deux choses naturellement
inconciliables, deux buts que l’on ne peut prétendre atteindre simultanément
44
».
Lors de la discussion du règlement d’administration publique, il
semble que l’assemblée du Palais Royal ait approuvé le choix de
l’office, ce qu’un juriste commente ainsi :
« Le Conseil d’État s’est penché avec beaucoup d’intérêt sur l’organisme nouveau.
Il l’a étudié très soigneusement et avec un esprit empreint du plus grand
libéralisme, la formule très souple de l’office national industriel lui a paru une
45
formule d’avenir pour nos autres monopoles ».
À l’opposé, en mai 1924, le périodique libéral L’Économiste français
commente cette création par des formules aussi aimables que « ce
régime est contraire au bon sens » ou « il y a un nouveau ver rongeur
dans les finances publiques 46 ». La volonté d’utiliser la poudrerie de
Toulouse renvoie aussi à la difficile reconversion des arsenaux, dont
les scandales autour de celui de Roanne demeurent dans les esprits
47
.
Les premiers résultats de l’ONIA sont finalement assez
catastrophiques d’autant que de graves problèmes techniques
paralysent la production. Certains avis sont émis par des parties
prenantes de l’expérience comme Édouard Bernard qui y consacre
une thèse de droit en juillet 1933 et qui se présente comme
agriculteur, membre d’une Chambre d’agriculture et de l’Association
générale des producteurs de blé 48 . Ses conclusions sont nuancées et
il ne critique que les dérives possibles, et en particulier la
politisation de l’office :
« L’usine de Toulouse va bien : 1° parce qu’elle est une exception surveillée, sur
laquelle l’industrie privée promène un œil jaloux, les anti-étatistes un œil
malveillant ; 2° parce qu’elle a un statut qui la dégage le plus qu’il est possible ou
presque, de l’intervention de l’État ; 3° parce que sa direction technique est de
première valeur. […] Toulouse marcherait mieux encore si son territoire ne
constituait une zone franche avec cette consigne appliquée strictement :
“Défense à la politique d’entrer”. D’étatisme, il ne lui reste bientôt plus que cette
lèpre : des tentatives répétées de favoritisme. […] L’Office de Toulouse est, parmi
tant d’offices mal venus, celui qui échappe le plus aux critiques, un des rares qui
doive être conservé. C’est une industrie d’État échappant autant que faire se peut
aux vices de l’étatisme industriel, grâce à son statut réellement industriel, à sa
49
comptabilité industrielle, au recrutement de son personnel ».
Il est certain que la crise de l’Office de l’azote ravive à la fin des
années 1920 les attaques libérales contre l’étatisme. Le comte de Fels,
dans les colonnes de la Revue de Paris, revient en particulier sur la
forme d’unanimisme qui avait entouré les créations d’offices au
sortir de la guerre en la comparant aux projets du syndicalisme
ouvrier :
« La nationalisation industrialisée de la CGT rencontrait, les années précédentes,
quelques sceptiques, en petit nombre d’ailleurs, au Parlement. Mais, l’office
industriel n’y comptait pas, que nous sachions, d’hérétiques. Il y réalisait, dans le
plus vif de la querelle entre le Bloc national et le cartel des gauches, une sorte
50
d’unité morale. C’est lui qui les réconciliait ».
De Fels conclut sur l’ONIA à la suite du débat parlementaire de
novembre 1927 : « Après trois années, l’ONIA installé à la poudrerie
de Toulouse aboutit à une catastrophe, doublée d’un scandale » et il
propose une définition tranchante de l’Office industriel : « Le
système de l’officiat, c’est de l’étatisme camouflé et mal camouflé,
sans qu’il y ait rien de changé au fond des choses ». Reprenant plus
en détail la création de l’ONIA, de Fels, dans un article postérieur,
prend des accents nettement pamphlétaires : « Il fallait une dose
d’optimisme peu commune pour croire à l’avenir d’un système qui,
multipliant les inconvénients propres de la société anonyme par un
nouveau coefficient d’irresponsabilité, ne se réservait aucun moyen
d’éviter le soviétisme larvé par quoi se caractérisent toutes les usines
d’État et qui tendait à trois fins manifestement contradictoires :
livrer l’engrais à bas prix, surpayer le personnel et réaliser de gros
profits 51 ».
Au-delà de ce qu’il nomme la « bouffonnerie quasi shakespearienne »
toulousaine, de Fels attaque l’ensemble de ce qu’il nomme le «
système official » et reproche en particulier aux sénateurs d’«
attribuer à cette forme d’étatisme d’extraordinaires vertus
d’efficacité et de productivité 52 ».
Notre objectif n’est pas de suivre ici le devenir de l’Office de l’azote
53
, mais bien de souligner qu’il a cristallisé dans son expérience les
débats politiques et juridiques sur cette forme institutionnelle. C’est
en particulier autour de cette formule que les penseurs libéraux se
mobilisent. Raymond d’Argila explique ainsi : « la prodigieuse
aventure de l’Office national de l’azote enseigne clairement que les
plus belles formules du monde et les meilleures réformes ne sont pas
suffisantes pour rénover la gestion industrielle de l’État 54 ».
Au début des années 1930, un retournement de la tendance du débat
intellectuel sur la question des offices s’amorce donc : Laroque et
Maspétiol écrivent ainsi : « [il faut] lutter contre la tendance actuelle
à voir dans l’« office » une panacée universelle 55 ».
Au-delà du scandale concernant l’azote, l’autonomie des offices est
de plus en plus critiquée. Le comité des experts créé le 31 mai 1926
sur les questions financières note dans son rapport que « certains
services ont été érigés en Offices autonomes : ils se soustraient ainsi
aux compressions de dépenses que réclament les circonstances
actuelles 56 ». Si la forme « office » est critiquée, elle n’est pas
totalement rejetée et, reprenant ainsi le projet de la commission à
laquelle avait participé Henri Fayol 57 , le comité propose même de
transformer le monopole des tabacs et allumettes en office national
autonome :
« Bien qu’ennemi des offices et budgets autonomes qui détruisent l’unité
budgétaire, le comité considère que les nécessités d’une bonne gestion
industrielle du monopole des tabacs justifient l’octroi de l’autonomie financière à
l’administration des tabacs. Il recommande donc l’institution d’un office national
des tabacs. Cette création […] devrait être entourée des précautions nécessaires
58
».
Le comité des experts publie cependant en annexe la nomenclature
des offices avec les prévisions de recettes et de dépenses pour
l’exercice 1926, en distinguant ensuite dans le détail les budgets
soumis au contrôle du ministère des Finances de ceux qui ne le sont
pas 59 .
Ainsi, en 1926, dix offices sont « non soumis au contrôle du ministère
des Finances » : Office de législation étrangère et de droit
international (Justice), Office des biens et intérêts privés en
territoire ennemi (Affaires étrangères), Office des recherches
scientifiques et des inventions (Instruction publique), Office national
des pupilles de la nation (Instruction publique), Office national du
commerce extérieur (Commerce), Office national de la propriété
industrielle (Commerce), Agence générale des colonies (Colonies),
Office national de la navigation (Travaux publics), Office scientifique
et technique des pêches maritimes (Marine marchande), Office
national des mutilés et réformés de guerre (Pensions). Cinq offices
ont leur budget soumis à l’approbation du ministre des Finances :
Office national des prêts d’honneur (Instruction publique), Office
national des combustibles liquides (Commerce), Office national du
crédit agricole (Agriculture), Institut des recherches agronomiques
(Agriculture) et Office national du tourisme (Travaux publics).
L’Office national industriel de l’azote constitue un cas à part avec
l’article 18 du décret du 30 mai 1925 qui précise que : « les états de
prévisions de recettes et de dépenses pour la période allant du 1er
janvier au 31 décembre sont soumis avant le 1er novembre de chaque
année au ministre des Travaux publics qui les communique pour
examen et avis au ministre des Finances de manière que la décision à
intervenir puisse être prise avant le 1er janvier ».

III. Contrôler les offices : débats politiques et


travail d’une commission
Les polémiques dans la presse et les revues débouchent sur des
prises de position partisanes. Lors des discussions budgétaires,
l’affaire toulousaine est souvent au cœur des polémiques, les
représentants de la Haute-Garonne se prévalant d’enquêtes
minutieuses sur le terrain. L’un d’entre eux, le sénateur Raymond
Blaignan en 1930, tient un discours très critique qui insiste sur les
conditions de salaire trop avantageuses offertes aux employés de
l’ONIA, reprochant même l’embauche d’étudiants, non pas de
l’institut de chimie mais de la faculté de droit 60 . Le sénateur insiste
:
« Pour l’ONIA, comme pour tous les offices, il faut arriver à une réglementation
budgétaire plus étroite. Les offices ont été créés pour assouplir les règles rigides
de la comptabilité publique et permettre ainsi d’exploiter industriellement des
établissements conservant un caractère d’établissements d’État. En fait, ils se
soustraient à toute vérification sérieuse. […] Dans l’intérêt des finances
publiques, il y a lieu de les y astreindre. Une législation d’ensemble s’impose, qui
devrait envisager, à mon avis, la responsabilité pécuniaire des administrateurs et
61
directeurs ».
Joseph Caillaux, ancien président du Conseil et spécialiste des
questions financières au palais du Luxembourg surenchérit, même
s’il ne demande pas cette responsabilité personnelle :
« Il est absolument impossible, nous en avons une fois de plus la preuve, de
laisser les offices dans l’état de législation indéterminée dans lequel ils sont. […]
Vous devez organiser un contrôle strict pour éviter des abus qui se multiplient
62
avec le pullulement des offices ».
Le sénateur Dominique Delahaye dénonce plus globalement
l’intervention de l’État :
« Il faut que l’État cesse d’être le plus inférieur des entrepreneurs. Il ne devrait
pas être un fabricant, il ne devrait pas se mêler de ce qui ne le regarde pas. Sa
mission doit être de surveiller, d’encourager. Mais c’est une erreur de notre
époque qu’il faudra répudier, car l’État “touche-à-tout” en industrie ne fera
63
jamais rien qui vaille ».
Dans le même temps, le rapporteur général de la commission des
finances, Charles Dumont, soutenant le Gouvernement, rappelle à
propos de l’ONIA que « l’impulsion donnée ne peut être interrompue.
La bonne marche de l’usine de Toulouse est nécessaire à notre
agriculture et aussi à la défense nationale 64 ».
En juin 1931 tout le groupe des députés socialistes dépose une
résolution tendant à l’organisation du fonctionnement financier des
offices. L’attaque est vive :
« Le nombre des offices augmente chaque jour ou du moins a augmenté jusqu’à
ces derniers temps. Deux lignes dans une loi de finances suffisent pour créer une
nouvelle autonomie financière. Il est vrai que le statut de ces organismes, anciens
ou récents, reste assez incertain. Les décrets et les arrêtés ont bien ajouté aux
lois trop sommaires. Mais il n’y a pas de règles générales, et les régimes spéciaux
ne sont, la plupart du temps, justifiés par aucune considération sérieuse. Dans
chaque cas, les hasards ou les habiletés ont joué le plus grand rôle. […] Un peu
65
d’ordre et de réglementation pourrait utilement être apporté dans ce chaos
».
Mais ce type de proposition ne se limite pas à une partie de
l’échiquier politique, c’est aussi le cas de députés modérés liés aux
milieux d’affaires en décembre 1932 qui dénoncent « une anarchie
administrative qui a donné lieu à des abus nombreux 66 ».
Le député Jacquier, qui fait un bilan des offices au début du mois de
mars 1933, insiste sur le fait que « sur 75 offices ou établissements
autonomes existant actuellement, 26 ont été créés depuis 1926. Il
s’agit là d’un flot dont la rapidité est inquiétante et qu’il faut arrêter
sans délai 67 ». Sa tentative de classification des offices reste
complexe : elle distingue les offices administratifs (grands offices
indépendants, offices essentiellement administratifs, établissements
d’enseignement, lycées, musées et manufactures) et les offices à
caractère industriel et commercial. Le député tente une estimation
du volume budgétaire actuel, celle-ci est d’ailleurs souvent reprise
par la suite à des fins polémiques 68 .
Il consacre un développement à la « violation des règles budgétaires
» : en rappelant que les offices autonomes dérogent tous au principe
de l’universalité, il souligne :
« Évidemment, le budget de l’État est ainsi allégé. Mais, en cédant à cette
tentation, on soustrait un nombre de plus en plus grand de services au Parlement
et on risque de n’avoir plus qu’une série de services spécialisés qui n’inscrivent
69
plus au budget que leurs soldes le plus souvent débiteurs ».
Pour la règle de l’unité, il rappelle que « la création pendant la
guerre de nombreux comptes spéciaux a permis de se rendre compte
du péril que représentaient les budgets occultes. Les scandales
causés par la gestion de ces comptes spéciaux ont provoqué contre
eux une vive réaction qui a amené à leur disparition. Sans vouloir
comparer ces comptes nés de circonstances exceptionnelles aux
offices qui se multiplient depuis quelques années, il est certain que
l’unité du budget se trouve compromise par l’existence de ces
nombreux budgets mitoyens et qu’il n’est plus possible d’avoir une
vue exacte de la situation d’ensemble du budget 70 ».
Reprenant les rapports successifs de la Cour des comptes, le
parlementaire reproche l’augmentation des frais de personnel,
l’ampleur des frais d’installation et de matériel, des cas de cumul de
traitements non contrôlés, des « indemnités abusives dans leur
montant ou leur objet ».
En soulignant les blocages rencontrés par la Cour des comptes dans
les procédures de contrôle, il rappelle que la logique du système
comptable de l’entreprise entre en contradiction avec la
comptabilité publique. Il conclut en approuvant les positions de la
Cour :
« Elle ne sortirait en rien de son rôle en contrôlant de très près les comptabilités
industrielles, mais il faut lui en donner les moyens techniques. Il y a là un travail
d’adaptation que l’administration, aidée par le Parlement, se doit d’accomplir.
Aux formes nouvelles d’exploitations industrielles doit correspondre un contrôle
71
nouveau, plus souple ».
Ces débats parlementaires à répétition autour de l’Office de l’azote
comme la volonté plus large de faire des économies conduisent
finalement au vote de l’article 78 de la loi du 28 février 1933 qui crée
une commission chargée d’examiner « dans un délai de trois mois à
dater de la présente loi les statuts et les comptes des divers offices
autonomes dépendant de l’État, soit pour les incorporer dans les
services normaux des ministères, soit pour apporter à leur
organisation et à leur gestion toutes les modifications suggérées par
l’expérience et imposées par les nécessités d’économie et le souci de
clarté 72 ».
Signe de la rationalisation, l’article 79 précise :
« Les projets de budget des offices sont soumis à l’approbation du ministre
intéressé et du ministre du budget. Ces organismes sont soumis au contrôle des
dépenses engagées dans les conditions prévues par la loi du 10 août 1922.
Lorsqu’il existe auprès de ces organismes un contrôleur financier, celui-ci pourra
être chargé du contrôle des dépenses engagées ».
Et l’article 80 : « Les comptes administratifs des organismes visés à
l’article 78 seront soumis à l’approbation des Chambres dans l’année
qui suit celle de la clôture de l’exercice auquel ils se rapportent ».
Placée sous l’autorité du président du Conseil, la commission est
prolongée sans limite par l’article 12 de la loi du 23 décembre 1933 et
son rapport général daté du 15 septembre 1935 ne fut rendu public
au Journal officiel qu’en juin 1936 73 . Ce rapport précise les dates des
dispositions législatives et réglementaires ayant conféré l’autonomie
aux offices et établissements publics qui en sont dotés 74 . La loi de
décembre 1933 indique que des décrets, pris sur avis de la
commission et sous le contreseing du ministre dont dépendait
l’office et du ministre du budget, pourraient « prononcer,
nonobstant toute disposition législative contraire, les suppressions
et transformations d’établissements jugées nécessaires, ainsi que
toutes mesures d’exécution ».
Le rapporteur de cette commission est le conseiller maître à la Cour
des comptes Pierre Brin 75 et son texte nous donne de nombreuses
indications en l’absence d’autres sources 76 . La commission est
composée de parlementaires et de fonctionnaires 77 . En précisant la
compétence de la commission, le rapport général refait un bref
historique des offices et souligne :
« ainsi sont nés les offices au fur et à mesure de l’extension même des
attributions de l’État. Surtout depuis la guerre, le rôle de l’État s’est largement
étendu dans le domaine économique, technique, scientifique. L’intérêt national a
exigé notamment son intervention dans la production et la distribution de
certains produits reconnus nécessaires aux besoins de l’industrie ou même de la
78
défense nationale ».
Le rapport reprend les arguments essentiels qui avaient présidé à de
telles créations mais condamne fermement les dérives :
« Il s’est manifesté pendant quelques années un véritable engouement pour cette
formule d’offices autonomes, qui devait, disait-on, permettre une organisation
plus souple des services, intéresser davantage les usagers à la gestion, attirer les
libéralités dont pourraient bénéficier notamment les services scientifiques, et
favoriser la création d’un patrimoine et de réserves pour l’exécution de
programmes répartis sur plusieurs années. Quelles que soient les raisons qui ont
pu être invoquées en ce sens, cette politique devait aboutir à d’incontestables
79
abus ».
La liste finalement dressée par la commission ne s’arrête pas qu’aux
offices mais à l’ensemble des établissements dotés de l’autonomie
financière (on y trouve ainsi les établissements scientifiques, les
musées, les manufactures, les ports autonomes et diverses caisses de
crédit ou de garantie). Le rapport rappelle à mots couverts le
scandale entourant l’Office national du tourisme – le directeur aurait
engagé des dépenses somptuaires dénoncées par la presse – et les
demandes de contrôle parlementaire. Il rappelle que « cette
insuffisance du contrôle financier apparaissait d’autant plus
dangereuse que les offices se trouvent faire exception aux principes
fondamentaux de notre comptabilité publique : à la règle de l’unité,
par l’existence même de budgets autonomes détachés du budget
général, à la règle de l’universalité, par les nombreuses affectations
de recettes spéciales, à la règle de l’annualité, enfin, par la
conservation des excédents dont ils bénéficiaient en fin d’exercice 80
».
Compte tenu du caractère délicat de sa mission, la commission
revendique « s’être attachée à ne jamais proposer de solution
purement doctrinale, mais à différencier ses propositions de
réforme, selon les besoins et le caractère des services qu’elle
examinait 81 » ; le rapport explique en effet que l’autonomie
accordée aux offices des mutilés, combattants, victimes de la guerre
et pupilles de la nation s’expliquait par des « raisons d’ordre
psychologique », plaçant ces établissements « au-dessus et en dehors
de toute discussion politique » ; le rapport conclut sur ce point : «
Supprimer l’autonomie paraîtrait ici manquer à des engagements en
quelque sorte sacrés 82 ». Certaines propositions de la commission
concernent parfois la réorganisation de l’ensemble d’un secteur
comme pour le cas des recherches scientifiques qui connaissent alors
une amorce de prise en charge politique. Le système choisi par la
commission de commander des rapports intermédiaires pour chaque
établissement permet de rentrer dans les détails 83 et la commission
propose ainsi des économies de personnel dans les services, des
économies de subventions étatiques et même des récupérations. La
commission s’intéresse même aux sociétés d’économie mixte ayant
fait appel au concours financier de l’État ou des offices dépendant de
l’État.
Concernant les dossiers d’offices industriels et commerciaux, parmi
les plus sensibles, la commission note les erreurs commises au début
à Toulouse et « certaines exagérations de rémunération dans la
gestion des mines domaniales de potasse d’Alsace », mais pour elle, «
sous ces réserves, il n’apparaît pas que l’administration des offices
industriels puisse donner lieu à de graves critiques, et rien ne
permet de dire que l’État aurait obtenu un meilleur rendement de
son capital en l’abandonnant entre les mains de l’industrie privée 84
».
La conclusion globale est ainsi nuancée face à la polémique de la fin
des années 1920 et du début des années 1930 :
« La commission a le devoir de déclarer qu’elle n’a pas trouvé dans les offices ces
organismes parasitaires et dispendieux que dénonçait l’opinion. Constatant, au
contraire, que, dans leur ensemble, ces services correspondent à un besoin, elle
n’a pu conclure à la suppression pure et simple de ces services. La suppression de
certains offices, en tant qu’organismes autonomes, a bien été décidée, mais il
importe de ne pas s’exagérer la portée d’une semblable mesure, qui permet
parfois de réaliser des économies appréciables, mais qui laisse néanmoins à la
charge du budget général l’essentiel du service 85 ». Enfin, la commission
propose aussi la réforme des règles comptables dans un « souci de clarté ».
Un décret-loi, dès le 4 avril 1934, supprime sans rapport de la
commission certains offices comme l’Office national d’hygiène
sociale (créé en 1924), l’Office national des prêts d’honneur (1923),
l’Institut de recherches agronomiques (1901) et l’Agence générale
des colonies (1919). La question des règles comptables donne aussi
lieu à plusieurs textes : un décret du 15 décembre 1934 sur la
comptabilité des établissements industriels ou commerciaux de
l’État, des décrets-lois des 25 et 30 octobre 1935 86 . Le décret-loi du
25 octobre 1935 « instituant le contrôle financier des offices et
établissements publics autonomes de l’État » prévoit l’obligation de
nommer des contrôleurs financiers, dépendant du ministère des
Finances. Celui daté du même jour relatif au mode d’approbation des
comptes des offices et à leur publication au compte général de
l’administration des Finances indique dans son article premier :
« La tenue de la comptabilité des offices autonomes dépendant de l’État est
soumise aux règles générales imposées aux comptables publics. Les modalités
d’application de cette disposition sont déterminées par le ministre des Finances
qui doit recevoir au moins mensuellement notification des résultats comptables
de ces organismes ».
Le décret-loi du 30 octobre 1935 « portant réforme de la comptabilité
administrative et du contrôle financier » précise par son article 8
qu’« il est créé dans chaque département ministériel un comité de
contrôle financier » et par son article 15 que « son contrôle peut
s’exercer sur tous les établissements autonomes et collectivités
dépendant dudit département ».
Les décisions se sont donc montrées mesurées : il s’est agi de
supprimer certains offices lorsque leur réintégration dans
l’administration ne posait pas de difficultés, et en tout état de cause
de sensiblement restreindre, voire de supprimer leur autonomie.
Certains juristes critiquent ces mesures, comme Gilles Chaillot qui
écrit : « Nous ne cacherons pas notre désappointement en constatant
la pusillanimité des mesures prises 87 ». Pour autant la forme office
n’est pas strictement condamnée. Au contraire, dans cette période
de débat sur l’économie dirigée et sur le corporatisme, elle peut
encore constituer une ressource comme le montre le cas du marché
du blé.
Les débats sur la création d’un Office du blé résonnent parfaitement
avec ces exemples et avec les travaux de la commission des offices.
Le débat sur la régulation étatique du marché des céréales est
ancien, Jaurès revendiquait déjà en 1894 un « monopole à
l’importation des grains 88 », la première guerre mondiale avait
expérimenté divers modes et le thème était revenu en 1925 comme
une demande socialiste portée par le spécialiste des questions
agricoles Adéodat Compère-Morel. Les projets et contre-projets
s’enchaînent entre 1926 et 1934 sans aboutir à une stabilisation
satisfaisante d’un marché qui apparaît comme particulièrement en
crise. Avant même la victoire du Front populaire, certains
commentateurs appellent cette réforme de leurs vœux en
développant une vision à la fois dirigiste et quelque peu
technocratique de l’action publique. Ainsi, dans une thèse de
doctorat de droit, Jean Sirol y voit « la preuve de la volonté du
Parlement de donner le jour à un organisme puissant et compétent
en dehors de lui-même : c’est une reconnaissance implicite,
particulièrement intéressante, de l’impossibilité où il se trouve, tant
par suite de la lenteur de la procédure parlementaire que de son
incompétence, à s’occuper des innombrables problèmes
économiques actuels ».
Pour ce jeune juriste, une telle création « marque les progrès d’un
socialisme d’État qui n’a rien de révolutionnaire mais au contraire
tend à organiser, à diriger l’économie nationale. Par ailleurs, il est
certain que pour la masse, il y a une sorte de fascination vis-à-vis de
ces organismes compliqués, alimentés par des sommes considérables
et dont on ne doute pas de la puissance sur les faits économiques, du
moment qu’ils représentent l’État. Cela résulte d’une évolution dans
le sens opposé des idées libérales, que l’on constate non seulement
en France, mais dans le monde entier et peut-être beaucoup plus
dans d’autres pays que chez nous (USA, URSS, Italie, Allemagne,
Autriche, Suisse) 89 ».
Les socialistes déposent à l’été 1936 un projet de loi, mais
contrairement aux grandes lois sociales votées dans l’urgence, celui-
ci est très débattu et il ne faut pas moins de sept navettes du projet
entre les deux Chambres avant d’aboutir à la loi du 15 août 1936 90 .
L’ONIB ainsi créé est un établissement public interprofessionnel
(regroupant producteurs, négociants, transformateurs,
consommateurs et administrations) dont les attributions les plus
importantes sont la fixation du prix du blé, le stockage, et le
monopole des importations et des exportations. La taxation du blé
avait déjà été pratiquée et le point le plus neuf réside surtout dans la
représentation d’intérêts généraux dans les organes de direction
(trait caractéristique des offices) et dans le renforcement de
l’organisation corporative de la profession.
Cette création suscite pourtant de vives polémiques et certains
milieux paysans agités sur fond de crise agricole attaquent ce nouvel
office. Le leader d’extrême droite Henry Dorgères critique ses
employés budgétivores 91 , le penseur corporatiste Louis Salleron
dénonce l’étatisme 92 . Dans le même temps, en étudiant les
groupements de paysans bretons, la politiste Suzanne Berger a bien
montré que :
« Landerneau [l’Office central des œuvres mutuelles agricoles du Finistère]
protesta contre la fixation autoritaire des prix par l’État, mais tira avantage du
fait que la loi prescrivait à tous les cultivateurs de stocker leur blé pour aboutir à
la création d’une coopérative du blé qui disposerait des silos nécessaires. […]
L’Office du blé, création d’un gouvernement de gauche que Landerneau craignait
et détestait, valut en fait à l’Office central le quasi-monopole du commerce du blé
93
dans le Finistère ».
On ne peut suivre ici la mise en place et les avatars de l’Office du blé.
Il faut noter cependant que se rejouent autour de sa création les
mêmes polémiques que lors de la sortie du premier conflit mondial,
de la fin des années 1920 et du milieu des années 1930. Dans le même
temps, ce projet de réforme résiste grâce à l’appui des partenaires
sociaux aux différents changements de régime (créé en 1936,
transformé mais maintenu dans le cadre du gouvernement de Vichy,
l’office perdure à la Libération). L’une des particularités de l’Office
du blé réside bien dans sa spécificité entre organisme professionnel
et administration déléguée du ministère de l’Agriculture. Ce statut
original, comme l’importance du marché du blé en période de
pénurie, explique que l’office, transformé en Office national
interprofessionnel des céréales, traverse la période de l’Occupation,
la Libération et les IVe et Ve Républiques 94 .
Cet office a valeur d’exemple pour certains autres produits agricoles
et les ambiguïtés des réclamations des professionnels aboutissent
parfois à de nouveaux débats. En 1937, le Conseil national
économique évoque la création d’un comité interprofessionnel des
fruits et légumes et si le terme d’office n’est pas tout de suite
employé, la comparaison avec le marché du blé est immédiate. Le
secrétaire général de l’institution, Georges Cahen-Salvador, prend
une position nette :
« La question essentielle est de savoir si le gouvernement peut déléguer à un
comité […] un pouvoir qu’il tient de la Constitution ; la création de comités ou
d’offices ayant un tel caractère se traduirait par l’institution d’un véritable État
corporatif et ce n’est certainement pas dans cette voie que le Conseil national
économique a l’intention de s’engager ».
Ernest Poisson, représentant des coopérateurs de consommation lui
répond de manière nuancée, en se déclarant « plus que quiconque
opposé à la conception de l’État corporatif, mais néanmoins partisan
de voir se développer dans les cadres de l’État parlementaire actuel
un certain nombre d’organisations économiques jouissant d’une
certaine autonomie 95 ».

Conclusion
« De tout temps, la question des offices a été chaotique. Les offices, nés de
circonstances fortuites, se sont multipliés rapidement, au hasard des lois et des
ministères, ont été organisés sans règles fixes, ont fonctionné chacun isolé dans
sa sphère. Partout et toujours a régné la plus grande incohérence. Après une
période de faveur extraordinaire, subitement le vent a tourné : un courant
96
d’hostilité sans cesse accrue s’est développé ».
Ce commentaire d’un des docteurs en droit qui a consacré sa thèse
en 1936 à cette question révèle assez bien la nature incertaine et les
évolutions des discussions à la fois théoriques et politiques sur les
offices. Presque vingt ans plus tard, Gabriel Ardant posait le même
diagnostic : « L’engouement pour la formule des offices fut suivi
d’une réaction en sens contraire 97 ».
Le débat sur les offices, au-delà de l’imprécision des termes et des
polémiques très vives qui le caractérisent, permet en fait de suivre
une partie des transformations des modes d’intervention de l’État
durant l’entre-deux-guerres. L’essor de ce type ambigu
d’établissements publics issus principalement de la première guerre
mondiale et des nouvelles fonctions remplies alors par
l’administration, repose en fait les nombreuses questions touchant
au contrôle budgétaire (du Parlement, de la Cour des comptes et du
ministère des Finances), à la place des services publics (c’est aussi la
période d’élaboration par le Conseil d’État du statut des
établissements publics industriels et commerciaux), à la
catégorisation juridique des nouvelles structures institutionnelles.
Enfin, même si elle est de nature quelque peu différente, la question
des budgets annexes 98 trouve un autre aboutissement durant les
années 1920 avec le vote de la loi de 1923 qui instaure un budget
annexe pour les PTT 99 après, là aussi, de nombreux débats et le
fameux rapport très critique d’Henri Fayol sur « l’industrialisation
des PTT 100 ». Plus largement, les polémiques sur les offices
renvoient donc à ce qu’un juriste appelait dans sa thèse en 1948 « les
crises de la notion d’établissement public 101 ». Dans le même temps,
les débats sur le contrôle financier des établissements publics se
poursuivent durant toute la seconde moitié du XXe siècle et restent
un objet de luttes politiques.

NOTES
1. On se permet de renvoyer sur ce point à Alain Chatriot, « Les offices en France sous la IIIe
République. Une réforme incertaine de l’Administration », Revue française d’administration
publique, 120, 2006, p. 635-650 et « Discours et pratiques de réformes de l’administration
française (1910-1939) » in Silvia Marton, Anca Oroveanu, Florin Turcanu (dir.), L’État en
France et en Roumanie aux XIXe et XXe siècles, acte du colloque tenu les 26 et 27 février 2010,
Bucarest, New Europe College, 2011, p. 21-52.
2. Rapport n° 1534, Journal officiel de la République française, Documents parlementaires,
Chambre des députés, 9 mars 1933, p. 399-422, p. 400 pour la citation.
3. Jean-Claude Debray, L’autonomie financière des services publics, Paris, Au commerce des
idées, 1930 ; Paul Hugon, De l’étatisme industriel en France et des offices nationaux en particulier,
Paris, Librairie du Recueil Sirey, 1930 ; Roger André-Thomas, La question des offices publics et
autonomes et les principes de la législation financière, Paris, PUF, 1934 ; André Jeannin, Les offices.
Étude de celles des finances de l’État qui sont soumises à des règles particulières, Paris, PUF, 1935 ;
André Fuzier, Contribution à l’étude des offices publics nationaux : statut et réforme, Montpellier,
Imp. de la Presse, 1936 et Gilles Chaillot, Les offices publics et établissements autonomes, Paris,
Librairie technique et économique, 1936.
4. Henri Berthélemy, Jean Rivero, Cinq ans de réformes administratives, 1933-1938 : législation,
réglementation, jurisprudence ; Supplément à la XIIIe édition du Traité élémentaire de droit
administratif, Paris, A. Rousseau, 1938, p. 20-22.
5. P. Hugon, De l’étatisme…, op. cit., p. 43.
6. A. Fuzier, Contribution…, op. cit., p. 13.
7. Louis Rolland, « Chronique administrative. § 1 La personnification des services publics
(création d’offices dans les administrations centrales) », Revue du droit public et de la science
politique en France et à l’étranger, XXIX-3, juillet-août-septembre 1912, p. 480-493, p. 480.
8. Premier « office national » créé en France, il n’obtient son autonomie véritable qu’en
1919.
9. Gabriel Galvez-Behar, La République des inventeurs. Propriété et organisation de l’innovation en
France (1791-1922), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2008.
10. Jean Luciani (dir.), Histoire de l’Office du travail (1890-1914), Paris, Syros, 1992 et Isabelle
Lespinet-Moret, L’Office du travail 1891-1914. La République et la réforme sociale, Rennes, Presses
universitaires de Rennes, 2007.
11. L. Rolland, « Chronique… », art. cité, p. 484.
12. Rolland écrit : « Nous croyons, avec M. Duguit, que si l’on veut réorganiser notre
administration française, ce n’est pas seulement à la décentralisation territoriale qu’il faut
recourir, c’est aussi à la décentralisation par services », art. cité, p. 489.
13. Maurice Hauriou, Précis de droit administratif et de droit public, Paris, Dalloz, réimp. 12e
édition de 1933, 2002, note 10 p. 287.
14. Rapport n° 1534, op. cit., p. 400.
15. Fabienne Bock, « L’exubérance de l’État en France de 1914 à 1918 », Vingtième siècle, revue
d’histoire, 3, juillet 1984, p. 41-51. L’expression est employée initialement en 1925 par
l’historien Pierre Renouvin. Cf. surtout John F. Godfrey, Capitalism at War. Industrial Policy
and Bureaucracy in France 1914-1918, New York, Berg, 1987 et précédemment : Stéphane Rials,
Administration et organisation. De l’organisation de la bataille à la bataille de l’organisation dans
l’administration française, Paris, Beauchesne, 1977.
16. Pierre Renouvin, Les formes du gouvernement de guerre, Paris, New Haven, PUF, Yale
University Press, Publications de la Dotation Carnegie pour la paix internationale, 1925, p.
55.
17. Henri Chardon, L’organisation de la République pour la paix, Paris, New Haven, PUF, Yale
University Press, Publications de la Dotation Carnegie pour la paix internationale, 1927, p.
20 et 30.
18. Danièle Fraboulet, « Les permanents patronaux », in Jean-Claude Daumas, Alain
Chatriot, Danièle Fraboulet, Patrick Fridenson et Hervé Joly (dir.), Dictionnaire historique des
patrons français, Paris, Flammarion, 2010, p. 1077-1082.
19. Robert Fabre, « La quatrième incarnation de l’étatisme : “caisses de crédit” et “caisses de
prêt” », Revue politique et parlementaire, 386, janvier 1927, p. 47-61, p. 48.
20. Adolphe Delemer, Le bilan de l’étatisme, Paris, Payot, 1922 ; Albert Schatz, L’entreprise
gouvernementale et son administration, Paris, Grasset, 1922.
21. Henri de Peyerimhoff, « Préface », in D’Armonnel, L’Office des houillères sinistrées du Nord
et du Pas-de-Calais et les charbons de réparations, Paris, Jouve et Cie, 1933, p. IX.
22. Stephen D. Carls, Louis Loucheur, ingénieur, homme d’État, modernisateur de la France 1872-
1931, Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires du septentrion, 2000.
23. Le Conseil économique du travail est une structure créée par la CGT juste après la
première guerre mondiale pour proposer sa vision de la politique économique. L’institution
fonctionne peu de temps mais propose un programme détaillé de nationalisations.
24. Raoul Dautry, Rapport sur l’aéronautique marchande française, présenté au Conseil
national économique les 23 et 24 novembre 1928, Journal officiel de la République française,
annexes administratives, 17 janvier 1929, p. 1-54.
25. Alain Chatriot, La démocratie sociale à la française. L’expérience du Conseil national
économique 1924-1940, Paris, La Découverte, 2002, p. 196-200.
26. Charles Petiet, Les routes, rapport présenté au Conseil national économique, Journal
officiel de la République française, annexes administratives, 28 avril 1928, p. 225.
27. Ernest Peyromaure-Debord, Le tourisme, le thermalisme et le climatisme, rapport au
Conseil national économique, Melun, Imprimerie administrative, 1935, p. 146-162.
28. Cf. Impressions parlementaires, Chambre des députés, n° 188 et n° 595 annexes aux procès-
verbaux des séances des 21 juin et 16 juillet 1932 et n° 3429 du 24 mai 1934.
29. J.-C. Debray, L’autonomie…, op. cit., p. 21.
30. P. Hugon, De l’étatisme…, op. cit., p. 61.
31. J.-C. Debray, L’autonomie…, op. cit., p. 182.
32. J.-C. Debray, L’autonomie…, op. cit., p. 183.
33. R. André-Thomas, La question des offices…, op. cit., p. 54-55.
34. R. André-Thomas, La question des offices…, op. cit., p. 23.
35. J.-C. Debray, L’autonomie…, op. cit., p. 184.
36. Roland Maspétiol, Pierre Laroque, La tutelle administrative. Le contrôle des administrations
départementales, communales, coloniales et des établissements publics, Paris, Librairie du Recueil
Sirey, 1930, p. 246-261 et 338-346.
37.Ibid., p. 255-256.
38. P. Hugon, De l’étatisme…, op. cit., p. 136.
39. R. Maspétiol, P. Laroque, La tutelle administrative…, op. cit., p. 340-341.
40.Ibid., p. 344.
41. G. Chaillot, Les offices…, op. cit., p. 145.
42. Jean Charpy, L’industrie de l’azote en France, avant, pendant et après la guerre, Paris, Jouve et
Cie éditeurs, 1925, p. 81-92.
43. Pour une bonne présentation de ces tentatives : P. Hugon, De l’étatisme…, op. cit., p. 92-
145 et les documents en annexes p. 157-188. L’auteur publie le texte de la loi du 11 avril 1924
qui institue l’office, p. 184-188.
44. Georges Léon, L’Office national industriel de l’azote et le problème de l’azote en France, Paris,
Librairie du recueil Sirey, 1930, p. 84.
45. Michel Samsoen, Le régime de l’industrie de l’azote en France, Paris, Société anonyme du
recueil Sirey, 1925, p. 163.
46. E. Rouland, « Une nouvelle industrie d’État. La fabrication de l’ammoniaque synthétique
», L’Économiste français, 3 mai 1924, p. 547-548.
47. Michel Barras, Histoire de l’arsenal de Roanne 1916-1990, Lyon, éd. lyonnaise d’art et
d’histoire, 1998 et pour une étude réalisée à la sortie du conflit mondial : Claude-Joseph
Gignoux, L’arsenal de Roanne et l’État industriel de guerre, Roanne, Imp. de l’union républicaine
de Roanne, 1920.
48. Édouard Bernard, Le problème de l’azote en France, agriculture, industrie, défense nationale,
Amiens, Imp. Gaillard & Jumel, thèse de droit, université de Poitiers, 1933.
49.Ibid., p. 139 et 146.
50. De Fels, « Les richesses de l’État français. L’office industriel », Revue de Paris, 1er janvier
1928, p. 180-193, p. 181, 186 et 190 pour les citations respectives.
51. De Fels, « Les richesses de l’État français. Un engrais étatiste », Revue de Paris, 1er
octobre 1928, p. 673-690, p. 679.
52.Ibid., p. 689.
53. Gérard Dally, Un établissement public industriel : l’Office national industriel de l’azote, thèse de
doctorat, sous la direction de P. Reuter, université de Paris, 1955. L’auteur mentionne en
particulier un avis émis le 15 juin 1934 par un collège de conseillers d’État (p. 22-33).
54. Raymond d’Argila, L’étatisme industriel, Paris, imp. du Montparnasse et de Persan-
Beaumont, 1929.
55. R. Maspétiol, P. Laroque, La tutelle administrative…, op. cit., p. 340.
56.Rapport du comité des experts, Paris, Imprimerie nationale, 1926, p. 17.
57. Alain Chatriot, « Fayol, les fayoliens et l’impossible réforme de l’administration durant
l’entre-deux-guerres », Entreprises et histoire, 34, décembre 2003, p. 84-97 et Odile Henry, «
Un entrepreneur de réforme de l’État : Henri Fayol (1841-1925) », Actes de la recherche en
sciences sociales, 193, 2012, p. 38-55.
58.Rapport du comité des experts, op. cit., p. 28.
59.Ibid., p. 103-104.
60. Blaignan s’exclame : « Il faudrait la plume de Courteline pour vous expliquer comment
des jeunes gens inscrits à l’école de droit trouvent le moyen de se faire embaucher pour
deux ou trois mois – le temps de réparer la brèche ouverte dans le portefeuille – comme
aides chimistes et d’assurer, à l’aide du code ou des pandectes, le contrôle ou, plus
exactement, le non-contrôle des fabrications », Journal officiel de la République française,
Débats parlementaires, Sénat, 2e séance du 30 juin 1930, p. 1376.
61.Ibid., p. 1377.
62. Ibid.
63.Ibid., p. 1378.
64.Journal officiel de la République française, Débats parlementaires, Sénat, 2e séance du 30
juin 1930, p. 1379.
65.Impressions parlementaires, Chambre des députés, n° 5402, annexe au procès-verbal de la
séance du 30 juin 1931, p. 2.
66.Impressions parlementaires, Chambre des députés, n° 1156, annexe au procès-verbal de la
séance du 27 décembre 1932, p. 2 (on retrouve parmi les signataires de la proposition de loi
Maurice Petsche et Paul Reynaud).
67. Rapport n° 1534, op. cit., p. 401.
68. Il estime l’ensemble à 14,5 milliards dont 7,3 pour la Caisse d’amortissement qu’il
associe à un office, 1,7 pour les mines domaniales de la Sarre, 3,5 pour les Chemins de fer de
l’État et 1,5 pour ceux d’Alsace-Lorraine ; le chiffre qu’il donne concernant plus strictement
les offices est donc d’un milliard à un milliard et demi. Ibid., p. 402.
69. Ibid.
70. Rapport n° 1534, op. cit.
71.Ibid., p. 402-403.
72. Les articles 78, 79 et 80 (Journal officiel de la République française, Lois et décrets, 1er mars
1933, p. 2000), appartiennent au chapitre « Compression des dépenses » d’une loi qui porte
sur l’ouverture sur l’exercice 1933 de crédits provisoires applicables au mois de mars 1933
et sur l’autorisation de percevoir pendant le même mois les impôts et revenus publics, et
tendant au redressement budgétaire (ce que l’on nomme traditionnellement un « douzième
provisoire »).
73. Rapport général de la commission des offices, Journal officiel de la République française,
annexes administratives, 4 juin 1936, p. 437-446.
74.Ibid., p. 438.
75. Pierre Brin, 1882-1969, reçu auditeur à la Cour en juin 1908, fait l’intégralité de sa
carrière rue Cambon et se spécialise dans les commissions liées aux questions d’économies
publiques (dont le Comité de la « Hache » en 1938 et le Comité central d’enquête sur le coût
et le rendement des services publics en 1946), il est nommé premier président de la Cour
des comptes le 8 janvier 1948 après en avoir été le procureur général à partir d’octobre
1944.
76. Malgré des tentatives répétées, les archives de cette commission n’ont pas été
retrouvées ni aux archives du ministère des Finances, ni aux Archives nationales (fonds de
la Présidence du Conseil) ni à la Cour des comptes. En plus des nombreux rapports préparés,
il devrait exister des procès-verbaux des 81 séances tenues par la commission entre avril
1933 et septembre 1935.
77. D’après un décret du 29 mars 1935 cité dans le rapport général, les membres sont MM.
Hervey et Chéron, sénateurs, Louis-Dreyfus et Ernest Lafont, députés, le directeur du
Budget ou son représentant, Decron, inspecteur général des Finances, Brin, conseiller
maître à la Cour des comptes, Laurent, secrétaire général de la fédération générale des
fonctionnaires, représentant le comité supérieur des économies, de La Lande de Calan,
conseiller référendaire à la Cour des comptes. Laurent démissionne en juin 1934 et n’est pas
remplacé, le comité ayant cessé ses travaux. Chéron et Lafont, devenus ministres, sont
remplacés par MM. Mauger, sénateur, et Léon Roche, député. À ces membres permanents
est adjoint, pour l’examen de chaque office, un représentant du ministre dont dépend
l’établissement. Les fonctions de secrétaire sont assurées par M. Berthoud, auditeur à la
Cour des comptes.
78. Rapport général…, op. cit., p. 437.
79.Ibid., p. 438.
80. Rapport général, op. cit., p. 439.
81.Ibid., p. 440.
82. Ibid.
83. En annexe du rapport sont publiés le détail des mesures proposées établissement par
établissement ainsi que les suites données aux conclusions de la commission, Rapport
général…, op. cit., p. 444-446.
84.Ibid., p. 443.
85. Rapport général, op. cit.
86. Ces textes, publiés au Journal officiel du 31 octobre, sont reproduits en annexes, p. 202-
214, par A. Fuzier, Contribution…, op. cit.
87. G. Chaillot, Les offices…, op. cit., p. 188.
88. Alain Chatriot, « Jaurès et les débats sur le protectionnisme agricole », Cahiers Jaurès, n°
195-196, janvier-juin 2010, p. 21-48.
89. Jean Sirol, Les problèmes français du blé, Paris, Librairie du Recueil Sirey, 1934, thèse de
doctorat de droit de l’université de Toulouse, p. 370-371.
90. Sur ces débats parlementaires très vifs, cf. Édouard Lynch, Moissons rouges. Les socialistes
français et la société paysanne durant l’entre-deux-guerres (1918-1940), Villeneuve d’Ascq, Presses
universitaires du Septentrion, 2002, p. 349-354.
91. Robert O. Paxton, Le temps des chemises vertes. Révoltes paysannes et fascisme rural 1929-1939,
Paris, Le Seuil, 1996, p. 34 et 176.
92. Louis Salleron, « L’Office du blé », Revue politique et parlementaire, 501, 10 septembre
1936, p. 421-435.
93. Suzanne Berger, Les paysans contre la politique. L’organisation rurale en Bretagne, 1911-1974,
Paris, Le Seuil, 1975, p. 154.
94. Alain Chatriot, Edgar Leblanc, Édouard Lynch (dir.), Organiser les marchés agricoles. Le
temps des fondateurs, des années 1930 aux années 1950, Paris, Armand Colin, 2012.
95. Archives nationales, CE 96, Procès-verbal de la séance de la commission permanente du
CNE du 10 mai 1937.
96. A. Fuzier, Contribution…, op. cit., p. 191.
97. Gabriel Ardant, Technique de l’État : de la productivité du secteur public, Paris, PUF, 1953, p.
11.
98. En 1930, on compte neuf budgets annexes : les Monnaies et Médailles, l’Imprimerie
nationale, le service des Manufactures de l’État en Alsace-Lorraine, la Légion d’honneur, le
service des Poudres et Essences, l’école centrale des Arts et Manufactures, les Postes,
Télégraphes et Téléphones, la Caisse nationale d’épargne et la Caisse des invalides de la
Marine, cf. J.-C. Debray, L’autonomie…, op. cit., p. 25.
99. Muriel Le Roux, Benoît Oger, « Aux origines du budget annexe des PTT », in La direction
du Budget entre doctrines et réalités 1914-1944, Paris, Comité pour l’histoire économique de la
France, 2001, p. 129-137.
100. Henri Fayol, L’incapacité industrielle de l’État : les PTT, Paris, Dunod, 1921.
101. Roland Drago, Les crises de la notion d’établissement public, Paris, Imp. Saint-Gilles, 1950,
université de Paris, faculté de droit, thèse de doctorat soutenue en 1948.

AUTEUR
ALAIN CHATRIOT

Alain Chatriot est chargé de recherche au CNRS, affecté au Centre de recherches


historiques, UMR EHESS-CNRS. Il a publié La démocratie sociale à la française. L’expérience du
Conseil national économique, 1924-1940, Paris, La Découverte, 2002 et codirigé différents
volumes parmi lesquels : avec D. Gosewinkel (dir.), Figurationen des Staates in Deutschland und
Frankreich, 1870-1945 (Les figures de l’État en Allemagne et en France), Munich, Oldenbourg, 2006 ;
avec M.-E. Chessel et M. Hilton (dir.), The Consumer Expert : Associations and Professionnals in
Consumer Society, Londres, Ashgate, 2006 ; avec O. Join-Lambert, et V. Viet (dir.), Les Politiques
du Travail (1906-2006). Acteurs, institutions, réseaux, Rennes, Presses universitaires de Rennes,
2006 ; avec J.-C. Daumas, D. Fraboulet, P. Fridenson et H. Joly (dir.), Dictionnaire historique des
patrons français, Paris, Flammarion, 2010 ; avec J.-M. Tufféry-Andrieu et F. Hordern (dir.), La
codification du travail en France sous la IIIe République. Élaborations doctrinales, techniques
juridiques, enjeux politiques et réalités sociales, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2011
et avec E. Leblanc et E. Lynch (dir.), Organiser les marchés agricoles. Le temps des fondateurs, des
années 1930 aux années 1950, Paris, Armand Colin, 2012. Il prépare actuellement une
habilitation à diriger des recherches dont le manuscrit inédit porte sur les politiques
appliquées au marché du blé dans la France de la première moitié du XXe siècle.
Qualité de la gestion, économie et
efficience de la dépense publique dans
les rapports annuels de la Cour des
comptes sur la période de l’entre-
deux-guerres
Stéphanie Flizot

Introduction
Dès les années 1920, la Cour a cessé d’être la simple « gendarmerie
des comptes 1 » créée par Napoléon Ier. Ses rapports s’attachent en
effet dès cette époque à apprécier l’économie et l’efficience de la
gestion publique 2 , qu’elle y dénonce le gaspillage, le défaut
d’organisation des services ou l’absence de pilotage dans l’allocation
des subventions. En ce sens, ses travaux s’insèrent étroitement aux
réflexions qui guident doctrine et pouvoirs publics dans la définition
et la mise en œuvre des réformes administratives et dont les maîtres
mots sont déjà la prévision, l’organisation et le contrôle 3 . L’examen
de la gestion, de ses coûts, voire de ses résultats ne pourra en être
que l’indispensable complément.
Dans un article publié en 1935, A. Pomme de Mirimonde tentera, du
reste, de tordre le cou à « la fable selon laquelle une opinion mal
avertie attribue à la haute juridiction des méthodes et des
préoccupations surannées 4 ». L’auteur appuie son propos sur la
présentation du rapport annuel de 1935, lequel se compose de deux
types d’insertions. Les premières, traditionnelles, ont trait « aux
opérations proprement budgétaires des collectivités publiques » ; les
secondes portent sur les « opérations extrabudgétaires relatives soit
à des établissements de caractère économique gérés par des
collectivités publiques, soit à des services publics et commerciaux
confiés à des entreprises privées ». La Cour y dénonce les errements
qu’elle observe tout en préconisant les réformes qui « donneraient
aux usagers la possibilité d’obtenir au plus juste prix les prestations
auxquelles ils ont droit 5 ».
Il est vrai que ses observations relatives à la qualité de la gestion,
qu’il s’agisse de monographies, offices par exemple, ou
d’observations générales communes à plusieurs ministères,
imprègnent de plus en plus ses rapports au cours des années 1930. Il
existe certes des différences notables entre les rapports annuels de
la Cour des comptes d’avant et d’après la seconde guerre mondiale ;
mais ces différences tiennent plus largement à la modification
profonde qui découle de la réforme de 1936, qu’au désintérêt que la
Cour aurait précédemment porté à la qualité de la gestion publique.
« Avant l’introduction de la comptabilité administrative et des
contrôles sur place, […] le rapport ne pouvait être qu’une sorte
d’échantillon prélevé sur la masse des observations présentées à
propos du jugement des comptes 6 ».
Contrairement à un contrôle organisé seulement à partir de caisses
publiques, qui par nature donnent une vision parcellaire, morcelée
et incomplète de la gestion publique, on dispose alors d’un
classement des pièces justificatives, grâce en particulier aux
bordereaux récapitulatifs qui les accompagnent, par ministère,
chapitre, mois ou exercice. Saisie depuis le 1er janvier 1937 de la
comptabilité administrative, la Cour reprend ses traditionnelles
observations, mais en formulant désormais des observations plus
générales. Elle peut alors porter une appréciation sur le
fonctionnement des administrations et dénoncera, en particulier,
leur cloisonnement.
« Les services de l’État chargés des achats, des ventes, des travaux, des
subventions ne procèdent pas à leurs opérations d’une façon logique. Étrangers
les uns aux autres, ils ne sont pas organisés pour mettre à profit les avantages
7
qu’ils retireraient dans bien des cas d’une action commune .»
Cette vision d’ensemble va également lui permettre de porter des
appréciations sur l’absence de vision prospective et la logique de
guichet qui en résulte.
« Au lieu d’établir tout d’abord un programme fondé sur les besoins de chaque
région et d’en faire la base des améliorations à apporter à l’équipement national,
l’administration se borne le plus souvent à attendre les occasions qui s’offrent, à
instruire les demandes qui lui sont présentées comme si chacune d’elles
8
apportait une contribution à l’œuvre générale .»
Mais c’est également pour elle la possibilité d’apprécier la manière
dont services centraux et services déconcentrés coopèrent :
« pour obtenir l’équilibre désirable, les départements ministériels devraient être
très exactement informés de la totalité des besoins auxquels ils ont à pourvoir,
mais ce renseignement fait défaut parce qu’il n’existe pas une coordination
suffisante entre les services locaux et les services centraux et que ceux-ci ne
disposent pas de la documentation et des statistiques qui seraient indispensables
9
à leur action ».
Mais, si la réforme comptable des années 1930 va permettre
d’élargir, d’approfondir et de donner tout son essor au contrôle sur
la gestion, la Cour s’est déjà résolument orientée en ce sens. Si ses
insertions sur la qualité de la gestion publique vont, il est vrai, dans
un premier temps rester centrées sur un service ou un organisme, et
demeurer donc assez peu globales, très tôt cependant, la Cour va
s’efforcer de formuler des observations générales relatives au
fonctionnement des administrations publiques 10 , de sorte que
ceux-ci ne sont déjà plus une simple collection de cas d’espèces. On
pense, par exemple, aux démembrements de l’administration, aux
marchés et contrats publics, aux subventions, aux dépenses
d’investissements, etc.
Il lui a, pour cela, fallu vaincre certaines résistances. Elle procédera,
du reste, à une mise au point très claire sur la compétence qui est la
sienne dans l’introduction de son rapport de 1934.
« Il paraît nécessaire d’insister sur ce point : les dispositions d’ordre financier qui
se sont succédé depuis la Révolution française et se sont adaptées avec une
logique rigoureuse au développement du régime parlementaire, ne sauraient
prêter à la moindre erreur d’interprétation. Si la Cour des comptes ne possède
aucun pouvoir de juridiction sur les ordonnateurs, elle n’en a pas moins un droit
de contrôle sur les gestions des deniers publics et c’est en vertu de ce droit
supérieur qu’elle a le devoir, à l’occasion de la vérification minutieuse des pièces
comptables, de poursuivre ses investigations et de porter son examen critique
sur les méthodes défectueuses, les défaillances de l’administration, l’irrégularité
11
ou l’imprévoyance des contrats ».
Il est notable également que ses méthodes de travail évoluent, que
ses moyens d’information s’enrichissent, tandis qu’elle se trouve
placée à partir de 1935 au cœur du processus de rationalisation et de
centralisation des contrôles. La Cour bénéficie, par ailleurs, du
décret du 28 avril 1934 qui permet à son premier président, sur avis
conforme du procureur général, d’apporter à l’organisation de son
travail toute modification permettant d’améliorer son rendement.
Au-delà de la refonte du cadre juridique et comptable, il convient
également d’insister sur l’importance des évolutions techniques qui
vont permettre une meilleure centralisation des pièces comptables
12
. La mécanographie est, en effet, au cœur des opérations de
centralisation des mandatements effectuées par la Comptabilité
publique, avant transmission à la Cour des comptes des pièces qui lui
sont envoyées. À partir des bordereaux établis par les contrôleurs
des dépenses engagées donnant par chapitre budgétaire et par
ordonnateur le total des dépenses du mois, « on établit des cartes
perforées, comportant, entre autres, les indications suivantes :
exercice, mois, ministère, ordonnateur, dépenses du mois, dépenses
du mois antérieur, total des dépenses de l’exercice 13 ». On procède
ensuite à la centralisation de ces données et à « l’établissement de
nombreux bordereaux récapitulatifs. La Cour des comptes peut ainsi
faire porter son contrôle à son choix sur un chapitre budgétaire
déterminé ». La comptabilité publique est alors « en voie de
transformation » et tend « à devenir une comptabilité d’opérations
14
».
Il existe enfin une certaine continuité dans les travaux de la Cour des
comptes. De sorte que si l’on compare les thèmes de prédilection de
ses insertions entre la première et la seconde guerre mondiale et
ceux qui concentrent l’essentiel de ses critiques entre la Libération
et le début des années 1960, on s’aperçoit que ceux-ci sont souvent
les mêmes, les acteurs ont parfois changé, les compétences de la
Cour ont évolué, mais ses préoccupations sont largement identiques.
Le fait tient à ce que la première guerre et les crises économiques
ont profondément modifié les conditions de la gestion et si
profondément accru la tâche de l’administration qu’il est plus que
jamais nécessaire « d’assurer l’économie dans la gestion des services
publics » pour « répondre à l’importance de l’effort à accomplir et
pour le seconder ». Or, en matière de dépenses, « l’ordre,
indispensable à toute activité féconde est le plus souvent compromis
par des méthodes défectueuses 15 ». On peut, du reste, mettre en
perspective les rapports de la Cour des comptes des années 1920 à
1938 avec l’analyse que présentera Gabriel Ardant en 1949 16 selon
laquelle la répartition des dépenses « entre les différents emplois
possibles doit assurer le maximum de bien-être à la collectivité » et
permettre « d’assurer la gestion la plus économique des services
publics 17 ». Ces préoccupations sont indéniablement déjà celles de
la Cour des comptes. Si l’on entend, en effet, par contrôle sur la
gestion un contrôle portant sur le coût et le rendement de la
dépense publique, c’est-à-dire sur l’économie et l’efficience de la
gestion publique, il est alors évident que, dès les années 1920, la Cour
s’approprie ces analyses 18 .
La Cour va cependant entourer ses premières observations relatives
au fonctionnement des services de maintes précautions. Son angle
d’attaque tient le plus souvent à ce que le défaut d’organisation du
service a conduit au gaspillage des deniers publics. Un exemple très
significatif de cette stratégie se trouve dans son rapport annuel de
1923 au sujet du fonctionnement du service des Réfugiés : « la Cour,
sans formuler un jugement d’ensemble sur le fonctionnement
administratif du service […], doit, en raison des répercussions
financières qui ont pu en résulter, signaler le long laps de temps qui
s’est écoulé entre les débuts du fonctionnement du service et sa
réglementation définitive, qui trop tardivement, a apporté un peu
d’ordre dans les opérations et remédié au gaspillage des deniers
publics 19 ».
Progressives donc, et accélérées par les réformes comptables des
années 1930, ces évolutions se rattachent, du reste, à un ensemble de
facteurs : évolution des modes de gestion, augmentation des
dépenses publiques, affermissement des attentes du Parlement. Mais
également, il ne faut pas l’oublier, aux réflexions menées sur l’objet
même de la comptabilité publique qui, non plus exclusivement
centrée sur le contrôle d’un agent, va progressivement recouper les
fonctions traditionnellement dévolues à la comptabilité privée. Et il
n’est pas étonnant que la Cour des comptes soit la première à
relativiser l’importance de cette distinction lorsqu’il s’agira
d’apprécier la gestion et, par voie de conséquence, le maintien de ses
compétences.
Tenant compte d’une manière croissante du coût et du rendement de
la dépense publique (I), la Cour développera ainsi sur la période de
l’entre-deux-guerres une analyse centrée sur la notion de prix de
revient (II).

I. Un contrôle du coût et du rendement de la


gestion publique
La lecture des rapports de la Cour des comptes sur la période de
l’entre-deux-guerres montre l’attention croissante qu’elle porte à
l’organisation des services et l’appréciation concrète de la gestion
administrative à laquelle elle se livre. Sur ce point, il est important
de relever que ses observations consacrées à la qualité de la gestion
seront très comparables, que les services soient gérés par l’État et ses
démembrements ou par les collectivités locales. Cela dit, ses
observations restent largement cantonnées aux démembrements de
l’État, suite en particulier au développement du secteur parapublic
et à la multiplication des Offices, et à la gestion des collectivités
locales. Pour Michel Tardieu, la Cour des comptes est alors « plus à
l’aise dans la surveillance minutieuse de la gestion des collectivités
locales et des établissements publics que dans celle des
administrations centrales. Les remontrances s’adressent beaucoup
plus souvent aux féodalités administratives qu’au prince 20 » et cette
tendance s’explique sans doute par « le prudent désir des magistrats
d’éviter les heurts d’aspect politique 21 ».
Sous ces réserves, l’examen de la gestion va cependant se révéler
très rapidement un formidable outil d’amélioration de la gestion
publique et générer des propositions très concrètes de
perfectionnement des outils de gestion et de prévision tout en
alimentant une réflexion de fond sur l’organisation des
administrations.

A. Une attention constante portée aux travaux, marchés


et opérations immobiliers

La plupart de critiques faites en matière de programmation et de


dépenses d’investissement immobilier que l’on trouve dans les
rapports des années 1950-1960-1970 sont déjà présentes dans les
rapports de la Cour des comptes de l’entre-deux-guerres :
insuffisance des études préalables et, en particulier, carences
importantes dans l’évaluation du coût prévisionnel, minoration
volontaire des demandes de crédits, fractionnement abusif des
marchés, etc.

1. Une économie des contrats largement défavorable aux


personnes publiques

Les contrats passés par les personnes publiques retiennent


l’attention systématique de la Cour qui dénonce notamment l’usage
abusif des marchés de gré à gré. Ceux-ci non seulement privent la
personne publique des avantages du libre jeu de la concurrence,
mais la complexité de leurs clauses contractuelles est, par ailleurs,
une source de contentieux fréquents et coûteux. La Cour n’hésite pas
également à se livrer à une appréciation critique des relations
contractuelles qui unissent des entreprises privées aux personnes
publiques pour constater, assez souvent, que l’équilibre du contrat
est presque toujours favorable aux entreprises. S’agissant des
marchés passés par l’Armement, la Cour des comptes va jusqu’à
relever les écarts de prix :
« les marchés de gré à gré, passés à la même époque et dans la même région et
parfois avec le même industriel, avaient néanmoins, pour des fournitures
identiques, des prix sensiblement différents. Il n’entre nullement dans ses
intentions de critiquer aucun de ces marchés parce qu’il ne lui appartient pas […]
de discuter les prix fixés. Mais, les éléments d’information dont elle dispose ne
suffisent pas à la convaincre qu’en aucun cas ces différences de prix n’ont permis
22
à certains fournisseurs de réaliser des bénéfices exagérés ».
Ses observations sur les conventions conclues entre la Ville de Paris
et diverses sociétés de gestion immobilière dans ses rapports des
années 1933 et 1935 pointeront les erreurs contenues dans les prix
forfaitaires de la construction et feront apparaître le surcoût qui est
en résulté pour les finances locales et la perte de plusieurs millions
par la Ville de Paris en raison de l’application à ses travaux
immobiliers des séries de prix établies par la société centrale des
architectes 23 . Dans son dernier rapport publié avant la seconde
guerre mondiale, la Cour des comptes se livrera également à une
analyse des conditions dans lesquelles se sont déroulées les
opérations immobilières en banlieue parisienne.
« L’examen de la convention montre qu’en réalité elle est surtout profitable à la
société car, si le produit des ventes de terrain doit être exactement porté en
recettes, augmenté des intérêts produits par le placement des fonds libres, les
dépenses les plus importantes sont portées en comptes pour des sommes
forfaitaires que les dépenses réelles ont été loin d’atteindre : la différence
24
constitue un bénéfice non partagé avec le Département .»
La Cour va également s’intéresser à la gestion des forêts coloniales et
énoncer quels sont, selon elle, les principes d’une saine gestion. «
Une exploitation rationnelle des richesses coloniales doit non
seulement procurer aux colonies les ressources qui leur sont
nécessaires, mais encore être aménagée de façon à entretenir et
même à développer ces richesses ». Or, les conditions d’exploitation
ont eu pour conséquence que « la colonie, propriétaire des forêts,
[…] s’est trouvée frustrée de recettes importantes […] Il ne faut pas
s’étonner dans ces conditions que la situation de l’AEF soit restée
précaire et que la métropole continue à lui verser pour le service de
sa dette des subsides élevés […] L’exploitation du bois, abandonnée à
des entreprises qui recherchent un profit immédiat, n’a pas été
conduite avec un souci suffisant d’éviter le gaspillage, de repeupler
la forêt et de ménager des ressources pour l’avenir 25 ».

2. Une insuffisance des études préalables et de toute vision


prospective

Au-delà de la réalisation des travaux et de leurs modalités, ce sont


également les conditions de préparation des projets et leur adoption
qui sont analysées. S’agissant, par exemple, de la construction d’un
théâtre, la Cour dénonce « la légèreté avec laquelle il a été procédé à
l’étude préalable des travaux […] le projet ne reposait que sur des
plans et devis intentionnellement réduits pour le faire accepter 26 ».
La Cour réitérera ce type de critiques s’agissant des collectivités
locales qui n’hésitent pas à engager des dépenses importantes sans
qu’une étude suffisamment approfondie n’ait été faite sur les projets
envisagés, de sorte que ceux-ci se révélèrent impossibles à réaliser
ou durent être modifiés en cours d’exécution 27 .
Aux lendemains des réformes comptables des années 1934-1936, la
Cour est en mesure de généraliser ces observations ponctuelles à la
lumière des diverses sources d’informations dont elle dispose
désormais.
« On ne peut qu’être frappé de la fréquence des dépenses engagées sans une
étude sérieuse des projets envisagés qui doivent être modifiés en cours
d’exécution. Le nombre de contrats ou de marchés dont les clauses, hâtivement
rédigées, garantissent mal les intérêts de l’État ou des établissements publics,
n’est pas moins surprenant. Il résulte de ces négligences des frais
28
supplémentaires qui devraient être évités .»
Le gaspillage des fonds publics tient donc pour beaucoup aux
méthodes suivies.
« Faute de doctrine et d’un programme, les administrations ne classent pas les
projets par ordre d’intérêt et d’urgence […] Il en résulte que le particularisme
local, parfois appuyé par de puissantes interventions, fait tort à la valeur de
l’équipement national. C’est ainsi que des subventions souvent importantes pour
des constructions d’hospices ont été distribuées par le ministère de la santé
publique sans qu’il ait été suffisamment tenu compte des établissements
hospitaliers qui existaient déjà et des besoins sanitaires de la région considérée.
»
La raison tient, en partie, à l’insuffisance, voire à l’inexistence de la
documentation dont disposent les administrations centrales 29 .
Forte de ces observations, la Cour fera en la matière une
recommandation de principe dans son rapport de 1938 :
« Lorsqu’un projet revêt une certaine ampleur, il serait sage de fragmenter sa
réalisation en tranches successives formant un tout par elles-mêmes. Le
financement de chacune d’elles devrait être prévu de façon intégrale et précise
sans qu’il dût être fait appel à des participations complémentaires et aléatoires
30
».

B. L’examen des dépenses de personnel et la recherche


d’économies

La Cour des comptes va sur la période porter une attention


croissante aux dépenses de personnel. Elle considère, notamment,
que l’augmentation des dépenses locales tient à l’explosion des
dépenses de personnel, qui s’explique non seulement par la
multiplication des emplois communaux, mais également par
l’exagération des rémunérations 31 . Dans son rapport annuel de
1925, et reprenant sur ce point les données d’un rapport de
l’Inspection des finances, la Cour explique, par exemple, que le
nombre d’employés municipaux est passé, entre 1913 et 1921, de 136
à 229 à Vincennes, de 129 à 305 à Aubervilliers ou de 147 à 363 à
Levallois 32 . Intéressantes également sont les comparaisons qu’elle
va effectuer d’une commune à l’autre. Ainsi, dans le même
département, deux communes voisines et de même population ont
respectivement « un employé pour 84 et un pour 238 habitants 33 ».
La Cour n’hésite évidemment pas à considérer que « des économies
pourraient sans doute résulter de la réorganisation de certains
services, et surtout de la réforme du régime des pensions de retraite
de la Ville de Paris 34 » alors que les dépenses de personnel ont plus
que décuplé entre 1914 et le début des années 1930. Mais la Cour
s’intéresse aussi aux effectifs de la préfecture de la Seine où elle
observe « la proportion toujours plus élevée des postes supérieurs
par rapport aux effectifs totaux du personnel en fonction ». Le
nombre des « sous-directeurs était de 14 en 1936, alors qu’aucun
emploi de ce grade n’existait avant-guerre ; de même, le nombre de
chefs de services est passé de 12 à 29 entre 1914 et 1936 ». Et la Cour
de poursuivre :
« Le nombre croissant des emplois supérieurs s’explique peut-être par la
multiplicité et la variété des tâches qui incombent à la préfecture de la Seine.
Toutefois, certains services ne semblent pas toujours répondre à une nécessité
35
». « D’autres services sont dotés d’effectifs qui peuvent sembler excessifs […]
Il est donc permis de se demander si certaines économies, compatibles avec la
bonne marche des services, ne pourraient pas être réalisées dans les dépenses de
36
personnel ».
Il est intéressant également de relever ses observations relatives à la
mise en œuvre de la « prime de gestion et de rendement » de 1926 (le
décret du 22 mai 1926 prévoit que cette indemnité est allouée aux
agents les plus méritants en proportion des services effectivement
rendus au regard de la nature de l’emploi occupé). La Cour relève
que cette indemnité est, en réalité, un supplément de traitement,
puisque versée à tous, elle est fixée non en raison des services
rendus, mais du rang ou du poste occupé 37 . La Cour se sent sans
doute autorisée à ces observations, alors que le Parlement a
précisément réduit lors de l’examen du budget pour 1932 les crédits
demandés à ce titre afin de marquer sa volonté de voir ces
indemnités attribuées selon les services rendus.
Cette attention générale portée au coût de fonctionnement des
services sera également déployée lorsque la Cour des comptes se
verra charger, par le décret-loi du 20 mars 1939, du contrôle des
associations subventionnées sans que ne soit précisée la nature de ce
contrôle. Un arrêté du premier président du 19 mai 1941 crée au sein
de la Cour un comité spécialement chargé d’exercer ce contrôle 38
qui va consister à vérifier non seulement que les statuts sont
réguliers et les comptabilités bien tenues, mais aussi à s’assurer que
« leur gestion financière était saine, à rechercher si leurs dépenses
correspondaient bien au but qu’ils se proposaient, à apprécier enfin
si leurs frais généraux n’étaient pas excessifs 39 ».

C. Une attention soutenue portée à la gestion locale

Très tôt apparaît la nécessité de mener de front une politique


financière plus rigoureuse tant au niveau de l’État que des
collectivités locales 40 . À quoi servent, en effet, pour les
contribuables « les économies réalisées sur le budget de l’État », si
dans le même temps « la charge des impôts locaux ne cesse de
s’alourdir » écrit un membre de la Cour des comptes à la veille de la
seconde guerre mondiale 41 , renvoyant ainsi aux critiques formulées
par la Cour elle-même.
« La Cour, qui a le devoir de signaler le mal, n’a pas qualité pour prescrire le
remède ; mais elle ne croit pas excéder la limite de ses attributions en exprimant
le désir que les budgets des communes soient rigoureusement contrôlés […] Il est
inadmissible que les communes et les départements prélèvent sur les revenus
des particuliers les moyens de couvrir des dépenses d’utilité discutable quand
l’État doit faire face à des charges croissantes », écrit-elle dans son rapport de
42
1923 .
Il s’agit pour la Cour d’une question de principe. « La situation
financière générale qui commande la plus stricte économie dans la
gestion des deniers publics » impose à la Cour de « se montrer sévère
sur ce point, quelles que soient d’ailleurs l’importance des sommes
dépensées, ou les raisons que l’on puisse invoquer pour excuser les
dépenses de cette nature 43 ». Le rapport de 1925 contient, du reste,
de très longues observations, c’est presque un rapport particulier au
sein de son rapport annuel sur la situation financière des communes.
La Cour des comptes va très loin dans ses analyses et
recommandations. Elle commence par relever la diversité des
situations locales et l’impossibilité « d’exprimer en quelques lignes
une opinion générale sur la situation financière des communes » ; la
situation des petites communes rurales, des grandes villes, des villes
de banlieue est donc présentée séparément 44 . Suivent un ensemble
de remarques générales sur la gestion des communes.
« Par leur insouciance, leur prodigalité et leur faiblesse devant les exigences de
leur personnel et de leur clientèle, les assemblées et les administrations
municipales, parfois mal préparées à une lourde tâche, ont trop souvent aggravé
45
les difficultés réelles en présence ».
Sont tout particulièrement dénoncées les dépenses que la Cour
considère comme tout à fait abusives, dépenses de banquets et
autres dépenses somptuaires de bouche. « La Cour espère que les
conseils généraux, plus ménagers des finances départementales,
renonceront à des errements vraiment trop onéreux 46 ». Certaines
dépenses apparaissent, par ailleurs tellement élevées que la Cour «
en est venue à se demander si de telles dépenses n’étaient pas
fictives 47 ». Mais sont également dénoncées les dépenses des
communes « qui dépassent de beaucoup les besoins des populations
48
». L’État est, du reste, largement responsable en raison de sa
propension à accorder des subventions excessives pour la
construction d’écoles, de travaux de voirie, d’adduction d’eau ou
d’électrification 49 . Les critiques de la Cour des comptes s’étendent
également à la « mauvaise administration » des collectivités locales.
Les négligences de leur administration, la mauvaise organisation de
leurs services ont, en effet, des répercussions qui peuvent s’avérer
onéreuses pour les finances locales en raison des contentieux
qu’elles entraînent et des condamnations qui en découlent.
Deux exemples tirés de son rapport de 1931 l’illustrent. Des
tolérances et permissions administratives irrégulières accordées par
les services de la ville de Paris ont permis à une entreprise
d’éclairage concurrente à l’entreprise concessionnaire d’étendre
indûment son exploitation ; cette dernière a donc obtenu du juge
une indemnisation de plus de 360 000 francs, auxquels s’ajoutent les
frais d’instance, qui viennent ainsi grever le budget municipal en
raison d’erreurs commises par l’administration municipale 50 . La
commune de Chambéry a quant à elle été condamnée par le tribunal
administratif pour avoir vendu deux fois le même terrain à deux
particuliers. La Cour considère qu’une « telle erreur ne peut
provenir que du désordre qui a régné dans l’organisation et le
fonctionnement des services administratifs de la mairie […] Il est
regrettable que dans une ville importante, des documents aussi
essentiels que le plan de lotissement et l’état des propriétés
communales n’aient pas été tenus à jour 51 ».
Plus largement cependant, la Cour considère que l’une des raisons du
gaspillage que l’on observe dans la gestion des collectivités locales
tient à « la défaillance de la tutelle administrative 52 ». S’il y a
longtemps que la Cour dénonce ces carences 53 , elle y revient tout
particulièrement aux lendemains de la première guerre mondiale
pour rappeler que « les lois du 5 avril 1884 et du 7 avril 1902 ont
accordé aux communes une large autonomie, mais elles ont entendu
réserver au pouvoir exécutif les moyens de prévenir, dans la gestion
des intérêts municipaux, solidaires des intérêts de l’État, les actes
d’imprudence, d’imprévoyance et de désordre. [Or,] les défaillances
de la tutelle administrative doivent retenir l’attention de la Cour,
lorsqu’elles ont pour résultat de compromettre la situation des
finances locales, qui a nécessairement sa répercussion sur la
situation financière du pays tout entier 54 ».

D. Décentralisation administrative et examen de la


gestion

À compter de 1925, la Cour des comptes consacrera une partie de son


rapport annuel aux offices 55 et placera une partie de ses critiques
sur le terrain de l’économie de la gestion publique 56 , alimentant
ainsi les adversaires des nouvelles méthodes de gestion, mais
œuvrant dans le même temps à l’amélioration de l’économie et de
l’efficacité de la dépense publique. Elle le fera, du reste, sur la base
d’une grille d’analyse qui recoupe largement celle qu’elle déploiera
s’agissant des budgets annexes et, plus largement, à toutes les
activités industrielles quelle que soit la forme juridique de leur
exploitation : examen des frais généraux, examen des prix de
revient, etc. Les observations que la Cour consacre aux offices dans
son rapport de 1927 commencent ainsi par une observation
d’ensemble : « Augmentation des dépenses publiques », alimentée
par deux catégories d’observations : « dépenses administratives de
personnel et de matériel » et « exagération des subventions de l’État
aux offices ». Pour la Cour, « la décentralisation des services
résultant de la création des offices aboutit à une augmentation des
dépenses par suite de la multiplication des frais généraux 57 ». La
Cour dénonce, notamment, le montant des rémunérations :
« en dehors de cas de cumul, le traitement du personnel des offices est parfois
hors de proportion avec le service auquel il correspond. [De même,] les frais
d’installation, correspondant à l’acquisition ou à la location d’immeubles,
atteignent souvent un prix élevé, auquel s’ajoutent des charges d’entretien plus
ou moins considérables. À tous égards, l’autonomie financière des offices paraît
58
donc de nature à alourdir encore le poids des dépenses publiques ».
La Cour est, sur ce point, on ne peut plus claire : « Le coût de certains
services augmente quand ils passent de l’administration centrale
d’un ministère à l’administration autonome d’un office 59 ». C’est, du
reste, à une appréciation complète des conditions de
fonctionnement des offices que la Cour se livre 60 . Ainsi, lorsqu’elle
examine la gestion de l’Office national industriel de l’azote, ses
critiques portent sur la régularité douteuse de certaines décisions de
gestion (signées du reste, « par délégation du ministre, par un haut
fonctionnaire qui se trouvait être à la fois directeur des Poudres,
président de la commission consultative instituée pour choisir les
procédés à adopter et lui-même inventeur et détenteurs des brevets
qu’il s’agissait d’appliquer 61 ») ; sur la gestion financière,
l’organisation commerciale des ventes, en un mot sur la gestion de
l’office. Son examen s’étend à l’ensemble des décisions de gestion de
l’office et, en particulier, à ses relations d’affaires. La Cour critique
ainsi la convention passée en 1927 avec le Comptoir français de
l’azote. Chargé de vendre les produits fabriqués par l’office, il agit
vis-à-vis de ce dernier comme un commissionnaire, dispositif qui,
pour la Cour, « se révèle nettement insuffisant et mal adapté ».
Adoptant très souvent une analyse comparable à celle qu’elle a
également développée s’agissant des collectivités locales, la Cour
argumente en considérant que :
« ce n’est pas à l’heure où la nécessité des économies est unanimement reconnue,
qu’il convient d’étendre la liste des services publics ou de se départir vis-à-vis
des services anciens de l’exercice intégral du contrôle dont une longue
expérience a démontré l’efficacité ; ce n’est pas lorsque les administrations
centrales sont obligées de procéder à d’importantes réductions dans le nombre
de leurs fonctionnaires qu’il convient de créer de nouveaux emplois […] La Cour
croit demeurer dans les limites qui sont les siennes en signalant aux pouvoirs
publics […] les méthodes d’administration […] qui lui paraissent préjudiciables à
62
la bonne gestion des finances publiques ».
Elle poussera la similitude de ses analyses au mode de financement
que sont les subventions dont elle a déjà critiqué l’utilisation
s’agissant des collectivités locales. De la même manière seront
dénoncées les insuffisances des contrôles exercés par l’État sur la
gestion des offices. Le cœur des critiques de la Cour tient ici au fait
que leur mode de fonctionnement prive les pouvoirs publics des «
garanties normales du contrôle budgétaire ». Même lorsque l’État
exerce une surveillance sur la gestion financière ou comptable de ces
organismes, au travers notamment de la consultation du ministère
des Finances des conventions passées avec des sociétés ou par la
présence de commissaires du Gouvernement au sein de leur conseil
d’administration, la Cour déplore l’absence, y compris au sein du
ministère des Finances, d’un service « spécialement chargé d’établir
l’unité et la coordination des services de contrôle ».
Un exemple en est donné dans son rapport annuel de 1933 au sujet
des mines de potasse d’Alsace. La Cour considère les contrôles
financiers de l’État insuffisants « aussi bien pour la répartition du
bénéfice, que pour l’engagement des dépenses ». Si « en rachetant
les mines de potasse d’Alsace, l’État a doté le domaine national d’un
capital d’une haute valeur […] il importe que la gestion soit
sauvegardée de manière à sauvegarder les droits du Trésor et les
intérêts du budget général 63 ». Dans ce même rapport, la Cour des
comptes cumulera ces observations pour l’ensemble des activités
exercées de manière autonome, qu’il s’agisse de la Réunion des
musées nationaux, de l’Office national du tourisme, ou des Mines
domaniales d’Alsace. Au-delà des offices, ses critiques concernent
l’insuffisance des contrôles des « organismes publics ou privés qui,
dans des domaines chaque jour plus variés, font appel aux concours
financiers de l’État : établissements nationaux et régies autonomes,
sociétés mixtes ou sociétés privées bénéficient d’avances, de
garanties ou de subventions contractuelles de l’État ».
Et de citer les compagnies de navigation maritimes et aériennes, les
sociétés d’électricité, les compagnies pétrolières, les banques
coloniales, les docks et entrepôts 64 .
La Cour demande une réorganisation générale des contrôles car il
convient que les contrôles de l’État puissent s’« exercer d’une
manière effective sur la gestion de toutes les entreprises publiques
ou privées en relation avec l’État 65 ». Cette responsabilité est celle
du ministère des Finances qui doit être en mesure de centraliser et
de coordonner l’ensemble. Elle le fait, par exemple, dans son rapport
annuel de 1931 s’agissant des mines de la Sarre. La Cour demande
que les attributions du contrôle financier confié depuis 1926 à un
inspecteur des finances soient clairement précisées, car « ni l’arrêté
de nomination, ni aucune instruction ultérieure n’ont précisé les
attributions de ce contrôleur » alors qu’il lui appartient d’assurer un
« contrôle permanent de la gestion financière de l’entreprise 66 ».
Cette insertion fait suite à un référé auquel il n’a pas été répondu et
dans lequel la Cour demandait également « que les rapports de ce
contrôleur lui fussent communiqués, ainsi que le bilan, les comptes
d’exploitation et le rapport du directeur général 67 ».
La diminution des contrôles qui résulte de la création d’un office
apparaît à la Cour des comptes d’autant moins admissible que l’objet
des missions confiées à certains de leurs personnels semble parfois «
totalement étranger au but même qui a motivé l’institution de
l’office ». Il arrive, en effet, qu’un ministère fasse « supporter par
l’office des dépenses qui auraient dû figurer » à son budget, de sorte
que l’on « peut craindre que l’intermédiaire des offices ne soit
parfois utilisé pour effectuer des dépenses de l’État dépassant les
crédits alloués par le Parlement 68 ».
« Aucun résultat vraiment utile ne pourra être obtenu tant que les
responsabilités seront dispersées, les bonnes volontés, les négligences et les
défaillances du contrôle ignorées ou dépourvues de sanction. Il en serait tout
autrement le jour où une seule autorité serait chargée de recevoir tous les
rapports, de correspondre avec tous les agents, de prendre toutes les mesures
69
utiles pour donner suite aux observations reconnues fondées ».
La sauvegarde des intérêts financiers des offices constitue également
une préoccupation de la Cour qui alerte les pouvoirs publics sur
l’insuffisance des moyens juridiques dont ils disposent pour assurer
le recouvrement de leurs créances alors qu’aucun texte ne les
autorise à utiliser la procédure des états exécutoires, leurs créances
ne pouvant être assimilées à celles de l’État.
« Les offices industriels, bien loin d’être placés, à ce point de vue, sur
un pied d’égalité avec les entreprises privées, se trouvent en état
d’infériorité manifeste, puisque à part de rares exceptions, ils ne
sont pas admis à utiliser les modes de recouvrement prévus par le
code de commerce, notamment la traite et le billet à ordre 70 ».

II. La Cour des comptes et la notion de prix de


revient dans l’entre-deux-guerres
Au début du XXe siècle, un certain nombre de voix, tant au
Parlement 71 qu’au sein de la doctrine 72 , demandent une évolution
profonde de la comptabilité publique, alors qu’au XIXe siècle déjà,
des propositions ont été formulées pour introduire les principes de
la comptabilité privée 73 .
Les principes appliqués sur un plan budgétaire et comptable seraient
« des formules dont la solennité seule masque le néant 74 » et la
cause du gaspillage des fonds publics. Les règles d’unité et
d’universalité entendues comme elles le sont empêchent, en
particulier, « tout rapprochement entre les recettes et les dépenses
correspondantes et rendent très difficiles, pour ne pas dire
impossible, l’appréciation du prix de revient de tel service 75 ». La
comptabilité publique n’est donc plus adaptée à l’évolution des
services publics ; « tout se transforme dans les services publics, nos
comptabilités seules persistent, avec des simplicités et des
confusions où se combinent de façon surprenante la science de nos
mathématiciens consommés et la naïveté de nos cuisinières 76 ».
Ces enjeux sont tout à fait présents dans les rapports de la Cour des
comptes qui va s’attacher à apprécier la qualité de la gestion au
travers de la détermination des prix de revient, qu’il s’agisse des
services publics locaux, des budgets annexes ou des services
autonomes et des offices.
S’exprimant à propos des chemins de fer, la Cour des comptes va
considérer que l’assimilation des réseaux d’État et des réseaux privés
peut se justifier au regard de la gestion de ces exploitations :
« nul ne contestera la nécessité qui s’impose aux établissements industriels de
l’État de tenir leurs comptes en s’inspirant des méthodes commerciales
consacrées par l’usage. La Cour est la première à reconnaître que les cadres
traditionnels sont trop rigides […] Elle admet que les règles budgétaires et
comptables auxquelles sont soumis les services publics soient assouplies en
faveur de ces entreprises, conformément à l’esprit et aux méthodes de l’industrie
privée 77 ».
« Étendues à une gestion industrielle, les dispositions du décret du décret du 31
mai 1862 se révèlent à la fois trop formalistes et incomplètes : trop formalistes,
parce qu’elles organisent […] une comptabilité de crédits, […] un contrôle du
payeur et des nomenclatures détaillées ; incomplètes, parce qu’elles n’ont en vue
que le contrôle d’une caisse ».
Or, dans le cadre d’une exploitation industrielle, « seuls les résultats
réels importent, et ce sont précisément ces résultats que toute
comptabilité industrielle se propose de mettre en évidence 78 ».
La Cour tente alors d’imposer l’idée selon laquelle la nécessité
d’exercer un contrôle uniforme sur la gestion justifie le maintien de
sa compétence peu important le fait qu’il soit ou non fait application
des règles de la comptabilité publique. Au-delà de ses observations
sur le contrôle des offices qui aboutiront au décret du 15 décembre
1934 79 , ses protestations à l’encontre des textes écartant son
contrôle de certaines activités industrielles au motif que s’y applique
la comptabilité commerciale, telles les chemins de fer, sont limpides.
Son rapport public de 1928 est ainsi l’occasion d’affirmer qu’elle «
croit à la nécessité de maintenir [son contrôle] sur les entreprises
publiques à forme industrielle ou commerciale 80 ».
« Aucune assimilation complète n’est possible entre une entreprise industrielle
publique et une entreprise industrielle privée, quel que soit l’aspect sous lequel
les choses sont envisagées. C’est ainsi qu’une entreprise publique n’a pas
d’actionnaires supportant directement, sur leur fortune personnelle, les fautes
de gestion des administrateurs. Elle ne peut faire faillite. Les déficits sont, en fin
de compte, couverts par l’ensemble des contribuables, dont les mandataires
doivent être régulièrement et complètement renseignés sur la gestion de
81
l’entreprise ».
La Cour ne se range, en effet, absolument pas aux arguments selon
lesquels l’abandon des règles de la comptabilité publique entraînait
l’abandon de son contrôle.
L’adaptation des formes de la comptabilité publique à des exigences
nouvelles ne saurait porter atteinte à la compétence du juge des
comptes. Le contrôle de la Cour des comptes « n’est pas lié
indissolublement à l’observation des règles imposées par le décret
du 31 mai 1862 à l’ensemble des services publics ». Déterminant est
le fait que la Cour justifie sa compétence sur un autre fondement : la
gestion de deniers publics 82 .
Ainsi, son contrôle « n’est pas attaché par l’existence d’un budget, ni
à une forme spéciale de comptabilité. Il peut et doit s’exercer aussi
bien sur les comptes produits dans les conditions prévues par le
décret du 31 mai 1862 que sur des comptabilités tenues dans la forme
commerciale 83 ». Le raisonnement de la Cour est qu’aucun autre
mode de contrôle, pas plus la compétence de l’Inspection des
finances que la compétence de commissions de contrôle financier
jouant un rôle analogue à celui de commissaires aux comptes, ne
peut présenter les avantages présentés par le contrôle qu’elle exerce
sur les comptabilités. Et la raison en est la nécessité tenant à donner
« au contrôle des garanties essentielles d’unité, de généralité et
d’indépendance 84 ». Elle va déployer exactement la même analyse
s’agissant des régies exploitées au niveau des collectivités locales. La
Cour « ne voit que des avantages à l’adoption des méthodes du
commerce pour la description des opérations des régies de chemins
de fer d’intérêt local et des tramways, mais à la condition que
l’emploi de ces méthodes donne lieu à une réglementation
d’ensemble dont elle aurait à contrôler l’application 85 ».
« L’examen réfléchi et approfondi de toutes les opérations des régies par une
même juridiction permet seul, en effet, de dégager la signification absolue et
relative des comptes, parce qu’il aboutit seul à des vues d’ensemble pouvant
conduire à l’établissement de règles uniformes de gestion [or,] il importe de
remarquer qu’en l’absence de telles règles, les résultats accusés par les diverses
86
comptabilités ne seront pas comparables entre eux ».
Plus largement, la Cour des comptes va ainsi développer une analyse
cohérente de la qualité de la gestion publique au regard des notions
d’économie et d’efficience de la dépense publique qu’elle va
appliquer aux activités de nature industrielle et commerciale, que
celles-ci soient gérées au niveau local directement ou au travers de
concessions de service public, ou au niveau de l’État via les budgets
annexes, ou sous forme de régie, ou au travers des offices. Elle va, en
particulier, s’intéresser à la détermination complète des coûts de
revient, ainsi que l’illustrent les exemples suivants issus de ses
rapports de l’entre-deux-guerres.

A. Prix de revient et services publics locaux


La première guerre a conduit les communes à mettre en place des
services de ravitaillement et la Cour consacrera plusieurs insertions
à la gestion de ces services. Elle se plaint, en particulier, des
difficultés qu’elle rencontre pour contrôler leurs opérations.
« Les éléments du contrôle de la Cour pèchent toujours par quelque côté : les
délibérations sont incomplètes, les procédés de gestion mal connus, les
décomptes incomplets, les rapprochements entre les existants et les doit-rester
impossibles. [Or,] ce sont les contribuables qui payent en fin de compte : si les
marchandises et les denrées sont livrées trop bon marché aux détaillants, on
peut craindre que le consommateur ne ressente pas tous les effets de cette
diminution de prix, mais on est sûr que, comme contribuable, il comblera
l’insuffisance des recettes communales ».
Et la Cour de donner l’exemple de Nîmes, où il est possible que l’on
ait « payé la viande à un taux inférieur au prix de revient, mais [où]
il est certain que les contribuables ont pourvu la différence ou y
pourvoiront un jour 87 ». Ces interrogations visant à identifier les
coûts complets seront étendues par la Cour des comptes à la
tarification de l’électricité. Ayant déjà abordé ces questions dans le
cadre de son rapport annuel de 1928, elle revient sur ce point dans
son rapport de 1935 pour demander que soient revus les principes
qui s’appliquent aux concessions de distribution d’électricité et la
manière dont les clauses contractuelles déterminent le prix de base
du kilowattheure. Il convient pour cela de pouvoir déterminer les
résultats réels de l’entreprise et de ne pas se limiter à la prise en
compte des recettes d’exploitation. De ces éléments dépend, en effet,
l’appréciation qui peut être portée sur le prix de revient réel et sur
l’efficacité du contrôle exercé par les collectivités locales sur les
tarifications 88 .

B. Prix de revient et services industriels de l’État

Lorsque les activités industrielles et commerciales de l’État n’ont pas


été exercées par l’intermédiaire d’établissements autonomes, elles
ont souvent pris la forme de budgets annexes ou de régies. Il en est
ainsi respectivement du service des Poudres ou de celui de mise en
culture des terres du ministère de l’Agriculture. C’est, du reste, dans
le cadre de l’examen de la gestion de ces services que vont
apparaître dans les rapports annuels de la Cour des comptes les
premières monographies.

1. Les budgets annexes : l’exemple du service des Poudres

Dans un certain nombre de cas, les activités industrielles de l’État


ont parfois été érigées en budget annexe. On présente alors la
formule comme conférant une relative autonomie aux services
industriels de l’État, l’enjeu étant, notamment, de mettre en relation
le coût du service et ses recettes, de permettre le recours à l’emprunt
et la création de fonds d’amortissement et de réserve. Il s’agit, d’une
manière générale, de donner à ces services les moyens de leur
développement en distinguant dépenses d’exploitation et dépenses
de premier établissement, et de dégager les résultats de leur
exploitation 89 .
Le service des Poudres est, par exemple, constitué en budget annexe
par la loi du 13 juillet 1911, lequel est conçu de telle façon que, pour
un exercice donné, le montant des cessions soit équivalent au
montant des dépenses de fabrication. L’arrêté interministériel du 26
août 1911 portant règlement sur la comptabilité du service des
Poudres prévoit que les prix de cession aux services consommateurs
doivent, en principe, être calculés sur la base du prix de revient
comptable.
La Cour va constater que, derrière cette apparence, se dissimulent en
réalité des subventions du budget général, puisque tous les coûts ne
sont pas inclus dans la détermination du prix de revient. Elle relève
ainsi qu’on ne tient pas compte des charges représentées par les
immeubles et les autres dépenses d’établissement, d’où la faiblesse
artificielle du prix de revient. La Cour considère que la
détermination d’un prix de revient raisonnable doit se faire par une
« méthode rationnelle de comptabilité, où entreraient en ligne de
compte les éléments ordinaires des prix de revient industriels 90 ».
La sauvegarde des intérêts du Trésor consiste donc « à éliminer aussi
complètement que possible de la comptabilité de ce service les
différentes causes d’altération des prix de revient qui l’affectent 91
».

2. Les activités exercées en régie : l’exemple du Service de mise


en culture des terres

En examinant le compte présenté par le comptable et les


renseignements obtenus par un rapport d’inspection, la Cour
consacre plus de seize pages de son rapport de 1922 à la gestion du
Service de mise en culture des terres créé en 1917. La Cour dénonce
tout d’abord les frais d’exploitation et les dépenses de main-
d’œuvre.« La surabondance du personnel, que l’examen des pièces
du compte ne permet pas de découvrir, a été constatée sur place par
les corps de contrôle ». Le rapport d’inspection considère que «
d’importantes économies paraissent pouvoir être réalisées ». Dans
certains cas, les effectifs dépassent, en effet, « le double de l’effectif
qui serait nécessaire 92 ». La Cour s’intéresse ensuite à l’achat des
machines et aux commissions vertigineuses perçues par des
intermédiaires pour de « prétendus services » ; et ce d’autant plus
qu’un haut fonctionnaire avait averti le service que, compte tenu du
prix réel des fournitures, la commission avoisinait les 65 %. On
s’étonne, dit naïvement, la Cour « qu’après une semblable
constatation le marché n’ait pas été résilié 93 ». Elle examine ensuite
l’achat des pièces de rechange et observe l’exagération des dépenses
même si « les dépenses les plus excessives sont celles des carburants
et lubrifiants ». Ici comme ailleurs, le mal a pour la Cour les mêmes
causes « le défaut de contrôle, l’absence de comptabilité matière
sérieusement suivie 94 ».
« Contrairement aux principes essentiels qui doivent dominer la gestion de toute
entreprise commerciale ou industrielle sérieusement organisée, la régie d’État de
la motoculture ne procède à aucun amortissement […] Il est clair qu’aucun
95
industriel avisé ne procéderait de cette manière ».
La Cour reviendra quelques années plus tard sur les conditions de
fonctionnement de ce service pour critiquer sa « gestion économique
» et insister sur le fait que « la régie de la motoculture a toujours été
dirigée avec un défaut absolu d’esprit commercial », puisque « le
prix des travaux n’a jamais correspondu aux dépenses exposées 96 ».
La Cour appréciera, du reste, non seulement la gestion, mais
également les résultats de l’action publique. L’État, pour maintenir
une production agricole suffisante, a tenté d’introduire le
machinisme et l’utilisation de tracteurs. Or, les carences, dont la
détermination du prix de revient des services, sont telles que
l’administration doit reconnaître que « les propriétaires de tracteurs
avaient préféré faire exécuter leurs travaux par le service de la
motoculture que de les faire avec leurs propres appareils 97 ». Il est
donc « permis de douter que les sacrifices imposés aux contribuables
aient toujours été utiles, puisque, l’administration l’a reconnu elle-
même, l’insuffisance des prix demandés à l’agriculture par la régie
d’État a paralysé le développement de l’initiative privée ». La Cour se
livre là à une critique en règle de la manière dont l’État a tenté de
soutenir la production agricole et ce sont, en réalité, les résultats de
la politique mise en œuvre qui sont très directement appréciés par la
Cour. Celle-ci saisit, du reste, l’occasion de rappeler que « nul fait ne
montre mieux que celui-ci qu’il ne suffit pas d’ouvrir un compte
spécial ou de créer un office pour donner l’État des aptitudes
commerciales 98 ». Car « ces services, mieux et plus pratiquement
organisés, auraient pu être moins coûteux pour le Trésor et, sans
doute, beaucoup plus profitables pour le perfectionnement des
méthodes agricoles dans notre pays 99 ». Cet exemple reste
cependant relativement isolé sur la période étudiée. Dans ses
observations sur les dépenses de personnel ou de travaux, par
exemple, la Cour des comptes s’attachera à l’économie de la dépense
et dénoncera, le cas échéant, les gaspillages et les dépenses
exagérées. Elle s’intéressera également à l’efficience de la dépense :
atteindre les mêmes résultats en gérant mieux. Mais elle ne
s’aventurera guère à une appréciation portant sur l’efficacité d’un
dispositif ou d’une politique publique. Dans son rapport sur les
exercices 1937-1938, la Cour consacrera ainsi de longs
développements à l’utilisation des crédits des grands travaux et des
financements importants découlant des lois du 7 juillet 1934 et du 18
août 1936. La politique de grands travaux conduite dans les années
1930 génère, en effet, d’importants programmes de travaux
immobiliers ; l’on veut à la fois améliorer l’équipement du pays et
lutter contre le chômage. Si la Cour n’a pas, à cette époque, estimé
devoir apprécier les conséquences économiques de ces dépenses, en
particulier au regard de l’objectif de lutte contre le chômage, elle a,
en revanche, porté son attention, au travers des rapports établis sur
l’emploi de ces crédits par les Comités de contrôle financier des
divers départements ministériels, sur les « méthodes administratives
et financières qui ont présidé à leur répartition et à l’utilisation de
ces importants crédits 100 ».

Conclusion
Il apparaît, au terme de ce rapide survol de la période de l’entre-
deux-guerres, que se trouve alors posée de manière évidente
l’existence de liens indissociables entre examen de la gestion,
réorganisation des administrations, perfectionnement des méthodes
administratives et évolution du cadre comptable, et que s’amorce
ainsi un ensemble de réflexions qui permettront non seulement la
poursuite de l’effort de rationalisation administrative, mais aussi des
évolutions ultérieures parfois profondes du cadre de gestion. Mais
ces constats posent également des questions de fond entre qualité de
la gestion et responsabilité, et entre efficacité de la dépense et
fixation de priorités. Des constats récurrents qu’elle établit en
examinant la gestion des collectivités locales, la Cour en arrive, en
particulier, à une critique portant sur leur mode de financement. La
propension de l’État de subventionner les investissements locaux est
en cause. Les « subventions exagérées ont ainsi la double
conséquence particulièrement fâcheuse d’imposer à l’État des
dépenses qui pourraient être évitées et d’inciter les communes à
faire elles-mêmes des sacrifices sans réelle utilité 101 ». Tout comme
l’est le mode déresponsabilisant de financement par l’impôt du
secteur public local. Critiquant l’attribution aux communes d’une
partie des contributions indirectes et de l’impôt sur le chiffre
d’affaires, la Cour considère que, par la mise à disposition de
ressources que les communes « n’ont pas à demander aux taxes
communales, ces lois ont favorisé le gaspillage et méconnu le
principe essentiel d’une bonne gestion des deniers publics : la
responsabilité des assemblées locales devant le contribuable 102 ».
Les observations de la Cour des comptes sur cette période illustrent
également les enjeux que présentent les systèmes d’information
dans la décision de dépense et la coordination des acteurs, tout
comme l’importance d’une approche prospective au regard des
besoins à venir. C’est ainsi de l’examen des errements qu’elle a pu
observer dans les dépenses d’investissement que la Cour tirera la
nécessité d’une planification nationale.
« L’absence de plans sérieusement étudiés, dans le cadre desquels seraient
classés, selon l’intérêt qu’ils présentent et l’urgence qui s’attache à leur
réalisation, tous les projets de travaux faisant l’objet de demandes de subvention,
a entraîné dans le passé […] les plus nuisibles conséquences. Il paraît
indispensable de procéder enfin à une sélection. [Mais] l’élaboration de pareils
plans à l’échelon national suppose que les administrations centrales auront à
leur disposition une documentation précise et soigneusement tenue à jour.
L’établissement de la carte sanitaire et de la carte scolaire constituerait, à cet
égard, un progrès important […] Au moment où de nouveaux programmes de
grands travaux sont à l’ordre du jour, la Cour a cru nécessaire d’attirer
l’attention des pouvoirs publics sur les errements et les vices de méthode dont la
prolongation risque de compromettre l’efficacité de l’effort qui est ainsi
103
demandé à la nation ».
Il en va de même du pilotage des services déconcentrés.
« Pour obtenir l’équilibre désirable, les départements ministériels devraient être
très exactement informés de la totalité des besoins auxquels ils ont à pourvoir,
mais ce renseignement fait défaut parce qu’il n’existe pas une coordination
suffisante entre les services locaux et les services centraux et que ceux-ci ne
disposent pas de la documentation et des statistiques qui seraient indispensables
104
à leur action ».
Partant de l’examen des comptabilités, la question de l’insuffisance
de la documentation statistique officielle deviendra récurrente, la
Cour y voyant le levain indispensable à l’amélioration de la gestion
publique. Cette question lui paraît particulièrement importante dans
le domaine des marchés publics pour lesquels « les administrations
doivent se mettre d’accord avec l’entrepreneur ou le fournisseur sur
le cours exact des matières premières au moment de la signature du
contrat. La détermination des bases qu’il faut adopter suppose une
documentation statistique complète, pratiquement utilisable et
d’une indiscutable objectivité. Or, une semblable documentation
n’existe que très imparfaitement, à l’heure actuelle en France, [de
sorte que] les administrations […] se voient souvent obligées de
recourir aux index établis par diverses publications dues à l’initiative
privée. [Or la Cour] estime qu’il n’est pas sans danger de laisser à des
groupements privés le soin d’enregistrer des cours qui seront
ensuite admis sans discussion 105 ».
Au-delà de ce point précis, la Cour demande, à la veille de la seconde
guerre mondiale, que l’on procède à une réorganisation des services
officiels de statistique qui apparaissent insuffisamment coordonnés.
Cette réforme est une nécessité « à l’heure où se multiplient les
interventions de l’État dans le domaine économique et où les
mouvements de prix, par le jeu des formules de révision, ont une
répercussion parfois considérable sur les finances publiques ».
« La recherche et la publication des renseignements statistiques se trouvent, en
effet, dispersées entre de nombreux ministères, voire même, comme c’est le cas
pour le ministère des Finances, entre plusieurs directions d’un seul département
ministériel. Cet éparpillement auquel l’existence de Conseil supérieur de
statistique, conçu comme un organe de centralisation et de coordination,
n’apporte qu’un remède insuffisant, nuit aussi bien à l’établissement complet et à
la présentation rationnelle des documents qu’à leur prompte utilisation.
L’absence d’une vue d’ensemble, rend, par ailleurs, à peu près inévitables les
106
lacunes et les doubles emplois ».

NOTES
1. L’expression est de Roger Léonard, premier président de la Cour des comptes, « La Cour
des comptes et le contrôle des finances publiques », RPP, n° 737, septembre 1963, p. 3.
2. Le contrôle des trois « E » porte sur l’économie et consiste à s’assurer que les coûts soient
minimisés, l’efficience porte sur le rendement et vérifie que l’option correspondant au
rendement maximum a été choisie, l’efficacité compare les moyens engagés et les résultats
obtenus.
3. Pour une analyse d’ensemble, Stéphane Rials, Administration et organisation (1910-1930), de
l’organisation de la bataille à la bataille de l’organisation dans l’administration française,
Bibliothèque Beauchesne, 1977, p. 93-180, la doctrine administrative.
4. A. P. de Mirimonde et H. Devillez, « Le rapport public de la Cour des comptes et les
réformes financières actuelles », RSLF, 1935, p. 419.
5.Ibid., p. 419-420.
6. Pierrette Rongère, La Cour des comptes, thèse de la Fondation nationale des sciences
politiques sous la direction de M. Bernard Gournay, 1963, dactylographiée, p. 216.
7. Rapport public sur les années 1937-1938, JO, 15 déc. 1938, p. 1.
8. Rapport public..., op. cit.
9.Ibid., p. 4.
10. Il existe quelques tentatives antérieures. Dans son rapport publié en 1912, et après avoir
année après année relevé les mêmes faits, la Cour considère qu’il convient de reprendre « la
question de principe en l’envisageant dans toute sa généralité […] et à la signaler d’une
manière spéciale à l’attention des pouvoirs publics ». La conclusion de son rapport,
consacrée sur plusieurs pages à ces questions, se veut générale. La Cour précise que « la
méconnaissance des prescriptions légales présente au point de vue de la gestion des
services publics les dangers les plus sérieux », en raison de l’importance de ces dépenses
dans les budgets publics ; la Cour insiste en particulier sur le fait que les règles qui s’y
appliquent ont bien pour objet de « créer des garanties spéciales en faveur des services
publics », Rapport sur les comptes de 1910 remis au président de la République le 15 juillet
1912 p. 79. Pour synthèse de ce rapport, RSLF 1912 p. 681-694.
11. Rapport 1934, p. 13-14.
12. M. Thomazeau, inspecteur des finances, « La mécanographie au ministère des Finances
», L’État moderne, p. 37-42.
13. M. Thomazeau, « La mécanographie... », op. cit., p. 40.
14. René Carmille, La mécanographie dans les administrations, Sirey, Paris, 1942, p. 76.
15. Rapport public 1938, p. 1.
16. « Fondements économiques et sociaux des principes budgétaires », RSLF 1949, p. 406-
445.
17.Op. cit., p. 407.
18. On ne peut comparer sans autre précision les rapports publics avant et après la réforme
de 1956 qui va détacher l’exécution budgétaire pour la renvoyer dans un rapport spécifique,
« le rapport public s’attachant plus spécialement à l’aspect administratif et financier de la
gestion des services publics », Christine Berthon-Goffin, Réforme administrative et Cour des
comptes, thèse dactylographiée, Paris II, 1976, p. 43.
19. Rapport sur les comptabilités vérifiées en 1921-1922, Paris, 1923, p. 34.
20. M. Tardieu, À quoi sert la Cour des comptes ?, Hachette, 1967, p. 121.
21.Ibid.
22. Rapport public 1927, p. 61.
23.Op. cit., p. 92-93.
24. Rapport public 1938 (JO, 15 décembre 1938), p. 37.
25. Rapport public 1938, op. cit., p. 34.
26. Rapport public 1922, p. 106.
27. Rapport public 1938 (JO, 15 décembre 1938), p. 37.
28.Op. cit., p. 1.
29.Op. cit., p. 5.
30.Op. cit., p. 1.
31. Répondant aux préoccupations de la Cour des comptes qui dénonce régulièrement les
dépenses de personnel des collectivités locales et l’existence de dépenses exagérées ou
abusives, un décret-loi du 20 juillet 1935 va créer un Comité supérieur de l’administration
départementale et communale qui a pour mission de rechercher les dépenses excessives.
32. Rapport 1925, p. 118.
33. Rapport 1923, p. 136.
34. Rapport sur les comptabilités vérifiées en 1936 et 1937, Imprimerie nationale 1938, p.
163.
35. Ibid.
36.Ibid., p. 164.
37. Rapport 1933, p. 38.
38. Rapport public sur les années 1940 à 1945, p. 6.
39. Ibid.
40. Ces critiques récurrentes sont également celles que l’on va assez régulièrement
retrouver dans les rapports postérieurs à la seconde guerre mondiale. Le rapport public de
1948 sera à ce sujet cinglant « les départements, lorsqu’ils entreprennent de grands travaux
de construction, ne sont pas toujours animés d’un souci suffisant d’économie ; leurs
initiatives aboutissent en effet trop souvent à des résultats décevants, sinon désastreux »,
rapport public 1948, JO, 28 décembre 1948, p. 150.
41. J. B. Veraguth, conseiller maître à la Cour des comptes, « Organisation du contrôle des
finances départementales et communales », L’État moderne, 1939, p. 218.
42.Op. cit., p. 137.
43.Op. cit., p. 138.
44. Rapport public 1925, p. 99 à 101.
45.Op. cit., p. 101.
46. Rapport public 1927, p. 100.
47. Ibid.
48.Op. cit., p. 219.
49. Ces critiques seront réitérées lorsque ces dépenses s’effectueront au travers de
syndicats intercommunaux, comme en témoignent ses rapports des années 1953, 1954 ou
1958. La Cour reprochera à certains syndicats intercommunaux d’entreprendre « des
travaux d’une ampleur dispendieuse sans se soucier ni des facultés contributives des
usagers, ni de l’importance réelle des plus-values que procurent les sommes investies »,
rapport public 1958, p. 43.
50. Rapport public 1931, p. 138.
51.Op. cit., p. 145.
52. Rapport public 1923, p. 136.
53. Dans son rapport de 1910, la Cour écrivait, par exemple, que si ses observations
rejoignent largement celles de l’Inspection générale du ministère de l’Intérieur, elles font
également « apparaître la mauvaise volonté des préfets pour l’application des lois toutes les
fois qu’une question politique est en jeu », « Observations de la Cour des comptes sur les
comptes de 1910 », RSLF 1912, p. 690.
54. Rapport public 1923, p. 136.
55. Dans ce rapport, ses observations sur les services de l’État sont ainsi regroupées en trois
sections : le budget général, les comptes spéciaux et les offices et établissements divers de
l’État.
56. Exemples : « les frais d’installation, correspondant à l’acquisition ou à la location
d’immeubles, atteignent souvent un prix élevé, auquel s’ajoutent des charges d’entretien
plus ou moins considérables », Rapport de 1925, p. 80-81. « Parmi les dépenses de matériel
qui auraient pu être évitées ou réduites si le service avait été géré par l’État, on doit signaler
l’acquisition coûteuse de l’immeuble affecté à l’Office national du commerce extérieur ». Cet
immeuble, acheté par une société en 1919 pour 1 300 000 francs, « a été revendu à l’office un
an après pour 2 500 000 francs ». À cette somme, il convient « d’ajouter les dépenses
d’aménagement et de mobilier qui ont encore absorbé près d’un million », Rapport annuel
1927, p. 78.
57.Op. cit., p. 80.
58. Rapport public 1925, p. 80-81.
59.Op. cit., p. 79.
60. Le Parlement se montre très sensible à ces questions comme en témoigne, par exemple,
l’intervention d’A. Tardieu à la Chambre le 8 novembre 1927 : « Personne dans l’état actuel
ne fabrique de l’azote aussi cher que l’État français ». Voir S. Rials, Administration et
organisation (1910-1930)..., op. cit., p. 217.
61.Op. cit., p. 32.
62.Op. cit., p. 82.
63. Rapport au président de la République et observations de la Cour des comptes sur les
comptabilités vérifiées en 1930-1931, Paris, 1933, p. 115.
64.Op. cit., p. 116.
65.Op. cit., p. 118.
66.Op. cit., p. 87.
67. Rapport public 1931, p. 88.
68. Rapport public 1927, p. 80.
69. Rapport public 1933, p. 119.
70. Rapport public 1931 sur les comptabilités vérifiées en 1928-1929, p. 25.
71. Le Sénat adopte lors de sa séance du 14 février 1924 une résolution demandant au
Gouvernement de faire établir les comptes de tous les ministères, de toutes les entreprises
industrielles, de toutes les administrations dont il a la charge, suivant les règles de la
comptabilité en partie double. Le sénateur Mauger demanda lors de ces débats à ce que l’on
fournisse au Parlement l’ensemble des informations dont il avait besoin pour connaître la
situation financière véritable de l’État et considérait que l’application de la comptabilité
commerciale faciliterait le contrôle parlementaire, Débats, p. 92.
72. Voir, par exemple, Marcel Soquet, La réforme de la comptabilité publique, Paris, Dunod,
1934, et la thèse de M. Alfred Guerlet, Le bilan de l’État, Alger, 1916.
73. Les principes budgétaires classiques, annualité, unité et universalité, sont fortement
critiqués au nom de l’efficacité de la gestion publique. On pense évidemment à Léon Say
demandant en 1888 que l’on dresse enfin un bilan de l’État, la comptabilité ne permettant
alors qu’un bilan du Trésor car « est-il possible de faire apparaître dans nos écritures cette
situation exacte de l’actif et du passif, que tout commerçant doit étudier tous les soirs pour
se rendre compte de l’état de ses affaires » ?, Sénat, séance du 26 mars 1888.
74. Pierre Baudin, Le budget et le déficit, p. 12.
75.Op. cit., p. 18.
76.Op. cit., p. 12.
77. Rapport public 1928, p. 21.
78.Op. cit., p. 142.
79. Voir sur ce point la contribution sur les offices dans ce volume.
80. Rapport public 1928, p. 142-143.
81. Rapport public 1928, p. 22.
82. Rapport public 1928, p. 21.
83.Op. cit., p. 22.
84.Op. cit., p. 22.
85.Op. cit., p. 142.
86.Op. cit., p. 143.
87. Rapport 1922, p. 77-78.
88. Voir A. P. de Mirimonde et H. Devillez, op. cit., p. 435.
89. Voir, par exemple, E. Allix, « La réorganisation financière des PTT », RPP 1923, p. 130-
141, et Georges Bouctot, « La Grande usine des PTT, du budget annexe à l’autonomie
budgétaire », RPP 1926, p. 170-186.
90. Rapport 1923, p. 68-69.
91.Op. cit., p. 69-70.
92. Rapport public 1922, p. 38-39.
93.Op. cit., p. 41.
94.Op. cit., p. 41-42.
95.Op. cit., p. 42.
96. Rapport public 1925, p. 55.
97. Rapport public 1922, p. 43.
98.Op. cit., p. 42.
99. Rapport public 1925, p. 55.
100.Op. cit., p. 5.
101. J. B. Veraguth, op. cit., p. 219 ; ces critiques ont déjà été formulées par la Cour des
comptes dans son rapport de 1922.
102. Rapport public 1923, p. 136.
103. Rapport public 1938, p. 6.
104.Op. cit., p. 4.
105. Rapport public 1938, p. 4.
106.Op. cit., p. 5.

AUTEUR
STÉPHANIE FLIZOT
Stéphanie Flizot est maître de conférences en droit public, titulaire de l’habilitation à
diriger les recherches. Ses travaux et publications portent sur les finances et la gestion
publiques, appréciées sous un angle historique et de droit comparé, ainsi que sur la fiscalité.
Sa thèse consacrée aux relations entre les institutions supérieures de finances publiques et
les pouvoirs publics dans les pays de l’Union européenne a obtenu le prix de la Cour des
comptes et est parue à la LGDJ. Elle a également publié récemment « Les règles
constitutionnelles de limitation de l’endettement, l’exemple allemand », in Jus politicum n°
8, juillet 2012 ; « L’organisation de la Cour des comptes européenne, enjeux et défis »,
audition devant le Comité du contrôle budgétaire du Parlement européen, COCOBU, 30 mai
2012, Future Role of the European Court of Auditors : Challenges ahead and possible reform,
http://www.europarl.europa.eu/document/activities/cont/201205/20120514ATT45035/201
20514ATT45035FR.pdf ; « Les services locaux du ministère des Finances : enjeux et débats
aux lendemains de la Première Guerre mondiale », Gestion et Finances publiques – La revue,
numéro spécial Histoire des finances publiques, mars 2012 ; « L’évaluation des fraudes fiscales,
panorama européen », Gestion et Finances publiques – La revue, numéro spécial Contrôle fiscal,
décembre 2011 ; « La mise en place des Cours des comptes en Europe, XIVe-XIXe siècles », in
A. Dubet et M.-L. Legay, La Comptabilité publique en Europe, 1500-1850, Presses universitaires de
Rennes, 2011, p. 93-106 ; « Les tendances relatives à l’organisation et aux réformes du
contrôle de l’État sur les collectivités locales en Europe », in A. Hastings-Marchadier, La
performance et les contrôles financiers de l’État sur les collectivités locales, LGDJ, 2011, p. 319-333.
Les comités de réforme administrative
et d’économies budgétaires, 1919-1959
: vie et mort d’une politique de gestion
publique ?
Florence Descamps

Introduction
Au-delà des difficultés monétaires, sociales et économiques qu’elles
ont engendrées, les deux guerres mondiales ont eu un impact
considérable sur l’administration, impact que les pouvoirs publics de
l’époque (ministres, administrateurs, contrôleurs, magistrats
financiers, parlementaires) ont résumé dans les deux cas sous deux
termes péjoratifs, « désordres » et « gonflement ». Désordres et
irrégularités comptables et budgétaires, affaiblissement des
contrôles, vacances de postes et gonflement des effectifs 1 ,
difficultés de recrutement et créations irrégulières de postes,
multiplication des auxiliaires, fixation ou attribution irrégulières de
traitements et d’indemnités, expansion des organigrammes,
multiplication des postes parallèles de chargés de mission et de
postes d’encadrement, création de nouveaux organes administratifs
soit au sein de l’administration (nouvelles directions, nouveaux
services, nouveaux ministères), soit en dehors ou à côté de l’appareil
administratif (offices, sociétés d’économie mixte, entreprises
nationales, associations), infractions à la réglementation des
marchés publics, acquisitions et locations immobilières somptuaires,
attributions irrégulières de subventions et gestion de fait, apparition
de doubles emplois et de chevauchements d’attributions, problèmes
de coordination… Les doléances sont nombreuses dans les rapports
de contrôle, dans les documents parlementaires, dans les archives du
ministère des Finances et dans les rapports de contrôle de la Cour
des comptes. Suite à ce diagnostic qui est à la fois répliqué et
amplifié d’une guerre à l’autre, se fait jour la volonté des dirigeants
politiques et administratifs, du Parlement et de l’opinion de
remettre de l’ordre dans la gestion de l’État. Pour les plus libéraux et
les plus hostiles à l’État, il s’agit de revenir à l’état ante, considéré
comme la référence normale, c’est-à-dire un État moins
interventionniste, moins étendu et moins nombreux ; pour les plus
réalistes ou pour les plus ardents partisans d’une rénovation du rôle
de l’État, il s’agit d’adapter et de mettre à jour les structures et les
modes de fonctionnement de l’État face aux nouveaux défis que ce
dernier doit affronter. À la croisée de cette triple volonté de retour à
la normale, de retour à l’ordre juridique comptable et budgétaire et
d’aggiornamento, émerge le concept de réforme administrative, qui va
progressivement, tout au long de l’entre-deux-guerres et jusque sous
la IVe République, devenir un topos du discours et de l’action des
pouvoirs publics et rechercher non sans tâtonnements les voies de
son institutionnalisation en politique publique.
Tandis qu’en 1918-1919, une série de commissions consultatives
(Selves, Courtin, Bloch, Hébrard de Villeneuve) préparent le retour à
une gestion publique de paix et élaborent, en même temps que les
mesures d’urgence indispensables, un programme de réforme à long
terme (procédure budgétaire, contrôle financier, comptabilité
administrative, réorganisation des structures ministérielles
notamment celles des Finances, reclassement des fonctionnaires), la
réforme administrative se voit rattrapée par la croissance de la dette
et par les déficits budgétaires. C’est au sein de la commission
Hébrard de Villeneuve de 1919 chargée de la revalorisation des
traitements des fonctionnaires qu’est célébré pour la première fois
au XXe siècle le mariage officieux de la réforme administrative et de
« la réduction du train de vie de l’État ». Coexistant dans les années
1920 et 1930 avec d’autres versions de la réforme administrative 2
portées par des acteurs aussi divers que le Conseil d’État (Chardon,
Blum), les juristes (Jèze, Laferrière, Barthélémy), les ingénieurs
(Fayol, Coutrot, Detoeuf, J. Milhaud), les représentants du patronat
(Mercier, Citroën) ou les syndicalistes (Budon, Mer, Patouillet), cette
version budgétaire de la réforme administrative connaît ses premiers
linéaments empiriques entre 1919 et 1924. Suite au redressement
Poincaré, elle s’éclipse un temps pour réapparaître en 1932 lors de
l’aggravation de la crise des finances publiques et de l’adoption par
le Gouvernement d’une politique de déflation budgétaire et
administrative (1932-1935 et 1938-1939).
Reléguée temporairement au second plan sous Vichy, la version
budgétaire de la réforme administrative resurgit à la Libération et
mobilise la scène publique jusqu’en 1950 ; elle s’éclipse entre 1950 et
1958, coexistant avec plusieurs autres entreprises de réforme
administrative, éclatées entre différents pôles d’impulsion, le
ministère des Finances, le ministère de l’Intérieur, la Cour des
comptes, la Présidence du Conseil. Dans un contexte de crise
budgétaire aggravée, la réforme administrative reprend sa liaison
fatale avec les économies, exhalant son dernier souffle en 1959-1960
avec la commission de réforme administrative dite de l’article 76 3 …
La version budgétaire de la réforme administrative est donc
identifiable sur l’ensemble de la période 1919-1959 ; elle présente,
par-delà les nuances politiques et partisanes des gouvernements qui
l’ont mise en œuvre et par-delà les trois régimes politiques
concernés, des réplications frappantes. Notre hypothèse est que la
période 1919-1950 voit naître et se développer une politique
publique de réforme administrative bien déterminée, celle des
économies budgétaires, menée par des autorités publiques qui à
cette occasion mettent en circulation des discours politiques et
administratifs sur la gestion des administrations et des services
publics, confient cette politique à des organismes ad hoc (les
commissions d’économies) ou à des organismes permanents dédiés
(direction du Budget, Cour des comptes) et inventent les outils du «
rationnement budgétaire ». Cette version budgétaire de la réforme
administrative a pu être présentée à partir des années 1950 par ses
détracteurs comme illégitime ou inefficace, mais il n’en reste pas
moins que, portée par l’ensemble des acteurs politiques et
administratifs de 1919 à 1950, avec une résurgence exceptionnelle en
1959, elle constitue dans la période une voie bien identifiée de la
gestion de l’État, dont les fondements s’enracinent dans une
conception libérale du rôle de l’État : un État neutre, limité dans ses
attributions et dans sa taille, contrôlé et économe des deniers
publics. Il s’agit donc de prendre au sérieux cette politique et d’en
étudier les concepteurs, les acteurs institutionnels, les objectifs, les
séquences chronologiques et leurs éventuels résultats.
Afin d’étudier cette politique de gestion publique, nous avons choisi
de nous intéresser ici aux dispositifs administratifs incarnant
explicitement cette politique : les commissions d’économies et de
réforme administrative qui en portent le nom ou qui sont
directement attachées à cet objectif. Ces commissions sont
caractérisées par un ensemble de traits communs bien spécifiques :
collégiales, temporaires, précaires, aux contours flous (on sait quand
elles naissent, on ne sait pas toujours quand elles finissent), à la
composition mouvante, aux « produits » indéterminés (qu’est-il
attendu d’elles, une expertise, des chiffres, des propositions, des
conseils, un rapport, un programme ou un plan, des projets de textes
?), elles relèvent de cette administration consultative qui se
développe de façon exponentielle sous la IIIe République, non sans
controverses d’ailleurs 4 . Une autre entrée possible aurait pu être
l’étude des gouvernements, des ministres et des coalitions partisanes
qui portent cette politique, ou l’étude des partis ou des
parlementaires qui s’en font les champions, qu’ils soient de droite ou
de gauche. Une autre encore aurait pu être celle de la presse, très
virulente à l’époque, qui alimente les représentations d’une
administration budgétivore et parasite et qui influence fortement
l’opinion. Enfin, une dernière approche pourrait consister à faire
l’étude quantitative des masses budgétaires et à retracer dans le
détail l’évolution de la dépense publique ministère par ministère,
pour voir si l’apparition des commissions de réforme administrative
et d’économies coïncide ou non avec des pics de déficit budgétaire et
surtout si elles précédent ou non un ralentissement, une
stabilisation ou une réduction des dépenses ou du nombre de
fonctionnaires 5 .
Afin d’étudier ces organes consultatifs qui nous semblent une
marque distinctive de la période, nous nous interrogerons sur les
instances qui les ont créées : sont-elles d’origine gouvernementale,
ministérielle ou parlementaire, donnée capitale puisque nous nous
trouvons sous la IIIe et sous la IVe République dans un régime
parlementaire dont l’équilibre n’est pas stable ; nous nous
intéresserons à leur rattachement (Présidence du Conseil ou
ministère des Finances), à leur composition (hauts fonctionnaires,
parlementaires, syndicats), à leur positionnement au sein de
l’administration et à leur secrétariat, à leur mode de fonctionnement
et à leurs méthodes de travail, à leur calendrier, à leurs résultats et à
l’appréciation portée sur leurs travaux, par eux-mêmes ou par les
observateurs extérieurs…

I. La construction du couple économies


budgétaires-réforme administrative (1919-
1923)
En réponse aux désordres décrits en introduction, une série de
commissions se succèdent de 1918 à 1923, dont l’objectif explicite est
d’une part la réalisation d’économies budgétaires, et de l’autre la
réforme administrative. Dans cette séquence chronologique, ces
deux objectifs sont soit juxtaposés sans coordination, soit conjoints
et articulés l’un à l’autre, soit explicitement disjoints. Le principal
mode opératoire est la suppression d’emplois, qui recueille
paradoxalement un soutien de la plupart des acteurs publics, y
compris de la part de certains syndicats ; en effet, à l’époque,
certaines associations de fonctionnaires corporatives et même la
Fédération générale des fonctionnaires reconnaissent ou affirment
que le nombre de fonctionnaires est trop important et qu’il faudrait
réduire les effectifs 6 . Ce consensus sur les suppressions d’emplois,
qui ne se fonde à l’époque sur aucune connaissance étayée du
nombre exact d’agents publics 7 , mais sur des données empiriques
issues soit des documents budgétaires et parlementaires, soit des
directions gestionnaires des départements ministériels, soit des
commissions d’enquêtes, n’est évidemment pas motivé par les
mêmes raisons : la haute administration, à l’unisson des
parlementaires spécialistes des finances publiques, stigmatise la
lourdeur de l’action administrative et son inefficacité, le nombre
excessif de fonctionnaires, le gaspillage, le parasitisme ; les
associations de fonctionnaires, elles, redoutent le gonflement des
auxiliaires non qualifiés, l’expansion de la main-d’œuvre féminine
sous-payée, le plafonnement des traitements… Or, à partir de 1919,
le problème prioritaire pour les syndicats devient « la cherté de vie
», c’est-à-dire le pouvoir d’achat des fonctionnaires rongé chaque
mois par l’inflation ; les syndicats réformistes ou corporatistes en
viennent donc à accepter le principe des suppressions d’emplois, au
nom du raisonnement selon lequel, s’il y avait moins de
fonctionnaires, les salaires pourraient être augmentés.
La première des commissions d’économies de la période résulte de la
transformation opportuniste de la commission de revalorisation des
traitements des fonctionnaires aux lendemains du conflit.
Extraparlementaire, composée d’une trentaine de hauts
fonctionnaires et de quatre représentants des fonctionnaires, la
commission Hébrard de Villeneuve, du nom du vice-président du
Conseil d’État qui la préside, est créée en avril 1919 8 . En juillet 1919,
elle se voit confier, outre sa mission initiale de révision des échelles
de traitements, la réduction des effectifs et la suppression des «
emplois inutiles ». Le fonctionnement de cette commission nous est
mal connu, mais le ministère des Finances conserve les archives de
l’un de ses démembrements, la commission Féret du Longbois, créée
en septembre 1919 au ministère des Finances. En effet, laissant sans
réponse les injonctions de la commission Hébrard de Villeneuve
pendant l’été 1919, le ministre des Finances Klotz décide de nommer
sa propre commission d’économies et de simplification dans les
services de l’administration centrale des Finances en septembre 1919
9
, sous le contrôle d’un magistrat de la Cour des comptes, ancien
directeur de la maison, Eugène Féret du Longbois 10 . La composition
de la commission, étroite à l’origine, finit par réunir la quasi-totalité
des directeurs et chefs de service de l’administration centrale des
Finances, ainsi que les représentants des principales associations du
personnel de la maison. Le président Féret du Longbois innove en
auditionnant les chefs de service jusqu’au niveau de chef de bureau
et passe au peigne fin le fonctionnement des bureaux, quasiment
poste par poste ; il recueille leurs propositions de suppression de
postes ou en décide certaines, quand elles ne lui sont pas faites
spontanément. Les procès-verbaux des séances montrent que,
malgré la férule du président, très peu de propositions de
suppression d’emplois ont été faites, du fait de la résistance des chefs
de service qui refusent d’admettre qu’ils ont du personnel superflu
ou sous-utilisé et qui se montrent extrêmement soucieux de
conserver leur personnel ! En réalité, à l’administration centrale, en
1919, la suppression des postes est sérieusement compromise par
l’augmentation des tâches liées au règlement de la guerre, par les
réorganisations en cours à la direction de la Comptabilité publique et
par la crise du recrutement qui affecte l’administration centrale aux
lendemains du conflit 11 . Au final, la commission Hébrard de
Villeneuve ne s’est guère illustrée dans les propositions d’économies
et de fait, elle est surtout connue pour son œuvre de reclassement
qui a abouti avec la loi du 6 octobre 1919.
Quelques mois plus tard, sur l’initiative de la Chambre du Bloc
national, issue des élections du 16 novembre 1919, le Gouvernement
décide de créer le Comité supérieur d’enquête sur les économies
administratives, présidé par Maurice Bloch, procureur général à la
Cour des comptes, ancien directeur au ministère des Finances 12 .
Créé le 14 mars 1920 par François-Marsal, ministre des Finances du
cabinet Millerand, le Comité Bloch est rattaché aux Finances et son
secrétariat confié le 19 mars 1920 à Pierre Brin conseiller
référendaire à la Cour des comptes 13 . Ses missions sont les
suivantes : « rechercher et proposer toutes les mesures susceptibles
de réduire les dépenses de toute nature incombant à l’État et
notamment de provoquer les modifications et les suppressions de
services et d’emplois qui ne seraient pas rigoureusement
indispensables ». Il rend compte au ministre, reçoit des pouvoirs
étendus d’enquête sur place et sur pièce, mais aucun moyen
particulier ni permanent ne lui est affecté ; il peut avoir recours à
des mises à disposition en provenance des ministères et des corps de
contrôle. Sa composition est d’abord resserrée autour d’un
quinqumvirat 14 , puis s’élargit progressivement jusqu’à une petite
vingtaine de membres, sans que jamais, il faut le souligner, le
directeur de la toute nouvelle direction du Budget ne fasse partie du
comité. Un objectif de résultat est fixé par le Bloc national : la
suppression de 50 000 emplois. En 1923, la loi de finances du 30 juin
1923 fixe de nouveaux objectifs de compression (20 000 emplois) et
réunit pour la première fois officiellement sous la houlette du comité
Bloch les économies budgétaires et la réforme administrative, tandis
que sur un amendement de Léon Blum, l’article 102 de la loi de
finances prévoit dans les ministères la création de « commissions de
premier degré tripartites » afin d’associer aux réformes usagers,
administrateurs et représentants des fonctionnaires 15 .
Par décret du 17 février 1924, le comité Bloch, placé jusque-là auprès
du ministre des Finances, est rattaché à Poincaré, président du
Conseil ; ses missions s’étendent désormais à la réorganisation des
services et à la réglementation des statuts des personnels civils et
militaires ; le programme de réforme administrative est donc
désormais complet. Quelques mois plus tard, par décret du 2 juillet
1925, le comité Bloch est refondé par Caillaux, ministre des Finances
du cartel des gauches 16 , qui le rattache de nouveau aux Finances ;
composé de 17 membres, il compte désormais un représentant de
tous les corps d’inspection et de contrôle des grands départements
ministériels : le président, Maurice Bloch, procureur général, un
conseiller d’État Tirman (reconduit), un conseiller maître (Chotard),
deux inspecteurs généraux des Finances (Drevon et Sauvalle), un
sous-chef d’état-major, un contrôleur général de l’armée (Guinand),
deux contrôleurs généraux de la Marine (Leconte et Vacquier), deux
inspecteurs généraux des Services administratifs, deux inspecteurs
généraux des Colonies, un inspecteur général des PTT, un inspecteur
général des Ponts et Chaussées, un inspecteur des Finances (du Buit),
tandis qu’un conseiller référendaire (Brin, reconduit), un inspecteur
des Finances (Boud’hors) et un auditeur au Conseil d’État (Hua)
assurent le secrétariat général du comité d’enquête.
Le bilan des travaux du comité Bloch est mal connu, en l’absence de
rapport général et d’archives correspondantes. Il aurait néanmoins
proposé les suppressions d’emplois attendues, mais selon les
contemporains, ces dernières n’auraient touché que des auxiliaires
ou des personnels temporaires de services nés de la guerre et
supprimés après la guerre, suscitant l’ironie des observateurs et
jusqu’à celle des syndicats eux-mêmes 17 ; quant à la réforme des
structures et des corps, il se serait heurté à des résistances
importantes au point d’être réduit à l’incapacité 18 . De fait, c’est à
un autre comité qu’est confiée la réforme des structures
administratives.
Dans un contexte de concurrence qui oppose le ministre des
Finances et la Présidence du Conseil, mais aussi le pouvoir exécutif et
le pouvoir parlementaire, à l’initiative de Poincaré, mais sur la
demande expresse de la Chambre qui la réclame depuis juin 1922, la
commission extraparlementaire des réformes dite comité Marin est
créée le 1er août 1922 19 et installée au ministère des Finances,
auprès de Charles de Lasteyrie 20 . Composée de trois parlementaires
et deux hauts fonctionnaires (Marin, député de Meurthe et Moselle,
ancien rapporteur général du Budget 21 , président ; Bloch,
procureur général ; Tirman, conseiller d’État ; Magny, sénateur 22 ,
Brousse, député et vice-président de la commission des Finances de
l’Assemblée 23 ), c’est selon Marin un « directoire » resserré, chargé
d’une mission d’aide à la décision, et non un comité consultatif «
pléthorique » comme le comité Bloch. Soucieux d’articuler les
travaux de son comité avec ceux du comité Bloch, Marin précise
dans son rapport qu’il a un mandat gouvernemental (la réforme
administrative) et un mandat parlementaire (utiliser les travaux des
commissions spéciales tripartites du Comité supérieur d’enquête 24 ).
L’objectif du comité Marin est encore et toujours de réorganiser
l’État pour dégager des économies 25 , mais non pas comme le comité
Bloch pour tel ou tel projet de loi de finance immédiat, mais dans le
long terme, en proposant un « plan d’ensemble » pour la réforme
générale des services, avec un échelonnement des réalisations. Les
principes de réforme proposés par Marin, à moyens constants, sont
les suivants : supprimer l’emploi mais pas l’employé (« pour ne pas
faire des cadres des révoltés ») ; étendre les circonscriptions pour
tenir compte des progrès des communications ; supprimer un
échelon hiérarchique partout où c’est possible (l’arrondissement) ;
mettre en place une organisation régionale aux dépens du
département ; simplifier les rouages administratifs ; éliminer les
doubles emplois ; réviser et ajuster les barèmes financiers entre État
et communes ; industrialiser les services, notamment les régies…
Chaque administration est passée au peigne fin et de nombreuses
propositions de rationalisation, de simplification, de regroupement
et de fusion sont faites à l’échelon central 26 comme à l’échelon
local. La transformation des méthodes de travail en vue d’une hausse
des rendements, pourtant annoncée, ne fait l’objet d’aucun
développement en tant que tel. Est-ce à dire que Marin méconnaît
les avancées accomplies par les « méthodes d’administration
modernes », suite aux réflexions de Fayol 27 ? Une conférence
prononcée par Marin le 18 juin 1923 devant le Comité national
d’études sociales et politiques, 45 rue d’Ulm à Paris, sous la
présidence d’Henri de Peyerimhoff en présence de Corréard,
Chardon et Fayol, et les échanges qui ont suivi, attestent du
contraire 28 . Tous semblent tomber d’accord en tout cas sur la
nécessaire réorganisation de la Présidence du Conseil, sur la
constitution d’états-majors et sur le recrutement et la formation de «
chefs » aptes à décider et à commander.
De l’aveu même de son président, le comité Marin semble avoir
rencontré tout au long de son travail d’enquête 29 des résistances
importantes de la part des personnels et des services, ainsi que de
certains milieux parlementaires (Herriot 30 ). Les réflexions amères
de Louis Marin pointent la situation de faiblesse institutionnelle d’un
tel comité consultatif, dépourvu de moyens indépendants d’enquête,
d’information et de coercition ; elles dévoilent en creux l’opacité
dans laquelle se tiennent volontairement les administrations, habiles
à résister à toute intrusion exogène et les faibles capacités d’un tel
organe à voir clair dans les rouages administratifs.
En dépit de ces réserves, les fruits du comité Marin ne sont pas
négligeables : en premier lieu, il faut citer le rapport Marin lui-
même, remis 18 mois plus tard au ministre des Finances le 3
novembre 1923, publié au Journal officiel le 10 décembre 1923,
premier plan de réforme administrative du XXe siècle appliqué à
l’ensemble de l’État et des services publics, monument de la
littérature administrative et réservoir de très nombreuses
propositions de réforme pour les années à venir. Les propositions du
rapport inspirent à Poincaré et Lasteyrie un premier programme
d’économies en janvier 1924 (un million de francs d’économies) et
conduisent le Gouvernement à demander quelques semaines plus
tard des pouvoirs extraordinaires pour appliquer le plan
d’économies et de réforme administrative inspiré par le rapport
Marin (loi du 22 mars 1924), ce qui contribue à la chute du
gouvernement Poincaré et à l’arrivée du cartel des gauches. À moyen
terme, le rapport Marin inspirera certains des décrets-lois Poincaré
de l’été 1926 31 , pris à l’occasion du plan de redressement financier,
économique et monétaire. Contre tous les principes avancés par
Marin, la réforme administrative se voit à nouveau étroitement
couplée avec la réalisation d’économies budgétaires.
Dans la première moitié des années 1920, il se produit donc à la fois
une oscillation et une confusion entre économies budgétaires et
réforme administrative, mais une confusion empirique : on
commence par des économies et on finit en réforme administrative,
ou le contraire, au gré des circonstances. Les magistrats de la Cour
des comptes, surtout lorsqu’ils sont inspecteurs des Finances ou
anciens directeurs du ministère des Finances, se voient placés en
première ligne dans la recherche des économies budgétaire ; ils
bénéficient de l’expertise comptable et budgétaire acquise lors de
leur carrière professionnelle et disposent d’un accès aux sources
documentaires en finances publiques ; ils bénéficient d’un
positionnement transversal et disposent de plus de temps que les
administrateurs du ministère des Finances. Rappelons que la
direction du Budget, créée fin 1919, démarre à peine son existence
32
et que la direction de la Comptabilité publique est engluée dans
des difficultés, qui ont précisément causé l’érection de la direction
du Budget en direction indépendante 33 . Entre 1919 et 1923, en face
des commissions des finances qui ne relâchent pas la pression
budgétaire, c’est la Cour des comptes qui apparaît la mieux placée
pour conduire ces nouvelles tâches d’enquête que les
administrations opérationnelles n’ont ni le temps ni la capacité
d’assurer ; d’où le rôle de Bloch, de Féret du Longbois ou de Brin qui
se relayent sur le front des économies.
Dans cette première phase, l’outil privilégié des comités d’économies
reste la suppression des « emplois inutiles ». Il faut rappeler qu’à
l’époque, les crédits de matériel sont insignifiants et que les
subventions économiques ne sont pas encore aussi massives qu’elles
ne le deviendront plus tard, de sorte que la compression budgétaire
des effectifs, pratique élémentaire et rustique, est le seul instrument
dont le Gouvernement dispose à l’époque, le seul qu’il puisse mettre
en œuvre rapidement et qui ait un impact fort sur l’opinion.
Néanmoins, des fragilités structurelles handicapent les premiers
comités d’économies et de réforme administrative : des moyens
d’investigations faibles dans les services (pas de contrôles sur place),
le manque de personnels qualifiés, la totale dépendance du bon
vouloir des administrations « dépensières », l’impossibilité de
connaître les effectifs et la situation réelle des personnels. Aux
injonctions des comités d’économies, les services opposent lenteur et
allongement des délais de réponse ; ils concèdent quelques
économies « comptables », fruit de l’écart entre effectifs budgétaires
et effectifs réels, et sacrifient temporairement les postes
d’auxiliaires, véritable variable d’ajustement. Ils jouent l’inertie
contre la chute prévisible du cabinet en place, alimentant dans
l’opinion l’accusation d’impuissance en ce qui concerne la décision et
l’accusation d’inefficacité en ce qui concerne les résultats. Des
économies de papier somme toute 34 !
Dans la séquence suivante, de 1924 à 1931, aucun comité d’économies
budgétaires et de réforme administrative n’est institué sous ce nom.
Ni sous le cartel des gauches qui tente une autre voie de la réforme
administrative en reconnaissant les associations des fonctionnaires,
en encourageant leur « collaboration » et en sollicitant un Comité
des experts économiques 35 . Ni sous le second cabinet Poincaré qui,
à partir de juin 1926, parce qu’il dispose déjà des travaux du comité
Marin de 1923 et de ceux du comité des experts de 1926, procède
directement dans le cadre de son programme de redressement à des
compressions d’emplois 36 , ni sous le gouvernement Tardieu qui a
pourtant inscrit à l’agenda la réforme de l’État mais qui dispose de
marges de manœuvre budgétaires que ses prédécesseurs n’ont pas
connues 37 .

II. Les comités d’économies ou la réforme


administrative par l’organisation de la
déflation budgétaire, 1932-1939
Afin de résoudre la crise budgétaire qui s’installe dans le sillage de la
crise économique de 1930, les gouvernements issus du néo-cartel des
gauches optent à partir de 1932, en dépit des protestations des
associations de fonctionnaires qui leur avaient apporté leur soutien
électoral, pour « la réduction du train de vie » de l’État. Au-delà de la
suppression des postes et des emplois inutiles, ils vont enclencher
une vitesse supérieure dans l’élaboration et l’application des
nouveaux outils de compression budgétaire, en passant de la
réduction des effectifs des fonctionnaires, trop incertaine, à la
réduction de leurs rémunérations, bien tangible, elle.
Dès juin 1932, le ministre des Finances Germain-Martin présente un
projet de loi d’économies qui comporte un prélèvement sur les
traitements, mais c’est finalement le ministre du Budget Palmade
qui, par la loi du 15 juillet 1932, impose pour la première fois un
abattement forfaitaire de 5 % sur les dépenses de personnel, mais
sans diminution de traitement ni arrêt de l’avancement. À l’automne
1932, un nouveau projet de loi de finances, présenté par le ministre
des Finances Chéron, qui prévoit une réduction de 2 à 10 % sur les
traitements supérieurs à 12 000 francs plus une suppression de 38
000 emplois civils et militaires sur deux ans, entraîne la chute du
cabinet Paul-Boncour le 28 janvier 1933. Le décret Chéron du 2
janvier 1933 a néanmoins le temps de suspendre les recrutements
pour un an, mesure dont la direction du Budget attend un fort
impact sur l’organisation administrative 38 : « La suspension du
recrutement revêt à cet égard un double caractère ; elle constitue, en
même temps qu’une mesure d’attente, un moyen d’action actif ». Le
but, c’est de développer des vacances de postes, qui obligeront soit à
des suppressions définitives d’emploi, soit à des reclassements et des
mutations, soit à des modifications d’organisation du travail. Elle
conclut : « Les mesures de ce genre constitueront à proprement
parler l’amorce de la réforme administrative ». La loi du 28 février
1933 impose le prélèvement exceptionnel de 2 à 8 % sur les
traitements supérieurs à 12 000 francs, des limitations au cumul des
rémunérations et des pensions, des mises à la retraite unilatérales et
d’importantes économies sur les personnels militaires.
Outre la réduction des rémunérations et les suppressions d’emplois,
pour la mise en œuvre de sa politique de déflation administrative, le
gouvernement Herriot reprend le vieux modèle du comité d’enquête
Bloch de 1920 et de 1925 et installe à l’automne 1932 auprès du
ministre du Budget Palmade le Comité supérieur d’économies 39 , à la
tête duquel il place à nouveau Bloch, procureur général près la Cour
des comptes, que remplace quelques mois plus tard Labeyrie, proche
de Caillaux 40 . Le nouveau comité, composé uniquement de hauts
fonctionnaires, compte un conseiller d’État (Richard), un conseiller
maître (Brin), un inspecteur général des Finances (Drouineau), un
contrôleur général de l’Armée (Soubeyrand), un contrôleur général
de la Marine (Arnould), un inspecteur général des services
administratifs de l’Intérieur (Imbert), un inspecteur général des
Colonies (Moretti) et, pour la première fois, le directeur du Budget et
du Contrôle financier (Haguenin 41 ). Le Comité supérieur
d’économies « est chargé de rechercher et de proposer toutes
mesures de réduction de dépenses ainsi que de provoquer les
modifications et les suppressions de services et d’emplois qu’il ne
reconnaîtra pas indispensables. Il devra également proposer dans
l’application des lois ou dans le texte même des lois toutes les
réformes qui pourront entraîner des économies ».
La réforme administrative n’a plus aucune existence autonome, elle
est totalement absorbée dans la recherche des économies
budgétaires. Le très efficace directeur du Budget, Haguenin, met sa
direction au travail et mobilise le réseau des contrôleurs des
dépenses engagées pour obtenir des propositions d’économies et de
réorganisation 42 .
L’article 77 de la loi du 28 février 1933 confie quelques semaines plus
tard au comité supérieur d’économies la révision des indemnités
accordées aux fonctionnaires, dans les administrations comme dans
les offices, tandis que les articles 73, 78, 79 et 80 instituent
respectivement une commission de recherche des abus sur les
retraites et les pensions et une commission des offices. Le comité
d’économies démarre dès février 1933 son enquête sur les
indemnités allouées aux fonctionnaires, à laquelle un objectif
ambitieux est fixé : faire 400 millions d’économies, ce qui représente
selon la direction du Budget au moins 25 % de réduction sur les
crédits de personnel 43 ! Comme en 1919, 1920 et 1922, la procédure
prend la forme d’une enquête écrite 44 , envoyée à tous les
ministères dépensiers, qui transite par les directions du personnel
jusqu’aux commissions tripartites des ministères techniques ;
l’enquête dans chaque ministère est placée sous la responsabilité
d’un enquêteur extérieur au ministère concerné 45 .
Le comité Bloch II, outre son président, fait un second emprunt au
comité Bloch I. Le gouvernement du néo-cartel des gauches veut en
effet faire droit aux revendications portées par le syndicalisme
gestionnaire et réformiste de Georges Mer et de L’État moderne ou, du
moins, fait comme s’il y croyait ; il reprend donc l’amendement Blum
de 1923 et institue des commissions tripartites ministérielles dites de
premier degré, « associant usagers, syndicats et administrateurs
pour la recherche et la proposition d’économies ou de réorganisation
de services 46 ». C’est l’heure pour G. Mer et pour les membres de
L’État moderne de faire la preuve de l’intérêt du « syndicalisme
d’intérêt général » ! L’État moderne encourage ses troupes à s’investir
dans les commissions tripartites et à faire des propositions
constructives d’amélioration de la gestion. Conséquence de cette
coopération syndicale, la composition du comité supérieur est
modifiée le 20 mars 1933 par l’adjonction de quatre représentants du
personnel. Malgré ces efforts, les commissions tripartites mettent
beaucoup de temps à se former, de mars à juillet 1933, à se réunir, à
faire remonter des propositions de réorganisation et à statuer sur les
indemnités 47 … Pendant le printemps et l’été 1933, le comité
d’économies désormais présidé par Labeyrie, en étroite collaboration
avec la direction du Budget, fait les lettres de rappel, donne des
instructions, étudie les premières propositions et les transmet au
président du Conseil qui décide un certain nombre de mesures
d’économies ; ces décisions sont transmises aux ministères «
dépensiers », via les contrôleurs des dépenses engagées, qui doivent
prendre les décrets correspondants et les soumettre au contreseing.
La loi du 23 décembre 1933 proroge les pouvoirs du comité Bloch sur
les indemnités, car les travaux du comité n’ont toujours pas abouti.
Les ministères font traîner les choses jusqu’en mars 1934, au grand
mécontentement de la direction du Budget qui réclame aux
ministères dépensiers depuis septembre 1933 les décrets
d’application, accompagnés du visa des contrôleurs des dépenses
engagées 48 . En avril 1934 49 , à la faveur des décrets-lois
Doumergue, la DB décide d’appliquer les nouveaux taux
d’indemnités déterminés par le comité supérieur d’économies en
pratiquant un abattement de 20 % aux administrations d’État comme
aux offices. La coercition se fait par le truchement des contrôleurs
des dépenses engagées qui se voient intimer l’ordre de ne plus viser
les anciens taux ! À partir des décrets-lois Doumergue, Labeyrie,
président du Comité supérieur d’économies, entre dans une
opposition ouverte à la politique d’économies, qu’il qualifie d’« anti-
fonctionnaires ». Sa démission au printemps 1934 semble mettre fin
à l’expérience du Comité supérieur d’économies et des commissions
tripartites, rare exemple transversal et interministériel dans l’entre-
deux-guerres d’une réforme administrative « par le bas » associant
les fonctionnaires à la gestion des services et à leur réorganisation !
C’est une occasion manquée pour le syndicalisme gestionnaire et
réformiste de G. Mer dont la théorie sur la réforme administrative
est désormais concurrencée par celle de J. Patouillet, membre
directeur également de L’État moderne, favorable à une réforme
administrative par le haut, verticale, autoritaire et menée de
l’extérieur.
Suite à la crise de février 1934, la réforme de l’État est mise à
l’agenda politique, mais l’heure n’est plus à la collégialité ni à la
concertation avec les services et les syndicats. Une ère plus
technocratique et verticale s’ouvre, substituant aux lentes
remontées du comité d’économies l’abrupte procédure descendante
des décrets-lois. La direction du Budget d’Haguenin est désormais en
première ligne, sans intermédiaire ni écran maintenant que le
comité supérieur d’économies a suspendu ses travaux, seule sur le
front de la déflation administrative et budgétaire 50 … Les décrets-
lois du 4 avril 1934 et du 14 avril 1934 réalisent un grand plan de
réforme administrative par une réduction autoritaire et forfaitaire
de 10 % des effectifs des agents de l’État et des dotations
correspondantes 51 , par l’instauration et la hausse des prélèvements
sur salaires et par la suppression d’un certain nombre de services (à
réaliser avant le 30 mai 1934) ; 750 millions d’économies en sont
attendus 52 . Les décrets qui s’échelonnent du 4 avril jusqu’au 8
juillet 1934 traitent des prélèvements sur traitements 53 , de la
réduction des crédits de matériel, de la réduction des pensions, de la
mise en retraite anticipée des agents de l’État en surnombre, de la
cessation de fonctions des fonctionnaires admis à faire valoir leurs
droits à la retraite, du dégagement des cadres des armées, de la
réglementation des pensions et des retraites, de la suppression des
pensions abusives, de l’interdiction des cumuls de rémunérations
publiques (pensions, salaires, allocations), de la réduction des
subventions et des dépenses d’assistance, de la réorganisation des
marchés publics, de la fusion d’organismes ou d’Offices, des retenues
sur pensions et retraites, de la réglementation des soldes et
émoluments des agents de l’État, du licenciement des agents, de la
suspension de l’avancement, etc. 54 Toute la panoplie des outils
budgétaires possibles et imaginables en matière d’économies est
mobilisée. On retiendra l’utilisation – promise à un grand avenir bien
qu’immédiatement contestée 55 – de l’abattement forfaitaire, outil
systématique et global, qui tout en manifestant la détermination du
Gouvernement trahit aussi la difficulté qu’ont les responsables de la
direction du Budget à établir et à imposer des mesures plus fines,
plus sélectives, par catégories de fonctionnaires, par services ou par
ministère 56 .
Cette brutale politique de déflation administrative, prolongée par
décrets jusqu’au 31 décembre 1934, trouve son origine dans la prise
de conscience que le modèle concertatif, fondé sur la croyance en la
bénévolence des services et des Comités consultatifs d’économies, ne
fonctionne pas : aucune administration n’accepte de son plein gré de
se réformer d’elle-même, encore moins de s’amputer. Il faut un choc
venant d’en haut ou d’ailleurs, un dispositif décisionnaire
autoritaire, hiérarchique et coercitif. En 1934, il se produit donc un
renversement des perspectives et un retournement du couple
réforme administrative-économies : les économies budgétaires ne
sont plus l’objectif et le fruit recherché, proche ou lointain, de la
réforme administrative comme dans les années 1920, mais elles sont
le moyen coercitif pour réaliser la réforme administrative. Parlant de
« l’œuvre de réforme » et de la réduction du nombre des
fonctionnaires, les auteurs du rapport au président de la République
du décret-loi du 4 avril 1934 expliquent 57 : « Nous avons jugé qu’il
n’existait qu’un seul procédé : la réduction du nombre de
fonctionnaires, contraignant les administrations à modifier elles-
mêmes leurs méthodes ». Plus loin : « nous vous demandons de faire
la réforme administrative, non plus comme un moyen de supprimer
des emplois, mais comme le résultat – inéluctable – de suppressions
d’emplois. […] Ce n’est que par une réduction imposée du nombre de
fonctionnaires que les administrations se trouveront contraintes de
faire en quelque sorte un examen de conscience, de rechercher les
aménagements d’effectifs indispensables, de simplifier les méthodes
de travail, d’utiliser plus complètement l’activité de chacun ».
La circulaire de la DB du 7 avril 1934 insiste : c’est « la réduction des
effectifs qui doit obliger les administrations à simplifier leur
organisation et leurs méthodes de travail, rechercher tous
aménagements et fusions des services possibles, réaliser en un mot,
la réforme administrative 58 ». Les économies budgétaires sont
devenues des instruments tactiques pour faire bouger la machinerie
administrative : en organisant sciemment et de façon délibérée le
rationnement et la pénurie en personnels, le Gouvernement espère
contraindre l’État à se réorganiser ! L’articulation entre économies
budgétaires et réforme administrative ne se fait plus sur un mode
empirique, mais selon un dispositif rationalisé, systématique et
hiérarchisé, au sein duquel les économies budgétaires deviennent les
outils de la réforme administrative : il faut faire des économies pour
réaliser la réforme administrative.
Ce plan rationalisé de réforme administrative est prolongé en juin
1935 par une nouvelle mobilisation des contrôleurs des dépenses
engagées chargés de « faire connaître les abus qu’ils auraient pu
relever dans l’exercice de leurs fonctions 59 », puis par un nouveau
train de décrets-lois et par une inflation exponentielle de comités
d’économies et de commissions d’enquêtes. De fait, la crise
budgétaire s’aggravant, les décrets Doumergue-Germain-Martin sont
suivis par les décrets-lois Laval-Régnier de l’été et de l’automne 1935
60
; échelonnés entre le 2 juillet et le 31 octobre 1935 61 , ces
derniers ne font qu’amplifier tous les dispositifs inventés depuis
1932 : à toutes les mesures de 1934, s’ajoute notamment le
prélèvement bien connu de 10 % sur les traitements, sans
abattement ni exonération sur les petits salaires 62 .
Le dispositif de compression budgétaire s’accompagne d’une série de
comités d’enquête et d’économies en tout genre : la commission de
recherche et de suppression des cumuls 63 ; le comité supérieur
d’examen des méthodes et des résultats de la gestion de l’Armée de
l’air, marine et terre 64 ; le comité supérieur de l’administration
communale et départementale, appuyé sur des missions de contrôle
départementales 65 ; les « comités chargés de rechercher et de
proposer toutes mesures tendant à la suppression ou à réduction des
dépenses publiques institués dans chaque ministère et coordonnés
par la Présidence du Conseil » sous l’impulsion de Raoul Dautry 66 ;
la commission supérieure de révision des pensions 67 , auxquels il
faut ajouter les comités ministériels de contrôle financier institués
par le décret du 30 octobre 1935 portant réforme de la comptabilité
et du contrôle financier (article 8 à 18). Tous ces comités sont
composés par les membres des trois grands corps, le Conseil d’État,
la Cour des comptes et l’Inspection des finances qui se répartissent
de façon alternée ou paritaire leur présidence, avec une
participation plus ponctuelle du contrôle général des Armées et de la
Marine ; en revanche, les membres des corps techniques de l’État, les
ingénieurs ou les intervenants extérieurs ne font encore qu’une
apparition symbolique, concentrée dans les comités de
réorganisation Dautry. Compte tenu de leur nombre et de leurs
chevauchements, on peut s’interroger sur la manière dont ces
comités ont pu fonctionner 68 et, de fait, la question de leur
coordination n’a pas échappé au cabinet du président du Conseil 69 .
En dehors du prélèvement forfaitaire sur les traitements, quel est le
bilan budgétaire des mesures de réorganisation et d’économies
égrenées tout au long de l’année 1935 70 ? Le Gouvernement
pouvait-il espérer toucher immédiatement les fruits de ses efforts ?
Quelques mois plus tard, le Front populaire à son arrivée au pouvoir
met fin à la politique de déflation administrative des gouvernements
Doumergue-Laval et rapporte une partie de leurs décisions en
matière de rémunérations, notamment celles concernant les
fonctionnaires et les pensionnés les plus modestes.
Il faut attendre le gouvernement Daladier et la pression croissante
que le réarmement fait peser sur le budget français pour que la
réforme administrative revienne sur le devant de la scène : en
novembre 1938, suite à la loi du 5 octobre 1938, est institué auprès de
Paul Reynaud, ministre des Finances, un nouveau comité de réforme
administrative (CRA 71 ), surnommé familièrement comité de la
Hache. Le ministre, tentant de tirer les leçons des comités de la
période 1932-1935, énonce des principes nouveaux : le comité, s’il
n’est pas doté de la permanence, est installé pour une durée d’au
moins trois ans et se voit assuré d’une certaine continuité. Soumis à
un calendrier contraignant pour la restitution de ses travaux, il est
également autorisé à transformer ses propositions en décisions au
cours de l’année 1939 et en propositions de loi à partir du 1er janvier
1940 ; une attention particulière sera accordée aux « suites »
données à ses décisions. Refusant tout comme le comité Marin de
travailler pour le court terme, il ambitionne de réfléchir en
profondeur à la réforme des administrations, sur le mode de
l’aggiornamento : il s’agit d’« adapter les rouages administratifs », de «
rechercher quelle est la mission de l’administration française » et de
déterminer « les meilleures méthodes pour qu’elle puisse la remplir
72
». Le champ d’étude du CRA est d’une amplitude inégalée :
organisation et fonctionnement des administrations centrales et des
services extérieurs ; organisation et fonctionnement des services
concessionnaires et des sociétés d’économie mixte ; situation
financière des collectivités locales ; organisation et fonctionnement
des services d’armement militaire, y compris les sociétés privées
travaillant pour la défense nationale. De façon significative, dans
l’exposé des motifs, le terme « économies » n’est pas prononcé ; du
point de vue des méthodes, Reynaud affiche haut et fort le refus des
commissions ministérielles de premier degré et réfute «
l’abattement forfaitaire » sur les crédits, du fait même de sa rusticité :
« nous repoussons la solution commode qui consisterait à réduire
tous les crédits de façon automatique ; ses inconvénients résultent
de sa simplicité même. Les services les plus utiles et les mieux gérés
sont pénalisés dans les mêmes proportions que les administrations
trop dépensières 73 ». En revanche, à la fin de l’exposé des motifs et
dans l’article 6 du décret, on apprend qu’un gel des recrutements a
été décidé pour trois ans et que le CRA devra en proposer un
programme « personnalisé », ministère par ministère… Le
rationnement budgétaire se fait certes plus sélectif et discret, il n’en
est pas moins là.
La composition du CRA mérite l’attention, car elle diffère de celle des
Comités d’économies antérieurs, qui répartissaient par des dosages
savants et paritaires les appartenances aux grands corps de l’État et
aux corps de contrôle : les membres du quinqumvirat sont l’ancien
vice-président du Conseil d’État, Georges Pichat 74 , l’ancien
directeur du Budget et sous-gouverneur au Crédit foncier, René
Villard 75 , le conseiller maître Pierre Brin, le directeur général des
Douanes Louis Hyon 76 et Théodore Rosset directeur de
l’Enseignement supérieur 77 . Avec Pichat et Villard, le CRA introduit
une nouvelle figure de réformateur, le haut fonctionnaire
d’expérience, indépendant, disposant du recul nécessaire : le « sage
». Le CRA innove également par la nomination de chefs de service
opérationnels des ministères techniques (Rosset et Hyon). En
revanche, la présence pivot de la Cour des comptes est assurée par
Brin, tandis que le secrétariat est réparti entre les mains du Conseil
d’État (Jean Toutée 78 ) et de l’Inspection des finances (Adéodat
Boissard 79 ). Le directeur du Budget n’est plus membre du comité,
mais le secrétariat du CRA est rattaché au secrétariat général du
ministère des Finances dont le responsable n’est autre qu’Yves
Bouthillier, ancien directeur du Budget en 1935, rappelé rue de
Rivoli de la direction des Finances de la Ville de Paris, où le Front
populaire l’avait relégué, par Paul Reynaud.
Le CRA tente de mettre en place de nouvelles méthodes de travail ; il
utilise une armée d’enquêteurs rapporteurs mis à sa disposition à
plein-temps 80 , capables de « lui consacrer le meilleur de leurs
activités », nommés conjointement par lettre de mission du
président du Conseil et du ministre des Finances, détachés ou placés
en position hors-cadre ; ces derniers sont organisés en « missions »,
par ministère, sous la responsabilité d’un chef de mission 81 , selon le
modèle croisé inauguré par le comité Bloch II (un enquêteur ne peut
enquêter dans son ministère d’origine). Pour la première fois et de
façon massive, le CRA fait appel aux ingénieurs des corps techniques
de l’État qui font leurs premières armes dans la réforme
administrative sous la houlette des inspecteurs des Finances et des
conseillers maîtres, il a également recours à des experts externes à
l’administration comme à un ou deux professeurs de droit 82 .
Quelques « missions » thématiques spécialisées sur des questions
transversales sont organisées en parallèle : « Fonctionnaires 83 », «
Offices, concessions, économie mixte », « Région parisienne ».
Obligation est faite aux rapporteurs de rendre leur rapport dans un
calendrier donné, quinze jours ou un mois maximum après la lettre
de mission. Parallèlement, le secrétariat général du CRA s’appuie sur
les directions transversales de la rue de Rivoli (direction du Budget,
Contrôle financier, Mouvement général des fonds) pour établir son
plan d’enquête, pour identifier les secteurs d’intervention potentiels
et pour recouper les informations 84 . Le souhait d’un minimum de
concertation avec les syndicats, ou à tout le moins d’information,
semble avoir été émis 85 .
Les résultats ne se font pas attendre, mais contre toutes les
déclarations vertueuses affichées par Paul Reynaud, ce sont
essentiellement les économies qui sont au rendez-vous de la réforme
administrative. Un premier train d’économies est intégré dès le vote
du Budget 1939, puis un plan d’économies est annoncé par Paul
Reynaud devant le CRA le 25 janvier 1939. Enfin, en exécution de la
loi du 13 mars 1939, sur la proposition du CRA, le Gouvernement
publie un « train » de 40 décrets-lois en vue de faire face aux
nécessités de la défense nationale, qui s’échelonnent du 20 mars au
21 avril 1939 86 : 11 décrets sur la défense nationale, 4 sur la fraude
fiscale, 4 sur la taxe d’armement et les dégrèvements fiscaux, 12 sur
l’allégement des charges de l’État, 5 sur le régime de travail et
d’embauche, 4 pour des mesures diverses. En définitive, peu
nombreux sont les décrets que l’on peut explicitement rattacher à la
réforme administrative ou à la rénovation de la gestion de l’État :
l’accélération des payements de l’État, les annulations de crédits sur
le budget des Travaux publics, la rationalisation comptable et
budgétaire, la participation financière de l’État à l’amortissement de
la dette publique, la réorganisation de la Caisse nationale de crédit
aux départements et aux communes, la réforme du régime
administratif de la Ville de Paris et du département de la Seine,
l’équilibre financier des régies départementales… Outre ces décrets
de rationalisation administrative, les autres portent sur des
réductions d’effectifs et des suppressions d’emplois, et prévoient
même des licenciements (« résorption des personnels en surnombre
», réduction des auxiliaires de la SNCF, simplifications
administratives dans les offices, suppression d’emplois dans les
tribunaux) ; les agents licenciés se voient offrir un reclassement, un
pécule de départ ou une mise en disposition temporaire.
Selon Bonnefous, ministre de la Réforme administrative après-
guerre et auteur d’un ouvrage de synthèse sur le sujet 87 , ces décrets
ne présenteraient pas de cohérence d’ensemble. Ils constitueraient
en définitive un mauvais plan d’économies budgétaires, fondé
comme les précédents sur des suppressions d’emploi, mais dépourvu
du systématisme et de l’exhaustivité dont aurait fait preuve le plan
Doumergue de 1934. Le travail du CRA n’aurait pas eu le temps de
porter ses fruits et aurait dégénéré en mesures disparates
d’économies, à l’exception de la réforme de la préfecture de Paris et
de la Seine. De fait, en raison de la préparation de la guerre, le CRA
voit ses travaux prévus à l’origine pour trois ans tourner court, les
priorités sont désormais ailleurs. Paul Reynaud lui-même, cinq mois
après le démarrage des travaux du CRA, dans son discours du 21 avril
1939, exprime sa désillusion et indique que, seul, le rétablissement
des 45 heures par semaine permettrait de diminuer véritablement
les effectifs des services publics. Chose acquise avec le décret-loi du
21 avril 1939…
Pour conclure sur l’entre-deux-guerres, il faut noter le véritable
crescendo qui marque la politique budgétaire entre 1920 et 1938,
avec des économies de moins en moins virtuelles, de moins en moins
« comptables », de plus en plus imaginatives et de plus en plus
réelles. Mettant en cause la croissance du nombre des fonctionnaires
depuis 1914 (le décret-loi de 1934 allègue une augmentation de 30 %
des emplois publics), cette politique se focalise presque
exclusivement sur la question des effectifs des fonctionnaires et de
leurs rémunérations, et ignore encore les subventions économiques,
qui quelques années plus tard seront au cœur de la politique
d’économies de la IVe République. Elle cristallise, dans un même
dispositif politique budgétaire, politique des emplois publics et
réforme administrative, triangulaire à laquelle Paul Reynaud autant
que Louis Marin ont tenté d’échapper – sans succès – et que la IVe
République aura les pires difficultés à dénouer.
L’administration active, épaulée par l’administration consultative des
comités d’économies, construit dans la période un véritable arsenal
d’outils de gestion budgétaire et met en place une politique de
gestion des ressources humaines « à l’envers », fondée sur la
compression des effectifs, des dépenses de personnels et de leurs
rémunérations et sur « l’abattement forfaitaire » : réduction des
auxiliaires et des personnels en surnombre, gel des recrutements,
suspension ou retard à l’avancement, prélèvements forfaitaires ou
progressifs sur les traitements et les pensions, suppression ou
réduction des indemnités, limitation des cumuls de rémunérations,
chasse aux indemnités et aux pensions abusives, lutte contre
l’absentéisme, augmentation du temps de travail hebdomadaire,
mises à la retraite d’office, mises en retraite anticipée,
reclassements, licenciements (avec pécule ou non), réorganisations
de services, abattement forfaitaire sur les crédits de personnel et sur
les crédits de matériel… Ces outils en partie aveugles, mais simples
d’application et globaux, manifestent l’inventivité budgétaire de la
direction du Budget et sa croissante capacité de coercition sur les
ministères « dépensiers » : usage du contreseing, action directe sur
les services payeurs, visa obligatoire du contrôle des dépenses
engagées, rôle des contrôleurs financiers et des comités ministériels
de contrôle financier, enquêtes sur pièces et sur place, décrets-lois,
etc. Par leur brutalité, ils traduisent la détermination du
Gouvernement dans la conduite de la déflation administrative et
dévoilent sa croyance en la vertu et l’efficacité des économies pour
régler le déficit budgétaire. En face, les services déploient tous leurs
stratagèmes de dissimulation, d’opacification et de résistance en
multipliant « fausses » économies, procédés comptables, refus et
retards de réponse, demandes de dérogation 88 , interventions
parlementaires, pressions et menaces, grèves, avec un succès de
moins en moins assuré dans le temps. L’abattement forfaitaire sur
les crédits de fonctionnement, contesté dès l’origine, devient dans
les années 1930 un outil de gestion basique et banalisé de la politique
d’économies à la direction du Budget. En revanche, les prélèvements
sur traitement, la baisse nominale des rémunérations et les mises à
la retraite d’office qui ont constitué entre 1933 et 1935 un véritable
choc administratif, social et politique, ne seront pas réitérés dans
l’après-guerre, à l’exception des dispositifs militaires de dégagement
des cadres ; les hommes politiques et les fonctionnaires ont la
mémoire longue ! Dans la mémoire collective, Laval et Bouthillier
portent l’opprobre de cette politique de déflation budgétaire,
opprobre décuplé par les responsabilités qu’ils ont par la suite
assurées à la tête de l’État Français ; Reynaud a pris des mesures tout
aussi impopulaires, mais il bénéficie des circonstances atténuantes
de la préparation de la guerre et du réarmement et touche les
dividendes politiques de son attitude de retrait pendant « les années
noires ».
Quelles traces ont laissées dans la structure des dépenses publiques
ces successifs plans d’économies 89 ? Les travaux de C. André et R.
Delorme ont montré pour les années 1920 la très forte croissance des
dépenses civiles après 1918, le retournement de tendance à partir du
début des années 1920 – que le cartel des gauches n’inverse pas – et
la décrue des dépenses civiles et étatiques qui touche son point le
plus bas avec la stabilisation Poincaré. Pour la séquence suivante,
après la reprise des dépenses publiques (plan d’outillage et dépenses
sociales du gouvernement Tardieu), leurs travaux mettent en
lumière le nouveau coup d’arrêt mis à la croissance des dépenses
civiles à partir de 1933 puis leur chute, tendance que le Front
populaire à son tour n’inverse pas, et qui trouve son point culminant
en 1938 avec l’expérience Reynaud. Il est difficile d’établir un lien de
cause à effet direct entre l’existence des comités d’économies et de
réforme administrative et la courbe des dépenses civiles et étatiques,
mais on ne peut manquer de remarquer la coïncidence des dates et la
superposition des séquences ; les comités d’économies n’ont certes
pas à eux tout seuls causé la décrue de la dépense publique, mais ils y
ont contribué par la stabilisation ou la diminution des effectifs de
fonctionnaires et ont en tout cas accompagné administrativement,
politiquement et symboliquement les politiques budgétaires de
compression menées par les gouvernements des années 1920 et 1930.
Les réformateurs de l’administration de l’après 1945, qu’il s’agisse de
Bonnefous, de Closon à la tête de l’INSEE, de Gabriel Ardant,
secrétaire général du CCECRSP en 1946 ou de Goetze directeur du
Budget de 1949 à 1956, se sont montrés sévères sur le bilan des
comités d’économies et de réforme administrative de l’entre-deux-
guerres, mais leur jugement, influencé par les échecs de l’après 1945,
n’est pas exempt de parti pris et vise surtout à mettre en valeur les
nouvelles orientations qu’a prises la réforme administrative dans
l’après-guerre sous leur direction.
Dans l’entre-deux-guerres, à gauche comme à droite, les hommes
politiques et les parlementaires (Brousse, Marin, Blum, Caillaux), les
« technocrates » (Haguenin, Bouthillier, Bloch, Labeyrie, Dautry,
Boissard, Pichat, Brin, Sauvy, etc.), les ministres des Finances et les
présidents du Conseil, de Poincaré à Reynaud en passant par
Lasteyrie, Germain-Martin, Bonnet, Chéron, Paul-Boncour, Laval,
Doumergue, Régnier et même Herriot, Péret et Blum ont prêté peu
ou prou la main à la politique d’économies et à ses comités de
réforme administrative ; l’enjeu politique reste considérable, et sur
la seule annonce d’un plan d’économies, un gouvernement peut
tomber. L’opposition, et notamment les syndicats de fonctionnaires,
accorde elle-même du crédit à cette politique d’économies, puisqu’ils
la combattent durement et se mobilisent contre elle par des
campagnes de presse et de « résistance » administrative, par des
arrêts de travail et des menaces de grève. Seuls, la presse et les
milieux d’affaire ou patronaux semblent n’avoir jamais perdu leur
sceptique ironie…
Le déploiement du système des comités d’économie et de réforme
administrative, véritable poussée d’administration consultative dans
le domaine des finances publiques, est dans la période une réalité
profondément ambivalente et évolutive. Cette « polysynodie »
suscitée au début des années 1920 en grande partie par les
commissions des finances du Parlement vient épauler dans la
première séquence une administration active encore trop peu
outillée ou trop faible en ressources humaines pour élaborer elle-
même ses propres programmes d’économies et de réforme
administrative (commission Hébrard de Villeneuve, comité Bloch I,
comité Marin) ; les comités d’économies fonctionnent ici comme des
organes ad hoc ou comme des petites administrations de missions
temporaires et consultatives. Au tout début des années 1930, alors
que le régime politico-administratif de la IIIe République ne dispose
pas, en dehors du Parlement, d’organe officiel de concertation
réunissant administrateurs, Gouvernement, syndicats de
fonctionnaires et usagers 90 , la multiplication des comités manifeste
une recherche de la collégialité et de la concertation dans la
préparation des décisions de réforme. Cette inspiration marque
néanmoins très vite le pas devant un modèle plus autoritaire, plus
hiérarchique et plus technocratique, incarné par la direction du
Budget en 1934-1935, bien en phase avec la procédure des décrets-
lois, dans lequel les comités se contentent de tenir un rôle de
figuration symbolique, au mieux d’accompagnement technique,
voire d’alibi. À la fin des années 1930, la « polysynodie » fait office de
coordination interministérielle pour un État qui en est encore en
grande partie dépourvu et que se disputent un ministère des
Finances très organisé (la DB) et une présidence du Conseil encore
mal outillée pour parvenir à imposer son point de vue. Enfin, sur
l’ensemble de la période, alors que le Parlement et le Gouvernement
se sentent démunis face à la croissance et à l’épaississement de
l’État, les comités d’économies et d’enquête administrative
apparaissent comme l’un des moyens pour tenter de faire reculer
l’opacité de l’administration et pour produire des connaissances sur
l’état réel des services et des personnels qui la peuplent. On
comprend dès lors que la direction du Budget s’y soit investie à
partir de 1932 : c’est une façon pour elle de collecter des
informations supplémentaires, moins intermédiées, et d’établir une
connaissance rapprochée et plus directe des services, grâce aux
enquêteurs et aux contrôleurs sur place…
Au sein de ce dispositif polysynodal qui laisse émerger une
communauté étroite d’experts d’État en finances publiques et en
administration, il faut noter le poids croissant de la Cour des
comptes. Représentée tout d’abord à titre personnel par un seul de
ses magistrats (le procureur général Bloch), la Cour des comptes
connaît dans les années 1930 une implication collective croissante
dans les travaux d’économies budgétaires et de réforme
administrative, grâce à l’attribution « de droit » de très nombreux
postes d’enquêteurs, de rapporteurs, de contrôleurs, de secrétaires
et de présidents de comités. Ces collaborations sont à rapprocher de
la participation active des magistrats de la Cour aux comités de
contrôle financier, créés en 1935, chargés de contrôler la gestion a
posteriori des ministères et coiffés en 1936 par un Comité supérieur
de contrôle financier logé précisément rue Cambon. À travers ces
diverses activités de commissions d’économies et de contrôle, la
Cour des comptes se voit associée directement à la gestion des
ministères, ce qui constitue une véritable innovation par rapport à
son rôle strictement juridictionnel, comptable et traditionnellement
tourné vers le passé. Aux côtés de la Cour des comptes, sont
progressivement mobilisés les représentants des autres corps de
contrôle, notamment l’Inspection des finances, qui connaît elle aussi
un mouvement accru de « sortie » de ses attributions traditionnelles
de vérification des services financiers, investissant les postes de
contrôleurs des dépenses engagées puis de contrôleurs financiers,
ainsi que les commissions d’enquête et de réforme au sein des «
ministères dépensiers ». C’est bien la montée du ministère des
Finances, et plus exactement celle du Budget, qui frappe, illustrant
en creux la faiblesse persistante de la présidence du Conseil, trop
fragile à l’époque pour conduire une politique autonome de réforme
administrative sans le secours des services de la rue de Rivoli. À
partir des années 1930, la direction du Budget, forte des acquis de la
stabilisation Poincaré, emmenée par une série de directeurs
inspecteurs des Finances inventifs et expansionnistes (Denoix, puis
Haguenin 91 et Bouthillier), se fait le bras armé de la politique de
déflation administrative et budgétaire du Gouvernement ; avec ou
sans le parapluie protecteur des comités d’économies, elle assure
grâce au concours des contrôleurs des dépenses engagées et des
contrôleurs financiers la mise en œuvre des dispositifs de
compression budgétaire, ce qui lui vaut une sévère diminutio capitis
lors de l’avènement du Front populaire en 1936. Mais c’est bien dans
cette période qu’elle construit et consolide face au Conseil d’État et à
la Cour des comptes une expertise inégalée en termes de gestion des
personnels civils et militaires et des pensionnés de l’État (PCM),
expertise que les réformes de la Libération en matière de fonction
publique ne parviendront pas à ébranler véritablement…
Sous le régime de Vichy, sauf à considérer le comité budgétaire
comme tel, la réforme administrative n’a pas spécifiquement recours
aux comités d’économies et explore des voies alternatives :
interdiction des syndicats de fonctionnaires, élaboration d’un statut
pour les fonctionnaires de 1941, refonte du système budgétaire,
réorganisation du ministère des Finances et de la Cour des comptes,
mise sur pied de toutes pièces d’une administration économique,
réforme régionale, etc. Elle prend même de facto le contre-pied de
l’ancienne politique d’économies budgétaires, en recrutant de
nombreux auxiliaires et contractuels pour remplacer les agents
prisonniers et en procédant à la création de très nombreux services
pour répondre aux besoins générés par l’économie d’occupation et
par le régime autoritaire et policier de l’État français 92 .

III. Les commissions d’économies de la IVe


République, 1945-1950 : succès et
désillusions
Fin 1944, avec le retour à la paix et à la légalité républicaine, tout se
passe comme si le schéma de 1918-1920 recommençait : retours des
déficits budgétaires, plaintes sur les désordres comptables et
financiers, déploration de la croissance des effectifs des
fonctionnaires, désormais mieux mesurable grâce aux progrès
réalisés par la statistique des fonctionnaires mise en place sous
l’Occupation, prise de conscience de l’alourdissement et de la
complexification de l’appareil administratif français, inscription de
la réforme administrative à l’agenda politique ! La version budgétaire
de la réforme administrative, malgré les hésitations
gouvernementales sur la politique de rigueur monétaire, financière
et économique à mener (cf. la querelle Mendès-Pléven en 1944-1945),
renaît de ses cendres dès les premiers jours de l’année 1945, tandis
que dans l’effervescence réformatrice de la Libération surgissent de
nouveaux modèles de réforme administrative, portés par un nombre
croissant de pôles d’impulsion et de conception (présidence du
Conseil, ministère de l’Intérieur, Conseil d’État, Cour des comptes).
Les commissions des méthodes ouvrent le bal en 1945 93 , suivies de
la mission provisoire de la Réforme administrative qui, sous la
houlette de Michel Debré, se consacre à la réforme des cadres des
administrations centrales et à la formation des hauts fonctionnaires.
Leur succède une série d’organismes consultatifs et administratifs
nouveaux et spécialisés : le Comité de la réforme administrative (juin
1946), le Comité central d’enquête pour les coûts et rendements des
services publics (août 1946, CCECRSP), les comités techniques
paritaires de la fonction publique (octobre 1946), la direction de la
Fonction publique (octobre 1946), la commission interministérielle
chargée de l’étude des mesures de déconcentration (1947), la
commission de codification (1948), la commission Jacomet chargée
de préparer la réforme budgétaire laissée en suspens par la
Constitution de la IVe République… Toutefois, en dépit de leurs
vertueuses intentions, alors qu’ils affichent l’avènement d’une autre
réforme administrative, nombre de ces organismes se voient
rattrapés par la contrainte financière et retombent dans l’ornière
des économies budgétaires. C’est le cas des commissions de
méthodes de 1945, mais plus encore du CCECRSP de Gabriel Ardant
qui proteste à l’été 1946 tous ses grands dieux qu’il n’a pas vocation à
rechercher des économies budgétaires, mais qui, dès la fin 1946,
invoque pour justifier de son existence les économies qu’il va
contribuer à dégager !
La Cour des comptes, dont le rôle au sein du système de contrôle des
dépenses de l’État est rénové à la Libération, prend pied elle aussi
officiellement dans la politique de réforme administrative. Dès l’été
1945, Le Conte, qui a fonction de premier président de la Cour,
esquisse la définition d’un nouveau rôle pour la Cour, qui serait
chargée non plus seulement du jugement des comptes passés mais
aussi d’une responsabilité dans la gestion du présent et lors du « vote
des budgets nouveaux 94 ». Dans les Instructions données en 1945 et
1946 pour le nouveau rapport public et pour la vérification des
comptabilités administratives, la Cour s’attribue un rôle actif dans la
recherche des désordres et des abus dans la gestion publique,
notamment dans la politique des effectifs et des emplois publics 95 .
En 1946, par la constitutionnalisation de son rôle budgétaire (article
18), la Cour devient l’assistante technique du Parlement : «
l’Assemblée nationale pourra charger la Cour des comptes de toutes
les enquêtes et études se rapportant à l’exécution des recettes et des
dépenses publiques ou à la gestion de la trésorerie ». Par ailleurs, en
application de la loi du 8 février 1946, « le gouvernement provisoire
de la République et la commission des finances, celle-ci sur les
rapports de son rapporteur général ou de ses rapporteurs
particuliers qui pourront être assistés de magistrats de la Cour des
comptes, procéderont à une révision des crédits ouverts au titre du
budget de l’exercice 1946 à chacun des départements ministériels ».
La Cour, par instruction interne, confirme à ses magistrats qu’ils
devront « donner à la commission des finances les renseignements
lui permettant de réduire en connaissance de cause des crédits
exagérés » et en conséquence, adjoint 24 magistrats pour l’année
1946 au titre de conseillers techniques aux rapporteurs de la
commission des finances 96 .
La réforme administrative et les économies budgétaires reprennent
donc dès 1945 leur liaison fatale ! De fait, cette politique continue de
bénéficier d’un crédit important chez les responsables politiques des
finances publiques ainsi qu’au Parlement. Entre 1946 et 1950, des
ministres des Finances, des secrétaires d’État à la réforme
administrative et des présidents du Conseil d’appartenance
partisane aussi diverses que Pléven, de Gaulle, Gouin, Thorez, Philip,
Blum, Guyon, Schuman et Ramadier, Teitgen, Biondi 97 , Queuille,
Mayer, Bourgès-Maunoury, Reynaud, Bidault, Marie, Pineau, Poher,
Petsche ou Faure, endossent cette politique publique et célèbrent
avec constance le mariage de la réforme administrative et des
économies budgétaires, redécouvrant les vertus du vieux modèle du
comité d’économies de l’entre-deux-guerres. Mieux encore, tout se
passe comme si chaque nouveau Gouvernement entre 1945 et 1950 se
devait d’afficher politiquement son propre comité d’économies et de
réforme administrative.
La politique d’économies budgétaires se déploie donc après-guerre
en trois séquences bien identifiées, la première en 1945-1947 avec les
premiers plans de réduction des effectifs en référence à l’état
supposé des emplois publics de 1939, la deuxième en 1948-1949 dans
le cadre du plan d’assainissement financier de René Mayer, la
dernière avec la commission nationale d’économies en 1950 (CNE).
L’ordonnance du 6 janvier 1945, prise sous le gouvernement
provisoire du général de Gaulle, exige une révision générale des
créations d’emplois depuis le 16 juin 1940 (auxiliaires et titulaires),
dont le maintien ne serait pas justifié, dans les services publics, les
offices et les établissements de l’État. L’article 1er prévoit qu’une
commission de révision des emplois sera chargée dans chaque
ministère de présenter, sous la forme d’un double rapport au
président du Conseil et au ministre des Finances (Pléven), des
propositions de suppression d’emplois qui seront réalisées par
décret 98 . Chaque commission, présidée par le ministre ou son
représentant, se compose du rapporteur de la commission des
Finances de l’Assemblée nationale provisoire chargé du Budget
intéressé, du contrôleur des dépenses engagées ou du contrôleur
d’État, d’un ou deux membres d’un grand corps, des représentants
du ministre concerné, des représentants du personnel et d’un
représentant du secrétariat général du Gouvernement. Par rapport
au modèle des comités d’économies des années 1930 qui comptaient
exclusivement des hauts fonctionnaires techniciens, c’est le grand
retour du politique, caractérisé par la présidence accordée au chef
du département ministériel et par la participation des experts
parlementaires des finances publiques ; d’autre part, la prééminence
gouvernementale de la Présidence du Conseil est rendue manifeste,
dans la filiation des comités Dautry de 1934-1935, par la présence
d’un membre du Secrétariat général du gouvernement. Enfin, signe
des temps, douze ans après les commissions tripartites du néocartel
des gauches de 1933, les représentants des syndicats de
fonctionnaires réintègrent le processus consultatif, mais sous un
mode désormais « paritaire », et non plus tripartite, qui écarte les
usagers chers à L’État moderne. Dans sa circulaire, le Gouvernement
dit expressément qu’il renonce à la suppression arbitraire et
forfaitaire des emplois et qu’il a décidé de faire confiance aux
administrations pour leur propre réformation. On en revient donc au
vieux système de la commission ministérielle d’économies de
premier degré, confiée aux chefs de services eux-mêmes. Le
dispositif manifeste sans doute rapidement ses insuffisances,
puisque dès le début de l’année 1946, le Gouvernement remet
l’ouvrage sur le métier.
Les lois du 8 février et du 15 février 1946 ordonnent de procéder à de
nouvelles révisions des emplois et des crédits de personnels pour
l’ensemble des administrations publiques, y compris les entreprises
publiques, les compagnies subventionnées, les collectivités locales,
et d’établir un plan de suppressions de services et de licenciement de
fonctionnaires et de non-titulaires 99 . Des commissions
ministérielles de révision, élargies, sont créées à cet effet,
comprenant des administrateurs et des représentants du personnel
ou des collectivités locales. Une commission supérieure, rattachée à
la présidence du Conseil (Gouin/Thorez), est créée pour centraliser
les propositions des commissions de premier degré et coordonner le
tout, présidée par le président du Conseil, composée du ministre des
Finances, du président et du rapporteur général de la commission
des Finances de l’Assemblée nationale, du vice-président du Conseil
d’État, du procureur général de la Cour des comptes, du président du
CCECRSP et des représentants des fédérations de fonctionnaires.
Cette commission de la Hache, qui comporte les plus hauts
responsables des finances publiques tant au sein de l’exécutif que du
Parlement et qui respecte elle aussi le nouvel esprit « paritaire » du
temps, se veut un comité politique exécutif. À l’été 1946, une note de
la direction du Budget (PCM) du 27 juillet 1946 établit un bilan mitigé
du plan d’économies du 15 février 1946 : 40 000 emplois auraient été
supprimés, mais essentiellement des emplois vacants (sic) 100 … La loi
du 22 décembre 1946 (Blum président du Conseil, Philip ministre des
Finances) donne un nouveau tour de vis budgétaire et exige que les
réductions d’effectifs représentent au moins 10 % de l’effectif global
et 30 % de l’excédent par rapport aux services de 1938 101 , soit
environ 50 000 emplois sur l’effectif de 1947. Les résultats sont cette
fois-ci plus tangibles : un rapport début 1947, un décret du 16 avril
1947 qui édicte la suppression des 50 000 emplois et qui, face à la
résistance et l’inertie des ministères, fixe lui-même la répartition des
emplois à supprimer 102 . Ce plan de réduction touche,
conformément aux instructions gouvernementales, des auxiliaires,
des contractuels ou des fonctionnaires titularisés depuis 1940, mais
suscite à nouveau l’insatisfaction des responsables budgétaires 103 .
Une nouvelle loi, celle du 25 juin 1947, prise cette fois-ci par le
gouvernement Ramadier, porte à 30 milliards le montant des
économies exigées et institue un nouvel organisme pour préparer ce
nouveau plan : la commission de la Guillotine 104 , composée de
Ramadier, président du Conseil, Teitgen, vice-président du Conseil
chargé de la réforme administrative, Schuman, ministre des
Finances, Gouin, ministre d’État président du conseil du Plan, Delbos
et Roclore, ministres d’État. Les parlementaires ont disparu, laissant
la place à un directoire politique et exécutif de la réforme
administrative. Ce dispositif, pas plus que les précédents d’ailleurs,
n’implique que les hauts fonctionnaires aient disparu, au contraire ;
c’est la direction du Budget qui fait tout le travail d’instruction et
d’enquête, appuyée sur les contrôleurs des dépenses engagées, selon
une procédure de « peignage » des chapitres budgétaires désormais
routinisée. La commission, dont le secrétariat est rattaché au
secrétariat général du Gouvernement, statue après instruction sur
dossier, sur audition des ministres, selon le modèle des «
conférences budgétaires 105 ». C’est à la Cour des comptes qu’est
confiée la responsabilité de centraliser l’état d’avancement des
économies et d’en communiquer les résultats aux présidents des
commissions des finances des deux Assemblées, tandis que de son
côté le ministère des Finances met au point le plan d’économies.
N’ayant pas terminé ses travaux, la commission de la guillotine est
prorogée sous le gouvernement Schuman par la loi du 6 janvier 1948
106
, Mayer étant ministre des Finances et Biondi conservant la
réforme administrative et la fonction publique.
Selon Édouard Bonnefous, les résultats de ces trois initiatives
auraient été maigres, mais on sait combien le futur ministre de la
Réforme administrative est de parti pris sur toutes les expériences
qui l’ont précédé 107 . Selon lui, elles auraient créé « plus de peur que
de mal », car leurs propositions seraient restées en deçà des
impératifs de la loi et les décrets d’application en deçà des
propositions. Comme dans l’entre-deux-guerres, les administrations
auraient réussi, par une manipulation des crédits, par le jeu des
mises à la retraite, des vacances de postes et des mutations et
surtout par l’obtention des délais de grâce, à limiter les
conséquences des mesures prises. Sauf à la SNCF, concède
Bonnefous.
Manifestant la même détermination que Reynaud, ministre des
Finances dans le gouvernement Marie, en application de la loi du 17
août 1948 108 , le cabinet Schuman pousse les feux : Christian Pineau,
ministre des Finances, en accord avec Biondi, secrétaire d’État à la
réforme administrative, et Poher, secrétaire d’État au Budget,
entreprend par le décret du 6 septembre 1948 de « dégraisser » les
emplois de direction ; l’objectif est de revenir à l’état de 1939, avec
une marge d’augmentation de 10 % et une réduction des postes
d’encadrement de 20 % (directeurs, chefs de service, sous-directeurs,
directeurs adjoints). Cette fois-ci, c’est le CCECRSP qui est chargé de
l’étude préparatoire et qui vient prêter main-forte à la direction du
Budget. Le plan de suppression d’emplois est présenté le 23 janvier
1949 par le gouvernement Queuille 109 .
Parallèlement, le gouvernement tente une nouvelle méthode de
travail, avec un nouveau partenaire de réforme, le ministère de
l’Intérieur (Jules Moch, secondé par Raymond Marcellin) : par le
décret du 7 juin 1949, il institue les commissions départementales
d’économies. Ces commissions, consultatives, une par département,
sont présidées par le préfet, composées du TPG, du directeur des
Domaines, de deux conseillers généraux, du maire du chef-lieu du
département et de deux maires désignés par le préfet ; le secrétariat
est assuré par les services de la préfecture. Elles sont chargées de
rechercher et de proposer toutes les mesures d’économies
susceptibles de réduire le coût du fonctionnement des services
extérieurs des administrations civiles de l’État, des établissements
publics, des organismes de sécurité sociale ainsi que tous les
organismes chargés d’un service public. Elles doivent dresser la liste
des services existant dans le département en précisant leur
emplacement et leur importance, proposer les compressions
possibles d’effectifs et la suppression des services inutiles,
rechercher « les causes du rendement insuffisant du personnel et les
faits de toute nature dont peut résulter une utilisation défectueuse
du personnel, du matériel ou des locaux 110 ». Elles ont trois mois
pour rendre leur rapport au préfet, qui le transmet parallèlement au
ministre de l’Intérieur et au secrétaire d’État aux Finances (Edgar
Faure), c’est-à-dire à la direction du Budget. Il n’est prévu au départ
ni de commission centrale ni de remontée directe au président du
Conseil.
Sur chacun des rapports de compression d’effectifs ou de
réorganisation des services remontés par les commissions
départementales 111 , la direction du Budget fait un « rapport au
ministre » ou une « note de conclusions » dans laquelle elle évalue
les mesures proposées. Une note de synthèse de la direction du
Budget nous renseigne sur le bilan qu’elle tire de ces travaux
préfectoraux et départementaux, la conclusion est sans appel : les
commissions n’ont proposé aucune suppression d’emploi ou presque,
sauf rare exception ! C’est le même constat que pour les commissions
tripartites de 1933 : l’administration ne veut ni ne peut organiser sa
propre automutilation. Bien plus, la direction du Budget souligne
que les commissions départementales en ont profité pour demander
la transformation des postes d’auxiliaires en postes de titulaires et
un accroissement de leurs moyens matériels ! Si l’on se penche sur
un département ministériel comme celui du ministère des Finances
et des Affaires économiques, les fiches de synthèse de la direction du
Budget montrent que les commissions se sont montrées plus sévères
en termes de suppression d’emplois pour les services des Affaires
économiques que pour les services des Finances… Les premiers sont-
ils réellement en surnombre d’emplois ? Ces fiches reproduisent-
elles fidèlement le diagnostic porté par les commissions
départementales, au sein desquelles, rappelons-le, siège un
représentant du Trésor public peu enclin à la mansuétude pour les
services économiques de création récente et nécessairement sensible
aux intérêts de son propre service, ou s’agit-il de la présentation
qu’en fait la direction du Budget pour alimenter ses propres
argumentaires ? Quoi qu’il en soit, dans les différents rapports des
commissions départementales, on trouve de très nombreuses
suggestions de réforme ou de réorganisation des services
administratifs locaux, parfois contradictoires ; la variété et
l’hétérogénéité des mesures proposées trouble d’ailleurs le principe
de « cohérence d’ensemble » dont la direction du Budget se veut la
représentante et l’interprète.
Enfin, six mois plus tard, la commission nationale d’économie 112 est
créée par le gouvernement Bidault pour préparer le nouveau
programme d’économies prévu par la loi de finances du 31 janvier
1950 113 . L’objectif est ambitieux, à nouveau 75 milliards
d’économies en 1950-1951 (dont 20 milliards pour le premier
semestre). La commission est chargée de centraliser les conclusions
du CCECRSP et les résultats des travaux des commissions
départementales d’économies, dont les résultats sont communiqués
parallèlement aux commissions des finances du Parlement. À
l’origine, les offices étaient compris dans le champ d’étude de la
commission, dotés d’une enquête et d’un rapport spécial, mais lors
du décret de composition, les offices ont disparu du champ
d’intervention de la commission. La commission est présidée par
Edgar Faure, secrétaire d’État aux Finances, qui reprend
officiellement la main après plusieurs expérimentations pilotées par
la Présidence du Conseil et Biondi ; elle est composée de Barangé,
député et rapporteur de la commission des finances de l’Assemblée
nationale, de Berthouin, sénateur rapporteur général de la
commission des finances du Sénat, de Denais, député, de Gozard,
député, de Walker, sénateur, de Brin, premier président de la Cour
des comptes et président du CCECRSP, de Loriot, président de section
au Conseil d’État, de Pelletier, IGAME, de Goetze, directeur du
Budget, de Morin, préfet, de Lafond, membre du Conseil économique
et social et… de Paul Planus, ingénieur-conseil en organisation. Les
représentants des fédérations syndicales de fonctionnaires ont
disparu, laissant la place à une formule qui panache cinq
parlementaires (4 députés, 1 sénateur), cinq hauts fonctionnaires
(l’Intérieur est bien représenté), et, de façon minorée, les
représentants des « forces vives de la nation » (un membre du
Conseil économique et social). Le directeur du Budget, qui n’avait
plus figuré dans aucun Comité d’économies depuis 1933, siège aux
côtés de Planus, ingénieur-conseil en organisation privé, inaugurant
une collaboration prometteuse 114 . La commission, qui a deux mois
pour établir son plan, recrute une quarantaine d’enquêteurs (37),
piochés dans les différents corps de fonctionnaires. La procédure
repose néanmoins essentiellement sur la direction du Budget 115 ,
qui est assistée du CCECRSP, des corps de contrôle et de la Cour des
comptes, ainsi que des commissions départementales d’économies
coordonnées par Morin. La commission tient 70 séances de travail et
auditions.
Pour la première fois depuis le rapport Marin de 1923, un rapport
général est remis au ministre des Finances (65 p.), le 8 août 1950.
Selon Bonnefous, ce rapport « est un véritable catalogue des points
faibles de l’administration » et « aurait pu constituer un honorable
départ pour une révision totale des services » ; c’est en quelque sorte
le rapport que le CRA de Reynaud n’a jamais produit en 1939. Et
Bonnefous de conclure pour une fois admirativement : « Il suffit de
lire la liste des principales mesures proposées pour constater que la
commission constituée par M. Bidault et présidée par M. E. Faure
avait établi un plan de réforme dont l’ampleur rappelait l’expérience
de M. Poincaré ». La commission propose une dizaine d’axes de
travail qui dépassent largement la méthode de l’ajustement par les
effectifs : 1) le dégonflement des administrations centrales qui ont
procédé à une concentration excessive des tâches et qui ont appelé
de nombreux fonctionnaires des services extérieurs dans les services
centraux et ce, en violation des impératifs budgétaires, et
notamment de la suppression des postes vacants ; 2) la suppression
des échelons régionaux inutiles qui s’interposent entre les
ministères et les services locaux ; 3) une définition claire des tâches
et des attributions des services préfectoraux et des services locaux
des ministères pour mettre fin aux doubles emplois et renforcer
l’autorité des préfets ; 4) l’allégement des contrôles, des contraintes
et des personnels correspondants, au fur et à mesure que l’État
renoncera aux tâches exceptionnelles nées des circonstances ; 5) à la
suite de l’inflation des titres administratifs, la remise en ordre des
appellations et des traitements correspondants ; 6) le contrôle de la
présence et des horaires de travail pour mettre fin à l’absentéisme ;
7) la réduction des frais de mission à l’étranger et des rémunérations
de cabinet ; 8) la compression, la réorganisation et la centralisation
des services sociaux et automobiles ; 9) la réforme du régime des
marchés de l’État par la rationalisation des commandes, la publicité,
le renforcement des vérifications et contrôles, l’amélioration du
financement des paiements ; 10) la réduction des honoraires
d’architecte ; 11) la poursuite d’une politique de constructions
administratives ; 12) la meilleure présentation budgétaire des
dépenses d’équipement 116 ; 13) la suppression des subventions
économiques. Faisant application de ces principes, la commission
propose dans son rapport des mesures et des estimations chiffrées
pour ses propositions de réorganisation ou de suppression et fait
apparaître des réductions importantes au sein des chapitres de
subventions économiques.
On voit que la suppression d’emplois n’est plus l’unique mesure
d’économies et que l’inspiration se trouve davantage du côté du
comité Marin de 1922 ou du CRA de Reynaud que des commissions
d’économies de 1945-1948 ; la commission a tenté d’intégrer les
recommandations de la Cour des comptes, du CCECRSP et des
commissions départementales d’économies et se propose d’engager
un véritable programme de réforme de l’organisation administrative
et de ses procédures. Dès l’introduction (p. 13), les auteurs prennent
le temps d’expliquer que les abattements forfaitaires et les
suppressions d’emplois ne sont pas efficaces et peuvent même être
dangereux : ils créent des « situations douloureuses » et « risquent
de paralyser certaines activités utiles à la vie de l’État » et, parfois,
ils peuvent « se révéler coûteux ». Pour la première fois depuis 1945,
les responsables de la gestion de l’État, directeur du Budget inclus,
réfutent les outils de la politique d’économies et se démarquent de la
version budgétaire de la réforme administrative.
La commission nationale d’économies marque ainsi paradoxalement
la fin de la politique publique de réforme de l’administration par les
économies budgétaires initiée en 1919, ouvrant la voie à d’autres
versions plus qualitatives de la réforme administrative, telles que
l’introduction de l’organisation scientifique du travail ou la politique
de productivité dans les services publics. La CNE marque également
le retournement qualitatif de la direction du Budget qui, souhaitant
devenir un acteur majeur de la réforme administrative, veut
désormais expérimenter d’autres outils que la compression des coûts
et le rationnement budgétaire. À cet égard, le rapport insiste bien
sur la nécessité d’introduire dans l’administration un organe
permanent chargé de suivre les questions d’organisation des
services, de réformes et d’économies tout en précisant bien que cela
doit se faire en lien avec le ministère du Budget. Outre ces principes
généraux, la commission propose une série de mesures structurelles
de réforme pour certains ministères sectoriels : le transfert aux
services préfectoraux des tâches des services extérieurs de
l’Agriculture et de la Santé, la suppression des ingénieurs en chef
adjoints au ministère des Travaux publics, la réorganisation du
ministère de l’Économie nationale, la suppression de services au
ministère du Commerce et au ministère de la Reconstruction et de
l’Urbanisme, la réorganisation du système judiciaire, la
réorganisation des services du Tourisme, la fusion des postes de
consul et d’attaché commercial, la publication du budget de la
préfecture de Police en annexe de celui du ministère de l’Intérieur, la
création de dix nouvelles compagnies de CRS par transformation
d’inspecteurs de la Sûreté nationale, etc. 117
Pour conclure sur cette période, la séquence 1945-1950 constitue un
âge d’or de la version budgétaire de la réforme administrative, en
même temps que son chant du cygne. Les gouvernements successifs
de la première IVe République recueillent l’héritage de l’avant-
guerre et recyclent les recettes des années 1930 118 ; ils
sélectionnent parmi elles les mesures qui leur semblent les plus
conformes aux attentes de l’opinion ou du moins les plus acceptables
politiquement 119 , pour les abandonner après 1950, en grande partie
dévitalisées et discréditées. Composées majoritairement de
représentants de la classe politique à l’inverse des comités
techniciens ou technocratiques des années 1930, les commissions
d’économies et de réforme administrative de la fin des années 1940
ne sont pas seulement des dispositifs techniques corrélés au déficit
budgétaire et voués à sa résolution, mais constituent des outils
politiques symboliques destinés à envoyer des signaux et à obtenir la
confiance ou le soutien politique de tel ou tel groupe social ou
électoral (rentiers, anciens combattants, épargnants, artisans et
commerçants, paysans, patrons, fonctionnaires). Chaque chef du
Gouvernement souhaite dès lors avoir son propre comité
d’économies, ce qui explique que, compte tenu de l’instabilité
gouvernementale et des micro-alternances politiques qui marquent
les coalitions gouvernementales sous la première IVe République,
l’on ait assisté à une telle cascade de commissions d’économies entre
1945 et 1950 !
Dans cette configuration, la direction du Budget partage le travail
technique de compression budgétaire avec la Cour des comptes (en
1946), avec la direction de la Fonction publique (le reclassement des
fonctionnaires en 1949-1950), avec le CCECRSP (en 1948 et en 1950)
et avec les successifs comités d’économies dont elle est le bras
exécutif. Après 1950, elle reste seule en première ligne, les comités
d’économies ayant disparu et la Cour des comptes ayant déclaré
forfait, en proie à une sévère crise d’indigestion suite à la création en
1948-1950 de la commission de vérification des comptes des
entreprises publiques (CVCEP), de la Cour de discipline budgétaire et
financière (CDBF) et de la VIe chambre (contrôle des organismes de
sécurité sociale). Dans son travail d’étude, d’enquête et de
préparation des plans d’économies qui se succèdent à jet continu de
1945 à 1950, les outils principaux du Budget sont d’une part la
circulaire et d’autre part le contrôle des dépenses engagées dans les
départements ministériels (rebaptisé en 1953 contrôle financier), par
qui transitent toutes les demandes d’informations, dans un sens puis
dans l’autre : évaluation des effectifs, états comparés des effectifs
1938-1944, états comparés d’occupation d’immeubles (1938-1945-
1949), demandes de propositions de suppressions d’emplois ou de
transformation ou de réorganisation interne 120 . De son côté, dans le
cadre de la politique d’économies de 1945 à 1950, mais aussi de
l’inventaire Schuman et du reclassement des fonctionnaires qui
absorbe la majeure partie de l’énergie de la sous-direction PCM, la
direction du Budget fait un énorme effort pour recenser les
fonctionnaires et pour chiffrer les augmentations et les diminutions
d’effectifs 121 . Les archives de la direction du Budget de 1946 à 1950
montrent la difficulté persistante que la direction rencontre pour
obtenir de la part des ministères « dépensiers » des suppressions de
postes et la résistance sociale des services 122 , qui utilisent avec
succès les moyens traditionnels pour tourner les mesures de
suppression : jeu sur les vacances de postes, jeu sur l’écart entre
effectifs budgétaires et effectifs réels, suppressions de postes
auxiliaires et contractuels, demandes de dérogations et d’exceptions,
délais de réponse et d’application qui s’allongent de mois en mois…
Au final, aux yeux des autorités gestionnaires, le bilan quantitatif des
économies se révèle faible et décevant 123 . À la question écrite posée
par le député Scherrer (QE n° 11100) le 8 juillet 1949 sur les
réductions effectives de fonctionnaires en 1948-1949, la direction du
Budget répond qu’elles peuvent être évaluées à 58 910 emplois sur 1
050 000 fonctionnaires, soit à peine 5 % des dépenses de personnels
civils. La raison principale avancée par la direction pour expliquer la
faiblesse de ce résultat est que « les suppressions touchent le petit
personnel ou les auxiliaires ». En outre, la direction se dit tenue dans
l’ignorance des dates réelles de licenciement, du montant des
indemnités et de la charge des pensions allouées ! En définitive, pour
les agents publics de la fonction d’État, les suppressions effectuées
entre 1946 et 1950 s’élèveraient à 150 000 emplois, mais elles
auraient été compensées par les titularisations d’auxiliaires, par
l’intégration de fonctionnaires de la FOM et des DOM, ainsi que par
des rétablissements d’emplois ou par des créations d’emplois à
l’Éducation nationale et aux PTT. Les plans d’économies auraient
donc au mieux endigué la marée montante des dépenses, mais au
prix d’une dépense d’énergie considérable. En réalité, c’est dès 1949
que le procès des commissions d’économies et de compression des
emplois est instruit à la direction du Budget. Dans une note du 28
octobre 1949, François-Didier Gregh, directeur du Budget, conclut à «
l’échec des mesures traditionnelles de compression des emplois » ;
son successeur, Roger Goetze, reprend cet argument en l’amplifiant
pour promouvoir une autre politique. De fait, au cours des années
1950, les notes au ministre du directeur du Budget sur les économies
à attendre d’une politique de personnel restrictive sont toujours
assorties de mentions négatives, minorantes ou péjoratives : «
théoriquement », « on peut espérer en attendre », emploi permanent
du conditionnel, « réalisation problématique », « sacrifier », «
difficilement réalisables », « illogique », « économie théorique », «
caractère hypothétique 124 »… Les abattements forfaitaires sont
dénoncés comme « le plus souvent inapplicables et parfois nuisibles
lorsqu’ils sont appliqués ». Bastion dans les années 1930 de la
réforme administrative par les économies budgétaires,
désillusionnée par la faiblesse des résultats, la direction du Budget
rejoint le CCECRSP dans son diagnostic d’inefficacité des comités
d’économies, contribuant à la dévalorisation technique de cette
politique de gestion publique.
Après la commission nationale d’économies de 1950, les commissions
d’économies disparaissent entre 1951 et 1958 de l’agenda
gouvernemental, et avec elles, l’affichage de la politique publique
correspondante. Comment expliquer ce retournement, ce
désinvestissement politique et cette convergence dans le scepticisme
125
, alors que, de 1945 à 1950, c’est le consensus contraire qui a
régné dans la classe politique ? On en est réduit à lister une série
d’hypothèses : délitement des coalitions politiques qui ont porté ces
politiques d’économies, coup d’arrêt mis par la grande grève des
fonctionnaires de l’été 1953 à toute velléité de compression ou de
suppression d’emplois, résistances fortes des acteurs sociaux et
politiques (services, syndicats, partis politiques, parlementaires),
épuisement de la croyance en la possibilité de mettre en place des
politiques de suppressions d’emplois du fait de la « cristallisation »
introduite par le statut de la fonction publique, prise de conscience
de l’impossibilité politique de recourir à des moyens coercitifs aussi
brutaux qu’en 1933-1935 126 , faiblesse réelle des résultats des
programmes successifs de réduction des effectifs, découragement et
déception des acteurs administratifs de la réforme administrative,
lassitude par rapport à des méthodes qui apparaissent comme
héritées du passé, volonté de moderniser les méthodes de travail et
attrait pour la nouveauté, adoption d’une nouvelle croyance selon
laquelle la rénovation de l’État passerait davantage par des mesures
qualitatives que par des restrictions quantitatives, abandon de la
doctrine libérale traditionnelle sur le rôle de l’État et « conversion »
idéologique au rôle économique, social et providentiel de l’État,
acceptation de la croissance du nombre des fonctionnaires en
accompagnement des nouveaux besoins de la société, avènement
d’une nouvelle génération de gestionnaires pragmatiques et
réalistes, influence d’autres théories de la réforme administrative
inspirées des États étrangers ou de l’entreprise publique, prise de
conscience que les économies budgétaires les plus fructueuses se
situent non pas du côté du « train de vie de l’État », mais du côté des
subventions économiques 127 …
Quoi qu’il en soit, de 1951 à 1958, plus aucun comité d’économies et
de réforme administrative n’est réuni en tant que tel, laissant la
place à une nouvelle répartition des tâches : à la direction du Budget,
la fonction permanisée et routinisée de recherche des économies
lors de l’élaboration annuelle de chaque projet de loi de finances («
peignage » des budgets et rabotage des crédits de fonctionnement) ;
aux nouveaux organismes permanents de réforme administrative,
les effets d’affichage politique, les expérimentations gestionnaires et
la rénovation de la gestion publique (le CCECRSP et les études de
coûts et rendements, le Comité de réforme administrative de
Bonnefous, le secteur Organisation du Commissariat général à la
Productivité et la politique de productivité administrative…) Le
divorce est consommé entre les économies budgétaires et la réforme
administrative, qui entame pour quelques années, de 1952 à 1958,
une existence autonome, à la recherche de voies alternatives, moins
impopulaires et plus efficaces que la version budgétaire ; une autre
politique publique de réforme administrative s’esquisse…
IV. Le chant du cygne : la dernière
commission d’économies de la IVe
République ou la première de la Ve
République ?
Alors que la France s’enfonce dans le conflit algérien et que la crise
budgétaire s’installe, le gouvernement Guy Mollet aux abois renoue
avec la recherche des économies 128 , mais c’est finalement le
gouvernement du général de Gaulle qui, après la crise politique de
mai 1958, remobilise l’antique modèle du comité de réforme
administrative pour asseoir la préparation du redressement
économique et financier et la restauration de l’État dont il se veut
l’artisan.
Le comité Rueff, du nom de son principal animateur, est institué le
30 septembre 1958 par Antoine Pinay, ministre des Finances du
général de Gaulle. Sa composition le rapproche davantage de celle du
comité des experts de 1926 que des comités d’économies des années
1930 ou 1940 129 ; il ne compte aucun membre de la classe politique
et seulement un haut fonctionnaire en exercice dans
l’administration ; ses membres, représentants des « forces vives de la
nation » ou experts, appartiennent majoritairement au monde
bancaire et financier et à celui de la grande entreprise. Son ancrage
administratif n’en est pas moins intéressant, puisque le secrétariat
du comité est assuré par Paul Questiaux, inspecteur des Finances 130 ,
chef du bureau E2 Coûts et rendements de la direction du Budget,
gestionnaire des crédits de productivité administrative, et par Marc
Viénot, inspecteur des Finances, chargé de mission à la direction du
Trésor. Le comité, qui travaille sur notes écrites et auditionne de très
nombreux acteurs du monde économique et financier, se réunit
jusqu’à la remise de son rapport le 8 décembre 1958. Le rapport
Rueff, bien connu pour ses préconisations de réformes structurelles
dans le domaine économique et budgétaire, l’est beaucoup moins
pour ses préconisations en matière de réforme administrative ;
pourtant, un chapitre entier, certes court, « Réformer
l’administration », y est consacré. Fortement inspirés par la nouvelle
« doctrine » de la direction du Budget depuis 1950, les auteurs du
rapport commencent par tirer les enseignements du passé et
renouvellent la condamnation de la politique des économies
budgétaires héritées des années 1930 et 1940 : « Ce n’est pas par la
procédure budgétaire que l’on peut réaliser de véritables économies
». Ils mettent en cause la défectuosité de cette dernière et
l’enfermement dans lequel les gestionnaires publics se trouvent
placés du fait de la structure des dépenses publiques et du vote du
budget : les « services votés » sont reconduits d’une année sur l’autre
et la discussion du budget se cantonne à la discussion des mesures
nouvelles, c’est-à-dire aux hausses de crédits 131 . Le rapport pointe
également l’impuissance des commissions de réforme et souligne
leurs handicaps : le manque de temps, les conclusions non étudiées
et non suivies. Les auteurs concluent : « Une action réformatrice
demande de la persévérance, de la ténacité et de l’autorité. Elle ne
peut avoir de résultats financiers immédiats, ne serait-ce que parce
que la résorption des effectifs en excédents ne peut se faire que
progressivement au fur et à mesure des vacances. Au vu de cette
constatation, nous avons estimé que le souci de la vérité budgétaire
nous interdisait de tenir compte de la réforme administrative pour
l’évaluation des dépenses de 1959 ».
Autrement dit, la réforme administrative ne peut permettre de
dégager à court terme des économies budgétaires… En revanche, les
auteurs du rapport engagent le Gouvernement à « tenir » dans le
temps pour « arrêter le gonflement jusqu’à présent continu des
dépenses publiques et à maintenir l’équilibre du budget ». Pour
l’avenir, de grandes orientations générales sont dégagées : « alléger
les dépenses, accroître l’efficacité et la rapidité de l’administration ;
simplifier ses rapports avec les administrés ». Le rapport liste une
série d’actions prioritaires telles que « réviser l’architecture des
administrations centrales » en faisant la chasse aux doubles emplois,
revoir « le découpage administratif du territoire qui appelle une
refonte complète », entamer « la révision minutieuse de tous les
détails de fonctionnement », engager « la suppression des formalités
inutiles et étudier à fond les possibilités nouvelles qu’étendent
chaque jour les progrès des techniques d’organisation ». On
reconnaît là le programme de travail de Questiaux et du bureau E2 à
la direction du Budget depuis 1955, celui du CCECRSP et du
Commissariat général à la Productivité. Le comité Rueff descend
dans le détail des procédures et propose pour les deux premiers
sujets de constituer des petits groupes de travail composés de
fonctionnaires des corps de contrôle, de la Cour des comptes et du
Conseil d’État ; en revanche, pour la révision du fonctionnement de
l’administration et la mise en place des techniques d’organisation, il
préconise la création d’un bureau Organisation et Méthode dans
chaque ministère et l’importation des méthodes des cabinets privés
de conseil, ainsi que la nomination dans chaque ministère d’un
fonctionnaire spécialisé dans ces questions, le tout coordonné par un
membre du Gouvernement.
Les préconisations économiques du rapport Rueff alimentent le plan
de redressement économique et financier de décembre 1958, élaboré
et orchestré par Goetze ancien directeur du Budget, conseiller du
général de Gaulle ; ce plan réalise le retour du budget à l’équilibre,
mais s’il inclut la suppression de nombreuses et coûteuses «
subventions économiques » et quelques économies sur le
fonctionnement des services ou sur la pension des anciens
combattants, il ne comporte aucun plan systématique de
suppressions d’emplois et renvoie la réforme administrative à un
horizon futur. De fait, c’est l’article 76 de l’ordonnance du 30
décembre 1958 portant loi de finances pour 1959 qui institue la
commission de réforme administrative attendue.
La commission de réforme administrative dite de l’article 76 132 ,
créée en février 1959, est placée sous la présidence de Michel Debré,
Premier ministre, assisté de Pierre Chatenet, secrétaire d’État chargé
de la réforme administrative, de Wilfrid Baumgartner, ministre des
Finances (qui sera totalement absent du dispositif) et de Valéry
Giscard d’Estaing secrétaire d’État aux Finances, qui va animer et
coordonner les travaux.
Outre le secrétaire d’État à la réforme administrative et le cas
échéant les ministres intéressés, la commission se compose de six
membres permanents : Brunet, inspecteur des Finances et directeur
général du Crédit national, Landucci, président de la société Kodak-
Pathé et spécialiste de prospective, Laroque, conseiller d’État, ancien
directeur de la Sécurité sociale et président de la Caisse nationale de
Sécurité sociale, Lesage procureur général à la Cour des comptes,
Roos, ingénieur général de l’Aéronautique et Hirsch, préfet de la
Seine-Maritime. La commission comprend aussi, avec une voix
consultative, le directeur général de l’Administration et de la
Fonction publique (Gand), le directeur du Budget (Devaux) et le
directeur général des Impôts (Blot).
Ses missions, selon l’article 76, sont les suivantes : 1) Définir un
programme d’économies susceptible d’être réalisé immédiatement
dans les services civils et militaires de l’État, les entreprises
nationales et les organismes de sécurité sociale, par simplification
administrative ou suppression de services. 2) Établir une liste des
biens domaniaux civils et militaires de l’État ainsi que des biens
appartenant aux entreprises nationales et aux organismes de
sécurité sociale susceptibles d’être aliénés sans porter préjudice au
fonctionnement normal des services, entreprises ou organismes. 3)
Proposer la création d’une institution de caractère permanent
chargée de procéder à des enquêtes approfondies, à un rythme
quinquennal, dans tous les grands services de l’État, des entreprises
nationales et de la sécurité sociale, afin de proposer des mesures de
rationalisation et d’en surveiller la mise en œuvre.
La première mission est dans la parfaite filiation de tous les comités
d’économies budgétaires du premier XXe siècle et marie à nouveau,
huit ans après la commission nationale d’économies de 1950,
réforme administrative et économies budgétaires. Comment
expliquer cet apparent retour en arrière, alors que le rapport Rueff
vient d’exposer les principes inverses et que Michel Debré lui-même
n’a pas hésité à ironiser sur les programmes d’économies des années
1940, en disant que la France était gouvernée par son caissier 133 !
Dans l’esprit du Premier ministre, sans doute s’agit-il moins d’un
énième plan « d’échenillage » des chapitres budgétaires que d’un
ambitieux plan de réforme administrative anti-doubles emplois 134 .
La deuxième mission, elle, est plus innovante, et pose pour la
première fois explicitement dans le cadre d’une commission de
réforme administrative la possibilité d’une aliénation du domaine de
l’État, amorçant une réflexion sur le périmètre de l’État et sur ce que
pourrait être « son fonctionnement normal ». La troisième mission
est plus étonnante, puisque l’article 76 propose de créer un
organisme d’enquête administrative permanent ; or, il en existe un
depuis 1946, rattaché au Premier ministre, le CCECRSP. Le déclin du
CCECRSP est-il tel que les pouvoirs publics en sont arrivés à oublier
son existence 135 ? Est-ce un désaveu officiel de la Cour des comptes,
en charge de l’animation du comité d’enquête ? L’ambition du
Premier ministre est-elle vraiment de créer un nouvel organisme
spécialisé dans l’enquête administrative ? Quoi qu’il en soit, aucune
nouvelle structure n’est créée et c’est bien le CCECRSP qui récupère
en 1960 les dossiers de la commission de l’article 76 et qui est chargé
de mettre en œuvre les grandes enquêtes quinquennales souhaitées
par Debré (décret du 14 octobre 1960, art 2 136 ).
Pour mettre en œuvre un tel programme, le secrétariat de la
commission est confié au secrétaire d’État aux Finances, Valéry
Giscard d’Estaing 137 , secondé par le spécialiste de la réforme
administrative au Budget, Paul Questiaux. Quinze groupes de travail
sont mis sur pied en février-mars 1959 pour couvrir l’ensemble de
l’appareil administratif français 138 , présidés par quinze présidents
appartenant pour l’essentiel aux grands corps (13 sur 15 139 ) et
composés de fonctionnaires représentant les principaux corps de la
haute administration française 140 ; la règle du « regard extérieur »
et des missions d’enquête « croisées », chère au comité Bloch II, au
CRA de 1938 et au CCE de 1946 est à nouveau mise en œuvre 141 .
Les méthodes de travail sont soigneusement organisées 142 : une
lettre du Premier ministre est adressée à chaque ministre,
définissant les pouvoirs et les attributions du groupe de travail, en
même temps qu’une lettre de mission est envoyée à chaque
président et à chaque membre des groupes de travail ; un rapporteur
est désigné pour chaque groupe de travail, qui dispose de son propre
secrétariat. Chaque groupe de travail doit présenter : 1) des
suggestions concernant « les questions communes », 2) des
propositions concernant l’aliénation des biens domaniaux, 3) des
suggestions concernant les suppressions ou fusions de services, 4)
des mesures de simplification administrative et les statuts du
personnel concerné. Les conséquences des mesures proposées
doivent être évaluées de façon chiffrée : les recettes nouvelles, les
économies immédiates, les économies à partir de 1960, les économies
ultérieures attendues, l’amélioration du fonctionnement des
services. Les conditions nécessaires à la réalisation de ces réformes
(décision ministérielle, circulaire, décret, arrêté, texte réglementaire
ou législatif) doivent être indiquées, et en résumé, une fiche
récapitulative budgétaire et juridique doit être fournie pour chaque
proposition. Enfin, chaque groupe de travail doit remettre un
rapport au secrétariat général de la commission, chargé de faire la
synthèse finale. Pour gagner du temps, un questionnaire type, rédigé
par le secrétariat, est remis à tous les présidents de groupes de
travail, sur les problèmes de personnel 143 , sur les problèmes de
matériel 144 , sur les problèmes de structure et d’organisation 145 et
sur les travaux d’administration générale 146 . Dans cette
organisation, Questiaux joue un rôle pivot à la tête du bureau E2
Coûts et rendements, transformé en véritable bureau de la réforme
administrative à temps plein, face à un CCE en pleine refondation et
à une direction générale de l’Administration et de la Fonction
publique mobilisée au même moment par d’autres sujets : la révision
du statut des fonctionnaires, la réforme territoriale, le statut des
administrateurs civils, la réforme de l’ENA, etc.
Le Premier ministre, comme d’habitude, est pressé et impose un
calendrier volontariste : la commission doit proposer des mesures
immédiates pour la fin avril 1959, un deuxième train de mesures
pour le mois de mai à déposer devant le Parlement et une troisième
série de mesures destinées à la préparation du Budget en juin 1959.
Pour aboutir à un tel résultat, Questiaux met en route trois séries de
réunions : 20 mai, 20 juin, 15 juillet ; toutes les fiches doivent avoir
été rédigées et envoyées aux services avant le 15 mai, puis être
revenues assorties des « observations » des services pour le 15 juin ;
au-delà, sur le modèle des conférences budgétaires, commence la
phase des arbitrages et des auditions chez le premier ministre 147 .
Une fois les décisions prises, ces dernières sont notifiées au ministre
concerné par des « lettres d’exécution », dont un double est envoyé
au secrétariat d’État aux Finances, qui les transmet à son tour à la
direction du Budget 148 . Debré exige l’exécution de ses décisions
dans les délais impartis, harcèle ses ministres et demande à
connaître les « suites » qui leur ont été données. Pour cette phase
d’exécution, qui s’est finalement étirée de l’été 1959 à mars 1960,
voire jusqu’en mai 1960, la correspondance des ministres avec le
Premier ministre et la commission montre les actions en résistance
menées par les ministères sectoriels face aux injonctions du chef du
Gouvernement : non-réponses ou délais de réponse démesurément
allongés en dépit des lettres de rappel et de semonce, réunions
repoussées, demande d’études complémentaires, manœuvres
dilatoires, discussion pied à pied des propositions de la commission…
Les mesures de personnels, de structures et d’effectifs sont les plus
difficultueuses et sont dévolues à l’arbitrage du Premier ministre.
Dans ce dispositif, la patte de Michel Debré est aisément repérable.
Lors de l’installation de la commission, le discours d’ouverture trahit
la personnalité du Premier ministre et son style en matière de
réforme administrative, objet de ses réflexions depuis le CRA de 1938
: le refus du scepticisme et le choix du volontarisme ; sa foi en la
réforme et dans le mouvement (« ne pas accepter l’immobilité
administrative », « lutter contre la lourdeur de l’État, qui oblige à
commander quatre ou cinq fois pour que quelque chose aboutisse ») ;
le mépris des critiques, des protestations et des agitations ; la
rapidité d’action (« car c’est un fait d’expérience que les recherches
d’économies ou de réformes lorsqu’elles s’étendent sur une trop
longue période débouchent sur l’impuissance. C’est en deux ou trois
mois que l’on aboutit ou que l’on n’aboutit pas ») ! L’organisation du
travail de la commission porte indubitablement l’empreinte de la
première expérience de réforme administrative qu’a connue Debré
lors de son travail auprès de Paul Reynaud en 1938 au CRA et qu’il
réplique à grande échelle pour son propre compte tout en
introduisant quelques innovations méthodologiques : constitution
de groupes de travail pluridisciplinaires, par ministère et par
problème ; établissement d’une « feuille de route » (feuille
d’observations) qui sert de plan de travail ; dépouillement exhaustif
des rapports des corps de contrôle et des organismes de contrôle ;
création de « sections d’étude » spécialisées et intergroupes ;
utilisation des rapports de groupes de travail pour l’élaboration des
textes de réforme ; volonté de diriger les groupes de travail selon un
plan d’ensemble… C’est sans doute cette expérience du CRA qui
explique chez Debré le recours, dix ans après la commission
nationale d’économies, à l’antique système des commissions de
réforme administrative : Debré, ayant quitté les affaires début 1946,
n’a pas connu les déceptions engendrées par les commissions
d’économies budgétaires de la seconde moitié des années 1940 et en
est resté au modèle Reynaud, auréolé de son rôle dans la préparation
de la guerre ; il n’a pas connu le mouvement de déprise et de
désillusion des acteurs gouvernementaux engagés dans la politique
de réduction des effectifs des années 1940, et sa « virginité »
gouvernementale explique le maintien de sa croyance dans l’impact
et l’efficacité des politiques d’économies ou de réforme des
structures. Enfin, dans le cadre du projet de restauration de l’État
que portent les gaullistes, la commission de l’article 76 constitue un
signe symbolique adressé à la classe politique, à l’opinion et aux
hauts fonctionnaires, dont le nouveau régime veut s’assurer le
soutien. Le dernier Gouvernement de la IVe République a lui aussi
politiquement besoin de son comité de réforme administrative,
comme les gouvernements de la première IVe République en leur
temps, mais cette fois-ci pour attester de la volonté gaullienne de
reprendre en main l’État, de lui imprimer sa marque, de le
reformater et de tourner la page des impuissances de la IVe
République. Et tant pis si dans le même mouvement sont « oubliées »
les innovations dont cette dernière a été porteuse dans la seconde
moitié des années 1950 149 .
En dépit de l’impulsion du Premier ministre et du temps dont a
disposé le Gouvernement en 1959-1960, la commission de l’article 76
ne remet pas de rapport final et c’est à la Cour des comptes qu’il
revient de dresser le premier bilan des travaux de la commission de
l’article 76 en 1961 dans son rapport sur le projet de loi de règlement
de 1960. Le plan d’économies devait atteindre au moins 150 millions
de NF ; l’arrêté du 29 février 1960 publié le 2 mars 1960 affiche avec
enthousiasme 180,4 millions d’économies. Mais les estimations de la
Cour a posteriori en termes d’économies réelles ne sont pas aussi
optimistes : la Cour les évalue à environ 115 millions de NF. Si l’on
examine de plus près les trois points d’appui du plan d’économies, le
plan d’aliénations serait un échec quasi complet 150 ; la Cour évalue
à seulement 3 % du programme escompté le total des ventes
réalisées en 1959-1960 soit 1 421 000 NF ; idem en 1961, avec
seulement 3 millions de NF. La déception est forte chez les
responsables budgétaires. Pourquoi cet échec ? La Cour en liste les
motifs : des biens dont la vente était prévue ont été retirés sur
demande des ministères ; des biens sont en vente mais les
transactions et les négociations sont très longues ; des biens sous
séquestre n’ont pu être vendus. « L’exécution du programme
d’aliénations s’est révélée décevante ; aux difficultés d’ordre
juridique et économique s’ajoutent des réticences administratives,
qui s’expliquent sans doute par le médiocre intérêt que des ventes
faites au bénéfice du Trésor suscitent auprès des services
affectataires ». Autrement dit, les services n’ayant aucun bénéfice
direct à cette opération se montreraient fort peu motivés ; en
correctif, la commission suggère de retourner l’indemnité ou de
l’aliénation au service ayant cédé l’immeuble. Le plan de cession des
participations de l’État, lui, se révèle un peu plus encourageant,
notamment du côté des Charbonnages de France.
Mais c’est le plan d’économies sur le fonctionnement des
administrations qui suscite le plus de déception. Il était prévu 117, 63
millions d’économies, qui devaient affecter prioritairement les
Armées, l’Éducation nationale, les services de l’Information,
l’Agriculture, les Affaires étrangères et l’Aviation civile. Selon la
Cour : « Les réductions de crédits ont été rendues possibles par une
certaine aisance budgétaire. L’importance des crédits disponibles
dans certains chapitres, les possibilités offertes par les procédures de
transfert, de répartition, de virement et de report de crédits ont
permis d’effectuer les réductions demandées, sans qu’il ait été
toujours nécessaire pour autant de réaliser immédiatement les
mesures d’économies réelles prévues par le programme. Certaines
d’entre elles ne pouvaient avoir d’effet qu’à long terme et ne
pouvaient se traduire sans délai par des réductions de dépenses
importantes ». Autrement dit, les économies ont été en grande partie
virtuelles ou assorties, comme le dit la Cour maniant l’art de
l’euphémisme, de « succès divers ». En outre, les réductions de
crédits ont été compensées par des créations d’emplois en 1960 et
1961, notamment dans l’Éducation nationale. De façon générale, qu’il
s’agisse des économies de fonctionnement dans les administrations,
les offices, les entreprises nationales ou le secteur semi-public, « les
résultats des mesures d’économies retenues sont très difficiles à
dégager… ». Et la Cour de conclure en grisaille : « Les résultats
obtenus en exécution de l’arrêté du 29 février 1960 se révèlent
somme toutes des plus décevants. Si les cessions de participations
financières ont été dans l’ensemble effectuées comme prévu, les
aliénations de biens domaniaux n’ont donné que des effets minimes ;
et les économies de gestion réelles sont souvent restées très
inférieures aux recettes d’ordre inscrites à la ligne spéciale de
produits divers. Toutefois, comme la Cour l’a fait observer dans son
rapport sur le projet de loi de règlement de l’année 1957, il n’en
faudrait pas pour autant en conclure à l’inefficacité totale de la
politique d’économies. Non seulement celle-ci a effectué une action
générale de freinage des dépenses, mais encore, elle obtient dans des
secteurs divers des résultats non négligeables […] Une nouvelle fois,
l’expérience montre que les économies doivent inciter à écarter
toute improvisation. La réorganisation administrative est une œuvre
de longue haleine qui, pour porter ses fruits, exige des efforts
constants et prolongés ».
Reste à évaluer le plan de réforme administrative lui-même, pour
lequel aucun rapport général n’est rédigé. Debré, tout au long de
l’année 1960, fulmine contre la lenteur des travaux et des résultats,
même après ses propres arbitrages ; il se livre à un véritable
harcèlement du secrétaire d’État aux Finances, des ministres et des
présidents de groupe de travail 151 . De fait, un an après les premiers
examens de dossiers effectués par la commission en avril-mai 1960,
certains ministères n’ont toujours pas répondu aux fiches transmises
par la commission, qui restent en suspens, sans décision ni arbitrage
152
. Les questions ayant trait aux réformes de structures et aux
personnels sont les plus nombreuses. Par exemple, pour l’Intérieur,
40 fiches restent en suspens, à l’Industrie, 10, et ainsi de suite… Et le
ministère des Finances n’est pas en reste 153 . Lors de l’établissement
du bilan de la commission, fin 1960, Questiaux met en cause dans
l’allongement des délais l’utilisation de la procédure contradictoire
154
. Avec cet échec, le discours des réformateurs de l’administration
s’enrichit d’une nouvelle strate de remarques plus ou moins amères
sur les « résistances », les manœuvres de « contournement » et
l’inertie opposées par les services aux interventions externes,
omettant de considérer que ces « résistances » portent parfois, non
seulement la marque de la défense d’intérêts catégoriels, mais aussi
la trace de projets politico-administratifs alternatifs. Ainsi en est-il
par exemple de la rivalité entre l’INSEE et le SEEF, qui finit par voir
en 1965 son existence consacrée par son érection en direction de la
Prévision, alors que le Plan a été rattaché en 1962 au Premier
ministre 155 .
Le CCECRSP, qui prend la succession de la commission de l’article 76
à partir du 21 décembre 1960 156 , établit tout au long de l’année 1961
le bilan des fameuses « fiches », reprend celles non examinées ou
laissées en suspens (une soixantaine) et établit leurs « suites 157 ».
Ses premiers avis commencent à tomber à partir de l’été 1961 et le
CCE transmet ses conclusions à la direction du Budget pour qu’elle
les intègre dans les futures lois de finances. Tout au long de l’année
1961 et jusqu’au début de 1962, le CCE travaille en étroite liaison
avec le Budget et le secrétariat d’État aux Finances, qui cherche à
promouvoir « des enquêtes en profondeur » dans les services,
conformément aux souhaits du premier ministre 158 . Pour mesurer
le véritable impact des travaux de la commission de l’article 76, il
faudrait donc faire un bilan des « suites », ministère par ministère,
sur une durée de cinq ans au moins.
Si l’on prend par exemple le cas du ministère de Finances, dans le
cadre de la chasse aux doublons, il y a eu deux principales décisions
prises presque immédiatement par le premier ministre et entrées en
application dans l’année 1960 : la fusion du Commissariat général au
Plan et du Commissariat général à la Productivité 159 et la
suppression de la direction générale de la Coordination économique
et des Entreprises nationales de Pierre du Pont (DGCEEN 160 ).
L’objectif était d’« améliorer l’efficacité de l’action administrative
par une organisation plus rationnelle des services » et de « réaliser
des économies budgétaires par la suppression des doubles emplois ».
Hormis chez les deux responsables respectifs, Gabriel Ardant et
Pierre du Pont dont les postes ont été supprimés, ces deux décisions
n’ont guère rencontré de résistance de la part des services concernés
(les deux directions avaient un grand nombre d’agents) et elles ont
été fort bien accueillies par les grandes directions du ministère des
Finances bénéficiaires, qui se sont partagé les dépouilles des services
sacrifiés. Bilan des économies ? De l’aveu même de Valéry Giscard
d’Estaing, ces dernières se sont révélées faibles, car « elles étaient
forcément limitées par l’impossibilité de licencier les fonctionnaires
titulaires et même les agents contractuels susceptibles de bénéficier
d’une titularisation ». Les résultats sont d’un licenciement et de 7
agents remis à disposition pour la DGCEEN (sur 59), de 22
licenciements pour le Commissariat à la Productivité et de 9 remises
à disposition, plus 1 retraite, sur 162 agents. Les autres
fonctionnaires sont reclassés, intégrés ou remis à disposition de
leurs administrations d’origine. Au total, l’allégement des effectifs
du secrétariat d’État aux Affaires économiques se monte à 79 agents
sur 213 agents, soit un peu moins de 40 % des effectifs considérés.
Par ailleurs, le groupe de travail n° 5 de la commission, consacré au
ministère des Finances et des Affaires économiques, a mis à son
programme de travail pas moins de 43 fiches, qui sont autant de
propositions de réforme des services 161 . Le dossier le plus
important est celui de la compétition entre l’INSEE et le SEEF que,
dans le cadre de la chasse aux doublons, la commission veut
fusionner. La résistance de Gruson et sa victoire finale contre Closon
ont fait l’objet d’une partie importante de la thèse d’A. Terray 162 . Y
sont étudiées toutes les opérations menées par Gruson pendant trois
ans pour empêcher la suppression de son service et pour convaincre
le premier ministre et le ministre des Finances, Baumgartner, de la
nécessité de conserver un service de prévision économique au sein
du ministère : notes au ministre, lettres personnelles, rapports,
interventions, entretiens personnels, délais de réponse, refus de
discussion ou silences opposés à telle ou telle question… Outre ce
dossier rendu fleuve du fait de l’énergie déployée par Gruson,
d’autres recommandations du groupe de travail n° 5 contrarient les
services du ministère des Finances et les syndicats, qui entrent eux
aussi en résistance 163 : la suppression d’une vingtaine de recettes
des finances (à raison de 4-5 par an) et d’une centaine de perceptions
(sur 2 ans 164 ) ; la réduction du nombre des entrepôts de tabacs
fabriqués qui seraient ramenés à 25 ou 30 sur le territoire ;
l’établissement d’un plan de regroupement des laboratoires de
province ; la création d’un bureau central de liquidation des
pensions. La plupart de ces dossiers vont traîner en longueur
jusqu’en 1965… À son arrivée rue de Rivoli en 1966, Debré qui a
éprouvé en tant que Premier ministre la formidable capacité de
résistance administrative du ministère des Finances, renouera le fil
avec la commission de l’article 76 et remettra sur le métier l’ouvrage
de la réforme administrative des Finances, avec succès cette fois-ci,
du moins en ce qui concerne la fusion des services fiscaux (1968).
Même si toutes les propositions de réforme n’ont pas été menées à
leur terme, la commission de l’article 76 a créé une dynamique qui
s’est prolongée au ministère des Finances sur toute la décennie
jusqu’en 1968 165 , tant sous Valéry Giscard d’Estaing devenu entre-
temps ministre des Finances que sous Michel Debré revenu rue de
Rivoli en 1966-1968 : chasse aux doublons et restructuration en 1962
de la direction générale des Prix et des Enquêtes économiques qui va
absorber en 1965 la direction du Commerce intérieur, fusion des
corps des fonctionnaires de la direction des Prix (inspecteurs
généraux de l’économie nationale, experts économiques,
commissaires aux Prix 166 ), clarification des missions et partage des
tâches entre le Plan, l’INSEE et le SEEF qui va être élevé au rang de
direction autonome, remise en route de la « fusion » au sein des
services des Impôts (fusion en 1960 des services centraux et
ouverture du chantier de la fusion des services extérieurs),
réunification de la direction du Trésor et de la direction des Finances
extérieures en 1965, rationalisation et fusion des services du
Matériel et des services généraux de Rivoli et quai Branly (ateliers
d’impression, services automobiles, ateliers mécanographiques),
mise en place de commissions transversales telles que la commission
permanente de mécanographie à l’échelle interministérielle 167 ,
réorganisation de certains services particuliers (l’Imprimerie
nationale), refonte du réseau territorial des services locaux
(perceptions et recettes postales), révision de certains codes comme
celui des pensions, mise à l’étude de l’allégement des contrôles
financiers, prise de conscience de l’importance de la question de
l’information et de l’informatique, etc. Cette dynamique de fond, cet
élan qui tranche avec le scepticisme, le découragement et
l’impuissance de la fin de la IVe République, est très perceptible dans
les archives et dans les témoignages des hauts fonctionnaires du
ministère des Finances ; il serait nécessaire de vérifier si la
commission a suscité dans son sillage un même élan et une même
effervescence dans les autres départements ministériels.
Conclusion
La commission de l’article 76 est à l’échelle de l’État tout entier à la
fois la dernière des grandes commissions d’économies budgétaires et
de réforme administrative de la IVe République et la première de ce
type pour la Ve République ; n’ayant été suivie d’aucune autre grande
commission de ce type avant le début des années 1980, elle apparaît
finalement comme un apax, c’est-à-dire comme une forme unique et
isolée historiquement. Avec elle s’épuise un cycle de discours et de
dispositifs à caractère budgétaire, de plus en plus exhaustifs, qui ont
commencé en 1919 et qui ont expérimenté tous les outils possibles et
imaginables en matière de suppressions d’emplois, de compressions
des rémunérations, de restriction des effectifs, de fusion, de
réorganisation et d’aliénations… À l’issue de ce cycle qui a duré
quarante ans, soit deux générations successives de fonctionnaires
que l’on pourrait symboliser par Maurice Bloch et Gabriel Ardant, le
diagnostic qui consiste à dire que les commissions d’économies et de
réforme administrative sont d’une efficacité réduite, voire nulle,
semble partagé par l’ensemble des acteurs politiques et
administratifs, exécutif, administration, Parlement, opinion… En
tout cas, qu’il ait été discrédité ou qu’il soit devenu tout simplement
inutile, ce dispositif des commissions n’est plus répliqué après 1959.
Est-ce à dire que la préoccupation d’économies disparaît pour autant
? Non évidemment, car c’est la direction du Budget qui, armée de
l’assurance et des pouvoirs que lui confère l’ordonnance organique
de janvier 1959, fait fructifier cet héritage dans son travail de
préparation du budget et des projets de lois de finances, dans
l’épreuve des « conférences budgétaires » et dans son travail de
régulation budgétaire avec les contrôleurs financiers des ministères
« dépensiers » ; le souci de la progression des services votés ne la
quittera d’ailleurs pas de toutes les années 1960 et contribuera à son
intérêt pour la RCB naissante.
Si l’on admet l’hypothèse selon laquelle la création des commissions
d’économies et de réforme administrative constitue une politique
symbolique et permet aux pouvoirs publics d’adresser des signaux
politiques à l’opinion, au Parlement, à l’administration et à certains
groupes sociaux qui sont autant de soutiens électoraux, on peut
penser que l’abandon de cette politique administrative jusqu’alors
étroitement couplée au régime parlementaire de la IIIe et de la IVe
République est directement corrélé aux changements provoqués par
le passage à la Ve République et par « la restauration gaullienne » de
l’État. Le renforcement du pouvoir exécutif, qui n’a plus besoin de
comité collégial pour couvrir ou cautionner ses arbitrages
budgétaires ni d’expertises externes pour préparer ses décisions de
réforme administrative (les services centraux et permanents sont
désormais assez forts et assez outillés), la stabilité et la légitimité du
pouvoir gaullien qui dispense le Gouvernement de former tous les
six mois des coalitions politico-administratives pour assurer ses
politiques publiques, la disparition du discours anti-fonctionnaires
et à l’inverse, la promotion de la figure du haut fonctionnaire
technicien et modernisateur, incarnation de l’intérêt général,
l’acceptation du nouveau rôle de l’État conducteur de la croissance
et du développement social, la mystique réactivée de la
modernisation, sont autant de facteurs qui rendent obsolètes ou
inutiles les comités d’économies et de réforme administrative. Le
paradigme de l’expansion et de la croissance succède à celui du contrôle
et du rationnement ! D’un point de vue plus technique, les progrès
dans les années 1960 de la statistique des fonctionnaires et des
recensements de l’INSEE (1962) comme des dénombrements de plus
en plus précis établis par les directions du personnel ou des finances
dans les ministères et par la direction du Budget rendent également
moins utiles les comités d’enquêtes, qui jusque-là s’employaient à
combler les lacunes de l’État dans la connaissance des effectifs et des
emplois publics.
Le phénomène le plus décisif est cependant, et de loin, la disparition
du déficit budgétaire et l’installation durable de la croissance. Ces
deux derniers éléments permettent en effet aux responsables de la
gestion publique de tenter de construire une autre gestion des
finances publiques, plus qualitative et moins compressive que
précédemment, incarnée dans la rationalisation des choix
budgétaires (RCB) qui se développe de 1965 à la fin des années 1970,
avant qu’un nouveau cycle de contrainte budgétaire ne redémarre à
partir des années 1990 dans un tout autre contexte historique,
favorisant la réactivation des grandes commissions de réforme
administrative et d’économies budgétaires, dont la révision générale
des politiques publiques (RGPP) représente l’une des formes
contemporaines les plus achevées. La RCB dans cette optique
constituerait une parenthèse exceptionnelle, rendue possible par
une croissance et une conjoncture budgétaire exceptionnelles, une
expérience de l’abondance au milieu d’un siècle de contrainte
financière, de dette et de rationnement budgétaire.
De 1919 à 1950 se déploie une politique publique de gestion
administrative, qui articule délibérément action budgétaire
restrictive, réduction des emplois publics et réforme administrative
et qui est portée alternativement ou conjointement par une
juridiction (la Cour des comptes), par l’exécutif (le ministère des
Finances/la présidence du Conseil) ou par cette administration
consultative en plein essor à la fin de la IIIe République et sous la IVe
République que constituent les comités d’économies et de réforme
administrative. Dès l’origine, l’interrogation sur l’efficacité d’une
telle politique est posée par les pouvoirs publics et les observateurs
contemporains ; rudimentaire et aveugle, mais efficace avant 1940,
ne serait-ce que par sa brutalité, elle se dote de dispositifs d’enquête
et d’outils de plus en plus diversifiés, mais se heurte après 1945, en
dépit d’un affichage politique affirmé, à la cristallisation juridique,
budgétaire, organisationnelle et sociale de l’appareil administratif
français. Décrédibilisées ou à tout le moins dévitalisées, remplissant
de moins en moins les attentes budgétaires et politiques mises en
elles, hormis des occasions exceptionnelles où elles sont
ponctuellement ravivées (la commission de l’article 76 de 1959), les
commissions d’économies budgétaires, collégiales, concertatives et
temporaires, disparaissent pour plus de deux décennies de la scène
administrative, laissant le champ libre à des dispositifs
bureaucratisés et routinisés de compression budgétaire (DB) et à des
organes d’enquête permanents de la réforme administrative (Cour
des comptes, CCECRSP, DFP). C’est entre les mailles de ce dispositif
que va percer la principale innovation gestionnaire des années 1960
et 1970, d’une tout autre origine et d’une tout autre inspiration, la
rationalisation des choix budgétaires (RCB).

NOTES
1. Les ministères les plus concernés par la croissance des effectifs sont sans surprise après
1918 la Guerre, les Pensions et les Finances (le paiement des pensions, les dommages de
guerre, la dette) et, après 1945, les Armées et les administrations économiques.
2. Deux grands axes de réforme sont identifiables : « le désencombrement de l’État » qui
consiste à restituer au secteur privé certaines activités de l’État, en particulier les activités
industrielles, et « l’industrialisation de l’État » qui consiste à introduire dans
l’administration les « méthodes industrielles » des entreprises, c’est-à-dire l’organisation
scientifique du travail. Cf. S. Rials, Administration et organisation (1910-1930). De l’organisation
de la bataille à la bataille de l’organisation dans l’administration française, Paris, Beauchesne,
1977.
3. Il faut attendre les années 1980 et surtout les années 1990 pour voir les pouvoirs publics
renouer officiellement et publiquement avec les grandes commissions de réforme
administrative et d’économies. Cf. P. Bezes, Réinventer l’État. Les réformes de l’administration
française (1962-2008), p. 262 et 372-388.
4. Sur l’administration consultative, C. Colson, « Le Conseil supérieur de la marine
marchande et la défense des intérêts généraux », Revue politique et parlementaire, n° 263, 10
octobre 1916, p. 5-21 ; G. Dauphin, L’administration consultative centrale, Librairie Marcel
Rivière, 1932 ; M. Lachaze, « Le règne des conseils ou la polysynodie dans l’administration
française », Revue politique et parlementaire, n° 478, 10 septembre 1934, p. 483-494 ; H. Puget,
« L’administration consultative centrale : conseils et commissions », in A. de Monzie, H.
Puget et P. Tissier (dir.), Encyclopédie française, tome X, L’État moderne : aménagement, crise,
transformations, Comité de l’Encyclopédie éditeur, 1935 ; J. Cahen-Salvador, La représentation
des intérêts et les services publics, Recueil Sirey, 1935 ; Y. Weber, L’administration consultative,
LGDJ, 1968 ; A. Chatriot, « Les instances consultatives de la politique économique et sociale
», in G. Morin et G. Richard (dir.), Les deux France du Front populaire : chocs et contre-chocs,
Actes du colloque du 4-6 décembre 2006, L’Harmattan, 2008, p. 255-266 ; F. Descamps, «
Administration consultative et administration active : le cas des Comités d’économies et de
réforme administrative de l’entre-deux-guerres », Revue administrative, n° 373, janvier-
février 2010, p. 75-83.
5. Sur la question des effectifs des fonctionnaires et de leur « comptage », nous renvoyons
aux travaux d’E. Ruiz, cf. « Compter : l’invention de la statistique des fonctionnaires en
France (19890-1930) », in P. Bezes et O. Join-Lambert, « Comment se font les administrations
», Sociologie du travail, 52 (2), avril-juin 2010, p. 212-233.
6. C’est notamment le point de vue de L’État moderne et du syndicat de l’Enregistrement (A.
Budon et G. Mer). Cf. J. Siwek-Pouydesseau, Le syndicalisme des fonctionnaires jusqu’à la guerre
froide, 1848-1948, Paris, Presses universitaires de Lille, 1989, p. 248-250.
7. Précisons qu’à l’époque, la statistique des fonctionnaires est encore embryonnaire et que
ce sont les ministères eux-mêmes, les directions du personnel et les directions de la
comptabilité des ministères techniques qui tiennent la comptabilité de leurs emplois grâce
à leurs fichiers de paye. Les contrôleurs des dépenses engagées n’ont pas encore les moyens
de contrôler l’action des administrations en matière de recrutement et de rémunération, ce
qu’ils obtiendront avec la loi de 1922 (visa préalable). La première tentative de mesurer
scientifiquement les effectifs des fonctionnaires date de 1932, avec la publication de l’étude
de Raymond Rivet, « Les statistiques des fonctionnaires en France et en divers pays »,
Bulletin de la SGF, octobre-décembre 1932.
8. J. Siwek-Pouydesseau, op. cit ., 224-227.
9. SAEF, B 59 119.
10. E. Féret du Longbois, né en 1860, polytechnicien, a occupé successivement de 1907 à
1917 le poste de directeur de la Comptabilité publique puis du Contrôle des administrations
financières, de contrôleur des dépenses engagées au ministère des Finances et de directeur
du Mouvement général des fonds. Il a été nommé conseiller maître à la Cour des comptes en
1917.
11. SAEF, commission Courtin et Féret du Longbois, B 59 119.
12. M. Bloch né en 1861, inspecteur des Finances, a occupé le poste de directeur de la
comptabilité au ministère des Colonies (1900), puis aux Finances celui de directeur général
des Contributions directes (1908) et de directeur général de la Comptabilité publique (1912).
Il a été nommé procureur général près la Cour des comptes en 1913.
13. Né le 4 juillet 1882, P. Brin accomplira toute sa carrière à la Cour des comptes, selon une
trajectoire exemplaire qui le mènera de l’auditorat en 1908 jusqu’à la Première Présidence
en 1948, en passant par le poste de président de chambre en 1937, de procureur général en
1944 et de président du Comité central d’enquête sur les coûts et rendements des services
publics de 1946 à 1952.
14. Bloch président, l’inspecteur général des Finances Sauvalle, Lavit contrôleur général de
l’Armée, Monod représentant du ministère des Régions libérées, Féret du Longbois
conseiller maître à la Cour des comptes.
15. Les commissions tripartites doivent être créées dans un délai d’un mois à partir de la loi
de finances du 1er juillet 1923 : révision des cadres, simplifications, réforme des méthodes
de travail, hausses du rendement, recherche d’économies et réduction du personnel… Cf.
CHAN, 317 AP 48 ; L’État moderne, n° 1, janvier 1929 ; n° 2, mars 1929, p. 13-17 et p. 24-31 ; J.
Siwek-Pouydesseau, op. cit., p. 237-238.
16. E. Labeyrie, futur procureur général en 1933 et futur réformateur du système de gestion
des finances publiques, est son directeur de cabinet.
17. Selon la Fédération générale des fonctionnaires, les travaux n’auraient abouti qu’à « un
immense bluff », in J. Siwek-Pouydesseau, op. cit., p. 249.
18. CHAN 317 AP 48. Dans les archives de Louis Marin, on trouve trace des difficultés du
comité Bloch : échec des enquêtes écrites diligentées par Bloch, résistances des chefs de
service, délais de réponse sans cesse rallongés, fermeture des ministères aux demandes et
aux enquêtes, menaces de renvoi des contrôleurs des dépenses engagées, campagnes de
presse fomentées par les ministères et les intérêts locaux…
19. CHAN 317 AP 48. Il tient sa première séance le 10 août 1922 et siège pendant plus d’une
année.
20. Charles de Lasteyrie, lui-même inspecteur des Finances, ancien directeur des Services
financiers du Blocus, s’attache résolument à la remise en ordre du ministère des Finances :
réorganisation de l’administration centrale des Finances (décret du 28 juin 1923) et de la
gestion du réseau des percepteurs et des personnels du Trésor, résorption et mise en place
d’un service d’apurement des comptes spéciaux du Trésor (loi du 1er décembre 1922),
création et organisation du contrôle des dépenses engagées (loi du 10 août 1922)…
21. Louis Marin, député de Meurthe-et-Moselle, rapporteur général du budget de 1917 à
1919, a fait partie d’un grand nombre de commissions à l’Assemblée : budget, finances,
comptes définitifs, réorganisation économique, affaires étrangères, enseignement, traités
de paix, Alsace-Lorraine, suffrage universel, programmes électoraux et règlement. En 1923,
il est vice-président de la Chambre.
22. Paul Magny, ancien préfet de la Meuse et ancien directeur des affaires départementales
à la préfecture de la Seine, directeur honoraire au ministère de l’Instruction publique et des
Cultes, sénateur radical-socialiste à partir de 1914, président de la commission
d’administration générale, départementale et communale, membre de la commission des
finances des régions libérées d’Alsace-Lorraine.
23. Emmanuel Brousse, député de la Gauche démocratique, membre de la commission des
crédits, vice-président des commissions de la marine et des finances après le conflit, sous-
secrétaire d’État aux Finances dans les gouvernements Millerand et Leygues, spécialiste des
finances publiques et partisan des économies budgétaires.
24. À la date de mars 1924, les commissions tripartites Blum ne sont toujours pas toutes
constituées. Cf. second rapport Marin de mars 1924. CHAN 417 AP 109.
25. L. Marin procède d’ailleurs à un chiffrage de son plan de réforme et il évalue les fruits de
sa première tranche de réorganisation à 650 millions de francs d’économies, avec l’espoir
que son plan total aboutira au final à 4 milliards d’économies.
26. L. Marin est ainsi l’un des premiers hommes politiques à demander la création d’un
grand ministère de l’Économie nationale, plus de dix ans avant le Front populaire.
27. Sur la pénétration du fayolisme dans les administrations, A. Chatriot, « Fayol et les
fayoliens et l’impossible réforme de l’administration durant l’entre-deux-guerres »,
Entreprises et histoire, n° 34, décembre 2003, p. 84-97.
28. CHAN 317 AP 42.
29. Le rapport n’est guère disert sur les méthodes de travail du comité ; faute de moyens
spécifiques, ces dernières n’ont sans doute pas été très différentes de celles des deux
comités d’économies précédents : enquêtes écrites, questionnaires envoyés aux ministres et
traités par les directions du personnel, lecture des rapports des corps de contrôle, travail
sur les documents budgétaires et parlementaires…
30. Sur la réception du rapport Marin, CHAN 317 AP 42, 48 et 109 et conclusion du rapport
Marin, JO, p. 953. Louis Marin prend la peine de lister toutes les manœuvres qui lui ont été
opposées par les chefs de services, notamment : refus de renseignements, renseignements
incomplets ou inintelligibles, réponses à côté, délais répétés pour fournir le moindre
chiffre, protestations mal sonnantes, campagnes de presse organisées, refus de réponses…
31. CHAN 317 AP 48. Dans le projet de son deuxième rapport destiné à compléter le premier,
Louis Marin prévoit d’ajouter aux suppressions des recettes et des perceptions la fusion de
la régie de l’Enregistrement et de celle des Contributions directes, ainsi que celle des
Contributions indirectes et des Douanes. Le Comité des experts au printemps 1926
reprendra la proposition de fusionner les services des Contributions directes et de
l’Enregistrement et Poincaré, de retour au pouvoir, mettra en œuvre pendant l’été 1926 la
suppression de 153 recettes et la fusion de l’Enregistrement et des Contributions directes.
32. N. Carré de Malberg, « La naissance de la direction du Budget et d’un contrôle financier
et les grandes étapes d’un développement contrasté 1919-1940 », in colloque Comité pour
l’histoire économique et financière de la France, La direction du Budget entre doctrines et
réalités 1919-1944, Paris, 2001, p. 65-104.
33. Commission Courtin et commission Féret du Longbois, SAEF, B 59 119.
34. Ces mécanismes sont bien connus des parlementaires spécialistes de finances publiques,
des gestionnaires aussi bien que des syndicats de fonctionnaires. Cf. les analyses de L’État
moderne en 1932-1933.
35. Face à la crise monétaire et financière qui secoue le cartel des gauches, R. Péret,
ministre des Finances du gouvernement Briand, par le décret du 31 mai 1926, met en place
un comité des experts qui doit établir des propositions pour un programme
d’assainissement économique et financier. Les membres en sont Sergent, Duchemin,
Fougère, Jèze, Lewandowski, Masson, Moreau, Oudot, de Peyerimhoff, Philippe, Picard, Rist
et Simon. Le rapport rendu le 3 juillet 1926 propose de nombreuses mesures monétaires et
financières (consolidation volontaire et progressive des bons de la défense nationale,
création d’une caisse de gestion de ces bons administrée par la Caisse des dépôts et
alimentée par les recettes du monopole des tabacs, stabilisation monétaire, accroissement
de l’autonomie de la Banque de France, mesures budgétaires et fiscales, etc.), mais, il
comporte aussi un petit volet de réforme administrative et d’économies (réduction des
subventions aux collectivités locales, rationalisation des services locaux, fusion des
administrations des Contributions directes et de l’Enregistrement en vue d’améliorer
l’efficacité du contrôle fiscal et le rendement de l’impôt sur le revenu…)
36. Du mois d’août 1926 jusqu’à la fin décembre 1926, plus de 70 décrets de suppressions
d’emplois sont pris par le Gouvernement.
37. Toutefois, un décret du 1er mars 1932 institue auprès de P. Reynaud, garde des Sceaux
et vice-président du Conseil, un service de contrôle des administrations publiques, chargé
de centraliser tous les rapports des corps de contrôle et d’inspection des différents
ministères, de mettre en œuvre « la simplification » des rouages administratifs et de
promouvoir la réforme administrative. L’initiative n’a pas de suite, stoppée par la chute du
cabinet Tardieu en juin 1932, mais elle inspirera les travaux des conseillers de G.
Doumergue sur la rénovation de la Présidence du Conseil après la crise de février 1934.
38. Circulaire de la DB du 6 février 1933, SAEF, B 33 452.
39. Décret du 22 octobre 1932, article 4, SAEF, B 33 452.
40. Décret du 27 juin 1933.
41. Le secrétaire général est Lorain, conseiller référendaire à la Cour des comptes, les trois
secrétaires rapporteurs sont Charnacé auditeur à la Cour, Closset auditeur au Conseil d’État
et Ardant inspecteur des Finances.
42. SAEF, B 33 316, circulaire DB du 27 décembre 1932. Les réponses des contrôleurs des
dépenses engagées s’échelonnent de décembre 1932 à mars 1933, plus ou moins innovantes,
plus ou moins incisives (organisation, structures, auxiliaires, comptabilité, emplois,
indemnités, subventions, travaux, contrôle). Les rapports des CDE insistent sur le nécessaire
renforcement du contrôle sur les offices et certaines de leurs propositions seront reprises
dans le cadre des travaux de la commission des offices de 1933.
43. SAEF, B 33 452. Entre autres, notes DB du 10 février, du 1er mars, du 7 mars 1933, du 30
mars 1933. La DB sert en réalité de secrétariat au comité supérieur des économies ; c’est elle
qui instruit les demandes, suit les dossiers, relance et centralise les réponses des services.
44. M. Bloch demande à chaque ministre de lui faire parvenir un ou plusieurs tableaux lui
faisant connaître la liste des indemnités ou suppléments de toute nature, remises ou
allocations attribuées aux fonctionnaires, militaires, employés ou ouvriers au service de
l’État, sur les crédits du budget général ou les budgets annexes. Il demande également des
informations sur la nature de ces indemnités, leur taux, leur justification, la référence aux
textes législatifs ou réglementaires qui les autorisent, le nombre et la catégorie des agents
bénéficiaires, la dépense totale que représente chaque indemnité et le chapitre du projet de
budget de 1933 dans lequel s’inscrit cette dépense. Le même exercice est demandé aux
offices et aux établissements publics, qui arguent de leur statut pour essayer de se
soustraire aux demandes de renseignements. En décembre 1933, le président du comité
d’économies, E. Labeyrie, exige du ministre des Finances que les indemnités, primes, jetons
de présence, versés aux administrateurs de l’État dans les sociétés dont l’État est
actionnaire, soient soumises à la révision générale prescrite par le Parlement. Les réponses
des directions des Finances se font attendre…
45. Pour les Finances, c’est le contrôleur général des Armées Bralley qui est en charge de
l’enquête. Le principe du « regard extérieur », développé par le Comité de réforme
administrative de 1938 puis par le Comité central d’enquête sur le coût et le rendement des
services publics de 1946, a donc été mis en œuvre dès 1933 par le comité Bloch II.
46. SAEF, B 33 452. Décret du 22 octobre 1932, article 5, décret du 20 novembre 1932 et loi
du 28 février 1933, article 74. « Il sera institué dans chaque administration de l’État, office
ou administration autonome, une commission d’économies qui sera chargée de proposer les
simplifications possibles dans l’administration et les réformes applicables aux méthodes de
travail. Cette commission procédera à une révision générale des cadres, elle proposera les
réductions possibles de personnel ». Ces commissions tripartites sont composées à part
égale de représentants des « organisations du public » (usagers, chambres de commerce,
chambres syndicales), de membres représentant l’administration désignés parmi les hauts
fonctionnaires et de représentants du personnel. Une soixantaine de commissions
tripartites sont prévues. Pour les Finances, il est prévu une commission tripartite pour
l’administration centrale, pour chacune des trois régies financières, pour la Comptabilité
publique, pour les Douanes, pour les manufactures de l’État, pour l’Imprimerie nationale,
pour les Monnaies et Médailles et pour le Service des laboratoires. Les archives des
commissions tripartites du ministère des Finances nous renseignent sur les revendications
et les propositions des services ainsi que sur l’attitude de la hiérarchie, plutôt conciliante,
qui relaie avec bonne volonté les préconisations à caractère « gestionnaire ». Il semblerait
que certaines d’entre elles aient été reprises dans certains des décrets-lois Doumergue du
printemps 1934, mais cela reste à vérifier. En revanche, sans surprise, la suppression des
indemnités fait l’objet d’un rejet parfaitement consensuel !
47. B 33 452. Selon les réformateurs de l’après-guerre, l’expérience des commissions
tripartites aurait avorté ; mais les archives de la DB, ainsi que les articles de L’État moderne
en 1933 (par exemple sur la réforme du Service des laboratoires) montrent que les
commissions tripartites ont remonté des propositions à destination du comité supérieur, au
grand bénéfice des directions du personnel et de la direction du Budget, qui faisant office
d’intermédiaires obligés, ont amélioré leurs connaissances des services et des effectifs. Voir
F. Descamps, « Une expérience de réforme administrative d’en bas en France : les
commissions tripartites de 1933 ou la première tentative de cogestion administrative au
ministère des Finances », in Actes du colloque Les réformes administratives vues d’en bas
organisé par le CERAP, Université libre de Bruxelles, 14-15 mai 2009, volume III, Pyramides,
n° 19, Bruxelles, Presses Universitaires de Bruxelles, 1er semestre 2010, p. 153-178.
48. B 33 452, circulaires DB du 28 septembre 1933 et du 12 février 1934.
49. Circulaires DB du 9 avril 1934 et circulaire du 21 juillet 1934. Idem pour les offices. En
octobre 1934, la DB s’attaque aux indemnités versées pour l’utilisation de véhicules
personnels dans le cadre du service.
50. N. Carré de Malberg, Le grand état-major financier : les inspecteurs des finances, 1918-1946. Les
hommes, le métier, les carrières, Paris, CHEFF, 2011, p. 254-255. Si Y. Bouthillier est considéré
généralement comme le principal artisan de la politique de déflation budgétaire sous Laval,
il est clair qu’E. Haguenin partage la même responsabilité sous Doumergue. L’histoire a
retenu le nom du premier, mais le second n’a pas été en reste !
51. SAEF, B 33 452, Décrets-lois du 4 avril 1934, Journal officiel, « Réalisation d’économies en
exécution de l’article 36 de la loi du 28 février 1934 ». Le rapport au président de la
République expose en six points le diagnostic et l’argumentaire du gouvernement
Doumergue (l’analyse de la situation ; la nécessité de l’équilibre budgétaire ; l’œuvre de
réforme ; la lutte contre les abus et la réforme administrative ; les sacrifices demandés aux
personnes ; subventions et dépenses de matériel) dans le cadre du plan de sauvetage des
finances publiques. Ce texte porte principalement la marque de Germain-Martin, ministre
des Finances, et de ses deux bras droits, Bouthillier, son chef de cabinet, directeur du
Service de contrôle des administrations financières et Haguenin, directeur du Budget ; la
patte de R. Dautry, conseiller du président du Conseil, hostile à l’abattement forfaitaire et
partisan des méthodes d’organisation scientifique du travail et des services des ingénieurs-
conseils privés, n’est guère perceptible, mais il aura sa revanche en 1935, au cabinet de
Laval. Cf. les archives Dautry, CHAN, 307 AP 95 à 100.
52. B 33 452, circulaire DB du 7 avril 1934.
53. Les traitements inférieurs à 12 000 francs, jusqu’ici exonérés par la loi du 23 décembre
1933, sont réduits de 5 %, les traitements supérieurs à 100 000 francs de 10 % et les
traitements intermédiaires voient leur prélèvement accru.
54. S’engage parallèlement le travail d’élaboration des décrets et des arrêtés d’application,
ministère par ministère. Pour le ministère des Finances, les décrets s’échelonnent du 21
avril au 30 juin 1934 et énumèrent catégorie par catégorie les emplois supprimés dans les
services extérieurs et à l’administration centrale.
55. Archives Dautry, CHAN, 307 AP 96, note du 20 septembre 1934, p. 10.
56. Au début des années 1930, la direction du Budget et son service des personnels civils et
militaires (PCM), alliée au comité supérieur d’économies, tente d’améliorer sa connaissance
des effectifs des agents publics. L’enquête de mars 1933 sur les indemnités, qui vise à
obtenir des informations sur les rémunérations « réelles » des agents publics, en est un des
moyens ; au même moment, en 1932, R. Rivet, à la SGF s’intéresse à la statistique des
fonctionnaires.
57. Décret du 4 avril, Journal officiel, 5 avril 1934, p. 3499.
58. La circulaire du 7 avril 1934 constitue un véritable discours sur la méthode concernant
la réforme administrative vue depuis la direction du Budget.
59. SAEF, B 33 316, circulaire DB du 22 juin 1935 et réponses des CDE.
60. Tout se passe comme si s’aiguisait la concurrence entre la présidence du Conseil,
conseillée par R. Dautry, J. Toutée et J. Branger, et le ministère des Finances où c’est
désormais Y. Bouthillier qui en tant que directeur du Budget pilote la déflation
administrative et budgétaire. CHAN 307 AP 98, 18 juillet 1935.
61. Près de 400 décrets ont été pris en exécution de la loi du 8 juin 1935.
62. Les petits traitements inférieurs à 8 000 F sont soumis à un prélèvement de 3 % ; ceux
compris entre 8 000 et 10 000 à un taux de 5 %.
63. Décret-loi du 3 juillet 1935. La commission prévoit la participation d’un président de
chambre de la Cour (Amet président), d’un conseiller d’État (Bouffandeau), d’un recteur
(Charlety), d’un président de section du conseil supérieur des Ponts et Chaussées ou des
Mines (Kerviler), d’un inspecteur général des Finances (Poisson) et du directeur du Budget,
ainsi que la nomination de conseillers maîtres pour diriger les missions de contrôle dans les
ministères. Chaque mission est composée de deux enquêteurs, un membre du Conseil d’État
et un inspecteur des Finances.
64. Décret-loi du 2 juillet 1935. Il est institué un comité supérieur des méthodes et des
résultats de la gestion des administrations de l’armée, de la marine et de l’air, afin de
rechercher et proposer toute mesure tendant à assurer cette gestion dans les conditions les
plus économiques, tant en ce qui concerne les dépenses de personnels que de matériel. Il est
composé d’un président de section du Conseil d’État (Chardon), d’un président de chambre
(Valette), d’un inspecteur général des Finances (Boullay), de trois contrôleurs généraux des
trois armes, et de rapporteurs pour enquêter dans les départements, sous la responsabilité
de sous-commissions ministérielles.
65. Décret-loi du 17 et du 30 juillet 1935. Le comité supérieur de l’administration
départementale et communale est chargé de veiller à la stricte application du contrôle en ce
qui concerne les administrations départementales et communales ainsi que les
établissements publics et de rechercher un nouveau statut financier pour les départements,
communes et établissements publics. Il est présidé par E. Herriot ministre d’État assisté des
ministres des Finances et de l’Intérieur, et comprend un président de section au Conseil
d’État, un président de chambre à la Cour des comptes, un inspecteur général des services
administratifs, le directeur de l’administration départementale et communale, le directeur
du Budget, le directeur de la Comptabilité publique, le président de l’association des maires
de France, le président du conseil général des Bouches-du-Rhône.
66. Décrets-lois du 9 juillet et 15 juillet 1935. Dans chaque ministère, le comité d’économies
est « chargé de rechercher et de proposer toute mesure tendant à la réduction ou à la
suppression des dépenses, à l’amélioration des services publics par la simplification des
rouages administratifs, la fusion ou la suppression de services ou d’emplois, la modification
des méthodes et moyens de travail selon les procédés les plus modernes et l’amélioration du
rendement du personnel ». La recherche traditionnelle des économies et la réforme
administrative s’augmentent des nouvelles méthodes venues de l’industrie ou des cabinets
de conseil en organisation que R. Dautry souhaite voir acclimater dans les administrations
publiques. Les rapports des comités d’économies sont attendus à la présidence du Conseil
pour le 1er septembre, mais ils s’échelonnent jusqu’au 25 septembre ; faute de directives, ils
revêtent une forme hétérogène et ne comportent pas toujours les textes réglementaires
attendus. Chaque comité d’économies ministériel est vice présidé par un conseiller maître
ou un conseiller d’État ; il est composé d’un inspecteur ou d’un membre du corps de
contrôle financier, d’un conseiller d’État ou d’un conseiller maître ; s’y ajoutent trois
représentants du président du Conseil dont un membre du Conseil national économique et
trois représentants du ministère concerné. Le principal élément innovant réside dans la
participation de représentants de la présidence du Conseil, souvent choisis dans le milieu
des ingénieurs et des organisateurs privés (cf. la lettre de J. Milhaud à R. Dautry, 24 juillet
1935 ou le rapport général pour le ministère des Travaux publics de Robert Satet, membre
du CNOF, CHAN, 307 AP 98). Au ministère de l’Air, le comité de réorganisation est présidé
par H. Chardon, président de section au Conseil d’État et le rapporteur général est J. Toutée.
Au ministère des Finances, le comité d’économies, créé le 15 juillet 1935, réunit Fochier,
conseiller d’État, vice-président, Allix, professeur de la Faculté de droit de Paris, Fournier,
membre du Conseil national économique, Compagnon, secrétaire général du CNOF,
Fouchier, conseiller maître à la Cour, Decron et Drouineau, inspecteurs généraux des
Finances, Veraguth TPG, membre de L’État moderne et futur magistrat de la Cour des
comptes, ainsi que le directeur du Budget.
67. Décret de création du 4 juillet 1935, Journal officiel du 5 juillet 1935 p. 7163 et décret du 4
décembre 1935, JO, p. 12780. La commission supérieure de révision des pensions est présidée
par un conseiller d’État et composée d’un magistrat de la cour, d’un représentant du
ministère des Pensions, d’un représentant du ministère des Finances, d’un médecin des
hôpitaux et de quatre anciens combattants ; elle est subdivisée en sections et fonctionne sur
mémoires. Les différentes sections de la commission supérieure des pensions sont présidées
par un conseiller d’État ou un magistrat de la Cour des comptes ; la vice-présidence de la
commission est confiée également à un conseiller maître ; des auditeurs peuvent être
adjoints comme rapporteurs. Les commissions de révisions, dans les ministères, sont
composées d’un membre de la Cour des comptes, d’un magistrat, de contrôleurs des Armées
et de la Marine, d’un représentant des anciens combattants et des pensions, d’un médecin…
Cinquante commissions au moins sont prévues.
68. De fait, leur installation a pris un temps infini et suscité de nombreuses résistances de la
part des ministères contraints de se soumettre au contrôle des représentants du ministère
des Finances (SAEF, B 33 316).
69. CHAN, 307 AP 98, Note de J. Branger, août 1935, proposant de créer un conseil supérieur
d’organisation des services publics, présidé par le président du Conseil et chargé de
coordonner les travaux et les décisions des différents comités d’économies.
70. Pour une tentative d’évaluation à l’époque, « Note sur les travaux des commissions
d’économies dans les ministères », et rapports ministériels correspondants, CHAN, 307 AP
100. L’auteur (Dautry ? Branger ?) fait état des difficultés à obtenir l’assentiment des
ministres pour les mesures d’économies préconisées par les comités d’économies, à obtenir
les projets de décrets correspondants et à chiffrer financièrement les mesures de
réorganisation. À notre connaissance, aucun bilan administratif et budgétaire d’ensemble
n’a été entrepris rétrospectivement.
71. Décret-loi de création du 12 novembre 1938, en application de la loi du 5 octobre 1938,
JO, p. 12888.
72. Exposé des motifs, p. 12888.
73. Cité par E. Bonnefous, La réforme administrative, Paris, PUF, 1958, p. 76-77. Voir aussi
CHAN, 74 AP 17, le discours de P. Reynaud à la radio le 12 novembre 1938 où il affirme son
refus de l’abattement forfaitaire. De fait, dès 1935, certains hauts fonctionnaires de la
présidence du Conseil ont dénoncé l’utilisation de l’abattement forfaitaire et « l’uniformité
des compressions effectuées », « sans qu’il ait été fait de distinctions suffisantes suivant
l’utilité plus ou moins grande des services » (CHAN, 307 AP 100, Rapport présenté par le
Comité chargé de rechercher et de proposer toutes mesures tendant à la suppression ou à la
réduction des dépenses publiques au ministère des Finances, p. 3).
74. Né en 1867, G. Pichat a été vice-président du Conseil d’État en 1937-1938. Le 3 avril 1938,
il est nommé par Léon Blum à la présidence de la Cour supérieure d’arbitrage, créée pour le
règlement des conflits collectifs du travail.
75. R. Villard, né en 1894, inspecteur des Finances, directeur du Budget et du Contrôle
financier de 1929 à 1932, est en 1938 sous-gouverneur du Crédit foncier.
76. L. Hyon, administrateur des Douanes, proche des milieux syndicalistes et de L’État
moderne, partisan d’une modernisation des méthodes de travail et favorable à la «
collaboration » des agents, des usagers, des syndicats et de la hiérarchie, est nommé
directeur général des Douanes par le Front populaire en novembre 1936, en même temps
que G. Mer, nommé secrétaire général rue de Rivoli. Il conserve ce poste jusqu’à sa
nomination au CRA le 21 novembre 1938, puis prend sa retraite en octobre 1939. Cf. J.
Bordas, Les directeurs généraux des Douanes, L’administration et la politique douanière 1801-1939,
Paris, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 2004, p. 719-724.
77. T. Rosset, professeur de philologie, proche du parti radical, directeur de l’enseignement
supérieur de 1938 à 1941.
78. J. Toutée, maître des requêtes, a été l’un des adjoints de R. Dautry au sein du cabinet de
Doumergue en 1934.
79. A. Boissard, né en 1901, inspecteur des Finances, chef adjoint du cabinet Laval, président
du Conseil, chef du service des prestations en nature du ministère des Finances de 1935 à
1938.
80. Le CRA est réputé pour avoir employé jusqu’à 80 enquêteurs rapporteurs ! Cf. la liste des
rapporteurs incluse dans le décret du 13 décembre 1938, p. 1359. Parmi les personnes
associées aux travaux du CRA, on compte une vingtaine de membres de la Cour des comptes
: Brin, Chalandon, Berthoud, Savin, Le Conte, Merveilleux du Vignaux, de Thoré, Brouillet,
Delaporte, Escoube, Walter, Hamelin, Priem, Lorain, Favier, Marcus, Parent, Forbin,
Willier… Et au moins autant d’inspecteurs des Finances : Amaudric du Chaffaut, Boissard
(Adéodat et Henri), Auboyneau, Colas des Francs de Parabère, Ardant, Richard, Fayol,
Salaün, Marcotte de Sainte-Marie, Chomereau de Saint-André, Redouin, Gregh, Gruson,
Schweitzer, Cardin, Mourre, Grièges, Brunet (André), Donati, Fayol, Fouchier, Fourmon,
Frédet, Redouin, Devaux, etc.
81. SAEF, B 33 230/1. Bribes des archives de gestion du CRA (enquêteurs, rémunérations,
frais de mission, indemnités, organisation des missions). Les frais de mission des enquêteurs
et les indemnités sont payés par la direction du personnel du ministère des Finances et les
paiements ont duré jusqu’en juin 1939. Chaque mission ministérielle est dotée d’une
documentation particulière sur le ministère étudié (liste des directions et services, liste des
commissions, conseils et comités et crédits affectés à leur fonctionnement, liste des services
dépendant de l’administration centrale, liste des services extérieurs dotés ou non
d’autonomie). A. Boissard entretient une correspondance avec les chefs de mission,
notamment pour la restitution des rapports. La correspondance avec le ministre transite au
cabinet par D. Leca, conseiller de Paul Reynaud ; A. Boissard correspond également avec le
secrétaire général du ministère, Y. Bouthillier. De nombreuses interventions parlementaires
dont la trace subsiste dans les archives relaient les inquiétudes des syndicats et des
associations de fonctionnaires face à la menace de suppressions d’emplois et d’économies.
82. Par exemple, Henri Solus, professeur de droit à la faculté de droit de Nancy.
83. B 33 230/1. On possède le questionnaire d’enquête de la mission « Fonctionnaires »
dirigée par Colas des Francs de Parabère, inspecteur général des Finances. Les questions
étudiées sont les suivantes : conditions d’accès aux postes de rédacteur, accès à ces postes
par les membres des services extérieurs ou détachements, postes discrétionnaires à la
discrétion du ministre, qualifications et procédure de recrutement, concours communs,
contrôle de l’absentéisme et de l’assiduité, contrôle des rendements, aménagement des
locaux et des tâches, conflits d’intérêt dans les commissions de contrôle, personnels «
inaptes » à l’emploi, possibilité de retraites anticipées pour ces personnels, possibilité de
supprimer ces postes, possibilité de supprimer les postes de gardiens de bureau ou
d’hommes de service par sous-traitance à entreprises privées, emplois ouverts aux femmes.
Bizarrement, la fiche ne mentionne pas la question des effectifs…
84. SAEF, 1A 401. Lettre d’A. Boissard, secrétaire général, à Y. Bouthillier, secrétaire général
du ministère des Finances, 13 janvier 1939. Il demande que ces directions « formulent dans
des notes résumées les propositions de réforme ou d’économies qui leur paraissent pouvoir
être réalisées le plus efficacement possible et le plus rapidement possible. Ces directions
devraient d’autre part signaler les services où elles estiment que le comité aurait intérêt à
diriger le plus rapidement possible l’activité de ses rapporteurs ». Ces directions sont en
effet « particulièrement informées, en raison de leurs attributions, des défectuosités qui
existent dans certains secteurs administratifs et qui sont dès maintenant en mesure de
fournir des suggestions précises tendant à corriger ces défectuosités ».
85. SAEF, 1 A 401.
86. SAEF, 1 A 401 et CHAN, 74 AP 17, discours de P. Reynaud, 21 avril 1939. Dans ce discours,
il annonce des économies sur les grands travaux, la réforme du service des Alcools, la
réforme de l’Office du blé, la liquidation des participations de l’État, la réforme de la
préfecture de Paris et de la Seine…
87. E. Bonnefous, La réforme administrative, Paris, PUF, 1958, p. 77-78.
88. SAEF, B 57 035. Le décret Chéron entraîne en 1930 un afflux des demandes de
dérogation.
89. Pour un bilan macrobudgétaire, voir A. Sauvy, Histoire économique de la France entre les
deux guerres (1931-1939), Paris, Fayard, 1967, p. 150-180 ; C. André, R. Delorme et G. Terny, «
Les dépenses publiques françaises depuis un siècle », Économie et statistique, Année 1973,
volume XLIII, p. 3-14 ; J. Bouvier, « Histoire financière et problèmes d’analyse des dépenses
publiques », Annales. Économies Sociétés Civilisations, 33e année, n° 2, mars-avril 1978, p. 207-
215 ; C. André et R. Delorme, L’État et l’économie. Un essai d’explication de l’évolution des dépenses
publique de la France (1870-1980), Paris, Le Seuil, 1983.
90. Il existe depuis 1924 une instance de concertation et d’association des « forces vives » de
la nation en matière économique et sociale, le Conseil national économique. Cf. A. Chatriot,
La démocratie sociale à la française, L’expérience du Conseil national économique, 1924-1940, Paris,
La Découverte, 2002
91. E. Haguenin manifeste son tropisme réformiste et rationalisateur dès 1929, alors qu’il
est directeur du contrôle des dépenses engagées rue de Rivoli ; son rapport annuel sur le
budget 1928 est un modèle du genre et atteste des ambitions du futur directeur du Budget
et du Contrôle financier quant à sa conception du rôle du contrôle des dépenses engagées,
SAEF B 33 330, 30 octobre 1929. Voir quelques années plus tard sa circulaire aux contrôleurs
des dépenses engagées du 26 avril 1933 sur le contenu de leurs rapports ou celle du 14 mars
1933 sur le contrôle des offices, SAEF, B 33316.
92. Sur le comité budgétaire et son incapacité à endiguer le flot des dépenses publiques et
l’augmentation des effectifs de fonctionnaires, rapports d’activités au Maréchal Pétain 1942
et 1944, rapports publics de la Cour des comptes 1947 et 1948 et rapports du CCECRSP 1947
et 1948.
93. Ordonnance du 6 janvier 1945, article 2, SAEF, B 48 448.
94. Séance solennelle du 30 juillet 1945, archives de la Cour des comptes, 2004001/29.
95. Créations irrégulières d’emplois, désordres dans les traitements et les indemnités,
avancement dans les grades, recrutement abusif d’auxiliaires, dépassements d’effectifs, «
gonflement » du nombre d’agents techniques, chasse aux subventions abusives aux
associations et aux fondations, emploi abusif d’automobiles, chasse aux frais de
déplacement, etc.
96. Séance solennelle du 30 juillet 1946, Archives de la Cour, 2004001/29. Pour gagner du
temps, la vérification de la comptabilité administrative du ministère est désormais confiée
au magistrat chargé d’assister le rapporteur du Budget du même ministère à la commission
des Finances de l’Assemblée
97. Jean Biondi, né en 1900, député SFIO, ancien résistant. Réélu député en 1945 et 1946, il
entre dans le gouvernement Blum (décembre 1946-janvier 1947), dernier gouvernement
provisoire et premier gouvernement purement socialiste du XXe siècle. De novembre 1947 à
février 1950, il est continûment secrétaire d’État à la Fonction publique ou à la Réforme
administrative. Il a été rapporteur de nombreuses lois, celle sur la nouvelle Constitution,
celle du reclassement de la fonction publique et celle sur les budgets des collectivités locales
et a porté, de bon ou mauvais gré, la politique d’économies et de réforme administrative de
la fin des années 1940.
98. Cf. la circulaire de la Présidence du Conseil sur la constitution des commissions de
révision ministérielles, 31 janvier 1945, SAEF, B 48 448. Ces dernières ont 6 mois pour rendre
leur rapport.
99. La loi prévoit tous les dispositifs possibles (à l’exception de la baisse nominale des
traitements et indemnités) : retraites prononcées d’office, recul de la limite d’âge pour la
retraite, gel des recrutements, mise en détachement, mise à disposition obligatoire du
Centre d’orientation et de réemploi (SAEF, B 57 035).
100. SAEF, B 57 035.
101. Circulaire de la DB du 4 janvier 1947, SAEF, B 57 035.
102. Affaires étrangères 45 ; Commissariat général aux affaires allemandes 7202 ;
Agriculture 1885 ; Anciens combattants 1553 ; MEN 1000 ; Éducation nationale 1500 ;
Finances 3500, FOM 163 ; Justice 786 ; Intérieur 3041 ; Ravitaillement 3000 ; Production
industrielle 1639 ; Santé publique 1728 ; Travaux publics 1000 ; Radio 265 ; Défense nationale
265 ; Air 6500 ; Guerre 8200 ; Marine 2740 ; Présidence du Conseil 4800, etc.
103. SAEF, B 57 035. La direction du Budget se montre sceptique. Le plan de réduction des
effectifs a bien engendré quelques innovations institutionnelles, telles que la création du
Centre d’orientation et de réemploi au ministère du Travail (décret du 10 février 1946).
Mais, créé pour centraliser les demandes d’emplois d’agents dont le poste a été supprimé et
pour organiser leur reclassement, soit dans le public soit dans le privé, le COER présente un
bilan contrasté et controversé (cf. le rapport de l’inspecteur des Finances Marcille, en date
du 22 mars 1949, SAEF, B 57 035 et B 10 495).
104. Décret du 8 juillet 1947. Selon P. Huet (AO, Comité pour l’histoire économique et
financière de la France, entretien avec O. Feiertag, n° 5, 20 décembre 1990), le terme «
Guillotine » aurait été substitué au terme « Hache », pour faire plus moderne (sic).
105. Philippe Huet, inspecteur des Finances, directeur de cabinet de Ramadier, chargé de
suivre les travaux de la commission, décrit combien la direction du Budget était mobilisée
dans cet exercice, notamment par « l’épluchage » un par un des budgets pour « en élaguer
les aspects jugés les moins utiles, secondaires, superflus, excessifs ». Il raconte aussi les
auditions finales, qui se sont déroulées de juillet à octobre 1947, à Paris et à Champs-sur-
Marne, avec convocation des ministres devant le président du Conseil, le ministre des
Finances jouant le rôle du procureur, entouré d’experts et de spécialistes, et décisions
finales de suppressions de crédits ou d’emplois (entretien avec Olivier Feiertag, n° 5, du 20
décembre 1990, AO, Comité pour l’histoire économique et financière de la France).
106. La loi du 6 janvier 1948 est aussi celle qui institue la commission de vérification des
comptes des entreprises publiques.
107. E. Bonnefous, op. cit., p. 86.
108. La loi du 17 août 1948 donne au Gouvernement la possibilité de faire la réforme
administrative en utilisant la voie réglementaire.
109. Dans le gouvernement Queuille, J. Biondi est toujours secrétaire d’État à la Réforme
administrative, tandis que M. Petsche, ministre des Finances, est secondé par A. Poher au
Budget et E. Faure aux Finances.
110. SAEF, B 59 109. Les commissions départementales enquêtent sur la croissance des
effectifs entre 1939 et 1949, sur l’implantation des services et la superficie des locaux
occupés et sur les dépenses de matériel. Chaque service départemental fait l’objet d’une
séance et d’une fiche spécifique ; le tout est regroupé ensuite par ministère. Les conclusions
sont transmises, avec l’avis du préfet.
111. SAEF, B 10 495.
112. Loi de finances du 31 janvier 1950, article 31 et article 32.
113. M. Petsche est ministre des Finances et des Affaires économiques et E. Faure secrétaire
d’État aux Finances.
114. À la suite de la commission nationale d’économies, R. Goetze fait appel à P. Planus pour
la réorganisation et la modernisation de la direction du Budget ; de véritables innovations
suivront cette intervention. F. Descamps, « Lorsque la direction du Budget faisait appel à un
cabinet de conseil privé pour sa propre réorganisation… », Revue française d’administration
publique, n° 131, décembre 2009, p. 513-525.
115. La direction du Budget établit les instructions qu’elle notifie par voie de circulaire au
ministre concerné, ce dernier répond par écrit, puis est auditionné par la commission.
116. PH 42/97. Cours de Millet à l’ENA sur le budget et plus particulièrement sur le budget
de reconstruction et d’équipement (BRE). La loi de finances du 24 mai 51 comportera
l’intégralité des dépenses de reconstruction et d’équipement, de réparation des dommages
de guerre et d’investissements économiques et sociaux.
117. Et Bonnefous de conclure en 1957, dans son ouvrage, p. 103, non sans acidité : « Il suffit
aussi de lire cette liste pour voir que bien peu des mesures proposées furent suivies d’effets
».
118. Introduction, rapport général de la CNE, p. 13.
119. Le prélèvement sur traitement ou sur pension, l’abattement forfaitaire sur les
rémunérations sont abandonnés, ainsi que le retardement de l’avancement ou la suspension
de l’avancement (excepté pour les auxiliaires). SAEF, B 57 035.
120.SAEF, B 10 494. Par exemple, la DB demande par circulaire le 4 octobre 1948 « un état
comparatif des personnels au 31 décembre 1938 et au 31 décembre 1948 avec précisions et
observations sur l’augmentation des effectifs depuis 1938 » et « l’état des immeubles
occupés aux mêmes dates par les services ».
121. SAEF, B 10 494. La mobilisation technique et statistique de la direction du Budget se lit
dans la multiplication des tableaux de chiffres manuscrits conservés dans le Fonds Budget.
La direction chiffre l’augmentation du nombre des fonctionnaires en 1950 à + 408 064
emplois supplémentaires par rapport à 1939.
122. SAEF, B 57 035 et B 10 494. Voir aussi SAEF, Archives Malécot, Rapport au ministre sur
les perspectives budgétaires de l’année 1952, 12 juillet 1951, annexe XIII, 11 p.
123. SAEF B 57 035 et B 10 494.
124. Comité pour l’histoire économique et financière de la France, Archives privées Goetze ;
SAEF, PH 42/97.1, cours à l’ENA de Millet, administrateur civil de la direction du Budget
(conférences du 17 mai 1951 et du 7 juin 1951).
125. En quelques années, une génération entière de « gestionnaires » de l’État – F.-D. Gregh,
R. Goetze, G. Ardant, F. Bloch-Lainé, P. Brin, E. Léonard, A. Saramite, J. Dayre, R. Grégoire, E.
Bonnefous, R. Catherine, P. Questiaux, ou R. Gaudriault – s’est déprise de la politique
d’économies budgétaires…
126. Le contexte politique de l’après-guerre, la puissance des syndicats et du parti
communiste, l’existence d’une direction de la Fonction publique ouverte à la négociation,
l’inflation, rendent impossibles des mesures aussi agressives à l’égard des fonctionnaires
que dans les années 1930.
127. Toutes les « notes au ministre » de R. Goetze de 1950 à 1956 manifestent ce glissement
d’une priorité vers l’autre, archives privées, Comité pour l’histoire économique et
financière de la France.
128. La direction du Budget est chargée en février 1967 par le ministre Ramadier de
présenter un plan d’économies.
129. Ses membres sont Alexandre, de l’ordre des experts comptables, Brasart, président de
la section des finances du Conseil d’État, Gignoux, membre de l’Institut, économiste,
journaliste et ancien responsable du patronat français, Guyot, inspecteur des Finances et
associé-gérant chez Lazard, Jeanneney, professeur à la Faculté de droit et de sciences
économiques, Lorain, président de la Société Générale, Rueff inspecteur des Finances et
ancien directeur du Mouvement général des fonds en 1936, Saltes sous-gouverneur de la
Banque de France, Vitry président de Péchiney.
130. Aux dires de M. Caradet, administrateur du Budget (entretien avec P. Masquelier,
entretien n° 4, du 25 mai 1998, AO du Comité pour l’histoire économique et financière de la
France), J. Rueff et P. Questiaux auraient été placés dans le même bureau à la direction du
Budget.
131. Ce défaut, souligné par les contemporains dès 1958 alors que le décret organique de
juin 1956 venait à peine d’être pris, ne sera pas davantage résolu lors de la rédaction de
l’ordonnance de janvier 1959 ; à partir du milieu des années 1960, la question des services
votés nourrit la réflexion sur la rationalisation des choix budgétaires.
132. SAEF, PH 180/185 ; B 54 788 ; 8 D1 et 8 D2 ; 9 D1 à 9 D3. Arrêtés de création du 13 février
1959 et du 16 février 1959.
133. Article de Combat du 5 et 7 septembre 1947, SAEF, B 48 448.
134. Allocution du secrétaire d’État, SAEF 8 D1.
135. Il n’y a eu qu’une enquête en 1958…
136. Après cette reprise en main et cette redynamisation du CCECRSP, le CCE évolue dans le
sens d’un organisme d’étude sur les grands problèmes d’administration et de fonction
publique. La préoccupation budgétaire des coûts et des rendements chère à G. Ardant
s’efface…
137. Le jeune secrétaire d’État aux Finances qui a déjà fait ses classes budgétaires auprès
d’Edgar Faure en 1952 s’implique dans l’animation de la commission et dans l’organisation
du travail. SAEF, 9 D1.
138. Groupe n° 1 : Services du Premier ministre ; groupe n° 2 : Justice et PTT ; groupe n° 3 :
Intérieur ; groupe n° 4 : Éducation nationale ; groupe n° 5 : services et organismes du
ministère des Finances et des Affaires économiques (présidé par Barjot, conseiller d’État,
composé de Coubet, ingénieur des Ponts et Chaussées, Pilliard, conseiller référendaire, et
Rousseau, contrôleur de l’Armée) ; groupe n° 6 : Agriculture, Industrie et Commerce ;
groupe n° 7 : Travaux publics et Transports ; groupe n° 8 : Travail, Santé publique,
Population, Anciens combattants ; groupe n° 9 : Armées ; groupe n° 10 : Sécurité sociale ;
groupe n° 11 : SNCF et RATP ; groupe n° 12 : EDF ; groupe n° 13 : Charbonnages de France ;
groupe n° 14 : préfecture de la Seine et de Paris ; groupe n° 15 : Postes départementaux. Un
groupe de travail particulier est constitué un peu plus tard, en novembre 1960, sur les
problèmes relatifs aux pensions civiles et militaires (9 D1), ainsi que sur les problèmes
mécanographiques (9 D2). Un certain nombre de questions transversales sont aussi confiées
par V. Giscard d’Estaing à P. Questiaux tels que les marchés publics, les ensembles électro-
comptables (9 D2) ou les ateliers industriels (9 D 3).
139. Les 15 présidents des groupes de travail sont Chasserat, Matthey, de Buffévent,
Plouvier, Barjot, Crépey, Martin, Dobler, Favier, Habemont, Le Gall, Mettas, Béchet, Arnaud,
Erhardt, soit sept magistrats de la Cour des comptes, trois inspecteurs généraux des
Finances, trois conseillers d’État, un contrôleur général de l’Armée, un ingénieur général
des Ponts et Chaussées.
140. Chaque groupe de travail compte trois à cinq membres, tous hauts fonctionnaires, sans
aucun expert externe : 9 membres du Conseil d’État, 22 membres de la Cour des comptes, 6
inspecteurs des Finances, 2 ingénieurs des Mines, 2 administrateurs civils, 2 contrôleurs
d’État, 2 ingénieurs des Ponts et Chaussées, 4 inspecteurs généraux de l’administration, 8
contrôleurs généraux de l’Armée, 2 contrôleurs de la sécurité sociale, 1 ingénieur des
Manufactures de l’État, 1 ingénieur du Génie rural, 1 ingénieur des Eaux et Forêts, 1
conseiller civil, 1 commissaire du Gouvernement, 1 contrôleur civil, 1 ingénieur en chef des
services agricoles. Dans les groupes de travail, les grands corps dominent, notamment les
membres de la Cour des comptes qui viennent largement en tête, suivis des corps de
contrôle, alors que le corps des administrateurs civils créé en 1945 est très faiblement
représenté.
141. Pour le Premier ministre comme pour son secrétaire d’État, cette règle préserve la «
liberté » et la « nouveauté de l’appréciation et du jugement » (cf. allocution d’installation,
SAEF, 8 D1).
142. Sur l’organisation du travail, SAEF, 8 D1.
143. SAEF, 8 D1. « Problèmes de personnels » : effectifs comparés 1939-1950 et 1959 (mise à
jour des tableaux de la CNE de 1950) ; conditions d’attribution des heures supplémentaires
compte tenu des horaires et des temps de travail réels ; recensement et comparaison des
effectifs employés à des travaux d’administration générale ; simplifications à apporter à la
liquidation et au paiement des pensions des agents de l’État ; simplification à apporter dans
les modes de liquidation et de paiement des rémunérations ; simplification dans la gestion
des crédits et l’émission des ordonnances.
144. SAEF, 8 D1. « Problèmes de matériel » : utilisation des locaux à usage administratif ;
acquisition du matériel ; conditions d’utilisation des ateliers et du matériel
mécanographique.
145. SAEF, 8 D1. « Problèmes d’organisation et de structure » : regroupement éventuel sur
le plan local des services multiples d’un même ministère ; détection de doubles emplois
entre services départementaux des ministères et divisions des préfectures ; recherche des
compétences parallèles des différents ministères sur des problèmes de même nature
(commerce extérieur, planification, productivité, normalisation…)
146. 8 D1. Évaluation des effectifs des agents affectés à ces tâches, comparaison entre les
administrations, évaluation du coût en personnel et en francs d’une opération
administrative, définition des normes d’utilisation du personnel et du rendement.
147. SAEF, 9 D1.
148. SAEF, 9 D2.
149. G. Ardant, commissaire général à la Productivité, qui a fait le choix de la fidélité
politique à Mendès France, fait les frais de cette reprise en mains de l’État et quitte après
1959 la scène de la réforme administrative…
150. SAEF, PH 180/185.
151. SAEF, 9 D1 et Archives Michel Debré, FNSP 4 D2. Voir aussi F. Descamps, « Michel Debré
et la réforme du ministère des Finances 1937-1968 », in Actes du colloque du 8 janvier 2004
organisé à Bercy par le Comité pour l’histoire économique et financière de la France, et
Michel Debré, un réformateur aux Finances 1966-1968, Paris, Comité pour l’histoire économique
et financière de la France, 2005, p. 145-181.
152. SAEF, 9 D1.
153.SAEF, 9 D1. Restent par exemple en suspens pour les Finances les questions concernant
un bureau central de liquidation des pensions, les achats centralisés des matériels et
fournitures de l’État, la fusion entre l’INSEE et le SEEF. Sur ce dernier dossier, en dépit d’une
décision de principe de Michel Debré, le ministre de Finances n’obtempère pas, refusant de
laisser s’immiscer le Premier ministre dans son organisation interne. La question sera
finalement réglée par une réorganisation des deux organismes en 1962, sans fusion, mais
avec une nouvelle répartition des tâches.
154. SAEF, 9 D1. Note bilan de la commission.
155. Cf. A. Terray, Des francs-tireurs aux experts, L’organisation de la prévision au ministère des
Finances, 1948-1968, Paris, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 2002.
156. Décret du 14 octobre 1960.
157. Cf. la lettre de M. Debré en date du 21 décembre 1960 au président du CCE, où le
premier ministre insiste particulièrement sur les « suites » données aux décisions.
158. SAEF, 9 D1, note – bilan de P. Questiaux.
159. SAEF, B 54 788. Décret du 4 février 1959. Une commission d’étude est créée le même
jour pour mettre en œuvre la fusion, sous la présidence de V. Giscard d’Estaing.
160. SAEF, B 54 788. La suppression de la DGCEEN avait déjà été étudiée par un groupe de
travail animé par Lauré, inspecteur des Finances. La commission d’étude créée par décret le
4 février 1959, toujours sous la présidence de V. Giscard d’Estaing, organise le dépècement
de l’ancienne direction du Quai Branly entre la direction du Budget, la direction du Trésor
et la direction des Prix, qui se répartissent également les conseils d’administration et les
commissions afférentes.
161. SAEF, 8 D2 et 9 D1. Certains groupes de travail ont instruit jusqu’à 75 fiches, comme
aux Armées. Au total, à l’échelle de la commission tout entière, 512 mesures ont été étudiées
et discutées, contradictoirement avec les services, et arbitrées. Les fiches du groupe n° 5 ont
été examinées en présence de M. Debré lui-même le 16 mai 1959.
162. A. Terray, Des francs-tireurs aux experts, L’organisation de la prévision au ministère des
Finances, 1948-1968, Paris, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 2002.
163. SAEF, 8 D2 et 9 D3. La direction du Personnel joue un rôle d’intermédiation non
négligeable entre le groupe de travail n° 5, le cabinet du ministre et les services concernés
dans cette stratégie de retardement ; elle élabore des contre-propositions, propose des
nouvelles commissions pour étudier la faisabilité des mesures ou des délais d’application
allongés, notamment pour le plan de résorption des perceptions rurales.
164. La Comptabilité publique obtient par force d’inertie le report de cette décision et mai
1968 ruine définitivement l’ambitieux plan de rationalisation du réseau des perceptions un
temps envisagé par le ministre et ses conseillers.
165. SAEF, 8 D2. Divers dossiers sur les mouvements de réforme et de rationalisation aux
Finances dans la période.
166. SAEF, 9 D3.
167. SAEF, 9 D2.
AUTEUR
FLORENCE DESCAMPS
Normalienne et agrégée d’histoire, Florence Descamps est maître de conférences en histoire
à l’École pratique des hautes études (EPHE). Elle y anime un double séminaire sur la création
et l’utilisation des témoignages oraux en histoire contemporaine et sur l’histoire du
ministère des Finances au XXe siècle. Elle participe depuis 2005 au groupe de pilotage du
séminaire Histoire de la gestion des finances publiques XIXe-XXe siècles et a codirigé la
publication du premier volume des actes L’invention de la gestion des finances publiques.
Élaborations et pratiques du droit comptable et budgétaire au XIXe siècle (1815-1914). Elle a publié
de nombreux articles sur le ministère des Finances au XXe siècle et sur la réforme de l’État.
Dernièrement, elle a publié « La RCB 1966-1971 : une première expérience managériale au
ministère des Finances ? », in E. Godelier, M. Le Roux, G. Garel, A. David et E. Briot (dir.),
Pensée et pratiques du management en France. Inventaire et perspectives 19e-20e siècles, 2011,
consultable en ligne sur http://mtpf.mlab-innovation.net/fr/sommaire/chapitre-2/la-rcb-
1966-1971-une-première-expérience-managériale-au-ministère-des-finances.html?
PHPSESSID=6a35f3663f90efc5f44bf6a739069703 ; « Les inspecteurs des Finances et la
réforme de la gestion publique au XXe siècle », in F. Cardoni, N. Carré de Malberg et M.
Margairaz (dir.), Dictionnaire historique des inspecteurs des Finances 1801-2009, Paris, Comité
pour l’histoire économique et financière de la France/IGPDE, 2012, p. 141-150 et « Les
techniciens des Impôts et la naissance d’une expertise fiscalo‑financière : L’État moderne
1928-1939 », in F. Monnier et J.-M. Leniaud (dir.), Experts et décisions, Paris/Genève, Droz,
2013, p 47-57.
Deuxième partie. Innovations et
premières tentatives d’évaluation de
la dépense
Gabriel Ardant, le Comité central
d’enquête sur le coût et les
rendements des services publics,
1946-1953 : vers une évaluation des
résultats de l’action administrative ?
Florence Descamps

Introduction
En 1945, c’est le désordre qui caractérise l’appareil administratif de
l’État, gonflé par quatre années du régime de Vichy et par
l’instauration d’une économie d’occupation et de pénurie ; la
Libération à son tour vient apporter son lot de créations
administratives d’organes ministériels et de services. Aucun secteur
de l’activité gouvernementale n’est épargné par la surenchère,
jusqu’au domaine de la réforme administrative elle-même qui voit se
multiplier en ordre dispersé les initiatives et les organismes les plus
divers 1 . Les doubles emplois, les chevauchements d’attributions
suggèrent l’effervescence des idées et la pression budgétaire ; mais la
concurrence des pôles d’impulsion en matière de réforme
administrative laisse aussi transparaître la faiblesse d’une
Présidence du Conseil émergente mais encore fragile, aux côtés d’un
ministère des Finances certes ébranlé, mais peu disposé à lâcher le
contrôle des administrations. Parmi les institutions nouvellement
créées, le Comité central d’enquête sur le coût et les rendements des
services publics (CCECRSP abrégé en CCE), créé sur le rapport du
ministre des Finances par le décret du 9 août 1946, attire l’attention
par son intitulé et par sa « préoccupation gestionnaire » explicite : le
coût et les rendements des services publics. Sous cet habillage
euphémisé, le CCE n’est-il que le dernier-né de la grande famille des
Comités d’économies budgétaires de l’entre-deux-guerres ou est-il
porteur d’innovations dans la conduite de la réforme administrative
et dans le contrôle de la gestion des administrations ? Est-il à
l’origine de nouveaux outils budgétaires et gestionnaires ? A-t-il eu
un impact sur la gestion des administrations ou des finances
publiques ? Quelle a été sa contribution à la réflexion sur la gestion
de l’État ?
Les points de ressemblance avec les Comités de réforme
administrative et d’économies budgétaires de l’entre-deux-guerres
sont indéniables : le double ancrage institutionnel, Présidence du
Conseil et ministère des Finances ; des compétences
interministérielles et un champ d’intervention qui s’étend des
administrations centrales aux associations en passant par les
organismes parapublics, les sociétés d’économie mixte et les
entreprises nationales, consacrant l’extension du contrôle opérée
par la Cour des comptes depuis les réformes de 1935 et 1936 ; une
composition qui rapproche davantage le CCE d’un super corps de
contrôle que d’un Comité exécutif 2 … Quant à ses missions, elles
reprennent des formulations usées jusqu’à la corde depuis les années
1920 :
« Rechercher et proposer les mesures propres à réaliser des économies dans le
fonctionnement des ministères, des établissements publics, des collectivités
locales, des sociétés ou des organismes dans lesquels l’État possède une
participation financière supérieure à 20 % du capital social ainsi que des services
ou organismes ayant bénéficié de subventions, d’avances ou de garanties du
Trésor ».
En revanche, contrairement aux Comités d’économies d’avant 1940,
le CCE se voit doté d’un caractère permanent et n’obéit pas à un
échéancier contraignant. En définitive, un seul élément tranche
véritablement, c’est la place faite aux parlementaires 3 et aux
syndicats 4 , ce qui fait entrer le CCE dans la famille des organes de
concertation créés à la Libération tels que le Commissariat général
au Plan, les Comités techniques paritaires ou le Conseil économique
et social. Quoi qu’il en soit, si l’on en reste à la seule formulation des
missions, le CCE apparaît bien comme le dernier-né d’une longue
lignée de commissions d’économies, inaugurée aux lendemains du
premier conflit mondial. Mais c’était compter sans Gabriel Ardant et
les ambitions qu’il a eues pour son Comité d’enquête sur le coût et les
rendements des services publics, nom qui résume à lui tout seul le
projet innovant de son auteur.

I. La création du CCECRSP : aboutissement


ou innovation ?
Avant d’étudier les innovations dont le CCE a été porteur, nous nous
intéresserons tout d’abord aux héritages qu’il recueille de l’entre-
deux-guerres et de Vichy en matière de réforme administrative et de
gestion publique.

A. Héritages et inspirations

En premier lieu, le CCE recueille l’héritage des commissions


d’économies budgétaires et de réforme administrative de l’entre-
deux-guerres 5 . Membres de la Cour des comptes, inspecteurs des
Finances, membres du Conseil d’État, contrôleurs généraux des
Armées, nombreux ont été les hauts fonctionnaires à être sollicités
dans l’entre-deux-guerres pour établir des mesures d’économies et
rationaliser l’administration. Il s’est produit dans ces commissions
une accumulation de connaissances, une première constitution
d’expertise sur l’administration et son fonctionnement, dont ont
profité directement les deux principaux dirigeants du CCE, Pierre
Brin, le président 6 et Gabriel Ardant, le secrétaire général 7 . De son
expérience des Comités d’économies budgétaires, Ardant a tiré a
posteriori un constat d’échec, diagnostic qui l’a conduit à conclure à
l’inefficacité des commissions et à la conviction qu’il faut appliquer
d’autres méthodes pour réformer les administrations.
Bénéficiant d’un lien étroit avec la Cour des comptes par
l’intermédiaire de son président, le CCE recueille également en 1946
les fruits de l’application de la réforme de l’été 1936 sur la
comptabilité administrative ; cette réforme a permis à la Cour des
comptes de mieux apprécier la gestion des ministères et a donné lieu
à partir de 1938 aux premiers rapports annuels de synthèse sur
certains services 8 , ainsi que sur des questions administratives
d’ordre général 9 : liquidation des traitements, documentation,
normes de construction des bâtiments civils, commandes de
fournitures et marchés de l’État, statistiques 10 , mécanographie, etc.
Ces rapports « nouvelle manière », rapports transversaux et
monographies de service, annoncent les futurs rapports d’enquête
du CCE.
Dans une moindre mesure, le CCE recueille aussi l’héritage éphémère
de la réforme du contrôle financier de 1935-1936 qui a mobilisé entre
1936 et 1939 les inspecteurs des Finances et les magistrats de la Cour
des comptes au sein des Comités ministériels de contrôle financier et
du Comité supérieur de contrôle. Ce dispositif, mis en place en pleine
déflation budgétaire, souhaitait soumettre directement aux Comités
de contrôle financier la gestion des ministères, il a permis à la Cour
des comptes d’accroître son rôle gestionnaire au sein du « système
financier » et de prendre pied directement dans la réforme
administrative. Peut-on aller jusqu’à dire que le Comité supérieur de
contrôle financier de 1936-1939, dans ses ambitions de contrôle a
posteriori, préfigure le CCE 11 ? Non, sans doute, mais on peut
souligner les ambitions et les méthodes de travail communes aux
deux organismes : contrôler l’exécution des budgets ministériels,
instaurer un contrôle des administrateurs, proposer des mesures de
rationalisation et de réorganisation, intimer ou réaliser des enquêtes
sur place, instaurer des procédures orales et contradictoires entre
contrôleurs et contrôlés… D’ailleurs, significativement, par un
lapsus, Ardant appelle dans une de ses notes préparatoires son futur
Comité le « Comité supérieur de contrôle 12 » ! Au final, afin de
marquer la différence avec le passé, le terme « enquête » sera
préféré au terme « contrôle » et le terme « central » à « supérieur ».
Le CCE recueille enfin l’idée d’une coopération plus étroite entre
l’Inspection générale des finances et la Cour des comptes, idée qui
conduit en 1940 le ministre des Finances Yves Bouthillier à envisager
le rapprochement des deux corps de contrôle. Les premières
expérimentations de travail en équipe avec l’Inspection et de
contrôle sur place pour les membres de la Cour des comptes ont
commencé en 1941 dans quatre départements pilotes et les concours
ont été fusionnés en 1941-1942 13 . Cette tentative de coordination et
d’unification des contrôles en matière de finances publiques et de
mise en commun des méthodes de travail s’interrompt dès 1944,
mais le CCE saura s’en souvenir : à sa tête se trouve un binôme,
constitué d’un magistrat de la Cour des comptes et d’un inspecteur
des Finances, et les enquêteurs seront majoritairement puisés dans
les deux corps. Ces expériences, ces apprentissages, ces nouvelles
méthodes de travail qui s’accumulent dans l’orbite des Finances vont
trouver l’occasion d’un important recyclage en 1946 au sein du CCE.
Si le CCE recueille les fruits des efforts de la haute administration des
Finances dans les années 1930 pour réviser ses propres méthodes de
contrôle et de gestion, il n’oublie pas non plus de recueillir
également les fruits de la réflexion de certains syndicats de
fonctionnaires réformistes comme l’État moderne. Ces derniers ont
défendu entre les deux guerres l’idée d’une participation des
syndicats à la gestion des services publics (questions de personnels,
organisation, méthodes, moyens, matériels, traitements et
indemnités, lutte contre la vie chère, hausse des rendements) et
d’une collaboration entre administration, syndicats et
parlementaires 14 . À la Libération, avec la reconnaissance officielle
des syndicats de fonctionnaires, ce fil, un temps interrompu sous
Vichy, est renoué, et en 1946, les pouvoirs publics inscrivent le CCE
dans cette culture de la concertation et de la collaboration syndicale
à la gestion des services publics.
Si l’on s’attache maintenant au thème des coûts et rendements 15 , la
période de l’entre-deux-guerres et de Vichy se révèle également
féconde en études et en propositions. Dans l’entre-deux-guerres,
l’utilisation du terme « rendements » n’est pas rare chez les hauts
fonctionnaires spécialistes de réforme administrative, notamment
chez les hauts fonctionnaires du ministère des Finances 16 ; elle est
courante chez les auteurs de la revue l’État moderne qui réfléchissent
autant à la hausse des rendements fiscaux qu’à la hausse des
rendements administratifs, notamment par la lutte contre la routine,
la paperasserie et la bureaucratie ; elle est également très fréquente
chez les membres de la Cour des comptes dès les années 1920 17 .
Avec la crise comptable et budgétaire des années 1930, la hausse des
rendements dans les services devient une véritable préoccupation et
le terme prospère dans les discours des responsables des finances
publiques 18 . Sous Vichy, c’est le Comité budgétaire, organe de
délibération et de contrôle budgétaire de l’État français, logé et
animé par la Cour des comptes, qui reprend à son compte cette
préoccupation de bonne gestion, et demande à ce que les rendements
administratifs soient mesurés, comparés et contrôlés dans les
différents services de l’État 19 .
Du côté de l’Université et de la science des finances publiques, la
notion de rendements fait également son apparition dans l’entre-
deux-guerres, aussitôt couplée avec la notion plus délicate de coûts,
jusqu’alors peu développée. Jèze, professeur à la Faculté de droit de
Paris, dès 1928-1930, dans le cadre d’une réflexion plus large sur «
l’utilité de la dépense publique », souligne dans ses cours de finances
publiques l’intérêt qu’aurait l’État à classer ses dépenses « selon leur
objet », à connaître « le montant total des dépenses de chaque
service » et à le comparer d’une année sur l’autre, afin de « savoir
l’orientation générale donnée par le Gouvernement et les bureaux à
la politique et à l’administration nationale ». Il indique dès cette
date, mais sans développer d’aucune manière, combien « le
rapprochement du coût des services et de leur rendement, la
détermination de l’importance relative de chaque service par
rapport aux autres services et par rapport aux recettes publiques et
au revenu national » seraient intéressants pour l’État 20 .
Cette préoccupation du coût des services qui perce dans les années
1930 chez le principal théoricien des finances publiques a-t-elle un
écho chez les praticiens et les responsables administratifs ? On
connaît l’importance des travaux menés par le Comité national de
l’organisation française (CNOF) dans les années 1920 et 1930, puis
par le Centre d’organisation scientifique du travail de Jean Coutrot
(COST) au ministère de l’Économie nationale sur le prix de revient et
l’organisation scientifique du travail dans les entreprises
industrielles 21 . Or, ces travaux, qui se sont développés dans
l’industrie dès la fin du premier conflit mondial, ne se sont diffusés
que tardivement dans l’administration, et il faut attendre
l’expérience Laval et le Front populaire pour que les cabinets de
conseil en organisation effectuent une percée significative en
direction des administrations publiques 22 , grâce à des
polytechniciens comme Raoul Dautry 23 , Jean Coutrot 24 ou Jean
Milhaud 25 . Mais s’il y a loin de la notion de rendements à la notion de
coût, il y a encore plus loin de la notion de coût à la notion de prix de
revient et les organisateurs ont bien du mal à acclimater cette
dernière dans les administrations publiques 26 . De fait, dans les
archives, l’expression prix de revient est rarement associée à un
service ou à une administration publique, à l’exception notable des
services industriels et commerciaux de l’État tels que les
manufactures de tabacs et allumettes, les manufactures d’armes, les
PTT, le service des Fabrications aéronautiques et les Offices à
caractère industriel et commercial qui ont donné lieu à des analyses
précoces 27 .
L’analyse des rapports annuels de l’Inspection des finances et des
rapports publics de la Cour des comptes dans les années 1920 montre
que les corps de contrôle n’ignorent pas la notion de prix de revient.
Nathalie Carré de Malberg, dans ses travaux sur l’Inspection, note
par exemple que les préconisations des inspecteurs concernant la
mise en place d’une comptabilité en valeur et non plus en poids au
sein des manufactures de tabacs afin de pouvoir précisément
déterminer un prix de revient ont été prises en compte dès 1925 par la
direction générale des manufactures 28 . Cette décision fait écho aux
recommandations du rapport Citroën de 1925, du nom de l’industriel
rapporteur de la commission extraparlementaire présidée par
Charles Sergent, ancien inspecteur des Finances, chargée en 1923 et
1924 d’étudier les questions concernant l’organisation et le
fonctionnement des monopoles des tabacs et des allumettes et à
laquelle participent des inspecteurs des Finances 29 .
Il en est de même à la Cour des comptes où dès les années 1920 la
notion de prix de revient est usitée dans les rapports publics pour la
gestion des budgets annexes, des services industriels et
commerciaux et des offices ; en revanche, elle n’est appliquée aux
administrations publiques qu’à l’extrême fin des années 1930.
L’expression revient par exemple plusieurs fois dans le rapport
public de la Cour des comptes de 1939, non publié 30 : concernant les
travaux de construction des bâtiments civils de l’État, la Cour
préconise un organisme de coordination centrale, qui examinerait
les programmes de travaux proposés par les ministères, leur lieu,
leur calendrier, la viabilité et la fiabilité des constructeurs,
contrôlerait les devis et évaluerait approximativement le prix de
revient des constructions 31 . Pour les ateliers de fabrication de
l’administration pénitentiaire gérés selon le système de la régie, elle
réclame « de connaître le résultat de la gestion, et par conséquent
d’isoler les opérations industrielles, de déterminer le prix de revient,
de fixer le prix de cession, d’établir enfin une véritable situation de
l’activité industrielle du service 32 »; enfin, elle utilise la notion de
prix de revient à propos des établissements hospitaliers, de leurs
constructions nouvelles et de celles des assurances sociales 33 . Sous
Vichy, on repère le terme dans les rapports de comptabilité
administrative, notamment pour le ministère de l’Intérieur en 1942-
1944 et la gestion des camps d’internement sous Vichy 34 . Enfin,
l’expression est bien présente dans le premier rapport public de
l’après-guerre sur la gestion des administrations publiques en 1940-
1945, notamment pour démontrer les abus auxquels s’est livré le
secrétariat général à la Jeunesse en matière de frais généraux dans
ses écoles d’information 35 .
Dernier lieu de réflexion, sous Vichy, à la fondation Alexis Carrel,
l’équipe des problèmes administratifs dirigée par Henry Puget à
partir de 1943 s’intéresse elle aussi aux méthodes d’organisation
appliquées aux services publics ; en 1943, un jeune rédacteur, chef de
section au service national des Statistiques, Raymond Gaudriault, se
voit confier plusieurs études sur la mécanisation 36 ; il rédige en
1945 un rapport pionnier sur « le calcul du prix de revient des
travaux administratifs dans les services publics ». À partir de 1947,
Gaudriault est mis à disposition du CCE et c’est lui qui sera chargé
des enquêtes sur l’organisation scientifique du travail 37 .
La notion de prix de revient dans les services publics n’est donc pas
ignorée dans la période, loin de là. De cette préoccupation
spécifiquement gestionnaire, Brin, procureur général à la Cour,
spécialiste du contrôle des offices 38 et premier président du CCE, a
pu se faire le passeur lors de la création du CCE en 1946. Ardant,
inspecteur des Finances, considéré généralement comme LE père des
études de prix de revient en milieu administratif, doit donc partager
avec la Cour des comptes la paternité et l’élaboration de ces
dernières.

B. La création du CCECRSP en 1946


1. Les projets de la Libération en matière de contrôle

Sur l’héritage de l’entre-deux-guerres et de Vichy viennent se


greffer les projets de réforme de la Libération en matière de contrôle
administratif et budgétaire. La problématique du contrôle, héritée
du premier XXe siècle, jette ses derniers feux, mais elle n’en est pas
moins vive dans les années 1944-1946. Mentionnons tout d’abord les
projets de rénovation de l’Inspection des finances, fortement
contestée à la Libération, auxquels Ardant, futur secrétaire général
du CCE, apporte sa contribution personnelle 39 . Citons surtout le
projet d’André Philip, ministre socialiste des Finances, soucieux de
réformer l’Inspection et désireux de créer un grand corps du
contrôle général des finances publiques 40 ; ce nouveau corps de
contrôle réunirait cette fois-ci le contrôle des dépenses engagées et
l’Inspection des finances et se verrait chargé de surveiller
l’exécution du budget et l’emploi des deniers publics. Face à cette
offensive, l’Inspection élabore immédiatement un contre-projet, qui
prévoit un Comité supérieur de contrôle rattaché à la Présidence du
Conseil, un corps de contrôle général des finances publiques rattaché
au ministre des Finances, recruté à partir de l’ENA et alimenté par
un tour extérieur à l’échelon supérieur. La chute du gouvernement
socialiste de Félix Gouin en juin 1946 ajourne définitivement le
projet. Évoquons enfin le projet – éphémère – d’une commission
permanente du contrôle administratif logée au sein du Conseil
d’État. Ce projet, qui provient de la nouvelle direction de la Fonction
publique et sans doute de Roger Grégoire lui-même, vise lui aussi à
rationaliser, unifier et coordonner tous les corps de contrôle existant
dans l’administration, mais cette fois-ci sous la houlette du Conseil
d’État 41 . Dans cette floraison de projets se lit l’importance qu’en
1945-1946 les pouvoirs publics continuent d’accorder aux contrôles,
et plus particulièrement au contrôle de la gestion des
administrations et des ordonnateurs.

2. Urgence de la réforme administrative, urgence des économies


budgétaires : la contribution personnelle de Gabriel Ardant
Le besoin d’une révision globale de l’administration suite aux
innovations budgétaires et administratives du régime de Vichy, la
nécessité du rétablissement du contrôle parlementaire sur les
dépenses publiques, le passage d’une économie de guerre à une
économie de paix, l’urgence de faire des économies et de réduire les
effectifs de fonctionnaires, convergent vers la nécessité de mettre en
place un dispositif de réforme administrative plus performant que
les commissions classiques d’économies budgétaires, perçues ou
dénoncées comme inefficaces et illusoires 42 .
Le vice-président du Conseil chargé de la fonction publique, Maurice
Thorez, et le ministre des Finances, André Philip, tombent d’accord
pendant l’hiver 1946 pour créer un comité de la réforme
administrative à caractère politique et exécutif. Des commissions
d’étude ministérielles paritaires sont prévues dans le dispositif, ainsi
que des enquêteurs 43 . Lors de la préparation du décret de création
de ce énième Comité de réforme administrative, Ardant, qui est
conseiller technique auprès du président du gouvernement
provisoire de la République, Félix Gouin 44 , souligne que le comité
de la réforme administrative ne pourra se consacrer aux tâches
d’étude et qu’il conviendrait de créer un « comité technique »,
administratif (non parlementaire), permanent, interministériel,
chargé de coordonner le travail d’enquête et d’assurer le travail
d’analyse 45 .
Cette idée d’enquêtes, Ardant la défend avec insistance depuis 1945 ;
il propose de créer des « missions » spécialisées, composées d’une
dizaine d’enquêteurs, membres du Conseil d’État, de la Cour des
comptes et des corps de contrôle, « travaillant temporairement pour
le président du gouvernement et pour le ministre intéressé » et
chargés de « déterminer les insuffisances des services et les lacunes
de la réglementation 46 ». Les rapports d’enquête devront être
communiqués aux ministres intéressés, au vice-président du Conseil
et au président de la République. Ardant liste dès cette époque les
cinq secteurs qu’il juge prioritaires : le fonctionnement des services
du Ravitaillement et de la Répartition, la taxation des prix et le
contrôle économique, la reconstruction, le prix de revient et le
fonctionnement des services publics.
À partir de cette date, Ardant se positionne résolument dans le
champ de la réforme administrative. Le 23 février 1946, il rédige
pour le président du Conseil un vaste programme d’économies pour
les services civils pour lequel il définit deux axes de travail : un
programme de détermination du prix de revient pour les services
administratifs et un vaste programme d’enquêtes sur place. Au début
du printemps 1946, il résume à nouveau ses propositions dans un
document synthétique (« Résumé des mesures importantes et
urgentes à prendre 47 »). Le 15 avril 1946, il revient à la charge : « A.
Le prix de revient, le rendement ou le coefficient d’exploitation de
chaque service doivent être établis en distinguant circonscription
par circonscription ; B. Des enquêtes sur place sur le fonctionnement
et le rendement des fonds publics doivent être confiées à des
membres du Conseil d’État, de la Cour des comptes et des corps de
contrôle. Elles doivent commencer immédiatement ».
Deux jours plus tard, le 17 avril 1946, il insiste : « Une enquête
générale doit être le moyen de rechercher les défauts de liaison
entre les différents ministères ou services, défauts de liaison ou de
coordination qui sont souvent une des causes principales du mauvais
fonctionnement de l’administration, particulièrement dans le
domaine complexe de l’économie. Cette raison à elle seule suffirait à
faire apparaître la nécessité de constituer des missions spéciales
d’enquête dont les pouvoirs déborderaient le cadre des ministères 48
».
Un peu plus tard, dans une note intitulée « Dépenses publiques »,
Ardant développe les futures méthodes de l’organisme : il n’utilisera
pas les traditionnelles méthodes de « peignage budgétaire » ou
d’abattement forfaitaire, mais : 1. la méthode du prix de revient
unitaire comparé (avec comparaison avec le prix de 1938 et entre
départements), service par service et subdivision par subdivision, ce
qui suppose une « réforme de la contexture budgétaire 49 » ; 2. une
gigantesque enquête générale sur place sur le fonctionnement des
services par des fonctionnaires des corps de contrôle, coordonnés
par un Comité supérieur de contrôle institué auprès de la Présidence
du Conseil, composé de représentants du Conseil d’État, de la Cour
des comptes et des corps de contrôle 50 .
Les notes répétées de Gabriel Ardant finissent par retenir l’intérêt du
ministre des Finances de l’époque et plus encore, celui de François
Bloch-Lainé, son directeur de cabinet 51 . Au-delà des questions de
personnes qui ont joué un rôle certain dans la création du CCE 52 , le
soutien apporté par la rue de Rivoli au projet de Gabriel Ardant
confirme l’existence d’un modèle Finances de la réforme
administrative, fait de rationalisation administrative, de contrôle
financier et d’économies budgétaires, le tout enveloppé dans la
volonté ferme du ministère de conserver un droit de regard sur la
dépense et sur la gestion des ministères techniques. De fait, c’est sur
le rapport du ministre des Finances que le nouveau Comité est
finalement créé en août 1946.
Conçu en 1945 pour la Présidence du Conseil par un Gabriel Ardant
désireux d’apporter sa contribution à la reconstruction de l’État,
repris au vol et estampillé Finances par un cabinet en souffrance
d’économies budgétaires, à la fois « démembrement » et aile
marchante de la Cour des comptes, porteur d’une tentative de
rénovation des contrôles, maintenu malgré tout dans l’orbite de la
Présidence du Conseil mais confié à un inspecteur des Finances, le
CCE porte la marque de diverses inspirations ainsi que de la
concurrence des institutions en matière de réforme administrative.
Dans cette revendication de paternité partagée se lit la rivalité
administrative et politique structurelle, qui va mettre en
compétition la Présidence du Conseil et le ministère des Finances
tout au long de la IVe République en matière de réforme
administrative 53 . À la vérité, la création du CCE a suscité un
véritable consensus politique, comme le prouve le soutien dont il fait
l’objet durant sa gestation puis dans ses premiers mois d’existence
de la part des ministres des Finances, Philip puis Schuman, mais
aussi des chefs du gouvernement Bidault, Blum et Ramadier. Compte
tenu de la pression du ministère des Finances, le CCE aurait pu n’être
qu’un Comité d’économies de plus 54 , mais c’était sans compter
l’énergie de Gabriel Ardant, nommé secrétaire général du CCE et bien
désireux d’aller jusqu’au bout de ses intuitions personnelles.

II. Les ambitions de Gabriel Ardant : faire du


CCECRSP un organe permanent de la réforme
administrative ?
A. Gabriel Ardant, un modernisateur de la gestion des
administrations ?

Dans la création du CCE, la figure et la personnalité de Gabriel


Ardant ont sans nul doute joué un rôle important. Son appartenance
à la Résistance, son engagement militaire à partir de 1943 en Afrique
du Nord, sa participation à la libération du territoire et à
l’administration provisoire des territoires libérés, sa proximité avec
Pierre Mendès France, figure rigoureuse et respectée de la classe
politique, son intérêt précoce pour les questions économiques font
de lui dès 1945 une figure de la haute administration modernisatrice.
Inspecteur des Finances impliqué dans les commissions d’économies
des années 1930 et notamment dans le Comité de réforme
administrative de Paul Reynaud, il s’intéresse dès l’automne 1944 à la
réforme de l’administration, à l’accroissement de son « utilité » et à
son « rendement 55 », ainsi qu’à la question des contrôles, pointant
notamment l’absence de suites données aux rapports d’inspection.
D’un point de vue plus conjoncturel, dès la Libération, il préconise la
liquidation des services de Vichy (Police, Jeunesse, Propagande,
Milice, Légion, Secours national) et définit les grands axes d’un
sévère programme d’économies. De même que Mendès France,
ministre de l’Économie nationale en 1945, propose une cure
d’austérité financière et monétaire à la France, voie qui est écartée
au profit de celle, moins rigoureuse, proposée par le ministre des
Finances Pleven, Ardant propose une cure d’amaigrissement à
l’administration française. Ces expériences et ces compétences, sans
oublier un caractère bien trempé, une forte indépendance d’esprit et
une grande liberté de ton, semblent dessiner le profil archétypal du
fonctionnaire rationalisateur et réformateur de l’administration,
dans la lignée des Chardon, Labeyrie, Dautry ou Bouthillier.

1. Analyses et principes d’action chez Gabriel Ardant

À partir de 1947, les rapports d’ensemble du CCE permettent de


suivre le développement des travaux et de connaître les « doctrines
» qui inspirent ses responsables. Sans faire injure à Pierre Brin,
président du comité, pour peu qu’on connaisse les archives
personnelles et les écrits de Gabriel Ardant sur la réforme
administrative, il est facile de repérer sous l’écriture anonyme des
premiers rapports d’ensemble, la prose, le style et la pensée de
l’infatigable secrétaire général 56 .
Après avoir distingué le passif de la guerre, celui de l’Occupation et
du régime de Vichy 57 , Ardant présente un diagnostic sévère de
l’état de l’administration à la Libération : prolifération
bureaucratique 58 , désordres administratifs, doubles emplois,
gaspillages, abus, etc. 59 Il souligne l’ignorance par l’administration
de sa propre action, de ses coûts et de ses rendements, l’absence ou
l’insuffisance de programmes et d’objectifs, la complication de
l’action administrative, les carences du contrôle, l’utilisation
défectueuse des matériels. Explorant les moyens de conduire les
réformes administratives qu’il préconise, il dénonce l’inefficacité des
commissions d’économies de l’entre-deux-guerres et annonce la
nécessité d’inventer de nouvelles méthodes. Fin 1946, à Blum qui
souhaite utiliser le CCE pour un nouveau plan d’économies, il répond
qu’il accepte de se prêter à l’opération, à condition de pouvoir
innover et d’aller au-delà des recettes traditionnelles de la direction
du Budget, à savoir « l’arbitraire » et aveugle abattement forfaitaire
des crédits et des emplois 60 . Il semble avoir convaincu ses
interlocuteurs, puisque en février 1947, dans une note aux ministres,
le président du Conseil Ramadier présente les tâches du CCE, non
plus sous leur version « économies budgétaires », mais sous la
version « études de prix de revient 61 ».
Par ailleurs, Ardant est convaincu que l’administration ne peut se
réformer par elle-même, qu’elle a besoin d’un regard extérieur et
d’un organisme d’étude externe, qui puisse l’étudier, émettre des
propositions de réforme et les lui « imposer ». Il écrit dans une note
du 15 octobre 1945 : « Les économies et la réforme administrative ne
viendront pas des administrations elles-mêmes par une sorte de
perfectionnement spontané mais devront leur être imposées 62 ».
C’est pourquoi, à l’instar du Comité supérieur d’économies de 1933 et
du Comité de réforme administrative de 1938, Ardant tient au
principe systématique d’« extériorité » du rapporteur par rapport à
l’administration étudiée, un rapporteur qu’il souhaite « dégagé de
toute habitude et de tout réflexe ministériel 63 ». Sur cette question
de la conduite de la réforme administrative, Ardant est proche des
positions de Joseph Patouillet dans les années 1930 au sein de l’État
moderne, qui croit à l’intervention d’un organisme de réforme
extérieur et coercitif, contrairement à Georges Mer qui défend la
thèse inverse, l’auto-réformation interne. Ce même débat oppose
dans les années 1950 Ardant et Bloch-Lainé, qui ne croit guère au «
zèle péremptoire » d’un organisme extérieur et qui estime que c’est
au chef de service d’assurer la conduite du changement.

2. Nouvelles méthodes de travail et nouveaux objectifs

Selon une pratique inédite, le CCE va mixer les méthodes de la Cour


des comptes et celles de l’Inspection générale des finances (cf. la
triade Brin/Ardant/Saramite 64 ) : l’organisation des équipes
d’enquêteurs en « brigade » (le CCE dira « mission ») ; la rédaction de
rapports individuels nominatifs ; la communication d’observations
aux administrations concernées (le CCE dira « conclusions ») ; la
discussion contradictoire des rapports entre contrôleurs et contrôlés
; la publication des conclusions dans un rapport d’ensemble non
nominatif et institutionnel (comme le Rapport public) ; et surtout
l’enquête sur place, à laquelle le CCE souhaite donner des
développements nouveaux, notamment l’étude détaillée du
fonctionnement d’un service, échelon par échelon, jusqu’au niveau
de l’usager 65 . Outre ces méthodes, le CCE souhaite insister sur deux
choses : donner un caractère oral à la procédure de discussion
contradictoire 66 et accorder une attention particulière aux « suites
» données aux rapports.
Mais la grande originalité du CCE, c’est, si ce n’est l’invention, en
tout cas la théorisation, la mise en pratique et la promotion de la
méthode du calcul du prix de revient des services publics. Il est
difficile de dire comment les responsables du Comité d’enquête en
sont venus à mettre au point la méthode du calcul du prix de revient
dans les services publics dont le CCE va faire sa marque distinctive,
mais il est certain que, quelles que soient ses sources d’inspiration,
G. Ardant y a apporté une contribution décisive. Compte tenu des
archives disponibles 67 , la définition des principes et des modalités
opératoires ainsi que la défense et l’illustration de la méthode dans
de multiples enceintes peuvent lui être attribuées sans nul doute 68 .
Le raisonnement de Gabriel Ardant est le suivant : la méthode des
économies budgétaires et des « échenillages » de dépenses, selon
l’expression de Paul Reynaud, ne sert de rien pour la réforme
administrative. Il faut une autre méthode : celle du calcul des coûts et
rendements, celle du calcul du prix de revient des services publics,
qui seule peut permettre d’évaluer l’action administrative et les
résultats de l’action publique. Pourquoi ? Dans le secteur public, il
n’existe pas les critères du profit, de la concurrence et de la loi du
marché, il faut donc leur substituer celui du prix de revient qui est le
seul critère rationnel et objectif permettant de comparer les services
entre eux, et partant, de supprimer les services défectueux et
d’améliorer la qualité du service rendu 69 . Bref, il s’agit d’organiser
de façon rationnelle et délibérée la comparabilité des résultats des
services. Le cœur de l’analyse se situera dans l’établissement des
statistiques d’activités, de tableaux de coûts et de rendements et de
ratios destinés à évaluer la quantité et la qualité des services rendus,
par produit, par opération, par unité administrative ou
géographique. Sous ses dehors quantitatifs et objectifs, cette
méthode des rendements comparés sent le souffre, car elle met en
cause tant les responsables politiques et administratifs que les
personnels et les syndicats : la mesure du service rendu par les
agents publics n’est guère populaire 70 .
Mais les ambitions de Gabriel Ardant vont bien au-delà de
l’application de nouvelles méthodes d’analyse, de « surveillance » ou
de contrôle des services, qui ne sont pour lui que des outils. Par
l’utilisation de l’analyse marginale, il s’agit de rénover et d’éclairer
rationnellement les choix de gestion publique et de donner au
Gouvernement des instruments de pilotage « en s’inspirant d’un
même principe : la recherche constante d’une efficacité fondée sur la
connaissance des résultats ». Les nouvelles méthodes de contrôle ne
sont que les moyens de cette nouvelle gestion administrative : faire
surgir des alternatives grâce à la connaissance du prix de revient et à
l’évaluation des services rendus 71 ; réformer la présentation
budgétaire en faisant apparaître des « programmes d’action » et des
« budgets de prix de revient 72 » ; rationaliser la législation et la
réglementation en rédigeant des Codes par domaine d’intervention
de l’État ; réformer l’état d’esprit des administrations ; réformer les
structures et les méthodes de travail 73 . Pour mener cette réflexion,
bien qu’il fasse preuve d’un francocentrisme tout à fait satisfait,
Ardant n’hésite pas à puiser quelques arguments dans la
comparaison avec des modèles étrangers. C’est ainsi qu’il fait
référence à la commission Hoover, au budget fonctionnel américain
74
et à la trésorerie britannique, qu’il cite les travaux de l’Institut
français de droit comparé et le modèle hollandais 75 .
Derrière le paravent large de la réforme administrative, c’est en
réalité la réforme de la préparation et de l’exécution du Budget que
vise Ardant, ce qui lui donne un tout autre positionnement que celui
de simple réformateur des méthodes de travail de l’administration.
Alors que l’assemblée constituante souhaite doter la future IVe
République d’une constitution budgétaire et financière, il y a là
l’émergence d’un pôle de propositions alternatives, concurrentes et
innovantes, véritable poil à gratter pour une administration des
Finances par ailleurs submergée par la gestion budgétaire et
comptable au quotidien 76 …

III. L’organisation du travail au CCECRSP :


entre respect des traditions et innovations
A. L’implication de la Cour des comptes : de la coopération à la
concurrence ?

Le CCE siège dès le départ rue Cambon ; la périodicité de ses réunions


est indéfinie au départ, mais dès janvier 1947, le secrétariat général
décide de siéger tous les lundis et tous les vendredis après-midi, afin
d’examiner les rapports qui commencent à parvenir au CCE dès la fin
1946. Les enquêteurs appartiennent aux grands corps ou aux
administrations centrales, mais les plus gros contingents sont
fournis par la Cour des comptes 77 , puis par l’Inspection des finances
78
. Dès l’été 1946, Gabriel Ardant a fait jouer son réseau et sollicité
les grands corps de l’État, à la fois pour composer son Comité et pour
constituer les équipes d’enquêteurs 79 .
Les méthodes de travail entre le Comité d’enquête et la Cour sont si
proches qu’en 1948, la Cour des comptes prend des mesures pour
coordonner ses travaux avec ceux du Comité et pour que les
rapporteurs de la Cour travaillant pour le compte du Comité sur tel
ou tel ministère soient également chargés de la comptabilité
administrative de ce même ministère et réciproquement 80 . La
consécration de cette proximité se manifeste en 1954 par le
rattachement organique du CCE à la Cour, la présidence du Comité se
voyant désormais confiée au premier président (décret du 20 avril
1954). Tout se passe comme si après de départ de Gabriel Ardant, le
Comité d’enquête, démembrement conjoncturel et temporaire de la
Cour des comptes, reprenait sa place auprès de l’institution seule
chargée du contrôle supérieur de la gestion des administrations,
mais sans que le raisonnement n’en soit poussé jusqu’au terme, c’est-
à-dire jusqu’à l’absorption par la Cour du CCE 81 . Dès lors, on
comprend que, faisant doublon avec la Cour qui possède depuis 1946
des attributions en matière d’étude et enquêtes 82 , le CCE ait été mis
en sommeil tandis que cette dernière se réappropriait de facto les
attributions du CCE en matière de réforme administrative…

B. Les syndicats : un cantonnement en bout de chaîne

Lors des toutes premières séances 83 , les représentants des syndicats


revendiquent une part active dans la définition des enquêtes et
souhaitent que des syndicalistes puissent participer aux missions.
Brin en accepte le principe et suggère que les enquêteurs puissent
prendre contact avec les organisations syndicales sur le terrain. Dans
les faits, il ne semble pas que des syndicalistes aient participé à une
quelconque mission ; la participation des syndicats est repoussée et
cantonnée aux séances de délibérations et à l’élaboration des
conclusions 84 .

C. Organisation des missions d’enquête et méthodes de


85
travail

Au départ, sur le papier, 24 missions étaient prévues pour couvrir


l’ensemble des départements ministériels et, de fait, en 1947-1948,
tous les départements ministériels ou presque ont été touchés ; il y a
eu finalement 19 missions 86 . Faute d’enquêteurs 87 , le CCE a dû
revoir ses ambitions et s’est vu contraint d’étaler les missions.
Chaque mission compte trois ou quatre enquêteurs, voire moins (et
non dix comme dans les rêves de Gabriel Ardant), sauf dans le cas
des missions les plus importantes comme celle des services de la
Répartition où les effectifs s’élèvent jusqu’à sept enquêteurs. Pour
chaque mission, une réflexion collective est menée au secrétariat
général sur le choix des questions à traiter et sur les services à
étudier en priorité 88 , débats dont on ne trouve malheureusement
trace que pour le dernier trimestre de l’année 1946. Le CCE peut être
saisi par le président du Conseil et par les ministres, mais il peut
aussi s’auto-saisir. Les travaux s’étalent sur plusieurs mois, voire sur
plusieurs années comme la mission Finances qui travaille encore en
1953 sur un programme débattu et défini en 1946 89 . Au début de
l’année 1947, sont créées les missions transversales : « comptes
spéciaux », « parc automobile des services publics » ou «
mécanographie 90 ». Les commissions d’enquête sont délivrées par
le président du Conseil et les enquêteurs exercent leurs missions en
vertu de lettres de mission contresignées par les ministres
intéressés.
Un débat important a lieu en 1946 sur la possibilité de faire
intervenir des cabinets de conseil privés ; les avis divergent entre les
représentants des grands corps, plutôt hostiles, tandis que les
syndicalistes sont étonnamment plus favorables. Faure et Pruja, du
Cartel des services publics sont partisans de cette solution, tandis
que les hauts fonctionnaires, Brin (Cour des comptes) et Huisman
(Conseil d’État) craignent que seules les questions de détail soient
traitées au détriment des questions de « principe » et qu’on aille vers
un système Bedaux dans les administrations françaises 91 . Dans les
années 1947-1950, des expériences de collaboration sont
effectivement tentées, notamment avec le cabinet Planus aux
Armées, qui donnent lieu à évaluation par le CCE 92 .
Les enquêteurs du Comité ont les droits d’investigation les plus
larges ; ils utilisent les méthodes classiques des corps de contrôle 93 ,
en prenant contact avec ces derniers et en tentant d’obtenir leurs
rapports ; mais ils peuvent aussi procéder à des contrôles sur pièces
et sur place. Les deux points sur lesquels le CCE a le plus cherché à
innover sont le recours à l’observation directe, échelon par échelon,
jusqu’au plus bas de l’échelle hiérarchique, et l’adoption du point de
vue de l’usager et du public. Outre les instructions générales 94 ,
plusieurs fiches de méthode ont été rédigées pour guider le travail
de l’enquêteur.
Par exemple, dans l’instruction générale concernant l’objet et les
méthodes des enquêtes, les enquêteurs doivent : « Discerner les
défauts localisés (en faire un rapport à part) ; relever l’existence ou
l’absence d’un contrôle bien organisé dans le service […], l’excès des
effectifs sur les besoins du service dans le cadre de l’organisation et
des méthodes de travail en vigueur, les méthodes d’organisation et
de travail défectueuses et les remèdes à y apporter, étant bien
entendu que l’on ne doit ni négliger les petites améliorations ni
redouter les réformes importantes, les services insuffisamment
utiles par rapport à ce qu’ils coûtent […], les doubles emplois qui
sont des défauts d’organisation au stade supérieur, les formalités
inutilement astreignantes pour le public et généralement coûteuses
pour l’administration ».
Puis, la fiche « Méthodes d’enquête » énumère les différentes étapes
à suivre :
En 1re phase, après contact avec le chef de service,
demander un relevé des dépenses totales du service (directes et indirectes, ex. :
l’utilisation des bâtiments de l’État) pour les années 1944, 1945, 1946, 1947 ;
demander une décomposition de ces dépenses (excepté 1945 et 1946) par subdivision
de services ;
faire préciser l’importance du service rendu dans chaque subdivision de façon à
dégager un prix de revient unitaire et s’il s’agit de services générateurs de recettes un
coefficient d’exploitation ;
demander l’évolution des effectifs de 1938 à 1946 pour l’ensemble du service et par
subdivision ;
se renseigner sur les résultats des travaux antérieurs ou en cours, Comités
d’économies, organismes ministériels de contrôle, commission des méthodes, etc. ;
recueillir des informations et les suggestions des organisations syndicales, du contrôle
des dépenses engagées, des services compétents de la direction du Budget.

En 2e phase, visiter une subdivision ou un établissement local,


suffisamment en détail pour en pénétrer le fonctionnement.
En 3e phase, visiter les circonscriptions choisies parmi les plus
rentables et parmi les plus défectueuses. Au cours de tous ces
travaux, garder le contact avec le CCECRSP et le secrétariat général,
participer aux réunions de mission.
En 4e phase, déposer un rapport préliminaire, avec si possible, des
propositions de réformes immédiates, y compris mesures
fragmentaires.
Les enquêtes doivent permettre la mesure et la comparaison
systématique des coûts et rendements des différents services
(tableaux). Pour cela, le CCE préconise l’établissement d’indicateurs
statistiques d’activités 95 .
Chaque enquêteur fait son enquête et rédige seul son rapport ; des
notes préparatoires ou complémentaires peuvent précéder ou
accompagner le rapport 96 . Dans le cas d’un travail d’équipe, le
coordinateur de la mission rédige le rapport de synthèse 97 . Les
conclusions sont discutées et rédigées en séance, puis après
discussion contradictoire avec les chefs de service concernés et
adoption solennelle, elles sont envoyées au chef du Gouvernement et
au ministre concerné. Le représentant de la direction du Budget peut
assister aux séances contradictoires et y prendre la parole.
Ardant s’est d’emblée montré très préoccupé par les suites réservées
aux conclusions ; on sait que c’est depuis 1944 l’un de ses soucis
principaux concernant les corps de contrôle, y compris pour
l’Inspection des finances. Pour renforcer l’efficacité des
recommandations du CCE, ses membres suggèrent plusieurs moyens
: obtenir le soutien du Parlement ; rendre publics les rapports, selon
le modèle du comité Geddes après 1918 en Angleterre ; fixer un délai
dans lequel le ministre devra répondre sur les suites données aux
observations ; rédiger un rapport périodique indiquant les
observations qui n’ont pas fait l’objet de suites. Finalement, le CCE
décide que les rapports particuliers ne seront pas rendus publics pas
plus que les conclusions, qui ne seront communiquées qu’au
président du Conseil, au ministre des Finances, à la commission des
finances et au ministre concerné ; en revanche, le rapport
d’ensemble devra comporter un chapitre sur les suites données aux
conclusions, chose acquise dès le rapport de 1950. Le décret du 7
janvier 1952 oblige les administrations à répondre dans un délai de
deux mois.
Ardant recommande aussi l’exploitation des rapports des anciennes
commissions d’économies des années trente et des commissions des
méthodes de 1945 qu’il essaie de réunir dans les archives 98 . Le
rapport de la commission des méthodes des finances fait l’objet
d’une synthèse particulière, communiquée à l’ensemble des
enquêteurs, pour qu’ils puissent s’en inspirer 99 . De façon générale,
le secrétariat général fait des efforts pour coordonner les travaux du
CCE avec les différents organismes d’enquête et de réforme
administrative existants et notamment avec la commission de
réforme administrative créée en juin 1946 dont le Comité est le «
bras administratif et technique » et avec laquelle il s’est partagé le
travail 100 .

IV. Résultats et bilan des travaux du


CCECRSP
A. Les premiers travaux 1946-1948

Les travaux sont menés tambour battant : le rapport publié de 1947


fait état de 75 enquêteurs, de 25 missions organisées et de 6 rapports
d’ores et déjà examinés (organisation et fonctionnement d’Air
France, coûts et rendements de la zone d’occupation en Allemagne,
création d’un Franc d’occupation en Allemagne, liquidation et
contrôle des pensions, organisation de la direction départementale
de la Population…). D’après le répertoire des rapports et conclusions
établi par le CCE à l’occasion de son cinquantenaire et d’après la
collection de rapports et de notes détenus par les Archives
nationales 101 , en 1947, qui est l’année la plus dense, 42 rapports
(pour 32 chefs d’équipe) ont fait l’objet de conclusions, sans parler de
ceux qui n’ont pas été discutés ou qui n’ont pas fait l’objet de
conclusions 102 . Dès 1948, on enregistre une baisse d’activités : 27
rapports seulement font l’objet de conclusions (pour 26 chefs
d’équipe) ; en 1949, le nombre de rapports tombe à 16 (pour 13 chefs
d’équipe) 103 . Entre 1946 et 1950, 115 rapports ont été rédigés, avec
ou sans conclusions.
Le premier rapport d’ensemble de 1947 est surtout méthodologique ;
il contient l’instruction générale n° 1 précisant les objectifs et les
méthodes du CCE et le premier rapport d’activité établi au début du
mois de mars 1947. L’instruction générale n° 1 insiste sur «
l’originalité de la méthode », à savoir « la détermination aussi
méthodique que possible du prix de revient et du rendement de
chaque service ou subdivision de service » (par opération, par
circonscription géographique, par unité administrative, par service
produit) 104 .
« Dans le cas de services générateurs de recettes, ce coefficient d’exploitation
sera également déterminé. Il s’agit d’une conception nouvelle, peut-être d’une
orientation nouvelle, de la comptabilité administrative, voire de la structure
budgétaire. Cette recherche doit permettre non seulement de déterminer ce que
coûte chaque service, mais dans le cadre même d’un service déterminé quelle est
la subdivision ou l’établissement qui obtient les meilleurs résultats aux moindres
frais […]. Insistons sur le fait que l’évolution même de l’État, la substitution
d’établissements publics aux entreprises […] doit conduire à donner une place de
plus en plus importante à la détermination du prix de revient, voire même à de
véritables émulations entre divisions ou établissements de même catégorie. Cette
notion de prix de revient doit être comprise dans un sens très large. Il ne suffira
pas de se demander ce qu’une formalité coûte en dépense de personnel ou de
matériel mais aussi ce qu’elle coûte au public – le temps qu’elle lui demande, les
démarches qu’elle lui impose ».
On y trouve également un exposé sur l’état de l’administration au
sortir de la guerre et sur le diagnostic posé par le CCE, les leçons des
premiers travaux d’enquête, les sources d’information
complémentaires à consulter, les « monographies » de services à
réaliser, les comparaisons à effectuer entre services.
Du point de vue des contenus, les principaux sujets examinés sont en
premier lieu les dépenses militaires et la question des effectifs des
armées, les dépenses de reconstruction, les services économiques
notamment ceux de la répartition ou du ravitaillement, et les
problèmes généraux d’organisation. Le CCE a donc accompagné de
très près la période transitoire qui marque le passage d’une
économie de guerre à une économie de paix, d’un État occupé et sous
contrainte à un État souverain, ainsi que la liquidation des services
hérités de Vichy (Chantiers de jeunesse, ministère de l’Information,
subventions aux associations de déportés, entreprises sous
séquestres).
De 1947 à 1950, le CCE joue un rôle notable dans la préparation du
rattachement du ministère des Affaires économiques au ministère
des Finances décidée en 1948 et dans la réorganisation des services
économiques centraux. L’importance et le nombre de notes et
rapports consacrés à ce sujet atteste de l’intérêt qui a été porté à
cette question tant par les pouvoirs publics que par le CCE lui-même
105
. En revanche, le CCE ne s’est guère attaqué à l’organisation
structurelle de l’administration des Finances 106 , qui ne fait l’objet
que d’une seule enquête dans le cadre du plan d’économies
budgétaires de 1948, prudemment confiée à l’Inspection 107 . La
forteresse Finances ne se laisse guère pénétrer, encore moins
contrôler, pas même par l’un des siens et la réforme des services
centraux demeure dans la période l’exclusivité jalouse des directeurs
! Seules, quelques directions latérales ou d’exécution comme la Dette
publique, l’Imprimerie nationale ou le service des Domaines, font
l’objet d’études de la part du CCE. En 1953, sous la houlette de
l’inspecteur général des PTT Sézerat, une grande enquête est bien
diligentée sur la direction de la Comptabilité publique et les services
extérieurs du Trésor dans le cadre d’un programme d’études
comparées consacré aux services financiers des organismes-satellites
du ministère (caisses d’épargne, Banque de France, banques de
dépôts, services de la Poste), mais les rapports semblent n’avoir
donné lieu ni à examen, ni à conclusions, ni à diffusion 108 !
En revanche, le CCE apporte une contribution notable à la
restauration de l’ordre comptable, budgétaire, fiscal et financier
après la guerre et l’Occupation, en enquêtant sur les questions
urgentes de l’actualité telles que la remise en ordre des comptes
spéciaux, les avoirs français à l’étranger, le contrôle des changes ou
les services d’importations, etc. 109 Sur tous ces sujets, le CCE fait
office de service d’études et d’organisation externalisé pour le compte
du ministère des Finances 110 , au service des directions techniques
du ministère qui travaillent dans l’urgence et n’ont pas le temps de
se livrer à des travaux d’études ou à des réflexions prospectives
(direction du Trésor, direction de la Comptabilité publique, direction
générale des Impôts, direction du Budget).
Le deuxième rapport d’ensemble publié en 1948 développe les points
évoqués dans le rapport 1947 et fait le point sur l’état de
l’administration et les réformes à mener : « A. Ignorance du coût et
des rendements des services. Opacité de l’administration à elle-
même ; méconnaissance d’elle-même. B. Absence ou insuffisance de
programmes d’action, de prévisions, d’établissement de priorité et
de définition d’objectifs ; C. Absence de coordination ; D. Nécessité
d’une codification des lois ; E. Insuffisance du contrôle ; F. Utilisation
défectueuse des moyens matériels mis à disposition de
l’administration (locaux administratifs, automobiles,
mécanographie, imprimés) ». Puis, le rapport expose les derniers
développements acquis par la méthode de calcul des coûts et des
rendements (détermination de ratios par services) et annonce pour
les années suivantes le lancement d’un vaste programme de
réflexion sur les structures générales de l’administration
(administrations centrales, administrations locales et découpage des
circonscriptions administratives).
Pour illustrer le calcul des coûts et rendements, le rapport 1948
donne plusieurs exemples appuyés sur des enquêtes de l’année 1947 :
le service des Haras et le coût comparé des saillies des étalons ; la
comparaison des services rendus par les écoles d’enseignement
technique et les centres d’apprentissage ; le coût comparé des
opérations des services départementaux des Pensions des Anciens
Combattants ; le coût comparé des opérations financières menées
par les services du Trésor et par les PTT ; les voies navigables et le
coût comparé de construction des canaux et du transport des
marchandises. D’autres études plus générales consacrées à tel ou tel
ministère intègrent un chapitre prix de revient : par exemple les coûts
de fabrication des usines aéronautiques ; la carte judiciaire et la
suppression des tribunaux d’arrondissement ; la question du parc
automobile et des essences aux Armées. Par ailleurs, un certain
nombre de questions générales communes à l’ensemble des
administrations sont dégagées 111 : la gestion du parc automobile,
l’utilisation de la mécanographie, les travaux topographiques et
géographiques, la question des circonscriptions géographiques et
administratives 112 , la complexité de la réglementation et de la
législation que Gabriel Ardant appelle à résoudre par un effort de
codification générale, la normalisation des imprimés… Ces questions
transversales deviennent une spécialité du CCE, alors que la plupart
des corps de contrôle restent encore prisonniers du cadre
monographique ministériel.
À partir de 1954, les analyses de coûts/rendements diminuent, après
s’être concentrées en 1953 aux PTT, dans les services extérieurs du
Trésor et à la SEITA 113 ; les enquêtes se réorientent d’une part vers
les sociétés d’économie mixtes, les Offices, les Comités
professionnels et les organismes parafiscaux 114 et, d’autre part,
vers les monographies organisationnelles de services. En l’état actuel
des archives, il est difficile d’expliquer un tel désengagement des
études de prix de revient monographiques. Les techniques de calcul
du prix de revient ont-elles été contestées ou ont-elles laissé
apparaître leurs limites méthodologiques, notamment dans les
administrations régaliennes ? Ont-elles au contraire été reprises par
les services eux-mêmes ? Le CCE a-t-il décidé de laisser à d’autres
organismes le soin de mettre en œuvre cette méthode (direction du
Budget, Commissariat général à la Productivité) ou laisse-t-il le
champ libre aux cabinets de conseil privés dont c’est la spécialité (la
CEGOS) ? Le CCE s’est-il heurté à des difficultés politiques,
administratives ou syndicales ? Pourquoi le CCE s’est-il focalisé sur
les organismes d’économie mixte ou parafiscaux ? Est-ce sur la
demande expresse du ministère des Finances ou sur une orientation
propre des responsables du CCE ? Il est difficile d’émettre autre
chose que des suppositions.
Pour conclure sur ces trois premières années du CCE, on peut dire
que le secrétariat général a poursuivi de grandes ambitions. Les
enquêtes ne se sont pas cantonnées aux administrations centrales
des ministères (Affaires étrangères, France d’outre-mer, Éducation
nationale, Défense nationale, Justice, Reconstruction, Affaires
économiques 115 ), mais ont concerné également des services
extérieurs (haras, services diplomatiques ou consulaires, directions
départementales de la Santé et de la Population, bureaux des
préfectures, directions départementales techniques, services
extérieurs du Trésor, etc.), des entreprises publiques (Air France,
agence Havas 116 ), des organismes parapublics (offices agricoles,
OCRPI), la législation ou la réglementation (pensions) et les
méthodes de travail (procédures de naturalisation ou de
recouvrement).
Le CCE a aussi fait émerger des propositions très importantes sur la
présentation budgétaire et sur le budget fonctionnel, grâce à la note
de Gabriel Ardant, discutée au CCE le 6 juin 1947 et intégrée dans le
rapport 1948 117 . C’est sans doute l’un des apports majeurs, avec les
études du prix de revient, de Gabriel Ardant à la tête du Comité. Ses
propositions sont reprises par Mendès France à la commission des
Finances de l’Assemblée dans une proposition de résolution sur la
présentation budgétaire 118 ; elles font également l’objet d’une
présentation devant la commission Jacomet, créée en 1947 et
chargée de proposer et d’élaborer la constitution budgétaire de la
IVe République, qui les reprendra en partie à son compte dans son
avant-projet de loi de 1949 (art. 43). Enfin, le CCE est à l’origine de la
création de la commission supérieure de la codification (décret du 10
mai 1948), dont Ardant est le rapporteur général et qui publiera plus
de vingt codes au cours des années 1950 119 .

B. Des « suites » à moyen terme prometteuses

Le troisième rapport d’ensemble publié en 1950 propose au


Gouvernement français « un véritable plan de réforme de
l’administration française » sur le modèle du plan de modernisation
et d’équipement de Jean Monnet pour l’économie française. Ce
rapport d’ensemble s’inscrit dans la grande lignée des travaux de
réforme administrative de l’entre-deux-guerres 120 ; avec le rapport
de la commission nationale d’économie de 1950, il est le dernier
rapport de réforme administrative de la IVe République concernant
l’appareil administratif public dans sa globalité 121 . Même la
commission de l’article 76, qui est la grande commission de réforme
administrative créée par Michel Debré lors de l’avènement de la Ve
République en 1959, ne rédigera pas de rapport de synthèse 122 .
Au-delà du travail de refonte et de rationalisation de l’appareil
administratif français, le CCE propose de façon audacieuse « une
modification complète de la conception traditionnelle du budget par
l’établissement d’un budget de prix de revient ». La philosophie en
est la suivante :
« Le coût de chaque service, actuellement impossible à discerner, doit être établi
; il doit être rapproché de l’utilité des services rendus. Les expériences du CCE
ont montré que cette évaluation était possible. Ainsi pourrons-nous substituer
une détermination rationnelle des crédits aux marchandages qui précèdent
l’établissement et le vote du budget. La mission essentielle des pouvoirs publics,
choisir ce qui est le plus utile, pourra enfin être remplie. Ce travail conduira le
Gouvernement, chaque ministre et chaque service à dresser ces programmes
d’action dont l’absence est une des lacunes essentielles d’une gestion des affaires
publiques qui consiste à régler les questions au jour le jour, c’est-à-dire en réalité
à ne régler aucun des problèmes essentiels. La refonte de l’organisation
administrative doit s’inspirer du même principe : la recherche constante d’une
123
efficacité fondée sur la connaissance des résultats ».
À la grande déception de Gabriel Ardant, le rapport de 1950 ne
suscite aucun écho et aucune suite politico-administrative. Pire, le
Gouvernement s’investit la même année dans la commission
nationale d’économies, qui établit un vaste plan de compression
budgétaire 124 , reprenant néanmoins nombre de suggestions du CCE
en matière de réforme administrative 125 . Un frémissement se
produit néanmoins avec l’arrivée d’Édouard Bonnefous à la tête de la
réforme administrative dans le gouvernement Mayer. Le nouveau
ministre d’État prend deux décrets le 22 avril 1953, l’un sur
l’établissement d’un inventaire de l’administration française, l’autre
sur la détermination des coûts et rendements des services publics,
destiné à obliger les fonctionnaires à calculer le prix de revient de
leurs services 126 . Ardant aurait-il enfin convaincu les responsables
politiques ? Il peut d’autant plus croire toucher au but que
Bonnefous, le 5 mai 1953, accompagne ses deux décrets du 22 avril
1953 de la création d’un Comité exécutif de la réforme
administrative, présidé par le président du Conseil ou le ministre
d’État, et qu’il y nomme cette fois-ci en bonne place Ardant lui-
même 127 . Ce Comité est chargé de faire appliquer les deux décrets
du 22 avril et de préparer un plan de réforme administrative.
Malheureusement, la chute du gouvernement Mayer en juin 1953 fait
tourner court l’expérience Bonnefous.
Alors, échec ou succès du CCE ? En dépit d’une lenteur certaine, les
méthodes de calcul du prix de revient et des coûts et rendements des
services publics élaborées en 1946-1950 finissent, par capillarité et
dans la discrétion, par se diffuser dans les ministères tout au long
des années 1950. Le décret Bonnefous du 22 avril 1953 tente
d’introduire les premiers éléments de coûts et rendements dans les
documents budgétaires. Sous l’impulsion de son directeur, la
direction du Budget se rallie progressivement à partir de 1952 aux
études de coûts et rendements, intègre les acquis du CCE et le relaie
dans son travail de pédagogie et de persuasion. L’année 1955 est
l’année de toutes les innovations et manifeste la conversion de la
direction du Budget à la productivité administrative : un bureau E2,
Organisation et rendements, spécialisé dans les études de coûts et
rendements administratifs est créé à la direction du Budget et confié
successivement aux inspecteurs des Finances Gabriel Pallez et Paul
Questiaux ; la circulaire de la direction du Budget du 25 novembre
1955 expose de façon détaillée comment calculer le coût et le prix de
revient des services de l’État et demande aux services de fournir des
études chiffrées 128 . La même année, au sein du budget des charges
communes (chapitre XXXIV-93), un fonds Productivité des services
administratifs géré par le bureau E2 est créé pour « permettre
d’engager une politique d’amélioration des conditions de travail et
du rendement des administrations soit en facilitant le financement
des réalisations dont l’objet concourt directement au développement
de la productivité des services publics, soit en permettant l’étude de
projets d’ordre technique concourant au même but 129 .
L’Inspection générale des finances adopte à son tour – timidement –
entre 1952 et 1958 la méthode des coûts et rendements pour
contrôler les services 130 ; les administrations centrales acclimatent
lentement ces techniques grâce à la création des bureaux
Organisation et Méthodes qui se multiplient dans la seconde moitié des
années 1950 à partir de 1954-1955 131 , tandis que le ministère des
Finances se lance discrètement dans des comparaisons de coûts et de
rendements au sein des services extérieurs du Trésor public et des
Impôts entre 1953 et 1955 132 …
Enfin, même si le texte est resté en deçà des espérances des
promoteurs des études de coûts et rendements, le décret organique
du 19 juin 1956, rédigé en grande partie à l’initiative de Roger
Goetze, directeur du Budget, consacre par son article 52 une dizaine
d’années de travaux sur les coûts et rendements des services publics
et fait la synthèse des travaux menés dans les années 1950 par le
CCE, le ministre chargé de la réforme administrative, la direction du
Budget, la commission Jacomet, les commissions des finances du
Parlement et le Commissariat général à la Productivité 133 . Suite au
décret de 1956, le budget 1957 présente dans son annexe I la
répartition des crédits, par titres et par grands services à l’intérieur
de chaque ministère, et à titre expérimental le prix de revient de
quelques services.
Cependant, le temps mis par les études de coûts et rendements pour
percer dans l’administration administrante entre 1946 et 1956 illustre
la lenteur, la timidité et la sinuosité de l’acclimatation de ce nouveau
concept. Il traduit également les résistances et le scepticisme que ce
nouvel outil de gestion suscite auprès des responsables
administratifs, politiques et syndicaux ; il souligne enfin la fragilité
institutionnelle du CCE, simple organisme d’enquête et de conseil. Ce
n’est qu’à partir du moment où la direction du Budget a consenti à
adopter cette technique que l’outil de gestion inventé par Ardant a
pu être acclimaté et diffusé dans l’administration. Avec l’ordonnance
organique du 2 janvier 1959, les coûts et rendements passent au
second plan et tombent aux oubliettes de la mémoire budgétaire 134 .
La réorientation du CCE, sous l’impulsion du Premier ministre
Michel Debré, qui est chargé en 1960 de prendre la suite de la
commission de réforme administrative dite de l’article 76 135 , fait
perdre de vue les aspects économiques des études sur le prix de
revient des services. Il faut attendre la rationalisation des choix
budgétaires en 1968 pour qu’une nouvelle réflexion soit lancée sur la
mesure des résultats de l’action administrative, mais dans un tout
autre cadre intellectuel, avec de tout autres concepts, sans
cumulativité des expériences, ni fertilisation des idées, ni relais des
hommes.

C. Des « suites » à long terme plus diffuses : les premiers


linéaments d’une culture de gestion ?

Outre ces mesures directement identifiables, il y a eu des « suites »


plus diffuses aux travaux du CCE, des idées qui ont cheminé et nourri
la réforme ou la réorganisation des départements ministériels dans
les années 1950. De fait, le CCE a proposé dans ses rapports de
nombreuses réformes ministérielles ou sectorielles et alimenté de
nombreuses propositions de réorganisation 136 , notamment la
réunification des Affaires économiques et des Finances dont la fusion
s’est étalée sur plus de dix ans entre 1948 et 1962 et qui a été un
exceptionnel cas d’école pour le CCE 137 . Le Comité a aussi élaboré de
nombreuses propositions de simplification ou de coordination dans
lesquelles les pouvoirs publics ont puisé sans modération : réforme
des corps de contrôle, création de services coordinateurs (recherche
scientifique), questions transversales (codification, mécanographie,
automobiles, locaux administratifs, reprographie, formalités
administratives…) Plus généralement, le CCE a contribué à la
transformation de la culture des corps de contrôle appelés à
s’occuper moins de la « surveillance des services » que de leurs «
rendements », à l’émergence d’une nouvelle culture de gestion, au
ministère des Finances, à la Cour des comptes, à la direction de la
Fonction publique, et même au sein des directions financières ou des
directions du personnel des ministères, qui ont bien souvent été les
destinataires des rapports d’enquête. Il a nourri et renouvelé les
méthodes de travail de l’enquête sur place et tenté prudemment
d’acclimater un contrôle a posteriori des résultats 138 , tout en
nourrissant l’ambition d’une évaluation de l’action administrative et
des politiques publiques.
Il a contribué à la production et à la diffusion d’une connaissance de
l’administration par elle-même et sur elle-même, au recul de son
opacité, au développement d’habitudes de travail collectives, au
croisement des regards et des expériences. Il a de ce fait contribué à
la constitution d’une science administrative empirique au sein de
l’État. Dans son sillage, émerge un milieu organisateur public, proche
et familier des cabinets de conseil en organisation privés avec
lesquels le Comité accepte de travailler (Planus, CEGOS, ITAP, cabinet
Vidal). Ce milieu des organisateurs publics réunit des membres des
corps de contrôle, des membres des corps techniques de l’État
(Manufactures de l’État, Génie rural, etc.), quelques inspecteurs des
Finances, des magistrats de la Cour des comptes, des administrateurs
de l’INSEE, des inspecteurs généraux des PTT, des contrôleurs des
Armées, des ingénieurs de la SNCF, etc. Il gravite autour des lieux de
rassemblement et d’échanges tels que l’ITAP, le département
Organisation du Commissariat général à la Productivité, l’IESTO, le
CNAM, l’Association française pour l’accroissement de la
productivité, l’Institut international des sciences administratives, la
Revue administrative, etc. Enfin, le CCE s’est lentement constitué en
réservoir d’études, d’idées et de propositions pour la réforme de
l’administration, alors même qu’il n’existait ni commissariat ni
ministère à la réforme administrative ; il en a tenu lieu, avec des
moyens dérisoires et selon une formule pour le moins économique.
Placé dans l’orbite du ministère des Finances et animé
principalement par l’un de ses représentants, le CCE incarne sans
conteste dans la première partie de son existence une version
Finances de la réforme administrative, mêlant économies
budgétaires, contrôle, rationalisation, mesure des coûts et hausse
des rendements. Il faut attendre le début des années 1960 pour que
la Présidence du Conseil et ses services s’approprient véritablement
le CCE, non sans inflexion 139 .

D. Les ambitions contrariées du CCECRSP

En dépit de ces résultats, le CCE a rencontré des limites fortes dans le


domaine décisionnel et opérationnel. Dès l’origine, ses dirigeants
souffrent du manque de moyens institutionnels, notamment en
enquêteurs, qui ne leur sont accordés qu’au compte-gouttes et avec
de plus en plus de réticences 140 . Dès l’origine, ils éprouvent les
résistances et les lenteurs du corps administratif 141 , ainsi que celles
du corps politique 142 , qu’il soit ministériel, parlementaire ou local,
notamment pour les réformes de structure ou des pouvoirs (exemple
type : le ministère de l’Intérieur et la réforme du statut du préfet
proposée par Ardant). L’opposition des syndicats a pu également
freiner les ardeurs rationalisatrices du CCE dans le domaine des
regroupements de services et des réductions d’effectifs.
L’amplitude du champ d’intervention, les ambitions
surdimensionnées de l’organisme, son caractère latéral c’est-à-dire
placé hors de l’appareil administratif hiérarchique 143 , son
rattachement à la Cour des comptes au moment même où cette
dernière peine à effectuer toutes ses missions et à digérer ses
nouvelles attributions 144 , la concurrence directe de la direction du
Budget qui s’approprie la méthode coûts et rendements, le caractère «
péremptoire » et peu apte à la négociation ou au compromis de son
principal animateur, ont pu aussi limiter le rayonnement du CCE. La
première phase de fondation et d’accumulation (1947-1950) a en
définitive été trop courte – quatre années – pour que l’on puisse
parler véritablement de capitalisation d’expertises ; les enquêteurs,
trop peu nombreux et animés d’un turnover trop rapide n’ont pas eu
le temps de mettre en place une transmission des compétences ;
bref, le CCE, pourtant porteur d’innovations, n’a pas eu le temps de
déployer toutes ses potentialités ou a vu ses intuitions récupérées
par d’autres organes. Enfin, dans les années 1950, la priorité des
priorités reste la reconstruction économique, puis la mise en place
des conditions de la croissance, de sorte que la réforme
administrative n’occupe somme toute qu’une place tout à fait
secondaire dans les préoccupations des dirigeants politiques et
administratifs 145 . D’autres hauts fonctionnaires, notamment au
ministère des Finances, tout aussi réformistes, tout aussi
modernisateurs et « économistes » qu’Ardant, mais mieux
positionnés et mieux dotés en ressources politiques, administratives
et budgétaires 146 , prendront l’ascendant à partir de 1950 et
domineront de leurs problématiques et de leurs outils conceptuels la
décennie tout entière. La comptabilité nationale et les budgets
économiques l’ont emporté sur les coûts et rendements des services
publics.
Par ailleurs, même si le Comité a souffert d’un contexte budgétaire et
politique peu favorable, ses difficultés d’existence et de
développement n’en posent pas moins une question familière et bien
connue de tous les organes de contrôle, d’évaluation, de conseil ou
d’aide à la décision : comment peser sur les décideurs pour qu’ils
adoptent les réformes préconisées ? En 1950, les principaux acquis
du CCE consistent dans le début d’une construction d’expertise pour
la gestion des services publics, dans la promesse d’une réforme
budgétaire à venir et dans la mutation et l’enrichissement de la
notion de contrôle devenue bien autre chose qu’une simple
vérification comptable ou strictement financière. Quel était le
meilleur moyen pour que cette expertise en gestion se diffusât dans
les services et qu’elle inspirât les décideurs dans leurs pratiques ?
Fallait-il créer un organisme permanent doté de moyens
supplémentaires et d’une assise institutionnelle et politique plus
développée, une sorte de Commissariat général à la Réforme
administrative comme le voulait Ardant ? Fallait-il penser à une
organisation plus intégrée au sein des départements ministériels, en
attribuant les missions du CCE aux corps de contrôle ministériels ou
en créant dans chaque ministère une direction centrale en charge
des problèmes de réforme administrative ou en les confiant à un
secrétaire général ? Fallait-il intégrer le CCE au ministère des
Finances en dotant l’Inspection générale des finances de missions
élargies ou en le rattachant d’une manière ou d’une autre à la
direction du Budget pour prix de sa « conversion » à la productivité
administrative 147 ? Fallait-il accorder officiellement à la Cour des
comptes qu’il concurrençait sur le terrain de la réforme
administrative la plénitude des missions du Comité, en décidant de
fusionner les deux organismes 148 et en renforçant les pouvoirs de la
Cour dans le contrôle de la gestion des administrations et dans la
réforme administrative ?
Les décideurs de l’époque n’ont choisi ni un modèle ni l’autre,
laissant le CCE sans véritables moyens institutionnels et permanents,
sans créer d’organe opérationnel de la réforme administrative, sans
se prononcer non plus en faveur d’une réforme des administrations
centrales (hormis la création de bureaux d’organisation et
méthodes), sans se résoudre à réformer la Cour des comptes ni à
supprimer le Comité d’enquête. Cette attitude attentiste a sans doute
conduit en 1953 au départ de Gabriel Ardant, déçu dans ses
ambitions. Le CCE s’est alors étiolé doucement dans la seconde
moitié des années 1950, jusqu’à ce que les réformes de la Ve
République lui donnent un élan nouveau dans le sillage de la
direction de la Fonction publique, sans pour autant d’ailleurs
résoudre le dilemme soulevé plus haut.
Il n’en reste pas moins que les travaux du CCE de 1946 à 1953 ont
servi à Gabriel Ardant d’expérience et de support pour réfléchir à la
gestion comparée des entreprises privées et des services publics et
en dégager les points communs comme les profondes divergences.
Ils l’ont conduit à dégager les huit principes de ce qu’il a appelé la «
technique de l’État 149 » : la prévision et l’établissement de
programmes, l’utilisation des techniques de confrontation des
moyens et des buts, la mesure du rendement des services publics, la
codification permanente, la recherche des formalités inutiles, le
contrôle, la coordination, la responsabilité, et lui ont ainsi permis de
définir de façon explicite les linéaments de ce que l’on pourrait
appeler une gestion publique de l’État.

ANNEXES
Annexes
Annexe 1 : Fiche « Commission des méthodes aux Finances »
150
« Dans le dossier de la commission des Méthodes du ministère des
Finances, les enquêteurs trouveront un certain nombre d’indications
qu’il a paru utile de résumer ici (…) ». Les points à étudier sont les
suivants :

I. Problèmes généraux (…)

1° Problème des imprimés : standardisation typographique ;


recensement des imprimés
2° Normalisation du matériel de bureau
3° Liaisons entre les services, déconcentration des décisions,
répartition du courrier, établissement de plans de travail
4° Formation professionnelle

II. Problèmes spécifiques aux services financiers (…)

A. Dépenses générales

a/ Etude sur la réforme de la comptabilité administrative


b/ Réduction du nombre de fiches d’engagement et des ordonnances
c/ Simplification de la procédure des « dépenses sur exercices
périmés »
d/ Etude sur la Caisse nationale des Marchés

B. Catégories de dépenses spécifiques

a/ Création de centres territoriaux de liquidation de dépenses de


personnel
b/ Extension des régies de dépenses en matière de paiement de
dépenses de personnel
c/ Mécanographie du paiement des agents de l’administration
centrale des Finances en utilisant les équipements
mécanographiques de l’AJT pendant les heures creuses.

C. Pensions

Simplification des méthodes, des procédures et de la législation

D. Rentes

III. Les recettes

1° Contributions Directes

– Organisation des contrôles centraux


– Unification des cotisations d’assurance sociales et de l’impôt sur les
traitements et salaires, en ce qui concerne l’assiette, la liquidation et
le recouvrement
– Allègement de la procédure des poursuites
– Amélioration des liaisons entre les services d’assiette et de
recouvrement au sujet des cotes irrécouvrables.

2° Contributions Indirectes

– Spécialisation des personnels


– Amélioration du contrôle
– Centralisation des forfaits

3° L’enregistrement

– Simplification et allègement des formalités


Annexe II : Fiche spécialisée « Commerce et finances
151
extérieures » (2 janvier 1947)

Toutes les questions de commerce extérieur seront traitées par une


même mission qui se penchera sur le ministère des Affaires
étrangères, le ministère de l’Économie nationale, et les organismes
qui lui seront rattachés (Conseil national du Commerce extérieur)
ainsi que sur le ministère des Finances (Finances extérieures,
Direction du Blocus, Office des Changes), ainsi que le Commissariat
au Tourisme.
« Le rôle de ces différents services est dominé par l’insuffisance de
moyens de paiement extérieurs par rapport aux besoins de
l’économie française ».
La fiche établit les points d’étude précis :
– action des missions d’achat à l’étranger
– mode d’attribution des licences d’importation
– précautions prises pour éviter des détournements de livraison
– recouvrement des créances sur les importateurs
– rôle et action de l’Office des Changes
– les dépenses publiques à l’étranger
– la remise des devises à des particuliers pour des besoins
commerciaux
– les dépenses de fret
– l’action des conseillers et des attachés commerciaux
– l’action de la BNCE
– les touristes français à l’étranger
– le rapatriement des devises
– la fixation des prix à l’exportation
– évaluation du rôle du CNCE
– doubles emplois entre la direction des Affaires économiques du
Quai d’Orsay et la DREE au ministère de l’Économie nationale
– coordination entre Tourisme et ministère de l’Économie nationale
– les formalités et le circuit des dossiers, les délais d’examen
– existence d’un contrôle interne dans les différents services

Liste des rapports rendus sur ce sujet

– Rapport sur les négociations à terme des devises et les garanties


accordées par l’État aux commerce extérieur, Villers, 1947 ;
– Rapport sur l’organisation des administrations centrales chargées
de réglementer le commerce extérieur et les changes », Villers, 1947
;
– Rapport sur la procédure IMPEX et sur le service des importations
et exportations », Villers, 1947.

Annexe III : Fiche « Finances et Services financiers des


152
Postes »

« En dehors de l’Inspection des Finances, de la Direction du


Personnel et du Matériel, du Service du Contentieux, de l’Agence
Judiciaire du Trésor qui concernent l’ensemble du ministère des
Finances et dont l’action demandera à être examinée notamment en
fonction des problèmes particuliers à chacune des autres directions,
quatre catégories de service et de questions peuvent être
distinguées.

I. Les dépenses

Il s’agit de questions qui dépendent principalement mais non


exclusivement de la direction du Budget. Le problème essentiel est le
suivant : le ministère des Finances est-il outillé :
1° Pour déterminer en connaissance de cause les besoins des
différents services. La contexture même des documents budgétaires
peut y aider. A l’heure actuelle, il est difficile de discerner l’ensemble
des crédits de chaque service et la contexture administrative qui y
correspond (…). Ne pourra-t-on mettre en regard de chaque service
des indications sur son rendement, permettre en un mot de dégager
ce qui est un des objets du CCECRSP lui-même, le prix de revient des
services publics ?
2° Pour suivre la réalisation des dépenses dans des conditions qui
assurent le respect des décisions du Parlement. Les dépassements de
crédits que l’on constate et dont l’exercice 1946 n’a pas été exempt
peuvent-ils être évités et par quels moyens ? (…) D’une façon plus
générale, le contrôle tant des engagements de dépenses que de
l’exécution du Budget devrait être examinés.
3° Pour suivre l’ensemble des dépenses quelle qu’en soit la
dénomination administrative ; on sait en effet l’abus que l’on tend
constamment à faire des comptes spéciaux du Trésor. Ces errements
n’empêchent-ils pas d’une part de déterminer en connaissance de
cause la situation d’ensemble des finances publiques, d’autre part
d’en assurer la gestion la plus économe possible ? Les enquêteurs
auront à examiner l’action des contrôleurs d’Etat ; ils auront à se
demander si une liaison plus étroite ne doit pas être assurée entre
les contrôleurs d’Etat et le ministère des Finances. Ils auront aussi à
se demander si le rattachement de certains comptes spéciaux au
Budget n’est pas nécessaire.
4° En ce qui concerne les établissements publics à caractère
industriel et commercial (EPIC) de l’Etat, il existe un projet de statut
élaboré par une sous-commission de la commission de réforme
administrative. Les enquêteurs pourront apporter des éléments
d’information utiles sur la mesure dans laquelle ce projet sera de
nature à porter remède aux lacunes qui peuvent exister dans la
réglementations financière de ces établissements.

II. Les recettes

Les services à examiner : le Service de la Coordination des


administrations financières ; les régies financières ; les Manufactures
des Tabacs et des Allumettes.
A/ « Un premier problème est celui du meilleur contrôle possible des
impôts et des confiscations des profits illicites dans le cadre de la
réglementation existante. Etant donné la pénurie d’employés
supérieurs de vérification, (…) il est essentiel de les répartir de façon
à obtenir le maximum de rendement (…). Une enquête IGF est
d’ailleurs en cours sur cette question…
B/ Toujours dans le cadre de l’organisation générale en vigueur, on
recherchera pour chaque régie et chaque circonscription :
La dépense
La recette
Le coefficient d’exploitation
L’importance des redressements opérés ou des fraudes découvertes ;
On pourra être ainsi conduit à rechercher la possibilité de procéder à
des fusions de direction ou à réviser la carte des circonscriptions
administratives inférieures au département.
C/ Sans transformation du régime fiscal, des modifications de
méthodes peuvent être envisagées :
– soit dans le cadre des régies actuelles, mécanisation de certains
travaux, suppression de formalités, de registres inutiles etc. ;
– soit par voie d’une fusion ou d’une nouvelle répartition du travail
entre les régies, entre la régie des Contributions Indirectes et celle
de l’Enregistrement par exemple.
D/ D’autres modifications enfin sont liées à une modification du
système fiscal lui-même (…) [Elles] pourront faire l’objet de
communications extérieures. »

III. Le paiement des dépenses de l’État. Les mouvements de


fonds, les emprunts, le crédit, l’épargne

Les services concernés : la direction de la Comptabilité publique, la


direction du Trésor, la Dette publique, la Caisse des dépôts et
consignations, la Banque de France, les banques nationalisées, les
caisses d’épargne, les services financiers des PTT.

A. Problèmes de caisse et mouvements des fonds

« La comparaison des méthodes des différents services ou


organismes peut conduire d’une part à déceler des frais excessifs ou
un rendement insuffisant de la part de certains d’entre eux, d’autre
part à faire ressortir la possibilité d’une transformation des
méthodes de paiement. Il doit être facile de dégager le prix de
revient ».
Pour chaque trésorerie générale, il conviendra de comparer les
dépenses d’exploitation avec les recettes de toute nature, d’évaluer
les résultats de la mécanisation dans les départements où elle a été
introduite, de comparer le pourcentage des recouvrements et des
frais, d’étudier les services comparés rendus par les services postaux,
la Caisse d’Épargne, ou les banques. Comparaison avec l’étranger.

B. Emprunts. Étudier les méthodes de placement


C. Crédits

– Problème du Plan de répartition du crédit, pour les crédits à court


terme comme pour les crédits à long terme.
– Quels moyens le ministère des Finances a-t-il pour contrôler
l’exécution de ce Plan ?
– Quel contrôle a-t-il sur les banques ?
– Quelle surveillance du marché de l’or et des rentes ? Quelle lutte
contre la fraude ?
– Quelle surveillance des caisses d’épargne privées ?

153
Annexe IV : Fiche « Mécanographie »

Équipe : Gaudriault (administrateur de l’INSEE), Lions


(administrateur de l’INSEE), Martin (administrateur civil à
l’administration centrale des Finances), Cantegreil (administrateur
de l’INSEE), Chassaigne inspecteur des Finances.
« Le développement de la mécanographie, au sens courant de ce mot,
machines à calculer, à perforer, à classer, sélectionner les fiches etc.,
constitue un phénomène relativement récent ; aussi peut-on
craindre que leur emploi par les administrations publiques n’ait pas
toujours été le plus efficace compte tenu des besoins réels des
services intéressés. Un certain nombre d’enquêteurs ont déjà signalé
des défauts manifestes dans cet ordre d’idée. On a même relevé une
circonscription où l’application prématurée et insuffisamment
étudiée de la mécanographie avait désorganisé le recouvrement
d’une série d’impôts. Il va de soi que chacune des missions doit
étudier tous les défauts des services sur lesquels elle enquête, elle
doit rechercher tous les moyens d’améliorer leur fonctionnement
(…). Cependant l’étude des machines mécanographiques soulèvent
des problèmes techniques plus délicats que telle autre question
d’organisation du travail. Il a donc paru nécessaire de constituer une
mission spéciale composée en partie de fonctionnaires déjà au
courant des questions de mécanisation, mission qui est chargée de
procéder à une étude d’ensemble des services de mécanographie et
des problèmes que pose l’emploi actuel ou éventuel de la
mécanographie dans les services publics (…) ».
Donc, dans l’ordre chronologique, il s’agit de :
1° Étudier les services mécanographiques existants
2° Étudier leur éventuelle extension
Questions à se poser dans le cadre de l’enquête :
– Le choix des machines est-il judicieux ? (facilité d’emploi,
commodité d’entretien ou de réparation)
– Quelles conditions financières d’acquisition ou de location ?
Satisfaction ou non ?
– Le plein emploi des machines est-il assuré ? Quels remèdes
apporter si sous-utilisation ?
– L’emploi technique des machines est-il assuré dans les meilleures
conditions (recrutement et formation des opératrices, conditions de
travail, entretien, réparation des machines ; cf. les observations
formulées par la commission des Méthodes des PTT)
– L’emploi des machines s’est-il accompagné de toutes les mesures
nécessaires pour en tirer le meilleur parti (suppression des
transcriptions, modification des imprimés) ?
« Cette étude permettra de dégager le prix de revient des opérations
effectuées à l’aide de ces machines » et pourra donner lieu à des
comparaisons de services à services.
« Certaines opérations-types son effectuées à l’aide de la
mécanographie dans certains services, manuellement dans d’autres.
La comparaison des prix de revient des opérations
mécanographiques avec les prix de revient des opérations manuelles
(…) doit permettre de conclure sur les avantages, les inconvénients
et les conditions d’extension du système mécanographique càd en
somme sur la possibilité de réduire le coût d’un certain nombre
d’opérations administratives ».
« Une des conclusions des enquêteurs sera peut-être que l’emploi
efficace des méthodes mécanographiques est subordonné à une plus
grande concentration des opérations : concentration géographique,
certaines opérations étant effectuées sur une plan
interdépartemental ou régional (…), concentration des moyens
nécessaires à plusieurs services par la création de centraux
mécanographiques travaillant pour le compte d’un ensemble
d’administrations publiques ».
« Le rendement des la mécanographie dépend (…) d’une série de
conditions telles que la modification des imprimés dont les
enquêteurs de la Mission Mécanographie devront se demander si
elles peuvent être remplies (…).
D’une façon générale, la Mission pourra conseiller les missions
d’enquête chargées de l’examen des services. A la suite de l’analyse
d’un type d’opération suivant la méthode préconisée par les
Instructions 5, 6 et 7 ou en examinant les améliorations qui peuvent
être apportées à l’organisation des services, certains enquêteurs
seront amenés à se demander si l’introduction ou le développement
des moyens mécanographiques ne pourraient être un moyen
d’améliorer les méthodes de travail ou de compléter les
perfectionnements qu’ils proposent ailleurs ».
Enfin, « il a paru nécessaire de confier à la Mission Mécanographie
l’étude générale sur l’INSEE ».

Liste des rapports de la Mission Mécanographie

– Rapport sur la coordination mécanographique (n° 65, 24 mai 1948,


Gaudriault)
– Rapport sur l’emploi des méthodes mécanographiques dans la
préparation des décrets de naturalisation (n° 66, s.d, Gaudriault).
– Rapport sur le Centre mécanographique du matériel du ministère
de la Guerre (n° 67, 15 juillet 1947, Gaudriault)
– Rapports sur l’emploi des machines à cartes perforées au service
central de la solde au ministère de la Guerre (n° 68, 17 décembre
1948, Gaudriault)
– Rapport sur la coordination mécanographique (n° 69, 24 mai 1948,
17 décembre 1948, Chassaigne inspecteur des Finances)
– Rapport sur le service de coordination mécanographique de l’INSEE
(n° 92, 22 avril 1948, JP Martin administrateur civil)
– Rapport sur la mécanisation des travaux administratifs à la
Préfecture de la Seine, de police et à la mairie de Lyon (n° 93, 8
décembre 1948, Martin)
– Rapport sur le centre mécanographique de la Préfecture de Saône-
et-Loire (n° 94, 1948, Martin)
En plus de ces rapports qui ont été délibérés et qui ont fait l’objet de
conclusions, on trouve sept notes complémentaires, rédigées par les
rapporteurs de la Mission.
– Note de R. Gaudriault sur un mode de calcul de prix de revient.
– Note de JP Martin sur la paye mécanographique dans les
administrations publiques en France (13 mai 1949) ; Note sur le coût
horaire des machines à cartes perforées et du personnel
mécanographique.
– Rapport sur l’INSEE (1er février 1948, Cantegreil) ; Note sur le Rôle
de la Mission « Mécanographie » (Cantegreil).
– Rapport sur le centre national mécanographique du Ministère des
Finances (Cantegreil) ; Note complémentaire de la note de Gaudriault
sur le mode de calcul du prix de revient (Cantegreil).

Annexe V : Liste des rapports concernant le ministère des


Finances et le ministère des Affaires économiques entre
1947 et 1958.

Rapports examinés par le CCECRSP

1947-1948

Ministère de l’Économie nationale

N° 27, Sur les Services chargés du contrôle de la répartition et


l’Inspection générale de l’Économie Nationale ; n° 28, Sur le régime
répressif des infractions aux règles de la répartition et de la
législation économique ; n° 29, Sur le programme et répartition des
textiles ; n° 30, Sur les services de la répartition et l’OCRPI ; n° 40, Sur
l’Inspection générale de l’Économie nationale et la Direction
générale du Contrôle des Enquêtes économiques ;
Plus trois notes complémentaires sur les services du ministère de
l’Économie nationale, dont la note n° 40/A relative à l’IGEN
(Hamelin) et la note 40/B sur la direction générale du Contrôle et des
Enquêtes économiques (Hamelin).
Ministère des Finances 154

N° 42 , Sur les réformes envisagées en matière de liquidation des


pensions ; n° 42 bis, Sur le recouvrement par le Central
mécanographique des contributions indirectes des impositions
forfaitaires établies au titre de la taxe sur le chiffre d’affaires (TCA)
et des Bénéfices industriels et commerciaux (BIC) ; n° 43, Sur le délai
actuellement nécessaire pour obtenir le relèvement du maximum
des avances consenties aux régisseurs d‘avance ; n° 43, Sur le
recouvrement par le Central mécanographique au titre de l’impôt
sur les BIC et au titre de la TCA pour les contribuables soumis au
forfait ; n° 43, sur l’AJT ; n° 48, Sur les Caisses d‘Epargne ; un rapport
sur la monnaie scripturale (non numéroté, 1947) ; n° 53, Sur les
comptes spéciaux et sur les comptes d‘avance du Trésor ; n° 54, Sur
les réformes à apporter à la présentation du budget en vue de faire
ressortir le coût et le rendements des services publics (Ardant) ; n°
58, Sur l’Office des Changes ; n° 59, Sur l’Office des Changes (Nollet) ;
n° 60, Sur le Services des Avoirs à l’étranger et du contrôle financier
de l’Office des Changes (Nollet).
Notes complémentaires :
Note 42/B sur le recouvrement par le Central mécanographique
utilisé par l’administration des Contributions Indirectes des
impositions forfaitaires établies au titre de la taxe sur le chiffre
d’affaires et de l’impôt sur les BIC (Priem) ; note 43/A relative aux
délais actuellement nécessaires pour obtenir le relèvement du
maximum des avances consenties aux régisseurs d‘avances (Hanotte)
; note 43/B relative au recouvrement par le centre mécanographique
des contributions indirectes des impositions établies au titre de
l’impôt sur les BIC et au titre de la TCA pour les contribuables soumis
au forfait (Hanotte, 10 novembre 1946) ; rapport 43/D sur l’AJT
(Hanotte) ; note 48/A sur les Caisses d‘épargne (Guillot-Tantay) ;
note 48/B concernant l’usage de la monnaie scripturale (Guillot-
Tantay, mai 1947).
Notes complémentaires sur l’Office des Changes :
Rapport sur le Services des Avoirs étrangers et contrôle financier de
l’Office des Changes (Nollet) ; Rapport de M. Villers sur l’organisation
des administrations centrales chargées de réglementer le commerce
extérieur et les changes consacré partiellement à l’Office des
Changes ; Rapport consacré au contrôle des opérations relatives aux
transferts des revenus, droits, marchandises et à l’exploitation
statistique des documents établis à l’occasion de ces opérations.

1949

Ministère de l’Économie nationale

N° 61, Sur les négociations à terme des devises et les garanties


accordées par l’Etat au Commerce extérieur ; n° 61, Sur
l’organisation des administrations centrales chargées de
réglementer le commerce extérieur et les changes ; n° 62, Sur la
procédure Impex et sur le Service des Importations et des
Exportations ; n° 75, Sur les services centraux traitant des questions
économiques (Boris) ; n° 76, Sur l’organisation des services
administratifs centraux chargés des questions relatives aux relations
économiques extérieures (Boris) ; n° 77, Sur la structure et les
effectifs des services s’occupant des problèmes de ravitaillement
(Legatte) ; n° 78, Sur l’organisation des services administratifs
s’occupant des problèmes de plan et de programmes économiques
(Legatte et Legaret) ; n° 80, Sur les services des crédits économiques ;
n° 81, Sur le Service des Alcools ;
Ministère des Finances

N° 73, Sur les titres en compte courant et la gestion des valeurs


mobilières (Dommel) ; n° 82, Sur le crédit à l’agriculture en France
métropolitaine.

1950

Ministère de l’Économie nationale

N° 86, sur l’INSEE (Gardent).

Ministère des Finances/Ministère des PTT

N° 100, Sur le paiement des revenus des valeurs mobilières (Sézerat)


; n° 109, Sur la distribution et la centralisation du numéraire
(Sézerat) ; n° 110, Sur l’encaisse des comptables publics, son niveau
optimum et son contrôle ; rapport non numéroté sur
l’approvisionnement des caisses d‘épargne ordinaires par les
bureaux de poste (Sézerat) ; n° 111, Sur la direction de la Dette
Publique (Gaudriault) ; n° 112, Sur la simplification des formalités
administratives imposées aux entreprises industrielles et
commerciales (Gardellini).

SEITA

N° 158, Rapport Lionnet, décembre 1950 ; rapport sur le prix de


revient et rapport sur la gestion financière et l’organisation
comptable du SEITA (18 juillet 1951) ; rapport sur le Service des
Ventes de Tabac (11 décembre 1951).

1952-1953

Ministère des Finances


N° 123, Sur l’Imprimerie nationale ; n° 126, Sur la réduction de
certains comptoirs de la Banque de France à de simples dépôts de
billets et de la constitution de nouveaux dépôts de billets (Sézerat) ;
n°126, Sur la Banque de France d’après l’analyse de son compte
d’exploitation (Sézerat) ; n° 126 Sur les bilans et comptes
d’exploitation des quatre banques de dépôt nationalisées (Sézerat) ;
n° 163, Sur la Caisse nationale du Crédit Agricole ; n° 168 Sur un
projet de réforme de l’appareil bancaire français (1953, Sézerat) ; n°
183, Sur les achats de combustible par les administrations publiques
(1954) ;

Services du Premier ministre

N° 99, Sur les corps de contrôle (Le Hénaff)

1954-1958 155

Ministère des Finances et Affaires économiques/PTT

N° 191, Sur les méthodes d’analyse des coûts administratifs et


particulièrement des coûts des services du Trésor (n° 191, 1954,
Sézerat) ; n° 194, Sur les caisses de crédit municipal (Labarraque,
1955) ; n° 195, Sur la réforme des règles relatives à la franchise
postale (Sézerat, 1955) ; n° 196, Sur les dommages de guerre
immobiliers (de Villaines, 1955) ; n° 204, Sur la réforme comptable en
cours au ministère des PTT ; n° 220, Sur les problèmes posés par les
achats de fourniture de bureau dans les services administratifs de
l’État (Chassaigne, 1957) ; n° 226, Sur la gestion du domaine de l’Etat
et les Services du Domaine (Charrier, 1959).

Premier ministre
N° 214, Sur l’organisation du travail dans les administrations et
entreprises publiques (Flandin, Gonot, 1956) ; n° 215, Sur
l’intervention des organisateurs privés dans les services publics
(Gaudriault, s.d.).

Liste de rapports portant sur la mission Finances ou Affaires


économiques, non examinés par le CCECRSP 1947-1948 156

Ministère des Finances

Note relative à la comptabilité des Bons du Trésor et à la justification


des crédits budgétaires prévus pour en payer les intérêts (sd, Priem)
; Note relative à la substitution du Service des chèques postaux à la
Banque de France comme intermédiaire entre les comptables publics
et les banques qui tiennent les comptes des bénéficiaires des sommes
à payer (sd, Priem) ; Rapport relatif au paiement par virement
(Priem) ; diverses notes sur les Banques, paiement des pensions,
chèques postaux (Priem).
Note relative à la réorganisation éventuelle du Service des Ventes du
monopole des Tabacs. Résumé et propositions, (sd, Hanotte), plus
deux notes annexes du 15 novembre 1947 et du 15 décembre 1947.

Ministère de l’Économie nationale

Note sur l’application du décret du 6 septembre 1948 portant


suppression de certains emplois de direction dans les
administrations centrales des ministères aux départements du
Ravitaillement et des Affaires économiques (20 décembre 1948,
Legatte et Boris) ; Introduction à la note sur l’application du décret
du 6 septembre 1948 aux services centraux chargés des questions
économiques (20 décembre 1948, Boris ; en annexe différents projets
de textes, par ministère) ; Rapport sur la Réforme des services
chargés des questions économiques. Récapitulation et coordination
des propositions contenues dans les rapports déposés au 31 janvier
1949 (1er février 1949, Boris) ; Note complémentaire sur les services
du Ravitaillement général (problèmes de la réduction des effectifs et
rattachement des directeurs départementaux du Ravitaillement
général aux préfectures dans l’hypothèse du maintien de
l’autonomie des services centraux du Ravitaillement, 15 janvier 1949,
Legatte) ; Note sur la codification des textes législatifs et
réglementaires relatifs à la répartition (1er mars 1948, Legatte) ;
Rapport sommaire sur les services locaux de répartition de l’énergie
et des pneumatiques (28 avril 1948, Legatte et Legaret) ; Etude
générale sur les services de documentation économique (sd,
Marchandise) ; Note sur la répartition de l’essence (sd, Nespoulous-
Neuville) ; Note sur la répartition du vin (7 mai 1948, Nespoulous) ;
Note sur la répartition en Belgique (sd, Nespoulous) ; Rapport
d’ensemble sur la normalisation (1er février 1947, Villemin).

Liste des rapports ou des notes non examinés par le CCECRSP


entre 1948 et 1958

Ministère des Finances et des Affaires Économiques 157

Rapport sur la direction des Assurances (Lionnet, 1949) ; Rapport sur


la direction de la Comptabilité Publique (Lionnet, 1949).
Série de Rapports signés Antoine Sézerat, inspecteur général des PTT
: Etude des mécanismes monétaires actuels ; Rapport sur les résultats
d’un essai d’analyse des coûts des services du Trésor effectué en
Seine-et Oise et en Corrèze (sd) ; Rapport sur les méthodes d’analyses
des coûts administratifs et particulièrement des coûts des services
du Trésor (août 1953) ; Opérations dont le coût est hors de
proportion avec le montant (avril 1954) ; Note sur l’incorporation
des coûts de la rémunération des capitaux propres et des impôts (5
mai 1954) ; Exposé général du problème des franchises postales
(complément au rapport de juin 1954, octobre 1954) ; Etude sur la
responsabilité pécuniaire des agents des services publics (juin 1953) ;
Observations sur les décrets des 9 août et 30 septembre 1953 relatifs
à la responsabilité des comptables publics (avril 1954) ;
Notes complémentaires sur l’analyse des coûts et la comptabilité
analytique d’exploitation dans les services administratifs (avril 1954)
; sur le recouvrement des créances publiques par création du c/c
fiscal (février 1955) ; sur l’exécution du paiement des dépenses
publiques et parapubliques (mai 1955) ; sur la structure des services
extérieurs du Trésor (mai 1955) ; sur l’appareil bancaire français
(septembre 1955) ; sur la redistribution des tâches financières sur le
plan national (octobre 1955).
Notes de Hanotte sur le monopole des Tabacs ; Rapport sur les
fausses imputations de dépenses (Hanotte).

Liste des chefs d’équipe-rapporteurs pour le ministère des


Finances et des Affaires économiques de 1946 à 1958

Ministère de l’Économie nationale

Laurent, Marchandise (Conseil d’État), Bechet, Boris (Conseil d’État),


Hamelin (Cour des comptes), Vibert, Legatte (administrateur civil
aux Finances), Legaret (Conseil d’État), Bechet, Lionnet (Contrôle
général des Armées), Gardent (polytechnicien, ingénieur au corps
des Mines), Martin (administrateur civil aux Finances), Nespoulous-
Neuville (inspecteur des Finances), Gardellini (administrateur civil
au MEN), Villemin (Contrôleur aéronautique).

Finances
Priem (conseiller-maître), Hanotte (Contrôle général des Armées),
Guillot-Tantay (inspecteur des Finances), Villers (Cour des comptes),
Bisson (Cour des comptes), Ardant (inspecteur des Finances),
Dommel (inspecteur des Finances), Sézerat (inspection générale des
PTT), Lionnet (Contrôle général des Armées), Labe, Pilliard, Brissaud
(administrateur civil aux Finances), Labarraque, Charrier (Cour des
comptes), Gaudriault (administrateur INSEE), Chassaigne (inspecteur
des Finances).

Office des Changes

Nollet (inspecteur de l’Industrie et du Commerce), Villers (Cour des


comptes).

NOTES
1. Mission provisoire de réforme de la fonction publique (1944), direction de la Fonction
publique (1945), commissions d’économies budgétaires et de révision des emplois (1945-
1946), commission des méthodes dans les ministères (1945-1946), Comité de la réforme
administrative (1946), premiers comités techniques paritaires (1945-1946), établissement
par la commission des Finances de l’Assemblée, assistée de magistrats de la Cour des
comptes, d’un programme d’économies (1946), commission de la Hache (1946), commission
de la Guillotine (1947)…
2. Hormis les représentants des élus et des syndicats, outre le représentant du Comité
supérieur de la réforme administrative désigné par le vice-président du Conseil chargé de la
réforme administrative, le CCE compte sept représentants des corps de contrôle : un
membre du Conseil d’État, un membre de l’Inspection générale des finances, un membre de
l’Inspection générale des services, un membre de l’Inspection générale des colonies, un
représentant des corps de contrôle de la Marine ou de l’Air, un membre de l’Inspection
générale de l’économie nationale.
3. Deux députés membres de la commission des Finances de l’Assemblée nationale
constituante siègent au CCE. Les procès-verbaux pour l’année 1946-1947 ne montrent guère
d’assiduité de leur part (CHAN, F 60939).
4. On compte cinq représentants des syndicats de fonctionnaires, quatre CGT et un CFTC. La
participation active des syndicalistes aux réunions du secrétariat général est attestée pour
les années 1946 et 1947.
5. Comité d’enquête sur les économies de 1920, Comité supérieur d’économies en 1932-1933,
Commission des pensions et Commission des offices en 1933, Commission des cumuls en
1935, comités d’organisation et comités de contrôle financier en 1935, Comité de
réorganisation administrative en 1938…
6. Pierre Brin (1882-1969), conseiller maître à la Cour des comptes puis procureur général
près la Cour des comptes à partir de 1945, a été secrétaire rapporteur du Comité d’enquête
sur les économies en 1920, secrétaire rapporteur du Comité supérieur d’enquête institué
auprès du ministère des Finances le 2 juillet 1925, membre de la commission Chéron sur la
réforme de la comptabilité publique en 1930, président de la commission de réforme de la
comptabilité du département de la Guerre le 30 juin 1930, rapporteur général de la
commission des Offices de 1933, deuxième vice-président du Conseil supérieur des
assurances sociales le 20 février 1936 et membre du Comité de réforme administrative de
1938.
7. Gabriel Ardant (1906-1977), inspecteur des Finances, a été secrétaire rapporteur du
Comité supérieur d’économies de 1932 et rapporteur au sein du Comité de réforme
administrative de 1938.
8. Voir par exemple le rapport de comptabilité administrative 1943 sur l’exercice 1942
concernant le fonctionnement et la gestion du Service social des armées, M. Martin,
archives de la Cour des comptes.
9. Cf. les premiers rapports annuels de comptabilité administrative rédigés par les
contrôleurs de la Cour et le premier rapport public issu de la réforme qui les a utilisés, celui
de 1939 portant sur l’exercice 1938 (jamais publié), archives de la Cour des comptes. Ce
rapport comporte les premiers chapitres transversaux consacrés à une question générale :
la simplification des formalités relatives à la liquidation et à l’ordonnancement des
traitements ; la construction et l’entretien des bâtiments civils de l’État ; la nécessaire
rationalisation et coordination centralisée des services d’information et d’expansion
française à l’étranger ; l’utilisation par les administrations publiques des machines à
statistiques et à comptabilité. Dans la seconde partie qui traite des services généraux de
l’État, un chapitre important réclame « la centralisation des commandes de fournitures
intéressant diverses administrations centrales, l’extension et la réorganisation de services
d’achats en commun ». Pour son rapport sur la mécanographie, la Cour des comptes a
procédé à une série de visites et d’enquêtes sur place pour établir le bilan des
expérimentations et pour évaluer le bien-fondé de l’implantation des centres
mécanographiques dans les services de l’État.
10. Cf. le rapport de comptabilité administrative sur la Présidence du Conseil de 1937, 20
décembre 1938, suivi de celui de 1938. Un chapitre est consacré à la réorganisation du
service de la Statistique générale de la France et de la Documentation. Les propositions sont
l’élimination des doublons et la chasse aux doubles emplois, le rattachement à la Présidence
du Conseil, la mutualisation des « machines statistiques », la rationalisation des structures,
la centralisation des achats et des marchés, la coordination, la standardisation des
documents et des formulaires, la centralisation et la constitution d’une documentation…
Autant de sujets d’enquête chers au futur CCE.
11. Grâce à la mise en place des contrôles de comptabilité administrative, la Cour s’est dotée
des moyens qui lui manquaient pour pouvoir proposer des réformes à l’échelle d’un service
ou d’un département ministériel tout entier. Cf. le rapport public 1939 sur la réorganisation
des services de recherche scientifique ou le rapport de comptabilité administrative sur le
ministère des Affaires étrangères pour l’exercice 1937. Dans ce dernier rapport, le
rapporteur préconise la rationalisation et le regroupement de toutes les subventions
versées aux associations spécialisées dans la promotion de la France à l’étranger dépendant
des ministères techniques, soit dans un service du ministère des Affaires étrangères soit
dans un nouveau service de la Propagande et de l’Information sur le modèle allemand. Le
rapporteur prend l’exemple de Goebbels (sic). Un même souci rationalisateur s’exprime à
propos des services de presse étrangère disséminés dans les différents départements
ministériels ou des marchés de fourniture (cf. les tarifs d’électricité critiqués par le
rapporteur dans le rapport de comptabilité administrative 1938 sur le ministère des Affaires
étrangères), Archives de la Cour.
12. SAEF, 5A 182, Note de G. Ardant « Les dépenses publiques », p. 16.
13. J.-F. Potton, La Cour des comptes pendant les années noires (1939-1945), Paris, La
Documentation française, 2011 et N. Carré de Malberg, Le grand état-major financier : les
inspecteurs des Finances 1918-1946, Les hommes, le métier, les carrières, Paris, Comité pour
l’histoire économique et financière de la France, 2011, p. 129-143.
14. Les commissions tripartites d’économies de 1933 relèvent de cette inspiration, comme la
création rue de Rivoli en 1936 de deux conseils tripartites, l’un sur la politique fiscale et
l’autre sur la politique de personnel aux Finances, ainsi que les commissions des méthodes
de 1945-1946.
15. Le terme « rendements » désigne dans l’entre-deux-guerres à la fois le produit des
services administratifs (par exemple celui de l’impôt), le volume quantitatif des résultats de
l’activité administrative et le rapport existant entre ces résultats et les moyens accordés
pour les obtenir. Nombreux sont les rapports de l’Inspection sur les voies et moyens
d’augmenter le rendement ou « la productivité » de l’impôt (cf. N. Carré de Malberg, op. cit.,
p. 114 et rapports d’ensemble du service de l’Inspection en application de la loi du 13 juillet
1911 sur le contrôle pour les années 1911-1934, aimablement communiqués par N. Carré de
Malberg).
16. Cf. la commission Courtin sur la réforme de l’administration centrale du ministère des
Finances en 1918 ou la commission Féret du Longbois (SAEF, B 59 119).
17. Cf. les remarques faites sur le sujet par les représentants de la Cour au sein de la
commission Selves sur la réforme de l’exécution du budget, dans les commissions de
réforme administrative (Comité Marin), dans les commissions de réforme de
l’administration centrale des Finances ou de la comptabilité publique, dans les rapports
publics. Les magistrats l’emploient même à leur propre endroit lorsqu’ils s’interrogent sur
les moyens d’accroître le nombre de leurs travaux de vérification (registres des conférences
des présidents de Chambre 1926-1945, archives de la Cour des comptes, 2004 001/2).
18. Cf. les exposés des motifs des décrets-lois de 1934-1935, les textes autour de la création
du Comité supérieur d’économies et des commissions tripartites, les discours d’audiences
solennelles de la Cour, les interventions d’E. Labeyrie procureur général, les rapports de
comptabilité administrative à partir de 1937, les rapports des Comités de contrôle financier
à partir de 1936, les rapports publics de la Cour en 1938 et 1939…
19.Rapport sur le budget de l’exercice 1944, IN, 1944, p. 18, et annexe VII, « Organisation et
rendement du travail administratif », séance du 19 mai 1943. Par ailleurs, le régime de
Vichy s’est montré sensible aux discours des « organisateurs » privés sur la hausse des
rendements, surtout en 1943-1944 quand la pénurie de fonctionnaires s’est fait sentir, cf. M.
O. Baruch, Servir l’État français, Paris, Fayard, 1997, p. 467- 474.
20. G. Jèze, Cours de finances publiques 1929-1930, Théories générales sur les phénomènes financiers,
les dépenses publiques, le crédit public, les taxes, l’impôt, p. 118-119, cité in M. Conan, « Gaston
Jèze et l’utilité de la dépense publique. L’élaboration d’une théorie générale des dépenses
publiques chez Jèze », Revue du Trésor, février 2008, p. 158.
21. Sur J. Coutrot et le COST, M. Margairaz, L’État, les finances et l’économie. Histoire d’une
conversion, 1932-1952, Paris, Comité pour l’histoire économique et financière de la France,
1991, p. 348-363 et O. Dard, Jean Coutrot. De l’ingénieur au prophète, Besançon, Presses
universitaires franc-comtoises, 1999.
22. Ce n’est qu’en novembre 1936, lors d’un colloque du CNOF, que le thème de
l’organisation scientifique du travail dans les services publics est publiquement développé
devant un auditoire de hauts fonctionnaires (publication des actes dans l’État moderne, n° 2
et 3, février et mars 1937). C’est aussi à cette occasion que J. Milhaud, fondateur de la CEGOS
et futur fondateur de l’ITAP dans l’après-guerre, présente sa première mission
d’organisation dans l’administration pour les services du protectorat du Maroc. État
moderne, n° 3 mars 1937. Au même moment, de 1936 à 1940, J. Coutrot, nommé à la tête du
COST au ministère de l’Économie nationale, déploie de nombreux efforts pour introduire
l’organisation scientifique du travail et le concept de prix de revient dans les services
publics (CHAN, 468 AP 18).
23. Sur R. Dautry et les premiers recours aux cabinets d’organisation en 1934 et 1935 pour la
réforme administrative, CHAN 307 AP 95 à 100. Voir aussi R. Baudouï, Raoul Dautry 1880-1951,
Le technocrate de la République, Paris, Balland, 1992, p. 151-152.
24. CHAN, 468 AP 18. J. Coutrot directeur du COST au ministère de l’Économie nationale
rend visite en 1937 au nouveau secrétaire général du ministère des Finances, G. Mer, afin de
lui présenter ses idées en matière de hausse des rendements dans l’administration. Ce
dernier s’illustre par des propos prudents, ne prend guère d’engagements et lui conseille
d’aller voir le directeur de la Comptabilité publique et surtout celui des Douanes auprès
duquel il trouvera une oreille favorable. G. Mer, militant de la réforme administrative et de
la réorganisation des services fiscaux, se garde bien d’ouvrir à J. Coutrot le vaste champ des
directions fiscales dont il a la responsabilité en tant que secrétaire général. C’est F. Hekking,
conseiller au cabinet de C. Spinasse et proche du Syndicat national des Contributions
directes qui ouvrira la porte des Contributions directes à J. Coutrot en 1938…
25. Sur J. Milhaud, conseiller en organisation pour les administrations publiques, A.
Weexteen, Le conseil aux entreprises et à l’État en France : le rôle de Jean Milhaud (1898-1991) dans
la CEGOS et l’ITAP, Paris, thèse EHESS, 1999.
26. Sur les difficultés que posent la définition et le calcul du prix de revient dans les services
administratifs non commerciaux et sur la prudence des chefs de service, A. Weexteen, Le
conseil aux entreprises et à l’État, op. cit., vol. II, p. 360-363.
27. La notion de prix de revient est familière aux PPT, qui possèdent depuis la loi du 30
janvier 1923 un budget annexe et qui en 1931 ont créé un service central d’achat et des prix
de revient. Sur le budget annexe des PTT, M. Le Roux et B. Oger, « Aux origines du budget
annexe des PTT », in La direction du Budget entre doctrines et réalités 1919-1944, Paris, Comité
pour l’histoire économique et financière de la France, 129-137. Sur l’introduction des
méthodes modernes de gestion aux PTT, CHAN, 307 AP 98, note de J. Milhaud à R. Dautry, le
24 juillet 1935.
28. N. Carré de Malberg, op. cit., p. 116-117.
29. Rapport présenté par M. André Citroën au nom de la commission chargée d’étudier les
questions concernant l’organisation et le fonctionnement des monopoles des tabacs et des
allumettes. Paris, Imprimerie nationale, 1925. C’est ce rapport qui a nourri en partie la loi
du 7 août 1926 créant la Caisse d’amortissement et qui a conduit à donner plus d’autonomie
de gestion au nouveau Service d’exploitation des tabacs (SEITA).
30. Rapport public 1939 sur l’exercice 1938, non publié, juillet 1939, Archives de la Cour.
31.Ibid., Section IV, p. 4, 5, 12.
32.Ibid., section XII, p. 2-4.
33.Ibid., section XIX, p. 3. Quelques années plus tard, dans le rapport public consacré aux
années 1939-1945 et 1946-1947, publié au JO du 28 décembre 1948, un important chapitre est
consacré au prix de revient et au prix de journée à l’Assistance publique de Paris. Cf. Les
rapports de la Cour des comptes 1946-1947 et 1949-1945, Paris, Univers-Éditions, 1949
(préfacé par P. Reynaud).
34. Archives de la Cour des comptes, J. Delaporte, rapport de comptabilité administrative du
ministère de l’Intérieur sur l’exercice 1941, séance du 9 mars 1942 et rapport de
comptabilité administrative sur l’exercice 1942, séance du 7 mars 1944, section consacrée à
la gestion des camps d’internement. Le rapporteur fait un rapport détaillé sur les différents
postes de dépenses et de recettes, ce qui lui permet de déterminer le « prix de revient d’une
journée dans un camp d’internement » et de calculer « le coût de l’entretien d’un interné ».
Le rapporteur souligne également les irrégularités en matière de recettes, à savoir le non-
remboursement au Trésor public par les internés de leurs frais de journée ou de pension et
de leur « coût d’entretien »… Évidemment, l’environnement auquel est appliqué le concept
de « prix de revient » est particulièrement choquant, mais les développements du rapport
attestent que la notion de prix de revient est parfaitement connue à la Cour des comptes.
35. Rapport public 1947, années 1940 à 1945, JO, 1947, p. 17.
36. « La mécanisation des travaux administratifs dans les services publics » et « Les
conséquences du travail dans les ateliers de mécanographies sur la santé des personnels et
la sélection du personnel mécanographe », rapports cités par L. Rouban, « Réformer l’État :
Henry Puget et la fondation Alexis Carrel 1943-1946 », Revue administrative, n° 344, 2005, p.
133.
37. R. Gaudriault, rédacteur, commence sa carrière au ministère des Finances dans le
service statistique de René Carmille ; intégré au sein de l’INSEE en 1945, il est mis à
disposition du CCE. Il poursuit sa carrière au Commissariat général à la Productivité à partir
de 1953.
38. Rapport général de la commission des offices, P. Brin, 15 septembre 1935, JO, annexe, 4
juin 1936, p. 437-446.
39. À la Libération, une commission de réforme de l’Inspection des finances est créée le 3
novembre 1944 par le ministre des Finances Lepercq. G. Ardant y participe avec quatre
autres inspecteurs, P. Arnoult, F. Bloch-Lainé, A. Postel-Vinay et A. Fayol, chef du service. La
commission reçoit trois missions : réfléchir à la réforme du recrutement, à celle du statut et
à celle des méthodes de travail et des travaux d’inspection, du point de vue « de leur intérêt
et de leur efficacité ». Dans son rapport, G. Ardant déplore le « cloisonnement trop étanche
entre l’administration centrale des Finances et l’Inspection générale des finances »,
l’absence de suites données aux rapports et la non-implication des inspecteurs dans leurs
conclusions, faute de responsabilité et d’association dans le suivi des préconisations, la
déformation professionnelle liée à la seule position critique, la coupure d’avec les réalités
administratives et locales et le formalisme. Il préconise un rapprochement entre le ministre
des Finances, l’administration centrale des Finances et l’Inspection. A. Postel-Vinay
préconise de son côté que l’Inspection ne fasse plus de contrôle ni de vérification et qu’elle
se concentre sur ses fonctions d’encadrement et de direction, d’enquêtes, de conseil au
ministre et de préparation des réformes ; il propose en compensation la création d’un corps
des contrôleurs des services civils (SAEF, 5 A 182).
40. A. Philip, prenant la suite de Caillaux en 1914, d’Auriol en 1936 et de Bouthillier en 1940,
cherche à son tour à résoudre la question de la coordination des corps de contrôle en
matière de finances publiques. Sur ce projet, N. Carré de Malberg, op. cit., p. 152-155. Le
projet de loi n° 969, « portant création et organisation d’un corps de contrôle des finances
publiques » est déposé sur le bureau de l’Assemblée le 10 avril 1946.
41. SAEF, 5A182.
42. Sur le relatif discrédit attaché aux commissions d’économies, SAEF 5 A182 ; exposé des
motifs du décret du 26 juin 1946 portant création du CCECRSP, rapports du CCECRSP de 1947
et 1948, rapport public de la Cour en 1948 ; conférences de G. Ardant à l’ENA les 28
novembre et 5 décembre 1949 ; SAEF B 62186 ; G. Ardant, Technique de l’État, Paris, PUF, 1953.
43. Note pour le président au sujet de la réalisation du programme d’économies (services
civils), 23 février 1946, SAEF 5A182. Selon un modèle éprouvé dans les années 1930, le projet
de comité de réforme administrative en cours de rédaction à la vice-présidence du Conseil
prévoit un comité supérieur, des commissions par ministère et des enquêteurs. « Le
principe de cette triple série d’organismes est excellent », commente G. Ardant, mais il
faudrait un « comité technique » permanent, à vocation interministérielle. Son souhait sera
exaucé grâce à la création du CCE ; les commissions ministérielles de premier degré ne
verront jamais le jour.
44. SAEF, 5A182. Sous cette cote figure une série de notes de G. Ardant au président du
gouvernement provisoire portant sur un programme de redressement économique et
financier (fiscalité, économie, monnaie) et sur un programme d’économies budgétaires et
de réforme administrative.
45. Note du 23 février 1946, SAEF 5A 182.
46. Note du 18 juillet 1945, SAEF 5A 182, « Note sur une politique d’économies et de réforme
administrative ». Dans son programme de réforme, G. Ardant décline six domaines
prioritaires : liquidation ou réduction des services devenus inutiles du fait du retour de la
paix en Europe ; révision générale des dépenses publiques en fonction de leur utilité ;
révision des méthodes de décision et de contrôle ; simplification et regroupement des
services ; révision des circonscriptions ; révision du régime des retraites. La sévérité du
programme de réforme administrative de G. Ardant fait miroir avec l’austérité du
programme monétaire, économique et financier de P. Mendès France, dont il est l’un des
proches collaborateurs.
47. SAEF, 5 A 182. « Surveillance du fonctionnement général des services par des enquêtes
immédiates confiées à des membres du Conseil d’État, de la Cour des comptes, des corps de
contrôle […]. Détermination du prix de revient ; révision et mise au point des méthodes
d’exploitation et de contrôle des établissements industriels et commerciaux de l’État. Une
commission devrait en être chargée en liaison avec la commission de réforme
administrative et la commission du plan comptable » ; […] Amélioration ou organisation de
la surveillance des services eux-mêmes […] Des membres des corps de contrôle pourraient,
travaillant temporairement pour le président du Gouvernement, par des enquêtes sur place
déterminer les insuffisances des services et les lacunes de la réglementation ».
48. Au programme : examen des services du Ravitaillement ; examen de la répartition des
matières premières ; examen des liaisons entre le contrôle fiscal, le contrôle économique et
le contrôle de l’utilisation des matières premières ; examen de la taxation des prix et du
contrôle économique ; examen des travaux de reconstruction publics et privés.
49. Où l’on voit que l’adoption du calcul du prix de revient pose immédiatement la question
des nomenclatures budgétaires et comptables.
50. Dans la pensée originelle de G. Ardant, les syndicats ne sont pas représentés au sein du
Comité.
51. R. Schuman est ministre des Finances du 24 juin au 18 décembre 1946 dans le
gouvernement Bidault. Sur la création du CCE, entretien de F. Bloch-Lainé avec A. Terray n°
1 du 13 décembre 1993 et entretien avec Aude Ferray, n° 5 du 13 février 1989, AO du Comité
pour l’histoire économique et financière de la France. Pour le jugement de F. Bloch-Lainé
sur G. Ardant, La France restaurée, Paris, Seuil, 1976, p. 82 et Hauts fonctionnaires sous
l’Occupation, Paris, Seuil, 1996, p. 180-181.
52. En 1946, tous les postes de directeurs d’administration centrale aux Finances sont déjà
attribués ; la non-affectation de G. Ardant, auréolé de sa résistance et de sa guerre, de sa
participation à la libération du territoire et de sa proximité avec P. Mendès France, devient
embarrassante ; il faut lui trouver un poste !
53. Cette compétition est un héritage de l’entre-deux-guerres, pendant lequel l’impulsion
en matière de réforme administrative a oscillé entre le ministère des Finances (direction de
la Comptabilité publique, direction du Budget, les ministres et leur cabinet) et la Présidence
du Conseil (Poincaré, Tardieu, Doumergue, Laval, Blum, Reynaud), mais elle va se renforcer
sous la IVe République, du fait du rôle constitutionnel de la Présidence du Conseil, de la
création de la direction de la Fonction publique et de l’existence d’un ministre d’État ou
d’un secrétaire d’État à la réforme administrative.
54. Dans une note de l’automne 1946, G. Ardant s’interroge : « Doit-on considérer que le rôle
essentiel d’un Comité d’enquête est de réaliser des réductions de personnel ; n’est-ce pas
l’objet plus vaste d’améliorer le rendement des services publics ? N’est-ce pas induire
l’opinion publique en erreur que de lui faire croire que l’on peut se dispenser du travail de
révision profonde ? ». G. Ardant essaie de s’opposer au tropisme gouvernemental qui
consiste à utiliser le Comité comme une commission d’économies budgétaires, mais fin
1946, en dépit de ses objurgations, le CCE est sommé de contribuer au programme
d’économies budgétaires (CHAN, F 60 939) ; en 1948, les rapporteurs du CCE travaillent dans
le cadre du décret du 6 septembre 1948 portant suppression d’emplois de direction dans les
administrations centrales (CAC, 1979-0742).
55. Dans une note de 1944 « Esquisse de la politique financière de la France », délégation du
Commissariat aux Finances, il fait allusion aux travaux réalisés avant-guerre sur la hausse
des rendements, efforts qui ont été « sporadiques », et « qui devront être repris avec un
désir ferme d’aboutir ». Dans sa note programmatique du 18 juillet 1945, « Note sur une
politique d’économies et de réforme administrative », il préconise « le calcul et la
comparaison systématique, organisée du prix de revient et de l’utilité » des services, la
réforme de la structure du Budget et de la comptabilité administrative (qui a été la grande
affaire des années 1930), la réduction des contrôles a priori, le développement « des
contrôles en fonction des résultats » et des contrôles a posteriori. Il veut transformer le
contrôle sur pièces en un contrôle des rendements, fondé sur le prix de revient unitaire et
remettre en place un contrôle budgétaire « sur place » dans les ministères. Il annonce la
nécessité de la codification des lois et des règlements administratifs, suggère la
réorganisation des services fiscaux et esquisse un programme de fusion des départements
en « petites régions » ; idem en matière communale (SAEF, 5A 182).
56. SAEF, 5A 182, ses deux conférences à l’ENA en 1949 (SAEF B 62186), les rapports
d’ensemble 1947, 1948 et 1950, et Technique de l’État, PUF, 1953.
57. G. Ardant énumère dans l’Instruction générale n° 1 les effets de l’extension des
attributions de l’État et de l’Occupation : le gonflement des effectifs, l’inertie et la résistance
au commandement, les modifications de structures et d’effectifs suite au retour des
prisonniers, l’arrêt des licenciements, la création de services pour échapper au STO, la
suspension des contrôles (contrôle parlementaire, administratif et financier) et « la
moindre attention au rendement ».
58. Il y a chez G. Ardant une analyse du fonctionnement de la bureaucratie et de sa logique
propre ; il affirme explicitement que les administrations n’ont qu’un objectif : persévérer
dans leur être. Il est un des rares hauts fonctionnaires de sa génération à avoir pointé du
doigt ce phénomène et à avoir voulu lutter contre. Chez F. Bloch-Lainé, qui s’est illustré
dans la création de nombreux organismes dans sa propre sphère d’intervention à la tête de
la direction du Trésor ou à celle de la Caisse des dépôts, rien de tel, ni chez M. Debré qui en
dépit d’un fort tropisme rationalisateur a été un grand créateur d’institutions
administratives.
59. À cet égard, ses analyses sont parfaitement convergentes avec le rapport public de la
Cour portant sur la gestion des années 1939-1945, publié en 1947.
60. CHAN F 60 939, « Le ministère des Finances, n’ayant pas une connaissance suffisante de
l’organisation des services ministériels, se trouve contraint d’imposer un procédé
forfaitaire pour réaliser la compression des effectifs : 10 % pour les ministères anciens ; 30 %
sur les fonctionnaires nouveaux depuis 1936 ».
61. Pour Ramadier, le CCE a une « double tâche : faire apparaître le prix de revient des
services publics, considérés dans leur extension la plus large, et proposer les méthodes
d’abaisser ces prix par compression, coordination, rénovation des différentes activités de
l’administration » (Lettre du 21 février 1947, SAEF, B 63197).
62. SAEF, 5A182, conférence à l’ENA, le 5 décembre 1949, dactylographie, CAEF, B 62186.
63. Avant le CCE, rares ont été les expériences d’enquêtes sur place dans les services des
Finances, menées par des hauts fonctionnaires extérieurs aux Finances ; c’est une
prérogative de l’Inspection des finances et encore l’Inspection ne vérifie-t-elle que les
services extérieurs et n’intervient-elle que très rarement à l’administration centrale des
Finances. Avec le CCE, ce sont des membres de la Cour des comptes (Priem, Hamelin, Bisson,
Villers, Charrier), des contrôleurs généraux de l’Armée (Hanotte, Lionnet, Le Hénaff), un
inspecteur de l’Industrie et du Commerce (Nollet), des conseillers d’État (Boris,
Marchandise, Legaret), un inspecteur général des PTT (Sézerat), un ingénieur au corps des
Mines (Gardent), des administrateurs civils ou de l’INSEE (Legatte, Gaudriault, Gardellini,
Labarraque, Brissaud, Martin), un contrôleur de l’Aéronautique (Villemin), qui vont se
pencher sur l’organisation des services des Finances et des Affaires économiques.
64. A. Saramite, conseiller référendaire, est nommé secrétaire général adjoint aux côtés de
G. Ardant ; il prend la succession de G. Ardant à son départ en 1953, tandis qu’E. Parent
succède à P. Brin. La Cour des comptes prend alors la totalité des commandes du CCE. À
partir de 1954, le CCECRSP entre en sommeil…
65. CHAN, F 60 939 et rapport d’ensemble de 1947. La préoccupation des usagers est
partagée par l’ensemble des membres du CCE ; au nom de l’usager, le député MRP A. Burlot,
spécialiste du contrôle budgétaire, de la comptabilité et de la réforme administrative,
réclame la diminution de la paperasserie et du nombre de questionnaires, le regroupement
des services administratifs dans un même bâtiment, la création de bureaux de
renseignement et l’édition d’organigrammes par service.
66. On se rappelle que c’était une des idées-forces de la réforme du Comité supérieur de
contrôle financier en 1936 d’auditionner les chefs de service sur l’exécution de leur budget.
Le CCE a choisi d’envoyer ses conclusions préliminaires par écrit à l’administration
concernée qui répond elle aussi par écrit, mais en séance, la discussion orale réunit le
secrétariat général, les rapporteurs du CCE, les représentants de l’administration concernée
et un représentant de la direction du Budget. Voici ce que dit G. Ardant de cette procédure
contradictoire orale : « Un des caractères du CCE actuel, c’est qu’il entend toujours toutes
les administrations concernées, quelle que soit la nature des critiques faites, même si elles
sont très violentes, les intéressés sont amenés à s’expliquer et à s’expliquer même très
franchement. Et quelquefois, ils prennent à partie assez vivement le rapporteur, et nous
écoutons ce qu’ils ont à dire, et prenons les conclusions en tenant compte souvent assez
largement de ce qu’ils nous ont dit » (conférence du 5 décembre 1949, SAEF, B 62 186).
67. On a vu plus haut que dès juillet 1945, G. Ardant parle de l’utilisation du calcul du prix
de revient pour évaluer « l’utilité » de la dépense publique (SAEF, 5A 182). Fin 1946, G.
Ardant souligne que les commissions de méthode des ministères n’étudient pas les
problèmes assez à fond « et que le souci du prix de revient ne prédomine pas. De telles
réformes risquent de n’aboutir à grands frais qu’à un modeste résultat » (CHAN, F 60 939).
68. Sur sa « foi » dans la révolution que constituent les études de prix de revient, voir sa
conférence le 28 novembre 1949 à l’ENA, devant les promotions Jean Moulin et Nations
Unies (SAEF, B 62186).
69. On notera la vision économique de l’administration comme productrice de services. «
Un service public à qui on ouvre un crédit doit fournir en échange une certaine quantité,
une certaine dose de sécurité ou de commodité, ou même de progrès, ou même d’agrément,
et ce n’est peut-être pas là un produit au propre du mot, mais c’est son équivalent. Cette
dose de sécurité, ce progrès, cet agrément, ce sont là des éléments qui sont susceptibles
d’être mesurés » (conférence du 28 novembre 1949 à l’ENA).
70. G. Ardant a pressenti immédiatement « les résistances très longues et très tenaces » que
cette méthode allait provoquer dans les services (28 novembre 1949 à l’ENA, SAEF, B 62 186).
71. SAEF, B 62186. Conférence à l’ENA du 28 novembre 1949, où G. Ardant parle d’évaluer la
qualité des routes en calculant le nombre d’accidents de la route. En 1953, le CCE publie l’un
de ses premiers rapports sur une politique publique de santé : la lutte contre l’alcoolisme.
Ces deux études, faites l’une dans le domaine de l’équipement, l’autre en santé publique,
renvoient étonnamment aux deux futures grandes études pilotes de la RCB : sécurité
routière et périnatalité.
72. « Ainsi pourrons-nous substituer une détermination rationnelle des crédits aux
marchandages qui précèdent l’établissement et le vote du budget. La mission essentielle des
pouvoirs publics, choisir ce qui est le plus utile, pourra enfin être remplie » (ibid.).
73. SAEF, 5A182.
74. Conférence ENA du 28 novembre 1949. Quelque temps plus tard, Goetze, directeur du
Budget, s’intéresse lui aussi au budget fonctionnel américain et aux travaux de la
commission Hoover ; il envoie plusieurs de ses administrateurs en mission aux États-Unis.
75. Ardant prend langue avec le directeur du Budget hollandais, qui lui aussi s’intéresse au
budget fonctionnel. Conférence à l’ENA du 5 décembre 1949 (SAEF, B 62 186).
76. De 1946 à 1950, G. Ardant n’épargne aucun effort pour faire entendre ses propositions.
En vain. Nous ignorons les relations que G. Ardant entretenait avec F. D. Gregh, inspecteur
des Finances et directeur du Budget de 1945 à 1949, qui a lui aussi œuvré à Alger au temps
du CFLN. Ce n’est qu’à partir de 1951 que les propositions de G. Ardant trouveront un écho
auprès des responsables de la réforme administrative et surtout auprès de R. Goetze,
directeur du Budget jusqu’en 1956, lui aussi un ancien collaborateur de P. Mendès France à
Alger.
77. D’après le rapport public de 1948, sur 80 enquêteurs qui ont travaillé pour le CCE, 20
sont membres de la juridiction. Pendant l’année 1947, les enquêteurs appartiennent tous,
sauf deux exceptions, aux corps de contrôle : Cour des comptes (25), Inspection des
finances, (12), Conseil d’État (8), Contrôle général des Armées (4), Mines (2), Inspection
générale de l’administration (2), inspection des Colonies (2), PTT (1), Ponts et Chaussées (2),
Contributions indirectes (1), Manufactures de l’État (1). On remarquera le faible nombre de
polytechniciens, qui ont pourtant été en pointe dans les milieux de l’organisation dans
l’entre-deux-guerres. Visiblement, pour eux, les priorités sont désormais ailleurs. P.
Gardent, ingénieur au corps des Mines, est une exception : il dirige plusieurs missions sur le
secteur de l’aéronautique, mais après 1949, il rejoint Charbonnages de France.
78. Chefs d’équipe appartenant à l’Inspection : Chalandon, Garnier, Feuilhade de Chauvin,
Chalendar, Valls, Nespoulous-Neuville, Morette-Bourny, Martin, Rogez, Guillot-Tantay,
Lamy, Chassaigne, Dommel, Moussa. Dès 1950, le nombre d’inspecteurs des Finances
impliqués diminue pour presque disparaître à partir de 1954, suite au départ de G. Ardant.
La plupart n’effectuent qu’une seule mission, contrairement à ce qu’espérait Ardant. Une
des dernières enquêtes menées par des inspecteurs des Finances fera date, c’est celle de
Flandin et Gonot en 1953-1955 sur la nécessité d’introduire l’organisation scientifique du
travail dans les services administratifs.
79. Le Conseil d’État, sollicité officiellement, se laisse tirer l’oreille ; finalement il y aura
Huisman pour le Comité central, Boris et sept auditeurs pour les enquêtes, Aubépin de
Lamothe Dreuzy, Boitreaud, Holleaux, Kahn, Legaret, Marchandise et Mayras (lettre du
secrétaire général du Conseil d’État à Ardant, 6 août 1946, SAEF, B 62186). M. Debré, sollicité
personnellement par Ardant, se récuse le 1er août 1946 en invoquant son rang, son âge et sa
lassitude (SAEF B 62 186). On retiendra surtout le nom de G. Boris, chef d’équipe et principal
rédacteur des notes et rapports sur la réforme du ministère de l’Économie nationale.
80. Rapport public 1948, p. 102. Voir aussi la note aux rapporteurs de Brin, n° 295, du 18
février 1948, où il indique que « les rapporteurs de la comptabilité administrative seront
désormais convoqués aux séances du CCE concernant le département ministériel dont ils
sont chargés » (registre de la première présidence, archives de la Cour). De nombreux
rapporteurs travaillent donc parallèlement pour les deux institutions ; les observations, les
renvois, les rapports et les conclusions sont autant de méthodes de travail communes aux
deux structures.
81. Cette réforme sera décidée en 2007 dans le cadre de la RGPP.
82. Le CCE, spécialiste de la chasse aux doublons administratifs, fait doublon avec la Cour
des comptes, avec la direction du Budget, avec les commissions d’économies de 1945-1950 et
avec le Commissariat général à la Productivité. Ce paradoxe n’échappera pas en 1959 à M.
Debré qui en tirera les leçons !
83. AN, F 60 939.
84. Un certain nombre de notes préparatoires ou préliminaires ne sont pas discutées, elles
restent à l’échelon du secrétariat général et ne sont donc pas communiquées aux syndicats.
Certains sujets sont visiblement plus sensibles que d’autres, par exemple, l’enquête de
Sézerat sur les coûts administratifs des services du Trésor (CCECRSP, rapport n° 191,
octobre 1954).
85. AN, F 60 939.
86. Affaires allemandes et autrichiennes ; Agriculture ; Anciens Combattants ; Éducation
nationale ; Finances ; Forces armées ; Industrie et Énergie ; Intérieur ; PTT ; Présidence du
Conseil-Information-Documentation-Diffusion ; Services économiques ; Santé ; Travaux
publics ; Mécanographie ; Services géographiques et topographiques ; Offices ; Parafiscalité.
87. Dès septembre 1946, le secrétariat général évoque la difficulté de trouver des
enquêteurs. Le 17 octobre 1946, P. Brin soupire : « On demande à une administration
désorganisée de réorganiser l’administration ! ». Ardant ajoute qu’il n’arrive pas à
s’adjoindre les spécialistes d’organisation, car tous sont engagés dans leur service à plein-
temps (CHAN, F 60 939).
88. La définition de la mission Répartition est âprement discutée entre Ardant et Faure,
inspecteur général de l’Économie nationale, qui divergent sur les objectifs de la mission et
son programme de travail. Ardant est partisan d’une enquête très large portant sur le
contrôle, les principes et les objectifs économiques de ces services (économie dirigée), alors
que Faure est partisan d’une simple enquête d’organisation et de coûts/rendements. Le
compromis se fait finalement sur une enquête approfondie d’organisation.
89. En 1946, Ardant fait une première série de propositions, le programme est discuté en
séance et complété à la suite des remarques de R. Grégoire directeur de la Fonction publique
qui souhaite ajouter un volet sur le contrôle des dépenses engagées. Au final, la fiche
comporte un important volet sur les dépenses et le budget, sur les recettes et l’organisation
fiscale, sur les problèmes de caisse, sur les crédits, sur les comptes spéciaux et les EPIC. Ce
programme de travail sera étalé sur presque dix ans, avec des intermittences, partagé en
deux phases, 1947-1948 et 1950-1953. Il existe aussi une fiche-programme Commerce et
finances extérieures (voir en annexe II, CHAN, F 60 939).
90. La Mission Mécanographie a donné lieu à huit rapports étalés sur 1947 et 1948, voir
annexe IV (CHAN, F 60 939).
91. Le système Bedaux, du nom de son inventeur, C.-E. Bedaux (1886-1944), est un système
de chronométrage des tâches et de salaire au rendement, très répandu dans l’entre-deux-
guerres, notamment dans les entreprises automobiles ou dans les mines, et très impopulaire
auprès des ouvriers.
92. R. Gaudriault, rapport n° 215 « sur l’intervention des organisateurs privés dans les
administrations et les entreprises publiques » ; rapport d’enquête 215 bis « sur les résultats
de M. Paul Planus à l’établissement régional du matériel de Vincennes (avril 1949) » et «
note relative à la généralisation des réformes apportées à l’organisation administrative de
l’établissement régional du matériel de Vincennes » (post-Planus). R. Gaudriault, mis à
disposition du CCE par l’INSEE, suivra Ardant au Commissariat général à la Productivité
pour y assurer la responsabilité du secteur organisation et administration ; en 1959, il sera
nommé chef du Service central d’Organisation et Méthode (SCOM), rattaché à la direction
du Budget, lors de la suppression du Commissariat général à la Productivité.
93. Sur les méthodes d’enquête de l’Inspection, N. Carré de Malberg, op. cit., p. 97.
94. Six instructions générales auraient été rédigées. Le rapport d’ensemble de 1947
mentionne celle sur les circonscriptions et sur la coordination des enquêtes (CHAN, F 60
939), sur la mesure du coût et du rendement et sur le problème de la codification.
L’instruction sur le calcul des coûts et rendements est reproduite dans le rapport
d’ensemble de 1948. Ardant dans sa note sur la présentation du budget de juin 1947 en
donne également certains éléments.
95. Dans le rapport 1948, on trouve plusieurs exemples d’études de coûts et de prix de
revient, qui ont servi de vitrine au CCE.
96. Pour la mission XII Services à caractère économique, on trouve 11 notes intermédiaires ou
complémentaires ; pour la mission V Finances 9 notes, pour la mission XVI Mécanographie 7
notes.
97. Au fil des années, le dossier d’enquête s’étoffe et se normalise. À partir de la fin des
années 1950, le dossier d’enquête comporte les éléments suivants : ordres de mission, fiches
d’indemnités, correspondance, questionnaire d’enquête, documents de travail, avant-
projets et projets de rapport et de conclusions, feuilles de séance du CCE, rapport et
conclusions définitives, annexes au rapport, suites données au rapport (CAC Fontainebleau,
répertoire 79-0742).
98. Dans ses conférences à l’ENA, non sans mauvaise foi puisqu’il en a utilisé les résultats, G.
Ardant minimise les apports des commissions des méthodes de 1945 ; selon lui, c’est à la
direction du Personnel et des Services généraux que doit revenir la mission d’organiser
l’administration centrale des départements ministériels.
99. Voir Annexe I.
100. Avec le Comité de réforme administrative dont le CCE est l’auxiliaire, Ardant souhaite
mettre en place une politique de complémentarité et de réciprocité. Pour un exemple de
travail réalisé en commun, voir l’instruction n° 3 sur les circonscriptions géographiques
(CHAN F 60 939).
101. CAC, répertoires 79 0742.
102. Entre 1947 et 1949, 45 rapports n’ont pas fait l’objet de conclusions publiques.
103. En 1950, 16 rapports pour 14 chefs d’équipe ; en 1951, 26 rapports pour 20 chefs
d’équipe ; en 1952, 23 rapports pour 15 chefs d’équipe ; en 1953, 16 rapports pour 12 chefs
d’équipe et en 1954, 8 rapports pour 8 chefs d’équipe. En 1957 et 1958, il n’y aura que deux
équipes, qui rendront seulement deux rapports.
104. La détermination du coût inclut les frais généraux, l’amortissement du matériel, les
stocks, les bâtiments, etc. L’instruction générale n° 1 insiste sur le niveau de détail des
enquêtes : « Pour être efficaces, ces enquêtes doivent être approfondies, de celles qui ne se
contentent pas de l’examen des papiers et de l’entretien avec le chef de service. On ne
connaît un service que lorsqu’on l’a vu fonctionner à tous les échelons qui le composent
jusqu’au dernier ou au premier […]. C’est souvent la considération du travail le plus
modeste qui permet par voie de généralisation les réformes les plus fécondes ».
105. Pour le détail des rapports consacrés au ministère des Finances et à l’ancien ministère
de l’Économie nationale, voir l’annexe V.
106. Il ne semble pas par exemple que le CCE ait été consulté ni associé d’une quelconque
manière à la création de la direction générale des Impôts en 1948.
107. Cf. le rapport Lauré sur la suppression des emplois de direction et la réorganisation de
l’administration centrale des Finances en 1948, dans le cadre du programme d’économies de
1948 (cf. le décret du 6 septembre 1948 portant suppression de certains emplois de direction
dans les administrations centrales des ministères), SAEF, B 58 857.
108. Annexe V.
109. Annexe V.
110. Dans la période 1948-1954, le ministère des Finances et des Affaires économiques
commande 66 rapports, l’Agriculture 44, la Défense 24, l’Équipement-Reconstruction-
Transports 21, l’Industrie 16, l’Intérieur 15, les services du Premier ministre 8 et la direction
de la Fonction publique 4.
111. L’instruction générale n° 3 porte sur la coordination des enquêtes et sur les Problèmes
communs : l’information ; les statistiques ; les problèmes de reconstruction et d’équipement ;
les problèmes de locaux administratifs ; les questions financières ; les relations avec
l’étranger ; les relations avec les affaires allemandes ; les problèmes de répartition ; la main-
d’œuvre ; l’immigration…
112. L’instruction générale n° 2 s’insère dans les travaux de la commission de réforme
administrative : comment découper au mieux les circonscriptions géographiques et
administratives ? (CHAN, F 60 939).
113. Annexe V.
114. On peut évaluer le nombre de rapports consacrés à ces organismes à une cinquantaine ;
la plupart ont été demandés par le ministère des Finances, qui est le premier
commanditaire et le premier utilisateur des enquêtes du CCE, suivi de l’Agriculture ou de
l’Industrie.
115. Le CCE a produit un grand nombre de « monographies » sur l’organisation ou la gestion
des services, très semblables aux rapports de comptabilité administrative réalisés à la Cour
des comptes.
116. Avec la création de la Commission de vérification des comptes des entreprises
publiques en 1948, le CCE abandonne les entreprises publiques.
117. « Rapport sur les réformes à apporter à la présentation du Budget en vue de faire
ressortir le coût et le rendement des services publics », CHAN F 60 939. Sur la pensée
budgétaire de G. Ardant, sa conférence du 5 décembre 1951 à l’ENA, op. cit., son article « Les
fondements économiques et sociaux des principes budgétaires » dans la Revue de Science et
de législation financière, 1949, p. 406 à 446 et SAEF, 5A182.
118. Conférence à l’ENA, le 5 décembre 1949. Mendès France, réélu député en novembre
1946, est membre de la commission des Finances et du contrôle budgétaire ; il dépose le 31
décembre 1948 une proposition de résolution invitant le Gouvernement à déposer sur le
bureau de l’Assemblée nationale le projet de loi organique réglant le mode présentation du
budget et à s’inspirer à cet égard des suggestions du CCECRSP (annexe, n° 6015). Voir à ce
sujet la correspondance entre P. Mendès France et G. Ardant le 6 février 1949 (archives
privées P. Mendès France).
119. E. Bonnefous, La réforme administrative, PUF, 1958, p. 96-98.
120. Note « La réforme de l’administration : le troisième rapport du Comité d’enquête »,
anonyme, SAEF, B 62 186.
121. Le rapport propose une série de réformes propres à chaque administration, compte
tenu de sa mission et de son organisation. Il suggère pour chaque administration des
indicateurs d’activités et de coûts : coût de la tonne kilométrique transportée sur chaque
voie de communication, coût par élève de l’enseignement dispensé, coût par opération des
travaux administratifs, coût moyen de chaque affaire jugée, etc. Il préconise un gros effort
de codification de la matière réglementaire et législative et appelle à une réforme drastique
des services départementaux et des bureaux des préfectures.
122. À partir de 1950, et jusqu’au milieu des années 1980, il n’y aura plus que des rapports
de réforme consacrés à un secteur ou à un seul département ministériel (le rapport Bloch-
Lainé en 1956 ou le rapport Huet en 1971 sur le ministère des Finances). En revanche, les
années 1980 et 1990 renoueront avec les grandes commissions de réforme administrative
(rapport Gisserot en 1986, commission « Efficacité de l’État » du Xe Plan en 1988,
commission Blanc en 1992, commission Picq en 1993, Commissariat à la Réforme de l’État en
1995).
123. Note « La réforme administrative », p. 2, SAEF, B 62186.
124. La Commission nationale d’économies, créée par décret le 10 février 1950
conformément à la loi de finances du 31 janvier 1950, est chargée de faire la synthèse des
commissions départementales d’économies instituées le 7 juin 1949 et d’établir un plan
d’économies dans les départements ministériels ; elle recrute pour ce faire une quarantaine
d’enquêteurs. Elle rend le 8 août 1950 un rapport général qui analyse des mesures adoptées
par le comité interministériel et se place dans la filiation de la commission Marin de 1922-
1923 ; le rapport conclut à la nécessité de la création d’un « organe spécial qui en liaison
avec le ministère du Budget suivrait les questions de réforme et d’économies intéressant les
différentes administrations et les reprendrait périodiquement, indépendamment de la
conjoncture budgétaire et de ses impératifs », SAEF, B 57 035.
125. Le CCE n’est pas représenté en tant que tel, mais par le biais du premier président de la
Cour des comptes ; en revanche, les rapporteurs du comité assistent la commission.
126. Le décret du 22 avril 1953 relatif à la détermination du coût et du rendement des
services s’inspire des travaux du CCE pour établir le coût des services (regroupement des
dépenses d’un même service, ventilation des crédits inscrits aux chapitres généraux du
ministère des Finances, prise en compte des charges telles que les immeubles et le matériel
ou les stocks) et pour évaluer les « résultats » de l’activité des services, avec l’établissement
d’indicateurs simples.
127. Outre le président, ce comité n’est composé que de quatre personnes : Parent,
président du CCE, Ardant, secrétaire général du CCE, Maspétiol, conseiller d’État, et
Bonnaud-Delamare, préfet (arrêté du 5 mai 1953).
128. Circulaire Budget n° 02-E/55.11.24/55.12, du 25 novembre 1955, « Analyse et
détermination des coûts et des prix de revient des services administratifs de l’État ».
L’exposé des motifs atteste du ralliement de la direction du Budget aux études coûts et
rendements : « La connaissance des coûts et des prix de revient doit permettre aux pouvoirs
publics de disposer de données quantitatives pour apprécier l’organisation des services, les
moyens dont il convient de les doter, les réformes à entreprendre, les répercussions que
peuvent entraîner l’extension de la diminution de leur activité. Sur le plan administratif,
elle doit offrir aux échelons supérieurs la possibilité de contrôler l’action de leurs
subordonnés et d’encourager leurs initiatives et constituer une source de renseignements
adaptée à la recherche des améliorations susceptibles d’être apportées à la marche des
services dont ils ont la charge ». Compréhensive et bienveillante, la direction du Budget, qui
fournit la méthode de calcul, annonce une période de rodage et d’initiation, mais elle
indique qu’il faudra intégrer la valeur des biens meubles et immeubles mis à disposition du
service, les dépenses faites pour le fonctionnement du service par d’autres services et
notamment les collectivités locales, la valeur locative des locaux occupés, la valeur des
stocks de matériels, des denrées ou des produits et leurs variations, l’amortissement des
matériels et la valeur des immobilisations. Afin de pouvoir mesurer objectivement l’activité
des services, des indicateurs chiffrés simples sont proposés aux services tels que le nombre
d’objets fabriqués ou vendus, le nombre de journées d’élèves, les hectares de forêts
surveillés, les kilomètres construits ou entretenus, le nombre de dossiers instruits ou
transmis… Un premier tableau à remplir, mis au point par la direction du Budget,
récapitule, selon la nomenclature budgétaire, les différents types de dépenses qui
constituent « le coût brut » du service, ainsi que les différentes recettes, ce qui permet
ensuite de déterminer « le coût net » du service. La dernière partie du tableau sert à la
détermination du prix de revient, ou plus exactement de la « dépense unitaire ». Un second
tableau, par nature de dépenses, sert à la mesure du « coût de gestion administrative », à
partir des dépenses concernant « le fonctionnement interne » du service (dépenses de
fonctionnement, dépenses de constitution de stocks, dépenses d’investissement et de gros
entretien). À partir de 1956, la procédure budgétaire intègre le calcul des coûts et
rendements des services publics dans les documents préparatoires que la direction du
Budget réclame aux services (cf. la circulaire Budget du 18 mai 1956 concernant la
préparation du budget voté de l’exercice 1956 pour les services civils).
129. Sur ce nouveau chantier « Productivité des services administratifs » de la direction du
Budget, voir les circulaires Budget, n° 17-2 B1 du 25 mai 1955, n° E2-11 du 10 mars 1956 et n°
E2-17 du 25 février 1958.
130. Il faut attendre 1951-1952 pour voir apparaître dans les intitulés des rapports de
l’Inspection les termes « efficacité », « coût », « rendements », « coûts et rendements », mais
à la fin des années 1950, en 1958-1959, ce type d’enquête semble être devenu familier aux
inspecteurs. Les études s’appliquent soit à une taxe (chiffre d’affaires) ou à un allégement
fiscal, soit aux coûts comparés d’activités d’un territoire à l’autre, soit à un service (un
service départemental ou national, un atelier). SAEF, 4A 2241 ; 4A 2281 ; 4A 2313 ; 4A 2336 ;
4A 2337 ; 4A 2338 ; 4A 2346 ; 4A 2365.
131. Cf. le rapport Flandin-Gonot n° 214, 1956, sur l’organisation du travail dans les
administrations et entreprises publiques, qui conclut à la nécessité de multiplier les
bureaux Organisation et Méthode dans les ministères. Cette recommandation sera reprise
dans la circulaire Marcellin du 12 décembre 1957 relative à la modernisation administrative,
qui fait la synthèse de toutes les initiatives de la IVe République en matière de réforme
administrative (JO, 20 décembre 1957).
132. Cf. les rapports rédigés par l’inspecteur général Sézerat pour le CCE sur les coûts et
rendements comparés au sein du Trésor public et des services financiers des PTT, voir
annexe V. Au cours de la seconde moitié des années 1950, le service des études de la
direction de la Comptabilité publique procède à la mise à jour du « barème » concernant la
mesure des rendements des services.
133. L’article 52 du décret de 1956 dispose qu’une annexe présentera le « coût des services
par grandes fonctions et les éléments qui permettront d’apprécier leur activité ». La
circulaire Budget du 2 août 1957, n° E2/44, insiste sur la nécessité pour les services de faire
connaître ces informations qui doivent désormais être communiquées légalement aux
assemblées dans le cadre de l’examen du projet de budget et rappelle la méthode qui doit
être suivie. Le décret de 1956 constitue donc l’aboutissement des travaux « coûts et
rendements » du CCE et de la direction du Budget ; il est aussi la marque de l’intérêt que les
commissions des finances ont porté à cette question, apportant leur appui à une cause que
ni le CCE de G. Ardant ni la direction du Budget de R. Goetze ne seraient parvenus à imposer
seuls.
134. La présentation fonctionnelle du Budget et des coûts des services perdure sous la
forme d’une annexe à la loi de finances, remplissant un rôle essentiellement d’information
et de pédagogie vis-à-vis du Parlement et de l’opinion. Sur la présentation fonctionnelle du
Budget et sa difficile acclimatation en France, J. Grangé, Le Budget fonctionnel en France, Paris,
LGDJ, 1963.
135. Cf. l’ordonnance du 4 février 1959 portant loi de finances rectificatives. L’article 76
crée la commission de réforme administrative chargée de rationaliser les structures
administratives et de réduire le coût du fonctionnement des services publics, annoncée
dans le plan de redressement économique et financier de décembre 1958.
136. Exemples de réformes proposées par le CCE : la carte judiciaire et la réforme du
ministère de la Justice, les Armées, les Voies navigables, les Affaires étrangères et les lycées
français à l’étranger, la suppression des centres d’apprentissages et leur fusion avec les
collèges d’enseignement technique, la réforme du ministère de l’Intérieur et de la fonction
préfectorale, les Eaux et Forêts, l’Agriculture et le regroupement des services techniques, la
réforme des services départementaux du ministère de la Santé et de la Population, la
réforme du service des Alcools, etc.
137. L’année 1949 est une grande année pour le ministère des Affaires économiques qui fait
l’objet d’au moins une dizaine de rapports d’enquête sous la direction de G. Boris, conseiller
d’État.
138. SAEF, 5A182. En 1948, la Cour des comptes reconnaît la valeur ajoutée du CCE : « Dans
l’ensemble, la collaboration avec le Comité d’enquête a bénéficié au contrôle de la Cour, en
l’élargissant, en le vivifiant et en lui fournissant une connaissance plus exacte du
fonctionnement réel des services dans le temps et dans l’espace », rapport public 1948, p.
102.
139. Entre 1948 et 1954, on constate peu de demandes de la part de la direction de la
Fonction publique, visiblement absorbée par d’autres sujets : le statut général des
fonctionnaires, la création des administrateurs civils et de l’ENA, l’établissement de la grille
des traitements et des carrières, le reclassement des fonctionnaires, la loi sur les auxiliaires
de 1950… Quatre rapports seulement sont demandés par la DFP dans la période : un rapport
en 1948 sur le parc automobile (n° 9), un rapport en 1949 sur la coordination
mécanographique (n° 65), un rapport sur la limite d’âge en 1953 (n° 167), un rapport en 1954
sur les cumuls de fonctions et de rémunérations publiques (n° 187). Il faut attendre 1956
pour que les choses semblent bouger ; sont ainsi successivement commandés au CCE en 1956
un rapport sur l’organisation du travail dans les administrations et les entreprises
publiques (n° 214), en 1957 deux rapports, l’un sur l’intervention des organisateurs privés
dans les services publics (n° 215) et l’autre sur l’organisation et le fonctionnement des
administrations chargées de l’élaboration et de l’exécution des plans régionaux d’expansion
du territoire (n° 219), en 1958, un rapport sur la politique d’aménagement de la région
parisienne (n° 222), en 1959, deux rapports, l’un sur le secret professionnel et l’échange
d’informations entre administrations (n° 224) et l’autre sur le logement des fonctionnaires
(n° 231). Le vrai changement se produit en 1960, lorsque le CCE bascule dans la sphère
d’influence du Premier ministre et du ministre de la Fonction publique, abandonnant pour
partie les orientations initiales données par Ardant.
140. Dans sa conférence du 5 décembre 1949 à l’ENA, Ardant indique qu’« au fur et à mesure
que le Comité d’enquête obtenait des résultats, que ses propositions étaient suivies, [ils]
avaient de plus en plus de difficultés à trouver des enquêteurs. Tous les ministres n’ont pas
été ravis de nous voir poursuivre nos investigations et obtenir des résultats ».
141. Conférences à l’ENA 28 novembre et 5 décembre 1949 (SAEF, B 62 186). Ardant, bien
conscient des freins au changement, parle « d’incompréhension, de révolte et de scandale »
de la part des responsables de l’administration ; désabusé, il place son espoir dans les
nouvelles générations de hauts fonctionnaires formés à l’ENA.
142. Ardant, dès la fin 1946, souligne que « leur action s’est constamment heurtée à des
difficultés d’ordre politique inhérentes à l’hétérogénéité du Gouvernement. Souvent les
ministères d’une provenance politique autre que celle du chef du Gouvernement rendent le
travail de l’enquêteur difficile sinon impossible, ralentissant ainsi le rythme de leurs
travaux », CHAN, F 60 939.
143. C’est là l’un des secrets de la réussite du Bureau de statistiques économiques et
financières (BSEF) de C. Gruson, qui, abrité et parrainé par la puissante direction du Trésor
de F. Bloch-Lainé et financé par la Banque de France, a pu prospérer et devenir le
prestigieux SEEF.
144. Entre 1945 et 1948, la Cour des comptes a vu ses attributions de contrôle élargies aux
associations subventionnées (loi du 8 août 1947), aux organismes de Sécurité sociale (loi du
31 décembre 1949) et aux entreprises publiques (loi du 6 janvier 1948). Son rôle budgétaire
d’auxiliaire du Parlement s’est également considérablement renforcé : depuis la loi
constitutionnelle du 27 octobre 1946 (art. 18), la Cour est associée aux travaux de
l’Assemblée nationale, qui peut la charger de toute enquête et étude se rapportant à
l’exécution du budget ou à la gestion de la trésorerie ; depuis la loi du 13 décembre 1945
(art. 2), elle assiste les rapporteurs particuliers de la commission des finances pour
l’établissement du budget ; depuis la loi du 25 juin 1947 portant réalisation d’économies, elle
est chargée de suivre l’état d’exécution des économies prescrites. Enfin, elle accueille en son
sein la toute nouvelle Cour de discipline budgétaire et financière (loi du 25 septembre 1948)
puis en 1950, la nouvelle chambre sur la Sécurité sociale.
145. Lors du plan de redressement économique et financier de décembre 1958, R. Goetze,
qui est l’un de ses principaux auteurs, ancien directeur du Budget et conseiller du général
de Gaulle, donnera de la même manière la priorité à la résolution de la crise monétaire,
financière et économique du pays, laissant à une future commission de corps de contrôle le
soin de se débrouiller de la réforme administrative.
146. F. Bloch-Lainé et P. P. Schweitzer à la direction du Trésor, C. Gruson et J. Saint-Geours
au SEEF, P. Delouvrier et M. Lauré à la direction générale des Impôts, R. Goetze à la direction
du Budget, etc.
147. C’est cette inspiration qui guidera le directeur du Budget lorsqu’il rattachera en 1959 à
sa direction le secteur « Organisation » du Commissariat général à la Productivité sous le
nom de SCOM.
148. C’est la décision qui sera prise en 2007 dans le cadre de la RGPP, 60 ans après la
création du CCE.
149. G. Ardant, Technique de l’État, PUF, Paris, 1953, p. 60 et p. 62-118.
150. CHAN, F 60 939, 4 p.
151. CHAN, F 60 939.
152. CHAN, F 60 939, 9 p.
153. CHAN, F 60 939, 4 p.
154. L’année 1948 constitue du point de vue du ministère des Finances et du ministère de
l’Économie nationale l’année la plus féconde en notes et rapports. Cette intense activité
traduit les intérêts propres de Gabriel Ardant, inspecteur des Finances, ainsi que les
urgences qui se présentent à l’époque aux pouvoirs publics : les questions fiscales et
budgétaires, les interventions économiques de l’Etat, la rationalisation des services
financiers et postaux, le contrôle financier, le crédit etc. Le CCECRSP fait ici office de service
d’études externalisé pour le ministère des Finances
155. Le tournant de 1954 – et le départ de Gabriel Ardant – sont bien visibles, manifesté par
la chute du nombre de rapports dans la sphère du ministère des Finances et des Affaires
économiques.
156. Pourquoi ces rapports n’ont-ils pas été examinés par le CCECRSP ? Par manque de
temps ? Parce que trop « sensibles » ? On remarquera que nombre de ces notes non rendues
publiques ont trait à l’organisation des services, aux emplois, aux effectifs et aux
personnels.
157. Il semblerait que le CCECRSP ait voulu en 1953 s’attaquer à la direction de la
Comptabilité publique et aux Services extérieurs du Trésor en diligentant une série
d’enquêtes et d’études « coûts et rendements » dans ces services ; cette dernière mission qui
fait office de testament intellectuel et administratif de G. Ardant juste avant son départ ne
semble pas avoir abouti, du moins publiquement. A-t-elle suscité des résistances
particulières ? Aucune archive à cette heure n’est venue nous renseigner sur cette question,
mais les rapports figurent en bonne place dans les archives du Service des Etudes et de la
Coordination de la direction de la Comptabilité publique (SAEF, B 65 106) . Quoi qu’il en soit,
après cette enquête, plus aucune mission CCECRSP n’effectuera d’étude « coûts et
rendements » au sein des services financiers.

AUTEUR
FLORENCE DESCAMPS

Normalienne et agrégée d’histoire, Florence Descamps est maître de conférences en histoire


à l’École pratique des hautes études (EPHE). Elle y anime un double séminaire sur la création
et l’utilisation des témoignages oraux en histoire contemporaine et sur l’histoire du
ministère des Finances au XXe siècle. Elle participe depuis 2005 au groupe de pilotage du
séminaire Histoire de la gestion des finances publiques XIXe-XXe siècles et a codirigé la
publication du premier volume des actes L’invention de la gestion des finances publiques.
Élaborations et pratiques du droit comptable et budgétaire au XIXe siècle (1815-1914). Elle a publié
de nombreux articles sur le ministère des Finances au XXe siècle et sur la réforme de l’État.
Dernièrement, elle a publié « La RCB 1966-1971 : une première expérience managériale au
ministère des Finances ? », in E. Godelier, M. Le Roux, G. Garel, A. David et E. Briot (dir.),
Pensée et pratiques du management en France. Inventaire et perspectives 19e-20e siècles, 2011,
consultable en ligne sur http://mtpf.mlab-innovation.net/fr/sommaire/chapitre-2/la-rcb-
1966-1971-une-première-expérience-managériale-au-ministère-des-finances.html?
PHPSESSID=6a35f3663f90efc5f44bf6a739069703 ; « Les inspecteurs des Finances et la
réforme de la gestion publique au XXe siècle », in F. Cardoni, N. Carré de Malberg et M.
Margairaz (dir.), Dictionnaire historique des inspecteurs des Finances 1801-2009, Paris, Comité
pour l’histoire économique et financière de la France/IGPDE, 2012, p. 141-150 et « Les
techniciens des Impôts et la naissance d’une expertise fiscalo‑financière : L’État moderne
1928-1939 », in F. Monnier et J.-M. Leniaud (dir.), Experts et décisions, Paris/Genève, Droz,
2013, p 47-57.
La contribution des organismes du
privé au perfectionnement des
méthodes des administrations
publiques des années 1930 aux années
1960 : l’exemple de la Commission
Générale d’Organisation Scientifique
(CEGOS) et de l’Institut Technique des
Administrations Publiques (ITAP)
Antoine Weexsteen

Introduction
En 1951, le secrétaire général du Comité supérieur pour le coût et le
rendement des services publics, Gabriel Ardant, déclarait :
« Par contraste avec les défauts de la gestion publique, la gestion privée paraîtra
peut-être douée de toutes les vertus, de la vertu de la productivité tout au moins.
Ce serait méconnaître les nombreuses causes d’improductivité qui, dans un pays
tel que la France, affectant le secteur privé, et dont l’exagération de certains prix
1
de revient constitue un témoignage certain .»
Cette remarque, où l’on sent poindre une certaine exaspération, ne
donne pas au secteur privé quitus de sa bonne gestion et de son
avance supposée dans le perfectionnement des méthodes par
rapport au secteur public.
On peut en trouver maints exemples. À la création de la commission
générale d’organisation scientifique du travail (CGOST) en 1926,
commission spécialisée du syndicalisme patronal, la CGPF, le secteur
privé des entreprises était dans un état de désorganisation
préoccupant. Quelles qu’en soient les raisons, quand fut abordée par
exemple la question de l’établissement d’une méthode uniforme du
calcul du prix de revient, une bonne part des entreprises considéra
cela comme une manœuvre de l’État pour ponctionner encore un
peu plus les bénéfices des entreprises. La plupart de celles-ci ne
savaient pas comment se répartissaient les coûts impactant leur prix
de revient et avaient pour seul objectif de vendre moins cher (voire à
pertes) que leur concurrent. D’où un nombre très important de
faillites en chaînes dont il serait intéressant de connaître la part
dans celles que l’on attribue traditionnellement à la crise de 1929,
dont les conséquences se sont fait sentir en France à partir de 1931.
Compte tenu de ce degré d’avancement relativement faible des
entreprises, comment expliquer dans ce cas qu’on ne se lasse pas,
depuis longtemps, d’appeler l’administration à prendre exemple sur
les avancées accomplies dans le secteur privé, dans les entreprises ?
Sans doute cela est-il fonction des périodes historiques : cela
supposerait que, dans les années 1930, l’administration et les
entreprises étaient au même niveau de perfectionnement, l’une
ayant finalement peu de choses à envier aux autres. La dynamique
de changement aurait été depuis ce temps davantage du côté des
entreprises. C’est une hypothèse qu’il faudra vérifier.
D’autre part, comparer les secteurs privé et public comme s’il
s’agissait de blocs délimités permet des simplifications commodes
alors que la réalité est plus complexe : bien des acteurs des périodes
historiques que l’on se propose de parcourir, des années 1930 à la fin
des années 1950, ont été en contact avec des entreprises privées et
des services d’administration, et se sont rendu compte que les avis
ne pouvaient pas être aussi tranchés 2 .
Les innovations existent de part et d’autre et c’est là le plus
intéressant. C’est ce qui fait l’intérêt que l’on porte aux « passeurs
d’idées ». Il s’agit non seulement des personnes, mais des structures
et des organisations qui se sont proposées pour perfectionner les
méthodes des entreprises privées et celles des administrations. Cela
regroupe à la fois les cabinets de conseil ou d’organisation, les
multiples comités ou organismes de perfectionnement et d’échanges
d’idées comme le CNOF 3 par exemple, les revues et conférences
nationales ou internationales, ou bien encore les techniciens et
organisateurs. Il faut y ajouter la masse des anonymes qui en interne
mettent en œuvre des perfectionnements auxquels il n’est pas donné
une grande publicité alors qu’ils sont souvent opportunément
recyclés 4 .
Le thème des passeurs d’idées est lui-même fonction de l’avancée ou
de la réduction des prérogatives de l’État comme par exemple dans
l’accroissement de ses pouvoirs à l’occasion de l’organisation de
l’économie de guerre ou de la pénurie sous l’Occupation. Alors que,
selon la « tradition », les porteurs de réformes viennent
essentiellement de l’extérieur de l’administration, lorsqu’ils entrent
dans le giron de l’État à la faveur de la reprise par celui-ci de
nouvelles prérogatives, les porteurs d’innovation deviennent en
quelque sorte des innovateurs internes à l’État. La création
d’organismes de perfectionnement au statut un peu ambigu, soit
comme un faux nez de l’État ou avec une participation publique
forte, est assez éloquente de ce point de vue. Tant que l’État conserve
ces nouvelles prérogatives, les organismes de perfectionnement dans
lesquels les passeurs d’idées se sont exercés, les innovations mises en
pratique proviennent de l’État et pas du secteur privé. Être passeur
d’idées entre secteur privé et secteur public est donc une fonction
qui suit le flux et le reflux des compétences de l’État au gré des
périodes historiques. Ce fait est d’une très grande importance car on
découvre là le champ d’exercice des intervenants qui forgent leurs
credo grâce à l’administration et à l’État pour retourner vers eux le
moment venu. Il ne s’agit plus là d’être passeur d’idées, mais plutôt
de formaliser les découvertes de différentes avancées çà et là, de les
conceptualiser et de voir dans quelle mesure elles sont
généralisables.
Enfin, compte tenu de la distinction entre secteur privé et public,
quelle place peut-on réserver aux entreprises publiques, aux
administrations de service dans ce schéma ? Celles-ci peuvent-elles
jouer le rôle d’un terrain d’expérimentation pour l’application de
méthodes venues du secteur privé ? Ce serait à ce moment un
transfert en deux temps des innovations du privé vers le public en
examinant comment, par exemple, à la SNCF ou dans d’autres
entreprises publiques, les améliorations ont été appliquées avant
d’être adaptées aux administrations proprement dites. Ce serait le
cas également dans des administrations de service comme les PTT
par exemple. Mais une fois les avancées obtenues dans les
entreprises publiques, tout ceci ne résout pas forcément le problème
de l’adaptation de nouvelles méthodes de travail aux
administrations. Et bien des innovations adoptées dans les
entreprises publiques ou des services opérationnels ne sont pas
transférables telles quelles à une administration.
Au cours de cette étude, nous aborderons dans une première partie
consacrée aux années 1930 comment des études dans les entreprises
privées menées par des organismes de coordination ont pu
influencer et même inspirer des réformes dans l’administration.
Dans une deuxième partie, durant l’épisode de Vichy, on montrera
comment l’administration des entreprises s’est développée en créant
un substrat de réflexion pour les futurs perfectionnements dans les
administrations de l’État. Enfin, la troisième partie sera dédiée, à
partir de la Libération, à l’émergence de multiples acteurs de la
productivité vue comme une valeur universelle par-delà les
frontières des secteurs privé et public.

I. Entre privé et public : promouvoir l’action de


la CGOST et consulter pour l’administration
En 1926 est créée au sein de la Confédération générale de la
production française (CGPF) la commission générale d’organisation
scientifique du travail (CGOST) qui deviendra plus tard CGOS puis
CEGOS, appellation qu’on lui connaît encore aujourd’hui. Dès son
origine, c’est un jeune polytechnicien atypique, Jean Milhaud, qui en
est la cheville ouvrière en tant que secrétaire général tandis que
cette commission est dirigée par de grands noms comme Charles
Louis Breguet par exemple. De simple commission spécialisée de la
CGPF dédiée au perfectionnement des méthodes des entreprises, cet
organisme évolue vers des domaines d’intervention beaucoup plus
larges tentant d’apporter sa pierre à l’amélioration des méthodes de
l’administration dans les années 1930.
A. La section administration de la CEGOS, vecteur de
comparaison entre les secteurs privé et public

1. La section administration de la CEGOS

Même si, à l’origine de la CEGOS, on trouve principalement les


travaux sur le prix de revient, il faut constater que très vite les
sections d’études se créent et se développent sur des questions
communes aux entreprises privées et aux administrations. C’est tout
d’abord la création de la section n° 1, dédiée aux machines à
statistiques et à la mécanographie, tandis que la section n° 3, depuis
sa création en janvier 1934, se consacre à l’organisation
administrative des entreprises. Si cette dernière appellation délimite
le sujet au secteur privé, progressivement ses membres appellent de
leurs vœux l’élargissement de leurs travaux aux questions qui
touchent l’administration, étant entendu que les problèmes
administratifs auxquels on doit faire face sont communs aux
entreprises et à l’administration. Le côté technique des
perfectionnements envisagés permet ici de s’affranchir des
distinctions privé/public.

2. L’intervention de Milhaud dans l’administration

Il s’agit donc de perfectionnements des tâches administratives des


entreprises mis à disposition de l’administration. Presque dans le
même laps de temps où la CGOST développe ses sections spécialisées
et le service qu’elle peut apporter de manière transversale, Milhaud
s’en inspire pour l’appliquer à l’administration en devenant son
conseiller. Mais beaucoup de chemin reste à faire. Il constate que le
recours de l’administration à un organisateur du privé est encore
l’exception dans les années 1930 : « Il n’était pas courant, vers 1929,
que les pouvoirs publics s’adressent à un ingénieur appartenant au
secteur privé pour faire la critique de leurs méthodes 5 ». Et si
l’opération a réussi, elle est due en partie à des relations
personnelles : l’intervention de Milhaud se fera dans
l’administration du protectorat marocain.

B. Mission au Maroc, 1929

En octobre, le délégué général de la CGPF (dont la CGOST était à cette


époque une sous-partie) en est convenu avec le directeur du
département d’Afrique-Levant au Quai d’Orsay 6 . Il s’agit ici d’une
spécialisation de la CEGOS et de Milhaud en particulier, dans le
domaine des machines à cartes perforées, notamment pour les
besoins de statistiques dans les entreprises dans le cadre de la
nouvelle commission de la CGPF. La CGOST joue là un rôle de passeur
d’idées et de perfectionnement entre le secteur privé et le secteur
public, ainsi qu’il le décrit lui-même. L’exemple du privé est ici celui
du PLM ayant acquis et développé des services de mécanographie :
« J’ai eu l’idée un jour d’organiser une conférence sur une expérience faite dans
une compagnie de chemin de fer française, qui était d’ailleurs le PLM, dans un
domaine très limité qui était ce qu’on appellerait aujourd’hui l’informatique et, à
ce moment-là, c’était l’utilisation des cartes perforées ou machines à statistiques.
Or on avait fait au chemin de fer du PLM des choses intéressantes. J’ai demandé à
celui qui dirigeait ce service de venir le raconter et j’ai invité 200 grandes
7
entreprises à envoyer quelqu’un pour écouter cette conférence .»
La transposition des expériences accumulées au PLM se fait
principalement dans la mécanisation des services de l’état civil et du
renouvellement des fichiers qui en dépendent 8 .
L’expérience acquise par Milhaud, l’influence des débuts de la CGOST
se remarquent. La mécanographie devient la pierre angulaire de la
rationalisation de l’administration, et elle rejoint dans ses
conséquences un des grands classiques de la réforme des méthodes
de l’administration : faire des économies. L’utilisation du
machinisme doit permettre à « certains services d’augmenter leur
volume de travail, sans création d’emplois, et à d’autres d’envisager
des réductions de personnel 9 ». Faire des économies, c’est ce
qu’avait préconisé le secrétaire général de la résidence Duvernoy en
1926.
Nonobstant le classicisme de ces recommandations, l’intérêt de ces
conseils tient dans la prise en compte des situations particulières de
telle ou telle administration. Et c’est là que s’applique plus
précisément la doctrine fayolienne où chacun possède « ce que Fayol
appelle la “capacité” d’organisation 10 ». S’agissant d’une
administration coloniale en effet, le seul intérêt n’est pas de
mécaniser autant que faire se peut une partie des tâches
administratives ni d’économiser du personnel par ce biais, mais bien
plutôt de s’attacher les compétences disponibles d’où qu’elles
viennent. En premier lieu, Milhaud recherche dans les
fonctionnaires coloniaux ceux ayant compris leur tâche, c’est-à-dire
d’intéresser la population arabe à la gestion du pays, au besoin en
encourageant la sélection et l’intégration de fonctionnaires
indigènes. Même si, par ce biais, il s’agit d’économiser des postes de
fonctionnaires coloniaux, on entre ici de plain-pied dans le credo de
la mission civilisatrice de l’autorité coloniale en citant souvent en
exemple le rôle des militaires, et en particulier Lyautey au Maroc.
Milhaud, lui, fait la synthèse entre la doctrine militaire sur l’art de
commander, le rôle du chef et la doctrine de Fayol faisant une place
aux initiatives individuelles, au besoin en détectant et en valorisant
en interne les bons éléments de l’administration 11 .
La prise en compte de la particularité d’une administration est
complétée par la consultation de tous ses acteurs compte tenu de la
position délicate de tout réformateur patenté.
De même que Milhaud situe son action dans la ligne d’un Fayol en
cherchant à associer différentes personnes à ses réformes, il a
conscience également de son rôle en tant qu’élément extérieur à
l’administration lorsque la venue d’un réformateur est susceptible
d’inquiéter en remettant en cause l’utilité du travail de tel ou tel
Service ou la tâche d’un certain nombre de personnes. C’est pour
cette raison qu’il ne néglige aucun acteur de l’administration et qu’il
les considère avec respect : « Ma politique fut toute de prudence et
de cordialité. Je m’attachai à créer un climat favorable, en mettant
mes interlocuteurs à l’aise 12 ». Cette volonté se prolonge dans la
consultation du syndicat des fonctionnaires dont Milhaud souligne
que cette organisation fut la première à « stigmatiser le rôle de la
bureaucratie montante 13 » ou dans la consultation des personnes
extérieures à l’administration, les usagers : il faut comprendre
l’image que l’administration donne d’elle-même à ses utilisateurs, ce
qui deviendra plus tard le thème récurrent de l’adaptation de
l’administration à ses administrés.
Un autre élément de taille dans le travail de la CGOST est celui sur la
mise au point d’une méthode uniforme de calcul du prix de revient.
Ce fut même un des premiers chantiers de la CGOST sous la houlette
du lieutenant-colonel Émile Rimailho qui publia sous l’égide de la
CGOST/CGPF un ouvrage sur le prix de revient qui connaîtra de
multiples rééditions. S’il y a bien des domaines qui sont peu
comparables et qui sont difficilement transposables, ce sont sans
doute les systèmes de comptabilité privés et publics. Cependant, si
un calcul du prix de revient ne s’applique pas d’un point de vue
pratique à l’administration, son utilité est conservée en tant
qu’indicateur.
Comme le demandait le résident général au Maroc, Lucien Saint 14 , il
faut amener l’administration à transposer les méthodes du secteur
privé au secteur public. On se doute que dans ce cadre, les progrès
effectués par la CGOST sur le prix de revient depuis sa création
offrent de nombreuses opportunités même si en cette matière
l’application pure et simple à l’administration n’est pas évidente,
ainsi que le remarque Milhaud :
« Comme si on ne devait doser le prix de revient des choses que quand on veut
les vendre ! Nous pensons qu’il faut lutter avec énergie contre cette tendance.
[…] Évaluer le prix de revient des opérations. C’est là le meilleur moyen d’analyse
15
que possède la technique administrative ».
La réflexion engagée à la CGOST sur le prix de revient, travail encore
largement à parfaire, ne doit donc pas être prise comme une
incitation à appliquer la comptabilité privée à la comptabilité
publique – ce serait d’ailleurs littéralement impossible – mais à
chercher des instruments d’analyses et de réflexion. Ceci, en
établissant une sorte de comptabilité virtuelle du prix des actes,
encore qu’une comptabilité analytique inexistante à l’époque ne le
permettait pas sauf à en faire une simple évaluation déjà bien utile.
Milhaud a donc vécu sa mission au Maroc comme une réussite et
finalement un moyen de dépasser à la fois le terrain de
développement relativement étroit de la CGOST et d’éviter de se
cantonner à des études strictement limitées au secteur privé. Cette
tendance se confirme lorsqu’il consulte pour l’administration des
PTT.

C. Un continuateur de Fayol : les PTT 1930-1931

La réussite de la mission de Milhaud au Maroc lui permit de se forger


une nouvelle spécialité de réformateur des méthodes de
l’administration, en même temps que la CGOST avait démontré
qu’elle pouvait en partie jouer le rôle de précurseur : « J’ai parlé de
seconde carrière. Elle avait commencé à l’entrevue de Rabat, elle se
continua, dès mon retour, après mon premier séjour. Ce fut d’abord
le Conseil national économique 16 . » Le Conseil national économique
en 1930 fit la demande auprès du délégué général de la CGPF
Lavergne de fournir des éléments sur les systèmes de rémunération
à primes. Il avait confié en effet au maître des requêtes au Conseil
d’État Roger Auboin la charge d’étudier le fonctionnement de
l’administration des PTT. Mais avant que le rapport Auboin ne soit
adopté, il doit être complété par une étude particulière sur
l’adoption du système de rémunération à primes dans cette
administration, et c’est vers Milhaud que le CNE est orienté par
l’entremise de Lavergne.
Comme au Maroc, Milhaud ne s’enferme pas dans une problématique
limitée à la question posée par le CNE. Il élargit son sujet à des
données inhabituelles pour l’époque et qu’il a déjà expérimentées au
Maroc. Les expériences du privé doivent être repérées pour s’en
inspirer dans l’administration tandis que, comme au Maroc, il y a
lieu de s’informer auprès des personnes et des Services de la
mécanisation et de la modernisation des méthodes de travail : « La
méthode que j’avais utilisée au Maroc se révéla utilisable : je posais
mille questions, dont de nombreuses n’ayant qu’un lointain rapport
avec le but de mon enquête ; puis je demandais des rapports écrits 17
. » Mais le préalable, c’est la modernisation : « […] la possibilité de
tenir compte dans la rémunération des agents des PTT des résultats,
en qualité et quantité 18 », est une démarche prématurée tant que
l’on ne songe pas à moderniser les méthodes de travail et les outils
qui sont à disposition pour y parvenir. Au reste, sans cette nécessaire
modernisation, le système Rowan serait rendu inopérant tant que la
décomposition des tâches n’a pas été effectuée et que des temps
standards n’ont pas été calés : Milhaud a « […] la certitude qu’avant
de parler de primes de rendement, il était nécessaire d’amener le
service des PTT à un état d’organisation tel que toutes les conditions
favorables au bon fonctionnement des systèmes de primes soient
remplies 19 ». Et dans tous les cas de figure, cette évolution vers plus
de rendement serait obligatoirement fonction d’un confort de
position de travail qui passe par bien d’autres éléments que l’unique
rémunération au rendement ou pas :
« Pénétrez dans un wagon-poste, vous y sentirez la mort lente provoquée par les
poussières qui se dégagent des sacs postaux. Pénétrez dans un bureau
télégraphique, vous y serez secoué par un bruit strident et tenaillant […] Le
comble du “travail malsain” me parut être celui auquel se livraient les ouvriers
20
chargés de l’atelier des pneumatiques .»
L’urgence n’est donc pas pour Milhaud de voir dans quelle mesure le
système à primes est applicable à l’administration des PTT. Il s’agit
plutôt de s’attaquer à des problèmes plus simplement constatables
mais plus ardus à résoudre : la réorganisation complète des
méthodes de travail aux PTT et leur mécanisation. D’où la surprise
des membres du CNE qui constatent à la séance de février 1931 que le
texte de Milhaud « ne constitue pas à proprement parler un rapport
sur lequel l’Assemblée a à délibérer », car ses conclusions ne «
semblent pas répondre à la question qui avait été posée par
l’Assemblée 21 . » L’essentiel pour Milhaud est de rappeler en bon
fayolien que l’on se soucie peu de la place faite aux employés alors
que ceux-ci constituent un vivier de perfectionnements possibles à
tous les stades de production de services : « Les PTT constituent
aussi une riche pépinière de petits inventeurs. L’administration en
profite, nombre d’entre eux s’attachent à chercher et à
perfectionner. Les idées jaillissent d’ailleurs plus d’en bas que d’en
haut 22 ».
Le pendant de cette valorisation des compétences en interne est le
rôle dévolu aux experts et les organisateurs techniques.
Il existe en germe bien des perfectionnements proposés par Milhaud,
à charge de trouver le coordinateur qui tentera de les mettre en
musique. Que cela soit pour justifier le rôle des experts ou pour
souligner l’intérêt du recours aux cabinets de conseils, remarquons
que Milhaud appelle de ses vœux la mise en place d’un bureau
d’études extérieur à l’administration dans lequel l’expert joue un
rôle important. Ce bureau devrait être souple, indépendant et «
devrait contribuer, par son activité permanente, à perfectionner les
rouages de l’administration 23 », soit, à peu de chose près, la
définition de ce que sera l’Institut technique des administrations
publiques fondé en 1947 par Milhaud. Il s’agit bien d’ouvrir la voie
aux experts qui offriront leurs services au moment par exemple des
commissions d’économies de 1935. Le bureau d’études recommandé
par Milhaud en 1931 comporte pas moins de cinq « experts
techniques » sur sept membres tandis que leur règne est confirmé
par l’appel à des experts spécialisés et par la formation « de
techniciens pris dans les cadres de l’administration 24 . » On trouve
ici le résumé de ce que Milhaud estime être la bonne solution pour
réformer l’administration : la nécessaire réforme des méthodes ne
peut être pensée que par un organisme extérieur indépendant mais
en reconnaissant les innovations innombrables de la masse des
anonymes. Cet organisme se chargerait des réformes mises à
l’honneur par la CGOST, qu’il s’agisse de répandre la méthode des
enquêtes, d’établir un centre de documentation ou encore de mettre
à l’étude une évaluation des prix de revient.
Au moyen de quelques exemples, on a montré que la réforme des
méthodes de travail des organisations dans les années 1930 pouvait
se faire d’une manière transversale lorsque des thématiques
communes émergent entre le secteur privé et le secteur public.
Durant les années 1930, les motifs de perfectionnement sur une base
commune ne manquent pas en effet : l’organisation administrative
de Fayol ne fait pas de distinction entre l’organisation du travail
administratif dans les entreprises et dans les administrations 25 . À
cela s’ajoutent des motifs conjoncturels de l’intérêt des hommes du
privé pour l’administration : la réforme des méthodes des
entreprises connaît quelques atermoiements alors que les
perfectionnements ne demandent qu’à être lancés, car
paradoxalement les lieux de discussions, d’échanges, de
perfectionnement se développent dans le même temps. La période
des années 1930 favorise donc l’intérêt des organisateurs du privé
pour le public en puisant aux sources du fayolisme et en partant
d’une sorte de boîte à outils utilisée au départ pour réformer les
méthodes du secteur privé.

II. L’épisode de Vichy


De 1940 à 1945 se déroule un moment à part de l’histoire de France.
Il est issu d’une défaite spectaculaire face à l’Allemagne qui entraîne
la mise en place d’un nouveau régime politique. Au milieu de ce
moment historique particulier, c’est moins la présence de Milhaud
qui sera mise en avant que la continuité de la commission qu’il a
contribué à fonder. Que la CEGOS, appelée à jouer un rôle depuis les
années 1930 dans la réforme des entreprises, soit citée pour
comprendre comment les administrations ont évolué elles aussi n’est
pas forcément étonnant. Cela tient à la fois à l’économie de guerre et
de gestion de la pénurie et au rôle croissant de l’État dans
l’organisation de la société tout entière. Il s’agit en quelque sorte
d’une administration au service de l’organisation de la production
industrielle pour « recycler » ce qui se fait dans les cercles les plus
avancés de l’organisation des entreprises.
A. Un nouveau modus vivendi pour la CEGOS : aux
marches du secteur privé/public

1. Le destin de la CEGOS en 1940

En 1940, la CGPF dont dépendait toujours la CEGOS est dissoute peu


de temps après l’arrivée au pouvoir du maréchal Pétain. Le 12
novembre 1940, en exécution de la loi du 16 août, presque tous les
grands organismes patronaux sont dissous, dont la CGPF 26 . La
CEGOS ne subit pas le même sort puisqu’elle est mise au service des
politiques de rationalisation et de gestion de la pénurie. Et c’est
précisément le statut technique qu’elle a acquis durant son
développement qui lui permet de faire valoir sa spécialité aussi bien
pour les entreprises que pour les administrations. C’est en effet la
section « administration » de la CEGOS qui a mis au point un plan de
classement de la documentation depuis 1938 et qui l’a répandu
depuis. Cette initiative a fait sa renommée à telle point que ce plan
de classement est réclamé par les nouveaux tenants de l’organisation
professionnelle des entreprises 27 .

2. Conseiller l’État dans l’organisation de la production

La contribution des personnes mais aussi des organismes au


perfectionnement des méthodes des administrations

Si l’on s’attache à recenser ce qu’ont pu être les passeurs d’idées


entre les secteurs privé et public, il faut d’autant plus souligner
l’importance d’organismes qui ont joué ce rôle. Ceci parce que
certains organismes se voient confier au fil du temps des missions de
service public au rythme de l’élargissement ou de la réduction du
champ d’intervention de l’État. L’épisode de Vichy est à ce titre
particulièrement parlant comme le constate la Cour des comptes en
1947, qui jette un regard réprobateur sur la multiplication des
auxiliaires de l’État durant cette période :
« Au cours de ces dernières années, de nombreux organismes privés ou semi-
privés ont vu le jour, dont les liens avec des administrations publiques étaient
tels qu’ils ont permis à celles-ci de pourvoir à certaines dépenses en dehors des
28
règles et des contrôles qu’impose l’exécution du budget .»
Ce pourrait être le cas du Centre d’information interprofessionnel
(CII) et par ricochet celui de la CEGOS. À la disparition de la CGPF 29
c’est le Centre d’information interprofessionnel (CII) qui reprend en
partie ses attributions, dont les services rendus par la CEGOS :
« La création du CII et la dévolution qui lui a été faite des biens du CGPF ont
permis de résoudre le problème. En effet, le CII a estimé que l’expérience de
technique accumulée par la CEGOS et les services rendus par elle justifiaient sa
conservation, et il a décidé que la CEGOS continuerait son activité de centre
30
d’étude ouvert aux entreprises et aux groupements ».
Dans le contexte certes très particulier de la mise en place d’un
instrument d’État de contrôle de la production industrielle à des fins
de rationnement et de maximisation de la production,
l’administration du ministère de la Production industrielle se voit
confier une place de tout premier plan. Il s’agit ici davantage d’un
recensement et de la mise au point d’un outil statistique que de la
percolation des méthodes du secteur privé dans l’administration. Il
demeure cependant que les méthodes exposées par les entreprises,
l’intervention des spécialistes, dont certains insérés dans les
entreprises, sont peu connues dans les tribunes, et les cycles
organisés conjointement par le CEGOS et le CII permettent de futurs
développements de l’outil statistique dans l’administration 31 . Ces
entreprises exposent tout d’abord les développements techniques
susceptibles d’être étendus à d’autres organisations.

B. Les développements techniques proposés dans les


entreprises : un modèle pour les administrations ?
1. Les développements de la mécanographie

Les entreprises privées jouent un rôle tout à fait important en


faisant valoir des solutions diverses adoptées pour améliorer l’outil
statistique.
C’est encore plus vrai pour faire valoir le rôle de la CEGOS comme
courroie de transmission de l’État pour disposer d’une statistique
industrielle digne de ce nom, ainsi que l’expose Louis Dufau-Pérès,
directeur de l’OCRPI 32 , lors de la séance inaugurale d’une des
sessions de la CEGOS, en 1941 :
« Le cycle d’études qui s’ouvre aujourd’hui est le troisième que la commission
générale d’organisation scientifique, connue plus généralement sous le nom de
CEGOS, a organisé au cours de l’exercice 1941. Ces manifestations, qui sont
préparées dans leur détail par les sections d’études techniques de la CEGOS, ont,
comme vous le savez, pour but de permettre des confrontations et des
discussions approfondies sur les problèmes dont les sections ont pour mission,
d’une façon permanente, d’étudier les différents aspects. Les deux précédents
cycles d’études avaient porté sur l’établissement des prix de revient et sur les
techniques de direction du personnel. Cette fois, la CEGOS a jugé opportun
d’organiser un cycle de perfectionnement des méthodes statistiques. En me
priant de le représenter parmi vous, M. le secrétaire d’État à la Production
industrielle a tenu à marquer l’intérêt qu’il porte à ces séances de travail et,
d’une façon générale, à l’établissement d’une statistique industrielle digne de ce
nom. De tout temps, l’existence d’une statistique complète constamment à jour
eût grandement facilité l’œuvre du Gouvernement, et son absence constituait
une lacune regrettable. […] Au reste, l’on ne peut faire le tour d’un si riche
domaine en trois jours, et il est dans l’intention de la CEGOS de poursuivre
l’examen de toutes les questions pratiques qui auraient pu être soulevées au
cours des séances de travail de ce cycle, en liaison avec les fonctionnaires ou
spécialistes qualifiés de la statistique. Ainsi aura-t-on établi une jonction entre
les hommes de science, les chefs d’entreprises, les dirigeants ou techniciens des
Comités d’organisation et également les représentants des administrations ou
des services auxquels incombe le rôle délicat d’assurer la coordination des efforts
entrepris actuellement pour l’établissement nécessaire d’une statistique
33
cohérente et adaptée aux besoins essentiels de l’économie nationale .»
Les exemples de perfectionnements et d’expériences réussies sont
nombreux, parmi lesquels ceux puisés dans les entreprises publiques
ou ayant une mission de service public comme la SNCF.
Lors du cycle organisé par la CEGOS en décembre 1941 sur les
techniques statistiques, les intervenants font part des innovations et
des solutions adoptées dans leur organisation ou leur service.
L’intervenant de la SNCF indique ce que sont les matériels les plus
appropriés pour un développement significatif de l’outil statistique,
voire dans quel cas les machines MAS à carte perforées ne sont pas
utiles ou superflues 34 . On voit ici comment la technique influe sur
le choix de mécaniser ou pas la collecte des données à des fins
statistiques. Mécaniser de manière systématique dépend
précisément du degré de perfectionnement apporté par les machines
du moment. Compte tenu en effet de la préparation en aval qui
s’assimile à un paramétrage des machines et de leurs cartes
perforées, l’utilisation des machines ne se justifie qu’à partir du
moment où le temps consacré au paramétrage de leur intervention
ne dépasse pas leur utilité. Le prix est un facteur également
déterminant puisque « […] la mécanographie à cartes perforées était
réservée, en raison de son prix, à de grandes entreprises et aux
administrations publiques 35 . »
Comme dans le passé dans le cadre de la section administration de la
CEGOS, la mécanographie joue comme un terrain de comparaison
entre administration et secteur privé.
Ce point de vue offre l’avantage d’une plus grande comparabilité
avec les administrations dans la mesure où, ce service de la SNCF
ayant à traiter de grandes quantités de données, il peut se comparer
à une administration en charge de la collecte et du traitement d’un
grand nombre de celles-ci. Les machines peuvent rendre des
services. En premier lieu, cela permet de prendre en charge les
tâches répétitives avec des temps d’exécution très rapides, ce qui
implique des réductions de personnel dans les services
progressivement mécanisés. Dans un second temps, le temps dégagé
pour les personnels et les nouvelles perspectives ouvertes par la
mécanisation sont prometteurs. C’est à peu de chose près ce que
seront les bureaux d’organisation et méthodes dans l’administration.
« Aussi la subdivision des statistiques arrive-t-elle à remplir son rôle avec un
effectif d’une quinzaine d’agents seulement, chiffre très faible comparé au
nombre d’agents qui dans l’ensemble des services et des régions de la SNCF sont
employés, totalement ou partiellement, aux travaux statistiques, et qui est de
l’ordre de plusieurs centaines d’unités. L’accroissement continu dans les
circonstances actuelles des demandes de renseignements et d’études qui
parviennent à la subdivision des statistiques constitue la meilleure justification
36
de son utilité .»
Mais dans la mesure où les temps de paramétrage sont longs et que
l’investissement en machines est lourd, comment peut-on encore
développer la mécanisation ?

2. Les limites de la mécanographie

C’est ici à peu de chose près le témoignage de l’utilité de la


mécanographie comme levier d’économies de personnel pour le
traitement d’une grande quantité de données statistiques. Cet
argument connaîtra de beaucoup plus amples développements
jusqu’à nos jours lorsque l’informatisation progressive des tâches et
le rassemblement des données sur une même base informative
deviendront un thème de prédilection pour justifier les économies
de personnel, que ce soit dans l’administration ou dans le secteur
privé. Les limites des bénéfices de la mécanographie prennent une
acuité particulière vis-à-vis de la pénurie. Il s’agit ici, et à l’inverse,
d’une sorte d’autolimitation du développement de la mécanographie
lorsque les matériels, les consommables, les pièces de rechange,
voire l’électricité 37 viennent à manquer à la suite des restrictions et
de la pénurie. Compte tenu de ce fait, les machines
mécanographiques ne sont utilisées que quand la nécessité s’en fait
sentir, quitte à revenir le cas échéant à un traitement manuel des
données. C’est ce qu’explique un des intervenants de la CEGOS en
1943 :
« L’entretien lui-même devient de jour en jour plus difficile, si l’on tient compte
de la difficulté d’effectuer les réparations, de la pénurie des pièces de rechange,
des ingrédients indispensables, rubans, carbones, alcool, zincs, papiers spéciaux ;
des restrictions de courant, de l’absence de mécaniciens spécialistes, etc. On voit
approcher le jour où le fonctionnement de ces installations ne pourra plus être
assuré. En présence de cette situation angoissante qui menace dans un de ses
éléments essentiels l’organisation actuelle des compagnies d’assurance, on
enregistre dès maintenant un abandon des méthodes mécaniques et un retour
aux méthodes manuelles. Une des plus grandes compagnies a déjà supprimé ses
équipements de machines à statistiques, préférant sans doute ne pas être
surprise par un arrêt inopiné. La même mesure est à l’étude dans d’autres
sociétés. Partout, on étudie les systèmes de remplacement à prévoir. Chacun,
malgré tout, espère pouvoir tenir jusqu’au bout et lutte pied à pied pour sauver
les installations si difficilement réalisées et dont le prix est aujourd’hui
38
inestimable .»
À la fois pour des questions de rapport coût/bénéfice (financier et en
temps de travail) et pour des questions de pénurie, la mécanographie
subit un développement inégal durant l’épisode de Vichy.
Nonobstant le développement très marqué de la statistique
industrielle durant cette période (et de fait la mécanographie), il est
probable que le traitement mécanisé de celles-ci ait subi des
fluctuations, y compris dans l’administration.

3. L’intérêt pour la fonction personnel

Les sujets abordés par les sessions d’études de la CEGOS sont


nombreux, qu’il s’agisse de questions liées à l’actualité comme celle
de l’approvisionnement et de la distribution 39 , ou celles plus
innovantes de la gestion du personnel et de sa formation. Comme
dans les autres spécialités, la fonction approvisionnement a été prise
dès la fin des années 1920 dans un sens générique, indistinctement
pour les entreprises privées et pour les administrations.

Le perfectionnement du travail administratif


Il n’y a pas de filière de formation spécifique pour perfectionner les
personnels et améliorer leurs méthodes de travail sur des postes
administratifs. Le problème est commun aux administrations et aux
entreprises privées et, parmi celles-ci, aux compagnies d’assurance :
« Les compagnies ont rencontré les plus grandes difficultés pour trouver des
hommes capables d’assumer la direction de l’organisation et pour former les
collaborateurs indispensables à sa bonne marche. Ces difficultés de recrutement
tiennent à l’insuffisance, en France, d’un enseignement qui ait pour objet la
formation de spécialistes de l’organisation, soit sur le plan de l’enseignement
supérieur, soit sur celui de l’enseignement technique. Les entreprises en sont
réduites à leurs propres moyens et c’est la raison pour laquelle elles tâtonnent
dans un empirisme dont on ne peut plus se satisfaire. Il est de la plus haute
importance, pour l’avenir de l’organisation des entreprises, qu’un enseignement
théorique et pratique soit complètement organisé en France, qui prépare des
hommes à exercer ce véritable métier et qui élabore une doctrine scientifique de
l’organisation, spécialement en ce qui concerne le travail administratif. Dans cet
esprit il est intéressant de signaler qu’il a été créé l’an dernier, à l’École des
sciences politiques, un centre des hautes études d’assurances, ouvert aux élèves
40
de cette école et à des élèves recrutés dans les cadres des compagnies .»
Il est intéressant de remarquer dans quelle mesure le travail
administratif effectué dans les entreprises présente des similitudes
avec celui dans l’administration dans l’organisation des tâches, le
positionnement du service dans l’organigramme et dans la
hiérarchie, la mise au point de nouvelles techniques… De ce point de
vue, des entreprises dont le travail administratif est important,
comme dans les assurances, ont été une force motrice pour le
perfectionnement des méthodes administratives.

La sélection professionnelle et la psychologie industrielle

En 1943 est créé le bureau de psychologie industrielle (BPI) de la


CEGOS. Placé dès l’origine sous la houlette de Guy Palmade ce
département de la CEGOS prendra une place importante au fil du
temps jusqu’à la transformation de la CEGOS en cabinet de conseil à
partir des années 1950. Si l’appellation du BPI fait référence à
l’industrie, l’activité de ce département se tournera vite vers les
entreprises publiques ou les monopoles détenus par l’État (tabacs et
allumettes par exemple). Les pionniers de l’introduction de la
psychologie industrielle dans les organisations, à cette époque puis
après-guerre, sont Guy Palmade, Max Pagès, Jean Dubost, André de
Peretti, pour ne citer que les principaux. Durant la période de Vichy,
les expériences échangées lors des journées d’études de la CEGOS
demeurent encore très dépendantes de l’actualité, et selon des
directions très en lien avec les problèmes rencontrés par les
entreprises pour le recrutement, la sélection professionnelle, le
recueil de la nécessaire adhésion des employés et ouvriers à la
stratégie de développement de l’entreprise dans laquelle ils
travaillent.
C’est Pierre Janet qui inaugure en 1943 le 3e cycle de la CEGOS
consacré au perfectionnement des techniques de direction du
personnel du 12 au 15 avril 1943. Il contribue de cette façon aux «
premiers développements de l’étude systématique des relations
humaines dans l’entreprise 41 ». À cette époque, on estime que la
CEGOS tente une synthèse entre la psychanalyse, la psychosociologie
américaine et la psychotechnique dans le domaine de l’entreprise 42 .
Mais il s’agit avant tout, durant cette époque, de s’affranchir du
discours conservateur de Vichy tel qu’on peut l’identifier dans la
Charte du travail par exemple, pour s’intéresser de près aux
catégories de personnel, leur définition, leur rôle, leur formation. Se
prépare ici l’après-guerre où se développent à grande échelle, dans
les grandes entreprises publiques, les études sur le personnel. C’est
d’abord la question du perfectionnement des cadres suivant la
tendance identifiée par Luc Boltanski 43 . Mais c’est aussi
l’identification, au sein des organisations publiques ou privées, des
ressources internes dans le vivier du personnel existant à des fins de
promotion interne et d’assimilation de nouveaux éléments dans la
catégorie des cadres encore mal définie. Mais, durant la période de
Vichy, si la promotion des ingénieurs en tant que cadres ou leur
assimilation à cette catégorie ne semble pas poser de problèmes, en
revanche la catégorie intermédiaire de la maîtrise demeure
cantonnée à un rôle secondaire : on reconnaît à cette catégorie la
seule fonction de courroie de transmission en direction de la masse
des salariés (dont la maîtrise est issue en général). De surcroît,
l’accès à la maîtrise en promotion interne ne se fait que sur des
critères sociaux ou moraux et pratiquement pas sur des critères
techniques. Évidemment, l’évolution des carrières se trouve très vite
bloquée, qu’il s’agisse des secteurs privés ou publics. Si la promotion
interne de la maîtrise se fait sur des critères sociaux ou moraux, les
actions de formation et de perfectionnement ne peuvent que s’en
trouver réduites à des poncifs vite dépassés et en complet décalage
avec la recherche des améliorations des méthodes de travail dans les
secteurs privé et public. En effet, alors que, sous Vichy, des
intervenants de la CEGOS, en 1943, remettant en cause le
recrutement par concours, cette idée ne tardera pas à émerger à la
Libération pour la sélection des fonctionnaires 44 .

III. À la source de la création de la fonction


Organisation et Méthodes dans
l’administration : l’évolution de la CEGOS et la
fondation de l’ITAP
A. Le renouveau de la Libération

Alors que le passage de témoin s’est passé dans de bonnes conditions


entre Noël Pouderoux et Jean Milhaud à la CEGOS 45 , cette
organisation devient la pierre de touche de beaucoup de créations et
de renaissances dans le milieu de l’organisation scientifique du
travail au lendemain de la Libération. La CEGOS est également
présente aux côtés de l’État, tentant d’assurer un large éventail de
missions, valorisant par là le statut mi-privé, mi-public qu’elle a pu
acquérir durant la période de Vichy.

1. La sélection professionnelle : comment renouveler le


personnel administratif ?

On se souvient qu’en février 1942 puis en 1943, un des thèmes des


conférences de la CEGOS était consacré à la sélection professionnelle.
L’un des intervenants avait souligné le peu d’intérêt des concours où
la sélection se faisait sur des points ayant un lointain rapport avec
les compétences requises pour le poste. Remarquons que la question
évoquée à la CEGOS reçoit en écho celle qui se fait jour dans les
projets de l’administration en 1945, alors qu’il s’agit de créer une
nouvelle école pour les hauts fonctionnaires :
« On a parlé souvent, d’une manière un peu légère, d’une école de guerre pour
fonctionnaires civils sans se rendre compte que l’obligation d’un concours à un
certain âge, et l’obligation d’un diplôme pour briguer certains postes, étaient
incompatibles avec le fonctionnement normal des administrations civiles : un
fonctionnaire de valeur n’a pas le temps de préparer un concours difficile et un
État soucieux de remplir sa tâche n’a pas le désir de se priver du concours de ses
meilleurs fonctionnaires pour les envoyer plusieurs mois sur les bancs d’une
46
école .»
Ces questions croisent à peu d’années de distance celles que se
posaient les participants de la CEGOS dans le secteur privé : qui
sélectionner, sur quels critères et pour faire quoi ? La volonté
d’innovation de la CEGOS rejoint ici les espoirs des courants de
rénovation de l’appareil administratif, la guerre à peine terminée : il
s’agit du projet d’Institut des hautes études administratives porté
par l’Organisation des fonctionnaires résistants (OFR). Le plus
intéressant est ici de voir dans quelle mesure sont repris les besoins
de formation et de perfectionnement exprimés dans le secteur privé,
entre autres à l’occasion des sessions d’études de la CEGOS. Un des
tracts de l’OFR de mai-juin 1945, manifestement hostile aux grands
corps (Inspection des finances, Conseil d’État, Cour des comptes…)
traduit bien ce fait :
« Comment accroître le rendement de l’administration française ?
1. les méthodes de travail. – Courrier – Mécanisation – Organisation des services –
Exécution – Contrôle – Direction ;
2. la comptabilité publique ;
3. la responsabilité et l’esprit d’initiative des fonctionnaires ;
4. le fonctionnaire et le public ;
47
5. la simplification de l’administration .»
Ces remarques sont non seulement en phase avec les objectifs de la
CEGOS, mais aussi avec les idées de Milhaud lui-même, puisque
depuis longtemps il avait milité pour l’ouverture des concours
administratifs et leur recentrage en partie sur une sélection
technique du personnel administratif, reprenant en cela ce qu’il
avait fait valoir à la CEGOS. Mais les propositions sont loin de faire
l’unanimité. Le projet d’école d’administration subit des revers de la
part de certains ministères 48 , tandis que Milhaud semble se lasser
lui-même de voir « […] surtout des hommes attachés à la défense des
prérogatives qu’ils incarnent : ingénieurs des grands corps
techniques, Conseil d’État, Inspection des finances, contrôleurs des
contributions, etc. 49 » En miroir de cette inertie, l’influence de la
CEGOS et de Milhaud se remarque dans la proposition de l’OFR de
procéder à une sélection des personnels en s’inspirant des méthodes
psychotechniques expérimentées, si ce n’est diffusées, par les
sessions d’études de la CEGOS dans le passé. Dans l’administration et
sur des programmes de grande envergure, seuls les Américains et les
Anglais avaient pratiqué la psychotechnique pour les besoins de
recrutements massifs pour les armées et les besoins de l’économie de
guerre. En France, il ne restait pour l’heure que le secteur privé qui
puisse venir au secours de l’administration : ainsi, le rapport de
l’OFR rappelle que les méthodes psychotechniques «… sont
employées avec une fréquence croissante dans l’industrie privée,
pour la promotion des cadres 50 . » Mais l’Institut des hautes études
administratives que l’OFR voulait promouvoir et qui comportait des
innovations comme les tests psychotechniques par exemple, n’eut
pas vraiment de suite compte tenu du caractère sans doute trop
audacieux de celles-ci. Un rapport sur l’Institut des hautes études
administratives constate que, au sujet des tests d’intelligence ou de
caractère : « Il faut s’engager sur cette voie avec prudence, et surtout
éviter d’octroyer un rôle trop important aux psychanalystes,
psychotechniciens, etc. 51 ».

2. La contribution des conseillers extérieurs : une place à


prendre quand l’État veut faire des économies ?

Le projet porté par l’OFR contribue également à justifier l’action des


intervenants du secteur privé dans l’administration. Dans le projet
de renouvellement voire de refondation de l’administration élaboré
par la Résistance, on pourra faire appel à des « […] fonctionnaires ou
[des] techniciens privés qualifiés pour remplacer les fonctionnaires
hostiles dans certains postes clefs 52 ». Mais le projet de l’OFR
enfonce le clou en recommandant dans le futur Institut des hautes
études administratives l’intervention d’experts soit lors de
conférences, soit dans les programmes d’études où l’on fera appel «
[…] chaque année à la collaboration de spécialistes pris dans les
grandes administrations et dans l’économie privée […] qui se
trouveront, par leur poste ou par leurs recherches, au centre de l’un
des problèmes inscrits au programme 53 ». Le projet de l’OFR n’ira
pas plus loin, alors que l’idée proposée du recours à des conseillers
extérieurs demeure, à l’occasion par exemple de la mise en place des
commissions des méthodes instituées par l’ordonnance du 6 janvier
1945.
Si l’objectif est ici d’opérer des coupes sombres dans le budget de
l’État, notamment pour réduire les effectifs de fonctionnaires
devenus pléthoriques à la faveur de l’épisode de Vichy 54 , une place
est faite à la recherche des améliorations de rendement dans les
administrations 55 , en particulier en s’adjoignant des compétences
venant de l’extérieur. Doivent siéger dans les commissions
d’économies entre autres, « […] des éléments dégagés de toute
routine, qui pourront être choisis soit parmi les dirigeants des
associations ou syndicats, soit parmi des personnes étrangères à
l’administration et particulièrement au courant des méthodes du
commerce et de l’industrie privée 56 . »
C’est donc l’aveu que l’ouverture au secteur privé n’est admise que
pour aider les administrations à faire des économies. Au moins, la
CEGOS s’est retrouvée en bonne place, profitant de son statut mi
privé mi public, s’assimilant à un des auxiliaires de l’État. Mais en
février 1946 alors que Milhaud tente de promouvoir le rôle de la
CEGOS dans l’administration pour coordonner le travail des
ministères, le projet, tout d’abord en bonne voie, est « doublé » par
la publication dans le Journal officiel du 28 février de la création du
Comité de la réforme administrative. Aider l’État à coordonner ses
actions de perfectionnement n’est donc pas une chose facile,
évoluant dans des sens parfois contradictoires.
B. Justifier la création des bureaux d’organisation
et méthodes dans l’administration : du perfectionnement
par des organismes extérieurs à la création de la fonction
en interne

1. Une tentative de la CEGOS

Tout compte fait, l’action de la CEGOS, au moins durant la période de


la Libération, peut se résumer à une volonté de créer une fonction
organisation et méthodes dans l’administration. Milhaud a milité
pour impliquer la CEGOS dans ce projet. Roger Grégoire écrit en 1946
:
« II. La direction de la Fonction publique pourrait utilement associer à son action,
à titre d’essai et pour éviter toute création de services nouveaux, un organisme
semi-public, la commission générale d’organisation scientifique (CEGOS), qui a
déjà eu l’occasion de collaborer au perfectionnement des administrations
publiques métropolitaines et coloniales, et qui apporte à cet égard toutes les
garanties d’ordre professionnel. […] III. En conséquence, le plan suivant pourrait
être adopté : 1. Le secrétariat général du Gouvernement (direction de la Fonction
publique) chargerait MM. Milhaud et Pouderoux […] de la mise sur pied, auprès
de la CEGOS, d’un organisme que l’on pourrait appeler : « Centre technique
57
d’étude des méthodes de travail dans les administrations publiques ».
C’est en quelque sorte la création d’un embryon de bureau
d’organisation et méthodes dans l’administration.
Pour autant il serait abusif de croire que tout a commencé en cette
matière grâce aux travaux de la CEGOS, même si Auguste Detoeuf, le
président de la CEGOS, avait qualifié la CEGOS en 1941 de « bureau
des méthodes » du Centre d’information interprofessionnel 58 .
Remarquons que la fonction O & M est née en ordre dispersé dans
l’administration, principalement à l’occasion d’initiatives
ponctuelles. Les premiers de ces bureaux ont été créés sous Vichy
mais leur essor est véritablement confirmé à la Libération. Trois
bureaux d’O & M voient le jour en 1941 : à la préfecture de Police,
aux P.T.T. et à la SNCF 59 . Mais celui de la préfecture de Police ne
reçoit des effectifs permanents qu’en 1947, tandis que trois bureaux
supplémentaires sont créés en 1945-1946 60 . L’après-guerre a donc
bien confirmé l’importance de ces cellules d’amélioration des
méthodes dans l’administration, sans pouvoir cependant les
coordonner dès le départ et leur assurer une visibilité sur le long
terme. Ils ont, pourrait-on dire, évolué jusque dans les années 1950
dans une semi-clandestinité, en dehors de toute loi pour les
organiser. De 1946 à 1949, toutes les propositions de lois concernant
une réorganisation administrative susceptible de donner une valeur
officielle aux bureaux O & M sont rejetées. De ce point de vue, on
peut estimer que l’administration s’est contentée des avancées de la
CEGOS (et plus tard l’ITAP) 61 dans le domaine de l’amélioration des
méthodes de l’administration et des efforts des quelques bureaux d’O
& M déjà créés mais dont la position est encore fragile. Si la CEGOS a
eu des velléités de devenir le premier bureau central d’organisation
et méthodes dans l’administration, l’expérience n’a pas abouti : la
note que l’on a trouvée dans les archives de l’ITAP montre bien que
sur ce plan, un organisme privé/public comme la CEGOS a contribué
à convaincre l’administration du bien-fondé de créer un service
central chargé d’améliorer les méthodes : « La CEGOS ayant un statut
d’institution semi-publique (on rappelle qu’elle fonctionne comme
un service à budget autonome rattaché administrativement au
Centre national d’information économique), celle-ci pourrait alors
créer auprès d’elle le bureau central des méthodes envisagé et le
doter du personnel spécialisé nécessaire, ce personnel étant à
l’origine prélevé dans l’équipe de techniciens et secrétaires dont la
CEGOS dispose et qui sont déjà entraînés à l’étude des questions
intéressant les administrations publiques 62 ». Ce n’est qu’en 1954
que, sous l’impulsion du Commissariat général à la Productivité, est
créé un Service central d’organisation et méthodes dédié à une
coordination des cellules déjà créées dans les différents ministères
63
.

2. Le développement de la fonction O & M et le rôle de l’Institut


technique des administrations publiques

Si la fonction O & M était née plutôt en ordre dispersé, à la faveur


par exemple d’initiatives prises ici ou là dans un ministère ou une
administration, elle n’avait pas été jusqu’ici coordonnée afin que
cette fonction soit systématiquement installée et reconnue dans tous
les services. L’ITAP a joué dans cette affaire un rôle important en
militant justement pour cette systématisation.
C’est la mise en place des comités techniques paritaires qui donne
une nouvelle occasion de la promotion de la fonction O & M. Depuis
l’application de la loi du 19 octobre 1946, des Comités techniques
paritaires sont chargés d’étudier les problèmes d’organisation ou de
fonctionnement de l’administration ou d’un service particulier. Puis,
par application du décret du 27 juillet 1947 modifié, des CTP sont
créés dans chaque département ministériel, dans chaque service
technique important et dans les établissements publics 64 . Le député
de la Seine MRP, Yves Fagon, qui appartient à la nouvelle
commission parlementaire à la réforme administrative créée en 1947
(il en deviendra vice-président en 1949), soumet au nom du groupe
MRP à l’Assemblée une proposition de loi relative à l’organisation
administrative. Cette proposition de loi est directement inspirée des
premiers travaux de l’ITAP qui a mis au point un vrai plan
d’organisation de la fonction O & M voit en effet le jour.
L’instauration des CT ayant été actée dès 1946, et les membres de
l’ITAP étant conscients de l’inertie qui préside à la généralisation des
services O & M, il faut profiter de ce qui existe comme point d’appui.
Ainsi, le projet de loi devrait comporter la création systématique
d’un service d’O & M en miroir de tout CTP créé. Le procédé est
commode et évite bien des débats pour justifier ou pas de l’utilité de
création d’un service O & M dans telle ou telle administration : « Le
service “organisation et méthodes” assurera le secrétariat
permanent du Comité technique et se chargera de toutes études et
informations nécessaires à l’examen des questions soumises au
Comité 65 ».
Il s’agit donc très tôt de l’influence des futurs membres de l’ITAP,
pratiquement avant que cet institut ne soit créé.

La fondation de l’ITAP

En juin 1947 a lieu l’assemblée constitutive de l’Institut technique


des administrations publiques (ITAP) 66 créé dirons-nous à la suite
des échecs pour mettre en place un organisme commun
d’organisation et méthodes.
Tout part d’un voyage effectué en Grande-Bretagne sous les auspices
de la CEGOS où des missionnaires comme Milhaud souhaitent visiter
et s’inspirer du bureau O & M de Grande-Bretagne placé sous
l’autorité de la Treasury britannique. L’appel est ici double : inciter
l’État français à se doter d’un organisme O & M central, et souligner
que cela pourrait se faire au sein d’un grand ministère regroupant à
la fois la direction du Budget, la direction de la Fonction publique, le
Mouvement général des fonds. Une manière en quelque sorte de
sortir d’une concurrence entre ministères mais à la condition qu’une
fonction O & M centrale devienne l’élément moteur d’une série
d’institutions de même nom placées dans d’autres ministères 67 . À
quoi sert-il ? :
« Il intervient d’abord comme conseiller technique auprès de diverses
administrations qui n’ont pas elles-mêmes de bureau spécialisé en matière
d’organisation. La deuxième tâche du service central O & M de la Trésorerie est
une besogne de recherche en matière de technique administrative. Il intervient
ici comme une sorte d’institut central chargé de favoriser l’unification des
méthodes, la centralisation de certaines activités et ce que nous avons pris le pli
68
en France de nommer les “échanges d’expériences” ».
On ne saurait faire d’allusion plus précise au travail de la CEGOS et
dessiner plus précisément ce que sera l’ITAP. De fait, en rentrant du
périple en Grande-Bretagne, tous les avis convergent pour créer une
organisation chargée de jouer ce rôle en France. À défaut de le voir
naître au cœur de l’administration, il sera extérieur à celle-ci, en
voulant comme toujours faire fi des distinctions privé/public en
matière de perfectionnement des méthodes de travail :
« L’ITAP a pour objet de contribuer à accroître l’efficience des administrations et
services publics, collectivités locales, établissements publics, industries d’État et
entreprises nationalisées. […] Il provoque à cet effet toutes confrontations utiles
avec les méthodes utilisées dans les entreprises privées et dans les pays
69
étrangers .»

Échanges d’expériences et prix de revient

L’influence de la CEGOS est manifeste dans les travaux du jeune


institut dédié à l’administration. Il s’agit de développer les échanges
d’expériences comme l’avait fait la CEGOS dans le secteur privé mais
surtout d’inciter les administrations à réfléchir sur ce que pourrait
être un prix de revient administratif.
La réflexion sur les prix de revient a déjà suscité des débats comme
dans le groupe « A » (finances) de l’ITAP récemment créé. Des
éléments internes à l’administration s’étaient déjà prononcés en
faveur de l’établissement d’un prix de revient administratif, ceci
autant dans le but de faire des économies de budget que dans la
perspective de mieux connaître la valeur des actes administratifs
(démarche nécessaire pour une meilleure organisation des services
par exemple ou une meilleure réglementation comme dans
l’organisation de la passation des marchés de l’État). Jean Dayre,
ingénieur en chef du Génie rural, demandait déjà en 1945 :
« Ne sait-on pas ce que coûte normalement, dans une région donnée, l’étude d’un
kilomètre de voie ferrée ou de ligne électrique ? Ne peut-on pas, de même,
arriver à déchiffrer le prix de revient normal d’un travail de statistique, d’un
70
service d’état civil ou d’allocations familiales ?»
Pratiquement dans la même période, Lucien Junillon, membre de
l’ITAP, avait recommandé dans un rapport collectif d’initier les
fonctionnaires au calcul économique, à la comptabilité des prix de
revient et aux techniques de l’organisation 71 . Les travaux de l’ITAP
et de son groupe finance consacrent une bonne part de leur temps à
cette question, comme on le voit dans les documents produits par cet
organisme, mais au fur et à mesure des débats la question apparaît
plus complexe qu’il n’y paraît : Junillon admet que l’introduction du
prix de revient dans l’administration implique « Pour cela, la
révision de la structure interne de l’administration [qui] s’avère
indispensable ainsi que la stabilisation du personnel, en particulier
celle du personnel gouvernemental 72 ». De fait, les modalités
d’application d’un prix de revient, même indicatif, dans
l’administration, sont à déterminer en fonction de l’administration
que l’on traite. Il est vrai que dans une administration d’exécution
comme celle des PTT, la question du coût des actes des
fonctionnaires est étudiée depuis 1923, date à laquelle un budget
annexe qui doit être en équilibre a été mis en place. Mais
l’administration des PTT a l’avantage de pouvoir prendre une base
concrète pour établir des unités de prix ou de temps comme dans le
cas d’une communication téléphonique par exemple. Par ailleurs, on
considère cette administration comme une de celles à caractère
industriel et commercial où ont été appliquées les premières
mesures de réforme d’organisation déjà testées dans les entreprises
privées 73 .
Mais dans les administrations non commerciales, le problème est
plus épineux et risque de semer le trouble chez les fonctionnaires
puisqu’on risque de confondre comptabilité budgétaire et prix de
revient, avec de surcroît l’obligation de procéder à un double calcul
et de tenir deux « comptabilités ». Imposer à l’administration les
mêmes règles de calcul des prix de revient que dans les entreprises
reviendrait à la mise en place de processus beaucoup trop long, voire
même inadaptés à l’administration qui ne dispose pas d’instruments
d’analyse des coûts aussi fins. Tout au plus reconnaît-on au prix de
revient dans l’administration un rôle d’indicateur volontiers
cantonné à un coût du service facilement calculable, on s’en doute,
en l’impactant des salaires des employés. Du reste, même dans des
entreprises publiques comme la SNCF ou des administrations de
services, il demeure toujours difficile d’identifier clairement les
coûts entrant en ligne de compte dans le calcul des frais généraux,
au risque que les choix deviennent assez arbitraires 74 .
Si l’influence de la CEGOS sur l’ITAP s’est fait sentir dans le choix des
thèmes de discussion et des groupes de travail de l’ITAP, rapidement
il s’avère que des questions comme celle du prix de revient dans
l’administration ne peuvent pas être abordées de manière aussi
directe que ne l’a fait la CEGOS dans le secteur privé. Cela ne peut se
faire qu’au prix d’un changement de taille : la révision du système
comptable public et une refonte de la comptabilité budgétaire pour
disposer un tant soit peu d’une comptabilité analytique permettant
une analyse précise des coûts.

C. L’action du Commissariat général à la Productivité


dans une politique de rationalisation et de productivité
dans les administrations publiques 1956-1960

1. L’investissement du CGP dans l’organisation administrative


Depuis sa création, le Commissariat général à la Productivité, et plus
particulièrement l’Association française pour l’accroissement de la
productivité (AFAP), ne s’étaient pas particulièrement intéressés à
l’organisation administrative. Les missions de productivité à la suite
du plan Marshall étaient tournées essentiellement vers le secteur
privé. L’arrivée de Gabriel Ardant au CGP va donner une orientation
supplémentaire en direction des administrations. Mais le CGP ne
dispose pas auprès de lui d’organisateurs spécialisés alors que la
plupart des bureaux d’organisation et méthodes ont des personnels
en interne ou ont mis au point des études avec des cabinets
extérieurs. Le CGP prend donc la même voie au point de consacrer
une bonne part des crédits à l’utilisation de consultants du secteur
privé pour organiser des conférences et cycles de formation
consacrés à l’organisation administrative. De fait, les fonctionnaires
spécialistes de l’organisation administrative, précurseurs dans leur
domaine et souvent dans leur service, n’ont pas de statut particulier
dans la fonction publique, ni d’école pour parfaire leur formation ou
pour dispenser des cours, ou tout au moins des exposés sur les
améliorations qu’ils ont mis en œuvre.
Les sessions de perfectionnement organisées par le CGP se feront
donc en commun avec des formateurs venus des cabinets de conseil
privés et des organisateurs internes des administrations souvent à
l’origine de la mise en place de bureaux d’organisation et méthodes.
La notion de productivité devient dès lors une notion commune aux
secteurs privé et public sous la houlette du CGP et de Gabriel Ardant.

2. Une collaboration entre l’ITAP et le CGP

Face à la montée en puissance du CGP nouvellement intéressé à


l’organisation administrative, l’ITAP, organisme créé par Milhaud,
ne pouvait pas rester indifférent. La collaboration se fait d’ailleurs
d’elle-même. Bien des membres de l’ITAP font partie d’autres
structures, dont le secteur administration du CGP. Il en est ainsi de
Jean Dayre par exemple, membre de l’ITAP et rapporteur du
programme du CGP pour l’amélioration de la productivité dans
l’administration publique entre 1954 et 1956 75 . D’autres personnes
ont des parcours partagés entre le CGP et l’ITAP 76 et beaucoup de
membres de l’ITAP interviennent dans les réunions et groupes de
travail du CGP. On peut dire que, de ce point de vue, l’institut de Jean
Milhaud sert de vivier d’organisateurs prêts à être recyclés dans
d’autres instances dès que l’État se préoccupe de productivité dans
ses services. Au moins sur la formation des organisateurs du secteur
public et sur la compilation des résultats des cellules d’O & M, l’ITAP
souhaite garder l’initiative. Jules-Didier Chautant, son président, fait
appel au CGP et « … souhaite que le Commissariat accepte de laisser à
l’ITAP cette tâche d’information en matière d’O & M à tous les
échelons 77 ». L’institut de Milhaud n’est pas non plus forcément
favorable à la mise en place d’un bureau d’organisation et méthodes
central, et pour cause, cela reviendrait à rendre l’ITAP presque
inutile, ayant déjà eu à faire une place au CGP sur les questions
administratives. Les arguments autres que de simple stratégie ne
manquent pourtant pas : il faut laisser la liberté aux bureaux
d’organisation et méthodes d’avancer vers des directions qu’ils
souhaitent tout en privilégiant une meilleure adaptation au
problème posé. Concevoir un bureau O & M central avec des
spécialistes de différentes questions intervenant ponctuellement
dans telle ou telle administration ne semble pas convaincant. C’est le
sens d’un rapport élaboré en 1955 par un des membres de l’ITAP 78 .
À l’inverse, le CGP se place pour soutenir et au besoin incarner un
futur service central d’O & M :
« Qu’une coordination entre ces différents bureaux O & M s’impose, que certains
problèmes communs à tous les services ou à plusieurs d’entre eux doivent être
liés par un échelon compétent plus large, cela n’est pas douteux et rentre dans le
79
cadre des soucis du Commissariat ».
Les histoires des structures en présence pèsent sur leurs réflexions :
l’ITAP, Milhaud et ses collègues savaient parfaitement illusoire au
lendemain de la guerre tout objectif visant à installer un bureau
central d’O & M alors que la reconnaissance des quelques-unes non
coordonnées était déjà si difficile. De même, pour ceux-ci, un bureau
central risquerait d’être trop soumis à des décisions politiques et
moins techniques. Le CGP lui se place dans une perspective
considérablement renouvelée où des avancées ont bien été réelles
dans l’insertion de l’organisation dans les administrations, à telle
enseigne que le CGP souhaite impulser un esprit de rationalisation
pouvant servir de modèle à tout le pays.

3. La création du Service central d’organisation et méthodes


(SCOM)

En 1958, le CGP se transforme en Commissariat général au Plan et à


la Productivité. L’année suivante, il prend le nom de Commissariat
au Plan, ce qui a pour conséquence l’abandon du secteur «
organisation administrative » qui ne fut pas longtemps en quête
d’attaches puisqu’il fut rattaché cette même année directement à la
direction du Budget et créé officiellement le 28 décembre 1959 80 .
L’intérêt de disposer d’organismes internes de perfectionnement des
méthodes de travail de l’administration est toujours en discussion. Il
a bien été envisagé que le SCOM prenne un statut d’association au
lieu qu’il soit créé au sein de la direction du Budget au ministère de
l’Économie et des Finances. C’est en quelque sorte les avantages et
les inconvénients de réformer les méthodes par un organisme
extérieur décliné en autant de fois que de périodes historiques.
L’État n’a pas une grande opinion des expériences passées de
l’intervention d’associations dédiées au perfectionnement des
méthodes : l’Association française pour l’accroissement de la
productivité n’a pas été un modèle de gestion (en particulier dans le
cadre de l’organisation des missions de productivité), l’ITAP
continue à susciter un certain intérêt, de plus en plus distant alors
que ses initiatives semblent rattrapées par le législateur. Tout au
plus ces associations peuvent-elles jouer le rôle d’auxiliaire de l’État,
des éclaireurs finalement en attendant d’autres initiatives de plus
grande envergure. Il paraissait difficile en effet qu’un organisme
comme le SCOM ne garde qu’un statut d’association préjudiciable à
son autorité et à sa stabilité vis-à-vis des ministères et des cellules de
perfectionnement des méthodes déjà en place. Le seul avantage
qu’on aurait pu reconnaître à ce statut était celui de ne pas faire
dépendre le SCOM d’un ministère particulier, celui de l’économie et
des Finances laissant planer le doute sur les motivations de
l’implantation de cellules O & M : privilégier la réforme les méthodes
ou les économies de budget ? De fait, les relations entre le SCOM et
l’ITAP sont tout au plus cordiales, l’organisme de Milhaud étant
estimé pour avoir défriché le terrain mais de moins en moins
reconnu désormais comme opérateur des nouvelles initiatives
lancées. L’action des organisateurs conseil est à l’inverse suscitée par
le SCOM pour des actions ponctuelles sur des missions spécialisées.
Ce remodelage du paysage des intervenants sur les questions
d’organisation administrative se fait également à l’aune d’un certain
décrochage de l’ITAP qui ne suit plus de près l’évolution des
méthodes et les perfectionnements qui en résultent. Au début des
années 1960, alors que le SCOM ne cesse de renouveler ses appels à
des cabinets de conseil privés, le peu d’études confiées à l’ITAP est
regardé avec interrogation voire déception 81 . L’organisme voit
désormais son action limitée à « répandre la notion d’organisation »
ce qui fut la tâche d’autres organismes 10 ans plus tôt en l’absence
d’un programme précis. Les actions concrètes se font ailleurs : au
SCOM pour les administrations, à l’IESTO pour la formation des
spécialistes en organisation au CNAM 82 .
Il reste néanmoins à Milhaud et à l’ITAP le thème des relations
publiques dans l’administration et les relations entre
l’administration et ses usagers.

Le développement des relations publiques : la « Semaine de


l’administré »

L’initiative de la « Semaine de l’administré » ne s’impose pas dès le


départ. Elle prend sa source, comme souvent dans les relations
personnelles de Milhaud, en la personne de Louis Joxe alors ministre
de la Réforme administrative, qui appuie l’idée de la « Semaine »
exprimée par l’ITAP et la soutient en lui octroyant une subvention 83
. Mais les débuts sont laborieux, preuve que l’expérience est
regardée avec scepticisme par les représentants de l’administration :
au moins deux réunions ont lieu en mai et juin, tandis qu’en octobre
1965 une réunion de bilan rassemble tous les responsables
d’administrations participant à la « Semaine » de Tours. Une
semaine avant que l’exposition ait lieu à la bibliothèque municipale
de Tours, aucune administration n’a encore envoyé les éléments de
son exposition, au grand dam du directeur de l’école des beaux-arts
de Tours qui décline toute responsabilité en cas d’échec 84 .
L’événement a reçu l’appui du préfet et du président du conseil
général d’Indre-et-Loire, y compris dans le cadre d’une subvention
de 5 000 F de l’époque octroyée à l’initiateur de la « Semaine » pour
accueillir les services des différentes administrations qui ont bien
voulu participer à l’expérience. Le bilan est positif puisque le
président du conseil général d’Indre-et-Loire souhaite élargir
l’expérience à d’autres départements et militer pour cette cause par
le biais du congrès des présidents de conseils généraux en avril 1966
85
. Mais le plus intéressant, comme le remarque Jean Stoetzel lors
d’une des réunions préparatoires à la Semaine de l’administré de
Tours, aurait été de faire organiser l’événement par les usagers eux-
mêmes. La remarque, faite en présence des fonctionnaires
importants représentant toutes les administrations impliquées, fait
l’effet d’une douche froide. Stoetzel n’insiste pas sur la tournure que
prendrait une telle exposition : les usagers sollicités ne feraient que
souligner les travers les plus connus de l’administration de l’époque
comme les queues interminables aux guichets, les procédures
administratives sans fin, les visiteurs renvoyés de service en service
86
. Les efforts faits par Milhaud pour rendre compte des avancées
de l’administration dans la relation qu’elle veut privilégier avec les
administrés, pour louables qu’ils soient, sont encore trop éloignés de
la réalité du terrain. Ils sont pourtant dans l’air du temps, les années
1960 étant riches de l’idée de participation dans les entreprises ou
les administrations 87 . C’est pour cette raison que l’expérience est
renouvelée à la préfecture de Mâcon (Saône-et-Loire) en 1966 à peu
près sur le même thème d’une exposition de diverses
administrations montrant les services qu’elles offrent aux
administrés et les efforts qu’elles mettent en œuvre pour y parvenir.
Mais l’investissement primordial dont avaient fait preuve Milhaud et
l’ITAP lors de la Semaine de Tours est cette fois très faible. Milhaud
et l’ITAP, d’une façon générale, semblent avoir passé le flambeau des
actions, mais aussi des idées, à d’autres entités.

Conclusion
Nonobstant la prise en compte par Milhaud des difficultés à
transposer les méthodes de réforme du privé vers le public, une
conviction s’affirme au fil du temps chez lui : bien des problèmes
rencontrés par les entreprises privées dans leur gestion sont
comparables à ceux rencontrés dans les administrations. Milhaud
l’affirme dans une note manuscrite des archives de l’ITAP :
« Quels sont les problèmes communs qui se posent dans les administrations ?
Exactement comme dans les entreprises ; il y a des problèmes de direction de
personnel ; il y a des problèmes d’approvisionnement ; il y a des problèmes
d’organisation et méthode ; il y en a toute une série, et autour de chacun de ces
problèmes nous avons créé des réunions autour d’une table, d’hommes situés
88
dans des services très divers mais ayant à se préoccuper de ces problèmes ».
Autrement dit, ce sont surtout les directions fonctionnelles des
administrations sur lesquelles il faut agir en s’inspirant des
perfectionnements issus du secteur privé. Ce faisant, Milhaud a
donné à la CEGOS des nouvelles directions de développement alors
qu’elle n’était principalement connue que pour son action sur la
mise au point d’une méthode uniforme du calcul du prix de revient
dans les entreprises privées depuis les années 1920 et 1930. Bien des
commentateurs ont estimé totalement illusoire de vouloir comparer
des systèmes comptables privés et publics très différents et qui
n’avaient d’ailleurs pas la même finalité. S’échiner à calculer le prix
de revient d’un service d’État paraissant illusoire pour certain, c’est
devenu au fil du temps un indicateur d’une comptabilité virtuelle
très utile pour identifier les postes d’économies potentielles et
opérer des réformes. Du reste, les contemporains de cette période
ont pratiquement été unanimes à considérer l’étude sur le prix de
revient, au même titre que d’autres sujets touchant à la
rationalisation des méthodes de travail, comme universelle et donc
commune aux secteurs privé et public, mais sans voir les obstacles
pratiques à surmonter.
Mais cette volonté de s’affranchir des frontières a subi des
fluctuations au cours du temps. D’abord parce qu’il existe une inertie
qui n’est pas le propre de l’État mais plutôt des mentalités. On est
frappé de voir que des questions évoquées dans les années 1930 se
retrouvent pratiquement posées dans les mêmes termes dans les
années 1950. Ainsi, tout se passe comme si à chaque période
historique, les réformateurs s’efforçaient de convaincre du bien-
fondé de leur vision jusqu’à ce que, proches d’y parvenir, une
période de bouleversement mette à mal tous leurs efforts. Les
fluctuations sont fonction ici de ces allers et retours où, à chaque
début de période historique, les mêmes questions sont reposées avec
parfois une modulation dans les termes. Les progrès accomplis
durant les années 1930 sont regardés avec suspicion durant la
période de Vichy. L’économie de guerre durant l’Occupation
allemande permet d’avancer sur des objectifs de régulation, de
réflexion sur le juste prix des marchandises et des actes de manière
quasi transversale. La « parenthèse » de Vichy ne peut pourtant pas
servir d’exemple à la Libération où le maître mot est de faire des
économies pour se séparer entre autres des effectifs importants de
fonctionnaires ayant grossi à la faveur de la mise en place d’une
économie de guerre. Voilà pourquoi s’affranchir des frontières
public/privé pour mieux partager les expériences et les
améliorations est une idée ancienne, remise périodiquement au goût
du jour. Il faut donc convaincre périodiquement de la validité de
cette idée et considérer tous les changements qui se sont opérés
autour d’elle, puisque les instruments à mettre en œuvre, eux,
varient : les expériences mécanographiques menées dans le privé, les
améliorations qui en découlent, les apports du secteur public dans le
développement des matériels de ce type pour les grandes enquêtes
statistiques. Une fois ces échanges mis en place à force de
persuasion, les instruments deviennent électromécaniques puis
numériques, nécessitant de nouveaux échanges sur l’innovation,
nimbée du culte du secret qui l’entoure souvent et qui est assez
propre à la France. Une solution comme les échanges d’expériences a
paru utile à bien des réformateurs en France depuis les années 1930,
mais avec plus ou moins de bonheur. Rares en effet sont les groupes
qui intègrent véritablement les spécialistes d’un service entre
secteurs privé et public à parité égale pour qu’ils échangent leurs
points de vue, leurs méthodes, leurs solutions. De tels groupes ont
été mis en place soit entre techniciens du privé, soit entre
techniciens du public, mais peu entre ceux du privé et du public. Une
des raisons qui peut l’expliquer est la véritable méfiance des gens du
public à l’égard du monde « peccamineux » de l’entreprise où chaque
innovation est susceptible d’être accaparée à des fins commerciales,
munie de l’estampille d’un propriétaire supposé de l’idée à vendre.
Lorsque la méthode dite du Training Within Industry (TWI) a fait
florès à partir de la Libération en France jusqu’au début des années
1950, une bataille très dure a eu lieu entre une multitude d’officines
de conseil revendiquant chacune la paternité de cette « innovation »,
au besoin en la remodelant, alors qu’elle était née dans
l’administration des armées américaines et qu’aucune règle du «
libérateur » n’imposait d’hypothétiques royalties sur l’idée. Le
monde de l’administration est donc plus enclin à partager ses savoirs
entre les membres d’un même secteur. Les avancées semblent plus «
échangeables » entre des administrations et des entreprises ou
établissements du secteur public, où d’abord les modes de gestion
sont proches, et où, chez les deuxièmes, les services opérationnels
sont plus en pointe des innovations et des perfectionnements. Ce
n’est pas par hasard si les expériences faites au PLM, à la SNCF, à
EDF, au monopole des tabacs, etc. ont servi d’exemple et de
laboratoire d’idées à la CEGOS et à d’autres intervenants : André de
Peretti au monopole des tabacs, Guy Palmade à EDF, le cabinet
Planus à la SNCF, Milhaud aux PTT. Ainsi, il apparaît comme plus
fructueux de considérer comme lieu d’échanges d’expériences pour
l’administration les entreprises et monopoles du secteur public
plutôt que d’entrer de plain-pied dans les expériences faites
directement dans les entreprises privées.

Une ou des administrations ?

Dès que des expériences nouvelles se font jour, l’unité de l’État


s’efface au profit d’un morcellement en autant d’administrations, de
services, de chefs de services, etc., même quand cette expérience est
décidée au plus haut sommet de l’État. Les rivalités personnelles se
doublent parfois de la défense des intérêts de l’organisme auquel on
appartient 89 . Il apparaît ainsi illusoire de traiter de l’action de l’État
dans son ensemble alors qu’elle devient si particulière en fonction
des secteurs où elle s’exerce et des personnes qui la servent, sans
parler du contexte historique. Néanmoins, sur le temps long, les
permanences existent bel et bien, ne serait-ce qu’à constater la
périodicité des mesures d’économies proposées et lancées au fil du
temps pour alléger le budget de l’État. L’exercice est redoutable, bien
plus pour ceux qui proposent des solutions, placés entre l’enclume
des économies nécessaires et le marteau des améliorations
intelligentes plus éloignées des critères seulement « comptables » de
la réforme de l’administration. Le risque est ici peu calculé d’éreinter
toute une frange de réformateurs enthousiastes dont les idées se
perdent dans les circuits de décisions longs et souvent
contradictoires, et dont la portée est limitée dans le temps au gré des
changements d’organigrammes, des mutations voire des
changements politiques. Ces atermoiements entraînent de ne se
référer qu’à des jalons simples pour éviter de se fondre dans des
questions qui deviendraient trop difficiles et sans doute trop longues
à résoudre : rendre le même service, voire le perfectionner pour un
coût moindre. Mais on ne pourrait résumer cette tendance à une
perte en ligne d’idées de réforme des méthodes de travail de
l’administration et de l’État dans son ensemble. Si elles viennent de
l’extérieur et qu’elles valent de l’argent, elles ont plus de chance de
se voir prêter une oreille attentive. Pourquoi ce fait ? Comme on l’a
dit, les idées sont légion, mais à ne garder que le maître mot de faire
des économies, idée simple mais relativement commode pour ne pas
se perdre, on tire un trait sur beaucoup d’initiatives internes,
d’expériences qui restent de ce fait lettre morte. Éviter d’entrer en
profondeur dans la complexité de l’administration donne ainsi toute
latitude à qui le veut de s’informer d’initiatives originales, de
procédés mis au point dans un bureau obscur, que tout un chacun
peut selon l’air du temps transformer en autant d’indicateurs
d’économies. L’administration, l’État, produit ainsi des réformateurs
éclairés qui n’ont pas toujours conscience de l’effet que pourrait
avoir la généralisation de leurs idées. Peu de gens ont ainsi
conscience qu’il suffit de faire auditer tel service par un cabinet
privé pour que les procédés mis au point en interne deviennent le
maître mot d’une réforme généralisée proposée par un organisme
externe. Tant que ce qui est proposé en externe est échangé contre
un tarif correct, la manœuvre a des chances de réussir. Le simple fait
de faire des économies est dans le fond l’idée la plus simple et celle
qui persistera grâce principalement à des conseillers venus de
l’extérieur.
NOTES
1. Intervention de G. Ardant à l’Institut des hautes études de défense nationale, 20
novembre 1951, p. 1. Dans une position diamétralement opposée, ce qui donne bien la
mesure de l’opposition entre deux blocs, le lieutenant-colonel Émile Rimailho qui fut à
l’origine d’une des sections d’études les plus importantes de la CEGOS, celle du calcul des
prix de revient, déclarait un jour : « J’en ai trop vu. Je ne crois plus qu’à l’initiative privée ».
Cité dans Jean Dayre, « Vers une métamorphose de l’administration », L’administration
moderne, n° 6, juillet 1947, p. 3.
2. Nonobstant une certaine tendance à forcer le trait de l’incapacité de l’État à se réformer,
ceci pour les besoins d’une certaine rhétorique et finalement la justification de leur utilité.
3. Comité national de l’organisation française.
4. Ceux-ci correspondent bien à ce que Fayol avait décrit, estimant que chacun disposait de
capacités d’organisation et que cette faculté n’était pas forcément réservée à une catégorie
précise.
5. Jean Milhaud, « Croisades administratives », s. d. [années 1950], I. Missions au Maroc,
Archives Milhaud-Sanua, inventaire AW n° 268.
6. Il s’agit d’A. de Lavergne, délégué général de la CGPF et de R. de Saint-Quentin, Jean
Milhaud, Chemins Faisant, Paris, Éditions Hommes et Techniques, p. 172 sqq. Milhaud effectue
une mission d’un mois dans le protectorat marocain à l’automne 1929.
7. Jean Milhaud, entretien avec Marjorie Rocheman, octobre 1979, archives Milhaud-Sanua,
inventaire AW n° 571.
8. La mission de Milhaud s’effectue du 7 novembre au 5 décembre 1929. Cf. « Notes sur les
titres et les travaux de M. Jean Milhaud », archives Milhaud-Sanua, inventaire AW n° 326.
9. Jean Milhaud, « Un essai de rationalisation administrative dans un protectorat français »,
in Le facteur organisation dans les administrations publiques, Paris, Delmas, 1937, p. 76.
10. Jean Milhaud, « Mission au Maroc », s. d., [années 1970], archives Milhaud-Sanua,
inventaire AW n° 224.
11. Un des obstacles à la rationalisation de l’administration du protectorat est la présence
d’une population indigène sans état civil et à peu près illettrée. Un des premiers buts est
donc de reconstituer un fichier d’état civil et d’en profiter pour lui donner une base
mécanographique dès le départ. Jean Milhaud, Rationalisation et mécanisation, rapport général
de M. Jean Milhaud sur sa mission au Maroc (novembre 1929), Rabat, Imprimerie officielle, 1930,
p. 3. AN F60 282.
12. Jean Milhaud, « Mission au Maroc », article probable dans La Jaune et la Rouge, rubrique «
administration et productivité », s. d., sans références, 10 p., archives Milhaud-Sanua,
inventaire AW n° 224.
13. Jean Milhaud, Chemins…, op. cit., p. 175.
14. Lucien Saint est résident général de France au Maroc de janvier 1929 à juillet 1933.
15. Jean Milhaud, Rationalisation et mécanisation…, op. cit., p. 13, en italique dans le texte.
16. Jean Milhaud, Sur les ailes du temps… Souvenirs, récits, croisades et confidences, Paris,
Nouvelles Éditions latines, p. 62.
17. Jean Milhaud, « PTT 1930-1931 », archives Milhaud-Sanua, inventaire AW n° 579.
18. Extrait du PV de la séance du Conseil national économique (février 1931), archives
Milhaud-Sanua, inventaire AW n° 276.
19. Extrait du procès-verbal de la séance du Conseil national économique (février 1931),
archives Milhaud-Sanua, inventaire AW n° 276.
20. Jean Milhaud, « PTT 1930-1931 », archives Milhaud-Sanua, inventaire AW n° 579.
21. Extrait du procès-verbal de la séance du Conseil national économique (février 1931),
archives Milhaud-Sanua, inventaire AW n° 276.
22. Jean Milhaud, « PTT 1930-1931 », archives Milhaud-Sanua, inventaire AW n° 579.
23. Extrait du procès-verbal de la séance du Conseil national économique (février 1931), p.
2, archives Milhaud-Sanua, inventaire AW n° 276.
24.Ibid. p. 3.
25. Dès 1916, Henri Fayol avait montré dans son ouvrage Administration industrielle et
générale la parenté qui existait entre les administrations publiques et les entreprises privées
à propos de l’organisation administrative. Jacqueline Morand-Deviller, « Les mécanismes de
la réforme administrative », Revue internationale de droit comparé, vol. 38, n° 2, avril-juin
1986, p. 679.
26. La loi du 16 août 1940 autorise les entreprises d’une même branche d’activité de
l’industrie et du commerce à se réunir pour former un Comité d’organisation d’inspiration
corporatiste. Sont dissous le Comité des Forges, le Comité des Houillères, le Comité des
assurances, la Confédération générale du patronat français. Renaud de Rochebrune, Jean-
Claude Hazera, Les patrons sous l’Occupation, Paris, Odile Jacob, 1995, p. 723. Richard Vinen,
The politics of french business 1936-1945, Cambridge, Cambridge University Press, 1991, p. 149.
Philippe Burrin, La France à l’heure allemande, Paris, Seuil, 1997, p. 234.
27. Jean Milhaud, « Maturité de la CEGOS », s. d. [1955-1956], p. 123, archives Milhaud-
Sanua, inventaire AW n° 297.
28. Cour des comptes, Rapport au président de la République, années 1946-1947, annexe
administrative-Cour des comptes, première partie « Observations communes à plusieurs
ministères, irrégularités concernant l’exécution du budget et de l’emploi des crédits »,
Journal officiel de la République française, 1948, p. 105.
29. Si la CGPF a disparu dans son appellation, «…elle a en fait survécu puisque chaque
branche industrielle a créé un Comité d’organisation dont les cadres étaient recrutés dans
les anciens syndicats. » Danièle Rousselier-Fraboulet, Les entreprises sous l’Occupation, Le
monde de la métallurgie à Saint-Denis, Paris, CNRS Éditions, 1998, p. 93.
30. « Compte rendu de l’assemblée générale des sociétés adhérentes aux sections d’études
de la CEGOS », 28 juillet 1941, p. 1. Archives Milhaud-Sanua, inventaire AW n° 606. Le CII est
créé par le décret du 30 avril 1941. Cf. R. de Rochebrune et J.-C. Hazera, Les patrons…, op. cit.,
p. 733.
31. Soulignons ici que la distinction entre les secteurs privé et public a subi des fluctuations
durant l’Occupation. En 1941 par exemple, le CII se voit chargé d’un projet de réforme pour
la simplification de la diffusion des textes officiels. On peut citer également Robert
Catherine par exemple, qui joua un rôle important dans le mouvement d’idées de la réforme
administrative après-guerre alors qu’il était sous l’Occupation attaché à la section de
répartition des cuirs et pelleteries puis à la section centrale de l’Office central de répartition
des produits industriels (OCRPI). Cf. Henri Rousso, « L’organisation industrielle de Vichy
(perspectives de recherches) », Revue d’histoire de la deuxième guerre mondiale, n° 116, octobre
1979, p. 37.
32. Office central de répartition des produits industriels. Cf. Béatrice Touchelay, « La
Société de statistique de Paris et les fondations de l’expertise du service central de la
statistique publique (1936-1975) », Journal électronique d’histoire des probabilités et de la
statistique, vol. 6, n° 2, décembre 2010.
33. Discours inaugural de M. Dufau-Pérès représentant le secrétaire d’État à la Production
industrielle, in CEGOS, Les techniques statistiques appliquées à la direction des entreprises et des
groupements professionnels, Cycle de perfectionnement organisé par la CEGOS du 9 au 11
décembre 1941, tome I, Paris, CEGOS/CII, 1942, p. 3.
34. M. Tisnès, « Les statistiques à la SNCF », in CEGOS, Les techniques statistiques appliquées à la
direction des entreprises et des groupements professionnels, Cycle de perfectionnement de la
CEGOS, 9-11 décembre 1941, t. III p. 39 sqq.
35. Pierre-E. Mounier-Kuhn, « Un exportateur dynamique mais vulnérable : les machines
Bull (1948-1964) », Histoire, économie et société, n° 4, 1995, p. 644.
36. M. Tisnès, « Les statistiques à la SNCF », in CEGOS, Les techniques statistiques appliquées à la
direction des entreprises et des groupements professionnels, Cycle de perfectionnement de la
CEGOS, 9-11 décembre 1941, t. III p. 60.
37. Il peut s’agir soit de coupures d’électricité, soit de variations dans le voltage du courant
qui au-delà de plus ou moins 5 volts entraîne des erreurs dans le traitement des données
par les machines à cartes perforées. Cf. M. Pouloux, « L’utilisation des machines à
statistiques à l’usine Kellermann de la Société des moteurs Gnôme et Rhône Paie-
Comptabilité industrielle-Statistiques », exposé présenté lors de la visite de la section I,
Mécanisation du travail de bureau de la CEGOS, le 20 juillet 1943, p. 5. Document CM 42.
38. M. Bressange, « L’organisation du travail administratif dans les compagnies d’assurance
et son adaptation aux difficultés présentes » in CEGOS, Premier cycle de perfectionnement des
méthodes d’organisation technique des entreprises, 18-21 janvier 1943, p. 15.
39. « C’est dans l’administration publique, première forme de l’entreprise existant bien
avant l’entreprise privée, que l’on voit naître chez les responsables le souci d’une
surveillance attentive des approvisionnements ». M. Garcin, « Les approvisionnements dans
l’entreprise », CEGOS, Cycle d’études des problèmes d’approvisionnement et de distribution, 21-24
juin 1943, fascicule n° 4, La fonction approvisionnement, p. 5.
40. M. Bressange, « L’organisation du travail administratif dans les compagnies d’assurance
et son adaptation aux difficultés présentes » in CEGOS, Premier cycle de perfectionnement des
méthodes d’organisation technique des entreprises, 18-21 janvier 1943, p. 15.
41. Geneviève Vermès, Françoise Sellier, Annick Ohayon, « Des psychologies sociales en
France entre 1913 et 1947 », Sociétés contemporaines, n° 13, mars 1993, p. 204.
42.Ibid., note 22, p. 204.
43. « C’est le pouvoir de Vichy qui créera les conditions favorables à l’objectivisation de ce
groupe nouveau », Luc Boltanski, Les cadres. La formation d’un groupe social, Paris, les Éditions
de Minuit, p. 160.
44. Cf. Trocmé, « Les bases psychologiques des méthodes de sélection » in CEGOS, 2e cycle de
perfectionnement des techniques de direction du personnel, 16-20 février 1942, fascicule n° 3 : «
La sélection professionnelle », p. 10.
45. Durant l’Occupation, Milhaud, obligé de réduire ses activités du fait de ses origines
juives, a passé la main à Pouderoux à la CEGOS. Au moment de la Libération, Pouderoux et
surtout Milhaud ont repris des activités normales à la CEGOS.
46. Gouvernement provisoire de la République française, ministère d’État, « Rapport », non
signé, 6 juin 1945, p. 8. SAEF B10 496.
47. Organisation des fonctionnaires résistants (ex-NAP et Super-NAP), « Enquête sur
l’administration française », 4 p. recto-verso, s. d. [mai-juin 1945], s.l. [Paris], BDIC, O pièce
XXIII.119.
48. Jean Milhaud, Journal personnel, archives Milhaud-Sanua, inventaire AW n° 251.
49. Cette remarque est issue de deux feuillets manuscrits issus des archives Milhaud-Sanua.
50. Cf. « Examen psychotechnique », paragraphe D du rapport de l’OFR, p. 7.
51. Rapport sur l’Institut des hautes études administratives, s. d., non signé, SAEF B10 496.
52. Nouvelles instructions du 24 février 1943, AN, BCRA, cité dans Diane de Bellescize, Les
neufs sages de la Résistance. Le Comité général d’études dans la clandestinité, Paris, Plon, 1979.
53. Rapport de l’OFR, paragraphe 5, « Méthodes pédagogiques et organisation générale des
études », p. 17.
54. Voir à ce sujet, « Esquisse de la politique financière de la France », délégation du
Commissariat aux Finances, p. 5, non signé, SAEF 5A 182. Cf. également sur ce sujet P.
Simonet et Liet-Vaulx, « La loi du 26 avril 1946 portant dissolution d’organismes
professionnels et organisation de la répartition des produits industriels », Droit social, n° 7,
juillet-août 1946, p. 265. On rappelle que le décret du 9 août 1946 met en place le Comité
central d’enquête sur le coût et le rendement des services publics dans la perspective de
faire des économies budgétaires au point qu’une commission dite de la Guillotine se
superpose au Comité central d’enquête déjà bien armé sur ce point. Marie-Josée Guédon, «
La fonction d’organisation dans l’administration française », Notes et Études documentaires, n°
3653-3654, janvier 1970.
55. « Le président du gouvernement provisoire de la République française à Messieurs les
Ministres », 31 janvier 1945, signé « de Gaulle », p. 5. Archives de l’ITAP, AN 33AS12, dossier
4.
56.Ibid.
57. AN 33 AS 12, dossier 4, « Note relative à la création d’un Centre technique d’étude des
méthodes de travail dans les administrations publiques », 12 février 1946, annotation : «
Projet préparé par M. Grégoire et approuvé par MM. Thorez et Joxe. »
58. « Compte rendu de l’assemblée générale des sociétés adhérentes aux sections d’études
de la CEGOS », 28 juillet 1941, p. 3. Archives Milhaud-Sanua, inventaire AW n° 606.
59. Service central d’organisation et méthodes (SCOM), « Recensement des bureaux O & M
dans les administrations publiques », préfecture de Police, 29 janvier 1964, p. 2, SAEF B45
510.
60. Au ministère de l’Intérieur et au ministère du Travail en 1945, à l’état-major de l’Armée
de Terre en 1946.
61. L’Institut technique des administrations publiques (ITAP) a été créé par Jean Milhaud en
1947.
62. AN 33AS12, dossier 4, Note sur la création auprès de la CEGOS, d’un bureau d’étude des
techniques administratives, s. d. [1945-1946], p. 5.
63. Jean Milhaud, « L’organisation scientifique du travail dans les administrations publiques
», in Conseil européen du Comité international de l’organisation scientifique du travail
(CECIOS), p. 14.
64. Le SCOM a été créé le 28 décembre 1959 à partir de la cellule organisation
administrative du Commissariat général à la Productivité. Plaquette de présentation du
SCOM, « Connaissez-vous le SCOM ? », Service central d’organisation et méthodes, Paris,
Imprimerie nationale, 1975, p. 1. Une réunion avec le député Yves Fagon en 1948 témoigne
du caractère audacieux des membres de l’ITAP sur cette question de l’O & M bien en avance
sur le SCOM qui ne voit le jour qu’en 1959 au sein de la direction du Budget.
65. Procès-verbal de l’entretien entre M. Fagon et une délégation de l’ITAP, 19 juillet 1948,
AN, 33AS 12, dossier 5.
66. La création de l’ITAP est officialisée par la parution au Journal officiel le 18 septembre
1947.
67. Jean Milhaud, Chemins…, op. cit., p. 193. Jean Dayre, « Organisation des administrations
publiques », août 1948, p. 2, Commissariat général au Plan, Groupe de travail sur la
productivité, AN, 81 AJ 213.
68. Jean Milhaud, « Organisation et méthode “O & M” », L’administration moderne, n° 5,
numéro spécial, mai 1947, p. 9.
69. AN, 33AS 1, dossier statuts de l’ITAP, p. 1, s. d. [1947 ?]
70. Jean Dayre, « Notes pour une politique de rationalisation », 16 novembre 1945, p. 6, AN
33 AS 12, dossier 4.
71. Lucien Junillon, (dir.), « Projet de réforme administrative », Études et documents, Centre
de coordination et de synthèse des études sur la reconstruction, n° 19-20, septembre-
octobre 1946, p. 66. Lucien Junillon est administrateur des Postes et ancien chargé d’études
à la mission de la réforme de la fonction publique en 1945.
72. « Administration publique et industrie privée. Méthodes comparées et relations »,
Compte rendu des journées d’études 1948 (30 juin-3 juillet 1948), ITAP doc. IT12, Paris, ITAP,
1948, p. 9.
73. André Fautsch, « La question du prix de revient dans les PTT », Cours d’organisation
scientifique du travail à l’usage des fonctionnaires des services extérieurs du Trésor et de la
direction générale des Impôts, ITAP, AN 33AS 14, dossier 8. Par arrêté du 11 juillet 1931, le
ministre des PTT décidait de créer auprès de son administration un service central d’achat
et des prix de revient. Cf. « Création auprès du ministre des Finances, de groupes
d’échanges d’expériences administratives », s. d., non signé, archives Milhaud-Sanua,
inventaire AW n° 276.
74. C’est l’opinion exprimée par le chef adjoint du service du budget à la SNCF lors de la
séance du groupe A de l’ITAP du 8 décembre 1949. AN 33AS 9.
75. Cf. « Note sur l’action du Commissariat général à la Productivité en matière
d’organisation dans le secteur public », 25 janvier 1956, p. 1. SAEF B46 469.
76. Roger Nesme, par exemple, administrateur civil au ministère de l’Agriculture. André
Cantegreil, administrateur civil au ministère du Travail.
77. Compte rendu du conseil d’administration de l’ITAP, PV de la réunion du 27 septembre
1955, p. 3-4. AN 33AS 2, dossier 2.
78. Enquête de l’Institut technique des administrations publiques sur les bureaux
d’organisation et méthodes du secteur public et accessoirement du secteur nationalisé, par
M. Paul Klein. Conférence du 24 mai 1955, doc. ITAP IT 124, Paris, ITAP, 1955, p. 15.
79. « Note sur l’action du Commissariat général à la Productivité en matière d’organisation
dans le secteur public », 29 janvier 1956, non signé, [note émanant des services de G.
Ardant], p. 2, SAEF B46 469.
80. Daniel Fabre, Les problèmes de la fonction « Organisation et Méthodes » dans l’administration
en France, mémoire de DES de l’Institut d’études politiques de Paris sous la direction de B.
Gournay, 1962, p. 93.
81. Cf. compte rendu manuscrit du cycle ITAP consacré aux techniques administratives, «
Cycle ITAP Morvan. 7/60 », non signé, SAEF B46 552.
82. Institut d’études supérieures des techniques d’organisation (IESTO). Lettre du SCOM au
haut-commissaire à la Jeunesse et aux Sports, 26 avril 1961, p. 2, SAEF B46 519. Note de R.
Gaudriault à M. Questiaux, 21 avril 1960, p. 4, SAEF B46 502. « Toute formation plus générale
devrait être réservée soit au SCOM, soit à l’IESTO », note pour M. Questiaux, 11 janvier 1961,
p. 2, SAEF B46 519.
83. Jean Milhaud, Mon ami l’État, Paris, Imprimerie nationale, 1973, p. 63.
84.Ibid., p. 45.
85.Ibid., p. 41 et 43. Il déclare à Milhaud : « Cher Monsieur, si j’avais su ce que cela allait être,
je vous aurais fait voter une subvention quatre fois plus forte », ibid., p. 44.
86. « L’observation de Jean Stoetzel […] avait été diversement appréciée […] », Jean Milhaud,
ibid., p. 50.
87. M. Einchenberger, « Démocratie et participation dans l’entreprise », Humanisme et
entreprise, n° 31, 1965, p. 21 sqq. Michel Crozier, « Crise et renouveau dans l’administration
française », Sociologie du Travail, n° 3, juillet-septembre 1966, p. 225 sqq. Jacques Chevallier, «
La participation dans l’administration française : discours et pratique », Bulletin de l’Institut
international d’administration publique, n° 37, janvier-mars 1976, p. 101 sqq.
88. J. Milhaud, note dactyl., s. d. [1947], AN 33AS 6, dossier 3, p. 35-36.
89. « […] certains conflits surgissent entre diverses autorités également impliquées par
l’idée de l’exercice du pouvoir. Les relations entre grands commis, qui incarnent tous le
même État, sont parfois délicates. Aux considérations de prestige personnel peut s’ajouter
une sorte d’instinct de défense des organismes ou des milieux qu’ils symbolisent et dont ils
sont, auprès des pouvoirs qui les contrôlent, des ambassadeurs plus ou moins engagés »,
Jean Milhaud, Mon ami…, op. cit., p. 64.

AUTEUR
ANTOINE WEEXSTEEN

Antoine Weexsteen est ingénieur Europe CNRS-INSU ; Point de Contact National


(Environnement) 7e Programme Cadre Recherche et Développement (PCRD). Il a rédigé sa
thèse, intitulée Le conseil aux entreprises et à l’État en France : le rôle de Jean Milhaud (1898-1991)
dans la CEGOS et l’ITAP entre 1994 et 1999 sous la direction de Patrick Fridenson. Il a publié,
notamment, « Auguste Detoeuf et l’avenir des PME », Entreprises et histoire, n° 28, décembre
2001 ; « Les mutations de la CEGOS », Entreprises et histoire, n° 5, octobre 2000 ; « La CEGOS
dans l’organisation industrielle de Vichy 1940-1944 », in L’Occupation, l’État français et les
entreprises, Paris, IDHA, 2000 ; « La Fédération de la Seine de la Ligue des droits de l’homme
dans les années trente », Le Mouvement social, n° 183, avril-juin 1998 ; « La réforme de
l’Administration à travers les archives de l’Institut technique des administrations publiques
», in La direction du Budget face aux grandes mutations des années cinquante, acteur… ou témoin ?,
Paris, Comité d’histoire économique et financière, 1998 et l’article « CEGOS » in J.-C. Daumas
(dir.), Dictionnaire critique du patronat français au XXe siècle (1880-2000), Paris, Gallimard, 2010.
Des entreprises publiques au service
de la politique économique : la tutelle
des Finances (1945-1970)
Laure Quennouëlle-Corre

Introduction
La place des entreprises publiques dans l’économie française s’étant
considérablement agrandie après la Libération, le contrôle de leur
gestion, de leurs investissements et de leur financement revêt alors
une importance particulière, au moins durant la période qui couvre
les « Trente Glorieuses ». Du fait des nationalisations de 1944-1948 –
au moins un tiers de la capitalisation boursière –, le poids
économique et financier du secteur public devient stratégique. Ces
nationalisations sont l’un des éléments du consensus de la Libération
selon lequel l’État doit prendre en charge la reconstruction et la
modernisation du pays : les fonds publics forment entre 60 % (en
1949) et 24 % (en 1957) des sources de financement de
l’investissement 1 . Or, les besoins d’investissement des entreprises
publiques sont énormes car c’est vers elles, porteuses des secteurs de
base, que les priorités du Plan sont orientées – du moins celles du 1er
Plan de modernisation et d’équipement (1946-1953). C’est dans ce
secteur que se concentrent les grands enjeux de la politique
industrielle et énergétique, générant des innovations technologiques
importantes ; il représente aussi la vitrine sociale du nouvel État
keynésien et modernisateur.
Dans ce contexte, il n’est pas inintéressant de se pencher sur la
manière dont la tutelle administrative 2 a envisagé de gérer ce
secteur en se concentrant sur trois points. Tout d’abord, qui sont les
acteurs de ces relations entre tutelle financière et entreprise ? Nous
verrons en effet que de part et d’autre, les acteurs sont pluriels et
que cela implique une analyse fine des relations, des doctrines en jeu
et des pratiques. Dans un second temps, nous verrons quelles sont
les missions dévolues aux entreprises publiques au lendemain de la
guerre, quels objectifs sont assignés à leur gestion. Enfin dans une
troisième partie, nous verrons que les doctrines évoluent, on assiste
à partir de 1958 à une remise en question de l’État-actionnaire –
sinon dans la pratique, du moins dans le discours.

I. L’impératif de financement
A. Des acteurs divers, une tutelle empirique

On sait qu’il existe de multiples organes de contrôle administratif et


financier selon le statut juridique des entreprises publiques et selon
le type de contrôle opéré : pour le contrôle en cours d’exercice, le
contrôle d’État, le contrôle des dépenses engagées, qui sont sous la
responsabilité du Budget ; la fonction de contrôle peut s’exercer
également à travers les représentants de l’État aux conseils
d’administration ou de commissaires du Gouvernement 3 . Au
contrôle a posteriori de l’Inspection des finances et de la Cour des
comptes s’est ajouté en 1948 celui de la commission de vérifications
des comptes des entreprises publiques (CVCEP). Le ministère de
l’Économie nationale intervient également par le biais de la direction
de l’Organisation économique et du Contrôle des entreprises
publiques, qui sera supprimée en 1959. Enfin, un contrôle officieux
s’exerce à travers les discussions entre Budget et entreprises, au
moment de l’établissement des budgets annuels.
En raison des sommes engagées qui pèsent sur le budget de l’État, la
tutelle financière prendra rapidement le dessus sur la tutelle
technique, hormis pour des investissements stratégiques ou très
coûteux. Comme le soulignera le rapport Nora : « La vraie hiérarchie
des pouvoirs de décision et de contrôle s’ordonne à partir des
mécanismes de financement 4 ». Au sein du ministère des Finances,
trois directions cogèrent ou se partagent la gestion des entreprises
publiques : le Budget, le Trésor et les Prix. Parmi eux, nous nous
concentrons sur les deux premières directions qui interviennent sur
les sources de financement des entreprises, par là sur leurs
investissements et parfois sur l’ensemble de leur stratégie
industrielle. C’est en effet sur la question du financement – et
souvent du déficit – que vont se concentrer les problèmes les plus
épineux du secteur public. Aussi, à partir de 1948, la structure dédiée
au financement public des investissements, mise en place par le
directeur du Trésor, devient le lieu de concertation et de négociation
pour la gestion des plus grandes entreprises publiques, et souvent le
centre de la décision financière. La commission des investissements,
qui gère le fonds de modernisation et d’équipement (FME) puis le
fonds de développement économique et social (FDES), se situe à
l’articulation du Plan, de l’aide Marshall et des Finances, se situe de
fait dans la sphère d’influence du Trésor, qui y exerce, avec la
coopération du Budget, une forte domination au moins jusque dans
les années 1960. Toutefois, son rôle est très inégal selon le poids
économique et social de l’entreprise assujettie. Il est clair que dans la
gestion d’une grande entreprise comme EDF, les hauts
fonctionnaires du ministère n’ont pas le même ascendant que sur les
Mines de potasses d’Alsace (MDPA) ou sur Havas.
Au fil des ans, entre Trésor et Budget, une répartition de facto de la
tutelle s’est établie, qui répond généralement à une logique de
financement. Les EPIC et EPA, ainsi que le secteur monopolistique,
qui sont gourmands en subventions budgétaires, sont plutôt sous la
coupe du Budget (bureau C3 « entreprises publiques et
établissements publics »), tandis que les sociétés mixtes et celles
évoluant dans le secteur concurrentiel, généralement financées par
prêts, sont contrôlées par le Trésor (le bureau A4 « financement des
investissements », la deuxième sous-direction et le secrétariat de la
commission des investissements puis du FDES). D’un côté, les grands
services publics : EDF, GDF, SNCF, RATP, les Charbonnages de France,
les offices ; de l’autre, les compagnies pétrolières, les mines, Renault,
Nord et Sud Aviation, Havas… Pour le financement d’investissements
lourds ou pour des financements exceptionnels, qui mobilisent à la
fois des fonds budgétaires et des prêts, les deux départements ont
une responsabilité partagée, même s’ils s’opposent parfois sur les
ressources à mobiliser ou se disputent la délimitation de leurs
compétences respectives 5 . On notera aussi que le secteur des
banques et assurances bénéficie d’un traitement à part au sein de la
direction du Trésor, à travers la mission de contrôle des activités
financières créée en 1948 6 ou le bureau « banques » chargé de la
tutelle des banques mutualistes et coopératives ; les banques de
dépôts sont sous la responsabilité directe du directeur du Trésor qui
reçoit les présidents des « quatre vieilles » une fois par an. Là comme
ailleurs, l’activité de contrôle est très segmentée, gérée
empiriquement de manière plus ou moins efficace.
Car les entreprises sous tutelle se caractérisent par leur
hétérogénéité. Elles évoluent dans des secteurs différents, plus ou
moins stratégiques et plus ou moins sensibles politiquement. Elles
sont de taille inégale et, surtout, la différence de statut juridique
joue un rôle important car elle peut commander une différenciation
de traitement. La plupart sont des établissements publics à caractère
industriel et commercial (EPIC), certains sont des établissements
publics autonomes (EPA), qui eux sont soumis à la grille des salaires
de la fonction publique. Les régies requièrent particulièrement
l’attention de la tutelle du fait d’un statut juridique qui leur confère
une plus grande autonomie et une plus grande fragilité financière.
Enfin, l’État-actionnaire exerce son pouvoir au sein de 57 sociétés
d’économie mixte, dans lesquelles il dispose à la fin des années 1950
d’un capital évalué entre 350 et 500 milliards de francs 7 . Dans ce
domaine réservé au Trésor, la diversité des secteurs oblige à nuancer
une analyse trop générale de la tutelle ; par exemple, dans le
domaine de l’information, Havas ou Sofirad sont soumises à des
pressions politiques qui limitent la marge de manœuvre des
administrations centrales dans l’exercice de leurs prérogatives.
On voit donc qu’à des entreprises de nature, de poids et de statut
différent, correspondent des fonctionnements de la tutelle
empiriques, pour lesquels il n’est pas facile de dégager des lois. On
peut cependant avancer qu’à cette époque, le poids de la tutelle sur
une entreprise publique sera proportionnel à ses besoins financiers.
Les entreprises de service public soumises aux objectifs du Plan sont
les plus contrôlées sur le montant et les modalités de financement de
leurs investissements ; tandis que les sociétés d’économie mixte
bénéficient de facto d’une plus large autonomie de gestion.
Pour cette étude, nous analyserons donc séparément d’une part la
gestion des grandes entreprises publiques du secteur monopolistique
et de l’autre celle de sociétés du secteur concurrentiel ; elles
constituent les deux principales facettes de la tutelle financière, celle
de l’État tuteur et concédant du service public et celle de l’État-
actionnaire.

B. Le rôle imparti aux entreprises publiques

Dans la superposition des administrations chargées du contrôle, il


s’agit d’évaluer la place prise par le Trésor et le Budget mais aussi
d’analyser quelles sont leurs positions face au financement des
entreprises publiques. Quelle est leur conception de la gestion
financière ? Reflète-t-elle une vision comptable ou plus économique
? Y a-t-il une évolution de leurs doctrines respectives sur une
trentaine d’années ?
Dès le lendemain de la guerre, au nom de l’impératif de
reconstruction, les entreprises publiques sont considérées comme
un instrument de la politique économique. Elles constituent le
premier secteur de financement du Plan jusqu’en 1949 – les cinq plus
grandes EDF, GDF, CBF, SNCF, RATP recouvrant les secteurs
prioritaires du Plan ; elles réalisent environ les trois quarts de la
formation brute du capital fixe (l’investissement) dans les années
1960 8 . Pour ces grandes entreprises de service public, la logique de
l’intérêt général prime sur celle de l’entreprise et sur celle de
l’actionnaire. Opérant dans les secteurs de base du Plan, elles sont les
vecteurs de la reconstruction et la modernisation du pays à l’issue de
la guerre – et sa vitrine. Elles jouent éventuellement un rôle de
stabilisation sur le niveau général des prix : la limitation de leurs
tarifs avait notamment pour but de contenir l’inflation. Elles seront
par la suite les vecteurs de la politique régionale et de l’action
conjoncturelle de l’État. Des objectifs macroéconomiques ont donc
été délibérément attribués par le ministère des Finances au secteur
public, instrument de la politique économique générale. Pour les
atteindre, le choix du financement est le mode d’action privilégié.
En raison d’une volonté politique délibérée de ne pas considérer les
tarifs publics comme variable d’ajustement, l’intervention du
ministère se concentre sur ses fonctions d’État-banquier, fournisseur
de capitaux. Le volume des investissements à la charge de l’État est
d’abord déterminé au Comité spécial des investissements créé en
juillet 1949 et présidé par le gouverneur de la Banque de France,
auquel participent Trésor et Budget. La question centrale se pose
ensuite de savoir comment telle ou telle entreprise publique va
trouver ses financements : autofinancement, subvention budgétaire,
prêts du FDES, appel au marché des capitaux ? L’autofinancement
des entreprises de service public est évidemment bien limité au
regard de leur absence de bénéfices et de la faiblesse de leurs
ressources propres.
Parmi les ressources externes, les prêts du FDES et les emprunts sur
le marché financier ou à la Caisse des dépôts et consignations sont de
la responsabilité du Trésor, les subventions sont de celle du Budget.
Rappelons qu’entre 1948 et 1953, les entreprises publiques ont reçu
plus de 50 % des prêts octroyés par la commission des
investissements (près de 9 milliards de francs courants), hors
subventions et appels au marché. C’est dans cette enceinte que les
différends entre Trésor et Budget se manifestent, qui, s’ils ne
peuvent s’y régler, remontent jusqu’à l’arbitrage du ministre. Au-
delà du consensus sur la nécessité de financer leurs investissements,
deux logiques financières s’affrontent, le Budget tendant bien
évidemment à réduire le montant des subventions soit en limitant
les montants demandés, soit en préconisant un financement par
prêts du Trésor ou du FDES. À l’inverse, le Trésor entend limiter les
emprunts qui pèsent sur la Trésorerie.
Pour éviter de grever les finances publiques, l’appel au marché des
capitaux – marché financier, Caisse des dépôts – devient ainsi une
source appréciée par tous les acteurs, surtout à partir de 1953. Les
entreprises publiques sont d’ailleurs les premières bénéficiaires du
marché obligataire, dont le Trésor a la maîtrise du calendrier des
émissions depuis la guerre : c’est lui qui décide de la date et du
montant des émissions publiques et privées. La hiérarchie s’établit
ainsi : emprunts d’État (mais ils sont rares), emprunts des
entreprises publiques, des collectivités locales, obligations des
entreprises privées. Les notes de conversations du Crédit lyonnais
mettent au jour la pression des responsables de la politique
monétaire et financière sur les grandes banques pour placer en
priorité les emprunts EDF, GDF, CBF, SNCF sur le marché financier 9 .
Hormis l’effet d’éviction qu’il entraîne pour les entreprises privées,
l’appel au marché financier finit par engendrer un coût très élevé
pour les entreprises publiques, la charge de remboursement
aggravant à terme la détérioration de leurs comptes. Il en est de
même pour les crédits à moyen terme obtenus auprès de la Caisse
des dépôts et consignations, du Crédit national ou de la Caisse des
marchés de l’État : la cascade d’intermédiaires financiers nécessaires
à leur obtention rend le coût du crédit très onéreux 10 .
La prise de conscience des effets néfastes de l’excès d’endettement
permet une évolution lente et partielle des principes de financement
des grandes entreprises nationales.
Les premières tentatives de débudgétisation qui se manifestent à
partir de 1953 accélèrent le processus d’appel au marché financier et
de débudgétisation des investissements : l’accroissement des
ressources propres des entreprises nationales fait alors son chemin.
L’idée d’un apport en capital d’EDF et de la SNCF avait été lancée dès
1948 par François Bloch-Lainé, relayé en 1949 par Pierre Besse, sous-
gouverneur de la banque de France et secrétaire du Conseil national
du crédit, qui se demande s’il n’y aurait pas lieu d’envisager « un
financement partiel des investissements [des entreprises publiques]
par des apports en capital 11 ». À la suite de l’arrivée d’Edgar Faure
au ministère des Finances en 1953, le projet de dotations en capital
se développe, notamment à la direction du Trésor. La loi les
autorisant est votée en 1954 mais les dotations n’interviennent qu’à
partir de 1957 pour EDF, GDF et Charbonnages de France : il s’agit en
fait de la transformation de prêts du FDES en capital moyennant une
faible rémunération. En 1957, EDF reçoit ainsi une dotation de 315
millions de francs, Charbonnages de France 265 millions. Le Budget
freine cependant le développement des dotations en capital, qui
conduisent l’État à prendre en charge les programmes de
développement imposés par le Plan 12 .
Jusque dans les années 1960, la priorité donnée au développement du
secteur public sur le secteur privé conduit à une gestion financière
de la tutelle pour le moins coûteuse en termes d’équilibre financier
général de l’économie. La première étape de la fin des années 1950
qui tente d’améliorer l’autofinancement des entreprises publiques
est une évolution bien timide. En parallèle, la politique de bas tarifs
maintient des modes de financement externes coûteux pour la
collectivité, l’entreprise et les finances publiques.
Derrière l’apparent désengagement de l’État dans les années 1950, se
profile une stratégie du « faire faire » qui ne diminue pas pour
autant le poids réel du ministère des Finances dans les mécanismes
de financement. D’autant plus que le souci de renforcer le contrôle
est de plus en plus important.

II. Renforcer le contrôle, un souci récurrent


Alors que les modes de financement des investissements utilisés
avant l’aide Marshall s’apparentaient à des expédients bien éloignés
de l’orthodoxie financière, entre 1948 et 1952 se mettent en place
des outils de contrôle des investissements : on rappellera ici que la
CVCEP a été créée en 1948 à l’initiative de Bloch-Lainé et que le
Trésor et le Budget sont globalement d’accord pour limiter les modes
de financement hétérodoxes (comme les comptes spéciaux du
Trésor) et soumettre au contrôle de l’administration des procédés
qui ne l’étaient pas jusqu’à présent. Le Budget se montre plus strict
que le Trésor, qui entend garder en main des outils de réglage
conjoncturels ; ainsi sous l’influence du premier, les lettres
d’agrément et les garanties de l’État à des prêts du Trésor sont
soumises à leur visa et leur utilisation est restreinte, mais le Trésor
s’attache à ce qu’elles ne soient pas supprimées 13 .
L’inflexion libérale de la politique économique à partir de 1952, qui
marque un désengagement – du moins apparent – de l’État, se
traduit également par un renforcement du contrôle sur le secteur
public. Les décrets des 11 mai, 9 août et 30 septembre 1953 sur le
statut des entreprises nationales marquent la volonté politique de
réorganiser leur contrôle, notamment sur le plan financier. Sont
ainsi constituées des missions de contrôle auprès d’EDF et de GDF,
des Charbonnages de France, d’Air France, de la Compagnie générale
transatlantique et des Messageries maritimes. Toutefois, l’institution
d’un droit de veto pour les représentants de l’État apparaît comme
une étatisation rampante des entreprises nationales, qui va à
l’encontre du courant antiétatique qui a prévalu lors des
nationalisations de la Libération. La loi du 3 avril 1955 abroge en
grande partie les décrets de 1953, tandis que le décret du 26 mai 1955
renforce le contrôle d’État et les missions de contrôle… Cette période
est donc empreinte d’ambiguïtés, entre une volonté administrative
de renforcement du contrôle et la valse-hésitation politique sur
l’autonomie des entreprises publiques.

Des contrôles à géométrie variable

En tant que premier financier de l’entreprise et actionnaire, le


ministère des Finances entend également intervenir en amont des
choix d’investissement. L’exemple le plus significatif est donné par la
recherche de rationalisation des investissements opérée par Jean
Saint-Geours, alors sous-directeur au Trésor, avec Pierre Massé au
Plan et Christian Beullac au ministère de l’Industrie. L’idée est de
hiérarchiser les investissements en fonction de leur rentabilité et de
leur efficacité ; d’où l’élaboration d’une centrale thermique de
référence, permettant d’« ordonner par rapport à [elle] l’équipement
hydraulique des barrages, et puis éventuellement les
investissements pétroliers, l’énergie nucléaire 14 … » Ainsi le projet
de barrage de la Rance est-il rejeté dans ses premières versions en
raison de son coût trop élevé et de sa rentabilité insuffisante : Budget
et Trésor se sont entendus sur ce point 15 . Le Budget cherche pour
sa part à réduire les coûts à long terme en proposant de remplacer
les usines hydrauliques par des centrales thermiques. Les deux
départements se complètent dans des études de rationalisation des
investissements.
Dans d’autres cas, le poids des personnalités à la tête des entreprises
peut établir un rapport de force bien différent ; d’où l’enjeu des
nominations des dirigeants des entreprises publiques sur lequel les
départements du ministère des Finances n’ont parfois que peu de
prise. Le P-DG de la régie Renault, Pierre Lefaucheux, haute figure de
la Résistance, voit ainsi d’un mauvais œil le contrôle financier exercé
par le Trésor 16 . D’ailleurs, la régie bénéficie d’un traitement de
faveur : pas de contrôle a priori, pas de contrôleur d’État – en dépit
des tentatives successives de Pierre Mendès France en 1944 et de
Maurice Petsche en 1949 17 . Le contrôle d’État est remplacé par un «
conseil de famille » réunissant Pierre Lefaucheux, les directeurs du
Trésor et des Prix ainsi qu’un représentant du ministère de
l’Industrie autour d’un déjeuner 18 .
Si l’État-actionnaire se montre peu exigeant et peu généreux envers
les entreprises du secteur concurrentiel et sociétés d’économie
mixte, là encore la tutelle est à géométrie variable selon le secteur
ou selon le degré de sensibilité politique de l’entreprise. L’agence
d’information et de publicité Havas offre un exemple
particulièrement intéressant de la gestion empirique qui prévaut
alors, ainsi que sur les multiples facettes sur lesquelles peut
s’exercer la tutelle. Rappelons que la part du capital de l’État s’est
accrue en 1948, passant de 67,5 à 80 %. Il est représenté au conseil
d’administration par six hauts fonctionnaires, dont trois issus du
ministère des Finances ; aucun d’entre eux n’appartient à la
direction du Trésor, pourtant seule en charge de la tutelle financière
: c’est dire si les voies de la tutelle sont complexes ! Le Trésor, qui
n’était guère favorable à la nationalisation d’Havas, cherchera en
vain à obtenir une réduction de la participation de l’État en 1953 19 .
Aussi est-il peu disposé à aider l’agence qui se trouve dans une
situation financière difficile dès la fin des années 1940, tant que la
crise de commandement qui agite la direction d’Havas ne sera pas
résolue 20 . L’action conjointe des administrateurs et du Trésor a
gain de cause et obtient le départ du directeur général Schloesing 21 .
Le Trésor peut également intervenir sur les pratiques
professionnelles de l’entreprise sous sa tutelle. Or, du fait de sa
position privilégiée sur le marché publicitaire – elle est à la fois
agence d’information et de publicité, courtier et régisseur de
publicité, entreprise publique bénéficiant des marchés publics –,
Havas est tentée d’exercer des pratiques commerciales douteuses. Le
sous-directeur en charge des interventions économiques, Maurice
Sergent, dénonce la concurrence déloyale et la politique de «
dumping » pratiquée par Havas, et affiche le souci de « sauvegarder
les intérêts de la profession 22 ». Il se montre à la fois soucieux de
l’intérêt de l’entreprise, de la profession mais aussi de l’État qui
pourrait être éclaboussé par ces pratiques douteuses.
Les autres incidents qui émaillent la vie de l’agence tout au long des
années 1950 mettent au jour le rôle du contrôleur d’État Athayne,
qui entreprend en 1955 d’étendre le contrôle d’État aux filiales
d’Havas. Il fait partie de ces hauts fonctionnaires actifs et
interventionnistes qui ne se contentent pas d’être une courroie de
transmission, mais analysent la situation générale de l’entreprise –
et pas seulement comptable – et proposent des solutions. Il
intervient par exemple dans les nominations au conseil
d’administration et dans la distribution des dividendes. Sur ces deux
points, le Trésor intervient également directement auprès du
ministre : Pierre-Paul Schweitzer et Athayne s’opposent tous deux à
la reconduction d’un représentant du groupement de journaux et
périodiques d’Havas dans le conseil d’administration, du fait d’un
manquement grave à la confidentialité des réunions, mais aussi des
pressions qu’il exerce dans les nominations à la direction de
l’agence. En vain, le ministère de l’Information réussit alors à
maintenir le représentant. En 1959, le conflit remonte au niveau des
ministres : Roger Frey, ministre de l’Information, demande le départ
du contrôleur d’État, qui sera couvert par le directeur du Trésor et
par son ministre, Antoine Pinay… Cette fois-ci, le rapport de force
politique a joué en faveur de la tutelle financière.
À travers ce seul exemple, on dispose d’un aperçu de l’étendue
comme des limites du pouvoir de la tutelle financière, face à des
enjeux politiques et stratégiques supérieurs. C’est dire s’il est délicat
d’en définir les contours d’une manière globale. Au sein de la période
des Trente Glorieuses, il semble que la conception du rôle des
entreprises publiques et par là de leurs rapports avec l’État soit très
confuse. Une gestion empirique, dont les éventuelles modifications
sont commandées par la modernisation du pays puis par les seuls
impératifs budgétaires.

III. Vers une remise en question du rôle de


l’État
A. Les ambiguïtés des débuts de la Ve République

Si le contrôle des entreprises publiques a toujours été une


préoccupation de la tutelle financière, on l’a vu, le souci de leur
bonne gestion resurgit chez les décideurs à partir de 1958. Plusieurs
facteurs économiques expliquent l’attention nouvelle apportée au
déficit des entreprises publiques.
À partir de la fin de 1958, la signature du traité de Rome et la
convertibilité externe du franc entraînent la réouverture de
l’économie française à la concurrence internationale. Ce phénomène
touche non seulement le secteur privé, mais aussi le secteur public
exposé à la concurrence comme Renault, Charbonnages de France,
Sud Aviation et Nord Aviation 23 , Air France, la Compagnie française
des pétroles… La politique économique se voit assignée de nouveaux
objectifs : la recherche de productivité et de prix concurrentiels. Il
s’agit de réinsérer le secteur public dans l’économie de marché. Mais
c’est surtout le souci d’assainissement des finances publiques qui
marque les premières années de la Ve République et qui se traduit
inévitablement par la remise en cause de la politique menée à l’égard
du secteur public, qui assure alors 13,4 % du PNB mais dont la
détérioration des comptes est inquiétante. En corollaire, le contrôle
des finances des entreprises publiques est plus que jamais à l’ordre
du jour.
En 1958-1959, une succession de mesures tendant à renforcer le
contrôle mais aussi à améliorer la gestion des entreprises publiques
sont prises. Dès mars 1958, le ministre des Finances Pierre Pflimlin
avait chargé un groupe de hauts fonctionnaires 24 de réexaminer le
contrôle des entreprises du secteur public. Le rapport du groupe de
travail soulève d’abord la question du pouvoir parfois exorbitant et
paralysant de contrôleurs d’État, dans les sociétés aéronautiques, à
l’ONIA, dans les Mines de potasses… ainsi qu’à l’agence Havas, et ne
se montre guère favorable au renforcement de la surveillance de
l’État 25 . Il préconise aussi une meilleure organisation de la tutelle
publique : transfert de la direction du Contrôle des entreprises
nationales du ministère de l’Économie nationale au ministère des
Finances par la reconstitution de la direction du Contrôle financier
qui existait avant la guerre. De fait, la direction du MEN sera
supprimée en 1959 et les tutelles séparées du Trésor et du Budget
seront maintenues. Enfin, le rapport préconise la prise en compte
des impératifs économiques et financiers dans la gestion des
entreprises publiques – il s’agit en fait de prendre en considération
les intérêts de l’entreprise et non plus seulement les objectifs
macroéconomiques. Même si le rapport n’a rencontré que peu
d’échos, ses critiques ouvrent la voie à une réflexion nouvelle sur le
secteur public et préfigurent en partie celles du rapport Nora.
L’État jacobin reprend le dessus avec le changement de république.
Sous l’impulsion du Premier ministre Michel Debré, les premières
années du gaullisme marquent la volonté de renforcer la tutelle de
l’État et d’étendre son contrôle, notamment au travers de
l’ordonnance du 30 décembre 1958. En « vue d’un programme
d’économie dans l’État », la loi de finance de 1959 prévoit la création
d’une commission chargée de définir la liste complète des
participations de l’État ainsi que la composition de l’actionnariat et
des conseils d’administration des entreprises publiques ; l’ensemble
est publié pour la première fois la même année. Des tableaux de
normalisation des renseignements comptables sur leurs
investissements sont mis en place par le Trésor. Toutefois, cette
volonté de renforcer la surveillance des comptes des entreprises
publiques ne s’accompagne pas d’une remise en question du pouvoir
de la tutelle, ni de ses méthodes, ni des objectifs assignés au secteur
public. C’est l’assainissement des finances publiques qui prime sur
l’intérêt des entreprises. Le Trésor pour sa part réitère son souhait
ancien de recentrer l’État-actionnaire dans les secteurs jugés
stratégiques et propose la cession d’Havas, d’UGC et de la Compagnie
française des mines de Bor 26 .
L’arrivée de Valéry Giscard d’Estaing au ministère de l’Économie et
des Finances en 1962 engendre une nouvelle politique financière,
plus libérale, qui entend limiter les prêts du FDES et débudgétiser les
investissements. L’initiative du ministre apparaît clairement dans les
conseils de direction du FDES, au cours desquels il entend bien
réduire les prêts de l’État aux entreprises publiques, qui seront
compensés en partie par des dotations en capital. Ainsi Renault en
obtient-il une pour la première fois en 1963, afin de lui permettre de
maintenir sa place dans le Marché commun. EDF reçoit une dotation
en capital tous les ans à partir de 1963, ses ressources propres et ses
appels au marché financier sont aussi en augmentation, tandis que
ses emprunts au FDES sont diminués d’autant, au moins jusqu’en
1967 : la logique budgétaire prime et ne rejoint que partiellement les
intérêts financiers de l’entreprise.
Le point de vue de l’État-actionnaire est du coup mieux défendu. En
1963, le directeur du Trésor, Maurice Pérouse, souligne à son
ministre les efforts de la direction en vue d’obtenir la rémunération
des sommes investies par l’État. À l’occasion du versement de la
dotation pour Renault, Giscard d’Estaing entend bien réévaluer les
dividendes versés à l’État et le Trésor suit 27 . Cette approche plus
libérale des relations entre tutelle et assujetti ne signifie pas pour
autant que l’État défende les intérêts de l’entreprise. En témoigne la
création d’une usine de fonderie à Lorient par la régie Renault
imposée par le premier ministre en 1964, qui s’avère un projet lourd
financièrement et peu rentable. Le directeur du Trésor, obligé de
s’incliner, exprime ainsi ses réserves : « Il est toujours dangereux
pour les pouvoirs publics d’obliger une société, même nationale, à
réaliser un programme qui n’est pas commandé par la loi
d’entreprise 28 ». Mais ne s’agit-il pas d’une position exceptionnelle
liée aux relations particulières nouées entre le Trésor et Renault ? Il
faudrait étudier d’autres cas pour conclure à la défense de la logique
d’entreprise comme étant la ligne de conduite dominante du Trésor.
Plus généralement, les impulsions ministérielles diverses en faveur
d’une réduction des coûts, le réveil partiel de l’État-actionnaire
mettent au jour une défense de l’intérêt de l’État sous ses différentes
facettes, qui prime toujours sur les autres logiques. La rupture
annoncée par le rapport Nora apparaît d’autant plus forte.

B. Le rapport Nora, la fin de la primauté de l’État ?

En date du 4 avril 1966, la lettre de mission de Georges Pompidou au


rapporteur du Comité interministériel « Entreprises publiques », est
claire : il lui est expressément demandé de proposer des mesures
destinées à « renforcer la compétitivité des secteurs essentiels de
l’économie nationale, publics ou privés 29 », en s’attachant
notamment à la redéfinition du rôle de l’État-actionnaire et/ou
tuteur et à l’amélioration de la rentabilité desdites entreprises.
Le résultat est un rapport qui se veut en rupture avec les pratiques
de l’État-actionnaire. Ses critiques sérieuses et pertinentes du
système, portées dans un style direct et sans « langue de bois », ainsi
que ses propositions précises expliquent la longévité administrative
du document. Sans résumer les quelque cent trente pages du
rapport, nous nous pencherons sur deux aspects critiques de la
gestion des entreprises publiques et sur sa portée effective.
La question première pointée par le rapport concerne le
financement, « au cœur des problèmes à résoudre 30 ». Le point de
départ est le déficit global des entreprises publiques qui s’aggrave
depuis le début de la décennie : il est passé de 2,3 milliards de francs
en 1961 à 5,2 milliards de francs en 1965. Si l’attribution des
dotations en capital a pu limiter la détérioration des comptes de
certaines entreprises publiques comme EDF, l’ensemble des
entreprises est trop endetté vis-à-vis des marchés de capitaux, ce qui
entraîne à la fois des charges de remboursement importantes pour
les entreprises et un effort accru pour les finances publiques.
D’autre part, l’effet d’éviction sur le marché financier, visible depuis
les années 1950, est ici pointé du doigt comme étant une source de
déséquilibre général pour l’économie française : « Les entreprises
publiques, en absorbant une part croissante des ressources rares que
constituent les épargnes longues, ont gêné le financement des autres
secteurs 31 ». Les remèdes préconisés par le rapport sont simples :
augmentation des dotations en capital, hausse des tarifs et
diminution des emprunts, ce qui allégerait la charge pour le budget
et soulagerait le marché des capitaux. Il s’agit dorénavant d’établir
un « ratio d’endettement » des entreprises et d’adapter la durée des
emprunts à celle des investissements.
On assistera effectivement à une diminution de la part du secteur
public dans l’appel au marché financier dans les années 1970 au
profit du secteur privé. Sur une idée de Giscard d’Estaing, les
emprunts d’EDF et de Charbonnages de France sur le marché
international des capitaux ont été l’un des moyens utilisés à partir
de 1975 pour désengorger le marché financier intérieur.
Malheureusement, les taux d’intérêt de l’époque, très élevés en
raison de l’inflation, ont pesé lourdement sur les comptes des
entreprises publiques.
De ces problèmes financiers qui ordonnent de fait la primauté de la
tutelle financière sur la tutelle technique, découle une gestion trop
centralisée à l’échelle du Gouvernement et une désorganisation du
contrôle éparpillé entre différents organes, qui se fait souvent sans
coordination. La triple fonction d’État actionnaire, concédant de
service public et contrôleur est en outre assurée de manière très
différente selon le type d’entreprise : une surveillance (trop) étroite
des entreprises de service public, une faible intervention pour les
sociétés d’économie mixte et œuvrant dans un secteur concurrentiel.
Enfin, le FDES, devenu de fait le lieu de concertation entre les
tutelles pour les investissements des entreprises publiques, n’aborde
pas la question des tarifs et n’envisage pas la dimension sectorielle :
l’organe est inadapté au rôle qu’il joue depuis vingt ans.
Pour remédier à ces errements de gouvernance, le rapport Nora
préconise un renforcement de l’autonomie des entreprises dans leur
gestion et leur commandement. D’ores et déjà, la réunion des
directeurs du Budget, du Trésor, des Prix et de la Prévision, instituée
et dotée d’un secrétariat permanent en novembre 1966, évite le
recours trop fréquent à l’arbitrage ministériel. Toutefois le rapport
se garde bien de vouloir regrouper les directions, comme le
suggérait le rapport de 1958, et botte en touche sur la création d’un
secrétariat général qui traiterait des tâches horizontales à l’intérieur
du ministère des Finances. En revanche, il penche en faveur de
l’extinction progressive du contrôle d’État, à tout le moins de sa
rénovation 32 . Enfin, aux yeux du groupe de travail, le FDES
continuerait à être l’organe approprié pour améliorer le dialogue
entre les tutelles financières et techniques, mais devrait se
concentrer sur les politiques sectorielles de moyen terme 33 .
Finalement le rapport ne remet pas en cause la structure existante
de la tutelle financière et souhaite seulement l’élargissement des
compétences de la CVCEP.
C’est dans le domaine de l’autonomie des entreprises publiques qu’il
se montre le plus audacieux en proposant des conventions et des
contrats de programme avec l’État. Un contrat est signé avec la SNCF
qui doit permettre à l’entreprise d’être indépendante
financièrement à partir de 1973 – ce qui ne sera pas le cas. Le contrat
avec EDF signé en 1970 donne à cette dernière une plus grande
liberté en matière de tarifs, d’investissements et de prise de
participation en échange d’engagements sur l’augmentation des
ressources propres, de la productivité et de la rentabilité de
l’entreprise. C’est sans doute là la novation principale du rapport
Nora : redonner à la gestion du secteur public non concurrentiel une
certaine logique d’entreprise privée.
En dernier lieu, dénonçant la politique immobiliste de l’État-
actionnaire dans les sociétés d’économie mixte, le rapport préconise
la création de holdings, qui permettrait une « rationalisation » des
participations par branches 34 , et suggère même la création d’une «
holding centrale », un établissement public chargé de gérer le
patrimoine mobilier public 35 . Une fois encore, la recherche de
cohérence sectorielle préside aux préoccupations du groupe de
travail.
Conclusion
Si la plupart de ses recommandations n’ont pas été suivies d’effet
immédiat, le rapport Nora insuffle un nouvel état d’esprit en faveur
de l’autonomie des entreprises, de l’amélioration de leur gestion
financière et de la recherche d’une meilleure rentabilité. Il clôt deux
décennies d’atermoiements et de revirements des relations entre
l’État et les entreprises publiques. Depuis les nationalisations, on a
assisté tour à tour au recours à des financements externes coûteux
pour financer la modernisation et à un renforcement du contrôle de
la gestion. Il faut attendre la Ve République pour qu’enfin leur
gestion soit appréhendée dans une logique d’entreprise à concilier
avec les missions imparties au secteur public. Enfin, les années 1960
marquent la recherche de politiques sectorielles cohérentes,
conciliables avec l’intérêt de l’État et de l’entreprise. La difficulté à
faire bouger les lignes tient non seulement à la tension entre des
objectifs contradictoires – mission de service public et souci de
bonne gestion – mais aussi au maintien d’un éparpillement de la
tutelle qui n’a pas facilité une vision cohérente sur les entreprises
publiques. Le Trésor, qui a été particulièrement étudié dans ce
chapitre, a révélé son double visage de tuteur interventionniste et
d’actionnaire libéral : une dualité qu’il a souvent développée dans
d’autres domaines.

NOTES
1. Selon les rapports de la commission des investissements et du conseil de direction du
FDES.
2. Dans le cadre de cet ouvrage centré sur la gestion des finances publiques, ce chapitre se
concentre sur la tutelle du ministère des Finances.
3. Voir Georges Lescuyer, Le contrôle de l’État sur les entreprises nationalisées, Paris, LGDJ, 1959.
4.Rapport sur les entreprises publiques, dit rapport Nora, La Documentation française, p. 19.
5. Laure Quennouëlle, « La direction du Budget, la direction du Trésor et le financement
public des investissements, 1946-1957 », in La direction du Budget dans les années cinquante,
Paris, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1998, p. 587-607.
6. Cette mission réunit les commissaires du gouvernement des banques d’affaires – qui sont
privées mais finalement plus surveillées que les banques de dépôt nationalisées.
7. André Bisson, Institutions économiques et financières de la France, Paris, Berger-Levrault,
1960.
8.Rapport sur les entreprises publiques, dit rapport Nora, op. cit.
9. En revanche, le Trésor apparaît plus réticent pour les emprunts des régies d’État, sans
doute jugées moins solvables (sauf la Régie autonome des pétroles).
10. AP Saint-Geours, note sur le financement des entreprises nationales, automne 1953.
11. AEF, fonds Trésor, 23 D1, communication de Pierre Besse à la commission des
investissements, 1949.
12. François Caron, rapport de synthèse, « La direction du Budget et les entreprises » in La
direction du Budget face aux grandes mutations des années cinquante, Comité pour l’histoire
économique et financière de la France, 1998, p. 694.
13. Voir par exemple, AEF B 42268, PV de la commission des investissements du 12 août
1948.
14. Témoignage de Jean Saint-Geours, entretien n° 3 et 4 des 5 et 19 avril 2002 avec l’auteur,
fonds d’archives orales du Comité pour l’histoire économique et financière de la France,
1994.
15. AEF, fonds Budget, B 8636, note du 18 avril 1959.
16. Entretien de l’auteur avec Jacques Desazars de Montgailhard, entretien n° 1, cassette n°
1, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1995. Administrateur civil,
il est chargé de la gestion de la régie Renault à la 2e sous-direction du Trésor.
17. AN F 60897, P-V du Comité économique interministériel, séance du 18 décembre 1944 ;
Pierre Dreyfus, La liberté de réussir, Paris, Simoën, 1977, p. 38.
18. Pierre Dreyfus, La liberté…, op. cit., p. 38.
19. Cette cession des participations de l’État est demandée également par la CVCEP en juillet
1952.
20. Selon le témoignage de Paul Delouvrier, inspecteur des finances, directeur de cabinet de
René Pleven en 1945 puis de René Mayer en 1947-1948, administrateur d’Havas en 1949.
Entretien avec Anne Rasmussen, entretien 13, cassette 13, Comité pour l’histoire
économique et financière de la France.
21. Pascal Lefebvre, « L’agence Havas et l’audiovisuel, 1923-1987 », thèse pour le doctorat
d’histoire sous la direction de P. Fridenson, EHESS, 1995.
22. AEF, fonds Trésor, B 13176, note du 2 décembre 1953 pour le directeur de cabinet Robert
Blot, sans doute du sous-directeur du Trésor, Maurice Sergent.
23. Qui seront fusionnées en 1969 pour former la SNIAS.
24. Il s’agit en grande majorité de fonctionnaires des Finances : présidé par Maurice Lauré,
inspecteur des Finances, le groupe de travail comprend Henri Lorain, président de la
CVCEP, Pierre du Pont, directeur de la Coordination économique et des entreprises
nationales, H. Barrault, sous-directeur au Budget, Jean Saint-Geours, sous-directeur au
Trésor, ainsi qu’un contrôleur d’État et un ingénieur des Mines.
25. AEF, fonds Administration générale, B28220, rapport du groupe de travail chargé de
l’étude du contrôle des entreprises publiques.
26. Il n’obtiendra à court terme que la diminution de la part de l’État à 51 % dans Havas. Sur
le recentrage de l’État-actionnaire, voir L. Quennouëlle-Corre, L’État-banquier et la croissance.
La direction du Trésor 1947-1967, Paris, Comité pour l’histoire économique et financière de la
France, 2000, p. 472 sqq.
27. AEF, fonds Trésor, B 11732 et B 11765, notes pour le ministre de M. Pérouse du 8 février
1963 et du 26 novembre 1965.
28. AEF, fonds Trésor, B 11746, note pour le ministre du 14 mai 1964.
29. Lettre de mission du Premier ministre à M. Nora, président du groupe de travail, Rapport
Nora, op. cit.
30.Rapport Nora,op. cit., p. 43.
31.Rapport Nora, op. cit., p. 48.
32.Rapport Nora,op. cit., p. 103.
33. Ce qui rejoint en partie la suggestion de Jean Saint-Geours de programme
d’investissements pluriannuels, AEF, fonds Trésor, 23 D7, PV de la réunion du conseil de
direction du 15 septembre 1966.
34.Rapport Nora, op. cit., p. 107.
35. Cette proposition audacieuse qui ne fait pas l’unanimité parmi les membres du groupe
de travail fait long feu. Bien que de statut différent, l’idée de holding centrale offre des
similitudes avec l’Agence des participations de l’État qui sera créée en 2003.

AUTEUR
LAURE QUENNOUËLLE-CORRE

Laure Quennouëlle-Corre est chargée de recherche au CNRS (Centre de recherches


historiques), habilitée à diriger des recherches et enseignante à l’université de Paris 1
Panthéon-Sorbonne (UFR d’économie). Elle est spécialisée en histoire financière
contemporaine, depuis la politique financière jusqu’à l’étude des institutions bancaires et
boursières au XXe siècle. Elle a publié notamment : L’État‑banquier et la croissance. La direction
du Trésor 1947-1967, Paris, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 2000
en accès intégral sur http://books.openedition.org/igpde/1937 et « Le directeur du Trésor
et le financement des entreprises 1947-1952 » in Michel Margairaz (dir.), François Bloch-
Lainé, fonctionnaire, financier, citoyen, Paris, Comité pour l’histoire économique et financière
de la France, 2005, p. 73-101.
La création de la Cour de discipline
budgétaire et financière : enjeux et
débats
Stéphanie Flizot

Introduction
Le contrôle des ordonnateurs a longtemps été conçu comme de
nature essentiellement politique, l’ordonnateur principal est le
ministre auquel est confié un budget et sur lequel pèse l’obligation
de rendre compte. Or, le principe consistant à rendre le ministre
responsable de l’ensemble de son administration a, jusqu’à la
création de la Cour de discipline budgétaire, abouti à ce que toute
responsabilité, autre que comptable, soit quasi inexistante en cas de
violation des règles budgétaires et comptables. Malgré la
multiplication des clauses de style rappelant la responsabilité
personnelle du ministre ordonnateur aux lendemains de la première
guerre mondiale, cette responsabilité qui se voulait juridique se
ramenait en réalité à la responsabilité politique des intéressés,
permettant ainsi à Georges Vedel d’écrire en 1948 que « l’histoire des
textes organisant la responsabilité des administrateurs est faite de
désillusions 1 ». Car, au-delà des débats anciens entre responsabilité
civile et responsabilité pénale, la mise en jeu de la responsabilité
personnelle des ordonnateurs nécessitait aussi de dissocier la
responsabilité du ministre de celle de ses subordonnés. Sanctionner
un ordonnateur impliquait, en effet, de dépasser la fiction selon
laquelle la responsabilité politique du ministre englobe toutes les
autres. La logique ayant présidé à la création de la Cour de discipline
budgétaire (CDBF) allait ainsi distinguer très nettement la
responsabilité du ministre, que l’on n’a jamais su véritablement
détacher de la responsabilité politique, de celle des autres
ordonnateurs.
Cette mise en jeu de la responsabilité de l’ordonnateur avait déjà été
abordée à plusieurs reprises au cours des décennies qui précédèrent
l’adoption de la loi du 25 septembre 1948. Les travaux de la
commission de révision du décret du 31 mai 1862 mise en place en
1878 par Léon Say abordèrent, notamment, ce sujet. Les discussions
qui eurent lieu en son sein envisagèrent la création d’une
responsabilité pécuniaire de l’ordonnateur qui serait le pendant de
celle pesant sur le comptable public, mais sans qu’aucune avancée
concrète n’en résulte 2 . Le débat va évoluer progressivement après
l’adoption de la loi du 10 août 1922 relative au contrôle des dépenses
engagées. La proposition de loi de Louis Marin 3 déposée lors de la
séance du 28 novembre 1921, qui allait donner naissance à la loi de
1922, était très courte et tenait en trois articles. L’un d’eux 4 donnait
au contrôle des dépenses engagées son efficacité en rendant les
ministres ordonnateurs personnellement responsables en cas de
non-soumission d’une ordonnance au visa du contrôleur des
dépenses engagées. C’est à ce moment que se joue en réalité l’acte I
d’un processus qui va conduire vingt-six ans plus tard à la création
de la Cour de discipline budgétaire. L’article 9 de la loi du 10 août
1922 va, en effet, regrouper au sein d’un même régime de
responsabilité ministre et fonctionnaires. Cette disposition
sanctionne alors tant les ministres, secrétaires d’État, que tout
fonctionnaire qui aurait soustrait un acte au contrôle des dépenses
engagées. Cette extension à « tous les fonctionnaires publics » fut
faite au cours de l’examen parlementaire du texte à la demande de
M. Alexandre Ribot lors de la séance du 14 mars 1921. C’est la
reconnaissance du principe qui sera consacré en 1948 que le meilleur
contrôle est celui que chaque agent exerce sur lui-même. La loi du 25
septembre 1948 créant la Cour de discipline budgétaire met ainsi en
place un régime de responsabilité pécuniaire et personnelle en
définissant un certain nombre d’infractions financières. La sanction
de cette responsabilité sui generis, ni civile, ni pénale, ni disciplinaire
est, par ailleurs, confiée à une juridiction nouvellement créée.
Or, « l’existence de cette juridiction particulière de l’ordre
administratif, à mi-chemin entre une instance disciplinaire et une
juridiction pénale, ne va pas de soi 5 » et mérite que l’on se penche
attentivement sur les motivations qui ont guidé les auteurs d’un
dispositif aujourd’hui en cours de réexamen dans le cadre du projet
de réforme des juridictions financières. Ces motivations sont, du
reste, également intéressantes au regard des enjeux actuels de la
gestion publique. Les débats qui précèdent l’adoption de la loi de
1948 montrent ainsi clairement que la responsabilité des
gestionnaires publics, on dit alors administrateurs, apparaît comme
un élément de bonne gestion. Le Gouvernement explique ainsi lors
de l’examen parlementaire du projet de loi créant la Cour de
discipline budgétaire que la violation des règles budgétaires est
source de gaspillage. « Dans sa volonté d’aboutir à des économies, il
lui [a] semblé indispensable de voter immédiatement l’institution de
l’organisme qui sanctionnerait la responsabilité des administrateurs
6
». C’est également sur ce créneau que se lance le secrétaire d’État
au Budget, M. Alain Poher, qui reprend au mot près des décennies de
récriminations parlementaires :
« Ce texte va permettre d’affirmer la politique d’économies voulue par le
Gouvernement, car il ne servirait à rien de réaliser des économies, de voter un
budget en équilibre, si les ordonnateurs pouvaient impunément dépasser les
crédits ouverts […] de graves déficits de trésorerie peuvent être constatés si
certaines administrations dépassent les crédits ouverts, comme celle de
reconstruction pour plus de 30 milliards ou celle de l’air, il n’y a pas très
longtemps, pour plus de 10 milliards… Il est indispensable que tous les
ordonnateurs de ce pays sachent qu’ils vont être responsables de leur gestion et
que, dans le cas où ils croiraient pouvoir dépenser sans crédits, ils seront punis
avec une extrême rigueur ».
Mais la mise en jeu de cette responsabilité se veut mesurée.
L’absence de rapport entre la responsabilité susceptible d’être
encourue par l’agent et sa fortune avait longtemps conduit les
auteurs à écarter l’idée de toute responsabilité pécuniaire des
administrateurs envers l’État pour les fautes commises par eux. Le
doyen Allix pensait, notamment, que cette disproportion rendait
cette responsabilité « platonique parce qu’inapplicable 7 ». L’exposé
des motifs de la loi du 25 septembre 1948 créant la Cour de discipline
budgétaire reprendra cette idée :
« Le Gouvernement n’entend pas revenir sur le principe traditionnel de
l’irresponsabilité des ordonnateurs : abandonner ce principe essentiel de notre
droit public amènerait à prévoir le remboursement des sommes indûment
dépensées ou la réparation du préjudice subi par l’État. Comme entre la capacité
des fortunes privées et la conséquence d’une faute administrative lourde il n’y a
pas de commune mesure, une telle disposition resterait, sans aucun doute, lettre
8
morte ».
Le projet de loi créant la CDBF s’inspire donc des propositions faites
par la doctrine pour pallier ces inconvénients. L’analyse développée
entre les deux guerres repose sur le fait qu’une condamnation
pécuniaire proportionnée permettrait de graduer la somme « en
veillant à la fois à ne pas paralyser l’initiative des agents par la
crainte des responsabilités pécuniaires et à ne pas favoriser leur
négligence par la certitude qu’ils échapperont à toute sanction
matérielle 9 ». Il serait par exemple possible, écrivait J. Appleton
dans son Traité de contentieux administratif publié en 1927, d’imaginer
un système dans lequel le Conseil d’État déterminerait la mesure
dans laquelle, compte tenu des circonstances de l’espèce,
l’administrateur pourrait être condamné à une réparation
pécuniaire. L’on s’oriente donc en doctrine vers l’idée d’une sanction
pécuniaire, car il n’y a plus dans ces propositions de rapport entre le
montant de la condamnation encourue et le montant du préjudice
subi par la personne publique. Or, à partir du moment où la
condamnation prend plus ou moins la forme d’une sanction, ou
devient beaucoup plus une sanction à l’encontre de l’agent qu’une
réparation du préjudice, son montant peut être calculé en fonction
de la gravité de la faute commise et non en fonction de l’importance
du dommage subi par la personne publique.
La loi du 25 septembre 1948 s’appuiera sur ces principes. Lors de
l’examen parlementaire du projet de loi, le rapporteur général de la
commission des Finances de l’Assemblée nationale rappellera ainsi «
que ce n’est pas en assujettissant les administrateurs, dans leurs
rapports avec l’État, aux réparations civiles prévues par l’article 1382
du Code civil, qu’il convient de rechercher la sanction des fautes qui
leur sont imputables… Aussi, votre commission s’est-elle ralliée au
principe de l’amende administrative qui lui était proposé ».
Et de poursuivre : « l’application de l’article 1382 aurait d’ailleurs
l’inconvénient majeur de permettre aux administrateurs de se
couvrir par l’assurance contre les risques inhérents à leur
responsabilité pécuniaire 10 ». Le fait que la loi du 25 septembre
1948 sanctionne des infractions nécessitait, en soi, une évolution par
rapport à une conception civiliste de la responsabilité. La
responsabilité civile est fondée sur l’obligation de réparer le
dommage causé à autrui par son fait ou celui de personnes
dépendant de soi et ne dépend pas nécessairement de la gravité de la
faute, mais de l’étendue du dommage. Or, jusqu’à l’adoption de ce
texte, le débat sur la responsabilité des administrateurs s’était
largement appuyé sur la notion de responsabilité civile.
Cet article présentera ainsi comment la remise en cause progressive
de l’irresponsabilité des ordonnateurs s’est accompagnée de
l’émergence doctrinale, puis juridique, d’une responsabilité sui
generis, ni civile, ni pénale, ni disciplinaire (I). Mais la loi de 1948 va
également, et à la différence des débats entourant le vote de la loi du
10 août 1922 relative au contrôle des dépenses engagées, tirer des
conclusions de la difficulté que l’on a toujours eue à dissocier la
responsabilité budgétaire et financière du ministre de sa
responsabilité politique. Pour cette raison, les responsables
ministériels ne relèveront pas du champ de compétence de la
juridiction nouvellement créée et cette exemption s’étendra
largement aux autres ordonnateurs politiques (II).

I. La remise en cause progressive de


l’irresponsabilité pécuniaire des
administrateurs
La jurisprudence du Conseil d’État refusera longtemps toute mise en
cause de la responsabilité personnelle et pécuniaire de l’ordonnateur
envers la personne publique à laquelle sa faute aurait causé un
dommage (A). Tel n’est cependant pas le cas à l’époque pour
l’ordonnateur local qu’est le maire et qui voit alors sa responsabilité
financière susceptible d’être engagée en cas de manquement au
cadre légal qui s’applique à la gestion des crédits (B). La doctrine,
publicistes et privatistes réunis, nourrit, du reste, au cours de la
première moitié du XXe siècle une réflexion abondante tendant à
contester ce principe d’irresponsabilité pécuniaire. Et cela même si
la pesanteur d’une conception civiliste de la responsabilité des
ordonnateurs, ministériels ou non, se ressent fortement jusqu’au
début du XXe siècle (C). Ces questionnements accompagnent, par
ailleurs, un certain nombre de revendications parlementaires et le
Parlement n’a de cesse de demander un renforcement des
prérogatives de la Cour des comptes à l’égard des ordonnateurs (D).

A. L’administrateur ou l’ordonnateur secondaire face au


principe de l’irresponsabilité pécuniaire des agents
publics

Il a longtemps été de jurisprudence constante qu’en dehors des cas


dans lesquels la responsabilité des agents publics est expressément
prévue par les textes, l’irresponsabilité pécuniaire des
fonctionnaires envers les personnes morales de droit public est la
règle. Comment ne pas relever, en effet, que la reconnaissance de la
responsabilité personnelle de l’agent public à l’égard de la personne
publique en cas de dommage remonte au revirement de
jurisprudence opéré par l’arrêt Laruelle du Conseil d’État de 1951,
soit postérieurement à la création de la Cour de discipline budgétaire
et financière ? En application d’une jurisprudence classique, le
Conseil d’État a longtemps jugé « qu’il n’appartient pas à l’autorité
administrative, en l’absence de tout texte législatif, de se prononcer
sur la responsabilité pécuniaire des administrateurs 11 ». Ainsi, tant
qu’il ne peut être considéré comme un comptable de fait,
l’administration ne peut déclarer un fonctionnaire responsable du
préjudice causé à l’État par une décision qu’il a prise en sa qualité
d’administrateur. Un avis de la section des finances du Conseil d’État
du 21 juillet 1885 précise à ce propos que :
« Le droit de l’État d’obtenir, à titre de dommages et intérêts, réparation
pécuniaire du préjudice que peuvent lui causer les fautes commises par ses
agents dans l’exercice de leurs fonctions, ne saurait s’exercer que dans les cas
spéciaux et déterminés qui sont prévus et réglés par des dispositions législatives
formelles […] Ces dispositions ne sauraient émaner que du législateur : c’est, par
suite, dans des textes législatifs qu’il convient de rechercher ceux qui pourraient
s’appliquer à la responsabilité des fonctionnaires vis-à-vis des services publics à
raison de l’exercice de leurs fonctions. Cette responsabilité ne saurait être régie
par les règles du droit civil ».
L’exclusion des principes du droit civil après avoir été proclamée en
matière de responsabilité de l’État par l’arrêt Blanco rendu par le
Tribunal des conflits en 1873, l’était aussi s’agissant des agents
publics.
À cette époque, les opposants à la responsabilité civile des
fonctionnaires voient dans la responsabilité disciplinaire la seule
sanction efficace et pertinente de leurs manquements et cela
apparaît particulièrement dans les conclusions rendues par M.
Jagerschmidt sous l’arrêt Bastier de 1891. Dans cette affaire, le
Conseil d’État jugea que le ministre des Finances ne pouvait saisir le
cautionnement fourni par un agent des Contributions indirectes en
se fondant sur le droit qu’aurait l’État d’obtenir réparation
pécuniaire du préjudice qui lui aurait été causé par la faute commise
par cet agent. Ce dernier n’étant pas comptable de deniers publics, il
n’appartenait pas à l’autorité administrative, en l’absence de tout
texte législatif, de se prononcer sur la responsabilité pécuniaire des
agents publics. La position très nette du Conseil d’État à l’égard de la
responsabilité des administrateurs fut résumée sous la plume du
commissaire du gouvernement Romieu qui, dans ses conclusions
sous l’arrêt Nicolle du 12 juillet 1907, écrivait :
« Les administrateurs et les ordonnateurs n’encourent pas à l’égard du service
public de responsabilité à raison de leurs fonctions ; d’où il suit que les fautes
commises par ces derniers, erreurs, irrégularités de toutes natures, ne peuvent
engager leur responsabilité, du moment où elles ne leur font pas perdre cette
qualité d’administrateur ou d’ordonnateur ; l’ordonnancement irrégulier, la
consommation de crédits incorrecte, n’ont pas pour effet de changer la nature de
l’acte, lequel, par lui-même, n’entraîne pour son auteur aucune responsabilité
12
».
C’est cette irresponsabilité que rappelle, notamment, de manière
extrême, le Conseil d’État dans l’affaire Poursines 13 . Cette
jurisprudence sera très critiquée par Gaston Jèze dans sa chronique
publiée en 1924 dans la Revue de droit public 14 . Jèze y exprime son
souhait de voir le principe de l’irresponsabilité du fonctionnaire
remplacé par :
« un autre principe plus équitable, plus souple, et plus respectueux des nécessités
du bon fonctionnement des services publics, plus conforme à la situation du
fonctionnaire public, à savoir le principe de la responsabilité pécuniaire de
l’agent public envers l’administration en cas de faute personnelle, [considérant
que] la justice et l’utilité publique sont d’accord pour faire proclamer la
responsabilité pécuniaire des agents publics pour leur faute personnelle ».
Malgré ces critiques, cette jurisprudence traditionnelle allait
continuer à s’appliquer. Le Conseil d’État refusait, par exemple, toute
responsabilité pécuniaire d’un chef de mission de liquidation des
stocks de guerre pour manquants. La « responsabilité d’un
fonctionnaire ne saurait être engagée envers l’État à raison de fautes
par lui commises comme administrateur, à moins d’une disposition
législative qui autorise le ministre à le rendre débiteur 15 ».
Pour autant, cette jurisprudence ne signifiait pas absence de
questionnement interne à la juridiction. En témoigne l’analyse faite
par le commissaire du gouvernement Romieu dans ses conclusions
sous l’arrêt Gleize du 19 avril 1907. Il y distingue les administrateurs
des ordonnateurs 16 :
« Les premiers, dont le rôle s’arrête à la liquidation, n’ont pas d’autorité sur la
caisse es qualité ; partant ils n’encourent en principe aucune responsabilité…
Pour les seconds, l’existence d’une responsabilité serait plus compréhensible,
puisqu’ils concourent au paiement en délivrant le titre au vu duquel le
17
comptable va ouvrir sa caisse ».
Du reste, l’idée d’une responsabilité pécuniaire personnelle de
l’ordonnateur n’est pas complètement nouvelle ; elle a été explicitée
dès 1840 par M. de Montcloux qui critiquait le système consistant à
confondre l’ensemble des responsabilités dans la responsabilité
politique du ministre et l’iniquité consistant à frapper le comptable
pour des irrégularités commises par l’ordonnateur 18 .
« On a beaucoup plaisanté autrefois sur les menins de la Cour, dont les fonctions
consistaient à recevoir le fouet lorsque les princes le méritaient et l’on a rétabli
cette charge dans le service des dépenses : quand la Cour (des comptes) prend un
liquidateur en faute, c’est le pauvre comptable qu’elle fustige dans son arrêt. Les
payeurs du Trésor sont les menins de ces despotes inviolables que sont les
19
ordonnateurs ».
M. de Montcloux demandait ainsi que l’on dissocie l’acte du ministre
de celui de ses subordonnés et que les ordonnateurs répondent de
leurs actes : « le paiement est un fait complexe. On doit en demander
compte à plus d’un agent ; aux comptables d’abord, mais aussi aux
ordonnateurs. Que les ordonnateurs répondent de leurs œuvres ; s’ils
ont mal opéré, qu’on les juge ! 20 »

B. La responsabilité financière des élus locaux sous la


IIIe République

Le régime de responsabilité qui pèse à cette époque sur le maire à


l’égard de la commune tranche fortement au regard de
l’irresponsabilité des autres gestionnaires publics. Le maire est alors
responsable des dépenses qu’il a effectuées sans l’approbation du
conseil municipal, ainsi que des dommages causés au patrimoine
communal par sa négligence. Le juge tient cependant compte dans
l’appréciation de cette responsabilité de l’utilité de ces dépenses
pour la commune. L’arrêt du Conseil d’État Sieur Magnon souligne,
par exemple, l’importance du critère d’utilité publique des dépenses
en cause 21 .
« En faisant exécuter sans autorisation du conseil municipal des travaux qui
étaient avantageux pour sa propriété, mais qui ne représentaient aucun intérêt
communal, le sieur Magnon a commis une faute préjudiciable à la commune qui,
dans les circonstances de l’affaire, engage sa responsabilité ».
Le fondement juridique de cette responsabilité sera rappelé par un
arrêt du Tribunal des conflits du 26 mars 1881, Commune de Pézilla-la-
Rivière. Le « maire chargé par la loi de conserver et d’administrer la
propriété de la commune est considéré comme son mandataire 22 ».
En application de ce principe, un arrêt particulièrement rigoureux
du Conseil d’État, Commune de Vignieu, en date du 8 décembre 1882,
met ainsi à la charge du maire les sommes résultant d’un
dépassement des prévisions budgétaires non autorisé par une
délibération du conseil municipal et ce, à concurrence de la somme
dépassant les crédits alloués 23 . On considérait alors que si :
« dans le vote de ses concitoyens, le maire trouvait ou était censé trouver la
sanction véritable de son activité administrative, [il était] assez naturel qu’une
responsabilité vis-à-vis de la commune, plus stricte que celle que connaissent
généralement les fonctionnaires, vînt compenser en quelque sorte cette
autonomie, cette liberté d’action particulièrement élargit. Il est, en effet, normal
que la responsabilité s’accroisse parallèlement aux possibilités d’initiative de
24
l’individu ».
Dans un commentaire de jurisprudence datant de 1935, Pierre
Laroque, conseiller d’État, avant de devenir à la Libération directeur
général de la Sécurité sociale, expliquait également la spécificité de
cette responsabilité du maire par sa situation profondément
différente de celle des autres agents publics. Le fait qu’il tire de son
élection une autorité et une indépendance inconnue de tout
fonctionnaire y est souligné, d’autant que la tutelle ne peut en aucun
cas être comparée au pouvoir hiérarchique qui pèse sur un
fonctionnaire. Pour autant, l’évolution de la jurisprudence du
Conseil d’État à partir de la notion d’utilité communale allait rendre
cette responsabilité personnelle de plus en plus rare. La création de
la Cour de discipline budgétaire consacrera la dissociation de la
responsabilité de l’ordonnateur politique de celle de l’ordonnateur
non politique ; et cette évolution profitera en premier lieu aux élus
locaux, sur lesquels allait s’étendre l’exemption ministérielle de
responsabilité. Un questionnement doctrinal s’était du reste
développé sous la IIIe République au sujet de cette responsabilité
particulière du maire. L’on s’interrogeait en particulier sur la
question de savoir s’il ne fallait pas étendre ce régime de
responsabilité à l’ensemble des fonctionnaires, ou, au contraire,
aligner le régime applicable au maire sur celui des autres
fonctionnaires. Jean Appleton, auteur d’un traité de contentieux
administratif, écrivait ainsi sous une note de jurisprudence
commentant l’arrêt Poursines 25 , qu’il « n’y a pas de raison pour
exclure la responsabilité pécuniaire des fonctionnaires envers l’État
si l’on admet la responsabilité pécuniaire des maires envers les
communes ». Cet auteur invoquait du reste l’article 15 de la
Déclaration des droits de l’homme dans son traité publié en 1927
pour justifier une responsabilité pécuniaire des fonctionnaires
envers l’État.

C. Responsabilité de l’ordonnateur et conceptions


civilistes de la responsabilité : les débats des années
1920-1930

La difficulté à identifier la nature de la responsabilité susceptible de


peser sur l’ordonnateur va longtemps enfermer les propositions
faites en la matière dans un balancement infructueux entre une
responsabilité de nature pénale, qui restera en réalité de nature
politique, et une responsabilité de nature civile. Car lorsque l’analyse
abandonne le terrain pénal, c’est vers la mise en jeu d’une
responsabilité civile que l’on se tourne. Un rapport parlementaire de
1883 fait sur une proposition de loi relative à la responsabilité civile
des ministres 26 mentionnait, par exemple, que lorsque le Trésor n’a
éprouvé aucune perte, toute responsabilité est écartée, même
lorsque il y a faute, l’État ne pouvant s’enrichir aux dépens d’autrui.
La proposition de loi Guichard, objet de ce rapport parlementaire,
précisait le caractère que devait revêtir la faute susceptible
d’engager la responsabilité pécuniaire personnelle du ministre. Une
simple erreur ne pouvait suffire, deux conditions devaient être
réunies : que l’acte traduise la volonté manifeste de se placer au-
dessus des volontés du Parlement ou d’enfreindre les lois et
règlements et qu’il ait porté préjudice au Trésor. L’article 1 de ce
texte retenait, en la qualifiant expressément de la sorte, l’exigence
d’une faute lourde ayant causé un dommage au Trésor. Cette
question avait déjà été abordée sous la IIe République. La
Constitution du 4 novembre 1848 prévoyait dans son article 68 27 la
possibilité de mettre en jeu la responsabilité civile des ministres,
tandis que la loi du 15 mai 1850 disposait dans son article 9 que «
Toute dépense non créditée ou portion de dépense dépassant le
crédit sera laissée à la charge du ministre contrevenant ». Quelques
semaines avant le coup d’État du 2 décembre 1851, le Conseil d’État
eut à examiner le 17 novembre 1851 un texte posant le principe de la
responsabilité civile des fonctionnaires et non seulement du seul
ministre. Le Conseil d’État, qui joue à cette époque le rôle de
conseiller du pouvoir législatif, a été saisi pour examen préalable
d’une proposition de loi organique sur la responsabilité du président
de la République, des ministres et des autres agents du pouvoir
exécutif déposée le 19 janvier 1850 par le député Pradié en
application de l’article 68 de la Constitution 28 . L’article 7 de ce texte
visait la responsabilité civile des ministres. Celle-ci pouvait être
engagée chaque fois que l’Assemblée avait rejeté une dépense faite
sans crédit ou excédant des crédits ouverts, ou faite en violation des
lois bien qu’imputée sur un crédit régulièrement ouvert, ou pour les
dépenses faites sur des crédits ouverts par décret qui n’auraient pas
été convertis en lois. Lorsque cette responsabilité civile était
encourue, l’Assemblée nationale décidait par une résolution s’il y
avait lieu de poursuivre le recouvrement de tout ou partie de ces
sommes contre le ministre ayant ordonnancé la dépense.
L’intérêt de ces débats est d’envisager une responsabilité de
l’ordonnateur non politique, soit celle des fonctionnaires et non du
seul ministre. L’article 23 de la proposition de loi précitée prévoyait,
en effet, que leur responsabilité se trouvait engagée « toutes les fois
qu’ils ont causé un préjudice à l’État, soit par la violation ou
l’inexécution des lois et règlements, soit par une faute grave dans
l’exercice de leurs fonctions ». Dans cette hypothèse, il revenait au
Parlement de décider si la responsabilité civile était encourue et de
fixer « le montant des restitutions ou indemnités dues à l’État ».
Mais c’est essentiellement au cours des années 1920-1930 que se
développe une réflexion doctrinale autour de la responsabilité des
administrateurs envers les personnes publiques. Plusieurs thèses
sont, d’ailleurs, soutenues au début des années 1940 sur ce sujet 29 .
L’idée commence à s’imposer que la responsabilité comptable ne
garantit pas suffisamment l’exécution budgétaire et qu’il faut une
responsabilité de l’ordonnateur, puisque c’est lui qui engage la
dépense ; l’idée s’impose peu à peu que « la responsabilité civile des
ordonnateurs, et plus généralement des administrateurs, est aussi
légitime, aussi nécessaire que celle des comptables 30 ». « Si on
réprime les infractions budgétaires il semble qu’il faille d’abord faire
peser principalement la responsabilité sur leurs véritables auteurs »
écrit ainsi le doyen Allix en 1922 31 . En l’état, dit-il :
« la responsabilité budgétaire est concentrée sur le comptable, du fait qu’il est
astreint par les règlements à surveiller les irrégularités des paiements de
l’ordonnateur. Le mandat irrégulier reste à la charge, non de celui qui l’a émis et
qui est pourtant le principal coupable, mais de celui qui l’a payé ».
La doctrine, s’inspirant de l’exemple de la loi du 7 février 1933
organisant la responsabilité des magistrats, recommande, par
exemple, de limiter l’engagement de cette responsabilité aux seuls
cas de faute lourde 32 . L’un des arguments utilisés à l’appui
d’évolutions jugées nécessaires est la réforme des années 1925-1928
relative à la responsabilité des comptables publics en matière de
recouvrement de recettes fiscales. Le système mis en place ne laisse,
le cas échéant, à la charge du comptable que la somme qui n’a pu
être recouvrée de son fait ou par sa négligence 33 . On invoque
également les amendes instituées par le décret du 8 août 1935 en cas
de retard dans la production des comptes qui serait imputable à un
comptable négligent 34 ; on ne saurait, en effet, « leur reconnaître le
caractère de dommages et intérêts au profit de la collectivité
publique. Il s’agit […] de peines sanctionnant des obligations de faire
et tendant à punir le comptable personnellement pour son retard 35
».
Est également adoptée à cette époque une sanction frappant les
gestions de fait. Le décret du 23 octobre 1935 punit ainsi les
comptables de fait qui ont manié des deniers sans titre légal. Il
appartient à la Cour des comptes de prononcer cette amende dont
elle fixe le montant et pour laquelle elle dispose d’un grand pouvoir
d’appréciation. L’amende a pour objet de sanctionner la détention
sans titre de deniers publics et donc l’irrégularité de la gestion
occulte. E. Labeyrie, alors procureur général près la Cour des
comptes avant de devenir premier président en 1937, s’exprima en
des termes sévères à l’encontre de cette amende pour gestion de fait
au cours de l’audience solennelle de rentrée de la Cour des comptes
du 16 octobre 1935. Voyant dans la déclaration de gestion de fait et
l’obligation de rendre compte une sanction suffisante, le procureur
général Labeyrie s’insurge contre une sanction qui frappera « tous
ceux qui seraient déclarés comptables de fait, même quand leur
gestion irrégulière est probe et conforme aux intérêts généraux
qu’ils avaient à défendre ». On comprend mal, poursuit-il :
« que soit réprimée avec une telle rigueur une faute, parfois sans gravité dans ses
conséquences, alors que notre législation, exceptionnellement débonnaire en la
matière, ne prévoit aucune sanction pécuniaire contre les fonctionnaires qui, par
36
leur faute lourde, ont causé de graves préjudices à la chose publique ».
L’année suivante, résumant les progrès intervenus (les deux décrets
du 1er septembre 1936), le procureur général Labeyrie ajoute à ces
propos :
« vos efforts produiront seulement leurs pleins résultats le jour où la réforme si
importante qui vient d’être accomplie sera complétée par la réglementation de la
responsabilité des administrateurs. Ce n’est que lorsque ceux qui détiennent une
partie des pouvoirs de l’État sauront que leurs fautes seront obligatoirement
soumises à des juges chargés, en toute indépendance, d’en déterminer la gravité
et d’appliquer des sanctions fixées par la loi, que le contrôle de leurs actes
37
trouvera toute son efficacité ».

D. Des revendications parlementaires récurrentes : entre


renforcement des prérogatives de la Cour des comptes et
sanction des ordonnateurs

Dès la fin du XIXe siècle, la volonté du Parlement de renforcer son


contrôle sur les ordonnateurs donne lieu à un certain nombre de
propositions de loi qui entendent renforcer les prérogatives de la
Cour des comptes et ses rapports avec les Chambres. Le député G.
Bozérian dépose ainsi en 1895 une proposition de loi créant une
commission de contrôle des dépenses de l’État. « Si le contrôle est
organisé en France d’une façon à peu près parfaite à l’égard des
comptables, en fait, il peut être considéré comme nul en ce qui
touche les ordonnateurs 38 ». Cette proposition de loi allait très loin
dans le renforcement de l’assistance de la Cour des comptes au
Parlement, car cette commission de contrôle devait être constituée
de sous-commissions par département ministériel, chacune étant
assistée par un conseiller référendaire ou un auditeur à la Cour des
comptes. D’une manière générale, l’insuffisance du contrôle exercé
par la Cour des comptes sur les ordonnateurs fait l’objet de
constatations répétées des parlementaires. La carence essentielle du
système mis en place sous la Restauration apparaît même résider
dans l’absence de sanction effective frappant les ordonnateurs. En
1912, le rapporteur de la commission des comptes définitifs
s’exprime à ce sujet en des termes sévères : « La Cour sait peu de
chose sur les ordonnateurs, elle en dit encore moins, et l’on ne tient
nul compte de ce qu’elle dit ». L’on en arrive à écrire qu’il convient
même de « se demander si l’on peut, à proprement parler, appeler
contrôle l’exercice d’un droit de regard dont les résultats dépendent
presque exclusivement de la bonne volonté de ceux qui y sont
soumis 39 ».
Au début des années 1920, la question de l’absence de sanction de
l’ordonnateur comme faille majeure du système budgétaire fait, à
nouveau, l’objet de propositions de loi. L’une d’elles, présentée par le
député Géo-Gérald, est très claire sur ce point 40 . « Si l’on examine
[le] contrôle au point de vue pratique, on verra que, dans le domaine
des responsabilités et des sanctions, il est dénué de valeur effective
». Or, les motifs présentés à l’appui de cette proposition sont de
rassurer l’épargne, de lui donner confiance et d’asseoir sur des bases
solides le crédit de l’État. Pour M. Géo-Gérald, la réorganisation des
contrôles doit s’accompagner d’un « système de répression et de
sanction » qui doit être à la disposition de l’autorité chargée du
contrôle, car « il n’y a pas de pouvoir et d’autorité sans sanction 41 ».
L’indépendance requise par le contrôle de l’engagement des
dépenses nécessite, selon l’auteur de cette proposition, de confier à
la Cour des comptes cette tâche. L’article 3 de ce texte prévoit que la
Cour, tout en surveillant l’emploi des crédits votés, « prendra, sous
le contrôle du Parlement, toutes les sanctions qu’elle jugera utile ».
Louis Marin lui-même avait, du reste, été l’auteur d’une proposition
de loi en 1912 tendant à étendre les pouvoirs de contrôle que la Cour
des comptes possédait à l’égard des ordonnateurs 42 . Pourtant, la loi
Marin du 10 août 1922 relative au contrôle des dépenses engagées
sera une alternative à toute augmentation du contrôle de la Cour des
comptes sur les ordonnateurs, et plus largement, à tout
rapprochement excessif de la Cour et du Parlement. En contrepartie,
le contrôle des dépenses engagées doit donner les garanties d’un
meilleur contrôle des ordonnateurs. Les revendications
parlementaires visant à confier à la Cour des comptes le contrôle de
l’engagement des dépenses refleuriront cependant par la suite, en
particulier dans le cadre du rapport Labeyrie de 1933 43 . L’exemple
de l’Italie sera avancé, s’agissant notamment du contrôle préventif
exercé par la Cour des comptes italienne avant l’engagement des
dépenses 44 . Il en sera de même dans le projet déposé le 10
décembre 1934 par le sénateur Maulion qui reprendra l’idée de
confier à la Cour des comptes ce contrôle préventif 45 . Une partie de
la doctrine se montre très favorable à ce système. R. Stourm écrit
ainsi au sujet des dépassements de crédits : « Si jamais ils trouvent
leur maître, ils ne le trouveront que là ; en dehors de la Cour des
comptes, ce ne sont que palliatifs ou combinaisons inquiétantes 46 ».
À la Libération même, les débats entourant l’adoption de la
Constitution garderont la trace de cette vieille revendication du
Parlement de s’attacher l’assistance de la Cour des comptes. Lors de
l’examen et de l’adoption de l’article 18 de la Constitution du 27
octobre 1946 47 , un amendement déposé par M. Pineau se proposait
d’ajouter :
« L’Assemblée nationale règle définitivement les comptes de la Nation. Elle est
assistée par la Cour des comptes qui lui donne connaissance directement des
abus, malversations et de tous actes ou faits pouvant engager la responsabilité
des administrateurs, qu’elle découvre dans le cours de ses opérations et lui
48
propose les mesures convenables aux intérêts de la République ».
On retrouvait également dans cet amendement trace de la
revendication émise à de nombreuses reprises par le Parlement sous
la IIIe République d’obtenir la communication des référés de la Cour
des comptes. Du reste, ceux qui proposent à la même période de
confier à la Cour des comptes le soin de sanctionner les
ordonnateurs, invitent à la suppression du contrôle des dépenses
engagées. M. Allix écrit ainsi dans son étude publiée en 1922 que la
mise en œuvre de la responsabilité pécuniaire des ordonnateurs
permettrait « d’envisager la suppression sans grand dommage du
contrôle des dépenses engagées qui […] tire sa principale raison
d’être de l’irresponsabilité de fait des administrateurs 49 ». Peu
avant l’examen de la loi de 1922 réformant le contrôle des dépenses
engagées, une proposition de loi est déposée en janvier 1921 par un
groupe de députés conduit par M. Fleury-Ravarin qui entend
renforcer le contrôle du Parlement sur les dépenses publiques 50 .
Son auteur publie au même moment dans la Revue politique et
parlementaire un article sur « La Cour des comptes et le contrôle des
dépenses publiques » dans lequel il expose les nécessités de réforme
des attributions de la Cour. Les enjeux tiennent au vote de lourds
impôts demandant un effort fiscal important au pays qui doit
s’accompagner de la garantie pour le contribuable que les milliards
prélevés sur le produit de son travail, ses économies et sa fortune
acquise seront employés de manière régulière. Cette proposition de
loi demande, notamment, la publication des référés de la Cour des
comptes par leur insertion au rapport public et donne à la Cour les
pouvoirs d’enquête les plus étendus auprès des administrations,
contrôles sur pièces et sur place. Il est également prévu que les
commissions des comptes définitifs des chambres procèdent en
présence du premier président de la Cour des comptes à l’audition
tant des chefs de services que d’un responsable du ministère des
Finances pour faire suite aux observations figurant au rapport
annuel de la Cour.

II. Vers la reconnaissance juridique d’une


responsabilité financière sui generis des
administrateurs
Les débats qui eurent lieu au cours des décennies précédant la
création de la Cour de discipline budgétaire montrent l’existence
d’interrogations sur la nature de la responsabilité susceptible de
peser sur l’ordonnateur. Une responsabilité civile, où la
condamnation pécuniaire serait fonction du dommage causé au
Trésor 51 ; une responsabilité plus ou moins pénale, où la sanction
serait fonction de la gravité de la faute commise. Ces débats animent
tant les privatistes que les publicistes. L’ouvrage d’Henri et Léon
Mazeaud, Traité théorique et pratique de la responsabilité civile, délictuelle
et contractuelle, publié en 1934, précise, par exemple, que le
fonctionnaire qui commet une faute doit en répondre également à
l’égard de l’administration, que cette faute soit de service ou
personnelle 52 . La création de la Cour de discipline budgétaire sera
le fruit de ces débats et la responsabilité financière apparaîtra
comme autonome au regard des autres formes de responsabilité. Si
la loi du 25 septembre 1948 vient ainsi sanctionner des infractions
financières, c’est que s’y trouve une idée de faute et de sanction
proportionnée à la faute, la faute étant conçue comme : « un
manquement à une obligation préexistante 53 ». D’une analyse de la
responsabilité fondée sur une responsabilité civile, l’on glisse ainsi à
une idée de sanction, et à une sanction quasi pénale, laquelle exige
une volonté libre. Telle est la raison de l’alignement sur les principes
du droit pénal du système mis en place en 1948. L’ordre hiérarchique
y est, en particulier une excuse absolutoire pour certaines
infractions commises par des fonctionnaires sur ordre de leurs
supérieurs, la peine passant dans ce cas sur le supérieur qui a donné
l’ordre. On retrouve aussi dans ce dispositif les exigences du principe
hiérarchique ; le respect des instructions données aux subordonnés
ne serait plus assuré si ceux-ci les discutent ; ils « examineraient le
degré de responsabilité qui peut leur incomber et pourraient
désobéir avec quelque apparence de raison. L’administration ne
serait plus possible dans de telles conditions 54 ».
Ces nécessités expliquent largement l’ancienneté du débat relatif à la
mise en jeu de la responsabilité des gestionnaires publics. C’est à ces
difficultés que s’était du reste déjà heurté le décret du 13 juillet 1789
adopté en réponse aux Cahiers de doléance qui réclamaient une
responsabilité des agents publics et l’attribution des procès aux
tribunaux de droit commun. Alors que l’Assemblée constituante y
affirme que « les ministres et les agents civils et militaires seront
responsables de toute entreprise contraire aux droits de la nation et
aux décrets de l’Assemblée », la loi des 7 et 14 octobre 1790 allait
rapidement préciser qu’« aucun administrateur ne peut être traduit
devant les tribunaux, pour raisons de fonctions publiques, à moins
qu’il n’y ait été renvoyé par l’autorité supérieure, conformément aux
lois 55 ».
L’évolution vers la mise en place d’un régime de responsabilité sui
generis fut lente. Les débats qui entourèrent l’adoption de la loi du 10
août 1922 relative au contrôle des dépenses engagées ne permirent
pas de dépasser le clivage responsabilité pénale/responsabilité civile
(A), de sorte que l’autonomie de la responsabilité financière ne
parviendra alors pas à s’imposer. Il faudra pour cela attendre la
Libération et loi du 25 septembre 1948 pour que s’impose l’idée d’une
sanction pécuniaire sui generis. Il est manifeste à la lecture des
travaux préparatoires que la loi de 1948 est conçue comme le
complément de la loi du 10 août 1922 dont elle vient combler les
lacunes tout en donnant une sanction effective à la responsabilité
des ordonnateurs (B).

A. La question de l’autonomie de la responsabilité


financière, pénale et civile au cœur des débats sur la loi
du 10 août 1922 relative au contrôle des dépenses
engagées

Lorsque s’engagent les débats sur la loi du 10 août 1922 qui entend
réduire les engagements irréguliers de dépenses et les dépassements
de crédits, l’enjeu est de renforcer la responsabilité des
administrateurs en les rendant pénalement et civilement
responsables. Le fait d’engager des dépenses qui ne résultent pas de
l’application de lois ou qui dépassent les crédits ouverts, sous
réserve des dispositions édictées à l’article 9, y est qualifié de
forfaiture et rend passible des peines édictées par le Code pénal, soit
la dégradation civique 56 . Selon les termes du rapporteur général de
la commission des Finances du Sénat, les ministres seront «
responsables à peine de forfaiture et subsidiairement, civilement
responsables ». La loi de 1922 reprend ainsi la teneur des débats qui
eurent lieu 90 ans auparavant lorsqu’il fut discuté de la
responsabilité civile les ministres. La Chambre des députés fut saisie
en 1832 de divers textes, projets et propositions de lois visant à
organiser la mise en jeu de cette responsabilité conformément à
l’article 69 de la Charte de 1830 qui annonçait une loi « sur la
responsabilité des ministres et des autres agents du pouvoir 57 ».
Entre 1832 et 1836, il sera ainsi débattu de la question de savoir s’il
n’est pas possible d’envisager une responsabilité civile des ministres
pour faute lourde, même en l’absence de crime. Une commission fut
constituée. Ses propositions furent acceptées par le Gouvernement
et M. Barthe, alors garde des Sceaux, les reprit dans le projet de loi
qu’il préparait. Mais de changements ministériels en nouveaux
projets, ce texte fut finalement abandonné et l’on en revint à la
liaison responsabilité pénale/responsabilité civile. En 1835 fut ainsi
proposée une disposition prévoyant que :
« lorsqu’un ministre aura dépassé les crédits ouverts par le budget à son
département et que les crédits supplémentaires par lui demandés auront été
rejetés, la Chambre des députés pourra, suivant les circonstances, l’accuser de
prévarication. La Cour des pairs, statuant sur l’accusation, pourra mettre à la
charge du ministre tout ou partie de la dépense rejetée ».
La loi du 10 août 1922 organisant le contrôle des dépenses engagées
reste sur ce schéma classique, la Haute Cour se prononçant le cas
échéant sur la réparation civile accessoirement à la condamnation
pénale, comme cela se fait devant les juridictions criminelles saisies
d’une action civile jointe à l’action publique. Ce système fut critiqué,
notamment par Louis Trotabas qui reprochait à cette loi de « mettre
la responsabilité civile à la remorque de la responsabilité pénale 58
». Pourtant, les débats parlementaires montrent que ces questions
ne furent point ignorées. Le rapporteur général de la commission
des Finances de la Chambre des députés proposa de supprimer de
l’article 9 les termes « à peine de forfaiture », écartant l’exigence
d’une infraction pénale, et proposa de retenir tout simplement la
responsabilité civile « des ministres et des agents qui violeraient
sciemment la loi en ordonnant des mesures nouvelles, ne résultant
pas de lois antérieures, et entraînant des augmentations de dépenses
». Mais le Sénat repoussa cette initiative pour maintenir la
qualification de forfaiture. Le rapporteur général de sa commission
des finances, Henry Bérenger, justifia ce choix de la manière
suivante :
« un ministre ne peut impunément, dans la crise financière extrêmement grave
que le pays traverse, se livrer à des dépenses non autorisées par les lois
existantes, en dépassant les crédits ouverts et en dehors des assemblées qui
59
seules ont qualité constitutionnelle pour voter le budget ».
En seconde lecture, la commission des finances de la Chambre des
députés proposa quant à elle inversement de supprimer des
dispositions de l’article 5 le terme « civilement », rajouté au texte
lors de son adoption par le Sénat, et de laisser seulement «
personnellement responsable ». Son rapporteur général, M. Maurice
Bokanoswski, expliquait assez justement que les mots «
responsabilité civile resteront sans portée pratique tant que
n’auront pas été déterminées la juridiction appelée à connaître des
infractions reprochées aux ministres, ni la procédure à suivre pour
déclencher l’action publique 60 ». Dès l’origine, la loi de 1922 sera
critiquée par la doctrine. Une thèse soutenue en 1923 résume, du
reste, ces critiques en indiquant que le désir du Parlement
d’organiser la responsabilité pécuniaire des ministres provient «
d’une fausse assimilation des infractions administratives aux cas du
Code civil » en s’appuyant tant sur l’obligation de réparer le
dommage à autrui que des obligations du mandataire envers son
mandant, alors que les rapports d’un ordonnateur avec l’État sont
d’un ordre spécial 61 .

B. La loi du 25 septembre 1948, complément de la loi du


10 août 1922 : la sanction pécuniaire, alternative à la
responsabilité civile

Le contrôle des dépenses engagées organisé par la loi du 10 août 1922


ne s’exerçait que sur les ordonnateurs principaux ou sur les
délégations de ceux-ci aux ordonnateurs secondaires. « Le contrôle
n’était pas organisé au plan local, il était loisible de faire engager une
dépense par un ordonnateur secondaire pour échapper à toute
sanction du chef de cette loi 62 ». De sorte que les dépenses des
ordonnateurs secondaires constituèrent rapidement la plus grande
partie des dépenses publiques. Plusieurs textes, dont le décret du 1er
septembre 1936, avaient pourtant sans y parvenir tenté d’organiser
le contrôle des dépenses engagées au niveau local. La filiation entre
les deux textes s’observe, notamment, lors des débats
parlementaires. Un amendement proposé par le groupe communiste
est repoussé devant le Conseil de la République de l’avis unanime du
rapporteur général et de celui du secrétaire d’État au Budget au
motif qu’il est contraire à la loi du 10 août 1922 qui ne prévoit aucun
minimum 63 , d’autant qu’un tel système pourrait inciter « à
fractionner les dépenses, les marchés par exemple, et tourner ainsi
une loi que nous avons voulu sévère 64 ». Contrairement aux
dispositions adoptées dans le cadre de la loi du 10 août 1922 qui ne
parvinrent pas à dépasser le clivage traditionnel responsabilité
pénale/responsabilité civile, une autre analyse avait été envisagée
par le professeur Edgard Allix dans un article publié en 1922 65 .
Agrégé des facultés de droit, l’intéressé avait, par ailleurs, été chef
adjoint du cabinet de P. Doumer aux Finances de 1921 à janvier 1922.
E. Allix proposait alors une sanction pécuniaire comme peine
subsidiaire à la mise en jeu de la responsabilité civile.
En raison de l’absence de proportion entre la fortune privée et les
conséquences d’une faute administrative grave, l’amende se fait
sanction à défaut de pouvoir dédommager le Trésor et E. Allix
envisage même de fixer la peine par référence aux émoluments de
l’agent. « Le tarif des sanctions devrait être dégressif et fixé dans la
proportion combinée du montant du préjudice subi par le Trésor et
des émoluments touchés par l’agent ». Il est à ce propos tentant de
rapprocher les termes du rapport de la Cour de discipline budgétaire
du 2 février 1955 au président de la République 66 des propositions
faites par E. Allix en 1922. Dans cette proposition, si c’est encore
l’idée de dommage qui supplante celle de la faute commise, c’est bien
une sanction pécuniaire qui est proposée et qui écarte tout
cautionnement. En 1948, le rapport Barangé 67 , réalisé au nom de la
commission des Finances de l’Assemblée nationale sur le projet de
loi créant la Cour de discipline budgétaire, développa ce point en
expliquant que la nature des amendes prononcées par cette
juridiction est la même que celle « des amendes prononcées par la
Cour des comptes » et que cette disposition avait été ajoutée par la
commission sur avis de la Cour afin d’éviter que les fonctionnaires
ne puissent se prémunir de ces amendes par un système d’assurance.
Le projet gouvernemental fut ainsi modifié car sa rédaction initiale
semblait propice à voir se développer des assurances couvrant les
justiciables des amendes auxquelles ils étaient exposés 68 . Saisie
pour avis par le rapporteur général de la commission des Finances
de l’Assemblée, la Cour des comptes avait répondu que « selon une
jurisprudence constante, ces amendes, et notamment les amendes
pour gestion de fait qui étaient les plus proches parentes des
amendes instituées par le présent projet, présentant un caractère
pénal, il était illicite de les couvrir par une assurance ». La Cour fit
également remarquer que les amendes qu’elle prononce
sanctionnent des obligations qui sont d’ordre public. « L’assurance
contre l’amende, conclut-elle, en supprimant l’efficacité de la
sanction, entraînerait le plus grave désordre dans la gestion des
deniers publics. Tant en droit, qu’en pratique, une telle assurance
doit donc être prohibée 69 ».
La proposition du doyen Allix est également analysée par la doctrine
comme une solution pragmatique qui permet de rechercher les
véritables fautifs ; la responsabilité ministérielle étant de nature
essentiellement politique, on ne peut raisonnablement reprocher à
un ministre tout ce qui se passe au sein de son administration. Cette
proposition très novatrice se détache ainsi d’une certaine conception
particulièrement intransigeante de la responsabilité ministérielle,
telle celle que l’on retrouve sous les mots de Thiers « Dès que
quelqu’un a tort sur un point quelconque du territoire, le ministre a
tort lui-même ». Le caractère inopérant en termes de sanction de
cette analyse laissait peu à peu la place à une prise en compte des
réalités de la vie administrative. Le ministre, à qui sont certes alloués
les crédits, est rarement libre de choisir les agents qui l’entourent en
raison des statuts existants, des concours, règles d’avancement, etc.
70
Faut-il également trouver dans la loi de 1948 un lointain écho aux
débats qui entourèrent la discussion du projet de budget pour
l’exercice 1904 71 ? Les débats à la Chambre des députés
s’achevèrent, en effet, par le vote d’une résolution demandant au
Gouvernement de présenter un projet de loi tendant à donner une
sanction à la responsabilité des ordonnateurs. Cette initiative était
partie d’observations répétées et récurrentes faites par la Cour des
comptes sans que l’administration concernée ne semble disposée à
s’en inspirer ; « la Cour des comptes réitère ses observations, et le
ministre réitère les agissements condamnés ». Paul Doumer, alors
président de la commission du Budget, insistait sur la dissociation à
opérer entre la responsabilité du ministre et la poursuite de
pratiques administratives se poursuivant quel que soit le titulaire du
poste ministériel. La résolution proposée par Paul Doumer venait en
réaction à une proposition de résolution déposée par un député
nommé M. Lasies, ainsi conçue : « Le Gouvernement est invité à
déposer un projet de loi tendant à ce que toutes les dépenses non
justifiées devant la Cour des comptes soient mises à la charge de
l’ordonnateur 72 ». L’auteur de ce texte considérait qu’il fallait bien
un jour arriver à « une sanction pratique » pour mettre un terme à
des agissements qui ne dépendent « pas tant de la faute des
ministres titulaires de portefeuilles que des mauvaises traditions et
des mauvais usages qui sont passés à l’état d’habitude. On ne s’en
étonne plus, on trouve cela tout naturel » et invitait le
Gouvernement à prendre lui-même l’initiative d’un projet de loi. Il
faudra pour cela attendre la Libération. Robert Schuman, alors
ministre des Finances, charge ainsi en mars 1947 un membre de son
cabinet d’élaborer un certain nombre de propositions qui conduiront
au projet de loi créant la Cour de discipline budgétaire.

III. La loi n° 48-1484 du 25 septembre 1948


tendant à sanctionner les fautes de gestion
commises à l’égard de l’État et de diverses
collectivités
La seconde assemblée constituante avait, par la loi du 7 octobre 1946
73
, tenté de rendre obligatoire le déclenchement des poursuites
disciplinaires contre les agents publics défaillants. Son article 126
prévoyait que :
« Les ministres étaient tenus, sous leur responsabilité personnelle, d’engager
l’action disciplinaire contre les fonctionnaires civils ou militaires et agents des
services publics, dont la Cour des comptes leur aura signalé, par référé ou par la
voie de son rapport annuel, la faute ou la négligence, chaque fois que cette faute
ou cette négligence aura entraîné un dépassement de crédits ou compromis les
intérêts financiers ou domaniaux de l’État, d’un établissement public de l’État,
74
d’une société nationale ou d’une entreprise nationalisée ».
Si, entre la sanction disciplinaire et la sanction pénale instituée par
l’article 9 de la loi du 10 août 1922, il n’existe alors aucune autre
alternative, l’idée est qu’une sanction doit frapper l’agent dont la
gestion aura enfreint les règles budgétaires et financières. La
question devient, du reste, pour le Gouvernement, beaucoup plus
importante que par le passé en raison d’un besoin de moralisation de
la fonction publique. Si on en croit, en effet, Marcel Waline, un
ensemble de facteurs, des recrutements partisans opérés sous le
régime de Vichy à l’accession à la Libération d’agents dépourvus de
toute expérience, explique la multiplication d’irrégularités
inexcusables commises au sein de l’administration 75 . Au-delà de la
répression, la création de la CDBF a donc une visée pédagogique et
préventive, et ce point fut notamment souligné par G. Vedel dans
son article paru en 1949 76 . La note jointe à l’avant-projet de loi
précise à ce propos que « les sanctions doivent être assez rigoureuses
pour inspirer aux ordonnateurs, et de manière générale, à tous les
fonctionnaires qui ont qualité pour engager l’État, une crainte
nécessaire et salutaire, sans être cependant si excessives que la
juridiction hésite à les appliquer ». La création de la CDBF s’inspire
ainsi de l’idée résumée par Maurice Hauriou dans sa note sous l’arrêt
Lemonnier 77 selon laquelle « la responsabilité pécuniaire
personnelle est encore le meilleur moyen que l’on ait trouvé pour
empêcher les prévarications des fonctionnaires ». Or, les
irrégularités se sont multipliées au cours des années d’Occupation et
ces pratiques n’ont pas disparu à la Libération. Au cours des années
qui suivirent, « les irrégularités budgétaires se multiplièrent de
façon inquiétante, surtout de la part des services nouveaux qui
avaient été créés avec plus ou moins d’improvisation 78 », comme le
signalait du reste le rapport de la Cour des comptes sur les années
1946-1947. « Un laxisme croissant s’était manifesté au cours des
années d’occupation. Des difficultés exceptionnelles avaient conduit
l’administration supérieure à déléguer de larges pouvoirs à des
gestionnaires agissant sans contrôle suffisant 79 ».
Le projet de loi, qui oscille ainsi entre sanction et prévention, définit
un certain nombre d’infractions (A), et confie leur sanction à une
juridiction spéciale (B). Au-delà de ces enjeux spécifiques, les
différentes étapes allant de l’ébauche du projet de loi à son adoption
définitive seront présentées (C).

A. L’énoncé d’infractions financières

La loi du 25 septembre 1948 va énoncer un certain nombre


d’infractions à la législation budgétaire et financière susceptibles
d’être commises par un agent public : engagement d’une dépense en
violation des règles applicables en matière de contrôle financier,
imputation irrégulière d’une dépense, engagement d’une dépense
sans disposer du pouvoir à cet effet, attribution à autrui d’un
avantage injustifié entraînant un préjudice pour le Trésor, infraction
à l’encontre des règles relatives à l’exécution des recettes et des
dépenses publiques. Cette idée n’est pas nouvelle. Rappelons à ce
sujet que les travaux de la commission parlementaire désignée en
1832 pour examiner les propositions mentionnées précédemment
s’étaient déjà ralliés à une conception autonome de l’infraction
financière par rapport à l’infraction pénale et proposaient de fixer
les cas dans lesquels cette responsabilité pourrait être encourue.
Nous ne sommes pas loin, plus d’un siècle auparavant, de l’esprit des
infractions qui seront susceptibles de renvoyer un agent public
devant la CDBF. Il s’agissait ainsi de :
« Toute faute grave dans la surveillance et l’exécution des lois et règlements
relatifs aux comptables et à la conservation de la fortune et du domaine public ;
tout emprunt non autorisé par une loi ou contracté sans avoir observé les règles
prescrites par la loi qui l’autorise ; toute émission de bons royaux au-delà des
limites fixées par la loi ; toute garantie donnée à un emprunt ou à une créance
étrangère qui engagerait le Trésor sans l’autorisation des Chambres ; tout emploi
de deniers publics hors les prévisions et les crédits législatifs et non justifiés par
la nécessité ».
Ces travaux allaient inspirer une proposition de loi déposée en 1894
par le député Gaston Bozérian qui définissait, au regard des
principales infractions aux lois et règlements relevées chaque année
par la Cour des comptes, un certain nombre d’infractions
susceptibles de mettre en jeu la responsabilité civile des ministres 80
. On trouve dans la proposition Bozérian l’exigence d’une infraction
commise « sciemment », terme qui sera repris en particulier par la
loi de 1922. Par rapport au système qui sera adopté en 1948, un point
mérite cependant d’être signalé.
L’exigence d’avoir agi sciemment doit éviter la mise en jeu de la
responsabilité civile d’un ministre dont la bonne foi aurait été
surprise par un fonctionnaire dont la nomination ne lui est pas
imputable. Ce sera d’ailleurs dans ce cas au ministre de démontrer
qu’il a été trompé ; ce qui est prévu dans la proposition Bozérian de
1894 à l’encontre du fonctionnaire qui l’aura induit en erreur, c’est
une action disciplinaire devant conduire à le relever de ses
fonctions, mais non une responsabilité personnelle et pécuniaire.
Bozérian précise dans sa proposition qu’il a l’intime conviction que
les dispositions qu’il propose « ne recevront guère d’application »,
mais qu’elles suffiront « pour empêcher le retour des regrettables
errements suivis depuis un certain nombre d’années ». Sont ainsi
susceptibles d’engager la responsabilité civile des ministres, le fait
d’intervertir les dépenses d’un chapitre à un autre, d’intervertir ces
dépenses d’un exercice à un autre, d’un budget à un autre, d’engager
des dépenses sans crédit régulier, et, enfin, de faire des dépenses
contraires aux volontés du Parlement.
B. La création d’une juridiction spécifique

Bien avant la création de la CDBF, la question de savoir quelle


pouvait être la juridiction compétente pour la mise en jeu de la
responsabilité pécuniaire de l’ordonnateur se posa. Une résolution
votée à une large majorité par la Chambre des députés le 26 juin 1895
insistait, par exemple, sur « la nécessité de compléter par la
détermination de la juridiction compétente, la législation existante
en matière de responsabilité des ministres 81 ». La doctrine avait
largement disserté sur la juridiction susceptible de connaître de la
mise en jeu de la responsabilité civile des ministres. Pour Laferrière
il ne pouvait s’agit que de la Cour des comptes 82 . Le doyen Allix
proposait également de confier à la Cour des comptes le soin de se
prononcer sur cette responsabilité des ordonnateurs, le juge de
comptes ayant à partager, le cas échéant, la responsabilité revenant
au comptable et celle revenant à l’ordonnateur. Car confier à la Cour
des comptes le soin de sanctionner l’ordonnateur revenait aussi, par
une conséquence logique et évidente, à lui donner le pouvoir
d’apprécier le comportement du comptable public, lequel reste dans
le système de la loi de 1807 soumis à la seule appréciation du
ministre des Finances. Montcloux, en 1840, préconisait également de
confier la sanction de la mise en jeu de la responsabilité pécuniaire
de l’ordonnateur à la Cour des comptes. Cet auteur proposait qu’il y
ait dans chaque ministère des ordonnateurs centraux qui seraient les
directeurs des ministères ; un système comparable serait mis en
place au niveau local aux côtés du préfet et tous les ordonnateurs
seraient astreints à un cautionnement. Ils « répondraient de la
régularité de la créance, de l’accomplissement des formes et de
l’exactitude des liquidations. Ils seraient pour ces faits justiciables de
la Cour des comptes 83 ». Il n’y avait du reste rien de véritablement
innovant ou de révolutionnaire dans cette proposition qui reprenait
l’idée proposée par Antoine Levacher-Duplessis à Napoléon alors
Premier consul dans son projet de Haute Cour des finances qui aurait
eu à juger « définitivement les comptes de l’État, et par une suite
nécessaire la responsabilité civile des ministres et des ordonnateurs
84
».
Le système italien offrait, il est vrai, une source d’inspiration
possible. Une responsabilité y pesait sur les ordonnateurs depuis la
première moitié du XIXe siècle et juridiction était confiée en ce
domaine à la Cour des comptes. Cette responsabilité visait en
premier lieu les chefs de comptabilité chargés, dans les
administrations centrales, de l’ordonnancement et qui devaient
s’assurer qu’aucune loi n’a été violée, qu’il n’y a ni dépassement de
crédit, ni fausse imputation. Le chef de comptabilité qui refuserait de
viser une ordonnance qui lui paraît irrégulière doit se soumettre si le
ministre lui en donne l’ordre écrit, ordre qui le décharge alors de sa
responsabilité. L’exemple de la Belgique fut également mentionné
lors de l’examen parlementaire du projet de loi relatif à la création
de la Cour de discipline budgétaire, la Cour des comptes belge
pouvant infliger aux ordonnateurs une amende qui n’excède pas la
moitié de leur traitement. Cette possibilité prévue dès la loi du 29
octobre 1846 créant la Cour des comptes belge fut précisée par la loi
du 20 juillet 1921, texte dont le doyen Allix s’inspire très
certainement dans l’analyse qu’il publie l’année suivante. Quoi qu’il
en soit, le Gouvernement écarte en 1948 la solution consistant à
confier à la Cour des comptes le soin de réprimer les infractions
énoncées par ce texte. C’est repousser ainsi l’idée avancée par Robert
Jacomet dans un article publié en juillet 1947 dans la Revue politique
et parlementaire qui plaidait pour que ces sanctions relèvent de la
compétence de la Cour ; il s’agit « de faire l’économie d’une nouvelle
juridiction, en confiant à la Cour des comptes le soin d’appliquer les
sanctions prévues par la loi pour les ordonnateurs en cas de faute
lourde dans l’exécution des dépenses 85 ». Robert Jacomet appuyait,
du reste, son propos sur le fait :
« que dans certains pays la responsabilité pécuniaire des
ordonnateurs peut-être mise en jeu par la juridiction financière.
C’est ainsi qu’en Italie, les agents qui dans chaque ministère,
préparent les ordonnances, sont pécuniairement responsables en cas
d’irrégularité ; ils sont jugés par la Cour des comptes 86 ».

C. De l’avant-projet de loi à la loi du 25 septembre 1948

La création de la CDBF repose sur la volonté de M. Robert Schuman,


alors ministre des Finances qui charge en mars 1947 un membre de
son cabinet, M. Charles Frappart, auditeur à la Cour des comptes,
d’élaborer un certain nombre de propositions (1) qui vont aboutir au
projet de loi instituant la Cour de discipline budgétaire, que R.
Schuman va soutenir en se rendant lui-même devant l’assemblée du
Conseil d’État 87 . Saisi dans des délais très courts, le Conseil d’État
aura un regard assez réservé sur le dispositif présenté par le
Gouvernement (2). Ces évolutions, qui n’allèrent pas sans susciter
certaines interrogations ou inquiétudes au regard du statut de la
Fonction publique, expliquent, par ailleurs, l’attention portée aux
règles de procédure que devait suivre la juridiction nouvellement
créée (3). Pour autant, l’œuvre du Parlement fut plus vaste, ainsi
qu’en témoignent l’examen parlementaire du projet de loi et les
modifications qui y furent apportées (4).

1. L’avant-projet de loi
La première ébauche de ce projet s’intitule : « projet de loi tendant à
réprimer les infractions aux règles budgétaires et portant création
d’une cour spéciale pour juger les auteurs de ces infractions ». Le
nom qui sera celui de cette juridiction n’a pas encore été décidé. Une
note, vraisemblablement rédigée par Charles Frappart, accompagne
ce texte. Elle sera ensuite reprise et constituera la trame, quand ce
ne sont pas les mots mêmes de l’exposé des motifs de la loi. La Cour y
est alors désignée sous le nom de Cour de contrôle des ordonnateurs,
avec la mention selon laquelle « cette dénomination serait à revoir,
car il est possible que des fonctionnaires n’ayant pas la qualité
juridique d’ordonnateur, engagent des dépenses irrégulièrement et
soient passibles de sanctions infligées par cette juridiction ». La visée
répressive du projet est manifeste et le style y emprunte tout
l’arsenal du vocabulaire pénal. On y lit notamment « toute fausse
imputation entraînera une sanction pénale adaptée à la gravité de
l’infraction », « l’acte d’accusation sera notifié à l’inculpé ». Les
annotations manuscrites portées sur ce document y ajoutent un
certain nombre d’éléments tout à fait significatifs. Leur objet montre
un examen sur le fond très soigné (comme par exemple, l’indication
selon laquelle la Cour des comptes belge prononce également ce type
d’amende, argument qui sera repris ultérieurement par le
rapporteur général de la commission des Finances de l’Assemblée
après consultation de la Cour ; ou celle mentionnant le caractère
d’ordre public des amendes et posant la question des assurances
éventuelles). Au cours de cet exercice vont se voir écarter un certain
nombre des infractions envisagées par le pré-projet, et notamment
le fait pour des fonctionnaires d’avoir par « une négligence ou à
raison d’une faute commise dans l’exercice de leurs fonctions
provoqué, soit la mise à la charge de l’État d’une dépense que celui-ci
n’aurait pas dû normalement supporter, soit une perte de recettes,
soit enfin la perte, la détérioration, la destruction ou le vol de biens
mobiliers ou immobiliers appartenant à l’État », infraction qui,
reprenant l’ensemble des fins de non-recevoir opposées par la
jurisprudence du Conseil d’État en matière de responsabilité civile
des agents publics envers l’État, sera réduite dans son champ
d’application aux infractions à la gestion des biens.
On retrouve dans cet avant-projet l’idée d’une responsabilité civile
des agents publics concernés. Le montant maximum de la sanction
prévue pour cette infraction est, en effet, déterminé soit par rapport
au montant de la dépense ainsi mise à la charge de l’État, soit par
rapport au préjudice par lui subi. Il est manifeste également que cet
avant-projet vise l’ensemble des agents publics. Il y intègre
expressément ceux du ministère des Finances, au rang desquels les
comptables publics et les contrôleurs des dépenses engagées. Une
infraction leur est spécifiquement consacrée en cas de visa donné
malgré une insuffisance de crédits, une violation des lois, une
mauvaise imputation. L’opposition qu’a dû rencontrer cette
disposition dans l’entourage du ministre des Finances Robert
Schuman conduira à la disparition de ces dispositions dont on
rediscutera encore lors de la modification de la loi de 1948 en 1971.
Sont également expressément visés les comptables publics pour
lesquels une amende est prévue en cas de paiement sur une caisse
autre que celle sur laquelle la dépense aurait dû être affectée. Chose
plus évidente encore, va disparaître dans le projet de loi définitif
l’infraction relative aux recettes publiques. Nous verrons qu’elle
réapparaîtra dans le rapport Barangé établi au nom de la
commission des Finances de l’Assemblée nationale pour être
finalement adoptée par le Parlement. L’avant-projet contenait une
disposition ainsi formulée : « tout fonctionnaire ou agent de l’État
qui aura provoqué une perte de recettes en omettant soit de liquider
les droits de l’État, soit d’établir le titre de perception sera passible
d’une amende… » D’autres dispositions connaîtront le même sort : la
faculté pour la Cour de condamner l’agent public à payer des intérêts
moratoires au créancier entre l’engagement de la dépense et
l’ouverture des crédits, la réduction de moitié du montant de
l’amende lorsque la Cour aura déclaré les circonstances atténuantes
ou l’article prévoyant que « tout fonctionnaire qui, dans l’exercice de
ses fonctions, acquerra la connaissance d’une des infractions prévues
par la présente loi sera tenu d’en donner avis immédiatement au
ministre des Finances (direction du Budget) ».
Les ajouts tiennent en particulier à la composition de la Cour. De
trois conseillers d’État et de trois conseillers maîtres à la Cour des
comptes, ce nombre passe à un pour chacun de ces deux corps,
tandis qu’y sont adjoints deux conseillers à la Cour de cassation et
que l’exigence selon laquelle les intéressés doivent être en activité
est précisée. Quant à l’instruction des affaires, l’avant-projet prévoit
la création d’une commission d’instruction, présidée par un
conseiller d’État et composée de deux membres du Conseil d’État et
deux membres de la Cour des comptes, ainsi que d’un représentant
du ministère des Finances. Mais ce modèle initial se voit remplacer
d’un coup de crayon par la désignation de rapporteurs choisis parmi
les membres du Conseil d’État, de la Cour des comptes et de
l’Inspection générale des finances. Quant aux autorités de saisine,
elles vont disparaître entre cet avant-projet et celui qui sera déposé
au Parlement par les présidents des commissions des finances.
Mention manuscrite interrogative est par ailleurs portée dans la
marge pour y ajouter les autres ministres et le Comité central
d’enquête sur le coût et le rendement des services publics, avant que
cette mention ne soit également supprimée pour cet organisme. Sur
ce point, et l’avenir allait lui donner raison, la possibilité donnée à la
Cour des comptes de saisir la juridiction nouvellement créée
apparaissait à Georges Vedel comme « la garantie la plus certaine
que la nouvelle loi ne tombera pas dans le gouffre des textes
inappliqués 88 ». Précisons enfin que l’auteur de cette relecture de
l’avant-projet propose dans la marge un nom pour cette Cour
spéciale : « Cour spéciale de justice des ordonnateurs et des comptes
», avant de préférer « Cour spéciale de justice budgétaire » et pour
laquelle est rajouté le fait que ses audiences ne sont pas publiques.
La note jointe à cet avant-projet explique à ce sujet, que « pour
éviter toute publicité inopportune à certains scandales éventuels, la
procédure doit être rigoureusement secrète ». Un certain nombre
des modifications ou ajouts ainsi opérés disparaîtront lors de
l’examen parlementaire du texte. Il en sera ainsi des dispositions
relatives au contrôle des recettes fiscales ou à l’exclusion des
membres de l’Inspection des finances de la liste des rapporteurs
potentiels, ce qui laisse penser que certaines influences ont ici
encore été exercées.

2. L’examen du projet de loi par le Conseil d’État

Le secrétariat général du Conseil d’État accuse réception le 18 mars


1947 d’un courrier du directeur de cabinet de Robert Schuman
adressé au vice-président du Conseil d’État, René Cassin. Le courrier,
très bref, qui accompagne le projet de loi précise que « la Cour devra
sanctionner les fautes graves et les infractions commises par les
fonctionnaires civils et militaires à l’occasion des actes relatifs à
l’exécution des dépenses de l’État ». Un examen très rapide d’un
texte qui présente « un caractère d’urgence exceptionnelle » est
demandé ; il sera effectivement examiné par la section des finances
le 20 mars 1947. Mises à part quelques corrections purement
formelles, la minute d’assemblée générale n’apporte qu’assez peu de
modifications. Sous l’article 7 du projet de loi, qui exonère de toute
responsabilité les auteurs des infractions produisant un ordre écrit
préalable de leur supérieur hiérarchique, est ajoutée la mention : «
et dont la responsabilité se substitue dans ce cas à la leur ». Sous
l’article 23, relatif à la notification des arrêts de la Cour, est ajouté : «
Il est communiqué au président de l’Assemblée nationale et au
président du Conseil de la République ». Le terme « audience » est,
par ailleurs, supprimé lors de l’examen du projet de loi devant le
Conseil d’État et remplacé par le terme « séance ». Une intervention
du secrétaire d’État au budget, Alain Poher, lors des débats
parlementaires, réintroduira le terme d’audiences. « Je préférerais,
afin qu’il n’y ait pas d’hésitation sur le sens du mot séance, qu’on le
remplace par le mot audiences 89 ». Précédemment, un travail de
réécriture et de renumérotation du texte fut effectué au sein de la
section des finances. Furent également ajoutés un certain nombre
d’éléments : ajout de la mention sous l’article 27 relatif au mode de
recouvrement des amendes que celles-ci n’ont pas le caractère pénal
et, surtout, introduction de la possibilité d’un recours en révision s’il
survient des faits nouveaux ou s’il est découvert des documents dont
la présence aurait été de nature à établir la non-responsabilité de
l’intéressé. Cet ajout est le fait de l’intervention du président de la
section des finances du Conseil qui, dans une note qu’il rédige,
recommande d’insérer un recours en révision limité aux faits
nouveaux résultant de pièces reconnues fausses, ou de pièces qui
auraient été retenues par l’administration, et un recours en
rectification matérielle tel qu’il est organisé devant le Conseil d’État
par l’ordonnance du 31 juillet 1945. Chose étrange, le recours en
révision qui figurait dans l’avant-projet Frappart avait, en effet,
disparu du projet de loi soumis au Conseil d’État.
Au-delà des minutes d’assemblées, ce sont surtout les notes
manuscrites du rapporteur général Lagrange qui donnent des
indications sur l’état d’esprit du Conseil d’État à l’égard de ce projet
de loi. Ces notes comportent l’ordre suivant : des extraits du rapport
de la Cour des comptes publié en 1947, une analyse des «
insuffisances » du contrôle des dépenses engagées, en particulier de
l’absence de contrôle des crédits délégués malgré la loi de finances
du 16 avril 1930 qui avait prévu le principe selon lequel l’application
des dispositions de la loi du 10 août 1922 devait être étendue aux
ordonnateurs secondaires et aux budgets annexes, les moyens de
contourner les règles en matière de visa, en particulier en violant la
règle de la spécialité des crédits, et enfin l’absence de sanction (« et
non insuffisance des sanctions » précise-t-il). Passant en revue
sanction pénale, politique et disciplinaire, le rapporteur note pour
ces dernières « terrain disciplinaire : le seul vrai – mais il ne joue pas
». Suit une analyse du projet de loi. Une distinction des « politiques »
pour lesquels seraient maintenues les dispositions de la loi de 1922,
en particulier la forfaiture, et des fonctionnaires pour lesquels des
sanctions seraient prononcées par une juridiction spéciale. Son
analyse critique porte tant sur le plan juridique, qu’en opportunité.
Sur un plan juridique, il y a empilement du pénal et du disciplinaire,
sur le terrain de l’opportunité apparaît le risque de « raidir » le
contrôle des dépenses engagées, le risque de rendre plus « timides »
les administrateurs et de développer la technique de « l’ouverture du
parapluie ». Viennent ensuite des notes manuscrites prises lors de la
séance de la section des finances du 18 mars et préparant l’examen
par l’assemblée générale du Conseil d’État du 20 mars : le système
n’est « ni pénal, ni disciplinaire », il est « quasi-pénal » tout en
prévoyant des amendes civiles. La question de la nature de l’amende
au regard du droit disciplinaire lui pose cependant question : en
droit français les sanctions disciplinaires sont le fait de l’autorité
administrative, « il y a juridiquement dérogation au statut général
de la fonction publique, la loi peut le faire », « il est normal qu’elle le
fasse en la circonstance ». Et de noter l’accord de la Fonction
publique sur ce texte. Il convient de trouver le « juste équilibre », «
d’effrayer sans paralyser ». Il faudra pour cela une « très grande
souplesse de la Cour ». On y trouve également quelques notes
relatives au système belge avec une référence à la loi de 1921
prévoyant une responsabilité pécuniaire devant la Cour des comptes
belge pour les ordonnateurs secondaires du chef des engagements de
crédits qu’ils ont contractés en violation d’une disposition légale ou
qui ont causé un dommage au Trésor. Il y est précisé que cette
responsabilité s’applique théoriquement même à des actes réguliers,
mais ayant entraîné des dépenses exagérées, sauf si l’ordonnateur
produit un ordre spécial du ministre. Suit la mention : « impossible
en France ».
Lors de sa présentation du projet de loi à l’assemblée générale du
Conseil d’État, M. Lagrange explique que, comme l’a dit le directeur
du Budget, « il faut avoir la foi. Si le Gouvernement a cette foi, si le
Parlement l’a aussi, il n’appartient pas au Conseil d’État de se refuser
à lui donner l’instrument qu’ils demandent ». Accord général de la
section sur ce point.
« Il lui appartient seulement de lui donner l’instrument qui techniquement
apparaisse le meilleur. Ce que, malgré le très court espace de temps qui leur a été
donné, votre rapporteur qui y a passé ses dernières veillées, et votre section,
dans une délibération qui n’a pas duré moins de 6 h, ont cherché à faire ; vous
direz s’ils ont réussi ».
D’une manière générale, on ne croit pas trop, au Conseil d’État, au
succès de l’entreprise. Dans une courte note, André Andrieu 90 ,
président de la section des finances du Conseil d’État, écrit :
« Je vois mal le rapporteur, qui a d’autres travaux à assurer, faire lui-même
l’enquête et rechercher quel est le véritable responsable par des vérifications sur
place. Je pense qu’il serait préférable que le dossier ayant été reçu par le Parquet
de la Cour des comptes, et le rapporteur ayant été désigné, celui-ci vérifie s’il a
des éléments suffisants et qu’en l’absence de tels éléments la commission
ordonne une communication au ministre des Finances en vue de compléter
l’instruction par ses corps de contrôle qui seraient habilités à enquêter à cet effet
dans toute l’administration ».
Le président de la section des finances poursuit ainsi :
« Le projet, dans ses grandes lignes, ne me paraît pas soulever d’objections de
principe. Je reste très attaché à la vieille théorie de l’irresponsabilité pécuniaire
de l’administrateur qui me paraît plus que jamais justifiée à une époque où le
développement de ses facultés d’initiative doit être encouragé et où il peut
commettre des erreurs excusables par le surcroît de travail. Mais cette notion
n’est pas touchée par le projet qui se borne à assurer le respect des décisions du
Parlement ».
Intéressante dans cette note est également l’observation suivante :
« La difficulté principale me paraît être celle que soulève la situation des
ministres et que le projet résout en s’en remettant au Parlement. Je ne crois pas
qu’on puisse trouver autre chose, mais il est à craindre que les sanctions effectives
soient ainsi réservées aux fonctionnaires subordonnés ».
Dans l’esprit des auteurs du projet de loi, et on le voit tant dans
l’exposé des motifs que dans la note accompagnant l’avant-projet
Frappart, l’objet de la Cour de discipline budgétaire est de faire la
part des choses entre ce qui relève de la responsabilité du ministre
(c’est notamment l’objet de la transmission au Parlement des
décisions de classement), et ce qui relève de la responsabilité propre
de ses subordonnés, car dans le système actuel « le Parlement n’est
pas en mesure de distinguer entre ce qui, dans les dépassements
constatés, est le fait du ministre lui-même et ce qui est le fait de ses
services ».

3. La responsabilité financière, alternative possible au prononcé


d’une sanction disciplinaire : la nécessité d’une procédure
devant la CDBF donnant toutes garanties
« Il est vrai, écrit-il, que l’on peut soutenir que la sanction qui convient pour de
telles fautes est moins la responsabilité civile que la sanction pénale et la
sanction disciplinaire. Mais il est malheureusement certain que, dans l’état
actuel de nos mœurs politiques et administratives, l’une et l’autre sont le plus
91
souvent inopérantes ».
L’auteur évoque, en particulier, les lourdeurs de la procédure
disciplinaire, le poids des délégués du personnel, et le fait que «
l’administration pourra craindre la puissance des syndicats de
fonctionnaires, avec qui elle est aujourd’hui obligée de compter 92 ».
L’examen du texte au Parlement rencontrera d’ailleurs une
opposition communiste dénonçant une atteinte au statut de la
fonction publique.
« Dans le régime d’incohérence dans lequel nous vivons depuis déjà de longs
moins, un tel texte est une menace très grave. Par ailleurs, nous avons déjà un
texte de loi qui prévoit la juridiction qui est capable de juger les fonctionnaires
sur leur comportement administratif. C’est le statut de la fonction publique. En
effet, ce texte prévoit, d’une part, le Conseil supérieur de la fonction publique, les
Comités techniques paritaires, les commissions paritaires administratives, qui
sont chargés en matière disciplinaire d’examiner le cas des fonctionnaires. Nous
voyons là encore une très grave atteinte portée au statut de la fonction publique
93
».
Avant même que ces débats n’aient lieu au Conseil de la République,
et lors de son examen par la commission des Finances de l’Assemblée
nationale, son rapporteur général, Charles Barangé suggéra lui-
même d’adjoindre aux membres de la CDBF deux membres
représentatifs des organisations syndicales, ce qui fut repoussé, tout
comme l’amendement communiste déposé par M. Pierre Meunier
tendant à compléter la CDBF par l’adjonction de cinq membres
désignés par les instances syndicales les plus représentatives.
N’ayant eu de succès par cette voie, les députés communistes, au
rang desquels se trouvaient l’auteur de l’amendement rejeté,
proposèrent, lors de l’examen du texte par la commission des
Finances de l’Assemblée nationale, d’ajouter aux règles de procédure
l’amendement suivant qui fut retenu par la commission avant d’être
accepté par l’Assemblée « dans cette hypothèse, le dossier est
communiqué à la commission administrative paritaire compétente
qui devra donner son avis dans un délai de deux mois ».
Cet amendement correspond à un état d’esprit très largement
répandu et nous avons vu que le Conseil d’État s’était lui-même ému
de ces sanctions sui generis au regard du droit de la fonction
publique. Au niveau de l’Assemblée nationale, la commission de la
réforme administrative, qui avait demandé à être saisie pour avis du
projet de loi 94 , exprima la même idée : l’avis de la commission
paritaire donne à l’intéressé la garantie d’un examen par ses pairs ;
la commission proposa donc que ce délai soit porté à deux mois pour
permettre à ceux-ci de donner leur avis. Pourtant, la rédaction de
cette disposition ne donna pas entière satisfaction. Lors de l’examen
du texte ainsi modifié par le Conseil de la République, l’opposition
communiste fit observer que le fait que la commission paritaire soit
saisie une fois que le rapporteur a achevé son instruction montre :
« la volonté bien déterminée de minimiser le rôle de ces commissions paritaires,
de saboter le statut de la fonction publique et de ne pas tenir compte des
organismes voulus par les organisations syndicales en accord avec le
Gouvernement de l’époque, afin d’avoir la possibilité de brimer les
95
fonctionnaires ».
Alors que le Conseil supérieur de la fonction publique avait, dans son
avis rendu le 21 mai 1947, demandé que les membres de la Cour des
comptes ne fassent pas partie de la juridiction qui serait créée, cet
argument fut rejeté. Le rapporteur général de la commission des
Finances de l’Assemblée nationale repoussa cette idée par un
raisonnement qui mérite d’être mentionné.
« Cette solution ne saurait être retenue, car elle comporterait un affaiblissement
de l’autorité du Parlement en matière de discipline budgétaire, l’article 18 de la
Constitution ayant fait de la Cour des comptes l’auxiliaire immédiat de
l’Assemblée nationale pour le contrôle de l’exécution des recettes et des
96
dépenses publiques ».
Ce qu’il fallait surtout, ainsi que l’explique l’exposé des motifs de la
loi, c’est que la composition de la Cour rassure sur sa capacité à «
tenir compte des nécessités devant lesquelles se trouvent parfois
placés les administrateurs et juger avec équité et indépendance 97 ».
L’un des apports les plus intéressants du Conseil de la République
tient aux règles de procédure qui y furent proposées. Étant donné le
caractère répressif de la Cour de discipline budgétaire, « il a paru
indispensable de donner à la défense les garanties en usage en
matière criminelle. C’est ainsi que le magistrat instructeur a été tenu
à l’écart des délibérations de la Cour et qu’il a été prévu que les
débats de la Cour seraient publics et se dérouleraient selon les règles
inspirées du Code d’instruction criminelle ».
La composition de la Cour de discipline budgétaire évolua entre le
projet déposé par le Gouvernement et le texte finalement adopté. Le
Parlement considéra que sa composition devait correspondre « au
caractère disciplinaire des poursuites 98 ». Pour cette raison, le
rapport Barangé précisait que si les membres de la Cour des comptes
ont une vocation naturelle à y siéger, « une large place doit être faite
aux membres du Conseil d’État, ce grand corps étant activement
mêlé à la vie administrative et exerçant par sa section du
contentieux le contrôle juridictionnel des actes administratifs ». «
On est en revanche fondé à se demander si la science profonde du
droit privé que possèdent les membres de la Cour de cassation
trouvera son emploi au sein de la haute juridiction disciplinaire 99 ».
Et l’argument tenant au principe constitutionnel de la séparation des
pouvoirs fut également utilisé pour écarter la participation de
magistrats de l’ordre judiciaire « au jugement d’actes administratifs
». La suppression des membres de la Cour de cassation fut donc
proposée par la commission, malgré l’avis contraire d’Edgar Faure
qui pensait que « la présence de hauts magistrats de l’ordre
judiciaire ayant une tournure d’esprit différente de celle de leurs
collègues du Conseil d’État et de la Cour des comptes compléterait
harmonieusement la nouvelle juridiction 100 ». Pour des raisons qui
n’apparaissent pas clairement à la lecture des travaux
parlementaires, le Parlement supprima également de la liste des
rapporteurs potentiels les membres de l’Inspection des finances. Le
rapport Barangé se contente de préciser que la commission avait
estimé « préférable de ne pas introduire dans le fonctionnement
interne de la nouvelle juridiction des éléments étrangers au Conseil
d’État et à la Cour des comptes 101 ». S’agissant des autorités
habilitées à saisir la Cour, ce rapport proposa d’ajouter non
seulement le président du Conseil « qui, sous le nouveau régime
constitutionnel, dispose de pouvoirs propres, distincts de ceux des
ministres et dont, au surplus, les attributions en pareille matière ne
sauraient être moindres que celles du ministre des Finances », mais
aussi la commission de contrôle des comptes qui venait d’être
instituée par l’article 56 de la loi du 6 janvier 1848.
L’on sait que l’une des difficultés à laquelle se heurtera la future
juridiction tiendra aux règles de procédure prévues par l’article 19
de la loi du 25 septembre 1948 :
« lorsque l’instruction est terminée, le dossier est communiqué au ministre dont
dépend ou dépendait le fonctionnaire ou l’agent mis en cause et au ministre des
Finances, qui doivent donner leur avis dans le délai d’un mois. Le dossier est
également communiqué, le cas échéant, à la commission mixte paritaire
compétente, qui doit donner son avis dans le même délai ».
S’il a été expliqué dans quelles conditions l’ajout de la commission
mixte paritaire avait été réalisé dans le cadre de l’examen du projet
de loi par les Chambres, l’exigence de consultation des ministres
figurait, en revanche, dans le texte dès l’avant-projet Frappart dont
la note jointe expliquait que « l’instruction doit donner aux accusés
le maximum de garanties ». Cette disposition reprenait, en réalité,
les règles suivies par la section du contentieux du Conseil d’État pour
l’instruction des recours portés devant elle. En pareil cas, la sous-
section communique la requête au ministre compétent et lui fixe un
délai pour produire ses observations. Dans l’esprit du
Gouvernement, cette disposition s’intégrait dans la sécurisation de la
procédure et les garanties qui devaient être offertes à l’agent avant
que le renvoi de l’affaire devant la Cour ne soit fait par son
procureur général. L’exposé des motifs de la loi présente ce dispositif
comme une mesure destinée à donner aux intéressés les garanties
d’une bonne justice, tout en permettant à la Cour d’y trouver d’utiles
éclaircissements. Il n’y eut contre cette procédure qu’une
manifestation d’hostilité, semble-t-il, au cours de l’examen du projet
de loi au sein de la commission des Finances de l’Assemblée
nationale, l’un de ses membres ayant exprimé l’opinion selon
laquelle cette formalité retarderait inutilement la procédure.
Très vite, la Cour se trouve effectivement confrontée au problème.
Son procureur général, M. Parent, s’en inquiète dans une lettre
adressée le 21 mai 1952 à M. Loriot, président de section au Conseil
d’État et vice-président de la Cour de discipline budgétaire. Il y fait
état des procédures engagées devant la Cour et souligne les entraves
apportées à son fonctionnement du fait de l’inobservation par les
administrations et les commissions paritaires du délai prévu par la
loi. Lequel vice-président ne répond manifestement pas. Dans un
second courrier en date du 20 juin, le procureur général près la Cour
lui rappelle son premier courrier et lui demande de « bien vouloir, si
possible, procéder à une consultation officieuse en vue de savoir : 1.
quel est le caractère du délai prévu et si l’on doit considérer son
observation comme étant de rigueur ; 2. si la Cour est fondée à
passer outre dès son expiration lorsqu’elle n’a pas reçu réponse ; 3.
au cas où la question devrait être tranchée par la négative, de quels
moyens disposerait la juridiction pour éviter des retards excessifs ».
C’est un membre du Conseil d’État qui se voit demander de répondre,
M. Oudinot, « le président Loriot se trouvant très pris par les
commissions d’étude qu’il dirige au ministère des Finances ». Celui-ci
prend avis auprès de M. Lagrange, lequel a été rapporteur sur le
projet de loi créant la CDBF. En raison de la paternité de cette
procédure, la réponse donnée reprend la pratique suivie par le
Conseil d’État en la matière. Le délai donné au ministre pour
répondre est « en principe de rigueur », mais en cas de non-réponse,
le Conseil adresse un rappel accompagné d’un nouveau délai, à
l’expiration duquel la sous-section passe outre au silence de
l’administration.
« C’est ce système qui nous paraît devoir être appliqué en la circonstance ; les
travaux parlementaires […] ne nous ont pas paru devoir modifier cette
interprétation du texte. […] Cette façon de procéder étant en usage à la section
du contentieux du Conseil d’État, il est naturel de l’étendre à un texte qui
s’inspire de la juridiction du Conseil ».

4. L’examen parlementaire des autres dispositions du projet de


loi

Le projet de loi qui avait été soumis au Parlement dès 1947 sera
finalement examiné selon la procédure d’urgence en septembre
1948. C’est une résolution, proposée par M. Alain Poher, rapporteur
de la commission des Finances du Conseil de la République, et votée
à l’unanimité au cours de l’examen du projet de loi portant
reconduction du budget de 1947, qui invitera ainsi le Gouvernement
à demander à l’Assemblée nationale la discussion d’urgence. On
retrouve dans les modifications au projet de loi effectuées lors de
l’examen parlementaire du texte les échos des critiques faites par la
Cour des comptes dans son rapport publié à la Libération. Ce rapport
avait, en effet, connu un grand retentissement auprès du Parlement
et de l’opinion publique. Furent ainsi ajoutés aux justiciables de la
CDBF les agents des établissements publics de l’État à caractère
administratif, des organismes subventionnés soumis au contrôle de
la Cour des comptes, de tout organisme bénéficiant du concours
financier de l’État ou dont les résultats d’exploitation intéressent le
Trésor. L’Assemblée nationale souhaitait ainsi étendre le champ
d’application de ce texte à l’ensemble des opérations affectant le
patrimoine de l’État (dépenses, recettes, gestion des biens
domaniaux), ainsi qu’aux opérations de même nature effectuées
pour le compte d’un grand nombre d’organismes para-étatiques
(entreprises nationalisées, associations subventionnées et sociétés
mixtes). Il résultera, du reste, de ces extensions une modification de
l’intitulé de loi auquel fut ajouté : « et de diverses collectivités ».
Cette volonté d’étendre le champ des dispositions figurant au projet
de loi se retrouve également quant aux infractions visées par
l’article 5 du texte. Au-delà du fait que cette disposition ne
s’appliquait initialement qu’aux seuls agents de l’État, le projet du
Gouvernement ne visait que les dépenses (et non les recettes) et
exigeait la faute lourde. Cette exigence fut supprimée sur
proposition de la commission des Finances de l’Assemblée nationale.
Cette extension parut capitale aux membres de la commission des
finances, l’article 5 de la loi visant « une généralité d’infraction aux
règles de la comptabilité publique ».
Le rapport Barangé justifiait l’extension aux recettes publiques par
le souci qu’en avait toujours eu le législateur « à la fois sous l’angle
de l’assiette et sous celui du recouvrement ».
« Si pour les recettes fiscales aucune précaution nouvelle ne semblait s’imposer,
il n’en va pas de même pour les recettes étrangères à l’impôt [car] les
administrations dépensières ne portent qu’une faible attention aux recettes dont
la liquidation leur incombe [… pour cette raison] la menace d’une amende
pécuniaire inciterait les administrateurs à ne point se montrer négligents dans
l’assiette et le recouvrement de recettes publiques relevant de leurs compétences
102
».
Le projet gouvernemental prévoyait que :
« Tout fonctionnaire civil et militaire, tout agent de l’État, tout membre du
cabinet d’un ministre qui, en dehors des cas prévus aux articles précédents, se
sera, en enfreignant les règles relatives à l’exécution des dépenses de l’État,
rendu coupable d’une faute lourde ne constituant pas une gestion de fait…, sera
passible d’une amende ».
L’exigence de faute lourde, présente dans le projet initial, fut
supprimée au motif :
« qu’en introduisant dans la loi, comme le Gouvernement nous le propose, la
notion de faute lourde dont le sens très précis en droit a été nettement dégagé
par la jurisprudence des tribunaux judiciaire et par celle des tribunaux
103
administratifs, on risquerait de rendre inopérant le texte à intervenir ».
L’exposé des motifs du projet de loi justifiait l’exigence d’une faute
lourde par la volonté du Gouvernement de « rassurer les
fonctionnaires qui en raison de la difficulté de leur tâche et la
complexité de la réglementation, sont amenés parfois à commettre
des irrégularités vénielles ou excusables 104 ».
Pour autant, le Parlement repoussa cette analyse.
« La notion de faute lourde est […] à exclure du texte […] La Cour de discipline
budgétaire aurait ainsi la possibilité de frapper toutes les infractions aux règles
relatives à l’exécution des recettes et des dépenses des collectivités visées à
l’article 5 ou à la gestion des biens leur appartenant [car] n’est-il pas, en effet,
préférable de laisser à la haute juridiction le soin d’établir elle-même sa propre
jurisprudence sans être liée par celle du Conseil d’État ou de la Cour de cassation
105
en matière de faute lourde ? ».
Cette volonté de donner à la Cour plénitude de juridiction se
retrouve également dans la suppression de la cause exonératoire de
responsabilité prévue par le projet gouvernemental qui ne rendait
les agents publics passibles d’aucune sanction en cas de force
majeure.
« Le cas de l’administrateur ayant cru trouver, dans les circonstances jugées par
lui impérieuses, la justification d’une infraction […] sera apprécié par le
ministère public, maître de l’action, et qui aura la faculté de trouver dans les faits
matière à classement dûment motivé. Si l’action est mise en mouvement, la Cour
elle-même aura toute latitude pour prononcer un arrêt d’acquittement fondé sur
106
les circonstances de l’infraction ».
De la même manière furent précisés lors de l’examen parlementaire
du texte les pouvoirs d’instruction des rapporteurs. Il fut ajouté à
leurs pouvoirs d’investigation sur place la possibilité d’interroger
tous témoins. Un élément essentiel est « l’audition et l’interrogatoire
de tous témoins » ; il convient donc de permettre la citation de
témoins qui seraient entendus sous la foi du serment sous les mêmes
formes, conditions et sanctions que ce que prévoit le Code
d’instruction criminelle 107 . L’article 5 posait également de manière
incidente la question de savoir s’il ne fallait pas sanctionner
également les faits de mauvaise gestion ou de gaspillage qui ne
constitueraient pas des infractions aux règles de la comptabilité
publique. Une telle extension n’est pas possible conclut M. Barangé,
car « attribuer compétence à cet organisme juridictionnel lorsqu’une
violation formelle de la législation ou de la réglementation en
vigueur n’a pu être relevée […] reviendrait à le faire juge de
l’opportunité de l’acte administratif au même titre que le ministre
sous l’autorité duquel il a été accompli ». L’article 6 est quant à lui le
fruit du Conseil de la République qui ajouta les dispositions relatives
aux agents publics procurant aux cocontractants de l’État ou d’une
autre collectivité des avantages anormaux. Dans sa rédaction
originelle, telle qu’adoptée en 1948, cette disposition prévoyait que
tout fonctionnaire qui dans l’exercice de ses fonctions :
« aura procuré, ou tenté de procurer à ceux avec lesquels il contracte un bénéfice
au moins double, à dire d’experts, du bénéfice normal, en omettant soit : 1.
d’assurer une publicité suffisante aux opérations qu’il effectue ; 2. d’organiser la
concurrence des cocontractants, dans la mesure où elle est compatible avec la
nature et l’importance des mêmes opérations ; 3. généralement de faire toute
diligence pour faire prévaloir les intérêts dont il a la charge sera passible d’une
amende qui ne pourra être inférieure à 10 000 francs… »
Le rapporteur général de la commission des finances du Conseil de la
République expliquait cette extension par la nécessité de soumettre
à la juridiction de la CDBF l’ensemble de ceux qui dans l’exercice de
leurs fonctions « vendent, achètent, et, d’une façon générale,
contractent pour le compte de ces mêmes organismes ». Il s’agit de
lutter contre le fait que des « agents d’innombrables d’organismes
récemment créés pouvaient, sous le couvert d’une surveillance
souvent illusoire et parfois nulle, compromettre par leur
incompétence, voire même par leur vénalité, des sommes
considérables ». S’agissant de domaines où les règles comptables
sont moins strictes que celles applicables à l’État, la rédaction de
l’article 6 répondait au souci de donner une arme pour sanctionner «
les cas visiblement scandaleux 108 ».

Conclusion
Soixante après la création de la Cour de discipline budgétaire, la
responsabilité financière des gestionnaires publics reste au cœur des
enjeux tendant à une amélioration de la qualité de la gestion
publique. Les débats qui ont suivi l’entrée en vigueur de la LOLF en
témoignent 109 . Cette question, et cette étude a tenté de le montrer,
est en réalité au cœur des débats qui durant des décennies ont
précédé la loi du 25 septembre 1948 : responsabiliser les
gestionnaires publics, lutter contre les gaspillages, renforcer le
crédit de l’État en sont les leitmotivs. Mais l’autre dimension qui
imprègne l’ensemble de ces débats est le lien entre sanction et
contrôle, la sanction conditionnant l’efficacité même des contrôles.
Cette sanction se voulant une alternative à une mise en jeu de la
responsabilité civile et pénale ; l’émergence même d’une
responsabilité financière résultant précisément de cette alternative.
L’autre élément à signaler est le lien entre responsabilité des
gestionnaires et allégement des contrôles a priori qui opère un
glissement de responsabilité du comptable vers l’ordonnateur.
Étudiant les opérations d’exécution du budget, une étude publiée en
1954 dans le cadre des travaux de la commission Jacomet
mentionnait la récente création de la Cour de discipline budgétaire
et l’insérait dans le contexte d’un glissement de la responsabilité de
l’exécution du budget du comptable vers l’ordonnateur sur qui était
reportée la charge essentielle de l’exécution du budget et concluait
que « cette évolution semble être dans la nature des choses,
restituant sa valeur à l’acte d’autorité qui est celui de l’ordonnateur,
véritable consommateur des deniers publics, et ramenant le
comptable à son rôle véritable qui est celui d’un exécutant 110 ». On
retrouvera du reste ce fondement lors de l’adoption de la loi du 13
juillet 1971 réformant la CBDF, alors que le décret du 13 novembre
1970 vient d’instituer pour les services extérieurs de l’État un
contrôle financier au niveau départemental confié au TPG, lequel ne
délivre pas un visa, mais un simple avis. L’exposé des motifs de la loi
de 1971 précise ainsi que l’allégement des contrôles a priori doit
s’accompagner de la responsabilisation des ordonnateurs
secondaires, « cette nécessité étant d’autant plus impérieuse que
l’allégement des contrôles a priori rendait nécessaire l’aménagement
des contrôles a posteriori et au premier chef celui exercé par la Cour
de discipline 111 ».
On peut également mentionner l’analyse faite en 1954 au sujet des
évolutions devant accompagner le budget fonctionnel qui donne, par
opposition au budget de moyens, au ministre et aux administrateurs
un crédit pour accomplir une mission déterminée :
« La gestion s’en trouve à certains égards simplifiée, mais cette simplification
doit avoir sa contrepartie dans un renforcement de la responsabilité des
ordonnateurs et des administrateurs. Il ne serait pas raisonnable d’adopter une
telle présentation budgétaire si la responsabilité des administrateurs et des
112
ordonnateurs n’était, par ailleurs, renforcée ».
L’on peut enfin, tout en replaçant les événements dans leur contexte,
mentionner l’acuité de la réflexion exprimée au cours de la première
moitié du XIXe siècle quant aux missions dévolues à la Cour des
comptes et qui trouveraient largement à s’appliquer à la CDBF :
« L’administration des Finances avait besoin du contrôle de la Cour des comptes,
sur lequel elle s’est appuyée non seulement pour établir l’ordre dans ses propres
écritures […] mais aussi, mais surtout pour établir ce même ordre dans les
opérations et dans les écritures des autres administrations. L’administration des
Finances, avec ses seuls moyens, ne résisterait pas aux exigences toujours
disposées à se reproduire ; son contrôle isolé serait impuissant pour réprimer et
113
en prévenir le retour ».
La diversification des modes de gestion publique renforce sans doute
encore la pertinence de cette analyse.

NOTES
1. « La responsabilité des administrateurs devant la Cour de discipline budgétaire », RSLF 1949, p.
118.
2. Sur ce point, P. Masquelier, « L’histoire de la direction de la Comptabilité publique de
1870 à 1940 : de l’administration des choses au gouvernement des hommes ? », in La
Comptabilité publique, continuité et modernité, actes du colloque des 25 et 26 novembre 1993,
Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1995, p. 51.
3. Chambre, documents parlementaires, 1921, annexe n° 3419, p. 237.
4. « Aucune ordonnance de dépenses n’est valable que si elle porte visa du contrôleur des
dépenses engagées. Les ministres ordonnateurs seront personnellement responsables des
décisions prises à l’encontre de cette décision ».
5. C. Descheemaeker, « La responsabilité des ordonnateurs devant les juridictions
financières », in La Comptabilité publique, continuité et modernité, actes du colloque des 25 et 26
novembre 1993, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1995, p. 320.
6. M. Lionel de Tinguy, rapporteur suppléant, 2e séance du 18 septembre 1948, annales de
l’Assemblée nationale, p. 6693.
7.Traité élémentaire de Sciences des Finances et de Législation financière française, 5e édition, p.
434.
8. Projet de loi tendant à sanctionner la violation des règles relatives à l’exécution des
dépenses de l’État et portant création d’une cour de discipline budgétaire présentée au nom
de M. Paul Ramadier, président du Conseil des ministres, par M. Pierre-Henri Teitgen,
ministre d’État, vice-président du Conseil, par M. Robert Schuman, ministre des Finances et
par M. André Marie, garde des sceaux, documents parlementaires, Assemblée nationale,
séance du 12 juin 1947, annexe n° 1653.
9. J. Appleton, Traité élémentaire du contentieux administratif, 1927, n° 138.
10. M. Charles Barangé, Documents parlementaires, séance du 20 mai 1948, annexe n° 4275,
p. 1001.
11. Arrêt Baron, 10 juillet 1874, S 1876.
12. Cité in G. Montagnier, Le Trésorier-payeur général, Paris, LGDJ, 1966, p. 264.
13. « Considérant que la responsabilité pécuniaire d’un fonctionnaire autre qu’un
comptable public ne saurait être engagée envers l’État à raison des fautes par lui commises
à l’occasion de ses fonctions, à moins d’une disposition législative spéciale qui autorise le
ministre compétent à le déclarer débiteur ; considérant qu’en l’absence de toute disposition
de cette nature, c’est à tort que l’administration a mis à la charge de… par la décision et
l’ordre de reversement attaqués, une somme… à titre de réparation du préjudice qu’il aurait
causé à l’État en engageant par son fait la responsabilité du service public ». Conseil d’État,
28 mars 1924.
14. RDP, 1924, p. 608.
15. Inversement, sous l’empire de la loi du 25 septembre 1948, un tel manquant aurait, le
cas échéant, été susceptible d’être sanctionné sur le fondement de la violation des règles
relatives à la gestion des biens conformément aux principes appliqués, par la CDBF. Voir
notamment, l’arrêt Musée Rodin du 18 juin 1997, n° 115-347.
16. Conformément aux dispositions du décret du 1862 dont les articles 14 et 17 visent les
fonctions des administrateurs et ordonnateurs d’une part, des comptables d’autre part.
17. G. Montagnier, Le Trésorier-payeur général, Paris, LGDJ, 1966, p. 263.
18.De la Comptabilité publique en France, Paris, 1840.
19. Cité in P. Masquelier, « L’histoire de la direction de la Comptabilité publique de 1870 à
1940 : de l’administration des choses au gouvernement des hommes ? », in La Comptabilité
publique, continuité et modernité, actes du colloque des 25 et 26 novembre 1993, Comité pour
l’histoire économique et financière de la France, 1995, p. 42.
20.La réforme de la Cour des comptes, Thèse de doctorat, comportant dans le jury de
soutenance MM. Allix et Jèze, Librairie du Recueil Sirey, 1923, p. 60.
21. Un maire fait réaliser des travaux sur une voie passant devant sa propriété sans avoir
sollicité l’autorisation du conseil municipal comme l’y obligeait la loi de 1884. À la suite d’un
changement de majorité, la commune demanda à son ancien maire de l’indemniser des
dépenses ainsi engagées.
22. Cité in Félix Bolley, Étude sur la responsabilité civile des fonctionnaires envers la collectivité
dont ils dépendent, G. Burdeau, président du jury, 1942, Paris, Imprimerie Berthod, p. 53.
23.Ibid.
24. Thèse Ninkovitch, La responsabilité civile des agents administratifs vis-à-vis des personnes
morales de droit public, Thèse de doctorat, Imprimerie Gouëz, Paris, 1941, p. 199.
25.Op. cit. p. 65.
26. Chambre des députés, Séance du 14 juin 1883, annexe n° 1991, p. 11.
27. Cette disposition renvoyait à une loi organique le soin de déterminer les cas de
responsabilité, formes et conditions des poursuites qui seraient exercées contre les agents
et dépositaires de l’autorité publique.
28. Sur ce point, le Ve rapport de M. Charles Barangé, documents parlementaires, séance du
20 mai 1948, annexe n° 4275, p. 1001.
29. Notamment, Félix Bolley, Étude sur la responsabilité civile des fonctionnaires envers la
collectivité dont ils dépendent, G. Burdeau, président du jury, 1942, Paris, Imprimerie Berthod ;
Ninkovitch, La responsabilité civile des agents administratifs vis-à-vis des personnes morales de
droit public, Thèse de doctorat, Imprimerie Gouëz, Paris, 1941.
30. Thèse Ninkovitch, op. cit. p. 149.
31. « Le contrôle financier et les moyens de l’améliorer », Revue politique et parlementaire,
mai 1922.
32. J. Appleton, Traité élémentaire du contentieux administratif, 1927, p. 224.
33. Cette réforme change fondamentalement la logique s’appliquant en la matière puisque
la somme restant à la charge du comptable va dépendre du degré de la faute qui lui
incombe.
34. Dans le cadre de l’apurement des comptes des collectivités locales et de l’examen par le
TPG des comptes de gestion qui lui sont soumis, est instituée par le décret du 8 août 1935
une amende, prononcée par la Cour des comptes sur saisine du TPG, en cas de retard dans la
production des comptes imputable à un comptable public négligent.
35. Jean Rieu, Les nouvelles attributions de la Cour des comptes d’après les réformes récentes, Paris,
Librairie sociale et économique, 1938, p. 36.
36.JO du 25 octobre 1935, Lois et décrets, p. 11266.
37. Lors de la séance solennelle de la Cour des comptes du 16 octobre 1936, JO du 20 octobre
1936, Lois et décrets, p. 11329.
38. Chambre des députés, documents parlementaires, Séance du 14 mai 1895, annexe n°
1314, p. 48.
39. A. Cultru, La réforme de la Cour des comptes, Thèse de doctorat, comportant dans le jury de
soutenance MM. Allix et Jèze, Librairie du Recueil Sirey, 1923, p. 16.
40. Chambre, doc. parlementaire, annexe n° 620, JO, 21 août 1920, p. 594.
41.Op. cit., p. 595.
42. Cette proposition de loi n’est pas été publiée, mais a été référencée dans les documents
parlementaires de la Chambre des députés, sous l’annexe n° 2184, séance du 11 juillet 1912.
43. Sur ce point, voir Florence Descamps, « La Cour des comptes et le contrôle financier des
administrations publiques : histoire d’une tentation, histoire d’une tentative », in RFAP,
2007, n° 4, p. 659-672.
44. Sur le système italien, voir S. Flizot, « La Cour des comptes italienne », RFFP, février
1998, n° 61, p. 87-103.
45. M. Maulion, Étude sur la réforme du contrôle financier et de la Cour des comptes, présentée à
la commission de réforme de l’État du Sénat. Dans ce projet, aucun acte portant engagement
de dépense, aucun titre de recette, aucune ordonnance ou mandat de paiement n’est valable
s’il n’est revêtu de la double signature de l’ordonnateur et d’un représentant de la Cour des
comptes. La Cour voyait d’ailleurs sa position institutionnelle renforcée, en étant placée
sous l’autorité du président du Conseil.
46.Le budget, Paris, Alcan, 1912, p. 521.
47. « L’Assemblée nationale règle les comptes de la Nation. Elle est, à cet effet, assistée de la
Cour des comptes. L’Assemblée nationale peut charger la Cour des comptes de toutes
enquêtes et études se rapportant à l’exécution des recettes et des dépenses publiques ou à la
gestion de la trésorerie », rédaction proposée par le rapporteur général M. Coste Floret et
résumant, selon ses propres termes, « la formule de M. Pineau ».
48. Cité par Mme Lucile Tallineau, communication de 2007 au Comité pour l’histoire
économique et financière de la France sur l’avant-projet de loi organique 1949-1952, à
paraître.
49. « Le contrôle financier et les moyens de l’améliorer », Revue politique et parlementaire,
mai 1922, p. 193.
50. Chambre des députés, documents parlementaires, séance du 28 janvier 1921, annexe n°
2065, p. 763.
51. Par application des principes posés par l’article 1382 du Code civil selon lequel « Tout
fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel
il est arrivé à le réparer ».
52. Voir les références doctrinales mentionnées par Félix Bolley dans sa thèse soutenue en
1942 avec G. Burdeau, comme président du jury, Étude sur la responsabilité civile des
fonctionnaires envers la collectivité dont ils dépendent, Paris, Imprimerie Berthod, p. 7.
53. M. Planiol, Traité élémentaire de droit civil, 11e édition P. II, p. 302.
54. Conclusions du commissaire du gouvernement Bédarrides sous l’arrêt du Tribunal des
conflits du 29 juillet 1876, affaire Lecoq.
55. Sur la période 1790-1807, voir S. Flizot, « La genèse de la loi du 16 septembre 1807 créant
la Cour des comptes », Revue du Trésor, n° 12, décembre 2005, p. 658-662.
56. Mais aucune juridiction n’est désignée, rendant de fait ces dispositions inopérantes,
malgré l’opinion exprimée par le rapporteur général de la commission des Finances du
Sénat pour lequel le tribunal compétent en cas de forfaiture est le Sénat constitué en haute
cour de justice.
57. Léon Duguit, Traité de droit constitutionnel, 2e édition, Paris, 1924, p. 869.
58. Cité par Félix Bolley dans sa thèse soutenue en 1942, Étude sur la responsabilité civile des
fonctionnaires envers la collectivité dont ils dépendent, Paris, Imprimerie Berthod, p. 30.
59. Sénat, documents parlementaires, séance du 9 juin 1922, p. 403.
60. Chambre des députés, documents parlementaires, rapport au nom de la commission des
finances suite aux modifications adoptées par le Sénat, M. Maurice Bokanowski, rapporteur
général, séance du 24 mars 1922, annexe n° 4150, p. 463.
61. Voir du Mesnil du Buisson, Le contrôle des ordonnateurs du budget de l’État, thèse de
doctorat, Paris, 1923, Jouve et Cie éditeurs.
62. Bisson, Institutions financières et économiques de la France, Berger-Levrault, 1960 p. 99, cité
par J. Rossinol, « Le nouveau visage de la Cour de discipline budgétaire et financière » (la loi
du 13 juillet 1971), Revue de science financière, 1972, p. 732.
63. L’amendement prévoyait, en effet, de limiter les cas d’engagement possible de la
responsabilité pécuniaire des agents concernés en cas de non-respect des règles applicable
au contrôle des dépenses engagées lorsque l’acte en question a pour objet d’engager une
dépense dont le montant dépasse 500 000 francs.
64. Alain Poher, intervention lors de la séance du 23 septembre 1848, annales du Conseil de
la République, p. 3290.
65. « Le contrôle financier et les moyens de l’améliorer », Revue politique et parlementaire,
mai 1922.
66. « Des sanctions administratives nouvelles, mieux adaptées que celles du passé à la
gravité réelle des fautes commises, et qui consistent essentiellement dans des amendes sui
generis dont le taux maximum correspond à la rémunération des intéressés », cité in G.
Montagnier, Le Trésorier-payeur général, Paris, LGDJ, 1966, p. 262.
67. Rapport fait au nom de la commission des finances sur le projet de loi tendant à
sanctionner la violation des règles relatives à l’exécution des dépenses de l’État et portant
création d’une Cour de discipline budgétaire, Assemblée nationale, documents
parlementaires, séance du 20 mai 1948, annexe n° 4275.
68. Le texte initial était ainsi conçu : « Les amendes prononcées en vertu de la présente loi
n’ont pas le caractère pénal. Le recouvrement de ces amendes, qui seront assorties, outre
l’hypothèque judiciaire, du privilège prévu à l’article 320 bis du Code de l’enregistrement,
sera effectué dans les mêmes conditions que le recouvrement des amendes en matière de
procédure civile ».
69. Rapport Barangé, op. cit. p. 1005.
70. Sur ce point, voir du Mesnil du Buisson, Le contrôle des ordonnateurs du budget de l’État,
thèse de doctorat, Paris, 1923, Jouve et Cie éditeurs, p. 114.
71. Chambre des députés, débats, séance du vendredi 27 novembre 1903.
72.Op. cit., p. 788.
73. Loi n° 46-2154 du 7 octobre 1946 (JO du 8 octobre 1946 p. 8500).
74. Cette disposition sera reprise par l’article 27 de la loi du 25 septembre 1948 créant la
CDBF. L’Assemblée nationale ayant souhaité, lors de l’examen de la loi du 25 septembre 1948
que soit coordonnées « dans un texte unique les différentes procédures extra-pénales
tendant à sanctionner les fautes de gestion commises au préjudice de l’État et de diverses
collectivités », rapport de M. Charles Barangé, documents parlementaires, séance du 20 mai
1948, annexe n° 4275, p. 1001.
75. M. Waline, « De l’irresponsabilité des fonctionnaires pour leurs fautes personnelles et
des moyens d’y remédier », RDP 1948, p. 5 sqq.
76. « L’objet réel de la loi n’est évidemment pas la répression, mais à travers la répression,
la prévention », « La responsabilité des administrateurs devant la Cour de discipline
budgétaire », RSLF 1949, p. 133 et L. Philip, « La CDBF », Revue de science financière, volume 56,
octobre-décembre 1964, p. 744.
77. S 1918-1919-3-41.
78. J. Rossinol, « Le nouveau visage de la Cour de discipline budgétaire et financière (la loi
du 13 juillet 1971) », Revue de science financière, 1972, p. 733.
79.Histoire de la Cour des comptes, édition du CNRS, 1984, p. 904.
80. Chambre des députés, documents parlementaires, séance du 8 novembre 1894, annexe
n° 963.
81. Cité in du Mesnil du Buisson, Le contrôle des ordonnateurs du budget de l’État, thèse de
doctorat, Paris, 1923, Jouve et Cie éditeurs, p. 119.
82.Traité de la juridiction administrative et du recours contentieux, 1886, p. 618.
83. Cité in A. Cultru, op. cit. p. 60.
84. Voir S. Flizot, « La genèse de la loi du 16 septembre 1807 créant la Cour des comptes »,
Revue du Trésor, n° 12, décembre 2005, p. 658-662.
85. R. Jacomet, « Discipline budgétaire », Revue politique et parlementaire, juillet/août/sept.
1947, p. 39.
86.Op. cit., p. 37.
87.Histoire de la Cour des comptes, édition du CNRS, 1984, p. 904.
88. G. Vedel, op. cit., p. 131.
89. Conseil de la République, séance du 23 septembre 1948, p. 3290.
90. Observations de M. Andrieu, président de section au Conseil d’État, sur le projet de
création d’une chambre de discipline budgétaire.
91.Op. cit., p. 12.
92.Op. cit., p. 14.
93. M. Faustin Merle, intervention lors de la séance du 23 septembre 1848, annales du
Conseil de la République, p. 3289.
94. Avis donné au nom de la commission de la réforme administration, rapport de M. Kuhn,
n° 1980.
95.Op. cit., p. 3290.
96. Rapport de M. Charles Barangé, documents parlementaires, séance du 20 mai 1948,
annexe n° 4275, p. 1003.
97. Assemblée nationale, séance du 12 juin 1947, annexe n° 1653, p. 1321.
98.Ibid.
99.Op. cit., p. 1003.
100.Ibid.
101.Op. cit., p. 1004.
102. Rapport de M. Charles Barangé, Documents parlementaires, séance du 20 mai 1948,
annexe n° 4275, p. 1002.
103. Rapport Barangé, op. cit.
104. Assemblée nationale, séance du 12 juin 1947, annexe n° 1653, p. 1321.
105.Loc. cit.
106. Rapport de M. Charles Barangé, documents parlementaires, séance du 20 mai 1948,
annexe n° 4275, p. 1003.
107. Rapport Barangé, op. cit., p. 1004.
108. M. Dorey, rapporteur général de la commission des finances, Conseil de la République,
séance du 23 septembre 1948, p. 3289.
109. Voir notamment le discours de clôture du premier président Philippe Séguin au
colloque organisé au Conseil économique et social les 5 et 6 avril 2005, « Finances publiques
et responsabilité : l’autre réforme ? », actes publiés in RFFP novembre 2005, n° 92.
110. M. André, contrôleur général de la Marine, « Opérations d’exécution du budget
(Dépenses publiques) », in La réforme budgétaire, tome II, études de finances publiques
publiées sous les auspices du centre français de droit comparé, Éditions de l’épargne, 1954,
p. 111.
111. Sur ce point, voir J. Rossinol, « Le nouveau visage de la Cour de discipline budgétaire et
financière (la loi du 13 juillet 1971) », Revue de science financière, 1972, p. 743.
112. Dans le cadre d’une étude réalisée dans le cadre des travaux de la commission Jacomet
chargé de la rédaction d’un avant-projet de loi organique sur la présentation du budget et le
contrôle de son exécution. J. Rossard, « La réforme de la présentation des dépenses dans le
Budget français », in La réforme budgétaire, tome II, études de finances publiques publiées
sous les auspices du Centre français de droit comparé, Éditions de l’épargne, 1954, p. 44.
113. « De la Cour des comptes en 1838 », Revue française, octobre 1838, p. 17.
AUTEUR
STÉPHANIE FLIZOT
Stéphanie Flizot est maître de conférences en droit public, titulaire de l’habilitation à
diriger les recherches. Ses travaux et publications portent sur les finances et la gestion
publiques, appréciées sous un angle historique et de droit comparé, ainsi que sur la fiscalité.
Sa thèse consacrée aux relations entre les institutions supérieures de finances publiques et
les pouvoirs publics dans les pays de l’Union européenne a obtenu le prix de la Cour des
comptes et est parue à la LGDJ. Elle a également publié récemment « Les règles
constitutionnelles de limitation de l’endettement, l’exemple allemand », in Jus politicum n°
8, juillet 2012 ; « L’organisation de la Cour des comptes européenne, enjeux et défis »,
audition devant le Comité du contrôle budgétaire du Parlement européen, COCOBU, 30 mai
2012, Future Role of the European Court of Auditors : Challenges ahead and possible reform,
http://www.europarl.europa.eu/document/activities/cont/201205/20120514ATT45035/201
20514ATT45035FR.pdf ; « Les services locaux du ministère des Finances : enjeux et débats
aux lendemains de la Première Guerre mondiale », Gestion et Finances publiques – La revue,
numéro spécial Histoire des finances publiques, mars 2012 ; « L’évaluation des fraudes fiscales,
panorama européen », Gestion et Finances publiques – La revue, numéro spécial Contrôle fiscal,
décembre 2011 ; « La mise en place des Cours des comptes en Europe, XIVe-XIXe siècles », in
A. Dubet et M.-L. Legay, La Comptabilité publique en Europe, 1500-1850, Presses universitaires de
Rennes, 2011, p. 93-106 ; « Les tendances relatives à l’organisation et aux réformes du
contrôle de l’État sur les collectivités locales en Europe », in A. Hastings-Marchadier, La
performance et les contrôles financiers de l’État sur les collectivités locales, LGDJ, 2011, p. 319-333.
L’évaluation du prix de revient dans
les années 1950 : le contrôle financier
des administrations centrales
Sébastien Kott

Introduction
Introduit en 1890 et formalisé par la loi dite Marin du 10 août 1922,
le contrôle de la régularité des dépenses des administrations est
renforcé dans l’entre-deux-guerres. D’une part, les décrets des 25 et
30 octobre 1935 étendent son champ d’application aux offices et
établissements dotés de l’autonomie financière, d’autre part, le
décret du 1er septembre 1936 intègre les ordonnateurs secondaires
dans le dispositif en établissant un contrôle local des dépenses
engagées. Après la seconde guerre mondiale, l’extension du contrôle
financier des administrations se poursuit. Il est un temps question de
fusionner le contrôle des dépenses engagées et l’Inspection générale
des finances. Ce projet, porté par André Philip, suscite une réaction
virulente de l’Inspection qui ne voit dans le contrôle qu’une «
machine à signer et parapher 1 ». La critique, pour péjorative qu’elle
se veut, n’en dénote pas moins une réalité. Le contrôle de la
régularité financière des engagements de dépenses a peu évolué, il
reste cantonné à sa mission originelle de respect du cadre financier
posé par la loi de finances. Cette tâche est certes essentielle au
maintien de la démocratie financière. Les contrôleurs des dépenses
engagées peuvent légitimement revendiquer, grâce à la tenue de la
comptabilité des engagements de dépenses, le rôle de dernier
rempart entre les velléités dépensières des administrations et la
lettre de la loi de finances. Mais dans un contexte d’accélération de
l’intervention de l’État et de réorganisation de ses modalités de
contrôle, la question de son évolution devait être posée.
La création du Comité central d’enquête sur le coût et le rendement
des services publics par le décret du 9 août 1946, la
constitutionnalisation des missions de la Cour des comptes en 1946
par l’affirmation de son rôle d’assistance au Parlement, ainsi que
l’extension de ses missions aux caisses de sécurité sociale avec la loi
du 31 décembre 1949, traduisaient cette évolution. Il ne s’agissait
plus d’apprécier la simple régularité des opérations financières et de
laisser l’appréciation de la « bonne administration » aux services,
mais d’orienter les acteurs financiers traditionnels vers un nouvel
axe d’analyse de la dépense publique : celui de la bonne gestion.
Cette perspective d’évolution du système suscita de fortes
divergences à la tête du ministère des Finances comme l’illustre
l’opposition entre deux grandes figures de cette époque, Roger
Goetze et Gilbert Devaux. Pour le second, alors directeur général de
la Comptabilité publique, l’ordre public financier est avant tout
juridico-comptable. Le point d’orgue de cette logique réside dans les
décrets des 30 septembre et 14 novembre 1953 2 . Ils poursuivent
l’effort de déploiement d’une logique comptable organisée autour
des comptes de l’État. La comptabilité des engagements de dépenses,
déployée au plus profond de l’appareil administratif, permet
d’étendre la tenue de « comptes » à l’ensemble des administrations.
La circulaire du 17 décembre 1955 3 qui organise la comptabilité des
engagements de dépenses à l’échelon local s’inscrit dans cette
perspective. Tel que pensé par Devaux, l’ordre comptable règne sur
l’ensemble de l’administration 4 .
Parallèlement à l’œuvre de Gilbert Devaux, Roger Goetze, directeur
du Budget de 1949 à 1956, souhaite imprimer au budget une logique
plus économique. La promotion de ce regard sur les finances
publiques se traduit en de nombreux endroits de l’ordre juridico-
financier. Au niveau organique, Goetze crée le bureau des études de
la direction du Budget (le premier bureau) qui traduit une volonté de
pilotage financier de la dépense publique 5 . Au niveau budgétaire,
Goetze est le rédacteur final du décret du 19 juin 1956 déterminant le
mode de présentation du budget de l’État qui situe le budget dans
son contexte économique tout en intégrant la notion de politique
globale 6 . Cette position suscitera la réprobation de Gilbert Devaux
qui dénonce la position des experts financiers au sein de
l’administration. Il s’oppose à ce qu’il considère comme une
tentation de substitution d’un ordre technocratique à l’ordre
juridique existant.
Cette opposition entre les tenants d’un ordre juridique et les
partisans d’une approche plus « économique » de l’ordre financier
allait aussi se traduire au sein des services. Avec le décret du 23
janvier 1956, le contrôle des dépenses engagées devient le contrôle
financier central. Derrière le terme « financier », cette réforme
impliquait-elle une rénovation du contrôle vers une approche
gestionnaire des dépenses de l’État ?
Symptomatique de l’évolution des années 1950, le décret du 23
janvier 1956 propose bien un cadre rénové dont l’orientation
financière est indiscutable, pour autant, sa réception par les
contrôleurs est très variable traduisant la difficulté à faire évoluer
les pratiques… même au sein de l’administration financière !

I. L’évolution du contrôle des dépenses


engagées vers le contrôle financier central
Les contrôleurs financiers des offices industriels, institués en 1935,
sont devenus contrôleurs d’états en 1955, libérant le titre de «
contrôleur financier ». Les contrôleurs des dépenses engagées
souhaitaient que soit reconnu le caractère globalement financier de
leur mission. Ils ont obtenu 7 , avec l’adoption du décret du 23
janvier 1956 relatif au statut particulier des contrôleurs financier,
que le terme « contrôleur financier central » soit substitué à l’ancien
« contrôleur des dépenses engagées ». Le décret de 1956 est avant
tout un décret statutaire qui rénove assez peu le contenu de la
mission. Il tente de revaloriser la fonction en ciblant les
recrutements sur des hauts fonctionnaires des finances ou assimilés
finances 8 . Pratiquement, ce sont les administrateurs civils de la rue
de Rivoli qui vont constituer le vivier du recrutement dans les
années à venir. En outre, la nomination du contrôleur passe sous la
seule autorité du ministre des Finances, auparavant nommé par
décret contresigné (faisant intervenir le premier ministre), elle
relève désormais d’un arrêté.
La mission, quant à elle, évolue peu : « cela n’a rien changé au travail
» selon un contrôleur 9 . Il s’agit toujours d’appliquer la loi de 1922,
c’est-à-dire, fondamentalement, d’établir le respect de l’autorisation
parlementaire en matière de recette et de dépense publique.
Dès lors, faut-il admettre, à l’image d’André Caussin, que le
changement de titre relève d’une coquetterie de l’association des
contrôleurs financiers, ou comprendre qu’au sein même du contrôle
des divergences existent quant à l’évolution de la mission elle-même
? Inversement, si le changement de dénomination traduit une
évolution vers le « financier », il faut questionner ce financier au
regard du contexte et des pratiques susceptibles d’être observées.
Il est clair que le fond de la mission de contrôle, la régularité
juridique de la proposition d’engagement de dépense, ne change pas.
Au mieux, ce sont ses modalités qui évoluent, passant d’un contrôle
systématique et fastidieux de l’ensemble des pièces à un contrôle par
sondage, ou selon l’importance des dossiers. Il s’agit là du résultat de
la pression liée à l’augmentation du volume des dossiers. Mais la
mission des contrôleurs financiers centraux dépasse cette simple
régularité juridique puisque, selon la loi de 1922, ils doivent rendre
un « avis » sur les différentes propositions émanant des
administrations et établir un « rapport » communiqué à la Cour des
comptes et aux commissions financières du Parlement.

A. L’avis financier

L’article 4 de la loi du 10 août 1922 dispose que :


« les contrôleurs des dépenses engagées donnent, au point de vue financier, leur
avis motivé sur les projets de lois, de décrets, d’arrêtés, contrats, mesures ou
décisions soumis au contreseing ou à l’avis du ministre des Finances, ainsi que
sur les propositions budgétaires et les demandes de crédits additionnels de toute
nature des départements ministériels auxquels ils sont attachés ».
Le contrôleur est bien chargé, depuis 1922, d’émettre un avis
financier sur les différents actes des ministères. Malgré son
renforcement après la seconde guerre mondiale, la mesure reste
assez peu appliquée, principalement en raison de l’opposition des
ministères contrôlés jaloux de leur autonomie.

1. Un conseil financier sur la « soutenabilité » budgétaire ?


La loi de 1922 prévoyait que les actes des ministères devaient être
accompagnés d’un avis du contrôleur. Il s’agissait d’attirer
l’attention des ministres sur les conséquences financières des
diverses mesures en gestation avant qu’elles n’acquièrent une valeur
juridique contraignante. Si l’objectif était bien de prodiguer un
conseil financier aux administrations, dans la mesure où ces avis
devaient accompagner la proposition, ils constituaient aussi une
source d’information précieuse pour le ministère des Finances.
Consciente du risque que pouvait représenter l’ingérence d’un agent
du ministère des Finances au cœur de la décision administrative, la
loi Marin en avait circonscrit le champ dès 1922. Les avis ne devaient
concerner que les « conséquences financières » des mesures et ne
pouvaient pas porter sur l’opportunité des décisions. Trente ans plus
tard, une autre circulaire rappellera qu’il ne s’agit pas d’examiner
l’opportunité des décisions 10 mais bien de permettre au contrôleur
« d’exercer dans toute sa plénitude son rôle de conseiller financier ».
Le ministère des Finances insistait auprès des contrôleurs pour que
l’ensemble des conséquences financières soit étudié, qu’elles soient
directes, indirectes, immédiates ou à venir 11 … S’agissait-il d’évaluer
la « soutenabilité » des budgets ultérieurs ?

2. Un conseil difficile à imposer aux administrations

En pratique, les avis peinent à s’imposer. Les administrations ne


sollicitent pas les contrôleurs. Après la seconde guerre mondiale, les
directeurs du budget successifs 12 vont régulièrement rappeler à
l’ordre l’ensemble des administrations. Une première circulaire du
10 août 1945 (Didier Gregh), puis une circulaire du 9 juillet 1951
(Goetze), rappellent la nécessité des avis. Malgré cela, les avis des
contrôleurs ne sont toujours pas sollicités préalablement à la
transmission au ministère des Finances de textes ayant une
incidence financière. Goetze insiste à nouveau sur le caractère
impératif de l’avis préalable. Cet avis constitue un élément
indispensable à l’instruction financière du dossier et, dès lors, une
aide à la décision, autant pour le ministère des Finances que pour le
porteur du projet. La circulaire du 29 janvier 1954 relative à «
l’application de l’article 4 de la loi du 10 août 1922 sur le contrôle des
dépenses engagées » est explicite :
« À l’occasion de l’examen des projets de textes élaborés par les différents
départements ministériels et qui me sont communiqués pour signature, je suis
souvent amené à constater que les dossiers transmis ne comportent pas l’avis du
13
contrôleur des dépenses engagées placé près le ministre intéressé ».
Goetze conclut abruptement qu’il ne saurait laisser subsister un tel
état des choses : « Mes services ont reçu pour instruction de se
refuser désormais à examiner les propositions qui ne seraient pas
accompagnées de la note susvisée et qui n’auraient pas été soumises
au contrôleur des dépenses engagées intéressé 14 ». À peine nommé
à la tête de la direction, Devaux, successeur de Goetze, doit réitérer
cette observation par circulaire le 20 février 1957 15 . Il semble que
les services ont fait peu de cas de ces revendications, puisque peu de
temps après son entrée en fonction, Raymond Martinet en rappelle
l’existence par la circulaire du 25 avril 1961 :
« À l’occasion de l’examen des projets de textes ou des demandes statutaires ou
indemnitaires, élaborés par les différents départements ministériels, il m’a été
donné de constater que ces derniers adressent le plus souvent leurs propositions
en annonçant l’envoi « ultérieur » de l’avis du contrôleur financier. Cet avis ne
16
parvient ensuite que rarement à mes services ».

3. Un conseil finalement centré sur l’aspect budgétaire

Si la démarche qui consiste à demander à des experts financiers de


remettre un « avis » qui relève du conseil semble pertinente, il faut
remarquer qu’à aucun moment le législateur n’a entendu astreindre
la production de cet avis d’une sanction. Pourquoi les ministères qui
y voyaient une ingérence dans le champ de l’opportunité des
décisions s’y seraient-ils pliés ? Finalement, les seuls avis « légitimes
» aux yeux des ministères contrôlés étaient ceux joints aux projets
proprement budgétaires 17 . Il était difficile de nier la portée «
financière » des demandes de crédits et dès lors, le passage par le
bureau du contrôleur financier s’imposait. Ce dernier était alors
chargé d’étudier l’évolution du budget et de commenter le volume
des crédits demandés 18 . Ce n’est ici qu’une intervention a minima
qui est demandée au contrôleur. Le cadre budgétaire prime et le
contrôleur doit prêter une attention particulière aux mesures
nouvelles par opposition aux réévaluations et aux mesures de portée
plus restreintes… comprendre d’un coût modéré. La direction du
Budget attend des suggestions quant à une optimisation de la
ventilation des crédits et souhaite avant tout isoler des disponibilités
permettant de mieux doter des chapitres plus sollicités. Il s’agit pour
le contrôleur de s’attacher à la validation de la sincérité financière
des évaluations proposées. Dès lors, il faut bien comprendre que le
regard posé sur la « gestion des crédits » selon les termes de la
documentation des contrôleurs financiers doit être compris comme
une meilleure « gestion budgétaire des crédits ». Et c’est bien en ce
sens que cet « avis constitue un utile instrument de travail 19 » selon
Jean Rossard, alors chef de bureau à la direction du Budget.

B. Le rapport

Au-delà des avis financiers remis par les contrôleurs, ces derniers
doivent produire un rapport annuel. Selon les termes de l’article 7 de
la loi du 10 août 1922 :
« Chaque année, les contrôleurs des dépenses engagées établissent un rapport
d’ensemble relatif au budget du dernier exercice écoulé, exposant les résultats de
leurs opérations et les propositions qu’ils ont à présenter ».
Le même article précise la forme du document « Ces rapports sont
dressés par chapitre budgétaire et par ligne de recettes » ainsi que
ses destinataires :
« ils sont, ainsi que les suites données aux observations et propositions qui y sont
formulées, communiqués par les contrôleurs des dépenses engagées au ministre
des Finances et aux ministres intéressés et, par l’intermédiaire du ministre des
Finances, à la Cour des comptes et aux commissions financières des deux
Chambres ».
Les rapports constituent donc théoriquement une source
d’information financière précieuse quant à la gestion de la dépense
publique des administrations d’État.

1. Vers une approche « coûts et rendements »

Les rapports remis dans les années de l’entre-deux-guerres peuvent


être considérés comme très factuels et uniquement budgétaires, au
sens où ils insistaient sur les conditions financières et
administratives de l’exécution du budget de l’exercice précédent. Ils
retraçaient dans une première partie la consommation des crédits,
transcrite au sein des comptabilités tenues par le service (le «
résultat de leurs opérations »). Dans une seconde partie, ils
rapportaient divers incidents d’ordre juridique et réglementaire
survenus au cours de l’exercice pour éventuellement insister sur des
aménagements nécessaires aux procédures financières. Les «
propositions » étaient rarement organisationnelles au sens large 20 .
Au milieu des années 1950, les travaux du Comité central d’enquête
sur le coût et le rendement des services publics sont diffusés. La
direction du Budget souhaite faire évoluer les pratiques du contrôle
interne, qu’il soit opéré par les administrations ou par le ministère
des Finances. Une circulaire du premier bureau de la direction du
Budget 21 du 25 novembre 1955 incite les administrations à
promouvoir l’« analyse et la détermination des coûts et des prix de
revient des services administratifs de l’État ». Le texte cherche à
transposer, avec les aménagements adéquats, la pratique de
recherche des coûts et prix de revient existant dans le secteur privé
afin d’aller vers une amélioration de la productivité 22 . La circulaire
fait par ailleurs référence aux travaux du Comité central d’enquête
sur le coût et le rendement des services publics dont il s’agit bien,
dans le fond, de diffuser les pratiques. Elle est accompagnée d’une
annexe de huit pages comportant des tableaux proposant une grille
type de calcul. Cette dernière insiste sur la nécessité d’aller vers un
coût complet (appelé « coût réel ») de chaque activité en y intégrant
les coûts de structure (appelés « les dépenses indivises »). Il s’agit ici
d’inclure dans le prix de revient d’une activité, le coût de
l’occupation des locaux, les dépenses réalisées par d’autres services,
mais aussi « la variation des stocks, l’amortissement, les
immobilisations ou l’étalement dans le temps de certaines charges
non périodiques ».
Pour autant, l’approche n’est pas caricaturale, le prix de revient ne
devient pas un nouveau paradigme administratif. Cette donnée
constitue un des éléments constitutifs des prises de décisions. La
circulaire prend soin de préciser que « les considérations de prix de
revient ne peuvent être seules déterminantes » mais qu’elles doivent
« permettre des comparaisons instructives » et peuvent être « un
facteur particulièrement efficace de bonne gestion administrative ».

2. L’évolution des rapports des contrôleurs financiers


centraux

L’évolution du cadre d’analyse financière promu par l’État se


concrétise au niveau des rapports des contrôleurs financiers. Il s’agit
certainement d’obtenir un autre type d’information sur les pratiques
administratives mais aussi d’accompagner l’effort de mutation des
administrations. Une circulaire du 12 juin 1956 23 adressée aux
contrôleurs financiers leur propose une rénovation des rapports
annuels. Dans la mesure où la loi n’est pas modifiée, la circulaire ne
peut pas imposer une nouvelle forme aux rapports, mais elle
poursuit le travail d’adaptation des documents au besoin global
d’information financière. En 1942 déjà, une circulaire avait admis
que les observations des contrôleurs soient groupées par nature au
lieu d’être présentées par chapitre budgétaire. Il s’agissait de donner
un peu de hauteur aux remarques et analyses prodiguées. La
circulaire du 26 janvier 1946 avait quant à elle insisté sur la nécessité
de produire les documents avant le 30 juin, afin de les situer dans le
cadre de la discussion des budgets de l’année à venir.
En 1956, Roger Goetze note que les rapports ne parviennent pas
toujours régulièrement rue de Rivoli. Il admet que :
« l’établissement de ces documents constitue souvent un travail assez fastidieux
et que, d’une part, le caractère très souvent général des observations présentées,
d’autre part, la multiplicité des questions évoquées, ne rendent pas toujours
24
susceptibles d’exploitation effective les rapports établis ».
Afin de rendre de l’intérêt à cet exercice, il propose de :
« modifier leur nature en substituant à un ensemble d’observations nombreuses
portant sur toute l’étendue des questions soulevées par l’exercice de votre
contrôle l’étude approfondie de quelques problèmes importants et peu
nombreux qui vous paraissent les plus dignes d’attention, ces études devant
permettre soit d’améliorer le fonctionnement des administrations près
desquelles vous êtes en fonction, soit d’obtenir une meilleure utilisation des
crédits, soit de réaliser des économies ».
Dès lors, il est loisible aux contrôleurs de donner une nouvelle
dimension aux documents annuels qu’ils ont l’obligation de produire
et de les orienter vers une fonction plus financière. Il peut s’agir de
concourir à l’effort national de réalisation d’économies, d’accroître
l’optimisation de l’allocation des moyens, ou d’aller vers une
amélioration de la « performance » des administrations.
II. Évolution des contrôleurs ou évolution des
administrations ?
Très rapidement, les contrôleurs accusent réception de la circulaire.
Les rapports sur la gestion de la fin des années 1950 comportent
régulièrement une référence au texte. Il peut s’agir d’un élément
d’introduction précédant l’annonce du plan du rapport 25 , d’un
simple visa 26 ou d’une mention au sein d’une lettre introductive 27 .
Pour autant, il faut s’interroger sur la mise en œuvre pratique de
cette nouvelle disposition : quelles sont les modifications qui
apparaissent dans les rapports à partir de juin 1956 ? Ces évolutions
résultent-elles d’une évolution du contrôle financier ou des
administrations elles-mêmes ?
Le contrôle financier, à l’image de toute organisation, ne saurait être
analysé de manière univoque. La formation et la « culture » de
chaque contrôleur sont des éléments qui concourent à façonner une
vision de la fonction propre à chaque acteur. Il faut donc, pour
observer l’évolution des pratiques, s’attacher à observer les
individus pour établir des typologies. Ainsi, on note que certains
contrôleurs vont proprement ignorer ou appliquer d’une manière
tellement peu convaincante les nouveaux axes d’investigations de la
fonction qu’on notera une forme de permanence du contrôle à
travers les rapports annuels. Parallèlement, d’autres contrôleurs
vont faire évoluer leurs rapports annuels en intégrant des éléments
d’analyse financière et, dans certains cas, établir en relation avec les
administrations concernées un véritable audit financier d’un pan
d’activité de l’État.

A. Une évolution divergente des rapports selon les


contrôleurs
Dans certains ministères, les rapports n’évoluent pas ou très peu. Ici,
il est clair que le comportement du contrôleur prime : il ne souhaite
pas faire évoluer la mission. Au ministère de l’Intérieur, Robert
Jacquet ne comprend pas (ou refuse de comprendre) la portée de la
circulaire du 12 juin 1956 28 . Au secrétariat des affaires
économiques, le contrôleur financier continue, à la fin des années
1950, à ne vérifier que la régularité des procédures administratives.
Jean Noury reprend dans son rapport sur l’exercice 1956 les
sempiternels reproches adressés aux administrations : la tendance
aux engagements tardifs de dépenses sur des crédits présentant des
disponibilités dont le seul objectif semble de consommer plus que
d’utiliser de manière pertinente les sommes mises à disposition 29 .
Dans son rapport sur le même ministère pour 1957, il précise qu’il
continue à réclamer que l’administration respecte le caractère
préalable du visa sur les ordres de mission et explique qu’il a obligé
le cabinet du ministre à justifier le dépassement de délai de 5 jours
d’un ordre de mission d’un contrôleur d’État 30 . On imagine
aisément l’effet que ce type de comportement tatillon génère au
cœur d’administrations prises entre l’urgence des situations et la
lettre de la règle. Enfin, on peut encore observer un exemple
caricatural de résistance à l’évolution au contrôle financier du
ministère de l’agriculture. On peut comprendre que le rapport de
Charles Rouzoul pour l’exercice 1958 reste très classique, il est plus
étonnant de constater que ceux consacrés aux exercices 1967, 1968
et 1969 par Jacques Rény le sont tout autant ainsi que celui de… 1974
par Jean Chenard. Les seules analyses concernent les améliorations à
apporter à l’organisation administrative en vue de se rapprocher
d’un respect à la lettre de la réglementation 31 .
À l’inverse, une majorité de contrôleurs va intégrer des remarques
plus « gestionnaires » dans les rapports. Ces remarques, selon les
termes de la circulaire de 1956, viseront à « améliorer le
fonctionnement des administrations », à « obtenir une meilleure
utilisation des crédits » ou à « réaliser des économies ».

1. Une rénovation a minima des rapports : la recherche d’une


meilleure utilisation des crédits

Sur ce point, la circulaire de 1956 n’apporte en fait pas une grande


évolution. Les contrôleurs surveillent l’exécution des crédits depuis
la création du contrôle. On peut noter quelques évolutions
techniques, mais elles ne représentent pas, loin de là, une révolution
des rapports annuels.
Au ministère des Armées (section air), René Bertin-Mourot introduit
dans ses rapports des statistiques financières qui mettent en
perspectives les exercices budgétaires. Il apprécie les taux
d’exécution budgétaire en relation avec les reports de crédits, titre
par titre. Il s’agit d’adapter plus finement la dotation aux réalités de
l’exécution. Le rapport pour 1960 en offre une illustration :
« Afin d’arrêter ce gonflement régulier des reports constatés à la fin de chacune
des dernières années il apparaît souhaitable : d’une part d’éponger au budget de
1962 les reports qu’il est possible de prévoir à la fin de 1961 [grâce à une étude
quantitative de la vitesse de consommation des crédits qui permet de dégager
des constantes]. D’autre part, d’éviter à l’avenir d’ouvrir des crédits de paiement
qui dépassent les besoins des services et les possibilités d’absorption de
32
l’industrie ».
Parallèlement, sa satisfaction à noter dans le rapport pour 1958 que
« la gestion des services de l’air reste, comme nous l’avons déjà
signalé, dans l’ensemble, très satisfaisante », traduit en fait l’absence
d’incidents administratifs dans l’exécution du budget 33 comme en
témoigne la précision apportée dans le rapport pour 1959 34 .
Le changement de contrôleur financier n’apporte pas de
modification du regard porté sur la section « air » du ministère des
Armées. Avec René Ebner, les rapports restent très orientés sur les
pratiques juridico-administratives dont les améliorations sont seules
pensées comme sources de progrès. Le rapport pour 1962 est
particulièrement clair sur ce point. Il reprend la structure
traditionnelle des rapports (résultats d’ensembles/observations
particulières) et ne détaille dans la seconde partie que des points de
technique juridico-financière 35 . Ici encore, la « gestion » ne
s’entend que d’un point de vue « budgétaire » : il s’agit de gérer et de
bien gérer les crédits 36 .
Pour autant, les contrôleurs tentent parfois de proposer des
modifications à cet ordre juridico-financier en vue d’accroître
l’optimisation de la « gestion budgétaire ». Conscient des limites de
la spécialité des crédits, Ebner propose, dans le rapport pour 1961,
d’aller vers une globalisation des crédits d’équipement du ministère
afin d’améliorer le taux d’exécution budgétaire 37 . Cette
globalisation ne serait cependant pas accordée au ministre
concerné… mais au ministre des Finances !

2. De la simple recherche d’économies à l’efficacité de la


dépense publique

La recherche d’économies constitue un des éléments moteurs de


l’action financière. Il n’était pas besoin d’insister sur ce point pour
motiver les contrôleurs. Leurs rapports sont parsemés de remarques
indignées sur certaines pratiques. Noury, dans son rapport sur
l’exercice 1956 du secrétariat aux affaires économiques, reprend en
détail les conditions d’une mission à Brazzaville pour noter qu’« une
meilleure préparation du voyage eut été sans doute possible et aurait
pu éviter aussi bien le contretemps que le débours supplémentaire
38
». La recherche d’économies peut générer des remarques
savoureuses. Le contrôleur financier près le ministère de l’Intérieur
remarque dans son rapport pour les exercices 1965 et 1966 le poids
très important de la « sûreté nationale ». Cette dernière absorbe
(hors services communs) les trois quarts des ressources du
ministère. Pour le contrôleur, la réalisation d’économies doit
logiquement passer par la réduction du nombre de compagnies
républicaines de sécurité. Il constate néanmoins qu’il s’agit d’une «
question dont le caractère politique l’emporte sur les considérations
d’ordre purement financier 39 »… Nous sommes alors six mois avant
mai 1968 !
Certains contrôleurs financiers vont dépasser la simple recherche
d’économies pour analyser d’une manière plus « neutre » l’efficacité
de la dépense publique. Gustave Chadzinsky et Musnier de Pleigne,
dans leur rapport sur l’exercice 1958 de l’Assistance publique à Paris,
témoignent de cette préoccupation en plusieurs endroits. Ils font
ainsi état de ce que le magasin central pourrait grouper ses
commandes avec celles de la préfecture de la Seine et obtenir de
meilleurs prix d’achat comme cela se pratique déjà pour les marchés
de textiles. Le rapport s’attache aussi à l’étude du prix de revient de
certaines opérations. Il étudie ainsi le coût de la fabrication du
sérum physiologique à la Pharmacie centrale pour remarquer qu’il
est inférieur à celui du commerce. Les contrôleurs émettent
cependant des réserves quant à la possibilité d’étendre la production
interne à d’autres produits au regard de la relative faiblesse des
quantités exigées par l’Assistance publique 40 . On retrouve le même
type de raisonnement concernant la meunerie et la boulangerie dont
les contrôleurs suggèrent qu’elles pourraient fournir d’autres
administrations proches. Le contrôle ajoute qu’il faudrait aussi
comparer le prix de revient des produits fabriqués au tarif des
boulangeries industrielles. Confirmant leur attirance pour les
produits de bouche, les contrôleurs se félicitent de ce que la
boucherie charcuterie a suivi les préconisations relatives à la
rationalisation des achats afin d’accroître la rentabilité 41 du
service.

3. L’amélioration du fonctionnement des administrations

Au-delà de l’efficacité de la dépense publique point la question de


l’organisation administrative. En 1958, Chadzinsky poursuit l’analyse
comparative des coûts observés pour certaines tâches entre des
prestataires de services extérieurs et les services administratifs.
Après avoir préconisé l’externalisation des grosses réparations des
véhicules de l’Assistance publique, il note avec satisfaction la
réorganisation du garage central, autour de fonctions strictement
essentielles (chauffeurs, dépanneurs, laveurs, graisseurs). Il poursuit
ses remarques sur l’organisation des services l’année suivante en
proposant d’équiper les ambulances de récepteurs radio, afin
d’éviter des allers-retours inutiles, ou de rationaliser l’emploi des
infirmières diplômées 42 . Toujours en 1959, Le contrôleur financier
près le ministère des Affaires étrangères décide de substituer une
étude spécifique sur l’Agence comptable des chancelleries
diplomatiques et consulaires à son rapport. Le document de 16 pages
constitue une véritable proposition de réorganisation de
l’administration dont le contrôleur semble penser qu’elle intéresse le
ministre lui-même 43 .
Successeur de Chadzinsky au contrôle de l’Assistance publique,
Michel Tixier suggère dans son rapport sur l’exercice 1959 la
renaissance du service d’inspection économique, supprimé en 1945.
Le service, selon lui, « devrait pouvoir contrôler sur place la gestion
des chefs d’établissement […] et informer l’administration centrale
de ses constatations 44 ». L’administration, dans sa réponse,
explique que, depuis 1948, c’est la sous-direction des finances qui a
repris les attributions de l’ancienne direction des affaires
économiques, mais qu’elle « se borne à effectuer la liquidation
matérielle des dépenses, sans exercer aucun contrôle sur les
conditions dans lesquelles ces dépenses sont intervenues ». Tixier
insiste donc dans son rapport sur la nécessité de réintroduire un
véritable contrôle « économique » des administrations. Il préconise
ensuite, dans son rapport sur l’exercice 1961, que les gros
équipements (blocs opératoires) soient standardisés afin de
permettre des économies d’échelle. Après avoir essuyé un refus du
corps médical estimant que chaque chirurgien a ses habitudes, il
insiste et obtient de la commission chirurgico-administrative qu’elle
dresse une liste type de matériel chirurgical permettant des marchés
plus intéressants 45 . Enfin, le même Tixier va jusqu’à proposer une
analyse prospective de l’activité en évoquant les avantages
financiers de l’hospitalisation à domicile 46 . Organisation des
services et efficacité de la dépense ne sont jamais très éloignées !

B. Une approche rénovée et partagée du contrôle


financier des administrations

Intégrant la circulaire relative à la rénovation des rapports annuels


au-delà de sa lettre, certains contrôleurs vont dépasser la simple
recherche d’économies, la poursuite de l’amélioration d’utilisation
des crédits budgétaires ou l’analyse des réorganisations
administratives pour proposer de véritables rapports d’audit
financier des administrations contrôlées. Le service du contrôle
financier n’a pas les moyens de mener des études approfondies. Il
faut donc insister sur le fait que cette profonde rénovation du
contrôle n’est possible que si les administrations se sont elles-mêmes
engagées dans l’analyse financière de leurs activités. Dès lors, le
contrôleur financier peut saisir les études existantes et les mettre en
perspective avec les données financières qu’il possède. L’objectif de «
conseil financier » est alors atteint, il permet d’encourager les
administrations à poursuivre leurs mutations ou de mettre en avant
des pratiques jugées vertueuses. Deux contrôleurs, Charles Rouzoul
et Roger Bessière, ainsi que deux administrations, le ministère des
PTT et le ministère de l’Éducation nationale, s’illustrent sur ce point.

1. Au ministère des PTT

Au ministère des PTT, les rapports annuels de Rouzoul sont


caractéristiques de l’évolution dans l’analyse financière. Son rapport
sur l’exercice 1957, du 26 juin 1958, ne s’attache qu’à l’organisation
financière de l’administration contrôlée. Il y fait mention de la
circulaire de 1956 et propose une étude générale. Cette dernière
porte sur « les particularités de l’organisation comptable de
l’administration des PTT et le régime du payement sans
ordonnancement, ni mandatement préalable ». Au sein de l’étude
focalisée sur l’organisation financière du ministère, le contrôleur
s’est « efforcé de dégager des solutions de nature […] à atténuer les
inconvénients présentés par la situation actuelle 47 ». L’année
suivante, en 1959, il propose une analyse du « service social des PTT
48
» sous l’aspect réglementaire et organisationnel. Si l’étude
intègre quelques éléments liés au prix de revient des journées de
colonies de vacances rapporté aux montants demandés aux familles
en fonction de l’indice des agents, les données restent globales et
établies au niveau national. Le travail évolue en 1960, le rapport
porte alors sur le « musée postal 49 ». Rouzoul établit dans un
premier temps le résultat de l’activité. Le fonctionnement du musée
postal est globalement excédentaire mais cet excédent ne permet
pas de financer les importantes dépenses d’équipement. Devant le
caractère structurel du déficit, le contrôleur envisage « l’aliénation
de quelques timbres possédés à plusieurs exemplaires […] source de
revenus, non négligeable certes, mais non renouvelable ». Il évoque
aussi un déménagement du musée vers une zone plus visitée ou une
fusion avec le musée des télécommunications, quand bien même il se
« permet de douter, que même mieux situé et augmenté d’une
section télécommunications le musée, s’il s’attache à compléter ses
collections, puisse jamais équilibrer ses ressources et ses charges ».
Le contrôleur note que seul le Louvre et l’armée (tombeau de
Napoléon) disposent de recettes suffisantes avant d’insister sur le
fait que ce n’est pas uniquement sous un aspect financier qu’il faut
apprécier la nécessité d’un musée 50 .
Enfin en 1961, achevant l’évolution de ses rapports, Rouzoul propose
une étude très complète de 57 pages consacrée au « service des
transports des Postes et Télécommunications ». Le travail aborde
l’ensemble des aspects de la mission avant de consacrer plus d’une
dizaine de pages à « l’étude des prix de revient 51 » et à ses
conséquences. Les données de base sont produites par les divers
services de l’administration qui, selon le contrôleur, « ne pouvait se
dispenser de procéder à l’étude la plus serrée possible des prix de
revient du service automobile ». Il décrit ensuite les éléments
d’analyse du coût de chaque opération « par type de véhicule, par
groupe de types comparables et par grand service ». Il précise que
deux séries de prix de revient moyen sont établies par
l’administration : « l’une pour l’ensemble des régions de provinces,
l’autre relative à la région de Paris où se manifestent des besoins
particuliers notamment en matière de transports postaux 52 ».
Intégrant les éléments de la circulaire du 25 novembre 1955, l’étude
distingue les coûts des différentes fonctions, qu’elles soient
régionales ou nationales, pour tenter d’appréhender un coût
complet 53 .
Le contrôleur signale par ailleurs qu’une fiche est tenue par véhicule
et par atelier sur laquelle « il est à remarquer que la dépense de
main-d’œuvre est calculée, non pas à l’occasion de chaque
réparation, mais à la fin de l’année. […] Le coût horaire de la main-
d’œuvre est le quotient des frais de fonctionnement des ateliers par
le nombre d’heure de travail “facturables” 54 ». Les frais généraux
s’imputent sur ceux de la main-d’œuvre mais sont distincts dans le
calcul. Ils permettent bien de séparer les coûts directs et indirects.
Enfin, le contrôleur évoque l’utilisation faite de ces données. Au-delà
du simple établissement du coût de chaque activité, l’administration
des postes et télécommunication est en mesure de mieux mesurer
ses besoins nouveaux en termes budgétaires et d’optimiser son
programme d’achat après avoir fixé la durée optimale d’utilisation
de chaque type de véhicule 55 . En outre :
« L’administration centrale ne se contente pas de tirer des renseignements
fournis par les chefs des services extérieurs, des données statistiques. Par la
comparaison des résultats obtenus d’une année à l’autre et d’une région à l’autre,
elle juge de l’efficacité de l’action des directeurs régionaux et elle ne manque pas
56
d’appeler leur attention sur les redressements qui lui paraissent nécessaires
».
Le contrôleur pointe ainsi plusieurs types d’observations faites en
1960, par l’administration elle-même. Il isole une forme de contrôle
de gestion interne qui permet, par exemple, de recadrer les
directions départementales dont la consommation de carburant
apparaît supérieure à la moyenne admise, celles dont le coût
kilométrique des réparations dépend trop de services rendus à
d’autres services de la région, ou celles d’un faible rendement du
personnel. Enfin, il remarque que l’administration va jusqu’à
diligenter des enquêtes quand elle pointe des aberrations 57 .
Dans ses conclusions, le contrôleur s’attarde évidemment sur la
nécessité d’adapter l’offre de réparation à la demande en fonction du
nombre de véhicules, isolant les effets de seuil de l’activité 58 . Il
évoque « l’organisation rationnelle » du service et l’efficacité des
contrôles internes mis en place 59 . In fine, le contrôleur insiste sur le
fait qu’il a « préparé le présent rapport [afin] qu’il serve d’exemple
aux administrations qui utilisent un parc automobile important 60 ».

2. Au ministère de l’Éducation nationale

Conscient de la nécessité de se montrer économe des deniers publics


dès 1954 dans son rapport pour 1953, le contrôleur des dépenses
engagées près le ministère de l’Éducation nationale avait réclamé
une standardisation des équipements afin de réaliser des économies.
Il se félicite dans son rapport pour 1954 de ce qu’une commission a
été mise en place en vue d’établir ces normes. Bessière déplore
parallèlement que la commission n’ait pas abouti à la conclusion
qu’il valait mieux utiliser « les magasins d’académie » qui sont des
organes interdirections et permettent par leur politique d’achat en
nombre, « dans de nombreux cas, de fournir un matériel excellent à
des prix plus favorables ». Dans le même ordre d’idée, il suggère
d’optimiser l’utilisation des locaux, par exemple des salles du
Conservatoire national des arts et métiers sous-utilisées en journée,
afin de pallier le manque de locaux à l’Université de Paris. Il semble
qu’il n’a pas été écouté et il le déplore 61 . Bessière se réfère plus loin
aux travaux du Comité du coût et rendement des services publics et
plus largement à la notion de « productivité » dans le service public
62
. Dans le rapport pour l’exercice 1956 du 30 mars 1957, il étudie
un « système plus rationnel qui permettrait une meilleure utilisation
des crédits ». Il préconise la généralisation d’une expérience menée
dans l’académie de Caen qui organise les services autour d’un pôle
financier régional centré sur le recteur considéré comme
ordonnateur secondaire. Selon lui, le résultat serait, outre « une
modernisation des méthodes de travail […] un allégement du budget
de l’Éducation nationale de plusieurs milliards de crédits devenus
inutiles 63 ». Fin janvier 1958, Bessière poursuit le mouvement de
transformation des rapports qu’il propose à l’occasion de celui
consacré à l’exercice 1957. Après avoir rappelé le contexte
budgétaire très contraint, il propose une approche globale de
l’enveloppe d’investissement du ministère en insistant sur le fait que
les économies réalisées sur certains investissements permettraient
de financer plus de constructions 64 . Ensuite, faisant siennes les
recommandations du premier bureau de la direction du Budget, il
propose une étude de huit pages sur le coût des opérations de
construction du ministère. Dans cette étude, il établit la nécessité de
prendre en compte l’ensemble des coûts liés aux constructions avant
d’opérer des choix éclairés. Il critique la recherche de mauvaises
économies, comme celles qui pourraient être réalisées sur le prix
d’achat du terrain mais qui se trouveraient anéanties par les
surcoûts de constructions. C’est par exemple le cas quand les
communes cèdent gratuitement des « mauvais » terrains 65 .
Le dernier rapport de Bessière au ministère de l’Éducation nationale,
rédigé en 1959, porte sur l’exercice 1958 et constitue une référence
en termes de performance du service public. La première partie du
rapport, constituée de 33 pages, est intitulée « la notion de
productivité dans les services relevant de l’Éducation nationale ».
Selon son auteur, il s’agit bien de mettre en perspective « les
résultats obtenus et les moyens mis en œuvre 66 » et « d’examiner si
l’Éducation nationale a apporté aux problèmes qui lui étaient posés
des solutions inspirées du souci d’une meilleure productivité, c’est-à-
dire à la fois d’un accroissement des résultats et d’une économie de
moyens 67 ». Cette démarche de performance est tellement
novatrice qu’une annotation manuscrite en marge s’en étonne : «
est-ce le rôle du CF ? ».
Ce rapport tout à fait remarquable aborde plusieurs thèmes. Dans un
premier temps, l’étude porte sur la « notion de productivité en
matière d’enseignement ». On y trouve des statistiques sur
l’encadrement des différents niveaux d’enseignements (supérieur,
second degré, premier degré, technique). Ces statistiques sont
corrigées des postes vacants et distinguent les titulaires des non-
titulaires. Elles sont ensuite comparées aux données fournies par
l’UNESCO. Le contrôleur propose alors une analyse qui insiste sur les
difficultés prévisibles de recrutement au regard de l’évolution de la
situation démographique qui ne va pas manquer d’accroître les
besoins alors que le nombre de candidats potentiels aux différents
concours n’aura pas assez augmenté. Il conclut que « dans cette
période, les pourcentages d’admissions à certains examens ou
concours ne peuvent être maintenus 68 » et propose trois mesures :
« recul de l’âge de la retraite, augmentation de la durée du travail,
effort de productivité 69 ». Parmi de nombreuses remarques, on note
que le contrôleur se déclare choqué « que des installations coûteuses
sont utilisées, comme certains amphithéâtres de facultés, moins de
500 heures par an 70 ». Il constate, désabusé, la multiplication des
ouvertures de classes de maternelle et insiste sur l’absence
d’obligation d’accueil d’enfants de moins de 6 ans avant de déplorer
la présence dans ces mêmes classes « d’une institutrice, détentrice
d’un baccalauréat et d’un certificat d’aptitude à l’enseignement 71 ».
Il poursuit en dénonçant les groupes scolaires à effectifs insuffisants
et préconise « le regroupement de classes avec organisation du «
ramassage » des écoliers […] dans les régions où la nature le permet
». Il s’agit, selon lui, de dégager plusieurs milliers d’emplois de
maîtres !
Dans un deuxième temps, l’étude porte sur « la notion de
productivité et le fonctionnement des établissements
d’enseignement ». Il s’agit ici, dans la droite ligne de la circulaire du
25 novembre 1955 et des travaux du Comité central d’enquête sur le
coût et rendement des services publics (qui sont tous les deux
expressément cités), de procéder à « une analyse des prix de revient
et des coûts des divers services 72 ». Le contrôleur précise qu’il a dû
opérer une série de retraitements comptables qui tendent vers
l’établissement d’une comptabilité analytique. Ce travail a été établi
sur la base d’une enquête statistique menée en 1958 en liaison avec
la direction du Budget et qui porte sur l’examen des comptes de 12
lycées de l’académie de Bordeaux. Après une explication de la
méthodologie employée mettant en exergue les spécificités des
lycées concernés (situation, effectifs relatifs internes/externes,
présence d’école normale d’instituteurs, etc.), l’auteur propose une
analyse des résultats globaux de l’enquête qui établit des effets de
seuil. S’il paraît évident que sous un certain seuil de fréquentation,
les établissements sont financièrement assez peu efficaces, l’étude
démontre parallèlement qu’au-dessus d’un autre seuil « le
groupement ne se traduit pas par un abaissement du prix de revient
unitaire ». Elle est ponctuée de références à l’entreprise au sein
desquelles les dirigeants « justifient leur tendance à la concentration
des moyens en vue de réduire les frais généraux » tout en concédant
qu’il y a « certes, dans les domaines, une limite aux regroupements,
aux intégrations, aux unifications, limite au-delà de laquelle les
inconvénients l’emportent sur les avantages 73 ».
L’étude s’attache encore à la répartition des dépenses entre
l’internat et l’externat, aux personnels enseignants, au rapport du
nombre d’agents de services au nombre d’élèves, au chauffage, aux
frais de nourriture…
Enfin dans un troisième temps, le contrôleur rapproche «
productivité et investissements ». Ici Bessière affirme que « la
dispersion des établissements [est], pour l’Éducation nationale, un
mal très répandu [et] préjudiciable, dans les circonstances actuelles,
non seulement aux finances publiques, mais à l’enseignement même
74
». Ainsi, « prévoir la construction de collèges en des lieux où
l’effectif ne saurait dépasser 3 à 400 élèves, c’est se condamner à
l’avance à un sous-emploi des personnels et des installations ». Il
insiste ensuite sur la nécessité d’anticiper les frais de
fonctionnement lors des programmes de construction dans le
prolongement des remarques inscrites dans le rapport précédent
avant d’exhorter l’administration à grouper et à standardiser ses
achats.
Le rapport est émaillé de nombreuses autres remarques (révision de
la carte scolaire, attention portée à la durée des études…) à tel point
qu’on ne s’étonne plus de l’annotation portée en marge du rapport :
est-ce le rôle du CF ?

Conclusion
Au regard des divergences constatées, tant au niveau des contrôleurs
financiers centraux que des administrations, il est difficile d’établir
un mouvement global d’évolution de la fonction de contrôle
financier des administrations. Il est évident que la résistance des
administrations à une trop forte présence des « finances » au cœur
de leur action a constitué un frein puissant à l’analyse des coûts et
rendements. Les « bureaux » ont pu légitimement considérer que
l’analyse du coût d’une opération militaire, ou de la justice pénale,
ne devait pas être envisagée. Au mieux ont-ils pu considérer que la
question présentait peu d’intérêt. Force est de constater que certains
contrôleurs financiers centraux ont, au moins partiellement,
conforté cette idée.
Inversement, là où les administrations se sont lancées dans
l’expérience d’une forme de contrôle de gestion, les contrôleurs ont
pu relayer la démarche au-delà des attentes des services… suscitant
peut-être l’inquiétude. Fallait-il que la rue de Rivoli connaisse avec
autant de finesse la qualité de la gestion administrative ? Sur ce
dernier point, il est vraisemblable que le changement de directeur
du Budget n’aura pas incité à généraliser les expériences. Succédant
à Roger Goetze, Gilbert Devaux a certainement montré peu
d’empressement à encourager l’émergence d’experts financiers
susceptibles de porter un regard autre que strictement juridique sur
la dépense publique. C’est en fait une dérive vers le contrôle de
l’opportunité des décisions qu’il convenait d’éviter et sur ce point,
en l’absence d’un soutien fort de la hiérarchie, les contrôleurs ne
pouvaient pas aller au-delà de la loi de 1922, a fortiori contre des
administrations jalouses de leurs prérogatives.
Enfin, la diffusion des rapports des contrôleurs financiers aura, elle
aussi, entravé le développement d’une analyse financière pertinente.
Centralisés par la direction du Budget, les rapports sont ensuite
distribués à la Cour des comptes et aux commissions des finances du
Parlement. Malgré la Ve République et la « rationalisation » des
pouvoirs des élus, au regard de l’évolution des rapports, leur
relecture, voire leur réécriture (le caviardage), devient une étape
importante. Les rapports des années 1960 en témoignent, certains
contiennent une note du bureau C1 de la direction du Budget qui
synthétise les informations importantes et précise dans quelle
mesure le rapport doit ou ne doit pas être modifié avant
transmission à la Cour des comptes 75 . Dès lors, les facteurs de
résistance à l’évolution des rapports étaient trop importants pour
leur permettre de changer de dimension.

NOTES
1. BREF, daté du samedi 6 avril 1946, archives privées Nathalie Carré de Malberg.
2. Son article 1er situe très clairement les choses. « Les règles de la comptabilité publique ont
pour objet de déterminer les obligations et les responsabilités des ordonnateurs de dépenses
publiques, des ordonnateurs de recettes publiques et des comptables publics. »
3. Circulaire du 17 décembre 1955 (n° 12 B61 63-17 et n° 3928 CD), JO du 18 décembre 1955,
p. 12277.
4. Voir dans ce volume Philippe Masquelier, p. 445-518.
5. Nathalie Carré de Malberg, Entretiens avec Roger Goetze, haut fonctionnaire des Finances,
Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1997, p. 237-254.
6. Lucile Tallineau, « L’inspiration keynésienne du décret du 19 juin 1956 », La direction du
Budget face aux grandes mutations des années cinquante, acteur… ou témoin ?, Comité pour
l’histoire économique et financière de la France, 1998, p. 163-185.
7. « Le changement de titre de contrôleur des dépenses engagées en contrôleur financier
s’est fait à la demande de l’association pour montrer que les contrôles ne s’exerçaient pas
que sur les dépenses engagées, mais sur tout ce qui était financier et concernaient la gestion
financière », témoignage d’André Caussin, contrôleur financier, entretien avec Laure
Quenouëlle, n° 4 du 11 avril 1991, archives orales, Comité pour l’histoire économique et
financière de la France, cassette n° 5.
8. Article 5 du décret du 23 janvier 1956 : « Peuvent être nommés contrôleurs financiers de
2e classe :
– les magistrats de la Cour des comptes ayant au moins le grade de conseiller référendaire ;
– les inspecteurs des Finances appartenant au moins à la 2e classe ;
– les directeurs, chefs de service, directeurs adjoints et sous directeurs de l’administration
centrale des Finances ;
– les contrôleurs d’État justifiant d’un minimum de trois ans d’ancienneté dans leur grade ;
– le secrétaire général, le caissier général, les directeurs adjoints et sous directeurs de la
Caisse des dépôts et consignations ;
– les administrateurs civils de l’administration centrale du ministère des Finances, des
services centraux des administrations financières et de la Caisse des dépôts et consignations
appartenant au moins à la première classe de leur grade. »
9. André Caussin, contrôleur financier, archives orales, Comité pour l’histoire économique
et financière de la France, cassette n° 5.
10. « Bien entendu, ces avis motivés doivent être donnés d’un point de vue essentiellement
financier et le contrôleur ne saurait, à l’occasion de l’examen des projets qui lui sont
transmis, formuler des observations sur des questions d’opportunité dont les ministres
demeurent seuls juges. » Circulaire n° 6-1-B/3 du 29 janvier 1954, SAEF PH 196.
11. Instruction du 10 août 1924 : les avis doivent « relever toutes répercussions directes ou
indirectes, immédiates ou à venir, aussi bien en recettes qu’en dépenses, qu’une mesure est
susceptible d’entraîner pour le Trésor public ».
12. Les trois directeurs du Budget de 1949 à 1966 : R. Goetze (juillet 1949 – décembre 1956),
G. Devaux (janvier 1957 – juin 1960), R. Martinet (juillet 1960 – avril 1966).
13. Circulaire n° 6-1-B/3 du 29 janvier 1954, SAEF PH 196.
14. Circulaire n° 6-1-B/3 du 29 janvier 1954, SAEF PH 196.
15. Circulaire n° F 1-11 du 20 février 1957, SAEF PH 196.
16. Circulaire n° F 3-21 du 25 avril 1961, SAEF PH 196.
17. La forme de ces avis n’a pas changé depuis 1922. Les termes de la documentation des
contrôleurs financiers de 1985 sont extrêmement proches de ceux figurant dans son édition
de 1942. Éléments de documentation relatifs au contrôle des dépenses engagées, Imprimerie
nationale, 1942, pages 22 à 30.
18. Documentation des contrôleurs financiers, I Db-01, page 43.
19. Rossard, La prévision en matière budgétaire, conférence du 16 novembre 1951, Paris, ITAP,
page 6.
20. Pour une illustration, rapport du contrôleur des dépenses engagées près le ministère de
l’Éducation nationale pour l’exercice 1937, SAEF B33329.
21. Circulaire n° 02-E/55.11.24/55.12 du 25 novembre 1955 adressée à Messieurs les
ministres et secrétaires d’État signée Gilbert-Jules et Pflimlin.
22. « La connaissance des coûts et des prix de revient doit permettre aux pouvoirs publics
de disposer de données quantitatives pour apprécier l’organisation des services, les moyens
dont il convient de les doter, les réformes à entreprendre, les répercussions que peut
entraîner l’extension de la diminution de leur activité », circulaire du 25 novembre 1955.
23. Circulaire B3/24 du 12 juin 1956 signée R. Goetze.
24. Circulaire B3/24 du 12 juin 1956 signée R. Goetze.
25. « Rédigé selon la circulaire B3/24 du 12 juin 1956 et par la note B3/57 du 26 octobre
1957, le présent rapport comprend trois parties », rapport du contrôleur financier sur la
gestion 1956 du secrétariat aux affaires économiques, (Noury) SAEF, B 28217. « Le présent
rapport, établi conformément à la circulaire du 12 juin 1956, comporte 4 parties ». Rapport
du contrôleur financier près le ministère d’État chargé des affaires culturelles pour
l’exercice 1959 (Guy Germain de Saint-Pierre), SAEF, B 30 957.
26. Rapport du contrôleur financier près l’Assistance publique à Paris « établi
conformément à la circulaire du 12 juin 1956 » (Chadzinsky puis Musnier de Pleigne), SAEF
B 30 960.
27. « Au lieu et place du rapport annuel que doit produire chaque contrôleur financier, et
comme la circulaire n° B3-24 du 12 juin 1956 en donne la possibilité, j’ai l’honneur de vous
faire parvenir, sous ce pli, une étude sur l’Agence comptable des chancelleries
diplomatiques et consulaires ». Étude sur la réorganisation de l’Agence comptable des
chancelleries diplomatiques et consulaires, 16 pages, signé Rambeaud, 12 mars 1959, SAEF, B
30 958.
28. « À vrai dire, peu de problèmes se rapportant à la gestion 1959 méritent, par leur
importance, d’être évoqués dans le rapport annuel et d’ailleurs ils ont donné lieu à des
échanges de communications écrites ou verbales qui ont permis d’aboutir à leur règlement
plus ou moins rapide ». Jacquet, rapport du contrôleur financier du ministère de l’Intérieur
sur la gestion 1958, juin 1959, 21 pages, B 30964.
29. « La gestion des crédits de matériel ouverts aux divers services du secrétariat d’État aux
Affaires économiques n’a pas appelé d’observations particulières. Il a toutefois été
remarqué qu’a l’approche de la date limite des engagements de ces crédits (30 novembre)
les services gestionnaires ont, selon l’habitude, présenté des propositions d’engagement
absorbant la presque totalité de la marge disponible ». Noury, rapport du contrôleur
financier sur la gestion 1956 du secrétariat aux affaires économiques, SAEF, B28217.
30. « Malgré cette prise de position, de nouveaux ordres de mission furent présentés dans le
courant du mois de décembre postérieurement à la date de départ, bien que dans la quasi-
totalité des cas il eut été possible de les établir en temps utile. Dès lors, il était difficile
d’éviter un incident qui se produisit au sujet de la présentation, le 12 décembre, d’un ordre
de mission concernant M. Z., contrôleur d’État, daté de la veille, pour un déplacement qui
avait eu lieu le 6 décembre. Cette mission fut en définitive régularisée dans un but
d’apaisement, au vu des explications fournies par le bureau du cabinet ». Noury, rapport du
contrôleur financier sur la gestion 1957 du secrétariat aux affaires économiques, SAEF,
B30958.
31. « Cette note examinera successivement : dans une première partie, les résultats de la
gestion, le rythme de la consommation des crédits et les remarques qu’appellent ces
données numériques ; dans une seconde partie, la critique d’errements administratifs à la
lumière de l’exercice du contrôle sur les activités du ministère ; cet examen portera cette
année sur la gestion des crédits afférents aux dépenses de personnel et aux vacations, celle
de certains crédits d’équipement (industries agricoles et alimentaires, élevage), enfin sur
l’éventualité d’une modification dans la gestion des crédits de paiement ». Rapport sur
l’exécution du budget 1969 du ministère de l’agriculture, SAEF B30958.
32. Bertin Mourot, rapport du contrôleur financier près le ministère des Armées (Air) pour
l’année 1960, SAEF B30959.
33. Bertin Mourot, rapport du contrôleur financier près le ministère des armées (air) sur le
contrôle du budget de la section Air de la défense nationale de l’année 1958, SAEF, B30959
34. « Bien que plus de 25 400 visas aient été demandés en 1959, peu de dossiers ont motivé
des observations qui mériteraient d’être rappelées dans le présent rapport. Il convient de
signaler à nouveau que ceci est dû en grande partie au travail très efficace et très important
effectué au sein des commissions consultatives centrales des marchés de l’Air à l’activité
desquelles je participe ». Bertin Mourot, rapport du contrôleur financier près le ministère
des Armées (Air) pour l’année 1959, SAEF B30959.
35. Chapitre II : Observations et suggestions du contrôleur financier.
1 : Visa préalable du contrôleur financier.
2 : Exécution des marchés par anticipation.
3 : Lettres de commande avant marché.
4 : Durée d’établissement et d’approbation des marchés et avenants.
5 : Fractionnement des commandes : – dans le cadre de marchés – hors marchés
6 : Exécution des dépenses de transport de matériel.
7 : Dotation en matériel roulant.
8 : Remarques particulières aux dépenses d’équipement : – dotations disponibles en fin de
gestion – comptabilité des opérations d’investissement.
Ebner, rapport du contrôleur financier près le ministère des armées (air) sur le contrôle du
budget de la section Air des armées de l’année 1962, SAEF B30959.
36. Ebner insiste sur les progrès accomplis par le ministère sur ce point « l’importance des
résultats qui ont été obtenus au cours de l’effort poursuivi pour ramener le montant des
reports à une valeur normale, […] pouvant être au surplus considéré comme satisfaisant eu
égard aux problèmes que pose la gestion de crédits de paiement d’investissement tels que
ceux de la section Air du budget des Armées », rapport du contrôleur financier près le
ministère des Armées (air) sur le contrôle du budget de la section Air des Armées de l’année
1963, SAEF B30959.
37. « À l’intérieur d’un même budget, les crédits de paiement ouverts pourraient être sans
limitation virés d’un chapitre d’équipement à un autre par simple arrêté du ministre des
Finances et des Affaires économiques », Ebner, rapport du contrôleur financier près le
ministère des Armées (air) sur le contrôle du budget de la section Air des armées de l’année
1961, SAEF B30959.
38. Noury, rapport du contrôleur financier sur la gestion 1956 du secrétariat aux affaires
économiques, SAEF B28217.
39. Au ministère de l’Intérieur, « s’il s’agissait de réaliser des économies de quelque
importance, compte tenu des retards dans son équipement, il faudrait nécessairement
réduire ses effectifs, c’est-à-dire pratiquement ceux des compagnies républicaines de
sécurité ». Babault, rapport sur la gestion des exercices 1965 et 1966, 4 septembre 1967,
SAEF B30964.
40. « Le sérum physiologique revient à 90 francs le litre, alors qu’il coûte 135 francs dans le
commerce. Néanmoins, nous persistons à penser qu’il ne serait pas judicieux d’étendre
considérablement les fabrications de la Pharmacie centrale et d’adjoindre à celle-ci une
usine dont les frais d’établissement et de fonctionnement ne seraient pas couverts par une
production qui, malgré son volume, resterait évidemment très inférieure à celle des
entreprises industrielles ». Chadzinsky, rapport du contrôleur financier près l’Assistance
publique à Paris, exercice 1958, SAEF B30960.
41. « Nous avions signalé, dans notre précédent rapport, qu’il était nécessaire d’utiliser tous
les morceaux provenant des animaux abattus et de mettre fin à la pratique, très onéreuse,
d’achats “d’avants” de bestiaux et de revente à des tiers “d’arrières”. Une meilleure
organisation de la Boucherie charcuterie, qui produit des pâtés, du bœuf en gelée, des
saucissons, a permis l’utilisation de la totalité des animaux et l’achat “d’avants” à cessé. » Le
contrôle financier ne peut que se féliciter de l’application de ces nouvelles méthodes qui ont
pour effet de réduire très sensiblement les dépenses de viande. Chadzinsky, rapport du
contrôleur financier près l’Assistance publique à Paris, exercice 1958, SAEF B30960.
42. « Par ailleurs, les ambulances doivent être dotées d’un appareil récepteur de radio,
comme les voitures de police, afin d’éviter, en cours de journée, des retours au garage,
suivis de nouveaux départs. Nous demandions, par ailleurs, la suppression de l’infirmière
diplômée qui accompagne toutes les ambulances, et son remplacement par une aide-
soignante apte au brancardage. Ces infirmières diplômées sont, en effet, immobilisées sans
utilité et leur emploi dans les services hospitaliers apparaît bien préférable ». Chadzinsky,
rapport du contrôleur financier près l’Assistance publique à Paris, exercice 1958, SAEF
B30960.
43. « Bien que le Quai d’Orsay ait paru en saisir l’importance, la démarche du contrôle
financier n’eut alors que peu de résultat et ne se traduisit par aucune mesure efficace. Le
problème n’a, cependant pas été perdu de vue, ainsi que j’ai pu le constater à diverses
reprises au cours d’entretiens avec le directeur du personnel des Affaires étrangères. Ce
haut fonctionnaire m’a même fait savoir récemment que son ministre s’y intéressait
particulièrement ». Rambeaud, étude sur la réorganisation de l’Agence comptable des
chancelleries diplomatiques et consulaires, 12 mars 1959, SAEF B30958.
44. Tixier, contrôleur financier près l’administration générale de l’Assistance publique à
Paris, rapport sur l’exercice du contrôle au cours de l’année 1959, SAEF B 30960.
45. Ibid.
46. « Il est certain que c’est par le développement de ce mode de soins dont le prix de
revient est nettement inférieur à celui des hôpitaux qu’il sera possible de limiter les charges
que représente pour les organismes de sécurité sociale l’hospitalisation de malades dans les
services d’aigus ou même de convalescence ». Op. cit., p. 21.
47. Rouzoul, rapport du contrôleur des dépenses engagées près le ministère des PTT sur les
opérations de l’exercice 1957 « Paiement des dépenses de personnel sans ordonnancement
préalable », 26 juin 1958, 25 pages, SAEF B30966.
48. Rouzoul, rapport du contrôleur financier près le ministère des PTT, sur les opérations
de l’exercice 1958 « service social des PTT », 43 pages, SAEF B30966.
49. Rouzoul, rapport du contrôleur financier sur les opérations de l’exercice 1959 « Musée
postal, habillement des agents des PTT », 42 pages, SAEF B30966.
50. « L’importance réelle d’un musée ne se mesure pas à celle des visiteurs qu’il reçoit. On
peut le déplorer sur le plan financier mais n’aurait-elle pour résultat que de favoriser les
recherches de spécialistes, d’enrichir l’esprit de quelques curieux, de susciter le désir et le
besoin de connaître chez les jeunes, l’existence d’un musée se justifierait suffisamment.
Ainsi en est-il du Musée postal dont l’organisation ne prête pas à critiques sérieuses, qui
renferme des collections de grande valeur et qui mériterait d’être plus fréquenté ».
Rouzoul, rapport du contrôleur financier sur les opérations de l’exercice 1959 « Musée
postal, habillement des agents des PTT », SAEF B30966.
51. I : Historique ; II : Évolution ; III : Organisation administrative ; IV : Personnel
d’exécution ; V : Moyens financiers ; VI : Matériel ferroviaire et matériel de transbordement
; VII : parc automobile ; VIII : Garage et ateliers ; IX : Différents contrôles appliqués au
Service automobile ; X : Auto-école : remboursement des frais d’obtention du permis de
conduire ; XI : Accident et contentieux ; XII : Achat de matériel roulant ; XIII : Les marchés ;
XIV : Étude des prix de revient ; XV : Action de l’administration centrale sur le
fonctionnement du service automobile.
52. Rouzoul, rapport du contrôleur financier sur les opérations de l’exercice 1960 « Services
des transports des postes et télécommunications », SAEF, B30966, page 45.
53. Il s’agit au niveau régional de ventiler les différentes dépenses de fonctionnement
(carburant, huile, pneumatiques, pièces détachées et frais de réparation. Frais de personnel
des garages ateliers, dépenses d’outillage, mobilier, matériel et fournitures de bureau,
charges annuelles de loyer, entretien d’immeubles, eau, gaz, électricité, dépenses
consécutives aux accidents et dommages ; taxes fiscales) et au niveau national de prendre
en compte l’ensemble des fonctions d’encadrement (amortissement des véhicules et intérêt
du capital ; frais généraux – personnel, bâtiment et matériel de l’administration centrale et
de l’inspection générale – ; frais de service à caractère national, coût des prestations
fournies à d’autres services et travaux remboursables).
54. Rouzoul, rapport du contrôleur financier sur les opérations de l’exercice 1960 « Services
des transports des postes et télécommunications », SAEF, B30966, page 47.
55. « L’administration remplace assez rapidement les fourgonnettes de la distribution
postale et les véhicules de série qui sont d’une revente relativement facile ; elle conserve au
contraire les véhicules spécialement aménagés pour ses services, plus difficiles à revendre ;
par ailleurs, l’examen des fiches de réparation est susceptible de déceler l’existence de
défectuosités de certains organes ou de relever des négligences dans l’utilisation des
véhicules et de permettre d’y remédier ». Rouzoul, rapport du contrôleur financier sur les
opérations de l’exercice 1960 « Services des transports des postes et télécommunications »,
SAEF, B30966, page 51.
56. « Enfin, pour l’organisation et le contrôle des services et du parc, les comparaisons d’un
département ou d’une région à l’autre et d’une année à l’autre donnent des résultats
appréciables ; sur la consommation de carburant, qui représente presque le tiers du prix de
revient kilométrique total ; sur les réparations et le fonctionnement des ateliers, grâce à la
connaissance du nombre d’heures de réparation aux 1 000 kilomètres, du prix de l’heure de
réparation et du coût kilométrique des pièces détachées et des travaux confiés aux ateliers
privés ». Rouzoul, rapport du contrôleur financier sur les opérations de l’exercice 1960 «
Services des transports des postes et télécommunications », SAEF, B30966, page 52.
57. Rouzoul, rapport du contrôleur financier sur les opérations de l’exercice 1960 « Services
des transports des postes et télécommunications », SAEF, B30966, page 53.
58. Un problème plus intéressant est posé par l’installation dans des localités relativement
peu importantes d’ateliers de réparation. On peut se demander en effet si l’existence de ces
ateliers, dans des endroits où le personnel et les machines-outils ne seraient pas
suffisamment employés, n’amènerait pas l’administration à payer plus cher qu’elle ne le
ferait si elle avait recours à l’industrie privée. Le contrôle financier s’en est préoccupé dès
1954 et a demandé : « l’administration des PTT a-t-elle avantage financier à étendre le
système des réparations en régie ? S’il est rentable dans certaines conditions, l’est-il partout
? […] Toute la question est là en effet et ce n’est pas l’ensemble du parc administratif qu’il
faut considérer mais le nombre de véhicules à garer et à entretenir sur le plan local. […]
L’étude des prix de revient en facilitant le choix entre la régie administrative et le recours à
l’industrie privée, paraît de nature à prévenir toute aventure. » Rouzoul, rapport du
contrôleur financier sur les opérations de l’exercice 1960 « Services des transports des
postes et télécommunications », SAEF, B30966, page 55.
59. « Quoi qu’il en soit, il faut souligner que l’administration des Postes et
Télécommunications a su créer un service des transports qui se caractérise par une
organisation rationnelle, un contrôle efficace de la gestion, un entretien aussi satisfaisant
que dans le secteur privé, pour un coût moindre et une étude très sérieuse des prix de
revient qui permet de suivre de près la marche du service et de corriger les défaillances,
sinon de les prévenir ». Rouzoul, rapport du contrôleur financier sur les opérations de
l’exercice 1960 « Services des transports des postes et télécommunications », SAEF, B30966,
page 56.
60. Rouzoul, rapport du contrôleur financier sur les opérations de l’exercice 1960, «
Services des transports des postes et télécommunications », SAEF, B30966, page 57.
61. Bessière, rapport du contrôleur des dépenses engagées près le ministère de l’Éducation
nationale pour 1953 (rédigé en mars 1954), SAEF, B30962.
62. Bessière, rapport du contrôleur des dépenses engagées près le ministère de l’Éducation
nationale pour 1953 (rédigé en mars 1954), SAEF, B30962.
63. Bessière, rapport du contrôleur financier près le ministère de l’Éducation nationale sur
l’exécution du budget de l’exercice 1956, SAEF B30962.
64. « C’est là, dira-t-on, essentiellement œuvre de techniciens, qui doivent faire prédominer
l’esprit d’économie lors de l’implantation des bâtiments, de l’étude des avant-projets, de la
définition des procédés de construction ou du choix des matériaux. Nous verrons que
l’objectif ne peut être atteint si ne sont associés à cet effort ni les futurs utilisateurs des
constructions mises en chantier, ni le secteur administratif chargé de gérer les crédits de
programme. Et dès le choix du terrain, ces derniers doivent être mis devant leurs
responsabilités ». Bessière, rapport du contrôleur financier près le ministère de l’Éducation
nationale sur l’exécution du budget de l’exercice 1957, SAEF B30962.
65. « Les cessions gratuites de mauvais terrains sont à l’origine de dépenses
supplémentaires d’une telle importance que l’État aurait souvent intérêt à y renoncer et à
acquérir directement des terrains mieux adaptés ». Bessière, rapport du contrôleur
financier près le ministère de l’Éducation nationale sur l’exécution du budget de l’exercice
1957, CAEF B30962.
66. Bessière, rapport du contrôleur financier près le ministère de l’Éducation nationale pour
l’année 1958, SAEF B30962, p. 3.
67. Bessière, rapport du contrôleur financier près le ministère de l’Éducation nationale pour
l’année 1958, SAEF B30962, p. 3.
68.Op. cit., p. 10.
69.Op. cit., p. 11.
70.Op. cit., p. 13.
71. « Il ne semble pas absurde de se demander si des enfants de 2 à 5 ans ne pourraient être
confiés à la garde de personnels d’une qualification moins élevée, et par conséquent plus
faciles à recruter, libérant ainsi un nombre important d’institutrices titulaires qui
pourraient être utilisées de manière plus efficace ». Op. cit., p. 14.
72. Bessière, op. cit., p. 21.
73.Op. cit., p. 25.
74.Op. cit., p. 33.
75. Voir précisément les rapports des contrôleurs financiers près l’Assistance publique à
Paris, SAEF, B30960.
AUTEUR
SÉBASTIEN KOTT
Sébastien Kott est maître de conférences, habilité à diriger des recherches, en droit public à
l’université de Paris Ouest Nanterre La Défense. Il enseigne les finances publiques, le droit
fiscal et le droit du service public. Ses recherches portent sur l’encadrement juridique de la
gestion publique. Il a soutenu une thèse sur le contrôle financier central exercé par le
ministère des Finances publiée aux éditions du Comité pour l’histoire économique et
financière de la France en 2004 sous le titre : Le contrôle des dépenses engagées, évolutions d’une
fonction. Ses publications récentes s’inscrivent dans un cadre interdisciplinaire : « La
coordination des politiques publiques à travers la préparation du budget » dans le cadre du
colloque organisé par le laboratoire d’économie « Economix » et intitulé Coordination et
sciences sociales ; « Le développement des relations entre la Cour des comptes et le
Parlement 1815-1832 », paru dans la Revue française de finances publiques.
Une tentative de politique de
productivité dans les services publics
: Gabriel Ardant et le Commissariat
général à la Productivité, 1954-1959
Florence Descamps

La fin de la guerre et de l’Occupation, la liquidation du régime de


Vichy et de ses expérimentations administratives, les innovations de
la Libération laissent les administrations françaises dans un grand
désordre, ce qui suscite en retour de nombreuses initiatives de
rationalisation, de réorganisation et de réforme ; entre 1945 et 1953,
les questions de gestion publique occupent une place majeure dans
la réflexion et l’agenda des responsables politiques et administratifs.
Quatre types de politiques publiques vont être mis en œuvre,
parallèlement ou successivement, non sans quelques redondances ou
contradictions. La première grande réforme est celle de la fonction
publique, qui s’étend de 1945 à 1950 et qui comprend la création du
corps des administrateurs civils, de l’ENA et de la direction de la
Fonction publique, ainsi que la mise en place d’un statut de la
fonction publique et d’une nouvelle grille des traitements. Le
deuxième ensemble de mesures touche les structures ministérielles
et ce qu’on pourrait appeler de façon anachronique la gouvernance
de l’État, avec l’affirmation de la prééminence constitutionnelle du
président du Conseil, la réforme de la Cour des comptes 1 , la
réorganisation du ministère des Finances et des Affaires
économiques (création d’un ministère de l’Économie nationale
indépendant en 1944 puis rattaché en 1948 au ministère des
Finances, création du Commissariat général au Plan, création de la
direction générale des Impôts) et la mise en chantier d’une future «
constitution budgétaire 2 ». La troisième politique de réforme
administrative renoue avec l’inspiration budgétaire de l’entre-deux-
guerres et vise à restreindre « le train de vie de l’État » et à réduire
les effectifs des fonctionnaires 3 , tandis que la quatrième, de façon
plus novatrice, s’intéresse directement aux méthodes de gestion des
services publics. Après les éphémères commissions de méthodes de
la Libération, c’est principalement le Comité central d’enquête sur
les coûts et rendements des services publics (CCE) qui recueille
l’héritage de l’entre-deux-guerres et de Vichy en matière
d’organisation et de prix de revient dans les administrations 4 et qui
réfléchit de 1946 à 1952 à la rénovation de la gestion de l’État 5 .
En 1953, en dépit des efforts entrepris, les responsables publics en
charge de la réforme administrative établissent un bilan sévère : les
réformes de structure préconisées n’ont pas été réalisées ou
extrêmement lentement ; les commissions d’économies n’ont servi
de rien 6 ; malgré plusieurs propositions de loi parlementaires 7 ,
aucun Commissariat à la Réforme administrative n’a été installé 8 ;
une commission de codification a bien été créée en 1948, mais son
travail est un travail de longue haleine ; le contrôle des entreprises
publiques commence à peine à s’organiser rigoureusement 9 ; en
dépit des perspectives ouvertes par le rapport d’ensemble 1950 du
CCE, les études de prix de revient ou de coûts et rendements dans les
services publics ne se développent que lentement 10 . Enfin, malgré
les travaux de la commission Jacomet et ses avancées (1947-1952) 11 ,
la réforme budgétaire n’a toujours pas abouti 12 et le décret
Bonnefous du 22 avril 1953, qui introduit une première classification
fonctionnelle des dépenses et incite les services à calculer leurs prix
de revient dans les administrations, semble encore trop timide aux
réformateurs 13 . Par ailleurs, le CCE, organe consultatif sans prise
sur l’appareil décisionnel, commence à éprouver des difficultés pour
recruter des enquêteurs dans les grands corps et rencontre des
résistances politiques et syndicales ; il subit aussi la concurrence de
l’ITAP, venu du secteur privé, qui propose des programmes de
formation et de recyclage en gestion aux administrateurs du secteur
public 14 … Ce bilan sévère, s’il ne signe pas l’échec du CCE en tant
que tel, marque en tout cas les ambitions de Gabriel Ardant, son
principal animateur, du sceau de la déception et du découragement
15
. Au sortir du grand mouvement de grève générale suscité en août
1953 dans les administrations et les entreprises nationales par
l’annonce du plan Laniel de réforme administrative et de refonte du
statut des fonctionnaires, sa conviction est faite : compte tenu des
oppositions sociales et politiques, il est impossible de mener en
France des réformes administratives, d’en haut et de l’extérieur. Le
rattachement définitif du CCE à la Cour des comptes, la nomination à
la tête du CCE d’Édouard Parent, premier président de la Cour des
comptes, achèvent de le convaincre que son avenir et sa carrière
d’inspecteur des Finances ne passent plus par le CCE et qu’il est
grand temps, à 47 ans, de chercher un poste « à sa taille 16 ».

I. Le Commissariat général à la Productivité


ou la réforme administrative par le bas
A. Une opportunité exceptionnelle : la création du Commissariat
général à la Productivité au printemps 1953

Depuis 1950, les Américains financent une politique d’accroissement


de la productivité, notamment par l’envoi de missions aux États-Unis
17
, qui a débouché sur la création de l’Agence française pour
l’accroissement de la productivité (AFAP), de l’Agence européenne
de productivité et du Comité national pour la productivité présidé
par Robert Buron. Une étape supplémentaire est franchie avec la
signature des accords Buron-Labouisse le 28 mai 1953 qui, dans le
cadre de l’amendement Benton-Moody attribuant à la France un
crédit de 30 millions de dollars, prévoient la création d’un fonds
national de la productivité et d’un fonds de prêts de productivité
pour les entreprises 18 . En échange de cette manne financière, les
Américains obtiennent la création d’un Commissariat général à la
Productivité, dont l’installation se fait au terme d’un processus
hésitant n’exigeant pas moins de quatre décrets ! Celui du 24 mai
1953 acte la décision de principe (à titre temporaire), un deuxième
décret du 9 octobre 1953 attribue des moyens de fonctionnement au
nouvel organisme et deux décrets du 16 février et du 6 mars 1954
définissent définitivement l’organisation et les attributions
respectives du Commissariat et du Comité national à la Productivité
19
.
C’est au cours de l’automne, le 9 octobre 1953, Edgar Faure étant
ministre des Finances et Bernard Lafay secrétaire d’État aux Affaires
économiques, que Gabriel Ardant est nommé commissaire général à
la Productivité ; il est ensuite confirmé dans ses fonctions par le
décret du 6 mars 1954. Contrairement à l’opinion répandue, Ardant
n’a donc pas été nommé par Mendès France qui n’arrive au pouvoir
qu’en juin 1954, mais par le gouvernement Laniel. Y a-t-il eu des
hésitations au cours de l’été 1953 sur le choix du nouveau
commissaire ? Gabriel Ardant, haut fonctionnaire du ministère des
Finances, a-t-il été en compétition avec des « hommes du Plan »,
Jean Fourastié ou Jean Dayre 20 ? Avec Pierre Grimanelli, directeur
des Programmes au ministère des Affaires économiques, dont la
direction est absorbée par le nouveau Commissariat 21 ? Quoiqu’il en
soit, il semblerait que la candidature de Gabriel Ardant ait été agréée
par les Américains, rassurés par sa double qualité d’inspecteur des
Finances et de haut fonctionnaire budgétaire ainsi que par ses états
de service auprès du CFLN et de Mendès France à Alger et à la
Libération 22 . Le nouveau Commissariat est rattaché aux Affaires
économiques, quai Branly, et démarre officiellement ses travaux en
janvier 1954. Gabriel Ardant est secondé par un secrétaire général,
Francis Raison, conseiller maître à la Cour des comptes, formant
ainsi un couple inversé par rapport à celui du CCE où il était l’adjoint
du président Brin.
Les missions du Commissariat général à la Productivité consistent à «
augmenter par des mesures de toute nature la productivité de
l’économie française », notamment celles des entreprises. Ardant
commence par rationaliser les organismes en charge de la politique
de productivité et prendre quelques mesures d’économies. Il
redéfinit ensuite la politique de productivité française : moins de
missions aux États-Unis, moins de « propagande », plus de prêts aux
entreprises (sous conditions), moins de saupoudrage et plus de
subventions aux programmes de formation et d’échanges
d’expérience, un soutien plus conséquent aux centres régionaux de
productivité… Rien n’est prévu pour la productivité des services
publics.
B. Le Commissariat général à la Productivité et la
productivité des services publics : la conversion de
Gabriel Ardant

En arrivant quai Branly, le nouveau commissaire a conservé tout son


intérêt pour les services publics et la « technique de l’État » ; selon
lui, la productivité constitue une nouvelle chance à saisir pour la
rénovation de l’administration française. Persuadé que la
productivité de l’économie française ne peut pas s’accroître si les
services publics ne suivent pas, il défend l’idée selon laquelle la
productivité de l’économie française et celle des services publics ont
désormais partie liée et qu’elles entretiennent des relations à la fois
de contagion et d’émulation 23 : si le secteur administratif se
préoccupe de productivité, il entraînera avec lui le secteur privé et «
l’économie privée libérée des formalités stériles », actuellement «
paralysée par des procédures lentes parce que mal conçues »,
entrera plus rapidement en expansion. Ardant prend pied
explicitement dans le débat sur la productivité, très actif à l’époque ;
décochant en passant une flèche à Fourastié, il souligne que celle du
secteur tertiaire n’a guère retenu l’attention des promoteurs de la
productivité, et encore moins celle des services publics 24 . Dans ce
nouveau contexte institutionnel, Ardant élabore une nouvelle
doctrine en matière de gestion publique.
De 1946 à 1953, dans le cadre du CCE, il a eu le désir et l’espoir de
créer de toutes pièces une science de l’État et de réaliser la réforme
administrative de l’État, selon des méthodes « qui lui soient propres
25
», c’est-à-dire sans confondre ni assimiler le secteur privé et le
secteur public, mais en recherchant une voie spécifique de gestion.
Selon lui, les spécificités du service public tiennent au cadre
juridique et politique qui encadre l’action de l’État : l’absence de
profit, l’impartialité, la collégialité, des règlements qui s’appliquent
à tous, la défense des intérêts du pays, le devoir de prévision à long
terme, la défense de l’intérêt général 26 . Tout l’effort de Gabriel
Ardant entre 1948 et 1953 a consisté à définir ce que pourraient être
les méthodes d’une gestion publique et il en a listé principalement
huit : la prévision et l’établissement de programmes, les techniques
de confrontation des moyens et des buts, la mesure du rendement
des services publics, la codification, le contrôle, la coordination et la
responsabilité des administrateurs 27 . Selon lui, une fois mis en
œuvre ces principes, la réforme des structures administratives
devrait s’ensuivre rationnellement.
En 1954, déçu par les résultats du CCE en matière de réorganisation
administrative et de réforme budgétaire, Ardant effectue une totale
volte-face. Il abandonne le modèle rationnel de réforme
administrative qu’il soutenait jusqu’alors, renonce à toute ambition
de réorganisation des structures et récuse la réforme administrative
par le haut 28 , qui selon lui se heurte à des résistances sociales et
politiques insurmontables qu’il appelle les « féodalités
administratives 29 ». Laissant de côté les points qui cristallisent les
antagonismes politiques et qui sont autant de points de blocage tels
que le statut des fonctionnaires 30 , il assigne désormais à son action
réformatrice un objectif plus restreint et plus aisément maîtrisable,
un objectif technique, la réforme des méthodes de travail et
l’introduction de l’organisation scientifique du travail dans
l’administration (OST), communes selon lui aux organisations
privées et publiques. Ce discours techniciste ou gestionnaire sur la
réforme administrative trouvera une véritable postérité au sein des
générations successives de hauts fonctionnaires réformateurs des
Finances, convaincus de l’impuissance de l’action politique ou
hiérarchique et décidés à contourner les obstacles politiques et les
contraintes juridiques du droit administratif, comptable et
budgétaire par l’introduction de techniques de gestion exogènes.
Pour Gabriel Ardant, ce recentrage sur l’introduction des techniques
d’organisation et méthodes (O & M) constitue une véritable
conversion à une autre réforme administrative, à la réforme
administrative par le bas ; il s’agit cette fois-ci de commencer par ce
qu’il y a de plus discret et de plus modeste, la réforme des tâches
d’exécution, en espérant ainsi transformer l’action administrative
tout entière 31 . Il explique : « Tout effort d’amélioration de la
productivité des entreprises doit s’appuyer en premier lieu sur la
volonté de réforme non seulement des dirigeants mais aussi des
cadres et des ouvriers et en second lieu sur une connaissance
parfaite des techniques d’organisation […] L’expérience a montré
que l’amélioration de la productivité était d’autant plus sensible que
patrons, cadres et ouvriers avaient été préalablement convertis
ensemble, et selon les mêmes méthodes, à l’emploi de ces techniques
modernes 32 ». Dans sa note du 25 janvier 1956, adoptant une
problématique croziérienne avant l’heure, il insiste : « La réforme
purement autoritaire est vouée à l’échec […]. Il faut que [les
dispositifs choisis] soient intimement reconnus comme pleinement
valables par le service lui-même ». Plus loin, il commente le choix de
sa nouvelle devise, « Agir à la demande et en convainquant », qui
traduit les deux nouveaux modes d’intervention du Commissariat à
la Productivité, le volontariat et la persuasion. Il précise : « À la
demande. Cela signifie que les interventions ne doivent pas être
imposées, décidées d’en haut, mais qu’elles doivent avoir lieu lorsque
les responsables d’un service ont acquis eux-mêmes la certitude de
l’intérêt d’une réforme. Une réforme imposée, même sagement
élaborée, sera rapidement dénaturée dans la réalité et verra en un
bref délai ses effets sinon réduits à néant, du moins gravement
amoindris 33 ». « En convainquant » : Il faut que les procédures et les
procédés nouveaux proposés soient probants et « reconnus valables
par le service lui-même ». Ce changement de doctrine est une
véritable conversion, à la fois intellectuelle et psychologique, pour
Gabriel Ardant, qui jusqu’alors se situait davantage dans la raide et
péremptoire filiation des décrets-lois du Comité de réforme
administrative de Paul Reynaud de 1938 que dans l’offre de services.
Son ralliement aux techniques de l’O & M s’accompagne également
d’une conversion de son regard sur le secteur privé ; abandonnant
ses réticences de haut fonctionnaire gardien du temple public, il
devient un militant convaincu du partenariat public/privé :
« Je tiens à souligner qu’il me paraît hautement souhaitable que les problèmes
administratifs du privé et les problèmes administratifs de l’État puissent être le
34
plus souvent possible examinés en commun ».
Dans la même interview, il ajoute :
« Nous pouvons d’ailleurs largement profiter des enseignements que nous ont
apportés les expériences entreprises pour l’amélioration de la productivité dans
le secteur privé […]. S’il n’y a pas d’identité absolue dans les modalités
d’application, le processus intellectuel reste le même ».
Cet effort de partage d’expériences et de réflexions se concrétisera
au sein de l’IESTO, créé en 1955 à l’initiative du Commissariat
général à la Productivité ; en revanche, le partenariat avec les
organisateurs-conseil restera soigneusement circonscrit (voir infra).
Le second effet de son ralliement à l’introduction de l’organisation
scientifique du travail dans les services publics est le déplacement de
son attention vers les questions de « mentalités » des fonctionnaires
et de formation. C’est un sujet totalement nouveau chez Gabriel
Ardant et il faut bien dire que jusque-là, hormis l’expérience limitée
du CHEA destinée aux anciens cadres des administrations centrales
35
et l’étonnante initiative privé/public de l’ITAP 36 , les questions
de « perfectionnement » des cadres publics et des agents (on ne dit
pas encore formation continue ni même recyclage) n’ont guère
retenu l’attention des pouvoirs publics 37 . Pour Gabriel Ardant, il
s’agit de changer l’état d’esprit des fonctionnaires en même temps
que de former les spécialistes O & M qui interviendront dans les
services.

II. Le département Organisation des services


publics et les bureaux O & M (1955-1958)
A. Travaux préparatoires

Avant de se lancer dans la mise sur pied d’un département spécialisé


dans l’organisation des services publics, Ardant sollicite les experts.
Jean Dayre 38 , conseiller technique au Comité national de la
productivité, rend le 4 février 1954 à Ardant un premier rapport sur
la productivité dans les services publics 39 , dans lequel un important
chapitre est consacré à la réforme du budget et de la comptabilité, à
l’organisation scientifique du travail dans les services administratifs
et à la création d’un service central d’O & M. Une ambitieuse note
complémentaire du 1er mars 1954 récapitule ses propositions en
matière de gestion du personnel 40 . Il insiste particulièrement sur la
nécessité de développer un esprit nouveau dans les relations
humaines entre le « patronat administratif », les exécutants et le
public, sur l’amélioration de la condition matérielle et morale des
fonctionnaires, sur la décentralisation des responsabilités de gestion
(assouplir les règles budgétaires et le contrôle), sur l’intéressement
des fonctionnaires aux fruits de la productivité administrative, sur
l’utilisation des agents selon leurs capacités et leur rémunération «
selon leurs œuvres », sur le fait de confier les réformes techniques à
des spécialistes de l’organisation, sur la centralisation des taches de
conception… Pour affiner ce programme, il propose la création d’une
commission, assortie de groupes de travail spécialisés : simplification
des formalités administratives, relations avec administrés et
orientation du public, intéressement des personnels à la
productivité, assouplissement des statuts et dégagement des cadres,
services d’organisation et méthode 41 … De 1954 à 1957, Jean Dayre
se montre un infatigable pourvoyeur de notes et de fiches, d’idées et
d’arguments, à destination de Gabriel Ardant et de Francis Raison 42 .
Conformément à ces préconisations, une commission Administration
et productivité est créée en mars 1955 au sein du Comité national de
productivité, présidée par René Paira, préfet et secrétaire général du
ministère de l’Intérieur, coordonnée par Jean Dayre et dans laquelle
siègent des personnalités influentes comme Jacques Fontaine,
inspecteur général de l’administration ou Paul Planus, conseil en
organisation 43 . Plusieurs groupes de travail sont créés : le groupe
Organisation et méthodes confié à Gaudriault 44 ; le groupe
Simplification des formalités administratives 45 et le groupe Accueil et
orientation du public 46 , tous deux animés par Jean Dayre.
Le groupe de travail Organisation et méthodes commence par réfléchir
sur les causes de l’échec de la réforme administrative dans l’après-
guerre et liste les freins à l’introduction des techniques O & M dans
les services publics 47 : l’instabilité politique et le manque de
persévérance, l’existence de commissions qui associent réforme de
l’organisation et économies budgétaires et suscitent des réflexes de
méfiance, l’esprit de routine, le court-termisme, l’absence de
véritables primes de rendement et de primes d’inventivité, un
avancement purement à l’ancienneté et l’absence de récompense, la
peur des chefs de service d’être remis en cause ou de voir leurs
effectifs diminuer, la crainte du chômage pour les agents d’exécution
et la rigidité des statuts, l’opposition des intérêts privés, le manque
de crédits de matériel… Le groupe conclut à la nécessité d’investir
dans un service permanent de la réforme administrative et dans la
formation de spécialistes de l’organisation. Il propose de créer « un
centre animateur » auprès de la Présidence du Conseil, un BOM
interministériel, coiffé d’une commission et d’un Comité restreint
d’experts. Au final, à travers ses groupes de travail, la commission
Administration et productivité aura travaillé essentiellement dans cinq
directions : 1. la poursuite des travaux sur le budget fonctionnel et
les coûts et le rendement des services, avec choix de services pilotes
pour appliquer le décret de 1953, parmi lesquels le secteur
Organisation du Commissariat à la Productivité lui-même ; 2. la
poursuite des travaux de codification ; 3. la formation de spécialistes
O & M ; 4. la création de BOM dans les ministères ; 5. l’élaboration
d’un plan de modernisation et d’équipement administratif
concernant l’occupation des locaux administratifs, la motorisation
des administrations, les moyens mécanographiques, les procédés de
reproduction, l’équipement des postes de travail courants
(dactylographie, classement, dessin, etc.)
Après Jean Dayre, l’autre personnage clé de la productivité des
services publics est Raymond Gaudriault, administrateur de l’INSEE
48
, appelé fin 1953 par Gabriel Ardant au Commissariat général à la
Productivité, qui commence par l’envoyer en mission aux États-Unis.
Cette mission de productivité, intitulée Techniques administratives, qui
se déroule sur deux mois, en janvier-février 1954, semble avoir été la
première et la dernière du genre dans l’administration 49 . Au
programme de la mission présidée par Chautant, inspecteur général
des PTT, la fonction O & M dans les grandes organisations
américaines, les structures administratives aux États-Unis, la
direction et la gestion du personnel, l’équipement administratif, la
préparation du budget et le prix de revient des services aux États-
Unis. Les « missionnaires », au nombre de douze, appartiennent au
secteur public et au secteur privé (ITAP, CIMAB, CEGOS, ASTRA,
SCMAT, Ciment Lafarge) ; ce sont des membres des corps de contrôle
(Chautant, Inspection générale des PTT, Bertrand, Cour des comptes,
Fontaine, Inspection générale des services), des organisateurs ou des
futurs organisateurs publics (Chassaing, chef de service O & M aux
PTT, Gaudriault, chef de bureau à l’INSEE, Gallois, administrateur
civil au bureau des Études à la direction du Budget, Nesme, chef du
bureau O & M à l’Agriculture, Vasnier, administrateur à la DGI,
Hammer à la BNCI, etc.) Outre une importante documentation
rapportée en France, la mission donne lieu à plusieurs rapports
particuliers en 1954-1955 50 et à un rapport final (130 pages),
transmis le 18 décembre 1956 à l’AFAP, diffusé au sein des
administrations en décembre 1957 et en janvier 1958.
Dès juin 1954, c’est Raymond Gaudriault qui souffle à Gabriel Ardant
de demander au nom de la rationalisation administrative la réunion
« dans la même main des problèmes de productivité intéressant le
secteur économique et le secteur administratif 51 ». C’est aussi lui
qui suggère que « le Commissariat général à la Productivité et le
Comité national de la productivité reçoivent délégation du président
du Conseil pour étudier les problèmes d’organisation, de méthodes,
de coût et de rendement intéressant les administrations publiques ».
Sans succès dans un premier temps.
En octobre 1954, Gaudriault, qui est en charge du groupe Organisation
et méthodes au sein de la commission Administration et productivité,
demande la venue d’un expert américain spécialisé dans
l’organisation des bureaux (Office Management), vœu exaucé début
1955 52 . À la suite de ces travaux préparatoires, en mars 1955, le
secteur Organisation et administration est créé au sein du
Commissariat général et confié à Gaudriault. Parallèlement, le
groupe O & M de la commission Administration et productivité rend son
rapport (avril-mai 1955) et le 31 mai 1955, la commission en adopte
la principale conclusion : la nécessité de multiplier des bureaux O &
M dans les ministères. L’objectif est à terme de former un corps
d’organisateurs publics spécialisé dans les administrations et de
limiter le recours aux organisateurs privés 53 . La direction du
Budget, qui vient de créer un bureau spécialisé dans les questions
d’organisation, de coûts et de rendements, E2, approuve ces
orientations.
Au même moment, au cours de l’été 1955, resurgit dans l’entourage
de Pierre Pflimlin, ministre des Finances, l’idée d’un grand
Commissariat à la Réforme administrative 54 . Les services du Budget
suscitent une contre-proposition et préféreraient voir instituer une
mission chargée d’entreprendre toutes les études préliminaires
pouvant conduire à l’amélioration des méthodes d’organisation des
administrations publiques, qui serait rattachée à Gilbert-Jules,
secrétaire d’État au Budget (donc à la DB) 55 . Dans une note du 30
juin 1955, Hervé Alphand, inspecteur des Finances, rétorque qu’un
Commissariat général à la Réforme administrative ferait double
emploi avec le Commissariat à la Productivité et que la solution
réside dans l’octroi au Commissariat à la Productivité d’attributions
dans le domaine de la productivité des services publics 56 .
Finalement, c’est un Conseil supérieur de la Réforme administrative
qui est créé le 26 juillet 1955 57 , coiffant le Commissaire général à la
Productivité qui reçoit de nouvelles attributions pour les services
publics. La productivité des deux secteurs, public et privé, est
désormais réunie dans la même main et le Commissariat général à la
Productivité devient le bras armé du Conseil supérieur de la réforme
administrative. Le décret précise que le Commissariat est habilité à «
ouvrir des stages de formation aux fonctionnaires et agents chargés
d’appliquer à leurs services les techniques modernes d’organisation
rationnelle du travail » et à organiser des missions d’études et
d’intervention dans les ministères concernant les méthodes de
travail.

B. La constitution du secteur organisation et


administration

L’équipe se constitue progressivement ; en 1958, elle se compose de


Gaudriault, chef de service, toujours mis à disposition par l’INSEE, de
Constant, responsable formation, administrateur civil du ministère
de l’Agriculture assisté de Dumausé, tous deux passés par les
formations O & M du secteur organisation, de Jean Flaissier, ancien
ingénieur-conseil privé recruté comme contractuel et responsable
du secteur Interventions 58 , de Mlle Goupy (responsable de la
formation des monitrices et dactylographes), de Le Coguiec,
intendant général en retraite, de Soudin et d’Henri Baratin, futur
chef du bureau O & M des Finances 59 . Lorsqu’ils ne sont pas mis à
disposition par leur administration, les personnels contractuels sont
rémunérés, sur contrat, par l’AFAP 60 .
La note-programme de Gabriel Ardant du 25 janvier 1956, adressée le
31 janvier à Jean Filippi, secrétaire d’État au Budget, rappelle les
trois grands champs d’activités du secteur Organisation : formation,
interventions et soutien aux BOM, diffusion.

1. La formation

Le département organise des cycles de formation initiale, d’initiation


et de perfectionnement pour les agents des ministères centraux et
des entreprises nationales 61 , de toute catégorie et de tout grade 62 ,
ainsi que des cycles spécialisés pour les futurs spécialistes de l’O & M
destinés à peupler les BOM 63 . Il est même envisagé en 1956
d’organiser des cycles spécialisés pour les syndicalistes, finalement
sans succès 64 . Les conférenciers constituent un mélange de hauts
fonctionnaires généralistes à dominante financière ou budgétaire
(Ardant lui-même, des inspecteurs des Finances comme Hubert
Davost, Rémi Flandin ou Jean Gonot, des représentants de la
direction du Budget, mais aussi Pierre Laroque, conseiller d’État) et
de spécialistes publics de l’organisation (SNCF, PTT, INSEE,
contrôleurs des Armées, représentants O & M de l’Intérieur, Air
France, BNCI, membres du Commissariat à la Productivité), auxquels
s’ajoutent des représentants de l’entreprise privée ou des
ingénieurs-conseil privés, plus rarement des professeurs ou des
chercheurs 65 .
Le programme de formation est organisé systématiquement autour
de trois axes, du moins pour les cadres : les moyens techniques dont
dispose l’organisateur (machines, fournitures, matériels.) ; les
méthodes de travail pour analyser et réformer l’organisation d’un
service ; les « facteurs humains » (« la psychologie de l’homme au
travail », la communication entre les individus, la technique des
réunions de groupe). Sont prévues des visites de services d’O & M
dans le secteur public (SNCF, INSEE, BNCI, Air France, etc.) et dans
les entreprises privées (Péchiney, Air Liquide) 66 , ainsi que des
stages pour les spécialistes O & M dans les administrations et les
entreprises publiques possédant des services ou des bureaux O & M
(le SEITA). Les auditeurs évaluent les conférenciers et la qualité des
stages 67 . Entre juin 1955 et juillet 1958, 23 stages ont été organisés
68
.

2. Les interventions

Le secteur Interventions fonctionne comme un « bureau central d’O &


M » et son activité s’apparente à celle d’un cabinet d’organisation
public à la disposition de « clients » ; il s’appuie sur les BOM
ministériels qui font les études préparatoires et établissent la liste
des opérations souhaitables ; lorsque il n’y a pas de BOM dans le
ministère, le secteur Interventions intervient directement et suggère
systématiquement dans son rapport final la création d’un BOM 69 .
L’idée de Gabriel Ardant est de prouver le mouvement en marchant,
en réalisant « quelque chose » et en « donnant des exemples
concrets » ; selon lui, « c’est la succession de ces petites réformes qui
réalise en fait la véritable réforme administrative autrement que
dans les mots 70 ». À partir de 1956, le secteur dirigé par Jean
Flaissier 71 est capable de prendre en charge une vingtaine de
chantiers par an ; il mène ses missions, seul, avec le concours du
BOM local ou avec des cabinets privés. Toute intervention donne lieu
à la signature d’un contrat entre le secteur Organisation et le
ministère concerné, visé par le contrôleur des dépenses engagées,
comportant la méthode de travail suivie, le protocole de remise et de
fin de mission, le calendrier des travaux. Le secteur Organisation
contrôle et valide au profit de la direction du Budget les demandes
de crédits, la définition des chantiers, les contrats et les résultats de
la mission d’intervention. Le secteur Interventions peut intervenir
avec ses propres forces, une équipe de 7 personnes, 5 spécialistes et 2
analystes, auxquelles s’ajoutent, en cas de besoin, quelques
fonctionnaires retraités « cumulants », quelques fonctionnaires
d’autres ministères, des vacataires d’appoint (une douzaine), et deux
organisateurs-conseil et demi-rémunérés sur honoraires. Selon
Gaudriault, ces effectifs sont trop faibles pour faire face aux besoins
et il est souvent contraint de recourir aux cabinets privés. En mars
1957, pour l’ensemble de son secteur, il évalue dans l’idéal ses
besoins à 17 personnes (1 chef de service, 3 secrétaires dactylo, 1
dessinateur, 2 agents de formation, 8 agents pour les « interventions
», 2 agents pour les études et la documentation) ; il souligne à
nouveau les difficultés qu’il a à recruter des organisateurs-conseils,
faute de rémunérations attractives 72 .
Les sujets d’intervention sont les sujets classiques de l’O & M :
courrier 73 , mécanographie et mécanisation, statistiques, archives,
imprimés, machines de bureau, matériel de bureau et classement,
fichiers, prix de revient administratif, secrétariat et travaux
dactylographiques, gestion du personnel, gestion des stocks papier,
économies budgétaires sur le fonctionnement, fiches téléphoniques,
comptabilité, circuit « achats », marchés publics, temps de travail et
journée continue, bureaux d’ordre, circuits d’information et de
transmission, cités administratives, photocopies et polycopies,
mobiliers de bureau, accueil du public et guichets 74 . Il semblerait
que le secteur Organisation ait eu le projet de constituer une équipe
de réserve en personnel de bureau « destinée à faciliter la mise en
place d’une réforme » pendant la phase de transition ou de transfert
75
; sans succès.
Pour avoir une idée du travail accompli par le secteur interventions,
on donnera deux exemples : le ministère des Finances et le ministère
de l’Agriculture. En 1955-1956, le secteur Organisation intervient à la
direction du Budget et à la Comptabilité publique pour la mise au
point des six imprimés destinés à accompagner la circulaire relative
à la comptabilité des engagements de dépenses dans les opérations
d’investissement et pour la réalisation des fiches d’opération et des
fiches de délégation d’autorisation de programme 76 . Fin 1957 et
tout au long de l’année 1958, à la demande du bureau E2 de la
direction du Budget, le secteur Organisation travaille sur la
facturation des dépenses publiques et sur les prix de revient
administratifs 77 .
Pour la mission qui se déroule au ministère de l’Agriculture
d’octobre 1954 à mars 1955, le programme est plus exhaustif 78 :
simplifications et allégements dans la gestion du personnel,
organisation des secrétariats, équipement en matériel, comptabilité
et circulation des documents, mise en œuvre d’un système nouveau
de dépouillement des renseignements statistiques des caisses
d’allocations familiales agricoles, définition de nouvelles méthodes
de gestion du domaine forestier, améliorations d’installations
matérielles, simplifications dans l’établissement des fiches de
financements dans certains dossiers de subventions… Et chiffrage
confidentiel des économies en personnel 79 !
80
3. Diffusion, information, propagande

Ce secteur organise des colloques, des séminaires, des sessions


d’information en province ; il est chargé des études générales, des
traductions et des publications (Mémento de la dactylographe,
Implantation des bureaux, Classement et archives, Techniques et imprimés
d’analyse de travail 81 ), de l’achat du matériel et de la documentation
(essentiellement américaine) 82 . Le secteur utilise les mêmes outils
que le secteur privé (instruments et littérature américaine,
graphiques, tableaux et ratios, etc.)
Au fil de ces activités empiriques de formation et de missions sur le
terrain, en important et en adaptant les outils et les techniques mis
au point par les cabinets de conseil privés 83 , le secteur Organisation
du Commissariat général à la Productivité élabore progressivement
sa doctrine sur le rôle des bureaux O & M dans l’administration et
invente le métier d’organisateur public. Le rapport d’enquête des
inspecteurs des Finances Flandin et Gonot sur les BOM en 1955 84
dans le cadre du CCE, les enseignements dispensés dans les stages du
Commissariat et à l’IESTO 85 , ainsi que les écrits d’Henri Baratin,
chef du bureau O & M du ministère des Finances au début des années
1960 86 , donnent un aperçu de la philosophie du travail de
l’organisateur public. Selon Baratin, la mission des BOM
« revêt trois aspects différents : utiliser au maximum les moyens réduits dont ils
disposent en agissant par l’intermédiaire des correspondants ou en faisant des
études qui puissent se généraliser ; faire pénétrer les principes de l’organisation
dans leur administration ; ne pas heurter les agents des services qu’ils
réorganisent […]. Les organisateurs estiment que la fonction d’organisation
appartient au chef de service. La complexité actuelle des techniques et des
moyens disponibles de l’organisation incite le chef de service à avoir à ses côtés
un conseil en ce domaine en la personne de l’organisateur. Évidemment, ce
conseiller, dans la matière même de ses études, ne saurait recevoir aucun
pouvoir de décision […]. La moindre apparence d’empiétement du conseiller
serait néfaste et à vrai dire inconcevable […] On voit l’avantage de cette politique
: elle laisse à chaque direction ou service extérieur son autonomie. Le BOM ne
donne pas l’impression de faire une inspection pour le compte de sa direction et
il peut consacrer son temps à une coordination effective des chantiers, ce qui lui
87
permet d’avoir une action très efficiente sans disposer de gros moyens ».
Attaché à définir la place et le statut des BOM dans l’administration,
le Commissariat définit également sa position et sa doctrine à l’égard
des cabinets privés de conseil en organisation ; celles-ci pourraient
se résumer en deux mots : collaboration sous surveillance. Ces
réticences ne sont pas nouvelles, elles sont même caractéristiques de
l’attitude de la plupart des responsables des finances publiques dans
l’après-guerre. On les retrouve à des degrés divers et pour des
raisons différentes chez les contrôleurs des dépenses engagées et les
contrôleurs financiers des ministères 88 , à la Cour des comptes 89 ,
chez les inspecteurs des Finances 90 , au CCE 91 , à la direction du
Budget 92 et au Commissariat à la Productivité chez Gabriel Ardant,
chez Francis Raison 93 et chez Raymond Gaudriault, directement
concerné. L’idée du responsable du secteur Organisation et
administration est explicitement, en créant des BOM dans les
ministères et en formant des spécialistes en organisation publique,
soit directement soit par le truchement d’une école spécialisée, de
réduire le recours aux cabinets privés et de contrôler leurs
interventions, notamment leurs tarifs. Mais, en attendant que les
spécialistes publics soient formés et que les BOM ministériels soient
capables d’intervenir, il faut se résoudre à recourir aux cabinets
privés. Il n’en reste pas moins que pour Francis Raison, commissaire
général adjoint, « ces derniers ne doivent jamais intervenir
directement mais être placés sous la direction d’un chef de file du
secteur public ». Chef-de-filat public, procédure de sélection,
validation et contrôle des contrats d’intervention, encadrement des
tarifs, voici la procédure inventée par le secteur Organisation, qui
sera poursuivie au SCOM après 1959.
Fin 1956, le secteur Organisation se targue d’un bilan positif 94 ,
qualitativement et quantitativement (7 cycles de formation,
formation de 200 spécialistes de l’O & M 95 , création de cinq ou six
BOM dans les ministères, création d’une dynamique). Le service
éprouve néanmoins beaucoup de difficultés pour attirer des
stagiaires 96 , pour trouver des affectations adéquates aux
spécialistes O & M qui ont été formés 97 et pour réduire
l’absentéisme des stagiaires pendant les sessions 98 . Les réticences à
l’ENA restent fortes, davantage chez les élèves qu’à la tête de l’école,
tandis que le CHEA refuse d’intégrer un module de formation O & M
dans ses sessions de perfectionnement 99 . En dépit de ces
résistances, l’optimisme règne au sein de l’équipe, soutenu par la
promulgation du décret organique du 19 juin 1956 sur le Budget qui
dote enfin la IVe République d’un texte budgétaire et qui prescrit,
conformément aux recommandations conjointes de la direction du
Budget, du CCE et du Commissariat général à la Productivité,
d’inclure dans les documents budgétaires des indications sur le coût
des services.
Le Commissariat à la Productivité peut aussi mettre à son actif la
création de l’IESTO, Institut d’études supérieures des techniques
d’organisation, installé au CNAM sous la double tutelle du
Commissariat général à la Productivité et de la direction de
l’Enseignement technique. Mis à l’étude dès mai 1955, créé par arrêté
le 13 octobre 1955, il n’ouvre ses portes qu’en 1957, après une année
de recrutements et de préparation des programmes dans laquelle le
service Organisation s’implique avec énergie 100 .
Un projet en revanche reste inabouti : le séminaire des directeurs.
Dès la création de la commission Administration et productivité, l’idée
est émise d’une formation « d’état-major » à l’O & M pour les cadres
dirigeants et les corps de contrôle. Le projet, qui fait long feu de 1955
à 1958, est porté par Gabriel Ardant lui-même 101 et surtout par Paul
Planus qui fait de cette formation des directeurs un préalable à toute
action de perfectionnement administratif et à toute introduction de
l’Organisation et Méthode dans les services 102 . Dans les réunions de
travail, la référence est constante au secteur privé et un parallèle est
souvent tracé entre les « patrons administratifs » et les dirigeants
d’entreprise ; on commence à parler de management… Il s’agit de
convaincre et de remporter « l’adhésion réfléchie des chefs
supérieurs », en désamorçant les résistances qu’opposent les chefs
de service aux techniques O & M et qui sont, selon les organisateurs,
la peur et l’ignorance. Des sessions de douze personnes sont
envisagées. Cependant, dès l’origine, sur la tenue d’un tel séminaire,
une divergence de fond oppose Brillaud, administrateur de la DB et
Planus, ardent défenseur du séminaire « Directeurs ». Le 10 avril
1957, alors que le projet n’a toujours pas abouti, lassé, Planus adresse
à Paira une lettre de protestation et se retire de la commission 103 .
Ce séminaire des directeurs se tiendra, mais dix ans plus tard, à
Nainville-les-Roches en 1967.
Enfin, la création et le développement des activités du secteur
Organisation et administration du Commissariat général à la
Productivité à partir de 1955 s’inscrit dans une stratégie d’émulation
et de compétition avec l’ITAP, organisme privé créé par Jean
Milhaud, fondateur de la CEGOS, qui, depuis 1950, organise pour les
fonctionnaires des cycles de formation continue sur l’O & M et plus
largement sur les questions de gestion administrative 104 . La montée
en charge du secteur Organisation du Commissariat relayé à partir de
1959 par le SCOM et la création de l’IESTO concurrencent l’ITAP sur
les questions d’organisation et de techniques administratives et
poussent ce dernier à s’orienter vers un nouveau champ
d’intervention de la réforme administrative : les usagers des services
publics. Le champ est-il libre pour la mise en place d’une politique
publique de productivité dans les administrations ?

III. La mise en place d’une politique publique


de productivité dans les services publics,
1956-1958
A. L’investissement de la DB dans la rénovation des méthodes
de gestion

À partir de 1950, sous l’impulsion de son nouveau directeur, Roger


Goetze, qui a décidé de faire de sa direction un pôle actif de la
réforme administrative 105 , la DB investit dans la réforme
budgétaire 106 et dans la rénovation des méthodes de gestion
publique : contrat avec Planus, organisateur-conseil, en 1951 107 ,
études d’organisation, de coûts et rendements ou de prix de revient
des services en vue de l’application du décret Bonnefous de 1953,
rénovation de la nomenclature budgétaire, mise à l’étude du budget
fonctionnel, récupération et diffusion des travaux du CCE, création
d’un bureau spécialisé Coûts et rendements en 1955, E2. Doté d’une
réelle ouverture d’esprit, se définissant lui-même comme un
pragmatique, Goetze, inspecteur des Finances modernisateur,
s’entoure d’une petite équipe d’administrateurs dynamiques,
répartis sur deux bureaux d’études budgétaires B1, subdivisé en E1
et E2, composée d’administrateurs civils, Jean Rossard 108 , Jean
Gallois 109 , Jean Mascard 110 , l’un des premiers énarques envoyés à
la DB, et de jeunes inspecteurs des Finances chargés de mission,
Jacques Delmas, Gabriel Pallez et Paul Questiaux, qui vont constituer
au sein de la direction jusqu’en 1964 une véritable filière en matière
de productivité administrative.
Les résultats de ces décisions ne se font pas attendre et une série de
textes s’échelonnent entre 1955 et 1957, marquant les ambitions et la
progressive mainmise de la DB sur le secteur. Les uns concernent le
calcul du prix de revient des services administratifs, les autres le
financement d’études en vue de gains de productivité. La circulaire
du 25 novembre 1955 propose aux services une première
expérimentation de calcul de prix de revient 111 ; le décret
organique du 19 juin 1956 précise que les documents ministériels
budgétaires devront faire figurer pour les services des indications
d’activités, de coûts et de rendements ; enfin, la circulaire E2/44 du 2
août 1957 sur « le coût des services par grandes fonctions et les
éléments qui permettent selon leur objet d’apprécier leur activité »
du décret du 19 juin 1956 (article 52), systématise la démarche,
impose aux administrations une méthode de calcul et exige des
remontées d’informations. Selon la même chronologie, par la
circulaire E2 du 25 mai 1955 112 , la DB décide d’ouvrir des crédits
spéciaux sur le budget des charges communes et crée en 1956 un
fonds national de la productivité pour inciter les services publics aux
gains de productivité 113 . La circulaire fondatrice, signée Yves
Malécot par délégation du secrétaire d’État au Budget, manifeste la
répartition des tâches entre la DB et le Commissariat général à la
Productivité :
« Mon département dispose pour l’exercice 1956 d’un crédit de 100 millions de
francs inscrits au chapitre 34-93 du budget des charges communes et intitulé
“fonds destiné à l’amélioration de la productivité des services administratifs”.
L’emploi de ce crédit doit donner à votre administration la possibilité de
poursuivre et de développer l’action entreprise en 1955 en vue d’améliorer les
conditions de travail et le rendement des administrations. Ainsi que je vous l’ai
précédemment indiqué dans ma circulaire du 25 mai 1955 relative à l’utilisation
du crédit ouvert sous le même intitulé en 1955, ce fonds doit, soit faciliter le
financement des réalisations directement liées au développement de la
productivité des services publics soit, permettre l’étude de projets d’ordre
technique concourant au même but. Pour répondre à ces préoccupations, les
réalisations à envisager devront constituer l’aboutissement d’études précises
portant sur l’organisation et le fonctionnement des services en cause. Il serait
souhaitable à cet égard que le bureau O & M existant dans votre administration
et les services du Commissariat général à la Productivité apportent leur concours
à ces études qui permettront de jeter les bases d’un programme d’actions plus
étendues, à mener ultérieurement ».
Le fonds Productivité des services publics est donc destiné « au
financement de toutes mesures tendant à accroître le rendement des
services administratifs » : information, formation et
perfectionnement O & M, élaboration de projets de réorganisation,
rémunération d’experts-conseil, études, essais et expérimentation de
matériels, expériences pilotes, mesures de réorganisation liées aux
acquisitions de nouveaux matériels. Sa création manifeste la
conversion de la DB à la politique de productivité, tant en termes de
contenu – la hausse du rendement plutôt que l’abattement
budgétaire – que d’esprit : la DB accepte d’affecter des crédits à de la
dépense, dans le cas précis, à des études, et ce dans l’espoir, mais
sans certitude, d’un retour sur investissement.
Cette création du fonds Productivité en 1956 constitue en réalité la
résolution d’un différend qui oppose depuis dix ans la DB à la
direction de la Fonction publique (DFP) 114 . La querelle trouve ses
origines dans le projet Biondi, secrétaire d’État à la Fonction
publique en mai 1948 puis en février 1949, de « ristourner » aux
agents ayant contribué à faire des économies budgétaires 25 % ou 50
% des gains réalisés, sous forme de primes de rendement. L’idée est
d’intéresser pécuniairement et personnellement les fonctionnaires
aux gains de productivité. La DB s’y oppose à l’époque
catégoriquement. Outre l’argument budgétaire traditionnel
consistant à alerter sur le risque de contagion à tous les
fonctionnaires et l’argument conjoncturel consistant à dire qu’il ne
faut pas compromettre un accord social qui vient d’être conclu sur
l’application différée du statut général de la Fonction publique, la DB
met en avant plusieurs objections de fonds : les difficultés du calcul
de ces économies budgétaires, la question du nombre de
bénéficiaires et leur détermination, l’iniquité de cette proposition
(ce serait une prime aux administrations mal gérées), le risque
politique et syndical (les primes de rendement engendrent des
inégalités, même si juridiquement le statut général des
fonctionnaires autorise ce type de mesure, cf. article 35 de la loi du
19 octobre 1946), le problème moral suscité par le fait que certains
fonctionnaires feraient des gains sur le départ ou le licenciement
d’autres fonctionnaires. Dès 1949 néanmoins, la DB réfléchit à la
création d’un chapitre spécial dans chaque budget ministériel qui
serait alimenté par un prélèvement sur les économies de toute
nature suggérées ou mise au point par les agents. En 1954, lors de la
préparation du budget 1955, le bureau B2 mentionne dans sa
circulaire du 10 juillet que dans le cadre du plan de redressement
financier, toute mesure de réduction des effectifs sera la bienvenue,
mais que, « selon des modalités à déterminer, une bonne part de
l’économie réalisée par ces suppressions d’emplois [sera] ristournée
aux personnels sous forme de primes destinées à encourager la
productivité ». De la même manière, pour « les investissements
productifs », des majorations de crédits pourront être admises « dès
l’instant que toutes justifications utiles seraient données de l’intérêt
que présenteraient ces dépassements pour le meilleur rendement de
l’administration et l’amélioration de la productivité des services 115
». Lorsque l’idée d’intéressement des fonctionnaires resurgit début
1957 dans le rapport de la commission de réforme administrative,
puis en avril 1957 dans le projet de loi Métayer 116 , la DB commence
par reprendre l’argumentaire de 1948-1949 et dénonce le mauvais
exemple donné par certaines administrations : « les expériences
réalisées dans ce domaine ont abouti jusqu’à présent soit au
versement de majorations de traitement déguisées, soit à la
distribution d’avantages pécuniaires dans des conditions manifestes
d’injustice 117 ». Mais soucieuse de reprendre la main et de mettre à
profit les travaux qu’elle mène sur le sujet depuis 1954 118 , elle
avance alors sa solution d’un fonds général pour la productivité des
services administratifs au sein du budget des charges communes,
permettant l’affectation de crédits supplémentaires aux services,
mais géré par elle et placé sous son contrôle étroit 119 . Elle
accompagne cette proposition d’une liste de précautions à la fois
budgétaires et morales : ne pas avantager les services retardataires
dans leur propre réformation, ne pas favoriser les fonctionnaires
dont les attributions sont en train de décliner au détriment des
fonctionnaires des services en expansion qui ne peuvent « dégraisser
», prévoir un calcul simple et non arbitraire de répartition,
permettant une gestion efficace de la part de la DB, écarter tout
système aboutissant à verser des suppléments permanents de
traitement… C’est la solution de la DB qui est retenue par le
Gouvernement. C’est ainsi que Goetze, déçu par les échecs répétés de
la politique d’économies budgétaires menée entre 1945 et 1950,
converti à l’investissement (accepter de dépenser de l’argent pour en
gagner), mais désireux de contrôler les crédits, engage sa direction
dans la politique de « productivité administrative ». À cette occasion,
il noue une alliance intéressée avec le Commissariat général à la
Productivité 120 et avec les instances de la réforme administrative.

B. Les ambitions de la Présidence du Conseil

1. Le binôme Métayer-Marcellin

Sous le gouvernement Guy Mollet, l’initiative en matière de réforme


administrative repasse du ministre des Finances Pierre Pflimlin à la
Présidence du Conseil en la personne de Pierre Métayer secrétaire
d’État à la Fonction publique. En réponse à la loi du 4 août 1956
(article 3) qui impose au Gouvernement de déposer un projet de
réforme administrative avant le 31 décembre 1956, la commission
Métayer préconise dans son rapport final la mécanisation des
services, l’introduction de l’O & M dans les administrations, la
réalisation d’un inventaire des réformes réalisées ou en cours et la
création d’un conseil supérieur de la réforme administrative chargé
de coordonner l’action des divers organes de réforme administrative
121
. Le projet de loi, présenté par Métayer le 30 avril 1957 122 ,
propose la création d’une commission centrale d’O & M, l’installation
d’un conseil supérieur de la réforme administrative et l’instauration
de primes de rendement pour les gains de productivité réalisés dans
les services publics. Le projet du gouvernement va trouver son
aboutissement d’une part dans la création du fonds Productivité des
services administratifs (cf. supra) et d’autre part dans la circulaire
Marcellin du 12 décembre 1957, du nom du nouveau secrétaire d’État
à la Réforme administrative, qui encourage la création des BOM dans
les ministères et désigne explicitement le Commissariat général à la
Productivité comme faisant office d’organe central d’O & M pour
l’ensemble des administrations publiques.

2. L’impulsion décisive du Comité d’enquête sur les coûts et


rendements des services publics

De son côté, le CCE a poursuivi ses réflexions sur les méthodes de


travail et le prix de revient dans les services publics. Suite aux
rapports Gaudriault de 1949-1952 123 , le CCE précise sa philosophie
d’action : développer dans les ministères des services spécialisés
d’organisation du travail ; recourir à des organisateurs privés, mais
en appoint, seulement pour des missions très spécialisées et sous la
direction de BOM publics ; rattacher les BOM aux corps de contrôle
(cette solution sera finalement abandonnée) ; créer un bureau
central de l’organisation qui ferait office de secrétariat pour une plus
vaste commission d’une vingtaine de membres et qui serait «
rattaché à une autorité dont la compétence s’étend à l’ensemble des
administrations ». Ce bureau central se verrait chargé de la
formation et du perfectionnement des agents, interviendrait
directement dans les ministères en cas d’absence de BOM,
apporterait son appui aux BOM ministériels et contrôlerait les
interventions des organisateurs-conseil privés 124 .
Un consensus s’établit donc progressivement en 1954-1955 au sein
des organes de la réforme administrative autour de la rénovation des
méthodes de travail des administrations publiques. Il faut bien voir
que le milieu des « organisateurs » publics est très étroit et qu’il
réunit en réalité un très petit nombre de personnes réparties sur
deux ou trois organismes. C’est ainsi que Gabriel Ardant, ancien
secrétaire général du CCE, commissaire général à la Productivité,
continue de siéger au CCE, aux côtés de tout ce qui compte en
matière de gestion publique : Roger Goetze, directeur du Budget,
Pierre Chatenet, directeur de la Fonction publique, André Fayol, chef
du Service de l’Inspection des Finances, une série d’inspecteurs
généraux d’administration et de contrôleurs des Armées, André
Saramite, conseiller référendaire à la Cour des comptes, directeur de
cabinet d’Édouard Bonnefous, et Paul Vincent, inspecteur des
Finances, tous deux secrétaires généraux adjoints du CCE 125 . Au
sein du Comité d’enquête, Ardant pèse de tout son poids pour faire
avancer deux de ses sujets de prédilection : 1. la détermination des
coûts et des prix de revient des services administratifs de l’État, dont
les méthodes de calcul sont définitivement adoptées en séance le 15
octobre 1954 et vont trouver un aboutissement dans la circulaire DB
du 25 novembre 1955 126 ; 2. le lancement d’une enquête sur les
services chargés de l’organisation du travail dans les
administrations.
Cette enquête est confiée en 1954 à deux inspecteurs des Finances,
Rémi Flandin et Jean Gonot 127 , assistés de Raymond Gaudriault ; elle
donne lieu à deux rapports, l’un sur l’application dans les
administrations publiques des méthodes d’OST, et le second sur les
services chargés de l’organisation du travail dans les administrations
et les entreprises publiques 128 . Les rapporteurs concluent aux
résultats convaincants des services d’OST là où ils existent et là où
leurs recommandations sont appliquées, tout en reconnaissant
qu’elles ne sont appliquées que dans 10 à 20 % des cas. Leurs
préconisations rejoignent celles du Commissariat à la Productivité : «
créer au niveau des responsables un état d’esprit de confiance dans
les possibilités de progrès qui résultent de l’emploi de ces techniques
» (diffusion des résultats des études réussies, action de propagande,
récompenser les responsables des progrès enregistrés) ; « assurer
une large diffusion des techniques d’OST […] et inciter les
fonctionnaires chargés d’élaborer les textes réglementaires à se
préoccuper des conditions d’exécution matérielle qui doivent en
résulter » (cours dans toutes les écoles de formation des
fonctionnaires, à commencer par l’ENA 129 , stages de formation,
visites conférences sur place, stages pratiques) ; « former des
spécialistes de l’OST ; créer un organisme central interministériel
d’O & M ». Cet organe « confierait aux spécialistes des BOM des
missions précises, centraliserait la documentation, normaliserait les
méthodes de travail des organisateurs, élaborerait le programme de
formation professionnelle, répartirait les crédits affectés aux études
consacrées au développement de la productivité entre les différents
BOM et assurerait le secrétariat de la commission interministérielle
chargée de statuer sur la mise en application des réformes
contestées par le directeur responsable 130 ».
Et Gonot de conclure : « l’organisme central aurait un rôle de
formation et de perfectionnement, il ferait office d’organisateur
pour les administrations ne possédant pas de BOM [et] serait un
conseiller technique du Gouvernement dans le domaine de la
réforme administrative ». Après avoir fait l’inventaire des
organismes actuels s’occupant de l’OST, il recommande la conclusion
d’une alliance entre les trois pôles de la réforme administrative, le
Commissariat à la Productivité, la DB et la DFP : « En attendant la
création, auprès de la Présidence du Conseil d’un service central d’O
& M disposant de tous les moyens nécessaires à l’accomplissement
des fonctions énumérées ci-dessus, il serait donc nécessaire que se
développe la collaboration entre le Commissariat, la DB et la DFP ».
C’est dans ce contexte à la fois de consensus (la réforme
administrative ne passe plus par une réforme des structures, mais
par une réforme des méthodes de travail), d’alliance et de
compétition qu’il faut replacer la création en 1955 du bureau E2
Coûts et rendements à la DB. Quant aux conclusions du rapport
Flandin-Gonot, approuvées en juillet 1956, elles sont reprises en 1957
dans le quatrième rapport d’ensemble du CCE qui encourage la
multiplication des BOM dans les ministères et les services publics et
propose le rattachement d’un bureau central d’O & M à la DFP 131 . La
circulaire Marcellin du 12 décembre 1957 est donc également un des
fruits du CCE…
Dans l’élaboration du consensus autour de l’adoption des méthodes
O & M et de la politique de productivité administrative, dans ce
moment charnière de 1955-1957, l’investissement des inspecteurs
des Finances est patent : Gabriel Ardant au Commissariat à la
Productivité, Hubert Davost, Rémi Flandin, Jean Gonot et Paul
Vincent à l’Inspection générale des finances et au CCE, Philippe Huet
au cabinet Ramadier, Jean Filippi secrétaire d’État au Budget (Jean
Gonot est à son cabinet), Roger Goetze, Jacques Delmas, Gabriel
Pallez, Paul Questiaux et Gilbert Devaux à la DB, bientôt Félix
Gaillard à la tête du ministère des Finances puis à la Présidence du
Conseil… Il faudra attendre la RCB dans les années 1965-1968 pour
retrouver une telle implication dans la réforme des méthodes de
gestion. Cet engouement pour la modernisation des méthodes de
travail trouve un écho plus général à partir de 1957-1958 au sein du
ministère des Finances et des Affaires économiques. C’est ainsi
qu’Yves Malécot, directeur des Monnaies et Médailles, conseiller
technique puis directeur de cabinet de Jean Filippi en 1956-1957,
directeur du personnel du ministère des Finances à partir de 1958,
relaie personnellement au sein du ministère les nouveaux mots
d’ordre gestionnaires 132 et soutient activement les offres de
formation et de perfectionnement O & M du secteur Organisation 133 .
La direction générale des Impôts, dirigée à l’époque par Robert Blot,
inspecteur des Finances, s’intéresse, elle aussi, à l’organisation
scientifique du travail pour ses services extérieurs, dont le travail se
trouve profondément modifié par le développement de la
mécanographie 134 .
Le résultat de cette Triplice de la productivité administrative et de
cette exceptionnelle convergence entre la DB, le Commissariat
général à la Productivité et la DFP, est une salve de circulaires entre
1955 et 1958, qui jettent les bases d’une véritable politique publique
de la productivité pour les administrations. À cette convergence
exceptionnelle en faveur de l’O & M, à l’heureux effet d’émulation
entre les deux pôles de la réforme, Présidence du Conseil et
ministère des Finances, vient s’ajouter un incontestable effet de
mode, entretenu par la presse et l’opinion qui acquiesce aux
nouveaux mots d’ordre, modernisation, organisation et
mécanisation, il est vrai, moins répulsifs que les slogans de la
période précédente, rationalisation, lutte contre les doublons,
économies budgétaires ou réduction d’effectifs.

IV. Le rêve du Commissariat général à la


Productivité : la création d’un Service central
d’organisation et méthode, 1956-1959
A. L’offensive de Gabriel Ardant

À l’été 1956, le contexte de crise budgétaire, institutionnelle et


politique se révèle à la fois porteur et menaçant pour le secteur
Administration du Commissariat à la Productivité : d’un côté, il est la
cible parfaite d’une politique d’économies, de l’autre, il offre au
Commissariat la possibilité de proposer ses services et de faire
preuve de la pertinence de ses solutions en matière de réforme
administrative. L’article 3 de la loi du 4 août 1956 obligeant le
Gouvernement à déposer un plan de réforme administrative avant le
31 décembre 1956, Gabriel Ardant et Francis Raison en profitent
pour présenter leurs propositions à Pierre Metayer, secrétaire d’État
en charge de la Réforme administrative, en tête desquelles ils
placent la création d’un Centre interministériel d’O & M 135 . Mais
l’hiver 1957 voit s’aiguiser la crise budgétaire et, le 30 janvier 1957,
Paul Ramadier entérine un programme d’économies et de gel des
crédits 136 . C’est Francis Raison qui va négocier le budget du
Commissariat avec la DB ; plus de la moitié des crédits du secteur
organisation sont gelés 137 . Les économies portent sur l’ensemble
des postes, cycles de formation, interventions, vacataires et contrats
avec cabinets, publications, moyens matériels, études et
documentation, portant un véritable coup d’arrêt à l’expansion du
département 138 . Par ailleurs, la circulaire du président du Conseil
du 2 février 1957 annonce l’organisation de missions d’enquête et
d’économies budgétaires dans les ministères, placées sous la
responsabilité du secrétaire d’État au Budget et du bureau E2 de la
DB ; c’est le retour des vieilles recettes du rationnement budgétaire !
En dépit de cette conjoncture adverse, Gabriel Ardant ne se
décourage pas. Alors que le Gouvernement attend les conclusions
des missions ministérielles d’économies pour le 15 avril 1957 et que
le Commissariat a réussi à obtenir le rétablissement d’une partie de
ses crédits, rompant avec le principe selon lequel il ne doit être
associé à aucune politique de restriction budgétaire 139 , il propose le
concours du secteur Organisation pour établir les programmes
d’économies, fait la publicité du Commissariat hissé au rang d’expert
en réduction de coûts 140 … et réclame des effectifs supplémentaires
pour mener à bien cette mission 141 ! Il en profite pour suggérer au
secrétaire d’État au Budget que les missions d’économies et de
réorganisation de services soient désormais conduites
systématiquement, non plus par la direction du Budget, mais par le
Commissariat général à la Productivité, à la demande de la
Présidence du Conseil, avec transmission du rapport à la DB, et non
plus demandées à la petite semaine par les ministères eux-mêmes
142
. Foin de réforme par le bas et foin de concertation, c’est le
modèle autoritaire du Comité de la Hache de 1938 qui resurgit et le
naturel qui revient au galop chez Ardant !
Par ailleurs, la signature du traité de Rome en mars 1957 fournit un
nouvel argumentaire à la politique de productivité de Gabriel
Ardant, qui voit dans l’ouverture européenne un défi supplémentaire
à relever : il s’agit de rendre l’économie française capable d’affronter
la compétition extérieure.
« L’adoption du Marché commun pose le problème de l’adaptation de l’économie
française face à une concurrence accrue […]. La nécessité de proposer une
politique de productivité avec toute l’ampleur nécessaire pour accroître
l’efficacité de l’économie française en vue d’un relèvement important du niveau
de vie s’en trouve renforcée. Ce qui pouvait être considéré par certains comme
143
un objectif discutable devient un impératif ».
Désireux d’insuffler un souffle nouveau aux activités du
Commissariat (son objectif est de doubler la productivité française
dans les dix ans à venir), il demande à tous ses services de faire état
de leurs propositions et de présenter des projets avant le 20
septembre 1957, y compris le secteur Organisation et administration.
C’est le moment pour Jean Dayre, Jacques Fontaine et Raymond
Gaudriault de faire la synthèse de leurs réflexions depuis trois ans et
de défendre à nouveau l’idée d’un grand centre interministériel d’O
& M.
Si Jean Dayre se montre résolument optimiste et programmatique
144
, la tonalité est tout autre chez Jacques Fontaine, inspecteur
général de l’administration 145 . Ce dernier analyse les résistances
opposées par les services aux mesures de réorganisation et de
simplification et relève l’« importance du facteur humain » ; il
souligne que la question « comment intéresser les fonctionnaires à la
rénovation administrative ? » reste irrésolue et que les outils de cet
intéressement demeurent incertains (primes de productivité,
promotions, mobilité, distinctions honorifiques). Conscient du relatif
échec des réformes ou du non-aboutissement des projets, il
incrimine le « déficit d’impulsion au sommet » et déplore la «
démoralisation des fonctionnaires qui ne sont aucunement
encouragés à s’intéresser à la productivité du service public ».
Effectuant le bilan des trois années écoulées secteur par secteur, il
propose des mesures dans quatre domaines : l’organisation
technique, la politique du personnel, la politique du matériel, le
budget et la comptabilité (budget de programmes, comptabilité
analytique et contrôle de gestion). Il conclut à la nécessité de créer
un haut-Commissariat à la Réforme administrative et un service
central d’organisation, rattachée à la Présidence du Conseil, qui
comporterait trois niveaux : un état-major pour concevoir les
réformes, un service d’études et d’enquêtes, un service central d’O &
M.
Cet organe central, c’est également le rêve de Gaudriault, un rêve
nourri depuis 1946 146 , repris en 1952 dans le cadre des enquêtes du
CCE, développé en septembre 1957 dans son rapport sur « Les
services publics 147 ». Selon lui, « le Marché commun doit donc être
à la fois l’occasion et le motif d’une transformation profonde de
l’administration française, dans ses structures, dans ses méthodes,
voire dans les habitudes et le comportement de certains de ses
fonctionnaires [lenteur, inefficacité, autoritarisme, rigidité, etc.] «
L’administration se doit de prêcher l’exemple et de ne pas rester en
dehors d’un mouvement de rénovation et d’adaptation qu’elle
réclame au secteur privé. Son action sera d’autant mieux admise
qu’elle aura su se plier aux disciplines exigées 148 ».
À cette fin, il propose le renforcement de toutes les actions du
secteur Organisation, y compris en province, la publication d’un
Bulletin O & M sur le modèle anglais, l’établissement d’un véritable
budget de prix de revient, la codification, le développement des BOM
et de leurs missions de réorganisation, la mise en place de cellules
pilotes, la simplification des formalités, la formation accrue de
spécialistes O & M (350 en Grande-Bretagne, à peine 50 en France), la
création « d’un véritable centre de formation, bien équipé et encadré
149
», la fusion des corps de contrôle et le perfectionnement de ses
membres, la mise en place effective du Conseil supérieur de la
réforme administrative créé en 1955, afin de coordonner le tout…

B. La circulaire Marcellin : une première étape sur le


chemin du CIOM ?

Lorsque le secrétaire d’État Métayer dépose son projet de loi le 30


avril 1957, réclamant un renforcement de l’enseignement et de la
diffusion du mouvement O & M, la création d’un bureau central de
l’O & M, l’instauration de primes de rendement pour les agents ayant
suggéré des économies et la création d’un conseil supérieur de la
réforme administrative, Ardant peut croire ses projets en voie de
réalisation. Mais le Gouvernement tombe une fois de plus avant que
le projet n’aboutisse. Dans le cabinet de Bourgès-Maunoury, Meunier
succède quelques mois à Métayer, mais c’est surtout Raymond
Marcellin qui, au sein du gouvernement de Félix Gaillard, reprend le
dossier, conseillé par Robert Catherine chargé du dossier de la
politique de modernisation administrative 150 . Félix Gaillard,
président du Conseil et inspecteur des Finances, conseillé par
Leblond, ingénieur des Mines, se saisit à son tour du dossier de la
réorganisation administrative et commande simultanément en
décembre 1957 une note au cabinet de Pflimlin et au Commissariat à
la Productivité 151 . Sur les directives de Gabriel Ardant et de Francis
Raison 152 , Raymond Gaudriault est chargé de fournir un
programme d’action complet, ainsi que la liste des moyens qui
seraient nécessaires à un centre interministériel d’O & M rattaché à
la Présidence du Conseil (salles de conférence, salle d’exposition des
machines, cycles de formation, financement sur le budget des
charges communes, modes d’intervention de la Présidence du
Conseil, rattachement, etc.) 153 . Première étape du processus de
création d’un CIOM, la circulaire Marcellin du 12 décembre 1957 sur
la modernisation administrative reconnaît la compétence du secteur
Organisation du Commissariat général à la Productivité sur les BOM,
assimilé à un bureau central d’O & M. En cette fin d’année 1957, les
indices favorables s’accumulent donc, le décret organique de 1956
sur le budget a préconisé l’inscription des coûts et rendements des
services dans les annexes budgétaires, le fonds Productivité des
administrations finance depuis 1956 les études O & M, la circulaire
sur les BOM vient d’être publiée, la réforme administrative est
inscrite à l’agenda politique… En trois ans, le chemin parcouru
depuis 1955 peut laisser croire à Gabriel Ardant et à son équipe que
le rêve est à portée de main !
En janvier 1958, Ardant et son service mettent au point un gros
dossier exposant un plan général de réforme administrative, dont le
chef d’orchestre serait le Commissariat général à la Productivité 154 .
Ce dossier, d’une trentaine de pages, intitulé « Propositions du
Commissariat général à la Productivité concernant la réorganisation
administrative », est envoyé au cabinet de Félix Gaillard, président
du Conseil (conseiller technique Budget, Jean Rossard), au ministre
des Finances Pierre Pflimlin (conseiller Diebold), au secrétariat à la
Réforme administrative (conseiller Robert Catherine) et à la DFP
(Mougniot). Il prévoit la création d’un CIOM financé par le chapitre
34-93 du budget des charges communes 155 , rattaché au
Commissariat à la Productivité. En mars 1958 la DFP approuve le
projet sous le nom de Bureau central d’O & M 156 . Ardant toucherait-
il au but ?
C’est compter sans la DB. Celle-ci, déjà alertée par la proposition
offensive du Commissariat de récupérer les missions d’économies
budgétaires début 1957, peut s’estimer concurrencée, voire doublée,
par certaines des dispositions du projet Ardant, même si,
prudemment, le projet mentionne toujours la DB en partenaire.
Parmi les missions du Commissariat rénové, on trouve notamment le
calcul des coûts et rendements des services et l’établissement d’un
budget de prix de revient 157 ; le Commissariat se propose d’établir
la méthode définitive de calcul et de procéder « à une monographie »
expérimentale pour faciliter l’application par les services et par la
DB de la nouvelle méthode. Dans les administrations, un spécialiste
du Commissariat serait mis à disposition pour aider les services à
créer leur comptabilité des prix de revient. Ces propositions ne
peuvent qu’alarmer une DB toujours jalouse de ses prérogatives, sans
parler de la demande de Gabriel Ardant de voir augmenter les
effectifs et les crédits du chapitre 34-93 du budget des charges
communes. En empiétant sur les attributions de la DB en matière de
réforme, de procédure et de présentation budgétaire et en se
montrant trop gourmand, Ardant a sans doute franchi une ligne
rouge. Pourquoi s’est-il ainsi découvert ? On ne peut qu’émettre des
hypothèses : impatience et ambition personnelle, volonté
d’émancipation du Commissariat vis-à-vis de la DB, choix politico-
administratif d’un rapprochement avec la Présidence du Conseil,
mésentente avec le nouveau directeur du Budget… Il faut en effet
rappeler que Goetze, directeur du Budget et allié amical de Gabriel
Ardant de 1954 à 1956 (tous deux ont fait partie de l’aventure du
CFLN à Alger, tous deux ont servi le GPRF, tous deux sont
mendésistes) s’en est allé en 1957 et a laissé la place à Gilbert
Devaux, inspecteur des Finances de la vieille école, partisan du
retour au droit budgétaire et comptable le plus classique, fort peu
ouvert aux innovations gestionnaires, qui arrive de la direction de la
Comptabilité publique et qui, lui aussi, nourrit des projets ambitieux
en matière de réforme administrative et budgétaire 158 . Tout se
passe comme si, à l’alliance intéressée entre la DB et le
Commissariat, succédait la rivalité ouverte.

C. Le rêve amoindri : la naissance du SCOM, 1958-1960

1. L’été 1958 ou l’ultime bataille

En juin 1958, alors que la crise de mai 1958 vient à peine de trouver
sa résolution, Ardant propose à nouveau son projet de CIOM à Guy
Mollet, ministre d’État en charge du statut des fonctionnaires, et à
André Boulloche ministre délégué à la Réforme administrative dans
le gouvernement du général de Gaulle 159 . Sans réponse. Avec le
début de l’été 1958 s’ouvre une période d’incertitude et d’attente ;
Boulloche demande au Commissariat à la Productivité de
n’entreprendre aucune action nouvelle et Gaudriault en vient même
à émettre l’idée d’envoyer toute l’équipe suivre une formation à la
CEGOS ! Finalement, le 22 août 1958, en réponse à une commande de
Guy Mollet du 10 août 1958, Ardant présente un rapport sommaire
définissant les grandes lignes d’un programme de modernisation des
administrations publiques, en même temps qu’il soumet à Boulloche
« des propositions détaillées en ce qui concerne les projets du
Commissariat général à la Productivité en matière de réforme
administrative, et notamment sur la création d’un instrument
destiné à diffuser rapidement, dans les services publics, les
techniques et les méthodes modernes d’organisation et de
simplification du travail 160 ».
Les discussions s’engagent entre Francis Raison et Jean Mascard,
conseiller budgétaire de Boulloche et administrateur du bureau B2 à
la DB. Le projet remis par Gabriel Ardant reprend à nouveau l’idée
d’un grand CIOM 161 , organe d’impulsion, de coordination et de
formation, doté d’un corps d’organisateurs publics (une trentaine de
spécialistes et 158 000 francs de crédits), financé par des crédits
provenant à la fois du budget du Commissariat et du budget des
charges communes, mais rattaché cette fois-ci à la DFP. Le projet
Ardant, qui affiche clairement son choix de la Présidence du Conseil,
est communiqué sous diverses formes à André Boulloche, à Antoine
Dupont-Fauville au cabinet du général de Gaulle, à Henri Yrissou au
cabinet d’Antoine Pinay et au cabinet de Michel Debré, garde des
Sceaux ; il circule jusqu’en décembre 1958 entre les différents
cabinets et la DB, sans qu’aucune décision ne soit prise.

2. La commission de l’article 76 et sa phobie des doublons : un


règlement de comptes politico-administratif ?

Le plan de redressement économique et financier de décembre 1958,


préparé d’un côté par le Comité Rüeff 162 et de l’autre par R. Goetze,
conseiller économique et financier du général de Gaulle, ne présente
pas de mesures de réforme administrative, mais dans la loi de
finance du 31 décembre 1958, l’article 76 prévoit la création d’une
commission de réforme de l’État qui doit rendre ses propositions
avant le 1er avril 1959. Cette commission devra établir un
programme d’économies « par simplification administrative ou
suppression de services », faire une liste des biens domaniaux civils
et militaires de l’État, des entreprises nationales et des organismes
de sécurité sociale susceptibles d’être aliénés ; « proposer la création
d’une institution de caractère permanent chargée de procéder à des
enquêtes approfondies, à un rythme quinquennal dans tous les
grands services de l’État, des entreprises nationales et de la sécurité
sociale, afin de proposer des mesures de rationalisation et d’en
surveiller la mise en œuvre ». Il est difficile de retrouver dans cette
commission, qui ressemble comme une sœur aux commissions de la
Hache de 1938 et de 1946, l’inspiration du Commissariat général à la
Productivité de 1957-1958 ; tout se passe comme si l’on revenait dix
ans en arrière, au moment de la création du CCE, voir vingt ans en
arrière lors de la création du Comité de réforme administrative en
1938 !
C’est Michel Debré, Premier ministre, qui, début 1959, installe
solennellement la commission dite de l’article 76, placée sous la
responsabilité de Valéry Giscard d’Estaing, secrétaire d’État aux
Finances, chargé d’élaborer le programme d’économies ; le
secrétariat de la commission est confié à Paul Questiaux, chef du
bureau E2 de la DB, gestionnaire du fonds Productivité pour les
services publics et secrétaire du Comité Rüeff. Dans la grande
tradition des commissions de rationalisation des années 1930 et de
l’immédiat après-guerre, l’heure est à la chasse aux doublons.
Fragilisé par cette conjoncture de déflation budgétaire et par le
retour à des formes traditionnelles de réforme administrative,
desservi par ses propositions coûteuses en crédits et en personnels
(la création d’un nouveau corps de fonctionnaires, d’un nouvel
organe interministériel et d’un nouvel institut de formation), le
Commissariat à la Productivité souffre également de la perte
d’audience politique de son principal responsable. En effet, Ardant a
souhaité rester fidèle à Mendès France en mai 1958 ; mais en
marquant publiquement son opposition au retour du général de
Gaulle, il n’a pu manquer d’attirer l’attention de Michel Debré,
gaulliste historique et sourcilleux, pourfendeur infatigable des
impuissances de la IVe République et grand compétiteur, depuis
1938, des inspecteurs des Finances dans l’ordre de la réforme
administrative. La condamnation du Commissariat à la Productivité
au nom de la rationalisation administrative et de la lutte contre les
doubles emplois s’inscrit dans ce contexte de rivalités personnelles
et de grand corps, de divergences politiques, de concurrence entre
plusieurs modèles alternatifs de réforme administrative et de
renouvellement des élites dirigeantes d’une République à l’autre.
Debré, en janvier 1959, approuve sans état d’âme la proposition faite
par la commission de l’article 76 de fusionner les deux
Commissariats généraux, Plan et Productivité ; le décret du 4 février
1959 signe l’absorption des services de la Productivité par le Plan qui
est confié à Pierre Massé. Gabriel Ardant quitte sans retour, à 53 ans,
la scène de la réforme administrative à laquelle il a consacré 27
années de sa carrière.

3. La DB réclame sa part de butin

Entre janvier et décembre 1959, le sort du secteur Organisation du


Commissariat reste en suspens ; il ne peut rejoindre le Commissariat
au Plan avec le restant des services de productivité, tournés vers les
entreprises et l’économie française, mais il n’est pas pour autant
question de le dissoudre. Tout au long de l’année 1959, la
compétition s’aiguise entre la DFP qui, dans la continuité de la
circulaire Marcellin, veut créer un service central O & M et la DB, qui
voit dans la récupération du secteur Organisation le couronnement de
ses efforts en faveur de la politique de productivité des services
publics. Ce service central d’O & M constitue en effet non seulement
un organe utile pour l’amélioration des techniques administratives,
un instrument discret de recherche des gains de productivité et
d’économies, mais aussi un organe d’information précieux sur l’état
réel des services et un moyen efficace de contrôler les cabinets de
conseil en organisation, leurs tarifs et leurs interventions. Encouragé
par Valèry Giscard d’Estaing, jeune secrétaire d’État aux Finances 163
, sur l’argumentaire de Paul Questiaux, chef du bureau E2, Gilbert
Devaux, directeur du Budget se prononce officiellement en avril 1959
pour le rattachement du secteur Organisation au MEF : « L’utilité de
ce service est incontestable et son action devrait être encore élargie
et développée ». Il commence par récuser le rattachement à la DFP
qui selon lui « se trouve pour une large part en marge de l’activité
des différents ministères » (sic !) et dont la « présence auprès du
premier ministre, l’expérience l’a montré, n’est pas de nature à
accroître son influence, d’autant qu’en matière d’organisation,
l’action s’opère plus par persuasion que par mesure d’autorité ». Puis
il conclut « Il m’apparaît que ce service Organisation n’aura
d’efficacité que s’il peut trouver auprès de la DB toute la
compréhension nécessaire pour réaliser les réformes souhaitables et
en particulier pour obtenir les crédits nécessaires à la réalisation de
ces réformes. L’action de ce service prolongerait les efforts entrepris
par ma direction dans ce domaine. Le rattachement de ce service à la
DB me paraît de ce point de vue aussi la meilleure solution 164 ».
Alors qu’en septembre 1959 les postes budgétaires du Commissariat
général au Plan et à la productivité sont transférés au budget du
ministère des Finances (décret du 22 septembre 1959), le premier
ministre s’impatiente et demande que lui soit présenté un texte sur
la création du SCOM 165 . Dans le PV de la réunion de pré-arbitrage
du 29 novembre 1959, « M. Questiaux signale que le ministre des
Finances désirerait que lui soit rattaché le futur organisme. D’autres
membres du ministère des Finances (Verny, Dupont-Fauville,
Mascard, Coti) n’y verraient que des avantages. Présidence du
Conseil et Commissariat général au Plan sont exclus 166 ».
La DB accepte le principe du doublement du budget du service (200
millions de francs au lieu de 100 millions) et donne son accord sur le
fait que les rémunérations des contractuels pourront être
supérieures aux traitements des permanents et que les tarifs des
conférenciers pourront faire l’objet de dépassements d’honoraires
167
. Dans une note ultime au ministre en novembre 1959, Devaux
justifie le rattachement du secteur Organisation à la DB en invoquant
la cohérence de l’action et des objectifs depuis 1955 ainsi que la
disponibilité des crédits. Engagée depuis cinq ans dans un effort de
rénovation de la gestion des services publics, la DB touche les fruits
de son investissement et réclame le service qui applique la politique
de productivité administrative qu’elle a elle-même contribué à
définir.
Comment passe-t-on en quelques mois d’un Commissariat à la
Productivité réclamant à cor et à cri la création d’un CIOM rattaché à
la Présidence du Conseil à un SCOM rattaché à la DB ? Ce
retournement de situation s’explique sans aucun doute par la
dispersion des principaux soutiens du rattachement à la DFP
(Boulloche 168 , Ardant, Dayre), par la rupture de l’alliance
triangulaire qui liait les trois organismes s’occupant de réforme
administrative, par la forte pression de la DB qui réclame sa part de
butin, mais aussi par le choix personnel de Gaudriault, chef du
service Organisation. Ce dernier, contre l’incertitude financière qui
affecte les services du Premier ministre, se rallie à la solution du
rattachement aux Finances qui offre l’avantage de sécuriser
financièrement le SCOM et ses crédits, sans parler des primes de
l’administration centrale des Finances. Au terme du processus
décisionnel, la DFP, mal soutenue et trop peu dotée, est déboutée de
ses revendications 169 . Il n’en reste pas moins que l’idée d’un CIOM
rattaché au Premier ministre resurgira régulièrement dans les
années 1960 170 . Sans succès, car ce modèle d’un gros service central
d’organisation est totalement opposé à celui de la DB, qui préconise
un SCOM léger en personnels, coordonnant l’action des BOM dans les
ministères et recourant au coup par coup aux cabinets de conseil
privés.

4. La naissance du SCOM

C’est en définitive une simple circulaire d’Antoine Pinay, ministre


des Finances en date du 28 décembre 1959 171 , qui constitue l’acte de
naissance du Service central d’O & M (SCOM) 172 . « Le SCOM est
chargé d’une manière générale de promouvoir dans les
administrations et services relevant de l’État, les techniques
d’organisation et de simplification du travail ». À cette fin, il est
chargé des missions suivantes :
« étudier et expérimenter les divers matériels, équipements et méthodes
concernant la gestion administrative ; constituer et diffuser la documentation
173
correspondante ; animer les études tendant à simplifier les procédures et les
174
formalités administratives ; à la demande des ministres, apporter son
concours aux BOM des administrations 175 ; organiser des cycles de
perfectionnement pour le personnel ; participer notamment dans le cadre de
l’IESTO à la formation de fonctionnaires dans les techniques d’organisation 176 ,
organiser des cycles d’information sur les techniques administratives et la
simplification du travail à l’intention des personnels des administrations et des
services publics ».
Il est bien précisé que « le SCOM dirigé par M. Gaudriault,
administrateur à l’INSEE, exerce son action dans le cadre défini par
le service des études de la DB » (E2) mais dans un « même esprit de
collaboration loyale avec toutes les administrations et dans le seul
but d’améliorer le rendement et l’efficacité des services publics 177
».
Dans cette configuration, le SCOM constitue une structure
d’intermédiation entre la DB et les services consommateurs de
crédits productivité, pour un jeu qui se veut « gagnant-gagnant ».
Service d’expertise et d’étude travaillant au service de la DB, le
SCOM filtre, instruit et valide les demandes en crédits productivité
des services « dépensiers 178 » ;il conseille la DB sur les projets de
réorganisation des services 179 , sur les acquisitions de matériel ou de
machines 180 , sur l’automatisation des taches et sur les programmes
d’économies budgétaires ; il permet à la DB de contrôler le bon usage
des crédits productivité et d’avoir des informations « réelles » sur la
gestion des services 181 . De l’autre, conseiller et organe facilitateur
pour les services « dépensiers », il les aide à obtenir les crédits
productivité et à établir leur cahier des charges pour d’éventuelles
interventions 182 , dans un effet de complicité dont la DB n’est pas
dupe. Le SCOM, à l’instar du BOM dans son ministère, a donc une
position ambivalente : d’un côté, auxiliaire instrumentalisé de la DB,
il doit contribuer à la réduction des coûts de fonctionnement et, de
l’autre, il doit proposer une politique de modernisation au bénéfice
des services, qui par nature aboutit presque toujours à la réduction
des effectifs 183 .
Alors, quels résultats pour le mouvement O & M dans
l’administration française de 1952 à 1965 ? Âge d’or ou simple effet
de mode ? Gadget gestionnaire ou nouvelle gestion publique ? Quel
bilan peut-on tracer de cette tentative d’acculturation de l’OST dans
les services publics et d’acclimatation du concept de productivité
dans les administrations ? Une série de bornes-témoins permettent
de retracer la lente acclimatation de l’O & M : le rapport Gaudriault
de 1952 ; le rapport Flandin-Gonot de 1955 ; le dossier-bilan du
Commissariat général à la Productivité de janvier 1958 184 ; le
rapport Baratin de 1960 sur les BOM 185 ; l’enquête du SCOM en
1962-1963 sur les résultats des BOM 186 , qui va déboucher en mars
1964 sur le séminaire de Nainville-les-Roches rassemblant tous les
responsables des BOM 187 … Incontestablement, l’O & M a accompli
une percée quantitative et qualitative dans l’administration
française, grâce à la multiplication des BOM, notamment dans les
directions à services extérieurs comportant de nombreuses tâches
d’exécution comme le ministère des Finances 188 . D’un point de vue
institutionnel, le SCOM, soucieux de ne pas apparaître comme
inféodé à la DB, s’efforce de se dégager de l’organigramme de la DB
et de conquérir un positionnement interministériel, plus distant,
plus indépendant et plus prestigieux que le rattachement au bureau
E2. En 1963, Gaudriault, chef de service, peut ainsi se permettre de
faire une mise au point à la DB 189 : « Je me permets d’attirer votre
attention sur le fait que j’attache la plus haute importance à ce que
le SCOM n’apparaisse plus comme sur le Bottin administratif de cette
année, dans une position de subordination par rapport à E2, qui ne
correspond pas à la réalité des choses ». De fait, après la disparition
du bureau E2, le SCOM est directement rattaché au directeur du
Budget.
Mais ce bilan optimiste doit être nuancé. La politique de «
productivité administrative » initiée par Goetze perd assez vite son
caractère innovant et, dès 1959, se voit progressivement routinisée
et bureaucratisée. Fin 1962, le bureau E2 est supprimé et la gestion
des crédits Productivité, dépouillés de leur caractère novateur, est
réintégrée au sein du bureau du Budget, B2 ; le représentant de la DB
dans les sessions de formation du SCOM se fait très discret, au point
de ne plus y participer… Le mouvement O & M est notablement
desservi par la faiblesse numérique et hiérarchique de ses
représentants 190 , par la faiblesse de ses crédits et par son
positionnement latéral ou inférieur (rationaliser les services
d’exécution). Malgré un effet de familiarisation indéniable créé chez
les cadres, le mouvement O & M continue de susciter des résistances
psychologiques et sociales 191 , non seulement chez les cadres
intermédiaires, chez les personnels d’exécution et les syndicats, mais
aussi chez les contrôleurs financiers, les membres des corps
d’inspection et les chefs de service, qui se montrent soit
condescendants à son égard, soit indifférents, soit incapables de
l’utiliser à bon escient 192 .
À partir du milieu des années 1960, alors que le mouvement O & M a
stabilisé ses positions et qu’il entrevoit parfaitement la révolution
informatique qui seule pourrait permettre de véritables gains de
productivité dans la gestion des administrations 193 , il se voit
concurrencé par les nouvelles modes en matière de réforme
administrative et par les nouvelles techniques d’aide à la décision
venues des entreprises publiques : la recherche opérationnelle, le
calcul économique, la micro-économie, les « techniques modernes »
de gestion (le contrôle de gestion a posteriori, la direction par
objectifs, l’informatique de gestion), les sciences sociales (la
psychosociologie, la science politique, la sociologie des
organisations…) Le mouvement O & M est recouvert par la RCB qui
démarre sa révolution managériale dès 1965 et mobilise tous les
esprits de 1968 à 1973 ! Le SCOM essaie bien de prendre le train en
marche, mais il est dépassé dans les années 1970, concurrencé en
matière de formation par de nouveaux organismes comme le
CESMAP, le CEPIA (informatique et automatique) ou même par le
CFPP du MEF 194 . Par ailleurs, les promoteurs de la RCB, rue de
Rivoli, tous inspecteurs des Finances, appuyés sur leur propre
direction (Prévision et Budget), confortés par un réel soutien
politique (Debré, Giscard d’Estaing, Chaban-Delmas), alliés aux
ingénieurs polytechniciens des grands corps techniques de l’État
eux-mêmes en phase d’expansion, sont beaucoup mieux placés que
les techniciens de l’O & M, mal positionnés et sous-dotés en
ressources administratives, sociales et politiques. Enfin, à l’opposé
de l’O & M qui s’attache aux échelons inférieurs, la RCB, réforme
administrative d’en haut, s’intéresse au processus décisionnel, ce qui
lui donne des couleurs beaucoup plus séduisantes que la réforme des
tâches d’exécution. Face au rouleau compresseur de la RCB, l’O & M
ne fait pas le poids et retombe dans la pénombre bureaucratique.

Conclusion
De 1955 à 1959, grâce à la présence à sa tête de Gabriel Ardant et
grâce au développement du secteur Organisation et administration, le
Commissariat général à la Productivité prend pied dans le champ de
la réforme administrative et dans la rénovation de la gestion
publique. Tournant le dos à la réforme par le haut, il propose une
autre réforme administrative, cette fois-ci par le bas, qui consiste à
rénover la gestion des services administratifs en introduisant
l’organisation scientifique du travail. Il est rejoint dans la
construction de cette politique publique de « productivité
administrative » par la DB qui depuis le début des années 1950 a
décidé de devenir un acteur majeur de la réforme des
administrations, ainsi que par la Présidence du Conseil qui tente de
reprendre la main sur le dossier de la réforme administrative avec
l’aide du CCE. L’alliance triangulaire, conjoncturelle et opportuniste,
nouée par Gabriel Ardant entre le Commissariat général à la
Productivité, la DB et les instances de la Présidence du Conseil éclate
sous les coups simultanés de la crise budgétaire, de la fin de la IVe
République et de la compétition structurelle entre la DB et la DFP ; la
victoire revient finalement à la DB qui annexe le SCOM et s’assure le
monopole de la gestion et du contrôle des crédits de productivité.
Le détour par le Commissariat général à la Productivité a cependant
permis une première acculturation dans l’administration des
techniques d’organisation scientifique du travail et une première
recherche systématique de gains de productivité, sous le nom
d’Organisation et Méthodes. Cette importation des méthodes de travail
des entreprises, certes limitée aux tâches d’exécution, constitue une
expérience intéressante d’échanges public/privé et s’accompagne
d’une timide percée des techniques pré-managériales de l’époque
(psychosociologie du travail, gestion des réunions, commandement,
gestion du personnel, information, participation des agents.). C’est
aussi au sein du Commissariat qu’est mis en œuvre le compromis
historique entre l’État et les organisateurs privés : le recours à ces
derniers est toléré, de façon limitée et régulée, sous la surveillance
du SCOM, pseudopode discret de la DB. Dans ce système, la DB
apporte un soutien budgétaire et institutionnel au SCOM ainsi
qu’aux BOM ministériels, en échange d’un contrôle des interventions
des organisateurs privés dans les ministères. Le choix du maintien
dans le système des organisateurs privés a pour contrepartie (et
réciproquement) la fin du rêve d’un grand centre interministériel
d’ingénieurs-organisateurs-conseil publics, porté de 1946 à 1960 par
Raymond Gaudriault 195 .
En matière d’innovation administrative et gestionnaire,
l’acclimatation de l’O & M dans les administrations présente des
similitudes frappantes avec la mise en place de la RCB entre 1965 et
1973 : découverte d’une nouvelle méthode de gestion en provenance
des entreprises ; affirmation de l’axiome selon lequel les méthodes
de gestion du secteur privée sont applicables au secteur public ;
importation de ces techniques au sein de l’administration par une
poignée de militants en position minoritaire ou marginale par
rapport à l’ensemble du système administratif ; adoption de cette
innovation par un chef de service influent et soucieux d’accroître
son emprise administrative ; recherche d’un parrainage politique
capable d’imposer ou de porter la réforme ; recherche d’alliés à
l’extérieur et à l’intérieur de l’administration et formation d’une
coalition ; construction d’un discours consensuel susceptible de
convaincre et élaboration d’un programme de travail ; diffusion des
nouvelles techniques sur la base de la persuasion et du volontariat ;
réalisation d’études pilotes et création de services test pour prouver
l’intérêt des nouvelles méthodes ; mise en place d’un dispositif
spécifique de financement interministériel, notamment pour les
études et pour la rémunération des spécialistes contractuels venus
de l’extérieur ; essaimage des cellules spécialisées dans les
ministères ; prise de conscience de l’importance du « facteur humain
», véritable goulot d’étranglement, et de la nécessité de la formation
continue ; recyclage des agents publics et formation de spécialistes ;
accent mis sur le changement d’esprit et des mentalités
administratives…
Les réformateurs de la RCB se sont-ils inspirés du système O & M ?
On peut sérieusement en douter tant les promoteurs des deux
systèmes sont éloignés les uns des autres, mais on ne peut exclure
totalement que certaines initiatives O & M aient été connues des
responsables RCB, notamment à la DB : l’idée du séminaire des
directeurs, les stages de recyclage et de formation continue, la
création et l’utilisation d’un fonds du budget des charges communes,
le recours aux contractuels et la mise en place de procédures de
rémunération dérogatoires… Quoiqu’il en soit, dans les deux cas,
l’innovation gestionnaire a trouvé sa source au ministère des
Finances, et plus particulièrement au sein de la direction du Budget,
qui sans cesse depuis 1920 cherche à consolider ses positions dans le
champ de la réforme administrative et de la gestion publique. Dans
les deux cas, les deux systèmes ont connu un processus identique de
mise sur orbite, d’acclimatation et d’expansion, puis de routinisation
et de dissolution dans l’appareil administratif… Ainsi sans doute en
va-t-il des processus d’innovation (des modes ?) en matière de
gestion publique, tant qu’ils ne s’inscrivent pas dans le marbre du
droit budgétaire et comptable.

NOTES
1. La Constitution de 1946 confie à la Cour des comptes le règlement des comptes de l’État
(article 18) et peut charger cette dernière de toute enquête ou étude se rapportant à
l’exécution des recettes ou de la dépense ou à la gestion de la trésorerie. Outre ce nouveau
rôle d’assistance au Parlement, de nouvelles attributions entre 1945 et 1950 viennent élargir
le champ de contrôle de la Cour des comptes : la Sécurité sociale, les entreprises publiques,
les associations, les coûts et rendements des services publics… La création en 1948 de la
Cour de discipline budgétaire et financière tente de résoudre la question de la
responsabilité des ordonnateurs.
2. La Constitution de 1946 renvoie dans son article 16 le règlement de la présentation du
budget à une loi organique dont l’élaboration est confiée, sous la responsabilité de la sous-
commission des lois organiques de la commission des Finances de l’Assemblée, à Robert
Jacomet, contrôleur général des Armées, expert financier et budgétaire à la SDN de 1926 à
1933, fondateur en 1935 avec le doyen Allix de l’Institut de droit comparé de l’Université de
Paris, secrétaire général du ministère de la Guerre de 1936 à 1939 et chargé du programme
budgétaire du réarmement français.
3. 1946, commission de la Hache, 1947, commission de la Guillotine, 1948, plan de
redressement économique et financier, 1949, commissions départementales d’économies,
1950, commission nationale d’économies…
4. La réflexion sur le prix de revient dans l’administration connaît ses premiers linéaments
dans les années 1920 dans les manufactures de l’État, dans les services des Postes et au sein
des Offices ; elle connaît un nouvel élan dans les années 1930, avec les premières initiatives
des cabinets d’ingénieurs-conseil en organisation en 1934-1935, dans le sillage du CNOF puis
au sein du CNOST de Jean Coutrot au ministère de l’Économie nationale à partir de 1936 et
dans le cadre des contrats de réarmement de la Défense nationale prévus par la loi de
nationalisation du 11 août 1936 qui instaure un contrôle a posteriori des prix de revient par
les commissaires du Gouvernement. Du côté des administrations centrales, les travaux sont
plus tardifs, mais progressent à la Cour des comptes, au sein de la fondation Alexis Carrel
sous Vichy… Sur ce sujet, S. Rials, administration et organisation (1910-1930). De l’organisation de
la bataille à la bataille de l’organisation dans L’administration française, Paris, Beauchesne, 1977 ;
M. Margairaz, L’État, les finances et l’économie. Histoire d’une conversion, 1932-1952, Paris, Comité
pour l’histoire économique et financière de la France, p. 348-363 ; MO. Baruch, Servir l’État
français, Paris, Fayard, 1997, p. 467-474 ; O. Dard, Jean Coutrot. De l’ingénieur au prophète,
Besançon, Presses universitaires franc-comtoises, 1999 ; A. Weexteen, Le conseil aux
entreprises et à l’État en France : le rôle de Jean Milhaud (1898-1991) dans la CEGOS et l’ITAP, Paris,
thèse EHESS, 1999 ; F. Paulhac, Les accords de Munich et les origines de la guerre de 1939, Paris,
Librairie Vrin, 1988, p. 76-98 ; Luc Rouban, « Réformer l’État : Henry Puget et la fondation
Alexis Carrel 1943-1946 », Revue administrative, n° 344, 2005, p. 127-142.
5. Voir les premiers rapports d’ensemble 1947, 1948 et 1950 du CCE ; G. Ardant, Technique de
l’État, Paris, PUF, 1953, p. 8-13, p. 15-29, p. 42 et p. 45-55.
6. Archives privées Goetze, Comité pour l’histoire économique et financière de la France ;
SAEF, B 46 678, note du groupe Organisation le 22 novembre 1954 faisant le bilan des
tentatives de réforme administrative entre 1946 et 1954 ; E. Bonnefous, La réforme
administrative, Paris, PUF, 1958, p. 68-76 et 84-86.
7. CAEF B 46 467, article de R. Catherine dans la Revue administrative, n° 21, mai-juin 1951.
8. Le décret Bonnefous du 5 mai 1953 crée bien un Comité exécutif de la réforme
administrative chargé de décider les réformes proposées par le CCE, mais la chute du
gouvernement Mayer interrompt tous les projets. Cf. E. Bonnefous, op. cit., p. 134-140.
9. Cf. Les décrets du 11 mai, 9 août et 30 septembre 1953 sur la tutelle et le contrôle de la
gestion des entreprises nationales.
10. B 46 559. Cf. le constat désabusé qui se dégage des conclusions du CCE sur la
détermination et l’analyse des coûts et des prix de revient des services administratifs de
l’État, adoptées le 15 octobre 1954.
11. Sur les travaux de la commission Jacomet, Institut de droit comparé de l’Université de
Paris, section des finances publiques, La Réforme budgétaire, tome I, II et III, Les éditions de
l’Épargne, 1954 et 1956. L’avant-projet organique issu des travaux de la commission Jacomet
(1949) fait figurer en annexe au projet de loi fixant les crédits par chapitre des
développements justificatifs destinés à faire apparaître le coût et le rendement de chaque
service et fraction des services (article 43).
12. En 1948, Ardant obtient de Mendès France qu’il dépose une proposition de loi à
l’Assemblée nationale, intégrant les propositions du CCE en matière de nomenclature
budgétaire et de coûts et rendements. Sans succès.
13. Décret n° 53-356 du 22 avril 1953 relatif à la détermination du coût et des rendements
des services, cf. E. Bonnefous, op. cit., p. 129-133.
14. Sur l’ITAP, A. Weexteen, L’ITAP et la CEGOS, op. cit. et J. Siwek-Pouydesseau, « L’Institut
technique des administrations publiques, entrepreneur militant de la productivité
administrative (1947-1968) », RFAP, n° 120, 2006/4, p. 711-720. Voir aussi B 46 485, la liste
des sessions de formation organisées par l’ITAP de 1949 à 1955.
15. CAEF, B 46 469, Note au secrétaire d’État au Budget, dite note Filippi, 31 janvier 1956, p.
2, où Ardant parle de la lenteur des réformes, des vicissitudes politiques, du découragement
des réformateurs…
16. J. Lacouture, Pierre Mendès France, Paris, Seuil, 1981, p. 389.
17. SAEF, B 46 470, 46 467 et 46 468. Entre 1950 et 1958, 358 missions regroupant 3 860
personnes ont été envoyées aux États-Unis. Sur la politique de productivité en France dans
les années 1950, R. Boulat, Jean Fourastié un expert en productivité, La modernisation de la France
(années trente-années cinquante), Besançon, Presses universitaires de Franche-Comté, 2008.
18. B 46 467. Les accords Buron-Labouisse de 1953 sont prolongés par les nouveaux accords
entre F. Gaillard et J. W. Tuthill le 4 septembre 1957. Une partie des crédits va à l’Agence
européenne de productivité, l’autre partie est divisée entre un fonds de prêts et un fonds de
subventions.
19. B 46 467 et B 46 468.
20. J. Dayre, conseiller technique au Comité national de Productivité, dans une lettre à
Buron du 26 juillet 1953, oppose « les dignitaires de l’Église » et « les missionnaires » et
laisse supposer qu’Ardant n’aurait pas le profil de l’emploi ! Cité par R. Boulat, in « Jean
Fourastié, la productivité et la modernisation de la France dans les années 1950 », Revue
Gestion et finances publiques, n° 3-4, mars-avril 2010, p. 250-254.
21. P. Grimanelli, né en 1905, polytechnicien, ingénieur des manufactures de l’État,
inspecteur général de l’Économie nationale, est directeur des Programmes au ministère des
Affaires économiques de 1947 à 1953 ; en compensation du poste de commissaire général à
la Productivité échu à Ardant, il est nommé directeur général de la SEITA, poste qu’il occupe
jusqu’à son décès en 1966. Il a été président de l’AFAP et vice-président du CNOF.
22. G. Ardant, né en 1906, inspecteur des Finances, est délégué général pour
l’administration des territoires libérés pour le GPRF de 1944 à 1946 et chef de la section
financière de la mission militaire de liaison administrative ; c’est un des conseillers
économiques de Mendès France à partir de 1943 à Alger jusqu’au ministère de l’Économie
nationale créé en 1945, et il reste l’un de ses proches tout au long des années 1950. En juin
1946, conseiller technique au cabinet de F. Gouin président du gouvernement provisoire, il
est nommé par R. Schuman ministre des Finances, secrétaire général du CCE.
23. B 46 469, note de G. Ardant, du 25 janvier 1956, adressée le 31 janvier 1956 par le
secrétaire d’État aux Affaires économiques au ministre des Finances, sur l’action du
Commissariat en matière d’organisation dans le secteur public. Cette idée lui a été soufflée
dès 1954 par ses collaborateurs. C’est ainsi que R. Gaudriault dans une note du 21 juin 1954
(B 46 467) écrit : « La productivité de l’État doit servir à la fois d’exemple et de cadre pour la
productivité de l’économie générale » (fiscalité, aménagement du territoire, organisation de
la recherche, documentation, réglementations et formalités imposées aux entreprises, etc.)
Il suggère donc de demander pour le Commissariat à la Productivité et le Comité national de
la productivité une délégation du président du Conseil « pour étudier les problèmes
d’organisation, de méthodes, de coût et de rendement intéressant les administrations
publiques ». Pour appuyer sa demande, il se réfère au précédent du CNOST, créé en 1937 au
ministère de l’Économie nationale et confié à J. Coutrot, « qui avait reçu compétence pour le
secteur privé comme pour le secteur public et qui, de 1936 à 1941, a consacré une notable
partie de son temps à l’étude des problèmes de rationalisation administrative ». Au même
moment, J. Dayre, un autre chargé de mission du nouveau Commissariat, conclut ainsi sa
note programme du 4 février 1954 : « la recherche d’une meilleure efficience du secteur
public s’inscrit dans les perspectives plus larges de la politique nationale de la productivité
» (B 46 467, p. 30).
24. G. Ardant, Technique de l’État, op. cit., p. 4-5.
25. G. Ardant, ibid., p. 42. Son ouvrage Technique de l’État est un manifeste en même temps
qu’un manuel, destiné à assurer les bases, les principes et les méthodes d’une gestion
publique des services publics (cf. p. 57-60 et p. 62-118). Sur son idée de « forger des
méthodes spécifiques au cas du public », voir aussi sa conférence à l’IHEDN, 20 novembre
1951, B 46 467.
26. Ardant exprime ici la vulgate des grands corps, et plus particulièrement celle de
l’Inspection des finances. De façon significative et selon un habitus technocratique
largement hérité de l’entre-deux-guerres, il ne cite ni la discussion démocratique ni le
consentement populaire ni le rôle du Parlement !
27. G. Ardant, Technique de l’État, op. cit., p. 60.
28. Interview de G. Ardant, été 1955 (B 46 469), « L’administration peut-elle rajeunir ses
méthodes ? » Ardant expose les deux alternatives de la réforme administrative : « Ou bien
on agit du dehors et par en haut en modifiant les structures administratives, ou bien on agit
du dedans, à l’intérieur même des structures existantes, en améliorant sans perte de temps
les méthodes de travail. Divers organismes tels que par exemple le CCECRSP ainsi que des
commissions parlementaires se sont déjà attachées au premier aspect du problème. En ce
qui me concerne, je crois qu’il est utile de remédier en premier lieu à l’organisation
défectueuse, au défaut de méthodes qui alourdissent et entravent le fonctionnement de
notre administration ».
29. Ardant désigne ainsi les ministères « dépensiers » qui refusent de se plier aux
injonctions de la rationalisation administrative, et sans doute aussi les syndicats, même s’il
reste toujours assez prudent sur le sujet. Par ailleurs, dans une note du 25 janvier 1956, il
fait allusion aux changements intervenus depuis la fin de la guerre dans l’administration et
souligne l’apparition « d’un certain état d’esprit qu’on doit bien accepter comme un fait et
l’évolution générale des notions d’autorité et de commandement ». La vieille administration
militaire n’est plus et le pouvoir hiérarchique a été amoindri par les réformes sociales et
syndicales de la Libération. Ardant, au tempérament abrupt et péremptoire, issu de la
vieille Inspection et marqué par son expérience militaire à la Libération, est contraint de
s’adapter au nouveau rapport de forces.
30. R. Gaudriault, son bras droit pour l’organisation, défend la même position : il ne faut pas
s’occuper des problèmes juridiques ni des problèmes politiques, dont les exemples types
sont la comptabilité publique ou le statut général des fonctionnaires et qui sont de
véritables « impasses » (B 46 472, Réunion du 16 juin 1958).
31. B 46 469, note du 25 janvier 1956, p. 10. Il affirme, en parlant de la réforme des méthodes
de travail : « Plus d’une telle série de telles mesures conduites avec compétence et tact que
d’une construction intellectuelle audacieuse mais irréalisable, il faut attendre cette
modernisation de l’administration française dont le coût de fonctionnement se trouvera
allégé et l’efficacité immédiate heureusement accrue au bénéfice de l’économie nationale
tout entière ».
32. B 46 469, interview de G. Ardant. On ne réforme pas par décret ! Dès 1954, J. Dayre, son
conseiller, conclut dans son rapport-programme (B 46 467, février 1954, p. 30) : «
L’administration ne se réformera pas d’elle-même par une inspiration des dirigeants
traduite en projets de loi ou de décrets. L’administration se réformera avec le concours de
son personnel et des usagers ». Plus tard, H. Baratin, spécialiste des bureaux O et M, parlera
lui aussi d’une nécessaire « coopération entre organisateurs et organisés » (op. cit., p. 204).
33. Il souligne que les cabinets-conseil, eux, n’interviennent qu’à la demande des clients.
34. Interview de G. Ardant, op. cit. « On doit attendre de cette amélioration des méthodes
une administration plus souple et plus rapide répondant mieux aux besoins de l’usager ».
35. Sur le CHEA, M. Debré, Revue de Droit Public, juillet-août 1948, p. 407-415. Cet organisme
créé en même temps que l’ENA par l’ordonnance de 1945 et rattaché à l’École, a pour but de
parfaire « la formation nécessaire à l’exercice des hautes fonctions publiques » (article 10) ;
il s’adresse prioritairement aux fonctionnaires issus des anciens concours de recrutement
des administrations centrales, dans le but de leur donner le même type d’enseignement que
les nouveaux énarques. Il regroupe dans des sessions de trois mois, à temps partiel, une
trentaine d’auditeurs (fonctionnaires, officiers, cadres du secteur privé), pour des travaux
communs et des enquêtes sur le terrain à partir d’une question d’actualité. Le CHEA a
fonctionné de 1947 à 1964, mais ne semble pas avoir rempli tous les espoirs mis en lui,
notamment en matière d’accès aux postes dirigeants.
36. Sur les programmes d’action de rénovation administrative élaborés par l’ITAP et la
compétition qui s’ensuit avec le Commissariat, B 46 467, note du 13 décembre 1954 et B 46
559, Rapport Gaudriault, juin 1952, p. 25-26.
37. Faisant dix ans plus tard le même diagnostic concernant la formation des cadres des
administrations centrales et la nécessité de changer « l’esprit » de l’administration, les
responsables de la RCB appliqueront, mais cette fois-ci à grande échelle, un programme de
formation continue aux techniques modernes d’aide à la décision et au management.
38. J. Dayre, ingénieur du génie rural, a travaillé dès l’entre-deux-guerres sur les questions
d’organisation administrative. En 1938, il fait au CNOF une communication sur la «
codification permanente » puis une seconde sur « le prix de revient d’un texte isolé dans
une collection documentaire ». En novembre 1942, il rend un rapport intitulé « Plan pour
l’organisation rationnelle de la diffusion des textes officiels ». En 1943, il est le secrétaire de
la commission d’étude sur l’information législative créée le 18 novembre 1943 à la demande
du CNOF, présidée par Migeon, commissaire du pouvoir. De février à août 1944, il anime un
groupe de travail sur « l’organisation de la documentation administrative en France » et
remet le 17 août 1944 un rapport général sur la documentation administrative et la
diffusion des textes officiels (CHAN F 60 994). Ces travaux seront en partie recyclés dans le
cadre de la création de la Documentation française en 1945. En 1946, il est membre de la
commission de la main-d’œuvre au Commissariat général au Plan et il est rapidement
associé aux nombreux travaux sur la productivité qui mobilisent alors J. Fourastié et son
équipe. Il publie en 1952 une étude sur : « La productivité, mesure du progrès » et fait partie
en 1953 du groupe de travail sur les concepts et la terminologie de la productivité du Centre
d’études et de mesures de la productivité au Plan. En 1954, il est conseiller technique au
Commissariat général à la Productivité, en charge du secteur public. Sur Jean Dayre, R.
Boulat, op. cit., p. 131-137.
39. B 46 467 et 46 678, rapport Dayre, « Esquisse d’un programme pour l’amélioration de la
productivité dans l’administration publique », 4 février 1954.
40. B 46 467 et 46 678, note « Éléments d’un programme pour l’amélioration de la
productivité dans les administrations publiques. La politique du personnel », 1er mars 1954.
41. Certains groupes de travail ne verront jamais le jour, comme celui sur l’assouplissement
du statut des fonctionnaires ou l’intéressement des agents publics aux gains de
productivité…
42. La cote 46 678 qui regroupe les écrits de J. Dayre est particulièrement riche. On y trouve
notamment la « Note sur les conditions de succès des réformes » rédigée en vue de la
préparation de la réunion du 22 novembre 1954 avec le groupe de travail Organisation
(Davost, Fontaine, Gaudriault), qui liste les difficultés rencontrées par les promoteurs des
réformes administratives ; une « Esquisse pour un plan de réforme administrative », du 7
décembre 1954, préparée pour l’ITAP ; une note sur « Quelques thèmes de recherches
fondamentales à suggérer au Conseil supérieur de la réforme administrative » du 26 août
1955 ; une note « Fonction publique » du 25 octobre 1955 ; une note « Programme » remise à
F. Raison le 27 octobre 1955 sous forme de fiches et une seconde version de l’ensemble en
date des 3 et 4 novembre 1955 (14 fiches dont une sur le budget fonctionnel et les coûts et
rendements) ; un projet d’enquête sur un futur centre d’orientation administrative du 3
novembre 1955 ; une note récapitulative des projets de réorganisation administrative du 4
novembre 1955 ; un rapport préliminaire sur les objectifs et les conditions d’une
réorganisation administrative du 16 août 1956, suivi d’un rapport complémentaire en date
du 4 décembre 1956, transmis à F. Raison le 21 décembre 1956 ; plus une liste de projets
ayant trait à la simplification des formalités administratives dans le cadre du rapport de
synthèse des travaux de la commission Administration et productivité.
43. Sur la création et le travail de cette commission, B 46 467, 46 468, 46 485 et 46 678. Après
une séance de travail préparatoire le 10 février 1954, la commission est installée
officiellement le 2 mars 1955 ; elle est composée de 23 membres, hauts fonctionnaires,
membres des organismes de productivité, représentants des syndicats, auxquels s’ajoute un
cabinet de conseil en organisation, Paul Planus, bien connu des administrations et ancien
membre de la commission nationale des économies en 1950. Sa première tâche consiste à
faire l’inventaire des organismes publics, semi-publics et privés qui concourent aux progrès
des techniques administratives (B 46 485). Son programme de travail est le suivant :
améliorer les relations entre administration et administrés ; promouvoir l’amélioration des
méthodes de travail ; susciter la création de bureaux O & M sur le modèle anglo-saxon ;
prévoir la formation de fonctionnaires aux techniques de l’O & M.
44. B 46 467 et 46 468 ; B 46 470, B 46 484 et B 46 485. Le groupe O & M est composé de
Brillaud et Mascard de la direction du Budget, de Girod pour la préfecture de la Seine, de
Bize, Baratin et Alibert pour le Commissariat à la Productivité, de Davost inspecteur des
Finances, de Béquart professeur à l’école Centrale, de Gaudriault de l’INSEE et de Planus.
Dès le début, Planus indique que les cours d’O & M n’ont d’efficacité que sur des
fonctionnaires expérimentés ayant une expérience pratique de l’administration, que
l’enseignement de l’O & M aux élèves de l’ENA n’est d’aucune utilité et qu’il faut viser les
directeurs ! Après avoir fait le bilan de la réforme administrative entre 1946 et 1954 (B 46
678), le groupe de travail retient deux axes principaux de réflexion : information et
formation des agents et des cadres de l’administration ; moyens d’améliorer l’O & M dans
l’administration (bureaux O & M, création d’un bulletin, consultation des cabinets de
conseil privés). Le groupe de travail se réunit tous les mois et rend un rapport final le 15
mai 1955 rédigé par H. Davost. La priorité est donnée à la réforme des taches d’exécution et
de gestion plutôt qu’à la réforme des structures, en commençant par les services extérieurs
et par les services des administrations centrales effectuant des tâches d’exécution. Il s’agit
bien de promouvoir la réforme administrative par le bas. Deux thèmes sont
particulièrement étudiés : les BOM (sur le modèle anglais) et la formation des personnels (à
tous niveaux, y compris ENA et CHEA) ; le groupe préconise de passer par une circulaire du
président du Conseil. Beaucoup d’autres suggestions sont faites : la création d’un organe
central chargé de la coordination, de la centralisation et de la diffusion de l’information, de
la normalisation des méthodes administratives (par exemple, la tenue de la comptabilité
administrative et la réforme de la comptabilité publique), la mise en place d’un service
central des achats et de formation des acheteurs, la formation et le perfectionnement des
comptables… Rappel est fait de la nécessité de poursuivre les études de coût et prix de
revient et le travail de codification des textes. Un lexique sur la productivité administrative
est entrepris.
45. B 46 467, B 46 469 et B 46 470. Le 15 septembre 1955, J. Dayre rend son rapport, qui traite
de sujets aussi divers que les marchés publics, les droits universitaires, les billets collectifs
SNCF, l’emploi des pères de famille, les fournitures de bureau, les relations humaines…
46. Deux sujets sont travaillés plus spécialement, la création d’un centre interministériel
d’orientation du public et l’amélioration des conditions de réception des malades dans les
hôpitaux.
47. B 46 678, note du groupe O & M, 22 novembre 1954 et B 46 485, projet de rapport du
groupe de travail O & M. Au même moment, l’ITAP dresse un constat identique le 13
décembre 1954 dans sa note intitulée « Programme d’action de rénovation administrative »
(B 46 467). À propos des résistances opposées à l’introduction de l’O & M, l’ITAP souligne
que « la crainte des licenciements continue à provoquer dans les services publics de fortes
réticences à l’égard d’une politique de rendements ».
48. R. Gaudriault, né en 1912, docteur en droit, entre dans l’administration du ministère de
la Guerre comme auxiliaire, passe le concours de rédacteur en 1936 et y occupe le poste de
chef d’atelier mécanographique. Détaché au ministère des Finances en 1940 puis intégré en
1941 dans le service national de la Statistique dirigé par le contrôleur général René
Carmille, chef de section en 1943, il collabore avec J. Trouvé, sous-chef de bureau aux
Finances, aux travaux du Centre des problèmes administratifs d’H. Puget au sein de la
fondation Alexis Carrel ; il rédige une série de rapports, notamment en 1943, sur « La
mécanisation des travaux administratifs dans les services publics », en 1944 sur « Les
conséquences du travail dans les ateliers de mécanographie sur la santé des personnels et la
sélection du personnel mécanographe », en 1945 sur « Le calcul du prix de revient des
travaux administratifs dans les services publics ». En 1945, il est intégré dans le corps des
administrateurs de l’INSEE. Il réalise à partir de 1949 des travaux d’enquête pour le CCE,
notamment sur « Les résultats de l’intervention de M. Paul Planus à l’établissement régional
du Matériel de Vincennes » (1949) et sur « Les résultats de l’intervention du cabinet A. Vidal
au MRU » (1951). Il rédige en septembre 1951 un rapport d’ensemble sur les résultats des
organisateurs-conseil dans les services publics (Planus, Vidal, CORT) et un second en 1952
sur « l’étude des méthodes de travail dans les administrations publiques » (B 46 559) où il ne
réfute pas par principe l’intervention des ingénieurs-conseil mais en circonscrit les
modalités.
49. B 46 470 et B 46 475. Cette mission est la première mission de productivité consacrée aux
techniques administratives, ouverte aux membres de l’administration (il y en a eu trois en
1953 pour les organisateurs-conseil privés). Peu nombreuses ont été les missions de
productivité concernant l’administration des Finances ; on peut citer la mission de
productivité fiscale de 1951, à laquelle a participé M. Lauré, inspecteur des Finances, et qui
l’a inspiré dans ses travaux sur la réorganisation du contrôle fiscal et sur la création des «
brigades de polyvalents » (voir AO, Comité pour l’histoire économique et financière de la
France et Fonds Budget B 33 455, conférence prononcée par M. Lauré le 9 décembre 1952 sur
« Impôts et productivité » publiée en janvier 1953). Il faut aussi mentionner en septembre
1953 la mission Statistiques financières et INSEE. Comptabilité nationale (B 33 455). Citons enfin
en 1951, envoyée par R. Goetze, directeur du Budget, celle de J. Rossard, administrateur
civil, consacrée au budget américain, mais qui ne relevait sans doute pas à strictement
parler des missions de productivité.
50. Par exemple, le rapport Gaudriault sur les structures administratives des services
publics et privés, B 46 475.
51. B 46 467, note du 21 juin 1954.
52. B 46 469, note du 28 octobre 1954. On voit dans le même carton que R. Gaudriault a fait
venir du matériel de bureaux des États-Unis.
53. B 46 678 ; 46 469 et B 46 467.
54. B 46 467. P. Pflimlin reprend là un ancien projet du MRP (cf. la proposition de loi Fagon
du 20 avril 1948, débattue le 23 février 1949). Voir aussi les articles de R. Catherine dans la
Revue administrative, n° 18, 1949 et n° 21, 1951 ; l’expérience de Guy Petit en 1952 et la
proposition de loi Marcellin du 20 mars 1953. Ce Commissariat à la Réforme administrative
serait « habilité à rationaliser les méthodes de l’administration, à y introduire comme on le
fait dans les entreprises privées la notion d’OST et à opérer les coordinations nécessaires.
Passé un certain délai, cette refonte peu spectaculaire mais utile permettrait de dégager des
économies dont le montant serait versé aux fonctionnaires », Le Figaro, 28 juin 1955. Selon
les Échos du 21 juillet 1955, ce serait la première fois que le Gouvernement songerait à imiter
le secteur privé en empruntant les méthodes de l’OST. Selon L’Aurore du 28 juillet 1955, les
nouveaux mots d’ordre sont « simplification, mécanisation, modernisation des techniques,
réduction des coûts des services, coordination, réformation ». La presse reprend avec succès
cette idée d’une autre réforme administrative, toutes les autres ayant en apparence
échoué…
55. B 46 467. La mission serait composée de 20 à 25 fonctionnaires civils et militaires
délégués par les différents ministères.
56. B 46 467.
57. B 46 485, décret du 26 juillet 1955 tendant à assurer une meilleure efficacité des
structures et des méthodes administratives, JO, p. 7502.
58. J. Flaissier est ingénieur-conseil. Le secteur Organisation rencontre de grosses difficultés
pour donner à ses organisateurs contractuels des rémunérations comparables à celles du
secteur privé et pour fidéliser ses personnels d’intervention. Voir B 46 472, « Note sur les
conditions administratives dans lesquelles se poursuit actuellement l’action de
réorganisation dans les services publics et solutions proposées pour permettre l’extension
de cette action », annexe III, mars 1957, et l’entretien de J. Flaissier avec P. Masquelier, n° 1
du 3 février 1999, AO Comité pour l’histoire économique et financière de la France.
59. H. Baratin est fonctionnaire détaché de l’Éducation nationale.
60. B 46 678. L’ensemble des documents budgétaires conservés pour les années 1955-1956
montre que la négociation du budget du secteur Organisation se fait directement entre
Gaudriault et Mascard, administrateur au bureau B2 à la DB.
61. B 46 479. Le premier cycle de formation organisé en juin 1955 accueille 16 auditeurs,
majoritairement issus des entreprises publiques, qui ont été particulièrement ciblées cette
année-là par le Commissariat général.
62. B 46 483. Les sessions se succèdent : administrateurs civils, inspecteurs des Finances,
corps de contrôle, officiers supérieurs des armées, cadres moyens des administrations
centrales, contrôleurs, DREE, contrôleurs des Armées, dactylographes, monitrices, etc. Le
cycle Administrateurs civils du ministère des Finances (10 juin-4 juillet 1958), demandé
expressément par Yves Malécot, directeur du Personnel le 2 juin 1958 et en partie conçu par
lui, réunit 15 administrateurs (12 sur 15 sont énarques) ; parmi eux, 4 administrateurs du
Budget. Mais l’évaluation de ce stage par le chef du secteur Formation fait apparaître qu’il y a
eu un fort absentéisme. Sur l’organisation des cycles de formation entre 1955 et 1958 et la
difficulté à attirer les stagiaires, B 46 568, B 46 472, B 46 478, B 46 479, B 46 480 et B 46 481.
Sur le cycle Inspecteurs des Finances (janvier 1956, organisé à l’initiative de Fayol, chef de
service, sur la proposition de Flandin), B 46 478 et 46 479.
63. Cycles « collaborateurs O & M ou spécialistes », B 46 472, B 46 480 et 46 481.
64. B 46 472, note du 29 août 1956 de R. Gaudriault à la direction du Budget.
65. B 46 479. Par exemple, P.-R. Bize professeur de psychotechnique au CNAM ou M. Crozier
jeune chercheur au CNRS qui vient de publier Petits fonctionnaires au travail aux éditions du
CNRS (1955). Sur le développement de la psychotechnique au CNAM, T. Le Bianic « Le
Conservatoire des Arts et Métiers et la « machine humaine ». Naissance et développement
des sciences de l’homme au travail au CNAM (1910-1990) », Revue d’Histoire des Sciences
Humaines 2/2004, n° 11, p. 185-214.
URL : www.cairn.info/revue-histoire-des-sciences-humaines-2004-2-page-185.htm. DOI :
10.3917/rhsh.011.0185.
66. B 46 478, 46 479 et 46 480.
67. B 46 479.
68. 2 en 1955, 4 en 1956, 8 en 1957 et 9 en 1958.
69. B 46 469, Note du 25 janvier 1956. G. Ardant considère que son action de sensibilisation
et de formation a permis de créer cinq BOM, au MRU, à la Santé Publique et Population, au
Secrétariat de l’Air, à l’Éducation nationale et au secrétariat général à l’Aviation civile.
70.Ibid., p. 8.
71. B 46 472 et entretien de J. Flaissier avec P. Masquelier, n° 1 du 3 février 1999. AO Comité
pour l’histoire économique et financière de la France.
72. B 46 472, Programme d’action de l’année 1957 en matière d’organisation administrative
dans les services publics, et budget correspondant, F. Raison, 29 août 1956.
73. Par exemple, en 1966-1968 puis en 1970, le SCOM intervient à la DB pour réorganiser de
fond en comble les circuits du courrier et ceux de la transmission des notes, totalement
engorgés, faute de système de priorité pour les documents (B 46 518).
74. B 46 472. Conformément à la doctrine O & M, on ne trouvera rien en matière de
réorganisation globale, rien sur les structures, rien sur la comptabilité publique et rien les
questions de statuts du personnel. Cf. B 46 501, Conférence de R. Gaudriault devant la CEGOS
le 1er juin 1959.
75. B 46 469, Note Filippi, p. 9.
76. B 46 490 et B 46 472.
77. B 46 472, Prix de revient et coûts des services suite à la circulaire Budget du 25
novembre 1955.
78. B 46 470 et B. 46 469, Interview de G. Ardant, op. cit.
79. B 46 472.
80. B 46 468. Il existe une abondante revue de presse sur le mouvement O & M.
81. B 46 469, note du 25 janvier 1956.
82. B 46 472, Le secteur Organisation est abonné à toutes les revues françaises et
internationales de science administrative et d’O & M, en Allemagne et en Grande-Bretagne,
mais surtout aux États-Unis (6 revues américaines). De même, le matériel de bureau utilisé
par le secteur organisation est largement américain.
83. B 46 472, PV de la réunion de coordination du 4 juin 1956. Dans cette réunion, il est
question des « différents graphiques d’analyse » qu’utilisent les analystes du secteur O & M
et qui proviennent notamment de Planus et du cabinet B. G. Proposition est faite d’unifier
ces outils « afin que les organisateurs « parlent la même langue ». Baratin et Chassaing sont
chargés de mettre au point la « méthode officielle » qui devra comprendre « à la fois le
graphique d’analyse et les autres imprimés de travail ».
84. B 46 559, rapport Gonot, CCE, 1955, p. 41-42. J. Gonot précise que le chef de service doit
utiliser le BOM comme « un auxiliaire du commandement » et qu’il appartient aux
responsables « de fixer les données du problème » ou « les règles du jeu » et de « faire les
choix fondamentaux des conditions à respecter et des buts à atteindre ».
85. B 46 478, 46 479, 46 480, 46 481.
86. B 46 510, rapport Baratin sur les BOM dans les administrations publiques, CCE, 1960,
notamment p. 11 à 15. Baratin décrit de façon détaillée les méthodes d’intervention ou
d’étude des BOM et souligne les difficultés provoquées par la nature et la forme des
rapports d’analyse ou d’exécution. Voir aussi son ouvrage, H. Baratin, Organisation et
méthodes dans l’administration publique, Paris, Berger-Levrault, 1971, p. 64-141.
87. On notera l’effort fait pour que soit distinguée l’activité d’un BOM de celle d’une mission
de contrôle, d’inspection ou de vérification.
88. CAEF, B 33 330. Cf. le premier rapport annuel du contrôle des dépenses engagées au
ministère de l’Économie nationale (MEN) rédigé par le contrôleur financier Jacquet, 1945, 50
p, p. 45-49. On apprend dans le rapport que Planus aurait quelque peu forcé la main du MEN
pour obtenir un contrat de conseil en organisation au service Importations/Exportations du
MEN et qu’il aurait déjà des antécédents en la matière en 1942 au ministère de l’Agriculture
et au Ravitaillement. Face au refus de visa du contrôleur financier, la décision financière
remonte jusqu’à Cusin, secrétaire général du MEN.
89. CHAN, F 60 1419. La Cour des comptes se montre sévère sur les organisateurs privés qui
sont intervenus dans l’administration sous Vichy et qui auraient commis des « abus » (cf.
référé en mars 1942). La Cour met notamment en cause les rémunérations excessives
allouées aux cabinets de conseil et le principe même d’une telle intervention ; la Cour
estime « qu’il n’appartenait pas à des particuliers ou à des sociétés privées d’assumer, même
en partie, une mission dont la charge et la responsabilité incombent aux seuls responsables
de l’autorité et qu’il n’était pas sans danger de confier le secret de gestion administrative à
des personnes ne présentant pas les garanties exigées de l’État ».
90. B 46 559, Note Flandin, CCE, 14 septembre 1955, p. 2.
91. En 1946, lors des premières séances du CCE, Ardant se montre réticent à l’emploi des
cabinets de conseil, rejoint sur ce point par le représentant du Conseil d’État. En 1949, le
CCE enquête sur les contrats et les résultats des cabinets de conseil en organisation ; ses
conclusions concernant les services chargés de l’organisation du travail dans
l’administration, sont mitigées. Quelques années plus tard, la note Flandin remise au CCE le
14 septembre 1955 (p. 2) invoque deux griefs : « Leur attitude exagérément critique à
l’encontre des méthodes administratives traditionnelles » et « leur méconnaissance
administrative ».
92. F 60 1419. En 1947-1948, la DB a une position moins tranchée et plus pragmatique que la
Cour des comptes. Sollicitée sur la question des cabinets de conseil en organisation, elle
propose une procédure de contrôle et de validation des interventions : « Les contrats ou
conventions seraient soumis pour avis au CCE et au ministère des Finances, ainsi que les
prorogations, les rapports et les conclusions de ces cabinets privés ». La DB va jusqu’à
mettre au point un projet de décret transmis le 30 janvier 1948 au SGG (n° 1049), qui restera
sans suites. L’exposé des motifs dévoile l’alliance CCE-DB : « Le concours des spécialistes
étrangers à l’administration peut dans certains cas se révéler très précieux. En raison de
l’énorme accroissement de l’activité de l’État et de l’extrême complexité des tâches
multiples auxquelles il doit faire face, il peut être quelquefois nécessaire de faire appel à des
techniciens particulièrement au courant des méthodes du Commerce ou de l’Industrie. Il ne
saurait donc être question d’interdire d’une façon absolue ou définitive aux administrations
publiques, soit de confier certaines études d’organisation des services à des particuliers qui
se sont acquis une large expérience et une certaine notoriété, soit de faire assister de ces
particuliers les fonctionnaires chargés de ces études. Il s’agit seulement de réglementer et
d’organiser cette collaboration entre les techniciens privés et les services publics afin de la
rendre plus féconde et de mettre fin aux abus […] La solution, c’est donc de soumettre pour
avis au CCECRSP les contrats des cabinets de conseil en organisation […] Le CCE qui a pour
mission de proposer la réforme du fonctionnement, de la structure ou de l’organisation des
administrations semble en effet particulièrement qualifié pour apprécier l’opportunité des
appels que les services peuvent être amenés à faire aux spécialistes non-fonctionnaires et
des travaux qui peuvent être confiés à des spécialistes. La liaison étroite qui pourra ainsi
s’établir entre les enquêteurs du Comité et les techniciens privés ainsi que la
communication au CCE des rapports, conclusions et suggestions de ces derniers, faciliteront
grandement la lourde tâche de cet organisme ». Le projet reste sans suite, car les ministères
techniques n’ont évidemment aucune envie de se lier les mains ni de soumettre au CCE ou à
la DB les interventions des cabinets de conseil ! C’est pourtant ce qui va se passer, non pas
avec le CCE, mais à partir de 1956 avec le Commissariat à la Productivité et puis à partir de
1959 avec le SCOM. Dans ce projet, on voit que F. D. Gregh, directeur du Budget, se montre
assez ouvert aux questions d’organisation scientifique du travail ; de fait, en septembre
1948, il accueille favorablement le Bureau du Personnel des Nations-Unies qui le sollicite
pour créer un Institut international d’administration publique qui serait chargé de former
les fonctionnaires, de développer les sciences administratives et l’OST dans les services
administratifs, en liaison avec l’IISA et l’Unesco (B 10 496). Son successeur, Goetze, se
montrera encore plus intéressé par ces questions d’organisation ; siégeant avec Planus à la
commission nationale d’économies en 1950, il engage ce dernier en 1950-1951 pour la
réorganisation de la DB et il aurait bien aimé « s’attacher les services permanents d’un
organisateur-conseil du secteur privé » si les tarifs des organisateurs n’y avaient pas fait
totalement obstacle (cf. rapport Gaudriault de 1952, B 46 559).
93. B 46 502, Note de F. Raison, 22 août 58.
94. B 46 467.
95. B 46 469.
96. Ardant ne ménage pas sa peine, il écrit des notes aux ministres, destinées aux directeurs
du Personnel des ministères « dépensiers » ; à partir de 1955, il sollicite et obtient le soutien
du directeur du Budget, Goetze, et en interne, celui du directeur du personnel du ministère
des Finances, Verny.
97. B 46 479, 46 480 et 46 481.
98. B 46 481, note du 16 juillet du responsable Formation, Constant, à Gaudriault. Les stages
RCB dans les années 1970 rencontreront les mêmes écueils !
99. B 46 472.
100. B 46 472 et 46 479. L’IESTO a pour objet la formation et le perfectionnement des
spécialistes des fonctions supérieures d’organisation dans les secteurs privé et public ; le
cycle de formation dure 9 mois, alternant théorie et stages pratiques.
101. B 46 469, Interview de G. Ardant, op. cit., et note de G. Ardant du 25 janvier 1956.
102. Sur le Séminaire Dirigeants, 22 juin 1955, Rapport de présentation, B 46 468 et B 46 484.
103. B 46 485.
104. B 46 559 et B 46 467. ITAP, « Un programme d’action en vue de l’amélioration de
l’organisation et du fonctionnement des administrations publiques », juin 1962 et «
Programme d’action de rénovation administrative », 13 décembre 1954.
105. B 46 559, rapport Gaudriault, CCE, 1952 sur « Les services s’occupant d’organisation du
travail dans les administrations publiques », où un long volet est consacré au rôle récent de
la DB et du bureau B1 en matière de réforme administrative, p. 15-17 et B 46 485, inventaire
des organismes publics concourant au progrès des techniques administratives (fiche
descriptive du bureau B1).
106. Création d’un bureau des études budgétaires, mission aux États-Unis sur le Bureau of
Budget, travaux sur le budget fonctionnel, réforme de la présentation des documents
budgétaires et de la nomenclature budgétaire, circulaire sur la comptabilité des
investissements, travaux internes de préparation de la réforme constitutionnelle, travail
sur les budgets économiques, articulation avec la comptabilité nationale, etc.
107. B 46 568 et archives Goetze, Comité pour l’histoire économique et financière de la
France. L’intervention de Planus en vue de la réorganisation et de la redéfinition des
missions de la DB se déroule du 1er février eu 14 août 1951. Dans le rapport final, figurent
des préconisations sur la réforme administrative, le budget fonctionnel et le calcul du prix
de revient des services.
108. J. Rossard est envoyé aux États-Unis en 1950 pour se renseigner sur le budget
fonctionnel et sur le Bureau of Budget (archives Goetze, Comité pour l’histoire économique
et financière de la France). Cf. J. Rossard, « La réforme de la présentation des dépenses dans
le budget français », in Institut de droit comparé de l’Université de Paris, Études de finances
publiques, La Réforme budgétaire, t. II, Les éditions de l’Épargne, 1954, p. 39 à 52.
109. J. Gallois fait partie de la mission des techniques administratives de janvier 1954 aux
États-Unis.
110. B 46 502. Conférence de J. Mascard à l’ITAP, 27 mai 1955, sur les nouvelles attributions
de la DB en matière d’O & M et de réforme administrative.
111. B 46 559, circulaire DB-B1 du 25 novembre 1955, signée P. Pflimlin et Gilbert-Jules. La
circulaire paie largement sa dette au CCE et propose une annexe méthodologique pour aider
les services à calculer le prix de revient (tableaux à remplir : coût d’un service selon la
nomenclature budgétaire, dépenses, recettes, coût net, prix de revient, coût d’un service
par nature de dépenses, dépenses de personnel, frais de matériel, dépenses immobilières ;
dépenses de constitution de stocks, dépenses d’investissement administratif, dépenses
administratives, dépenses d’activités). La démarche est présentée avec modestie, sous forme
d’initiation, comme une étape transitoire et provisoire…
112. B 46 518.
113. Sur la création de ce fonds et sur la procédure d’attribution des crédits, B 85 04 et B 46
518, circulaire E2-11 du 10 mars 1956, reprise et complétée par la circulaire du 25 février
1958.
114. CAEF, B 46 518.
115. SAEF, B 46 518, circulaire du 10 juillet 1954, p. 2.
116. B 46 685 et B 10 496. Projet de loi Metayer, déposé le 30 avril 1957 avec le soutien du
Commissariat général à la Productivité (J. Dayre). L’idée est d’« intéresser les fonctionnaires
et agents des services publics à la conception et à l’application des réformes administratives
» et de « vaincre par ce moyen les réserves ou les réticences que les agents des services
publics peuvent être tentés d’opposer à des mesures susceptibles de modifier profondément
leurs attributions ou leurs méthodes de travail ». En effet, selon les auteurs de l’exposé des
motifs, « les projets de réforme administrative suscitent certaines réticences de la part des
fonctionnaires. Ces réticences se fondent sur des éléments d’appréciation d’ordre négatif ou
positif, dont principalement le fait que, depuis une trentaine d’années, les projets de
réforme ont eu souvent pour conséquence directe ou indirecte des mesures restrictives à
l’encontre des agents des services publics, ainsi qu’une tendance à sous-estimer les
avantages possibles des changements et à surestimer les inconvénients qui pourraient en
résulter. Il convient donc de rechercher les moyens propres à obtenir l’appui des
fonctionnaires ». Selon le texte, cette mesure de restitution des gains de productivité serait
rendue possible par l’article 1er de la loi du 17 août 1948 mais surtout par l’article 21 du
décret du 19 juin 1956 réglant le mode de présentation du budget de l’État.
117. Sont ici particulièrement visées les primes de productivité des entreprises
nationalisées, les primes de rendement dites « de l’article 5 et 6 » des services financiers et
certaines primes des ministères techniques (cf. par exemple le décret no 55-1002 du 26
juillet 1955 sur les primes pour services rendus des agents conducteurs des travaux publics).
118. B 46 485. Lors de la préparation du budget 1955, la DB a proposé un système «
d’encouragement à la productivité des services publics » ; les services qui obtiendraient des
économies à la suite d’un effort d’organisation pourraient disposer de ces économies pour
développer leur effort d’amélioration de la productivité.
119. B 85 04. C’est le nouveau bureau E2 qui sera chargé de gérer les crédits « Productivité »
pour les services publics.
120. B 46 472 et 46 478. Les archives attestent de la collaboration étroite mise en place entre
la DB et le secteur Organisation du Commissariat en 1955-1956 sur des sujets divers, l’O & M,
la comptabilité des engagements, la comptabilité des investissements, le calcul du prix de
revient, l’organisation des cycles de formation (circulaire conjointe DB/Commissariat à la
Productivité à partir de 1955), la création de l’IESTO…
121. B 10 496.
122. P. Chatenet, conseiller d’État, directeur de la Fonction publique en 1955, est lui aussi
acquis à l’O & M. Cf. sa lettre à G. Ardant en décembre 1955 insistant sur la nécessité de
former des spécialistes O & M (B 46 502).
123. B 46 467 et B 46 559, R. Gaudriault, rapport d’enquête sur les résultats de l’intervention
du cabinet A. Vidal au MRU, février 1951 ; rapport d’ensemble sur les résultats
d’organisateurs-conseils dans les services publics, septembre 1951 ; note relative à la
généralisation des réformes apportées à l’organisation administrative de l’établissement
régional du Matériel à Vincennes ; rapport d’enquête sur l’étude des méthodes de travail
dans les administrations publiques, janvier-juin 1952.
124. L’ITAP développe le même projet et rattache son centre interministériel d’O & M
(CIOM) à la Présidence du Conseil et au ministre de la Réforme administrative, B 46 467,
Programme ITAP, 13 décembre 1954.
125. B 46 559.
126. B 46 559. « Conclusions sur la détermination et l’analyse des coûts et des prix de
revient des services administratifs de l’État », 15 octobre 1954 ; projet de circulaire de la
direction du Budget (E1) concernant les coûts et les prix de revient des services
administratifs de l’État en date du 21 avril 1955.
127. Pendant sa scolarité à l’ENA, J. Gonot, qui sortira à l’Inspection, effectue son stage
d’entreprise chez Péchiney, dans un service d’O & M ; c’est là qu’il prend connaissance des
méthodes d’OST d’inspiration américaine. Témoignage de Jean Gonot, entretien avec
Florence Descamps, n° 1, du 25 février 2009, AO Comité pour l’histoire économique et
financière de la France.
128. B 46 559. Rapport Gonot-Flandin, 14 septembre 1955, examiné le 4 mai 1956, approuvé
en juin 1956.
129. B 46 559. Conformément aux propositions du rapport de 1955, Flandin dit avoir obtenu
un accord pour que l’O & M soit présentée à l’ENA, tandis que le service de l’Inspection
accepte le principe d’une session de formation O & M pour les jeunes adjoints à l’Inspection
130. B 46 559. Rapport Flandin-Gonot, p. 4 et Note Gonot, 18 juin 1956.
131. Le même rapport 1957 revient par ailleurs sur la nécessité d’élaborer un budget
fonctionnel.
132. B 46 483, B 46 479 et B 46 472. Y. Malécot, directeur de la Monnaie et des Médailles, dès
1957 essaie d’introduire la productivité dans ses services ; c’est lui qui crée, en 1958 à la
direction du Personnel et du Matériel, le BOM de l’administration centrale des Finances, et
qui recrute H. Baratin, formé par le Commissariat à la Productivité. C’est enfin lui qui
demande en 1958 au Commissariat d’organiser des cycles de formation O & M pour les
administrateurs civils des Finances.
133. B 46 568, B 46 472, B 46 479, B 46 480. On trouvera sous ces cotes la liste des cycles de
formation organisés par le secteur organisation et les listes nominatives des participants de
l’administration centrale des Finances aux cycles de formation O & M entre 1955 et 1959,
par corps (inspecteurs des Finances, administrateurs civils et attachés d’administration,
dactylographes, etc.), par direction et par année. Le service Formation fait état pour l’ACF
de 228 personnes, parmi lesquelles la DGI vient largement en tête.
134. B 46 479. Cf. également les études d’indicateurs d’activités réalisées à la DGI et le calcul
du nouveau barème à la direction de la Comptabilité publique par J. Farge, les études de
rendements au bureau E2 à la DB, au BOM des Finances et au BOM de la DGI, etc.
135. B 46 472, note pour la DB, 29 août 1956, Programme d’action de l’année 1957 en matière
d’organisation administrative dans les services publics, et budget correspondant, signée F. Raison.
136. B 46 472 et B 46 678.
137. B 46 472. R. Gaudriault avait demandé dans son budget prévisionnel 30 millions de
francs, pour en obtenir 20, il en obtint finalement 9 (note du 21 février 1957).
138. Pour un exposé détaillé des coupes budgétaires, voir B 46 472 et B 46 678.
139. Le même phénomène s’est produit en 1948, lorsque contre toutes ses déclarations de
principe, G. Ardant a été conduit à mettre en avant les capacités du CCE pour établir une
liste de mesures d’économies en vue du plan de redressement économique et financier du
gouvernement de R. Mayer.
140. B 46 472 et B 46 478. « Note relative à une participation du Commissariat général à la
Productivité à une action générale de réorganisation administrative », 4 mars 1957, signée
G. Ardant, avec son annexe n° 2 dans laquelle Ardant énumère toutes les économies en
personnel et en matériel qu’il est parvenu à faire ou à faire faire dans tel ou tel service et
son annexe n° 3, « Note sur les conditions administratives dans lesquelles se poursuit
actuellement l’action de réorganisation dans les SP et solutions proposées pour permettre
l’extension de cette action ».
141. Il propose de recruter une vingtaine de spécialistes parmi les anciens stagiaires du
secteur.
142. B 46 472 et B 46 678, note Gabriel Ardant du 4 mars 1957 et annexe I sur les
répercussions des actions d’organisation du Commissariat général à la Productivité en
matière d’économies.
143. B 46 678. Note du 26 juillet 1957.
144. B 46 678. Rapport Dayre sur « les conditions de la productivité dans les administrations
publiques », 10 octobre 1957 et B 46 485, rapport d’activités de la commission «
Administration et productivité ».
145. B 46 678 et B 46 485. Rapport Fontaine, novembre 1957 sur la réforme administrative.
146. B 46 502. R. Gaudriault conserve dans ses archives un projet de loi daté de 1946 portant
création d’un service d’O & M et d’un statut du personnel spécialiste des travaux
d’organisation et de mécanographie dans les administrations publiques. Ce SOM serait
rattaché à l’INSEE. En est-il l’auteur ? Vraisemblablement.
147. B 46 678. Rapport sur les services publics, 20 p.
148. B 46 472, p. 2.
149. R. Gaudriault liste les nouvelles techniques qui devraient être enseignées :
électronique, informatique, recherche opérationnelle, « procédés modernes de gestion »…
150. B 46 678.
151. B 46 678.
152. B 46 678, note du 16 décembre 1957. Dans le brouillon de la note percent l’acrimonie de
l’auteur à l’égard de la DB et son tropisme Présidence du Conseil : « Les crédits évoqués ci-
dessus sont gérés par la DB sans aucun lien avec la DFP qui a cependant mission,
conformément à la loi du 19 octobre 1946, de promouvoir la réforme administrative ». Le
chiffon brûlerait-il entre le Commissariat et la DB ? Est-ce l’une des conséquences des
coupes budgétaires de l’hiver et du printemps 1957 ou d’une concurrence accrue ?
153. B 46 678.
154. B 46 678.
155. B 46 678. Dossier de janvier 1958, note relative à un projet de décret portant création
d’un centre interministériel d’O & M, projet de circulaire à la signature du président du
Conseil, diverses notes annexes, fiches techniques. Les attributions du CIOM sont les
suivantes : organisation de cycles d’information sur les techniques administratives ;
sélection, formation et perfectionnement des spécialistes de l’organisation administrative ;
aide aux ministères pour la création et la mise en place de BOM ; interventions à la demande
des services ; études et essais de matériels, équipements, méthodes ; tenue et mise à jour
d’une documentation spécialisée sur l’O & M. Il est précisé que, dans l’idée de concurrencer
ou de « battre en brèche le monopole anglo-saxon » (on compte 1 expert français pour 50
anglo-saxons), « le Centre est obligatoirement consulté pour la recherche et la désignation
d’experts en organisation scientifique qui peuvent être nécessaires au titre de l’assistance
technique ». Un champ nouveau semble également s’ouvrir, celui des « ensembles
électroniques de gestion » dont le CIOM devra relever le défi technologique et bureautique.
Le texte comporte enfin un projet de statut pour un corps de futurs « organisateurs »
publics, capable de supporter la concurrence du privé et de rompre avec la politique de
bouts de chandelle pratiquée par les pouvoirs publics (personnels prêtés ou mis à
disposition, détachés, contractuels rémunérés par l’AFAP sur le chapitre 34-93).
156. B 46 678. Note « Création d’un bureau central d’O & M », 7 mars 1958.
157. B 46 678. Dossier janvier 1958, fiche 1-A-1 sur le coût et rendement des services et sur
le prix de revient : « Le Commissariat général à la Productivité élabore actuellement une
méthode détaillée de calcul des coûts qui devrait faciliter l’application dans les services des
circulaires de la DB. Cette méthode est en même temps appliquée à titre expérimental au
secteur « Organisation administrative » du Commissariat. Sur un plan général, il semble que
peu d’études de coût aient été faites dans les administrations ».
158. G. Devaux, La comptabilité publique, Paris, PUF, 1957. C’est Devaux qui assurera la
majeure partie de la rédaction de l’ordonnance organique de janvier 1959. Nous avançons
l’hypothèse d’une compétition triangulaire en 1956-1959 entre Goetze, Ardant et Devaux
autour de la réforme administrative et budgétaire, compétition de personnalités et
d’inspecteurs des Finances autant que de doctrines et de modèles budgétaro-comptables.
159. B 46 502 et B 46 472. Note sur l’action du Commissariat général à Productivité en
matière d’organisation administrative dans le secteur public, juin 1958.
160. B 46 502 et B 46 472. L’idée d’un CIOM ne peut qu’éveiller un écho favorable auprès d’A.
Boulloche, polytechnicien, ingénieur des Ponts et Chaussées, ancien haut fonctionnaire du
ministère de l’Air et des Travaux publics au Maroc. Ancien responsable de la Résistance
dans l’Armée secrète, ancien directeur de cabinet de P. Ramadier et homme de gauche, il est
pour G. Ardant un interlocuteur plus facile qu’A. Pinay, ministre des Finances.
161. B 46 472 et B 46 502. C’est R. Gaudriault qui se voit confier le dossier et qui rédige les
papiers, notamment les projets de statuts pour le nouveau corps d’ingénieurs publics en
organisation, en lien avec P. Questiaux, du bureau E2, et J. Coti, de la sous-direction PCM de
la DB ; c’est également lui qui étudie la meilleure solution statutaire pour le CIOM :
établissement public ou fondation ? À cette occasion, il prend contact avec J. Touchard à
l’IEP de Paris et à la FNSP. Le projet prévoit également de créer un institut national
d’organisation qui serait rattaché à l’ENA pour former des ingénieurs d’État en organisation
en deux ans.
162. Plus connu pour ses préconisations économiques, financières et monétaires, le Comité
Pinay-Rüeff n’a pas négligé la question de la modernisation de l’État ; il s’agit d’« alléger les
dépenses, accroître l’efficacité et la rapidité de l’administration ; simplifier ses rapports
avec les administrés ». Le rapport liste une série d’actions prioritaires telles que « réviser
l’architecture des administrations centrales », revoir « le découpage administratif du
territoire », entamer « la révision minutieuse de tous les détails de fonctionnement »,
engager « la suppression des formalités inutiles et étudier à fond les possibilités nouvelles
qu’étendent chaque jour les progrès des techniques d’organisation ». Le Comité va jusqu’à
préconiser la création d’un bureau Organisation et Méthode dans chaque ministère et
l’importation des méthodes des cabinets privés de conseil, ainsi que la nomination dans
chaque ministère d’un fonctionnaire spécialisé dans ces questions, le tout coordonné par un
membre du Gouvernement. On reconnaît là le programme de travail du bureau E2 à la DB,
du CCE et du Commissariat général à la Productivité… et la patte de P. Questiaux.
163. B 46 502. Lors de la remise au printemps 1959 d’une « Note sur l’action du
Commissariat général à la Productivité en matière d’organisation administrative », dotée de
nombreuses annexes, V. Giscard d’Estaing, secrétaire d’État au Budget, manifeste son
intérêt pour « la productivité administrative » et pour les économies qui pourraient en
résulter.
164. B 85-04. Note de G. Devaux, 10 avril 1959.
165. B 46 502.
166. B 46 502. Note manuscrite, non signée. La récupération du SCOM fait l’unanimité des
autorités du ministère des Finances : la direction du Personnel (Verny), la direction du
Budget (Mascard, Coti) et Antoine Dupont-Fauville (directeur de cabinet de Michel Debré
premier ministre, mais inspecteur des Finances gardien des intérêts de la rue de Rivoli).
167. B 46 502.
168. A. Boulloche, le 8 janvier 1959, devient ministre de l’Éducation nationale dans le
gouvernement de M. Debré.
169. Notons que, bizarrement, l’année 1959 a vu disparaître le portefeuille de la Réforme
administrative, auquel succède celui de l’Administration générale (P. Chatenet) puis de la
Fonction publique (L. Joxe).
170. B 46 556. En 1964, alors que la mission Racine pour la réforme administrative travaille
sur un énième plan de réforme administrative, R. Flaissier, responsable des interventions au
SCOM, se déclare favorable à un CIOM rattaché au premier ministre, « instrument
d’application » du CCE, constitué d’une soixantaine d’organisateurs, appuyé sur des BOM
ministériels de 5 à 10 personnes. En juillet 1968, la question d’un éventuel rattachement du
SCOM ou d’une mise à disposition du SCOM auprès du secrétaire d’État à la Réforme
administrative, P. Malaud, resurgit. La DB dit accepter l’idée de partenariats avec la
Réforme administrative, mais réaffirme fermement ses droits sur le SCOM. « Je ne verrais
aucun inconvénient à ce qu’il prête son concours dans le cadre de sa vocation normale et
sous mon contrôle à des études tendant à des réformes de l’administration », peut ainsi
écrire R. de La Genière (Note pour le Ministre, 28 octobre 1968), mais en post-scriptum, il
ajoute à la main : « Le SCOM constitue un instrument important de rationalisation des
méthodes administratives et je considère comme essentiel qu’il ne cesse pas de dépendre de
moi ».
171. B 46 559.
172. B 46 559, R. Gaudriault, note brève de présentation du SCOM, 1967. En 1963, le SCOM
compte un chef de service et quatre chefs de secteurs : interventions (Chassaing, IG des
PTT) ; études (Flaissier, chargé de mission) ; formation (Papounaud, chargé de mission) ;
documentation et publications (Dumoulin, administrateur civil). En 1967, il compte quinze
cadres spécialistes et une dizaine d’agents subalternes.
173. Le SCOM a la charge de la publication du Bulletin O & M.
174. Études O & M, implantation des bureaux et de guichets, accueil du public, archives, etc.
175. Le SCOM est invité à jouer auprès des BOM un « rôle d’assistance technique spécialisé
dans les problèmes d’organisation ou d’automatisation », mais il n’a pas de pouvoir
hiérarchique sur eux.
176. À partir de 1960, le volet Formation des spécialistes O & M va diminuer, relayé par
l’IESTO qui forme quinze organisateurs par an. Le SCOM en revanche continue d’assurer les
stages interministériels de formation et d’information des cadres et des agents publics.
177. B 46 559, circulaire p. 2. Cette précaution oratoire vise à rassurer les services et à
désamorcer les réflexes anti-budget et anti-économies de personnels.
178. B 46 472, B 46 469, B 46 518, B 46 572. Le secteur Organisation, relayé par le SCOM à
partir de 1960, donne son avis sur les demandes de crédits productivité dès 1956. La
procédure, soigneusement contrôlée, est la suivante : la demande de crédits arrive à la DB
au bureau E2, elle est transmise au SCOM qui l’étudie et la valide (étude de rentabilité, gains
de productivité, évaluation des économies à en attendre, contrôle de l’emploi des fonds,
contrôle des devis et des coûts, négociation des devis, disponibilité des crédits, évaluation
du calendrier et de la faisabilité de la mission, demande d’avis au contrôleur financier). La
procédure concernant les interventions de cabinets de conseil est également très contrôlée :
tout doit être validé par le SCOM ou la DB (demande officielle par le service, programme
d’intervention, projet de contrat, échéancier, correspondant O & M, lettre d’instruction,
objectifs, jours d’activité facturés). Le SCOM peut contester le bien-fondé d’une
intervention, il demande alors des justifications supplémentaires aux services et, si
nécessaire, mobilise le réseau des BOM ou se déplace sur place. Il discute également les
devis et les tarifs proposés par les ingénieurs-conseil privés et conseille les administrations
dans le choix de tel ou tel cabinet. Les honoraires des cabinets ne sont versés qu’après
validation par le SCOM des comptes rendus d’activités de quinzaine établis par les cabinets
de conseil (progression du chantier) ; les rapports des cabinets sont établis en trois
exemplaires, dont un pour le SCOM, et ils demeurent confidentiels. En 1964, le financement
SCOM couvre un peu plus de 3 000 journées réparties entre 10 cabinets d’organisateurs-
conseil pour l’ensemble des administrations publiques (Séminaire des BOM, 1964, B 46 572).
179. B 46 518, note de Questiaux à Gaudriault le 8 juillet 1960 : « Pourriez-vous faire
effectuer une enquête rapide et me donner votre avis sur ces six projets (MAE). J’aimerais
connaître en particulier quelle serait la rentabilité des dépenses envisagées et quelles
économies de personnel on pourrait en attendre ». Ou encore, B 46 518, en août 1960, sur
une idée de Gonot chef de service à la direction des Prix et des Enquêtes économiques, le
SCOM est mobilisé pour étudier la réorganisation du service des enquêtes économiques.
180. B 46 518.
181. B 46 558. Tableau des contrats de conseil en organisation passés par le SCOM entre
1961 et 1965, établi par le SCOM (à la demande de la Cour des comptes en 1966). On y trouve
le nom des cabinets, les dates des contrats, le montant des contrats, la durée de la mission,
la date du dépôt du rapport, le nom du chef de mission. Le total des contrats se monte à 4
millions de francs pour la période de 1961 à 1965. Faut-il imputer à la présence du SCOM le
verrouillage du MEF, qui de 1951 à 1971, entre le contrat Planus à la DB et le contrat
MacKinsey à l’INSEE, n’a plus fait l’objet d’aucune intervention de la part d’un cabinet en
organisation privé ? Ou faut-il en chercher la cause du côté des directions elles-mêmes, qui
refuseraient de faire appel à des organes extérieurs et préféreraient mobiliser leurs
ressources internes (corps de contrôle, ingénieurs d’État, etc.) ? On repère néanmoins aux
Finances deux interventions en 1961-1962 mais latérales : l’une à la Dette publique dans le
cadre du transfert du service des émissions (réduction d’effectifs et des surfaces de
bureaux), et la seconde, expérimentale, dans une trésorerie générale.
182. B 85 01 et B 85 04 ; B 46 510.
183. B 46 510. Rapport Baratin 1960, p. 15. « D’un côté les services du Budget,
professionnellement préoccupés par le coût de l’administration publique, conditionnent
l’octroi des crédits qu’ils allouent aux économies effectives et évidentes que les BOM
considèrent comme un de leurs devoirs de réaliser. D’un autre côté le service à réorganiser
espère que les organisateurs l’aideront à se pourvoir en matériel neuf, en mobilier
fonctionnel à l’américaine, sans envisager que leur passage pourra aboutir à une diminution
numérique sensible du personnel ».
184. B 46 559, article pour La Vie Française, 24 avril 1956, rédigé par Gaudriault sur le bilan
du Commissariat général à la Productivité. Voir aussi le dossier de janvier 1958, B 46 678,
fiche II-C.
185. B 46 510. Rapport Baratin sur les BOM de l’administration publique, juillet 1960, suite à
l’enquête réalisée en mai et juin 1960 pour le compte du CCE, cinq ans après le rapport
Gonot de 1955. D’après le rapport Baratin, 65 % des BOM ont été créés depuis 1955, date à
laquelle ont commencé les cycles de formation du Commissariat général à la Productivité,
stimulés par la circulaire Marcellin du 12 décembre 1957 et soutenus par les crédits
productivité de la DB. Les BOM partagent leur rattachement entre les services
d’administration générale, du matériel ou du personnel, ou sont parfois directement
rattachés au directeur lui-même. En 1960, les services O & M semblent stabilisés (une
vingtaine) mais les effectifs restent faibles, répartis sur une vingtaine de bureaux (entre 2 et
4 organisateurs par bureau), soit environ 165 organisateurs sans compter les
correspondants.
186. B 46 510, B 46 508, B 46 562 et B 46 568. Le 3 décembre 1963, sur la demande de la DB, le
SCOM lance une enquête pour répertorier les BOM, voir quels ont été les progrès accomplis
dans l’administration depuis la circulaire Marcellin du 12 décembre 1957 et évaluer leurs
résultats. Un questionnaire à remplir par bureau ou par service est mis au point et adressé à
tous les ministères. L’idée est d’établir un répertoire des BOM, d’identifier les responsables
(selon Gaudriault, il y aurait plus de 50 BOM au sein des Armées) et de faire circuler
l’information entre cellules O M et avec le SCOM.
187. B 46 572 et B 46 562.
188. B 46 508, B 46 510, B 46 562 et B 46 568. Le cas du ministère des Finances et des Affaires
économiques est particulièrement intéressant (cf. la note de la DPSG le 14 avril 1963 et la
note du BOM des Finances en date du 3 décembre 1963, qui décrit toutes les cellules O & M
des administrations financières). À la DGI, trois bureaux du nouveau service de
l’administration générale créé en 1960 lors de la réorganisation des services centraux,
s’occupent d’organisation ; ces bureaux sont mobilisés dans la réorganisation en cours des
services extérieurs de la DGI qui se prépare à fusionner les régies (unification des
circonscriptions territoriales permettant de constituer des « centres des impôts » où seront
regroupés tous les services des anciennes administrations financières). Ces bureaux
s’occupent aussi de l’amélioration de l’organisation et des méthodes de travail des services
extérieurs (duplication, mécanographie) et de l’amélioration de la fonction statistique à la
DGI (création d’une section spécialisée, adaptation des imprimés en liaison avec l’INSEE,
sondages divers en liaison avec la DB et l’INSEE, études coûts et rendements et mise sur pied
d’un barème de charge statistique puis normatif). Aux Douanes, il existe depuis 1948 un
bureau des études, qui est devenu en 1954 le bureau Études et organisation, rattaché à la
division de l’administration générale. En 1959, devenu BOM, il fait partie de la division de
l’organisation et de l’exécution des services. Outre la réorganisation des circuits des
déclarations, les travaux de mécanisation et la simplification des méthodes de perception
des droits sur les marchandises importées par les voyageurs, le Bureau s’attache à définir «
les moyennes » ou « les normes » d’activité permettant le calcul des effectifs et
l’établissement de circonscriptions idéales. À la Monnaie, il y a depuis 1958 un BOM qui a
été intégré dans le service chargé de mettre au point le système de comptabilité analytique
confié à R. Lapassade. À la direction des Prix et des Enquêtes économiques, le BOM a été
créé en 1959 sur la décision du chef du service des enquêtes économiques, J. Gonot, auteur
en 1955 du rapport Flandin-Gonot sur les BOM. Lui sont rattachés les ateliers d’imprimerie
et de reproduction. Ce bureau effectue le planning des enquêtes, l’échantillonnage, la
centralisation et le dépouillement des relevés bimensuels de prix effectués à l’échelon
départemental sur une centaine de produits et établit les fiches correspondantes ; il
contribue à la définition de la méthode de notation du personnel (1 400 agents), à la
mécanisation de la paye des agents des services extérieurs et à l’établissement d’un système
permettant le dépouillement semestriel des enquêtes effectuées par les services
départementaux en vue d’évaluer l’activité du service. À la Comptabilité publique, il existe
un service des études qui est notamment chargé de l’établissement du barème des
rendements et à la Dette publique, certains agents sont formés à l’O & M, de même qu’au
service des Alcools. Pour certains BOM, un bilan des résultats ou des réalisations est établi
en matière de suppressions d’emplois et d’effectifs.
189. B 46 518. Note de R. Gaudriault à C. Dupuis, chef de cabinet du directeur, 20 février
1963, à propos de la notice du SCOM dans le Bottin administratif.
190. Le SCOM a constamment souffert d’un manque d’ingénieurs et de techniciens de
l’organisation. N’étant lui-même, ni membre d’un grand corps ni membre d’un corps
technique de l’État, ni ancien élève de l’ENA, Gaudriault lui-même a du mal à se positionner
face aux grands chefs de service et il demeure partagé entre ses velléités d’indépendance,
son refus d’être assimilé à la DB et à sa politique d’économies budgétaires et le souhait
d’être soutenu administrativement par cette même direction (crédits, autorité, pouvoir,
prestige).
191. Sur les résistances rencontrées dans l’administration par le mouvement O & M, B 46
479. De façon générale, les services rechignent à envoyer leurs agents se former aux
techniques O & M : calendrier trop chargé, exigences du service qui empêchent l’absence
d’un agent, nombre trop important de vacances de postes, impossibilité de distraire un
agent pour l’O & M. Mais H. Baratin pointe aussi dans son rapport de 1960 (p. 190) les «
difficultés d’ordre psychologique » qui entravent l’adoption de l’O & M dans les
administrations : le scepticisme, l’ironie, le dédain, la méconnaissance, l’attachement aux
méthodes traditionnelles de travail, la moindre croyance dans le progrès technique que
dans le secteur privé, l’absence de l’aiguillon de la concurrence, l’assimilation de
l’organisateur à un contrôleur, l’absence de compensations ou de récompenses (indemnités
ou avantages salariaux), la préférence pour les réformes juridiques ou pour les réformes de
structure plus gratifiantes pour leurs promoteurs, le positionnement marginal des BOM
dans l’organigramme, l’indifférence des chefs de service, le problème général du « climat »
social, l’insuffisance des effectifs et la faiblesse de la position statutaire et hiérarchique des
organisateurs, l’absence de débouchés et d’évolution possible et les problèmes de formation
tout autant que de reconnaissance…
192. Rapport Baratin, B 46 510, 1960, p. 16 et 17 ; J. Dayre, B 46 485, rapport d’activités, 10
octobre 1957 et rapport du 21 novembre 1957 ; B 46 480.
193. B 46 559 et B 46 558 ; B 46 573.
194. B 46 503. Cf. les propositions que fait la DPSG en matière de formation en 1971 aux
cadres de l’ACF ou les sessions du CESMAP.
195. Au sein du nouveau SCOM, le rêve d’un corps d’organisateurs publics survit cependant
jusqu’au début des années 1960, porté par Gaudriault, ainsi que par quelques
administrateurs de la DB, Mascard, Coti, Questiaux, jusqu’en 1962 (B 46 534 et B 46 502). En
1959-1960, Gaudriault, en liaison avec E2 et avec la sous-direction PCM, rédige encore des
projets de statut et de déroulement de carrière, calqués sur d’autres corps d’ingénieurs
d’État : INSEE, Manufactures, Ponts, ingénieurs du CEA… Cette solution d’un corps
technique d’ingénieurs d’État spécialisés en organisation aurait permis, selon ses
promoteurs, de donner une meilleure assise et une plus grande stabilité aux organisateurs
publics et d’enrayer les départs des spécialistes vers le secteur privé.

AUTEUR
FLORENCE DESCAMPS
Normalienne et agrégée d’histoire, Florence Descamps est maître de conférences en histoire
à l’École pratique des hautes études (EPHE). Elle y anime un double séminaire sur la création
et l’utilisation des témoignages oraux en histoire contemporaine et sur l’histoire du
ministère des Finances au XXe siècle. Elle participe depuis 2005 au groupe de pilotage du
séminaire Histoire de la gestion des finances publiques XIXe-XXe siècles et a codirigé la
publication du premier volume des actes L’invention de la gestion des finances publiques.
Élaborations et pratiques du droit comptable et budgétaire au XIXe siècle (1815-1914). Elle a publié
de nombreux articles sur le ministère des Finances au XXe siècle et sur la réforme de l’État.
Dernièrement, elle a publié « La RCB 1966-1971 : une première expérience managériale au
ministère des Finances ? », in E. Godelier, M. Le Roux, G. Garel, A. David et E. Briot (dir.),
Pensée et pratiques du management en France. Inventaire et perspectives 19e-20e siècles, 2011,
consultable en ligne sur http://mtpf.mlab-innovation.net/fr/sommaire/chapitre-2/la-rcb-
1966-1971-une-première-expérience-managériale-au-ministère-des-finances.html?
PHPSESSID=6a35f3663f90efc5f44bf6a739069703 ; « Les inspecteurs des Finances et la
réforme de la gestion publique au XXe siècle », in F. Cardoni, N. Carré de Malberg et M.
Margairaz (dir.), Dictionnaire historique des inspecteurs des Finances 1801-2009, Paris, Comité
pour l’histoire économique et financière de la France/IGPDE, 2012, p. 141-150 et « Les
techniciens des Impôts et la naissance d’une expertise fiscalo‑financière : L’État moderne
1928-1939 », in F. Monnier et J.-M. Leniaud (dir.), Experts et décisions, Paris/Genève, Droz,
2013, p 47-57.
Troisième partie. Rationalité
juridique ou rationalité gestionnaire ?
La Comptabilité publique de Gilbert
Devaux : un plaidoyer pour le
maintien d’une gestion publique des
finances publiques en France dans les
années 1950
Philippe Masquelier

Introduction
« Le souci du prix de revient ne peut pas être dominant dans l’esprit
d’un administrateur. » D’une phrase, Gilbert Devaux tranche l’une
des problématiques majeures de l’histoire de la gestion des finances
publiques en France depuis 1815. À la question : « Y a-t-il une
manière publique de gérer les finances, distincte de celle en vigueur
dans le secteur privé ? », d’emblée il répond « oui ». À celle de savoir
si les paradigmes gestionnaires managériaux inspirés du privé
doivent l’emporter sur les principes juridiques de la comptabilité
publique (CP) en matière de gestion des finances publiques, il répond
implicitement « non ».
Il revendique cette position dans les années cinquante en tant
qu’inspecteur général des Finances, directeur de la CP puis du
Budget. Il la développe dans La comptabilité publique 1 , ouvrage
publié en 1957 à partir d’un cours qu’il dispense à partir de 1953 à
l’ENA. Alors que commencent à se répandre au sein de
l’administration des conceptions gestionnaires, au sens managérial,
inspirées du privé, il y décrit les grands principes du système
financier public français à dominante juridique dont il se veut à la
fois l’héritier et le réformateur. Quelque peu « Rabourdin 2 » en son
siècle, Devaux développe sur deux cent cinquante pages sa
conception de l’évolution de ce système. En grand commis de l’État,
il énonce des vues en partie conditionnées par sa fonction de
directeur, son engagement administratif et l’époque où ils
s’inscrivent. Acteur et témoin, il n’embrasse pas le point de vue du
chercheur patenté. L’effort d’analyse qu’il accomplit se démarque
d’une approche externe, objective et scientifique. Devaux se situe à
l’orée de l’époque où l’administration commence à se penser elle-
même ou à admettre qu’on la pense à l’aide des sciences sociales. À
bien des égards, il appartient déjà à ces « hauts fonctionnaires
proches du pouvoir exécutif ou occupant des positions d’expertises
ou de surplomb, de sorte qu’ils revendiquent une forte “conscience
gouvernementale” ou se vivent comme des “organismes de
réflexion” 3 ».
Le faible écho reçu par La comptabilité publique lors de sa parution, sa
rapide obsolescence et l’oubli quasi complet dans lequel est tombé
l’ouvrage depuis, incitent à faire l’impasse sur un document dont la
résonance historique est ténue. Pourtant, s’il a peu compté dans
l’histoire de la gestion des finances publiques, un tel ouvrage permet
de l’éclairer dans ses ressorts profonds 4 . Le point de vue depuis
lequel Devaux envisage la CP, bien qu’isolé en 1957, n’est pas sans
intérêt. Il s’inscrit dans la perspective de la tradition administrative
française et, ainsi, l’exprime et la dévoile. Cherchant à réformer le
système financier public français tout en en prolongeant les
principes, il contribue à en révéler les interactions avec la culture
dont il procède. Réciproquement, il souligne l’emprise sur celle-ci
des rouages de la comptabilité publique. Ce faisant, il offre une
description, précieuse pour le chercheur, du fonctionnement
traditionnel du mécanisme administratif à dominante juridique
fondé sur la distinction gestion publique/gestion privée, qui régit les
finances publiques. Une telle distinction ne va pas de soi. Loin de
toujours s’opposer historiquement, gestions publique et privée des
finances procèdent aussi d’une évolution commune. Par le système
d’obligations qu’il impose, le droit produit une forme de gestion qui
s’est souvent confondue avec lui. Sous la Restauration, le paradigme
gestionnaire est déjà présent dans le système juridique de gestion
des finances publiques 5 . Dans les années 1950, la frontière entre
public et privé se brouille au point qu’un regard historique conduit à
mettre en doute l’idée d’une distinction majeure entre une gestion
publique des finances régie par le droit public et une gestion privée
des finances centrée sur des conceptions managériales. En la
réaffirmant au nom d’une tradition juridique et administrative
française, c’est la valeur et la portée d’une telle distinction que
Devaux invite le chercheur d’aujourd’hui à discuter. En la supposant
fondée, reste à savoir comment s’obtient une telle séparation : est-ce
par une accumulation de petites différences ou par une forte
distinction préalable ? Correspond-elle à une donnée préexistante et
permanente, à un moment historique, à une construction
dogmatique cohérente ou à une multitude de situations concrètes
qui relativisent toute vision schématique du sujet ? Devaux,
théoricien de sa propre pratique, nous offre des éléments de
réflexion. Ils arrivent comme en écho anticipé au vœu de Jacques
Caillosse, souhaitant qu’on se livre à « l’examen critique des
pratiques juridiques du ministère de l’Économie et des Finances, ou
plus précisément de ceux qui en ont la charge », pratiques qui, selon
lui, se dissimulent derrière « la dénonciation récurrente des rigidités
auxquelles le droit des finances publiques condamne la gestion
administrative 6 ». On trouvera enfin, dans La comptabilité publique,
la trace des difficultés d’adaptation de l’ancien système financier
face à l’émergence, dans les années 1950, d’une nouvelle figure de
l’État compris comme acteur économique majeur. Décrivant les
règles de la CP, Devaux nous rappelle que celles-ci sont
originellement liées à l’idée d’un État économiquement neutre et
restreint dans ses prérogatives. Il souligne combien les mécanismes
administratifs du système financier public sont à comprendre
comme ceux d’une bureaucratie dont la mission paradoxale est
précisément d’endiguer la bureaucratie et de limiter son périmètre. C’est au
regard de cette vocation de départ qu’on appréciera les évolutions
d’aujourd’hui.
Bien que daté, le point de vue développé par Devaux, auteur en titre
de l’ordonnance du 2 janvier 1959, entre en phase avec l’actualité
liée à la mise en œuvre de la Loi organique sur les lois de Finances
(LOLF). Les réformes du système financier induites par celle-ci
remplacent l’effort de codification qu’il a accompli à la fin des
années 1950. Son ouvrage éclaire la conception générale de la
gestion des finances publiques qui a inspiré celui-ci. Aussi les
problématiques qu’il développe méritent-elles par leur ampleur
d’être confrontées aux évolutions d’aujourd’hui. Faisant un état des
lieux du système financier public dans les années 1950, il offre un
point de repère qui permet de mesurer le chemin parcouru.
Rappelant les principes de la CP, il évoque un passé occulté par les
réformes en cours. Permettant la confrontation entre les
conceptions héritées de l’histoire et celles d’aujourd’hui, il ouvre la
possibilité d’un dialogue avec le présent. Celui-ci sera le révélateur
des facteurs de mutation qui, sur cinquante ans, ont tendu à
superposer, en cherchant à le faire prévaloir, un système de pilotage
nouveau, à dominante managériale à un mécanisme plus ancien, à
dominante juridique. Dans quelle mesure ces deux systèmes
peuvent-ils et ont-ils fusionné ? Entre l’un et l’autre y a-t-il eu plutôt
addition ou substitution ? Enfin, de l’un à l’autre, y a-t-il eu rupture
ou continuité ? La lecture de La comptabilité publique en tant que
document témoin d’une période offre des pistes de réflexion, en
particulier pour saisir les interactions entre les dimensions
culturelles propres au système financier français et l’évolution des
normes et pratiques en matière de gestion des finances publiques. Il
dresse le décor sur le fond duquel se dessinent les mutations en ce
domaine à la fin du XXe siècle.
Riche en substance et caisse de résonance des réformes présentes,
l’ouvrage de Devaux mérite donc qu’on le sorte de l’oubli et qu’on
l’expose aux problématiques formalisées par les disciplines parties
prenantes à l’histoire du système financier public. À la croisée d’une
tradition administrative fortement ancrée et d’un courant historique
nouveau et puissant, La comptabilité publique apparaît comme la
pierre de touche d’une évolution contradictoire. Au demeurant,
offerte au miroir des travaux ultérieurs de juristes, sociologues,
économistes ou historiens, la pensée de Devaux paraît moins isolée
qu’elle ne le semble a priori.
Ajoutons qu’en raison de l’envergure du sujet et malgré les sources
disponibles 7 , nous ne saurions prétendre à une recherche
exhaustive. Tout au plus peut-on asseoir des hypothèses et formuler
des problématiques sous l’angle spécifique de la distinction entre les
conceptions managériale et juridique de la gestion des finances
publiques. Cherchant plus à ouvrir des pistes de travail qu’à apporter
des réponses définitives, nous montrerons que La comptabilité
publique constitue : un document inséparable de l’expérience de
Devaux, de sa carrière et du contexte où se déroule celle-ci ; un
document qui témoigne de sa volonté de réinscrire la gestion des
finances publiques dans une dynamique historique à dominante
juridique et, enfin, un document qui pénètre au cœur des
problématiques liées à l’histoire de la gestion des finances publiques.

I. Un document inséparable de la carrière de


son auteur et du contexte troublé dans lequel
s’inscrit celle-ci
A. Des années 1930 à la fin de la seconde guerre mondiale : un
contexte de forte restructuration administrative dans un climat
idéologique bouleversé

Devaux accomplit la première partie de sa carrière au sein de la


direction de la CP, garant administratif de l’idée libérale d’un État
restreint, avant que la défaite n’interrompe sa carrière et ne
conduise à rompre avec un libéralisme devenu inadapté.

1. Le contexte de la formation et des débuts de carrière de


Gilbert Devaux, dans l’entre-deux-guerres : la persistance de la
doctrine libérale

Issu de la « génération Caillaux » des années 1930, Devaux découvre


sur cette période les dysfonctionnements du système financier
public. Il contribue à y remédier à raison de l’importance que l’on
continue d’accorder au libéralisme alors que s’accroît dans les faits
la tendance historiquement forte de l’État à intervenir dans
l’économie.
a. Un début de carrière marqué par l’héritage d’un contexte de
restructuration administrative dans les années 1930

Né en 1906, Devaux débute sa vie professionnelle en 1932 8 sous le


parrainage 9 de Joseph Caillaux. Celui-ci oriente sa carrière sur deux
plans : en 1934, il l’appelle à la commission des Finances du Sénat et,
au long des années 1930, lui transmet un corps de doctrine sur le
fonctionnement et la rénovation de la haute administration que
rendait nécessaire un héritage troublé tant sur le plan de
l’organisation administrative que des finances publiques 10 . Dans les
années 1920, l’équilibre général du système financier public s’est
profondément modifié. À la fin du XIXe siècle, déjà, les retards pris
par le vote de la loi de règlement après 1870 11 joints à la croissance
irrépressible du rôle économique et financier de l’État depuis 1815
rendaient nécessaires un déplacement et un renforcement vers
l’amont du contrôle de la dépense. La première guerre mondiale,
facteur de désordre comptable supplémentaire, accroît cette
nécessité en renforçant le rôle de l’État. La durée du conflit amène
l’administration à mobiliser l’industrie nationale et, rupture plus
forte, la conduit à se transformer elle-même en organisme de
production industrielle. Au lendemain de la première guerre
mondiale, le périmètre d’intervention de l’État s’est accru très au-
delà de ses missions régaliennes et il est à craindre que les
mécanismes de régulation de la dépense publique cessent d’être
adaptés au contrôle de la masse financière accrue qu’il brasse
désormais. Il convient de muscler le contrôle en amont de la dépense
et de l’imposer à l’ensemble des administrations dépensières. Cet
objectif est atteint en trois temps. En 1919 la direction générale de la
Comptabilité publique est redécoupée au profit de son bureau du
Budget qui devient une direction à part entière et d’une direction de
la Comptabilité publique recentrée sur l’exécution de la dépense et la
gestion des comptables. En 1922 est créé le contrôle des dépenses
engagées 12 qui permet aux Finances de retrouver sur l’ensemble
des ministères dépensiers l’autorité perdue à la fin du XIXe siècle.
L’apparition, en 1925, d’un ministère du Budget, consacre le
caractère politique de l’autorité des administrations financières
nouvelles chargées de gérer les finances publiques en amont de la
dépense 13 . Imposée par l’histoire, cette évolution imprévue du
système financier fait de la CP non plus la direction générale
responsable de l’ensemble du cycle de l’affectation des finances
publiques mais une administration tournée vers l’aval de la dépense,
c’est-à-dire vers les modalités de sa bonne exécution.
Sur ce versant de la gestion des finances publiques, la tâche et les
réformes à accomplir ne manquent pas, en particulier : rattraper le
retard pris dans l’examen des comptes, contrôler les offices qui se
multiplient 14 et modifier les méthodes de la CP afin de présenter des
comptes définitifs et exhaustifs « assez rapidement pour que leur
examen puisse éclairer utilement le Gouvernement et le Parlement
15
». Ces réformes sont d’autant plus urgentes que la CP essuie le
double feu des critiques de la Cour des comptes et des professionnels
de la comptabilité privée. Ceux-ci, en particulier, reprochent à la
comptabilité publique de procéder sans vision générale et de ne
guère fournir d’information comptable permettant un véritable
pilotage de la dépense publique 16 . À tous égards, il faut réagir. C’est
l’objet en 1934 et 1935 d’une série de décrets et de décrets-lois 17 . Le
22 novembre 1935, Devaux est nommé afin de contribuer à la
réalisation de ces objectifs. C’est là qu’il éprouve, selon ses propres
termes, « la séduction de la grande mécanique 18 », qui oriente la
suite de sa carrière. Par les multiples mesures techniques qu’il
prend, il devient celui qui rend les comptes de l’État plus clairs, plus
réguliers et plus rapidement établis. Toutefois, ces améliorations ont
plus pour objet de restaurer et de perfectionner le système financier
public existant que de le réformer dans le sens d’une intervention de
l’État dans l’économie et d’une convergence avec l’évolution des
méthodes du privé. Dans les années 1930, de telles idées, même si
elles correspondent à une réalité nouvelle, demeurent étrangères à
la doctrine libérale qui continue à dominer les esprits.

b. La persistance d’un climat intellectuel de gestion des finances


publiques encore inspiré par la comptabilité publique

Bureaucratie chargée de contrôler la bureaucratie, la Comptabilité


publique est une administration en butte à l’expansion de
l’administration elle-même. Pour être mieux assurée, cette situation
paradoxale conduit à l’affirmation d’une frontière nette entre le
champ d’application et la nature des règles propres, respectivement,
au secteur public et au secteur privé. Le tracé d’une telle frontière
est marqué par la tradition française d’un droit public exorbitant du
droit commun 19 . Au sein du secteur public, en conformité avec
l’idéologie libérale, la comptabilité publique a pour fonction de
contenir l’action des administrateurs « à l’intérieur de certaines
limites par l’effet d’un mécanisme juridique 20 » qui relève du droit
public. Elle constitue le bras armé d’un État libéral qui, selon Pierre
Legendre, veut « inspirer confiance, du fait même de ce déploiement
de règlements financiers, inflexibles et minutieux, qui devaient
conduire à une organisation fondée sur la justification, le contrôle, la
multiplication des formes 21 ». Elle incarne « cette figure de droits
qui par elle-même appelle la limitation, la régularité, le contrôle 22
». Préserver l’économie de l’intervention de l’État participe ainsi de
l’essentiel de ses missions. L’imprégnation des esprits par cet aspect
de l’idéologie libérale lié à la gestion des finances publiques
conditionne, encore dans les années 1930, l’étroitesse relative de
l’action économique de l’État.
« Malgré son rang et ses prétentions à l’hégémonie administrative, écrit Richard
F. Kuisel, le ministère des Finances ne manifestait pas le désir de diriger
l’économie. [L’« impérialisme » des grands commis] prenait racine dans
l’obligation qu’ils se reconnaissaient d’examiner à la loupe et de limiter les
tentations dépensières des autres ministères. Certains critiques se plaignaient
que l’État fut ainsi devenu “une affaire dirigée par le caissier”. Les hauts
fonctionnaires des Finances, et le ministre lui-même, étaient de doctrine libérale
23

Dès cette époque pourtant, certains esprits, avalisant le fait que
l’État devienne un acteur de l’économie, préconisent deux remèdes
distincts, voire contradictoires : le désencombrement de l’État vers
le secteur privé 24 et le recours aux méthodes de gestion du privé en
raison de l’industrialisation de l’État. Parmi les partisans de celles-ci,
citons deux conseillers d’État, Henry Chardon et René Favareille,
lequel estime que : « La réforme radicale à accomplir consiste à
introduire dans la gestion des services publics l’esprit et la méthode
des affaires 25 ». Une telle réforme prend acte de l’importance
nouvelle, au sein de l’administration, des questions techniques à
mesure que l’État étend son périmètre d’action. Il en résulte que le
fonctionnaire n’est plus le délégué du ministre pour
l’accomplissement d’un service public, mais, selon Chardon, « le
représentant technique d’un intérêt permanent de la nation, sous le
contrôle du ministre 26 ». De ce dédoublement de fonction naît la
possibilité d’une forme de technocratie et d’un rapprochement des
problématiques respectives des secteurs public et privé.
Malgré l’émergence de ces conceptions liées à l’industrialisation de
l’État ou à son désencombrement, la gestion des finances publiques
s’articule encore autour de la défense de la caisse, étendue depuis
peu à celle du Budget 27 . L’idée d’équilibrer celui-ci reste dominante
et le souci principal est de garantir l’intégrité des agents publics afin
d’instaurer la foi publique dans le crédit de l’État. La CP, conçue dans
un tout autre contexte sous la Restauration, demeure dans les
années 1930 l’expression administrative d’un credo libéral qui
prévaut dans les mentalités. Pourtant, au risque d’une schizophrénie
entre doctrine et réalité, ce credo, plus que jamais à cette période,
s’inscrit en vain à l’encontre d’un mouvement historique
d’intervention de l’État à la fois ancien dans ses tendances et récent
dans son accélération.

c. La contradiction portée à l’idéologie libérale par une tendance


historique lourde

Dès la mise en place du système financier de la Restauration, la


doctrine libérale de non-intervention de l’État s’est trouvée en butte
à une tendance historique contraire qui remonte à Colbert 28 . P.
Legendre note : « L’État français [au XIXe siècle], face aux problèmes
de l’industrialisation, suivait non une philosophie officielle, mais une
inclination historique ; le mécanisme était en mouvement depuis
plus de deux siècles 29 ». La première guerre mondiale ne fait
qu’amplifier le phénomène et accélérer la tendance. Elle fait aussi,
mais tardivement, tomber les illusions sur l’efficacité et la pérennité
de la doctrine libérale. Dressant le bilan de l’administration
économique libérale, P. Legendre parle « d’un étatisme sans le
vouloir » et cite Paul Leroy-Beaulieu pour qui, hélas, « L’impulsion
donnée à la machine économico-administrative n’a été contenue que
par des limites financières 30 ». C’est au point qu’on peut
s’interroger sur l’efficacité, dès cette époque, de la CP pour contenir
l’intervention économique de l’État. À la vérité sa posture d’origine
est plus fragile qu’il n’y paraît. Confier à un mécanisme juridico-
administratif exorbitant du droit commun le soin de limiter
l’administration, n’est-ce pas ouvrir à celle-ci la possibilité de se
contourner elle-même au nom de cette asymétrie juridique qui la
consacre comme « un espace de pouvoir isolé, séparé, détaché du
reste du corps social 31 » ? Ainsi que l’écrit Auguste Vivien, «
l’administration a besoin d’air et d’espace ; la liberté est sa vie 32 ».
Et P. Legendre, qui le cite, d’enchaîner : « Cette liberté a paru
incompatible avec l’application généralisée des principes du Droit
privé, par conséquent avec la soumission de l’Administration aux
tribunaux judiciaires ». Conçue pour défendre la liberté d’initiative
du privé des empiètements administratifs, la CP reste
potentiellement tributaire de son origine publique, en sorte qu’elle
ne fait que pallier une asymétrie ancienne entre l’État et la société,
ultime obstacle au libéralisme en France. Ainsi que l’écrit P.
Legendre : « Voilà un thème de scandale chez les libéraux français du
XIXe siècle (…) L’État leur apparut littéralement monstrueux,
s’attribuant des droits sans ce soumettre à la règle du jeu social. » 33
Et P. Legendre de citer Émile Faguet : « Un droit ! Qu’est-ce qu’un
droit ? C’est et ce ne peut être que le résultat d’un contrat ! 34 » En
réalité, devant l’incapacité du secteur privé à limiter de facto le
périmère du public, plutôt que de recourir au contrat qui suppose
l’égalité entre les parties, on a cherché en France, avec la
comptabilité publique, à opposer l’État à lui-même. C’est fort de ce
point de vue qu’il faut comprendre la restauration et le
renforcement dans les années 1930 de l’arsenal technique et
juridique de la CP auxquels participe Devaux. P. Legendre résume
ainsi le double mouvement d’un accroissement de l’intervention de
l’État et d’un encadrement accru de son action :
« Le libéralisme des milieux de la grande bourgeoisie […] infléchit notre système
juridique dans le sens d’un contrôle de plus en plus étendu sur l’administration,
tandis que, sous les pressions économiques et sociales de la révolution
industrielle, l’État était appelé à développer ses interventions. Le système
défensif alors organisé et progressivement perfectionné est encore à l’œuvre
35
aujourd’hui .»
Inscrite dans ce double mouvement d’extension de l’État et de
renforcement de son contrôle au nom d’un droit qui lui est
spécifique, l’action de Devaux aux Finances a contribué à la
réorganisation et au perfectionnement de ce système défensif.
Pourtant, le climat doctrinal dans lequel il a agi diffère de l’avant à
l’après-guerre.

2. La rupture de la guerre : l’idée d’une économie dirigée, la


poussée des techniciens, la volonté de mesurer le réel sous
l’angle économique et comptable

La guerre interrompt la carrière de Devaux. Proche de Paul Reynaud


en juin 1940, il est rayé des cadres de l’Inspection par l’équipe de
Pétain. Réfugié en Angleterre, il ne rallie pas la France Libre. Cet
épisode a son importance dans la suite de son parcours : bien que
réhabilité au lendemain de la guerre, il ne réintègre pas son corps
d’origine avant 1947, ce qui ne lui permet pas d’accéder
immédiatement aux postes auxquels sa carrière antérieure le
promettait. Il ne dispose plus de l’appui de Caillaux, disparu en 1944,
et celui de Reynaud n’a pas la même portée qu’avant-guerre. Ce n’est
qu’en 1949 qu’il devient directeur de la CP, alors que ses cadets de six
ans, François Bloch-Lainé et Roger Goetze, ont pris les manettes
respectivement du Trésor et du Budget. Aussi évoque-t-il à propos de
son retour au sein de l’état-major de Rivoli son « entrée dans le club
sur la pointe des pieds 36 » dans un contexte bien différent de celui
qu’il a connu avant-guerre et après que de multiples réformes furent
intervenues. Il n’est pas le témoin de la perte d’importance et du
désordre qui affectent la CP sous l’Occupation. De même reste-t-il
étranger au puissant mouvement de rationalisation qui, sous
l’impulsion d’une technocratie naissante, étend l’emprise de l’État
sur l’économie.
a. La disparition de la direction de la Comptabilité publique et
l’abolition partielle des mécanismes juridiques et politiques du
système financier public

La disparition du pôle parlementaire dans l’équilibre des pouvoirs du


régime de Vichy, la désorganisation due à la défaite et la partition
territoriale liée à l’Occupation ont fortement affecté la direction de
la CP. Il est symptomatique que, dès 1940, Vichy fusionne celle-ci
avec le Mouvement général des fonds pour produire le Trésor. Avec
la suppression du Parlement disparaît la vocation de la CP à
participer à l’établissement de la transparence et de la sincérité des
comptes au nom de la démocratie. La direction du Budget, bien
qu’apparemment renforcée, est en fait également victime de
l’absence de tension entre un exécutif omnipotent et un législatif
aboli. « Le Parlement supprimé, écrit Robert Belot, c’est la notion de
budget qui implose. Sont abandonnés les principes fondamentaux de
l’autorisation des dépenses et du consentement à l’impôt ». Il ajoute :
« Le paradoxe a voulu que, globalement, l’avènement de l’État
autoritaire vichyste, victoire pourtant de l’exécutif sur le législatif,
se soit traduit par une désorganisation budgétaire sans précédent,
source d’un gigantesque gaspillage. Et ce, alors même que
l’administration se trouve affranchie de la supposée démagogie
dépensière du Parlement, volontiers perçue comme une des causes
majeures de la défaite 37 ». C’est l’essentiel des mécanismes du
système financier public instauré sous Louis XVIII qui perd sa
légitimité. Outre qu’on lui ôte sa raison d’être institutionnelle et
doctrinale, la CP, administration de terrain, souffre de la guerre et de
l’Occupation. L’exode prive de tout réseau comptable maints
départements situés au nord de la Loire. Les effectifs sont diminués
de ceux des personnels faits prisonniers. Enfin, la partition du
territoire en zones libre et occupée jointe à l’émergence de
mouvements de résistance conduisent par nécessité cette
administration à des improvisations locales en déphasage avec ses
règles les plus élémentaires 38 . En 1943, la CP retrouve pourtant son
autonomie en tant que direction et reprend en 1945 son appellation
d’origine, mais dans le contexte nouveau d’une emprise désormais
délibérée de l’État sur l’économie du pays.

b. Une conversion définitive à l’emprise de l’État sur l’économie sous


la poussée des techniciens

Cette emprise, esquissée par le Front populaire, est un héritage de


Vichy qui lui a survécu et que la IVe République a développé. Elle
résulte conjoncturellement des nécessités de la guerre : l’obligation
où se trouve l’État de gérer la pénurie consécutive à la défaite et à
l’Occupation fait de la direction des Prix le bras armé d’une politique
qui embrasse l’économie entière. Plus généralement, sur la place
prise par l’État, Yves Bouthillier, retraçant le climat de l’époque,
écrit : « Le fait le plus frappant de l’état des esprits était une
acceptation unanime de la tutelle de l’État, d’une tutelle immédiate
et forte. Moralement, personne ne se sentait plus à même de porter
seul le poids des responsabilités 39 ». Mais au-delà des nécessités
matérielles et morales d’une situation particulière, naît la volonté de
développer structurellement l’intervention de l’État dans
l’économie. Elle est le fait d’une première génération de techniciens
qui, renonçant à l’idéal libéral d’un État restreint et
économiquement neutre, envisagent par conviction l’idée d’un État
acteur et contrôleur de l’économie 40 . Bouthillier, nommé par Pétain
le 16 juin 1940 à la tête d’un vaste ministère de l’Économie et des
Finances, est emblématique de cette conversion en même temps qu’il
en est l’un des acteurs principaux. Selon ses propres termes, il est
chargé d’opérer le passage « d’un laisser-faire libéral au contrôle
autoritaire des activités productrices, des échanges et de la
répartition 41 ». Cette orientation ne se limite pas à la période de la
guerre. Elle prend racine dans les années qui la précèdent 42 et
trouve des prolongements au-delà 43 . Cette tendance nouvelle, par
le truchement de la direction du Budget, gagne aussi, en en
modifiant fortement l’esprit, l’ancien système financier public.
La direction du Budget devient un des leviers de l’orientation
nouvelle du rôle de l’État dans l’économie. Affranchie du Parlement,
elle voit l’essentiel de sa légitimité se recentrer sur sa compétence
technique. En 1942, Henri Chatenet, ancien chef du secrétariat de la
commission des finances de la Chambre des députés, légitimant la
mise entre parenthèses de la représentation nationale, estime que «
les techniciens de la rue de Rivoli, à Paris ou à Vichy, méritent la
confiance du pays » et que « c’est encore par eux qu’est le mieux
assurée la défense de ses deniers ». André Bisson, conseiller-maître à
la Cour des comptes, se félicite qu’un comité d’experts soit désigné
pour établir le Budget. Il estime que « l’examen des faits précis » va
pouvoir se substituer à « la politique 44 ». Au contrôle juridico-
institutionnel de la dépense dont le système financier inspiré de la
Comptabilité publique est le bras armé s’ajoute, voire se substitue,
dans les esprits, l’idée d’une rationalisation scientifique de l’emploi
de la dépense sur la base d’une expertise technique. Simultanément,
cet effort d’objectivation se développe à la faveur de l’emprise de
l’administration sur divers secteurs de production du privé. Il
s’étend à l’économie tout entière au fur et à mesure que l’État lui-
même s’y implique sur le double plan de l’action et du contrôle.
À l’équilibre psychologique et politique des pouvoirs, Vichy tend à
substituer la mesure du réel et l’évaluation des résultats aux mains
des seuls techniciens. De ceux-ci, M. Margairaz écrit : « Satisfaits
d’être dispensés de tout contrôle du Parlement et de l’opinion, ces
responsables, jeunes, compétents, peuvent ainsi éprouver leur goût
de résoudre des problèmes techniques 45 … » Il ajoute : « La défaite et
l’Occupation en 1940 fournissent les conditions originales d’une
première expérience en France de technocratie au sens strict, au
cours de laquelle l’élite des experts est promue au rang de
gouvernants, débarrassés de surcroît de tout contrôle parlementaire
46
». Bouthillier résume ce dont il s’agit lorsqu’il revendique « la
primauté de l’administration sur la politique 47 ». Si les errements
de la IIIe République expliquent cette prise de position, l’idée
générale qui sous-tend le tropisme rationalisateur de cette nouvelle
génération de responsables répond aussi, plus profondément, au
secret désir de « transporter le politique dans un monde enfin
scientifique 48 » selon la formule de Bruno Latour. L’idée d’un
consensus possible autour d’une vérité objectivable en matière
d’administration tend à s’imposer. Avec le passage d’une figure de
l’État à une autre, tournée vers l’économie dirigée, les mécanismes
du système financier public traditionnel apparaissent comme une
digue submergée par la vague technocratique qu’impulsent la
secousse de la guerre et le traumatisme de l’Occupation.
De même que la CP en est largement absente, Devaux n’est ni acteur,
ni témoin des mutations et du changement d’inspiration idéologique
qui marquent la période 1940-1945 quant au rôle de l’État dans
l’économie. La non-implication de l’auteur de La Comptabilité publique
dans les évolutions de cette période est un aspect majeur du
décryptage du contenu de son ouvrage. Celles-ci, à l’exception
notable du rétablissement d’un pôle parlementaire, sont encore
renforcées par le climat général qui s’instaure après la Libération.
B. Après-guerre : Gilbert Devaux à la tête d’une direction
de la Comptabilité publique « tombée en dehors de
l’histoire » ?

Réintégré à l’IGF en 1947, Devaux reprend sa carrière interrompue


par goût « de la revanche 49 ». Il est alors nommé sous-directeur
chargé de l’aide américaine à la direction de la CP. Sans doute a-t-il
pu, depuis son retour en France, prendre intellectuellement la
mesure des changements intervenus. Avec sa réintégration aux
Finances, il y adapte son action. Toutefois privée de la légitimité de
l’idéologie libérale, la CP, comme Devaux qui en devient le directeur
en 1949, occupe une position inconfortable. Son livre témoigne de
cet inconfort et des contradictions où se trouve prise
l’administration dont il a la charge. C’est au point qu’à lire
aujourd’hui La comptabilité publique, on a parfois le sentiment d’un
déphasage de l’auteur avec les innovations de son temps. C’est à
l’aune de ce décalage qu’il faut prendre la mesure de son action et de
sa réflexion. Celui-ci se manifeste avec acuité dans les années 1950.
La CP souffre alors d’un double hiatus : elle est étrangère aux
conceptions économiques et comptables qui modifient alors le climat
intellectuel et fait obstacle au rapprochement entre gestion des
finances publiques et méthodes comptables nouvelles appliquées au
secteur privé.

1. La comptabilité publique consubstantiellement étrangère aux


nouvelles conceptions économiques et comptables qui
bouleversent son environnement

Si Vichy a constitué une étape notable dans la conversion des esprits


à l’idée d’une intervention de l’État dans l’économie, c’est dans les
années qui ont suivi la Libération que le mouvement initié prend son
essor, tant en raison des nécessités de la Reconstruction que
conceptuellement. Aussi est-ce sur le plan des idées et du nouveau
système de référence qui se met en place qu’il convient d’envisager
les réflexions menées par Devaux. Au lendemain de la guerre,
l’intervention de l’État dans l’économie trouve sa justification
intellectuelle auprès des théories de Keynes. À l’esprit du système
financier incarné par la Comptabilité publique se substitue après-
guerre, dans la suite des esquisses de l’Occupation, un nouvel état
d’esprit lié au plan comptable et à la comptabilité nationale.

a. La comptabilité publique, étrangère à la révolution keynésienne de


l’après-guerre

Les changements dont la CP est le simple témoin après 1945 ne se


limitent pas à l’expansion du rôle de l’État dans l’économie ni à
l’affirmation croissante de principes gestionnaires 50 . La mutation
véritable consiste en une modification du rapport au temps de
l’économie à laquelle l’État doit s’adapter. Pierre Rosanvallon pointe
l’ampleur du changement induit lorsqu’il évoque la « révolution
intellectuelle » qu’introduit Keynes dans la vision de l’économie qui
« cesse d’être considérée comme un donné pour être appréhendée
comme un construit ». Avec l’économie désormais tournée vers
l’avenir, « la croissance, l’emploi et le pouvoir d’achat ne sont plus
compris comme des résultats et des soldes ; ils deviennent des
objectifs. D’où l’émergence de la notion de politique économique qui
traduit le projet d’un rapport volontariste à la conjoncture. […]
L’économie est perçue comme un système de variables et de flux à
optimiser. […] Elle constitue du même coup un objet pour l’action.
Toutes les variables économiques peuvent être actionnées ».
Il ajoute :
« L’“économique” et le “social” ne sont en outre plus séparés ; les deux domaines
sont totalement imbriqués l’un dans l’autre. Une nouvelle fonction apparaît ainsi
: celle de la régulation. Sa particularité est de modifier toutes les approches
antérieures de l’intervention de l’État. Elle n’est en effet ni un “domaine”
d’intervention, ni une “valeur sociale”. Or, c’est bien en ces termes que le rôle de
l’État avait toujours été discuté jusqu’en 1945. La distinction des agenda et des
non agenda obéissait à des considérations touchant à la nature, privée ou
publique, des domaines ou des problèmes envisagés (l’État doit-il intervenir dans
le domaine de la pauvreté, des transports, de l’école, etc.) ou à des principes
philosophiques (doit-il ou non, et quand, se substituer à l’individu ? S’il doit
assurer l’égalité sociale, peut-il se préoccuper de l’égalité des conditions ?) La
notion de régulation sort de ces cadres d’analyse : elle appelle fonctionnellement
l’existence d’un agent central, d’une force combinatoire qui ne peut être que
51
l’État .»
Le passage d’une conception statique et neutre à une conception
dynamique et volontariste de l’action administrative autour de la
notion de « politique économique » sonne le glas de l’hégémonie
libérale en matière de gestion des finances publiques. Elle conduit
aussi à un effacement de la distinction public/privé devant
l’extension du cadre étatique à la société entière. La CP est étrangère
à ce mouvement qui remise au second plan son système de
référence. De même est-elle étrangère au projet d’objectivation
économique du réel dont le plan comptable et la comptabilité
nationale sont l’expression naissante.

b. La comptabilité publique étrangère au projet d’objectivation


économique propre au plan comptable et à la comptabilité nationale

Paradoxalement au regard de son appellation, la Comptabilité


publique n’est pas à l’origine du plan comptable et de la comptabilité
nationale. Ces deux derniers participent d’une volonté
technocratique d’objectiver le réel afin d’en mieux prendre la
mesure dans le cadre nouveau d’une économie dirigée 52 . Inspirées
de précédents étrangers, à rebours de la distinction française entre
droits administratif et privé, ces notions sont liées par l’idée d’une
utilité commune de la comptabilité au secteur public et au secteur privé 53 ,
ce que souligne Jacques Chezleprêtre 54 qui en fut l’initiateur aux
Finances. Dans un premier temps, il s’agit moins de chercher à
appliquer ces notions nouvelles à l’État que de lui permettre un
meilleur pilotage de son action économique et d’étendre son horizon
à celui de la Nation :
« Tout dans l’économie actuelle conduit ainsi à envisager la création d’une
comptabilité uniforme, claire, précise et complète, qui dégage nettement, par
l’application de la meilleure technique comptable, la situation exacte de chaque
entreprise, et qui permette, en outre, de déterminer la situation de la profession
et, enfin, celle de l’économie nationale tout entière. Tel doit être l’objet du Plan
55
Comptable .»
S’agissant de la comptabilité nationale, Hubert Davost, inspecteur
des Finances, écrit :
« La comptabilité nationale ne doit pas être confondue avec ce qui a été jusqu’ici
la principale forme de comptabilité à l’échelon de la nation, c’est-à-dire la
comptabilité budgétaire ; elle n’en est pas une généralisation ou une extension ;
ce n’est pas l’État qui est son objet, mais l’ensemble des individus qui composent
56
la nation, plus l’État lui-même .»
Sera-t-on surpris si la CP est étrangère à un tel projet ? Que l’État
soit compris comme un agent économique à la fois acteur et
contrôleur à l’échelle de la nation, voilà qui se situe en dehors de son
objet.
En réalité, si, comme la Comptabilité publique, le plan comptable et
la comptabilité nationale invoquent la clarté, ces notions ne dirigent
guère leurs projecteurs dans la même direction. Là où la CP répand «
son éclat investigateur sur l’action incessante du pouvoir exécutif 57 » et
braque « les rayons lumineux de la méthode et de l’analyse 58 » sur
l’administration, l’organisation nationale de la comptabilité prétend
plutôt « élever haut le flambeau de nos espérances, pour bien
éclairer chacun de nous, toute la nation, jusqu’au plus lointain de l’Empire
59
». Là où le mécanisme financier public est l’instrument politique
d’un contrôle des dépenses de l’État au nom de la démocratie, le plan
comptable, « axé sur un concept économique 60 », est l’instrument
de mesure de l’activité de tous au nom de la science et de la vérité. L’une
entend mettre à la raison l’État au nom du droit, les deux autres
prétendent arraisonner le réel au nom du chiffre. Le plan comptable
et la comptabilité nationale ont l’ambition de « découvrir la vérité sur
les mécanismes économiques dont dépend la fortune des peuples 61 . »
Le pendant politique et philosophique de cet espoir scientiste est ce
que J. Anthonioz 62 appelle le développement d’un « autoritarisme
intelligent 63 » destiné à se substituer au libéralisme et à recourir
aux lois économiques comprises comme science au prix d’une
réduction de la complexité humaine. Rendre l’homme prévisible et, à
cette fin, penser son action sous l’horizon scientifique d’une
objectivation économique, tel apparaît le risque du projet lié à la
naissance du plan comptable et de la comptabilité nationale 64 .
Entre ceux-ci et la CP, non seulement l’ambition, l’objet et les
méthodes diffèrent mais voici que, dès 1945, la première apparaît
comme un obstacle au développement des deux autres.

2. La comptabilité publique, obstacle à un rapprochement de la


gestion des finances publiques avec les méthodes comptables
nouvelles ?

Dès l’après-guerre, la CP est l’enjeu d’un affrontement qui met en


cause dans le principe et sur le terrain la gestion publique des
finances publiques.

a. La comptabilité publique, obstacle de principe à l’élaboration du


plan comptable et de la comptabilité nationale ?

Ainsi que l’écrit François Bloch-Lainé, on pourrait croire que d’une


comptabilité à l’autre il se soit produit « une addition beaucoup plus
qu’une substitution ». Mais peut-on le suivre dans sa posture de
témoin lorsqu’il poursuit : « Mes camarades et moi n’éprouvions pas,
rue de Rivoli, le sentiment d’être des comptables repentants. Nous
n’avons pas cessé de compter ; nous nous sommes seulement
efforcés de compter mieux, grâce à la comptabilité économique […] »
? La réalité s’avère plus complexe : malgré le témoignage qu’il choisit
de lui opposer, Bloch-Lainé ne peut l’ignorer. Au demeurant,
évoquant le perfectionnement de la comptabilité économique auprès
du Trésor, il reconnaît lui-même que : « C’est de cette manière
calculatrice que s’est développée une “économie financière”, […], qui
corrigeait le rattachement traditionnel et fâcheux de toute l’étude
des finances publiques à celle du droit public ». Ce que Bloch-Lainé
appelle correction, M. Margairaz le qualifie de retournement. À la
différence de son préfacier, il estime que « l’essor des fonctions
économiques par rapport aux fonctions financières s’est fait au
détriment de ces dernières » et « en retournant l’état de
subordination des unes aux autres 65 ». Les promoteurs de la
comptabilité nationale et du plan comptable, qui voient dans la
Comptabilité publique un obstacle au développement de leurs
matières respectives, corroborent la position de M. Margairaz.
Devaux, du point de vue des mécanismes juridiques traditionnels du
système financier public, la conforte aussi.
Dès 1947, André Brunet 66 , inspecteur des Finances, reconnaissant «
la place grandissante qu’occupent les finances publiques dans la vie
économique de la nation » souligne que « les règles de la
comptabilité publique […] relèvent encore d’une conception
exclusivement administrative de l’État et ne permettent pas de tirer
aisément des documents officiels les éléments statistiques
nécessaires à l’information économique ». Il ajoute :
« L’établissement d’une comptabilité économique nationale implique […] une
réforme profonde de la comptabilité publique que la commission a été
logiquement conduite à souhaiter mais dont elle ne se dissimule pas les
obstacles. Modifier les règles séculaires dont certaines sont étroitement liées au droit
administratif constituera déjà une tâche fort lourde mais des difficultés encore plus
grandes s’élèveront au moment d’appliquer un système dont la mise en vigueur exigera,
67
pour être satisfaisante, une nouvelle formation des comptables publics ».
Les experts comptables évoquent, eux, les ambivalences de langage
d’une discipline à l’autre et les spécificités juridiques propres à la CP.
En 1952, Marcel Soquet 68 souligne ces difficultés :
« Même quand ces deux comptabilités emploient les mêmes mots, ils n’ont pas la
même portée pratique dans chacune d’elles. De plus, les méthodes à employer
pour atteindre un but similaire – un prix de revient par exemple – sont très
différentes car la comptabilité publique doit faire état de faits, de besoins,
d’idées, de traditions, de règlements, de lois que la comptabilité commerciale
69
peut négliger ».
Aux yeux des promoteurs de la comptabilité nationale et du plan
comptable, la comptabilité publique est une entrave à toute
homogénéisation comptable. Aussi peut-on les suspecter de marquer
une distinction entre les nouvelles formes de comptabilité et la
comptabilité publique comme on trace une ligne de front sur les
cartes où s’établissent les plans d’une bataille qu’on espère gagner au
long cours.
Devaux leur en fait grief lorsqu’il dénonce la mise en place d’une
frontière temporelle entre comptabilités publique et commerciale :
« Dans certains départements ministériels – et parmi les experts comptables
privés qui se sont beaucoup préoccupés de cette affaire – on serait enclin à
penser que la comptabilité publique est réservée à l’État, aux collectivités, aux
établissements publics “anciens”, mais que dès que l’on entre dans la zone
“moderne”, on pénètre dans le domaine de la comptabilité commerciale. Il y
aurait ainsi une opposition nette entre la comptabilité publique et la
comptabilité commerciale ».
Avec un clivage ancien/moderne, on lit l’espoir imputé par Devaux
aux tenants du « moderne » de triompher avec le temps. Quant à lui,
après avoir affirmé que « lorsque l’activité décrite est la même, la
technique comptable doit être la même », il souligne cependant que
« la comptabilité publique est devenue aussi un système juridique
“d’obligations” » dont l’enjeu est de répondre « aux nécessités d’une
coordination gouvernementale ». Tout en reconnaissant, en
principe, le caractère « erroné » d’une « distinction entre la
technique comptable du commerce et la technique comptable des
organismes publics », il affirme, en pratique :
« qu’il convient de considérer comme public tout ce qui appartient à l’État, aux
collectivités publiques et aux établissements publics traditionnels d’une part, et
d’autre part, tout secteur dont le régime juridique est encore incertain, mais qui,
n’ayant pas de propriétaire privé, doit être géré par la nation sous son contrôle
70
et à son profit ».
Derrière les positions des uns et des autres se cache la volonté
d’hégémonie de chacune des parties dont les secteurs publics et
parapublics sont l’otage. Les promoteurs du plan comptable et de la
comptabilité nationale ainsi que les experts comptables du privé
espèrent réduire les spécificités de la comptabilité publique. En
proclamant une sorte de moratoire, Devaux tente préventivement
d’étendre le champ du secteur public dans son acception la plus
large afin d’y restaurer ce qu’il appelle la position de droit, selon
laquelle « Rien de ce qui est public ne doit être soustrait aux règles
de la comptabilité publique 71 ». Il en résulte divers conflits que
recouvre celui qui oppose l’Économie nationale aux Finances dans
les années qui suivent la fin de la guerre, en particulier autour du
contrôle des entreprises nationalisées 72 .

b. Sur le terrain, le cas des entreprises publiques de l’après-guerre,


enjeu d’une guérilla entre gestion publique et gestion privée

M. Margairaz réduit la portée de ces conflits à une « querelle


bureaucratique 73 » qui apparaîtrait « bien davantage comme une
rivalité de services de corps et de personnes » plutôt que comme « un
débat de fond, d’ordre économique et financier, ou, a fortiori,
politique 74 ». Il nous semble à l’inverse que ces luttes sont
l’expression sur le terrain d’un affrontement doctrinal plus essentiel
qui concerne le climat intellectuel propre à l’action administrative
au sein des ministères économiques et financiers : celui-ci doit-il être
dominé à titre principal par les conceptions juridiques préexistantes
des textes de la comptabilité publique ou bien par les conceptions
économiques et comptables à caractère managérial qui émergent ?
Cet aspect doctrinal du débat n’échappe pas à Devaux qui écrit : « Les
transformations politiques et sociales ainsi que les conflits d’idéologie
75
ont ébranlé à plusieurs reprises les principes de la comptabilité publique
76
». Ce sont bien ces conflits qui sont en jeu lorsque Gaston Cusin
77
manifeste sa crainte que l’administration des Finances ne
parvienne à « fonctionnariser » les entreprises publiques en les «
assujettissant au contrôle tatillon inspiré de la comptabilité publique
78
». Dès octobre 1947, Cusin s’était inquiété de cette tendance : «
L’esprit même de ce contrôle n’a jamais été compris par le ministère
des Finances qui continue à rechercher les observations a priori
suivant des procédés budgétaires, alors que les entreprises
nationalisées doivent être gérées comme des entreprises
commerciales 79 . » Il récidive un an plus tard pour le Comité
économique interministériel (CEI) lorsqu’il écrit :
« on doit à tout prix éviter de stériliser les entreprises nationalisées par
l’application de règles de comptabilité publique et rechercher, au contraire, leur
rentabilité, que la comptabilité commerciale permet seule d’apprécier. Ce sont
donc les méthodes qui prévalent dans les entreprises privées qui doivent être
80
appliquées ».
Aux craintes de Cusin répondent les inquiétudes rétrospectives de
Devaux à propos de ce qu’il appelle « les tendances centrifuges dans
les créations administratives de la libération. »
Au nom des principes de la CP, il défend la position des Finances
qu’incrimine Cusin. Évoquant ce qu’il appelle « une sorte de crise
psychologique dans la plupart des secteurs publics », Devaux pose
son diagnostic :
« D’abord une curieuse psychose à laquelle on peut donner le nom de complexe
d’étatisme. Par application des lois de nationalisation et des lois sur les profits
illicites, de multiples entreprises privées de grande valeur touchant à toutes les
zones d’activité, étaient confiées à des administrateurs qui n’étaient pas préparés
à cette tâche. Or il y avait eu, dans le passé, des expériences de nationalisation
qui avaient acquis une fort mauvaise réputation. Des campagnes qui n’étaient pas
toujours désintéressées avaient tenté de démontrer qu’un fonctionnaire accablé
par la routine est incapable de gérer correctement une entreprise. Le souci
dominant de tous ceux qui, en 1945 et 1946, au nom de la puissance publique, se
voyaient chargés de la direction d’une industrie ou d’un commerce, était donc de
se comporter “comme un patron privé”. Chacun accomplissait des efforts
consciencieux pour ne pas modifier l’organisation interne du mécanisme qui lui
était confié, sans se rendre compte que la situation n’était plus du tout la même,
que l’État ne pouvait se fier comme un patron au critère du profit et du
rendement, et que l’abolition du contrôle des actionnaires ne laissait subsister
aucun contrôle. Ainsi, par une de ces contradictions dont l’histoire a donné
d’autres exemples, cette époque qui fut celle du dirigisme et des nationalisations, a
81
révéré les méthodes “privées”, au point d’en faire une sorte d’idéal ».
Évoquant les entreprises publiques créées à la Libération comme
l’une des manifestations de « l’éclatement des règles de la
comptabilité publique », Devaux précise sa lecture des faits :
« …dans le climat de la libération, il ne fut même pas question pour la rue de
Rivoli de livrer une bataille en retraite contre les “entreprises publiques”. Toutes
les règles traditionnelles […] furent purement et simplement ignorées. Le modèle choisi
fut celui de la gestion privée sous la forme “capitaliste” la plus classique. Les
présidents et les présidents-directeurs généraux prirent place dans les fauteuils
des anciens “patrons”, libres d’organiser et de diriger à peu près à leur
convenance tous leurs services et de présenter leurs opérations financières
comme ils voulaient, sous le contrôle de conseils d’administration où leur propre
personnel était fortement représenté et de commissaires aux comptes privés,
nommés et appointés par eux. La surveillance des actionnaires fut remplacée par
une tutelle dont les limites étaient très mal définies et qui était exercée à la fois
par un ministère technique et par des contrôleurs, dépendant du seul nouveau
département de l’Économie nationale […]. Tout se passa comme si l’on avait
voulu systématiquement créer à côté de l’État une puissante féodalité de techniciens
dont l’indépendance à l’égard du pouvoir central était beaucoup plus marquée
que celles des collectivités locales à caractère politique. Aussi bien certains
“nationalisés” n’hésitèrent pas à contester toute allégeance à l’égard du pouvoir
82
central, observant qu’ils n’appartenaient pas à l’État, mais “à la nation” ».
Les termes du conflit sont clairement posés. Là où Cusin redoute
l’application des règles de la Comptabilité publique, Devaux s’effraie
de leur absence. Sauf à le considérer préoccupé d’ambitions
personnelles ou corporatives qu’il couvrirait d’idées générales, nous
sommes bien en présence d’un débat de fond. Celui-ci porte sur la
frontière entre secteurs public et privé en matière de gestion des
finances publiques après 1945. Plus profondément, il porte sur
l’existence et la légitimité ou non d’une distinction de méthodes de
gestion selon qu’elles s’appliquent à l’un ou à l’autre secteur 83 .
À l’heure où le débat s’estompe car l’histoire semble avoir tranché, il
n’est pas inutile d’en comprendre les termes à la lumière du point de
vue surtout juridique que Devaux, fort de son expérience et de ses
convictions, développe dans son livre en 1957.

II. La comptabilité publique de Gilbert Devaux,


ou la volonté de réinscrire la gestion des
finances publiques dans une dynamique
historique à dominante juridique
Vues d’aujourd’hui, les positions de l’auteur paraissent plutôt
rétrogrades. Les évolutions intervenues dans le sens d’une
intégration au sein du secteur public des méthodes de gestion du
privé rendent en partie obsolètes ses conceptions. Au regard des
conséquences de la révolution keynésienne sur le dernier demi-
siècle et du développement des méthodes de gestion du privé au sein
de l’État, il semble aujourd’hui difficile de le suivre sur certaines de
ses analyses. On se tromperait toutefois en faisant de Devaux un
réactionnaire en décalage avec son temps. Ses écrits se comprennent
plutôt à l’aune de la vision qu’il porte en lui dans un contexte
mouvant sur lequel il espère peser. Alors que cela parait encore
possible, Devaux souhaite engager le système financier public sur la
voie d’une restauration et d’un perfectionnement juridiques que
l’histoire, à ce jour, a invalidés. Cette ambition est moins vaine qu’il
n’y paraît. Elle est la marque de la lucidité de l’auteur de La
comptabilité publique sur la tendance historique qui s’empare de son
époque et qu’il entend combattre sur différents points. Preuve en est
la convergence de ses vues avec le récit rétrospectif par P. Legendre
de l’évolution du rapport de l’administration au droit après 1945. La
vision globale et refroidie de l’historien rencontre le diagnostic à
chaud du praticien 84 . La date charnière que donne P. Legendre
lorsqu’il écrit : « 1950, date symbolique : clôture de l’après-guerre,
imminence du déferlement gestionnaire 85 » coïncide avec celle où
Devaux entame un combat préventif contre des orientations qu’il
voit se profiler et qu’il désapprouve. Fidèle à la tradition qu’occulte
un nouvel état d’esprit, l’auteur, lorsqu’il rédige La comptabilité
publique, est à la recherche d’un souffle nouveau pour son
administration.
Décrivant l’intimité méconnue entre les règles de la gestion des
finances publiques, les agents qu’elles concernent et la société
française, Devaux s’engage dans la réforme du régime des
responsabilités qui régit ces règles.

A. Les intentions de Gilbert Devaux : décrire la gestion


des finances publiques dans ses liens avec la société

La comptabilité publique apparaît comme un document hybride à mi-


chemin entre l’analyse objective et l’« opinion de l’auteur ». Aussi
appartient-il au chercheur de discerner ses intentions telles qu’elles
transpirent de son livre pour mieux rendre justice à l’éclairage
intérieur qu’il offre de la machine administrative financière ainsi
qu’aux interactions qu’il souligne entre celle-ci et la société
française.
1. Les intentions de l’auteur cristallisées autour de la
préservation et de la réforme du système financier public
traditionnel

Dans ses intentions comme dans son ton, l’ouvrage de Devaux relève
de la pédagogie, de l’apologie parfois polémique et du témoignage
autour de la préservation et de la réforme du système financier
public hérité de la Restauration.

a. L’intention pédagogique marquée par le souci d’envisager la


comptabilité publique dans son acception la plus large

L’origine du livre est un cours dispensé à l’ENA entre 1955 et 1960.


Seul le tome I sur Les principes est paru. Le second, Les modalités
d’application, n’a pas été publié. Du cours, l’ouvrage conserve la
vivacité de l’oral tempérée par les exigences de l’écrit. L’auteur
s’efforce de rendre intime à son auditoire un sujet a priori aride. Les
exemples, les références historiques et les comparaisons abondent.
Signalons en particulier les métaphores qu’il établit entre
organisation administrative et organisme vivant au point que le
vocabulaire médical jalonne l’ouvrage et que ses analyses prennent
souvent le ton d’un diagnostic. À la dimension du « vivant » au sein
de l’administration, Devaux ajoute une vision synthétique et
générale de son sujet. Il conçoit son enseignement comme « un choix
limité de commentaires et d’exemples destinés à faire comprendre
l’esprit d’une science et d’une technique ». Il précise : « Les règles de
la comptabilité publique constituent une sorte de droit commun,
suivi non seulement au ministère des Finances, à la Cour des
comptes et au Conseil d’État, mais aussi dans toutes les grandes
administrations 86 ». C’est à une exploration transversale et
générale des modalités de l’action administrative par le biais de la
gestion des finances publiques qu’il convie ses auditeurs.
Comparant le cours dispensé par Devaux à ceux qui l’ont précédé et
succédé, on mesure mieux son ambition. L’enseignement de Pierre
Allix 87 en 1944 est essentiellement descriptif. Ses convictions
apparaissent peu, non plus que la dimension sociologique de la
comptabilité publique. De même, le livre ultérieurement publié par
Michel Prada et André Sonrier 88 s’attache surtout aux aspects
techniques et fonctionnels de la comptabilité publique stricto sensu.
Comme en réaction aux visions générales et panoramiques
développées par Devaux, il s’abstient sur les liens entre gestion des
finances publiques et société tels que l’auteur de La comptabilité
publique tente de les établir. Aussi peut-on dire que le cours de
Devaux est plus qu’un cours : dépassant ses intentions pédagogiques,
il se veut un ouvrage de science administrative inscrit dans une
tranche d’histoire administrative telle que l’auteur l’interprète. C’est
également à la défense et à l’illustration d’une certaine conception
de la gestion des finances publiques qu’il se livre, en sorte que ni
l’intention apologétique, ni la polémique ne sont absentes de La
comptabilité publique.

b. L’intention apologétique : entre plaidoyer et polémique

Le souci d’apologie, chez Devaux, est triple. Il concerne d’abord la


réforme qu’il a tentée par les décrets-lois des 9 août et 30 septembre
1953. Il y fait maintes allusions. Derrière le ton neutre avec lequel il
s’y réfère 89 perce la volonté de faire triompher au nom de
l’administration entière l’œuvre codificatrice personnelle que porte
seul un haut fonctionnaire décisionnaire 90 . Pourtant, en dépit des
efforts de l’auteur et de l’exégèse à laquelle il se livre de sa réforme,
les décrets-lois de 1953 n’aboutissent pas et sont abrogés en 1963.
Fondement d’un pan entier de son analyse, ces textes sans
lendemain donnent, vus d’aujourd’hui, un aspect fictif à une part de
sa démonstration. Celui-ci, joint à l’indéniable attachement de
Devaux à son code, dont on trouve encore la trace vingt-cinq ans
plus tard 91 , conditionne la lecture de l’ouvrage.
Au-delà de la volonté d’inscrire sa réforme dans la réalité
administrative de son temps, le souci d’apologie de l’auteur concerne
plus largement la défense de la comptabilité publique comme
système et comme administration. Les mots employés sont
révélateurs. « Donjon », « muraille » et « forteresse » pour évoquer
Rivoli, « assaut », « défense en profondeur », « tactique du
grignotage », « guerre des contreseings » pour évoquer la position et
la stratégie des Finances dans les années 1950, sont des expressions
que l’on trouve au fil du texte 92 . Elles reviennent sous la plume de
l’auteur en particulier lorsqu’il plaide en faveur du maintien et de la
rénovation du mécanisme financier hérité du XIXe siècle. Par ailleurs
soucieux, comme tout directeur, d’agrandir son pré carré, il s’en
prend, sous couvert d’idées plus générales, à la légitimité du
rattachement de tel ou tel service à une direction voisine. Il en est
ainsi par exemple des contrôleurs des dépenses engagées dont le
rôle, estime-t-il, devrait incomber aux comptables et revenir à la CP
plutôt qu’au Budget 93 . Faire abstraction des luttes entre
administrations qui transpirent de l’ouvrage de Devaux, ce serait
occulter un des aspects qui biaisent parfois l’objectivité de son
discours.
Enfin par-delà ces deux premiers cercles, il se livre à la défense d’une
conception publique de la gestion des finances publiques qui s’inscrit
dans la tradition française d’un droit administratif exorbitant du
droit commun. Ainsi en est-il des règles de non-affectation des fonds
et d’unité de trésorerie dont il souligne qu’elles sont « très
particulière[s] au droit public français 94 » et dont il cherche à
préserver l’intégrité 95 . Pourtant, le recours à la doctrine juridique
et administrative traditionnelle, marginalisé par la conversion
décrite par M. Margairaz, ne suffit plus à abriter le point de vue qu’il
défend. Il ne peut plus se réclamer de la seule force de la tradition
comme d’une évidence à l’abri de laquelle il chercherait à
promouvoir sa réforme et ses conceptions dans la quiétude de
l’anonymat. Aussi n’hésite-t-il pas à sortir du bois et à monter lui-
même au créneau. De même, conscient de la fragilité nouvelle du
point de vue « comptabilité publique », il renonce à l’argument
d’autorité 96 . Enfin, c’est bien comme héraut ultime d’une
conception traditionnelle de la gestion des finances publiques qu’en
définitive il conclut sa préface :
« Certains diront [que la conception de l’État que je défends] n’est pas
nécessairement la meilleure. Je répondrai seulement qu’elle continue à exercer
une influence considérable sur l’évolution des affaires publiques. On peut
97
l’accepter ou la combattre ; on n’a pas le droit de l’ignorer ».
À l’isolement relatif de son point de vue s’ajoute parfois de l’humeur
devant l’évolution du système financier public. C’est le cas lorsqu’il
évoque le risque que fait courir à la cohérence de la gestion des
finances publiques la multiplication d’opérations exécutées pour le
compte de l’État qui tendent à échapper à toute responsabilité
ministérielle ou sanction juridictionnelle 98 . Cette irritation a pour
corollaire une tendance inverse à magnifier le système financier
public traditionnel au risque d’offrir parfois une vision fantasmée de
la CP. Ainsi peut-on se demander s’il n’y a pas une part d’idéalisme
où « le fictif saisit le vif 99 », lorsqu’il écrit :
« La mission principale des services du Trésor consiste à diffuser dans la vie
locale l’esprit de la rue de Rivoli, sous son aspect le plus général, avec tout ce
qu’il comporte de bonne volonté, de sens pratique, d’expérience humaine et de
100
défense passionnée d’un idéal collectif ».
À ce prisme apologétique teinté de polémique s’ajoutent les postures
successives de Devaux en tant qu’auteur-témoin.

c. L’intention testimoniale marquée par les postures successives du


témoin

Même s’il avertit le lecteur lorsqu’il écrit « Les idées que j’énonce
sans aucune prétention d’expert sont simplement celles que je crois
bonnes », Devaux ne manque pas de rattacher celles-ci : « à une
certaine conception de l’État que l’administration des Finances
persiste à défendre avec passion ». Aussi n’est-il guère aisé de
démêler ce qui ressort des convictions de l’auteur de ce qui est
imputable à un corps de doctrine issu de la tradition, des usages et
des règles de droit. La volonté de convaincre, la « passion » imputée
à la rue de Rivoli mais qu’assurément Devaux partage, jointes à sa
formation intellectuelle d’inspecteur des Finances brouillent les
pistes. L’aspect « témoignage » de l’ouvrage peut disparaître aux
yeux du lecteur derrière une rhétorique brillante et séduisante,
caractéristique de l’Inspection des finances, dont il est parfois
difficile de se déprendre. Il en va ainsi du chapitre V intitulé «
L’évolution moderne et “les brèches dans la muraille” » qui porte sur
la période 1945-1956. Celle-ci est décrite en deux temps. Le premier,
qualifié de « mouvement centrifuge », court de 1945 à 1947. Le
second, intitulé « La réaction centripète », s’étend de 1948 à 1956. La
position de Devaux diffère selon qu’il évoque le premier ou le second
de ces deux moments. Dans un cas, sa réintégration dans les cadres
de l’inspection n’intervenant qu’en 1947, il est simple observateur.
Dans le second il est acteur à part entière au sein, puis à la tête de la
direction de la CP. Sans doute cette différence de posture explique-t-
elle le caractère démonstratif très rhétorique de la description du «
mouvement centrifuge » et l’aspect plus pragmatique et hésitant que
prend « la réaction centripète ». L’une est le fait du témoin-
observateur, l’autre du témoin-acteur. Ajoutons que, publié au
moment où il arrive à la direction du Budget, le tome I de La
comptabilité publique peut aussi être compris comme le testament de
son auteur 101 . Quoi qu’il en soit, témoin fiable et informé, Devaux
permet au chercheur d’appréhender un point de vue occulté par les
nécessités de l’époque, par la conversion doctrinale des esprits et par
le développement d’une figure de l’État désormais tournée vers
l’intervention économique. Sans doute est-ce pourquoi il a tenté
d’élargir l’horizon de la comptabilité publique en l’inscrivant dans sa
dimension historique et en la rattachant à l’ensemble du corps
social, soit qu’elle en soit le produit, soit qu’elle l’influence.

2. Gilbert Devaux, les sciences humaines et la gestion des


finances publiques

Décrivant les mécanismes de la CP, Devaux ne se situe pas d’abord


sur les plans techniques, chiffrés, comptables, financiers et
économiques. Il envisage d’abord le système financier public sous
l’angle du droit, de l’organisation administrative, des états d’esprit
qui l’animent et des traditions qui l’imprègnent. Les analyses
historiques qu’il tente, l’approche psychologique et sociologique de
la comptabilité publique qu’il esquisse et les comparaisons avec
l’étranger qu’il suggère sont autant de points de vue que le
chercheur peut partager et constituent autant de pistes qu’il peut
prolonger.

a. La dimension historique des analyses de Gilbert Devaux

L’histoire est singulièrement présente dans La comptabilité publique.


Elle l’est, non pas pour décrire le passé, mais pour expliquer le
présent. Devaux cherche à montrer dans quelle dynamique se trouve
inscrite la gestion des finances publiques lorsqu’il rédige son
ouvrage. À cette fin, il propose l’histoire comme siège d’un
déterminisme indépassable pour le présent, il se réfère à Toynbee
pour rechercher les logiques historiques propres à l’organisation de
la gestion des finances publiques, il se lance enfin, sur la période
1945-1956, dans ce qu’il appelle « l’exposé d’une tranche récente
d’histoire administrative ». Il prend argument du passé pour
affirmer le caractère définitif de la centralisation au nom de son
ancienneté même. Ainsi écrit-il : « Nous avons en France [les
administrations de Richelieu, de Louis XIV et de Napoléon].
Perfectionnée toujours dans le même sens, c’est l’organisation très
centralisée, très spécialisée d’un État autoritaire… » Il ajoute plus
loin : « La route de la centralisation ne peut d’ailleurs être parcourue
dans les deux sens ». Il précise encore, comme une donnée
indépassable de l’histoire, cet effet « cliquet », lié selon lui à toute
tradition centralisatrice : « …la centralisation [correspond à une
évolution naturelle] ; elle est une condition indispensable du
progrès, et lorsqu’elle a été faite il n’est pas concevable de revenir en
arrière – pas plus qu’il ne serait concevable de rajeunir un être vivant
102
». La centralisation de l’administration française est, selon lui, le
cadre inaltérable dans lequel est appelée à se déployer la gestion des
finances publiques. Notons que ces références à l’histoire ne sont pas
exemptes d’une révérence de principe envers le passé et que,
risquant de le mythifier, elles participent à l’intention apologétique
du livre.
Dans le même esprit de continuité, Devaux trouve chez Toynbee le
processus selon lequel s’est créé le Trésor, en l’occurrence par
l’application constante des règles de la CP. Il cite la remarque de
l’historien pour qui :
« chaque fois qu’une société […] se trouve en présence d’un problème, et trouve
en elle le dynamisme nécessaire pour le résoudre, l’effort qu’elle accomplit la
transporte très au-delà de l’obstacle qu’elle a voulu franchir et la place en
présence d’un nouveau problème ».
Il transpose cette grille explicative à l’histoire française de la gestion
des finances publiques : « C’est sans doute ce qui s’est produit
lorsque l’État français a créé “le Trésor” sans s’en apercevoir. Il y a
un peu plus de cent ans, la comptabilité publique s’est attaquée à ce
qui paraissait alors son objet essentiel : le contrôle de la caisse.
Quand elle a résolu ce problème très particulier, elle s’est trouvée
transportée presque miraculeusement au milieu d’un immense
domaine : celui de “l’organisation administrative” des finances
publiques. Et quand l’administration des Finances tout entière s’est
délibérément attaquée à ce nouveau problème, elle a vu surgir
devant elle une institution très originale qui a fini par dominer
l’évolution financière de la France du XXe siècle et que personne […]
n’avait jamais prévue. En vérité la rue de Rivoli n’a rien fait d’autre
qu’appliquer avec beaucoup de continuité les principes [de la
comptabilité publique] 103 ».
Il y a là un effort, stimulant pour le chercheur, de retour aux sources
d’un système qui, après 1945, paraît à bout de souffle 104 .
L’histoire est également présente à travers de multiples références
aux évolutions récentes qui mettraient en péril les acquis antérieurs.
Il mentionne divers épisodes qui ont pu menacer le mécanisme
financier public traditionnel : projet de réforme de 1947 tendant à «
supprimer les comptables eux-mêmes », au profit des guichets des
postes et des banques nationalisés ; offensive de 1952 en faveur des
ordonnateurs, « inspirée par une renaissance des idées
napoléoniennes sur la hiérarchie 105 » dont les bénéficiaires eussent
été les préfets aux dépens des comptables. Plus généralement, il
imprime à son dernier chapitre la forme d’une démonstration
historique qui relève, il le note lui-même, de l’interprétation
personnelle. Il découvre alors au lecteur l’aspect négatif, sur le plan
juridique de la doctrine financière publique, de l’effort de
reconstruction puis de l’extension de l’État à l’économie entière. Si la
démonstration s’avère convaincante, elle est sélective par les points
d’appui qu’elle choisit et mérite d’être confrontée à une vision plus
globale de l’histoire. Cet aspect historique de l’ouvrage se double
d’une ébauche de « sociologie financière » qui, quoique
embryonnaire, livre d’autres éclairages.

b. Pour une sociologie de la comptabilité publique selon Gilbert


Devaux

« Rien n’est plus étranger au système français que l’aveuglement


mécanique d’une machine déracinée de la vie sociale.
L’administration en France […] s’inscrit magistralement dans l’ordre
de la signification, au sens de l’authentification culturelle d’un
peuple 106 » écrit P. Legendre. Devaux, quant à lui, évoque les «
règles de la comptabilité publique qui sont un des éléments de
l’équilibre de nos institutions » et dont il souhaite aborder « …
quelques aspects moins connus […] qui [les] rattachent à notre
organisation monétaire, économique et politique 107 ». Ces aspects
moins connus, qu’il érige de fait en spécificités culturelles
nationales, relèvent à la fois de la psychologie et de la sociologie
administratives.
Devaux recourt fréquemment à un vocabulaire où transpire
l’importance qu’il accorde à la dimension psychologique des règles
de la comptabilité publique 108 . Aussi trouve-t-on sous sa plume
nombre d’expressions inattendues, s’agissant de finances publiques :
conscience professionnelle des administrateurs, comportement
psychologique des comptables, complexe de culpabilité de l’État,
démoralisation, examen de conscience, psychologie du chef de
service, bonne conscience des fonctionnaires, mentalités de
contradicteurs des spécialistes, crise psychologique et même
psychose des secteurs publics, aspect psychologique de notre
organisation administrative, etc. 109 . Et lorsqu’il écrit « Ce n’est pas
seulement le mécanisme qui est précieux, mais aussi l’état d’esprit
des mécaniciens 110 », Devaux rappelle combien, derrière
l’apparence lisse et ordonnée de la gestion des finances publiques, il
y a d’abord des hommes avec leur culture, leur expérience et leurs
passions 111 . C’est sur ce plan psychologique que la comptabilité
publique oriente d’abord la gestion des finances publiques à travers
deux spécificités essentielles : la cristallisation originelle de la
réglementation autour de la « caisse » et la responsabilité
personnelle et pécuniaire du comptable.
Une certaine « mystique de la caisse » détermine la gestion des
finances publiques en France. Si Devaux reconnaît que « l’idée
centrale de la défense de la caisse, après avoir permis de construire
une réglementation très ample, est devenue elle-même trop étriquée
112
», il en réaffirme l’importance lorsqu’il écrit : « Le lien
psychologique traditionnel entre la garde de la caisse et la
surveillance de la régularité est en vérité une force considérable
dont les autres nations modernes sont peut-être dépourvues mais
que la France devrait être satisfaite de posséder 113 ». Cette
importance de la caisse est indissociable du principe de la
responsabilité personnelle et pécuniaire des comptables dont les
conséquences juridiques et psychologiques donnent aussi son tour
particulier à la gestion des finances publiques. Liant celle-ci à la
fortune du comptable public, une telle responsabilité est à la source
de l’impact sociologique de la CP. Rappelant que « la sauvegarde de
la caisse [a historiquement imposé] le maintien d’une responsabilité
personnelle et pécuniaire », Devaux en livre la portée lorsqu’il
précise « Toutes les fois qu’un comptable effectue une opération
irrégulière [y compris sur ordre d’autrui], il doit rembourser le
montant de la somme que la collectivité a perdu du fait de cette
irrégularité 114 ». Craignant que l’argent public ne soit détourné à
des fins privées, l’administration a choisi, avec la responsabilité
personnelle et pécunaire du comptable, d’assujettir les intérêts
privés de celui-ci à l’intérêt public, en sorte que la gestion des
finances publiques s’étend à la sphère privée de ses biens. C’est sur le
ressort psychologique 115 de cette responsabilité pour soi et pour
autrui, simultanément comprise comme le fondement de
l’indépendance du comptable 116 , que repose une des dimensions
sociologiques de la CP.
Celles-ci sont présentes, bien que peu développées, dans les analyses
de l’auteur. Ainsi écrit-il à propos des mises en cause de la
centralisation : « Rompre l’unité du Trésor ne conduirait pas à un
système financier à caractère fédéral […] mais à la multiplication de
féodalités ayant perdu le sens d’un intérêt commun. C’est une loi
sociologique dont nous reparlerons 117 ». De même annonce-t-il en
introduction : « Je voudrais […] convaincre [le lecteur] que les
rouages [du mécanisme de la comptabilité publique] ne sont pas
aussi complexes qu’ils peuvent le paraître et qu’ils sont intimement
liés au fonctionnement de notre société », à la suite de quoi il se
propose d’examiner « le rôle des règles de la comptabilité publique
dans l’organisation administrative française 118 ». Enfin, plus
généralement, il écrit :
« Les principes de la comptabilité publique ont […] exercé une influence
profonde sur les structures mêmes de la France. Ils ont abouti à la création d’une
institution originale : le Trésor dont le rôle économique et monétaire ignoré du grand
public est devenu un élément essentiel de l’évolution de notre pays. […]
Inversement, les transformations politiques et sociales ainsi que les conflits
d’idéologie ont ébranlé à plusieurs reprises les principes de la comptabilité publique.
Dans une très large mesure, les mécanismes financiers qui obéissent à ces
principes sont liés à la conception d’un État centralisé dont l’autorité repose sur le Droit
119
».
Toutefois, les liens qu’il annonce entre comptabilité publique et
corps social demeurent un aspect périphérique de son analyse que le
chercheur pourra creuser 120 . Ainsi en est-il de son approche de
l’administration française qu’il résume sommairement :
« L’administration française est par essence l’administration d’une dictature. […].
Elle a le dynamisme, la continuité, la discipline, la force d’une administration
d’empire. Elle donne souvent l’impression d’un encadrement militaire. Les
visiteurs étrangers qui parcourent les couloirs de nos ministères sont
extrêmement troublés quand ils voient les fonctionnaires se mettre au garde-à-
121
vous les uns devant les autres et appeler leurs supérieurs par leurs titres ».
De même peut-on prolonger l’intuition selon laquelle le principe de
non-affectation des fonds correspond au désir de s’opposer à un trait
de la mentalité française :
« La France, écrit-il, sans doute en raison de ses traditions paysannes et de son
goût des privilèges, a la manie des affectations. […] Elles aboutissent à créer de
petits organismes autonomes à l’intérieur de l’État et des collectivités. Elles sont
fréquemment des manifestations d’intérêts particuliers qui se désolidarisent de
122
la communauté ».
Pour le reste, constatons qu’il traite plus des phénomènes qui
tendent « à ébranler les principes de la comptabilité publique » que
de « l’influence profonde [de ces principes] sur les structures mêmes
de la France ». Il y aurait pourtant un travail à mener, notamment, à
propos des retombées sur la société du primat accordé par la
comptabilité publique à la notion de caisse, à la fonction de caissier
123
et au souci obsidional d’exactitude qui les caractérise 124 . Plus
généralement on pourrait s’interroger sur la portée des notions de
centralisation et de légitimation de l’emploi de l’argent public par le
droit au nom de la limitation de l’administration par elle-même.
Autant de pistes qui peuvent nourrir la sociologie financière en
France 125 et qui dépassent le propos de Devaux. Celui-ci, toutefois,
ouvre d’autres champs de réflexion importants, à caractère
sociologique également, dans la comparaison qu’il établit entre les
systèmes français et étrangers, en particulier anglo-saxons.

c. Une approche sociologique à la faveur de comparaisons avec les


systèmes étrangers

C’est à la faveur des parallèles qu’il tente avec les systèmes


financiers étrangers, notamment anglais, que la réflexion
sociologique de Devaux paraît la plus poussée. Il en est ainsi de deux
paragraphes intitulés « Les principaux arguments contre le Trésor
français » et « Réponses à ces arguments ».
« La plupart des critiques formulées contre le Trésor, écrit-il, proviennent du fait
que cette institution, spécifiquement française et découlant du caractère
centralisé de nos administrations, n’a pas d’équivalent dans les systèmes
126
financiers inspirés par les doctrines anglo-saxonnes .»
Suivent une série de considérations sur la question de savoir si en
France c’est « l’État qui, intervenant prématurément, a tué
l’initiative privée » ou si au contraire c’est celui-ci qui « a dû
assumer des fonctions qui n’étaient assumées par personne 127 ». Le
parallèle entre système français et étranger revient à plusieurs
reprises dans l’ouvrage, mais c’est à propos du contrôle qu’apparaît le
mieux la spécificité nationale.
« Ce qui distingue le système français des systèmes étrangers ce n’est pas
l’existence d’une réglementation, c’est la sanction de cette réglementation qui n’est
pas (comme en droit pénal) une menace de peine, mais un obstacle préventif à
l’infraction. Celui qui veut déroger à une règle pénale de droit commun peut le
faire à ses risques et périls ; c’est ensuite qu’il en résulte une conséquence
fâcheuse. Tel n’est pas le cas dans le domaine administratif : si quelqu’un cesse
d’appliquer la règle, la machine financière ne fonctionne pas ; on ne le laisse pas
déroger. Nulle part à ma connaissance, ce principe du contrôle a priori de la
régularité n’est appliqué d’une façon aussi systématique à l’ensemble du secteur
public. Pourquoi les Français témoignent-ils d’une méfiance exceptionnelle à
l’égard de leurs administrateurs ? Je crois que cette différence de traitement
s’explique si l’on admet que le système administratif français n’est pas le même que
celui qui est appliqué dans les pays anglo-saxons et qu’entre les deux systèmes il n’y a pas
128
seulement une simple différence de degré, mais une différence de nature ».
Devaux présente ainsi les raisons de cette méfiance de
l’administration envers ses propres agents :
« Aussi bien chacun sait que [le] problème du respect de la loi est plus grave en
France qu’ailleurs. On a souvent prétendu que, par tempérament, les Français
cherchent à violer la règle. D’une façon générale cette appréciation ne me paraît
pas fondée. Les Français ont l’habitude d’obéir aux pouvoirs publics, lorsque
ceux-ci formulent des ordres clairs assortis de sanctions mesurées. Quant aux
ministres et aux parlementaires, qui sont juristes pour la plupart, ils éprouvent
un respect naturel du texte écrit et de la procédure. Ceux qui, en France, seraient
volontiers enclins à ne pas tenir compte de la loi […] ce sont les fonctionnaires.
Ils ont bonne conscience car leur action est désintéressée. Ils n’ont pas peur du
gendarme car ils commandent les gendarmes. Ils n’ont pas l’idolâtrie des textes
129
car ce sont eux qui préparent les textes et qui les modifient ».
Prolongeons l’analyse et risquons une hypothèse : si l’administrateur
est a priori suspect au système financier public, n’est-ce pas lié aussi
à la logique de l’honneur décrite par Philippe d’Iribarne lorsqu’il
caractérise le tempérament français ? Rétif à la fixation d’objectifs,
l’administrateur se sent commis par son état à des responsabilités qu’il
entend assumer « sans attendre qu’une autorité quelconque l’en ait
chargé » au nom même du caractère désintéressé de son action 130 .
Dès lors, le risque de l’administration est moins de manquer ses
objectifs que de les outrepasser. Le contrôle a priori institué par les
règles de la CP se justifie alors d’autant mieux : « contrepoison » des
effets de la logique de l’honneur sur l’administrateur, il a pour but de
ne pas « le laisser déroger ». Aussi, ne nous y trompons pas : lorsque
Devaux souligne la liberté individuelle du chef dans l’administration
française par rapport à la tendance nouvelle, qu’il réprouve, à
s’inspirer du système anglo-saxon, rappelons-nous que cette liberté
s’exerce dans un climat de défiance 131 largement issu des règles de la
CP 132 . C’est ainsi qu’il faut entendre son propos lorsqu’il écrit :
« Traditionnellement, depuis un siècle, en dehors des ordres qu’il recevait de son
supérieur hiérarchique, le chef ne connaissait qu’une seule limite claire à son
action : c’était la machine financière qui refusait de fonctionner dès qu’il essayait
133
de ne plus agir “régulièrement” ».
En définitive, les convictions qu’affiche Devaux ne sont pas d’abord
au service de manœuvres tactiques. Elles relèvent surtout de la
doctrine. Il n’empêche que, acteur engagé dans les joutes entre
directions et dans la réalisation de ses ambitions, il imprime à son
ouvrage le prisme déformant du contexte où il se trouve pris. Il
marque ainsi les limites que connaît un administrateur lorsqu’il
cherche à penser l’organisation dont il est partie prenante.
Simultanément, acteur de l’histoire des administrations qu’il dirige,
Devaux est aussi le témoin ultime d’un esprit « comptabilité
publique » passé au second plan. L’intérêt de son ouvrage est d’en
livrer au chercheur une analyse minutieuse à travers le point de vue
depuis lequel il s’exprime et l’horizon qu’il donne à voir. Se situant
fréquemment sur un plan historique, il rappelle à ses lecteurs les
déterminations du passé dans le présent. Surtout, la notion de
défiance, dont il montre incidemment qu’elle est une caractéristique
sociologique majeure de la gestion française des finances publiques,
est à la racine du point de vue juridique qui domine son analyse.
Celle-ci permet de mieux saisir les interactions toujours présentes
entre les dimensions culturelles propres à la France en matière de
finances publiques et l’évolution des normes et des pratiques
inhérentes au système financier public français. Elle ouvre une piste
de recherche sur l’emprise des rouages de la comptabilité publique
sur la société. Elle éclaire aussi l’ambition codificatrice qu’il
manifeste dans La comptabilité publique.

B. L’ambition réformatrice et codificatrice de Gilbert


Devaux en matière de gestion des finances publiques

Le droit public financier est le point d’appui essentiel de la pensée de


Devaux. Celui-ci se sent l’héritier de la conception française de «
séparation de deux univers distincts : celui de l’État et celui des
citoyens ». Il se reconnaît dans le fonctionnement traditionnel de la
bureaucratie française « selon un découpage des normes où
l’historien ne tarde pas à reconnaître le jeu complexe de la
distinction droit public/privé 134 ». Devaux cherche à perpétuer en
la renouvelant cette tradition juridique d’une sphère publique
spécifique en matière de gestion financière. Les conditions de
réalisation et la visée de son ambition codificatrice méritent d’être
présentées autant que son contenu.

1. Les conditions de réalisation et la visée de l’ambition


codificatrice de Gilbert Devaux : le souci de continuité

« L’institution est une organisation parvenue à se dépasser en


accédant à la permanence et en bénéficiant de la reconnaissance du
groupe » écrit J. Caillosse 135 . La CP, depuis la Restauration, répond
pleinement à cette définition. En 1953, pourtant, la permanence de
ses principes est battue en brèche et elle a commencé à perdre « la
reconnaissance du groupe 136 » dont elle bénéficiait sous l’ère
libérale. C’est notamment à ce double déficit de permanence et de
reconnaissance que Devaux entend remédier par les textes qu’il
rédige. En dépit des obstacles qui se présentent, il envisage son code
comme un retour aux sources capable de faire évoluer la CP
conformément à sa spécificité.

a. Les obstacles à l’ambition codificatrice de Gilbert Devaux :


l’accélération de l’histoire jointe à une réglementation éparse et
coutumière

« Pour tenir contre le temps qui toujours travaille à la corrompre,


l’institution pousse à la production de droit et sollicite l’État en ce
sens », rappelle J. Caillosse 137 . L’action codificatrice de Devaux, qui
débouche sur les décrets-lois des 9 août et 30 septembre 1953, est
exemplaire de ce constat. Elle ne consiste toutefois pas à ajouter une
couche supplémentaire à un millefeuille juridique composé de
strates pluriséculaires ; elle ne s’assimile pas non plus à une ultime
compilation. L’ambition de l’auteur est plutôt de reprendre à
nouveaux frais la réglementation existante en s’efforçant de
l’adapter à un contexte neuf et mouvant. Il se heurte, pour réformer
le droit de la CP, à des obstacles de deux ordres : la difficulté
d’élaborer une réglementation générale à caractère permanent dans
le cadre d’une évolution globale de plus en rapide et l’obsolescence,
la dispersion ou l’absence de textes.

Permanence du droit et accélération de l’histoire

La première difficulté tient en une formule de F. Burdeau : « Les lois


ne sont plus des principes mais des solutions 138 ». Devaux confirme
ce retournement du sens de la loi. Montrant comment, depuis 1918,
« la machine législative a été débordée », il estime qu’en recourant
aux décrets-lois, « le Parlement a profondément modifié le sens et la
valeur de la “règle” ». Il en décrit les conséquences ainsi :
« L’administration s’est accoutumée […] à préparer des décrets-lois
et des décrets réglementaires qui ne répondent plus à un souci
d’organisation juridique permanente mais qui apportent une solution
d’actualité à un problème gouvernemental. Ce sont en vérité des ordres
qui peuvent être demain suivis de contrordres. Or, conclut-il, c’est
une singulière régression, qui amène les fonctionnaires à obéir de
moins en moins à la règle et à attendre les ordres 139 ».
Il reprend ce thème à propos de la difficulté de codifier dans un
contexte de plus en plus évolutif en rappelant que :
« les fonctionnaires qui s’occupent de la comptabilité publique au
ministère des Finances ont pour mission essentielle de suivre
l’évolution administrative jour par jour, et que celle-ci n’est guère
demeurée stable depuis trente ou quarante ans […] Le premier
devoir des mécaniciens, poursuit-il, est de faire fonctionner la
machine en l’adaptant aux besoins quotidiens. Pour y parvenir ils
donnent des ordres. […] Par ailleurs, ajoute-t-il, depuis 1935, on a mis
en œuvre de très importantes réformes. Or, accomplir une réforme
ce n’est pas du tout, comme on serait tenté de le croire, refaire un
règlement ; c’est dire aux exécutants quelles sont les habitudes qu’ils
doivent perdre, quelles sont celles qu’ils doivent acquérir ; c’est
encore donner des ordres. Et en définitive, depuis des décades, les
ordres se sont empilés les uns sur les autres comme des tas de pierre
140
».
Sous la pression d’une accélération de l’histoire, à un règlement
général devenu obsolète, ont été substitués, sans cohérence, de
multiples textes et consignes. L’entreprise codificatrice de Devaux
est confrontée à cette accélération qui risque de ruiner la notion de
permanence des principes de la CP.

Le paradoxe de l’absence ou de la dispersion des textes

Une seconde difficulté, liée à la première, forme un obstacle


supplémentaire à la rénovation du droit de la CP. Elle tient,
paradoxalement, à ce que « dans le pays du Code Napoléon, ce droit
n’est pas écrit » et au fait que « lorsqu’il repose sur des textes, il faut
aller découvrir ceux-ci dans un tel enchevêtrement qu’il est
pratiquement impossible […] de ne pas s’y perdre ».
« Lorsqu’on veut prendre une vue d’ensemble, poursuit Devaux, on se tourne
vers le décret modificatif du 31 mai 1862, que le spécialiste invoque volontiers
comme le saint des saints. Or nous avons dit que le premier article n’est plus
valable et l’on peut considérer qu’un bon tiers des 883 autres articles de cet
admirable ouvrage est périmé, qu’un autre tiers est inutile […] et que le reste est
très mal rédigé. Au demeurant, certaines questions essentielles ne sont pas
résolues. D’où viennent ces insuffisances et ces lacunes du décret de 1862 ?
Simplement du fait que les fonctionnaires de cette époque se sont trouvés eux
aussi en présence d’ordres qui avaient été donnés avant eux et qu’ils ont voulu
codifier, sans avoir le pouvoir d’adapter […]. Le résultat de ces compilations a été
un texte […] qui dès 1862 pouvait prêter à de sérieuses critiques, et qui en tout
cas à l’heure actuelle est pratiquement inutilisable. […] Depuis 1862, les règles de
la comptabilité publique ont été définies par une succession d’ordres ayant
revêtu toutes les formes juridiques : lois, décrets-lois, décrets, arrêtés,
circulaires. […] mais plusieurs règles essentielles résultent encore de la tradition.
Si l’on ajoute que la jurisprudence de la Cour est assez mal résumée et que depuis
longtemps la doctrine a complètement perdu pied, il est aisé de comprendre
pourquoi la comptabilité publique a une réputation d’ésotérisme. Les
inconvénients pratiques sont moindres qu’on pourrait le croire, grâce à
l’existence d’un corps permanent et très homogène de comptables spécialisés.
Par leur intermédiaire, une sorte de synthèse se transmet progressivement de
génération en génération, mais c’est une situation étrange et qui ne saurait
141
indéfiniment se prolonger ».
Y mettre un terme est le but de Devaux, en sorte qu’on se tromperait
fort si on lui imputait l’intention de pérenniser le passé. Son projet
est bien d’innover, mais sur des bases et dans un cadre
essentiellement juridiques qui s’accommodent mal de la notion de
rupture.

b. L’ambition codificatrice de Gilbert Devaux : le retour aux sources


de la réglementation de la comptabilité publique

S’il n’entend pas prolonger le passé, Devaux ne prétend pas non plus
rompre avec la tradition propre à la CP. Si son but est « de lever le
voile, de sortir l’idole de sa niche », ce n’est nullement pour la briser
mais bien pour « la présenter telle qu’elle est 142 ». S’il réprouve le
fétichisme dont les règles compilées au XIXe siècle font trop souvent
l’objet lorsqu’il dénonce le « respect excessif dont les experts ont
témoigné à l’égard du vieux décret de 1862 », c’est pour engager la
CP à mieux prendre conscience d’elle-même et à puiser dans son
propre fond afin de se rénover 143 . À cet égard, la réalisation de son
projet est exemplaire de ce constat de B. Latour selon lequel : « en se
transformant de fond en comble, le corpus du droit administratif ne
fait que devenir encore davantage, si l’on ose dire, le même
qu’auparavant 144 … » Le débat sur les modes de gestion public ou
privé n’est pas dissociable de ce rapport au temps si caractéristique
du droit administratif. Là où les méthodes induites par le plan
comptable général ou la comptabilité nationale revendiquent de
faire du neuf 145 , la comptabilité publique est tributaire du caractère
tautologique, intemporel et permanent du droit public. Avec Devaux
réformant celle-ci, comme avec le Conseil d’État opérant un
renversement de jurisprudence, nous sommes dans ce curieux cas de
figure noté par B. Latour où « rien n’est censé se passer que
l’expression plus ferme de ce qui avait toujours été déjà là 146 ».
Devaux n’exprime pas autre chose lorsqu’il écrit : « Le code en
préparation a l’ambition de faire surtout une présentation de règles
communes, applicables à l’ensemble du secteur public ; par suite il doit
être plus clair et plus stable 147 ». Lorsqu’il cherche à puiser dans la
tradition juridique française pour imprimer un souffle nouveau à son
administration, il est, en fin connaisseur du Conseil d’État, un acteur
respectueux de ce jeu juridique paradoxal selon lequel « plus ça
change, plus c’est pareil 148 ». Rompre, ce serait rompre avec la CP
dans ce qui la fonde : son socle juridique exorbitant du droit
commun qui légitime l’existence d’une gestion publique des finances
publiques.
Aussi, Devaux s’efforce-t-il plutôt à un retour aux sources. C’est bien
le sens de son propos lorsqu’il écrit : « Dans une très large mesure,
les règles de la comptabilité publique se fondent sur des traditions
149
, ou sur des interprétations. Il est donc impossible de les
comprendre, et même de les connaître, si l’on ne parvient pas à les
rattacher à un cadre logique ». Répondant à la difficulté que
présente une « perpétuelle évolution », il poursuit :
« Nul ne peut garantir qu’une règle valable aujourd’hui le demeurera demain. La
continuité de l’action administrative n’est pas douteuse, mais elle se marque par
la fidélité à des idées, beaucoup plus que par la défense d’un mécanisme
déterminé. Il est donc plus souvent utile d’étudier les idées qui ont inspiré les
150
mécanismes, plutôt que les mécaniciens eux-mêmes ».
Après s’être demandé s’il est « légitime […] d’invoquer une unité de
conception pour expliquer l’œuvre accomplie par de multiples
fonctionnaires qui se sont succédé au cours d’un siècle et demi d’une
histoire fertile en bouleversements », il énonce ce qu’il appelle « le
thème de la comptabilité publique » comme le principe qui irrigue
en amont l’ensemble des règles et des traditions qui la constituent :
« Les opérations financières ne sont pas dominées par la notion de “profit”, mais
par la notion de “service” ; par suite, les recettes et les dépenses ne dépendent
pas les unes des autres ; elles sont arrêtées a priori selon un plan d’ensemble
établi collectivement par des assemblées ou par un conseil. La fonction
essentielle de la comptabilité publique est d’assurer l’exécution de ce plan en
151
substituant divers contrôles automatiques au contrôle par le rendement ».
C’est à partir de ce thème, d’où procède la raison d’être de la CP, que
Devaux envisage son œuvre de codification en reprenant à nouveaux
frais l’ensemble de la réglementation en la matière.

c. L’ambition codificatrice de Gilbert Devaux : développer la


comptabilité publique conformément à sa spécificité

La réforme, la codification et la simplification des textes législatifs et


réglementaires sont dans l’air du temps lorsque Devaux conçoit ses
textes. Dès 1948, le ministère Schuman, constatant que la
multiplication et la superposition des règlements aboutissent à une
complexité qui en compromet l’accès, crée une commission chargée
« de soumettre au Gouvernement toutes suggestions relatives à la
simplification de ces textes, en vue de faciliter les travaux de
codification 152 . » En 1954, Devaux participe aux réflexions de la
commission Jacomet 153 qui inspirent le décret du 19 juin 1956 sur le
mode de présentation du budget de l’État. Outre ce climat de
simplification codificatrice, souffle un autre vent dans le sens d’«
introduire dans l’administration l’esprit de progrès qui avait
transformé, depuis cinquante ans, les techniques du commerce et de
l’industrie ». Édouard Bonnefous, auteur de ces lignes et ministre
d’État dans le gouvernement Mayer, prend deux décrets promulgués
le 22 avril 1953 dont les buts essentiels sont « d’obliger
l’administration à procéder à un vaste examen critique de ses tâches,
de son organisation et de ses effectifs » et « à lui faire adopter des
méthodes nouvelles de rationalisation et d’équipement, en
l’obligeant par le calcul de ses prix de revient à prendre conscience
du rendement de ses services 154 ». Il est temps que, dans ce concert
de réformes, la CP, sur l’initiative semble-t-il exclusive de son
directeur, joue sa propre partition si elle veut éviter de trop subir les
rigueurs d’un climat qui n’est pas originellement le sien.
À suivre Devaux, sous les cieux administratifs, ce sont les
mécanismes psychologiques et juridiques qui doivent primer sur
l’analyse chiffrée objective que les méthodes du privé parviennent à
établir. Rappelant que là où le secteur privé bénéficie du « critère de
jugement très simple du profit », il estime que : « Les opérations de
caractère public (même celles des “entreprises publiques”), ne
peuvent être fondées sur la notion de bénéfices ou de pertes, ou ne
peuvent l’être qu’en partie ». L’efficacité du contrôle de la gestion
des finances publiques doit moins reposer sur les méthodes du privé
qu’être le fruit d’un équilibre psychologique et juridique entre les
responsabilités respectives de l’ordonnateur et du comptable. Avec
la réécriture par Devaux des règles de droit public qui régissent la
responsabilité de ses agents, la comptabilité publique est appelée à
être plus que jamais, selon lui, ce « quelque chose d’efficace » qui
doit « remplacer […] le contrôle automatique que la notion de
rendement procure aux entreprises privées 155 ». Afin d’instaurer le
climat qu’il juge adapté à la gestion des finances publiques dans un
contexte nouveau, il se livre à un double effort d’extension et de
clarification de la responsabilité des comptables qui le conduit à
l’élaboration des décrets des 9 août et 30 septembre 1953.

2. Le contenu de l’ambition codificatrice de Devaux : réinstaurer


juridiquement le face-à-face psychologique de l’ordonnateur et
du comptable

Clarifier juridiquement le face-à-face psychologique de


l’ordonnateur et du comptable à partir d’une codification nouvelle
de la responsabilité personnelle et pécuniaire du comptable : tel est
le projet de Devaux qui finalement n’aboutit pas.

a. L’ambition codificatrice de Gilbert Devaux : traduire un équilibre


de psychologies et exprimer dans la loi l’aboutissement de la tradition
française de gestion des finances publiques

L’élaboration des textes de Devaux est dominée par deux


considérations : l’équilibre psychologique entre comptable et
ordonnateur et le caractère exorbitant du droit commun des règles
qui doivent régir leur responsabilité. L’une apparaît comme le choix
d’un mode de « management » conforme au caractère public du mode
de gestion des finances de l’État ; l’autre comme l’aboutissement
d’une tradition française ancienne de dualité juridique dont
l’évolution déboucherait logiquement sur la refonte voulue par
Devaux.
Il écrit sur le premier point : « Dans toute société s’inspirant d’un
certain idéal démocratique, la division du travail ne correspond pas
seulement à l’idée d’une spécialisation technique ; elle correspond
aussi à une préoccupation d’équilibre, entre diverses tendances et à
un souci de contrôle réciproque 156 ». Évoquant « les principes
administratifs de notre organisation financière », il écrit :
« Le point de départ est une hiérarchie militaire. L’évolution des 150 dernières
années a tendu vers une collaboration par un équilibre de psychologies variées.
Contrairement à ce qu’on pourrait penser, une administration bien composée
n’est pas en effet un corps homogène de fonctionnaires tous animés du même
esprit. L’État obtient un meilleur résultat en spécialisant les tendances et en
équilibrant les unes par les autres. La distinction classique des fonctionnaires
d’“opportunité” et des fonctionnaires de “régularité” est […] celle qui répond le
mieux à cet objet ».
Il précise les modalités de cet équilibre psychologique : « Les
ordonnateurs doivent réserver le meilleur de leur activité à un effort
de décision et de sélection ; la régularité de leurs actes leur est en
quelque sorte imposée du dehors automatiquement. Les comptables
ont aussi à effectuer certains choix, mais leur esprit est dominé par
le souci de la règle qu’ils doivent appliquer non seulement à leurs
propres opérations mais aussi à celles des ordonnateurs. Ces deux
psychologies ont conduit à deux régimes de responsabilité ».L’un et
l’autre relèvent du droit public.
Quant à la spécificité publique de ces deux régimes de responsabilité,
Devaux en fait l’aboutissement d’un processus historique par lequel
une branche du droit public liée à la comptabilité publique s’est
développée au XIXe siècle autour de la garde de la caisse, du «
maintien d’une responsabilité personnelle et pécuniaire » du comptable
et du contrôle juridictionnel de cette responsabilité. Devaux souligne
les conséquences de cette évolution : « En se développant, cette
branche très particulière du droit public a fini par atteindre
indirectement un autre secteur », celui des ordonnateurs auprès
desquels les comptables ne jouent « plus seulement le rôle de
“gardiens de fonds” et de “teneurs de livres”, mais aussi le rôle de
“contrôleurs” pécuniairement responsables des obligations des
ordonnateurs. L’on était alors logiquement conduit à définir les
règles de la comptabilité publique comme toutes celles qui doivent être
suivies à la fois par les comptables et par les ordonnateurs, pour qu’un
encaissement ou un décaissement soit considéré comme valable ».
Partant de cette définition et s’inscrivant dans l’évolution française
de la gestion des finances publiques telle qu’il la décrit, c’est bien
l’ensemble du système financier public dans sa spécificité juridique
que Devaux a l’ambition de codifier à nouveau. Ainsi prône-t-il, par
exemple, le développement d’une responsabilité personnelle et
pécuniaire pour l’ordonnateur dans le domaine de la régularité en
lieu et place du dispositif pénal lié au fonctionnement de la Cour de
discipline budgétaire 157 . Ce n’est toutefois que la partie du code
réservé au comptable qu’il fait aboutir au stade des décrets-lois.

b. L’ambition codificatrice de Gilbert Devaux : la responsabilité


personnelle et pécuniaire du comptable, pierre d’angle du droit de la
comptabilité publique

Sans entrer dans le détail du dispositif imaginé par Devaux lors de la


rédaction de ses textes, soulignons combien l’élément psychologique
constitue la pierre d’angle des conceptions de l’auteur. Loin
d’envisager le système de comptabilité publique comme un
mécanisme exclusivement composé d’automatismes, il propose en
remaniant et en étendant la responsabilité pécuniaire et personnelle
du comptable d’en faire l’arbitre intelligent et sensible de situations
particulières qu’une trop stricte application de règles fixes rendrait
problématiques. Il l’invite à prendre sur lui et à évaluer sous couvert
de sa responsabilité les éléments de souplesse qu’il jugerait propice
d’introduire afin que triomphe sur le terrain le bon sens. À cet égard
les vues de Devaux, à l’époque, rejoignent l’analyse, aujourd’hui, de J.
Caillosse :
« L’essentiel se détermine […] dans les configurations d’acteurs : c’est là que la
norme prend sens, par le travail incessant de la relecture et des interprétations.
Il suffit pour s’en faire une idée, de penser à ce qui se joue vraiment derrière la
dénonciation récurrente des rigidités auxquelles le droit des finances publiques
158
condamne la gestion administrative ».
Reconfigurer le jeu des acteurs entre l’ordonnateur et le comptable
sur la base de la responsabilité personnelle et pécuniaire de celui-ci,
tel est le projet réalisé sur le plan législatif par les décrets-lois des 9
août et 30 septembre 1953. L’objectif est double : adapter ce régime
de responsabilité en en comblant les lacunes et clarifier, en la
renforçant, la position du comptable face à l’ordonnateur. Ces textes,
qui mériteraient une exégèse approfondie, sont longuement
commentés par leur auteur 159 . Deux citations suffiront à éclairer
son ambition.
L’une porte sur le ressort psychologique du dialogue ordonnateur-
comptable :
« Il est aisé d’apprécier la force morale d’un comptable qui peut répondre à un
ordonnateur : “Quel que soit mon désir de vous satisfaire, je ne puis exécuter
l’opération que vous proposez car le juge des comptes la connaîtrait et il me
faudrait en rembourser le montant de mes propres deniers”. Mais ce même
principe est aussi un très grand élément de souplesse, car souvent le comptable peut
répondre : “Ce que vous me demandez n’est pas conforme à la lettre du
règlement, mais j’estime qu’il s’agit d’une irrégularité d’importance secondaire
que le juge acceptera ou que je pourrai facilement corriger. En vous suivant, je
n’agis pas comme un fonctionnaire négligent : je prends un risque que j’ai le droit de
prendre puisqu’il concerne mes propres deniers” ».
Tout l’objet de la refonte juridique de Devaux est de permettre en
droit et en esprit cette prise de risque du comptable. Loin d’en faire
une limite névrotique à sa marge de manœuvre, il entend en faire le
socle libératoire de son action. C’est le sens de ce qu’il écrit à propos
du refus d’obéir du comptable aux injonctions d’un ordonnateur, fut-
ce le ministre : « À lui de savoir faire la balance entre son risque
pécuniaire et son risque hiérarchique 160 ». Cette indépendance du
comptable, contrepartie de sa responsabilité, constitue l’aspect le
plus neuf des décrets-lois rédigés par Devaux au point qu’il
s’interroge sur la compatibilité d’un tel dispositif avec la tradition
administrative française, avant de conclure par l’affirmative.
Un second extrait, par lequel l’auteur souligne le caractère innovant
de ses textes « dans notre droit public », rend compte de la portée
juridique et organisationnelle de la refonte qu’il entend accomplir :
« En ce qui concerne les ordonnateurs de l’État, une solution favorable à la
hiérarchie a été adoptée par la loi sur la Cour de discipline budgétaire. L’ordre
écrit du supérieur doit toujours être exécuté par l’ordonnateur. Si cet ordre émane d’un
fonctionnaire, il en résulte un transfert de responsabilité ; s’il émane d’un
ministre, la juridiction répressive n’est plus compétente et seuls le Parlement et
la Cour de justice pourraient être saisis. Cette règle est logique, car elle
s’applique à un corps d’administrateurs qui doivent demeurer sous le contrôle
étroit des ministres et du Parlement. »
Évoquant sa propre réforme sous couvert d’anonymat, il écrit :
« En ce qui concerne les comptables, c’est finalement la thèse de l’indépendance
qui l’a emporté, l’article 4 du décret-loi du 9 août 1953 est ainsi rédigé : “Tout
comptable public est responsable de ses actes dans les mêmes conditions qu’un
autre fonctionnaire et conformément aux dispositions des lois ou règlements
concernant la fonction publique. Toutefois, aucune sanction administrative ne peut
être prononcée contre lui s’il établit que les règlements, instructions ou ordres auxquels il
a refusé ou négligé d’obéir étaient de nature à engager sa responsabilité personnelle et
161
pécuniaire de comptable public” ».
Les textes de Devaux, en précisant et clarifiant le régime de
responsabilité des comptables et des ordonnateurs, tentent de
remédier à l’irresponsabilité que risque constamment de générer
l’action administrative. À cette fin, il offre à chacun l’arsenal
juridique qui permet aux deux parties de préciser leurs positions
sans conduire à d’inextricables blocages. En étendant la
responsabilité du comptable, il développe sa capacité à embrasser et
à gérer de bout en bout une situation administrative de plus en plus
complexe. En renforçant le caractère exorbitant de son statut de
droit public, il espère contenir et résorber le mouvement centrifuge
à la faveur duquel, sous l’effet d’un climat intellectuel nouveau, des
pans entiers de l’État cherchent à s’évader de la sujétion des règles
de droit financier public 162 . Pourtant quel que soit leur mérite,
force est de constater que les textes de Devaux ne reçoivent jamais
de décrets d’application et sont finalement abrogés en 1963.

c. L’ambition codificatrice de Gilbert Devaux : pourquoi l’échec dans


les années 1950 d’une refonte du droit de la comptabilité publique ?

S’il semble que la réforme de Devaux ait rencontré l’accord au moins


apparent de son personnel et l’assentiment du Conseil d’État, le vent
de l’histoire a été finalement défavorable à la mise en œuvre de ses
textes.
S’agissant des comptables, l’indépendance qui leur est accordée est-
elle réellement souhaitée par ceux-ci ? Devaux est-il en phase avec
ses troupes lorsqu’il tente d’élargir la carrure de la fonction et d’en
clarifier l’exercice sur la base de la responsabilité personnelle et
pécuniaire ? Une réponse véritable mériterait une étude
complémentaire. Tout au plus pouvons-nous citer l’écho satisfait que
reçoit sa réforme dans un éditorial de La revue du Trésor :
« L’exposé des motifs du décret du 9 août 1953 sur la responsabilité personnelle
et pécuniaire des comptables, en signifiant que “leur mission est particulièrement
ingrate puisqu’elle consiste à assurer le respect de la loi et des règlements… Pour pouvoir
l’exercer humainement et à l’abri de toute pression d’intérêts, ils disposent d’une
indépendance totale…” constitue la plus décisive reconnaissance d’une qualité
jamais affirmée et, bien entendu, si mise à l’honneur par les éloges ministériels,
163
point encore prête à recevoir salaire ».
On peut néanmoins supposer que le nouveau costume taillé par leur
directeur à ses comptables leur soit apparu surdimensionné à raison
de l’extension de leur responsabilité, en particulier dans leurs
rapports avec les ordonnateurs. Peut-être Devaux, tel
l’administrateur décrit par Guy Thuillier et Robert Catherine, a-t-il
trop cru « à la valeur des contraintes juridiques et des règles qu’il
fabrique 164 » ?
De fait, c’est sur le plan du droit que le meilleur accueil semble avoir
été fait à ces textes. Citons, à cet égard, la correspondance
manuscrite de deux conseillers d’État en charge de l’examen du
projet élaboré sous l’égide du successeur de Devaux à la tête de la CP
qui aboutirent au décret du 29 décembre 1962 : « Comme vous, j’ai
trébuché sur la navrante présentation qui nous est soumise », et,
plus loin, sur ce même projet de réforme évoqué par contraste avec
les textes de Devaux : « Quant au fond […] il me paraît bien
traditionnel. Balzac dans Les employés ne le renierait pas. Le décret-
loi et surtout la loi organique, l’un et l’autre œuvres de M. Devaux
étaient d’une autre tenue et s’adaptaient mieux à l’évolution actuelle
du rôle de l’État 165 ». Autre indice de la convergence de pensée
entre Devaux et le Conseil d’État : dans un rapport du 13 novembre
1962, M. Bauchard, conseiller d’État, reprend plusieurs extraits de
l’exposé des motifs des décrets-lois de 1953 ainsi que certains
passages de La comptabilité publique. Il souscrit également à
l’innovation qu’opère Devaux dans la rédaction de l’ordonnance du 2
janvier 1959 lorsqu’il définit le budget comme « l’ensemble des
comptes qui décrivent pour une année civile toutes les ressources et
toutes les charges permanentes de l’État 166 ». Reste que la caution
du Conseil d’État n’a pas suffi à la mise en œuvre des décrets-lois de
1953.
En l’état des recherches, trois raisons peuvent être invoquées quant
à l’échec de ces textes. La première tient au manque de concertation
et même d’affinités entre Devaux, devenu directeur du Budget, et
son successeur à la tête de la direction de la CP 167 . La
correspondance entre conseillers d’État déjà citée pointe l’absence
de coordination entre les deux directions à propos du projet de
décret de 1962 :
« Il semble bien que ce projet, œuvre de la direction de la Comptabilité publique,
n’ait pas l’accord de la direction du Budget, laquelle renierait, paraît-il, l’œuvre
de M. Devaux… Ainsi […] vit-on dans l’incohérence. Suivant les directeurs et leur
initiative, suivant les personnalités marquantes, les projets se suivent sans
168
grande cohésion entre eux ».
Le rédacteur principal du projet de 1962 témoigne de la « rivalité » et
même « l’animosité » qui marquait les rapports entre Devaux et son
successeur 169 . Il est probable que l’abrogation des décrets-lois de
1953 soit en partie imputable à cette situation. Une deuxième raison
est invoquée par Devaux lui-même, ce qu’il appelle « la guerre des
contreseings » : parce qu’elles s’imposent à toutes les
administrations de tous les ministères, les règles de la CP risquent
constamment de passer « du domaine du ministre des Finances au
domaine de la multiplicité des contreseings ». Il en conclut que si les
autres départements « ne finissent pas par admettre l’autorité du
ministre des Finances, alors il faudra se résigner une fois pour toutes
à accepter l’idée que la régularité financière est fondée sur une
tradition appuyée de quelques écrits 170 ». Cette raison, si elle a sans
doute joué, n’a pourtant pas été déterminante puisque la réforme de
1962 a abouti en dépit de la résistance du ministère de l’Intérieur 171
. Probablement de plus grand poids est l’hypothèse selon laquelle le
climat général et la tendance historique de l’époque ne se sont pas
prêtés à l’accomplissement des desseins de Devaux. Sans doute ce
que P. Legendre appelle « le renversement historique des
législateurs désarmés par les techniciens 172 » a-t-il définitivement
contrarié son projet. De ce renversement historique et des
contradictions qu’il engendre pour la gestion publique des finances
publiques, l’ouvrage de Devaux est un témoignage de première main.
III. La comptabilité publique, pierre de touche
de l’évolution de la gestion publique des
finances publiques sous la pression de « la
technique »
Le déni et la substitution ont compté parmi les armes choisies par les
techniciens pour neutraliser les juristes. Dénier à la polémique sa
raison d’être pour permettre la substitution de la technique au droit
comme fondement premier et horizon ultime de la gestion des
finances publiques a été la stratégie de désarmement menée par les
tenants de la modernité. C’est, à bien des égards, la position déjà
notée de Bloch-Lainé lorsqu’il réfute l’idée d’un essor des fonctions
économiques au détriment des fonctions financières et qu’il préfère
évoquer sur ce point « une addition, beaucoup plus qu’une
substitution » qui « corrigeait le rattachement traditionnel et
fâcheux de toute l’étude des finances publiques à celle du droit
public 173 ». Contourner l’obstacle et vaincre sans combattre, telle a
été l’habileté courronnée de succès des tenants de ce que Devaux
appelle « l’évolution moderne qui menace […] de substituer la
prédominance de la technique à celle du droit 174 ». Peut-être
l’ampleur même de la victoire remportée serait-elle définitivement
passée inaperçue des historiens si Devaux n’avait pris soin dans son
ouvrage d’expliciter en détail les fondements et les mécanismes du
système originel de gestion à dominante juridique des finances
publiques. Lisant La comptabilité publique, on comprend mieux encore
la portée du renversement historique entre juristes et techniciens
signalé par P. Legendre. Ainsi que le note M. Margairaz : « [Cet
ouvrage] souligne a contrario combien les pratiques nouvelles ont été
perçues comme des facteurs de corruption des règles comptables
traditionnelles par ceux qui y restaient attachés 175 ». Devaux
rassemble ces pratiques nouvelles sous le vocable de « la technique
176
» en tant que ce qui trouble l’harmonie juridique qui imprègne,
légitime et stabilise l’action administrative et contribue à « l’unité de
l’action gouvernementale 177 », en particulier dans le cadre de la
gestion des finances publiques. Ce n’est pas qu’il conteste la réalité
ni le bénéfice du progrès technique. Il lui reproche plutôt,
implicitement, d’imprimer son propre tempo à l’action
administrative aux dépens du droit. En partie fondé sur la notion de
rupture, le progrès technique évolue sur un rythme qui n’est pas en
phase avec la notion de continuité propre au droit. Fruit de
l’application de découvertes scientifiques, fer de lance de la «
modernité », il se développe par paliers successifs, parfois
inattendus, et constitue autant de chocs que l’État de droit se doit
d’autant plus d’absorber que son action s’est étendue à l’économie et
à l’ensemble de la société.
S’inscrivant, de fait, dans cette problématique, Devaux montre dans
son ouvrage l’impact déstabilisant de « la technique » sur le système
juridique traditionnel de gestion des finances publiques fondé sur la
distinction public/privé. Il s’interroge aussi sur les conditions d’un
nouvel équilibre juridique dans le cadre de l’évolution de la
distinction public/privé sous la pression de « la technique ».

A. « La technique » facteur de déséquilibre du système


traditionnel de gestion des finances publiques

Le jugement ambivalent teinté de méfiance que Devaux réserve à « la


technique » après-guerre mérite qu’on s’y arrête. En tant que
praticien de l’action administrative, il ne peut en sous-estimer
l’importance sans cesse accrue. En tant que gardien du temple des
règles financières de droit public, il nous alerte sur les menaces que
fait peser l’influence nouvelle et déterminante de « la technique »
sur la gestion publique des finances publiques et plus généralement
sur l’action administrative. À suivre Devaux, cette influence
menaçante s’exerce dans deux directions : d’une part il nous invite à
constater les conséquences préjudiciables au droit public financier
de la rencontre de « la technique » et de l’administration dans les
activités dont se mêle désormais celle-ci au nom de l’État – acteur de
l’économie ; d’autre part il nous conduit à analyser plus
profondément l’ébranlement des fondements bureaucratiques et
juridiques de l’État, au profit d’une vision plus scientifique,
rationnelle et technocratique de son assise, ébranlement qui se
produit dans les années 1950 et dont « la technique » est à la fois
l’agent et le symptôme.

1. « La technique » à l’origine de la mise en cause de la frontière


gestion publique/gestion privée des finances

Après-guerre, la rencontre de « la technique » et de l’administration


devient un sujet de premier plan 178 . Le développement exponentiel
du progrès technique comme moteur de l’économie en même temps
que l’extension du domaine d’intervention de l’administration au
nom de l’État-acteur de l’économie sont à l’origine de ce que Devaux
nomme avec réprobation « le secteur parapublic ». La conjugaison de
ces deux mouvements contribue à ce qu’il appelle « l’ébranlement
des services les plus solidement charpentés 179 ». Aussi, Devaux
n’hésite-t-il pas à dénoncer le trouble que provoque dans le bon
fonctionnement du mécanisme juridique traditionnel de gestion des
finances publiques, l’irruption, après-guerre, des figures nouvelles
du technicien, de l’expert et du spécialiste. Leur montée en charge
déjà remarquée durant l’entre-deux-guerres par Chardon 180 ,
réalisée durant l’Occupation et poursuivie à la Libération, s’impose
après-guerre comme un fait, désormais reconnu, à l’action
administrative. Devaux, pourtant, souligne les contradictions
qu’introduit l’émergence de ce nouveau type de fonctionnaire sur le
cadre traditionnel de la réglementation financière qui fonde la
gestion des finances publiques. À le suivre, celle-ci est en proie à
trois phénomènes concomitants qui contribuent à brouiller les
frontières qui la distinguent d’autres modes de gestion. La poussée
de la technique liée au développement de l’intervention de l’État
dans l’économie, les contradictions suscitées par la figure nouvelle
du technicien dans l’organisation administrative financière
traditionnelle et la tendance à l’abandon de la tradition française de
décision administrative au profit du modèle anglo-saxon sont les
facteurs principaux de ce brouillage.

a. La frontière gestion publique/gestion privée des finances brouillée


par la poussée de « la technique » liée à l’intervention économique de
l’État

Devenu un acteur massif de l’économie, l’État s’implique plus


fortement dans les questions techniques qui conditionnent la
réussite de son action. Aussi « la technique » est-elle un facteur
déterminant de modification des frontières du champ de la gestion
des finances de l’État, notamment en raison de la psychologie que
Devaux prête aux techniciens. Reprenant le thème de la défiance de
l’administration envers ses propres agents, il écrit : « Ce qu’on peut
[…] reprocher à l’idéal technique, c’est le déséquilibre auquel il
conduit, car dans les services publics les besoins sont illimités et ne
sont jamais satisfaits ». Il renchérit à ce propos lorsqu’il évoque : «
Cette poussée des techniciens, formidablement accrue par les
progrès mêmes des techniques et par l’intervention de la puissance
publique dans tous les domaines de l’économie ». Il décrit ainsi
l’impact du phénomène sur la régularité financière :
« Dès avant la guerre on pouvait se demander si certaines institutions publiques
étaient en harmonie avec les principes traditionnels de notre organisation
financière. On pouvait déjà constater que sous la pression d’idées nouvelles
défendues avec une grande vigueur, la rue de Rivoli avait dû accepter
d’importantes concessions. Mais au lendemain de la guerre, cette tendance
s’accentua au point de prendre à certains moments l’aspect d’une révolution
administrative. Le déblocage pendant plusieurs années consécutives de tous les
freins financiers a eu des répercussions monétaires, économiques, sociales et
politiques qui faillirent être très graves ».
Il ajoute :
« Ce que les novateurs de cette époque ont plus ou moins consciemment voulu,
c’est atténuer ou faire complètement disparaître la notion même de responsabilité
financière dans les relations administratives. Ils l’ont atténuée, lorsqu’ils ont
supprimé, dans le cycle classique des opérations, l’intervention et le rôle des
comptables. Ils l’ont supprimée, lorsqu’ils ont confié à des personnes, qui n’ont
même pas la qualité de fonctionnaire et qui échappent à toute emprise
hiérarchique, le soin de préparer des liquidations de recettes ou de dépenses ».
Ces novateurs, ce sont les techniciens ou ceux qui les appuient.
« Ceux-ci, poursuit Devaux, soutiennent volontiers que la liberté, dont ils ont
joui, leur a permis de mener à bien de très remarquables réalisations, non
seulement dans les chantiers des sociétés nationales mais aussi dans ceux de
certaines administrations plus classiques, telles que la Reconstruction.
Personnellement je suis prêt à admettre qu’en 1947 la modernisation de la
France méritait d’être entreprise au prix de graves abus. Mais du point de vue
pratique de “l’efficience” – qui est celui des techniciens – je suis convaincu que
l’atténuation ou la disparition de la responsabilité financière est loin d’avoir
facilité la rénovation matérielle des services publics ».
Il conclut : « La plupart [des réalisations techniques de la libération]
ont été exécutées en dépit de l’absence de règles financières (au prix
de très durs efforts individuels) et non pas grâce à l’absence de ces
règles 181 ». L’intervention de l’État dans l’économie conduit à
l’émergence de l’expertise technique au premier plan de l’action
administrative et de la gestion des finances publiques. Elle en
modifie les conditions au point de stimuler le tropisme dépensier de
l’ordonnateur et de perturber fortement sinon d’ignorer
franchement les conditions juridiques de son face-à-face traditionnel
avec le comptable public.

b. Les interférences suscitées par la figure nouvelle du technicien


dans le partage opportunité/régularité

Fort de la logique de défiance dans laquelle la tradition


administrative française inscrit l’action de ses agents, Devaux
attribue un rôle négatif à l’expert technique dans le processus
régulier de la décision administrative. Il diagnostique le trouble
psychologique et juridique qu’introduit l’irruption des « doctrines
technocratiques qui envahissent progressivement toutes les zones
d’activité » dans l’action administrative. Il souligne en particulier les
contradictions entre spécialisation technique et généralité de la
règle de droit suscitées par la figure nouvelle du technicien, de
l’expert et du spécialiste dans l’organisation administrative
financière :
« Les experts se sont imposés d’abord dans le contrôle puis dans l’action. Il paraît
de plus en plus normal de confier des décisions essentielles à des spécialistes ou à
des collèges de spécialistes. Or le technicien est naturellement conduit à penser
qu’il est mieux qualifié que personne pour apprécier dans chaque cas particulier
la solution du problème qui lui a été posé. Il supporte mal l’exercice d’une tutelle,
il admet moins facilement encore que ses connaissances professionnelles
puissent être contredites par l’existence d’une règle écrite ».
Il précise :
« En France […] la tradition veut que seul le chef de service ait une position
active de réalisateur, alors que tous les spécialistes ont habituellement une
position passive, un rôle de “frein”. Ils arrivent avec une mentalité de
contradicteurs ; leur crainte essentielle est que l’on ne fasse quelque chose qui
contredise leur thèse et ce souci les préoccupe davantage que le désir d’obtenir
que l’on fasse quelque chose de conforme à leur thèse. Plus on les multiplie, plus
182
on accroît les frottements sans rien ajouter à la puissance du moteur ».
Intégrant au domaine de la régularité les règles techniques et les
éléments de contrôle qui y sont liés, il impute aux techniciens, aux
spécialistes et aux experts le fait que « le domaine de la régularité soit
devenu plus étendu, plus formel et moins clair ». Symétriquement, la
présence des mêmes contribue à rendre le domaine de l’opportunité
plus étroit en même temps qu’elle soumet la marge de décision qu’il
permet, non plus au jugement individuel du chef de service, mais à «
des discussions ayant toute l’apparence de longues négociations
diplomatiques ». Ajoutons que même lorsqu’il envisage le cas de
figure, fréquent au lendemain de la guerre, où le technicien peut agir
« libéré de toutes les interdictions, de tous les contrôles et de toutes
les procédures », il estime que :
« en réalité un technicien n’agit jamais seul. Il s’aperçoit bien vite qu’il est demeuré
un rouage dans une machine complexe et, ne pouvant plus se guider sur
l’automatisme du droit financier, il est obligé d’accomplir de pénibles efforts
pour engrener avec les autres rouages. Les compétences ne sont plus définies et
les services voisins se gênent mutuellement. À défaut de règle générale, il faut
obtenir de multiples accords individuels. Or, rien n’est plus épuisant que de vivre
dans un climat de cas particuliers et d’exceptions, de ne plus pouvoir dire :
183
“Voilà ce que j’ai le droit d’entreprendre, voilà ce qui m’est interdit” ».
Soit que les règles et l’expertise techniques s’ajoutent au domaine de
la régularité au risque de l’altérer, soit qu’elles s’en affranchissent,
elles apparaissent à Devaux comme un important facteur de trouble
pour l’administration traditionnelle dont les modes gestion se
fondent essentiellement sur le droit. Ce trouble est d’autant plus
grand que l’expertise technique conduit à une forme de décision
collective étrangère à la tradition française. Il est accru par la
volonté de s’inspirer des exemples d’outre-manche et d’outre-
Atlantique.

c. L’importation du modèle anglo-saxon, facteur de trouble ultime de


la frontière gestion publique/gestion privée des finances

L’importation du modèle anglo-saxon est la troisième cause


d’altération des modalités traditionnelles de la gestion des finances
publiques. À l’encontre de la tradition française, les coutumes
administratives anglaises et américaines se fondent sur la notion de
décision collective. Pour appuyer sa démonstration Devaux reprend
le thème de la tradition hiérarchique et verticale de l’administration
française comparée aux coutumes anglo-saxonnes :
« [Le système français] de commandement unique de type militaire n’est pas le
système en vigueur dans la plupart des administrations étrangères – en
particulier dans les administrations anglo-saxonnes que, depuis une trentaine
d’années, nous contemplons avec beaucoup d’attention (voire d’admiration
préconçue)… Celles-ci se fondent beaucoup moins sur un régime hiérarchique –
corrigé par un système de droit – que sur une tradition de travail en commun,
aboutissant à des décisions collectives ; cette notion de “décision collective” […]
est tout à fait contraire à la tradition française. L’évolution actuelle qui nous en
rapproche supposerait une transformation radicale de doctrine sur la régularité
et l’opportunité ».
Il ajoute :
« Sans doute, le maintien d’une administration de type militaire, avec un
contrôle de régularité exclusivement confié aux comptables, n’était pas
compatible avec l’évolution moderne du rôle de l’État. Sans doute était-il
indispensable de faire intervenir plus activement les spécialistes et de s’inspirer
des méthodes de travail collectives, qui ont très bien réussi à l’étranger.
Considéré isolément, chaque rouage nouveau ajouté à la machine est d’ailleurs
parfaitement logique ; le seul inconvénient est la complication et la lourdeur de
l’ensemble du système. On ne doit pas oublier non plus que les cadres
administratifs français – c’est une très notable différence avec les pays étrangers
– sont loin d’être assez abondants pour qu’il leur soit permis de se consacrer
utilement à de longues discussions préliminaires. En Amérique et en Angleterre,
le nombre des fonctionnaires supérieurs est quatre à cinq fois plus élevé qu’en
France ; ils peuvent sans inconvénient organiser entre eux des négociations
complexes. En France, dès que le chef se détourne trop longtemps de son travail
de commandement, la machine s’arrête. »
Il conclut : « Je pense qu’il serait dangereux d’abandonner dans
notre pays la coutume selon laquelle un chef de service peut prendre
des risques, n’est jamais obligé de suivre ses conseillers et est jugé
d’après les résultats qu’il obtient 184 ». Liberté d’agir accordée à un
décideur unique mais, là encore, défiance envers l’action qui n’est
pas préventivement encadrée par les mécanismes de la comptabilité
publique : telle se résume la spécificité de la gestion des finances
publiques en France par rapport aux coutumes anglo-saxonnes
fondées sur l’absence de distinction doit public/droit privé.
À travers cette triple mise en cause de la frontière gestion
publique/gestion privée, Devaux décrit les secousses qui scandent le
passage d’une administration essentiellement bureaucratique à une
administration de plus en plus technocratique qui, à la fois, s’y
agrège, la transforme et s’y superpose. Ce faisant, il amène à poser la
question du degré de compatibilité ou d’incompatibilité entre la
règle et « la technique », entre les juristes et les techniciens et plus
largement entre le droit et les tentatives de fonder la gestion des
finances publiques sur l’objectivation du réel. Sa réflexion conduit à
s’interroger plus généralement sur les problématiques nouvelles
nées de la rencontre du droit et de « la technique » au sein de la
gestion des finances publiques.

2. Dans les années 1950, la gestion des finances publiques, à la


croisée d’un conflit sous-jacent entre règles de droit et volonté
scientifique d’objectiver le réel

Par-delà ce triple bouleversement de la frontière gestion


publique/gestion privée qu’elle provoque, la question de
l’avènement de « la technique » dans le monde juridico-administratif
joint à l’intervention de l’État dans l’économie est un leitmotiv de La
comptabilité publique. Devaux consacre un chapitre entier à montrer «
comment l’évolution moderne qui menace à la fois de provoquer un
éclatement de l’État, et de substituer la prédominance de la
technique à celle du droit se poursuit au prix de délicates
adaptations ». Ce chapitre, intitulé « L’évolution moderne et les
“brèches dans la muraille” », contient deux développements sur «
Les diverses manifestations de l’éclatement des règles de la
comptabilité publique » et « Les conséquences du mouvement
centrifuge » au terme desquels l’auteur se demande si « L’amour de la
technique qui s’est développé à un rythme sans précédent au cours
des années qui ont suivi la dernière guerre, et qui a été facilité par
l’affaiblissement des règles traditionnelles de coordination
financière ne l’a pas emporté sur le sens de l’État 185 ». L’amour de la
technique, à le suivre, conduit à remettre en cause un système
bureaucratique porteur d’un idéal démocratique de gestion des
finances publiques, à la prévalence sur le droit de la mesure chiffrée
de son action calquée sur les méthodes du privé du rendement ou
encore, plus généralement, à la volonté de substituer à l’évaluation
juridique une approche scientifique des fondements et de
l’évaluation de l’action administrative.

a. Le droit générateur de bureaucratie, prix à payer d’une gestion


démocratique des finances publiques au nom de l’intérêt général

Bureaucratie chargée d’endiguer la bureaucratie, la comptabilité


publique, nous l’avons vu, s’est constituée comme un rempart
susceptible de préserver la liberté et la libre initiative du citoyen
contre l’État. En sens contraire, celui-ci s’inscrit dans une tradition
de réduction des féodalités susceptibles de se constituer en dehors
de lui-même. Mais, après-guerre, l’État est confronté aux féodalités
qui se développent en son sein et souvent à son initiative. La tendance
historique de l’administration, que décrit P. Legendre, à se
transformer en un « univers hiérarchisé de tenures ou de semi-
propriétés gouverné par des relais féodaux 186 » se généralise du fait
même de l’extension de l’action de l’État à l’ensemble de l’économie.
En butte à ce phénomène, Devaux, au nom des principes de la
comptabilité publique, dénonce l’émergence de multiples féodalités
qui se constituent au sein du secteur parapublic. Ainsi rappelle-t-il le
rôle de la bureaucratie financière de l’État lorsque à propos du
principe de la non-affectation des fonds il écrit : « La rue de Rivoli
livre sur le terrain des affectations une bataille continue – qui n’est
d’ailleurs qu’un des aspects de l’assaut permanent des intérêts
particuliers contre l’intérêt général et des féodalités contre le
pouvoir central ». De même écrit-il à propos de la gestion des fonds
de la Sécurité sociale qui échappe au contrôle bureaucratique
traditionnel de la CP : « Parlant des grands nationalisés, nous avons
employé l’expression “féodalité technique” ; ici c’est l’expression de
“féodalité syndicale à tendance politique” qui conviendrait ».
Évoquant le risque de dislocation finale des règles de droit financier
à propos des féodalités techniques que constituent ces « grands
nationalisés » en 1946-1947, il écrit plus loin : « Les personnels de
certaines entreprises nationales n’hésitaient pas alors à affirmer que
les revenus des capitaux dont ils assuraient la gestion ne devaient
pas revenir à l’État mais à eux-mêmes ». Enfin il s’en prend à sa
propre maison au cœur de laquelle il repère une tendance identique :
« Il n’est pas normal que des opérations exécutées pour le compte de l’État
échappent à la responsabilité d’un ministre technique et à la juridiction d’un
juge. Après avoir si longtemps combattu pour éviter l’éclatement de l’État au
profit des féodalités techniques, syndicales, professionnelles ou locales, il serait
singulier que la rue de Rivoli en vienne aujourd’hui à favoriser l’éclatement de
187
l’État au profit d’une féodalité d’experts issus de son sein ».
Qu’il s’agisse de protéger la liberté d’initiative du citoyen ou de
réduire les féodalités extérieures et intérieures à l’État qui
constamment se reforment contre le maintien des règles de
coordination financière, ces objectifs ne peuvent être atteints qu’au
prix d’un lourd dispositif bureaucratique qui s’accroît à mesure que
l’État s’étend. Un tel dispositif est, aussi, le prix à payer pour
l’obtention d’une garantie démocratique d’égalité de traitement de
tous face à l’administration. Ce sont ces objectifs de protection des
libertés citoyennes, de réduction des féodalités au nom de l’égalité et
de garantie de « l’unité d’action gouvernementale » que met en
cause implicitement le tropisme rationalisateur et technocratique
qui s’affirme après-guerre face au droit. Naît alors l’espoir de
subordonner le bien agir de plus en plus technique de
l’administration aux critères mesurables de la rationalité
économique et de son évaluation chiffrée plutôt qu’aux détours
laborieux des règles de droit. Pourtant, évoquant le « rêve » français
d’une administration affranchie des arcanes bureaucratiques et
juridiques, P. Rosanvallon dénonce l’illusion d’une transparence
objective et d’un circuit raccourci du déploiement de l’action de
l’État :
« La volonté toujours affichée de moins administrer pour mieux gouverner, écrit-
il, ne procède pas [en France], comme en Angleterre, d’une recherche libérale de
limitation du pouvoir central. Elle renvoie en permanence à l’utopie d’un
gouvernement immédiat de la volonté générale, utopie dont on ne comprend pas
188
la contradiction que lui portent les faits ».
Il ajoute :
« Si l’on dénonce […] sans cesse la prolifération réglementaire, on ne réfléchit
presque jamais sur le fait qu’elle provient pour une large part de la recherche
d’une gestion uniforme qui, pour saisir toute la diversité des situations, doit sans
cesse ajuster et reprendre la règle. On brocarde la bureaucratie parce qu’on rêve
au fond toujours d’un pouvoir exécutif simple, léger, presque transparent, dont
les organes seraient réduits à une pure opération de transmission et d’action
189
».
Devaux ne se méprend pas sur la nécessité de mécanismes
bureaucratiques de nature juridique susceptibles d’équilibrer
l’action administrative et il ajoute la psychologie au droit lorsqu’il
précise : « Pour comprendre notre organisation administrative, il
importe de ne pas oublier qu’elle est d’abord et avant tout une
collectivité humaine. De prime abord, il peut paraître singulier
qu’une collectivité ne soit pas unie, qu’on y rencontre de multiples
oppositions, que ces oppositions même soient facilitées par des
structures délibérément établies 190 ». La Comptabilité publique est
au nombre de ces structures délibérément établies. La bureaucratie
ainsi comprise n’est rien d’autre que la résultante d’oppositions
juridico-psychologiques voulues entre administrations actives et de
contrôle qui sont à la base de la gestion des finances publiques.
Ce type bureaucratique est pourtant mis en cause par la tendance
qui se fait jour d’aligner autant que faire se peut l’action de l’État sur
les méthodes du privé. « Il s’agit désormais de remettre en cause les
principes et instruments bureaucratiques développés depuis le XIXe
siècle au nom de nouveaux savoirs économiques et gestionnaires
fondus dans une doctrine “managérialiste” 191 » : P. Bezes fixe là les
termes du débat qui s’engage après-guerre autour de l’introduction
de la notion de rendement comme critère de bonne gestion des
finances publiques susceptible de supplanter la notion de régularité,
sinon de s’y substituer. P. Legendre en rappelle la portée lorsque,
constatant la nécessité où s’est trouvé l’État de « s’équiper
économiquement », il s’interroge : « Le problème se trouve posé de
savoir si le système de défense contre l’État pourra subsister sans de
profondes altérations ». Évoquant « les nouvelles responsabilités
économiques et sociales de l’État et les bouleversements techniques
qui transfèrent aux organisateurs un pouvoir de moins en moins
contrôlable politiquement », il conclut : « On ne parle plus
sauvegarde ou protection de l’individu, mais efficacité et rendement
192
». Au lendemain de la guerre, les conditions de félicité de la
bonne gestion des finances publiques se brouillent : sont-elles
toujours tributaires d’abord de la conformité aux règles de droit
public ou bien sont-elles désormais surtout subordonnées à la mesure
de l’efficacité des actions engagées ? C’est autour de cette question
que P. Legendre va jusqu’à évoquer : « Un conflit de civilisation au
XXe siècle : le droit libéral affronte les normes du rendement 193 ».
b. Le critère nouveau, technique et chiffré, du rendement face au
critère traditionnel de la règle, enjeu de la distinction gestion
publique/gestion privée

Le système traditionnel de gestion des finances publiques repose en


partie sur l’idée qu’en matière d’action administrative, les règles de
gestion du privé sont inopérantes appliquées à l’État. Après 1945, on
tend à revenir sur cet acquis fondé sur l’existence de deux ordres
juridiques. L’action et l’œuvre de Devaux s’inscrivent dans le cadre
de ce moment paradoxal de remise en cause. D’emblée il s’attache à
souligner le caractère inapproprié de la notion de rendement, liée à
celles de profit et de bénéfice, appliquée à l’orientation, l’exécution
et l’évaluation ex post des dépenses publiques. Dans cette optique, en
réponse à la question, qu’il pose lui-même, de savoir : « quelle est la
différence de nature entre les opérations financières de caractère
public et les opérations financières de caractère privé ? », il écrit :
« À mon avis, on doit répondre que, contrairement aux opérations privées, les
recettes et les dépenses publiques ne se déterminent pas les unes par les autres. Les
dépenses ne sont pas destinées à produire des recettes et par suite elles
échappent à la notion de “rendement”. Elles sont fixées a priori d’après leur intérêt
public [… Les dépenses publiques] sont exécutées parce qu’un conseil ou une
assemblée a décidé de les choisir et même de les imposer. Des règles précises
sont indispensables pour assurer l’exécution de ce “plan collectif”. D’autres
règles précises doivent être édictées pour remplacer par quelque chose d’efficace
le contrôle automatique que la notion de rendement procure aux entreprises
privées. Encore une fois, le souci du prix de revient ne peut pas être dominant
dans l’esprit d’un administrateur ; son but essentiel doit être d’accomplir ce
qu’on lui a demandé, c’est-à-dire de faire fonctionner au mieux un service public,
et s’il n’est pas contenu dans certaines limites par l’effet d’un mécanisme
juridique, sa conscience professionnelle le conduira à faire toujours mieux et
194
toujours plus cher ».
Michel Crozier, dans son étude sur l’agence comptable parisienne,
confirme encore en 1963 le caractère spécifiquement public du
fonctionnement de celle-ci :
« L’agence comptable parisienne a pour fonction d’opérer et de comptabiliser
une série de transactions simples demandées à une très vaste clientèle. C’est un
service public géré dans l’intérêt du public et non pas dans la perspective du
195
profit ». Il conclut :
« Les qualités nécessaires pour diriger un tel ensemble sont des qualités de
routine, une expérience empirique des difficultés possibles et une capacité
infatigable de contrôle. Tout compte fait cependant, ce système est efficace.
L’agence parisienne, comme les établissements de province, offre au public un
196
service excellent, à la fois très rapide et très sûr .»
Les citations de Devaux et de M. Crozier ont en commun le terme de
« service public », le voisinage entre « l’intérêt public » en général et
« l’intérêt du public » sur le terrain ainsi que la notion « d’efficacité
» que proclame l’un et que concède l’autre. À suivre l’un dans ses
convictions et l’autre dans son analyse, il y a un mode public
d’efficacité qui implique une organisation, une efficience et des
comportements différents de ceux du privé. C’est ce que Devaux
appelle le « rendement administratif 197 » dont il fait une catégorie
spécifique à un mode d’organisation administrative tributaire du
droit public, distinct des modes d’organisation du privé et du
rendement commercial. Il ne manque pas de le rappeler lorsque
évoquant le Comité central d’enquête sur le coût et les rendements
des services publics de Gabriel Ardant, il estime que celui-ci s’est «
trop longtemps attaché à la chimère du “rendement commercial”
198
». Contenir l’expansion de l’État, préserver chacun de
l’arbitraire administratif, assurer la transparence des mécanismes
financiers afin de conserver la foi publique, garantir l’harmonie
d’ensemble de l’action gouvernementale, tels sont les impératifs de
l’organisation administrative qui conditionnent le mode public de la
gestion des finances publiques. Avec les règles de la CP s’appuyant sur
ces impératifs, on assiste à un pur jeu juridique où le droit est fondé
à se substituer à une réalité que l’on chercherait vainement à
atteindre par le biais du rendement. C’est en définitive ce que
marque J. Caillosse lorsqu’il écrit :
« Le droit public nous plonge […] dans un univers symbolique qui trouve là sa
raison d’être première : il est à la fois le cadre et le fondement de pratiques
collectives qui, du fait même de leur qualification juridique, vont pouvoir se
déployer sans questionnement sur leur rendement. Car ce qui, du point de vue
du droit, est pertinent pour elles, relève de la seule régularité et non du calcul.
Partout ici la raison juridique se passe d’évaluation, pour s’accomplir dans le
service de la règle. Ces institutions publiques-là sont conçues de telle manière
qu’elles n’ont pas à s’interroger sur leur propre coût de fonctionnement. Ce n’est
pas qu’elles puissent faire n’importe quoi ! Il leur faut bien rendre des comptes,
mais c’est sur le terrain de la régularité, qu’il prenne l’aspect du contrôle de
199
légalité ou celui du contrôle de responsabilité ».
Les conditions de félicité de la dépense publique ainsi comprises sont
bien le suivi des règles édictées dans le cadre du droit public
bouclant sur lui-même, indépendamment des considérations
techniques de rendement, de performance ou plus généralement
d’objectivation de la réalité. Ce monde juridiquement clos qui
suffisait à garantir la logique de l’action administrative se trouve
confronté, avec l’avènement d’un monde dominé par la technique, à
la logique d’une vérité qu’on suppose pouvoir atteindre. Peut-être
est-ce là la racine de l’anti-juridisme qui, à suivre P. Legendre, se
développe notamment dans les années 1950 et alimente la
confrontation droit/technique.

c. Derrière la confrontation droit/technique, un anti-juridisme au


nom d’une volonté scientifique d’objectiver le réel ?

La logique de l’action rationalisée par le droit ou promue par la


rationalité technique et scientifique ?

Conscient de la nécessité d’une bureaucratie, sceptique quant à


l’application des méthodes privées au secteur public, hostile à la «
prédominance de la technique sur le droit », Devaux privilégie la
logique de l’action juridiquement encadrée par rapport à la logique
de la vérité comme préalable à l’action. À le suivre, le droit a pour
objet essentiel de fonder, précisément, la liberté d’action de
l’administrateur :
« Je crois, écrit-il, que le principe de la régularité administrative né au cours
d’une période de libéralisme et pour permettre sans arbitraire le jeu de larges
initiatives individuelles n’a de sens et d’intérêt que s’il est balancé par l’existence
200
d’une très large zone où règne le principe de “l’opportunité” ».
À l’ambition totalisante de l’expertise technocratique, il préfère le
renouvellement des conditions juridiques du face-à-face
psychologique de l’ordonnateur et du comptable. C’est pourtant la
première qui tend à se substituer au second dans les années 1950.
D’une telle substitution, P. Legendre rend compte ainsi : « La pensée
administrative tend à devenir scientifique, étant en bien des secteurs
profondément marquée par le développement foudroyant des
techniques nouvelles […]. Ainsi s’affirme le gouvernement par la
technique (technocratie) 201 ». Envisageant la question sur un temps
long, il écrit :
« En France, le culte de l’objectivation prétendue scientifique […] a renforcé un
anti-juridisme pluriséculaire et transformé l’image du système administratif,
censé provenir de la nébuleuse des arbitraires conjugués par l’Ancien Régime, en
une sorte de monstre grotesque dont le destin serait de faire obstacle à la liberté
202
et au progrès social ».
Il conclut :
« Le scientisme transforme de l’intérieur les États, et le cas français ne manque
pas d’être éloquent […]. De nos jours, la scientification des données […] comporte
le risque d’un “despotisme éclairé” qui serait politiquement non reconnu :
manier la poigne des sciences sociales, humaines et gestionnaires comme on
manie des armes, sans discussion. Les nouvelles croyances en un pouvoir qui,
pour être efficace et démocratique, devrait répondre à des critères d’action
prioritairement élaborés au niveau scientifique, poussent à la confusion. Le fond
des choses administratives est historique et politique. »
À l’aune de l’ouvrage de Devaux, le point de vue de P. Legendre se
justifie-t-il ? Comment, sur quoi et dans quelle mesure l’existence
d’une concurrence entre rationalité administrative juridique et
rationalité administrative scientifique est-elle fondée ? La
connaissance du réel peut-elle se substituer à titre principal au droit
comme guide de l’action administrative ? L’ampleur du sujet dépasse
le cadre de cette étude. Contentons-nous d’esquisser trois pistes de
recherche.

Élaboration du droit et production des faits scientifiques

La première trouve son point de départ dans la singulière


comparaison qu’établit B. Latour entre droit et sciences
expérimentales autour de la notion de permanence inhérente à l’un et
de l’esprit de rupture caractéristique de l’autre. Au terme d’une mise
en parallèle de l’élaboration du droit et de la production des faits
scientifiques respectivement par les juristes et les chercheurs, B.
Latour écrit :
« Tout chercheur, même s’il ajoute sa pierre modeste à l’édifice d’une discipline,
peut se prendre pour Samson et vouloir ébranler les colonnes du temple,
renverser les paradigmes, rompre avec le sens commun, démonétiser les théories
anciennes. Tout juriste, même s’il propose le plus audacieux renversement de
jurisprudence, doit maintenir intact l’édifice du droit, continu l’exercice du
pouvoir, lisse l’application de la règle. La science peut être lacunaire, le droit doit
être plein. La science peut se nourrir de vives controverses, le droit doit revenir à
203
l’équilibre ».
Avec l’irruption de la pensée scientifique au sein de l’administration,
c’est la notion de rupture, relayée par les sauts du progrès
technique, que promeut l’administration nouvelle. Elle se heurte à
l’impératif de continuité propre au droit, tel qu’il imprègne la
bureaucratie traditionnelle. De ce choc peut naître la confusion
dénoncée par P. Legendre entre ce qui est d’ordre historique, d’ordre
politique, d’ordre juridique et d’ordre scientifique au nom de la
recherche de l’efficacité. La gestion des finances publiques dans les
années 1950 se trouve prise entre la notion de permanence liée à la
perpétuation d’une tradition juridique portée par Devaux et l’esprit
de remise en cause perpétuelle caractéristique de la recherche
scientifique et transposée au nom de la modernité dans les domaines
techniques de l’action administrative.

L’incapacité de la rationalité technique et scientifique à produire du


consensus

La seconde piste de recherche conduit à mettre en cause la légitimité


même d’une telle transposition. Cette mise en cause découle de ce
que B. Latour appelle « le rêve moderniste », dont nous avons déjà
relevé la trace à travers l’ambition scientiste de certains concepteurs
du plan comptable et de la comptabilité nationale 204 . Cette
ambition repose sur l’hypothèse d’un consensus possible en matière
de gestion administrative fondé sur la quête de l’objectivation de la
réalité économique et donc de sa maîtrise comme facteur majeur de
décision et d’action administratives. Lorsqu’il écrit : « Si seulement
nous étions scientifiques, savants, rationnels, nous nous
accorderions beaucoup mieux 205 », B. Latour explicite, pour mieux
en dénoncer l’inanité, l’espérance portée par l’utopie d’un consensus
à partir de données prétendument objectivables. Réfutant l’idée
qu’on puisse « construire l’État sur la distinction entre les énoncés
scientifiques et les autres », il récuse le bien-fondé de la possibilité
même de ce consensus au motif que ce serait prendre « les sciences
en kidnapping pour leur arracher de l’accord entre les humains [et]
court-circuiter en quelque sorte les conditions de cet accord 206 ». À
le suivre, un tel consensus ne peut être produit à partir de données
objectives en raison de l’impossibilité qu’il y a à les établir. L’accord
doit plutôt se faire sur des choix politiques démocratiquement
validés, mis en œuvre en fonction d’un cadre juridique défini, ce que
Devaux appelle « un plan d’ensemble établi collectivement par des
assemblées ou par un conseil » qui ont décidé de « choisir et même
d’imposer » les dépenses propres à son exécution. À la croisée de
forces multiples, l’administration, en particulier celle des Finances,
est précisément le lieu de conception de cet accord nécessaire
impulsé et validé aux échelons gouvernemental et parlementaire. De
même contribue-t-elle à la mise en œuvre tâtonnante du plan établi
parmi l’ensemble des contradictions de la société dont elle est
devenue le lieu d’internalisation sinon de résolution.

Libéralisme et dirigisme également impossibles dans une société de


l’imprévisible

C’est là une troisième piste de recherche. Parce que les sociétés


contemporaines ne peuvent plus rien externaliser, ce rôle de
négociation de l’administration s’est accru et complexifié au point
que le système juridique ancien peine à l’encadrer. Parce qu’elles
sont devenues des sociétés du risque fabriqué par l’action à la fois
publique, industrielle et privée, de telles sociétés ne peuvent plus
maintenir la séparation secteur public/secteur privé telle qu’elle a
été voulue par le libéralisme du XIXe siècle : l’État, qu’il le veuille ou
non, voit désormais sa responsabilité engagée par l’ensemble des
risques encourus par le corps social. Aussi l’administration est-elle
devenue le lieu d’internalisation des risques produits et des
innovations développées par la société. La sphère publique, dès lors,
ne peut plus être ce que le libéralisme du XIXe siècle voulait qu’elle
fût : l’État strictement limité à ses fonctions régaliennes.
Symétriquement, la sphère publique ne peut être ce vers quoi elle a
tendu après-guerre : le lieu d’une direction de l’économie fortement
maîtrisée, planifiée, fondée sur des paramètres économiques et
comptables prédictibles. S’appuyant sur la pensée de John Dewey 207
, B. Latour envisage plutôt la sphère publique comme le lieu,
désormais, « de la gestion des conséquences inattendues de nos
actions 208 ». Forts de cette définition, constatons l’impossibilité
pour l’administration de rendre vraiment prédictible le résultat des
décisions qu’elle prend, des actions qu’elle engage et des innovations
qu’elle accueille et promeut. Dépourvue du critère « privé » de la
quête et de la mesure du profit appliqué à l’exploitation d’une
innovation technique, elle ne trouve finalement pas d’instrument
d’évaluation scientifiquement fiable pour guider son action et sa
gestion. Ainsi que le souligne B. Latour : « Nos sociétés découvrent
enfin que l’on ne peut demander à la science que peu de choses, et
certainement pas la certitude sur les conséquences inattendues de
nos actions 209 ». En ce sens aussi, la gestion des finances publiques
se distingue des critères du privé. Elle est soumise à un degré
d’imprévisibilité que ceux-ci n’ont pas à considérer. Gérer les finances
publiques, c’est accueillir l’événement et gérer l’impondérable, ce
que l’Ancien Régime nommait déjà à sa façon le domaine de «
l’extraordinaire » alors surtout appliqué à la guerre. À la gestion
inévitablement hasardeuse et tâtonnante de l’imprévu s’ajoute celle
des surprises de l’innovation technique auxquelles sont désormais
soumis les mécanismes financiers publics. Ces surprises ne
constituent-elles pas le « domaine de l’extraordinaire »
d’aujourd’hui ? Le périmètre de celui-ci, qui cumule risques naturels
et risques fabriqués, n’est-il pas devenu à ce point incertain qu’il
renvoie les principes de la gestion des finances publiques au seul
terrain ferme qu’ils peuvent vraiment connaître : celui du droit ?
Il n’en demeure pas moins que Devaux est en butte, lorsqu’il rédige
son ouvrage, à la montée en puissance de la logique de la vérité et de
l’ambition totalisante de l’expertise technocratique comme sources
de l’agir administratif et que celles-ci conduisent à une forte remise
en cause des logiques juridiques traditionnellement à l’œuvre au
sein de la gestion des finances publiques. L’harmonie dont les règles
de la CP sont la garantie semble rompue. Aussi Devaux s’engage-t-il
dans la quête d’un nouvel équilibre entre droit et technique en
matière de gestion des finances publiques.

B. Quel équilibre juridique pour la gestion des finances


publiques face à l’évolution de la distinction public/privé
sous la pression de « la technique » ?

Évoquant la centralisation du pouvoir gouvernemental et le respect


de la règle dont il estime qu’ils sont les piliers de « l’équilibre de nos
institutions », Devaux constate : « Il faut bien se rendre compte que
ces deux idées fondamentales sont actuellement battues en brèche 210 ».
L’une est « liée à la notion de prédominance d’un intérêt collectif sur
tous les intérêts particuliers » ; l’autre « fournissant un contrepoids
logique à l’arbitraire administratif, a permis […] la suppression des
privilèges et des particularités locales 211 ». L’une recouvre ce qu’il
appelle le « sens de l’État » ; l’autre est le moyen juridique de
garantir l’État contre lui-même par le maintien d’un équilibre entre
intérêts particuliers et collectifs. L’une et l’autre justifient
l’existence d’un droit public exorbitant du droit commun, garant
d’une distinction gestion publique/gestion privée. Le brouillage
qu’introduit dans les années 1950 la tendance nouvelle à l’adoption
par le « public » des méthodes du « privé » au nom d’un certain idéal
technique conduit à relativiser cette séparation sur le terrain avant
de mettre en cause son principe même. Devaux, pourtant, cherche à
maintenir à la fois la réalité et le principe de cette distinction, d’une
part, au nom de l’homéostasie inhérente au droit malgré la pression
de la technique et, d’autre part, en distinguant et hiérarchisant les
modalités respectives de l’évaluation juridique et de l’évaluation
chiffrée en matière de gestion des finances publiques.
1. L’homéostasie du droit face à la poussée technicienne, cœur
de la distinction public/privé de la gestion des finances
publiques

Selon Devaux, le droit reste la dimension indépassable dans le cadre


de laquelle doit continuer à se déployer tant l’agir administratif que
son contrôle. Aussi, en dépit de la contradiction qu’apporte, après-
guerre, la multiplication d’exceptions dans les faits aux principes de
la gestion juridique des finances publiques, recherche-t-il les
conditions d’un nouvel équilibre propre à rétablir l’harmonie
nécessaire à une saine application de la règle financière.

a. À propos de la distinction public/privé de la gestion des finances


publiques dans les années 1950 : une contradiction entre la théorie et
la pratique ?

La contradiction portée à la doctrine par l’évolution de la gestion des


finances publiques

Le maintien d’une séparation nette entre modes publics et modes


privés de gestion conserve-t-il un sens à l’épreuve des faits ? C’est la
question que pose Devaux lorsqu’il estime que « le maintien d’un
cadre réglementaire destiné à orienter et à limiter l’action
gouvernementale », en raison de l’extension des domaines
d’intervention de l’État dans des secteurs très particuliers d’activité,
se heurte « à de multiples intérêts professionnels ». Il ajoute : «
Aussi, les objets de la réglementation deviennent-ils trop nombreux,
trop vastes et trop instables. Leur complexité ne convient guère à un
droit écrit de caractère général. Leurs répercussions – locales ou
professionnelles – sont trop immédiates et trop sensibles ». P.
Legendre écrit dans le même sens : « [L’administration] n’est plus
considérée comme une institution fixée une fois pour toutes dans ses
structures et les règles de son fonctionnement. Elle est en crise, dit-
on ; il est plus juste d’observer qu’elle est en état de réforme
permanente 212 ». Tributaire de l’administration qu’il dirige, Devaux
est plus sensible à l’aspect « crise » qu’à l’aspect « réforme » de ce
moment charnière. Il le vit plus sur le mode de la contradiction que
de la conversion décrite par M. Margairaz : contradiction
idéologique entre libéralisme et dirigisme, mais aussi contradiction
accrue entre la doctrine et son application. « Le contact avec la
réalité administrative, écrit-il, fait apparaître […] entre la théorie et
la pratique, des différences qui sont de nature à troubler les esprits
213
». Aussi, Devaux, dans son interprétation de l’histoire récente
telle qu’il l’a vécue, se montre-t-il plutôt pragmatique. Au terme de
la lecture des faits à laquelle il se livre dans son dernier chapitre, il
dresse un état des lieux, valable en 1956. S’agissant des « services
traditionnels », il estime que ceux-ci ont pu maintenir leur allégeance
aux principes de la CP et bénéficier d’une meilleure surveillance
ainsi que des progrès de la technique comptable, même si dans le
détail les anomalies et les abus sont […] plus nombreux qu’en 1939,
même si le métissage entre les contrôles juridique et technique
demeure inachevé, même si « la responsabilité financière des
collectivités n’est plus délimitée avec précision », même si, enfin, « le
mythe des “affectations comptables” s’est fâcheusement développé ».
S’agissant « de services et d’organismes de création récente (entreprises
nationales, sécurité sociale, reconstruction, etc.) », il estime qu’ils «
échappent en principe au droit commun et conservent un certain esprit
“féodal” ». Il ajoute : « Cette situation constitue une menace
chronique de dislocation de l’action administrative, surtout lorsque
ces organismes […] ont la charge d’exécuter non pas des opérations
commerciales, mais de simples opérations de “droit public”. » Il
conclut néanmoins plutôt positivement que « Les techniciens eux-
mêmes ont établi presque partout une discipline intérieure satisfaisante
qui s’inspire des règles de la comptabilité publique » auquel a été
adjoint un contrôle technique de gestion a priori et a posteriori, que «
tous les organismes de caractère public ont été rattachés, en fait ou en
droit au Trésor » et que « sans avoir entièrement disparu, le secteur
parapublic est contenu dans d’étroites limites et soumis à une
réglementation de plus en plus stricte ».
Plus généralement, Devaux fait des concessions à l’esprit du temps
lorsqu’il marque combien « l’influence croissante de la technique est
un fait contre lequel il serait absurde de vouloir résister ». Après
avoir dénoncé l’obscurcissement du domaine de la régularité par la
prolifération des techniciens, il ne peut s’empêcher de constater : «
Les techniciens, surtout à la fin de la période de la Libération,
n’étaient pas opposés à la notion même de contrôle. Mais au lieu du
contrôle “juridique” de la régularité, ils étaient enclins à concevoir et à
faciliter un contrôle d’experts orienté vers l’opportunité 214 ». En dépit «
du rôle de frein » et de la « mentalité de contradicteur » qu’il leur
impute, il reconnaît que : « C’est en particulier l’appel aux experts
qui permit de rétablir une tutelle financière efficace sur les entreprises
nationales » pour finalement admettre le bénéfice possible du partage
de la direction des entreprises entre « d’anciens fonctionnaires
“techniciens” et d’anciens fonctionnaires “financiers” », dont « le
contrôle permanent fut assuré simultanément par des commissaires
du Gouvernement relevant à la fois de l’Économie nationale et des
Finances ». La voie de ce contrôle d’experts orienté vers
l’opportunité est néanmoins qualifiée de méthode « non-orthodoxe »
dans laquelle la rue de Rivoli ne s’est engagée qu’« avec un peu
d’hésitation ». Qu’il s’agisse des normes comptables du privé, de la
mise en place d’une comptabilité économique, de l’existence
devenue inévitable d’un secteur parapublic, un brassage de plus en
plus vif a lieu entre modalités publique et privée de gestion. C’est au
point qu’on peut se demander si la séparation public/privé, en
termes gestionnaires, ne relève pas plus de l’idée que de la réalité.

Le maintien du principe d’une séparation public/privé en matière de


finances publiques

N’y a-t-il pas la volonté de préserver sur le plan doctrinal une


séparation que dément depuis longtemps la pratique ?
L’intervention massive de l’État dans l’économie d’après-guerre ne
serait-elle pas le révélateur d’une situation longtemps occultée par
la théorie ? Nous l’avons relevé, il existe en France une tendance
historique forte d’intervention étatique, encore accrue dans les
années 1930. Devaux a vécu de près ce phénomène qui, après 1945, se
reproduit à plus grande échelle au point que le droit ne suffit peut-
être plus à l’encadrer. Après avoir souligné que « Le mouvement
d’“aller” et de “retour”, de “destruction” et de “reconstruction”
auquel nous avons assisté [depuis 1945] […] correspond au rythme
normal de la vie collective », Devaux ajoute : « Il reste que le choc de
la libération a été grave et l’effet de dislocation profond. C’est
pourquoi nous avons pu le comparer […] à une véritable maladie,
dont l’issue aurait pu être mortelle ». Il reprend ce thème plus loin :
« Encore une fois une crise administrative provoquée par un
problème particulier d’adaptation n’est pas un phénomène anormal.
Ce qui est plus inquiétant c’est que le même problème se pose
plusieurs fois de suite en une série de crises de plus en plus graves
215
… ». Devant la récurrence du problème posé avec une ampleur
inédite, Devaux souhaite « ôter » à nouveau « au procédé ses dangers
financiers ». Fût-ce au prix de l’adoption de méthodes non
orthodoxes du privé ou, notons-le, de l’exportation des principes de
la CP dans des organismes du secteur privé, l’essentiel est que soient
évités les risques majeurs (démembrement de l’unité de trésorerie,
affectations de dépenses, création de féodalités diverses,
pullulement de caisses noires, etc.). Devaux, pourtant, ne se satisfait
pas de ce pragmatisme en matière de gestion financière. À le suivre,
quel que soit leur succès, les solutions d’exception ne sont pas
appelées à devenir la règle. Aussi la problématique née de la
rencontre du droit et de « la technique » lui paraît-elle déterminante
car non résolue à ses yeux. Son attachement au principe d’une
séparation entre gestions privée et publique et au primat du droit en
matière de finances publiques demeure. À le suivre, l’homéostasie
propre à la matière juridique commande un retour à l’équilibre au sein
d’une tradition, certes réinterprétée mais nullement reniée, quelles
que soient les novations auxquelles le droit est confronté et
auxquelles il doit faire contrepoids.

b. Entre les principes traditionnels des juristes et les idées modernes


des techniciens : trouver un équilibre en maintenant l’homéostasie du
droit

Les légistes porteurs d’un idéal de bonne mesure entre méthodes


classiques de contrôle juridique et méthodes modernes de contrôle
technique

À propos du système défensif érigé contre l’extension de l’État et de


son incidence sur le système juridique français « dans le sens d’un
contrôle de plus en plus étendu sur l’administration », P. Legendre
écrit :
« La solidité de pareilles élaborations mérite réflexion. On ne peut l’expliquer
seulement par la domination de la bourgeoisie […]. Les raz de marée du XXe
siècle auraient emporté ces défenses, si elles n’étaient, en réalité, enracinées
dans le bloc de nos traditions nationales. Il faut en appeler ici à de très vieux
réflexes de modération ; la Monarchie elle-même avait dû en tenir compte […].
Finalement, d’un régime politique à l’autre, les juristes, dont le rôle historique est en
France si important, furent les « conducteurs » efficaces de ces résistances traditionnelles
; ils devinrent les interprètes d’un idéal collectif de bonne mesure, cette juste mesure
216
évidemment difficile à traduire dans les faits .»
Devaux souscrit à cet idéal de bonne mesure des juristes. Face à
l’ampleur du défi lancé par « la technique » au droit sous la double
forme de l’intervention de l’État et de l’évaluation des dépenses
publiques, il estime qu’« une adaptation est souhaitable et ne saurait
être obtenue sans un équilibre raisonnable entre les principes
traditionnels des juristes et les idées modernes des techniciens 217 ». Il sent
pourtant la difficulté qu’il y a à traduire cet idéal de bonne mesure
dans les faits lorsqu’il cherche à définir le point de cet équilibre. Il le
marque lors de l’évaluation qu’il fait des assauts subis par les
mécanismes traditionnels de gestion des finances publiques après-
guerre et des combats remportés ou non pour les repousser.
S’agissant des services administratifs « les plus solidement
charpentés », il affirme :
« Dans le secteur classique de notre réglementation (la gestion des grands
services administratifs de l’État et des collectivités) nous avons déjà porté un
jugement sur l’intervention des “spécialistes”. On ne peut s’en passer, mais on
risque en allant trop loin de paralyser l’action des chefs de services responsables.
218
C’est donc une question de mesure ».
Il ajoute :
« Aux méthodes classiques de contrôle fondées sur le “droit” et “l’automatisme”,
se superposent des méthodes modernes de contrôle “technique”, fondées sur
l’intervention des spécialistes et des experts. La synthèse des deux types de
méthodes n’est pas achevée. Il en résulte une certaine lourdeur qui nuit au
219
rendement administratif ».
S’agissant des entreprises publiques, il écrit :
« Dans le secteur à caractère industriel et commercial, reconnaissons qu’il ne
serait pas bon d’assujettir les établissements à une réglementation financière
aussi stricte et aussi “automatique” que celle des départements ministériels. La
conception d’un “contrôle de gestion” organisé a priori par une tutelle conjointe,
a posteriori par des commissions d’experts, a fait ses preuves et mérite d’être
maintenue. Mais si elle est efficace pour tous les grands problèmes […], elle laisse
dans le détail une responsabilité trop lourde aux [dirigeants …] Je persiste à
croire qu’il serait opportun de donner une certaine indépendance aux services
comptables, en s’inspirant par exemple des dispositions du décret du 30
220
septembre 1953 ». La pratique qui se développe après 1945 bat en brèche en
bien des domaines la théorie d’une gestion publique des dépenses publiques.
Pourtant, malgré l’évolution qu’il observe, dans la synthèse qu’il appelle de ses
vœux en matière de gestion des finances publiques, c’est, à le suivre, le droit qui
doit encore dominer.

Le droit, contrepoids nécessaire à la poussée de la technique

Face à la montée en charge de « la technique » au sein de


l’administration, il convient, pour Devaux, d’équilibrer son influence
par une évolution du dispositif juridique qui encadre la dépense
publique. C’est le sens du diagnostic qu’il pose à propos de l’élan des
technocrates lorsqu’il affirme :
« Cette poussée des techniciens, formidablement accrue par les progrès mêmes
des techniques et par l’intervention de la puissance publique dans tous les
domaines de l’économie, aurait depuis très longtemps fait sauter notre régime si
un siècle et demi d’expérience démocratique n’avait institué trois sérieux
contrepoids ».
Parmi ceux-ci, deux sont liés au droit public, soit qu’ils le produisent,
soit qu’ils l’appliquent. Il cite successivement « de grandes institutions
indépendantes telles que le Conseil d’État et la Cour des comptes, qui
ont cherché leur inspiration et trouvé leur raison d’existence au
cours d’un siècle d’effort en faveur de la légalité » et : « la
concentration du pouvoir financier entre des milliers de comptables
répartis dans toute la France […] qui risquent d’être
personnellement ruinés s’ils ne disent pas chaque fois qu’il faut le
dire : “Vous n’appliquez plus les règles du jeu. Nous n’exécutons plus
vos ordres” 221 . » Comme en écho, citant Hauriou, P. Legendre écrit :
« La préoccupation essentielle est d’assurer “un contrepoids puissant
à toutes les forces aveugles de la puissance publique” 222 ». C’est à
quoi répond encore en 1948 la création de la Cour de discipline
budgétaire bien que Devaux en déplore les modalités de
fonctionnement. Mais équilibrer l’intervention accrue de la
puissance publique dans l’économie par le biais d’une évolution
juridique signifie aussi maintenir l’équilibre interne des règles de
droit qui régissent les mécanismes d’exécution de la dépense
publique face aux novations techniques.

Primat du processus agrégatif du droit en matière de continuité de


l’action administrative

Puisque le droit s’accommode mal des ruptures, il convient, tout en


recherchant un équilibre nouveau avec « la technique » par un
contrepoids juridique renforcé, de maintenir l’homéostasie propre au
droit. Celle-ci est un élément déterminant de ce qui garantit la
permanence de l’administration et la continuité du service de l’État
face aux perturbations que suscite l’innovation. Le droit est un
vecteur essentiel de cette permanence et de cette continuité. Étant
par principe « toujours déjà là 223 », il a pour effet d’agréger le neuf à
l’existant et non pas d’imposer la novation en rupture avec la
tradition. Ainsi que le note B. Latour, il convient de préserver ce «
quelque chose d’homéostatique qui tient à l’obligation de ne pas
trouer le fragile tissu des règles et des textes 224 ». Aussi le corpus
déjà constitué forme-t-il le socle auquel doivent se référer toutes
formes d’innovation sans que soit mis en péril l’équilibre interne de
la tradition juridique 225 . Le droit accueille, mais en englobant. Ainsi
que l’écrit P. Legendre : « L’administration, injectée de cet esprit
juridique et dogmatique dont prétend se garder l’intellectuel
français quand il s’intéresse aux affaires de l’État, ne lâche rien de
son savoir-faire, mais plutôt l’enrichit et s’adapte, ouvrant ses portes
à toutes nouvelles vagues 226 ». Tant la réforme que l’ouvrage de
Devaux montrent son soin de rattacher le présent au passé au
bénéfice d’une tradition renouvelée. Ce souci se lit dans l’explication
qu’il donne de « l’échec au moins partiel de la Cour de discipline
budgétaire » qu’il impute à son inadéquation avec les « traditions de
notre système administratif », avant d’ajouter : « au lieu de créer de
toutes pièces un mécanisme inédit, il eût été prudent de se fier à
cent cinquante années d’expérience sur la responsabilité pécuniaire
des comptables et d’étendre celle-ci à une nouvelle catégorie de
fonctionnaires 227 ». Reste qu’en dépit du souci de maintenir le
caractère homéostatique du droit et d’accroître son rôle de
contrepoids face au développement du rôle économique de l’État, en
1956 l’équilibre entre « les principes traditionnels des juristes et les
idées modernes des techniciens » est encore à trouver. Demeure
pendante la question des modalités d’hybridation entre gestions
publique et privée des finances, entre bonne régularité et évaluation
chiffrée de la dépense publique.

2. Évaluation juridique et évaluation chiffrée : quelles modalités


d’efficacité respectives en matière de gestion des finances
publiques ?

Alors que triomphe l’illusion d’une maîtrise possible du réel, c’est au


discours nouveau de l’économique, de la technique et du chiffre sur
le monde que Devaux se trouve confronté. C’est à l’aune de ce
discours qu’il faut entendre le point de vue juridique qu’il défend à
propos de la gestion des finances publiques. C’est pourquoi, méfiant
à l’égard de la logique de résultat, il persiste dans la logique de
moyens au nom de la nécessaire limitation de la puissance publique.
C’est pourquoi, entre le droit et le chiffre il hiérarchise les modalités
d’évaluation à l’aune du degré de certitude produite. C’est pourquoi,
enfin, il cherche à rendre au droit son efficacité réelle par-delà son
efficacité rituelle déclinante alors que, paradoxalement, l’évaluation
chiffrée se ritualise elle-même.
a. La gestion des finances publiques entre logique de moyens et
logique de résultats : nécessité et primauté du contrôle juridictionnel

La persistance de la logique de moyens… faute de moyens

L’évaluation chiffrée des résultats de la dépense publique et la


mesure de son efficacité ne sont pas des idées neuves. Déjà sous la
Restauration, d’Hauterive en formule l’intérêt 228 . Pourtant, jamais
elle n’est testée avant la rationalisation des choix budgétaires (RCB)
des années 1960. La raison n’en est pas spécifique au secteur public.
Espérer des techniques nouvelles, les envisager, les légitimer une
fois qu’elles sont techniquement réalisables est un souhait que les
praticiens de l’administration formulent au même titre que les
acteurs d’organismes privés. Ce n’est pas seulement la réification des
représentations mentales, la fixité des procédures juridiques ou la
divergence des objectifs assignés qui en ralentissent l’adoption dans
l’administration plus que dans d’autres secteurs. Longtemps,
l’ampleur et la diversité de la matière à traiter, le nombre des
données à saisir, le souci d’équité, l’insuffisance des effectifs et la
lenteur des perfectionnements techniques du travail de bureau
espérés l’ont conduite à se désintéresser des outils de gestion fondés
sur les notions de rendement, de coût ou de performance de la
dépense publique. Si, dans le principe, un certain bon sens
commandait de s’intéresser à l’évaluation des résultats, dans les faits
une autre forme de bon sens a longtemps commandé de la négliger.
Devaux rédige son ouvrage alors que des horizons s’ouvrent en
matière d’évaluation chiffrée. Pourtant, en dépit de son intérêt pour
le développement de la mécanographie et des tableaux de bord, il
réfléchit en termes de progrès bureautiques lents où l’interaction
entre les usages des praticiens transmis d’une génération à l’autre et
le droit qui les encadre sont pensés comme les instruments les plus
adaptés de gestion financière administrative. Aussi l’idée
d’abandonner la logique de moyens au profit d’une logique de
résultats lui paraît-elle singulièrement vaine, ce qu’il traduit dans la
rédaction de l’ordonnance du 2 janvier 1959, dont il est l’auteur en
titre 229 .

Les risques antidémocratiques liés à la seule logique de résultats


ou la tentation de justifier les moyens par la fin

Vaine, l’idée d’évaluer l’action administrative à la seule aune du


résultat lui paraît aussi dangereuse :
« Ne nous dissimulons pas, écrit-il à propos des technocrates, que cette armée de
spécialistes – chacun avec une optique technique dont il finit par faire l’idéal de
son existence – stimulée par les ordres qui viennent des centres de Paris et par
une émulation soigneusement entretenue, conduirait infailliblement au
triomphe de la “fin justifie les moyens” s’il n’existait pas une contrepartie très
230
puissante pour assurer le respect de la loi ».
Ce n’est donc pas par manque d’anticipation du progrès technique
que Devaux marque sa méfiance à l’égard de la logique de résultats ;
c’est en raison de cette tradition française qui conduit
l’administration à se défier de ses propres agents dont « l’honneur »
serait plus de répondre à l’idéal de leur « état » que de respecter les
règles qui encadrent leur action où même de remplir les objectifs
fixés 231 . Ainsi écrit-il, toujours à propos des fonctionnaires
techniciens et du pouvoir dont ils disposent de fait par rapport à la
loi :
« Ils ont assez de dynamisme pour vouloir foncer en avant et détruire les
obstacles qui s’opposent à l’achèvement de leur tâche particulière. Il y a ceux qui
veulent faire des écoles, il y a ceux qui veulent faire des routes, il y a ceux qui
veulent construire des navires, des écoles toujours plus spacieuses, des routes
232
toujours plus larges, des navires toujours plus luxueux ».
Évaluer l’action des administrateurs à la seule aune du résultat
constituerait une entorse aux principes démocratiques qui inspirent
les règles de la CP 233 . En raison de sa puissance même, des
prérogatives exorbitantes du droit commun dont elle dispose,
l’administration ne peut se satisfaire de justifier son action par les
résultats qu’elle obtient. En son sein, la fin serait trop aisée à justifier
si la question des moyens n’était pas soulevée à toutes les étapes.
C’est dans cette importance des moyens que le droit public financier
trouve la source de sa justification : avec les règles qui en procèdent,
ce n’est pas la fin qui justifie les moyens mais bien plutôt les moyens
qui sont chargés de justifier la fin.

La primauté du contrôle juridictionnel

Cette importance des « moyens » se traduit par le suivi, a priori et à


tous les stades de la dépense publique, de règles de droit
administratif en sorte que l’application de celles-ci constitue le
véhicule principal, sinon exclusif, de l’acheminement des fonds
publics vers leur destination et suffit à légitimer leur emploi. Pour
que soient remplies les conditions de félicité propre à l’exécution du
budget de l’État, il convient de s’attacher plus au chemin emprunté
qu’au but visé. Le comptable public, à chaque faux pas qu’il commet
sur la voie qui lui est tracée, est menacé par le juge des foudres du
droit attaché à sa responsabilité personnelle et pécuniaire. C’est en
quoi Devaux affirme la supériorité intrinsèque des mécanismes de
contrôle juridique sur le contrôle de gestion et l’intérêt d’une
distinction gestion publique/gestion privée en matière financière.
« Si le contrôle de la gestion peut compléter utilement le contrôle juridictionnel, écrit-il,
il ne peut jamais le remplacer. Il demeure indispensable […] de soumettre toutes les
justifications des opérations publiques (commerciales ou non commerciales) à un
234
juge qui ne soit pas un simple commissaire aux comptes d’origine privée ».
En affirmant le primat du contrôle juridictionnel, Devaux renforce,
en matière de gestion des finances publiques, l’idée d’un climat
distinct de celui propre aux affaires privées. Sous de tels cieux, le
critère de l’efficacité et du résultat ne peut être premier par rapport
au souci de verrouiller et de sanctionner la dépense par un
mécanisme juridique. C’est pourquoi, à suivre Devaux, dans le
processus d’hybridation entre droit et techniques de gestion, la
préséance doit revenir au droit. Indépendamment des menaces qui
pèsent sur une telle préséance dans les années 1950, la question
mérite d’être posée en théorie : ce point de vue est-il en soi légitime
?

b. Le chiffre et le droit : deux manières différentes d’appréhender la


gestion des finances publiques

Après-guerre, nous l’avons vu avec les critiques formulées par Cusin,


la mobilisation des règles de la comptabilité publique dans le
processus des dépenses publiques a mauvaise presse. Lenteur,
formalisme, inefficacité, absence de priorités dans l’orientation des
dépenses sont alors reprochés à cette branche du droit public,
comme les conséquences de la référence obligée à ses règles. C’est ce
que Devaux appelle « une réaction iconoclaste contre un formalisme
que l’on condamne a priori comme une des manifestations les plus
fâcheuses de la routine bureaucratique 235 ». Simultanément, la
tentation est forte d’accorder désormais le primat à la mesure
économique et comptable des dépenses publiques, y compris en
termes d’évaluation de leur performance, sur les règles juridiques
qui en balisent si méticuleusement l’exécution. C’est oublier combien
les objectifs et les capacités de ces deux manières d’appréhender la
gestion des finances publiques diffèrent. L’une délivre de
l’information en multipliant les tableaux de bord pour affiner la
gestion des finances publiques ; l’autre met en forme celle-ci en lui
donnant sa spécificité publique.
Portée et limite de l’utilité des indicateurs chiffrés appliqués à la
gestion publique des finances selon Gilbert Devaux

On se tromperait si l’on négligeait l’importance que Devaux accorde


aux indicateurs chiffrés pour rendre compte de la réalité
économique. Il le souligne lui-même, sans les chiffres, l’objectif de
transparence propre à la comptabilité publique n’est que
partiellement atteint 236 . Qu’il s’agisse des comptes de l’État, des
comptes économiques de la Nation et de l’application du plan
comptable aux entreprises publiques, il se félicite des progrès
accomplis en matière d’indications chiffrées.
Sur le premier point, il écrit :
« Devant les méfaits du mouvement centrifuge [les experts] en sont venus à
penser que la publication de comptes clairs était la seule arme dont ils
disposaient encore contre le désordre et les abus. La vieille mystique du “secret
financier” fut donc délibérément abandonnée […]. Dès 1947, la direction du
Trésor publia […] un inventaire donnant une description d’ensemble de l’activité
des finances publiques (y compris celle du parapublic) ».
Il souligne l’intérêt pour l’État de disposer de tableaux de bord
fiables à travers notamment l’établissement en 1948 d’une situation
statistique hebdomadaire dont il estime qu’« elle ne laisse plus
subsister aucune obscurité sur l’évolution financière conjointe de
l’État et de ses correspondants ». Il souligne enfin l’intérêt du
classement sur le plan budgétaire des chapitres « selon des
distinctions qui présentent à la fois un intérêt économique et social
».
Plus largement, il reconnaît le bénéfice que Rivoli trouve à
développer « le compte économique de la nation et le “budget
économique de la nation” ». S’interrogeant sur l’intérêt de tels
instruments de mesure, il écrit :
« On a prétendu que ces documents sont trop complexes et trop tardifs pour
pouvoir utilement guider l’action du ministre des Finances et que celui-ci ne
pouvant plus s’assigner un objectif simple – tel que l’équilibre budgétaire ou
l’équilibre de la trésorerie – est obligé de fonder toute sa politique sur
l’observation d’indices imprécis […] ou sur un empirisme mêlé d’intuition. Ces
critiques ne sont pas dénuées de fondement, mais elles ne justifieraient en
aucune façon un retour aux anciens errements ».
Il conclut :
« Il était sans doute inévitable que le “changement de point de vue” opéré par
l’administration des Finances depuis la dernière guerre à la fois sous l’influence
des doctrines étrangères, et par l’examen de son propre mécanisme de
trésorerie, comporte une période assez longue de transition et de tâtonnement.
Le fait de s’être délibérément engagé dans cette voie n’en constitue pas moins un
progrès considérable ».
Enfin, en dépit de sa dénonciation des méfaits d’une « application,
par principe et à grande échelle, d’une gestion commerciale à des
services appartenant à l’État », il rappelle que :
« Dès 1948, la direction de la Comptabilité publique, joignant ses efforts à ceux du
département de l’Économie nationale, obtint que toutes les entreprises publiques
adoptent le plan comptable normalisé qui avait été prévu pour le secteur privé.
Grâce aux moyens de toute nature qu’ils purent mettre en œuvre, les techniciens
des nationalisés, se laissant séduire par l’attrait de la “mécanique comptable” où
pouvait triompher leur culture mathématique, firent de cette réforme une
réussite complète. L’on peut dire qu’à l’heure actuelle, certaines comptabilités
commerciales, telles que celle d’Électricité de France, sont devenues un modèle
qu’aucune société privée ne parvient à égaler ».
Il constate même avec satisfaction que : « les établissements publics
traditionnels qui ont besoin de dégager un prix de revient […]
appliquent aujourd’hui des méthodes très voisines de celles du
secteur privé » et que « les collectivités [locales] s’accoutument
également à un plan comptable normalisé et modernisé, qui dégage
certaines notions essentielles telles que les variations du patrimoine
et de la dette ». Il conclut à un heureux renforcement de la position
des administrations financières : « En définitive, les efforts
accomplis pour essayer de “voir clair” n’ont pas seulement contribué
au rétablissement de l’ordre. Ils ont également assis sur des bases
rénovées l’autorité du ministre des Finances et l’ampleur de son
action 237 ». Il n’en demeure pas moins qu’aux yeux de Devaux, pour
ce qui est du secteur public, le chiffre est subordonné à la régularité
financière en ce sens qu’il n’en est jamais qu’un des éléments. Le
degré de certitude auquel parviennent l’une et l’autre façon
d’appréhender la gestion des finances publiques est le point
discriminant entre chacune.

Certitude du droit, incertitude de l’évaluation chiffrée

Malgré son intérêt pour les tableaux de bord, Devaux ne


s’accommode pas de l’idée de refonder la gestion des finances
publiques sur des critères principalement chiffrés. La possibilité
d’établir un consensus en matière de dépense publique sur des bases
économiquement rationnelles et quantitativement mesurables lui
paraît illusoire. C’est au droit qu’il reconnaît un caractère impératif ;
il ne considère les données chiffrées que sous l’angle indicatif. La
distinction s’établit à l’aune du degré de certitude qu’atteint chacun
pour établir les conditions de félicité de la gestion des finances
publiques. Le droit tire sa légitimité de lui-même. Ses règles sont une
fiction à laquelle il lui est toujours loisible de répondre en fonction
de ses propres normes. La force de cette fiction est de s’imposer hic
et nunc dans le réel, au point d’en devenir une composante
essentielle. S’agissant de la gestion des finances publiques soumise
aux règles de la CP, on est sommé, avec le droit, de répondre à des
questions précises que Devaux formule ainsi :
« le domaine de la régularité comprend des obligations “de faire”, des
“interdictions” et des “procédures”. La première question – la question de fond –
à laquelle l’énoncé d’une règle doit apporter une réponse est toujours : “Peut-on
(ou doit-on) faire telle opération financière ?”. La seconde est : “Qui peut (ou
doit) la faire ?” La troisième – la question de forme – peut s’exprimer ainsi :
Comment peut-on (doit-on) [l’accomplir] ? »
Il ajoute : « La seconde question – celle de la compétence – présente
un intérêt administratif fondamental car sa réponse désigne le
véritable responsable 238 . » Or cette réponse par le truchement du
droit doit pouvoir être certaine. À l’inverse des règles juridiques,
l’évaluation chiffrée de la dépense publique est tributaire d’une
réalité qui lui échappe, qu’elle peine à saisir et à laquelle elle ne
s’impose pas. Comme la recherche dans les sciences expérimentales,
elle s’engage dans un dialogue avec la réalité extérieure. Mais, à la
différence de celles-ci, elle ne peut se prévaloir de l’autorité d’un fait
démontré. Là où la démarche scientifique permet, dans le domaine
expérimental, un aller et retour entre des faits certains et la théorie
dont ceux-ci sont un exemple reproductible, l’évaluation chiffrée,
malgré son tropisme scientiste, ne saisit la réalité que sur le mode du
probable, sinon de l’hypothétique. Aucune modélisation ne peut
rendre compte de l’infinité des variables qui composent l’efficacité
de la dépense qu’elle cherche à saisir sans la réduire à quelques
indicateurs, au risque, en en faisant une obligation, de substituer
ceux-ci à la réalité elle-même. D’un autre côté, si, comme le droit, la
mesure chiffrée du réel est un pur construit, elle en diffère en ce
qu’elle ne peut édicter ses propres normes. Ne bouclant pas sur elle-
même, elle ne jouit pas, notamment en termes d’évaluation, de
l’autonomie du droit, ce qui lui ôte l’autorité propre à la règle
juridique. En théorie, le dernier mot revient bien aux certitudes du
droit.

Délivrer de l’information ou mettre en forme ?

Si, après-guerre, la prévalence du chiffre tend néanmoins à


s’imposer, c’est que le droit financier qui encadre l’action
administrative est confronté à une demande nouvelle : délivrer de
l’information sur les objectifs poursuivis et les résultats atteints.
Voilà ce qu’il ne peut produire. Ainsi que le note B. Latour, il « déçoit
ceux qui veulent transporter de l’information 239 ». Comparant
approches scientifique et juridique, il précise les raisons de cette
déception propre au technicien : « Le rapport entre les apparences et
la réalité, si important dans les sciences […] n’aurait [pour le droit]
aucun sens : les apparences sont tout, le fond n’est rien 240 . » Mais,
ajoute-t-il, « [le droit] fait mieux qu’informer, il met en forme ». Par
son truchement, toute la chaîne des dépenses de l’État depuis le plan
d’ensemble voté par les assemblées jusqu’au moindre versement de
denier public sur le terrain est maintenue en cohérence par une
assignation des responsabilités. B. Latour le confirme lorsqu’il
résume ainsi la mission du droit : « Rattacher un énoncé à son
énonciateur par le suivi des chaînes de signatures ; authentifier un
acte d’écriture […] ; tracer le cheminement des énoncés ; tout le droit
peut être saisi comme un effort obsessionnel pour rendre
l’énonciation assignable. » Les règles de la CP n’ont pas d’objet plus
important. Et lorsque B. Latour conclut : « [Sans le droit] on ne
retrouverait pas la trace de nos actions. On n’imputerait pas de
responsabilité 241 », Devaux lui donne la réplique lorsqu’il souligne
que les règles de la comptabilité publique ont d’abord pour objet «
tantôt d’établir des obligations, tantôt de mesurer des responsabilités 242
». Les techniques de gestion économique et d’évaluation des
résultats s’efforcent d’objectiver le réel ; le droit permet d’imputer
des responsabilités. À suivre Devaux, si l’action administrative ne
cherche plus les conditions de sa félicité dans la seule conformité
juridique, la mesure chiffrée de ses résultats ne saurait prendre le
pas sur le droit qui l’encadre. À la fois plus certain et plus
démocratique, celui-ci lui paraît plus légitime pour dire si l’on a bien
agi. Mais la question de la prédominance du droit sur le chiffre ou du
chiffre sur le droit ne s’exprime pas seulement en termes de
modalités effectives de la gestion des finances publiques, elle
s’exprime aussi en termes de croyances.

c. Le rôle de la croyance en matière de gestion des finances publiques :


d’une efficacité rituelle à l’autre
En matière de gestion des finances publiques, le droit comme le
chiffre, l’économie et la comptabilité, indépendamment de leurs
propriétés intrinsèques, sont en définitive aussi chargés de faire
croire.

Efficacité rituelle du droit

Le droit des finances publiques ne relève pas que du droit. Depuis


près de deux siècles il est au service d’une mise en scène dont l’objet
est de fonder la foi publique. À cette mise en scène collabore
l’ensemble de l’organisation administrative que suppose la mise en
œuvre des règles juridiques de la comptabilité publique. P. Bezes le
marque lorsqu’il note l’efficacité rituelle du droit public financier :
« Cette épaisseur juridique, écrit-il à propos de l’arsenal de textes qui encadre la
dépense publique, est essentielle en vertu de la force normative du droit, même
si l’on sait qu’elle réside moins dans son caractère strictement impératif que
dans ses effets de distribution de pouvoir et dans les ressources que les textes de
loi offrent aux acteurs. Cet ensemble d’écriture effectue des actes, a une efficacité
rituelle proprement sociale qui scelle l’action, les transactions entre institutions
243
d’État ».
J. Caillosse reprend ce thème :
« Le droit ne déploie pas uniquement ses registres sur le seul plan de la
technicité inhérente à la matière juridique. Celle-ci appartient encore au monde
de l’imaginaire : par les représentations, les métaphores et même les fictions
dont elle est notamment chargée, la langue du droit recouvre de ses images, en
même temps qu’elle s’en saisit, les faits et les réalités empiriques. Parler […] de
constitution imaginaire de l’administration n’a donc rien de “forcé”. Pas plus
qu’elle ne peut se lire raisonnablement dans le récit ininterrompu dans lequel le
droit administratif la met en scène, l’administration n’est sérieusement
concevable sans les représentations qu’en donne la machinerie juridique : elle
tire de ce stock d’images des ressources inépuisables. C’est qu’il ne lui suffit pas
de faire voir, il lui faut encore faire croire. Le droit lui fournit pour cela des moyens
on ne peut plus précieux : le jeu des images et sur les images ouvre aux acteurs
de l’administration des marges de manœuvre dans lesquelles ils peuvent
244
librement, discrétionnairement, faire et refaire le monde ! ».
P. Legendre, dans la même optique, écrit :
« La théorie politique habituelle a le plus grand mal à concevoir que le problème
de l’organisation normative suppose […] une mise en scène, qu’instituer la
réponse au pourquoi ? soit une vaste entreprise théâtrale. Autrement dit, pas de
légitimité sans métaphore, sans montage de fictions. Si l’on tient pour secondaire
ou si l’on refuse de reconnaître cette dimension du système normatif, on ne
comprend pas bien la logique dogmatique, la genèse des normes, pas plus qu’on
ne saisit l’efficience des manœuvres de pouvoir parce que ces manœuvres sont
avant tout la manœuvre des images et le droit est finalement lié au pouvoir par
245
cette articulation des images ».
Ce théâtre juridique a d’autant plus de force en matière de gestion
des finances publiques que sa mise en scène repose sur un droit
exorbitant du droit commun et se fonde sur la croyance en un
clivage effectif entre « sacré et profane » 246 , entre gestions publique
et privée des finances. Devaux pourtant ne saurait se contenter de
l’illusion produite par cette seule mise en scène. S’il souscrit à
l’existence de la distinction, ce n’est pas pour se contenter de ses
effets de nature quelque peu fétichiste. Il cherche à surmonter, à
propos des règles de la CP, ce qu’il appelle « un respect dogmatique
qui dissimule mal une incompréhension profonde 247 ». Son projet
est de rendre au droit des finances publiques son efficacité réelle en
plus de son efficacité rituelle, de ressourcer celle-ci par celle-là. Au
demeurant n’est-il pas d’autant plus fondé à privilégier le droit que
les approches scientifiques et chiffrées du réel, paradoxalement,
sont elles aussi l’objet d’une forme de croyance, de ritualisation,
voire de fétichisme ?

Efficacité rituelle de l’évaluation économique et chiffrée

Les chiffres qui tentent d’objectiver le réel se sont à leur tour


chargés d’une efficacité rituelle. Loin de se contenter de dire quelque
chose sur la réalité, la mesure économique et comptable, notamment
s’agissant de l’efficacité de la dépense publique, est devenue objet de
croyance. Son risque est double : le premier est de polariser l’action
administrative sur ce qui est mesurable au détriment des formes de
réalités qui échappent à son instrumentation. Sur ce point, évoquant
la notion de culte, J. Caillosse écrit :
« La banalisation de l’idéologie de la performance n’a rien qui doive réjouir, dès
lors que les acteurs y découvrent les moyens de légitimer un culte du rendement
public, comme si les rapports sociaux étaient désormais condamnés à ne plus
248
trouver de justification hors du calcul et de la mesure économique ».
Simultanément, le rituel qu’engendre l’évaluation économique et
comptable devient plus fort que la réalité qu’elle manifeste au risque
de l’occulter. Alors qu’elle réfute le fétichisme au motif qu’elle
atteindrait la réalité, à son tour elle devient l’objet d’une forme de
culte. Contribuant à désacraliser le droit, elle n’a pu échapper à sa
propre sacralisation. Élargissant sa critique au-delà des critères
chiffrés de gestion à l’ensemble des sciences sociales, P. Legendre
explicite cette tendance paradoxale lorsqu’il écrit :
« La culture scientifique, en tant que forme ultramoderne de l’illusion
absolutiste, impose la croyance en l’élimination de la dogmaticité ; elle en est
dupe et de cela la preuve est aisée : la scientification généralisée de l’objet du
pouvoir, loin d’éliminer la logique dogmatique, a promu les sciences sociales,
humaines et gestionnaires en instance juridique occulte, c’est-à-dire en instance
249
de pouvoir non contrôlable .»
Le vocabulaire employé par certains novateurs comptables au sortir
de la guerre illustre le processus à la fois d’une transposition de la
notion de croyance à la science économique et de l’instauration de
celle-ci en « instance de pouvoir non contrôlable ». Ainsi Anthonioz
écrit-il :
« Le cadre général de base [de l’organisation nationale de la comptabilité]
quoique missionnaire, ne considérera pas l’ensemble des données du problème. Il
sera missionnaire en situant l’idée de base, l’idée économique à partir de laquelle la
pensée pourra s’élever progressivement jusqu’à ces hauteurs que notre
imagination ne peut encore se représenter. Il sera missionnaire parce qu’il répandra
l’ordre en permettant à la comptabilité de se découvrir, de reconnaître ses lois
pour se ranger parmi les sciences, comme une connaissance exacte et raisonnée
250
indispensable pour l’organisation spirituelle et matérielle de la vie humaine
».
Notons l’acte de foi envers la possibilité d’une connaissance exacte.
Notons surtout le refus d’envisager « l’ensemble des données du
problème » qui suppose une croyance en l’existence d’un
déterminisme économique qui, de façon automatique, commanderait le
reste de la réalité, tel un axiome indémontrable et fondateur. Si cette
conception de la gestion et de l’évaluation est aujourd’hui remise en
cause, du moins dans la naïveté de sa formulation, rappelons que
c’est à l’émergence de tels énoncés que Devaux se trouve confronté
et qu’il oppose son propre discours. Nouveaux vecteurs
institutionnels de consensus en vue d’obtenir la reconnaissance du
groupe en matière de gestion des finances publiques, l’économie et
la comptabilité s’emparent de la légitimité qu’on accordait au droit.
Mais cette légitimité ne se donne pas pour ce qu’elle est. Fondée sur
la quête de la vérité à propos des faits, elle relève en réalité de la
croyance 251 et risque de se charger, malgré elle, « d’un contenu
politique, passionnel ou émotionnel redoutable 252 ». Antifétichistes
et rationnelles par méthode, l’économie et la comptabilité
deviennent à leur tour le lieu d’une mise en scène au service d’un
culte nouveau. Celui-ci est d’autant plus factice que ses acteurs
prétendent y échapper. Aussi est-ce moins l’existence d’une forme
de croyance 253 qu’il convient de mettre en cause que le fait qu’elle
ne se donne pas pour telle 254 , qu’elle se prête aux manipulations et
ne contienne pas en elle-même, comme c’est le cas du droit, ses
propres mécanismes de contrôle. En définitive, avec le chiffre
comme fondement nouveau de la « reconnaissance du groupe » en
matière d’action administrative et de gestion des finances publiques,
n’y a-t-il pas risque d’excès de pouvoir… sans recours ?
« Afin d’être certain, il fallait s’assurer ; afin de connaître, il fallait
agir 255 » : au risque d’en modifier le sens d’origine, convenons que
cette formule d’Hanna Arendt résume la distinction entre gestion
encadrée par le droit et gestion fondée sur un effort de connaissance
chiffrée du réel. « S’assurer pour être certain », c’est le rôle du droit
dans l’action administrative et la gestion des finances publiques. En
revanche « agir pour connaître » rend vaine l’idée d’une quête
scientifique du vrai comme fondement de l’action administrative,
d’une possibilité d’agir en connaissance de cause. Ainsi que le postule
Devaux au fil de son ouvrage, la logique de l’action précède la logique de
la vérité. Dans son principe même, celle-ci n’est qu’indicative,
notamment en matière de gestion des finances publiques. Ne
demeure que la question de l’équilibre entre la part d’impératifs
juridiques spécifiques et la part de liberté que l’on accorde à l’agir
administratif comparé à l’action au sein du secteur privé. Jusqu’à
quel point souhaite-t-on rapprocher administration et secteur privé
dans leur mode de gestion financière ? Jusqu’à quel point souhaite-t-
on les distinguer ? L’ancien système de la Comptabilité publique
offrait une réponse, la réforme codificatrice de Devaux en
renouvelait la portée dans un cadre général inchangé. L’histoire a
bifurqué dans une autre direction sans apporter encore de solution
doctrinale claire. C’est au droit qu’il appartient toujours de traduire
à titre principal la réponse, mais la question reste posée de savoir
autour de quelle croyance il convient aujourd’hui de construire la «
reconnaissance du groupe » en matière de gestion des finances
publiques.

Conclusion
Administration-frontière, la Comptabilité publique a été érigée dès
l’origine en bureaucratie chargée d’endiguer l’État au nom d’une
distinction forte, héritée du libéralisme du XIXe siècle, entre gestion
publique et gestion privée, entre missions régaliennes du secteur
public et liberté d’initiative du secteur privé. Devaux apparaît avec
son ouvrage comme le garant ultime de cette distinction comprise
comme le préalable déterminant d’une gestion publique des finances
publiques. C’est pourtant le principe même de cette frontière qui est
mis à mal dans les années 1950, alors qu’il rédige La comptabilité
publique. La spécificité bureaucratique de l’action administrative se
trouve fortement remise en cause en même temps que l’État est
amené à déborder les limites qu’il s’était fixées. Ainsi que le souligne
P. Bezes à propos de cette période : « L’administration
bureaucratique n’est plus la solution, l’institution qu’il faudrait
parfaire pour renforcer l’efficacité du pouvoir : elle est devenue le
problème 256 ». En marquant son attachement à l’existence, en
matière de gestion des finances publiques, d’un climat distinct de
celui propre aux affaires privées, Devaux s’expose aux vents
contraires de l’histoire. Ceux-ci ont finalement balayé de l’horizon
intellectuel des années 1950 et des suivantes le point de vue «
comptabilité publique » traditionnel en matière de gestion des
finances publiques. C’est le mérite de son ouvrage de nous le donner
à voir une dernière fois dans toute son ampleur et dans toute
l’emprise qu’il conserve alors sur le fonctionnement de
l’administration française comme sur l’ensemble du corps social.
Centralisation, clivage affirmé entre secteur public et secteur privé,
caractère exorbitant du droit public, primat des règles juridiques et
culture de la défiance de l’administration envers ses propres agents
sont les traits propres au système de gestion des finances publiques
français. À ce titre, il apparaît bien différent et des dispositifs
étrangers, et des modes de gestion du secteur privé. Aussi la gestion
des finances publiques qu’incarne la Comptabilité publique a-t-elle
subi la conversion à l’intervention de l’État dans l’économie en
termes de contradictions : contradiction entre l’action des décideurs
encadrée par le droit public et les techniciens, les spécialistes et les
experts, contradiction entre la tradition française et l’influence
anglo-saxonne, contradiction entre le contrôle juridique et
l’évaluation chiffrée, contradiction entre la volonté de Devaux de
maintenir le principe d’une séparation gestion publique/gestion
privée et la réalité d’une perméabilité toujours plus grande du
secteur public aux méthodes du privé.
À l’origine de chacune de ces contradictions il y a ce que Devaux
appelle de façon globale « la technique » qui, si elle recouvre surtout
l’émergence au sein de l’administration d’une expertise spécialisée
requise par la multiplication des domaines d’intervention de l’État,
s’applique aussi à l’apparition et au perfectionnement d’une
appréhension chiffrée du réel qui tend à prévaloir sur le droit. À
suivre Devaux, l’irruption de « la technique » dans l’histoire comme
moteur du développement économique promu par l’administration
bouleverse l’équilibre juridique dans le cadre duquel les dépenses de
l’État, originellement limitées à ses fonctions régaliennes, devaient
être contenues. La rencontre du développement par sauts souvent
sporadiques et inattendus du progrès technique et de l’État devenu
acteur majeur de l’économie est un choc considérable pour le
dispositif juridique traditionnel de gestion des finances publiques.
L’idée de rupture qu’introduit l’irruption par paliers de plus en plus
rapprochés de générations technologiques nouvelles met en cause le
continuum d’une culture et d’une tradition juridiques longtemps
restées presque exclusivement à la source de l’action administrative.
De même Devaux montre-t-il comment « la technique », à travers les
figures nouvelles du technicien, de l’expert et du spécialiste, s’invite
comme tiers étranger dans le face-à-face traditionnel de
l’ordonnateur et du comptable, perturbe la distinction française
traditionnelle opportunité/régularité et finalement contribue
grandement à brouiller « la frontière entre le “public” et le “privé”
». « La technique » encore, par les expertises qu’elle suscite dans la
prise de décision, corrode le système de commandement centralisé à
la française au profit de la décision collective issue de la tradition
anglo-saxonne qu’il estime incompatible avec la nôtre. L’expertise
comptable, aussi, à couvert du développement de l’économie comme
prisme nouveau et prévalant d’interprétation de la réalité, tend à
substituer le chiffre au droit comme fondement de l’action
administrative et de son évaluation. Enfin, c’est pour l’essentiel en
raison du mouvement général par lequel la technocratie recouvre
l’ancienne bureaucratie d’essence juridique qu’échoue, sur le plan
des décrets d’application, la réforme du droit financier conduite par
Devaux jusqu’à l’adoption des deux décrets-lois des 9 août et 30
septembre 1953.
Mouvement inéluctable que celui du progrès technique comme
moteur de l’économie, Devaux le reconnaît lui-même, mais aussi
mouvement encouragé et démultiplié par l’espoir d’ériger
l’économie en science exacte et « de transporter le politique dans un
monde enfin scientifique » 257 : c’est à quoi Devaux, à travers
l’ensemble de sa réflexion, se refuse implicitement. À l’enthousiasme
des thuriféraires de l’économie et de la technique, il oppose la
permanence et l’homéostasie des règles juridiques. Face à un
phénomène dont il redoute les conséquences sur le contrôle
démocratique de l’agir administratif, le droit lui paraît devoir rester
l’horizon indépassable de l’action administrative sous peine de ne
pouvoir endiguer les excès de pouvoir auxquels celle-ci risque de
conduire. Aussi le point de vue qu’il développe mérite-t-il d’être pris
en considération par les chercheurs de différentes disciplines.
Certes, le caractère inachevé du processus qu’il tente de décrire en
1956 ne lui permet pas de situer le curseur entre impératifs
juridiques, nécessités techniques et degré de liberté d’action de
l’ordonnateur. La réalité historique qu’il observe n’est pas stabilisée
et lui-même se trouve pris dans une dynamique qui, malgré ses
efforts, l’empêche d’avoir le recul du chercheur. S’il prend acte du
développement du rôle de l’État, il cherche encore à le contenir au
nom du droit et d’un héritage libéral dont il estime implicitement
qu’il conserve droit de cité. Il n’envisage pas l’administration comme
le lieu d’internalisation et de résolution de l’ensemble des risques
encourus par la société (risques fabriqués par le progrès technique
qui s’ajoutent aux risques exogènes), conception qui abolit l’idée
d’une séparation essentielle entre secteurs public et privé. Pourtant,
s’il n’est plus possible de maintenir cette séparation dans son
principe le plus général, Devaux soulève bien des raisons d’en
conserver la trace en matière financière à partir de l’accumulation
de multiples différences qui démarquent dans les faits la gestion des
finances publiques des méthodes gestionnaires du privé.
Malgré diverses tentatives d’aménagement, l’annualité, l’unité de
trésorerie liée à la centralisation, l’universalité liée à la non-
affectation des recettes et des dépenses qui constituent les grands
principes de la comptabilité budgétaire conservent une spécificité à
la gestion des finances publiques par rapport aux techniques
gestionnaires du privé. Cette spécificité se justifie à la fois en raison
de l’énormité de l’administration et des missions de souveraineté
qu’elle assume que Devaux caractérise par les notions d’intérêt
public, de service public et de sens de l’État. Paradoxalement la mise
en œuvre de celles-ci passe par le constat d’une nécessaire limitation
juridique de l’administration par elle-même au nom de la difficulté
qu’elle rencontre, par rapport au privé, à s’appliquer les notions de
rendement et de profit. L’administration, dépourvue de bornes
financières visibles à son action, tente de se neutraliser
préventivement par un équilibre de psychologies variées entre
ordonnateur et comptable encadré par un droit spécifique, garant de
la distinction opportunité-régularité. Peu utile au fonctionnement
d’une organisation à but lucratif, la recherche par l’administration
de cet équilibre au nom d’une harmonie générale est à la source
d’une vaste bureaucratie aux mécanismes complexes qui n’est rien
d’autre que le prix à payer d’une conception à la fois libérale et
démocratique de la gestion des finances publiques. À suivre Devaux,
malgré les assauts de la technocratie, la place du droit public
exorbitant du droit commun y demeure essentielle. L’enveloppe
juridique qui l’enserre reste pour l’administration un horizon
indépassable là où le privé peut affirmer le primat du critère
gestionnaire au sens managérial, financier et chiffré comme mobile
premier et cadre essentiel de son action. Si la nécessité de gérer n’a
jamais été absente des préoccupations de l’administration, au point
qu’il serait historiquement, sur un temps long, artificiel de séparer
gestion publique et gestion privée, Devaux nous rappelle combien,
entre l’une et l’autre, les objectifs, plus que les modalités, diffèrent.
Ni d’ordre purement financier, ni lié à un souci d’efficacité
économique mesurable, l’ensemble des buts poursuivis par la gestion
des finances publiques s’avère d’ordre politique et psychologique. Le
modèle bureaucratique sous-tendu par la régularité liée au droit
administratif ne prétend pas d’abord répondre à la préoccupation
d’un emploi optimal des ressources publiques. Il répond avant tout
au quadruple souci d’encadrer de façon cohérente l’action
administrative, de faire face au domaine de « l’extraordinaire »,
c’est-à-dire de l’imprévisible, d’assurer la transparence et la
sincérité des comptes de l’État et de fonder la foi en cette
transparence par de multiples garanties contre la prévarication. Ce
n’est qu’à la marge, à suivre Devaux, que l’on peut ajouter à
l’instauration de la confiance en la gestion des finances publiques, la
quête de la performance dans leur emploi. S’il paraît difficile de
maintenir l’idée d’une séparation statique, théorique et préalable
entre gestions publique et privée des finances, il existe bien un
faisceau d’indices qui convergent pour distinguer l’une de l’autre.
En définitive, l’opposition relevée entre droit et gestion tient plutôt
à des moments de l’histoire : sur un siècle et demi, le secteur public a
tendu à afficher sa différence au nom du droit ; en sens contraire,
depuis cinquante ans, il cherche à s’extraire de sa gangue juridique
au nom de principes gestionnaires managériaux issus du privé.
L’ouvrage de Devaux paraît à la charnière de ces deux périodes. Dans
les deux cas, l’opposition droit/gestion se développe plus sur le
registre idéologique, doctrinal voire fétichiste, qu’elle ne s’inscrit
dans le domaine pragmatique de la réalité administrative telle
qu’elle fonctionne et évolue sur le terrain. Reste qu’après 1945, la
place relative du « juridique » dans la gestion des finances publiques
s’est sensiblement modifiée. Moins qu’une limite à l’action
administrative, le droit public en est devenu une modalité, certes
importante, mais non plus exclusive dans le cadre d’une figure
nouvelle de l’État régulateur socio-économique et d’une réduction de
l’asymétrie traditionnelle public/privée. Aussi pourrait-on suivre
l’hypothèse de J. Caillosse lorsqu’il écrit : « le “droit administratif”
n’a pas seulement changé de forme ou de registre, il a changé
d’identité. C’est bien pourquoi la question se pose de la
dénomination de ce phénomène juridique inédit : peu à peu le droit
de l’action publique prend la relève du vieux droit administratif 258 ».
Sans doute y a-t-il là matière à cristalliser un consensus innovant
entre conceptions juridico-gestionnaires et conceptions
managérialo-gestionnaires autour d’une gestion des finances
publiques renouvelées dont la LOLF est peut-être porteuse ?
Quoi qu’il en soit, une relecture de l’ouvrage de Devaux prend sens
aujourd’hui par les problématiques qu’il fait surgir, en particulier
autour des rapports entre l’équilibre juridique propre à
l’administration et l’impact du progrès technique sur cet équilibre,
auquel s’ajoute l’ambition totalisante de l’appréhension chiffrée du
réel. De même, le regard que porte l’auteur sur les diverses
modalités de gestion entre secteurs privé et public invite au
développement d’une sociologie financière susceptible de
conceptualiser ses vues de praticien 259 . À cet égard La comptabilité
publique se lit comme un point de repère important dans la
compréhension de l’évolution de la gestion des finances publiques
que Devaux éclaire sous un angle largement occulté sinon tout à fait
inédit. Il appartient aux chercheurs des disciplines concernées d’en
poursuivre l’exégèse.

NOTES
1. Gilbert Devaux, La comptabilité publique, Tome I, Les principes, Paris, PUF, 1957.
2. On se souviendra que Rabourdin est le fonctionnaire intègre et réformateur des Employés
de Balzac.
3. Philippe Bezes, Réinventer l’État, Les réformes de l’administration française (1962-2008), Paris,
PUF, 2009, p. 28.
4. Pierre Lalumière, dans la bibliographie de son ouvrage sur les Finances publiques, note à
propos du livre de Gilbert Devaux : « ouvrage fondamental » (p. 379). Il s’inspire en partie
des réflexions de celui-ci, in Les finances publiques, Paris, Armand Colin, 1980, en particulier
p. 319 à 333.
5. Cf. sur ce point les trois articles de Sébastien Kott in L’invention de la gestion des finances
publiques, Élaborations et pratiques du droit budgétaire et comptable au XIXe siècle (1815-1914),
Paris, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 2010, en particulier « La
gestion publique dans l’ordre juridique des monarchies censitaires », p. 169 à 190 et «
L’invention d’outils “gestionnaires” dans le système financier de la Restauration », p. 229 à
240.
6. Jacques Caillosse, La constitution imaginaire de l’administration, Paris, PUF, 2008, p. 274.
7. Citons la réponse écrite de Devaux au questionnaire que lui a adressé Nathalie Carré de
Malberg pour sa recherche sur l’IGF ainsi que le plan de ses mémoires. Je remercie celle-ci
de m’avoir transmis ces documents qui m’ont permis de me livrer à plusieurs études de
l’ouvrage de Devaux, notamment : « Gilbert Devaux et la direction du Budget en 1956 : un
état d’esprit commun ? » in La direction du Budget face aux grandes mutations des années
cinquante, acteur… ou témoin ?, Paris, Comité pour l’histoire économique et financière de la
France, 1998, p. 549 à 586 et « Une volonté de réforme du système financier de la France : le
cas de Gilbert Devaux, haut fonctionnaire au ministère des Finances de 1930 à 1960 » in « La
formation des textes financiers », Revue française de finances publiques, Paris, LGDJ, n° 86,
avril 2004, p. 87 à 105.
8. Né le 21 octobre 1906 à Neuilly-sur-Seine, Gilbert Walter Devaux, fils d’Albert Devaux,
médecin psychiatre, et de Marie Studemund, est licencié en droit et diplômé supérieur de
droit. Après avoir étudié à l’École libre des sciences politiques et avoir été secrétaire de
l’attaché financier à Londres (1929-1930), il est reçu adjoint à l’Inspection générale des
finances le 1er mai 1932. Il est ensuite chargé de mission à la commission des finances du
Sénat et à la direction de la CP le 10 juin 1935, sous-directeur à la CP (contentieux et agence
judiciaire du Trésor) le 16 août 1938, chef adjoint du cabinet du président du Conseil le 25
mars 1940, réfugié en Angleterre le 20 juin 1940, révoqué par le gouvernement de Vichy le
30 septembre 1940, réintégré et détaché sous-directeur à l’administration des Finances le 22
octobre 1946, chevalier de la Légion d’honneur le 27 août 1948, chef de service à l’aide
américaine le 1er janvier 1949, directeur de la CP le 20 août 1949, officier de la Légion
d’honneur le 30 août 1953, directeur du Budget le 1er janvier 1957, commandeur de la
Légion d’honneur le 9 décembre 1957, inspecteur général le 1er novembre 1959, directeur
général honoraire au ministère des Finances et des Affaires économiques le 30 juin 1960,
président-directeur général de la société nationale d’assurances « L’Urbaine-incendie » le
1er novembre 1960, président (1960-1972) puis conseiller technique (1972-1974) de la
Compagnie nationale du Rhône, membre du Rotary-club de Paris et président général du
Demi-Siècle. Voir aussi Dictionnaire historique des inspecteurs des Finances (1801-2009), F.
Cardoni, N. Carré de Malberg, M. Margairaz (dir.), Paris, Comité pour l’histoire économique
et financière de la France, 2012, p. 154-155 et 627-628.
9. Sur la formation reçue par Devaux et le parrainage propre à l’IGF de l’époque, voir N.
Carré de Malberg, Le grand état-major financier : les inspecteurs des Finances 1918-1946, Les
hommes, le métier, les carrières, Paris, Comité pour l’histoire économique et financière de la
France, 2011, en particulier p. 170 et 172.
10. Cf. Florence Descamps, « Le grand réveil de la Cour des comptes (1914-1941), du
jugement des comptes au contrôle de la gestion des administrations », voir supra.
11. Sur ce point, voir Matthieu Conan « La loi de règlement, victime collatérale de la guerre
de 1870 », in L’invention de la gestion des finances publiques…, p. 209 à 228.
12. Cf. Sébastien Kott, Le contrôle des dépenses engagées, Évolutions d’une fonction, Paris, Comité
pour l’histoire économique et financière de la France, 2004.
13. Voir sur ce point La direction du Budget entre doctrine et réalités, 1919-1944, Paris, Comité
pour l’histoire économique et financière de la France, 2001 et F. Descamps « Le grand
réveil… », supra.
14. Voir supra, A. Chatriot, « Les offices… ».
15. Cf. Doc 3.947 L/C 3.571 du 6 février 1935, p. 2 ; SAEF, fonds « Comptabilité publique »,
B50367.
16. Sur ces points, voir F. Descamps, « Le grand réveil… », supra et P. Masquelier « L’histoire
de la direction de la Comptabilité publique de 1870 à 1940 : de l’administration des choses
au gouvernement des hommes ? » in La Comptabilité publique, Continuité et modernité, Paris,
Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1995, p 41 à 77 et Marcel
Soquet, La réforme de la Comptabilité publique, Paris, 1934. Celui-ci écrit p. 7 : « Actuellement il
n’existe que des comptes de détail ; il n’y a pas de comptes collectifs ou si peu, et on ne tire
pas un réel parti de ceux qui ont été créés. Et c’est là le défaut capital de la Comptabilité
publique. Elle est constituée d’écritures et de chiffres non groupés, susceptibles de rendre
des services dans le contrôle de détail mais impuissants à donner ces résumés saisissants
qui permettent, à l’aide de quelques chiffres, d’apprécier une situation. On est toujours dans
les galets de la falaise, on ne monte jamais vers le faîte ».
17. Décrets des 25 juin et 15 décembre 1934 et décrets-lois des 25 et 30 octobre 1935, voir
supra A. Chatriot, « Les offices… ».
18. Gilbert Devaux, « Synopsis de synopsis d’un livre sur : “L’aventure est-elle une règle de
vie ?” », texte dactylographié, p. 7.
19. Sur ce point, on pourra se référer à Pierre Legendre, Trésor historique de l’État en France,
l’administration classique, Paris, Fayard, 1992, p. 407, 408, 591 et suivantes notamment.
20. G. Devaux, op. cit., p. 15.
21. P. Legendre, op. cit., p. 316.
22. Maurice Hauriou, cité par P. Legendre, ibid., p. 413.
23. Richard F. Kuisel, Le capitalisme et l’État en France, modernisation et dirigisme au XXe siècle,
Paris NRF Gallimard, 1984, p. 45
24. Tenant de cette première option, Albert Schatz, professeur de sciences économiques et
politiques, écrit en 1922 : « L’État, incapable par nature d’administrer une entreprise
commerciale ou industrielle, dépourvu de ressources, débordé par les exigences de son
personnel, a pour premier devoir et pour impérieuse obligation, de désencombrer son
programme d’action. S’il peut encore être organe de Gouvernement, c’est à condition de
n’être rien d’autre et de concentrer sur l’administration gouvernementale proprement dite
et aussi simplifiée que possible, tous ses efforts et toutes ses disponibilités. Telle est au point
de vue de la doctrine administrative, la condition préalable de toute réorganisation utile des
méthodes administratives de gouvernement. » Il conclut : « Il est vain de s’attarder à
rajeunir les méthodes de l’État ; il faut le désencombrer, par dépossession pure et simple de
ses exploitations qu’il est radicalement incapable de gérer ». L’Entreprise gouvernementale et
son administration, 1922, citée in Éric Gristi, La réforme de l’État, Paris, Vuibert, 2007, p. 71.
Voir également Stéphane Rials, Administration et organisation, 1910-1930, Paris, Beauchesne,
1977.
25. René Favareille, Réforme administrative par l’autonomie et la responsabilité des fonctions (self-
administration) 1919, cité in É. Gristi, ibid., p. 70. Voir aussi O. Dard, Jean Coutrot 1895-1941, de
l’ingénieur au prophète, PUFC, 1999, p. 166 et supra A. Chatriot sur le développement des
offices.
26. H. Chardon, cité in É. Gristi, ibid., p. 43.
27. Le rapport de M. Bauchard, du 13 novembre 1962 à propos du projet de décret portant
règlement de la CP, date de la loi de 1922 sur le contrôle des dépenses engagées le passage
de la défense de la caisse à la défense du Budget, archives du Conseil d’État p. 9 et 16.
28. « De 1683 au premier plan quinquennal du gouvernement soviétique en Russie, aucun
effort conscient et dirigé pour développer la vie industrielle d’une nation n’a été si loin que
celui de Colbert », C. Woolsey Cole, Colbert and a century of french mercantilism, New York,
1939, II, p. 326 sqq. Cité par P. Legendre, op. cit., p. 326.
29.Idem.
30.Ibid., p. 335. Au rôle de l’État dans l’économie et aux circonstances liées à la guerre, il
faut ajouter le rôle de la démocratisation dans l’accroissement structurel des dépenses
publiques en raison de l’alternance politique et du souci de plaire au peuple, « souverain
nécessiteux », introduction de Philippe Bezes et Alexandre Siné, Gouverner (par) les finances
publiques, Paris, Éditions de Sciences-po, 2011, p. 34.
31. Jacques Chevallier et Danièle Lochak, La science administrative, Paris, PUF, 1987, p. 110.
32. Auguste Vivien (1799-1854), Études administratives, Free Edition, www.ebookslib.com, p.
55 et cité in P. Legendre, op. cit., p. 410.
33.Ibid., respectivement p. 410 et 409.
34. Émile Faguet (1847-1916), Le Libéralisme, Paris, Société française d’imprimerie, 1903, p. 5.
35. P. Legendre, op. cit., p. 414.
36. G. Devaux, « Synopsis de synopsis d’un livre…», p. 22.
37. Robert Belot « Les enjeux politiques du contrôle budgétaire. Quelques aspects du
fonctionnement de l’État français sous l’Occupation », Revue française de finances publiques, n°
54, 1996, p. 161-184.
38. On trouve de multiples témoignages sur la désorganisation de la Comptabilité publique
en tant qu’administration sur le terrain pendant la seconde guerre mondiale dans Vies de
percepteurs, Fragments autobiographiques, 1918-1993, morceaux choisis et commentés par
Catherine Jumeau, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, Paris, 2001,
p. 137 à 140 et p. 383 à 385. Citons par exemple le résumé d’un des récits utilisés : « Tous les
personnels du Trésor de Vesoul étant repliés en zone libre, [Paul Lautier] est promu “chef
des services départementaux du Trésor”, chargé d’ouvrir la trésorerie générale au public et
de trouver un agent de guichet. Mais bientôt les billets de banque viennent à manquer. Le
préfet confie alors à un imprimeur le soin de fabriquer des billets qui sont ensuite revêtus
du cachet de la trésorerie générale. Cette monnaie de papier d’une légalité douteuse fut
retirée de la circulation dès que la Banque de France eut repris son activité. » op. cit., p. 384.
39. Yves Bouthillier, Le drame de Vichy. II. Finances sous la contrainte, Paris, Plon, 1950-1951, p.
248, cité par Michel Margairaz in L’État, les finances et l’économie. Histoire d’une conversion, 1932-
1952, Paris, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1991, p. 537, voir
aussi François Bloch-Lainé et Claude Gruson, Hauts fonctionnaires sous l’occupation, Paris,
Odile Jacob, 1996, notamment p. 72-73.
40. Cf. les citations de Jean Bichelonne et François Lehideux in M. Margairaz, L’État, les
finances et l’économie…, op. cit., p. 538 et 539.
41. Y. Bouthillier, Le drame de Vichy…, op. cit., p. 256.
42. « Certains Français avaient, dès avant la dernière guerre, compris que les principes du
libéralisme qui avaient fait la fortune du XIXe siècle étaient périmés » et chapitre XI où sont
évoquées les positions de Jean Coutrot et Auguste Detœuf notamment, M. Margairaz, op. cit.,
p. 537 et p. 315 à 364.
43. « …la défaite offre l’occasion de rejeter les mécanismes libéraux, non seulement pour le
temps des hostilités, mais aussi pour l’après-guerre ». Ibid., p. 539.
44. Henri Chatenet, Les dépenses et les recettes de la France du 1er août 1914 au 1er janvier 1942,
préface de Lucien Petit, inspecteur général des Finances honoraire, éditions A. Pédone,
1942, p. 106, et André Bisson, Finances publiques françaises, Paris, Berger-Levrault, 1941, p.
271-272, tous deux cités in R. Belot, « Les enjeux politiques… », op. cit.
45.Ibid., p. 502-503.
46.Ibid., p. 1337, texte en italique souligné par l’auteur.
47. Y. Bouthillier, op. cit., p. 13.
48. Bruno Latour, Un monde pluriel mais commun, Entretiens avec François Ewald, Éditions de
l’Aube, 2003, p. 47.
49. G. Devaux, « Synopsis de synopsis… », p. 17.
50. Pierre Rosanvallon souligne que l’intervention de l’État n’est pas, par elle-même, un
phénomène nouveau L’État en France de 1789 à nos jours, Paris, Le seuil, 1990, p. 200 à 202.
S’agissant des principes gestionnaires, Stéphanie Flizot montre par exemple que la Cour des
comptes s’y réfère déjà dans les années 1930, cf. supra « Qualité de la gestion… ».
51. P. Rosanvallon, op. cit., p. 250 à 252.
52. On trouvera confirmation des liens entre technocratie et plan comptable dans Oussama
Ourriemmi, L’histoire de la normalisation comptable en France 1936-1944, mémoire de recherche
à l’Institut d’administration des entreprises, CEREGE, université de Poitiers, 2007-2008, en
ligne sur le net www.management.free.fr/formations/Contenu/Ouriemmi.pdf, p. 68 et 74.
53. SAEF, carton B55187, rapport présenté à la commission de normalisation des
comptabilités par M. Chezleprêtre, 6 décembre 1940. Celui-ci précise que « la comptabilité
doit servir en même temps les intérêts de l’entreprise et ceux de la puissance publique ». On
retrouve la même idée plus approfondie dans un document de décembre 1942 : « Le plan
comptable doit répondre à un triple objectif et être conçu de manière à ce que la
comptabilité puisse satisfaire aux besoins des entreprises, des organismes directeurs de la
profession et de la puissance publique responsable de la direction de l’économie », SAEF,
carton B55188, « Étude sur le plan comptable », document anonyme daté de décembre 1942.
On remarquera que le plan comptable général de 1942 n’est appliqué en définitive qu’à des
établissements gérés directement ou indirectement par l’État, tel l’Imprimerie nationale et
les usines domaniales de potasse d’Alsace, et non pas au secteur privé, O. Ourriemmi, op. cit.,
p. 90. Préconisant l’alignement de la comptabilité de l’État sur celle des entreprises J.
Anthonioz écrit, semble-t-il en 1947 : « Il n’y aura pas d’organisation de la comptabilité
nationale sans [une réforme de la comptabilité publique] ; et nous émettrons la prétention
de voir cette réforme prendre pour base le même cadre général, le même concept
économique, proposé pour les entreprises afin de pouvoir, concurremment, gravir les
mêmes échelons pour atteindre les mêmes sommets. On a dit et répété que la comptabilité
de l’État et des collectivités ne pouvaient pas ressembler à celles des entreprises. Il nous
semble, quant à nous, que cette opposition n’est pas raisonnable et qu’elle ne porte pas en
elle une part suffisante de réflexion. Il ne faut pas oublier, en effet que la comptabilité
publique, ainsi que celle des collectivités, n’enregistrent que des faits économiques, tout
comme la comptabilité des entreprises », commission de normalisation des comptabilités,
rapport de M. J. Anthonioz, rapporteur de la 4e sous-commission, p. 8-9, SAEF, carton
B55191.
54. Jacques (Gustave, Eugène) Chezleprêtre, né en 1897, contrôleur adjoint stagiaire avant
1921, contrôleur des contributions directes du département de la Seine en 1926, docteur en
droit (1927), chef de bureau à la direction générale des Contributions directes (DGCD) en
1939, directeur des enquêtes régionales et de la documentation nationale à la DGCD en
janvier 1940. Il est révoqué sans pension le 5 janvier 1945 pour avoir voulu imposer le plan
comptable général en recherchant l’appui des autorités allemandes. Sur le détail de la
carrière et de l’action de Jacques Chezleprêtre, on pourra se référer utilement à O.
Ourriemmi, op. cit., p. 70.
55. Étude sur le plan comptable, document anonyme daté de décembre 1942, p. 9, SAEF,
carton B55188.
56. Hubert Davost, « La comptabilité nationale », conférence du 26 octobre 1956, ITAP, p. 3.
57. Charles, Louis, Gaston, marquis d’Audiffret, Le système financier de la France, tome V,
Paris, Paul Dupont et Guillaumin & Cie, 1864, p. 12, souligné par nous.
58. Marquis d’Audiffret, op. cit., p. 12.
59. J. Anthonioz, « Introduction à l’organisation nationale de la comptabilité », 5 décembre
1941, p. 35. Texte souligné par nous, SAEF, carton B55187.
60. J. Anthonioz, rapport à la commission de normalisation…, déjà cité, p. 3
61.Ibidem, texte en italique souligné par nous. Un demi-siècle plus tard, les illusions sont
tombées : ainsi que le souligne Marc Amblard, « Le modèle comptable ne relève pas d’une
vérité immanente mais repose sur une symbolique et des mécanismes qui résultent de choix
humains à un moment donné », in « Conventions et comptabilité : vers une approche
sociologique du modèle », Comptabilité, Contrôle, Audit, n° spécial, juin 2004, p. 47-68.
62. J. Anthonioz est membre du Conseil supérieur de la comptabilité créé le 16 janvier 1947
sous la mention « directeur de comptabilité », arrêté du 21 mars 1947 portant nomination
des membres du Conseil supérieur de la comptabilité, SAEF, carton B 55197.
63. « L’homme est très complexe. Il n’est pas semblable à lui-même d’abord et est très
différent de son prochain (sic). C’est ce qui explique toutes les difficultés d’observations le
concernant aussi bien dans sa vie courante, dans la famille, chez lui, que dans la société,
dans son travail, à propos de ses aptitudes et de sa sélection et enfin dans son organisation
ou le libéralisme doit céder la place à un autoritarisme intelligent. » J. Anthonioz, « Introduction…
», 5 décembre 1941, p. 4, texte en italique souligné par nous, voir aussi F. Bloch-Lainé et
Claude Gruson, op. cit., p. 72-73.
64. Alain Desrosières évoque « l’efficace promotion du thème de “l’homme moyen”, si
“raisonnable et prévisible” », par Quetelet et ses disciples déjà au XIXe siècle, Formes d’État
et figures de l’intervention économique : la naissance d’un nouveau langage statistique, entre 1940 et
1960, INSEE, Paris, 2001, p. 3.
65. M. Margairaz, op. cit., préface de François Bloch-Lainé, p. XIV.
66. Adolphe André Brunet (1902-1986), notamment rapporteur de la commission de réforme
de la comptabilité publique (1934) puis du Comité de réorganisation du ministère des
Finances (1935), conseiller technique au Comité de réorganisation administrative (1938),
devient contrôleur d’État chargé des fonctions de commissaire du Gouvernement auprès du
Conseil supérieur de l’ordre des experts comptables (1945-1968), Dictionnaire historique des
inspecteurs des Finances (1801-2009), op. cit., p. 544-545 et la notice de Béatrice Touchelay p.
272-273.
67. Premières épreuves corrigées du rapport général rédigé par André Brunet présenté au
nom de la commission de normalisation des comptabilités, 1947, SAEF, carton B55191,
souligné par nous. Encore en 1969, on pouvait noter « le peu de relations [de la CP] avec les
secteurs économiques du département » et identifier « les freins organisationnels internes
au développement d’un rôle économique du TPG », François d’Arcy et Pierre Grémion, Les
services extérieurs du ministère de l’Économie et des Finances dans le système départemental,
rapport de pré-enquête, CNRS, CSO, Paris, 1969, p. 24 et 42.
68. Marcel Soquet a été expert-comptable près la chambre de commerce de Brest, délégué
de la Société de la Comptabilité de France et membre du Comité national de l’organisation
française.
69. M. Soquet, « La notion de prix de revient en matière de comptabilité publique », La
Revue du Trésor, janvier 1952, p. 43-48.
70. G. Devaux, op. cit., p. 12-14. Notons toutefois que G. Devaux écrit « géré par la nation » et
non pas par l’État. Mais quel peut-être le relais gestionnaire de la nation sinon l’État lui-
même ?
71.Ibid., p. 185.
72. De ces conflits plus ou moins latents on trouve la trace notamment dans une note pour
le cabinet du 23 janvier 1948 à propos de la codification de l’arrêté du 30 décembre 1947,
signée du directeur de l’Organisation économique et du Contrôle des entreprises publiques,
par laquelle celui-ci évoque Devaux se défendant de vouloir « faire échec à la compétence
de la direction de l’Organisation économique et du Contrôle des entreprises publiques »,
SAEF carton B55191.
73. M. Margairaz, op. cit., préface de François Bloch-Lainé, p. XIV.
74. Sur la crainte de Gaston Cusin que l’administration des Finances ne parvienne à
assujettir les entreprises publiques « au contrôle tatillon inspiré de la comptabilité publique
», Michel Margairaz conclut : « Plus qu’un débat de fond, d’ordre économique et financier,
ou, a fortiori, politique, la querelle apparaît bien davantage comme une rivalité de services, de
corps et de personnes », souligné par l’auteur, op. cit., p. 1083.
75. G. Devaux, op. cit., p. 22, souligné par nous.
76.Ibidem, souligné par l’auteur.
77. Gaston Cusin, 1903-1993 : après avoir dirigé plusieurs cabinets ministériels entre 1936 et
1939, il est contrôleur financier, commissaire de la République à Bordeaux et délégué du
gouvernement provisoire au ministère de l’Économie nationale (1944-1945), puis secrétaire
général du Comité économique interministériel (1945) et inspecteur général de l’Économie
nationale entre 1946 et 1951.
78. Cité par Michel Margairaz, op. cit., p. 1082, SAEF, 5A15, doc. Félix Gaillard.
79.Ibid., p. 1083, SAEF, 5A17, observations sur le projet du ministère des Finances tendant à
la nomination conjointe de contrôleurs d’État, 22 octobre 1947, signées Gaston Cusin, 4 p.
80.Ibidem, SAEF, 5A18, secrétariat du CEI, note de Gaston Cusin, 27 octobre 1948, p. 10. Il faut
mettre en regard des plaintes de Cusin et des inquiétudes de Devaux l’analyse en 1969 de
Robert Catherine et Guy Thuillier : « il arrive que l’administration soit conduite à opérer en
marge de son habituel formalisme, lorsqu’il s’agit par exemple de lancer des innovations,
roder des procédures nouvelles, faire face à certains impératifs techniques. D’où ces conflits
permanents avec les ministères, les corps de contrôle, chargés d’assurer la régularité des
choses et de veiller à l’orthodoxie financière. Ainsi s’étendent dans le prolongement de
l’administration “classique”, les zones de semi-liberté “non formaliste” constituées par les
services – généralement à mission économique – en concurrence avec le secteur privé. À
titre exceptionnel, l’administration est là bien obligée de leur “faire confiance”, de courir
certains risques de gaspillage et de détournement de pouvoir, compte tenu de son
incapacité à administrer des intérêts étrangers au service public, stricto sensu, et du jeu des
passions et des mobiles privés. L’efficacité de ces services s’en trouve accrue, la vitesse de
réaction de l’administration devant l’événement n’étant plus freinée par le respect de
certaines formes, dont celles qui tiennent par exemple à la rigidité de l’affectation des
crédits. » Guy Thuillier et Robert Catherine, Introduction à une philosophie de l’administration,
Paris, Armand Colin, 1969, p. 167-168.
81. G. Devaux, op. cit., p. 187, souligné par l’auteur.
82.Ibid., p. 197.
83. Une note pour le cabinet du ministre de l’Économie nationale, probablement vers 1948,
signée du directeur de l’Organisation économique et du Contrôle des entreprises publiques
se fait l’écho de cette guérilla de frontière sur arrière-fond doctrinal en matière de gestion
publique ou privée. Ainsi écrit-il à propos d’une interprétation de la notion de deniers
publics par les Finances (sans doute par la CP) qu’il qualifie « de quelque peu hardie » : «
Mal fondée dans son principe juridique, la nouvelle thèse soutenue par le département des
Finances aurait pour résultat de réduire presque à néant les attributions que possèdent
dans ce domaine les Affaires économiques puisque ma direction verrait sa compétence
réduite aux sociétés d’économie mixte dont l’État ne possède pas la majorité du capital,
c’est-à-dire à quelques rares et en général peu importantes sociétés ». SAEF, carton B55191.
84. La convergence a d’autant plus de relief qu’à notre connaissance P. Legendre ne
mentionne pas La comptabilité publique dans ses bibliographies.
85. P. Legendre, op. cit., p. 10.
86. G. Devaux, op. cit., p. 1.
87. Pierre Henri Allix, 1904-1960, inspecteur général des Finances, directeur de la CP de
1943 à 1949, Règles de la comptabilité publique en France, Paris, Centre de documentation
universitaire, 1944, 272 p.
88. Michel Prada, André Sonrier, La comptabilité publique, Paris, Berger-Levrault, 1978.
89. « Depuis 1953 on assiste à une nouvelle tentative de codification » ou encore « Une
expérience partielle d’harmonisation a été tentée en 1953 par deux décrets-lois du 9 août et
du 30 septembre », op. cit., p. 36.
90. Cf. P. Masquelier, « L’action administrative de Gilbert Devaux, directeur aux finances
dans les années 1950 : sous le masque de l’anonymat, quelle personnalisation effective ? » in
La décision et la personnalisation de l’action administrative, sous la direction de Jean-Michel
Leniaud et François Monnier, Paris, EPHE, 2010, p. 103 à 115.
91. En 1978, l’histoire ayant invalidé sa réforme, Devaux change de ton et n’hésite pas, lors
d’un colloque sur la responsabilité personnelle et pécuniaire des comptables publics, à
engager publiquement la polémique sur le sort finalement réservé à ses textes. À propos de
l’abrogation de l’article 8 du décret du 9 août 1953, il intervient sèchement : « Je
m’expliquerai en dehors de cette séance avec Monsieur Prada et Monsieur Hirsch, sur les
modifications apportées au décret de 53, modifications que pour ma part je n’apprécie pas
du tout », Annales de l’université des sciences sociales de Toulouse, Toulouse, 1979, p. 414.
92. Précisons que ce vocabulaire est symptomatique de la posture de citadelle assiégée de la
Comptabilité publique et du Budget notée par Alexandre Siné in L’ordre budgétaire,
L’économie politique des dépenses de l’État, Paris, Economica, 2006, p. 304 et suivantes. À bien
des égards, il symbolise aussi l’idée de frontière entre gestions publique et privée.
93. G. Devaux, op. cit., p. 64.
94.Ibid., p. 139.
95. Il écrit à propos de la tendance d’après-guerre à solliciter les Finances dans le sens de
l’affectation des fonds : « Le “centre vital” qui doit en toute éventualité demeurer hors
d’atteinte c’est l’unité de la Trésorerie », ibid., p. 138.
96. « Si j’avais adopté le ton d’un traité le lecteur aurait pu croire – en raison des fonctions
que j’occupe – que j’exposais une “doctrine officielle”. Or il n’y a pas de “doctrine officielle”
; il n’y a que des “décisions administratives” intervenant dans un flot mouvant de
discussions collectives », ibid., p. VI.
97.Ibidem.
98. « J’avoue que je ne parviens pas à approuver la tendance consistant à confier des
opérations financières de droit public à des “alliés du Trésor”. Le rôle du ministre des
Finances est de défendre un mécanisme cohérent et complet », ibid., p. 234.
99. G. Thuillier et R. Catherine, op. cit., p. 192.
100. G. Devaux, op. cit., p. 162.
101. Encore à la fin des années 1970, Devaux écrit : « À l’ENA, sept années de suite, j’ai
exposé les principes auxquels je crois et je les ai résumés dans un livre que les étudiants se
transmettront comme une bible ». Réponse au questionnaire de N. Carré de Malberg, déjà
cité, p. 37.
102. G. Devaux, op. cit., respectivement p. 15, 183 et 216.
103.Ibid., p. 145. Ces principes correspondent aux trois premiers chapitres de La comptabilité
publique.
104. À noter que le rapport de M. Bauchard, déjà cité, s’inspire très largement de la lecture
historique de Devaux à propos de l’évolution de la CP depuis la caisse jusqu’au « Trésor en
tant qu’entité économique et souverainement dynamique de la nation », rapport, p. 16.
105.Ibid., respectivement, p. 64 et 65.
106. P. Legendre, Le Trésor…, op. cit., p. 14.
107. G. Devaux, op. cit., respectivement p. 189 et V.
108. Cf. également ce qu’écrit P. Legendre : « De très récentes études, dirigées vers
l’appréciation des données psychologiques du système [bureaucratique français], soulignent
l’importance extrême de la frontière séparant les deux univers, secteur public et secteur
privé… », op. cit., p. 592.
109.Ibid., p. 15, 88, 188, 216, 70, 16, 47, 187 et 103.
110.Ibid., p. 161.
111. Guy Thuillier, Pour une histoire de la bureaucratie en France, Paris, Comité pour l’histoire
économique et financière de la France, 1999, « Comment faire l’histoire psychologique de
l’administration ? », p. 141 à 153.
112.Ibid., p. 6.
113.Ibid., p. 65. Afin d’illustrer ce point, voir : Vies de percepteurs, fragments autobiographiques,
1918-1993, morceaux choisis et commentés par C. Jumeau. L’auteur évoque « L’attachement
compulsif des percepteurs à leur caisse, emblématique d’un respect des règles de la
comptabilité publique érigé en norme suprême », p. 608. Ainsi que le note un des témoins
cités : « Le comptable du Trésor, responsable de sa caisse, doit prendre toutes les
précautions indispensables à la conservation des fonds qui lui sont confiés. L’instruction sur
le service général de la comptabilité de 1859 prévoit même qu’il doit “coucher ou faire
coucher un homme sûr dans le lieu où il tient ses fonds” », André Nicoulin, p. 618. D’autres
confirment la scrupuleuse mise en pratique de cette recommandation : « Appliquant au pied
de la lettre l’instruction générale de 1859, mon père avait son coffre-fort au pied du lit
conjugal », Claude Lhorty, p. 552 ; ou encore : « Comme il n’est pas prudent de balader le
cartable contenant le numéraire et les valeurs hors du circuit de responsabilité du
comptable ni que je l’emmène coucher chez moi, je coucherai in situ avec la caisse et, faute
d’autre chose, dans le lit même du patron, la caisse sous le lit », Pierre Caro, percepteur
intérimaire en Alsace, 1946, p. 552. Autre exemple : « Elle “couchait” tous les soirs dans ma
chambre. Le fin du fin consistait à la placer – que dis-je, placer ! – la lancer sous le lit d’un
coup de pied dégagé mais énergique qui avait pour effet de la soustraire aux regards
éventuellement indiscrets. Naturellement, le lendemain, une petite séance de plat-ventre
était nécessaire à la récupération du trésor », Roger Calvanus, p. 552-553.
114. G. Devaux, op. cit., respectivement p. 4 et 81.
115. Évoquant le cas d’un comptable dont la responsabilité est mise en jeu, René Magniez,
TPG, témoigne du poids psychologique qu’elle représentait : « Pendant de nombreuses
années, le comptable vint me rendre visite. Il ne cessait de supputer ce qui lui serait
réclamé et de mettre en regard ses biens personnels dont il se demandait si le produit de
leur vente serait ou non de nature à apurer sa dette. J’avoue qu’au début, les calculs
auxquels il se livrait devant moi m’agaçaient profondément. Mais à mesure que le temps
passait, j’en arrivais à partager sa peine. Un jour, longtemps après, la décision fut prise.
Heureusement pour lui, elle ne fut pas à la mesure de ses craintes. Mais qu’importe ! Il avait
été responsable, il en avait souffert cruellement, durablement. La responsabilité, je l’ai alors
appris, ne se mesure pas seulement en deniers », C. Jumeau, op. cit., p. 638.
116. Devaux rappelle que la responsabilité personnelle et pécuniaire comporte « la faculté
et même l’obligation de ne pas obéir à tout ordre contraire aux règles de la comptabilité
publique », op. cit., p. 69.
117. G. Devaux, op. cit., p. 183.
118.Ibid., p. 2.
119.Ibid., p. 22.
120. Ainsi pourra-t-on s’inspirer des considérations de M. Amblard, « Conventions et
comptabilité… », déjà cité, pour les appliquer aux principes de la CP.
121. G. Devaux, op. cit., p. 16.
122.Ibid., p. 106.
123. On retrouve notamment l’importance accordée au caissier et à la caisse dans le
décalque qui en a été fait depuis le début du XIXe siècle au sein des caisses d’épargne dont
chacune, jusque dans les années 1980, était encore le plus souvent dirigée, c’est-à-dire
conservée en l’état sans aucune préoccupation de gestion managériale, par un caissier
responsable sur ses propres fonds de la justesse de sa caisse. L’emprise des règles de la CP
sur les mentalités françaises serait alors un des facteurs explicatifs d’une certaine stérilité
de l’épargne en France et d’une absence d’initiative du corps social au-delà du secteur
public.
124. Exemple parmi d’autres, citons Yug Sellas pour illustrer la dimension pratique de ce
souci d’exactitude en même temps que la distinction vécue sur le terrain entre comptabilité
publique et comptabilité privée du petit commerce : « …un soir, la caisse présentait une
différence de 0,10 F en moins ; je n’étais personnellement pas qualifié pour rechercher cette
erreur. MM. A. et P. ont compté et recompté la caisse, pointé et repointé les pièces de
dépenses, les timbres-poste et les timbres-quittances que nous détenions alors. Tous ces
comptes vus et revus laissaient toujours ressortir 0,10 F de différence. Et l’heure tournait
(…) et j’avais mes douze kilomètres à bicyclette à faire dans la nuit. N’y tenant plus, (…) je
me souviens avoir sorti une pièce trouée de 10 centimes pour mettre un terme à ces vaines
recherches qui retardaient mon départ…pour si peu ! Ce geste-là me valut de vertes
remontrances à la base desquelles il était bien précisé qu’en perception “on ne faisait pas de
la comptabilité d’épicier”. Je devais me le tenir pour dit ! », C. Jumeau, op. cit., p.120. On
trouvera d’autres exemples tout aussi éloquents, en particulier p. 391-392 et 399-400.
125. Sans doute y a-t-il là matière à un développement qui s’inscrirait dans la perspective
sociologique proposée par A. Siné et P. Bezes afin d’« analyser les enjeux de pouvoirs,
d’autorité, de domination, de mobilisation, de légitimation, de socialisation ou de
citoyenneté », Gouverner…, p. 32.
126. G. Devaux, op. cit., p. 180.
127.Ibid., p. 182.
128.Ibid., p. 15.
129.Ibidem, cf. aussi G. Thuillier et R. Catherine, op. cit., « L’administration est toujours
maîtresse de sa doctrine », p. 162 à 166.
130. Philippe d’Iribarne, La logique de l’honneur, gestion des entreprises et traditions nationales,
Paris, Seuil, 1989, p. 58. Il y a là un autre angle de recherche possible sur les spécificités du
système financier public français.
131. Cf. G. Thuillier et R. Catherine, op. cit. : « [L’administration] a pour principe de ne pas
faire confiance », écrivent-ils avant de citer Balzac : « L’administration calomnie
l’administration pour le salut de l’administration », p. 158-159.
132. Boucher de Perthes dénonçait : « cette hiérarchie de suspicions, ces contrôleurs des
vérificateurs, ces inspecteurs des contrôleurs […], on dépense un sou pour empêcher qu’on
ne vole deux liards », ibid., cité in op. cit. p. 159. Dans la même veine, en 1908-1909, le
rapporteur du Budget Chaumet écrivait « Notre comptabilité n’est point faite pour nous
renseigner sur l’emploi de nos deniers, pour nous permettre, en étudiant leur utilisation,
d’en rechercher une autre plus économique. Elle n’a qu’un but : nous garantir contre
l’improbité possible des comptables […]. Nos règlements […] traitent [les chefs de la marine]
comme s’ils nous avaient donné des raisons décisives de mettre en doute leur honnêteté.
Nous les enserrons dans un réseau de formalités vexatoires […]. Laissons-leur donc plus
d’initiative avec plus de responsabilité ». De même l’ingénieur André Lamouche évoque
pour l’entre-deux-guerres le « système stérile et déprimant du contrôle à répétition
[traduisant le principe de méfiance] » cités in Bernard Lutun, Marine militaire et comptabilité :
une incompatibilité ? Contribution à l’histoire des finances de l’État français, Roubaix, Bernard
Lutun autoédition, 2010, p. 255-256.
133. G. Devaux, op. cit., p. 41.
134. P. Legendre, op. cit., p. 407 et 592.
135. J. Caillosse, op. cit., p. 303.
136. Sur la question de l’importance de la reconnaissance du groupe en matière de
comptabilité on pourra se référer à Marc Amblard, « Conventions et comptabilité… », op. cit.
137. J. Caillosse, op. cit., p. 303.
138. François Burdeau cité par P. Legendre, op. cit., p. 401.
139. G. Devaux, op. cit., p. 190, souligné par l’auteur.
140. G. Devaux, op. cit., p. 34, souligné par l’auteur.
141.Ibid., p. 34-35.
142. G. Devaux, op. cit., p. 1.
143. Cf. le paragraphe sur la « Définition juridique moderne » de la comptabilité publique,
ibid., p. 6 à 9.
144. B. Latour, La fabrique du droit, une ethnographie du Conseil d’État, Paris, La Découverte,
2002, p. 231.
145. Ainsi, par exemple, trouve-t-on dans le rapport Bayot du 11 novembre 1940 : « Faire de
la profession organisée [des experts comptables], un champ d’expérience où œuvreront des
hommes d’élite satisfaisant tout à la fois à la fonction privée et à l’idéal national, n’est-ce
pas créer quelque chose de bien français, de neuf et de beau. » (souligné par nous), SAEF,
carton B55187.
146. B. Latour, La fabrique…, op. cit., p. 199.
147. G. Devaux, op. cit., p. 36, souligné par l’auteur, puis par nous.
148. B. Latour, La fabrique…, op. cit., p. 197.
149. Encore dans les années 1960, on retrouve sur le terrain l’importance des traditions : «
L’originalité des services extérieurs des Finances tient à un certain patrimoine commun à
défendre. C’est de se montrer digne d’un corps considéré […] comme ayant un certain
caractère de traditionalisme » (Trésor), F. d’Arcy et P. Grémion, op. cit., p. 17.
150. G. Devaux, op. cit., p. 20.
151. G. Devaux, op. cit., p. 21. La raison d’être des mécanismes de la comptabilité publique se
justifie par ce constat rapporté par Bernard Lutun pour les années 1920, op. cit., p. 257 : « …il
manquera toujours à la comptabilité des arsenaux ce qu’on trouve dans celle de l’industrie :
la sanction ».
152. Décret du 10 mai 1948, É. Gristi, op. cit., p. 116.
153. Cf. La réforme budgétaire, Travaux de la commission Jacomet, Paris, Les Éditions de
l’Épargne, 1954.
154. Édouard Bonnefous, cité par É. Gristi, ibid., p. 117, Voir également supra les deux
communications de F. Descamps sur l’action de G. Ardant au CCECRSP, puis au Commissariat
général à la productivité.
155. G. Devaux, op. cit., p. 15.
156.Ibid., p. 48.
157.Ibid. respectivement p. 103, 69, 4-5 et 78 à 81.
158. J. Caillosse, op. cit., p. 274.
159. Cf. « Les régimes distincts de responsabilité des ordonnateurs et des comptables », G.
Devaux, op. cit., p. 69-86.
160.Ibid., respectivement p. 69 à 102, 82 et 86.
161.Ibid., p. 85.
162. Décrire le processus de ce mouvement centrifuge est l’objet des sous-parties du
chapitre V « L’évolution moderne et les brèches dans la muraille » intitulées « Les diverses
manifestations de l’éclatement des règles de la comptabilité publique » et « Les
conséquences du mouvement centrifuge », ibid., p. 191 à 217.
163. « Le rôle social des fonctionnaires du Trésor (II) », Marcel Mompezat, La revue du Trésor,
n° 7, juillet 1954, p. 241 et 242.
164. R. Catherine et G. Thuillier, op. cit., p. 191.
165. Lettre manuscrite sur papier à en-tête du Conseil d’État en date du 1er septembre 1962,
signature illisible, archives du Conseil d’État.
166. Rapport de M. Bauchard du 13 novembre 1962, 19 p. et 4 annexes, archives du Conseil
d’État.
167. Cf. S. Kott, « Les prescriptions budgétaires et comptables dans les textes financiers » in
« La formation des textes financiers », Revue française…, op. cit., p. 64-67.
168. Lettre manuscrite sur papier à en-tête du Conseil d’État en date du 1er septembre 1962,
signature illisible, archives du Conseil d’État.
169. « Pourquoi les travaux de Devaux n’ont pas abouti : ce n’était pas une raison politique
mais il y avait peut-être une petite rivalité entre les deux directeurs successifs de la
Comptabilité publique » et « je pense qu’il y a eu une certaine animosité personnelle [du
successeur de Devaux] à vouloir marquer, à vouloir prendre barre sur son prédécesseur et
puis aussi à marquer son passage à la direction par un acte important », témoignage de
Gilbert Rey, entretien avec l’auteur, n° 5 du 12 février 1992, fonds d’archives orales du
Comité pour l’histoire économique et financière de la France.
170. G. Devaux, op. cit., p. 40.
171. Sur ce point, voir Valérie Pernot-Burckel, « L’élaboration du décret du 29 décembre
1962 portant règlement général sur la comptabilité publique », La Comptabilité publique,
continuité…, op. cit., p. 101 à 122.
172. P. Legendre, op. cit., p. 401.
173. M. Margairaz, op. cit., préface de F. Bloch-Lainé, p. XIV.
174. G. Devaux, op. cit., p. 22.
175. M. Margairaz, « La direction du Budget, les ministres et l’administration des Finances
et des affaires économiques de 1949 à 1957 : le tournant keynésien, Rapport de synthèse »,
La direction du Budget face aux grandes mutations des années cinquante, acteur… ou témoin ?,
Paris, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1998, p. 512.
176. Pour une définition plus complète et générale de « la technique » telle que nous
l’entendons ici, voir Jacques Ellul, Le système technicien, Paris, Calmann-Lévy, 1977, réédition
Le Cherche-midi, 2012, en particulier le chapitre III « La technique comme facteur
déterminant », p. 63-85 et, notamment, les p. 67 à 71 à propos de l’influence de la technique
sur l’État.
177. G. Devaux, op. cit., p. 241.
178. H. Chardon soulignait déjà le rôle prépondérant des progrès scientifiques dans le
développement des offices. Voir supra, A. Chatriot, « Les offices… »
179. G. Devaux, op. cit., p. 208.
180. Voir supra p. 451.
181. G. Devaux, op. cit., respectivement p. 217, 17, 185 et 212 à 214.
182.Ibid., p. 190 et 47. Ces deux citations recoupent les propos de Roland Maspétiol et Pierre
Laroque rapportés par A. Chatriot concernant les offices sur le risque de laisser les
techniciens engager la dépense, voir supra. En 1969, F. d’Arcy et P. Grémion notent
également, à propos du comptable public notamment, « un amoindrissement des facultés
d’arbitrage lié à la multiplication de contre-experts », op. cit., p. 93.
183.Ibid., respectivement p. 47, 44 et 213-214.
184.Ibid., respectivement p. 41, 47 et 47 à nouveau.
185.Ibid., respectivement p. 22 et 217.
186. P. Legendre, op. cit., p. 17.
187. G. Devaux, op. cit., respectivement p. 138, 203, 217 et 234.
188. P. Rosanvallon, op. cit., p. 60.
189.Ibid., p. 58-59.
190. G. Devaux, op. cit., p. 103-104.
191. P. Bezes, op. cit., p. 23.
192. P. Legendre, op. cit., p. 418-419.
193.Ibid., p. 418.
194.Ibid., p. 14 et 15.
195. Michel Crozier, Le phénomène bureaucratique, 1963, p. 14.
196.Ibid., p. 15.
197. G. Devaux, op. cit., p. 239.
198.Ibid., p. 76. Voir supra les deux communications de F. Descamps sur Gabriel Ardant.
199. J. Caillosse, op. cit., p. 317.
200.Idem.
201. Pierre Legendre, Histoire de l’administration de 1750 à nos jours, cité par E. Gristi, op. cit., p.
121.
202. P. Legendre, Le Trésor… op. cit., p. 16.
203. B. Latour La fabrique… op. cit., p. 258.
204. Voir supra, p. 459 et 460.
205. B. Latour, Un monde pluriel mais commun…, op. cit., p. 47.
206.Ibid., p. 24.
207. John Dewey, 1859-1952, fondateur du pragmatisme aux États-Unis.
208. B. Latour, Un monde…, op. cit., p. 32.
209.Ibid., p. 39.
210.Ibid., p. 189.
211. Ibidem.
212. P. Legendre, Histoire de l’administration de 1750 à nos jours, cité par E. Gristi, op. cit., p. 121.
213. G. Devaux, op. cit., p. 184.
214.Ibid., respectivement p. 239-240, 233 et 230.
215.Ibid., respectivement p. 231, 238 et 241.
216. P. Legendre, op. cit., p. 414-415, souligné par nous.
217. G. Devaux, op. cit., p. 233, souligné par nous.
218.Ibidem, souligné par nous.
219.Ibid., p. 239.
220.Ibid., p. 233-234.
221.Ibid., p 17.
222. P. Legendre, op. cit., p. 418.
223. Cf. supra p. 479-480.
224. B. Latour, La fabrique…, op. cit., p. 258.
225. F. d’Arcy et P. Grémion constataient en 1969 : « Il s’est […] constitué autour des
fonctions traditionnelles des services extérieurs des Finances un certain nombre
d’équilibres stables au maintien desquels ont intérêt les différents acteurs concernés », op.
cit., p. 91. Mais peut-être est-ce plus le droit que les acteurs eux-mêmes qui a « intérêt » à ce
maintien ? Faut-il pour autant en déduire une faculté d’adaptation à ce point limitée ?
226. P. Legendre, op. cit., p. 14.
227. G. Devaux, op. cit., p. 80.
228. Cf. Sébastien Kott, « L’invention d’outils “gestionnaires” dans le système financier de la
Restauration », in L’invention de la gestion des finances publiques…, op. cit., p. 415.
229. Évoquant ce texte, F. Descamps note que les notions de coûts et rendements passent au
second plan, cf. supra.
230. G. Devaux, op. cit., p. 16.
231. Cf. supra p. 475-476 et Ph. d’Iribarne, op. cit., « Accomplir les devoirs de son état », p. 21
à 28.
232. G. Devaux, op. cit. p. 16-17.
233. Dans la version dactylographiée de son cours de 1955, Devaux évoque même « le
triomphe de “la fin justifie les moyens” qui est toujours la maxime de la dictature dans les
pays où l’on a perdu le respect de la loi », p. 12-13.
234. G. Devaux, op. cit., p. 234.
235.Ibid., p. 1.
236. « Lorsque [la réglementation financière] disparaît, tout devient beaucoup moins clair.
Chaque cellule administrative s’isole et, ne pouvant plus se justifier par des chiffres, elle
s’abrite derrière un nuage de mystère. Chacun s’efforce en tâtonnant de travailler dans le
secret, la confidence et la nuit », ibid., p. 213.
237.Ibid., respectivement p. 236, 235, 179, 195, 235 et 240.
238.Ibid., p. 32 et 33.
239. B. Latour, La fabrique…, op. cit., p. 288.
240.Ibid., p. 284.
241.Ibid., respectivement p. 288, 294-295 et 299.
242. G. Devaux, op. cit., p. 10.
243. P. Bezes, « Perspectives de recherche pour une histoire de la régulation des finances
publiques. Le regard d’un politiste » in L’invention de la gestion des finances publiques,
Élaborations…, p. 13.
244. J. Caillosse, La constitution…, p. 13-14.
245. P. Legendre, Ce que nous appelons le droit, Gallimard, « Le débat », n° 74/1993, p. 107 cité
in J. Caillosse, ibid., p. 14-15..
246. P. Bezes et A. Siné écrivent sur ce point « Le traitement de l’argent public semble […]
relever d’une culture du sacré et du profane » et « Les pratiques sont encadrées par des
règles de droit et une technicité spécifiques […] qui confèrent une sacralité à la gestion de
l’argent public », in Gouverner…, op. cit., p. 26.
247. G. Devaux, op. cit., p. 1.
248. J. Caillosse, op. cit., p. 285.
249. P. Legendre Trésor…, op. cit., p. 15.
250. Commission de normalisation des comptabilités, rapport de J. Anthonioz, rapporteur à
la 4e sous-commission, p. 7, SAEF carton B55191. Texte en italique souligné par nous.
251. Sur ce point, voir ce qu’écrit Olivier Dard à propos de Jean Coutrot qui se comportait
davantage comme un exalté et comme un croyant que comme un intellectuel épris de
rationnalité (ce qu’il prétendait pourtant être). Olivier Dard, Jean Coutrot, 1895-1941, de
l’ingénieur au prophète, Presses universitaires franc-comtoises, 1999, p. 406.
252. G. Thuillier et R. Catherine, op. cit., p. 210.
253. Celle-ci ne concerne pas seulement le public mais également au premier chef
l’administration elle-même : « Le savoir de l’administrateur est largement tributaire de sa
propension à croire », ibid., p. 191.
254. En réalité « Le problème n’est pas d’apporter une vérité comptable objective qui
engendrerait la confiance comme le pensent la plupart des praticiens et de nombreux
auteurs comptables, mais d’apporter une croyance, un bien commun, une référence
commune qui permettrait aux principaux acteurs un moment donné, de dialoguer, de
s’affronter, d’effectuer des transactions, de négocier », Michel Capron, « La comptabilité :
faut-il y croire pour avoir confiance ? », Gérer et comprendre, décembre 1990, p. 75-83.
255. Hanna Arendt, Condition de l’homme moderne, 1961, cité par Véronique Chanut, « Pour
une nouvelle geste évaluative », in Évaluer les politiques publiques pour améliorer l’action
publique, une perspective internationale, Paris, Comité pour l’histoire économique et financière
de la France, 2009, p. 171. Dans la même optique on peut citer Michel Crozier et Erhard
Friedberg, : « Pour apprendre il faut agir sans encore connaître, donc prendre un risque
qu’un calcul trop serré des coûts et avantages rendrait impossible », in L’acteur et le système,
Paris, Seuil, 1977, p. 273.
256. P. Bezes, Gouverner…, p. 23
257. Selon la formule de B. Latour déjà citée supra p. 456, Un monde…, p. 47.
258. J. Caillosse, op. cit., p. 407.
259. Citant Finanztheorie und finanzsoziologie (1959, p. 162) de Fritz Karl Mann, Sébastien Guex
estime que celui-ci ouvre « une ultime piste dont il est difficile de ne pas voir l’intérêt au
jour d’aujourd’hui » lorsqu’il souligne « un important phénomène socio-économique actuel
: la proportion dans laquelle les besoins propres au budget public et à l’économie financière
ont provoqué l’expansion d’entreprises publiques et semi-privées et ont donc modifié les
rapports du secteur privé avec le secteur public de l’économie. », cité in « Une approche des
finances publiques : la sociologie financière », L’invention…, op. cit., p. 406.

AUTEUR
PHILIPPE MASQUELIER

Philippe Masquelier est chargé de recherche à l’Institut de la gestion publique et du


développement économique. Il organise et anime depuis plusieurs années le séminaire
interdisciplinaire « Histoire de la gestion des finances publiques de 1815 à nos jours ». Il est
titulaire d’un DEA en histoire contemporaine à l’École pratique des hautes études sur
l’évolution de l’administration de la Comptabilité publique de 1870 à 1940, Comité pour
l’histoire économique et financière de la France, paru in La comptabilité publique, continuité et
modernité. Colloque tenu à Bercy les 25 et 26 novembre 1993, Paris, 1995, p. 41-77. Ses
recherches portent sur l’histoire administrative et financière au XXe siècle sous ses aspects
organisationnels, sociologiques, juridiques et culturels. Il a publié récemment une étude
thématique sur Gilbert Devaux in F. Cardoni, N. Carré de Malberg, M. Margairaz (dir.),
Dictionnaire historique des inspecteurs des Finances, 1801‑2009, Paris, Comité pour l’histoire
économique et financière de la France/IGPDE, 2012, p. 154-155 et « La montée en charge de
l’expertise technique dans la décision durant les années cinquante : un traumatisme pour
l’administration ? » in J.-M. Leniaud et F. Monnier (dir.), Experts et décision, Paris/Genève,
Droz, 2013.
Le décret de 1956 et l’ordonnance de
1959 : leurs conséquences sur la
gestion financière de l’État
Lucile Tallineau

Le décret du 19 juin 1956 déterminant le mode de présentation du


budget de l’État et l’ordonnance du 2 janvier 1959 portant loi
organique relative aux lois de finances sont avant tout des textes qui
visent le contenu et le vote des lois de finances. Ces deux textes
doivent leur modernité, non seulement aux dispositions qu’ils
contiennent, mais également à leur existence. Ils sont les premiers
documents d’ensemble consacrés, exclusivement, au droit
budgétaire. Dans les grands textes sur la comptabilité publique, à
savoir l’ordonnance royale portant règlement général sur la
comptabilité publique du 31 mai 1838 et le décret impérial portant
règlement général sur la comptabilité publique du 31 mai 1862, la «
comptabilité législative » n’était qu’une partie, relativement peu
développée, précédant la comptabilité administrative et la
comptabilité juridictionnelle. En 1956, le droit budgétaire se trouvait
dispersé dans des textes de valeur juridique inégale : dispositions
constitutionnelles, plus importantes dans la Constitution de 1946
mais encore très réduites, textes législatifs, règlements d’assemblée.
À ceci s’ajoutaient des pratiques coutumières qui avaient pu se
développer grâce au caractère répétitif du vote du budget.
La gestion financière relative à l’utilisation des crédits par
l’administration concerne l’exécution du budget par l’administration
ainsi que son contrôle. L’ordonnance du 2 janvier 1959 évoque la «
gestion » mais de façon très restrictive. L’article 45, en effet, renvoie
à des décrets en Conseil d’État, pris sur le rapport du ministre des
Finances, le soin de prévoir « toutes dispositions de nature à assurer
la bonne gestion des finances publiques et relatives à la comptabilité
». On ne saurait distinguer aussi nettement les règles relatives au
contenu et à l’élaboration du budget de celles relatives à la gestion
des crédits par l’administration. Le cadre et même l’exercice de la
gestion sont déterminés directement ou indirectement par le droit
budgétaire. Une bonne gestion suppose, au minimum, un budget
établi en début d’exercice, un cadre clair, des évaluations précises,
une nomenclature intelligible par l’administration et des
instruments de contrôle adaptés. Or, sur tous ces points, le décret du
19 juin 1956 et l’ordonnance du 2 janvier 1959 contiennent des
apports réels même s’ils peuvent apparaître insuffisants au regard
des espérances suscitées par la perspective de réformes de plus
grande envergure.
Les deux textes organiques révèlent une étroite parenté. Les travaux
préparatoires de la Constitution de 1958 montrent l’attachement à ce
décret et pour certains l’inutilité de l’intervention d’un autre texte
organique. Une légalisation du décret de 1956 semblait suffire pour
purger ce texte de ses vices d’inconstitutionnalité. C’est Gilbert
Devaux, alors directeur du Budget, ancien membre de la commission
de la réforme budgétaire présidée par Robert Jacomet et
commissaire du Gouvernement 1 au sein de la commission
constitutionnelle chargée au Conseil d’État de l’examen du projet de
réforme constitutionnelle, qui insista pour que la Constitution
renvoie à une loi organique la détermination des ressources et des
charges de l’État au sein des lois de finances ainsi qu’aux modalités
de leur vote (art. 34 et 47). Le dialogue qui s’établit entre le président
René Cassin et Gilbert Devaux est tout à fait révélateur quant à la
filiation entre la future loi organique et le décret de 1956 2 . Les
intentions du Gouvernement, telles qu’elles résultent dudit dialogue,
sont d’utiliser largement les dispositions du décret tout en les
modifiant pour qu’elles s’intègrent à la Constitution. Pour éviter tout
débordement, il s’agissait d’aller vite, c’est-à-dire de profiter des
possibilités offertes par l’article 92 de la Constitution de 1958 de
prendre, dans la période transitoire, des lois sous forme
d’ordonnance. La loi organique relative aux lois de finances prévue
par la Constitution fut ainsi promue au rang des mesures «
nécessaires à la vie de la Nation ». Une commission fut constituée
comprenant des représentants du ministère de la Justice et des
Finances. Des premiers projets émanant de la Justice, relativement
courts, comportant des dispositions pour le moins étranges comme
le vote de la deuxième partie avant la première, il ne restera pas
grand-chose dans le texte final. Même s’il nous manque deux avant-
projets, l’un de la Justice, l’autre des Finances, des allers et retours
retransmis, on peut dire que c’est le projet de la direction du Budget
et donc de Gilbert Devaux qui s’imposa. Au Conseil d’État, en section,
puis en assemblée générale, la discussion fut animée, en particulier,
sur le régime des taxes parafiscales et sur les emplois, mais elle
n’entraîna que des modifications mineures 3 . Des critiques
provenant des parlementaires furent émises dès 1959 4 sur la
procédure adoptée. Elles furent reprises dans les différentes
propositions de réformes de l’ordonnance de 1959 et portaient sur le
fait que le Gouvernement s’était reconnu, à lui seul, le soin d’adapter
les dispositions du décret de 1956 à la Constitution.
L’intérêt qu’il peut y avoir à prendre pour étude les deux textes
organiques au regard de la gestion financière de l’État apparaît dans
la mesure où si l’un découle du premier, celui-ci est beaucoup plus
explicite et chargé d’intentions que le second. L’ordonnance de 1959,
plus ramassée, plus conceptualisée apparaît au terme de la
comparaison comme une version asséchée du décret de 1956. De
nombreuses dispositions, qui donnaient au décret un caractère
déclaratoire des finances modernes, disparaissent. Ainsi on ne
retrouve plus mention de la comptabilité nationale, du revenu
national, des investissements productifs ou encore des « fonctions »
et du coût des services. Le décret du 19 juin 1956 montre par ses
longueurs, par ses références, un droit budgétaire en train de se
faire, directement en prise avec les préoccupations de son temps. Il
explique, définit, en dépassant parfois la réalité des techniques
budgétaires. Ce caractère expressif du décret, le fait qu’il avait
beaucoup à dire ne vient pas seulement de ce qu’il s’agit du premier
texte budgétaire mais également de l’importance des réflexions sur
le droit des finances de l’État depuis 1946 et de la pluralité de ses
auteurs. L’article 16 de la Constitution du 27 octobre 1946 prévoyait
qu’une loi organique réglerait le mode de présentation du budget de
l’État. Le caractère tardif du décret du 19 juin 1956 ne permet pas
bien de mesurer les attentes suscitées par cet article 16 dans les
années d’après-guerre. La future loi organique était une référence
aussi bien pour le Parlement que pour des organismes nouvellement
créés comme le Comité d’enquête sur le coût et le rendement des
services publics. Des suggestions étaient faites quant à son futur
contenu.
Apparemment, il n’y eut pas de retard. La sous-commission des lois
organiques de l’Assemblée nationale fit appel, en 1947, à Robert
Jacomet pour prendre la direction des travaux relatifs à l’élaboration
d’un avant-projet de loi organique. Robert Jacomet, contrôleur
général de l’Armée, était connu pour avoir créé, en 1935, avec le
doyen Allix, la section de finances publiques de l’Institut de droit
comparé de l’université de Paris. Ladite section devait lui permettre
de rassembler et d’utiliser l’abondante documentation et les
recherches issues des travaux qu’il avait dirigés, depuis 1926, au sein
des conférences pour le désarmement dans le cadre de la SDN.
Robert Jacomet accepta à certaines conditions, dont l’une était de
donner un cadre universitaire aux travaux demandés. Une
commission d’étude de la réforme budgétaire fut créée au sein de
l’Institut. Il demanda également le droit de faire appel, directement,
à toutes les compétences afin de pouvoir fonctionner selon les
méthodes adoptées au sein de la section de finances publiques, ce qui
impliquait la collaboration de personnalités étrangères et françaises
appartenant au corps enseignant mais aussi aux hommes politiques
et aux membres des grands corps de l’État. La commission, composée
de 76 membres, tint 48 séances, sans compter les nombreuses
séances des comités dont le comité de rédaction. Quarante
communications et rapports furent entendus dont les importants
rapports généraux de Paul Hervieu, contrôleur général de l’Armée,
et d’Armand Le Hénaff, contrôleur général de la Marine 5 .
La première partie de l’avant-projet de loi organique fut remise aux
pouvoirs publics en juin 1949 ; elle portait sur le contenu et
l’élaboration du budget ; la seconde partie, concernant le contrôle de
l’exécution, fut remise en juillet 1952. L’ensemble contient pas moins
de 100 articles 6 . Le fait que ce texte soit mis en sommeil résulte
sans doute de plusieurs facteurs dont le plus important est le
manque de volonté politique. On pourra objecter, avec raison, les
défauts du texte lui-même en ce qu’il contenait des dispositions
hétérogènes dont certaines n’avaient pas à figurer dans une loi
organique. On peut également objecter une faiblesse dans la
conceptualisation. Il a certes les défauts d’une réforme produite par
un collectif dont les membres ont des parcours très différents et
dont il faut concilier les points de vue. Mais il ne s’agissait que d’un «
avant-projet », il aurait pu servir de base de discussion et être
modifié en conséquence. Quelques années plus tard fut adopté le
texte organique prévu par la Constitution. Les conditions de son
élaboration témoignent des difficultés de fonctionnement des
institutions sous la IVe République. C’est en effet sous la forme d’un
décret-loi en vertu des lois d’habilitation des 2 avril et 8 août 1955
que fut pris le texte organique prévu par l’article 16 de la
Constitution. Malgré la référence, dans les visas, à la loi du 17 août
1948 relative aux délégations de compétences, il s’agissait bien,
comme le souligne Henri Puget, rapporteur pour le décret auprès du
Conseil d’État, ancien membre de la commission Jacomet,
collaborateur depuis 1937, de la section de finances de l’Institut de
droit comparé, d’une délégation de pouvoir anticonstitutionnelle car
non conforme à l’article 13 en vertu duquel le pouvoir législatif ne se
délègue pas 7 .
Dans l’avant-propos 8 , la direction du Budget indique que la
préparation du décret organique a été facilitée par les nombreux et
importants travaux accomplis tant par la doctrine que par
l’administration des Finances. À cet égard, un hommage particulier
est rendu à la « commission de la réforme budgétaire » de l’Institut
de droit comparé. Ces rappels s’accompagnent cependant d’une
réserve due à l’écoulement du temps. « Les divers projets élaborés
depuis cette époque ont sensiblement évolué en fonction de
plusieurs années d’expérience dans la préparation, la discussion et le
vote du budget ». Le fait que le texte organique prévu par la
Constitution de 1946 ait été adopté sous forme de décret n’en fait pas
pour autant, comme l’ordonnance de 1959, un texte émanant du seul
exécutif. Il reflète bien le fonctionnement des institutions de la IVe
République en ce que les textes d’habilitation prévoyaient l’avis
conforme de commissions de l’Assemblée nationale et du Conseil de
la République 9 . L’initiative en revient au député Robert Lecourt qui,
lors la discussion de la loi donnant pleins pouvoirs au Gouvernement
du 2 avril 1955, fit adopter un article 2 bis, relatif à l’application de
l’article 16 de la Constitution 10 . Cet amendement reçut l’accord du
Conseil de la République, considérant également qu’il y avait là
urgence et qu’en « dépit de deux rappels du Parlement, aucun
gouvernement ne (s’était) jusqu’à ce jour soucié de satisfaire à cette
demande pourtant formelle de la Constitution 11 ». La première date
indiquée témoignait de la hâte de conclure puisque le texte était
prévu pour le 31 juillet. Le projet de décret élaboré par la direction
du Budget, dont Roger Goetze assumait la direction depuis 1949, ne
sera déposé que le 19 juillet devant le Conseil d’État et à la même
date devant la commission des Finances de l’Assemblée nationale ; il
le sera le 20 juillet devant la commission des finances du Haut
Conseil de la République. Les délais nécessaires à la discussion au
sein des commissions s’avérant nettement insuffisants, la loi
d’habilitation du 6 août 1955 les prolongèrent sans fixer de date.
Neuf navettes eurent lieu entre les deux commissions, interrompues
par la dissolution et les vacances parlementaires. Un avis fut donné
le 2 mai 1956 mais un point de divergence subsista entre les deux
assemblés, relatif aux décrets de répartition, qui donna lieu à de
nombreuses discussions. S’inspirant de la procédure décrite à
l’article 20 de la Constitution, on admit qu’en matière d’avis le
dernier mot revenait à la commission des Finances de l’Assemblée
nationale.
Prévoyant un retard dans le dépôt du projet de décret, la
commission des Finances du Conseil de la République s’était
préparée en élaborant une importante note envoyée dès le 28 juin à
la direction du Budget et à la commission des Finances de
l’Assemblée nationale. Ce texte, antérieur au projet de décret, sera
par la suite repris et publié dans un rapport sur un projet de loi
portant ouverture, annulation et ratification de crédits soumis à la
commission des finances le 28 juillet 1955 12 . Les propositions
concernent entre autres « la rationalisation de la procédure de
détermination du budget », la « présentation claire et sincère des
comptes de l’État », les problèmes de vocabulaire budgétaire et la
normalisation des comptes de l’État. Sont également abordés le
rapprochement avec la comptabilité privée et la comptabilité
nationale ainsi que « la limitation de la faculté d’emprunter laissée à
l’exécutif ». La lecture de ces travaux préparatoires montre la
richesse des réflexions au sein de la commission des Finances du
Conseil de la République. Les procédures et définitions proposées se
retrouveront dans le projet de décret 13 . Par ailleurs l’avis donné par
la section des finances du Conseil d’État le 25 juillet 1955 contient
des propositions de modifications 14 qui furent généralement
acceptées par les commissions des finances 15 . Certaines donnèrent
lieu à des discussions, le Conseil de la République privilégiant dans
certains cas le texte initial de la direction du Budget 16 . D’autres
furent, à leur tour, modifiées par les commissions des finances. Cet
apport de la haute juridiction financière n’est pas négligeable. Henri
Puget, rapporteur général, non seulement faisait partie de la
commission Jacomet mais avait apporté son concours aux travaux de
la section de finances publiques de l’Institut de droit comparé sur les
problèmes de technique financière et budgétaire dès 1937 17 . Les
propositions de modification portèrent sur des points de technique
juridique 18 , sur la définition du budget contenu dans l’article 1er et
des dispositions touchant au fond, mais aussi sur des points plus
substantiels 19 .
L’apport des commissions des finances au texte proposé par la
direction du Budget s’est enrichi au fil des navettes 20 , il a été
remarquablement synthétisé dans un rapport établi par la
commission du Conseil de la République 21 . Les modifications
rédactionnelles sont importantes et ne jouent pas seulement à la
marge. Des disjonctions, des regroupements ont été opérés comme
par exemple en ce qui concerne à l’article 9 sur le passage du
système de l’exercice à la gestion 22 ainsi que les articles 32 à 36 sur
les budgets annexes. L’article 50 relatif au contenu des lois de
finances a été complètement remanié ainsi que les autres articles
subséquents. L’article 62 sur la répartition des crédits par chapitre a
été entièrement réécrit. Comme celui sur les budgets annexes. Les
rapports entre la loi de finances et le rapport financier ont été
modifiés ainsi que le contenu desdits rapports. L’accent a été mis sur
la comptabilité privée et sur la normalisation des comptes. On peut
dire, de façon générale, que les modifications apportées par le
Parlement au projet de décret concernant le cadre de la gestion ont
dynamisé le projet de la direction du Budget. Les solutions apportées
aux « errements du passé 23 », et leurs conséquences funestes sur la
gestion des services, font partie d’un ensemble. La cohérence
nouvelle du cadre de gestion va permettre de les faire accepter.
Si les travaux préparatoires au décret permettent de mettre en
valeur la cohérence du cadre de gestion, il n’en va pas de même en ce
qui concerne l’exercice de cette gestion. Le projet de décret de 1956
semble être seul, sur ce terrain abandonné par l’ordonnance de 1959.
Le Conseil d’État viendra même proposer d’atténuer l’effet déclaratif
du projet de décret en matière de « fonction ». La structure des deux
textes, leur modernité budgétaire les privent d’éléments sur le
contrôle qui figuraient en bonne place dans l’avant-projet organique
de 1949-1952 et qui pouvaient être rattachés aux nouvelles
dispositions contenues dans la Constitution de 1946. On les
retrouvera dans la LOLF qui articule le projet budgétaire autour d’un
nouveau type de gestion. Cependant, le décret de 1956 comme
l’ordonnance de 1959 donnent une valeur organique à des
dispositions déjà en vigueur qui vont dans le sens de l’amélioration
de la qualité de la gestion. Par ailleurs, le décret de 1956, comme
l’avant-projet organique, laisse entrevoir une évolution. Pour toutes
ces raisons, les deux textes comportent des éléments contrastés en
ce qui concerne l’exercice de la gestion 24 .

I. Un cadre de gestion plus cohérent


Le décret de 1956 et l’ordonnance de 1959 témoignent l’un et l’autre
de la volonté d’inscrire le budget de l’État dans un contexte
économique plus large, représenté par les comptes de la nation. Ils
traduisent également la volonté d’instaurer une maîtrise des débats
budgétaires. Ces deux objectifs sont étroitement liés et concourent à
la lisibilité et à la stabilisation du cadre d’exécution tracé par les lois
de finances. Les pratiques, dénoncées sous la IIIe et la IVe République,
conduisaient à faire peser une incertitude sur le cadre de gestion des
crédits. Le recours très fréquent à la technique des douzièmes
provisoires, la multiplication des lois de finances, les incidents de
parcours dus à l’anarchie des crédits additionnels, la multiplicité des
amendements au projet de loi étaient autant d’obstacles à
l’expression claire d’un programme de gouvernement. Le décret de
1956 va, habilement, au nom d’une modernité liée aux rapports
entre le budget et l’économie, opérer une rationalisation des
procédures budgétaires. Les facteurs économiques et politiques
étroitement imbriqués vont permettre une action continue et
coordonnée des services de l’État.

A. Les justifications économiques

L’exposé des motifs du décret de 1956 traduit ce qui ressort des


travaux parlementaires, à savoir que les choix budgétaires doivent
être justifiés au regard d’une politique économique. « Les moyens
dont (l’État) dispose, comme les ressources qu’il prélève, ont
désormais une influence profonde sur la nation, son orientation
économique, son devenir social ».
La nécessaire connexion entre le budget et la politique économique
n’est pas une idée nouvelle en juillet 1955. Elle a déjà été largement
développée dans les années d’après-guerre. Le premier rapport de la
Cour des comptes après la Libération, arrêté le 15 avril 1946, le
mentionne tout en posant les conditions, à savoir l’utilisation
d’informations tirées d’une comptabilité nationale 25 .
L’avant-projet de loi organique de 1949 se fait l’écho de ces
préoccupations. L’exposé des motifs du projet de finances doit
donner un éclairage économique beaucoup plus formalisé que les
considérations générales généralement exposées. Celui-ci doit
contenir un rapport sur la situation économique à venir faisant,
notamment, apparaître l’évaluation du revenu national escompté et
ce d’après les perspectives de la production et de la balance des
comptes, de la consommation privée, du montant des
investissements privés et du montant des investissements publics et
privés. Cet exposé des motifs doit, de plus, contenir la présentation
économique des dépenses publiques ainsi que le rapport existant
entre les impôts, taxes et contribution de caractère obligatoire,
d’une part, et le revenu national d’autre part (art. 40).
L’élément nouveau qu’intégrera le décret viendra de la mise au point
de l’instrument de mesure de l’activité économique que la Cour des
comptes appelait de ses vœux, à savoir la comptabilité nationale 26 .
Dans ce domaine, les travaux, entrepris dès l’année 1946, devaient
recevoir une consécration officielle dans le décret du 31 mars 1950
relatif à l’organisation d’une comptabilité nationale et dans le décret
du 18 février 1952 portant création d’une commission des comptes
des budgets économiques de la nation et réorganisation de la
comptabilité dont le premier président fut Pierre Mendès France. La
France se verra doter d’un système de comptes nationaux en 1952.
Les comptes prévisionnels de la nation, élaborés par le service des
études économiques et financières (mieux connu sous le nom de
SEEF) du ministère des Finances en liaison avec l’INSEE et arrêtés par
le président, les commissions sur les comptes et les budgets
économiques de la nation, furent transmis au Parlement.
Si, en 1949, Paul Reuter pouvait avoir des doutes sur la réception de
ce nouveau langage comptable par les parlementaires, en 1955, les
travaux des parlementaires, lors du débat sur le projet de décret,
montrent que la conversion a eu lieu 27 . On peut d’ailleurs noter une
certaine impatience au sein des commissions des finances face au
caractère tardif de la traduction budgétaire des comptes de la
nation.
Dans le décret de 1956 figurent deux instruments nouveaux, à savoir
le rapport économique et le rapport financier. Ceux-ci doivent
obligatoirement être déposés en même temps que le projet de loi de
finances de l’année.
Dans le projet de décret, le projet de loi de finances était simplement
« appuyé » sur les comptes économiques de la nation établis dans le
cadre de la comptabilité nationale. Les commissions des finances
renforceront ce lien entre la loi budgétaire et les choix économiques
et financiers. Le Parlement n’est pas seulement informé des objectifs
économiques et financiers lors l’élaboration de la loi de finances,
c’est la loi de finances elle-même qui « traduit » les objectifs
financiers du Gouvernement (art. 1er). Par ailleurs, le rapport
économique n’est pas seulement « appuyé » sur les comptes de la
nation, il est « fondé » sur les comptes de la nation.
Le rapport économique était brièvement décrit dans le projet de
décret. Il envisageait que soient mentionnés les résultats de l’année
précédente, la situation de l’année en cours, les hypothèses sur
lesquelles ils reposent et le programme d’action du Gouvernement.
Les ajouts apportés par les commissions des finances vont avoir pour
objet de valoriser l’instrument de mesure de l’activité économique
nationale et de dépasser le cadre du budget de l’État en l’insérant
dans des ensembles plus vastes permettant de mettre en valeur
l’action de l’État dans certains secteurs de l’économie et les
interdépendances financières au sein du secteur public.
L’article 3 relatif au rapport économique va s’enrichir d’une
définition de la comptabilité nationale, et de l’énumération de tous
les agents économiques tant du secteur public que du secteur privé.
De là découle, selon les commissions, la nécessité d’y faire figurer le
« budget social » de la nation englobant l’ensemble des charges et
prestations supportées par l’État, les collectivités publiques, semi-
publiques et le secteur privé. De même doivent y figurer les
prévisions budgétaires de tous les organismes du secteur public pour
lesquels était prévu, dans le projet de budget, un concours financier
ou la garantie de l’État, ainsi que les comptes correspondants pour
l’année en cours et l’année à venir 28 . Les prévisions budgétaires de
tous les autres organismes publics devaient être fournies aux
commissions financières du Parlement lorsque celles-ci en feraient
la demande. Dans le rapport financier, les commissions des finances
précisent que devaient y figurer les résultats financiers ainsi que la
situation de la dette des organismes publics appartenant au secteur public.
La référence aux grands agrégats économiques sera par ailleurs
introduite de façon plus précise, par les commissions des finances.
L’article 6, entièrement modifié, indique, à propos de la répartition
des crédits, que les grandes catégories de dépenses sont arrêtées par
référence au revenu national.
L’exposé des motifs du décret de 1956 fait référence à un « compte
public » qui devrait permettre de retracer les finances de l’État, des
collectivités locales, des grandes entreprises nationales et des
régimes sociaux. Le contenu du rapport financier reste en deçà de
ces souhaits même s’il a été amélioré par le Conseil de la République.
Ainsi, dans le texte initial de la direction du Budget, il n’est fait
référence qu’à la seule « dette publique ». Cette seule mention, des
plus traditionnelles, n’a pas été jugée suffisamment précise pour
traduire l’évolution due aux différentes composantes de la dette.
Dans ses propositions, le Conseil de la République avait longuement
développé cet aspect et demandé qu’il soit indiqué avec précision
que la dette publique résultait des opérations financières de la «
collectivité publique nationale ». Ladite collectivité étant conçue de
manière suffisamment large pour englober les opérations des
activités à caractère industriel et commercial ou de caractère social
de l’État. Le projet de décret sera modifié sur ce point mais la
modification n’ira pas aussi loin que l’auraient souhaité leurs
auteurs. Selon les termes du décret, le rapport financier doit faire
apparaître « la situation de la dette des organismes appartenant à
l’ensemble du secteur public ». La commission des finances du
Conseil de la République proposait qu’on introduise la notion d’«
endettement public ». Consciente cependant que cette notion, aussi
importante soit-elle, n’avait pas encore « atteint son point de
perfection 29 », elle admit, sur ce point, les réserves de la
commission de l’Assemblée nationale 30 .
Enfin, très soucieux de la nécessité d’inscrire le budget de l’État dans
l’ensemble de l’activité nationale, les parlementaires posent à
maintes reprises le problème de la normalisation des systèmes
comptables. C’est le rapprochement de la comptabilité publique de la
comptabilité privée normalisée, avec le plan comptable général, qui
permettra une meilleure lecture économique du budget. De même,
ils attendent un perfectionnement de la comptabilité nationale.
Alors que le projet de décret renvoyait à des arrêtés le soin de
préciser « les cadres normalisés dans lesquels sera présenté le
budget et s’exécuteront les comptes de l’État » et prévoyait qu’en ce
qui concerne plus particulièrement les budgets annexes ces « cadres
normalisés s’inspireraient du plan comptable général de l’État » (art.
69), la formulation retenue par les commissions des finances était
plus ambitieuse quant au rapprochement des systèmes comptables.
Le décret prévoit que des arrêtés du ministre des Finances, pris sur
avis conforme des commissions des finances, et préparés par une
commission, dont la composition sera ultérieurement fixée,
préciseront la nomenclature comptable et les cadres normalisés dans
lesquels seront présentés le budget de l’État et son exécution
comptable, les comptes de la nation, les rapports économiques et
financiers. Ces cadres normalisés devant s’inspirer du plan
comptable général.
Des procédures et des techniques, adoptées à l’initiative de la
direction du Budget ou des commissions des finances, permettent la
mise en œuvre des objectifs définis dans les rapports économiques et
financiers. Le décret de 1956 donne une valeur organique à la
nouvelle nomenclature en titre mise au point en 1952 par la direction
du Budget. Les dépenses y sont regroupées selon leur nature
économique. La nouvelle classification en titre structure désormais la
présentation et le vote des crédits et permet un rapprochement avec
la comptabilité nationale. Les dépenses en capital (Titre V et VI) sont
distinguées des dépenses ordinaires (Titre I à IV), dans les deux cas
les dépenses effectuées directement par l’État sont présentées
séparément des transferts (Titre IV) et des subventions (Titre VI). Le
Conseil d’État est à l’origine de l’ajout apporté au titre IV en ce qu’il
précise que les interventions de l’État concernent les matières «
économique, sociale et culturelle ». Le décret de 1956 accordera à
cette classification économique une importance primordiale en
précisant que le vote des crédits interviendra, d’abord par titre, la
répartition traditionnelle par ministère n’étant votée qu’en second.
C’est selon cette procédure qu’a été voté le budget pour 1956 31 . La
même formulation : « Titre et ministère » sera reprise dans
l’ordonnance du 2 janvier 1959 32 .
La notion de dépense d’investissement de l’État fut l’objet de
discussions au sein de la commission des Finances du Conseil de la
République 33 . La comparaison avec la comptabilité privée les
conduisirent à demander des clarifications supplémentaires. Tout en
regrettant que la comptabilité publique ne permette pas de donner
une configuration spéciale aux amortissements, ils estimèrent que
ceux-ci devaient être mentionnés. Les parlementaires ajoutèrent
aussi à la définition proposée de la dépense d’investissement dans le
projet de décret la « reconstitution » des biens de l’État 34 . Dans le
même souci de clarté, les commissions des finances demanderont
que les comptes de prêts soient dissociés afin que soient isolées les
consolidations d’avance non remboursables au profit d’un débiteur
défaillant, des investissements qui « préparent l’avenir », et dont la
commission des comptes économiques regrette l’insuffisance. D’où
un nouveau compte de prêts intitulé comptes d’investissements
économiques distinct d’un compte de prêts et de consolidation 35 .
La programmation des investissements sous la forme d’autorisations
de programme va permettre aux administrations d’être assurées de
la continuité des opérations entreprises au titre des investissements.
Cette programmation qui met fin à la seule technique du report par
la dissociation de l’engagement du paiement n’est pas nouvelle en
1955. Depuis le décret-loi de 1939, la loi de finances du 31 décembre
1945 et celle du 30 mars 1947, la technique s’était peu à peu imposée.
L’avant-projet organique de 1949 la reprend à l’article 11 mais il
appartient au projet de décret de 1955 d’avoir mis au point la
définition qui sera reprise comme telle dans l’ordonnance de 1959.
Les commissions des finances préciseront le projet initial en ajoutant
que celles-ci sont valables sans limitation de durée. On peut s’étonner
cependant que ne soit pas mentionné le fait que le plan définissant
les objectifs à long terme serve de cadre aux lois de finances. Le fait
qu’il n’en soit pas fait mention dans le projet de la direction du
Budget peut s’expliquer mais il n’en va pas de même pour les
commissions des finances.
Une procédure, due à l’initiative de la commission des Finances du
Conseil de la République et fortement argumentée, viendra enfin
renforcer la cohérence économique du décret. Il s’agit de la
présentation du projet de loi de finances en deux parties dont le
contenu est strictement délimité. La première partie contenant,
entre autres, l’autorisation de lever l’impôt, l’évaluation des recettes,
les plafonds des grandes catégories de dépenses et l’équilibre
budgétaire qui en résulte. Les sénateurs rappellent l’expérience des
lois de maxima réalisées en 1949 mais précisent que leur démarche
est originale pour plusieurs raisons. Outre qu’il n’y a plus désormais
qu’une loi de finances, chaque article de la première partie devra
faire l’objet d’un vote avant que la deuxième partie ne soit mise en
discussion. Enfin, la procédure trouve sa pleine justification dans le
fait que la discussion sur le détail des crédits interviendra après que
l’équilibre entre les recettes et les dépenses aura été voté, résultant
de choix opérés en matière de dépenses. L’intérêt de ce nouvel ordre
des votes est lié au fait qu’à la différence des lois des maxima, le
montant des grandes catégories de dépenses ne portera plus sur des
données économiques approximatives mais sur des hypothèses
calculées au moyen des instruments de la comptabilité nationale.
Celle-ci permettant aux parlementaires de se rendre compte « des
conditions dans lesquelles cette politique permet dans l’immédiat de
satisfaire aux besoins des divers secteurs intéressés dans la
répartition du revenu national et comment pour l’avenir elle permet
une évolution rationnelle des divers facteurs qui interviennent dans
le développement de la propriété nationale 36 ».
Le vote détaillé des dépenses n’intervient qu’en seconde partie.
Lors de l’élaboration du décret du 19 juin 1956, Alex Roubert et
Marcel Pellenc, respectivement président et rapporteur général de la
commission des Finances du Conseil de la République, estimèrent «
que le Parlement tout entier pourra faire œuvre d’économiste, et
non plus seulement de comptable 37 ». Cette conception «
économique » qui contribue à renforcer la cohérence des choix
budgétaires va très loin avec le risque d’entretenir une confusion
entre la loi de finances, stricto sensu, et le rapport économique. En
effet contrairement aux dispositions de l’article 16 contenues dans la
Constitution de 1946 selon lesquelles la loi budgétaire ne pouvait
comprendre « que des dispositions financières », l’article 53 du
projet de décret, approuvé par les commissions des finances, dispose
que la loi de finances ne peut contenir que des « dispositions d’ordre
strictement économique et financier ».
L’ordonnance du 2 janvier 1959 est loin d’entretenir une telle
confusion, plus courte, moins prolixe, elle n’a en rien l’allure
déclaratoire du décret du 19 juin 1956. Les premières propositions de
réforme en dénonceront d’ailleurs le caractère « statique » «
comptable 38 ». En effet, la plupart des ajouts des commissions
concernant la comptabilité nationale et ses agrégats disparaîtront.
Le nouveau texte reviendra même sur ce point sur les dispositions
du projet de la direction du Budget. Aucune mention n’est faite de la
comptabilité nationale ou du revenu national. Toute référence à la
comptabilité disparaît 39 . La distinction entre les prêts aux
investissements et les autres prêts n’est pas reprise. La seule
mention relative à l’inscription des choix budgétaires dans
l’ensemble de l’activité économique est contenue dans l’article 1er
qui dispose que les lois de finances sont établies « compte tenu d’un
équilibre économique et financier qu’elles définissent ». La liaison
entre l’économique et le financier étant renvoyée par là même au
rapport économique et financier, document qui accompagne
obligatoirement le projet de loi de finances. Ce dernier (art. 32) en
donne une description très succincte : il se doit de définir l’équilibre
financier, de mentionner les résultats connus et les perspectives
d’avenir. La formule elliptique par laquelle l’article 1er liait
l’équilibre financier à l’équilibre économique a longuement été
débattue devant l’assemblée du Conseil d’État 40 . Selon Gilbert
Devaux, elle suffisait pour traduire la modernité des finances de
l’État. En revanche, les principales procédures furent reprises : le
vote de la première partie contenant l’équilibre financier avant la
mise en discussion de la seconde partie, la nomenclature en titre, la
définition des autorisations de programme. L’ordonnance de 1959
semble aller plus loin dans la programmation des investissements et
la cohérence sur le moyen terme puisque, à la différence du décret
de 1956, elle évoque le plan. Mais si celui-ci est mentionné c’est
cependant sur le mode négatif pour indiquer qu’ils ne peuvent
donner lieu à des engagements de l’État que dans les limites des
autorisations de programme inscrites au budget 41 . La possibilité de
les regrouper dans des lois de programme ne modifiant en rien leur
statut.

B. Les justifications politiques

La mise en ordre du cadre de gestion ne résulte pas uniquement du


recentrage des choix budgétaires autour d’objectifs économiques.
Mais l’exigence d’un programme d’action gouvernemental justifié au
moyen de nouveaux instruments comptables va permettre de faire
aboutir des réformes sous-jacentes qui visent directement les
pouvoirs du Parlement. Celles-ci seront accentuées dans
l’ordonnance du 2 janvier 1959 mais elles existent déjà dans le décret
de 1956, pris sur avis conforme, des commissions des finances. Ces
mesures qui rationalisent le travail parlementaire vont permettre de
maintenir la cohérence du projet initial.
Sous la IIIe République, les défauts du système budgétaire résultant
de la Constitution et des pratiques parlementaires sont très vite
apparus. L’exercice sans entrave du pouvoir d’amendement, le
désintérêt pour le contrôle a posteriori dû, entre autres, au retard
dans l’établissement des comptes, conduisirent à un contrôle détaillé
des crédits de chaque ministère et à l’allongement des débats.
L’insuffisance des prévisions initiales aggravait cette dérive en
multipliant les crédits additionnels en cours d’année. Le projet de
budget du Gouvernement sortait profondément amendé du
Parlement et en particulier des commissions des finances. Il était
rarement voté à temps et ce retard était pallié par le recours aux
douzièmes provisoires. La fragmentation du cadre de gestion au fil
des mois rendait difficile l’exercice de la gestion. Les travaux
parlementaires, les études doctrinales montrent que les conditions
de l’élaboration de la loi de finances étaient soumises à critique et
qu’en particulier le pouvoir d’amendement des parlementaires était
remis en cause. Les premières réactions trouvèrent leur support
juridique dans les règlements des assemblées, support fragile
puisque la mise en œuvre desdits règlements dépendait des
parlementaires eux-mêmes.
La Constitution de 1946 est marquée par la volonté de redonner au
Parlement les pouvoirs perdus dans les années précédant la guerre
et sous l’Occupation. Multiplication des décrets lois, y compris dans
le domaine financier, à partir des années 1930, absence totale de
contrôle parlementaire sous le régime de Vichy. La Constitution de
1946 qui contient des éléments de rationalisation budgétaire reste en
deçà des espérances entretenues par la doctrine sous la IIIe
République. La limitation des dépenses à l’initiative de l’Assemblée
nationale est relative à l’interdiction de présenter des propositions
tendant à augmenter les dépenses prévues ou à créer des dépenses
nouvelles lors de la discussion du budget, des crédits provisionnels
et supplémentaires (art. 16).
L’avant-projet organique, qui date de 1949, est trop proche de cette
période pour limiter les pouvoirs du Parlement en matière
budgétaire. Mais en 1955 il n’en va plus de même. Malgré les remises
en ordre opérées, comme celles concernant les comptes du Trésor, le
débat budgétaire ne s’est guère amélioré. La tentative de resserrer ce
débat autour des grandes lignes du projet gouvernemental avec
l’instauration en 1949 de la loi des maxima suivie des lois de
développement des crédits par chapitre s’est soldée par un échec.
Les développements furent discutés et votés avant la loi des maxima.
Le Parlement fut encombré d’une multitude de lois fragmentant les
choix budgétaires. La multiplication des chapitres, aux environs de 3
000 en 1950, due à la fois à l’accroissement des tâches incombant à
l’État et à l’attachement des parlementaires au détail des dépenses,
accentua les défauts constatés sous la IIIe République. Remise en
cause du projet gouvernemental, multiplication des documents
financiers avec en particulier le recours à la technique du douzième
provisoire dû au retard dans l’adoption du budget et parfois au
retard dans le dépôt du projet de loi.
Le décret du 19 juin 1956, à la différence de l’avant-projet organique,
se situe dans un contexte où les pratiques parlementaires
permettent de renouer avec le regard critique porté sur le droit
budgétaire sous la IIIe République. La situation, telle qu’elle se
présentait en 1955, est exposée par Robert Lecourt lors du dépôt de
son amendement. Ce dernier montre combien les conditions de
l’exercice de la gestion étaient dégradées. « Comme moi,
l’Assemblée, a constaté que, réunie au début novembre, elle a
commencé l’examen du budget à cette date, aujourd’hui (le 29 mars),
ce budget n’est pas encore voté ». Si l’on compte, poursuit-il, les
vacances parlementaires et la discussion au mois d’octobre du
budget pour 1956, « l’année entière aura été consacrée aux travaux
budgétaires, à l’exception de quelques rares semaines pendant
lesquelles l’Assemblée aura pu légiférer 42 ». Les dispositions des
règlements d’assemblée, les pratiques utilisées au moment des votes
avaient montré leurs limites.
La dégradation des conditions d’élaboration du cadre de gestion
était, à cette époque, d’autant plus inadmissible que les différentes
dépenses n’étaient plus uniquement calculées en fonction des
moyens des services mais qu’elles devenaient, au côté de l’impôt,
l’instrument d’une politique économique. De plus, les nouveaux
instruments de mesure issus des sciences économiques devaient
permettre de donner une véritable cohérence au programme
d’action du Gouvernement. Les commissions des finances étaient
sensibles, avons-nous vu, à ces nouvelles données. Mais si, comme le
remarque René Cassin, président du Comité constitutionnel, les
commissions des finances avaient pu consentir à « l’abandon des
prérogatives importantes 43 », ceci venait de ce que le système
constitutionnel lui-même, dont l’exercice du pouvoir budgétaire
n’était qu’un élément, avait montré ses limites.
Le projet de décret va donc donner, en les aménageant, une valeur
organique à des mesures contenues dans les règlements des
assemblées ou constituant des pratiques budgétaires, mais il va
également proposer des mesures nouvelles.
Le décret organique met fin à la multiplication des textes législatifs
correspondant aux lois de développement. Il y a désormais une loi de
finances accompagnée de décrets de répartition. Cependant, à
l’initiative de la commission des Finances du Conseil de la
République, l’idée d’un vote préalable des « maxima » va être reprise
et recevoir une nouvelle justification. Désormais, c’est la structure
interne de la loi de finances qui est concernée par le découpage en
deux parties. La première partie contenant, entre autres,
l’autorisation de percevoir l’impôt, l’évaluation des recettes, le
montant des grandes catégories de dépenses et l’équilibre financier
qui en résulte sera votée article par article avant que la IIe partie
relative au détail des crédits ne soit mise en discussion. Pour les
parlementaires, cette procédure consacre le fait que les grands choix
budgétaires sont désormais arrêtés en fonction des objectifs
économiques. Ce n’est plus là une référence vague à des données
économiques mais des hypothèses économiques mesurées au moyen
de la compatibilité nationale.
Les initiatives des assemblées lors du vote du budget vont se voir
encore plus encadrées par les restrictions contenues dans l’article
58. L’article reprend les termes de la Constitution en ce qui concerne
les propositions des assemblées lors de la discussion de la loi de
finances, des crédits prévisionnels et supplémentaires ; il est
cependant précisé que l’interdiction concerne les propositions et les
motions sous quelque forme que ce soit. Son extension est prévue
pour les lois spéciales à l’occasion desquelles le Parlement peut être
amené à se prononcer sur la répartition des crédits par chapitres.
Mais le décret pose surtout des conditions précises à l’exercice du
droit d’amender les projets de loi susvisés puisque : « Aucun article,
aucun amendement à ces projets ne peuvent être présentés, sauf s’ils
tendent à supprimer ou à réduire effectivement une dépense, à créer
ou à accroître une recette ou à assurer le contrôle des dépenses
publiques ». Par ailleurs, l’article 10 44 , prélude de l’article 40 de la
Constitution de 1958, impose des conditions très contraignantes à
l’exercice du pouvoir législatif et réglementaire. La limitation du
pouvoir de proposition et d’amendement atteint directement
l’exercice du pouvoir financier du Parlement. Elle n’a pas cependant
soulevé d’objection de la part des commissions des finances. Les
parlementaires ont fait valoir que lesdits articles reprenaient, avec
un certain nombre d’aménagements et en leur donnant une valeur
organique, des dispositions déjà contenues dans les règlements des
assemblées (art. 60 pour le règlement du Conseil de la République)
ou dans les lois de finances.
La volonté de se prémunir contre l’enlisement des débats et la
focalisation sur les détails de l’activité des ministères va conduire la
direction du Budget à proposer la suppression du vote par chapitre.
Les dépenses du budget général seront votées par titre et, à
l’intérieur d’un même titre, par ministère 45 . Les chapitres ne seront
plus « appelés » en séance et le nombre des votes devait en
conséquence passer de 2 000 à 150. Dès la promulgation de la loi de
finances, le Gouvernement prendra des décrets répartissant les
crédits votés par partie et par chapitre 46 . Afin qu’il se prononce en
connaissance de cause, les parlementaires pourront se référer à une
annexe du projet de loi de finances explicitant, par ministère, le coût
des services votés et la description des mesures qui justifient les
modifications proposées par rapport au montant des services votés.
Les services votés sont ceux qui ont fait l’objet d’une approbation
antérieure, l’article 55 en donne une énumération 47 .
L’abandon du vote détaillé des crédits par chapitre n’a pas soulevé
d’objections de la part des commissions des finances. Il était prévu
dans les propositions faites en juin 1955 par la commission des
finances du Conseil de la République. Pour pallier la longueur des
débats, une pratique s’était instaurée qui consistait à appeler en
séance publique les groupes de chapitres consécutifs qui ne
soulevaient pas d’opposition. La lettre du principe de spécialisation
des votes par chapitres était bien respectée : la subdivision en
chapitres avait bien une nature législative mais l’esprit en était
altéré dans la mesure où il n’y avait plus réellement de vote sur
chapitre. Ce système avait, par ailleurs, un avantage par rapport aux
lois de développement propres à chaque ministère et votées en ordre
dispersé. Reconnaissant que la fixation des autorisations budgétaires
« est un travail d’approximations successives », le fait que « tous les
éléments à déterminer puissent faire l’objet d’un examen simultané
» évitait que certains choix opérés se trouvent cristallisés avant que
les autres aient pu être examinés.
Une procédure cependant avait été aménagée, proposée par la
commission du Conseil de la République, reprise dans le projet de
décret mais rendue par la suite fort complexe à la suite des navettes
entre les deux commissions. Les décrets de répartition étaient
soumis à l’avis conforme des commissions des finances. Ils devaient
reproduire les modifications proposées par le Gouvernement dans
les annexes par rapport au budget précédent et tenir compte des
votes du Parlement. Les commissions des finances avaient ainsi la
possibilité de contrôler si le contenu des annexes et celui des votes
avaient bien été respectés. Le décret précisait qu’en cas de désaccord
entre les deux commissions, le dernier mot appartenait à la
commission de l’Assemblée nationale et ce, malgré les résistances
opposées par la commission des finances du Conseil de la
République. Enfin, en cas de désaccord entre la commission des
finances de l’Assemblée nationale et le Gouvernement, il appartenait
au Parlement de trancher. Ainsi encadré, le débat budgétaire devait
permettre de concilier les enjeux de la politique économique et
l’expression des besoins des services. Une mesure devait enfin
mettre un terme aux difficultés de la gestion en supprimant le
fractionnement des autorisations de crédits en douzièmes
provisoires. Désormais, en cas de retard dans l’adoption du budget,
le Gouvernement pourrait prendre immédiatement des décrets
portant répartition par chapitre ou par compte des crédits
applicables aux seuls services votés.
La cohérence ainsi recherchée n’était pas incompatible avec une
certaine souplesse permettant au Gouvernement de faire face aux
imprévus en cours d’année. Certes, en principe, ce sont des lois
spéciales qui ouvrent des crédits supplémentaires ou prévisionnels,
mais le décret de 1956 donne au ministre des Finances le droit
d’effectuer dans des conditions limitées des virements de crédits
d’un chapitre à un autre à l’intérieur d’un titre d’un même ministère.
D’autre part, pour pallier l’insuffisance et les difficultés de
prévisions, des dotations initiales, sont créés, à côté des crédits
évaluatifs, des crédits provisionnels. Un crédit global pour dépenses
accidentelles est ouvert au ministre des Finances pour faire face, à
certaines conditions, à des événements calamiteux ou à des dépenses
urgentes imprévisibles lors de l’adoption. La répartition desdits
crédits s’effectue par décret en Conseil d’État. L’ordonnance du 2
janvier 1959 va reprendre les mesures de rationalisation prévues
dans les décrets de 1956, comme le vote de la première partie avant
la seconde, la restriction au pouvoir d’amendement, la suppression
du vote par chapitre ou encore la suppression des douzièmes
provisoires. Mais certaines de ces mesures vont aller plus loin que le
décret dans la restriction des pouvoirs du Parlement et, surtout, le
nouveau texte s’inscrit dans un contexte nouveau qui est celui de la
Constitution de 1958. Désormais les services votés, qui sont définis
comme le minimum de dotation que le Gouvernent juge
indispensable pour poursuivre l’exécution des services publics dans
les conditions qui ont été approuvées l’année précédente par le
Parlement, font l’objet d’un seul vote 48 . Seules les mesures
nouvelles sont votées par titre et ministère. Une fois la loi de
finances promulguée, le Gouvernement prend seul les décrets de
répartition par chapitre et par compte en n’apportant aux dotations
correspondantes de l’année précédente que les modifications
proposées par le Gouvernement dans les annexes explicatives en
tenant compte des votes du Parlement. À la différence du décret de
1956, lesdites annexes, déposées en même temps que le projet de loi
de finances, contiennent une ventilation indicative des crédits par
chapitre distinguant les services votés des mesures nouvelles
justifiant les mesures proposées au montant antérieur des services
votés. En ce qui concerne le retard dans l’adoption de la loi de
finances, une disposition a été très vite adoptée par les constituants,
celle qui consiste à mettre en vigueur le budget par voie
d’ordonnance. Lors des travaux préparatoires de la Constitution, il
fut par la suite proposé et accepté de ne faire jouer cette procédure
qu’en cas de retard dû au Parlement ; dans les autres cas des votes
partiels permettaient d’autoriser la perception des impôts existants,
les crédits correspondant aux services votés étant ouverts par
décret.
Mais cette rationalisation de l’exercice du pouvoir budgétaire qui
devait permettre au Gouvernement, à la différence de ce qui se
produisait sous la IIIe et la IVe Républiques, de faire accepter un
véritable programme d’action, s’est vu renforcée par une
rationalisation plus générale des pouvoirs du Parlement.
L’impossibilité pour les commissions d’exercer le pouvoir
d’amendement, le renvoi des amendements déposés en séance
auxdites commissions pour un examen préalable, mais aussi la
fixation de l’ordre du jour, la procédure du vote bloqué, ou encore la
mise en responsabilité du Gouvernement par la question de
confiance furent autant de mesures qui devaient permettre à
l’exécutif d’assurer la cohérence de son projet initial.
En ce qui concerne la souplesse du cadre de gestion face aux aléas
dus à l’insuffisance des évaluations, à l’adaptation aux difficultés
dans la gestion ou à des événements non prévisibles, l’ordonnance
de 1959 apporte des solutions contrastées. Le texte procède à un
affinement du concept de loi de finances en introduisant la notion de
la loi de finances rectificative et en exigeant que celle-ci soit
présentée dans les mêmes formes que la loi initiale. Cet effort de
rationalisation devait mettre fin aux lois spéciales désordonnées
apportant des rectifications à la loi de finances initiale. En
particulier, l’évaluation des ressources et la présentation d’un
nouveau tableau d’équilibre dans la première partie, comme cela fut
pratiqué dans les années 1980, devaient permettre le maintien d’une
certaine cohérence dans les modifications apportées au projet initial.
En ce qui concerne les mesures réglementaires intervenant en cours
d’année, l’exposé des motifs des propositions de modification de
l’ordonnance de 1959, en particulier celle de 1980 présentée par le
groupe socialiste, a mis l’accent sur les bouleversements du cadre de
gestion induits par le renforcement du pouvoir réglementaire par
rapport au décret de 1956. Il est vrai que l’ordonnance contient des
dispositions non prévues dans le décret : alors que celui-ci indiquait
qu’il appartenait à la loi organique d’annuler les crédits,
l’ordonnance à son article 13 prévoit l’annulation par arrêté des
crédits devenus sans objet 49 . La procédure de transfert est
introduite à côté du virement. Par ailleurs, l’ouverture de crédits
supplémentaires par décret en Conseil d’État va au-delà de la
répartition du crédit global pour dépenses accidentelles. Mais, outre
que des limitations sont introduites quant au maintien de l’équilibre
et au degré d’urgence, ce ne sont pas tant les dispositions de
l’ordonnance qui ont permis de rendre incertaine la gestion des
crédits que l’usage qui en a été fait. Le laxisme dans la notion
d’urgence, l’extension des annulations au-delà de la disparition de
l’objet, les imbrications avec la procédure de virement, autant de
phénomènes décrits par la Cour des comptes au fil de ses rapports et
qui vont au-delà des procédures prévues dans l’ordonnance de 1959.
La rationalisation du cadre budgétaire est une des conditions qui
indirectement influe sur le bon exercice de la gestion, mais les textes
organiques contiennent des éléments qui touchent directement à cet
exercice. Le fil en est plus ténu et certaines lacunes sont apparentes.
II. Des éléments contrastés relatifs à
l’exercice de la gestion
Ces éléments ne peuvent être appréciés que par rapport à leur
contexte et aux problématiques existantes. Il est sûr qu’à la
différence de la LOLF, l’efficacité de la dépense n’est pas
l’articulation principale de ces deux textes organiques. Dire qu’il
s’agit là de budget de moyen donnant lieu à un contrôle de régularité
n’est cependant pas suffisant. Les documents budgétaires traduisent
une évolution qui tend vers une gestion à la fois plus souple et plus
mesurable et par là même mieux contrôlable. Ceci amène à examiner
le contenu des deux textes au regard de la présentation des crédits et
des modalités du contrôle.

A. La présentation des crédits budgétaires

La présentation du budget concerne l’ensemble des documents


budgétaires. Elle comprend aussi bien le dispositif soumis au vote
que les annexes justificatives ou explicatives destinées à
l’information du Parlement, et dans une certaine mesure de
l’opinion publique. Cette distinction, devenue traditionnelle, a même
reçu une consécration constitutionnelle par la voie des « sénatus-
consultes » du Second Empire relatifs à la spécialisation des votes. La
« présentation » en chapitre était opposée au « vote » des crédits par
ministère puis par grandes sections au sein des ministères. Les
conditions de leur dépôt, leur contenu, leur forme, et même plus
récemment leurs rapports avec le projet de loi de finances ont
considérablement évolué. Quantitativement importants dès la
Restauration, ils ne cessent de croître, soit que le Gouvernement les
fournisse spontanément, soit qu’ils répondent à une demande du
législateur. Leur contenu était très varié. Les plus importants pour la
discussion budgétaire étaient relatifs à la présentation détaillée des
crédits. Lorsque la répartition législative des crédits s’effectuait par
ministère ou par section au sein d’un ministère, ce détail concernait
les chapitres. Lorsque les crédits étaient votés par chapitre, la
ventilation indicative portait sur les articles. Parmi les autres
informations fournies, on retrouvait des indications sur la dette,
l’évaluation des voies et moyens, les effectifs des fonctionnaires, les
pensions, les subventions accordées aux différents organismes, ou
encore très souvent des précisions sur telle ou telle activité de l’État
comme, par exemple, le nombre de boursiers ou les travaux
entrepris en matière d’amélioration du réseau routier.
Si, à partir de 1910, certains renseignements sont devenus
obligatoires (état H de la loi de finances), les informations données
ont été pendant longtemps soit contenues dans l’exposé des motifs,
soit présentées sous forme d’annexes au projet de loi. Avec le temps
ces annexes se sont formalisées et certaines sont devenues
obligatoires. Ainsi en a-t-il été, nous l’avons vu, des informations
économiques et financières comprises initialement dans l’exposé des
motifs et présentées ultérieurement dans les rapports économiques
et financiers. Le décret de 1956 précisait ce qu’ils devaient contenir.
L’obligation de les déposer s’est renforcée. Certains documents
d’information, selon les deux textes organiques, durent être déposés
en même temps que le projet de loi de finances. L’intervention du
Conseil constitutionnel sous la Ve République devait permettre de
sanctionner le non-respect de ces obligations. Enfin, depuis le décret
de 1956 jusqu’à la LOLF, leur juridicité s’est accrue de par leur rôle
dans le mécanisme de répartition des crédits. Ce fut le cas en ce qui
concerne le décret de 1956 pour ce qui concerne la distinction entre
les services votés et les autorisations nouvelles puis les chapitres et
les programmes dans l’ordonnance de 1959 et la LOLF.
L’évolution dans l’exercice de la gestion concerne, en premier lieu,
celle de l’unité de gestion, à savoir le chapitre, qu’il soit déterminé
par voie législative comme dans l’avant-projet de loi organique ou
par voie réglementaire dans le décret de 1956 et l’ordonnance de
1959. Mais cette évolution prend toute sa dimension avec les
annexes budgétaires dont l’élaboration repose sur la collaboration
entre la direction et les ministères dépensiers. Avant d’examiner les
modifications apportées il nous faut préciser le contexte dans lequel
elles sont intervenues.

1. Le contexte

Le contexte est marqué par la prolifération des chapitres dans les


années d’après-guerre, par les conséquences qui en découlent quant
à leur aptitude à traduire la réalité administrative et par des
propositions de réforme relatives à la nomenclature budgétaire.
Lesdites propositions étant liées aussi bien à la recherche
d’économies qu’à la volonté de réforme administrative.
Le budget tel qu’il était devenu au fil des ans ne facilitait pas
l’expression d’une volonté politique. La présentation des crédits ne
correspondait plus à un ordre de classement. Les normes établies en
1938, en particulier la distinction entre les dépenses de
fonctionnement et les transferts, n’était plus observée. La
répartition des crédits en chapitres était devenue de plus en plus
empirique. Lorsqu’une dépense nouvelle apparaissait, elle était, au
gré de l’administration gestionnaire ou de la direction du Budget,
rattachée à un chapitre existant ou donnait lieu à la création d’un
nouveau chapitre. Ce dernier était, sans véritable logique, inclus
dans telle ou telle partie. Or l’accroissement des tâches incombant à
l’État, la superposition des services entraînait leur multiplication. La
France en comptait près de 3 000 en 1950 contre 600 aux États-Unis
et quelques centaines en Angleterre. L’extrême division du budget
paralysait la gestion des administrateurs. Les dotations, trop
étroites, limitaient leurs initiatives. À l’allongement de la durée
s’ajoutait de façon plus prosaïque l’alourdissement des tâches des
comptables.
À partir de 1946, on constate un nouveau mode d’approche en ce qui
concerne l’identification des unités de gestion, à savoir les chapitres,
dans les documents budgétaires. Ces approches s’alimentent à
plusieurs sources. Il s’agit tout d’abord des travaux du Comité
central d’enquête sur le coût et le rendement des services publics
créé par décret le 9 août 1946 en relation avec la création de la
commission de réforme administrative, et de ceux de la «
commission Hoover », aux États-Unis, créée en juillet 1947 par un
vote du Congrès. Cette dernière commission avait pour objectif la
réorganisation des services exécutifs. L’un de ces rapports,
largement diffusé en France, concerne la réorganisation du bureau
du budget, le mode de présentation du budget et la réforme de la
comptabilité publique 50 .
Les travaux de ces commissions traduisent des ambitions fort
différentes quant à la présentation du budget. Ils ont en commun
d’avoir été invoqués successivement comme des moyens de
modernisation en vue de l’élaboration de la future loi organique.
Le Comité central d’enquête sur le coût et le rendement des services
publics devait déterminer le coût des services avec pour objectif la
réalisation d’économies et l’amélioration de l’organisation et du
fonctionnement des administrations. La création de structures
nouvelles n’étant pas généralement associée à une réflexion sur leur
utilité face aux services existants, il en résultait une grande
obscurité sur le coût réel et la productivité.
Le Comité d’enquête exposa sa méthode relative au calcul des coûts
des services et à la détermination de leur rendement dans ses
premiers rapports en 1947 et en 1948, et fit des propositions en
matière de présentation des crédits.
La détermination exacte du coût d’un service suppose comme
première condition que toutes les dépenses du service soient
rassemblées et chiffrées. Ceci implique que les dépenses de
l’administration centrale soient réparties entre les différentes
directions et que soient ventilées les dépenses communes d’un
ministère telles que celles des directions du personnel et du
matériel. Cela suppose également que l’on comptabilise les dépenses
réelles qui n’apparaissent pas au budget, comme celles liées à l’usure
du matériel et des bâtiments et à la consommation des stocks.
Deuxième condition, le coût global doit être analysé par une
décomposition des dépenses entre les différents éléments. Ainsi, s’il
paraissait encore utopique de calculer le coût d’une opération,
comme par exemple une action en recouvrement, en revanche, il
devait être possible de décomposer les crédits d’une direction et de
faire apparaître au budget des sous-ensembles correspondant à des
grandes catégories de services 51 . Le but recherché, au final, étant
l’établissement du prix de revient de chaque unité de produit fourni
ou de service rendu.
La détermination du rendement suppose que soit d’abord établi le
rendement global, ce qui pose le problème de sa mesure. Le moyen le
plus simple consiste à déterminer la quantité des services rendus et
le nombre des usagers. La quantité se mesure en termes de produits
s’il s’agit d’un service de fabrication (la longueur des lignes, réseaux,
routes), mais aussi en termes de prestations comme, par exemple, le
nombre des d’affaires instruites, décidées, jugées, etc. La qualité du
service rendu, quoique difficilement mesurable, fait partie de la
recherche du rendement. Dans certains cas, estimait-on, des
appréciations sur la qualité des prestations sont possibles. Ainsi on
peut tenir compte de la réussite aux examens, du pourcentage des
illettrés, du pourcentage de jugements en appel, de jugements
effectivement réformés, ou encore les pourcentages des évasions…
Ces indications doivent être complétées par des mentions relatives
au rapport entre les effectifs, le nombre des usagers et les services
effectivement rendus. Ceci permettant, entre autres, d’évaluer le
coût des services administratifs que l’on peut qualifier de «
techniques », c’est-à-dire ceux qui permettent aux agents de
travailler.
Dans les conclusions de son rapport de 1948, outre les propositions
réglementaires relatives à la réforme administrative, le Comité
d’enquête décline en cinq articles ce qui doit figurer dans la future
loi organique. Les documents budgétaires doivent faire ressortir la
détermination globale de chaque service ou fraction de service. Il
doit y être mentionné, au moins à titre indicatif, les charges
imputables aux services même si elles ne donnent pas lieu à une
ouverture de crédits comme la part des charges communes du
ministère affectées à ce service ou encore les amortissements ou les
variations des stocks. Lorsqu’une détermination chiffrée est possible,
lesdits documents doivent préciser le prix de revient par unité de
service rendu ou de produit fabriqué. Enfin, sur la base d’arrêtés
ministériels, devront être indiqués le pourcentage des frais
administratifs d’un service par rapport à la dépense totale, de même
que la quantité moyenne de services rendus par employé.
L’ensemble de ces informations devant permettre aux
parlementaires d’être renseignés « sur l’utilité respective des
différentes catégories de dépenses qui leur sont proposées ».
La loi organique prévue par la Constitution de 1946 semblait
imminente dans les années d’après-guerre. Les travaux du Comité
d’enquête furent intégrés à la réflexion portant sur son futur
contenu. C’est ainsi que Pierre Mendès France, dans une proposition
de résolution du 31 décembre 1948 52 , demanda que le texte
organique tienne compte des conclusions du IIe rapport du Comité
d’enquête sur la présentation budgétaire. Ces conclusions seront
reprises in extenso dans la proposition de résolution.
Un décret du 22 avril 1953 relatif à la détermination du coût et du
rendement des services reprend les conclusions du Comité d’enquête
de 1948 mais en élargissant les exigences aux comptes. Les
documents budgétaires et les comptes doivent indiquer le coût réel
de chaque service de l’État, les statistiques relatives à leur activité
prévue et effective, et, lorsque cela est possible, le prix de revient
par unité de service ou de produit fabriqué.
La deuxième source de réflexion, à la base des innovations du décret
de 1956, vient des propositions faites aux États-Unis par la
commission Hoover en 1948. Le rapport de ladite commission,
largement diffusé en France 53 , proposait l’adoption d’un
performance budget ou tasksetting budget. La traduction proposée en
France par la direction du Budget, quelque peu réductrice, fut celle
de « budget fonctionnel 54 ». Selon la conception la plus
couramment admise 55 , un budget de moyens est un budget qui
accorde des crédits de nature différente aux administrations
(rémunération des fonctionnaires, achat de matériel, subvention)
pour l’accomplissement de leurs tâches. Dans un budget fonctionnel,
il en va différemment. Le budget se perçoit dans une perspective
dynamique. C’est un budget d’activité dans lequel les dépenses
publiques servent à financer des actions typiques de l’État. La nature
des moyens employés est laissée aux administrateurs qui choisiront
les plus efficaces. À la différence de ce qui se passe dans un budget de
moyens, les évaluations ne se font pas à partir des structures
administratives existantes mais en fonction du coût des tâches
correspondant aux missions à remplir. L’organisation
administrative, y compris l’organisation ministérielle, ne sont pas
des données préalables mais résultent de la délimitation de ces
tâches. L’adoption de ce type de budget laisse aux administrateurs
une plus grande part d’initiative mais en contrepartie elle accroît
leur responsabilité.
La commission Hoover estime que la présentation du budget et la
comptabilité doivent apporter des réponses exactes et précises à
deux questions qui sont au cœur du système financier, à savoir : « À
quoi l’argent est-il destiné ? », « les contribuables en ont-ils eu pour
leur argent ? ». Un bon système, contrairement au système actuel,
suppose « un budget basé, sur les fonctions, les activités et les
projets, qui concentre l’attention sur le caractère général et
l’importance relative du travail à accomplir ou sur le service à
rendre, plutôt que sur les biens et services à acquérir (tels que les
services de personnels, fournitures, équipement, etc.) ».
Les ambitions affichées dépassaient la simple présentation des
crédits dans les documents budgétaires. Il s’agissait d’une mesure
radicale relative à la préparation du budget et à la tenue des
comptes. Elle proposait un nouveau mode de gestion financière qui
devait être en quelque sorte le levier de la réforme de la gestion
publique. Les défauts de la gestion financière, à savoir : le gaspillage
des efforts, les freins à l’amélioration des qualités d’organisation et
d’initiative des meilleurs fonctionnaires, avaient une origine
budgétaire et comptable. Le budget de performance permettait une
justification rationnelle des projets des administrations.
Partant de ce constat, on pouvait mettre en évidence le fait qu’il n’y
avait pas de correspondance entre les crédits mis à disposition du
ministère et l’utilité « sociale » de l’activité de tel ou tel service. Les
administrations devaient désormais rendre compte de leurs activités
passées et à venir, non seulement en termes financiers, mais aussi et
de façon précise, en termes concrets. Par là même, une comparaison
était possible entre les crédits mis à la disposition des autorités
centrales et l’utilité « sociale » de l’activité de telle ou telle
administration. Il était alors envisageable de porter un jugement de
valeur sur l’organisation administrative.
Les fonctions, les programmes et les projets devaient être identifiés
dans la nomenclature budgétaire. Le calcul de leur coût supposait
une utilisation systématique des coûts et rendements lors de
l’élaboration du budget. La nomenclature budgétaire devait être
établie non seulement de manière à faire ressortir le coût des
administrations, mais aussi leur rendement, et, dans la mesure du
possible, le coût par unité de service rendu (exemple : coût des
jugements en matière pénale). Les crédits nécessaires étaient
déterminés en multipliant le nombre d’opérations par le coût
unitaire de chacune d’elles. Le contrôle était effectué par référence
au prix de revient.
Les travaux de la commission Hoover, comme ceux du comité
d’enquête, ont trouvé un support politique. Edgar Faure, en mars
1950 56 , estime que les réflexions suscitées par les conclusions de la
commission américaine font partie « des questions principales 57 qui
s’imposent à notre étude au moment d’établir une loi organique sur
le budget ». Reprenant la définition du budget de performance, le
secrétaire d’État aux finances considère que le budget fonctionnel,
ou budget d’activité, doit permettre d’évaluer le travail ou le service
à accomplir. Il s’agit « de substituer la notion d’activité à celle de
moyen alors que les deux sont enchevêtrées dans les chapitres du
budget français dans sa méthode actuelle ». Enfin, il fait observer
que « la conséquence du budget fonctionnel comporte évidemment
une plus grande liberté pour l’administration, actuellement entravée
par le réseau des chapitres » ; cette méthode, qui s’oriente sur le
rendement, rencontre évidemment des objections du point de vue de
la doctrine classique.

2. Les réalisations

La traduction dans les textes organiques des préoccupations


précédemment exprimées ne peut être comprise sans que soient
évoquées les propositions contenues dans l’avant-projet organique
de juillet 1949 et dans la circulaire de la direction du Budget de 1952.
L’avant-projet de loi organique se fait l’écho des propositions
formulées dans les conclusions du second rapport du comité
d’enquête. Celles-ci concernent l’unité de gestion au travers de
l’intitulé des chapitres. Les documents annexes apportant les
précisions nécessaires.
Le chapitre, dans les textes sur la comptabilité publique de 1838 et
de 1862, « ne contient que des services corrélatifs ou de même
nature 58 ». L’article 13 de l’avant-projet, quant à lui, axe la
définition de l’unité de gestion exclusivement sur les services. « Un
chapitre doit comprendre des dépenses intéressant le même service
ou le même groupe de services placés sous l’autorité d’un ministre »,
étant entendu que « lorsqu’un chapitre concerne plusieurs services,
les dépenses de ce service font l’objet d’articles distincts ». Pour le
rapporteur général Le Hénaff, il s’agit, au moyen de cette
formulation, d’instaurer « la suprématie des buts 59 ». Un document
annexe au contenu très élaboré vient préciser ce que les
parlementaires attendent de la direction du Budget et des services
dépensiers.
« En annexe, aux projets de lois portant fixation des crédits par chapitre sont
présentés des développements significatifs destinés à faire apparaître le coût et
le rendement de chaque service et fraction de service. Doit être notamment
mentionné pour chaque service, l’ensemble des charges qui lui sont imputables,
même si elles ne donnent pas lieu à ouverture de crédits budgétaires. Dans tous
les cas où les prestations fournies ou les produits fabriqués sont susceptibles
d’une détermination chiffrée, le prix de revient par une unité de crédits doit être
indiqué. » (art. 52).
La recherche de l’efficience est ici ouvertement exprimée en relation
avec la démarche du comité d’enquête. Les exigences relatives au
calcul des charges vont dans le sens des travaux de la commission
Jacomet sur la comptabilité patrimoniale 60 .
Le décret organique de 1956 contient des dispositions relatives à la
nomenclature budgétaire. Il mentionne non seulement les titres,
mais aussi les parties et donne une nouvelle définition du chapitre
reprise par l’ordonnance de 1959. Les nouveautés apportées ne
peuvent être comprises sans que soient évoquées les circulaires de
1952 de la direction du Budget 61 .
Dès 1951 pour le budget de 1952, on assiste à la réduction du nombre
de chapitres. La direction du Budget a travaillé sur cette réduction
en relation étroite avec les commissions des finances 62 . Mais il
appartient à la seule direction du Budget d’avoir donné, en 1952, une
cohérence à la nouvelle nomenclature. La présentation des crédits
sera utilisée pour l’exercice de 1953. Jean Rossard 63 , administrateur
civil à la direction du Budget, ancien membre de la commission
Jacomet en fait une présentation systématique en relation avec ce
qu’il nomme les notions « à la mode », à savoir le coût et le
rendement des services et le budget fonctionnel. Sa démarche a pour
but d’expliquer les choix faits par la direction du Budget lors de
l’élaboration des circulaires de 1952.
Reprenant la définition américaine du budget de performance, Jean
Rossard s’attarde sur les points qui rendent, en France, difficilement
opérationnelles les ambitions de la commission Hoover. Celles-ci
visent aussi bien la traduction budgétaire des fonctions de l’État,
découpage qu’il estime arbitraire, artificiel, générateur de problèmes
d’imputation et de contrôle, que les transformations de l’unité de
gestion par l’utilisation lors de l’élaboration du budget de la
méthode fondée sur le coût et le rendement des services publics. La
nouvelle nomenclature que l’on voudrait introduire en France 64 , à
l’instar de ce qui était préconisé aux États-Unis, n’était pas
seulement une modification de la présentation des crédits mais un
nouveau mode de préparation, d’exécution et de contrôle des
crédits. Il s’agissait d’une transformation de la gestion financière de
l’État.
Les raisons principales qui le conduisirent à rejeter cette
transformation touchaient le calcul du prix de revient, les règles
posées par le statut de la fonction publique, les responsabilités
nouvelles attribuées aux administrateurs et, enfin, dans une tout
autre perspective, les choix effectués relativement à la signification
économique du budget.
Le calcul du prix de revient de chaque opération, élément central du
budget fonctionnel, suppose de très gros efforts d’analyse difficiles à
réaliser tous les ans par les administrations dépensières et les
administrations financières. Sans compter que les informations à
traiter viennent nécessairement des services contrôlés, seuls à même
de les fournir, et que « le budget est préparé et appliqué par des
fonctionnaires nombreux n’ayant pas tous la même formation et
n’étant pas également rompus à la pratique des questions financières
65
». Un contrôle sur la base du prix de revient demande, par
ailleurs, la volonté de prendre position sur des résultats. Or on ne
peut procéder tous les ans à une remise en cause complète de
l’organisation et des tâches de l’administration.
Il existe, par ailleurs, une différence avec le budget des États-Unis.
Bien que celui-ci soit considérablement plus important que celui de
la France, les subdivisions budgétaires y sont moins nombreuses et
les crédits sont regroupés selon une autre logique. Chaque
département se voit doté en principe de trois appropriations 66
correspondant en gros à nos chapitres. L’une est consacrée aux
dépenses de fonctionnement, l’autre aux subventions et la troisième
aux investissements. Il n’y a pas, dans les unités de gestion, de
distinction impérative entre les crédits de matériel et les crédits de
personnel. Cette dernière répartition n’est fournie qu’à titre indicatif
et n’interdit pas aux responsables de la gestion de chaque ministère
d’effectuer des transferts d’une catégorie à une autre, s’ils estiment
qu’ils sont nécessaires au bon fonctionnement de l’administration 67
. Ce sont des critères d’économie et d’efficacité qui leur feront
choisir des moyens d’action en personnel ou en équipement. Le
recrutement et la rémunération des agents leur seront réservés. La
liberté accordée ayant pour contrepartie l’obligation pour le chef de
chaque activité d’être financièrement responsable du coût de ses
projets, de son programme, et d’en rendre compte. La gestion
financière de l’État fédéral était donc, au départ, plus souple 68 .
En France, il en allait différemment, puisque la distinction des
crédits de matériel et de personnel était impérative. Ces différents
crédits étaient inscrits à des chapitres distincts. Deux éléments
s’opposaient à ce qu’il en soit autrement ; les procédures de
recrutement et le montant des rémunérations étaient liés, en France,
au statut de la fonction publique. C’était là une différence
importante avec la conception de la fonction publique aux États-Unis
69
. Enfin, Jean Rossard souligne qu’il ne serait pas raisonnable
d’adopter une présentation budgétaire correspondant au budget de
performance sans que la responsabilité des administrateurs et des
ordonnateurs soit renforcée.
Dernier argument opposé à la présentation fonctionnelle : celle-ci
n’est pas directement utilisable en matière économique. Une
spécialité fondée sur les moyens présente l’avantage de constituer
un instrument d’orientation de la consommation publique. La
limitation des dépenses de personnel, en particulier, limite les
prélèvements de main-d’œuvre par l’administration. La
transposition de la comptabilité nationale nécessite, enfin, une
ventilation des dépenses par nature.
Pour toutes ces raisons, l’auteur estime que s’il était nécessaire de
dépasser la traditionnelle méfiance à l’égard des administrations
dépensières « toute solution constructive trouvera son point de
départ dans ce qui est, c’est-à-dire dans le budget actuel avec ses
qualités et ses défauts ». Au-delà des remises en cause, il convenait
d’assurer une certaine continuité en matière de préparation et de
contrôle du budget. Les circulaires de 1952 partent donc, en ce qui
concerne les dépenses de fonctionnement, des structures
administratives existantes et d’une idée essentielle, à savoir que « le
service constitue l’unité vivante et concrète de l’administration ». Le
service est entendu ici comme un organe. La nomenclature organique
a pour base les grands services.
La nouvelle classification des dépenses inclut des innovations mais le
budget reste prioritairement un budget de moyens. Comme
instrument de gestion, il devient plus lisible, plus significatif mais
également plus maniable et mieux adapté aux contrôles existants. La
distinction en titre est de nature économique et la structure
ministérielle respecte les structures traditionnelles. La subdivision
en parties au sein des titres permet une remise en ordre des chapitres.
Si elle correspond à la nature des crédits pour les crédits de
fonctionnement, en revanche, pour ce qui est des titres IV, V et VI
relatifs aux interventions publiques sur dépenses ordinaires, aux
investissements et aux subventions d’investissement, elles désignent
des activités. Ainsi, dans le titre IV, une partie est relative à « l’action
éducative et culturelle ». En ce qui concerne les titres V et VI, les
parties précisent des domaines d’activité tels que l’agriculture, ou
l’énergie et les mines. Les chapitres correspondants font référence
par exemple aux allocations d’étude, à l’encouragement à la
production de maïs, ou encore à la construction d’un barrage. Il
s’agit d’une classification fonctionnelle subsidiaire dans la mesure où
elle est intégrée verticalement dans les titres, catégorie de nature
économique, et horizontalement dans les structures ministérielles
traditionnelles. Le décret et l’ordonnance contiennent la formule
traditionnelle selon laquelle « les crédits sont mis à la disposition des
ministres ».
En ce qui concerne le budget de fonctionnement, là où étaient les
enjeux véritables, le découpage fonctionnel des crédits fut écarté. On
lui préféra, pour faciliter la gestion, un regroupement organique des
crédits. La ligne budgétaire que constitue le chapitre comporte
désormais deux informations. Elle indique la nature du crédit et
l’organe. Cette nomenclature organique a pour base les grands
services. Chaque organe ou grand service remplit, généralement,
plusieurs fonctions avec des moyens communs, mais ils ont chacun
leurs crédits propres (services judiciaires, services pénitentiaires,
services de l’éducation surveillée ou encore administration des
impôts, administration des douanes). Si on ne peut éviter qu’ils aient
des fractions de chapitres en commun (indemnités résidentielles,
loyers achat et entretien d’automobiles), des indications seront
données, lorsque cela est possible, au niveau des articles.
La réforme de la présentation budgétaire s’est s’accompagnée d’une
réduction du nombre des chapitres et d’une rationalisation des
structures. Il en est résulté une meilleure exploitation des
documents budgétaires et un allégement des opérations d’exécution
du budget.
L’effort de rationalisation autour de la notion d’organe laisse
cependant d’importantes zones d’ombre dont est consciente la
direction du Budget. Ainsi en est-il du budget des charges de
communes du ministère de l’Économie et des Finances qui comprend
entre autres les charges de la dette, des chapitres communs à
plusieurs services (indemnités résidentielles, loyers, achat et
entretien d’automobiles), des chapitres regroupant les crédits
globaux, de la partie non ventilée pour dépenses diverses, ainsi que
des crédits de l’administration centrale conventionnellement
considérée comme une unité autonome de gestion. Des opérations
arithmétiques simples, des additions, des ventilations sur la base de
coefficients de répartition entre les différents services devaient
permettre d’en tenir compte dans les documents d’information.
La révision de la présentation budgétaire s’est s’accompagnée d’une
réduction du nombre des chapitres (ceux-ci sont passés de 2 115 à 1
270 70 pour le budget de fonctionnement des services civils) et d’une
rationalisation des structures. Ces diverses transformations,
accompagnées d’une numérotation uniforme pour les chapitres,
devaient faciliter l’exploitation des documents budgétaires et alléger
les opérations d’exécution des budgets. Une réserve doit cependant
être faite et elle concerne l’information du Parlement. À la
différence de l’ordonnance de 1959, la ventilation indicative des
crédits par chapitre ne devait pas, dans le décret de 1956, être
présentée au Parlement en même temps que le projet de loi de
finances. En effet, contrairement au désir exprimé par les
parlementaires, seules devaient être distribuées, en même temps que
le projet de loi de finances, des annexes faisant connaître par
ministère le coût des services votés et la description des mesures
nouvelles justifiant les modifications apportées par rapport aux
années précédentes. Les parlementaires, non sans regret, avaient
bien voulu prendre en considération l’argumentation de la direction
du Budget concernant la surcharge de travail qu’impliquerait une
telle présentation en chapitre lors du dépôt du projet de loi. Seules
les commissions des finances à qui étaient soumis, après le vote de la
loi de finances, les décrets de répartition, devaient, dans le décret de
1956, avoir connaissance de la ventilation indicative des crédits par
chapitre.
Le décret du 19 juin 1956 intègre les circulaires de 1952 ; les notions
de titre, de partie y figurent. Il est donné une nouvelle définition du
chapitre. De même sont utilisés les termes « destination », « fonction
», « coût des services » et « rendement des services ». Il n’est pas sûr
cependant que la terminologie ne soit pas exempte d’ambiguïtés.
L’interprétation du décret suppose que soient considérés à la fois le
dispositif législatif et un document annexe obligatoire au contenu
élaboré. Les crédits sont « affectés à un service ou à un ensemble de
services. Ils sont spécialisés par chapitre groupant les crédits selon
leur nature ou leur destination (art. 16) ». Le mot « destination »
traduit le découpage fonctionnel réalisé au niveau des parties des
titres IV, et VI 71 . En revanche, la seule mention du mot « nature »
ne permet pas de rendre compte du nouvel intitulé des lignes
budgétaires incluant les « organes » en ce qui concerne les crédits de
fonctionnement. On peut supposer cependant que l’affectation
générale à un service ou à un ensemble de services y supplée.
L’utilisation du mot « fonction » dans l’exposé des motifs et dans le
dispositif est en revanche contestable. Lors de l’élaboration du
décret, le Conseil d’État interviendra pour en minimiser les effets.
Selon l’exposé des motifs, le découpage du budget en titres et en
ministères doit permettre aux assemblées de « définir l’importance
relative de l’ensemble complexe de ces divers services ». Il s’agit là,
est-il précisé, d’une « présentation fonctionnelle ». À deux reprises
dans le dispositif, il est fait référence, à propos de la répartition en
titres et en ministères, aux « grandes fonctions de l’État ». Ainsi, à
l’article 50, il est mentionné que « le projet de loi de finances arrête
les dépenses par titres et par ministères afin que le Parlement puisse
se prononcer sur le coût des grandes fonctions assumées par l’État »
ou encore à l’article 57 : « Les assemblées se prononcent sur les
moyens mis à la disposition du Gouvernement pour l’exécution des
diverses fonctions de l’État : à cet effet, les dépenses du budget
général sont votées par titre et, à l’intérieur d’un même titre, par
ministère ». La référence au budget fonctionnel ou aux fonctions de
l’État en association avec les titres et les ministères dépasse son objet
puisqu’il s’agit là de la structure économique et ministérielle du
budget. Dans ces deux articles, cependant, l’évocation des fonctions
de l’État dans le projet de décret de la direction du Budget n’avait
pas d’effets juridiques propres et pouvait être considérée comme une
affirmation de principe. Il en allait différemment en ce qui
concernait la mise à disposition des crédits. C’est pourquoi le Conseil
d’État a demandé et obtenu des commissions la suppression du mot «
fonction » à l’article 16. La disposition initiale était la suivante : « les
crédits mis à la disposition des ministres sont affectés à une
fonction, à un service ou à un ensemble déterminé de services ». On
retrouve ici l’aspect déclaratoire du décret de 1956 et l’impression
qu’il donne d’un droit en train en train de se faire. L’intention des
rédacteurs se précise d’ailleurs au niveau d’un document annexe qui
traduit les préoccupations de l’époque. Le projet de budget doit être
accompagné d’une annexe présentant « le coût des services par
grandes fonctions et les éléments qui permettent, selon leur objet,
d’apprécier leur activité (art. 52) ». Cette annexe n’a pas suscité de
débats au sein des commissions des finances comme d’ailleurs la
définition des chapitres et l’exercice de la gestion en général. « De
tels renseignements sont déjà fournis au Parlement et il est
indispensable qu’ils continuent à l’être à l’avenir 72 », sera-t-il
simplement précisé.
On peut s’interroger sur le contenu et le rôle de cette annexe. Tout
d’abord, elle témoigne d’un certain optimisme et procède par
anticipation. La correspondance entre les fonctions et les services
était loin d’être établie. C’était une des difficultés soulevées lors de la
rédaction de la circulaire de 1952, les services étant le plus souvent
polyvalents. En fait, il ne peut s’agir que d’une tentative de synthèse
des travaux de la direction du Budget, et, dans une certaine mesure,
des ministères dépensiers. À partir de 1950, la direction du Budget
publiera, sous forme de plaquette, le budget simplifié et un
regroupement des activités de l’État par grandes fonctions.
L’hétérogénéité des sources rendait peu commodes les comparaisons
(loi de règlement, loi votée) et, au départ, seul le budget général était
concerné. Ce document fit l’objet d’améliorations successives 73 , les
fonctions furent réduites, subdivisées en sous-fonctions, les
dépenses regroupées ne concernaient plus la seule loi de finances
initiale et englobaient toutes les dépenses budgétaires (budget
général, budgets annexes et comptes spéciaux 74 ). Ce budget
fonctionnel sera présenté tous les ans à partir de 1957. En
application de l’article 52 du décret de 1956, il comportera, dans une
seconde partie, une étude sur la valeur de l’organisation et des
méthodes de gestion des services et des ministères. Ces dernières
mentions peuvent être rattachées aux travaux de la direction du
Budget et des ministères dépensiers en matière de coût et de
rendement des services. Sur la base des conclusions du Comité
d’enquête du 15 octobre 1954 75 , le ministre des Finances devait en
effet, par voie de circulaire en date du 25 novembre 1955, indiquer
aux diverses administrations comment calculer et analyser leur coût
et leur prix de revient, compte tenu de leur physionomie propre et
de leurs besoins particuliers. Malgré l’importante réforme de 1972 76
, le budget fonctionnel ne sera jusqu’à sa disparition dans les années
1980 qu’un document d’information destiné au grand public 77 plus
qu’un élément permettant d’éclairer les parlementaires lors des
choix budgétaires. Obligatoire mais non soumise à la règle des délais,
cette lecture parallèle du budget interviendra généralement après le
vote de la loi de finances. L’ordonnance de 1959 reprendra la
classification du décret de 1956, appuyée sur la circulaire de 1952 78 ,
mais ne comportera pas les mêmes possibilités d’ouverture. La
notion de fonction disparaît. Si la définition du chapitre est
identique, les « parties » sur lesquelles reposait une certaine
classification fonctionnelle ne sont plus mentionnées. Enfin, le coût
des services et les indications relatives à leurs activités ne sont plus
exigés. L’annexe qui les mentionnait dans le décret de 1956 en
relation avec les grandes fonctions de l’État a été supprimée.

B. Les modalités du contrôle

L’exercice de la gestion des crédits ne peut être apprécié au regard


de la seule identification des unités de gestion dans la loi de finances,
elle peut être constatée a posteriori au moyen du contrôle sur la
dépense réalisée. Les contrôles peuvent être exercés différemment,
aller plus loin que le simple contrôle de régularité et conduire à une
appréciation portant sur la qualité de la gestion. Autant
d’informations qui, en retour, peuvent peser sur les choix
budgétaires.

1. Les deux textes organiques

Le décret de 1956 et l’ordonnance de 1959 comprennent, à quelques


différences près, des dispositions identiques en ce qui concerne le
contrôle sur l’exécution de la loi de finances. Celles-ci concernent
exclusivement la loi de règlement. Il faut cependant y ajouter la
mention relative au système d’enregistrement des comptes, à savoir
le système de la gestion.
La loi de règlement a pour objet de clore les comptes se rapportant à
une année et de procéder le cas échéant à des ratifications
concernant des ouvertures de crédits par voie réglementaire et
d’approuver éventuellement les dépassements de crédits. À
l’occasion de son vote, les parlementaires peuvent contrôler
l’exécution des opérations de recettes et des dépenses en le
comparant aux autorisations initiales. C’est là un contrôle de
régularité mais qui peut, selon les nomenclatures budgétaires, les
documents qui l’accompagnent, les délais mêmes dans lesquels il est
procédé au vote, apporter des indications utiles sur la gestion des
services ainsi que des informations pour l’élaboration de la
prochaine loi de finances.
Initialement, lors de la formation de notre système financier, une
très grande importance était apportée à ce qu’on appelait la loi des
comptes, aux délais de son vote et aux documents qui
l’accompagnaient. La loi du 15 mai 1818 prévoit que « le règlement
définitif des budgets antérieurs sera à l’avenir l’objet d’une loi
particulière qui sera proposée aux chambres avant la présentation
annuelle du budget » (art. 102). La loi du 27 juin 1819 dispose à son
article 20 : « Le compte annuel des finances sera accompagné de
l’état de situation des travaux de la Cour des comptes ». Ce fut la
première tentative d’instauration d’une collaboration entre les
Chambres et la Cour avant que le rapport annuel leur
obligatoirement soit communiqué.
Une loi du 19 juin 1836 viendra accélérer le processus de règlement
du budget en prévoyant l’intervention du vote de la loi de règlement,
relative au dernier exercice clos, dans les deux premiers mois de
l’année suivant la clôture de cet exercice. La loi du 24 avril 1833 rend
la comparaison possible en indiquant que « la loi de règlement du
budget est soumise aux chambres dans le même cadre et la même
forme que la loi de présentation du budget ». Enfin, le projet de loi
de règlement devait être accompagné de renseignements nombreux
et très concrets sur les résultats obtenus au moyen des crédits
autorisés par la loi de finances 79 .
Après des décennies d’indifférence dues aux difficultés comptables
et à la focalisation des chambres sur l’autorisation initiale, une
réaction s’est imposée, dont on trouve les bases dans la Constitution
de 1946. Il était précisé à l’article 17 qu’il appartenait à l’Assemblée
nationale de régler les comptes de la Nation, et qu’à cet effet, elle
était assistée de la Cour des comptes
L’avant-projet organique devait se faire l’écho de ce besoin de retour
aux sources du droit budgétaire en consacrant cinq articles à la loi
de règlement. Les articles 97 et 98 disposent que « le projet de loi de
règlement est soumis au Parlement avant la fin de l’année qui suit
l’année qui donne son nom au budget ». Cette accélération était
possible par la substitution du système de la gestion en matière de
recettes et dépenses à celui de l’exercice.
Il était également prévu que le projet de règlement devait être
présenté « avec les mêmes subdivisions que le budget général ». Son
contenu était décrit avec précision, ainsi que les documents annexes
parmi lesquels figuraient « un rapport de la Cour des comptes sur la
sincérité des comptes de l’État », les bilans des comptes
d’exploitation et de comptes de pertes et profits des services
industriels de l’État et des sociétés d’économie mixte dont l’État
détient au moins la moitié du capital ainsi que la variation pendant
l’année du patrimoine de l’État.
En ce qui concerne le décret de 1956, les dispositions relatives au
contenu de la loi de règlement sont moins détaillées que dans
l’ordonnance de 1959. En revanche, seul le décret organique
témoignera du souci d’identité des formes entre le projet de loi de
finances et le projet de loi de règlement. La possibilité d’accélérer les
comptes ne résultera pas d’une innovation comme dans l’avant-
projet de loi organique mais aura comme support le décret du 15
novembre 1955 relatif au système de la gestion. Ce sont les
commissions des finances qui, par un remaniement conséquent du
projet de décret, intégreront ce texte dans le décret organique. Mais
le décret de 1956 comme l’ordonnance de 1959 accorderont la même
importance à la comptabilité des ministres en prévoyant que le
projet de loi de règlement devait être accompagné « de la
déclaration de conformité entre les comptes individuels et les
comptes des ministres ».
Comme l’avant-projet, les deux textes organiques font référence à la
Cour des comptes et à son appui apporté au projet de loi de
règlement. Mais alors que l’avant-projet se réfère aux travaux du
rapport général, le décret de 1956, repris sur ce point par
l’ordonnance de 1959, va innover en dédoublant le rapport général
de la Cour des comptes. Le projet de loi de règlement devra être
accompagné par un rapport spécifique sur l’exécution de la loi de
finances qui sera détaché du rapport général et développé. Ce
rapport porte certes sur la régularité des opérations d’exécution par
rapport aux dispositions de la loi de finances complétées par les
décrets de répartition des crédits entre les différents chapitres, mais
il apporte aussi des informations précieuses sur les mesures
réglementaires prises en cours d’année, comme par exemple les
transferts, les virements, les annulations, et qui mettent en cause la
stabilité du cadre de gestion. La réforme de la nomenclature
budgétaire et le nouvel intitulé des chapitres donneront un nouvel
intérêt aux problèmes d’imputation des crédits. Le rapport de la
Cour des comptes les rendra plus visibles en tant que document
annexe à la loi de règlement. La répartition par voie de transfert des
crédits globaux, des crédits affectés aux charges communes voire des
dépenses indivises pouvait permettre de mieux calculer le coût
effectif des services. Les analyses devaient enfin assurer le suivi de la
programmation des investissements et vérifier si l’évaluation sur
plusieurs années du coût des différentes opérations avait été faite
sur des bases sérieuses. Le décret de 1956 et l’ordonnance de 1959
pouvaient-ils aller plus loin en matière de contrôle ?

2. Les potentialités de l’avant-projet de loi organique

L’avant-projet organique présente une différence notable si on le


compare au décret de 1956 et à l’ordonnance de 1959. Ce texte
comporte ainsi trois parties successivement consacrées au contenu
du budget, à l’élaboration du budget et au contrôle de l’exécution du
budget. Cette dernière étant égale en importance aux deux
premières réunies. Les premiers textes ne mentionnent en matière
de contrôle que la loi de règlement. Pouvait-il en être autrement ?
En ce qui concerne le décret de 1956, une limitation apparaît dans la
Constitution qui peut, à première vue, expliquer ce caractère
restrictif. La Constitution de 1946, à l’article 16, prévoit l’élaboration
d’une loi organique pour régler le mode de présentation du budget. La
loi d’habilitation du 2 avril 1955 ne fait que reprendre, sur ce point,
le texte constitutionnel. Or ce terme, en droit budgétaire,
traditionnellement permet de distinguer le contenu du budget
accompagné de ses annexes du vote. Cette distinction a pu prendre, à
certaines reprises, nous l’avons vu, une valeur constitutionnelle. Est-
ce à dire que l’article 16 doit être interprété dans ce sens ? Les
travaux préparatoires comme l’amendement Lecourt de mars 1955
ne donnent aucune information sur ce point. Henri Puget, dans son
rapport sur le projet de décret au Conseil d’État, le constate alors
même qu’il souligne que ledit projet s’écarte notablement de la
simple présentation en ce qu’il contient des dispositions relatives
aux procédures de vote et au mode de règlement du budget. Le
conseiller d’État évoque alors « un courant d’idées favorable à une
interprétation large 80 ».
Le consensus sur une interprétation large du terme « présentation »
du budget ne datait pas de 1955, il avait été très vite matérialisé en
1947 lorsque la sous-commission des lois organiques de l’Assemblée
nationale confia à Robert Jacomet l’élaboration de l’avant-projet
organique. Celui-ci avait fait observer qu’il existait une « étroite
interdépendance des modes de présentation du budget, du contrôle
et de l’exécution » et qu’il y avait intérêt « à procéder à une étude
d’ensemble du problème budgétaire depuis la préparation du budget
jusqu’au terme final de la reddition des comptes publics prévus par
l’article 18 de la Constitution ». Il faisait même de cette vue
d’ensemble une des conditions de sa collaboration ; cette condition,
comme les autres, fut acceptée. Il faut souligner à cette occasion le
nombre important des représentants des corps de contrôle dans la
commission de la réforme budgétaire.
L’attitude de Robert Jacomet n’était pas seulement de circonstance,
elle n’était que l’aboutissement d’une démarche, entamée au sein de
la SDN dans les conférences sur le désarmement à propos du
contrôle des dépenses militaires des différents États. Démarche
prolongée et élargie au sein de la section de finances publiques de
l’Institut de droit comparé de l’Université de Paris. Les seules
prévisions contenues dans les budgets des États lui apparurent très
vite insuffisantes pour établir la réalité des dépenses militaires.
Outre qu’il élargit considérablement son champ d’investigation en
incluant, entre autres, toute forme d’aides fiscales ou de marchés
privilégiés, il estima indispensable de s’appuyer sur les comptes clos
et de tenir compte de l’ensemble du processus budgétaire. Cette
attitude devait le conduire à mettre en cause aussi bien les règles
d’établissement du budget que le système comptable et les modes de
contrôle propres à la France. C’est la mise au point de questions
précises sur les procédures et techniques intervenant dans les
phases successives du processus budgétaire et comptable qui permit
à la Section de finances de l’Institut d’établir un outil de droit
comparé applicable aux différents systèmes budgétaires.
Or les dispositions de la Constitution de 1946 ne concernent pas la
seule loi de règlement. L’article 18 prévoit une autre forme de
contrôle plus proche de la réalité de l’activité administrative.
L’Assemblée nationale pouvait charger la Cour des comptes de «
toutes études et enquêtes se rapportant à l’exécution des recettes et
des dépenses publiques ainsi que des charges de trésorerie ». À
l’occasion de la rédaction de cet article, certains constituants
proposèrent d’aborder un thème récurrent dans la doctrine depuis le
XIXe siècle, à savoir celui de la responsabilité de l’ordonnateur. Se
faisant l’écho d’un besoin rendu plus criant par les malversations et
les irrégularités survenues au cours de la guerre et dans les années
d’après-guerre, Christian Pineau demanda, par la voie d’un
amendement, que figure dans la Constitution la possibilité pour la
Cour des comptes de donner directement connaissance à l’Assemblée
nationale « des abus et malversations et de tous les actes ou faits
pouvant engager la responsabilité des administrateurs, qu’elle
découvre dans le cours de ses opérations, et lui propose les mesures
convenables aux intérêts de la République 81 ». Cette proposition fut
rejetée au motif qu’elle n’était pas d’ordre constitutionnel. La
création en 1948 de la Cour de discipline budgétaire sanctionnant les
fautes de gestion viendra, partiellement, répondre aux
préoccupations que révèlent les travaux préparatoires de la
Constitution.
Le décret organique de 1956 ne reprend pas, sur le plan des
contrôles, la démarche des rédacteurs de l’avant-projet ; toutefois, il
laisse une possibilité d’évolution qui ne sera pas reprise par
l’ordonnance de 1959. Le projet de décret prévoyait l’intervention,
avant le 31 décembre 1956, par voie d’arrêté du ministre des
Finances, « d’une codification des dispositions législatives d’ordre
budgétaire. Cette codification devra préciser, notamment, celles de
ses dispositions qui, non conformes au présent texte, se trouveront
désormais abrogées. » Sur la proposition du Conseil d’État, cette
codification devait prendre une forme plus élaborée. Elle devait
intervenir par « décret en Conseil d’État après avis de la commission
de précodification » (art. 69).
Le contenu même de l’avant-projet contient des dispositions qui ne
pouvaient figurer dans la loi organique. Ainsi en est-il des
dispositions concernant l’exécution des recettes et des dépenses,
justifiées sans doute par l’absence de texte synthétique sur la
comptabilité publique. De même, la présentation systématique et
exhaustive aurait mérité d’être plus recentrée sur le contrôle
parlementaire, mais il s’agissait d’un avant-projet susceptible d’être
remanié.
L’avant-projet organique aborde le contrôle parlementaire en tant
que tel, mais d’autres dispositions peuvent être y rattachées. Il est
prévu que les contrôleurs des dépenses engagées et les contrôleurs
d’État fournissent au ministre dont ils dépendent, pour transmission
aux commissions des finances, les renseignements qui ressortent de
la comptabilité qu’ils tiennent ou qu’ils contrôlent. On y indique que
les rapporteurs des commissions des finances peuvent requérir
auprès des ministres toutes les informations d’ordre administratif et
financier nécessaires à l’application de leur fonction. Dans certaines
conditions, un droit de vérification et de contrôle sur place est
reconnu à l’Assemblée nationale ainsi que l’aide de la commission de
vérification des comptes des entreprises publiques 82 . Les rapports
avec la Cour des comptes sont précisés. Outre que le premier
président peut porter à la connaissance des commissions des
finances les constatations de la Cour, l’article 90 reprend les
dispositions constitutionnelles en précisant que la dite Cour « peut
être chargée par l’Assemblée nationale de toutes enquêtes et études
se rapportant à des recettes et des dépenses publiques ou à la gestion
de la trésorerie ».
Enfin, certaines dispositions explicitées par Armand Le Hénaff,
contrôleur général de la Marine, dans son important rapport général
83
sur le contrôle de l’exécution du budget de 1952, éclairent les
intentions des auteurs quant à la responsabilité des ordonnateurs.
L’auteur rappelle la définition du chapitre proposée dans le texte de
l’avant-projet, à savoir le regroupement des crédits par service. Il
s’agit, pour lui, de consacrer la « suprématie des buts 84 ».
Dans cette perspective, et pour organiser la responsabilité des
administrateurs, plusieurs mesures sont prévues. Un article prescrit
que, dans la limite des crédits qui lui sont alloués et sous déduction
de ceux qu’il emploie directement, chaque ministre répartit ceux-ci
entre les administrateurs de son département. Il les charge de les
employer conformément à ses prescriptions et dans le cadre des
divisions budgétaires instituées par la loi. De ce fait, les
fonctionnaires attributaires des crédits deviennent, dans les
conditions précitées, responsables de l’emploi de ces crédits. Une
autre disposition prévoit que la loi, ou à défaut le règlement, «
désigne les fonctionnaires ou agents qui, régulièrement chargés de la
gestion des services, ont pouvoir sous leur responsabilité et leur
signature de la perception des recettes et de l’exécution des
dépenses ». La Cour de discipline budgétaire, qui est mentionnée
dans l’avant-projet et que le président de l’Assemblée nationale peut
saisir, sera ainsi mieux à même de sanctionner les fautes de gestion.
A. Le Hénaff anticipe par ailleurs sur l’évolution des contrôles en
estimant que chaque fonctionnaire qualifié pourra être jugé « à sa
juste valeur », selon ses résultats, et récompensé selon « ses mérites
» par des mesures portant sur sa « carrière ».
L’ordonnance de 1959 n’avait pas le même handicap constitutionnel
puisque deux articles de la Constitution renvoient à des lois
organiques le soin de déterminer les ressources et les charges de la
loi de finances ainsi que les modalités du vote. Le Conseil
constitutionnel, par ailleurs, dans sa décision du 25 juillet 2001 85
relative à la LOLF, estimera qu’eu égard aux dispositions
constitutionnelles, la loi organique « a également reçu habilitation
pour organiser les procédures d’information et de contrôle sur la
gestion des finances publiques nécessaires à un vote éclairé du
Parlement sur les projets de lois de finances, et notamment sur les
projets de lois de règlement destinés à suivre l’emploi des
contributions publiques ». Il reconnaîtra également qu’en ce qui
concerne les dispositions relatives à la comptabilité, si certaines de
ces dispositions n’ont pas par elles-mêmes « une nature organique »,
elles « constituent [néanmoins] un dispositif d’ensemble ayant pour
objet d’assurer la sincérité et la clarté des comptes de l’État » et par
là même peuvent figurer dans la loi organique relative aux lois de
finances.

Conclusion
Le décret du 19 juin 1956 et l’ordonnance du 2 janvier 1959 n’ont pas
le même vécu. L’un a été mis en application une fois, pour le budget
de 1957, l’autre a été en vigueur pendant quarante ans. L’ordonnance
a été interprétée. La lecture du seul texte de l’ordonnance est parfois
difficilement séparable des décisions du Conseil constitutionnel, des
pratiques parlementaires et des observations de la Cour des comptes.
Trente-quatre propositions de réformes ont été déposées. Parmi
celles-ci, certaines concernaient directement l’exercice de la gestion,
que ce soit celles relatives à la réforme des « services votés » dans le
but d’améliorer les structures et les procédures administratives ou
encore celles proposant d’ajouter au texte organique des dispositions
relatives aux contrôles.
Le décret du 19 juin 1956, cependant, avec les anticipations qu’il
comporte, annonçait des évolutions. Ainsi, il est possible de lui
rattacher les dispositions de l’article 53 du décret du 29 décembre
1962 portant règlement sur la comptabilité publique et
l’introduction dans notre système comptable de la comptabilité
analytique. Cette dernière ayant pour objet de permettre le calcul du
coût des services rendus ou du prix de revient des produits fabriqués
et de contrôler le rendement des services.
Mais c’est par le rôle accordé aux documents annexes à partir dudit
décret, rôle qui sera confirmé et amplifié dans la LOLF, qu’on peut
mesurer combien cette technique, dont la juridicité n’a cessé de
croître, joue un rôle important en matière de gestion.
Dans la définition donnée des lois de finances à l’article 1er de la
LOLF, il est mentionné que lesdites lois « tiennent compte des
objectifs et des résultats des programmes qu’elles déterminent ». La
mise en œuvre de ces dispositions nécessite l’utilisation des
documents annexes d’information. Nous écarterons ici le problème
spécifique de la répartition par « programme ». Les programmes,
comme les chapitres dans le cadre de l’ordonnance de 1959, ne font
pas partie du projet de loi de finances au sens strict. La ventilation
des crédits en programmes est contenue dans un document annexe
soumis au Parlement en même temps que le projet de loi. La
répartition n’est donc pas donnée dans le dispositif de la loi de
finances (art. 34). C’est une fois la loi promulguée que sera faite cette
répartition. Comme dans l’ordonnance de 1959 pour les chapitres,
les décrets devront reprendre impérativement les dispositions
contenues dans la ventilation indicative en y incorporant les votes
du Parlement. Cette dernière ventilation sera possible grâce à un
mécanisme lié à la forme des amendements 86 . Les unités de gestion
ont une nature réglementaire. Elles viennent compléter la loi de
finances qui ne répartit les crédits que par mission.
Mais toutes les annexes obligatoires et soumises à la règle des délais
n’acquièrent pas, en droit budgétaire, une juridicité incontestable du
fait de la reprise de leur contenu, dans un acte réglementaire. Il est
ainsi des annexes à l’annexe présentant la ventilation indicative des
crédits en programme et qui sont étroitement liées à ces
programmes. La loi organique du 1er août 2001 en précise le contenu.
Il s’agit des informations concernant le projet annuel de
performance. Ce dernier doit comprendre, obligatoirement, les
actions, les coûts associés, les objectifs poursuivis, les résultats
obtenus et attendus pour les années à venir au moyen d’indicateurs
précis dont le choix est justifié. La logique de ces annexes est
renforcée par l’obligation qui est faite, en exécution, de les joindre
au projet de loi de règlement dans les rapports annuels de
performance 87 . Le problème de leur juridicité est nouveau et va au-
delà du droit budgétaire puisqu’il touche, en particulier, le domaine
de la fonction publique.

NOTES
1. Roger Goetze, ancien directeur du Budget et rédacteur à ce titre du projet de décret du 19
juin 1956, était alors conseiller technique au cabinet du général de Gaulle, siégeait
également à ladite commission constitutionnelle en tant que commissaire du
Gouvernement.
2. M. le président : « Cette loi organique n’est-elle pas une sorte de régularisation, de
constitutionnalisation, du décret du 19 juin 1956 ? »
M. Solal-Cligny, rapporteur : « Oui »
M. le président : « Je dois dire que ce décret a été appliqué et respecté au Parlement, malgré
un certain nombre de parlementaires qui se sont aperçus qu’il donnait une extension
considérable aux pouvoirs du Gouvernement. Il ne faudrait pas que ce procédé soit
compromis le jour où vous le présenterez en loi organique ».
M. Devaux : « Mais nous ne pensons pas que la question se posera de cette façon-là. Nous
espérons tous qu’elle n’existera pas sous cet aspect ; en tout cas, l’intention du
Gouvernement est certainement d’utiliser très largement les dispositions du décret actuel,
dispositions qui devront toutefois être modifiées sur certains points pour être mises en
accord avec la Constitution ». Travaux préparatoires des institutions de la Ve République,
volume III, La Documentation française, p. 144.
3.Archives constitutionnelles de la Ve République, La Documentation française, volume II, p. 521
à 615
4. René Pleven, débats, Assemblée nationale, 1re séance du 12 novembre 1959, JO, p. 2320
5. Études de finances publiques, Paul Hervieu, Rapport général sur la présentation du budget,
avril 1949, Éditions de l’épargne, Paris, 1954, TI, 21 à 79. Armand Le Hénaff, Rapport sur le
contrôle de l’exécution du budget, Paris, 1952, Éditions de l’épargne, 1954, TI, p. 87 à 147.
6. Voir pour une analyse détaillée de l’avant-projet de loi organique l’article d’Huguette
Durand et de Joël Pascal Biays intitulé : « Avant-projet de réforme de loi organique portant
réforme budgétaire élaboré par la commission Jacomet », Histoire du droit des finances
publiques, t. I, Economica, 1986, p. 227 à 248.
7. Henri Puget fait valoir qu’il n’y avait pas de contrôle de constitutionnalité possible. Le
Comité constitutionnel ne pouvant être saisi que dans le délai de promulgation de la loi par
le président de la République et le président du Conseil (art. 91 et 92). Archives du Conseil
d’État, n° 267622, notes manuscrites d’Henri Puget.
8. Qui selon toutes probabilités a été entièrement rédigé par Roger Goetze.
9. La première loi d’habilitation du 2 avril 1955 ne prévoyait que l’avis conforme de la
commission des finances de l’Assemblée nationale, la commission des finances du Conseil de
République ne devait donner qu’un simple avis. Les promesses faites en juillet 1955 par le
président Edgar Faure au Conseil de la République se concrétisèrent par une modification
apportée dans la seconde loi d’habilitation du 6 août 1955.
10.JO, débats, Assemblée nationale, 3e séance du 29 mars 1955, p. 2084 et 2085.
11.JO, doc., Conseil de la République, séance du 31 mars 1955, annexe n° 215, p. 461.
12.JO, doc., Conseil de la République, séance du 28 juillet 1955, annexe n° 483. Les
propositions de la commission relatives au texte organique sont comprises dans la IVe et la
Ve parties de ce rapport, p. 791 à 802.
13. Seront totalement absentes du projet de décret les dispositions relatives à la
présentation des ressources de trésorerie dans leur nature et leur montant, ainsi que la
notion d’endettement qui devait permettre de rendre moins imprécise la notion de dette
publique. De telles mentions furent proposées dans les propositions de modifications de
l’ordonnance du 2 janvier 1959. C’est la LOLF qui finalement leur donnera un caractère
organique.
14. Archives du Conseil d’État n° 267.622.
15. Cet avis fut transmis aux Chambres le 26 juillet 1955. La commission des finances du
Conseil de la République arrêta, en première lecture, le texte des modifications le 21 juillet.
La commission des finances de l’Assemblée nationale devait les arrêter, en première lecture,
le 26 juillet.
16. Comme en ce qui concerne la reconnaissance de la responsabilité du ministre des
finances en matière d’équilibre entre les ressources et les charges et que le Conseil de la
République voulait maintenir contre l’avis du Conseil d’État. Ce fut le point de vue de la
commission des finances de l’Assemblée nationale qui prévalut et la mention disparaîtra.
17.Études de finances publiques, Éditions de l’épargne, t. I, p. 9 à 13, Annales de finances
publiques n° 2, 1937, p. 1, Annales de finances publiques, n° 6, 1947, p. 3 et 4.
18. Exemple : dans le texte initial de la direction du Budget, il était mentionné à l’article 61
que « dès l’intervention du vote définitif de la loi de finances et compte tenu de ce vote, le
Gouvernement promulgue des décrets, portant répartition… », le Conseil d’État devait
proposer une rectification : « Dès la promulgation de la loi de finances le Gouvernement
prend des décrets… portant répartition. » Formule qui deviendra classique, qu’on retrouve
aussi bien dans l’ordonnance de 1959 que dans la LOLF.
19. Exemple : le caractère « exceptionnel des affectations », sur l’intitulé du titre IV
consacré aux « dépenses de transfert, autres que celles imputées sur les dépenses
d’investissement », la Haute Assemblée fit ajouter : « relatives notamment aux
interventions de l’État en matière économique, sociale et culturelle ». Fut supprimée
également et finalement imposée à la commission des finances du Conseil de la République
par la commission des finances de l’Assemblée nationale la mention selon laquelle le
ministre des Finances assumait « la responsabilité de l’équilibre entre les ressources et les
charges du budget », ou encore la suppression du mot « fonction » à propos de la spécialité
des crédits.
20. Voir texte adopté en première lecture le 21 juillet 1955 par la commission des finances
du Conseil de la République : JO, Conseil de la République, séance du 23 mars 1956, annexe,
n° 407, annexe III, p. 394 à 398. Texte adopté en première lecture par la commission des
finances de l’assemblée le 26 juillet 1955, Archives Goetze.
21.JO, doc., Conseil de la République, séance du 23 mars 1956, annexe n° 407, p. 374 à 393. Ce
rapport intègre toutes les modifications apportées par les commissions des finances au
projet de la direction du Budget. Bien entendu, il intègre celles proposées par le Conseil
d’État qui ont eu leur accord. La confrontation entre ce texte synthétique et l’avis donné par
le Conseil d’État permet de voir quelle est l’origine de ces modifications. Devait rester en
suspens l’article 60 relatif au mécanisme de répartition des décrets de répartition des
crédits par chapitre. L’avis conforme des commissions des finances était requis, en cas de
divergence. L’avis de la commission des finances du Conseil de la République pouvait-il
primer ? Cette question fut amplement discutée au Conseil de la République, elle mettait en
jeu des principes constitutionnels fondamentaux concernant l’exercice du pouvoir
budgétaire.
22. Pour intégrer en particulier le décret du 14 novembre 1955 généralisant le système de la
gestion.
23. Formule utilisée dans l’avant-propos du décret organique.
24. Sur le point de savoir quelles sont les influences prédominantes qui ont prévalu quant à
l’élaboration du décret de 1956, la distinction entre le cadre de la gestion et l’exercice de la
gestion, Jacques Basso et Jean-Marie Raynaud écrivaient, en 1986, que « le décret avait été
l’occasion d’un véritable débat constitutionnel et que si le texte est d’origine
gouvernementale il est de contenu parlementaire » (« Le décret organique du 19 juin 1956
déterminant le mode de présentation du budget de l’État » in Histoire du droit des finances
publiques, Economica, 1986, p. 272 à 287). Plus récemment, Robert Hertzog remettait en
cause cette appréciation en soulignant l’importance du projet initial élaboré par la direction
du Budget. Il mettait en valeur l’avis du Conseil d’État tout en minimisant les initiatives
parlementaires (« Aux origines du droit budgétaire contemporain : élaboration et
innovation du décret du 19 juin 1956 », in La direction du Budget face aux grandes mutations des
années cinquante, acteur… ou témoin ?, Comité pour l’histoire économique et financière de la
France, 1998, p. 129 à 161).
En ce qui concerne le cadre de la gestion, la pluralité d’auteurs nous apparaît évidente mais
nous rejoignons Jacques Basso et Jean-Marie Raynaud : la trame du texte émane de la
direction du Budget, le Conseil d’État a apporté des précisions non négligeables, que ce soit
par ses ajouts, ses suppressions ou certaines reformulations. Certaines propositions ont
touché le fond comme le caractère exceptionnel des affectations ou encore la suppression
de la mention selon laquelle le ministre des Finances assumait « la responsabilité de
l’équilibre entre les ressources et les charges du budget », mention qui figurait sous une
forme un peu différente dans l’avant-projet organique. Mais cette proposition de
suppression de la mention qui figurait dans l’avis du Conseil d’État a donné lieu à des débats
dans les deux commissions. La commission des finances de l’Assemblée nationale
approuvait la suppression mais la commission des finances du Sénat était attachée aux
dispositions initiales du projet de décret du Conseil d’État. Il s’est incliné en définitive avec
regret devant la commission de l’Assemblée nationale. Mais, cela dit, l’apport des
commissions des finances est prépondérant. Une comparaison entre le texte initial, l’avis du
Conseil d’État et les propositions de la commission des finances du Conseil de la République
transmises à la direction du Budget et à la commission des finances de l’Assemblée
nationale du 28 juin 1955 et publiées le 28 juillet en témoignent.
En revanche, les commissions des finances n’ont pas manifesté d’intérêt particulier pour ce
qui touche les innovations en matière d’exercice de la gestion et c’est l’apport de la
direction du Budget qui est ici essentiel. Voir sur ce point Florence Descamps, « Roger
Goetze, la direction du Budget et la réforme de l’État 1949-1958 », Revue française de finances
publiques, septembre 2007, p. 123 à 135.
25. Voir principalement : Maurice Duverger, « L’évolution de la notion de finances
publiques », Revue de science et législation financière, 1946.
26. Paul Reuter, « Le budget et l’économie nationale », in Le budget de l’État dans le cadre de
l’économie nationale, Recueil Sirey 1949, p. 39.
27. Les parlementaires se montrent très impliqués et, dans les propositions du 28 juin 1955
préparatoires au décret, ils s’interrogent longuement sur leur adaptation à l’activité
économique et proposent des modifications.
28. Les prévisions budgétaires de tous les autres organismes publics devant être fournies
aux commissions financières du Parlement lorsque celles-ci en font la demande.
29.JO, doc., Conseil de la République, Séance du 23 mars 1956, n° 407, p. 380
30. À l’initiative de la commission des finances de l’Assemblée nationale figurera, dans le
décret, la mention suivante : « Le rapport économique et le rapport financier résument, en
annexe, les éléments essentiels de la situation économique et financière dans les pays
d’Europe, susceptibles d’être comparés à ceux de la France ».
31.JO, débats, Assemblée nationale, 2e séance du 1er décembre 1956, p. 5040 à 5046.
32. Très tôt cependant, le Gouvernement, par la voix de son secrétaire d’État au Budget,
Valéry Giscard d’Estaing, en même temps qu’il indiquera aux parlementaires qu’il sera tenu
compte des intentions manifestées lors des débats en matière de dotation des chapitres,
promettra un retour à la « tradition » en inversant l’ordre institué par l’ordonnance. Donc,
malgré les dispositions précises de l’ordonnance, reprises du décret organique, le vote se
fera par la suite par ministère et par titre.
33. Voir Conseil de la République, annexe n° 483, op. cit., p. 792.
34. Disposition initiale : les dépenses en capital comprennent les dépenses exécutées par
l’État en vue de la création et de la modernisation ainsi que le cas échéant de la
reconstruction et de la reconstitution des biens de l’État.
35. Conseil de la République, annexe n° 407, op. cit., p. 386.
36. Conseil de la République, annexe n° 407, op. cit. p. 375.
37.Ibid., p. 379.
38. Proposition de loi organique du 5 mai 1960, Sénat, 2e session ordinaire, 1959-1960, n°
162, p. 2.
39. Elle n’est plus mentionnée comme dans le décret organique à propos de la comptabilité
publique ni même à propos des budgets annexes et des comptes de commerce.
40.Archives constitutionnelles de la Ve République, op. cit., p. 585 à 588.
41. La proposition de réforme de l’ordonnance de 1959 de 1960 qui reprendra les
dispositions du décret de 1956 concernant la comptabilité nationale introduira le plan dès
l’article 1er sous une forme différente.
42.JO, Assemblée nationale, débats, 3e séance du 29 mars 1955, p. 2085 et 2086.
43. René Cassin, Conseil d’État, commission constitutionnelle, 25 et 26 août, 1958, L’Histoire
de l’élaboration de la Constitution du 4 octobre 1958, La Documentation française, 1991, p. 144.
44. Article 10 du décret du 19 juin 1956 : Aucune mesure législative ou réglementaire
susceptible soit d’entraîner une dépense nouvelle, l’accroissement d’une dépense déjà
existante, ou une majoration de la charge nette résultant de la gestion des comptes spéciaux
du Trésor, soit de provoquer une perte de recettes ou encore, soit d’accroître les charges,
soit de réduire les ressources des départements et communes ou des divers régimes
d’assistance ou de sécurité sociale, ne peut intervenir en cours d’année sans avoir fait
l’objet, s’il y a lieu, d’une ouverture préalable de crédits et sans qu’aient été dégagées, pour
un montant équivalent, soit des ressources nouvelles ne figurant pas parmi les recettes
prévues au budget, soit des économies entraînant la suppression ou la réduction d’une
dépense antérieurement autorisée.
45. Les dépenses des budgets annexes et des comptes spéciaux sont votées par budget
annexe et par compte spécial.
46. Le Gouvernement répartira également par décret par comptes particuliers les
opérations des comptes spéciaux du Trésor.
47. Il s’agit des charges de la dette publique et des dépenses en atténuation de recettes ; des
dépenses des pouvoirs publics ; des frais de fonctionnement des services existants ; des
prestations et contributions qui résultent de lois ou de conventions approuvées ou
autorisées par la loi ou qui, permanentes en leur objet, sont énumérées dans un état annexé
à la loi de finances pour l’année en cours ; des dépenses résultant de la poursuite des
investissements effectués.
48. Pour le budget général, chaque budget annexe et chaque compte spécial.
49. On peut ajouter que la technique du « transfert » n’était pas prévue dans le décret de
1956. Dans l’ordonnance de 1959, le transfert d’un chapitre à un autre est possible par la
voie d’un arrêté du ministre des Finances pour modifier la détermination du service
responsable de la dépense sans modifier la nature de cette dernière. En revanche les
virements qui modifient la nature de la dépense interviennent dans des conditions aussi
restrictives dans les deux textes, mais le décret de 1956 les rend possibles par simple arrêté
du ministre des Finances alors que l’ordonnance de 1959 exige un décret pris sur rapport
des ministres.
50. Voir Statistiques et Études financières, « Finances comparées », 1950, n° 2 et 6.
51. Exemple donné : la direction de la Sûreté nationale comprend plusieurs catégories de
services au sens large du mot : les compagnies républicaines de sécurité, les polices
régionales de l’État, la surveillance du territoire, etc.
52.JO, doc., Assemblée nationale, séance du 31 décembre 1948, annexe n° 6015.
53.Statistiques et Études financières, 1950, « Finances comparées », n° 5 et 6.
54. La notion de performance dans un sens économique renvoie à celle de résultats, de
comportement. Dans une perspective industrielle, elle évoque le rendement. Celle de
tasksetting est relative au cadrage des tâches. Les fins apparaissent ici étroitement liées aux
moyens mis en œuvre pour obtenir les résultats. Alors que le recours à la notion de budget
fonctionnel évoque les missions de l’État et met l’accent sur les finalités. Les difficultés de la
traduction ont été mises en valeur par Jesse Burkhead dans un article sur le budget de
réalisation aux États-Unis. À partir de la notion de budget de performance, l’auteur
distingue le budget de réalisation du budget de programme. « Le budget de réalisation aux
États-Unis », Revue de science et de législation financières, 1955, p. 260 à 282.
55. Voir à ce sujet : Jacques Edmond-Grangé, Le budget fonctionnel en France, LGDJ, 1963.
56. Edgar Faure, « Réflexions sur le budget », conférence prononcée le 3 mars dans le cadre
des conférences des ambassadeurs, Agence économique et financière du 6 mars 1950.
57. L’autre grande question étant les relations entre le plan et le budget.
58. Respectivement, article 31 et article 56 ; il s’agit là de la reprise des dispositions de
l’article 6 de la loi du 29 juin 1831.
59. Rapport général, op. cit., t. I, p. 145.
60. Rapport général. Voir également sur ce point Gabriel Ardant, « Fondements
économiques et sociaux des principes budgétaires », Revue de science et de législation
financières, 1949, p. 406 à 446.
61. Ministère du Budget, direction du Budget, n° 20-I B/I-9 B/2, 5 mars 1952, SAEF.
Ministère des Finances, direction du Budget, 2e bureau, n° 57- 28 B2, le 11 août 1952, service
des Archives économiques et financières. Voir également pour leur commentaire : nouvelle
nomenclature budgétaire applicable aux dépenses de fonctionnement, direction du Budget,
1er bureau, 1952, SAEF.
62.Statistiques et Études financières, n° 12, juin 1952, p. 501.
63. Jean Rossard, « La réforme de la présentation des dépenses dans le budget français »,
Études de finances publiques, décembre 1951- mars 1954, Les éditions de l’épargne, TII, 1954, p. 39
à 52.
64. Georges Plescoff, « Nécessités et principe d’une réforme budgétaire », La Revue
administrative, 1950, p. 631 à 154.
65. Jean Rossard, op. cit., p. 47.
66. Voir sur les Appropriations, Gabriel Pallez, in Finances publiques, 1963-1964, Les cours de
droit, p. 102 à 105.
67. Cette faculté joue sous certaines réserves ; des limites sont imposées par catégories de
dépenses ; pour les emplois supérieurs de l’administration notamment, le montant des
rémunérations est fixé, ainsi que l’effectif maximum.
68. Ceci n’a pas empêché cependant qu’elle ne soit que très partiellement mise en œuvre,
étant donné la résistance du Congrès.
69. Voir sur ce point, Roger Grégoire, « La conception de la fonction publique aux États-Unis
d’Amérique », La Revue administrative, 1952, p. 544 à 553.
70.Statistiques et Études financières, n° 1, mars 1953, p. 204.
71. Curieusement, cette définition ne concerne que les seules dépenses ordinaires, donc les
dépenses de fonctionnement, mais aussi le titre IV, dont les parties et chapitres reposent
sur un découpage fonctionnel. En ce qui concerne les dépenses en capital, présentées avec
moins de rigueur, il est simplement mentionné que les crédits sont spécialisés par «
chapitre » sans que leur intitulé soit précisé. On peut en déduire que la définition leur est
applicable et qu’il s’agit là de crédits groupés par destination. L’ordonnance de 1959 ne
reprend pas ce découpage en dépenses ordinaires et en dépenses en capital, la définition du
chapitre est donnée de façon générale pour l’ensemble des crédits.
72. Doc. Conseil de la République, annexe, 407, op. cit., p. 389.
73. Voir J. Edmond Grangé, Le budget…, op. cit., 1963.
74. Le service des études économiques (SEEF), rattaché à la direction du Trésor, et qui avait
pour mission principale d’établir les comptes de la Nation, estimait qu’une ventilation des
dépenses de l’ensemble des administrations publiques (État, collectivité territoriale,
établissement public administratif et sécurité sociale) améliorerait ses projections à moyen
terme et permettrait de vérifier les résultats provenant d’autres sources. À partir de 1957, le
SEEF publiera, en annexe des comptes de la nation puis du rapport économique et financier,
un rapport ventilant les dépenses des administrations publiques en dix fonctions. Si on
estime généralement que la présentation manquait de rigueur, l’ambition de représenter
une ventilation complète des dépenses publiques montre l’intérêt que l’on portait à cette
époque à la fois à la comptabilité nationale et aux coûts des activités publiques.
75. Par ses conclusions, le comité d’enquête estimait possible et souhaitable de déterminer
de façon systématique les coûts ainsi que les prix de revient dans les administrations. Dans
lesdites conclusions, le Comité demandait au ministre des Finances d’en prendre l’initiative.
76. En 1972, la réforme a porté sur les subdivisions des chapitres en articles et paragraphes,
distinctions destinées à la gestion interne des crédits et qui sont à la disposition du
ministre. Ladite distinction apparaissait dans les « verts », établis une fois le budget voté et
transmis au Parlement. La réforme a conduit à superposer à la nomenclature traditionnelle
deux nomenclatures supplémentaires destinées à préciser le contenu interne des chapitres :
le code sectoriel qui constitue un inventaire des secteurs élémentaires correspondant aux
services, sous-services, actions et sous-actions de l’État. Chaque dépense est donc regroupée
en fonction des différentes actions de l’État et en fonction des services qui les
accomplissent. On peut retrouver ici les préoccupations relatives aux organes et aux
fonctions de 1952.
Le code économique se situe, lui, au niveau du paragraphe. Son objectif est de repérer
toutes les dépenses budgétaires en fonction de leur nature, selon des critères qui tiennent
compte à la fois du cadre comptabilité nationale et du plan comptable général des
entreprises afin de préciser l’impact économique des dépenses accomplies. On peut
retrouver ici les préoccupations des commissions des finances quant au souci des relations
des types de comptabilité avec la nomenclature budgétaire. L’utilisation des codes sectoriels
et économiques (article et paragraphe) permet de dégager plus facilement, à l’intérieur du
budget traditionnel, les lignes d’action de leurs objectifs. Son principal intérêt réside dans
l’amélioration importante de la classification fonctionnelle des dépenses de l’État. À partir
de 1973, le budget fonctionnel va s’inspirer directement du code sectoriel pour chiffrer les
fonctions et les sous-fonctions. Combiné avec le code économique, il donne naissance à des
modules élémentaires qui permettent toute une série de regroupements et facilitent les
liaisons budget-plan comptable. Voir sur ce point, Les finances de l’État, Michel Paul,
Economica, p. 311 à 350.
77. Il était, en particulier, très apprécié par les étudiants en finances publiques.
78. Elle apportera une amélioration notable en faisant sortir les « prêts et les avances » du
titre VI consacré aux transferts à l’investissement.
79. Article 145 de l’ordonnance royale portant règlement général sur la comptabilité
publique du 31 mai 1838 : « À l’appui de la loi des comptes, et pour chaque exercice, il est
présenté aux Chambres un tableau spécial des travaux exécutés pour le perfectionnement
de la navigation des rivières, ainsi que du montant des sommes fournies par le Trésor public
et par les propriétaires riverains ».
80. Henri Puget, notes manuscrites, op. cit.
81. Commission constitutionnelle, amendement n° 174, p. 360.
82. L’Assemblée nationale et le Conseil de la République peuvent constituer au sein de leur
commission des finances, avec l’adjonction éventuelle de membres appartenant aux autres
commissions, une sous-commission chargée de vérifier et de contrôler sur pièces et sur
place l’état des effectifs militaires, du matériel et des approvisionnements de défense
nationale et une sous-commission chargée de suivre et d’apprécier la gestion des
entreprises nationalisées et des sociétés d’économie mixte. Cette dernière sera assistée à cet
effet de la commission de vérification des comptes des entreprises publiques. Il devra leur
être fourni tous les renseignements et moyens matériels de nature à faciliter leur mission.
83. A. Le Hénaff, « Rapport général sur le contrôle de l’exécution du budget », 1952, Études
de finances publiques, Les Éditions de l’épargne t. I, 1954, p. 87 à 148.
84.Ibid., p. 145 à 146.
85. Décision n° 2001-448 du 25 juillet 2001.
86. Voir en ce qui concerne les programmes : Pierre Avril, « L’intégration des pratiques
budgétaires dans la loi organique de 1er août 2001 », actes du colloque sur « La formation
des textes financiers », Paris X-Nanterre, mai 2003, in Revue française de finances publiques,
avril 2004, n° 86, p. 183 à 192.
87. Ceux-ci doivent comprendre, entre autres, les objectifs, les résultats attendus et
obtenus, les indicateurs et les coûts associés.

AUTEUR
LUCILE TALLINEAU
Agrégée de droit public, Lucile Tallineau est professeur émérite à l’université de Paris-
Ouest-Nanterre-La Défense (Paris X). Elle a été doyen de l’UFR de sciences juridique,
administrative et politique de 1998 à 2006 et responsable du Centre de recherche de droit
public de l’université de Paris X-Nanterre de 2005-2008. Ses travaux sont orientés vers la
recherche de la juridicité et la formation des textes financiers. Ses principaux travaux sont :
Les actes non créateurs de droits, essai critique des droits acquis en droit administratif (Thèse,
Poitiers, 1972) ; « Les tolérances administratives » (Revue de l’Actualité juridique du droit
administratif, 1978) ; « Une annexe budgétaire en quête d’identité » (Revue de droit public,
1987) ; « L’inspiration keynésienne du décret du 19 juin 1956 » in La direction du Budget face
aux grandes mutations des années cinquante, acteur… ou témoin ?, Comité pour l’histoire
économique et financière de la France, 1998, p. 163 à 185. « Le questionnaire ayant pour but
de faire ressortir les traits généraux du droit budgétaire (1935). Contribution à la doctrine
budgétaire en droit comparé », La direction du Budget entre doctrines et réalités 1914-1944,
Comité pour l’histoire économique et financière de la France, Paris, 2001, p. 317-355, « La loi
organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances » (RFDA, 2001) ; « Quarante ans de
propositions de réforme de l’ordonnance du 2 janvier 1959 » (RFFP, 2001) ; Organisation
scientifique et synthèse du colloque La formation des textes financiers à l’université de
Paris-X Nanterre en mai 2003 (RFFP, 2004) ; « Les annexes budgétaires et la modernité »
(Mélanges Loïc Philip, LGDJ, 2007) ; « De l’administration de l’impôt » (mélanges Michel
Bazex, éd. Litec, Lexis-Nexis, 2009) ; « Paul Reuter, juriste financier » in Réformes des Finances
Publiques et Modernisation de l’Administration, Mélanges en l’honneur de Robert Hertzog,
Economica 2010 ; « Le cadre juridique de la gestion financière de l’État » in L’invention de la
gestion des finances publiques, Comité pour l’histoire économique et financière de la
France/IGPDE, 2010.
Le décret du 29 décembre 1962,
toilettage juridique ou contribution
au renouvellement de la gestion des
finances publiques ?
Perception et restitution au travers des écrits qui lui furent
consacrés 1

Matthieu Conan

Introduction
L’heure est indéniablement au bilan, à l’aube d’une réécriture
inéluctable du décret n° 62-1587 du 29 décembre 1962 portant
règlement général sur la comptabilité publique. Les dispositions
comptables inscrites dans la loi organique relative aux lois de
finances (LOLF) du 1er août 2001 imposent en effet, à terme, un tel
exercice. Il n’est dès lors pas inutile d’apprécier quelle a pu être la
dimension théorique et conceptuelle du décret de 1962 dont les
implications pratiques se veulent tout à fait essentielles encore à
l’heure actuelle.
L’approche est importante, car le décret comporte des dispositions la
plupart du temps méconnues ou ignorées, et pourtant relatives
notamment à l’instauration de logiques de comptabilité patrimoniale
qui se veulent aujourd’hui au centre du nouveau dispositif en cours
de gestation quand il n’est pas déjà en application. Son article 49
vient ainsi indiquer que « La comptabilité des organismes publics […]
est organisée en vue de permettre [entre autres,] la connaissance de
la situation du patrimoine ». Comptabilité générale et comptabilité
analytique, pour lesquelles la LOLF semble innover dans ses articles
27 et suivants, sont évoquées à l’article 51 du décret aux termes
duquel « La comptabilité comprend une comptabilité générale et,
selon les besoins et les caractères propres à chaque organisme
public, une comptabilité analytique ». L’article 52 pour sa part
dispose que « La comptabilité générale retrace […] les mouvements
du patrimoine et des valeurs d’exploitation » et que « la
nomenclature des comptes ouverts en comptabilité générale […]
s’inspire du plan comptable général ». Quant à l’article 53, il vient
principalement définir l’objet de la comptabilité analytique qui est,
d’une part, de « faire apparaître les éléments du calcul du coût des
services rendus ou du prix de revient des biens et produits fabriqués
» et, d’autre part, de « permettre le contrôle du rendement des
services ». La mise en œuvre du décret ne s’est pas spécialement
caractérisée par une application de ces dispositions au regard d’une
dimension que l’on qualifierait volontiers aujourd’hui de «
gestionnaire ». Elles ne se sont pas particulièrement imposées dans
la pratique au titre de ces nouveaux « principes fondamentaux »
devant alors régir la comptabilité publique 2 et l’on se doit
aujourd’hui d’apprécier les responsabilités nées des prises de
position adoptées vis-à-vis du décret de 1962. Or, force est de
constater que la doctrine universitaire s’est montrée très discrète à
son égard.
Appréciations et commentaires en la matière se font en effet assez
rares durant ce demi-siècle aujourd’hui écoulé. Le décret n’a guère
inspiré les universitaires à l’exception des quelques ouvrages
spécifiquement consacrés à la comptabilité publique dans lesquels il
trouva naturellement sa place 3 . Ce sont principalement les
fonctionnaires de l’administration des Finances qui lui consacreront
les plus importants développements au sein d’articles parus pour
l’essentiel dans la Revue du Trésor. Ce dernier constat se veut somme
toute parfaitement logique : le décret a fait l’objet durant cette
période de deux mises en œuvre techniques qui ont nécessairement
ponctué sa destinée et les praticiens de la comptabilité publique
étaient tout simplement les mieux placés pour en préciser la portée
à ces deux instants. L’application à l’État d’un nouveau cadre
comptable s’inspirant du plan comptable général au 1er janvier 1970
d’abord, au 1er janvier 1988 du fait de la révision de ce même plan
comptable général ensuite, s’est opérée au regard de deux
instructions qui ont normalement suscité vis-à-vis du décret de 1962
un regain d’intérêt. Les analyses qui vont suivre s’inscrivent dans le
prolongement de la publication, dans un premier temps, de
l’instruction n° 69-124 PR du 5 novembre 1969 (I), puis de celle, dans
un second temps, de l’instruction n° 87-128 PR du 29 octobre 1987
(II).

I. Les positions développées dans le cadre de


la mise en œuvre de l’instruction n° 69-124
PR du 5 novembre 1969
Un nouveau cadre comptable s’inspirant du plan comptable général
est applicable à l’État au 1er janvier 1970 aux termes de l’instruction
n° 69-124 PR du 5 novembre 1969. Ce texte est important au regard
de « la comptabilité publique » car il s’inscrit fondamentalement en
rupture avec les textes qui jusqu’à présent en définissaient les
contours. Cette instruction tend à assurer la mise en œuvre du
décret de 1962 pour ses aspects en définitive les plus novateurs et
synonymes de nouvelle gestion des finances publiques. Force est de
constater pourtant qu’une telle dimension n’a pas eu l’air
d’apparaître comme aussi déterminante à l’époque, aux
universitaires du moins, tant le chercheur se trouve confronté
aujourd’hui à ce qu’il convient bien de considérer comme un
véritable désert doctrinal (A). Les seuls écrits pertinents sur le sujet
sont l’œuvre des praticiens qui, dès la publication du décret, mais
plus encore précisément à l’occasion de la mise en œuvre de
l’instruction, vont faire leur, l’objectif de rénovation de la gestion
financière de l’État posé par le décret et trop facilement oublié
depuis (B).

A. Le désert doctrinal initial

Le décret du 29 décembre 1962 va certes faire l’objet d’une


publication à l’Actualité juridique du droit administratif (AJDA) sans
pour autant être accompagné du moindre commentaire. Les études
relatives à la comptabilité publique sont pour ainsi dire totalement
absentes des revues juridiques dans les années 1960 et l’intérêt des
universitaires pour la matière pratiquement inexistant. La Revue de
science financière ne consacre ainsi à la comptabilité publique qu’une
seule étude digne de ce nom dans la période. « Le système de gestion
comptable des finances publiques » est l’œuvre d’un italien, Leone
Pozzy 4 et, du décret, il n’est d’ailleurs pas question : l’article qui
paraît en 1965 5 débute sur un constat – « nécessité et carence
d’études techniques » en la matière – et propose une approche
doctrinale propre à tous les États. La comptabilité publique française
n’est évoquée qu’au regard de la définition qu’en donne Gilbert
Devaux, directeur du Budget, dans son ouvrage de 1957 6 , en
reprenant l’article 1er du décret du 30 septembre 1953 selon les
termes duquel « les règles de la comptabilité publique ont pour objet
de déterminer les obligations et les responsabilités des ordonnateurs
des dépenses publiques, des ordonnateurs des recettes publiques et
des comptables publics »…
Le conseiller à la Cour des comptes, Jacques Magnet, quelques
années plus tard, en 1978, dans la première édition de son manuel de
Comptabilité publique, précisera que « la littérature italienne de
comptabilité publique est immense 7 ». Tel n’est évidemment
absolument pas la situation en France et son ouvrage, qui restera
longtemps « LA » référence en ce domaine, est particulièrement
révélateur de ce « désert doctrinal » en la matière.
« L’enseignement universitaire des finances publiques est depuis longtemps
limité à l’étude des questions budgétaires et fiscales, celle de la comptabilité
publique y étant réduite à un bref aperçu, qui même présente souvent un état de
8
droit ou de choses dépassé ».
Telles sont les premières lignes rédigées par Jacques Magnet en
introduction. La « documentation générale » établie à la suite par
l’auteur se veut bien limitée, et pour cause ! De la Revue de science
financière dont il vient d’être question, il dit par exemple ceci :
« La Revue de science et de législation financière (ci-après citée RSLF), fondée en 1903,
est devenue depuis 1957 la Revue de science financière (ci-après citée RSF). Ce
changement de titre traduit la part prépondérante prise par l’économie
financière au détriment du droit financier, qui continue néanmoins de faire la
matière de divers articles. Une chronique de comptabilité publique y avait fait
9
son apparition en 1971 ; elle n’a pas eu de suite ».
Cette chronique fut rédigée par Lino Di Qual alors maître-assistant à
l’université de Lille II 10 , qui fit paraître la même année Le droit de la
comptabilité publique 11 . Selon Jacques Magnet toujours, cet ouvrage :
« est, à en juger par son style, la transcription d’un cours oral, auquel ont été
incorporés divers extraits de livres et articles écrits par d’autres auteurs. Il est
malheureusement gâté par des erreurs matérielles de références qui ne
permettent de le consulter qu’avec prudence et sous réserve de vérification aux
sources. Les questions techniques de la comptabilité publique longtemps
ignorées en dehors de l’administration des Finances, viennent d’être exposées
12
par : G. Montagnier, Principes de comptabilité publique, Dalloz, 1975 ».
Il n’y a donc pas de réflexion d’ensemble fiable conduite par un
universitaire en termes de comptabilité publique avant 1975. Le
professeur Gabriel Montagnier s’impose alors comme le spécialiste
de la discipline et son ouvrage se veut aussi essentiel que celui de
Jacques Magnet qui ne saurait naturellement être considéré comme
une émanation de la « doctrine universitaire ». Le professeur
Montagnier en précisera cependant toute l’importance aux yeux de
cette dernière dans la deuxième édition de son propre ouvrage :
« Aussi convient-il de souligner à cet égard l’intérêt fondamental de l’ouvrage
d’un membre de la Cour des comptes qui, outre son apport scientifique, permet
aux chercheurs de disposer d’un état de la législation à jour au 1er janvier 1978
13
». Il n’y a pas pour autant non plus d’analyse spécifique du décret de 1962, y
compris d’ailleurs dans ces derniers ouvrages dont il vient d’être question à
l’instant : que dire dès lors des ouvrages classiques de finances publiques qui
vont se contenter au détour d’en évoquer simplement l’existence ! Le jugement
de Jacques Magnet est là encore sans appel :
« Les auteurs plus récents traitent surtout des questions budgétaires, mais la
connaissance de ces questions est un préalable indispensable à l’étude de la
comptabilité publique. On relira au besoin : M. Duverger, Finances publiques, PUF,
coll. « Thémis », 9e éd., 1975 – L. Trotabas & J.-M. Cotteret, Droit budgétaire et
comptabilité publique, Dalloz 1972 – P. Amselek, Le budget de l’État sous la V e
République, LGDJ, 1967. On note un regain d’intérêt pour les questions de
comptabilité publique dans : P. Lalumiere, Les finances publiques, A. Colin, coll.
“U”, 3e éd. 1975
14
».
Pour reprendre la première référence fournie et l’ouvrage du
professeur Maurice Duverger, du décret de 1962 il n’est jamais
question et tout au plus la comptabilité publique est-elle évoquée en
renvoyant le lecteur à une bibliographie des plus succinctes 15 !

B. Un objectif de rénovation de la gestion financière de


l’État parfaitement intégré et affiché par les praticiens
Les revues qui consacrent quelques lignes au décret du 29 décembre
1962 sont principalement d’obédience administrative. La Revue
administrative et la Revue du Trésor vont ainsi lui réserver chacune
deux pages en 1963, développant cependant aussi les éléments
novateurs de l’approche, tout en soulignant aussi les principales
difficultés de l’entreprise.
L’article paru à la Revue administrative est intitulé « La réforme de la
réglementation de la comptabilité publique 16 ». Les formulations
utilisées sont tout à fait significatives de l’intérêt en termes de
gestion publique que suscite le texte :
« Consacrant la “patrimonialisation” de la comptabilité publique déjà largement
amorcée en ce qui concerne les collectivités locales et les établissements publics,
il doit ainsi favoriser le démarrage et l’essor d’une politique “des résultats”…
L’article 133 pose le principe que la comptabilité des opérations de l’État doit
être tenue conformément à un plan comptable qui devra s’inspirer du plan
comptable général… Le décret du 29 décembre 1962 prévoit son extension à la
comptabilité des opérations de l’État. Il ne va pas au-delà car le problème est
particulièrement délicat. D’une part, en effet, dans l’état actuel des choses, la
comptabilité de l’État ne semble pas pouvoir se détacher des principes du droit
budgétaire dont le plus important est que le budget, acte politique, doit faire
l’objet d’un contrôle étroit qui doit permettre aux autorités qui l’ont voté de
contraindre les administrations à utiliser les crédits conformément à leurs
décisions. Or, seule la comptabilité traditionnelle répond à ces préoccupations.
Les objectifs du plan comptable, la patrimonialisation des biens de l’État, la
notion de prix de revient, le calcul des résultats, ne paraissent présenter qu’un
intérêt relatif, même s’ils permettent de donner des renseignements de la plus
grande importance, tel par exemple le coût des différents services publics… Cette
tâche d’adaptation va être celle des années prochaines. Elle sera, sans doute,
difficile et lente. L’application du plan comptable à l’État, séduisante en théorie
et sans doute nécessaire pour régler certaines questions, telle par exemple celle
de la tenue de la comptabilité nationale, n’est peut-être pas entièrement possible
en pratique. Il n’en reste pas moins que l’expérience peut être tentée et la
nouvelle réglementation le prévoit et le permet ».
L’article paru à la Revue du Trésor s’intitule « L’introduction du plan
comptable en comptabilité publique » et émane de Vincent Bourrel,
procureur général près la Cour des comptes 17 . Le développement de
l’interventionnisme économique de l’État se veut ici l’élément clé
impliquant les modifications de cette comptabilité publique :
« C’est à l’occasion du développement de leurs activités économiques que l’État
et les collectivités locales viennent à découvrir l’opportunité d’une description
plus articulée de leurs opérations. Quand, après l’ère des contrats de concession
et des lois d’assistance aux déshérités, arrivent les temps des grandes entreprises
publiques et du droit de chacun à la sécurité et au progrès, quand, aux
administrateurs prudents, prévoyant l’avenir par référence au passé, succèdent
des équipes plus audacieuses mesurant l’énorme puissance d’expansion que
permet et garantit l’investissement public sous toutes ses formes, alors se fait
sentir, et plus encore que dans le secteur privé, en raison de la diversité, de la
durée et de l’importance des opérations exécutées, le besoin d’une transformation
radicale des méthodes de la comptabilité publique… Mais il ne faut pas se dissimuler
que l’introduction dans le secteur public d’une comptabilité rationnelle,
complète et intégralement exploitable, rencontrera encore de sérieuses
difficultés dont les moindres ne seront pas la permanence d’une pénurie de
personnel comptable qualifié et la lourdeur des services administratifs due aux
formalités exigées et aux contrôles exercés. Cependant, un État moderne ne peut
ignorer le coût et le rendement de ses services et, quelles que soient l’importance
et la délicatesse de la tâche, elle sera menée à bien… »
Le Bulletin de liaison et d’information de l’administration centrale des
Finances s’inscrira également début 1963 dans le même sens
réformiste, les difficultés de mise en application du décret en moins
18
:
« Synthèse des principes fondamentaux et des règles générales de la comptabilité
publique actuellement en vigueur et dont l’expérience a prouvé qu’ils
demeuraient conformes à l’intérêt des finances publiques (séparation des
ordonnateurs et des comptables, responsabilité pécuniaire des comptables,
contrôle juridictionnel de la Cour des comptes), il fonde aussi les réformes que
nécessite, dans une acception moderne, la notion de comptabilité publique. Celle-ci ne
saurait plus avoir en effet pour seule fin d’assurer la régularité du maniement
des fonds publics ; elle doit également permettre une présentation des comptes
de l’État, des collectivités et des établissements publics, telle que leur analyse
puisse être conduite et exploitée comme l’un des éléments essentiels de la
comptabilité nationale. Elle doit encore dépasser l’ancienne conception de la
comptabilité qui, axée sur les seuls mouvements de fonds, ne donnait pas tous les
éléments nécessaires pour déterminer « les résultats » ou pour calculer
autrement que par approximation le rendement financier ou le prix de revient
d’un service. Le nouveau texte s’efforce de combler cette lacune en consacrant
notamment la « patrimonialisation » de la comptabilité publique, déjà largement
amorcée en fait dans les secteurs des collectivités locales et des établissements
publics ».
Il est remarquable de constater ici l’importance revêtue
originellement par cette orientation réformiste du décret qui ne
semble absolument plus aujourd’hui être de mise quand il lui est fait
référence aujourd’hui. Ces commentaires correspondent bien
pourtant à la teneur des entrefilets parus dans la presse à l’époque
pour en évoquer sa publication : le caractère « gestionnaire » que le
nouveau texte doit insuffler à la comptabilité publique, est, à
l’évidence, la dominante qui a été présentée aux journalistes et
retenue par eux :
« Recevant hier la presse, M. Giscard d’Estaing, ministre des Finances, a souligné
l’importance d’un décret paru hier au Journal officiel, qui remplace le décret
fondamental d’il y a 100 ans (31 mai 1862), base, jusqu’ici, de la comptabilité
publique française. Le nouveau texte codifié complète les réformes adoptées
depuis et donne de nouvelles définitions de base : à la place d’une comptabilité
de caisse, les nouveaux textes prévoient une évolution vers des formules qui feront mieux
apparaître, d’une part, les éléments du patrimoine et, d’autre part, les résultats. Une
partie du décret est consacrée à la comptabilité des collectivités locales et de
leurs établissements publics. Ce texte sera complété, dans le premier semestre de
1963, par une vingtaine d’autres textes qui préciseront la responsabilité
pécuniaire des comptables publics et l’organisation des divers services.
19
L’ensemble pourra devenir le code général de la comptabilité publique ».
« … M. Giscard d’Estaing a par ailleurs parlé d’un décret – passé inaperçu en cette
fin d’année – portant règlement général sur la comptabilité publique. Ce décret,
daté du 29 décembre 1962, réforme les définitions de base des comptes publics
français, définitions dont l’origine remonte à 1862 ! En bref, il s’agit de simplifier
et de clarifier la comptabilité publique, de la moderniser aussi, tant dans le fond que
dans la forme. Les experts espèrent ainsi faire apparaître plus vite et mieux les résultats
des différentes gestions de l’État. Rappelons que, sur le plan matériel, électronique
et mécanographie ont déjà fait leur apparition au ministère des Finances. Un
jour… ou l’autre, c’est toute la comptabilité publique du pays qui “passera” sous
20
cartes perforées. Nous aurons l’occasion d’en reparler très prochainement ».
Une telle dynamique ne s’imposera pourtant véritablement que
quelques années plus tard au regard de la publication de
l’instruction n° 69-124 PR en date du 5 novembre 1969 et applicable
au 1er janvier 1970. La Revue du Trésor publiera à son sujet une
remarquable et très complète étude, intitulée « Le nouveau plan
comptable de l’État 21 ». Elle est signée par Armand Bizaguet,
directeur adjoint des services du Trésor, et Guy Sanglier, inspecteur
principal du Trésor ; ils furent, l’un comme l’autre, membres du «
groupe de travail qui conçu et mis au point la réforme du plan
comptable de l’État ». Le propos introductif de cette étude est
illustratif du mouvement ainsi instauré :
« Le nouveau cadre comptable, s’inspirant du plan comptable général, est
appliqué à l’État depuis le 1er janvier 1970. L’objet du présent article n’est ni de
décrire, ni de commenter la nomenclature et les mécanismes mis en place à cette
occasion et qui sont explicités par l’instruction 69-124 PR du 5 novembre 1969 et
les documents qui l’ont complétée, mais tout à la fois :
a) De replacer cette réforme dans la suite des efforts entrepris par le ministère
des Finances, et en particulier par la direction de la Comptabilité publique, pour
clarifier et moderniser les comptes publics. À cet égard, le nouveau plan
comptable de l’État apparaît comme l’aboutissement d’un certain nombre de
réformes antérieures qui l’ont rendu possible et qui avaient porté d’une part sur
l’aménagement des mécanismes comptables, principalement au niveau des
transferts et des centralisations, et d’autre part, sur la mise en œuvre de
puissants moyens électroniques.
b) De dégager autant que possible les raisons des choix effectués au moment de la
préparation et de la mise en œuvre de la réforme. Un certain nombre de
solutions originales ont pu choquer les comptables classiques, soit qu’elles
diffèrent de celles retenues par le plan comptable général, soit au contraire
qu’elles s’écartent des méthodes traditionnellement suivies par la comptabilité
publique. La plupart de ces solutions peuvent cependant s’expliquer par un
raisonnement parfaitement logique ; d’autres, par les limites mêmes que les
moyens matériels imposaient aux promoteurs du plan ; certaines enfin, ne sont
que des solutions transitoires préparant un avenir plus ambitieux.
Il convient en effet, de ne pas considérer la réforme de 1970 comme le terme des
progrès pouvant être apportés au cadre comptable de l’État. C’est, sans doute, un
relais important en ce sens qu’elle consacre des années d’efforts œuvrant dans le
sens d’une transformation progressive de méthodes axées davantage sur le
contrôle que sur les aspects plus commerciaux et plus dynamiques de la gestion
des administrations. Mais elle implique à court et moyen terme des compléments
pour parvenir à un développement plus complet des sources comptables et
surtout à une meilleure rentabilité de leur exploitation ».
L’étude est précédée d’un « éditorial » de Jean Dupont, sous-
directeur de la direction de la Comptabilité publique, lui conférant
en quelque sorte un label officiel au travers de la formulation aux
termes de laquelle elle « souligne remarquablement la continuité
réformatrice de la direction de la Comptabilité publique 22 ». L’on
retrouvera quinze ans plus tard ce même Jean Dupont, mais cette
fois-ci en tant qu’agent comptable central du Trésor, conclure le
remarquable numéro que la Revue du Trésor, toujours elle, consacrera
en 1987 au 25e anniversaire du décret de 1962 23 . Au-delà des
différents articles particulièrement riches que l’on consultera avec
profit – tout spécialement l’article d’Édouard Salustro, président du
Comité d’études de la fédération des experts-comptables européenne
du fait de l’importance qu’il confère à la réforme de 1970 24 –, s’y
trouve reproduite ce qu’il convient de considérer comme la première
étude d’ensemble consacrée au décret : elle est rédigée en 1964 et
elle émane de Gilbert Rey, trésorier-payeur général, « qui a joué un
rôle central dans l’élaboration et la rédaction du règlement général
sur la comptabilité publique 25 ». Ce texte, intitulé « Le règlement
général du 29 décembre 1962 et la réforme de la comptabilité
publique », exprime naturellement l’état d’esprit initial qui anima
ces praticiens des comptes publics dans leur quête de rénovation au
regard d’une problématique parfaitement bien posée et cela dès
l’origine :
« Fondée exclusivement sur la régularité des opérations et leur contrôle, et axée
sur les seuls mouvements de fonds, la comptabilité publique ne permettait pas de
déterminer les r ésultats financiers d’une gestion ou de calculer le coût d’un
service. Dès lors, l’intégration de la comptabilité publique dans la comptabilité
économique nationale posait des problèmes qui n’avaient pu être résolus qu’au
26
prix d’ingénieuses et, quelquefois, hasardeuses extrapolations ».

II. Les positions développées dans le cadre


de la mise en œuvre de l’instruction n° 87-128
PR du 29 octobre 1987
La mise en œuvre de l’instruction n° 87-128 PR du 29 octobre 1987 au
1er janvier 1988 adaptant le cadre comptable applicable à l’État au
regard de la révision du plan comptable général intervenue en 1982
allait donner lieu à une nouvelle vague d’écrits de la part une fois
encore des praticiens de la comptabilité publique. Le décret du 29
décembre 1962 suscite enfin quelques commentaires encore bien
discrets de la part des universitaires : ceux-ci se veulent dans
l’ensemble critiques à son égard (A). La dimension « rénovation de la
gestion financière de l’État » est certes entrevue, mais pas pour
autant appréciée substantiellement. Celle-ci fait cependant l’objet
dans la décennie 1990-2000 d’avancées significatives que la Cour des
comptes consacrera in fine et qui permettront tout simplement
l’évolution contemporaine de cette comptabilité publique à laquelle
nous assistons aujourd’hui en marge de la LOLF (B).

A. Les critiques doctrinales concomitantes

La parution de cette nouvelle instruction en 1987 coïncide avec le 25e


anniversaire du décret de 1962 qui, à l’évidence, suscite plus
d’intérêt qu’il n’en a jusqu’alors procuré. Pour preuve – il en a déjà
été précédemment question –, ce numéro spécifique de la Revue du
Trésor consacré à l’événement précisément. Il est une nouvelle fois
remarquable de constater que le caractère, et novateur, et
réformateur, du décret, dans l’optique d’une meilleure gestion
publique, continue de demeurer la ligne directrice défendue par les
praticiens de la comptabilité publique. À titre d’exemple, l’article
rédigé par le premier président de la Cour des comptes André
Chandernagor en est l’illustration parfaite :
« … En outre, le nouveau règlement général faisait œuvre novatrice en
consacrant l’introduction dans la comptabilité publique française du plan
comptable général. Ainsi, il a permis à la présentation des comptes,
essentiellement conçus, jusque-là, dans une optique budgétaire, de se rapprocher
d’une comptabilité de résultats ; il a marqué également une étape importante
vers l’élaboration d’une comptabilité patrimoniale, non plus seulement pour les
organismes publics appliquant déjà le plan comptable général, mais aussi pour
l’État lui-même. Certes en ces domaines, bien des difficultés techniques
demeurent et les questions de principe sont encore loin d’être toutes résolues.
Mais l’on doit reconnaître au règlement de 1962 le grand mérite d’avoir ouvert la
voie à un rapprochement avec la comptabilité privée et facilité l’intégration, de
manière plus fiable, des données issues des comptes publics dans l’appareil de la
27
comptabilité nationale ».
Le premier président considérait alors que « notre dispositif n’est
nullement incompatible avec l’introduction progressive des
techniques modernes de gestion » et dégageait une suggestion de ses
observations précédentes :
« Gardons-nous de rêver déjà d’un prochain règlement général, cédant ainsi à
notre penchant bien connu pour la production de textes nouveaux ou d’attendre
une hypothétique codification du corpus de textes intéressant la comptabilité
publique. La sagesse nous convie à nous appuyer résolument sur le règlement
général tel qu’il est, sans y retrancher ni trop y ajouter… Le décret de 1962, ce
n’est pas le moindre de ses mérites, permet les adaptations nécessaires, dès lors
que ceux qui, à des titres divers, ont mission de l’appliquer sont animés du même
28
esprit de responsabilité et d’efficacité ».
Dans ce même numéro anniversaire de la Revue du Trésor, le
professeur Gabriel Montagnier est amené à procéder indirectement à
une analyse du décret au regard d’un aspect bien particulier qui est
celui de « tenter d’évaluer sa valeur » dans le cadre de
l’enseignement universitaire : « Considéré sous cet angle, certes
particulier, ce texte ne constitue pas à lui seul un outil pédagogique
suffisant, il apporte cependant une contribution fondamentale 29 ».
Les insuffisances pédagogiques relevées par le professeur
Montagnier induisent une approche critique du texte lui-même,
quand, de manière assez paradoxale, les aspects novateurs et
réformateurs du texte n’émergent pas au rang des apports
fondamentaux, que pourtant tous les praticiens s’efforcent de mettre
en valeur. Il convient de se reporter à certains manuels de finances
publiques publiés dans ces années 1980 pour comprendre que
quelques collègues procèdent dorénavant à une analyse du décret
qui ne se veut pas spécifiquement positive à l’égard des nouveautés
qu’il est normalement amené à introduire en matière de
comptabilité publique. L’approche du professeur Pierre Lalumière à
ce sujet, en 1983 dans la 7e édition de son ouvrage, est sans ambiguïté
et sans concession à son sujet :
« Le récent décret du 29 décembre 1962 relatif aux règles de la comptabilité
publique n’a pas procédé à une réforme profonde de ce système ; il apparaît comme un
simple “replâtrage” du vieux décret de 1862 (sous forme d’améliorations techniques) et
relève la profonde continuité des conceptions centralisatrices de notre administration
30
financière ».
Le professeur Lalumière procède à une présentation tout à fait
exhaustive des éléments de « la modernisation du cadre comptable
des organismes publics », mais pour mieux pointer, in fine, les «
insuffisances de la réforme de la comptabilité de l’État » :
« Le décret du 29 décembre 1962 définit ainsi la comptabilité des organismes
publics : “la comptabilité des organismes publics a pour objet la description et le
contrôle des opérations, ainsi que l’information des autorités de contrôle et de
gestion. À cet effet elle est organisée en vue de permettre :
– la connaissance et le contrôle des opérations budgétaires et des opérations de
trésorerie,
– la connaissance de la situation du patrimoine,
– le calcul des prix de revient du coût et du rendement des services,
– la détermination des résultats annuels,
– l’intégration des opérations dans la comptabilité économique nationale”.
Les auteurs du décret ont essayé de faire entrer dans cette définition deux
conceptions de la comptabilité : la conception traditionnelle et la conception
moderne.
La comptabilité traditionnelle, élaborée au XIXe siècle, avait un triple but :
– enregistrer méthodiquement l’emploi des fonds publics ;
– contrôler ces opérations d’emploi par rapport aux autorisations contenues
dans les lois de finances ;
– sanctionner les éventuelles irrégularités.
La comptabilité, dans sa conception moderne, a des préoccupations différentes.
Elle cherche, en premier lieu, à apporter aux autorités responsables des
informations économiques qui pourront être utilisées pour la détermination
d’une politique économique. En second lieu, elle veut mesurer l’efficacité de
l’activité administrative par le calcul des prix de revient des services publics. Ces
nouveaux objectifs ne sont pas toujours compatibles avec ceux de la comptabilité
traditionnelle. Les réformes réalisées en France depuis quinze ans en matière de
comptabilité montrent cependant que des objectifs et des méthodes différentes
de comptabilité peuvent parfaitement coexister.
[…] Le décret du 29 décembre 1962 prévoit que la comptabilité de l’État devra
être remaniée en fonction des exigences du plan comptable général : “La
comptabilité générale de l’État est tenue conformément à un plan comptable
établi par le ministre des Finances. Ce plan comptable s’inspire du plan
comptable général” (article 133). Ce plan comptable pour les opérations de l’État
a été mis en application à compter du 1er janvier 1970, par une instruction de la
direction de la compatibilité publique du 5 novembre 1969 […]
Au niveau de l’État, le nouveau cadre comptable comporte les dix classes de
comptes de la comptabilité commerciale. Les classes 1 à 5 (dites classes de bilan)
sont destinées à retracer l’évolution du patrimoine de l’État […] C’est l’utilisation
des comptes des classes 1 à 5 qui permet l’établissement de ce bilan financier. En
fait, il ne peut pas s’agir d’un bilan (au sens de la comptabilité commerciale),
puisque les immobilisations physiques sont considérées dans la comptabilité de
l’État comme des charges et ne provoquent ni amortissement, ni provision : les
comptes de patrimoine (classe 1 à 5) enregistrent seulement des éléments
financiers. Aussi le tableau sous forme de bilan inclus dans le compte général de
l’administration des Finances est intitulé “Éléments de l’actif financier et
endettement de l’État”. Il permet actuellement d’apprécier la gestion du Trésor
d’une année sur l’autre ; mais il ne peut, en aucune façon, constituer, pour le
moment, un bilan de l’État en raison des insuffisances de la réforme de la comptabilité
31
de l’État ».
Des approches très similaires vont être développées par d’autres
auteurs : ainsi, les professeurs Jean-Claude Martinez et Pierre Di
Malta dans la 2e édition de leur ouvrage vont être également amenés
en 1988 à mettre en exergue au terme de leur analyse le caractère «
embryonnaire » des nouvelles logiques ainsi mises en œuvre :
« L’introduction du plan comptable général dans la gestion des personnes
publiques s’est effectuée de manière progressive… En dernier lieu, le décret du 29
décembre 1962 décidait que la comptabilité générale de l’État serait tenue selon
un plan comptable établi par le ministre des Finances et qui s’inspire du plan
comptable général. Ce principe est effectivement appliqué depuis le 1er janvier
1970 […] Abstraction faite des comptes de classe 0 qui sont des comptes d’ordre,
la nomenclature comptable de l’État comprend neuf classes qui correspondent
d’une part à la comptabilité générale, d’autre part à la comptabilité analytique
d’exploitation.
– La comptabilité générale retrace les opérations budgétaires, les opérations de
trésorerie, les opérations faites avec les tiers et les mouvements de patrimoine
[…] La comptabilité générale est tenue dans le cadre des classes 1 à 7 qui peuvent
être groupées en deux catégories.
Les classes des comptes de bilan sont les cinq premières de la nomenclature […]
Les classes de comptes de gestion sont les classes 6 et 7. Elles sont normalement
destinées à permettre l’établissement du compte de résultat au terme de
l’exercice […]
– la comptabilité analytique d’exploitation a pour objet de faire apparaître les
éléments de calcul du coût des services rendus. Elle doit permettre aussi le
contrôle du rendement des services. Les comptes de la classe 9 sont consacrés à
la comptabilité analytique d’exploitation. Ils sont destinés à faire apparaître en
fin d’exercice, à partir des données de la comptabilité générale, les différents
éléments constitutifs du prix de revient des productions réalisées par une
entreprise ou des services rendus par elle. Dans le cadre de la comptabilité de
l’État, au contraire, les comptes de classe 9 forment une structure primaire
utilisée par tous les comptables de l’État. Dans cette structure, s’insèrent, au jour
le jour, les opérations d’exécution de la loi de finances, en fonction d’une
classification administrative qui est celle des documents budgétaires. En fin de
gestion, ils indiquent les résultats de l’exécution du budget en termes d’excédent
ou de découvert. Leurs éléments composants sont alors repris par les services de
l’agence comptable centrale du Trésor qui les redistribue dans les comptes des
classes 6 et 7, afin qu’ils puissent s’intégrer dans la comptabilité économique
nationale.
Le calcul du coût des services rendus et le contrôle du rendement sont encore très
embryonnaires. Mais les techniques de rationalisation des choix budgétaires
32
s’inspirent des données de la comptabilité analytique ».
La doctrine universitaire n’en dira pas beaucoup plus, laissant,
quand l’occasion se présente, aux praticiens le soin d’évoquer le
décret de 1962. C’est ainsi que dans la remarquable Histoire du droit
des finances publiques, ouvrage d’essence purement universitaire,
paru en 1986, commentant les principaux textes du droit budgétaire
et comptable 33 , la présentation de celui-ci sera l’œuvre de Paul
Guerrier, trésorier-payeur général des Alpes-Maritimes : il trouvera
ainsi l’opportunité de consacrer à son tour quelques développements
relatifs à « la normalisation des comptabilités publiques sur la base
du plan comptable général 34 ». Et au final, au stade de l’inventaire
de l’existant dès lors que la LOLF s’est imposée, l’impression
dominante concernant le décret est bien celle d’une « ambition
unificatrice » posée au « début des années 1960 » mais qui « s’est
évanouie au fil du temps » pour reprendre les mots de Michel
Bremond, fonctionnaire à l’Assemblée nationale et réalisant en 2002
le commentaire du tout nouvel article 27 de la LOLF, premier des
articles « comptables » de celle-ci :
« L’article 49 du décret de 1962 précité posait, à cet égard, les fondations d’un
édifice qui, en ce qui concerne l’État, est resté très largement inachevé : “la
comptabilité des organismes publics a pour objet la description et le contrôle des
opérations ainsi que l’information des autorités de contrôle et de gestion”. À cet
effet, elle doit être organisée en vue de permettre : “la connaissance et le
contrôle des opérations budgétaires et des opérations de trésorerie”, “la
connaissance de la situation du patrimoine”, “le calcul des prix de revient, du
coût et du rendement des services”, “la détermination des résultats annuels” et
“l’intégration des opérations dans la comptabilité économique nationale”. Pour
l’État, la comptabilité comprend une comptabilité générale et des comptabilités
spéciales […] Par ailleurs, il peut être institué dans chaque service, par arrêté du
ministre des Finances, “une ou plusieurs comptabilités analytiques” (article 132
du décret de 1962). Dans la conception développée par le décret de 1962, la
comptabilité générale est donc le support naturel destiné à la description des
opérations budgétaires. La réalité s’est quelque peu éloignée de ce schéma : la
comptabilité générale ne retrace les opérations budgétaires que sous une forme
très agrégée, dans les comptes dits “de classe 9”, laissant à deux comptabilités
auxiliaires le soin de détailler respectivement les dépenses et les recettes,
comptabilisées selon les règles posées par l’article 16 de l’ordonnance de 1959.
Ces deux comptabilités auxiliaires sont très fines, puisque près de 30 000 lignes
sont utilisées pour l’imputation des dépenses et près de 900 lignes pour celle des
recettes. Il est vrai que, par définition, le suivi de l’exécution des lois de finances,
en dépenses, impose de distinguer les opérations selon les ministères, donc
oblige à multiplier les lignes d’imputation selon cet “axe”. Au contraire, la
comptabilité générale s’appliquant à l’État tout entier, les données relatives aux
ministères sont indiscernables. Abandonnant aux comptabilités auxiliaires la
description précise des opérations budgétaires, la comptabilité générale de l’État
s’est développée dans le sens d’une description détaillée des relations avec les
tiers – très nombreux, compte tenu du rôle unique de l’État – et de certains
éléments à caractère patrimonial, notamment les dettes. En revanche, le
domaine des immobilisations a longtemps été laissé quasiment en friche, de
35
même que celui des comptes de charges et de produits ».

B. Une rénovation de la gestion financière de l’État in fine


amorcée et consacrée par la Cour des comptes
L’instruction n° 87-128 PR du 29 octobre 1987 va offrir une nouvelle
fois l’opportunité aux praticiens de la comptabilité publique de
signifier tous les efforts entrepris pour rapprocher celle-ci du plan
comptable général en raison de la révision de ce dernier
précisément. Les articles se succèdent ainsi à la Revue du Trésor et se
veulent particulièrement suggestifs : « Le plan intérimaire de
modernisation des comptabilités de l’État 36 », « La réforme de la
comptabilité générale de l’État 37 », « Le nouveau plan comptable de
l’État adapté au plan comptable général 38 ». À la suite de cette
première salve propre à l’année 1988, vont intervenir
successivement, et tout d’abord, un « Plaidoyer pour les règles de la
comptabilité publique » sous la plume de Pierre Lefèbvre, directeur
adjoint des services départementaux des services du Trésor 39 , avant
de voir la démarche peu de temps après s’intégrer à la fameuse
politique dite de « renouveau du service public » voulue et définie
par le premier ministre de l’époque, Michel Rocard, par voie de
circulaire en date du 23 février 1989 : Bernard Limal, administrateur
civil, chef du bureau C3 à la direction de la Comptabilité publique,
relate tout particulièrement dans son article l’existence d’un
séminaire gouvernemental qui s’est tenu le 21 septembre 1989
faisant de l’aménagement de ces procédures financières et
comptables une priorité de cette politique de renouveau 40 .
Il sera pourtant nécessaire d’attendre la période 1994-1995 pour voir
se développer sur une autre échelle l’idée d’une rénovation de la
gestion financière de l’État par l’intermédiaire du décret du 29
décembre 1962. Jacques Perreault, directeur adjoint à la direction de
la Comptabilité publique, se fait le porte-parole de l’évolution que
porte intrinsèquement en lui-même le décret. Deux études
paraissent ainsi à la Revue du Trésor, particulièrement expressives de
l’état d’esprit qui est dorénavant celui des animateurs de la
comptabilité publique.
La première débute en ces termes :
« Selon l’article 49 du décret du 29 décembre 1962 sur la comptabilité publique,
le système comptable de l’État a pour objet :
– de décrire avec transparence et exactitude les opérations patrimoniales,
financières, budgétaires réalisées par l’État dans le cadre de ses diverses activités
;
– de permettre le contrôle de ses opérations par les autorités chargées de leur
examen au vu des états chiffrés et des pièces justificatives issues de cette
comptabilité ;
– d’informer avec précision et rapidité les décideurs publics chargés de la
conduite et de la gestion des affaires de l’État de la situation des finances
publiques de manière à ce que les décisions qu’ils auront à prendre puissent
l’être en toute connaissance de cause.
Adapté du plan comptable général, selon l’article 133 du décret, le plan
comptable de l’État applique les grands principes – image fidèle, régularité,
sincérité – de même que les techniques de la comptabilité privée, partie double,
41
classement décimal des opérations …»
La seconde étude 42
se veut tout autant précise à l’égard du décret
de 1962 :
« Les textes relatifs à la comptabilité publique font référence au plan comptable
général qui s’applique à l’ensemble des organismes de droit privé.
Le décret du 29 décembre 1962 qui est le texte réglementaire de base dispose : “la
nomenclature comptable de l’État s’inspire du plan comptable général approuvé
par arrêté du ministre des Finances…”
La référence au plan comptable général (PCG) se justifie dans la mesure où :
– il prévoit un classement rationnel des opérations et des procédures logiques ;
– il institue un langage absolument commun à tous les comptables ;
– il laisse ouverte la perspective d’une consolidation comptable de tout le secteur
public national, ce qui est important pour comparer les finances publiques
43
internationales et spécialement européennes ».
La perspective prochaine de la qualification à l’euro dans le cadre de
la mise en œuvre du traité de Maastricht est naturellement le
moteur d’un processus réformateur. Les efforts qui ont été entrepris
afin tout spécialement de mettre plus rapidement à disposition des
décideurs l’information financière dont ils ont besoin sont ainsi
spécifiquement datés par Jacques Perreault :
« Engagés depuis 1992, des efforts considérables de planification ont été menés
avec notre opérateur principal, l’agence comptable centrale du Trésor et tout le
réseau du Trésor public. Depuis quatre ans, nous nous attachons à progresser
chaque année : le compte général de l’administration des Finances devrait être
signé fin mai 1995, soit environ dix jours plus tôt qu’en 1994 ».
L’optique poursuivie se veut à cet instant clairement déterminée :
« l’organisation de la comptabilité publique contribue à la gestion moderne des finances
de l’État, dès lors qu’elle s’appuie sur des techniques modernes et une stricte
44
discipline de production comptable à tous les échelons ».
Le processus réformateur va s’inscrire dans une autre dimension
dans le cadre de la « mission comptabilité patrimoniale » initié par
Jean Arthuis, ministre de l’Économie et des Finances : confiée à Jean-
Jacques Francois, agent comptable central du Trésor, cette « mission
» engendrera la réalisation d’un rapport, « Le système financier de
l’État en question », qui sera présenté le 30 juin 1998 à Dominique
Strauss-Kahn, ministre de l’Économie et à Christian Sautter,
secrétaire d’État au Budget. Ce rapport, non publié, donna lieu à la
production d’un communiqué de presse du ministère de l’Économie,
des Finances et de l’Industrie en date du 23 septembre 1999 qui
apporte un certain nombre de précisions importantes quant à la
démarche poursuivie :
« Contrairement aux informations diffusées ce matin, ce rapport n’est pas resté
secret. Il a été communiqué aux institutions compétentes en la matière,
notamment le Parlement et la Cour des comptes ; les services du ministère de
l’Économie, des Finances et de l’Industrie ont, depuis la remise du rapport,
travaillé à la mise en œuvre des recommandations qu’il contient, notamment en ce qui
concerne la gestion du patrimoine immobilier et la modernisation des règles comptables
publiques. À cette fin, une mission permanente de modernisation du système
financier et comptable de l’État a été mise en place, à la demande des deux
ministres ; ces décisions s’insèrent dans le processus ambitieux de réforme de
leur administration, qui, après la fusion entre le ministère de l’Économie et des
Finances et le ministère de l’Industrie, connaît une nouvelle étape depuis avril
1999 ».
Le Parlement, et tout particulièrement le Sénat, aura l’occasion
d’utiliser le rapport Francois à l’appui de ses analyses pour souligner
les faiblesses du système comptable français 45 . La Cour des
comptes, pour sa part, effectuera une analyse tout à fait objective de
la situation pour souligner les lacunes initialement constatées, mais
aussi les indéniables progrès enregistrés tout spécialement dans le
cadre du compte général de l’administration des Finances (CGAF)
pour 1999 :
« Cette nouvelle présentation met fin à un système de comptabilisation
totalement artificiel qui ne répondait ni aux besoins d’information sur le
contenu et la valeur du patrimoine de l’État, ni aux attentes des gestionnaires des
administrations quant aux coûts des immeubles et équipements utilisés.
Lors de la réforme du plan comptable de l’État intervenue en 1988, faute de
clarifications suffisantes des concepts et de préparation appropriée des moyens à
mettre en œuvre, une solution a minima a été retenue, consistant à enregistrer
uniquement les dépenses d’investissement réalisées à partir de 1981, sans prise
en compte de l’inventaire valorisé des immobilisations existantes à cette date […]
Or, l’État dispose évidemment d’outils, certes insuffisants et disparates, pour
connaître et évaluer son patrimoine. Les travaux réalisés depuis plusieurs
années, et plus particulièrement à compter de 1995, ayant pour objectif de
mettre en place une “comptabilité patrimoniale” ont conduit le Gouvernement à
inscrire un volet “immobilisations” très substantiel dans le programme
pluriannuel de travail sur la modernisation de la comptabilité de l’État. Les
innovations introduites dans la présentation du bilan de 1999 sont substantielles
: elles sont conçues pour être approfondies et prolongées par des travaux à
réaliser au cours des années à venir, sans qu’un calendrier précis ait pu être
établi, à ce stade. Ces travaux porteront à la fois sur les concepts comptables (par
exemple principes et règles d’amortissement de certaines catégories
d’immobilisations) sur les outils de connaissance du patrimoine, en particulier le
tableau général des propriétés de l’État – TGPE –, et sur les informations à
fournir aux gestionnaires, utilisateurs de ces immobilisations en liaison avec la
46
modernisation des gestions publiques ».
La Cour des comptes devait en tirer les « Conclusions » suivantes :
« 2. La nouvelle présentation répond, dans des conditions acceptables, à l’un des
objectifs recherchés : fournir une information plus complète et plus compréhensible sur
la situation patrimoniale de l’État. Des perfectionnements sont d’ores et déjà
envisagés dans le cadre de plus général du “programme de travail sur la
modernisation de la comptabilité de l’État”.
3. Le second objectif est formulé, de manière très pertinente, dans la note remise
aux membres du Comité des normes lors de la réunion du 7 mars 2000 dans les
termes suivants : soutenir une démarche de performance dans la gestion des services
publics : enregistrer des coûts complets intégrant des charges ne donnant pas lieu
à décaissement et engager une gestion plus économique et dynamique des actifs
publics. Donner aux services des outils de mesure concrets permettant de juger de
47
l’efficacité de leur action ».
Le rapporteur général du budget à l’Assemblée nationale, Didier
Migaud, devait, quelques jours après la publication du rapport de la
Cour, déposer la proposition de loi qui allait donner naissance à la
fameuse LOLF 48 qui préside aujourd’hui aux destinées budgétaires
du pays et qui implique encore quelques changements en termes de
règlement général sur la comptabilité publique… mais dans la plus
grande continuité des dispositifs prévus et activés par le décret de
1962.

NOTES
1. Cette publication fait suite à une communication réalisée le 31 mars 2009 dans le cadre de
l’Institut de la gestion publique et du développement économique et du séminaire « Histoire
de la gestion des finances publiques de 1815 à nos jours » organisé par le Comité pour
l’histoire économique et financière de la France.
2. Les articles 49 à 57 du décret sont constitutifs du Titre IV « Comptabilité » de la première
partie intitulée « Principes fondamentaux ».
3. Quand ces ouvrages ne sont pas l’œuvre de praticiens étroitement associés à
l’université…
4. « Libero Docente di Ragioneria Pubblica presso l’Università di Bologne e Preside
dell’Istituto Tecnico Commerciale di Lugo di Romagna (Italia) ».
5.RSF, 1963, p. 738 à 767.
6.La comptabilité publique – Les principes, PUF, 1957.
7.Comptabilité publique, PUF, 1978, coll. « Thémis », p. 19.
8.Op. cit, p. 15.
9.Op. cit, p. 18.
10.RSF, 1971, p. 380 et suiv.
11.Le droit de la comptabilité publique, Armand Colin 1971, coll. « U ».
12.Comptabilité publique, op. cit.
13.Principes de comptabilité publique, Précis Dalloz 2e éd. 1981, p. 6.
14.Comptabilité publique, op. cit., p. 17.
15.Finances publiques, PUF, coll. « Thémis », 10e éd. 1984, p. 397 : « Sur la comptabilité
publique, cf. J. Magnet, Comptabilité publique, 1978 (coll. Thémis) ; voir aussi G. Devaux, La
comptabilité publique, 1957 ; L. Di Qual, Le droit de la comptabilité publique, 1971 ; J. Dupont, La
réforme de la comptabilité de l’État (Bulletin de l’adm. centr. de l’Économie et des Fin., 1970,
juill.-sept. p. 41, et oct.-déc., p. 36) ; Le plan comptable et la comptabilité de secteur public (Stat.
et étud. fin., 1959, p. 1553 ; de Grandsaignes d’Hauterive, La réforme de la comptabilité
publique, Annales de finances publiques, n° 4). A.-P. de Mirimonde, La comptabilité publique et
la comptabilité industrielle de l’État (ibid.) ».
16. Signé P. C. et G. M., p. 175-176.
17. P. 207-208. L’article avait été préalablement publié par la Revue française de comptabilité
dans son numéro de février 1963.
18.Bulletin n° 20, janvier-mars 1963, p. 78-79.
19. Article paru dans le quotidien Le Figaro du 3 janvier 1963, reproduit dans le numéro
spécial de novembre 1987 que La Revue du Trésor consacra aux 25 ans du décret de 1962, p.
703.
20. Article signé Jean-Pierre Adine, et paru dans le quotidien Combat du 3 janvier 1963,
reproduit dans le numéro spécial de novembre 1987 que La Revue du Trésor consacra aux 25
ans du décret de 1962, p. 703.
21.Revue du Trésor, juillet-août 1972, p. 221-248.
22.Op. cit., p. 219.
23. « Une convergence sous-jacente sur des concepts évolutifs », Revue du Trésor, novembre
1987, p. 743.
24. « Le décret de 1962 : l’ouverture à une description comptable conforme aux principes
généralement admis », Revue du Trésor, novembre 1987, p. 741. Extraits : « Le texte de 1962
était particulièrement novateur dans la mesure où, pour la première fois, la comptabilité
publique se référait à la doctrine comptable communément admise à l’époque… Une
nouvelle étape a été franchie en 1970 par la mise en vigueur d’une nouvelle comptabilité de
l’État qui complète la description de l’exécution des opérations de lois de finances, analysée
à partir des flux de trésorerie par une comptabilité de type patrimonial ». Étape qui en
appelle de nouvelles : « Reste que, comme toute œuvre, celle-là reste inachevée, ne serait-ce
qu’en raison des enrichissements apportés par le plan comptable de 1982. La rénovation de
l’instrument technique doit permettre de répondre aux nouvelles exigences d’une gestion
efficace ».
25.Revue du Trésor, novembre 1987, p. 704.
26.Op. cit., p. 706.
27. « À propos du 25e anniversaire du décret du 29 décembre 1962 portant règlement
général sur la comptabilité publique », Revue du Trésor, novembre 1987, p. 700.
28.Op. cit., p. 701.
29. « Le décret du 29 décembre 1962 et l’enseignement universitaire », Revue du Trésor,
novembre 1987, p. 732.
30.Les finances publiques, Armand Colin, coll. « U », p. 324.
31.Op. cit., p. 361 à 365.
32.Droit budgétaire, Litec, p. 745 à 748.
33. Études coordonnées par Henri Isaia et Jacques Splindler, Économica, coll. « Finances
publiques ».
34. « Le décret du 29 décembre 1962 portant règlement général sur la comptabilité publique
et le décret du 13 novembre 1970 relatif à la déconcentration du contrôle financier », in
Histoire du droit des finances publiques, op. cit., p. 358 et suiv.
35. In La réforme du budget de l’État – La loi organique relative aux lois de finances, ouvrage
coordonné par Jean-Pierre Camby, LGDJ, coll. « Système Droit », p. 186-187.
36. J.-F. Berthier, juillet 1988, p. 416 et suiv.
37. J.-P. Cordeau, août-septembre 1988, p. 498 et suiv.
38. E. Bertuzzi, novembre 1988, p. 648 et suiv.
39.Revue du Trésor, mai 1989, p. 241 et suiv.
40. « Renouveau du service public et procédures budgétaires et comptables, où en sommes-
nous ? », Revue du Trésor, novembre 1992, p. 710.
41. « Comptes de l’État, les synthèses budgétaires et de trésorerie, un outil important de
pilotage et de contrôle des finances publiques », Revue du Trésor, janvier 1994, p. 19.
42. Il s’agit plus exactement de l’intervention de M. Perreault réalisée dans le cadre du
colloque des 4 et 5 mai 1995 CIGAR (Comparative International Governmental Accounting
Research).
43. « Le système français de comptabilité publique, appliqué aux comptes de l’État », Revue
du Trésor, octobre 1995, p. 591.
44.Ibid., p. 594.
45. Cf. le rapport d’information Lambert n° 37 (session 2000-2001) en date du 19 octobre
2000.
46. Cour des comptes, rapport sur l’exécution des lois de finances en vue du règlement du
budget de l’exercice 1999, « Note sur les innovations introduites dans les comptes, le bilan et le
rapport de présentation du CGAF 1999 », juin 2000, JORF n° 4401, p. 394. Voici, pour entrer un
peu plus dans les détails, la teneur des améliorations apportées au CGAF 1999 et constatées
par la Cour dans les pages précédentes de son rapport : « Le système comptable de l’État est
caractérisé par une articulation entre des nomenclatures budgétaires et une nomenclature
de comptabilité générale. Cette dernière permet de retracer la situation patrimoniale de
l’État, en particulier sous forme d’un bilan. La nécessité d’améliorer les informations
comptables publiées, afin de fournir dans le bilan dans les commentaires qui
l’accompagnent une description plus complète des créances et des dettes de l’État a été
évoquée de longue date. Les services du ministère de l’Économie, des Finances et de
l’Industrie, chargés de la préparation des comptes publics ont réalisé des progrès
considérables en ce domaine. La Cour, pour sa part, n’a pas manqué de les saluer, tout en
souhaitant que de nouvelles étapes soient franchies. Tel est le cas pour le compte général de
l’administration des Finances (CGAF) pour 1999 et pour son rapport de présentation. Ce
dernier comporte une description détaillée du système comptable de l’État et énonce le
cadre général de la réforme de la comptabilité de l’État qui est engagée, et dont le CGAF
1999 ne constitue que la première étape. Quatre innovations principales ont été réalisées :
– présentation de la dette en “droits constatés” ;
– provisionnement des principales créances fiscales ;
– refonte et amélioration des informations comptables relatives au patrimoine de l’État :
nouvelle évaluation des immobilisations corporelles et clarification pour les données
publiées relatives aux dotations et participations ;
– publication, dans le rapport de présentation, d’une véritable annexe au bilan, fournissant
de nouvelles informations sur les engagements hors bilan… ».
47.Op. cit., p. 400-401.
48. Proposition de loi organique relative aux lois de finances, doc. A.N. n° 2540, 11e
législature, 11 juillet 2000.

AUTEUR
MATTHIEU CONAN

Matthieu Conan est professeur agrégé de droit public à l’université de Paris-Ouest-


Nanterre-La Défense. Il y assure la fonction de doyen de l’UFR Droit & Science politique
depuis 2009, après y avoir dirigé durant deux années l’IPAG. Auteur d’une thèse de doctorat
consacrée à La non-obligation de dépenser (Bibliothèque de Science financière, LGDJ 2004,
Paris, 425 p., préface de Lucile Tallineau), il enseigne les finances publiques et le droit fiscal
au sein des M2 Droit public général et M2 Gestion des collectivités territoriales de l’UFR,
ainsi que dans la Préparation aux concours administratifs de catégorie A de l’IPAG. Il
codirige, par ailleurs, depuis 2008 le Centre de recherche sur le droit public (CRDP) de
l’université. Il vient de participer au commentaire et à l’annotation de la troisième édition
du Code des juridictions financières à paraître aux éditions du Moniteur en début d’année 2013,
après avoir assuré l’actualisation de la sixième édition du Mémento Finances locales, en
collaboration avec le professeur Raymond Muzellec. En préparation avec le même auteur, la
seizième édition du manuel Intégral concours Finances publiques aux éditions Dalloz-Sirey.
Matthieu Conan est membre du Conseil des prélèvements obligatoires depuis le mois de
juillet 2012.
Élaboration, mise en œuvre et
évolution du décret de 1962 depuis ses
origines
Vincent Feller

Introduction
Praticien plus que théoricien de la comptabilité publique, j’ai
cherché à identifier quelques idées permettant de mieux
comprendre la genèse du décret n° 62-1587 modifié du 29 décembre
1962 portant règlement général sur la comptabilité publique, que
tant l’administration que le juge des comptes appellent plus
volontiers le règlement général ou le RGCP. Ce sont l’une ou l’autre
de ces appellations qui seront utilisées ci-après.
Pour préparer cette intervention, outre le fruit de mon expérience
personnelle, j’ai utilisé les actes du colloque organisé par le Comité
pour l’histoire économique et financière de la France en 1992 pour
célébrer les trente ans du RGCP, les archives du ministère public de
la Cour des comptes ainsi que les archives d’autres administrations
ou instances consultatives.
Parler du règlement général, c’est évoquer un monument, un chef-
d’œuvre de la production administrative qui touche chaque
contribuable lorsqu’il doit s’acquitter de ses obligations fiscales et
chaque agent public directement lorsqu’il est chargé de gérer les
aspects financiers d’une politique publique, ou lorsqu’il se trouve
confronté à exposer des dépenses qui lui seront remboursées ou
bien, indirectement, lors du paiement de ses émoluments et, plus
tard, de sa pension de retraite lorsqu’il s’agit d’un agent titulaire.
Parler du RGCP suppose beaucoup de révérence. Pourquoi marquer
de la révérence à l’égard du RGCP ? Ce texte faisait la synthèse de
plus de cent cinquante ans de pratique de la recette et de la dépense
publiques, en cela c’était un texte de codification, comme le montre,
si l’on était tenté d’en douter, l’impressionnante liste des textes ou
dispositions dont l’abrogation est prononcée ou la caducité constatée
par son article 228, liste qu’il convient d’augmenter de celle
constituant l’état G de la loi de finances pour 1963, s’agissant des
textes de portée législative qui avaient jalonné la formalisation du
principe de responsabilité personnelle et pécuniaire des comptables
publics. Au-delà de la codification, c’était aussi un texte rendu
nécessaire par l’étiolement du règlement général précédent du 31
mai 1862, progressivement abrogé. Une première tentative prévue
par le décret-loi n° 53-714 du 9 août 1953 1 avait échoué, les
nombreux « règlements d’administration publique » prévus pour son
application et conditionnant explicitement son entrée en vigueur
n’étant jamais intervenus. L’ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959
portant loi organique relative aux lois de finances prescrivait
d’ailleurs des mesures d’application en loi de finances pour
l’imposition aux agents des services publics de responsabilités
pécuniaires mentionnée au second alinéa de l’article premier et des
mesures d’application par voie réglementaire dans son article 45 qui
disposait :
« Des décrets en Conseil d’État, pris sur le rapport du ministre des Finances,
pourvoiront en tant que de besoin à l’exécution de la présente ordonnance. Ils
contiendront notamment toutes dispositions de nature à assurer la bonne
gestion des finances publiques et relatives à la comptabilité publique. Ils
régleront la présentation comptable du budget général, des budgets annexes et
des comptes spéciaux, et notamment la nomenclature des dépenses ordinaires et
en capital, des investissements et des prêts et le plan comptable de l’État. »
Le règlement général a pu sembler tellement parfait qu’il n’y a été
porté que très peu de modifications depuis 1962. La décentralisation
ainsi que la révision de l’organisation budgétaire des collectivités
territoriales commencée en 1994 avec les communes et en 2002 pour
les établissements publics de santé a laissé l’édifice intact, mais au
prix de renvois multiples ou de reproduction de ses dispositions
dans les différentes législations ou réglementations applicables. En
outre, la codification n’avait pas été complète et le texte de 1962
avait laissé de côté un certain nombre de dispositions. Cette longue
période de stabilité s’est prolongée au-delà du vote et de la mise en
œuvre progressive de la loi organique relative aux lois de finances
(LOLF). Préparé dans les mêmes délais et à la même époque que le
concile Vatican II, il ne fait pas de doute que le RGCP a besoin
aujourd’hui d’un « aggiornamento ».
Il convient tout d’abord de redéfinir le concept de comptabilité
publique. S’il fallait résumer à très peu de choses l’essence de la
comptabilité publique, il faudrait partir des deux causes successives
qui la rendent irréductible à la comptabilité privée. La première,
c’est la nécessité de veiller au respect de l’autorisation de percevoir
les recettes et d’exécuter les dépenses quelle que soit la personne
morale de droit public qui l’a accordée. La seconde cause est
d’assurer la continuité des services publics en assurant la
disponibilité des fonds correspondant aux autorisations, à tout
moment et pour l’ensemble des organismes. Pour y parvenir, la
France s’est servie du système prévalant sous l’Ancien Régime, où
existait une séparation entre celui qui prescrit la recette ou la
dépense, l’ordonnateur, et celui qui exécute matériellement
l’encaissement de la recette ou le décaissement de la dépense, le
comptable. Il s’agit là de la seconde cause, successive de la première.
Pour s’assurer que l’autorisation budgétaire est respectée, le
comptable est institué pour surveiller l’ordonnateur. Le comptable
est placé dans une ligne hiérarchique différente de l’ordonnateur et il
est responsable sur ses biens propres du respect des obligations que
la loi lui impose. Cette responsabilité peut être mise en cause à tout
moment par le ministre chef de l’administration dont dépendent
tous les comptables publics. Cette responsabilité se trouve également
engagée sur les comptes annuels que le comptable public adresse au
juge des comptes.
L’organisation administrative qui a été choisie à la Révolution et qui
n’a jamais été remise en cause depuis lors fait de l’État son propre
caissier. Il a ainsi déployé, au soutien de ces principes, une
administration financière étendue. En ces temps de réorganisation à
marche forcée des processus administratifs et de recherche de
rationalisation de l’action administrative, on peut se demander si ce
dispositif très particulier se justifie encore. Dans les pays qui ne
connaissent pas ce système, comme au Royaume Uni, des principes
de base restent identiques quant à l’objet de la comptabilité publique
:
« The relationship between the government, acting on behalf of the Crown, and
Parliament, representing the public, is central to how public resources are managed.
Ministers seek to implement government policies, and deliver public services, through
public servants ; but are able to do so only when Parliament grants the right to raise,
commit and spend resources. It falls to the Treasury to respect and secure the rights of
2
both government and Parliament in this process .»
Et aux obligations qui en découlent : « The duty to safeguard public
funds is invariant. But how it is carried out will change over time 3 . »
Toutefois, ce sont les banques commerciales qui manient les fonds
des administrations et les effectifs de la Treasury comme ceux des
administrations fiscales sous les ordres directs du chancelier de
l’Échiquier sont réduits. Cette conception philosophique de la
comptabilité publique doit cependant trouver un point d’appui
pratique.
En s’essayant à donner une définition de la comptabilité publique,
Jacques Magnet observait que pour la première fois, à l’occasion des
décrets-lois précités, pris en application d’une loi d’habilitation, des
9 août (n° 53-714) et 30 septembre 1953 (n° 53-948), un texte
réglementaire posait une définition de la comptabilité publique dans
les termes suivants : « Les règles de la comptabilité publique ont
pour objet de déterminer les obligations et les responsabilités des
ordonnateurs de dépenses publiques des ordonnateurs de recettes
publiques et des comptables publics. » Jacques Magnet estimait,
néanmoins, que cette définition légale était, d’une part, caduque, ce
texte par ailleurs jamais appliqué ayant été abrogé en 1963 4 et,
d’autre part, incomplète. En effet, les qualités d’ordonnateur et de
comptable n’étant pas immanentes, manquait encore la définition de
ce qu’ils faisaient ainsi que celle des règles ne s’appliquant pas
exclusivement à l’exercice de leurs fonctions. Selon lui, la
comptabilité publique sera donc constituée de l’ensemble des règles
juridiques et techniques applicables aux opérations financières des
organismes publics 5 . Pour autant, l’identification de ces règles n’a
jamais été un exercice aisé. Droit de praticiens, écrit, appliqué et le
plus souvent arbitré par eux, ce droit est resté soumis avec une
intensité variable au respect de la hiérarchie des normes.
Je citerai quelques exemples pour illustrer mon propos. Le décret de
1862 avait une ombre, l’instruction générale sur le service et la
comptabilité du 20 juin 1859. Cette instruction est un des textes
d’applications du décret de 1862. Cette instruction constitue encore
une curiosité historique. En effet, elle rassemblait en un document
unique l’ensemble des règles que les comptables devaient connaître
pour occuper n’importe quel poste sur le territoire. Sa lecture donne
au lecteur d’aujourd’hui un panorama détaillé de l’organisation
administrative du milieu du XIXe siècle. C’est elle qui pose le
principe d’immutabilité du compte. De même, le décret de 1962 est
une règle d’application d’une loi qui lui est postérieure, la loi de
finances du 23 février 1963. On a aussi, en matière de contrôle
économique et financier, un décret du 9 août 1953 qui est une
mesure d’application d’un décret de mai 1955. Il y a là le constat
d’une collection de textes qui s’accumule et qui est connue de tous
ceux qui sont chargés de les appliquer. Ce droit de la comptabilité
publique est aussi un droit qui connaît un contentieux peu
développé. En effet, au sein des administrations d’État, aucune des
parties prenantes n’a d’intérêt pour agir. Un ministre ne peut pas
attaquer les textes du ministre chargé des Finances. Le contentieux
n’est possible que lorsque il y a des personnes civiles distinctes. Ce
système peut ainsi fonctionner pendant très longtemps sans remise
en cause 6 . Ce système conduisant à accumuler des règles de droit
au moyen d’instruments divers est juridiquement éminemment
critiquable. Il emportait aussi d’autres défauts, notamment l’absence
de certitude quant à l’exhaustivité des recueils de normes.
Et je crois qu’un des problèmes du fonctionnement de la
comptabilité publique, c’est bien cela. C’est une collection de textes
de toutes natures, tous niveaux juridiques et qu’il faut arriver de
temps en temps à remettre en ordre pour s’y retrouver. C’est
pourtant avec un peu d’irrévérence que commencera cette
contribution. On pourrait dire, en effet, du règlement général sur la
comptabilité publique qu’il ne s’agit pas d’un règlement, qu’il n’est
pas vraiment général et que, somme toute, il parle assez peu de
comptabilité publique.
I. Pourquoi un nouveau règlement général en
1962 ?
On distinguera le contexte préexistant à l’intervention du RGCP (A)
de la méthode suivie pour l’élaborer (B).

A. État des lieux à la fin de la IVe République

Pendant les cent années qui se sont écoulées entre le 31 mai 1862 et
le 29 décembre 1962, qu’est-il advenu à la comptabilité publique ?
On peut distinguer entre les évolutions institutionnelles ou
réglementaires (1) et les évolutions tenant à celle des mentalités (2).

1. Les évolutions institutionnelles et réglementaires

a. Évolutions institutionnelles

De nombreuses législations sont venues progressivement compléter


ou se substituer au texte de 1862. C’est d’abord la création du
contrôle des dépenses engagées à partir de 1890, refondé en 1922 et
étendu en 1935 et en 1970 7 .
Ensuite, la création de la direction du Budget et du Contrôle
financier en 1919 est importante 8 . Avec la distinction entre
fonction budgétaire et fonction comptable, c’est toute une partie de
la gestion publique qui échappe à la direction générale de la
comptabilité publique.

b. Évolutions réglementaires

Le développement extraordinaire des activités industrielles et


commerciales assumées par la puissance publique à partir de la
première guerre mondiale fait apparaître qu’un système de
comptabilité fondé sur le contrôle du respect des autorisations ne
fonctionne pas ou ne fonctionne pas bien, et surtout n’est pas adapté
à la rapidité d’exécution des opérations. La gestion des dépenses
militaires a de même largement échappé à tout contrôle à travers
l’utilisation de règles spécifiques « aux armées en campagne » et à ce
qui fut formalisé en 1948 sous l’appellation de « comptes de
commerce », c’est-à-dire de simples « caisses », expression utilisée
par le général Navarre dans ses mémoires 9 , où la seule règle à
respecter est celle du montant du découvert autorisé.
La seconde guerre mondiale a été, dans ce domaine, également une
période d’intenses réflexions. Deux personnalités ont marqué cette
période : Roger Goetze et Gilbert Devaux. Leurs réflexions portaient
sur la compréhension des mécanismes ayant conduit au grand
désordre des finances de l’État pendant toute la période de l’entre-
deux-guerres, sur ce qui avait rendu obsolète l’organisation
budgétaire et comptable de la IIIe République et sur ce qu’il
convenait de changer. Une des grandes idées de Roger Goetze, je
crois, était que le budget était un acte essentiellement juridique, qui
manquait de consonance de nature économique, alors même que
l’ampleur des masses financières en jeu rendait cette dimension
fondamentale. Du jour où Roger Goetze devint directeur du Budget
en 1947, il s’est efforcé de faire rentrer cette dimension de
l’économie dans le droit et la pratique budgétaire. Il a fallu
pratiquement neuf ans, puisque c’est le décret du 19 juin 1956 qui en
est la première manifestation, décret qui n’a été appliqué qu’une
année pour le budget de 1958 10 . L’ordonnance organique de 1959 en
est la fille et est très largement inspirée par ce décret 11 . Dans le
même mouvement, la direction de la Comptabilité publique dirigée
par Gilbert Devaux entreprend de réformer les textes organisant la
comptabilité publique. La loi déjà mentionnée du 11 juillet 1953
autorisait le Gouvernement à régler par décret la responsabilité des
comptables publics et les obligations administratives des
ordonnateurs. Les deux textes du 9 août et du 30 septembre 1953
interviennent rapidement mais ne seront pourtant jamais appliqués.

2. L’évolution des mentalités

Depuis la fin du XIXe siècle, la mission centrale des comptables


publics est de payer ou d’encaisser de manière régulière. Les
tentatives d’enrichissement de cette mission n’ont eu qu’un succès
mitigé.
Le rapport Labeyrie de 1936 comportait des appréciations
vigoureuses et négatives sur le fonctionnement du ministère des
Finances 12 . Émile Labeyrie avait des idées très fortes et quasiment «
lolfiennes ». Il tenait pour essentiel dans l’expression « comptabilité
publique » le fait qu’elle appelait la tenue d’une comptabilité. Pour
lui, le système de la « caisse » était secondaire. Le ministère des
Finances aurait beaucoup à gagner à déléguer sa gestion à
l’administration des Postes 13 et à se consacrer à ce qui était
important, tenir une comptabilité. Ses idées n’ont pas été suivies. Il y
eut simplement une réforme du fonctionnement de la Cour des
comptes. N’oublions pas toutefois que lorsque Roger Goetze effectue
un contrôle conjoint pour l’Inspection générale des finances et la
Cour des comptes sur de mêmes postes comptables juste avant la
guerre, Émile Labeyrie est alors premier président. Ce rapport
Labeyrie a certainement laissé des traces dans les esprits. En effet, le
pendant des réflexions de Roger Goetze sur le budget se trouve à la
direction de la Comptabilité publique des années 1950. On commence
à s’y interroger sur l’articulation des missions du service et leur
utilité. En d’autres termes : « À quoi ça sert tout ce que l’on fait ? La
finalité de notre mission est-elle seulement de vérifier par nos
écritures que l’autorisation budgétaire est respectée à la lettre et que
l’on exécute bien les recettes et les dépenses suivant les formes
prescrites par les règlements sous le contrôle du juge des comptes ?
Est-ce qu’il n’y a pas une autre dimension ? Une dimension de nature
comptable, patrimoniale, économique ? » On retrouve ces débats
dans le libellé de l’article 49 de l’actuel RGCP ainsi que dans les
travaux préparatoires de ce décret. Ce sont en effet des questions
que l’on retrouve formulées de manière plus ou moins explicite dans
les avis de la Cour des comptes ou du Conseil d’État sur le projet de
RGCP de 1962. Ils fondent les débats contemporains sur la portée et
les limites de la tenue d’une comptabilité patrimoniale. Ce sont ceux
que l’on retrouve encore aujourd’hui dans les problèmes de
comptabilité patrimoniale et la mise en place de la LOLF. « À quoi
sert la comptabilité publique ? » Cette question a plusieurs aspects,
un aspect théorique : quelles comptabilités pour quoi faire ? Des
aspects plus pratiques : quelles administrations financières pour
quels types de contrôles, sur quelles collectivités ?

a. Quelles comptabilités ?

Aspects théoriques : la comptabilité patrimoniale

La comptabilité de l’État était essentiellement une comptabilité de


caisse pure, ayant progressivement acquis un caractère de caisse
étendue avec la comptabilisation de la valeur de certains actifs et de
certains passifs, notamment financiers. Toutefois, le président
Pomme de Mirimonde écrivait à la fin des années 1940 que la
comptabilité des immobilisations entrait dans la catégorie des
comptabilités « amusantes » et consacrait de longs développements
pour expliquer que personne ne pourrait savoir combien valait
Notre-Dame ou la Joconde, et que ça ne présentait d’ailleurs qu’un
intérêt tout à fait secondaire 14 . D’ailleurs, comment valoriser une
automobile, dans un ministère, par exemple une quatre-chevaux à
l’époque, au ministère de l’Intérieur, munie d’un gyrophare et des
marques de police ? Est-ce que le ministère de la Défense la
comptabiliserait au même prix ? Etc. Ce problème est resté sans
solution, tout le temps qu’il a servi de justification à l’absence de
tenue d’une comptabilité patrimoniale 15 .

Aspects théoriques : la comptabilité analytique, l’unification des


nomenclatures

Le grand mouvement de reconstruction et de développement


industriel suivant la seconde guerre mondiale a fait la part belle à
l’introduction des méthodes modernes de gestion des entreprises. La
connaissance des prix de revient calculés à partir des données issues
de la comptabilité générale s’est généralisée dans les grandes
organisations privées. L’État a dû au cours de la même période
intervenir directement dans la vie économique et se trouve
administrer des prestations de biens ou services vendus et dont il ne
connaît pas les coûts complets. Les contraintes financières
permanentes de l’époque, qui ne cesseront que pour une brève
période, du milieu des années 1960 au milieu des années 1970,
conduisent à rechercher une optimisation de l’allocation des
ressources budgétaires. Le manque d’informations fiables découle
directement d’un système comptable qui ne connaît ni compte
d’exploitation ni bilan. La nécessité de rapprocher le plan comptable
de l’État du plan comptable général fait partie des objectifs affichés
d’emblée. Sa réalisation passe par une unification des nomenclatures
dites « budget » et « trésor » qui seraient ensuite « décontractables »
en fonction de leurs objets propres. D’emblée, il apparaît que cette
nouvelle organisation de la description des opérations ne pourra pas
être transcrite sans « retraitement » pour les besoins des « comptes
de la Nation ». Ces réflexions seront synthétisées dans les deux
premiers alinéas de l’exposé des motifs du RGCP :
« La réglementation de la comptabilité publique découle toujours du décret
impérial du 31 mai 1862. Encore valable dans ses dispositions de principe, ce
texte est devenu avec le temps d’un maniement difficile : un siècle de
réglementation l’a considérablement alourdi sans pour autant combler toutes ses
lacunes. Conçu d’autre part à une époque où l’idée dominante en matière de
finances publiques était le contrôle des opérations, le décret de 1862 ne permet
pas d’atteindre tous les objectifs que la conception moderne du service public
assigne à la comptabilité. »

Aspects pratiques : la question du « système d’information »

Au-delà des questions de théorie comptable, se posent celles de


l’organisation de la tenue des comptabilités. L’existence d’une
direction du Budget et d’une direction de la Comptabilité publique
signifie concrètement que des agents gèrent, d’un côté, le contrôle
financier et, de l’autre, l’exécution matérielle de la recette et de la
dépense. La question centrale est alors celle de l’intégration des
systèmes d’information, de leur globalisation permettant d’en
simplifier l’usage, sans remettre en cause la responsabilité
personnelle et pécuniaire du comptable, et de continuer à s’assurer,
au moins en ce qui concerne l’État, par le truchement du contrôle
financier, du respect des autorisations budgétaires.
Aux premiers pas de la mécanographie des années 1950 succède
l’acquisition de systèmes informatiques. Ceux-ci restent cloisonnés
entre administrations et, au sein des administrations financières,
entre les différentes directions, voire au sein d’une même direction
générale entre deux lignes techniques : l’une confiée au constructeur
national et l’autre confiée au leader mondial de l’époque.

b. Quelles collectivités ?
En 1962 encore, le secteur public local ne pesait pas d’un poids
déterminant. Les régions n’existaient pas. Les départements avaient
pour exécutif un agent de l’État, le préfet, les communes étaient
soumises à la tutelle administrative et financière de l’État. Depuis
1982, la perspective a été renversée. C’est en partie à cause du
secteur public local entendu au sens large, c’est-à-dire incluant
encore les établissements publics de santé, que j’indiquai en
commençant cette intervention que le règlement n’était général qu’à
titre déclaratif. De fait, en dehors des services de l’État non dotés de
l’autonomie financière, chaque organisme ou chaque catégorie
d’organismes publics est soumis au règlement général par une
disposition de nature législative ou réglementaire. Le règlement
général a donc une double nature juridique. Il est, pour ce qui
concerne l’État et ses dépendances et démembrements, une
manifestation du pouvoir réglementaire autonome du Premier
ministre 16 . Lorsqu’il s’agit de collectivités créées par la loi, la
soumission aux règles de la comptabilité publique résulte de cette loi
elle-même, ou bien des règlements pris pour leur application.

c. Quels types de contrôles ?

Depuis des décennies, la question de l’existence et de la portée du


contrôle du comptable sur la régularité des actes administratifs
justifiant recettes et dépenses prises en charge, constitue un sujet de
malentendu, d’incompréhension voire d’affrontement entre le
ministère chargé des finances, celui chargé de l’intérieur, le juge des
comptes et son juge de cassation. Parler de l’exercice d’un contrôle
de légalité exercé par le comptable, dans l’esprit de la direction de la
Comptabilité publique, ne signifiait assurément pas en faire un
nouveau sous-préfet d’arrondissement, venant après l’exercice de la
tutelle et, depuis 1982, après celui du contrôle de légalité. Si l’on se
réfère à l’exposé des motifs du règlement général, le contrôle de
légalité exercé par le comptable est restreint. Il s’agit de la
vérification de la légalité externe de l’acte, notamment la
compétence de l’auteur et le respect des formes et, en matière de
légalité interne, de la seule vérification de l’absence de contradiction
entre pièces justificatives. Toutes ces questions appelaient un
nouveau règlement de la comptabilité publique. Mais comment
procéder ? On a vu qu’au moins une tentative, celle de 1953, mais ce
ne fut pas la seule, a échoué au stade de l’application. L’élaboration
du règlement général de 1962 a supposé de se mettre en situation de
poser chacun des problèmes à résoudre, en s’efforçant de ne pas
l’envisager sous le seul prisme du comptable. Il a fallu également
rechercher ce qu’il convenait de conserver, de supprimer ou
d’abroger dans le foisonnement des textes anciens. Pour l’anecdote,
il est plaisant de relever que l’un des articles du règlement général
de 1862 qui ne lui survivra pas fut celui, repris dans tous les
règlements depuis 1817, qui instaurait un mécanisme de « loyers
budgétaires ».

B. La méthode

Les réflexions et travaux menés continûment depuis la Libération


n’avaient connu que peu d’aboutissement effectif en 1958. Les
décrets de 1953 n’avaient pu être mis en application, seule la
procédure budgétaire avait pu être renouvelée. Au jour de l’entrée
en vigueur de la nouvelle constitution, le 1er janvier 1959, l’ordre
budgétaire et comptable commence une refondation normative qui
ne pourra être menée jusqu’à son terme, notamment en raison des
réserves initiales de la Cour des comptes et du Conseil d’État. Mais
avant de recueillir les avis de ces acteurs importants de la régulation
du système financier public, il convient d’évoquer les conditions
dans lesquelles le RGCP fut élaboré par l’administration.
Pour préparer un nouveau règlement général, comment
l’administration doit-elle s’y prendre ? Elle dispose de deux
fondements juridiques lui permettant d’élaborer une réglementation
opposable à tout ou partie des collectivités publiques. L’article 45 de
l’ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959 portant loi organique relative
aux lois de finances prévoit que la comptabilité publique pourra être
régie par un règlement général. Par ailleurs, l’article 37 de la
Constitution donne au Premier ministre une compétence autonome
de réglementation des matières qui ne relèvent pas du domaine de la
loi. La préparation du règlement général est donc une affaire interne
à l’administration à laquelle le Parlement ne fut pas associé et sur
laquelle il ne fut ni consulté ni même informé. La direction de la
Comptabilité publique et les services extérieurs du Trésor avaient
été conçus et structurés au XIXe siècle avec le souci d’une unité de
commandement et de fonctionnement. Le même événement devait
appeler le même traitement en tout point du territoire, selon les
directives reçues. Il s’agissait d’un monde où l’imprévu n’avait pas sa
place et où commander un service extérieur revenait à surveiller
l’application des règlements. La refondation d’un règlement général
suppose donc, au préalable, une recension de ces règles. La
sectorisation, voire le cloisonnement des bureaux rend assez difficile
la conduite d’un tel travail autrement qu’en « mode projet ».
La première étape fut donc de constituer une équipe-projet à la
direction de la Comptabilité publique. Elle comprenait entre dix et
quinze jeunes inspecteurs du Trésor. Ils devaient être de qualité
puisque tous finirent leur carrière comme trésorier-payeur général.
L’équipe fut constituée en 1959, peu après la publication de
l’ordonnance et alors qu’une nouvelle présentation des documents
budgétaires était décidée à compter de l’exercice 1961.
La nouvelle réglementation était destinée, selon l’exposé des motifs
de l’avant-projet transmis à la Cour, à proposer :
« une synthèse de principes fondamentaux et des règles générales actuellement
en vigueur, synthèse autour de laquelle devraient ultérieurement s’ordonner
dans l’ordre et la clarté les diverses procédures pratiques d’exécution du service.
À cet effet, des définitions sont données, plus pragmatiques, d’ailleurs, que
dogmatiques, qui devraient faciliter la rédaction des textes et des instructions. »
Après avoir rappelé l’utilité des principes maintenus (séparation des
ordonnateurs et des comptables, responsabilité personnelle et
pécuniaire des comptables publics ainsi que la mise en œuvre de
cette responsabilité par le contrôle juridictionnel des comptes), la
nouvelle réglementation était aussi destinée à :
« dépasser l’ancienne conception de la comptabilité qui, axée sur les seuls
mouvements de fonds, ne donnait pas tous les éléments nécessaires pour
déterminer “les résultats” ou pour calculer autrement que par approximation le
rendement financier ou le prix de revient du service. »
L’élaboration d’un avant-projet prit environ trente mois. Au début
de l’automne 1961, un avant-projet est mis en consultation. Il est
constitué en réalité de deux projets : un premier décret regroupant
les trois premières parties, destiné au seul contreseing du ministre
des Finances, un second projet comprenant la quatrième partie,
ouvert au contreseing des ministres « chargés de la tutelle des
collectivités locales ».

1. L’avis de la Cour des comptes

La Cour des comptes est saisie par lettre du 29 septembre 1961. Elle
crée un groupe de travail sous la direction d’un président de
chambre 17 et ayant pour secrétaire un conseiller référendaire 18 .
L’examen en détail du texte va durer jusqu’en février 1962. Le projet
qui lui a été adressé couvre l’ensemble constitué par la loi de 1963 et
le décret de 1962. Les observations de la Cour des comptes furent
cosignées par le premier président Léonard et le procureur général
Bourrel le 28 février 1962. La Cour signalait, à titre liminaire, qu’il
n’était plus possible, comme en 1862, de régler par la voie
réglementaire celles des dispositions concernant la juridiction
relevant désormais du domaine de la loi 19 . La Cour tient, ensuite,
l’instruction générale précitée du 29 juin 1859 comme faisant partie
du droit positif 20 . Les observations de la Cour, d’inégales longueur
et portée, concernaient cinq domaines :
la comptabilité patrimoniale : la Cour, se référant à un référé n° 10198 du 27 février
1954 concernant les collectivités locales, rappelle sa position réservée sur l’application
de la comptabilité patrimoniale intégrale ; elle envisage sous un jour favorable les
possibilités de description plus précise de la variation des créances et des dettes de
l’État ainsi que des « valeurs dites inactives » : en revanche, la Cour recommande la
plus grande prudence s’il s’agit de comptabiliser des matériels hors commerce ou des
immeubles du domaine public « dont l’appréciation ne pourrait être qu’arbitraire et la
réévaluation compliquée, en face d’avantages incertains » ;
la responsabilité des comptables : la Cour s’est réjouie de l’unification des
responsabilités des comptables en matière de conservation et de mise en recouvrement
des titres de créances ; de même que des possibilités de mise en recouvrement sans
titre de créances établies par des actes dont les comptables assurent la conservation ;
elle demande que les comptables restent chargés de vérifier l’exactitude des calculs de
liquidation des créances étrangères à l’impôt ; en ce qui concerne le contrôle de
légalité, la Cour constate que le décret-loi précité du 30 septembre 1953 donnait au
comptable le pouvoir de s’assurer de la validité de la créance notamment au regard des
règles posées par les lois et les règlements relatifs aux obligations des ordonnateurs,
pouvoir équilibré par l’ouverture aux ordonnateurs du droit de réquisitionner les
comptables, elle réitère ses objections formulées dès 1955 au regard, d’une part, de
l’impréparation des comptables à cette forme de contrôle et, d’autre part, du risque de
généralisation de « conflits dont le règlement encombrerait les administrations
centrales et ralentirait le fonctionnement des services » ; la Cour propose d’étendre à
21
tous les comptables la disposition de l’article 1003 de l’instruction générale de 1859
, ouvrant la voie à la solution de compromis finalement adoptée dans l’article 37
autorisant la suspension du paiement et son corollaire, la réquisition du comptable
prévue à l’article 8 ; la Cour se préoccupa de la question des régisseurs ; elle ne fut pas
suivie et le sujet ne fut définitivement réglé qu’en 2004, 41 années après la publication
du RGCP, laps de temps nécessaire pour venir à bout du problème posé par la
responsabilité successive du régisseur et du comptable public ;
la Cour propose une nouvelle rédaction des dispositions relatives à la gestion de fait, de
manière à « sauvegarder la jurisprudence de la Cour » et réintroduire dans le champ de
la gestion de fait les « mandats fictifs » et la gestion irrégulière de « deniers privés
réglementés » ;
sur les compétences et les prérogatives de la Cour, celle-ci rappelle la rédaction alors
22
en vigueur de l’article 47 de la Constitution et demande que celle-ci soit citée dans
le décret ; elle formule également le vœu de voir affirmé son monopole en matière de
quitus à donner aux comptables de l’État, elle souhaite que l’apurement des petites
comptabilités par les trésoriers payeurs généraux soit qualifié d’administratif,
s’appuyant sur la formulation des décrets-lois du 25 juin 1934 et du 8 août 1935 alors en
vigueur, enfin la Cour soulève la question de la responsabilité des receveurs des
23
administrations financières dont le contrôle lui avait été retiré en 1936 , du fait de
l’absence de mesure d’application de l’article 19 du décret du 14 septembre 1936 ;
la dernière observation porte sur le régime des établissements publics à caractère
industriel et commercial, la Cour affirme son souci de voir maintenue la plus grande
unité d’organisation possible entre ces établissements, qu’ils soient ou non dotés d’un
comptable public, « de manière à éviter toute interférence entre les attributions de
l’agent comptable et les missions conférées aux administrateurs d’État et au Contrôle
24
d’État ».

Cet avis de la Cour des comptes est examiné de manière fine et


précise par la direction de la Comptabilité publique qui accepte
pratiquement toutes les modifications suggérées. En soi ce point est
intéressant, car la Cour a rencontré la même attitude positive lors de
l’examen des propositions d’aménagement dont il sera question plus
loin. Le texte entre ensuite dans la phase de concertation
interministérielle où l’on bute alors sur l’opposition frontale du
ministère de l’Intérieur sur toutes les questions touchant au secteur
public local et au contrôle de légalité. Cette opposition eut pour
conséquence l’abandon du second projet de décret ainsi que la
reconduction du contrôle de légalité dans les termes fixés en 1953.

2. L’avis du Conseil d’État


Le Conseil d’État est saisi pour avis dans les premiers jours de juillet
1962 d’une version du texte datée du 15 mai 1962 correspondant à
l’envoi fait par le ministère des Finances au secrétariat général du
Gouvernement. Deux rapporteurs sont commis à l’examen du
rapport 25 . Le projet en sortira accompagné d’une brève note d’une
page, datée du 13 novembre 1962. La section des finances n’a pas
renvoyé le texte en assemblée générale. L’avis du Conseil d’État n’est
connu qu’à travers le compte rendu qu’en fait le directeur de la
Comptabilité publique, Martial-Simon, dans une note au secrétaire
d’État au budget le 22 novembre 1962. Il relève que peu de
modifications de forme sont intervenues. Quant au fonds : jusqu’à
son examen par le Conseil d’État, en effet, la responsabilité
personnelle et pécuniaire fait partie intégrante du texte du décret.
Ce n’est qu’à ce stade que le Conseil d’État a estimé que la
responsabilité personnelle et pécuniaire des comptables relevait du
domaine de la loi. Le reste pouvait être maintenu au sein du
règlement général. L’administration, ayant été avertie dès avant
l’examen par la section des finances du projet, avait préparé des
articles de loi de finances qui furent retenus dans leur vote par les
conséquences, sur le calendrier de discussion budgétaire, de la
dissolution de l’Assemblée nationale intervenue le 9 octobre 1962.
La note du directeur de la Comptabilité publique relève la vigueur de
l’hostilité de la Cour des comptes et de l’opposition du Conseil d’État
à toute forme de contrôle de légalité. Il mentionne notamment le fait
que le rapporteur a lu en séance le passage topique de la note de la
Cour des comptes du 28 février 1962 et constate l’identité de vue des
deux juridictions, alors même que, selon lui, le Conseil d’État avait
entériné la rédaction de 1953 qui, elle-même, avait pour objet «
d’inscrire dans un texte de portée générale des pratiques anciennes
au demeurant consacrées par la jurisprudence constante de la Cour
des comptes ». Regrettant surtout cette disjonction pour des raisons
de « psychologie », le directeur propose de l’entériner, relevant que
le comportement des comptables au regard du contrôle de la
dépense publique n’en serait pas modifié. Deux modifications
techniques sur l’obligation de dépôt des fonds au trésor et le rappel
de l’exception au plafonnement des engagements pour les crédits
évaluatifs furent également acceptées. La note s’achève sur le regret
partagé du Conseil d’État et du directeur de ne voir aucune règle
relative au contrôle financier inscrite dans le RGCP. Il apparaît que
cette situation résulte d’un arbitrage en faveur de la direction du
Budget. Enfin, le directeur fait état du vœu du Conseil d’État de voir
la « patrimonialisation » de la comptabilité publique engagée avec
autant de prudence que de souplesse. Il expose alors qu’il « sera, bien
entendu, tenu le plus grand compte de ce conseil ». Le ministre fut
saisi dans la foulée. Il convient de rappeler les événements politiques
de l’époque. L’Assemblée nationale est dissoute, les élections vont se
tenir. Il n’y a plus de projet de loi de finances. Ceci explique
pourquoi la loi de finances et son fameux article 60, est postérieure
au RGCP. En effet, seule la première partie du projet de loi de
finances put être votée et publiée avant la fin de l’année 26 .
L’administration de la comptabilité publique avait mis un point
d’honneur à faire paraître son décret dans l’année du centenaire du
texte précédent. Le décret de 1862 était daté du 31 mai, le nouveau
règlement sera du 29 décembre 1962. Les délais ont été à peu près
tenus.

II. La mise en œuvre du décret du 29


décembre 1962 entre 1963 et 1998
L’ambition des rédacteurs du RGCP était de jeter les bases d’un futur
code de la comptabilité publique. Le règlement général fixerait les
grands principes et des textes particuliers viendraient régler les
modalités d’application. Ces textes étaient nombreux et
s’échelonnaient sur toute la hiérarchie des normes : décrets, arrêtés,
instructions, circulaires et même, parfois, notes de service.
L’activité normative fut donc intense (A), elle donna lieu à des
désaccords durables entre l’administration et le juge des comptes
(B), surtout elle n’alla pas jusqu’au bout des ambitions initiales (C).

A. Mettre le RGCP en application

La mise en œuvre du RGCP est une œuvre de longue haleine qui


nécessite une production normative intense, qu’il s’agisse de régler
des questions techniques (1) ou de gérer des difficultés structurelles
liées à la technique (2) ou aux changements institutionnels (3).

1. La mise en application progressive du RGCP

Une fois le règlement général publié, il faut s’atteler à préparer les


textes d’application. Il peut s’agir de décrets simples pour certaines
mesures d’application comme la réglementation du cautionnement
des comptables 27 , l’apurement des débets 28 , les dispositions
propres aux régisseurs 29 , ou aux règles spécifiques de
responsabilité des comptables publics en recettes pour les receveurs
des impôts 30 et pour les comptables du trésor 31 , de la signature
des comptes par les comptables 32 à des « règlements de
comptabilité » particuliers pris par arrêtés, qui ont paradoxalement
pour objet de désigner des ordonnateurs secondaires, et à des
instructions ministérielles, par exemple l’instruction générale
relative à l’organisation du service des comptables du 16 août 1966
ou interministérielles ; ce sont l’ensemble des instructions dites
codificatrices qui précisent les règles comptables applicables pour
chaque catégorie d’organismes publics 33 . Il y aura aussi quelques
textes de lois spécifiques, comme la loi du 31 décembre 1968 34
substituant la prescription à la déchéance quadriennale réglée
jusqu’alors par une loi de 1831 et en étendant le régime à toutes les
collectivités publiques, et la loi de 1991 qui traite du cas général du
recouvrement des créances en matière civile. Toutefois, malgré la
diligence des services de la direction de la Comptabilité publique ou
de la direction du Budget, certains textes d’application furent
attendus longtemps. Ainsi, ce n’est qu’à la veille des élections de
1986 qu’est pris le décret sur les affectations comptables 35 ,
abrogeant un texte datant de 1955. De même, toutes les instructions
comptables ne seront pas modifiées rapidement. Ainsi, l’instruction
P-R relative à l’État n’intervint qu’en 1969, l’instruction comptable
applicable aux établissements pénitentiaires datait quant à elle de
1957 et contenait de nombreuses dispositions qui ne se conciliaient
pas de façon évidente avec le règlement général. Ce n’est qu’en 2009
que l’ensemble du dispositif comptable a été revu. Au fur et à mesure
de l’apparition d’une déclinaison financière du concept
d’établissement public à caractère administratif ou industriel et
commercial, les instructions comptables « M 9-1 » et « M 9-5 » furent
décalquées pour les Chambres d’agriculture 36 , les universités 37 , les
établissements d’aménagement des villes nouvelles 38 , les
établissements publics fonciers 39 , les établissements ou organismes
de diffusion culturelle et d’enseignement à l’étranger 40 ainsi que les
établissements d’enseignement agricole 41 . Enfin, le foisonnement
de ces normes de toute nature, prises, comme indiqué il y a quelques
instants, sans que le souci de cohérence de l’ensemble ait été
toujours gardé à l’esprit, trouvait son paroxysme dans l’instruction
P-R relative à la comptabilité de l’État. En effet, dans son principe,
une instruction est adressée à tous les services concernés et est
modifiée ou complétée de la même manière. Dans le cas de l’État, du
fait de l’existence de comptables spécialisés comme le payeur
général du Trésor, l’agent comptable central du Trésor ou les
comptables des différents budgets annexes ou comptes spéciaux,
ceux-ci pouvaient recevoir sous forme d’instructions, de circulaires
ou de notes spécifiques les compléments appelés par les spécificités
de leur poste, sans qu’il puisse être assuré, en dépit de la qualité de
l’indexation du système d’archivage de la direction de la
Comptabilité publique, que l’intégralité des prescriptions fixées par
l’administration centrale y était bien conservée et connue. La Cour
s’est ainsi rendu compte, lors des travaux préparatoires à la
certification des comptes de l’État, en 2002-2003, que cette
instruction n’était pas toujours convenablement documentée dès
lors qu’il se serait agi de disposer en un lieu unique du recensement
complet des différentes exceptions ou règles particulières énoncées
dans des notes ou lettres émanant des différents bureaux de
l’administration centrale.

2. Le système d’information est-il susceptible de remettre en


cause la séparation ordonnateur/comptable ?

Quand le règlement général paraît en 1962, il n’y a pas


d’informatique au sens où nous l’entendons aujourd’hui. Les services
disposaient de systèmes mécanographiques pour gérer la paie et
c’était à peu près tout 42 . À compter de 1961 43 , il fut décidé
d’expérimenter un dispositif de paie automatisée sans
ordonnancement préalable dans tout ou partie des circonscriptions
d’action régionale « Champagne » et « Rhône-Alpes ». Ce dispositif
sera élargi progressivement à tout le territoire jusqu’en 1965. Il est
juridiquement resté provisoire jusqu’au tout récent décret du 6
février 2009. L’informatisation des services se met ainsi en place tout
au long des années 1960 et 1970. On observera d’ailleurs, en ce qui
concerne l’administration centrale, que son organisation est restée
pratiquement sans modification de 1962 à 1998, en dehors de
l’extension des services informatiques. La grande affaire est donc
l’automatisation de la paie et du paiement des pensions à une époque
où les effectifs d’agents civils croissent d’autant plus vite que la
désinflation des effectifs militaires en dissimule la réalité. L’impact
du principe de séparation des ordonnateurs et des comptables, ainsi
que les capacités encore limitées des systèmes utilisés en time sharing
44
ne conduisent pas à envisager la constitution de systèmes
intégrant un flot d’informations « créées » par l’ordonnateur et se
déversant vers les comptables. Il faudra attendre le début des années
1990, avec l’application « NDL 45 » dans les services déconcentrés de
l’État et la fin de cette décennie pour ses dépenses centrales 46 pour
que des systèmes d’information partagés par l’ordonnateur et le
comptable commencent à être mis en place. D’ailleurs, au sein des
administrations financières elles-mêmes, l’idée que les directions
pourraient partager des systèmes d’information communs paraît
encore farfelue, lorsque commencent, à la fin des années 1980, plus
précisément à la suite des grèves du printemps 1989, des réflexions
transversales sur l’organisation du ministère des Finances. Les
progrès resteront mesurés puisque en 2002, lorsqu’on commence à
œuvrer à la mise en place de la LOLF, le ministère fonctionne avec
une quarantaine de logiciels différents qui ne sont pour la plupart
pas compatibles entre eux. Ceux qui ont commencé à travailler
comme moi dans les années 1980 se souviennent sans doute des 28
centres de paye, dont la moitié était « IBM » et la moitié « BULL ».
Ces systèmes n’étaient pas compatibles entre eux. Un des centres de
traitement était chargé de fabriquer des états de synthèse à partir
des bandes magnétiques issues de ces centres. Sans opposer de refus
franc, les services de la direction de la Comptabilité publique
examinaient avec prudence toutes les demandes de modification de
la consistance ou de la périodicité de ces synthèses.

3. L’impact de la décentralisation

La mise en place de la décentralisation, dans la vingtième année


d’application du RGCP, allait donner lieu à une œuvre codificatrice
immense, puisqu’il fallait refonder le droit comptable et budgétaire
applicable dans le secteur public local, communes, départements et
régions ainsi que leurs établissements publics. Au niveau central, les
priorités sont alors de conserver l’unité du système financier dont
certains élus locaux contestaient la légitimité et faire face à la
demande de production normative. L’excellence de la Comptabilité
publique n’est-elle alors pas reconnue lorsque son directeur devient
directeur du Budget ? Il fallut également pourvoir à l’accroissement
considérable du nombre des comptabilités à organiser. Outre la
multiplication du nombre des établissements publics nationaux, de
nouvelles formes d’organisation de l’action publique sont apparues
comme les groupements d’intérêt public, sous les différentes formes
que le législateur leur a données. Créées par un contrat entériné par
la puissance publique, ces personnes publiques devaient être gérées
« selon les règles du commerce et de l’industrie ». Dans la réalité, un
grand nombre d’entre elles décidèrent de se doter de comptables
publics. Au niveau local, il fallut gérer la relation nouvelle avec les
ordonnateurs élus, avec un juge plus présent et faire face aux
premiers effets de la contrainte budgétaire sur les effectifs et les
moyens de fonctionnement. C’est à cette époque que les juridictions
financières ont progressivement intégré dans leurs travaux les
possibilités de contrôle de la dépense facilitées par l’automatisation
des procédures. Ainsi la Cour fut-elle destinataire des microfiches
retraçant pour chaque agent de l’État les éléments de calcul de sa
rémunération. De même, l’accès aux autres pièces justificatives
permettant de vérifier la régularité de la dépense fut facilité par la
recension automatisée du contenu des liasses de pièces classées par
poste comptable, par comptabilité et selon la nomenclature des
dépenses. Ces évolutions ont mobilisé la capacité de production
normative des services du trésor avec le renouvellement complet des
instructions comptables applicables aux communes 47 , aux
départements 48 , aux régions 49 , aux établissements de santé 50 et
aux établissements publics locaux d’enseignement 51 .

B. Le juge des comptes et le RGCP : de nombreux et


durables différends avec l’administration

Le juge des comptes a connu la réglementation financière à travers


son activité juridictionnelle et à travers ses contrôles de la gestion
des services et organismes publics. L’examen de cette question doit
être précédé du rappel que jusqu’en 2006 les juridictions financières
disposaient de crédits inscrits sur le budget des services financiers et
que jusqu’au milieu des années 1980, ces crédits étaient
effectivement gérés par la direction du Personnel et des Services
généraux du ministère des Finances, ce qui se voyait notamment au
mobilier administratif du palais Cambon, aux lustres des cabinets de
travail et jusqu’au savon liquide mis à disposition des personnels.
Sur le plan juridictionnel, quatre grandes affaires ont occupé le juge,
le Conseil d’État et l’administration des Finances.

1. La portée du contrôle des comptables


La Cour avait été réservée lorsqu’on lui avait demandé son avis sur
l’idée que le comptable pouvait avoir à exercer un contrôle de
légalité. Dans ses arrêts, à plusieurs reprises, elle a essayé de
repousser les limites du contrôle du comptable, en lui reprochant de
ne pas avoir assez regardé si la collectivité locale ou l’ordonnateur
avait bien le droit de prendre la décision qui venait à l’appui du
paiement. Le Conseil d’État s’est toujours montré opposé à toute
extension de la portée du contrôle du comptable. Une série d’arrêts
balise la frontière entre ce que le comptable a le droit ou l’obligation
de faire et ce qui lui est interdit 52 . Au-delà des querelles purement
juridiques, ce point recouvrait un enjeu capital, surtout à l’ère de la
décentralisation. Il s’agissait ainsi de déterminer qui finalement
disposerait de la compétence et de la légitimité pour encadrer
l’ordonnateur, puisque celui-ci échappait à tout contrôle de sa
gestion autre que celui de l’autorité hiérarchique ou politique
lorsqu’il s’agissait d’un élu. Tant que la Cour des comptes était
compétente à l’égard du secteur local, elle devait contrôler les 100
départements, quelques centaines de grosses communes et
établissements publics, notamment hospitaliers, les régions
n’existaient pas encore 53 . Le reste était soumis à un apurement
administratif des comptes effectué par les trésoriers payeurs
généraux, c’est-à-dire à la notification par voie réglementaire
d’arrêtés de charge provisoire, renvoyés au juge des comptes pour
qu’il y soit décidé en la forme juridictionnelle. Ceux-ci n’élevaient
des charges contre les comptables que de manière exceptionnelle. Il
faut également rappeler aussi que jusqu’à la décentralisation, la Cour
des comptes exerçait un contrôle sur les taxes communales 54 . Il
s’agissait d’un contrôle de légalité. Toutes les taxes instituées par
une collectivité locale étaient donc censées être revues par la Cour
55
.
Du jour où l’action du juge des comptes est démultipliée par
l’installation, dans chaque région, d’une chambre régionale des
comptes, le nombre de collectivités soumises à un contrôle de leur
gestion s’est fortement accru, de même que le nombre de comptes à
juger. Après quelques années de valse hésitation, le seuil de
compétence des chambres régionales des comptes et le champ des
personnes publiques soumises à leur juridiction a été stabilisé par la
loi du 21 décembre 2001 relative à la Cour des comptes et aux
chambres régionales des comptes. Bien évidemment, les juridictions
financières durent délimiter, sous le contrôle du juge de cassation, le
champ des contrôles à exercer sur les décisions d’ordonnateurs élus.
L’arrêt de section « Balme » n° 71173 du 5 février 1971 est venu
confirmer la position du juge de cassation refusant au comptable le
droit de porter une appréciation sur la légalité des actes
administratifs produits au soutien d’un paiement. Un arrêt Marty n°
232430 du 30 juillet 2003 vint également interdire au comptable
d’avoir à apprécier si une dépense relevait ou non de l’intérêt
départemental dès lors qu’elle était, par ailleurs, exécutée selon les
formes prescrites.

2. La responsabilité des régisseurs

La responsabilité du comptable principal au regard de celle du


régisseur n’était pas correctement réglée par les textes d’application
du RGCP 56 . Dans une régie, lorsque est constaté un déficit de caisse
ou une opération irrégulière, la responsabilité du régisseur peut être
engagée par l’administration ou par le juge. La réglementation ne
prévoyait pas que les responsabilités du régisseur et du comptable
principal s’excluent mutuellement, contrairement à ce qui était
prévu pour les comptables subordonnés vis-à-vis du comptable
principal. Autrement dit, quand bien même les opérations du
régisseur se trouvaient définitivement apurées, le juge des comptes
était toujours en droit de se tourner vers le comptable et de le
constituer débiteur pour les mêmes faits. Au milieu des années 1970,
le juge des comptes changea d’avis et estima que les deux
responsabilités n’étaient pas cumulatives. Le Conseil d’État dans un
arrêt Blémont n° 104544 du 28 février 1997, estima que les textes ne
permettaient pas d’exonérer le comptable principal. La question se
posait déjà en 1962. Elle ne fut définitivement réglée qu’en 2004 57 .
Désormais, le comptable ne peut plus voir sa responsabilité engagée
que s’il a commis une faute. Le Conseil d’État, consulté avait ainsi
accepté d’étendre quelque peu l’appréciation du juge des comptes
sur le comportement du comptable.

3. La responsabilité des comptables successifs

Le RGCP et l’article 60 de la loi de 1963 ne tranchaient pas de


manière claire la question de la responsabilité individuelle de
plusieurs comptables se succédant à l’égard d’une créance restée non
recouvrée. Dans une affaire commune de Romainville n° 67442 jugée
le 23 juin 1989, l’assemblée du Conseil d’État a réaffirmé le principe
de l’unicité de la responsabilité d’un comptable sur les opérations
qu’il prend en charge sans réserve.
Pour conclure ces développements sur le juge des comptes et le
RGCP, il me faut évoquer également la politique jurisprudentielle et
les évolutions procédurales qui viennent d’entrer en application
depuis le 1er janvier dernier. La Cour, constituée de sept chambres,
n’a pas toujours réussi à avoir une pratique univoque de
l’appréciation de la responsabilité des comptables. Il est toutefois des
domaines où les Chambres se sont trouvées en harmonie pour
remettre en cause des pratiques administratives particulièrement
critiquables.
C’est notamment dans le domaine des rémunérations annexes, les
primes, qu’une véritable politique juridictionnelle a été conduite
avec constance. Jusqu’au milieu des années 1990, la Cour n’avait
jamais entrepris de vérification d’ensemble des dépenses de
rémunération et de la gestion des personnels de l’État. Sous
l’impulsion de Pierre Joxe, de tels contrôles ont été organisés et
programmés. À cette occasion, la Cour s’est pour ainsi dire servie des
débets systématiquement prononcés sur les comptes des trésoriers
payeurs généraux, pour obliger le Gouvernement à remettre de
l’ordre dans le système des primes. Vous savez qu’avec la
bénédiction de la direction du Budget, un grand nombre de textes
indemnitaires soit n’étaient pas publiés, soit étaient publiés mais
accompagnés de contre-lettres du ministre, voire du seul directeur
du Budget fixant des régimes dérogatoires au droit commun publié.
Les comptables payaient les indemnités sur la base de ces
instructions et non pas sur celle d’un texte législatif ou
réglementaire, contrairement à ce que disposaient avec constance
les trois statuts généraux de la fonction publique depuis 1946.
L’administration était certainement animée du louable souci d’éviter
tout « effet de contagion ». N’avait-on pas entendu, un jour, un
directeur du Budget s’exclamer : « La Cour s’intéresse aux primes
sans textes ? Il est temps de lui en donner ! » Cette affirmation
n’était d’ailleurs pas exacte puisque la Cour, à l’époque, comme
toutes les administrations financières, voyait son dispositif
indemnitaire organisé à partir d’une interprétation optimale du
droit que ces administrations avaient de prélever un préciput sur les
frais de gestion de la fiscalité locale.
S’appuyant principalement sur le cas des primes des directeurs
départementaux de l’équipement, payées systématiquement très au-
delà du taux réglementaire en application d’ailleurs d’une lettre
ministérielle antérieure au texte auquel elle dérogeait, la Cour a
entrepris de mettre en jeu la responsabilité des comptables
supérieurs sur le fondement de l’absence des justifications requises
pour ces paiements, les instructions reçues n’ayant pas de caractère
réglementaire. Un observateur extérieur aurait pu s’interroger sur
cette dynamique complexe où un juge condamne des comptables à
payer des sommes qui ne seront jamais recouvrées, du fait d’une
politique généreuse de remises gracieuses, en vue d’obtenir une
réforme à laquelle l’administration n’aurait pas volontairement
souscrit. Bref, derrière les trésoriers-payeurs généraux, c’était le
ministre chargé des Finances qui était questionné et non pas les
comptables. Le fait est que cela a fonctionné. De la même manière et
au même moment, la Cour s’est attaquée, avec le même succès, à la
gestion des crédits des services déconcentrés du Trésor. Au nom de
la séparation des ordonnateurs et des comptables et pour que le
préfet n’ait aucun droit de regard sur l’exécution des dépenses de ces
services, les crédits inscrits au budget des services financiers
faisaient l’objet d’une consommation budgétaire par fraction, le
débit du compte budgétaire correspondant à un crédit de comptes de
tiers ne relevant plus d’un régime aussi strict. Quelques exemples
opportunément choisis de dépenses irrégulières payées à partir de
ces comptes de tiers contribuèrent ainsi à faciliter cette remise en
ordre. Il est resté trois domaines pour lesquels les relations entre le
juge des comptes et l’administration des Finances sont restées figées.

4. La portée des décisions du juge financier

Le décret du 29 décembre 1962 avec l’article 60 de la loi de finances


pour 1963 étaient les dernières œuvres vives d’une profonde
réorganisation du fonctionnement de l’administration initiée à
partir de 1945, mais concrétisée au plan financier de manière
pérenne à compter de 1958. Toutefois, cette réorganisation laissait
intacte la répartition des compétences entre le juge et le ministre.
Jugeant les comptes et non les comptables, la Cour et les chambres
régionales des comptes, disent dans leurs décisions ayant force de
chose jugée s’il y a lieu d’appeler les garanties apportées par le
comptable pour reconstituer sa caisse. Le ministre gardait la
compétence exclusive pour apprécier le comportement du
comptable et décider souverainement dans quelle proportion ces
garanties seraient appelées. Si, apparemment, cette question ne
posait pas problème en 1962, avec l’intrusion du droit conventionnel
dans les enceintes judiciaires, le juge financier, sans pouvoir
modifier en rien les décisions sur ce point, ressentit cette situation
avec de moins en moins d’aisance. Une polémique opposant deux
brillants magistrats à la fin des années 1980 58 formalisa ces
questions. Aujourd’hui, cette situation est souvent décrite comme
celle du Conseil d’État avant la loi du 24 mai 1872. L’office du juge
financier s’apparenterait ainsi à la justice retenue.

C. L’abandon des ambitions initiales

Au regard de la clarté et de la précision des définitions des articles 49


à 54 du RGCP, force est de constater, à la veille du changement de
législation financière à la fin des années 1990, que les résultats
atteints sont très inégaux selon les organismes publics. Pour l’État,
l’objectif accepté par le Conseil d’État et la Cour des comptes en
matière de comptabilité patrimoniale est loin d’être atteint.
Pourtant, tout avait commencé dans le souci de continuer à
progresser vers cette connaissance des résultats qui était déjà
recherchée par les rédacteurs des décrets de 1953. Le développement
des techniques de rationalisation des choix budgétaires aurait dû
conduire à l’évolution de la comptabilité. Cette évolution ne se fit
pourtant pas. Il est ainsi tenu une comptabilité générale, mais celle-
ci ne connaît pas d’écritures d’immobilisations ou d’inventaire. Les
investissements de l’État ne sont recensés que sous la forme de
charges budgétaires. Il n’existe ni amortissements ni provisions. La
comptabilité budgétaire et la comptabilité générale sont le reflet
l’une de l’autre. Certes, une situation résumée des opérations du
Trésor la « SROT » est publiée, avec retard, chaque mois au Journal
officiel. Elle donne un développement de l’exécution du budget en
dépenses et l’évolution des dettes financières de l’État au cours de la
période. En ce qui concerne la comptabilisation des recettes fiscales,
la ventilation du produit des impositions répond largement à un
calcul statistique, du fait des défauts de conception des systèmes
d’information. Le suivi de l’exécution du budget fait l’objet d’une
situation hebdomadaire, la « SH » communiquée au cabinet du
ministre et à laquelle très peu de personnes ont accès.
Il n’y a pas de comptabilité analytique. Le très grand luxe de détails
des budgets votés, répartis entre paragraphes d’exécution
correspondant chacun à une nomenclature de codes économiques
eux-mêmes liés aux comptes de comptabilité générale ne sert que
très peu à suivre l’exécution fine de la dépense, celle-ci étant très
souvent, en dehors des dépenses de personnel, exécutée sur des
paragraphes de regroupement de type « dépenses diverses ». Enfin,
malgré de sensibles progrès, la loi de règlement reste discutée
tardivement. Certains services tiennent les « comptabilités matières
», notamment le ministère de la Défense 59 . Pour autant, les
dispositifs de contrôle ne sont pas toujours actionnés. Ce constat
négatif trouve une première explication dans l’évolution de la
conjoncture économique. Après l’alerte de 1967-1969, la France
connaît encore quelques belles exécutions budgétaires qui
permettent d’ambitionner le développement avec la « RCB » d’une
progression vers une comptabilité plus fiable. Toutefois, la crise
économique et ses conséquences budgétaires ont réduit
considérablement l’intérêt que les directions d’état-major pouvaient
trouver à optimiser la gestion quand leurs priorités nouvelles
devinrent, à compter de 1974 et de manière quasiment continue
depuis lors, de contenir la dépense et de financer les déficits.
L’administration commence à prendre conscience que la mesure des
effets de la politique financière par le seul déficit budgétaire de
l’exercice est par trop réductrice. En effet, ce déficit trouve sa
source, pour une part croissante, dans les effets de décisions déjà
prises. La question des retraites tant pour le budget de l’État que
pour les organismes de sécurité sociale fut, sans aucun doute, un
catalyseur de cette prise de conscience, à mesure que
l’administration peinait à obtenir des « mesures de redressement »
autrement que devant la crise de financement et alors même que la
construction européenne conduisait à mieux appréhender la
manière dont chaque pays de l’Union faisait face aux mêmes
difficultés. En ce qui concerne les autres catégories de personnes
soumises à la comptabilité publique, le bilan est plus mitigé. Les
possibilités techniques de mise en œuvre des ambitions comptables
du RGCP ont été explorées et, finalement, le régime comptable des
communes ou des hôpitaux se trouvait en 2001 plus à même d’aider
les gestionnaires à mesurer les résultats financiers de leurs actions.

Conclusion
L’ampleur des déficits budgétaires et sociaux constatés au début des
années 1990 a conduit à s’interroger sur l’efficacité de la législation
financière et de sa capacité à répondre à son objet. Le modèle
institutionnel construit autour de l’ordonnance de 1959 apparaît
grippé. Les procédures et les règles posées en 1959 et laissées
intactes n’ont en aucune manière permis d’enrayer la dégradation
significative des comptes publics, surtout à compter de 1992.
L’élaboration de la loi de finances devient de plus en plus complexe.
En l’absence de remise en cause des missions légales qui leur étaient
assignées, les administrations « dépensières » ne pouvaient que
chercher à exploiter toutes les possibilités de résistance à la remise
en cause de leurs moyens. Indépendamment de l’effet du
ralentissement de la croissance économique sur les recettes fiscales,
celles-ci se trouvent significativement affectées par les succès de la
lutte contre l’inflation à compter de 1985 60 . En effet, pour que la
fiscalité ne devienne pas confiscatoire, tous les gouvernements
depuis 1986 ont dû réduire l’assiette des impositions. Le renouveau
des doctrines libérales a trouvé alors d’autant plus d’écho que le
poids réel de la fiscalité était ressenti avec force en l’absence d’effet
anesthésiant de la progression simultanée et rapide des prix et des
revenus.
Dans ce contexte la procédure budgétaire s’est enrayée. Elle a cessé
de consister en un débat pouvant être réglé de manière technique
par les services, seules quelques questions pouvant être soumises à
l’arbitrage des ministres. Progressivement, c’est l’ensemble des
questions techniques qui sont devenues des enjeux de niveau
ministériel, voire gouvernemental. En l’absence de tout système
fiable d’information comptable et de mesure des effets des politiques
publiques, les différentes formes données aux ambitions de «
renouveau du service public » ou de « réforme de l’État » butaient
sur l’ignorance des effets et des causes. Ces constats faits, chacun à
sa place, par tous les acteurs de l’élaboration, de l’exécution et du
contrôle de la politique financière, ont conduit à l’heureuse
conjugaison des volontés ayant permis l’intervention de la LOLF.
Celle-ci porte les éléments d’une réforme comptable en exigeant la
tenue d’une comptabilité générale selon les usages de l’industrie et
du commerce, sauf pour les matières spécifiques à l’État.
La LOLF n’est pas incompatible avec le règlement général de 1962.
Elle a, en revanche, fait prendre conscience des retards
considérables pris par les administrations financières dans
l’application du progrès technique et, avec l’arrivée de celui-ci à
marche forcée, de la nécessité de moderniser les procédures de mise
en œuvre des actes d’encaissement et de décaissement des fonds
publics ainsi que de la manière d’en conserver la trace et la
justification. En cette fin d’hiver 2009, le budget de l’État a
fonctionné en « mode LOLF » depuis trois exercices sans que le RGCP
ait été significativement modifié. Un projet de « toilettage », discuté
entre la direction générale de la Comptabilité publique et la Cour des
comptes au cours de l’année 2007 n’a pas abouti. La réorientation des
priorités ministérielles en direction de la fusion des services des
impôts et du Trésor laisse craindre qu’une révision du RGCP ne
puisse avoir lieu au mieux, désormais, que pour son cinquantenaire.
Nul doute que l’administration ne cherche à cette occasion à jeter à
nouveau les bases de ce code de comptabilité publique qu’elle
ambitionne de voir édicter avec constance depuis les démêlés du «
bureau de comptabilité révolutionnaire » avec la « Trésorerie »,
ambitions qui étaient encore les siennes en 1953 et en 1962, et dont
on vient de voir qu’elle est loin d’être satisfaite.

NOTES
1. Lui-même modifié ou complété par l’article 18 de la loi n° 53-1336 du 31 décembre 1953
relative aux comptes spéciaux du Trésor pour l’exercice 1954 et les décrets n° 53-948 du 30
septembre 1953, 54-973 du 30 septembre 1954 et 55-1205 du 9 septembre 1955 qui en
étendaient l’application aux comptables publics relevant des possessions françaises d’outre-
mer. L’ensemble ne constituant, selon l’exposé des motifs du décret n° 53-948, que « la
première étape d’une œuvre plus générale, ayant pour objet de rénover et de modifier
toutes les règles de portée législative concernant la comptabilité publique, puis les
compléter par un règlement d’administration publique se substituant au décret du 31 mai
1862 ».
2. « La relation entre le Gouvernement qui agit au nom de la Couronne et le Parlement qui
représente le public détermine à titre principal la manière dont les ressources publiques
sont gérées. Les ministres visent à mettre en œuvre les politiques gouvernementales et à
délivrer les prestations des services publics à l’aide des agents publics, mais ils ne peuvent y
parvenir que si le Parlement accorde l’autorisation de collecter les ressources, d’engager
puis de dépenser ces ressources. Il incombe au Trésor de respecter et d’assurer les droits
tant du Gouvernement que du Parlement dans ce processus ». (Managing public money – Her
Majesty’s Treasury, octobre 2007, p. 11).
3. « L’obligation de protéger les fonds publics est permanente. La manière de la respecter
pourra varier avec le temps. » (Ibid., p. 9).
4. Cf. État G de la loi de finances n° 63-156 du 23 février 1963 (2e partie – Moyens des
services et dispositions générales).
5. Jacques Magnet, Comptabilité publique, PUF, coll. « Thémis », 1978, p. 23.
6. Je donnerai un autre exemple : j’ai été chef du bureau chargé notamment du ministère de
la Culture à la direction du Budget. Pour des raisons historiques, ce bureau était chargé, en
liaison avec un bureau de la direction de la Comptabilité publique, de la conservation de la
doctrine de la direction du Budget en matière de réglementation budgétaire des
établissements publics nationaux à caractère administratif. Il lui revenait, en conséquence,
l’insigne honneur de présenter chaque année une instruction à la signature des directeurs
qui déléguait aux contrôleurs financiers ou aux contrôleurs d’État la compétence du
ministre en matière d’approbation des budgets de ces établissements. Pendant les cinq
années où j’ai exercé cette responsabilité, j’ai fait préparer cette instruction sans me poser
la moindre question d’ordre légal. Un de mes successeurs, qui était sans doute plus attentive
que moi, s’est demandé comment une compétence réglementaire pouvait être déléguée par
simple circulaire. Elle a trouvé que c’était un décret-loi du 21 avril 1939 relatif à des
simplifications administratives en matière d’offices qui prévoyait effectivement cette
possibilité de délégation. Elle y a fait mettre bon ordre. Comme il s’agissait toutefois d’un
décret en Conseil des ministres, le décret fut publié plus de deux ans après son départ de la
direction.
7. Sébastien Kott, Le contrôle des dépenses engagées, évolutions d’une fonction, Comité pour
l’histoire économique et financière de la France, Paris, 2004, 543 pages.
8.La direction du Budget entre doctrines et réalités, 1919-1944, Comité pour l’histoire économique
et financière de la France, Paris, 2001, 591 pages.
9. Henri Navarre, Agonie de l’Indochine (1953-1954), éditions Plon, 1956, 348 pages.
10.La direction du Budget face aux grandes mutations des années cinquante, acteur… ou témoin ?,
Comité pour l’histoire économique et financière de la France, Paris, 1998, 864 pages.
11. Ce décret fut pris sur le fondement d’une habilitation législative donnée au
Gouvernement par l’alinéa A bis de l’article unique de la loi n° 55-349 du 2 avril 1955,
prorogée sans condition de délai par l’article 8-1 de la loi n° 55-1043 du 6 août 1955.
12. Voir l’article de Christian Descheemaecker dans ce volume.
13. Rappelons que jusqu’au 1er janvier 1991, cette administration était soumise aux règles
de la comptabilité publique et ses comptables principaux étaient justiciables de la Cour des
comptes.
14. Albert Pomme de Mirimonde, La Cour des comptes, Paris, 1947.
15. Nous l’avons retrouvé, dans les mêmes termes, lorsqu’il s’est agi de mettre en œuvre la
LOLF. Comment faire pour valoriser des actifs dont la valeur marchande n’avait pas
beaucoup d’intérêt parce qu’on ne peut pas s’en défaire ? Mais on verra que le contexte a
depuis lors beaucoup changé.
16. Depuis l’abrogation de l’ordonnance du 2 janvier 1959, il n’existe plus de disposition
législative de portée générale prévoyant l’existence d’un tel règlement sur la comptabilité
publique.
17. M. Hervé-Gruyer.
18. M. Dorange.
19. On doit ainsi trouver dans l’abrogation du règlement général de 1862 la source
d’inspiration de ce qui devint la loi n° 67-483 du 22 juin 1967 relative à la Cour des comptes
et son décret d’application n° 68-827 du 20 septembre 1968 pris pour son application. La
conférence des présidents adopta, en effet, le 6 novembre 1964, deux avant-projets en vue
de leur transmission au ministre chargé des Finances.
20. Cette instruction rendue opposable par arrêté ministériel et n’ayant, à notre
connaissance, été abrogée par aucun texte subséquent, il en ressort, comme l’estimait
également Jacques Magnet, qu’elle reste applicable aux situations qui n’ont pas été
concernées par des dispositions normatives intervenues ultérieurement.
21. Cet article placé au chapitre premier « service des communes » du Titre V « Service des
communes et des établissements de bienfaisance » dispose : « Les comptables n’ont point
qualité pour apprécier le mérite des faits auxquels se rapportent les pièces à l’appui de
chaque mandat. Il suffit, pour garantir leur responsabilité, qu’elles soient visées, et par
conséquent attestées par l’ordonnateur.
Si cependant un comptable s’apercevait ou avait de suffisantes raisons de croire que
l’ordonnateur a été trompé, il devrait, nonobstant l’apparente régularité des pièces,
suspendre le paiement et avertir l’ordonnateur sans aucun retard ; mais, si ce dernier lui
donne alors l’ordre de payer, il doit s’y conformer immédiatement. »
22. « La Cour assiste le Parlement et le Gouvernement dans le contrôle de l’exécution des
lois de finances ».
23. Cette demande fit l’objet de l’annotation suivante : « La Cour ne nous demande pas de
modifier le décret. Nous saisissons la DGI d’un problème qu’il convient en effet de résoudre
», ce que fit le décret n° 77-1017 du 1er septembre 1977 relatif à la responsabilité des
receveurs des administrations financières.
24. À l’époque et jusqu’au 1er janvier 1977, le contrôle des entreprises publiques relevait
d’une institution associée à la Cour, la commission de vérification des comptes des
entreprises publiques (CVCEP), créée en 1948 et présidée par un président de chambre à
temps plein et où siégeaient des magistrats et des représentants des administrations.
25. MM. Bauchard, conseiller d’État, et Ducoux, maître des requêtes.
26. Loi de finances pour 1963 n° 62-1529 du 22 décembre 1962 (Première partie – Conditions
générales de l’équilibre financier).
27. Décret n° 64-685 du 2 juillet 1964 relatif à la constitution et à la libération du
cautionnement exigé des comptables publics.
28. Décret n° 64-1022 du 29 septembre 1964 relatif à la constatation et à l’apurement des
débets des comptables publics et assimilés, remplacé par le décret n° 2008-228 du 5 mars
2008.
29. Décret n° 66-850 du 15 novembre 1966 relatif à la responsabilité personnelle et
pécuniaire des régisseurs.
30. Décret n° 77-1017 du 1er septembre 1977 relatif à la responsabilité des receveurs des
administrations financières et au contrôle de la Cour des comptes.
31. Décret n° 81-58 du 23 janvier 1981 relatif aux conditions d’octroi du sursis de versement
aux comptables du trésor.
32. Décret n° 79-124 du 5 février 1979 relatif à la signature des comptes de gestion des
comptables publics, modifié par le décret n° 93-283 du 1er mars 1993. Bien qu’elles n’aient
pas figuré dans les listes de textes abrogés ou déclarés caducs par le RGCP ou l’article 60 de
la loi n° 63-156, les dispositions des lois des 11 frimaire et 13 brumaire an VII sur
l’affirmation des comptes ont semblé ne plus pouvoir être opposées aux comptables puisque
la rédaction initiale du décret en reprend le libellé.
33. Cf. pour ce qui concerne l’État l’article de M. Conan.
34. Loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l’État, les
départements, les communes et les établissements publics.
35. Décret n° 86-451 du 14 mars 1986 pris en application de l’article 16 de l’ordonnance n°
59-2 du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances en ce qui concerne
la comptabilisation des recettes et des dépenses de l’État.
36. EPA : « M 9-2 ».
37. EPA : « M 9-3 » : établissements publics à caractère scientifique, culturel et
professionnel.
38. EPIC : « M 9-4».
39. EPIC : « M 9-5-1 ».
40. EPA : « M 9-7 ».
41. EPA : « M 9-9 » : établissements publics locaux d’enseignement et de formation agricole,
« M 9-10 », établissements nationaux ayant le même objet.
42. Selon René Barberye qui est arrivé en 1966 à la Comptabilité publique et qui en a été le
directeur entre 1986 et 1992.
43. Décret n° 61-481 du 13 mai 1961.
44. Temps partagé.
45. Nouvelle dépense locale.
46. Avec « ACCORD » pour application coordonnée de contrôle et de règlement de la
dépense.
47. L’instruction « M 11 » de 1974 est remplacée par l’instruction « M 14 » applicable à
compter de 1994 aux communes et aux établissements publics communaux et
intercommunaux à caractère administratif.
48. L’instruction « M 51 » datant de 1964 est remplacée par l’instruction « M 52 » à compter
de 2005.
49. Jusqu’au 1er janvier 2005, les régions ont appliqué l’instruction comptable des
départements. Après cette date une instruction « M 71 » spécifique leur a été consacrée.
50. Les nombreuses réformes de l’organisation de ces établissements ont conduit à une
production intense de réglementation comptable sous l’appellation « M 21 ».
51. Un numéro dans la nomenclature des « codificatrices », « M 9-6 » avait été réservé pour
ces établissements. La réglementation encore applicable en 2009 relevait d’une collection de
circulaires interministérielles dont les principales dataient de 1988, 1991 et 1993.
52. Pour une description détaillée de ces limites, se reporter aux Grands arrêts de la
jurisprudence financière, 5e édition, Dalloz, 2007, n° 21, 22, 26 et 28.
53. Les établissements publics régionaux créés par la loi n° 72-619 du 5 juillet 1972 voient
leurs comptes tenus par le TPG de la région. Leur disparition, dès 1982, fit que les arrêts
rendus sur leurs comptes sont peu nombreux.
54. Cf. article 31 du décret n° 68-827 du 20 septembre 1968 relatif à la Cour des comptes et
articles 191 et 192 du code de l’administration communale, alors en vigueur.
55. En fait, elle n’examinait que les taxes levées par les collectivités les plus importantes.
56. La Cour l’avait relevé, dès les travaux préparatoires.
57. Décret n° 2004-737 du 21 juillet 2004.
58. Nicolas Baverez « La Cour des comptes : une juridiction introuvable », Dalloz 1992,
chronique pages 173-179, Jacques Magnet, Éric Hemar, « Qui cherche trouve : actualité de la
juridiction des comptes », Recueil Dalloz, 1993, Chronique, pages 41-44.
59. Régime fixé jusqu’à son abrogation le 24 février 2012 par le décret n° 90-144 du 14
février 1990 relatif à la comptabilité des matériels de la défense.
60. La hausse moyenne annuelle des prix à la consommation passe définitivement en
dessous de 3 % en 1986 et est restée en dessous de ce montant depuis.

AUTEUR
VINCENT FELLER

Vincent Feller est diplômé de l’Institut d’études politiques de Paris, titulaire d’une maîtrise
de droit public et ancien élève de l’École nationale d’administration. De 1984 à 1995, il a été
administrateur civil à la direction du Budget, puis attaché financier près l’ambassade de
France en Allemagne. Nommé à la Cour des comptes en 1995, il y a exercé les fonctions de
rapporteur jusqu’en 2002. Simultanément, il a participé aux activités de commissariat aux
comptes du Programme alimentaire mondial, assisté l’administration pénitentiaire dans la
préparation d’un avant-projet de loi sur les prisons et la direction des Nations unies du
ministère des Affaires étrangères à l’occasion du mandat donné à la France au comité
financier de l’Organisation des Nations unies pour l’agriculture et l’alimentation (FAO). Il
est conseiller maître à la Cour des comptes, délégué dans les fonctions d’avocat général
depuis le 5 août 2002.
Le contrôle du bon emploi des fonds
publics : un premier aboutissement en
1967 ?
Stéphanie Flizot

La période qui suit la seconde guerre mondiale pose à nouveau avec


acuité la nécessité d’améliorer la performance de la gestion publique
mais, cette fois, la Cour bénéficie des échecs relatifs des mouvements
antérieurs de réforme administrative et de l’épuisement rapide des
diverses commissions qui se sont succédé 1 . La recherche de
solutions plus pérennes contribue à placer la Cour des comptes au
cœur du dispositif au travers de l’extension de ses attributions et la
création d’organismes associés. Elle obtient, notamment, par la loi
du 31 décembre 1949, le droit de contrôler la gestion des organismes
de droit privé gérant un régime obligatoire de sécurité sociale en
raison, notamment, du caractère de service public des missions qu’ils
exercent 2 . L’article 18 de la Constitution du 27 octobre 1946 ayant,
par ailleurs, constitutionnalisé l’assistance que la Cour des comptes
apporte aux assemblées 3 , le contrôle sur la gestion va s’insérer
naturellement dans cette assistance au Parlement. C’est sur ce
fondement qu’une proposition de loi est déposée au début des
années 1950 4 par le président et le rapporteur général de la
commission des finances de l’Assemblée nationale. Il s’agit :
« d’adapter les conditions d’établissement et de publication du rapport annuel de
la Cour des comptes aux nouvelles modalités de collaboration (aux assemblées)
apportées par la haute juridiction financière, en application de l’article 18 de la
5
Constitution ».
Il est en particulier prévu que la Cour pourra déposer son rapport en
plusieurs fascicules séparés de manière à faire connaître au
Parlement dans les plus brefs délais les résultats de ses
investigations et ses vues de réforme découlant du contrôle des
organismes de sécurité sociale, tandis que son rapport annuel sera
distribué aux chambres sans délai, les réponses des administrations
étant publiées lors de sa publication au Journal officiel 6 .
Les règles relatives à la publication du rapport annuel de la Cour, qui
résultent du décret-loi du 2 mai 1938, sont jugées insuffisantes pour
« assurer de manière efficace la collaboration étroite et active […]
instituée par la Constitution de 1946 7 ». Si ces dispositions ne
seront pas reprises par la Constitution de 1958 8 , l’article 164 de
l’ordonnance n° 58-1374 du 30 décembre 1958 prévoit cependant que
les commissions parlementaires peuvent demander à la Cour de «
procéder à des enquêtes sur la gestion des différents services ou
organismes soumis à la juridiction ou au contrôle de la Cour ». La loi
du 22 juin 1967 limitera cette disposition en réservant aux seules
commissions des finances le soin de solliciter la Cour pour réaliser
une enquête sur la gestion des services qu’elle contrôle. De par cette
assistance au Parlement, la Cour voit donc sa mission de contrôle sur
la gestion confirmée. Dans un ouvrage publié en 1949 9 , le président
de la commission des finances de l’Assemblée nationale demandait
que la Cour des comptes devienne « pour le Parlement ce que la
Constitution a voulu qu’elle soit : la plus haute autorité qualifiée
pour éclairer les représentants du Peuple, détenteurs du pouvoir
politique suprême, sur […] le fonctionnement général de
l’administration 10 ». La Cour des comptes seule est en effet en
mesure : « de saisir dans leur complexité et dans toute leur étendue
les manifestations les plus diverses de l’action administrative, de
déceler les abus procédant de la défaillance des hommes et les
imperfections imputables aux vices d’organisation, […] de porter un
jugement motivé sur le comportement des services publics et de
suggérer aux pouvoirs publics les réformes qu’il appelle 11 ».
La Cour des comptes va, du reste, elle-même poser ce lien entre
contrôle sur la gestion et assistance au Parlement. Elle se lance, par
exemple, dans son rapport public de 1961 sur l’examen des crédits
d’action internationale en considérant que l’importance de ces
dépenses conduit à ce que l’autorité budgétaire soit « exactement
informée […] et que les méthodes de gestion et de contrôle des
crédits permettent aux pouvoirs publics d’en apprécier l’emploi 12 ».
Un ensemble de facteurs contribuera ainsi au développement du
contrôle exercé par la Cour sur la gestion qui sera consacré par
l’article 1er de la loi n° 67-483 du 22 juin 1967 se référant à la notion
de bon emploi des fonds publics 13 . Il convient, du reste, de ne pas
oublier l’influence des organismes qui ont été associés à la Cour des
comptes aux lendemains de la seconde guerre mondiale. Nombreux
sont ainsi ses magistrats à avoir participé aux travaux du Comité
d’enquête sur le coût et le rendement des services publics 14 et à
ceux de la commission de vérification des entreprises publiques
créée par la loi du n° 48-24 du 6 janvier 1948 qui se voit confier le
soin de donner un avis sur la qualité de la gestion commerciale et
financière de ces entreprises 15 . Lors des premières années de son
fonctionnement, les travaux du Comité d’enquête sont relativement
bien coordonnés avec ceux de la Cour : sur 80 rapporteurs, une
vingtaine appartient à la Cour et des liaisons étroites sont établies en
ces deux institutions, l’examen des pièces et les enquêtes sur place
ayant vocation à se compléter.
« Le Comité a ainsi été amené à confier quand il le pouvait les enquêtes touchant
à un ministère au rapporteur de la Cour chargé de la comptabilité administrative
du ministère en question : l’expérience tirée du contrôle sur pièces a permis de la
sorte d’assurer à l’enquête sur place plus de rapidité en évitant des recherches
inutiles et plus d’efficacité en décelant à l’avance quelques-uns de principaux
16
points sur lesquels devait porter l’examen ».
Mais l’évolution ultérieure du Comité d’enquête explique sans doute
le fait que l’analyse des rapports publics de la Cour des comptes
entre le début des années 1950 et le début des années 1960 révèle un
certain malaise dans leurs relations. Il est, en particulier,
symptomatique que les travaux ou rapports du Comité d’enquête
sont alors peu mentionnés ; la comparaison avec la manière dont la
Cour a exploité aux lendemains de la première guerre mondiale les
travaux des diverses commissions d’économies et de réforme
administrative est sans appel. Lorsqu’ils le sont, c’est au même titre
que ceux de l’Inspection générale des finances, « tous les rapports
d’enquête ou de contrôle ont souligné le caractère peu réaliste de la
loi […] et en conséquence son manque d’efficacité 17 ». Il est rare que
la Cour reprenne expressément les recommandations formulées par
le Comité d’enquête lorsque ces conclusions n’ont pas été suivies
d’effets, et lorsqu’elle le fait, c’est aussi parfois pour prendre ses
distances. Il en est ainsi s’agissant, par exemple, de l’Imprimerie
nationale. La Cour mentionne que le Comité considérait que pendant
une période l’Imprimerie nationale devait continuer à bénéficier de
certains avantages, mais qu’à son avis, « de telles suggestions,
quelque séduisantes qu’elles puissent apparaître, ne devraient pas
entrer en application sans une étude plus approfondie 18 ». On peut
penser que la Cour des comptes n’a sans doute pas pu faire valoir son
analyse au sein du Comité d’enquête, analyse qu’elle tient cependant
à faire connaître. Ce qui est certain, c’est que la Cour des comptes
tente de s’imposer au cours des années 1950 comme un organe de
réflexion et de proposition en matière de réforme administrative. La
Cour va, du reste, s’appuyer sur le décret organique du 19 juin 1956.
La conception selon « laquelle la dépense publique ne devait avoir
que peu d’action sur l’économie générale […] est largement dépassée
». Alors que « l’équilibre budgétaire et l’équilibre économique
général peuvent de moins en moins [être] envisagés séparément, […]
l’aggravation des charges publiques et les difficultés toujours
renaissantes de trouver des ressources pour y faire face, ont rendu
nécessaire une recherche plus poussée du coût des services publics,
affectés à la satisfaction des besoins généraux, et de leur rendement
19
». La Cour définit le rôle du rapport public et les considérations
qui guident le choix de ses insertions au regard des enjeux qui
concernent « la sauvegarde des finances publiques ». « Leur objectif
essentiel est de susciter l’adoption de mesures générales destinées à
empêcher la continuation des abus constatés, le renouvellement des
erreurs commises, et à provoquer la prise en considération des périls
qui menacent l’équilibre économique et financier de certaines
institutions 20 ».
La Cour mentionne du reste que le décret du 14 novembre 1955
généralisant le système de la gestion, autant que le décret organique
du 19 juin 1956, répond aux préoccupations qu’elle a déjà, « à
maintes reprises » exprimées. À compter de 1956, le rapport public
de la Cour des comptes est, du reste, « dédoublé ». Ses observations
de nature comptable et budgétaire trouvent place dans un rapport
particulier qui accompagne le projet de loi de règlement ; le rapport
public peut donc plus qu’auparavant se consacrer à des observations
générales portant sur la gestion. Pour autant, la Cour tient à
maintenir un lien avec l’exécution du budget. Elle s’en justifie dans
son rapport sur les années 1957-1958 publié en 1960. Sans doute le
décret organique du 19 juin 1956 et l’ordonnance du 2 janvier 1959
ont-ils prévu qu’elle établit un rapport accompagnant le dépôt de la
loi de règlement, mais le budget étant la « pièce maîtresse » du
contrôle, la Cour consacrera la première partie de son rapport public
aux opérations budgétaires. Cela ne conduit pas « à transformer
pour autant la nature du rapport public qui doit demeurer
essentiellement un document destiné à la critique des gestions
administratives 21 ». Le contrôle sur la gestion et le contrôle de la
régularité viennent, par ailleurs, se compléter. Ce contrôle est, en
effet, dans un certain nombre d’hypothèses, relativement imbriqué
avec le contrôle de la régularité de la gestion publique ; le cas des
marchés publics est symptomatique de cette distinction parfois
difficile à opérer entre régularité et bonne gestion. La
réglementation des marchés publics conditionne, en effet, « la bonne
marche des services, une gestion de qualité, la possibilité de réaliser
des économies 22 ». Au début des années 1960, ils recouvrent plus de
la moitié des dépenses de l’État. Il faut donc en ce domaine « un
effort permanent de perfectionnement pour améliorer la technique
des marchés 23 , la compétence de ceux qui les passent, pour assurer
leur déroulement régulier 24 ». La Cour demande, à plusieurs
reprises, qu’au sein d’un même ministère « les commandes soient
groupées et que, même entre ministères, des modalités d’achats en
commun soient étudiées en vue d’obtenir de meilleurs prix 25 ».
L’exposé des motifs de la loi du 22 juin 1967 qui présente l’étendue
de la mission de contrôle sur la gestion exercée par la Cour des
comptes donnera un large périmètre à ce que le projet de loi
désignera sous les termes de contrôle du bon emploi des fonds
publics. Il s’agit non seulement des faits de mauvaise gestion, mais
aussi « des défauts de structure ou de procédures qui gênent l’action
administrative ». Dans un article publié en 1963 26 , le premier
président de la Cour des comptes, Roger Léonard, expliquait que si la
supervision de la régularité des opérations financières demeure
indispensable, elle n’est plus suffisante. L’« efficience » des gestions
financières apparaît, en effet, tout aussi essentielle 27 . Il convient
d’alléger l’État des procédures inutiles et redondantes qui paralysent
son action et diluent les responsabilités. Il convient en particulier, «
de rompre la verticalité, […] la féodalité des services, par l’institution
de pouvoirs déconcentrés polyvalents, qui rassembleront dans une
même main les attributions de services qui à l’échelon central
s’ignorent 28 ». On observe, du reste, le rapport qui va s’instaurer
entre la généralisation du contrôle sur la gestion, l’appréciation des
résultats de l’action publique et les recommandations tendant à
améliorer non seulement les méthodes administratives, mais
également le pilotage de l’action publique et la réorganisation des
administrations.

I. Contrôle sur la gestion et réforme


administrative dans les rapports publics des
années 1945-1967
Les observations de la Cour des comptes sur la gestion restent
marquées par une appréciation portée sur l’économie 29 et
l’efficience de la dépense publique, analyse qu’elle a développée dès
les lendemains de la première guerre mondiale. La Cour reprend
ainsi très largement les observations qu’elle a formulées sur la
période de l’entre-deux-guerres au sujet des offices, s’agissant des
établissements publics 30 . Elle réitère de même les critiques qu’elle a
formulées avant-guerre à l’égard des dépenses des collectivités
locales, s’agissant cette fois des syndicats intercommunaux, comme
en témoignent ses rapports des années 1953, 1954, 1956 ou 1958 31 .
Elle étend naturellement ces analyses à l’examen de la gestion des
organismes de sécurité sociale soumis à son contrôle, alors que
l’accroissement des dépenses sociales rend « d’autant plus nécessaire
de poursuivre dans toute la mesure du possible la diminution du
coût des services et l’amélioration de leur rendement 32 ». Mais elle
va désormais systématiser cette approche et l’approfondir. Revenant
sur ses traditionnelles observations sur les dépenses de travaux et
d’investissement, la Cour étend, par exemple, son contrôle au
rapport qualité-prix des devis et à la durabilité des constructions.
« La modicité du prix des devis semble avoir été illusoire dans bien des cas. Trop
souvent, le respect du prix prévu a été compensé par une mauvaise qualité des
matériaux utilisés ou par la construction de bâtiments trop légers. Cette
contraction des prix de revient s’est finalement traduite par la mise en service
d’installations dépourvues de solidité, dont l’entretien est onéreux et la durée
33
incertaine ».
Elle approfondit également son analyse de la gestion locale en
réalisant dans son rapport public pour 1960 une étude spécifique de
la gestion du domaine privé des collectivités locales 34 . La Cour
observe que dans la plupart des cas les biens sont acquis dans des «
conditions onéreuses » sans qu’ils soient « gérés de manière à leur
faire produire des revenus avantageux ou même normaux ». «
Certains domaines […] ne fourniraient […] qu’un rendement infime
et parfois même inexistant 35 ». Ce lien entre bonne gestion et
optimisation de la dépense publique se trouvera particulièrement
bien exposé dans son rapport public de 1961 à propos de l’utilisation
des crédits de l’Éducation nationale. « L’administration […] se trouve
en présence d’un redoutable problème d’utilisation des crédits. Leur
gaspillage, ou simplement leur emploi peu judicieux, laisserait sans
couverture une part des besoins prioritaires pour la satisfaction
desquels l’effort national est requis 36 ». « La prospection
méthodique et la discrimination des besoins doivent permettre de
dégager ceux qui sont irréductibles, et donc aider à les satisfaire en
leur réservant les ressources disponibles 37 ». Les analyses de la
Cour des comptes s’insèrent dans les préoccupations qui sont au
cœur des réflexions déjà anciennes sur la réforme administrative et
tenant au constat selon lequel « le rétablissement de l’équilibre
budgétaire ne pourra pas être obtenu par la méthode négative et
simpliste de la suppression des postes et de la diminution des
traitements, et qu’on n’atteindra le but poursuivi que par la véritable
réforme administrative réalisant, certes, des économies, mais aussi
une augmentation du rendement des organismes publics par la
simplification des rouages, le regroupement des services,
l’amélioration et la spécialisation des compétences 38 ».

A. Le fonctionnement et l’organisation des


administrations au cœur de l’examen portant sur la
gestion

La Cour va porter ses analyses sur plusieurs plans : l’organisation des


administrations centrales, leurs relations avec l’échelon déconcentré
ou leurs relations avec les établissements qui en dépendent.
Elle s’intéresse tout d’abord à l’échelon ministériel et, en particulier,
à l’organisation du ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme
où elle critique l’absence d’adéquation des structures aux missions
qui sont les siennes. Il a donc fallu, dans l’improvisation, note la
Cour, « sans cesse remanier » cette organisation. « Tantôt il fallait
créer un nouveau service, tantôt fusionner ou intégrer des services
aux attributions voisines, tantôt leur superposer un organisme ou
une direction pour une coordination devenue indispensable 39 ». On
a beaucoup commenté, à l’époque, son analyse de l’œuvre accomplie
par le ministère de la Reconstruction ; mais on a souvent mis l’accent
sur des critiques que l’on pourrait qualifier de classiques et qui sont
déjà présentes dans ses analyses sur les marchés de travaux des
décennies auparavant : absence de marché, d’appel à la concurrence,
insuffisance ou absence d’études préalables. Mais c’est aussi
l’organisation, et donc le fonctionnement du ministère, qui est très
largement critiquée. S’agissant, par exemple, des constructions
provisoires, leur « gestion […] est confiée à trois administrations
différentes… Il eût été de meilleure administration de confier aux
domaines l’ensemble des attributions d’ordre juridique et financier.
La multiplication des services ne devait pas faciliter des tâches par
elles-mêmes très complexes 40 ».
C’est pour la Cour essentiellement « l’absence de réglementation et
le manque de coordination des administrations intéressées, et dans
une large mesure aussi l’insuffisante aptitude et le manque
d’autorité de certaines d’entre elles » qui ont retardé l’engagement
des projets 41 .
Des critiques très comparables seront faites s’agissant du ministère
de l’Éducation nationale. L’adaptation des structures à l’évolution
des missions du ministère est incomplète. Ses lacunes tiennent, en
partie, à ce que la direction générale de l’Organisation et des
Programmes, créée en 1960, ne s’est pas substituée, mais s’est
superposée aux structures existantes. De sorte que certaines
questions demeurent « l’objet des compétences, en fait
concurrentes, de trois directions ». Le ministère pratique, par
ailleurs, une centralisation excessive de sorte que les services
centraux, « encombrés d’une multitude de cas d’espèce […] perdent
de vue les problèmes d’ensemble 42 ». Le service de santé des armées
est également passé au crible. La « structure assez lourde d’une
administration ancienne » n’a pas su s’adapter suffisamment aux
conditions nouvelles et traduit « une gestion insuffisamment
soucieuse des aspects économiques des problèmes 43 ». Ses
observations s’étendent naturellement aux services déconcentrés.
En 1960, elle s’intéresse ainsi aux services extérieurs du ministère de
l’Agriculture dont elle estime le regroupement souhaitable.
« Dans les départements, en effet, les administrations et le public sont obligés de
s’adresser, pour traiter des questions relevant de l’agriculture, à un grand
nombre d’autorités distinctes qui, parfois, s’ignorent entre elles ou sont établies
dans des immeubles séparés et éloignés les uns des autres » ; « cette dispersion,
préjudiciable […] appellerait, semble-t-il, des mesures de simplification et
44
d’économies ».
La Cour, en reconnaissant qu’il « ne rentre pas dans ses attributions
de prévoir dans le détail les modalités d’une réforme », préconise
cependant de regrouper certaines directions ou d’étendre la
compétence de certaines d’entre elles. Ses recommandations
n’hésitent pas à tracer avec une certaine précision les lignes d’une
organisation plus cohérente. Ainsi, écrit la Cour, « il paraîtrait
logique de regrouper autour des directions des services agricoles les
services vétérinaires, ceux des haras […] et ceux de la protection des
végétaux 45 ». La Cour porte également son attention sur les
relations qu’entretiennent le ministère de l’Éducation et les
nombreux établissements publics d’enseignement. La Cour
recommande en particulier une recentralisation des paiements des
dépenses de personnel au profit des rectorats ; « la décentralisation
se justifie dans la mesure où elle permet une meilleure adaptation
aux besoins », elle ne justifie pas le morcellement et l’éclatement des
opérations de liquidation. Cette solution permettrait « aux
établissements de réaliser des économies et aux rectorats d’adopter,
pour des liquidations plus nombreuses, des méthodes plus modernes
46
». Ce type d’analyses s’étend aussi aux structures qui gèrent le
régime général de Sécurité sociale 47 . Dans son rapport public de
1960, ce sont, par exemple, les caisses régionales d’invalidité qui
n’apparaissent pas être « un instrument de gestion » adapté à leurs
finalités. Le niveau régional fait, selon la Cour, « figure de relais qui
ralentit et alourdit inutilement les procédures. Il […] accroît le coût,
affaiblit le contrôle et diminue le rendement de la gestion 48 ».
D’une manière générale, en matière sociale, la faiblesse des organes
de direction lui apparaît comme la principale cause de mauvaise
gestion. L’examen de la gestion des hôpitaux la conduit, par
exemple, à formuler des observations sévères sur le cadre de gestion
de ces établissements tenant à l’insuffisante délimitation des
compétences des commissions administratives au détriment des
directeurs 49 . La Cour dénonce, d’ailleurs, dès le début des années
1950, les diverses causes d’affaiblissement qui minent l’autorité des
dirigeants des caisses de sécurité sociale. « De toutes les critiques
adressées aux méthodes de gestion de la sécurité sociale, la plus
fondée est probablement celle qui a trait au surclassement
désordonné des agents dans la hiérarchie 50 », la faiblesse des
conseils d’administration à l’égard des personnels est
particulièrement relevée 51 . Ce type d’insertion explique sans doute
l’amendement qui sera présenté par un député lors de l’examen
parlementaire de la loi du 22 juin 1967 et visant à exiger l’avis des
organisations syndicales les plus représentatives lorsque la Cour des
comptes envisage de contrôler la gestion des organismes de sécurité
sociale. Le raisonnement suivi est qu’il s’agit d’organismes pour
lesquels la collaboration des partenaires sociaux n’a cessé d’être
confiante et d’un domaine pour lequel il convient de conserver ce
caractère 52 . On observe donc un élargissement considérable du
contrôle sur la gestion, qui d’un contrôle sur la gestion de
l’organisme, de la structure elle-même, s’étend à un examen de la
structure et de l’organisme pris eux-mêmes comme instrument de
gestion d’un domaine d’activité ou d’une politique publique. Et ces
analyses ne se limitent pas à la sphère sociale. Cette dichotomie se
retrouve ainsi de manière très éloquente dans les observations
qu’elle porte dans le cadre de son rapport public de 1961 sur le
fonctionnement du service des Poudres et où elle recommande
diverses mesures propres à améliorer les coûts de production. La
Cour examine naturellement la gestion des différents sites et relève,
notamment, des différences significatives s’agissant des frais
généraux. Les frais de magasinage varient ainsi de 1,31 % à 7,26 %
des valeurs ajoutées de fabrication et ces chiffres traduisent pour la
Cour des anomalies dans l’organisation et la gestion des services
qu’il convient de corriger 53 .
Mais la Cour aborde surtout la question d’une manière globale et
considère qu’il conviendrait de commencer par « une révision
d’ensemble des structures industrielles du service, dont les activités
pourraient dans certains cas être regroupées », tandis que d’autres
devraient être cédées. La Cour a, en effet, réalisé une enquête qui
montre que sur les 45 installations en activité, seules 13 travaillent à
plus de la moitié de leur capacité de production. La Cour conclut que
le « plus important pour le rendement de l’exploitation industrielle,
serait les mesures tendant à en éviter la dispersion […], la fermeture
des établissements dont le pourcentage d’activité est nettement
insuffisant paraît s’imposer 54 ». Car cet élément explique
naturellement les différences de prix de revient d’un site à l’autre.
Alors que celui-ci est à Angoulême de 8,35 francs le kilo de poudre
noire, il est de 3,55 francs à la poudrerie de Vonges. La dispersion des
activités, qui se cumule à une insuffisante coordination, joue
négativement sur les coûts de production. C’est donc sur un plan
d’ensemble que les améliorations les plus importantes lui semblent
devoir être apportées : normalisation des matériels, unification des
nomenclatures techniques des matériels utilisés, centralisation des
achats des diverses poudreries (centralisation nécessitant une
amélioration de la normalisation des matériels) ; la Cour
recommande que soit étudiée une formule de regroupement régional
des achats. Elle demande également que le service des Poudres étoffe
son équipe commerciale, l’organisation de ses réseaux de vente et
augmente la désignation d’agents commerciaux 55 . Mais la Cour va
très loin dans ses recommandations, s’appuyant sur les travaux du
Comité de décentralisation de la région parisienne, elle n’hésite pas à
livrer une forme « d’étude d’impact » de ses propositions tenant à la
fermeture de deux établissements et au transfert de leurs activités,
établissements qu’elle désigne d’ailleurs explicitement ; « une étude
détaillée a permis d’estimer à plus de 6 millions de nouveaux francs
l’économie annuelle nette qui en résulterait ; le coût total du
transfert […] serait dans une large mesure compensé par la cession
des terrains et des bâtiments 56 ».

B. Les ambiguïtés du contrôle sur la gestion

La Cour va revendiquer le rôle qu’elle entend jouer en matière de


réforme administrative dans le préambule de ses rapports publics du
début des années 1960. On ne peut plus significative est
l’introduction de son rapport public de 1960.
« L’examen critique des structures, des méthodes de gestion, du rendement des
services publics correspond à un besoin d’autant plus impérieux que l’action de
ceux-ci et les charges qui en résultent ne cessent de s’accroître. Sans doute
demeure-t-il nécessaire qu’une institution aussi indépendante que la Cour relève
sans complaisance dans un document appelé à une large publicité les défaillances
les plus caractéristiques qu’elle a pu constater dans le fonctionnement de
certaines administrations. Mais il apparaît plus désirable encore que, sans rien
perdre de la solidité que lui assurent les pièces soumises à son contrôle, elle
regroupe ses observations dans le cadre d’études systématiques donnant des
vues étendues sur l’organisation et le fonctionnement des services afin de
favoriser leur perfectionnement ».
Dans son rapport public de 1961, la Cour précise qu’elle s’est «
efforcée de donner une portée constructive à sa critique dans le
souci de faire de son rapport un instrument permanent de
perfectionnement administratif ». « La solidité que lui assure la
connaissance exacte des pièces financières où se reflète toute
l’activité de l’administration », lui permet de « contribuer
efficacement à cette révision permanente des structures et des
procédures que rend indispensable l’évolution du monde moderne »
; « la Cour peut et doit » y contribuer 57 . Mais la Cour des comptes
est, dans le même temps, confrontée aux critiques qui sont opposées
à la rigueur de ses observations. Le ton très sévère 58 de la Cour, qui
a d’ailleurs permis au rapport public de 1948 d’être un succès de
librairie sous le titre La France au pillage 59 , va finir par nourrir un
certain nombre de critiques, y compris du côté de la doctrine 60 et
un risque non négligeable d’exploitation politique de ses travaux. On
voit, notamment, les journaux d’extrême droite se régaler
allègrement des rapports de la Cour 61 .
Exposée à ces critiques, la Cour se justifie. On voit apparaître dans le
préambule de ses rapports publics des insertions venant pondérer
les observations qu’elle y a rassemblées. Dans son rapport public de
1956, la Cour rappelle qu’elle « n’a pas reçu mission de dispenser des
éloges 62 », tandis que le rapport de 1958 se fait déjà plus nuancé
lorsqu’il précise qu’il « convient de ne pas oublier que le rapport
public de la Cour est avant tout, par sa nature même, un document
critique et qu’il serait inexactement interprété si l’on voulait y voir
une appréciation générale sur l’activité des services 63 ». Elle revient
sur ce point dans l’introduction de son rapport publié en 1960 :
« L’on se méprendrait sur le sens véritable du présent rapport en voulant y
trouver la marque d’une appréciation générale et péjorative du fonctionnement
des services. Les observations qui y sont formulées ne sauraient sans abus être
invoquées pour jeter le discrédit sur l’ensemble des administrations qui, à tous
les échelons de la hiérarchie, accomplit sa tâche dans des conditions
64
généralement satisfaisantes, parfois exemplaires ».
Mais lorsque la Cour tente d’orienter ses travaux d’une manière plus
constructive, elle prend alors le risque de se voir reprocher de
dépasser le rôle qui est le sien. Ces revendications explicites en
matière de réforme administrative disparaîtront, du reste, de ses
rapports suivants. Après le vote de la loi de 1967, la Cour se
montrera, en général, assez discrète sur les réformes à mettre en
œuvre. Globalement, la Cour semble s’en tenir plus que par le passé à
une conception illustrée par le préambule de son rapport public de
1974 : « le rapport public a principalement pour objet d’attirer
l’attention sur celles des actions administratives qui comportent des
imperfections ou des erreurs d’une gravité incontestable. Après quoi
c’est aux pouvoirs publics de promouvoir les moyens de les mettre
en œuvre 65 ». Il est vrai que la Cour s’est livrée à une véritable
revue des administrations au cours des années qui ont précédé la loi
du 22 juin 1967 qui, abordée sous cet angle, peut être analysée
comme une volonté d’encadrer plus étroitement l’objet du contrôle
sur la gestion. Si l’on prend l’exemple de la manière dont la Cour
analyse la question de l’aide sociale dans son rapport public de 1960,
on s’aperçoit qu’elle procède non seulement « à un examen
systématique des dépenses et des recettes des services d’aide sociale
dans huit départements choisis à titre d’exemple 66 », mais qu’elle
porte également son attention sur les services préfectoraux.
S’appuyant sur des recommandations antérieures de l’IGA qui avait
préconisé une réorganisation de ces services par nature des tâches à
accomplir : comptabilité, contentieux, contrôle, elle considère que «
les préfectures devraient obligatoirement constituer un fichier
général de l’aide sociale par famille », « l’organisation des bureaux
recommandée par une circulaire du ministère de l’Intérieur du 22
juin 1945 devrait, en outre, être remaniée : […] la spécialisation des
bureaux par nature d’aide n’est plus adaptée à la situation d’un
service surchargé de demandes 67 ».

C. Contrôle de la gestion et appréciation des résultats de


la gestion publique

L’on sait que la Cour s’était prononcée avant-guerre en faveur d’une


planification nationale des dépenses d’investissement dans un
double souci de cohérence et d’efficacité de la dépense publique. Elle
ne manquera pas de suivre le développement et les résultats de la
planification qui sera mise en place à la Libération : le défaut de
coordination, le cloisonnement des administrations seront mis en
cause. S’agissant, par exemple, des programmes de constructions
scolaires compris dans le premier programme quinquennal
d’équipement, la Cour considère qu’il n’est pas possible de
considérer que l’effort a été réparti « selon l’importance des besoins
». La « répartition des constructions nouvelles a [ainsi] relativement
défavorisé des régions dont l’équipement était, par rapport aux
besoins, particulièrement déficient 68 ». La révision de la carte
scolaire elle-même nécessitait, pour que des choix rationnels soient
faits, une documentation qui n’était pas réunie, d’autant que le
particularisme de chacune des directions du ministère s’opposait à
toute coordination 69 . Il convient également de relever que la Cour
dénoncera l’absence de liaison entre le Plan et la loi de finances,
allant jusqu’à s’exposer à des critiques virulentes 70 . Elle va
beaucoup s’intéresser à ces questions et réalisera, par exemple, en
1966, une étude des conditions de réalisation du IVe Plan s’agissant
des investissements du ministère de l’Équipement 71 . Ainsi, alors
qu’avant la seconde guerre mondiale, la Cour dénonçait le manque
de préparation de tel ou tel projet, elle dénonce désormais l’absence
de vision prospective et la logique de guichet qu’induit
l’organisation des administrations :
« Au lieu d’établir tout d’abord un programme fondé sur les besoins de chaque
région et d’en faire la base des améliorations à apporter à l’équipement national,
l’administration se borne le plus souvent à attendre les occasions qui s’offrent, à
instruire les demandes qui lui sont présentées comme si chacune d’elles
72
apportait une contribution à l’œuvre générale ».
Des observations de même nature sont, du reste, faites s’agissant de
la construction des bâtiments scolaires de la ville de Paris ; la Cour
déplore que les dépenses aient été faites sans un « programme
tenant compte de l’évolution prévisible de la population scolaire » et
que l’on se soit contenté de pourvoir à « la satisfaction des besoins
immédiats 73 ». Au-delà de la question des investissements, les
évolutions qui ont été décrites vont surtout permettre à la Cour des
comptes de présenter davantage de monographies sur le
fonctionnement des services ; son rapport publié en 1950 relatif aux
années 1948-1949 contient ainsi, par exemple, sur onze pages, une
monographie du service des importations et des exportations
montrant « le désordre, l’arbitraire et le gaspillage 74 ». « Ces
grandes monographies critiques sur le fonctionnement des services
constituent la partie constructive du rapport public, celle où la Cour
manifeste dans toute son efficacité son rôle d’auxiliaire du
Parlement 75 ». Le rapport public de 1960 qualifie ces monographies
« d’études systématiques donnant des vues étendues sur
l’organisation et le fonctionnement des services en vue de favoriser
leur perfectionnement 76 ». Pour cela il convient de procéder à un
examen attentif « des structures, des méthodes de gestion, du
rendement des services 77 ». À compter des années 1950, la Cour des
comptes s’attachera également à développer des analyses dites
sectorielles : on pense évidemment à la politique du logement. Mais
les exemples se multiplient au cours des années 1960 avec les lacunes
de la politique de décentralisation industrielle (rapport public 1962),
la mise en place des opérations de rénovation urbaine (rapports
publics 1963, 1965, 1968) ou l’efficacité de la politique de promotion
sociale et de formation professionnelle (rapport public 1965) 78 . La
Cour consacrera, notamment, de telles analyses en matière sociale
dans ses rapports dès la fin des années 1950 : analyse des hôpitaux
publics (rapport public sur les années 1955-1956), sur l’aide sociale
(rapport public sur les années 1957-1958), puis les hôpitaux
psychiatriques (rapport sur l’année 1959 publié en 1961).
Ces analyses s’intéressent beaucoup plus que par le passé aux
réalisations et aux résultats obtenus. La politique du logement est en
la matière un terrain d’élection pour la Cour qui, dans son rapport
public de 1958, porte son examen sur les interventions publiques en
faveur du logement ; la Cour commence par détailler l’éventail des
dispositifs concernés : prêts, garanties, bonifications d’intérêts,
exonérations d’impôts, etc., énonce ensuite les résultats obtenus au
regard du nombre de logements construits, pour s’intéresser à la
question « de savoir si ces résultats apportent une contrepartie
suffisante à l’effort fourni et s’ils correspondent aux besoins dans
leur répartition géographique et sociale 79 ». Et de conclure que le
système coûteux d’aide de l’État a été vicié dans son principe 80 . La
Cour avait déjà eu l’occasion de noter que les programmes de
construction du ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme
n’avaient pas répondu aux besoins. Alors que l’objectif était de
disposer rapidement de logements simples d’un nombre aussi
important que possible, les réalisations ont porté sur la construction
de logement d’une classe relativement élevée entraînant, d’une part,
une réduction du nombre de logements construits et, d’autre part,
l’impossibilité d’y loger des familles de condition modeste 81 . Mais
ces analyses se déploient également en d’autres domaines.
S’agissant, par exemple, des hôpitaux psychiatriques, la Cour
commence par un inventaire des besoins et des ressources
existantes, elle compare le nombre de malades et les évolutions en
cours aux équipements existants, tant au regard des capacités
d’hospitalisation, de l’état des locaux ou de leur implantation, pour
conclure que la législation n’est plus adaptée aux besoins. Son
analyse s’étend, par ailleurs, aux résultats qu’ont donnés les
premiers plans d’équipement pour considérer que leur étude trop
sommaire, leur révision fréquente, ont aggravé les coûts sans
permettre à l’État de « coordonner efficacement les initiatives
locales et d’assurer son contrôle sur l’exécution des travaux 82 ». On
le voit également dans son analyse de la politique d’aide sociale, où
la Cour observe qu’il n’est pas possible de connaître « le nombre
exact des bénéficiaires des diverses formes d’aide 83 ». Ce type
d’observations se retrouvera lorsque la Cour procédera au début des
années 1980 à l’évaluation de la politique d’insertion des adultes
handicapés et qu’elle constatera dans son rapport annuel pour 1982
l’absence de coordination entre les acteurs et un défaut de pilotage
largement imputable aux carences graves des systèmes
d’information qui ne permettent pas de connaître des données aussi
simples que le nombre de handicapés ou de bénéficiaires de telle ou
telle prestation.
La Cour réalise également des études transversales, par exemple au
sujet des interventions économiques des collectivités locales 84 .
Pour la Cour, l’appréciation à porter sur ces initiatives varie
naturellement « selon la nature et le mode des activités exercées »,
mais aussi selon « les résultats constatés 85 ». Elle reprendra, du
reste, dans ce cadre, un certain nombre d’analyses qu’elle avait
développées avant la seconde guerre mondiale. Très intéressantes
sont également ses observations sur l’aide internationale ; la Cour
considère que la dispersion des crédits et des imputations
budgétaires ne repose sur aucune méthode rationnelle, tenant soit à
la compétence du ministère des Affaires étrangères, soit à celle des
ministères techniques. La Cour estime qu’il « apparaît urgent de
procéder à une étude comparative des participations françaises, à
une analyse de leur coût et de leur efficacité 86 ». La Cour n’hésite
pas non plus à se prononcer sur l’inefficacité des aides et avances
consenties par l’État au profit d’entreprises en difficulté lorsque la
situation économique de celles-ci est sans espoir. Si l’aide apportée
aux entreprises en difficulté s’explique par le soutien à certaines
activités régionales et au maintien des emplois, l’État ne peut, écrit
la Cour, que retarder l’inévitable au moyen d’appréciables sacrifices
lorsque ces exploitations ont définitivement cessé d’être rentables
87
.

II. Le contrôle du bon emploi des fonds


publics dans la loi du 22 juin 1967
Le projet de loi relatif à la Cour des comptes est déposé par le
Gouvernement le 30 juin 1966, soit au cours de la précédente
législature 88 . N’ayant pu être examiné lors de la dernière session
d’automne par la commission des finances de l’Assemblée nationale,
il est donc reporté, tandis que le Gouvernement revoit légèrement sa
copie et dépose un second projet de loi. Si les termes de la loi du 22
juin 1967 résultent d’un compromis, il s’agit cependant
essentiellement d’un texte de consolidation et de codification 89 qui
ne donne, toutefois, pas entière satisfaction.

A. Un texte de compromis
Les dispositions relatives au contrôle du bon emploi des fonds
publics furent celles dont l’adoption fut la plus laborieuse de toutes
les dispositions de la loi de 1967. Il s’agit de consacrer pour la
première fois un texte législatif au contrôle sur la gestion et de lui «
donner un fondement indiscutable 90 ». La reconnaissance de cette
mission doit se faire en trouvant « une bonne mesure entre des
attributions conformes à la pratique actuelle et les domaines
traditionnels de contrôle des corps d’inspection administratifs 91 ».
Le projet du Gouvernement prévoit donc que « dans
l’accomplissement de ses missions, [la Cour] exerce un contrôle a
posteriori sur la gestion financière des services de l’État […] et sur
celle des autres personnes morales de droit public ». Les termes a
posteriori expriment l’idée que ce contrôle est différent de celui
qu’exercent les corps d’inspection ministériels et en particulier
l’Inspection des finances 92 . La rédaction se veut neutre et « n’ouvre
ni ne ferme aucune porte, tant à la Cour qu’aux corps généraux
d’inspection 93 ». Ces termes ont, du reste, déjà été employés lors
des débats parlementaires précédant l’adoption de la loi du 31
décembre 1949 étendant le contrôle de la Cour sur les organismes de
Sécurité sociale 94 . Si cette distinction des rôles respectifs de la Cour
des comptes et de celui des corps de contrôle et d’inspection n’est
pas nouvelle 95 , la Cour craignit que cette rédaction ne vienne
limiter le contrôle qu’elle exerçait déjà sur la gestion financière des
ordonnateurs, mission qui lui semblait tout aussi fondamentale que
ses autres missions. Cette crainte fut partagée par certains
parlementaires redoutant que le texte proposé par le Gouvernement
n’aboutisse à une régression des missions exercées par la Cour.
La liaison qui était faite avec les autres attributions de la Cour parut
ainsi restrictive au Parlement en semblant « subordonner la mission
de contrôle de la Cour des comptes sur la gestion financière des
ordonnateurs à l’exercice de celle de juge des comptes et d’auxiliaire
» des pouvoirs publics. Il fut donc proposé par l’un des membres de
la commission des Finances de l’Assemblée nationale de modifier la
rédaction initiale du texte en indiquant que la Cour « vérifie la
régularité des recettes et des dépenses publiques ; elle s’assure du
bon emploi des deniers gérés par les services de l’État et […] par les
autres personnes morales de droit public 96 ». Selon Valéry Giscard
d’Estaing, alors président de la commission des finances de
l’Assemblée, l’amendement Voilquin « s’inspirait très étroitement du
texte sur lequel semblaient s’être mis officieusement d’accord, au
mois de décembre 1966, les représentants de la Cour des comptes, en
présence du président et du rapporteur général de la commission
des finances d’alors 97 ».
Mais cette formulation fit pourtant craindre au Gouvernement «
qu’une interprétation extensive […] ne conduise ultérieurement la
Cour à déborder de ses attributions actuelles et à s’ériger en juge de
l’opportunité des actes des ordonnateurs 98 ». La formule de
compromis retenue par l’article 1er de la loi du 22 juin 1967 fut donc
que :
« La Cour des comptes […] vérifie la régularité des recettes et des dépenses
décrites dans les comptabilités publiques et s’assure, à partir de l’examen de ces
dernières, du bon emploi des crédits, fonds et valeurs gérés par les services de
l’État […] et par les autres personnes morales de droit public ».
Le fait que ce contrôle s’exerce à partir des comptabilités « limite les
interprétations extensives qu’encouragerait l’imprécision des termes
de l’article 1er de la loi du 22 juin 1967. Elle trace la frontière à ne pas
franchir 99 ». La portée de cette liaison avec la comptabilité fut
précisée par le secrétaire d’État Robert Boulin : les termes «
comptabilités publiques » visent « toutes les écritures, pièces
justificatives et documents tenus ou établis par les services
ordonnateurs ou comptables, aux stades successifs de l’exécution des
dépenses et, le cas échéant, les comptabilités de prix de revient 100
». Cette interprétation ne faisait, d’ailleurs que reprendre les
dispositions des articles 51 à 54 du décret du 29 décembre 1962
portant règlement général sur la comptabilité publique.

B. Un texte de consolidation

Il est tout d’abord intéressant de relever que cette œuvre de


consolidation doit permettre d’améliorer le rayonnement du modèle
français de Cour des comptes, ainsi que l’indique l’exposé des motifs
du projet de loi.
« Bien que cette préoccupation ne soit pas essentielle, le désordre actuel des
textes ne permet pas à la Cour des comptes de donner aux nombreux pays, qui
voient dans la juridiction française une institution originale de contrôle a
101
posteriori, une idée claire de son rôle et de son fonctionnement ».
La loi du 22 juin 1967 qui consacre le contrôle du bon emploi des
fonds publics va naturellement maintenir l’indépendance découlant
de la réforme comptable des années 1930 entre l’examen des
comptes et les attributions administratives de la Cour. Il n’est pas
nécessaire « pour que la Cour exerce son contrôle […] que les
comptes enregistrant les recettes et les dépenses publiques aient été
produits 102 ». Ce texte va également porter consolidation des
moyens d’investigation qui ont permis l’extension et la
généralisation de ses observations sur la gestion. Car, « pour être
exercé dans de bonnes conditions, le contrôle de gestion doit être
assorti de moyens d’investigations étendus : communication de
documents, auditions de témoins, concours d’experts 103 ». Pour
autant, ces évolutions ne sont guère le fait de la loi du 22 juin 1967 ;
l’essentiel de ces acquis est issu de la loi de finances rectificative n°
63-778 du 31 juillet 1963. Ces dispositions, insérées lors de l’examen
parlementaire du texte, prennent de cours le Gouvernement qui,
après avoir fait observer « qu’il ne lui semblait pas que la Cour des
comptes éprouvât quelque gêne d’une insuffisance quelconque de
ses pouvoirs d’investigation », s’en « remet à la sagesse du Sénat 104
». À partir de 1963, il lui est ainsi possible d’entendre les chefs de
service concernés, d’obtenir communication de l’ensemble des
rapports des corps d’inspection, de recourir à des compétences
extérieures pour l’étude des marchés de l’État, tandis qu’elle peut
demander le concours d’experts pour des matières techniques 105 . «
Chaque rapport public marque une progression, rendue d’ailleurs
possible par les moyens d’investigation nouveaux mis à sa
disposition 106 ».

1. Les dispositions de la loi de finances rectificative du 31 juillet


1963

Si, aux lendemains de la première guerre mondiale, les


parlementaires formulent un certain nombre de propositions pour
remédier à l’incapacité de la Cour des comptes de pouvoir obtenir
certains documents, incapacité qui limite ses capacités de contrôle, il
faut donc attendre la loi du 31 juillet 1963 pour que la Cour se voie
reconnaître le droit de se faire communiquer tous documents, de
quelque nature que ce soit, « relatifs à la gestion des finances
publiques […] réserve faite des sujets de caractère secret concernant
la Défense nationale, les Affaires étrangères, la sécurité intérieure et
extérieure de l’État 107 ». Ces dispositions sont issues de l’article 9 de
la loi du 31 juillet 1963. Cet article ne figurait pas dans le projet de loi
de finances rectificative déposé par le Gouvernement, qui contenait,
en revanche, diverses dispositions renforçant les compétences de la
Cour de discipline budgétaire et financière. C’est le Sénat, sur
proposition de sa commission des finances 108 qui insère ces
dispositions en s’inspirant des pouvoirs détenus par les rapporteurs
spéciaux des commissions des finances par analogie avec les
dispositions de la loi de finances rectificative du 21 décembre 1958
qui prévoit qu’ils ont la possibilité de se faire communiquer tous
documents de service de quelque nature que ce soit relatifs à la
gestion des finances publiques. Les termes « tous documents de
quelque nature que ce soit » comprennent les rapports des corps de
contrôle. Tel est le sens des travaux préparatoires. L’enjeu est, du
reste, de décloisonner les corps de contrôle. Le sénateur Pellenc
expliquait qu’auparavant la Cour des comptes n’avait pas droit à ces
rapports et qu’elle se trouvait donc dans « l’obligation de
redécouvrir, elle-même, par sa sagacité, des fautes que d’autres
organismes publics avaient déjà découvertes 109 ».
Mais si cette transmission est faite sur demande de la Cour, il n’y a
qu’en matière sociale que les textes vont prescrire la transmission
périodique par les ministres en charge de la tutelle des organismes
de Sécurité sociale du relevé des contrôles, enquêtes et vérifications
effectués. Le dispositif issu de la loi de finances rectificative de 1963
sera confirmé par la loi de 1967 et son décret d’application de 1968.
L’article 34 du décret du 20 septembre 1968 prévoit, notamment, que
« la Cour des comptes se fait communiquer, par l’intermédiaire du
procureur général, les rapports des institutions et corps de contrôle
». La loi du 31 juillet 1963 va également donner à la Cour des comptes
le pouvoir de procéder à des auditions et d’entendre tout directeur
ou chef de service, tout gestionnaire de fonds publics, tout membre
des institutions et corps de contrôle. La loi de 1963 vient elle-même
confirmer un certain nombre d’initiatives qui ont été prises par la
Cour. C’est ainsi la Cour des comptes qui, par un arrêté de son
premier président du 25 juillet 1956, a donné aux présidents de
Chambre la faculté d’entendre, en présence du rapporteur et du
contre-rapporteur, les chefs de services soumis à son contrôle ou
leurs représentants. « Mais cette mesure n’avait pas force obligatoire
vis-à-vis des fonctionnaires qui pouvaient se dispenser de répondre à
la convocation de la Cour. La loi du 31 juillet 1963, reprise par la loi
du 22 juin 1967, lui a donné force obligatoire 110 », tandis que la
procédure des auditions sera étendue par l’article 35 du décret de
1968 aux représentants des organismes dont la gestion échappe aux
règles de la comptabilité publique. Les auditions étaient d’ailleurs
fréquemment utilisées dans le cadre des travaux de la commission de
vérification des comptes des entreprises publiques créée en 1948.
« L’audition des dirigeants des entreprises, à l’occasion de l’examen de chacun
des rapports particuliers, permet, en effet, non seulement de discuter de façon
approfondie les constatations auxquelles sont parvenus les rapporteurs, mais
aussi de recueillir les renseignements les plus récents sur la marche des
111
établissements ».
Des dispositions en ce sens avaient été introduites s’agissant des
organismes de sécurité sociale par le règlement d’administration
publique du 8 mai 1950. Il est assez paradoxal d’observer le caractère
tardif de ces dispositions légales 112 , alors que l’intérêt d’échanges
directs avec les services a été assez vite soulevé par la doctrine.
Ainsi, lorsque Victor de Marcé publie en 1900 à la Revue politique et
parlementaire une étude du système budgétaire anglais, il ne manque
pas de relever la grande différence qui existe entre le système
anglais et le système français, la supériorité du système anglais
tenant, en particulier, au contact direct entre contrôleur et contrôlé.
« En France, au contraire, la Cour des comptes […] correspond, par
ses référés, non pas avec un administrateur, mais avec le ministre,
ou plutôt des bureaux anonymes. De plus, l’Audit Office a libre accès
aux livres de comptabilité. Il peut prendre connaissance, dans tous
les départements ministériels, de toute correspondance, de tous
documents relatifs à la comptabilité. Il entre officiellement en
relations directes avec les bureaux ; il a le droit d’enquête. Combien
plus limités sont les droits de notre Cour des comptes, qui ne statue
que sur les pièces que les règlements l’autorisent à réclamer 113 ! »

2. Les autres dispositions de la loi du 22 juin 1967

Pendant des décennies, l’absence de contrôle sur place limite


singulièrement le contrôle de la Cour. On le voit assez nettement
dans le rapport public sur l’exercice 1909 s’agissant des avances
faites au Trésor par la Banque de France pour les institutions du
Crédit mutuel agricole. « Un contrôle sérieux […] ne peut s’exercer
que sur place ; il porte d’ailleurs sur la gestion financière
d’institutions dont les deniers ne sont pas des deniers publics ; ni en
fait, ni en droit, ils ne relèvent donc du juge des comptes 114 ». À
partir du moment où le contrôle de la Cour s’est étendu à des
organismes situés hors du champ de la comptabilité publique et
qu’elle a porté son appréciation sur leur gestion, le raisonnement ne
tient évidemment plus. En 1936, les membres de la Cour des comptes
se voient, du reste, reconnaître le droit d’obtenir copie des
documents qu’ils jugeront nécessaires à l’exercice de leur contrôle
ou éventuellement d’en prendre connaissance sur place, mais cette
prérogative ne concerne que les pièces ayant préparé et réalisé
l’engagement et la liquidation pour la dépense, la naissance et la
constatation du droit pour la recette et ne concerne que les
opérations de l’État. Il s’agit, en réalité, d’une forme de droit de
communication 115 , mais celui-ci va avoir pour conséquences de
permettre davantage d’échanges avec les services 116 . C’est
cependant assez peu, et assez tardif, si l’on compare ces dispositions
à celles qui s’appliquent à la même époque à la Cour des comptes
allemande. Dès les années 1920, celle-ci contrôle sur place le
fonctionnement des services 117 , soit en y envoyant des
vérificateurs, soit en y créant des services de contrôle qui dépendent
d’elle 118 . Aux lendemains de la seconde guerre mondiale, la Cour
recourt très largement à cette procédure dans le cadre de la
vérification des comptabilités administratives qui procure « des
renseignements plus complets et plus rapides que l’examen des
pièces justificatives » et qui seule peut « permettre d’apprécier la
qualité de la gestion 119 ». Elle y est également poussée par le fait
que l’extension de ses attributions est sans commune mesure avec
l’évolution de ses effectifs et qu’elle se doit de transformer « en
profondeur ses méthodes, en modernisant ses procédés
d’investigation [et en] assurant par ses rapporteurs un contact direct
et de plus en plus étroit avec les administrations qu’elle contrôle 120
».
Cette faculté lui a, du reste, été également reconnue en matière de
contrôle des organismes de Sécurité sociale. Le décret du 8 mai 1950
portant application de la loi du 31 décembre 1949 donne aux
magistrats de la Cour des comptes la faculté de se rendre au siège des
caisses de Sécurité sociale et de s’y faire communiquer « tous
documents, registres, livres, justifications de recettes et de dépenses
». Le contrôle de la gestion des organismes de sécurité sociale
implique, en effet, de donner aux magistrats de la Cour des comptes
les pouvoirs d’investigation tant sur pièces que sur place et ne se
contente pas de l’examen de pièces justificatives ; « des enquêtes sur
place sont devenues indispensables » ; « les méthodes de la Cour ont
donc dû se transformer 121 ». La Cour des comptes va insister à
plusieurs reprises sur l’importance de ces contrôles sur place. Dans
les faits, ceux-ci sont déjà très éloignés de l’esprit et de la lettre des
textes de 1936. Pour son étude sur les hôpitaux psychiatriques
publiée dans le cadre de son rapport public de 1961, la Cour réalise
une véritable enquête sur place. Elle « ne s’est pas attachée
uniquement à l’aspect administratif et financier de la question
étudiée ; elle a tenu compte d’autres éléments d’ordre social ou
technique, qui n’étaient pas séparables, et au sujet desquels le
ministère de la santé publique lui a donné toutes facilités
d’information 122 ». Ici encore les textes vont largement s’adapter
aux évolutions des méthodes de contrôle et aux faits. L’article 32 du
décret du 20 septembre 1968 prévoit non seulement que les
ordonnateurs, comptables et autorités de tutelle sont tenus de
communiquer aux magistrats de la Cour tous documents et
renseignements relatifs à la gestion des services et organismes
contrôlés, mais aussi que ses magistrats ont accès à tous immeubles,
locaux et propriétés compris dans les patrimoines de l’État ou des
autres personnes morales de droit public et qu’ils peuvent procéder
à la vérification des fournitures, matériels, travaux et constructions.
S’agissant des communications de la Cour, la loi du 22 juin 1967 vient
également adapter le cadre juridique aux évolutions observées.
Jusque-là, les communications de la Cour des comptes aux autorités
administratives reposaient sur les dispositions de la loi du 16
septembre 1807 et du décret du 28 septembre 1807. Sur ce point, la
thèse de Mme Pierrette Rongère, soutenue en 1963, soit avant la loi
du 22 juin 1967 est fort intéressante. L’auteur a eu accès aux référés
de la Cour, qu’elle a pu consulter et analyser. Il ressort de ces
travaux qu’une part tout à fait significative des référés de la Cour est
relative à des questions générales et cela même parmi les référés
datant d’avant la seconde guerre mondiale 123 . L’auteur estime qu’au
début des années 1960, près de 70 % des référés traitent de questions
générales ; c’est l’occasion pour la Cour de présenter des questions
de principe qui lui ont certes été révélées par un examen de tels
services, établissement ou collectivités, mais sans que ceux-ci soient
mentionnés. Cette évolution des référés accompagne l’évolution du
rapport public de la Cour ; et l’auteur donne un certain nombre
d’exemples de référés de principe, longs de plusieurs pages, dont
l’essentiel des analyses se retrouve ensuite au rapport public. C’est,
par exemple, le cas des référés adressés pendant les années 1959-
1960 au sujet des conditions dans lesquelles les communes de
montagne ont aménagé des stations de sports d’hiver 124 . L’auteur
écrit ainsi qu’il n’est pas de ministère : « qui ne se voit proposer par
la Cour au moins quatre ou cinq idées de décret par an et quelquefois
un projet de loi. Ces propositions sont généralement très techniques
et de portée assez limitée, mais dans l’ensemble révèlent une
tendance à demander à ce que tout ce qui peut être codifié,
uniformisé, mis sous statut, le soit. La Cour des comptes ne paraît
pas avoir pour souci de limiter ce que d’aucuns appellent l’inflation
des textes réglementaires et législatifs 125 ».
Le nombre de référés qui dénoncent une gestion particulièrement
coûteuse est également significatif ; l’on y parle de « gaspillage », de
« conséquences particulièrement onéreuses », de « sommes
dilapidées ». Dans un certain nombre de cas, la mauvaise gestion est
« la conséquence d’une mauvaise réglementation » et la Cour
suggère « d’établir les conditions objectives d’une gestion saine et
efficace 126 ». Ici encore, la loi de 1967 ne fera donc que confirmer
dans son article 8 le fait que :
« Les observations, les suggestions d’amélioration et de réformes portant sur la
gestion des services et organismes visés par l’article 1er de la présente loi, font
l’objet de communications de la Cour des comptes aux ministres intéressés et aux
autorités administratives compétentes ».

C. Un texte donnant imparfaitement satisfaction

La loi du 22 juin 1967 sera suivie de dispositions réglementaires


spécifiques s’agissant du contrôle exercé sur la Caisse des dépôts et
consignations 127 et complétée par le décret n° 68-827 du 20
septembre 1968 qui précisera le contrôle qu’elle exerce sur les
organismes qui bénéficient du concours financier de l’État ou d’une
autre personne morale de droit public 128 . Les pouvoirs de
vérification de la Cour des comptes sont élargis. L’article 33 du
décret du 20 septembre 1968 prévoit ainsi que ce contrôle s’exerce
sur l’ensemble de la gestion de l’organisme si le concours financier
est reçu sous une forme autre qu’une taxe parafiscale ou qu’une
subvention affectée à un objet déterminé ou lorsque ces concours
financiers dépassent la moitié des ressources de l’organisme
considéré 129 . Mais si la loi du 22 juin 1967 étend le champ
d’application du contrôle exercé sur la Cour des comptes sur un
certain nombre d’organismes, elle va maintenir en l’état la
physionomie des institutions associées à la Cour. La commission de
vérification des comptes des entreprises publiques créée par la loi du
6 janvier 1948 est, en particulier, maintenue, alors que certaines voix
s’expriment pour une intégration complète de ses attributions à
celles de la Cour 130 . Lors de la discussion du projet de loi, le sujet est
du reste abordé.
« On peut s’interroger sur l’opportunité de maintenir un organisme particulier,
proche par sa composition, mais distinct de la Cour, pour examiner a posteriori la
gestion des entreprises publiques. Sa disparition et l’attribution de sa fonction à
la juridiction permettraient un meilleur lien entre le contrôle du secteur
administratif et celui du secteur industriel et commercial et, surtout, de faire
bénéficier la vérification des comptes du prestige encore reconnu du “label Cour
131
des comptes” ».
Le rapport établi par le sénateur Yvon Coudé du Foresto sur le projet
de loi relatif à la Cour des comptes se posera lui aussi la question de
savoir si « une réforme plus profonde n’eût pas été souhaitable 132 ».
Dans un article publié en 1969, Francis J. Fabre s’exprime très
clairement en ce sens et considère que la loi de 1967 est très éloignée
des souhaits de nombreux magistrats de la Cour des comptes 133 .
Pour cet auteur, l’absence d’intégration des compétences de la
commission de vérification des comptes des entreprises publiques à
la Cour et la création d’une institution ad hoc en 1948 s’expliquent
par des raisons conjoncturelles qui ne se justifient plus guère en
1967. L’auteur n’hésite pas à écrire que « la réforme parcellaire de la
Cour des comptes ne saurait constituer qu’un pis-aller » et qu’il
serait « bon qu’un processus d’une tout autre ampleur soit amorcé
dès que possible par le vote d’une loi d’orientation du contrôle
financier et de la réforme administrative 134 ». Il est vrai que les
organismes associés, auquel il faut ajouter la CDBF, témoignent sans
doute d’une volonté confuse d’accompagner des évolutions jugées
souhaitables, mais sans aller à confier ces compétences à la Cour des
comptes elle-même. La loi du 22 juin 1967 vient seulement assouplir
la séparation qui existe entre les compétences de la Cour et celles de
la commission de vérification des comptes des entreprises publiques
en prévoyant la possibilité d’un transfert de compétences entre la
commission et la Cour pour les établissements dotés d’un comptable
public 135 .
Les mêmes interrogations sont posées à l’égard du Comité d’enquête.
À la fin des années 1960, « de nombreux magistrats paraissent
souhaiter que la Cour reçoive également les attributions dévolues
jusqu’ici au Comité central d’enquête sur le coût et le rendement des
services publics 136 ». L’auteur estime cependant que «
personnellement », l’attribution à la Cour des comptes lui paraît «
présenter peu d’avantages », la Cour des comptes ayant « déjà toute
latitude pour apprécier la qualité des gestions publiques et faire
toutes propositions d’amélioration ou de réformes ». La question des
suites données aux observations de la Cour se pose également à
nouveau 137 . Le décret du 20 septembre 1968 prévoit dans son article
48 que, dans chaque ministère, un fonctionnaire dont la désignation
est notifiée à la Cour des comptes est chargé de veiller aux suites
données aux référés de la Cour. Mais il ne s’agit ici encore que de la
reprise de dispositions précédentes 138 . Lors des débats
parlementaires entourant l’adoption de la loi du 22 juin 1967, il est
du reste demandé que le Gouvernement dépose chaque année « lors
de la discussion du budget de chaque département ministériel un
rapport séparé exposant les suites réservées aux observations du
rapport public de la Cour des comptes 139 ». Peu de temps après son
adoption, une proposition de loi est déposée qui tend à la création,
dans les quinze jours du dépôt sur le bureau de l’Assemblée
nationale du rapport annuel de la Cour, d’une commission spéciale
dite « d’application des observations contenues dans le rapport de la
Cour des comptes ». Composée de trente membres désignés à la
représentation proportionnelle des groupes, la commission pourrait
proposer d’effectuer des abattements sur les crédits des
départements ministériels les plus réticents à adopter les principes
d’une saine gestion de leurs crédits 140 . Cette question a donné lieu,
du côté de l’exécutif, à la mise en place d’une commission
administrative des suites au cours de l’année précédente. Au début
des années 1960, le général de Gaulle marque, en effet, « sa volonté
d’être personnellement tenu informé des suites » qui seront données
aux observations de la Cour des comptes et un groupe de travail est
constitué auprès du Premier ministre « pour faire l’inventaire des
questions [soulevées par la Cour] et établir des propositions
concrètes pour chacune d’entre elles 141 ». Un arrêté
interministériel du 2 juillet 1963 crée une commission chargée
d’examiner le rapport publié sur l’année 1961. Puis, à partir de 1966,
une commission des suites, placée auprès du ministère des Finances,
est installée chaque année par arrêté pour étudier le rapport de la
Cour 142 .
Conclusion : quelles répercussions sur la
Cour des comptes ?
Dans un article publié en 1969, un magistrat de la Cour des comptes
présentait les conditions devant permettre d’améliorer les
conditions d’exercice du contrôle portant sur la gestion 143 et
mettait en avant les points faibles dont souffrait selon lui la Cour.
L’auteur commence par un constat portant sur la très grande
diversité des profils et tenant à l’éventail des âges, de 25 à 70 ans, des
recrutements et des carrières, certains magistrats officiant
essentiellement dans l’administration active et ne faisant à la Cour
des comptes que de « brefs séjours », de sorte qu’une « étude
approfondie du corps révélerait une grande diversité de conceptions
quant à l’orientation et aux méthodes de contrôle 144 ». L’un des
enjeux du contrôle sur la gestion est la coordination nécessaire des
travaux des rapporteurs de la Cour. Le député Fleury-Ravarin l’avait
bien compris lorsqu’il écrivait en 1921 qu’il conviendrait sans doute
que « la conférence des présidents de chambre, présidée par le
premier président, pourrait aiguiller les référendaires vers tel ordre
de recherches 145 ».
Améliorer le contrôle du bon emploi des fonds publics nécessite
également de donner « plus de valeur aux programmes de
vérification ». Or, « orienter et coordonner l’action des Chambres et
de leurs rapporteurs » semble heurter certaines sensibilités 146 . Le
contrôle du bon emploi des fonds publics va cependant aboutir à la
mise en place de nouvelles méthodes de travail : « dans le cadre de
chaque chambre, les enquêtes portant sur les sujets les plus
complexes ont été confiées à des équipes de rapporteurs travaillant
sous la direction d’un conseiller maître ». La réforme de 1936 avait
déjà eu des conséquences nettes sur l’organisation interne du travail
de la Cour et entraîné la constitution d’équipes de rapporteurs
constituées généralement autour d’un conseiller maître pour
examiner les dépenses d’un ministère. Après-guerre, des groupes de
travail interchambres vont recevoir « la responsabilité d’animer et
de coordonner des études de portée générale 147 » (étude des
démembrements des services publics, par exemple).
« Pour remplir la mission qui leur est impartie, ces groupes, d’effectif restreint,
procèdent à une première exploration du sujet, rassemblent une documentation,
mettent au point un schéma de vérification et des questionnaires types à
l’intention de l’ensemble des magistrats, puis font la collecte des observations
recueillies, les complètent éventuellement avec le résultat de leurs propres
148
investigations, enfin rédigent une note de synthèse ».
L’auteur, enfin, insiste sur les enjeux d’une déconcentration des
contrôles. Nous sommes alors en 1969, bien avant la création des
chambres régionales des comptes et bien avant également le projet
de réforme des juridictions financières qui sera porté par le premier
président Philippe Séguin visant à l’intégration des compétences des
juridictions financières 149 . Il est ici proposé « de constituer des
missions régionales de contrôle, périodiques et temporaires, dotées
non seulement de moyens d’investigations mais aussi de pouvoirs de
décision.
Présidées par un « conseiller maître de région et bénéficiant dans
certains cas de concours extérieurs, les missions régionales de
contrôle auraient un double objet : exercer sur place (dans leur
totalité ou en partie) les pouvoirs de contrôle juridictionnel ou
administratif dévolus à la Cour des comptes, en ce qui concerne un
grand nombre de collectivités locales, d’établissement publics,
d’organismes parapublics » et « réunir des informations de nature à
faciliter l’exercice des contrôles que la Cour continuerait à exercer
de Paris : contrôle des services de l’État ; contrôle de ceux des
collectivités locales, établissements publics, institutions
parapubliques dont la gestion ne paraîtrait pas pouvoir être laissée à
l’appréciation d’une mission régionale 150 ».

NOTES
1. Sur ces expériences, voir la contribution de F. Descamps dans ce volume.
2. « Ce contrôle se justifie de lui-même à l’égard d’organismes qui assument la gestion d’un
service public d’une particulière importance », exposé des motifs du projet de loi tendant à
étendre le contrôle de la Cour des comptes aux organismes de Sécurité sociale, annexe n°
6140, séance du 21 janvier 1949, déposé par M. Petsche, ministre des Finances.
3. « L’Assemblée nationale règle les comptes de la Nation. Elle est, à cet effet, assistée de la
Cour des comptes. L’Assemblée nationale peut charger la Cour des comptes de toutes
enquêtes et études se rapportant à l’exécution des recettes et des dépenses publiques ou à la
gestion de la trésorerie ».
4. Doc. Parl, Ass. nat., proposition de loi de MM. Paul Reynaud et Charles Barangé, séance du
20 novembre 1951, annexe n° 1624.
5. Rapport de C. Barangé, annexe n° 2003 à la séance du 13 décembre 1951.
6. Tel sera le cadre fixé par la loi n° 52-37 du 7 janvier 1952 ; la loi du 22 juin 1967 imposera
à nouveau que ces réponses soient jointes en annexe au rapport remis aux chambres.
7. Exposé des motifs de la proposition de loi précitée.
8. Son article 47 prévoit alors que « la Cour des comptes assiste le Parlement et le
Gouvernement dans le contrôle de l’exécution des lois de finances ».
9. J.-R. Guyon, Principes d’une réforme administrative, Paris, Delmas, 1949.
10. Op. cit. , p. 61.
11. Op. cit. , p. 60.
12. Op. cit. , p. 24.
13. D’autres dispositions visent ce contrôle, comme l’article 10 de la loi du 22 juin 1967 : « La
Cour procède aux enquêtes qui lui sont demandées par les commissions des finances du
Parlement sur la gestion des services et organismes qu’elle contrôle », disposition
aujourd’hui codifiée sous l’article L 132-4 du CJF.
14. Le Comité central d’enquête sur le coût et le rendement des services publics créé par le
décret du 9 août 1946 peut se voir confier l’étude de mesures de rationalisation ; il est
habilité à proposer des mesures susceptibles de générer des économies et d’accroître
l’efficacité des services. Ses méthodes de travail sont à l’origine assez éloignées de celles
alors suivies par la Cour. La présence de membres de l’Inspection des finances n’y est
certainement pas étrangère. Voir les communications de F. Descamps dans ce volume.
15. Voir A. Paysant, L’évolution de la commission de vérification des comptes des entreprises
publiques (1948-1976), RSF 1977 p. 117-259 ; ainsi que la thèse de D. Berthereau, L’expertise de la
commission de vérification des comptes des entreprises publiques (1948-1976), Paris IV, 2005.
16. Rapport public 1948, JO 28 décembre 1948, p. 102.
17. La Cour renvoie en note aux rapports du Comité d’enquête et de l’Inspection générale de
finances ; rapport public 1953, p. 9.
18. Rapport public 1961, p. 40.
19. Rapport public 1956, p. 38.
20. Rapport public 1958, p. 1.
21. Op. cit. , p. 1.
22. Rapport public 1963, p. 22.
23. La Cour observera dans son rapport public de 1963 que malgré l’évolution de la
réglementation « la théorie s’adapte difficilement aux faits ». L’une des difficultés à
appliquer la nouvelle réglementation tient à la difficulté qu’ont de nombreuses
administrations à désigner un fonctionnaire responsable des marchés ; « cette prescription
ne convient qu’à des administrations simples, à structure préalablement déconcentrée ». Il
convient également, dit la Cour, de définir la notion de responsabilité de manière
compatible avec les nécessités des services (p. 23).
24. M. Roger Léonard, « La Cour des comptes et le contrôle des finances publiques », Revue
politique et parlementaire, n° 737, sept. 1963, p. 6.
25. Rapport public 1956, p. 42.
26. « La Cour des comptes… », op. cit., p. 3-9.
27. Op. cit. , p. 4.
28. Op. cit. , p. 7.
29. La Cour fait, par exemple, très tôt des observations sur la gestion du parc automobile :
dans son rapport public de 1948 s’agissant du nombre excessif de véhicules de tourisme mis
à la disposition des fonctionnaires ou dans son rapport public de 1958 sur la gestion du parc
automobile du ministère de la Défense…
30. « La mise en place d’un appareil administratif qui fait parfois double emploi avec celui
du ministère alourdit le fonctionnement du service public ». « Nouveaux échelons de
transmission, mécanismes supplémentaires pour approuver ou élaborer les budgets,
tentation permanente d’augmenter les effectifs, octroi d’avantages particuliers au
personnel : tout concourt à compliquer la gestion et à en accroître le coût », rapport public
1963, p. 42.
31. La Cour reproche, notamment, à certains syndicats intercommunaux d’entreprendre «
des travaux d’une ampleur dispendieuse sans se soucier ni des facultés contributives des
usagers, ni de l’importance réelle des plus-values que procurent les sommes investies »,
rapport public 1958, p. 43.
32. Rapport public 1956, p. 104.
33. Rapport public 1961, p. 47.
34. Rapport public 1960, p. 67 s.
35. Op. cit. , p. 70.
36. Rapport public, 1961, p. 43.
37. Op. cit. , p. 57.
38. Exposé des motifs de la proposition de loi tendant à réaliser la réforme administrative
déposée par E. Barthe, Chambre, Doc. parl., séance du 31 mai 1934, annexe n° 3464.
39. Rapport publié en 1953, p. 12.
40. Op. cit. , p. 22.
41. Rapport public 1953, p. 23.
42. Rapport public 1961, p. 56.
43. Rapport public 1960, p. 20.
44. Op. cit. , p. 35.
45. Ibid.
46. Rapport public 1958, p. 15.
47. La recherche de cohérence visée par l’ordonnance du 4 octobre 1945 posant le principe
d’une structure unique par circonscription territoriale, soit une caisse primaire à l’échelon
local, une caisse régionale au stade intermédiaire et une caisse nationale, ont été remis en
cause par la création ultérieure des caisses d’allocations familiales et d’assurance vieillesse
des travailleurs salariés (rapport public 1960, p. 87). Le système initial n’était déjà pas, selon
la Cour, exempt de défauts en termes de cohérence ; elle avait ainsi demandé dans son
rapport public de 1956 une meilleure répartition des compétences entre les caisses
primaires et les caisses régionales.
48. Op. cit. , p. 91.
49. Rapport public 1958, p. 53.
50. Rapport public 1952.
51. Rapport public 1958, p. 89.
52. Voir supra, rapport Rivain, p. 1533.
53. Rapport public 1961, p. 33.
54. Op. cit. , p. 32.
55. Op. cit. , p. 35.
56. Op. cit. , p 33.
57. Elle réitérera ces orientations dans le préambule de son rapport suivant : « la Cour […]
tend de plus en plus à s’élever à la conception d’études d’ensemble de nature à contribuer à
l’amélioration et à la réforme de l’organisation administrative », rapport public 1963, p. 1.
58. « Les officiers et fonctionnaires de rang élevé prétendent chaque jour avec plus
d’insistance être logés par l’État. Ils veulent en outre être luxueusement meublés », rapport
public 1948, JO, 28 décembre 1948, p. 111.
59. Paris, L’Élan, 1949.
60. « Pour des milliers de Français, la Sécurité sociale dépense des milliards à acheter des
châteaux, la Reconstruction ne construit que des immeubles inutilisables, le Budget gaspille
l’argent des contribuables en subventions inutiles », P. Carcelle, G. Mas, « Les documents
financiers officiels et le public », RA mai-juin 1958 p. 294.
61. Sur ce point, voir la thèse de Pierrette Rongère, p. 241.
62. Op. cit. , p. 40.
63. Préambule, p. 1.
64. Elle précisera dans son rapport public de 1961 que « les suggestions présentées en vue
d’améliorer cette situation ne mettent pas en cause la qualité d’un personnel de haute
valeur » s’agissant du service de santé des armées (p. 20).
65. Op. cit. , p. 5.
66. Rapport public 1960, p. 49.
67. Op. cit. , p. 50.
68. Rapport public 1961, p. 49.
69. Op. cit. , p. 48.
70. Sur ce point, C. Berthon-Goffin, Réforme administrative et Cour des comptes, thèse
dactylographiée, Paris II, 1976, p. 271-273.
71. Rapport public, 1966, p. 31.
72. Op. cit. , p. 35.
73. Rapport public 1960, p. 81.
74. Jean Delaporte, conseiller référendaire à la Cour des comptes, Le rapport public de la Cour
des comptes, RA 1950, p. 339.
75.Ibid.
76. Préambule de son rapport public 1960.
77.Ibid.
78. C. Berthon-Goffin, Réforme administrative et Cour des comptes, thèse dactylographiée, Paris
II, 1976, p. 42.
79. Rapport public 1958, p. 13.
80. La Cour relève que plus de la moitié des occupants de certains HLM ont une large
aisance, alors que ces logements auraient dû être réservés aux foyers modestes, rapport
public 1960, p. 14.
81. Rapport public 1953, p. 25.
82. Rapport public 1961, p. 80.
83. Les chiffres donnés par les ministères diffèrent entre eux ; pour un même département,
le ministère de l’Intérieur évalue leurs bénéficiaires à 1 670 personnes, quand ce chiffre est
pour la même année de 2 583 pour le ministère de la Santé.
84. La Cour consacre des développements spécifiques à cette question dans son rapport
public 1961, p. 88 sqq.
85. Ibid. , p. 88.
86. Rapport public 1961, p. 24.
87. Rapport public 1958, p. 17.
88. Sous le n° 2030. Le Gouvernement déposera un projet de loi modifié (n° 140, séance du
25 avril 1967) contenant de nouvelles dispositions sur le contrôle de la Caisse des dépôts et
consignations.
89. Discours du secrétaire d’État à l’Économie et aux Finances R. Boulin, Assemblée
nationale, 25 mai 1967 (JOAN, p. 1310).
90. Op. cit.
91. Philippe Rivain, rapporteur général, AN, séance du 25 mai 1967, p. 1310.
92. A. Tardieu, À quoi sert la Cour des comptes ?, Hachette, 1967, p. 109.
93. Doc. parl., Assemblée nationale, rapport Rivain fait au nom de la commission des
finances, séance du 11 mai 1967, annexe n° 178, p. 1530.
94. « Ce contrôle fait a posteriori laisse intacts les services de contrôle permanents déjà
existants et relevant des différents ministères intéressés par la gestion des caisses de
sécurité sociale », rapport fait au nom de la commission des Finances de l’Assemblée
nationale par M. Ramette, annexe n° 7827, séance du 8 juillet 1949.
95. Lors, par exemple, de la discussion de la loi du 13 août 1936, les débats parlementaires
furent l’occasion de préciser que le Comité supérieur d’enquête « remplira une mission
permanente de contrôle, mais sans intervenir dans le fonctionnement des services. Les
examens sur place ne devront jamais avoir le caractère d’une inspection. Le Comité
coordonnera l’action des comités spéciaux de contrôle, mais ne pourra se substituer à eux ».
Intervention d’Abel Gardey, Sénat, Doc. Parl. séance du 13 août 1936, p. 1313.
96. M. Voilquin.
97. Rapport Rivain précité, p. 1531.
98. M. Rivain, rapporteur général, Assemblée nationale, 25 mai 1967, JOAN p. 1310.
99. A. Tardieu, À quoi sert la Cour des comptes ?, Hachette, 1967, p. 109.
100. JOAN 25 mai 1967, p. 1311.
101. Doc. parl., séance du 25 avril 1967, annexe n° 140.
102. Op. cit. , p. 554.
103. Francis J. Fabre, « Les dispositions du décret du 20 septembre 1968 relatives au
contrôle de gestion de la Cour des comptes », RA 1968, p. 722-723.
104. Rapport de M. Louis Vallon fait au nom de la commission mixte paritaire, séance du 26
juillet 1963, annexe n° 507.
105. Elle pouvait dès le décret n° 50-509 du 8 mai 1950 demander le concours de
fonctionnaires des administrations de tutelle et de contrôle s’agissant de la vérification des
organismes de sécurité sociale.
106. M. Roger Léonard, op. cit. , p. 4.
107. Article 9.
108. L’amendement est le fait du sénateur Marcel Pellenc qui fut sous la IVe République
président de la sous-commission chargée de suivre la gestion des entreprises nationalisées
et qui deviendra en 1954 rapporteur de la commission des finances du Conseil de la
République, puis membre de la commission des finances du Sénat sous la Ve République,
avant d’en devenir rapporteur général en octobre 1963, puis d’en assurer la présidence à
partir de 1971.
109.Le Monde du 20 novembre 1963, cité par F. J. Fabre, « Les dispositions du décret du 20
septembre 1968 », op. cit., p. 723.
110. C. Berthon-Goffin, thèse précitée, p. 36.
111. 13e rapport de la commission de vérification des comptes des entreprises publiques, JO
doc. adm. n° 18, 23 mars 1974, p. 577.
112. Sur l’expérience des années 1936-1940 au sein du Comité supérieur de contrôle, voir la
contribution de C. Descheemaeker.
113. Victor de Marcé, « Le contrôle de l’exécution du budget de l’État en Angleterre, Vue
d’ensemble et conclusions critiques », RPP, 1900, p. 354.
114. « Rapport public de la Cour des comptes sur l’exercice 1909 », RSLF 1912, p. 67.
115. Du reste, les sanctions en cas de refus de communication seront calquées sur les
dispositions fiscales qui s’appliquent au droit de communication.
116. Pendant la guerre, à compter de 1941, la Cour des comptes a pu compléter
l’information que lui donne l’examen des pièces comptables par des contrôles sur place.
Cette expérience temporaire, qui a duré trois ans et porté sur 28 départements et 387
comptabilités, lui a permis de procéder à des vérifications sur place des comptabilités
locales dans un certain nombre de départements. « Une telle méthode devait, semble-t-il
permettre d’accélérer le travail des rapporteurs en les mettant à même de faire compléter
immédiatement, pour chaque compte, les justifications présentées et de faire rectifier,
avant que soit prononcé l’arrêt, des erreurs de peu d’importance. Elle devait au surplus
donner à la Cour toutes facilités pour prendre plus aisément et plus rapidement des
solutions définitives, au vu des observations étudiées contradictoirement par les
rapporteurs et par les comptables ». La Cour écrit à ce sujet à la Libération que « si la
centralisation et l’examen des pièces à Paris doivent demeurer la règle, il n’en est pas moins
indispensable que les magistrats puissent, après en avoir déterminé l’objet précis et quand
la Cour le jugera opportun, poursuivre, sur les lieux mêmes, leurs enquêtes et leurs
recherches. Cette faculté apparaît aujourd’hui d’autant plus nécessaire que, par l’extension
des attributions de l’État et des collectivités publiques, les comptabilités à examiner sont
devenues plus nombreuses, plus complexes et exigent du juge des comptes des
investigations plus approfondies et des décisions plus rapides », rapport public sur les
comptabilités vérifiées de 1940 à 1945, p. 6. Sur cette période, voir J. F. Potton, La Cour des
comptes pendant les années noires (1939-1945), LGDJ, 2011.
117. La loi du 31 décembre 1922 portant statut budgétaire du Reich prévoit dans son article
90 que la Cour des comptes « peut, dans l’intérêt de la vérification des comptes, prescrire,
pour son information, des enquêtes sur place visant le fonctionnement des organismes
existants pour l’administration des caisses et pour la tenue des livres, ainsi que les détails
de l’administration ».
118. La Cour des comptes fédérale possède des « antennes » au sein de l’administration
active par une formule que l’on peut qualifier de déconcentration du contrôle externe. Ce
point est très étroitement lié au développement du contrôle de la Cour sur la gestion. Les
services de précontrôle préparent le travail de la Cour qui peut davantage se concentrer sur
l’efficacité de la gestion. Du reste, le système, réformé seulement en 1997, est allé en
accentuant ce trait, la loi renforçant dans le même temps les dispositifs de mesure des coûts
et de la rentabilité : voir S. Flizot, Les relations entre les institutions supérieures de contrôle
financier et les pouvoirs publics dans les pays de l’Union européenne, LGDJ, 2003, p. 312. Au-delà
de l’Italie, la proposition Maulion de 1930 s’inspirera sans doute aussi de cet exemple en
prévoyant que des délégués de la Cour des comptes étaient placés auprès des ministères
pour exercer les attributions assignées par les lois en vigueur aux contrôleurs des dépenses
engagées et aux comptables publics.
119. Rapport public 1956, p. 40.
120. Rapport public 1948, p. 3.
121. Rapport public 1956, JO 17/02/1956, doc. adm., p. 38.
122. Rapport public 1961, p. 63.
123. Thèse précitée, p. 181-182.
124. Ibid.
125. Op. cit. , p. 186.
126. Op. cit. , p. 185.
127. Son article 13 renvoie à un décret la détermination des conditions dans lesquelles
s’exercera le contrôle de la Cour compte tenu du statut particulier de cet établissement.
128. La Cour peut contrôler la gestion des organismes qui ne sont pas assujettis aux règles
de la comptabilité publique lorsqu’ils bénéficient d’un concours financier quelle qu’en soit
la forme de la part de l’État, d’un établissement public, d’une collectivité locale ou d’une
autre personne publique ou d’une participation au capital ou d’une subvention (art. 33),
sont donc concernés les garanties d’emprunt, les prêts, les avances, les participations en
capital…
129. Mais ce contrôle ne s’exerce qu’avec l’accord du ministre des Finances lorsque le
concours financier ne revêt pas la forme d’une subvention ou d’une taxe parafiscale (al. 1).
130. Il faudra attendre la loi du 22 juin 1976 pour que cette compétence lui revienne
complètement et que soit supprimée la commission de vérification des comptes des
entreprises publiques. A. Delion, L’État et les entreprises publiques, 1959 et R. Muzellec, Le
contrôle de la Cour des comptes sur les entreprises publiques, AJDA 1976 p. 540-551.
131. AN, séance du 25 mai 1967, intervention du député Jean Valentin, p. 1311.
132. Sénat, rapport n° 289, annexe au PV de la séance du 8 juin 1967, p. 17.
133. « Sur la réforme de la Cour des comptes », RA 1969, p. 185-189 et p. 466-469.
134. Op. cit. , p. 469.
135. Dès 1951, le décret n° 51-583 du 19 mai 1951 avait prévu cette possibilité pour les
établissements publics de l’État dotés d’un comptable public, qui tout en présentant
certains caractères d’établissements industriels et commerciaux, avaient une activité
principale assimilable à celle d’établissements publics de caractère administratif. Avec la loi
de 1967, ce transfert est possible pour tout établissement de caractère industriel et
commercial doté d’un comptable public.
136.Ibid.
137. Après la seconde guerre mondiale, les rapports publiés par la Cour des comptes sur les
opérations réalisées entre 1940-1945 et sur les années 1946-1947 vont donner lieu à la mise
en place de commissions dites « des gaspillages » ; le Parlement se saisit également de la
question des suites à donner aux gaspillages dénoncés par la Cour. Voir, notamment, la
proposition de résolution n° 5973, Assemblée nationale, séance du 30 décembre 1948 et les
débats lors de la 3e séance du 31 décembre 1948.
138. Le dispositif est issu de l’article 2 de la loi du 4 avril 1941.
139. AN, Séance du 25 mai 1967, intervention du député Jean Valentin, p. 1311.
140. Proposition de loi déposée par M. Poniatowski, annexe n° 478, séance du 25 octobre
1967.
141. M. Roger Léonard, op. cit. , p. 8.
142. La commission devient permanente à compter de 1973 avec l’arrêté interministériel du
24 septembre 1973 qui prévoit que « la commission devra chaque année avant le 1er juillet
faire rapport des mesures à prendre comme suite aux observations présentées dans le
dernier rapport public de la Cour des comptes et examiner à cette occasion les suites
réservées à ses recommandations antérieures ». La commission placée auprès du ministère
des Finances comprend le chef de l’Inspection générale des finances ou son représentant ; le
directeur général de l’administration et de la fonction publique ou son représentant ; le
directeur du Budget ou son représentant. Il s’agit donc d’une commission qui ne compte
aucun membre de la Cour et qui fonctionne de manière parfaitement autonome. Les mêmes
causes produisant les mêmes effets, la commission des suites trouvera l’occasion de
manifester quelques points de désaccord avec l’analyse de la Cour ; il arriva même que son
rapport tranche même en faveur de l’administration un différent qui opposait celle-ci à la
Cour. Berthon-Goffin, Réforme administrative et Cour des comptes, thèse dactylographiée, Paris
II, 1976, p. 259 à 264, l’auteur y voit cependant une expérience réussie
143. Francis J. Fabre, « Sur la réforme de la Cour des comptes (II), Deuxième objectif d’une
réforme : une meilleure organisation des travaux », RA 1969, p. 466-469.
144. Ibid. , note 29, p. 466.
145. Proposition citée, exposé des motifs, doc. parl., p. 764.
146. Francis J. Fabre, op. cit., note 30, p. 466.
147. Op. cit. , p. 467.
148.Ibid.
149. Projet de loi n° 2001 portant réforme des juridictions financières, AN, Treizième
législature, 28 octobre 2009.
150. Op. cit. , p. 469.

AUTEUR
STÉPHANIE FLIZOT

Stéphanie Flizot est maître de conférences en droit public, titulaire de l’habilitation à


diriger les recherches. Ses travaux et publications portent sur les finances et la gestion
publiques, appréciées sous un angle historique et de droit comparé, ainsi que sur la fiscalité.
Sa thèse consacrée aux relations entre les institutions supérieures de finances publiques et
les pouvoirs publics dans les pays de l’Union européenne a obtenu le prix de la Cour des
comptes et est parue à la LGDJ. Elle a également publié récemment « Les règles
constitutionnelles de limitation de l’endettement, l’exemple allemand », in Jus politicum n°
8, juillet 2012 ; « L’organisation de la Cour des comptes européenne, enjeux et défis »,
audition devant le Comité du contrôle budgétaire du Parlement européen, COCOBU, 30 mai
2012, Future Role of the European Court of Auditors : Challenges ahead and possible reform,
http://www.europarl.europa.eu/document/activities/cont/201205/20120514ATT45035/201
20514ATT45035FR.pdf ; « Les services locaux du ministère des Finances : enjeux et débats
aux lendemains de la Première Guerre mondiale », Gestion et Finances publiques – La revue,
numéro spécial Histoire des finances publiques, mars 2012 ; « L’évaluation des fraudes fiscales,
panorama européen », Gestion et Finances publiques – La revue, numéro spécial Contrôle fiscal,
décembre 2011 ; « La mise en place des Cours des comptes en Europe, XIVe-XIXe siècles », in
A. Dubet et M.-L. Legay, La Comptabilité publique en Europe, 1500-1850, Presses universitaires de
Rennes, 2011, p. 93-106 ; « Les tendances relatives à l’organisation et aux réformes du
contrôle de l’État sur les collectivités locales en Europe », in A. Hastings-Marchadier, La
performance et les contrôles financiers de l’État sur les collectivités locales, LGDJ, 2011, p. 319-333.
Annexe

Liste des séances du séminaire Histoire de la gestion des finances


publiques de 1815 à nos jours qui ont porté sur la période 1914-1967 et
d’où sont tirées les communications du présent volume.

14 novembre 2006 – Dans la foulée de la


première guerre mondiale : vers une
dimension gestionnaire accrue du système
financier ?
Florence Descamps, maître de conférences à l’École pratique des hautes
études, Section des sciences historiques : « Du contrôle de la dépense à la
réforme du système financier : les ambitions de la commission
chargée des réformes à apporter dans l’organisation du contrôle de
l’exécution des budgets (1917-1918) ».
Invité : Edward Arkwright, conseiller pour la réforme de l’État au cabinet
du ministre de l’Économie, des Finances et de l’Industrie, et du ministre
délégué au Budget et à la Réforme de l’État.

12 décembre 2006
Nathalie Carré de Malberg, docteur en histoire, maître de conférences en
histoire contemporaine à l’université Paris X-Nanterre : « Le métier
d’inspecteur des Finances dans la première moitié du XXe siècle :
quels moyens, quelle efficacité dans la gestion des finances publiques

Invité : Patrice Cahart, inspecteur général des Finances.

16 janvier 2007
Alain Chatriot, chargé de recherche au CNRS, Centre de recherches
historiques, Approches historiques des mondes contemporains : « Discours
et pratiques de réforme de l’administration durant l’entre-deux-
guerres, Chardon, Fayol et les autres ».

13 février 2007
Xavier Cabannes, maître de conférences en droit public à Paris-V : « Laval
et la politique de déflation (1935) ».

20 mars 2007
Florence Descamps, maître de conférences à l’École pratique des hautes
études, Section des sciences historiques et Christian Descheemaeker,
président de la chambre régionale des comptes d’Île-de-France : « Le
rapport Labeyrie (1933) et la réforme de l’État ».

23 avril 2007
Florence Descamps, maître de conférences à l’École pratique des hautes
études, Section des sciences historiques et Christian Descheemaeker,
président de la chambre régionale des comptes d’Île-de-France : « La
réforme de la Cour des comptes 1930-1945 ».
12 juin 2007
Matthieu Conan, professeur de droit public à l’université de Bretagne
occidentale, « Gaston Jèze et l’utilité de la dépense publique » ou
l’élaboration d’une théorie générale de la dépense publique.

23 octobre 2007
Florence Descamps, maître de conférences à l’École pratique des hautes
études, Section des sciences historiques : « Gabriel Ardant et la création
du Comité central d’enquête sur les coûts et rendements des services
publics, 1946-1950 ».
Invité témoin : Brigitte Beaucourt, secrétaire général adjoint du Comité
d’enquête sur le coût et le rendement des services publics.

18 décembre 2007
Olivier Dard, professeur d’histoire contemporaine à l’université Paul
Verlaine (Metz) : « Rationalisation et administration dans la France
des années trente : discours et pratiques ».

15 janvier 2008 – La gestion des entreprises


publiques : une gestion publique des
entreprises ?
Daniel Berthereau, docteur en histoire, « La création de la Commission
de vérification des comptes des entreprises publiques ».
Laure Quennouëlle-Corre, chargée de recherche au CNRS, « La gestion
des entreprises publiques après 1945 : du principe à la réalité ».
Invité témoin : Bertrand d’Esneval, contrôleur d’État honoraire.

19 février et 11 mars 2008 – La gestion des


finances publiques dans les années
cinquante : quelle place pour l’héritage
juridique du système financier français ?
Philippe Masquelier, chargé de recherche au Comité pour l’histoire
économique et financière de la France, IGPDE.
« Pour une exégèse de La Comptabilité publique de Gilbert Devaux,
directeur de la Comptabilité publique puis du Budget de 1949 à 1960.
Diagnostic et réforme du système financier public français dans les
années cinquante. »
Invités témoins : Pierre Cortesse, conseiller maître honoraire de la Cour
des comptes et Vincent Feller, avocat général à la Cour des comptes.

15 avril 2008 – La gestion des finances


publiques dans les textes sur la deuxième
moitié du XXe siècle
Lucile Tallineau, professeur de droit public à Paris-X Nanterre, « Le
décret du 19 juin 1956 et l’ordonnance du 2 janvier 1959 : quelles
conséquences sur la gestion des finances publiques ? ».

20 mai 2008 – La gestion des finances


publiques et la sanction de l’ordonnateur
Stéphanie Flizot, maître de conférences en droit public à l’université de
Paris-X Nanterre, « La création de la Cour de discipline budgétaire et
financière, enjeux et débats ».

24 juin 2008 – La gestion des finances


publiques et la notion de productivité au sein
de l’administration
Régis Boulat, chargé de recherches à l’université Paris-XII : « La question
de l’accroissement de la productivité dans l’administration et les
entreprises publiques françaises dans les années cinquante ».
Antoine Weexsteen, ingénieur de recherche au CNRS/INSU : « Conseiller
les entreprises et l’État après-guerre : l’expérience de Jean Milhaud
entre privé et public ».

28 octobre 2008 – L’influence du conseil en


organisation sur la gestion des finances
publiques dans les années cinquante
Florence Descamps, maître de conférences à l’École pratique des hautes
études, Section des sciences historiques : « Du commissariat à la
productivité au SCOM, 1954-1960 ».
Odile Henry, université de Paris-IX Dauphine : « Cabinets de conseil en
organisation privés et Administrations (1945-1960) : quelle
contribution ? ».

13 janvier 2009 – L’impact des commissions


de l’économie sur la gestion des finances
publiques
Florence Descamps, maître de conférences à l’École pratique des hautes
études, Section des sciences historiques : « Entre gestion des finances
publiques et réforme administrative : les commissions d’économies
1919-1959 ».

17 février 2009 – L’ordonnance de 1959 et les


services votés : un instrument de gestion des
finances publiques adapté ?
Lucile Tallineau, professeur émérite de droit public de Paris-X Nanterre : «
Quelle appréciation porter sur la répartition des crédits selon la
technique des services votés prévue par l’ordonnance du 2 janvier
1959 portant loi organique relative aux lois de Finances ? ».

31 mars 2009 – Le décret de 1962, toilettage


juridique ou contribution
au renouvellement de la gestion des finances
publiques ?
Vincent Feller, avocat général à la Cour des comptes : « Élaboration,
mise en œuvre et évolution du décret de 1962 depuis ses origines ».
Matthieu Conan, professeur de droit public à l’université de Paris-X
Nanterre : « Perception, restitution et enseignement du décret de
1962 par la doctrine ».

28 avril 2009
Sébastien Kott, maître de conférences en droit public à Paris-X Nanterre, «
L’évolution des contrôles dans les années cinquante : vers un
contrôle de l’efficacité ? ».

24 mai 2011
Stéphanie Flizot, maître de conférences en droit public à l’université de
Paris-Ouest-Nanterre-La Défense, « Le développement du contrôle de
gestion par la Cour des comptes : un premier aboutissement en 1967
».
Bibliographie

ADOLPHE-LACAN (Roger), LÉGER (Bernard), Finances publiques, Paris, LGDJ, 1935.


ALLAIN (Jean-Claude), Joseph Caillaux, I. Le défi victorieux, 1863-1914, Paris, Imprimerie
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Index des noms de personnes

A
Adam (inspecteur général des Colonies) 37, 42, 43
Adenauer (Konrad) 69
Alombert (Paul-Claude Goget d’) 37, 54
Alexandre (Justin) 237
Allix (Edgard) 111, 116, 217, 349, 355, 358, 363, 367, 401, 521
Allix (Pierre) 102, 466
Alphand (Hervé) 413
Andrieu (André) 372
Anthonioz (J.) 458, 459, 514
Appleton (Jean) 349, 354
Ardant (Gabriel) 6, 11-14, 88, 128, 178, 212, 220, 223, 226, 236, 240,
247, 255, 256, 260-272, 274, 278-280, 282, 284-286, 303, 325, 326, 403-
412, 414, 415, 418‑420, 425, 427-434, 436, 441, 481, 496
Argila (Raymond d’) 168
Arnaud (Désiré) 240
Arnauné (François-Auguste) 37, 39, 42, 47, 94
Arnould (Maurice) 211
Arnoult (Pierre) 261
Arthuis (Jean) 571
Auboin (Roger) 309
Auboyneau (Jacques) 220
Audiffret (Charles-Louis-Gaston, marquis d’) 1, 28, 61, 109, 111, 137,
145
Auriol (Vincent) 13, 36, 54, 115, 118, 119, 120, 125-128, 132, 141, 145,
261

B
Balzac (Honoré de) 476
Barangé (Charles) 232, 363, 369, 373-375, 377, 378
Baratin (Henry-Louis) 407, 410, 413, 414, 417, 427, 438, 440
Barberye (René) 589
Barjot (Alain) 240
Barrault (Henry) 341
Barrié (Jean) 117
Barthe (Félix) 361
Barthélémy (Anatole) 202
Bauchard (Charles) 471, 486, 586
Baumgartner (Wilfrid) 239, 246
Béchet (Henri) 240
Bedaux (Charles-Eugène) 272
Bender (Émile) 36, 42
Benton (William) 403
Béquart (Georges) 410
Bérard (Alexandre) 36, 50
Bérenger (Henry) 27, 116, 361
Bernard (Édouard) 167
Berthoud (Jacques) 173, 220
Berthouin (Jean) 232
Bertin-Mourot (René) 390
Bertrand (Maurice) 412
Besnard (René) 36, 42
Besse (Pierre) 337
Bessière (Roger) 394, 397, 398, 399
Beullac (Christian) 338
Bidault (Georges) 227, 232, 264
Biondi (Jean) 227, 230, 232, 422
Bisson (André) 267, 455
Bizaguet (Armand) 563
Bize (Pierre) 410, 414
Bizot (Jean-Jacques) 115
Blaignan (Raymond) 170
Bloch (Maurice) 13, 31-33, 37, 39, 40, 42, 43, 45-47, 49-53, 62, 94, 95,
99-102, 104, 107, 109, 115, 124, 132, 202, 205-209, 211-213, 220, 223,
224, 240, 247
Bloch-Lainé (François) 236, 261, 264, 266, 267, 284, 285, 337, 338, 453,
460, 487
Blot (Robert) 239, 427
Blum (Léon) 36, 120, 121, 126, 202, 206, 213, 223, 227, 229, 264, 266
Bodin (Jean) 80
Boissard (Adéodat) 102, 126, 219, 220, 223
Boissard (Henri) 220
Boitreaud (Jacques) 270
Boivin-Champeaux (Paul) 36, 42
Bokanoswski (Maurice) 27, 362
Bolley (Jean-Ernest) 32
Bon (Jean) 57
Bonnaud-Delamare (Roger) 280
Bonnefous (Édouard) 221, 223, 230, 232, 236, 280, 402, 403, 421, 425,
481
Bonnet (Georges) 108, 109, 110, 115, 116, 136, 223
Boris (Georges) 267, 270, 283
Bossut (contrôleur militaire général) 22
Boucard (Max) 76
Boucher de Perthes (Jacques) 476
Boud’hors (Jacques) 206
Bouffandeau (Tony) 216
Boulin (Robert) 614
Boullay (Georges) 216
Boulloche (André) 432, 433, 436
Bourgès-Maunoury (Maurice) 227, 430
Bourrel (Vincent) 561, 584
Bouthillier (Yves) 13, 14, 109, 112, 116, 118, 124, 126, 128-130, 132,
151, 153, 214, 216, 219, 220, 223, 225, 256, 261, 265, 454-456
Bozérian (Gaston) 27, 357, 366
Bralley (Louis) 212
Branger (Jacques) 216, 218
Brasart (Charles) 237
Breguet (Charles-Louis) 305
Bremond (Michel) 568
Bresson (René) 122, 128
Breton (Jules-Louis) 58
Briand (Aristide) 32, 210
Brillaud (Maxime) 410, 420
Brin (Pierre) 97-99, 106, 115, 116, 122, 126, 131, 173, 205, 206, 209,
211, 219, 220, 223, 232, 236, 255, 260, 265, 267, 271, 272, 404
Brissaud (Jean) 267
Brisson (Henri) 27
Brouillet (René) 220
Brousse (Emmanuel) 27, 36, 39, 52, 54, 116, 207, 223
Brunet (André) 220, 239, 461
Brunet (Jacques) 115, 120, 239
Budon (Adrien) 202
Buffévent (Michel de) 240
Buit (Jean du) 206
Burlot (André) 267
Buron (Robert) 403, 404

C
Cahen-Salvador (Georges) 177
Caillaux (Joseph) 13, 14, 27, 30, 31, 34, 35, 39-41, 43, 47, 49-52, 61-63,
92-96, 99, 104-108, 110, 111, 113-116, 120, 121, 124, 126, 132, 133, 135,
136, 139-141, 145, 170, 206, 211, 223, 261, 448, 453
Calan (Pierre de La Lande de) 117, 173
Calmette (Gaston) 94
Calvanus (Roger) 472
Caradet (Maurice) 237
Cardin (Christian) 220
Carl (Friedrich) 66
Carmille (René) 411
Caro (Pierre) 472
Carrel (Alexis) 260, 402, 411
Cassin (René) 116, 370, 520
Catherine (Robert) 236, 312, 430, 431
Caussin (André) 383
Cauwès (Paul) 33
Cazeneuve (Paul) 27
Célier (Alexandre) 32, 33, 37, 39, 50, 115
Chaban-Delmas (Jacques) 441
Chadzinsky (Gustave) 392, 393
Chaffaut (Max Amaudric du) 220
Chaillot (Gilles) 175
Chalandon (Emmanuel) 128, 220, 270
Chalendar (Jacques de) 270
Chandernagor (André) 565
Chardon (Henri) 44, 161, 202, 208, 216, 217, 265, 451, 488, 489
Charlety (Sébastien) 216
Charnacé (Yves Gautier de) 212
Charra (Georges) 124
Charrier (James) 267
Chassaigne (Claude) 270
Chassaing (André) 412, 437
Chasserat (Pierre) 240
Chatenet (Henri) 239, 424, 425, 436, 455
Chaumet (Charles) 476
Chautant (Jules-Didier) 326, 412
Chautemps (Camille) 108
Chauvy (Auguste) 37, 39, 42, 43, 45, 49, 115
Chenard (Jean) 389
Chéron (Henry) 36, 54-56, 61, 102, 104, 106-108, 112, 113, 115, 116,
121, 132-134, 136, 141, 142, 173, 211, 222, 223
Chezleprêtre (Jacques) 458
Chomereau de Saint-André (Yves de) 220
Chotard (Maurice) 94, 101, 102, 103, 112, 115, 206
Citroën (André) 202, 259
Clappier (Bernard) 128
Claveille (André) 21
Clemenceau (Georges) 18,19, 30, 35
Clémentel (Étienne) 21, 162
Closon (Francis-Louis) 223, 246
Closset (Pierre) 212
Colas des Francs de Parabère (Xavier) 220
Colbert (Jean-Baptiste) 452
Colliard (Claude-Albert) 76
Compagnon (Joseph) 217
Compère-Morel (Adéodat) 175
Constant (Gilbert) 413, 419
Cordonnier (chef adjoint de cabinet) 38, 42, 50
Cornille (Léon) 119
Corréard (Jules) 32, 208
Costa (Jean-Louis) 131
Coti (Jean) 433, 435, 442
Coubet (ingénieur des Ponts et Chaussées) 240
Coudé du Foresto (Yvon) 620
Courtin (Louis) 13, 33, 37, 42-50, 53, 61-63, 94, 95-97, 99, 122, 131, 132,
142, 202
Coutrot (Jean) 202, 258, 402, 405
Couyba (Maurice) 36, 54
Crépey (André) 122, 240
Crozier (Michel) 414, 496
Cusin (Gaston) 418, 462, 463, 464, 508

D
Daladier (Édouard) 106, 108, 127, 218
Daniel (Max) 38, 42
Dausset (Louis) 27
Dautry (Raoul) 214, 216, 217, 218, 223, 228, 258, 265
Davost (Hubert) 409, 410, 414, 427, 459
Dawes (Charles G.) 72
Dayre (Jean) 236, 324, 326, 404, 405, 407, 408, 409, 410, 411, 423, 429,
436
Debré (Michel) 14, 226, 239, 240, 242, 244, 246, 266, 270, 279, 282, 341,
433, 434, 435, 441
Decron (Henri) 116, 173, 217
Delahaye (Dominique) 170
Delaire (Gaston) 37, 50, 52, 53
Delamotte (Gabriel) 32
Delaporte (Jean) 220
Delbos (Yvon) 229
Delmas (Jacques) 421, 427
Delombre (Paul) 39, 50, 53, 54, 56, 57, 59, 60
Delouvrier (Paul) 128, 285
Delsériès (Edmond) 117
Denais (Joseph) 36, 54, 232
Denoix (Georges) 97, 115, 225
Desforges (Pierre) 37, 50
Detoeuf (Auguste) 202, 321
Devaux (Gilbert) 11-14, 61, 115, 220, 239, 381, 382, 385, 400, 427, 432,
435, 436, 445-448, 450, 453, 456, 457, 460-496, 498, 500-506, 508, 510,
514-520, 531, 559, 579, 580
Devillez (Hubert) 106, 117
Di Malta (Pierre) 567
Di Qual (Lino) 559
Dobler (Edmond) 240
Dommel (Daniel) 270
Donati (Charles) 220
Dorange (André) 584
Dorgères (Henry) 176
Doumer (Paul) 27, 97, 99, 363, 364
Doumergue (Gaston) 34, 112, 114, 126, 142, 210, 214, 216, 218, 221,
223, 264
Dreuzy (Pierre Aubépin de Lamothe) 270
Drevon (Pierre) 206
Dreyfus (Alfred) 39
Drouineau (Jean-Marcel) 13, 46, 48, 102, 103, 104, 115, 117, 126, 128,
129, 130, 132, 151, 152, 211, 217
Dubois (Louis) 36, 42
Dubost (Jean) 317
Duchemin (René) 210
Ducoux (Jacques) 586
Dufau-Pérès (Louis) 313
Duguit (Léon) 160
Dumont (Charles) 170
Dupont (Jean) 564
Dupont-Fauville (Antoine) 433, 435
Duverger (Maurice) 560
Duvernoy (Georges) 307

E
Ebner (René) 390, 391
Épinay (Jules) 37, 42
Erhardt (Jean-Pierre) 240
Escoube (Pierre) 220
Eymond (Édouard) 36, 50

F
Fabre (Francis J.) 620
Fabre (Robert) 162
Fabry (Joseph de) 32
Fagon (Yves) 322
Faguet (Émile) 452
Faure (Edgar) 227, 230, 231, 232, 240, 337, 374, 404, 522, 541
Faure (Fernand) 27, 116
Faure (inspecteur général de l’Économie nationale) 271, 272
Favareille (René) 451
Favier (André) 220, 240
Fayol (André) 261, 414, 425
Fayol (Henri) 169, 178, 202, 208, 220, 307, 308, 310
Fels (Edmond, comte de) 168
Féret du Longbois (Eugène) 13, 32, 33, 37, 39, 50-56, 58, 59, 60, 62, 63,
94, 95, 96, 97, 99, 108, 115, 132, 205, 206, 209
Feuilhade de Chauvin (Tanneguy de) 270
Filippi (Jean) 414, 427
Flaissier (Robert) 413, 415, 436, 437
Flandin (Rémi) 270, 414, 417, 418, 425, 426, 427, 438, 439
Fleury-Ravarin (Henry) 95, 96, 97, 116, 359, 622
Flouret (Marcel) 119
Fochier (Louis) 102, 217
Fontaine (Jacques) 409, 410, 412, 429
Forbin (Henri de) 220
Fouchier (Louis de) 94, 102, 115, 122, 123, 148, 217
Fouchier (Jacques de) 220
Fougère (Étienne) 210
Fourastié (Jean) 404, 405, 409
Fourmon (Jacques) 220
Fournier (Pierre) 217
Francois (Jean-Jacques) 571
François-Marsal (Frédéric) 17, 19, 205
Frappart (Charles) 368, 371, 372, 375
Fravaton (Antoine) 37, 39, 54, 94
Frédet (René) 220
Frey (Roger) 340

G
Gaillard (Félix) 427, 430, 431
Gallois (Jean) 412, 421
Gambetta (Léon) 36, 39, 55, 57
Gardellini (Robert) 267
Gardent (Paul) 267, 270
Gardey (Abel) 36, 50, 108, 116, 119, 127, 132
Garnier (François) 270
Gaudriault (Raymond) 236, 260, 267, 272, 405, 406, 409-415, 419, 425,
428-431, 433, 436-440, 442
Gaulle (Charles de) 227, 237, 238, 285, 433, 434, 621
Geddes (Sir Eric Campbell) 274
Géo-Gérald (Georges) 27, 357
Germain-Martin (Louis) 107, 108, 112, 115, 116, 118, 126, 214, 216, 223
Gide (Charles) 33
Gignoux (Claude-Joseph) 237
Gilbert-Jules (Jean) 413
Girod (Charles) 410
Giscard d’Estaing (Valéry) 239, 240, 245, 246, 342, 343, 434, 435, 441,
529, 562, 563, 613
Goby (contrôleur de l’Armée) 102
Godin (Pierre) 117, 125, 144, 149, 153
Goebbels (Joseph) 256
Goetze (Roger) 11, 12, 13, 14, 61, 223, 232, 235, 236, 238, 269, 281, 282,
285, 381, 382, 384, 385, 388, 400, 411, 418-421, 424, 425, 427, 432, 433,
440, 453, 520, 522, 579, 580
Gonot (Jean) 270, 414, 417, 425, 426, 427, 438, 439
Gotteron (André) 27, 45
Gouin (Félix) 227, 228, 229, 261, 262, 404
Goupy (Mlle) 413
Gozard (Gilles)232
Grandsaignes d’Hauterive (Robert de) 106, 109, 111, 115, 116, 117, 119
Gregh (Didier) 220, 235, 236, 269, 384, 418
Grégoire (Roger) 236, 261, 271, 321
Grièges (Dominique Tabard de) 220
Grimanelli (Pierre) 404
Grodet (Louis) 27, 35, 40
Gruet (sous-intendant) 22
Gruson (Claude) 7, 11, 12, 220, 246, 284, 285
Guérin (Roger) 102, 115
Guichard (Victor) 354
Guillot-Tantay (André) 270
Guinand (Pierre) 118, 121, 122, 125, 127, 144, 206
Guiraud (receveur des Finances) 102
Guyon (Jean-Raymond) 227
Guyot (Jean) 237
H
Habemont (Adrien) 240
Haguenin (Érik) 14, 116, 212, 214, 223, 225
Hailé Sélassié 78
Hamelin (Georges) 220, 267
Hammer (Jacques) 412
Hanotte (contrôleur général de l’Armée) 267
Hauriou (Maurice) 160, 161, 365, 505
Hauterive (Alexandre-Maurice Blanc de Lanautte, comte d’) 506
Hébrard de Villeneuve (Henry) 95, 202, 205, 224
Heimann (Hugo) 71
Hekking (Francis) 258
Hermes (Andréas) 70
Herrenschmidt (Pierre) 117
Herriot (Édouard) 208, 211, 217, 223
Hervé-Gruyer (Gilbert) 102, 115, 117, 584
Hervey (Maurice) 173
Hervieu (Paul) 521
Hess (Rudolf) 74
Hirsch (Robert) 239, 467
Hitler (Adolf) 73, 74
Holleaux (André) 270
Hoover (Herbert) 269, 541
Hua (Georges) 206
Huet (Philippe) 229, 427
Huisman (Georges) 270, 272
Hyon (Louis) 219

I
Imbert (Armand) 211
Iribarne (Philippe d’) 475

J
Jacomet (Robert) 12, 13, 14, 88, 100, 111, 116, 226, 278, 282, 368, 379,
401, 402, 481, 520, 521, 522, 551
Jacquet (Robert) 389, 418
Jacquier (Paul) 161, 171
Jagerschmidt (Henri) 351
Janet (Pierre) 317
Janton (Henri) 117, 119
Jaurès (Jean) 175
Jeanneney (Jean-Marcel) 237
Jèze (Gaston) 6, 12, 13, 18, 21, 22, 33, 39, 42, 43, 44, 46, 48, 49, 50, 54-
63, 75-89, 102, 116, 202, 210, 257, 351, 352
Jobert (Aristide) 27, 35, 40, 57
Jouasset (Georges) 38, 54
Joxe (Louis) 328, 436
Joxe (Pierre) 593
Junillon (Lucien) 324

K
Kahn (Jean) 270
Kerviler (Georges Pocard du Cosquer de) 216
Keynes (John Maynard) 457
Klotz (Louis-Lucien) 13, 18, 27, 28-32, 35, 37, 39, 40-42, 46, 55, 61, 62,
63, 92, 94, 97, 115, 205

L
Labarraque (Jacques) 267
Labeyrie (Émile) 13, 14, 62, 94, 102, 104-106, 108-117, 119-122, 124,
126-128, 131, 148-157, 211-214, 223, 257, 265, 356, 358, 580
Labeyrie (Henri) 104, 133
Labouisse (Henry) 403, 404
Labussière (André) 102
Lafay (Bernard) 404
Laferrière (Édouard) 367
Laferrière (Julien) 88, 202
Lafond (Henri) 232
Lafont (Ernest) 173
La Genière (Renaud de) 436
Lagrange (Maurice) 371, 372, 376
Lainé (Jacques) 102
Lalumière (Pierre) 89, 446, 566
Lamouche (André) 476
Lamoureux (Lucien) 108, 109, 116
Lamy (Emmanuel) 270
Landry (Adolphe) 36, 42
Landucci (Alfred) 239
Laniel (Joseph) 403, 404
Laroque (Pierre) 165, 166, 169, 239, 353, 414, 490
Lasies (Joseph) 364
Lasteyrie (Charles de) 17, 23, 97-99, 115, 207, 209, 223
Laufenburger (Henry) 76
Lauré (Maurice) 285, 341, 411
Laurent (Charles) 33, 94, 102, 116, 173
Lautier (Paul) 454
Laval (Pierre) 115, 119, 121, 126, 214, 219, 223, 258, 264
Lavergne (Alexandre de) 309
Lavit (de) (contrôleur général de l’Armée), 206
Le Bec (Jean) 117
Leblond (Maurice) 430
Le Boucq de Ternas (Pierre) 38, 42
Leca (Dominique) 220
Le Coguiec (Isidore-Édouard) 413
Leconte (contrôleur général de la Marine) 206
Le Conte (Alexandre) 131, 153, 220, 226
Lecourt (Robert) 522, 532
Lefaucheux (Pierre) 339
Lefèbvre (Pierre) 569
Le Gall (Louis) 240
Legaret (Jean) 267, 270
Legatte (Paul) 267
Le Hénaff (Armand) 267, 521, 542, 553
Léonard (Roger) 179, 236, 584, 602
Lepercq (Aimé) 261
Leroy-Beaulieu (Paul) 27, 33, 39, 76, 88, 452
Lesage (Maurice) 239
Levacher-Duplessis (Antoine) 367
Lewandowski (Dominique) 210
Lhorty (Claude) 472
Liesse (André) 39, 42
Limal (Bernard) 570
Lionnet (contrôleur général de l’Armée) 267
Lorain (Henri) 117, 212, 220, 237, 341
Loriot (Louis) 232, 375, 376
Loucheur (Louis) 107, 162
Louis (Joseph-Dominique, baron) 17
Louis-Dreyfus (Louis) 173

M
Macaux (Marcel) 117
MacKinsey 438
Magnet (Jacques) 559, 560, 584
Magniez (René) 472
Magny (Paul) 207
Malaud (Philippe) 436
Malécot (Yves) 414, 422, 427
Mann (Fritz Karl) 518
Marcé (Victor de) 51, 63, 111, 115, 116, 616
Marcellin (Raymond) 230, 413, 424, 426, 430, 435, 438, 439
Marchandeau (Paul) 108
Marchandise (Jacques) 267, 270
March (Lucien) 21
Marcotte de Sainte-Marie (Gabriel) 220
Marcus (Jean) 220
Maret (Charles) 38, 42
Marie (André) 227, 230, 349
Marin (Louis) 9, 27, 35, 40, 44-46, 49, 61, 63, 87, 95, 97, 99, 100, 102,
116, 207, 208, 209, 210, 218, 222-224, 232, 233, 280, 347, 358, 381, 384
Martial-Simon (Étienne) 586
Martin (Jean-Paul) 267
Martin (Roger) 240
Martin (Yves) 270
Martinet (Raymond) 385
Martinez (Jean-Claude) 567
Mascard (Jean) 410, 414, 421, 433, 435, 442
Maspétiol (Roland) 165, 166, 169, 280, 490
Massé (Pierre) 338, 434
Masson (Robert) 210
Mathey (Raymond) 240
Mauclère (Eugène) 54
Mauger (Hippolyte) 111, 113, 116, 119, 120, 127, 132, 173, 192
Maulion (Paul) 106, 111-114, 116, 119, 124, 132, 358
Mayer (Josef) 74, 227, 230, 280, 428, 481
Mayer (René) 227, 230, 280, 428, 481
Mayras (Henri) 270
Mazeaud (Henri) 359
Mazeaud (Léon) 359
Mendès France (Pierre) 226, 243, 262, 264, 265, 278, 339, 403, 404, 434,
526, 540
Mer (Georges) 110, 120, 124, 202, 213, 214, 219, 258, 267
Mercier (Ernest) 202
Merveilleux du Vignaux (Charles-Henri) 220
Métayer (Pierre) 423, 424, 428, 430
Métin (Émile) 38
Mettas (Jean) 240
Meunier (Jean) 430
Meunier (Pierre) 373
Migaud (Didier) 573
Migeon (Henri) 409
Milhaud (Jean) 202, 258, 305-311, 318-321, 323, 326-329, 331, 420
Millerand (Alexandre) 17, 18, 20, 205
Milliès-Lacroix (Raphaël) 27, 35, 116
Moch (Jules) 230
Moinot (Pierre) 156
Mollet (Guy) 237, 424, 432, 433
Mollien (Nicolas-François, comte) 127
Monnet (Jean) 279
Monod (Jean) 206
Montagnier (Gabriel) 560, 566
Montcloux (Hippolyte de) 352, 353, 367
Moody (Blair) 403
Moreau (Émile) 210
Morette-Bourny (Jacques) 270
Moretti (inspecteur des Colonies) 211
Morin (Jean) 232
Mougniot (Roger) 431
Moureaux (conservateur des hypothèques) 22
Mourre (Edgar) 220
Moussa (Pierre) 270
Mouÿ (Henri de) 38, 50
Musnier de Pleigne (Étienne) 392

N
Napoléon Ier 91, 138, 179, 367
Nesme (Roger) 412
Nespoulous-Neuville (André) 270
Nicoulin (André) 472
Nollet (Paul) 267
Nora (Simon) 11, 334, 341-344
Noulens (Jean-Baptiste) 27, 34, 39, 94
Noury (Jean) 389, 391

O
Ogier (Émile) 38, 42
Oudinot (Jules) 376
Oudot (Émile) 210

P
Pagès (Max) 317
Paira (René) 410, 420
Pallez (Gabriel) 280, 421, 427
Palmade (Guy) 317, 331
Palmade (Maurice) 108, 109, 110, 115, 211
Papounaud (James) 437
Parent (Édouard) 220, 267, 280, 375, 403
Pérouse (Maurice) 342
Pasquet (Louis) 38, 42
Patouillet (Joseph) 110, 202, 214, 267
Paul-Boncour (Joseph) 211, 223
Payelle (Georges) 38, 50-53, 62, 94, 95, 108
Pellenc (Marcel) 530, 615
Pelletier (Émile) 232
Perchot (Louis) 36, 42
Péret (Raoul) 210, 223
Peretti (André) 317
Perreault (Jacques) 570, 571
Perrier (Léon) 162, 167
Pétain (Philippe) 130, 453, 455
Petiet (Charles) 163
Petit (Lucien) 38, 42-46, 48, 50, 51, 53, 62
Petit (Guy) 413
Petsche (Maurice) 102, 104-108, 114-116, 119, 120, 121, 132, 137, 227,
230, 231, 339
Peyerimhoff (Henri de) 162, 208, 210
Peyster (Henry de) 111, 116
Peytral (Victor) 102
Pflimlin (Pierre) 341, 412, 424, 430
Philip (André) 227, 229, 261, 262, 264, 381
Philippe (Raymond) 210
Picard (Roger) 210
Pichat (Georges) 126, 219, 223
Piétri (François) 112
Pignerol (Henri) 38, 39, 42, 43, 47, 48, 62
Pilliard (François) 240
Pinay (Antoine) 340, 433
Pineau (Christian) 227, 230, 358, 552
Pinot (Robert) 20
Planus (Paul) 232, 272, 283, 331, 410, 411, 418, 420, 421, 438
Pléven (René) 226, 227, 228, 265
Plouvier (Michel) 240
Poher (Alain) 227, 230, 348, 370, 376
Poincaré (Raymond) 17, 68, 97, 99, 102, 202, 206, 207, 209, 210, 223,
225, 232, 264
Poisson (André) 177, 216
Pomme de Mirimonde (Albert) 115, 156, 179, 581
Pompidou (Georges) 342
Pont (Pierre du) 245, 341
Popitz (Johannes) 73
Postel-Vinay (André) 261
Pouderoux (Noël) 318
Pozzy (Leone) 559
Prada (Michel) 466, 467
Pradié (Pierre) 355
Pradon (Christophe) 27, 44
Priem (Jean) 122, 220, 267
Privat-Deschanel (Georges) 33, 38, 39, 54, 94, 102, 109, 115
Proust (Antonin) 27, 45
Pruja (Jacques) 272
Puget (Henri) 260,411, 522, 523,551

Q
Questiaux (Paul) 236, 237, 238, 240, 241, 244, 280, 421, 427, 433-435,
438, 442
Queuille (Henri) 227, 230

R
Raison (Francis) 404, 409, 419, 428, 431, 433
Ramadier (Paul) 227, 229, 264, 266, 349, 427, 428, 433
Rathenau (Walter) 67
Redouin (Alfred) 220
Regnault (Pol) 156
Régnier (Marcel) 115, 223
Reinach (Joseph) 27, 36, 39, 54, 55, 56, 57
Renouvin (Pierre) 161
Rény (Jacques) 389
Reuter (Paul) 116, 526
Revault (Louis) 27
Rey (Gilbert) 486, 564
Reynaud (Paul) 107, 126, 218, 220-223, 227, 230, 232, 233, 242, 264,
265, 268, 407, 453
Ribbentrop (Joachim von) 73
Ribot (Alexandre) 18,19, 36, 348
Richard (Henri) 211, 220
Rimailho (Émile) 303, 308
Riou (Charles) 36, 50
Ripert (Joseph) 102
Rist (Charles) 210
Rocard (Michel) 570
Roche (Léon) 173
Roclore (Marcel) 229
Rogez (Jean) 270
Rolland (Louis) 160
Romieu (Jean) 351, 352
Roos (Joseph) 239
Rossard (Jean) 386, 412, 421, 544
Rosset (Théodore) 128, 219
Roubert (Alex) 530
Rousseau (Guy) 240
Rouvier (Maurice) 27
Rouzoul (Charles) 389, 394, 395
Rueff (Jacques) 128, 237-239, 433, 434

S
Saemisch (Friedrich) 67, 73
Saint-Geours (Jean) 285, 338, 341
Saint (Lucien) 308
Saint-Raymond (Fernand) 102, 112
Salaün (Yves) 220
Salleron (Louis) 176
Saltes (Jean) 237
Salustro (Édouard) 564
Sanglier (Guy) 563
Saramite (André) 236, 267, 425
Sarget (Charles)128
Sarraut (Albert) 108
Satet (Robert) 217
Sautter (Christian) 571
Sauvalle (Charles) 102, 206
Sauvy (Alfred) 223
Savin (Jean) 122, 220
Say (Jean-Baptiste) 80, 139
Say (Léon) 33, 76, 192, 347
Schatz (Albert) 451
Scherrer (Marc) 235
Schloesing (Jean) 339
Schmidt (Jammy) 116
Schuman (Robert) 227, 229, 230, 264, 349, 364, 368, 370, 404, 481
Schwartz (Franz-Xaver) 74
Schweitzer (Pierre-Paul) 220, 285, 340
Séguin (Philippe) 623
Sellas (Yug), anagramme de Guy Salles 474
Selves (Justin de) 27-30, 35, 36, 40, 41, 55, 61, 63, 64, 94, 95, 96, 108,
111, 115, 130, 202
Sembat (Marcel) 36, 41, 42
Sergent (Charles) 117, 210, 259
Sergent (Maurice) 340
Serres (contrôleur général de la Marine) 38, 42
Sézerat (André) 267, 271, 276
Simon (Joseph) 210
Simonnet (André) 122
Sirol (Jean) 176
Smith (Adam) 80
Solus (Henri) 220
Sonrier (André) 466
Soquet (Marcel) 106, 461
Soubeyrand (Jean) 211
Soudin (C.) (chef de mission au SCOM) 413
Spinasse (Charles) 258
Stoetzel (Jean) 328, 329
Stourm (René) 27, 32, 33, 39, 40, 54, 55, 57, 59, 60, 76, 102, 358
Strauss-Kahn (Dominique) 571

T
Tardieu (André) 101-103, 107, 134, 210, 223, 264
Tardieu (Michel) 183
Tardit (Michel) 102, 104
Teitgen (Pierre-Henri) 227, 229, 349
Thierry (Joseph) 18
Thomas (Albert) 20, 162
Thomson (Gaston) 36, 41, 54, 55, 56
Thoré (Jean Gerbé de) 220
Thorez (Maurice) 227, 228, 262
Tirman (Alexandre) 206, 207
Tissier (Louis) 27, 34, 40
Tixier (Michel) 393
Touchard (Jean) 433
Tournier (Jacques) 117
Toutée (Jean) 216, 217, 219
Treignier (Eugène) 36, 41, 50
Trotabas (Louis) 361
Trouvé (Jean) 411
Turquet (François) 117

V
Vacquier (contrôleur général de la Marine) 206
Valette (Charles) 216
Valls (André) 270
Veber (Adrien) 27, 35, 40
Vedel (Georges) 365, 370
Veraguth (Jean-Baptiste) 102, 217
Verny (René) 419, 435
Veyrac (Raymond de) 119
Vidal (cabinet) 283, 411
Viénot (Marc) 237
Villard (René) 102, 219
Villemin (Jean) 267
Villers (Bernard) 267
Vincent (Paul) 425, 427
Vitry (Raoul de) 237
Viviani (René) 19, 34, 94
Vivien (Auguste) 452
Voilquin (Albert) 613

W
Wagner (Adolph) 85
Wailly (Gilles Warnier de) 117
Waline (Marcel) 365
Walker (Maurice) 232
Walter (François) 106, 220
Willier (Marcel) 220
Wirth (Joseph) 66, 67

Y
Yrissou (Henri) 433

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