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Principales règles « de substance » du droit des conflits armés

S ection II. – L es règles relatives au traitement


des   personnes au pouvoir de l ’ ennemi ( droit de G enève )

«  Ô douceur de survivre à la force du jour  »


(P.  V aléry )

2.280 Ces règles comprennent, d’une part, les droits de la per-


sonne, dans la mesure de ce que nous avons vu à ce sujet (supra,
§§  1.16 ss., 1.173 ss.), d’autre part, un vaste ensemble de dispo-
sitions précises et spécifiques que l’on peut schématiquement
regrouper sous l’appellation générale de «  droit de Genève  ».

2.281 À partir des nombreuses règles du droit de Genève, on


peut grossièrement dégager six principes qui sont, d’ailleurs, loin
de couvrir toute la matière  :
– – combattre l’ennemi dans le respect du droit des conflits
armés n’est pas une infraction (I)  ;
–– blessés et malades ont le droit d’être secourus et soignés (II) ;
– – toute personne au pouvoir de l’ennemi a droit à un traite-
ment humain et sans discrimination (III)  ;
– – les droits des personnes au pouvoir de l’ennemi sont intan-
gibles et inaliénables (IV)  ;
–– l’occupation ne modifie pas le statut du territoire occupé (V) ;
la fin des hostilités implique la libération et le rapatriement des
prisonniers de guerre et des internés civils (VI).

I. Combattre l’ennemi dans le respect du droit des conflits


armés n’est pas une infraction
2.282 Dans le cas d’un conflit armé international (cette règle
n’existe pas pour les conflits armés internes), certaines catégo-
ries de personnes peuvent accomplir des actes qui, en toute autre
circonstance, feraient partie des infractions les plus gravement
punies par le Code pénal de tous les États du monde – coups et
blessures, appropriation et destructions de biens publics et pri-
vés, enlèvements, séquestrations, attentats à l’explosif, homicides
volontaires, etc. –, mais qui, en l’occurrence, sont non seulement
permis, mais même encouragés, sinon récompensés ! On connaît la
boutade de J. Rostand : « on tue un homme, on est un assassin, on

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tue des millions d’hommes, on est un conquérant. On les tue tous,


on est un dieu. » ! Selon une autre version : « Tuez un homme, vous
êtes un assassin ; tuez des milliers d’hommes, vous êtes un héros »
(Beilby Porteus, 1784).
Cependant, tout le monde ne peut pas massacrer tout le monde.
Le droit des conflits armés réserve ce délicat privilège aux com-
battants reconnus comme tels  1. Ce sont eux qui en cas de capture,
loin d’être poursuivis pour les nombreux «  crimes  » prémédités
qu’ils auront commis – pourvu qu’ils les aient commis dans le res-
pect des lois de la guerre – seront admis au statut de prisonnier
de guerre et simplement retenus dans un camp en attendant la fin
des hostilités.
Jusqu’à l’époque de la 2 e  Guerre mondiale, les combattants irré-
guliers – c’est-à-dire, ceux qui ne remplissaient pas les conditions
requises pour participer aux combats, par ex., en ne se distinguant
pas de la population civile – étaient assimilés à des francs-tireurs
à l’égard desquels on semblait parfois admettre qu’ils pussent être
exécutés en cas de capture  2 ; heureusement, cette opinion a été clai-
rement écartée par la jurisprudence  : l’exclusion du statut de prison-
nier de guerre pour un franc-tireur dépendait d’une décision judiciaire
préalable comme dans le cas d’un espion  3 (supra, §  2.32a).

2.282a Si le statut de prisonnier de guerre n’existe que dans le


cadre d’un conflit armé international, on peut le retrouver dans
un conflit armé interne qui s’apparente, en réalité, à un conflit
armé international. Ainsi, le conflit entre la Croatie et la Bosnie-
Herzégovine de mai 1992 à janvier 1994 a été considéré comme
international car ces deux entités yougoslaves avaient proclamé
leur indépendance, respectivement, le 25  juin 1991 et le 1 er  mars
1992 et adhéré à l’ONU le 22 mai 1992. Les combattants musulmans
bosniaques capturés par les forces croates devaient donc, à juste
titre, obtenir le statut de prisonnier de guerre  4.

1  
Ainsi, les Chemises Noires italiennes étaient considérées comme des forces militaires
au même titre que les partisans  : commandement responsable, signe fixe, port d’armes et
organisées par la loi de guerre du 8  juillet 1938, Crt. of App.  of Brescia, 20  mars 1948, A.D.,
1949,  p.  379. Sur le souci des petits États aux conférences de La Haye de 1899 et 1907
d’élargir les catégories de combattants «  légaux  », voy. G.I.A.D.  D raper , «  The Status of
Combatants and the Question of Guerilla Warfare  », BYBIL, 1971, pp.  180-181.
2  
List case, Ann. Dig., 1948, vol.  15,  p.  639  ; comp.  toutefois ibid., pp.  645-646.
3  
Hamburg, Brit. Mil. Crt., 19 décembre 1949, Von Lewinski (alias Von Manstein), A.D.,
1949, vol.  16,  p.  516.
4  
TPIY (ch.  I), 3  mars 2000, Blaskić, aff. IT-95-14-T, §  147.

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2.283 Il faut cependant observer que le statut de prisonnier de


guerre n’implique pas une immunité pénale absolue du combattant
capturé. Il ressort de l’art.  85 de la 3 e CG que la Puissance déten-
trice reste fondée à poursuivre pénalement le prisonnier de guerre
dans trois hypothèses  :
1° Les violations du droit des conflits armés commises par le
combattant avant sa capture, qu’elles correspondent, ou non,
à des crimes de guerre stricto sensu (infra, § 4.97), peuvent
donner lieu à poursuites pénales par la Puissance déten-
trice. Les violations commises par un combattant régulier
ne remettent pas en cause le statut de prisonnier de guerre
de ce combattant, mais ce statut n’empêche pas les pour-
suites. Il y a toutefois deux cas où ces violations peuvent
empêcher l’octroi du statut de prisonnier de guerre  : c’est
lorsqu’elles sont commises par un membre de la «  levée en
masse  » (infra, §  2.291) ou par un résistant (infra, §  2.294)
dans le cadre d’un conflit armé non couvert par le 1 er  PA
(infra, §  2.296). En outre, la plupart des États socialistes
ont émis dans les années 50 une réserve aux fins d’exclure
du statut de prisonnier de guerre des prisonniers jugés et
condamnés pour crime de guerre ou crimes contre l’huma-
nité (infra, §  2.341).
2° Les autres violations du droit international, érigées en infrac-
tions par celui‑ci et commises par le combattant avant sa
capture, peuvent également donner lieu à poursuites pénales
par la Puissance détentrice  : crimes contre la paix, crimes
contre l’humanité, trafic de stupéfiants, etc. Dans le cas
des crimes contre la paix, les poursuites pénales devraient
conformément à la pratique, être limitées aux responsables
directs de ce type de fait, c’est‑à‑dire, aux seuls prisonniers
de guerre  :
« qui, dans leur pays, ont eu une influence directe sur les décisions qui
ont amené le déclenchement de la guerre d’agression  »  1.

3° Toute infraction classique de droit commun non consti-


tutive d’un fait licite de guerre et visée par le droit pénal
de la Puissance détentrice peut encore entraîner des pour-
suites pénales contre son auteur par la Puissance détentrice.

1  
Conventions, commentaire, III,  p.  446.

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Toutefois, il est généralement considéré que ces faits doivent


aussi être incriminés par le droit de l’État d’origine, et que
notamment les infractions politiques punissables dans la
Puissance détentrice, mais non dans la Puissance d’origine
ne peuvent donner lieu à poursuites pénales  1.
En bref, la participation aux hostilités n’est pas punissable par
la Puissance détentrice si d’une part cette participation consiste
en des faits licites de guerre, et si d’autre part cette participation
est le fait d’une personne légalement habilitée à combattre (infra,
§§ 2.308 ss.). Par exemple, les civils qui participent au conflit sans
pouvoir se prévaloir du statut de combattant (infra, §  2.308) sont
passibles de poursuites pénales  2.

2.284 Cette immunité pénale des combattants capturés qui n’ont


pas violé le droit des conflits armés trouve confirmation dans le
fait que même une tentative d’évasion d’un prisonnier de guerre ne
peut donner lieu à des poursuites pénales. Si l’évasion a échoué
(c’est‑à‑dire, si le prisonnier de guerre n’a pas réussi à rejoindre
ses lignes ou à quitter le territoire contrôlé par la Puissance déten-
trice avant d’être repris  ; CG III, art.  91), la Puissance détentrice
ne peut imposer à son auteur qu’une « sanction disciplinaire » (CG
III, art.  89 ss.)  ; même les infractions de droit commun commises
par le prisonnier de guerre pour faciliter son évasion ne peuvent
donner lieu à des poursuites pénales  : il faut toutefois que ces
infractions n’aient comporté ni violence contre les personnes, ni
vol dans un but d’enrichissement  ; sont donc admis le vol seule-
ment pour faciliter l’évasion, le port d’habits civils, l’établissement
et l’usage de faux papiers (CG III, art.  93).
Ces principes avaient été appliqués par certains tribunaux cana-
diens en 1943 et 1945  3, mais écartés par d’autres  4, car les articles
correspondants de la CG de 1929 sur les prisonniers de guerre
n’excluaient pas clairement des poursuites pénales pour des infrac-
tions de droit commun commises en vue de faciliter l’évasion. La
question est désormais réglée par l’art.  93 de la 3 e CG.

1  
Conventions, commentaire, III, pp.  443-444.
2  
Nur. U.S.  Mil. Trib., 19  février 1948, List et al. (Hostages trial), A.D., 15,  p.  640.
3  
Magistrate’s Court of County of Renfrew (Ontario), 7  octobre 1943, Krebb, A.D.,
1943-1945, pp.  407-410  ; Crt. of App.  of Ontario, 1  mars 1945, A.D., 1943-1945,  p.  405.
4  
Police Crt. of Alberta, 15  juillet 1944, Schindler et al., A.D., 1943-1945,  p.  403  ; Supr.
Crt. of Alberta, 26  mars 1945, Koehler and Stolsky, A.D., 1943-1945, pp.  397-403.

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Dans la mesure où seuls les combattants patentés peuvent donc


prétendre, en cas de capture au statut de prisonnier de guerre, dans
la mesure où certaines catégories de non‑combattants peuvent
également y prétendre, la question se pose de savoir qui peut être
considéré comme combattant et comme prisonnier de guerre (A.),
qui ne le peut pas (B.) et quid en cas de doute (C.).

A. Qui peut être considéré comme combattant ou comme


prisonnier de guerre
2.285 La définition légale de «  combattant  » est moderne  : elle
apparaît pour la première fois aux art. 43‑44 du 1 er PA. Pourtant son
«  signifié  » est ancien  : le combattant, c’est‑à‑dire la personne qui
a le droit de combattre l’ennemi, est implicitement visé à l’art. 1 er
du Règlement de La Haye qui reconnaît à l’armée, aux milices et
aux corps de volontaires la capacité d’exercer «  les droits et les
devoirs de la guerre » ; il est également visé à l’art. 2 qui reconnaît
le principe de la «  levée en masse  » (infra, §  2.291).
Plus précises, les CG de 1949 déterminent les catégories de
personnes réputées faire partie des forces armées, des corps de
milice, des mouvements de résistance, de la population qui se sou-
lève à l’approche de l’ennemi (voy. les §§  1, 2, 3, 6 identiques des
art.  13/I, 13/II et 4A/III), et donc admises à participer directement
aux hostilités et à combattre : en cas de capture, elles ne peuvent
être poursuivies pénalement du seul fait de cette participation aux
combats et bénéficient du statut de prisonnier de guerre.
Ces personnes sont des «  combattants  », ainsi que le dit de
manière incidente l’art.  3 du Règlement de La Haye. Dans les CG,
le mot «  combattant  » apparaît de manière encore plus incidente
à l’art.  30 de la 2 e  Convention.

2.286 Parmi les catégories de combattants citées ci‑dessus dans


les CG, les résistants ne bénéficient du statut de prisonnier de
guerre qu’au prix de conditions très étroites qui ne correspondent
en rien à certaines formes contemporaines de la guerre telles que
la guérilla. C’est un des problèmes qu’a dû résoudre la Conférence
diplomatique (1974‑1977), et elle l’a fait d’une part en assouplis-
sant les conditions d’octroi du statut de prisonnier de guerre aux
résistants, d’autre part en définissant de manière générique la
notion de combattant.

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Bien entendu, cette définition ne lie que les États qui sont par-
ties au 1 er  PA  ; pour ceux qui ne le sont pas, seules les personnes
faisant partie des catégories citées à l’art.  1 er du Règlement de
La Haye de 1907 et à l’art.  4 de la 3 e  CG ont le droit d’être des
combattants, droit sanctionné par la reconnaissance du statut de
prisonnier de guerre en cas de capture.

2.287 Nous allons examiner les différentes catégories de per-


sonnes qui ont le droit de prendre les armes et de bénéficier du
statut de prisonnier de guerre en cas de capture au regard tant du
Règlement de La Haye et de la 3 e  CG que du 1 er  PA.

1. Les membres des forces armées


2.288 Ils comprennent toutes les personnes qui font organique-
ment partie de l’armée d’une Partie au conflit  : militaires de car-
rière, volontaires, miliciens, etc. (Règlement de La Haye, art.  1 er  ;
CG  III, art.  4, A, §  1).
Ainsi, en Belgique, la gendarmerie était réputée faire partie
des forces armées (loi du 2  décembre 1957, art.  2, §  1 er, M.B.,
12  décembre) comme le gouvernement belge l’avait précisé dans
la déclaration interprétative jointe à l’envoi de son instrument de
ratification aux PA le 20 juin 1986  1. La loi du 18 juillet 1991 (M.B.,
26  juillet) a toutefois modifié cette situation en stipulant que «  la
gendarmerie est un service de police générale  » (art.  2, §  1) placé
«  sous l’autorité  » des Ministres de l’Intérieur et de la Justice
(art. 2, § 2) et non plus, en outre, (comme auparavant) sous l’auto-
rité du Ministre de la Défense nationale pour certaines missions
(art. 2, § 2 ancien). Les lois sur la gendarmerie ont été abrogées et
le corps de gendarmerie a été remplacé par la police fédérale qui
est sous l’autorité des ministres de la justice et de l’intérieur (loi
du 7  décembre 1998, art.  97 ss., 212) M.B., 5  janvier 1999).
Les forces de police et d’autres organisations paramilitaires
peuvent toutefois être assimilées aux forces armées à condition
que la Partie qui les y incorpore le notifie aux autres Parties en
conflit (1 er  PA, art.  43, §  3). À défaut, les membres de ces forces
sont considérés comme des civils.

1  
Chron. S almon -E rgec , RBDI, 1987, pp.  392-393.

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Dans le conflit de Gaza, la Commission Goldstone (supra,


§ 2.29) a condamné les attaques d’Israël contre des postes de poli-
ciers dès lors que la plupart d’entre eux n’appartenaient pas à des
groupes armés palestiniens  1.
Les membres des forces armées ont donc le droit de com-
battre et tous, quels que soient leur grade  2 ou leur nationalité (cf.
5 e  Convention de La Haye, art.  17)  3, bénéficient du statut de pri-
sonnier de guerre en cas de capture par l’autre partie au conflit  4.

2.289 Le fait que les forces armées soient au service d’un gou-
vernement ou d’une autorité non reconnus par la Puissance déten-
trice ne change rien à la règle (CG  III, art.  4, A, 3) pourvu que
ce gouvernement ou cette autorité représente bien une Partie au
conflit, c’est‑à‑dire un sujet de droit international préexistant au
conflit  5. Comme cette Partie doit être liée par les CG de 1949,
voire par le 1 er PA, la condition d’être un sujet de droit internatio-
nal à part entière est nécessairement réalisée.
Il devrait en aller ainsi même si l’autorité combattant pour
une Partie au conflit n’est reconnue par personne : son effectivité
devrait lui servir de «  lettre de créance  » à prétendre représenter
l’État partie aux instruments qui le lient aux autres États. Les auto-
rités passent, l’État demeure.
Pour la chambre préliminaire de la CPI  :
«  le cadre du conflit armé international n’est pas uniquement limité
à l’utilisation de la force entre deux États mais comprend également
certaines situations dans lesquelles des parties au conflit peuvent être
des forces ou groupes armés organisés  »  6.

Si des autorités concurrentes prétendent représenter l’État,


les relations d’hostilité de chacune d’elles avec des États tiers

1  
Report of the UN Fact Finding Commission on the Gaza Conflict, 15 septembre 2009,
Doc. ONU A/HRC/12/48, §  1720,  p.  534 (version fr., §  1923).
2  
Cf. U.S.  Distr. Crt., S.D.  Flor., 8  décembre 1992, Noriega, ILR, 99,  p.  187.
3  
Même les nationaux de l’État capteur qui faisaient partie de l’armée ennemie ont droit
au statut de prisonnier de guerre mais sans préjudice de l’application par l’État capteur de
ses lois sur la collaboration avec l’ennemi ; sur ce point, E. D avid , Mercenaires et volontaires
internationaux en droit des gens, op.  cit., pp.  394 ss.
4  
Pour le cas du soldat israélien Gilad Shalit capturé par un groupe palestinien, Report
of the UN Fact Finding Commission on the Gaza Conflict, 15  septembre 2009, Doc. ONU
A/HRC/12/48, §  1749,  p.  541 (version fr., §  1952).
5  
Cf. Protocoles, commentaire,  p.  514, §  1662.
6  
CPI, 29  janvier 2007, Lubanga, aff. ICC-01/04-01/06, §  275  ; aussi, TSSL, 2  août 2007,
Fofana and Kondewa, aff. SCSL-04-14-J, §§  194 ss.

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devraient continuer à apparaître comme constitutives de conflit


armé international puisque chacune de ces autorités prétend repré-
senter l’État. Le Commentaire de la 3 e CG précise toutefois que,
si le gouvernement contre lequel lutte l’autre Partie au conflit ne
doit pas être reconnu par celle-ci, il faut qu’il soit reconnu par
des tiers. Le Commentaire rappelle que durant la 2 e  Guerre mon-
diale, l’Allemagne accepta de reconnaître le statut de prisonnier
de guerre aux membres capturés des Forces françaises libres du
général de Gaulle dès lors qu’elles luttaient aux côtés d’un belligé-
rant reconnu par l’adversaire. On lit  :
«  Craignant […] des interprétations abusives qui eussent pu s’étendre
à des bandes armées telles que les grandes Compagnies de funeste
mémoire […], les rédacteurs de la Convention de 1949 ont cru bon
de spécifier qu’il s’agissait “d’un Gouvernement ou d’une Autorité non
reconnus par la Puissance détentrice”  ; il n’est pas dit expressément
que ce Gouvernement ou cette Autorité doivent du moins être reconnus
par des États tiers  ; cette condition est cependant conforme à l’esprit
de la présente disposition, fondée sur le cas particulier des troupes
gaullistes  » (nous soulignons)  1.

Il faut toutefois observer qu’aucun texte juridique n’exige que


l’autorité belligérante adverse soit reconnue par des tiers pour qu’elle
puisse prétendre représenter valablement une Partie au conflit. Ce qui
importe, c’est que cette autorité apparaisse, en fait, comme la repré-
sentante d’une Partie au conflit. Autrement dit, la reconnaissance de
l’autorité comme représentante d’une partie au conflit par un tiers n’est
pas une condition indispensable de cette représentativité ; elle n’en est
qu’un élément de preuve parmi d’autres, mais lorsqu’une telle recon-
naissance existe, l’autre Partie belligérante devrait en tenir compte
pour admettre la représentativité de l’autorité adverse ainsi reconnue.
L’absence de reconnaissance ne libère cependant pas la Partie belligé-
rante de son devoir de vérifier si, en fait, l’autorité adverse jouit d’une
effectivité suffisante pour prétendre représenter une Partie au conflit :
une appréciation qui doit être faite de bonne foi 2.
Par exemple, si un État tiers intervient dans un autre État pour
aider le gouvernement de ce dernier à mater une insurrection, et,
si l’autorité insurgée n’est reconnue par aucun État, cela ne signi-
fie pas qu’elle n’est pas une autorité représentative d’une Partie

1  
Conventions, commentaire, III, 1958,  p.  71.
2  
Cf. Déclaration de l’AGNU sur les relations amicales et la coopération entre les États,
A/RES/2625 (XXV), 24  octobre 1970, 7 e  principe.

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au conflit. Cela dépend de son effectivité. Or, celle-ci semblera


d’autant plus réelle que le gouvernement en place doit faire appel
à l’extérieur pour venir à bout de l’insurrection. La question doit
être considérée de la même manière dans le cas d’une intervention
en faveur des insurgés.
Lors du conflit afghan consécutif aux attentats anti-américains du
11  septembre 2001, attribués à Oussama Ben Laden, les É.-U. soute-
naient une faction afghane – l’Alliance du Nord – contre une autre : le
gouvernement taliban. Celui-ci n’en représentait pas moins une Partie
au conflit, en raison, non seulement, de son effectivité, mais aussi,
de sa reconnaissance par les Emirats arabes unis, l’Arabie saoudite et
le Pakistan. Certes, les EAU et l’Arabie saoudite avaient rompu leurs
relations diplomatiques avec l’Afghanistan les 22 et 24 septembre  1 ; le
Pakistan avait fait la même chose le 22 novembre  2, après le début des
hostilités (7  octobre) mais, d’une part, cela ne signifiait pas que ces
États ne reconnaissaient plus le gouvernement taliban, d’autre part,
cela ne remettait pas en cause l’effectivité de son caractère représen-
tatif. Les talibans capturés, en tant que combattants pour une Partie
au conflit, devaient donc bénéficier du statut de prisonnier de guerre.
Il serait, en outre, contraire à l’esprit des CG que le sort des vic-
times du conflit dépende de variables aussi aléatoires que l’existence,
ou non, d’une reconnaissance. Il faudrait peut-être appliquer ici, par
analogie, les règles applicables en cas de dénonciation des CG  : si la
dénonciation intervient en cours de conflit, la Convention n’en reste
pas moins applicable jusqu’à la fin du conflit (art.  63/62/142/158), et
ce, en raison de «  l’intérêt supérieur des victimes de la guerre  »  3.

2.290 Les membres des forces armées comprennent des per-


sonnes ayant des fonctions combattantes et des personnes remplis-
sant des tâches administratives : les secondes n’en sont pas moins
habilitées à combattre et à bénéficier du statut de prisonnier de
guerre en cas de capture. Le principe apparaissait déjà à l’art.  11
de la Déclaration de Bruxelles de 1874. Il est désormais énoncé
par l’art.  43 du 1 er  PA qui qualifie légalement de «  combattants  »
« les membres des forces armées d’une Partie à un conflit »  4. Il n’y
a d’exception prévue que pour le personnel sanitaire et religieux

1  
D’après Le Monde diplomatique  : www.monde-diplomatique.fr/cahier/doc/chrono-
afghane
2  
Ibid.
3  
Conventions, commentaire, III,  p.  683.
4  
Ibid.,  p.  521, §  1677.

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des forces armées qui ne peut combattre – cette interdiction est le


corollaire de l’inviolabilité dont il bénéficie pendant les combats
(supra, §§  2.35 ss., 2.68 ss.) – et qui, en cas de capture, n’est pas
considéré comme prisonnier de guerre : il jouit en effet d’un statut
spécifique combinant à la fois la protection due aux prisonniers
de guerre et le droit de pouvoir exercer ses fonctions religieuses
et médicales (CG  III, art.  33 et 1 er PA, art.  43, §  2).
C’est ce qu’on a parfois appelé la « stabilité » du statut du per-
sonnel et des unités sanitaires  1.

2. La «  levée en masse  »
2.291 Sont des combattants légitimes admis au statut de pri-
sonnier de guerre en cas de capture, les personnes qui prennent
spontanément les armes pour défendre leur territoire contre des
troupes d’invasion, sans avoir eu le temps de se constituer en
forces armées régulières, à condition qu’elles portent ouverte-
ment les armes et respectent les lois et coutumes de la guerre
(Déclaration de Bruxelles de 1874, art. 10 ; Règlement de La Haye,
art.  2  ; CG  III, art.  4, A, §  6)  2. Cette situation ne peut toutefois
durer que le temps nécessaire pour tenter de repousser l’ennemi.
Une fois que l’occupation est établie, la population ne peut pour-
suivre légalement son action au titre de la levée en masse  3. Si
elle veut continuer la lutte, ce doit être alors dans les conditions
prévues pour la résistance (ci‑dessous). Pour le TPIY commen-
tant le statut des combattants musulmans bosniaques présents à
Srebrenica  :
“while the situation in Srebrenica may be characterised as a levée en
masse at the time of the Serb takeover and immediately thereafter in
April and early May 1992, the concept by definition excludes its appli-
cation to long-term situations”  4.

3. Les résistants
2.292 La question du statut des résistants, c’est‑à‑dire des
milices ou des corps de volontaires qui ne font pas partie de

1  
J.F.  R ezek , «  Blessés, malades et naufragés  », in Les dimensions internationales du
droit humanitaire, op.  cit.,  p.  185.
2  
Hamburg, Brit. Mil. Crt., 19 décembre 1949, Von Lewinski (alias Von Manstein), A.D.,
1949,  p.  515.
3  
Conventions, commentaire, III,  p.  76.
4  
TPIY, 30  juin 2006, Oric, aff. IT-03-68-T, §  136.

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l’armée régulière, est réglée dès la Déclaration de Bruxelles de


1874 (art. 9), et les principes qu’elle énonce sont repris à peu près
tels quels dans le Règlement de La Haye (art.  1 er) et dans la 3 e
CG (art.  4, A, §  2). Aux termes de ces instruments, sont admis à
combattre et à obtenir le statut de prisonnier de guerre, en cas de
capture, les membres de ces forces qui remplissent une condition
de fond et quatre conditions que l’on pourrait qualifier de forme.

2.293 La condition de fond réside dans l’appartenance des mou-


vements de résistance à une « Partie au conflit » au sens de l’art. 2
commun aux 4 CG. Cette appartenance peut consister soit en une
reconnaissance officielle émanant du gouvernement représentant
l’État pour lequel ces mouvements luttent, soit en une « liaison de
fait  » entre ces mouvements et l’État qu’ils défendent  : un accord
tacite des autorités étatiques, une assistance matérielle de ces der-
nières  1, voire une articulation suffisamment nette de ces mouve-
ments avec l’État et la population pour qu’on puisse dire qu’ils les
représentent réellement ou qu’ils constituent des autorités agis-
sant en fait pour le compte de l’État au sens des art. 8 (1 re lecture)
et 6 (2 e  lecture) des projets d’articles de la CDI sur la respon-
sabilité des États  2. Ainsi, des jugements italiens ont reconnu la
qualité de mouvements de résistance à des groupes de partisans
constitués en Italie pendant la 2 e  Guerre mondiale alors qu’ils ne
furent reconnus officiellement par la loi italienne que longtemps
après leur création. Par exemple, pour la Cour d’Appel de Turin  :
“The recognition on the part of the sovereign State of the legitimacy of
the partisans is purely declaratory. It refers clearly to past acts rende-
red necessary by the needs of the country in danger and which affected
all citizens”  3.

Ainsi, dans le conflit afghan opposant les É.-U. au gouvernement


taliban (2001), les membres du groupe Al-Qaïda qui luttaient aux
côtés des combattants talibans et qui avaient été capturés par les
É.-U. devaient se voir reconnaître le statut de prisonnier de guerre
dès lors qu’ils étaient au service d’une partie au conflit. Les É.-U.
leur ont refusé ce statut pour un mélange de raisons qui ne sont pas

1  
Conventions, commentaire, III,  p.  64.
2  
Ann. CDI, 1974, vol.  II, 1 e partie, pp.  294 ss.  ; Rapport CDI 2001, Doc. ONU A/56/10,
§  77, sub, art.  6.
3  
App.  Turin, 5  janvier 1948, Baffico v. Calleri, A.D., 1948,  p.  426  ; voy. aussi Cuneo,
1 st  instance, 14  janvier 1950, ILR, 17,  p.  351.

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très claires. Ils affirment, d’une part, que les membres d’Al-Qaïda ne
portaient pas d’insigne fixe reconnaissable à distance, qu’ils ne por-
taient pas ouvertement les armes, qu’ils ne faisaient pas partie d’une
hiérarchie militaire, qu’ils ne respectaient pas les lois et coutumes de
la guerre, d’autre part, que « they are not a state party to the Geneva
Conventions  »  1. S’il est possible qu’en fait, les membres d’Al-Qaïda
ne remplissaient pas les conditions prévues pour les mouvements de
résistance (voy. ci-dessous), en revanche, il est douteux de suggérer
qu’ils ne luttaient pas pour le compte des Talibans, donc pour les
autorités de facto d’un État partie aux CG.
La loi israélienne 5762-2002 sur l’internement des combattants
irréguliers (« unlawful combatants ») définit le combattant irrégulier
comme une personne qui combat Israël ou qui fait partie de forces
luttant contre Israël mais qui ne remplit pas les conditions requises
par l’art. 4 de la 3 e CG pour obtenir le statut de prisonnier de guerre  2.
En cas de capture, il est assimilé à un civil et reste sous l’empire de
la 4 e CG  3.
La condition d’appartenance des combattants à une partie bel-
ligérante est réalisée lorsque les combattants capturés ne font pas
partie de forces régulières étrangères, mais agissent, en fait, pour
le compte d’un État tiers. Ainsi, le TPIY a jugé que de telles forces
devaient être considérées comme relevant de cet État  : l’appar-
tenance de ces forces à l’État étranger dépendait du degré de
contrôle que celui-ci pouvait exercer sur lesdites forces (supra,
§§  1.111 s.). Sur cette base, les forces serbo-bosniaques et bosno-
croates luttant en Bosnie-Herzégovine ont été considérées comme
des forces appartenant, respectivement, à la RFY et à la Croatie,
mais la CIJ n’a pas suivi la même voie (supra, §  1.112).
On a dit la même chose des milices indonésiennes luttant au Timor
oriental en 1999, ce qui impliquait, qu’en cas de capture, leurs membres
devaient bénéficier du statut de prisonnier de guerre  4. L’Australie ne
partageait pas cet avis  5.

1  
Communiqué de la Maison Blanche, 7  février 2002, www.uspolicy.be/issues/terrorism/
bushguan.020702.htm  ;  ; voy. aussi Conférence de presse du porte-parole de la Maison
Blanche, R.  Boucher, 8  février 2002, www.state.gov/r/pa/prs/dpb/2002/7918.htm
2  
Citée in Isr. Supr. Crt., 11  juin 2008, X v/ Israel, §  11, ILM, 2008,  p.  773.
3  
Isr. Supr. Crt., 11  juin 2008, X v/ Israel, §  12, ILM, 2008,  p.  775.
4  
B.  L evrat , «  Le droit international humanitaire au Timor oriental: entre théorie et pra-
tique  », op.  cit.,  p.  94.
5  
M.J. K elly e.a., « Legal aspects of Australia’s involvement in the International Force for
East Timor  », op.  cit.,  p.  121.

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Il n’en demeure pas moins qu’en pratique, il n’est pas toujours


facile de voir si tel mouvement remplit bien une fonction étatique
ou au contraire se réduit à une bande armée agissant dans un but
purement privé. L’objectif réellement poursuivi par le mouvement
devrait sans doute permettre de distinguer le mouvement de résis-
tance de la bande armée.

2.294 Les conditions de forme sont les suivantes  :


– – être sous un commandement responsable pour ses subor-
donnés  ;
– – avoir un signe distinctif fixe et reconnaissable à distance  ;
– – porter ouvertement les armes  ;
– – respecter les lois et coutumes de la guerre  1.
À défaut, ce sont des combattants «  irréguliers  »  2 (voy. aussi
supra, §  2.293, le cas des combattants d’Al-Qaïda).
Or, avec le développement des guerres de libération nationale
et de la lutte de guérilla, les 2 e et 3 e  conditions se sont avérées
totalement irréalistes : peut‑on imaginer qu’un résistant ou un gué-
rillero dont la tactique consiste à se fondre dans la population
locale, acceptent d’arborer en permanence les preuves tangibles
de leur «  qualité  »  ?
Déjà, à l’issue de la 2 e Guerre mondiale, un tribunal italien avait
rejeté une demande de réparation civile contre des partisans res-
ponsables d’une attaque menée au détriment des forces allemandes
alors que ces partisans n’avaient pas respecté les règles relatives
au statut de résistant. Le Tribunal, tout en reconnaissant que ces
gens n’étaient pas des combattants légitimes au sens du Règlement
de La Haye, en justifiait pourtant la violation au nom du fait que
son respect était impossible dans les circonstances de l’époque  :
“it was impossible to operate with an organised force having a responsible
superior, a uniform or a distinctive sign capable of being recognized at
distance and carrying arms openly, as the laws of war demand”  3.

1  
Sur l’obligation de respecter les combattants capturés lorsqu’ils remplissent les quatre
conditions, Nur. U.S.  Mil. Trib., 10  avril 1948, Ohlendorf et al., A.D., 1948,  p.  662  ; Hamburg,
Brit. Mil. Crt., 19 décembre 1949, Von Lewinski (alias Von Manstein), A.D., 1949, pp. 514-516.
2  
Rome, Mil. Trib., 20  juillet 1948, Kappler, A.D., 1948, pp.  471 ss. Pour des exemples
récents mais où l’argument était un peu fantaisiste, voy. U.S.  Dist. Crt., S.D., N.Y., 6  juillet
1988, Buck, Shakur, ILR, 88,  p.  49  ; U.S.  Crt. of App., Distr. of Col. Cir., 29  janvier 1991,
Yunis, ILR, 91, pp.  187-188.
3  
Rome, 1 st Instance, 9  juin 1950, Lidonici v. Bentivegna, A.D., 1950,  p.  352  ; cf. aussi
Cass. it., 9  juillet 1957, Sansolini et al. v. Bentivegna et al., ILR, 24,  p.  988.

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Quant à la 4 e condition, elle est discriminatoire par rapport aux


membres des forces armées régulières puisque les résistants ne
bénéficient du statut de prisonnier de guerre que s’ils respectent
les lois et coutumes de la guerre alors que les militaires en béné-
ficient même s’ils ne les respectent pas ; certes, les militaires sont
alors passibles de poursuites pénales pour les violations qu’ils ont
commises, mais, en tant que prisonniers de guerre, ils bénéficient
de garanties spécifiques parfois plus grandes que celles reconnues
aux internés civils en territoire occupé (comp. par exemple CG,
art.  101/III et art.  75/IV).

2.295 C’est cette situation juridique, impraticable et injuste


en fait, qu’il fallait modifier et qui a constitué un des principaux
enjeux et sujets de controverse de la conférence diplomatique de
Genève (1974‑1977). Une des grosses difficultés consistait dans le
fait qu’un assouplissement des conditions mises à l’octroi du sta-
tut de prisonnier de guerre aux résistants ne devait pas mettre
en péril la sécurité de la population civile. Si l’on acceptait, en
effet, de supprimer complètement la condition de «  visibilité  » du
combattant par rapport à la population civile, il en résultait que
plus rien ne pouvait distinguer le premier de la seconde qui, du
coup, risquait de faire (encore davantage) «  les frais  » de cette
confusion. La solution finalement adoptée constitue un compro-
mis subtil – et parfois complexe... – entre les nécessités militaires
de la guérilla et les exigences humanitaires de la protection des
non‑combattants.
À cet effet, on a reformulé aux art. 43 et 44 du 1er PA la règle rela-
tive à l’octroi du statut de prisonnier de guerre sous trois aspects :
– – suppression de la discrimination résistants/forces régulières
(a)  ;
– – allègement de la distinction combattants/civils dans certains
conflits (b)  ;
– – détermination de la sanction pour non respect de la distinc-
tion combattants/civils (c).

2.295a Avant d’examiner le détail de la complexité de ces modi-


fications, il faut observer que les règles du DIH coutumier sont
infiniment plus simples puisque la règle 106 dispose  :
« Les combattants doivent se distinguer de la population civile lorsqu’ils
prennent part à une attaque ou à une opération militaire préparatoire

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d’une attaque. S’ils ne se conforment pas à cette obligation, ils n’ont


pas droit au statut de prisonnier de guerre  ».

Autrement dit, la règle ainsi formulée ne distingue plus entre


deux collectivités  : forces armées régulières et mouvements de
résistance  ; tout combattant, qu’il soit résistant ou membre d’une
armée classique, doit se distinguer de la population civile lorsqu’il
prend «  part à une attaque ou à une opération militaire prépara-
toire d’une attaque », sinon il perd son droit au statut de prisonnier
de guerre. Dans sa simplicité, cette règle est une vraie révolution
et on peut se demander si, au moment de sa formulation, en 2005,
elle correspondait bien à l’opinio juris des États. Aujourd’hui, le
silence observé par les États à l’égard de la codification du CICR
(sauf les É.-U.) permet de le soutenir. D’ailleurs, même les É.-U.
n’ont pas émis la moindre observation sur la règle 106  1.
Dans ces conditions, les développements qui suivent ne
semblent utiles que vis-à-vis des seuls É.-U. qui ont contesté le
caractère coutumier de la codification effectuée par les juristes
du CICR. Pour les autres États, on peut considérer que le DIH
a connu une évolution importante depuis 1977  : désormais, tout
combattant qui ne se distingue pas de la population civile pendant
une attaque ou le déploiement qui la précède perd son droit au
statut de prisonnier de guerre, ce droit dépendant, bien sûr, de son
appartenance à une « partie au conflit », c’est-à-dire, à une autorité
«  responsable  » pour les faits de ses subordonnés (supra, §§  1.61
ss., 1.227) : État, organisation internationale, mouvement de résis-
tance, mouvement de libération nationale (supra, §§  1.154  ss.).
Ainsi énoncée, la règle met fin à la discrimination entre combat-
tants réguliers et résistants. L’exposé qui suit ne concerne que les
États parties au 1 er PA et qui n’admettent pas le DIH codifié par
les juristes du CICR. Ces États semblent appartenir à une espèce
en voie de disparition…

a. Suppression de la discrimination entre résistants


et forces régulières

2.296 La Conférence diplomatique de Genève (1974‑1977) a sup-


primé la discrimination injuste fondée sur le critère du respect des
lois et coutumes de la guerre, discrimination qui existe entre forces

1  
J.B. B ellinger et W.J. H aynes , « A US government response to the ICRC study Customary
International Humanitarian Law  », RICR, 2007, pp.  443-471.

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régulières et résistants (supra, § 2.294) : désormais, les forces armées


d’une Partie à un conflit sont supposées comprendre «  toutes les
forces, tous les groupes et toutes les unités armés et organisés » pla-
cés sous commandement responsable. Il faut toutefois que ces forces
soient « soumises à un régime de discipline interne qui assure, notam-
ment, le respect des règles du droit international applicable dans les
conflits armés  » (1 er  PA, art.  43, §  1).
Ce sont les membres des forces armées ainsi définies qui sont qua-
lifiés de «  combattants  ».
Autrement dit, on ne subordonne plus l’octroi du statut de pri-
sonnier de guerre à des résistants capturés à la condition qu’ils res-
pectent les lois et coutumes de la guerre ; il suffit, exactement comme
pour les forces régulières d’un État, que la formation à laquelle ils
appartiennent impose à ses membres l’obligation d’observer le droit
des conflits armés  ; la violation individuelle de cette obligation –
c’est‑à‑dire le fait pour un combattant de ne pas respecter ce droit
– ne l’empêche pas d’obtenir le statut de prisonnier de guerre en cas
de capture (sauf s’il ne s’est pas conformé aux conditions nouvelles
de visibilité, ci‑dessous) (1 er  PA, art.  44, §  2).

b. Allègement de la distinction combattants/civils


dans certains conflits

2.297 La distinction combattants/civils demeure une des conditions


majeures de l’octroi du statut de prisonnier de guerre au combattant
capturé, mais la manière dont cette règle est exprimée à l’art. 44, § 3,
n’est pas un modèle de clarté. Deux questions se posent  :
– – quelles sont les situations visées par l’art.  44, §  3  ? (1)
– – à partir de quel moment le combattant doit‑il se distinguer de
la population civile  ? (2)

1)  Les situations visées par l’art.  44, §  3

2.298 La première phrase de l’art. 44, § 3, dispose que les combat-


tants doivent « se distinguer de la population civile lorsqu’ils prennent
part à une attaque ou à une opération militaire  ». La règle est consi-
dérée comme coutumière (DIH cout., règle 86).
Autrement dit, là où l’art.  4, A, §  2, de la 3 e CG obligeait implici-
tement le résistant à se distinguer en permanence de la population
civile, il est désormais stipulé que cette obligation se limite aux cas de
participation « à une attaque ou à une opération militaire ». Jusqu’ici,
rien que de très clair et de très normal.

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578 Principales règles « de substance » du droit des conflits armés

Là où les choses s’embrouillent, c’est lorsque la deuxième phrase


semble définir une situation qui est différente de la première : « Étant
donné, toutefois, qu’il y a des situations  » (nous soulignons) où un
combattant ne peut se distinguer des non‑combattants, il conservera
pourtant le statut de prisonnier de guerre à la condition qu’«  il porte
ses armes ouvertement... pendant chaque engagement militaire  »
et pendant le déploiement militaire qui précède l’engagement. En
exprimant une restriction par rapport à la réalité visée à la première
phrase, la deuxième phrase suggère que, dans certaines situations,
l’engagement militaire et le déploiement qui le précède seraient une
sous‑catégorie de l’«  attaque  » et de l’«  opération militaire  » visées à
la première phrase. Mais, alors, comment distinguer les premiers des
secondes ? Quelle différence y a‑t‑il entre, d’une part, un déploiement
militaire suivi d’une action armée, et, d’autre part, une opération mili-
taire ou une attaque  ? Et quelles seraient les situations où il faut se
distinguer des civils pendant les opérations militaires et celles où il
faut s’en distinguer en portant ouvertement les armes lors d’un enga-
gement militaire  ?

2.299 L’art.  44 ne répond à aucune de ces questions et il faut se


tourner vers les travaux préparatoires. Ces derniers montrent qu’on a
voulu apporter aux règles traditionnelles du droit des conflits armés
des modifications qui  :
« reflètent mieux les réalités de la guerre moderne en territoire occupé
et dans les guerres de libération nationale  »  1.

Pour la plupart des représentants des États  2, il s’agissait de modi-


fier le droit international humanitaire pour tenir compte du recours
fréquent à la guérilla dans les cas visés à l’art 1, §  4, du 1 er PA  :
guerres de libération nationale, luttes contre une occupation étran-
gère ou contre un gouvernement minoritaire raciste.
Ce que les travaux préparatoires n’expliquent pas, c’est la dif-
férence qu’il convient de faire entre opération militaire ou attaque
d’un côté (art.  44, §  3, 1 re  phrase) et engagement militaire de l’autre
(art.  44, §  3, 2 e  phrase).
Pour donner un sens à chacune de ces expressions et éviter que
la deuxième phrase de l’art.  44, §  3 n’apparaisse comme une répéti-
tion de la première, il faut probablement considérer que la première
phrase vise l’obligation normale du combattant de se distinguer des
civils pendant toutes les activités d’une campagne militaire (et pas

1  
Rapport de la 3 e Commission, Actes CDDH, vol.  XV,  p.  471.
2  
CDDH/III/SR.55-56, Actes CDDH, vol.  III, pp.  153 ss., passim.

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seulement durant les moments d’affrontement) dans le cadre d’un


conflit armé international classique  ; la deuxième phrase concerne-
rait alors les seuls conflits visés à l’art.  1, §  4 et caractérisés par la
dissymétrie des forces en présence et le recours d’une des parties à
la guérilla ; dans ces conflits, la relative permanence de la distinction
combattants/civils s’avérant impossible à maintenir, elle ne s’impose-
rait que pour les affrontements armés proprement dits et la période
de déploiement qui précède immédiatement l’affrontement.
On lit en effet dans le rapport de la 3 e Commission de la CDDH  :
« […] en territoire occupé et dans les guerres de libération nationale, il
peut se présenter des situations où un guérillero ne peut se distinguer
de la population civile pendant toute la durée de ses opérations mili-
taires et conserver encore une chance de réussir. L’article stipule que,
dans ces situations, un tel combattant conservera son statut de com-
battant et, s’il est capturé, son droit d’être considéré comme prisonnier
de guerre, à moins qu’il ne porte pas ses armes ouvertement, aussi bien
pendant une attaque que pendant la période précédant l’attaque […] »  1
(nous soulignons).

2.300 L’art. 44, § 3, se réfère expressément non aux conflits armés


visés par l’art.  1, §  4, mais  :
« à des situations […] ou en raison de la nature des hostilités, un com-
battant armé ne peut se distinguer de la population civile  ».

Cette absence de référence à l’art.  1, §  4, n’est pas l’effet du


hasard  : beaucoup de délégations souhaitaient que les conflits en
cause fussent expressément désignés par un renvoi aux guerres de
libération nationales visés à l’art.  1, §  4, mais d’autres y étaient fer-
mement opposées  2.
Conséquence de ce désaccord : le texte adopté ne précise pas quels
sont les conflits qu’il vise ; une interprétation souple permet donc de
soutenir que ce texte s’applique à tout conflit armé « où, en raison de
la nature des hostilités  », etc.
Pareil texte est susceptible de couvrir des cas d’occupation étran-
gère ou de guérilla qui ne doivent pas nécessairement correspondre
à la définition des situations visées par l’art.  1, §  4, (supra §§  1.124
ss.) mais qui se caractérisent aussi par la dissymétrie des forces en
présence et le fait qu’une des parties au conflit ne peut poursuivre la
lutte qu’en recourant à la guérilla  3.

1  
Actes CDDH, vol.  XV, pp.  471-472.
2  
Protocoles, commentaire,  p.  596, §  1698.
3  
Ibid.,  p.  538, §  1702.

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580 Principales règles « de substance » du droit des conflits armés

2.301 L’art.  44, §  3, ne signifie pas qu’en dehors des opérations


militaires, tous les combattants peuvent continuer à se comporter
comme s’ils étaient des civils inoffensifs : d’une part, le § 7 de l’art. 44
précise qu’il ne s’agit pas de « modifier la pratique des États générale-
ment acceptée  » (nous soulignons) concernant le port de l’uniforme  ;
d’autre part, la formulation de la 2 e  phrase du §  3 de l’art.  44 montre
bien que le fait pour un combattant de ne pas se distinguer de la popu-
lation civile (en dehors des opérations militaires proprement dites)
doit rester l’exception  1.

2)  Les situations où le combattant doit se


distinguer de la population civile

2.302 Dans le cas d’un conflit armé international classique, le com-


battant doit se distinguer de la population civile lorsqu’il prend part à
des opérations militaires considérées lato sensu (campagne militaire)
(art. 44, § 3, 1 re phrase) tandis que dans les hypothèses où les rapports
de force en présence empêchent le combattant de se distinguer de
la population civile pendant tout le temps d’une campagne militaire,
l’obligation minimale du combattant consiste à se distinguer de la
population civile en portant ouvertement les armes  :
«  a)  pendant chaque engagement militaire  ; et
b) pendant le temps où il est exposé à la vue de l’adversaire alors qu’il
prend part à un déploiement militaire qui précède le lancement d’une
attaque à laquelle il doit participer.  » (art.  44, §  3, 2 e phrase).

On a beaucoup discuté sur les notions de «  déploiement  » et de


«  visibilité  ».

2.303 Le déploiement peut être interprété extensivement ou res-


trictivement, lorsqu’on le fait débuter au moment où soit, le com-
battant se met en route pour participer à une opération qui n’aura
éventuellement lieu que quelques jours plus tard, soit les combattants
se mettent en position pour ouvrir le feu... Entre ces deux extrêmes,
ce ne sont pas les nuances qui manquent  !
La Belgique privilégie l’interprétation extensive : le mot « déploie-
ment » comprend, selon elle, « tout mouvement individuel ou collectif,
vers un emplacement à partir duquel une attaque doit être lancée  »  2.

1  
Protocoles, commentaire,  p.  533, §  1692.
2  
Instrument de ratification du 20  juin 1986 aux Protocoles additionnels, in RBDI,
1987,  p.  393.

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Même définie sous cette forme, la notion laisse la porte ouverte à pas
mal d’interprétations possibles  !
Considérée extensivement ou restrictivement, la notion de déploie-
ment doit cependant être comprise comme couvrant les moments qui
précèdent une action aussi bien offensive que défensive (par exemple,
la préparation d’une embuscade)  1, voire même un mouvement de
repli, surtout si celui‑ci se fait parmi la population civile  2.
Quant à l’action militaire, elle comprend, bien sûr, des opérations
d’affrontement direct entre les combattants mais aussi, semble‑t‑il,
le recours à des armes à retardement telles que mines et pièges  : le
placement de ces armes, même si celles‑ci ne sont pas utilisées tout
de suite, apparaît sinon comme « un engagement militaire », du moins
comme une forme de «  déploiement militaire  » qui précède l’engage-
ment. À ce titre, on peut soutenir que l’installation de mines et de
pièges oblige leurs auteurs à se distinguer de la population civile  3.
En revanche, le simple transport de ces armes sans mise en place
consécutive à des fins militaires ne requiert peut‑être pas que les
transporteurs se distinguent de la population civile pour bénéficier
de l’art.  44, §  3.

2.304 En ce qui concerne l’exigence de visibilité, le Royaume‑Uni,


l’Australie et le Canada ont soutenu à la CDDH qu’un combattant était
«  exposé à la vue de l’adversaire  » dès lors qu’il pouvait être aperçu
non seulement à l’œil nu mais même par des moyens électroniques  4 ;
pour l’Égypte, la Syrie, la Libye et l’O.L.P., il suffisait qu’il fût visible
à l’œil nu ou qu’il se sût visible de l’adversaire  5. Le critère de la visi-
bilité à l’œil nu paraît plus conforme à l’esprit de la disposition  6.

c. La sanction du non‑respect de la distinction


entre combattants et civils

2.305 Si l’on ose risquer un mauvais jeu de mots (en pensant au


titre de cette section), on dira que cette question constitue le plat
de résistance de l’art.  44 tant celui‑ci comporte de distinctions et de
sous‑distinctions qui sont loin de sauter aux yeux lors d’une première

1  
Protocoles, commentaire,  p.  540, §  1708.
2  
Ibid.
3  
Ibid.,  p.  542, §  1713.
4  
CDDH/III/SR.55, §§  13 et 55  ; SR.56, §  38, Actes CDDH, vol.  XV, pp.  155, 164 et 177.
5  
CDDH/III/SR.55, §§  30 et 37  ; SR.56, §§  34 et 73, Actes CDDH, vol.  XV, pp.  159, 160,
176, 185.
6  
Protocoles, commentaire,  p.  542, §  1712.

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lecture et, qui d’ailleurs, ne semblent pas non plus avoir beaucoup
frappé les auteurs de cette disposition ! En réalité, sous une apparence
de simplicité, cette disposition est une merveille de complication...
L’article distingue expressément deux types de conflits (les conflits
armés internationaux classiques et les conflits armés internationaux
«  où en raison de la nature des hostilités, un combattant ne peut se
distinguer de la population civile ») (art. 44, § 3) mais, pour chacun de
ces conflits, c’est plus implicitement qu’explicitement qu’il considère
trois types de situations (capture en dehors de toute opération mili-
taire, capture lors d’une opération militaire autre qu’un engagement
armé stricto sensu et le déploiement qui le précède, capture consé-
cutive à un engagement armé ou à un déploiement qui le précède)  ;
enfin, pour ce 3 e genre de situation, l’art.  44 distingue de nouveau
explicitement entre la capture du combattant au moment de l’affron-
tement ou du déploiement (capture in flagrante delicto) et la capture
postérieure à cette situation (capture post factum)...
On va tenter de simplifier – sans trahir – ces distinctions juridiques
en partant des quatre situations suivantes  : un combattant répondant
à la définition de l’art. 43 mais ne se distinguant pas de la population
civile est capturé  :
– – en dehors de toute opération militaire (1)  ;
– – pendant une opération militaire autre qu’un engagement mili-
taire ou le déploiement qui le précède (2)  ;
– – pendant un engagement militaire ou le déploiement qui le pré-
cède (3)  ;
– – postérieurement à un engagement militaire ou au déploiement
qui l’a précédé (4).

1)  La capture en dehors de toute opération


militaire

2.306 L’hypothèse considérée est celle d’une personne qui ne se


distingue pas de la population civile mais qui est un combattant aux
termes de l’art.  43 et qui, au moment de sa capture, ne participe à
aucun combat ni à aucune opération militaire  : par exemple, un pri-
sonnier de guerre évadé déguisé en civil qui essaye de rejoindre ses
lignes ou un combattant en permission.
Dans ce cas, qu’il s’agisse d’un conflit armé international classique
ou d’un conflit armé visé par l’art. 44, § 3, 2 e phrase (conflit où il n’est
pas possible pour une des parties de se distinguer de la population
civile pendant toutes les opérations militaires), le combattant capturé

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doit bénéficier du statut de prisonnier de guerre en vertu de l’art. 44,


§ 1. Il ne faut pas, bien entendu, qu’il puisse être convaincu d’espion-
nage (infra, §§  2.328 ss.).

2) La capture pendant une opération militaire qui


n’est ni un engagement militaire proprement dit,
ni le déploiement qui précède cet engagement

2.307 Le combattant est capturé alors qu’il participe à une cam-


pagne militaire mais qu’il n’est pas engagé dans des situations spé-
cifiques d’affrontement ou de déploiement en vue de l’affrontement.
Par exemple, il s’agit de membres d’une partie belligérante affectés à
des tâches administratives et qui ne portent pas l’uniforme, ou bien il
s’agit de forces combattantes qui doivent se déplacer dans le territoire
sous contrôle de l’ennemi.
Ici, conflit armé international classique ou conflit armé visé à
l’art.  44, §  3, 2 e  phrase, le combattant capturé alors qu’il est en civil
bénéficie aussi du statut de prisonnier de guerre en vertu de l’art. 44,
§ 1, mais différence importante avec le cas précédent : s’il s’agit d’un
conflit armé international classique, le combattant capturé risque
d’être poursuivi pénalement par la Puissance détentrice (en vertu de
l’art. 85 de la 3 e CG, supra, § 2.283) pour ne pas s’être distingué de la
population civile, et ce, en violation de l’obligation énoncée à l’art. 44,
§ 3, 1 re phrase  1 – à condition bien sûr que ce fait soit incriminé par le
droit pénal de la Puissance détentrice.
En revanche, si le conflit relève de l’art.  44, §  3, 2 e  phrase, il res-
sort des termes mêmes de cette disposition que la personne captu-
rée – à quelque partie belligérante qu’elle appartienne – ne peut être
poursuivie pénalement dans l’hypothèse considérée ici, bien entendu,
toujours sous réserve des règles relatives à l’espionnage.

3)  La capture lors d’un engagement militaire ou


du déploiement qui le précède

2.308 Il s’agit du cas classique d’un combattant capturé par la


partie adverse alors qu’il participait à un affrontement armé ou au
déploiement en vue de cet affrontement sans se distinguer de la popu-
lation civile. La situation juridique de ce combattant variera selon
qu’il s’agit d’un conflit armé international classique (i) ou d’un conflit
visé à l’art.  44, §  3, 2 e  phrase (ii).

1  
Protocoles, commentaire,  p.  535 §  1696.

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i)  conflit armé international classique


2.309 Le combattant capturé alors qu’il ne se distinguait pas de
la population civile pourrait, à première vue, relever d’un des trois
statuts suivants  :
– – statut de prisonnier de guerre conformément à l’art.  44, §§  1‑2,
quitte à être poursuivi pénalement sur la base du droit de la
Puissance détentrice  ;
– – pas de statut de prisonnier de guerre à l’instar des espions visés
à l’art.  46, §  1  ;
– – pas de statut de prisonnier de guerre mais traitement de prison-
nier de guerre conformément à l’art.  44, §  4.
L’art. 44 ne précise pas lequel de ces trois statuts serait applicable,
mais le second semble, en tout cas, devoir être écarté si le combattant
capturé ne se livrait pas vraiment – in casu – à des activités spéci-
fiques d’espionnage.
Le troisième ne paraît pas non plus pouvoir être retenu vu qu’il n’est
explicitement prévu que pour les conflits armés visés par l’art. 44, § 3,
2 e  phrase et que la présente hypothèse se situe dans le cadre des
autres conflits armés internationaux.
Reste donc, à notre avis, le premier statut. Le combattant capturé
alors qu’il participait à un engagement militaire sans se distinguer de
la population civile a droit au statut de prisonnier de guerre mais il
est passible de poursuites pénales pour tout ou partie des faits sui-
vants  :
– – un manquement à l’obligation de se distinguer de la population
civile  ;
– – perfidie  ;
– – faits de guerre commis à cette occasion.

2.310 Ces trois préventions appellent trois observations.


1° Le manquement à l’obligation de se distinguer de la popula-
tion civile sera la seule prévention pénale retenue à charge du
combattant capturé si, au cours de l’engagement militaire, il
n’a personnellement commis aucun acte d’hostilité. Dans ces
conditions, on ne peut lui reprocher ni atteinte aux biens, ni
atteinte aux personnes, et seule la violation de l’obligation de
«  visibilité  » peut lui être imputée.
Cette violation n’étant érigée ni en «  infraction grave  » par les
CG ou le 1 er PA, ni en crime de guerre par les règles coutumières

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P rincipales règles « de substance  » du  droit des conflits armés 585

du droit des conflits armés, elle ne pourrait donner lieu à pour-


suites pénales par la Puissance détentrice  1 (conformément à
l’art. 85 de la 3 e CG de 1949) que si cette violation était incrimi-
née par le droit pénal de cet État. Ce sera sans doute rarement
le cas. En revanche, si ce combattant est armé, il pourrait être
poursuivi pour port d’armes prohibé, infraction prévue par la
plupart des législations pénales.
2° Si le combattant capturé a commis des faits de guerre alors
qu’il était en civil, ce comportement est assimilable à une per-
fidie aux termes de l’art. 37, § 1 du 1 er PA (supra, §§ 2.253 ss.),
mais ce type de perfidie n’est pas érigé en infraction grave par
l’art.  85, §  3, f, du 1 er  PA.
Ce fait n’est donc punissable par la Puissance détentrice que s’il
est incriminé dans son droit pénal. Ainsi, la loi belge du 16 juin
1993 sur la répression des infractions graves aux CG de 1949 et
aux PA de 1977 n’incrimine, en droit belge, que l’usage perfide
des «  signes protecteurs reconnus par les Conventions et les
Protocoles I et II  » et reste muet, sur les autres formes de per-
fidie  2. En revanche, ces faits pourraient tomber sous le coup
d’une loi très générale telle que la loi canadienne du 16  sep-
tembre 1987 qui incrimine et définit comme crime de guerre le :
« Fait – acte ou omission – commis au cours d’un conflit armé interna-
tional – qu’il ait ou non constitué une transgression du droit en vigueur
à l’époque et au lieu de la perpétration – et constituant, à l’époque et
dans ce lieu, une transgression du droit international coutumier ou
conventionnel applicable à de tels conflits  »  3 (art.  1.96) (nous souli-
gnons).

3° Même si ce genre de perfidie n’est pas prévu comme tel par les
lois pénales de la Puissance détentrice, il reste que les faits de
guerre commis à cette occasion (atteintes aux personnes et aux
biens) perdent leur justification fondée sur l’état de guerre et
redeviennent des infractions pénales de droit commun incrimi-
nées par la législation pénale ordinaire de tout État.

2.311 L’art. 43, § 2, soulève toutefois une difficulté : si la personne


capturée est un « combattant » au sens de l’art. 43, § 1, elle a le droit
de participer aux hostilités conformément à ce que prévoit l’art.  43,
§  2. Par conséquent, les actes licites de guerre commis par cette

1  
Ibid.
2  
Art.  1, §  16, M.B., 5  août 1993.
3  
D.J.I., 1988, vol.  7,  p.  476.

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586 Principales règles « de substance » du droit des conflits armés

personne, en tant que combattant, restent licites et seul le fait de


les commettre, sans se distinguer de la population civile (ce qui est
une perfidie), est illicite et peut donner lieu à poursuites pénales. Or,
comme la perfidie n’est probablement pas incriminée dans beaucoup
d’États, le combattant qui la commet risque fort d’échapper à toute
poursuite pénale  !
Cette conséquence curieuse déduite de la définition du «  combat-
tant  » n’était probablement pas voulue par ses auteurs, ou alors, il
aurait fallu le dire plus clairement car cela signifierait le renverse-
ment d’une pratique bien établie.
Le droit classique des conflits armés autorise en effet la Puissance
détentrice à poursuivre des combattants qui se sont battus en civils
(cas de perfidie)  1 et il n’opère pas de distinction précise entre le fait
d’être en civil et les actes d’hostilités commis dans cette tenue : c’est
l’ensemble du comportement qui est réprimé  2.
Il semble que si l’art.  43, §  2 combiné avec l’art.  44, §  3, 1 re phase
avait voulu modifier cette pratique, il l’aurait dit à l’instar de ce qui
ressort, dans une certaine mesure, de la situation visée à l’art. 44, § 3,
2 e phrase (ci‑dessous). Comme ce n’est pas le cas, nous concluons que
le droit classique continue à régir ce comportement et que toute per-
sonne capturée et convaincue de perfidie peut être poursuivie péna-
lement pour les actes d’hostilité commis à cette occasion.

ii)  Conflit armé international visé par l’art.  44, §  3, 2 e  phrase


2.312 Si, dans cette hypothèse, le combattant ne se distingue pas
de la population civile au moment de l’affrontement ou du déploiement
qui le précède, il «  perd son droit à être considéré comme prisonnier
de guerre  », mais dans la mesure où il répond bien à la définition du
« combattant » visée à l’art. 43 (supra, § 2.295), il continue à bénéficier
des «  protections  » accordées au prisonnier de guerre (art.  44, §  4)  ;
autrement dit, ce combattant peut être poursuivi pénalement pour sa
participation aux hostilités en contravention des règles de visibilité pré-
vues à l’art. 44, § 3, mais il bénéficie des garanties accordées, en cas de
poursuites pénales, aux prisonniers de guerre par la 3e CG et le 1er PA.

1  
Ainsi, l’art. 101 du code de Francis Lieber (1863) (supra, § 2.3 et infra, § 4.38) stipulait
que «  […] le droit commun de la guerre va jusqu’à permettre de punir de la peine capitale
les tentatives clandestines et traîtresses de nuire à l’ennemi […]  » (texte in D.  S chindler et
J.  T oman , Droit des conflits armés, op.  cit.,  p.  16).
2  
Cf. pour les francs tireurs, Hamburg, Brit, Mil. Crt., 19  décembre 1949, von Levinski
(alias von Manstein), A.D., 16, p. 516 ; Nur. U.S. Mil. Trib., 19 février 148, List et al. (Hostages
Trial), A.D., 15,  p.  640.

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Il ne perdrait également le bénéfice de ces garanties que dans l’hy-


pothèse où il ne répondrait pas aux conditions stipulées par l’art.  43
pour la reconnaissance de la qualité de combattant. Il conserverait,
bien entendu, le bénéfice des garanties reconnues aux civils, et en par-
ticulier, celles qui leur sont applicables en cas de poursuites pénales
(CG  IV, art.  64 ss.  ; 1 er  PA, art.  75).
On notera que dans la mesure où les art. 43‑44 s’appliquent à tous
les combattants, ces articles semblent modifier la portée de l’art.  4
de la 3 e  CG  : un membre de l’armée régulière capturé lors d’une opé-
ration où il ne se distinguerait pas des civils perdrait son droit au
statut de prisonnier de guerre au même titre qu’un résistant capturé
dans les mêmes conditions et répondant aux règles de l’art.  43. Tous
deux n’auraient plus droit qu’au traitement de prisonnier de guerre,
alors que dans le cadre de l’art.  4 de la 3 e  CG, le combattant régulier
bénéficie toujours du statut de prisonnier de guerre (sauf le cas de
l’espion, infra, §§  2.328 ss.), et seul le résistant capturé en civil perd
ce statut. Cette interprétation doit toutefois être écartée dans les cas
d’un conflit régi par le 1 er PA eu égard au § 6 de l’art. 44 qui maintient
le droit au statut de prisonnier de guerre pour toute personne qui
remplit les conditions de l’art.  4.

2.313 Toutes choses égales d’ailleurs, les §§  4 et 6 de l’art.  44


aboutissent donc à une certaine discrimination entre, d’une part, le
membre de l’armée régulière, d’autre part, un guérillero ou un résis-
tant qui commettraient le même fait (participer à un engagement
militaire ou au déploiement qui le précède sans se distinguer de la
population civile) ; le premier continue en effet à bénéficier du statut
de prisonnier de guerre (art. 44, § 6) alors que les seconds n’ont droit
qu’au traitement de prisonnier de guerre (art.  44, §  4).
En pratique, cette discrimination reste théorique et ne devrait pas
entraîner de conséquences juridiques très différentes  : titulaires du
statut de prisonnier de guerre et bénéficiaires du traitement de pri-
sonnier de guerre peuvent être identiquement poursuivis au pénal par
la Puissance détentrice pour des faits de perfidie et/ou de participa-
tion aux hostilités dans des conditions illégales, ainsi que cela a déjà
été souligné.

d. La capture postérieurement à un engagement


militaire
2.314 L’hypothèse considérée ici est celle où le combattant ne s’est
pas distingué de la population civile lors d’un affrontement armé et
où, postérieurement à cet affrontement, il est capturé. Cette situation

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est prévue par l’art.  44, §  5, qui ne distingue pas entre les conflits
armés internationaux classique et les conflits armés visés par l’art. 44,
§  3, 2 e  phrase.
Selon l’art.  44, §  5, le combattant capturé post factum et non in
flagrante delicto conserve « le droit d’être considéré comme combat-
tant et prisonnier de guerre  ».
Le rapport des travaux de la 3 e  Commission de la CDDH en 1976
dispose à ce sujet que le § 5 de l’art. 44 établit « une innovation impor-
tante  », à savoir  :
«  que le combattant capturé alors qu’il ne participe pas à une attaque
ou à une opération militaire préparatoire d’une attaque ne perd pas ses
droits à être considéré comme combattant et prisonnier de guerre, qu’il
ait ou non enfreint antérieurement la règle visée dans la 2 e  phrase
du §  3  »  1 (nous soulignons).

Cette phrase n’exclut cependant pas qu’en vertu de l’art.  85 de


la 3 e  CG, le combattant admis au statut de prisonnier de guerre soit
poursuivi pénalement pour ne pas s’être distingué de la population
civile ou pour toute autre violation du droit des conflits armés.
Peut‑on en déduire que des poursuites pénales seraient également
possibles pour les faits licites de guerre commis sans se distinguer
de la population civile ? Lors de la 4 e session de la CDDH en 1977, le
représentant de la Norvège avait observé, sans être contredit, que  :
«  Les sanctions s’appliquent aux combattants qui violent les disposi-
tions de la 2 e  phrase du §  3 et qui sont pris in flagrante delicto. Cela
signifie que ces combattants pourront faire l’objet de poursuite pénale
et de punition même pour des actes qui pourraient être considérés
comme des actes licites de combat  »  2.

A contrario, les combattants capturés post factum ne pourraient


plus être poursuivis pénalement pour des actes licites de combat. Si
cette interprétation était correcte, il en résulterait que l’art.  44, §  5,
instaurerait une prime pour ceux qui réussissent à violer le droit des
conflits armés sans se faire prendre sur le fait. Or, même si l’art. 44, § 5,
est destiné à protéger les combattants capturés post factum contre  :
«  tout effort pour trouver ou inventer une conduite antérieure suscep-
tible de les priver de leur protection  »  3,
nous doutons que ses auteurs aient voulu assurer une totale impunité
aux personnes ayant commis une violation aussi grave du droit des

1  
Actes CDDH, vol.  XV,  p.  420.
2  
CDDH/III/SR.55, §  21, Actes CDDH, vol.  III,  p.  157.
3  
Rapport de la 3 e Commission (1976), Actes CDDH, vol.  XV,  p.  420.

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conflits armés que celle de combattre sans se distinguer des civils.


Nous pensons donc que le combattant capturé post factum bénéficie
du statut de prisonnier de guerre au contraire de celui qui est cap-
turé in flagrante delicto, mais qu’il peut être poursuivi selon les lois
pénales de l’État détenteur tant pour le fait de perfidie que pour les
faits licites de guerre commis à cette occasion (cf. supra, §  2.258).

2.315 En conclusion, si notre interprétation de l’art.  44 est cor-


recte, elle conduit à trois discriminations pour un comportement
identique  : ne pas s’être distingué de la population civile, soit lors
d’opérations militaires, autres qu’un affrontement proprement dit et
le déploiement qui le précède (1 er  cas), soit lors de cet affrontement
ou de ce déploiement (2 e et 3 e  cas).
1 er  cas  : le combattant capturé bénéficie toujours du statut de pri-
sonnier de guerre, mais s’il ne peut être poursuivi pénalement pour
manquement à la règle de visibilité dans le cas d’un conflit armé visé
par la 2 e phrase de l’art.  44, §  3, il peut l’être dans tout autre conflit
à condition que cette non‑visibilité soit incriminée dans le droit pénal
de la Puissance détentrice (supra, §  2.307)  ;
2 e cas  : si le combattant est capturé in flagrante delicto lors d’un
conflit visé par la 2 e  phrase de l’art.  44, §  3, il perd son droit au
statut de prisonnier de guerre et ne bénéficie plus que des protec-
tions accordées aux prisonniers de guerre alors que pour tout autre
conflit armé international, ce combattant conserve le droit au sta-
tut de prisonnier de guerre quitte, à être poursuivi pénalement pour
sa participation aux hostilités sans s’être distingué de la population
civile (supra, §  2.310). La situation du combattant capturé dans un
conflit armé visé par l’art. 44, § 3, 2 e phrase est donc tantôt meilleure
(1 er  cas), tantôt moins bonne (théoriquement) (2 e  cas) que celle du
combattant capturé dans le cas d’un autre conflit armé  !
Enfin, 3 e  discrimination propre au seul 2 e  cas  : selon que le com-
battant est capturé in flagrante delicto ou post factum, il perd ou
conserve le droit au statut de prisonnier de guerre, mais la discrimi-
nation reste fort théorique étant donné que dans les deux hypothèses,
il reste à la merci de poursuites pénales  !... (supra, §  2.314).
Quand nous disions que tout cela n’était guère simple...

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2.316 Pour tenter de résumer «  Cette obscure clarté qui tombe


des étoiles  » (Corneille), on peut schématiser le droit du combattant
capturé au statut de prisonnier de guerre comme suit  :

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4. Autres catégories de personnes protégées


2.317 L’art.  44, §  6, du 1 er  PA dispose qu’il «  ne prive personne
du droit d’être considéré comme prisonnier de guerre aux termes
de l’art. 4 de la III e Convention ». Autrement dit, si les art. 43 et 44
du 1 er PA se substituent à l’art.  4 de la 3 e  CG pour les personnes
qui n’auraient pu bénéficier du statut de prisonnier de guerre aux
termes dudit art. 4, en revanche, ils n’affectent pas les hypothèses
où certaines catégories de personnes peuvent prétendre au statut
de prisonnier de guerre sur la base de cet article et non sur la base
du Protocole. Ainsi en va‑t‑il notamment  :
– – de la levée en masse (supra, §  2.291)  ;
– – des personnes autorisées par une Partie au conflit à suivre
les forces armées bien qu’elles n’en fassent pas directement
partie  : correspondants de guerre, fournisseurs (CG  III,
art.  4, A, §  4)  ;
– – des membres d’équipage de la marine marchande et de l’avia-
tion civile (CG  III, art.  4, A, §  5)  ;
– – d’autres non‑combattants dès lors qu’il font partie des forces
armées d’une Partie belligérante (Règlement de la Haye,
art.  3)  1.
On observera que les trois dernières catégories de personnes
sont des civils qui, comme tels, n’ont pas le droit de combattre,
mais qui, en cas de capture, sont assimilés à des prisonniers de
guerre.

5. Le déserteur  ?
2.318 Quid lorsque des déserteurs d’une Partie belligérante se
retrouvent au pouvoir de la Partie adverse, qu’ils l’aient rejointe
volontairement ou non  ? La Puissance détentrice doit‑elle leur
reconnaître le statut de prisonnier de guerre  ?
Le problème s’est présenté sur une grande échelle lors du conflit
du Koweït où beaucoup de combattants irakiens ont déserté les
rangs des forces de S.  Hussein pour se rendre aux forces de la
coalition qui les ont considérés comme prisonniers de guerre  2.

1  
R.  B axter , «  Comportement des combattants et conduite des hostilités  », op.  cit.,
pp.  132-133.
2  
Voy. J.-P.  L avoyer , La protection des prisonniers de guerre dans la guerre du Golfe,
XVI e table ronde de droit international humanitaire de San Remo, 1991 (ronéo), pp.  5 ss.  ;

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Cette solution est sans doute correcte encore que ces déser-
teurs auraient éventuellement pu être aussi assimilés à des civils.
Considérons en effet les deux branches de l’alternative.

a. Le statut de prisonnier de guerre


2.319 Qu’il le veuille ou non, le déserteur est d’abord un
membre de l’armée ennemie et les raisons qui le poussent à déser-
ter peuvent être multiples  :
– – philosophiques, éthiques ou morales  : refus du déserteur de
tuer ou blesser son prochain  1  ;
– – politiques ou idéologiques  : refus de combattre pour un
régime, un gouvernement ou un pays dont le déserteur
récuse les options politiques  ;
– – juridiques  : refus de poursuivre une guerre que le déserteur
considère comme illicite  2  ;
– – psychologique  : refus du déserteur de participer aux com-
bats par crainte d’être blessé ou tué ou pour tout autre sen-
timent analogue.

2.320 La Puissance détentrice n’est évidemment pas obligée de


tenir compte de ces motivations  ; ce qui importe pour elle, c’est
que le déserteur fait organiquement partie des forces adverses et
que, par conséquent, la Puissance détentrice est fondée à le traiter
comme combattant ennemi, c’est‑à‑dire à le capturer et à le détenir
au titre de prisonnier de guerre, conformément à ce que prévoit
l’art.  4, A, §  1, de la 3 e CG  3.
Le fait que le déserteur récuse son statut de combattant et de
membre de l’armée ennemie ne supprime pas ce statut  : celui‑ci
est imposé par son État d’origine et, au regard des lois de ce der-
nier, il n’est généralement pas plus à même d’y mettre fin que de
supprimer le lien de nationalité qui le lie à cet État  4.

C.  G irod , Tempête sur le désert – Le CICR et la guerre du Golfe 1990-1991, Bruxelles,
Bruylant, 1995,  p.  155.
1  
Cf. S.  M c B ride , The Right to Refuse to Kill, Genève, International Peace Bureau,
1971,  p.  8.
2  
Ibid., pp.  10 ss.
3  
Cf. H.S. L evie , Prisoners of War in International Armed Conflict, Rhode Island, Naval
War College International Law Studies, vol.  59, 1977,  p.  78.
4  
Cf. CIJ, 6  avril 1955, Nottebohm, arrêt, Rec. 1955,  p.  23.

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La Puissance détentrice est donc fondée à traiter les déser-


teurs de la Puissance ennemie en prisonniers, et même tenue de
leur conférer le statut de prisonnier de guerre si ces déserteurs
remplissent les conditions pour en bénéficier. Cette obligation
s’impose tout particulièrement si le déserteur, avant de déserter, a
participé aux combats. Il ne faudrait pas, en effet, que la Puissance
détentrice cherche à tirer prétexte du fait que la personne captu-
rée est un déserteur, pour la considérer ipso facto comme civil et
la poursuivre pénalement pour les faits licites de guerre commis
avant la capture  ! À cet égard, l’appartenance organique du déser-
teur à son armée d’origine lui assure le droit au statut de prison-
nier de guerre conformément aux stipulations de l’art.  4 de la 3 e
CG et des articles  43‑44 du 1 er PA, et ce, de quelque manière qu’il
soit tombé au pouvoir de la Puissance détentrice  1.

2.321 La question qui se pose toutefois est de savoir si la


Puissance détentrice peut traiter le déserteur capturé en civil – non
pour le poursuivre pénalement en raison de sa participation aux
hostilités, mais au contraire pour le libérer – eu égard à la règle de
l’inaliénabilité des droits (CG, art.  7/7/7/8) (infra, §  2.408). C’est
ce qu’on va voir à présent.

b. Le statut de civil

2.322 Conformément à la loi du «  moindre mal  » (cf. supra


§§ 1.157, 2.126, 2.277), il semble que la Puissance détentrice pour-
rait décider d’assimiler le déserteur à un civil dès lors que cette
qualification n’implique pas pour le déserteur un statut moins
favorable que celui de prisonnier de guerre.
Théoriquement, le statut de civil est préférable au statut de pri-
sonnier de guerre puisque le civil de nationalité ennemie ne peut
être interné sauf exception – quand la sécurité de la Puissance au
pouvoir de laquelle se trouvent des civils ennemis rend cet inter-
nement «  absolument nécessaire  » (CG, art.  42 et 79/IV) – alors
que l’internement des combattants et autres militaires capturés est
de règle, sauf mise en liberté sur parole ou sur engagement (CG,
art.  4 et 21/III).

1  
Cf. H.S.  L evie , Prisoners of War in International Armed Conflict, op.  cit.,  p.  78  ;
Conventions, commentaire, III,  p.  57.

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Dans l’hypothèse où le déserteur bénéficie d’une meilleure situa-


tion juridique en étant considéré comme civil plutôt que comme
prisonnier de guerre, la règle de l’inaliénabilité des droits (infra,
§  2.408) ne devrait donc pas faire obstacle à la reconnaissance
d’un statut de civil au déserteur.

2.323 A fortiori en est‑il ainsi si l’on constate que la désertion


demeure, en principe, l’expression d’un choix libre et raisonné
et, par conséquent, une manifestation de la liberté de pensée, de
conscience et d’opinion garantie à tout individu par les instru-
ments protecteurs des droits de l’homme (DUDH, art. 18‑19 ; Pacte
relatif aux droits civils et politiques, art.  18‑19  ; Convention euro-
péenne des droits de l’homme, art.  9‑10  ; Convention américaine
des droits de l’homme, art.  12‑13  ; Charte africaine des droits de
l’homme et des peuples, art. 8‑9). La Puissance détentrice est, dès
lors, fondée à invoquer ces textes pour admettre la demande du
déserteur à être traité en civil plutôt qu’en prisonnier de guerre et
ne pas tenir compte, en l’occurrence, du caractère inaliénable du
droit au statut de prisonnier de guerre. On verra d’ailleurs qu’il y a
d’autres circonstances où cette règle de l’inaliénabilité a subi des
exceptions (infra, §  2.409).

2.324 La situation du déserteur est d’ailleurs, à bien des égards,


comparable à celle du réfugié. Celui‑ci est un civil protégé au même
titre que les autres civils se trouvant au pouvoir de l’ennemi (1 er
PA, art.  73). Plus spécifiquement, le réfugié de nationalité enne-
mie ne peut être transféré dans le pays où il risque de subir des
persécutions en raison de ses opinions politiques ou religieuses
(CG  IV, art.  45). De même, si le réfugié se retrouve au pouvoir de
la Puissance occupante qui est précisément celle qu’il a fuie, il
ne peut être arrêté, poursuivi, ou condamné par les autorités de
cette Puissance pour des faits qui sont à l’origine de son statut de
réfugié (CG  IV, art.  70).
Dans le cas des réfugiés, le droit des conflits armés fait donc
prévaloir les opinions d’un individu sur son statut objectif, soit de
national ennemi, soit de national de la Puissance occupante, et la
Puissance détentrice est obligée d’en tenir compte.
Il est par conséquent légitime, mutatis mutandis, pour la
Puissance au pouvoir de laquelle se retrouve un déserteur de la
Puissance adverse d’agir de la même manière à son égard en tenant
plutôt compte de l’expression de sa volonté – quitter les rangs

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des forces auxquelles il appartient – que de sa situation objective


de combattant de la Puissance ennemie, mais pour autant, répé-
tons‑le, que cela n’aboutisse pas à une dégradation de sa situation
juridique.

6. Le traître  ?
2.325 Quel est le statut d’un combattant capturé lorsqu’on
constate qu’il s’agit d’un national de la Puissance détentrice  ? Si
son engagement dans les forces de la Puissance ennemie est volon-
taire, intentionnel et non forcé, peut-il encore bénéficier du statut
de prisonnier de guerre en cas de capture par son État d’origine ?
Une partie de la doctrine semble pencher pour la négative  1, et
s’il est vrai que la pratique tend à confirmer cette position  2, il n’en
demeure pas moins que cette solution paraît difficilement compa-
tible avec la lettre même de l’art. 4 de la 3 e CG et des articles 43‑44
du 1 er  PA qui ne réservent nullement le statut des combattants
prisonniers tenus par un devoir d’allégeance envers la Puissance
détentrice. Le traître doit donc bénéficier du statut de prisonnier
de guerre à l’instar de tout autre combattant capturé et répondant
aux prescriptions des art.  4 ou 43 et 44 cités ci‑dessus  3.
2.326 En principe, ce statut n’empêche pas la Puissance détentrice
de poursuivre pénalement le traître sur la base des incriminations
pénales de droit interne réprimant ce type de fait (voy. en Belgique,
C.p., art.  113 ss. et CG  III, art.  85) (supra, §  2.323), mais on pourrait
aussi soutenir le contraire  : à partir du moment où l’on admet l’idée
qu’un fait de collaboration avec l’ennemi est un acte politique et que,
n’étant pas punissable chez l’ennemi, cet acte ne devrait pas donner
lieu à poursuite pénale par la Puissance détentrice (supra, §  2.143,
3°), il serait logique d’en déduire que le traître ne pourrait pas non
plus être poursuivi pénalement par la Puissance détentrice.
Si cette conclusion peut sembler choquante dans le cas d’un res-
sortissant de l’État A, envahi illégalement par l’État B, et s’engageant
dans les forces de l’envahisseur B, en revanche, elle le sera beaucoup

1  
H.S.  L evie , Prisoners of War in International Armed Conflict, op.  cit.,  p.  81 et les
réf. ; contra : R.J. W ilhelm , « Peut-on modifier le statut des prisonniers de guerre ? », RICR,
1953, pp.  681 ss.
2  
Voy. Privy Council, 4  décembre 1967,  P.P.  v. Oie Hee Koi et al., ILR, 42, pp.  441 ss.  ;
note R.  Baxter, in AJIL, 1969, pp.  290 ss.
3  
Pour une analyse plus approfondie, voy. E. D avid , Mercenaires et volontaires interna-
tionaux en droit des gens, op.  cit., pp.  405-410.

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moins dans l’hypothèse inverse, c’est-à-dire celle où c’est un ressor-


tissant de B qui s’engage dans les forces de A pour aider celles‑ci à
repousser l’envahisseur B  ; dans cette deuxième hypothèse, le res-
sortissant de B peut même invoquer le droit international à son pro-
fit puisqu’il apporte son assistance à l’État victime d’une agression
internationale  1  ! Les poursuites pénales intentées par B contre son
ressortissant seraient viciées par le lien de causalité qui existe entre
l’agression de B contre A et l’engagement consécutif du ressortissant
de B dans les forces de A.
Le droit pour la Puissance détentrice de poursuivre pénalement le
traître capturé devrait donc, à notre avis, dépendre de la validité en
droit international de l’engagement du traître dans les forces enne-
mies : si le combat de celles‑ci est conforme au jus contra bellum, le
traître ne devrait pas être puni pour s’être engagé du «  bon côté  »  ;
dans le cas inverse, la punition serait justifiée.

2.327 Le traître pourrait‑il aussi se prévaloir de la liberté d’expres-


sion pour fonder son engagement dans les forces ennemies ? Le succès
de ce moyen semble plus douteux eu égard au fait que les instruments
protecteurs des droits de l’homme autorisent les États à restreindre
cette liberté pour des motifs de sécurité publique (Conv. EDH, art. 10,
§  2  ; Pacte international relatif aux droits civils et politiques, art.  19,
§  3) et que le fait de faire prévaloir la défense de la patrie en danger
sur les opinions politiques du citoyen apparaît donc bien comme un
motif de «  sécurité publique  ».

B. Qui ne peut être considéré comme combattant ou comme


prisonnier de guerre  ?
1. L’espion
2.328 L’espionnage, c’est‑à‑dire la recherche clandestine de
secrets militaires ou politiques  2 ou de renseignements sur l’ennemi,
n’est pas interdit par le droit des conflits armés  3 (cf. Règlement
de La Haye, art.  24) – il n’est même pas sûr qu’il le soit en temps
de paix par le droit international général (eu égard à la réciprocité
de cette pratique) s’il ne s’accompagne pas d’une violation de la

1  
Cf. ibid.,  p.  301.
2  
Brit. Zone of Germany, Control Comm. Crt. of App., 28 septembre 1949, A.D., 1949, p. 406.
3  
Arnhem, Special Crt., 12  août 1948, Christiaensen, A.D., 1948,  p.  414  ; R.  B axter ,
«  Comportement des combattants et conduite des hostilités  », op.  cit.,  p.  142  ; K.J.  S olf in
M.  B othe , K.J.  P artsch , et W.A.  S olf , New Rules for Victims of Armed Conflicts, op.  cit.,
pp.  214-215.

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souveraineté de l’État espionné  1 – mais les Parties belligérantes


n’en ont pas moins la faculté de le réprimer conformément à ce
qui ressort du Règlement de La Haye (art. 30), de la 4 e CG (art. 5)
et du l er  PA (art.  46, §  1). La règle est coutumière et propre aux
conflits armés internationaux (DIH cout., règle 107).
Toute personne convaincue d’espionnage n’est cependant pas
ipso facto déchue de son droit au statut de prisonnier de guerre
et passible de poursuites pénales. Plusieurs situations doivent être
distinguées.

2.329 L’espionnage est le fait d’un civil  : par définition, il ne


s’agit pas d’un combattant et, en cas de capture, il n’est évidem-
ment pas question de statut de prisonnier de guerre. Cette per-
sonne peut être arrêtée, poursuivie et jugée, mais dans le respect
des règles relatives aux droits de la personne en général et notam-
ment dans le respect des garanties fondamentales prévues par
l’art.  75 du l er  PA  ; en outre, si le fait d’espionnage est commis
en territoire occupé, son auteur bénéficie des dispositions de la
4 e CG (art. 64‑78) régissant le droit pour l’occupant d’appliquer des
normes pénales.

2.330 L’espionnage est le fait d’un combattant. Si celui‑ci agit


en uniforme, ou dans une tenue qui le distingue des non‑combat-
tants, il ne peut être traité en espion et doit bénéficier du statut
de prisonnier de guerre en cas de capture (Règlement de La Haye,
art.  29  ; 1 er PA, art.  46, §  2).

2.331 Si l’espion combattant agit sans se distinguer des


non‑combattants et s’il est pris sur le fait, il perd son droit au sta-
tut de prisonnier de guerre et peut être poursuivi pénalement par
la Puissance détentrice (Règlement de La Haye, art. 29‑30 ; 1 er PA,
art.  46, §  1).
Si l’espion combattant n’est capturé qu’après avoir rejoint les
forces auxquelles il appartient, il ne peut être traité en espion et
doit bénéficier du statut de prisonnier de guerre (Règlement de La
Haye, art.  31  ; l er  PA, art.  46, §  4)  2.

1  
Voy. les conclusions prudentes de G.  C ohen -J onathan et R.  K ovar , «  L’espionnage en
temps de paix », AFDI, 1960, p. 254 ; plus fermement, F.R.G., Fed. Supr. Crt., 30 janvier 1991,
Espionage Prosecution case, ILR, 94,  p.  74.
2  
Cass. fr., 28  juillet 1948, Rieger, D., 1949,  p.  193 et A.D., 1948, pp.  483-484.

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Cette règle limite la portée excessive de certains considérants


de l’arrêt rendu par la Cour Suprême des États‑Unis dans la célèbre
affaire ex parte Quirin et al. (1942). Dans cette affaire, huit militaires
allemands débarqués clandestinement sur le territoire américain en
juin 1942 pour y effectuer des actes de sabotage, avaient été arrêtés
alors qu’ils étaient habillés en civils, et poursuivis de ce chef, e.a.,
pour  :
“violation of the law of the war by passing through our defense lines in
civilian dress in order to commit sabotage, espionage and other hostile
acts […]”  1.

La Cour considéra que des militaires ennemis qui, habillés en


civil, se livraient notamment à des actes d’espionnage, étaient des :
“unlawful combatants [...] subject to trial and punishment by military
tribunals for acts which render their belligerency unlawful”  2.

Il n’était donc pas question de leur accorder le statut de prisonnier


de guerre  3. De fait, six des accusés furent condamnés à mort et deux
à des peines de prison  4. Or, pris au pied de la lettre, les considérants
de l’arrêt semblent faire de l’espionnage un crime de guerre. Pareille
conclusion serait inexacte. D’abord, aucun instrument international
n’érige l’espionnage en crime de guerre (supra, §  2.2328)  ; ensuite,
la lettre et l’esprit des art. 31 du Règlement de La Haye et 46, § 4, du
1 er PA indiquent bien que l’espionnage n’est pas et ne peut être traité
comme un crime de guerre  : l’espion capturé après avoir rejoint les
forces auxquelles il appartient a droit au statut de prisonnier de
guerre (s’il remplit les autres conditions requises par la 3e  CG, ou
par le 1 er  PA si ce dernier lie les États parties au conflit) et ne peut
plus faire l’objet de poursuites pénales pour ses activités antérieures
d’espionnage.
On aperçoit aisément la différence entre cette situation et celle
d’une personne qui a commis un vrai crime de guerre  : dans ce cas,
même si cette personne bénéficie du statut de prisonnier de guerre,
elle peut néanmoins être poursuivie pénalement pour le crime qu’elle
a commis (infra, §§  4.97 ss.).

2.332 Le combattant espion ne perd son droit au statut de pri-


sonnier de guerre, et n’est donc passible des lois pénales de l’État

1  
U.S.  Supr. Crt., 31  juillet 1942, A.D., 10,  p.  566.
2  
Ibid., 570-571.
3  
Ibid.
4  
Ibid., 576.

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capteur, que dans l’hypothèse où il opère en civil et est pris sur


le fait (Règlement de La Haye, art.  30  ; 1 er  PA, art.  46, §§  1‑2). Le
principe n’est donc pas totalement identique à celui qui s’applique
au combattant capturé qui a droit au statut de prisonnier de guerre
malgré d’éventuelles activités illicites antérieures, mais qui peut
être poursuivi de ce fait.
Capturé flagrante delicto, l’espion n’en reste pas moins protégé
par les règles générales applicables aux civils poursuivis pénale-
ment (supra, §  2.329).

2.333 Il faut toutefois noter que le combattant habillé en civil et


arrêté dans le territoire occupé où il réside ne peut pas être ipso
facto traité en espion et privé du droit au statut de prisonnier de
guerre, sinon on ôterait toute portée à la règle autorisant le com-
battant à ne pas se distinguer de la population civile dans certains
types de conflits armés lorsqu’il ne participe pas à une opération
militaire (supra, §§  2.292/3)  1.
Pour que ce combattant puisse être assimilé à un espion, il ne
suffit donc pas qu’il soit surpris à observer des mouvements de
troupe : il faut qu’il ait recours à la fraude ou qu’il agisse délibéré-
ment de manière clandestine pour se procurer des renseignements
(l er  PA, art.  46, §  3)  2 (sur le cas du franc tireur, supra §  2.32a).

2. Le mercenaire
2.334 Le fait que le combattant capturé soit étranger aux forces
avec lesquelles il combat n’implique pas qu’il soit privé du statut de
prisonnier de guerre dès lors qu’il remplit les conditions requises
pour l’obtenir : l’art. 4 de la 3 e CG et les art. 43‑44 du 1 er PA ne font
aucune discrimination entre les personnes capturées sur la base
de la nationalité et l’art. 17 de la 5 e Convention de La Haye de 1907
exclut expressément pareille discrimination  : le tribunal militaire
américain de Nuremberg l’a rappelé dans le Weizsaecker case  3.

1  
Pour un ex. par analogie, tiré de la guerre de sécession, voy. M. H arrus H offman , « Le
droit coutumier dans les conflits armés non internationaux  », RICR, 1990,  p.  356.
2  
Protocoles, commentaire, p. 577, § 1779 ; R. B axter , « Comportement des combattants
et conduite des hostilités  », op.  cit.,  p.  143.
3  
Nur. U.S.  Milit. Trib., 14  avril 1949, Weizsaecker et al. (Ministries Trial), A.D.,
1949,  p.  355.

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2.335 Cette règle trouve toutefois une exception importante


dans l’art.  47 du l er  PA qui autorise la Puissance détentrice à refu-
ser aux mercenaires le droit d’être considéré comme combattants
et, a fortiori, comme prisonniers de guerre en cas de capture. La
Puissance détentrice n’est cependant pas obligée de leur refuser
ce statut  ; l’art.  47, §  1, stipule  :
« Un mercenaire n’a pas droit au statut de combattant ou de prisonnier
de guerre  » (nous soulignons).

La règle est coutumière et propre aux conflits armés internatio-


naux (DIH cout., règle 108).
Lors de la Conférence diplomatique, certaines délégations
auraient voulu qu’on interdise à la Puissance détentrice d’accor-
der le statut de prisonnier de guerre  1, mais ce point de vue n’a
pas prévalu comme le montre la formulation du §  1 de l’art.  47  2.
Le combattant capturé et identifié comme mercenaire risque
donc d’être poursuivi pénalement pour sa participation au conflit.
En outre, dans la mesure où la Puissance détentrice est liée
par un des instruments incriminant l’engagement d’une personne
comme mercenaire dans certains conflits  3, il pourrait y avoir,
selon les textes applicables à la cause, cumul ou concours idéal
d’infractions entre ce fait et la participation de cette personne aux
hostilités.

2.336 Le droit pour la Puissance détentrice de refuser le sta-


tut de prisonnier de guerre à un mercenaire capturé qui, par ail-
leurs, s’est comporté comme doit le faire un combattant, n’a pas
beaucoup de cohérence avec les principes de non‑discrimination
régissant ce statut  4 et eu égard aux possibilités existantes de
poursuivre pénalement un prisonnier de guerre pour des infrac-
tions de droit international ou pour des infractions visées par le
droit pénal de la Puissance détentrice (supra, §  2.283).

1  
CDDH/236/Rev. 1, §  105, Actes CDDH, vol.  XV,  p.  423.
2  
E.  K wakwa , The International Law of Armed Conflict: Personal and Material Fields
of Application, op.  cit.,  p.  125.
3  
Voy. notamment la résolution  3103 (XXVIII), §  5, adoptée par l’AGNU le 12  décembre
1973  ; la Convention de l’OUA du 30  juin 1979, art.  1, §  2  ; la Convention des N.  U. du
4 décembre 1989, art. 3 ; pour des commentaires sur ces dispositions, E. D avid , Éléments de
droit pénal international, op.  cit., §§  15.5.1 ss.
4  
E.  K wakwa , The International Law of Armed Conflict: Personal and Material Fields
of Application, op.  cit.,  p.  124.

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Si l’on voulait prévenir à tout prix le mercenariat, il fallait le


faire de manière plus sélective et plus efficace  : de manière plus
sélective, en sanctionnant les personnes qui s’engagent volontai-
rement dans un conflit armé contraire au droit international  1  ; de
manière plus efficace, en définissant plus largement le mercenaire
(ci‑dessous).

2.337 Il reste à déterminer ce qu’est un mercenaire. L’art. 47 en


donne une définition mais celle‑ci est tellement restrictive qu’on
voit mal à qui elle pourrait s’appliquer  2. En adhérant au 1 er  PA,
l’Algérie a d’ailleurs réservé « sa position au sujet de la définition
du mercenariat telle que contenue dans l’art.  47, §  2, du présent
Protocole, cette définition étant jugée restrictive  »  3.
Supposons, en effet, un conflit armé international où est cap-
turé un combattant qui s’est engagé volontairement dans les forces
armées d’un belligérant, par pur esprit de lucre et qui est étranger
à ces forces ; il est clair que ce combattant répond à la notion cou-
rante du mercenaire ; pourtant, juridiquement, il ne sera considéré
comme tel que si la Puissance détentrice réussit à prouver entre
autres choses  :
1° que ce volontaire a été «  spécialement  » recruté dans un
pays tiers pour combattre dans un conflit armé (art. 47, § 2,
a)  : il faudra donc montrer qu’une opération spécifique de
recrutement pour un conflit particulier a été organisée, ce
qui est très difficile eu égard au fait que ce type d’opération
est généralement clandestin et que la plupart des éléments
de preuve se trouveront à l’extérieur de l’État où l’instruc-
tion est menée  !
2° que ce volontaire prend part aux hostilités en vue d’obtenir
«  un avantage personnel  » (art.  47, §  2, c)  : c’est un procès
d’intention ; comment montrer que ce combattant recherche
un « avantage personnel », et comment définir cet avantage ?
3° que ce volontaire bénéficie d’«  une rémunération matérielle
nettement supérieure  » à celle de ses compagnons d’armes
(art.  47, §  2, c)  : s’attend‑on à ce que le mercenaire porte

1  
Pour plus de développements sur ce point, E.  D avid , Mercenaires et volontaires inter-
nationaux en droit des gens, op.  cit., pp.  391-393.
2  
Pour une analyse critique exhaustive, ibid., pp. 237-247 ; E. K wakwa , The International
Law of Armed Conflict: Personal and Material Fields of Application, op.  cit., pp.  126-127.
3  
RICR, 1989,  p.  511.

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en permanence sur lui son contrat d’engagement avec un


tableau comparatif des barèmes payés à des militaires de
même rang  ? Il est évident qu’au vu d’une telle condition,
l’employeur du mercenaire veillera à ce qu’aucun signe de
cette rémunération supérieure n’apparaisse jamais  1  !
Il n’est d’ailleurs pas sûr qu’il faille nécessairement une solde
élevée pour conduire un mercenaire à s’engager  2  : la crise
économique pourrait conduire pas mal de « baroudeurs » en
mal d’emploi à s’enrôler aux mêmes conditions qu’un natio-
nal des forces qu’il rejoint.
4° que ce volontaire « n’est pas membre des forces armées d’une
Partie au conflit  » (art.  47, §  2, e)  ; il s’agit d’une condition
purement formelle à laquelle il est très facile d’échapper  ; il
suffit que l’employeur intègre à ses forces armées les mer-
cenaires qu’il engage  ; dès lors, à supposer que toutes les
autres conditions soient remplies, un mercenaire organique-
ment rattaché aux forces armées d’une partie belligérante ne
pourra être considéré comme… mercenaire  !
En résumé, les conditions requises pour qu’un combattant appa-
raisse comme mercenaire sont tellement restrictives qu’il faudrait
être suicidaire pour réussir à les remplir ! Comme on l’a écrit avec
un humour très britannique  :
“any mercenary who cannot exclude himself from this definition
deserves to be shot – and his lawyer with him  !”  3.

2.338 Cela n’a apparemment pas découragé les États qui ont
« récidivé » dans la Convention des NU du 4 décembre 1989 contre
le recrutement, l’utilisation, le financement et l’instruction des
mercenaires, en reprenant la définition de l’art. 47 et en l’étendant
à tout conflit armé (international et interne) (art.  1, §  1, a).

1  
Voy. sur ce point les réserves exprimées à la Conférence diplomatique de Genève
(1974-1977) par le Zaïre, la Corée du Nord, la Syrie, Qatar, Madagascar, le Mozambique, la
Côte d’Ivoire, le Cameroun et la Suède. Doc.  CDDH/III/SR.57, §§  13, 20-21, 26, 33, 34, 44, 47,
49, 53, 55.
2  
Sur l’écheveau des motivations réelles d’un mercenaire, voy. E.  D avid , Mercenaires et
volontaires internationaux en droit des gens, op.  cit., pp.  3, 242-246.
3  
G.  B est , Humanity in Warfare: the Modern History of the International Law of
Armed Conflicts, Londres, Weldenfeld and Nicholson, 1980, p. 328, n° 83, cité par E. K wakwa ,
The International Law of Armed Conflict: Personal and Material Fields of Application,
op.  cit.,  p.  112.

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Sur un autre plan, la Convention étend aussi la notion en pré-


voyant que dans toute situation autre que celle d’un conflit armé,
le mercenaire est défini comme une personne recrutée pour parti-
ciper, contre rémunération ou un autre avantage personnel signifi-
catif, à une action de violence dirigée contre l’intégrité territoriale
d’un État, son gouvernement ou son ordre constitutionnel, dès lors
que ce mercenaire n’est ni ressortissant, ni résident, ni militaire de
cet État (art.  1, §  2).
Si on combine cette définition avec celle du mercenaire en cas
de conflit armé, on aboutit à cette situation, un peu curieuse, où
un étranger qui, par esprit de lucre, prendrait part à une action
hostile dirigée contre un État, action qui dégénérerait en conflit
armé, cesserait d’être mercenaire à partir du moment où il serait
intégré à l’une des forces en présence. En théorie, il n’en devrait
pas moins répondre de l’infraction de «  mercenariat  » pour la
période qui précède son intégration aux forces armées d’une des
parties belligérantes.

2.339 La Convention de 1989 fait du mercenariat une infraction


internationale soumise à la règle aut dedere aut judicare (art.  9,
§  2) (compétence universelle subsidiaire) alors que l’art.  47 du
1 er  PA aboutit à n’incriminer le mercenariat qu’à l’égard de l’État
que le mercenaire combat. Pour l’heure, le champ d’application
de l’incrimination internationale reste assez confidentiel puisqu’au
31  décembre 2007, seuls 30 États avaient ratifié la Convention de
1989.

2.339a Le volontaire étranger qui s’engage par idéal n’est pas visé
par la Convention ou par l’art. 47 puisque ces textes ne concernent
que le volontaire qui prend part aux hostilités en vue d’obtenir
«  un avantage personnel  », notamment, en percevant pour son
engagement « une rémunération matérielle nettement supérieure »
à celle des autres militaires (supra, §  2.337). Cela n’implique pas
la licéité de tout engagement idéaliste. Ainsi, le Conseil de sécurité
demande aux États de traduire en justice les recruteurs et les gens
qui s’engagent dans des mouvements terroristes tels que l’État isla-
mique en Irak et au Levant, le Front el-Nosra ou Al-Qaïda (les
« djihadistes »)  1, même si la motivation de l’engagement est pure-

1  
S/RES/2170, 15  août 2014, §§  7 ss.

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ment idéologique (par exemple, instaurer un régime islamiste).


Aucun idéal ne justifie, en effet, le terrorisme.

2.239b L’AGNU a précisé dans quelle mesure les États devaient


prévenir des opérations de recrutement, de financement, d’instruc-
tion ou de transit de mercenaires sur leur territoire  : les États
doivent « prendre les dispositions nécessaires » pour que leur ter-
ritoire ne soit utilisé aux opérations précitées dès lors que celles-
ci visent, soit  :
«  à empêcher l’exercice du droit des peuples à l’autodétermination, à
déstabiliser ou à renverser le gouvernement de tout État ou à porter
atteinte, totalement ou en partie, à l’intégrité territoriale ou à l’unité
politique de tout État souverain et indépendant qui respecte le droit des
peuples à l’autodétermination  »  1,

soit, à « intervenir dans des conflits armés ou dans des opérations


visant à déstabiliser des régimes constitutionnels  »  2.
En outre, les États doivent « empêcher leurs nationaux de parti-
ciper à de telles activités »  3. Autrement dit, l’AGNU demande aux
États d’empêcher aussi bien l’engagement personnel de nationaux
que des activités de recrutement, de formation, etc., lorsque ces
faits sont dirigés contre l’autodétermination d’un peuple, l’inté-
grité territoriale ou le gouvernement constitutionnel d’un État  4,
ce qui va dans le sens d’une interdiction considérée à l’aune des
règles et valeurs du droit international (cf. supra, §  1.236).
Enfin, l’AGNU demande aux États de réprimer pénalement les
«  activités mercenaires  ». Elle  :
«  Condamne toute forme d’impunité accordée aux auteurs d’activités
mercenaires et à ceux qui ont utilisé, recruté, financé et instruit des
mercenaires, et exhorte tous les États, agissant conformément aux obli-
gations que leur impose le droit international, à traduire ces individus
en justice, sans distinction aucune  »  5.

Ces règles s’appliquent aux sociétés militaires et de sécurité pri-


vée : elles ne sont pas assimilées à des mercenaires et ne sont pas
interdites comme telles mais les États doivent réglementer leurs
activités et veiller à ce qu’elles ne violent pas les droits humains

1  
A/RES/72/158, 19  décembre 2017 (128-51-6), §  4.
2  
Ibid., §  5.
3  
Ibid.
4  
Ibid., §§  4-5.
5  
Ibid., §  12.

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dans les pays où elles sont employées  1. Il est cependant clair que
si ces sociétés menaient les activités interdites aux mercenaires
(ci-dessus), elles tomberaient sous le coup des règles applicables
à ceux-ci.

2.340 En pratique, dans bon nombre de conflits armés, des com-


pagnies privées de sécurité remplissent des missions qui ne sont
pas loin d’être de caractère militaire ou paramilitaire. Ainsi, au
début des années 2000, la société Erinys International avait conclu
avec le gouvernement irakien un contrat pour la protection des
champs de pétrole. Aux termes de ce contrat, Erinys fournissait au
gouvernement irakien une force de 14.400 hommes dotés d’armes,
de véhicules et d’avions  2. Quelle est la situation juridique de ces
personnes au regard du DIH  ?
Ces compagnies ne sont pas soumises à des règles spécifiques.
En fait, leur statut, en DIH, se confond, selon le cas, avec celui de
combattants ou de civils.
Le simple fait d’être préposé à la garde de personnes ou de
biens n’implique pas qu’on fasse partie des forces armées d’un
État. En disposant que l’État doit notifier aux autres parties que
des services de maintien de l’ordre sont incorporés dans ses forces
armées, l’art.  43, §  3, du 1 er  PA laisse entendre qu’a priori de tels
services ne sont pas des unités combattantes et restent des civils
aussi longtemps qu’ils ne sont pas incorporés aux forces d’une par-
tie belligérante. Si tel est le cas des forces étatiques de maintien
de l’ordre, a fortiori devrait-il en aller de même de compagnies de
sécurité privées.
Autrement dit, la détention de ce personnel par une partie au
conflit ne pourrait se justifier que dans les hypothèses où l’on peut
interner des civils, à savoir, celles où la sécurité de cette partie
rend cet internement «  absolument nécessaire  » (CG., art.  41-42/
IV) (infra, §§  2.398 ss.).

2.340a Les principes qui précèdent ont été confirmés par le


« Document de Montreux », un texte adopté, le 17 septembre 2008,
par les «  experts gouvernementaux  » de 17  États (Afghanistan,
Afrique du Sud, Allemagne, Angola, Australie, Autriche, Canada,

1  
Ibid., §  6.
2  
www.erinys-international.com/, consulté le 5  décembre 2004.

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Chine, États-Unis, France, Iraq, Pologne, Royaume-Uni, Sierra


Leone, Suède, Suisse et Ukraine) aux fins de préciser les règles
applicables aux entreprises militaires privées et de sécurité
(EMSP). Ce texte qui «  n’est pas un instrument juridiquement
contraignant » (préface, § 3 ; 1 re partie, introduction, 3 e phrase) se
borne, pour l’essentiel, à rappeler l’application du DIH aux EMSP
lorsque celles-ci sont confrontées à un conflit armé. Le statut de
leurs membres dépend donc du point de savoir s’ils sont des civils
ou peuvent être assimilés à des combattants. Le Document privilé-
gie la première qualification (a), sans toutefois exclure la seconde
(b). Un certain nombre d’EMSP ont volontairement endossé les
règles du Document de Montreux (c).

a. Les membres des EMSP sont des civils


2.340b Le document de Montreux ne le dit pas expressément,
mais un certain nombre de passages de ce document tendent à
montrer que les membres des EMSP apparaissent a priori comme
des civils : on lit, en effet, dans la 1 re partie qui énonce les « obli-
gations juridiques pertinentes en relation avec les [EMSP] », que :
«  les membres du personnel d’EMSP
[…]
b)  Sont protégés en tant que personnes civiles selon le droit interna-
tional humanitaire, à moins qu’ils ne soient incorporés dans les forces
armées régulières d’un État ou qu’ils ne soient membres de forces,
groupes ou unités armés et organisés qui sont placés sous un com-
mandement responsable devant l’État  ; ou qu’ils ne perdent autrement
leur protection, dans la mesure déterminée par le droit international
humanitaire  ;
[…]  » (§  26).

Les membres des EMSP sont donc présumés être des civils sauf
incorporation dans une force régulière, un groupe armé organisé
ou participation directe aux hostilités. Cette conclusion est cohé-
rente avec la règle conventionnelle selon laquelle, les forces de
l’ordre ne sont pas assimilées aux forces armées, sauf notification
contraire de la partie belligérante aux autres parties belligérantes
(1 er PA, art. 43, § 3, supra, § 2.288) ; la conclusion est aussi dans le
droit fil des recommandations du CICR sur la notion de «  partici-
pation directe aux hostilités » (mai 2009) qui qualifient « les sous-
traitants privés et les employés d’une partie à un conflit armé » de
civils (recommandation III).

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b. Les membres des EMSP peuvent être assimilés


à  des combattants
2.340c Comme l’indique clairement le texte cité ci-dessus, l’assi-
milation des EMSP à des civils n’est qu’une présomption  : si les
EMSP sont incorporées dans les forces d’une partie belligérante
ou si elles participent aux hostilités, leurs membres perdent le
statut de civils. Cette incorporation n’est pas interdite par le texte
même si on peut dire qu’il la déconseille fortement. En effet, le
texte dispose  :
« Les États contractants sont tenus de ne pas mandater des EMSP pour
exercer des activités que le droit international humanitaire assigne
explicitement à un agent ou à une autorité étatiques, comme exercer,
conformément aux Conventions de Genève, le pouvoir de l’officier res-
ponsable sur le camp de prisonniers de guerre ou sur les lieux d’inter-
nement de civils  » (partie  1, §  2).

La formulation est normative – «  Les États sont tenus […]  » –


mais comme le texte n’est pas contraignant (supra, § 2.340a), nous
interprétons la phrase comme une solide recommandation.
En outre, au titre des «  bonnes pratiques  », l’une d’entre elles
consiste, pour les États, à promulguer des règles stipulant que les
EMSP peuvent «  faire usage de la force et des armes à feu uni-
quement si cela est nécessaire pour se défendre ou pour défendre
des tiers  » (2 e  partie, §  43, nous soulignons). Limiter l’emploi de
la force par les EMSP aux seuls cas de légitime défense confirme
qu’elles ne peuvent pas jouer un rôle de combattants.
Le Document, on l’a vu, n’est cependant pas obligatoire, et il
réserve l’utilisation des EMSP à des fins offensives – donc com-
battantes – lorsqu’il dispose  :
«  Le statut des membres du personnel des EMSP est déterminé par le
droit international humanitaire, au cas par cas, en particulier selon la
nature et les circonstances des fonctions dans lesquelles ils sont impli-
qués  » (partie  1, §  24).

Dire que le statut des membres des EMSP est établi au cas par
cas par le DIH en fonction des circonstances de l’espèce confirme
qu’ils peuvent être utilisés comme combattants, même si ce n’est
pas encouragé.

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c. Les EMSP se soumettent au Document de


Montreux
2.340d En 2010, 58  EMSP réunies à Genève ont pris l’initiative
d’adopter un International Code of Conduct for Private Security
Service Providers  1. Instrument de nature privée, ce code ne peut
et ne prétend pas se substituer au droit applicable. Les compagnies
signataires s’y engagent à respecter les principes du Document de
Montreux et un certain nombre de règles de base du DIH et des
droits humains. Le code affirme, par exemple, que la force ne peut
être utilisée que conformément au droit international et au droit
de l’État où l’EMSP est déployée (§§  30-32). La détention de per-
sonnes par une EMSP n’est permise que si elle a été engagée à cet
effet par l’État  ; cette détention doit respecter le droit internatio-
nal et le droit interne de l’État qui emploie l’EMSP (§  33). On ne
détaillera pas davantage ces règles qui restent un engagement de
type privé (cf. infra, §  3.69).

3. Le criminel de guerre  ?
2.341 Tout combattant capturé alors qu’il répond aux conditions
énoncées à l’art.  4 de la 3 e  CG ou aux art.  43 et 44, §§  1‑3 et 5‑7,
du l er  PA a droit au statut de prisonnier de guerre s’il s’est rendu
coupable de crimes de guerre.
Ce principe règle une controverse née de l’affaire Yamashita
où la Cour suprême des États‑Unis avait considéré que les garan-
ties de procédure pénale reconnues aux prisonniers de guerre par
l’art.  63 de la CG de 1929 sur les prisonniers de guerre ne concer-
naient que les cas d’infractions commises par un prisonnier de
guerre après sa capture  2. Le juge Rutledge soutenait au contraire
que l’art.  63 s’appliquait à toute poursuite pénale, que l’infraction
ait été commise avant ou après la capture  3. C’est ce dernier prin-
cipe qui a été consacré par la 3 e CG de 1949 en son art. 85. Il a, par
exemple, été appliqué par les États‑Unis dans l’affaire Noriega  4.

1  
Texte in ILM, 2011, pp.  92-104.
2  
Dans le même sens, Neth., Spec. Crt. of Cass., 12  janvier 1949, Rauter, A.D., 1949,
pp.  534-536.
3  
U.S. Supr. Crt., 4 février 1946, In re Yamashita, in H.S. L evie , Documents on Prisoners
of War, International Law Studies, vol.  60, U.S.  Naval War College, Newport (R.I.), 1979,
pp.  323-326.
4  
E.  K wakwa , The International Law of Armed Conflict: Personal and Material Fields
of Application, op.  cit.,  p.  45.

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Toutefois, les États d’Europe de l’Est ainsi que le Vietnam et


la Corée du Nord ont fait, à propos de cet art.  85 une réserve par
laquelle ils refusent d’accorder le statut de prisonnier de guerre
à des combattants condamnés pour crimes de guerre ou crimes
contre l’humanité. Ils leur reconnaissent néanmoins ce statut
jusqu’à ce que le jugement de condamnation soit définitif  1.

C. Quid en cas de doute sur le droit d’une personne


d’être considérée comme combattant ou comme prisonnier
de  guerre  ?
2.342 En principe, s’il s’élève un doute sur le droit d’une per-
sonne capturée au bénéfice du statut de combattant et de prison-
nier de guerre, elle doit être traitée en prisonnier de guerre jusqu’à
ce qu’un tribunal compétent ait déterminé son statut (CG  III,
art.  5  ; l er  PA, art.  45, §§  1 et 2). Cette protection importante éle-
vée contre le pouvoir unilatéral de qualification de la Puissance
détentrice n’est cependant pas suffisante : la Puissance détentrice
peut prétendre qu’il n’y a pas le moindre doute sur le fait que tel
prisonnier n’est pas un combattant et n’a donc pas droit au statut
de prisonnier de guerre.
Ainsi, pendant la guerre du Vietnam, les États‑Unis avaient éta-
bli deux catégories de prima facie case – les combattants capturés
qui avaient «  clairement  » droit au statut de prisonnier de guerre,
et ceux qui, tout aussi « clairement » (?) n’y avaient pas droit – et
seuls les cas douteux, selon l’appréciation des officiers capteurs
responsables étaient renvoyés à un tribunal compétent  2. La guerre
du Vietnam a longtemps été le seul exemple connu où des tribu-
naux spécialement compétents aux termes de l’art.  5 de la 3 e  CG
avaient été institués pour trancher les cas douteux  3.
Dans le cas du conflit afghan, le porte-parole de la Maison
Blanche, R.  Boucher, avait déclaré à propos du statut des per-
sonnes détenues par les É.-U., à Guantanamo (base américaine à
Cuba)  :

1  
Conventions, commentaire, III, pp.  448-451  ; textes des réserves in D.  S chindler et
J.  T oman , Droit des conflits armés, op.  cit., pp.  669 ss.
2  
R. B axter , « Comportement des combattants et conduite des hostilités », op. cit., p. 138.
3  
H.S.  L evie , «  Prisoner of War in International Armed Conflicts  », in U.S.  Naval War
College, International Law Studies, vol.  59, pp.  56-57.

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610 Principales règles « de substance » du droit des conflits armés

“MR. BOUCHER  : […] You will see that in those clauses, the Geneva
Convention says that if there is any doubt, then a competent tribunal
should be convened to review these things. We don’t think there is any
doubt in this situation.
The White House, in their announcements yesterday, I think, made
quite clear why there is no doubt about Taliban people involved. All of
these people have been screened several times before they were taken,
and after they were taken to Guantanamo, and we don’t think there is
any doubt in these cases.
QUESTION  : You mean that your interpretation is that it’s only doubt
in the hands of the captors, the capturing party, and not doubt in the
minds of anyone else? Is that your interpretation of it?
MR. BOUCHER  : I think it’s quite clear that if there is any factual or
reasonable basis for doubt, then of course we would be willing to
review this. But at this point, we’re not aware of anything in all these
interviews that raises any doubt about these people”  1.

Ce système conférait, en pratique, un pouvoir important à la per-


sonne chargée de distinguer entre les cas douteux et ceux qui ne le
sont pas. En tant que juge et partie, cette personne n’était pourtant
pas la mieux qualifiée pour pré‑qualifier... En outre, l’art.  5 de la
3 e  CG ne prétend pas conférer le «  monopole du doute  » au cap-
teur  2. Ce dernier doit interpréter le texte légal de bonne foi  3 mais
sa situation de Puissance détentrice risque fort de le conduire à
un «  abus de position dominante  » dans l’interprétation et l’appli-
cation de la règle.
C’est pourquoi, l’art.  45 du 1 er  PA a énoncé un certain nombre
de présomptions favorables au prisonnier puisqu’elles aboutissent
à renverser la charge de la preuve  4  : le prisonnier est désormais
présumé bénéficier du statut de prisonnier de guerre non seule-
ment lorsque la Partie dont il dépend revendique ce statut par voie
de notification à la Puissance détentrice ou protectrice (infra,
§ 3.25), mais aussi lorsqu’il revendique tout simplement le bénéfice
de ce statut (art.  45, §  1).

1  
Daily Press Briefing, Richard Boucher, Spokesman, Washington DC 8 février 2002, www.
state.gov/r/pa/prs/dpb/2002/7918.htm
2  
Cf. Amnesty International, Memorandum to the US Government on the Rights of
People in US custody in Afghanistan and Guantanamo Bay, avril 2002, Doc. AI AMR
51/053/2002,  p.  34.
3  
Convention de Vienne sur le droit des traités, art.  26  ; Déclaration de l’AGNU sur les
principes de droit international touchant les relations amicales et la coopération entre les
États, A/RES/2625 (XXV), 24  octobre 1970, 7 e principe, 2 e et 3 e  al.
4  
Protocoles, commentaire,  p.  560, §  1746.

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P rincipales règles « de substance  » du  droit des conflits armés 611

2.343 La protection instituée par le Protocole ne s’arrête cepen-


dant pas encore là : à supposer que le tribunal compétent ait jugé
que le prisonnier ne bénéficiait pas du statut de prisonnier de
guerre, ce prisonnier, lors d’une instance ultérieure où il serait
poursuivi pour une infraction liée aux hostilités (par exemple, sa
simple participation aux hostilités), pourrait à nouveau réclamer
son droit au statut de prisonnier de guerre et la question devrait à
nouveau être tranchée à titre préjudiciel (art.  45, §  2)  1.

2.344 Dans le cas des détenus de Guantanamo, le problème


de leur droit au statut de prisonnier de guerre ne s’est plus posé
puisqu’il était clair, selon les É.-U., que ces personnes n’étaient
pas des combattants réguliers. Cela justifiait-il que ces personnes
ne puissent faire contrôler judiciairement la légalité de leur déten-
tion (demande d’habeas corpus). Au terme de deux remarquables
décisions rendues le même jour, la Cour suprême des É.-U. a fait
justice de la prétention du gouvernement américain a exclure tout
contrôle externe sur cette détention. Dans Hamdi v. Rumsfeld,
tout en admettant qu’un combattant ennemi peut rester détenu
pendant le temps des hostilités actives  2, afin de circonscrire la
menace qu’il représente pour l’État, la Cour observe néanmoins
que  :
“history and common sense teach us that an unchecked system of
detention carries the potential to become a means for oppression and
abuse of others who do not present that sort of threat”  3.

Il faut, dès lors, admettre que même dans une guerre qui comme
la guerre contre le terrorisme n’est guère susceptible de se termi-
ner par un cessez-le-feu  4, il faut reconnaître aux détenus le droit
de contester la qualification dont ils sont l’objet devant un organe
neutre  :
“a citizen-detainee seeking to challenge his classification as an enemy
combatant must receive notice of the factual basis for his classifica-
tion, and a fair opportunity to rebut the government’s factual assertions
before a neutral decision-maker”  5.

1  
Sur cette disposition, voy. G.  G enot , «  Quelques garanties nouvelles offertes au com-
battant capturé  », RBDI, 1977, pp.  298-313.
2  
US Supr. Crt., 28  juin 2004, II, ILM, 2004, pp.  1170-1171.
3  
Id., III, C, 1, ibid.,  p.  1175.
4  
Id., II, ibid.,  p.  1170.
5  
Id., III, C, 3, ibid.,  p.  1176.

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Il en va particulièrement ainsi lorsqu’il s’agit d’un ressortissant


américain  :
“[…] a state of war is not a blank check for the President when it
comes to the rights of the Nation’s citizens. […] it would turn our sys-
tem of checks and balances on its head to suggest that a citizen could
make way to court with a challenge to the factual basis for his deten-
tion by his government, simply because the Executive opposes making
available such a challenge”  1.

Les choses ne sont pas différentes lorsqu’il s’agit d’étrangers.


Dans Rasul v. Bush, la Cour suprême rappelle que quiconque est
détenu dans un lieu sous autorité américaine est fondé à intro-
duire une demande d’habeas corpus  :
“Aliens held at the base [Guantanamo], no less than American citizens,
are entitled to invoke the federal Court’s authority under § 2241 [of the
US Code vol. 28 […] At common law, courts exercised habeas jurisdic-
tion over the claims of aliens detained within sovereign territory of
the realm, as well as the claims of persons detained in the so-called
“exempt jurisdictions” were ordinary writs did not run and all other
dominions under the sovereign’s control. [ref. omitted]”  2.

2.345 Pour se conformer à ces décisions, le gouvernement amé-


ricain a institué un système de Combatants Status Review Panels
afin de contrôler le bien-fondé des détentions. Sur 507  détenus,
deux seulement n’ont pas été considérés comme des combattants
ennemis  3. Des procès pour terrorisme ont commencé devant
des commissions militaires mais l’un des premiers, Hamdan v.
Rumsfeld, a été jugé illégal par un juge de district en raison du
fait que le refus de reconnaître le statut de prisonnier de guerre
au requérant n’avait pas été décidé par une juridiction militaire  4.
*
* *

1  
Id., III, D, 1, ibid.,  p.  1177.
2  
US. Supr. Crt., 28  juin 2004, IV, ibid.,  p.  1211.
3  
Chron. Croot., AJIL, 2005,  p.  261.
4  
US Distr. Crt., DC, 8  novembre 2004, cité, AJIL, 2005,  p.  262.

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