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RAPPORT

PHARE

Échanges dette-nature:
Faisabilité et pertinence stratégique pour
le secteur des ressources naturelles en
Afrique.
Octobre 2022
Groupe de la Banque africaine de développement
Abidjan 01, Côte d’Ivoire;
Téléphoner (la norme) : +225 2720263900
l’Internet: www.afdb.org

Les constatations, interprétations et conclusions exprimées dans cette publication sont celles des
auteurs. Elles ne reflètent pas nécessairement les vues de la Banque africaine de développement et
de ses organisations affiliées, ni celles des administrateurs de la Banque africaine de développement
ou des gouvernements qu’ils représentent.

Droits et autorisations
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publication peut être reproduite, en intégralité ou en partie, à des fins non commerciales, dès lors
que la source est expressément citée.

Citation: Centre africain de gestion des ressources naturelles et d’investissement. 2022. Échanges
dette-nature - Faisabilité et pertinence stratégique dans le secteur des ressources naturelles en
Afrique. Banque africaine de développement. Abidjan, Côte d’Ivoire.
Table des matières

Sigles et abréviations 6
Remerciements 8
Résumé analytique 9

1. Introduction: Défis à la gouvernance et au développement des ressources 11
naturelles en Afrique

2. Défis actuels à la viabilité de la dette en Afrique 14
2.1. Tendances et évolutions au plan mondial 17

3. Échanges et conversions dette-nature 24


3.1. Historique des échanges dette-nature 24
3.2. Mécanismes d’un échange de dette 28
3.3. Implications économiques et possibilité de transposition à plus grande échelle des 30
échanges dette-nature

4. Mécanismes alternatifs pour lier la dette souveraine aux résultats obtenus 34


sur le plan climatique et écologique
4.1. Instruments durables traditionnels 36
37
4.2. Instruments liés au développement durable

5. Opportunités pour l’Afrique et la Banque africaine de développement 40


5.1. Méthodologie 44
5.2 Résultats et analyse 49
5.3 Études de cas 53
Angola 53
République démocratique du Congo 59
Zambie 66

6. Conclusion 72

Annexe A : Données de base sur les pays 74

Annexe B : Données historiques sur les swaps mondiaux 76

Références 81
Liste de tableaux et figures

Liste de tableaux
Tableau 1. Récapitulatif des échanges dette-nature dans les pays africains
Tableau 2. Comparatif des types de transactions de dette pour le financement du climat et de la
nature

Liste de figures
Figure 1. Récapitulatif des échanges dette-nature
Figure 2. Structure de l’échange par obligations bleues de Belize
Figure 3. Proposition de structure d’une obligation souveraine liée au développement durable
Figure 4. Impact comparatif échanges de dette bilatéraux/ multipartites 38
Figure 5. Country Debt and Percentage of Protected Key Biodiversity Areas
Figure 6. Sovereign Debt and Ecosystem Vulnerability
Figure 7. Angola – External Debt Profile
Figure 8. China’s Debt in Angola
Figure 9. Angola – Debt Affordability and Protected KBAs
Figure 10. Angola – Debt Affordability and Ecosystem Vulnerability
Figure 11. Democratic Republic of the Congo – External Debt Profile
Figure 12. Democratic Republic of the Congo – Debt Affordability and Protected KBAs
Figure 13. Democratic Republic of the Congo – Multilateral Debt Breakdown
Figure 14. Democratic Republic of the Congo – Debt Affordability and Ecosystem Vulnerability
Figure 15. Zambia – External Debt Profile Error! Bookmark not defined.
Figure 16. Zambia – Debt Affordability and Ecosystem Vulnerability
Figure 17. Zambia – Debt Affordability and Protected KBAs
Figure 18. Mechanics of a Multi-party Debt Swap
66 Échanges dette-nature: Faisabilité et pertinence stratégique pour le secteur des ressources naturelles en Afrique.

Background paper Assessing the Potential of Offshore Renewable Energy in Africa

Sigles et abréviations
AAA Capacité extrêmement forte à honorer ses engagements financiers, cote de
crédit la plus élevée attribuée à un émetteur.
ALSF Facilité africaine de soutien juridique
ANRC Centre africain de gestion des ressources naturelles et d’investissement
APD Aide publique au développement
ASS Afrique subsaharienne
ATAF Forum africain d’administration fiscale
AVD Analyse de viabilité de la dette
BAD Banque africaine de développement
BIP Partenariat sur les indicateurs de la biodiversité
BM Banque mondiale
BMD Banque multilatérale de développement
CAC Clauses d’action collective
CAFI Initiative pour la forêt de l’Afrique centrale
CEA Commission économique des Nations Unies pour l’Afrique
CESAO Commission économique et sociale des Nations Unies pour l’Asie occidentale
CI Conservation International
CIFOR Centre pour la recherche forestière internationale
CNUCED Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement
COP Conférence des Parties
COVID-19 Maladie à coronavirus de 2019
CUA Commission de l’Union africaine
CVD Cadre de viabilité de la dette
DFN Dette contre nature
DGIS Direction générale de la coopération internationale des Pays-Bas
DTS Droits de tirage spéciaux
ECCE Département économie Pays
ECVP Vice-présidence chargée de la gouvernance économique et de la gestion des
connaissances
ESG Environnemental, social et gouvernance
FAD Fonds africain de développement
FEC Facilité élargie de crédit
FMI Fonds monétaire international
G20 Groupe des Vingt
GES Gaz à effet de serre
IADM Initiative d’allègement de la dette multilatérale
7 Échanges dette-nature: Faisabilité et pertinence stratégique pour le secteur des ressources naturelles en Afrique.

Sigles et abréviations
ICP Indicateurs clés de performance
IDA Association internationale de développement
IDEV Évaluation indépendante du développement
IDS Statistiques internationales sur la dette
IFI Institution financière internationale
IIED Institut international pour l’environnement et le développement
ISSD Initiative de suspension du service de la dette
MEC Mécanisme élargi de crédit
ND-GAIN Initiative d’adaptation mondiale de Notre Dame
NU Nations Unies
OCDE Organisation de coopération et de développement économiques
ODD Objectif de développement durable
ONG Organisation non gouvernementale
PEM Perspectives économiques mondiales
PIB Produit intérieur brut
PMA Pays les moins avancés
PMR Pays membres régionaux
PNUD Programme des Nations Unies pour le développement
PNUE-WCMC Centre mondial de surveillance pour la conservation de la nature du Programme
des Nations Unies pour l’environnement
PPTE Pays pauvres très endettés
PROFONANPE Fonds fiduciaire péruvien pour les parcs nationaux et les zones protégées
RDC République démocratique du Congo
RST Fonds pour la résilience et la durabilité
SFI Société financière internationale
TFCA Loi sur la conservation des forêts tropicales
TNC The Nature Conservancy
UICN Union internationale pour la conservation de la nature
USAID Agence des États-Unis pour le développement international
USD Dollar des États-Unis
VAN Valeur actuelle nette
WWF Fonds mondial pour la nature
ZCB Zones clés pour la biodiversité
8 Échanges dette-nature: Faisabilité et pertinence stratégique pour le secteur des ressources naturelles en Afrique.

Remerciements
Le présent rapport a été préparé par une équipe de consultants dirigée par Jill Dauchy de Potomac
Group, LLC, composée de David Thirkill, Jade Poljak, Christopher Dielmann et Matthew Vodola,
et qui a bénéficié du concours d’experts du Fonds mondial pour la nature (WWF). Le rapport a été
rédigé sous la supervision et l’orientation générales de Vanessa Ushie, directrice par intérim du
Centre africain de gestion des ressources naturelles et d’investissement de la Banque africaine de
développement.

L’équipe de la Banque africaine de développement (BAD) était coordonnée par Innocent Onah
et André Kamdem Toham, responsables en chef des ressources naturelles du Centre africain de
gestion des ressources naturelles et d’investissement. Le Centre exprime sa gratitude aux pairs
évaluateurs du rapport pour la pertinence de leurs contributions, commentaires, suggestions et
conseils. Il s’agit notamment de : Gareth Phillips (BAD), Innocent Onah (BAD), Koffi Kpognon (BAD,
consultant), Sadio Yatassaye (BAD, consultant), Seydou Coulibaly (BAD), Tulio Antonio Cravo (BAD),
Agola Nathaniel Oluoch (BAD), Wadzon Etaki (BAD), Alexandre Kopoin (BAD), Leandro Azevedo
(BAD), Lacina Balma (BAD), Durrel Nzene Halleson (WWF), Alice Ruhweza (WWF), Melissa Moye
(WWF), Esteban Brenes (WWF), Allard Blom (WWF), Evelyn Namubiru-Mwaura (WWF), Jeff Worden
(WWF) et Laurent Some (WWF).

Le document a été édité par Fionnuala Tennyson et Sadiq Bentum Commey en a assuré la
conception graphique.
9 Échanges dette-nature: Faisabilité et pertinence stratégique pour le secteur des ressources naturelles en Afrique.

Résumé analytique
La présente étude a été réalisée dans le but d’aider le Centre africain de gestion des ressources
naturelles et d’investissement (ANRC), une entité de la Banque africaine de développement (BAD),
à honorer son mandat de conseil auprès des pays membres régionaux (PMR) sur les aspects
importants de la gestion des ressources naturelles et à veiller à ce que la nature soit pleinement
mise à contribution dans la réalisation des futurs objectifs de développement économique de
l’Afrique. Avec le soutien du Fonds mondial pour la nature (WWF), cet ambitieux programme de
développement respectueux de l’environnement reconnaît à la fois l’ampleur et l’importance du
climat et de la nature pour la viabilité future des pays membres régionaux et entend faire évoluer le
discours sur le développement durable.

Ces objectifs doivent toutefois être nuancés par la réalité des conséquences de la pandémie de
COVID-19 et l’impact du conflit actuel en Ukraine sur la sécurité énergétique et alimentaire. Les
pays membres régionaux de la Banque font partie, pour la plupart, du groupe de pays qui ont
enregistré une reprise plus faible après la pandémie. En effet, la Banque a estimé à 484,6 milliards
d’USD le montant du financement complémentaire dont ses membres auront besoin au cours des
trois prochaines années pour soutenir leur relance post-COVID1. Ces contraintes sont exacerbées
par les vulnérabilités climatiques croissantes qui s’accentuent très rapidement dans les pays les
moins avancés, notamment sur le continent africain2. Il en résulte que toute question liée au climat
et à la nature devra nécessairement être envisagée dans le contexte de la relance post-pandémique
et de la capacité à atteindre d’autres objectifs de développement durable.

L’atteinte des objectifs de développement durable de l’Afrique est rendue encore plus difficile par les
déséquilibres du pouvoir à travers le monde, le dynamisme des marchés, le changement climatique
et les inégalités historiques, mais des opportunités demeurent pour faire avancer ces objectifs
malgré ces obstacles. Dans ce rapport, l’accent est mis sur les possibilités de mobilisation des
financements en tirant parti d’une prise de conscience accrue au niveau mondial sur l’importance
de la nature pour notre bien-être commun. Des solutions audacieuses et créatives sont nécessaires
pour relever les défis communs posés par cette pandémie ainsi que par la crise climatique et
environnementale. La collaboration entre la BAD, le WWF et Potomac Group dans le cadre de ce
projet sur les échanges dette-nature en Afrique est donc à la fois opportune et essentielle. Au titre
de cette collaboration, l’étude qui fait l’objet du présent rapport a consisté à examiner, analyser
et explorer les voies et moyens de mobilisation efficace des financements en faveur des pays
africains, tout en faisant progresser les objectifs en matière de climat et de nature.

Le rapport contient donc des recommandations politiques détaillées sur les solutions de
financement durable, avec un accent particulier sur la conversion de la dette en investissements
1
Banque africaine de développement. (Décembre 2021). « Conférence économique africaine 2021 : des ministres appellent les pays africains à améliorer la
gestion des ressources et à renforcer leur capital humain pour un relèvement après le Covid-19 ». Cabo Verde. https://www.afdb.org/fr/news-and-events/confer-
ence-economique-africaine-2021-des-ministres-appellent-les-pays-africains-ameliorer-la-gestion-des-ressources-et-renforcer-leur-capital-humain-pour-un-rele-
vement-apres-le-covid-19-47277
2
34 des 46 pays les moins avancés se situent en Afrique : https://unctad.org/topic/least-developed-countries/list
10 Échanges dette-nature: Faisabilité et pertinence stratégique pour le secteur des ressources naturelles en Afrique.

en faveur du climat et de la nature, une opération qui consiste à effacer la dette contre des actions
de conservation. Le rapport a également pour objectif de guider le nouveau plan d’action de la
Banque en matière de dette, la Politique d’endettement soutenable et les interventions spécifiques
sur la gestion et la viabilité de la dette dans les pays africains, tout en réduisant les risques et de
surendettement et de défaut de paiement auxquels ceux-ci peuvent être exposés. L’intention ici
étant de proposer des conseils axés sur l’action pouvant donner lieu à des opérations susceptibles
d’avoir un impact durable sur la viabilité de la dette, la résilience climatique et la conservation de la
biodiversité, tant pour les populations que pour la planète.
11 Échanges dette-nature: Faisabilité et pertinence stratégique pour le secteur des ressources naturelles en Afrique.

CHAPITRE 1

Introduction: Défis à la gouvernance


et au développement des ressources
naturelles en Afrique

L
’Afrique est riche d’abondantes ressources naturelles et d’écosystèmes variés qui contribuent
de manière essentielle aux services, au développement et aux moyens de subsistance sur
tout le continent3 . L’écologie de ce continent est de plus en plus considérée comme un pilier
fondamental de la biosphère dans son ensemble, étant donné que les ressources dont elle regorge
contribuent à atténuer les effets du changement climatique à l’échelle mondiale. Par exemple, la
forêt tropicale du bassin du Congo est un véritable puits qui capte une grande partie des émissions
mondiales de carbone4. Toutefois, ces ressources sont considérablement menacées par les
interventions humaines qui provoquent la déforestation et une perte de biodiversité.

Dans son rapport Planète vivante 2020, le WWF met en évidence un déclin alarmant de 68  %
de la taille des populations de poissons, de mammifères, d’amphibiens et de reptiles en Afrique
entre 1970 et 20165. Un tel déclin est principalement dû à la demande sans cesse croissante en
ressources naturelles pour faire face à la poussée démographique et aux modèles mondiaux de
consommation non durable. Sous l’effet d’autres pressions, telles que le défrichement des terres
à des fins agricoles, le pâturage intensif du bétail, l’industrialisation et la forte dépendance au bois
de chauffe pour la cuisine et le chauffage, les forêts luxuriantes d’Afrique disparaissent rapidement,
privant ainsi la biosphère d’une précieuse source de capture du carbone.

En plus de l’importance de la préservation de ces écosystèmes au niveau mondial, le changement


climatique constitue également une menace de plus en plus pesante sur le développement de
l’Afrique elle-même. De nombreux pays africains sont frappés de manière démesurée par les
phénomènes météorologiques extrêmes associés au changement climatique, bien que les nations
africaines n’aient que peu contribué aux émissions mondiales de gaz à effet de serre (GES). Le
continent est particulièrement vulnérable en raison de sa situation géographique, de sa pauvreté
généralisée et de sa faible capacité d’adaptation6. Il est donc nécessaire de mobiliser des fonds
3
World Bank. (2018). “Accelerating Climate-Resilient and Low-Carbon Development: Second Progress Report on the Implementation of the Africa Climate Business
Plan”. World Bank. Washington, DC. https://openknowledge.worldbank.org/handle/10986/28722
4
WWF. (2022). “Congo Basin”. https://www.worldwildlife.org/places/congo-basin
5
WWF. (September, 2020). “Living Planet Report 2020”. https://www.worldwildlife.org/publications/living-planet-report-2020
6
Niang et al. (2014). “Africa” in: Climate Change 2014: impacts, adaptation and vulnerability. Contribution of Working Group II to the Fifth Assessment Report of the
Intergovernmental Panel on Climate Change. Cambridge University Press, Cambridge, UK.
12 Échanges dette-nature: Faisabilité et pertinence stratégique pour le secteur des ressources naturelles en Afrique.

pour conserver les écosystèmes essentiels en Afrique et aider les nations à s’adapter aux effets du
changement climatique et à les atténuer, afin de promouvoir le développement durable.

Les efforts déployés pour enrayer la dégradation de l’environnement sont toutefois entravés par
les besoins concurrents et les budgets limités des gouvernements africains. Les niveaux élevés de
pauvreté et de faim, ainsi que les nombreux conflits armés sur le continent ont rendu extrêmement
difficile la mise en œuvre de l’ambitieux programme de développement durable 2030 dans la région.
En outre, le fardeau de la dette souveraine freine considérablement les efforts de mobilisation de
financements pour l’une ou l’autre de ces initiatives.

La pandémie de la COVID-19 a aggravé la situation de la dette souveraine de nombreux pays


africains. Les besoins accrus en matière de santé et de dépenses sociales ont davantage comprimé
les budgets nationaux, ce qui a affecté non seulement les dépenses consacrées à la conservation,
mais aussi la capacité à assurer le service de la dette publique. Selon l’analyse de la viabilité
de la dette réalisée par la Banque mondiale (BM) et le Fonds monétaire international (FMI), 24
pays d’Afrique sont soit en situation de surendettement global, soit exposés à un risque élevé de
surendettement global7. Plus récemment, le conflit en Ukraine a empiré la situation en perturbant
les chaînes d’approvisionnement mondiales et en provoquant une hausse des prix des produits
de base, notamment des denrées alimentaires et des carburants. Alors que de nombreux pays
africains continuent de se heurter à ces difficultés, la pression du service de la dette sur les bilans
souverains constitue un frein majeur à la croissance.

Selon les estimations, d’ici 2020, l’Afrique subsaharienne aura accumulé un stock total de dette
extérieure de 702,4  milliards d’USD, contre 380,9  milliards d’USD en 20128. La pression accrue
pour assurer le service de cette colossale dette se traduira inévitablement par une réduction des
fonds qui auraient pu être investis dans la gestion des ressources naturelles et, au bout du compte,
par un accroissement du déficit de financement en faveur de la nature. Il convient de souligner qu’à
peine 49  milliards d’USD sont actuellement consacrés à la protection de la biodiversité dans le
monde, dont seulement 6 % en Afrique9. Ce chiffre démontre que les zones protégées du continent
sont sous-financées alors que, d’après certaines sources, le coût de la protection de la vie sauvage
en Afrique est estimé à un montant relativement modeste de 1,2 milliard d’USD par an10.

La réduction du fardeau de la dette des pays contribuera non seulement à dégager des fonds
pour combler le déficit de financement du climat et de la conservation, mais aussi à libérer des
ressources pour les investissements publics dans des domaines clés tels que l’éducation, la
santé et les infrastructures. L’annulation d’une partie des obligations liées à la dette en cours ou le

7
World Bank. (2022). “Debt Sustainability Analysis (DSA)”. https://www.worldbank.org/en/programs/debt-toolkit/dsa
8
Bradlow, D.D. and Masamba, M.L. (Eds.) (2022). “COVID-19 and Sovereign Debt: The case of SADC”. https://www.pulp.up.ac.za/component/edocman/covid-19-
and-sovereign-debt-the-case-of-sadc
9
Esaro and Biopama. (2020). “Closing the gap. The financing and resourcing of protected and conserved areas in Eastern and Southern Africa”. IUCN. Nairobi, Kenya.
https://portals.iucn.org/library/node/49045
10
DeSmit, O. (October, 2018). “Protections for African wildlife face growing threat: a lack of money”. https://www.conservation.org/blog/protections-for-african-wild-
life-face-growing-threat-a-lack-of-money
13 Échanges dette-nature: Faisabilité et pertinence stratégique pour le secteur des ressources naturelles en Afrique.

refinancement par des opérations plus favorables et axées sur la durabilité sont autant de moyens
d’y parvenir. Le discours mondial sur l’urgence de financer les initiatives en faveur du climat et
de la nature a considérablement gagné en pertinence tout au long de la période de pandémie. En
conséquence, les mécanismes visant à obtenir des résultats en matière de climat et de nature au
moyen d’opérations de dette novatrices ont rapidement suscité un engouement. Dans ce contexte,
ces mécanismes permettraient de réduire considérablement le déficit de financement des initiatives
en faveur du climat et de la nature, tout en offrant l’avantage supplémentaire d’aider les pays
africains à financer leurs objectifs de développement plus généraux.
14 Échanges dette-nature: Faisabilité et pertinence stratégique pour le secteur des ressources naturelles en Afrique.

CHAPITRE 2

Défis actuels à la viabilité de la dette en


Afrique

À
l’instar du reste du monde, la pandémie de COVID-19 a plongé l’Afrique dans une récession
aux proportions sans précédent, avec un recul du PIB de plus de 2 % et une contraction
du PIB par habitant de 10 % en valeur nominale en 202011. En Afrique subsaharienne, le
revenu réel par habitant a diminué de 5,3 %, pour retomber aux niveaux de 201312. Alors que la
croissance du PIB est censée augmenter de 3,4 % en 2021, cette reprise devrait être la plus lente
observée par rapport aux autres régions du monde, signe des effets prolongés et disproportionnés
de la pandémie de COVID-19 sur le continent africain. Si ce dernier a jusqu’à présent échappé
aux contaminations à grande échelle, les dommages causés par les perturbations de l’activité
économique, commerciale et financière internationale ont amplifié les vulnérabilités préexistantes
et anéanti les progrès réalisés en matière de développement et de réduction de la pauvreté. La
pandémie a fait basculer 30  millions d’Africains dans l’extrême pauvreté en 2020 et ce chiffre
pourrait atteindre 39 millions en 2021, ce qui porterait le total à plus de 465 millions de personnes,
soit plus de 34 % de l’ensemble de la population en Afrique13. La pandémie devrait avoir des effets
à long terme sur l’augmentation de la mortalité infantile, la mortalité indirecte et le ralentissement
économique d’ici 2030 et 2050, lesquels pourraient dépasser l’ampleur du choc initial, en particulier
dans de nombreux pays dont la capacité des services publics est faible et dotés de systèmes de
santé peu développés14.

En Afrique, un grand nombre de pays connaissaient déjà une situation de vulnérabilité avant l’apparition
de la pandémie. Les niveaux d’endettement de plusieurs pays à faible revenu s’approchaient des
niveaux observés avant l’avènement de l’Initiative en faveur des pays pauvres très endettés (PPTE)
et de l’Initiative d’allégement de la dette multilatérale (IADM). L’augmentation récente des niveaux
d’endettement est due à une plus grande exposition aux créanciers commerciaux et aux nouveaux
créanciers bilatéraux officiels tels que la Chine. La part des créanciers bilatéraux dans l’encours

11
BAD. (2021). « Perspectives économiques en Afrique 2021 : De la résolution de la dette à la croissance : une feuille de route pour l’Afrique ». https://www.afdb.
org/fr/documents/perspectives-economiques-en-afrique-2021
12
F. (2020). « Perspectives économiques régionales : Afrique subsaharienne https://www.imf.org/fr/Publications/REO/SSA/Issues/2020/10/22/regional-econom-
ic-outlook-sub-saharan-africa
13
BAD. (2021). « Perspectives économiques en Afrique 2021 : De la résolution de la dette à la croissance : une feuille de route pour l’Afrique ».
14
UNDP. (2021). “Analyzing long-term socio-economic impacts of Covid-19 across diverse African contexts.” https://www.africa.undp.org/content/rba/en/home/
library/reports/analysing-long-term-socio-economic-impacts-of-covid-19-across-di.html
15 Échanges dette-nature: Faisabilité et pertinence stratégique pour le secteur des ressources naturelles en Afrique.

de la dette extérieure de l’Afrique est passée de plus de 50  % en 2000 à seulement 27  % en
2019, alors que l’exposition aux créanciers commerciaux - banques et détenteurs d’obligations - a
augmenté de façon spectaculaire, passant de 17 % à 40 % au cours de la même période15. Entre
2000 et 2019, 18 pays africains ont fait leur entrée sur les marchés internationaux des capitaux,
émettant au total plus de 155 milliards d’USD en euro-obligations16. Ces nouveaux instruments de
dette sont le plus souvent assortis d’échéances de remboursement plus courtes et de taux d’intérêt
plus élevés. Il en résulte que les dépenses d’intérêts par rapport aux revenus ont plus que doublé
entre 2010-201917. De plus, les pays contractent de plus en plus de dettes garanties et on observe
un accroissement de l’endettement des entreprises publiques, ce qui augmente davantage les
risques éventuels y afférents.

La pandémie de la COVID-19 a engendré une hausse des niveaux d’endettement de 10 à 15 %,


les niveaux d’endettement moyens ayant récemment dépassé 70 % du PIB18. La survenue de la
pandémie a fait exploser les besoins de financement des pays africains, alors que les recettes
fiscales et les recettes d’exportation se sont asséchées. La chute initiale des cours des matières
premières a eu un impact considérable sur les recettes publiques en Afrique également, où au
moins trois quarts des économies tirent plus de 70 % de leurs recettes d’exportation des matières
premières19. De nombreux pays disposent d’une très faible marge de manœuvre budgétaire et ont
eu du mal à générer des recettes intérieures suffisantes, même dans les périodes fastes. En Afrique,
la moyenne des revenus en termes de PIB est inférieure à 17 %, soit la moyenne régionale la plus
basse au monde et 50 % de moins que la moyenne de 34 % de l’OCDE20.

La crise a propulsé les besoins bruts de financement en termes de PIB au-dessus du seuil critique
de 15 % pour la plupart des pays et au-delà de 30 % du PIB en Somalie, au Soudan, à Maurice et en
Tunisie21. Dans toute l’Afrique, les déficits budgétaires ont doublé en 2020, dépassant plus de 8 %
du PIB22. Les besoins immédiats de santé publique et de dépenses de relance, combinés à une chute
drastique des recettes fiscales consécutive au ralentissement économique mondial, ont exercé une
pression extérieure intenable sur les pays à faible revenu, qui peinent désormais à honorer leurs
échéances de paiement des intérêts. En 2020, les paiements au titre du remboursement de la dette
extérieure représentaient plus de 14 % des recettes publiques dans plus de 20 pays africains, et ce
pourcentage était supérieur à 30 % dans cinq de ces pays23.

En l’absence de solution, cette situation aurait pu déboucher sur un enchaînement généralisé de


défauts de paiement, amplifiant davantage l’urgence du problème et mettant à mal les efforts de
relance. Dans le même temps, les menaces qui pèsent sur le climat et la biodiversité ont enfin
suscité un début d’attention de la part de la communauté internationale qui aurait dû s’y attarder
15
BAD. (2021). « Perspectives économiques en Afrique 2021 : De la résolution de la dette à la croissance : une feuille de route pour l’Afrique ».
16
Ibid.
17
Ibid.
18
Ibid.
19
UNCTAD. (September 2021). “More than 100 countries depend on commodity exports”. https://unctad.org/news/more-100-countries-depend-commodity-exports
20
OCDE/ATAF/CUA. (2021). « Statistiques des recettes publiques en Afrique 2021 ». https://www.oecd.org/fr/ctp/revenue-statistics-in-africa-2617653x.htm
21
BAD. (2021). « Perspectives économiques en Afrique 2021 : De la résolution de la dette à la croissance : une feuille de route pour l’Afrique ».
22
BAD. (2021). « Perspectives économiques en Afrique 2021 : De la résolution de la dette à la croissance : une feuille de route pour l’Afrique ».
23
OCDE/ATAF/CUA. (2021). « Statistiques des recettes publiques en Afrique 2021 ». https://www.oecd.org/fr/ctp/revenue-statistics-in-africa-2617653x.htm
16 Échanges dette-nature: Faisabilité et pertinence stratégique pour le secteur des ressources naturelles en Afrique.

depuis longtemps, mais les efforts déployés pour enrayer ces menaces existentielles sont fortement
entravés par l’impasse croissante de la dette.

L’initiative de suspension du service de la dette (ISSD) du Groupe des Vingt (G20) a donc permis de
dégager des liquidités pour aider les pays éligibles à l’Association internationale de développement
(IDA) à faire face à leurs besoins accrus de dépenses. De même, l’augmentation des concours
du secteur officiel a permis de combler les déficits de financement afin que les pays émergents
et en développement puissent poursuivre la lutte contre la crise de santé publique. La BAD a en
outre approuvé un total de 30 opérations de prêts aux gouvernements à hauteur de 3,8 milliards
d’USD pour répondre aux besoins de liquidités de leurs PMR. Même si ces initiatives ont permis
d’éviter un enchaînement généralisé de défauts de paiement au plus fort de la pandémie, elles ont
aussi alourdi les échéanciers de paiement du service de la dette à une période marquée par un
ralentissement de la croissance économique, une diminution des recettes et un gonflement des
besoins en dépenses publiques, autant de signes précurseurs d’un effritement de la viabilité de la
dette à moyen et long termes.

Pour pallier cette fragilité, le Cadre commun du G20 pour les traitements des dettes au-delà de
l’ISSD propose aux pays exposés au surendettement une solution structurée de renégociation
de l’ensemble de leur dette extérieure. En dépit des inquiétudes quant à la viabilité à long terme
de la dette, ces pays semblent peu enclins à s’engager dans cette voie. A ce jour, seuls le Tchad,
l’Éthiopie et la Zambie ont sollicité la restructuration au titre du Cadre commun, et en octobre 2021,
15 des 38 pays africains dont les analyses de viabilité de la dette sont disponibles restent exposés
à un risque élevé de surendettement.

Bien qu’il existe peu de précédents sur les spécificités de ce processus, le recours par un pays à ce
cadre commun pourrait avoir une incidence négative sur sa note de crédit. Même si à peine 60 %
des pays africains sont actuellement notés, un certain nombre de dispositions du Cadre commun
entraînent des répercussions sur les perspectives actuelles et futures d’accès aux marchés financiers
internationaux. Contrairement à l’ISSD, le Cadre commun considère qu’un traitement similaire de la
dette envers le secteur privé est une nécessité absolue. Loin d’être une garantie contre des pertes
considérables, tout rééchelonnement constitue en soi une renégociation des conditions de la dette,
qui pourrait bien être considérée comme un motif de de révision à la baisse de la note de crédit.

Du fait de l’augmentation des emprunts et des répercussions économiques de la pandémie, les


paiements au titre du service de la dette devraient augmenter de 1 % du PIB dans les pays à revenu
faible à moyen et de 0,6 % du PIB dans les pays à revenu faible en 2021-2524. Au Cabo Verde,
en Tunisie, en Mauritanie et au Sénégal, les paiements annuels du service de la dette devraient
excéder 3,5 % du PIB au cours de la même période25.

Au même moment, la communauté internationale met de plus en plus l’accent sur l’urgente
nécessité de s’attaquer résolument aux menaces que posent le changement climatique et la perte de

OCDE/ATAF/CUA. (2021). « Statistiques des recettes publiques en Afrique 2021 ». https://www.oecd.org/fr/ctp/revenue-statistics-in-africa-2617653x.htm


24

Ibid.
25
17 Échanges dette-nature: Faisabilité et pertinence stratégique pour le secteur des ressources naturelles en Afrique.

biodiversité. Nombre de pays africains se retrouvent aux premières lignes de ces crises et subissent
de plein fouet leur impact, bien plus que dans d’autres régions du monde. Cette forte vulnérabilité
justifie l’urgence de dépenses en faveur de la conservation et de l’écologie, mais la pandémie a fait
reléguer cette préoccupation au second plan, au profit de dépenses de santé publique pour enrayer
la crise immédiate. En d’autres termes, l’augmentation des dépenses sociales et de santé en raison
de la pandémie a amplifié le manque déjà criard de financements pour des actions urgentes en
faveur du climat et de la nature.

La solution consiste donc à aborder les trois problématiques - dette, climat et nature - au moyen d’une
stratégie globale et holistique. Des innovations récentes ont donné lieu à une variété d’approches
pour parer à ces menaces prises ensemble, et les échanges dette-climat/nature sont considérés
comme une méthode éprouvée et efficace. Si pendant de nombreuses années il n’a pas connu de
véritable essor, le mouvement de « relance verte » a le mérite d’avoir suscité des initiatives à l’effet
d’en accroître l’impact, tant sur l’économie que sur l’environnement. Pour autant, même à petite
échelle, les échanges de dettes contribuent efficacement à répondre aux besoins de financement
immédiats des efforts de conservation et d’adaptation au climat. Qu’il s’agisse de réaffecter au
financement des projets verts les fonds initialement destinés au paiement des intérêts à court terme
ou encore d’échanger une grande partie de la dette dans le cadre d’une vaste restructuration, les
opérations de conversion de la dette offrent la possibilité de répondre aux besoins en matière de
vulnérabilité climatique grâce à un large éventail de résultats budgétaires. La présente étude porte
sur la faisabilité de ces solutions pour les économies africaines et sur la manière dont la BAD peut
jouer un rôle clé dans la facilitation de ces opérations.

2.1. Tendances et évolutions au plan mondial

L’Initiative de suspension du service de la dette (ISSD) du G20

À la fin du mois de mars 2020, les hauts dirigeants de la Banque mondiale et du FMI ont publié une
déclaration commune appelant « tous les créanciers bilatéraux officiels à suspendre les paiements
de la dette des pays IDA qui demandent un sursis ». De même, dans un communiqué officiel,
les ministres africains des Finances ont manifesté leur adhésion à la proposition de la Banque
mondiale et du FMI et ont sollicité du G20 le « déblocage urgent et immédiat » de 100 milliards
d’USD destinés à renforcer les infrastructures sanitaires fragiles et à venir en aide aux populations
les plus vulnérables - dont 44 milliards d’USD pour l’allègement de la dette de tous les pays du
continent et 55 milliards d’USD supplémentaires pour la « reconstruction » en 202126.

En avril 2020, le G20 et les créanciers du Club de Paris ont consenti à une suspension temporaire
du service de la dette pour tous les pays éligibles aux prêts concessionnels de l’IDA et pour tous
les membres des pays les moins avancés de l’ONU. La condition requise des pays pour pouvoir
26
CEA. (Mars 2020). « Communiqué - Les ministres africains des finances lancent un appel immédiat à la mobilisation d’une aide d’un montant de 100 milliards d’USD
et conviennent que la crise est profonde et que la reprise prendra beaucoup plus de temps ». https://archive.uneca.org/fr/stories/communiqu%C3%A9-les-minis-
tres-africains-des-finances-lancent-un-appel-imm%C3%A9diat-%C3%A0-la-mobilisation
18 Échanges dette-nature: Faisabilité et pertinence stratégique pour le secteur des ressources naturelles en Afrique.

bénéficier de l’initiative était d’être sous accord de financement avec le FMI, ou d’avoir introduit
une demande à cet effet (y compris pour un financement d’urgence). Une fois la demande de
financement faite, les pays étaient admis à l’ISSD même avec un niveau d’endettement insoutenable,
qui les aurait en principe exclus des concours du FMI. Au titre de l’ISSD, les pays éligibles ont été
autorisés à solliciter de leurs créanciers bilatéraux officiels un sursis temporaire sur le service de
leur dette. Le sursis qui devait initialement expirer à la fin de 2020 a été prolongé jusqu’à la fin de
2021. En échange de leur participation à l’ISSD, les pays se sont engagés à consacrer les fonds
ainsi libérés à des dépenses sociales, sanitaires et économiques en réponse à la pandémie, à
divulguer les dépenses et les dettes du secteur public et à limiter leurs emprunts non concessionnels
conformément aux niveaux convenus dans les politiques d’endettement soutenable appliquées par
le FMI et la Banque mondiale. Pour une première fois, la Chine s’est impliquée dans une initiative
multilatérale d’allègement de la dette, posant ainsi les jalons de sa future participation future au
Cadre commun (voir ci-dessous). L’ISSD ne consiste pas en une remise de dette, et tous les pays
bénéficiaires devront rembourser les montants différés sur une période de quatre ans, sur la base
d’une valeur actuelle nette (VAN) neutre. Les créanciers du secteur privé n’étaient pas tenus de
s’associer à l’initiative, et aucun ne l’a fait selon toute vraisemblance, à l’exception d’un organisme
de prêt officiel chinois qui y a participé en qualité de créancier commercial. De même, les créanciers
multilatéraux ont été exclus afin de préserver leur notation AAA.

Au total, 73 pays à revenu faible ou intermédiaire ont été jugés éligibles, dont 32 d’Afrique. Selon les
estimations préliminaires du G20, entre mai 2020 et décembre 2021, 50 pays ont pu bénéficier d’un
report d’environ 12,9 milliards d’USD de service de la dette au titre de cette initiative27. Alors que les
premières projections situaient à 5,5 milliards d’USD les économies que les pays africains pouvaient
dégager du service de la dette entre mai et décembre 2020, le montant total effectivement réalisé
pour l’année 2020 ne s’élevait qu’à 1,8 milliard d’USD28. Au cours des six premiers mois de 2021,
les économies potentielles pour la région sont estimées à 4,3 milliards d’USD, soit environ 0,4 %
du PIB en moyenne.

L’initiative a certes permis de réaliser des économies temporaires sur le service de la dette au plus
fort de la pandémie, mais les premières échéances de ces paiements différés seront dues en 2023,
à l’expiration du sursis. En d’autres termes, au cours des prochaines années, le service de la dette
sera en réalité plus élevé qu’il ne l’aurait été autrement, car les pays doivent désormais assurer le
service de cette dette rééchelonnée en plus de celui de leur dette ordinaire pour cette période.

Cadre commun du G20

En novembre 2020, les créanciers du Club de Paris et le G20 ont annoncé un accord sur un « Cadre
commun pour le traitement de la dette au-delà de l’ISSD » (ou Cadre commun), qui établit un cadre
27
Réunion des ministres des finances du G20 et des gouverneurs des banques centrales. (Février 2022). « Communiqué ». Jakarta, Indonésie. https://www.bi.go.id/
fr/G20/Documents/G20-Communique.pdf
28
Fuje, H., Ouattara, F., and Tiffin, A. (August, 2021). “Has the DSSI Helped Lower Sovereign Spreads of Participating SSA Countries?” International Monetary Fund.
Washington, DC.
19 Échanges dette-nature: Faisabilité et pertinence stratégique pour le secteur des ressources naturelles en Afrique.

multilatéral pour le traitement de la dette des pays éligibles à l’ISSD. Contrairement à l’ISSD, le
cadre commun est assorti de conditionnalités et prévoit un traitement global de la dette publique
et privée. Il reprend certains des principes habituels du Club de Paris, tels que le traitement au cas
par cas et la comparabilité de traitement, assurant ainsi une large participation des créanciers - y
compris les nouveaux créanciers bilatéraux comme la Chine et l’Inde, ainsi que le secteur privé.
En outre, le cadre devra s’appuyer sur l’analyse de viabilité de la dette réalisée par le FMI pour
déterminer l’enveloppe de restructuration à allouer. Les pays admissibles sont également tenus de
solliciter leur placement sous le programme de la tranche supérieure de crédit du FMI.

Jusqu’à présent, seuls trois pays ont demandé à bénéficier du traitement au titre du cadre commun
- le Tchad, l’Éthiopie et la Zambie - mais sans connaître de véritable avancée. Selon le directeur
général du FMI, dans une publication de décembre 2021 sur son blog, le déploiement de cette
initiative s’est heurté à de multiples problèmes de coordination, notamment entre les différentes
institutions et agences gouvernementales des nouveaux pays créanciers29. En outre, le Tchad
a été confronté à des retards de la part des créanciers privés en raison de la complexité de la
restructuration de la dette garantie détenue par une entité commerciale et partiellement syndiquée
auprès d’un pool élargi de banques et de gestionnaires d’actifs. Tout comme d’autres dettes non
obligataires, les obligations garanties ne comportent pas de clauses d’action collective et requièrent
donc le consentement de tous les créanciers et prêteurs pour toute modification des termes du
contrat.

Compte tenu des retards enregistrés dans la mise en œuvre, le FMI a aussi appelé à des réformes
du cadre commun, de manière notamment à « clarifier les différentes étapes et échéances du
processus lié au cadre commun »30; à mieux préciser les modalités d’application du principe de
traitement comparable; et l’étendre à d’autres pays fortement endettés.

Le plan d’action de l’Union africaine pour la relance verte 2021-2027

En juillet 2021, l’Union africaine a dévoilé un plan continental sur cinq ans consacré à la fois à la
relance post -COVID-19 et à la lutte contre le changement climatique. Le « Plan d’action pour la
relance verte » se concentre sur cinq domaines prioritaires, notamment le financement climatique
; les énergies renouvelables ; les solutions basées sur la nature avec un accent sur la biodiversité
grâce à des actions de gestion durable des terres, des forêts, des océans et de l’écotourisme ;
l’agriculture résiliente ; et les villes vertes et résilientes31. Le plan vise à renforcer la collaboration
entre les États membres, à galvaniser le soutien des partenaires internationaux et à introduire des
innovations sous la forme d’opérations de dettes dites vertes ou bleues. Des innovations telles
que celles exposées ci-dessous peuvent s’avérer idéales comme méthodes de facilitation de ce
soutien.

29
Georgieva, K. et Pazarbasioglu, C. (Décembre 2021). « Le cadre commun du G20 pour les traitements de dette doit passer à la vitesse supérieure ». https://www.
imf.org/fr/Blogs/Articles/2021/12/02/blog120221the-g20-common-framework-for-debt-treatments-must-be-stepped-up
30
Ibid
31
Union africaine. (2021). « Plan d’action de l’Union africaine pour la relance verte ». Addis Abeba, Éthiopie.
https://au.int/sites/default/files/documents/40790-doc-AU_Green_Recovery_Action_Plan_FRENCH1.pdf
20 Échanges dette-nature: Faisabilité et pertinence stratégique pour le secteur des ressources naturelles en Afrique.

Allocation de droits de tirage spéciaux par le FMI

En août 2021, le conseil des gouverneurs du Fonds monétaire international (FMI) a approuvé une
allocation de droits de tirage spéciaux (DTS) équivalente à 650 milliards d’USD, destinée à renforcer
les réserves des pays et à consolider les amortisseurs externes.

Bien qu’il s’agisse de la plus importante opération de ce type jamais accordée, les premières
retombées pour les pays ont été inégales, seuls 21 milliards d’USD ayant été alloués aux pays à
faible revenu. Un groupe de pays développés s’est engagé à verser environ 45  milliards d’USD
de contributions volontaires en DTS aux pays à faible revenu, et des efforts sont actuellement
déployés pour porter ce chiffre à 100 milliards d’USD. En octobre 2022, le FMI prévoit de rendre
opérationnel le fonds fiduciaire pour la résilience et la viabilité nouvellement créé, avec pour mission
d’octroyer des financements à long terme aux pays à faible revenu, aux petits États insulaires en
développement et aux pays à revenu intermédiaire vulnérables pour combler le déficit de leur
balance de paiement, qui s’est accentué du fait de la pandémie et du changement climatique. Un
groupe de ministres africains des finances a plaidé en faveur de la rétrocession des DTS à hauteur
de 20 à 35  % en vue de financer un mécanisme pour l’accès aux vaccins, un Fonds fiduciaire
pour la réduction de la pauvreté et pour la croissance, un Fonds fiduciaire pour la résilience et
la soutenabilité et accompagner les banques régionales de développement et multilatérales
dans leur réponse à la pandémie32. La Banque africaine de développement (BAD) milite en faveur
de l’allocation des DTS du FMI par son truchement et celui d’autres banques multilatérales de
développement, qui pourraient ensuite être mises à contribution pour octroyer des capitaux et les
financements supplémentaires aux banques, et des prêts concessionnels aux pays, ceux d’Afrique
en particulier33.

Actions et initiatives de la Banque africaine de développement en matière de gestion de la


dette

Même si les initiatives d’allègement de la dette ont permis d’éviter un enchaînement généralisé
de défauts de paiement au plus fort de la pandémie, il faut reconnaître qu’elles ont aussi alourdi
les échéanciers de paiement du service de la dette à une période marquée par un ralentissement
de la croissance économique, une diminution des recettes et un gonflement des besoins en
dépenses publiques, autant de signes précurseurs d’un effritement de la viabilité de la dette à
moyen et long termes. Deuxièmement, les expériences passées ont également révélé que les
initiatives d’allègement de la dette n’ont pas toujours produit les résultats escomptés en matière de
croissance et de gouvernance, mais ont au contraire laissé des pays non réformés et incapables de
sortir de l’endettement. Troisièmement, le manque d’implication du secteur privé dans le « Cadre
commun » a restreint l’initiative, actuellement circonscrite aux prêts officiels de gouvernement à
gouvernement.
32
AllAfrica. (Octobre, 2021). « Afrique : Déclaration des ministres africains des finances et de l’économie sur le FMI » https://allafrica.com/stories/202110010999.
html
33
https://www.afdb.org/fr/news-and-events/press-releases/les-gouverneurs-de-la-banque-africaine-de-developpement-demandent-instamment-que-les-droits-
de-tirage-speciaux-du-fmi-soient-achemines-par-lintermediaire-des-banques-multilaterales-de-developpement-51917
21 Échanges dette-nature: Faisabilité et pertinence stratégique pour le secteur des ressources naturelles en Afrique.

Il est donc évident qu’au-delà des initiatives d’allègement de la dette, les pays africains doivent
accélérer les réformes de gouvernance et améliorer la gestion de leurs finances publiques. Pour
y parvenir, il est nécessaire de mettre en place des institutions budgétaires solides, capables de
mobiliser efficacement les ressources nationales, de gérer les dépenses publiques et la dette et
d’établir un budget solide. En outre, le renforcement du lien entre la dette, la croissance et la
gouvernance permettrait de maximiser les dividendes de croissance des investissements publics
financés par la dette. Enfin, les pays doivent améliorer la transparence sur la dette, notamment les
statistiques et rapports y afférents, ainsi que la couverture de la dette des entreprises publiques.

La Banque est activement engagée dans plusieurs programmes d’assistance technique et de


développement des capacités pour renforcer la gestion de la dette en Afrique dans le cadre de
sa stratégie de gouvernance économique couvrant la période 2021-2025. Il s’agit notamment de
l’octroi de subventions aux structures en charge de la gestion de la dette dans les pays pour
aider à financer des projets de renforcement des capacités nationales et infranationales à travers
le Fonds d’assistance technique aux pays à revenu intermédiaire. La Banque aide également les
PMR à améliorer leur politique fiscale, leurs systèmes d’administration fiscale, leurs systèmes
informatiques et leurs capacités en matière de contrôle fiscal. Ces mesures visent à renforcer les
capacités de mobilisation des ressources intérieures des pays africains et à les aider dans leurs
efforts de réduction de leur endettement.

Par l’intermédiaire du Fonds d’affectation multidonateurs de la Facilité de gestion de la dette (FGD),


la Banque aide les PMR à renforcer leurs capacités en matière d’allègement et de processus de
restructuration de la dette. En tant que partie prenante clé de la FGD, elle a contribué à hauteur
de 1 million d’USD aux FGD I et II et a signé en février 2020 l’accord administratif en vue de la
FGD III devant s’étaler sur cinq ans. En outre, en juillet 2020 la Banque a promis et versé 1 million
d’USD à la FGD III pour la fourniture de services de conseils personnalisés sur la gestion de la dette
souveraine à travers la conception et l’application d’outils analytiques, les services de conseils sur
mesure et d’appui à la mise en œuvre, la formation, les webinaires et l’apprentissage par les pairs
sur la dette.

Le Groupe de la Banque africaine de développement a octroyé des financements concessionnels


à 37 pays africains par le biais de son guichet du Fonds africain de développement (FAD). Lors
de la quatorzième reconstitution des ressources (FAD-14), le Fonds a investi plus de 45 milliards
d’USD dans divers projets et programmes. Pour la période opérationnelle triennale du FAD-15
(2020-2022), 5,62 milliards d’UC, soit environ 7,8 milliards d’USD, ont été annoncés par les pays
contributeurs. À cet égard, le Fonds a aidé à atteindre les objectifs des cinq grandes priorités de la
Banque. Les investissements consentis par le FAD aident également à renforcer la résilience et à
se relever de la pandémie dans un contexte de vulnérabilité croissante de la dette. La reconstitution
en cours du FAD-16 sur la période 2023-2025 sera une autre action déterminante pour soutenir les
pays africains.

La Banque milite en faveur de la création d’un Mécanisme africain de stabilité financière (MASF) dont
la mission sera de renforcer le cadre de résolution des crises de la dette et garantir des résolutions
22 Échanges dette-nature: Faisabilité et pertinence stratégique pour le secteur des ressources naturelles en Afrique.

plus rapides et à moindres coûts pour les débiteurs, les créanciers et la population. La création du
MASF devrait être une priorité de l’agenda et faire l’objet d’une procédure accélérée, en s’appuyant
sur l’expérience de mécanismes similaires et d’autres institutions telles que le Mécanisme européen
de stabilité, le Fonds monétaire arabe ou le Fonds de réserve pour l’Amérique latine. Le MASF
ainsi créée permettra de mutualiser les fonds de l’Afrique et d’éviter les effets de débordement qui
résultent des pandémies mondiales ou de tout autre choc externe.

La Facilité africaine de soutien juridique (ALSF) mise en place par la Banque est une autre initiative
transformatrice en matière d’allègement et de restructuration de la dette en Afrique. Elle fournit
aux PMR divers conseils relatifs à la dette publique sur des aspects tels que l’allègement, la
restructuration et le refinancement de la dette. Parmi les récentes interventions de l’ALSF dans les
pays en transition, on peut citer : i) l’aide à la Guinée-Bissau dans les négociations en vue d’une
importante remise de dette privée, ce qui a permis de réduire ses obligations de 50 millions d’USD
à 5  millions d’USD; ii) l’appui à la Gambie dans la restructuration de sa dette commerciale, la
réalisation d’une analyse de viabilité de la dette (AVD) et l’élaboration d’une stratégie de gestion de
la dette à moyen terme (SGDMT) ; et iii) une assistance à la Somalie dans ses négociations avec le
Club de Paris, ce qui a permis au pays d’obtenir un allègement de sa dette à hauteur de 1,4 milliard
d’USD et de se rapprocher du point d’achèvement de l’initiative PPTE.

Le Plan d’action sur la dette (PAD) (2021-2023) de la BAD : En tant que première institution financière
de développement d’Afrique, la Banque joue un rôle essentiel dans la lutte contre les vulnérabilités
liées à la dette sur le continent. Fort de ce rôle stratégique sur le continent, la Banque coordonne
plusieurs initiatives mondiales d’agences multilatérales de développement visant à aider les pays
africains à surmonter les vulnérabilités liées à la dette et à se reconstruire en mieux et en plus
fort, tout en se remettant des répercussions socio-économiques de la pandémie de la COVID-19.
Dans le cadre de son Plan d’action sur la dette (PAD) (2021-2023), la Banque a défini des actions
spécifiques pour remédier aux tensions budgétaires et à l’endettement des pays membres régionaux,
reconstruire leurs économies et revenir à une trajectoire de développement vert, résilient et inclusif.
Le PAD est assorti de quatre objectifs stratégiques visant à « mettre la dette au service de l’Afrique
», à savoir : i) engager un dialogue politique de haut niveau sur la viabilité de la dette aux niveaux
national, régional, continental et mondial ; ii) accroître le niveau de financement du développement
à faible coût et à faible risque, tout en promouvant une accumulation de dette qui soit soutenable
; iii) renforcer la capacité des pays africains à gérer leur dette publique de manière productive et
transparente ; et iv) aider les PMR déjà en situation de surendettement ou de crise de la dette à
trouver des solutions. Dans cette optique, la Banque préconise des mécanismes de financement
innovants destinés à aider les pays à réduire leur dépendance vis-à-vis de la dette extérieure et à
renforcer leur résilience. Les interventions spécifiques de la Banque consistent notamment en des
stratégies de financement adaptées aux pays en proie à des problèmes de sécurité (obligations
indexées sur la sécurité), aux pays riches en ressources naturelles (prêts adossés aux ressources
naturelles) et d’aide aux pays confrontés à des problèmes de climat et de biodiversité (échanges
dette - climat/nature). Les échanges dette-climat/nature sont des instruments créés dans les années
23 Échanges dette-nature: Faisabilité et pertinence stratégique pour le secteur des ressources naturelles en Afrique.

1980 et 1990, en vertu desquels la remise de la dette était subordonnée à des investissements en
faveur de la reforestation, de la biodiversité et de la protection des peuples autochtones. La Banque
travaillera en concertation et s’engagera avec des partenaires internationaux pour faciliter le partage
de connaissances et d’expériences en vue de la préparation d’accords et l’élaboration de stratégies
pour la mise en œuvre de ce type d’échanges de dettes dans certains pays. Plusieurs pays africains
ont déjà conclu des accords d’échange dette-nature avec des créanciers commerciaux et bilatéraux,
notamment le Cameroun (avec la France), Madagascar (avec des banques commerciales, la France
et l’Allemagne), le Mozambique (avec la France), la Tanzanie (avec des banques commerciales et la
Russie) et la Zambie (avec des institutions commerciales).
24 Échanges dette-nature: Faisabilité et pertinence stratégique pour le secteur des ressources naturelles en Afrique.

CHAPITRE 3

Échanges et conversions dette-nature

L
es échanges dette-nature (échanges ou swaps DFN), parfois appelés conversions dette-
nature, sont un moyen de transfert efficace de richesses vers les pays à revenu faible ou
intermédiaire pour permettre à ces derniers de financer leurs efforts de conservation au
plan national. Ces échanges sont très probablement la méthode la plus ancienne qui allie la dette
souveraine aux résultats environnementaux. D’autres formes de transactions de dette liées au
climat et à la nature sont décrites et examinées dans le présent document, mais l’analyse porte
essentiellement sur les échanges dette-nature.

La structure de base d’un échange DFN consiste en l’annulation d’une partie de la dette souveraine
d’un pays contre des engagements de conservation. Ceux-ci se traduisent généralement par la
création d’un fonds de conservation financé et géré localement, mais peuvent également impliquer
des engagements politiques de haut niveau. Cette remise de dette peut résulter d’un accord
bilatéral entre le débiteur et le créancier, ou d’un accord multipartite dans lequel la dette existante
est rachetée moyennant une décote par une ou plusieurs entités philanthropiques et une partie des
économies réalisées est réaffectée aux efforts de conservation (voir ci-dessous Mécanismes d’un
échange de dette). Ainsi, toutes les parties tirent avantage de l’opération, y compris les créanciers
initiaux dans le cas d’un échange multipartite, et la structure est suffisamment souple pour être
utilisée conjointement à d’autres formes d’opérations de dette liées au climat et à la nature.

3.1 Historique des échanges dette-nature


Le concept de remise de dette contre des résultats environnementaux a été inventé par Thomas
Lovejoy du WWF, et la première opération réussie d’échange dette-nature a été réalisée pour
la Bolivie en 1987, avec l’aide de Conservation International (CI). Le concept avait pour objectif
général de permettre un meilleur contrôle de l’exploitation des ressources naturelles sans pour
autant faire fi des besoins économiques des pays en développement. L’atteinte de cet objectif
devait se faire par la remise de la dette pour pouvoir orienter les dépenses nationales sur les actions
de conservation, chose peu envisageable outre mesure dans les pays en développement en raison
des contraintes budgétaires.
dans le cas d’un échange multipartite, et la structure est
le pour être utilisée conjointement à d’autres formes d’opérations
mat et à la nature.

ue des 25échanges dette-natureÉchanges dette-nature: Faisabilité et pertinence stratégique pour le secteur des ressources naturelles en Afrique.

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actions de 2018); USAID, Kamel and Tooma, 2005; Cassimon, Essers,
ose peu and Fauzi, 2014; PROFONANPE, Egolf, 2001; TNC

20 de ce modèle, le gouvernement des États-Unis l’adopté pour aider


Peu après l’introduction
à résoudre la crise de la dette en Amérique latine. Des ONG internationales de premier plan
servaient d’intermédiaires grâce aux financements des donateurs, rachetant la dette à un prix bien
inférieur à sa valeur nominale réelle en échange de la mise en place par le pays débiteur d’un
fonds environnemental destiné à financer des projets de conservation locaux. L’introduction des
échanges bilatéraux dans les années 1990 a abouti à une annulation volontaire par les créanciers
officiels d’une partie de la dette contre des engagements similaires de la part des pays débiteurs
en faveur de l’environnement. Toutefois, depuis la fin des années 1990, le volume de la dette
annulée dans le cadre d’opérations d’échange, et notamment multipartites, a fortement diminué.
Cette situation, loin de traduire un effritement de l’intérêt pour la conservation de la nature, est
plutôt consécutive à l’avènement d’autres sources d’allègement de la dette, telles que l’initiative
PPTE. Face à une option de remise définitive d’une grande partie de sa dette extérieure, un pays
très endetté sera plus enclin à laisser de côté les autres solutions qui lui sont offertes, même si elles
visent des objectifs de conservation de l’environnement.

Par ailleurs, des enseignements pratiques peuvent être tirés des précédentes opérations d’échange
de dette. Par exemple, la simplification de la procédure de décaissement est essentielle à la réussite
de tout programme de subventions libellées en devises, en particulier dans un environnement
26 Échanges dette-nature: Faisabilité et pertinence stratégique pour le secteur des ressources naturelles en Afrique.

inflationniste34. En l’absence d’objectifs environnementaux clairement définis et d’une procédure


diligente d’approbation, les fonds de contrepartie locaux destinés à financer la transaction sont
exposés à un risque de dépréciation rapide, ce qui réduirait l’impact de l’échange35. En outre, même
s’ils n’ont pas permis d’alléger de manière significative la dette sur le long terme, ces premiers
échanges de dette ont tout de même eu un impact notable sur l’environnement. Par exemple,
l’échange conclu entre la France et le Cameroun en 2006 a dégagé un montant de 25  millions
d’USD sur cinq ans consacré à la protection d’une partie de la forêt tropicale du bassin du Congo36.
Dans l’ensemble de l’Afrique, les échanges de dette ont généré plus de 135 millions d’USD pour
le financement de la conservation et d’autres projets environnementaux (voir Tableau 1). Même si
ces montants sont relativement faibles en termes de marge de manœuvre budgétaire, ils ont permis
de financer de manière significative des projets de conservation pour lesquels le gouvernement
bénéficiaire n’aurait peut-être pas été en mesure de mobiliser les fonds nécessaires. En substance,
les échanges dette-nature réorientent les fonds publics du service de la dette vers des initiatives de
protection de l’environnement, et parfois aussi vers d’autres projets de développement.

TABLEAU 1:

Récapitulatif des échanges dette-nature dans les pays africains montants en USD)

Pays Année Type Valeur nominale de la dette Montant alloué à Prix de rachat
traitée l’environnement

Madagascar 1989 Multipartite 2 111 112 2 111 112 950 000
Zambie 1989 Multipartite 2 271 112 2 044 001 454 222
Madagascar 1990 Multipartite 919 364 919 364 445 891
Madagascar 1991 Multipartite 119 000 119 000 59 000
Nigeria 1991 Multipartite 149 000 93 000 65 000
Égypte 1992 Bilatéral 0 11 600 000 N/A
Ghana 1992 Multipartite 1 000 000 1 000 000 250 000
Tunisie 1992 Bilatéral 1 342 000 1 342 000 N/A
Égypte 1993 Bilatéral 17 300 000 0 N/A
Égypte 1993 Bilatéral 6 200 000 0 N/A
Madagascar 1993 Multipartite 3 200 000 3 200 000 1 500 000
Madagascar 1993 Multipartite 3 735 000 1 867 500 1 818 824
Madagascar 1993 Multipartite 725 000 725 000 362 500
Nigeria 1993 Bilatéral 7 300 000 0 N/A
Nigeria 1993 Bilatéral 10 200 000 0 N/A
Tanzanie 1993 Bilatéral 15 400 000 15 400 000 N/A
Tanzanie 1993 Bilatéral 25 600 000 190 000 N/A
Tunisie 1993 Bilatéral 477 300 477 300 N/A
Madagascar 1994 Multipartite 1 340 469 1 072 376 N/A

34
Moye, M. and Paddack J. (2003). “Madagascar’s Experience with Swapping Debt for the Environment: Debt-for-Nature Swaps and Heavily Indebted Poor Country
(HIPC) Debt Relief”. WWF. https://www.cbd.int/financial/debtnature/madagascar-debtdev.pdf
35
Ibid.
36
WWF. (June, 2006). “Debt-for-Nature Swap Protects Forest in Cameroon”. https://news.mongabay.com/2006/06/debt-for-nature-swap-protects-forest-in-camer-
oon/
27 Échanges dette-nature: Faisabilité et pertinence stratégique pour le secteur des ressources naturelles en Afrique.

TABLEAU 1:

Récapitulatif des échanges dette-nature dans les pays africains montants en USD)

Pays Année Type Valeur nominale de la dette Montant alloué à Prix de rachat
traitée l’environnement

Madagascar 1994 Multipartite 200 000 160 000 50 000
Zambie 1994 Multipartite 985 986 162 687 108 458
Égypte 1995 Bilatéral 121 000 000 18 000 000 N/A
Guinée-Bissau 1995 Bilatéral 8 400 000 400 000 N/A
Madagascar 1996 Multipartite 2 000 000 1 500 000 N/A
Ghana 2000 Multipartite 120 000 120 000 104 000
Égypte 2001 Bilatéral 7 450 000 7 450 000 N/A
Madagascar 2003 Bilatéral 25 092 000 14 843 000 N/A
Botswana 2006 Bilatéral 8 300 000 10 000 000 N/A
Cameroun 2006 Bilatéral 0 25 000 000 N/A
Mozambique 2014 Bilatéral 0 7 536 020 N/A
Mozambique 2015 Bilatéral 15 779 733 1 803 398 N/A
Seychelles 2015 Multipartite 29 600 000 6 600 000 28 000 000
TOTAL 318 317 076 135 735 758 34 167 895

Sources: WWF, Congressional Research Service37, USAID, TNC, Kamel and Tooma38

Depuis la COP20 en 2012, les échanges dette-nature ont connu un regain d’intérêt, aussi bien
auprès des débiteurs que des créanciers. Plus récemment, la COP26 et la dynamique internationale
suscitée en faveur d’une « relance verte » ont motivé les analystes et les décideurs politiques du
monde entier à rechercher des moyens innovants pour financer la conservation et l’atténuation du
changement climatique dans les pays dont la dette est onéreuse (voir ci-dessous « Instruments
liés au développement durable »). À titre d’exemple, en 2021, The Nature Conservancy (TNC), un
autre pionnier en matière d’échanges dette-nature, a facilité une opération d’échange de dette
commerciale au profit du Belize, qui a eu un fort impact positif sur la viabilité de la dette du pays,
devenant ainsi la toute première opération d’échange dette commerciale-nature de cette ampleur
(voir Figure 2).

Le succès de l’échange des obligations bleues du Belize en faveur de la conservation des océans
a démontré la faisabilité d’un échange dette-nature à grande échelle, et donc la possibilité de
répliquer ce modèle dans d’autres régions du monde. Bien qu’un tel traitement radical de la dette ne
soit pas nécessaire pour un échange réussi avec un impact positif sur l’environnement, la réduction
du fardeau de la dette peut comporter des avantages supplémentaires à plus long terme. Bien
conçu, il peut permettre à un pays de disposer d’une plus grande marge de manœuvre dans ses
futurs choix budgétaires, augmentant ainsi sa capacité à répondre aux besoins environnementaux
à l’avenir sans avoir à supporter le poids de restructurations supplémentaires de la dette.
37
Sheikh, P. (July, 2018). “Debt-for-Nature Initiatives and the Tropical Forest Conservation Act (TFCA): Status and Implementation”. Congressional Research Service.
Washington, DC. https://sgp.fas.org/crs/misc/RL31286.pdf
38
Kamel, S. and Tooma, E. (May, 2005). “Exchanging Debt for Development: Lessons from the Egyptian Debt-for-Development Swap Experience”. Economic Research
Forum. Cairo, Egypt. https://www.researchgate.net/publication/263735645_Exchanging_Debt_for_Development_Lessons_from_the_Egyptian_Debt-for-Develop-
ment_Swap_Experience
28 Échanges dette-nature: Faisabilité et pertinence stratégique pour le secteur des ressources naturelles en Afrique.

3.2 Mécanismes d’un échange de dette


Le Glossaire de la dette et du SYGADE (Système de gestion et d’analyse de la dette), publié par la
CNUCED (Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement) pour uniformiser
les définitions de termes y afférents, décrit l’échange de dette comme une technique d’allègement
de la dette qui altère la valeur initiale ou la nature des instruments de prêt. De manière générale, un
échange dette-nature implique l’annulation d’un certain montant de dette souveraine en échange
d’une action en faveur de l’environnement de la part du pays débiteur. Cette dette peut être annulée
directement par le créancier, comme dans le cas des échanges bilatéraux officiels, ou peut être
rachetée avec une décote par une organisation donatrice, le plus souvent une ONG de premier
plan spécialisée dans la protection de l’environnement, qui procède par la suite à une annulation
similaire de la dette.

Échanges bipartites (bilatéraux)

La forme la plus simple d’échange dette-nature, les échanges bilatéraux, consiste tout simplement
en l’annulation d’un prêt bilatéral par un créancier contre une autre chose, de préférence des actions
de protection de l’environnement par le pays débiteur. Sans pour autant constituer un principe
absolu, les échanges bipartites ont jusqu’à présent, et de manière justifiée, porté exclusivement
sur la dette bilatérale officielle. Il convient également de souligner qu’une annulation de dette par
un groupe organisé de créanciers bilatéraux, tel que le Club de Paris, est toujours considérée
comme un échange bipartite. Les États-Unis sont le plus grand créancier individuel à avoir réalisé
des échanges dette-nature, facilités en grande partie par des instruments spécialement mis en
place par le gouvernement américain  : d’abord l’Initiative « Entreprise pour les Amériques », à
laquelle a succédé la loi sur la conservation des forêts tropicales (TFCA) en 1998, et enfin la loi sur
la conservation des forêts tropicales et des récifs coralliens en 2019.

Un exemple d’application de cette structure est l’échange TFCA réalisé en octobre 2006 à l’intention
du Botswana, aux termes duquel le gouvernement américain a annulé 8,3 millions d’USD de dette
bilatérale en échange de l’engagement du Botswana à faciliter l’octroi de subventions pour ses forêts
tropicales, financées en partie par les économies réalisées au titre de l’échange (voir Tableau 1)39. Les
États-Unis ont en outre contribué à hauteur d’environ 7 millions d’USD à l’initiative de constitution
d’un Fonds d’un total de 10 millions USD destiné au financement de la conservation, ce qui veut
dire qu’une bonne partie des économies réalisées par le Botswana sur le flux de la dette grâce à
cet échange a été réaffectée aux dépenses du budget général40.

Un échange bipartite, qu’il implique quelque forme d’opération d’annulation totale ou partielle de la
dette, peut être un moyen efficace et efficient de libérer les ressources budgétaires d’un gouvernement
débiteur pour être affectées à d’autres fins, notamment à des initiatives environnementales locales.

USAID. (September, 2017). “Countries with TFCA Programs”. Archive. https://2012-2017.usaid.gov/biodiversity/TFCA/programs-by-country


39

Ibid.
40
29 Échanges dette-nature: Faisabilité et pertinence stratégique pour le secteur des ressources naturelles en Afrique.

Échanges multipartites (commerciaux)

La principale différence entre un échange dette-nature multipartite et un échange dette-nature


bipartite réside dans l’intervention dans le premier cas de tiers donateurs pour racheter un
instrument de dette souveraine existant auprès des créanciers initiaux (ou actuels). Même s’il ne
s’agit pas d’une caractéristique inhérente à ce type d’échange, cette structure est particulièrement
utile pour le traitement de la dette commerciale cotée en bourse. Le principal intermédiaire dans
ce cas est le plus souvent une ONG à vocation environnementale, telle que CI, TNC ou WWF, mais
il peut arriver que plusieurs institutions donatrices se regroupent pour coordonner et partager la
charge d’une même opération (voir Annexe B). Dans le cadre d’un accord d’échange multipartite,
le donateur ou l’intermédiaire propose de racheter la dette à une forte décote auprès du créancier
qui la détient. En échange de cet allègement du fardeau de la dette, le pays débiteur transfère une
partie des économies réalisées dans un fonds de conservation local destiné à financer les actions
de protection de son propre environnement naturel.

En plus de pouvoir tirer parti de la publicité verte que constitue un tel échange, l’une des principales
motivations des créanciers commerciaux à accepter le rachat avec décote des dettes qu’ils
détiennent réside dans la perspective de récupérer à l’immédiat des fonds qu’ils ont placé dans un
instrument qui pourrait outre mesure être considéré comme risqué. Si l’échange multipartite est un
modèle qui a été utilisé par le passé pour le traitement de la dette commerciale, il est important de
rappeler qu’il ne s’agit nullement d’une exigence de la structure. En d’autres termes, toute institution
donatrice, qu’il s’agisse d’une ONG ou d’une banque de développement, a la possibilité d’octroyer
des financements à un ou plusieurs créanciers bilatéraux pour une opération d’échange de même
type. Par exemple, l’échange d’obligations bleues des Seychelles, facilité par TNC, a permis au
gouvernement du pays d’utiliser les fonds mis à disposition par les donateurs pour racheter la dette
du Club de Paris en échange de la conservation et de la protection du milieu marin41. En réalité, un
créancier bilatéral tiers devrait, au nom du respect de ses propres engagements à réduire le déficit
de financement du climat et de la nature, pouvoir accorder une aide financière à un autre pays
créancier pour une telle opération, ce qui en fait un échange dette-nature multipartite dans lequel
n’interviennent que des créanciers officiels.

Les échanges de dette multipartites se caractérisent par leur flexibilité, permettant une variété
de structures uniques pour traiter différents types de dette. La voie est ainsi ouverte à d’autres
possibilités d’un point de vue budgétaire. Même si les avantages environnementaux d’un échange
ne sont pas fonction du montant généré par l’allégement de la dette, il faut reconnaître qu’un tel
échange en plus d’avoir le mérite d’améliorer la viabilité de la dette, pourrait aider un gouvernement à
maintenir ses politiques de développement durable à plus long terme. Dans ce cas, il est souhaitable
que la transaction puisse porter sur des montants beaucoup plus élevés afin de permettre au pays
de bénéficier d’un allègement plus conséquent de sa dette de manière à lui assurer une marge de
manœuvre budgétaire suffisante.

Ministry of Finance, Economic Planning and Trade, Republic of Seychelles. (March, 2016). “Seychelles closes landmark buyback of Paris club debt and activates
41

marine conservation and climate change adaptation initiative”. Victoria, Seychelles. http://www.finance.gov.sc/press-releases/26/Seychelles-closes-land-
mark-buyback-of-paris-club-debt-and-activates-marine-conservation-and-climate-change-adaptation-initiative
30 Échanges dette-nature: Faisabilité et pertinence stratégique pour le secteur des ressources naturelles en Afrique.

3.3 Implications économiques et possibilité de transposition à plus grande échelle


des échanges dette-nature
Les échanges dette-nature n’ont jusqu’à présent eu qu’un très faible impact budgétaire dans les
pays concernés. En effet, depuis leur introduction en 1987, la valeur nominale totale de la dette
traitée dans le monde par le biais d’échanges bipartites et multipartites est d’à peine 3,7 milliards
d’USD, dont seulement 318 millions d’USD pour l’Afrique (voir Annexe B). Bien menée, une opération
d’échange peut présenter d’autres avantages macroéconomiques. Par exemple, une campagne
médiatique suffisamment positive menée auprès du public autour des les aspects conservation
d’un échange, une telle opération peut déboucher sur une augmentation sensible des recettes de
l’écotourisme. De même, les avantages à long terme des mesures environnementales elles-mêmes,
selon que celles-ci sont bien exécutées et maintenues, peuvent à leur tour induire bien d’autres
avantages économiques en termes de développement durable.

Les données sur les échanges dette-nature (présentées à l’Annexe B) ont été compilées à partir
de plusieurs sources existantes afin de réduire les écarts, et toute divergence entre ces sources
a été arbitrée au moyen d’informations tirées d’articles de presse, de bulletins d’actualités ou
encore de rapports de tiers. Par conséquent, bien qu’une enquête exhaustive sur les incidences
macroéconomiques à long terme des échanges dette-nature dépasse le cadre de la présente
étude, la base de données qui accompagne cette dernière devrait constituer un corpus fiable à
partir duquel toute recherche empirique future sur le sujet pourra être menée.

En dehors de tout avantage potentiel à long terme, il reste que les échanges dette-nature, pour la
plupart, ont eu peu d’effet sur les bilans réels des pays bénéficiaires. La récente application de ce
modèle en faveur de la conservation des océans au Belize est une rare exception à cette tendance
(voir Encadré 1 et Figure 1). Même si on ne saurait dire que cet échange a complètement rétabli la
viabilité de la dette du pays, le fait qu’il ait permis de substituer l’unique obligation souveraine du
Belize (qui représentait près d’un tiers de son PIB) par un instrument moins lourd et de structure
moins contraignante a ménagé à ce pays une marge de manœuvre budgétaire nettement plus
importante qu’auparavant. Il s’agit là d’une illustration non seulement de la souplesse du modèle
d’échange dette-nature, mais aussi de sa capacité à amener les créanciers du secteur privé à faire
des concessions.

Même s’il est le premier échange de dette multipartite à atteindre une telle envergure par rapport à
la taille de l’économie du pays, il est maintenant prouvé que le modèle fonctionne, et pourrait donc
être transposé en Afrique. Dans le cadre d’une restructuration plus profonde, un échange de taille
suffisamment importante devrait permettre d’obtenir des concessions similaires auprès d’autres
créanciers commerciaux, dans la mesure où un règlement en espèces, même si le montant n’est
pas à la hauteur des attentes, est toujours préférable au maintien d’une position moins certaine et
à plus longue échéance.

L’impact que peuvent avoir les échanges dette-nature en Afrique est difficilement mesurable
31 Échanges dette-nature: Faisabilité et pertinence stratégique pour le secteur des ressources naturelles en Afrique.

avec précision et ce pour plusieurs raisons. Comme le montre le Tableau 1, le montant alloué à
l’environnement au titre d’une opération d’échange n’est pas toujours égal à la valeur nominale de
la dette traitée. En outre, alors que toute réduction du principal peut varier considérablement d’une
transaction à l’autre (réduit à 55 cents sur le dollar pour Belize, mais seulement à 93,5 cents dans
le cas des Seychelles), le rallongement de l’échéance et la réduction des intérêts qui peuvent être
obtenus grâce à un échange multipartite devraient naturellement assurer une plus grande flexibilité
budgétaire au pays concerné, même si l’encours de la dette reste largement inchangé. Enfin, même
si l’enveloppe allouée à l’environnement est relativement faible, la capitalisation initiale des fonds de
conservation locaux, combinée aux engagements politiques du souverain, devrait permettre à ces
fonds de croître progressivement au fil du temps, et ce faisant, d’amplifier leur impact écologique
tout en réduisant le déficit de financement.

Il est en revanche possible d’observer au cours des prochaines années le volume des flux de la dette
qui pourrait être traitée dans le cadre d’accords d’échanges qu’ils soient bipartites ou multipartites.
Si l’on exclut le service de la dette envers les créanciers multilatéraux, qui jouissent généralement du
statut de créancier privilégié et sont donc peu susceptibles d’envisager des annulations de dettes,
on estime à ce jour que les pays africains seront redevables d’environ 242,8 milliards USD au titre du
service de la dette d’ici à 202842. Un tel montant n’est certes pas suffisant pour combler entièrement
le déficit de financement, mais la marge de manœuvre budgétaire que leur conversion pourrait
apporter aux pays africains bénéficiaires peut contribuer à accroître leur capacité de mobilisation
de nouveaux financements et permettre aux fonds de conservation locaux de se développer et de
renforcer leur impact.

Les échanges de dettes constituent une excellente méthode de transformation de dettes


onéreuses et contraignantes pour le budget en actions significatives en faveur de l’environnement.
Ce mécanisme présente toutefois un certain nombre d’inconvénients inhérents. Le premier et le
plus évident est la nécessité de trouver un créancier actuel qui soit disposé à payer pour ces
résultats. La tâche est moins ardue lorsqu’il s’agit d’une dette bilatérale, et notamment avec les
prêteurs du Club de Paris qui ont toujours été plus ouverts à de telles opérations. Depuis l’Accord
de Paris et la COP26, les prêteurs bilatéraux en général sont plus enclins à répondre favorablement
à une demande d’échange, dans la mesure où cette opération leur donne l’occasion d’honorer
leur engagement à mobiliser des fonds pour le climat et la nature. Les créanciers commerciaux,
quant à eux, peuvent être moins portés à consentir à une perte financière au profit d’un fonds de
conservation étranger. Pour les créances en souffrance, l’idée de recevoir un règlement immédiat
en espèces de la part d’un donateur peut être attrayante, étant donné que, de toute manière, une
restructuration classique se traduirait probablement par une perte substantielle.

Cette situation met toutefois en évidence le deuxième principal inconvénient d’un échange de
créances. Au moins dans le cas de la dette commerciale, toute forme de renégociation des conditions
initiales de l’obligation ou du prêt, même dans un but de conservation de la biodiversité, aura
naturellement un impact négatif sur l’appréciation de la solvabilité du pays, susceptible d’entraîner
World Bank. (2022). “International Debt Statistics”. Database. https://databank.worldbank.org/source/international-debt-statistics
42
32 Échanges dette-nature: Faisabilité et pertinence stratégique pour le secteur des ressources naturelles en Afrique.

une dégradation de sa note et par conséquent une augmentation du coût des emprunts futurs. On
peut dès lors affirmer que, si les échanges de dettes constituent un instrument utile pour les pays
déjà en défaut de paiement, ceux des pays qui ont conservé un accès au marché peuvent souhaiter
explorer d’autres méthodes pour le financement des initiatives en faveur du climat et de la nature.

ENCADRÉ 1:

Belize – Conservation de l’océan par un échange dette-nature43

Le 5 novembre 2021, le gouvernement du Belize a conclu un accord avec les détenteurs


de sa seule obligation souveraine externe portant sur le rachat de 553 millions d’USD de
dette commerciale à seulement 55 cents par dollar. Les fonds nécessaires au rachat ont
été levés par The Nature Conservancy (TNC) à travers l’émission d’ « obligations bleues »
pour un montant de 364 millions d’USD par l’intermédiaire d’une filiale spéciale. Les fonds
issus de cette émission ont par la suite été prêtés au Belize en échange d’engagements
substantiels pour la protection de l’environnement autour de la barrière de corail du Belize
et du littoral environnant1.

En plus de la constitution d’un fonds de conservation d’un montant de 23,5 millions d’USD
destiné à protéger le récif corallien et de l’engagement de consacrer 4 millions d’USD par
an aux actions de conservation, le Belize a également pris des engagements politiques
remarquables. Il s’agit notamment d’améliorations de la transparence et de l’élaboration du
cadre de mise en œuvre de la stratégie de protection environnementale du pays, ainsi que
de diverses mesures de protection marine, telles que la protection de 30 % du territoire
marin du Belize d’ici 2026.

L’émission d’obligations bleues qui a financé cet échange a été garantie par le Crédit
Suisse, et le prêt au Belize a été assuré par l’International Development Finance
Corporation (Société financière internationale pour le développement), qui est la banque de
développement des États-Unis. Ce renforcement de la qualité du crédit a permis à TNC de
minimiser suffisamment les risques pour structurer le prêt de manière favorable à Belize,
avec une longue échéance, un faible taux d’intérêt et une période de grâce de 10 ans sans
remboursement de capital.
_________________________________
1
Le Groupe Potomac a fait office de conseiller financier auprès de The Nature Conservancy.

43
Bala, A., Behsudi, A., et Owen, N. (Mars, 2022). « Trois pays, le Belize, la Colombie et le Ghana, démontrent le potentiel de la technologie et de l’innovation pour
renforcer les finances publiques ». Finances & Développement. Fonds monétaire international. https://www.imf.org/fr/Publications/fandd/issues/2022/03/Country-
cases-meeting-the-future-Belize-Colombia-Ghana
33 Échanges dette-nature: Faisabilité et pertinence stratégique pour le secteur des ressources naturelles en Afrique.

FIGURE 2:

Structure de l’échange par obligations bleues de Belize


Figure 2. Structure de l’échange par obligations bleues de Belize

Paiements service
Vendent 553 m. $
de la dette en
d'obligations à 55.0c
CREANCIERS obligations bleues
CREDIT SUISSE/
DE "SUPER-
CREANCIERS
OBLIGATIONS"
ESG
(Créanciers de "super-obligations")Produit en liquidités de Produit des
l'appel d'offres: 301 m. obligations
$ bleues
Belize Blue Investment
Funds Co (BBIC)
Paiements service de la
Belize Ocean
dette à des conditions
GVT DE BELIZE Conservation Trust
révisées (prêt bleu +) (filiale 100% d'une STN) Dons
(BOCT)
(partie en monnaie
nationale)
Sentence arbitrale
("Arbitral Award Participations
Wrap" - 610 m. $) par dotation
Société
américaine de The Nature
financement du Conservancy
développement (TNC)
(DFC)

Les échanges de dettes constituent une excellente méthode de transformation de


dettes onéreuses et contraignantes pour le budget en actions significatives en faveur
de l’environnement. Ce mécanisme présente toutefois un certain nombre
d’inconvénients inhérents. Le premier et le plus évident est la nécessité de trouver un
créancier actuel qui soit disposé à payer pour ces résultats. La tâche est moins ardue
lorsqu’il s’agit d’une dette bilatérale, et notamment avec les prêteurs du Club de Paris
qui ont toujours été plus ouverts à de telles opérations. Depuis l’Accord de Paris et la
COP26, les prêteurs bilatéraux en général sont plus enclins à répondre favorablement
à une demande d’échange, dans la mesure où cette opération leur donne l’occasion
d’honorer leur engagement à mobiliser des fonds pour le climat et la nature. Les
créanciers commerciaux, quant à eux, peuvent être moins portés à consentir à une
perte financière au profit d’un fonds de conservation étranger. Pour les créances en
souffrance, l’idée de recevoir un règlement immédiat en espèces de la part d’un
donateur peut être attrayante, étant donné que, de toute manière, une restructuration
classique se traduirait probablement par une perte substantielle.
Cette situation met toutefois en évidence le deuxième principal inconvénient d’un
échange de créances. Au moins dans le cas de la dette commerciale, toute forme de
renégociation des conditions initiales de l’obligation ou du prêt, même dans un but de
conservation de la biodiversité, aura naturellement un impact négatif sur l’appréciation
de la solvabilité du pays, susceptible d’entraîner une dégradation de sa note et par
conséquent une augmentation du coût des emprunts futurs. On peut dès lors affirmer
que, si les échanges de dettes constituent un instrument utile pour les pays déjà en
défaut de paiement, ceux des pays qui ont conservé un accès au marché peuvent
souhaiter explorer d’autres méthodes pour le financement des initiatives en faveur du
climat et de la nature.

28
34 Échanges dette-nature: Faisabilité et pertinence stratégique pour le secteur des ressources naturelles en Afrique.

CHAPITRE 4
Mécanismes alternatifs pour lier la dette
souveraine aux résultats obtenus sur le
plan climatique et écologique

A
u cours des deux dernières décennies, d’autres mécanismes permettant de lier la dette à
des résultats environnementaux ont commencé à émerger comme alternatives au modèle
d’échange dette-nature, avec tout d’abord la première émission d’obligations vertes en
2007 par la Banque européenne d’investissement, suivie peu après par la première émission
d’obligations vertes de la Banque mondiale en 200844. Il s’agit de instruments de refinancement,
plutôt que de transactions portant sur des dettes existantes, et si la structure spécifique d’un
instrument peut varier considérablement d’une transaction à l’autre, ils se classent généralement
dans deux catégories principales  : les obligations durables traditionnelles, également appelées
obligations « à utilisation ciblée des fonds », telles que les obligations vertes et les obligations
bleues ; et les obligations liées au développement durable (obligations ODD), qui s’appuient sur des
mécanismes de dette conditionnelle. Ces dernières sont essentiellement réservées aux marchés de
la dette du secteur privé, à l’exception notable de l’émission d’obligations ODD par le Chili en mars
2022. Le modèle d’obligations ODD du Chili est très proche de celui des entreprises, ce qui peut
convenir à un émetteur de marché émergent noté A, mais le mouvement de relance verte a donné
lieu à de multiples concertations internationales afin d’évaluer des modèles potentiels novateurs
pour des obligations ODD souveraines plus adaptées.

Les trois structures - échange dette-nature, obligations « à utilisation ciblée des fonds » et les
obligations liées au développement durable - offrent des pistes de solution pour répondre à divers
besoins de financement vert, mais le choix de la structure la mieux adaptée à chaque situation se
fera en fonction des objectifs, des besoins et du profil d’endettement du pays en question (voir
Tableau 2)45.

La décision d’un pays d’adopter l’une ou l’autre de ces initiatives devrait résulter d’un processus
exhaustif de consultation auquel sont invitées à participer toutes les agences gouvernementales
concernées. La coordination est essentielle, et le processus est susceptible d’impliquer un certain
nombre de parties extérieures, y compris des institutions multilatérales chargées du renforcement
44
IFC. (December, 2016). “Mobilizing Private Climate Finance – Green Bonds and Beyond” in EM Compass. Note 25. World Bank Group. https://www.ifc.org/wps/wcm/
connect/2996f197-a75b-422a-9e2f-cdc022d8ea96/EMCompass+Note+25+Green+Bonds+FINAL+12-5.pdf?MOD=AJPERES&CVID=lzgXSmr
45
IIED, Potomac Group LLC, CEA, CESAO, PNUD. (2021). « Lier la dette souveraine aux résultats obtenus sur le plan climatique et écologique : Un guide à l’intention
des gestionnaires de la dette et des responsables de l’environnement ». IIED, Londres https://www.iied.org/fr/20651iied
35 Échanges dette-nature: Faisabilité et pertinence stratégique pour le secteur des ressources naturelles en Afrique.

des capacités, des conseillers juridiques et financiers, et des organisations environnementales


non gouvernementales qui peuvent également aider à identifier les opportunités et à vérifier les
résultats46:

TABLEAU 2:

Comparatif des types de transactions de dette pour le financement du climat et de la nature

Transaction Objectif Risques et inconvénients Résultats

Échanges dette-nature Réaffecter les paiements du Risque de dégradation de la cote Annulation d’une partie de
service de la dette à court terme de crédit si ce n’est dans le cadre l’encours de la dette en échange
aux actions de conservation. d’une restructuration. d’engagements substantiels en
faveur du climat et de la nature,
OU Impact budgétaire relativement y compris la constitution d’un
faible si ce n’est dans le cadre fonds de conservation local, voire
Rechercher un arrangement d’une restructuration plus large. des changements de politique
plus avantageux en cas de gouvernementale.
restructuration en s’engageant à
mettre en œuvre des initiatives
et politiques concrètes de
conservation.

Obligations durables Financer un projet spécifique en Pour les États souverains, les Levée de liquidités sur les
traditionnelles (26p) faveur du climat ou de la nature restrictions sur l’utilisation des marchés des capitaux contre
par le biais des marchés de fonds signifient moins de flexibilité l’engagement de consacrer les
capitaux privés. budgétaire malgré l’inscription de fonds recueillis au financement
dettes au bilan. des initiatives de développement
durable identifiées à l’avance.
Pour les créanciers, risque
d’écoblanchiment en l’absence
de mécanismes réglementaires
permettant de garantir que les
fonds sont utilisés comme prévu.

Obligations liées au Lever des liquidités d’affectation Le non-respect des engagements Les fonds issus de l’émission
développement durable générale tout en ayant la volonté pris en matière de climat et/ou de d’obligations sont destinés au
de réaliser des projets ambitieux nature dans les délais convenus budget général, avec la possibilité
en matière de climat et de peut entraîner des conséquences de réaliser des économies
nature. néfastes sur les conditions substantielles en termes
d’emprunt. d’emprunt, mais l’État souverain
s’engage à réaliser des objectifs
environnementaux ambitieux,
et ses progrès en la matière
sont audités par une partie
indépendante dans un souci de
transparence et de certification
légale des résultats.

46
Ibid.
36 Échanges dette-nature: Faisabilité et pertinence stratégique pour le secteur des ressources naturelles en Afrique.

4.1 Instruments durables traditionnels


Les obligations vertes, les obligations bleues, les obligations liées aux objectifs de développement
durable (ODD) et d’autres obligations environnementales, sociales et de gouvernance (ESG)
standard pour l’apport d’argent frais relèvent généralement de la catégorie des obligations durables
traditionnelles, également appelées obligations « à utilisation ciblée des fonds ». Comme leur nom
l’indique, ces instruments sont émis contre l’engagement d’affecter au moins une partie des fonds
qui en seront tirés à un projet connu à l’avance et lié à l’amélioration d’une certaine manière du
développement durable. En contrepartie de cette affectation, les détenteurs d’obligations doivent
être disposés à accepter des rendements moins élevés pour ces instruments verts. Cet écart est
communément désigné par « greenium » ou « prime verte ». Un exemple récent de cette structure
dans la dette souveraine africaine est l’obligation ODD du Bénin, émise avec l’assurance que les
fonds récoltés contribueront à financer les efforts du Bénin pour la réalisation des objectifs de
développement durable (voir Encadré 2).

ENCADRÉ 2:

Bénin – Obligations liées aux ODD


Le 15 juillet 2021, le Bénin a procédé à l’émission d’obligations « ODD » (obligations liées
aux objectifs de développement durable), des obligations « à utilisation ciblée des fonds
» de large portée destinées à aider le pays à atteindre ses objectifs de développement
durable. L’émission s’aligne au Cadre d’émission obligataire ODD élaboré par le Bénin,
et qui cible douze catégories d’objectifs à caractère environnemental et social pertinents,
notamment l’accès à l’eau, l’accès à l’énergie, l’agriculture, l’éducation, la santé, le
logement, la conservation de la biodiversité, et d’autres objectifs1. Dans l’ensemble, le Cadre
vise la réalisation de 15 des 17 ODD des Nations Unies. Le suivi de chacune des douze
catégories du Cadre se fait au moyen d’indicateurs spécifiques qui servent à visualiser les
progrès accomplis par le pays en vue de la réalisation des objectifs et des résultats ciblés,
permettant ainsi de mesurer l’impact du projet.

Avec l’objectif de lever 500 millions d’euros, le rendement final était fixé à 5,25 %, ce qui
a permis d’obtenir une prime verte estimé à près de 20 points de base2. Environ 91% des
obligations émises ont été souscrites par des investisseurs ESG3.
_________________________________
1
Merle, C. and Caumes, A. (July 2021). “Republic of Benin’s trailblazing €500m 12,5-Y inaugural issuance under its new SDG Bond Framework”. Natixis.
Paris, France. https://gsh.cib.natixis.com/our-center-of-expertise/articles/republic-of-benin-s-trailblazing-500m-12-5-y-inaugural-issuance-under-its-
new-sdg-bond-framework
2
Ibid.
3
Ibid.
37 Échanges dette-nature: Faisabilité et pertinence stratégique pour le secteur des ressources naturelles en Afrique.

L’exigence de l’utilisation des fonds levés uniquement à des fins de protection de l’environnement
est un concept beaucoup plus récent que les échanges dette-nature. La première obligation verte
a été émise par la Banque européenne d’investissement en 2007, et la Banque mondiale a inauguré
une longue série d’émissions d’obligations vertes l’année suivante47. Ce type d’obligation est depuis
devenu l’instrument vert prédominant sur le marché. En 2021, les banques facilitatrices ont en
fait gagné plus de commissions sur les transactions vertes que sur celles liées aux combustibles
fossiles, soit une hausse spectaculaire de 1,4 milliard d’USD par rapport à 202048.

Malgré ce vif engouement du marché pour la dette verte, les obligations « à utilisation ciblée des
fonds » ne sont pas sans présenter quelques sérieux inconvénients. En l’absence d’un mécanisme
de surveillance intégré à la structure pour veiller à l’utilisation des fonds, une forte incertitude plane
quant à savoir si le produit de l’émission est effectivement alloué aux fins convenues de manière à
permettre à la planète de bénéficier de retombées positives sur le climat et/ou la nature. Concernant
les souverains, les cadres juridiques et réglementaires nationaux laissent le choix libre pour la
destination des ressources sans avoir à recourir à des techniques complexes d’écoblanchiment.
Avec la saturation progressive du marché par ces instruments de dette, la crainte d’écoblanchiment
chez les créanciers a entraîné une dépréciation des primes vertes pour les obligations à utilisation
ciblée des fonds.

Pour les émetteurs, l’inconvénient le plus évident de ce modèle tient de la restriction budgétaire elle-
même. Ce problème se pose particulièrement pour les émissions souveraines, car les gouvernements
conduisent le plus souvent de vastes programmes de développement avec une longue liste de
dépenses qui vont au-delà de leurs considérations environnementales. À l’heure où les besoins en
matière de santé et de dépenses sociales augmentent, on peut raisonnablement affirmer qu’il n’est
peut-être pas prudent pour de nombreux gouvernements de contracter de nouveaux prêts assortis
de restrictions quant à l’utilisation des fonds obtenus. Les obligations à utilisation ciblée des fonds
gardent tout leur intérêt pour les pays ayant accès au marché et qui sont en quête de financement
pour un projet vert spécifique, mais ceux des pays endettés qui souhaitent améliorer la viabilité à
long terme de leur dette gagneraient à recourir à d’autres méthodes de financement, telles que les
instruments liés au développement durable (voir Tableau 2)49.

4.2 Instruments liés au développement durable


Encore plus récentes que les obligations vertes, les obligations liées au développement durable ont
été introduites sur le marché obligataire du secteur privé peu avant la pandémie. Cette structure
permet également à l’emprunteur d’émettre une obligation à un taux de rendement inférieur à celui
du marché, mais plutôt que de restreindre l’utilisation du produit de l’émission, l’obligation ODD
est indexée sur une ou plusieurs mesures de développement durable, appelées indicateurs clés
47
Bajpal, P. (July, 2021). “Green Bonds on the Rise”. Nasdaq. New York, NY. https://www.nasdaq.com/articles/green-bonds-on-the-rise-2021-07-02
48
Quinson, T. (January, 2022). “Bank Fees for Green Debt Surpass Fossil-Fuel Financing”. Bloomberg. New York, NY. https://www.bloomberg.com/news/arti-
cles/2022-01-05/bank-fees-for-green-debt-surpass-fossil-fuel-financing-green-insight
49
Ibid.
38 Échanges dette-nature: Faisabilité et pertinence stratégique pour le secteur des ressources naturelles en Afrique.

de performance (ICP). La capacité de l’émetteur à atteindre ces ICP à une échéance donnée influe
alors sur la structure financière de l’obligation. L’International Capital Market Association a établi un
ensemble de lignes directrices volontaires relatives aux obligations liées au développement durable
sur les marchés de capitaux privés, et les émetteurs les ont adoptés comme normes de bonnes
pratiques50.

Côté emprunteur, le principal avantage d’une émission d’obligations ODD comparée à celle d’une
obligation à utilisation ciblée des fonds est le libre choix de l’affectation des fonds mobilisés. Cette
liberté constitue un réel atout pour les emprunteurs souverains, qui peuvent donc librement utiliser
les ressources issues des obligations ODD pour combler leurs déficits budgétaires et refinancer des
dettes existantes, sans avoir à affecter quelque montant que ce soit à un objectif spécifique.

En ce qui concerne les créanciers, le modèle offre beaucoup plus de transparence qu’une obligation
à utilisation ciblée des fonds, ce qui permet de dissiper les craintes d’écoblanchiment grâce à
l’implication d’experts secondaires qui sont tenus, en vertu des termes de référence de l’émission,
d’évaluer les progrès réalisés par l’émetteur sur la base des indicateurs clés de performance. Un
tel dispositif, s’il est manifestement absent du modèle d’obligation à utilisation ciblée des fonds,
constitue par contre un volet essentiel du modèle d’obligation ODD. En tant qu’instrument de dette
conditionnelle, ses paramètres financiers peuvent être modifiés, en fonction de l’analyse de la
seconde partie à la date de référence des ICP.

Dans les modèles d’obligations ODD du secteur privé, cette variation prend souvent la forme de
diverses incitations, telles que le coupon « progressif », à savoir que l’émetteur sera tenu de payer
un taux d’intérêt plus élevé à compter de la date de référence s’il n’a pas atteint les ICP. Les autres
modèles prévoient le paiement d’une prime supplémentaire à l’amortissement en cas de non-atteinte
d’un ICP, un coupon dégressif en cas d’atteinte, et même un système d’ajustement pondéré, selon
lequel le coupon peut être majoré ou minoré de montants supplémentaires en fonction d’une valeur
pondérée prédéfinie pour un certain nombre d’ICP. Il en résulte un niveau beaucoup plus élevé
de transparence sur les retombées positives de l’instrument sur l’environnement, qui devrait en
principe empêcher la détérioration de la prime verte et garantir l’atteinte des résultats climatiques/
environnementaux escomptés.

À date, aucun État souverain n’a encore émis d’obligation avec ce type de structure conditionnelle,
mais le mouvement de relance verte a amené la communauté internationale à entreprendre une
réflexion sur la forme que pourrait prendre ce modèle en tant qu’instrument souverain. La réussite
d’une émission obligataire ODD souveraine constituera sans doute un important catalyseur dans
les efforts pour résoudre à la fois les crises du climat, de la nature et de la dette. Cependant, un tel
instrument serait naturellement bien différent du modèle du secteur privé. Les conséquences de
la non-atteinte d’un ICP doivent être soigneusement examinées en termes d’impact sur la viabilité
de la dette, étant donné qu’un souverain ne peut faire faillite. La souveraineté en soi appelle à une
politique prudente et un cadre juridique devant régir l’analyse et l’audit par un tiers. En outre, les
50
International Capital Market Association. (June 2020). Zurich, Switzerland. https://www.group.org/assets/documents/Regulatory/Green-Bonds/June-2020/Sus-
tainability-Linked-Bond-Principles-June-2020-171120.pdf
39 Échanges dette-nature: Faisabilité et pertinence stratégique pour le secteur des ressources naturelles en Afrique.

mesures incitatives à l’atteinte des ICP doivent être suffisamment fortes, de manière à encourager
les gouvernements à y parvenir, notamment les gouvernements nouvellement mis en place. En ce
sens, un simple ajustement de coupon pourrait s’avérer de plus en plus insuffisant. Fort de ces
considérations, Potomac Group en collaboration avec la Banque mondiale, a conçu un modèle
viable d’obligation ODD souveraine (voir Figure 3).

FIGURE 3:

Proposition de structure d’une obligation souveraine liée au développement durable

Graphique opérationnel P4P SSLB

MECANISME FINANCE PAR DES BAILLEURS DE FONDS

Contribution / garantie en
capital du donateur (X% du
[Réserve du service de la produit
dette]
(X% of proceeds)
Cpn aléatoire (X% p.a.)
FONDS FIDUCIAIRE
EMETTEUR SOUVERAIN
OFFSHORE
Décaissement
périodique à la
satisfaction des KPI
Produit de l'émission Base Cpn (X% p.a.) Priorité pour un acompte
Remboursement du sur le principal
principal à échéance

MARCHES INTERNATIONAUX DE LA DETTE

Du point de vue de la structure, le concept de base est identique. Le créancier reçoit


Duun point de vue de
paiement delacoupon
structure, le concept
à un taux bien de inférieur
base est identique.
à celui duLe créancier
marché. Lareçoit un paiement
différence n’est de
cependant
coupon pasbien
à un taux conservée
inférieur àpar
celuiledusouverain,
marché. Lamais plutôt
différence transférée
n’est cependantdans un fonds par
pas conservée
fiduciaire extraterritorial, également subventionné par les contributions des donateurs.
le souverain, mais plutôt transférée dans un fonds fiduciaire extraterritorial, également subventionné
En cas de non-réalisation de l’ICP, le créancier reçoit alors la part versée par le
parsouverain
les contributions
dans cedes donateurs.
fonds, soit unEn rendement
cas de non-réalisation
au taux du de marché
l’ICP, le créancier
de ce qui reçoit
étaitalors
essentiellement considéré comme une obligation « vanille » (ou élémentaire).
la part versée par le souverain dans ce fonds, soit un rendement au taux du marché de ce qui En
revanche, si l’indicateur clé de performance est atteint, le souverain reçoit un paiement
était essentiellement considéré comme une obligation « vanille » (ou élémentaire). En revanche, si
en espèces de la fiducie, composé à la fois de la différence de rendement et des fonds
l’indicateur clé de performance
supplémentaires. estest
La liquidité atteint,
danslecesouverain reçoit un
cas un facteur paiement enet
déterminant, espèces de la fiducie,
le paiement de
composé à la fois de la différence de rendement et des fonds supplémentaires. La liquidité estle
ce montant forfaitaire devrait donc, en théorie, être suffisant pour encourager dans
gouvernement à atteindre les ICP, en mobilisant effectivement à un taux concessionnel
celescascapitaux
un facteurdudéterminant,
secteur privéet leà paiement de ce montant forfaitaire devrait donc, en théorie, être
des fins environnementales.
suffisant pour encourager le gouvernement à atteindre les ICP, en mobilisant effectivement à un
taux concessionnel les capitaux du secteur privé à des fins environnementales.
40 Échanges dette-nature: Faisabilité et pertinence stratégique pour le secteur des ressources naturelles en Afrique.

CHAPITRE 5
Opportunités pour l’Afrique et la Banque
africaine de développement

L
a mise en œuvre d’une stratégie visant à lier la dette souveraine aux résultats en matière
de climat et de nature, que ce soit au moyen d’échanges dette-nature, d’instruments de
nouveaux financements ou d’une combinaison des deux, peut offrir plusieurs avantages aux
pays africains. Un grand nombre de pays du continent figurent parmi les plus vulnérables sur le plan
écologique51, et l’Afrique abrite à elle seule plus de 2,6 millions de kilomètres carrés de zones clés
pour la biodiversité d’importance mondiale52, dont beaucoup ne sont pas protégées (voir ci-dessous
Indicateurs économiques). Dans le même temps, le continent est confronté à un énorme déficit
de financement d’environ 484,6  milliards d’USD au cours des trois prochaines années pour lui
permettre de se relever de manière durable de la pandémie à COVID-1953. Compte tenu des besoins
multiples des pays africains, les instruments financiers liés à l’environnement pourraient être un
moyen extrêmement efficace de traiter plusieurs problèmes à la fois, et en tant que principale
banque de développement du continent, la Banque africaine de développement (BAD) offre un
certain nombre de solutions pour contribuer à ces processus, notamment :

• 1 Le renforcement des capacités


• 2 La facilitation du processus
• 3 Le rehaussement de la qualité du crédit pour les instruments durables
• 4 La participation active aux échanges bilatéraux dette-nature
• 5 L’intervention en qualité d’intermédiaire/de donateur dans le cadre d’un échange multipartite
dette-nature

En tant qu’institution régionale de développement de référence pour le continent africain, la Banque


peut jouer un rôle clé de conseil sur ces initiatives, en renforçant les capacités des PMR à évaluer
les avantages potentiels d’une transaction et à mener des études de marché pour en mesurer la
faisabilité. La Banque pourrait également faire office de premier point de contact pour ses PMR,
51
ND Gain Country Index. (July, 2021). University of Notre Dame. Notre Dame, Indiana, US. https://gain.nd.edu/our-work/country-index/
52
KBA Data. (2022). Key Biodiversity Areas. https://www.keybiodiversityareas.org/kba-data
53
Banque africaine de développement. (Décembre 2021). « Conférence économique africaine 2021 : des ministres appellent les pays africains à améliorer la
gestion des ressources et à renforcer leur capital humain pour un relèvement après le Covid-19 ». Cabo Verde. https://www.afdb.org/fr/news-and-events/confer-
ence-economique-africaine-2021-des-ministres-appellent-les-pays-africains-ameliorer-la-gestion-des-ressources-et-renforcer-leur-capital-humain-pour-un-rele-
vement-apres-le-covid-19-47277

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