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La route des Kasbah de l’Oriental marocain 

: un patrimoine oublié

- Zerouali Sanae, laboratoire «Littérature générale et comparée, Interculturalité »

- Aberkane Taib. Professeur encadrant

Résumé

Les kasbahs, situées dans le couloir Oujda- Guercif, sont souvent construites dans des
points stratégiques, afin de jouer leurs rôles déterminants du point de vue sécuritaire et
commercial. En effet, elles assuraient la pacification du territoire, la circulation des habitants
et du transit commercial entre les différentes parties de Maroc et de ses relations avec ses
voisins. Elles jouaient aussi le rôle de refuge pour les populations qui y habitaient, puisque
leurs grandes murailles interdisaient toute intrusion extérieure. Elles constituaient aussi un
lieu d’emmagasinent des richesses de la population de la Kasbah et des populations
environnantes.

Aujourd’hui, surtout pour les kasbahs en milieu rural tombent en ruine et se trouvent
désertées suite à l’exode rural et à l’absence d’activités génératrices de revenus, qui peuvent
encourager les habitants à y vivre. Quoique, ces dernières nécessitent une certaine attention
pour sauver ce patrimoine de l’humanité menacé par l’agressivité des facteurs anthropiques et
naturels.

Cet état dégradation nécessite une intervention, qui ne doit pas se limiter en la
restauration, mais aussi à la mise en valeur de ce gisement patrimonial dormant, qui pourra
participer au développement du couloir et fortifiera son identité culturelle. La prise de
conscience de la société de cette richesse et les potentialités, dont le couloir dispose permettra
la valorisation de cet héritage, qui doit être transmis aux générations futures. Des actions de
préservation et de valorisation de ce patrimoine culturel s’avèrent donc, nécessaires pour faire
face aux multiples menaces qui pèsent lourdement sur cette richesse patrimoniale.

Pour ce faire, il parait nécessaire d’œuvrer ensemble et d’une manière participative et


collaborative, afin de faire bénéficier la route des Kasbahs de la Vision Patrimoine 2020. Il est
donc temps, de changer le regard et l’avis des décideurs et des acteurs sur le patrimoine, qui
ne doit plus être considéré comme un aspect secondaire du développement.

Mots clés : Kasbahs, patrimoine culturel, dégradation, restauration, couloir Oujda-


Guercif.

1
Introduction

La région de l’Oriental, comme d’autres zones du Maroc, jouit d’un très grand nombre
de kasbahs. Ces dernières, après leurs glorieuses périodes au temps de la pacification et de
l’unification du pays, connaissent aujourd’hui un grand déclin et tombent en ruine. Cette
dégradation, due à la conjugaison des facteurs naturels et anthropiques, nécessite une
intervention étatique et de la société civile pour préserver et restaurer ce patrimoine avant
qu’il ne disparaisse à jamais. C’est dans cette optique, que nous nous sommes penchés dans
cet article sur « La router des Kasbahs », pour montrer l’importance politique et économique
de ces édifices. Nous espérons aussi, à travers cette étude, attirer plus l’attention sur cette
richesse en voie de disparition, avec l’espoir de voir un jour un plan d’action pour sauver ce
patrimoine, qui pourra constituer un jour un élément attractif en termes d’investissement et de
tourisme comme le cas du Sud marocain (Ouarzazate par exemple).

I. La kasbah : d’une simple citadelle à une forteresse de grande importance mili-


taire

1. Définition terminologique de la kasbah

L’espace marocain est très connu par son patrimoine architectural de différents faciès, et
dont l’importance diffère d’une zone à une autre. Parmi ces monuments de grande valeur
historique, nous citons les kasbahs qui garnissent l’espace marocain. Ces monuments,
constituaient une citadelle ou un palais caractérisé par de hautes murailles comme c’est le cas
de tous les kasbahs du couloir Oujda-Guercif, qu’on peut appeler la route des Kasbahs.

Roger Mimo, dans « la route des mille Kasbahs », définit le mot "kasbah" ou "casbah"
comme un mot qui possède un sens très élargi. Dans chaque pays, et même dans chaque
région, il est appliqué à une construction différente : d'un fort isolé en pleine campagne
jusqu'à un quartier de la ville à l'intérieur duquel se rassemblaient les administrations de l'État
et l'armée.

Si dans le Sud marocain, la kasbah désigne un bâtiment de plan carré avec quatre tours
aux angles, construit en terre crue et destiné d'habitude à loger une famille de notables, pour
notre zone d’étude la kasbah, est une fortification à caractère militaire. C’est pour cette raison
que la construction de Tighremt (kasbah) remonte à des dates très lointaines et jouait le rôle
de grenier pour la protection des richesses des tribus. « La Kasbah est une maison
individuelle qui appartenait souvent à des familles aristocratiques de la zone. Les kasbahs
étaient les demeures fortifiées des seigneurs ; elles contrôlaient les oasis et leurs voies

2
d’accès, servaient de point de ravitaillement pour les habitants du désert et défendaient les
caravanes contre les brigands et les pillards nomades. Protégées de remparts avec une seule
porte d’entrée, elles forment alors un Ksar »1.

Les caractéristiques, qui différencient ces kasbahs des autres constructions, c’est que
leur enceinte est entourée et protégée par d'imposants murs épais construits en pisé, dont la
hauteur peut dépasser parfois les 7 mètres et la larguer environ 2 mètres, ce qui était
remarquable pour cette époque. Les murs étaient couronnés sur leur longueur par des merlons
pointus typiques et renforcés par intervalles par des tours de bastions carrées. Derrière les
murs, se trouvaient des rocades et des passages, qui permettaient aux troupes à l'intérieur de la
kasbah de se déplacer facilement le long des murs2.

Carte 1 : les Kasbahs du couloir Oujda-Guercif

Par leur gigantisme, les Kasbahs construites le long de la route nationale 6, constituent
un patrimoine particulier et un des éléments architecturaux les plus remarquables des
paysages de l’Oriental marocain. Leur site était bien choisi leur permettant une certaine vue
panoramique, afin qu’elles puissent contrôler leurs alentours. Ainsi, le couloir Oujda-Guercif
(215 km) a abrité les plus grandes et importantes kasbahs, qui étaient un jour des points

1
-Anasse M., 2015. Programme pour la valorisation durable des Ksour et Kasbah. Revue : Chantiers
du Maroc N°127. Document consulté le 27 février 2020. Disponible sur :
www.construction21.org › maroc › articles › programme-.
2
- https://fr.qaz.wiki/wiki/Kasbah_of_Moulay_Ismail
3
cruciaux tant au niveau politique qu’au niveau commercial. Parmi ces monuments historiques,
figurent les kasbahs d’Oujda, d’El Aioune, de Lakrarma, de Mrada, de Taddert et de M’soun
(carte 1).

Les visites de terrain nous ont montré, que la plupart des monuments historiques, dont
regorge l’oriental marocain, sont aujourd'hui en dégradation et tombent en ruine. Toutefois,
certaines kasbahs subsistent encore, et sont utilisées comme résidence pour la population
locale.

Après la mort de Moulay Ismail, la situation politique au Maroc s’est dégradée et


l’anarchie s’est installée partout dans l’espace marocain. Les kasbahs, qui assuraient la
sécurité et la paix, ne sont plus en mesure pour continuer à exercer leurs fonctions et perdent
leur statut de forteresse et de garnison. Elles sont négligées et de nombreuses parties de leur
complexe architectural tombent en ruines. « Cet état alarmant du patrimoine bâti historique
du Maroc, en voie de disparition, nécessitait une intervention d’urgence en vue de le
préserver et le réhabiliter. C’est dans ce cadre que vient s’inscrire le programme
d’appropriation et de valorisation durable des Ksour et Kasbah qui représente l’un des 17
nouveaux objectifs de développement durable du PNUD. Ce programme, estimé à 136
millions de dirhams, vise à enclencher un cercle vertueux qui favorise l’appropriation par les
acteurs locaux de la valorisation durable de l’habitat en terre et du patrimoine des Ksour et
Kasbah et génère des retombées socio-économiques sur les populations locales, en
particulier les jeunes et les femmes  »3.

2. Pourquoi construire des kasbahs dans l’Oriental marocain ?

La majorité des kasbahs de l’Oriental marocain, est construite sous le règne de Moulay
Ismail qui a régné de 1672 à 1727, dont le but d’assurer la pacification du pays contre les
troubles intérieures et les invasions extérieures. Pour maintenir la paix, mettre fin aux troubles
des tribus et garantir l’unification de pays, la construction des Kasbahs était déterminante.
« La construction des kasbahs au Maroc sous le règne du sultan Moulay Ismail s'inscrit dans
le cadre du projet de réunification et de fortification de la périphérie du pays, contrôler la
sécurité et faciliter le trafic des convois et des voyageurs grâce au réseau de sécurité qu'il a
déployé dans tout le pays »4.

3
- Anasse M., 2015. Op. Cit.
‫رافي‬X‫ال الجغ‬X‫ة المج‬X‫ مجل‬."‫دثار‬XX‫ور االن‬X‫اري في ط‬X‫راني وحض‬XX‫راث عم‬XX‫ ت‬:‫ون‬X‫بة امس‬X‫ قص‬X.2020 ،‫ عدنان زروالي‬- - 4
.486 .‫ ص‬.43-33 ‫ عدد‬.‫والمجتمع المغربي‬
4
C’est pour cette raison, que Moulay Ismail a construit un nombre important de kasbah
parmi lesquelles figurent celles du couloir Oujda-Guercif. Ce modèle d’habitat original
pratiqué .principalement par les berbères ne représente pas seulement un art de construction
en lui-même, mais il jouait également un rôle très important sur le plan politique, économique
et commercial. Ces rôles ont nécessité le choix de situation particulière. Ainsi, la plupart des
Kasbahs étaient construites dans des endroits isolés mais dans des positions dominantes dans
le but de contrôler les terres aux alentours, les oasis, les voies d’accès, mais aussi les
caravanes de commerce. Toutefois, le rôle militaire demeurait le prépondérant au moment où
les troubles caractérisait le Maroc du temps ismailite « Moulay Ismail connut un début de
règne très difficile. Il lui fallut plus de vingt ans pour pacifier le Maroc, triompher de
l’anarchie tribale, des particularismes et affaiblir la puissance menaçante des confréries
religieuses»5.

La majorité des Kasbah était censée à protéger et sécuriser les routes empruntées par les
caravaniers et les pèlerins. Elles étaient habitées par des regroupements de population et
d’habitations souvent modestes et assuraient par conséquent le ravitaillement des habitants.
Elles jouaient aussi le rôle d’emmagasinement des richesses des tribus nomades des alentours,
comme fut le cas de Kasbah de M’soun pour la tribu des Houara.

II. Principales kasbahs du couloir Oujda-Guercif

1. La Kasbah d’Oujda

Construite par Ziri Ibn Atia vers 994, Oujda devient une cité importante en 1068,
comme la décrit le chroniqueur arabe El Bekri IL écrivait aussi que : « les voyageurs qui
partent des contrées orientales de l’Afrique pour se rendre à Sijilmassa et aux autres locali-
tés de l’Occident, traversent la ville d’Oujda et y suivent la même route lors de leur retour »6.
Sa position géopolitique en a fait un terrain de convoitise, indispensable à la sécurité des dy-
nasties marocaines. Ainsi, la ville frontalière Oujda a toujours joué un rôle pionnier dans
l’histoire du Maroc, du fait de sa position géographique et stratégique, qui la met en avant-
garde contre toutes les attaques qui peuvent venir de l’Oriental.

En raison de son destin de bourgade de transit, de poste avancé pour les expéditions me-
nées de l’intérieur sur les longs chemins de l’Est, ou de contrefort pour résister aux assauts ve-
nus de l’Orient, la ville d’Oujda n’a pas tiré grand profit de son passé millénaire. Toutefois,
5
- Les Alaouites (1636 à nos jours) http://www.memoarts.ma/doc/alaouittes.php
6
- Retani A.2009, Oujda : années 20. Récits de voyages. Editions la Croisée des Chemins. Casablanca,
p. 23
5
elle a constitué une ville de commerce, de culture et a présenté un passé chargé d’une histoire
particulièrement riche : « c’est au 11e siècle que la ville a pris son essor en tant que ville
étape sur la voie du commerce entre l’ouest et l’est de l’Afrique, avec des caravanes qui ra-
menaient de la poudre d’or et des plumes d’autruches, de l’ivoire et des esclaves depuis le
Soudan actuel »7.

Après la destruction de la ville en 1271, suite aux disputes violentes entre les Mérinides
de Fès et les Abdelouadistes de Tlemcen, Abou Youssef, le mérinide a dû la reconstruire en
1295 en lui donnant une certaine prospérité à travers la reconstruction des remparts, la
construction d’une Kasbah, d’un palais, d’une mosquée et des bains maures8.

La Kasbah d’Oujda, est construite par le fondateur de la ville du même nom, Ziri Ibn
Atia el Maghraoui en 384 de l’hégire, comme on peut le déduire de la citation suivante : « il a
construit la ville d’Oujda, son enceinte et sa Kasbah et a monté ses portes et y a habité avec
sa famille et sa suite, et y a transféré sa fortune et ses biens et en a fait une base et la capitale
de son royaume vu qu’elle se trouvait au milieu de son pays »9..

Cette Kasbah, constituait un édifice sur lequel seront construits par la suite les Kasbahs
mérinide et ismailite. Toutefois, il parait qu’une bonne partie de la Kasbah Ziride a été dissi-
mulée sous la Kasbah mérinide, et par conséquent, elle constitue certainement le prolonge-
ment spatial, architectural et historique de la précédente. Cependant, elle s’en distingue par
ses aspects typologiques, qui reflètent l’une des facettes de l’architecture mérinide.

La Kasbah Ismailite couvre une partie importante des édifices ainsi que les ruines de la
Kasbah mérinide. Elle a été reconstruite sous le règne de Moulay Ismail en 1089 de l’hégire
(1678 ap. J.C), après la récupération d’Oujda des mains des Turcs d’Alger.

Actuellement, il est très difficile, au moins pour nous, en tant qu’étudiante ; de distin-
guer l’appartenance des vestiges qui restent parce qu’elles sont souvent intercalées et mêlées
les uns aux autres (détruites, reproduites puis redétruites et reproduites de nouveaux). Des élé-
ments d’une dynastie se sont dégradés, d’autres se sont ajoutés.

7
- Maroc : Oujda, l’ombrageuse orientale. Document consulté le 7 février 2021. Disponible sur :
www.lefrancofil.com › suede › maroc-oujda-lombrage.
8
- Retani A.2009, op. cit. p : 24-25
9
- Nemmaoui K. et Brahimi M., 2008. Oujda porte des MAROC-Mille ans d’histoire ; EDDIF MA-
ROC» La Croisée des chemins, Casablanca.
6
2. Kasbah El Aïoun Sidi Mellouk

Fondée en 1679, sous l'ordre du sultan Moulay Ismail, cette petite ville de l’Oriental,
comme d’ailleurs beaucoup de villes du royaume, a une Kasbah bâtie en l’année 1679 et
considérée aujourd’hui comme le principal monument représentatif de la ville.

S’étendant sur une superficie de 16 900 m², avec une architecture de forme carrée, elle
compte un patio et des ruelles étroites constituant à peu près 12 % de la superficie globale de
la Kasbah. Délimitée par quatre murs de 130 mètres de longueur chacun et entre 6 à 7 mètres
de hauteurs, la Kasbah compte 9 tours (4 fixées sur ses quatre coins, 2 sur le côté Ouest, 2 sur
le côté Nord et la dernière tour sur le côté Est de cet édifice). Cette Kasbah est enfermée sur
elle-même, et s’ouvre sur l’extérieur via trois portails permettant mieux le contre d’accès à
l’intérieur, l’un des portail est ouvert sur le souk couvert et le principal boulevard de la ville
d’El Aïoun actuel, le second ouvert sur le côté Est et le dernier portail de taille moins
importante que les deux précédents ouvert sur le côté Est.

Photo. 1 : La Kasbah pendant le protectorat Photo.2 : Murailles Nord et Sud de la Kasbah


Les premiers habitants de la Kasbah étaient les soldats du Sultan et qui avaient pour rôle
d’assurer la sécurité et la paix dans la région, ainsi que la protection de la route du Sultan, qui
a veillé à construire d’autres Kasbah tel que la Kasbah de Taourirt.

3. Kasbah Lakrarma (Taourirt)

Le site de kasbah Lakrarma occupe une colline au bord de l’un des nombreux méandres
que décrit l’oued Za, au Nord-Ouest de Taourirt. Il s’agit d’une position stratégique à la
croisée des routes historiques Sijilmassa-Europe et Tlemcen-Fès10. En fait, ce monument

10
-Agence de l’Oriental, 2011. Randonner dans l’Oriental marocain, p. 84
7
historique millénaire, a été depuis longtemps un centre commercial très important et un point
de passage obligatoire de caravanes. « Bien avant l’édification du rempart de la Kasbah par
le Sultan mérinide Abou Youssouf Yaakoub en 1295, une ancienne ville portant le nom de Za
constituait un important centre commercial à la croisée des routes »11.

A la fin du XVIIeme siècle, Taourirt retrouve son importance. Elle est rénovée par le
Sultan alaouite Moulay Ismaïl (1672-1727), pour accueillir l’armée appelée Abid Al Bokhari
et leurs familles. Elle se caractérise par une grande muraille de forme circulaire de 826 mètres
(photo. 3), dont la hauteur s’élève à 10 mètres alors que la largeur est de 2 mètres avec des
tours tout au long des murs. Du rempart de la kasbah qui entourait complètement la colline,
depuis plus de 7 siècles, ne demeurent aujourd’hui que quelques 273 mètres de murailles au
Sud et à l’Ouest (photo. 4). Toutefois, elle abrite toujours quelques maisons habitées par la
tribu Lakrarma.

Photo. 3 : vue satellitaire de la Kasbah Photo. 4 : Kasbah en dégradation

4. Kasbahs de la province de Guercif (Mrada, Taddert et M’soun)

Il paraît que le bassin de Guercif, constituait un espace d’insécurité et un passage


obligatoire pour ceux qui veulent se déplacer du Sud vers le Nord ou de l’Ouest vers l’Est.
Cette situation de carrefour a nécessité la mise en place d’un système de sécurité pour mettre
fin à toutes les rebelles et maitriser l’unification du royaume (carte 1).

Aujourd’hui, la seule Kasbah qu’on peut encore trouver près de la ville de Guercif est
celle de Mrada, construite sur la rive droite de la Moulouya. Elle surveillait certainement la
population locale composée essentiellement d’éleveurs de mouton (plaine de Tafrata). Après

11
-Agence de l’Oriental, 2011. Op. Cit., p. 82
8
la pacification du pays sous le règne de Moulay Ismail, cette forteresse perd peu à peu son
importance et commence à se dégrader sous l’impact des phénomènes érosifs naturels ainsi
que suite aux interventions humaines destructives. Aujourd’hui, elle n’est représentée que par
des vestiges qui en témoignent sa présence et son importance (photos. 5 et 6).

Parmi les autres constructions patrimoniales qui ont existé dans le bassin de Guercif,
nous citons la Kasbah de Taddert, qui servait de relais entre la Kasbah de M’soun et celles de
Guercif, qui sont presque totalement disparues. Elle a été construite dans un espace plus ou
moins désertique pour servir comme un refuge aux habitants locaux (pasteurs), qui pouvaient
s’alimenter en eau à partir d’un réservoir souterrain (Jboub) qui se trouve au centre de cette
forteresse, dont il ne reste aujourd’hui que des vestiges (photos 7 et 8).

Un autre patrimoine de grande importance est constitué par la kasbah de M’soun, siège
de la tribu des Houara, qui occupait l’espace compris entre la confluence de l’Oued M’soun et

9
Oued Moulouya à l’Est et la frontière administrative Taza-Guercif à l’Ouest. Au Sud, nous
trouvons la tribu Bni-Ouarain, par contre au Nord nous avons la tribu Metalsa.

La Kasbah de M’soun est construite par Moulay Ismail en 1684, sur un petit plateau
dominant un méandre de l’Oued M’soun, ce qui lui a permis de jouir d'une vue admirable et
panoramique (position de contrôle). Son rôle était donc de mettre fin aux troubles que
semaient les tribus ente elles pour la maitrise de l’espace pastoral, ainsi que pour assurer la
circulation des caravanes commerciales. C’est dans ce sens et pour maitriser les tribus, que
Moulay Ismail implante une armée au sein de cette forteresse, comme cela a été confirmé par
Naciri : « La Kasbah de M’soun a été construite, par ordre du sultan Moulay Ismail, quand il
est descendu dans la vallée de M’soun en l'an 1091 de l’hégire, et y abrite cent esclaves
soldats cavaliers accompagnés de leurs familles et de leurs enfants»12

C’est une forteresse de quelques 410 m², entourée de tous les côtés par une muraille de
grande envergure, qui s’élève à 8 m, alors que sa largeur est de 1 à 1.5 mètre. Cette muraille
est composée de 8 chambres et 4 tours de forme carrée dont la superficie de chacune est de 8
m².

Photo. 9 : murailles occidentale et septentrionale de la Kasbah

Cette architecture lui donne un aspect militaire et sécuritaire, d’où son importance
politique, économique et sociale. Un grand portail, appelé Porte Moulay Ismail (photo. 11),
situé de façon à ce qu’il permet de contrôler tous les mouvements qui peuvent exister sur la

29 .‫ ص‬، 4. ‫ ج‬.‫ االستقصا ألخبار دول المغرب أألقصى‬.1974 ،‫ احمد بن خالد الناصري‬- 12
10
route nationale reliant l’Est et l’Ouest du royaume ainsi que le tronçon Oued qu’elle peut
dominer. Ce portail ne s’ouvrait et ne se fermait que sur le contrôle d’un gardien permanent,
qui possédait la grande clef, et qui était toujours en sa possession.

Photo. 10 : l’intérieur de Kasbah M’soun Photo. 11 : le grand portail de la Kasbah
pendant le protectorat pendant le protectorat

Ces murailles et cette forteresse, constituaient en quelque sorte le grand gardien de


toutes les richesses matérielles, qui sont collectées par les populations rurales de son
environnement et qui sont sauvegardées à l’intérieur de l’enceinte. La grande muraille de la
Kasbah assurait une sécurité absolue du fait qu’elle est difficilement pénétrable. Après la
récolte, tous les producteurs se précipitent pour emmagasiner leurs productions dans les
nombreuses fosses (Matmora), existantes soit à l’intérieur de chaque chambre de la maison 
soit dans la « Gara » , qui abritait quelques 70 fosses d’après certains interviews effectués
avec des personnages très âgés et qui sont difficiles à trouver parce qu’ils ne sont plus dans la
Kasbah13.

Comme la Kasbah de M’soun, constituait la seule agglomération dans cet espace des
semi-nomades, tout le monde se rendait à ce lieu pour se procurer des biens dont ils ont
besoin. Donc, il fallait créer de petits commerces de toutes sortes d’alimentation. Ainsi, la
Kasbah s’est dotée de 48 boutiques rassemblées presque exclusivement dans la « Gara » et
sont réparties de la façon suivante (8 boutiques pour la vente du tissu et des vêtements, 5
boutiques de forgerie, 2 boutiques de coiffure, 3 boutiques de cordonnerie, 4 boutiques de

- On nous racontait que des grandes maisons abritaient plus de 20 matmoras dont les familles qui les
habitaient assuraient la sécurité totale.

- La Gara est la place centrale de la kasbah ou se réunit les habitants pour discuter des affaires ou ré -
soudre des problèmes. Elle sert aussi comme lieu pour célébrer des évènements comme le moussem de
Sidi Allal tenu chaque année à la fin d’Aout ou au début de Septembre.
13
- Zerouali S. 2018. La route des kasbahs entre dégradation et espoir de développement, p. 33.
11
bijouterie, 4 boutiques de boucherie, 3 tisserands et 19 boutiques pour la vente du sucre, de la
farine, de l’huile, des épices, des cigarettes, des fournitures scolaires... Bref de tout ce qu’une
personne a besoin)14.

Conclusion

Après une période de richesse et de prospérité, qui a durée des siècles, les Kasbahs ont
perdu leurs rôles sécuritaires et commerciaux et se sont vidées de leur population, surtout
celles situées en milieu rural. Pour les kasbahs en milieu urbain, leur population a augmenté
tout en perdant leur originalité et leur identité (Oujda par exemple).

Plusieurs facteurs sont à l’origine de la disparition des Kasbahs du couloir Oujda-


Guercif:

- Précarité de l’habitat en terre, qui tombe en ruine suite à la conjugaison des phéno-
mènes naturels et de l’action anthropique ;

- Désertification humaine et pauvreté de la population restante, faisant partie des plus


démunis (absence d’activités génératrices de revenus) ;

- Faible Intervention de l’Etat ou de la société civile. Parois, lors de certaines interven-


tions, nous assistons à la fragmentation multisectorielle et à l’absence de structures d’encadre-
ment, de suivi et de valorisation.

Pour les kasbahs en milieu rural, il parait difficile de leur donner une nouvelle vie et une
nouvelle dynamique, parce qu’elles sont très dégradées et leur mise en valeur ne serait qu’une
aventure. L’agressivité climatique, la désertification humaine et la négligence de la valeur
patrimoniale de ces kasbahs semblent peser lourdement sur leur avenir.

Toutefois, il ne faut pas négliger ce patrimoine culturel, et le laisser dans l’oubli, alors
qu’il a constitué un enjeu de grande taille pendant des siècles. Au contraire, cette route des
Kasbahs nécessite une attention particulière de la part de tous les acteurs publics et privés
(Etat, élus, autorités locales, citoyens, société civile, opérateurs économiques…etc.), afin de
sauvegarder ces monuments historiques qui ont marqué le savoir- faire millénaire d’une
civilisation des siècles passés que ce soit en milieu rural ou en milieu urbain.

14
- Zerouali S., 2018. Op. Cit., p. 37.
12
Bibliographie

Agence de l’Oriental, 2011. Randonner dans l’Oriental marocain


Anasse M., 2015. Programme pour la valorisation durable des Ksour et Kasbah. Revue :
Chantiers du Maroc N°127. Document consulté le 27 février 2020. Disponible sur :
www.construction21.org › maroc › articles › programme-.
Nemmaoui K. et Brahimi M., 2008. Oujda porte des MAROC-Mille ans d’histoire ;
EDDIF MAROC» La Croisée des chemins, Casablanca.

Retani A.2009, Oujda : années 20. Récits de voyages. Editions la Croisée des Chemins.
Casablanca,

Zerouali S. 2018. La route des kasbahs entre dégradation et espoir de développement.


Mémoire de Master. Faculté des Lettres et des Sciences Humaines. Oujda-
https://fr.qaz.wiki/wiki/Kasbah_of_Moulay_Ismail

Les Alaouites (1636 à nos jours) http://www.memoarts.ma/doc/alaouittes.php


Maroc : Oujda, l’ombrageuse orientale. Document consulté le 7 février 2021.
Disponible sur : www.lefrancofil.com › suede › maroc-oujda-lombrage.

‫ الدار‬.‫ دار الكتاب‬.4. ‫ ج‬.‫االستقصا ألخبار دول المغرب أألقصى‬  .1974 ،‫احمد بن خالد الناصري‬
.‫البيضاء‬

‫ة‬XX‫ مجل‬X."‫دثار‬XX‫ االن‬X‫ور‬XX‫اري في ط‬XX‫راني وحض‬XX‫راث عم‬XX‫ ت‬:‫ون‬XX‫بة امس‬XX‫ قص‬.2020 ،‫ع دنان زروالي‬
.498-485 .‫ ص‬.2020 ‫ أبريل‬.43-33 ‫ عدد‬X.‫المجال الجغرافي والمجتمع المغربي‬

13

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