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III. Le Roman
INTRODUCTION
La reine dauphine fait faire des portraits en petit de toutes les belles personnes de la cour pour les
envoyer à la reine sa mère. Le jour qu’on achève celui de Madame de Clèves, Madame la Dauphine
vient passer l’après-dînée chez elle. Le peintre, sous les ordres de madame la Dauphine, ôte le
portrait de la boite ou il est, et le laisse sur la table, table à laquelle tous les membres de la salle ont
accès, dont Monsieur de Nemmours qui ne manque pas de s’y trouver.
composition du texte :
cet extrait de la deuxième partie de l’œuvre place enfin en présence les deux personnages
d’exception que sont la Princesse de Clèves et le Duc de Nemours, celui-ci étant amoureux de celle-
là, qui éprouve confusément le même sentiment mais n’est pas parvenue encore à se le formuler.
-En quoi cet épisode va-t-il précisément la contraindre à regarder en face un amour doublement
partagé ?
DEVELOPPEMENT
I L’intériorité du Duc
A) Un souhait irrépressible…
- la pratique du portrait miniature (qui pouvait contribuer à des mariages entre états, par
exemple) est significative du haut rang de la Princesse.
- la narratrice nous fait savoir qu’« il y avait longtemps que monsieur de Nemours souhaitait d’avoir
le portrait de madame de Clèves. », installant le désir du duc dans la durée et le vol dans la
continuité. Cela suppose-t-il que le Duc s’est délibérément rendu chez la Princesse dans l’espoir
de quelque opportunité de cet ordre-là ?
-Reste que le Duc accomplit la réalisation même d’un méfait qui correspond à son souhait
irrépressible, posséder un portrait miniature de la Princesse et, pour ce faire, le voler.
-il procède en deux temps, successivement depuis son affectivité puis depuis sa morale.
-« Lorsqu’il vit celui qui était à monsieur de Clèves, il ne put résister à l’envie de le dérober à
un mari qu’il croyait tendrement aimé. » : C’est un homme animé du désir de posséder cette femme
dont il est fou amoureux et, à travers ce portrait miniature, c’est une façon de la posséder mais
aussi d’évincer un rival (l’époux lui-même de madame de Clèves) qu’il croit « tendrement aimé ».
-Il y a ici une forme de jalousie, et c’est l’amour de madame de Clèves pour son époux, son rivale,
aux yeux du Duc, qui provoque le vol, sorte de vengeance affective de ne pas occuper la place
même qu’occupe le prince de Clèves.
-C’est ainsi qu’il justifie son vol et il reste intéressant de constater que rien ne le freine dans l’acte
qu’il va accomplir !
C) …depuis sa morale
-« et il pensa que, parmi tant de personnes qui étaient dans ce même lieu, il ne serait pas
soupçonné plutôt qu’un autre. » Il s’accommode de l’acte même qui consiste à le voler :
-Le duc n’éprouve aucune culpabilité :il désire, il prend ; il y a beaucoup d’aristocrates présents cela
le servira.
-Le duc apparaît ici avec une personnalité masculine trempée dont le désir ne s’encombre pas de la
morale.
-Au contraire, il parie sur la présence de monde pour couvrir (dissimuler) son méfait en imaginant
qu’hypothétiquement personne ne pourrait le soupçonner plus qu’un autre.
-Il est aussi intéressant de relever que le duc, si habitué à être reconnu comme exceptionnel (par sa
virilité, sa prestance, sa séduction et ses conquêtes), procède ici comme un homme quelconque :Il se
fond dans le groupe là où on l’en détache habituellement.
-c’est donc d’abord un homme que l’on observe là et un homme amoureux.
Transition : Et c’est précisément l’œil de la bien aimée qui va lui rendre tout son éclat. Le duc de
Nemours va devenir un voleur sublime parce que son acte sera sublimé par celle qui le lui laisse
faire !
II La scène du vol
A) Silence et intimité : la place des personnages
-la situation est très intéressante : A côté de la futur scène de vol, la reine dauphine et la princesse
faisaient preuve de mesure et de discrétion dans leur échange.
-La princesse, de haut rang est placée debout devant la reine dauphine assise (le respect des rangs de
chacune peut sembler transparaître ici : « Madame la dauphine était assise sur le lit, et parlait bas à
madame de Clèves, qui était debout devant elle. »)
- A nouveau, le personnage de la princesse est reconnue dans son exception : l’une des reines lui
confie des choses. La princesse partage l’intimité d’une reine.
-De prime abord, ce sont deux situations parallèles : le silence et le calcul du duc ; l’intimité et la
confidence d’une des reines à la princesse.
- la séparation entre ces deux mondes clos va être le rideau du lit à baldaquin
-ce qui va sembler devenir dès lors une scène de théâtre à témoin caché puisque la princesse va être
forcée d’y assister en tant que spectatrice : « Madame de Clèves aperçut, par un des rideaux qui
n’était qu’à demi fermé, monsieur de Nemours, le dos contre la table, qui était au pied du lit, et elle
vit que, sans tourner la tête, il prenait adroitement quelque chose sur cette table. »
- La scène est véritablement théâtralisée. Les rideaux du lit à baldaquin contribuent à faire de
madame de Clèves une spectatrice et du duc de Nemours un acteur.
- la narratrice explique que la princesse de Clèves « n’eut pas de peine à deviner que c’était
son portrait, et elle en fut si troublée, que madame la dauphine remarqua qu’elle ne l’écoutait pas, et
lui demanda tout haut ce qu’elle regardait. » :Les deux mondes clos constitués par le duc de
Nemours seul avec lui-même et la princesse en compagnie de la reine dauphine, se télescopent.
-La princesse assiste à une scène impensable parce qu’immorale (elle est mariée, c’est un vol), d’où
son trouble.
-et ce qui est curieux, c’est que là où elle n’a pas de peine « à deviner que c’était son portrait » que
volait le duc, celui-ci a oublié où se trouvait la princesse dans la pièce.
-La morale de la princesse c’est sa maîtrise de l’espace, c’est la raison du lieu, là où le duc fait
preuve de déraison, donc de quelque chose qui ne peut apparaître que sous forme théâtralisée:l’état
du duc échappe aux bienséances, n’englobe plus la raison alors se doit d’être illustré.
-La reine seule peut se permettre de questionner « tout haut » pour savoir ce que regarde la
princesse:c’est son rang supérieur qui le lui permet
C) Le voleur démasqué
- dès lors, « Monsieur de Nemours se tourna à ces paroles ; il rencontra les yeux de madame
de Clèves, qui étaient encore attachés sur lui, et il pensa qu’il n’était pas impossible qu’elle eût vu
ce qu’il venait de faire. » :Le regard est chose ici essentielle.
-Il y a cette mise en abyme : le duc regarde le portrait miniature de la princesse tandis qu’il vole
ledit portrait en faisant mine de ne pas le regarder ; celle-ci regarde le duc en train voler son
portrait ; la reine dauphine regarde la princesse en train de regarder le duc voler son portrait ;
prévenu par la question de la reine dauphine, le duc se retourne pour constater que la princesse était
sans doute en train de le regarder voler son portrait.
- C’est un huis clos moral qui s’enclenche.
-La construction de la phrase est d’ailleurs significative : « il pensa qu’il n’était
pas impossible » : litote désignant qu’il n’est donc pas sûr (« penser ») de quelque chose qu’il place
dans l’ordre du possible: il est dans une attitude dubitative
-Quant aux expressions « rencontrer les yeux de madame de Clèves » et « attachés sur lui », elles
sont tout à fait significatives : on se rencontre par le regard et l’on attache ou l’on s’attache à l’autre
par le regard.
Transition : la question de l’œil revient. Voir c’est savoir… Jusqu’où la princesse est-elle capable
de supporter ce qu’elle apprend ?
-la litote contenue dans la phrase « Madame de Clèves n’était pas peu embarrassée » souligne que
ce vol auquel elle assiste est source de trouble peut-être parce qu’il lui révèle simultanément et les
sentiments du duc pour elle et les sentiments confus qu’elle-même peut lui porter…
- Dans tous les cas, « N’être pas peu embarrassée », c’est l’être beaucoup devant ce qui s’impose à
elle.
B) Le dilemme
- La scène de théâtre se joue dorénavant en elle : la princesse de Clèves est le lieu où se
joue un dilemme :
-S’opposent en elle deux possibilités qui ont trait toutes deux à la morale et au sentiment du duc
uniquement :
° interpeller le duc aux oreilles des présents dans la chambre de la princesse, c’est
renseigner la cour sur les sentiments du duc à son égard : « mais en le demandant publiquement,
c’était apprendre à tout le monde les sentiments que ce prince avait pour elle » ;
°lui demander personnellement de lui restituer son portrait, c’est lui laisser entendre que
ses sentiments peuvent l’intéresser puisqu’elle n’éprouve pas le besoin de le demander devant
tout le monde, ce qu’exigeraient les bienséances pour une femme mariée soucieuse de sa réputation
« et en le lui demandant en particulier, c’était quasi l’engager à lui parler de sa passion. »
-On le voit, le duc pousse la princesse dans des retranchements où la morale et la passion
s’opposent.
-Ce qui est intéressant ici, c’est que ce n’est pas sa propre passion qui lui fait adapter la position
morale qui doit être la sienne, mais la passion du duc, cela pourrait donc laisser entendre qu’elle
partage confusément ce même sentiment pour lui.
C) Délibération et résolution
- dans son conflit moral interne, sa délibération la mène à résoudre le dilemme qui est le sien
(adverbe conclusif « enfin ») :
« Enfin elle jugea qu’il valait mieux le lui laisser, et elle fut bien aise de lui accorder une faveur
qu’elle lui pouvait faire, sans qu’il sût même qu’elle la lui faisait. » Mais elle n’affronte ni la
morale, ni le duc puisqu’elle persiste dans le silence
- La princesse éprouve donc des sentiments pour le duc : car rien ne l’autorise à lui accorder une
faveur : « elle fut bien aise de lui accorder une faveur qu’elle lui pouvait faire »,à moins que cette
faveur ne lui semble pas répréhensible parce qu’elle la fait croyant que le duc ne sait pas qu’il l’a
vue : là où elle croit la morale sauvegardée, elle est dans le danger de ses propres sentiments.
- là où la princesse croit délivrer une faveur au duc, celui-ci remarque « son embarras » et
en devine « quasi la cause ». Le duc n’est pas dupe là où la princesse veut le duper.
-Le duc perçoit la gêne de la princesse et lui propose une solution à hauteur de son propre dilemme,
qui n’est pas moral mais affectif, en trois temps :
° il s’approche d’elle ;
° il lui parle (« tout bas »), puisque princesse et reine dauphine n’ont pas bougé et que la
demande doit de fait être formulée de façon quasi inaudible ;
- il lui explique comment contourner le dilemme affectif qui est le sien propre : « - Si vous
avez vu ce que j’ai osé faire, ayez la bonté, Madame, de me laisser croire que vous l’ignorez, je
n’ose vous en demander davantage. » Curieusement, le duc lui propose d’adopter un comportement
semblable à celui pour lequel a opté la princesse : faire semblant de n’avoir rien vu.
-C’est curieux aussi que ces deux personnages en soient arrivés à la même conclusion dans le
comportement à adopter : ne rien laisser paraître moralement ; ne rien laisser paraître
affectivement !
B) La sortie de scène
- le duc se retire donc et la scène se clôt : « Et il se retira après ces paroles, et n’attendit
point sa réponse. » Outre cette sortie de scène, le duc joue son rôle masculin et viril jusqu’au bout :
il met fin à l’action et contraint au silence la princesse de Clèves : a elle de se débrouiller
maintenant avec cette révélation !
-Là où le silence était somme toute confortable pour la princesse de Clèves, le duc, par la parole,
la replace dans l’inconfort d’un dilemme qui ne va dorénavant plus la quitter.
CONCLUSION
Cette scène du vol du portrait miniature, fortement théâtralisée, est à plusieurs titres très intéressante
- révélation ; mise en abîmes des regards ; théâtralisation des espaces ; mise en question de la raison
par la passion ; distance et retournement…
Cette scène est d’autant plus puissante qu’elle marque la naissance de la prise de conscience par la
princesse des sentiments du duc pour elle, mais aussi de ses propres sentiments à son égard,
sentiments que Mme de Chartres connaissait et combattait déjà chez sa fille…
INTRODUCTION
Lors d’un tournoi, le duc de Nemours est blessé, et Madame de Clèves ne se préoccupe que de
Monsieur de Nemours, ce qui montre à ce dernier sa passion pour lui. Mais après ce tournoi la reine
Dauphine lui confie une lettre qui serait tombée de la poche du duc de Nemours que lui aurait écrite
une de ses supposées amantes. Folle de douleur et de jalousie, Madame de Clèves la relit plusieurs
fois au cours de la nuit. Le vidame de Chartres, qui est venu trouver le duc de Nemours chez lui, lui
avoue que cette lettre lui appartient et vient lui demander de l’aider à cacher cela. Il demande au duc
de Nemours d’affirmer que cette lettre est à lui, mais ce dernier refuse de peur que Madame de
Clèves n’y croie. Le vidame de Chartres remet une lettre au duc de Nemours pour qu’il puisse la
montrer à la dame qu’il craint de fâcher,La reine demande à la reine Dauphine de récupérer la lettre,
mais Madame de Clèves ne l’a plus en sa possession. Elle est chargée de la réécrire avec le duc de
Nemours, ce qui leur fait passer des heures exquises ensemble.
composition du texte :
cet extrait place dans une intimité rare les deux personnages d’exception que sont la Princesse de
Clèves et le Duc de Nemours. La réécriture de la Lettre qui a tant
fait souffrir madame de Clèves, est l’occasion pour elle d’affronter enfin ses sentiments.
- En quoi cet épisode est-il le temps d’une introspection douloureuse où la passion le remporte sur
la raison avant que la décision d’un retrait ne résolve le dilemme de désordres affectifs et moraux ?
DEVELOPPEMENT
- M. de Nemours est parti et Mme de Clèves se retrouve seule, après qu’ils ont réécrit
ensemble et de mémoire la lettre, elle se remémore cet après midi en compagnie de l’homme dont
elle sait définitivement qu’elle est amoureuse.
-sa prise de conscience s’organise en deux temps bien qu’elle consiste en une série de
constats qui s’enchaînent et s’emboîtent, figurant le flux intérieur de la princesse de Clèves à
l’image de ses sentiments pour le duc.
-Outre que l’extrait débute in medias res,la culpabilité de la princesse de Clèves apparaît dès le
commencement de l’extrait (par cette proposition subordonnée circonstancielle de temps : «
quand… » qui renvoie davantage, par son sens, à une proposition subordonnée circonstancielle de
conséquence traduisible par : parce qu’elle n’a pas su établir une distance entre elle et le duc, celui-
ci croit qu’elle ne peut plus rien lui refuser…).
-Elle est doublement coupable à ses yeux, jusqu’a éprouver une culpabilié hyperbolique :
- de n’avoir pas modifié son comportement vis-à-vis du duc ;(« elle
ne l’en traitait pas plus mal ») ; chose d’autant plus blâmable que cela se passe sous les yeux de son
époux (« en présence même de son mari »).
- et de ne rien montrer à son époux qui lui ferait comprendre que la présence du duc est
malvenue,comme si les sentiments du duc lui convenaient au fond (« au
contraire » : « qu’au contraire elle ne l’avait jamais regardé si favorablement »), elle devient la «
cause que monsieur de Clèves l’avait envoyé quérir ». C’est-à-dire que, dans cette affaire de
réécriture urgente de lettre d’amour, monsieur de Clèves a une telle confiance en son épouse qu’il
invite le duc (par amitié pour la princesse) à réécrire cette lettre ne s’apercevant de rien s’agissant
des sentiments que le duc et la princesse éprouvent l’un pour l’autre.
« Elle avait ignoré jusqu’alors les inquiétudes mortelles de la défiance et de la jalousie ; elle
n’avait pensé qu’à se défendre d’aimer monsieur de Nemours, et elle n’avait point encore
commencé à craindre qu’il en aimât une autre. »
- ainsi est-il dit qu’ « elle avait ignoré jusqu’alors les inquiétudes mortelles de la défiance et de
la jalousie ». Son regard est rétrospectif.
- en fait, elle n’avait jusqu’alors à penser « qu’à se défendre d’aimer monsieur de Nemours, et
elle n’avait point encore commencé à craindre qu’il en aimât une autre. » : la princesse naît au
sentiment et naît donc à la possessivité,
-. C’est en ce sens que la morale était un rempart formidable, mais un rempart inutile devant
l’amour et c’est la jalousie qui a mis à terre le rempart de la morale.
« Quoique les soupçons que lui avait donnés cette lettre fussent effacés, ils ne laissèrent pas de
lui ouvrir les yeux sur le hasard d’être trompée, et de lui donner des impressions de défiance et
de jalousie qu’elle n’avait jamais eues. »
- même apaisée consciemment (« Quoique les soupçons que lui avait donnés cette lettre fussent
effacés ») puisque le duc lui a expliqué à qui appartenait cette lettre, la rassurant ainsi, la princesse
comprend émotionnellement (« les soupçons […] ne laissèrent pas de lui ouvrir les yeux ») qu’elle
sera toujours exposée au (« hasard d’être trompée ») et qu’elle ne peut maîtriser le cœur et les désirs
de l’autre, et cette prise de conscience soudaine la fait accéder à la défiance et à la jalousie « qu’elle
n’avait jamais eues. »
-Le duc est l’homme qui l’amène pour la première fois à saisir qu’on ne maîtrise rien quand on
est amoureuse.
B) Affres et dilemme
« Mais quand je le pourrais être, disait-elle, qu’en veux-je faire ? Veux-je la souffrir ? Veux-je y
répondre ? Veux-je m’engager dans une galanterie ? Veux-je manquer à monsieur de Clèves ?
Veux-je me manquer à moi-même ? Et veux-je enfin m’exposer aux cruels repentirs et aux
mortelles douleurs que donne l’amour ? Je suis vaincue et surmontée par une inclination qui
m’entraîne malgré moi. »
- et de conclure : « Je suis vaincue et surmontée par une inclination qui m’entraîne malgré
moi. » La princesse a mené une délibération autour de son dilemme, mais force est de constater que
la raison a perdu (« Je suis vaincue ») là où la passion (« Je suis […] surmontée par une inclination
») l’a rempoté.
- dès lors, la princesse de Clèves poursuit sa douloureuse introspection par un chiasme à valeur
d’antithèses: « Toutes mes
résolutions sont inutiles ; je pensai hier tout ce que je pense aujourd’hui, et je fais aujourd’hui tout
le contraire de ce que je résolus hier. » Elle expérimente l’inutilité de la volonté, combien celle-ci
est inopérationnelle, précisément parce que le sentiment est chose irrationnelle
- elle poursuit donc au discours direct jusqu’à réfléchir à l’ultime décision qui va consister
en deux résolutions :
° fuir à la campagne, à Coulommiers : « Il faut m’arracher de la présence de monsieur de Nemours ;
il faut m’en aller à la campagne, quelque bizarre que puisse paraître mon voyage ». Le verbe «
arracher » est terrible et souligne la dépendance totale de la princesse de Clèves au duc de Nemours.
° apprendre à son époux les raisons de cette fuite, s’il venait à ne pas comprendre ce départ précipité
: « et si monsieur de Clèves s’opiniâtre à l’empêcher ou à en vouloir savoir les raisons, peut-être lui
ferai-je le mal, et à moi-même aussi, de les lui apprendre. »
- La princesse de Clèves est donc décidée à faire l’aveu à son époux, de son amour pour un autre, si
la situation l’y pousse, allant jusqu’à mettre en danger son couple mais aussi sa propre personne. -
Faire un tel aveu serait tout perdre, jusqu’à la haute idée qu’elle se fait de la morale et de sa pureté à
la respecter et à s’y conformer. C’est dire combien elle se sent en danger !
- reste que la princesse de Clèves commence à mettre à exécution son plan de fuite :
« Elle demeura dans cette résolution, et passa tout le soir chez elle, sans aller savoir de madame la
dauphine ce qui était arrivé de la fausse lettre du vidame. »
-Le fait de manquer à ses obligations de princesse à l’égard d’une reine est extrêmement étonnant.
-d’autant qu’elle apprendrait aussi finalement ce qui est arrivée à cette lettre qu’elle a elle-même
aidé à réécrire, mais sans doute cette lettre n’a-t-elle plus d’intérêt pour elle parce que la princesse
de Clèves sait qui elle incriminait.
-En revanche, son retrait mondain débute là, elle commence à s’abstraire de la cour, elle va bientôt
en disparaître et la princesse de Clèves commence à œuvrer ici véritablement à sa mort sociale.
CONCLUSION
INTRODUCTION
Le nouveau roi, François II, est sacré à Reims. Toute la cour s’y rend mais la princesse de Clèves
demande à son mari d’échapper à cela et de se rendre à leur maison de campagne, à Coulommiers.
Le duc de Nemours donne comme prétexte une affaire urgente à
Paris pour se rendre à Coulommiers avec le désir de voir la princesse de Clèves. Le prince de
Clèves, qui soupçonne le dessein du duc de Nemours, envoie un gentilhomme espionner ce dernier.
Le duc de Nemours s’infiltre une première fois dans le cabinet ouvert de la princesse de Clèves,
dans lequel il la surprend rêveuse devant un de ses portraits.
composition du texte :
cet extrait inverse les rôles de l’observatrice et de l’observé, et l’observatrice d’être observée…
Reste que cet extrait est la confirmation pour le duc, s’il lui en fallait une, que la princesse est
passionnément éprise de lui.
DEVELOPPEMENT
I De l’obscurité à la lumière
A) L’émissaire du prince de Clèves
« Le gentilhomme, qui était très capable d’une telle commission, s’en acquitta avec toute
l’exactitude imaginable. Il suivit M. de Nemours jusqu’à un village, à une demi-lieue de
Coulommiers, où ce prince s’arrêta, et le gentilhomme devina aisément que c’était pour y
attendre la nuit. Il ne crut pas à propos de l’y attendre aussi, il passa le village et alla dans la
forêt, à l’endroit par où il jugeait que M. de Nemours pouvait passer, il ne se trompa point dans
tout ce qu’il avait pensé. Sitôt que la nuit fut venue, il entendit marcher, et quoiqu’il fît obscur,
il reconnut aisément M. de Nemours. »
-Outre que l’extrait débute in medias res,le narrateur omniscient passe par les yeux du gentilhomme
pour renseigner le lecteur.
-Par ailleurs, celui-ci n’a pas été choisi au hasard mais pour son excellence à mener à bien la tâche
qui lui est confiée comme l’indiquent le superlatif absolu de l’adverbe « très » auquel s’ajoutent le
verbe à valeur résolutoire et l’expression hyperbolique « toute l’exactitude.
-Il y a une part de suspense dans cette observation que le gentilhomme semble maîtriser en même
temps qu’elle se déroule.
-L’intuition crée l’affût : le lecteur assiste là à une sorte de chasse, presque à une tactique de guerre.
-et tandis que le duc de Nemours décide d’attendre la nuit dans le village non loin de Coulommiers
avant de s’y rendre pour voir la princesse, le gentilhomme décide, lui, d’attendre le duc précisément
où il sait qu’il passera pour approcher du château de la princesse. Ce gentilhomme prémédite ce
qu’il va faire en fonction de ce que prémédite le duc lui-même. :s’inscrit dans l’acte du regard.
si voir, c’est savoir et comprendre, c’est aussi juger et condamner.
Transition : le duc est passé de l’ombre à la lumière, mais c’est oublier qu’il est toujours sous le
regard soupçonneux d’un gentilhomme émissaire du prince de Clèves.
II De la lumière à l’éblouissement
A) Un portrait érotique
« Il se rangea derrière une des fenêtres, qui servaient de porte, pour voir ce que faisait M me de
Clèves. Il vit qu’elle était seule, mais il la vit d’une si admirable beauté, qu’à peine fut-il maître du
transport que lui donna cette vue. Il faisait chaud, et elle n’avait rien sur sa tête et sur sa gorge
que ses cheveux confusément rattachés. »
-Après les mouvements circulaire puis pénétrant, pour approcher le cabinet où se trouve
la princesse, il se fige « derrière une des fenêtres, qui servaient de porte » et devient lui-même
spectateur.
-Nous observons un personnage qui en regarde un autre, tandis qu’il est lui-même regardé par un
autre dépêché par les soupçons (regards symboliques) d’un époux qui voit symboliquement en lui
l’amant de son épouse.
-Le duc constate la solitude de la princesse,
-omniprésence du regard : « cette vue » ; « admirable » d’où l’étonnement devant le plus : la
merveille.
-pulsion scopique : cette pulsion tient du fantasme réalisé, puisqu’il est dit du duc : « à peine fut-il
maître du transport que lui donna cette vue », nous pouvons attribuer une dimension sexuelle dans
laquelle le duc se masturberait devant l’hyperbolique beauté (« si admirable ») de la princesse.
- La princesse est au plus simple de son intimité (cela se traduit par une coiffure non élaborée : «
elle n’avait rien sur sa tête », « ses cheveux confusément rattachés » et par un vêtement qui ne
dissimule rien de sa « gorge », attribut physique féminin par excellence érotique
dans l’imaginaire de très nombreuses cultures,
-Ce n’est ici ni plus ni moins qu’un homme qui regarde une femme : ni duc ni princesse…
« Elle était sur un lit de repos, avec une table devant elle, où il y avait plusieurs corbeilles pleines
de rubans, elle en choisit quelques-uns, et M. de Nemours remarqua que c’étaient des mêmes
couleurs qu’il avait portées au tournoi. Il vit qu’elle en faisait des nœuds à une canne des Indes, fort
extraordinaire, qu’il avait portée quelque temps et qu’il avait donnée à sa sœur, à qui M me de
Clèves l’avait prise sans faire semblant de la reconnaître pour avoir été à M. de Nemours. »
-La narratrice, par le biais du regard du duc, apporte des détails au tableau : « Elle était sur
un lit de repos, avec une table devant elle, où il y avait plusieurs corbeilles pleines de rubans ». On
retrouve là la caractéristique de la princesse des contes de fées,
-la couleur apparaît dans le tableau par le grand nombre de rubans placés dans une corbeille (là où
tout n’était jusqu’à présent qu’obscurité).
-C’est là que l’on bascule dans la dimension cinématographique : « elle en choisit
quelques-uns, et M. de Nemours remarqua que c’étaient des mêmes couleurs qu’il avait portées au
tournoi. Il vit qu’elle en faisait des nœuds à une canne des Indes, fort extraordinaire, qu’il avait
portée quelque temps ». Le duc, en entrant par intrusion dans l’intimité de la princesse sans qu’elle
s’en rende compte, affermit sa connaissance des sentiments qu’elle lui porte.
- Il est très important de souligner que les couleurs d’un chevalier lors d’un tournoi étaient souvent
celles de sa dame. C’était l’occasion de déclarer de façon plus ou moins explicite son amour et
son désir à une femme, donc la princesse est en train de faire concorder les rôles impartis au
masculin (les couleurs du duc portées au tournoi) et au féminin (ce qu’elle fait de ces rubans). C’est
dire au duc, dans son imaginaire, puisqu’elle ne sait pas qu’il l’observe, qu’elle le reconnaît comme
étant son chevalier.
- En fait, la princesse devient dans son imaginaire celle qui honore le chevalier en acceptant ses
couleurs et il y a à nouveau une sorte de pulsion scopique que l’on a précédemment résumée.
- La révélation à laquelle assiste le duc s’accompagne d’un transfert de sensations, par laquelle il
éprouve du plaisir à ce qu’elle touche cette canne qui lui a appartenu.
-Outre que le seul lieu où chacun peut se laisser aller à aimer l’autre c’est dans la dissimulation
que lui procure l’intimité de son intériorité, c’est manifestement aussi par la possession d’un
objet subtilisé à la personne aimée. (cane et portait de l’extrait 1).
-N’oublions pas cependant qu’au moment où le duc observe cette femme , il est en train d’être
observé par un autre personnage dépêché par les soupçons d’un époux qui voit symboliquement en
lui l’amant de son épouse.
C) L’imaginaire et le fantasme
« Après qu’elle eut achevé son ouvrage avec une grâce et une douceur que répandaient sur son
visage les sentiments qu’elle avait dans le cœur, elle prit un flambeau et s’en alla, proche d’une
grande table, vis-à-vis du tableau du siège de Metz, où était le portrait de M. de Nemours, elle
s’assit et se mit à regarder ce portrait avec une attention et une rêverie que la passion seule peut
donner. »
-La princesse se laisse donc aller à exprimer ce qu’elle ressent : « Après qu’elle eut achevé
son ouvrage avec une grâce et une douceur que répandaient sur son visage les sentiments qu’elle
avait dans le cœur ». Enfin, celle-ci, qui n’est plus sous l’œil de la cour, peut laisser physiquement
apparaître ce qu’elle éprouve intérieurement. :elle est ce qu’elle éprouve.
-Mais ce qui reste frappant, c’est que même dans l’intimité, la princesse est « grâce »
et « douceur ». Elle est l’incarnation de l’honnête femme, magnifique à l’intérieur comme à
l’extérieur !
-Et le lecteur, plongé dans la scène cinématographique, suit la princesse qui tient la lumière
(le « flambeau » c’est comme si elle détenait le sens, étant maîtresse du sens pour le duc, qui est
passé de l’ombre à la lumière et de la lumière à l’éblouissement), et se rend devant « une grande
table, vis-à-vis du tableau du siège de Metz, où était le portrait de M. de Nemours. » « Elle s’assit et
se mit à regarder ce portrait avec une attention et une rêverie que la passion seule peut donner. »
-l’éblouissement est d’autant plus puissant pour le duc, que sa prise de conscience va
crescendo avec ses émotions. Après la canne des Indes, la princesse observe un tableau où apparaît
le duc de Nemours dans son aura de guerrier
- Regarder ce tableau où apparaît l’homme qu’elle aime, c’est construire une histoire
(« une attention »), en éprouver du plaisir (« une rêverie »), satisfaire son sentiment (« la passion
seule peut donner »).
-Cela dit, revenons aussi à la mise en abîmes des regards : un gentilhomme dépêché par
les soupçons (regards symboliques) d’un époux, le prince de Clèves (qui voit symboliquement
en monsieur de Nemours l’amant de son épouse), observe le duc qui épie cette femme
passionnément aimée, qui est en train de contempler l’homme qu’elle aime sur un tableau qui le
représente…
Circulairement, le lecteur voit s’imbriquer les regards.
CONCLUSION
Cette scène du cabinet de campagne à caractère fortement pictural puis cinématographique, est à
plusieurs titres très intéressante : révélation ; mise en abîmes des regards ; conception des rôles
féminin et masculin.