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POUVOIR LOCAL ET

RÉVOLUTION, 1780-1850
La frontière intérieure
Roger Dupuy (dir.)

Pouvoir local et Révolution s'interroge sur les limites d'une centralisation dont Tocqueville avait fait
la logique profonde et déterminante d'une Révolution surgie pour briser les privilèges des corps
intermédiaires et des provinces et permettre ainsi l'édification d'une Nation homogène de citoyens
libres et égaux en droits. Mais cette centralisation, même apparemment triomphante sous la
Convention et, a fortiori, sous l'Empire, continue de se heurter à une sorte de frontière intérieure,
celle des communautés d'habitants, surtout rurales, qui ont leur propre vie politique. Toute carrière
y dépend de l'origine locale des individus, de l'ancienneté des familles, de l'influence des parentèles
et clientèles mais aussi du talent des personnes et du contrôle des sources locales de la richesse.
Peut-on considérer l'existence de cette autonomie relative des communautés rurales comme
l'origine véritable des insurrections de l'Ouest ? Comment s'articulent ces terroirs politiques avec
ces nouveaux intermédiaires que sont les différentes catégories de notables ? Dans quelle mesure
la démocratisation de la vie politique et son aboutissement, le suffrage universel, ont-ils pu
modifier cette frontière ? Autant de questions majeures posées durant ce colloque qui a donc milité
pour accélérer et amplifier la réhabilitation historiographique, déjà amorcée, de la politique au
village.
Soutiens à la numérisation
Roger  Dupuy, Jean-Pierre  Jessenne, François  Lebrun  et al.
Prologue
Roger  Dupuy
Introduction
Pouvoir et centralisation sous l'Ancien Régime
Daniel  Ligou
Les États de Bourgogne au XVIII  siècle e

Guy  Saupin
La distribution du pouvoir politique à Nantes à la fin de l'Ancien
Régime
Cynthia  Bouton
Les syndics des villages du bassin parisien des années 1750 à la
Révolution
Débat
Claude  Nières
Les obstacles provinciaux au centralisme et à l'uniformisation en
France au XVIII  siècle e

Christian  Kermoal
L'apprentissage administratif et politique des paysans à travers le
fonctionnement des généraux de deux paroisses trégorroises :
Ploubezre et Bourbriac
Débat

1789-1790, décentralisation et élections


Rachida  Tlili-Sellaouti
Pouvoir local et Révolution : les élections du printemps 1789 à Nancy
Steffen  Sammler
Le rôle des autorités locales normandes et saxonnes dans le début de
la Révolution et dans la révolte paysanne de 1790
Serge  Bianchi
L'élection des premiers maires (1790) en milieu rural dans le sud de
l'Ile-de-France : sources, résultats, interprétation
Jean-Pierre  Jessenne
La mise en place des administrations locales dans le Pas-de-Calais en
1790 : adhésions et conflits
Melvin  Edelstein
La réception de la Révolution en Bretagne : étude électorale
Patrice  Gueniffey
Participation électorale et abstention pendant la Révolution française
Débat

Typologie des conflits locaux


Martine  Lapied
Pouvoir local et Résistances à la révolution dans les communautés
rurales comtadines (1791-1794)
Christine  Peyrard
Pouvoir jacobin et sociétés populaires dans l'Ouest intérieur
Débat

Pouvoir local et terreur


Jacques  Bernet
Les clubs et le pouvoir local sous la Révolution : progrès de la
citoyenneté ou manipulation de la démocratie ? (l'exemple
champenois et picard, 1790-1795)
Martine  Braconnier
Le Puy-de-Dôme du printemps 1793 à Nivôse an II : pouvoir local et
république jacobine, tentative de protestation contre-révolutionnaire
et lutte contre les résistances
Jacques  Péret
Le village face à la terreur : l'exemple du département de la Vienne
Débat

Les préocupations quotidiennes


Claude  Coquard  et Claude  Durand-Coquard
La justice de paix, un pouvoir local nouveau : éléments de recherche
à travers l'exemple de deux cantons de l'Allier

Le pouvoir dans les villes


Bertrand  Frélaut
Municipalités élues, municipalités nommées : le pouvoir à Vannes de
1790 à 1815
Claude  Mazauric
”Une histoire urbaine dans la Révolution française : à Rouen, rien ne
change mais tout a changé”

Amorce d'un bilan : les permanences


Christine Le  Bozec
Les relations Paris-Province-Paris à travers un réseau de notables
Valérie  Sottocasa
Résistances paysannes et révolution : le cas des hautes terres du sud
du Massif central
Débat

La période directoriale : immobilisme et violence


Claude  Gindin
Pouvoir local et Révolution : les districts et l'enquête de l'an II sur les
moulins
Malcom  Crook
Élections et comportement électoral sous le Directoire, 1795-1799
Kåre  TØnnesson
Pouvoir central, pouvoir local et population : le Roussillon sous le
Directoire
Bernard  Gainot
Sociétés politiques et administrations locales sous le Directoire faits
et interprétations (quelques exemples de chef-lieux de cantons entre
Saône et Loire)

Permanences
Jocelyne  George
Pouvoir local ou “intérêt local” ?
Pierre  Ardaillou
L'église, l'école et la mairie : les enjeux du pouvoir local dans le pays
de Caux des années 1840
Exemples étrangers
Anna-Maria  Rao
Pouvoir local et Révolution dans l'Italie jacobine et napoléonienne
Eliseu  Toscas
Les rapports entre l'État et les pouvoirs locaux en catalogne (1780-
1850) : bilan des recherches

Éléments pour un bilan provisoire et discussion finale


Georges  Fournier
Les municipalités languedociennes à l'épreuve de la Révolution
(1780-1800)
Philippe  Blanchet
Langues et pouvoirs en France de 1780 à 1850 : un problème de
définition
Éléments linguistiques pour une histoire de la centralisation
Débat

Conclusions
Jean-Pierre  Jessenne
Élément de conclusion I
Jocelyne  George
Élément de conclusion II
Roger  Dupuy
Élément de conclusion III
Prologue
Roger Dupuy, Jean-Pierre Jessenne, François Lebrun, Colin Lucas et Michel Voyelle

p. 7-9

TEXTE AUTEURS

TEXTE INTÉGRAL
1Ce colloque, organisé par l'Université de Rennes 2 (Centre de
recherche sur les sociétés rurales traditionnelles de l'Ouest
Armoricain, URA-CNRS 1022) se propose d'étudier, à partir du
renouvellement des travaux sur les communautés paysannes (Y.-
M. BERCÈ, J.-P. GUITTON, J.-P. JESSENNE, G. LEVI, M. EDELSTEIN,
D. HUNT, P. JONES, J. SKINNER, Ε. WEBER, etc.) et la socio-histoire
des villes J.-P. GARDEN, Cl. NIÈRES, etc.), l'évolution du pouvoir
local pendant la période révolutionnaire et la première moitié du
XIX  siècle.
e

2Il s'agit avant tout de réévaluer la thèse centrale de Tocqueville


soulignant la continuité d'une centralisation poursuivie et même
accentuée de l'Ancien Régime bourbonien à la Révolution et à
l'Empire. Le discours récent sur la fin tardive des terroirs souligne,
au contraire, les impuissances de cette politique, les résistances
qui l'ont durablement freinée et nous incite donc à nous
interroger sur la mutation effective des pouvoirs locaux en France,
entre 1780 et 1850, avec bien sûr un regard sur le reste de
l'Europe.
3S'interroger d'abord sur les limites de la centralisation d'Ancien
Régime, à la ville comme à la campagne. La mosaïque
institutionnelle et juridique dénoncée par Mirabeau empêche-t-
elle l'autorité du Roi de se manifester ? Où s'arrête l'autorité
du  “Commissaire départi” et de ses subdélégués ? Qu'en est-il des
pouvoirs du seigneur, de son juge et de son procureur ? Qui
gouverne effectivement la ville ?
4Comment expliquer enfin l'effondrement brutal de l'autorité
monarchique durant l'été 1789 ? Qui prend le pouvoir, localement
en 1790 ? Que représente, toujours localement, la
séquence  “terroriste” de 1793-1794 ?
5On pourrait continuer ainsi le questionnement jusqu'en 1815 et
au-delà. C'est finalement se demander si la rupture l'emporte, à
ce niveau, sur la continuité ? Y-a-t-il eu éradication véritable du
système seigneurial ou bien une rémanence “guépardienne” ? Ne
faut-il pas plutôt distinguer des niveaux de pouvoir qui auraient
chacun leurs contraintes et leur histoire particulière ? Qu'en est-il
du retour du suffrage universel ?
6Les quatre journées de ce colloque pourront combiner analyses
diachroniques et problématiques transversales sur les quatre
thèmes suivants :

1. Le pouvoir local à la fin de


l'Ancien Régime :
7La stratigraphie des instances locales du pouvoir. Peut-on parler
d'une hégémonie nobiliaire dans les campagnes ? Qui l'emporte
dans les villes ? Société "orale" et localisme ? Existe-t-il un
pouvoir local sous l'Ancien Régime ? Qu'en est-il ailleurs, en
Europe, des rapports entre le centre et la périphérie villageoise et
urbaine ? Etc…

2. Pouvoir local et Révolution :


8La Révolution a signifié surtout, durant l'été de 1789,
l'effondrement brutal de l'appareil administratif et militaire de
l'absolutisme et des autres pouvoirs locaux à l'initiative et au
bénéfice d'instances dont il faudrait préciser la nature et la
répartition.
9L'organisation officielle des nouvelles circonscriptions
administratives (printemps-été 1790) bouleverse-t-elle
véritablement les personnels des anciennes hiérarchies locales ?
Au bénéfice de quel niveau administratif ?
10Peut-on parler d'un “pouvoir local” à Paris. Élections et
politisation des campagnes ? Occupation militaire et pouvoir
local ? Etc…

3. Pouvoir local et résistance à


la Révolution (1791-1814) :
11Les niveaux de la protestation “fédéraliste” ? “Anti-révolution”
paysanne et légitimité des pouvoirs locaux ? Contre-Révolution et
élites rurales traditionnelles, en France et hors de France ? Etc…

4. Stabilisation, réaction et
suffrage universel (1800-1850)
(France et hors-France) :
12Les conditions locales de la stabilisation consulaire et
impériale ? “Sanoir Pars” et suffrage censitaire ? Les limites locales
de la réaction (1815-1848) ? Le problème des élites de
substitution. Les limites de la deuxième expérience de suffrage
universel ? Etc…
AUTEURS
Roger Dupuy
Comité scientifique

Du même auteur

 La Garde nationale entre Nation et peuple en armes, Presses universitaires de Rennes,


2006
 Pouvoir local et Révolution, 1780-1850, Presses universitaires de Rennes, 1999
 Aux origines idéologiques de la Révolution, Presses universitaires de Rennes, 2001
 Tous les textes
Jean-Pierre Jessenne
Comité scientifique

Du même auteur

 Nationales, communautaires, bourgeoises ? in La plume et le sabre, Éditions de la


Sorbonne, 2002
 Préface in Dans le tourbillon de la Révolution, Presses universitaires de Rennes, 2016
 Les études rurales britanniques et françaises : histoires comparatives, échelles territoriales
et chronologies in Ruralité française et britannique, XIIIe-XXe siècles , Presses universitaires
de Rennes, 2005
 Tous les textes
François Lebrun
Comité scientifique

Du même auteur

 Pour l'histoire de la médecine, Presses universitaires de Rennes, 1994


 À propos des "curiosités françaises" d’Antoine Oudin (1640) in Foi, Fidélité, Amitié en
Europe à la période moderne, Presses universitaires François-Rabelais, 1995
 La guerre de course en Méditerranée au XVII  siècle in Paris et ses campagnes sous l’Ancien
e

Régime, Éditions de la Sorbonne, 1994


 Tous les textes
Colin Lucas
Comité scientifique

Du même auteur

 Robespierre : homme politique et culture politique in Robespierre. De la Nation artésienne


à la République et aux Nations, Publications de l’Institut de recherches historiques du
Septentrion, 1994
 Débat in 1795, pour une République sans Révolution, Presses universitaires de Rennes,
1996
 Débat in 1795, pour une République sans Révolution, Presses universitaires de Rennes,
1996
 Tous les textes
Michel Voyelle
Comité scientifique
Introduction
Roger Dupuy

p. 11-16

TEXTE NOTES AUTEUR

TEXTE INTÉGRAL
 1 VOVELLE Michel, La découverte de la politique, géopolitique de la
révolution française, Édit. la d (...)

1Le prologue a défini le questionnement global du colloque, reste


à en préciser les raisons liées au moment et au lieu. Il s'agit, en
1993 de commémorer ici, à Rennes, les début de la vaste
insurrection de l'Ouest qui affecta tragiquement une douzaine de
départements pendant plus de sept ans, de 1793 à 1800, sans
oublier les retours de flamme ultérieurs. Au lieu d'évoquer, une
fois encore, les péripéties de ce soulèvement, il nous a semblé
plus fructueux d'entamer une réflexion globale à la suite du
colloque de 1985 sur “Les Résistances à la Révolution” qui avait
conclu à l'omniprésence de ces résistances, l'explosion
insurrectionnelle de l'Ouest n'étant que le paroxysme d'une
protestation générale, mais généralement plus prudente ailleurs,
avec toute la gamme des attitudes intermédiaires. Il s'agit de
substituer à l'apriori simpliste d'une adhésion massive et
permanente des Français à l'idéologie révolutionnaire, isolant
quelques bastions réactionnaires dans l'Ouest et le Midi, vision
liée à l'unanimisme des espérances initiales, une approche plus
nuancée, dans l'espace et dans le temps, de la réception locale
des exigences successives d'un État-Nation toujours plus radical.
Sans oublier que parfois, c'est localement que l'on anticipe sur les
décisions “révolutionnaires” du pouvoir central. C'est d'ailleurs ce
que Michel Vovelle vient de commencer, dans un de ces derniers
livres1 en tentant de cartographier les indices d'acculturation
politique des Français pendant la période révolutionnaire.
2Dans quelle mesure ces résistances ou ces initiatives sont-elles
le fait des pouvoirs locaux ? Encore faut-il savoir de quoi l'on
parle. Il y a, sous l'Ancien Régime, toute une hiérarchie de
pouvoirs qui prétendent incarner les intérêts locaux. En
simplifiant disons qu'il y a deux niveaux significatifs à considérer :
celui des corps intermédiaires (noblesse, clergé, parlements, états
provinciaux…) et celui des communautés d'habitants (paroisses
rurales et villes proprement dites). Les corps intermédiaires
prétendent, à la fois, servir le roi et défendre les intérêts des
communautés d'habitants, l'ambiguïté de ce statut est le
fondement de leur autorité relative qu'ils justifient par une double
légitimité : enracinement local et délégation du pouvoir royal.
Disons qu'apparemment, et le colloque devra le confirmer,
l'existence de ce niveau aboutit à atténuer l'emprise du pouvoir
royal, à atténuer le centralisme “tocquevillien” de la monarchie
bourbonienne qui, si elle a “domestiqué” les “Grands", accru sa
tutelle sur les villes, se heurte aux parlements et semble hésiter
sur sa stratégie à l'égard de la noblesse “seconde” et des
hoberaux ruraux : noblesse de service ou “gentry” semi-
autonome ?
 2 MOUSNIER Roland,  Les Institutions de la France sous la Monarchie
absolue, P.U F., Paris 1974. p.43 (...)

3Reste le niveau de base, celui des communautés d'habitants,


surtout dans les campagnes. Il faut rappeler ce qu'en dit Roland
Mousnier, après avoir opérer l'énumération empirique de leurs
activités2 :
4“Ainsi les communautés d'habitants et les paroisses
constituaient les unités locales de base, qui groupaient les
éléments essentiels pour satisfaire leurs besoins et pour
participer à des tâches publiques de finance, de sécurité.”
5C'est résumer l'essentiel des fonctions habituellement attribuées
à ce niveau élémentaire de l'organisation politique sans que soit
clairement défini ce qui relève des “besoins” de la communauté et
ce qui dépend des “exigences” des instances supérieures du
pouvoir. En fait, le niveau communautaire doit arbitrer en
permanence entre ces deux impératifs, pas toujours
nécessairement contradictoires, dans une négociation qui n'a pour
limite que l'urgence et l'ampleur des prélèvements imposés et la
capacité ainsi que la volonté des sujets à s'exécuter.
6Cela pose la question de l'adhésion au régime, fonction négligée
par Roland Mousnier et qui nous semble essentielle pour la
cohésion politique du royaume. C'est une idée reçue, et l'enquête
systématique, entreprise par Jean Nicolas, des troubles sociaux au
XVIII  siècle, ne devrait pas la remettre fondamentalement en
e

cause, que ce siècle n'a plus connu, avant la Grande Peur de 1789,
aucune jacquerie véritable. Il y a des manifestations de rebellion à
l'encontre de l'autorité seigneuriale, ou monarchique, qui peuvent
aller jusqu'à l'émeute locale, mais on n'assiste plus aux puissants
soulèvements provinciaux du siècle précédent. Et quand on
connaît la faiblesse des moyens permanents de coercition de la
monarchie, hors Paris et les frontières, on ne peut qu'en déduire
l'adhésion globale à la monarchie absolue de l'immense majorité
de la population du royaume et donc de la paysannerie.
7Outre les manifestations épisodiques de loyalisme monarchique
des communautés d'habitants, en tant que telles (délibérations,
lettres…), il nous semble que la fonction de légitimation, surtout
dans le monde rural, est essentiellement assurée par l'Église. Par
ses prières dominicales qui associent étroitement la prospérité de
la communauté à celle du souverain, par les cérémonies
exceptionnelles qu'elle organise, jusqu'au fond des campagnes,
pour célébrer les temps forts des règnes successifs, l'Église
participe à la consolidation interne du régime. Elle confirme, en
permanence, la transcendance divine de la monarchie absolue.
8Les événements du printemps 1789 vont substituer un nouveau
type de transcendance à l'ancien, la volonté générale de la Nation
à la monarchie absolue de droit divin, et l'Église est à nouveau
invitée à lui conférer la même sacralité que celle qu'elle prodiguait
à l'Ancien Régime, avec le problème délicat que suscite, sous la
Constituante et sous la Législative, la cohabitation de la Nation et
du Roi et donc la nécessité, pour le clergé, de se déjuger quant à
la suprématie antérieure du roi. La question de la Constitution
civile du clergé et du serment prend donc, dès juillet 1790, une
importance fondamentale, car elle pose implicitement le problème
de la légitimation du pouvoir. On comprend mieux ainsi,
l'acharnement instinctif des “patriotes” contre les prêtres
réfractaires dont l'attitude signifiait la remise en cause de la
légitimité de la Nation. Face aux municipalités nouvelles et
surtout aux gardes nationales, vecteurs de l'élan des Fédérations
par lequel s'affirme l'adhésion des patriotes locaux à la nouvelle
transcendance, le refus du serment en signifie le rejet. La chapelle
écartée, la lande abritée où communient les partisans du prêtre
réfractaire, deviennent les temples de l'ancienne transcendance où
l'on exalte les valeurs et les fidélités qu'elle cautionnait. Ce ne
sont pas les instances du pouvoir local qui ont suscité les raisons
de l'affrontement, mais elles se voient sommées de prendre parti
et si elles dénoncent le prêtre réfractaire, il leur faudra affronter la
majeure partie de la communauté qui, dans l'Ouest, prend fait et
cause pour son curé légitime.
 3 FURET François, OZOUF Mona,  Dictionnaire critique de la Révolution
Française, Flammarion, Paris 19 (...)

9C'est une façon de répondre aux assertions, pour une fois


convergentes, de François Furet et de Michel Vovelle, qui dans
leurs derniers ouvrages respectifs en venaient à estimer que la
religion devait jouer un rôle essentiel dans la grande insurrection
de l'Ouest, en mars 17933 Mais il ne faut pas concevoir ce rôle
indéniable comme la conséquence d'une piété individuelle plus
exigeante, chez ces paysans, sous l'aiguillon efficace des missions
post-tridentines, mais comme la manifestation prévisible de
l'imbrication du politique et du religieux pour une paysannerie
encore profondément convaincue du poids de la providence dans
les conditions concrètes de son existence. Elle ne saurait
acquiescer à la prétendue supériorité de la prétendue Nation sur
la souveraineté du roi et donc accepter les levées d'hommes, cet
impôt du sang qu'on ne saurait consentir qu'au seul pouvoir
légitime suprême.
10Le fait que la levée des 300 000 hommes provoque l'envoi
massif de représentants en mission dans la plupart des
départements signifie bien que le recrutement n'allait pas de soi.
Le recours généralisé aux administrations de district et aux
sociétés populaires prouve bien que le problème se pose au
niveau local et que les municipalités, en règle générale, sont
incapables de le résoudre. Le colloque pourra ainsi vérifier
l'impact de la Terreur au fond des départements et sa signification
dans un moment où la question de l'intégration nationale
conditionne, dans l'urgence, la survie de la République. La
Terreur, outre le châtiment des traîtres et la soumission des
tièdes, prouverait la nécessité, au moment où l'on condamne les
prêtres constitutionnels, de conforter l'avènement de la nouvelle
sacralité confirmée par l'exécution du roi. La mort pour les
coupables dramatise la gravité extrême du crime de lèse-Nation
mué en sacrilège véritable.
11L'insurrection de mars 93 et les événements qui en résultèrent
peuvent donc être considérés comme un épisode particulièrement
intense du processus d'intégration des anciennes provinces non
plus au royaume mais à l'État-Nation exaspéré par une résistance
qui aboutit à nier une souveraineté tout juste proclamée et qu'il
faut donc impitoyablement imposer.
 4 LEBRUN François, DUPUY Roger (sous la dir.),  Les Résistances à la
Révolution, Actes du colloque de  (...)

 5 MICHELET,  Histoire de la Révolution Française, Bilioth. de la Pléiade,


N.R.F., Paris 1952, tome 2, (...)

12Après avoir analysé les modalités locales de cette épreuve de


force, ne faut-il pas se demander si la perspective tocquevillienne
d'un centralisme bourbonien continué et accentué par l'État-
Nation ne masque pas une autre conséquence majeure de la
Révolution, à savoir la division profonde des citoyens entre
partisans et adversaires de cette même Révolution ? Au moment
même où la fête de la Fédération du 14 juillet 1790 symbolise la
volonté d'unification nationale des “patriotes”, la Constituante
déclenche, sans vraiment le vouloir, une dynamique du refus qui
va profondément et durablement diviser une paysannerie qui
s'interrogeait encore sur l'ampleur et les limites du changement
souhaité. La promulgation, le 12 juillet 1790, de la Constitution
civile du clergé amorce une réaction en chaîne, qui va cristalliser
le refus et la colère d'une partie de la paysannerie face aux
exigences du nouvel État et aux brutalités, souvent arrogantes, de
ses relais locaux. Ce sont ces refus et colères, aboutissant parfois
à des rebellions armées, que le colloque rennais de 1985 sur les
résistances à la Révolution a proposé d'appeler “anti-révolution
populaire”4 Il y fut également démontré comment le refus de
l'intégration nationale accélérée imposée par les “Jacobins” et que
Michelet avait traduit, pour la Vendée, par le mot “insociabilité” 5 a
été rapidement récupérée par la Contre-Révolution aristocratique.
Les cadres nobiliaires et cléricaux de la Vendée, de la
Chouannerie, et ceux d'autres régions protestataires (Lozère.),
vont interpréter la jacquerie paysanne au premier degré, en
termes d'obéissance absolue au Roi, de dévotion à l'ancienne
religion et donc d'un retour intégral à l'Ancien Régime, et les
autorités patriotes, en parlant d'ignorance et de fanatisme, vont
contribuer à légitimer cette O.P.A. de la Contre-Révolution
aristocratique sur l'Anti-Révolution populaire. Ajoutons que les
deux séquences ultérieures de césarisme compliquent encore le
tableau en ajoutant d'autres lignes de clivage à l'antagonisme
initial : le “patriotisme” de certains cantons et même parfois
“l'anti-révolution” de certains autres pouvant se muer en
“Bonapartisme”.
13Reste au colloque à s'interroger sur la démocratisation
progressive des pouvoirs locaux sous la Monarchie de juillet,
jusqu'où pouvait-elle aller ? Faut-il reconnaître dans la France des
notables l'hégémonie perpétuée de la “sanior pars” ? Et dans cette
perspective, quel impact accorder à l'adoption du suffrage
universel dans le processus d'intégration nationale - la fin des
terroirs - et dans le rôle et le fonctionnement des pouvoirs
locaux, ne faut-il pas y voir plutôt l'ultime légitimation de la
nouvelle transcendance ?
14C'est dire que par delà l'analyse de la réception locale des
innovations politiques et administratives de la période
révolutionnaire et de ses prolongements, ce colloque pose une
fois de plus la question de la rupture et de la continuité au travers
de la difficile adéquation entre Nation et Révolution qui, en fin de
compte, obéiraient à des logiques constitutives différentes.
NOTES
1 VOVELLE Michel,  La découverte de la politique, géopolitique de la
révolution française, Édit. la découverte, Paris 1993.

2 MOUSNIER Roland,  Les Institutions de la France sous la Monarchie


absolue, P.U F., Paris 1974. p.433.
3 FURET François, OZOUF Mona,  Dictionnaire critique de la Révolution
Française, Flammarion, Paris 1988, p.39. et p. 193. VOYELLE Michel, op.
cit.,p.339.

4 LEBRUN François, DUPUY Roger (sous la dir.),  Les Résistances à la


Révolution, Actes du colloque de Rennes, 17-21 septembre 1985,
Imago, Paris 1987.

5 MICHELET,  Histoire de la Révolution Française, Bilioth. de la Pléiade,


N.R.F., Paris 1952, tome 2, p. 263-264.

AUTEUR
Roger Dupuy
Du même auteur

 La Garde nationale entre Nation et peuple en armes, Presses universitaires de Rennes,


2006
 Pouvoir local et Révolution, 1780-1850, Presses universitaires de Rennes, 1999
 Aux origines idéologiques de la Révolution, Presses universitaires de Rennes, 2001
Les États de Bourgogne au
XVIII  siècle e

Daniel Ligou

p. 19-31

TEXTE AUTEUR

TEXTE INTÉGRAL
1“Quant à l'administration politique de la Province, elle est régie
par États dont la convocation générale se fait régulièrement de
trois en trois ans, le plus souvent au mois de may à moins que les
affaires de la Cour ou du gouvernement ne fassent avancer ou
retarder la convocation”… “Les États s'assemblent par permission
du Roy et se tiennent en présence du gouverneur et, en son
absence, par l'un des lieutenants généraux du gouvernement ”.
Ainsi s'exprime, en 1699, l'Intendant François Ferrand dans le
Mémoire sur la province qui fait partie de la collection
documentaire que le duc de Beauvilliers avait réclamée aux
commissaires départis pour l'instruction” du duc de Bourgogne,
héritier présomptif du trône.
2Il est évidemment impossible, en quelques pages, de traiter
l'ensemble du problème posé par le maintien et l'activité de ces
États. Quelques mots d'abord de “géographie politique”, car, il y a,
en fait trois Bourgogne : la Bourgogne “ducale”, les “comtés
adjacents”, Auxonne, Auxerrois, Charolais, Bar sur Seine,
Mâconnais et les “pays de l'Ain”, Bresse, Bugey, Valromey, Gex,
annexés en 1603 auxquels se joint, en 1781, la “généralité” de
Trévoux. Cet ensemble fait partie de la généralité de Bourgogne et
du “gouvernement militaire” du même nom. Par contre, la
Bourgogne du ressort du Parlement de Dijon exclut trois comtés,
Auxerre, Bar et Mâcon qui dépendent de Paris et celle des États ne
comprend pas les “pays de l'Ain” qui échappent au système étant
pays d'élections avec des ébauches d'assemblées, aux pouvoirs
restreints, mais qui ont tendance à s'accroître.
3Primitivement, les États ne regroupaient que les cinq “ ” de le
Bourgogne des ducs, Dijon, Autun, Chalon, Auxois, “Montagne”
(Châtillon sur Seine), les comtés ayant une administration
autonome, avec des “États particuliers” à Auxonne, Charolais et
Mâconnais, Auxerre et Bar ne connaissant pas cette institution. La
tendance, à l'époque moderne, a été l'incorporation des comtés
dans la Bourgogne des États. Auxerre est “uni et incorporé” en
1639, Auxerre en 1668, Bar en 1721, le Charolais en 1751. Seuls
subsistent, en 1789, les “petits États” ou “États particuliers” du
Mâconnais. Cette incorporation amène la suppression des
Élections à Auxerre et à Bar, tandis que le Mâconnais, jusqu'à la
Révolution française, reste à la fois pays d'États et pays
d'élections, ce qui paraissait paradoxal aux contemporains eux-
mêmes. Jusqu'à leur annexion, les comtés “députaient” aux “États
généraux” de la Province, et leur “incorporation” donnait lieu à de
longues négociations, suivies d'un véritable “traité” fixant les
rangs et places de chacun.
4Ajoutons que nul part la carte écclésiastique ne correspondait à
la carte administrative, que les limites des bailliages et celles des
“recettes”,(circonscriptions financières) étaient parfois différentes,
que le bailliage d'Auxerre s'étendait jusqu'à la Loire, que des
paroisses de l'Auxois et du comté d'Auxerre relevaient des
bailliages de Troyes et de Villeneuve le Roi, que les frontières
entre Mâconnais et Brionnais (bailliage secondaire d'Autun) étaient
mal fixées, que les enclaves étaient multiples et qu'il existait des
“terres de surséance” entre Bourgogne, Champagne, et généralité
de Paris.
5Comme partout sous l'Ancien Régime, les États groupaient
Clergé, Noblesse et Tiers État. Le nombre des “députés” aux États
a évidemment varié, mais, après l'incorporation du Charolais, en
1751, il est demeuré à peu près fixe. Le Clergé comprenait les
quatre évêques bourguignons, MM. d'Autun qui s'affirmait
“président né”, de Chalon, Auxerre et Mâcon auxquels s'était
ajouté en 1731, leur collègue de Dijon. Aucun des évêques dont le
siège était extérieur à la Bourgogne (Langres, malgré quelques
timides tentatives, Besançon, Nevers, Clermont) n'y siégeait, pas
plus que les prélats ayant autorité sur les pays de l'Ain (Belley,
Lyon, Genève-Annecy, puis, après 1742, Saint-Claude). Si la
primauté autunoise était admise, on discutait encore, en 1789,
sur les places respectives de Chalon, Auxerre et Dijon, tandis que
le droit de séance du prélat mâconnais qui ne venait jamais et se
contentait de présider ses “États particuliers” était contesté.
S'ajoutaient 19 abbés parmi lesquels Citeaux et St Benigne de
Dijon se disputaient la primauté, mais desquels Cluny était exclu,
14 députés des Chapitres cathédraux et collégiaux, 12 prieurs
non réguliers, 72 prieurs claustraux et députés des abbayes, enfin
les “députés des comtés”.
6Entrait dans la Chambre de la Noblesse tout noble ayant 100 ans
de noblesse, propriétaire de fief ayant haute justice dans le duché
et exerçant le métier des armes, ce qui excluait les magistrats. La
Chambre s'autorecrutait en désignant, à chaque session, deux
“commissaires” chargés d'examiner les titres des postulants.
L'“élu” sortant de charge présidait et les membres s'asseyaient
“sans garder aucun rang”.
7Le Tiers État comprenait des “députés des villes qui ont droit
d'entrée aux assemblées”. Ce sont Dijon, dont le maire est
président et qui désigne trois députés, les villes “ de la
grande roue” — 9 en 1600, 13 en 1789 – qui en désignent deux et
siègent dans un ordre très précis, les villes de la “ petite roue” dont
le nombre a fort varié autour d'une quarantaine et dont certaines
n'ont qu'un député, d'autres en ont deux, d'autres enfin, ont un
“député alternatif”, roulant sur 4 ou 5 communautés (Charolais,
ancien comté d'Auxonne). Bar désignait 3 députés, le Mâconnais
était représenté par un député “alternatif” des quatre villes du
comté, plus un officier de l'élection. Mais, quelle que soit son
importance, chaque ville n'avait qu'une voix. Le ou les députés
étaient théoriquement élus par l'ensemble des habitants mais, en
fait, le maire et les échevins monopolisaient ta représentation.
8Une des fonctions des États était l'élection des “Élus” qui
formaient la “commission intermédiaire”, et, en fait,
administraient la Province pendant l'intervalle des sessions et les
Alcades, qui réunis trois semaines avant celles-ci, faisaient des
“remarques”. Les élus étaient 7 (un clerc, choisi alternativement
parmi les évêques, les abbés et les doyens, un gentilhomme choisi
par la Chambre, deux Élus du Tiers, un maire de la “grande roue”
désigné en alternance et le maire de Dijon, deux magistrats de la
Chambre des Comptes, et l'“élu du Roi” qui, à partir de 1758 fut
un Trésorier de France) mais ne représentaient que 5 voix, les
deux représentants de la Chambre des Comptes et les deux
membres du Tiers n'en ayant qu'une. Quant aux sept alcades,
deux représentaient le Clergé, deux la Noblesse, trois le Tiers – un
maire de la Grande roue, un maire de la petite, un représentant
des “comtés”.
9Les États sont convoqués par le Roi, en fait, c'est le gouverneur
qui qui envoie les invitations. C'est lui qui préside, assisté des
commissaires du Roi, le Premier Président et l'Intendant. Ils sont
encadrés, d'un côté par les évêques “ en rochet et camail”, de
l'autre par les lieutenants généraux, l'élu de la Noblesse et les
deux Trésoriers de France, tous assis sur des “ fauteuils”. Nobles
et clercs ont droit à des sièges “à dossier”. Le tiers siège “dans le
fond du théatre”, mais le maire de Dijon a “un siège distingué de
ceux des autres députés”.
10La session s'ouvre par un discours du plus ancien Trésorier de
France qui présente les lettres patentes de convocation, puis
interviennent le gouverneur, le premier président, enfin
l'Intendant qui présente sa “commission” et fait des “ réquisitions
conformes aux ordres de la Cour”, c'est-à-dire d'ordre financier.
Après quoi, chaque Chambre se réunit en “assemblée particulière”
et ne communique avec les autres que par “députations”, deux
membres nommés par le Président de la Chambre, l'évêque
d'Autun, l'élu sortant de la Noblesse, le maire de Dijon. Les
négociations sont évidemment interminables. Pendant ce temps,
on désigne les élus et les alcades. Quand tout est fini, se réunit la
“Chambre de la Conférence” dans laquelle on vote par ordre. Si au
moins deux Chambres sont d'accord, il y a “décret” qui est
renvoyé aux Élus pour exécution. Après les États, les nouveaux
élus, escortés des syndics de Bresse et de Bugey, effectuent à
Versailles le “voyage d'honneur”, sont reçus par le Roi et les
ministres et leur remettent le “Cahier de Doléances”.
11Le personnel des États s'est amplement développé au cours du
XVIII  siècle, au fur et à mesure que grandit leur activité. En effet,
e

Richelieu ayant, en 1631, accepté, moyennant, il est vrai, 1.


600. 000 L, le rachat des charges des Bureaux d'Élection en
Bourgogne, les fonctions financières des États se sont maintenues
jusqu'en 1789, et, tenant les cordons de la bourse, ils ont pu
intervenir dans à peu près tous les domaines. Le grand fait nous
parait avoir été le développement de l'efficacité de son personnel
et surtout la rationalisation des bureaux. Il y a l'esquisse du
fonctionnarisme moderne, et beaucoup de “commis” des États
passeront, sans difficultés, au service des départements
successeurs.
12Les vraies chevilles ouvrières du système sont les deux
“trésoriers généraux des États” et les deux “secrétaires en chef”.
Les premiers, différents par là des receveurs généraux des pays
d'élections – qui existent bien à Dijon, mais n'ont guère
compétence que pour les “pays de l'Ain” – sont nommés par les
États et révocables par eux. Ils dirigent 16 “receveurs particuliers”,
eux aussi “commis” par les États et qui leur rendent compte.
Jusqu'en 1720, il y eut deux trésoriers, puis, de cette date à 1789,
un seul. La famille Chartraire s'est perpétuée dans cette charge.
Quant aux secrétaires en chefs (“greffiers”, “greffiers secrétaires”,
“secrétaires en chef”), toujours au nombre de deux, ils contrôlent
l'ensemble de l'administration des commis dont le nombre et
l'organisation a beaucoup évolué.
13Il est inutile de préciser les épisodes de cette évolution. En
1756, apparaît le “Bureau des Vingtièmes”, premier bureau
spécialisé, en 1782, le “Bureau des Ponts et Chaussées” qui
succède au “Bureau des dessinateurs” existant depuis le milieu du
siècle. En 1786, on met au point une organisation qui durera
jusqu'en 1789. A cette date, il y avait le Bureau des Ponts et
Chaussées (un premier commis, 2 commis, 8 commis aux
écritures, 2 “géomètres dessinateurs”). Le Bureau des Impositions
(un premier commis, un second commis, 8 commis), le Bureau des
Vingtièmes (un premier commis, un second commis, 2 commis
chargés des extraits, 7 commis chargés des Rôles), Bureau des
Archives (un premier commis, un second commis, 6 commis dont
le futur conventionnel Basire). Tout ce personnel est bien payé, en
1789, les “premiers commis” touchent 4 000 L plus 600 L de
“gratification” et les commis ou dessinateurs entre 1 000 et 1 900
L selon leur ancienneté, plus des gratifications diverses. Enfin, les
États accordent des pensions de retraite à leurs vieux serviteurs,
aux veuves ou aux enfants. C'est ainsi qu'en 1737, Louise, fille du
courrier Davion, assassiné en service, reçoit une “pension” de 400
L pour entrer en religion.
14A côté de ces commis, les États emploient : les 2 “conseils” de la
Province, avocate dijonnais, l'“avocat” puis, après 1780, les deux
“avocats de la Province au Conseil du Roi”, juristes parisiens. Les
uns et les autres sont payés sur notes de frais. S'ajoutent les 2 ou
3 “notaires” de la Province – les 2 “procureurs syndics”, choisis
parmi les procureurs dijonnais (500 L chacun) – les 4 huissiers
(300 L), – le concierge – les 2 portiers – à partir de 1778, deux
“suisses”. Les États accordent, en outre, des gratifications plus ou
moins importantes à divers personnages susceptibles de les
servir. C'est ainsi qu'en 1742, le gouverneur, alors duc de Saint
Aignan, reçoit 50 000 L, le “ministre de la Province”, 18 000, le
contrôleur général 9 000, le commandant 16 200, le lieutenant
général du Châlonnais 4 000, le gouverneur d'Auxonne, 1 500, le
Premier Président, 3 000. S'ajoutent des versements aux commis
du ministre de la Province (10 000), du Contrôle Général (4 300),
du chancelier (1 200), de l'Intendance (1 700 L) et au “capitaine du
gouverneur” (2 100), plus des versements occasionnels et de
nombreux pourboires aux commis, suisses, laquais et valets,
enfin des présents de vin, tant à de grands personnages (Condé,
Choiseul, Saint Florentin) qu'à des commis. L'énoncé du prix
d'achat nous permet de fixer une échelle des prix. En 1768, le vin
ordinaire valait 300 L, le Beaune 325, le Meursault 400, le Nuits
600, le Clos Vougeot 1 050 et le Chambertin 1 200.
15Après l'anatomie de l'institution, étudions sa “physiologie”. Elle
apparaît a priori comme, sinon démocratique, du moins
représentative, mais tout est vicié parce que, de fait, sinon de
droit, les participants sont choisis, ou par le Prince Condé,
gouverneur, ou par les “Bureaux” de Versailles et le “ministre de la
Province” selon les rapports de force qui s'établissaient entre eux,
ou encore, par un gentlemen's agreement entre les deux pouvoirs.
Dans l'ordre du Clergé, la plupart des députés influents, évêques
ou abbés, prieurs importants sont nommés par le Roi. Depuis
1743, l'élu est désigné par le pouvoir central en suivant l'ordre
traditionnel. Mais les très jansénistes prélats et chanoines
d'Auxerre, comme par hasard, ne sont pas nommés. Depuis la
même date, le roi s'est réservé le choix de l'Élu de la Noblesse,
choix qui fut d'ailleurs, en général excellent. Mais, aux États de
1787, la Chambre demande le retour à l'élection, idée appuyée
par le Tiers, mais sur laquelle l'opinion du Clergé est résevée.
Condé intervient et donne un accord de principe, mais pour 1790.
Quant au Tiers, sa députation était formée exclusivement de
maires et parfois d'échevins. Or, en 1692, les États de Bourgogne
avaient racheté les offices municipaux. Résultat : les maires sont
nommés par les États, mais sont les États eux-mêmes. Or, les
élections municipales, comme les nominations par les États sont
purement fictives. Condé jusqu'en 1740, Saint Florentin ensuite,
imposent leurs candidats et, de plus, le système de la “ roue”
interdit pratiquement tout choix.
16En 1789, on reproche aussi aux États de mal représenter la
Province. La noblesse de robe, notamment le Parlement de Dijon,
n'y est point représentée, encore qu'en Bourgogne comme
ailleurs, de nombreuses familles soient à la fois de robe et d'épée,
pas plus que les anoblis, que le bas et moyen clergé. Le Tiers est
de fait limité à quelques familles de la bourgeoisie officière,
parfois anoblie ou en voie d'anoblissement et à quelques rentiers.
En fait, les États voient leur rôle politique singulièrement restreint
par le jeu des clientèles, dominé par les Condé jusqu'en 1789.
17Si leur rôle politique est restreint, leur rôle administratif est
important. La session dure un mois, les élus se réunissent deux
ou trois mois par an, mais dans l'intervalle, ils assument de
nombreuses fonctions de commissaires, soit dans le domaine
financier et fiscal (élaborations de rôles de tailles ou de “ pieds
de taille” lorsqu'il y a des litiges), soit dans celui des travaux
publics (inspection des routes notammant), soit encore dans le
domaine militaire (revues de troupes). Quant aux alcades, ils
avaient leur franc parler. Maires de petites villes, hobereaux et
chanoines, n'ayant rien à espérer et peu à craindre, étaient
toujours prêts à traquer les dépenses inutiles ou abusives. A
plusieurs reprises, ils durent adoucir leur vocabulaire, et
malheureusement, leurs “remarques” manquent pour certaines
années cruciales, notamment les années 1697-1739.
18Cependant, bien qu'elle tint l'administration financière,
l'influence des États apparaît nulle ou peu importante dans divers
domaines : d'abord, les questions religieuses, où malgré la
présence de nombreux clercs, les États n'interviennent guère que
pour accorder quelques subventions à des couvents ou des
hôpitaux. En 1696, “d'ordre du Roi”, et non sans s'être fait tirer
l'oreille, ils accordèrent 30 000L à l'hôpital d'Autun – les affaires
communales qui sont la chose de l'Intendant – les Eaux et Forêts,
puisque le Grand Maître ne relève pas d'eux – l'essentiel des
affaires militaires qui dépendent du gouverneur et du
commandant de la Province, mais les États interviennent en
matière de milice, d'invalides, d'entretien des garnisons ou
d'étapes, en fait tout ce qui dépend aujourd'hui de
l'administration et de l'intendance militaire. C'était une charge
assez lourde, surtout lorsque la Province était chargée de
réquisitionner des vivres pour les armées d'Italie ou d'Allemagne.
S'ajoute le paiement de la maréchaussée : c'est aux élus que les
Municipalités réclament la création de nouvelles brigades et
l'augmentation des effectifs, ils s'occupent effectivement de leur
répartition et de leur casernement.
19Rôle plus important : les subsistances. Certes, ils ne sont pas
seuls, car Intendant, Parlement, voire Gouverneur s'occupent
activement d'assurer à chaque bourguignon son pain quotidien,
ne serait-ce que pour éviter des troubles comme il s'en produisit
à plusieurs reprises (1709, 1740, 1775, 1788). On voit les États
verser des subventions et les Élus s'occuper des importations de
blés, riz et légumes. Intervention aussi dans le domaine des
secours aux incendiés, victimes de grêles etc… Ils ont été parmi
les créateurs de l'Université, et jusqu'en 1790, ce sont les États
qui ont payé constructions, mobilier, traitement des professeurs.
Ils ont aussi largement subventionné les cours publics de
l'Académie, médecine, cours d'accouchement, minéralogie, chimie
puis l'“École de Dessin” de Desvosges. Ils gèrent les haras,
encouragent l'agriculture, les pépinières, l'introduction de béliers
et de taureaux, l'art vétérinaire, subventionnent, mais pas
toujours avec clairvoyance, commerce et industrie dont le
contrôle, confié à l'Intendant et aux Municipalités, subsidiairement
au Parlement, leur échappe à peu près complètement. La levée de
cartes (dont celle de Cassini) et de plans, la poste sont aussi, au
moins partiellement, de leur ressort.
20Mais leur rôle essentiel est la gestion des finances de la
généralité (sauf les “pays de l'Ain”) et leurs grande réalisation est
la mise en œuvre d'un grand programme de routes et de canaux
en voie d'achèvement en 1789 et que les administrations
successeurs n'ont guère eu qu'à terminer. Voyons de plus près ces
deux points.
21En matière financière, les États ont conservé le droit de voter
l'impôt royal, le “don gratuit” et de le répartir. Mais cela n'a pas
été sans difficultés et sans conflits. Les rapports ont été
généralement bons avec l'Intendant qui joue un rôle occulte, mais
puissant, puisqu'il participe à la répartition. La Chambre des
Comptes avait l'important pouvoir de vérifier et d'apurer les
comptes des receveurs et Trésoriers. Les litiges furent constants,
mais sans réelle gravité, les magistrats se plaignant régulièrement
des retards. Quant au Bureau de Finances, il n'avait aucun pouvoir
sur les officiers des États, mais seulement sur ceux du Roi et sur
les comptes municipaux. D'ailleurs, un de ses membres participait
aux travaux des Élus. Sa présence, ainsi que celle des membres de
la Chambre, restreignait la possibilité de divergences importantes.
En fait, l'adversaire des États en matière fiscale fut le Parlement de
Dijon qui était aussi Cour des Aides et défendit ses pouvoirs par
les moyens traditionnels et solidement expérimentés :
remontrances, refus d'enregistrement, jugements sur les litiges de
répartition (trop imposés, contraintes etc…). Le conflit devint aigü
dans les années 1760 et opposa le Président de Brosses au
secrétaire en chef des États Varennes et, comme à l'habitude, se
termina par l'arbitrage du Conseil d'État. Dans l'ensemble, le
pouvoir central, et probablement aussi
22Condé, ont été le plus souvent hostiles aux “ longues robes”.
Mais il n'en demeure pas moins que, notamment en matière
cadastrale, le Parlement a été un sérieux obstacle à toute
modernisation de la fiscalité. La cour des Aides de Paris était
compétente pour les trois comtés, mais n'intervint qu'avec
mesure, sauf au moment de l'“affaire Varennes”.
23La Bourgogne payait la taille sous le nom de “don gratuit” et de
ses annexes. Ce don gratuit a fortement augmenté sous Mazarin,
puis dans la deuxième partie du règne de Louis XIV, puis est
restée stable autour de 2 millions de livres jusqu'en 1789, tandis
que les “charges provinciales” perçues de la même manière ont
augmenté de 2 à 3 millions entre 1715 et 1789. La Bourgogne
était pays de taille personnelle. Les Élus faisaient la distribution
entre recettes et paroisses et, à l'intérieur de chaque
communauté, on élisait “asséeurs” et “collecteurs” selon des
systèmes variés.
24La capitation, instaurée en 1695, amena de longs débats. Les
États réussirent à en obtenir l'abonnement en 1695, puis à partir
de 1701. L'impôt resta stable, les communautés rurales payant au
“marc la livre” de la taille, tandis que les “corps” ainsi que les
officiers royaux avaient conservé l'anachronique “tarif” de 1695.
Cette politique d'“abonnement” fut régulièrement pratiquée,
notamment en matière de créations d'offices. Les Élus préféraient
payer une grosse somme d'un seul coup, sommes qu'ils
récupéraient en impôts indirects (octrois sur la Saône et crues du
sel notamment) que d'augmenter les impôts. Bien entendu, le
recours à l'emprunt était fréquent, mais les finances de la Province
– comme celle de tous les pays d'État – avaient bonne réputation.
25Il en fut de même pour les Vingtièmes. La Province s'était
abonnée aux dizièmes en 1710, 1733, et 1741. En 1749, la
gestion des vingtièmes fut confiée à l'Intendant, Machaut ne
voulant pas entendre parler d'abonnement. Mais, à la chute du
ministre, le Contrôle général finit pas céder (1756). Comme
partout, cet impôt a été beaucoup plus sensible à la conjoncture
que les autres puisqu'il est passé, non sans quelques variations de
900 000 L en 1756 à 2 millions en 1782 et à 1 million 500 000 L
en 1786. Les vingtièmes étaient perçus différemment des autres
impôts, sur des registres particuliers pour chaque classe de
contribuables. Mais ils étaient confectionnés à Dijon, dans les
bureaux des Élus sur déclarations. L'Intendant intervenait dans la
répartition de la taille, mais pas des vingtièmes. La capitation
noble était réglée par l'Élu de la Noblesse assistée de quatre
gentilhommes.
26Le Parlement pouvait intervenir à propos de la taille et de la
capitation puisqu'il disposait du “contentieux d'administration”,
mais ses pouvoirs furent sans cesse rognés par ceux des Élus qui
avaient le “contentieux de direction”, mais jamais dans les
vingtièmes confiés à l'Intendant, puis aux élus. Mais il conservait
ses pouvoirs d'enregistrement et de remontrances et en usa
abondamment, refusant à peu près systématiquement, après
1760, tout accroissement fiscal, en partie pour des raisons
intéressées, car les magistrats qui ne payaient pas la taille et fort
peu de capitation, étaient soumis aux vingtièmes. Dans cette lutte
ils ont eu généralement l'appui du Clergé, mais pas toujours celui
de la noblesse d'épée qui faisait la loi aux États. Le sens de ce
conflit est net : la Province est-elle représentée par les États et ses
Élus qui ont le droit de “convertir” l'impôt sans le Parlement, ou
par le droit commun de la Monarchie – pas d'impôt sans
enregistrement parlementaire ? – En 1789, la question n'était pas
résolue à Dijon, pas plus que dans les autres pays d'État.
27Ces conflits rendaient difficile toute réforme fiscale un peu
sérieuse et, effectivement, il n'y en eut pas. Cependant, les
résultats de l'activité des États et des Élus ne sont pas nuls : le
système s'est incontestablement modernisé, surtout dans les vingt
dernières années de l'Ancien Régime : nombre de feux fiscaux
fixes, “états des paroisses” précis, cotes d'offices sur les notables,
essais de taille “tarifiée”, “pieds de taille” tenant mieux compte
des réalités économiques que l'on voulait généraliser. Mais ce ne
sont là qu'améliorations de détail. La tentative de réforme plus
profonde de 1776 qui visait à un véritable encadastrement s'est
heurtée à la fois à l'hostilité du Parlement et aux hésitations du
Conseil d'État. Lorsque, aux États de 1787, le Tiers propose une
“vérification des propriétés des trois Ordres”, la Noblesse accepte
en rechignant, mais le Clergé oppose un véto absolu. En fait, en
Bourgogne comme partout, l'existence de la société d'ordres avait
rendu impossible toute répartition correcte de la charge fiscale.
28Terminons cet exposé par une courte analyse de l'œuvre des
États en matière de travaux publics, parce que, ici comme ailleurs,
le “pavé du Roi” est l'œuvre du Siècle des Lumières. Tout ou à peu
près était à faire et le Mémoire de 1699 déjà cité témoigne d'une
situation catastrophique. En 1789, les résultats avaient été
sensiblement les mêmes en Bourgogne que dans les pays
d'élections, mais avec des moyens différents, puisque, en fait, le
rôle de l'Intendant, capital par ailleurs, a été ici joué par les États.
Ce sont eux qui ont eu à se battre contre le Bureau de Finances et
la justice réglée. Des arrêts du Conseil de 1708 et de 1721 leur
accordent pour trois ans, mais ces textes seront régulièrement
renouvellés, le contrôle des adjudications et la justice
administrative, interdisant à tout juge de s'en mêler. Le Parlement
fit cependant quelques vaines tentatives, mais plus “directif” dans
ce domaine que dans le domaine financier et fiscal, le Conseil
d'État le débouta régulièrement.
29Les États jouirent dans ce domaine d'une très grande
autonomie. Sauf pour la construction du Palais des États
(aujourd'hui Hôtel de Ville de Dijon), le pouvoir central intervient
peu. Les Élus ne rentrent guère en relations avec le Contrôle
général, la Direction des Ponts et Chaussées, les Intendants et
ingénieurs des provinces voisines que lorsqu'il s'agit de travaux
engageant plusieurs provinces et notamment les deux artères de
Paris à Dijon (par Auxerre et par Troyes). Pour le reste, les États
donnent, lors de leur session, les directives générales, votent les
sommes nécessaires, le reste passant entre les mains des Élus et
des commissaires, les Trésoriers et surtout les secrétaires en chef.
30Mais le grand fait est la création et le développement de la
fonction d'architectes, d'ingénieurs de la Province. Les premiers,
Le Jolivet, père et fils, ne nous intéressant guère et leur charge fut
supprimée en 1772. Pour les autres, au début du siècle, on
choisit, soit des parisiens, soit, de préférence, des ingénieurs
militaires. La seconde moitié du siècle a été dominé en Bourgogne
par deux grands noms, Thomas Dumorey, ingénieur en chef de
1736 à 1782 et Emiland Gauthey qui lui succéda et devint, sous
l'Empire, inspecteur général. Le système se compléta lorsque à
partir de 1752, les États nommèrent des sous-ingénieurs, dont
les premiers sortaient de l'école créée par Trudaine ouverte en
1747, J.-P. Antoine et Le Jolivet junior, puis, en 1758, Emiland
gauthey qui devait succéder à Dumorey. En 1778, il y a quatre
ingénieurs ; en 1782, le système est refondu avec l'ingénieur en
chef (Gauthey), 2 ingénieurs, 4 sous-ingénieurs (dont Antoine fils
de Jean Pierre Antoine et Maret, le frère du futur duc de Bassano);
en 1787, s'ajoutent deux élèves et des surnuméraires. Les
traitements sont élevés, Gauthey reçoit 8 000 L, les ingénieurs
subordonnés, 4 000, sommes auxquelles s'ajoutent des
gratifications souvent importantes.
31Ces ingénieurs sont étroitement soumis aux Élus qui peuvent
les révoquer  ad nutum – ce qui fut le cas de Maret –. Ils ne
peuvent cumuler avec une autre fonction : c'est ainsi que Le Jolivet
fils dut démissionner de sa charge de sous ingénieur lorsqu'il fut
nommé architecte de la ville de Dijon, puis de la Province, pour y
revenir lorsque la seconde charge eut été supprimée. Ces
ingénieurs sont des hommes de très grande qualité, les deux
Antoine et le Jolivet fils sont d'excellents dessinateurs, Dumorey,
un remarquable écrivain dont les rapports sont d'une grande
clarté, Gauthey un spécialiste des ponts dont les traités ont fait
longtemps autorité.
32A la fin du siècle, ils se partagent la Province. Chacun des deux
secrétaires en chef contrôle la moitié du pays (Mâconnais où il y a
un ingénieur spécial et Bresse exclus) et deux ingénieurs qui se
partagent cette moitié. Ainsi la Bourgogne est-elle partagée en
quatre secteurs (N.E-N.W – S.E. – S.W) dont les limites
correspondent sensiblement aux limites des bailliages- c'est ainsi
que la limite entre le Nord et le Sud, séparant les bailliages
principaux de Dijon et de Semur de ceux de Chalon et d'Autun
suit sensiblement la séparation entre Côte d'Or et Saône-et-Loire.
Chaque ingénieur a donc 110 à 120 lieues de routes à vérifier. Un
“élève” est affecté au Nord, un autre au Sud.
33Le personnel d'exécution a beaucoup varié et les Élus ont
longtemps tatonné et ne semblent jamais avoir trouvé la formule
idéale. La corvée a été lente à s'établir (seulement en 1738), mais
n'a disparu qu'en 1788, les ordres privilégiés ayant refusé de
participer à la “contribution représentative”. Sa suppression, en
1788, a marqué une crise, car, avec les évênements
révolutionnaires, le financement a été difficile à trouver. Élus et
ingénieurs avaient des contacts avec des commissaires plus ou
moins bénévoles, choisis parmi les maires et seigneurs, puis
(1724) des inspecteurs gagés et des directeurs chargés, par la
suite, essentiellement du contrôle de la corvée et choisis surtout
parmi les professionnels. Mais ce n'est qu'avec la suppression de
la corvée que l'institution de brigades de “manœuvres
stationnaires”, nos actuels cantonniers, donne une solution quasi
définitive au problème.
34Les sommes versées par les États n'ont cessé d'augmenter pour
atteindre 600 000 L à la veille de la Révolution, c'est-à-dire 20%
des finances de la Province. Mais le résultat a été évident : les
ponts de Gauthey (notamment celui de Navilly aux confins de la
Bresse louhanai.se) ont bravé le temps. 500 lieues de routes ont
été ouvertes dans la Province et plus ou moins maintenues en bon
état, tâche que le climat rendait souvent difficile, les trois grands
canaux (canal de Bourgogne, canal de Franche-Comté et surtout
canal du Charolais, notre actuel canal du Centre) étaient en voie
d'achèvement.
35Les Élus et les ingénieurs se sont inspirés des méthodes et de
l'esprit de Trudaine et du Contrôle général, mais le recrutement
des ingénieurs a été de plus en plus local – Gauthey envisageait la
création d'une véritable école à Dijon en liaison avec le Bureau des
Dessinateurs et l'école de dessin de Desvosges. Ce groupe de
techniciens – et Petot, tout comme R. Mousnier l'ont parfaitement
compris – est le prototype d'un nouvel agent de l'État dont l'action
est basée sur la primauté de l'intérêt général, sentiment qui se
diffuse en haut vers les secrétaires en chef, les Élus, voire les
Trésoriers, et en bas, vers les directeurs, les inspecteurs ou les
conducteurs, mais pas toujours, hélas ! chez les adjudicataires. Et
dans ce domaine, tout autant que le Languedoc, le Bourgogne
peut être prise comme modèle. Le pont de Navilly, œuvre de
Gauthey, vaut bien celui de Gignac.
36On ne peut que conclure en affirmant l'indiscutable efficacité
administrative des États, tandis que leur pouvoir politique, très
restreint, a effectivement souffert d'un clientélisme abusif contre
lequel, il est vrai, on commençait à réagir à la veille de la
Révolution – les villes voulant désigner leurs maires et les nobles
leurs Élus. Une grande part de l'administration provinciale leur
restait confiée. Leurs rapports étaient excellents – et pour cause !
– avec Condé et, dans l'ensemble, avec les secrétaires d'État, le
Contrôle Général et le Conseil, encore que le pouvoir central ne
leur ait pas toujours donné raison, convenables avec l'Intendant,
puisque les zones d'action respective des deux pouvoirs étaient
relativement bien fixées et que chacun n'essayait guère d'empiéter
dans le domaine de l'autre, détestables enfin avec le Parlement.
37Dans la Province, “Nos seigneurs des États” sont chose
considérable, on fait volontiers appel à eux et les suppliques se
multiplient qui s'acheminent vers les bureaux qui siègent dans
l'antique château de Philippe Le Bon. Ils sont assez populaires, et
les Élus pourront, dans le calme le plus parfait, continuer leur
administration jusqu'à l'installation des départements
successeurs, et même au delà. D'ailleurs les “Cahiers” de tous les
Ordres réclament assez souvent leur réforme – l'alignement sur
les “États du Dauphiné”, la présence en leur sein des catégories
sociales qui n'y ont pas accès, le vote par tête – mais jamais leur
suppression.
AUTEUR
Daniel Ligou
Du même auteur

 Le concept de participation ministérielle à l'époque du Ministère Roland, Dumouriez et


l'opposition de Robespierre in Robespierre. De la Nation artésienne à la République et aux
Nations, Publications de l’Institut de recherches historiques du Septentrion, 1994
La distribution du pouvoir
politique à Nantes à la fin de
l'Ancien Régime
Guy Saupin
p. 33-54

TEXTE NOTES AUTEURILLUSTRATIONS
TEXTE INTÉGRAL
1La ville de Nantes, qui regroupe une population de 70 000 à
80 000 habitants dans les dernières décennies de l'Ancien
Régime, est dirigée par un corps de ville qui s'est substitué à
l'ancien Conseil médieval des bourgeois en 1565. L'encadrement
administratif provincial, qui reposait sur l'équilibre des tutelles
des gouverneurs et des cours souveraines, complété par les
interventions des États de Bretagne, a été profondément remanié
après l'introduction d'une intendance, en 1689. L'installation du
subdélégué Mellier comme maire de Nantes, de 1720 à 1729, a
clos cette phase de transition en ouvrant celle de la
bureaucratisation de la vie municipale. L'élite sociale nantaise, se
sentant concernée par la gestion des affaires publiques, a
finalement accepté cette domination protectrice du commissaire
du Conseil, même si des divergences de vue se sont parfois
exprimées.
2Toutefois, le renouvellement profond du débat politique au
niveau national, né de l'impossible rencontre entre les tentatives
réformatrices des ministres et le désir de participation à la vie
politique ressenti de plus en plus vivement dans l'élite sociale, ne
pouvait que déstabiliser le modèle nantais tant vanté par les
intendants en plein cœur du XVIII  siècle. Le centralisme éclairé de
e

la filière Conseil-intendance-échevinage avait-il encore


suffisamment d'arguments à faire valoir dans les procès qu'une
fraction grandissante de l'élite provinciale lui intentait devant le
tribunal de l'opinion publique ? La classe dirigeante nantaise,
composée surtout de riches roturiers et de quelques anoblis,
pouvait-elle s'intéresser au discours de la souveraineté nationale
alors que les institutions représentatives bretonnes restaient
dominées par une noblesse très attachée à la préservation de ses
privilèges fiscaux ?
3Telles sont les grandes contradictions dont il importe de mesurer
la mise en place et le jeu dialectique pour saisir la distribution du
pouvoir politique à Nantes, sous le règne théoriquement encore
absolu de Louis XVI.

I. LA DÉSIGNATION DU
CORPS DE VILLE
A- LA PRÉSÉLECTION DES ÉDILES
DANS UNE ASSEMBLÉE GÉNÉRALE
OUVERTE
4Depuis la transformation du Conseil des bourgeois en
municipalité en 1565, la ville de Nantes est principalement
administrée par un bureau servant composé d'un maire et de dix
échevins, réduits à six à partir de 1584, aidés d'un procureur du
roi syndic, d'un greffier et d'un miseur.
5La légitimité du bureau de ville provient de deux sources
différentes depuis la restriction des privilèges politiques par Henri
IV, en 1598. La municipalité procède à la fois de l'assemblée
générale des habitants chargée d'établir une sélection sur la base
de trois candidats pour un poste et du pouvoir royal qui se
réserve le choix définitif. Si les nominations se font dans les
bureaux du secrétariat d'État à la Maison du roi puisque la
Bretagne fait partie de son département depuis 1750, celles-ci
sont toujours influencées sinon commandées par les
appréciations de l'intendant et du gouverneur de ville, ce dernier
demeurant l'intermédiaire officiel pour toutes les opérations
électorales.
 1 SAUPIN (G.), Nantes au XVII  siècle. Vie politique et société
e

urbaine, 1598-1720, Thèse de doctora (...)

 2 MELLINET (C), La commune et la milice de Nantes, Nantes, 1841,


tome 5, p. 165-166.

6Nantes diffère des autres grandes villes du royaume en ce sens


qu'elle a conservé pendant tout l'Ancien Régime une assemblée
électorale ouverte à tous les habitants qui voulaient bien s'y
déplacer1. Les réponses fournies aux enquêtes de l'intendance
sont sans ambiguïté à ce sujet. Le Bret, qui a demandé une
information sur le scrutin, se voit préciser en 1754 que les “ listes
sont affichées le premier mai aux portes de l'hôtel de ville pour
annoncer aux habitants les sujets auxquels ils peuvent donner
leurs suffrages, attendu qu'ils ont le droit de venir à l'assemblée ”2.
 3 A.M. Nantes, BB 117-120. Listes de maire pour 1748, 1756, 1776,
1786. Listes d'échevins pour 1706, (...)

7Qu'en est-il dans la réalité ? Les meilleurs documents pour


calculer le nombre de présents sont naturellement les listes de
candidats ayant servi pour le scrutin puisqu'elles portent le
nombre de “piques” des participants. Malheureusement, les
archives municipales ne conservent que onze pièces de cette
nature pour le XVIII  siècle. Il faut donc se contenter le plus
e

souvent d'approximations en multipliant le nombre de voix


totalisées par la sélection proposée au roi par un coefficient de
proportionnalité calculé sur la base des onze exemples
disponibles3. Selon nos estimations, la participation des électeurs
a connu une forte irrégularité selon les années et les types de
scrutin. Sous le règne de Louis XVI, une sélection de maire attire
entre 250 et 780 votants, avec quatre scrutins sur sept au dessus
de 600 ; une désignation d'échevins intéresse peu (70/190
électeurs) ; un choix de syndic peut déplacer la foule (1 100
suffrages en 1775) ou ne drainer qu'une faible assistance (280
piques en 1786). Manifestement, le choix du maire et, de manière
plus irrégulière, celui du syndic mobilisent beaucoup mieux que
celui des échevins, ce qui traduit l'adaptation de la communauté à
la progression de la bureaucratisation administrative.
 4 SAUPIN (G.), “Les élections municipales à Nantes sous l'Ancien
Régime”, “1565-1789”, A.B.P.O., t. (...)

 5 SAUPIN (G.), Nantes au XVII  siècle…, op. cit., p. 429-


e

537. BORDES (M.), L'administration provinci (...)

8La réalité politique nantaise reste cependant complexe car le


maintien du principe d'ouverture de l'assemblée électorale
entretient une forme de participation qui s'étend jusqu'aux petits
patrons des ateliers et des boutiques4. Ici s'affirme l'originalité de
la vie politique nantaise sous l'Ancien Régime puisque rares sont
les villes qui laissent encore les “vils mécaniques” prendre part au
processus de désignation du corps de ville. Dans le meilleur des
cas, cette participation des petits patrons est canalisée par le biais
d'un suffrage à deux degrés grâce aux corporations ou aux
assemblées paroissiales5. La singularité de l'assemblée nantaise
vient de sa très faible correspondance avec la société d'ordres
dont le principe domine encore les schémas de représentation. Le
corps politique réunit les membres du bureau de ville rejoints par
tous leurs prédécesseurs, six députés pour l'Église, la Chambre
des comptes et le Présidial, ainsi que tous les nobles bourgeois
manants et habitants qui veulent bien s'y associer. Il n'existe
aucune structuration interne selon le rang ou les qualités pour la
répartition des voix puisqu'on y vote par tête et que chaque
expression individuelle est comptabilisée. L'avis d'un avocat ou
d'un marchand de drap de soie ne vaut pas plus que celui d'un
boulanger ou d'un tanneur. Les réseaux de clientèle ou d'amitié
liant le peuple aux notables sont ainsi appelés à jouer un rôle
essentiel.
 6 ADLA C 280, Dossier sur la réforme électorale 1716-
1721. SAUPIN (G.), Nantes au XVII  siècle…, op. (...)
e

 7 DUPUY (Α.), Études sur l'administration municipale en


Bretagne, Rennes, 1891, p. 24-25.

9Après l'échec de 1716-1720, le corps de ville de 1749 a de


nouveau proposé une épuration du corps électoral en associant
un premier ensemble non défini numériquement reposant sur
l'acceptation de tout individu de condition sociale compatible avec
l'échevinage et une représentation populaire formée de délégués
des généraux de paroisses et des corporations porteurs des choix
de leurs communautés6. Reprenant le même principe
d'encadrement de l'expression populaire qu'en 1716, cette version
était cependant moins liée au schéma de la société d'ordres dans
la mesure où elle ne limitait plus la participation des notables à
une représentation par états. Cette nouvelle tentative de réforme
se heurta à l'opposition de l'intendant Pontcarré de Viarmes qui se
fit le défenseur des traditions d'ouverture 7.

Β- LA PRÉSERVATION DU
PRINCIPE DE COOPTATION
 8 AM Nantes, BB 106, f. 1-4, séances des 20 04 et 30 04 1778.

10En avril 1778, le bureau de ville, réagissant contre la limitation


de ses privilèges de cooptation des candidatures, est amené à
commenter les élections nantaises. Selon ses dires, “la plupart de
ceux qui y viennent actuellement sont des gens de la condition la,
plus basse, incapable de faire un choix. On a vu des ateliers
entiers d'ouvriers de toutes les professions et de tous pays quitter
les ouvrages où ils étaient occupés pour venir, en troupes, donner
leurs suffrages avec des billets à la main contenant le nom de
ceux pour qui ils devaient voter. Il est aisé de sentir la valeur de
pareils suffrages et les inconvénients qui en résulteraient si les
élections des officiers municipaux en dépendaient uniquement ”. Il
ajoute même, en refusant le maintien automatique de la
candidature du syndic, que ce dernier, “ n n'ayant plus à redouter
l'examen de la censure de la partie la plus éclairée de ses
concitoyens, pourra pour se conserver dans sa place avoir des
complaisances criminelles pour les suppôts de la communauté
qui, par leur état, ont à leurs ordres une grande quantité
d'ouvriers et subalternes, afin de se procurer par leur moyen un
grand nombre de suffrages”8.
 9 AM. Nantes BB 106, f. 2-4, séance du 30 04 1778.

11Impuissante à purger une base politique jugée aberrante, l'élite


dirigeante se console en veillant avec une grande vigilance sur le
principe de cooptation qui règle la rédaction des listes
d'éligibilité. Dans sa réponse à l'intendant Le Bret en 1754, le
bureau servant décrit parfaitement la procédure. Dans le grand
bureau du 30 avril, “chacun des membres qui composent
l'assemblée a le droit de proposer les sujets dont on fait une liste
sur laquelle on vote. Ceux qui ont le plus de voix sont établis sur
les listes qui sont affichées le premier mai aux portes de l'hôtel
de ville pour annoncer aux habitants les sujets auxquels ils
peuvent donner leurs suffrages attendu qu'ils ont le droit de venir
à l'assemblée”9.
 10 AM. Nantes BB 120, Procès-verval du grand bureau du 30 04
1787.
12Les documents conservés dans les archives nantaises
confirment tout à fait ce fonctionnement reposant sur l'arbitrage
de l'élite dirigeante, sans intervention brutale du pouvoir central
comme dans d'autres villes du royaume10. L'arrêt du Conseil du
11 juin 1763, obligeant les villes où l'office de maire avait été
réuni à la communauté à faire approuver la liste d'éligibilité par le
gouverneur, n'a pas apporté de perturbations, même s'il a fourni à
la noblesse un puissant motif de contestation dans les États de
Bretagne des années 1770.
 11 AM. Nantes BB 68, f. 68-136, la crise de
1708. MAYER (H.J.), Nantes and Absolutism (1680-1715). A (...)

 12 AM. Nantes, BB 111, f. 12-20 ; 39-41.

13L'attachement de l'élite dirigeante à la préservation de la


procédure élective, qui s'est clairement manifesté pendant toute la
première moitié du XVIII  siècle par le refus d'acquisition des
e

offices de maire, lieutenant de maire et échevins – exception faite


de Proust du Port La Vigne, maire par office de 1693 jusqu'à son
décès en 1715 –, explique la vigilance avec laquelle le bureau de
ville analyse toute les initiatives royales susceptibles de la
menacer11. Après le décès du maire en charge le premier février
1787, le subdélégué Ballais a été nommé “maire par interim” par
l'arrêt du Conseil du 11 février en attendant les élections du
premier mai. Méfiant devant une procédure jugée pernicieuse
parce que susceptible de servir de base et de référence à
d'éventuels développements en cas de raidissement de la
monarchie administrative, le bureau de ville a mobilisé
exceptionnellement les grandes compagnies pour s'opposer à
cette solution et cautionner des démarches auprès des ministres,
des gouverneurs, des États et du parlement de Bretagne afin
d'obtenir l'annulation de l'arrêt12. Satisfaction ayant été donnée au
corps de ville, une élection anticipée s'est déroulée dès le 16 mars
1787.
 13 AM. Nantes, BB 106, f. 1-4.

14L'apparition de privilèges de réinscription automatique de


magistrats sortants est cependant venue limiter la liberté d'action
du corps de ville au XVIII  siècle. Le procureur syndic Guérin de
e

Beaumont en a bénéficié, en 1778, malgré de vives


protestations13.
15Cette cooptation des éligibles assure la redistribution du
pouvoir municipal au sein d'une élite roturière d'origine
marchande et robine, rehaussée de quelques anoblis issus des
mêmes milieux. De 1774 à 1789, se sont succédés cinq maires,
36 échevins et deux syndics.
 14 MEYER (J.), L'armement nantais dans la deuxième moitié du
XVIII  siècle, Paris, 1969, p. 16. La fa (...)
e

 15 MEYER (J.), op. cit., p. 267. Berrouette : 32 armements, 5135 tx.

16Suivant en cela un principe traditionnel, les maires ont la


plupart du temps une expérience professionnelle de juristes et
beaucoup appartiennent au Présidial. Sur les dix-neuf notables
qui ont présidé le bureau de ville au XVIII  siècle, on ne relève que
e

quatre négociants qui ne totalisent que vingt ans de présence.


Pierre Richard est cependant le fils d'un important négociant
armateur, acquéreur d'un office de secrétaire du roi à la
chancellerie de Bretagne, qui estime sa fortune à 871 508 livres
dans son testament le 10 novembre 178814. Jean-Jacques
Berrouette, qui n'appartient pas à l'élite supérieure du négoce,
vient d'une famille qui n'a pratiqué l'armement de navires que de
1715 à 175615.
Agrandir Original (jpeg, 167k)

 16 GABORY (J.), Le tribunal consulaire de Nantes, Nantes, 1941, p.


98 et sq. RENOUL (J.-C.), Le tribu (...)

 17 SAUPIN (G.), La vie municipale à Nantes sous l'Ancien Régime,


1565-1789, Thèse de 3  cycle, Nantes (...)
e

17Les échevins qui ont travaillé sous le règne de Louis XVI,


disposaient avant tout d'une expérience professionnelle
commerciale. Ils ont retrouvé au bureau servant des juristes,
surtout des officiers de justice venant principalement du Présidial,
mais aussi de l'Amirauté, la Maréchaussée et la Monnaie. Par
rapport au premier tiers du XVIII  siècle, la représentation des
e

gens de justice a connu un net redressement, les officiers du


Présidial ayant renoué avec le corps de ville après l'avoir boycotté
pendant tout le règne de Louis XIV. Les négociants qui
parviennent à ce type de responsabilité appartiennent la plupart
au groupe supérieur du commerce nantais puisque quatorze
d'entre eux ont été distingués par leurs pairs pour siéger au
tribunal de commerce qui se caractérise par un recrutement
nettement oligarchique16. Toutefois, contrairement à la première
moitié du siècle, les plus puissantes familles de négociants ne
sont plus aussi présentes dans l'échevinage17.

Agrandir Original (jpeg, 145k)

C- L'INFLUENCE DE L'ARBITRAGE
ROYAL
 18 FRÉVILLE (H.), L'intendance de Bretagne (1689-1790), Rennes,
1953, t. 3, p. 194, 199-200. En 1786, (...)

18Le bureau de ville envoyait les noms des notables proposés,


classés selon le nombre de voix obtenu, au secrétariat d'État à la
Maison du roi, par l'intermédiaire du gouverneur de ville. Une fois
les magistrats désignés, ce dernier était responsable de
l'application de la décision. Toutes les recommandations
pouvaient affluer dans les services centraux et il n'est pas certain
que l'intendant ait eu continuellement la plus forte influence. Très
souvent lié au contrôleur général, tout dépendait des relations de
ce dernier avec les autres ministres18.
19La tutelle monarchique se caractérise par le degré de respect
manifesté envers le classement du corps électoral. Sous le règne
absolu de Louis XVI, tous les magistrats nommés ont toujours été
choisis à l'intérieur de la sélection nantaise.
20Sur les huit élections de maire, six désignations du candidat
placé en tête ! Les deux refus concernent d'ailleurs la candidature
de François Fellonneau, sieur des Salles, avocat du roi au Présidial,
échevin de 1773 à 1776, proposé comme premier magistrat en
1782 et 1786. Les raisons de l'échec d'un notable déjà nanti d'une
expérience, futur membre du comité municipal d'août 1789 et
futur maire de Nantes en 1800, demeurent obscures. Peut-être
faut-il simplement évoquer la volonté d'assurer une certaine
alternance entre juristes et commerçants avec la promotion du
négociant Berrouette en 1782 et le désir de récompenser un vieux
serviteur de la municipalité avec l'élévation du syndic Guérin en
1786.
21Sur quinze élections d'échevins, six correspondent à un accord
total dans lequel la monarchie accepte les deux meilleurs
suffragés en respectant le classement, sept ne montrent qu'une
convergence partielle avec six cas où seul le second sélectionné a
été retenu et un seul cas où il s'agit du premier. Deux exemples
traduisent un désaccord plus important puisque les candidats
retenus n'étaient pas classés aux deux premières places. Un tel
bilan invite plutôt à insister sur la bonne volonté manifestée par le
gouvernement royal, même si celui-ci ne renonce pas à la liberté
de manœuvre qui lui est reconnue. Pour la désignation du
procureur du roi syndic, l'harmonie est totale puisque le pouvoir
central a accepté toutes les propositions de continuation de
Guérin jusqu'à son élévation au poste de maire en 1786 et validé
l'avocat du roi au Présidial Giraud du Plessis placé en tête au
scrutin de novembre de la même année.

II. RIVALITÉS ENTRE


INSTITUTIONS
REPRÉSENTATIVES
NANTAISES
A- LA BUREAUCRATISATION DE LA
VIE MUNICIPALE
22Depuis la création de la municipalité en 1565, l'essentiel de la
gestion des affaires de la communauté est traité dans le bureau
servant qui regroupe le maire et six échevins, éclairés par le
procureur syndic.
 19 SAUPIN (G.), Nantes au XVII  siècle, op. cit., p. 306-372.
e

23Au XVII  siècle, il était d'usage d'appeler en consultation pour la


e

résolution des problèmes délicats de préférence les anciens


maires et échevins pour former un grand bureau, mais aussi six
députés des trois plus grandes compagnies (Chapitre cathédral,
Chambre des comptes, Présidial), le juge et les quatre consuls du
Consulat du commerce, parfois accompagnés de leurs
prédécesseurs, les officiers des compagnies de la milice
bourgeoise de la ville et des faubourgs, et exceptionnellement les
délégués des généraux des paroisses. Ces corps étaient intégrés,
soit séparément, soit en association dans toutes les combinaisons
possibles, selon la stratégie définie par le bureau servant, pour
former ce que les registres appellent une assemblée générale,
terme qui masque la disparition des véritables assemblées
ouvertes délibératives autour de 162019.
 20 DUPUY (Α.), La réforme de la communauté de Rennes, A.B., t. 1,
1886, p. 16-70.

24Depuis 1720, cette tradition d'ouverture a fortement périclité


assurant ainsi au bureau servant le quasi monopole de la gestion
des affaires publiques. Cette concentration de l'autorité dans une
structure étroite résulte de la pression constante de l'intendance
qui, après avoir contré brutalement les défenseurs de la tradition
de consultation des coprs en 1729, n'a pas cessé d'évoquer la
supériorité nantaise dans la comparaison institutionnelle avec
Rennes jusqu'en 1757 où Le Bret tente d'aligner la vie municipale
rennaise sur les habitudes nantaises20.
 21 AM. Nantes, BB 111, f. 12-20. Séances des 26 02 et 3 03 1787.

25Sous la première phase du règne de Louis XVI, la convocation


d'une assemblée générale délibérative est devenue une démarche
exceptionnelle justifiée par la défense des libertés politiques
urbaines traditionnelles. Ainsi, la publication de l'arrêt du Conseil
du 11 février 1787, qui nomme le subdélégué Ballais, maire de
Nantes par interim après le décès en charge de Guérin de
Beaumont, est à l'origine de deux assemblées du grand bureau et
des députés des trois grandes compagnies qui parviennent à
obtenir son retrait21.
 22 SAUPIN (G.), La vie municipale…, op. cit., p. 143-147, 154-155.

26L'organisation du travail du bureau servant s'est elle-même


modifiée depuis 1760 puisque le nombre annuel de séances qui
avait fluctué entre 90 et 100 depuis le début du XVII  siècle a été
e

ramené à une soixantaine, c'est à dire guère plus d'une par


semaine, ce qui implique une meilleure préparation des dossiers
en amont grâce à une meilleure rationalisation du travail dont
l'impulsion est venue des bureaux centraux de l'intendance à
Rennes22.
 23 AM. Nantes, BB 169, Dossier sur l'office de lieutenant général de
police.

 24 AM. Nantes, BB 69, séance du 14 08 1709. Historique du conflit


1699-1709.

27La réunion au bureau de ville en novembre 1770 de l'office de


lieutenant général de police a renforcé son autorité sur un champ
d'action essentiel tout en valorisant le rôle du maire considéré
comme le successeur de l'ancien officier. Cette reconnaissance
juridique liée au rachat négocié en 1769 n'a fait que régulariser
un état de fait qui durait depuis 1754, en ponctuant
victorieusement la lutte d'influence qui opposaient les maires et
échevins et les officiers de justice depuis la création de l'office en
octobre 169923. Ce dernier avait été enlevé par le prévôt Charles
Valleton après une sévère compétition avec l'échevinage, ce qui
avait déclenché une grave crise, éteinte seulement en 1708, par la
décision de reconduire le compromis de 1581 qui avait confié
conjointement au prévôt et au bureau de ville la tenue des
audiences pour la sanction des contrevenants24.
 25 ADLA Β 673, f. 141-198. DURAND (Α.), La Chambre des comptes
de Nantes, Nantes, 1976, p. 231-310.

28Cet accroissement d'autorité des maire et échevins a laissé


certainement une amertume dans le milieu judiciaire et il n'est pas
surprenant de voir par exemple la Chambre des comptes refuser
d'enregistrer les lettres patentes du 29 novembre 1770 qui
confirment la réunion après rachat, interdire aux maire et
échevins d'exercer la police dans un arrêt du 20 février 1772 et
souhaiter encore, le 14 mars 1781, la restauration de l'office
disparu25.

Β- LE CORPS DE VILLE ET LE
GÉNÉRAL DU COMMERCE
29La défense des intérêts du commerce nantais est assurée par le
Général du commerce, institution corporative coutumière que les
négociants ont perfectionné au XVIII  siècle pour éviter la mise en
e

application de l'arrêt du Conseil du 30 août 1701 prévoyant la


création d'une Chambre de commerce après l'échec de deux
projets de conciliation rédigés sous la pression de Mellier, en
1725 et 1728. Cette institution de substitution prolonge le rôle de
représentation des juges consuls que ceux-ci assumaient depuis
la formation du tribunal du commerce en 1565, tout en les
plaçant, surtout à partir de 1730, sous le contrôle plus strict d'une
assemblée générale de tous les commerçants en gros qui
s'intéresse en priorité à la protection du commerce colonial, la
défense de la liberté d'entreprendre et la réduction de la fiscalité.
Les séances, presque toujours convoquées par les juges consuls,
suivent un rythme très irrégulier. Dans les années 1774-1788, la
fréquence des réunions reste plutôt soutenue puisque la moyenne
annuelle d'une séance par trimestre s'avère supérieure à celle de
l'ensemble du XVIII  siècle, même si la phase la plus active reste
e

celle qui s'écoule de 1757 à 1771.


 26 QUENET (M.), Le Général du commerce de Nantes. Essai sur Us
institutions corporatives coutumières (...)

30La dualité de fonctions des consuls nantais qui cumulent des


responsabilités judiciaires et représentatives et l'alourdissement
de la charge de travail ont conduit à la publication du règlement
du 18 juin 1745 pour la tenue des assemblées particulières, ce
qui ne fait que légaliser des pratiques antérieures. Comprenant
les cinq juge et consuls en exercice et les trois derniers sortis de
charge, aidés d'un secrétaire, cette structure se réunit
normalement une fois par semaine, souvent avant l'audience du
tribunal ou après une assemblée, ce qui est bien respecté après
1770. Véritable exécutif du Général, ce bureau dirige les
employés, prépare les séances délibératives et met en application
leurs décisions. Unique représentant officiel et permanent du
Commerce, c'est le seul interlocuteur avec lequel traite le
gouvernement royal qui ne veut pas légaliser la structure
coutumière26. La jouissance de fonds propres, la capacité à
contracter, le droit d'ester en justice – moyens d'action reconnus
de fait par le pouvoir royal – laissent à ce bureau où dominent les
juges consuls en charge de belles possibilités d'intervention.
 27 AM Nantes, BB 107, f. 154-164. Séance du 17 08 1782, 28 09
1782.

31Sur le terrain de la défense des intérêts commerciaux, les


rapports entre le Général et le corps de ville ont été plutôt
satisfaisants puisque l'échevinage du XVIII  siècle a toujours été
e

dominé par le milieu commerçant qui contrôle le Consulat. Le


problème des octrois, qui aurait pu provoquer des dissensions, a
été géré dans un esprit de concertation. En août-septembre 1782
et janvier 1784, le bureau de ville retrouve par exemple une
délégation du Général pour aplanir les difficultés nées de
l'application des lettres patentes du 23 mai 1780 et pour la
révision du tarif en vigueur27. La substitution de députés commis
spécialement pour cette négociation à la place des consuls en
exercice montre clairement la volonté d'aboutir en écartant tous
les risques de blocage contenus dans les rivalités institutionnelles.
Les commissaires nommés se sont tenus toutefois en étroit
rapport avec les consuls qui restent les maîtres du jeu. La même
procédure a été utilisée avec l'Amirauté à propos du projet
d'établissement d'un capitaine de port à Paimbœuf.
 28 AM Nantes, II 158 plans 1769 et 1774. DD 319 : Dossier sur la
reconstruction de la Bourse. LELIEVR (...)

32La reconstruction d'une nouvelle bourse entraîna beaucoup plus


de tensions après l'échec rapide de l'accord de 1769. Après le
rejet des trois propositions de l'architecte-voyer Ceineray de 1769
à 1774, puis des deux solutions imaginées en 1776 et 1778 par
l'architecte parisien Potain, pourtant soutenu par l'intendant, la
question fut reprise par Crucy, nouveau voyer depuis 1780. Ses
relations détestables avec Graslin qui plaidait pour le transfert de
l'édifice dans le nouveau quartier qu'il aménageait au dessus de la
Fosse ont favorisé les querelles et repoussé le choix définitif en
décembre 179028. Pendant vingt ans, ce dossier, alimenté par de
nombreuses polémiques sur l'emplacement prévu sur l'île Feydeau
et sur le coût excessif des travaux, a envenimé les relations entre
le bureau de ville se plaignant des prétentions exorbitantes des
négociants à tout régenter et le Consulat critiquant la mollesse
d'une municipalité tardant à doter la ville d'un équipement
fondamental.
33Les tensions les plus graves sont cependant venues de
l'organisation des élections consulaires ou du Conseil royal de
commerce. L'édit de création du Consulat d'avril 1564 avait défini
une assemblée électorale de cinquante prudhommes marchands
dont la sélection avait été confiée à la municipalité qui avait pris
l'habitude d'y associer les juge et consuls en charge.
 29 AM. Nantes, BB 57, f. 154-158. Séance du 15 07 1689. BB 58, f.
4-5, Listes d'éligibilité. BB 61, f (...)

34Si le Consulat est parvenu à accroître son influence dès la fin du


XVII  siècle, il a dû attendre l'arrêt du Conseil du 19 décembre
e

1754 pour obtenir son transfert de l'hôtel de ville à la Bourse et le


monopole de la rédaction de la liste d'éligibilité29. Cette
indépendance a été confortée l'année suivante par l'obtention
d'une subvention municipale annuelle de 5 000 livres, acceptée
sans difficulté par le subdélégué-maire Gellée de Prémion très
attentif à la protection des intérêts commerciaux.
 30 QUENET (M.), op. cit., p. 263- 267. ADLA C 583, f. 99 et sq.
35L'élection du député au Conseil de commerce, le 20 avril 1757,
a offert au Consulat une nouvelle occasion de manifester sa
puissance et son indépendance. Sa volonté de réserver le droit de
vote aux seuls commerçants en gros entraîna une protestation
des marchands de fer et d'acier, des blatiers, des épiciers, des
orfèvres, des joailliers, des apothicaires, des imprimeurs, des
libraires, des bonnetiers, des fabricants de bas, des merciers et
surtout des marchands de drap de soie qui avaient été intégrés à
la vie politique locale jusqu'en 1724. Cette élite des jurandes, qui
avait espéré le soutien du bureau de ville, ne parvint qu'à faire
enregistrer ses revendications30.
 31 AM. Nantes, BB 101, f. 147. ADLA C 584, f. 54-
57. QUENET (M.), op. cit., p. 276-283.

36Le scrutin de 1771 a permis une légère redéfinition des


rapports de force. L'ensemble du corps de ville fut admis à
l'assemblée alors qu'en 1757 seuls les maire et échevins en
charge avaient été invités à suffrager. Cette intégration est
d'autant plus significative d'une modification de la conjoncture
politique nantaise qu'elle s'est accompagnée d'une tentative de
restauration du droit de regard du bureau servant sur les élections
marchandes. Ce dernier parvint à présenter une liste concurrente
de sept notables face à la liste préparée par l'assemblée
particulière du Commerce31. Si les candidats soutenus par le
Consulat réunirent le plus grand nombre de suffrages, cet épisode
prouvait que des rivalités entre milieux économiques différents ou
des luttes de clans au sein du commerce de gros offraient
maintenant un terrain de manœuvre à un bureau de ville mieux
positionné.

III. LE CORPS DE VILLE FACE


À LA CRISE DE LA
MONARCHIE
ADMINISTRATIVE
A- LE CORPS DE VILLE FACE À
L'INTENDANCE
37Jusqu'en juin 1781, l'intendance est parvenue à maintenir
intacte la puissante tutelle progressivement édifiée sur les
communautés urbaines bretonnes durant le XVIII  siècle. Le bureau
e

de ville n'a pas manifesté par des protestations radicales ou une


opposition larvée son mécontentement. Considérant le
représentant du Conseil comme son principal protecteur contre
l'expansionnisme des autres institutions nantaises ou
provinciales, il a préféré défendre sa gestion des affaires urbaines
dans le cadre d'une collaboration loyale avec le commissaire
départi, prolongeant en cela la tradition politique du XVII  siècle. e

Pendant les trois quarts du XVIII  siècle, les intendants n'ont pas
e

cessé d'opposer le sérieux de la vie municipale nantaise au


caractère brouillon et agité de celle de Rennes. L'élite dirigeante
nantaise s'est bien adaptée au mode de fonctionnement de la
monarchie administrative éclairée dans la mesure où il lui a
longtemps semblé que seul un pouvoir royal à l'autorité affirmée
était capable de soutenir les intérêts des élites roturières urbaines
mal représentées dans les États de Bretagne.
 32 FRÉVILLE (H.), op. cit., tome 3, p. 103.

 33 Jugement des échevins en 1782 : “Homme vain, tranchant,


orgueilleux, inconséquent, insociable et m (...)

38La démission de Gellée de Prémion de son poste de subdélégué


en 1772, à la suite d'une brouille avec l'intendant Dupleix, et
l'échec du projet de restauration à son profit de la fonction de
subdélégué général à Rennes, en 1774, ont provoqué quelques
difficultés relationnelles au début du règne de Louis XVI dans la
mesure où l'ancien maire, qui disposait d'une grande influence à
Nantes, a mené au départ une campagne de dénigrement contre
son successeur, l'avocat Pierre Ballais, échevin de 1772 à 1775 32.
Dénonçant son mauvais caractère, il l'accusait surtout de laisser
se détériorer les excellentes relations qu'il avait entretenues avec
les négociants. Alerté par le contrôleur général, l'intendant Caze
de La Bove dut faire une enquête qui souligna les exagérations de
l'ancien subdélégué. Cette animosité n'a pu que contribuer à
compliquer les relations dans la mesure où Gellée a retrouvé la
direction de la municipalité de 1776 à 178233.
 34 LELIEVRE (P.), op. cit., p. 69-77.

39L'attribution du ralentissement des grandes opérations


d'urbanisme, après la décennie flamboyante du subdélégué-maire
Mellier, au manque de dynamisme des maires et échevins et la
volonté de relance manifestée par le duc d'Aiguillon à partir de
1753 ont justifié la rédaction de l'arrêt du Conseil du 22 avril
1755 qui a accentué le contrôle de l'intendance sur cet immense
chantier urbain. Le Bret a pu ainsi utiliser à fond les évocations et
les arrêts du Conseil pour entraîner des bureaux de ville jugés
trop timorés dans une réflexion qui a permis de passer du projet
audacieux de Vigné de Vigny de 1755 à un programme d'action
dressé par l'architecte-voyer Ceineray en 1761 et définitivement
adopté par la ville en 176734.
 35 Ibid., p. 134-157.

 36 AM. Nantes, BB 106, f. 163-167, séance du 23 09 1780 ; BB


107, f. 22, séance 9 06 1781. AM. Nantes (...)

 37 ADLA C 336
40La plus grosse opération d'urbanisme, approuvée le 13
novembre 1779, qui a abouti au lotissement de la colline
surplombant le port de la Fosse, a été soumise aux aléas des
tensions nées d'une direction tricéphale associant J.J. Graslin,
receveur général des fermes de la ville et concepteur du projet, le
bureau de ville et son architecte-voyer, l'intendant et son
subdélégué35. Les initiatives du promoteur ont été à la base de
toutes les étapes successives de la réalisation ; le bureau de ville,
dépassé par le débordement de son énergie, étant seulement en
position de répondre favorablement ou non à ses propositions 36.
Graslin a bénéficié du soutien permanent de l'intendance avec
laquelle il a entretenu une correspondance abondante dont le ton
simple et amical souligne la convergence de vues. Le bureau de
ville, fatigué de son activisme et de ses critiques contre les plans
de son voyer, a même été jusqu'à se plaindre que les lettres
destinées au commissaire royal soient communiquées directement
à son partenaire qui en tirait ensuite parti dans son harcèlement
de la municipalité37.
 38 AM. Nantes, BB 110, f. 33-35, séance du 25 02 1786, f. 39-43,
séance du 13 03, f. 46, séance du 27 (...)

41Faut-il pour autant décrire un bureau de ville marginalisé, réduit


au freinage des projets de la triade entrepreneur – subdélégué –
intendant, incapable de faire valoir son point de vue ? La gestion
du dossier de la place prévue, élément central devant accueillir un
théâtre et un moment même la Bourse, peut nous éclairer. Le
premier projet de l'architecte-voyer Crucy publié en août 1783 a
fait aussitôt l'objet d'une sévère critique de Graslin qui lui a
opposé un contre-projet. Ce choc de personnalités a provoqué
l'enlisement de la question jusqu'en mai 1786 où le voyer, sommé
par l'intendant de rendre ses conclusions, a condamné les
solutions de son adversaire, en ne portant que d'infimes
retouches à son étude de 1783. Le bureau de ville, après l'avoir
suivi, le 23 septembre 1786, a toutefois fait réviser le dessin par
l'ingénieur-géomètre Demolon pour aboutir au plan du 6 août
1787, accepté par toutes les parties en présence 38. Ce long bras
de fer a ainsi abouti à un compromis inspiré principalement par
l'analyse municipale.
 39 AM. Nantes, DD 357 et II 165.

42A contrario, Bertrand de Molleville a refusé le plan


d'aménagement du nouveau quartier du Calvaire malgré l'accord
passé par le bureau avec les promoteurs le 26 décembre 1786,
obligeant ainsi ces derniers à entreprendre eux-mêmes les
travaux de voirie nécessaires39.

Β- LE CORPS DE VILLE CONTRE LES


COURS SOUVERAINES
 40 AM. Nantes, BB 107, f. 103, 198. Les rivalités de compétence
apparaissent aussi aux échelons infér (...)

 41 A.N.H. 512

43L'alliance entre la municipalité et le représentant du Conseil du


roi a trouvé l'occasion de manifester sa vitalité dans les querelles
qui ont opposé le bureau de ville aux cours souveraines bretonnes
en 17791781. Le Parlement, qui vivait très mal l'extension des
compétences judiciaires de l'intendance aux problèmes
d'urbanisme et qui sentait que la multiplication des grands
chantiers depuis 1761 aboutissait à marginaliser son influence,
essaya de redresser cette évolution négative 40. Les arrêts du
Conseil des 9 juin et 13 septembre 1778, qui confirmaient cette
redistribution des rôles, provoquèrent un raidissement. Le 3 juin
1779, la cour de Rennes prit un décret contre le maire et le syndic
accusés d'avoir sollicité les lettres patentes du 11 avril précédent
attribuant à l'intendance la connaissance de toutes les
contestations liées à la cession à la ville des terrains situés dans le
domaine dont l'usufruit avait été cédé par Louis XV à la comtesse
du Barry en 1769. Caze de La Bove parvint à protéger Gellée et
Guérin en faisant casser l'arrêt par le Conseil du roi, mais la
combativité des parlementaires n'en était pas moins réelle41.
 42 AM Nantes, BB 106, f. 82 séance du 28 041779, f. 98, séance du
10 07 1779. AN. H 512.

 43 FRÉVILLE (H.), op. cit., t.3, p. 70-74.

44Cherchant à tirer parti de la plus grande souplesse de Necker,


ces derniers adressèrent le 13 août 1779 un mémoire au roi pour
dénoncer les abus constants dans les évocations et les
attributions de juridiction à l'intendant 42. Selon leur analyse, tous
les maux venaient de la disparition des assemblées générales
municipales et de l'exclusion des gens de justice au profit des
négociants, tous très favorables aux menées de l'intendance. Si le
premier diagnostic était juste, la seconde remarque était en
contradiction avec l'évolution sociologique du recrutement
observable depuis 1750. Caze de la Bove put annoter le texte.
Après avoir observé que “tant que la ville de Nantes a eu des
négociants à sa tête son administration a été sage et paisible ”, il a
surtout cherché à montrer comment il n'agissait pas comme juge,
mais comme délégué du Conseil puisqu'il n'intervenait que pour
faire respecter des plans d'ensemble approuvés par celui-ci43.
 44 AN. H 517 Volumineux dossier de 171 pièces sur la crise entre la
ville et la Chambre des comptes. (...)

45La Chambre des comptes, devant laquelle la municipalité devait


faire vérifier la régularité des opérations comptables effectuées
par son miseur, prétendait également surveiller sa gestion au nom
du respect de toutes les lettres patentes qu'elle avait enregistrées.
En 1772, contrairement au Parlement, elle avait refusé
d'enregistrer les lettres patentes de réunion de l'office de
lieutenant général de police au corps de ville, allant même, dans
son arrêt du 30 février, jusqu'à interdire aux maire et échevins
d'exercer la police sous peine de 600 livres d'amende. Malgré
l'arrêt du Conseil du 18 mars 1773 qui la contraignait à
l'enregistrement, la querelle durait encore à la fin de 178044.
 45 AM. Nantes, BB 106, f. 136-149. DURAND (Α.), op. cit., p. 232-
235.

46Par son arrêt du 31 juillet 1777, elle avait rappelé à l'ordre le


syndic pour n'avoir pas présenté la demande de renouvellement
des octrois un an avant leur expiration comme le stipulait le
règlement financier de 1781. Dans un arrêt du 11 août 1779, elle
lui avait ordonné de faire enregistrer l'arrêt du Conseil du 26 mars
1772 portant modification d'une rue dans le plan global de
Ceineray et de faire rentrer dans la caisse du miseur le produit de
la vente des matériaux provenant des édifices démolis et des
atterrissements nouvellement faits en Loire. Le bureau de ville
contestait de son côté le bien fondé de cet interventionnisme en
se plaçant sous la protection de l'intendance45.
 46 ADLA Β 673, f. 141-148. AM. Nantes, BB 106, f. 146,
délibération 5 06 1780. DURAND (Α.), op. cit.,(...)

47Au début de 1780, la Chambre des comptes crut devoir


contester la régularité de certaines rentrées d'argent pourtant
approuvées par le commissaire départi. Le bureau de ville s'est
alors tourné vers le Conseil pour obtenir le rétablissement des
articles rayés. Après avoir vainement cité le procureur syndic à
comparaître, la Chambre a haussé le ton en convoquant
l'ensemble du bureau qui, fort du soutien de Caze de la Bove,
s'est bien gardé de se présenter. L'affrontement a finalement
abouti à l'exil de la Chambre à Redon en juin-juillet 178046.
 47 Ibid., p. 275-319.

48Necker a cru clore le conflit en publiant l'arrêt du Conseil du 28


novembre qui cassait tous les arrêts rendus sur les comptes
municipaux de 1775 à 1778, mais la cour, qui n'avait renoncé à
aucune de ses prétentions, le fit savoir dans ses lettres de
remontrances du 17 février 178147. Cette résistance, qui tirait
parti des querelles sur le renouvellement des octrois, obligea le
gouvernement à envoyer le comte de Goyon, lieutenant général en
Bretagne, tenir un lit de justice à Nantes le 20 août 1782.
 48 AM. Nantes, BB 107, f. 27-28. Lettres des 16 juin et 13 juillet
1781. Arrêt du Parlement 21 09 178 (...)

49Des lettres, envoyées par le contrôleur général Joly de Fleury et


le secrétaire d'État à la Maison du roi Amelot pour féliciter les
maire et échevins de la fermeté de leur attitude dans la crise avec
la Chambre des comptes, furent rayées sur le registre municipal le
9 octobre 1781 par le sénéchal de Nantes sur ordre du Parlement,
ce qui provoqua les représailles ministérielles dans l'arrêt du
Conseil du 13 octobre qui cassait trois arrêts de la cour et
chargeait l'intendant d'annuler les initiatives des officiers de
justice48.

C- LE CORPS DE VILLE ET LA
TUTELLE DES ÉTATS DE
BRETAGNE
 49 FRÉVILLE (H.), op.cit., t. 3, p. 53-66.

 50 AM. Nantes, BB 106, f. 146, délibération du 5 06 1780. AM.


Nantes, BB 106, f. 197 et BB 107, f. 2. (...)

50Le contrôle des finances municipales a été la source du débat


essentiel dont la conclusion a enclenché le déclin de l'intendance
en Bretagne. Si la prorogation des octrois municipaux concédés
en 1748 pour le rachat des offices et renouvelés tous les dix ans a
occasionné quelques tensions en 1777 et 1778, la prétention des
États de subordonner l'attribution des octrois des villes à leur
approbation a soulevé un problème politique d'une toute autre
ampleur. Aux États de 17781779, l'ordre de la noblesse partant
de cette revendication est allé jusqu'à critiquer le mode de gestion
des villes, mais les députés des communautés formant le tiers ont
répliqué en exigeant une répartition plus équilibrée de la
capitation. Caze de La Bove, partisan de la résistance, n'était pas
bien suivi par Necker qui essayait d'éviter les affrontements. La
déclaration du premier juin 1781, qui comportait quelques
concessions, dut pourtant être enregistré autoritairement au
Parlement le 24 juillet 178149. Les cours souveraines bretonnes
ont soutenu les revendications des États dans la mesure où cela
ne pouvait que fragiliser la position de l'intendance50.
 51 REBILLON (A.), Les États de Bretagne de 1661 à 1789, Paris-
Rennes, 1932.

 52 H 408. FRÉVILLE (H.), op. cit., t. 3, p. 62-66.

51Aux États de novembre 1782 à janvier 1783, le tiers, présidé par


le sénéchal de Nantes, Jacques-Amable Bellabre, qui avait
commencé par se désolidariser des critiques de la noblesse sur la
mauvaise gestion des communautés urbaines, a fini par apporter
son soutien à la demande de contrôle des octrois formulée
d'abord par la noblesse51. Ce ralliement obtenu par le très
diplomate évêque de Rennes, Bareau de Girac, a désamorcé
complètement les projets de contre-attaque de Caze de La Bove
qui, fort du soutien du nouveau contrôleur général Joly de Fleury,
se tenait prêt à profiter de la crise pour annuler un demi-siècle
d'histoire administrative en revenant à la situation qui existait
avant la création de la commission intermédiaire en 1734 52. Cette
politique radicale était sans doute très utopique car elle a été
élaborée au moment même où la municipalité nantaise a
commencé à envoyer aux États ses premières demandes de
prolongation d'octrois.
 53 FRÉVILLE (H.), op. cit., t. 3, p. 155-164.

52L'arrivée de Calonne au contrôle général, en novembre 1783,


s'est traduit en Bretagne par une importante révision de la ligne
politique gouvernementale fondée dorénavant sur le principe
d'une collaboration sincère avec les États auxquels on a accordé
un certain droit de regard dans les attributions d'octroi, malgré la
réticence certaine de l'intendant Bertrand de Molleville, inquiet du
futur comportement du tiers dans la vie politique provinciale 53. La
session de 1784-1785, qui consacre ce rééquilibrage des tutelles,
traduit en Bretagne la progression dans les élites urbaines du
modèle de gestion administrative par assemblée qui n'est qu'une
forme de concrétisation de la forte demande de l'oligarchie en
matière d'intégration à la vie politique du royaume. Le
changement d'attitude du corps de ville vis à vis des États, au
lendemain d'un conflit sévère avec les cours souveraines reposant
sur le principe d'une alliance totale avec l'intendance, indique bien
l'importance du changement de culture politique qui s'est opéré
sous les yeux d'un commissaire royal désabusé.

CONCLUSION
53Dans les dernières décennies de l'Ancien Régime, la vie
politique nantaise illustre les limites de la centralisation
administrative d'une monarchie théoriquement encore absolue. Le
corps de ville et le général du commerce, qui sont les deux
instances supérieures de pouvoir local, appartiennent
incontestablement aux institutions représentatives, même si la
base sociale qui légitime le Consulat est plus étroite que celle qui
sélectionne la municipalité. Le gouvernement, qui dispose du
droit ultime de désigner les édiles, ne cherche pas à gêner la libre
reproduction de l'oligarchie en place. Cette mansuétude est sans
doute la récompense du loyalisme politique traditionnel et de
l'alliance étroite passée avec l'intendance depuis 1716, la
bureaucratisation de la vie municipale n'ayant plus soulevé de
protestations dans l'élite dirigeante après 1729.
54Malgré la démonstration de l'efficacité du couple intendance-
Conseil dans les crises de 1779-1782 où le bureau de ville a dû
affronter le Parlement et la Chambre des comptes, les progrès des
idées liées au thème de la souveraineté nationale expliquent en
même temps le flottement du gouvernement central et la
réorientation du corps de ville qui accepte de se placer en 1783-
84 sous le contrôle partiel des États de Bretagne, affaiblissant
ainsi la position d'un intendant désemparé devant cette érosion
finale de son audience. Cette déstabilisation, qui se traduit par
des hésitations idéologiques nettement visibles dans un projet de
réforme municipale de 1785-86, se poursuit jusqu'en 1788 où le
bureau de ville soutient le Parlement contre la réforme
Lamoignon. C'est pourtant ce même principe de consultation de la
nation à travers les États généraux ou provinciaux qui provoque la
clarification politique inévitable inaugurée par la révolution
municipale qui s'amorce à Nantes à partir de novembre 1788.
NOTES
1 SAUPIN (G.),  Nantes au XVII   siècle. Vie politique et société urbaine,
e

1598-1720, Thèse de doctorat d'État, dact., Paris-IV, 1992, p. 164-


281.

2 MELLINET (C),  La commune et la milice de Nantes, Nantes, 1841, tome


5, p. 165-166.

3 A.M. Nantes, BB 117-120. Listes de maire pour 1748, 1756, 1776,


1786. Listes d'échevins pour 1706, 1714, 1729, 1748, 1756, 1776,
1782. Les calculs ont donné 83 % pour les listes de maire et 85 % pour
les listes d'échevins.

4 SAUPIN (G.), “Les élections municipales à Nantes sous l'Ancien


Régime”, “1565-1789”, A.B.P.O., t. 90, 1983, n° 3, p. 429-450.

5 SAUPIN (G.),  Nantes au XVII   siècle…, op. cit., p. 429-


e

537. BORDES (M.),  L'administration provinciale et municipale en France


au XVIII   siècle, Paris, 1972, p. 199-230. BERNARD (M.), “La municipalité
e

de Brest de 1750 à 1790”, A.B., T. 31, 1915-1916, p. 82-85, 94-


124. GARDEN (M.),  Lyon et les Lyonnais au XVIII   siècle, Pans, 1970, p.
e

487-497, 522-526. GUIGNET (P.)  Le pouvoir dans la ville au


XVIII   siècle. Pratiques politiques, notabilité et éthique sociale de part
e

et d'autre de la frontière franco-belge, Paris, 1990, p. 43-69. LE


GOFF (T.),  Vannes et sa région. Ville et campagne dans la France du
XVIII   siècle, Loudéac, 1989, p. 113-141. MAILLARD (J.),  Le pouvoir
e

municipal à Angers de 1657 à 1789, Angers, 1984, p. 76-109.

6 ADLA C 280, Dossier sur la réforme électorale 1716-


1721. SAUPIN (G.),  Nantes au XVII   siècle…, op. cit., p. 227-248. AM.
e

Nantes, BB 90, f. 190, Grand bureau du 3 mars 1749.

7 DUPUY (Α.),  Études sur l'administration municipale en


Bretagne, Rennes, 1891, p. 24-25.

8 AM Nantes, BB 106, f. 1-4, séances des 20 04 et 30 04 1778.

9 AM. Nantes BB 106, f. 2-4, séance du 30 04 1778.

10 AM. Nantes BB 120, Procès-verval du grand bureau du 30 04 1787.

11 AM. Nantes BB 68, f. 68-136, la crise de 1708. MAYER (H.J.),  Nantes


and Absolutism (1680-1715).  A study of the municipality during the
reign of Louis XIV, Thèse dact., New-York, 1973, p. 42-54.

12 AM. Nantes, BB 111, f. 12-20 ; 39-41.

13 AM. Nantes, BB 106, f. 1-4.


14 MEYER (J.),  L'armement nantais dans la deuxième moitié du
XVIII   siècle, Paris, 1969, p. 16. La famille Richard a armé 107 navires
e

de 1701 à 1786 (32635 tx.).

15 MEYER (J.),  op. cit., p. 267. Berrouette : 32 armements, 5135 tx.

16 GABORY (J.),  Le tribunal consulaire de Nantes, Nantes, 1941, p. 98 et


sq. RENOUL (J.-C.),  Le tribunal consulaire de Nantes, Nantes, 1870, p.
196 et sq.

17 SAUPIN (G.),  La vie municipale à Nantes sous l'Ancien Régime, 1565-


1789, Thèse de 3  cycle, Nantes, 1981, p. 347-350, 414-424.
e

18 FRÉVILLE (H.),  L'intendance de Bretagne (1689-1790), Rennes, 1953,


t. 3, p. 194, 199-200. En 1786, l'intendant Bertrand de Molleville,
proche de Galonne, se heurte à la mauvaise volonté du marquis de
Breteuil, secrétaire d'État à la Maison du roi, et du garde des sceaux
Miromesnil, adversaires du contrôleur général.

19 SAUPIN (G.),  Nantes au XVII   siècle, op. cit., p. 306-372.


e

20 DUPUY (Α.),  La réforme de la communauté de Rennes, A.B., t. 1,


1886, p. 16-70.

21 AM. Nantes, BB 111, f. 12-20. Séances des 26 02 et 3 03 1787.

22 SAUPIN (G.),  La vie municipale…, op. cit., p. 143-147, 154-155.

23 AM. Nantes, BB 169, Dossier sur l'office de lieutenant général de


police.

24 AM. Nantes, BB 69, séance du 14 08 1709. Historique du conflit


1699-1709.

25 ADLA Β 673, f. 141-198. DURAND (Α.),  La Chambre des comptes de


Nantes, Nantes, 1976, p. 231-310.
26 QUENET (M.),  Le Général du commerce de Nantes. Essai sur Us
institutions corporatives coutumières des négociants au
XVIII   siècle, Thèse de droit, Rennes, 1973, p. 14-25, 64-86, 11-166,
e

21-223.

27 AM Nantes, BB 107, f. 154-164. Séance du 17 08 1782, 28 09


1782.

28 AM Nantes, II 158 plans 1769 et 1774. DD 319 : Dossier sur la


reconstruction de la Bourse. LELIEVRE (P.),  Nantes au XVIII   siècle.
e

Urbanisation et architecture, Paris, 2  éd. 1988, p. 199-204.


e

29 AM. Nantes, BB 57, f. 154-158. Séance du 15 07 1689. BB 58, f. 4-


5, Listes d'éligibilité. BB 61, f. 16 !- 169, crise de juillet 1695. BB 63, f.
164-168. AM. Nantes, BB 94, séance 25 07, 29 07, 5 09
1754. GABORY (J.),  op. cit. , p. 99 et sq.

30 QUENET (M.),  op. cit., p. 263- 267. ADLA C 583, f. 99 et sq.

31 AM. Nantes, BB 101, f. 147. ADLA C 584, f. 54-57. QUENET (M.),  op.


cit., p. 276-283.

32 FRÉVILLE (H.),  op. cit., tome 3, p. 103.

33 Jugement des échevins en 1782 : “Homme vain, tranchant,


orgueilleux, inconséquent, insociable et malfaisant”, cité par
A. BACHELIER Essai sut l'Oratoire à Nantes au XVII  et au XVIII  siècle,
e e

Paris, 1934, p. 100.

34 LELIEVRE (P.),  op. cit., p. 69-77.

35 Ibid., p. 134-157.

36 AM. Nantes, BB 106, f. 163-167, séance du 23 09 1780 ; BB 107, f.


22, séance 9 06 1781. AM. Nantes, BB 107, f. 72-73, séance 15 12
1781.

37 ADLA C 336
38 AM. Nantes, BB 110, f. 33-35, séance du 25 02 1786, f. 39-43,
séance du 13 03, f. 46, séance du 27 03, f. 49, séance du 1 04, f. 59-
62, 22 04, f. 127-132, 23 09 1786. DD 225-229 et II 164.

39 AM. Nantes, DD 357 et II 165.

40 AM. Nantes, BB 107, f. 103, 198. Les rivalités de compétence


apparaissent aussi aux échelons inférieurs. Les juges du Présidial et de
la seigneurie de Pirmil prétendent connaître les contestations nées des
problèmes d'alignement ou de nivellement, déjà déboutés par l'arrêt du
Conseil du 9 01 1778, ils ont de nouveau déposé une requête au début
de 1782. Leur interprétation est rejetée par l'arrêt du Conseil du 20 08
1782.

41 A.N.H. 512

42 AM Nantes, BB 106, f. 82 séance du 28 041779, f. 98, séance du 10


07 1779. AN. H 512.

43 FRÉVILLE (H.),  op. cit., t.3, p. 70-74.

44 AN. H 517 Volumineux dossier de 171 pièces sur la crise entre la


ville et la Chambre des comptes. AM Nantes, CC 489, Registre dans
lequel bureau et ville a rassemblé toutes les pièces qui concernent son
affrontement avec la Chambre des comptes (11 08 1779-22 06 1780).

45 AM. Nantes, BB 106, f. 136-149. DURAND (Α.),  op. cit., p. 232-235.

46 ADLA Β 673,  f. 141-148. AM. Nantes, BB 106, f. 146, délibération 5


06 1780. DURAND (Α.),  op. cit., p. 236-274.

47 Ibid., p. 275-319.

48 AM. Nantes, BB 107, f. 27-28. Lettres des 16 juin et 13 juillet 1781.


Arrêt du Parlement 21 09 1781.

49 FRÉVILLE (H.), op.cit., t. 3, p. 53-66.


50 AM. Nantes, BB 106, f. 146, délibération du 5 06 1780. AM. Nantes,
BB 106, f. 197 et BB 107, f. 2. Dans son ordonnance du 8 03 1781,
Caze de La Bove avait autorisé la continuation de la perception des
octrois bien que les lettres patentes ne fussent pas encore
enregistrées.

51 REBILLON (A.), Les États de Bretagne de 1661 à 1789, Paris-Rennes,


1932.

52 H 408. FRÉVILLE (H.),  op. cit., t. 3, p. 62-66.

53 FRÉVILLE (H.),  op. cit., t. 3, p. 155-164.

TABLE DES ILLUSTRATIONS

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AUTEUR
Guy Saupin
Université de Nantes
Du même auteur

 Nantes au XVIIe siècle, Presses universitaires de Rennes, 1996

 Les villes et le monde, Presses universitaires de Rennes, 2012

 Histoire sociale du politique, Presses universitaires de Rennes, 2011


Les syndics des villages du
bassin parisien des années
1750 à la Révolution
Cynthia Bouton
p. 55-69

TEXTE NOTES AUTEURILLUSTRATIONS
TEXTE INTÉGRAL
 1 The Flour War : Gender, Class, and Community in Late Ancien
Régime French Society (University Park (...)

 2 “…quand le village se mettait tout entier en mouvement pour aller


chercher du blé à bon marché che (...)

1Je me suis proposée ce sujet concernant le pouvoir et le rôle des


syndics dans les communautés d'habitants du Bassin parisien, et
les relations entre villages et État sous l'Ancien Régime, lors de
mes recherches sur la guerre des farines de 1775 1. A cette
époque, je m'intéressais aux dimensions rurales de ces
mouvements populaires. J'ai remarqué que, parfois, les syndics
participaient aux émeutes de subsistance avec les autres
habitants de leurs communautés. Je n'étais pas satisfaite de
l'explication de George Rudé qui estimait que les notables étaient
contraints de participer aux mouvements de subsistance 2. Au
contraire, ces syndics prenant part aux émeutes, l'auraient fait
volontairement : parce qu'ils en avaient le besoin, parce qu'ils
partageaient la vision de l'économie morale, ou même parce qu'ils
avaient de la rancœur contre les producteurs ou les marchands de
grains. Les syndics des villages étaient bien enracinés,
socialement et culturellement, dans leurs communautés et
participaient aux activités communales comme tout autre membre
de la communauté.
 3 Je cite quelques exemples. Albert BABEAU, Le Village sous l'Ancien
Régime (Paris, 1915) ; Henry BA (...)

2Donc, je me suis penchée sur cette question du rôle et de


l'identité des syndics. J'ai rapidement découvert que l'on connaît à
la fois beaucoup et presque rien sur ce sujet. Il existe, bien sûr,
des histoires solides sur les communautés villageoises, les
paroisses, et le personnel qui les administrait pendant l'Ancien
Régime. Par exemple, il y a des travaux d'historiens du dix-
neuvième siècle et du début du vingtième siècle tels que ceux
d'Albert Babeau, Henri Babeau, P.-J.-S. Dufey, Georges Hardy, et
Auguste Rey. Ensuite, il y a des thèses importantes comme celle
de Pierre de Saint-Jacob sur la Bourgogne, et enfin des travaux
tels que ceux d'Albert Soboul et de Maurice Bordes, qui touchent
des questions plus générales3.
3De ces travaux on apprend l'histoire des arrêts et des
ordonnances du roi et des intendants qui réglaient, en principe, la
nomination et les activités des syndics. D'abord, il est évident
qu'au 17  siècle, la nomination des syndics des villages était une
e

affaire épisodique et non réglée. Lorsque la communauté des


habitants avait des intérêts distincts de ceux des seigneurs ou de
la fabrique et du curé, elle choisissait un mandataire pour les
soutenir. Cet agent était le syndic. Comme explique Albert
Babeau :
 4 Albert BABEAU, Le Village sous l'Ancien Régime, p. 59.

4“Dans la communauté rurale, le syndic n'est pas un magistrat,


comme le maire ou les échevins des communes  ; il n'a point les
attributions ni les signes distinctifs des consuls  ; c'est un simple
agent qui n'a d'autre autorité que celle qu'il tire du mandat qui lui
est confié; il n'a aucun prestige, aucun prérogative  ; son pouvoir
dépend de la volonté des habitants, peut être limité ou révoqué
par eux. A peine est-il reconnu par le seigneur  ; l'adiministration
ne lui donne un caractère légal que tardivement. Le syndic n'avait
pas… les attributions de police”4.
 5 However, there were considerable variations here, too. And, there
were also frequent violations of (...)

5Le système de nomination n'était pas précisé et changea


plusieurs fois pendant le 18  siècle.
e
Ordinairement, la
communauté d'habitants se réunissait (“dans la manière ordinaire
à la sortie de la messe de dimanche”) pour élire, pour un ou deux
ans, un habitant pour les représenter comme syndic 5.
6Pendant le 17  et 18  siècle, l'administration royale précisait, en
e e

principe, de plus en plus les fonctions du syndic. Par exemple, le


syndic, seul, pouvait convoquer l'assemblée de la communauté et
veiller aux réunions de ces assemblées ; il gérait les affaires
fiscales de la communauté ; il était chargé de fonctions relatives à
la levée des impôts et à l'adjudication et la réparation des églises
et des presbytères ; il s'occupait du recrutement de la milice ; il
gérait la garnison des troupes dans le village ; il administrait les
corvées; et, il présidait aux affaires légales qui pouvaient
intéresser la communauté. De plus en plus, le syndic remplaçait le
seigneur et ses représentants dans l'administration de la
communauté. Néanmoins, les attributions des syndics
continuaient à rester variables pendant tout le 18  siècle, dans le
e

Bassin Parisien.
 6 ISAMBERT, Recueil des anciennes lois françaises, t. 19.

 7 Alexis de TOCQUEVILLE insiste que, au dix-huitième siècle, “le


syndic, placé sous la direction jou (...)

 8 Albert BABEAU, Le Village sous l'Ancien Régime, p. 64 ;


Hilton ROOT, “Peasants and King” in Burgun (...)
7En outre, tandis que le syndic recevait plus de responsabilités il
subissait de plus en plus la tutelle de l'administration royale.
Depuis la fin du 17  siècle, la monarchie limitait le pouvoir du
e

syndic qui agissait au nom de la communauté. Il devait informer


l'intendant (souvent par intermédiaire du subdélégué) des
événements qui pouvaient intéresser l'administration royale.
L'intendant intervenait de plus en plus dans les affaires de la
communauté. Par exemple, l'édit de 1683 fit défenses aux syndics
de n'intenter aucune action, ou de recommencer aucun procès
sans s'être procuré auparavant l'autorisation écrite de l'Intendant 6.
Cette injonction fut répétée plusieurs fois pendant le 18  siècle, et
e

elle constituait un des plus fameux exemples de l'expansion de la


tutelle royale dans les affaires communales. Le syndic devait aussi
se procurer la permission de l'Intendant avant toute dépense et
avant toute vente de biens communaux. Les syndics sortant de
leurs charges devaient rendre compte devant l'Intendant. En plus,
ils étaient résponsables,  “en personne et en propriété ", de tout ce
qui arrivait dans la communauté. En effet, la monarchie, à travers
l'administration de l'Intendant et de ses subdélegués, se mêlait
activement à la communauté villageoise 7. L'administration royale
essayait de soustraire le village du pouvoir du seigneur pour le
soumettre au pouvoir de l'État8. Le syndic devenait, donc, un
personnage important dans ce processus.
 9 Voir AD Val-d'Oise, C 259-163 ; AD Yvelines, C 76-78 ; AD Oise, C
339, 349-350, 461, 726.

 10 “Édit du Roy, portant création dans chaque paroisse où il n'y a


pas de maire, d'un syndics perpétu (...)

 11 . Le Village sous l'Ancien Régime, p. 62.»

8L'intervention de l'État au niveau des syndics du village ne


s'arrêtait pas avec leurs responsabilités. L'administration royale
cherchait aussi à influencer la nomination de celui qui exerçait
cette charge. En principe, la communauté d'habitants s'assemblait
chaque année pour élire un syndic. Les syndics s'appelaient :
“syndic annuel”, “syndic en charge de la paroisse”, et “syndic de la
paroisse”9. Au début du 18  siècle, la monarchie créa la charge de
e

“syndic perpétuel” qui devait représenter non seulement la


communauté d'habitants, mais aussi l'administration royale 10. La
charge fut supprimée pendant la Régence (1717), mais le rôle de
la monarchie dans le choix du syndic était désormais établi. Albert
Babeau explique qu'avant la deuxième moitié du 18  siècle, les e

intendants “s'arrogèrent peu à peu le droit de les confirmer, et


même, dans certains cas, de les nommer d'office et de les
révoquer”11.
 12 “L'Ordonnance du 1  novembre 1770” texte intégrale dans
er

M. BERTRANDY-LACABANE, Brétigny-sur-Orge,(...)

 13 AD Aube, C 1182. Pour l'analyse de cet arrêt et l'ordonnance de


l'intendant de Champagne du 10 nov (...)

9Pendant les années 1770, l'Intendant Bertier de Sauvigny statua


plus directement sur la nomination des syndics. L'ordonnance du
1  novembre 1770 donna des instructions précises sur cette
er

question . D'abord, Bertier ordonna qu'il fallait choisir comme


12.

syndics “des personnes intelligentes et qui sachent écrire. ”


L'assemblée des habitants était obligée de “ proposer 4 habitants
qui seront en état de remplir le syndicat, pour être par nous
nommé d'office celui des quatre que nous jugerons convenable ” et
de faire “mention à la fin de l'acte de nomination de celui qui aura
eu le plus grand nombre de voix et qui devra par conséquent
demeurer syndic.” L'ordonnance insistait aussi sur le fait que tous
les habitants de la communauté étaient tenus d'assister à
l'assemblée, mais la présence de ceux qui payaient12 livres et plus
étaient obligatoire (sous peine d'amende). Bertier espérait, sans
doute, recruter les syndics dans ce groupe de notables. L'arrêt du
Conseil du 31 juillet 1776, a stipulé des instructions semblables
pour la nomination des syndics (et la gestion des communautés)
dans la généralité de Champagne13
 14 Le texte intégral publié par Auguste REY, Notes sur mon village,
p. 8-9.

10En 1781, Bertier de Sauvigny stipula la création, encore une fois,


de la charge de syndic perpétuel. Mais cette fois il n'était pas
question de remplacer le syndic annuel, qui continuait d'exister à
son côté. L'ordonnance du 24 février 178114 ordonna que “les
communautés continueront à nommer chaque année, dans la
forme ordinaire, un syndic, lequel, seul, pourra commander la
paroisse, tenir les assemblées et traiter au nom de la
communauté” Mais elle a aussi ordonné que “les communautés
pouront nous présenter… parmi les habitants les plus accrédités
de chaque paroisse, des sujets honnêtes, intelligents et solvables,
et qui sachent lire et écrire, pour être par nous revêtus de la
commission de syndic perpétuel.” Ce syndic perpétuel fut chargé
de garder les papiers de la communauté, de conseiller le syndic
ordinaire, de gérer toute correspondance avec l'administration, et
de surveiller les impôts perçus dans la communauté.
 15 “Réglement sur la formation et la composition des assemblées
qui auront lieu dans la province de C (...)

11Enfin, l'an 1787 fût témoin d'une réforme de l'administration


des communautés qui n'avaient pas été réformés pendant les
années 1760 par le contrôleur-général Laverdy 15. Une assemblée
municipale était créée et élue par l'assemblée de la paroisse qui
comprenait tous ceux qui payaient 10 livres et plus d'imposition
foncière ou personnelle. Le syndic, maintenant appelé le syndic
municipal, serait élu par la même assemblée de la paroisse tous
les trois ans, avec la possibilité de renouvellement pour six ans
encore. En surplus, le syndic – qui pendant le dernier siècle fut
témoin de la réduction des pouvoirs du seigneur et du curé dans
les affaires du village – devait maintenant partager
l'administration de la communauté avec le seigneur et le curé.
12Donc, c'était par ces moyens que l'administration royale essayait
d'intervenir dans les affaires de la communauté d'habitants, dans
la nomination du syndic, et dans le rôle qu'il jouait. Toute cette
histoire est assez bien connue, mais l'interprétation qu'on peut
suggérer peut être discutée : par exemple, la communauté était-
elle jamais autonome avant la période de gestion royale ou avait-
elle simplement changé de patrons : la monarchie pour le
seigneur ?
13Mais il y a un autre aspect de cette histoire qui est moins bien
connu et plus discutable. C'est la question de ce qui s'était
vraiment passé dans les communautés. Qui est-ce qui était
nommé syndic pendant cette période ? La monarchie, avait-elle
réussi à faire suivre ses déclarations et ses arrêts au niveau local ?
Les historiens, en qui on peut avoir confiance pour raconter les
faits de l'histoire des réglements qui touchaient les communautés
et les syndics, ne sont pas d'accord sur la question de l'identité de
ces syndics. Je suis en train d'examiner cette question et ce que
j'ai dit auparavant fait partie d'un plus grand travail sur les syndics
des villages et la question du pouvoir au village. C'est un travail
en cours.
 16 L'Ancien régime et révolution, p. 144, 143

 17 Notes sur mon village, p. 7.

 18 Ibid, p. 41.

 19 Le Village sous l'Ancien Régime, p. 73

 20 L'Administration provinciale et municipale, p. 328


 21 “Le Cadre institutionnel de la vie à Nogent-sur-Marne sous
l'Ancien Régime”, Paris et l'Ile-de-Fra (...)

 22 Peasants and King, p. 89-91.

 23 p. 189.

14D'abord, je voudrais passer en revue ce que d'autres historiens


ont dit sur ce sujet. Il y a ceux qui soulignent les origines humbles
des syndics pendant le 18  siècle. Alexis de Tocqueville insiste sur
e

“l'impéritie, l'inertie, et l'ignorance” des syndics qui venaient des


villages qui, le seigneur à part, étaient peuplés “d'un troupeau de
paysans ignorants, grossiers, hors d'état de diriger
l'administration des affaires communales.”16 Auguste Rey écrit
“qu'en général la place [de syndic]  était tenue par quelque
paysans illettrés, de mauvais vouloir ou de mauvaise foi. ”17 (Rey
prétend, lui aussi, que beaucoup de syndics étaient incompétents.
Il constate que, malgré les efforts pour élever la “ qualité” des
syndics après les réformes de 1787, les paroisses continuaient à
choisir des syndics d'origines très modestes 18. Albert Babeau
déclare “qu'il était difficile de recruter ces agents communaux
parmi les habitants instruits et aisés… qu'on trouve parmi eux
des vignerons et des manouvriers [et]  quelques-uns ne savent ni
lire ni écrire.”19 Maurice Bordes affirme que “les syndics
continuaient à manquer de prestige ”20 et Hector Gabé, dans son
étude sur Nogent-sur-Marne, est d'accord21. Hilton Root suggère
que “la charge de syndic est devenue moins recherchée ” pendant
le 18  siècle22. P.-J.-S. Dufey, dans son  Histoire des communes
e

de France, écrite en 1825, explique que la difficulté de “ trouver


des acquéreurs de ces charges” provient de ce que “l'exercice est
d'autant plus pénible que les communes sont moins populeuses.
Il est plus difficile d'administrer une petite commune, dont le
magistrat se trouve en rapport immédiat et de tous les instants
avec chaque administré, qu'une grande ville.  ”23 Tous ces
historiens sont d'accord pour dire que la charge était trop
onéreuse, que l'administration royale intervenait trop
frequémment, et que le syndic était trop vulnérable, pour que la
charge soit un poste recherché.
 24 La fin de l'Ancien Régime et les débuts de la Révolution dans la
généralité de Caen (1787-1790) (P (...)

 25 Ainsi commença la Révolution…Campagne électorale et cahiers


de doléances de 1789 dans le bailliage (...)

 26 Ferme, Entreprise, Famille, p. 33-34, 53-54.

15Cependant on trouve un autre groupe d'historiens qui suggère


un autre caractère de recrutement, surtout vers la fin de l'Ancien
Régime. Felix Mourlot déclare qu'à la fin de l'Ancien Régime dans
la généralité de Caen (en dehors de notre zone), “dans les
villages [de la Basse-Normandie]  où la population était
uniquement composée de paysans, ceux-ci choisissaient les plus
aisés d'entre eux et sans doute aussi les plus éclairés. ”24 Jacques
Dupâquier insiste sur le fait que les fermiers-laboureurs du pays
de grande culture du Vexin “ sont souvent syndics et
marguillers.”25 Jean-Marc Moriceau et Gilles Postel-Vinay
affirment que les dynasties agricoles comme celles centrées au
Plessis-Gassot accumulaient des charges comme le syndicat pour
renforcer leur ascension sociale26.
16Ces interprétations contradictoires viennent du fait que l'on n'a
jamais essayé de faire une étude détaillée des origines des
syndics. Heureusement, il y a des sources pour faire ce genre
d'étude. Elles se trouvent aux Archives départementales des
Yvelines, du Val-d'Oise, de l'Oise, et de Seine-et-Marne où il y a
des listes de nominations des syndics, et d'autres documents qui
indiquent l'identité des syndics. Aussi, il existe des rôles de taille
(ou d'autres impositions) pour mieux situer les syndics dans leurs
positions sociales. Parfois, comme dans les rôles de taille
conservés aux Archives nationales, les rôles eux-mêmes notent
les noms des syndics. Je suis en train de dépouiller ces sources.
Évidemment, ce n'est pas une méthode sans problèmes et il faut
surtout compléter ce travail dans les rôles d'impositions avec des
recherches dans les registres paroissiaux pour mieux comprendre
les origines sociales et les relations familiales des syndics. Mais,
pour le moment cette méthode nous aide à approcher la question
de l'identité des syndics, et à explorer la question de corrélation
entre ce que l'administration royale a envisagé comme type idéal
de syndic et ce qui c'est vraiment passé. Peut-être serait-il
possible de discerner certains modes chronologiques et
géographiques de recrutement des syndics.
17Pour cette communication aujourd'hui, j'ai choisi quelques
communautés diverses pour examiner qui étaient les syndics. J'ai
choisi cinq communautés qui se situaient dans le pays de
vignoble, le pays de grande culture, et dans le pays d'activité
économique mixte (ou de polyculture). Ces villages se situent
actuellement dans le département du Val-d'Oise (voir la carte). La
période qui nous concerne ici est celle des années 1750 jusqu'en
1789. J'ai élaboré une liste des syndics des paroisses et je les ai
suivis à travers les rôles de taille. J'ai essayé de les identifier non
seulement au moment de la nomination au syndicat, mais aussi
de saisir la trajectoire de leurs vies (si, par exemple, il y a eu des
changements importants dans leurs conditions).
 27 AD, Val-d'Oise, C 221, 259-263. Voir aussi
Jacques DUPAQUIER, Paroisses et Communes de France : la (...)

18Mon premier exemple est le petit village de Mézières qui se


trouve dans le pays de grande culture du Vexin français près de
Vallangoujard.27 Ce village était polarisé entre un groupe de
manouvriers et de pauvres et un autre groupe de gros fermiers et
de laboureurs. D'une part, plus de la moitié (58.3 % en 1773 et
1780 et 54.6 % en 1789) payait moins de 10 livres pour la taille.
D'autre part plus d'un tiers payait plus de 50 livres (41.4 % en
1773, 33.3 % en 1780, et 36.4 % en 1789). Dans ce village on
trouve une confirmation évidente de conclusions de tous ceux qui
parlent de l'existence d'une oligarchie de riches fermiers et
laboureurs. Entre 1759 et 1789, le syndicat était dominé par deux
hommes. Le premier était André Leger, un laboureur payant entre
5 % (51 livres en 1759) et 12 % (141 livres en 1766) de la taille
annuelle (voir le graphique pour Mézières), qui fut élu syndic dix
fois entre 1759 et 1782, nommé syndic perpétuel en 1785, et élu
syndic municipal en 1788. Le second était son parent, François
Leger, fermier de la seigneurie et laboureur, qui payait entre 55 %
(460 livres 10 sols en 1759) et 68 % (723 livres en 1780) de la
taille, et qui fut nommé syndic onze fois pendant la même
période. Pendant toute cette période, André et François se
succédaient presque chaque année. On ne trouve que deux fois
entre 1759 et 1789, quelqu'un d'une condition modeste (même
pauvre) et qui, n'étant pas laboureur ou fermier, se vit élu syndic :
deux tailleurs, parents eux-aussi, qui ne payaient que 2 livres
pour la taille. Néanmoins, même ces tailleurs savaient signer. En
somme, ce très petit village de dix feux en 1759, douze feux en
1773, et neuf feux en 1789 (45 habitants en 1790) était dominé
par les coqs de village.
 28 AD Val-d'Oise, C 259-263, C 189.

19On trouve une situation différente dans une autre partie dans ce
pays de grande culture qui est le Vexin français : le village de
Cormeilles-en-Vexin.28 Beaucoup plus grand que Mézières (188
feux en 1760 ; 215 en 1789 ; et 814 habitants en 1790),
Cormeilles avait une économie plus diversifiée et la communauté
d'habitants nomma des syndics plus divers. Quatorze des syndics
(sur 30) étaient laboureurs ou fermiers ; dix-sept faisaient autre
chose : trois manouvriers, un cordonnier, un tailleur, un tonnelier,
un maçon, un arpenteur, un charcutier, un blatier, un vigneron, un
farinier et deux cabaretiers. Sept payaient moins de 10 livres pour
la taille ; treize payaient plus de 50 livres et un payait plus de
2000 livres, soit 34 % de la taille (voir la graphique pour
Cormeilles). En plus, chaque année on nomma un syndic différent,
sauf en 1788-1789 où on élit Jean Louis Toussaint Caffin, un
fermier de seigneurie et farinier comme syndic municipal. Il était
syndic perpétuel à partir de 1782, et fut élu député en 1789. On
voit que la communauté d'habitants de Cormeilles nommait
comme syndics des hommes très divers, la plupart jouissant d'une
certaine aisance (surtout pendant la période 1766-1776, quand
tous les syndics, sauf deux, payaient entre 50 livres et 200 livres
pour la taille et 1788-1789). Mais les syndics ne représentaient
pas la totalité de la société de Cormeilles parce que deux tiers des
feux payaient moins de 10 livres (66.6 % en 1759, 64.9 % en
1773, et 66.5 % en 1789) et un quart moins de 2 livres. Par
contre, aucun syndic ne payait moins de 2 livres et seulement
23 % payait moins de 10 livres. Trente-trois pour cent des syndics
payaient entre 50 livres et 200 livres, tandis qu'un pourcentage
plus petit (11.3 % en 1759, 10.8 % en 1773, et 9.3 % en 1789) des
habitants payait plus de 50 livres. Tout le monde savait signer. On
voit donc un processus de nomination qui est plus volatile qu'à
Mézières et où les laboureurs et fermiers n'avaient pas réussi à
accaparer le poste de syndic.
 29 AD Val-d'Oise, C 183, 259-263.

20Le village de Butry, dans le pays de vignoble, près de l'Oise,


était petit comme Mézières : 58 feux en 1760 et 46 feux en
1789.29 Soixante-cinq pour cent des feux étaient composés de
vignerons; 80 % des syndics l'étaient aussi. Cinquante-deux pour
cent des feux payaient moins de 10 livres en 1789 (52.8 % en
1759 et 43.4 % en 1773). En 1789, 20 % payaient plus de 20 livres
(21.8 % en 1759 et 0.2 % en 1773). Personne ne payait plus de 50
livres en 1789, et seulement deux et 1759 et un en 1773. Seize
pour cent des syndics payaient moins de 10 livres et vingt pour
cent payaient plus de 20 livres (voir la graphique pour Butry). Bien
que les syndics vinssent de couches un peu plus aisées que celles
des habitants, ils approchaient de plus près la moyenne des
habitants dans ce village du vignoble. Malgré le petit nombre
d'habitants dans le village, la communauté de Butry nommait
rarement le même homme pour le syndicat plus d'une fois
(comme on le faisait régulièrement à Mézières par exemple). Tous
les syndics savaient également signer. Même le syndic perpétuel
qui fut élu syndic en 1765 et syndic municipal en 1788, était un
homme modeste vis-à-vis de ceux des villages du pays de grande
culture. Il était vigneron payant moins de 20 livres pour la taille.
 30 AD Val-d'Oise, C 259-163, 220.

21Le village de Méry-sur-Oise se situait dans le pays de vignoble


où il y avait aussi de terres labourables. 30 Méry était un village de
90 feux en 1760 et 108 en 1789 (570 habitants en 1790). C'était
un village composé de beaucoup d'habitants très modestes. En
1773, soixante-dix pour cent des habitants payaient moins de 10
livres (dont 20 % payaient moins de 2 livres) ; en 1789, 83 %
payaient moins de 10 livres (dont 24 % payaient moins de 2
livres). Aucun des syndics ne payait moins de 2 livres ; mais 47 %
payaient entre 2 livres et 10 livres (voir le graphique pour Méry).
Seulement 10 % des habitants en 1773 et 6 % de ceux de 1789
payaient plus de 20 livres. Parmi les syndics (le syndic perpétuel
inclus), 20 % se situaient dans la même catégorie de taillables.
Enfin, les vignerons étaient sur-représentés parmi les syndics :
35 % des habitants étaient vignerons, mais 47 % des syndics
l'étaient. Vingt pour cent des habitants étaient journaliers ou
manouvriers ; seulement 10 % des syndics l'étaient (si on ajoute
un journalier qui était aussi vigneron, et un manouvrier qui était
aussi vigneron). Tous les syndics savaient signer leurs noms.
Comme à Butry, les syndics venaient de couches seulement un
peu plus élevées que les habitants. Le syndic municipal payait
juste au-dessus du seuil prescrit par l'administration royale.
22Mon dernier exemple vient du village de Fosseuse, un petit
village au sud-est de Méru. La population de ce village de 169
habitants en 1790 et 38 feux en 1773, était composée d'un grand
fermier, qui était aussi meunier et farinier et qui payait entre 73 %
(599 livres en 1786) et 80 % (647 livres en 1759) de la taille
chaque année, et d'une quantité considérable de manouvriers.
Quatre-vingt dix pour cent des habitants de Fosseuse en 1773
payaient moins de 10 livres pour la taille, dont soixante-six pour
cent ne payaient qu'entre 2 livres et 10 livres. Parmi les syndics,
aucun ne payait moins de 2 livres, mais quatre-vingt-sept pour
cent payaient entre 2 livres et 10 livres (voir le graphique pour
Fosseusse). Même le syndic municipal, un garde de chasse, payait
moins que le seuil de 10 livres (8 livres 6 sols). Les syndics de
Fosseuse n'ont payé une taille de plus de 10 livres seulement 4
fois en 30 ans. Trois parmi les syndics ont déclaré ne pas savoir
signer (en 1760, 1772, et 1779). Comme à Mézières, quelques
individus se chargeaient du syndicat plus d'une fois. Mais ceux
qui furent nommés plus d'une fois ne ressemblaient pas à ceux de
Mézières. Un manouvrier, Vincent Baillet, était syndic chaque
année entre 1761 et 1766. Il ne payait que 2 livres 18 sols au
maximum pendant la période de 1759 à 1780. Un laboureur,
Louis Dupuis, était syndic en 1770 et 1771. Il payait 101 livres
pour la taille en 1772, mais précédemment il avait payé
normalement entre 33 livres et 64 livres. Étienne Jean Boyer, un
homme sans profession déclarée, logé gratis, et qui ne payait que
4 livres 18 sols au maximun, était syndic entre 1773 et 1777, et
ensuite en 1787. Malheureusement, on ne sait plus rien sur lui. Le
journalier, Charles Tuquet, qui ne payait que 2 livres 8 sols au
maximum, fut nommé syndic trois fois entre 1782 et 1784. La
communauté d'habitants de Fosseuse nommait syndic des
hommes qui venaient de la grande majorité de la population. Une
seule fois, en 1768, le grand fermier, meunier, et farinier fut élu
syndic.
23Évidemment on ne peut pas tirer de conclusions trop larges de
tels exemples et il me reste, pour le moment, plus de questions
que de réponses. Je suis en train d'analyser une quantité
d'exemples beaucoup plus grande que celle que je présente
aujourd'hui. Mais on doit constater que la question de l'identité
des syndics des villages de l'Ancien Régime est beaucoup plus
complexe que l'on ne croyait. Il n'est pas encore possible de dire
s'il y a une corrélation simple entre la structure sociale et
économique des villages et le choix de syndic. Mais on peut
suggérer quelques observations générales. Dans les
communautés polarisées par le grand fermage du pays de grande
culture, on trouve au moins deux typologies de recrutement. Il y
avait des villages où les syndics venaient de l'oligarchie riche des
grands fermiers et d'autres où les syndics venaient de couches
beaucoup plus modestes. Dans ce dernier cas, c'est comme si les
groupes modestes prenaient en charge le syndicat. Bien sûr, il
faut savoir s'ils n'étaient pas les hommes de paille des hommes
riches ou s'ils bénéficiaient d'une réelle autonomie dans leurs
postes. Pendant la guerre des farines, dans le pays de grande
culture, les syndics qui prenaient part aux émeutes étaient très
souvent des manouvriers et journaliers. C'est donc peut-être
moins une question de manque de prestige, qui explique le
recrutement des syndics de couches très modestes, qu'une
question de contrôle de la vie administrative du village. Dans les
pays de vignoble et dans les pays d'activité économique plus
diverse, par contre, les syndics venaient de couches moyennes de
la communauté, ni très riches, ni très modestes. On trouve
souvent des vignerons et des artisans parmi les syndics. Cette
tendance semble liée a u fait que ces villages étaient moins
polarisés que ceux du pays de grande culture. Dans tous ces
villages, la plupart des syndics savaient signer leurs noms.
24On peut constater aussi que les communautés n'ont pas
toujours suivi la volonté de l'administration royale. On trouve des
syndics pauvres alors que les ordonnances stipulaient un
recrutement plus sélectif. On trouve aussi des syndics illettrés
alors qu'ils devaient savoir lire et écrire. Malheureusement, on ne
peut pas dire à présent combien les ordonnances et les arrêts sur
le sujet du syndicat influençaient le choix des villageois. Et
surtout, il faut encore chercher dans les archives communales et
notariales pour mieux décrire les relations sociales et politiques
qui animaient la communauté et qui influençaient la nomination
des syndics.
Val d'Oise
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NOTES
1 The Flour War  : Gender, Class, and Community in Late Ancien
Régime French Society (University Park, PA, 1993).

2 “…quand le village se mettait tout entier en mouvement pour aller


chercher du blé à bon marché chez les fermiers, il s'adressait volontiers
à un notable de la paroisse fût-il syndic, notaire, maître d'école, ou
bien curé pour l'y conduire.” “La Taxation populaire de mai 1775 en
Picardie, en Normandie, et dans le Beauvais”,   Annales historiques de la
Révolution française, 165 (juillet-septembre 1961), p. 325-6.

3 Je cite quelques exemples. Albert BABEAU,  Le Village sous l'Ancien


Régime (Paris, 1915) ; Henry BABEAU,  Les Assemblées générales des
communautés d'habitants en France du XVIII   siècle à la
e

Révolution (Paris, 1893) ; Maurice BORDES,  L'Administration provinciale


et municipale en France au XVIII   siècle (Paris, 1972) ; M. BERTRANDY-
e

LACABANE,  Brétigny-sur-Orge, Marolles-en-Hurepoix, Saint-Michel-


sur-Orge (Versailles, 1886) ; P.-J.-S. DUFEY,  Histoire des communes de
France et législation municipale depuis la fin du XI   siècle jusqu'à nos
e

jours (Paris, 1828) ; Hector GABÉ, “Le Cadre institutionnel de la vie à


Nogent-sur-Marne sous l'Ancien Régime”,  Paris et l'Ile-de-France, 38
(1987) : 87-120 ; Georges HARDY, “L'Administration des paroisses au
XVIII  siècle” : les réparations de bâtiments ecclésiastiques,  Revue
e

d'histoire moderne et contemporaine, 5 (1911) : 5-23 ;


Auguste REY,  Notes sur mon village  : syndics et municipalités à la fin
de l'Ancien Régime (Paris, 1891) ; Hilton Root,  Peasants and King in
Burgundy  : Agrarian Foundations of French Absolutism (Berkeley,
1787) ; Pierre de SAINT-JACOB,  Les Paysans de la Bourgogne du Nord
au dernier siècle de l'Ancien Régime (Paris, 1960) ; Albert SOBOUL, “La
Communauté rurale (XVIII -XIX  siècle) : Problèmes de base”,  Revue de
e e

synthèse, 78 (1957) : 283-315.

4 Albert BABEAU,  Le Village sous l'Ancien Régime, p. 59.


5 However, there were considerable variations here, too. And, there
were also frequent violations of basic procedures.

6 ISAMBERT,  Recueil des anciennes lois françaises, t. 19.

7 Alexis de TOCQUEVILLE insiste que, au dix-huitième siècle, “le syndic,


placé sous la direction journalière du subdélégué de l'intendant, le
représente dans toutes les opérations qui ont trait à l'ordre public ou
au gouvernement. Il est son principal agent quand il s'agit de la milice,
des travaux de l'État, de l'exécution de toutes les lois
générales.” L'Ancien Régime et la révolution (Paris, 1988), p. 143.

8 Albert BABEAU,  Le Village sous l'Ancien Régime, p. 64 ; Hilton ROOT,


“Peasants and King” in Burgundy  ;  Peter JONES, “The Peasantry” in the
French Revolution (London, 1988), p. 26.

9 Voir AD Val-d'Oise, C 259-163 ; AD Yvelines, C 76-78 ; AD Oise, C


339, 349-350, 461, 726.

10 “Édit du Roy, portant création dans chaque paroisse où il n'y a pas


de maire, d'un syndics perpétuel (20 mars 1702)” AN, AD1-611. Pour
l'analyse de cet édit, voir Auguste REY,  Notes sur mon village, p. 6 ;
Albert BABEAU,  Le Village sous l'Ancien Régime, p. 28 ; Hilton L.
ROOT,  Peasants and King, p. 51-3 ; Jean-Marc MORICEAU et
Gilles POSTEL-VINAY,  Ferme, Entreprise, Famille  : Grande exploitation
et changements agricoles, XVII -XIX   siècles (Paris, 1992), p. 33-34.
e e

11 . Le Village sous l'Ancien Régime, p. 62.»

12 “L'Ordonnance  du 1   novembre 1770” texte intégrale dans


er

M. BERTRANDY-LACABANE,  Brétigny-sur-Orge, p. 208-209.

13 AD Aube, C 1182. Pour l'analyse de cet arrêt et l'ordonnance de


l'intendant de Champagne du 10 novembre 1776, voir
Maurice BORDES,  L'Administration provinciale et municipale, p. 328-9 ;
Peter JONES,  Peasantry in the French Revolution, p. 26 ; Albert SOBOUL,
“The French Rural Community in the Eighteenth and Nineteenth
Centuries,” Past and Present 10 (1956), p. 82.

14 Le texte intégral publié par Auguste REY,  Notes sur mon village, p.


8-9.

15 “Réglement sur la formation et la composition des assemblées qui


auront lieu dans la province de Champagne (23 juin 1787)” in
Isambert,  Receuil…, 29. Le réglement pour l'Ile-de-France fût publié le
8 juillet.

16 L'Ancien régime et révolution, p. 144, 143

17 Notes sur mon village, p. 7.

18 Ibid, p. 41.

19 Le Village sous l'Ancien Régime, p. 73

20 L'Administration provinciale et municipale,  p. 328

21 “Le Cadre institutionnel de la vie à Nogent-sur-Marne sous l'Ancien


Régime”,  Paris et l'Ile-de-France 38 (1987),  p. 88.

22 Peasants and King, p. 89-91.

23 p. 189.

24 La fin de l'Ancien Régime et les débuts de la Révolution dans la


généralité de Caen (1787-1790) (Paris, 1913), p. 104.

25 Ainsi commença la Révolution…Campagne électorale et cahiers de


doléances de 1789 dans le bailliage de Pantoise (Pontoise, 1990), p. 58

26 Ferme, Entreprise, Famille, p. 33-34, 53-54.

27 AD, Val-d'Oise, C 221, 259-263. Voir aussi


Jacques DUPAQUIER,  Paroisses et Communes de France  : la région
parisienne…,
28 AD Val-d'Oise, C 259-263, C 189.

29 AD Val-d'Oise, C 183, 259-263.

30 AD Val-d'Oise, C 259-163, 220.

TABLE DES ILLUSTRATIONS

Titre Val d'Oise

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AUTEUR
Cynthia Bouton
Débat
p. 71-72

TEXTE

TEXTE INTÉGRAL

Mardi matin
1Le débat souligne la diversité des situations dans les deux
provinces évoquées par Daniel LIGOU et Guy SAUPIN.
Georges FOURNIER rappelle qu’États et villes du Languedoc
constituent encore un autre cas de figure et que les villes, par
exemple, se dressent contre une tutelle jugée excessive des États
provinciaux alors que Guy SAUPIN vient de nous montrer que
Nantes, vers 1780, souhaite un contrôle des États et que
l’Intendant n’ose plus présenter son subdélégué comme candidat
à la mairie de la ville. J.-P. JESSENNE constate que les campagnes
ne semblent pas représentées aux États de Bourgogne :
D. LIGOU se demande si le droit à une représentation effective est
véritablement ressenti comme essentiel par des paysans qui
visiblement acceptent de l’être par quelques chanoines et
seigneurs. G. SAUPIN revient sur le lâchage final de l’intendant par
la ville de Nantes et Versailles pour y voir le symptôme d’un
centralisme en perte de vitesse. N. HAMPSON se demande si la
présence aux États de Bourgogne était considérée comme
gratifiante et donc recherchée ? D. LLGOU le croit dans la mesure
où nobles, chanoines et villes y tiennent absolument, ne serait-ce
qu’une fois tous les 12 ans, comme certaines villes qui viennent y
siéger à tour de rôle. Ph. GUIGNET contribue à accroître la variété
des cas d’espèce en rappelant que pour les États de la Flandre
Wallonne, la noblesse et le clergé s’estiment écrasés
numériquement par les députations des villes et exigent une plus
forte représentation parce que chargés de défendre également les
intérêts des paysans. Et ces États considèrent le roi de France
comme le successeur des comtes de Hainaut et devant respecter
comme tel les coutumes et libertés de la province. Et si en
Brabant, on se soulève contre Joseph II, c’est qu’il n’a pas
respecté la coutume comme l’y contraignaient les stipulations de
la “Joyeuse entrée”.

2Pour N. HAMPSON le respect des particularismes semblait encore


s’imposer à la plupart des souverains de l’Europe des Lumières.

3S’adressant à C. BOUTON, J.-P. JESSENNE se demande si ses syndics


de communauté ne sont pas avant tout des agents seigneuriaux ?
Si également l’apparente diversité des situations analysées ne se
ramènerait pas à quelques modèles fondamentaux liés aux trois
grands types de structures foncières rencontrés dans la région :
zones de grande culture, zone du vignoble avec prépondérance de
la petite propriété et zone mixte ? C. BOUTON croit pouvoir
affirmer que les situations ne peuvent se ramener à trois cas de
figure, car il n’y a pas corrélation automatique entre les structures
foncières dominantes et le statut social du syndic. Ainsi dans les
zones de grandes propriétés, les gros fermiers peuvent se mettre
à dos les petits propriétaires et se voir interdire l’accès au
syndicat. Quant aux seigneurs, le plus souvent absentéistes, leur
comportement semble très variable. G. FOURNIER va dans le même
sens en estimant qu’en Languedoc, dans les petites bourgades les
Consuls sont le plus souvent des hommes du seigneur mais qu’il
peut y avoir de nombreuses exceptions. R. DUPUY s’étonne de ne
pas voir apparaître la figure du curé qui, en Bretagne, souvent
régente la paroisse alors que le patron légal est le principal
seigneur. C. BOUTON estime que dans le Bassin Parisien général de
paroisse et communauté des habitants peuvent également se
confondre et que tout dépend de la personnalité du curé. Pour
l’Artois, J.-P. JESSENNE estime que l’autorité du curé est réelle mais
se situerait au-dessus des contingences prosaïques du quotidien.
© Presses universitaires de Rennes, 1999
Conditions d’utilisation : http://www.openedition.org/6540
Cette publication numérique est issue d’un traitement automatique par reconnaissance optique de
caractères.
Les obstacles provinciaux au
centralisme et à
l'uniformisation en France
au XVIII  siècle e

Claude Nières

p. 73-92

TEXTE NOTES AUTEUR

TEXTE INTÉGRAL
 1 Conf. le jugement de bien des historiens, par exemple Francis FURET,
M. OZOUF  Dictionnaire critiqu  (...)

1Les difficultés, de moins en moins surmontées, rencontrées par


les souverains au cours du XVIII  siècle sont, pour l'essentiel,
e

connues. Elles avaient d'autant moins de solutions que l'État, lui


même, était un élément constitutif de ces difficultés. Au-delà des
effets des caractères de ceux qui détenaient le pouvoir 1, mon
propos est de m'interroger sur la capacité de l'appareil d'État, en
province, à lever les obstacles à la volonté royale.
 2 LOYSEAU, Traité des Ordres et Simples Dignitez, 1609.

 3 BELLARMIN, affirmait que l'autorité venait aux princes de Dieu par le


peuple. Mais que la délégati (...)

2En France, le pouvoir détenu depuis des siècles par le roi, s'est
renforcé jusqu'à faire coïncider l'État et un individu 2. Ici, la nation
“ne fait pas corps” mais : “réside tout entière en la personne du
roi”3. Ce pouvoir suprême exercé en principe au bénéfice de tous
qui a évolué vers une forme qualifiée d'absolue, bientôt
soupçonnée de despotisme est réglé, c'est-à-dire contenu par des
principes et des normes qui ne dépendent pas de lui. Au cours
des siècles, la monarchie a développé un appareil d'État central et
provincial de plus en plus élaboré conduisant à la formation, à la
fin du XVII  siècle et au XVIII  siècle, de ce que l'on a appelé une
e e

monarchie administrative voire bureaucratique. Mais alors que


Louis XIV gouvernait avec ses ministres et faisait appliquer ses
décisions, Louis XV se trouva, de fait, dessaisi de bien des
questions traitées par des conseils ou des cabinets hors sa
présence, par des bureaux, ce qui eut pour effet d'accroître
l'importance de ceux qui les peuplaient et dont les vues, bien
souvent, divergeaient. Rien ne changea sous Louis XVI, au
contraire, dans un temps marqué par des hésitations, des
tentatives trop souvent contradictoires, par le fait que le roi ne
tenait plus ses propres agents.
 4 Aristote LE BRET,  De la Souveraineté du Roi, 1632.

 5 ex. Orner TALON, Claude JOLY, Recueil des maximes véritables et


importantes pour l'institution des  (...)

3Au début du XVIII  siècle, la plupart des théoriciens admettaient


e

encore le point de vue du parlement de Paris déclarant en 1489


qu'un tel pouvoir ne tenait que “de Dieu immédiatement” 4. Admis
dans son principe après les guerres de religion, glorifié par
Bossuet, il n'en avait pas moins été à plusieurs reprises contesté
dans son fondement, sa forme et le choix de ses agents 5. Bientôt
c'est l'identification de la nation au roi qui sera disputée. Elle le
sera d'autant plus que pour des raisons idéologiques mais aussi
d'efficacité, le souverain exerçait son pouvoir d'une manière de
plus en plus centralisée, en proposant des mesures générales qui
tendaient à l'uniformisation.
 6 A. de TOCQUEVILLE, L'Ancien Régime et la Révolutions, 1856.

 7 J. MEYER,  La France Moderne, Fayard, 1985.


4Centralisation et uniformisation ne peuvent être confondues. La
première peut signifier simplement que tout part du roi, que tout
va à lui parce qu'il détient la souveraineté. A tout prendre, un
monarque absolu cherche une unité de pensée, de religion et une
unité organique. Cette centralisation là, remise en cause par
Montesquieu et d'autres, n'est pas celle qui nous intéresse
aujourd'hui. Car au-delà des grandes pétitions de principes, le
centralisme était autant une solution pratique qu'un problème de
théorie politique. Il consistait à prendre des décisions au sommet
de l'État en laissant le moins de latitude possible, d'autonomie,
aux autorités locales et provinciales. Roland Mousnier faisait
remarquer que la monarchie absolue s'opposait à l'éparpillement
féodal et, dans ce système, non seulement les choix politiques
étaient le fait du souverain, mais encore tous les problèmes
remontaient à lui afin qu'il les tranche. Or il est incontestable que
ses interventions et ses décisions devenaient plus fréquentes et
plus générales au fur et à mesure que le royaume s'agrandissait et
que les besoins de l'État s'accroissaient de ce fait. Dans un
premier temps, le pouvoir a pu se contenter d'interventions
ponctuelles dans des domaines restreints, d'agir sur les décideurs
locaux mais, dans un second temps, l'administration du pays allait
tenter d'imposer une cohérence nationale qui ne pouvait que
heurter les particularismes quels qu'ils fussent. Certes, la
centralisation des décisions dans une structure ou tout partait du
sommet pouvait se faire sans toucher à la diversité. Tocqueville fit
cependant remarquer6 que centralisation ou unification étaient
depuis longtemps entreprises dans le royaume. L'édit de Villers-
Cotteret imposant une langue commune pour les actes essentiels,
l'ordonnance d'août 1539 sur le fait de la Justice, celle créant les
généralités en sont des exemples. Mais, si l'on peut admettre que
la tendance sur le long terme fut bien celle là, il faut aussi
comprendre que le mouvement connût des arrêts, des limites,
s'accélérant dès la fin du XVII  siècle. Jusqu'au règne personnel de
e

Louis XIV, il suffisait que le pouvoir contrôlât les pouvoirs locaux,


sans toucher à leur nature, pour arriver à ses fins. Mais, par
étapes, progressivement, sous l'effet des nécessités, des besoins
financiers, par souci d'efficacité et aussi de cohérence, le pouvoir
a dû prendre toute une série de décisions, proposer des réformes
de caractère général. En d'autres termes, poussé par la logique de
gouvernement, il tendit à uniformiser le royaume donc à s'en
prendre aux privilèges des personnes, des corps, des états. Pour
assurer la paix intérieure d'un royaume de plus en plus étendu et
fortement peuplé, pour en défendre les intérêts à l'extérieur, nous
savons que l'État amplifia ses moyens politiques, administratifs,
militaires et dépensa de plus en plus d'argent. Par ailleurs, il
élargit ses domaines d'intervention, s'occupa de police, de
mœurs, de questions artistiques, de la langue, créa pour ce faire
de nombreuses académies. Par voie de conséquence, ses champs
de compétences s'élargirent, se diversifièrent, tout en le
conduisant à donner des lois et règlements de portée générale,
applicables dans tout le royaume. En particulier, il en vint à
intervenir de plus en plus dans les problèmes locaux et
provinciaux. Il chercha à imposer cette politique à un corps social
marqué par des situations économiques fort différentes, par des
privilèges et des usages depuis longtemps enracinés, dans le
cadre d'un royaume hétérogène où langues et idiomes
soulignaient les particularismes sous l'usage administratif du
français. Pour ses sujets, le souverain, créateur lui même de
privilèges, possédait un pouvoir d'arbitrage non négligeable et ils
attendaient de lui qu'il en accordât davantage ou, en tout cas,
qu'il préservât ceux qui existaient ou qu'ils croyaient avoir existé.
La notion de privilège acquis n'est pas neuve. La logique du
maintien des privilèges s'opposait à la logique du développement
du pouvoir monarchique qui pourtant s'attachait aussi à les
défendre ou, tout au moins, s'attachait à défendre en grande
partie ceux des deux premiers ordres7. A l'inverse, les menaces
étaient plus fortes en ce qui concernait les corps et les institutions
locales et provinciales.
5Que le roi cherchât à imposer ses volontés à tous n'était pas
chose nouvelle, le développement d'une administration
monarchique couvrant toutes les autres l'était davantage.
Quoique, l'exemple des généralités le prouve, la superposition de
ressorts atténuait les effets souhaités de leur création. A tous les
échelons, les agents qui la composaient poussaient à la réussite
d'un pouvoir dont ils détenaient une parcelle, mais en même
temps, issus de couches plus ou moins privilégiées, attachés à
des coutumes locales, provinciales, ils ne pouvaient accepter
sereinement de les voir attaquées, voire supprimées. Tant qu'ils
ont été persuadés qu'ils pouvaient les garder, ils ont empêché, de
fait, la réussite des réformes, comme l'empêchaient les privilégiés
au sommet de l'État. Ils gardèrent globalement cette attitude
jusqu'à la convocation des États généraux. Les tergiversations des
deux derniers souverains, les variations identiques de leur
prestige, le choix de ministres aux opinions souvent contraires
permettaient aussi à ceux qui agissaient en leur nom de
développer à l'occasion leur opposition. Le phénomène est bien
connu quand il s'agit des parlements, mais il existait aussi au
niveau local.
 8 Ph. GUIGNET, Le pouvoir dans la ville au XVIII e  siècle, Paris éd. de
l'E.H.E.S.S., 1990.

6Dès lors, au fur et à mesure que le temps passait, que les demi
mesures échouaient, que les difficultés en particulier financières
s'accroissaient, la politique centralisatrice et unificatrice, même
limitée, rencontra en province davantage d'entraves, de limites,
généra de plus fortes oppositions des couches sociales
concernées, des ordres privilégiés, des institutions provinciales et
locales. Oppositions d'autant plus fortes que les agents du
pouvoir monarchique étaient souvent alliés aux détenteurs des
pouvoirs locaux. Philippe Guignet le souligne “ les repères
idéologiques classiques sont inopérants pour appréhender les
attitudes politiques d'une province – il s'agit ici de la Flandre, de
la Wallonie et du Hainaut – enracinée dans le particularisme ”. Il
ajoute : “la culture politique des provinces était réfractaire à
l'introduction d'une réforme uniformisatrice8. Certes, il s'agit des
provinces nouvellement rattachées au royaume, des pays d'États,
mais nous pouvons penser qu'ailleurs la culture politique des
édiles locaux, des corps y était tout autant hostile. Il me semble
que le pouvoir royal absolu n'était acceptable que dans la mesure
ou il s'exerçait sans toucher fondamentalement aux
particularismes, aux privilèges, autrement il devenait de plus en
plus suspect de tyrannie. C'est bien ce que pensaient les
parlementaires qui diffusaient dans l'opinion des critiques souvent
infondées sur la politique royale et qui renforçaient les craintes de
ceux qu'inquiétait l'évolution monarchique.
7En plusieurs domaines, les souverains prirent des décisions qui
touchaient aux libertés et privilèges des villes et des provinces.
8Le premier concernait la sécurité intérieure et extérieure du
royaume. Pendant des siècles, la plupart des villes, à l'abri de
murailles, avaient assuré leur défense et concouru à celle des
provinces où elles étaient implantées. A plusieurs titres, cette
situation était dommageable aux intérêts du royaume : les villes
ainsi protégées pouvaient présenter un danger en se révoltant,
elles ne possédaient pas ou plus de valeur stratégique à un
moment où l'évolution des techniques obligeait à des choix.
Aussi, très tôt, le souverain profita des occasions pour abattre les
murailles de cités révoltées et pour rendre obsolètes celles des
autres. En même temps, il conçut une protection aux frontières
terrestres et maritimes du royaume dont Vauban fut le plus grand
réalisateur. Cette politique, menée patiemment, pensée au niveau
de l'État, était favorable aux villes “démilitarisées” qui pouvaient
disposer des fossés inutiles, ouvrir les portes, utiliser les tours a
maints usages. Elle avantageait le commerce, les constructions,
l'installation de jardins, de promenades et de ce fait rencontrait
l'approbation des citadins mais, en même temps, la perte des
murs faisait craindre celle des privilèges fiscaux qui s'y
attachaient. Les habitants de  l'intra muros, plus particulièrement,
les notables, redoutaient la menace des faubourgs populeux, des
paysans en colère dont les portes et les murs les protégeaient
plus ou moins. Enfin, tours, murs et portes étaient les éléments
significatifs de leur existence et ils y tenaient. C'est pourquoi, ici
ou là nous trouvons des réticences envers la politique royale et
une lenteur d'exécution dont beaucoup de villes sont encore le
témoignage. Néanmoins, sauf cas extrêmes, le Pouvoir n'exerça
pas de fortes pressions pour supprimer les défenses urbaines. Il
n'en fut pas de même pour les cités qu'il voulait défendre et
auxquelles il imposa, quelque fut l'avis des habitants, un système
de défense lourd de conséquences pour l'urbanisme citadin et
l'économie de ces cités. L'installation des arsenaux du Ponant à
Brest, Rochefort, Lorient et Cherbourg, illustre bien cette
politique. Rares furent les villes qui s'opposèrent avec succès aux
projets des ingénieurs des fortifications. En Bretagne, ce fut le cas
de Saint-Malo qui ne voulut point, pour des raisons économiques,
que fut créé un grand port militaire englobant Saint-Servan.
 9 Édit du 27 juillet 1766.

9Assurer la paix du royaume se trouvait être une des tâches du


souverain : cela impliquait de mettre à la raison tous ceux qui, à
l'intérieur ou à l'extérieur, pouvaient la menacer, exigeait des
moyens politiques, administratifs, militaires qui devenaient de
plus en plus onéreux. Le souverain dut trouver des ressources
croissantes chez ses sujets pour subvenir à ses besoins militaires.
Pour ces raisons, la mauvaise situation financière des villes devint
assez vite un sujet de préoccupation et conduisit à leur
surveillance, puis à leur tutelle. Apurer les comptes urbains c'était
avoir la possibilité de faire participer les villes aux dépenses de
l'État, soit par le biais de dons gratuits aux prétextes divers, soit
par un transfert de charges. S'occuper des finances d'une ville,
dresser son budget en fixant ses dépenses et en décidant de ses
recettes, plus tard, essayer d'imposer un contrôle centralisé des
comptabilités9, ne venaient pas d'une volonté maniaque ou
jalouse d'intervenir dans les affaires locales mais bien d'une
nécessité. Pour des raisons financières, l'État ne pouvait admettre
qu'une gestion trop fantaisiste, quelquefois malhonnête, souvent
inconsidérée, vint remettre en cause sa propre politique
financière. Cette intervention n'était possible que par la rencontre
d'une volonté et des moyens de l'imposer. La volonté, celle de
Colbert et des Contrôleurs généraux des Finances qui lui
succédèrent, les moyens, la mise en place des intendants et de
leurs subdélégués. Mais cela eut des conséquences. Les cités
obligées de s'adresser au Contrôleur par l'intermédiaire de
l'intendant pour avoir un renouvellement ou une création
d'octrois, pour obtenir un emprunt, pour faire face à des dépenses
imprévues, tentaient souvent de desserrer le carcan budgétaire ne
serait-ce qu'en jouant des différents postes de dépenses, en
s'évertuant à se décharger des charges nouvelles que le pouvoir
cherchait à leur imposer. Elles essayaient aussi de faire intervenir
leurs protecteurs naturels, les seigneurs quand ils existaient ou
les États de leur Province dans les pays d'états. Ainsi la volonté du
pouvoir de tout vérifier sous l'œil centralisateur du Contrôleur, de
proposer des budgets-types, se heurtait à la permanente volonté
des villes d'en affaiblir les effets.
10Il en fut de même avec la création, pour des raisons financières,
des offices municipaux. Nous connaissons les péripéties de ce
système. L'on sait qu'il se heurta à une forte opposition des
Communautés pour éviter de perdre par le simple jeu de l'achat,
le contrôle de leur cité. Beaucoup de municipalités n'hésitèrent
point à se porter acquéreur au moins des offices principaux afin
de pouvoir en disposer. L'attitude des seigneurs qui contrôlaient
leurs cités fut d'ailleurs la même, ainsi que celle de la Compagnie
des Indes à Lorient. Néanmoins, la création d'offices partout
identiques eut pour conséquence, de fait, de créer une première
harmonisation des systèmes municipaux. Malgré ses avatars,
cette politique continua dans le siècle, modifiant toujours plus ou
moins les structures anciennes. Ainsi, l'édit qui met fin en 1771 à
la réforme Laverdy “ne rétablit pas (à Angers) l'échevinage dans
son état antérieur” et aboutit à la création d'offices nouveaux. En
Bretagne, nombre de conflits mirent en cause le fonctionnement
des municipalités, préjudiciable à son tour aux intérêts des
citadins mais aussi du souverain.
11La logique conduisait à terme à envisager une refonte générale
de l'administration urbaine. Elle fut accélérée par les désordres
dus aux oppositions des groupes urbains. Rappelons que la
situation des villes différait profondément d'une province à une
autre. Dans les pays d'États, toutes ne possédaient pas la
possibilité de députer. Dans le royaume, des villes avaient obtenu
des institutions municipales autonomes mais pas d'autres,
quelques-unes avaient des privilèges, fiscaux, militaires,
reconnus depuis plus ou moins longtemps. Ainsi en Bretagne où
les généraux de paroisses jouaient un grand rôle, il existait peu
de communautés réglées, ce qui n'empêchait pas les cités d'avoir
des administrations urbaines, pour quelques-unes fort anciennes.
Toutes souhaitaient que le roi les reconnaissent.
 10 Cf. en particulier M. BORDES, L'administration provinciale et
municipale en France au XVIIIe siècl (...)

12Le pouvoir avait une longue pratique d'intervention dans les


affaires des citadins qui n'hésitaient souvent pas à en appeler à
son arbitrage pour régler leurs problèmes internes. Nous en
possédons de multiples exemples : à Angers, il régla la lutte qui
opposait les marchands aux autres notables. Il en fut de même à
Rennes, à Lorient ailleurs encore. Philippe Guignet note que la
politique suivie par le roi avait une double face, passive et active.
La première le conduisait à laisser agir les Communautés ou les
individus dont l'attitude lui convenait, la seconde à l'inverse, à
intervenir, soit qu'il ait été sollicité, soit de sa propre initiative. Les
problèmes s'accumulant, il en vint à prendre systématiquement
des mesures, à contrôler les élections des maires, à modifier la
nature même des constitutions municipales et il finit, avec la
réforme Laverdy, par proposer une réforme générale10.
13Cette réforme fut un échec. D'abord parce qu'elle ne fut jamais
globale, des provinces entières en furent dispensées, ensuite
parce quelle accrût souvent, comme à Gray, le nombre des
autorités de tutelle, ce qui allait à contre courant de la
simplification recherchée. Ajoutons que là où elle fut enregistrée,
elle présenta selon les villes et les provinces des versions
différentes, et qu'elle ne put imposer une nouvelle composition
des municipalités donnant une plus grande place aux artisans et
corps de métiers. Cette atteinte aux avantages des oligarchies
municipales, accentuée par le nombre de conseils prévus, ne
pouvait qu'entraîner des résistances plus ou moins fortes. Aussi,
la bataille pour le contrôle municipal continua, quelle que fut la
forme juridique des municipalités, jusqu'à ce que l'arrêt du
Conseil du 15 juillet 1768, pris dans un souci d'uniformisation,
dénature l'esprit de la réforme. Un système électif compliqué,
reposant sur une base très étroite, n'était pas le gage d'un
système démocratique. Aussi, les cahiers de doléances
dénoncèrent-t-ils la confiscation du pouvoir par une oligarchie
réduite, quelquefois une famille, dans bien des cités.
14Ne pouvant bousculer le système en profondeur, le roi
contrôlait la nomination des maires, comme les gouverneurs le
faisaient souvent en son nom. Il arrivait qu'un seigneur ait la
même attitude, comme à Angers, où il choisissait entre trois
sujets que la ville jugeait capables d'exercer la charge. Cette
tutelle du gouverneur était acceptée parce que souvent exercée
avec souplesse, il n'en fut pas de même de celle, plus lourde, du
comte de Provence, prince apanagiste.
15A partir du moment où le pouvoir central se réservait le contrôle
de la gestion financière des villes, du versement des impositions,
et ne laissait aux municipalités que les tâches d'exécution ou de
propositions, les municipalités constituaient de fait - sous un
statut particulier - le dernier échelon de l'administration royale.
Ceci explique l'attention qu'elle portait à leur gouvernement.
Quand, en 1787-1789, le souverain restaura les États généraux
du Hainaut, du comté de Valenciennes et autres parties réunies, il
laissa aux États le soin de contrôler l'ensemble de l'administration
urbaine mais sans pour autant faire litière du gouvernement des
villes par elles-mêmes, ni des possibilités d'intervention qu'il
gardait.
16Ces exemples, trop rapidement évoqués, montrent que
centralisation et uniformisation pouvaient être en pratique
sporadiques, qu'elles étaient liées aux circonstances, limitées à
certains domaines, qu'elles pouvaient progresser puis reculer.
L'action de l'État était trop gênée par la diversité des situations,
par l'enchevêtrement des circonscriptions, par leur déséquilibre,
pour ne pas chercher à les dépasser en imposant des règles
générales. Ce que le besoin politique, la logique administrative,
celle des bureaux, imposaient, rencontrait en partie l'adhésion de
ceux qui avaient une vision rationnelle du gouvernement des
hommes. La recherche d'une rationalisation, d'une uniformisation
ne correspondait pas d'évidence à ce que pouvaient accepter les
groupes sociaux dominants et ceux qui possédaient des privilèges
quel qu'ils fussent. Plus on tendait vers l'uniformisation en
s'appuyant sur la centralisation, plus on suscitait de résistances
des tenants des particularismes. Or, leur capacité de résistance,
d'opposition, était d'autant plus forte qu'ils constituaient le
personnel des institutions de l'État, tels les parlements, mais aussi
des tribunaux subalternes, qu'ils avaient la majorité dans les
états, que nous les trouvons à tous les niveaux de l'appareil
d'État.
17Notre sentiment est que le pouvoir arrivait à un point où il ne
pouvait plus progresser sans briser l'obstacle principal, celui des
privilèges, dont les détenteurs surent pendant longtemps abuser
l'opinion en lui faisant croire que la politique du souverain, la
cour, ses dépenses privées étaient les causes essentielles de ses
difficultés. Dans cette France du XVIII  siècle, la centralisation,
e

toujours nécessaire, n'a jamais été totale, complète, achevée, non


seulement parce qu'elle rencontra l'opposition de ceux qui avaient
à la subir au détriment de leurs privilèges, sociaux, politiques,
professionnels, mais aussi parce que la pensée souveraine était
souvent moins politique qu'administrative. Philippe Guignet
montre clairement que les préoccupations du souverain étaient
moins politiques ou sociales que financières. C'est bien pour cela
que Terray supprima la réforme Laverdy en 1771. C'est bien ce
que pensait le prince de Soubise pour qui les réformes devaient à
la fois permettre : “la correction des abus, la diminution de la
dépense et le bon emploi des deniers publics ” et constituer : “le
meilleur moyen de prévenir toute disposition contraire à nos
privilèges”. Le prince souligne là un obstacle, sinon le principal, à
la centralisation, à l'uniformisation. Édicter pour mieux gérer,
sans toucher aux privilèges, telle est la limite acceptable. Ce qui
explique pourquoi le pouvoir s'engageait à maintenir des
privilèges qui pourtant le bridaient, ainsi de ceux de la Bretagne,
toujours rappelés et toujours reconduits ou encore de ceux des
provinces du Nord, que Louis XIV, s'était engagé solennellement à
maintenir. Quand Louis XV ne les renouvela pas lors de sa visite à
Lille en 1744, ce ne fut point pour les remettre en cause, mais
parce qu'il voulait souligner que leur maintien dépendait de sa
volonté souveraine et non d'un “accord”, d'un “contrat” qui l'aurait
limitée. Beaucoup plus tard, dans le même esprit, Louis XVIII
octroiera une Constitution. Au sommet de l'État, lui-même, la
volonté centralisatrice, unificatrice rencontra de solides obstacles.
Dans l'échec de la réforme Laverdy, le parti des Princes semble
s'être manifesté. Choiseul n'en était pas un chaud partisan et ne
l'appliqua que partiellement (il ne Ta pas imposée en Flandre, il Ta
abandonnée en Roussillon), Saint-Florentin, Bertin étaient peu
intéressés, dans leurs provinces, Soubise, Condé, en Flandres,
d'Aiguillon, le duc de Noailles en Roussillon s'y opposèrent plus
ou moins.
18Enfin, tous ces privilèges pouvaient être contradictoires les uns
les autres. Ceux des municipalités s'opposaient souvent à ceux
des seigneurs, ceux des villes à ceux des états.
19La volonté centralisatrice existait néanmoins, en particulier chez
les physiocrates qui, tels Silhouette, pensaient que le règlement
devait, au nom de l'intérêt supérieur du pays, émaner du centre
non de la police locale et s'imposer aux égoïsmes locaux.
Paradoxes de la pensée libérale prônant la déréglementation mais
qui ne pouvait l'imposer, surtout en matière de libre circulation
des grains, que par un pouvoir centralisé et fort.
20Si la nature de l'État en France, celle de la société, rendaient à la
fois nécessaire et problématique toute politique centralisatrice,
voire unificatrice, le système politique, administratif, à la base
rendait aléatoire l'application des décisions du roi.
 11 F.-X. EMMANUELLI, État et pouvoir dans la France des XVIe-
XVIIIe siècles. La métamorphose inachevé  (...)

21Quoi qu'il en fût, la centralisation présentait un double


caractère. De bas en haut et de haut en bas, elle était informative,
et de haut en bas elle n'était qu'exécutive. A ce sujet, F.-X.
Emmanuelli a bien distingué entre le pouvoir politique d'initiative
et le pouvoir administratif exercé par les Intendants 11.
22Il ressort de tout ceci que, le roi aurait-il accepté, voulu une
centralisation qui s'imposait à lui dans les limites déjà dites, il ne
pouvait l'appliquer qu'en ayant sur place en province, dans les
différentes généralités, des agents obéissants sinon convaincus,
possédant pour le moins des compétences juridiques, financières,
administratives. Sans entrer dans des détails bien connus,
comment oublier la variété de ceux qui se partageaient ou se
disputaient le pouvoir local : agents du Souverain, des Etats, des
villes, des corporations, aristocrates, seigneurs, bourgeois,
prêtres, maîtres artisans, possesseurs de charges héréditaires,
vénales, de commissions, officiers obligés de tirer le maximum de
profits matériels et sociaux de leurs fonctions, personnages
cooptés ou élus aux aptitudes, à la culture fort différentes,
soucieux de leur autorité mais aussi de leurs intérêts. Tous
allaient contre toute mesure limitant leur compétence, tous
soucieux aussi de leur circonscription, de l'opinion publique.
Redoutables enchevêtrements et superpositions de fonctions et de
ressorts qui diluaient le pouvoir, le gênaient et c'est peu dire,
pour faire appliquer ses ordonnances, rendaient hasardeuse la
prise de décisions, par manque d'informations, par la difficulté à
avoir une juste appréciation de la situation. A cet égard, tout un
travail est à faire pour comparer les rapports des subdélégués
envoyés aux intendants et les synthèses que ces derniers
adressaient au Contrôleur général. Bien des rapports centraux
conservés aux Archives nationales laissent quelquefois rêveurs
ceux qui fréquentent les archives départementales ou
communales. Ce qui pose le problème des Intendants et des
subdélégués, des gouverneurs, des commandants en chef, de
tous ceux chargés d'appliquer ou de faire appliquer les décisions
royales.
23Nous ne pouvons limiter l'apport des Intendants à un simple
pouvoir exécutif d'administration, d'application de décisions
prises ailleurs. Les Intendants constituaient un chaînon
indispensable à la centralisation. Dans leurs généralités, ils
appliquaient avec plus ou moins de zèle, dans des circonstances
plus ou moins faciles, les volontés royales, et en ce sens, ils
n'étaient point des décideurs. Mais on ne peut nier que dans un
cadre politique qu'ils ne fixaient point, ils exerçaient un pouvoir,
moins initiateur sans doute qu'on l'a cru, mais déterminant. La
centralisation n'était dès lors possible que s'ils avaient la capacité
de faire appliquer les mesures prises par le roi ou ses ministres,
s'ils avaient la volonté de le faire, volonté qui dépendait de leur
adhésion aux décisions prises. Leur aptitude à suggérer au
pouvoir, à proposer ne peut être négligée. Pas plus qu'il ne faut
négliger la valeur des collaborateurs dont ils s'entouraient, des
avis qu'ils sollicitaient.
24L'exemple de Tourny est à cet égard significatif. Tourny rendit
le projet de navigation réalisable, certes en brisant des
résistances, mais surtout en prenant ses décisions à la “suite de
rapports d'experts”. Le contraire aurait été irresponsable. Le fait
que les intendants (Tourny en l'occurrence), tenaient compte des
idées exprimées par d'autres, démontre leur place et leur valeur
dans le système. Il existait une chaîne théorique information-
décision-application. Dans la pratique, une série de circonstances,
d'éléments qui s'additionnaient rendaient applicable (tout ou
partiellement) ou non une décision.
 12 L. TRÉNARD, “D'une culture régionale à une culture française : Lille de
1667 à 1715”,  Strasbourg, (...)

25Conçus pour dépasser les particularismes qui constituaient


autant d'obstacles à la volonté royale, les Intendants pouvaient
aussi être des agents d'intégration. Ainsi en Alsace où ils
substituèrent l'ordre royal à l'ordre impérial. En s'appuyant sur
l'Église, ils furent ici à la fois les agents de la reconquête
catholique et de la francisation. Que l'on songe aussi à leur
attitude en Flandre wallone, à Lille en particulier12.
 13 J. MEYER, art “Intendants”, Encyclopaedia Universalis.

26Jean Meyer13 a bien montré qu'ils ont su, dans la seconde partie
du siècle, s'adapter à l'affaiblissement du pouvoir royal, lié certes
à la personnalité des souverains mais aussi aux hésitations, aux
rivalités des contrôleurs généraux et secrétaires d'État, à l'attitude
des princes du sang, des frères du roi. En même temps qu'ils
devenaient les observateurs privilégiés des changements, ils ne
cessaient d'informer le pouvoir et tentaient de négocier plus que
d'imposer ses choix.
27Les intendants n'étaient pas les seuls à pouvoir agir sur place au
nom du roi. Les procureurs du roi, qui faisaient fonction
d'officiers de justice et de police locaux, représentaient le
procureur général dans les villes et villages. Ils constituaient, eux
aussi, un extraordinaire réseau de renseignements et de
surveillance. Ils pouvaient utilement renforcer sur place l'action
des intendants dans la mesure où une rivalité ou une divergence
ne les opposaient point. Or, on sait par exemple, qu'après 1760,
le Procureur général du Parlement de Paris passa par dessus la
tête du Contrôleur général des Finances pour s'adresser
directement à ses substituts.
28En vérité, le système politique, mais aussi la pratique politique
limitaient les possibilités du centralisme. Outre le fait que le
pouvoir central aussi bien que provincial était - sous le roi -
partagé et souvent disputé. L'habitude qui consistait à surajouter
les agents de la centralisation à ceux qui existaient auparavant
n'arrangeait pas les choses. Au fur et à mesure que le temps
passait des pouvoirs écrans se constituèrent qu'il devenait
nécessaire de contrôler. Ces anciens pouvoirs relais, au premier
chef les Parlements et les Cours souveraines, possédaient, à la
fois, les instruments de la centralisation et les moyens de s'y
opposer.
 14 KAPLAN, en donne de nombreux exemples, cf.  op. cit. notre 17.

29L'on connaît bien le rôle des parlements, en particulier grâce


aux travaux de Jean Egret, et il n'est pas ici utile de trop insister.
Outre le droit de remontrances dont ils usaient et abusaient au
point de faire douter de la légitimité des mesures prises, ils
exerçaient la Grande Police qui intéressait l'ordre et le bien public.
De ce fait, ils pouvaient, de leur propre initiative 14, prendre des
arrêts quasi législatifs. Ils constituaient dès lors des sortes de
“gouvernements locaux” qui pouvaient se transformer en solides
obstacles. De son coté, Emmanuelli souligne avec force le rôle des
Cours des comptes, et il nous fournit quelques exemples de leur
attitude hostile à la montée de l'administration royale qui leur
enlevait la connaissance de bien des affaires. Elles prirent ainsi à
partie des intendants, tels d'Etigny à Auch et Pau, Tourny à
Bordeaux. Lescalopier, victime de la cour des Aides, dut passer de
Montauban à Tour.
30Mais ces gens combattaient-ils le centralisme ? Ce qui pourrait
signifier le rêve d'un pouvoir autonome. Quand ils attaquent
l'administration royale, pour qui le font-ils ? Pour leurs corps ou
les privilèges particuliers de la noblesse à laquelle ils
appartiennent ? Ne sont-ils pas aussi les agents de la
centralisation, ne jugent-ils pas au nom du roi ? N'appliquent-ils
pas des lois générales ? ne déclarent-ils-pas appartenir au même
corps ? C'est l'attitude générale des parlements qui imposa au roi
la suppression de l'ordre des jésuites. En s'appuyant sur des
mythes, sur une identification au parlement anglais, ils ne
cherchaient pas le despote éclairé cher aux philosophes mais un
roi contrôlé.
31Les États constituèrent pendant longtemps un des moyens
nécessaires pour faire accepter les décisions du Souverain dans
les provinces les plus récentes. Mais leur composition et leur
attitude politique montrent la complexité de leur rôle. En Bretagne
par exemple, ils purent mettre en brèche la centralisation, surtout
en matière fiscale : lutte contre la capitation et abonnement, lutte
contre le vingtième, hostilité à certaines mesures de politique
économique. Dans cette province, non seulement le domaine de la
compétence des États s'élargit bon gré mal gré, mais encore ils se
dotèrent de moyens administratifs solides qui contrebalançaient
le pouvoir de l'intendant et de ses agents. La bataille fut certes
longue, connut des étapes, mais ils surent, malgré les menaces de
l'intendant Le Bret et du commandant en chef d'Aiguillon, s'allier
au Parlement et constituer un front redoutable. Momentanément
vaincus, ils n'en cherchèrent pas moins à faire perdre à
l'intendant, à partir des années 80, la tutelle des communautés,
en particulier le contrôle de la municipalité de Rennes et à
imposer la participation des États à l'établissement de nouveaux
octrois. Finalement, vainqueurs en 1784-1788, ils purent
librement désigner leurs députés à la cour, accorder les octrois et
administrer les chemins. L'on comprend mieux que Dupleix, Caze
de la Bove, Bertrand de Molleville aient tour à tour demandé la
suppression des États et surtout de la Commission intermédiaire.
32F.-X. Emmanuelli considère que les États, affaiblis depuis le
XVII  siècle, étaient les porteurs plus ou moins inconscients d'une
e

légitimité “nationale”. Dès lors, ils permettraient la résistance à un


pouvoir “étranger” pour maintenir les privilèges d'une “nation”
particulière. S'il en était ainsi, cela signifierait qu'il y aurait, dans
un certain nombre de provinces, un sentiment national qui devrait
tendre au moins à l'autonomie au mieux à un désir
d'indépendance. Dans cette perspective le centralisme
monarchique et surtout sa politique uniformisatrice, même
limitée, seraient insupportables aux yeux des peuples concernés.
Bien que les études manquent sur ce point, nous pouvons
cependant constater que l'usage par les États de mots tels que
“nation” ou “patrie” pour justifier leur opposition, entre autre, à la
politique fiscale de l'État, ne doit pas cacher qu'ils limitaient le
contenu de ces mots à une frange étroite de la population, celle
des privilégiés et particulièrement de la noblesse. Quand, au
moment de la Révolution, les États disparaîtront, aucun
mouvement, aucun soulèvement ne viendra se porter à leur
secours. C'est clair en tout cas en Bretagne, province pourtant
jugée difficile où, de surcroît, loin de s'affaiblir, le pouvoir des
États n'avait fait que croître au cours du 18  siècle. e

33L'on sait trop que les Parlements et les États devinrent au cours
du XVIII  siècle des obstacles à la politique monarchique pour qu'il
e

soit utile d'insister davantage.


34Nous trouvons des obstacles aussi aux niveaux inférieurs, des
balliages, des sénéchaussées, des paroisses rurales, des villes.
Faute de temps, intéressons-nous seulement à ces dernières.
 15 J. MAILLARD,  Le pouvoir municipal à Angers de 1567 à 1789, Angers,
P.U.A., 2 vol., 1984.

35Nous l'avons dit, la bataille pour le contrôle des municipalités


qui avait commencé, au XVII  siècle par celui de leurs finances,
e

continua tout au long du XVIII  siècle et constitua un des enjeux


e

majeurs des luttes entre le souverain et les États. Elle était


favorisée par l'existence de pouvoirs locaux hétérogènes,
éparpillés, concurrents, voire opposés. Quelle que fut la nature
juridique du pouvoir municipal, il était entre les mains des élites
bourgeoises, souvent confisqué par quelques familles,
quelquefois contrôlé par le seigneur de la cité, même si, dans
certaines villes, comme à Angers, l'organisation municipale
donnait l'impression d'une vie locale démocratique, ce n'était
qu'illusion, d'ailleurs dissipée en 1766 par l'élimination des gens
de métiers15.
36Les échevins subissaient donc la pression des exclus de la
gestion municipale, d'une partie des notables locaux, souvent des
milieux commerçants, du négoce mais aussi des milieux
populaires dont ils craignaient les explosions. Outre la tutelle de
l'État, ils subissaient aussi l'intervention de pouvoirs extérieurs,
du seigneur, de l'Église. En Bretagne, la moitié des villes dépendait
plus ou moins de leurs seigneurs dont certains très importants. A
Angers, Louis, (1692-1743), gouverneur, de la maison de
Lorraine, voulut imposer sa volonté à l'échevinage.
 16 J.-P. MARQUÉ, Institution municipale et groupes sociaux…, Paris,
Société les Belles Lettres, 1979.

37L'existence de ces groupes de pression permettait aux notables


de jouer des uns contre les autres. Ils pouvaient s'aider de leurs
seigneurs, surtout s'ils appartenaient à de grandes familles, pour
contrecarrer les décisions royales, les mesures de l'intendant. A
l'inverse, ils en appelaient au Roi quand leurs “libertés
communales”, leurs privilèges particuliers leur semblaient
menacés. Faire appel à l'arbitrage royal ressortissait, à leurs yeux,
au rôle souverain, mais cela n'impliquait absolument pas qu'ils
adhéraient à une vision centralisatrice, et surtout unificatrice, au
contraire, le plus souvent, l'appel au souverain se faisait pour la
défense d'un privilège, d'un avantage. A Gray, “entre plusieurs
formes de tutelle”16, les pouvoirs locaux aimaient mieux
s'adresser à l'intendant pour régler les problèmes et lui envoyaient
leurs comptes d'octrois plutôt qu'à la Cour des comptes de Dole.
L'attitude des municipalités pouvait d'ailleurs changer dans le
temps, nous en avons pour preuve celle de Nantes qui après avoir
été longtemps hostile au contrôle des octrois par les États,
l'accepta en 1783. Des raisons politiques l'expliquent et d'autres
municipalités bretonnes prirent les mêmes positions. Faire appel à
l'Intendant c'était aussi se dédouaner en transférant les
responsabilités. Il y avait un jeu subtil, dont les règles n'étaient
pas partout les mêmes, et qui tendait à garder au maximum
l'indépendance de gestion municipale dans un cadre qui
maintenait les privilèges, de niveaux différents, des divers
groupes sociaux.
38Dans ces conditions, nous pouvons prétendre que les
municipalités constituaient à la fois un moyen, permettant au
souverain de faire pénétrer sa politique dans les villes, et un
obstacle à cette pénétration. De leur attitude pouvait aussi
dépendre l'application des décisions souveraines.
39Pour vaincre tous ces obstacles, le roi, outre les dispositions
générales en matière de finances, de gestion, dont nous avons
parlé, disposait d'agents locaux : subdélégués, officiers divers.
Force est de constater que bien des représentants du pouvoir
central étaient impliqués dans la vie locale. Les subdélégués, sans
lesquels les Intendants auraient perdu de leur puissance,
exerçaient gratuitement leurs fonctions, n'étaient pas des officiers
et, de ce fait, relativement indépendants, devaient être ménagés.
D'ailleurs, ils possédaient souvent plusieurs casquettes comme en
Bretagne. Gray, étudiée par J.-P. Marqué connût, entre 1690 et
1789, sept subdélégués dont trois seulement entre 1712 et 1789.
Tous exerçaient une autre activité : trois étaient avocats au
Parlement et conseillers municipaux, deux, avocats au Parlement
seulement, et deux, officiers de bailliages. Ils étaient donc à la
fois agents de l'autorité de tutelle et officiers municipaux. De la
sorte, il n'y eut aucun conflit entre l'intendance et la municipalité
au cours du XVIII  siècle. A Angers, Germain François Poulain de la
e

Guerche, conseiller au Parlement, fut subdélégué pendant 40 ans


(† 1769), et maire de 1733 à 1738. Son fils lui succéda comme
subdélégué jusqu'à la Révolution et fut “ un collaborateur sans
défaillances des intendants dont les interventions ne plaisaient
guère aux membres de l'échevinage ”. Cette situation n'est pas
étonnante : pouvoir central, régional, local, seigneurial avaient
besoin d'agents d'exécution, de contrôle. Étaient-ils si nombreux
à pouvoir exercer ces charges dans le cadre de petites cités ? On
comprend dès lors qu'ils puissent être de bons agents de
l'intendant parce qu'ils étaient en liaison étroite avec les notables
locaux ou provinciaux, mais des agents à ménager, capables
sinon de se révolter tout au moins de s'opposer aux volontés de
l'intendant. Henri Fréville notait, sous le Bret, des cas
d'insubordinations dans le tirage au sort des milices.
 17 KAPLAN STEVEN (A), Les ventres de Paris. Pouvoir et
approvisionnement dans la France d'Ancien Régi (...)

40Les séides des cours de justice constituaient une autre


possibilité pour l'État de faire passer sa politique, mais ils étaient
souvent mal payés et mal récompensés de leurs efforts, de plus ils
avaient plutôt tendance à se faire les agents des cours dont ils
dépendaient, des procureurs dont ils transmettaient les directives
que du Garde des Sceaux. Kaplan nous donne de multiples
exemples de résistance aux mesures de l'État en matière de
politique des subsistances pendant les années soixante, non
seulement des parlementaires mais aussi d'intendants et surtout
d'officiers locaux. Il nous fournit de multiples preuves
d'assouplissements locaux de la réglementation, au mépris de la
loi, de la non observation des règlements et même de la collusion
avec des milieux populaires en révolte17.
41Il convient cependant de distinguer, dans la pratique, les
domaines où s'exerçait une forte pression de l'intendance et où
les municipalités devenaient les simples exécutantes de la volonté
monarchique, de la gestion des affaires purement locales où leur
marge de manœuvre était beaucoup plus grande.
42En fait, les agents de l'État, surtout les officiers, ne
constituaient pas, loin de là, une garantie d'exécution loyale et
rigoureuse des volontés royales. Leurs origines sociales, les
solidarités et rivalités qu'elles entraînaient, avaient à cet égard
une très grande importance. Comme comptaient les domaines
respectifs d'intervention des pouvoirs qui, par leur
enchevêtrement, constituaient des obstacles à des décisions
politiques générales.
 18 C. MAZAURIC,  Sur la Révolution française…, Éd. sociales, 1970.

 19 René-Louis LE VOYER, marquis d'Argenson, Considération sur le


gouvernement de la France, 1764.

43Pour Claude Mazauric18, les distinctions juridiques qui


existaient, cachaient une réalité sociale fondamentale : celle de la
collusion entre une aristocratie foncière et une bourgeoisie
rentière, associées dans l'exploitation de la paysannerie. Et dans
ces conditions, “le noble de race, comme le juré d'un métier, ou le
maire de paroisse avaient le même intérêt immédiat à s'opposer
éventuellement à l'État absolutiste…”. Dans cette vision des
choses, la lutte des détenteurs de la rente, quelle que fut leur
origine sociale, explique leur attitude. Pierre Goubert, de son coté,
considère que la société s'organisait autour de deux groupes, liés
entre eux par un rapport d'exploitation économique (la rente) et
de commandement. Certes, mais le groupe dominant avec ses
deux composants, était loin d'être homogène et ses
contradictions le conduisaient à la fois à défendre sa prééminence
dans les deux domaines qui constituaient sa force et à se les
disputer. L'appareil d'État était entre les mains de la bourgeoisie
et de la noblesse, et une partie importante des membres de cette
dernière était composée de gens venus de la première par le biais
des offices anoblissants. Le phénomène est bien connu, mais on a
trop tendance à le séparer de l'évolution de l'appareil d'État. Pour
des raisons que nous avons déjà dites, la logique étatique
conduisait à centraliser et uniformiser les décisions, mais ceux qui
étaient chargés de le faire, dans des structures en partie
obsolètes, étaient à la fois les partisans des réformes, dont leurs
pouvoirs pouvaient sortir renforcés, et opposés à elles, parce
qu'elles remettaient en cause leurs privilèges dont un des
moindres était de pouvoir s'opposer, à la place où ils se
trouvaient, aux mesures qu'ils étaient chargés d'appliquer. Tout
compte fait, beaucoup de réformes proposées, voire même
engagées, n'ont pas abouti : vingtième partiellement, cadastre,
vénalité des offices, des jurandes, mesures concernant la libre
circulation des grains, ce n'est pas rien. La décision du rappel du
Parlement et surtout l'abandon de la réforme faisaient perdre un
procès vieux de trois cents ans et que Maupeou avait gagné.
Quand bien même Louis XV aurait vécu et maintenu sa politique, il
aurait dû aller plus loin : la suppression des privilèges des
individus mais surtout des provinces et des corps, était une
nécessité. L'appel à la raison du marquis d'Argenson qui prônait
un despotisme éclairé et la suppression des privilèges 19,
correspondait à un courant qui ne put se faire entendre, et la
tentative de Calonne, d'obtenir des réformes par les notables qui
étaient les bénéficiaires du système, échoua.
44Beaucoup d'analyses, d'études, quelquefois contradictoires, ont
été faites sur la crise de l'Ancien régime, sur le poids des luttes
sociales, d'ordres ou de classes, sur les difficultés de la
conjoncture, sur les caractères de Louis XV et de Louis XVI, sur
leurs responsabilités qu'il ne convient pas de sous-estimer.
L'intervention d'aujourd'hui correspond à une question sur la
responsabilité de l'appareil d'État. Sans doute conviendrait-il
d'entreprendre des recherches plus nombreuses sur les situations
locales, de regarder de près la chronologie. Je me suis appuyé sur
celles qui existent déjà. Il me semble que la structure de l'Etat
rendait impossible toute solution durable, à moins de remettre en
cause sa nature. Ce n'était pas dans la manière de voir du
Souverain, ni même de ceux qui, au sein des institutions, des
organismes le contestaient et voulaient, non pas moins de
privilèges mais davantage, à condition qu'ils restent entre leurs
mains. De ce point de vue l'appareil d'État connut un collapsus.
Bien des agents de cet État, emportés après mai 1789 par une
autre logique, conscients qu'ils ne subissaient aucune perte
matérielle et encore moins sociale, se retrouvèrent dans l'État
nouveau. La nuit du 4 août, les mesures qui s'ensuivirent, la
réorganisation politique, administrative balayèrent les privilèges
juridiques des individus, des corps, mais aussi ceux des villes et
des provinces. La Révolution a créé les cadres uniformes et le
pouvoir centralisé auxquels révaient ceux que la raison
entraînaient et qui estimaient que l'évolution de l'État les avaient
rendus indispensables.
NOTES
1 Conf. le jugement de bien des historiens, par exemple Francis FURET,
M. OZOUF  Dictionnaire critique de la Révolution française, article “Louis
XVI”, p. 268-277.

2 LOYSEAU,  Traité des Ordres et Simples Dignitez, 1609.

3 BELLARMIN, affirmait que l'autorité venait aux princes de Dieu par le


peuple. Mais que la délégation que celui-ci avait faite à un chef était
définitive (De la puissance du Pape dans les choses temporelles,  1610).

4 Aristote LE BRET,  De la Souveraineté du Roi, 1632.

5 ex. Orner TALON, Claude JOLY,  Recueil des maximes véritables et


importantes pour l'institution des Rois, 1652. BOSSUET,  La politique
tirée des propres paroles de l'Écriture Sainte, 1670-1686.

6 A. de TOCQUEVILLE,  L'Ancien Régime et la Révolutions, 1856.

7 J. MEYER,  La France Moderne, Fayard, 1985.

8 Ph. GUIGNET, Le pouvoir dans la ville au XVIII   siècle, Paris éd. de


e

l'E.H.E.S.S., 1990.

9 Édit du 27 juillet 1766.

10 Cf. en particulier M. BORDES,  L'administration provinciale et


municipale en France au XVIII   siècle, Paris. SEDES, 1972.
e

11 F.-X. EMMANUELLI,  État et pouvoir dans la France des XVI - e

XVIII   siècles. La métamorphose inachevée, Nathan-Université, 1992,


e

327 p.

12 L. TRÉNARD, “D'une culture régionale à une culture française : Lille


de 1667 à 1715”,  Strasbourg, 1981.

13 J. MEYER, art “Intendants”,  Encyclopaedia Universalis.

14 KAPLAN, en donne de nombreux exemples, cf.  op. cit. notre 17.


15 J. MAILLARD,  Le pouvoir municipal à Angers de 1567 à 1789, Angers,
P.U.A., 2 vol., 1984.

16 J.-P. MARQUÉ,  Institution municipale et groupes sociaux…, Paris,


Société les Belles Lettres, 1979.

17 KAPLAN STEVEN (A),  Les ventres de Paris. Pouvoir et


approvisionnement dans la France d'Ancien Régime,  Paris, Fayard,
1988.

18 C. MAZAURIC,  Sur la Révolution française…, Éd. sociales, 1970.

19 René-Louis LE VOYER, marquis d'Argenson,  Considération sur le


gouvernement de la France, 1764.

AUTEUR
Claude Nières
Du même auteur

 Les villes de Bretagne au XVIII  siècle, Presses universitaires de Rennes, 2004


e

 Catastrophes et urbanisation en Bretagne au XVIII  siècle in Construire la ville, Presses


e

universitaires de Lyon, 1983


 L'histoire dans l'œuvre romanesque in Paul Féval, romancier populaire, Presses
universitaires de Rennes, 1992
L'apprentissage
administratif et politique des
paysans à travers le
fonctionnement des
généraux de deux paroisses
trégorroises : Ploubezre et
Bourbriac
Christian Kermoal
p. 93-112

TEXTE NOTES AUTEURILLUSTRATIONS
TEXTE INTÉGRAL
 1 MINOIS (G.), La Bretagne des prêtres en Trégor d'ancien
Régime, Brasparts, 1987, p. 222-223.

1En matière d'administration locale, à peine un siècle sépare en


Bretagne, la réorganisation des assemblées générales des
paroissiens de l'élection des premières municipalités
révolutionnaires. Cette période est marquée par la mise en œuvre
des généraux de paroisses, réforme qui occupe tout l'Ancien
Régime finissant et impose aux délibérateurs un cadre structuré
et une réglementation stricte des séances. Aussi les généraux de
paroisses ont pu apparaître comme de véritables lieux de
formation à l'administration et à son obligation de rigueur 1. Ceci
est particulièrement avéré pour les campagnes trégorroises où
l'enregistrement obligatoire des délibérations démontre aux
paysans l'intérêt d'une bonne tenue des archives et les habitue à
la fréquentation régulière de l'écrit, qui plus est en français.
 2 MINOIS (G), Ibid, p. 265 indique pour le Trégor 36,5 % de
présence pour tout le 18  siècle.
e
2Assez étonnamment – et ceci se rencontre dans tout l'évêché de
Tréguier –, les recteurs qui par leur culture et par leur présence
sont les notables les plus à même de jouer un rôle d'intermédiaire
culturel ne siègent que médiocrement dans ces assemblées 2. On
peut donc leur contester cette fonction au sein des généraux de
paroisses et s'interroger sur la manière dont se formèrent les
paysans admis à ces réunions.
3Une précaution méthodologique impose de préciser que
Ploubezre et Bourbriac présentés ici n'ont pas valeur d'exemple
pour tout le Trégor ; d'autres paroisses fonctionnaient
différemment en particulier pour le recrutement et la fréquence de
renouvellement des délibérateurs. Mais ces deux généraux
présentent entre eux bien des similitudes et leurs caractéristiques
se retrouvent souvent dans les localités voisines. Le choix
s'explique surtout par les séries de sources convergentes et
identiques qu'ils nous ont laissées (Cahiers de délibérations des
généraux de paroisses, Doléances pour les États de Bretagne puis
les États généraux, rôles de capitation).
4L'ensemble est utilisé avec un triple souci :
 Observer dans quelle mesure les délibérateurs des deux
paroisses se sont accommodés du cadre administratif fixé par
le Parlement de Bretagne.
 Rechercher si les délibérateurs paysans ont su à l'occasion
s'affranchir de la tutelle des nobles et des prêtres.
 Vérifier si les modes de recrutement et de renouvellement des
deux généraux ne trahissent pas une tentation d'accaparement
du pouvoir local.

5Le lien avec l'étude du pouvoir local à la Révolution est direct, les
personnes admises au sein des généraux de paroisses vont
participer à l'élaboration des charges pour les députés du Tiers
pour les États de Bretagne (novembre 1788 à mars 1789) puis à la
rédaction des cahiers de doléances pour les États généraux de
1789. En février 1790, elles se retrouvent majoritairement élues
dans les premières assemblées municipales révolutionnaires.

1. LE FONCTIONNEMENT DES
GÉNÉRAUX DE PAROISSES :
 3 DUPUY (Α.), Études sur l'administration municipale en Bretagne au
XVIII  siècle, Paris, Rennes, 18 (...)
e

 4 POTIER DE LA GERMONDAYE, Introduction au gouvernement des


paroisses suivant la jurisprudence du Pa (...)

6Les règles qui régissent le fonctionnement des généraux de


paroisses en Bretagne au 18  siècle sont bien connues et établies.
e

Voici déjà plus d'un siècle, Antoine Dupuy en donnait la


description et des exemples3. Les nombreux arrêts du Parlement
de Bretagne et divers commentaires contemporains, ceux de
Potier de la Germondaye en particulier4, sont en effet assez
explicites pour en retrouver les grandes règles générales. Mais
dans le détail quotidien, tant pour le fonctionnement que pour le
renouvellement de ses membres, chaque paroisse de campagne
apparaît comme un cas particulier qui s'écarte plus ou moins du
règlement commun.

A - ASPECTS NORMATIFS : LE
FONCTIONNEMENT THÉORIQUE
 5 Je compte 40 arrêts du Parlement de Bretagne à ce sujet entre
1644 et 1776 ; la liste n'est probab (...)

 6 Recueil des arrests de règlements du Parlement de Bretagne


concernant les paroisses qui fixent la (...)

 7 POTIER DE LA GERMONDAYE, ouvrage cité, p. 155-162 et 380-393.


7La distinction entre assemblée générale des paroissiens et
généraux de paroisses commode pour situer la réforme imposée
par le Parlement de Bretagne en matière de gouvernement
temporel des paroisses n'a pas cette clarté dans les faits. Les deux
termes sont synonymes et employés dès au moins le début du
17  siècle concurremment avec celui de généralité des paroissiens.
e

D'où peut-être la difficulté de retenir un texte fondateur des


généraux de paroisses, tant il est vrai qu'à plusieurs
reprises5 assez tôt au 17  siècle puis jusqu'à la fin de l'Ancien
e

Régime, le Parlement de Bretagne a légiféré en la matière en


employant l'une ou l'autre des expressions et élaborant à partir de
cas locaux toute une jurisprudence applicable à la province
entière. Un arrêt du 27 avril 16916 paraît néanmoins s'imposer car
il donne les principaux éléments d'une organisation toujours
décrite en 1777 par Potier de la Germondaye 7. Trois points
essentiels se dégagent :
81°) Une représentation locale décide pour la totalité, pour “la
généralité” des paroissiens : pour la première fois apparaît la
mention de 12 personnes “ayant voix délibérative”. Cette
nouveauté est imposée à tous ceux qui appartenant dans la
paroisse à “la plus saine et mère part ” pensaient avoir leur mot à
dire lors des assemblées générales. Désormais à la place d'un
nombre différent de participants à chaque délibération (j'en
compte jusqu'à 50 en octobre 1621 à Ploubezre), 12 anciens
marguilliers, chiffre invariable, auront à décider pour la paroisse
entière en compagnie du seigneur du lieu, seul noble admis, ou
de son représentant. Leur présence est obligatoire.
92°) Une officialisation accrue des délibérations : Au lieu d'une
ratification “en l'endroit du prône de la grand messe” de décisions
préparées à l'avance, le texte impose un débat véritable dans un
cadre structuré. Le sujet de la réunion est annoncé la semaine
précédente et répété au début de la délibération. Il est suggéré de
tenir réunion dans la sacristie pour éviter bien sûr l'indécence du
cabaret mais surtout pour résister à la tentation de délibérations
sourdes.
103°) Un archivage des décisions : En remplacement d'actes
pronaux dressés par un notaire sur feuilles volantes, il est fait
obligation d'ouvrir un cahier chiffré et millésimé gratuitement par
le juge du lieu sur lequel seront consignés les sujets traités et les
décisions prises. A l'issue de chaque réunion, ce cahier doit être
soigneusement rangé avec les archives dans un coffre fermant à
trois clefs dont l'une est détenue par le seigneur de la paroisse,
l'autre par le recteur, la dernière par le plus ancien des
marguilliers en charge.
11D'autres arrêts viendront compléter et renforcer ces
dispositions.
 8 Recueil des arrests..., p. 124 et 208.

124°) Le rappel le 9 décembre 1702 d'un arrêt du 17 janvier 1688


faisant obligation au rapporteur de séance d'indiquer le nom des
délibérateurs et à ceux-ci, du moins ceux qui en sont capables,
de signer la minute des délibérations8.
 9 Arrêt du 28 septembre 1715 concernant les délibérations de la
paroisse de Plouvara, Ibid, p. 273.

135°) Le renouvellement annuel des 12 délibérateurs 9.


 10 Ibid, p. 95 (Quimilion), p. 134, 197, 134, 249.

 11 Recueil des arrests de règlements du Parlement de Bretagne


concernant les paroisses qui fixent la (...)

 12 Ibid, p. 590.

146°) La participation du recteur aux délibérations : indiquée dans


plusieurs arrêts particuliers aux paroisses de Guimiliau,
SaintGermain de Rennes, Saint-Servan, Pacé10, Saint-Thuriau de
Quintin11, cette disposition ne semble n'avoir été officialisée pour
l'ensemble de la province que par un arrêt du 22 août 1766 12.
Une reconnaissance tardive d'une situation de fait puisque
détenteur de l'une des trois clefs du coffre, le recteur était
nécessairement admis aux assemblées.
 13 Arrêt du 17 janvier 1703 concernant les assemblées des
paroisses de la ville de Rennes, Recueil de (...)

 14 Arrêt du 20 Décembre 1735, Ibid, p. 495.

157°) La manière de délibérer et de voter : à diverses reprises le


Parlement de Bretagne essaie d'organiser les séances des
généraux. Des préconisations sont émises à l'adresse des 12
délibérateurs mais aussi des recteurs. Aux premiers il est enjoint
“d'être modeste dans les assemblées, de ne parler qu'à leur tour,
sans interruption, et en tout se comporter avec sagesse et
révérence”13. Aux seconds est fixé leur rang : “ils y occuperont la
première place, signeront les premiers les Délibérations, et
donneront leur voix immédiatement avant celui qui présidera
lequel opinera le dernier et recueillera les voix”14.
 15 Elle a pu être contestée au départ. Un exemple de refus du
système représentatif à La Martyre en 1 (...)

16Le cadre ainsi tracé s'est mis en place au cours du 18  siècle et,
e

à partir de 1770, les délibérateurs participent à des réunions


structurées qui ont intégré les activités traditionnelles de
nomination des fabriques, des gouverneurs de chapelles et de
confréries ou de vérification des comptes. Les paysans qui y
siègent sont confrontés à la rigueur de l'administration (réunions,
comptes rendus formalisés, tenue des archives, fréquentation de
l'écrit, signatures) et à l'organisation des débats (délibération,
choix, votes). Cette situation semble acceptée 15, l'institution
paraît fonctionner normalement.

Β - ASPECTS PRATIQUES : LE
FONCTIONNEMENT AU QUOTIDIEN
17Les généraux des paroisses de Bourbriac et Ploubezre nous ont
laissé un nombre de délibérations qui permettent l'approche
comparative d'un fonctionnement réel. Dans l'ensemble le cadre
général souhaité par le Parlement de Bretagne est respecté. Les
différences de détail sont néanmoins nombreuses.
 16 MINOIS (G.), “Le rôle politique des recteurs de campagne en
Basse-Bretagne (1750-1790)” dans A.B.P (...)

 17 Archives Départementale des Côtes d'Armor, 20 G Non classé


Ploubezre, délibération du général de l (...)

 18 Ibid, 28 mai 1786.

181°) Après un siècle d'application peut-être laborieuse 16, le


nombre de 12 délibérateurs est obtenu. De meilleure façon
d'ailleurs à Bourbriac où toutes les réunions se font au quorum
exigé. Lorsque l'un des délibérateurs est absent, son
remplacement est systématique. C'est le cas, par exemple, en avril
1789, quand Charles Phelippe et Joseph Le Floch partent pour
Rennes porter le cahier de doléances de la paroisse, deux anciens
délibérateurs viennent les suppléer17. Et lorsque l'un des
membres décède, une rapide élection pourvoit à son
remplacement : en mai 1786, moins de 15 jours suffisent après la
disparition de Yves Elien pour nommer son successeur18.
 19 Archives Départementale des Côtes d'Armor, 20 G Non classé
Ploubezre, délibération du général de l (...)
19A Ploubezre, l'assiduité est moindre. A 65 reprises néanmoins
(80,25 % des cas), les 12 délibérateurs sont présents. Mais il arrive
de délibérer à 11 (7 cas ; 8,64 %), à 10 (6 cas ; 7,40 %), à 8 (2 cas ;
2,47 %), voire à 7 le 23 juillet 1775 (1 cas ; 1,23 %). Le taux de
présence est cependant bien meilleur de septembre 1785 à
septembre 1789 où toutes les réunions se tiennent ici aussi à 12.
L'empressement à remplacer un membre décédé est équivalent à
celui de Bourbriac : 3 semaines en octobre 1789 après le trépas
de Vincent Boulou ; mais il est vrai que la date coïncide ici avec le
renouvellement annuel du général19.
 20 Ibid, 9 juin 1783.

202°) Les réunions sont annoncées au prône de la grand-messe


par l'officiant, généralement le recteur, qui donne assignation
verbale aux délibérateurs de se réunir le dimanche suivant. Le
délai d'une semaine est normalement respecté, mais il arrive
parfois devant l'urgence ou la gravité que la convocation soit plus
rapprochée. C'est ainsi que le lundi de la Pentecôte 1783, les
délibérateurs de Ploubezre se réunissent pour prendre
connaissance et enregistrer l'arrêt du Parlement de Bretagne leur
interdisant d'introduire les corps morts dans l'église pendant le
cours de l'épidémie sévissant dans la région. L'annonce de la
délibération leur avait été faite la veille20.
 21 20 G 19, Bourbriac, 13 avril 1788.

 22 20 G Non classé Ploubezre, 30 novembre 1783.

21Convocation est donnée au  lieu ordinaire des délibérations du


général pour reprendre la terminologie usitée à Bourbriac. Dans
cette paroisse il s'agit de l'ancienne sacristie21. A Ploubezre, les
réunions qui se tenaient au moins jusqu'en avril 1777, dans la
sacristie se déroulent, après avril 1783, dans la   chambre des
délibérations de la paroisse située au dessus du portail du midi
de l'église22. Dans les deux localités, un endroit décent est donc
réservé aux affaires du général, conformément aux exigences du
Parlement de Bretagne. Mais ces lieux sont séparés de ceux du
culte comme si, au-delà de la commodité de la situation, cette
différenciation marquait une certaine évolution témoignant d'une
volonté plus affirmée de séparer gouvernement spirituel et
gouvernement temporel dans les deux paroisses.
 23 Ibid, En tête du cahier avant la délibération du 27 avril 1783.

 24 Ibid, 21 mars 1784.

223°) Les réunions se tiennent suivant le canevas souhaité. Le


greffier, un notaire de la paroisse choisi pour un an et rémunéré à
cet effet consigne dans un cahier les décisions du général. A
Ploubezre pour la période 1783-1788, il s'agit d'un registre de
cinquante rôles de papier timbré, chiffré et millésimé le 24 avril
1783 par François Le Délivre de Kervenno avocat en Parlement,
sénéchal et seul juge civil et criminel de la juridiction et comté de
Runefau dont la paroisse relève23. L'écriture fine et serrée pour
économiser le papier est barré de place en place par les
signatures plus ou moins habiles des participants. Les noms sont
donnés en tête du compte rendu dans un ordre quasi immuable
qui révèle probablement une copie d'une délibération sur l'autre.
Mais les absents sont également désignés dès ce moment, ce qui
semble indiquer une absence de préparation de la part du
greffier24.
 25 Voir par exemple 20 G 19 Bourbriac, 13 avril 1788.

 26 20 G Non classé Ploubezre, 9 octobre 1785.

 27 Voir par exemple 20 G Non classé Ploubezre, 15 octobre 1786 et


20 G 19 Bourbriac, 25 mars 1788.
 28 Voir par exemple 20 G Non Classé Ploubezre, 23 juin 1776 et 20
G 19 Bourbriac, 27 novembre 1785.

 29 20 G 19 Bourbriac, 1  juin, 30 juin, 14 septembre et 2 novembre


er

1788.

23Chaque sujet est alors annoncé puis débattu. Leur nombre est
très variable par séance : couramment 2 ou 3 à Bourbriac 25, 6 à
Ploubezre le 9 octobre 178526. D'une manière générale les débats
laissent peu de traces dans les comptes rendus. Il est
habituellement stipulé que les délibérateurs se sont   conférés
ensemble27 mais leurs décisions sont annoncées  d'une voix
unanime28. Il faut un cas particulier pour retrouver trace de
délibérations plus houleuses où semble-t-il les consignes de
modération du Parlement de Bretagne sont oubliées. C'est le cas,
en 1788, à Bourbriac lorsque le coût des réparations nécessaires à
l'église conduit le général à décider une mise en vente des arbres
du cimetière. Deux délibérateurs, Charles Phelippe et Bernard Le
Bonté, protestent contre leur exploitation et refusent de
signer  attendu qu'ils sont nécessaires pour la décoration et qu'ils
ne dépérissent pas29.
 30 L'enquête Maggiolo sur la population sachant signer en 1786-
1790 donne un chiffre inférieur à 20 % (...)

24Mis à part ces rares événements, la séance s'achève toujours


par la séance de signature. Le greffier indique ceux qui ne signent
pas et cite leurs remplaçants. En cette fin d'Ancien régime, le taux
des signataires est fort convenable et montre que les paysans
délibérateurs se démarquent sur ce point particulier d'une
population fortement sous alphabétisée30.
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Tableau 1 : Signatures des délibérateurs de Bourbriac et Ploubezre


(1785-1789)

 31 20 G Non classé Ploubezre, 13 décembre 1789.

 32 Obligation faite par une déclaration royale du 29 septembre


1722. Voir Les Bretons délibèrent. Rép (...)

25Le cahier de délibération est alors soigneusement rangé dans le


coffre fermant à trois clefs. L'existence de ce coffre et la triple
détention des clefs n'est pas facile à mettre en évidence pour l'une
et l'autre paroisse. Il est certain que l'exigence du Parlement de
Bretagne est respectée. Mais avec des accommodements
probables. Lorsque le 13 décembre 1789, messire Toullic recteur
de Ploubezre affirme n'être présent à la délibération que pour
représentation de sa clef31, il indique sa possession obligatoire
pour ouvrir les archives. Mais les deux généraux délibèrent à
plusieurs reprises en l'absence du recteur et d'un officier
seigneurial, ce qui laisse supposer bien des arrangements, ne
serait ce que pour porter les cahiers aux bureaux de contrôle des
actes après chaque délibération32.
26Dans l'ensemble, les arrêts du Parlement de Bretagne sont
suivis ; le rôle des greffiers dans cette situation étant
probablement important. Mais manquant quelquefois d'assiduité,
ne respectant pas toujours le délai de convocation, cédant parfois
à la colère ou s'arrangeant du régime des trois clefs, les
délibérateurs montrent une certaine facilité à composer ou à
s'affranchir des règlements. Une faculté qui s'exerce aussi à
l'encontre du recteur et des officiers seigneuriaux.

2. L'AFFIRMATION
POLITIQUE DES PAYSANS
DÉLIBÉRATEURS
A - LA PRÉSENCE DES NOBLES ET
DES PRÊTRES
27Les nobles ne participent pas en personne aux assemblées du
général. Des exemples contraires ont pu se produire mais de
manière très ponctuelle. Ils se comptent probablement sur les
doigts d'une seule main pour le Trégor entier de 1770 à 1790.
Leurs officiers seigneuriaux, juges et procureurs fiscaux, les y
représentent.
 33 20 G Non classé Ploubezre, 14 mai 1775.

 34 Ibid, 21 décembre 1788 et Archives Municipales de Rennes 1007


G 2, Côtes du Nord.

 35 20 G Non classé Ploubezre, cahier de trois pages sur feuille


volante.

28A Ploubezre, ils s'y rencontrent à 49 reprises (60,49 % du total


des séances). Le sénéchal de la juridiction et comté de Runefau,
seigneurie éminente de la paroisse, est cité le 14 mai 1775 mais
son paraphe n'apparaît pas au pied des délibérations 33. Le
Beaudour, son lieutenant, assiste à quatre réunions ; la dernière,
le 21 décembre 1788, comme seul juge de Runefau, lorsque les
délibérateurs apportent leur adhésion aux pétitions du Tiers de
Bretagne34. Mais ce sont les procureurs fiscaux, Du Heslé
Guézennec jusqu'en 1785, puis Le Mener de Lesmaes ensuite, qui
assurent la plus forte présence. Beaudour et Le Mener signent
d'ailleurs le cahier de doléances pour les États Généraux le 4 avril
178935.
 36 Archives Municipales de Rennes 1007 H 2.

 37 SÉE (H.) et LESORT (Α.), Cahiers de doléances de la


sénéchaussée de Rennes pour les États généraux (...)

 38 Archives départementales des Côtes d'Armor C 79 (b).

29Moins constante à Bourbriac (11 occurrences, 33 % des cas), la


présence des officiers seigneuriaux ne s'affirme véritablement que
de la mi 1788 à mars 1789 où noble maître Louis Le Poullen
avocat à la cour, sénéchal des juridictions de Saint-Michel-le-
Disquay, le Drezit et annexes, et maître Jean-Marie Brunot
procureur fiscal, assistent à 7 des 10 réunions de la période,
venant 5 fois à 2, concentrant ainsi 60 % de toutes leurs
participations sur les derniers mois de l'Ancien Régime. Les deux
personnages signent, le 1  février 1789, l'adhésion du général de
er

Bourbriac aux demandes des dix paroisses de Rennes, document


que Brunot expédie le lendemain à M. Le Marchand de l'Epinay,
greffier de la communauté de Rennes, avec une lettre où il décrit
l'enthousiasme des habitants de Bourbriac : “  J'ai été témoin des
expressions de ces braves paroissiens contre les nobles  ; ils
étaient prêts dans la sincérité de leur cœur de fournir envers eux
et pour la déffense du tiers au moins 5  000 hommes...”36 Mais
nos deux officiers ne participent pas à l'élaboration du cahier de
doléances, le 31 mars 178937. En leur absence, la présidence
échoit à François Gambier élu par le peuple. C'est un marchand
ambulant capité pour 14 livres en 1789 au bourg de
Bourbriac38 et qui n'a pas laissé d'autre trace dans les cahiers de
délibérations.
30Les recteurs sont encore moins présents aux assemblées. Celui
de Bourbriac n'y participe qu'à six reprises (18 % des cas) à
chaque fois lors de la venue conjointe du sénéchal et du
procureur fiscal. A Ploubezre, messire Guyomar puis messire
Toullic y viennent 32 fois (39,51 % des cas). Mais le long et
classique conflit sur les réparations dues au presbytère
occasionné par le décès et la succession du premier, gonfle le
chiffre réel. Si on déduit les présences du recteur Toullic venant
exposer ses revendications, ce ne sont plus que 27 véritables
participations (33,33 % des cas) qui sont à créditer au compte des
prêtres de Ploubezre.
 39 MINOIS (G.), article cité, p. 160.

 40 20 G Non classé Ploubezre, 6 janvier 1788.

 41 20 G 19 Bourbriac, 14 septembre 1788.

31Une forte latitude est donc laissée aux paysans des deux
paroisses pour délibérer seuls ; ceci se produit à 22 reprises
(66,67 % des cas) à Bourbriac et 27 fois (33,33 % des cas) à
Ploubezre. Le tableau ci après donne la répartition des sujets
traités selon que les paysans soient seuls ou non. Je reprends, à
fin de comparaison, la classification des délibérations trégorroises
proposée par Georges Minois pour tout le 18  siècle39. J'y ajoute
e

simplement une rubrique “Politique” où sont comptabilisés les


sujets ayant un intérêt global tels que les choix proposés en 1788
par la Commission intermédiaire de transformer les corvées de
chemins en supplément d'impôt40, puis quelques mois après de
réformer les haras41 et, bien sûr, les délibérations ayant trait aux
diverses doléances.
 42 Archives Municipales de Rennes 1007 H 2, 1  février 1789.
er
 43 Archives Municipales de Rennes 1007 G 2 et 1009 L ; Archives
départementales des Côtes d'Armor, 20 (...)

32Assez nettement, les sujets abordés diffèrent selon les


absences et les présences. Seuls les sujets “politiques” ne
présentent pas cette dichotomie. Une observation que n'explique
probablement pas entièrement l'attitude neutre des recteurs
suggérée par Georges Minois. Celui de Bourbriac participe peu
aux réunions certes, mais cela ne l'empêche pas de dénoncer au
général l'inconséquence de la déclaration de la noblesse de
Bretagne du 19 janvier 1789 et de signer l'adhésion de sa
paroisse aux demandes de celles de Rennes42. Quant au recteur
Toullic, malgré un long conflit au sujet de son presbytère, il signe
les adhésions de Ploubezre des 21 décembre 1788 et 8 février
1789 avant d'être élu officier municipal, en février 179043.

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Tableau 2 : Classement des sujets traités à Bourbriac et Ploubezre.

 44 SÉE (H.) et LESORT (Α.), Ouvrage cité..., p. 71, 87 et 171.

33Les problèmes de calendrier pourraient être une autre


explication. Les officiers seigneuriaux ont souvent plusieurs
paroisses dans leur ressort. Par exemple, Louis le Poullen qui,
outre Bourbriac, intervient au moins à Saint-Adrien, Saint-Michel
de Plouisy et Trézélan44. Devant participer à plusieurs
délibérations sur le même sujet, à une même date, il est conduit à
un choix donc à des absences que ne pallie pas toujours son
substitut...
 45 POTIER DE LA GERMONDAYE, Ouvrage cité, p. 400.

34Mais il est probable aussi que le principal souci des officiers


seigneuriaux et des recteurs, en matière de gouvernement des
paroisses, porte davantage sur l'administration des biens de
l'église, des chapelles et des confréries et qu'ils apportent tous
leurs soins à une meilleure présence aux réunions de ce type. La
moitié de leurs venues à Bourbriac, 40 % à Ploubezre ont pour
objet cette catégorie de délibérations : problèmes de comptes non
rendus, de rentes non payées, de titres à rechercher ou placer aux
archives, de procès à mener contre les débiteurs récalcitrants.
Affaires graves, pour lesquelles les généraux de paroisses ont
obligation de consulter préalablement trois avocats 45. Ce à quoi
les délibérateurs de Bourbriac et de Ploubezre se conforment
régulièrement et non sans difficulté parfois, tant le nombre des
procédures engagées est important.
35Les paysans se retrouvent donc surtout entre eux lors des
nominations de fabriques, des gouverneurs des chapelles ou de
confréries, des égailleurs et des collecteurs des impositions...
Plusieurs réunions sont consacrées annuellement à ce type de
délibérations qui, au-delà d'un aspect inévitablement routinier,
n'en constitue pas moins un moment important de la vie
paroissiale, celui où les paysans exercent directement leur
pouvoir.
Β - DES POSSIBILITÉS DE
CARRIÈRES PAROISSIALES
36La manière dont sont choisis les candidats nommés au cours de
ces réunions est totalement inconnue. Le greffier se contente
d'enregistrer le nom du nouvel administrateur sans jamais
préciser comment il a été choisi ou si une élection a été
nécessaire. Il semble toutefois que ces choix procèdent d'un
canevas précis, d'une sorte de parcours d'apprentissage où des
tâches de difficultés croissantes jalonnent la formation du futur
délibérateur. La carrière de Yves Lénoret à Ploubezre illustre ce
propos :
37Le Rosaire et le Luminaire sont des confairies établies dans
l'église dont la gestion ne comporte que peu de difficultés
administratives et peu de risques financiers. Les gros travaux ne
dépassent jamais la réfection du lambris et l'entretien courant se
limite au nettoyage et à la fourniture de cierges. Les rentes dues
aux deux confréries, en argent pour le Rosaire, mixtes pour le
Luminaire, sont peu élevées, la principale difficulté étant
probablement de bien repérer les divers débiteurs et de les faire
poursuivre le cas échéant. Car les comptes en charge et décharge,
généralement dressés par un notaire et contrôlés par le recteur et
deux notables nommés vérificateurs, doivent être présenté à
l'évêque au cours de sa tournée, et ne sauraient souffrir
d'impayés.
38La collecte et l'égail de l'impôt sont déjà affaires plus délicates,
même s'il ne s'agit ici que d'une portion de la paroisse qui compte
21 autres frairies ; l'assiette de l'impôt et sa répartition
constituent en effet l'une des sources les plus assurées de conflit
entre les particuliers et le général de la paroisse. Ces deux
fonctions sont inséparables ; le collecteur d'une année est
automatiquement l'égailleur de l'année suivante.
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Tableau 3 : Carrière de Yves Lénoret à Ploubezre

39Fabrique ou marguillier est enfin le passage obligé et


préalablement réussi pour pouvoir être nommé délibérateur. La
reddition des comptes est d'ailleurs la condition  sine qua non de
l'admission au sein du général. Mêlant gestion des biens de
l'église et administration de la paroisse, cette fonction importante
semble néanmoins avoir perdu au 18  siècle, du moins à e

Ploubezre, une partie de son lustre passé. La dénomination, plutôt


restrictive, de fabriques du Maître Autel, dont sont qualifiés les
responsables à la fin de l'Ancien Régime, semble aller en ce sens.
40L'éventail des fonctions offertes aux administrateurs
ploubezrois ne se limite pas aux places successivement occupées
par Yves Lénoret. Il existe encore une confrérie majeure, le Saint
Sacrement, communément appelée le Sacre, et diverses autres
confréries, telles que celles des Trépassés ou des Pauvres de
création récente. Viennent enfin six chapelles ayant chacune à
leur tête un gouverneur. Les plus petites, Saint Fiacre, Saint
Etrurien, Sainte Thècle, Saint Christophe, saint Jacques, ne
présentent qu'un intérêt médiocre au mieux comparable à celui
des meilleures confréries. Mais la plus importante, celle de Notre
Dame de Kerfons, est l'objet de toutes les convoitises. Lieu de
pèlerinage depuis au moins le 14  siècle, elle était deux fois plus
e

rentée vers 1775 que la fabrique paroissiale. A la fin de l'Ancien


Régime-même si se profile un certain déclin-, elle offre toujours
une place enviée de gouverneur qui couronnerait bien des
carrières de délibérateurs accomplis.
41Sans compter la fonction de syndic des grands chemins et de
députés des frairies aux réparations de ces mêmes grands
chemins, la paroisse de Ploubezre permet ainsi chaque année à
ses habitants d'accéder à 2 postes de fabriques, 5 de gouverneurs
de confréries, 6 de chapelles, 12 de délibérateurs et 44 de
collecteurs et égailleurs de l'impôt. Un éventail imposant qui, le
nombre en moins, se retrouve à l'identique à Bourbriac. Les
fonctions de fabriques de Monsieur Saint-Briac à l'église, de
gouverneurs des confréries du Rosaire et de Notre-Dame du Bon-
Secours, des chapelles du Pénity, du Danoët et de Saint-
Houarnault, celles des 12 délibérateurs et celles des collecteurs,
égailleurs et députés des 6 frairies de la paroisse, offrent
également un choix important à qui veut accéder aux carrières
locales.

3. LA RECHERCHE DU
POUVOIR LOCAL
A) UNE BASE LARGE
42Si on cherche à situer fiscalement ceux qui, à Bourbriac comme
à Ploubezre, ont été membre du général de la paroisse, il apparaît
que la base de recrutement est assez étendue. Bien sûr, les plus
forts imposés participent à la vie paroissiale mais le spectre est
large et des cotes assez basses sont également appelées à
délibérer. Les personnes les moins aisées des deux paroisses sont
néanmoins écartées. Par rapport à la population capitée, il faut
passer le cap des 42 % moins imposés à Bourbriac et celui des
46 % à Ploubezre, pour espérer siéger au général.

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Graphique 1 : Position fiscale des délibérateurs de Ploubezre

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Graphique 2 : Position fiscale des délibérateurs de Bourdriac


B) DES RENOUVELLEMENTS
CONTROLÉS
43Le simple décompte des délibérateurs ayant été nommés au
sein des généraux de paroisses comparé au nombre théorique des
places à pourvoir, conduit à s'interroger sur la manière dont se
renouvelaient ces assemblées :

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Tableau 4 : Taux de renouvellement des délibérateurs.

44Le taux de renouvellement n'atteint pas les 50 %, ce qui signifie


que chaque délibérateur est reconduit pour une année au moins
dans sa fonction. La réalité est encore plus marquée si on ne
prend en compte que les renouvellements véritables, en
retranchant du calcul les 12 premiers nommés, ceux de la
première année pour chaque paroisse. Les taux s'abaissent alors à
37,03 % à Bourbriac et 38,75 % à Ploubezre. Chaque délibérateur
serait alors nommé pour trois ans ce qui est loin du
renouvellement annuel voulu par le Parlement de Bretagne.
45Diverses astuces ont permis cette dégradation. La plus simple
est celle utilisée par François Isaac puis Louis Delille, en 1719 et
1720, qui déclarent se représenter une nouvelle année. Elle est
sans doute trop voyante car elle est rapidement remplacée, entre
1723 et 1725, par celle tentée par Jean Perros et Yves Huon qui
s'échangent leur place, imités en cela, dès l'année suivante, par
François Keramanach qui croise avec François Guillou. L'évolution
de ces deux procédés conduit à des dérèglements tels, qu'un
même délibérateur peut rester en fonction jusqu'à sept années
consécutives, croiser avec un ou plusieurs confrères et retrouver
sa place ; le jeu pouvant durer plusieurs années. Quand le greffier
des délibérations est assez précis pour noter quel nouvel élu un
délibérateur sortant nomme à sa place, il est possible de suivre
l'évolution d'un siège sur de nombreuses années. Voici l'exemple
de Jonathas Merrien délibérateur à Ploubezre de 1758 à 1786 :

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Tableau 5 : Renouvellements croisés de Jonathan Merrien, Louis Le


Garrec et Jean Le Guern.

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Graphique 3 : Suivi annuel du renouvellement des délibérateurs à
Ploubezre (1718-1790)

46A l'échelle de toute une paroisse, la main mise de quelques uns


sur le général est alors possible et peut se traduire par un nombre
de renouvellements moindre que celui de 12 prévu par les arrêts
de règlements. Cette éventualité transparaît à la lecture du
diagramme suivant qui montre l'évolution de la situation à
Ploubezre de 1718 à 1790. Jusqu'en 1737, le renouvellement
annuel des 12 délibérateurs est généralement respecté ou peu
s'en faut. Ensuite, la situation se dégrade. De un à cinq
changements seulement sont pratique courante entre 1750 et
1765 époque à partir de laquelle pendant cinq années
consécutives, les délibérateurs ploubezrois vont demeurer
inchangés. Après 1770 et un renouvellement total de l'assemblée,
la situation retrouve un peu de sa normale ; il semble qu'un
changement par tiers de l'assemblée soit désormais appliqué, ce
qui explique l'évolution limitée à quatre délibérateurs qui se
vérifie à la fin de l'Ancien Régime. Le passage à cinq nominations
en 1787 et 1789 n'est du qu'à la présence de maître Jean Le Poec.
Nommé délibérateur depuis 1785, il devient commis, appointé, du
général en 1787 et abandonne ainsi sa place pour un an, avant de
terminer sa troisième année en 1788.
47A Bourbriac, la situation est identique. Entre 1785 et 1789, 8
des 12 sièges de délibérateurs sont distribués suivant le schéma
des renouvellements croisés à un rythme, semble-t-il, d'un
changement tous les deux ans. L'assemblée évolue donc par
moitié chaque année.
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Tableau 6 : Les délibérateurs de Bourbriac (1785-1789)

 46 20 G 19 BOURBRIAC, 9 avril 1787 et 13 avril 1789.

48Le retour systématique de plusieurs délibérateurs s'explique,


comme à Ploubezre, par des renouvellements croisés qui affectent
9 des 12 places possibles. Tout semble donc fonctionner comme
si une stratégie de contrôle du pouvoir local était, ici aussi, en
place. Il faut néanmoins se garder de conclure trop vite et trop
systématiquement. Même si la base de recrutement reste large
dans les deux paroisses, en dépit d'une grande ouverture
théorique, l'accès réel est restreint. Mais la capacité des
postulants que révèle seulement la qualité des signatures est sans
doute aussi à prendre en compte ; la comparaison à ce propos
entre le taux de signatures des délibérateurs et de l'ensemble des
paroissiens est fortement significatif. Enfin il faut probablement
intégrer dans ces pratiques les usages paroissiaux. A Bourbriac, si
tous les renouvellements ne se font pas frairie par frairie, il est
néanmoins certain que cet élément joue fortement. C'est ainsi que
Jean Chermat est nommé en 1787 pour la frairie de Rubertel et
qu'en 1789, le remplacement de Yves Guézennec par Maurice
Connan a lieu dans le cadre de la frairie de Langoat46.
 47 A Ploubezre au moins jusqu'au 2 septembre 1792, 20 G Non
classé Ploubezre.

49Position fiscale, capacité intellectuelle et usages locaux


interfèrent donc probablement pour expliquer la complexe
mécanique des nominations, aucun élément n'excluant d'ailleurs
la possible volonté de conquête du pouvoir local. En offrant de
nouvelles possibilités de fonctions (maire, procureur de la
commune, officier municipal, notable...), les municipalités
révolutionnaires de février 1790 élargissent encore l'éventail des
carrières. Même si les anciennes structures ne disparaissent pas
brutalement, les municipalités élues continuant à administrer les
biens de l'église et à remplir inlassablement des registres où sont
consignées les affaires de la paroisse 47, le lieu du pouvoir local
passe brusquement du général de la paroisse au bureau
municipal. L'intérêt pour les anciennes fonctions déclinant, seules
les fonctions municipales vont offrir des perspectives de carrières
locales. L'étude du rapport des notables paysans à la Révolution,
au-delà de l'adhésion ou du rejet des idées nouvelles, doit tenir
compte de cet aspect de la vie sociale appris et préparé dans les
généraux de paroisses, celui de la poursuite des carrières au
village.
NOTES
1 MINOIS (G.),  La Bretagne des prêtres en Trégor d'ancien
Régime, Brasparts, 1987, p. 222-223.
2 MINOIS (G),  Ibid, p. 265 indique pour le Trégor 36,5 % de présence
pour tout le 18  siècle.
e

3 DUPUY (Α.),  Études sur l'administration municipale en Bretagne au


XVIII   siècle, Paris, Rennes, 1891.
e

4 POTIER DE LA GERMONDAYE,  Introduction au gouvernement des


paroisses suivant la jurisprudence du Parlement de Bretagne, Saint-
Malo, Rennes, 1777. Cet ouvrage a été réédité à Rennes en 1788.

5 Je compte 40 arrêts du Parlement de Bretagne à ce sujet entre 1644


et 1776 ; la liste n'est probablement pas exhaustive.

6 Recueil des arrests de règlements du Parlement de Bretagne


concernant les paroisses qui fixent la manière d'en faire les
délibérations, assemblées, imposition des foüages et levées des dîmes,
depuis 1609 jusqu'à présent. Nouvelle édition, Rennes, 1740. Cet
ouvrage très classique a connu plusieurs rééditions et augmentations
tout au long du siècle : 1740, 1751, 1769, 1777.

7 POTIER DE LA GERMONDAYE, ouvrage cité, p. 155-162 et 380-393.

8 Recueil des arrests..., p. 124 et 208.

9 Arrêt du 28 septembre 1715 concernant les délibérations de la


paroisse de Plouvara,  Ibid, p. 273.

10 Ibid, p. 95 (Quimilion), p. 134, 197, 134, 249.

11 Recueil des arrests de règlements du Parlement de Bretagne


concernant les paroisses qui fixent la manière d'en faire les
délibérations, assemblées, imposition des foüages et levées des dîmes,
depuis 1609jusqu'à présent. Nouvelle édition, 2 tomes, Rennes, 1777,
tome 2, p. 480.

12 Ibid, p. 590.

13 Arrêt du 17 janvier 1703 concernant les assemblées des paroisses


de la ville de Rennes,  Recueil des arrests..., Rennes 1740, p. 213.
14 Arrêt du 20 Décembre 1735,  Ibid, p. 495.

15 Elle a pu être contestée au départ. Un exemple de refus du système


représentatif à La Martyre en 1697 est noté par CROIX (Α.), “Les
notables ruraux dans la France du XVIII  siècle : une clé de la
e

sociabilité” dans Levasseur (Dir.),  De la sociabilité. Spécificité et


mutations, Actes du colloque de Trois-Rivières, 1988, Montréal, 1991,
p. 47.

16 MINOIS (G.), “Le rôle politique des recteurs de campagne en Basse-


Bretagne (1750-1790)” dans A.B.P.O., tome 89, no 2, 1982, p. 159.

17 Archives Départementale des Côtes d'Armor, 20 G Non classé


Ploubezre,  délibération du général de la paroisse, 25 octobre 1789.

18 Ibid, 28 mai 1786.

19 Archives Départementale des Côtes d'Armor, 20 G Non classé


Ploubezre, délibération du général de la paroisse, 25 octobre 1789.

20 Ibid, 9 juin 1783.

21 20 G 19, Bourbriac, 13 avril 1788.

22 20 G Non classé Ploubezre, 30 novembre 1783.

23 Ibid, En tête du cahier avant la délibération du 27 avril 1783.

24 Ibid, 21 mars 1784.

25 Voir par exemple 20 G 19 Bourbriac, 13 avril 1788.

26 20 G Non classé Ploubezre, 9 octobre 1785.

27 Voir par exemple 20 G Non classé Ploubezre, 15 octobre 1786 et 20


G 19 Bourbriac, 25 mars 1788.

28 Voir par exemple 20 G Non Classé Ploubezre, 23 juin 1776 et 20 G


19 Bourbriac, 27 novembre 1785.
29 20 G 19 Bourbriac, 1  juin, 30 juin, 14 septembre et 2 novembre
er

1788.

30 L'enquête Maggiolo sur la population sachant signer en 1786-1790


donne un chiffre inférieur à 20 % pour les hommes et à 10 % pour les
femmes dans le département des Côtes-d'Armor. Voir pour la critique
de ces chiffres ROUDAUT (F.), “La difficile approche de l'alphabétisation
de la Basse-Bretagne avant la Révolution” dans  La France d'Ancien
Régime. Études réunies en l'honneur de Pierre GOUBERT. Toulouse,
1984, p. 639-648.

31 20 G Non classé Ploubezre, 13 décembre 1789.

32 Obligation faite par une déclaration royale du 29 septembre 1722.


Voir  Les Bretons délibèrent. Répertoire des registres de délibérations
paroissiales et municipales, 1780-1800, et des cahiers de doléances,
1789, Saint-Brieuc, Quimper, Rennes, Vannes, 1990, p. 8, col 2.

33 20 G Non classé Ploubezre, 14 mai 1775.

34 Ibid, 21 décembre 1788 et Archives Municipales de Rennes 1007 G


2, Côtes du Nord.

35 20 G Non classé Ploubezre, cahier de trois pages sur feuille volante.

36 Archives Municipales de Rennes 1007 H 2.

37 SÉE (H.) et LESORT (Α.),  Cahiers de doléances de la sénéchaussée de


Rennes pour les États généraux de 1789, 4 volumes, Rennes, 1909-
1912, tome 4, p. 164.

38 Archives départementales des Côtes d'Armor C 79 (b).

39 MINOIS (G.), article cité, p. 160.

40 20 G Non classé Ploubezre, 6 janvier 1788.

41 20 G 19 Bourbriac, 14 septembre 1788.


42 Archives Municipales de Rennes 1007 H 2, 1  février 1789. er

43 Archives Municipales de Rennes 1007 G 2 et 1009 L ; Archives


départementales des Côtes d'Armor, 20 G Non classé Ploubezre, 7
mars 1790.

44 SÉE (H.) et LESORT (Α.),  Ouvrage cité..., p. 71, 87 et 171.

45 POTIER DE LA GERMONDAYE,  Ouvrage cité, p. 400.

46 20 G 19 BOURBRIAC, 9 avril 1787 et 13 avril 1789.

47 A Ploubezre au moins jusqu'au 2 septembre 1792, 20 G Non classé


Ploubezre.

TABLE DES ILLUSTRATIONS

Légende Tableau 1 : Signatures des délibérateurs de Bourbriac et Ploubezre


(1785-1789)

URL http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/14291/img-1.jpg

Fichier image/jpeg, 160k

Légende Tableau 2 : Classement des sujets traités à Bourbriac et Ploubezre.

URL http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/14291/img-2.jpg

Fichier image/jpeg, 457k

Légende Tableau 3 : Carrière de Yves Lénoret à Ploubezre


URL http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/14291/img-3.jpg

Fichier image/jpeg, 306k

Légende Graphique 1 : Position fiscale des délibérateurs de Ploubezre

URL http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/14291/img-4.jpg

Fichier image/jpeg, 127k

Légende Graphique 2 : Position fiscale des délibérateurs de Bourdriac

URL http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/14291/img-5.jpg

Fichier image/jpeg, 111k

Légende Tableau 4 : Taux de renouvellement des délibérateurs.

URL http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/14291/img-6.jpg

Fichier image/jpeg, 174k

Légende Tableau 5 : Renouvellements croisés de Jonathan Merrien, Louis Le


Garrec et Jean Le Guern.

URL http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/14291/img-7.jpg
Fichier image/jpeg, 270k

Légende Graphique 3 : Suivi annuel du renouvellement des délibérateurs à


Ploubezre (1718-1790)

URL http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/14291/img-8.jpg

Fichier image/jpeg, 384k

Légende Tableau 6 : Les délibérateurs de Bourbriac (1785-1789)

URL http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/14291/img-9.jpg

Fichier image/jpeg, 730k

AUTEUR
Christian Kermoal
Du même auteur

 Les notables du Trégor, Presses universitaires de Rennes, 2002

 Chapitre 8. Le Saint-Brieuc de Ruffelet in Christophe-Michel Ruffelet.  Les Annales


briochines, 1771, Presses universitaires de Rennes, 2014
 Introduction in Les notables du Trégor, Presses universitaires de Rennes, 2002
Débat
p. 113-114

TEXTE

TEXTE INTÉGRAL

Mardi après-midi
1N. HAMPSON remercie Cl. NIÈRES pour la richesse de sa
contribution mais constate d'emblée que tous les États centralisés
ne se sont pas écroulés, qu'il y a donc bien une spécificité
française, d'autant que la France était le modèle de l'absolutisme !
Pour J.-P. JESSENNE, la communication de Cl. NIÈRES serait un peu
trop négative car la monarchie semble avoir conservé, jusqu'en
1788, une capacité de proposition qui traduit une vision assez
claire des réalités socio-politiques. G. FOURNIER constate qu'en
Languedoc ce n'est pas l'Intendant qui est dénoncé par l'opinion
mais les États qui veulent arracher au parlement de Toulouse
certaines de ses prérogatives et donc s'allient avec l'Intendant
pour bénéficier de l'appui réglementaire du Conseil du roi. Du
coup, en Languedoc, comme dans la Provence d'EMMANUELLI, le
développement de l'autorité du roi est perçu comme lié aux
ambitions des États et le parlement continue d'apparaître comme
le seul rempart de la province contre le despotisme ministériel.
Cl. NIÈRES a pu vérifier que l'exemple des États du Languedoc sont
la référence permanente de ceux de Bretagne. F. LEBRUN se
demande si l'efficacité de la commission intermédiaire est
vraiment apparue comme exemplaire à l'opinion bretonne dans la
mesure où l'on n'en parle guère dans la ci-devant province en
1789 et 1790. S. BIANCHI s'interroge sur le soi-disant échec des
réformes tentées par Calonne car les Cahiers de doléances, dans
la région parisienne, en parlent favorablement et que les
administrateurs des districts ont souvent fait leurs premières
armes dans les commissions intermédiaires des assemblées
provinciales installées par le contrôleur général.
Ph. GUIGNET vivement intéressé par les termes du débat se permet
de relever deux absences dans la synthèse proposée par
Cl. NIÈRES. Tout d'abord le monde des corporations qui joue
toujours un rôle essentiel dans le nord du royaume sous la
houlette des magistrats des bonnes villes le plus souvent
composés non pas de marchands mais de robins soucieux de
ménager les intérêts populaires. Ces corporations constituent un
soubassement qui stabilise la société urbaine. De même, on ne
peut faire l'impasse d'une religion, à laquelle le roi est
profondément attaché et qui imprègne sa vision organiciste du
royaume dont il est la tête légitime. Or croire véritablement à
l'enseignement de l'Église catholique, apostolique et romaine c'est
partager des valeurs de charité militante dont on est convaincu
qu'elles sont encore capables de répondre aux misères d'ici-bas,
cela n'incite guère à partager l'optimisme béat de la plupart des
philosophes et cela vous oblige à conserver l'autorité qu'on vous a
confiée pour la plus grande gloire de Dieu et le salut temporel et
spirituel du royaume. A cela s'ajoute l'effet Tocqueville, c'est-à-
dire qu'un système socio-politique en décomposition se dégrade
encore plus rapidement dès qu'on s'obstine à vouloir le réformer.
Cl. NIÈRES se déclare convaincu de la nécessité de prendre en
compte cet humanisme catholique post-tridentin toujours vivace,
mais il n'en reste pas moins vrai que l'on a rappelé Necker et que
la monarchie devait trouver une solution politique à la crise
budgétaire.

2A C. KERMOAL, D. LIGOU demande si ses deux paroisses sont


bretonnantes et si, dans l'affirmative, il se trouvait assez de
paysans parlant français pour former une municipalité.
C. KERMOAL estime qu'avant la Révolution les rapports avec le
Parlement et le subdélégué supposaient que l'on sache se
débrouiller, que les textes officiels étaient lus mot à mot et
traduits. Que 20 % des paysans savaient écrire selon l'enquête
Maggiolo mais que parmi les délibérants, 70 % des délibérants de
l'une des paroisses et 76 % de l'autre savaient signer très
correctement. Les délibérations sont retranscrites, en français, par
un notaire. S. SAMMLER s'interroge sur le nombre de notaires dans
les campagnes du Trégor. Il y en avait 6 à Plouher, habitant au
bourg ou dans les hameaux et ils pouvaient vivre en gérant les
biens des orphelins, en cumulant les charges de greffier, de
procureur des nombreuses justices seigneuriales, sans oublier
celle de notaire.
Pouvoir local et Révolution :
les élections du printemps
1789 à Nancy
Rachida Tlili-Sellaouti
p. 117-133

TEXTE NOTES AUTEURILLUSTRATIONS
TEXTE INTÉGRAL
1Ce travail s'inspire largement d'un travail de dépouillement des
procès-verbaux des assemblées d'élection des députés et de
rédaction des Cahiers de Doléances des communautés rurales du
bailliage de Nancy que nous avons accompli dans le cadre de
notre thèse de doctorat sous la direction combien bienveillante de
M. le professeur François LEBRUN. Ces procès figurent en avant-
propos des Cahiers de Doléances publiés par J. Godfrin dans la
collection des  Documents inédits sur l'histoire économique de la
Révolution française tome IV.
2Nous avons utilisé les résultats du dépouillement de ces procès
pour les interpréter en fonction de la problématique proposée par
le colloque, problématique qui s'est imposée également à nous
par les résultats auxquels nous avons aboutis à savoir l'idéologie
qui sous-tend au choix des présidents et surtout des députés :
celui-ci préconise-t-il une rupture totale ou même partielle avec
les structures de l'ancien régime ou au contraire pérennise-t-il
une certaine continuité avec les structures anciennes de la société
française qui prévalaient encore vers cette du XVIII  siècle.
e

3L'étude de l'appartenance socioprofessionnelle des présidents


d'assemblée et des députés de campagne, pourrait nous éclairer
sur la réalité des faits.
4Nous avons, pour cela, établi, d'abord la liste des présidents
d'assemblée avec, quand cela est possible, leurs appartenances
professionnelles ou leurs charges municipales, ensuite la liste des
députés de paroisse. Nous avons abordé également un autre volet
de l'analyse celui des comparants à ces assemblées. Ces derniers
peuvent être une partie prenante du pouvoir considéré dans son
extension anthropologique.
5Nous avons ensuite synthétisé ces données dans des tableaux
divisionnaires :

1  NIVEAU DE L'ANALYSE :
er

PRÉSIDENTS D'ASSEMBLÉES
ET DÉPUTÉS DE PAROISSES
A) LES PRÉSIDENTS
D'ASSEMBLÉE : PRÉPONDÉRANCE
DES MAIRES ET PERMANENCES
IDÉOLOGIQUES :

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Répartition des présidents d'assemblée d'élection des communautés


rurales

 1 B. RICHARD. La Commission Intermédiaire de Lorraine et


Barrais. Mémoire de Maîtrise. Nancy. 1969, (...)

 2 G. CABOURDIN et G. Viard. Lexique de la France d'Ancien


Régime, A. COLIN. Collection U, Paris 1969 (...)
6L'examen de ce tableau révèle une prépondérance absolue des
maires dans ces assemblées. Ceci serait, à la limite, assez
plausible. Dans les règlements relatifs à l'organisation des
assemblées municipales des campagnes, la présidence de ces
assemblées revient au maire, dans les circonstances suivantes :
“la présidence des assemblées paroissiales devait être exercée par
le seigneur haut justicier. A défaut, on appelait pour le suppléer
l'une ou l'autre de ces personnes dans l'ordre suivant  : le seigneur
justicier, bas justicier foncier, voué, le curé ou le vicaire résident,
le principal officier du seigneur haut justicier désigné par lui, ou
le maire”1. Or, l'on considère, d'après des indications
supplémentaires dans les procès-verbaux précisant les fonctions
du maire, qu'il y a un jeu de passe-passe entre le maire et les
autres représentants du seigneur. Le maire cumule plusieurs
fonctions seigneuriales. C'est ainsi que, par exemple le maire
d'Essey-Les-Nancy est, en même temps, haut justicier
seigneurial ; il en est de même du maire de la communauté de
Bouxières-aux-Dames. Le maire de Pont-Saint-Vincent est en
même temps le seigneur voué (voir Tableau 1). C'est que, en fait,
le maire dans la société d'Ancien Régime, exerce un office vénal. Il
est le représentant du seigneur, de ce fait, “il est chargé de veiller
au maintien du régime seigneurial ”2. Ainsi de par la réforme
administrative de 1787, le maire se trouve bien désigné pour
seconder le seigneur dans la présidence des assemblées, une
charge qui, d'ailleurs, n'enthousiasme pas le seigneur, souvent
absentéiste et dont les visées et les prétentions dépassent de fort
loin le petit cadre paroissial.
 3 B. RICHARD, op. cit. p. 25.

7De plus, le rôle du maire se confirme au niveau officiel : un


rapport de la Commission Intermédiaire précise les pouvoirs que
détiennent les présidents d'assemblée, éventuellement le maire.
Celui-ci doit veiller, selon ce rapport : “au maintien du bon ordre
dans cette séance”3. Délégué du seigneur, le maire devient aussi
un responsable de l'autorité centrale. Son statut devient officiel et
c'est ainsi que se fait le passage à la présidence des assemblées
d'élection et de rédaction des cahiers de doléances, en mars
1789.
 4 Ibid. p. 23.

 5 Pour justifier ceci, il faudrait ajouter que la fonction de maire était


très convoitée sous l'Anci (...)

8Le rôle du maire devient d'autant plus prépondérant qu'il


bénéficie déjà d'un certain prestige social et cela de par son
appartenance socioprofessionnelle, car “pour   être éligible, que
l'on fut noble ou non, il fallait payer trente francs d'imposition et
être domicilié depuis un an dans la paroisse ”4. Il fait donc partie
de la classe des propriétaires. Ses fonctions et ses attributions
politiques sont de nature à renforcer son prestige au sein de sa
communauté5. En 1789, finalement son image de “coq de village”
se confirme et le maire, représentant du groupe social des
paysans aisés, est fin prêt pour jouer le rôle de “meneur” et pour
être propulsé aux devants de la scène politique, alors très
convoitée.
9D'ailleurs, si nous examinons attentivement le tableau (1) on
constatera que les maires concurrencent sérieusement les curés
qui sont censés, selon la circulaire de 1787, suppléer à l'absence
du seigneur pour présider les assemblées. C'est que, en effet, le
curé a cessé d'être un oracle et le maire s'installe, bel et bien, sur
le devant de la scène pour jouer le rôle de “meneur”. Selon quelle
direction mènerait-il la lutte alors ?
 6 J. GODFRIN, Collection de documents inédits sur l'histoire
économique de la Révolution française. (...)
 7 Ibid., Cahier de Laître-sous-Amance, p. 362.

10Les maires sont les agents du régime seigneurial ; ce sont aussi


les représentants du gouvernement central, investis de ses
pouvoirs. Ils représentent, ainsi, l'armature de l'Ancien Régime
dans toute sa rigueur. Dans leurs attitudes, dans leurs opinions,
dans l'orientation qu'ils peuvent donner aux revendications et aux
doléances des habitants, peuvent-ils, réellement et
fondamentalement, se démarquer de l'idéologie fondatrice de tout
l'Ancien Régime ? Car en tant que présidents d'assemblée,
certainement ils avaient donné une orientation aux doléances et
au choix des députés : “la pluralité des suffrages désigne bien
souvent comme député le président de l'assemblée surtout quand
c'est le maire ou le juge titulaire. Il est évident, dans ce cas, que la
délibération a été dirigée”6 même si comme l'affirmait le président
de l'assemblée de la communauté de Laitre-sous-Amance, F.-D.
Grandjean, écuyer et avocat au parlement, “n'ayant point donné
d'opinion”7. Les cahiers sont remplis d'allusions pour la
consolidation des pouvoirs du maire au sein de la communauté
pour ne s'en tenir qu'à cela. Mais le plus important est que les
cahiers ne sont pas, du moins, la majorité, très véhéments dans
leurs sentiments anti-seigneuriaux… de sorte que les présidents
auraient pu jouer, vis à vis de l'assemblée, un rôle d'intimidation.
Le recensement thématique des doléances montre que les thèmes
relatifs aux droits féodaux et seigneuriaux ne font pas l'unanimité
de la revendication ni ne suscitent une grande virulence ; par
exemple au lieu de demander la suppression pure et simple des
banalités, on demande le rachat de ces droits par les paysans.
C'est une manière de perpétuer l'Ancien Régime par des
améliorations.

B) LES DÉPUTÉS
11Leur choix répond beaucoup plus aux aspirations des
populations, c'est un choix délibéré, par conséquent plus
significatif. Nous les avons recensé dans un tableau récapitulatif
en fonction de leur appartenance professionnelle  (Tableau 2).

Agrandir Original (jpeg, 132k)

Répartition socio-professionnelle des députés de paroisses

12A ce niveau de l'élection, si l'on ne peut pas affirmer que les


proportions se renversent totalement, du moins, on assiste à un
revirement important, un dépassement, voire un déclassement
très net des maires au profit d'autres groupes sociaux, plus
représentatifs parfois du corps communal et des diverses couches
paysannes. Dans ce tour, les syndics prennent de l'avantage : ils
représentent 15,5 % de l'ensemble des députés contre 10,1 % pour
les maires.
 8 A propos de l'institution et des fonctions du syndic, voir
M. PIERSON, op. cit. p. 30 et p. 358, a (...)

 9 B. RICHARD, op. cit., p. 22.


13Ce dépassement par les syndics était prévisible. Plus que le
maire qui exerce un office vénal, le syndic est plus représentatif
de la communauté puisqu'il est élu par elle 8. Le syndic correspond
plus au maire d'aujourd'hui. La réforme administrative de 1787 le
confirme dans ses fonctions (la gestion des affaires de la
communauté) et dans son mode de désignation : l'élection. Elle
précise surtout qu'il “devait savoir lire et écrire”9.
14C'est ainsi qu'il se trouve souvent désigné pour représenter les
habitants à l'assemblée du bailliage.
 10 M. PIERSON, op. cit., p. 30 et 31.

15Mais le syndic, l'élu du Tiers, est aussi un agent du pouvoir car il


devait “servir de correspondant entre l'autorité centrale et les
habitants… [c'est un agent]  d'exécution de l'intendant”10.
16En fait, syndics et maires constituent tous deux les éléments de
l'administration de l'Ancien Régime. Ils se recrutent dans la
première classe des propriétaires ; ils possèdent, au moins, les
rudiments du savoir.
17Si l'on ajoute à ce groupe, les élus de la municipalité, la
proportion de ce groupe s'élargit considérablement (48 % :  voir
Tableau 2).
18En définitive, maires, syndics et élus de la municipalité forment
les cadres sociaux et culturels bien appropriés et bien désignés
pour mener à bien la campagne électorale au printemps 89. Leur
prépondérance dans les assemblées électorales signifie, en
définitive, une continuité dans le système. La nouveauté est peut-
être que ce groupe est devenu conscient de ses intérêts qu'il
entend désormais défendre par l'acquisition de charges
politiques. Les élections de 89, seraient justement une occasion
pour ces notables régionaux de consolider leurs intérêts et de se
hisser éventuellement au niveau national.
 11 Une remarque s'impose, le groupe des “laboureurs, vignerons
amodiateurs” dans le tableau 1 devait (...)

19En effet, cette “bourgeoisie de la terre” a réussi à évincer tous


les autres groupes du milieu rural, y compris les intellectuels 11 :
avec toute la concentration possible la “bourgeoisie intellectuelle”
de la campagne lorraine ne regroupe que 19,4 % des sièges (gens
de justice, professions libérales, maître d'école (Voir Tableau 2).
Acquis au savoir (même le plus élémentaire), le laboureur élément
représentatif de la paysannerie aisée, se croit en mesure de
manipuler le langage rationnel et juridico-politique ; du moins, il
conçoit ses intérêts de manière vitale. Alors, il s'érige en
défenseur et réformateur d'un système qui lui serait davantage
favorable, un système qui n'est pas forcément celui des
intellectuels : il les considère comme des intrus dans son système,
les accuse d'une sorte d'ingérence dans ses affaires. Il estime qu'il
n'a plus besoin d'intermédiaire. C'est lui dorénavant, le “leader
d'opinion”.
20La disproportion est encore plus flagrante pour les petits
métiers et plus encore pour les sans-qualifications, c'est-à-dire
les “manœuvres”. L'idéologie du monde paysan est celle de leur
rapport à la terre, mais qui n'est pas forcément un rapport
égalitaire. C'est ainsi que les doléances des communautés ne sont
pas, dans leur essence, antiseigneuriales, mais elles formulent en
général, l'idée d'un meilleur accès à la propriété.
21En fait, cette percée prise par les “leaders” de la pensée
paysanne au premier degré de l'élection, va être rapidement
contrecarrée au deuxième tour des élections : un seul laboureur
figure dans la dépuration du bailliage de Nancy. Un filtrage plus
rigoureux encore va s'opérer au troisième tour : aucun député
rural ne figure parmi la dépuration officielle et définitive qui
représentera la Lorraine à Versailles.
22Cependant, même si les députés de paroisses, n'atteignent pas
les échelons supérieurs de la représentativité législative,
néanmoins, il s'est formé dans ce groupe, une prise de conscience
politique qui lui permet de concevoir une certaine communauté
d'intérêt.
23Ainsi, à tous les niveaux de l'analyse, il y a une concordance de
vues que renforce une certaine affinité dans l'appartenance
socioprofessionnelle des personnages qui détiennent le pouvoir
local. Il y a une sorte d'identité des intérêts et d'homogénéité à
l'intérieur de ce groupe. Si ce groupe entend réformer le système,
d'après les revendications qu'il formule (à travers les Cahiers de
Doléances), ce n'est pas dans l'absolu, par une refonte totale des
structures mais bien par des améliorations partielles qui lui
permettraient de préserver et d'augmenter ses prérogatives au
sein de la classe privilégiée. Il exerce vis à vis de ses mandataires
une sorte de dynamique du groupe qui submerge une majorité
silencieuse, lui imposant son idéologie propre.

2  NIVEAU D'ANALYSE : LA
e

PARTICIPATION DES
PAYSANS AUX
ÉLECTIONS (Tableau I)
24Mais peut-être faudrait-il se détromper au sujet de cette
majorité silencieuse même si les Doléances paysannes sont
circuitées. Certains indices nous permettent malgré tout d'accèder
à la conscience paysanne et de comprendre le processus qui a
amené les masses, en l'occurrence paysannes, à participer à ce
vaste mouvement révolutionnaire et déceler, à travers ces indices,
l'existence ou les limites d'une conscience collective
révolutionnaire ?
25-Le comptage des signatures révèle un taux de participation
très élevé aux élections. En effet la participation des ruraux aux
élections a été massive, la moyenne se situant autour de
cinquante pour cent par rapport au nombre de feux (c'est-à-dire
les chefs de famille âgées de vingt cinq et plus, inscrits aux rôles
des impositions). Dans certaines paroisses, cependant, le taux de
participation dépasse de loin la moyenne et atteint des
proportions inespérées dans nos sociétés modernes : Sexey-aux-
Forges enregistre le taux de participation le plus élevé : 99 % ;
Villers-les-Moivrons 91,5 %, 88,5 % à Custines et 84 % à Messein.
26Ceci s'explique par le fait que les élections constituent une
grande nouveauté dans une période marquée par l'absolutisme et
l'absence de consultations.
27Mais il y a plus que cet attrait fascinant et prometteur des
élections. C'est qu'au printemps 1789, l'univers mental des
paysans a largement évolué ; ainsi leur présence aux assemblées
électorales n'est pas toujours de la simple figuration ni toujours
une caution pour authentifier l'acte notarial. Sous l'impulsion
d'éléments divers, la pensée du paysan devient plus active, sa
conscience mue.
Tableau I : Aspects matériels dans la rédaction des cahiers primaires du
bailliage de Nancy
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 12 M. BOULOISEAU “Inspiration, rédaction et vocabulaire des


doléances rurales pour les États-Généraux (...)

28Quelles sont les origines de cette évolution ? “C'est dans la


création et le fonctionnement des municipalités datant de 1787
qu'il convient de rechercher les facteurs de cette évolution ”12. En
effet, il y avait là, pour les habitants un moyen et une occasion
pour exercer leurs droits civils, c'était aussi l'apprentissage de la
représentativité et la participation à la vie publique et politique.
 13 RICHARD. La Commission Intermédiaire, op. cit., p. 24.

 14 Ibid., p. 23.

29Les assemblées municipales se sont substituées aux


assemblées communales dans les campagnes. Elles ont été
instituées par le Règlement Royal du 23 juin 1787. Mais ce n'est
qu'une année plus tard que ces municipalités entraient en
exercice, en vertu de l'approbation royale du 3 mai 1788 13. En
mars 1789, elles n'ont finalement qu'une année d'exercice. Mais
c'était déjà suffisant, puisque les assemblées municipales devaient
se réunir, au moins, une fois par mois : “il y avait de quoi
métamorphoser l'univers mental des paysans”14.
30De plus, les élections du printemps 1789, ne sont pas tout à
fait une nouveauté, ni un événement insolite. Selon le projet du
Règlement concernant la composition des membres de
l'assemblée municipale, les habitants de chaque communauté
devaient élire des représentants à l'assemblée municipale. Par
exemple, il fallait élire trois représentants pour les communautés
de 150 feux.
31Il ressort de tout ceci qu'il y a eu, déjà, une sorte d'initiation à la
vie publique et en particulier aux élections, un apprentissage des
modes de représentativité. Ce qui tendait, en définitive, à
développer une mentalité du droit et de la légalité, d'une
meilleure représentativité pour une meilleure défense, fut-elle
théorique, des intérêts communs. C'est ce qui explique qu'au
printemps 89, la participation des habitants des communautés
rurales pour le bailliage de Nancy, fut massive et surtout très
active, pour le choix et l'élection de leurs députés.
 15 Pourtant le Cahier porte la signature du syndic Sigisbert Collot
(Godfrin op. cit. p. 350). Ce qui (...)

32Ceci voudrait-il dire, pour autant, que la mutation des


mentalités fut généralisée, qu'elle atteint toutes les couches de la
communauté rurale ? Il est clair que cette mentalité nouvelle se
manifeste assez nettement chez les “élus” de la communauté qui
affinent leur image de “coqs de village”, leur rôle de “meneurs”.
Mais, vraisemblablement et sous l'impulsion de “ces meneurs”, la
conscience de la communauté se développe” elle aussi 15. Il est
vrai que la communauté reste, avant tout, sensibilisée par ses
propres problèmes mais elle tend désormais à les insérer dans les
grands débats nationaux sous les signes de la liberté, de l'égalité
et de la justice sociale.
 16 Essey-Les-Nancy, Ibid., p. 352.

 17 On lit parallèlement dans le cahier de Sexey-les-Forges : “…


lesquels ayant été médités, rédigés et (...)

33En tout cas, ce qui frappe en milieu rural, c'est la présence


massive des paysans “qui meublent la scène des réunions
électorales”. Cette masse, apparemment silencieuse, finirait par
peser, pour le moins, par sa présence, car le cahier est rédigé en
assemblée plénière, en présence des chefs de familles de toute la
communauté. Voilà comment, d'après le cahier d'Essey-les-Nancy,
s'élabore un cahier de doléances : “notre curé, notre homme de
confiance… nous le priâmes de rédiger le tout, nous lui dîmes
tout ce que nous voulûmes. Il écrivait, il effaçait, il recommençait
d'écrire jusqu'à ce que nous reconnaissions bien nos pensées
dans ses expressions. Tout nous paraissait en règle pour le
signer”16. Le cas de la communauté d'Essey-les-Nancy serait-il
exceptionnel17 ? De toute façon, même si les habitants ne
prenaient pas toujours une part aussi active à la rédaction et ne
semblaient pas toujours comprendre ce qui se disait (ce qui n'était
pas toujours très savant d'ailleurs), il serait difficile de duper
totalement les présents. Quoiqu'il en soit, les malformations de
l'orthographe et les maladresses du style, le manque de
performance et de rigueur dans la pensée très courants dans les
Cahiers de Doléances… laissent bien supposer, pour le moins,
que l'écart n'est pas très grand entre la masse et ceux qui la
président ou ceux qui prennent la plume pour traduire ses
préoccupations. De sorte que dans le passage du collectif à
l'individuel, il ne s'opère pas un déficit énorme de la pensée.
 18 Voir le Cahier d'Essey-Les-Nancy, ibid., p. 352.
 19 Cahier de Bouxières-aux-Chênes, ibid., p. 389.

 20 F. FURET : “Les États-Généraux de 1789. Deux bailliages élisent


leurs députés”. in Conjoncture éco (...)

34La pression qu'exerce la masse aux dépends des notables


locaux est bien réelle ; il existe du moins une lutte d'intérêts,
dans laquelle la “masse” n'est pas toujours perdante. Les incidents
qui ont eu lieu à Essey-Les-Nancy sont, encore une fois, bien
révélateurs de cette lutte intestine qui agite la paysannerie comme
d'ailleurs le Tiers-État urbain. Ici “l'énergique résistance des
habitants de la paroisse” a tenu en échec les agissements illégaux
que voulaient exercer les notables locaux, “fonctionnaires jaloux
des prérogatives de leurs charges” voulant s'approprier de la
pluralité des suffrages18. Ailleurs, c'est peut être pour ne pas se
sentir impliqué et être soupçonné d'abus d'influence que la maire
de Bouxières-aux-Chênes affirme dans a signature : “maire
n'ayant point donné de voix et n'y eu part à la rédaction ”19. Une
sorte de “chasse aux sorcières” semble être menée par les
habitants contre les notables ? ! Il semble tout au moins évident,
que “l'influence du président n'est donc pas toute puissante ”20.
 21 R. TLILI SELLAOUTI : La Société française à la veille de la
Révolution : un essai sur les mentalit (...)

35– A un autre niveau de la recherche, nous avons effectué un


travail qui a porté sur l'analyse du contenu sémantique de la
totalité du vocabulaire des Cahiers de Doléances de ces
communautés21. Cette analyse a permis de relever l'existence de
certains paliers au niveau de la mentalité collective. En particulier,
au niveau des Cahiers dit “archaïques” dans la mesure où ils
n'utilisent pas le langage rationnel et politico-juridique des
Lumières, ils ne sont pas forcément les plus subordonnés ni les
plus aliénés. Dans un langage simple et prosaïque, ils arrivent à
formuler par la demande des matières à supprimer et à abolir, une
certaine volonté de rupture avec les structures de l'Ancien Régime
en particulier dans ses aspects socio-juridiques d'essence féodale
et seigneuriale.
 22 A. DUPRONT, “Cahiers de Doléances et mentalités collectives” in.
Lyon 1965. p. 375.

36Mais l'on peut rétorquer que l'opinion qui émane des Cahiers de
Doléances est l'opinion d'une étroite classe sociale, plutôt
moyenne et petite bourgeoise, “pelliculaire” qui sait lire et écrire.
“Faudrait-il en faire, cependant malgré l'ampleur du témoignage à
l'échelle de tout le royaume, un document limité à ceux qui
régissent” ? A. Dupront relève l'équivoque : “document moyen par
excellence, c'est-à-dire intermédiaire entre les rédacteurs… et la
masse environnante qui participe aux assemblées de paroisses et
de communautés, le cahier de doléances peut être un texte
d'analyse infiniment précieux des rapports d'une expression
écrite avec la transmission par voie orale, des abus, attentes
ou “doléances”.  Son analyse permet, au moins, de tracer une
tendance”22
37Alors, à cette phase initiale de la Révolution, de quelle nature
serait cette tendance ?
38La tendance générale évolue certes vers un changement. Mais il
faut malgré tout distinguer des paliers divergents :
 chez les notables locaux représentants du pouvoir et des
structures de l'Ancien Régime, la tendance idéologique est à la
continuité du système, une continuité que masque une
tendance réformatrice. Ces notables ne se démarquent pas
foncièrement de l'Ancien Régime. Ils entendent, par
l'acquisition de charges politiques, mieux profiter de la manne
du pouvoir ; de tendance conservatrice, c'est grâce à eux qu'il
y a perpétuité dans le système longtemps après la Révolution
plutôt qu'une rupture brutale23.
 Les masses paysannes de leur côté, font dans ces assemblées
l'apprentissage des Lumières et subissent une sorte
d'acculturation politique. Ainsi s'opère une certaine
métamorphose au niveau de la mentalité collective où va
germer une force de revendication devenue instinctive,
marquée par une nette volonté de démarcation par rapport
aux structures féodales de l'Ancien Régime.

39C'est cette divergence dans les principes qui fait apparaître cet
antagonisme fondamental de la Révolution entre le peuple et les
dirigeants révolutionnaires, d'où ce refuge dans le vote censitaire
à court terme et cette permanence dans les structures par la suite,
longtemps après la Révolution grâce à ces éléments conservateurs
qui détiennent le pouvoir à l'échelle locale.
 24 Cl. MAZAURIC. Quelques voies nouvelles par l'histoire politique de
la Révolution Française. In AHR (...)

40Dans la longue évolution, les élections du printemps 1789


marquent une étape essentielle dans l'histoire électorale de la
France contemporaine. Survenues après une longue période de
mutisme, généralisées à l'ensemble du royaume, quand bien
même elles furent circuitées à la base par des manipulations
bourgeoises urbaines, les élections primaires de 1789 ont
“prodigieusement  étendu le domaine du “politique” à des masses
considérables”24. Leur effet aurait été double : elles auraient aidé
à la “politisation du mouvement paysan” ; d'autre part elles
auraient aidé à la naissance d'une “ classe politique de base”
composée d'une élite, petite et moyenne bourgeoise rurale en
l'occurrence. Les élus de cette étape, si limitée que soit leur
représentativité, pourraient constituer les animateurs du débat
politique alors généralisé au sein des instances locales les plus
réduites. Mais surtout, ces élus de la première heure,
assureraient-ils de manière aussi volontariste, le soutien et la
défense du système politique naissant s'ils n'étaient assurés d'être
présents aux prochaines élections ?
NOTES
1 B. RICHARD.  La Commission Intermédiaire de Lorraine et
Barrais. Mémoire de Maîtrise. Nancy. 1969, p. 27.
M. PIERSON,  l'intendant de Lorraine, de la mort de Stanislas à la
Révolution française. Nancy 1958-1959. p. 358.

2 G. CABOURDIN et G. Viard.  Lexique de la France d'Ancien


Régime, A. COLIN. Collection U, Paris 1969. p. 199.

3 B. RICHARD,  op. cit. p. 25.

4 Ibid. p. 23.

5 Pour justifier ceci, il faudrait ajouter que la fonction de maire était


très convoitée sous l'Ancien Régime. De ceci, témoigne le fait qu'elle
reste fréquemment confisquée par un nombre réduit de familles. Voir
G. CABOURDIN. Lexique historique… p. 199-200.

6 J. GODFRIN,  Collection de documents inédits sur l'histoire


économique de la Révolution française. T. IV. Cahiers du bailliage de
Nancy. Paris 1934. p. 27. (Introduction).

7 Ibid., Cahier de Laître-sous-Amance, p. 362.

8 A propos de l'institution et des fonctions du syndic, voir


M. PIERSON,  op. cit. p. 30 et p. 358, aussi,  Lexique historique, op.
cit. p. 71.

9 B. RICHARD,  op. cit., p. 22.

10 M. PIERSON,  op. cit., p. 30 et 31.

11 Une remarque s'impose, le groupe des “laboureurs, vignerons


amodiateurs” dans le tableau 1 devait théoriquement s'associer au
groupe des “maires, syndics et élus” car ces derniers sont avant tout
des propriétaires fonciers en plus de leurs charges municipales. On
trouve d'ailleurs dans les procès-verbaux des Cahiers, des maires ou
des syndics qui sont laboureurs ou amodiateurs par conséquent, le
groupe “travail de la terre” devrait joindre de par son affinité
professionnelle et sociale, le groupe des “officiers municipaux” et
syndics. Ainsi la “bourgeoisie de la terre” verrait ses proportions
gonfler consolidant ainsi ses rangs en totalisant 55,5 % des sièges. On
devrait lui associer aussi les “notables rentiers” et elle formerait 60,5 %
des députés ruraux, contraste flagrant avec les 7,3 % des petits
métiers, certes, mais surtout avec le groupe des “gens de justices”.

12 M. BOULOISEAU “Inspiration, rédaction et vocabulaire des doléances


rurales pour les États-Généraux de 1789”. in  Actes du colloque  :
Ordres et classes. 1965. p. 183.

13 RICHARD.  La Commission Intermédiaire, op. cit., p. 24.

14 Ibid., p. 23.

15 Pourtant le Cahier porte la signature du syndic Sigisbert Collot


(Godfrin  op. cit. p. 350). Ce qui laisse beaucoup d'équivoque sur
l'authenticité du rédacteur d'après les signatures matérialisées en bas
des cahiers. On reste perplexe. Pour le rédacteur du cahier d'Essey-
Les-Nancy, voir Godfrin,  op. cit. p. 23 et suivantes.

16 Essey-Les-Nancy, Ibid., p. 352.

17 On lit parallèlement dans le cahier de Sexey-les-Forges : “…lesquels


ayant été médités, rédigés et lues en présence des habitants de la dite
communauté et ont été arrêtés définitivement et signés par les dits
habitants”. Godfrin,  op. cit. p. 19. De même que nous lisons dans le
cahier d'Armaucourt : “délibéré, concerté, fait, clos et signé en
assemblée générale à Armaucourt…”. Ibid., p. 288.

18 Voir le Cahier d'Essey-Les-Nancy, ibid., p. 352.

19 Cahier de Bouxières-aux-Chênes, ibid., p. 389.


20 F. FURET : “Les États-Généraux de 1789. Deux bailliages élisent
leurs députés”. in  Conjoncture économique et structures
sociales. Paris. 1975. p. 435.

21 R. TLILI SELLAOUTI :  La Société française à la veille de la Révolution  :


un essai sur les mentalités collectives à partir des Cahiers de
Doléances des Communautés rurales du bailliage de Nancy. Thèse
dactylographiée. Tunis 1992. II  partie. p. 211 et suivantes.
e

22 A. DUPRONT, “Cahiers de Doléances et mentalités collectives” in.


Lyon 1965. p. 375.

23 Voir à ce sujet les conclusions dégagés par P. LÉON et collaborateurs


à propos du déclin en de la permanence du Régime Seigneurial dans la
France du sud-est. In :  Colloques internationaux du CNRS n° 532.
L'abolition de la féodalité dans le monde occidental. Paris. 1971. p.
168.

24 Cl. MAZAURIC. Quelques voies nouvelles par l'histoire politique de la


Révolution Française. In AHRF. Janv. mars 1975. p. 163.

TABLE DES ILLUSTRATIONS

Légende Répartition des présidents d'assemblée d'élection des communautés


rurales

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Fichier image/jpeg, 207k

Légende Répartition socio-professionnelle des députés de paroisses

URL http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/14294/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 132k

Titre Tableau I : Aspects matériels dans la rédaction des cahiers


primaires du bailliage de Nancy

URL http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/14294/img-3.jpg

Fichier image/jpeg, 856k

URL http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/14294/img-4.jpg

Fichier image/jpeg, 826k

URL http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/14294/img-5.jpg

Fichier image/jpeg, 872k

URL http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/14294/img-6.jpg

Fichier image/jpeg, 827k

URL http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/14294/img-7.jpg
Fichier image/jpeg, 480k

AUTEUR
Rachida Tlili-Sellaouti
Université de Tunis 1
Le rôle des autorités locales
normandes et saxonnes dans
le début de la Révolution et
dans la révolte paysanne de
1790
Steffen Sammler

p. 135-151

TEXTE BIBLIOGRAPHIE NOTES AUTEUR

TEXTE INTÉGRAL

1. INTRODUCTION
 1 Cf. le résumé chez H. BERDING, “Französische Revolution und sozialer
Protest in Deutschland”, in :(...)

 2 Cf. J. VOSS, “Soziale Unruhen im rechtsrheinischen Teil des Hochstifts


Speyer im Zeitalter der Fra (...)

 3 Cf. R. REICHARDT, “Die Französische Revolution als Maẞstab des


deutschen “Sonderweges”   ?” In: Deu (...)

1A l'occasion du “bicentenaire” des chercheurs allemands ont


effectué des nombreuses études régionales et locales sur les
révoltes agraires dans les campagnes et les révoltes de
subsistances dans les villes, qui se sont poursuivies au temps de
la Révolution française en Allemagne 1. Ils ont même trouvé des
“cahiers de doléances” qui ont été rédigés sur la rive droite du
Rhin sous une influence plus au moins directe de la Révolution 2.
Les résultats de ces enquêtes ont montré un potentiel
révolutionnaire parmi les couches inférieures dans beaucoup de
régions de l'Empire et confirmé une proposition de Rolf Reichardt,
historien de Mayence, qui avait déjà mis l'accent, il y a 15 ans, sur
le rendez-vous manqué entre un potentiel révolutionnaire
existant et un groupe politique capable et en position de diriger
un mouvement réformateur ou révolutionnaire 3. Les relations
entre le social et le politique méritent donc d'être recherchées
soigneusement dans les campagnes françaises et allemandes
parce que, nous le verrons bien, des réalités socio-économiques
peuvent être bien comparables entre deux régions et néanmoins
provoquer un discours politique différent.
 4 Cf. M. BLOCH, “Pour une histoire comparée des sociétés européennes”,
in :  Revue de synthèse histor  (...)

2Une étude comparative entre deux régions de la France et d'un


pays étranger ne peut être fructueuse que sur la base d'une
connaissance profonde de l'histoire de deux “pays” choisis pour
une telle approche. Les propositions de Marc Bloch même si elles
datent de l'année 19284, me semblent être plus fructueuses pour
une étude comparative régionale ou bien locale parce qu'elles
sont plus fiables pour un travail sur le terrain que les “typologies
nationales” élaborées dans une tradition sociologique.
3Entre les deux régions que j'ai choisies pour mon étude, la
Haute-Normandie et la Saxe, nous trouvons un certain nombre
des points communs, concernant la haute densité de la
population à la fin du XVIII  siècle, le taux élevé de l'urbanisation
e

ou l'implantation de la “protoindustrialisation” dans les


campagnes.
4Concernant les deux “pays” plus précisément choisis, le Vexin
normand et la Lommatzscher Pflege, ils sont caractéristiques
d'une dominance des laboureurs aisés dans la vie économique,
sociale et culturelle du village. Mais en même temps ces
laboureurs sont menacés, dans le Vexin, par la concurrence du
grand fermier et dans la Lommatzscher Pflege par les tentatives
du seigneur d'augmenter la surface de son domaine proche et
d'abuser de son droit de troupeau en transformant le pâturage en
terrain d'élevage exclusif des moutons qui apparaît comme une
compensation pour la dévalorisation de ses rentes seigneuriales.
Certes, ce ne sont que quelques communes qui ont fait dans la
deuxième moitié du XVIII  siècle l'expérience du “Bauernlegen”,
e

mais ces exemples étaient suffisants pour faire naître l'inquiétude


et l'agitation parmi les paysans saxons.
5Les laboureurs du Vexin normand aussi bien que ceux de la
Lommatzscher Pflege ont fait l'expérience des procès contre leurs
seigneurs concernant surtout le droit de pâturage et c'était
précisément l'expérience des défaites après une longue durée
d'espérance ou bien la non acceptation du jugement par le
seigneur qui ramènent les paysans au retour à des formes plus
archaïques de résistance. Les paysans de la Lommatzscher Pflege
refusent d'accomplir la corvée, abattent le gibier non seulement
sur leurs champs mais le poursuivent jusque dans les forêts du
seigneur, menacent ou maltraitent les gardes-chasses ou
chassent les moutons du seigneur de la pâture du village.
6Le potentiel de mécontentement parmi les habitants des
campagnes était bien comparable en Normandie et en Saxe, au
moins d'après la lecture des mémoires envoyés à la Cour de
Dresde par des paysans saxons et des cahiers de doléances
rédigés par les paysans normands au printemps 1789. Nous
trouvons un certain nombre des points communs dont je donne
quelques exemples :
 la protestation contre l'usurpation des terres ou des
communaux par le seigneur.
 la protestation contre la concentration du gibier et les
hostilités du côté des gardes chasses – ce n'était pas par
hasard qu'une révolte contre le gibier était aux origines de
l'insurrection des paysans saxons durant l'été de 1790 –
 la contestation du privilège fiscal de la noblesse
 les protestations antifiscales, qui étaient dirigées surtout
contre les impôts indirects.

2. LES TENTATIVES DE
RÉFORME ADMINISTRATIVE
ET LEURS CONSÉQUENCES
POUR LE MONDE RURAL À LA
FIN DE L'ANCIEN RÉGIME
LA NORMANDIE
7La réforme de l'administration provinciale est soigneusement
étudiée dans les travaux de Pierre Renouvin, et pour la Normandie
dans ceux de Félix Mourlot, Ernest Lebègue, Georges Cœuret ou
Marc Bouloiseau qui sont d'ailleurs restés trop longtemps
méconnus.
 5 Cf. Rolf REICHARDT, Die revolutionäre Wirkung der Reform der
Provinzialverwaltung in Frankreich 17 (...)

8En soulignant l'importance de la réforme de l'administration


provinciale Rolf Reichardt a mis l'accent – outre les problèmes de
l'accoutumance aux nouvelles unités administratives – surtout sur
deux axes, celle de la politisation de la “Sanior Pars” de la
population rurale et celle de la mobilisation et de la qualification
des nouveaux mandataires politiques5.
9Le temps de la réforme (1787-1789) était un vrai temps
d'apprentissage non seulement à travers la discussion des
questionnaires des enquêtes effectuées par des Commissions
Intermédiaires et des mémoires et lettres adressées aux nouvelles
Institutions de l'administration provinciale mais surtout à travers
les élections aux municipalités. Les élections municipales dans les
paroisses de la Normandie montrent bien les tensions entre les
différentes autorités du village (seigneur, curé, syndic municipal)
et en même temps les tensions entre les différents groupes
sociaux. Même si la régularité ne semble que difficilement
respectée dans la réunion de ses assemblées – Félix Mourlot a
montré que les paysans du bocage normand ne voulaient pas se
rassembler tous les dimanches – nous trouvons dans les pays
d'élection le début d'un procès de politisation d'une partie de la
population rurale.
10En regardant la mobilisation et la qualification du personnel
politique au niveau régional et local, nous pouvons souligner une
multiplication des nouveaux mandataires qui étaient capables, qui
ont eu l'intention et surtout la possibilité de faire des expériences
dans le nouveau système administratif.
11Même si les compétences des assemblées provinciales étaient
faibles et leurs effets immédiats plutôt négligeables, la réforme a
néanmoins ouvert l'accès du pouvoir local et régional aux
hommes de loi et même des laboureurs. Parmi les députés ruraux
des bailliages normands pour les États Généraux, nous trouvons
surtout des anciens membres des assemblées provinciales ou des
assemblées de département.

LA SAXE
 6 Cf. les recherches en cours de Christine LEBEAU (Strasbourg); “Beispiel
eines Kulturtransfets zwis (...)

 7 Cf. Die Staatsreform in Kursachsen, hrsg. von Horst SCHLECHTE, Berlin


1958.

12Dans la Saxe, les premières tentatives de réforme ont été


entreprises à la fin de la Guerre de Sept Ans, une guerre qui a
provoqué la ruine financière du pays. L'Électorat était occupé par
des troupes prussiennes et la couronne de la Pologne était
perdue. Dans cette situation difficile un groupe d'administrateurs
résidant à la Cour, a accru son influence sur le Prince Électeur. Ils
ont essayé de mettre en place une réforme du système financier,
économique et administratif pour préparer le “rétablissement” du
pays, et cette courte période de réforme du début des années
soixante a pris le nom de période du “rétablissement". Sur les
personnalités des réformateurs nous possédons seulement
quelques études biographiques et ces grands commis ont
récemment suscité un certain intérêt parmi des chercheurs
français6. Les grands commis s'étaient inspirés des idées des
économistes anglais et surtout des physiocrates français. Parmi
eux nous trouvons surtout des anoblis originaires des familles du
grand négoce de la ville de Leipzig7.
13Nous possédons une liste des propositions des membres du
courant réformateur dans laquelle nous trouvons beaucoup de
points communs avec des propositions faites par la Commission
Intermédiaire de la Haute Normandie. J'en donne quelques
exemples :
 le développement de l'infrastructure par la construction des
nouvelles ou la réparation des anciennes routes.
 la protection des forêts, menacées par les défrichements et
l'implantation de l'industrie métallurgique.
 l'offre de primes pour la découverte et l'exploitation des mines
de charbon.
 les propositions en faveur d'un protectionisme pour
encourager le développement de l'industrie et du commerce
dans la région
 8 Cf. ibid., Teil III, Vorschläge und Gutachten der
Restaurationskommission.

14Nous trouvons dans la Saxe même des propositions pour une


réforme du système seigneurial. Le grand commis Thomas von
Fritzsch a proposé l'abolition du droit de corvée et une réforme du
droit de pâturage qui interdisait l'abus de ce droit par le seigneur.
Toutes ces propositions concernant le système seigneurial étaient
d'ailleurs refusées dans cette période d'une manière catégorique
par la Cour de Dresde8.
 9 “Aus der durch Messe und Buchhandel weltoffenen Handelstadt Leipzig
stammten die führenden Köpfe d (...)

15Vingt ans après le début, plein d'espoir, du “rétablissement”, la


situation économique et sociale à la campagne n'a pas changé. A
la différence de 1763, les réformateurs sont, vingt ans après,
“anoblis et saturés”9. Ils s'étaient bien accommodés aux règles du
jeu à la cour de Dresde et ne pouvaient pas arriver à une véritable
réforme du système administratif.
16Sous l'impression des événements français et de la révolte des
paysans en 1790, une partie de la bourgeoisie citadine, surtout
les représentants des villes moyennes ont insisté, dans la période
de préparation du Landtag (États Généraux de Saxe) en 1793, sur
la réforme économique envisagée déjà depuis la fin de la Guerre
de Sept Ans. Pour la préparation du Landtag, le premier après le
début de la Révolution Française, la bourgeoisie saxonne a utilisée
les mêmes moyens que ses confrères français, quatre ans
auparavant, en organisant une “guerre de pamphlets” avec la
contestation du privilège fiscal de la noblesse au centre des
débats.
17Le projet des réformes économiques, présenté par une fraction
des représentants des villes au Landtag de 1793, n'était de même
pas accepté par la majorité des députés, non seulement à cause
de la résistance des seigneurs mais surtout grâce aux divergences
à l'intérieur du Tiers de la ville de Leipzig, elle aussi, en tant que
ville propriétaire des seigneuries, a défendu son privilège fiscal à
côté des Ritter contre les protestations des représentants des
villes moyennes.
18Les événements de 1787-1790 en France ont exercé une
influence importante sur la paysannerie saxonne. Les paysans
saxons étaient bien informés sur les événements qui ont eu lieu
en France grâce aux journaux qui étaient distribués dans les
campagnes. Dans le pays de grande culture qui était au centre de
la révolte antiseigneuriale, la “Lommatzscher Pflege”, les paysans
ont lu des journaux spécialement rédigés pour le monde rural.
C'était surtout le journal “Zittauer Bote” qui était bien implanté
dans le monde rural grâce à un réseau de messagers. Le “Zittauer
Bote” a distribué également des pamphlets qui étaient cachés à
l'intérieur de ces pages.
 10 Cf. Roger DUPUY, “En guise de conclusion provisoire”, in :  Annales de
Bretagne, 89 (1982), n° 2, p (...)

19C'est surtout les informations sur le système des élections qui


ont trouvé un grand écho en Saxe. Dans les années quatre-vingt
dix, il suffit du moindre bruit sur une réforme envisagée du
système représentatif pour que les paysans ont commencé à
vouloir élire leurs députés au Landtag et le gouvernement a eu
ensuite du mal à expliquer qu'aucun projet de réforme est
envisagée pour ramener l'ordre dans les campagnes. En
demandant une participation au pouvoir, les paysans allemands se
réfèrent entre-autre au modèle suédois, avec son Quatrième État
réservé au monde des paysans. Cette même référence nous la
trouvons dans quelques-uns des cahiers de doléances rédigés par
des communes bretonnes en 178910.
 11 Cf. K. BLASCHKE,  Verwaltungsgeschichte für Stadt- und Kreisarchivare
im Gebiet des ehemaligen Land  (...)
20Au moins une comparaison entre la Haute Normandie et la Saxe
justifie la conclusion que la réforme de l'administration
provinciale a préparé le terrain pour une politisation de la “Sanior
Pars” rural, surtout au niveau municipal, une politisation qui n'a
pu se développer en Saxe que beaucoup plus tard. Le nouveau
statut sur les municipalités dans les campagnes n'est mis en
fonction en 1839. Mais les élections continuent de se poursuivre
sous la contrôle du seigneur. Les paysans saxons devront
attendre jusqu'en 1864 pour obtenir le même statut
d'indépendance que leurs congénères français11.

3. LES PAYSANS RÉVOLTÉS


FACE AU POUVOIR
21Dans ma deuxième partie je vais essayer de formuler quelques
hypothèses de travail sur le rôle que les représentants des
différents types d'autorités d'Ancien régime - a) le Prince
Électeur ; b) l'ensemble de la seigneurie ; c) le pasteur protestant
et d) le syndic paroissial dans la communauté villageoise ; e)
l'homme de loi - ont joué pendant la révolte des paysans saxons
en août 1790.
22A l'origine de la révolte qui s'est déclenchée au début d'août
1790, était un conflit entre les paysans dépendant de la
seigneurie de Friedrich von Zehmen et ce dernier sur l'exercice du
droit de troupeau. Le seigneur a abusé de son droit pour l'élevage
exclusif de ses moutons en interdisant à ses tenanciers le
pâturage des moutons et d'autre bétail. Les paysans se
défendirent dans un procès, dont le jugement définitif n'était pas
encore prononcé durant l'été de 1790. Dès le printemps de cette
année, les paysans se sont réunis plus souvent qu'auparavant
pour discuter et ont créé un foyer d'agitation. Ces réunions
étaient interdites par le seigneur et cela provoqua une
protestation. Avec le soutien des quelques syndics paroissiaux et
certains intellectuels des villes et des bourgs, les paysans ont
refusé d'accomplir la corvée et ont chassé les moutons du
seigneur des pâtures en litige. Pendant les jours qui ont suivi, le
mouvement a pris le caractère d'une véritable révolte avec l'assaut
des châteaux, l'arrestation des seigneurs et de leurs employés,
surtout des juges seigneuriaux, le brûlement des terriers et même
des escarmouches avec les soldats.
23Le gouvernement saxon a réagi avec une répression militaire
qui a mis fin à l'insurrection en quelques semaines.
24Revenons au comportement des paysans à l'égard des autorités
et vice versa :

A - L'AUTORITÉ ROYALE
25A la différence de la Normandie où un certain nombre des
paroisses adressent leur cahier soit directement aux députés élus
aux États Généraux soit, pour un grand nombre d'entre eux, aux
deux autorités à la fois, le Roi et les députés formant une Nation
assemblée – en suivant la proposition de Jacques Guillaume
Thouret dans son cahier modèle – nous trouvons dans la Saxe, au
début de la révolte, qu'une seule autorité, le Prince Électeur.
L'image du Prince Électeur est entourée de légendes. Les paysans
ont cru que le prince – dans d'autres récits son frère – voyageait
anonymement dans le pays pour apprendre la situation du peuple
opprimé par ses seigneurs et par les commis de l'État et décrèter
sur place l'abolition des droits féodaux. Pendant la révolte de
1790, on peut cependant remarquer un changement d'attitude à
l'égard du Prince Électeur sous l'influence des pamphlets
distribués par des artisans radicaux des villes et des bourgs.
26Concernant l'image du “bon roi”, nous trouvons des points
communs avec un certain nombre des cahiers de doléances
normands qui se réfèrent à Henri IV dont le vis-à-vis allemand,
sur le plan national, est Fréderic L, Barberousse, qui est devenu
pour les militants d'une unification allemande au XIX  siècle, le
e

symbole de la lutte du pouvoir central fort contre le particularisme


de la grande noblesse.

B - LE SEIGNEUR ET LA
SEIGNEURIE
27La loi sur la reforme de l'administration Provinciale a
certainement contribué a une réduction de l'autorité du seigneur –
surtout si on regarde l'article sur le remplacement du seigneur-
patron en tant que président de l'assemblée municipale en cas
d'absence par le syndic municipal et non par le curé ou un autre
seigneur-qui n'a pas d'équivalent dans la Saxe. Mais les révoltes
antiseigneuriales dans le bocage normand en 1789 aussi bien que
dans la Saxe en 1790 montrent bien des points communs. Plus
qu'un seigneur particulier c'est la seigneurie comme système qui
est contestée à travers ses employés, indispensables pour son
bon fonctionnement, les administrateurs, les juges seigneuriaux,
les gardes-chasses. Ce sont surtout ces employés qui sont
contestés et en conséquence menacés et maltraités dans les
révoltes contre le gibier et les marches contre les châteaux.

C - LE PASTEUR PROTESTANT
28Les pasteurs protestants ont joué un rôle plus important dans
la répression de la révolte que dans son animation. Nous trouvons
parmi les clercs qui, dans la hierarchie protestante sont inférieure
au “Pasteur”, les “Diakons” quelques personnages qui ont soutenu
la révolte. Les paysans étaient encouragés, en particulier, par les
sermons du “Diakon” Sillig qui prévoyait dans un avenir très
proche, la fin du monde annoncée par les événements qui se
déroulaient en France. Les paysans en ont tiré leurs propres
conclusions en déclarant qu'une fin du monde à la française était
bien souhaitable. Après le déclenchement des troubles ruraux en
août 1790, la direction de l'église protestante à Dresde, la
“Oberkonsistorium”, a élaboré un mandement qui demande aux
paysans de se soumettre sous leurs autorités et annonce des
peines capitales aux meneurs de la révolte. De plus les pasteurs
étaient obligés de faire lecture de l'édit du Prince Électeur contre
les révoltés accompagnée d'une offre de 100 Talers pour toute
information qui permettra l'arrestation des meneurs. Les pasteurs
étaient obligés de fournir des informations sur des étudiants et
des “Winkeladvokaten” (hommes de loi autodidactes) qui ont
traversé les villages et éventuellement demandé d'être logés et
nourris.
29Les pasteurs ont excercé dans beaucoup de paroisses, à l'aide
des sermons et des entretiens, une influence profonde sur le
syndic paroissial et les notables des villages. Ils ont empêché, à
l'aide de ces derniers, que la population se joigne aux révoltés des
villages voisins.

D - LE SYNDIC PAROISSIAL
30Le rôle important que le syndic municipal a joué dans ce
processus de la politisation des paysans normands entre 1787 et
1789 paraît beaucoup plus significatif en comparaison avec les
événements qui se sont déroulés en même temps en Saxe. Dans
l'Électorat le “Dorfrichter” (syndic paroissial) continue à excercer
ses fonctions. Très souvent nommé par le seigneur il reste coincé
entre ce dernier et la communauté.
31Même si nous trouvons au centre de la révolte, dans la
“Lommatzscher Pflege”, un certain nombre des syndics
paroissiaux qui ont pris la tête de la révolte – parfois comparable
aux révoltes bocagères de 1789 sous la pression massive des
habitants – la majorité de leurs confrères dans ces paroisses qui
n'étaient pas au cœur de la révolte ne se montrent pas favorables
à une agitation venue des communes voisines, moins encore de la
part du menu peuple des villes.
32Dans la poursuite des événements ils contribuent souvent à la
répression de la révolte en dénoncant les meneurs et en
participant d'une manière active à l'arrestation de ces derniers.

E - L'HOMME DE LOI
33En étudiant le monde des hommes de loi, on peut adopter la
proposition faite par Roger Charrier sur une distinction nécessaire
entre différents groupes d'hommes de loi à la fin de l'ancien
régime. Pour la Saxe, il faut souligner la différence entre un
homme de loi qui exerce ses fonctions dans l'administration d'État
ou d'une seigneurie et son confrère qui excerce un travail libéral
et qui est pour cette raison à la recherche des clients. Parmi ces
derniers nous trouvons parfois les meneurs de la révolte. A coté
des avocats, nous trouvons aussi des greffiers de petites villes,
mais plus fréquement encore des étudiants en droit et des
notaires-autodidactes, qui sont appellés “Winkeladvokaten”. Ces
derniers font souvent partie des couches inférieures de la
population des villes et bourgs, comme le cordier Christian-
Benjamin Geissler, le marchand-commis Christian August Werner,
ou parfois même des journaliers qui ont profité de leur capacité
intellectuelle pour gagner un peu d'argent avec des conseils
juridiques.
34Ce sont surtout ces derniers qui sont recherché par les autorités
pendant la repression de la révolte et qui ont payé le prix,
dénoncés par des syndics paroissiaux, comme le cordier Geissler,
l'auteur d'un manifeste inspiré par les événements français, qui
est resté plus de 15 ans en prison.
35Les avocats qui ont soutenu la cause des paysans étaient
également poursuivis comme meneurs de la révolte, même s'ils
n'étaient pas emprisonnés comme l'ont été plus de 150 paysans,
ils étaient interdit dans l'exercice de leur profession et donc dans
l'incapacité de gagner leur vie.

4. LA CONCLUSION
36Nous avons vu que dans deux régions avec un certain nombre
de problèmes communs, le pouvoir a choisi sur le plan de
l'administration régionale et locale des solutions nettement
différentes en France. La réforme de l'administration provinciale a
contribué à une ouverture de l'accès au pouvoir local pour une
plus grande partie de la population. En Saxe, à l'opposé, le
gouvernement est resté hostile aux tentatives de réforme et a joué
avec succès la carte de la répression à l'égard des paysans. A la
différence de la France, le système politique est conservé jusqu'à
la fin des années trente. Pour une réforme comparable à celle de
la France des années 1787/88 il fallait non seulement de
l'expérience de la révolte de 1790 et des guerres napoléoniennes
mais vaincre celle de la révolution de 1830 qui est devenu enfin le
“point of no return” pour le gouvernement saxon qui brise
finalement la résistance des “Junker” qui ne voulaient pas accepter
jusqu'à cette date une abolition imposée par l'État avec
indemnisation mais négocier des contrats particuliers plus
favorables pour eux avec leur tenanciers.
 12 La distinction entre “capitalisme paysan” et “capitalisme bourgeois”
dans le monde rural était pro (...)

 13 Cf. R. GROS,  Die bürgerliche Agrarreform in Sachsen in der ersten


Hälfte des 19. Jahrhunderts, Wei (...)

37L'organisation de l'abolition des droits féodaux était ensuite un


chef-d'œuvre de l'administration saxonne et très favorable à la
paysannerie aisée. A la différence de la Prusse l'abolition des
droits féodaux en Saxe a consolidé une couche stable de
laboureurs grâce à la fondation d'une caisse de crédit et a ouvert
la voie vers le “capitalisme paysan” 12. La caisse de crédit, la
“Landrentenbank” qui a avancé l'argent que les paysans devaient à
leurs seigneurs, a commencé son travail en janvier 1834 et
mériterait une autre communication13.

PRO MEMORIA14
 14 Le texte est conservé aux Archives d'État de la Saxe, Loc. 30749, Blatt
1.
Pour une notice biograp (...)

38Dem Städtchen Lauenstein wird hiermit wissend gemacht, dass


nach reifl. Überlegung endl. der Schluẞ gefasst worden, eine
glückl. Revolution zu machen, u. sind wir zu unserem Endzweck
auf die 16. bis 18 000 Mann in Bereitschaft. Unser eigen Wohl
erfordert dieses, auf das schleunigste es ins Werk zu setzen,
indem man in Erfahrung gebracht, dass wenn wir nicht Ernst
brauchen, eine der blutigsten Revolutionen ehester Tage
ausbrechen wird. Unsere Gesinnungen dabey sind also diese ;
dass wir lieber, anstatt Sachsens Unglück noch gröẞer zu machen,
dass es wohl vollens gar zur Mördergrube werden könne, mit
Gottes Hülfe weissl. Gegenanstalten zu treffen, und unser
geliebtes Vaterland lieber glückl. als unglückl. machen wollen. Wir
wollen unsern theuersten Landesvater in unsere Mitte nehmen
und wollen ihm Sachsens Unglück und Noth mit Nachdruck
vorstellen, damit er sich ferner mit uns und wir mit ihm freuen,
und ruhig und vergnügt leben können. Erstl. wollen wir uns
insgesammt mit klingenden Spiel und fliegender Fahne bis in die
Gegend Dresdens rücken und hat sich ein Jeder dabey bis auf ein
Paar Tage zu proviantieren. Da wird ein Commando von uns nach
Pilnitz gehen, um den Churfürsten unsere Gesinnungen
vorzutragen, von da werden wir mit unserm theuersten
Landesvater einen triumphirenden Einzug in die Residenz
Dressdens halten.

Unser Vortrag ist dieser :


1. verlangen wir, dass alle und jede Personen, die bishero
Sachsenland unglückl. gemacht, gänzl. ihrer Würden u. Aemter
entsetzt u. nach Befinden groser Betrügereien auch ihre Güther
confiscirt und zum gemeinen Besten angewendet werden
sollen.
2. wird national Garde vor unsern Churfürsten errichtet, eine zu
Fuss und eine zu Pferde. Diese muss aus Männern bestehen,
zu denen man das Zutrauen haben kann, dass sie für des
Landes Wohl stets wachsam sind. Die zu Fuss ist beständig um
den Landesherrn, und ihr Chef muss eine ansehnl. Bedienung
bei Hofe haben, damit sich keine Landesbetrüger mehr bey
unserm Landesherrn einschleichen können. Die Garde zu
Pferde soll des Landes Wohl besorgen, und genau auf alle
Ungerechtigkeiten im Lande acht haben.
3. Das Accis Wesen wird auf einen Fuss gesetzt, damit
Sachsenland sich nicht ferner Gottes Strafgerichte, mit so
vieler schwerl. Entheiligung seines heil. Namens ausgesetzt
seyn darf.
4. Denen Rittergutsbesitzern werden engere Schranken gelegt,
damit sie nicht mehr wie bisher geschehen, das Land zur
Wuste und Einöde von Gerechtigkeit machen können.
5. Hegungen des Wildes werden ferner nicht geduldet, indem
solches viel zu den steten Fruchtmangel beiträgt.
6. Keine Juris practici werden ferner geduldet, die nicht wirkl.
Gerichts. Bestallungen haben, indem diese Blutegel das Land
auf eine erbärml. Weise aussaugen.
7. Dem geistl. Ministerio müssen Verfassungsregeln gesetzt
werden, welche der Ehre Gottes gemäser und unserer
geheiligten christl. Evangel. Lehre heilsamer als bishero
geschehen.
8. wegen Fleisch-und Tranksteuer sind wichtige Erinnerungen zu
machen.

39Auf Genehmigung dieser Punkte, wird mit grösstem Eifer


gehalten werden, und sind wir genöthiget, uns nicht das geringste
vormachen zu lassen. Es ist die höchste Zeit, ein mal sehen zu
lassen, dass wir immer noch die alten braven und tapfern Sachsen
sind, die vor der Hand nur durch Tiranney und Druck, so
kleinmüthig geworden, aber nun ist die höchste Zeit vor den Riss
zu stehen, dass unsere Mitbrüder schon vorgebohret haben. Denn
liessen wir uns dieses mal einschläfern, so werden wir in eine
solche Sclaverey gerathen, woraus keine Rettung mehr zu hoffen.
Es wird aber auch zugl. einem jeden Orte angedeutet, durchaus
keinen Pöbel mitzunehmen, und muss ein jeder Ort alien Unfug
der durch die Seinigen entstehen möchte, haften, indem wir in
alien Stücken als vernünftige Sachsen, und nicht wie Franzosen
und wüthende Niederländer handeln wollen, indem unser
Endzweck dieser ist, des Vaterlandes Wohl und unsers Fürsten
Glück auf einem dauerhaften Grund zu befestigen, damit wahre
Frömmigkeit und gute Sitten in unserm Vaterland wieder in
thätige Ausübung kommen, nur der liebe Gott, als der Beherrscher
alles lebendigen Fleisches wieder wie vor unsern Zeiten sein gnäd
Wohlgefallen an unserm Sachsen haben möge, dass unser Land
wieder zu einem so fruchtbaren Garten wie ehedem werde, da
sein Volk die Sachsen vor guter Wonne jauchzen, und die Herden
in den fetten Auen und auf alien Hügeln und Bergen scherzten.
Seyd Manner, gute Christen und treue Bürger Sachsens wie unsere
Väter die tapfere Sachsen waren ; so wird der liebe Gott Segen zu
diesem wichtigen Schritte geben. Dieses wird aber auch zugl.
alien und jeden Ortschaften angedeutet, dass sie sich gleich nach
Verlesung dieses aufmachen, der Sammelplatz von Lauenstein
und Bärenstein ist in Liebstadt, Geisingen, Altenberg u. Glashütte
und Dohna, derjenige Ort aber, der sich erkühnen sollte, die
Citation nicht zu respectiren, kann sich einer fatalen Plünderung
ausgesetzt sehen und an keinen erlangten Vortheil Antheil haben.
BIBLIOGRAPHIE

NOTICE BIBLIOGRAPHIQUE
L'idée pour cette communication est née à partir d'une recherche en
cours sur les “cahiers de doléances” des paroisses rurales de la
Normandie en 1789, en gardant en vue la perspective comparative avec
ma région natale, la Saxe. Je renonce ici a une présentation des sources
utilisées, qui sont pour la Saxe surtout des actes judiciaires conservées
aux Archives d'État à Dresde et ne donne que quelques titres
bibliographiques.

LA FIN DE L'ANCIEN RÉGIME DANS LA


NORMANDIE ET LA SAXE
MAZAURIC C., (sous la dir.),  La Révolution en Haute-Normandie 1789-
1802, Rouen 1988.

DESERT G.,  La Révolution française en Normandie. 1789-1800, Paris


1989.

LEMARCHAND G.,  La fin du féodalisme dans le Pays de Caux, Paris 1989.


KÖTZSCHKE R.,  Sächsische Geschichte, Dresden 1935.
CZOK K., (sous la dir.),  Geschichte Sachsens, Weimar 1989.

LES TENTATIVES DE RÉFORME


MOURLOT F., La fin de l'ancien régime et les débuts de la Révolution
dans la Généralité de Caen 1787-1790, Paris 1913.

CŒURET G., L'Assemblée provinciale de Haute-Normandie (17871789),


Paris 1927.
SCHLECHTE H., (sous la dir.), Die Staatsreform in Kursachsen, Paris
1958.

BEHRENDTS W., Reformbestrebungen in Kursachsen im Zeitalter der


Franzosischen Revolution, Leipzig 1914.

LES RÉVOLTES PAYSANNES


JOUANNE R., “Les émeutes paysannes au pays bas-normand”, in :  Le
Pays Bas-Normand, 1957, n° 1.

DULONG K.,  Les troubles frumentaires et les révoltes agraires dans le


bocage bas-normand (printemps-été 1789), Rouen 1991 (mémoire de
maîtrise, Institut d'histoire, Université Rouen).

SCHMIDT H., “Die sächsischen Bauernunruhen des Jahres 1790, Meiẞen


1909” (Mitteilungen  des Vereins für Geschichte der Stadt Meiβen, Bd.
7)

OPITZ α., STULZ P.,  Volksbewegungen in Kursachsen zur Zeit der


Französischen Revolution, Berlin 1956.
Hoyer S., “Die Ideen der Französischen Revolution und der kursäcsische
Bauernaufstand 1790”, in : Die  Französische Revolution und
Europa 1789-1799, hrsg. von Heiner Timmermann, Saarbrücken 1989.
NOTES
1 Cf. le résumé chez H. BERDING, “Französische Revolution und sozialer
Protest in Deutschland”, in :  Sie und nicht wir. Die Französische
Revolution und ihre Wirkung auf das Reich, hrsg. von
A. HERZIG, Hamburg 1989, Bd. 2, p. 415-430.

2 Cf. J. VOSS, “Soziale Unruhen im rechtsrheinischen Teil des Hochstifts


Speyer im Zeitalter der Franzosischen Revolution”, in :  Soziale Unruhen
in Deutschland während der Französischen Revolution, Göttingen
1988, (=Geschichte und Gesellschaft Sonderheft 12), p. 77-91; cf.
également le compte rendu fait par Jean-Luc LECAM in :  Francia 19,2
(1992), p.333-335.
3 Cf. R. REICHARDT, “Die Französische Revolution als Maẞstab des
deutschen “Sonderweges”   ?” In:  Deutschland unddie Französische
Revolution hrsg. von J. VOSS, München 1983, p. 324-326.

4 Cf. M. BLOCH, “Pour une histoire comparée des sociétés


européennes”, in :  Revue de synthèse historique XLVI (1928), p. 15-50.

5 Cf. Rolf REICHARDT, Die revolutionäre Wirkung der Reform der


Provinzialverwaltung in Frankreich 1787-1791”, in :  Vom Ancien
régime zur Französischen Revolution, hrsg. von Ernst HINRICHS,
Eberhard SCHMITT und Rudolf VIERHAUS, Göttingen 1978, p. 66-124.

6 Cf. les recherches en cours de Christine LEBEAU (Strasbourg); “Beispiel


eines Kulturtransfets zwischen Frankreich und Sachsen. Die neue
Regierungskunst in Sachsen zur Zeit des Rétablissement (1762-1768)”,
in :  Von dor Elbe bis an die Seine. Kulturtransfer zwischen Sachsen und
Frankreich im 18. und 19. Jahrhundert, hrsg. von M. ESPAGNE und
M. MIDDELL, Leipzig 1993, p. 124-139.

7 Cf.  Die Staatsreform in Kursachsen, hrsg. von Horst SCHLECHTE, Berlin


1958.

8 Cf. ibid., Teil III, Vorschläge und Gutachten der


Restaurationskommission.

9 “Aus der durch Messe und Buchhandel weltoffenen Handelstadt


Leipzig stammten die führenden Köpfe der tiefgreifenden
kursächsischen Staatsreform im Sinne des aufgeklärten Absolutismus
der Jahre nach 1763, des rétablissements. Sie waren zwanzig Jahre
später nobilitiert und saturiert.” S. HOYER, Die Ideen der Französischen
Revolution und der kursächsische Bauernaufstand 1790, in :  Die
Französische Revolution und Europa 1789-1799, hrsg. von
Heiner TIMMERMANN, Saarbrücken 1989, p. 374.

10 Cf. Roger DUPUY, “En guise de conclusion provisoire”, in :  Annales


de Bretagne, 89 (1982), n° 2, p. 266.
11 Cf. K. BLASCHKE,  Verwaltungsgeschichte für Stadt- und
Kreisarchivare im Gebiet des ehemaligen Landes Sachsen,  Dresden
1962, p. 39.

12 La distinction entre “capitalisme paysan” et “capitalisme bourgeois”


dans le monde rural était proposée par A.V. ADO in :  Krestjanje i
Velikaja Francuzskaja Revoljucija, Moskva 1987 et discutée dans un
table-ronde au colloque “La Révolution francaise et le monde rural”,
Paris 1989.

13 Cf. R. GROS,  Die bürgerliche Agrarreform in Sachsen in der ersten


Hälfte des 19. Jahrhunderts, Weimar 1968.

14 Le texte est conservé aux Archives d'État de la Saxe, Loc. 30749,
Blatt 1.
Pour une notice biographique sur Christian Benjamin Geiẞler cf. H.
Schmidt, “Christian Benjamin Geissler. Ein Beitrag zur Geschichte der
Bauernunruhen des Jahres 1790”, in :  Νeues Archiv für Sächsische
Geschichte und Altertumskunde. Bd. 28, Dresden 1907.

AUTEUR
Steffen Sammler
Du même auteur

 Transferts de savoirs et industrialisation régionale. Le patronat industriel saxon entre voie


« britannique » et voie « française » in La gloire de l’industrie, Presses universitaires de
Rennes, 2012
L'élection des premiers
maires (1790) en milieu rural
dans le sud de l'Ile-de-
France : sources, résultats,
interprétation
Serge Bianchi
p. 153-167

TEXTE NOTES AUTEURILLUSTRATIONS
TEXTE INTÉGRAL
 1 En dehors des travaux de Georges FOURNIER, professeur à
Toulouse, et Jean Pierre JESSENNE. Certes (...)

1L'histoire des premiers maires en 1790 n'a guère passionné les


historiens de la Révolution1. Il est vrai que l'élection au suffrage
direct des concitoyens est unique. Par la suite les maires seront
soit nommés par le pouvoir central, soit élus, mais dans le cadre
d'une liste commune. L'élection de 1790 ne permet donc pas de
comparaison avec une autre période. Les sources sont de plus très
dispersées pour l'ancienne Seine-et-Oise. Pourtant cette étude se
révèle passionnante pour un milieu francilien essentiellement
rural. Elle permet de comprendre la “naissance” d'une institution
locale essentielle, la municipalité au sens moderne du thème. Elle
pose la question du premier vote officiel de citoyens “actifs” au
cours de la Révolution et du caractère politique des élections
locales. Elle met en évidence un personnel politique dont il
convient d'approcher les caractères originaux, la représentativité
en milieu rural, la continuité ou la rupture avec l'Ancien Régime,
dans un espace devenu plus familier depuis les recherches du
bicentenaire.
 2 Voir 89 en Essonne, Ν° 1, présentation de Jean JACQUART, pages
4-8.

 3 Michel PHILIPPONNEAU, La vie rurale de la banlieue


parisienne, Armand COLIN, Paris, 1956, 593 page (...)

 4 AD Essonne, série C, récapitulatif des rôles de tailles pout 1786


pour les élections de Corbeil et (...)

2Le secteur de recherche représente un ensemble de 240


communes et 137.000 habitants, près de 580 en moyenne.
Incontestablement nous sommes en présence d'un milieu rural
avec des “pays” d'Ile-de-France : le Hurepoix, la Beauce, la Brie en
partie2 ; mais aussi une moyenne et grande banlieue, marquée par
la proximité de Paris3 Les seules villes notables sont Etampes,
7 500 habitants, peut-être Corbeil, Dourdan – moins de 3 000 –,
mais des localités comme Arpajon et Villeneuve-Saint-Georges
sont, avec leurs fonctions, de petites villes, bien que moins
peuplées que des gros bourgs de la proche banlieue comme Vitry
ou Vincennes. Les pays de grande culture, au contraste social
patent entre fermiers et journaliers, s'opposent aux terroirs plus
diversifiés du Hurepoix et de la Brie, et leurs paroisses
vigneronnes originales. Une approche grossière des plans
d'intendance, des rôles de tailles et de la répartition sociale
montrerait l'écrasante prédominance des agriculteurs dans un
ensemble rural à plus de 90 %4.
 5 Colloque l'Administration locale en Ile-de-France, Mémoire de la
FSHA Paris et Ile-de-France, tome (...)

 6 Question posée à partir des analyses de Jean Jacquart pour le


XVII  dans La crise rurale en Ile-de (...)
e

 7 Une étude à partir des minutes notariales est en cours au AD de


Corbeil et de Créteil.
3Avant la réforme de décembre 1789 sur les municipalités, le
pouvoir royal s'est préoccupé de l'administration locale5. En Ile-
de-France il est possible de parler au XVIII  de “déclin” de ces
e

institutions face à la centralisation imparfaite des intendants et


subdélégués ou aux prérogatives seigneuriales 6. Un certain
désordre s'est établi pour les élections des syndics, perpétuels ou
annuels. Ils jouent essentiellement un rôle de représentation en
l'absence de pouvoirs et de budget propres. Les dettes des
communautés croissent en l'absence de vérifications régulières,
certaines paroisses se réfugiant dans un comportement passif.
Les assemblées des habitants ne se démarquent pas le plus
souvent des assemblées de fabrique7.
 8 Par exemple en Normandie ou en Champagne, thèse en
préparation de Claudine WOLIKOW à Paris I, et D (...)

4C'est à l'ensemble de ces carences que la monarchie (et les


physiocrates) entend remédier par la réforme des administrations
provinciales et locales. Si la tentative de 1778 pour le Berry n'est
pas généralisée, il en va tout autrement de l'édit de juin 1787 qui
prévoit des élections régulières de municipalités dans toutes les
paroisses par les habitants payant plus de 10 livres d'impôt parmi
ceux qui en paient 30. Les objectifs, outre une fiscalité plus
efficace, sont la direction des paroisses par des propriétaires aisés
aptes à soutenir le régime en place et la décentralisation de la
gestion par l'établissement d'assemblées provinciales des trois
ordres dialoguant avec les municipalités élues. Contestée dans les
régions où les communautés fonctionnaient bien auparavant 8,
cette réforme a permis dans certains villages une “renaissance”,
certes censitaire, des institutions locales et un véritable dialogue
avec la commission intermédiaire de Corbeil. Les syndics et les
membres élus préfigurent les municipalités de 1790, avec moins
de pouvoirs et de moyens, dans un contexte de forte mobilisation
des campagnes franciliennes, à la suite des doléances et de la
Grande Peur.
 9 89 en Essonne, N° 7, “Nouveaux pouvoirs et citoyenneté”,
enquête de Sophie DI FOLCO, Les nouveaux (...)

 10 La répartition des archives dans les nouveaux départements


issus en 1964 de la Seine-et-Oise s'est (...)

 11 Sont également très utiles les ouvrages de l'abbé Guyot,


présentés par André CROS, BSHACH, 1982, e (...)

5Connaître simplement les noms des premiers maires des


“communes” rurales en 1790 relève pratiquement de la filature
policière. Nous avons élargi une prospection datant du
bicentenaire9. Les documents, abondants pour le district de
Versailles – soit une trentaine de communes avec les P.V.
d'élections – se raréfient pour les districts de Corbeil, Étampes,
Dourdan et Bourg-la-Reine10. On peut consulter les registres des
directoires de districts à partir de juin 1790, les registres des
délibérations municipales – accessibles sur cette période dans
10 % des cas –, les monographies des instituteurs de la fin du
XIX  siècle, la série L dans les départements, les listes des citoyens
e

actifs et des électeurs aux Archives nationales, surtout les rôles


de taille de 1790 réalisés après avril 1790, après les élections 11.
Le bilan donne une couverture proche de 97 % pour les noms.
Pour les ouvrages imprimés la moisson est fort maigre, indice des
difficultés de l'enquête. Toutefois l'ensemble des données permet
de répondre en partie aux questions formulées dans
l'introduction.
 12 Jocelyne GEORGE, ouvrage cité, p. 17. Jusqu'au bout les députés
tentent de faire passer le princip (...)

6Sans revenir sur les tentatives royales qui l'ont précédée, la


réforme de la Constituante est votée après un long débat
opposant les partisans d'une municipalité par commune comme
Prieur de la Marne et ceux qui préféraient des regroupements
pour éviter les dangers de “petites républiques” (Rabaut Saint-
Étienne et Sieyès). D'aucuns pensent que les Constituants auraient
opté pour les cantons si les “communautés ne leur avaient forcé
la main”12, avec la mobilisation extrême après les problèmes de
subsistances du printemps 89, les doléances, les réorganisations
municipales et la naissance des gardes nationales locales. Le
débat, tenu dans des conditions particulières à la suite des
journées d'octobre se poursuit jusqu'à la loi du 14 décembre 1789
qui fixe les modalités des élections des premières municipalités et
des premiers maires. Ce vote est le premier test électoral
significatif des citoyens “actifs”, avant les assemblées primaires de
canton. Des listes très complètes des citoyens actifs sont
adressées aux commissions intermédiaires juste avant les
élections des municipalités, ce qui contribue à rendre fiables les
résultats de ce “prodigieux: pari égalitaire” (Maurice Agulhon).
 13 PV de Chilly Mazarin, AD Yvelines, ILM 366, février 1790.

 14 PV des Molières, du 7 février 1790, ADY, ILM 366.

7Les équipes municipales élues en 1788 se chargent de


l'exécution du décret, en théorie du moins. Dans tous les cas, les
“habitants électifs”13 se réunissent dans l'église à l'issue de la
messe dominicale. Le décret sur les modalités du vote est lu avant
l'élection, à moins qu'il ne l'ait été par le curé 7 jours
auparavant14. Après, se déroule l'appel nominal des inscrits et
l'enregistrement (facultatif) des hommes de 21 ans pour les
élections futures (à 25 ans). Les listes des citoyens actifs étant
soigneusement dressées, avec en tête le seigneur, le curé, ou le
syndic, puis les fermiers, les harricandiers, les contestations à
propos de la fiscalité ou du domicile sont peu nombreuses. A
Igny, on apprend ainsi que la journée de travail a été portée à 20
sous pour élargir le corps électoral. On nomme d'abord un
président et des assesseurs provisoires, les doyens de
l'assemblée. Puis on élit, à bulletin secret, un président et un
secrétaire, des scrutateurs. Les curés sont souvent désignés pour
diriger les assemblées. On prête serment, le président et le
secrétaire “debouts et découverts”, puis tous les citoyens.
L'élection proprement dite peut alors commencer, après tous ces
(longs) préliminaires.
 15 Un chapeau de “laboureur” à Viry, Jeannie Buisson, 89 en
Essonne, N° 7, page 13.

 16 On a bien l'exception de Dourdan où 176 personnes élisent le


procureur de la commune contre 160 po (...)

8Les bulletins sont pliés dans un “vase”, un “chapeau” 15 ou une


“urne”. Ils sont soigneusement comptés pour que leur nombre
coïncide avec celui des votants, ce qui est constaté avec une
certaine fierté. Les illettrés font écrire le nom de leur candidat par
le secrétaire. On commence par élire le maire à la majorité
absolue pour les deux premiers tours, relative ensuite. Puis on élit
dans l'ordre les officiers municipaux, 3 ou 6 selon la taille de la
commune sur liste ou individuellement. Ensuite est élu le
procureur de la commune et l'on termine le scrutin (qui a pris
l'après-midi et parfois le lendemain matin) par l'élection des 6 ou
12 notables. Presque toujours on constate que le maire a mobilisé
le plus grand nombre de votants16. Les choses seront bien plus
complexes lors du renouvellement partiel d'officiers municipaux
en novembre 1790. Mais si les opérations paraissent dans
l'ensemble maîtrisées, quelle est leur représentativité ?
 17 Jean-Pierre JESSENNE note pour l'Artois des chiffres de 52 %
pour 12 villages dans Pouvoir au vill (...)

 18 ADY ILM 366, PV des élections adressées au district. De tels PV


manquent pour les autres districts. (...)
 19 La population totale est donnée pat les ADYvelines, ILM 443, les
feux dans les rôles de tailles de (...)

 20 Position critique de Patrice GUÉNIFFEY dans sa thèse de l'EHESS,


soutenue en 1989 sur les élection (...)

9Très peu d'historiens se sont penchés sur cette “première”


électorale17. Un tableau, même incomplet, de la participation
donne quelques indications intéressantes pour des communes du
district de Versailles18 (essentiellement). Les actifs, comptés dans
des listes où figurent le nombre de feux de la commune sont
confrontés aux “passifs” et à la population totale du village 19. En
janvier et février 1790, 52 % des “actifs” ont voté, surtout pour le
maire (il ne reste pas grand monde pour les derniers notables).
Les extrêmes se retrouvent pour Vauhallan – 81,2 % – et Savigny-
sur-Orge – 78,6 % – communes les plus participantes d'une part,
et Longjumeau et Marcoussis, autour de 32 %. Entre 1 actif sur 3
et 4 sur 5 ont donc voté dans ces premières élections. Les
comparaisons sont dès lors possibles et tentantes, même s'il faut,
a priori, se méfier de certaines listes20.
10En amont on peut comparer aux présents pour les cahiers de
doléances. Mais les conditions et les critères ne sont pas les
mêmes, nous y reviendrons. En aval, novembre 1790 n'est pas
significatif. En effet on ne renouvelle à cette occasion que le 1/3
des officiers municipaux. Le maire n'est donc pas concerné et si la
participation recule à près de 22 % pour quelques communes
étudiées, elle remonte à près de 44 % en novembre 1791. Une
étude plus développée sur le plan quantitatif et plus fine
permettra seule de prouver s'il y a eu déclin ou maintien de la
participation de 89 à 91.
 21 Voir la thèse de Roger DUPUY, La Garde nationale et les débuts
de la Révolution en Ille-et-Vilaine (...)
 22 Voir Melvyn EDELSTEIN et Patrice GUENIFFEY avec des chiffres très
voisins, 65 % pour le premier au (...)

11Si l'on compare aux élections pour la garde nationale 21, aux
juges de paix et aux élections primaires de canton pour la même
année, on trouvera des chiffres plus considérables, autour de
60 %22. Mais, là encore, les éléments font défaut pour
l'interprétation. A titre d'hypothèse nous écrirons qu'un actif sur
deux a participé à l'élection du premier maire, pour 10 % des
communes étudiées…
 23 Mennecy sous la Révolution, Amatteis, 1989, 316 pages,
chapitre 2.

 24 Voir Jacques BROCHOT, colloque de Mennecy, “l'Ancien Régime et


la Révolution, sur le sans-culotte (...)

 25 AN, Τ 1493 (6).

 26 Voir 89 en Essonne, N° 8, l'affaire Duperon, par


Serge BIANCHI, p. 58-61.

12On ne peut évoquer ici les conflits qui ont opposé des factions
dans les villages pour la conquête de la municipalité et du pouvoir
local. Les affaires remarquables par leur ampleur départementale,
voire nationale, concernent les communes de Mennecy 23 de Ris
Orangis24 et de Rungis25 Si elles présentent des significations,
quant à la nature du pouvoir municipal – et de la garde nationale
—, on doit souligner en même temps leur caractère exceptionnel,
non exemplaire du fonctionnement d'un système 26. Ces conflits
renvoient donc à l'ensemble des premiers maires que nous
sommes en mesure d'analyser partiellement.
 27 Étude non achevée à partir des rôles de taille et de FicIII Seine
et Oise aux Archives Nationales.
13Sur 237 communes nous avons retrouvé 228 noms soit près de
96 % des cas avec quelques localités où la source n'est pas tout à
fait fiable. Les documents se contredisent parfois et il faut rester
prudent lorsque le nom seul est avancé. A partir des rôles de taille
et des registres paroissiaux, il est possible de retrouver la
fonction sociale et des indications de revenus, à rapprocher de la
composition socio professionnelle27 des paroisses pour
comprendre la représentativité de l'implantation des premiers
maires de nos régions.
14La situation sociale est indiquée pour plus de 50 % des noms,
avec toute la marge d'incertitude qui tient aux indications de
“laboureur” ? “propriétaire” ? “vigneron” ? “artisan” ?… Le niveau de
taille est connu dans une soixantaine de cas. Les âges et la
situation familiale, nécessaires cependant pour une étude
approfondie, n'ont pas été pris en compte.
 28 Jean-Pierre JESSENNE, Pouvoir au village et Révolution, PUF,
1987.

 29 Gérard BÉCU, “La démocratie locale à Igny “, 89 en Essonne, N°


7, page 37.

15On peut donc regrouper d'un côté les professions de la terre,


moins de 50 % du total. En apparence les fermiers ne sont pas très
représentés mais l'étude d'une carte montre mieux leur
implantation dans les pays de grande culture. Il n'est pas possible
de parler de “fermocratie” comme en Artois 28 où les fermiers
cumulent les 2/3 des postes de maires en 1790. A Igny par
exemple, le monde des journaliers parvient à faire échec aux
fermiers en élisant François Collet, un petit harricandier 29. Les
vignerons sont aussi nombreux mais le vocable cache bien des
disparités. Le monde des artisans est le plus représenté, devant
les marchands. Les tableaux de la thèse préciseront la
composition socioprofessionnelle de la commune en relation avec
celle de son maire. Ce qui frappe d'emblée cependant, c'est le
relatif équilibre des professions représentées et l'impossibilité
d'isoler un groupe social dominant dans la bourgeoisie ou la
paysannerie.
CONDITION SOCIALE DE 134 MAIRES

Agrandir Original (jpeg, 160k)

16L'étude des niveaux de fortune est assez aléatoire et ne peut


conduire qu'à des approximations : on peut fixer des seuils à 10
livres, 30 livres, 100 livres et au dessus, mais il faudrait relier ces
données aux impositions moyennes dans l'étude des rôles de
tailles. Tout juste peut-on constater que les moins de 10 livres –
mais ils peuvent payer d'autres taxes et dans d'autres communes
comme horsains – représentent moins de 20 %, des côtes dans les
villages du Hurepoix (Igny, Chamarande). Les 10-30 sont les plus
nombreux, en particuliers les vignerons aisés à plusieurs arpents.
Mais les fortunes importantes représentent plus du tiers des
maires avec des fermiers à plus de 300, voire 1 000 livres de
taille. Dans l'ensemble il paraît rare que la grande fortune du
village accède au pouvoir de maire. Mais la notion d'élite sociale
ne semble pas pour autant remise en cause dans son ensemble.
17Les renseignements socioprofessionnels sont pour l'instant trop
lacunaires pour être géographiquement significatifs. Ainsi,
curieusement, les fermiers n'apparaissent pas dominants dans les
pays de grande culture comme la Beauce mais plutôt autour
d'Arpajon et de Corbeil. Les laboureurs qui peuvent être aussi
qualifiés de propriétaires sont disséminés dans tout le secteur
près d'Étampes, de Monthéry et de Palaiseau essentiellement. Les
vignerons sont présents en Brie, près de Monthéry et de Mennecy,
mais leur implantation n'est pas systématique. Les jardiniers ou
harricandiers se rencontrent près de Palaiseau, dans la vallée de la
Bière.
18Par contre le monde de la petite bourgeoisie rurale est mieux
caractérisé sur les cartes. Les marchands sont nombreux dans les
bourgs du nord-est, Bièvres, Palaiseau, Sucy-en-Brie. Les artisans
connaissent des implantations voisines, donnant a l'ensemble un
déséquilibre assez sensible, avec un sud plus terrien.
19Quant aux intellectuels, professions libérales et curés, leur
élection, même dans la région d'Étampes, semble plus tenir à un
crédit personnel qu'à un déterminisme géographique. Là encore
des hypothèses peuvent être formulées mais nous attendons des
confirmations.
 30 Michel CHANCELIER et Serge BIANCHI, Draveil et
Montgeron, Deux villages en Révolution. Amattéis, 1 (...)
20Il serait nécessaire de compléter cette étude par un portrait
collectif, à partir de l'âge, de la situation familiale et de
l'implantation géographique des premiers maires. Les indications
restent trop fragmentaires en l'état pour les mentionner ici. De
même des portraits individuels peuvent être esquissés comme
ceux de François Cholet à Draveil et François Lemoyne à
Montgeron, ou Jacques Venteclef à Brunoy, mais le cadre
monographique se prête mal à cette étude d'ensemble30.
21Surtout l'élection des maires semble davantage relever de la
nature de liens (de familles, de clans, de clientèles) difficiles à
appréhender en dehors de la quinzaine de cas monographiques
fiables dont nous disposons.
22A partir des données et des caractères relevés ci-dessus, il est
possible de tenter une interprétation de cette “première”
électorale et institutionnelle.
23Le premier problème est celui de la continuité ou de la rupture
des votes par rapport à l'Ancien Régime. Les différences sont
considérables dans les formes et dans l'esprit des élections.
 31 Cas retrouvé dans les AM de Draveil et dans les minutes
notariales pour d'autres paroisses.

24Pour les formes de scrutin, on peut souligner que les syndics et


les collecteurs étaient jusque là désignés par la plus saine partie
des habitants mais que chaque habitant nommait oralement son
candidat31. Des syndics pouvaient être élus par 4 ou 5 voix alors
que les maires sont élus au scrutin secret, ou “écrit”, à la pluralité
des votants. Certes il n'y a pas place pour une campagne
politique, en apparence, mais le vote prévu par les Constituants
apporte bien des innovations.
25Le corps électoral a été bien élargi par rapport à 1788 et même
89. Les limites de cens ont été réduites et pour certaines
communes ne sont même plus significatives. Le passage des
“actifs” de 10 à 3 livres permet à la plus grande partie des paysans
et des ruraux d'accéder aux “vases”, même avec des exceptions,
pas toujours explicables.
 32 Voir le N° 2 de 89 en Essonne, enquête sur les députés des
paroisses.

 33 Voir les travaux de Maxime LEGRAND et Léon MARQUIS, Les trois


états du bailliage d'Étampes…, 1892, (...)

26Une comparaison entre les signataires présents aux doléances,


ayant désigné 2 ou 3 représentants aux bailliages, et des actifs
déclarés par les municipalités en 1790 peut-être utile. La
consultation du printemps 89 peut-être considérée comme la
dernière de l'Ancien Régime et elle n'est pas à proprement parler
une élection mais une désignation de député sans pouvoir autre
que transmettre un cahier. D'autre part ne sont enregistrés (à
quelques exceptions près) que les signataires. Cependant nous
avons pu comparer les actifs et les signataires dans 41 cas 32. Il
apparaît que 730 habitants ont signé pour les cahiers soit une
estimation de 1 100 personnes présentes. Pour les mêmes
paroisses le chiffre des actifs de 91 se monte à 2 890. On
constate donc que la participation de 1 789 mise en relation avec
les actifs potentiels de 90 serait assez faible, de l'ordre de 38 %,
quoique supérieure dans le bailliage d'Étampes mieux étudié 33.
Mais la comparaison doit se faire sur les participants au vote
d'élection du maire que nous estimons à plus de 50 % des actifs.
Les chiffres comparables seraient de l'ordre de 1 100 en 1789 et
1 500 en 1790, ce qui prouve à la fois l'élargissement du “droit de
vote” (le terme n'est pas satisfaisant dans cette comparaison) et
une progression limitée mais régulière depuis les élections de
1788 consécutives à la réforme royale des municipalités.
27Cette évolution se poursuit avec l'élection des juges de paix qui
atteindra des sommets de participation. D'où l'intérêt de cerner
mieux les formes et les problèmes posés par cet événement-
tournant chaque fois que les sources le permettent.
 34 Titre d'un DEA soutenu par Yves PIERRONNE, 1992, Paris XII.

 35 Crosne sous la Révolution, Amattéis, 1989, 239 pages.

 36 “Le temps des doléances”, 89 en Essonne, N° 2, tableau des


délégués, pages 13-15.

 37 Michel CHANCELIER, Draveil et Montgeron, Deux villages en


Révolution, Amattéis, 1989, pages 121, 1 (...)

28La continuité des maires n'est pas aisée à établir en raison de


nombreuses lacunes de sources, parfois surmontables. La plus
évidente serait l'élection par les “actifs” de l'ancien syndic. Il n'est
pas possible de tirer de conclusions à une large échelle pour 68
cas de paroisses. On constate que 15 syndics ont assuré la
transition de la paroisse à la commune34. Ceci peut sembler
modeste avec 53 cas de changements – 77,9 %-, mais ne rend
compte que partiellement de la réalité, car de nombreux maires
de 90 sont présents dans les équipes municipales élues en 1788,
et souvent ont exercé des fonctions électives de syndic permanent
ou annuel, de collecteur, ou de fabricien bien avant. L'élection
dépend en réalité du contexte local et des partis en présence
comme on l'a vu pour Ris, Mennecy ou d'autres localités. Il arrive
que le maire soit élu contre le fermier seigneurial, ou contre le
riche propriétaire. La notabilité n'est donc pas suffisante pour être
élu comme dans d'autres régions et les mérites personnels
peuvent l'emporter dans la balance malgré un niveau de fortune
ou d'instruction limité. Dans le cas de Crosne, modeste village
viticole, les qualités du curé Pierre Berthou qui sera président du
district de Corbeil ont à l'évidence pesé lourd 35. Il semble que la
continuité soit moins marquée que pour l'Artois et qu'il faille
chercher dans les doléances et les situations locales antérieures
l'explication des continuités et des ruptures. Une autre piste à
creuser est celle des délégués de la paroisse pour porter les
cahiers de la Prévôté à Paris. Il paraît aussi fréquent de désigner le
futur maire que l'ancien syndic36. Et on ne peut négliger les
ambitions personnelles valables pour un village comme
Montgeron où les rivalités individuelles vont s'exacerber 37. Une
meilleure connaissance des registres de délibérations permettra
d'y voir plus clair et de confirmer ( ?) la simple hypothèse d'une
coupure assez marquée du pouvoir local par rapport à l'Ancien
Régime.
29En ce qui concerne la signification des élections, un phénomène
peut surprendre : l'absence de relus de la place de maire, à
quelques exceptions près, motivées par des convenances
personnelles. C'est que cette place n'est plus celle,
essentiellement honorifique, exercée par les anciens syndics. Le
chef de la municipalité est devenu celui de la commune dont il
structure la petite délinquance, administre les impôts, et bientôt
les affaires de l'école, des chemins en concurrence avec la
fabrique, sans compter la gestion des listes électorales et le
dialogue avec les autorités supérieures (remplaçant l'intendant et
les baillis) : commission intermédiaire, puis districts et
département. Malgré l'absence d'un édifice permanent, d'une ligne
budgétaire autonome, le maire, fonctionnaire au sens premier du
terme mais non rémunéré, exerce donc des pouvoirs importants
dans le cadre de la décentralisation complète voulue par la
Constituante. C'est ce qui explique peut-être leur acceptation,
parfois enthousiaste, du choix de leurs concitoyens, ce que l'on ne
retrouvera plus en 1792 et après la Constitution de l'an III. Dès
octobre 1790 la Feuille Villageoise, premier tirage de l'époque,
périodique destiné aux campagnards, précise. “Le maire est
supérieur par ses fonctions aux autres citoyens”…
30Il reste que les élections des maires ont souvent été négligées
par les historiens comme “spécifiques” ou “non politiques”. Il
semble qu'il faille y regarder de plus près.
 38 Serge BIANCHI, “Essai de bilan cartographique des
comportements”, in Actes du colloque de Mennecy,(...)

 39 Jocelyne GEORGE, Histoire des maires, page 31.

 40 Sophie DI FOLCO, “Etre citoyen à Crosne”, 89 en Essonne, N° 7,


page 34.

31De nombreux cahiers de doléances et l'existence de traditions


communautaires (comme à Draveil) marquent bien la dimension
locale de l'élection du maire en 1790. Les problèmes essentiels
aux yeux des citoyens sont les subsistances, la bonne gestion des
biens communaux, la garde nationale, bien plus que la grande
politique. Nous avons tenté un bilan de la Révolution en Essonne
et mis en évidence des villages “immobiles”, qui ont peu adhéré,
sans vraiment résister à la Révolution 38. En milieu rural
l'indifférence politique, leitmotiv de la période, vient peut-être
plus rapidement que dans les villes même si les villages se sont
plus mobilisés pour les élections en 1789 et 90 que les villes de
nos régions (En 1790 on a pu souligner que plus la “ communauté
est petite plus l'abstention est faible”39. Peut-être le coût pour les
agriculteurs des charges municipales non rémunérées y est pour
quelque chose. Mais il ne faut pas exagérer et l'intérêt pour la
gestion publique semble se maintenir jusqu'à l'an II dans un
village comme Crosne40, avec le double aspect de la participation
et de la délibération.
32Il me semble que la réticence de nombreux Constituants devant
l'élection à égalité de 44 000 maires, chefs de municipalité,
traduit une dimension politique évidente, avec le recul devant
l'autonomie des communes rendue possible par la
décentralisation. De nombreuses (trop ?) charges électives sont en
jeu et il y va de la prise du pouvoir local et peut-être au delà d'un
tremplin vers la notoriété politique. Chaque fois que les relations
sont tendues avec l'ancien seigneur ou le curé l'élection prend une
dimension politique, sans qu'il y ait a proprement parler de
campagne électorale. De nombreuses plaintes devant le district de
municipaux contre le maire ou de maires contre l'entrave à
l'autorité renforcent cette hypothèse. Le maire est aussi comme le
procureur syndic (avec lequel il entre parfois en concurrence) un
médiateur entre la politique nationale et ses administrés. La saisie
des lois dans le registre y contribue amplement. C'est pourquoi,
chaque fois que la monographie le permet il convient de mettre
l'accent sur cette dimension, peut-être plus affinée encore que
lors des désignations ultérieures des premiers magistrats de la
cité. Mais en milieu rural, la place de la période 1789-90 pour la
participation paysanne à la politique doit être réévaluée et
l'élection des maires en est une dimension nécessaire. C'est dans
ce sens peut-être que G. Fournier, dans ce colloque, parle de ces
élections comme d'un “véritable sondage sur l'état de l'opinion”.
 41 Voir Draveil et Montgeron sous ta Révolution, Amattéis, 1989, et
l'étude des assemblées municipale (...)

33Il reste les questions du devenir de ces maires et de leur


insertion dans l'histoire de l'institution. Contrairement à d'autres
régions, les maires ne traversent pas la période révolutionnaire à
leur poste. La plupart changent en novembre 1791, soit en
conservant une place dans la municipalité nouvellement élue, soit
en se retirant des affaires. Il est certain que la tenue de plusieurs
conseils par mois41 conduit à une usure parfois aggravée par des
inimitiés personnelles avec des rivaux ou des membres du corps
municipal. A Igny, Les Molières, Morangis… les maires sont réélus
(d'autres le seront bien plus tard) mais cela ne représente que
15 % des cas étudiés. En vérité certains premiers maires absents
de registres égarés ou de sources lacunaires n'ont même pas
laissé leur nom à la postérité. De telles recherches peuvent aider à
combler cet oubli.
 42 A Chilly et Villejust le maire est cité dès 1789 avant le curé, mais
c'est l'inverse à Wissous, Ig (...)

34L'année 1790 marque dans nos régions rurales un tournant vers


la notabilité. Il paraît évident qu'avec la multiplication des
pouvoirs du maire, ses responsabilités le mettent en concurrence
directe avec le curé – sauf bien entendu quand ce dernier est élu
maire –. Les archives de l'époque montrent le transfert de
respectabilité de l'un à l'autre, le curé restant à la première place
au moins jusqu'à la Constitution civile du clergé, souvent au
delà42. Mais le maire s'occupe des pauvres, de l'enseignement et
de questions réservées autrefois au prêtre et à la fabrique.
Comme la présence du curé au conseil municipal ne va pas de soi
– contrairement à ce qui était prévu en 1787 –, un pouvoir laïque
autonome est en train de naître par le biais de cette fonction de
chef de la municipalité. L'expérience de cette gestion municipale
est à la fois essentielle et durable.
 43 Les maires en France du Consulat à nos
jours, M. AGULHON, L. GIRARD…, Publications de la Sorbonne, (...)

 44 Blanc-Cesan, Les maires du Val de Marne, Mémoire de la FSHA


de Paris et d'Ile-de-France, tome 38.

35Comment donc situer les maires de 1790 dans l'histoire de


l'institution ? Ils présentent certes un visage différent de celui de
leurs successeurs de la 3  République, avec moins d'autorité, de
e

notoriété, de prestige, moins de prestige, et l'exercice d'une


“charge”43 plus lourde. Leur réputation n'est pas fameuse sur les
plans de l'instruction, de l'honnêteté, voire de la compétence. Ils
vont disparaître rapidement, en l'an III, au profit de 4 600 entités
cantonales. On parle ainsi d'“échec”, de “pari” décevant 44. Mais ce
n'est pas parce qu'une expérience s'achève qu'elle doit être
condamnée au regard de l'histoire. Les maires de 1790 présentent
quelques caractères proches des maires “classiques” dont un
siècle les sépare : l'âge, l'aisance, l'implantation locale, voire la
situation. Mais ils en diffèrent par les caractères même de leur
élection. Et ce sont précisément ces différences qu'il convient de
marquer plutôt que la conformité discutable à un modèle.
 45 Vie, sociabilité et comportements politiques en milieu rural dans
le sud de l'Ile-de-France, de l' (...)

36L'élection des premiers maires dans le sud de l'Ile-de-France a


présenté des caractères originaux, marquant pour de nombreux
villageois l'entrée réelle en politique. La fin (définitive ?) de
l'expérience de premiers magistrats des communes élus au
suffrage direct par leurs concitoyens ne signifie nullement un
échec de l'institution au regard de l'histoire. Cette étude est donc
intéressante pour comprendre le problème délicat des relations
du monde rural et de la politique. Elle s'intègre à un moment
essentiel d'insertion du monde rural dans la politique, avec un
autre centre d'application et une autre signification que lors des
révoltes frumentaires ou antiseigneuriales. Il est toutefois
prématuré de présenter à ce jour le modèle francilien que je
m'efforcerais de caractériser, ce que je propose de faire lorsque
seront bouclées les recherches archivistiques de cette thèse en
gestation45.
NOTES
1 En dehors des travaux de Georges FOURNIER, professeur à Toulouse,
et Jean Pierre JESSENNE. Certes une enquête collective dirigée par
Maurice AGULHON et Louis GIRARD traite des maires mais à partir du
Consulat seulement.  Les Maires en France, Publication de la Sorbonne,
Paris, 1986, 462 pages. Jocelyne GEORGE,  Histoire des maires, Terres
de France, Paris, Plon, 1989, 285 pages, titre : “Les maires, ces
inconnus”, page 15.

2 Voir 89 en Essonne, Ν° 1, présentation de Jean JACQUART, pages 4-8.

3 Michel PHILIPPONNEAU,  La vie rurale de la banlieue


parisienne, Armand COLIN, Paris, 1956, 593 pages et Jean BASTIÉ,  La
croissance de la banlieue parisienne, PUF, Paris, 1964, 624 pages.

4 AD Essonne, série C, récapitulatif des rôles de tailles pout 1786 pour
les élections de Corbeil et Montlhéry, avec les chiffres de journaliers,
fermiers, artisans et commerçants. La composition des terroirs est
donnée à partir des plans d'intendance par Mireille TOUZERY,
Dictionnaire des paroisses fiscales de la généralité de Paris, thèse de
l'EHESS, décembre 1991, volume 2.

5 Colloque l'Administration locale en Ile-de-France, Mémoire de la


FSHA Paris et Ile-de-France, tome 38, Paris, 1987, 400 pages.

6 Question posée à partir des analyses de Jean Jacquart pour le


XVII  dans  La crise rurale en Ile-de-France, Armand COLIN, Paris, 1974,
e

pages 86 et 220, et  Paris et l'Ile-de-France au temps des


paysans, Publication de la Sorbonne, 1990, page 178.

7 Une étude à partir des minutes notariales est en cours au AD de


Corbeil et de Créteil.

8 Par exemple en Normandie ou en Champagne, thèse en préparation


de Claudine WOLIKOW à Paris I, et DEA, 1990,  Démocratie politique et
représentation en Champagne méridonale.

9 89 en Essonne, N° 7, “Nouveaux pouvoirs et citoyenneté”, enquête de


Sophie DI FOLCO,  Les nouveaux maires, page 16.
10 La répartition des archives dans les nouveaux départements issus
en 1964 de la Seine-et-Oise s'est faite dans de mauvaises conditions et
malgré les efforts des archivistes en poste certains des documents
essentiels font défaut actuellement (et définitivement ?).

11 Sont également très utiles les ouvrages de l'abbé Guyot, présentés


par André CROS, BSHACH, 1982, et une thèse de droit de Jean
Claude ATTUEL,  La justice, la nation, Versailles, 1989, Montgeron.

12 Jocelyne GEORGE, ouvrage cité, p. 17. Jusqu'au bout les députés


tentent de faire passer le principe du regroupement des hameaux et
l'obtiennent le 12 décembre 1789.

13 PV de Chilly Mazarin, AD Yvelines, ILM 366, février 1790.

14 PV des Molières, du 7 février 1790, ADY, ILM 366.

15 Un chapeau de “laboureur”  à Viry, Jeannie Buisson, 89 en Essonne,


N° 7, page 13.

16 On a bien l'exception de Dourdan où 176 personnes élisent le


procureur de la commune contre 160 pour le maire la veille mais c'est
précisément une ville !.

17 Jean-Pierre JESSENNE note pour l'Artois des chiffres de 52 % pour 12


villages dans  Pouvoir au village et Révolution, PUF, 1987, p. 71-72.

18 ADY ILM 366, PV des élections adressées au district. De tels PV


manquent pour les autres districts. Les documents pour le
renouvellement partiel de novembre 1790 et pour les élections de
novembre 1791 sont plus nombreux et permettent de dégager des
tendances.

19 La population totale est donnée pat les ADYvelines, ILM 443, les
feux dans les rôles de tailles de 90 au Caran et aux ADEssonne,
dans  Paroisses et communes de France, édition du CNRS, 1974, 921
pages ; les listes d'actifs au Caran, FlcIII Seine-et-Oise, avec de
précieuses indications sur la profession, l'âge, les impôts payés.
20 Position critique de Patrice GUÉNIFFEY dans sa thèse de l'EHESS,
soutenue en 1989 sur les élections de 1790 à 1792, chapitre 6,
“Citoyens actifs et passifs”, pages 174 à 198.

21 Voir la thèse de Roger DUPUY,  La Garde nationale et les débuts de la


Révolution en Ille-et-Vilaine, Klincksieck, Paris, 1972, 284 pages.

22 Voir Melvyn EDELSTEIN et Patrice GUENIFFEY avec des chiffres très


voisins, 65 % pour le premier au colloque de Rennes,  Pouvoir local et
Révolution, Septembre-octobre 1993, 63 % pour le second.

23 Mennecy sous la Révolution, Amatteis, 1989, 316 pages, chapitre 2.

24 Voir Jacques BROCHOT, colloque de Mennecy, “l'Ancien Régime et la


Révolution, sur le sans-culotte rural” Guillaume  RABY et, Jean-
Pierre VINCHON,  89 en Essonne, N° 7, pages 25-29.

25 AN, Τ 1493 (6).

26 Voir 89 en Essonne, N° 8,  l'affaire Duperon, par Serge BIANCHI, p.


58-61.

27 Étude non achevée à partir des rôles de taille et de FicIII Seine et


Oise aux Archives Nationales.

28 Jean-Pierre JESSENNE,  Pouvoir au village et Révolution, PUF, 1987.

29 Gérard BÉCU, “La démocratie locale à Igny “,  89 en Essonne, N° 7,


page 37.

30 Michel CHANCELIER et Serge BIANCHI, Draveil et Montgeron,  Deux


villages en Révolution. Amattéis, 1989, 328 pages, et les études sur
Venteclef du regretté Philippe CURTAT.

31 Cas retrouvé dans les AM de Draveil et dans les minutes notariales


pour d'autres paroisses.
32 Voir le N° 2 de 89 en Essonne, enquête sur les députés des
paroisses.

33 Voir les travaux de Maxime LEGRAND et Léon MARQUIS,  Les trois


états du bailliage d'Étampes…, 1892, 2 volumes.

34 Titre d'un DEA soutenu par Yves PIERRONNE, 1992, Paris XII.

35 Crosne sous la Révolution, Amattéis, 1989, 239 pages.

36 “Le temps des doléances”,  89 en Essonne, N° 2, tableau des


délégués, pages 13-15.

37 Michel CHANCELIER, Draveil et Montgeron,  Deux villages en


Révolution, Amattéis, 1989, pages 121, 197.

38 Serge BIANCHI, “Essai de bilan cartographique des comportements”,


in  Actes du colloque de Mennecy, 1991, pages 192-202.

39 Jocelyne GEORGE,  Histoire des maires, page 31.

40 Sophie DI FOLCO, “Etre citoyen à Crosne”,  89 en Essonne, N° 7, page


34.

41 Voir  Draveil et Montgeron sous ta Révolution, Amattéis, 1989, et


l'étude des assemblées municipales, page 173.

42 A Chilly et Villejust le maire est cité dès 1789 avant le curé, mais
c'est l'inverse à Wissous, Igny, Palaiseau, Bièvres et Marcoussis,
Archives Nationales, FlcIII Seine et Oise.

43 Les maires en France du Consulat à nos


jours, M. AGULHON, L. GIRARD…, Publications de la Sorbonne, 1986,
462 pages.

44 Blanc-Cesan,  Les maires du Val de Marne, Mémoire de la FSHA de


Paris et d'Ile-de-France, tome 38.
45 Vie, sociabilité et comportements politiques en milieu rural dans le
sud de l'Ile-de-France, de l'Ancien Régime au Consulat, thèse d'état à
Paris I, à soutenir en décembre 1994.

TABLE DES ILLUSTRATIONS

Titre CONDITION SOCIALE DE 134 MAIRES

URL http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/14298/img-1.jpg

Fichier image/jpeg, 160k

AUTEUR
Serge Bianchi
I.H.R.F.
Du même auteur

 Des révoltes aux révolutions, Presses universitaires de Rennes, 2004

 Les sociétés populaires à travers leurs procès-verbaux, Éditions du Comité des travaux
historiques et scientifiques, 2018
 La Garde nationale entre Nation et peuple en armes, Presses universitaires de Rennes,
2006
La mise en place des
administrations locales dans
le Pas-de-Calais en 1790 :
adhésions et conflits
Jean-Pierre Jessenne
p. 169-192

TEXTE NOTES NOTES DE FIN AUTEURILLUSTRATIONS
TEXTE INTÉGRAL
1Dans un colloque dont les objectifs sont très clairement de
restituer l'épisode révolutionnaire et ses effets sur le pouvoir local
dans une perspective séculaire, je propose une étude qui
privilégie un épisode ponctuel, l'année 1790, qui s'inscrit dans un
cadre départemental, et qui opte délibérément pour une mise en
relation des diverses collectivités territoriales, même si les villages
seront au centre de l'étude. Une opportunité documentaire, une
observation historiographique et un postulat méthodologique
justifient ce choix.
 1 Les documents originaux se trouvent aux Archives
départementales du Pas-de-Calais, série 2 L. J'ai (...)

2En 1790, l'administration du département du Pas-de-Calais a


organisé une large enquête auprès de toutes les communes pour
établir aussi bien la composition des municipalités, que l'état des
voies de communications, que la situation des finances locales
etc. La publication de cette source exceptionnelle rend accessibles
d'excellents matériaux pour l'étude du pouvoir local1.
 2 Je songe notamment aux ouvrages de H.-V. OZOUF-
MARIGNIER, La formation des départements. La représ (...)

 3 L'ouvrage d'E. WEBER traduit sous le titre La fin des


terroirs (Paris, 1983) constitue la reprise (...)
3Par ailleurs plusieurs travaux récents ont montré que le
découpage départemental, le redéploiement des circonscriptions
administratives et l'attribution des chefs-lieux mettent en jeu à la
fois les représentations de l'espace national, les conceptions de la
souveraineté et l'établissement des hiérarchies urbaines2. Par
contre, ces études accordent peu de place aux communautés
rurales ; l'omission risque de conforter les thèses de l'infra
politisation paysanne alors même que de nombreux travaux ont
montré la nécessité de substituer à une vision linéaire et univoque
des processus de politisation, une recherche des voies multiples
et de la chronologie complexe qui caractérisent l'engagement des
ruraux dans les affaires publiques nationales et locales. Cette
communication se place dans cette perspective en étendant aux
collectivités villageoises l'étude de la dynamique engendrée par la
grande refonte de 1789-903.
4Pour autant, il ne s'agit pas d'esquiver la primauté accordée au
pouvoir local. Or, il m'apparaît que l'étude de celui-ci implique
nécessairement une démarche complexe et globalisante : les
diverses instances locales, de la commune au département, se
mettent en place dans une étroite interaction ; le pouvoir local se
joue au travers d'instructions et d'engagements divers et
indissociables (élections, garde nationale, etc…) ; enfin, en-deçà
des cadres institutionnels reconnus, tout le système relationnel
préexistant au sein des collectivités villageoises et les luttes
internes se trouvent activés. L'analyse conjuguée de ces diverses
composantes, plus que l'étude d'un indicateur isolé, me semble
susceptible de répondre à l'interrogation initiale de ce colloque
sur “les mutations effectives des pouvoirs locaux entre 1780 et
1850”.
5En abordant un épisode décisif de rupture-recomposition dans
un département plutôt apaisé en 1790, mon objectif est de saisir
les modalités complexes de ces mutations qui conjuguent sans
cesse, en des combinaisons multiples, l'adhésion à l'œuvre
constituante et le réinvestissement de comportements collectifs
anciens, l'acceptation d'un nouveau système de pouvoirs et
l'exacerbation des conflits. En effet, si la mise en place des
institutions locales voulue par les Constituants répond aux
aspirations des collectivités locales, ce n'est pas seulement par
l'effet de rupture avec l'Ancien Régime ; de même, si les élections
consacrent une solide hiérarchie des pouvoirs, les communautés
d'habitants se plient moins aisément à l'application plus stricte
d'un système qui repose sur l'exclusion politique d'une partie des
citoyens, si bien que l'épreuve du pouvoir débouche sur des
virtualités très contradictoires pour la suite des engagements
ruraux dans la Révolution.

LA NOUVELLE PYRAMIDE
INSTITUTIONNELLE ET LES
ASPIRATIONS DES
COLLECTIVITÉS
VILLAGEOISES
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LA PARTICIPATION AUX PREMIÈRES élections MUNICIPALES DE 1790

Agrandir Original (jpeg, 363k)


(* Nombre des actifs en novembre 1790 (pour seulement 24 villes ou
ce nombre est connu en février la participation est un peu plus élevée).

6Les Constituants puisent dans les nombreux projets de réformes


proposés au cours du XVIII  siècle les grandes lignes des lois
e

municipales et départementales adoptées à la fin de l'année 1789.


Mais alors que les réformes entreprises depuis Laverdy s'étaient
largement enlisées, les nouvelles collectivités territoriales et leurs
administrations élues deviennent opérationnelles en six mois, de
janvier à juillet 1790. La participation aux élections municipales
de janvier et février 1790 constitue le premier test sur
l'engagement des citoyens dans cette mise en place.
7Le questionnaire de 1790 comporte trois questions sur le
déroulement des élections municipales du début de l'année et
demande que soit joint le procès-verbal de l'élection ; celui-ci
indique souvent le nombre de présents, rarement celui des
citoyens actifs. En croisant avec d'autres sources, ces deux
données, qui sont indispensables pour établir un taux de
participation significatif, ont été rassemblées dans 75 localités sur
un peu plus de 900 (Voir tableau). Trois séries de remarques
s'imposent :
 le taux moyen de participation est médiocre : 35,5 %, mais ce
résultat est parfaitement trompeur ;
 l'écart entre villes et campagnes est en effet considérable. Les
71 villages de notre échantillon votent à près de 60 % ; les
trois villes (Aire près de 9 000 habitants, Arras et Saint-Omer
plus de 22 000 habitants chacune) et le bourg de Samer votent
à moins de 21 %. Forte participation rurale, massive abstention
urbaine, ce résultat révèle le danger des conclusions
globalisantes dans ce domaine.
 Au-delà de cette première différenciation, on observe une
grande variabilité locale. Par exemple dans le district d'Arras
pour lequel on dispose des résultats les plus nombreux, près
de la moitié des 51 villages encadrent d'assez près la moyenne
de participation entre 50 et 79 %, mais dans 6 d'entre eux le
nombre des votants dépasse le nombre des actifs et dans 9, le
taux de participation est inférieur à 30 %. Ces variations ne
sont peut-être pas seulement aléatoires. D'une part, la
participation tend à fléchir quand s'élève la population des
villages concernés ; d'autre part trois profils régionaux se
dessinent en coïncidence marquée avec les variantes d'une
société rurale septentrionale qui n'est nullement uniforme.
Cependant, seule la tendance générale à une forte
participation rurale sera examinée ici4. Intervenant dans la
dynamique de rupture avec l'Ancien Régime engagée en 1789,
cette participation signifie-t-elle renoncement aux
comportements communautaires traditionnels ou manifeste-t-
elle le réinvestissement massif de ceux-ci dans des pratiques
civiques fondées sur l'individualisation du rapport entre le
citoyen et l'État-Nation5 ?
 6 A.N., D IV/52/1413, document non daté, mais dont tout laisse
supposer qu'il fut rédigé au printemp (...)

8Il nous faut rechercher, au-delà des conceptions constituantes


de la citoyenneté et des résultats électoraux, des indicateurs des
significations données par les villageois aux nouvelles pratiques
politiques et aux institutions locales. A cet égard, les démêlés
occasionnés par l'établissement de la carte communale ne
sauraient être considérés ni comme de mineures anecdotes
locales ni comme des signes d'une infra-politisation paysanne
dans un contexte où seule le positionnement par rapport aux
enjeux nationaux aurait uns sens politique. N'est-ce pas, en effet,
au niveau communal que peut se faire l'articulation entre le statut
de l'individu-citoyen et celui de l'individu-membre d'une
communauté de vie ? Les revendications autour de la délimitation
des communes révèlent ainsi la vigueur de la conscience
d'appartenance à une collectivité d'habitants et la conviction que
cette appartenance doit se traduire par la reconnaissance d'un
pouvoir local spécifique. Cette conviction amène certains
hameaux, annexés par une plus grosse commune, à revendiquer
le droit d'élire une municipalité. Ainsi, Saint-Martin, près d'Aire-
sur-la Lys, a élu sa municipalité malgré le rattachement prévu à la
ville voisine ; devant la menace d'invalidation, les habitants
expliquent leurs intentions dans une longue lettre au Comité de
Constitution. Après des justificatifs par le nombre d'habitants, la
superficie… les signataires avancent des arguments relatifs aux
affaires publiques : “Si la municipalité de Saint-Martin n'a pas
lieu, il en résulte les plus grands troubles et une confusion
générale […]. Que vont devenir pour nous les droits de l'homme
rétablis d'une manière inébranlable par votre auguste
assemblée  ? C'est en vain que les bons patriotes récitent la liberté
si une paroisse de 800 individus n'a pas le droit de choisir elle-
même ses juges tandis que les villages qui lui sont les plus
voisins […] qui ne comprennent pas ensemble plus d'habitants et
de territoire ont cependant chacun leur municipalité. C'est
toujours un grand avantage d'être jugé par des citoyens que l'on
connaît, ce qui empêchera bien des petits procès […]. Ils
plaideront leur cause devant leurs semblables et sans crainte, ils
n'auront pas les conseils d'un procureur et autres qui échauffent
la tête de leurs bons droits ce qui les entraîne dans des procès
souvent ruineux. Les municipalités de la campagne arrangeront
par leurs conseils beaucoup de petites affaires. Dans un village
tout se tient, si on est pas parent on est ami, par ce moyen tout
s'arrange et ils sont en paix. S'il vient une taxe à la paroisse, la
commune s'assemble, chacun fait ses représentations et la
répartition s'en fait au plus juste […]. De plus la tranquilité et la
bonne police exigent que nos juges soient pris parmi nous ”6. Au
delà des formules convenues, des interprétations erronées de la
loi municipale à propos des attributions judiciaires, se profile très
explicitement l'attachement pour un autogouvernement local plus
à même de garantir la bonne marche des affaires publiques,
notamment grâce aux vertus de l'interconnaissance entre les
habitants. Des démarches identiques se reproduisent dans
d'autres communes.
 7 Questionnaire, district de Saint-Pol, canton de Frévent, Villes et
villages, Op. cit., I. III, p. (...)

9A l'inverse, les hameaux ne manquent pas qui sollicitent leur


rattachement à une commune plus importante en arguant qui des
habituelles pratiques conjointes (rôles fiscaux, entretien de
l'église…), qui du nombre insuffisant de citoyens pour constituer
un conseil général. A Ligny-sur-Canche, par exemple, les
habitants du hameau du Petit-Boubers se présentent à
l'assemblée électorale du 7 février 1790 en déclarant que :
“voulant profiter de la faculté accordée par l'Assemblée nationale
aux fermes et hameaux éloignés de leur paroisse de pouvoir se
réunir aux communes les plus voisines ont demandé de pouvoir
être aggrégés et réunis à la commune de Ligny”.  Les citoyens de
cette commune acceptent le rattachement par un vote 7. Ces
démarches mettent en évidence l'importance non de la
communauté de biens mais de la collectivité de vie et d'usage
fondée sur les habitudes de proximité entre les habitants et sur la
volonté de se donner une administration commune et librement
choisie. Les procès-verbaux des élections révèlent que cette
volonté politique revêt une signification très ambivalente par
rapport à ce que les Constituants considèrent comme
l'établissement d'un ordre nouveau.
 8 Questionnaire, district de Béthume, canton d'Hersin, Villes et
villages, Op. cit., I.II, p. 132).

 9 A.D. P.-de-C., Ε dépôt 50/01, Villes et villages, Op. cit., IIII, p.


28.
10Le réinvestissement de pratiques traditionnelles se manifeste
fortement et de diverses manières. Au moment de la désignation
du président de l'assemblée électorale, la volonté de choisir une
personne au-dessus de la mêlée se confond avec la
reconnaissance de l'autorité morale du prêtre pour amener une
large majorité de villages à élire le curé ou le vicaire dans cette
fonction de transition entre anciens et nouveaux pouvoirs. Plus
largement, la célébration religieuse se mêle à la procédure
électorale : assez souvent on chante le  Veni Creator, les serments
incluent des proclamations d'attachement à la religion. Le
vocabulaire usité dans les procès-verbaux se réfère plus
régulièrement aux pratiques coutumières qu'à la rhétorique de la
citoyenneté ; c'est ainsi que beaucoup plus que d'assemblées de
citoyens, il est question d'assemblée “des habitants”, “de
paroissiens”, etc. L'assemblée du village de Liévin pousse très loin
la référence aux cadres traditionnels en se désignant comme étant
celle “des corps et communauté de la paroisse du village de la
province d'Artois”8. Qui plus est, les officiers municipaux sont
fréquemment appelés “échevins” et à Auchy-les-Moines on
éprouve le besoin de préciser que “conformément aux décrets de
l'assemblée nationale, le chef de la municipalité portera
désormais le titre de maire, toute autre dénomination étant
abolie”9. Cet exemple nous amène néanmoins à ne pas exagérer
le poids des continuités.
 10 Questionnaire, district de Bapaume, canton de Cagnicourt, Villes
et villages, Op. cit., I.I, p. 31 (...)

 11 Questionnaire, district de Saint-Pol, canton de Monchy-


Βreton, Villes et villages, Op. cit., T. II (...)

 12 Questionnaire, district de Bapaume, canton de Courcelles, Villes


et villages, Op. cit., T. I, p. 3 (...)
11Le fait de cultiver les pratiques communautaires s'accompagne
en effet d'une nette volonté de rompre avec certains aspects de
l'ordre ancien. Le rôle des officiers seigneuriaux s'arrête le plus
souvent à la convocation de l'assemblée, parfois aux explications
préalables ; dans plusieurs villages, les habitants présents
refusent que ce rôle aille au-delà. A Haucourt, l'appel des citoyens
actifs est retardé “par la résistance momentanée de la part des
anciens officiers qui fut bientôt levée ”10. Même en l'absence de
conflit, la prise de distance avec l'administration seigneuriale est
manifeste. A Bailleul-aux-Cornailles par exemple le président de
l'assemblée électorale prend soin de préciser “que les officiers de
justice de juridictions seigneuriales ne pouvaient être choisi pour
les places de la municipalité et que s'ils étaient juges ou officiers
de justice, ils étaient tenus d'opter". Le procès-verbal ajoute
“qu'ils ont aussitôt donné leur option en faveur de la
municipalité”11. Ainsi, la continuité des personnes n'est possible
que si elle s'inscrit dans une démarche de renoncement aux
attaches anciennes. On relève d'ailleurs plusieurs incidents liés à
des manifestations pour évincer de la municipalité d'ex-officiers
ou receveurs seigneuriaux. Ainsi à Ayette, le scrutin du 17 février
1790 qui avait porté à la mairie Jean-Guislain Bécourt, un grand
fermier du village, est annulé et le procès-verbal de l'assemblée
qui se tient quatre jours plus tard note : “Le refus de la place de
maire qu'il lui a été faite fut que la charge de compteur du terrage
dont il est depuis longtemps revêtu était selon nous incompatible
avec la charge de maire  ; l'homme a disparu” ; un autre grand
fermier est alors élu12. Cette prise d'autonomie vécue comme la
réalisation d'une aspiration communautaire s'accompagne-t-elle
d'une démarche active d'adhésion au nouvel ordre ?
 13 Questionnaire, district de Saint-Pol, canton de Framecourt, Villes
et villages, Op. cit., T.III, p (...)
12La fréquence et la variété des formulations, tantôt naïves tantôt
emphatiques, des déclarations d'ardeur civique qui ponctuent les
procès-verbaux et les réponses au  Questionnaire de
1790 témoignent d'un enthousiasme qui dépasse le simple
formalisme administratif. Dans la “weltanschaung” politique
villageoise, les attachements anciens et les idéaux du nouvel
ordre s'amalgament alors ; le serment prononcé à Croisette le
montre clairement : les citoyens s'engagent à maintenir la
constitution “parce qu'ils espèrent qu'elle sera comme elle le doit
être et comme ils ont lieu de l'attendre des lumières et de la
sagesse de leurs chers et illustres représentants formée établie et
conçue de manière propre à maintenir le bon ordre, la justice, la
foi et la religion catholique […] dans laquelle ils ont eu le bonheur
de naistre et qu'ils se feront toujours honneur et gloire de
professer jusqu'à la mort, la paix, tranquillité et prospérité du
royaume”13. Ainsi, l'élan de régénération des institutions impulsé
par les Constituants trouve des relais dans les campagnes car il
est ressenti comme étant parfaitement compatible avec des
aspirations collectives enracinées dans les traditions. La mise en
place de la pyramide administrative s'en trouve largement facilitée
et elle contribue à l'accélération de l'intégration des collectivités
locales à l'État.
 14 On se reportera au catalogue de l'exposition organisée par les
Archives départementales du P-de-C.(...)

 15 A.N. D IV Bis 14, lettre du 16 avril 1790.

13Le Pas-de-Calais connaît les démêlés sur la délimitation


départementale, l'attribution du chef-lieu et le découpage des
districts. Sans revenir sur les enjeux inter-urbains et régionaux de
cette redistribution des pôles administratifs 14, il faut souligner
plus que ne le font la plupart des travaux, qu'elle a aussi des
conséquences profondes et paradoxales sur l'intégration politique
des collectivités villageoises. Les luttes pour l'attribution d'un
chef-lieu de canton ou pour le rattachement à une entité
territoriale plutôt qu'à une autre mettent en jeu des chauvinismes
locaux très éloignés des idéaux d'unité nationale et qui
contribuent pourtant à forger celle-ci. Ces querelles amènent en
effet à faire appel à l'arbitrage des autorités supérieures, à
invoquer des arguments d'intérêt général, à penser les affaires
publiques en référence à un ensemble. La démarche entreprise
par le gros village de Neuville-Saint-Vaast pour contester
l'attribution du centre cantonal à son voisin de Mont-Saint-Éloi
est significative. Une réclamation des officiers municipaux est
transmise au Comité de Constitution de l'Assemblée Nationale ;
on y lit : “Neuville est sans conteste le village le plus considérable,
même un des plus distingués de l'Artois […]. Les habitants sont
frappés d'étonnement d'apprendre que Saint-Éloy, un des plus
petits villages et des plus mal situés, soit le chef-lieu de canton.
C'est donc à. juste titre que Neuville réclame lorsqu'on lui préfère
un groupe d'habitations qui ne peut en imposer à tout le
voisinage que par un monastère, dont l'influence a peut-être
contribué à la désignation, et par la situation escarpée qui
effraiera toujours le vieillard et le valetudinaire qui voudrait se
porter à nos assemblées […] 15. L'évocation d'une hiérarchie dans
le réseau des localités, la mise en avant de l'intérêt de tous les
citoyens et du bon fonctionnement des institutions, la critique
implicite d'un jeu d'influences rappelant l'Ancien Régime sont
autant d'éléments qui montrent un très lucide positionnement par
rapport aux nouveaux enjeux politiques et administratifs.
 16 Observation sur la fixation du chef-lieu du Pas-de-Calais, AD P.-
de-C., Barbier 172/83.

 17 A.N DIV bis 14; juillet 1790, villages de Busnes, Saint-Venant,


Saint-Floris.
14Par ailleurs, la réorganisation du territoire et le redéploiement
des fonctions urbaines modifient la relation entre campagnes et
villes. Celles-ci, face aux nécessités tactiques des luttes
d'influences, se trouvent obligées de mettre en avant leur volonté
d'associer les villages à la vie publique. Ainsi, pour faire prévaloir
la prétention d'Arras à devenir chef-lieu de département, les
défenseurs des intérêts de cette ville font valoir comme argument
majeur le fait qu'elle se trouve au cœur d'une riche région agricole
et reproche à ces concurrentes de ne pas tenir compte des vœux
des villages : “Est-il juste de traiter si légèrement les campagnes  ?
Songe-t-on à faire revivre l'ancienne administration en nous
rappelant les temps où les villes seules étaient comptées pour
quelque-chose et où les habitants des campagnes, ces estimables
et laborieux cultivateurs, ne connaissaient l'administration que
par l'or qu'ils y apportaient. Ils sont passés ces temps
malheureux…”16. De même, la ville d'Aire-sur-la-lys, qui s'active
tout au long de l'année 1790 pour obtenir un district, sollicite et
obtient des villages environnants des adresses de soutien 17. Ainsi
au travers des luttes d'influences et des considérations tactiques
s'impose une intégration des collectivités villageoises au jeu
politique.
 18 A.D. P.-de-C., 2 L 4/8, cité par J.M. LABIT, L'intégration politique
des campagnes du Boulonnais ( (...)

15Plus globalement, cette intégration et la réussite dans la mise en


œuvre de la pyramide politico-administrative de 1790 se trouvent
confirmées par la rapidité avec laquelle les diverses instances
deviennent opérationnelles : toutes les municipalités sont en place
en mars 1790, les huit administrations de district sont formées en
juillet et toutes laissent des traces de leur fonctionnement dans
les semaines qui suivent. L'administration du département tient sa
séance inaugurale le 29 juillet et déploie immédiatement une
grande activité, notamment en systématisant ses relations avec
les administrations de districts et les municipalités. C'est ainsi que
dès le 7 août, un plan détaillé est adressé à toutes les communes
pour satisfaire aux demandes d'information du Comité de
mendicité. Le  Questionnaire, qui nous sert largement de source,
témoigne en lui même de l'efficacité de l'ensemble du dispositif,
notamment de la circulation rapide des informations et de la
bonne volonté des élus locaux. Les soixante questions sont
adoptées par le directoire de département le 1  septembre,
er

adressées aux districts dans les jours qui suivent entre la mi-
septembre et le début octobre la plupart des municipalités
établissent leurs réponses, très majoritairement soignées, souvent
détaillées. Avant la fin de l'année, la plupart sont revenues à
l'administration départementale. Le district de Boulogne, pourtant
hostile au choix d'Arras comme chef-lieu, atteste, en octobre
1790, le fort investissement des collectivités villageoises dans le
système municipal ; il souligne que la suppression de certaines
communes, souhaitée par le Comité de Constitution, risque de
soulever des difficultés ; “Les habitants des campagnes se sont à
l'envie les uns des autres empressés d'organiser des municipalités
pour devenir les égaux des maires et officiers municipaux de la
ville. A présent qu'ils ont joui de la faveur d'être décorés des
mêmes attributs qu'eux, croirait-on qu'ils s'en verront frustrés
sans murmure  ?”18.
16Que la greffe politico-administrative ait bien pris parce qu'elle
coïncide avec l'aspiration à l'autogouvernement des collectivités
villageoises n'est pas pour autant un gage de consolidation du
régime. Encore faut-il que dans l'enveloppe institutionnelle ainsi
tissée, les modes de dévolution et de répartition du pouvoir local
soient à la fois reconnus par les citoyens et conformes au projet
politique et social des constituants, c'est-à-dire un système
censitaire qui repose sur la conjugaison de la participation et de
l'exclusion politiques des Français.

APPLICATION D'UNE
CITOYENNETÉ SÉLECTIVE ET
HÉGÉMONIES :
ACCEPTATION INITIALE ET
Évolution
 19 Questionnaire, district de Boulogne, canton d'Hardinghem, Villes
et villages, Op. cit., T. Il, p. (...)

17Les effets de la citoyenneté sélective qu'a voulue la majorité des


Constituants peuvent d'abord se mesurer aux proportions de
citoyens actifs et éligibles. Je limiterai l'étude à deux districts de
types différents, Arras et Boulogne. La valeur de la journée est
fixée entre 10 et 20 sols ; les chiffres moyens de 15 ou 16 sols
sont les plus courants ; sans raison clairement établie, des
normes par petites régions semblent prévaloir. Les résultats sont
indéniables : dans 121 villages du district d'Arras, 72 % des
hommes de plus de 25 ans sont citoyens actifs ; dans 20 villages
de Boulonnais, la proportion est de l'ordre de 67 %. Une étude
méthodique de onze listes nominatives des citoyens actifs
comportant les indications de professions atteste qu'au village, il
suffit d'exercer une profession non domestique (et encore on
trouve des valets de charrue) et d'avoir une résidence fixe pour
être citoyen actif. Toutefois, les zones de très forte concentration
de salariés du textile ou des mines se caractérisent par la faible
présence de ces “ouvriers” sur les listes censitaires ; à
Hardinghem, village du Boulonnais où on exploite le charbon, 44
“houillers” non propriétaires sur 51 sont déclarés non actifs 19. En
délaissant, malgré son intérêt, une microhistoire des conditions
de fixation des seuils civiques, on retiendra qu'à de rares
exceptions près, la base de la pyramide de citoyenneté est large.
 20 Pour plus de précisions, on se reportera à l'article de la Revue
du Nord cité en note 4.

18Par contre, il faut souligner plus qu'on ne le fait habituellement,


le caractère très sélectif du seuil d'éligibilité. Pour quinze
communes des districts d'Arras et de Boulogne, la proportion de
citoyens actifs qui sont éligibles dépasse à peine 50 %. Les listes
professionnelles révèlent une très nette ligne de partage : la quasi
totalité des paysans dépendants, des artisans du textile, du cuir et
du bâtiment sont exclus de l'exercice des responsabilités 20. Le
cens d'éligibilité constitue donc la barrière décisive qui réserve
presque qu'exclusivement l'exercice des fonctions locales aux
résidents économiquement indépendants ou proches de
l'indépendance. L'application de ce mode de scrutin aboutit à des
résultats conformes à ce qu'espéraient ses concepteurs.
 21 Je me limite ici pour l'essentiel à mettre en perspective des
résultats établis dans d'autres trav (...)

19Il consacre électoralement ceux que bientôt on appellera les


notables, comme le montre une analyse à très grands traits de la
composition des municipalités21. Les huit principales villes du
département se donnent des municipalités composées en
proportions presqu'égales de nobles libéraux, d'hommes de loi et
de marchands ou négociants. Les artisans et boutiquiers
n'accèdent pas aux responsabilités. Dans les villages, les
authentiques paysans investissent massivement les fonctions
municipales ; près de 80 % des maires artésiens, plus de 70 % des
Boulonnais sont exploitants agricoles. Environ les deux tiers des
élus municipaux exercent une profession à dominante agricole.
Cet autogouvernement paysan est aussi la consécration des
fermiers, ces grands exploitants, plus locataires que propriétaires,
employeurs de main-d'œuvre. Cette domination supporte
toutefois deux nuances : d'une part, si les villageois dépendants
sont presque totalement exclus, les catégories intermédiaires
(exploitants moyens et des alentours du seuil d'indépendance,
artisans qualifiés notamment) sont ici assez largement associés ;
d'autre part la composition des municipalités reflète le caractère
plus ou moins étagé des formations sociales des petits pays
septentrionaux (Bas-Pays de Béthume ou Saint-Omer et
Boulonnais se singularisent par une position moins forte des
grands exploitants).
20La formation des administrations de district reproduit en les
accentuant les caractéristiques des pouvoirs locaux.
RÉPARTITION DES ADMINISTRATEURS DES HUIT DISTRICTS

Agrandir Original (jpeg, 441k)

 1 dont 19 avocats et 11 autres professions judiciaires ou notaires.

* Pourcentage des déterminés


Note(1)1
21Un quasi équilibre entre villes et campagnes prévaut, avec un
léger avantage pour les secondes ; nulle part, il n'est fait état de
conflit entre villageois et citadins, comme si les engagements des
dirigeants urbains en faveur de l'égalité des droits entre villes et
campagnes ainsi que l'émergence d'une élite citoyenne au travers
des municipalités favorisaient la collaboration au sein des
nouvelles institutions. L'éviction complète des classes moyennes
ne signifie pas disparition des paysans ; près d'un tiers des
administrateurs de districts sont cultivateurs, presque tous grands
fermiers en fait ; il est par conséquent logique que les deux
districts de Béthune et Boulogne où leur domination sur les
municipalités est moins nette, se singularisent par l'absence
d'exploitants agricoles à ce niveau.
22L'administration du département reproduit très fidèlement les
traits de cette minorité dirigeante : nobles libéraux, professions
libérales en majorité hommes de loi, négociants ou marchands et
grands exploitants pour la plupart fermiers.
23La sélectivité de l'accès aux différents degrés de la citoyenneté,
la pyramide des administrations locales et la hiérarchisation de la
société provinciale coïncident ainsi étroitement après l'abolition
des ordres et la suppression des États provinciaux. Tout le
problème est de savoir si cette logique politique est reconnue par
la masse des citoyens.
24En fait, dès sa mise en place, cette pyramide des pouvoirs
locaux recèle deux virtualités contradictoires : d'une part la
consolidation d'un ordre reconnu et intégrant, dans l'exercice
d'une citoyenneté restrictive, les appartenances collectives
traditionnelles et des hégémonies sociales confirmées, d'autre
part la poussée revendicative des laissés-pour-compte du
système et le déroulement des élections révèlent en eux-mêmes
cette double potentialité.
 22 Peu de communes font référence au nombre d'actifs ; quand
celui-ci est connu, il arrive assez souv (...)

 23 Questionnaire, district d'Arras, canton de Vitry, Villes et


villages, Op. cit., T. I, p. 268.

 24 Questionnaire district de Béthune, canton de Beuvry, Villes et


villages, Op. cit., T. II, p. 63.

 25 Questionnaire, district de Calais, canton de Saint-Pierre, Villes et


villages, Op. cit., T. II, p. (...)

25De nombreux indices suggèrent qu'en janvier-février 1790,


l'application de l'exclusion censitaire fut très diversement
rigoureuse22. La souplesse d'application peut expliquer le faible
nombre de conflits signalés : une dizaine d'affaires liées à
l'application de ce mode de suffrage transparaissent dans
l'ensemble des procès-verbaux ou dans les litiges transmis aux
administrations supérieures. Dans le village de Gouy-sous-
Bellonne, on relève que : “Tous les citoyens non-actifs ont voulu y
venir donner leurs voix comme les autres sans qu'on ait pu les
empêcher”23. A Haisnes, il n'a été fait aucune différence “ entre
ceux qui avaient le droit d'élire et d'être élus en sorte que tous
ceux qui se sont trouvé à cette assemblée indistinctement ont
voté et que les suffrages se sont réunis pour la nomination du
maire en faveur d'un citoyen qui loin d'être éligible est à peine
actif”24. Dans plusieurs villages, les incidents semblent davantage
mettre en cause “les cabales” de l'une ou l'autre des familles que
le principe même du suffrage censitaire. Par ailleurs, le cens n'est
pas établi avec une volonté d'élimination massive qui correspond
peu à la tradition des assemblées d'habitants. Ainsi les
organisateurs de l'assemblée de Saint-Pierre-les-Calais précisent
qu'ils fixent le prix de la journée de travail non “ sur le prix haut
que les ouvriers habiles et industrieux gagnent ordinairement
mais [sur] le prix le plus bas qui leur est adjugé pour le travail
d'un jour”25.
26Au total, le caractère assez ouvert de l'accès au statut de
citoyen actif, probablement renforcé par la souplesse dans
l'application au cours des premières élections et par l'adhésion
civico-communautaire, font que l'acceptation est sûrement très
majoritaire ; elle n'exclut pas l'émergence ici ou là d'une poussée
démocratique qui bafoue ouvertement la loi. Or les conditions de
la participation politique et la pratique du pouvoir évoluent au
cours de l'année 1790.
 26 L'initiative vient du gouvernement central ; une lettre
ministérielle du 26 octobre 1790 rappelle (...)

27Avec le prolongement de l'œuvre constituante et l'entrée en


action des diverses instances administratives, on observe une
dynamique interne à l'application du système censitaire. Les
autorités constituées mettent progressivement en œuvre les
moyens d'un respect plus strict des règles électorales. A l'occasion
de la désignation des électeurs du deuxième degré en mai-juin
1790 et plus encore à l'automne 1790, l'administration
départementale presse les municipalités de dresser les tableaux
de citoyens actifs26. Cette systématisation ne fait pas forcément
baisser le nombre des inscrits, mais elle semble davantage
concrétiser le fait qu'ils y ait les ayant-droit et les exclus. Ainsi les
procès-verbaux des élections municipales partielles de l'été 90 et
ceux des élections de novembre laissent entrevoir une
interrogation plus fréquente sur la légitimité du cens, en même
temps qu'une vigilance plus tatillonne des autorités en place.
 27 Lettre à Monsieur Michaud curé de Bomy, dossiers de procédure
du tribunal criminel et révolutionna (...)
28D'ailleurs, les débats de l'Assemblée nationale sur le droit de
vote et l'influence de la minorité démocrate rejaillissent à
l'échelon local. A cette date, Robespierre reste en liaison avec sa
province ; il a fondé son important discours du 25 janvier 1790
contre le cens sur l'exemple artésien et le 18 juin il écrit au curé
de Bomy qui l'interroge sur les conditions d'application de
plusieurs lois et l'informe de certaines pratiques locales : “Je
répondrai en un mot aux chicanes suscitées à quelques uns de
nos compatriotes pour les exclure des assemblées  ; c'est que j'ai
toujours regardé toutes les difficultés, quelqu'en soient les
prétextes comme des attentats aux droits de l'homme et à la
souveraineté des peuples”27. Ainsi, même si, à cette date, les
sociétés politiques demeurent un phénomène urbain, le débat sur
l'exercice de la citoyenneté peut, ne serait-ce que ponctuellement,
toucher les campagnes.
 28 Questions 11 : état de l'organisation de la garde nationale ; 12 :
liste des inscrits selon le déc (...)

 29 Questionnaire, district de Béthune, canton de Beuvry, Villes et


villages, Op. cit., I. II, p. 63.

29A plus grande échelle, la liaison, établie par le décret du 12


juin, entre l'inscription sur une liste de gardes nationaux et
l'exercice des droits civiques contribue fortement à faire ressentir
le caractère sélectif du mode de suffrage ; dans les études des
comportements électoraux et des engagements politiques, la
portée de cette disposition mérite probablement une sérieuse
réévaluation. Les réponses des communes au  Questionnaire sont
sur ce point très révélatrices 28. La quasi totalité des villes et
bourgs déclarent avoir une garde nationale organisée ; par contre
près de la moitié des villages répondent nettement qu'ils n'en ont
pas. Nombre de communes assortissent leur réponse négative de
déclarations de bonne volonté civique, mais se justifient par des
arguments divers : absence d'armes, travaux des champs, absence
d'exemple dans les villages alentour. A Haisnes par exemple, on
écrit : “La forme de l'organisation de la garde nationale ne peut-
être observée à la campagne comme dans les villes… Aucun ne
refuse de monter la garde lorsqu'elle est commandée par la
municipalité… Tous citoyens courageux pour la défense de la
patrie”29.
 30 Questionnaire, district de Bapaume, cantons de Croisilles et
Foncquevillers, Villes et villages, O (...)

30Cette réponse renvoie à une autre caractéristique du


phénomène des gardes nationales au village ; les habitants
investissent cette institution d'un contenu très ambigu. Ainsi,
dans le district de Bapaune par exemple, si dans 15 villages sur
109, les réponses attestent bien la formation d'une garde
conforme aux lois, 28 au moins fournissent des réponses où trois
conceptions s'enchevêtrent : certains villages font référence aux
guets traditionnels notamment mis sur pied au moment des
moissons ; d'autres affirment l'existence d'une garde en rappelant
la prise d'armes contre les brigands en juillet 1789 ; quelques-
uns enfin se targuent du volontariat virtuel des membres de la
communauté pour assurer la défense collective. Ainsi, les officiers
municipaux de Boiry-Becquerelle écrivent : “Les hommes en état
de porter les armes se sont formés en peloton pour patrouille
nocturne au temps des alarmes de l'été dernier”, tandis que ceux
d'Hannescamps déclarent : “Pas d'autres organisations qu'une
garde citoyenne volontaire” et ils précisent qu'il n'y a pas eu
d'inscription tout en donnant le nombre de 56 gardes 30.
 31 Questionnaire, district d'Arras, canton de Roeux, Villes et
villages, Op. cit., T. I, p. 232. Le d (...)

 32 Questionnaire, district de Saint-Omer, canton de


Tournehem, Villes et villages, Op. cit., T. III, (...)
31En fait, le décret de juin 1790 semble mal compris ; Boiry-
Notre-Dame avoue : “Pour ce qui concerne la garde nationale,
nous attendons des instructions pour la former, messieurs,
attendu que nous n'avons pas bien interprété le décret du 18 juin
dernier”31. Mais l'incompréhension se teinte parfois d'une mise en
cause de la distinction entre les citoyens ; elle semble en effet
perçue comme étant contraire à l'appartenance de tous les
résidents à la collectivité. La municipalité d'herbinghem écrit par
exemple : “Pas de liste attendu que les hommes et les garçons
citoyens actif est si peu nombreux qu'on ne peut composer une
garde nationale et que le surplus des hommes et des garçons ne
sont que des ouvriers, journaliers et domestiques qui ne sont pas
citoyens actif ni admissibles  ; néanmoins on est convenu du zèle
qu'ils ont de soutenir la constitution nouvelle du royaume si on
les admettait avec les autres en la garde nationale”32.
32Ainsi s'opère une sorte de mise à jour progressive à la fois des
limites démocratiques du régime et de l'incompatibilité de
certaines dispositions constitutionnelles avec les traditions
collectives ; les comportements des citoyens deviennent alors de
plus en plus contradictoires.

LA MISE À L'ÉPREUVE DU
SYSTÈME : ENTRE PRISE DE
DISTANCE ET
RENFORCEMENT DES
ENGAGEMENTS
33La mise à l'épreuve tient d'abord au fait que les administrations
élues se trouvent en première ligne pour assumer les retombées
et les enjeux de la politique mise en œuvre par la Constituante.
Parmi les multiples questions en suspens, je n'ai retenu comme
test sommaire de l'attitude des nouvelles administrations que
celle des droits seigneuriaux. La région n'est pas un secteur de
système seigneurial écrasant ; toutefois, les procès entre
communautés et seigneurs se sont multipliés dans les dernière
décennies de l'Ancien Régime et l'Est du département a été le
théâtre de vigoureux mouvements anti-seigneuriaux dès le
printemps 1789. Enfin la prise d'autonomie collective face à
l'autorité seigneuriale sous l'égide des grands fermiers qui ont
majoritairement opté pour le “parti communautaire” s'est
clairement manifesté dans les municipalités. Que deviennent alors
les revendications ?
34On peut interpréter comme un signe de confiance légaliste la
quasi-absence de troubles antiseigneuriaux dans les premiers
mois de 1790, au moment où s'embrasent de nombreuses
régions.
 33 Discours devant le directoire du district d'Arras, cité par
E. LECESNE, Arras sous la Révolution.

 34 A. D; P.-de-C., 214, 41 (Lettre du 6 août 1790).

35Les administrations de département et de district prennent


pourtant nettement position en faveur d'une application
rigoureuse des décrets prévoyant le rachat des droits réels. A
peine élu président de l'administration départementale, Ferdinand
Dubois de Fosseux, déclare à l'assemblée constitutive du
directoire du district. D'Arras : “Il y en a qui refusent de payer,
ceux-là sont de véritables rebelles. L'Assemblée nationale a eu
des motifs puissants d'ordonner que la dîme soit encore perçue
cette année, que les ferrages sont une propriété et que ce serait
un vol manifeste que d'en refuser le payement du moins jusqu'au
rachat qui peut en être fait suivant les lois ”33. Les districts
semblent relayer ce légalisme ; celui de Boulogne par exemple
s'enquiert du mode de gestion des fonds versés au titre des droits
réels payables aux propriétaires ecclésiastiques34.
 35 A. N. DIV/52/1500.

36Parmi les municipalités, l'attitude dominante semble être


l'attente plus ou moins impatiente d'un arbitrage en leur faveur
des litiges qui les opposent aux ex-seigneurs. L'évocation des
procès en cours, notamment sur les communaux, les plantis et
des droits réels contestés, s'achève presque toujours par des
formules du genre : “La communauté est chargée d'un droit de
terrage ou champart dessus le territoire  ; nous demanderions
bien que l'on ferai faire vérifier au district et au département leur
institution”35. Cette attente se teinte souvent d'une certaine
extrapolation des pouvoirs conférés aux municipalités ; comme le
laissait pressentir la commune de Saint-Martin, bien des villageois
sont persuadés que les compétences des ex-justices seigneuriales
sont transférées aux communes. Plusieurs incidents surviennent
parce que des municipalités prétendent condamner des agents
d'exécution de l'ex-seigneur. Le curé de Bomy déjà cité pose la
question dans une de ses lettres à Robespierre qui répond : “les
municipalités de campagne ne peuvent point exercer la justice et
les juges seigneuriaux conservent les fonctions jusqu'à
l'organisation des tribunaux”.
 36 38 communes sur 60 pour lesquelles les données sont
disponibles connaissent une baisse, J. LABIT, (...)

37Il n'est alors pas exceptionnel que l'apparent consensus qui


avait permis la pérennisation, dans la direction des villages, de
nombreux officiers seigneuriaux dégénère. A Hesdigneul, un
violent conflit oppose le maire au corps municipal qui lui reproche
ses comportements de “despotique municipal” et sa collusion avec
les hommes du seigneur ; en septembre 1790, après que
l'administration du département eût finalement démis le conseil
général de la commune, les officiers municipaux se plaignent
auprès de l'Assemblée nationale de cette décision qui les frappent
autant que le maire et ils écrivent : “Le maire qui est l'ami intime
du fermier du seigneur et le seul fermier considérable du village
d'intelligence avec les anciens officiers municipaux méprisa
tellement les suppliants qu'il ne voulut les consulter en rien… Il
s'opposa toujours à la reddition des comptes parce qu'il
appréhendait qu'ils nuisent aux anciens municipaux et
particulièrement à son beau frère qui était le receveur… ”. Puis
mettant en cause la pétition orchestrée par le premier magistrat
qui a amené le renvoi de toute la municipalité, ils accusent : “[…].
La plus grande partie de ceux qui ont signés cette déclaration ne
sont point citoyens actifs, ils sont presque tous ouvriers ou
domestiques du maire. Cette déclaration n'a point été prise en
assemblée mais souscrite de maisons en maisons par promesse
et menace…”36. L'affaire résume l'enchevêtrement des enjeux et
des modes d'exercice du pouvoir local : les détournements du
principe électif sont patents ; la dimension anti-seigneuriale et les
rivalités internes à la communauté s'entrecroisent ;
l'omniprésence des intérêts locaux n'empêchent pas le recours
aux autorités de tutelle et la référence très explicite à la loi
censitaire pour discréditer l'adversaire qui ne l'aurait pas
respectée. Après l'élan participatif du début de l'année, il se
produit une opacification de l'exercice des responsabilités locales.
En même temps, l'abstention électorale gagne du terrain.
38En deux temps et pour des scrutins de types différents, le Pas-
de-Calais affiche un effondrement de la participation. D'abord en
mai-juin, lors des élections primaires, la participation dans le
district d'Arras, tombe à moins de 20 % ; tous cantons confondus,
elle est moitié moindre qu'en janvier et février ; la chute est du
même ordre en ville et dans les campagnes, mais celles-ci
continuent de voter davantage (taux de 27,5 % contre 9,8 % à
Arras).
 37 Questionnaire, district de Calais, canton d'Audruicq, Villes et
villages, Op. cit., T. II, P. 490.

39Le renouvellement partiel des municipalités, en novembre 1790,


confirme le repli de la participation ; dans le district d'Arras, pour
un échantillon de communes où 73 % des citoyens actifs ont voté
au début de l'année, la participation tombe à 28 % en novembre ;
dans le district de Boulogne, la pente est la même quoiqu'un peu
moins brutale37.
 38 Archives parlementaires, journée du 25 janvier 1790,
intervention de Robespierre, p. 319.

40Les multiples allusions des municipalités à l'ouverture d'une


liste d'inscription pour la garde nationale suivies de la notation
“personne  ne s'est présenté” confirme la tendance à la
désimplication. La lassitude face à des sollicitations répétées,
l'absence de dédommagement pour les fonctions exercées,
malgré les demandes de plusieurs administrateurs de districts, ne
sont pas pour rien dans ces comportements. Aux questions sur la
garde nationale, la commune de Nortkerque répond : “La garde
nationale comprenait tous les habitants, mais aujourd'hui le zèle
du service est fort ralenti par satiété et le défaut de solde, ainsi
notre garde peut être regardée comme nulle”38.
 39 Questionnaire, district de Bapaume, canton de Grévillers et
district D'Arras, canton de Vitry, Vil (...)

41Mais à analyser de plus près la participation aux assemblées


primaires de mai-juin 1790, on découvre d'autres éléments
d'interprétation du repli participatif. Le déplacement au chef-lieu
de canton pour ces élections est singulièrement plus massif chez
les citoyens éligibles. Dans le canton de Pas, où 24 % des actifs
participent, plus de 43 % du total des éligibles du canton prennent
part au vote ; par contre, seulement 7,6 % des citoyens actifs font
la même démarche. Il s'agit donc bien d'un abstentionnisme
différentiel ; ceux qui n'ont aucune chance d'accéder aux
responsabilités se dérangent moins que les postulants éventuels
et parmi ceux-ci les détenteurs de fonctions locales sont
surreprésentés. Ces observations légitiment justifier deux
interprétations contradictoires : on peut y voir l'aboutissement
d'une logique qui, par la dévolution élective des responsabilités,
consacre une conception de la délégation de pouvoir où se
rejoignent le projet pyramidal des constituants et une conception
villageoise de l'autorité accordant une place essentielle à des
personnages reconnus comme appartenant à la collectivité tout en
la dominant ; mais on peut tout aussi bien y lire l'échec de
l'apprentissage de la citoyenneté que Robespierre annonçait dans
son discours du 25 janvier “Bientôt vous verrez vos assemblées
primaires et électives désertes parce que […] les gens à trois
journées ne s'empresseront pas d'abandonner leurs affaires et
leur familles pour fréquenter des assemblées où ils ne peuvent
porter ni les mêmes droits ni les mêmes devoirs que les citoyens
plus aisés”39. Selon cette hypothèse, ce serait le système
censitaire lui-même qui favoriserait le désengagement électoral.
En fait, les deux explications s'entrecroisent sans cesse et, en tout
cas, la permanence de pressions pour participer à la vie publique
et la rémanence du refus de la soumission à des pouvoirs non
reconnus invalident l'hypothèse de la dépolitisation.
 40 Questionnaire, district d'Arras, canton de Vitry, Villes et
villages, Op. cit., T. I, p. 270.

 41 Questionnaire, district de Calais, Guines, Villes et villages, Op.


cit., Τ; II, p. 613.
 42 A.D. P-d-C 2 L. Boulogne, liasse 145 cité par M.-P. HERBERT-
LAMPS, La vie dans un bourg rural du B (...)

42Dans les cas d'établissement de listes des gardes nationaux, la


participation massive des villageois les plus modestes est presque
toujours manifeste. A Biefvillers par exemple on relève : 6
fermiers, 4 ménagers, 10 journaliers, 3 domestiques, 2 bergers, 3
maçons, 5 couvreurs, 2 charpentiers, 1 menuisier, 5 cordonniers,
7 travailleurs du textile ; à Sailly-en-Ostrevent sont inscrits 11
fermiers, 3 valets de charrue, 6 manœuvriers, 39 ouvriers, 8
artisans divers40. La présence des dominants du village atteste
qu'il n'y a pas forcément éclatement de la communauté, mais les
proportions entre diverses catégories sociales prouvent que, dans
une partie des villages, le carcan censitaire doit paraître fort
étroit. D'ailleurs plusieurs municipalités signalent que des
citoyens qui ne sont ni citoyens actifs ni fils de citoyens font
partie de la garde nationale et s'en servent comme moyen de
pression. Ainsi à Noyelles-sous-Bellonne, il est précisé que : “Les
jeunes gens ont forcé MM. les officiers municipaux de les former
et de les aller présenter à Arras ”41 ; dans le petit bourg de Guines,
on observe “que tous ceux qui ont souscrit ne sont pas citoyens
actif, qu'il n\a pas été possible de refuser la souscription d'une
foule de citoyens non actif sans s'exposer à des troubles et même
à une insurrection…”42. Entre indifférence pour une institution
non ressentie comme utile, application légaliste et investissement
plus ou moins contenu par ceux que le système représentatif tient
à l'écart, la Garde nationale est bien au cœur des luttes pour le
pouvoir.
43L'exacerbation des tensions ainsi nouées se manifeste
clairement à Marquise, en décembre 1790. Dans ce village, qui
appartient à un secteur qui semble pourtant très légaliste au
cours des diverses opérations de l'année, les élections du juge de
paix dévoilent que le lien établi par la loi entre suffrage censitaire
et inscription sur la liste des gardes est décidément très mal reçu.
La demande, formulée par l'un des présents, de présenter les
registres de gardes des communes du canton provoque un tollé
“Le tumulte s'est accru, un refus prononcé par un grand nombre
de citoyens… L'assemblée s'est trouvé dissoute” . Cet exemple de
43

conflit illustre la fragilisation de l'intégration des collectivités


locales à l'appareil constitutionnel au moment où s'accumulent
beaucoup d'autres problèmes qui vont directement mettre en jeu
la collaboration des administrations.
44Au total l'exercice du pouvoir local ne saurait se réduire à un
simple “placage” institutionnel ; la force de la réforme de 1789-90
tient au fait qu'au village, elle rend possible la coïncidence entre
les dimensions communautaires ou collectives traditionnelles et la
structure communale nouvelle. De ce fait, l'adhésion initiale au
nouvel édifice constitutionnel pour être indéniable n'en est pas
moins ambiguë, notamment parce qu'elle ne signifie nullement
l'acceptation du principe de l'individualisation de la citoyenneté et
de l'inégalité censitaire.
45Ceci souligne la nécessité d'observer le pouvoir local avec des
focales variées. la macro-observation des taux de participation,
du fonctionnement des administrations, etc. laissent supposer
une intégration accélérée des collectivités locales à une structure
politico-administrative voulue comme moyen de l'unité nationale,
mais l'examen plus rapproché du déroulement des élections et
des comportements locaux montre que cette intégration demeure
conditionnelle, liée en particulier au maintien des valeurs
reconnues par la collectivité. De même, l'attribution des fonctions
atteste le large monopole des pouvoirs locaux par une élite
dirigeante associant nobles libéraux, bourgeoisie et grands
fermiers, mais les procès-verbaux d'élection, les comportements
face à la garde nationale et à l'évolution dans l'application de la loi
censitaire révèlent des tensions plus ou moins contenues et des
rejets de l'exclusion politique d'une partie des membres de la
commune.
46Ils aboutiront, selon les circonstances tantôt à une participation
croissante aux marges du système représentatif, dans les clubs
par exemple, tantôt au repli sur les modes traditionnels de
fonctionnement des collectivités locales et sur les solidarités
concrètes entretenues par les liens de dépendance. Sur des modes
divers se manifesteront ainsi non une “a-politisation”, mais le
refus d'un système n'offrant qu'un simulacre de
responsabilisation. Ces comportements s'avéreront décisifs pour
la suite de la Révolution et pour des expériences politiques
ultérieures.
NOTES
1 Les documents originaux se trouvent aux Archives départementales
du Pas-de-Calais, série 2 L. J'ai assuré avec P. BOUGARD la direction de
la publication sous le titre “Villes et villages du Pas-de-Calais en 1790”,
3 T., Mémoires de la Commission départementale d'histoire et
d'archéologie, 1990, 1991, 1992 (en collaboration avec L.-N. BERTHE,
D. CANLER, J.-M. DECELLE).

2 Je songe notamment aux ouvrages de H.-V. OZOUF-MARIGNIER,  La


formation des départements. La représentation du territoire français à
la fin du XVIII   siècle, Paris, E.H.E.S.S., 1989 et T.-W. Margadant,  Urban
e

Rivalries in the French Revolution, Princeton, 1992.

3 L'ouvrage d'E. WEBER traduit sous le titre  La fin des terroirs (Paris,


1983) constitue la reprise la plus remarquée de la thèse de la non-
politisation avant la fin du XIX  siècle. Les problématiques d'une
e

politisation plus complexe et moins linéaire ont été notamment


formulées dans l'article de M. Agulhon “Vues nouvelles sur la France
rurale du 19  siècle” (Bulletin du Centre P. Léon, Lyon), dans les actes
e

du colloque  Les Paysans et la politique (Annales de Bretagne, Numéro


spécial 1982, voir en particulier les conclusions du colloque par
R. DUPUY) et dans plusieurs contributions de  Mouvement populaire et
conscience sociale, Maloine, 1985, dir. J. NICOLAS (pour ne citer que
trois exemples précédant la vague des travaux récents sur les
élections, les sociétés politiques, etc).

4 Pour cette nécessaire typologie régionale et socio-agraire, voir des


travaux antérieurs, notamment  Pouvoir au village et Révolution. P.U.L.,
1987 et “De la citoyenneté proclamée à la citoyenneté appliquée :
l'exercice du droit de vote dans le district d'Arras en 1790”,  Revue du
Nord, I. LXXII, Octobre-décembre 1990, p. 789-839.

5 Voir les travaux de P. GUENIFFEY et sa communication dans ce


colloque au cours duquel la question a été débattue.

6 A.N., D IV/52/1413, document non daté, mais dont tout laisse


supposer qu'il fut rédigé au printemps 1790.

7 Questionnaire, district de Saint-Pol, canton de Frévent,   Villes et


villages, Op. cit., I. III, p. 472).

8 Questionnaire, district de Béthume, canton d'Hersin,  Villes et


villages, Op. cit., I.II, p. 132).

9 A.D. P.-de-C., Ε dépôt 50/01,  Villes et villages, Op. cit., IIII, p. 28.

10 Questionnaire, district de Bapaume, canton de Cagnicourt,   Villes et


villages, Op. cit., I.I, p. 313.

11 Questionnaire, district de Saint-Pol, canton de Monchy-


Βreton,  Villes et villages, Op. cit., T. III, p. 520.

12 Questionnaire, district de Bapaume, canton de Courcelles,   Villes et


villages, Op. cit., T. I, p. 325.

13 Questionnaire, district de Saint-Pol, canton de Framecourt,   Villes et


villages, Op. cit., T.III, p. 442.
14 On se reportera au catalogue de l'exposition organisée par les
Archives départementales du P-de-C.  Les provinces sont mortes  ! Vive
le Pas-de-Calais, Arras, 1989 et à nos mises au point dans  Villes et
Villages, Op. cit., II, introduction, p. 11-48 et J.-P. JESSENNE, “Des
provinces aux départements : l'exemple du Nord et du Pas-de-Calais”
in  Lettre d'information du Centre d'Histoire de la région du Nord  : Nos
départements ont 200 ans, Université Charles-de-Gaulle-Lille III, N° 8,
1992, p. 19-22.

15 A.N. D IV Bis 14, lettre du 16 avril 1790.

16 Observation sur la fixation du chef-lieu du Pas-de-Calais,  AD P.-


de-C., Barbier 172/83.

17 A.N DIV bis 14; juillet 1790, villages de Busnes, Saint-Venant, Saint-
Floris.

18 A.D. P.-de-C., 2 L 4/8, cité par J.M. LABIT,  L'intégration politique


des campagnes du Boulonnais (1766-1791), Mémoire de maîtrise,
Université Charles de Gaulle-Lille III, dir. M. LOTTIN et JESSENNE, 1991,
p. 135.

19 Questionnaire, district de Boulogne, canton d'Hardinghem,   Villes et


villages, Op. cit., T. Il, p. 342.

20 Pour plus de précisions, on se reportera à l'article de la   Revue du


Nord cité en note 4.

21 Je me limite ici pour l'essentiel à mettre en perspective des résultats


établis dans d'autres travaux ou à synthétiser quelques-unes des
données rassemblées dans  Villes et villages.

22 Peu de communes font référence au nombre d'actifs ; quand celui-


ci est connu, il arrive assez souvent que l'effectif des votants dépasse
celui des actifs ; en mars 1790, plusieurs maires s'interrogent sur la
signification de la lettre du maire d'Arras Dubois de Fosseux qui
demandent aux communes l'établissement de tableaux des actifs.
23 Questionnaire, district d'Arras, canton de Vitry,  Villes et
villages, Op. cit., T. I, p. 268.

24 Questionnaire district de Béthune, canton de Beuvry,  Villes et


villages, Op. cit., T. II, p. 63.

25 Questionnaire, district de Calais, canton de Saint-Pierre, Villes et


villages, Op. cit., T. II, p. 565.

26 L'initiative vient du gouvernement central ; une lettre ministérielle


du 26 octobre 1790 rappelle à l'ordre le directoire du département :
“Nous attendions le tableau des électeurs et des citoyens actifs de
votre département. […] Nous espérons que vous ne mettrez aucun
retard à nous le faire passer”. A.D. P-de-C., 2 L 1/64.

27 Lettre à Monsieur Michaud curé de Bomy, dossiers de procédure du


tribunal criminel et révolutionnaire, liasse 3.

28 Questions 11 : état de l'organisation de la garde nationale ; 12 :


liste des inscrits selon le décret du 12 juin ; 13 : nombre total des
gardes ; 14 : état des armes.

29 Questionnaire, district de Béthune, canton de Beuvry,   Villes et


villages, Op. cit., I. II, p. 63.

30 Questionnaire, district de Bapaume, cantons de Croisilles et


Foncquevillers,  Villes et villages, Op. cit., T. I, p. 338 et 361.

31 Questionnaire, district d'Arras, canton de Roeux,  Villes et


villages, Op. cit., T. I, p. 232. Le décret a été adopté le 12 juin ; ce sont
les lettres patentes qui datent du 18.

32 Questionnaire, district de Saint-Omer, canton de Tournehem,   Villes


et villages, Op. cit., T. III, p. 346.

33 Discours devant le directoire du district d'Arras, cité par


E. LECESNE,  Arras sous la Révolution.

34 A. D; P.-de-C., 214, 41 (Lettre du 6 août 1790).


35 A. N. DIV/52/1500.

36 38 communes sur 60 pour lesquelles les données sont disponibles


connaissent une baisse, J. LABIT,  Op. cit., annexe 18. M. EDELSTEIN dans
son enquête en cours sur la participation électorale trouve ce résultat
exceptionnellement bas ; la variété des comportements régionaux reste
à préciser.

37 Questionnaire, district de Calais, canton d'Audruicq,   Villes et


villages, Op. cit., T. II, P. 490.

38 Archives parlementaires, journée du 25 janvier 1790, intervention


de Robespierre, p. 319.

39 Questionnaire, district de Bapaume, canton de Grévillers et district


D'Arras, canton de Vitry,  Villes et villages, Op. cit., T. I, p. 374 et 270.

40 Questionnaire, district d'Arras, canton de Vitry,  Villes et


villages, Op. cit., T. I, p. 270.

41 Questionnaire, district de Calais, Guines,  Villes et villages, Op. cit.,


Τ; II, p. 613.

42 A.D. P-d-C 2 L. Boulogne, liasse 145 cité par M.-P. HERBERT-


LAMPS,  La vie dans un bourg rural du Boulonnais, Mémoire de D.E.A.,
dir. A. LOTTIN, 1990, p. 150.

NOTES DE FIN
1 dont 19 avocats et 11 autres professions judiciaires ou notaires.

TABLE DES ILLUSTRATIONS

URL http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/14299/img-1.jpg

Fichier image/jpeg, 222k


Titre LA PARTICIPATION AUX PREMIÈRES élections
MUNICIPALES DE 1790

Légende (* Nombre des actifs en novembre 1790 (pour seulement 24 villes


ou ce nombre est connu en février la participation est un peu plus
élevée).

URL http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/14299/img-2.jpg

Fichier image/jpeg, 363k

Titre RÉPARTITION DES ADMINISTRATEURS DES HUIT


DISTRICTS

Légende * Pourcentage des déterminésNote(1)1

URL http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/14299/img-3.jpg

Fichier image/jpeg, 441k

AUTEUR
Jean-Pierre Jessenne
Université de Lille III
Du même auteur

 Nationales, communautaires, bourgeoises ? in La plume et le sabre, Éditions de la


Sorbonne, 2002

 Préface in Dans le tourbillon de la Révolution, Presses universitaires de Rennes, 2016

 Les études rurales britanniques et françaises : histoires comparatives, échelles territoriales


et chronologies in Ruralité française et britannique, XIIIe-XXe siècles, Presses universitaires
de Rennes, 2005
La réception de la Révolution
en Bretagne : étude
électorale
Melvin Edelstein

Traduction de Monique Barasch

p. 193-207

TEXTE NOTES AUTEURS

TEXTE INTÉGRAL
1Bien que nous ayons des études sur les cahiers de doléances, sur
les troubles agraires, sur la garde nationale, les clubs, le serment
du clergé et la chouannerie, nous manquons d'études
comparables sur les élections. Pourtant, les élections étaient
précisément les moyens par lesquels le pouvoir politique se
transmettait. En comparant les statistiques et les cartes de la
participation électorale à celles créés par Roger Dupuy et Timothy
Tackett, nous pouvons faire pour la Bretagne une espèce de
“géopolitique de la Révolution française ” comme Michel Vovelle l'a
fait pour la France.
2Comment la Révolution fut-elle accueillie en Bretagne ? Est-ce
évident qu'elle sera un foyer de résistance ? ou bien a-t-elle
embrassé la Révolution avec enthousiasme ? Les campagnards
étaient-ils incapables de conscience politique ? ou y-avait-il une
“précoce politisation des campagnes bretonnes” ? Au préalable,
les villes étaient-elles des “bastions bleus” entourées de
“campagnes blanches” ? Les différences en participation électorale
correspondent-elles à la frontière linguistique de Saint-Brieuc-
Vannes, et peut-on opposer une Basse-Bretagne bretonnante et
“bleue” à une Haute-Bretagne gallo et “blanche” ? Je vais répondre
à ces questions en étudiant les premières élections municipales et
cantonales de 1790 ainsi que celles de juin 1791 dans tous les
cinq départements bretons. Il s'agit d'une étude de la
participation, de la géographie et de la sociologie électorale. Pour
1791, je vais chercher les corrélations entre le vote et le clergé
assermenté ainsi que la diffusion des clubs jacobins. Je vais
conclure en comparant la cartographie du vote et celle de
l'insurrection de mars 1793.
 1 Jacques GODECHOT, “Les Municipalités du Midi Avant et Après la
Révolution”, in  Annales du Midi (19 (...)

3Les élections municipales de janvier-mars 1790, le premier


scrutin révolutionnaire, nous permettent d'étudier comment la
Bretagne a accueilli la Révolution. La participation pour quatre-
vingt quatre municipalités dans trois départements était
relativement élevée, environ 57-58 %. Elle variait de la moitié à
presque deux tiers : 63 % dans le Finistère, 58 % dans les Côtes-
du-Nord et 50-51 % en Ille-et-Vilaine. Elle est plus élevée que les
50 % en Haute-Vienne ou les 42 % en Haute-Garonne. Il est
significatif de voir que tous les trois départements bretons
surpassaient en vote la Haute-Garonne, puisque Jacques
Godechot a insisté sur la différence entre le Midi, où beaucoup de
communes avaient sous l'ancien Régime un conseil élu et le Nord
où l'assemblée générale se réunissait rarement1.
4Le vote dans certaines municipalités rurales d'Ille-et-Vilaine était
même plus élevé que les 50 %-51  % pour le département, y inclus
Rennes. En fait, il était 60 % dans vingt huit municipalités. Basé
sur le vote dans les élections municipales, la Bretagne a accueilli
la Révolution avec enthousiasme.
5Etant donné que la Bretagne manquait d'une tradition de
gouvernement municipal autonome, comment expliquons-nous la
participation élevée ? Je l'attribue à ce que Dupuy appelle “la
précoce politisation des campagnes.” La lutte entre les citadins et
leurs alliés à la campagne contre les privilégiés en 1788-89 a
produit une politisation des campagnes, qui s'est traduite par une
mobilisation électorale en janvier-mars 1790.
 2 Paul BOIS, Paysans de l'Ouest (Paris, 1960), p. 266.

6Les campagnards bretons avaient un niveau élevé de conscience


politique, qui contredit Paul Bois2. La participation rurale était en
général plus élevé que le vote dans les chefs-lieux du
département.
7La Bretagne est aussi exceptionnelle puisque plusieurs de ses
villes avaient une participation élevée, surtout celles en Basse-
Bretagne : 70 % à Saint-Brieuc, 70 % à Brest, 68 % à Morlaix et
56 % à Quimper dans le Finistère et 71 % à la Roche-Bernard, 62 %
à Pontivy et 59 % à Vannes dans le Morbihan. En Haute-Bretagne,
la participation à Rennes et Nantes, 38-39 % et 29 %
respectivement, n'était pas exceptionnelle pour les villes à
population comparable.
8Bien que les données fussent fragmentaires, une esquisse d'une
“géopolitique” des élections municipales bretonnes émerge.
L'Ouest de la province a surpassé l'Est. Des differénces régionales
paraissent de même à l'intérieur des départements. Dans le
Finistère, le district de Brest avait la participation la plus élevée. Il
est suivi de près par le district de Morlaix dans le nord-est à la
frontière des Côtes-du-Nord. Dans les Côtes-du-Nord, le vote
était le plus élevé dans le district de Lannion à l'Ouest et le plus
faible à l'Est.
9Comment expliquons-nous les différences régionales dans le
vote ? A ce point, le clivage entre la Basse et la Haute-Bretagne
n'était pas encore très net. Une mobilisation politique intense
explique le vote élevé dans les districts de Lannion, Morlaix et
Brest. Le rapport entre le vote et la mobilisation politique dans le
nord-ouest de la Bretagne est frappant !
 3 Roger DUPUY,  De la Révolution à la Chouannerie (Paris, 1988), p. 129.

 4 Voir A.D. Finistère 10 L 75 ; A.D. Ille-et-Vilaine L 355.

10Qui a gagné ces élections ? Quelles classes sociales ont détenu


le pouvoir ? Le bas clergé avait-il une place importante comme
plusieurs historiens l'ont prétendu ? Mais R. Dupuy n'est pas
d'accord3. Le peu d'évidence que j'ai trouvé confirme les analyses
de R. Dupuy. Dans le district de Quimperlé dans le Finistère, le
clergé au total représentait 9 % du corps municipal dans 21
municipalités. Dans le district de Rennes, le clergé représentait
15 % des maires et 8 % seulement des procureurs de la
commune4. Dans les chefs-lieux du département, très peu de
membres du clergé ont été élus.
 5 Jean-Pierre JESSENNE, Pouvoir au Village et Révolution : Artois, 1760-
1848 (Lille, 1987), p. 255-2 (...)

11Si le clergé n'a pas détenu le pouvoir, qui était à le détenir ?


Dans le district de Quimperlé, les cultivateurs avaient la
prépondérance du pouvoir. Ils représentent plus de trois quarts
des membres du corps municipal. Si ce district était typique,
c'était les cultivateurs qui ont détenu le pouvoir local dans le
Finistère et, peut-être en Bretagne. Pouvons-nous parler d'une
FERMOCRATIE bretonne, comme Jean-Pierre Jessenne le fait pour
l'Artois ?5 Mais on ne sait pas ce qu'étaient vraiment les
cultivateurs.
12Dans les chefs-lieux du département, les maires furent choisis
parmi les hommes de loi (Rennes, Vannes et Quimper), les
négociants (Nantes) ou les médecins (Saint-Brieuc). Les
municipalités de Rennes, Vannes et Quimper étaient dominées par
les hommes de loi, alors que Nantes était dominée par les
négociants. A Saint-Brieuc, les hommes de loi devaient partager le
pouvoir avec les gens d'affaires. Mais les artisans et petits
commerçants généralement étaient une minorité importante des
notables.
13On peut voir également comment la Révolution fut accueillie en
Bretagne dans une étude du comportement électoral au second
scrutin de 1790, celui des élections cantonales pour désigner les
électeurs qui devaient choisir les administrateurs et les juges.
Mais les documents sont très disparates et incomplets.
 6 Voir A.D. Morbihan L 233-234 ; Finistère 10 L 75 et 10 L 81 à 94 ; les
procès-verbaux des assemblé (...)

14Il y avait un clivage très net entre la Basse et la Haute-Bretagne.


La participation était la plus élevée dans les deux départements
de Basse-Bretagne et la plus faible dans les deux départements de
la Haute-Bretagne. Dans le Finistère, le vote était 47-48 % alors
qu'il était 47 % dans le Morbihan. En Ille-et-Vilaine, il était 32 %
alors que la Loire-Inférieure suivait de près avec 30 %6.
15La participation était quelque peu en dessous de la moyenne
nationale en Basse-Bretagne, mais bien inférieure à la moyenne
en Haute-Bretagne. Le vote dans les deux départements de la
Basse-Bretagne est quelque peu inférieur à la moyenne de 50 %
dans un échantillon de 36 départements. Les seuls départements
dont les taux de participation s'apparentent à ceux de Haute-
Bretagne sont le Calvados (30 %), la Seine (16 %) et le Var (12 %),
pour lequel les données sont très fragmentaires.
16Vu la tradition républicaine à identifier les villes comme
“bastions bleus” encerclées par des “campagnes blanches”, il est
frappant que les campagnards généralement surpassaient en vote
les citadins.
17On peut voir les différences régionales à l'intérieur des
départements mêmes dans le Morbihan, où il y avait deux zones
du vote élevé : le nord-ouest et le sud-est. Il s'agit des districts
de Pontivy et du Faouët dans le nord-ouest et de ceux de la
Roche-Bernard et de Rochefort dans le sud-est. Alors que les
villes côtières sont devenues plus tard des “bastions bleus”, elles
ne le sont guère selon ce premier vote.
 7 R. DUPUY, De D Révolution à la Chouannerie, p. 117.

18Comment expliquons-nous les différences régionales du


comportement électoral ? L'évidence supporte-t-elle l'hypothèse
avancée par certains historiens d'une Basse-Bretagne,
précocement patriote, opposée à une Haute-Bretagne rapidement
gagnée par la contrerévolution ? Selon R. Dupuy, cet argument est
basé sur une mobilisation contre le domaine congéable, surtout
dans la moitié occidentale des Côtes-du-Nord et du Morbihan
ainsi que dans une partie du Finistère7.
19A première vue, il semble y avoir un rapport net entre les deux
zones de participation élevée dans le nord-ouest et le sud-est du
Morbihan et la mobilisation contre le domaine congéable. Étant
donné que la seconde Fédération de Pontivy eut lieu à la mi-
février, il est aussi possible que la mobilisation politique ait
produit un vote élevé.
20Quel rapport existe-t-il entre le vote et les mouvements
paysans qui aboutissent à des troubles agraires en Haute-
Bretagne ? Il ne semble pas y avoir de rapport entre le vote et
l'agitation contre les afféagements, qui a touché le district de
Ploërmel, surtout le pays de Guer. A cause de l'absence des
procès-verbaux de la grande partie de la Loire-Inférieure et du
nombre de votants dans ceux de l'Ille-et-Vilaine, il est impossible
d'y comparer le vote et les troubles agraires.
 8 A.D. Morbihan L 233.

21En dépit du manque d'un rapport très net entre le vote et les
mouvements paysans, les documents électoraux révèlent les
revendications paysannes. L'assemblée électorale du Morbihan a
demandé à l'Assemblée nationale de supprimer le domaine
congéable, de restituer les terrains vains et vagues aux
communautés et de ne pas obliger les communes au rachat des
droits féodaux. Tout en défendant la clôture, elle mettait en doute
le droit des ci-devant seigneurs qui ont afféagé certains terrains.
Les procès-verbaux montrent une lutte pour le pouvoir entre les
campagnards et les citadins. Comme signe de trouble futur,
Saint-Avé a exprimé “le vœu général” que “la Religion Catholique,
Apostolique et Romaine soit décrétée la seule dominante en
France”8.
22Qui a détenu le pouvoir ? Quel est le poids du clergé parmi les
élus ? Comment la Bretagne diffère-t-elle du reste du pays ? Tout
d'abord, il y a une grande différence entre le rôle du bas clergé
dans le bureau des assemblées électorales et son poids parmi les
élus. Dans le Morbihan, le clergé représente un minimum de 39 %
des présidents et de 25 % des secrétaires, mais seulement 6 % des
électeurs du second degré.
 9 A.D. Côtes-d'Armor 1 L 371 ; A.D. Finistère 10 L 75 ; A.D. Ille-et-Vilaine
L 346 ; A.D. Morbihan L (...)

23Le clergé représente une plus grande proportion des électeurs


bretons que dans d'autres départements. Globalement, le clergé
représente 8 % de tous les électeurs bretons. La proportion varie
de 3 % dans le Finistère à 13 % dans les Côtes-du-Nord9.
24Parmi les électeurs bretons, les cultivateurs et les laboureurs
détenaient le pouvoir. Globalement, ils représentaient 38-39 %
des électeurs des trois départements de la Loire-Inférieure, de
l'Ille-et-Vilaine et du Finistère. Leur proportion varie d'un
pourcentage écrasant de 52 % dans le Finistère à 29 % en Loire-
Inférieure. En Ille-et-Vilaine, ils représentent au moins 35 %. Dans
le Finistère, ce sont les cultivateurs, mais quel est le sens de ce
mot ? En Loire-Inférieure et Ille-et-Vilaine, la vaste majorité sont
des laboureurs. Il y avait très peu de fermiers ou de métayers. La
Bretagne est exceptionnelle dans sa proportion très élevée de
cultivateurs et de laboureurs.
25Du fait de la proportion élevée de cultivateurs et du clergé, le
pourcentage d'hommes de loi est relativement faible. Ils
moyennent 19 % dans les trois départements. L'Ille-et-Vilaine
vient en tête avec 22-23 %. Dans le Finistère, ils ne sont que de
15 %. La proportion d'hommes de loi toutefois, s'approche à la
moyenne dans mon échantillon.
26Les gens d'affaires représentaient un pourcentage relativement
bas. Ils ne constituent que 13 % des élus dans les trois
départements bretons. Dans la Loire-Inférieure, ils sont 18 %,
alors qu'en Ille-et-Vilaine, ils ne sont que de 9-11 %. La
proportion de gens d'affaires, toutefois, n'est que légèrement
inférieure à la moyenne de mon échantillon national.
 10 MELVIN EDELSTEIN, “Participation et Sociologie électorale des Landes
en 1790”, Bulletin d'Histoire (...)

27Bien que les cultivateurs dominent parmi les électeurs, les


hommes de loi détiennent le pouvoir parmi les administrateurs 10.
Mais ils devaient partager le pouvoir avec d'autres groupes
sociaux, surtout au niveau du district. Parmi les administrateurs
du district des cinq départements bretons, la basoche représente
37 % des élus, alors que les cultivateurs sont un quart. Le clergé
est 10 % et les gens d'affaires sont 9 %. Les hommes de loi varient
de 42 % dans l'Ille-et-Vilaine à 31 % dans le Finistère, où les
cultivateurs dépassent les hommes de loi. Le clergé est une
minorité importante dans le Morbihan et les Côtes-du-Nord, où il
représente respectivement 15 % et 16 % des élus. La Bretagne est
exceptionnelle parce que la dominance de la basoche parmi les
administrateurs du district était affaiblie par les cultivateurs et le
clergé.
28Au niveau du département, les hommes de loi ont détenu une
prépondérance écrasante. Ils représentent 61 % des
administrateurs du département. Aucun classe sociale ne
s'approcha d'eux. La Bretagne est exceptionnelle à cause du
pourcentage très élevé des hommes de loi parmi les
administrateurs du département.
 11 A.D. Côtes-d'Armor 1 L 402-404.

29Les deux dernières élections de l'année 1790 étaient celles


d'octobre-décembre à nommer les juges de paix et celles de
novembre-décembre à renouveler les membres des municipalités
par la moitié. Je n'ai pas étudié les dernières. Je n'ai trouvé que les
procès-verbaux des assemblées primaires des Côtes-du-Nord11.
Puisque ceux de mai 1790 ont disparu, ils vont nous faciliter de
remplir une lacune de notre connaissance du comportement
électoral breton en 1790.
30La participation était 44 %, ce qui me fait croire que le vote
dans les Côtes-du-Nord en mai a peut-être été aussi haut ou plus
élevé que les 47-48 % dans les deux autres départements de la
Basse-Bretagne. Mais le vote était plus faible que les 65 % en
Haute-Vienne ou les 60 % en Côte-d'Or.
31A première vue, le vote le plus élevé était dans le sud-ouest et
le centre du département, alors que le vote le plus faible était
dans le nord-ouest et l'est. Mais le chiffre pour le district de
Lannion, une région de vote élevé aux élections municipales n'est
conservé que pour Tréguier, un centre de conflit religieux. Dans le
district de Pontrieux, le vote n'est connu que pour deux cantons.
Les chiffres bas pour les districts de Dinan et Lamballe à l'Est sont
fiables.
32En dépit de l'identification républicaine des villes comme
“bastions bleus” encerclées par des “campagnes blanches”, toutes
les trois villes pour lesquelles les données sont disponibles furent
surpassées en vote par leurs districts.
33Comment expliquons-nous le vote élevé dans le sud-ouest et le
centre du département et le vote faible dans le nord-ouest et
l'est ? Bien qu'il y eut un rapport solide entre le vote élevé et un
pourcentage élevé du clergé assermenté dans le district de
Guingamp, il n'y en a pas pour celui de Rostrenen.
34Il y a un rapport entre la participation élevée dans les districts
de Rostrenen, Guingamp et Saint-Brieuc dans l'Ouest et la
mobilisation contre le domaine congéable. L'Ouest, où ce régime
de la propriété était répandu, était également la région où la
propriété noble dominait, alors que dans l'Est, la propriété
paysanne était majoritaire. Il semblerait que les paysans les plus
dépourvus et avec les plus de revendications contre les nobles ont
voté plus que ceux disposant d'un lopin de terre. Pourtant, il n'y a
pas de rapport entre le vote et le mouvement anti-féodal dans la
région entre Dinan et Broons à l'Est.
 12 Voir A.D. Côtes-d'Armor 1 L402-404 ; A.D. Finistère 10 L 81-94 ; A.D.
Loire-Atlantique L 165 ; A.D (...)

35Comme les documents électoraux de 1790 et de 1792 sont très


fragmentaires, les élections de juin 1791 à l'Assemblée législative
fournissent la meilleure opportunité d'étudier le comportement
électoral breton avant l'insurrection de mars 1793. Nous avons les
procès-verbaux de presque tous les cantons dans trois
départements ainsi que ceux de six sur neuf districts de la Loire-
Inférieure12. Seule l'Ille-et-Vilaine manque.
36En 1791, il y avait un effondrement du vote, comme partout. La
participation dans le Finistère était de 30-31 %. Dans les Côtes-
du-Nord, elle était 27 %. Dans le Morbihan, elle était de 15-17 %,
alors qu'en Loire-Inférieure elle n'était que de 9 %. Le Finistère et
les Côtes-du-Nord dépassent donc la moyenne nationale de 23 %
dans un échantillon de 23 départements.
37En 1791, il y eut une restructuration du clivage entre la Haute et
Basse-Bretagne, Est et Ouest de la province. Cette fois, le
Morbihan rejoint la Loire-Inférieure, tous deux en dessous de la
moyenne. La Sarthe et le Maine-et-Loire dans l'Ouest avaient une
participation plus élevée que ces deux départements.
L'effondrement du vote dans le Morbihan et la Loire-Inférieure est
un signe de danger pour la Révolution !
38Le vote de 1791 révele-t-il le clivage entre les villes bleues et
les campagnes blanches que les historiens républicains évoquent
pour expliquer mars 1793 ? Les villes côtières étaient-elles plus
“patriotes” dans le vote que l'intérieur du pays ? La réponse est
mixte. Le Finistère et le Morbihan vérifient cette hypothèse, mais
non les Côte-du-Nord ni la Loire-Inférieure.
39Il y avait des différences régionales à l'intérieur des
départements. Dans le Finistère, les trois districts de Brest,
Lesneven et Châteaulin dans le nord-ouest formaient une zone de
participation élevée. Une seconde zone est le district de
Quimperlé dans le sud-est. En dépit de son vote relativement
élevé, il était un centre de protestations armées contre les levées
d'hommes en automne 1792.
40Dans les Côtes-du-Nord, la zone de la participation la plus
élevée est également le nord-ouest. Mais les districts de Lannion
et de Pontrieux étaient des foyers de protestations armées contre
les levées d'hommes en automne 1792. Une zone de participation
faible était formée par les districts de Dinan, Lamballe et Broons à
l'Est.
41Dans le Morbihan, les districts de Pontivy et du Faouët dans le
nord-ouest formaient une zone de participation relativement
élevée. Ceux de Rochefort et de la Roche-Bernard, à l'exception
de la ville même, formaient cette fois une zone du vote faible
dans le sud-est. Le vote en Loire-Inférieure était si faible qu'il est
difficile de discerner des différences régionales. Bien que la Loire
plus tard ait formé une frontière entre les blues et les blancs, il ne
semble pas avoir été une frontière électorale en 1791.
 13 R. DUPUY,  De la Révolution à la Chouannerie, p. 284.
Hervé POMMERET, L'Esprit public dans le Dépar  (...)

42Comment expliquons-nous les différences régionales dans le


comportement électoral breton ? Les historiens bretons
expliquent le comportement politique par le conflit religieux.
L'application de la constitution civile du clergé changea
radicalement les dispositions des gens. Hervé Pommeret explique
les différences entre l'Ouest et l'Est dans les Côtes-du-Nord par le
serment clérical. Dupuy maintien qu'il y a une coïncidence entre la
géographie de l'insurrection et la carte du clergé assermenté 13. En
comparant la carte de la participation électorale en juin 1791 à la
géographie du serment du clergé à la même époque, je vais
mettre ces conclusions à l'épreuve.
43Au niveau départemental, il n'y a pas de rapport solide entre le
vote et la proportion du clergé constitutionnel. Peut-être que c'est
une erreur de regarder de près les départements. Pour vraiment
mettre à l'épreuve le rapport entre le vote et le clergé assermenté,
il faut localiser le phénomène, en chevauchant les limites des
départements.
44A première vue, il semble y avoir un rapport entre la carte de la
participation électorale et une des jureurs dans les Côtes-du-
Nord. Le nord-ouest avait le vote le plus élevé, alors que l'Est
avait la participation la plus faible. Mais le rapport entre le vote et
le pourcentage du clergé assermenté n'est qu'approximatif.
45A première vue, il semble y avoir un rapport entre les zones de
la forte implantation du clergé constitutionnel dans le Finistère et
le vote. Les districts de Châteaulin dans l'Ouest et Quimperlé dans
le sud-est sont les districts “bleus” en vote et en jureurs. Mais les
districts de Brest et de Lesneven dans le nord-ouest avaient une
participation élevée, mais arrivaient au septième et dernier rang
en jureurs.
46De même, il semble y avoir au premier abord un rapport entre
la zone des jureurs dans le nord-ouest du Morbihan et le vote.
Mais il n'y avait aucun rapport entre le vote élevé et la proportion
basse des jureurs dans le district de Pontivy. A l'Est, il y a un
rapport entre le vote très faible dans le district de Rochefort et le
très petit nombre de jureurs.
47Bien que le rapport entre la géographie du vote et la carte du
clergé assermenté soit seulement très approximatif, on ne doit
pas conclure que le conflit religieux n'avait pas une influence
négative sur la participation électorale. Bien qu'elle ait déjà
commencé à baisser à la fin de 1790, l'effondrement en juin 1791
était certainement produit par la double cassure entre l'Assemblée
Constituante d'une part, le clergé et le roi de l'autre. La déception
des campagnards concernant les bénéfices reçus de la Révolution
a aussi joué un rôle important dans l'abstentionnisme rural.
48L'impact du serment du clergé sur le vote peut se voir dans le
Morbihan où la participation était faible et les Côtes-du-Nord où
elle était relativement élevée. Le refus de prêter le serment était
une cause importante de l'effondrement du vote dans le Morbihan
où les votants ont boudé les urnes ou se sont retirés en
protestant. Le directoire du département a annulé au moins onze
élections, souvent à cause d'un serment illégal prêté à l'église
Catholique. Dans les Côtes-du-Nord, toutefois, les votants
semblent avoir été plus intéressés par la réforme agraire que par
le serment. Je n'ai trouvé qu'une assemblée où les votants se sont
retirés.
49Bien que le conflit religieux ait été une des causes les plus
profondes de l'effondrement du vote en juin 1791, la déception
que les campagnards ont éprouvée avec les bénéfices qu'ils ont
reçu de la Révolution est une autre cause importante. Le
conservatisme religieux s'est quelquefois joint au radicalisme
agraire. Les campagnards bretons avaient leur propre
programme : l'abolition du domaine congéable, la suppression du
rachat des droits féodaux, la répartition des biens des émigrés et
la représentation rurale plus grande. Les questions agraires n'ont
pas été traitées par les députés jusqu'en août 1792, après ces
élections. La revendication d'une représentation rurale plus
grande était constamment rejetée.
 14 Michael KENNEDY, “The Foundation of the Jacobins and the
Development of the Jacobin Club Network, (...)

50Y-a-t-il un rapport entre la géographie du vote et la carte de la


diffusion des clubs jacobins en juin 1791 ? Au niveau du
département, la réponse est négative. Puisque les clubs sont
largement un phénomène urbain, implantés pour la plupart dans
les chefs-lieux du district, le rapport entre une ville avec un club
et un vote relativement élevé confirmerait l'idée des villes comme
“bastions bleus”. Se servant de la liste des clubs en juillet 1791,
dressée par Michael Kennedy, il y a un rapport entre l'existence
d'un club et un vote élevé dans le Finistère et le Morbihan, mais
non dans les Côtes-du-Nord et la Loire-Inférieure 14. Il y a une
différence entre la sociabilité politique dans le réseau des clubs et
une sociabilité électorale.
51Les vrais bastions bleus étaient les villes possédant un club.
Douze sur vingt villes possédant un club, soit 60 %, ont surpassé
en vote leurs districts, alors que seulement 47 % des chefs-lieux
ont surpassé en vote leurs districts.
 15 A.D. Finistère 10 L 79 ; A.D. Ille-et-Vilaine L 346.

52Quelles étaient les classes sociales qui détenaient le pouvoir en


Bretagne en juin 1791 ? Basé sur le Finistère et l'Ille-et-Vilaine, il y
avait peu de changement dans la composition sociale des
électeurs15. En Finistère, les cultivateurs avaient encore une
prépondérance écrasante du pouvoir. Ils sont au moins 47 %. Les
hommes de loi sont 13 % et les gens d'affaires 10 %. Mais le clergé
a baissé de 3 à 1 %. En Ille-et-Vilaine, les laboureurs détiennent
encore le pouvoir. Une fois de plus, ils constituent 35-36 % des
élus. Les hommes de loi sont 20 % et les gens d'affaires sont 6 %.
Mais le clergé a baissé de 7 à 3 %. S'il y a une stabilité dans la
composition sociale des électeurs, à l'exception du clergé, il y a
une grande circulation parmi les élites. Plus de 80 % des électeurs
de 1791 étaient des “hommes nouveaux”.
 16 Jean PASCAL,  Les Députés Bretons de 1789 à 1983 (Paris, 1983), p.
57-67.

53Si les cultivateurs avaient une prépondérance du pouvoir au


niveau local, les hommes de loi détiennent le pouvoir au niveau
national. Ils représentent 57 % des députés bretons en 1791. Le
Finistère est à part parce que seulement 38 % des députés étaient
les hommes de loi16.
54Finalement, quel rapport existe-t-il entre le vote en juin 1791
et la géographie de l'insurrection de mars 1793 ? Rappelons que
le soulèvement s'est développé surtout dans la partie sud-est de
la Bretagne, englobant la partie méridionale de la Loire-Inférieure,
la zone entre Loire et Vilaine et les deux tiers du Morbihan. A cela
s'ajoutent la moitié de l'Ille-et-Vilaine, le tiers des Côtes-du-Nord
et la quasi-totalité du Léon dans le Finistère.
55Il y a un rapport approximatif entre la carte du vote en 1791 et
celle de l'insurrection, mais il est moins net aux niveaux du
district et du canton. Les départements avec la participation la
plus élevée, le Finistère et les Côtes-du-Nord dans le nord-ouest
étaient les moins touchés par l'insurrection, alors que ceux avec
une très grande abstentionnisme, la Loire-Inférieure et le
Morbihan, étaient le foyer du mouvement. Comme
l'abstentionnisme dans la Loire-Inférieure était un phénomène
général, on attend peut-être une insurrection globale. Dans le
Morbihan, les districts de Rochefort et de la Roche-Bernard qui
s'approchaient de la Loire-Inférieure en abstentionnisme sont
également dans la zone sud-est insurgée. Les districts de Pontivy
et du Faouët était une tache insurgée. Nous manquons de donnée
pour l'Ille-et-Vilaine. Dans les Côtes-du-Nord, les districts de
Lannion et de Guingamp dans le nord-ouest avaient le vote le plus
élevé, alors que ceux de Dinan, Lamballe, et Broons dans l'Est
avaient le plus grand abstentionnisme. Ces trois derniers districts
étaient le foyer de l'insurrection, alors que le nord-ouest était
moins touché par le mouvement. Le Finistère est compliqué à
cause du Léon. Ce département avec la participation la plus élevée
était également le moins touché par l'insurrection. Mais Léon est
dans la partie nord-ouest comprenant les districts de Brest et de
Lesneven avec un vote élevé. Au niveau du canton, le rapport
entre le vote et l'insurrection n'est pas toujours net.
 17 R. DUPUY,  De la Révolution à la Chouannerie, p. 5-17 ; Bois,  Paysans
de l'Ouest, Charles TLLLY,  Th  (...)

56En conclusion, quelle contribution notre étude électorale de la


Bretagne en 1790-91 peut-elle apporter aux explications de
l'origine de l'insurrection de mars 1793 ? Les historiens ont
beaucoup insisté sur le rôle fondamental de la religion. La thèse
“bleue” dénonçait la manipulation des paysans ignorants par les
prêtres réfractaires. Il y avait un complot clérico-nobiliaire. La
version “blanche” mettait l'accent sur un soulèvement populaire
spontané pour défendre l'Église et le roi. Pourtant, selon Bois, les
insurrections de l'Ouest seraient le produit d'une lutte inéluctable
entre la ville et la campagne. D'après Charles Tilly, l'insurrection
s'explique par les réactions divergentes des populations en face
de l'urbanisation et modernisation. Dupuy maintient, toutefois,
que l'insurrection représente une résistance paysanne à
l'intégration à la nation et un état centralisant. Donald Sutherland
a souligné la déception que les paysans ont éprouvée avec les
bénéfices qu'ils ont reçus de la Révolution. Lui et T. Le Goff
insistent sur la base sociale de la chouannerie qui s'identifierait
aux fermiers et non pas aux propriétaires17.
57Chacun avait raison. Dans le Morbihan, le conflit religieux était
une cause profonde de l'effondrement du vote en juin 1791. Et il
est certain qu'il y ait une lutte entre la ville et la campagne pour le
pouvoir. Certainement, les paysans ont défendu leur autonomie
contre l'état et ses demandes. Les protestations armées contre les
levées d'hommes en 1792 et mars 1793 en sont la preuve. En
plus, les paysans étaient très deçus des faibles avantages qu'ils
ont reçus de la Révolution. Ils ont développé leur propre
programme de réforme agraire.
58Mais mon étude électorale apporte une contribution originelle à
la problématique de l'insurrection. J'ai constaté une convergence
entre le comportement électoral et le comportement politique.
D'emblée, dès les premières élections de 1790, il y avait un
rapport entre le vote et la géographie de l'insurrection. Même
avant le conflit religieux, la géographie du vote se rapproche de la
carte du clergé assermenté. Le rapport entre le vote et la
géographie du soulèvement est même plus net en juin 1791.
59Le rapport que j'ai trouvé dans les Côtes-du-Nord entre la
géographie du vote, la possession de la terre, et le comportement
politique est l'opposé de ce que Bois a trouvé dans la Sarthe. La
partie occidentale de ce département, où la terre paysanne était la
plus considérable, a basculé dans la contre-révolution, alors que
le sud-est, où les paysans étaient les plus dépourvus, était acquis
à la Révolution. Cependant, dans les Côtes-du-Nord, les districts
de Guingamp, Pontrieux et Lannion dans le nord-ouest, où la
propriété noble et le domaine congéable dominaient, étaient ceux
où le vote était le plus élevé. De même, ils étaient les moins
touché par l'insurrection de mars 1793 et par la chouannerie.
C'était le contraire dans les districts de Dinan, Lamballe et Broons,
où la propriété paysanne était presque majoritaire. Il paraît qu'il
y'a là un rapport entre la misère paysanne, leur amertume contre
les nobles, le vote élevé, et leur soutien à la Révolution.
60En plus, le Finistère, un des départements le moins touché par
l'insurrection, est aussi celui avec le pourcentage le plus élevé de
cultivateurs à détenir le pouvoir. Comme ils ont gagné la lutte
pour le pouvoir local, ils avaient peut-être moins d'hostilité contre
la bourgeoisie urbaine. Y-a-t-il un rapport entre le pouvoir
paysan et leur comportement politique en 1793 ? Nous devons
étudier cette question plus précisément.
 18 André SIEGFRIED,  Tableau Politique de la France de l'Ouest sous la
Troisième République (Paris, 19 (...)

61En Bretagne, il s'agit de vérifier si la permanence des clivages


électoraux se confirmait ultérieurement et d'essayer d'expliquer
ce comportement dès 1790. Dans le style d'André Siegfried, il faut
peut-être chercher les structures culturelles, économiques et
politiques qui peuvent expliquer le comportement électoral et les
dispositions politiques bretonnes18.
NOTES
1 Jacques GODECHOT, “Les Municipalités du Midi Avant et Après la
Révolution”, in  Annales du Midi (1972), 363-367. Voir A.D. Côtes-
d'Armor 1 L 405-406 et 1 L 393, 394 et 398. Voir aussi A.N. Flc III
Côtes-du-Nord 2. Voir A.D. Finistère 10 L 93, 21 L 44 et 26 L 39 ; A.D.
Ille-et-Vilaine L 1415-1416, L 355 et L 218 ; A.M. Rennes Kx 46.

2 Paul BOIS, Paysans de l'Ouest (Paris, 1960), p. 266.

3 Roger DUPUY,  De la Révolution à la Chouannerie (Paris, 1988), p. 129.

4 Voir A.D. Finistère 10 L 75 ; A.D. Ille-et-Vilaine L 355.

5 Jean-Pierre JESSENNE,  Pouvoir au Village et Révolution  : Artois, 1760-


1848 (Lille, 1987), p. 255-262.

6 Voir A.D. Morbihan L 233-234 ; Finistère 10 L 75 et 10 L 81 à 94 ; les


procès-verbaux des assemblées primaires du district de Quimper se
trouvent dans les A.N. F 1c III Finistère 5. Voir A.D. Ille-et-Vilaine 337A
et Β ; A.D. Loire-Atlantique L 164.

7 R. DUPUY,  De D Révolution à la Chouannerie, p. 117.

8 A.D. Morbihan L 233.

9 A.D. Côtes-d'Armor 1 L 371 ; A.D. Finistère 10 L 75 ; A.D. Ille-et-


Vilaine L 346 ; A.D. Morbihan L 234 ; Bibliothèque municipale de
Nantes 49 852/c 198.

10 MELVIN EDELSTEIN, “Participation et Sociologie électorale des Landes


en 1790”,  Bulletin d'Histoire de la Révolution Française (à paraître).

11 A.D. Côtes-d'Armor 1 L 402-404.

12 Voir A.D. Côtes-d'Armor 1 L402-404 ; A.D. Finistère 10 L 81-94 ;


A.D. Loire-Atlantique L 165 ; A.D. Morbihan L 236. Les procès-verbaux
de l'Ille-et-Vilaine existent, mais à l'exception de deux assemblées, ils
ne fournissent pas les votants. Voir A.D. Ille-et-Vilaine L 338 A et B.
13 R. DUPUY,  De la Révolution à la Chouannerie, p. 284.
Hervé POMMERET,  L'Esprit public dans le Département des Côtes-du-
Nord (Saint-Brieuc, 1921), p. 498-499. Voir
Timothy TACKETT, Religion, Revolution, and Regional Culture in
Eighteenth-Century France  : The Ecclesiastical Oath of 1791 (Princeton,
1986), p. 321, 325-326, 330, 336, et 344.

14 Michael KENNEDY, “The Foundation of the Jacobins and the


Development of the Jacobin Club Network, 1789-1791”, Journal of
Modern History, 51 (1979), 733. P. Gervais, “L'autre Bretagne  : Les
clubs révolutionnaires bretons, 1789-1795”, AHRF No. 266 (1986),
422-447.

15 A.D. Finistère 10 L 79 ; A.D. Ille-et-Vilaine L 346.

16 Jean PASCAL,  Les Députés Bretons de 1789 à 1983 (Paris, 1983), p.


57-67.

17 R. DUPUY,  De la Révolution à la Chouannerie, p. 5-17 ;


Bois,  Paysans de l'Ouest, Charles TLLLY,  The Vendée (Cambridge, Mass.
1964) ; Donald SUTHERLAND,  The Chouans (Oxford, 1982) ; T. LE
GOFF et D. SUTHERLAND, “The Social Origins of Counter-Revolution in
Western France”,  Past and Present, No. 99 (1983), 65-87.

18 André SIEGFRIED,  Tableau Politique de la France de l'Ouest sous la


Troisième République (Paris, 1913).

AUTEUR
Melvin Edelstein
Du même auteur

 La culture électorale française, de l’époque révolutionnaire à l’époque napoléonienne in La


plume et le sabre, Éditions de la Sorbonne, 2002
 Les maires des chefs-lieux de département de 1789 à 1792 : une prise de pouvoir par la
bourgeoisie ? in Vers un ordre bourgeois  ?, Presses universitaires de Rennes, 2007

Monique Barasch (Traducteur)
Participation électorale et
abstention pendant la
Révolution française
Patrice Gueniffey

p. 209-223

TEXTE NOTES AUTEURILLUSTRATIONS

TEXTE INTÉGRAL
 1 Concernant le détail des taux de participation, cf. P. GUENIFFEY  Le
nombre et la raison. La Révolu  (...)

1Il est aujourd'hui possible de proposer un aperçu relativement


sûr de la participation électorale pendant la Révolution
française1  (tableau 1). L'année 1790, qui vit l'organisation des
premières consultations organisées sous le nouveau régime,
constitue l'épisode central de l'expérience révolutionnaire du
suffrage. Cette première année fut marquée par une forte
mobilisation lors de l'élection des municipalités au scrutin direct,
puis à l'occasion de la désignation des électeurs du second degré
appelés à organiser les corps administratifs et les tribunaux.
L'abstention commença de progresser vers la fin de 1790 à
l'occasion d'élections locales (nomination des juges-de-paix et
renouvellement partiel des municipalités), pour s'effondrer
partout en juin 1791, lors du renouvellement des corps électoraux
du second degré. L'un des principaux problèmes posés par cette
évolution réside dans le démenti opposé par l'importante
mobilisation de 1790 à la thèse pourtant commune qui consiste,
en négligeant cette première phase, à expliquer la faiblesse de la
participation par l'indifférence populaire à l'égard du suffrage : en
effet, si la participation ne progresse pas, elle ne stagne pas
davantage à un niveau médiocre,   elle s'effondre à partir d'un
niveau initialement élevé, notamment en milieu rural, c'est-à-dire
là où elle aurait dû être la plus faible.
2La progression rapide de l'abstention, au terme d'une année de
participation électorale généralement élevée, ne suscita aucune
véritable réflexion d'ensemble pour en démêler les causes ou bien
rechercher d'éventuels remèdes. Deux explications étaient le plus
souvent avancées : on attribuait la responsabilité des progrès de
l'abstention tantôt à l'indifférence du peuple, tantôt à la “peur”,
c'est-à-dire aux pressions exercées sur les votants par des
factions ne répugnant à aucun moyen pour prendre le contrôle
des assemblées. L'explication sociologique avait la préférence des
révolutionnaires pour des raisons faciles à comprendre. Affirmer
que les modalités du système électoral éloignaient des urnes
beaucoup de patriotes, ou que l'abstention était la conséquence
d'un manque d'éducation politique, offrait le double avantage de
ne pas remettre en cause le postulat du consensus général
entourant la Révolution et de considérer la désertion civique
comme un phénomène passager : d'un côté le système électoral
pourrait être réformé, de l'autre la diffusion des “lumières” et les
progrès de l'instruction entraînés par la Révolution permettraient
à terme de secouer l'indifférence populaire. L'invocation de
“l'indifférence du peuple” constituait une rationalisation commode
et rassurante ; elle permettait de faire abstraction de toute
dimension politique, de ne pas voir dans la montée de l'abstention
le possible résultat de la décision volontaire et réfléchie d'un
nombre croissant d'électeurs.
3Tenir compte du facteur politique ne doit pas conduire à négliger
l'incidence, ni de “l'indifférence”, ni des modalités du vote, dont le
caractère contraignant (réunion au chef-lieu du canton, vote en
assemblée, mode de scrutin à trois tours obligeant les citoyens à
consacrer aux élections de longues heures, voire plusieurs jours)
était susceptible d'en décourager plus d'un. L'évaluation du coût
de la participation à la fois en termes de temps et d'argent, mais
aussi d'intérêt, permet de mesurer toute l'importance des
procédures alors mises en œuvre pour comprendre la forte
abstention des années révolutionnaires, d'autant plus que la
multiplication des élections exigeait de la part du citoyen une
constance, une patience et un civisme tout à fait exceptionnels.
4Les procédures adoptées en 1789 peuvent aujourd'hui sembler
extravagantes ; elles étaient pourtant bien connues. Le vote en
assemblée et l'appel nominal des votants avant chaque tour de
scrutin étaient des techniques héritées des pratiques délibératives
traditionnelles. La réunion dans un même lieu des membres de la
communauté et l'appel successif des comparants pour donner leur
avis puis leur vote formaient le socle des pratiques anciennes. La
première donnait une forme visible à l'appartenance commune à
un corps, tandis que le second assurait à chacun une influence
proportionnelle à sa position dans la hiérarchie des rangs. Les
Français qui avaient conservé à la fin du XVIII  siècle la possibilité
e

de délibérer et de voter – et ils étaient nombreux – étaient


familiarisés avec ces techniques. Il faut observer ici qu'aucune
activité ne possède un coût fixe, absolu. Le coût de tout
engagement personnel est toujours relatif, variant selon l'intérêt,
le goût, les obstacles et le bénéfice attendu. Or, si les formes de
la participation n'avaient guère changé, en 1789 la finalité du vote
était devenue tout autre. Des procédures identiques à celles du
passé étaient désormais utilisées dans un autre système de
représentations et pour une autre fin, et le coût relatif de la
participation pût apparaître comme d'autant plus élevé que le
bénéfice escompté devenait plus aléatoire ou moins visible.
5Un bénéfice escompté moins visible ? De l'Ancien Régime aux
élections de la période révolutionnaire, la forme et la portée de
l'acte électoral se modifient profondément. En 1789 encore, lors
de la convocation des États généraux, c'est la communauté qui
comparait dans la personne de son député. L'élection, à haute
voix, est un acte collectif par lequel la communauté affirme son
identité, renforce sa cohésion, et sanctionne l'autorité de ses
notables. L'inégalité des votes est la règle, mais la participation
est au premier abord réelle : en faisant de la rédaction des
doléances et de l'élection des députés deux opérations
indépendantes, la communauté fixe les bornes et l'étendue de son
consentement, et reste maître de sa volonté, même si celle-ci ira
finalement se perdre, comme en témoigne toute l'histoire des
États généraux. Chaque électeur peut constater la réalité de son
concours à une délibération illusoire. Après la révolution du 17
juin 1789, la mise en place du régime représentatif affecte le vote
à deux niveaux : en substituant la nation, composée d'individus
égaux, à la société des ordres et des corps ; en substituant la
délibération au mandat impératif.
6Ce second élément conduit à redéfinir la portée du vote, dès lors
que la représentation n'a plus pour finalité de former la volonté
générale par l'addition des volontés particulières préexistantes,
mais s'impose comme le seul moyen praticable pour arrêter, par
la délibération, une volonté générale qui n'est réellement nulle
part hors de l'organe représentatif. La prohibition de tout mandat
bornant la liberté des élus, la limitation des fonctions des
assemblées électives à la seule sélection des députés,
l'interdiction subséquente de délibérer qui les frappe, privaient les
citoyens de ce qui paraissait attester l'effectivité de leur
concours : la formulation d'une volonté politique. Il s'agit
désormais d'élire, sans assujettir ce choix à aucune condition ni
exprimer par lui de quelconques revendications. Le scrutin
indirect pouvait encore renforcer le sentiment de la disparition de
ce qui jusqu'alors avait constitué l'enjeu   visible, sinon  réel, des
élections. Ainsi, à mesure que le concours personnel des citoyens
à l'institution comme à la légitimation de l'autorité prenait une
importance jusqu'alors inconnue, ceux-ci pouvaient percevoir
cette intervention même comme le signe d'un dessaisissement.
7Autre conséquence de l'avènement des nouveaux principes : la
communauté cède la place au citoyen, le corps social se
décomposant, le temps du scrutin, en unités numériques (un
homme, une voix) juridiquement égales et autonomes. La
dissolution des solidarités traditionnelles et des sujétions sociales
est traduite par la généralisation du vote secret et la redéfinition
de la circonscription électorale de base – le canton, entité
purement administrative, à la place de la paroisse ou du corps de
métier. La nouvelle conception de la citoyenneté dénoue
solidarités et fidélités, et livre pour ainsi dire l'électeur à lui-
même. De la mobilisation à l'émission du vœu, la participation
devient (théoriquement) le produit d'un engagement individuel. Le
vote n'est plus l'acte réaffirmant la cohésion de la communauté,
mais ce qui fait apparaître ses divisions. On conçoit le désarroi
dès lors susceptible de s'emparer de certains. L'abstention ne
résulte pas tant de la complexité ou de la lourdeur des procédures
mises en œuvre que des modifications affectant le vote
proprement dit. Les Français connaissaient ces procédures pour
les avoir pratiquées avant la Révolution partout où la possibilité,
même limitée, de contribuer à la formation des décisions avait
subsisté. On s'accommodait alors du vote en assemblée, de
techniques dont le coût était, du point de vue matériel, aussi élevé
qu'il devait l'être après 1789, mais qui était alors subjectivement
supportable parce qu'intégré à un système de valeurs familier où
les sacrifices consentis trouvaient leur justification. Avec la
Révolution, l'intervention politique conservant les mêmes formes,
mais changeant de contenu et de finalité, la sensibilité au
problème du coût s'accroît en proportion de l'effacement des
repères traditionnels.
 2 AD Maine-et-Loire 1 L 324.
8La mutation du vote impliquée par l'avènement des nouveaux
principes est au cœur du phénomène de l'abstention. A priori, le
niveau élevé de la participation en 1790 suggère que ces
changements dans les formes et les représentations de
l'intervention politique eurent un faible impact. Pourtant, on peut
en constater l'incidence négative à l'intérieur même de l'espace de
la citoyenneté, à travers la résurgence de comportements et de
valeurs traditionnels, à la faveur notamment du vote en assemblée
repris de l'Ancien Régime par la Révolution. Un examen attentif
des procès-verbaux des assemblées primaires montre que les
comportements communautaires perdurent au-delà de 1789,
comme si l'esprit des pratiques antérieures persistait secrètement,
tout en paraissant s'accommoder des formes nouvelles. À Blaison
(Maine-et-Loire) en 1792, à peine 6 % des citoyens comparaissent
à l'assemblée, mais ils déclarent solennellement “ avoir pouvoir
total de leurs concitoyens des communes respectives pour tout ce
qui sera fait”2. Si un doute peut subsister envers la réalité de cette
procuration (prohibée par la loi), la situation est plus claire dans
les assemblées cantonales où les votants se regroupent par
paroisses d'origine en divers endroits du lieu de réunion : chaque
paroisse procède ainsi à la nomination des électeurs auxquels sa
population active particulière lui donnait droit, en infraction avec
la loi qui interdisait toute division de l'assemblée et prescrivait
que tous les citoyens devaient voter sur tous les sujets à choisir. Il
existait encore d'autres moyens pour maintenir le vote séparé
sans manquer, formellement, au respect des dispositions légales :
par exemple en distribuant le nombre des électeurs à nommer
entre les paroisses, proportionnellement à leur population active,
toute l'assemblée votant ensuite pour l'ensemble des
nominations ; la loi était respectée, mais une telle procédure
signifiait que les votants de chaque paroisse avaient formé leur
décision avant le scrutin, les paroisses se communiquant ensuite
les unes aux autres la liste de leurs futurs élus.
 3 B. BACZKO  Comment sortir de la Terreur. Thermidor et la
Révolution, Paris, Gallimard, 1989, p. 346

 4 Préface de LA HARPE (1799) à Ch.-P. DUCLOS Considérations sur les


mœurs [1ère édition 1750]. Nouve (...)

9La résurgence durable des comportements politiques


traditionnels traduit la précarité de l'enracinement des nouveaux
principes, confrontés aux réalités d'une société que les
bouleversements n'ont guère atteinte. Elle illustre plus
généralement la difficulté rencontrée par la Révolution de créer
“un espace politique moderne […] dans  un environnement
culturel et mental largement traditionnel ”3, d'organiser
l'intervention des individus égaux dans le cadre d'une société
organique où l'individu comme tel n'existe pas, où chacun tient
ses droits et ses obligations de son incorporation à une hiérarchie
de corps qui n'est pas seulement une fiction juridique. Le retour
aux pratiques anciennes tout comme l'abstention témoignent de
l'absence concrète de l'individu requis par les institutions
nouvelles, de cet individu qui informe tout le discours
révolutionnaire mais n'existe nulle part dans la société réelle, si ce
n'est dans ces élites pour l'essentiel urbaines qui ont fait dès
avant 1789 – dans les salons, les académies, les sociétés
d'agriculture, les loges maçonniques – l'apprentissage des
principes et des pratiques de la sociabilité démocratique. Élites et
société forment deux univers étanches, vivant de plus en plus
côte à côte sans guère se rencontrer. Sans doute les frontières des
premières se sont élargies au XVIII  siècle, débordant le cadre
e

étroit de la Cour et de la Ville où, vers le milieu du siècle, Duclos


les voyait encore resserrées. Dans la préface qu'il rédige en 1799
pour la réédition des  Considérations sur les mœurs publiées par
Duclos en 1750, La Harpe remarque que “quiconque a voyagé
dans la France depuis 1760 jusqu'en 1780, a pu voir que cette
différence [celle dont parle Duclos, entre Paris et la province] était
devenue presqu'insensible dans les grandes villes, qui sont ici les
seuls objets de comparaison” : le progrès des communications
facilitant la circulation des modes, des opinions et la diffusion des
lumières, “toutes ces causes réunies avaient à-peu-près fondu
l'esprit français dans un même moule, au moment de la révolution
[…]. Toutes les classes de la société qui avaient reçu quelque
éducation étaient à-peu-près les mêmes à Paris et dans les
provinces4”, composant une société dont les nuances devenaient
de moins en moins sensibles alors que grandissait le fossé la
séparant du reste du pays.
 5 E. QUINET  La Révolution, Paris, 1865, 2 volumes, t. II, p. 253.

10De ce décalage il n'est pas de meilleurs témoins que les cahiers


de doléances de 1789, dans lesquels la société réelle put faire
entendre sa voix, énoncer ses griefs et exprimer ses souhaits, en
dépit de l'uniformité de leur style juridique et de l'existence de
modèles que certaines assemblées se contentèrent de reproduire.
Des cahiers des paroisses rurales à ceux des villes les plus
importantes, il existe de profondes différences, dans les
revendications, qui se politisent et se radicalisent dans les
grandes villes, dans le ton même, les ruraux formulant une
requête lorsque les citadins affirment un droit, et surtout dans
l'inégale capacité, presque nulle chez les premiers, à dépasser
l'horizon étroit des préoccupations et des représentations
familières pour s'élever jusqu'à l'universalité des idées abstraites.
La conscience de ce décalage, systématiquement interprété
comme l'expression d'un  retard par ces hommes dont le trait
commun, pour paraphraser Quinet, était une ignorance littéraire
du peuple réel5, sera au cœur de l'investissement pédagogique de
la Révolution française, soucieuse de régénérer la société, de créer
des citoyens dignes des institutions qu'elle leur avait données, là
où elle ne voyait que des sujets ignorants, un peuple enfant, tour
à tour apathique et barbare, dégradé par des siècles de
despotisme. Ainsi s'explique la prédilection des contemporains en
faveur de la thèse de l'indifférence, résultat d'un lourd héritage
d'ignorance, de passivité, voire de “paresse” comme Aulard le dira
à leur suite, – à laquelle l'historiographie s'efforcera de donner
quelque épaisseur en mettant l'accent sur des obstacles socio-
culturels comme l'analphabétisme ou l'inégale maîtrise du
français.
11L'abstention serait ainsi le résultat d'un déficit d'acculturation
politique. Condamnés à la passivité par l'absolutisme, les Français
auraient été déconcertés par l'avènement soudain d'une liberté
politique entière qu'ils appelaient sans doute de leurs vœux, mais
dont rien, ni tradition ni souvenirs, ne leur enseignait les règles et
l'usage. Cette thèse largement répandue repose sur un autre lieu
commun, selon lequel l'État moderne, administratif et centralisé
se serait développé au détriment des anciennes libertés locales,
provoquant la disparition de toute forme d'intervention populaire
et le démantèlement des anciennes structures. Explication
commode, mais discutable. Elle néglige d'un côté un aspect
original de la construction de l'État moderne en France, et
suppose de l'autre l'existence d'une sorte de “démocratie” locale
primitive antérieure à la centralisation monarchique.
 6 Voir E. COORNAERT, “Notes sur les corporations parisiennes au temps
de Saint Louis, d'après le “Li (...)

12L'État administratif s'est en effet développé à partir du


XVI  siècle à la fois contre la société des ordres et des corps et à
e

côté de celle-ci, laissant subsister l'organisation sociale


corporative hiérarchisée et morcelée dont cet État constituait le
contre-principe. En renégociant les privilèges des corps, la
monarchie s'affirmait comme la seule source du droit, le canal de
toute puissance et de toute dignité, mais en même temps elle en
pérennisait et en confortait l'existence. Si l'autorité royale
affermissait ainsi son contrôle sur la vie interne – assemblées,
élections, délibérations – des communautés, elle ne leur avait
interdit ni de s'assembler, ni de délibérer, ni de désigner leurs
responsables. Dans les communautés d'habitants, les
corporations et même de nombreuses villes, on continua de
s'assembler et de voter comme par le passé. D'autre part, la
monarchie s'efforçait moins de soumettre à son autorité des
communautés jusqu'alors indépendantes de celle-ci que d'en
rationaliser le fonctionnement interne. Car jamais les
communautés n'ont formé de petites républiques autonomes.
Elles furent au contraire toujours soumises au contrôle étroit des
officiers du roi. Au XIII  siècle déjà, aucun aspect ou presque de la
e

vie intérieure des corporations parisiennes n'échappait à


l'intervention des représentants de la couronne 6. Aussi loin que
l'on puisse remonter, le monarque possédait seul le droit de
convoquer les assemblées, de les présider par l'intermédiaire de
ses officiers, de donner force légale à leurs décisions ou encore
d'instituer les magistrats choisis par l'assemblée générale, voire
de les désigner lui-même.
 7 Voir par exemple E. PIED,  Les Anciens corps d'Arts et Métiers de
Nantes, Nantes, 1903, 3 volumes.

 8 Si la direction des corporations tomba à Lyon dans les mains d'une
oligarchie très étroite (M. GAR (...)

 9 Voir G. LEPOINTE, “Assemblées de paroisses”, in


R. NAZ [éd.],  Dictionnaire de droit canonique, Par (...)

 10 Sur tout ceci, voir N. TEMPLE, “Municipal elections and municipal


oligarchies in eighteenth-centur (...)
13La renégociation des titres des communautés fut l'occasion,
surtout à partir du XVII  siècle, de tenter d'en unifier les statuts et
e

d'en rationaliser le fonctionnement. Ces efforts, poursuivis au


siècle suivant, eurent pour conséquences de créer les conditions
d'un véritable apprentissage matériel de la prise de décision, mais
aussi d'en réserver le bénéfice à un nombre toujours plus restreint
d'individus. Jusque vers le milieu du XVII  siècle, parfois un peu
e

moins tardivement, les modalités du choix des magistrats des


communautés restèrent assez floues. Si certains statuts
corporatifs se référaient explicitement à la nomination par
élection, beaucoup se contentaient d'indiquer que les membres de
la communauté “pourr[aient] par chacun an en avoir deux d'entre
eux” pour administrer les affaires communes, sans préciser
davantage la manière dont ils seraient désignés. La mention d'un
vote était parfois accompagnée de restrictions en indiquant assez
le caractère informel : ainsi les statuts de la communauté des
menuisiers de Nantes (1570) précisent que l'élection des jurés “ se
fera promptement et sommairement, sans y garder les solemnités
d'élection”7. Au XVII  siècle, les statuts se font plus précis. Alors
e

que le principe et la méthode étaient auparavant vaguement


énoncés, l'élection des jurés fait désormais l'objet d'articles
particuliers en même temps que se généralise le recours au
principe majoritaire – mouvement poursuivi au siècle suivant pour
assurer une meilleure transparence des opérations électorales :
dispositions ouvrant la possibilité de réclamer contre les élections
frauduleuses, introduction (relativement rare) du vote par
bulletins écrits, règles concernant la police des assemblées, etc.
Œuvre d'élites dirigeantes imprégnées de principes rationalistes,
l'organisation du consentement favorisa un réel apprentissage des
techniques électorales, mais accompagné dans le même temps
d'une incontestable limitation de la participation, au nom du
même souci de rationalité. Ce second aspect est bien connu.
Partout, sous prétexte de l'impossibilité de prendre des décisions
éclairées dans des assemblées générales tumultueuses,
gouvernées par les passions de la “multitude”, les autorités
s'efforcèrent de restreindre l'accès au vote. Le phénomène
épargna relativement les corps de métier 8, presque entièrement
les communautés d'habitants, même si des conditions censitaires
furent ici ou là adoptées afin d'écarter les moins considérables
des “chefs de feux”9, pour affecter principalement les villes. Dans
celles-ci, la volonté de neutraliser le nombre – grande hantise du
siècle des Lumières dont la Révolution hérita – prit diverses
formes qui n'aboutissaient pas toujours à l'exclusion. Si des
assemblées composées de membres de droit (Grenoble, 1731 ;
Aubusson, 1786) ou formées sur une base censitaire (Châlons-
sur-Marne, 1756) furent créées dans certaines villes, dans
d'autres on établit un système d'élection à deux degrés, ou bien,
tout en conservant le principe de l'élection directe par l'ensemble
des habitants, l'assemblée générale fut divisée en assemblées de
quartiers où les notables pouvaient plus facilement imposer leur
autorité (Bourges, Nevers)10. Donc, même dans les villes que l'on
imagine souvent condamnées à la plus entière passivité à la fin de
l'Ancien Régime, et même si la monarchie exerçait en effet un
contrôle très étroit sur les choix, toute tradition de participation
n'avait pas été brisée.
 11 A. BRETTE, Recueil de documents relatif à la convocation des États
généraux de 1789, Paris, Imp. n (...)

 12 Surtout dans les campagnes. Les corporations rassemblaient un


nombre restreint de citadins (voir l (...)

14L'apprentissage préalable, même partiel, des mécanismes de la


décision collective peut seul expliquer le petit nombre des
difficultés relatives aux techniques électorales rencontré à partir
de 1789. Le règlement du 24 janvier provoqua sans doute de
nombreuses réclamations, qui témoignaient, selon Armand Brette,
d'un “mépris presque général de ce droit tout nouveau de
l'élection”11, c'est-à-dire plus précisément de la liberté et de
l'égalité des suffrages. Mais si ces réclamations témoignaient du
refus, voire de l'incompréhension, des implications d'une élection
libre et démocratique, elles ne signifiaient pas pour autant que le
vote en lui-même constituait une nouveauté étrange. Pour autant,
la familiarité de larges secteurs de la société française 12 avec les
modalités de la participation politique ne constituait pas une
acculturation à la politique – au sens que ce terme acquiert au
XVIII  siècle. Cette intervention s'inscrivait dans le cadre organique
e

traditionnel, c'est à dire en-dehors de l'espace public monopolisé


par la monarchie. Ainsi, les membres des communautés avaient
appris à délibérer, à élire, à recourir au principe majoritaire ; mais
cette éducation aux moyens matériels de la prise de décision
s'était effectuée dans un cadre strictement local, autour d'enjeux
étroitement circonscrits et sans prise sur les questions de
politique nationale. L'absolutisme s'était accommodé de larges
espaces de participation, mais à l'intérieur d'institutions sociales
traditionnelles privées de toute fonction de représentation auprès
du monarque. L'absolutisme n'a pas supprimé toute forme de
participation, mais il a rejeté cette dernière hors de l'espace
public : les États généraux ne furent plus réunis après 1614, et si
les assemblées des pays d'États conservèrent une fonction
représentative, l'élection, comme dans les premiers avant le
XVI  siècle, avait toujours occupé dans leur formation une place
e

marginale. La participation dans les corporations, les paroisses et


nombre de villes, avec ce qu'elle impliquait de débats, de conflits
d'intérêts et d'enjeux de pouvoir, appartenait à l'univers de la
politique, mais elle s'inscrivait dans une représentation du
politique – pour paraphraser une formule célèbre d'E.-J.
Hobsbawm – antérieure à l'âge de la politique moderne. Celle-ci
requiert un espace unifié ordonné autour d'enjeux abstraitement
définis, tel qu'on le voit justement advenir en 1789 au niveau
ultime de la consultation, dans les cahiers de bailliage : les
demandes particulières et “prépolitiques” des communautés ayant
progressivement disparu lors des synthèses effectuées aux degrés
successifs du processus électoral, restent pour l'essentiel dans les
cahiers généraux les articles relatifs à des enjeux politiques
abstraits communs au Tiers et à la noblesse, signe de
l'uniformisation des façons d'être et de penser entre les diverses
élites du royaume.
15L'abstention ne doit pas être rapportée aux insuffisances de
l'acculturation ou de l'éducation politique, mais à l'avènement de
la modernité. Le suffrage, lieu de l'invention du citoyen, est
également la scène où s'affrontent principes modernes et société
traditionnelle. L'abstention manifeste la résistance opposée par
celle-ci à l'individualisme démocratique qui commande son
démantèlement, alors que sa consolidation constituait l'objectif
principal des cahiers de 1789. Dans cette France rurale qui
constitue le sujet de ces remarques, la dénonciation des abus de
la fiscalité royale et du régime seigneurial témoignant du refus de
l'ingérence dans les affaires locales de pouvoirs étrangers et
ennemis, dont on entendait se protéger par une plus grande
autonomie locale aux traits archaïques.
 13 P. de SAINT-JACOB, Les paysans de la Bourgogne du Nord au dernier
siècle de l'Ancien Régime, Paris (...)

16N'est-ce pas exagérer la solidité de la société traditionnelle,


surestimer ses capacités de résistance à l'offensive engagée de
longue date pour en défaire les structures ? À la fin de l'Ancien
Régime, la cohésion des communautés – à supposer que celle-ci
ait jamais existé, sinon comme un mythe – était entamée depuis
longtemps déjà. Mais la société traditionnelle n'a pas pour autant
disparu en 1789. Historiquement antérieure à sa reconnaissance
juridique, la communauté lui survit ; juridiquement contestée et
matériellement menacée, elle reste psychologiquement,
culturellement, la réalité première d'une société essentiellement
rurale, l'horizon ordinaire d'une majorité de Français, le cadre
quotidien de leurs activités et de leurs relations. Il ne faut pas en
effet confondre la communauté avec ses structures
institutionnelles ; la communauté est d'abord une  valeur, qui
définit l'identité d'un groupe, règle la conduite sociale de ses
membres et régit ses rapports avec l'extérieur. La vie politique
locale pendant la Révolution serait d'ailleurs inintelligible si l'on
faisait abstraction de cette dimension cruciale. “ Il est certain que
vers la fin du XVIII   siècle, écrit Pierre de Saint-Jacob, la structure
e

primitive de la communauté est très affaiblie, mais le sens du


groupe reste très vigoureux chez le paysan. Il n'en faut pour
preuves que l'antipathie violente pour le forain, le sentiment de la
propriété du communal, l'agressivité en face de la seigneurie.
Toute une psychologie collective survit encore à la décadence qui,
depuis plusieurs siècles, mène lentement la communauté à sa
ruine”13. La lenteur de ce processus de désagrégation indique
combien la société traditionnelle n'est pas une société immobile,
désespérément accrochée à un passé en train de fuir
inexorablement ; elle aussi évolue, se transforme, s'adapte tant
bien que mal aux exigences posées par l'affirmation de l'État
administratif moderne.
 14 Ce point a été fortement mis en évidence par P. de SAINT-JACOB, op.
cit., notamment p. 347-434.

 15 M. BLOCH, “La lutte pour l'individualisme agraire dans la France du


XVIIIe siècle”, Annales d'hist (...)

 16 Le comité de constitution de l'Assemblée constituante fut ainsi saisi en


1790 d'une demande pour d (...)
 17 Emmanuel LABAT, cité par E. WEBER,  La Fin des terroirs. La
modernisation de la France rurale (1870 (...)

17La vigueur et la capacité au moins relative d'adaptation de la


société organique s'expriment tout aussi bien dans la
recrudescence après 1750 des conflits qui dressent – trait
significatif, devant les tribunaux – les communautés contre un
régime seigneurial qui, loin d'être une survivance archaïque, avait
souvent été le vecteur d'une modernisation de l'économie mortelle
pour les structures anciennes14. En défendant âprement les droits
collectifs d'usage et de propriété contre les prétentions
seigneuriales, les communautés entendaient faire obstacle à la
pénétration des principes individualistes dans l'économie et la
société. Dans les années 1760-1780, la culture communautaire
était encore assez puissante pour faire échec aux offensives
lancées contre elle par des ministres et de grands commis de
l'État imprégnés d'idées physiocratiques, comme Lefèvre
d'Ormesson, Bertin ou Trudaine15. Dix ans plus tard, en 1789,
l'effondrement de l'État fut l'occasion d'une véritable flambée
communautaire, les paysans en profitant pour rétablir dans leur
intégrité les droits traditionnels contestés ou même depuis
longtemps disparus16. Comme l'on montré les travaux de Georges
Lefebvre, il n'y a pas une, mais des révolutions, dont l'une est
d'ailleurs au sens propre une contre-révolution : engagée contre
la politique modernisatrice de l'absolutisme, elle se poursuivra
contre celle de la Révolution. Celle-ci, dans ses entreprises pour
en finir avec l'ordre ancien, ne fut guère plus heureuse que la
monarchie administrative d'avant 1789 : les décrets du 4 août, qui
marquaient l'avènement de l'individu moderne, furent au contraire
perçus comme le moyen de consolider la structure agraire
traditionnelle en supprimant avec le régime seigneurial un facteur
de modernisation ; les lois sur la liberté de clôture et le partage
des communaux ne furent pas mieux appliqués que les anciens
édits royaux, et finalement le problème fut légué tout entier au
siècle suivant. Comme l'écrira justement un historien du
XIX  siècle, la Révolution française est passée au-dessus des
e

villages17, sans pouvoir entamer de façon décisive une culture


traditionnelle étrangère aux principes modernes que 1789
imposait dans le même temps.
 18 AN DIV 10 n° 155, pièce 7.

18Les votants furent pourtant nombreux en 1790, surtout en


milieu rural, c'est à dire là où la participation aurait dû être la plus
faible. Pour comprendre cet apparent paradoxe, il faut se souvenir
que le nouveau régime électoral était alors appliqué pour la
première fois. Il n'est pas certain que la portée en ait été
exactement mesurée ni les dispositions toujours comprises. Les
élections de 1790, principalement les municipales, voient
perdurer de nombreuses pratiques anciennes : ici, on continue
d'exiger la présence de l'ensemble des électeurs, comme à
Longecourt (Côte-d'Or) où la réunion fut ajournée “ par la raison
qu'il y avait plusieurs citoyens actifs d'absents ” ; là, les habitants
sont invités à venir approuver les choix de l'assemblée, en vertu
d'une archaïque aspiration à l'unanimité. La généralisation de
l'élection fut surtout perçue comme le moyen de restaurer
l'ancienne et mythique autonomie locale. La correspondance
adressée à “nos seigneurs” du Comité de constitution tout au long
de l'année 1790 regorge de documents illustrant l'ampleur du
malentendu, et elle réserve bien des surprises concernant la
manière dont les décrets révolutionnaires furent interprétés.
L'élection des magistrats constituait bien l'une des principales
revendications de 1789, mais comme une extension des libertés
dans le cadre traditionnel radicalement étrangère à la philosophie
de la citoyenneté. En mars 1790 encore, le Comité de constitution
reçut ainsi une requête singulière des habitants “non-voisins” de
Lescar (Basses-Pyrénées) : ceux-ci, arguant de leur inscription au
rôle des impositions, demandaient à obtenir le titre de “voisins”
qui, par cooptation et à titre héréditaire, conférait
traditionnellement dans cette ville tous les droits de membres de
la communauté, tels que la possibilité de voter, d'être porté aux
“charges honorables” et surtout l'accès aux biens communaux 18.
 19 Voir notamment R. DUPUY, De la Révolution à la chouannerie. Paysans
en Bretagne, 1788-1794, Paris, (...)

19Le dévoilement progressif des implications des nouveaux


principes explique l'effondrement général de la participation en
1791. La crise religieuse clarifie pour ainsi dire la situation,
dissipe le malentendu entretenu en 1790 par la coexistence, à la
faveur de la nouveauté et de l'incompréhension, des principes
modernes et des pratiques anciennes, enfin amène au point de
rupture le contentieux accumulé entre l'élite révolutionnaire et
une partie au moins du pays. Les récents travaux sur les
“résistances à la Révolution” 19 en ont analysé la formation, depuis
la confiscation du pouvoir local par les citadins lors des élections
de 1790 jusqu'à la vente des biens nationaux et la mise en place
d'un nouveau régime fiscal peu favorable aux ruraux, en passant
par le découpage du territoire et l'épineuse question du rachat
des droits seigneuriaux. La crise du serment transforma
brutalement méfiance et sourde hostilité en guerre ouverte, dès
lors que la politique religieuse de la Constituante attaquait en
profondeur, à tous les niveaux, les équilibres et les
représentations de la société traditionnelle. Le divorce était
désormais consommé.
 20 Article publié en juin 1791 dans le Moniteur et reproduit par
A. MERY, “La fuite à Varennes et la (...)

20Les progrès rapides de l'abstention ne témoignent pas


seulement de l'ampleur des déceptions, quelques mois après les
grandes illusions de 1789, ou encore de la montée des
oppositions contre la politique conduite par les révolutionnaires,
ils marquent également l'échec de l'institution démocratique. “ On
conçoit avec peine, s'étonnait Jacques Peuchet en 1791, que Us
assemblées primaires d'élections aient pu devenir moins
nombreuses à mesure que Us droits politiques ont acquis du
développement et de la solidité; il est difficile d'assigner une
cause à l'indifférence qu'ont successivement marqué pour U droit
de suffrage la plupart de ceux qui semblaient plus
particulièrement devoir y tenir  : on s'étonne qu'avec U progrès
des idées libres on ait, en quelque sorte, perdu de vue
l'application, et fait de l'activité citoyenne une prérogative
abstraite, sans concours effectif à l'organisation des pouvoirs ”20.
En fait, l'échec dans “l'application” était la conséquence logique de
l'étrangeté du principe. Ce qui doit surprendre n'est pas la très
faible participation de 1791 et des années suivantes, mais la
participation élevée de 1790, nourrie d équivoques. Une
abstention massive était la rançon de l'avènement des principes
de l'individualisme politique moderne, de l'invention de l'individu-
citoyen.
Tableau 1. Évolution de la participation électorale (1790-1815)
Agrandir Original (jpeg, 293k)

NOTES
1 Concernant le détail des taux de participation, cf. P.  GUENIFFEY  Le
nombre et la raison. La Révolution française et les élections,  Paris, Éd.
de l'EHESS, 1993.

2 AD Maine-et-Loire 1 L 324.

3 B. BACZKO  Comment sortir de la Terreur. Thermidor et la


Révolution, Paris, Gallimard, 1989, p. 346.

4 Préface de LA HARPE (1799) à Ch.-P. DUCLOS  Considérations sur les


mœurs [1  édition 1750]. Nouvelle édition précédée d'une notice sur
ère

l'auteur de cet ouvrage, par La Harpe, Paris, 1828, p. XII-XIII.

5 E. QUINET  La Révolution, Paris, 1865, 2 volumes, t. II, p. 253.

6 Voir E. COORNAERT, “Notes sur les corporations parisiennes au temps


de Saint Louis, d'après le “Livre des métiers” d'Étienne  BOILEAU”,  Revue
historique, t CLXXVII [1936], p. 343-352.
7 Voir par exemple E. PIED,  Les Anciens corps d'Arts et Métiers de
Nantes, Nantes, 1903, 3 volumes.

8 Si la direction des corporations tomba à Lyon dans les mains d'une
oligarchie très étroite (M. GARDEN,  Lyon et le Lyonnais au
XVIII   siècle, Paris, Flammarion, 1975, p. 312-317), presque partout
e

l'assemblée générale conserva ses droits (voir l'ouvrage déjà cité sur les
corporations de Nantes, et pour l'Auvergne, J.-B. BOUILLET,  Histoire des
communautés des arts et métiers de l'Auvergne, Clermont-Ferrand,
1857).

9 Voir G. LEPOINTE, “Assemblées de paroisses”, in


R. NAZ [éd.],  Dictionnaire de droit canonique, Paris, Letouzey & Ané,
1935-1965, 7 volumes, t. I, col. 1181-1182.

10 Sur tout ceci, voir N. TEMPLE, “Municipal elections and municipal


oligarchies in eighteenth-century France”,   French Government and
Society, 1500-1850. Essays in Memory of Alfred Cobban, J.
F. BOSHER, [éd.], London, 1973, p. 70-91.

11 A. BRETTE,  Recueil de documents relatif à la convocation des États


généraux de 1789, Paris, Imp. nationale, 1894-1915, 4 volumes, t. I, p.
LV.

12 Surtout dans les campagnes. Les corporations rassemblaient un


nombre restreint de citadins (voir les remarques de W. SEWELL,  Gens de
métier et Révolutions. Le langage du travail de l'Ancien Régime à
1848, traduction française, Paris, Aubier-Montaigne, 1983, p. 36-37).

13 P. de SAINT-JACOB,  Les paysans de la Bourgogne du Nord au dernier


siècle de l'Ancien Régime, Paris, Les Belles-Lettres, 1960, p. 92.

14 Ce point a été fortement mis en évidence par P. de SAINT-


JACOB,  op. cit., notamment p. 347-434.
15 M. BLOCH, “La lutte pour l'individualisme agraire dans la France du
XVIII  siècle”,  Annales d'histoire économique et sociale, 1930, p. 329-
e

381 et p. 511-556.

16 Le comité de constitution de l'Assemblée constituante fut ainsi saisi


en 1790 d'une demande pour déclarer irrévocables les acquisitions de
biens appartenant aux communautés faites avant 1760 : “Cela évitera
des milliers de procès que les villes et paroisses sont sur le point
d'intenter à toutes les personnes qui ont acquis quelques-unes de
leurs possessions  ; parce qu'elles prétendent qu'elles ne cessent
jamais d'être dans l'état de minorité, d'où il suit que celles dont les
fonds ont été aliénés il y a dix siècles, ont autant de droit à se faire
restituer que celles qui n'ont vendu que depuis dix ans  : prétention
absurde, mais qui semble néanmoins faire une grande fortune dans
une infinité d'endroits […]” (AN DIV 2 n° 12, pièce 23).

17 Emmanuel LABAT, cité par E. WEBER,  La Fin des terroirs. La


modernisation de la France rurale (1870-1914), traduction française,
Paris, Fayard, 1983, p. 360.

18 AN D  10 n° 155, pièce 7.


IV

19 Voir notamment R. DUPUY,  De la Révolution à la chouannerie.


Paysans en Bretagne, 1788-1794, Paris, Flammarion, 1988; J.-
C. MARTIN,  La Vendée et la France, Paris, Seuil, 1987 ;
A. GÉRARD,  Pourquoi la Vendée  ?, Paris, Armand Colin, 1990.

20 Article publié en juin 1791 dans le Moniteur et reproduit par


A. MERY, “La fuite à Varennes et la réunion des assemblées primaires et
électorales”,  La Révolution française, t. LXVI [1914], p. 395-396.

TABLE DES ILLUSTRATIONS

Titre Tableau 1. Évolution de la participation électorale (1790-1815)


URL http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/14302/img-1.jpg

Fichie
image/jpeg, 293k
r

AUTEUR
Patrice Gueniffey
E.H.E.S.S. Paris

Du même auteur

 De la politique à la guerre : la Révolution française et ses héros in La politique et l’âme,


CNRS Éditions, 2014
 La Révolution ambiguë de l'an III : la Convention, l'élection directe et le problème des
candidatures in 1795, pour une République sans Révolution, Presses universitaires de
Rennes, 1996
© Presses universita
Débat
p. 224-226

TEXTE

TEXTE INTÉGRAL

Mercredi matin
1F. LEBRUN remercie S. SAMMLER d’avoir donné un témoignage
spectaculaire de l’influence quasi immédiate des évènements de
1789 dans l’espace allemand et constate le rôle visiblement
déterminant de la presse dans le déclenchement de la
revendication paysanne en Saxe. S. SAMMLER rappelle le taux
d’alphabétisation élevée des campagnes saxonnes à la fin du
XVIII  siècle
e
et l’efficacité d’un enseignement primaire déjà
développé.

2R. DUPUY croit pouvoir constater que les maires lorrains semblent


plus modérés que beaucoup de délibérants ruraux aux
assemblées des sénéchaussées de Haute-Bretagne souvent
partisans, dès avril 1789, de l’abolition pure et simple de tous les
droits féodaux, dans le droit fil des affrontements entre le tiers et
la noblesse, à Rennes, en janvier 1789. R. TLILI-SELLAOUTI estime
que la réforme municipale de Laverdy avait fait surgir une élite de
notables qui ont donné une tournure modérée à la vie politique
locale et jouissaient de suffisamment d’autorité pour éviter à leurs
administrés la panique de la Grande Peur mais aussi les
expéditions punitives contre les châteaux dans la mesure où la
noblesse lorraine, absentéiste, ne semblait pas exploiter
abusivement le monde paysan.

3J.-P. JESSENNE s’inquiète de ce qu’à souligner la diversité des


situations et des comportements, on n’en vienne à oublier la
dynamique unificatrice de l’événement révolutionnaire à partir de
l’automne de 1788. De même ne cède-t-on pas à une illusion de
la continuité ? Est-ce-que le fait qu’un même homme reste en
place implique que cet homme ne change pas de comportement ?
Des notables rassis ne peuvent-ils pas se muer en patriotes
véhéments sous la pression des évènements, par calcul ou par la
contagion des sentiments ?

Mercredi après-midi
4PH. GUIGNET complète l’intervention de S. BLANCHI en donnant un
autre exemple de Municipalité double, celle du Blanc sur les deux
rives de la Vienne, à la limite du Poitou et du Berry, dont le pont
détruit en 1525 ne sera reconstruit qu’en 1860, et qui vit deux
municipalités élues en 1790. C’est dire que cette dualité n’a pas
toujours pour origine des rivalités de clans à fondement socio-
professionnels. A J.-P. JESSENNE il se permet une explication au
faible taux de participation électorale, en 1790, dans les villes
d’Artois et à Lille comme l’avait déjà constaté L. TRENARD. C’est
que vient de disparaître dans ces villes, en quelques mois, le
système hospitalo-caritatif hérité du modèle hispano-tridentin
mis en place au début du XVII  siècle et qui fonctionnait toujours
e

quoique amoindri. Dans les campagnes, le traumatisme des


pauvres gens est moins violent car le système y était moins
développé. Quant à la question de la rupture et de la continuité
évoquée, à plusieurs reprises par J.-P. JESSENNE, il lui semble
évident qu’il y a eu, au printemps et durant l’été de 1789, une
révolution bourgeoise, chimiquement pure, et donc disparition
des monopoles professionnels de la noblesse et du principe de
l’absolutisme.

5La communication de P. GUENIFFEY provoque une longue


intervention de G. FOURNIER qui s’avoue séduit par la cohérence du
propos et la force d’arguments souvent neufs mais il se permet
néanmoins quelques remarques à partir de la réalité
Languedocienne. Le déclin de la participation électorale ne lui
semble pas inéluctable après 1790. Si le déclin se vérifie en 1791,
il y aurait remontée des taux en 1792, également en 93 avec le
référendum sur la Constitution et sous le Directoire cela
s’accentue encore. Ce qui est frappant, en Languedoc, c’est qu’on
vote plus en 1790 qu’en 1789, surtout dans les paroisses rurales,
là où il n’y avait pas de "Conseils Généraux" ouverts. De plus, ne
faut-il pas faire de différences entre élections locales et élections
nationales ? Enfin les opposants se manifestent souvent
autrement que par l’abstention pure et simple : en 1792, des
opposants s’efforcent de l’emporter sur les jacobins locaux. Donc
si, globalement, la lecture des comportements électoraux
proposée par P. GUENIFFEY parait pertinente, il faut, sans doute,
une fois encore, respecter la variété des situations concrètes
possibles.

6P. GUENIFFEY répond qu’il s’est occupé essentiellement des


élections de 1790-1791 et pas des autres. Pour ce qui est du
décalage entre villes et campagnes, la participation urbaine
supérieure semble essentiellement liée à la présence des clubs et
autres lieux ou moyens d’acculturation politique. Pour le
Directoire, la rupture de Thermidor est telle qu’il semble que ce
ne soit plus la Révolution, car l’utopie est morte avec Robespierre.
Pour ce qui est des élections locales et nationales, la différence
n’est guère visible sur le plan local puisque dans des élections à
deux degrés, on désigne des électeurs qui, après, se cooptent,
donc il n’y a que des élections locales qui donnent la légitimation
préalable et nécessaire. Quant aux empoignades de 1792,
compétition ne signifie pas automatiquement pluralisme, comme
on peut le constater, à Paris, en novembre 1792. D’ailleurs
l’opposition n’est guère possible, personne ne donne sa voix au
comte d’Artois en 1792 !
7Derrière l’écume des cas d’espèces, le sens profond de cette
abstention massive c’est une opposition également massive.

8B. GAINOT confirme pour le Directoire les analyses de


M. EDELSTEIN concernant le Morbihan et en particulier l’exception
du district du Faouët où il y avait eu déjà un taux de curés
assermentés relativement élevé. Pour ce qui est de l’abstention il
ne faut pas sous-estimer les contraintes matérielles, surtout les
difficultés de communication de l’automne au début du printemps
et les travaux des champs à la belle saison, mais il semblerait,
malgré tout, que l’on vote d’avantage sous le Directoire qu’au
début de la période révolutionnaire, ce qui signifierait un degré
croissant de politisation.

9M. EDELSTEIN signale que le taux de prêtres assermentés


n’entraîne pas nécessairement un taux de participation élevé, et
on peut voter en nombre relativement élevé, comme dans le
district de Pontivy, avec un taux d’assermentés de 3 % !

10P. GUENIFFEY signale que le suffrage instauré en 1792 n’est pas


vraiment universel : les domestiques, les non domiciliés et les
gens sans revenu en sont toujours exclus.

11S. BIANCHI s’intéresse aux votes des soldats-citoyens.


P. GUENIFFEY doute qu’il ait une signification autonome effective.
© Presses universitaires de Rennes, 1999
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Pouvoir local et Résistances
à la révolution dans les
communautés rurales
comtadines (1791-1794)
Martine Lapied

p. 228-238

TEXTE NOTES AUTEURILLUSTRATIONS

TEXTE INTÉGRAL
Agrandir Original (jpeg, 663k)

 1 Cf. LAPIED (Martine), “Un exemple de “résistance” : le haut Comtat face


à la Révolution et au ratt (...)
 2 Cf. carte.

1De nombreuses petites communautés du moyen et du haut


Comtat, c'est à dire de la partie la plus rurale de l'ancienne
enclave pontificale, avaient participé à la lutte contre l'union à la
France1 mais, après le rattachement en septembre 1791, elles
apparaissent peu sur la scène politique. Ces villages, en
particulier ceux du nord-est qui se situent dans la zone la plus
isolée et la moins développée économiquement2, ne fournissent
pas de victimes à la terreur pourtant très active dans le
département. Ils restent à l'écart de l'insurrection sectionnaire et,
dans de nombreuses communautés rurales, on ne relève pas de
dénonciations officielles pendant la période révolutionnaire.
2Lorsque les administrations du district, du département, et les
représentants en mission s'inquiètent de l'état d'esprit de la
communauté, les autorités municipales répondent que tout est
calme et que les habitants professent le plus pur républicanisme.
Mais l'absence de dénonciations peut aussi être considérée
comme l'indice d'un manque de zèle révolutionnaire : il n'existe
pas dans ces villages de jacobins suffisamment motivés pour
dénoncer leurs concitoyens.
3En effet, les archives municipales montrent une toute autre
situation que celle décrite par les autorités locales : le
conservatisme dominant se traduit par le développement d'une
attitude de mauvais gré en réaction aux mesures antireligieuses et
aux exigences de l'État révolutionnaire qu'il s'agisse des impôts,
de la conscription, des réquisitions. Une tendance à l'insoumission
se développe dans les campagnes. L'opposition prend une forme
symbolique : respect du dimanche au lieu du décadi, port de la
croix et non de la cocarde, mais aussi matérielle : dissimulation
de produits face aux réquisitions, désertion des appelés protégés
par leur proches. Il semble que l'intervention constante, et
pesante, du pouvoir central dans les affaires locales ait entraîné
un réflexe défensif de la part des communautés rurales.
Toutefois, la mobilisation pour la défense des intérêts
communautaires est plus ou moins affirmée et, dans le Comtat,
les comportements restent, le plus souvent, au niveau de la
résistance passive

LE PERSONNEL MUNICIPAL
ET SON ATTITUDE
4Une évolution du personnel municipal se produit dans certaines
communautés qui voient des habitants plus modestes ou plus
favorables aux transformations politiques exercer des
responsabilités mais ce n'est pas la règle générale dans les petites
communes. En effet la plupart des villages comptent peu
d'hommes susceptibles d'exercer les fonctions municipales et,
contrairement à ce qui se passe dans les communautés plus
importantes ou plus diversifiées socialement, les mêmes
personnes, d'assez modestes agriculteurs le plus souvent, se
relaient dans les différentes fonctions. Mais la politique de salut
public provoque un accroissement du travail des responsables
municipaux qui se sentent parfois complètement débordés par “la
multiplicité des affaires”. Le mauvais gré de leurs administrés
aggrave leurs difficultés ; ne parvenant pas à faire face aux
exigences de l'État révolutionnaire, ils ont peur d'être accusés de
négligence, voire de mauvaise volonté, et adressent des messages
pathétiques aux administrations du district et du département.
Néanmoins, ceux qui sont au pouvoir tentent d'accomplir
consciencieusement leur devoir et de protéger leurs concitoyens
des aléas de la situation politique. La lecture des registres de
délibérations des conseils municipaux montre que les
responsables locaux ont deux types de discours, l'un à usage
externe et l'autre à usage interne.
 3 Cf. carte.

 4 A.C. d'Entrechaux déposées aux A.D. de Vaucluse, 1 D 1 (février an II -


fructidor an II).

 5 A.C. d'Entrechaux 1 D 1.

5Lorsqu'il s'agit des rapports aux autorités du district ou du


département, on essaie de présenter les habitants comme des
républicains modèles. Le 26 juin 1793, le conseil municipal
d'Entrechaux, communauté d'un peu plus de 800 habitants située
dans le nord-est du Comtat3 envoie au directoire du département
une délibération indiquant que “la loi du 26 mars et l'arrêté du
directoire du département du 11 avril concernant les suspects
n'ont pas été exécutés dans cette commune atendu (sic) que les
citoyens qui la composent sont tous des citoyens laborieux et
agriculteurs et qui depuis le commencement de la révolution
n'ont cessé de professer le civisme le plus chaud… il n'existe dans
la commune aucun parent dos émigrés, il n'y a point de ci-devant
noble ni de prêtres réfractaires… les habitants n'ont cessé d'être
unis”4. En fait, depuis le début des événements révolutionnaires le
village avait pris peu de positions politiques et, probablement
grâce à son maire, Esprit Charasse, il était resté du “bon côté”
pendant la crise fédéraliste. C'est donc la conscience tranquille
que la municipalité affirme qu'il n'y a pas de suspects dans la
communauté. Mais en octobre, le maire appelle ses concitoyens à
la délation si des suspects se réfugient dans la région. La
proclamation montre que la municipalité a compris le danger de
l'absence de dénonciations et que sa volonté de protection
concerne principalement ses administrés et pas d'éventuels
étrangers à la commune qui viendraient s'y réfugier : “si vous ne
vous conformez pas aux présentes dispositions vous serez vous-
mêmes déclarés traîtres à la patrie et punis suivant toute la
rigueur de la loi”5. Le sort de Bédoin justifia, par la suite, les
craintes exprimées par le maire d'Entrechaux ; ses inquiétudes
sont d'autant plus compréhensibles que les proclamations
municipales à usage interne permettent de douter de l'ardeur du
civisme des habitants.

LA RÉSISTANCE AUX
EXIGENCES DE L'ÉTAT
RÉVOLUTIONNAIRE
6Le discours à usage externe des autorités municipales ne doit
pas faire illusion : en fait, elles n'arrêtent pas de se battre contre
la mauvaise volonté de leurs administrés. Elles ont beau
s'employer à les convaincre de leurs devoirs, la répétition des
proclamations démontre que c'est en vain.
7Ce mauvais gré concerne d'abord les impôts qui rentrent mal en
dépit de tous les efforts déployés.
8Le 16 février 1793, la municipalité d'Entrechaux affirme, avec un
optimisme forcé : “Vous payerez volontiers ce que vous devez à
une République qui anéantira les méchants et récompensera les
bons citoyens…”. Le 16 décembre, elle déplore dans une nouvelle
proclamation sur les sommes dues à la Nation le manque de
civisme des habitants : “Vous semblez insensibles à la voix de la
Patrie… le receveur nous dit qu'il va employer tous les moyens
que la loi a mis à son pouvoir”. Il semble que ce qui inquiète le
plus les autorités municipales c'est le risque encouru par la
communauté à cause de sa mauvaise volonté.
9Le même problème se pose pour les déclarations de grains et de
fourrage et les réquisitions qui sont régulièrement évoquées dans
les registres des délibérations municipales à partir de l'été 1793.
Fin août 1793, la municipalité d'Entrechaux informe ses
concitoyens qu'elle a été rappelée à l'ordre par le district et que si
cela continue il faudra qu'elle se décide à sévir. Un mois plus tard,
elle rappelle que l'accaparement est un crime capital, qu'il faut
déclarer ce que l'on détient et que les fausses déclarations seront
punies. En octobre, des visites domiciliaires sont annoncées mais,
à la fin du mois, la municipalité reçoit un arrêté des représentants
en mission signé Fréron, Paul Barras, Pomme l'Américain, Lamure,
concernant les communes coupables de négligence dans
l'exécution des réquisitions. Affirmant : “le manque de pain tue la
liberté… il faut que la liberté triomphe de l'égoïsme des
accapareurs comme de la barbarie des tyrans… ”, les représentants
rappellent que le département de Vaucluse doit fournir le
huitième de la récolte de chaque habitant en blé et la moitié en
foin et en avoine, ils menacent les perturbateurs d'être traduits
devant le tribunal révolutionnaire des Bouches-du-Rhône comme
contre-révolutionnaires. La municipalité répond qu'elle s'occupe
de faire appliquer cet arrêté, mais les proclamations suivantes
prouvent qu'elle a toujours autant de difficultés.
 6 A.C. d'Entrechaux 1 D 1.

10Elle n'a pas plus de succès avec les jeunes gens qui doivent
partir aux armées bien qu'elle les ait mobilisés et équipés, ils
rechignent à rejoindre leur corps puis ne pensent qu'à
l'abandonner. En janvier 1795 les autorités municipales
continuent de les exhorter : “Ne soyez pas sourd à la voix de la
patrie… vous nous épargnerez le désagréable de prendre des
mesures rigoureuses contre vous”6.
 7 Cf. carte.

 8 A.C. de Savoillan déposées aux A.D. de Vaucluse, 1 D 1 (1792-1814).


11Ailleurs, les difficultés commencent dès l'équipement des
volontaires. A Savoillan, village de 500 habitants situé dans la
partie la plus isolée du Comtat7, le conseil municipal se prétend
incapable d'habiller le volontaire la bourse de la commune étant à
sec étant donné le manque de ressources, la médiocrité de la
dernière récolte et le fait que les habitants aient “ fait depuis peu
des sacrifices pour la chose publique même au-delà de leur
faculté”8. Pendant la période révolutionnaire, comme sous l'Ancien
Régime, les responsables locaux essaient d'attendrir les autorités
supérieures sur la petite taille et la pauvreté de la commune
qualifiée par eux de “pauvre petit Savoillan”. Néanmoins, comme
ils savent qu'il est juste et urgent d'équiper le brave volontaire, ils
se résignent pour cela à imposer chaque citoyen
proportionnellement à la taille mais, le recouvrement risquant
d'être long, ils sont obligés d'emprunter. Plusieurs autres
communes de la région font part de la même incapacité d'équiper
les volontaires.

L'ATTACHEMENT À LA
RELIGION TRADITIONNELLE
 9 DUPUY (Roger), “De la Révolution à la Chouannerie”, Flammarion, 1988.

12Les réticences vis à vis de la politique révolutionnaire


s'expriment également dans le domaine spirituel. Comme dans
l'ouest de la France, l'attachement à la religion a joué un rôle
important dans la constitution d'une image négative de la
Révolution dans les milieux populaires. Le type de pratique
religieuse n'est probablement pas étranger à cette similitude. Les
traits évoqués par Roger Dupuy pour la Bretagne décrivant une
religion tridentine avec d'importantes manifestations extérieures
du culte se retrouvent dans le Comtat.9
13Les municipalités tentent de faire évoluer les mentalités dans
leurs villages en stimulant les sentiments révolutionnaires de
leurs administrés. Les autorités d'Entrechaux organisent des fêtes
pour le 10 août, pour la prise de Toulon : à cette occasion trois
jours de réjouissances publiques sont proclamés avec des
farandoles à la gloire de la “sainte Montagne” et un feu de joie où
doivent être jetés tous les papiers odieux du despotisme et de la
féodalité. Mais l'organisation de fêtes, les dispositions prises pour
inciter les habitants à respecter le décadi et la lutte contre les
symboles de la monarchie et du fanatisme n'ont guère de succès.
Les habitants sont, en effet, obstinément attachés à la religion
catholique et aux traditions. Dans un premier temps, les
responsables municipaux avaient d'ailleurs partagé leurs
sentiments. A Entrechaux, le conseil du 23 mai 1793 évoque le
problème des messes : le curé restait seul à les célébrer alors qu'il
y avait toujours eu deux prêtres, le conseil espère pouvoir obtenir
un vicaire pour l'assister. Les autorités municipales ne s'engagent
dans la lutte contre le fanatisme que sur pression extérieure et,
toujours dans le but d'éviter des ennuis à leurs administrés.
 10 A.C. d'Entrechaux 1 D 1.

14Le 15 ventôse an II, une lettre de l'administration du district de


Carpentras enjoint à la municipalité de procéder à une épuration,
un agent national de la commune est alors désigné par 14 voix
sur 15 : Joseph-François Aubéry, précédemment procureur de la
commune. C'est lui qui essaie d'engager le village dans la voie de
la déchristianisation. Dès sa nomination, il affiche une
proclamation menaçante : “Nous sommes instruits que les torches
du fanatisme dans cette commune sont à la lueur… nous saurons
les éteindre”. Les proclamations se multiplient ensuite pour le
respect du décadi et pour enjoindre aux femmes le port de la
cocarde. Mais ces avertissements ne sont pas suivis d'effets. Le 25
messidor (13 juillet 1794), un agent du district de Carpentras
arrivant un dimanche, constate que les travaux de la campagne
étaient abandonnés et en conclut qu'il existe des “fanatisans”. Il
sermonne la municipalité, affirmant que “le fanatisme est l'une
des armes dont les ennemis de la Révolution se sont servis avec le
plus d'efficacité pour entraver le triomphe de la liberté ”. Le conseil
municipal essaie de faire porter la responsabilité de cette situation
à l'ancien curé, Jean-François Marcel, prétendant qu'il était “ le
seul auteur de la persévérance funeste de quelques indices
d'opinions superstitieuses” ; il est alors arrêté. Curé
constitutionnel, Marcel avait été président de la société populaire
en décembre 1793. Après thermidor, le 23 fructidor an II, la
société populaire rédigea une pétition pour obtenir sa libération,
affirmant que le comité de surveillance l'avait fait arrêter “forcé
par les circonstances”. Les autres habitants n'ont guère été
inquiétés ; une femme trouvée sans cocarde a été détenue par la
municipalité pendant huit jours avant d'être relâchée, le registre
signale que c'est la peine prévue par la loi.10
 11 A. C. d'Entrechaux 1 D 1.

15Entrechaux ne compte aucune victime de la terreur judiciaire.


Pourtant, les administrateurs du district de Carpentras continuent
à soupçonner et à menacer la communauté jusqu'en vendémiaire
an III et le problème du dimanche se pose toujours. La chute de
Robespierre puis la fin du comité de salut public donnent aux
habitants la trompeuse illusion qu'ils peuvent à nouveau pratiquer
librement leur culte. La municipalité, pour inciter les habitants à
travailler le dimanche, ferme les cabarets, interdit les jeux de
boules, mais elle finit par reconnaître que certains habitants
suivent des cérémonies religieuses : “C'est
l'ignorance ou
l'égarement qui ont pu fanatiser des personnes de la commune
car les citoyens d'Entrechaux ont, dans la révolution, professé le
civisme le plus pur… mais il n'en est pas moins vrai que depuis
peu quelques citoyens des deux sexes trompés ou égarés sans
doute par des ennemis de la chose publique se sont voués à des
signes fanatiques en se portant les jours du ci-devant dimanche à
des ci-devant chapelles rurales sous prétexte que les cultes sont
libres… ce sont des émissaires criminels qui font entendre à ces
personnes ignorantes qu'ils doivent célébrer les jours du ci-
devant dimanche…” La municipalité affirme qu'elle arrêtera ceux
qui le font et qu'ils seront punis par voie de police correctionnelle
mais il ne s'agit toujours que de propos visant à rassurer les
autorités supérieures11.
16La même attitude se manifeste à Savoillan. Le comité de
surveillance se décide à lancer, le 15 messidor (3 juillet 1794), un
mandat d'arrêt contre Jean-François Aubert, ci-devant prêtre, et
Madeleine Falque, ci-devant religieuse, en indiquant que leur
fanatisme est dangereux dans une commune qui n'est composée
que de cultivateurs ignorants. Mais il ne se résigne à cette mesure
qu'après le départ des deux suspects et, dès que la situation
change, le 14 fructidor (31 août 1794), le conseil municipal écrit
au district de Carpentras que la délibération du 15 messidor
n'avait été prise qu'à la suite de sollicitations instantes et même
de menaces de l'agent national du district qui leur avait remis la
minute de la délibération pour qu'ils l'envoient. On voit ici la
méfiance avec laquelle ce type de document doit être utilisé pour
apprécier l'état d'esprit d'une communauté et la nécessité de les
replacer dans leur contexte et de les croiser avec d'autres
documents. Le conseil de Savoillan explique que les autorités
locales ont refusé pendant vingt-quatre heures d'accéder aux
exigences de l'agent national, mais qu'elles ont cédé sous la
menace d'être dénoncées elles-mêmes. Le conseil affirme avoir
ensuite essayé, en vain, d'annuler cette délibération et qu'il le fait
maintenant à l'unanimité car les deux accusés se sont toujours
conformés aux décrets, étaient munis de certificats de civisme et
avaient une conduite irréprochable.
 12 Cf. carte.

17La même réserve vis à vis de la déchristianisation apparaît à


Saint-Roman-Malegarde12. Cette commune de 500 habitants
possède une société populaire qui organise des fêtes, enjoint à la
municipalité de faire disparaître les distinctions d'ordres et
d'abattre la tour du château, fait transformer le nom du village en
celui de Roman Montagnard. Si elle se montre assez docile au
niveau de l'utilisation des nouveaux symboles, la communauté
est, comme ses voisines, plus réticente lorsqu'il s'agit d'accomplir
des efforts matériels. Il est évident que la municipalité travestit la
vérité dans ses rapports aux autorités supérieures afin de
protéger la population, en particulier en ce qui concerne
l'attachement à la religion catholique.
 13 A.C. de Saint-Roman-Malegarde déposées aux A.D. de Vaucluse, 1 D 1
(6 septembre 1789-17 pluviose a (...)

18Le village n'est guère inquiété pour ses sentiments religieux


jusqu'à l'affaire de Bédoin. La société populaire s'en était prise aux
symboles du pouvoir seigneurial mais pas à ceux de la religion ;
l'ancien prieur avait été reçu membre en février 1794. Il faut
l'intervention de Le Go, agent national du district de Carpentras
chargé de mission par Maignet à la suite de l'affaire de Bédoin,
pour que la société de Roman indique, le 5 thermidor (23 juillet
1794), que tous les signes du fanatisme doivent disparaître. Elle
ne s'en était pas préoccupée jusqu'alors et Le Go se montre
méfiant et menaçant. Dans une lettre aux autorités municipales, il
affirme que toutes les communes qui avoisinent Bédoin sont
également gangrenées d'aristocratie et qu'elles ont également
besoin d'être purgées ; il cite une lettre de Maignet qui approuve
la manière dont il est parvenu “ à arracher le masque à tous ces
hommes qui ne se jettent dans les sociétés populaires que pour y
arrêter le développement de l'esprit public ”13. L'agent requiert la
municipalité de procéder à l'examen le plus sérieux de la conduite
des citoyens de la commune dans les circonstances les plus
difficiles de la révolution ; parmi les critères de zèle
révolutionnaire cités se trouve “la destruction d'un culte
intolérant”. Trois habitants sont alors arrêtés : l'ancien curé
constitutionnel accusé d'avoir pris les armes contre les patriotes
et deux sœurs trouvées en possession de chapelets, reliques et
images pieuses.
19La période de la Convention thermidorienne et du Directoire
confirme à la fois la persistance des convictions religieuses et les
“pieux” mensonges des responsables municipaux.
20Le 19 pluviose an III (7 février 1795), ils reçoivent une lettre de
l'agent national du district de Carpentras qui accuse la
communauté d'être en proie au fanatisme et qui met en doute le
zèle de la municipalité. Celle-ci répond qu'elle n'a jamais connu
aucune marque de fanatisme, que les habitants n'ont jamais fait
aucune résistance lors de “l'abdication d'un culte intolérant” et
qu'elle ne connaît aucun citoyen qui veuille redonner vie au
fanatisme.
21Quelques mois plus tard, la municipalité doit encore défendre
ses administrés : le 22 fructidor an III (8 septembre 1795) l'arbre
de la liberté a été renversé et “on ne peut découvrir les
coupables”. Elle tente de présenter une excuse qui innocente la
communauté, accusant “l'effet de quelque coup de vent qui
véritablement avait été fort dans la nuit” sur un arbre dont le pied
était “tout pourri”. Mais elle ne croit guère elle-même à cette
explication puisqu'elle s'empresse de transporter l'arbre dans un
lieu de sûreté pour qu'il soit “à l'abri des malveillants qui
pourraient encore l'insulter étant par terre”.
22En décembre 1795, la fiction d'une communauté délivrée du
fanatisme ne tient plus et la municipalité est obligée d'envoyer un
rapport sur les événements du 4 nivôse, c'est-à-dire du jour de
Noël : “une multitude innombrable de tout âge et de tout sexe ” a
réclamé le libre exercice du culte dans lequel ils étaient nés.
Affirmant qu'ils étaient souverains, les habitants forcent la
municipalité à accepter que le curé dise la messe bien qu'il n'ait
pas prêté serment.
23La communauté a été assez paisible pendant la révolution, elle
n'a pas eu à souffrir de la terreur, en partie grâce à l'attitude des
autorités municipales, mais la fin du gouvernement
révolutionnaire permet aux options dominantes de s'exprimer et
elles illustrent la permanence d'un pôle conservateur dans le haut
Comtat.
24Nous l'avons vu, le conservatisme dominant des régions rurales
du nord-est du Comtat se traduit par un comportement qu'il est
préférable de qualifier de résistance à la révolution plutôt que de
contrerévolution, contrairement à ce que l'on constate dans la
zone occidentale plus politisée et où les antagonismes sont
violents ; ici les attitudes vont rarement au delà du mauvais gré et
de la résistance passive. L'attitude des autorités municipales a
permis d'éviter le pire : d'une part elles poussent leurs
administrés à ne pas opposer de refus catégorique aux exigences
étatiques et d'autre part elles dissimulent au maximum leur
mauvaise volonté. Cette attitude était déjà celle de nombreuses
communautés rurales pendant l'Ancien Régime puis la guerre
civile comtadine. Le contraste entre les zones politisées de l'ouest
et du sud, plus développées, plus urbanisées, et la partie rurale et
isolée du Comtat s'est accentué pendant la période de troubles de
1792-1793. Dans les régions politisées chaque renversement de
situation est l'occasion de s'emparer du pouvoir local et d'essayer
d'éliminer ses adversaires, règlements de comptes et violences
s'enchaînent, alors que dans le nord-est on débat peu des grands
problèmes politiques et la solidarité des intérêts de la
communauté l'emporte sur les divergences.
NOTES
1 Cf. LAPIED (Martine), “Un exemple de “résistance” : le haut Comtat
face à la Révolution et au rattachement à la France”,  Provence
historique, t. XXXVII, 1982, p. 153-158.

2 Cf. carte.

3 Cf. carte.

4 A.C. d'Entrechaux déposées aux A.D. de Vaucluse, 1 D 1 (février an II


- fructidor an II).

5 A.C. d'Entrechaux 1 D 1.

6 A.C. d'Entrechaux 1 D 1.

7 Cf. carte.

8 A.C. de Savoillan déposées aux A.D. de Vaucluse, 1 D 1 (1792-1814).

9 DUPUY (Roger), “De la Révolution à la Chouannerie”, Flammarion,


1988.

10 A.C. d'Entrechaux 1 D 1.

11 A. C. d'Entrechaux 1 D 1.

12 Cf. carte.

13 A.C. de Saint-Roman-Malegarde déposées aux A.D. de Vaucluse, 1


D 1 (6 septembre 1789-17 pluviose an XII).

TABLE DES ILLUSTRATIONS


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Fichier image/jpeg, 663k

AUTEUR
Martine Lapied
Du même auteur
 La révolution française au carrefour des recherches, Presses universitaires de Provence,
2003
 L’engagement politique des femmes dans le sud-est de la France de l’Ancien Régime à la
Révolution, Presses universitaires de Provence, 2019
 Les comités de surveillance et la Terreur dans le Vaucluse et les Bouches du Rhône in
Justice et politique  : la Terreur dans la Révolution française, Presses de l’Université Toulouse 1
Capitole, 1997
Pouvoir jacobin et sociétés
populaires dans l'Ouest
intérieur
Christine Peyrard

p. fr239-247

TEXTE NOTES AUTEUR

TEXTE INTÉGRAL
 1 “Les sociétés populaires”, n° spécial des AHRF, sept-oct. 1986, n° 266,
p. 363-544. R. HUARD (s. d (...)

1Le renouveau des études sur le jacobinisme a montré, tant à


l'échelle provinciale que nationale, la diversité des pratiques
locales, là où, naguère, on supposait homogénéité, passivité et
soumission de la part des filiales provinciales d'une société
parisienne1. Cette diversité persiste au cœur de l'hégémonie
jacobine de l'an II ; c'est pourquoi il peut être utile de situer la
place de l'association politique dans le champ du pouvoir local en
présentant, d'abord, les caractères généraux de son rayonnement
et en examinant, ensuite, les conditions concrètes du
fonctionnement des sociétés populaires.
 2 A. SOBOUL, “Robespierre et les sociétés populaires”, AHRF, 1958, n° 12,
p. 50-64.

2Avec la constitution du 24 juin 1793, garantissant “ le droit de se


réunir en sociétés populaires” (art. 122), le pouvoir montagnard
consolide leur existence politique, longtemps contestée sous la
monarchie constitutionnelle, avant de chercher tout au cours de
l'an II à la réglementer2. Disons d'un mot seulement que les
interdictions de clubs de femmes, de sociétés sectionnaires ou de
congrès de sociétés populaires n'affectent pas directement la
dynamique du mouvement associatif dans l'Ouest.
 3 Nous nous permettons de renvoyer à notre article : “Peut-on parler de
jacobinisme rural dans l'Oue (...)

3Le principal effet de cette institutionalisation des sociétés


populaires dans la vie politique est leur floraison. Dans les
départements issus des anciennes provinces du Maine et de la
basse-Normandie, la moitié des clubs ont été créés en l'an II. Il y
a, évidemment, des différences départementales au plan des
nombres absolus, avec une dizaine de créations dans la Mayenne
et une centaine dans l'Eure, comme au plan proportionnel, avec le
cas de la Sarthe qui ne connaît qu'un tiers d'implantations
nouvelles. Mais, globalement, c'est la grande époque de la
ruralisation de l'association politique. Sans être une spécificité
urbaine à ses origines celle-ci avait gagné toutes les villes
notables dès 1791. En l'an II, non seulement tous les chefs-lieux
de district, mais encore les trois-quarts des chefs-lieux de canton
de plus de 2 000 habitants ont leur société populaire. Si on ne
peut parler véritablement de jacobinisme au village dans l'Ouest
bocager où l'implantation des clubs ne concerne que 5 à 10 % des
communes3, la mode associative s'est toutefois répandue en l'an II
dans une majorité de bourgs ruraux (sauf dans la Mayenne
anticonformiste) et, également, dans un grand nombre de petites
communes grâce à la sociabilité cantonale. Car, le chef-lieu de
canton, où se tient le marché hebdomadaire, sans être alors le
siège d'une administration, est un important lieu d'échange et
donc de réunion dans les campagnes.
 4 P. BOIS, Paysans de l'Ouest, Paris, 1960, p. 221-247.

4La floraison des sociétés populaires s'accompagne d'une


démocratisation de leur recrutement. L'abaissement de la
cotisation à quelques sous, voire même dans certains clubs la
condition statutaire d'admission de sociétaires démunis de
moyens pécuniaires, implique l'élargissement sociologique de cet
espace public dans la cité. Le phénomène est moins perceptible
dans les villes moyennes que dans une grande ville, comme Le
Mans, par exemple, où les citoyens de la ville basse entrent
massivement alors dans la société populaire. Mais, même dans de
petites localités comme Beaumont, Fresnay et Ballon dans la
Sarthe, on constate partout l'entrée massive dans la société
populaire des ci-devant citoyens passifs (1/5  des jacobins des
e

villes de Beaumont et Fresnay, 1/3 dans le bourg de Ballon


n'étaient pas électeurs en 1790). A côté des jeunes, des nouveaux
résidents et des résidents extérieurs qui ne pouvaient figure sur
les premières listes électorales, la présence des “ parias de la
monarchie constitutionnelle”4 dans les clubs de la République est
une donnée essentielle.
5Par ailleurs, la citoyenneté clubiste s'ouvre, dans quelques lieux,
à celles qui n'exercent pas une citoyenneté élective : les femmes.
Les effets différés du 10 août se manifestent ici dans la
réprobation de la nullité politique des femmes, indépendamment
de la réaction législative contre le mouvement féministe, mais non
sans liaison avec la crise de la représentation politique. C'est en
juillet 1793 que le club du Mans décide d'offrir la tribune à une
citoyenne et d'ouvrir son enceinte à une aussi brillante oratrice ;
c'est en septembre que la société de Valognes (Manche), lors de
son épuration, intègre 25 “Montagnardes” et adjoint une
Présidente à son bureau et c'est en germinal an II que le club
d'Evron (Mayenne) adopte le principe de la mixité, tout à fait
exceptionnel dans le mouvement associatif révolutionnaire.
 5 Voir en particulier l'ouvrage collectif Existe-t-il un fédéralisme jacobin ?
Paris, CTHS, 1986, 236 (...)

6Enfin, ce processus d'acculturation progressive des citoyens les


plus démunis socialement, culturellement et même politiquement,
s'accompagne d'une inflexion majeure qu'il ne convient pas de
minimiser : la culture jacobine devient une culture de
gouvernement. Cette diffusion d'un modèle associatif a bénéficié
pendant toute la période, à la différence de ce qui se passe à Paris
notamment, du soutien du pouvoir. La propagande
gouvernementale en faveur des sociétés populaires n'est pourtant
pas nouvelle : au printemps 1792, le ministère “rolandin” avait
encouragé leur création, invité les clubistes à instruire les
habitants des campagnes et développé leur activité politique par
le biais des compte-rendus journalistiques et des grandes
campagnes de pétition contre le pouvoir exécutif. Dans l'Ouest
intérieur, cette propagande ne s'était pas traduite par la création
de nouveaux clubs ni par l'émergence de la figure du missionnaire
patriote ou du congressiste régional, mais par celle du journaliste
militant : 1792 et 1793 ont été la belle époque du journalisme
révolutionnaire5. Dans les combats contre la monarchie, les clubs
avaient alors conquis leur autonomie politique dans le champ du
pouvoir. Mais les luttes fratricides de 93 ont abouti à disqualifier
toute idée de souveraineté autonome et, donc, celle de contre-
pouvoir local. Le tournant de l'automne 93 réside dans la volonté
d'intégration de l'association politique : en l'an II, par l'envoi des
textes de lois, décrets de la Convention et de ses comités,
circulaires ministérielles et Bulletin de la Convention, les sociétés
populaires deviennent des auxiliaires directs du gouvernement.
7Les statuts des clubs alors créés ou bien régénérés reflètent ce
ralliement à la politique du salut public. Les fonctions
pédagogiques sont reconnues comme essentielles. Éclairer (le
peuple, les citoyens), propager (les principes républicains ou
constitutionnels), inspirer (l'amour des lois et de la constitution),
montrer (les droits et les devoirs), instruire (tous les citoyens),
diriger (l'opinion publique) sont les verbes les plus usités. Pour les
sociétaires, le club est d'abord une école civique, gratuite pour le
public et obligatoire pour les adhérents. Sa deuxième raison d'être
est la surveillance. Sentinelle vigilante du peuple, le club doit
aussi veiller (au maintien de la constitution, aux intérêts du
peuple), surveiller (les agents du peuple, les autorités
constituées), dénoncer (les abus, les agents infidèles, les
ennemis), seconder (la Convention ou la Montagne) et secourir
(l'innocence opprimée, les indigents, les infirmes). La conscience
civique suppose une citoyenneté active dans le respect de la
centralité législative. Cette double fonction de la société
populaire, qui est aussi celle que lui attribue le gouvernement
révolutionnaire, caractérise bien alors son rôle intégrateur.
8Étudier le pouvoir local en l'an II, c'est donc mettre en valeur une
de ses caractéristiques majeures : l'existence d'un lieu de
légitimité révolutionnaire auto-constitué localement ; c'est
s'interroger sur la nature du régime qui l'encourage et, plus
concrètement, sur la manière dont les Jacobins de l'Ouest ont
vécu ce moment de l'an II et accepté la politique de salut public à
laquelle ne saurait se réduire le jacobinisme.
9Il est commode et, en même temps, contestable de proposer une
typologie des sociétés populaires. Je distinguerais volontiers la
société jeune et, donc, rurale, au capital symbolique faible (sans
passé clubiste, aux moyens financiers limités, à la correspondance
inter-clubs peu étendue, au rayonnement purement local) ; la
société ancienne qui s'est compromise dans l'aventure fédéraliste
et est à la recherche d'un nouveau brevet de patriotisme ; enfin la
société qui, par son ancienneté et sa résistance au fédéralisme
dispose de la plus prestigieuse légitimité.
10Comme exemple de société créée tardivement en 93, et qu'à
Paris on considère dédaigneusement comme étant celle de
républicains du lendemain, je prendrais celui de Longny dans
l'Orne. Ce bourg de quelques 2 500 habitants, chef-lieu de canton
dans le district de Mortagne, s'était distingué d'octobre 1792 à
janvier 1793 en organisant un vaste mouvement de protestation
contre la suppression des confréries laïques et avait mobilisé une
quarantaine de communes alentour pour défendre les charités
percheronnes. Malgré l'échec de leur mouvement, les deux-tiers
des pétitionnaires de Longny se retrouvent quelques mois plus
tard à la société populaire, fondée par les porte-parole de la
communauté (le maire, les membres du conseil, le juge de paix, le
procureur de la commune, le greffier, à l'exception toutefois du
curé et de deux officiers municipaux). En l'an II, l'agent national
de la commune, un marchand aisé qui a été syndic pendant quatre
années, puis successivement maire, administrateur du district et
membre du comité de surveillance, est, bien-sûr, un de ses
membres fondateurs. Les membres de la municipalité, du comité
de surveillance et les officiers de la garde nationale sont tous
membres du club.
11En comparant le tableau des 214 adhérents au rôle fiscal de
1790, on constate que la société populaire offre une bonne
représentation de la société civile. Certes, le sommet de la
pyramide fiscale a été étêté par l'absence des ci-devant seigneur
et curé, mais figurent néanmoins dans le club deux autres gros
contribuables, le maître de forges et le meunier. Certes,
également, la base de la pyramide sociale des clubistes est étroite
avec le faible engagement des journaliers et des paysans pauvres ;
toutefois, les cordonniers, tisserands et tailleurs d'habits
incapables de paver trois journées de travail au fisc, sont intégrés
à la vie politique du bourg en l'an II. Par ailleurs, on retrouve à
Longny la structure interclassiste de l'association politique sous la
Révolution et l'habituelle répartition des groupes socio-
professionnels : une sous-représentation des paysans (malgré la
présence des laboureurs aisés), une forte participation des
artisans et des boutiquiers (qui représentent le groupe majoritaire
dans le club) et la quasi-total adhésion des bourgeois (qui
constituent souvent le groupe dirigeant).
12La société populaire à Longny, c'est d'abord l'assemblée
générale de la commune qui se réunit un soir sur deux après le
travail. Avec une périodicité des séances très régulière et l'accueil
des femmes et des enfants dans les tribunes, c'est aussi un club
de loisirs ou une grande veillée collective, terminée par des
chansons patriotiques.
13L'adhésion aux valeurs nouvelles se manifeste par la lecture des
nouvelles émanant presqu'uniquement du gouvernement, par la
rédaction d'adresses de félicitations à la Convention chaque fois
qu'elle annonce une victoire militaire ou un complot déjoué et par
l'ardeur à célébrer les décadis et toutes les fêtes nationales
comme si le rassemblement des citoyens était déjà une fête. Non
seulement les partisans des charités sont d'excellents
organisateurs des cultes civiques et révolutionnaires, mais ils
improvisent d'autres manifestations publiques comme une danse
au château, transformé en salle de fêtes villageoises, pour
marquer la bonne nouvelle de la décade ou comme une
représentation théâtrale dans le local des séances avec des
clubistes, auteurs et comédiens.
 6 A.D ; Orne L 5112. Registre de la société populaire de Longny (prairial
an II-prairial an III).

14Le consensus social et politique réalisé dans le bourg fait rejeter


tout ferment de division. Lorsqu'un clubiste du chef-lieu de
district propose lors d'une séance, après la traditionnelle
séquence de lecture par le secrétaire du club, de faire comme à
Mortagne et de ne choisir comme secrétaires que des “bons
lecteurs”, la société de Longny considère la motion comme
“attentatoire au principe de liberté”, car les membres des classes
populaires, bien représentées au bureau, ne pourraient plus
accéder aux fonctions dirigeantes. De même, la société fait bloc
autour de son “maire” durant une séance de messidor où un
clubiste vient lire, quatre mois après sa publication le rapport de
Barère relatif à la mendicité ; devant ce “tribunal de l'opinion
publique”, évoqué par l'intervenant, l'agent du gouvernement
réfute toute accusation de négligence dans l'application de la loi
et réclame la formation d'une commission pour l'aider dans son
travail. Enfin, cette société montagnarde qui n'entretint aucune
relation avec les Jacobins de Paris ou d'Alençon ne voulut pas
entendre parler d'épuration après Thermidor6.
15Le jacobinisme de Longny-au-Perche n'a pas été vécu sur le
mode du centralisme démocratique, mais de l'autonomie
communale selon les principes de la Convention.
16Parallèlement à cette sociabilité de conformisme politique,
assez bien représentative de l'an II dans les campagnes
républicaines et imprégnant les mentalités populaires du souvenir
d'un temps qui n'était pas celui de la terreur mais celui des fêtes,
intéressons-nous à un autre type de sociabilité où le débat
politique a divisé les militants républicains.
 7 A.D. Calvados 1 L 2269. Registre de la société populaire de Lisieux, à la
date du 26 germinal an II

17Dans les sociétés pro-girondines de la Normandie, deux


problèmes se posent dès l'été 1793 et pendant tout l'an II : celui
de l'épuration de leurs membres et celui de la réaffiliation aux
Jacobins. Sur ce dernier point, il est essentiel de mettre en relief
l'effacement politique du club des Jacobins parisiens en l'an II.
Faisant du ralliement à la Convention le moyen et le but de sa
politique, le club parisien non seulement refuse de correspondre
et d'affilier les sociétés qui avaient rompu avec lui en janvier,
comme Caen, Falaise ou Cherbourg, malgré toutes leurs
demandes répétées, mais encore il refuse cette reconnaissance
nationale aux sociétés peu nombreuses de la Mayenne (à
l'exception de Laval), dont les séances ont été interrompues à
trois reprises par le passage de l'Armée catholique et royale, et
aux sociétés nouvelles qui sont les plus conformistes. Préférant le
rigorisme des principes à la volonté de centralisation, il refuse
d'envoyer son règlement à la société de Lisieux qui avait obtenu,
pourtant, l'honneur de sa correspondance, et il lui conseille de
“choisir elle-même ce qui est le plus sage pour la société ” car
“son règlement ne peut servir en tout de base ”7. Vu de l'Ouest, il
est clair que la société des Jacobins n'a pas servi d'organisateur
collectif en l'an II, en dépit de l'attente et de la pression de la
base.
18Quant à l'auto-épuration, imposée à l'association politique par
le mouvement révolutionnaire et codifiée ensuite par le pouvoir
jacobin, cette pratique nouvelle provoque plusieurs prises de
position. Celle de Falaise est tout à fait exceptionnelle : c'est le
refus de se plier à une exigence externe. La société qui s'est
compromise dans le mouvement fédéraliste, collabore très vite
avec le nouveau gouvernement en accueillant ses représentants,
en veillant à l'application diligente des lois et décrets et en
participant à toutes les manifestations d'adhésion collective. Mais
elle refuse, au nom de ses principes républicains, les épurations
politiques après la chute des Girondins comme après celle de
Robespierre.
19Partout où les résultats du scrutin épuratoire après le
fédéralisme peuvent être étudiés, on peut parler de greffe réussie
pour cette nouvelle pratique de présentation des candidats qui
remplace avantageusement pour le public des tribunes le droit
d'entrée antérieur. Toutefois, une deuxième vague d'épuration est
à l'ordre du jour dans les sociétés populaires au début de l'année
1794, liée à la mise en place du gouvernement révolutionnaire
dans les départements. La société de Falaise qui multiplie les
démarches pour obtenir sa réaffiliation aux Jacobins, procède à ce
scrutin épuratoire, par appel nominal, en invitant le public à se
prononcer sur “le caractère moral, politique et révolutionnaire de
chaque frère”. Il y eut trois expulsions, 4 sursis et 18 censures
pour absences trop fréquentes. A Bernay, qui a toujours été un
pôle d'activisme révolutionnaire et montagnard, l'opération
épuratoire confiée à une commission n'a donné lieu à aucun bilan.
20Les résultats chiffrés sont difficiles à établir dans la plupart des
sociétés, mais deux cas de figure apparaissent. Le premier est
celui du Mans. La société populaire reprend ses travaux après la
terrible époque de la bataille du Mans contre l'armée vendéenne ;
son souci, au vu des résultats, est de créer un parti républicain de
masse avec ses 650 sans-culottes dévoués au maintien des lois
(représentant 70 % des effectifs théoriques). A côté de vieux
militants, figure une proportion majoritaire d'adhérents de l'an II,
résidant dans les quartiers populaires de la ville. Le modèle offert
par les sociétés de Lisieux et de Cherbourg est tout autre : celui
d'une avant-garde orthodoxe et minoritaire, composée de 150
membres environ (c'est-à-dire le tiers ou le cinquième des
effectifs théoriques), après une épuration respectant à la lettre les
consignes du gouvernement ou sous les auspices des
conventionnels en mission. Dans ce test décisif pour apprécier
l'autonomie locale dont disposent les sociétés populaires dans
leur auto-recrutement, on est à même de constater l'attitude de
soumission des clubs montagnards du lendemain, comme Lisieux
et Cherbourg, et l'aptitude des jacobins manceaux à innover sur le
terrain. Cette vieille société montagnarde, affiliée aux Jacobins et
aux Cordeliers, qui a renouvelé ses leaders depuis l'élection à la
Convention de ses premiers dirigeants (à la différence de Bernay),
qui a résisté au fédéralisme autour de ses militants devenus en
l'an II les cadres administratifs du nouveau régime, dispose d'une
autonomie politique qui l'amène à contester le pouvoir jacobin et
à opposer au mandataire de la Convention, en mission dans la
Sarthe, sa propre légitimité révolutionnaire dans la cité. Le “drame
de germinal” au Mans, c'est la traduction des dix meneurs de la
société populaire devant le Tribunal révolutionnaire : leur
acquittement n'élimine pas la contradiction entre les exigences de
la centralisation dans les circonstances d'une nation en guerre et
l'existence locale d'un espace public démocratique. Les
thermidoriens seront plus conséquents en conservant le
gouvernement révolutionnaire et le principe de la centralisation et
en dissolvant les sociétés populaires.
21Pour conclure sur ce moment de l'an II où le pouvoir local est
placé dans la plupart des communes notables sous le contrôle et
la surveillance des sociétés populaires, ce que met en relief
l'analyse interne du mouvement associatif, c'est l'ambivalence de
l'association politique. Cette ambivalence tient à sa situation dans
le champ du pouvoir, qui impose un devoir d'orthodoxie à
l'auxiliaire direct du gouvernement, et à sa structure interne qui
offre des expérimentations diverses de la citoyenneté : de la
simple affirmation de l'autonomie communale dans l'intégration à
la culture civique nationale jusqu'à la possibilité d'un contre-
pouvoir local lorsque la société populaire dispose d'un important
capital symbolique. C'est, sans doute, la suppression de cet
espace public dans la cité qui, rétrospectivement, donnera à la
manifestation d'une opinion publique, même réduite à des
fonctions de surveillance et de contrôle des pouvoirs locaux,
même institutionnalisée par le gouvernement, tout son sens
démocratique.
NOTES
1 “Les sociétés populaires”, n° spécial des AHRF, sept-oct. 1986, n°
266, p. 363-544. R. HUARD (s. dir.), Les pratiques politiques en
province à l'époque de la Révolution française,  Université Paul Valéry de
Montpellier, 1988, 405 p.
J. BOUTIER et P. BOUTRY, “Les sociétés populaires en France de 1789 à
l'an III : une machine ?”, RHMC, jan-mars 1989, p. 29-67. Les sociétés
politiques, n° 6 de L'Atlas de la Révolution française, Paris, 1992, 132
p. C. PEYRARD ; “Les Jacobins de l'Ouest. Formes de politisation
pendant la Révolution française dans l'Ouest intérieur”, thèse
dactylographiée, Paris I, 1993.

2 A. SOBOUL, “Robespierre et les sociétés populaires”, AHRF, 1958, n°


12, p. 50-64.

3 Nous nous permettons de renvoyer à notre article : “Peut-on parler


de jacobinisme rural dans l'Ouest ?”, La Révolution française et le
monde rural, Paris, 1989, p. 367-381.

4 P. BOIS, Paysans de l'Ouest, Paris, 1960, p. 221-247.

5 Voir en particulier l'ouvrage collectif Existe-t-il un fédéralisme


jacobin ? Paris, CTHS, 1986, 236 p. C. PEYRARD, “Le journalisme
politique dans l'Ouest en révolution”, History of European Ideas, 1989,
vol 10, n°4, p. 455-469. E. WAUTERS, “Une presse de province pendant
la Révolution  : journaux et journalistes normands (1785-1800)”, thèse
dactylographiée, Rouen, 1990.

6 A.D ; Orne L 5112. Registre de la société populaire de Longny


(prairial an II-prairial an III).

7 A.D. Calvados 1 L 2269. Registre de la société populaire de Lisieux, à


la date du 26 germinal an II.

AUTEUR
Christine Peyrard
Université de Provence

Du même auteur

 Les Jacobins de l’Ouest, Éditions de la Sorbonne, 1996


 Politique, religion et laïcité, Presses universitaires de Provence, 2009
 Peuples en révolution, Presses universitaires de Provence, 2014
Débat
p. 249-250

TEXTE

TEXTE INTÉGRAL

Mercredi après-midi (suite)


1J. PERRET constate que les comportements décrits par
M. LAPIED correspondent exactement à ce qu'il a pu constater dans
les communes rurales du Poitou.

2M. EDELSTEIN se demande si les sociétés populaires sont des


créations spontanées. Ch. PEYRARD parle de spontanéité relative,
la part des initiatives des représentants en mission est indéniable,
mais il faut y ajouter le mimétisme patriotique et le prosélytisme
des districts.

3D. LIGOU constate que la description des comportements


politiques dans le N.E. du Comtat ressemble à ce qu'il a rencontré
dans la Côte-de-Beaune, on y est révolutionnaire mais on
s'opposera à l'arrestation du curé constitutionnel. Que peut dire
Ch. PEYRARD de l'empreinte Fédéraliste dans l'Ouest intérieur et en
particulier normand ? Est-ce que l'émergence des sociétés
populaires n'y serait pas liée à la menace vendéenne ?

4Ch. PEYRARD : il y a eu un engagement précoce et effectif du côté


des Girondins mais après la défaite des forces fédéralistes
l'effritement du mouvement a été très rapide. Les représentants
en mission, dont Lindet, ne vont pas déclencher de répression
massive, la prudence réconciliatrice l'emporte. Les clubs sont
créés en l'an II, donc après l'explosion vendéenne mais celle-ci a
contribué à stopper le Fédéralisme.
5K. TØNNESSON pourrait appliquer le modèle comtadin aux
Pyrénées-Orientales où il a pu constater le double langage des
municipalités, mais aussi celui des administrations
départementales qui veulent éviter l'envoi de représentants en
mission. Mais est-ce que la pyramide des autorités en place est
vraiment dupe des propos tenus ?

6M. LAPIED tient à distinguer le N.E. du Comtat du reste de ce


territoire où s'affrontent “patriotes” et “papalins”. Mais l'affaire
survenue dans la commune de Baudoin où un arbre de la liberté a
été arraché inquiète les autorités jacobines qui croyaient cette
région du N.E. à l'abri de l'agitation contre ou anti-révolutionnaire
et donc ordonnent une répression exemplaire en incendiant le
village coupable, ce qui provoque un semblant d'activisme
patriotique dans nos villages montagnards qui se mettent à
dénoncer les absents et à multiplier les déclarations patriotiques.

7Pour S. BIANCHI le jeu des districts semble complexe, mais ne


faut-il pas voir également dans la prolifération des sociétés
populaires la conséquence d'une sorte de déficit délibératoire ?

8M. LAPIED précise que ces sociétés populaires rurales se


confondent avec les Assemblées Générales de la communauté des
habitants ou “parlements”. On y discute plutôt des problèmes
locaux de voirie ou de toiture que des enjeux politiques parisiens
ou de la situation militaire sur le Rhin.

9A B. GAINOT qui souhaite qu'elle précise ce qu'elle entend par


“espace public démocratique”, Ch PEYRARD répond que ce serait un
lieu autoconstitué ou les citoyens discutent du comportement des
élus et des exigences du pouvoir central.

10C. LUCAS s'étonne que pour évoquer cette période terroriste


dans les départements, personne n'ait fait mention des comités de
surveillance ou comités révolutionnaires. Pour Ch.  PEYRARD ces
comités se confondent, dans les campagnes, avec la municipalité
et pour M. LAPIED le N.E. du comtat ces comités n'existent pas
véritablement et le district ne s'adresse qu'aux municipalités.
Les clubs et le pouvoir local
sous la Révolution : progrès
de la citoyenneté ou
manipulation de la
démocratie ? (l'exemple
champenois et picard, 1790-
1795)
Jacques Bernet

p. 253-266

TEXTE NOTES AUTEUR

TEXTE INTÉGRAL
 1 A. COCHIN,  L'esprit du Jacobinisme. Une interprétation sociologique de
la Révolution française, ré (...)

1La sociabilité politique révolutionnaire, épanouie avant tout dans


le cadre des clubs de Jacobins, a représenté une expérience
largement inédite, même si elle plongeait ses racines dans les
“sociétés de pensée” de l'Ancien Régime ; rupture novatrice, elle
contribua aussi à fonder notre vie partisane contemporaine, voire
nos “passions” hexagonales. Lieux de débat politique, mais aussi
enjeux de luttes pour le pouvoir, les sociétés ont suscité de leur
temps de vives controverses, relayées par les courants
historiographiques qui s'affrontent aujourd'hui à propos de
l'interprétation de la Révolution française : la tradition “classique”,
pro-jacobine, y a vu une expérience démocratique, un progrès de
la participation des citoyens aux affaires publiques, tandis qu'une
nouvelle “vulgate”, dans la lignée de Taine et Cochin, met en
cause une vaste tentative de manipulation du peuple par une
“machine jacobine”, qui aurait anticipé les dérives totalitaires de
notre siècle1.
 2 L. DE CARDENAL,  La province pendant la Révolution, histoire des clubs
de Jacobins (17891795), Pari (...)

 3 M.-L. KENNEDY, The Jacobin clubs during the French Révolution, T. 1,


the first years (17891791) ; (...)

 4 Atlas de la Révolution française, fascicule 6, Les sociétés politiques, s.d.


Jean BOUTIER, Philipp (...)

2Nous n'avons pas l'ambition d'apporter une réponse théorique


dans un débat légitime, toutefois largement faussé, s'il plaque
hâtivement, hors de leur contexte, des catégories politiques et
idéologiques de notre temps. Il nous semble en revanche utile de
nous replonger dans le terrain révolutionnaire, pour mieux
appréhender la réalité concrète des clubs, au cours des phases
successives de la Révolution, dans la diversité géopolitique de
l'espace français. Cette entreprise, déjà ébauchée par Louis de
Cardenal dans l'entre deux-guerre2, a trouvé un nouveau souffle
avec le bi-centenaire, dans le prolongement des recherches sur
les phénomènes de mentalité et de sociabilité politiques chers à
Maurice Agulhon : ainsi les deux premiers tomes de la synthèse
de l'historien américain M.-L. Kennedy, dont on attend la
traduction3, et le récent fascicule de l'Atlas de la Révolution
consacré aux sociétés politiques, fondé sur une vaste enquête
nationale4. On cerne désormais un peu mieux l'ampleur largement
méconnue, la diversité et la complexité surtout d'un phénomène
dont l'importance justifie la place dans un colloque consacré à
Pouvoir local et Révolution.
 5 Notre enquête a couvert les actuelles régions de Champagne-Ardennes
(Ardennes, Aube, Marne, Haute- (...)
 6 Christine PEYRARD, “La géopolitique jacobine à l'épreuve de l'Ouest”
in. A.H.R.F., LVIII, 1986, p. (...)

3La Champagne et la Picardie, champ de notre recherche, passent


pour avoir été aux antipodes d'un Ouest réputé de plus en plus
réfractaire à la Révolution. Les sept départements concernés, de la
Haute-Marne à la Somme5, forment une sorte d'arc Nord-Est,
pendant de cet  Ouest intérieur défriché par Christine Peyrard, qui
y a souligné le paradoxe apparent d'une appréciable acculturation
jacobine6 ; nous n'entendons pas l'inverser pour nos régions, mais
opérer la réévaluation d'un espace réputé patriote, du fait de sa
double proximité de la capitale et du front militaire, à partir de
1792 : un examen plus approfondi des réalités socio-politiques
picardes et champenoises devrait contribuer à nuancer cette
appréciation.
4Nous examinerons donc succinctement les grandes étapes de
l'enracinement des clubs, l'évolution de leur recrutement, afin
d'apprécier leur réelle représentativité, notamment à l'époque des
sociétés dites “populaires”. Nous nous intéresserons à leurs
modes de fonctionnement interne, leur relations, de collaboration
ou rivalité, avec les pouvoirs locaux, nous efforçant aussi
d'appréhender dans quelle mesure ces “colonnes de la
Révolution”, censées forger en l'an II l'esprit public républicain,
ont su refléter les aspirations de la masse, par l'exemple
révélateur de la “défanatisation” de l'an II, phénomène dont nos
régions auraient été le berceau et les clubs les principaux
vecteurs.
 7 En 1790-92, nous avons recensé 30 clubs champenois et 35 picards ; en
1793-1794, on en compta au m (...)

 8 Α.. D. Meuse, Bar-le-Duc, L 2190, registre de délibérations de la société


populaire de Barsur-Orna (...)
51) Les cartes de synthèse de  l'Atlas (p. 16, 17 et suivantes)
attestent l'expansion non négligeable des clubs politiques en
Champagne et en Picardie, au cours de la Révolution. Sans jamais
atteindre les fortes densités normandes, parisiennes ou
provençales, nos régions sont passées d'une implantation lâche
de quelques dizaines de sociétés des Amis de la Constitution, en
1790-1791, toutes affiliées aux Jacobins de Paris, à un réseau de
plusieurs centaines de sociétés populaires en l'an II7. Selon un
schéma propre à la France septentrionale, les clubs ont d'abord
touché les villes et bourgs, chef-lieux administratifs anciens et
nouveaux, recrutant leurs adhérents parmi les gens à talents,
nobles éclairés, administrateurs, hommes de loi et clergé, soit les
traditionnelles élites urbaines d'Ancien Régime, cette
“robinocratie” ainsi dénoncée en l'an II par le club très
montagnard de Bar-sur-Ornain (ci-devant  Bar-le-Duc)  : “Lorsque
les patriotes de Paris tant de fois calomniés dans cette commune
eurent fait tomber les tours de la Bastille… l'on vit se former ce
foyer de patriotisme, cette terrible société des Jacobins, le bras
droit de la Révolution, à l'imitation de Paris des petites sociétés se
formèrent par toute la France, les hommes de loi et les prêtres
qui étaient les seuls orateurs en ces temps de servitude surent
tirer parti de leurs talens, on les vit seuls se former en sociétés
populaires, se partager les places et les honneurs, et laisser dans
l'oubli le plus profond les artisans honnêtes et vertueux qu'ils
regardaient comme une classe à part…”8
 9 E. JOVY, Documents sur la société populaire de Vitry-le-François
pendant la Révolution, Vitry, 189 (...)

6On a souligné les continuités – inévitables – entre cette première


version des clubs et les sociétés de pensée d'avant 1789,
littéraires ou maçonniques, non seulement par leur public, mais
aussi leur mode de fonctionnement, comme le recrutement par
cooptation, les valeurs diffusées. Les premiers  Amis de la
Constitution, s'assignaient pour mission  d'éclairer leurs
concitoyens, de faire respecter et non pas de discuter les lois. La
filiation est ainsi explicite à Vitry-le-Français : une loge tardive
(novembre 1790), portant d'ailleurs le nom significatif de “Vertus
réunies par le patriotisme”, précéda de peu la Société d'Amis de la
Constitution, fondée en avril 1791 ; dans son discours inaugural
le premier président jacobin fit cette claire allusion : “C'est une
conformité de plus qu'ont les Clubs nationaux avec une société
vertueuse et savante de laquelle ils sortent peut être, où ils ont
certainement puisé la lumière vivifiante, qui commence à leur
faire place, et qui dans peu renonçant à ses mystères leur
donnera tous ses membres comme elle leur a déjà donné tous ses
principes”9. S'il reste prudent quant aux réelles continuités
organiques entre loges et clubs, l'orateur suggère aussi une
nécessaire évolution de l'ancienne sociabilité, sa sécularisation et
son  ouverture, à la faveur des événements et des temps
nouveaux.
 10 J. BERNET, “Le problème des sociétés sectionnaires sous la Révolution
française ; l'exemple de Rei (...)

7On assiste bien à une mutation progressive des clubs, à mesure


que la Révolution se radicalise, suite aux tournants de l'été 1791,
de la guerre et la chute de la monarchie en 1792, des dissidences
royalistes ou fédéralistes et de leur repression en 1793. Nos
régions, marquées par l'affaire de Varennes et la première
invasion de l'été 1792, ont été amplement touchées par
l'élargissement et les nouvelles formes de la sociabilité politique.
Certes des continuités existent pour les grands clubs urbains,
dont les noyaux fondateurs ont pu rester en place, malgré les
suspensions d'activité et les changements de dénominations,
comme nous en avons de bons exemples à Compiègne ou Reims.
Mais les clubs, établis désormais dans toutes les localités ayant un
caractère urbain ou une fonction administrative, y ont élargi leur
public, s'ouvrant souvent à ces “couches nouvelles”, dont parlera
Gambetta, au siècle suivant, cette “classe productive et vertueuse”
– selon les Jacobins de Bar-le-Duc – d'artisans et petits
commerçants, à la fois manuels et indépendants, qui devaient
former le gros des adhérents “sans-culottes” des clubs urbains de
l'an II, à côté des notabilités intellectuelles ou administratives,
restées fréquemment à leur tête. Les classes populaires urbaines
authentiques restèrent toutefois bien peu représentées : salariés,
petits métiers, sans parler des indigents, se contentèrent en
général d'assister aux séances comme simples spectateurs des
tribunes, même dans de grandes villes “ouvrières” telles Troyes,
Amiens, voire Sedan ou Beauvais. Dominant les 350 adhérents du
club de Reims, 50 fabricants textiles ne s'ouvrirent guère qu'à une
dizaine de leurs salariés, qui se plaignirent vainement de cet
ostracisme social en l'an II : le combat mené par le club central
contre la création de sociétés sectionnaires, s'explique
probablement aussi par la crainte d'une concurrence
d'organisations “de classe” dans les divers quartiers de la
ville.10 Cela n'empêchera pas d'“honnêtes gens” de déplorer,
comme à Chauny après thermidor, que les clubs aient été tenus
en l'an II par des démagogues s'appuyant sur la “lie du peuple”.
 11 Les prêtres ont souvent été fondateurs de clubs de villages, comme à
Clérey près de Troyes, Eve ou (...)

 12 H. DESTAINVILLE,  Les sociétés populaires du district d'Ervy-le-


Châtel, Reims, 1924.

 13 M. DOMMANGET, Les grèves de moissonneurs dans le Valois sous la


Révolution française, Reims, 1924. (...)

8L'extension significative de la sociabilité jacobine aux


campagnes est sans doute la révélation la plus originale de
l'enquête (ce qui nous a permis de doubler, voire de tripler les
estimations de L. de Cardenal dans les départements étudiés.) Fait
nouveau, dans nos régions : en effet, si quelques rares et
éphémères clubs ruraux avaient été animés en 1791-1792 par un
curé ou un notable abonné à la   Feuille Villageoise11, la sociabilité
politique révolutionnaire ne toucha vraiment les villages qu'en l'an
II. Certes ce Jacobinisme rural fut inégalement représenté : faible
dans la Somme, l'Oise normande ou le Nord de l'Aisne, marginal
dans la Champagne “pouilleuse”, de Vouziers à Troyes, ou le
Bassigny lorrain, le phénomène s'affirma plus nettement dans des
pays de grande culture proches de l'Ile de France, du Vexin au
Valois et à la Brie, dans des zones forestières ou de vignoble, du
plateau de Langres à la Montagne de Reims, de la moyenne vallée
de la Meuse au pays d'Othe (le record étant détenu par le district
d'Ervy-le-Châtel dans l'Aube, où plus d'un quart des communes
se dotèrent un club en 1793-1794)12. Ces  sociétés ont été
fondées pour la plupart entre l'été 1793 et le printemps 1794,
souvent disparues pendant ou juste après la moisson de l'an II ;
leur recrutement fut dans l'ensemble plus large et populaire que
dans les villes. Il semble d'ailleurs que quelques communes aient
confondu leur société avec l'assemblée de la communauté rurale
groupant les chefs de famille, voire les femmes et les enfants. La
sociologie des clubs ruraux reflèta davantage la population
locale : à côté du groupe commun aux villes (quelques
“administratifs”, curé, instituteur-greffier, des artisans et
boutiquiers), le gros des effectifs travaillait la terre : fermiers,
laboureurs, “cultivateurs” et vignerons. Ces derniers furent
particulièrement bien représentés, d'autant que les pays viticoles
eurent une forte densité de clubs, dans la continuité de leurs
traditions contestataires ou associatives (les confréries de St-
Vincent). On note aussi une présence un peu plus forte des
salariés ruraux, surtout dans les régions forestières pauvres ou
les riches pays de grande culture. Ainsi dans le Sud de l'Oise, les
manouvriers formaient plus de la moitié des effectifs du club à
Ermenonville, Boursonne, Acy-en-Multien, Baron… Restons
prudents dans l'interprétation : s'agit-il vraiment de puissantes
organisations “de classe”, où les salariés disputaient le pouvoir
local à leurs patrons, comme l'a pensé Maurice DOMMANGET ?
Certains signes paraissent aller dans ce sens, mais on ne peut
exclure d'autres pistes : ainsi, pour les Jacobins de Senlis, la
société et la municipalité de Baron auraient en fait été contrôlées
par les gros fermiers et les manouvriers une simple clientèle
manipulée13.
9On ne peut donc guère contester le sensible élargissement de la
base sociale des clubs, grâce à leur multiplication, dans les villes
et campagnes, et du fait de leur ouverture à de nouvelles
catégories sociales, pour l'essentiel petits producteurs
indépendants urbains et ruraux. Ces nouveaux adhérents, de
concert avec des gens à talents “sans-culottisés”, ont contribué à
renouveler l'encadrement politique et administratif de l'an II,
amorçant une relative mais réelle démocratisation des pouvoirs
locaux. Mais, si les sociétés eurent alors un rôle politique d'autant
plus essentiel, qu'elles étaient devenues une institution officielle,
leur véritable représentativité fut très variable, d'une commune à
l'autre. Pas plus en l'an II que dans les périodes précédente ou
suivante, il n'y eut donc de “modèle” jacobin uniformisé,
instrument d'une mythique “machine” politique. Qu'y avait-il de
commun, en effet, entre des clubs urbains soigneusement
“épurés”, réduits à une secte de quelques dizaines de militants
activistes, comme à Compiègne ou Senlis, et de grosses sociétés
comptant plusieurs centaines d'adhérents assidus pour quelques
milliers d'habitants, comme à Crépy-en-Valois, Bourmont ou Bar-
sur-Seine ? Peut-on mettre sur le même plan le club d'Acy-en-
Multien, fort de 150 membres, soit presque autant que de feux
dans le bourg, et les 9 “sectaires” isolés de Soulaines, près de Bar-
sur-Aube, une localité comptant également 700 habitants ?
10Cette diversité se retrouve tout autant dans le fonctionnement
des clubs et leur mode d'intervention dans la vie politique locale.
 14 Délibérations municipales de Bar-sur-Aube, 2 juin 1791.
A. BABEAU,  La Révolution à Troyes et dans l  (...)

112) De leur enracinement dans les sociétés de pensée d'Ancien


régime, les premiers clubs ont souvent conservé les traits et la
mentalité d'une élite socio-culturelle plus ou moins auto-
proclamée. Mais le choc des événements, la rencontre d'autres
traditions associatives – les confréries, communautés de métier ou
d'habitants, qui ont inspiré, dès 1790, les sociétés fraternelles de
la capitale –, fit peu à peu évoluer les sociétés révolutionnaires
vers de nouvelles pratiques et d'autres formes d'organisation.
Ainsi leur politisation posa bientôt le problème de leur fonction
dans la cité et de leurs rapports avec les autorités constituées. La
loi de novembre 1790 légalisait les sociétés politiques (“ les
citoyens ont le droit de former entre eux des sociétés libres ”),
mais leur mission d'intérêt public imposait
un  agrément municipal, qui n'allait pas de soi, en cas de conflit
avec les autorités locales : à Bar-sur-Aube, en juin 1791, la
municipalité tenta ainsi d'empêcher la création d'un club, alors
que le conseil général patriote de Troyes avait demandé à s'affilier
lui-même aux Jacobins de Paris en même temps que le club de la
ville (septembre 1790) ; dans les Ardennes, la municipalité
modérée de Givet avait exprimé un souhait identique, mais dans
le but de contrer le club radical établi par ses adversaires
politiques (janvier 1791)14.
 15 Archives communales de Reims, délibérations de la Société des Amis
de la Constitution de Reims, re (...)
12La création d'un club dissident, comme à Soissons en juin 1790,
était d'autant moins acceptée, que l'on ne comprenait guère le
pluralisme politique, catégorie contemporaine mûrie par des
décennies d'expérience démocratique. A Reims, où le principal
fondateur des  Amis de la Constitution, le brillant journaliste
Beaucourt, avait provoqué une rapide scission, les clubistes
refusèrent énergiquement toute possibilité de double
appartenance, faisant explicitement la distinction entre un club de
Jacobins et “toutes sociétés soit littéraires, soit musicales, soit
maçonniques” (31 mars 1791)15. En juillet 1791, le départ des
Feuillants fut unanimement déploré par les clubs champenois et
picards, qui réclamèrent presque toujours leur “réunion avec les
Jacobins et restèrent finalement fidèles à la “ société-mère”
légitime, tout en partageant plutôt les vues modérées des
dissidents. Cependant la Législative, par ses décrets de
septembre-octobre 1791, avait prétendu “empêcher que les
sociétés n'aient aucune existence politique, qu'elles n'exercent
aucune action sur les actes des autorités constituées, et qu'elles
puissent paraître sous un nom collectif ”, mesures qui ont
contribué à restreindre l'activité et même l'existence des clubs de
province, sans les faire disparaître totalement.
 16 A.D. Haute-Marne (Chaumont), L 2007, procès-verbaux du comité de
surveillance de Wassy.

13La sociabilité jacobine trouva en effet un nouveau souffle dans


l'effervescence patriotique qui suivit la déclaration de guerre,
l'invasion du Nord-Est et la chute de la monarchie : les sociétés
d'Amis la Liberté et de l'Égalité, républicaines puis
populaires furent encouragées à l'automne 1792 par le ministre
de l'intérieur Roland, officialisées au printemps 93, après la chute
des Girondins, avec “défenses aux autorités de troubler les
citoyens dans leur droit de se réunir en société
populaire” et “peines contre ceux qui tenteraient de les dissoudre ”
(décrets des 13 juin et 25 juillet 1793). Mais cette liberté
retrouvée pouvait-elle être illimitée en pleine crise de la
Révolution, alors que l'on soupçonnait partout des complots
contre-révolutionnaires ? En fait les clubs étaient plus que jamais
un enjeu de pouvoir, dont les autorités locales avaient d'autant
plus intérêt à contrôler la composition et l'orientation : la
recréation du club de Wassy (Haute-Marne), en mai 1793, nous en
offre un exemple révélateur. La municipalité avait accordé un local
à 5 petitionnaires “attendu leur civisme connu et dans l'espérance
que s'aggrégeant d'autres citoyens aussi connus, on verrait
s'établir en son sein un club de patriotes ” ; mais à leur première
réunion ces fondateurs agréés furent chahutés par “ différents
individus sans droit et sans qualité (sont) venus, pour ainsi dire
les supplanter”, qui récusèrent toute formule de scrutin épuratoire
et prirent le contrôle d'une société, que le conseil général devait
aussitôt dénoncer et interdire comme manipulée par “ les ci-
devant nobles, les prêtres insermentés, leurs agents et
domestiques”16.
 17 A.D. Oise (Beauvais), LIV - 261, registre du comité de surveillance de
Creil, 14 décembre 1793.

 18 Archives Nationales, 30 A.P., papiers Bournel, registre de la société


populaire de Rethel.

14En l'an II les sociétés furent investies de nouvelles


responsabilités dans le cadre du gouvernement révolutionnaire,
puisque “chargées spécialement de surveiller l'exécution des
mesures prises pour la sûreté de l'État” (décrets des 13 septembre
1793, 18, 24 vendémiaire, 22 frimaire an II), ce qui leur confiait
un pouvoir si redoutable que la Convention y mit des restrictions,
visant notamment les dérives hébertistes : publicité obligatoire
des séances et interdiction “d'exiger des certificats de civisme des
fonctionnaires publics élus par le peuple” (3 nivôse an II). De fait
les sociétés, visant ce type d'attestation et les passeports, auraient
pu prétendre épurer les administrations locales, pouvoir en
principe réservé en l'an II aux représentants en mission, – mais
ces derniers s'appuyaient souvent sur l'avis des clubs, qu'ils aient
été épurés ou non par leurs soins… Les inévitables conflits
d'autorité, voire de légitimité, entre  sociétés populaires et
autorités constituées, furent réglés de manière très diverse, selon
la situation locale, le comportement des acteurs et le caractère du
club, ses conditions de création, plus ou moins “spontanée”, sa
représentativité, son fonctionnement diversement démocratique,
l'appréhension de son rôle dans la cité. En maints endroits, il
existait une véritable symbiose entre le club et les autorités
locales : dans l'Oise, la société populaire et la municipalité de
Baron (“Bar-sur-Nonette”) avaient gravé à la porte de leur local
commun “Société populaire et maison commune” ; à Saint-Leu
d'Esserent, Crépy-en-Valois, Nantheuil, Pont-Sainte-Maxence,
comme en bien d'autres communes, le club rédigeait ses adresses
avec la municipalité et le comité de surveillance. A Creil, au
contraire, les autorités dénoncèrent un arrêté de la société ayant
réclamé, le 24 frimaire an II, l'épuration des administrateurs non
membres du club comme “n'étant point dans les principes de la
révolution du moment qu'ils ne sont point admis dans la société
populaire”17. Mais dans certains cas, l'affrontement fut bien plus
violent, au point d'imposer un arbitrage des représentants en
mission : ainsi le club de Noyon, contrôlé par l'armée
révolutionnaire parisienne, prétendit – vainement –, de concert
avec le district, destituer la municipalité en nivôse an II ; la crise
fut encore plus aigüe à Troyes à même époque : à l'inverse du cas
de Reims, l'action du club fut totalement contrecarrée par une
inquiétante rebellion sectionnaire, qui mit en cause les mesures
politiques, religieuses et sociales exagérées d'un jeune
représentant écervelé : les Jacobins troyens furent ainsi
neutralisés, leurs partisans évincés de presque toutes les
instances locales, six bons mois avant thermidor… Il y a bien eu
des tentatives de contrôle du pouvoir local par des noyaux
jacobins “terroristes” – ou peut être eux-mêmes terrorisés –,
éventuellement mis en place ou confortés par les représentants en
mission, comme dans le Nord des Ardennes, de Givet à Sedan, où
la vigueur des luttes politiques fut à la mesure des craintes, plus
ou moins imaginaires, de trahison contre-révolutionnaire, dans
l'arrière immédiat du front. Mais il est impossible de généraliser
ces situations particulières à toute la région. A Amiens, à l'inverse,
la société populaire combattit ouvertement et vigoureusement les
outrances et abus de pouvoir du représentant local André
Dumont, réclamant la liberté de personnes arbitrairement
incarcérées. Nombreux, démocratique et modéré, le club des
Amis de l'Humanité et de l'Égalité de Rethel exprima dans le
préambule de son réglement, adopté en ventôse an II, les finalités
et les bornes de son action : “temples élevés à la raison, à
l'éducation nationale, à l'instruction de tous les citoyens pour
former l'esprit public… (les sociétés populaires) sont aussi des
sentinelles posées pour surveiller l'exécution des loix et par
conséquent les autorités constituées elles-mêmes chargées de
leur exécution… mais là se borne leur pouvoir… des sociétés
particulières ne peuvent avoir le droit de faire des lois, parce que
la loi ne peut être dans un État libre que l'expression de la volonté
générale.”18.
153) “Former l'esprit public”, ou exprimer les aspirations de ce que
nous appellerions aujourd'hui l'opinion publique ? En l'an II, les
sociétés, filiales directes ou indirectes de la “société-mère”
parisienne, étaient censées relayer à la fois la politique
gouvernementale et les mots d'ordre jacobins. Même
institutionnalisés, les clubs n'avaient ni la légitimité d'une élection
populaire ni celle d'une nomination administrative : ils émanaient
de l'initiative volontaire de citoyens, s'arrogeant les titres et
pouvoirs d'une élite révolutionnaire, dont nous tenterons
d'apprécier la réélle représentativité par l'exemple de la politique
religieuse, plus particulièrement au moment de l'opération
controversée de la “défanatisation” de l'an II : un mouvement
étonnant, dont les clubs de nos régions passent pour avoir les
actifs relais, sinon les initiateurs.
 19 A.D. Aube (Troyes), L 327.m

16Louis de Cardenal, historien de terrain, avait déjà combattu


cette vision simplificatrice. Certes, les clubs champenois et
picards avaient mené campagne en faveur de l'Église
constitutionnelle, contribué à la laïcisation de la société et
ébauché les prémices des cultes civiques, que l'on devait
promouvoir en l'an II, sur les ruines du “fanatisme” abattu. Mais,
en 1791-1792, il s'agissait moins de détruire le catholicisme que
de le mettre au service d'un projet patriotique, de réprimer les
prêtres que d'éprouver leur loyauté politique ; la grande majorité
d'entre eux ayant prêté le serment, les divisions politico-
religieuses restèrent longtemps marginales, à la différence de
l'Ouest massivement “réfractaire”. Aussi l'offensive anti-catholique
de l'automne 1793 éclata dans nos régions un peu comme un
coup de tonnerre dans un ciel serein. L'initiative venait de
l'extérieur, de représentants en mission ou agents (trop) zélés du
Pouvoir Exécutif, tel Dumont en Picardie, Rousselin dans l'Aube ;
de détachements de l'armée révolutionnaire parisienne venus
surveiller les réquisitions pour la capitale : les autorités locales et
les sociétés populaires se contentèrent le plus souvent de prendre
le train en marche. Certes maints clubs se rallièrent au
mouvement avec un zèle plus ou moins sincère, de Compiègne à
Vitry-le-François, de Senlis à Château-Thierry, participèrent au
dépouillement des églises, imposèrent l'abdication des prêtres,
organisèrent quelquefois des mascarades anti-religieuses ; des
clubistes agirent par conviction, d'autres trouvèrent là un moyen
commode de s'affirmer “à la hauteur de la Révolution”, au risque
d'un singulier isolement, comme à Soulaines ou Piney (Aube) –
dans ce second village-, la population les traita de “Judas et
d'impies, en pluviôse an II19.
 20 Délibérations municipales de Jonchery-sur-Vesle (Marne).

17Plusieurs sociétés populaires reflétèrent cependant plus


fidèlement les divisions et les réticences de la population, qui prit
souvent cette opération comme une violence choquante. Des
clubs urbains, plus ouverts et démocratiques, comme à Crépy-en-
Valois ou Bourmont (Haute-Marne) tentèrent d'abord de rester à
l'écart d'un mouvement si impopulaire et ne s'y rallièrent
finalement qu'à contre cœur ; la société de Bar-sur-Seine, forte de
370 adhérents, pour 2300 habitants, (“la presque totalité de la
commune” selon la municipalité), rédigea même, fin nivôse an II,
une pétition en faveur de la réouverture de l'église au
catholicisme, invoquant “les droits que lui donne la Constitution à
l'exercice d'un culte auquel la commune est attachée ” et déclarant
que les messes étaient unanimement réclamées par les femmes
des sans-culottes composant le club. Mais, sur l'avis des députés
de l'Aube, les autorités barséquanaises censurèrent cette adresse,
avant son envoi à la Convention. En maints autres cas, on put
observer une semblable autocensure, si bien que les   Archives
Parlementaires n'offrent qu'un bien pâle reflet des demandes
locales authentiques en nos régions et sans doute ailleurs. En
Champagne et en Picardie en tout cas, l'enquête sur le terrain
révèle une profonde allergie populaire à la déchristianisation,
surtout dans les campagnes, au point que l'on peut se demander
si cette initiative ne fut pas une des premières raisons de la
désaffection de de l'opinion à l'égard de la Convention et du
gouvernement révolutionnaire. Le gros club de Bourmont (Haute-
Marne) ne prit ainsi aucune initiative déchristianisatrice jusqu'en
germinal an II et, lorsque le district se crut obligé de dépouiller
l'église et d'interdire les messes, il y eut une telle émeute dans le
bourg que le curé, membre actif du club, reprit immédiatement
ses fonctions à la demande des autorités submergées. A
Jonchery-sur-Vesle, près de Reims, la séance de la société
populaire du 14 pluviôse an II fut fortement perturbée par les
partisans du culte, qui, forts de l'appui du peuple, imposèrent à la
municipalité la réouverture immédiate de l'église : “Citoyens, les
officiers municipaux de cette commune nous cachent les décrets.
Je vous déclare que la religion catholique est libre. Je vas vous le
prouver j'ai le décret dans ma poche, je ne connais que les
décrets de la Convention et non les discours du département de
la marne et du district et même du représentant du peuple… ”20.
On observe des scenarios semblables à Pont-sur-Seine (Aube),
Marolles (sud de l'Oise), dans le Clermontois ou le Santerre, où
des clubs et des municipalités, pressés par leurs concitoyen(ne)s,
réclamèrent l'application de la Constitution de 1793 et le libre
exercice du culte catholique.
18Au cours de l'hiver 1794, la déchristianisation imposée par la
force sembla toutefois l'emporter, au prix de concessions
discrètes, destinées à calmer les troubles religieux populaires,
émules en nos régions de la proche “Vendée briarde” – apaisée
par la tolérance officieuse du culte catholique, en février 1794.
L'agressivité anti-cléricale des clubs était d'ailleurs souvent,
comme à Langres, Saint-Dizier, Senlis ou Laon, à la mesure de
leur isolement sectaire ; à Compiègne, les rapports de tournées
rurales de l'agent national Bertrand, leader d'un club très
déchristianisateur, témoignent à la fois de l'effet de la coercition
et de la fragilité du résultat acquis (trois communes rurales du
district seulement acceptèrent de renoncer officiellement au culte,
malgré les avantages promis).
19C'est pourquoi le décret du 18 floréal fut, dans l'ensemble,
accueilli avec soulagement par les clubs. Certains, comme à
Compiègne ou Beauvais, pouvaient certes y trouver un désavoeu
de leurs campagnes anti-religieuses, mais aussi un moyen
d'imposer le nouveau calendrier, expression la plus radicale de ce
culte civique national et républicain susbstitué au vieux
“fanatisme”. La plupart des sociétés se réjouirent de la
condamnation de l'athéisme et s'efforcèrent avec plus ou moins
de bonheur, d'accréditer l'idée d'une nouvelle synthèse entre les
valeurs chrétiennes et révolutionnaires. Cette tentative rencontra
un certain succès au moment de la fête de l'Etre Suprême,
occasion d'une fructueuse collaboration entre les municipalités et
les clubs, mais elle ne résista guère aux conséquences de la chute
de Robespierre : une fois la terreur terminée, malgré leurs
mesures anti-catholiques, les thermidoriens ne purent enrayer un
irrésistible mouvement de retour de l'ancien culte, généralement
rétabli en nos régions au cours du printemps de l'an III. Les clubs,
considérés avec plus ou moins de raison, comme responsables
ou, à tout le moins, complices de la déchristianisation, devaient
d'ailleurs faire les frais de cette restauration, quand ils n'avaient
pas depuis longtemps disparu, faute de combattants.
20La question religieuse n'était qu'un aspect de la politique mise
en œuvre par les sociétés de l'an II (on aurait pu aussi bien
s'intéresser aux mesures de sûreté qu'aux questions économiques
et sociales.) mais cet exemple nous paraît d'autant plus
révélateur, que l'on a souvent donné de nos régions une image
simplifiée en ce domaine, tant pour l'état réél de l'opinion que
pour le rôle de l'encadrement politique et administratif local, pris
entre le marteau de mesures imposées et l'enclume de citoyens
rétifs à leur exécution.
21Dans ce contexte difficile, les clubs ont-ils été ces rouages
d'une machine administrative ou politique bien huilée, propre à
broyer la population dans le moule “jacobin” uniforme ? Cette
formule était-elle même possible ? Héritiers  des sociétés de
pensée puis d'autres formes plus populaires de sociabilité
d'Ancien Régime, les clubs ont nécessairement évolué au choc des
événements révolutionnaires pour constituer, à leur apogée en
l'an II, un réseau inégalement implanté mais d'une ampleur sans
précédent, mobilisant un nombre appréciable de militants et un
large public. Mais, sous son étiquette jacobine commune, ce
réseau était complexe et diversifié, somme toute plus décentralisé
que ne le prétend sa tenace réputation. Hésitant entre la section
d'un “parti” jacobin, l'institution révolutionnaire officielle et
l'organisation “spontanée” du peuple, la société populaire de l'an II
resta en effet une formule hybride : selon les cas, lieu de pouvoir
ou d'éducation politique, instrument bureaucratique de contrôle
d'une minorité ou moyen d'expression démocratique d'un plus
grand nombre. La sociabilité jacobine révolutionnaire ne nous
paraît donc correspondre ni à un projet politique précis (le vieux
mythe du “complot maçonnique” de Barruel, réactualisé par
Cochin et ses émules), ni à ce “modèle” théorique, apprécié
comme une anticipation du “parti révolutionnaire d'avant garde”,
ou récusé en tant que “matrice” des régimes totalitaires. Il s'agit
d'un phénomène plus empirique, lié aux circonstances mobiles et
tendues d'une révolution longtemps inachevée, devenue par la
force des choses, par l'exacerbation des antagonismes, une
véritable guerre, civile et extérieure. On souhaiterait, avec le recul,
une vision plus réaliste et nuancée de cette expérience historique
à la fois grande et terrible.
NOTES
1 A. COCHIN,  L'esprit du Jacobinisme. Une interprétation sociologique
de la Révolution française, rééd. P.U.F., Paris, 1979, notamment la
préface de J. BAECHLER.
F. FURET, Penser la Révolution, 1976, p. 212-259.
R. HALEVI, Sur les origines intellectuelles de la Révolution française, Le
Débat, janvier-mars 1986 ; article “Clubs et sociétés populaires”
in Dictionnaire critique de la Révolution Française , s.d. F. FURET,
M. OZOUF, Flammarion, Paris, 1989.

2 L. DE CARDENAL,  La province pendant la Révolution, histoire des


clubs de Jacobins (17891795), Paris, Payot, 1929.

3 M.-L. KENNEDY,  The Jacobin clubs during the French Révolution, T. 1,


the first years (17891791) ; T. 2, the middle years (1791-1793),
Princeton, 1981 et 1988.

4 Atlas de la Révolution française, fascicule 6,  Les sociétés


politiques, s.d. Jean BOUTIER, Philippe BOUTRY, Serge BONIN, Ed.
E.H.E.S.S., Paris, 1992.

5 Notre enquête a couvert les actuelles régions de Champagne-


Ardennes (Ardennes, Aube, Marne, Haute-Marne) et de Picardie (Aisne,
Oise, Somme), qui présentent chacune une relative cohérence
géographique et historique.

6 Christine PEYRARD, “La géopolitique jacobine à l'épreuve de l'Ouest”


in.  A.H.R.F., LVIII, 1986, p. 448-476. On attend l'édition de sa
thèse  sur les Jacobins de l'Ouest, soutenue en 1993, Université de Paris
1.

7 En 1790-92, nous avons recensé 30 clubs champenois et 35 picards ;


en 1793-1794, on en compta au moins 170 en Picardie et 245 en
Champagne, soit une évolution de 65 sociétés  d'Amis de la
Constitution à 415  sociétés populaires.

8 Α.. D. Meuse, Bar-le-Duc, L 2190, registre de délibérations de la


société populaire de Barsur-Ornain, 8 nivôse an II (28 décembre 1793).
9 E. JOVY,  Documents sur la société populaire de Vitry-le-François
pendant la Révolution, Vitry, 1892.

10 J. BERNET, “Le problème des sociétés sectionnaires sous la


Révolution française ; l'exemple de Reims, 1793-1794”, in Existe-t-il
un fédéralisme jacobin  ?, Actes du 111° colloque des sociétés savantes,
Poitiers, 1986, p. 7-19.

11 Les prêtres ont souvent été fondateurs de clubs de villages, comme


à Clérey près de Troyes, Eve ou Hautefontaine dans l'Oise, en 1791 ; à
Hornoy dans la Somme, Barbonne, près de Sézanne, l'initiative émanait
d'hommes de loi. Nous n'avons pas trouvé de cas de création populaire
spontanée en milieu rural, au cours de la première période de la
Révolution.

12 H. DESTAINVILLE,  Les sociétés populaires du district d'Ervy-le-


Châtel, Reims, 1924.

13 M. DOMMANGET,  Les grèves de moissonneurs dans le Valois sous la


Révolution française, Reims, 1924. et A.D. Oise, L IV - 282,
délibérations de la société populaire de Senlis.

14 Délibérations municipales de Bar-sur-Aube, 2 juin 1791.


A. BABEAU,  La Révolution à Troyes et dans l'Aube, T. 1, Troyes, 1878.
Délibérations municipales de Givet, 1 D 1.

15 Archives communales de Reims, délibérations de la Société des


Amis de la Constitution de Reims, registre 15, 31 mars 1791.

16 A.D. Haute-Marne (Chaumont), L 2007, procès-verbaux du comité


de surveillance de Wassy.

17 A.D. Oise (Beauvais), LIV - 261, registre du comité de surveillance


de Creil, 14 décembre 1793.

18 Archives Nationales, 30 A.P., papiers Bournel, registre de la société


populaire de Rethel.
19 A.D. Aube (Troyes), L 327.m

20 Délibérations municipales de Jonchery-sur-Vesle (Marne).

AUTEUR
Jacques Bernet
Du même auteur

 Du Directoire au Consulat 1. Le lien politique local dans la Grande Nation, Publications de


l’Institut de recherches historiques du Septentrion, 2000
 Du Directoire au Consulat 2. L'intégration des citoyens dans la Grande Nation, Publications
de l’Institut de recherches historiques du Septentrion, 2000
 L’Oise et la révolution parisienne : l’influence et la réception des agents de la capitale en
l’an II in Paris et la Révolution, Éditions de la Sorbonne, 1988
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Le Puy-de-Dôme du printemps 1793 à


Nivôse an II : pouvoir local et
république jacobine, tentative de
protestation contre-révolutionnaire et
lutte contre les résistances
Martine Braconnier

p. 267-278

TEXTE NOTES AUTEUR

TEXTE INTÉGRAL
 1 Arch. parle., t. LXVI, p. 24. Souligné par nous.

1Voici ce que déclarait Couchon, député du Puy-de-Dôme, lors de la séance à


l'Assemblée du 4 juin 17931.

2Ainsi, le Puy-de-Dôme, à tout le moins Clermont-Ferrand, aurait représenté un modèle


de patriotisme, une exemplarité d'adhésion au pouvoir jacobin. Réalité ? Ou, au
contraire, auto-satisfaction de Couchon ? Ou bien encore, langue de bois ?

3Il s'agira moins, ici, d'étudier le fonctionnement du pouvoir local que de voir si,
effectivement, celui-ci adhéra pleinement à la politique jacobine, ou s'il ne connut pas
quelque tentation contre-révolutionnaire, ou du moins émancipatrice.

***

4Le Puy-de-Dôme mérite-t-il l'éloge qu'en fit Couchon à l'Assemblée ? En réalité, il fut
agité par un mouvement de contestation envers le pouvoir central, et ce, à partir du
printemps 1793, même si sort plus proche et fervent député le croyait acquis à la
République.

5La population, dans son ensemble, ainsi que la municipalité de Clermont, avaient
approuvé la Montagne. Mais, le département commençait à connaître une certaine
agitation sous la double influence de Lyon entrée en rébellion et de l'opposition du
Directoire composé de bourgeois aisés et de notables tels le procureur général d'Albiat,
le juge Barre, le président du tribunal du district Dijon de Saint-Mayard, Directoire qui
manifesta une désapprobation certaine vis-à-vis du pouvoir montagnard, ce qui aboutit
à la dissidence.

6La “fermentation” prit forme à partir du mois de mai, s'articulant autour de 3 thèmes :
le conflit Girondins/Montagnards d'une part, la Constitution d'autre part, enfin, la levée
en masse.

 2 F. MEGE, Le Puy-de-Dôme en 1793 et le Proconsulat de Couthon, Paris, 1879, p. 60.

7En mai, plusieurs Conseils généraux montrèrent une certaine inquiétude face aux
évènements parisiens qui se manifestaient tant à la Convention qu'au sein des masses
populaires. Ils critiquèrent le conflit Girondins/Montagnards y voyant un danger pour la
République. C'est ainsi que le Conseil général de la commune de Riom, sous la
présidence du maire Chapsal exprima ses craintes et ses critiques dans la délibération
du 26 mai 17932.

8«  Les dissensions, les querelles privées qui s'élèvent chaque jour dans le sein de la
Convention, la mésintelligence qui règne parmi ses membres, les dénonciations
mutuelles qu'occasionne l'esprit de parti entre les représentants de la Nation
scandalisent depuis longtemps toutes les communes de France. Elles sentent tous les
maux d'une machine que ces divisions funestes ont enfantée et qu'une constitution et
des lois peuvent seules faire cesser. Le Conseil général, à la réquisition du procureur de
la Commune, a unanimement arrêté de faire sans délai une adresse à la Convention,
expositive du mécontentement général et des malheurs que produit chaque jour le
défaut de lois constitutionnelles  ».

 3 F. MEGE, id, pièce annexe, p. 66.

9Un texte de la même teneur, sous forme de pétition, fut rédigé également le 26 mai à
Clermont3 ; soumis le 27 aux sections, celles-ci l'approuvèrent. On désigna deux
commissaires afin d'aller la présenter à l'Assemblée : Barre et Saint-Mayard, qui
retrouvèrent d'Albiat déjà à Paris. La lecture eut lieu le 4 juin, accueillie par des
applaudissements : “Il est temps qu'une Constitution solennellement discutée par vous
et librement acceptée par le peuple fasse cesser l'esprit d'anarchie qui, formé dans votre
sein, s'est propagé dans toutes les sections de la République. Plus de désunion,
citoyens, plus de passions  ! plus d'intérêts privés  ! donnez-nous promptement une
constitution digne d'un peuple qui veut être libre. Les citoyens de Clermont-Ferrand
vous déclarent qu'ils la veulent et que, membres d'une nation souveraine, avec tous les
Français ils ont droit de se la procurer par des représentants fidèles à leur
mandat  ». Étaient donc visés les Montagnards qui avaient participé à freiner
l'élaboration de la nouvelle Constitution. Paradoxalement, c'est à l'occasion de la lecture
de cette pétition que Couthon demanda que Clermont fût décrété comme ayant bien
mérité de la patrie.

10Il est difficile de se faire une idée précise de l'attitude du pouvoir local à l'égard des
“journées parisiennes” des 31 mai et 2 juin. Toutefois, les commissaires du Puy-de-
Dôme, Barre, Saint-Mayard et d'Albiat avaient été témoins des évènements. De retour à
Clermont, ils firent part de leurs impressions, de l'attitude ambigüe, selon eux, de
Couthon, qui avait affirmé que la Convention était libre et qui, malgré tout, appuya
l'arrestation des 22 députés girondins.

 4 Arch. dép. du Puy-de-Dôme, L 2804.

11Influencés ou confortés par le récit, les administrateurs du Puy-de-Dôme se réunirent


le 20 juin en séance secrète afin de rédiger une adresse aux représentants du peuple à
la Convention nationale4. Bien que se défendant de fédéralisme, clamant l'unité et
l'indivisibilité de la République mais aussi celle de la représentation nationale, les
rédacteurs de l'adresse en appelaient à la “résistance à l'oppression, à toute autorité
despotique, dictatoriale, et à toute espèce de suprématie  ». L'option politique était
claire.

 5 F. MEGE, op. cit, p. 73. Voici la lettre jointe et adressée aux administrateurs de Lyon le

22 juin (...)

12Sur 14 membres que comportait l'administration, un seul refusa d'apposer sa


signature, Noyer-Dubouy. Le texte fut imprimé et envoyé dans tous les districts et
toutes les communes du Puy-de-Dôme, puis aux départements et aux villes dont on
connaissait les sympathies girondines, Bordeaux et Lyon5.

 6 id., p. 77.

 7 Arch, parle, t. LXVIII.

13Prévenue par Noyer-Dubouy de cette protestation, la Société populaire de Clermont


tint une séance extraordinaire les 23 et 24 juin au cours de laquelle les administrateurs
furent sévèrement blâmés. Invités à modifier ou retirer leur adresse, ils refusèrent,
déclarant qu'elle avait seulement pour but de faire hâter l'achèvement de la Constitution.
La Société populaire rompit alors avec l'administration départementale. Elle décida de
rédiger une contr'adresse destinée à appuyer le soutien des représentants montagnards
à la journée du 31 mai pour, disait-elle : “servir de contrepoison à l'adresse des
administrateurs”6. On désigna deux commissaires pour la porter à Paris devant la
Convention. Ceux-ci furent admis à la barre de l'Assemblée. Grâce au soutien de
Couthon, l'adresse de la Société populaire de Clermont fit l'objet d'une mention
honorable ainsi que celle de la Société populaire d'Ambert qui annonça à la Convention
qu'elle avait fait brûler l'adresse départementale sur la place publique7.

14En fait, derrière le voile de la revendication de la Constitution se dressait le


mécontentement face à la chute des Girondins. Le clivage était net entre les autorités
des administrations locales et les sociétés populaires soutenues par les autorités
centrales.

 8 F. MEGE, Le Puy-de-Dôme..., pièce annexe p. 533, Lettre de Laforie à Couthon du 24

juillet 1793.

15La résistance du pouvoir local se manifesta également à propos de la levée en masse.


Un bataillon de 4 000 volontaires était destiné à la Vendée. Le Directoire y choisit 500
hommes qu'il plaça sous le commandement du lieutenant-colonel Rabusson-Lamothe
(ex-député à la Législative et ennemi de Couthon 8. Prétextant de l'insurrection de la
Lozère, les administrateurs évitèrent de trop éloigner le bataillon. Ce “bataillon de force
départementale”, resta stationné sur les confins du Puy-de-Dôme. On le remarqua
cependant ; ainsi, fin juin, le district d'Issoire demanda-t-il des explications sur
l'inaction du bataillon de Vendée et son séjour prolongé. Ce fut le représentant Meaulle,
député de Loire inférieure envoyé dans le Centre et l'Ouest qui parvint à faire revenir le
bataillon de Lamothe à Clermont.

 9 F. MEGE, Documents inédits. Correspondance de Georges Couthon, député du Puy-de-

Dôme à l'Assemblée  (...)

16Doit-on voir dans le maintien de ce bataillon du Puy-de-Dôme une tentative de la part


du Directoire de faire sécession, de fomenter une contre-révolution, voire d'épauler la
révolte lyonnaise ? C'était, en tout cas, le sentiment de Couthon : “Une force
départementale comme on se permet de baptiser celle-ci est inutile dans nos murs, et
pourrait même devenir nuisible sous beaucoup de rapports ” écrivait-il dans une lettre à
ses concitoyens le 23 juillet9.

 10 A. AULARD,  Recueil des Actes du Comité de Salut Public, t. V, p. 241.

17Le Comité de Salut Public menaça de faire décréter le Puy-de-Dôme département


rebelle10. Les administrateurs se réunirent et décidèrent de faire partir pour la Vendée
ce corps désormais appelé  4'bataillon du Puy-de-Dôme.

 11 id., t. VI, p. 48.


 12 ibid.

18Afin d'empêcher que le Puy-de-Dôme ne constituât un nouveau foyer d'agitation, la


Convention estima indispensable la présence d'un représentant efficace et pensa à
Couthon11. La place qu'il occupait au Comité de Salut Public ainsi que les relations
extrêmement étroites et privilégiées qu'il entretenait avec son département, sa
connaissance du “terrain” en faisaient l'homme de la situation, à la fois homme de
confiance et de détermination. Le 21 août, Châteauneuf-Randon et Maignet lui étaient
adjoints12.

 13 ibid., t. VI p. 155.

19Déjà sur son chemin de Paris à Clermont, au cours d'une étape à Nevers, Couthon
envoyait à ses collègues du Comité de Salut Public une lettre dénonçant d'Albiat 13 : “un
agent de nos fédéralistes a écrit à Clermont la lettre la plus incendiaire et propre à
éloigner les citoyens du désir de se lever contre les rebelles du Lyon... Il n'y a pas un
instant à perdre pour s'assurer de ce petit intrigant. Il se nomme d'Albiat, ci-devant
procureur du roi à la ci-devant sénéchaussée de Clermont, nous vous ferons passer les
pièces de conviction  ».

 14 F. MEGE, Le Puy-de-Dôme..., pièce annexe p. 616.

20Le 2 septembre, Couthon dressait un tableau pessimiste de son département à la


Convention14 : “Il était temps que nous arrivassions dans ce département et
particulièrement celui de la ville de Clermont avait été tellement travaillé par les
égoïstes, les muscadins et les malveillants de tous les genres, que l'audacieuse
résistance des contre-révolutionnaires de Lyon avait enhardis, qu'il croyait de bonne foi
que le bien de la République exigeait qu'il se refusât aux diverses réquisitions des
représentants du peuple et des généraux  ».

21La lutte contre les résistants s'opéra selon trois directions : la reconquête de l'esprit
public, la chasse aux suspects, la “cure révolutionnaire” après la reprise du Lyon.

 15 id., pièce annexe p. 616.

 16 ibid.

22Le lendemain de leur arrivée, le 1  septembre, les représentants procédèrent au


er

rassemblement de la population dans la cathédrale, selon la tradition séculaire des


réunions populaires15. “A notre arrivée, hier dimanche – écrivaient-ils à la Convention -
nous eûmes une assemblée générale chez les citoyens de la ville et des campagnes
voisines  ; cette assemblée fut extrêmement nombreuse, nous y parlâmes avec cette
énergie républicaine qui caractérise les vrais Montagnards  ; nos petits discours
embrasèrent les cœurs, électrisèrent les têtes  ; la Convention fut honorée et comblée de
bénédictions  ». Puis, ils se dirigèrent à la Société populaire 16 : “A la suite de cette
séance – poursuivaient-ils – il y en eut une à la Société populaire qui ne put pas tenir
longtemps parce que le local, quoique très vaste, ne le fut pas assez pour contenir tous
les braves sans-culottes que l'amour de la patrie y attirait. Nous sortîmes donc de la
salle de la Société et nous allâmes tenir la séance dans les rues, et sur les places
publiques... pour nous trouver avec tous nos concitoyens et achever de les électriser...
nous fîmes avec eux la farandole, et nous rendîmes successivement sur toutes les
places qui, en nous offrant quelques traits de la Révolution, nous fournissait l'occasion
de rappeler au peuple ses devoirs  ».

 17 ibid., pièce annexe p. 710.

23Parallèlement les représentants faisaient vibrer la fibre patriotique, républicaine afin


de rallier la population par un appel général aux armes 17 : “Citoyens nos frères, nos
amis — s'était exclamé Couthon – les malheurs qui nous menacent grossissent à chaque
instant  ! Votre territoire a été envahi par les contre-révolutionnaires (de Montbrison)...
Aux armes, citoyens, aux armes...  ».

 18 Arch. dép. du Puy-de-Dôme, L 2762, arrêté du 2 septembre 1793.

24Ils insistèrent sur la nécessaire régularité des réunions des corps constitués, dans un
souci démocratique d'ouverture, ces derniers se voyant tenus de siéger en permanence,
et ce, dans le cadre de séances publiques 18 : “Chaque jour à 6 heures du soir, il y aura
assemblée générale et publique des corps constitués et de la Société populaire, dans
laquelle se discuteront, en présence du peuple, les diverses mesures de sûreté publique
qui auront été prises et pourront être présentées  ».

 19 id., L 468.

 20 id., L 299.

 21 id., L 301.

 22 id

 23 ibid
25Du 30 août au 6 septembre, on procéda à la mise en état d'arrestation de 25
personnes compromises ou suspectes, considérées comme ayant partie liée avec le
“fédéralisme” lyonnais, la plupart appartenant à la bourgeoisie aisée ou au milieu des
notables. Parmi eux, d'Albiat arrêté dès le 30 août 19, Dijon de Saint-Mayard et
Barre  «  prévenus d'avoir empêchés... des citoyens de se lever et de déférer aux
réquisitions réitérés  »20. Ajoutons Noyer, juge au tribunal de district 21, Rabusson-
Lamothe22, Chabrol, capitaine des grenadiers de la garde nationale23.

 24 F. MEGE,  Le Puy-de-Dôme... pièce annexe p. 562-563.

26Un arrêté de Couthon du 20 septembre interdit aux citoyens domiciliés dans les villes
de se retirer à la campagne, accusés d'y égarer le peuple 24 : « ... Ils répandent à longs
traits le poison qui les dévore, corrompent l'esprit public et portent chez le paisible
cultivateur le trouble et le découragement ».

 25 id., pièce annexe p. 575-576.

27D'autre part, certains fonctionnaires devaient se trouver en possession d'un “ certificat


de civisme”, en particulier les employés d'administration (arrêté du 24 septembre)25.

 26 ibid, pièce annexe p. 574-575 et A. AULARD,  op. cit., t. VII, p. 65.

28Enfin, des Comités de surveillance composés de 10 membres se verraient confier,


dans chaque commune et dans chaque chef-lieu de district, la surveillance des suspects
(arrêté du 22 septembre)26.

29Les représentants envoyés dans le Puy-de-Dôme suspendirent leur action afin de se


consacrer, au cours du mois d'octobre, à la reprise de Lyon.

 27 A. AULARD, op. cit., t. VIII.

30Ce fut en novembre, de retour en Auvergne, que Couthon et Maignet opérèrent ce


qu'ils appelèrent la « cure révolutionnaire », autrement dit, la défanatisation du
département et l'épuration des administrations : « L'état affligeant dans lequel j'ai
trouvé le département du Puy-de-Dôme par rapport aux subsistances... me force de
rester à Clermont encore une huitaine pour prendre et faire exécuter sous mes yeux les
mesures qu'exigent les circonstances. Ce temps m'est d'ailleurs nécessaire pour finir de
purger les mauvaises administrations  »27.

 28 id.

31On procéda à l'arrestation d'une partie des autorités urbaines. Dans une lettre au
Comité de Salut Public datée du 16 novembre, Couthon annonçait que le Directoire et
qu'un certain nombre de membres du Conseil du département : “sont à la commission
de justice populaire”...  “Les agents infidèles s'étaient coalisés avec ceux de Lyon dans
l'espérance de former ici une nouvelle Vendée”28.

 29 F. MEGE, op. cit., pièce annexe p. 598.

32Régénération également des municipalités rurales accusées de manque de fiabilité :


un arrêté du 25 novembre ordonnait la formation d'une commission temporaire
ambulante de surveillance générale : “Considérant que parmi les officiers municipaux et
les juges de paix des campagnes, il en est beaucoup qui, par malveillance ou défaut de
zèle et de caractère, compromettent journellement la chose publique”29.

 30 id., pièce annexe p. 601.

 31 ibid.

 32 ibid.

33Enfin, annulation de toutes les mesures prises par l'ancien Directoire, en particulier
relativement aux émigrés et aux suspects (arrêté du 26 novembre) 30. Aussi les
municipalités devront-elles de nouveau mettre les scellés et séquestrer les biens de tous
ceux qui avaient été portés sur la liste des émigrés. Ils seraient examinés et jugés par le
nouveau Directoire31. Elles devront annuler les certificats de civisme visés par l'ancien
Directoire : “ceux qui en ont obtenu seront tenus de s'en procurer de nouveaux qui
seront visés par le Directoire en exercice et par le Comité de surveillance ”32.

 33 ibid., pièce annexe, p. 605-606.

34Épuration, mais aussi vigilance quant à la tenue en bonne et due forme des réunions
des autorités. C'est ainsi, par exemple, que Couthon et Maignet prirent un arrêté, le 26
novembre, destiné à compléter les places vacantes du Conseil de la Commune de
Riom33 : “Le citoyen maire a dit que la multiplicité des affaires de la commune exigeait
la parfaite intégralité des membres du Conseil général  ; que cependant leur nombre
diminuait chaque jour, quoique les opérations dont il se trouvait chargé ne fissent
qu'augmenter”  (furent nommés un substitut du procureur de la commune et cinq
citoyens aux places vacantes).

***

35Couthon quitta le Puy-de-Dôme à la fin de novembre. La Convention délégua des


représentants spécialement chargés d'appliquer la loi révolutionnaire dans les
départements : Châteauneuf-Randon en mission dans le Cantal et en Lozère avec
juridiction et autorité sur le Puy-de-Dôme jusqu'en mars 1794, puis, à partir de mars,
par souci d'efficacité, on retrancha à Châteauneuf la mission de quelques
départements ; le Puy-de-Dôme échut à Roux-Fazillac qui représentait la Convention en
Dordogne et dans la Corrèze.

36La Terreur mise en application par Châteauneuf-Randon revêtut deux aspects :


l'étouffement des menées contre-révolutionnaires, la campagne déchristianisatrice.

 34 Arch. dép. du Puy-de-Dôme, L 4316 (fonds du district d'Issoire).

 35 id.

 36 ibid.

37Le district de Saint-Flour fut particulièrement visé. La ville se vit accusée de


manœuvres contre-révolutionnaires ; elle avait réparé ses murailles, elle s'était livrée à
de grands accaparements de blé et refusait toute aide aux districts voisins (précisons
que le Puy-de-Dôme connut une sévère disette en cette fin d'année 1793) 34.
Châteauneuf-Randon en déduisit qu'elle se révoltait contre la Convention. Par un arrêté
du 9 décembre, il proposait le blocus, et écrivit aux administrateurs du département de
s'entendre avec les sociétés populaires de Clermont pour envoyer à Saint-Flour des
patriotes chargés de “prêcher l'esprit public”35. Un arrêté du 20 frimaire décrétait la ville
“en état de guerre révolutionnaire”. On s'empara des portes et de tous les postes de
défense “hostilement établis par des fédéralistes, des royalistes, des ennemis de la
liberté et de l'égalité”. Rappelant que le district de Saint-Flour avait refusé d'obtempérer
à une réquisition de grains, que la ville avait changé de nom pour Fort-Cantal,
traduisant par là un désir de domination, Châteauneuf-Randon ordonna la démolition
des murailles, le désarmement de l'armée révolutionnaire incertaine, l'épuration de la
société populaire et la mise en arrestation de plusieurs notables, enfin le
renouvellement du Comité de surveillance où il introduisit plusieurs patriotes de
Clermont : Bouscarat (cafetier), Ribeyroux (libraire) très proches de Couthon 36.

 37 Voir notre thèse de Doctorat : M. BRACONNIER, Georges Couthon ou les métamorphoses

de la Raison (2  (...)

 38 Arch. dép. du Puy-de-Dôme, L 3774 (fonds du district de Clermont).

38En frimaire, le Puy-de-Dôme entra en pleine phase déchristianisatrice. Couthon et


Maignet venaient de procéder à la défanatisation du département 37. A la fin de frimaire,
la disette ainsi que les mesures prises contre les églises provoquèrent des
manifestations hostiles au gouvernement, ainsi dans un certain nombre de communes
du canton de Rochefort (district de Clermont). Le 21 décembre, un détachement de la
garde nationale de Clermont partit pour Rochefort. Il ne se heurta à aucune résistance.
Les rigueurs révolutionnaires redoublèrent envers les prêtres constitutionnels non
déprêtisés. Ainsi, Jean Poyet, curé constitutionnel de Montferrand et membre du Comité
de surveillance de Clermont, qui s'était vanté d'avoir célébré la messe de Noël et avait
annoncé que les églises seraient bientôt rouvertes. Châteauneuf-Randon le fit destituer
de ses fonctions, le fit rayer des listes de la Société populaire et ordonna sa mise en état
d'arrestation38.

 39 A. AULARD,  op. cit.. T. IV, p. 630-633.

 40 Arch. dép. du Puy-de-Dôme, L 5357 (fonds du district de Riom).

 41 id., L 3773 (fonds du district de Clermont).

39Les pouvoirs locaux freinèrent néanmoins le vandalisme. Il est vrai que déjà depuis le
21 novembre, Robespierre avait amorcé le coup de barre anti-déchristianisateur 39.
Ainsi, à Riom, le conseil de la commune fit surseoir à la démolition de deux clochers
sous prétexte d'attendre l'arrivée du représentant Roux-Fazillac 40. A Clermont, les
délégués de Châteauneuf-Randon eux-mêmes suggérèrent à la municipalité l'idée de
faire examiner par des experts si la démolition du clocher de la cathédrale ne risquait
pas de porter préjudice à la tour adjacente41.

***

40Le Puy-de-Dôme, en 1793, avait ceci d'original qu'il représentait, par le truchement
de Couthon, un baromètre de la politique jacobine.

41Comme dans la plupart des départements, des velléités se manifestèrent de la part


des administrations locales, sans doute attisées par la proximité du foyer lyonnais. Ce
danger de liaison avec le fédéralisme lyonnais explique la mission particulière de
Couthon dans son propre département, où il instaura une “petite république jacobine »,
aidé par le soutien des sociétés populaires, puis par l'application de la Terreur par
Châteauneuf-Randon, mais sans trop de douleur, tant étaient étroits les liens entretenus
par le membre du Comité de Salut Public avec son département.

NOTES

1 Arch. parle., t. LXVI, p. 24.  Souligné par nous.

2 F. MEGE,  Le Puy-de-Dôme en 1793 et le Proconsulat de Couthon, Paris, 1879, p. 60.

3 F. MEGE,  id, pièce annexe, p. 66.


4 Arch. dép. du Puy-de-Dôme, L 2804.

5 F. MEGE,  op. cit, p. 73. Voici la lettre jointe et adressée aux administrateurs de Lyon le 22 juin :

“Nous vous faisons passer cinquante exemplaires d'une adresse que nous nous proposons
d'envoyer à la Convention nationale, après avoir recueilli les signatures des administrateurs de
notre département qui, nous l'espérons, seront nombreuses. Vous verrez dans cette adresse quel
est l'esprit du département du Puy-de-Dôme. Comme vous, nous voulons détruire le monstre de
l'anarchie qui nous dévore et forcer la Convention à nous donner promptement une constitution,
sans laquelle nous ne pouvons espérer de voir naître l'ordre de la sûreté publique  ».

6 id., p. 77.

7 Arch, parle, t. LXVIII.

8 F. MEGE,  Le Puy-de-Dôme..., pièce annexe p. 533, Lettre de Laforie à Couthon du 24 juillet

1793.

9 F. MEGE,  Documents inédits. Correspondance de Georges Couthon, député du Puy-de-Dôme à

l'Assemblée législative et à la Convention nationale, 1791-1794, Paris, 1872.  Souligné par nous.

10 A. AULARD,  Recueil des Actes du Comité de Salut Public,  t. V, p. 241.

11 id., t. VI, p. 48.

12 ibid.

13 ibid., t. VI p. 155.

14 F. MEGE,  Le Puy-de-Dôme..., pièce annexe p. 616.

15 id., pièce annexe p. 616.

16 ibid.

17 ibid., pièce annexe p. 710.

18 Arch. dép. du Puy-de-Dôme, L 2762, arrêté du 2 septembre 1793.

19 id., L 468.

20 id., L 299.

21 id., L 301.
22 id

23 ibid

24 F. MEGE,  Le Puy-de-Dôme... pièce annexe p. 562-563.

25 id., pièce annexe p. 575-576.

26 ibid, pièce annexe p. 574-575 et A. AULARD,  op. cit., t. VII, p. 65.

27 A. AULARD, op. cit., t. VIII.

28 id.

29 F. MEGE,  op. cit., pièce annexe p. 598.

30 id., pièce annexe p. 601.

31 ibid.

32 ibid.

33 ibid., pièce annexe, p. 605-606.

34 Arch. dép. du Puy-de-Dôme, L 4316 (fonds du district d'Issoire).

35 id.

36 ibid.

37 Voir notre thèse de Doctorat : M. BRACONNIER,  Georges Couthon ou les métamorphoses de la

Raison (22 décembre 1755-10 thermidor an II), Paris I - Sorbonne, 1993.

38 Arch. dép. du Puy-de-Dôme, L 3774 (fonds du district de Clermont).

39 A. AULARD,  op. cit.. T. IV, p. 630-633.

40 Arch. dép. du Puy-de-Dôme, L 5357 (fonds du district de Riom).

41 id., L 3773 (fonds du district de Clermont).

AUTEUR
Martine Braconnier
Du même auteur

 Robespierre et Couthon : De la raison à l'Être suprême : deux itinéraires in Robespierre. De


la Nation artésienne à la République et aux Nations, Publications de l’Institut de recherches
historiques du Septentrion, 1994
Le village face à la terreur :
l'exemple du département de
la Vienne
Jacques Péret

p. 279-292

TEXTE NOTES AUTEURILLUSTRATIONS

TEXTE INTÉGRAL
1Pour mieux comprendre la Terreur, trop longtemps perçue
comme un phénomène purement politique, parisien, œuvre d'une
minorité de sans-culottes, il importe de renverser la vapeur en
partant du terrain, des réactions de la masse des Français, des
ruraux.
 1 Une trentaine de registres déposés aux archives départementales de la
Vienne (dépôts)

 2 Arch. dép. Vienne, principalement L 453-455. Analyse complète dans


V. GABARD,  Les comités de surve (...)

 3 Celle de Vouneuil sur Vienne surtout, arch. dép. Vienne, L suppl. 63.

2C'est en cela que l'étude des archives des institutions


révolutionnaires locales s'avère fructueuse. Les registres de
délibérations municipales1, ceux des comités de surveillance
révolutionnaires ruraux2, de quelques sociétés populaires3, les
archives des tribunaux de districts et des justices de paix encore
inexploitées, permettent de saisir l'activité des pouvoirs locaux
mais aussi plus largement les réactions des populations rurales
dans leur adhésion ou leurs résistances aux mesures “terroristes”.
Il importe évidemment d'analyser ces sources avec précaution ;
dans le climat de peur ou au moins de méfiance de l'an II, les
autorités font assaut d'obéissance et d'alignement idéologique. De
ce fait le discours maximaliste et extrémiste de nombreuses
sources ne doit pas toujours être pris au premier degré ; il
demande une double lecture et traduit largement des apparences.
 4 Voir sur ce département, R. DOUCET,  L'esprit public dans le
département de la Vienne pendant la Ré (...)

3Cette étude s'inscrit dans le cadre de la Vienne 4. Ce département


rural qui a suivi jusque là la marche de la Révolution avec
modération, se trouve brusquement confronté à partir de mars
1793 à l'insurrectiion vendéenne. Menacée par les incursions des
insurgés, la Vienne devient un département frontière, base arrière
des troupes républicaines. On peut parler ici, dès le printemps 93
de véritable régime de guerre avec tout ce que cela signifie. De ce
fait, les mesures d'exception y sont précoces ce qui nous amènera
à débuter notre étude dès mars 93, en amont de la Terreur
proprement dite.
4Aussi, pour comprendre la réalité de l'épisode 93-94 tel qu'il a
été vécu dans les villages poitevins, nous tenterons d'abord de
saisir qui sont les artisans de la Terreur dans le monde rural ; la
Terreur est-elle simplement imposée d'en haut ou bien trouve-t-
elle des relais locaux ? Nous analyserons ensuite le
fonctionnement concret de la Terreur, en quoi a-t-elle bouleversé
ou non la vie du monde rural et comment ce dernier a réagi à la
tourmente de l'an II ?

ARTISANS ET ACTEURS DE LA
TERREUR RURALE
5Dès 1793, la Vienne, en bordure de l'insurrection vendéenne, est
particulièrement touchée par les mesures d'exception liées aux
menaces pesant sur la République et à la conjoncture politique.
Mais c'est la loi du 14 Frimaire qui bouleverse l'organisation des
pouvoirs locaux dans le sens d'une centralisation très poussée où
les représentants en mission, les agents nationaux des districts et
des municipalités d'une part, le réseau parallèle des comités de
surveillance et des sociétés populaires d'autre part constituent les
rouages essentiels de la machine “terroriste”. Au delà de cet
organigramme général et théorique qu'en est-il sur le terrain ?
 5 C. ALLEN, François-Pierre Ingrand, représentant en mission dans la
Vienne, Mémoire de maîtrise, Po (...)

 6 C. ALLEN, op. cit., chap. 3 et 4.

 7 Idem, chap. 4.

6Comme ailleurs, l'impulsion majeure est donnée par les


représentants en mission ; mais il faut sortir de l'image des
proconsuls tout-puissants, maîtres absolus de leurs
départements. D'une part, du printemps à l'automne 1793 pas
moins de 11 représentants se succèdent avec plusieurs
départements en charge ; leur présence, très épisodique réduit
incontestablement leurs pouvoirs effectifs ; d'autre part, durant
cette période, l'affaire qui les occupe réellement dans la région est
d'abord la levée des 300 000 hommes puis l'équipement et
l'organisation des armées qui combattent en Vendée tout en
assurant l'ordre. Leur travail s'arrête là pour l'essentiel. Tout
change avec l'arrivée en novembre d'Ingrand, qui reste de façon
presque continue jusqu'à l'été 1794. Bénéficiant de la continuité,
il apparaît comme l'homme par excellence de la Terreur dans la
Vienne ; cependant, grâce à la maîtrise de C. Allen 5 on est amené
à nuancer sensiblement cette apparente toute-puissance. D'un
côté, c'est Ingrand qui met en place les rouages essentiels des
nouveaux pouvoirs locaux ; c'est lui qui épure les administrations,
puis reconstitue d'autres équipes au niveau du département, des
districts, des municipalités, des tribunaux. C'est Ingrand qui
impulse également les grandes lignes de la politique culturelle,
avec les vagues de déprêtrisation et de déchristianisation qu'il
organise personnellement. Mais son action reste limitée à Poitiers
et aux chefs-lieux de districts comme le montrent les cartes de
ses voyages6 ; les destitutions et épurations ne touchent
pratiquement pas les campagnes sinon quatre officiers
municipaux dans quatre communes du Châtelleraudais (sur plus
de cent suspensions et destitutions) 7 ; son abondante
correspondance n'évoque pratiquement jamais le monde rural
sinon lorsqu'il reçoit à son passage à Châtellerault ou Lusignan
l'abdication des prêtres ruraux du district. Mais dans l'ensemble,
Ingrand, faute de temps, de moyens, de pouvoirs aussi (C. Allen a
bien montré son isolement, ses hésitations), ne s'occupe pas du
monde rural.
 8 V. GABARD,  Les comités de surveillance de la Vienne, mémoire de
maîtrise, Poitiers, 1993.

 9 Arch. dép. Vienne, L 454.

 10 Reg. de délibér. munic., arch. dép. Vienne, dépôt 48 et L 450.

7Ingrand laisse le soin à son équipe de fidèles qu'il a nommée


dans les districts, issue des sociétés populaires, de mettre en
place les nouveaux pouvoirs dans les campagnes : ceci est
particulièrement net lorsqu'il faut créer des comités de
surveillance dans les communes rurales. Dans le district de
Poitiers, l'agent national Fradin, un des hommes clé de la Terreur
à Poitiers, se déplace ainsi en personne pour installer au moins
cinq comités8. De la même façon, à Champigny-le-Sec en mars
1794, le comité de surveillance n'étant toujours pas en place, c'est
un commissaire du district de Poitiers, Malteste, par ailleurs un
“dur” de la société populaire poitevine qui vient organiser le
comité local9. Cette mainmise des hommes du district ne fait
ensuite que s'accentuer ; on est frappé, par exemple à Bonnes, à
Vouzailles10 par la venue incessante de commissaires du district
de Poitiers chargés des réquisitions, des levées d'hommes pour
lesquelles les municipalités se montrent de plus en plus rétives.
 11 Registres de la société populaire de Vouneuil sur Vienne, arch. dép.
Vienne, L supp. 63.

 12 Registres de la société populaire de Loudun, arch. dép. Vienne, L supp.


1.

8Les sociétés populaires des principales villes jouent aussi un rôle


moteur dans la densification du réseau des sociétés rurales de
l'automne 93 au printemps 94. Elles incitent les municipalités à
créer une société, apportent conseils, modèles d'organisation,
protection à la petite société sœur ; c'est le cas par exemple de la
société de Châtellerault qui après avoir écrit à la municipalité de
Vouneuil envoie quatre de ses membres présider la séance
fondatrice, “fraterniser et les aider à recevoir les lumières de la
raison”11. Les sociétés populaires urbaines se sentent d'ailleurs
investies d'une véritable mission vis-à-vis des campagnes
considérées comme arriérées et “fanatisées ; celle de Loudun
nomme ainsi  douze apôtres de la Raison pour se transporter dans
les communes où le fanatisme lève encore une tête altière ”12.
 13 Reg. délibér. mun. Poligny, arch. dép. Vienne, dépôt 93.

9Mais on ne doit pas négliger non plus les capacités d'initiative


des communes rurales entraînées par le climat ambiant. La petite
commune de Poligny offre un bon exemple de dynamique de
création de structures révolutionnaires : le 14 Pluviose c'est la
municipalité qui prend l'initiative de la formation d'une société
populaire ; deux mois après la même municipalité met en place
un comité de surveillance “après avis des membres de la société
populaire”13. Ici, les ruraux ont pris les choses en main.
Alignement, crainte, conviction ? Sûrement un peu tout à la fois,
nous y reviendrons.
10Mais retenons que pour l'essentiel, la Terreur vient d'en haut ;
de la Convention par le relais des représentants en mission même
s'ils interviennent peu directement et surtout de la ville voisine,
chef-lieu de département ou de district dont la domination sur
ses campagnes se resserre brutalement durant cette période de
centralisation.
11L'impulsion donnée, la Terreur rurale s'organise localement
autour de trois pôles, les municipalités, les comités de
surveillance et les sociétés populaires.
 14 Arch. dép. Vienne, dépôt 48.

12On est frappé par l'intense activité des municipalités qui vont
supporter l'essentiel des tâches résultant de la guerre ; partout la
fréquence des réunions s'accélère. En moyenne, dans l'échantillon
examiné, on se réunit au moins une fois par semaine (68 réunions
à Bonnes en 16 moins de mars 93 à juillet 1794), plus durant les
périodes “chaudes”, comme en mai 93 au moment de l'avancée
vendéenne et de la première levée en masse où à Bonnes, “ vu le
danger… on ne désemparerait pas la chambre commune, jour et
nuit en permanence continuelle ”14. C'est là pour l'essentiel que se
gère la vie quotidienne des ruraux pendant la Terreur.
 15 S. ALLERIT, La Révolution à Neuville et dans son canton, mémoire de
maîtrise, Poitiers, 1989, chap (...)

 16 Comme l'a fort bien montré A. MONGELLA, dans son mémoire de


maîtrise, La municipalité de Poitiers  (...)

13A peu de choses près, la composition des municipalités change


peu par rapport aux années précédentes ; l'étude des communes
du canton de Neuville15 montre clairement que en dehors de
l'élimination des nobles et des curés, les municipalités offrent le
visage d'une remarquable continuité. Ce sont les mêmes noms qui
reviennent sans que l'on puisse discerner un sensible glissement
social comme c'est le cas dans les villes 16. Laboureurs, marchands
ruraux, hommes de loi continuent à monopoliser les charges
municipales. Quant aux effets des épurations de l'an II, ils
paraissent très limités en pratique. Certes, un peu partout, pour
obéir aux injonctions venues du district, on procède à des séances
épuratoires ; mais sauf exception (lorsqu'un commissaire du
district intervient, l'épuration est de pure forme et confirme
chacun dans ses fonctions. Et lorsqu'il s'agit de désigner l'agent
national de commune, personnage clef dans le nouveau dispositif,
presque toujours, on reprend simplement l'ancien procureur de la
commune dont on ne change que le titre, bon exemple de la force
d'adaptation et d'inertie des campagnes face à des mesures
venues d'en haut.
 17 Mémoire de maîtrise  op. cit. et arch. dép. Vienne L 454-455.

14Les comités de surveillance révolutionnaires constituent par


excellence l'institution “terroriste” dont les pouvoirs se trouvent
considérablement étendus avec la loi de Frimaire. Le mémoire de
maîtrise de V. Gabard17 a largement renouvelé la compréhension
de ce pouvoir parallèle et apparemment redoutable. Dans les
campagnes, la mise en place a été très laborieuse et tardive ; 17
des 18 comités ruraux repérés par V. Gabard naissent entre
novembre et avril dont 12 entre janvier et avril 1794, sans
compter celui de La Villedieu, fondé le 26 juillet 1794 ! La durée
de vie de certains comités sera donc plus que brève. La formation
des comités n'est pas plus aisée ; alors qu'ils sont composés en
théorie de 12 membres, plus de la moitié ont des effectifs réels
inférieurs à 8 membres. Quant à leur activité, elle est
extrêmement inégale d'un comité à l'autre : les plus
consciencieux, se réunissent tous les dix jours, chaque décadi,
plus parfois comme celui de Vouneuil sous Biard (neuf fois
certains mois), d'autres de manière beaucoup plus épisodique
(celui de Champigny cesse toute réunion pendant les trois mois
d'hiver, celui de Chasseneuil tient au total sept séances). Plus
intéressant encore sur la vitalité réelle de ces comités, si certains
comme à Champigny, Jaunay ou Dissais prennent leur rôle au
sérieux et exercent une surveillance réelle sur tous les aspects de
la vie des citoyens, la majorité se contente lors de la majorité des
séances de signaler laconiquement “sur le registre ne s'est rien
trouvé de nouveau ou rien à délibérer”. C'est le cas de 28 séances
sur 43 à Vendeuvre, 12 sur 16 à Cuhon. Il faut y ajouter la lecture
des lois et des nouvelles (10 séances sur 12 à Chasseneuil), le
renouvellement du bureau (11 séances sur 18 à Tercé) ce qui
ramène l'activité de la plupart de ces comités ruraux à peu de
choses.
 18 J. PERET,  La Terreur et la guerre…, p. 167-179 et “Un réseau urbain
politique : les sociétés révol (...)

 19 Arch. dép. Vienne, L supp. 63.

15Quant aux sociétés populaires, autre pouvoir parallèle, la


période allant de l'automne 1793 au printemps 1794 voit leur
multiplication en milieu rural18. En effet, début 93, on ne compte
que 17 sociétés dans la Vienne dont une demie-douzaine au plus
implantées dans des communes rurales comme Quéaux ou St
Pierre de Maillé ; 24 vont naître les 18 mois suivants, pour
l'essentiel en l'an II, dans une majorité de petites communes
rurales. Au total, la moitié des chefs-lieux de canton possède sa
société plus une quinzaine d'autres communes, certaines de taille
très réduite comme Amberre, Poligny ou Marnay. Ce réseau,
même s'il n'est pas exceptionnellement dense ne laisse pas de
zones totalement vides et permet la diffusion des messages et
des pratiques révolutionnaires. Ces sociétés semblent avoir un
impact notable : par leurs effectifs relativement importants tout
d'abord. Une petite commune comme Poligny compte 23
membres ; parmi eux, là comme ailleurs, la majorité des membres
de la municipalité (par conviction ou prudence ?) et les notables
des communes voisines (la société de Vouneuil donne ainsi
l'image d'un club cantonal). On connaît mal l'activité de ces
sociétés (on ne possède que le registre de celle de Vouneuil 19 ;
cette dernière se réunit deux à trois fois par mois, généralement
le décadi mais surtout élargit régulièrement ses réunions à
l'ensemble de la population dans la ci-devant église devenue
temple de la raison. Ces grand-messes où l'on célèbre les
nouveaux cultes républicains, où l'on organise les fêtes
révolutionnaires, jouent un rôle certain dans la formation d'une
culture politique populaire et rurale. Il faut ajouter que à travers
les registres municipaux, on perçoit bien les multiples
interventions des sociétés populaires pour accélérer l'application
des mesures révolutionnaires. Ce sont par exemple les sociétés
d'Availles-Limousine et de Poligny qui sont à l'origine de la
création des comités de surveillance.
16On tient là, à raison de quelques dizaines de sociétaires par
club (soit peut-être autour de 500 personnes pour le seul milieu
rural) le noyau et le vivier des artisans de la Terreur dans les
campagnes. On les retrouve à la fois dans les sociétés, les comités
de surveillance et en partie les municipalités. Ce ne sont pas pour
autant des activistes forcenés. La majorité suit le mouvement par
mimétisme, par conviction républicaine, par crainte aussi ; un
petit noyau, dans quelques communes, va plus loin dans
l'adhésion et dans la pratique terroriste. On les saisit surtout dans
quelques comités de surveillance répressifs qui appliquent
réellement les directives venues d'en haut. Leur portrait précis
reste à faire, sociologiquement, culturellement.
QUEL CONTENU A LA
TERREUR RURALE ?
 20 Prahecq, Vouzailles, Bonnes et Mauprévoir. in J. PERET,  La Terreur et
la guerre…, p. 161.

17On peut partir de la répartition par thèmes des délibérations de


quatre municipalités20 pour se faire une première idée non
seulement de l'activité municipale mais plus largement de ce qui a
marqué la vie des ruraux durant la Terreur. Les thèmes sont
évidemment différents pour les comités de surveillance mais eux
aussi révélateurs.

Agrandir Original (jpeg, 158k)

 21 Arch. dép. Vienne. L. 450.

18Les réquisitions en tous genres viennent largement en tête


(36,9 % des délibérations). On tient là, dans le monde rural, une
dimension essentielle de la Terreur. Prenons le cas de
Vouzailles21 dans la plaine, au Nord de Poitiers. 24 délibérations
traitent de ce sujet ; les premières apparaissent dès le printemps
93 avec des réquisitions de charrettes, d'attelages pour l'armée ;
mais c'est à partir de l'été et surtout de l'automne avec
l'organisation du maximum et d'une économie planifiée que tout
s'accélère. Chaque mois la commune est sollicitée pour conduire
aux marchés de Mirebeau ou Poitiers des quantités données de
froment, d'avoine de plus en plus lourdes ; de plus l'armée
procède à de multiples réquisitions pour les besoins de la guerre
de Vendée : le 12 Prairial par exemple toutes les voitures sont
réquisitionnées avec les attelages pour un convoi jusqu'à Thouars.
Ces réquisitions, sous la conduite de commissaires du district,
parfois sous la surveillance des gendarmes lorsque les opérations
traînent, marquent profondément le monde rural par leur
ampleur, leur arbitraire. Les protestations (timides) des
municipalités qui doivent obéir, les nombreuses affaires
d'infractions au maximum dénoncées par les comités de
surveillance montrent partout l'impopularité de l'irruption brutale
de l'état dans l'économie ; de la même façon, plus d'un quart des
délibérations des comités de surveillance touche aux problèmes
de subsistance et du maximum.
 22 J. PERET,  La Terreur et la guerre…, chap. III et “La guerre des Bleus.
Poitevins et Charentais fac (...)

19En seconde position, 18,3 % des délibérations sont consacrées


aux affaires militaires (plus si on y ajoute les réquisitions pour
l'armée). En 1793 la levée des 300 000 hommes en mars puis les
deux levées en masse de mai et septembre mobilisent totalement
les autorités. La menace vendéenne, l'énorme peur qui balaie le
département au printemps, la mobilisation massive et brutale de
tous les hommes, véritable sursaut patriotique, constituent des
traumatismes profonds pour les Poitevins comme nous l'avons
montré par ailleurs22. En 1794, les affaires prennent un autre
visage, celui de la chasse aux réfractaires et aux déserteurs (8
délibérations à Bonnes par exemple).
 23 Arch. dép. Vienne, L 454.

 24 L. BELLEC,  Le Tribunal criminel de la Vienne pendant la


terreur, Mémoire de maîtrise, Poitiers, 19 (...)

20Loin derrière (5,7 %), le problème des suspects mobilise peu les


municipalités (passage d'étrangers surtout) ; par contre, les
comités de surveillance de par leur nature y consacrent beaucoup
plus de temps : la majorité se contente de délivrer des certificats
de civisme, le plus souvent simple formalité et lorsqu'ils reçoivent
du district un tableau à remplir sur les suspects de la commune,
ils répondent comme à Cuhon : “n'avons eu ni dénonciatiion ni
connaissance de complot contre la République ”23. Mais ce cas de
figure majoritaire ne doit pas faire oublier un phénomène de
dénonciations et de chasse aux suspects. D'une part, les comités
de surveillance, rarement les municipalités, obéissent aux ordres
venus d'en haut et remplissent fidèlement les tableaux de
suspects ; on y retrouve une majorité de nobles, de parents
d'émigrés, suspects désignés d'avance ; mais d'autre part, les
dénonciations ne sont pas exceptionnelles comme l'a bien montré
la maîtrise de L. Bellec sur le Tribunal criminel de la Vienne 24.
Outre les dénonciations pour des motifs mineurs qui constituent
la trame essentielle de l'activité des comités de surveillance
(essentiellement entorses au maximum, trafic de pois à
Traversonne, faucille vendue au dessus du maximum par un
maréchal à Champigny), L. Bellec, pour le seul Tribunal criminel
de la Vienne a relevé 76 procès partis de dénonciations venant de
municipalités, comités de surveillance mais aussi particuliers
accusant les citoyens de la commune le plus souvent pour   propos
inciviques. La fréquence réelle de ces dénonciations reste à
définir ; mais elle constitue un élément essentiel du climat de l'an
II.
21Il faut ajouter, comme l'a bien montré V. Gabard que beaucoup
de ces affaires ressemblent à des règlements de comptes locaux
qui renvoient probablement à de vieilles haines entre familles,
entre clans. Dans ce climat où les dénonciations sont érigées en
vertu civique, il est tentant de régler de vieux comptes. Et on voit
ainsi le village se déchirer en deux camps ; à Sanxay, à Bonneuil-
Matours, à Gouex les accusés dénoncés par leurs concitoyens sont
défendus par d'autres et on assiste à de véritables batailles de
pétitions. Le maire de Gouex, Porché est ainsi accusé par le
comité de surveillance local, d'avoir proféré des propos inciviques,
de s'être réjoui de l'avancée des Vendéens ; mais il est défendu
par une dizaine de citoyens affirmant qu'“ il est bon républicain et
qu'il a fait son devoir”. Clivages politiques et rivalités personnelles
sont ici étroitement mêlés.
 25 Arch. dép. Vienne, dépôt 191.

22Les problèmes religieux mobilisent assez peu les municipalités


(3,8 % des délibérations, 2 ou 3 par commune en moyenne) avec
quelques rares abdications de prêtres et surtout l'organisation des
cultes républicains nouveaux (installation de temples de la Raison,
fêtes républicaines) ; mais on se contente dans l'ensemble de
suivre les directives venues d'en haut en adoptant le langage du
temps comme à Mauprévoir où  l'église, “temple du fanatisme, de
l'erreur et des préjugés devait être consacrée pour tenir des
séances populaires d'instruction et de bien public et ne portera
d'autre nom que le Temple de la Raison ”25 A côté, les registres de
certaines municipalités sont totalement muets sur ces problèmes
(à Bonnes par exemple), forme de désintérêt ou de possible
réprobation vis-à-vis de la politique déchristianisatrice. Il faut
aller chercher les tirades déchristianisatrices du côté des sociétés
populaires rurales comme celle de Vouneuil : 9 des 18 séances y
sont consacrées à des discours anti-cléricaux et à la célébration
des nouveaux cultes. C'est là, dans les communes dotées de
sociétés populaires que la révolution culturelle de l'an II s'est
réellement fait sentir avec à Vouneuil le bûcher des “emblèmes de
l'erreur et du fanatisme” à la porte de l'église, la mise en place du
culte de l'Etre Suprême, etc….
23C'est aussi dans les registres de sociétés populaires qu'on
trouve les traces de l'irruption du langage politique “terroriste” ; la
“langue de bois” des adresses envoyées à la Convention, la
phraséologie à la fois violente et sentimentale de l'an II ne
touchent pas la prose des municipalités ou même des comités de
surveillance ; par contre elle fleurit à la société populaire de
Vouneuil, touchant (avec quel effet ?) une bonne partie de la
population, celle qui assiste aux réunions organisées le décadi.
24Au total, la Terreur a profondément modifié la vie des ruraux :
les registres de délibérations municipales sont à cet égard
édifiants. La cascade des réquisitions, des levées d'hommes
représente plus de la moitié des délibérations ; si on y ajoute ce
qui concerne les suspects, les affaires religieuses, différentes
mesures révolutionnaires, ce sont plus des trois-quarts des
délibérations qui sont consacrées aux exigences de la politique de
salut public, preuve de la mainmise du pouvoir central sur la vie
des communes. Par contre, tout ce qui concerne la répression, les
suspects, la déchristianisation, bref les formes dures de la
Terreur, ne pénètre que très inégalement les campagnes. Ici
l'existence d'une société populaire, relayée par un comité de
surveillance paraît décisive pour enclencher bon gré mal gré la
dynamique de l'an II.
LES RÉACTIONS A LA
TERREUR
25Il est difficile de saisir des réactions réelles des ruraux face à la
Terreur ; la crainte, le langage codifié de l'an II brouillent tout.
Dans ce climat, les ruraux ont compris qu'il fallait sauvegarder les
apparences, faire semblant. Les séances d'épuration factices à
Mauprévoir, Nouaillé, à la suite desquelles tous les   épurés sont
réélus triompalement, la transformation des procureurs en agents
nationaux, la création de nombreux comités de surveillance
relèvent de ce processus de prudence tactique. Un certain nombre
de fêtes civiques perçues comme obligatoires, à l'image des fêtes
de l'Etre suprême illustrent aussi les limites de l'adhésion où le
conformisme et l'alignement l'emportent sûrement sur
l'enthousiasme.
 26 Voir notamment les analyses et les textes publiés par R. PETIT, Les
arbres de la liberté h Poitier  (...)

26Il ne faut pas pour autant gommer l'élan révolutionnaire ; il se


manifeste clairement à travers certaines fêtes au premier rang
desquelles le “brûlement des papiers féodaux”, très populaire, les
plantations d'arbres de la liberté26 ou bien les célébrations
patriotiques.
 27 Arch. dép. Vienne, dépôt 48.

27Mais le trait dominant nous paraît être diverses formes de


résistance où la passivité, la mauvaise volonté, la fraude plus ou
moins déguisée l'emportent. Cette résistance larvée s'exprime à
merveille à propos des réquisitions on ne peut plus impopulaires
dans le monde paysan. Très vite les municipalités traînent les
pieds ; celles de Bonnes, très patriote jusqu'à l'automne, fait tout
pour ne pas livrer ses quota, gémit que “ la commune était sur le
point de manquer de bled pour sa nourriture ”27 ; cette attitude où
la municipalité prend la défense de la communauté, se retrouve à
partir de l'automne à propos des levées de conscrits et surtout
des réfractaires et déserteurs. Là encore, les édiles de Bonnes ne
poursuivent que très mollement leurs jeunes gens concernés et il
faut la venue d'un détachement de gendarmerie pour régler
temporairement le problème.
 28 Arch. dép. Vienne, L 454, comité de surveillance de Champigny le Sec.

 29 Bibl. mun. Poitiers, S 35.

 30 Lettre d'Ingrand, 5 mars 1794, Bibl. mun. Poitiers, Β 6.

28En ce qui concerne le maximum et les questions religieuses, les


autorités n'osent pas intervenir en faveur de leurs concitoyens.
Elles appliquent ou font semblant d'appliquer la loi. Par contre la
fraude individuelle prend une ampleur incontrôlée même si elle
est parfois traquée par les comités de surveillance les plus zélés
ou des voisins jaloux. Enfin en matière religieuse et culturelle, on
peut mettre l'accent sur deux formes de résistances : c'est d'abord
la non-application qui paraît générale du nouveau calendrier et
surtout du décadi ; tous les comités de surveillance tonnent
contre “la majeure partie des habitants qui ne cessent d'observer
les ci-devants dimanches et fetes”28, tandis qu'on continue à
travailler les décadis. Et jamais le décadi ne pourra triompher du
ci-devant dimanche. La résistance va plus loin, dans les paroisses
les plus isolées semble-t-il, sans sociétés populaires ni comités
de surveillance, avec la reprise très rapide du culte catholique qui
n'avait jamais été interdit légalement, exercé par des prêtres
constitutionnels. La municipalité de Marnay dénonce ainsi les
“fanatiques qui continuent à prêcher avec succès à Andillé, Gizay;
La Villedieu29, la société populaire de Vouneuil une série de
prêtres “qui disaient comme par le passé des messes, vêpres et
confessions” et le représentant Ingrand affirme même, sans doute
avec quelque exagération que “les églises de campagne” ont un
peu partout rouvert leurs portes30.
29La Terreur ne doit pas se résumer à une chape de plomb qui
s'abbat brutalement et uniformément sur les campagnes. En
théorie certes, les pouvoirs locaux sont pris dans un système
marqué par une centralisation à outrance, renforcé par le réseau
des comités de surveillance et des sociétés populaires. Mais cette
Terreur imposée d'en haut va toucher très inégalement les
campagnes et de façon amortie.
30D'un côté, il semble que dans la majorité des communes, la
Terreur se manifeste concrètement surtout par les levées
d'hommes et la cascade des réquisitions. Les pouvoirs locaux, les
municipalités, ne peuvent qu'obéir en essayant de concilier un
patriotisme réel (en 1793 surtout) et les intérêts de la
communauté. Pour le reste, faute de véritables relais “terroristes”,
on fait semblant, on laisse passer la tourmente, phénomène
manifeste pour les mesures déchristianisatrices de l'an II.
31Ailleurs, lorsque la commune, par la grâce de quelques militants
convaincus se dote d'un comité de surveillance qui prend sa tâche
au sérieux et surtout d'une société populaire, la Terreur a trouvé
ses artisans et ses relais. Par conviction, par mimétisme, mais
aussi par volonté de pouvoir et pour régler de vieux comptes
locaux, les “terroristes” ruraux font tourner la machine répressive
avec son lot (limité) de suspects et la révolution déchristianisatrice
peut toucher le village. Ces deux pôles définis, reste à
cartographier une géographie politique de la Terreur rurale, tâche
complexe mais passionnante. Au total, on peut parler de choc
traumatisant et déstabilisant pour les campagnes avec le service
militaire, les réquisitions, la déchristianisation, autant d'irruptions
brutales de l'État dans la vie quotidienne. Mais ce choc est
largement amorti par les résistances traditionnelles que sait
mettre en œuvre le monde rural face aux offensives du pouvoir
central et de la ville.
NOTES
1 Une trentaine de registres déposés aux archives départementales de
la Vienne (dépôts)

2 Arch. dép. Vienne, principalement L 453-455. Analyse complète dans


V. GABARD,  Les comités de surveillance dans la Vienne, mémoire de
maîtrise, Poitiers, 1993.

3 Celle de Vouneuil sur Vienne surtout, arch. dép. Vienne, L suppl. 63.

4 Voir sur ce département, R. DOUCET,  L'esprit public dans le


département de la Vienne pendant la Révolution, Poitiers, 1908,
Marquis DE ROUX, Histoire religieuse de la Révolution à Poitiers et dans
la Vienne, 1951, J. PERET,  La Terreur et la guerre. Poitevins, Charentais
et Vendéens de l'an II, 1993.

5 C. ALLEN,  François-Pierre Ingrand, représentant en mission dans la


Vienne, Mémoire de maîtrise, Poitiers, 1993.

6 C. ALLEN,  op. cit., chap. 3 et 4.

7 Idem, chap. 4.

8 V. GABARD,  Les comités de surveillance de la Vienne, mémoire de


maîtrise, Poitiers, 1993.

9 Arch. dép. Vienne, L 454.

10 Reg. de délibér. munic., arch. dép. Vienne, dépôt 48 et L 450.

11 Registres de la société populaire de Vouneuil sur Vienne, arch. dép.


Vienne, L supp. 63.

12 Registres de la société populaire de Loudun, arch. dép. Vienne, L


supp. 1.
13 Reg. délibér. mun. Poligny, arch. dép. Vienne, dépôt 93.

14 Arch. dép. Vienne, dépôt 48.

15 S. ALLERIT,  La Révolution à Neuville et dans son canton, mémoire de


maîtrise, Poitiers, 1989, chap. IV.

16 Comme l'a fort bien montré A. MONGELLA, dans son mémoire de


maîtrise, La municipalité de Poitiers pendant la Terreur, Poitiers, 1993,
avec une véritable “sans-culottisation” de la municipalité de Poitiers en
l'an II.

17 Mémoire de maîtrise  op. cit. et arch. dép. Vienne L 454-455.

18 J. PERET,  La Terreur et la guerre…, p. 167-179 et “Un réseau urbain


politique : les sociétés révolutionnaires dans le Centre-Ouest”,
Colloque  Les réseaux urbains dans le Centre-Ouest, 1993.

19 Arch. dép. Vienne, L supp. 63.

20 Prahecq, Vouzailles, Bonnes et Mauprévoir. in J.  PERET,  La Terreur et


la guerre…, p. 161.

21 Arch. dép. Vienne. L. 450.

22 J. PERET,  La Terreur et la guerre…, chap. III et “La guerre des Bleus.


Poitevins et Charentais face à la Vendée”, Colloque  Guerre et
répression  : la Vendée et le monde, 1993.

23 Arch. dép. Vienne, L 454.

24 L. BELLEC,  Le Tribunal criminel de la Vienne pendant la


terreur, Mémoire de maîtrise, Poitiers, 1988.

25 Arch. dép. Vienne, dépôt 191.

26 Voir notamment les analyses et les textes publiés par R. PETIT,  Les
arbres de la liberté h Poitiers et dans la Vienne, Poitiers, 1989.

27 Arch. dép. Vienne, dépôt 48.


28 Arch. dép. Vienne, L 454, comité de surveillance de Champigny le
Sec.

29 Bibl. mun. Poitiers, S 35.

30 Lettre d'Ingrand, 5 mars 1794, Bibl. mun. Poitiers, Β 6.

TABLE DES ILLUSTRATIONS

URL http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/14312/img-1.jpg

Fichie
image/jpeg, 158k
r

AUTEUR
Jacques Péret
Université de Poitiers

Du même auteur

 Le golfe du Saint-Laurent et le Centre-Ouest français, Presses universitaires de Rennes,


2010
 Terres marines, Presses universitaires de Rennes, 2006
 Dominique Guillemet, l’historien in Terres marines, Presses universitaires de Rennes, 2006
Débat
p. 293-294

TEXTE

TEXTE INTÉGRAL

Jeudi matin
1D'emblée, J.-P. JESSENNE souligne le contraste entre la période
89-90 évoquée la veille, où l'on assistait à une sorte
d'homogénéisation du pouvoir local, désormais élu et organisé de
façon identique aux trois niveaux qui le composent, et la période
93-94 aboutissant à une superposition d'instances nouvelles
surtout au niveau des municipalités désormais surveillées par les
sociétés populaires et les comités de surveillance auxquels
s'adressent directement les représentants en mission. Il y a donc
éclatement du pouvoir à la base accompagné de l'élimination des
notables mais aboutissant aussi à réactiver des luttes de clan. Il
demande à J. BERNET la nature des relations entre Sociétés
populaires et Comités de surveillance, à M. BRACONNIER si les
représentants en mission ne suspectent pas, a priori, les pouvoirs
locaux légalement mis en place et à J.  BERNET si, dans la Vienne,
on peut observer comme dans le Pas-de-Calais une coloration
sociale croissante de la politique des représentants en mission ?

2J. BERNET constate que le triptyque est de règle (municipalité,


société, comité), mais il ne fonctionne véritablement que dans les
villes, même modestes, jusqu'au chef-lieu de canton ; ailleurs,
dans les simples paroisses, son existence est plus aléatoire,
formelle, car les trois instances sont composées des mêmes
individus et on n'agit guère. Dans le vignoble, il est probable que
les confréries de vignerons ont facilité la création des sociétés
populaires ou se sont confondues avec elles.
3M. BRACONNIER répond qu'effectivement les prises de position de
certaines administrations en faveur des Girondins ont rendu
suspects les étages supérieurs de la pyramide administrative du
département concerné.

4J. PERRET constate que les représentants ont surtout été


préoccupés par les levées d'hommes, leur organisation, la
proximité de la Vendée mais que les lois de Ventose n'ont
mobilisé personne.

5M. CROOK se demande si les sociétés populaires ont joué un rôle


électoral ? J. BERNET l'affirme pour les villes mais on n'en peut rien
dire pour les campagnes.

6S. BIANCHI voudrait que l'on esquisse un bilan de la Terreur dans


la Vienne, s'interroge sur un possible changement d'attitude des
représentants après les décrets de Frimaire, sur la possibilité d'un
véritable débat idéologique dans les campagnes et si le mot
Terreur n'est pas excessif pour caractériser ce qui se passe tant
en Champagne que dans la Vienne ?

7J. PERRET avance le chiffre de 30 exécutions pour la Vienne,et si


le mot Terreur est peut-être excessif globalement, il y a des
paroxysmes locaux qui signifient une menace potentielle évidente
et d'ailleurs le mot lui-même est employé. Pour J. BERNET ce mot
est peut-être excessif car le sang ne coule pas en permanence,
pourtant la politique de déchristianisation est très mal perçue par
les populations et l'on reparle de martyrs. C'est le plus souvent
l'assemblée générale des habitants qui prend le nom de société
populaire et l'on parle parfois de "secte" à son propos.

8C. LUCAS se demande si l'on ne postule pas une vision trop rigide


des pratiques terroristes qui sont évidemment liées aux
circonstances et aux hommes.
9D. LIGOU rappelle que Couthon n'était pas le seul représentant
envoyé dans le Puy-de-Dôme et qu'il faudrait parler de Romme
également. Il estime que la filiation entre sociétés populaires et
loges maçonniques est tout à fait exceptionnelles et reste
persuadé, par l'exemple du Lot, que les sociétés populaires au
fond des campagnes sont une aimable fumisterie. Les paysans
traînent les pieds, comme plus récemment devant les réquisitions
de Vichy, mais ce n'est même pas vraiment de l'anti-révolution
plutôt quelque chose comme de “l'a-révolution”.

10Pour E. TOSCAS ce colloque pose le problème des rapports entre


la logique d'État et la logique locale. Apparemment la logique
d'État a les moyens de s'imposer mais en réalité la logique locale
contamine les représentants de la logique d'État. En Catalogne, les
coalitions politiques locales incarnées par des clans sont
présentes dans toutes les institutions et donc derrière l'apparence
de l'appareil d'État, il y a l'essentiel, c'est-à-dire les parentèles et
les clientèles. Giovanni Levi nous a suffisamment averti de la
permanence de ces structures.
La justice de paix, un pouvoir
local nouveau : éléments de
recherche à travers
l'exemple de deux cantons de
l'Allier
Claude Coquard et Claude Durand-Coquard

p. 297-323

TEXTE NOTES AUTEURS

TEXTE INTÉGRAL
 1 Le 24 mars 1790, Thouret dans son discours à la Constituante sur la
réorganisation du pouvoir judi (...)

1On peut brièvement résumer là triple fonction de la justice de


paix telle que la définit le décret des 16 et 24 août 1790 : une
justice civile pour les causes de faible valeur; une justice
gracieuse pour dresser des actes concernant la famille ou
l'individu; un bureau de conciliation entre particuliers1.
2On semble être ici à l'écart des mouvances de la Révolution.
Qu'en est-il exactement ? La Révolution en cours, ses grands
textes législatifs et les divers changements qui alors bouleversent
la France ont-ils un écho dans les minutes des juges de paix de
province ?
3Telle est l'une des questions à laquelle on peut essayer de
répondre par l'analyse des actes de deux cantons ruraux mitoyens
du sud de l'Allier : Bellenaves et Ébreuil (ils seront regroupés en
un seul, Ébreuil devenant le chef-lieu commun en l'an X). Pour
Bellenaves on dispose d'un corpus ininterrompu de Janvier 1791 à
la fin de l'an VI (septembre 1798) ; pour Ébreuil les actes de l'an III
et tous ceux du bureau de conciliation manquent. Néanmoins, on
est en présence d'un corpus exceptionnellement complet, au
moins pour le département de l'Allier. Il représente un ensemble
de 2 563 actes (1 955 pour Bellenaves et 608 pour Ébreuil).

1. L'APPLICATION DES
TEXTES DE LOI DANS LES
MINUTES DE LA JUSTICE DE
PAIX
4La première partie de la communication présente le bilan actuel
de l'application des textes législatifs évoqués dans les actes de
cette juridiction.
5Ces textes ont été regroupés en plusieurs thèmes suivant qu'ils
concernent :
1. l'évolution du pouvoir des juges de paix
2. la relation au passé
3. l'agriculture et les échanges
4. la finance et la monnaie
5. la politique
6. la famille

1.1. L'ÉVOLUTION DU POUVOIR DES


JUGES DE PAIX
6La loi du 16/24 août 1790, mise en application rapidement (les
premières minutes de Bellenaves et d'Ébreuil sont datées
respectivement des 9 et 5 janvier 1791), est vite et souvent
complétée par d'autres textes qui ne cessent d'étendre la
compétence des juges. D'autre part, le juge lui-même procède,
quand il est nécessaire, à un rappel de la limitation juridique de
leur application.
1.1.1. Extension de la compétence des juges de
paix
1.1.1.1. La loi du 19/21 juillet 1791
7Elle organise la “police municipale et correctionnelle”, ouvrant
ainsi au juge de paix la porte de la justice pénale. Il est
successivement chargé d'appliquer des dispositions :
 Du Code de Police Correctionnelle voté le 22 Juillet 1791  : la
première affaire de ce type est traitée à Ébreuil le 1  décembre
er

1792, soit plus de 16 mois après la promulgation de la loi.


 De la loi du 16/29 septembre 1791 par laquelle le juge de paix
est chargé d'effectuer une instruction préparatoire des crimes
et délits qui seront traités par le tribunal criminel du
département. Aucun texte du corpus ne montre que les juges
de nos cantons aient eu à assumer cette fonction 2.
 Du décret concernant les biens et usages ruraux et la police
rurale du  28 septembre 1791. La première application de ce
texte dans le corpus est postérieure de près d'un an à sa
promulgation : ce n'est que le 27 août 1792 que le juge de
Bellenaves le mentionne.
 Du Code des délits et des peines du 3 brumaire an IV
(25 octobre 1795) par lequel les juges de paix sont
“considérés comme officiers de police judiciaire”3. Sa première
application date du 11 juin 1796 (28 prairial an IV) à Ébreuil; là
encore, la première utilisation n'a été faite que plus de six
mois après la promulgation. Il semble que les textes
concernant la justice pénale nécessitent un délai de mise en
œuvre plus long que ceux qui concernent la justice civile, la
justice gracieuse ou le bureau de conciliation. Mais peut-être
n'y avait-il simplement pas matière à les appliquer avant.

8En dehors de ces textes fondamentaux, citons quelques


nouveaux pouvoirs conférés au juge de paix :
1.1.1.2. La loi du 20 septembre 1792
 4 Titre III art.9 à 13

9Elle les charge, en cas d'exposition d'enfant de “ se rendre sur les


lieux de l'exposition, de dresser procès-verbal de l'état de
l'enfant…”4. Cette fonction devait déjà être implicite puisque à
Bellenaves le premier acte mentionnant une exposition est
antérieur : il date du 6 avril 1792.

1.1.1.3. Les serments


10Par ailleurs les minutes montrent que, bien au-delà des
serments de curateurs prévus par la loi fondatrice, les juges sont
habilités à en recevoir de toutes sortes : déclaration de grossesse,
attestation d'état civil — naissances et décès — lorsque les
registres ont été perdus ou n'ont pas été tenus, serment de
gardes de l'administration communale ou privée.

1.1.2. L'application limitée de cette compétence


11Par ailleurs si la loi élargit sans cesse leurs tâches, les juges s'en
servent pour rappeler les limites de leurs pouvoirs :

1.1.2.1. Les sommes en jeu sont trop importantes


12Par exemple, à Bellenaves, le juge est saisi pour des affaires
dépassant 100 livres dès le mois d'août 1792 ; cette situation se
retrouve souvent.

1.1.2.2. Biens immobiliers


13Les litiges sur les propriétés sont renvoyés au pétitoire

1.1.2.3. Hiérarchie des juridictions


14Les affaires qui font déjà l'objet d'un jugement rendu ou en
cours au tribunal du district ou à celui du département sont
toujours écartées par le juge de paix.
15La justice de paix créée pour répondre à un vœu du peuple
semble lui donner satisfaction, puisque le législateur
révolutionnaire ne cesse d'en accroître les pouvoirs.

1.2. LA RELATION AU PASSÉ


16Celui-ci, récent ou plus ancien, est évoqué à plusieurs reprises.

1.2.1. Les justices seigneuriales


17Quelques minutes renvoient aux anciennes structures
judiciaires : sont cités en 1791, par exemple, un jugement rendu
en 1773 par la “chatellenie de Boënat” et un autre du 5 mars 1789
émanant de la sénéchaussée de Moulins.

1.2.2. La Coutume
18La coutume est mentionnée plusieurs fois, jusqu'en 1796, le
plus souvent à propos de questions relatives à l'âge des majorités
et aux communautés qui sont traitées suivant la “coutume orale
de cette ville d'Ébreuil” ou “la coutume du Bourbonnais”. Cette
dernière est également citée à l'occasion d'un droit de passage
réclamé pour effectuer des réparations.

1.2.3. Les droits seigneuriaux


19Les droits seigneuriaux, et surtout leur abolition, font l'objet de
plusieurs actions en justice de paix. Citons par exemple un texte
de mars 1797 dans lequel un propriétaire réclame que le
défendeur soit condamné pour avoir “pêché avec une sentine le
long de ses propriétés”. Il est débouté, le juge “ considérant que le
droit de pêche est un droit féodal aboli comme tous les autres,
que si la demande du Sieur Quentin était admise, elle tendrait à
faire revivre ce régime justement exécré des français; considérant
que la Convention Nationale, par ses décrets d'ordre du jour en
date des six et trente juillet 1793 relatif à l'abolition des droits
exclusif de pêche, n'a nullement autorisé les propriétaires
riverains à pêcher exclusivement à tout autre; considérant que si
les propriétés privées sont sacrées, les propriétés de droit
commun ne le sont pas moins; considérant que les eaux ont été
déclarées par la loi du 6 octobre 1795 ne faire la propriété
exclusive de qui que ce soit… ” Survivance de l'ancien droit pour le
propriétaire et prise en compte de l'abolition et de la nouvelle
réglementation par le juge, ce texte est caractéristique des
problèmes locaux que les lois de la Révolution ont pu soulever
dans le monde rural.

1.2.4. La dîme
 5 Michel VOVELLE,  La Découverte de la Politique, Éd. La Découverte,
Paris, 1993, p. 76

 6 Serge ABERDAM et Marie-Claude ALHAMCHARI, “Revendications


métayères : du droit à l'égalité au droi (...)

20Le paiement de la dîme est aussi objet de litiges. Légalement


elle est supprimée début 1790, mais, comme le note M.
Vovelle5 certaines “clauses autorisaient le propriétaire à continuer
à inclure ce prélèvement au rang des redevances dues par ces
contrats de métayage, tacitement reconduits ”. Ainsi, en 17926 un
fermier est “condamné…à. payer au dit sieur Chapelle la dîme de
la présente année des blés recueillis dans les dits biens… ” et ce
parce que “le sieur Chapelle avait affermé les dits biens
antérieurement à l'époque des décrets de l'assemblée nationale
qui a aboli les dîmes…” Par contre, en 1796, un autre fermier n'a
pas à la payer “ayant égard que le dit bail est passé
postérieurement au décret qui anéantit la dîme”.
21Anciennes juridictions, coutumes, droits féodaux sont encore
présents dans les minutes de la justice de paix  : les traces du
passé existent, mais le nombre d'actes où on les trouve est
relativement faible, puisque sur l'ensemble du corpus il ne
dépasse pas la vingtaine.

1.3. LOIS RELATIVES À


L'AGRICULTURE ET AUX
ÉCHANGES DE PRODUITS
AGRICOLES
22On distinguera ici les minutes qui se réfèrent aux lois qui
concernent les problèmes agricoles en général et celles,
conjoncturelles, qui relèvent directement des évènements
révolutionnaires.

1.3.1. Lois agricoles à caractère général


1.3.1.1. Le Code rural du 28 septembre 1791
 7 Titre II, articles 36 et 37

 8 Titre II, articles 34 et 35

 9 Titre I, section 4, article 14; Titre II, articles 18, 24, 26, 28.

23Il est très fréquemment mentionné, notamment pour les vols de


bois7 (23 textes; le premier date du 9 octobre 1792) et de
produits de la terre8 (4 textes; le premier date du 8 octobre
1793), les dégradations de chemins ou de champs faites par les
hommes et surtout les animaux9 (46 textes concernent ces
dernières; le premier est daté du 27 août 1792). Les minutes
concernant les infractions au ban de vendanges se réfèrent a
plusieurs textes : la  loi sur les usages ruraux du 6 octobre
1791, le  code des délits et des peines du 24 octobre 1795  et
la  loi du10 Août 1796 relative à la répression des délits ruraux et
forestiers. Notons que toutes ces lois “répressives” ne font l'objet
d'une application qu'un an environ après leur promulgation.
1.3.1.2. Les lois concernant le métayage
24Les différents entre propriétaires, fermiers, métayers et
locataires ou leurs fondés de pouvoir sont très fréquents. Ils
représentent exactement 10 % des actes du corpus (256 sur
2563). Les lois élaborées par la Convention et le Directoire y sont
souvent citées avec précision, en particulier :
 La loi du 4 avril 1795 (15 germinal an III)10, connue sous le
nom de “décret sur les baux à cheptel” est évoquée dans un
conflit dès le 3 juillet, 3 mois après qu'elle a été votée. Elle est
favorable aux propriétaires qui sont toujours les demandeurs
dans les affaires où elle est citée.
 La loi du 20 juillet 1795 (2 thermidor an III)  qui précise que “le
paiement (de la contribution foncière) sera fait, moitié en
assignats, valeur nominale, moitié en grains effectif…”11 et
que “Les fermiers des biens ruraux et moulins à grains dont le
prix des baux est stipulé en argent seront tenus d'avancer et
conduire la dite moitié payable en nature, qu'ils soient ou non
chargés des contributions”12 soulève aussi de lourdes et
rapides difficultés. En effet, le texte précise : “La moitié
payable en nature sera acquittée en grains de bonne qualité au
plus tard dans les mois de brumaire et frimaire”13 (novembre
et décembre 1795) ; or la première action intentée au nom de
cette loi date du 16 janvier 1796; deux autres suivent,
toujours en janvier. Là encore ce sont toujours les
propriétaires qui sont demandeurs.
 La loi du 4 septembre 1796 (18 fructidor an IV), qui annule en
partie la précédente, en rétablissant le paiement en numéraire
métallique de “l'arriéré  des sommes stipulées par les baux,
soit d'une, soit de plusieurs années pour fermages ”14 est prise
en compte dès le 28 novembre 1796.
 La loi du 29 octobre 1797 (8 brumaire an VI) qui ajuste la
valeur des baux passé de 1792 à 1794 est aussi appliquée dès
le 4 décembre.
1.3.2. Lois à caractère conjoncturel concernant
l'agriculture
1.3.2.1. Lois concernant le partage des biens
communaux  :
 15 VOVELLE M.,  op. cit., p.77.

25“Le problème des communaux traverse de part en part la


décennie révolutionnaire, avec d'autant plus d'insistance qu'il était
déjà au cœur des conflits entre paysans et seigneurs ”. Cette
phrase extraite du livre déjà cité de M. Vovelle 15 trouve dans le
corpus étudié une bonne illustration : en 1792, 7 habitants de
Nades sont cités à comparaître devant le juge de paix par le fondé
de pouvoir d'un ancien seigneur habitant Paris. Ils sont accusés
d'avoir “coupé et enlevé une haie vive d'un pré ” et d'“avoir fait
manger la seconde herbe du dit pré par leurs bestiaux ”. Ils se
défendent : “le dit pré ayant été pris par le seigneur de Nades
connu comme communal et se l'était mal à propos approprié pour
en faire un revenu à ses gardes”.
 La loi autorisant le partage des communaux est votée le 5 juin
1793. Dès le mois de novembre le juge est saisi de différents
au sujet de l'attribution des terres. Les limites entre les
nouvelles propriétés sont souvent objet de litige, ainsi que
parfois l'utilisation qui en est faite. Ainsi en avril 1796, un
meunier porte plainte contre le nouveau possesseur d'un
communal : celui-ci a détourné le cours d'eau qui alimentait
son moulin et il ne peut plus travailler; mais comme il n'avait
qu'une servitude sur le pré en question il est débouté en
application des articles 8 et 9 de la loi de 1793.
 La loi du 9 juin 1796 (21 prairial an IV) suspend les effets de la
loi précédente :
 art. 1er “Il est sursis provisoirement à toutes actions et poursuites
résultant de l'exécution de la loi du 10 juin 1793 sur le partage
des biens communaux”.
 art. 2 “Sont provisoirement maintenus dans leur jouissance tous
possesseurs actuels des dits terrains”. Désormais, le juge
suspend donc les actions; la première application de cette loi
date du mois d'octobre 1796.

1.3.2.2. Les lois du Maximum du 4 mai et du 9 septembre


1793
26Elles sont évoquées à partir du mois d'août 94 : à Bellenaves,
notamment, le prix des produits dûs est toujours référé, quand il
y a contestation, à la loi du maximum de l'époque où a eu lieu la
vente.

1.3.2.3. La loi sur le transport illicite des grains, du 11


septembre 1793
 16 Article 6 de la section 2.

27Elle prévoit que “le propriétaire de grains ou farine qui ne


prendront point d'acquis à caution, outre la confiscation des
voitures, chevaux, grains ou farine qu'ils auront encourue, seront
condamnés en mille livres d'amende payables par corps comme
délit national, applicable moitié aux dénonciateurs, moitié à la
municipalité du lieu où les grains ou farines auront
été arrêtés”.16 Curieusement, le cas ne se présente qu'à
Bellenaves, et au cours de la seule année 1794 ; à 8 reprises des
délinquants sont dénoncés et jugés entre le 24 février et le 9
décembre 1794. Toujours la loi est appliquée dans toute sa
rigueur.
28Le juge de paix est un donc un personnage important dans la
mise en œuvre des textes révolutionnaires qui concernent
l'agriculture; en général, dans la mesure où les affaires
correspondantes viennent en justice, les nouveaux textes sont
appliqués rapidement  : quelques mois au plus suffisent.

1.4. LES FINANCES


1.4.1. Les contributions
29Les impôts sont souvent l'objet de litiges; presque toujours ce
sont des propriétaires qui réclament à leurs métayers la part
d'impôts qui leur revient et que ceux-ci n'ont pas payée, souvent
depuis plusieurs années. On compte 21 demandes de ce type
dans le corpus. Ainsi, le 1  octobre 1793 à Bellenaves, il est
er

réclamé “l'arrérager d'imposition de la culture du domaine qu'il


cultivait des demandeurs des ans 1791 et 1792 et les 2/3 de la
présente année conformément à la loi”. Cette dernière n'est jamais
citée avec plus de précision. Dans ce cadre, en 1797, à Ébreuil, un
meunier qui conteste l'imposition est condamné “considérant
qu'on ne saurait trop hâter le paiement des contributions de la
République…”

1.4.2. Les cours des monnaies


30La question des assignats et de leur dévaluation est aussi
évoquée, surtout à partir de 1796 où les modes de paiement sont
précisés. Les dettes sont à rembourser “en assignats et à charge
d'en faire la réduction suivant la loi”, il s'agit de “l'échelle de
proportion” établie par la Convention les 21 juin et 20 juillet 1795
(3 messidor et 2 thermidor an III). Le premier texte dans lequel
elle est nommément citée est assez tardif puisqu'il date du 28
novembre 1796. Par contre, à partir de ce moment elle est sans
cesse appliquée. Un jugement prononcé à Ébreuil le 17 avril 1798,
met bien en évidence la chute de la monnaie : un cultivateur
réclame le paiement de “la somme de 21 francs à laquelle se
réduit celle de 30 francs assignats prêtée en mai 1792” et “celle
de 69 francs à laquelle se réduit celle de 210 francs prêtée en
messidor l'an II (juin 1794), le tout suivant l'échelle de
dépréciation du papier monnaie de ce département ” : par rapport
à 1792, la perte de valeur est de 30 %; par rapport à 1794 elle est
de plus de 67 %.
1.5. LA POLITIQUE
31Les lois à caractère politique sont bien sûr peu présentes dans
les minutes de la justice de paix. Cependant on en trouve
quelques unes.

1.5.1. Les biens des émigrés


32La saisie des biens des émigrés est évoquée en novembre 1792
à Ébreuil : “Marc Antoine Marcellanges possédant tous les biens
qu'il avait recueillis de la succession du dit sieur
Marcellanges..étant présumé émigré, la nation aurait fait saisir
tous les biens et les fait admi-nistrer… mais il reste un héritier
sourd-muet…”. Ces biens sont à nouveau mentionnés à l'occasion
de la vente qui en est faite au mois de décembre 1793 : l'ancien
fermier demande “dans son intérêt” qu'il soit procédé à l'expertise
des bestiaux d'une locaterie.

1.5.2. Le service aux armées


33Des questions posées par les volontaires et les soldats sont
traitées par le juge de paix :
34Pour préserver les droits des “volontaires aux armées” dont le
père décède il doit faire l'inventaire des biens du défunt et y
apposer les scellés : le corpus comprend plusieurs actes de ce
type.
35Il procède à la reconnaissance d'état civil de personnes pour
qu'elles puissent “se procurer les secours qu'accorde la loi aux
père, mère et parents des défenseurs de la République”.
36Il tranche à propos de sommes payées ou dues pour des
remplaçants, ou pour “l'achat de volontaire”.

1.5.3. Les infractions politiques


37Trois séries de textes mentionnent des infractions politiques :
1.5.3.1.
 17 Après les travaux de L. BIDEAU sur le personnage (“Pierre MOLETTE,
conspirateur royaliste, 1791-18 (...)

38En 1792 il s'agit de l'affaire Molette, un “embaucheur pour les


émigrants” habitant Bellenaves et arrêté à Gannat. Le juge de paix
doit à plusieurs reprises dresser des procès verbaux de pose ou
de levée de scellés17.

1.5.3.2.
39En 1795, 6personnes sont traduites en correctionnelle pour
avoir appelé à la messe en sonnant les cloches, contrevenant ainsi
à l'article 7 de la loi du 21 février 1795 (3 ventôse an III).

1.5.3.3.
40En 1796, ces mêmes cloches sont sonnées “ à l'effet d'attrouper
les habitants…pour les conduire dans un bois et en chasser les
marchands”. “Considérant que les lois défendent de troubler
l'ordre public” le juge condamne les accusés conformément à
l'article 153 du code des délits et des peines.

1.5.4. La vente des biens nationaux


41Notons enfin que la vente des Biens Nationaux n'est
pratiquement jamais évoquée dans les actes de la justice de paix;
une fois seulement, en Juin 1793, une plainte est déposée pour
vol dans une partie de l'auditoire de l'abbaye d'Ébreuil “acquis de
la nation”.

1.6. LES LOIS CONCERNANT LA


FAMILLE
42Dans le cadre de la justice civile comme dans celui de la justice
gracieuse, le juge de paix a très fréquemment à appliquer la
nouvelle législation : il avalise les décisions des conseils de famille
réunis pour les émancipations, tutelles, curatelles, il reçoit les
actes de clôture de communauté, il enregistre les déclarations
concernant les enfants trouvés et les grossesses hors mariage…
Deux problèmes seront étudiés ici avec plus de précision :

1.6.1. Les témoignages


43Deux lois précisent les conditions des témoignages dans les
actes d'état civil :

1.6.1.1. La loi du 20-25 septembre 1792


44Elle donne le droit aux femmes de témoigner. Jamais citée
explicitement, elle n'est guère appliquée. Une femme témoigne
pour la première fois le 15 septembre 1793 (un an après le vote
de la loi), mais elle est en surnombre, et ce sera toujours le cas, à
deux exceptions près en 1797 et 1798 (il y a 26 actes de ce type
dans la période considérée).

1.6.1.2. La loi du 14 septembre 1793


45Elle limite à trois le nombre de témoins nécessaires. Elle est
citée pour la première fois le 20 février 1794 (2 ventôse an II),
mais ce jour-là il y a quand même 4 témoins; le 23 mai il y en a
juste le nombre requis; mais à nouveau 6 sont présents le 25. La
loi semble avoir bien du mal à entrer dans les mœurs.

1.6.2. Les héritages


46La décision prise par la Convention   le 7 mars 1793 (“tous les
descendants ont un droit égal sur les biens de leurs ascendants ”)
et la  loi du 6janvier 1794 (17 nivôse an II), qui la concrétise et a
un effet rétroactif depuis le 14 juillet 1789, suscitent de
nombreuses démarches auprès du juge de paix, et ce dans des
délais très brefs :
 Dès le 22 février 1794, à Ébreuil, un mari réclame le partage
égalitaire entre sa femme et ses deux frères mineurs dont il
est tuteur : “pour y procéder légalement il a besoin de l'avis
d'un conseil de famille…” réuni en présence du juge de paix.
 Un cas identique est traité à Bellenaves le 25 février 1794, puis
le 2 mars, le 9 avril… Dans certains cas il faut aussi prouver
que les parents sont décédés après le 14 juillet 1789 : le 16
mars 1794 des témoins affirment que F. Combemorel était
vivant “le jour de l'alerte des prétendus brigands au
commencement de la révolution, et qu'il n'est décédé que
deux à trois mois après”. Les actions en justice pour appliquer
cette loi sont très nombreuses; les sommes en jeu sont
souvent importantes et c'est une véritable redistribution des
avoirs gros ou petits que révèlent de nombreuses minutes.
Bien sûr, les lois qui ont suivi – 26 août 94 (9 fructidor an III),
24 septembre 94 (3 vendémiaire an IV), 6 janvier 1795 (17
nivôse an IV) – provoquent aussi, et très rapidement, de
nouvelles démarches dont le juge de paix a à connaître.

47On peut provisoirement conclure, à l'issue de cette première


séquence, que les lois explicitement prises en compte dans la
présente étude sont rapidement mises en œuvre
 en matière civile, lorsque des questions d'argent ou de
propriété foncière sont en cause (successions, délimitation de
biens immobiliers, droits personnels…).
 en matière gracieuse, quand leur application touche des
problèmes socio-économiques immédiats (définition de l'état-
civil, année républicaine, émancipations, tutelles, curatelles…)
 en matière pénale, aux moments où des atteintes à la
propriété sont liées à des problèmes frumentaires immédiats
(circulation illicite des grains, réquisition…)18
 sont appliquées avec un retard certain (ou ne sont même pas
appliquées bien qu'évoquées dans les documents) 19
 en matière civile, quand il s'agit de rompre avec des habitudes
séculaires (prégnance de la Coutume, persistance des
habitudes de vie sociale…)
 en matière gracieuse, lorsque les problèmes évoqués devant le
juge de paix n'ont aucun caractère d'urgence (procédures de
témoignage…).
 en matière pénale, quand l'implication politique de
l'application des lois est trop présente, notamment à
Bellenaves (vols de bois, atteintes aux lois agricoles à caractère
général…).

48On peut donc parler d'une application réelle et circonstanciée


des lois par un juge de paix qui, par là, répond bien à la définition
essentielle de sa mission : aider au règlement pacifique des
conflits inter-individuels.

2. DES NOUVEAUTÉS DANS


LA VIE QUOTIDIENNE : LE
CALENDRIER RÉPUBLICAIN.
LE FRANC ET LE CENTIME.
LES NOUVELLES
APPELATIONS DES LIEUX ET
DES INDIVIDUS
49La seconde partie de cette communication concerne trois
aspects des relations entre le pouvoir révolutionnaire et le pouvoir
local que représente la justice de paix :
 l'application du calendrier républicain
 la mise en œuvre des nouvelles unités monétaires
 la dénomination des lieux et des individus.

2.1. L'application du calendrier


républicain20
2.1.1. Dans les incipit des actes de la justice de
paix
2.1.1.1. L'année devient “républicaine”
50Le 22 septembre 1792 (est-il besoin de le rappeler ici ?) la
Convention, après avoir la veille aboli la Royauté, décrète que tous
les actes publics seront désormais “datés de l'An I de la
République française”. Trois jours plus tard, cette dernière est
déclarée “une et indivisible”.
 21 La formule intermédiaire “L'an quatrième de la liberté” puis celle de
“l'an quatrième de la libert (...)

51On constate l'application extrêmement rapide et définitive du


décret du 22 septembre. A Bellenaves, c'est dès le premier
octobre que la formule nouvelle 21 s'inscrit comme élément de
datation du texte. A Ébreuil, dès le 29 septembre 1792, on
applique le décret du pouvoir central. C'est donc sans aucun autre
délai que celui qu'imposent l'édition et le transfert du décret
jusqu'au centre de la France que l'on “obéit” à Paris.
 22 Ce n'est qu'à partir du mois de décembre que, dans la majorité des
cas, on trouve la formulation c (...)

 23 On trouve dans la liasse de Bellenaves de 1794 un procès-verbal


dressé par les officiers municipau (...)

52La mention “une et indivisible” n'apparaît que beaucoup plus


tardivement : le 2 novembre 1793 à Bellenaves et le 20 juillet
1793 (soit trois mois et demi avant Bellenaves) à Ébreuil 22.
L'implication politique de la formule est beaucoup plus importante
que pour la seule référence à la “République française” et explique
sans doute retards et hésitations constatés dans son emploi 23.
 24 Comme pour l'emploi des monnaies, on constate ici la différence qui
existe entre “traduction” (ce (...)
53Le maniement de la nouvelle unité de temps n'est pas
exactement maîtrisé, puisqu'on fera commencer l'an II, à Ébreuil
comme à Bellenaves, dès le 1  janvier de l'année 1793. La force du
er

passé est trop prégnante, sans doute, et l'adaptation trop


complexe, pour les juges comme pour les comparants, après des
siècles d'emploi du calendrier grégorien24.

2.1.1.2. Le 26 octobre 1793 devient le “cinquième jour de


la première décade du deuxième mois de l'an second de la
République française” (acte du juge de paix d'Ébreuil)
 25 On trouve à Ébreuil un acte du 17 octobre 1793 dont l'incipit a été
raturé : on a recouverrt l'anc (...)

 26 “Ce jourd'hui vingt brumaire de la seconde année républicaine”.


“Séance du six frimaire de la prem (...)

54A Bellenaves, le calendrier républicain s'inscrit dans la datation


initiale des actes à partir du 14 novembre 1793, soit trois
semaines après le décret pris par la Convention sur le rapport de
Romme. A Ébreuil, la même application du décret est presque
immédiate, puisqu'on en trouve l'expression dès le 26 octobre
179325. La nouvelle dénomination des mois telle que l'a fait
adopter Fabre d'Églantine au nom du Comité d'Instruction
Publique, se trouve utilisée dès le 10 novembre 1793 à Ébreuil et
à partir du 14 du même mois à Bellenaves26.
 27 On trouve même un acte qui porte, dans son incipit la traduction du
nouveau calendrier : “Audience  (...)

55Si l'emploi du nouveau calendrier est balbutiant 27 pendant les


dernières semaines de 1793, il devient la norme des datations à
partir de janvier 1794.
56Quant à l'emploi des noms de jours (primidi…), il est très peu
fréquent à la fin de l'année 1793 et disparaît pendant le premier
semestre 1794 pour réapparaître dans quelques actes de la fin de
l'An II à Ébreuil.

2.1.2. Dans le corps des textes.


2.1.2.1. Les évènements antérieurs à octobre 1793
57Ils sont tous datés selon le calendrier grégorien. A de rares
exceptions près, dues sans doute à une négligence du secrétaire-
greffier, cet emploi de la datation ancienne s'accompagne
toujours de la formule “vieux style” ou “v.s.” la plupart du temps
mise entre parenthèses.

2.1.2.2. L'emploi du calendrier républicain


 28 Une exception, cependant, concerne des ventes de bois passées entre
août 1794 et janvier 1797 et p (...)

58Il devient systématique à partir de 179428.

2.1.2.3. Une notable exception à cette application des


lois  : les datations des évènements fondamentaux des
rythmes de la vie rurale
59Le 24 juin et, plus fréquemment encore, le 1 1 novembre,
moments essentiels des contrats et des échéances économiques,
sont indiqués dans leur formulation “catholique” : la Saint Jean-
Baptiste et la Saint Martin. Ce n'est qu'à partir de 1796 que le 6
messidor remplace le premier, comme le 21 brumaire se substitue
au second. On trouvera néanmoins encore la date traditionnelle
“la Saint Martin dernière (us.)” le 9 octobre 1797 à Ébreuil, et
même la formule “au jour de la Saint Martin d'hiver dernier (v.s.) ”
dans un acte de la justice de paix de Bellenaves le 12 février 1798
(24 pluviôse an VI). Par ailleurs, on notera au cours de cette
période le maintien, dans ces textes officiels, de quelques
références à certaines foires des bourgs et villes environnants : la
foire de Charnelle est citée trois fois, celle d'Ébreuil quatre fois et
l'on trouve une occurrence pour la foire de Bellenaves et celle de
Montaigut en Combraille.
 29 BIANCHI S.  La Révolution culturelle de l'an II. Coll. “Floréal”, Aubier,
Paris, 1982. BLANCHI S. “(...)

60Cette rapide analyse permet de constater que la datation des


actes de la justice de paix des deux cantons s'effectue très
rapidement selon le nouveau calendrier décidé par le pouvoir
central. Les analyses de S. Bianchi se trouvent ici partiellement
confirmées29  : si le calendrier républicain est scrupuleusement
appliqué jusqu'à la fin de l'an VI par les élus locaux que sont les
juges de paix, il apparaît en filigrane des îlots de résistance quant
à sa réalité vécue au sein des populations rurales, notamment
lorsqu'il s'agit de repères liés aux “comportements économiques
séculaires des paysans”.  Et la déchristianisation, voulue à travers
cette nouvelle écriture du temps sous la Convention et reprise par
le Directoire, ne peut être considérée à l'époque comme
victorieuse que dans sa forme administrative.

2.2. LA MISE EN ŒUVRE DES


NOUVELLES UNITÉS
MONÉTAIRES : LE FRANC ET LE
CENTIME30
 30 On a consulté sur ce sujet :
FANAUD L., “Étude des Poids et Mesures en usage dans la Province du
Bo (...)

61On sait qu'à la suite du décret du 1  août 1793 définissant les


er

bases du système métrique, la Convention imposa comme


obligatoire l'emploi des nouvelles mesures le 7 avril 1795 (13
germinal an III), notamment en matière de monnaies, et définit
enfin, par le texte du 15 août de la même année (28 thermidor an
III), la nature des pièces qui devraient désormais être utilisées
dans toutes les transactions commerciales.
62On distinguera deux situations qui permettent, au sein des
textes étudiés, de cerner, d'une part, la réalité “officielle” du
problème et qui correspond à l'énoncé des   dépens qui sont
infligés aux parties condamnées ou déboutées et, d'autre part, la
réalité “vécue” que l'on trouve dans  l'énoncé des affaires étudiées
par le juge de paix et celui des considérants des jugements qu'il
prononce.
63Dans le cadre de cette distinction méthodologique, on abordera
deux problèmes : celui de  l'apparition du terme et celui de
ses  occurrences à la fin de la période étudiée,  soit l'année 1798,
du 1  janvier au 21 septembre (fin de l'an VI).
er

2.2.1. Le Franc dans les actes de la justice de paix


2.2.1.1. Apparition du terme
• Dans le contenu de l'affaire

64A Bellenaves, c'est le 28 août 1796 (16 fructidor an IV) que le


franc apparaît pour la première fois.
 31 Pour l'ensemble de l'étude, on tiendra compte du (ait que la liasse
ayant contenu les actes de l'a (...)

65A Ebreuil31 on trouve le terme utilisé dès le 8 novembre 1795


(18 brumaire an IV).

• Dans les dépens

66Le franc est cité dans les actes de Bellenaves à partir du 28


novembre 1796 (18 brumaire an V).
67Il apparaît dès le 23 novembre 1795 (3 frimaire an IV) à Ébreuil.
68On peut donc constater que l'application du décret du 7
germinal a connu une réalisation variable selon les juridictions
cantonales (Ébreuil utilisant le terme un an avant qu'il soit
employé à Bellenaves) et que sa mise en écriture est plus tardive
quand il s'agit de l'énoncé des dépens que lorsqu'est évoqué le
contenu même de l'affaire.

2.2.1.2. Les occurrences du terme en 1798


• Dans le contenu de l'affaire

69A Bellenaves, dans 83 textes, on trouve chiffrée l'évaluation de


l'affaire. 13 fois seulement le franc est utilisé (dont 6 fois dans les
trois derniers mois) alors que la livre tournois reste largement
dominante.
70A Ébreuil, le franc est l'unité utilisée dans les 40 affaires
comprenant des évaluations monétaires.

• Dans les dépens

7162 actes portent condamnation à versement de dépens à


Bellenaves. 1 seul d'entre eux est calculé en francs, le 30 avril
1798 (11 floréal an VI).
72A Ébreuil, les 32 condamnations impliquant le versement de
dépens utilisent la nouvelle unité.
73On peut présenter trois remarques de synthèse en ce qui
concerne la mise en œuvre du franc à partir de ce relevé
statistique  :
 Les deux cantons appliquent dans des délais très différents les
décisions de la Convention en ce qui concerne l'emploi de la
nouvelle unité monétaire.
 L'application définitive de la mesure d'unification de la
monnaie n'est évidente, dans ces textes comme peut-être
dans la vie de tous les jours, qu'à partir de la fin de l'année
1798 à Bellenaves, alors que son emploi est, dès 1795,
omniprésent dans les actes de la justice de paix d'Ébreuil.
 Le franc est devenu monnaie courante en 1798, même si,
encore à Bellenaves, les résistances à son emploi demeurent
très vives.

2.2.2. Le Centime dans les actes de la justice de


paix
2.2.2.1. Apparition du terme
• Dans le contenu de l'affaire

74A Bellenaves, la première (et dernière) mention du centime se


trouve, le 3 octobre 1797 (12 vendémiaire an VI), dans un acte
concernant une “vente de pain à la livre”.
75A Ébreuil, un an auparavant, apparaît le terme, le 2 octobre
1796 (11 vendémiaire an V).

• Dans les dépens

76Aucun texte de Bellenaves ne décompte les fractions de francs


en centimes dans l'énoncé des dépens.
77Par contre, à Ébreuil, on en voit pour la première fois l'utilisation
mentionnée dans un acte du 16 juin 1796 (23 prairial an IV).

2.2.2.2. Les occurrences du terme en 1798


• Dans le contenu de l'affaire

78Pour 38 cas où l'on trouve l'utilisation de fractions d'unité


monétaire à Bellenaves, un seul est indiquée en centimes, tous les
autre conservant les dénominations anciennes de sols et de
deniers.
79A Ébreuil, pour 8 mentions identiques, 3 sont portées en
centimes. Il s'agit des textes de la fin de la période, à l'exception
du tout dernier qui présente l'objet de la contestation en Francs et
Sols.
• Dans les dépens

80Aucune des mentions de fractions d'unité n'est calculée en


centimes à Bellenaves.
81A Ébreuil, sur les 32 cas analogues recensés, 23 sont indiqués
en centimes (dont les 22 derniers, à partir 17 avril 1798 (28
germinal an VI)/E 98 031/.
82On peut encore présenter trois remarques de synthèse en ce
qui concerne la mise en application du centime :
 Il existe un important écart dans l'application des décrets et
lois émanant du pouvoir central entre les deux cantons
mitoyens étudiés.
 A la fin de la période, sauf à Ébreuil à partir d'avril 1798,
l'emploi du centime reste minoritaire.
 Un certain écart demeure entre le “vécu” et l'“officiel” en faveur
de ce dernier dans l'utilisation de cette révolution dans le
calcul de l'unité monétaire que représente ici l'application des
nouvelles unités de mesures.

83En forme de conclusion provisoire et partielle, on peut


constater que, parce qu'elle touche aux formes les plus
essentielles de la vie économique quotidienne, cette réforme
révolutionnaire du calcul des sommes d'argent mises en cause
dans ces documents
 se met en place avec lenteur et hésitation jusqu'à la fin de la
période considérée
 présente de grands écarts d'application d'un canton à l'autre,
ceux-ci fussent-ils aussi mitoyens que dans les cas étudiés
 est plus facilement mise en œuvre quand il ne s'agit que de
traduire des termes (de la livre au franc, c'est une traduction
lexicale) que lorsqu'on touche au mode même de calcul des
fractions de l'unité employée (des sols et deniers aux
centimes, c'est une révolution de la pensée)
 interpelle, ici comme ailleurs, la situation linguistique de
l'énoncé, la part de responsabilité des destinateurs et celle des
destinataires ne pouvant donner lieu qu'à des hypothèses qui
demeurent fragiles.

2.3. LA DÉNOMINATION DES LIEUX


ET DES INDIVIDUS32
 32 On a consulté notamment pour cette étude : VIPLE J.,  Le canton
d'Ébreuil pendant D Révolution (178  (...)

 33 Le terme se trouve dans CORNILLON J., o.c., p. 62.

84On n'a pas oublié les activités “anti-religion”33 de Fouché lors


de sa mission à Moulins (23 septembre 1793-3 novembre 1793)
ni le décret du 31 octobre 1793 (10 brumaire an II), un des outils,
avec la mise en œuvre du calendrier républicain de la politique de
déchristianisation menée par le pouvoir central. Les actes des
juges de paix portent témoignage de l'application de cette
politique.

2.3.1. Les appellations des lieux


85On trouve la trace des changements qui s'opèrent à ce niveau
dans deux situations précises :

2.3.1.1. La suppression définitive des bourgs, villes et


paroisses et l'apparition des “communes”
86* A Bellenaves, moins de trois semaines après l'adoption du
décret par la Convention, le juge de paix utilise le terme de
“commune” pour désigner le lieu de domicile et d'activité des
protagonistes des jugements et des procès-verbaux du 19
novembre 1793 (29 brumaire an II).
87* A Ébreuil, il ne faudra que deux semaines pour qu'on
dénomme révolutionnairement les lieux des paroisses, des bourgs
et de la “ville” du chef-lieu de canton : acte du 14 novembre 1793
(24 brumaire an II).
88C'est donc à une application immédiate des décisions centrales
qu'on assiste dans les deux cas. D'autre part, il faut noter que
plus jamais, après ces dates, on ne reviendra aux anciennes
dénominations.

2.3.1.2. Les “Saints” disparaissent… provisoirement


 34 Rattachée en 1843 à Bellenaves après avoir reçu, en 1830, le renfort
de Tizon, la localité est act (...)

89Deux communes portent le nom d'un saint, le même d'ailleurs,


fort courant dans toute cette région du centre : Saint Bonnet de
Bellenaves34 d'une part, et, dans le canton d'Ébreuil, Saint-Bonnet
de Rochefort.
 Saint Bonnet de Bellenaves devient dans les actes de la justice
de paix de Bellenaves “Mont sur Bellenaves” le 2 février 1794
(14 pluviôse an II) pour retrouver son nom d'origine à partir du
29 août 1795 (12 fructidor an III). On note qu'au cours de cette
période certaines solutions de continuité apparaissent,
l'essoufflement de la pratique intervenant nettement à partir
de juin 179535.
 La commune de Saint Bonnet de Rochefort est appelée
“Rochelibre” sous la plume du greffier de la justice de paix
d'Ébreuil à partir du 24 mai 179436, soit bien avant les
mesures nationales de déchristianisation37. Jusqu'à la fin de
l'an II (en l'absence des actes de l'an III, aucune observation ne
peut être conduite après le 21 septembre 1793), la commune
n'est dénommée que sous son appellation déchristianisée. En
l'an IV, elle a retrouvé son nom ancien.

90Les qualifications et appellations des lieux sont, dans ces textes


officiels, et pour l'essentiel, des preuves de l'application rapide
des décrets pris par la Convention. On ne saurait cependant en
conclure que dans la pratique quotidienne de la population rurale
la même rapidité d'exécution ait été réalisée. Ici aussi, la précision
de l'écrit peut cacher les variations de l'oral vécu… et pour nous
perdu.

2.3.2. Les appellations des individus


 38 Les individus socialement les plus élevés sont ici appelés “Monsieur” :
c'est le cas de Pierre Dut (...)

91Jusqu'en octobre 1792, les acteurs de la justice de paix se


différencient dans leur dénomination. D'une part, certains d'entre
eux sont appelés “Sieur” ou “Dame”38 ; d'autre part, signe de
noblesse ou non, mais véritable marque de distinction, le “de”
peut précéder le nom.

2.3.2.1. Du “sieur” au “citoyen”39


• Dans les incipit

92* A Bellenaves, le premier acte dans lequel le terme “sieur”


disparaît de l'incipit correspond à la date du 13 novembre 1792.
Par la suite, le nom des assesseurs est soit directement inscrit :
“assisté de X et Y, nos assesseurs… ” soit précédé du syntagme
“les citoyens X et Y…, nos assesseurs… ”, la deuxième forme
devenant permanente à partir du premier trimestre 1793.
93* A Ébreuil, le “samedi dix novembre mille sept cent quatre
vingt douze, l'an premier de la République française, devant nous
Antoine Juge, juge de paix du canton d Ébreuil, assisté des Sieurs
Henri Jouandon et Nicolas-François Ballet, nos assesseurs… ” est
l'incipit du dernier acte où le terme “sieur” apparaît. Dans les
documents suivants, on trouve uniformément la formule : “…
assisté des citoyens…”
• Dans le corps des textes

94* A Bellenaves, le “sieur Jacques Secrétain et dame Catherine


Ferrier son épouse” du 17 septembre 1792 deviennent, le 16
octobre 1792, “Jacques Secrétain et Catherine Ferrier son épouse”.
Quant à la “Dame Marie-Thérèse Foussat” du 20 novembre 1792,
elle n'est plus que (ou est promue au rang de) “ la citoyenne
Marie-Thérèse Foussat” le 5 décembre 1792.
95* A Ébreuil, le dernier individu dont le nom est précédé du
terme “sieur” est “Sieur Boirot de Laruas” dans l'acte daté du mardi
13 novembre 1792. Le lendemain, Hercule Duligondès, noble de
Saint-Bonnet de Rochefort alors rallié pour un temps au régime
républicain et présenté comme “capitaine de vaisseau de la
République française”, n'est plus ni sieur ni monsieur.
96Dans ces actes, c'est assez précisément autour du 15 novembre
1792, à Ébreuil comme à Bellenaves, que l'inégalité des
appellations disparaît. Le “sieur” distinctif laisse la place
aux “citoyens” égaux en droit, conséquence évidente, quoique
retardée de deux mois, des grands évènements parisiens.

2.3.2.2. Et la particule  ?
97On peut suivre les aléas du problème du “de” à travers plusieurs
exemples. Nous ne retiendrons ici que deux d'entre eux :

• Bellenaves : “Sieur Gilbert de Laplanche de Fontenille”

 40 En tant que tel, il est appelé à signer tous les actes des procès
auxquels il assiste. Les plaideu (...)

98Le personnage sera alternativement Delaplanche de Fontenille,


Delaplanche et Laplanche. Assesseur presque permanent du juge
de paix au cours de toute la période 40 il s'agit d'un grand
propriétaire terrien dont les domaines dépassent les limites du
canton.
99En 1791 et 1792, il est toujours nommé “Gilbert Delaplanche de
Fontenille” quand il comparaît ou est représenté dans une affaire,
et “Gilbert Delaplanche” en tant qu'assesseur du juge de paix. Il
signe toujours alors “delaplanche”. Dans l'acte du 19 février 1793,
il devient comme plaideur “Gilbert Laplanche de Fontenille”,
gardant ce titre une fois le 3 mai 1794 (11 prairial an II) et le
retrouvant, après une éclipse de quatre ans, dans les trois
dernières affaires où il comparaît, le 24 juillet 1797 (6 thermidor
an VI), le 23 janvier 1798 (4 pluviôse an VI) et le 12 mars de la
même année (22 ventôse an VI). Dans les deux derniers cas, il
retrouve même sa particule et est inscrit dans le procès sous le
nom de “Gilbert delaplanche de fontenille”. Pendant la période
1794-1797 (à l'exception près notée), il est appelé “gilbert
laplanche”. C'est sous la même forme “écrêtée” que ce coq de
village sera désigné dans ses fonctions d'assesseur à partir du 19
juin 1793/B 93 087/et jusqu'à la fin de la période étudiée.
100On remarquera qu'il refuse cette suppression de la particule
puisqu'il signe personnellement tous les actes “delaplanche”. On
remarquera en même temps que le juge de paix comme le greffier
et ses collègues assesseurs ne protestent pas contre cette
prétention néo-aristocratique. Il démocratise prudemment sa
signature pendant la période qui s'étend du 10 décembre 1793
(20 frimaire an II) au 2 octobre 1794 (11 vendémiaire an III) pour
se réaffirmer “delaplanche” dès que les orages sont passés.

• Ébreuil : “Sieur Edouard Potrollot de Grillon”

 41 VIPLE J., o.c., passim.

101Le personnage est important puisqu'acquéreur du château de


la Grave et maire de la municipalité d'Ébreuil entre le 20 juin 1790
et le 27 janvier 1792, il est élu, dans le cadre de la Constitution de
l'an III, maire de la municipalité le 5 novembre 1795 (15 brumaire
an IV) puis maire de la municipalité cantonale 21 mars 1797
(1  germinal an V)41.
er

 42 Deux actes du 24 octobre 1797 (3 brumaire an VI).

102“Sieur Edouard Potrollot de Grillon” dans les actes de la justice


de paix jusqu'au 29 septembre 1792, il devient le “citoyen
Édouard Potrollot Degrillon” jusqu'au 10 juin 1793. Il est “Édouard
Potrollot” dans un acte du 14 mai 1794 (25 floréal an II) et
disparaît des actes conservés jusqu'au 2 avril 1797 (13 germinal
an V)/E 97 016 où il revient comme “Édouard Grillon”. Dans les
deux derniers documents où il est cité, le “citoyen Édouard
Potrollot de Grillon” a repris toute sa place socio-juridique42.
103Ces deux exemples indiquent bien qu'à l'exception d'une
courte période autour de la fin 1794, les individus dont le
patronyme comportait “de” comme première syllabe ne se
trouvent pas “rebaptisés” au cours de la période révolutionnaire.
On mettra à part le ci-devant nobliau de Laplain qui perd sa
particule dès 1792 et ne la retrouve pas jusqu'à la fin de la
période. Les propositions de suppression des traces nobiliaires
jusques et y compris dans les noms de roturiers avérés ne
connaissent dans la France rurale du centre qu'un succès d'estime
bref et conjoncturel.

En guise de conclusion provisoire…

104Les actes de la justice de paix peuvent donc apparaître comme


un lieu d'étude pertinent des relations qui ont pu être établies
entre le pouvoir central et les pouvoirs locaux au cours de la
période révolutionnaire. Ils nous permettent d'approcher, dans
leur apparente rigueur juridique, les nombreuses variations qu'ont
pu connaître, dans une France rurale profonde, les applications
réelles des décisions ou propositions venues d'en haut : on
“écoute” en général mieux la Révolution à Ébreuil qu'à
Bellenaves…
105Ils témoignent de la grande diversité que peuvent présenter
ces relations. Parce qu'ils ne touchent que des formes de vie,
certains textes sont immédiatement et définitivement appliqués :
les lois concernant les actes juridiques de la vie civile ou le
calendrier officiel, par exemple, sont rapidement pratiquées en
justice. Par contre, quand elles mettent en cause des éléments
profonds de la vie sociale et économique, c'est à d'autre variations
que l'on assiste : les nouvelles unités de mesure, parce qu'elles
sont essentielles au fonctionnement de la quotidienneté, ont du
mal à s'implanter; les références aux usages traditionnels tels
qu'on peut en trouver l'évocation dans la Coutume du
Bourbonnais ou dans les coutumes orales locales sont encore
nombreuses jusqu'en 1794.
106Au total, il semble que l'étude des actes de la justice de paix
fasse apparaître l'importance réelle des changements survenus du
fait de la Révolution. Jusque dans la France la plus rurale, les actes
révolutionnaires ont un écho qui, même différé dans le temps et
variable dans l'espace, n'en demeure pas moins essentiel. Et la
justice de paix, pouvoir local créé par la Révolution, peut se
manifester, semble-t-il, comme un acteur réel et un témoin précis
du mouvement révolutionnaire.
NOTES
1 Le 24 mars 1790, Thouret dans son discours à la Constituante sur la
réorganisation du pouvoir judiciaire affirme que “L'établissement des
juges de paix est généralement désiré; il est demandé par le plus
grand nombre de nos cahiers; c'est un des plus grands biens qui
puisse être fait aux utiles habitants des campagnes. La compétence de
ces juges doit être bornée aux choses de convention très simples, et
de la plus petite valeur, et aux choses de fait qui ne peuvent être bien
jugées que par l'homme des champs, qui vérifie sur le lieu même de
l'objet du litige, et qui trouve, dans son expérience, des règles de
décision plus sûres que la science des formes et des lois n'en peut
fournir aux tribunaux”. FURET F.et HALEVI R.,  Orateurs de ta Révolution
française, I Les Constituants, Gallimard, Paris, 1989, p. l130)
La justice de paix est instituée par la loi du 16-24 août 1790; un juge
de paix élu pour deux ans doit siéger dans chaque canton; assisté de
deux assesseurs également élus, il a initialement trois fonctions :

 “Le juge de paix, assisté de deux assesseurs connaîtra avec eux


de toutes les causes purement personnelles et mobilières, sans
appel jusqu'à la valeur de cinquante livres, et à charge d'appel
jusqu'à la valeur de cent livres…” (Titre III, article IX. L'article X
détaille les causes qui entrent dans ce cadre.)
 “Lorsqu'il y aura apposition de scellés, elle sera faite par le juge

de paix, qui procèdera aussi à leur reconnaissance et levée,


mais sans connaître des contestations qui pourront s'élever à
l'occasion de cette reconnaissance. Il recevra les délibérations
de famille pour la nomination des tuteurs, des curateurs aux
absents et aux enfants à naître et pour l'émancipation et la
curatelle des mineurs… Il pourra recevoir dans tous les cas, le
serment des tuteurs et des curateurs” (Titre III, article XI).
 “Dans  toutes les matières qui excéderont la compétence du juge

de paix, ce juge et ses assesseurs formeront un bureau de paix


et de conciliation “ (Titre X, article premier)
“Aucune action principale ne sera reçue devant les juges du district (…)
si le demandeur n'a pas donné en tête de son exploit copie du
certificat du bureau de paix, constatant que sa partie a été inutilement
appelée à ce bureau, ou qu'il a employé sans fruit sa médiation. ” (Titre
X, article II)

2 A l'exception d'une allusion à l'action du juge de paix de Gannat qui


charge son collègue de Bellenaves de poser les scellés au domicile de
P. Molette (cf. 1.5.3.1), inculpé de trahison au profit des émigrés et
arrêté en 1792.

3 Titre IV art.48
4 Titre III art.9 à 13

5 Michel VOVELLE,  La Découverte de la Politique, Éd. La Découverte,


Paris, 1993, p. 76

6 Serge ABERDAM et Marie-Claude ALHAMCHARI, “Revendications


métayères : du droit à l'égalité au droit au bénéfice”, extrait de La ,
C.T.H.S., Paris,1989. “La suppression des dîmes ecclésiastiques,
décidée précocement début 1790, commence à poser problème aux
moissons de 1791 où on voit se multiplier les conflits autour du
partage entre métayers et propriétaires, des dimes supprimées. ”

7 Titre II, articles 36 et 37

8 Titre II, articles 34 et 35

9 Titre I, section 4, article 14; Titre II, articles 18, 24, 26, 28.

10 “La loi désirée par les propriétaires est adoptée le 4 avril 1795…
Surtout on exclut les métayers du mécanisme même de la hausse. Les
conflits sur les cheptels se terminent donc sur un échec juridique pour
les exploitants et singulièrement pour les métayers, considérés à
nouveau comme de simples dépositaires de bétail et non comme des
agents économiques ayant accès au marché.” S. ABERDAM et M-C. AL
HAMCHARI, op.cit.

11 Article 4.

12 Article 9

13 Article 5

14 Articles 1 & 2.

15 VOVELLE M.,  op. cit., p.77.

16 Article 6 de la section 2.
17 Après les travaux de L. BIDEAU sur le personnage (“Pierre MOLETTE,
conspirateur royaliste, 1791-1804” in  Bulletin de la Société
d'Émulation du Bourbonnais, mars et juin 1804), on pourra
consulter COQUARD C., “Quand l'évènement révolutionnaire rencontre la
justice de paix”, D.E.A., 1992, Université Paris I.

18 On lèvera ainsi les scellés de la succession Barthélémy-Gibon pour


approvisionner le marché de Bellenaves en juin 1793/B93 BG 012/.

19 Lors de l'affaire Molette, par exemple, il faut un rappel de l'autorité


administrative du district pour que le juge de paix applique
complètement la loi concernant son rôle dans une affaire de suspect.

20 On a consulté à ce propos, outre les ouvrages et les références de


S. BIANCHI (infra) : JAURES J.,  Histoire Socialiste de la Révolution
Française, T.6, p.297 à 300, Éditions Sociales, Paris, 1972
BACZKO B., “Le calendrier républicain” in  Les lieux de mémoire, T. 1,
Gallimard, Paris, 1984.
GODECHOT J., “Le calendrier révolutionnaire” in  Les Institutions de la
France sous la Révolution et l'Empire, p.423 à 425, P.U.F., Paris, 4éme
éd. avril 1989.

21 La formule intermédiaire “L'an quatrième de la liberté” puis celle de


“l'an quatrième de la liberté et premier de l'égalité” n'est employée à
Bellenaves qu'après le 10 août 1792 (17/09/92), alors qu'à Ébreuil, on
la trouve dès le 20 avril 1792.

22 Ce n'est qu'à partir du mois de décembre que, dans la majorité des
cas, on trouve la formulation complète dans tous les actes des deux
justices de paix. Une grande hésitation semble saisir les rédacteurs de
ces documents quant à l'emploi de l'ensemble de la formule avant le
début de 1794.

23 On trouve dans la liasse de Bellenaves de 1794 un procès-verbal


dressé par les officiers municipaux du canton de Bellenaves, daté du
24 février 1794 (6 ventôse an II)/B 94 026/où l'on peut lire la formule :
“L'an deux de la République française, une et indivisible, démocratique
et impérissable”. On peut avoir des responsabilités administratives
éminentes et témoigner en même temps de son zêle indéfectible au
régime en place…

24 Comme pour l'emploi des monnaies, on constate ici la différence


qui existe entre “traduction” (ce que font les rédacteurs en
transformant l'“année” grégorienne en “an” républicain) et la révolution
qu'implique le changement total du mode de calcul des dates par
rapport à leur nouveau point-origine.

25 On trouve à Ébreuil un acte du 17 octobre 1793 dont l'incipit a été


raturé : on a recouverrt l'ancienne datation par la formule “ 4 brumaire
de la seconde année républicaine”. De même, à Bellenaves, un acte
porte l'intitulé du nouveau calendrier : “aujourd'hui cinq brumaire de
l'an deux de la République française une et indivisible”. Zèle a
posteriori des secrétaires greffiers ? Erreurs de datation dues à la
complexité du nouveau système ? ces deux hypothèses sont, entre
autres, plausibles pour expliquer ce phénomène marginal.

26 “Ce jourd'hui vingt brumaire de la seconde année républicaine ”.


“Séance du six frimaire de la première décade du troisième mois de
l'an second de la république française une et indivisible”.

27 On trouve même un acte qui porte, dans son incipit la traduction du
nouveau calendrier : “Audience du vingt frimaire ou dix Xbre vieux
style 1793 tenue par le juge de paix…”.

28 Une exception, cependant, concerne des ventes de bois passées


entre août 1794 et janvier 1797 et pour lesquelles la datation reprend
le calendrier grégorien. Ici encore, négligence du greffier ? Ou bien
force de l'habitude et usage réel dans la langue de tous les jours ?

29 BIANCHI S.  La Révolution culturelle de l'an II. Coll. “Floréal”, Aubier,


Paris, 1982. BLANCHI S. “Le calendrier républicain  : un échec  ?” in  L'État
de la France pendant la Révolution (1789-1799), p.461 sqq., Éd. La
Découverte, Paris, 1988.
30 On a consulté sur ce sujet :
FANAUD L., “Étude des Poids et Mesures en usage dans la Province du
Bourbonnais” in  Bulletin de la Société d'Émulation du
Bourbonnais, Moulins, 3  et 4  trimestre 1952, 1er trimestre
e e

1953. GODECHOT J.,  Les Institutions de la France sous la Révolution et


l'Empire, o.c., p. 419 et 420.

31 Pour l'ensemble de l'étude, on tiendra compte du (ait que la liasse


ayant contenu les actes de l'an III est absente des archives tant
départementales que municipales. Cette absence peut évidemment
mettre en cause certaines des remarques ici présentées.

32 On a consulté notamment pour cette étude : VIPLE J.,  Le canton


d'Ébreuil pendant D Révolution (1789 à l'an VIII), Librairie historique du
Bourbonnais, Moulins, 1912, passim. GODECHOT J., o.c., p. 322 à 324 et
p. 425 et 426. CORNILLON J.,  le Bourbonnais sous la Révolution
Française, T.4, p. 62 sqq., Riom, 1892. LEGUAI Α., (s.d.),  Nouvelle
histoire du Bourbonnais des origines à nos jours,  Éd. Horvath, Le
Coteau, p.406 sqq. VOVELLE M.,  La Découverte de la Politique,
Géopolitique de la Révolution française,  Éd. La Découverte, Paris, 1993,
p. 156 à 179 et p.333.

33 Le terme se trouve dans CORNILLON J., o.c., p. 62.

34 Rattachée en 1843 à Bellenaves après avoir reçu, en 1830, le renfort


de Tizon, la localité est actuellement dénommée “Saint  Bonnet de
Tizon, commune de Bellenaves”.

35 Entre février 1794 et mai 1795, la commune est citée 34 fois : elle
est appelée “Mont sur Bellenaves” à 33 reprises. Par contre, évoquée 15
fois entre juin et septembre 1795, elle ne reçoit son appellation
“laïque” qu'en 6 occurences.

36 Depuis le mois de février 1794, Gilbert-Mathieu Rozier a remplacé


son beau-père, Antoine Juge, comme juge de paix du canton d'Ébreuil.
Il est connu pour être membre de la société Populaire de Gannat et fait
souvent montre d'un zèle patriotique remarqué. Cette attitude lui
vaudra d'ailleurs d'être destitué après thermidor et d'être remplacé par
Henri Jouandon, fermier du domaine du Châtelard.

37 Cette constatation confirme les remarques présentées par


J.Godechot dans l'ouvrage cité : “Il semble que dans ce domaine aussi
l'initiative des changements soit venue des autorités locales. C'est ainsi
qu'à l'automne 1793 le district de Lavaur, dans le Tarn, recommande la
laïcisation des noms de communes…” p. 425.

38 Les individus socialement les plus élevés sont ici appelés


“Monsieur” : c'est le cas de Pierre Dutour de Salvert, seigneur haut-
justicier de Bellenaves ou de “Monsieur” Michel Nouhaillat, curé
d'Échassières, et propriétaire terrien par ailleurs.

39 Le terme de “citoyen” connaît, dans ces actes, deux situations


différentes, impliquant deux significations distinctes. Ou bien le terme
succède au nom (par exemple, “Charles François Pannetier, citoyen
demeurant en cette ville et paroisse d'Ébreuil demandeur… ” ; “Charles
Farge, citoyen demeurant en ce bourg et paroisse de Bellenaves ”, et il
s'agit d'une attribution comparable à une profession : on est citoyen
comme on pourrait être locataire, meunier ou bourgeois; et l'on trouve
le mot dès 1791, notamment à Ébreuil où le greffier inscrit moins
souvent que son collègue de Bellenaves la profession des parties en
cause. Ou bien le terme précède le nom, et l'on a à faire à un signe
distinctif soit de position sociale soit d'importance politique.

40 En tant que tel, il est appelé à signer tous les actes des procès
auxquels il assiste. Les plaideurs ne sont appelés à apposer leur
signature (quand ils savent le faire) que dans le cas des procès-
verbaux.

41 VIPLE J., o.c., passim.

42 Deux actes du 24 octobre 1797 (3 brumaire an VI).

AUTEURS
Claude Coquard
Claude Durand-Coquard
Municipalités élues,
municipalités nommées : le
pouvoir à Vannes de 1790 à
1815
Bertrand Frélaut
p. 327-343

TEXTE ANNEXES NOTES AUTEURILLUSTRATIONS
TEXTE INTÉGRAL
1A la fin de l'ancien régime, les luttes sont vives entre les
privilégiés et le tiers-état pour prendre le contrôle des
communautés de ville : à Vannes, comme dans les autres villes
bretonnes, la bourgeoisie des négociants et des marchands est
avide de pouvoir. Les questions que l'on peut se poser touchent
au degré de changement apporté par la Révolution dans la
désignation des municipalités, leur composition, leur pouvoir
véritable. Tel est l'objet de cette étude. Comment se sont
déroulées les élections municipales ? Comment furent nommés les
maires et les conseillers municipaux ? Quels hommes participaient
au pouvoir municipal sous la Révolution et l'Empire ? Disposaient-
ils d'un véritable pouvoir local ou n'étaient-ils que de simples
exécutants du pouvoir central ? Autant d'interrogations qui
guideront notre démarche. A travers l'analyse des municipalités
qui se succèdent à Vannes de 1790 à 1815, nous découvrons une
“étude de cas” qui permet une synthèse de l'histoire du pouvoir
municipal à cette époque.
2Quatre types de municipalités se suivent pendant ces vingt-cinq
ans, non sans quelque complexité :
 De janvier 1790 à octobre 1793, des municipalités de 40
personnes élues au suffrage censitaire.
 Pendant la Terreur et la Convention thermidorienne, ces
équipes sont directement nommées par les représentants du
peuple.
 De novembre 1795 à juillet 1800 siègent des municipalités
cantonales de 5 membres seulement, élues au suffrage
indirect.
 Enfin, pendant le Consulat et l'Empire, Vannes possède des
municipalités de 30 membres nommés directement par
Napoléon Bonaparte.

3C'est dans ce schéma que s'inscrivent les quelques 220 vannetais


qui ont siégé dans les municipalités de 1790 à 1815.

I. LES MUNICIPALITÉS
CENSITAIRES DE 1790-1793
 1 Jacques GODECHOT, Les institutions de la France sous la
Révolution et l'Empire, Paris, PUF, 1968,

4Le décret de l'Assemblée nationale du 18 décembre 1789


organisait les municipalités : étaient électeurs les “citoyens actifs”,
ceux dont l'impôt représentait au moins trois journées de travail
(4 livres à Vannes). Avec environ 9 500 habitants, Vannes
comprenait 392 citoyens actifs pour environ 3 400 adultes
masculins, soit 13,5 %. Ces “actifs” désignaient au suffrage direct
parmi les contribuables payant au moins 12 livres et demi, le
“conseil général” de la commune formé ici de 24 notables et de 12
officiers municipaux. Ces derniers étaient les membres les plus
importants et pouvaient siéger à part en “corps municipal”. Les
citoyens actifs élisaient un maire et un procureur qui représentait
le pouvoir central. Le conseil général de la commune était élu
pour deux ans mais renouvelable par moitié tous les ans, la
première fois par tirage au sort1.
 2 T.J.A. Le GOFF, Vannes et sa région, Ville et campagne dans la
France du XVIII  siècle, Loudéac, S (...)
e

5La municipalité vannetaise devait ainsi comprendre 37 membres


au total, soit moins que ne l'établissait le décret de 1740 qui en
fixait le nombre à 60, mais surtout elle était désormais constituée
sur la base de l'égalité de tous les citoyens, revendication
essentielle des “patriotes” dont T.J.A. Le Goff a retracé les luttes 2.
C'était donc une première victoire pour la bourgeoisie urbaine qui
pouvait penser qu'elle gouvernerait désormais seule les villes.
 3 Pour les sources, voir aux archives municipales de Vannes : BB
29, ID10/2 à ID10/6, 1K174 et 1K175 (...)

 4 Morbihan Bicentenaire, Un espace et des hommes, 1789-


1792, Vannes, Archives départementales, 1988- (...)

6Ce système électoral a régulièrement fonctionné pendant trois


ans. Les élections se sont déroulées en janvier-février 1790 et,
pour les renouvellements par moitié, les 15-16 novembre 1790,
le 13 novembre 1791, les 10-11 septembre et 9-10 décembre
17923. Si la presque totalité des citoyens actifs étaient présents la
première fois, ils n'étaient que 121 en novembre 1790 et 107
l'année suivante. On peut donc considérer que la participation est
tombée à 31 % puis 27 %. C'est bien moins que les 42 % des
cantonales de mai 17904.
 5 Pour la biographie des différents personnages cités, voir :
Bertrand Frélaut, Les Bleus de Vannes, (...)

7Les notables et officiers municipaux ne furent pas renouvelés


systématiquement par moitié chaque année, car démissions,
décès ou incompatibilités se multiplièrent. Le 5 novembre 1791,
le registre des délibérations est clair à ce propos : “Depuis
longtemps, le conseil général est incomplet parce que plusieurs
de ses membres sont entrés dans les administrations ou ont
d'autres places incompatibles, que plusieurs autres négligent de
venir aux assemblées quoiqu'ils en soient prévenus…”. Ajoutons
que certains passent d'une catégorie à l'autre. Une petite centaine
de vannerais se succède pendant trois ans et demi : on y
remarque trois prêtres constitutionnels, le chanoine Bauny 5, et les
abbés Bocherel et Le Sans, le second restant presque toute la
période et présidant même certaines assemblées : c'est le curé de
St-Patern, faubourg populaire et rural à la fois. On y trouve aussi
deux ou trois nobles dont Jean-François de Limur qui ne
démissionne que le 29 avril 1791, à l'occasion de la nouvelle
délimitation des paroisses.
8Trois maires sont élus par les citoyens actifs. En janvier 1790, Le
Menez de Kerdellelau, chef des “patriotes” et maire depuis 1778,
obtient 199 voix mais, nommé juge du district, il est bientôt
remplacé le 14 novembre par Dubodan fils qui remporte 77
suffrages sur 121 votants. Succédant à son père et à son grand-
père, il appartient à l'une des plus riches familles de négociants et
est élu député suppléant à la Législative en septembre 1791. Lui
succède alors un autre patriote prononcé, François Malherbe, élu
le 14 novembre 1791, avec 50 voix sur 107. Il est issu du milieu
administratif de fortune moyenne. De nombreux autres patriotes
peuplent les conseils : Bachelot, Bourgerel, Caradec, Aubry,
Grignon fils, Pichon, Girardin, Bizette, Kerviche, Danet, Dusers, Le
Goaësbe, Le Meute, Rollin… et seulement quelques futurs contre-
révolutionnaires notoires : Pocard, Jollivet, Le Monnier, mais ces
derniers disparaissent au bout d'un an ou deux.
9Quel fut le comportement de ces municipalités censitaires en
1790-1793 ?
10Sans conteste cette époque est celle des réunions les plus
fréquentes et auxquelles assistent les présents les plus
nombreux. C'est l'apogée du pouvoir municipal. En comptant
toutes les réunions qui se sont tenues de 1790 à l'an VII, on
atteint le chiffre de 692 assemblées du conseil général de la
commune ; les quatre premières années en représentent 253, soit
36 %. Il faut y ajouter les réunions du bureau et du corps
municipal. Ce dernier n'a siégé que de 1790 à 1792, quant au
bureau, sur 280 réunions recensées de 1790 à l'an IV, 209
s'échelonnent de 1790 à 1793, soit 75 %. La Révolution débutante
donne donc aux municipalités les opportunités d'exercer leur
pouvoir.
Tableau des réunions

Agrandir Original (jpeg, 199k)

Tableau des présents (moyennes)

Agrandir Original (jpeg, 174k)

11Une analyse plus fine fait apparaître des comportements assez


différents suivants les époques.
12Les moments de grande assiduité correspondent aux débuts de
mandats ou aux moments de crise :
 début 1790 : Fédération de Pontivy, troubles frumentaires.
 février-avril 1791 : attaque de Vannes, fuite de Mgr Amelot,
création de la Société des Amis de la Constitution. A cette
occasion, le bureau se réunit près de 50 fois en quatre mois
pour 107 réunions dans l'année.
 juin-octobre 1793 : crise fédéraliste et chute des Girondins. La
moyenne des présents atteint son maximum : près de 25.

13L'année 1793 voit culminer les difficultés et les oppositions. La


municipalité, qui s'est heurtée un moment au district sur le
problème religieux, doit affronter les troubles provoqués par la
répression contre les prêtres réfractaires, par la résistance à la
conscription et par les premières restrictions alimentaires. Son
action purement gestionnaire est bientôt débordée par la situation
politique. Les réparations des pavés, l'achat des grains, les dettes
des hospices, les projets de nouvelles rues, les taxes sur les
boissons, les rôles d'imposition : autant de problèmes quotidiens
désormais évincés par les événements nationaux. La municipalité
est en butte à plusieurs influences contradictoires : le district qui
prône la tolérance religieuse, le club dont plusieurs membres
appartenant aux administrations, font pression dans un sens
radical, les campagnes enfin qui entourent Vannes d'une hostilité
déclarée ressemblant fort à un blocus.
 6 Un député du Finistère appuie cette proposition au club de Vannes
en utilisant le mot “convent” po (...)

14Enfin, au sommet de leur activisme, ces municipalités


participent au début politique national et prennent position entre
les Girondins et les Montagnards en appuyant le mouvement
fédéraliste. Au début de 1793, le club, la municipalité, le district
et le département se concertent pour envoyer une force
départementale à Paris pour protéger la Convention6. On sait
comment se termina cette tentative : à la fin de l'été, la
Convention montagnarde envoie en province ses représentants du
peuple pour reprendre le contrôle de la situation. Le pouvoir local
en subira une longue éclipse et la Terreur mettra un terme aux
volontés des municipalités d'interférer dans les débats politiques
nationaux. Destitués et incarcérés par Prieur de la Marne, les
responsables des administrations dont une dizaine d'élus
municipaux, restent près d'un an en prison sous la menace d'une
condamnation à mort semblable à celle qui frappa alors les
administrateurs du Finistère.

II. LES MUNICIPALITÉS


NOMMÉES D'OCTOBRE 1793 A
J ANVIER 1795
 7 Voir Claude NIERES, Les bourgeois et le pouvoir. Ouest-France,
1988 : Roger DUPUY, “Entre Bleus et (...)

15Prieur de la Marne, Leyris et Bouret, Guezno et Guermeur,


Mathieu : ce sont les représentants du peuple qui, par arrêté,
nomment ou complètent les municipalités vannetaises d'octobre
1795 à janvier 1795, en consultant le club et le comité de
surveillance. Le 27 octobre 1793, Prieur, “ après réunion d'une
assemblée du peuple de la commune consulté ”, nomme une
municipalité provisoire ayant le docteur Grignon pour maire et
Kerviche comme procureur mais, six jours après, à la suite du
refus de Grignon, il désigne Lefeuvre, aubergiste de St Patern et
reconduit les mêmes sauf six. Cette municipalité, complétée en
thermidor, est entièrement constituée de nouveaux venus.
Officiers municipaux et notables sont, pour la plupart, artisans ou
ouvriers : armurier, vitrier, bottier, tailleur, ferblantier, fondeur,
limonadier, ferronier, poëllier, chaudronnier… On compte trois
aubergistes, trois marchands, deux boulangers, deux perruquiers,
deux chirurgiens, deux entrepreneurs etc… Beaucoup proviennent
des quartiers suburbains de Calmont, La Boucherie ou St Patern et
appartiennent aux catégories les plus pauvres de la ville. Prieur,
dans sa volonté de “régénération”, a voulu sansculottiser la
municipalité de Vannes. D'ailleurs les aubergistes Lefeuvre et
Gallo ajoutent souvent à leur signature les épithètes de “sans
culotte” ou “montagnard”…7. L'inspiration de la Société populaire
est patente. Quand il faut nommer 6 officiers municipaux
nouveaux, le 25 thermidor an II, la municipalité les choisit sur une
liste de 12 présentée par le club. Nous sommes en pleine terreur.
Bien qu'elle ait décidé de siéger en séance publique tous les
quartidis, elle tient un minimum de réunions auxquelles n'assiste
qu'une quinzaine de membres. L'agent national, représentant du
pouvoir central, se fâche, le 21 thermidor : “Fatigué d'une
insouciance indigne de vrais républicains, je requiers pour
l'intérêt public et pour une plus prompte et entière exécution des
lois, que dorénavant tous les officiers municipaux s'assemblent
tous les jours de 11 h jusqu'à midi pour délibérer sur les objets
de police et les plus urgents ”. Cette remontrance reste sans effet
mais la chute de Robespierre vient à point pour détendre la
situation.
16Cette municipalité est destituée le 17 brumaire an III (7
novembre 1794) et sur les conseils de Kerviche et Gallo aidés de
la Société populaire, les représentants Leyris et Bouret nomment
la municipalité Péniguel où l'on compte 12 membres de l'ancienne
municipalité et une dizaine des précédentes : le renouvellement
est moins net. Le maire, Jean-Augustin Péniguel, ancien hobereau
de l'est du département, vient de passer plusieurs mois à la tête
du comité de surveillance de Vannes. Sa nomination est confirmée
par Guezno et Guermeur le 12 nivôse an III (1  janvier 1795),
er

mais, à cette occasion, les représentants ne gardent que 10


officiers ou notables, en nomment six nouveaux et une quinzaine
d'anciens élus de 1790-93, y compris deux incarcérés par Prieur.
Le retour de beaucoup d'anciens marque donc les limites des
renouvellements et l'impasse des volontés sansculottes.
 8 En l'an II, 81 réunions, moyenne des présents : 18,2. En l'an III,
60 réunions du conseil général (...)

17Après quelques nominations destinées à remplacer démissions,


départs ou décès, en floréal et thermidor an III, Péniguel est
destitué par Mathieu qui le remplace pendant un mois par le juge
Poussin, l'un des chefs patriotes de 1788-89. La municipalité
Péniguel a joué un rôle beaucoup plus actif que la précédente et a
dû faire face aux agitations contre-révolutionnaires qui se sont
multipliées dans le pays de Vannes, notamment à l'occasion de
l'affaire de Quiberon. Elle renoue avec les réunions de bureau et
ses séances publiques rassemblent une moyenne de 20
personnes8 ; il est vrai que le club et les comités ont été
supprimés, mais la composition de ses cinq bureaux en mars
1795 montre quels sont ses vrais domaines d'action :
 Bureau municipal et de police
 Bureau des Subsistances
 Bureau des correspondances
 Bureau des hospices et des prisons
 Bureau des casernements et écuries.

18Ce sont donc les problèmes conjoncturels et les questions très


concrètes qui retiennent son attention car, après la dictature du
gouvernement révolutionnaire, il n'est plus question de prétendre
jouer un rôle politique. Le pouvoir central utilise désormais les
municipalités pour le logement des troupes et, en retrait par
rapport à la loi de décembre 1789, restreint leurs attributions aux
affaires de santé, de police ou de ravitaillement. La situation
d'exception dans laquelle se trouve la région pendant l'été 1795
donne aux militaires des prérogatives durables : l'invasion
étrangère et la guerre civile privilégient les interventions du
pouvoir central. Un pas important a été franchi que les époques
suivantes confirment et amplifient.
III. LES MUNICIPALITÉS
CANTONALES DU
DIRECTOIRE
19La diminution du nombre de responsables dans les
municipalités cantonales créées par le Directoire répond
probablement à un désir de simplification mais aussi à la pression
des ennemis du régime qui empêchent les institutions de
fonctionner dans les campagnes : il faut donc regrouper et
simplifier.
20Selon la constitution de l'an III, Vannes, avec un peu moins de
10 000 habitants, aurait 5 officiers municipaux élus pour deux
ans par les assemblées primaires. L'un d'entre eux était élu par
ses pairs président de l'administration municipale et assisté d'un
commissaire exécutif qui représentait le gouvernement. Sur le
plan cantonal, le canton de Vannes comprenait les communes de
Vannes et de Séné ; l'assemblée primaire désignait un président
de canton et la commune de Séné ne possédait qu'un agent
municipal et un adjoint. Le changement de dénomination et
l'abandon du terme de “maire” marquaient bien la limitation des
pouvoirs communaux voulue par le nouveau régime.
 9 Loi du 3 brumaire an IV, GODECHOT, page 461.

21Les élections se déroulent pendant plusieurs jours car elles


doivent respecter un luxe de formalités voulues expressément par
le législateur. En l'an VI, elles durent du 1  au 8 germinal, la
er

désignation du bureau électoral occupant à elle seule trois jours…


L'année suivante, même durée, sans compter les réclamations qui
prennent le cas échéant un ou deux jours entiers. Il en résulte que
les électeurs, lassés par tant de formalisme sont de moins en
moins nombreux au fil des jours. Le 1er germinal an VI, ils sont
310, le 8 au matin 214 et l'après-midi, 139. Le 1er germinal an VII
on en trouve 231, le 6 : 269, le 7 : 246 et le 8 : 184 seulement. La
nouvelle définition de la souveraineté populaire restreint le
nombre des électeurs en excluant toute une catégorie de
citoyens : prêtres réfractaires, émigrés ou leurs parents, non
contribuables, etc…9. L'accès au vote n'est donc permis qu'à un
nombre inférieur à celui de 1790.
22Si peu de citoyens votent, très peu d'élus siègent de brumaire
an IV à prairial an VIII dans la municipalité cantonale de Vannes.
Le jeu des permutations et le faible nombre d'officiers municipaux
font qu'en ces quatre ans et huit mois, une vingtaine de
personnes seulement occupe ces postes, certains presque sans
interruption. Une équipe de six ou sept habitués du pouvoir se
succède aux postes-clés de président de canton (rôle
honorifique), président de l'administration municipale et
commissaire du Directoire. Ce sont de vieux routiers de la
Révolution :
 Lucas de Bourgerel père, député de 1789-91,
 Guillo Dubodan fils, maire en 1790,
 l'avocat Caradec, déjà élu en 1790,
 Le Goâësbe de Bellée, député suppléant en 1789,
 10 Voir le tableau des réunions et des présences en annexe.

23à côté desquels Mahé de Villeneuve et Laumailler, arrivés dans


des postes de responsabilité en 1792, ne semblent pas déparer.
Quinze officiers municipaux seulement pour la période, la plupart
assidus à leur poste. En tout état de cause, ces municipalités
cantonales n'ont plus beaucoup d'attributions sinon d'ordre fiscal
et administratif. Leurs compte-rendus extrêmement indigents,
montrent que leurs réunions sont peu nombreuses et que, malgré
de belles descriptions, l'observation des fêtres décadaires qui est
une de leurs raisons d'être, est très peu suivie 10. Le début de l'an
IV est particulièrement atone : 8 réunions en sept mois, une seule
de nivôse à germinal (décembre 1797-mi avril 1798),
conséquence probable de la fructidorisation qui n'a cependant
destitué qu'un seul “élu ”. Ici encore, la distribution des bureaux
montre quels sont les pouvoirs réels de ces municipalités :
24Germinal an IV
 Finances et impositions
 Prisons
 Subsistances, hôpitaux, correspondance
 Guerre

25Floréal an V
 Subsistances et finances
 Police municipale
 Correspondance, domaines nationaux et d'émigrés
 Guerre

26Floréal an VI
 Rédaction des arrêtés de la correspondance
 Prisons et hôpitaux
 Police, organisation des bureaux, surveillance des commis,
biens d'émigrés
 Guerre et Garde nationale

27La guerre civile et les problèmes de subsistance occupent donc


l'essentiel de ces squelettiques équipes du Directoire. Le contexte
a évolué : l'agitation a repris après le coup d'état de fructidor ; elle
culmine pendant l'hiver 1799-1800 avec l'offensive sur les villes
bretonnes en octobre et le combat du Pont du Loc, le 25 janvier
1800, à 12 km au nord de Vannes. La ville redevient “une
immense caserne”, selon l'expression de Roger Dupuy ; elle est en
état de siège et ses 9 500 habitants doivent loger 8 300 soldats.
Dans cette mise hors de la Constitution, il est clair que
l'administration municipale est soumise au pouvoir militaire. La
paix de Beauregard rétablit un certain calme, le 14 février, alors
que depuis le 9-10 novembre, la France connaît un nouveau
régime.

IV. LES MUNICIPALITÉS


CENTRALISÉES SOUS LE
CONSULAT ET L'EMPIRE
28Après le coup d'état du 19 brumaire, la Constitution de l'an VIII
et la loi du 28 pluviôse réorganisent l'administration communale
de façon centralisatrice. Vannes doit avoir 30 conseillers
municipaux choisis par le préfet, y compris un maire et deux
adjoints, à la nomination directe du chef de l'État. La loi du 16
thermidor an X fixe le mandat des maires à cinq ans,
renouvelables ; elle décide en outre que les conseillers seraient
choisis par le Préfet sur une liste préparée par les assemblées
cantonales à raison de deux candidats pour une place. Leur
mandat était porté à 20 ans, mais renouvelable par moitié tous les
10 ans. La constitution de l'an X précisa que les conseillers
devaient appartenir à la liste des 100 citoyens les plus imposés du
canton. Des nominations provisoires pouvaient avoir lieu en
dehors des périodes électorales. La désignation était donc réalisée
par un système de suffrage restreint et censitaire où seuls les plus
riches pouvaient être choisis.
 11 GODECHOT, page 598.

 12 Les élections en France à l'époque napoléonienne, Paris, éditions


Albatros, 1980.

29Ajoutons que les conseils ne pouvaient se réunir que sur


autorisation du préfet pour la session budgétaire dans la
deuxième partie de pluviôse (février) ou sur convocation pour les
sessions extraordinaires. Les assemblées municipales étaient
donc devenues de simples “corps consultatifs” 11 et les élections,
comme le souligne Jean-Yves Coppolani, n'étaient qu'une
“comédie électorale”12.
30Le 6 prairial an VIII, Caradec est nommé maire provisoire avec
Ménard et Ergo pour adjoints provisoires ; près de deux mois plus
tard, le 30 messidor (19 juillet 1800), le premier consul nomme
Laumailler maire et Le Bourg et Lorvol adjoints. Les 27 autres
étaient en majorité des nouveaux venus : 16, contre 11 anciens
élus, certains ayant appartenu à des municipalités de 1790-91. Il
y a donc là un net renouvellement, y compris avec l'arrivée de
royalistes notoires comme l'imprimeur Galles ou Duplessis de
Grénédan. Quelques modifications étant intervenues, des
nominations individuelles sont faites les mois suivants ; cette
municipalité tient une quinzaine de réunions annuelles, dont trois
ou quatre lors de la session budgétaire de pluviôse. Son rythme
de réunions a donc beaucoup diminué comme le prévoyaient les
textes, et les présents ne dépassent guère le nombre de quinze,
soit la moitié de ses membres ; Laumailler n'achève pas son
mandat de cinq ans : il démissionne au printemps de 1804 pour
s'opposer à la proclamation de l'Empire. La liste des candidats aux
“élections” municipales avait été établie, le 15 prairial an IX, par
l'assemblée cantonale : 138 personnes avaient obtenu de 7 à 11
voix. Par ailleurs, les consuls, par leur arrêté du 19 fructidor an XI,
avaient demandé que l'on tire au sort 15 conseillers, ce qui fut fait
le 15 pluviôse. Le 11 prairial an XII (31 mai 1804), Napoléon, à St-
Cloud, nommait 15 nouveaux conseillers, parmi lesquels 5 ou 6
anciens révolutionnaires seulement.
 13 Voir tableau des réunions et présences en annexe.

31Le nouveau maire, Mahé de Villeneuve, notable affairiste, déjà à


la tête de la municipalité sous le Directoire, disparaît du conseil à
la suite d'une déconfiture en 1804. Cette période est la plus terne
de l'époque. Très peu de réunions, très peu de présents ; il arrive
même que, faute de quorum, les assemblées soient reportées une
fois, voire deux… En 1807, il n'y a que trois réunions du conseil
avec 11, 14, et 19 présents…13.
32Au début de 1808 est nommé maire Alexis de Lamarzelle.
Originaire des environs de Fougères, ce noble rallié avait fait
fortune dans l'achat des biens nationaux et paraissait au 24  rang
e

des plus imposés du département en 1805, au 11  des plus forts


e

contribuables de Vannes en 1812 avec 1274 F. de contribution.


Sous son mandat, le conseil reprit une certaine activité et, dès le
25 juin 1808, demanda à être complété : “Le conseil observe
qu'au terme de la loi du 28 pluviôse an VIII, titre 2, article 15, le
conseil devrait être composé de 30 membres et qu'il n'en a plus
que 20 par suite de décès ou changements de domiciles ”. Cette
remarque tend à montrer l'irréalisme d'un mandat de 20 ans. Le
11 décembre, dans un décret daté de Madrid, l'empereur
désignait sept nouveaux membres en remplacement des sept
décédés. Que Napoléon ait nommé les conseillers vannerais à
Madrid montre le degré de centralisation imposé aux pouvoirs
locaux… Trois autres conseillers étaient désignés, aux Tuileries,
le 2 février 1809. Si les dix nouveaux nommés appartiennent aux
plus imposés de la ville, on y relève deux figures de la noblesse
locale : le comte de Querhoënt, 26  fortune du canton, dont le
e

comportement fut assez opportuniste et la toute première fortune


du pays : le marquis Le Mintier de Léhélec qui payait 5 800 F. de
contribution. On est loin de 1790.
33De 1808 à 1813, l'assiduité des conseillers se renforce avec
plus de 20 présents en moyenne en 1810, quelques séances
atteignant même
 14 idem
3424 ou 25. A part la séance du budget et celle de décembre, où
le maire et ses adjoints tirent au sort les garde-côtes14 on ne se
réunit que de rares fois en séance extraordinaire pour examiner
des points ponctuels : travaux, hospices, collège, liste de
bienfaisance. Certaines réunions doivent prendre des décisions
inspirées par le pouvoir central : don de cavaliers et chevaux à
l'Empereur, achat d'un portrait de sa majesté, dotation de
rosières, garde d'honneur et même, mesures prises contre les
réfractaires à l'enrôlement, en présence des deux curés de la
commune invités à appuyer cette politique. En soustrayant du
nombre total des séances ces réunions extraordinaires, on
s'aperçoit que les municipalités de l'Empire ont peu l'occasion de
débattre en dehors des autorisations du gouvernement.
 15 Des nominations complémentaires de conseillers ont lieu les
1  mars 1811 (deux) et 14 août 1813 ( (...)
er

35Arrivé au terme de son mandat, Lamarzelle cesse ses fonctions


le 25 mai 1813, mais son successeur n'ayant pas accepté la place
de maire, (il s'agit de Le Mintier de Léhélec), il est réinstallé en
novembre à la suite du décret de l'Empereur, où l'on trouve ces
propres mots : “Sa majesté (…) a réélu aux fonctions de maire ”…
(9 octobre 1813). Ainsi c'est bien le pouvoir central qui “élit” les
maîtres et municipalités de cette époque15.
36Les événements de 1814-1815 ne rompent pas avec les
nominations : le 24 février 1815, en maintenant Lamarzelle, une
ordonnance de Louis XVIII datée du 30 décembre 1814, se réfère
au règlement du 19 fructidor an X pour renouveler 15 conseillers.
Un décret de Napoléon nomme une municipalité largement
nouvelle, le 22 avril 1815, où ne subsiste il est vrai qu'une
poignée de royalistes notoires, dont un seul noble : Le Mintier de
Léhélec. Mais, le 7 septembre 1815, Duplessis de Grénédan est
installé comme maire à la tête d'une équipe légèrement modifiée
puisqu'on ne compte que neuf membres nouveaux. Il s'y trouve
des anti-révolutionnaires de la première heure : Riallan, Dondel,
de Lantivy, Pocard-Kerviler, Fébvrier, Gibon de Keral beau… La
page est tournée et l'on semble revenir vingt cinq ans en arrière.
37A l'issue de ce survol chronologique trois constatations
paraissent s'imposer sur la désignation des municipalités, leur
composition et la nature de leur pouvoir. A deux reprises
seulement les municipalités sont pourvues par élection : de
janvier 1790 à l'automne 1793 et sous le Directoire. Dans le
premier cas ce sont de véritables élections, dans le cadre du
suffrage censitaire, avec il est vrai une faible participation
puisqu'elle ne dépasse guère le quart des électeurs à la fin de la
période. Dans le contexte de 1790-93, cela entraîne cependant
un grand changement. Sous le Directoire, le suffrage est plus
restreint et la participation plus faible, ce qui s'explique en
particulier par la complexité du scrutin et la faiblesse des enjeux :
cinq postes éligibles seulement. Sous la Terreur comme sous le
Consulat et l'Empire, nominations ou pseudo-élections se suivent
mais en réalité, les représentants du peuple, les consuls,
l'Empereur ou ses préfets procèdent par nomination directe. On
peut donc affirmer qu'après une courte expérience de quatre ans,
que le Directoire n'a pas perennisée, on est revenu à un procédé
de nomination analogue à celui qui existait auparavant, à
quelques nuances près. La Révolution n'a donc pas provoqué de
rupture durable et des décennies seront nécessaires pour que les
maires et les municipalités soient à nouveau élues. Reconnaissons
néammoins à la Révolution le mérite d'avoir créé les premières
élections municipales.
 16 T.J.A. Le GOFF, chapitre IV.

38Quel qu'en soit le mode de désignation, peut-on penser que la


composition des municipalités ait été radicalement modifiée par la
Révolution ? Dans sa composition ancienne, fixée par le décret du
Parlement de Bretagne du 12 août 1740, la communauté de ville
comprenait 60 personnes représentants soit leur ordre : chapitre,
haut et bas clergé noblesse, négociants du tiers-état, soit des
corps constitués : présidial, justices seigneuriales… Pour la
période 1765-1788, sur 143 présents aux séances, T.J.A. Le Goff
a relevé 36 % de nobles et membres du clergé, 18 % de négociants
et 21 % d'hommes de loi mais il fait remarquer que les plus
assidus et les plus zélés sont les hommes d'affaire et les
avocats16.
39Dès le 31 juillet 1789, la révolution municipale réduisait à 37
les membres de la communauté en excluant les privilégiés. De ce
point de vue, tous les conseils formés de 1790 à 1815 le sont sur
le principe de l'égalité juridique de tous les citoyens même si l'on
note le retour remarqué des “marquis” à la fin de l'Empire. Peut-
on observer pendant ce quart de siècle des groupes sociaux
nouveaux ou les municipalités sont-elles formées des mêmes
couches de la bourgeoisie ? A part 1793-95, où les représentants
portent au pouvoir des artisans et des ouvriers, le suffrage
censitaire et les listes des plus aisés privilégient les riches et ce
sont donc les marchands, propriétaires, rentiers, négociants ou
hommes de lois qui siègent, comme avant. Mais si l'on relève les
noms des vannerais qui siègent de 1790 à 1815, il y a un certain
renouvellement à l'intérieur de ce groupe. Sur 220 vannetais qui
ont occupé des fonctions municipales à cette période, plusieurs
siègent dans diverses municipalités mais, si on prend des ordres
de grandeur, on en note une soixantaine de 1790 à 1793, une
cinquantaine pendant la Terreur, une vingtaine en 1795-1800 et
une soixantaine en 1800-1815. La cinquantaine de la Terreur est
en grande partie constituée d'hommes nouveaux dont très peu
siègeront par la suite. La vingtaine du Directoire est en majorité
constituée d'habitués mais, sous le Consulat et l'Empire, on ne
trouve que vingt anciens ayant appartenu soit aux municipalités
de 90-93, soit pour un faible nombre, à celles du Directoire. Mais,
pour quel type de pouvoir ?
40Il reste en définitive à se poser la question la plus importante :
le pouvoir exercé dans les villes par les municipalités a-t-il été
augmenté ou diminué par la Révolution ? Avant 1789, la ville est
sous une triple tutelle : celle du Roi qui nomme le maire depuis
1763, celle du contrôleur général, de l'Intendant ou son
subdélégué voire du gouverneur qui, à des degrés divers
contrôlent ses finances, enfin celle des États de Bretagne qui, par
la commission intermédiaire, supervisent les travaux. D'où des
compétitions d'influences qui donnent naissance à des alliances
préfigurant les conflits de la fin de l'ancien régime.
 17 B. FRÉLAUT, L'attaque de Vannes, Nantes-Rennes, 1989.

41La communauté de ville doit, en outre, imposer ses décisions au


clergé et à la noblesse : son pouvoir est donc soumis à de
multiples limites, mais elle peut disposer d'une marge de
manœuvre. Les municipalités de 1790-93 semblent avoir
beaucoup de pouvoirs. Les privilèges balayés, les États de
Bretagne et le Présidial supprimés, les municipalités sont plus
autonomes vis-à-vis du pouvoir central en mutation et savent
s'imposer face au département ou au district. Ainsi, lors de
l'attaque de Vannes en février 1791, c'est la municipalité qui
prend en main la défense de la ville17, c'est elle qui prend parti en
juin 1793 dans le débat politique national. Les choses changent
brutalement à l'automne 1793 après l'écrasement des fédéralistes.
Le pouvoir central reprend alors le contrôle des municipalités et
ce sont ses agents qui exercent l'influence essentielle :
représentants, agents nationaux, commissaires, préfets ou alors
les autorités d'exception qui sont imposées aux vannetais par la
situation politique : comités révolutionnaires et, surtout, les
commandements militaires pendant les événements de Quiberon
ou la mise hors de la constitution de l'époque consulaire, quand la
ville est en état de siège.
42D'où cette atonie des municipalités de 1795-1815, sauf
lorsqu'une personnalité particulière parvient à imprimer sa
marque par des réalisations originales et par son efficacité.
Laumailler par exemple développe l'enseignement, remet en état
les promenades, installe des fontaines, secourt les indigents, fait
des travaux de voierie et projette le percement de nouvelles rues.
Sa politique de “grands travaux”, son expérience administrative et
militaire, son sens de l'intérêt public en font un cas à part, mais
c'est volontairement qu'il démissionne en juin 1804.
43Sous l'Empire, le pouvoir municipal est vidé de sa substance,
réduit qu'il est au vote du budget communal. Ainsi, le changement
introduit par la Révolution n'a pas duré et il faut attendre des
décennies pour que les municipalités retrouvent ce pouvoir que
l'État centralisé s'est attribué.
ANNEXES

ANNEXE
Tableau récapitulatif des réunions et des présences pour la période 1790-
1815.
Agrandir Original (jpeg, 649k)

NOTES
1 Jacques GODECHOT,  Les institutions de la France sous la Révolution et
l'Empire, Paris, PUF, 1968,

2 T.J.A. Le GOFF,  Vannes et sa région, Ville et campagne dans la France


du XVIII   siècle, Loudéac, Salmon, 1989.
e

3 Pour les sources, voir aux archives municipales de Vannes : BB 29,


ID10/2 à ID10/6, 1K174 et 1K175 ainsi que les registres des arrêtés
municipaux et de correspondance. Aux Archives départementales :
L225 à 234, L243, L245, L248.
4 Morbihan Bicentenaire, Un espace et des hommes, 1789-
1792, Vannes, Archives départementales, 1988-89.

5 Pour la biographie des différents personnages cités, voir : Bertrand


Frélaut,  Les Bleus de Vannes, une élite urbaine sous la
Révolution, Vannes, Société Polymathique du Morbihan, 1991.

6 Un député du Finistère appuie cette proposition au club de Vannes en


utilisant le mot “convent” pour Convention (ADM L15M30).

7 Voir Claude NIERES,  Les bourgeois et le pouvoir. Ouest-France,


1988 : Roger DUPUY, “Entre Bleus et Blancs”, dans  Histoire de Vannes
et de sa région. Privat, 1988 et Bertrand FRÉLAUT, “Les vannetais en
1792, une géographie socio-professionnelle” dans Vannes, 2000 ans
d'histoire, Vannes, 1993.

8 En l'an II, 81 réunions, moyenne des présents : 18,2. En l'an III, 60
réunions du conseil général avec une moyenne de 20,” de présents.

9 Loi du 3 brumaire an IV, GODECHOT, page 461.

10 Voir le tableau des réunions et des présences en annexe.

11 GODECHOT, page 598.

12 Les élections en France à l'époque napoléonienne, Paris, éditions


Albatros, 1980.

13 Voir tableau des réunions et présences en annexe.

14 idem

15 Des nominations complémentaires de conseillers ont lieu les


1  mars 1811 (deux) et 14 août 1813 (trois).
er

16 T.J.A. Le GOFF, chapitre IV.

17 B. FRÉLAUT,  L'attaque de Vannes, Nantes-Rennes, 1989.


”Une histoire urbaine dans la
Révolution française : à
Rouen, rien ne change mais
tout a changé”
Claude Mazauric

p. 345-361

TEXTE BIBLIOGRAPHIE AUTEURILLUSTRATIONS

TEXTE INTÉGRAL
1Assez lucide et désintéressé pour ne plus s'émouvoir désormais
des retournements, reniements et aléas de toute vie politique,
l'observateur au regard froid qui aurait considéré la ville de Rouen
en 1801, au sortir de ces douze ans de révolution et de
république, aurait pu se dire que, tous comptes faits, rien n'avait
vraiment changé. Par dessus tempêtes et tourments, chaque
chose paraissait avoir finalement repris sa place.
2Sixième ville du royaume de France en 1789 avec ses 70 à
75 000 habitants intra-muros, derrière Paris, Lyon, Marseille,
Bordeaux et Nantes, Rouen l'était encore en 1801 sous le consulat
de Bonaparte. La brève et temporaire diminution de sa population
constatée en l'an IV, n'avait pas eu de conséquences et, si l'on en
croit le premier recensement de 1801 – tenu pour sérieux – et les
dénombrements intermédiaires, Rouen rassemblait plus de
80 000 habitants en ces débuts de la République consulaire.
L'activité portuaire y était en plein marasme mais la tendance au
recul, on y avait déjà été sensible avant 1789 quand Le Havre
imposait sa concurrence victorieuse : la ruine du commerce
havrais à partir de 1793 n'avait cependant pas relancé le trafic
d'un port presque laissé à l'abandon hors les relations fluviales et
maritimes proches. Mais l'activité de banque, de négoce, de
finance, elle, avait retrouvé son dynamisme ; épaulé par une
production manufacturière solide, elle avait repris sa force après
les années d'atonie consécutives à l'abandon de la réglementation
jacobine qui l'avait encouragée. Les cotonnades portaient encore
la production la plus dynamique, et entre 1800 et 1803, on créera
16 filatures hydrauliques dans l'agglomération rouennaise ; quant
aux métiers du bâtiment, réactivés par la commande publique et
l'ambition de pierre des nouveaux riches comme des anciennes
dynasties locales, ils s'apprêtaient à connaître une belle décennie
de prospérité.
3Ville par excellence de rente et d'administration en 1789, Rouen
l'était tout autant en 1801. Le Préfet Beugnot occupe le ci-devant
hôtel de l'Intendance et réunit autour de lui les nouveaux notables
qui seront bientôt, au regard de la liste départementale qu'on met
en chantier, parmi les 600 plus imposés, ceux qui présentent le
plus de mérites et dont la notoriété honore le nouveau régime.
Dès maintenant Beugnot rassemble le gratin du négoce, de la
banque et de l'entreprise au sein de la Chambre de commerce
rénovée. Mais qui en 1789, hormis quelques aristocrates dont
plusieurs sont ralliés ou envoie de l'être, composait le gotha de la
ville de Rouen sinon ces mêmes négociants, propriétaires et gens
de pouvoir, qui venaient déjà en tête sur les listes, imprimées,
affichées, publiées, de la contribution patriotique de 1789 ?
4Autrefois la ville tirait de la grasse campagne normande, du Pays
de Caux, du Bray et du Vexin, tout ce qui était nécessaire à la
prospérité et à l'opulence de ses nantis : hommes et femmes, des
travailleurs et des domestiques; les impôts et les rentes, le
bénéfice commercial et le profit tiré de la manufacture dispersée
qui travaillait pour l'exportation, affluaient. Rouen expédiait dans
son plat pays de banlieue et de campagne, ses nourrissons, ses
commis qui donnaient des ordres et levaient taxes et impôts, ses
gendarmes qui tenaient le grand chemin et puis avec le coton en
balle et les outils, les objets qui faisaient la consommation
nouvelle des ruraux contre les traditions rurales qui se défaisaient
depuis un siècle. La ville fixait les normes culturelles de la vie des
bourgs et des hameaux et, dans son séminaire, formait aussi
prêtres et desservants des paroisses. Mais à travers cet échange
inégal Rouen, comme toutes les villes métropoles, encadrait un
vaste domaine campagnard et forestier qu'on exploitait
sereinement avec le souci d'en préserver les capacités de
reproduction.
5En va-t-il autrement en 1801 ? La manière ou le rapport des
forces seront-ils inversés ? Certes non. Quelques changements
cependant : moins de prêtres ; surtout moins de curés qui sont
pour la plupart des revenants : 43 sur 51 sont d'anciens non-
jureurs et parmi eux 17 ci-devant émigrés que le nouvel
archevêque concordataire Etienne-Hubert Cambacérès, frère du
Consul, véritable “préfet violet” reprend en mains avec
détermination. Pour le reste, on travaille comme on le faisait,
accordant cependant plus de temps à la pomme de terre qui
occupe plus de place dans le manse et dans les jardins de la cour-
masure. Quant au coton en balle ou en fil, qu'importe que son lieu
d'origine et son coût ait changé puisque le prix payé pour sa
transformation au regard du travail fourni, demeure presque
identique ; qui le contrôle ce tarif sinon les mêmes marchands-
fabricants qui de surcroît proposent aussi de travailler le lin ?
Quant aux impôts, quoiqu'ils soient différemment perçus et plutôt
plus lourds pour les moins modestes, quant aux rentes,
rassemblées sous une dénomination unique mais de volume
comparable et versées à terme échu selon le contrat, quant aux
ordres qui viennent toujours de la ville par l'intermédiaire de ceux
qui dans le bourg s'en font les relais comme les maires, qui dira
que le nouveau régime en a nettement effacé la rigueur ou allégé
la contrainte ?
6Au demeurant, la grande ville, elle-même, est toujours basée,
rive droite, au dos de la même boucle de la Seine, entre Robec et
Cailly, sur les mêmes terrasses étagées au pied des versants du
plateau cauchois, mal reliée par le même pont de bateaux
brinquebalant dans la marée, à l'industrieux faubourg Saint-Sever
qu'on projette toujours d'aménager. Vers 1800, Rouen paraît
toujours aussi sale, obscure, nauséabonde, empestée, “gothique”
pour tout dire, telle que l'ont décrite Arthur Young en 1787,
Coquebert de Montbret se rendant en Angleterre et en Irlande en
1789, Miss Williams en 1791. Toujours le même contraste entre
les beaux hôtels de l'Ouest et du Nord de la ville, entre les
espaces monumentaux plutôt mal entretenus et les dangereux
quartiers populaires de l'est. Même différence entre les actives et
populeuses rues de commerce du centre et les amas de venelles
aux entrepôts putrides, proches des quais ou occupant les
espaces bâtis intercalaires.
7Y est-on moins instruit qu'autrefois comme les pessimistes le
prétendent ? Pourtant dans les classes ouvertes à l'étage ou dans
les petites pensions qui ont remplacé écoles paroissiales ou
communales, maisons d'école et collège, des maîtres et des
maîtresses – ce sont quelquefois les mêmes que naguère,
renforcés ou remplacés par d'autres qui leur sont identiques –
accueillent des masses d'élèves. On attend l'ouverture de ce qui
sera le Lycée tandis que se survit l'École centrale. Aux
prestigieuses mais devenues peu actives sociétés académiques et
de pensée ont succédé cercles bourgeois qui réunissent les
hommes influents et associations publiques aux visées plus
utilitaristes. Beugnot a reconstitué l'Académie mais c'est à la
Société d'Émulation de la Seine-Inférieure, créée, en 1792, sur les
décombres des anciennes structures de sociabilité plus ou moins
savantes, que se retrouvent manufacturiers et techniciens,
administrateurs et savants les plus en vue. Dans les boutiques où
l'on s'arrachait, en 1789, les brochures et le seul organe de
presse,  Les affiches de Normandie de Milcent, on peut acquérir
le  Journal de Rouen qui en a pris la suite et que Beugnot
transforme en  Journal de la Préfecture, ou bien encore
l'insipide  Chronique qui se survivra jusqu'en 1810. Des livres
encore, car l'imprimerie demeure prospère, mais des brochures,
plus guère !
8Et puis les rouennaises et rouennais du populaire, de l'atelier et
de la boutique, n'ont guère changé, même vestimentairement.
L'endogamie de résidence et l'homogamie sociale paraissent
encore s'imposer comme devant, c'est-à-dire comme les a
décrites J.P. Bardet pour le XVIII  siècle. Après 1793, on a profité
e

de la législation sur le divorce pour régulariser des situations de


fait, plus rarement pour repartir dans la vie ou échapper au
“séquestre”, mais en 1800, l'habitude plus ou moins laïcisée de la
conjugalité canonique a retrouvé la force du modèle : une force
que le Code civil, qui liquide en droit, plus lentement en fait, les
pratiques liées à la coutume et à sa variante de Caux, va décupler.
On vit, on meurt et sans doute fait-on l'amour à Rouen, en 1801,
comme on en avait la pratique avant 1789 par dessus les rudes
pointes de morbidité/mortalité de l'an III et de l'an IV, pardessus
la reprise des mariages facilitée par la conscription, par dessus
enfin le rattrapage des naissances de l'an V à l'an VIII que favorise
l'affadissement des anciens préceptes moraux de l'Église. Eston
cependant moins croyant aujourd'hui qu'hier ? Sans doute ne voit-
on plus de moines ni de religieuses et voit-on peu de prêtres dans
la ville, surtout moins d'églises en état d'accueillir les fidèles. Mais
à l'exception d'une mince couche d'incroyants déclarés qui
auraient fait scandale quinze ans avant, le bon peuple en tient
pour les rites et pour ses habitudes… pour autant que celles-ci
dans les faubourgs et les quartiers d'ateliers aient été vraiment
pieuses !
9Comme en 1789, à Rouen en 1801, on fait plutôt du cidre que
du vin dont se délectent les plus aisés et on s'adonne à la “goutte”
mais le bonheur de vivre se mesure à la viande, au beurre, à la
crème, au petit “neufchâtel” que l'on y consomme. Or la déflation
des prix et la liberté du marché ont rendu tout cela accessible, du
moins à la partie de ceux qui “sont occupés” de commerce ou
d'industrie ou reçoivent des “gages” : tous n'en sont pas là malgré
la prospérité annoncée par le Préfet !

10Voici enfin que notre observateur au regard froid s'intéresse
aux premiers personnages publics de la ville. En 1789, un noble
de vieille extraction, Dubosc de Radepont en était le maire,
nommé par le Roi, sur une liste de trois candidats proposés par le
“Corps de ville”, lui-même composé de six “échevins”, trois venus
de la noblesse, trois du négoce, organiquement choisis par la
Sanior pars d'une cité aux 61 corps et communautés d'arts et de
métiers dont, seules, les premières exerçaient une réelle
influence. L'avocat de la ville, adjoint au corps de ville en 1789,
était Jacques Guillaume Thouret qui, peu après, présidera
l'Assemblée nationale constituante. Parmi les échevins, outre le
banquier annobli Le Coulteux de Canteleu, siégeait le négociant,
Pierre-Nicolas De Fontenay de la firme “Veuve Fontenay et fils”
dont l'autre propriétaire, Alexandre, le frère, avait créé la grande
filature mécanique de Louviers qui employait 500 ouvriers. Le
jeune et richissime Marquis Joseph Fortuné d'Herbouville
entraînait le clan de la noblesse libérale qui acceptait de se
soumettre à l'impôt territorial.
11En 1801, le maire nommé par le Premier consul sur proposition
du préfet et en application de la Constitution de l'an VIII, est le
même Pierre Nicolas Defontenay : dans le patronyme on n'isole
plus la particule du désignant “Fontenay” qu'en 1793, on évoquait
seul… Le 3 novembre 1802, Bonaparte, lui-même, viendra à
Rouen rendre hommage à cet homme, à l'occasion d'une visite à
l'exposition des produits de l'industrie haut-normande organisée
par la Société d'Émulation. Sur la cheminée du cabinet du maire,
siège un buste de Thouret : témoignage de fidélité à l'homme du
compromis de 1789, victime en 1793 de la vindicte de ceux qui
n'oubliaient pas son rôle dans la mise en place à Paris de la
“Terreur tricolore” de l'été de 1791. Le Coulteux de Canteleu est
devenu l'un des banquiers parisiens en vue, bientôt co-fondateur
de la Banque de France. Le Marquis d'Herbouville, extrait de son
domaine de Saint-Jean-du-Cardonnay (appartenant aujourd'hui
aux Polignac) où il exploitait ses biens physiocratiquement, en
gentleman farmer, est devenu Préfet du département des Deux-
Nèthes où il est installé depuis le 12 avril 1800 (22 germinal an
VIII). Forfait, l'un des grands ingénieurs maritimes de la
monarchie, issu du négoce de Rouen et que la Législative avait
accueilli comme député, devenait ministre de la marine, le
1  frimaire an VIII (22 novembre 1799), Conseiller d'État, Préfet
er

Maritime de Gênes. Faudrait-il multiplier les exemples ? La


conclusion paraissait s'imposer : par dessus les vicissitudes de
l'événement, rien n'avait donc fondamentalement changé et notre
observateur au regard désabusé qui avait la tripe plébienne de se
demander : “Eh quoi, toujours les mêmes dominants et les
éternels dominés  ? Rien ni personne ne changera-t-il donc
jamais  ?”
12C'est alors que, lucide, notre observateur se prend à interroger
certains silences et à questionner d'évidentes absences ; il
remarque au détour de places et de cours, des espaces inoccupés
et clos de palissades, d'antiques monuments qui menacent ;
ruine ; le regard de quelques passants traduit, ici de possibles
nostalgies, là de l'accablement, le plus souvent une épaisse
satisfaction de nantis. Et le voici notre guide, qui s'intéresse enfin
au nouveau cours de l'Administration dont on exalte l'efficacité
autant que l'ordre géométrique !
13Le Préfet Beugnot est sûr de lui et assuré de la confiance du
gouvernement. Il s'apprête à faire connaître son projet et sa
méthode dans ce qui sera le  Tableau de l'esprit public en l'an
X  : “donner au département le plus grand mouvement
domestique dans la plus parfaite immobilité politique” ; en
d'autres termes, promouvoir la légitimité des intérêts privés dans
la stabilité de l'ordre public : vaste programme Nous y sommes
encore !
14Il entreprend de réunir les noms des 24 notables du conseil
Général du département, en veillant à y placer 15 administrateurs
dont huit rouennais ayant exercé des fonctions électives au cours
de toutes les phases de la décennie qui s'est achevée avec
l'avènement du Consulat. Réorganisant ses bureaux, Beugnot a
réduit le nombre de ses commis mais renforcé l'effort d'inventaire
statistique, créant une commission   ad hoc se réunissant chaque
semaine sous la houlette du savant publiciste Noël de la
Morinière, ancien jacobin et ancien rédacteur du   Journal de
Rouen en l'an II comme en l'an III, et auteur d'un  Annuaire du
département qui fait autorité. Autour du Préfet, des ingénieurs et
des architectes, comme François Laurent Lamandé, ingénieur des
Ponts et Chaussées, né en 1735, auteur, en 1787, d'un grand plan
de recomposition du port du Havre, et en 1795, d'un plan de
réorganisation et d'urbanisation de la vieille cité de Rouen, du
port, de la rive gauche creusée de canaux, des faubourgs retaillés
géométriquement. Le successeur de Lamandé, Louis Le Masson,
ingénieur depuis 1776, retravailla avec succès ce “projet
d'embellissement” puis, après l'avoir présenté devant la Société
d'émulation, l'avait remis au Préfet lui-même, le 20 prairial an VIII
(10 juin 1800). Que voyons-nous sur ces plans ? Non pas un
nouveau témoignage de l'utopie architecturale des Lumières, ni
non plus une simple rationalisation de l'espace clos mais un projet
de réurbanisation fonctionnelle de la ville de Rouen, ville de
circulation, de pouvoir et d'administration, centre de
manufactures. Or ce qui rend le projet viable et possible résulte
de deux faits :
1. L'appropriation par la ville de son  espace communal réalisé, en
1790, quand l'Assemblée nationale a avalisé l'absorption des
faubourgs  extra muros, érigés en municipalités autonomes en
1787, faisant ainsi disparaître la distinction de l'intra-muros et
de l'extra-muros qui fixait tous les “privilèges”.
2. L'appropriation publique et la municipalisation de vastes
espaces royaux ou cléricaux, bâtis ou clos, au cœur du tissu
urbain ancien. Dégagement du Vieux Palais ; construction d'un
solide pont de pierre sur la Seine ; aménagement à l'est d'une
nouvelle place consacrée à l'espace public sur l'ancien
territoire de la puissante abbaye de Saint-Ouen ; entre les
deux, un grand axe de circulation nord-sud par dessus la
Seine et à proximité du port : ces données accompagnaient
l'ambitieux projet de construire des canaux sur la rive gauche
et d'édifier un second centre moderne à Saint-Sever, de
liquider le reste des ramparts pour y établir des boulevards
circulaires…
Agrandir Original (jpeg, 1,5M)

Plan d'embellissement de la ville de Rouen dressé par l'ingénieur Le


Masson, l'an 4 de la République française, adressé au ptéfet Beugnot le
20 prairial an 8. (10 juin 1800)
Agrandir Original (jpeg, 1,5M)

Plan de Rouen avec le projet général des ouvrages pour l'amélioration


du port et l'agrandissement de la ville par F.-L. Lamandé. 1795.
15C'est ici qu'il conviendrait de rappeler à notre observateur
sagace, l'importance décisive de la loi municipale du l4 décembre
1789 qui avait institué, dans son article 49, “le pouvoir municipal”
en lui donnant “deux espèces de fonctions à remplir, les unes
propres au pouvoir municipal” – l'article 50 de la loi les détaille –,
“les autres propres à l'administration générale de l'État et
déléguées par elle aux municipalités”, comme l'était par exemple
l'organisation des “Assemblées primaires” et leur convocation
dont dépendait la formation de la volonté générale de la nation.
Dix ans après, la démocratie censitaire a vécu et la démocratie
élargie est oubliée; le “pouvoir municipal” après avoir beaucoup
reçu en 1792 et 1793 par “délégation” de l'État, a beaucoup perdu
depuis le décret du 14 frimaire an II et à sa suite, mais dans ses
attributions spécifiques plus étroites – dont la nouvelle
Constitution de l'an VIII a confié l'administration à des notables
désignés par l'État – il a conservé l'essentiel de ses prérogatives
urbanistiques… Bientôt cependant – en 1811 – Le Masson et
Lamandé – fils seront mis à pied d'œuvre pour l'édification d'un
pont de pierre, qui, à la différence du premier projet, se
présentera en accent circonflexe, prenant appui sur l'île de la
Mouque, avec, dans son axe nord ce qui sera la Rue de la
République, à son extrémité la nouvelle place de l'Hôtel de ville et
dans son axe sud, au delà de la Seine, la future rue Lafayette
débouchant sur l'Église Saint-Sever.
16La Révolution faite a donc rendu possible la déchirure et la
recomposition de la vieille cité médiévale parce qu'elle a brisé le
pouvoir, les habitudes, les privilèges de ceux qui en avaient
séculairement maîtrisé l'espace social et compromis toutes les
entreprises de rénovation radicale, même au temps du pouvoir de
l'Intendant De Crosne, avant la crise de l'État.
17Intéressé par ce constat, notre observateur au regard froid
visitera pour finir le maire Pierre-Nicolas Defontenay. Que restait-
il encore chez ce puissant personnage de ses idées premières
quand, député aux États généraux, il se fit porte-parole à la
Constituante du lobby des députés de Commerce ? L'homme qui
présida le directoire du nouveau département enl792, qui sut à
temps rompre avec ses amis “feuillants”, adhère à la République
en septembre, puis en 1793, accepte d'un mot la constitution et
simultanément refuse l'aventure girondine de l'été, pour devenir
pour quelques semaines maire de la ville, à la demande des
représentants en mission, avant d'être momentanément déclaré
suspect “d'incivisme et d'aristocratie” ; était-il le même homme
que Bonaparte venait de propulser au premier plan ? Il fut, certes,
l'un des protagonistes de la régénération de la société populaire
après thermidor et on le savait aussi “ferme républicain”,
notamment lors du coup de fructidor an V dont il fut l'un des
supporters locaux. Mais son ralliement à Bonaparte après
Brumaire pouvait-il faire oublier les palinodies antérieures ?
Pourtant, le 10 prairial an VIII (30 mai 1800), notre observateur
entendit Defontenay au cours de son installation publique rendre
hommage “aux travaux de son infortuné et vertueux ami Thouret
(avec lequel) il partagea l'honneur de relever en France l'autorité
paternelle du pouvoir municipal', et déclarer pour l'autocritique
“qu'il lui est doux de terminer sa carrière politique en concourant
à des vues bienfaisantes après avoir été le témoin impuissant de
mesures désastreuses” et soutenir une “société où chacun se
range naturellement à l'ordre où le vœu des bonnes lois est
toujours prévenu”. Peu d'années après, nous le savons, le 26
prairial an XII (5 février 1804), le maire sera fait membre et
commandeur de la légion d'honneur et sénateur d'empire, le 28
pluviôse suivant (18 février 1804).
18Se rendant à Paris pour ses fonctions, chez qui croyez-vous va
loger Defontenay ? Chez Le Coulteux, rue Cassette, l'ami et le
collègue d'autrefois, devenu lui aussi sénateur, bientôt Baron
d'Empire et c'est à Paris dans un hôtel appartenant au banquier
que mourra Pierre-Nicolas Defontenay, le 11 février 1806.
L'homme qui vient d'achever sa “carrière” (sic) qu'a-t-il encore de
commun avec le jeune réformiste de la “Commission
intermédiaire” de l'Assemblée provinciale de 1787 ? Comme tous
les représentants de l'élite du négoce rouennais dont il sort et
auquel il est lié par son mariage, De Fontenay plaidait contre le
“despotisme” des bureaux et les blocages de l'ancien ordre en
faveur de l'autonomie de la ville, de la reconstitution des États
provinciaux de Normandie, de la déconcentration de l'initiative; il
réclamait la liberté contre la réglementation. Avec Thouret, avec
Le Coulteux, avec les nobles libéraux ralliés à leur cause, il militait
en faveur du “self-governement” qui, à leurs yeux de concurrents
inquiets, faisait merveille en Angleterre. Il souhaitait une
démocratie censitaire qui reconnaîtrait la valeur du mérite comme
de la naissance et s'appuierait sur l'intérêt des propriétaires et des
entrepreneurs. Il fallait à ses yeux réduire le poids et les
compétences de l'État à  l'intérieur du royaume devenu un marché,
et soutenir, car il participait de cet optimisme prométhéen de
l'époque, l'effervescence nécessaire venue d'en bas et l'initiative
des “citoyens”…
19En 1802, gorgés des biens nationaux dont ils se font une
garantie et une caution pour leurs créances et leurs engagements
capitalistiques, le notable Pierre-Nicolas et son frère Alexandre,
sont devenus infime partie de la classe nationale au pouvoir et à
laquelle une politique de mariages, d'alliance et de relations les
associent étroitement. Ralliés au pouvoir centralisé de l'État
consulaire, ils ont renoncé, expérience faite, à leurs ambitions
d'autonomie décentralisatrice. Désormais unificateurs et
centralisateurs à l'intérieur, promoteurs de la juste émulation que
favorise la concurrence, ils ne veulent entendre parler face à
l'Angleterre, “éternel artisan de nos maux” (discours du l0 prairial
an VIII), que d'une juste protection de la production nationale.
Quant aux “bonnes lois”, elles sont loi d'ordre et de discipline, de
celles qui empêchent les dérapages et les idées folles comme on
le vit avec la malheureuse exécution en 1789, puis réhabilitation
contrainte en 1793, de ces misérables émeutiers Bordier et
Jourdain… Souvenir cuisant ou cauchemar possible ?

20Ce que ne dira pourtant pas notre contemporain d'alors à l'œil
perçant, mais que nous concevons fort bien aujourd'hui à travers
le rappel de l'itinéraire biographique de Pierre-Nicolas
Defontenay, c'est la manière dont une certaine bourgeoisie s'est
transformée elle-même pour devenir la classe dominante et
dirigeante d'une nation solidement encadrée par une
administration d'État efficace. Dans ce passage de la générosité au
réalisme, du rêve fondateur à la pratique-organisatrice, se lit en
creux l'œuvre au vrai de la Révolution, à Rouen comme ailleurs.
L'histoire “est un procès sans sujet” a dit l'un de nos philosophes
contemporains que j'aime.
21Quant au peuple, le petit qui est à la marge, et le moyen, le plus
activement présent, on ne le vit jamais à Rouen au cours de la
décennie écoulée, ni très radical, ni très autonome quoique
souvent fort agité. Dans tous les lieux où sa parole a pu se faire
entendre, dans l'assemblée hors les murs de mars 1789 où l'on
annonçait la mort du Tiers État, à la Société populaire puis dans
les cercles constitutionnels et au théâtre quand, en l'an II, on y
donnait des pièces gratuites “de par et pour le peuple” comme à
Paris, ce n'est guère sa voix que l'on avait entendue mais celle des
publicistes qui parlaient en son nom. Du moins, au fort de la
Révolution, avait-on évoqué sa force et son droit, notamment de
1791 à l'an III, quand paraissaient à Rouen, exemple unique en
France hors Paris, jamais moins de trois quotidiens, six dans
l'hiver de l'an II. Désormais le silence s'est emparé des rues et
places des populeux “cantons” où se fabrique la “rouennerie”,
entrecoupé de temps à autre, de brusques moments de tensions.
Mais qui peut dire que derrière le silence des sources ne demeure
pas la nostalgie d'une République et d'un temps qui savaient
exalter le patriotisme des petits et tenir l'indigence pour le gage
de la vertu ? Cette nostalgie invisible est-elle insensible ?
22Interrogeons l'aval du temps quand l'industrieuse capitale de la
Normandie se montrera toute agitée par la passion de la
République et par les premières luttes et espérances ouvrières.
Oublierait-on qu'Armand Carrel qui fut volontaire républicain en
Espagne, en 1823, condamné à mort par les autorités français et
évadé avant de devenir, après 1830, 1'un des grands
du  National, est tout entier porteur de la tradition républicaine de
l'est d'une ville où il est né et fut élevé dans un milieu pourtant
catholique et conservateur ? Oublierez-vous l'hommage que rend
Chateaubriand dans les  Mémoires d'outre-tombe à “cet homme
de cœur, toujours prêt au grand jour à se jeter sur la pointe d'une
épée” (L. 35, ch. IX) ? Omettrai-je de parler de ce Joseph
Cord'homme, étudié par Yannick Marec, qui fut l'inspirateur du
beau républicain de Boule de Suif de Guy de Maupassant ? Que
dire enfin de cette capacité à la résistance ouvrière, parallèle à
l'exigence républicaine, qui s'est poursuivie et renouvelée,   sotto
voce, mezzo voce avec Charles Noiret, par dessus les temps
calamiteux, jusqu'au printemps de 1848 ? Le grand Flaubert, dont
le père Achille Cléophas, chirurgien de l'Hôtel Dieu où il avait
succédé au Jacobin Laumonnier, le même qui avait naturalisé les
têtes de Bordier et de Jourdain, s'en était effrayé… Reflet de la
grande peur sociale qui a traversé la ville. Et la Révolution, ces dix
ans de révolution, n'auraient rien changé ?

23A quoi tient le changement ? Au regard de l'anthropologue,
l'Homme n'est guère différent en 1800, en 1820, de ce qu'il était
en 1780, sauf à considérer la mutation des conditions de sa
“socialisation” comme nous l'avons envisagé dans notre colloque
de Rouen en 1988 ; le matériel dont disposera l'ethnologue et le
lexique du Linguiste comporteront quelques disparitions,
quelques apparitions dont les musées ou les dictionnaires, même
bilingues, recenseront bien vite les occurrences. Le philosophe et
le juriste observeront les nouvelles règles, ou les nouveaux
principes, la légitimation du pouvoir souverain. Pour l'économiste,
les transformations techniques, plus lentes, plus continues qu'on
ne le croyait, les phases conjoncturelles, se mettent en tableaux et
en courbes et l'objet Révolution se réduit à l'appareil législatif et
réglementaire, au discours… Mais pour l'historien qui se donne
pour ambition de concevoir comment se transforme dans la
subtile dialectique de l'inter relation, le subjectif de la
représentation et la réalité mouvante, alors ce temps de tempête
fut un temps de changement.
24A Rouen, il est vrai, le changement a bien existé, puisque je l'ai
rencontré.
BIBLIOGRAPHIE

SOURCES ET BIBLIOGRAPHIE
Sources :
– Délibérations municipales de la ville de Rouen,   Arch. mun. (Bibl. m.
de Rouen), Série D, Y1 à Y11, passim et D 3/2 sur la réunion des
faubourgs à la ville.

– Liste imprimée des citoyens soumis à la contribution patriotique de


1789, par ordre de l'Ass. elect. et municipale de la ville de Rouen, De
l'imprimerie de la ville, 1790 (col. pers.).
LE MASSON,  Mémoire statistique et descriptif du Département de la
Seine-Inférieure, Rouen, 1801, (BMR, Mont. Y3).  La mort du Tiers-État
ou plaintes (…), Rouen, mars 1789 (col. pers.).

YOUNG α.,  Voyages en France, Paris, Colin, 1976 (tr. fr.), cf. T.1.,


p.313.  Lettres écrites à une amie en Angleterre par Miss
Williams, Paris, 1791.
– Carnets de voyage en Angleterre de Charles-Etienne Coquebert de
Montbret en 1789, éd. par Elisabeth REBOURS, mém. de maîtrise, 1991,
d'après le Ms, BMR, Mbt 1015 (2).

– Cartes et plans de la Bibliothèque nationale : 1,  Plan de Rouen avec le


projet général des ouvrages etc… par F.-L. LAMANDE, 1795 ; 2,  Plan
d'embellissement de la ville de Rouen etc… par l'ingénieur LE
MASSON, an IV de la République, adressé au Préfet Beugnot le 20
prairial an VIII.

– Dictionnaire français-espagnol (…) enrichi “d'un vocabulaire des mots


nouveaux introduits depuis la Révolution dans la langue française”,
par GATEL, Lyon, Bruyset, 1803 ; cf.p.757-764.

Parmi les travaux consultés :


GENERAUX :
– La Révolution en Haute-Normandie (1789-1802), Comité rég. d'hist.
de la Révolution Française, Rouen, Éd. du P'tit Normand, 1989 (2  éd.) ;
e

cf. ch. 1 à 11.

– A travers la Haute-Normandie en Révolution (1789-1800),  Comité


prog. d'hist. de la R.F. et IRED, Université de Rouen, Rouen,-1992.

GARCIA DE ENTERRIA E.,  Révolution française et administration


contemporaine, Paris, Economica, 1993 (trad.), col. “Droit public
positif” dir. Louis Favoreu.

PONTEIL F., “Le régime autoritaire et les grandes lois organiques de l'an


VIII”,  Revue internationale d'histoire politique et
constitutionnelle, 1954, n°4, p. 231.
PARTICULIERS :
BARDET J.-P.,  Rouen aux XVII   et XVIII   siècles, les mutations d'un
e e

espace social, Paris, Sédès, 1983 (2 vol).

BOIVIN M.,  Le mouvement ouvrier dans la région de Rouen, 1851-


1876, Publications de l'Université de Rouen, 1989.

BOULOISEAU M.,  Cahiers de doléances du Tiers-État du bailliage de


Rouen pour les États-Généraux de 1789, Rouen, Imp. adm., 1960, T.
1., “La ville”.

CHALINE J.-P., 1-Les bourgeois de Rouen  : une élite urbaine au


XIX   siècle, Paris, Presses de la Fondation nationale des sciences
e

politiques, 1982; 2- L'affaire Noiret, Rouen, Société de l'histoire de


Normandie, 1986.

CHASSAGNE S.,  Le coton et les patrons, France, 1760-1840, Éditions de


l'École des Hautes Études en Sciences sociales, Paris, 1991.

DARDEL P.,  Commerce, industrie et navigation à Rouen et au Havre au


XVIII   siècle, Rouen, 1966.
e

DE LA QUERIÈRE,  Coups d'œil sur 24 églises supprimées à Rouen en


1791, Rouen, 1966.

MAREC Y.,  1848 à Rouen  : les mémoires du citoyen Cord'homme, oncle


de Maupassant, Éd. Bertout, Luneray, 1988.

MAZAURIC C.,  Sur la Révolution française, contributions (…), Paris, E.S.,


rééd. 1988.

MAZAURIC C., Jacobinisme et Révolution, autour du bicentenaire  (…),


Rouen, E.S., 1984 ;  Rouen sous la Révolution, Rouen, CRDP, 1967
(cahier pédagogique).

QUENIART J.,  L'imprimerie et la librairie à Rouen au XVIII   siècle, Paris,


e

1969.

SEVESTRE E. (Abbé),  Les problèmes religieux de la Révolution et de


l'Empire en Normandie, Paris, 1924.
– A l'origine des départements  : hommage à Jacques-Guillaume
Thouret 1746-1794, Actes du colloque du 1  décembre 1989,
er

Imprimerie Administrative de la Seine-Maritime, 1990, 108 pages.

VIDALENC J.,  Textes sur l'histoire de la Seine-Inférieure à l'époque


napoléonienne, Rouen, CRDP, 1976 (Cahier pédagogique).

WAUTERS E.,  Une presse de province pendant la Révolution française.


Journaux et journalistes normands (1785-1800), Paris, CTHS, 1993.
***

MÉMOIRES DE MAITRISE (soutenus à l'Université de Rouen et préparés


sous la direction de l'auteur).

BREEMEERSCH-GREAUME N.,  Recherches sur la Garde Nationale de


Rouen, 1992.

CORTES α.,  Jean-Barthélémy Lecoulteux de Canteleu, banquier et


député, 1989.

DESJARDINS α.,  Le personnel de la société populaire de Rouen (1790-An


II), 1992.

GUEVILLE C.,  Circonscriptions administratives et géopolitiques de la


ville de Rouen au cours de la Révolution française,  1989.

FLEURY G.,  Les suspects à Rouen et dans les communes environnantes


(1793-1794), 1987.

FRILEUX α.,  Recherches biographiques sur Charles-Joseph Fortuné,


Marquis d'Herbouville, 1991.

HEBERT F.,  Entre politique et transcendance, Le mouvement festif à


Rouen de 1790 à l'an III, 1992.

LABOULAIS I.,  Le flambeau du républicanisme : un journal à Rouen


pendant la Terreur, 1991.

MATIAS M.,  La vente des biens nationaux de première origine dans le


district de Rouen (1790-1855)”, 1990.
MENTHA I.,  La chronique théâtrale dans la presse rouennaise de 1789 à
1799, 1993.

ROUSSILHE F.,  La perception de l'anti-révolution par les jacobins de


Rouen de 1792 à l'an III, 1986.

SEBBAN D.,  P.N. Defontenay ou la bourgeoisie au pouvoir, 1987.


TABLE DES ILLUSTRATIONS

Légend Plan d'embellissement de la ville de Rouen dressé par l'ingénieur Le Masson,


e l'an 4 de la République française, adressé au ptéfet Beugnot le 20 prairial an
8. (10 juin 1800)

URL http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/14320/img-1.jpg

Fichier image/jpeg, 1,5M

Légend Plan de Rouen avec le projet général des ouvrages pour l'amélioration du port
e et l'agrandissement de la ville par F.-L. Lamandé. 1795.

URL http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/14320/img-2.jpg

Fichier image/jpeg, 1,5M

AUTEUR
Claude Mazauric
Du même auteur

 Présence de Babeuf. Lumières, révolution, communisme, Éditions de la Sorbonne, 1994


 Préface in Révolution et sociabilité en Normandie au tournant des   XVIII   et  XIX   siècles,
e e

Presses universitaires de Rouen et du Havre, 1998


 Avant-propos in Le Mouvement ouvrier dans la région de Rouen 1851-1876. Tome 1 ,
Presses universitaires de Rouen et du Havre, 1989
Les relations Paris-Province-
Paris à travers un réseau de
notables
Christine Le Bozec

p. 365-376

TEXTE NOTES AUTEURILLUSTRATIONS

TEXTE INTÉGRAL
1Pour montrer les relations Paris/Province/Paris à travers un
réseau de notables, nous avons fait le choix du département de
l'Ardèche qui députa aux États-généraux en mars 1789 un jeune
avocat protestant, François-Antoine Boissy d'Anglas. En 1826, ce
dernier mourait pair de France après avoir effectué un parcours
politique “singulier” mais “exemplaire”. En suivant sa trajectoire
nous avons assisté à la mise en place d'un réseau de notabilités,
que nous avons pénétré. Nous avons observé son fonctionnement
pendant toute la phase de transition.
 1 L. BERGERON G., CHAUSSINAND-NOGARET,  Les Grands notables de
l'Empire, Éditions C N R S, Paris, 197 (...)

 2 L. BERGERON, Les masses de granit, Cent mille notables de l'Empire,


Éditions EHESS, Paris, 1979.

2En effet, Boissy correspondait aux critères de notabilité


officialisés par les listes de notabilité de l'an X puis par les
dispositions constitutionnelles de l'an XI. Propriétaire, de bonne et
ancienne famille, de moralité reconnue, “bon père-bon mari”, il
s'était régulièrement indigné devant la licence des mœurs
directoriales. Jouissant de l'estime et de la confiance de ses
concitoyens, il avait toujours été élu et réélu aisément. Enfin, il
avait assuré des fonctions d'administrateur et représentait un
merveilleux canal d'information, d'amont et d'aval, par les
relations étroites et anciennes entretenues avec et dans son
département de l'Ardèche. Ces critères de propriété,
d'honorabilité et de discrétion nous paraissent correspondre à
ceux définis par L. Bergeron et G. Chaussinand-Nogaret dans
leurs travaux sur les notables1 2.
3Ce qui en premier lieu a attiré notre attention est la corrélation
entre la liste départementale de notabilité de l'an X établie pour le
département de l'Ardèche et la correspondance qu'entretenait
Boissy avec son département depuis 1788, parfois même,
quelques lettres remontent à 1777. En effet, Boissy n'a jamais pris
de distances avec son département d'origine. Toute sa vie nous
savons son attachement au département natal. Il y a conservé ses
amitiés d'enfance et de jeunesse qu'il entretient par de nombreux
séjours en Ardèche et aussi grâce à cette importante
correspondance dont nous parlions plus avant.
4A cet effet, nous avons comparé sept types de listes de
personnalités ardéchoises :
 la liste de fréquence de fréquentation de la loge de la “Vraie
Vertu” d'Annonay entre 1781 et 17883
 celle des personnalités ayant signé le procès-verbal du 30
octobre 1788 demandant que “des notables obtiennent le
droit qu'ils ont d'être représentés d'une manière suffisante ou
par des représentants librement élus dans les trois Ordres ”4
 les listes des Trente et Soixante plus imposés du département
 la liste du collège électoral de l'arrondissement de Tournon
pour les années 1808 et 1809
 la liste présentée au Corps législatif, pour l'année 1808 5
 la liste du collège départemental pour l'année 1808.

5Nous avons constaté en premier lieu que quinze des vingt noms
cités sur la liste de la Loge d'Annonay se retrouvaient parmi les
quarante-huit de la seconde liste. En second lieu, demeurent sur
la liste des Trente quatre noms de la liste de la Loge et cinq de
celle de 1788. Que sur la liste des Soixante, nous retrouvions six
noms figurant sur la liste de la Loge et huit noms de la liste de
1788. Que sur la liste des membres du collège électoral de
Tournon, six noms de la Loge et sept noms de la liste de 1788
étaient toujours présents. Que deux membres sur les huit
présentés au Corps législatif en 1808 étaient présents déjà en
1788 et l'un des deux figurait sur la liste de la Loge. Enfin que sur
la liste départementale, qui comprenait six-cent-quatre-vingt-
trois électeurs dont deux-cent-soixante-treize pour
l'arrondissement de Tournon, nous retrouvions dix membres de la
Loge et onze signataires de la liste de 1788. Rappelons que vingt
années s'étaient écoulées, la mort avait dû éclaircir les rangs. Mais
tout au long de ces vingt ans, nous avons constaté que l'armature
de la notabilité avait perduré. C'est en ce sens qu'il nous paraît
possible de parler du triomphe des élites bourgeoises de 1789.
6Boissy était donc personnellement lié à une importante
proportion des hommes qui exerçaient en Ardèche l'hégémonie
culturelle et politique et l'influence déterminante. Nous avons
calculé le nombre des membres de chaque liste avec qui il était en
relation étroite depuis 1788 :
 liste des Trente : 9 = le tiers
 liste des Soixante : 20 = le tiers
 liste du collège électoral de Tournon : 15 = plus de la moitié
 liste des membres présentés au Corps législatif = plus des
deux tiers
 6 Le lecteur peut en prendre connaissance à la fin de cette
communication.

 7 Fonctionnaire, juge, notaire, avocat, médecin, propriétaire foncier,


militaire, propriétaire de ma (...)

7Nous avons dressé un tableau qui accompagne la rédaction de


cette communication6, concrétisant la manière dont ces listes se
recoupent toutes. Au sein de ce réseau, Boissy nous semble être
devenu un centre autour duquel gravitaient tous ces notables
locaux, le véritable point d'ancrage des élites locales. Au sommet
d'une pyramide départementale, il connaissait personnellement
tous les hommes qui étaient en contact, de par leur profession ou
fonction7, avec l'ensemble de la population, et c'est par leur canal
que se formait et s'exprimerait alors l'opinion ou ce que l'on tenait
pour telle.
 8 Archives départementales de l'Ardèche, 12 J 237 = 2 Mi 339 et 12 J
239.

 9 Correspondance étudiée en détail dans notre thèse : De la Révolution à


la Restauration, François-A (...)

8Grâce à cette étude, nous avons pu constater (et vérifier)


l'émergence de la fonction de notable, nous sommes tentée de
parler de proto-notable, vu le caractère embryonnaire de la
fonction en ce premier quart de XIX  siècle. En effet, nous avons
e

relevé entre l'an IX (1800-1801) et 1814 et seulement aux


Archives départementales de l'Ardèche8 quatre-vingt-deux lettres
de sollicitations et remerciements pour services rendus. Si nous y
adjoignons la correspondance consultée aux Archives nationales,
les lettres dispersées dans les archives départementales ainsi que
dans les bibliothèques municipales9, nous dépassons les deux-
cents lettres de ce type, témoins de son activité d'intercesseur
auprès des autorités publiques. Nous supposons qu'il ne
conservait pas toutes les sollicitations qui affluaient, qu'il y
opérait un tri lui-même, avant que de s'adresser à celui qui
pouvait l'aider. Nous avons lu les lettres qu'il écrivait pour
satisfaire à ces sollicitations. Ce qui les rend intéressantes, ce
n'est guère le contenu, toujours le même, mais ce sont les
personnalités qu'il contacte : Daru, Montalivet, François de
Neufchâteau, Cambacérès, Roederer, Fontanes (Boissy avait
pléthore d'enseignants à placer), le Duc de Maza, le Duc de
Rovigo, le Ministre de l'Intérieur, de la Justice, sans compter
toutes les lettres adressées à Monsieur le Duc, Monsieur le Comte,
Monsieur le Conseiller sans plus de précisions, mais dans tous les
cas, des personnes situées au niveau le plus élevé de l'État. Vu la
gratitude qui emplit les lettres de remerciements, nous constatons
qu'il fut un notable efficace. Relais ? Courroie de transmission ?
Les deux, lorsqu'il sollicite, il obtient. Ce qui est remarquable,
c'est la provenance des demandes. La clientèle ardéchoise est
majoritaire bien que n'excluant pas totalement les sollicitations
arrivant d'autres départements. Nous ne tenons compte ici que
des sollicitations pour lesquelles trois conditions étaient réunies.
La date et la signature sont lisibles, la provenance en est
clairement indiquée. Nous avons ainsi recensé quatre-vingt-deux
lettres de ce type conservées envoyées entre 1800 et 1814 :
 57 viennent de l'Ardèche = plus des deux tiers
 4 du Gard (Boissy y était propriétaire) : moins d'un quinzième
 4 de Gironde = un vingtième
 4 de Paris = un vingtième
 11 de divers départements = plus du septième.
 10 Bibliothèque nationale, manuscrits, 1301, n. a. et Archives
départementales de la Vienne.

9En ce qui concerne les sollicitations ardéchoises, nous avons


retrouvé des noms de la liste de fréquentation de la Loge de la
“Vraie Vertu” entre 1781-1788, des signatures du procès-verbal
signé à Annonay en 1788, des noms de la liste des Trente, des
Soixante. De plus, nous avons remarqué que lorsqu'il s'agissait
pour Boissy d'intervenir pour solliciter en fa-veur d'un tiers, il
favorisait les demandes ardéchoises. Sur dix-sept lettres que
nous avons consultées10 :
 11 recommandent des Ardéchois = presque les deux tiers
 2 des amis gardois = plus d'un dixième
 4 des personnes de divers départements = presque le quart

10Le canal Paris/département fonctionnait donc parfaitement.


 11 Papiers saisis au domicile de Boissy d'Anglas après fructidor an V,
Archives nationales, F 7 4606, (...)

 12 Carte n° 1 correspondance reçue entre 1800 et 1814, carte n° 2


correspondance reçue entre prairial (...)

11Pour confirmer l'installation de cette fonction de notable, nous


voulons comparer la provenance des lettres de sollicitations
reçues par Boissy entre 1800 et 1814 avec la provenance de celles
reçues entre le le prairial an III et fructidor an V 11. A ce moment
Boissy était député aux Cinq-Cents. Sur 81 recensées dans les
mêmes conditions que précédemment, 25 lettres venaient
d'Ardèche, soit près du tiers, 8 de Paris, un dixième, 6 de Lyon,
un treizième et enfin 31 de différents départements, les deux
cinquièmes. Boissy était devenu, en 1814, l'homme d'un
département ce qu'il confirme magnifiquement dans les dix
dernières années de sa vie, entre 1816 et 1826. Il joua alors ce
que nous avons qualifié de partition de grand notable. Afin
d'illustrer cette comparaison, deux cartes accompagnent la
rédaction de cette communication12.
 13 Archives nationales, 129 AP 33 (4).

12Ici, trois types de sources ont retenu notre attention et nous


pensons qu'elles nous autorisent à parler de mainmise sur le
département de l'Ardèche. En premier lieu, il s'agit de trente-cinq
lettres adressées au préfet de l'Ardèche, Paulze d'Ivoy, entre 1819
et 182313. Ces dernières nous montrent un Boissy qui se conduit
en véritable patron du département. Ses relations avec Paulze
furent tout à fait caractéristiques de cette attitude. Apparemment
demandeur, Boissy est un conseilleur qui sait habilement glisser
qu'il a l'oreille du Ministère. Tout en se donnant l'air de
transmettre de banales informations de couloir, il en profite au
passage pour dicter au préfet la conduite à suivre afin de
contenter les petits notables locaux. Le réseau fonctionne ainsi :
le notable Boissy bien en place à Paris, a dans sa main le préfet
dont l'avenir dépend du bon vouloir ministériel. On sollicite le
notable qui sait inspirer de sages décisions au préfet :
“évidemment, mon cher préfet, loin de moi toute idée de vous
forcer la main et de me mêler des nominations, des promotions
locales, des décisions dont vous êtes maître. Mais je connais bien
mon petit monde ardéchois, vous pouvez me faire confiance ”.
C'est en résumé la substance de ces trente-cinq lettres qui se
présentent de manière identique. Elles ne traitent jamais d'un
thème unique mais la structure en est plutôt celle d'un bulletin
d'informations. En premier lieu, souvent des nouvelles de Paris,
nouvelles de couloir, derniers “ragots” politiques mais dont nous
avons pu juger a posteriori qu'ils furent toujours de source sûre.
Ce bulletin est ensuite émaillé de sollicitations habiles, de conseils
directs ou indirects, recommandant prudence, méfiance, comment
s'y prendre, ce qu'il faudrait éviter. Il y a très souvent une petite
note personnelle, demande d'informations sur la santé, sur la
famille qui donne à cette correspondance la touche amicale qui
estompe le côté solennel de ce courrier et remplit la fonction
élégante du langage de convenance.
Agrandir Original (jpeg, 251k)

Carte n° 1 : Correspondance reçue entre 1800 et 1814


Agrandir Original (jpeg, 270k)

Carte n° 2 : Correspondance reçue entre prairial au III et fructidor au V.

13Nous avons relevé les grands thèmes abordés au cours de ces


quatre années et nous les avons classés par fréquence :
14– des nouvelles de Paris dans chacune, recommandations et
sollicitations (18 lettres), conseils (10 lettres), insistance pour la
construction de routes et ponts pour désenclaver le département
de l'Ardèche (7 lettres), “les ministres sont contents de votre
gestion” (6 lettres), la défense de la cause des protestants (4
lettres), l'insistance pour élever un monument aux frères
Montgolfier (3 lettres) et “descendez dans ma maison d'Annonay
lorsque vous vous rendez dans cette ville ” (3 lettres).Il est bien sûr
impossible ici de citer longuement ces lettres mais nous
voudrions seulement faire deux remarques. Nous avons relevé
dans cette correspondance, trente noms ardéchois, amis, vieux
compagnons, vieux correspondants, descendants directs ou
famille proche de ces derniers, presque tous les patronymes nous
étaient familiers. Il arrive parfois de rencontrer le nom de
modestes habitants du département au sort duquel Boissy
s'intéressait aussi. Deux types de situation se présentent. Tout
d'abord, des hommes dont il serait sage de prendre en compte les
conseils et leur connaissance du département. Dans le second
cas, il s'agit de personnes habilement recommandées, elles-
mêmes pour un poste, ou dont le nom est cité par Boissy pour
placer un membre de leur famille. Nous ne résisterons pas devant
la citation d'une sollicitation, peut-être la plus caractéristique du
ton régulièrement employé, tellement délicieux : “Je n'ai pas voulu
vous recommander ValetteVialan comme conseiller de préfecture
car je ne veux pas vous accabler de recommandations mais il
serait bien”.
 14 Archives nationales, 129 AP 35.

15Une chose est sûre pour Boissy c'est que la structure de


l'opinion existe, qu'il faut être très prudent, la respecter. Il a
concrétisé sa connaissance de cette structure dans une
époustouflante analyse qu'il a rédigé à l'intention de Paulze. Il
s'agit d'un exposé digne d'un rapport destiné au ministre de
l'Intérieur :  Notes sur le département de l'Ardèche,  évidemment
restées manuscrites14. On y trouve une analyse par ville dont il
décortique la tendance politique majoritaire. Nous avons recensé
41 noms de notables locaux dont le passé est souvent rappelé et
pour lesquels est mentionné : “avocat influent”, “bons principes”,
“impossible de se fier à lui”, “un peu bizarre”, “je ne le connais
pas, on me l'a recommandé”, “ancien gentilhomme”, “tendance
ultra mais loyal, me doit sa nomination en 1815 ”, “je ne sais plus
sa conduite”, “place fort bien dans ses mains”, “nomination fort
agréable au parti libéral', “riche en biens nationaux”, “belles
manufactures”, “pas sans influence dans le parti libéral',  “sans
capacité', “ultra des plus violents”, “à récupérer”, “à replacer”,
“protégé du général Rampon”, “avocat fort riche et fort estimable ”,
“protestants riches mais opprimés par la majorité ultra ”, “notaire
loyal et protestant”, “protestant, parents riches”, “trop marqué
pour les ultras en ce moment”, “serait bien”, “un peu ultra mais
doux et honnête”, n'a jamais servi sous “l'Ancien Régime”, “vous
renseignera”, “un ancien ami”, “député des Cinq-Cents mais
attaché au gouvernement actuel',  “ami d'enfance”, “plutôt porté
vers les ultras”, “fort riche”, “fort honnête homme, estimé de tous
les partis”, “mérite l'estime après avoir perdu sa fortune ”. Patron
du département, en vérité, oui. Cette connaissance très fine et
très précise nous laisse deviner les possibilités de contrôle de
l'opinion et des prises de position des petits notables locaux par
Boissy. Mais quelle que soit leur réelle opinion, il importait qu'ils
fussent propriétaires, estimables c'est-à-dire bénéficier d'une
bonne réputation, et modérés. Cet exposé confirmait ce
qu'écrivait Boissy dans sa dernière lettre au préfet le 23 mars
1823 : “on y disait que vous étiez mon agent dans la tyrannie que
j'exerçais dans l'Ardèche”.
16Enfin un dernier type de sources nous conduit à penser que
l'action de Boissy devait être efficace. Il s'agit des sollicitations qui
continuent d'affluer jusqu'à sa mort. Entre 1816 et 1826, la
majorité de ces dernières provient de l'Ardèche, preuve que la
notabilité y était totalement installée et y jouait réellement son
rôle de régulateur social. 163 lettres ont été consultées :
 110 proviennent d'Ardèche = plus des deux tiers
 20 de personnes originaires d'Ardèche, ce qui représente un
total ardéchois de près des quatre cinquièmes soit 79,6%. Une
carte permet de visualiser cette importance de l'Ardèche dans
cette correspondance15.

17Des enfants, des cousins à placer, un pont à construire, une voie


à percer, des remerciements attirant d'autres sollicitations, des
demandes de pension, des demandes de restitution de poste
après destitution, ce fut un véritable ballet de correspondance
entre Paris et l'Ardèche. Nous y retrouvons encore des noms
connus de Boissy dès avant 1789. Cette majorité écrasante de
sollicitations ardéchoises nous paraît apporter la preuve que la
notabilité s'y était totalement installée et y jouait son rôle de
régulation sociale : la délégation de pouvoir à celui que l'on
écoutait à Paris paraissait une solution satisfaisante d'autant plus
que les demandes étaient largement prises en considération par le
pouvoir central.
18C'est par cette satisfaction individuelle d'intérêts personnels que
la stabilité politique et sociale paraissait garantie puisqu'elle
donnait l'impression d'une certaine mobilité interne invalidant de
la sorte l'idée d'un verrouillage social et repoussant toute volonté
de changements brusques, voire toute velléité de troubles
éventuels. Par ce moyen les petite et moyenne bourgeoisie
conservaient l'espoir — l'illusion — d'une possible ascension
sociale appuyée ou sanctionnée par le pouvoir d'État national. En
acquérant une parfaite connaissance des élites locales, de leurs
ambitions, de leurs volontés, de leurs préoccupations, le notable
Boissy d'Anglas constituait de cette manière pour le pouvoir en
place un merveilleux relais qui pourrait contrôler les petits
notables locaux et en freiner l'impatience. C'était pour eux qu'il
réussissait à Paris.
Agrandir Original (jpeg, 232k)

Carte n° 3 : Correspondance reçue entre 1816 et 1826

19Au moment de conclure, deux points retiennent notre attention.


Première interrogation : devons-nous considérer ce réseau
comme un frein ou un moteur ? Nous sommes tentée de répondre
frein et moteur si l'on admet la réelle prise en compte de la
structure de l'opinion et son analyse fine. Nous pensons
précisément, à ce moment, à son jeu avec le pouvoir ultra, à partir
de 1820. S'il s'agissait de méfiance, de prudence individuelle, il
s'agissait aussi d'obtenir le respect des acquis libéraux issus de
1789 en plaçant les hommes les plus aptes à jouer ce jeu aux
postes-clés départementaux, tout en sachant habilement
ménager l'opinion de ce département et ses susceptibilités.
Agrandir Original (jpeg, 209k)

Τ : électeur de l'arrondissement de Tournon, canton d'Annonay.

20Seconde interrogation : permanence ou changement ? en


premier lieu, permanence parce que les élites bourgeoises de
1789 perdurent mais parallèlement changement dans la pratique
puisque la notabilité fonctionne dans un cadre de respect ou au
moins de connaissance de la structure d'opinion ou de sa mise en
place. Nous serions tentés de reprendre le titre de la
communication de C. Mazauric : “Rien ne change mais tout a
change” car c'est à ce moment précis où l'idéal libéral de 1789
devient une pratique politique. La Révolution achevée dans les
esprits, le notable se doit de jouer le rôle de médiateur entre les
ambitions individuelles ou familiales locales tournées vers une
possible ascension sociale, médiateur au sens au Louis Girard
l'entend. Le notable doit donc éviter la remise en cause des
structures sociales établies en éclairant l'État sur les talents et
vertus de ses moyenne et petite élites que, lui, connaît et protège.
Ainsi en favorisant une certaine mobilité interne rassurante pour
ces dernières, il verrouille de cette manière l'avenir politique de
son département. C'est là la pensée sociale du libéralisme “à la
française”, dont Boissy fut un protagoniste achevé, pensée
devenue exercice pratique sur le terrain politique. Cette pensée
participe de l'espoir d'une émancipation individuelle dans des
structures politiques et sociales qui sont voulues comme
définitivement stabilisées. Désormais, le notable libéral attribue à
l'État la responsabilité du maintien de l'ordre social issu de 1789.
C'est donc dans le cadre de cette pensée que nous avons suivi un
Boissy s'activant pour son département, pour ses compatriotes,
sollicitant, intervenant, répondant, laissant espérer, conseillant
discrètement mais fermement le préfet, tenant un véritable fichier
de capacités et d'opinions. C'est ainsi que Boissy envisageait le
rôle de l'État. Si son libéralisme était total dans le domaine
religieux, et à spectre large sur le plan politique, il demeura
conservateur sur le plan social. Ainsi de l'efficacité du notable
qu'il était, en place (en cour ?) à Paris, dépendait donc pour le
libéral Boissy d'Anglas, en ce premier quart du XIX  siècle, la
e

réussite de l'interaction Paris/Province, Province/Paris corrélant de


ce fait la confiance dans celui qui agit à Paris et le calme social du
département.
NOTES
1 L. BERGERON G., CHAUSSINAND-NOGARET,  Les Grands notables de
l'Empire, Éditions C N R S, Paris, 1978.

2 L. BERGERON, Les masses de granit, Cent mille notables de l'Empire,


Éditions EHESS, Paris, 1979.
3 Bibliothèque nationale, manuscrits,  Grand Orient, FM2 144 et FM2
276.

4 Annonay, Archives nationales, AA 49401.

5 Archives nationales, F/1 C III/Ardèche/3.

6 Le lecteur peut en prendre connaissance à la fin de cette


communication.

7 Fonctionnaire, juge, notaire, avocat, médecin, propriétaire foncier,


militaire, propriétaire de manufacture entre autres.

8 Archives départementales de l'Ardèche, 12 J 237 = 2 Mi 339 et 12 J


239.

9 Correspondance étudiée en détail dans notre thèse :  De la Révolution


à la Restauration, François-Antoine Boissy d'Anglas, itinéraire d'un
grand notable libéral en phase de transition, Rouen, 20 octobre 1993.

10 Bibliothèque nationale, manuscrits, 1301, n. a. et Archives


départementales de la Vienne.

11 Papiers saisis au domicile de Boissy d'Anglas après fructidor an V,


Archives nationales, F 7 4606, d.3.

12 Carte n° 1 correspondance reçue entre 1800 et 1814, carte n° 2


correspondance reçue entre prairial an III et fructidor an V.

13 Archives nationales, 129 AP 33 (4).

14 Archives nationales, 129 AP 35.

15 Carte n° 3, correspondance reçue entre 1816 et 1826.

TABLE DES ILLUSTRATIONS


Légend
Carte n° 1 : Correspondance reçue entre 1800 et 1814
e

URL http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/14322/img-1.jpg

Fichier image/jpeg, 251k

Légend
Carte n° 2 : Correspondance reçue entre prairial au III et fructidor au V.
e

URL http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/14322/img-2.jpg

Fichier image/jpeg, 270k

Légend
Carte n° 3 : Correspondance reçue entre 1816 et 1826
e

URL http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/14322/img-3.jpg

Fichier image/jpeg, 232k

Légend Τ : électeur de l'arrondissement de Tournon, canton d'Annonay.


e
URL http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/14322/img-4.jpg

Fichier image/jpeg, 209k

AUTEUR
Christine Le Bozec
Du même auteur

 Lemonnier, un peintre en révolution, Presses universitaires de Rouen et du Havre, 2000


 Du Directoire au Consulat 4. L'institution préfectorale et les collectivités territoriales,
Publications de l’Institut de recherches historiques du Septentrion, 2001
 Colonisation, Lumières, propagande : Bonaparte et l’espace grec in Tunis, Carthage,
l’Orient sous le regard de l’Occident du temps des Lumières à la jeunesse de Flaubert ,
Presses universitaires de Rouen et du Havre, 1999
Résistances paysannes et
révolution : le cas des hautes
terres du sud du Massif
central
Valérie Sottocasa

p. 377-391

TEXTE NOTES AUTEURILLUSTRATIONS

TEXTE INTÉGRAL
 1 G. LEWIS, The second Vendée. The continuity of counter-revolution in
the departement of the Gard ( (...)

1Depuis les plaines actives et peuplées du Bas-Languedoc, les


Cévennes, les hauts plateaux de la Lozère et de l'Aveyron, les
montagnes de l'Ardèche et de la Haute-Loire, sont vraiment un
“bout du monde”. Le climat est rude et, dans ces paysages
austères, le loup est un des principaux personnages ; la bête du
Gévaudan, au XVIII  siècle, puis celle des Cévennes au début du
e

XIX  siècle restèrent longtemps dans les mémoires. La population,


e

peu nombreuse, est disséminée dans des hameaux et des fermes


isolées ; mais la communauté paysanne est très soudée, autour de
l'église, de la famille, et de la gestion des biens communaux. Les
villes sont peu nombreuses et peu peuplées, surtout en Lozère.
Partout les paysans constituent l'essentiel de la population de ces
hautes terres, qui furent un des principaux pôles de la résistance
populaire à la Révolution, au point que l'on a adopté l'appellation
de “seconde Vendée”, imaginée par un historien britannique, G.
Lewis.1
2Les similitudes sont en effet frappantes, tant dans le caractère
populaire de la révolte, que dans la mémoire que le pays en a
conservée, et qui nourrit tout un culte des “martyrs de la
Révolution” développé par l'Église au XIX  siècle.
e
Mais les
différences sont également nombreuses ; ici, l'antagonisme
religieux, opposant depuis plusieurs générations les protestants
et les catholiques, apparaît clairement comme une des données
majeures du débat, se surimposant à la problématique
révolutionnaire.
3Les guerres de religion ont profondément et durablement divisé
tous ces départements, et, dans les mémoires catholiques, la
Révolution en est l'un des épisodes les plus sanglants, ainsi que
les inventaires de 1906, qui s'inscrivent dans la continuité de ces
affrontements confessionnels. Vécue à travers le filtre de ces
antagonismes profonds, la Révolution devient pour les uns
l'instrument d'une minorité protestante qui se venge des
dragonnades de la “guerre des Camisards”, alors que pour les
autres, elle est l'unique espoir de voir abolie l'intolérance
religieuse. Dès les premiers mois de la Révolution, ses ennemis en
appellent à la défense de la foi catholique pour argumenter leur
opposition. Est-ce à dire que tout conduisait ces populations
catholiques à une hostilité sans concession à la Révolution ? Il
fallait retrouver les composantes de cette opposition populaire,
établir une grille précise de lecture, une chronologie, bref,
comprendre cette civilisation rurale et ses réticences face aux
bouleversements révolutionnaires.

I. PRÉALABLES
MÉTHODOLOGIQUES
 2 La Lozère apparaît, au regard de dépouillements moins systématiques
conduits aux Archives National (...)

 3 Colloque dirigé par Jean NICOLAS, Paris, mai 1984. Actes publiés à


Paris, 1985, 773 p.
4Dans le cadre actuel de nos recherches, seul le département de
la Lozère bénéficie d'un dépouillement exhaustif des archives
révolutionnaires2. Il s'agit des archives de justice et des
délibérations des administrations locales. Les révoltes et les
mouvements populaires particulièrement nombreux en Lozère
pendant la Révolution ont rendu possible une approche assez
complète des résistances populaires. Notre démarche, largement
inspirée de celle qui avait guidé l'enquête sur les  Mouvements
populaires et Conscience sociale, XVI -XIX   siècles3, est
e e

quantitative. Elle s'appuie sur le traitement informatique des


données collectées et sur une typologie qui s'organise en trois
catégories principales d'émeutes.
 4 R. DUPUY, De la Révolution à la chouannerie, 1788-1794, Paris, 1988,
363 p.

5La première rassemble tous les mouvements favorables à la


Révolution et destinés à la soutenir ou même à l'anticiper ;
précisons cependant que si la Lozère connaît en 1792 une “guerre
des tours” en Cévennes protestantes, elle ne connaît pas la
flambée anti-seigneuriale de 1790, ni de mouvements paysans
maximalistes, comme ceux que Roger Dupuy a mis en évidence
en Bretagne4. Tous les mouvements conduits par des soldats,
Volontaires ou Gardes Nationaux ont été intégrés à cette première
catégorie, dans la mesure où leur connotation politique était
suffisamment claire.
 5 C'est au printemps 1793 qu'eut lieu la principale tentative de
soulèvement, animée par un notaire, (...)

6Le second type, de loin le plus fourni, rassemble les mouvements


hostiles à la Révolution, depuis les quelques tentatives contre-
révolutionnaires de l'aristocratie5 jusqu'au brigandage royal, très
développé aux frontières des départements de toute la bordure
orientale du Massif-Central. On y trouve bien entendu toutes les
manifestations hostiles aux autorités révolutionnaires, aux
symboles de la Révolution (arbres de la Liberté, cocardes
tricolores…), et surtout les nombreuses émeutes dirigées contre
l'application de la constitution civile du clergé, et, dès 1793,
contre la “conscription”.
7Il restait à traiter toutes les affaires dépourvues d'une
signification politique claire, mais qui exprimaient néanmoins des
revendications paysannes. Ce sont les émeutes frumentaires, qui
émaillent toute la décennie révolutionnaire ; les émeutes liées aux
bois et surtout aux terres communes, si importantes dans ces
pays de montagnes et de pâturages ; l'usage de très vastes
communaux est le complément indispensable des revenus
insuffisants procurés par des propriétés trop exigues. L'enjeu
autour des communaux est, tout comme dans les vallées
pyrénéennes, d'une importance cruciale. Voici donc les principaux
temps forts et quelques résultats qui nous sont apparus les plus
significatifs.

II. LES RÉSULTATS EN


QUELQUES CHIFFRES :
8Les résultats obtenus ne démentent pas l'image d'une Lozère qui
serait l'épicentre de la contestation populaire au cœur des hautes
terres du sud. Les mouvements populaires y sont nombreux et ne
se réduisent pas à l'agitation de quelques communautés dont le
comportement trancherait sur une passivité d'ensemble. On ne
compte pas moins de 80 communes affectées par au moins un
attroupement, sur un total d'environ 153 communes dénombrées
en 1801, soit plus de la moitié. Cette agitation est nettement
hostile à la Révolution : sur 158 attroupements, 111 manifestent
opposition ou résistance à la Révolution, 26 lui sont favorables ;
21 ont été classés dans la troisième catégorie.
9Cette agitation différenciée met en valeur des antagonismes
régionaux clairement marqués ; seuls les attroupements relevant
du type trois affectent tout le département sans distinction.

1 - ESSAI DE CARTOGRAPHIE
10L'hostilité active se concentre au nord des gorges du Tarn, qui
marquent aussi la frontière entre la communauté protestante
concentrée dans les Cévennes, et la majorité catholique. Zone de
contact, les gorges du Tarn abritent les villages les plus
farouchement attachés à la “religion de leurs pères”, et fourniront
cinquante-deux martyrs à la guillotine. En mai 1793, répondant à
l'appel à l'insurrection lancé par Marc-Antoine Charrier, ancien
député aux États Généraux et désormais à la tête de la Contre-
Révolution dans les montagnes du Midi, les habitants de La
Malène et de Laval-du-Tarn traversent le Causse de Sauveterre
pour rejoindre l'Armée Chrétienne du Midi qu'il a mise sur pied.
L'administration départementale, chassée de Mende, est réfugiée
à Florac, capitale de la Lozère protestante ; elle dépêche un
bataillon pour aller arrêter les paysans révoltés ; le bataillon est
majoritairement constitué de protestants. Trompés par un
subterfuge, cinquante-deux paysans sont arrêtés et conduits à
Florac, où la plupart périront le 11 juin, jour de foire, après la
condamnation sans appel de l'accusateur public, Dalzan, lui aussi
protestant.
 6 Voir l'ouvrage de l'abbé J. B. DELON,  La Révolution en Lozère, Mende,
1922 ; ainsi que P. CABANEL,(...)

11L'événement alimenta au XIX  siècle toute une historiographie


e

cléricale de la Révolution, mais aussi tout un imaginaire populaire,


relayé par les cérémonies flamboyantes que lui consacrèrent les
évêques de Mende. Les restes des martyrs furent exhumés en
1859, et portés en longue procession de Florac à La Malène où
une chapelle avait été aménagée dans l'église pour les recevoir 6.
Le centenaire de l'exécution des Malénais, en 1893 fut encore
l'occasion de commémorations grandioses à la mémoire de la
résistance d'un peuple chrétien face à une révolution impie et
sanguinaire.
12Le reste de la haute Lozère est aussi unanime dans son refus,
mais nous avons constaté que si les communautés de l'Aubrac et
de la vallée du Lot sont très actives, celles de la Margeride
affectent une certaine passivité. Passivité qui n'est en aucun cas le
reflet d'une approbation globale de la Révolution, les rapports des
différents commissaires envoyés par le département sont
catégoriques. Il s'agit plutôt d'un “mauvais gré” assumé en bonne
partie par les élus locaux, qui retardent l'application des décrets,
ou les ignorent, bénéficiant d'un tel soutien tacite de la part de la
population, qu'il n'est que rarement nécessaire de s'emporter
jusqu'à l'émeute pour faire valoir sa volonté. L'éloignement et
l'absence de tout foyer révolutionnaire renforcent cette passivité.
Mais en 1906, la Margeride est au cœur des émeutes hostiles aux
inventaires, qui seront parmi les plus violentes de France !
 7 Lettre de Mende, 11 février 1793, An II de la République, aux citoyens
de Gabriac, Bibliothèque de (...)

13Favorables à la Révolution, les Cévennes font preuve d'une


même unanimité dans leur comportement. Les rares émeutes
hostiles à la Révolution ne sont bien souvent que le reflet de
rivalités familiales dans la lutte pour le pouvoir local, de même
que les rares attroupements favorables à la Révolution en haute-
Lozère émanent presque toujours des Volontaires ou des Gardes
Nationaux. Les Cévennes se soulèvent non pour propager les
idées nouvelles, mais pour défendre le nouveau régime lorsqu'il
est par trop menacé par la Contre-Révolution. Les Cévennes
lozériennes ou gardoises sont le passage quasi obligé des
aristocrates fuyant les Camps de Jalès, réunis en 1790, 1791 et
1792 pour soutenir les efforts des Princes émigrés. L'un d'eux, le
Sieur Giberne de la Martinerie, fut massacré, en juillet 1792, par
une troupe de paysans protestants, préférant leurs fusils à l'issue
incertaine d'un procès conduit à Mende. Mais c'est surtout lors de
la “guerre des tours”, au cours de l'hiver 1791/1792, que les
Cévennes se soulèvent pour défendre les acquis de la Nuit du 4
Aôut. Soulèvement complexe, fait tout à la fois de revendications
anti-seigneuriales et de la peur de voir les contre-révolutionnaires
renverser le régime qui avait donné aux protestants l'égalité civile
et religieuse. “Tout protestant, disait le Pasteur François Samuel,
doit être vrai républicain (…) car il a tout gagné, État-Civil, droits
naturels, existence politique, liberté de conscience, tout ce qui
peut et doit être le plus cher à l'Homme qui pense”7.
14Il faut néanmoins constater que le pasteur reste isolé, et que les
cévenols, hormis l'épisode de la guerre des tours, adoptèrent une
attitude très modérée. Nulle trace d'un activisme revanchard ou
revendicatif, surtout après l'épreuve de la déchristianisation, qui,
il faut le rappeler, prit aussi pour cible les pasteurs protestants.
15Le département est donc nettement divisé en deux pôles
antagonistes, et la ligne de fracture est celle qui, depuis le
XVI  siècle, dresse face à face deux communautés religieuses. Les
e

villes ne tranchent nullement par un comportement spécifique ;


seule Marvejols fait figure de ville patriote lorsqu'on parcourt les
documents de l'époque, mais ce patriotisme ne se traduit pas par
une active mobilisation populaire. Mende, ancienne ville
épiscopale, devenue chef-lieu de la Lozère, est nettement anti-
révolutionnaire, et est à la tête de l'agitation : 16 attroupements
ou mouvements populaires s'y déroulent ; 4 seulement sont
favorables à la Révolution, dont deux sont d'ailleurs le fait de
Volontaires venus des Cévennes ! Florac est, tout naturellement, le
reflet de l'adhésion protestante au nouveau régime.
16Mais si la frontière politique et la frontière religieuse coïncident,
et ce pour plus de deux siècles, l'appartenance religieuse ne
saurait expliquer à elle seule l'ensemble des comportements
populaires d'adhésion ou de refus.

2 - LES TEMPS FORTS DE


L'AGITATION PAYSANNE ENTRE
1789 ET 1799
 8 cf. R. DUPUY,  op.cit.

 9 J.-P. DORMOIS, “Post ténébras lux ? Pourquoi les protestants de


Montbéliard étaient-ils si favorab (...)

17Contrairement à ce que toute une historiographie traditionnelle


laissait sous-entendre, l'hostilité paysanne à la Révolution ne fut
pas immédiate, loin de là ; ce qui tendrait à montrer que rien ne
prédisposait a priori cette société rurale à une attitude anti-
révolutionnaire8. L'image habituelle est celle d'une population
catholique naturellement hostile, par piété pour les uns, par
intolérance et ignorance pour les autres ; et d'une communauté
protestante naturellement favorable à la Révolution, pour les
raisons évoquées par le Pasteur Samuel François, ou pour des
raisons d'ordre plus théologique9. L'étude rigoureuse de la
chronologie des troubles en Lozère entre le début de la Révolution
et l'instauration du Consulat permet d'apporter à la fois des
nuances et des compléments.
 10 A. D. Lozère, 20/B./12, informations contre Raynal ; A. N., F/1/C/III,
Lozère/1.

18Les deux premières années de la Révolution affectent peu le


calme de la Lozère. Ni la “Bagarre de Nîmes”, en juin 1790, ni le
rejet par l'assemblée de la motion Dom Gerle, ni même les
fulminations de l'évêque de Mende, ancien Comte du Gévaudan,
ne parviennent à troubler le pays. Aucune manifestation
populaire, car il y en a, ne permet de pressentir l'opposition qui se
déchaîne quelques mois plus tard, bien au contraire. En
septembre 1789, les “pauvres de Mende” exigent de l'évêque qu'il
leur rétrocède les droits qu'il détenait sur les premières et
secondes herbes d'un pré situé au pied des anciens remparts. Ils
appuient leur revendication sur le texte de la nuit du 4 aôut, et
manifestent plus ou moins pacifiquement pendant plus d'une
semaine, derrière leur porte-parole, un petit seigneur local (qui
obtiendra ensuite l'adjudication de ces fameuses “herbes"). En juin
1790, un mouvement populaire secoue de nouveau la ville : la
population, inquiète de l'augmentation du prix de la viande, mais
aussi de la vente de plusieurs charrettes de blé par un notable de
la ville, manifeste pendant plusieurs jours. Émeute frumentaire,
mais qui se double incontestablement de revendications sociales,
et qui est encouragée par le sentiment que les temps ont changé,
et que l'ancienne notabilité ne détient plus un pouvoir sans
partage10.
19D'autres incidents émaillent ces tout premiers mois de la
Révolution : dégradation de bois commises dans certaines
propriétés seigneuriales, sur les terres des abbayes de Mercoire
ou d'Aubrac, ou sur les terres communales. A Saint-Etienne du
Valdonnez, en avril 1790, un officier municipal charge un enfant
de crier dans les rues qu'il faut que tous les habitants
s'assemblent, et, au nom d'un décret de l'Assemblée Nationale,
qu'ils aillent déloger deux paysans qui se seraient abusivement,
en 1760, déclarés propriétaires de deux prés communs. Là
encore, cette affaire témoigne d'un sentiment populaire qui croit
possible, grâce aux lois de la Révolution, de redresser des torts ou
de corriger des abus très anciens.
20C'est l'année 1791 qui ouvre véritablement le temps de
l'agitation populaire en Lozère, reflet précis de l'opposition
farouche à l'application de la constitution civile du clergé. Sur 250
ecclésiastiques soumis au serment, une vingtaine seulement
acceptent de le prêter, souvent avec des restrictions ; les
rétractations réduiront encore ce nombre de moitié. Si les
prestations de serment provoquent rarement des troubles, ces
derniers éclatent dès lors que le curé doit être remplacé par un
prêtre assermenté. Les deux prêtres cohabitent alors avec
difficulté ; la population multiplie les brimades et les vexations les
plus diverses à l'encontre du nouveau prêtre. Souvent, il ne
parvient pas à s'installer, ou bien cède au bout de quelques mois
devant les violences que ses paroissiens lui infligent. Au total, il
n'y eut pas vraiment d'Église constitutionnelle en Lozère, si ce
n'est dans l'entourage immédiat de l'évêque élu, Étienne Nogaret.
21Cette extraordinaire unanimité autour de l'Église catholique et
romaine s'explique tant par la présence de la frontière religieuse
que par le recrutement du clergé paroissial : la densité
d'ecclésiastiques est l'une des plus élevées de France, et atteindra
à la fin du XIX  siècle le taux record d'un “permanent” de l'Église
e

(prêtres, religieuses et religieux) pour 84 catholiques ! Prêtres et


vicaires sont massivement recrutés dans la population locale ;
dans le cadre d'une stratégie d'ascension sociale, il se forme de
véritables dynasties de prêtres, d'oncle à neveu. Plus qu'ailleurs, le
prêtre fait partie de la communauté et est inséré dans des
relations étroites de parentèle et d'échange entre les paroisses
proches. En l'absence de tout processus de dissolution de la
communauté, comme cela peut être le cas dans des régions plus
urbanisées, le prêtre reste un des éléments déterminants de
l'identité communautaire. Sur cette terre de guerres de religion, la
Contre-Réforme a été particulièrement active, et le clergé encadre
efficacement les populations, sachant, au besoin, adapter le
dogme aux formes de la piété populaire.
 11 R. DUPUY, “Les femmes et la Contre-Révolution dans l'Ouest”, Bulletin
d'Histoire Économique et Soc (...)

22On peut rassembler au moins trente-quatre émeutes dirigées


contre l'application de la constitution civile du clergé. Le
déroulement de ces émeutes est aujourd'hui bien connu, et la
Lozère se conforme aux modèles établis. Le prêtre constitutionnel
se présente un dimanche matin dans sa nouvelle paroisse. Il n'est
pas rare que toute une délégation hostile l'attende, qu'on lui
refuse les clés de l'église, celles du presbytère. Dans tous les cas,
personne ou presque n'assiste à sa messe, surtout pas les
femmes ! Elles jouent ici un rôle de tout premier plan 11. Lorsque
les hommes sont présents, l'attroupement est souvent né d'une
circonstance imprévue (arrivée de la force armée, arrestation du
prêtre réfractaire…) ; ou bien ils sont déguisés en femmes. Bien
souvent encore, la municipalité refuse d'installer le curé
constitutionnel, et démissionne en bloc (Ispagnac, juillet 1791). Si
ces manifestations ne sont pas “spontanées”, puisque longuement
préparées dès l'annonce du remplacement du curé, elles reflètent
néanmoins une forte unanimité. Les rares patriotes sont montrés
du doigt, et parfois du bâton, même par leur propre épouse !
23De 1791 à 1799, ces troubles sont endémiques. 1791
concentre le plus grand nombre d'affaires de ce type (12 sur 34).
Une seconde poussée marque 1793, suivie d'un tassement en
1794, avant une dernière flambée, reflet des mesures
contradictoires adoptées par le Directoire à partir de 1797. Ces
manifestations évoluent au cours de la décennie révolutionnaire :
le scénario des dernières années diffère de celui de 1791 ; il se
fait plus organisé et souvent plus militaire. Les circonstances sont
également différentes : il ne s'agit plus de remplacer un prêtre par
un autre, mais d'arrestation. Les nombreux décrets
contradictoires alimentent une incompréhension et une hostilité
populaire de fond. De plus, il faut compter avec les habitudes
nées de six à sept ans de conflits. Les messes dominicales sont
désormais bien surveillées ; à la moindre alerte, la population
s'ameute ; les femmes sont désormais soutenues ouvertement par
les hommes, souvent les jeunes du village, qui, visages
barbouillés de suie et fusils à la main, se tiennent prêts à
intervenir.
 12 A.D. Lozère, II.L.245 (pièce 35).

24Le second temps fort de la résistance populaire à la Révolution


en Lozère est celui du refus de toute forme de service militaire.
Les Cévennes fournissent l'essentiel des Volontaires de 1791 et
1792. Aussi, au printemps 1793, lorsque la Levée des 300 000
hommes est décrétée, la jeunesse de haute Lozère se révolte. Le
mouvement débute vers la fin du mois de février, à la suite de
rumeurs concernant l'utilisation des listes de la Garde Nationale
pour la Levée. Les autorités municipales sont les premières visées,
et, à Rieutord-de-Randon, sur les hauts plateaux dominant
Mende, les jeunes lèvent leurs propres troupes pour former des
camps et marcher contre les gardes nationaux. Du 10 au 24 mars,
le pays est parcouru par des troupes de jeunes qui menacent les
officiers municipaux et proclament que “ceux qui ont mangé le
bien des émigrés aillent combattre les ennemis, que tous ceux
qui avaient des charges fassent leur démission dans les vingt-
quatre heures, sous peine d'avoir la tête tranchée ”12. On parle de
3 000 jeunes attroupés, mais l'affrontement avec les gardes
nationaux et les soldats appelés en renfort n'a finalement pas lieu.
La désertion n'en devient pas moins un phénomène endémique en
haute Lozère à partir de 1793, et surtout de 1794. Le conscrit
réfractaire est désormais, avec le prêtre, un des principaux
personnages du pays. La conscription menace l'équilibre interne
de la communauté villageoise, comme le départ du prêtre, et les
deux refus se mêlent et se confortent.
 13 Alan FOREST,  Déserteurs et Insoumis sous la Révolution et
l'Empire, Paris, 1988, p. 88.

25Si la Lozère et les départements voisins détiennent les taux les


plus élevés de désertion en France13, cette résistance n'a pas
donné lieu à un soulèvement massif, comme ce fut le cas dans
l'Ouest. L'isolement et les difficultés liées à la configuration du
pays en rendaient le contrôle plus difficile ; cela permettait aux
officiers municipaux d'adopter une attitude à ce point passive
qu'elle en devenait une résistance très efficace. Les officiers
municipaux étaient des paysans et partageaient totalement
l'opinion de ceux qui s'attroupaient contre les gendarmes pour
tirer le curé ou le conscrit des griffes de l'Etat. Il a manqué,
somme toute, dans ces montagnes, une élite révolutionnaire dont
l'activisme aurait pu déclencher un affrontement plus violent.
26La Contre-Révolution, par le biais des chefs locaux, réchappés
des arrestations de 1793, a pourtant cherché à encadrer ces
jeunes déserteurs : dès 1795, le pays est parcouru par des bandes
de brigands royalistes qui s'attaquent aux patriotes et aux
autorités révolutionnaires. Soutenus par la population, dans la
mesure où ils s'attaquaient uniquement aux représentants de
l'État et aux acquéreurs de biens nationaux, ces “Chauffeurs”
terrorisent les patriotes en toute impunité. Mais le soutien passif
des paysans ne va jamais jusqu'à leur engagement aux côtés des
brigands.

III. HYPOTHÈSES EN FORME


DE CONCLUSION :
 14 M. VOVELLE, La découverte de la politique. Géopolitique de la
Révolution française. Paris, 1993.
27La bordure orientale du Massif-Central est bien un des pôles de
la résistance populaire à la Révolution, et le département de la
Lozère est au cœur de cette aire de refus. Incontestablement, la
question religieuse occupe ici une place prépondérante. “La vieille
fracture rejoue”, écrit à ce propos Michel Vovelle 14 ; protestants et
catholiques s'affrontent au travers de la Révolution, et tous les
partis pris semblent devoir passer par ce préalable religieux. Mais
cette frontière n'explique pas tout. La crise révolutionnaire révèle,
dans ces hautes terres du sud, une société rurale fortement
structurée, hiérarchisée et unanime. L'absence d'un véritable
réseau urbain (le département ne compte que deux villes et
quelques gros bourgs, où la population rurale reste toujours
majoritaire) a entravé le développement d une bourgeoisie locale
active, dynamique, ayant des capitaux à placer, des stratégies
politiques à réaliser. La bourgeoisie locale, car elle existe, bien
entendu, est très liée à la noblesse, presque essentiellement
composée de hobereaux ; ces deux groupes participent d'une
même notabilité, sont les maîtres du pouvoir et utilisent leurs
terres pour développer des liens de clientélisme avec les paysans.
En l'absence de vastes propriétés cléricales, surtout situées en
Aveyron et en Velay, la vente des biens nationaux eut peu
d'incidence en Lozère, si ce n'est qu'elle contribua au
dépouillement des presbytères et des jardins cultivés par les
prêtres.
28Ces prêtres, très proches d'une population dont ils émanent, de
familles pour lesquelles ils concentrent tout l'espoir d'une
ascension sociale, ne peuvent être considérés comme de simples
représentants de l'Église institutionnelle. La Révolution offre à ce
clergé l'épreuve du martyre, et, à plus long terme, une puissante
autonomie. Constituée dans la clandestinité, renforcée par
l'épreuve du sang, l'Église de la Lozère est au XIX  siècle le
e

véritable maître du pays : ce sont les prêtres qui font les élections,
choisissent le candidat, indiquent aux fidèles, au cours du prône,
comment voter ! Si une solide chrétienté s'érige sur les cendres de
la décennie révolutionnaire en Lozère, la démocratisation
progressive de la vie politique alimente le cléricalisme jusqu'au
lendemain de la seconde guerre mondiale.
29La Révolution ne bouleverse pas seulement un “ordre” paysan
par ses réformes, elle correspond à une brutale invasion de l'État
dans des communautés paysannes rétives à toute forme d'autorité
extérieure. Les conditions locales, tout comme dans les vallées
pyrénéennes, ont favorisé une autonomie et un particularisme que
la monarchie, même absolue, n'avait pu effacer. Ailleurs, les
prétentions centralisatrices d'une révolution qui veut moderniser
l'État ont pu s'inscrire dans une évolution de longue durée. Pas ici.
Tout comme le code forestier de 1827 déchaînera la révolte des
communautés pyrénéennes et la guerre des Demoiselles, la
Révolution se heurte à une farouche résistance dans ces hautes
terres du “Sud profond”.
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Les grandes régions du Gévaudan


• M (Mende)
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Carte 1 Les émeutes en Lozère sous la Révolution

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Carte 2 Émeutes hostiles à la Révolution (Type II)


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Carte 3 Émeutes liées au refus du serment (1791-1799)


▲ une émeute

LES ATTROUPEMENTS EN LOZÈRE 1789-1799


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LES VICTIMES DE LA RÉVOLUTION EN LOZÈRE (1789-1799)


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NOTES
1 G. LEWIS,  The second Vendée. The continuity of counter-revolution in
the departement of the Gard (1789-1815), Oxford, 1978.

2 La Lozère apparaît, au regard de dépouillements moins


systématiques conduits aux Archives Nationales sur les autres
départements, ainsi que de l'historiographie, comme l'épicentre de
cette résistance paysanne dans les hautes terres du sud du Massif-
Central. Nos recherches sont en cours, et ont fait l'objet de la
soutenance d'un D.E.A. en 1993 à Paris-IV avec Mr. le Professeur
M. VOVELLE.

3 Colloque dirigé par Jean NICOLAS, Paris, mai 1984. Actes publiés à


Paris, 1985, 773 p.

4 R. DUPUY,  De la Révolution à la chouannerie, 1788-1794, Paris,


1988, 363 p.

5 C'est au printemps 1793 qu'eut lieu la principale tentative de


soulèvement, animée par un notaire, ancien député aux États-
Généraux. Les villes de Mende et de Marvejols furent prises par cette
“Armée Chrétienne du Midi”, mais le soulèvement tourna court faute de
recevoir l'appui des Princes qui animaient alors la contre-Révolution.

6 Voir l'ouvrage de l'abbé J. B. DELON,  La Révolution en Lozère, Mende,


1922 ; ainsi que P. CABANEL, “Révolution et commémoration en pays de
frontière religieuse : le cas de la Lozère”, in  Communautés de langue
d'oc et Révolution française, Actes du LVIII  Congrès de la Fédération
e

Historique du Languedoc méditerranéen et du Roussillon, Montpellier,


1986, p. 195-213.

7 Lettre de Mende, 11 février 1793, An II de la République, aux


citoyens de Gabriac, Bibliothèque de la Société d'Histoire du
Protestantisme Français, Affaires Locales, 447/10.

8 cf. R. DUPUY,  op.cit.

9 J.-P. DORMOIS, “Post ténébras lux ? Pourquoi les protestants de


Montbéliard étaient-ils si favorables à la Révolution ?”,  Revue d'Histoire
et de Philosophie Religieuses, vol. 72, 1992/2, p. 165-190.

10 A. D. Lozère, 20/B./12, informations contre Raynal ; A. N.,


F/1/C/III, Lozère/1.

11 R. DUPUY, “Les femmes et la Contre-Révolution dans


l'Ouest”,  Bulletin d'Histoire Économique et Sociale de la
Révolution Française, 1979, p. 61-70.

12 A.D. Lozère, II.L.245 (pièce 35).

13 Alan FOREST,  Déserteurs et Insoumis sous la Révolution et


l'Empire, Paris, 1988, p. 88.

14 M. VOVELLE,  La découverte de la politique. Géopolitique de la


Révolution française. Paris, 1993.

TABLE DES ILLUSTRATIONS


Légende Les grandes régions du Gévaudan• M (Mende)

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Légende Carte 1 Les émeutes en Lozère sous la Révolution

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Légende Carte 2 Émeutes hostiles à la Révolution (Type II)

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Légende Carte 3 Émeutes liées au refus du serment (1791-1799)▲ une émeute

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Titre LES ATTROUPEMENTS EN LOZÈRE 1789-1799

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Titre LES VICTIMES DE LA RÉVOLUTION EN LOZÈRE (1789-1799)

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AUTEUR
Valérie Sottocasa
Du même auteur
 Les brigands, Presses universitaires de Rennes, 2013
 Mémoires affrontées, Presses universitaires de Rennes, 2004
 Révolution et religion dans le sud du Massif central : sensibilités populaires en terre de
frontière religieuse in Clergés, communautés et famille des montagnes d’Europe , Éditions de la
Sorbonne, 2005
Débat
p. 393-396

TEXTE

TEXTE INTÉGRAL

Jeudi après-midi
1Cl. PETITFRÈRE demande aux deux intervenants si, en dépassant le
seul cadre des deux cantons étudiés, on peut esquisser une
typologie de l'origine socio-professionelle des juges de paix ?
Cl. COQUARD précise que les deux dossiers exposés étaient les
plus complets et que l'un des deux juges est bien l'ancien bailli
seigneurial qui est aussi notaire. Il a succédé à un vicaire, élu en
90, mais qui n'est resté que quelques mois. Il est élu en 91, mais
le p. v. fait état de 8 voix en sus des présents et il y a donc
contestation, ce qui ne l'empêche pas d'exercer. Il est réélu sans
problème et son gendre lui succède en 93, mais ce gendre est
jugé trop avancé et on le remplace après thermidor. Le nouveau,
un dénommé Jouhandeau a été assesseur depuis 1790. L'autre
juge était un gros propriétaire foncier, sans formation juridique
particulière. Il apparaît comme un personnage très modéré
constamment reconduit, sans élection véritable.

2G. FOURNIER a pu constater en Languedoc le caractère passionnée


des élections désignant ces magistrats. Pour quoi tant de
passion ? Cette passion traduit-elle l'importance politique du
personnage ou bien est-elle liée à la connaissance que vient à
avoir tout juge de paix de l'État des fortunes privées ?
Cl. COQUARD penche pour la seconde solution; ils semblent
d'ailleurs, d'eux-mêmes, éviter de s'impliquer trop ouvertement
dans les intrigues politiques locales et souvent protègent par leur
passivité les ci-devant nobles ou les épouses de ces nobles,
inquiétées du fait de l'émigration de leur mari.

3J. QUENIARD se permet une question et un rapide commentaire.


Est-ce qu'à côté du juge ou plutôt en amont immédiat de celui-ci
ne fonctionne pas une instance d'arbitrage ou de conciliation ? La
volonté d'appliquer le nouveau système de poids et mesures ne
suffit pas pour l'imposer dans la vie quotidienne.

4Cl. COQUARD a pu constater l'existence du bureau de conciliation


prévu par la loi, mais apparemment son activité est moindre que
celle du juge de paix. Quant aux poids et mesures, les juges les
mentionnent mais cela ne signifie pas qu'ils soient utilisés
spontanément par la population. Madame Cl. COQUARD ajoute qu'à
propos des procédures d'arbitrage, elle a rencontré des experts
qui prêtent serment au juge de paix sans pour autant pouvoir
savoir la nature exacte de leur fonction. D.  LIGOU, à propos de la
rémanence des habitudes collectives, cité le 11 novembre qui s'est
substitué à la Saint Martin. Madame Cl.  COQUARD signale
l'existence de mesures locales variant d'une commune à l'autre, il
s'agirait surtout de mesures de petite capacité comme le “gobelet”
ou la “poignée”.

5G. SAUPIN se permet de revenir sur l'affirmation de


B. FRELAUT laissant penser que le système municipal d'Ancien
Régime reposerait sur la division des ordres : à Nantes, on l'a vu,
la municipalité au XVII  siècle est dédaignée par la noblesse. Pour
e

ce qui est du recrutement des maires durant la Révolution,


toujours à Nantes, il obéit, apparemment à la même périodisation.
On a vu réapparaître, dès l'Empire, des familles nobles qui avait
boudé la municipalité depuis plus d'un siècle. Elles seront
balayées par la Révolution de 1830. B.  FRELAUT revient à la
municipalité d'Ancien Régime à Vannes, le clergé y jouait un rôle
déterminant, et le négoce contestait cette hégémonie de fait. Là
aussi, les "marquis" revenus dès 1808 sont éliminés après 1830.

6B. GAINOT estime que la menace chouanne a suscité à Vannes


une sorte de front solidaire des patriotes gommant les divisions
internes, notamment sous le Directoire. Il se demande si le
faubourg de Saint-Paterne serait à dominante bleue ou blanche ?
B. FRELAUT précise que ce faubourg mêle une population d'artisans
immergée dans un contexte plus proprement rural, de sorte que
la majorité y serait plutôt favorable aux chouans avec une forte
minorité d'artisans patriotes

7P. ARDAILLOU suggère que la démocratisation anticipe la loi de


1882, que dès le Second Empire, les préfets ne choisissent les
maires ruraux qu'avec l'assentiment tacite du conseil municipal.
J. GEORGE remonte encore plus en amont pour faire démarrer le
processus sous la Monarchie de Juillet.

8R. DUPUY revient sur le thème de la ville-caserne pour


s'interroger sur la réalité du pouvoir civile dans une ville assiégée.
B. FRELAUT confirme la suprématie des autorités militaires dans les
périodes de menace accentuée, comme durant l'affaire de
Quiberon ou l'ultime flambée de 1799-1800.

9La communication de V. SOTTOCASA selon le président de séance


Cl. NIÈRES, provoque un inévitable parallèle avec ce qui se passe
dans certaines vallées pyrénéennes au même moment.
F. LEBRUN souhaiterait en savoir plus sur les enquêtes orales
évoquées au tout début de cette communication. On lui répond
que la mémoire collective semble très vivante mais la démarche
fut improvisée, sans méthode véritable, commencée à Mende à
propos de la célébration annuelle du transfert des restes de 52
paysans, originaires de La Malène, exécutés à Mende pour
rébellion et ramenés solennellement dans leur village, en 1852. Il
faut donc explorer cette mémoire, symétrique de celle des
protestants cévenoles et qui mérite une étude systématique. Pour
J. PERRET l'attitude de ces protestants lui rappelle celle des
protestants des Deux-Sèvres face à l'insurrection vendéenne qu'ils
perçoivent comme une menace qui les concerne directement,
alors que les Vendéens ne les visent pas expressément. Donc
similitude et différence dans la mesure où les protestants des
Cévennes en reste à une stratégie défensive. V.  SOTTOCASA estime
que ces protestants sont des paysans et comme tels prudents, de
plus le souvenir de leurs souffrances passées doit les inciter à la
modération pour ne pas exaspérer des haines toujours présentes.
Néanmoins, quand ils s'estiment menacés, ils agissent
efficacement comme pour ce chef royaliste que l'on conduit, à
travers la montagne pour le juger à Mende et que les protestants
interceptent pour l'exécuter sommairement car, ils craignaient
qu'il soit relâché par le tribunal du département.
R. DUPUY voudrait savoir si la création de gardes nationales de
part et d'autre n'a pas attisé un conflit latent. Le conflit existe dès
avant 1789, il n'a pas cessé depuis le début du siècle, mais les
catholiques n'organisent pas de garde nationale avant 1792. Les
prêtres assermentés sont traités de huguenots et des jeunes gens
sont exorcisés car ils se prétendent possédés par des huguenots
qui veulent la destruction de la sainte religion. S.  BLANCHI se dit
dépaysé par l'évocation d'un monde qui lui parait aux antipodes
de ce qu'il a pu remarquer dans la région parisienne où les
résistances à la Révolution n'atteignent jamais un tel degré
d'intensité. Cela lui suggère une sainte prudence devant la
tentation des généralisations abusives. Plusieurs personnes dont
D. LIGOU et C. LE BOZEC s'interrogent sur l'influence des
évènements de Nimes et Montauban sur le haut pays. Les
évènements de Montauban apparaissent sans effet apparent car
trop lointains, en revanche ceux de Nimes ont agi par Camp de
Jalès interposé. Et V. SOTTOCASA de rappeler que tout est
provoqué par les levées d'hommes et que les bandes d'insoumis
semblent suivre, dans leurs déplacements, les traces de la Bête du
Gévaudan, c'est dire que le mythe les a vite rattrapées et donne à
ces affrontements une dimension épique. Elle ajoute, à l'intention
de R. DUPUY soucieux de l'influence possible des nobles
autochtones, qu'il s'agit d'humbles hobereaux proches des
paysans et que le clergé va pousser en avant lors des élections, en
particulier sous le Directoire. Enfin les biens nationaux ne sont
pas importants, mais leurs acheteurs deviennent la cible favorite
de nos brigands royaux.

10La communication de C. LE BOZEC provoque un long débat


amorcé par J. GEORGE qui conteste que la constitution d'un réseau
de protégés et de clients soit véritablement un comportement
propre aux libéraux. C. LE BOZEC affirme que ce n'est pas tant
l'existence du réseau qui importe que les valeurs dont il se
réclame. J. GEORGE prétend que l'on a des réseaux quelle que soit
la nature du régime en place. R. DUPUY va dans le même sens en
évoquant les soutiens versaillais sollicités par les hobereaux
bretons quelques années plus tôt. C. LUCAS constate que la
recommandation est la règle pour pourvoir aux nominations de
maires ou de fonctionnaires sous le Directoire. G.  SAUPIN rappelle
que le maire de Nantes était nommé depuis le XVII  siècle par le
e

secrétaire d'État aux affaires étrangères qui s'adressait au


Trésorier des États de Bretagne pour qu'il lui recommande un
sujet convenable. C. LE BOZEC rétorque à ces exemples
convergents que la nouveauté c'est que Boissy n'était rien ou
presque en 1789 et qu'il vérouille et contrôle tout un département
30 ans plus tard. J. GEORGE fait remarquer que dans d'autres
départements ce sont des ultras qui vérouillent en constituant leur
réseau et donc que la pratique n'est pas spécifiquement libérale.
Pour l'intervenant, ce qui a changé c'est que ces pratiques ne sont
plus le monopole des privilégiés et donc peuvent être désormais
au service des ambitions bourgeoises.
Pouvoir local et Révolution :
les districts et l'enquête de
l'an II sur les moulins
Claude Gindin
p. 399-414

TEXTE NOTES AUTEUR
TEXTE INTÉGRAL
 1 Circulaire envoyée aux districts publiée par Pierre CARON, (éd.)
dans Le commerce des céréales. In (...)

1La présente communication se propose d'apporter un éclairage à


la question “Pouvoir local et Révolution” à partir des réponses des
districts à une des enquêtes de la Commission des subsistances et
approvisionnements de la Convention, celle sur les moulins,
lancée le 13 frimaire an II (3 décembre 1793). Il était demandé
aux districts d'indiquer “1° Le nombre des moulins de chaque
commune  ; 2° Leur nature, sont-ils à vent  ? sont-ils à eau  ? 3°
Leur situation par rapport aux grandes routes, aux communes,
aux rivières, en un mot, aux lieux favorables aux transports de
terre ou d'eau  ; 4° Leur perfection mécanique. Font-ils de belles
farines  ? En font-ils une grande quantité  ? (Exprimez la quantité
en quintaux, ou cent livres pesant, poids de marc)  ; 5° Les retards
ou repos forcés occasionnés par le travail des réparations, les
grosses ou basses eaux, les glaces ou autres obstacles naturels ”.1
 2 Pour ce corpus, voir aux Archives nationales, F20 290 de Ain à
Drôme, plus F10 310 pour les distri (...)

 3 Cf., Claude GINDIN, “Aperçu sur les conditions de la mouture des


grains en France, fin XVIII  sièc (...)
e

2Le corpus des réponses conservées aux Archives nationales se


prête à divers modes d'entrée2. Nous l'utilisons dans le cadre
d'une recherche en cours sur la mouture des grains en France à la
fin du XVIII  siècle
e
et au début du XIX 3.
e
Naturellement,
l'exploitation de cet ensemble ne va pas sans interrogations sur la
qualité de celui-ci.
3C'est ici que nos préoccupations rencontrent l'objet du colloque.
L'échelon départemental étant laissé de côté, comme c'était
souvent le cas de la part du pouvoir central à l'époque de la
Convention montagnarde, la réalisation de l'enquête reposait
d'abord sur la bonne volonté des districts, auxquels le
questionnaire avait été adressé, et sur leur capacité à obtenir dans
les communes les renseignements demandés. Elle supposait donc
aussi que les municipalités y coopérassent.
4Savoir, par conséquent, si les réponses des districts ont été
nombreuses, quel crédit on peut leur faire et d'où elles sont
venues n'est pas dénué de signification quant à la qualité des
liens existant au temps du gouvernement révolutionnaire entre les
organes de la Convention et les autorités locales qu'étaient les
districts et municipalités.

NOMBRE ET RAPIDITÉ DES


RÉPONSES
5Sur les cinq cent soixante districts (en comptant Paris comme un
district) qui constituaient la République au moment de l'enquête,
cent cinquante-sept, répartis dans soixante-et-onze
départements, ont répondu à celle-ci, soit 28 % d'entre eux. Ne
sont ici comptabilisées que ceux qui transmettent, fut-ce très
sommairement et partiellement, une information sur leurs
moulins, à l'exclusion de tous ceux dont la correspondance
conservée aux Archives nationales n'en contient aucune,
notamment quand elle se réduit, ce qui est le cas pour vingt-
quatre districts, à l'annonce sans suite d'une réponse à venir. En
outre, on dispose de vingt réponses isolées de communes,
provenant de onze districts différents, où un commencement
d'exécution a donc été donné à l'enquête. Ceci porte à soixante-
treize le nombre de départements où celle-ci a suscité un envoi
d'informations sur les moulins.
6Plus des neuf dixièmes des districts (cent quarante-sept sur cent
cinquante-sept) ont envoyé des réponses dont le contenu laisse
penser qu'ils ont entrepris une enquête effective sur les moulins
de leur arrondissement : tous localisent géographiquement les
moulins qu'ils dénombrent ; cent quarante-deux d'entre eux,
c'est-à-dire la très grande majorité, le font en présentant des
états par communes. Seuls dix districts soit ne donnent pas de
nombre de moulins, soit se contentent d'une évaluation, soit ne
fournissent aucune justification du chiffre qu'ils indiquent ; et
donc, même lorsqu'ils ne l'écrivent pas, on peut penser qu'ils ne
s'appuient pas sur des réponses de municipalités.
7Beaucoup des cent quarante-sept réponses paraissant fondées
sur une enquête effective des districts ont été rapides. Si la
dernière date du 19 messidor an II (7 juillet 1794), quatre-vingt-
neuf, soit 60,5 %, sont été réalisées avant la fin pluviôse an II,
donc dans les deux mois et demi suivant le lancement de
l'enquête. Parmi elles, cinquante-et-une - représentant plus de
9 % des districts du pays - sont du seul mois de pluviôse. A la fin
germinal, au bout de quatre mois et demi, on en était à cent
vingt-sept réponses, les deux mois successifs de ventôse et
germinal en ayant fourni à peu près le même nombre
(respectivement dix-huit et vingt). Un net décrochage se
manifeste ensuite, vingt réponses étant expédiées dans les trois
mois de floréal, prairial et messidor.
 4 Lettre d'envoi de l'état des moulins du district de Brignoles, 14
ventôse an II (4 mars 1794).
8L'essentiel des retours est donc concentré dans une courte
période : l'hiver de l'an II. Au début de celui-ci, le 22 nivôse (11
janvier 1794), la Commission des subsistances et
approvisionnements de la Convention avait adressé une circulaire
de rappel aux districts retardataires pour ses diverses enquêtes en
cours, dont celle sur les moulins. Plusieurs districts y font allusion
et celui de Brignoles, dans le Var, explique que, sans elle, la
circulaire du 13 frimaire sur les moulins serait “ restée longtems
égarée dans les archives de l'ancienne administration ”4.
9Pour apprécier le taux de réponses et le rythme d'arrivée de
celles-ci, il faut essayer de se rendre compte de la nature du
travail qu'elles exigeaient des districts.
 5 Cf., la circulaire du 13 frimaire an II à l'adresse des districts,
dans Le commerce des céréales [ (...)

10Comme l'avait indiqué la Commission, les municipalités


devaient être sollicitées5. Leur nombre par district était très
variable : fort rarement moins de vingt ; parmi les districts ayant
répondu, la moyenne se situe aux alentours de soixante-dix, mais
trente-deux d'entre eux rayonnaient sur plus de cent communes,
le maximum étant atteint par celui de Pau, dans les Basses-
Pyrénées, avec deux cent quarante-trois communes.
 6 Cf., Pierre CARON, La Commission des subsistances de l'an II […],
o.c., p. 85, séance du 13 frimai (...)

 7 Craonne, Crécy [-sur-Serre], Montloué, district de Laon.

 8 Sainte-Croix [-Hague], district de Cherbourg, Manche (pas de


place laissée en blanc pour le nom du (...)

 9 Lettre du 26 frimaire an II (16 décembre 1793) ; ce district a


envoyé son état des moulins le 11 v (...)
 10 Arch. nat., F10 226, les administrateurs du district de Ruffec,
Charente, à la Commission des subs (...)

11La Commission avait prévu de faire imprimer huit cents


exemplaires de la circulaire de l'enquête6. Ce sont sans doute
quelques-uns d'entre eux, où le nom du département, du district
et de la commune est porté à la main, que l'on retrouve parmi les
réponses isolées de communes de l'Aisne parvenues à la
Commission7. De toute façon, il en fallait beaucoup plus pour
toutes les communes de la République, de sorte que les districts
ont dû en assurer eux-mêmes la reproduction. Certains avaient
les moyens de faire imprimer : des communes isolées de la
Manche, de la Seine-Inférieure, de la Seine-et-Oise et de la
Somme ont envoyé des formulaires émanant de leurs districts
respectifs8 ; pour gage d'une réponse qui, apparemment, n'est
jamais arrivée, le district de Montargis, dans le Loiret, adresse à la
Commission un exemplaire de la circulaire imprimée qu'il avait
expédiée dans les communes ; quant au district de Castres, dans
le Tarn, il envoie à Paris quarante formulaires imprimés remplis
dans les communes. Mais tous n'avaient pas ces facilités. Il en est
qui s'en plaignent comme celui de La Tour du Pin, dans l'Isère : “il
y auroit plus de célérité si nous n'étions dépourvus d'imprimerie
sur les lieux”9. De même celui de Ruffec, en Charente, qui écrit à
la Commission des subsistances et approvisionnements, à propos
d'une autre enquête, celle du 2 nivôse an II (22 décembre 1793)
sur les charrues et demi-charrues, “ qu'il faudroit […] autant de
modèles de cet état qu'il y a de communes, et que n'existant
point d'imprimerie dans celle de Ruffec, quatre commis qui sont
attachés au courant de l'administration, ne pourroient que dans
un très long espace de tems tracer les 84 nécessaires ”.10
 11 Ibid., lettre d'envoi par le district de l'état de ses moulins, 18
pluviôse an II (6 février 1794)
12Ce travail de secrétariat accompli, les questionnaires devaient
être acheminés jusqu'aux communes, puis en revenir dûment
remplis. Or, les liaisons entre le chef-lieu de district et les villages
éloignés n'étaient pas toujours aisées, comme l'explique le même
district de Ruffec dans une autre lettre évoquant “ les trop grandes
distances qui séparent de nous une grande partie de nos
communes et les chemins inpraticables qui dans cette saison
rendent les communiquations très difficilles ”11.
 12 Lettre du 22 nivôse an II (11 janvier 1794) accompagnant
l'envoi de l'état des moulins de cinq com (...)

 13 Lettre du 30 nivôse an II (19 janvier 1794).

 14 Réponse de la municipalité de Donan, canton de Plouvara, 27


nivôse an II (16 janvier 1794), copie (...)

13Sur place, dans les villages, les municipalités ne disposaient pas


toujours d'un citoyen sachant suffisamment lire et écrire pour
remplir correctement le questionnaire fourni par le district. De
plus, il fallait exprimer en quintaux de cent livres, donc en poids,
des quantités de farine que l'on était dans l'usage de compter en
mesures locales, le plus souvent en volume. Dans une bonne
partie de la France, se posaient aussi des problèmes de traduction
qui, il est vrai, n'étaient pas nouveaux. On pourrait multiplier les
citations de lettres de districts expliquant, à l'instar de celui de
Montagne-sur-Odet, c'est-à-dire Quimper dans le Finistère, “ que
les municipaux des campagnes sont sans moyens, la plus part ne
savent même pas écrire”12. Celui de Montargis, dans le Loiret,
explicite une autre donnée du problème : “Toutes les
municipalités sont surchargées de demandes de toute espèce  ;
les officiers municipaux sont dans la majeure partie des citoyens
qui ne vivent que du produit de leurs bras […] Obligés de
travailler pour faire vivre leur famille, ils négligent les fonctions
de leur place gratuitement exercées”13. Et il est vrai que pour
plusieurs des questions sur les moulins, il fallait prendre le temps
d'obtenir les réponses du ou des meuniers de la commune :
“conforme  aux déclarations [à] nous faites par les meuniers ” dit la
municipalité de Donan, dans le district de Saint-Brieuc, Côtes-du-
Nord14.
 15 Arch. nat., F20 291, Finistère, district de Morlaix, extrait d'une
lettre des administrateurs du d (...)

 16 Lettre du 29 pluviôse an II (17 février 1794).

14Si beaucoup de districts disent procéder par voie de circulaires,


et parfois de circulaires répétées en direction des municipalités,
certains, comme celui de Morlaix, dans le Finistère, ont “ pris le
parti de leur envoyer des commissaires pour leur faciliter le
travail”.15 Mais, se plaint le district de Saint-Junien, dans la
Haute-Vienne, avec seulement trente-trois communes : “ces
commissaires sont si dispendieux”16…
 17 Lettre du 8 pluviôse an II (27 janvier 1794). Pas d'état des
moulins de ce district aux Arch. nat.

 18 Arch. nat. F20 293, Var, district de Saint-Paul-du-Var, lettre


d'envoi du recensement des fourrage (...)

 19 Dates des circulaires de la Commission citées ici dans


Isabelle GUEGAN, Inventaire des enquêtes ad (...)

15Et la Commission des subsistances et approvisionnements de la


Convention ne s'intéressait pas qu'aux moulins. Le district de
Montluçon, dans l'Allier, le lui rappelle en laissant percer une
certaine irritation : “vous nous avez demandé par des circulaires
des éclaicissemens sur les engrais, le dessèchement des étangs,
le nombre et la nature des moulins, l'état des charrues, le
recensement des fourages, l'état des animaux ruraux, enfin le
tableau de chefs-lieux de cantons et celui des communes
correspondantes”17. Le district de Saint-Paul-du-Var, dans le Var,
qui s'exprime en termes presque identiques, semble éprouver les
mêmes sentiments18. Il est vrai que toutes ces demandes se sont
succédé en moins de trois semaines, du 13 frimaire au 2 nivôse
an II, c'est-à-dire du 4 au 22 décembre 179319. Or, c'est peu de
dire qu'en cette période les administrations des districts avaient
aussi d'autres tâches à accomplir.
16Ainsi, indépendamment des obstacles de tous ordres
susceptibles de l'entraver, la réalisation de l'enquête se heurtait
souvent à des difficultés matérielles qui, pour être surmontées,
requéraient des districts une réelle volonté d'aboutir. On ne sera
donc pas autrement surpris qu'une partie de ceux qui ont
répondu n'aient pas traité la totalité des questions posées. Mais,
en sens inverse, ils furent nombreux à prendre l'enquête
suffisamment au sérieux pour adapter leur tableau aux réalités
locales et, souvent, pour récolter plus d'informations qu'on leur
en avait demandées. Ainsi, au hasard des réponses des districts,
sur le nombre de jeux de meules ou sur celui des roues de
moulins, sur les céréales traitées, sur les moulins à huile, à tan, à
papier, parfois sur le mode de faire-valoir, direct ou à bail, sur les
moulins biens nationaux vendus ou invendus, etc.
 20 Cf., Arch. nat. F20 295 et F20 296.

 21 Cf., Arch. nat. F20 295 pour la circulaire de rappel et F20 296
pour le dossier Maine-et-Loire.

 22 Les rubriques, subdivisées sur le modèle imprimé par des jeux


d'accolades, sont les suivantes : “N (...)

17De la capacité de mobilisation qu'a eue, sur cette enquête, le


pouvoir central pendant l'hiver de l'an II, on prendra la mesure en
se référant à une autre enquête sur les moulins lancée le 31
décembre 180820. Émanant du ministère de l'Intérieur, elle a été
adressée aux préfets et, par eux, aux sous-préfets chargés
d'obtenir les réponses des maires. L'un de ses intérêts est d'avoir
commencé dans la même période de l'année que celle de l'an II.
Naturellement, elle s'étendait à tout l'empire. Mais, si l'on s'en
tient aux quatre-vingt-neuf départements correspondant à peu
près au territoire de la République en l'an II, on constate que
seulement dix d'entre eux avaient répondu dans les quatre
premiers mois, de janvier à fin avril 1809. Le mois de mai 1809, à
lui seul, apporte autant de réponses. Il en était arrivé trente-huit à
la fin août 1809, au moment où le ministère envoie une circulaire
de rappel, et la dernière a été expédiée en janvier 1811 par le
préfet du Maine-et-Loire21. Certes, les sous-préfets devaient
solliciter plus de communes que les districts n'avaient eu à le faire
et les réponses devaient franchir un échelon supplémentaire, celui
de la préfecture, avant de parvenir au pouvoir central. Mais les
informations demandées, moins nombreuses qu'en l'an II,
n'étaient pas d'accès plus difficile22. Néanmoins, malgré une
structure politico-administrative bien plus stable que celle dont
disposait le gouvernement révolutionnaire, mais dans une
situation de moindre urgence, le démarrage de l'enquête, pendant
les premiers mois de 1809, a été beaucoup plus lent qu'il ne
l'avait été dans l'extrême tension de l'hiver de l'an II.
18Cependant, cette rapidité ne vaut que si elle va de pair avec la
fiabilité des réponses.

DEGRÉ DE FIABILITÉ DES


RÉPONSES
19Il nous faut donc essayer de voir dans quelle mesure les
districts qui prétendent l'avoir fait ont effectivement collecté leurs
informations auprès des municipalités.
20Limitons d'emblée notre ambition : la plupart des réponses à la
Commission, ne sont contrôlables que dans le cadre d'études
monographiques. Seules celles sur le nombre et la nature, à eau
ou à vent, des moulins permettent une confrontation avec d'autres
sources sur une large échelle.
 23 Lettre du directoire du directoire du district, 15 ventôse an II.

21On l'a vu, cent quarante-deux districts ont envoyé des états par
communes. Cent vingt-six ne laissent en rien supposer que leur
liste pourrait n'être pas exhaustive mais seize déclarent que la
leur est incomplète, le district de Bernay, dans l'Eure, dénonçant
même nommément ses neuf municipalités défaillantes sur cent
soixante-douze “comme rebelles à la loy”23. Ces lacunes
annoncées d'emblée ne sont cependant pas toutes de même
ampleur et, dans quatre districts, elles ne représentent que 10 %
du total des communes. De sorte qu'en ajoutant ces derniers aux
cent vingt-six affirmant ou laissant entendre que leur état est
complet, on arrive à un corpus de cent trente districts répondant,
selon eux, au moins pour 90 % de leurs communes.
22Le district dans ses limites de l'an II servant de cadre territorial,
on peut en confronter les réponses avec d'autres enquêtes
chronologiquement proches sur les moulins. Avec certes une
marge d'approximation car les limites des communes ont parfois
varié et il n'est pas toujours aisé de déceler les moulins recensés
de ce fait successivement dans deux communes différentes. En
outre, les réponses sont souvent des tableaux, documents dont la
mise au net est propice aux erreurs de copie.
23L'enquête de l'an II étant une enquête nationale, on se tournera
d'abord vers l'enquête déjà mentionnée qui a été lancée en 1808
sur la totalité du territoire de l'empire. Mais son exploitation se
heurte à deux difficultés. La première est qu'une partie seulement
des préfets a fourni des états par communes. Il est vrai qu'on les
avait invités à détailler leurs réponses par “arrondissemens
communaux” et que ceux qui s'en étaient tenus aux
arrondissements entendus comme subdivision du département
s'étaient conformés à la lettre des instructions du ministre. La
seconde difficulté est qu'ils devaient dénombrer non pas les
moulins mais les “tournants” c'est-à-dire les ensembles
travaillants des moulins, roues ou jeux d'ailes et paires de meules
correspondantes. Or, les moulins à eau avec deux tournants
étaient fréquents, il y en avait aussi à trois et parfois plus. Les
préfets n'ont pas tous répondu de la même manière : les uns ont
compté les tournants, d'autres les moulins, d'autres encore les
moulins et les tournants et certains n'ont visiblement pas su faire
la distinction entre les deux. Mais, comme il n'est pas de tournant
sans moulin, toute commune déclarée avec un tournant est
supposée avoir un moulin.
 24 Ainsi, dans le district de Lons-le-Saulnier (Jura), un tiers des
communes ayant au moins un moulin (...)

 25 Ain : Mont-Ferme (Saint-Rambert), Montluel, Pont-de-Vaux ;


Aube : Arcis [-sur-Aube], Ervy ; Bouche (...)

24Tout cependant n'est pas toujours utilisable dans l'enquête


impériale. Car, pour être préfet de Napoléon I  on n'en adressait
er,

pas moins à son ministre des réponses parfois bien imparfaites,


voire trop défectueuses pour nous24. Finalement, sur cent trente
districts explicitement ou implicitement censés répondre pour au
moins 90 % de leurs communes, vingt-neuf se prêtent à une
comparaison avec l'enquête de 180825.
 26 Arch. nat. F20 294 : Aisne, Eure, Loiret, Oise, Seine, Seine-et-
Marne et Seine-et-Oise. Le modèle (...)

 27 Aisne : Égalité-sur-Marne (Château-Thierry) ; Eure : Bernay,


Pont-Audemer ; Loiret : Orléans ; Ois (...)
25Précédemment, avait été lancée par le ministère de l'Intérieur le
12 vendémiaire an X (4 octobre 1801) et elle donne un
dénombrement des moulins fort précis. Mais ne sont parvenues
jusqu'aux Archives nationales que des réponses émanant de
sous-préfets de sept départements du bassin parisien26. Elles
concernent un territoire correspondant à quatorze districts de l'an
II et elles recoupent certaines des réponses à l'enquête impériale
dont nous pouvons nous servir27.
 28 Villes et villages du Pas-de-Calais. 60 questions et leurs
réponses, présentées par Léon-Noël BERT (...)

26Grâce à la publication récente, sous le titre  Villes et villages du


Pas-de-Calais. 60 questions et leurs réponses, d'une enquête
dont le département du Pas-de-Calais avait pris l'initiative en
179028 nous ajouterons trois districts à notre liste, ceux de
Boulogne, Calais et Saint-Pol. Et il n'est pas déraisonnable de
penser qu'une prospection systématique des archives
départementales permettrait d'élargir encore le champ
géographique des comparaisons réalisables.
 29 Ces dix districts : Allier, Val-Libre (Le Donjon) ; Ille-et-Vilaine,
Port-Malo (Saint-Malo) ; Loir (...)

27Au total, sur notre corpus de cent trente districts, il en est


quarante-deux, soit 32,2 %, pour lesquels, grâce à ces trois
enquêtes, de 1790, de l'an X et de 1808, une comparaison
commune par commune est possible. Les termes de celle-ci ne
sont pas identiques selon les enquêtes, puisque les questions
n'ont pas été semblables d'une fois sur l'autre. Mais ces trois
enquêtes et celle de l'an II ont en commun de permettre de
distinguer les communes déclarées avec au moins un moulin et
les autres. A partir de là, on peut analyser l'un des traits les plus
largement répandus de l'enquête de l'an II et dont dépend
étroitement l'interprétation de celle-ci, à savoir que les districts
citent presque toujours moins de communes que n'en compte leur
territoire. Sur cent quarante-deux, seuls dix districts font
exception et la réponse d'aucun de ceux-ci ne se recoupe avec
une des trois autres enquêtes29. Pour les quarante-deux districts
dont les réponses, elles, se prêtent à cette confrontation la
question est : les communes manquantes n'avaient-elles pas de
moulin ou le district a-t-il été défaillant à leur endroit ?
28Lorsqu'une même commune apparaît comme dépourvue de
moulin en l'an II et dans une enquête voisine, on peut présumer,
sans en avoir l'assurance absolue mais avec quelque
vraisemblance, que les deux enquêtes se confirment l'une l'autre.
 30 Cf., pour l'an II, F20 291 dossier Eure, pour l'an X, F20 294
dossier Eure et, pour l'enquête de 1 (...)

29Certes, deux enquêtes peuvent répéter la même erreur. Ou une


continuité être démentie par un document supplémentaire,
comme pour les districts de Bernay et de Pont-Audemer, dans
l'Eure. Alors que, le plus souvent, on ne peut comparer que deux
enquêtes, ici l'on dispose de celles de l'an II, de l'an X et de 1808
(avec réponse du préfet en 1809)30. Or, dix des cent vingt-cinq
communes du territoire du district de Bernay et seize des quatre-
vingt-cinq de celui de Pont-Audemer, sans aucun moulin, d'après
les réponses de l'an II et de 1809, en ont un, et parfois plus, selon
celles de l'an X. Les relevés de l'an II et de 1809 en sont-ils pour
autant invalidés ? Est-il illégitime, pour tous les districts sur
lesquels on ne travaille qu'avec deux enquêtes, de voir si les
réponses de l'une donnent crédit à celles de l'autre et, en
particulier, de regarder si les silences de l'an II trouvent un indice
fort de leur bien-fondé dans leur répétition en 1809 ou en 1810 ?
 31 Cf., Charles LEROY, Paysans normands au XVIII  siècle, II-La
e

communauté. La paroisse, Rouen 1929, (...)


 32 16 moulins à vent sur 24, répartis dans 11 des 16 communes
n'ayant de moulins qu'en l'an X.

 33 Cinq communes sur les sept connues dans le district de Bernay


pour avoir plus de moulins en 1809 q (...)

30En fait, la discontinuité observée dans l'Eure, et que l'on ne


retrouve pas dans les départements pour lesquelles se suivent les
trois mêmes enquêtes, semble s'expliquer non par une
imperfection des relevés de l'an II et de 1809, mais par une
poussée de construction de moulins consécutive à l'abolition
d'une banalité qui, dans la région et pour ces engins, était
demeurée forte jusqu'à la fin de l'Ancien Régime 31. Poussée
suivie, après l'an X, d'un reflux partiel dont les victimes ont été les
moulins nouvellement construits à l'écart des centres habituels de
mouture des grains et qui n'ont pu se doter d'une clientèle
suffisante pour rester en activité notamment, sur le territoire du
district de Pont-Audemer où le réseau hydrographique n'est pas
partout aussi dense que sur celui de Bernay, les nouveaux
moulins à vent dont l'exploitation avait pu être tentée
indépendamment de la possession d'un terrain au bord d'un cours
d'eau32. Que la stimulation à la croissance des capacités de
mouture n'ait pas été assez forte pour maintenir en vie tous les
moulins supplémentaires, la réponse du préfet en 1809 en
témoigne. Sur l'ensemble du département de l'Eure, elle signale en
effet, par une marque distinctive, “ les moulins qui font moudre
pour le commerce”, donc travaillant pour un marché plus large
que celui de la clientèle locale. Or, aucun n'est situé dans le
périmètre des anciens districts de Bernay et de Pont-Audemer et
ce sont surtout des communes ayant au moins deux moulins en
l'an II, donc peu ou prou déjà des petits pôles de meunerie, que
l'on y voit garder, en 1809, les nouveaux moulins apparus entre
l'an II et l'an X33.
31Donc, loin de nous pousser à récuser l'idée qu'une commune
apparaissant sans moulin dans deux enquêtes n'en avait
probablement pas lors de celles-ci, l'examen du cas de ces
districts tend à prouver qu'il pouvait bien en être ainsi même pour
des communes signalant un moulin, plus parfois, dans une
enquête intermédiaire.
32Par contre, l'incertitude sur le sens de l'absence d'une commune
dans l'enquête de l'an II demeure entière lorsque cette commune
est notée avec un moulin, voire plus, dans l'enquête qui sert de
base de comparaison : la situation a-t-elle changé entre les deux
ou est-ce le signe d'une lacune dans le recensement envoyé par le
district ? La question demeure sans réponse. A partir de là, en
rapportant, pour chaque district, le nombre de ces communes au
nombre total des communes du district, il est aisé d'établir, pour
chacun de ceux-ci un taux, que l'on appellera   taux
d'incertitude, donnant la proportion des communes pour
lesquelles l'absence de moulin, selon l'enquête de l'an I, n'est pas
confirmée par une autre enquête.
 34 1) Creuse, district d'Aubusson : 6 communes sans moulin selon
la réponse de 1810 en avaient entre (...)

33L'incertitude persiste aussi pour les communes absentes en l'an


II lorsque l'autre enquête, sans avoir de défaut rédhibitoire, est
lacunaire ou douteuse pour ces mêmes communes. Le taux
d'incertitude tient alors partiellement à cette autre enquête. Ceci
concerne deux districts34.
34Pour les calculs, il a semblé logique de rapprocher l'enquête de
l'an II et la plus proche chronologiquement, donc en ne prenant
celle de 1808 que faute de réponse en 1790 ou en l'an X. Ceci à
l'exception des districts de Bernay et de Pont-Audemer où, on l'a
vu, la situation est moins éloignée de celle de l'an II en 1809 qu'en
l'an X.
 35 La distribution des taux d'incertitude est donnée ci-après par
ordre croissant. On a mis entre cro (...)

35Pour les quarante-deux districts considérés, le taux


d'incertitude, tel que défini, va de zéro à 52,6 %. Il est nul pour
21,4 % des districts (9 districts), inférieur à 5 % pour 38 % des
districts (16 districts), inférieur à 10 % pour 64,2 % (27 districts),
inférieur ou égal à 13,5 % - pourcentage qui marque une solution
de continuité - pour 76,1 % (32 districts)35. Au vu de ces chiffres,
il apparaît donc que plus des trois quarts des districts, ayant
envoyé une liste qui peut être comparée à une autre enquête, ont
couvert au moins 86,5 % des communes qui les composent, soit
près des neuf dixièmes de celles-ci. L'incertitude demeurant pour
les autres communes, dont on ne peut savoir dans quelle
proportion elles n'avaient pas de moulin.
36Rapportée aux cent trente districts affirmant avoir procédé à un
recensement exhaustif ou quasi exhaustif, cette proportion de
76,1 % des listes approchant ou dépassant les neuf dixièmes des
communes qui devaient y figurer donne, à une décimale près, le
chiffre de quatre-vingt-dix-neuf districts soit 17,6 % du total des
districts de la République.
37Encore faut-il savoir ce que vaut le test employé. Parce que son
taux d'incertitude est nul ou très faible, est-on en droit de valider
— sous réserve d'erreurs accidentelles — les réponses que donne
un district pour les communes où il déclare un, deux ou plusieurs
moulins ? Plaide en ce sens le fait qu'une municipalité n'a aucune
raison de s'attribuer des moulins qu'elle n'a pas. Si elle est résolue
à ne pas livrer les renseignements exigés, il vaut mieux pour elle
tenter de faire la sourde oreille plutôt que de s'exposer à donner
une réponse dont le caractère mensonger risque d'être découvert
dès lors que la commune, comme c'est le cas le plus fréquent, n'a
pas plus de quelques moulins et que leur nombre est bien connu
de tous ses habitants et de ceux des communes voisines. C'est ce
que suggère fortement l'examen, commune par commune, du
contenu précis des enquêtes successives.
38Celui-ci ne tend à invalider que les réponses de deux districts
de l'an II. L'un est celui de L'Aigle, dans l'Orne, qui n'attribue
jamais plus d'un moulin à une commune, situation bien
exceptionnelle, qui n'est nullement celle de 1809 sur le même
territoire et donnant à penser que l'administration du district n'a
pas procédé à une enquête systématique auprès des
municipalités. L'autre est celui de Breteuil, dans l'Oise, dont le
chef-lieu n'aurait eu qu'un moulin à vent en l'an II, alors que l'on
retrouve la même commune en l'an X avec deux moulins à vent et
quatre à eau, dont un “du ci-devant seigneur”, ce qui ne plaide
pas pour la crédibilité de la réponse du district. Or, ces deux
districts ont des taux d'incertitude particulièrement élevés qui les
placent en queue de liste quant à la couverture de leurs
communes : 22,2 % et trente-sixième sur quarante-deux pour le
district de L'Aigle, 39,4 % et quarante-et-unième pour celui de
Breteuil (cf. supra note 35).
39L'idée que les trois quarts environ des districts qui présentent
comme complète ou presque complète la réponse qu'ils ont
envoyé ont au moins effectivement interrogé près des neuf
dixièmes de leurs communes sur le nombre de leurs moulins ne
paraît infirmée par ce contrôle.
 36 Éditions La Découverte, Paris 1993. Voir en particulier le chapitre
8, “Battre les cartes” p. 297- (...)

 37 Une carte des réponses à l'enquête de l'an II est à paraître dans


l'Atlas de la Révolution françai (...)

40Sur cette base, l'appréciation d'ensemble que nous proposons


de porter est que, compte tenu des conditions des l'époque, les
réponses ont été nombreuses et souvent de bonne qualité. Ceci
ne fait pas de cette enquête un signe de soutien au gouvernement
révolutionnaire animé par le Comité de salut public et elle ne peut
être mise sur le même plan que les sources utilisées en ce sens
par Michel Vovelle dans son récent ouvrage   La découverte de la
politique. Géopolitique de la Révolution française 36. La
géographie qui en ressort n'est pas la même dans l'ensemble.
Aucun des espaces politiques qu'il définit n'est réellement absent
de l'enquête et ceux qu'il caractérise comme rétifs ou hostiles
sont souvent assez bien représentés37. Nous songeons ici à la
Bretagne, au Nord-Est, au Midi méditerranéen et même à la
Lozère. Nous n'en verrons pas moins, dans ces réponses, à travers
ce qu'une commission de la Convention est parvenu à obtenir de
bien des districts, et ces districts de bien des municipalités,
l'indice d'une consistance et d'une capacité de mobilisation de ces
niveaux de pouvoir certes inégales selon les lieux mais réelles et
caractéristiques de la situation durant l'hiver de l'an II.
NOTES
1 Circulaire envoyée aux districts publiée par Pierre  CARON, (éd.)
dans  Le commerce des céréales. Instructions, recueil de textes et
notes, Commission de recherche et de publication des documents
relatifs à la vie économique de la Révolution, Paris 1907, p. 82, d'après
Arch, nat., F11 268, dossier 1.

2 Pour ce corpus, voir aux Archives nationales, F20 290 de Ain à


Drôme, plus F10 310 pour les districts de Sisteron, dans les Basses-
Alpes et d'Arnay-sur-Arroux (Arnay-le-Duc), en Côte-d'Or et F10 226
pour le district de Ruffec, en Charente ; F20 291 de Eure à Lozère, y
compris la Gironde, alors nommée Bec-d'Ambès ; F20 292 de Maine-
et-Loire à Haut-Rhin ; F20 293 de Haute-Saône à Yonne y compris le
département de Paris, classé dans le dossier “Seine”. Ci-dessous on
indiquera les noms des districts et des départements cités sans
rappeler à chaque fois ces cotes, sauf lorsqu'une ambiguïté est
possible.

3 Cf., Claude GINDIN, “Aperçu sur les conditions de la mouture des


grains en France, fin XVIII   siècle”, dans Albert SOBOUL, (sous la
e

direction de)  Contributions à l'histoire paysanne de la Révolution


française, Éditions sociales, Paris 1977, p. 159-188 ; ID., “Mouture des
grains à l'époque de la Révolution française et problèmes de l'étude des
conditions de la production. A propos de l'enquête de l'an II sur les
moulins”, dans  Région, nation, Europe. Unité et diversité des processus
sociaux et culturels de la Révolution française, Actes du colloque
international organisé à Besançon dans le cadre de la commémoration
du bicentenaire de la Révolution française les 25, 26 et 27 novembre
1987, publiés par Marita GILLI, Annales littéraires de l'Université de
Besançon, 385, Les Belles Lettres, Paris 1988, p. 19-29 ; ID., “Les
moulins à blé en Franche-Comté dans les enquêtes nationales de la
Révolution à l'Empire”, dans  Faire l'histoire en classe, n° 1, “Enseigner
la Révolution à partir des archives”, Centre régional de documentation
pédagogique de Besançon, Besançon 1991, 18 p. ID., “Les moulins de
la République”, dans  Annales historiques de la Révolution française,  n°
290, octobre-décembre 1992, p. 589-595.

4 Lettre d'envoi de l'état des moulins du district de Brignoles, 14


ventôse an II (4 mars 1794).

5 Cf., la circulaire du 13 frimaire an II à l'adresse des districts, dans   Le


commerce des céréales […], o.c., Pierre CARON, (éd.), p. 82.

6 Cf., Pierre CARON,  La Commission des subsistances de l'an II […],


o.c., p. 85, séance du 13 frimaire an II (3 décembre 1793).

7 Craonne, Crécy [-sur-Serre], Montloué, district de Laon.

8 Sainte-Croix [-Hague], district de Cherbourg, Manche (pas de place


laissée en blanc pour le nom du district); Saint-Martin-le-Gaillard,
district de Dieppe, Seine-Inférieure ; Saulx [-les-Chartreux], district de
Versailles, Seine-et-Oise ; Bougainville, district d'Amiens, Somme.
9 Lettre du 26 frimaire an II (16 décembre 1793) ; ce district a envoyé
son état des moulins le 11 ventôse an II.

10 Arch. nat., F10 226, les administrateurs du district de Ruffec,


Charente, à la Commission des subsistances et approvisionnements de
la République, 11 ventôse an II (31 décembre 1793). Nous avons choisi
de respecter l'orthographe des documents que nous citons. Les
charrues et demi-charrues dont il est question dans cette enquête sont
des unités de mesure de surface ; tous les districts ne l'ont cependant
pas compris ainsi.

11 Ibid., lettre d'envoi par le district de l'état de ses moulins, 18


pluviôse an II (6 février 1794).

12 Lettre du 22 nivôse an II (11 janvier 1794) accompagnant l'envoi de


l'état des moulins de cinq communes du district, dont un, très détaillé,
pour la ville de Quimper.

13 Lettre du 30 nivôse an II (19 janvier 1794).

14 Réponse de la municipalité de Donan, canton de Plouvara, 27 nivôse


an II (16 janvier 1794), copie jointe à l'“État des moulins existons dans
le district de St-Brieuc (Port-Brieuc)” envoyé le 7 pluviôse an II (26
janvier 1794).

15 Arch. nat., F20 291, Finistère, district de Morlaix, extrait d'une lettre
des administrateurs du district du 3 ventôse an II (21 février 1794) fait
par les bureaux de la Commission des subsistances et
approvisionnements de la République.

16 Lettre du 29 pluviôse an II (17 février 1794).

17 Lettre du 8 pluviôse an II (27 janvier 1794). Pas d'état des moulins


de ce district aux Arch. nat..

18 Arch. nat. F20 293, Var, district de Saint-Paul-du-Var, lettre d'envoi


du recensement des fourrages, des animaux ruraux et bestiaux et du
tableau des cantons et communes du district, 10 pluviôse an II (29
janvier 1794). L'état des moulins avait été envoyé le 15 nivôse an II (4
janvier 1794). Saint-Paul-du-Var : actuel Saint-Paul, dans les Alpes-
Maritimes.

19 Dates des circulaires de la Commission citées ici dans


Isabelle GUEGAN,  Inventaire des enquêtes administratives et
statistiques. 1789-1795, Ministère de l'Éducation nationale,
Commission d'histoire de la Révolution française, Mémoires et
documents XLVI, Éditions du Comité des travaux historiques et
scientifiques, Paris 1991, pages 114, 116-118 et 154.

20 Cf., Arch. nat. F20 295 et F20 296.

21 Cf., Arch. nat. F20 295 pour la circulaire de rappel et F20 296 pour
le dossier Maine-et-Loire.

22 Les rubriques, subdivisées sur le modèle imprimé par des jeux


d'accolades, sont les suivantes : “Nature des moutures et nombre de
tournant  : à eau, roues perpendiculaires, roues horizontales  ; à vent.
Qualité des moutures  : économiques ou à la parisienne  ; à la grosse
ou à la lyonnaise. Poids des farines qu'ils peuvent faire par jour,
quintaux métriques. Noms des lieux d'où l'on tire les meules ”. Une
circulaire du 26 août 1809 invite les préfets n'ayant pas encore
répondu à substituer la capacité de production annuelle au produit
journalier demandé le 31 décembre 1808. Cf., Arch. nat. F20 295.

23 Lettre du directoire du directoire du district, 15 ventôse an II.

24 Ainsi, dans le district de Lons-le-Saulnier (Jura), un tiers des


communes ayant au moins un moulin en l'an II n'en auraient plus en
1809 (cf., Arch. nat. F20 295) et, parmi elles, des communes ayant des
moulins au milieu du XIX  siècle ; cf., A. ROUSSET,  Dictionnaire
e

géographique, historique et statistique des communes de la Franche-


Comté et des hameaux qui en dépendent, classés par département.
Département du Jura, Besançon-Lons le Saulnier, 1853-1858. Quant à
l'état que le préfet des Hautes-Pyrénées a envoyé en 1810 pour
l'arrondissement de Bagnères, il présente diverses anomalies dont
l'absence complète des cantons d'Arreau et de Sarrancolin (cf., Arch.
nat. F20 296).

25 Ain : Mont-Ferme (Saint-Rambert), Montluel, Pont-de-Vaux ; Aube :


Arcis [-sur-Aube], Ervy ; Bouches-du-Rhône : Salon [-de-Provence] ;
Creuse : Aubusson, Bourganeuf, Evaux, La Souterraine ; Doubs :
Ornans, Quingey ; Eure : Bernay, Pont-Audemer ; Finistère : Ville-sur-
Aône (Châteaulin) ; Jura : Dole ; Landes : Mont-de-Marsan, Saint-
Sever ; Haute-Marne : Joinville, Saint-Dizier ; Nièvre : Corbigny,
Moulins-la-République (Moulins-Engilbert) ; Nord : Lille ; Orne :
L'Aigle ; Paris : Bourg-de l'Égalité (Bourg-la-Reine), Franciade (Saint-
Denis) ; Hautes-Pyrénées : Argelès ; Bas-Rhin : Barr (précédemment
Benfeld) ; Vienne : Lusignan.
Parmi les districts pour lesquels il y a un répondant dans l'enquête de
1808, n'ont pas été compris Lons-le-Saulnier et Labarthe-de-Neste
pour des motifs déjà signalés ; ni Montagne-sur-Odet (Quimper), dans
le Finistère, et Marcigny, en Saône-et-Loire, trop lacunaires en l'an II ;
ni Cambrai, dans le Nord, parce que le recensement de l'an II ne porte
que sur la partie non occupée du district ; ni les districts de
Compiègne, Crépy [-en-Valois] et Senlis, dans l'Oise, pour le territoire
desquels il a été répondu à l'enquête de 1808 par cantons sans
énumérer toutes les communes (Arch. nat. F20 296, n° 96) et par un
“État général des moulins qui se trouvent situés sur le cours des
rivières d'Aisne et d'Oise […] dans une distance de trois lieues des
deux rives de ces rivières” (Arch. nat. F20 296, n° 97) excluant les
moulins plus éloignés.

26 Arch. nat. F20 294 : Aisne, Eure, Loiret, Oise, Seine, Seine-et-Marne
et Seine-et-Oise. Le modèle  d'"État des moulins actuellement en
activité” comportait les rubriques suivantes : “Noms des communes.
Noms des meuniers. Dénomination particulière des moulins. Nature
des moulins à eau, [à] vent. Quantité de farine qu'ils peuvent moudre
par jour. Par qui employés le plus ordinairement. Observations. ”

27 Aisne : Égalité-sur-Marne (Château-Thierry) ; Eure : Bernay, Pont-


Audemer ; Loiret : Orléans ; Oise : Breteuil, Compiègne, Crépy [-en-
Valois], Senlis ; Paris : Franciade (Saint-Denis), Bourg-de-l'Égalité
(Bourg-la-Reine) ; Seine-et-Marne : Meaux ; Seine-et-Oise : Dourdan,
La Montagne-du-Bon-Air (Saint-Germain-en-Laye), Mantes. On
dispose de réponses par communes datant de l'époque impériale pour
les districts cités de l'Eure et du département de Paris ; pour ceux de
l'Oise, voir la note 25.

28 Villes et villages du Pas-de-Calais. 60 questions et leurs


réponses, présentées par Léon-
Noël BERTHE, Pierre BOUGARD, Danielle CANLER, Jean-Michel DECELLE, Jea
n-Pierre JESSENNE, tome II,  Districts de Béthune, de Boulogne et de
Calais, tome III,  Districts de Montreuil, de Saint-Omer et de Saint-
Pol, Mémoires de la Commission départementale d'histoire et
d'archéologie du Pas-de-Calais, tomes XXVII et XXVIII, Arras 1991 et
1992. Question 18 de l'enquête : “L'état des moulins à vent ou à l'eau
qui sont sur votre territoire, avec indication de leur état, de leur utilité
et du nom du propriétaire.”

29 Ces dix districts : Allier, Val-Libre (Le Donjon) ; Ille-et-Vilaine, Port-


Malo (Saint-Malo) ; Loire-Inférieure, Ancenis et Guérande; Lozère,
Meyrueis ; Haute-Marne, Joinville ; Morbihan, Le Faouët ; Puy-de-
Dôme, Ambert ; Seine-Inférieure, Montivilliers et Rouen.

30 Cf., pour l'an II, F20 291 dossier Eure, pour l'an X, F20 294 dossier
Eure et, pour l'enquête de 1808, F20 295, dossier Eure, “État des
moulins à farine […]” du département, daté du 30 janvier 1809.

31 Cf., Charles LEROY,  Paysans normands au XVIII   siècle, II-La


e

communauté. La paroisse, Rouen 1929, p. 157-159.

32 16 moulins à vent sur 24, répartis dans 11 des 16 communes


n'ayant de moulins qu'en l'an X.

33 Cinq communes sur les sept connues dans le district de Bernay pour
avoir plus de moulins en 1809 qu'en l'an II (mais neuf municipalités
n'avaient pas répondu en l'an II), six communes sur huit dans le district
de Pont-Audemer.
34 1) Creuse, district d'Aubusson : 6 communes sans moulin selon la
réponse de 1810 en avaient entre 3 et 5 en l'an II ; il est douteux que
toutes ces communes aient perdu tous leurs moulins entre temps ; de
ce défaut de la réponse de 1810 résulte que doit être considérée
comme incertaine la situation de 4 communes apparaissant sans
moulin en l'an II et en 1810.
2) Pas-de-Calais, district de Saint-Pol : pour 9 des communes
manquantes en l'an II, on ne dispose pas non plus des réponses à
l'enquête de 1790.

35 La distribution des taux d'incertitude est donnée ci-après par ordre
croissant. On a mis entre crochets la date de l'enquête qui a servi de
point de comparaison avec celle de l'an II, lorsque ce n'est pas celle du
31 décembre 1808. : Bouches-du-Rhône, Salon ; Creuse, Evaux ; Eure,
Pont-Audemer ; Haute-Marne, Joinville ; Nord, Lille ; Oise, Crépy [an
X] ; Pas-de-Calais, Boulogne et Calais [1790] ; Seine-et-Oise, La-
Montagne-du-Bon-Air (Saint-Germain-en-Laye) [an X] : taux de 0 % -
Eure, Bernay : 1,2 %. - Oise, Compiègne [an X] : 1,5 %. - Creuse,
Bourganeuf : 2 %. - Finistère, Ville-sur-Aône (Châteaulin) : 3,3 %. -
Doubs, Quingey : 3,7 %. - Aube, Ervy : 4 %. - Seine-et-Marne, Meaux
[an X] : 4,2 %. - Nièvre, Moulins-la-République (Moulins-Engilbert) :
5,4 %. - Bas-Rhin, Barr (ex-district de Benfeld) : 6 %. - Vienne,
Lusignan : 6,6 %. - Loiret, Orléans [an X] : 6,8 %. - Haute-Marne, Saint-
Dizier : 8 %. - Jura, Dole ; Nièvre, Corbigny : 8,5 %. - Pas-de-Calais,
Saint-Pol [1790] : 8,6 %. - Aube, Arcis : 8,8 %. - Creuse, Aubusson :
9,2 %. - Seine-et-Oise, Dourdan [an X] : 9,6 %. - Seine-et-Oise, Mantes
[an X] : 10,3 %. - Doubs, Ornans : 12,8 %. - Ain, Montluel et Pont-de-
Vaux ; Paris, Franciade (Saint-Denis) [an X] : 13,5 %. - Oise, Senlis [an
X] : 16,6 %. - Creuse, La Souterraine : 17,1 %. - Ain, Mont-Ferme
(Saint-Rambert) : 21,9 %. - Orne, L'Aigle : 22,2 %. - Hautes-Pyrénées,
Argelès : 25,4 %. - Landes, Mont-de-Marsan : 27,4 %. -Aisne, Égalité-
sur-Marne (Château-Thierry) [an X] : 29,1 %. - Paris, Bourg-de-l'Égalité
(Bourg-la-Reine) [an X] : 36,6 %. - Oise, Breteuil [an X] : 39,4 %. -
Landes, Saint-Sever : 52,6 %.
36 Éditions La Découverte, Paris 1993. Voir en particulier le chapitre 8,
“Battre les cartes” p. 297-344.

37 Une carte des réponses à l'enquête de l'an II est à paraître dans


l'Atlas de la Révolution française, tome 10, L'économie, Éditions de
l'École des hautes études en sciences sociales.

AUTEUR
Claude Gindin
Élections et comportement
électoral sous le Directoire,
1795-1799
Malcom Crook
p. 415-428

TEXTE NOTES AUTEURILLUSTRATIONS
TEXTE INTÉGRAL
1On commence par cette longue citation car elle incarne
parfaitement le verdict de la plupart des historiens sur les
élections de la période directoriale. En m'appuyant sur mes
propres recherches dans une vingtaine de départements, aussi
bien que sur des monographies locales, je vais démontrer
l'importance inattendue de l'expérience électorale de cette
époque.
2Malgré le progrès des travaux sur l'histoire électorale des
premières années de la Révolution, celle du Directoire reste
toujours relativement méconnue en même temps que méprisée.
On a besoin de plus d'études sur les élections directoriales mais,
pour vraiment les comprendre, il faut également les réinsérer
dans le contexte plus large de la décennie révolutionnaire. En ce
qui concerne le niveau de participation, souvent jugé “dérisoire” à
la fin des années 1790, une comparaison avec les taux faibles
enregistrés en 1791 et 1792 est tout à fait révélatrice. Quant à la
pratique électorale des années 1790 finissantes, on découvre un
fort processus de politisation, accompagné des innovations
comme les candidatures déclarées jusqu'alors refusées.
L'ouverture de la compétition électorale ne dure pas longtemps,
mais l'immixtion croissante du pouvoir exécutif dans les élections
constitue encore une nouveauté, qui souligne son absence
étonnante dans la période antérieure. A emprunter les mots
suggestifs à Patrice Gueniffey, spécialiste des élections sous la
monarchie constitutionnelle :
 2 P. GUENIFFEY, Le nombre et la raison. La Révolution française et
les élections (Paris, 1993), p. 5 (...)

“La vie politique sous le Directoire peut sembler prosaïque ou, si l'on
veut, médiocre : elle représente pourtant les premiers pas de
l'apprentissage de la démocratie (au sens moderne)” 2.

I
3Les élections législatives du Directoire, qui nous intéressent ici
pour la plupart, restent indirectes. Comme par le passé, la grande
masse des citoyens (quelques cinq millions d'hommes adultes
payant un impôt direct quelconque) ne peut participer qu'au stade
primaire. A partir de l'an V (1797), ils sont invités à s'assembler au
chef-lieu de canton, le premier germinal (la fin de mars), afin
d'élire leurs électeurs de deuxième degré à raison d'un électeur
pour 200 citoyens. Le 20 germinal (avril), s'ouvrent les
assemblées secondaires ou départementales où s'élisent le
personnel départemental et députés nationaux, achevant ainsi le
processus électoral à deux “étages”.
4Retrouver le niveau de participation au stade primaire ou
cantonal, qui nous concerne principalement, n'est pas du tout
facile car, tout le long de la Révolution, on se sert des assemblées
comme mécanisme électoral. Dans ces réunions on choisit une
série de personnel, commençant par un président, secrétaire et
scrutateurs d'assemblée, à travers de multiples scrutins à la
recherche des majorités absolues. Pour ma part je vais privilégier
le premier tour de scrutin pour les électeurs de deuxième degré,
mais il me faut avouer que tous les historiens ne sont pas
d'accord sur l'importance à lui accorder. Le vote initial pour
former le bureau d'assemblée est souvent plus significatif parce
qu'il dévoile les rapports de force entre les factions ou partis en
présence. Toutefois, les procès-verbaux d'élection, quand ils ne
font pas défaut, enregistrent plus fréquemment les scrutins pour
les électeurs que pour la composition du bureau de ces
assemblées électorales.
 3 PFISTER, Les assemblées électorales dans le département de la
Meurthe, le district, les cantons et (...)

5Force est de constater que la documentation électorale de cette


époque laisse beaucoup à désirer et, par conséquent, l'analyse
statistique de la participation est loin de représenter une science
exacte. Le calcul des votants pose un problème, le nombre
d'inscrits un autre. En effet, il faut parler des “ayant droit de voter”
au lieu des “inscrits” au sens contemporain du terme, car ceux-là
sont en général les seuls signalés aux archives. En principe
l'administration communale dresse, tous les ans, une liste des
ayants droit de voter, qui doivent ensuite se présenter à la maison
commune pour s'inscrire sur les registres civiques. Dans des rares
endroits où l'on possède la liste des inscriptions, le cas de Nancy
par exemple, elle comprend moins que la moitié des “ayant
droit”3.
6En utilisant le chiffre de votants potentiels, qui englobe des
militaires au service de la patrie entre autres, on diminue de
beaucoup le taux de participation. Pire, le total des “ayant droit de
voter” est souvent lui-même susceptible de grosses erreurs. Faute
de réponses de la part de toutes les communes dans son
arrondissement, les administrateurs du département les
improvisent. L'administration centrale des Landes se range parmi
les plus franches quand, en l'an V (1797), elle confesse :
 4 Archives nationales (AN) F1 CIII Landes 1, Distribution des
assemblées primaires, ventôse (23 févr (...)
“On n'a reçu jusqu'à ce jour que quatorze tableaux sur vingt-six… et
parmi les tableaux qui nous ont été adressés, le plus grand nombre
présente une inexactitude frappante… dans les circonstances le
tableau général formé en 1790 doit être adapté parce qu'il a été fait
avec plus d'exactitude”4

 5 Ibid., AFIII 239, Administration centrale au ministre de la Police,


18 ventôse VI (8 mars 1798).

7L'année suivante voit également une révision des tableaux ; les


jacobins locaux cherchent à augmenter les effectifs des “ayant
droit de voter” dans les cantons qui leur sont favorables, et vice-
versa dans les circonscriptions hostiles5.  (Voir Tableau 1, page
suivante)
8Ces incertitudes et manipulations nous laissent devant des
approximations dans le calcul de la participation électorale.
L'essentiel à retenir, c'est donc l'ordre de grandeur des
pourcentages, plutôt que des chiffres absolus. En l'an III
(septembre 1795) on vote d'abord sur la nouvelle constitution qui
établit le Directoire et puis, sans se séparer, on élit des électeurs
de deuxième degré (pour procéder aux élections législatives en
octobre). Dans les élections primaires, le suffrage élargi de 1792
et de 1793 reste toujours en vigueur et on peut estimer le taux
d'assistance à seulement 11 pour cent. Ce chiffre est aussi bas
que celui, plus notoire, enregistré lors des élections de l'an VII
(1799), même s'il faut rappeler les circonstances du vote
constitutionnel précédent et le suffrage quasi-universel de l'an III.
Par contre, aux élections municipales de brumaire an IV
(novembre 1795), pour créer un nouveau système de municipalité
cantonale, les citoyens montrent plus d'empressement à se rendre
aux assemblées communales ; l'on vote parfois au delà de 30
pour cent.
 6 G. FOURNIER, “La participation électorale en Haute-Garonne
pendant la Révolution”, Annales du Midi(...)
 7 P. CLÉMENDOT, Le département de la Meurthe à l'époque du
Directoire (Nancy, 1966) et M. Reinhard, (...)

 8 J. BOUTIER, P. BOUTRY et S. BONIN (dirs.), Les sociétés politiques.


Atlas de la Révolution françai (...)

9Ce niveau plus élevé d'intérêt est répété aux élections primaires
et municipales suivantes, des années V et VI (1797 et 1798). En
l'an V les taux de participation sont, en général, plus forts dans
les départements “royalistes”, où l'on fait de grands efforts afin de
mobiliser “les honnêtes gens”. Le niveau d'assistance est même
plus élevé dans la Haute-Garonne, où royalistes et républicains
s'affrontent sur un pied d'égalité6. En l'an VI (1798), par contre,
l'affluence est plutôt marquée dans les départements
“républicains” : dans les Basses-Alpes et l'Aude, ou dans la
Meurthe et la Meuse on assiste deux fois plus nombreux que
l'année précédente, tandis que les citoyens de l'Orne et la Sarthe
boudent les urnes7. Cette fois-ci, on observe une forte
mobilisation de jacobins, organisés en clubs ou cercles
constitutionnels8. Cependant, comme en l'an V, les députés élus
aux Conseils législatifs en l'an VI sont frappés d'exclusion par le
Directoire exécutif, menacé de leur opposition. Cette méfiance
gouvernementale vis-à-vis du verdict des assemblées électorales
explique sans doute les scores lamentables un peu partout dans
les primaires de l'an VII (1799).
Agrandir Original (jpeg, 827k)

ADV = Ayant droit de voter


PART = Participants
Tableau 1, Sources :/AD Basses-Alpes (Alpes de la Haute-Provence)
L199-203, Procès-verbaux d'élection, Ans III-VII (1795-99) ; AD Aude
L375-86 ; AD Aveyron 1L620-87 ; AD Charente L126-7 ; AD Côte-d'Or
L238-50 ; AD Finistère 10L81-94 ; AD Haute - Garonne L241-7 ; AD
Marne 1L297-311 ; AD Meuse L356-60 ; AD Morbihan L241-6 ; AD
Orne L390-418 ; et AD Pyrénées-Orientales.

 9 GUENIFFEY, Le nombre et la raison, p. 164-79 et


M. EDELSTEIN, “Révolution française et politisatio (...)

 10 FOURNIER, “La participation électorale”, p. 68-70 et


B. GAINOT, Le mouvement néojacobin à la fin d (...)

10Il faut, quand même, relativiser la participation médiocre lors de


ces dernières élections de la période directoriale. Il ne s'agit pas
du terme d'un simple effondrement linéaire, tout le long des
années 1790. L'abstention est déjà grande en 1795, comme en
1791 et 1792 ; en revanche, l'assistance élevée, jusqu'à 50 pour
cent en 1790, est tout à fait exceptionnelle 9. Bref, les
pourcentages enregistrés sous le Directoire sont assez
honorables. Les faibles taux de l'an VII ne manquent pas de
précédents et n'ont rien de définitifs ; en 1799 le choix des urnes
est confirmé, au lieu d'être répudié, par le directoire exécutif et le
coup de grâce de brumaire est toujours loin des pensées. Il y a
toujours des points chauds où la confrontation électorale attire
une majorité de citoyens aux assemblées, même dans une année
de désintérêt général. Toulouse et le Toulousain expriment une
assiduité inattendue en l'an VII et on retrouve des chiffres aussi
élevés dans la région de Besançon10. La variation d'un canton à
l'autre, souligne l'extrême localisation du comportement électoral
à cette époque.
 11 M. CROOK, “AUX urnes citoyens !” Urban and rural electoral
behaviour diring the French Revolution” (...)

11Certes, le modèle électoral des premières années de la


Révolution, qui présente une France septentrionale votant
toujours plus que la France méridionale et une France rurale plus
assidue aux assemblées que la France urbaine, est profondément
modifié, voire renversé sous le Directoire. En l'an V et l'an VI, par
exemple, les taux de participation s'élèvent et s'abaissent selon le
choix des options politiques. Partout, en même temps, les
campagnards sont moins disposés à aller aux chefs-lieux de
canton pour assister aux élections primaires que leurs confrères
citadins, mais les ruraux démontrent plus d'empressement quand
il s'agit de scrutins communaux chez-eux, surtout dans les petits
villages11.

II
 12 G. FOURNIER, “Les incidents électoraux dans la Haute-Garonne,
l'Aude, l'Hérault, pendant la Révolu (...)

12Pour la minorité des citoyens qui assistent aux élections


directoriales l'expérience est néanmoins profonde car, à la
différence d'aujourd'hui, l'assemblée électorale est un espace
politique très ouvert. Sous le Directoire la discussion collective y
est restreinte, mais l'on continue quand-même à engager des
conciliabules et à délibérer sur divers sujets. Il est rare d'achever
les affaires dans une seule journée et l'on participe à une série de
scrutins. En somme, les manœuvres et les débats qui ont lieu aux
assemblées offrent un riche apprentissage politique aux
assistants. Il faut souligner qu'à la fin des années 1790 la
participation électorale est beaucoup plus militante qu'au début.
Malgré la difficulté de distinguer les disputes de clientèles, ou de
clochers, des luttes entre jacobins et royalistes, Georges Fournier
est convaincu d'une forte politisation de la compétition électorale
pendant ces dernières années de la Révolution 12. A la suite des
événements liés à la contre-révolution et à la Terreur l'implication
politique des concurrents est plus évidente qu'auparavant.
 13 GUENIFFEY, Le nombre et la raison, p. 315-21.

 14 Archives municipales de Bordeaux K4, Liste des candidats à


l'assemblée électorale de la Gironde, g (...)

13L'introduction des candidatures déclarées par la loi du 15


fructidor III (11 septembre 1795) encourage une telle évolution du
comportement électoral. On essaie d'éviter les inconvénients de la
méfiance traditionnelle vis-à-vis des candidats : l'extrême
dispersion de voix et la démission immédiate des élus
involontaires, deux causes de la prolongation des travaux des
assemblées13. Aux approches des élections de l'an V (1797), on
permet donc à un citoyen de s'inscrire ou d'être inscrit à côté d'un
poste à élire. L'innovation reste cependant timide, parce que les
votants sont toujours libres d'écrire le nom de n'importe quel
citoyen sur leurs bulletins. A la campagne très peu d'habitants
s'inscrivent comme candidats, tandis qu'en ville et surtout aux
assemblées départementales cette procédure se répand14.
Tableau 2. LA PARTICIPATION AUX ÉLECTIONS MUNICIPALES SOUS LE
DIRECTOIRE, AN IV À L'AN VII (1795-1799)
Pourcentage de participation au premier tour de scrutin pour les
officiers municipaux ou agents et adjoints communaux
a. GRANDES VILLES AU DESSUS DE 5 000 HABITANTS : OFFICIERS
MUNICIPAUX
Agrandir Original (jpeg, 183k)

b. VILLAGES/PETITES VILLES AU DESSOUS DE 5 000 HABITANTS :


AGENTS OU ADJOINTS COMMUNAUX

Agrandir Original (jpeg, 47k)

Sources :
(a) Grandes villes :
AM Bordeaux K5-11, Procès-verbaux d'élection, ans IV-VII (1796-99) ;
AM Brest 1 K7-19 ; AD Marne Supplément Ε 5875-6 ; AM Marseille K3
9-11 ; AM Toulon L586-8 ; AM Toulouse 1 K13-16 ; Derobert-
Ratel,  Institutions et vie municipale à Aix-en-Provence,  p. 605 ; C.
Aimond,  Histoire de Bar-le-Duc (ré-éd., Bar-le-Duc, 1982) ; et
Clémendot,  Le département de la Meurthe.
(b) Petites villes/villages :
AD Côte-d'Or L275-8, procès-verbaux d'élection, ans IV-VII (1795-
99) ; AD Haute-Garonne L 249-56 ; AD Alpes-Maritimes, Vence III Kl ;
et Clémendot,  Le département de la Meurthe.

 15 Quatremère de Quincy, La véritable liste des candidats (Paris, an


V), p. 17-19.

 16 Pons de Verdun, Rapport fait… sur la suppression des listes de


candidats (Paris, an VI), p. 4-5.
14Tout cela représente un début plein de promesses, mais
l'expérience n'est pas répétée. Elle sert de bouc émissaire devant
le succès des royalistes aux assemblées de l'an V. Avant tout elle
blesse des sensibilités profondément enracinées chez les Français
qui n'arrivent pas à se délester de leurs préjugés contre les
candidatures déclarées. Selon un savant critique, Quatremère de
Quincy, “la véritable candidature est celle de l'opinion publique ” ;
elle ne se trouve pas dans un tableau de noms, mais “ dans la
série de notions et de règles qui dispenseraient de liste et de
candidats  : ce serait celle qui permettrait à tous d'identifier des
hommes à élire”15. En proposant l'abrogation de la loi éphémère
du 25 fructidor, Pons de Verdun va même plus loin en invoquant
“l'espèce d'électricité morale composée de toutes sortes
d'éléments”, qui signale celui qui est digne de l'honneur
d'élection16.
 17 AN FI CIII Orne 1, Commissaire du Sap, 5 germinal V (25 mars
1797).

 18 Ibid., AF III 219, Commissaire central de la Charente, sans date,


mais en VI (1798).

15En réalité, et en dépit de ces réticences intellectuelles, l'appareil


encore primitif des comités, candidats et campagnes électorales
prospère sous le Directoire. En l'an V (1797) ce sont plutôt les
royalistes qui mobilisent un soutien effectif. Le commissaire du
directoire exécutif au canton du Sap, dans l'Orne, écrit au ministre
de l'Intérieur qu'une commune qui avait à peine envoyé une
poignée de votants en l'an III (1795) fait parvenir cette année plus
d'une centaine; “c'est grâce aux efforts d'un prêtre réfractaire ”,
ajoute-t-il, “et des agents qui circulent, les poches pleines de
listes de candidats”17. L'an VI, par contre, marque la revanche des
jacobins qui se forment en cercles constitutionnels pour dominer
les assemblées électorales. Le commissaire central de la Charente,
séant à Angoulême, se plaint qu'on y établit “ un mode
d'admission pour les candidats… on discute les qualités morales
et politiques des individus… (et) on propose un serment de n'élire
que ceux qui ont obtenu le suffrage du cercle”18.
 19 Ibid., FI CIII Gironde 1, Commissaire central, 5 germinal VII (25
mars 1799).

 20 L'anti-terroriste ou journal des principes, suite du journal du


département de la Haute-Garonne, 2 (...)

16En l'an VII, la campagne électorale est plus muette, à la suite des
efforts directoriaux pour disperser clubs et associations de tous
côtés. Mais les traces de l'organisation partisane des élections
persistent : on visite, on arrose de vin, on offre des dîners et on
fait circuler des listes19. Cette politisation naissante trouve et un
appui et un reflet dans la presse provinciale de l'époque. Avant les
élections à la Convention en 1792, on est étonné de trouver si peu
d'avis spécifiques en ce qui concerne les citoyens à élire à la
législature. Il faut bien sûr choisir des hommes patriotes et
probes, mais les journalistes n'osent pas aller au delà de ces
exhortations générales. Encore une fois, cette réticence
commence à s'atténuer sous le Directoire. Dans les journaux de
Toulouse, tels  L'anti-terroriste, on retrouve un commentaire
engagé qui discute ouvertement les mérites des individus à élire
ou à omettre20.
 21 Archives départementales des Bouches-du-Rhône L271-2,
Procès-verbaux d'élection, an V-VI (1797-179 (...)

 22 Ibid., L267, Procès-verbal de Berre, 1-2 germinal VII (21-22


mars 1799) et voir C. Lucas, “Le jeu (...)

17Une discipline de vote est aussi évidente. Dans plusieurs


sections de Marseille, par exemple, les personnages qui ne
reçoivent qu'une poignée de voix en l'an V (1797) les
monopolisent en l'an VI (1798) et vice-versa 21. Les procès-
verbaux ne nous livrent pas malheureusement de listes
nominatives des assistants, mais il semble bien que les
participants d'une année font défaut la suivante. Paraître au milieu
d'une foule hostile à l'assemblée demande beaucoup de
hardiesse. Il est impossible de restituer la fameuse “électricité
morale” de Pons de Verdun, mais l'évidence d'intimidation au seuil
des lieux d'assemblée, ou la manipulation de la procédure jusqu'à
la violence, est assez facile à prouver. Restons dans les Bouches-
du-Rhône, dans le canton de Berre en l'an VII (1799). Là bas, à la
suite de la réunion, la salle est encombrée de débris, y compris les
morceaux de l'urne électorale, cassée au cours d'une rixe entre
deux factions locales22.
 23 AN AFIII 217 (2), Commissaire central des Bouches-du-Rhône, 2
germinal VII (22 mars 1799).

 24 GAINOT, Le mouvement néojacobin, p. 318 et seq.

 25 J.-R. SURATTEAU, Les élections de l'an VI et le coup d'état du 22


floréal (11 mai 1798) (Paris, 19 (...)

18En général, quand on sait que le jeu est fait et le scrutin perdu
d'avance, on s'absente complètement des assemblées
électorales23. Par contre, dans le cas où le résultat n'est pas aussi
clair, tout le monde assiste au début de la séance. Puis, dès que
l'élection du bureau d'assemblée indique une nette majorité pour
un des partis en place, la faction minoritaire quitte la salle pour se
réunir ailleurs en assemblée scissionnaire. On laisse ainsi le choix
des électeurs de deuxième degré entre les mains des assemblées
départementales, qui se scindent souvent à leur tour après la
vérification d'une députation ou l'autre 24. Ces scissions ne sont
pas inconnues aux premières années de la Révolution mais, sous
le Directoire, on en assiste à leur prolifération spectaculaire qui
reflète l'intense concurrence, sinon le pluralisme politique de cette
époque25.

III
19L'institution des candidatures en l'an V semble annoncer
l'arrivée d'une culture politique qui engloberait la compétition et
la division dans la vie électorale. La classe politique, pourtant,
refuse de laisser développer une telle innovation qui menace
l'existence de la République, ou plutôt sa propre emprise
administrative. Identifiant son avenir avec celui de la Révolution
elle-même, et voulant se perpétuer au pouvoir, les directoriaux
interviennent de plus en plus dans les affaires des assemblées
électorales. En revanche, c'est l'absence de cette intervention
pendant les premières années de la Révolution qui doit nous
étonner. Un gouvernement faible ne disposait pas d'agents locaux
pour préparer ou diriger les élections de cette époque. Le vrai
tournant se situe encore une fois en l'an V avec la mise en place, à
côté des administrations centrales et cantonales, des
commissaires du Directoire qui présentent des possibilités
interventionnistes bientôt exploitées.
 26 M. JUSSELIN, L'administration du département d'Eure-et-Loire
pendant la Révolution (Chartres, 1935 (...)

 27 E. DELCAMBRE, La période du Directoire dans la Haute-Loire, (3


vols., Le Puy, 1941-3), t. 2, p. 25 (...)

20Ces commissaires sont d'abord obligés de rédiger une


statistique politique et morale des élus, à chaque stade du
processus électoral26. Pourtant, ils ne se bornent pas à
simplement surveiller ou commenter le déroulement des
assemblées électorales annuelles : ils doivent, en même temps, en
influencer l'aboutissement. Dans la Haute-Loire, par exemple, le
commissaire central devient un véritable agent électoral du
Directoire. Il écrit en l'an VI (1798) à ses collègues cantonaux,
qu'il est nécessaire de “travailler nuit et jour” aux assemblées,
pour assurer “le triomphe de l'esprit républicain sur celui de
Blankenbourg (allusion à la résidence allemande de Louis XVIII).
On se dispose à provoquer des scissions (officiellement
condamnées, bien sûr) si le scrutin est contraire. Le commissaire
du canton de Montfaucon, toujours dans la Haute-Loire, peut
ainsi écrire : “Nous n'avons pas eu besoin de faire scission, j'ai été
nommé à une immense majorité  !”27
 28 Ibid., p. 281.

 29 AN AF III 260, Commissaire du Pantin (Seine), 18 germinal VI (7


avril 1798).

21En effet, beaucoup de commissaires se présentent aux


assemblées (on fait exception à la règle d'une année de domicile
dans le cas des fonctionnaires) pour être élu. C'est la naissance,
bien avant le dix-neuvième siècle, de la “candidature officielle”,
car on affirme que “le Directoire verrait avec plaisir ses
commissaires comme électeurs”. Dans la Haute-Loire, en l'an VI
(1798) encore une fois, pas moins d'une quarantaine de
commissaires, autour d'un tiers du total dans le département,
sont élus à l'assemblée départementale28. A Paris un autre
commissaire élu s'excuse, dans son compte rendu sur les
élections, d'offrir des observations sur lui-même comme sur les
autres électeurs, parce qu'il “ne m'appartient pas de me juger !”29.
 30 SURATTEAU, Les élections de l'an VI, p. 71 et seq.

22Les préparatifs électoraux du Directoire en l'an VI sont bien


connus, grâce aux efforts de Jean-René Suratteau et autres
historiens30. Il vaut mieux contrôler les assemblées électorales
que d'annuler les résultats de leurs opérations. Il faut éviter
encore un coup d'état contre les députés élus, malgré la menace
d'une réitération, insérée dans les proclamations aux citoyens :
 31 G. CASSAGNAU, L'esprit public et les élections dans le
département des Basses-Pyrénées de 1789 à 1 (...)

“Si le corps législatif a su le 18 fructidor (4 septembre 1797) chasser de


son sein les traîtres qui y siégeaient depuis quatre mois, il saura ainsi
écarter ceux qu'on voudrait y faire entrer cette année…” 31.

23Mots prophétiques ! En dépit de toute précaution, l'épuration


des Conseils législatifs le 22 floréal VI (11 mai 1798) représente
une inéluctable nécessité pour le Directoire exécutif, qui refuse de
tolérer une opposition jacobine quoique républicaine.
 32 GAINOT, Le mouvement néojacobin, p. 20-35.

24Face à l'épreuve électorale de l'an VII (1799), le gouvernement


redouble ses efforts pour assurer le triomphe des “directoriaux” 32.
On remplace les commissaires suspects de sympathies jacobines,
malgré l'inconvénient de transformer le personnel congédié en
noyau de résistance au gouvernement. On exécute des
arrestations préventives et, comme l'année précédente, on envoie
dans les départements des agents secrets, munis de fonds
considérables. François de Neufchateau, homme expérimenté
dans ces affaires, expédie un corps de “commissaires sur les
fleuves”, pour organiser les élections. En dépit de cette campagne
vigoureuse, le Directoire essui encore un échec.
 33 M. CROOK, “Élus et désignés : le personnel municipal de Marseille
sous la Révolution”, à paraître (...)

 34 C. DEROBERT-RATEL, Institutions et vie municipale à Aix-en-


Provence sous la Révolution, 1789 an VI (...)

25Il faut se rappeler, cependant, que l'intervention du directoire


exécutif s'opère au niveau local aussi bien que sur le plan
national. Dès l'an IV (1795-1796), dans les premiers moments du
nouveau régime, les officiers municipaux qui viennent d'être élus
sont souvent remplacés par des hommes désignés. A Marseille,
par exemple, toute l'équipe municipale est révoquée en thermidor
IV (août 1796) et le vœu des votants est continuellement répudié
par la suite33. Même chose à Aix-en-Provence où, en floréal VII
(mai 1799), les conseillers municipaux élus sont encore une fois
tous renvoyés. Puis, deux mois plus tard, en thermidor (juillet), ils
sont tous réinstallés comme “des hommes de bien et des
républicains énergiques et sages !”34.
26Une telle intervention, douteuse et discutable, accable de
discrédit le processus électoral. C'est ce cynisme du directoire
exécutif vis-à-vis des élections, plutôt que l'indifférence ou
l'apathie, qui détourne les citoyens des urnes. Pourquoi perdre un
temps précieux pour aller voter puisque, dans le cas où leur choix
ne coïnciderait pas avec celui du gouvernement, celui-ci
nommerait un autre personnel ? En refusant la logique pluraliste
de la compétition électorale, la classe dirigeante provoque une
désaffection populaire, qui est le produit et non pas la cause de ce
malaise politique. En l'an VII (1799), les députés nouvellement
élus réussissent pour une fois à prendre leurs places aux Conseils
législatifs, mais leur triomphe sur le régime est de courte durée :
le coup d'état de Napoléon représente la revanche définitive d'un
pouvoir exécutif qui refuse toujours de reconnaître la
souveraineté du peuple.
27Je remercie la British Academy de son généreux soutien
financier dans la préparation et la communication de ce papier.
NOTES
2 P. GUENIFFEY,  Le nombre et la raison. La Révolution française et les
élections (Paris, 1993), p. 514.
3 PFISTER,  Les assemblées électorales dans le département de la
Meurthe, le district, les cantons et la ville de Nancy (Nancy, 1912), p.
XXVII et P. BOURDIN, “Les paysans et le pouvoir directorial dans le Puy-
de-Dôme”,  Annales historiques de la Révolution française (1987), p.
315-6.

4 Archives nationales (AN) F1 CIII Landes 1, Distribution des


assemblées primaires, ventôse (23 février 1797).

5 Ibid., AFIII 239, Administration centrale au ministre de la Police, 18


ventôse VI (8 mars 1798).

6 G. FOURNIER, “La participation électorale en Haute-Garonne pendant


la Révolution”,  Annales du Midi (1989), p. 65-8.

7 P. CLÉMENDOT,  Le département de la Meurthe à l'époque du


Directoire (Nancy, 1966) et M. Reinhard,  Le département de la Sarthe
sous le régime directorial (Saint-Brieuc, 1935), en plus des sources au
bas du tableau.

8 J. BOUTIER, P. BOUTRY et S. BONIN (dirs.),  Les sociétés politiques. Atlas


de la Révolution française t. 6 (Paris, 1992), p. 72-3.

9 GUENIFFEY,  Le nombre et la raison, p. 164-79 et


M. EDELSTEIN, “Révolution française et politisation des paysans” Annales
historiques de la Révolution française (1990), p. 145-9.

10 FOURNIER, “La participation électorale”, p. 68-70 et B. GAINOT,  Le


mouvement néojacobin à la fin du Directoire. Structure et pratiques
politiques, Thèse pour le doctorat, 3 vols., Université de Paris I, 1993,
t. 1, p. 306-34.

11 M. CROOK, “AUX urnes citoyens !” Urban and rural electoral


behaviour diring the French Revolution”, dans A. FORREST et
P. JONES (dirs.),  Reshaping France. Town, country and region during the
French Revolution (Manchester, 1991), p. 152-67.
12 G. FOURNIER, “Les incidents électoraux dans la Haute-Garonne,
l'Aude, l'Hérault, pendant la Révolution” dans  Les pratiques politiques
en province à l'époque de la Révolution française  (Montpellier, 1988),
p. 63-76.

13 GUENIFFEY,  Le nombre et la raison, p. 315-21.

14 Archives municipales de Bordeaux K4, Liste des candidats à


l'assemblée électorale de la Gironde, germinal V (avril 1797).

15 Quatremère de Quincy,  La véritable liste des candidats (Paris, an V),


p. 17-19.

16 Pons de Verdun,  Rapport fait… sur la suppression des listes de


candidats (Paris, an VI), p. 4-5.

17 AN FI CIII Orne 1, Commissaire du Sap, 5 germinal V (25 mars


1797).

18 Ibid., AF III 219, Commissaire central de la Charente, sans date,


mais en VI (1798).

19 Ibid., FI CIII Gironde 1, Commissaire central, 5 germinal VII (25 mars


1799).

20 L'anti-terroriste ou journal des principes, suite du journal du


département de la Haute-Garonne, 20 germinal-6 floréal V (9-25 avril
1797) ; par exemple.

21 Archives départementales des Bouches-du-Rhône L271-2, Procès-


verbaux d'élection, an V-VI (1797-1798).

22 Ibid., L267, Procès-verbal de Berre, 1-2 germinal VII (21-22 mars


1799) et voir C. Lucas, “Le jeu de pouvoir local sous le Directoire”,
dans  Les pratiques politiques en province. p. 281-96.

23 AN AFIII 217 (2), Commissaire central des Bouches-du-Rhône, 2


germinal VII (22 mars 1799).
24 GAINOT,  Le mouvement néojacobin, p. 318  et seq.

25 J.-R. SURATTEAU,  Les élections de l'an VI et le coup d'état du 22


floréal (11 mai 1798) (Paris, 1971), p. 227-8.

26 M. JUSSELIN,  L'administration du département d'Eure-et-Loire


pendant la Révolution (Chartres, 1935), p. 154-65.

27 E. DELCAMBRE,  La période du Directoire dans la Haute-Loire, (3 vols.,


Le Puy, 1941-3), t. 2, p. 254 et 277.

28 Ibid., p. 281.

29 AN AF III 260, Commissaire du Pantin (Seine), 18 germinal VI (7 avril


1798).

30 SURATTEAU,  Les élections de l'an VI, p. 71 et seq.

31 G. CASSAGNAU,  L'esprit public et les élections dans le département


des Basses-Pyrénées de 1789 à 1804 (Paris, 1906), p. 92.

32 GAINOT,  Le mouvement néojacobin, p. 20-35.

33 M. CROOK, “Élus et désignés : le personnel municipal de Marseille


sous la Révolution”, à paraître dans la revue  Marseille en 1994.

34 C. DEROBERT-RATEL,  Institutions et vie municipale à Aix-en-


Provence sous la Révolution, 1789 an VIII -Millau, 1981), p. 171-4.

TABLE DES ILLUSTRATIONS

Légende ADV = Ayant droit de voterPART = ParticipantsTableau 1,


Sources :/AD Basses-Alpes (Alpes de la Haute-Provence) L199-203,
Procès-verbaux d'élection, Ans III-VII (1795-99) ; AD Aude L375-
86 ; AD Aveyron 1L620-87 ; AD Charente L126-7 ; AD Côte-d'Or
L238-50 ; AD Finistère 10L81-94 ; AD Haute - Garonne L241-7 ;
AD Marne 1L297-311 ; AD Meuse L356-60 ; AD Morbihan L241-
6 ; AD Orne L390-418 ; et AD Pyrénées-Orientales.

URL http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/14330/img-1.jpg

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Titre Tableau 2. LA PARTICIPATION AUX ÉLECTIONS


MUNICIPALES SOUS LE DIRECTOIRE, AN IV À L'AN VII
(1795-1799)Pourcentage de participation au premier tour de
scrutin pour les officiers municipaux ou agents et adjoints
communauxa. GRANDES VILLES AU DESSUS DE 5 000
HABITANTS : OFFICIERS MUNICIPAUX

Légende b. VILLAGES/PETITES VILLES AU DESSOUS DE 5 000


HABITANTS : AGENTS OU ADJOINTS COMMUNAUX

URL http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/14330/img-2.jpg

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Légende Sources :(a) Grandes villes :AM Bordeaux K5-11, Procès-verbaux


d'élection, ans IV-VII (1796-99) ; AM Brest 1 K7-19 ; AD Marne
Supplément Ε 5875-6 ; AM Marseille K3 9-11 ; AM Toulon L586-
8 ; AM Toulouse 1 K13-16 ; Derobert-Ratel, Institutions et vie
municipale à Aix-en-Provence, p. 605 ; C. Aimond, Histoire de
Bar-le-Duc (ré-éd., Bar-le-Duc, 1982) ; et Clémendot, Le
département de la Meurthe.(b) Petites villes/villages :AD Côte-d'Or
L275-8, procès-verbaux d'élection, ans IV-VII (1795-99) ; AD
Haute-Garonne L 249-56 ; AD Alpes-Maritimes, Vence III Kl ; et
Clémendot,  Le département de la Meurthe.
URL http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/14330/img-3.jpg

Fichier image/jpeg, 47k

AUTEUR
Malcom Crook
Du même auteur
 La Révolution française : l’âge d’or des élections in La révolution française au carrefour des
recherches, Presses universitaires de Provence, 2003
Pouvoir central, pouvoir
local et population : le
Roussillon sous le Directoire
Kåre TØnnesson

p. 429-442

TEXTE NOTES AUTEUR

TEXTE INTÉGRAL
 1 D. WORONOFF,  La République bourgeoise de Thermidor à Brumaire
1794-1799, Paris, 1972, p. 53-55.

1Les historiens ont, en général, porté un jugement assez dur sur


l'administration locale du Directoire, témoin celui de Denis
Woronoff dans  La République bourgeoise1  : “L'établissement des
municipalités de canton, écrit-il,  aboutit presque partout à un
fiasco. La communauté rurale, la paroisse, gardait sa vitalité et le
découpage cantonal /…/ créa une institution factice ”. Les cantons
– comme aussi certaines administrations départementales –
souffraient de ce que “Peu de citoyens se souciaient de prendre
des responsabilités civiques /…/ A plus forte raison, dans
les “Frances périphériques” le régime constitutionnel ne parvenait
pas à fonctionner”. Et Woronoff cite la Belgique, la Vendée, le Sud-
Est.
2Nous allons étudier une autre “France périphérique”, moins
violente et moins connue : les Pyrénées-Orientales, composées
essentiellement de l'ancienne province du Roussillon,
définitivement rattachée à la France en 1659, et dont la
population – catalane – était fortement liée à celle de la Catalogne
espagnole.
 2 M. BRUNET, Le Roussillon, une société contre l'État (1780-
1820), Perpignan, 1990.
3Michel Brunet, dans  Le Roussillon, une société contre l'État 2,
soutient la thèse que, pour les Roussillonnais, la Révolution était
un fait étranger, tout comme l'État monarchique français leur avait
été étranger. Il y avait donc une opposition essentielle entre la
population et l'administration française – directoriale ou autre.
Brunet réduit les prises de parti des Roussillonnais dans la
Révolution à un épiphénomène, une manière passagère
d'exprimer les antagonismes durables entre familles et villages
d'un peuple anarchiste.
4Il s'agit pour nous de tester les particularités éventuelles de
l'administration des Pyrénées-Orientales en la comparant avec
celles d'autres départements par rapport aux trois questions
suivantes :
 L'administration locale – entendons départementale et
cantonale – établie par le Directoire, est-elle parvenue à
fonctionner ?
 Sa gestion a-t-elle été acceptée par les autorités supérieures ?
 L'administration a-t-elle eu une prise réelle sur la population,
ou s'est-elle avérée impuissante à faire agir la population dans
le sens voulu par le Directoire ?


5On sait que la constitution de 1795 priva les communes au-
dessous de 5 000 habitants de leur municipalité, qui fut
transposée au niveau du canton ; les districts furent abolis. Dans
chacune des communes une assemblée communale nomma un
agent et un adjoint pour former l'administration municipale de
canton, dont le président sera nommé par l'assemblée primaire du
canton. Les assemblées primaires choisissent de même les juges
de paix et les hommes qui, réunis en assemblée électorale,
nommeront les cinq membres de l'administration départementale
ou centrale (ainsi que les députés du département au Corps
législatif). Le principe appliqué dans la Constitution directoriale
du renouvellement partiel par élections annuelles fut appliqué
aussi aux administrations centrales et municipales.
6Il importe de souligner qu'il ne s'agit pas ici d'un système
d'autonomie locale, les élus n'étant pas censés exprimer ou
exécuter la volonté de leurs concitoyens, mais leur imposer celle
du gouvernement. Pour s'assurer que ce sera fait, le Directoire
nomme près de chaque administration et tribunal un
commissaire, qui ne doit pas administrer mais surveiller les
administrateurs, requérir l'exécution de la loi et des ordres
supérieurs, et rapporter régulièrement – les commissaires
municipaux au commissaire central et celui-ci au Directoire.
7L'établissement, au début de l'an IV, de la nouvelle
administration et du corps des 10 000 commissaires ne put
manquer de rencontrer beaucoup de difficultés dans tous les
départements. Dans les Pyrénées-Orientales la mise en marche de
l'administration centrale ne posa pas de problème. Les cinq
administrateurs nommés par l'assemblée électorale se réunirent
dès le 8 brumaire, et nommèrent commissaire central le citoyen
Vaquer, un avoué de Perpignan, membre du directoire du
département en l'an III ; leur choix fut confirmé par le Directoire.
 3 AN AFIII 300 L'administration centrale au Ministre de l'intérieur,
9.pIuv.VI. Un état nominatif av (...)

8Équiper en commissaires les 27 cantons du département était


par contre une opération lente : parmi les premiers nommés
beaucoup donnèrent leur démission immédiatement. En pluviôse –
aprés quatre mois – huit des 27 cantons avaient des commissaires
nommés provisoirement, dans deux cantons l'administration
centrale n'avait pas encore trouvé de successeurs aux
démissionnaires. Mais à partir de l'an V un corps très stable était
établi3.
 4 ADPO Lp 1350* ; L 385, 5 niv., 2e j.c. IV, AN FlcIII P-O 4.

9Les commissaires étaient essentiels pour établir et mettre en


marche l'administration élective, opération très longue à cause de
la démission ou du refus passif de servir d'une partie des agents
et adjoints et des présidents. Selon Vaquer, porté à flatter la
réalité dans ses rapports, tous les cantons, sauf deux, étaient en
activité le 12 frimaire4. En fait, dans la plupart des cantons, il
semble bien que plusieurs mois passeront avant que la
municipalité soit vraiment établie.
10On ne saurait prendre le refus d'être élu ou nommé
administrateur comme preuve d'un rejet de “l'institution factice”
de la municipalité cantonale. Les charges les plus pesantes de
l'administrateur étaient sans aucun doute celles qu'il portait à
l'intérieur de sa propre commune comme “maire” et “commissaire
de police”.
11L'agent-administrateur devait en effet remplir une triple
fonction :
 faire partie de l'administration municipale du canton,
 fournir régulièrement à celle-ci des informations statistiques,
notamment pour la tenue de l'état civil et des rôles des
contributions,
 assurer l'exécution des arrêtés du canton et des autorités
supérieures dans la commune et exercer la surveillance.
 5 ADPO Lp 1304 Registre des délibérations du canton de Latour-de-
France, 2 vend. VII, les agents son (...)

12Encore l'agent-administrateur ne touchait-il aucune


rémunération et ne devait en principe avoir de secrétariat. Le
régime demanda beaucoup d'esprit civique et de bonne volonté à
ces fonctionnaires de base. Les municipalités par contre
disposaient d'un secrétariat, mais, très démunies en l'an IV, elles
étaient souvent hors d'état de payer ses employés. Aussi des
administrateurs démissionnaient parce qu'ils ne pouvaient ou ne
voulaient plus payer les employés de leur bourse 5. Problèmes
connus dans tous les départements.
 6 A DPO LP 1302, 27 frim. VI.

13Mais une difficulté était particulièrement aigüe dans les


Pyrénées-Orientales : ce département était parmi les moins
alphabétisés de la République. “Dans nombre de communes du
canton, écrivit l'administration de Latour-de-France,  tous les
habitants se/trouvent/illitrés” (sic)6 Il n'est jamais précisé dans les
sources qu'il s'agit de lire et d'écrire  le français ; cela allait de soi.
 7 ADPO L 294, 7 mess. VI

14Le champ de recrutement des administrateurs et commissaires


était donc étroit. Encore la situation aurait-elle été moins grave
sans la loi du 3 brumaire an III qui, rendant inéligibles les parents
d'émigrés, avait “exclu des fonctions publiques les personnes les
plus instruites”, selon le commissaire Vaquer7.
 8 ADPO L 386 ; les 11 illettrés représentaient sept des 12 communes du
canton de Prades ; dans quatr (...)

 9 A cause des agents ne sachant écrire, l'administration centrale autorisa


en ventôse an IV les cant (...)

15Aussi – à la différence de l'Yonne, où l'expression “ ne sait que


signer son nom” signifiait l'incompétence totale d'un agent, la
proportion des administrateurs ne sachant même pas signer fut
considérable dans les municipalités des Pyrénées-Orientales ; à
Prades, 11 sur 25 administrateurs ne savaient pas signer en
floréal an 78. L'illettrisme posait surtout des problèmes pour
l'administrateur en tant que “maire” et “commissaire de police” de
sa commune. Aussi prit-on parfois le parti d'attacher à l'agent
irréprochable mais illettré, un parent d'émigré inéligible mais
sachant écrire9.

16Comment dans ces conditions fonctionnait l'administration
directoriale une fois mise sur pied ? L'administration centrale de
Perpignan assurait de ses devoirs avec énergie et assiduité ; ses
archives témoignent d'une correspondance active et avec les
cantons et avec Paris.
17Les municipalités devaient en principe prendre leurs arrêtés en
assemblée délibérative chaque décadi, en présence du
commissaire. Les registres conservés montrent que la périodicité
n'était pas plus respectée dans les Pyrénées-Orientales que dans
la Sarthe et dans l'Yonne. On se réunissait à intervalles irréguliers,
mais bien souvent  plus fréquemment qu'un jour sur dix. Le
niveau “technique” des registres des délibérations et de la
correspondance montre que les problèmes de financement n'ont
pas empêché les cantons de recruter des secrétaires compétents.
 10 M. REINHARD, Le Département de la Sarthe sous le Régime
Directorial, Saint-Brieuc, 1935, p. 160.

 11 Le canton de Prades montre une bonne assiduité, puisque avec 11


communes l'administration fonction (...)

18Reinhard signale, dans la Sarthe, des cantons qui opposent une


inertie complète aux injonctions des autorités. Dans les registres,
correctement tenus, sont copiés les lois et arrêtés reçus, les
réquisitions exaspérées du commissaire, mais sans qu'aucun
arrêté d'exécution ne soit pris10. Je n'ai pas trouvé l'équivalent en
Roussillon ; les municipalités y prennent bien des arrêtés. Le point
faible était leur exécution par les agents dans chacune des
communes. Problème plus grave que l'absentéisme dans les
réunions de la municipalité, qui resta considérable 11. Il n'y eut
guère de réunion au complet sauf pour la répartition entre les
communes des contributions imposées sur le canton par
l'administration centrale. On se garda donc d'invoquer la nécessité
du quorum, et souvent ce fut le triumvirat du président, du
secrétaire et du commissaire qui faisait marcher les affaires,
suppléé plus ou moins régulièrement d'un agent ou deux.
 12 Op. cit., p. 161-169.

 13 En messidor an 4, l'ancien commissaire Turié, dans une lettre à


Perpignan pour toucher son traitem (...)

19Reinhard relève aussi des cas où l'un ou l'autre des triumvirs


s'est imposé comme le maître du canton en se subordonnant ou
en évinçant les autres12. Dans le Roussillon, Collioure représente
le cas exemplaire d'un commissaire administrateur : dans ce
canton de trois communes la minuscule assemblée cantonale ne
semble avoir fonctionné que de façon intermittente. Le président,
élu en brumaire an IV, fut nommé commissaire en germinal et
dirigera comme tel le canton pendant toute l'époque du
Directoire13.
20En conclusion, quoique de manière pas toujours conforme à la
constitution, les municipalités dans les Pyrénées-Orientales
parvenaient bien à fonctionner, fait qu'il faut rapporter à la grande
originalité de l'administration de ce département sous la
république directoriale : la grande stabilité de ses administrations
et de son corps de commissaires, à partir de l'an 5. C'est à dire
que les destitutions d'administrateurs et les révocations de
commissaires y étaient relativement peu fréquentes.
21Nous avons dit que les agents et adjoints, au lieu d'être les
représentants de leur commune, étaient des fonctionnaires du
gouvernement recrutés par élection. Encore le recrutement par
élection fut-il dans une large mesure une apparence, puisque,
dans la plupart des départements, les renouvellements se
faisaient autant ou plus par destitution et nomination que par les
suffrages des citoyens.
 14 ADPO L 1428 Le ministre de l'intérieur écrit à l'administration centrale
de l'Yonne le 15 fruct. V (...)

22En effet, quand – pour n'importe qu'elle raison – une place


devenait vacante entre deux élections, le remplaçant devait, aux
termes de la constitution, être nommé par le Directoire, qui avait
aussi le droit de destituer les administrateurs de tout niveau ; les
administrations départementales étaient autorisées à suspendre
provisoirement les membres des administrations cantonales. Dans
ce cas, la municipalité en question nomma des successeurs
provisoires par cooptation, et le Directoire entérina ces mesures
sur l'invitation – plus ou moins motivée – de l'administration
centrale14. Si l'initiative du Directoire prédominait dans les
épurations accompagnant le 18 fructidor, celles avant et après ce
tournant furent en fait décidées par les administrations centrales.
 15 Op.cit., p. 156.

23Dans la Sarthe, les destitutions après le coup d'État de fructidor


déterminèrent un bouleversement administratif qu'il fallut
longtemps pour redresser15. Dans l'Yonne les destitutions avaient
été fréquentes dès l'an IV.
24L'administration centrale elle-même avait été frappée une
première fois, dès le 30 pluviôse de cette année. Renouvelée
encore à la suite du 18 fructidor, elle institua une épuration
endémique de présidents et d'administrateurs de cantons, ce qui
n'empêcha pas d'ailleurs les municipalités de fonctionner
régulièrement jusqu'à la fin du régime. En Roussillon, c'est
seulement le coup d'État “jacobin” du 30 prairal an VII qui mettra
fin à la stabilité dominante, et cette épuration touchera
essentiellement le département et la municipalité de Perpignan.
 16 ADPO L 294, 7 mess. VI.

25Le 18 fructidor avait eu peu de répercussions dans les


Pyrénées-Orientales, qui ne figuraient pas, comme l'Yonne et la
Sarthe, sur la liste des 49 départements où les élections
précédentes furent cassées par la loi du 19 fructidor. Ni
l'administration départementale ni le commissaire Vaquer ne
prirent l'initiative d'une épuration au niveau cantonal. Après les
élections de l'an VI, le commissaire central déclina l'invitation du
ministre d'écarter par une épuration les “anarchistes qui auraient
pu cette année être portés aux places ”, alléguant qu'en général les
“agents municipaux sont dans les principes du gouvernement,
et /…/ partagent la façon de penser de la grande majorité de
leurs concitoyens”16.
 17 AN FlbI 103, Jura ; FlbI 104, P-O.

26Vaquer protégea de même ses commissaires. Quand, en prairial


an V, le Ministre de l'intérieur envoie à tous les départements un
questionnaire imprimé sur la qualité des commissaires, le Jura par
exemple propose de révoquer 15 des 53 commissaires restant
après des démissions. Ce sont des indignes : un “prêtre - haineux
- intolérant – exalté” ; un “cultivateur - ignorant - ivrogne
habituel” ; un “ex-procureur - insouciant - peu délicat ”. Les
commissaires roussillonnais par contre sont tous des gens de
bien et de bons républicains. Tout au plus aurait-t-on désiré que
quelques-uns – les cultivateurs surtout – eussent eu autant de
talent que de patriotisme17
27Est-ce les mérites administratifs et politiques des commissaires
et administrateurs roussillonnais qui expliquent qu'il y a si peu de
destitutions ? Ou reçoivent-ils de si bonnes appréciations parce
que Vaquer et l'administration centrale étaient décidés, pour
d'autres raisons, à garder même ceux dont l'activité était peu
satisfaisante ?
 18 Les généralisations suivantes sur les motifs allégués des suspensions
et destitutions sont basées (...)

28Pour y répondre, il faut analyser l'action des administrateurs et


commissaires des Pyrénées-Orientales à la lumière des motifs de
suspension et de destitution dans les autres départements 18.
Dominent dans les “considérants” les reproches ayant trait à la
lutte du Directoire contre le fanatisme, le royalisme et le refus du
service militaire. Les administrateurs sont accusés – souvent sous
forme de clichés sans cesse répétés – de laisser “sans force” les
lois, et notamment celles qui regardent les prêtres insoumis, les
émigrés rentrés, les déserteurs. On leur reproche aussi d'avoir
laissé régner l'insécurité, et de n'avoir fait cesser les menaces
contre les patriotes et les acquéreurs des biens nationaux ; après
le 18 fructidor, l'inobservation de la police des cultes et des fêtes
décadaires et nationales prend le pas sur tous les autres chefs
d'accusation.
29Dans bien des cas, les motivations se contentent de constater
les résultats insuffisants de la gestion des administrateurs, dans
d'autres les défauts sont explicitement attribués à l'incompétence,
l'insouciance ou la mauvaise volonté des administrateurs. Les
motivations de révocation des commissaires sont, en général, plus
succinctes que celles qui concernent les administrateurs.
 19 L'impression est presque pathétique quand la municipalité du canton
de Châtel-Censoir, suspendue l (...)

30Il est à remarquer que les champs moins “politisés” de


l'administration, y compris la répartition et le recouvrement des
contributions, sont presque totalement absents des motivations ;
fait assez frappant puisque l'administration des contributions, la
seule charge de la municipalité cantonale expressément inscrite
dans la constitution, était sans doute celle qui exigeait le plus de
travail19. Il faut en conclure que le gouvernement était
raisonnablement content du travail des administrations
départementales et cantonales dans ce domaine.
 20 Les rapports entre les deux communes sont représentatifs des
conditions dans beaucoup de cantons d (...)

31Une étude de la performance des administrations des Pyrénées-


Orientales basée sur des sondages dans la correspondance et les
registres des délibérations montre, dans le champ des
contributions, un travail sérieux aux niveaux tant départemental
que municipal. Il est évident d'autre part que dans certaines
communes les agents et adjoints créèrent de grandes difficultés
par leur faiblesse ou leur complicité en face de la résistance de
leurs co-villageois. D'où l'emploi de moyens de contrainte :
commissaires nommés ad hoc aux frais de la commune,
garnissaires logés chez les recalcitrants. Dans le canton d'Estagel,
la municipalité employa, en l'an VI, la garde nationale résidant au
chef-lieu pour contraindre les habitants de Tautavel à payer leurs
impôts20.
32Pour ce qui est des infractions aux lois sur les cultes et de la
non-participation aux fêtes décadaires et nationales, les
Pyrénées-Orientales ne se distinguent guère des autres
départements. Les cloches sonnent, on travaille le décadi et on
danse le dimanche, et les commissaires rapportent que les agents
ne font rien pour y mettre fin. Sur ce terrain l'administration joue
perdant, ou se montre complice.
 21 ADPO L 368 Estagel ; le commissaire Triquéra 15 brum V.
33Il est de même du refus massif de la conscription. “ Je ferai ce
que vous me demandez, mais je suis très persuadé que tout cela
n'aura aucun effet”, répondit un commissaire de canton à Vaquer
prescrivant des mesures contre les déserteurs 21. C'est donc
l'histoire de la garde nationale avançant avec une lenteur voulue,
de la gendarmerie attaquée par la foule, de gardes nationaux
logés comme garnissaires chez les parents des jeunes gens et de
rafles inutiles puisque les insoumis qu'on parvient à arrêter se
sauvent en route pour Perpignan.
 22 J. BIBI,  L'application de la loi Jourdan dans les Pyrénées-Orientales.
Les levées directoriales de (...)

34Jeannine Bibi a cependant montré que l'exécution de la loi


Jourdan constitua un ultime demi-succès pour l'administration
départementale, qui par un grand effort réussit à réunir 3 000
hommes. Peine perdue pourtant, car une fois sous
commandement militaire, les compagnies se désintégrèrent
presque totalement par désertion avant d'atteindre la frontière 22.
Dans ce domaine les Pyrénées-Orientales se situe sans doute
parmi les départements les plus difficiles de la République. Dans
aucun autre contexte l'expression “une société contre l'État” nous
paraît aussi justifiée.
 23 Il y a beaucoup de références à la menace que représentaient les
émigrés qui, en prairial an 6, “f (...)

35Par contre, les attitudes des villageois étaient divisées à l'égard


des émigrés rentrés. Quand, en 1793, l'Espagne occupait une
grande partie du Roussillon, des fractions considérables de la
population collaboraient activement avec l'occupant, ce qui devait
déterminer une forte émigration quand les Espagnols durent se
retirer. Contre les émigrés petits propriétaires rentrés
clandestinement, et qui se vengeaient, par le feu et le pillage, des
acquéreurs de leurs terres et s'adonnaient à des actes de
banditisme, il y eut en effet une communauté d'intérêt entre
l'administration et une grande partie des villageois. Le
commissaire Montbolo affirme que les “bons citoyens” qu'il ne put
persuader à se prononcer contre les déserteurs, “voleroient aux
armes s'il ne s'agissoit que des émigrés…”23.
 24 ADPO L 1409, Pézilla ; un an plus tard un coup de fusil rata l'agent de
Baho en route pour la réun (...)

36Les bandes d'émigrés, d'insoumis et de déserteurs armés


étaient pour beaucoup dans le climat d'insécurité régnant et que
l'administration et les tribunaux n'arrivèrent pas à dissiper, même
si Vaquer félicita le Roussillon de ne pas connaître les passions
meurtrières qui désolèrent le Midi. Mais les administrateurs et
commissaires se sentaient eux-mêmes menacés par l'opposition
haineuse et parfois violente d'une partie considérable des
villageois. Dans le canton de Pézilla, en frimaire de l'an 6, les
agents des autres communes craignaient pour leur vie en se
rendant aux séances et demandèrent de changer de chef-lieu. A
Prades peu après, le commissaire Circan, grand propriétaire du
lieu, fut “assassiné”, dans le langage enflé du temps ; en fait il
avait la chance de n'être qu'effleuré à la tête par une balle de
fusil24.
37Nous voyons ainsi que l'administration dans les Pyrénées-
Orientales s'avère impuissante dans les domaines représentés par
excellence dans les motifs de destitution des autres
départements, et dans les critiques formulées contre les agents
communaux par les commissaires des cantons des Pyrénées-
Orientales. Seulement dans ce département ces fautes
n'entraînent que rarement la destitution. Ce n'est donc pas la
performance de l'administration qui puisse expliquer l'absence de
sanctions.
 25 ADY L 987.
38Faut-il au contraire expliquer celle-ci par ce que le Roussillon
fût un terroir particulièrement difficile ? La comparaison avec
l'Yonne indique que la possibilité de recrutement est un facteur
important. On est frappé en effet de voir avec quelle facilité des
cantons de ce département trouvent des successeurs aux
membres suspendus ou destitués. Un exemple parmi beaucoup :
La municipalité de Coulanges-la-Vineuse prend connaissance, le
30 vendémaire an 6, de la suspension par l'administration
centrale d'une grande partie de ses membres accusés d'avoir
laissé les fêtes républicaines non célébrées et la police des cultes
méconnue. Séance tenante elle trouve 11 remplaçants qui tous,
les jours suivants, acceptent de servir et prêtent le serment de
haine à la royauté et à l'anarchie 25.
 26 J.-P. JESSENNE,  Pouvoir au village et révolution. Artois 1760-
1848, Lille, 1087, p. 113-121.

39Mais le cas du Pas-de-Calais montre que la pénurie de


remplaçants n'empêche pas nécessairement des dirigeants
passionnés et combatifs de procéder à des destitutions en masse,
avec le risque de mettre les administrations cantonales hors d'état
de fonctionner26.
 27 ADPO L 369, 30 prair. VI.

 28 AN FlbI 104.

40Dans les Pyrénées-Orientales, au contraire, un esprit de


résignation pragmatique semble caractériser l'administration
centrale et les commissaires. En l'an VI, Montbolo écrit à Vaquer
que les agents de Tautavel et Vingrau “ ne sont pas les meilleurs
amis de la République  ; leur incapacité les sauvent néanmoins de
tout soubçon (sic) /…/ La difficulté de trouver des gens plus
capables qu'eux et plus portés à remplir cette place sont (sic) les
titres qui les y conservent ”27. Significative aussi la note de Vaquer
au Ministre de l'intérieur sur le commissaire Roig du canton de
Pézilla, cultivateur peu instruit et dont la correspondance
administrative laisse à désirer : “Placé dans un canton dont la
commune du chef-lieu /…/ est la plus mauvaise de tout le
département, il ne peut avec la meilleure volonté faire prendre par
l'administration municipale, les mesures nécessaires au maintien
du calme et la tranquillité publique”. Cependant, comme les
mauvais citoyens redoutent sa surveillance, “ il serait impossible
de le remplacer”28. C'est dire aussi, implicitement, qu'il serait
impossible ou impraticable de remplacer les administrateurs
municipaux.
 29 ADY L 982 Le tournant de ventôse an VI représente la victoire du
commissaire Tenaille et son parti (...)

 30 On remarque toutefois le canton d'Ille, où le président Moynier, ancien


président patriote du dire (...)

41Ce pragmatisme de la part des autorités aux divers niveaux


suppose l'absence ou la faiblesse d'un élément jacobin et
anticlérical aiguillonnant par ses remontrances et ses
dénonciations les autorités supérieures à sévir contre les
administrateurs indignes. Dans l'Yonne les fréquentes épurations
des municipalités et la présence d'équipes de rechange s'éclairent
quand on les situe dans le contexte des luttes politiques locales,
non seulement dans les villes comme le turbulent Tonnerre, mais
aussi dans beaucoup de villages. Dans le canton de Châtel-
Censoir par exemple la lutte qui se déclare dès brumaire an IV
entre deux “cabales” provoque de la part de l'administration
plusieurs épurations. En ventôse an VI, la nomination d'une
commission temporaire pour gérer le canton marque la victoire du
parti du commissaire qui aussitôt forme un cercle
constitutionnel29. Dans le Roussillon la rivalité entre deux
groupes aspirant à dominer la municipalité est peu fréquente
dans les villages30.
 31 Β. GAINOT, Le Mouvement Néo-Jacobin à la fin du Directoire. Structure
et pratique politiques, Thés (...)

42Sur le terrain de la politique religieuse, des fêtes décadaires et


nationales, le contraste entre l'Yonne et les Pyrénées-Orientales
est frappant, surtout après le 18 fructidor. Les habitants de
l'Yonne, selon l'abbé Grégoire, détenaient “sur tous ία palme de la
rage persécutrice”. Dans ce département “les commissaires
cantonaux et les administrateurs locaux étaient bien souvent
profondément engagés dans les cérémonies du culte
théophilanthropique"31
 32 ADPO, L 369, 1 frim. VII.

43Si dans l'Yonne, l'administration centrale et le commissaire


accentuèrent la politique anti-catholique du Directoire post-
fructidorien, ceux des Pyrénées-Orientales tendaient à l'atténuer.
Dans ses rapports au Ministre de l'intérieur, Vaquer réduisit
constamment l'importance du “fanatisme”. Dans la même veine
Montbolo affirma que les habitants d'Estagel se passaient très
bien de l'Église, que les mariages laïcs étaient bien reçus, et que si
les citoyens boudaient les fêtes républicaines ce n'était pas par
fanatisme, mais parce que ces fêtes ne les intéressaient pas 32.
44Jusqu'en l'an VII le Directoire s'accommoda de cette politique où
les principes du gouvernement étaient proclamés avec force et
appliqués avec prudence. Mais alors, après le coup de prairial,
intervint la destitution du président et d'un membre de
l'administration du département, ainsi que du commissaire
Vaquer. Leur remplacement par des hommes d'orientation plus
jacobine ne provoqua pourtant pas de rupture nette ; en fait la
politique de prudence fut continuée jusqu'à la fin du Directoire.

45Le Directoire a su établir et maintenir dans les Pyrénées-
Orientales une administration centrale et municipale d'une grande
stabilité et capable de fonctionner. Mais cette administration ne
pouvant vaincre l'hostilité sournoise ou manifeste de la majorité
de la population rurale, a adopté une politique de prudence
pragmatique, acceptée en fait par le gouvernement, à l'opposé de
ce que nous avons observé dans d'autres départements.
46Faut-il expliquer cette différence par une opposition foncière
entre l'État français et la société catalane ? Pour ce qui est de
l'hostilité de la masse des paysans, focalisée sur la conscription et
le “despotisme décadaire” et anti-catholique, et donc contre la
politique du Directoire au niveau du village, elle ne se distingue
pas des réactions des villageois ailleurs en France et n'a pas
besoin d'une explication “catalane”.
 33 ADPO L 369, surtout le compte mensuel du 5 fruct. VII. (33) - ADPO L
369, surtout le compte mensue (...)

47Par contre nous considérons la faiblesse des couches aisées et


francisées dans les villages roussillonnais comme une raison
importante du comportement de l'administration des Pyrénées-
Orientales. Le commissaire Montbolo – qui aime faire des analyses
“sociologiques” dans ses rapports – divise la population de son
canton en trois classes : la multitude des paysans misérables
qu'on ne saurait attacher à la République qu'en les offrant tout et
en ne leur demandant rien, “la gent moutonnière” des agriculteurs
solides, égoïstes, mais respectueux au fond de la loi et des
autorités, et enfin les gens aisés, “se piquant d'instruction”, dont
presque tous sont de bons républicains33
NOTES
1 D. WORONOFF,  La République bourgeoise de Thermidor à Brumaire
1794-1799, Paris, 1972, p. 53-55.

2 M. BRUNET,  Le Roussillon, une société contre l'État (1780-


1820), Perpignan, 1990.

3 AN AFIII 300 L'administration centrale au Ministre de l'intérieur,


9.pIuv.VI. Un état nominatif avec professions des commissaires
municipaux des P-O au  prairial an 5 donne cette composition :
 1er

cultivateurs 10, hommes de loi, médecins, techniciens 7, négociants 5,


anciens prêtres tailleur 1. (AN F1BI 104)

4 ADPO Lp 1350* ; L 385, 5 niv., 2  j.c. IV, AN FlcIII P-O 4.


e

5 ADPO Lp 1304 Registre des délibérations du canton de Latour-de-


France, 2 vend. VII, les agents sont “journellement importunés par les
demandes en payement de leur dû faites par les crieurs publics, gardes
champêtres et secrétaires”, deux agents ont déjà donné leur démission,
leur fonds propres ne pouvant suffire. Cf. ADPO L 385, Pézill a, an IV ;
L 368, Estagel, an IV.

6 A DPO LP 1302, 27 frim. VI.

7 ADPO L 294, 7 mess. VI

8 ADPO L 386 ; les 11 illettrés représentaient sept des 12 communes


du canton de Prades ; dans quatre communes ni l'agent ni l'adjoint ne
savaient signer. A Estagel en prairial an VII, trois seulement sur 12
administrateurs ne savaient signer. (L 369).

9 A cause des agents ne sachant écrire, l'administration centrale


autorisa en ventôse an IV les cantons à accorder aux agents un
secrétaire rémunéré. (ADPO L 1409 Prades, 16 brum.V).

10 M. REINHARD,  Le Département de la Sarthe sous le Régime


Directorial, Saint-Brieuc, 1935, p. 160.
11 Le canton de Prades montre une bonne assiduité, puisque avec 11
communes l'administration fonctionne régulièrement avec 8 à 11
membres présents (6 à 9 agents plus président et secrétaire). (ADPO Lp
1350*).

12 Op. cit., p. 161-169.

13 En messidor an 4, l'ancien commissaire Turié, dans une lettre à


Perpignan pour toucher son traitement, écrit : “Comme il n'y a point à
Collioure, ny agent, ny adjoint, ny président de l'administration
municipale, je ne puis vous présenter l'attestation requise.” (ADPO L
364) Un an plus tard son successeur Xinxet Lanquine demande à être
autorisé à signer les ordres nécessaires pour le recouvrement des
contributions, puisque l'administration municipale n'a ni président ni
aucun membre : La demande sera renvoyée au ministre de l'intérieur,
(ibid., 19 germ. IV) Lanquine, conseiller départemental en 1800,
reprendra la ville de Collioure en main comme maire en 1811, et
restera jusqu'après la seconde restauration. (P. MC PHEE,  Collioure et la
Révolution française, Perpignan, 1989.)

14 ADPO L 1428 Le ministre de l'intérieur écrit à l'administration


centrale de l'Yonne le 15 fruct. VII qu'il invitera le Directoire à confirmer
la suspension de divers membres d 12 administrations cantonales,
mais que pour l'avenir il faut lui fournir des motivations comme le veut
l'article 194 de la constitution.

15 Op.cit., p. 156.

16 ADPO L 294, 7 mess. VI.

17 AN FlbI 103, Jura ; FlbI 104, P-O.

18 Les généralisations suivantes sur les motifs allégués des


suspensions et destitutions sont basées sur des documents du
Directoire exécutif, notamment AN AF III* 137, F lbI* 120, FlbI 103-
104, ainsi que sur ADY, série L, registres de l'administration
départementale du département de l'Yonne, et divers documents des
cantons, suppléés par les motifs cités dans  Inventaire sommaire de
cette série par Ch. PORÉE.

19 L'impression est presque pathétique quand la municipalité du


canton de Châtel-Censoir, suspendue le 17 vendémiaire an VI pour les
raisons habituelles, se prévaut dans sa défense de son excellent travail
au chapitre des contributions. (ADY L 982).

20 Les rapports entre les deux communes sont représentatifs des


conditions dans beaucoup de cantons du Roussillon. Estagel : petit
bourg de vallée et chef-lieu de canton, avec un noyau de bourgeoisie,
Tautavel : pauvre petit village au milieu des rochers, contenant très peu
de gens de quelque instruction, et dont la population- à juger par les
rapports du commissaire- est principalement occupée à défricher
illégalement dans les communaux.

21 ADPO L 368 Estagel ; le commissaire Triquéra 15 brum V.

22 J. BIBI,  L'application de la loi Jourdan dans les Pyrénées-Orientales.


Les levées directoriales de l'an VII, Mémoire de maîtrise, Montpellier,
1971.

23 Il y a beaucoup de références à la menace que représentaient les


émigrés qui, en prairial an 6, “fourmillent armés” dans le canton de
Pézilla, et font objet d'une “battue générale” dans celui d'Estagel où un
émigré avait griévement blessé l'agent de la commune de Montner.
(ADPO L 385, Pézilla et L 369, Estagel)

24 ADPO L 1409, Pézilla ; un an plus tard un coup de fusil rata l'agent


de Baho en route pour la réunion de la municipalité à Pézilla ; L 387
Prades, 7 niv. VI.

25 ADY L 987.

26 J.-P. JESSENNE,  Pouvoir au village et révolution. Artois 1760-


1848, Lille, 1087, p. 113-121.

27 ADPO L 369, 30 prair. VI.


28 AN FlbI 104.

29 ADY L 982 Le tournant de ventôse an VI représente la victoire du


commissaire Tenaille et son parti, qui organisent aussitôt un cercle
constitutionnel.

30 On remarque toutefois le canton d'Ille, où le président Moynier,


ancien président patriote du directoire du département en 1790, fut
destitué en frimaire an VII. Appuyé par le Cercle constitutionnel aux
élections électorales de la même année, il fut nommé commissaire
central à la succession de Vaquer après le coup de prairial. (AN, AFIII,
255.) Dans la commune d'Estagel, où exista un milieu “jacobin”, un
cercle constitutionnel fut considéré avec méfiance par Montbolo, mais
constitua son appui quand à l'assemblée primaire de l'an VII lui-même
et le président Raynalt furent défiés par “la cabale contraire” autour de
l'ancien commissaire Triquéra. (ADPO, L 369, 4 germ. VII).

31 Β. GAINOT, Le Mouvement Néo-Jacobin à la fin du Directoire.


Structure et pratique politiques, Thése Paris, 1993, p. 781.

32 ADPO, L 369, 1 frim. VII.

33 ADPO L 369, surtout le compte mensuel du 5 fruct. VII. (33) - ADPO


L 369, surtout le compte mensuel du 5 fruct. VII.

AUTEUR
Kåre TØnnesson
Du même auteur

 La mort politique de la sans-culotterie parisienne in 1795, pour une République sans


Révolution, Presses universitaires de Rennes, 1996
© Presses universitaires de Rennes, 1999
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Sociétés politiques et
administrations locales sous
le Directoire faits et
interprétations (quelques
exemples de chef-lieux de
cantons entre Saône et
Loire)
Bernard Gainot
p. 443-459

TEXTE NOTES AUTEUR
TEXTE INTÉGRAL
 1 Les cartes générales de la France Directoriale reflètent ces
incertitudes ; Lynn HUNT (“The politi (...)

 2 Bernard GAINOT, “le département de Saône-et-Loire à la fin du


Directoire”, in Actes du 113  Congrè (...)
E

 3 Bernard GAINOT, “Les adresses de félicitations parvenues au Corps


législatif à l'occasion des jour (...)

 4 A.N., F1 cIII (Esprit public et élections) Saône-et-Loire (8).


(Correspondance générale).

1La Saône-et-Loire compta parmi les départements les plus agités


pendant la période Directoriale. Il est bien difficile de lui attribuer
une dominante politique claire : si aucune menace d'insurrection
anti-révolutionnaire d'envergure n'est présente, en revanche, on
hésite longuement avant de l'étiqueter comme “modéré” ou
“néojacobin”1. Tous les ans, la période électorale concentrait les
tensions politiques, et provoquait des incidents plus ou moins
graves. Nous ne repartirons pas de l'analyse de ces luttes
électorales, qui ont été évoquées par ailleurs 2. Il y a d'autres
pistes pour mesurer la “politisation” du département : les
nombreuses adresses qui émanent des autorités constituées, ou
bien des groupes plus ou moins institutionnalisés de “citoyens”,
de “républicains”3 ; l'attention toute particulière que le ministère
de l'Intérieur portait à la situation locale, présente sous forme de
correspondances secrètes avec des informateurs locaux, doublant
ainsi le réseau administratif officiel4.
2Mais quelle est la nature de cette politisation ? La période
révolutionnaire, et tout particulièrement la période Directoriale,
nous paraît importante à ce sujet, car elle constitue une séquence
privilégiée de traduction des tensions locales (la question des
subsistances, la crise des circuits de commercialisation des
produits agricoles, les problèmes du métayage et des biens
communaux, etc…), en codes de références partisans
déterritorialisés (les “patriotes” et les “fanatiques”, les “honnêtes
gens” et les “anarchistes”, etc…). L'événement majeur, dans cette
optique, pour la Saône-et-Loire, fut la crise fédéraliste de l'été
1793 et le siège de Lyon.

LE CADRE ADMINISTRATIF,
POLITIQUE, ÉCONOMIQUE
 5 Pour les chiffres de population, nous prenons comme référence le
recensement de l'an VIII, car il (...)

3Nous avons mené cette étude dans un nombre limité de cantons


(le canton étant le cadre administratif de référence pour toute
étude du pouvoir local à l'époque directoriale) ;  le chef-lieu de
canton est une petite ville de 1 000-2 000 habitants ; Digoin
(2 230), Givry (2 600), Gueugnon (1 240), Issy-L'évêque (1 700),
Paray-le-Monial (2 850), Perrecy-les-forges (1 400), Toulon-sur-
Arroux (1 600), Montcenis (18 60), Mont-Saint-Vincent (700),
Joncy (1 030), et enfin Buxy (1 600)5.
 6 AN F1 bII (Saône-et-Loire, 1 ; affaires communales générales)
Opinion de Nardon, président de l'ad (...)

 7 Voir notamment les compte-rendus du commissaire central


Nicolas CARTERON, AN, F1 CIII Saône-et-Loi (...)

4Un échantillon homogène par la taille, mais aussi par


les  fonctions administratives  : lieu de résidence de
l'administration municipale, mais aussi lieu de réunion des
assemblées primaires chaque année au début du mois de
germinal, les bâtiments publics du chef-lieu de canton voient se
dérouler les affrontements entre les “anarchistes” et les “honnêtes
gens”. Les onze cantons de notre échantillon ont tous été troublés
par ces luttes politiques ; à mi-chemin de la situation Mâconnaise
où la domination néo-jacobine sur la ville paraît si bien établie à
la fin du Directoire, que les modérés la présentent comme
désertée par les bourgeois aisés qui préfèrent se retirer à la
campagne pour éviter injures, vexations de tous ordres, voire
coups lorsqu'ils sortent de chez eux 6 ; à l'autre extrémités, la
Bresse, où les notables modérés ont fini par s'imposer, sur le
modèle du Jura limitrophe, instaurant, aux dires des commissaires
du pouvoir exécutif, une véritable terreur au profit des “ennemis
de la révolution”, tolérant la restauration du culte catholique,
rusant avec la conscription7.
 8 Bernard GAINOT, thèse, op. cité : II  partie, chapitre III ; les
 e

“réseaux néo-jacobins”, p. 495-5 (...)

5Les fonctions économiques de ces petites villes sont plus


diversifiées : la fonction portuaire de Digoin diffère beaucoup des
marchés locaux de Montcenis ou Mont-Saint-Vincent, ou du
centre viticole de la Côte Chalonnaise qu'est Buxy. Toutefois, ce
qui peut les rapprocher, c'est leur situation sur l'axe médian qui
traverse le département pour joindre la Saône à la Loire : des
routes de desserte locale jalonnées de relais de poste et de
brigades de gendarmerie, mais surtout le canal du centre, achevé
en Novembre 1793, à proximité duquel se multiplient les
établissements industriels : les forges de Gueugnon et de Perrecy,
la fonderie du Creusot, les puits de mine de Banzy (sur le canton
de Montcenis). Contrôle de la poste aux lettres, influence auprès
des gendarmes, de la population ouvrière ou des maîtres de
forges, autant d'enjeux locaux qui ont une signification politique
et sociale extra-locale ; c'est ce que nous appelons la “traduction”.
Certains groupes politiques, lorsque la conjoncture leur est
favorable, s'institutionnalisent en  cercles
constitutionnels. La
caractéristique de la Saône-et-Loire en 1798-99 est que ces
structures politiques se manifestent dans ces petites villes chef-
lieux de cantons, alors que, généralement, c'est le chef-lieu du
département ou les anciens chef-lieux de districts qui
monopolisent l'expression politique officielle. Nous avons
caractérisé cette situation comme expression d'un “réseau
néojacobin”. Un tel “réseau” peut être observé dans une dizaine
d'autres départements à la fin du Directoire, comme de Doubs, le
Var, le Puy-de-Dôme, l'Hérault, etc…8.
 9 Les adresses permettant d'identifier les groupes sont dans AN, C
685, C 686, AFIII 257.

 10 Atlas Historiques de la Révolution Française, fascicule 6 (“Les


sociétés politiques”), sous la dir (...)

 11 AD Saône-et-Loire ; registre de délibérations municipales de la


municipalité de canton de Toulon-s (...)

 12 id. registre de délibérations de la municipalité de canton de


Paray.
6Trois cercles constitutionnels s'expriment sous ce nom en 1799,
ou bien sous celui de “société politique” ; à Buxy, à Issy-l'évêque,
à Toulon-sur-Arroux. Remarquons que ces trois sociétés ne se
sont pas institutionnalisées dans la période plus favorable qui
suivit le 18 fructidor an V, restant à l'état de “groupes de
républicains”, de “groupes de citoyens” ; ces “groupes” se
manifestent à plusieurs reprises à Givry, à Joncy, à Paray 9.
Groupes et sociétés politiques du Directoire sont un héritage des
premières années de la décennie révolutionnaire, dans neuf cas
sur onze. Huit localités avaient déjà un club implanté en 1790-
1791. Gueugnon et Issy-L'évêque ont connu le développement
d'une importante société populaire en l'an10. Il n'y a guère qu'à
Joncy où l'on ne trouve aucune mention de groupe politique avant
l'an VII. Ce simple fait conduirait d'ailleurs à revoir les conclusions
hâtives selon lesquelles le phénomène des clubs politiques se
serait vidé de toute substance après l'an II, et qu'il n'y a plus de
créations significatives après cette période. Très vite, sous
diverses appellations, les républicains ont cherché à se regrouper
et à maintenir l'association, une des colonnes de la “démocratie
représentative”. Le 6 germinal an IV (Mars 1796), à Toulon-sur-
Arroux, des “patriotes de 89” demandent à l'administration
municipale le droit de se réunir dans la ci-devant église
paroissiale, deux fois par décade11 A Paray, en frimaire an IV
(Décembre 1795), des “citoyens” ont voulu former une “réunion”
pour “y lire les nouvelles, et y goûter les douceurs que présentent
naturellement à des hommes faits pour la société les réunions
fréquentes de plusieurs…”12.
 13 Buxy : 60 signataires (3,75 %)
Issy : 33 signataires (1,94 %)
Paray : 41 signataires (1,46 %)
Toulon  (...)
7Que représentent les sociétaires par rapport à la population
communale ? Il est difficile de le préciser rigoureusement. Par
méthode de comptage des signatures au bas des adresses, nous
obtenons une moyenne de 3,43 %13. Bien qu'en retrait par rapport
à l'an II, la proportion atteste cependant la permanence du
phénomène.
 14 Atlas Historique de la Révolution française, op. cité, p. 39.

8Il faut néanmoins apporter deux correctifs à cette quantification ;


le nombre des signataires ayant été rapporté à la population
communale, ne vaudrait-il pas mieux le rapporter à la population
cantonale ? Une réponse nette est difficile à apporter ; la
remarque faite pour la période 1790-1794, est encore bien plus
valable pour le Directoire : “Centre de l'activité politique locale, le
chef-lieu de canton s'affirme également comme le lieu quasi-
exclusif de la sociabilité politique”14.
 15 Voir plus loin ce qui concerne l'érudit local Paul MONTARLOT.

 16 AN, AFIII 258.

9D'un autre côté, le décompte des signataires ne permet pas


d'enregistrer les analphabètes. Ces derniers ont bien souvent
recours à un sociétaire qui signe à leur place (pratique qui
autorise plus d'un historien à jeter le doute sur la représentativité
de ce type de sources15 ; ce recours n'est pourtant pas exclusif. A
Paray, on mentionne que 69 citoyens “qui ne savent pas signer,
ont adhéré à l'adresse, après en avoir ouï lecture ”16. Les
analphabètes représentent 30 % du total des signataires :
pourcentage plausible, qui majore d'autant l'importance
numérique du groupe politique.
AUTONOMIE DU CHAMP
POLITIQUE PAR RAPPORT A
L'APPAREIL ADMINISTRATIF
10Le glissement du groupe local informel de républicains vers la
société politique institutionnalisée dépend directement de
l'attitude des autorités locales. Si des cercles constitutionnels
peuvent s'implanter à Buxy, à Givry, à Toulon-sur-Arroux, à Issy,
c'est parce que les néo-jacobins contrôlent les administrations
municipales. A l'inverse, là où les modérés contrôlent bien la
situation locale, comme à Digoin, on n'enregistre aucun cercle
constitutionnel.
11Le manque d'autonomie de l'espace politique local par rapport
aux instances administratives nous amène à souligner
l'importance des interventions politiques extérieures. En
l'occurence,  le rôle de Jacques Reverchon est tout à fait essentiel.
 17 Bernard GAINOT, “La scène Lyonnaise et les coulisses du Comité
de Salut Public”, in “Cahiers de Rh (...)

12Ce dernier, négociant en vins dans le Mâconnais, administrateur


départemental, puis Conventionnel, joua un rôle absolument
essentiel à Lyon comme représentant en mission 17. Thermidorien
de gauche, il entreprit une épuration limitée en Saône-et-Loire et
dans les départements voisins, pendant l'été 1794. Par la suite, il
laissa la place au représentant Boisset, qui mena une épuration
“anti-terroriste” beaucoup plus vaste : il écarte la majeure partie
du personnel qui avait été installé dans les administrations locales
sous le gouvernement révolutionnaire, après le passage à Mâcon
du conventionnel Javogues. Pour remplacer ces “terroristes”,
Boisset nomme des administrateurs qualifiés de “modérés”, ayant
déjà eu une expérience des affaires locales antérieurement à
1793. Ces “modérés” sont bien vite accusés de mener une
politique “revancharde” vis-à-vis des anciens exécutants de la
politique du gouvernement révolutionnaire. Jacques Reverchon
reprend ces accusations à son compte : son titre officiel de
“commissaire extraordinaire du gouvernement” au début du
Directoire, lui permet de réinstaller comme commissaires nombre
des anciens agents de l'an II. Les élections de Germinal an V (Avril
1797) consacrèrent au contraire la victoire des notables “modérés”
: victoire contestée par les groupes politiques néo-jacobins, qui
relèvent les irrégularités, les intimidations, dont le résultat fut la
mise à l'écart de tous ceux qui s'opposaient à la domination des
notables qui se reconnaissent désormais dans le parti “Clichyen”.
13Aussi, les lendemains du 18 fructidor fournirent-ils le prétexte
à une explosion d'adresses de ces groupes néo-jacobins qui
félicitaient le Directoire pour avoir réalisé le coup d'état (certains
de ces groupes s'institutionnalisant comme cercles
constitutionnels), d'une part ; et d'autre part, à un vaste
mouvement de commissaires cantonaux. Par l'intermédiaire de
l'administration centrale “régénérée”, c'est toujours Jacques
Reverchon qui eut la haute main sur les nominations, à tel point
que les “modérés” dénoncent une nouvelle fois le “proconsulat” de
ce dernier dans le département. Reverchon est alors proche du
directeur Reubell, dont il a failli devenir le gendre. Mais les
affaires privées, autant que le cours politique, vont
progressivement éloigner Reverchon du Second Directoire, et le
rapprocher d'une opposition néo-jacobine qui gagne du terrain.
 18 AD, 3L3 registre des délibérations de la municipalité du canton
de Givry ; liste des candidats rec (...)

14Localement, cette opposition néo-jacobine se structure pendant


l'année 1798, et parvient à constituer un véritable réseau politique
qui recommande des candidats pour les élections de germinal an
VI (Mars 1798)18. Les néo-jacobins dominent ces élections, qui
sont cassées par le Directoire le 22 floréal an VI (Mai 1798). Les
modérés sont progressivement réinstallés aux commandes locales
dans les mois qui suivent, et de plus en plus massivement à la
veille des élections de l'an VII. Celles-ci, au prix de nombreuses
scissions, sont une fois de plus favorables aux néo-jacobins, qui
contrôlent le département dans l'été 1799, à la faveur de la
“régénération” qui a suivi le coup d'état du 30 prairial an VII.
 19 Concertation où la presse démocratique a dû aussi tenir sa place.
L'administration municipale de T (...)

 20 AN, C 686, et C 582 pour l'adresse de Toulon.

 21 id., et C 685 pour Buxy.

 22 Christine PEYRARD, “Combats Parisiens pour la démocratie de


journalistes de l'Ouest”, in “Paris et (...)

15Ainsi, accompagnant ces péripéties extérieures à l'espace


politique local, émerge en l'an VII un réseau néojacobin structuré
jusqu'aux chef-lieux de cantons. Les nombreuses adresses émises
à l'occasion du coup d'état du 30 prairial an VII, aussi bien par des
administrateurs municipaux que par des groupes politiques, en
sont le témoignage. Le programme exposé dans ces documents,
dans des termes identiques, révèle une concertation préalable 19.
Les adresses de Perrecy et de Toulon demandent des garanties
constitutionnelles pour la liberté de la presse, et pour les réunions
politiques, ainsi que des lois sévères dont l'objectif serait
l'entretien de l'armée au moyen de contributions exceptionnelles
sur les “riches égoïstes”20 ; revendications formulées à l'identique
dans les adresses des administrations municipales de Mont-Saint-
Vincent ou Buxy21. Tout ceci anticipe le “cours nouveau” imprimé
au Corps Législatif par les représentants néo-jacobins en
messidor an VII (juillet 1799), avec notamment l'emprunt forcé
des cent millions, les levées d'hommes sans remplacement, la
discussion de lois organiques sur la liberté de la presse ou le droit
d'association22.
16Conjoncture nationale, interventions de l'administration
centrale, de membres influents de la représentation nationale :
autant de circonstances externes qui influencent largement le
déroulement des luttes politiques locales. Dans cette
configuration, ce sont  les
commissaires attachés aux
administrations municipales de canton qui sont les pièces
maîtresses du champ politique.
 23 AN, F1 bIi (Saône-et-Loire, 27) ; notamment la lettre de Félix
Finance, du 22 brumaire an IV (Nove (...)

 24 id. : Pétition du 9 Pluviôse an VIII (Janvier 1800).

 25 id., Rapport du commissaire Chamborre du 1  thermidor an VI


er

(Juillet 1798).

17Prenons quelques exemples significatifs. Félix Finance


appartient avant la Révolution à la petite noblesse du Charolais. Il
embrasse la carrière militaire, puis revient s'installer sur les terres
familiales de Sanvignes, dans le canton de Toulon-sur-Arroux,
quatre ans avant la révolution. Il participe très activement à la
révolution municipale : il fut président, le 29 juillet 1789, d'un
“comité municipal” qui renversa la “municipalité royale”, selon ses
dires23. Ce que confirment, à leur façon, aussi bien les
adversaires de Finance “populaire avant la Révolution, ce
conseiller des troubles de nos marchés pendant le long et pénible
hiver de 1788”24, que le commissaire central Chamborre en l'an
VI : Finance, selon lui fut “un zélé partisan de la révolution de
1789”, c'est un “tribun populaire… qui stimule l'esprit
d'insurrection”25.
 26 id., lettre de Félix FINANCE.
18Premier maire élu de Toulon en 1790, il préféra conserver son
grade de commandant de la garde nationale. Il reprend le service
militaire en 1792, et revient à Toulon, pour des raisons de santé,
au début de 1794. Il est nommé agent national, puis fut désarmé
comme “terroriste” par Boisset en prairial an III. En brumaire an IV
(Novembre 1795), il est choisi comme commissaire cantonal de
Toulon. Voici dans quelles circonstances : le représentant du
peuple Reverchon est arrivé à Mâcon, alors que l'assemblée
électorale terminait ses opérations. Il s'informe sur les opinions
des citoyens appelés aux places administratives : selon des
renseignements qu'il avait par ailleurs, il suspend ces
administrateurs, et il les remplace par “des hommes dont le
patriotisme et les talents étaient bien connus”. Ces
administrateurs nomment ensuite les commissaires cantonaux,
dont Félix Finance : “ils les ont choisis parmi les patriotes
prononcés depuis le commencement de la révolution… ils sont
républicains, et c'est un titre qui leur procure la haine de bien des
gens…”26.
 27 AD, registres de délibérations de l'administration municipale du
canton de Toulon, 3L3 : 16 thermi (...)

19Finance reste commissaire de Toulon pendant toute la période


du Directoire ; il est bien secondé à l'administration municipale
par l'ancien général Antoine Bard, membre très actif du réseau
néo-jacobin qui se manifeste pour les élections de l'an VII. Le
canton de Toulon peut donc être considéré comme “néo-jacobin”,
dans la stricte limite où cette étiquette ne reflète pas l'état réel de
l'opinion publique du canton, mais le contrôle des autorités
locales. Il n'y a pas d'expression politique véritablement autonome
par rapport à l'appareil administratif ; une dépendance que
soulignent encore les contraintes spatiales. Le cercle
constitutionnel qui se réunit au cours de l'été 1799, deux fois par
décade, tient ses séances “dans les chambres hautes de la maison
commune”27. Il apparaît donc comme une simple annexe de
l'administration municipale.
 28 REBOUILLAT, “Histoire de Buxy” (1911).
AN, F1 bII (Saône-et-Loire, 12).

 29 AN, C 685 ; adresse de la société politique de Buxy, 23


thermidor an VII (Août 1799).

20A la même époque, au cours de l'été 1799, le président de


l'administration départementale est Dominique Dariot, originaire
de Buxy. Juge seigneurial avant 1789, Dariot s'engage très tôt
dans la révolution ; il devient procureur-syndic auprès de la
municipalité de Buxy, officier de la garde nationale, fondateur en
1790 avec son beau-frère Jean-Baptiste Rousselot de la “Société
des vrais amis de la Constitution” 28 Administrateur départemental
en 1793, il se range résolument parmi les organisateurs de la
lutte contre les “rebelles de Lyon”. Il n'en conserve pas moins une
réputation de gestionnaire, peu porté à l'extrémisme politique,
comme ses deux compatriotes Antoine Duréault et Mauguin. Ces
deux derniers sont désarmés comme “terroristes”, et même
inquiétés par la justice après le 9 thermidor. Mais, selon le
renversement de tendance précédemment signalé, Mauguin est
choisi comme commissaire cantonal de Buxy en l'an IV. En butte à
la municipalité cantonale, contrôlée par des modérés qui ne
manquent pas de ressortir les pièces du dossier d'accusation de
fructidor an II, Mauguin doit se retirer, et c'est naturellement à
Dominique Dariot, beaucoup moins compromis, que l'on fait
appel pour reprendre les choses en mains, et mener la
“régénération” des autorités locales après le 18 fructidor. Présenté
en bonne position sur les listes de candidatures du réseau néo-
jacobin, Dariot passe à l'administration centrale en 1798. Il reste
en relations avec ses compatriotes, et considère d'un œil favorable
la renaissance d'une société politique à Buxy en 1799 ; parmi les
cinquante-trois signataires identifiés, nous retrouvons nombre
des fondateurs de la Société des vrais amis de la Constitution de
1790, puis de la “société républicaine” de 179429.
21L'exemple de Buxy nous présente donc la permanence des
structures politiques sur toute la décennie révolutionnaire
(pratiquement sans dissolution après l'an III) ; le relais est assuré
par une nouvelle équipe d'administrateurs, moins compromis
dans la pratique du gouvernement révolutionnaire, solidaires
néanmoins par nécessité de ses agents locaux. Renouvellement
bien illustré par Dominique Dariot, authentique “néo-jacobin” de
la période Directoriale.
 30 Paul CHAUSSARD, “Images du passé Digoinais” (Mâcon, 1986).

 31 Paul CHAUSSARD, “Les tribulations de Jean-Baptiste François


Maynaud de Bizefranc à partir de 1789” (...)

 32 Bernard GAINOT, “Le général Laveaux, gouverneur de Saint-


Dominique, député néo-jacobin”, in “Annal (...)

 33 AD, 3L3 ; registre de délibérations de la municipalité de canton


de Digoin.

 34 5 brumaire an VI (Octobre 1797) ; l'administration centrale


suspend l'administration municipale de (...)

22Prenons enfin un troisième exemple, dans le parti opposé aux


néojacobins. A Digoin, le président de l'administration municipale
jusqu'en 1797 est Jean-Baptiste Maynaud. C'est l'héritier d'une
famille d'échevins municipaux appartenant, comme Félix Finance,
à la noblesse du Charolais. Le père du maire de 1796, Hugues
Maynaud de Bizefranc, est honoré localement pour avoir organisé
en 1770 des greniers de subsistance qui permirent à la ville de
Digoin de traverser une mauvaise phase de disette 30. La
révolution bouleversa considérablement les destins familiaux ;
Jean-Baptiste Maynaud était inscrit sur la liste des suspects en
1793, et de fait contraint à l'émigration 31 ; son frère, Xavier de
Pancemont, curé de Saint-Sulpice au début de la Révolution, était
devenu à l'étranger l'un des principaux organisateurs du clergé
réfractaire. L'aîné, Etienne, était devenu un des principaux
généraux de la république ; gouverneur de la colonie de Saint-
Domingue, il joua un rôle-clef dans la promotion de Toussaint-
Louverture32. Revenons à Jean-Baptiste, véritable gardien local du
patrimoine familial, qu'il s'efforce consciencieusement de
reconstituer dès lors qu'il a obtenu sa radiation de la liste des
émigrés. Attitude qui suscite l'animosité du commissaire cantonal
Claude Veillerot, qui accuse Maynaud de négligence
administrative et de recel de prêtres réfractaires. L'examen du
registre de délibérations de la municipalité cantonale dirigée par
Maynaud ne permet pas de soupçonner un quelconque sabotage
administratif33 : la tenue des registres est régulière, les
contributions rentrent, les fêtes républicaines sont respectées. Il
est vrai que, parmi ces fêtes, celles qui ont une signification
“anti-anarchiste” (1  messidor
er
an IV pour exprimer les
“sentiments de gratitude et de reconnaissance dont le peuple
Français doit être pénétré envers le Directoire Exécutif, à l'énergie
duquel il doit la découverte de la conspiration abominable du 22
floréal” – il s'agit de la conspiration babouviste – ; et les 9 et 10
thermidor an IV pour “fêter la liberté”) sont organisées avec
davantage de solennité que les autres. Mais, après tout, le 1 0
Aôut est également fêté ; rien ne nous autorise donc à suspecter
les sentiments “républicains” de ces administrateurs modérés. Il
s'agit certes d'une “république conservatrice”, dont la gestion était
envisagée selon une approche toute différente de la “République
régénérée”, souhaitée par les néo-jacobins. Quant aux prêtres
réfractaires, Jean-François Maynaud donne asile dans sa demeure
Digoinnaise, depuis brumaire an IV, à un prêtre réfractaire, Jean-
Baptiste Lardet. En messidor an V, il recueille un deuxième prêtre
réfractaire. Les deux clandestins disent la messe dans le salon
privé de Maynaud mais, surtout, ce qui excède largement le
respect des dispositions constitutionnelles sur la liberté des
cultes, ils pratiquent à cette occasion des remariages. Ce fait
compte beaucoup dans la destitution de l'administration
municipale de Digoin après le 18 fructidor an V34. Des poursuites
nominales sont engagées contre Maynaud, qui voit arriver la 13
pluviôse an VI (Janvier 1798) dans sa résidence un détachement
de la force armée conduit par le général Parein du Mesnil, ancien
président de la commission militaire de Lyon, présentement
habilité pour rechercher les émigrés rentrés clandestinement, et
les prêtres réfractaires. Maynaud se voit par la suite rayé du
registre civique, et abandonne même son domicile de Digoin,
pour se retirer au château de Génelard, sur le canton voisin de
Perrecy-les-forges.
23Au gré des retournements locaux et nationaux de la situation
politique, les modérés qui se présentent toujours dans leurs
textes comme “bons citoyens”, et “vrais républicains” réussissent à
préserver leur contrôle des affaires locales. Les néo-jacobins,
derrière le commissaire Veillerot, le juge de paix Jacques Brigaud,
ou le médecin Deshaires, ne parviennent pas à reconstituer une
véritable société politique dans cette cité de négociants et de
mariniers.

CLASSE POLITIQUE ET
SOCIÉTÉ CIVILE COMMENT
INTERPRÉTER LES LUTTES
LOCALES ?
 35 Voir notamment, de Paul MONTARLOT, “Les députés de Saône-et-
Loire aux assemblées de la Révolution  (...)

 36 En quatre volumes, Autun, 1903.

 37 L. SCIOUT, “Le Directoire” ; en quatre volumes (Paris, 1895-


1897).

24Nous avons présenté quelques acteurs du champ politique


local, à titre d'exemples : il reste à comprendre la nature de leur
insertion dans le milieu local. La tâche est d'autant plus ardue que
les érudits locaux, dont les recherches s'avèrent si précieuses
pour reconstituer les carrières individuelles, sont majoritairement
tributaires de l'historiographie de la fin du siècle dernier, dominée
par Paul Montarlot35. Les travaux de ce dernier restent des
sources indispensables ; mais ils ont été réalisés dans l'optique
apologétique des “Recherches historiques sur la persécution
révolutionnaire dans le département de Saône-et-Loire ” des
abbés Bauzon, Chaumont, et Muguet36 ; et, en ce qui concerne le
Directoire, ils reproduisent les parti-pris systématiquement
hostiles de Ludovic Sciout37. Montarlot dresse ainsi le tableau
d'une classe politique républicaine, incapable et discréditée,
entièrement coupée de la société civile ; les aspirations de cette
dernière sont bien assumées par ces notables modérés, porte-
parole en quelque sorte “organiques” de communautés locales
immobiles ou presque ; lors des rares occasions où les résultats
des élections ne sont pas faussés par des pressions et des
interventions extérieurs, ces notables modérés triomphent,
comme ils triompheront après Brumaire.
25Les luttes politiques de la période Directoriale peuvent-elles
n'être que les jeux stériles d'un petit groupe de profiteurs et de
parvenus coupés de leurs administrés  ? Vision réductrice et
dogmatique, imprégnée qui plus est de tous ces jugements
méprisants et démagogiques sur les “politiciens”, qui allaient
fleurir après brumaire. Sans établir de constat définitif, bornons-
nous à baliser quelques pistes.
26Dans le canton de Mont-Saint-Vincent, les deux groupes
politiques rivaux ont à leur tête des familles de propriétaires
fonciers bien implantés, disposant d'un réseau étendu de clientèle
parmi les hommes de loi et les gros cultivateurs. Le groupe
“modéré” est animé par les Febvre, qui dominent à Mont-saint-
Vincent et à Saint-Vallier.
27Les néo-jacobins sont dirigés par les Gacon, qui dominent à
Saint-Romain-sous-Gourdon et à Mary. Sous l'influence de ces
derniers, l'administration municipale produit des textes aux
accents égalitaristes, symptomatiques d'une
volonté  d'intervention sociale qui déborde – à défaut de les
subvertir – les cadres étroits de la société des notables ruraux.
“Citoyens législateurs,… que toutes vos pensées, et vos sollicitudes se
fixent sur le bonheur du peuple. On n'a presque rien fait pour
améliorer sa situation. Vous réparerez les torts du passé. Vengez cette
classe intéressante de ce mépris stupide dont l'orgueil et la sottise
l'accablent. N'est-ce pas elle qui donne la vie au corps social, qui
compose nos armées, qui fait fleurir les arts et l'agriculture ? Qu'on
l'attache enfin à la République par le bien-être et l'amélioration de son
existence…”.

 38 C 686 ; adresse des administrateurs municipaux du canton de


Mont-Saint-Vincent, 23 messidor an VII (...)

28Comme mesures concrètes, les administrateurs de Mont-Saint-


Vincent proposent la suppression de la possibilité de s'acheter un
remplaçant pour la conscription, et une réforme fiscale qui touche
en priorité la “classe riche”38. Rhétorique creuse ? Démagogie
pure ? Langue de bois républicaine ? Comme nous l'avons déjà
souligné, ces textes contiennent tout un code de référence,
essentiel à la traduction des luttes locales dans les enjeux de
pouvoir sur le plan national.
 39 AD, 3L3 ; registre de délibérations de l'Α.Μ. du canton de
Toulon-sur-Arroux, 26 fructidor an IV.

29Exemple de luttes locales ; à Toulon-sur-Arroux,


l'administration centrale reconnaît en fructidor an IV (Août 1796)
que, “depuis plusieurs années, les biens communaux
occasionnent des troubles dans cette commune”39. Problème
complexe, qui nécessiterait toute une communication
complémentaire si on voulait l'exposer dans le détail. Signalons
simplement que les jacobins locaux avaient cherché à interpréter
la loi de juillet 1793 dans le sens de leurs projets antérieurs de
redistribution des terres et d'élargissement de la propriété ; ce
partage égalitaire avait été fortement contrarié en l'an III par les
modérés, qui ont toléré des empiétements illégaux sur de grandes
portions de communaux.
30La commune de Montcenis reçoit le 2 germinal an VII (mars
1799), en pleine tenue des assemblées primaires, la visite des
ouvriers du Creusot ;
 40 AD Saône-et-Loire, 1L8 Pétition de l'assemblée scissionnaire du
canton de Montcenis, 2 germinal an (...)

“Dans la matinée d'aujourd'hui, les citoyens du Creusot, en partie, sont


entrés dans la commune de Montcenis, tambour battant, sabre à la
main, menaçant indistinctement tous ceux qui leur déplaisaient,
notamment les citoyens paisibles des campagnes, trop éloignés des
assemblées où leur majorité assurerait de bons choix, et qui ne
peuvent résister à l'indignation qu'ils éprouvent en voyant des choix,
résultat de cercles combinés à l'avance, et présageant, s'ils étaient
tolérés, le retour de l'anarchie, de la terreur” 40.

 41 id., 3L3.
31L'un des principaux signataires de ce texte est Lazare Garchery,
ex-constituant, correspondant officieux du ministre de l'Intérieur
François de Neufchateau. Grand propriétaire résidant sur le
canton de Dettey, limitrophe tant du canton de Montcenis que du
canton de Toulon, il s'est heurté à l'hostilité de Félix Finance dans
les circonstances suivantes. Ayant sollicité des troupes auprès de
l'administration centrale pour poursuivre des brigands qui
auraient désolé les territoires des cantons de Dettey, Toulon-sur-
Arroux, Issy-l'évêque, et Gueugnon, Garchery se voit rétorquer
par Finance que cette demande de réquisition est tout à fait
abusive ; la force publique est détournée de ses missions d'intérêt
général pour servir à la défense des intérêts privés de quelques
grands propriétaires. Il n'y a pas de brigandage sur le territoire de
ces cantons ; les notables veulent simplement que leurs
propriétés soient gardées41.
 42 AN, F1 cIII (Saône-et-Loire, 8).

 43 AN, FlbI 119-120-121 : nominations et destitutions de


fonctionnaires pour l'an VII.

32Les interventions de Garchery auprès du ministère de l'Intérieur


tendent à obtenir la destitution des commissaires néo-jacobins
pour les remplacer par des modérés, qui seraient à même de faire
de “bonnes élections”42. Il obtient gain de cause en Ventôse an VII
(Mars 1799), lorsque des dizaines d'administrateurs et de
fonctionnaires sont révoqués ; épuration qui faut largement à
l'origine des troubles électoraux que connut la Saône-et-Loire en
1799, et qui prouve que les néo-jacobins ne furent pas les seuls à
solliciter les interventions extérieures43.
 44 P. REBQUILLAT, “Histoire de Buxy”, op. cité.

33Une dernière hypothèse reste à envisager ; les rivalités


politiques révolutionnaires et post-révolutionnaires ne seraient
que le  prolongement de rivalités locales antérieures à la
Révolution. A Buxy, les rivalités internes au sein des premières
municipalités révolutionnaires peuvent se lire comme la volonté
de revanche d'hommes de loi, comme Rousselot et Nicolas,
évincés par les notables traditionnels qui monopolisaient le
pouvoir municipal depuis plusieurs décennies44.
34Les oppositions dans le canton de Mont-Saint-Vincent entre les
Febvre et les Gacon recouvrent certes des rivalités
intercommunales, mais aussi des oppositions internes à l'appareil
judiciaire prévôtal d'Ancien Régime.
 45 Henriette DUSSOURD, “Toulon-sur-Arroux, seigneurie de l'abbaye
de Cluny” (Moulins, 1964). Pour l'a (...)

35A Toulon-sur-Arroux, la “révolution municipale” conduite par


Félix Finance en 1789 secoue la tutelle administrative établie sur
la cité par Jean-Philippe Saclier depuis 177345.
 46 Georges FOURNIER, “Démocratie et vie municipale en
Languedoc”, thèse pour la doctorat d'État (Toul (...)

36Nous pourrions multiplier les exemples ; mais nous ne pouvons


que partager les conclusions de Georges Fournier, qui a relevé
maints cas identiques dans les communes du Languedoc46 :
“Ces exemples cantonaux suffisent sans doute à montrer l'imbrication
aux multiples facettes des rivalités entre communes et des divisions
internes. Il faut souligner cependant l'approfondissement des tensions
à l'intérieur des communautés, en fonction, le plus souvent, d'un passé
récent, d'où la dimension politique est loin d'être absente”.

37Cette “dimension politique” élargit l'horizon des luttes locales,


pour les relier aux enjeux nationaux.

CONCLUSION
 47 AN, FlbII (Saône-et-Loire, 27) Pétition du 9 pluviôse an 8
(Janvier 1800) : 25 signataires.

38La “dimension politique” doit également être envisagée dans la


longue durée : Brumaire réinstalla les modérés aux leviers de
commandes. Tandis que Jean-Philippe Saclier redevenait maire de
Toulon, Félix Finance était écarté car “ un escroc révolutionnaire
ne convient point au régime de la Constitution de l'an huit ”47.
Jean-Baptiste Maynaud allait devenir un important dignitaire
impérial. A Buxy, les Dariots ont constitué une dynastie
républicaine, par-delà les épisodes des Cent-Jours et de la
Restauration, jusqu'à la Révolution de 1848, où Charles Dariot, le
fils de Dominique, fut une éminente personnalité du parti
démocrate-socialiste.
 48 L'avancée de nos recherches doit beaucoup aux réflexions
collectives, et aux confrontations de rés (...)

39L'expérience des luttes politiques de la période Directoriale fut


un jalon essentiel de ce long parcours pour l'affirmation du
système représentatif. Luttes où se manifeste profondément la
dialectique du local et des circonstances extérieures, de la
personnalité individuelle et du milieu social au sein duquel
interviennent les acteurs politiques. Il est bien évident que nous
ne pouvons, pour l'instant présenter qu'une Seules, des
prosopographies d'administrateurs et de militants, la
multiplication de monographies locales pourront permettre
d'avancer48.
NOTES
1 Les cartes générales de la France Directoriale reflètent ces
incertitudes ; Lynn HUNT (“The political geography of revolutionnary
France”, in “Journal of interdisciplinary history”, p. 543,) place la Saône-
et-Loire parmi les départements “à droite”, de 1795 à 1798. Jean-
René SURATTEAU (“Les élections de l'an VI et le coup d'état du 22
Floréal”, Publications de l'Université de Dijon, 1971 ; p. 300) la classe
en l'an VI parmi les départements “à forte majorité gouvernementale”.
Dans la carte générale que nous avons présentée dans notre thèse,
pour les élections de l'an VII (Bernard GAINOT : “Le mouvement néo-
jacobin à la fin du Directoire-Structures et pratiques ”, Université de
Paris I ; Janvier 1993), la Saône-et-Loire est étiquetée comme néo-
jacobine. Sur les critères retenus pour dresser une carte globale, sur les
sources utilisées, etc…, voir Michel VOVELLE ; “La découverte de la
politique - Géo-politique de la révolution française ” (Éditions La
Découverte, 1992).

2 Bernard GAINOT, “le département de Saône-et-Loire à la fin du


Directoire”, in  Actes du 113   Congrès national des sociétés
E

savantes, Strasbourg, 1988 (Publications du C.T.H.S., 1991).

3 Bernard GAINOT, “Les adresses de félicitations parvenues au Corps


législatif à l'occasion des journées des 29-30 Prairial an VII”, in
“Annales Historiques de la Revolution Française ” n° 273 (Septembre
1988).

4 A.N., F1 cIII (Esprit public et élections) Saône-et-Loire (8).


(Correspondance générale).

5 Pour les chiffres de population, nous prenons comme référence le


recensement de l'an VIII, car il est le plus proche chronologiquement
des études que nous avons menées jusqu'alors sur la fin du Directoire.
Ces chiffres se trouvent dans AN, F 20 (379).

6 AN F1 bII (Saône-et-Loire, 1 ; affaires communales générales)


Opinion de Nardon, président de l'administration départementale élue
en Germinal an V ; les “citoyens tranquilles” ont abandonné leur
résidence urbaine pour “trouver la sûreté dans les campagnes
voisines”, etc… (Floréal an V-Mai 1797).

7 Voir notamment les compte-rendus du commissaire central


Nicolas CARTERON, AN, F1 CIII Saône-et-Loire (8).
8 Bernard GAINOT, thèse, op. cité : II  partie, chapitre III ; les “réseaux
 e

néo-jacobins”, p. 495-558.

9 Les adresses permettant d'identifier les groupes sont dans AN, C


685, C 686, AFIII 257.

10 Atlas Historiques de la Révolution Française,  fascicule 6 (“Les


sociétés politiques”), sous la direction de Jean BOUTIER et
Philippe BOUTRY, (Éditions de l'E.H.E.S.S., 1992).

11 AD Saône-et-Loire ; registre de délibérations municipales de la


municipalité de canton de Toulon-sur-Arroux, 3L3.

12 id. registre de délibérations de la municipalité de canton de Paray.

13 Buxy : 60 signataires (3,75 %)


Issy : 33 signataires (1,94 %)
Paray : 41 signataires (1,46 %)
Toulon : 30 signataires (1,87 %)
Givry : 115 signataires (4,42 %)
Joncy : 34 signataires (3,4 %)
Perrecy : 123 signataires (8,78 %)
En gras, les effectifs des cercles constitutionnels de l'an VII.

14 Atlas Historique de la Révolution française, op. cité, p. 39.

15 Voir plus loin ce qui concerne l'érudit local Paul MONTARLOT.

16 AN, AFIII 258.

17 Bernard GAINOT, “La scène Lyonnaise et les coulisses du Comité de


Salut Public”, in “Cahiers de Rhône 89” n° 8 (1991), p. 50-60.

18 AD, 3L3 registre des délibérations de la municipalité du canton de


Givry ; liste des candidats recommandés par l'administration
municipale pour les futures élections. 26 Pluviôse an VI (Février 1798).

19 Concertation où la presse démocratique a dû aussi tenir sa place.


L'administration municipale de Toulon-sur-Arroux était abonnée au
“journal des francs”, de GUESDON et MARQUÉZY, puis dès sa reparution,
au “Journal des Hommes libres”, de René VATAR. Lorsque la presse
démocratique n'était pas régulièrement disponible, comme en frimaire
an VII (décembre 1798), les administrateurs transfèrent leur
abonnement sur “Le Publiciste”, nettement plus conservateur : la
nécessité d'une information générale était devenue un élément de la
gestion municipale (AD, 3L3).

20 AN, C 686, et C 582 pour l'adresse de Toulon.

21 id., et C 685 pour Buxy.

22 Christine PEYRARD, “Combats Parisiens pour la démocratie de


journalistes de l'Ouest”, in “Paris et la Révolution “ (Publications de la
Sorbonne, 1989). Et du même auteur ; “La revendication du droit à
l'association”, in “Les droits de l'homme et la conquête des libertés”
(Grenoble-Vizille, 1986). Voir également notre thèse pour l'exposé du
programme néo-jacobin de l'an VII (IIP partie, chapitre 3).

23 AN, F1 bIi (Saône-et-Loire, 27) ; notamment la lettre de Félix


Finance, du 22 brumaire an IV (Novembre 1795).

24 id. : Pétition du 9 Pluviôse an VIII (Janvier 1800).

25 id., Rapport du commissaire Chamborre du 1  thermidor an VI


er

(Juillet 1798).

26 id., lettre de Félix FINANCE.

27 AD, registres de délibérations de l'administration municipale du


canton de Toulon, 3L3 : 16 thermidor an VII (Août 1799).

28 REBOUILLAT, “Histoire de Buxy” (1911).


AN, F1 bII (Saône-et-Loire, 12).

29 AN, C 685 ; adresse de la société politique de Buxy, 23 thermidor


an VII (Août 1799).
30 Paul CHAUSSARD, “Images du passé Digoinais” (Mâcon, 1986).

31 Paul CHAUSSARD, “Les tribulations de Jean-Baptiste François


Maynaud de Bizefranc à partir de 1789” in “Échos du passé”, n° 61
(1988, p. 3-6).

32 Bernard GAINOT, “Le général Laveaux, gouverneur de Saint-


Dominique, député néo-jacobin”, in “Annales Historiques de la
révolution Française”, (n° 278, 1989, p. 433-454).

33 AD, 3L3 ; registre de délibérations de la municipalité de canton de


Digoin.

34 5 brumaire an VI (Octobre 1797) ; l'administration centrale suspend


l'administration municipale de Digoin. Une nouvelle administration se
met en place, sous la surveillance du commissaire Veillerot.

35 Voir notamment, de Paul MONTARLOT, “Les députés de Saône-et-


Loire aux assemblées de la Révolution  ; 1789-1799” (Autun, 1905), et
“État du département de Saône-et-Loire à la veille du 18 brumaire ”
(“mémoires de la Société Eduenne”, 1912).

36 En quatre volumes, Autun, 1903.

37 L. SCIOUT, “Le Directoire” ; en quatre volumes (Paris, 1895-1897).

38 C 686 ; adresse des administrateurs municipaux du canton de


Mont-Saint-Vincent, 23 messidor an VII (11 juillet 1799).

39 AD, 3L3 ; registre de délibérations de l'Α.Μ. du canton de Toulon-


sur-Arroux, 26 fructidor an IV.

40 AD Saône-et-Loire, 1L8 Pétition de l'assemblée scissionnaire du


canton de Montcenis, 2 germinal an VII.

41 id., 3L3.

42 AN, F1 cIII (Saône-et-Loire, 8).


43 AN, FlbI 119-120-121 : nominations et destitutions de
fonctionnaires pour l'an VII.

44 P. REBQUILLAT, “Histoire de Buxy”, op. cité.

45 Henriette DUSSOURD, “Toulon-sur-Arroux, seigneurie de l'abbaye de


Cluny” (Moulins, 1964). Pour l'auteur, il va de soi que le “grand homme”
du canton, c'est Saclier, modèle du notable “éclairé”).

46 Georges FOURNIER, “Démocratie et vie municipale en Languedoc”,


thèse pour la doctorat d'État (Toulouse, 1991) microfiches.

47 AN, FlbII (Saône-et-Loire, 27) Pétition du 9 pluviôse an 8 (Janvier


1800) : 25 signataires.

48 L'avancée de nos recherches doit beaucoup aux réflexions


collectives, et aux confrontations de résultats, menées dans le cadre de
l'atelier “Élections révolutionnaires”, rattaché à l'Institut d'Histoire de la
Révolution.

AUTEUR
Bernard Gainot
Du même auteur
 La plume et le sabre, Éditions de la Sorbonne, 2002

 La construction du militaire, Volume 3, Éditions de la Sorbonne, 2020

 La construction du militaire, Volume 1, Éditions de la Sorbonne, 2013


Pouvoir local ou “intérêt
local” ?
Jocelyne George

p. 463-470

TEXTE NOTES AUTEUR

TEXTE INTÉGRAL
1En 1837, une loi définissant pour la première fois les attributions
des municipalités, les limite à “l'intérêt local”, leur refusant toute
prétention politique. “Le conseil municipal peut exprimer son vœu
sur tous les objets d'intérêt local. Il ne peut faire ni publier
aucune protestation, proclamation ou adresse ”, stipule l'article 24
du texte législatif. Depuis 1789, le fait et le droit s'entrechoquent
pour en arriver à cette exclusion.
 1 Paul BASTID, Sieyès et sa pensée, Genève, Slatkine, 1939, reprints
1978, p. 90.

2A la veille de la révolution, les libéraux persuadés que seuls les


propriétaires aisés dirigeraient, sont partisans d'un pouvoir
décentralisé. Le mouvement populaire de l'été 1789 vient troubler
cette vision des choses. Pour l'apaiser, les constituants concèdent
en novembre une municipalité élue par communauté, soit 44 000.
Sieyès qui avait songé au nombre parfait de 720 circonscriptions
est farouchement opposé à cette dispersion du pouvoir mais
reconnaît qu'elle existe non “par
l'effet d'un système
philosophique mais comme une suite inévitable de l'insurrection
générale”1. L'idéal d'un État en harmonie avec la société réduite à
une de ses couches se révèle fallacieux. Sous l'Empire, l'État
domine toute la société. Une hiérarchie administrative double la
hiérarchie sociale. L'empereur délègue des pouvoirs au préfet qui
les délègue au maire tout en le contrôlant. La Restauration ne
change rien à cet ordre. Les libéraux, dans l'opposition,
continuent à défendre le principe de l'élection de la municipalité,
mais la poussée républicaine, après 1830, les amène à un
compromis en mars 1831. Après les émeutes républicaines de
1834 et après le procès de 1835, on revient à la loi sur
l'administration municipale déjà abordée en 1833 puis mise de
côté. C'est alors que l'intérêt local est clairement opposé à l'intérêt
général réservé, dans une certaine mesure, aux conseillers
généraux mais surtout aux députés. La commune a une
représentation mais elle n'a pas de pouvoir. Cette contradiction
perdurera au-delà de la fameuse loi de 1884.
 2 Jocelyne GEORGE,  Les maires du département du Var de 1800 à
1940. Thèse d'État, Paris I, 1987.

3A travers l'étude des maires du département du Var de 1789 à


1855, on comprend que les lois municipales correspondent à des
situations sociales et politiques qu'il faut conjurer 2. Région de
grandes communes, de villages urbanisés à la population
composite, pays de fortes traditions municipales et de sociabilité
développée, le Var peut être un bon observatoire politique.

1789-1799 : UNE ILLUSION


LIBÉRA LE : L'HARMONIE
ENTRE LA SOCIÉTÉ ET L'ÉTAT
4Les hommes, élus en 1790 à la tête des départements et des
districts, ont la même appartenance sociale que les constituants
et l'article 12 du décret du 14 décembre 1789 sur la constitution
des municipalités stipule que les conditions d'éligibilité, à ce
niveau, seront les mêmes que pour les élus des départements et
des districts. Originaire de Fréjus, Sieyès a délaissé depuis
longtemps son bourg natal, mais l'un de ses frères est député du
Tiers et sera maire de 1796 à 1798, tandis qu'un autre sera le
premier maire élu à Fréjus en 1790. Les maires, élus dans le Var
en 1790, sont le plus souvent pris dans les anciennes familles
consulaires.
 3 Jacques GODECHOT, Préface au numéro spécial des Annales du Midi sur
les municipalités méridionales (...)

5Ces fonctions, à tous les niveaux, sont gratuites et seule une


partie des citoyens vote. On a pu dire que Sieyès s'était inspiré du
système discriminatoire des communautés provençales pour
distinguer citoyens actifs et passifs 3. L'article 49 de ce même
décret précise que le corps municipal, dans lequel le maire n'est
alors qu'une sorte de président, a deux types de fonctions, les
unes propres à la gestion communale les autres “ propres à
l'administration générale de l'État, déléguées par celle-ci aux
municipalités”. De la même façon, l'article 9 de la Constitution de
1791 déclare qu'“il pourra être délégué aux officiers municipaux
quelques fonctions relatives à l'intérêt général de l'État ”. Ils ont en
particulier la responsabilité de répartir et de collecter les impôts.
Avec le décret des 14-16 frimaire an II (4-6 décembre 1793), les
conventionnels montagnards veulent contourner les notables des
départements et traiter avec les districts après épuration. Un
agent national nommé par le gouvernement les contrôle. Cette
présence gouvernementale ne disparaîtra jamais plus. Le préfet la
continuera.
6L'idée d'un pouvoir local – nous nous attachons ici surtout au
pouvoir municipal – relève d'une conception bourgeoise libérale
de la politique. Ainsi n'est-elle pas présente dans la constitution
de 1793 qui affirme que la souveraineté appartient au peuple
français réuni dans les assemblées de canton et que, par
conséquent, les administrateurs et les officiers municipaux n'ont
aucun caractère de représentation politique. La démocratie directe
rend inutile la représentation et la délégation partielle du pouvoir
à l'échelle communale.

1800-1830 : L'ÉTAT SEUL


7Nous passons sur la municipalité cantonale de l'an III significative
du désir d'en finir avec la représentativité des communes rurales.
 4 Arrondissement de Grasse non compris.

8Bonaparte accapare la souveraineté et la délègue à une


hiérarchie de fonctionnaires nommés, préfets, sous-préfets,
maires. La représentation subsiste mais très anémiée. En 1801,
lors des dernières élections générales, environ cinq mille notables
communaux sont élus dans le Var4 qui constitueront le corps
électoral du département sous l'Empire. Tout a été conduit pour
éliminer les républicains. L'année suivante, ils élisent les
conseillers municipaux dans les communes de moins de 5 000
habitants et, dans celles-ci, proposent parmi les cent plus
imposés des candidats au choix du maire et des adjoints par le
gouvernement. Un arrêté du 2 pluviose an IX (22 janvier 1801)
reprend pour le maire la formule utilisée pour le préfet dans la loi
du 28 pluviose an VIII : “Le maire sera chargé seul de
l'administratiion…”.
9Le Premier consul pense d'abord, comme ses prédécesseurs, à
regrouper les communes dans trois arrondissements par
département, puis il laisse subsister 38 000 municipalités. 38 000
maires terrorisés par le préfet, terrorisant à leur tour les citoyens
ont dû lui paraître, à l'usage, plus efficaces. Dès novembre 1799,
il enlève aux municipalités la répartition de l'impôt. En juillet
1802, il établit les règles strictes du budget municipal
entièrement contrôlé par le préfet. Les maires choisis par celui-ci
doivent avoir des capacités administratives. Ce sont le plus
souvent des notaires ou de petits propriétaires instruits,
acquéreurs de biens nationaux. Les effets pervers de ce système
centralisé se font sentir assez vite. En 1806, un préfet royaliste
est nommé à Draguignan qui nomme des fournées de maires de
son opinion. La première Restauration est accueillie calmement
dans le Var.
10Le régime de Louis XVIII et de Charles X s'accommode bien du
système napoléonien et rejette même le simulacre de l'élection
puisque les conseillers municipaux sont désignés. A la préfecture,
au bureau des communes, règne un émigré qui désigne maires et
adjoints selon les recommandations de ses amis. Ce sont souvent
des ménagers obéissants qui laissent le notable propriétaire
accaparer les communaux et détourner les rivières. L'exaspération
de l'opinion est aussi forte en 1827 qu'elle le fut en 1814 et
qu'elle le sera en 1846.

1830-1848 : LE COMPROMIS
LIBÉRAL : UNE
REPRÉSENTATION SANS
POUVOIR
 5 Ch.-H. POUTHAS, Guizot pendant la Restauration, Paris, Plon Nourrit.
1923.

 6 Jean-Marie DUVERGIER DE HAURANNE,  Réflexions sur l'organisation


municipale, les conseils généraux (...)

 7 Jean-Marie DUVERGIER DE HAURANNE,  op. cit., p. 33.

 8 Prosper BRUGIERE DE BARANTE,  op. cit., p. 11.

11François Guizot, chef de bureau de l'abbé de Montesquiou,


ministre de l'Intérieur de la première Restauration, fut à l'origine
d'un rapport sur l'État de la France en 1814, concluant à la
nécessité de redonner vie aux communes pour relancer l'activité
de l'ensemble5. Le 6 janvier 1819, le duc Decazes étant arrivé au
pouvoir, il devient directeur de l'administration communale et
départementale. La réforme municipale préoccupe les libéraux.
Des travaux sont publiés entre 1818 et 1821 qui pèsent
avantages et inconvénients de l'élection du maire 6. C'est alors que
prend naissance l'idée d'une instance locale représentative mais
sans pouvoir politique. En 1818, l'un de ces spécialistes constate :
“Si les fonctions des officiers municipaux étaient renfermées dans
le cercle des intérêts locaux des communes, il semble qu'il ne
serait pas convenable de retirer aux communes le droit d'élection
qui alors n'aurait aucun danger”7. Un autre précise en 1821 : “Il
s'agit donc de faire en sorte que les citoyens puissent exprimer
leur opinion sur ce qui est resté dans le domaine des intérêts
locaux. Et pour cela, les seuls moyens admissibles sont les
mêmes que pour les intérêts généraux, c'est-à-dire l'élection
libre et la délibération indépendante”8. Prosper de Barante qui
émet cet avis pense que l'influence des notables leur assurera au
niveau cantonal la représentation qu'il conçoit, dans l'union avec
les royalistes fidèles aux Bourbons. Ce point de vue est diffusé
puisque, dès 1818, un commissaire de police de Toulon le
mentionne dans un rapport sur l'opinion. En août 1822, la
Charbonnerie prend position pour l'élection du maire. En 1828,
des pétitionnaires du bourg du Beausset, en colère contre leur
maire, jugent que “le temps n'est pas bin où les habitants
pourront choisir les officiers municipaux chargés de la défense de
leurs intérêts communaux”.
 9 Cité par Maurice BOURJOL,  La réforme municipale, Berger-Levrault,
1975, p. 64.

 10 Cité par Maurice MOISSONNIER, La France ouvrière, Éditions sociales,


1993, p. 93.
12En février 1829, le ministre Martignac présente un projet de
réforme qui sera repoussé mais dont les attendus sont explicites :
“N'êtes-vous pas occupés de cette foule d'hommes instruits,
laborieux, actif (…) que le sentiment de leur capacité, l'exemple
de tant d'élévations tout aussi imprévues que le serait la leur,
poussent vers les affaires publiques par tant de chemins
différents  ? Quelle part voulez-vous leur donner dans la direction
des grands travaux de l'État  ? Ouvrez-leur, près d'eux, une
carrière nouvelle. Leur commune, leur département ont aussi des
intérêts à défendre (…) et tracez autour d'eux un cercle honorable
au milieu duquel il y ait quelque profit et quelque gloire à rester ”9.
Ceux-là d'ailleurs ne sont pas dupes. “ Depuis longtemps, nous
autres, boutiquiers, avocats, paysans, voulions nous occuper de
ce qu'on appelle la politique (…) et tous ceux qui veulent
l'absolutisme nous renvoyaient fort impoliment à nos affaires ”, lit-
on dans Le Contribuable de Lyon” en mars 183010.
 11 Jean VIDALENC,  Lettres de Joseph Thomas à Thiers. 1831-1836,
Publications des Annales de la facult (...)

13Après la révolution de 1830, le gouvernement hésite jusqu'en


mars 1831 pour édicter une loi municipale. C'est que le danger
républicain apparaît bien réel. Pour le préfet des Bouches-du-
Rhône, Joseph Thomas, ami de Thiers, “il n'y a pas de villages où
il n'y ait de républicains à guillotine et à partage des biens”11.
 12 Cité par Maurice BOURJEL,  op. cit., p. 63.

 13 Louis Blanc,  Histoire de dix ans, Germer Baillère, 1877, 5 volurnes,


T.2, p. 262.

14Mais Thiers, qui sera toujours attentif à la question municipale,


se lance. Des élections municipales selon un suffrage censitaire
bas se déroulent en octobre 1831. Le gouvernement choisit les
maires parmi les élus. Ce n'est qu'en 1837 que la loi sur
l'administration municipale qui porte bien son nom sera
promulguée. C'est la première. Alexandre Vivien, son rapporteur,
encore un ami de Thiers, explique : “L'administration communale
(…) doit être réglée sans préoccupation politique en considérant
exclusivement la nature des intérêts qu'elle embrasse et des
besoins qu'elle doit satisfaire (…) en considérant les attributions
politiques du pouvoir central comme placés en dehors de
l'administration communale”12. Le “pouvoir local” est né et, avec
lui, la théorie de son apolitisme obligé. Louis Blanc analyse ces
deux lois de 1831 et 1837 comme “l'anéantissement de la
commune”13.
15Le grand nombre des communes qui paraissait jusque là un
handicap devient un avantage. Dans chacune, le maire, recruté
dans des milieux modestes, se transforme en agent de régulation
sociale. Très occupé par l'entretien de la garde nationale, de
l'école et des routes que des lois nouvelles lui imposent, il est, de
fait, un auxiliaire du gouvernement.

1848-1855 : LE RÊVE BRISÉ


DE L'AUTONOMIE
MUNICIPALE
16Après la révolution de février 1848, il faut attendre juillet pour
qu'un décret décide du renouvellement des conseils municipaux,
des conseils d'arrondissements et de département. La république
devra statuer plus tard par une loi organique. Comme en 1789 et
en 1831, il faut répondre à une aspiration démocratique locale
sous peine de troubles. En 1848, grâce à la proclamation du
suffrage universel, les électeurs politiques et les électeurs
municipaux sont les mêmes et le conseil municipal choisit le
maire et les adjoints, sauf dans les chefs-lieux d'arrondissement
et de département, ainsi que dans les villes de plus de 6 000
habitants. Bien que les élections se déroulent dans le reflux des
libertés qui suit les journées de juin, 43 maires républicains sont
élus dans le Var. Il est clair que pour la plupart d'entre eux,
républicains de la veille, le régime signifie la reconquête locale de
la politique. Pendant l'insurrection de 1851, l'un d'eux prendra un
arrêté “au nom du peuple souverain et du citoyen maire ”. En
décembre 1848, le Var vote Cavaignac. C'est un “mauvais
département”. La répression exercée par les préfets envoyés pour
le mater – parmi lesquels Georges Haussmann – pousse les
républicains au complot puis à l'insurrection. Un régime
d'exception s'installe.
17La loi municipale prévue en 1848 ne sera publiée que le 5 mai
1855. Elle accroît le rôle des conseils municipaux qui restent élus
au suffrage universel mais le maire, nommé par le gouvernement,
continue à administrer seul. La tutelle préfectorale est toujours
aussi lourde.
18Antérieure à l'État féodal et monarchique, la commune pose un
problème aux législateurs de l'État libéral. La reconnaissance de
sa représentation à l'époque révolutionnaire grâce à la
municipalité contribue à l'exceptionnalité démocratique française
mais gêne les notables. Après avoir essayé de diminuer le nombre
des municipalités et de transformer le maire en fonctionnaire,
ceux-ci trouvent le compromis instable de 1831 et 1837. Les
conseillers municipaux sont élus mais non le maire quoique choisi
parmi eux, les attributions des municipalités sont strictement
administratives et contrôlées. Le pouvoir politique est concentré
au sommet de l'État. La distinction entre l'intérêt local et l'intérêt
général n'allait pas de soi. Nous l'avons vue se former à travers
pratique et théorie de 1789 à 1855. La loi de 1884 n'y changera
pas grand chose. Si le conseil municipal élit le maire, la
municipalité reste sous tutelle.
NOTES
1 Paul BASTID,  Sieyès et sa pensée, Genève, Slatkine, 1939, reprints
1978, p. 90.

2 Jocelyne GEORGE,  Les maires du département du Var de 1800 à


1940. Thèse d'État, Paris I, 1987.

3 Jacques GODECHOT, Préface au numéro spécial des  Annales du


Midi sur les municipalités méridionales, octobre-décembre 1972, p.
364.

4 Arrondissement de Grasse non compris.

5 Ch.-H. POUTHAS,  Guizot pendant la Restauration, Paris, Plon Nourrit.


1923.

6 Jean-Marie DUVERGIER DE HAURANNE,  Réflexions sur l'organisation


municipale, les conseils généraux et les conseils
d'arrondissement, Paris, chez Delaunay, 1818.
– Prosper BRUGIÈRE DE BARANTE,  Des communes et de
l'aristocratie, Ladvocat, 1821.
– Pierre HENRION DE PANSEY,  Du pouvoir municipal et de la police
intérieure des communes, Paris, sans nom d'éditeur, 1821.

7 Jean-Marie DUVERGIER DE HAURANNE,  op. cit., p. 33.

8 Prosper BRUGIERE DE BARANTE,  op. cit., p. 11.

9 Cité par Maurice BOURJOL,  La réforme municipale, Berger-Levrault,


1975, p. 64.

10 Cité par Maurice MOISSONNIER,  La France ouvrière, Éditions sociales,


1993, p. 93.

11 Jean VIDALENC,  Lettres de Joseph Thomas à Thiers. 1831-1836,


Publications des Annales de la faculté des lettres d'Aix-en-Provence,
Gap, Ophrys, 1953, p. 53. Lettre du 26-1-1834.
12 Cité par Maurice BOURJEL,  op. cit., p. 63.

13 Louis Blanc,  Histoire de dix ans, Germer Baillère, 1877, 5 volurnes,


T.2, p. 262.

AUTEUR
Jocelyne George
Du même auteur

 Paris province : un mouvement du capital in Province-Paris. Topographie littéraire


du  XIX   siècle, Presses universitaires de Rouen et du Havre, 2000
e

 Élément de conclusion II in Pouvoir local et Révolution, 1780-1850 , Presses universitaires


de Rennes, 1999
© Presses universitaires de Rennes, 1999
Conditions d’utilisation : http://www.openedition.org/6540
Cette publication numérique est issue d’un traitement automatique par reconnaissance optique de
caractères.
L'église, l'école et la mairie :
les enjeux du pouvoir local
dans le pays de Caux des
années 1840
Pierre Ardaillou
p. 471-491

TEXTE NOTES AUTEURILLUSTRATIONS
TEXTE INTÉGRAL
 1 Victor HUGO, Choses vues, 30juillet 1848, Édition Gallimard-Folio,
1972, p. 351.

 2 Raymond HUARD, Le suffrage universel en France, 1848-


1946, Aubier, 1991, p. 30-38.

 3 André-Jean TUDESQ, “Institutions locales et histoire sociale : la loi


municipale de 1831 et ses pr (...)

 4 Sur la théorie du citoyen capacitaire, Pierre ROSANVALLON, Le


moment Guizot, Gallimard, 1985, p. 9 (...)

1Fin juillet 1848, la France connaît une innovation majeure : pour


la première fois, plus de neuf millions d'électeurs sont appelés à
choisir leurs conseillers municipaux, qui dans le courant du mois
d'août éliront à leur tour les maires et adjoints. L'événement a
pourtant laissé peu de trace chez les contemporains. A lire les
mémoires de l'époque, le fait marquant de la fin du mois de juillet
est bien plus le discours de Proudhon à l'Assemblée, “écouté avec
anxiété”1, que l'adoption du suffrage universel pour le choix des
édiles locaux. La presse locale préfère, elle, rendre compte de la
réponse d'Adolphe Thiers, vigoureux plaidoyer pour la défense de
la propriété, qu'analyser les résultats du scrutin. Cette relative
indifférence peut s'expliquer de bien des manières. Depuis avril
1848, le suffrage universel n'est plus une nouveauté : la victoire
des républicains modérés et l'élection de nombreux “républicains
du lendemain”, anciens députés censitaires, ont montré qu'il ne
conduisait pas forcément à un ébranlement des élites politiques
traditionnelles2. Surtout, l'élection des conseillers municipaux
n'est pas chose nouvelle : la loi du 21 mars 1831 avait déjà
permis à trois millions de Français d'y participer 3. Contrairement
aux élections nationales, ouvertes à une petite minorité, les
élections locales devaient permettre l'apprentissage de la vie
politique, en élargissant le droit de vote aux ruraux les plus
imposés, mais aussi aux capacités locales 4.
 5 Pour les résultats de cette enquête en Seine-Inférieure, ADSM
(Archives Départementales de la Sein (...)

2Si l'opinion publique ne s'est pas passionnée pour ces élections


des 30 et 31 juillet 1848, elles n'ont par contre pas laissé
indifférentes les autorités préfectorales. Un double enjeu existait.
Ici et là, les commissaires du gouvernement, désignés après
février par Ledru-Rollin, avaient changé les administrations en
place, révoquant maires et adjoints et introduisant dans les
conseils de nouveaux membres, souvent issus des milieux
populaires. Les élections municipales permettaient de confirmer
ou d'infirmer ces choix. Une autre question resurgit deux ans plus
tard, quand fut préparée la loi du 31 mai 1850 restreignant le
suffrage universel : élargir le nombre d'électeurs conduisit-il à la
subversion, au renversement des élites traditionnelles ? Les
préfets furent chargés d'enquêter et de vérifier combien des
maires et adjoints de la Monarchie de Juillet avaient franchi
indemnes l'épreuve électorale5.
 6 Sur ce débat : “Les paysans et la politique 1750-1850”, Annales
de Bretagne et des Pays de l'Ouest (...)

 7 Eugen WEBER, Ma France, Paris, Fayard, 1991, p.184.


 8 Sur ces formes de domination, Jean-Pierre JESSENNE, Pouvoir au
village et Révolution. Artois 1760- (...)

3Ces questions nous voudrions les reposer. Loin d'être anodines,


elles participent à un débat que les contemporains avaient déjà
pressenti, celui de la politisation des ruraux au cours du
XIX  siècle et des formes qu'elle a pu revêtir6. Par politisation, les
e

historiens entendent, en général, l'apparition d'un intérêt pour les


affaires du pays tout entier. Ainsi Eugen Weber la définit comme
“la prise de conscience que les affaires de la Nation concernaient
les individus et la localité autant - et même plus - que celles de la
communauté locale”7. Une telle définition offre une grille de
lecture indéniable pour l'interprétation d'élections nationales ou
de soulèvements, comme ceux de décembre 1851. Elle laisse un
peu sur sa faim, en ce qui concerne des élections locales, qui ne
portent pas a priori sur des thèmes nationaux. En conclure à
l'absence de toute politisation de telles élections est discutable :
le pouvoir de l'époque fut le premier à s'inquiéter des résultats de
l'élection des conseillers municipaux, maires et adjoints, qui lui
semblait capable de favoriser la subversion. Pour prendre en
compte ces appréhensions, il nous semble préférable de revenir à
une définition plus large du processus de politisation : dans une
première phase, ne consiste-t-il pas, tout simplement, en
l'apparition d'un débat public dans les campagnes à propos de la
gestion locale des communautés et de la défense de leurs intérêts
face aux autres pouvoirs (château, cure ou État) ? Là où les
communautés rurales étaient dominées par quelques familles se
transmettant, sans débat, de père en fils les places au conseil
municipal et les fonctions de maires et adjoints 8, l'adoption du
suffrage universel a-t-elle permis la possibilité d'un choix entre
candidats représentant des attitudes différentes face au noble ou
grand propriétaire local, au curé ou aux représentants de l'État ?
 9 J. SION, Les paysans de la Normandie orientale, Paris, 1909
(nouv. édition Brionne, 1981). Sur la (...)

 10 André SIEGFRIED, Tableau politique de la France de


l'Ouest, Paris, 1913, p. 243-247.

4Pour mener à bien cette étude, nous avons choisi les communes
rurales de l'arrondissement du Havre, c'est à dire l'ouest du Pays
de Caux. Le nombre de communes y est importante : plus de 110.
Pays de grandes cultures, d'habitat éclaté en clos-masures isolés
par leur rideau d'arbres, à la structure sociale inégalitaire 9. le Pays
de Caux semble à première vue le lieu de tous les conservatismes.
On y chercherait en vain trace de cette “République des Jacques”,
apparue ici et là durant la Seconde République. André Siegfried
analysera plus tard avec brio, cette attitude d'acceptation des
régimes successifs, au nom de la primauté des intérêts
électoraux, et dressera un portrait du paysan cauchois indifférent
aux débats politiques et méfiant à l'égard de toutes les
idéologies10. L'occasion est toute trouvée de chercher à vérifier et
comprendre cette impression d'immobilisme à la lumière de
l'année 1848 et, plus particulièrement, de la vie des municipalités.
Celles-ci sont-elles restées spectatrices des événements
nationaux ou ont-elles connu aussi, à leur échelle, une
révolution ?

LES DÉBUTS DE LA
RÉPUBLIQUE AU VILLAGE
 11 Jean LEGOY, Le Peuple du Havre et son histoire. Du négoce à
l'industrie, 1800-1914. La vie politiq (...)

 12 DSM, 3 M 581.

 13 Rappelons que le Gouvernement provisoire avait décidé, le 25


février, le rétablissement du drapeau (...)
5Avant d'en venir aux résultats du scrutin de la fin juillet 1848,
quelques mots sur les changements intervenus de février à avril.
Connue dès le 25 février au Havre11 et à Fécamp, l'annonce de la
proclamation de la République n'atteignit que peu à peu les
villages cauchois. La reconnaissance du nouveau régime fut
encore plus lente. Alors que la municipalité du Havre avait
annoncé son ralliement à la République dès le 26, à la date du 4
mars, seules les villes, comme Fécamp et Montivilliers, avaient
emboîté le pas. Nommé commissaire de la République par Ledru-
Rollin, Frédéric Deschamps jugea bon à cette date de provoquer
cette reconnaissance par une circulaire aux maires 12. Ceux-ci
étaient invités à réunir au plus vite la population, en présence de
la garde nationale et des fonctionnaires locaux, afin de hisser le
nouveau drapeau aux couleurs nationales inversées (“ le bleu à la
hampe, le rouge au milieu et le blanc flottant ”)13. La fraternité,
désormais inscrite sur le fronton des mairies, devait trouver une
application immédiate : chaque conseil était invité à délibérer sur
la gratuité de l'instruction pour les plus pauvres, sur l'ouverture
de salles d'asile et la mise en place d'ateliers municipaux pour les
ouvriers sans travail.
 14 Délibération du 17 mars 1848 du conseil municipal de
Gonneville, ADSM 1 M 165.

 15 Délibération du 5 mars 1848 du conseil municipal de La Poterie,


ADSM 1 M 165.

 16 Adresse du conseil municipal de Sainte-Marie-au-Bosc, 10 mats


1848, ADSM 1 M 165.

 17 ADSM, 3 M 1171, Élections municipales, Norville, 1815-1934.

 18 ADSM, 3 U 2/1318, Tribunal correctionnel du Havre, Dossiers de


procédure, janvier-mars 1847.
6Les réponses des maires ont été conservées et donnent un
aperçu de la réaction des municipalités aux événements. Dans la
majorité des cas, on s'est contenté de réunir la garde nationale
pour hisser le drapeau et proclamer l'avènement du nouveau
régime. Les critiques contre la Monarchie de Juillet sont rares et
convenues : au mieux le maire a salué la disparition d'un “régime
de corruption”14, vague allusion aux scandales qui ont marqué les
dernières années du régime. La République est définie en peu de
mots comme le règne de la liberté, de l'égalité et de la fraternité.
Ce dernier principe n'a pas le même contenu que pour les
nouveaux administrateurs départementaux : les conseillers
municipaux réunis par le maire ont le plus souvent jugé
l'ouverture d'une salle d'asile impossible, vus les revenus de la
commune. Quant aux ouvriers sans travail, soit ils n'existent pas,
affirme-t-on, soit la charité publique suffit déjà à leur venir en
aide. Ainsi le conseil municipal de Houquetot, après avoir jugé
inutile la création d'un atelier de travail, en appelle au système
traditionnel d'assistance : “Il [le conseil municipal] délibère en
outre que les mendiants recevront des secours des habitants de la
commune comme par le passé et les mendiants invalides des
secours à domicile”. Quelques communes seulement s'engagent à
occuper à la réfection des chemins les habitants sans ressource.
La méfiance, vis à vis de cette institution quarante-huitarde
domine. Le nouveau régime est accepté à condition de ne rien
changer et d'être synonyme d'ordre. Ce souci transparaît dans
certaines réponses : à La Poterie, le maire s'empresse d'annoncer
à la population que “les temples restent ouverts et la religion
respectée”15 ; à Sainte-Marie-au-Bosc, il remercie la République
d'avoir écrasé “l'anarchie qui nous menaçait”16 ; à Norville, la
garde nationale réclame quatre-vingt (sic) fusils, compte tenu de
“notre position peu éloignée des manufactures ”17, c'est à dire de
la vallée du Commerce, avec les deux centres industriels de
Bolbec et Lillebonne, où le prix du pain créait depuis plus d'un an
une situation tendue. En février 1847, on avait frôlé l'émeute, à
Bolbec, lors de rassemblements hostiles au syndic des
boulangers18 Loin de l'unanimisme fraternel de Paris, les
campagnes cauchoises montrent dès mars leur crainte d'un
monde ouvrier, jugé prompt à la révolte. Seules quelques
communes font preuve d'un républicanisme enthousiaste : à
Saint-Sauveur-d'Emalleville, une cravate rouge est nouée au
dessous du coq national, saluant ainsi la venue aux affaires du
peuple. Un tel geste reste isolé dans un Pays de Caux, attentiste,
soucieux de juger sur pièces le régime imposé par la capitale.
7Cet immobilisme s'avéra vite inacceptable pour les nouveaux
dirigeants du département. Prévues initialement pour le 9 avril,
les élections à la Constituante faisaient dépendre l'avenir de la
Révolution du vote rural. Le choix du scrutin de liste et le vote au
chef lieu de canton ne suffisaient pas à éloigner la peur de
l'influence des notables locaux, et au premier rang des maires et
adjoints, sur des électeurs au faible niveau d'instruction. La
nécessité s'imposa de changer les administrations. Dans
l'arrondissement du Havre, ces modifications ne concernèrent
qu'une minorité de communes (28, soit 24,14 %). Vingt-huit
maires et quatorze adjoints provisoires furent nommés.
Parallèlement, une refonte ou un élargissement du conseil
municipal toucha quinze communes sur un total de cent seize,
soit 12,9 %.
 19 Bihebdomadaire, fondé par Paul VASSELIN en 1841, ce journal ne
disparut qu'en 1851, victi-me du co (...)

 20 Maurice AGULHON, “Madame Bovary : une lecture historique”,


in Études normandes, 1992, n° l, p. 7-1 (...)

 21 Gustave FLAUBERT, Madame Bovary, Éd. Le Livre de Poche,


Paris, 1972, p. 83.
 22 ADSM, 3 M 723, Élections municipales, Beaurepaire, 1815-1934.

8Le peu d'ampleur des changements est attribuable à deux


facteurs : Frédéric Deschamps eut du mal à trouver un
représentant au Havre – deux commissaires, Berthelot, puis
Goudchaux, se succédèrent entre fin février et avril, avec des
périodes d'intérim – ; surtout l'absence d'un véritable réseau de
correspondants républicains dans les campagnes rendit difficile le
choix de nouveaux édiles. Les archives ont gardé la trace des
interventions pour introduire ici et là des municipalités
républicaines. Une impression d'improvisation se dégage de la
lecture de la correspondance entre Deschamps et ses amis du
Havre ou de Fécamp. Parfois, faute d'une connaissance minimale
de la carte des communes, l'arrêté a confondu des communes au
nom proche ou s'est perdu dans un autre arrondissement.
Surtout, l'administration préfectorale semble donner raison à la
première plainte reçue contre tel ou tel maire, le révoquant sans
enquête, quitte à se déjuger quand arrive une protestation des
républicains locaux, réclamant le retour d'un maire injustement
calomnié et franchement rallié à la République. Le brouillon des
arrêtés permet cependant de retrouver la source de nombreuses
décisions : l'indication dans la marge du nom de Paul Vasselin,
directeur-gérant du journal radical le  Progressif
cauchois19, montre l'existence autour des abonnés de ce titre d'un
réseau républicain. C'est là qu'on est allé chercher les nouveaux
maires et adjoints. L'étude socioprofessionnelle de ces derniers
éclaire sur les intentions qui ont prévalues. A côté des cultivateurs
et propriétaires, vivier traditionnel des maires, ont été nommés
quelques représentants des élites intellectuelles locales, trois
notaires et huissiers, trois médecins et pharmaciens et, même, un
instituteur. Dans un article invitant à une lecture historique
de  Madame Bovary20, Maurice Agulhon a attiré l'attention sur le
rôle de ces élites locales, personnifiées par Homais, qui
représenteraient “cette mince, mais nouvelle catégorie de
bourgeois “philosophes”,  qui depuis 1830, se lancent avec ardeur
dans les multiples voies qu'ouvre le libéralisme et constituent
ainsi le premier avatar du Militant du Progrès ”. Si Yonville-
l'Abbaye est localisé par Flaubert “aux confins de la Normandie,
de la Picardie et de l'Ile-de-France”21, c'est à dire à l'est du Pays
de Caux, et si le roman prend fin trop tôt pour connaître l'attitude
de Homais en 1848, ce personnage, libre-penseur et homme de
progrès, est le reflet de la perception, qu'un Rouennais avait des
balbutiements d'une vie politique dans les bourgs environnants,
sous la Monarchie de Juillet. Ce sont ces hommes, qu'ici et là, le
nouveau régime essaya de mettre à la tête des municipalités. Leur
choix se fit par le seul réseau républicain existant, celui des
abonnés de la presse républicaine. Ainsi, à Beaurepaire,
l'instituteur Lecanu. Dans une lettre à Deschamps, il se présente
comme républicain depuis plus de cinquante ans : “Républicain
sous l'Empire, républicain de 1830, abonné du journal le National,
depuis son origine, ayant toujours contribué pour ma part à
acquiter (sic) les amendes résultant des jugements prononcés
contre cet organe du républicanisme”22.
 23 Pour deux communes, nous n'avons pas retrouvé les listes
électorales de 1846. Pour les autres, on (...)

 24 ADSM, 3 M 1171, Élections municipales, Norville, 1815-1934.

9L'étude des nouveaux conseillers municipaux indique, elle, une


autre volonté, celle d'ouvrir l'assemblée communale à ceux que la
loi de 1831 maintenait en dehors des affaires publiques. En tout,
ce sont 114 nouveaux conseillers municipaux qui furent nommés.
Le souci de mieux respecter la représentation des diverses
couches de la société cauchoise est évidente. Seuls 55 % étaient
déjà électeurs en 184623. On est donc allé chercher parmi ceux
que la fortune tenait éloignés de la vie municipale. Un coup d'œil
sur les professions confirme cette impression : à côté d'un tiers
de propriétaires et cultivateurs, on trouve 32 % d'artisans et
commerçants, 4 % de cafetiers et aubergistes et 6 % de journaliers
et tisserands. Ce dernier chiffre peut sembler encore bien timide,
quand on sait qu'ils représentent partout la majorité de la
population des villages, mais c'est surtout le symbole qui compte.
Le nouveau pouvoir tient à introduire à la campagne cette union
des classes si représentative de l'esprit quarante-huitard. Les
contemporains ne s'y trompèrent point, tel ce cultivateur écrivant
pour faire part de sa stupeur de voir siéger au conseil municipal
de Norville des gens ne sachant “ni lire, ni écrire” 24. Les
personnes visées n'appartenaient évidemment pas à la liste
électorale de 1846.
10Au total, ces changements donnent une impression
d'inachèvement faute de temps : dès fin avril, Frédéric
Deschamps, vaincu aux élections à la Constituante et mis en
cause par la bourgeoisie rouennaise pour son attitude lors des
émeutes, qui éclatèrent à l'annonce des résultats, dut
démissionner et son remplaçant Hippolyte Dussard, républicain
modéré, gela toute modification des municipalités, s'en remettant
au suffrage universel pour fixer leur composition. Les 30 et 31
juillet, les électeurs purent se prononcer.

LES ÉLECTIONS DE JUILLET


 25 On appelle ainsi en cauchois le centre de la commune, où sont
localisées l'église, la mairie et l' (...)

11La participation fut loin d'être négligeable. Les procès-verbaux


omettent, en général, d'indiquer le nombre d'inscrits, ce qui rend
tout calcul d'un pourcentage de participation difficile, d'autant
que les listes électorales n'ont, le plus souvent, pas été
conservées. Plus intéressante est la comparaison avec les
élections de 1846. Nous avons effectué un sondage pour seize
communes : en moyenne, le nombre de votants augmente de
296 %, soit une multiplication par quatre. Selon les communes, le
pourcentage d'accroissement oscille entre 152 et 558 %. La
possibilité offerte à de nouvelles catégories sociales de devenir
électeurs a été saisie : partout, c'est un corps électoral très élargi
qui a participé au vote. Pour connaître l'atmosphère de cette
journée, on peut jeter un regard sur les procès-verbaux, où on
s'est efforcé de retranscrire minutieusement le déroulement des
opérations. Ouverts durant trois heures, les bureaux de vote ont
vu défiler la population masculine. En général, on a procédé à un
appel nominatif des électeurs, puis les retardataires ont été
attendus. La tenue d'un second tour, ici et là, prouve l'existence
d'une véritable compétition entre candidats. Ce second scrutin a
eu lieu soit l'après-midi, soit le lendemain. La participation est en
très nette baisse, preuve de lassitude ou d'incompréhension
devant la signification du ballottage. L'éclatement de l'habitat a
sans doute sa part de responsabilité : rentré chez lui, l'électeur n'a
pu qu'hésiter à retourner au carreau25, pour un deuxième vote.
 26 Les résultats des élections municipales sont conservés pour tout
le XIX  siècle, commune par commu (...)
e

 27 Élections municipales, Norville, 1815-1934, ADSM, 3 M 1171.

 28 Le recensement de 1851 décompte 21 propriétaires cultivateurs


pour 70 fermiers. Cf. ADSM, 6 M 89, (...)

12Le premier enjeu était de savoir si la disparition du système


censitaire serait visible dans la composition des conseils. Là aussi,
nous avons procédé par échantillon, retenant les trente
communes, qui avaient été touchées par les remaniements mis en
place par Deschamps, remaniements souvent demandés par
quelques républicains locaux. Atteintes en mars et avril par la
vague révolutionnaire, ces communes pouvaient sembler a priori
favorables à des changements à l'occasion des élections
municipales. L'absence de liste électorale pour 1846 pour trois
d'entre elles en a réduit le nombre à vingt-sept 26. Les 30 et 31
juillet, c'est un total de 332 conseillers qui y ont été élus. Parmi
eux, 52, soit 15,66 %, n'étaient pas électeurs en 1846. Une timide
ouverture des conseils a eu lieu. Seule une commune, Norville, a
plus de la moitié (60 %) de ces élus non électeurs en 1846. A
l'opposé, sept, soit presque un quart, n'ont aucun élu dans ce cas.
Arrêtons nous sur le cas extrême de Norville : le procès-verbal de
l'élection y mentionne, chose rare, la profession de ces nouveaux
venus. Quatre cultivateurs côtoient un cafetier et un gardien
d'herbages27. L'existence d'une liste électorale dressée le 24 mai
1850, soit juste avant la loi remettant en cause le suffrage
universel, permet de comparer avec les professions des électeurs.
Les journaliers, au nombre de 73 dans la commune, soit 38 %,
restent absents du conseil municipal. Les cultivateurs, au nombre
de 59, soit 31 %, avec une minorité de propriétaires et une
majorité de fermiers28, sont surreprésentés : sept conseillers sur
douze. Dans cette commune, l'avènement du suffrage universel
n'a fait que permettre à quelques fermiers, parmi les plus
modestes, d'accéder à des fonctions publiques. A travers cet
exemple, l'ouverture des conseils, déjà limitée en pourcentage,
semble l'être encore plus quand on se penche sur les professions :
le monde des journaliers et tisserands reste exclu.
13Cette impression d'immobilisme se renforce, si on regarde le
pourcentage de conseillers élus en juillet 1848, qui appartenaient
au conseil municipal avant février. En reprenant les vingt-sept
mêmes communes, on arrive à un total de 214 sur 364, soit
58,79 % de conseillers réélus. Les pourcentages oscillent de 18 à
100 %. Nulle part le suffrage universel n'a entraîné la mise à l'écart
totale des anciens bénéficiaires du système censitaire. Dans deux
communes sur trois, la moitié ou plus des conseillers élus
siégeaient déjà avant la Révolution. Le vote s'est donc porté sur
des hommes, disposant d'un minimum de revenus et ayant fait
leurs preuves sous la Monarchie de Juillet. Si on arrive à un tel
résultat dans la minorité de communes touchées par la Révolution
de Février, on peut supposer que le même immobilisme a prévalu
ailleurs.

LES MAIRES ET ADJOINTS


D'AOÛT 1848
 29 ADSM, 3 M 581. Nous n'avons pas pris en compte les villes de
Fécamp, Bolbec, Lillebonne, Ingouvill (...)

 30 Jocelyne GEORGE, Les Maires dans le département du Var, 1800-


1940, Thèse dactyl. pour le doctorat (...)

14L'étude des maires et adjoints, élus courant août par les


conseils municipaux, confirme la faible importance des
changements. L'existence de registres assez complets 29 permet
de bien cerner ces nouveaux élus. Professionnellement, ils sont
représentatifs de l'élite des villages. Le cas des maires illustrés par
le graphique ci-dessous est parlant. Les cultivateurs dominent
largement avec les propriétaires. A eux deux, ils représentent
90,4 % des maires. Derrière l'appellation de cultivateurs, il faut
entendre celle de fermiers, propriétaires parfois d'une partie de
leur exploitation. Quant aux propriétaires, il s'agit essentiellement
de propriétaires cultivateurs et non de rentiers du sol. Les
journaliers, mais aussi les artisans et commerçants, sont exclus
de la fonction. Il en est de même, à l'autre extrémité, des
professions libérales et intellectuelles. L'instituteur, employé de la
commune, ne pouvait évidemment être choisi comme maire, mais
les médecins, pharmaciens ou hommes de loi ne font guère
recette. On est loin des villages varois, pour lesquels Jocelyne
George note l'élection d'une petite bourgeoisie intellectuelle et
marchande “assez sûre d'elle-même pour oser fournir des maires
opposés aux notables traditionnels”30. Les conseils municipaux,
majoritairement formés d'agriculteurs, choisissent prioritairement
l'un des leurs pour les diriger.

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15L'étude des professions des adjoints renforce cette impression.
Là aussi, les agriculteurs dominent. Seule différence notable : un
peu moins de propriétaires, pour un peu plus de cultivateurs. La
possession d'un peu de terres donne le prestige parfois
nécessaire pour être choisi plutôt comme maire que comme
adjoint.
 31 Maurice AGULHON, Louis GIRARD, Jean-Louis ROBERT, William SER
MAN et collaborateurs, Les Maires en (...)

 32 On ne trouve que les arrondissements de Saint-Denis et de


Brignoles, mais le taux de communes, où (...)

16La répartition par niveau de fortune, représentée ci-dessous,


confirme ce sentiment. Ne sont élus que ceux placés par leurs
revenus à la tête de la société villageoise. C'est particulièrement
net pour les maires, dont seule une toute petite minorité a des
revenus inférieurs à 1 000 francs, alors que plus de la moitié
dépasse les 2 000 francs de revenus annuels. Quand on jette un
coup d'œil sur la liste électorale de 1846, on retrouve nombre de
ces maires en tête de liste, juste après les propriétaires rentiers,
qui eux, le plus souvent, ne résident pas dans le village. La
comparaison avec d'autres arrondissements français indique un
niveau de revenus supérieur à la moyenne pour les maires du Pays
de Caux. Dans l'enquête réalisée pour treize arrondissements par
le Centre de recherches sur l'histoire du XIX  siècle de la
e

Sorbonne31, rares sont les arrondissements, en 1850, où moins


de 8 % des maires bénéficient d'un revenu inférieur à 1 000
francs32. En moyenne, c'est 24 % des maires, qui peuvent être
classés dans cet item. Si on reste dans le Bassin parisien, la
différence est nette avec les arrondissements du Mans ou de Blois,
où environ 30 % des maires doivent se contenter d'un revenu
inférieur à 1 000 francs. Par rapport, à ce qu'on connaît de la
réalité française, le maire cauchois semble bénéficier d'une
certaine aisance.
 33 M. Agulhon et alii, op. cit., p. 77.

 34 Circulaire d'Edmond de Lillers, publiée dans le Progressif


cauchois du 25 juillet 1846.

 35 Ainsi, pour le Morvan, Marcel Vigreux note lors des élections “la
rentrée en scène et même l'offen (...)

 36 ADSM, 3 M 1339, Élections municipales, Saint-Maurice-d'Etelan,


1815-1930.

17A l'opposé, les grandes fortunes restent peu nombreuses :


douze maires ont un revenu égal ou supérieur à 10 000 francs. Le
choix du maire se fait parmi les plus riches des paysans, mais
guère question d'aller chercher au-delà, chez les grands
propriétaires pourtant très présents dans le Pays de Caux. Si on
parcoure la liste des maires, seuls six noms nobles apparaissent,
ce qui donne un pourcentage de 5 % conforme à la moyenne
française33. Parmi ces châtelains, citons le marquis Edmond de
Lillers à Notre-Dame-de-Gravenchon, crédité de 150 000 francs
de revenus, Eugène Levaillant du Douët à Bernières, Alexandre de
Houdetot à Saint-Laurent-de-Brévedent ou le marquis Armand de
Montault à Nointot. Le plus souvent, c'est une noblesse qui s'était
ralliée à l'orléanisme. Candidat à la députation soutenu par
l'opposition en 1846, de Lillers s'était présenté comme ayant
pleinement adhéré à la Révolution de Juillet, reprochant même au
régime de ne pas avoir tenu toutes ses promesses 34. Quant à de
Houdetot, sa famille appartenait à l'entourage du comte d'Orléans
avant même 1830. On n'assiste pas, contrairement à d'autres
régions35 à une volonté de contrôle direct des mairies par des
notables fonciers, d'origine noble, soucieux, en cette période
révolutionnaire, de se mettre à la tête de leurs villageois. Ceci dit,
le contrôle peut être tout aussi efficace par personne interposée :
faire élire à la mairie son principal fermier permet d'y imposer ses
volontés. Les archives se font parfois l'écho de telles pratiques :
ainsi, à Saint-Maurice-d'Etelan, le maire, Jacques Bettencourt,
gros fermier, est accusé de n'être que le représentant des intérêts
de la marquise de Martainville, qui possède, à elle seule,
l'essentiel des terres du village36. Nous reviendrons plus loin sur
cette commune.
18A côté des nobles, quels mots sur les autres maires dépassant
les 10 000 francs de revenus. Leur fortune est avant tout
terrienne. Seul industriel à être maire, Auguste Desgénétais,
fabricant à Gruchet-la-Valasse, près de Bolbec, ne voit ses
revenus estimés qu'à 2 000 francs. Il fait pâle figure à côté d'un
Bréard, négociant retiré à Harfleur, crédité lui de 15 000 francs,
grâce à ses terres. Le parcours semble tout tracé : peut espérer
devenir maire, celui qui, fortune faite, l'a investie à la campagne et
s'y est retiré. Un tel parcours reste cependant rare. Encore une
fois, les paysans préfèrent élire un des leurs.

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19Quant aux adjoints, on retrouve l'écart avec les maires déjà noté
pour les professions : le pourcentage des revenus inférieurs à
1 000 francs est déjà nettement plus fort (27,5 %). Ici, ce sont plus
des trois quarts, dont le revenu est inférieur à 2 000 francs.
Chargé d'aider le maire, de le suppléer si besoin, l'adjoint n'a pas
besoin d'être placé par sa fortune à la tête de la communauté
villageoise.
 37 M. AGULHON et alii, op. cit., p.70.

20Dernier élément pour compléter ce tableau des maires et


adjoints, l'étude des âges. Homme mûr - un quart a entre
quarante et quarante-neuf ans et un tiers entre cinquante et
cinquante-neuf ans-, le maire n'est pas pour autant un vieillard.
Les conseillers ont choisi des hommes dans la force de l'âge :
53,23 ans en moyenne. On n'est pas très éloigné de la moyenne
calculée par l'enquête mentionnée plus haut, qui était de 49,6
ans, en 185037. La très grande majorité des maires élus en août
1848 étant encore en poste deux ans plus tard, c'est donc un
écart de quatre-cinq ans, par rapport à cette moyenne qu'on peut
constater. Plus riche qu'ailleurs, le maire cauchois serait aussi
légèrement plus âgé. L'explication est sans doute la longévité
dans la fonction. Peu touchés par les changements, les maires
atteignent un âge plus avancé.
21L'écart avec les adjoints est cette fois-ci faible. Une différence
apparaît seulement aux deux extrémités du graphique : moins
d'adjoints jeunes et plus d'adjoints d'un âge avancé que pour les
maires. Jeune, le maire s'appuiera sur un adjoint plus âgé, sans
doute plus au courant des affaires municipales.

L'ABSENCE DE
CHANGEMENTS
 38 Cf. note 10.
22Une fois ces maires décrits, revenons à la Question de départ :
l'adoption du suffrage universel a-t-elle fait émerger une nouvelle
génération d'édiles locaux ou a-t-on affaire aux mêmes que sous
la Monarchie bourgeoise ? Les chiffres sont sans appel : 76, soit
66,6 % des maires étaient déjà là avant février. La faiblesse du
renouvellement ne fait pas de doute. Ce sont les maires choisis
par le pouvoir en place avant la Révolution, que les conseillers se
sont empressés de conforter dans leur position. Pour les adjoints,
le changement est un peu plus important : 44 % sont nouveaux à
ce poste. On peut y voir le signe d'une plus grande indépendance
vis à vis des maires. Avant février, ils étaient nommés, en général,
avec l'accord ou selon le choix de ces derniers. Dorénavant, le
conseil peut imposer qui il veut au maire, d'où peut-être ce plus
fort taux de renouvellement. Pour les maires, le plus étonnant
dans cet immobilisme, est la reconduction, dans le même temps,
d'un fort pourcentage de ceux qui avaient été nommés après
février : sur vingt-huit nouveaux maires, treize ont été élus, soit
46 %. Il faudrait, de plus, tenir compte des deux maires
provisoires élus adjoints. C'est donc plus de la moitié des
nominations faites par Deschamps, qui ont trouvé grâce auprès
des électeurs. André Siegfried faisait de l'acceptation du pouvoir
en place un trait de la mentalité cauchoise 38, ce que semble
confirmer ce parti pris de voter pour les maires nommés par les
régimes successifs. Les élections de 1848 sont loin d'avoir permis
l'émergence d'hommes neufs : ils sont à peine un sur cinq.
 39 A. SIEGFRIED, op. cit., p. 241. Son père, Jules Siegfried, candidat
républicain, avait échoué face (...)

 40 Sur l'intérêt de ce type de source, qui permet de mieux


appréhender la réalité du suffrage univers (...)

23André Siegfried expliquait aussi l'immobilisme cauchois par les


structures foncières, le propriétaire, noble ou non, pesant sur le
vote de ses fermiers, qui, à leur tour, contrôlaient le vote de leurs
ouvriers : “Il suffira d'ordinaire que le fermier fasse savoir ou
laisse savoir à ses domestiques le sens de son vote  : il sera
passivement suivi, quelque soit le candidat, car jusqu'à présent la
classe ouvrière agricole n'a jamais eu d'attitude politique
collective et raisonnée  ; les pièces d'argent, la boisson, surtout
l'influence du maître et du curé ont toujours déterminé
son vote”39. Si ces propos s'appliquent à la Troisième République,
il est tentant de les prendre pour grille d'analyse dès l'apparition
du suffrage universel sous la Seconde. Les plaintes, déposées
devant le Conseil de Préfecture, pour l'annulation du scrutin 40,
permettent de saisir la réalité de ces réseaux d'influence.
 41 ADSM, 3 M 1339.

 42 ADSM, 3 PP 740 (1).

 43 ADSM, 6 M 89.

24Prenons le cas de Saint-Maurice-d'Etelan, près de Lillebonne. Le


jour même de l'élection municipale, un additif fut joint au procès
verbal, reprenant les plaintes déposées par plusieurs électeurs
auprès du maire nommé après février, Sagot. Les plaignants
dénonçaient l'influence lors du scrutin de l'ancien maire, Jacques
Bettencourt, dont nous avons déjà évoqué le rôle d'homme
d'affaires de la marquise de Martainville, principale propriétaire du
village : “le citoyen Bettencourt leur avait distribué des bultins
écris de sa main et d'un papier très remarquable et qu'ils étaient
forcés de les déposer au président”41. En tout, ce sont soixante-
dix bulletins, sur un total de cent trouvés dans l'urne, qui auraient
été écrits, soit par Jacques Bettencourt, soit par son fils. Ceci
aurait permis l'élection de huit de ses fermiers, plus un de ses
ouvriers. L'étude des matrices cadastrales confirme le poids dans
la commune des personnes citées plus haut : sur 1 080 hectares,
835 (77 %) sont la propriété de la marquise de Martainville et 29
de la famille Bettencourt. Le maire provisoire, nommé par
Deschamps, doit, lui, se contenter d'un hectare42. Quant au
recensement de 185143, il indique le faible nombre d'électeurs
bénéficiant d'un minimum d'indépendance : les onze propriétaires
cultivateurs pèsent peu face aux trente-trois fermiers et aux
soixante journaliers et domestiques de ferme. Cette commune
semble si conforme au modèle proposé par Siegfried, qu'on a
envie d'en faire l'exemple type d'un Pays de Caux, où le suffrage
universel serait resté une illusion, son application se heurtant à
une structure sociale, où la grande majorité des électeurs sont en
situation de dépendance.
 44 Réponse du sous-préfet du Havre à l'enquête parlementaire sur
les effets de l'élection des maires (...)

25Dernière explication de l'immobilisme, celle avancée par le


sous-préfet. Début 1850, alors que l'idée d'une remise en cause
du suffrage universel progressait dans l'opinion parlementaire, les
préfets furent chargés d'une enquête sur les effets de l'élection
par les conseillers municipaux des maires et adjoints. Pour
l'arrondissement du Havre, le sous-préfet conclut à l'inutilité,
dans l'immédiat, d'une réforme : “si partout en France la loi de
1848 n'avait pas fait plus de mal qu'ici, on pourrait fort bien
songer à ne pas la modifier”44. Se penchant sur l'immobilisme du
pays de Caux, il l'expliquait par l'influence locale de quelques
familles. Les changements auraient leur origine dans les luttes
entre clans familiaux : “Là où des changements ont eu lieu, la
politique y a été à peu près toujours étrangère, et ils n'ont été
déterminés que par les luttes d'influence purement locales. Dans
les moindres localités, il y a deux ou trois familles principales qui
se disputent l'importance des premiers rôles. Autour de ces
familles, viennent se grouper les influences secondaires et les
diverses fractions de la population, et de ces luttes d'amours
propres sortent des divisions, des haines vivaces, qui se font jour
dans les scrutins municipaux”.
 45 ADSM, 3 U 2/1322, Tribunal correctionnel du Havre, dossiers de
procédure, 1848.

 46 ADSM., 3U2/1002, Tribunal correctionnel du Havre, Jugements,


1847-1848.

26Là aussi, l'étude cas par cas des communes permet de retrouver
la trace de ces luttes d'influence, opposant plusieurs clans et se
focalisant sur les questions de gestion communale. Prenons
l'exemple de Sausseuzemare, près de Goderville : une dénommée
Catherine Brindel y est en septembre 1848 poursuivie par le maire
devant le tribunal correctionnel pour injures et diffamation à la
sortie de la messe. Elle l'aurait traité de “voleur” et de “scélérat”,
ainsi que l'ensemble du conseil municipal 45. Le peu
d'empressement du juge de paix de Goderville, dans un premier
temps, à donner suite à cette plainte jette un éclairage sur les
conflits du village. Ce magistrat, dans une lettre au procureur,
excuse la conduite de l'accusée, estimant que les élections ont été
probablement irrégulières. Celle-ci et une partie du village
reprochent au maire de s'enrichir avec les fonds destinés à
l'entretien des chemins. L'affaire se finira par une amende de
seize francs, prononcée en correctionnelle46.
 47 A.N., F 1c III Seine-Inférieure 6, Rapports préfectoraux,
Élections de 1831 à 1877.

27Ces conflits locaux découlent parfois de l'éclatement de


l'habitat, en hameaux. Des rivalités géographiques expliquent
alors la composition du conseil et l'élection du maire. Ainsi à
Saint-Sauveur-d'Emalleville, le sous-préfet, souhaitant obtenir la
révocation du maire Mauger, l'accuse de s'être arrangé pour ne
faire élire que des habitants de Saint-Sauveur, ce qui a conduit à
la non représentation au conseil d'Emalleville, où se trouvent
pourtant l'église, l'école et les bâtiments communaux47. Ceci n'a
fait qu'exacerber la rivalité entre les deux parties de la commune.
La solution proposée sera de diviser désormais celle-ci en deux
sections électorales.
 48 WEBER, La fin des terroirs, op. cit. Notons que Weber n'a pas
généralisé sa thèse d'une politisati (...)

 49 Pour une approche ethnologique de ces familles de notables


ruraux, qui ont su traverser les siècle (...)

28L'existence de ces conflits locaux a souvent conduit à nier la


possibilité d'une vie politique au village48. Les élections découlant
de l'affrontement entre clans ou de la volonté de tel ou tel grand
propriétaire de contrôler la municipalité, la politique n'aurait pas
droit de cité dans les campagnes françaises avant l'extrême fin du
XIX  siècle. Est-ce si sûr ? L'existence de ces conflits entre
e

familles, qu'on pourrait tout autant trouver dans les communes du


XX  siècle49, suppose-telle forcément que le débat public reste
e

inexistant ?

COMMUNES ET CONFLIT
RELIGIEUX
 50 Nous avons dépouillé essentiellement deux titres, le Progressif
cauchois (cf. note 19) et le Journ (...)

 51 Honoré DE BALZAC, Les Illusions perdues, Édition complète du


club français du livre, 1962, t.4, p. (...)

29Pour avancer dans ce débat, nous souhaiterions explorer une


autre voie que celle qui consiste uniquement à enregistrer la
réélection des maires et adjoints. Les nominations faites par
Deschamps avaient déjà montré l'existence d'un camp du progrès,
bien timide encore. La lecture de la presse locale des années 1840
s'avère riche en renseignements sur les tensions internes aux
villages50. Que l'on prenne le  Progressif cauchois, organe d'un
républicanisme, se réfugiant derrière l'étiquette radicale avant
1848, puis “démoc.-soc.” après Février, ou   leJournal de
l'arrondissement du Havre, partisan de la Monarchie bourgeoise,
avant de se rallier à la République modérée, chacun des deux
titres se fait régulièrement l'écho de conflits locaux ayant opposé
ici et là la mairie et l'Église ou des villageois aux deux pouvoirs
coalisés. On pourrait négliger ces articles : non signés, attribués à
un correspondant local à l'existence énigmatique, ne sont-ils pas
le simple fruit d'une imagination anticléricale, prompte à charger
de tous les maux le clergé ? Si on prend le temps de trier un peu
ces échos locaux, deux catégories apparaissent. Certains articles
évoquent la situation de villages, dont le nom n'est jamais donné,
ce qui ne peut que faire douter l'historien de la réalité des faits.
N'a-t-on pas affaire à ces “canards”, fréquents dans la presse de
l'époque et dont Balzac attribue, dans les  Illusions
perdues, l'invention à Franklin51 ? Très souvent, par contre, le
nom du village est clairement indiqué : le curé et le maire, dont on
relate l'opposition ou qu'on dénonce conjointement ne sont plus
des personnages, incarnant une situation type, vision qu'aurait le
journaliste des campagnes, mais deux êtres clairement identifiés.
L'existence parfois d'une lettre de protestation du curé mis en
cause montre que les faits incriminés, même si le journal s'est
donné un malin plaisir à les grossir, ont un fond de vérité. A
contrario, alors que ces journaux doivent une partie de leur copie
aux lettres de protestation de personnes s'estimant mises en
cause par des articles, l'absence, le plus souvent, de réclamation
des curés dénoncés ne prouve-t-elle pas que les faits, même s'ils
sont déformés, restent exacts dans leurs grandes lignes ?
 52 Sur la question des emplacements pour les non catholiques,
Philippe MANNEVILLE, “Des cimetières po (...)

 53 Écrivain célèbre dans les années 1840 pour ces romans


sentimentaux et ces chroniques mondaines, Al (...)

30Ces faits en quoi consistent-ils ? La première source de conflit


mettant en cause les maires et les desservants porte sur la
question des enterrements. Soucieux de séparer l'ivraie du bon
grain, certains curés tiennent à rappeler aux fidèles que
l'attribution des derniers devoirs n'est pas automatique et,
surtout, n'entendent pas perdre le contrôle de l'inhumation dans
le cimetière, qui, en général, jouxte l'église. Ceci entraîne, ici et là,
des refus de voir enterrer dans le cimetière communal, soit ceux
dont l'existence a contredit l'enseignement divin (filles mères,
concubins et concubines, ex-prêtres mariés durant la Révolution),
soit les adeptes de la religion réformée52. Cette prétention à
garder le contrôle des inhumations se heurte au maire ou au
conseil municipal, soucieux de faire prévaloir leurs droits,
reconnus par la loi du 13 prairial an XII., qui attribue au maire la
police des cimetières. Prenons un exemple parmi d'autres :
rédacteur du  Journal de l'arrondissement du Havre, Alphonse
Karr53, relate dans le numéro du 16 novembre 1851, l'attitude du
curé de Fontaine-la-Mallet, qui a refusé d'enterrer une servante à
cause de “quelque bruit malveillant qui avait couru autrefois sur
quelque entraînement de la jeunesse de cette fille ”. Ceci a conduit
à l'intervention du maire, qui est passé outre. Derrière ce conflit
pour le contrôle des inhumations, comment ne pas voir
l'apparition d'un débat au niveau du village sur la frontière entre
pouvoir laïc et pouvoir religieux ?
 54 ADSM, 3 M 1437, Élections municipales, Trouville-Aliquerville,
1831-1932.

 55 Journal de l'arrondissement du Havre, 7 mars 1850.


 56 Progressif cauchois, 27 juillet 1850. Cf. aussi, ADSM, 3 M 1326,
Élections municipales, Sainte-Mar (...)

31Deuxième source de conflits, le contrôle de l'école. La loi


Guizot, du 28 juin 1833, avait exigé de chaque commune
l'ouverture d'une école. Elle avait d'autre part placé les instituteurs
sous le contrôle des maires, tout en affirmant le principe de la
liberté de l'enseignement primaire. La construction de l'école fut,
ici et là, une première pomme de discorde. Les finances
communales rendaient difficiles l'entretien à la fois d'un
presbytère et d'une école, d'où la tentation d'économiser sur l'un
pour ouvrir l'autre. La présence ou non de membres de la fabrique
au conseil municipal pouvait faire pencher la balance dans un
sens ou l'autre. Prenons le cas de Trouville-Aliquerville : dans une
lettre au commissaire provisoire de la République, quelques
citoyens dénoncent en mars 1848, l'acquisition d'un nouveau
presbytère, au détriment de l'école. Ils réclament la mise en place
d'un nouveau conseil municipal, qui revendrait ce bâtiment et
utiliserait la moitié des fonds “pour embellir et assainir la
classe”54. L'autre pomme de discorde est le contrôle de
l'instituteur. Faisant souvent aussi office de sacristain, il se
trouvait tout désigné pour devenir une cause d'affrontement entre
les deux pouvoirs. La presse se fait écho, de temps à autre, de ce
type de conflits. Le desservant, reprochant à l'instituteur ses
opinions, fait pression sur les parents, pour qu'ils ne lui confient
plus leurs enfants. A La Remuée, il n'hésite pas à menacer ceux
qui passeraient outre d'un refus d'administrer la première
communion55. Le conseil municipal, à qui revient le choix de
l'instituteur, n'a plus alors qu'à se soumettre au veto du
desservant ou à lui tenir tête. A Sainte-Marie-au-Bosc, la décision
du maire, en juillet 1850, de révoquer un instituteur en place
depuis plus de vingt ans, ancien soldat de la garde impériale et
républicain, en but bien évidemment à l'opposition du clergé
local, provoqua la démission de six conseillers municipaux sur
dix, dont l'adjoint56.
 57 Progressif cauchois, 18 février 1846.

32A côté de ces deux grands types de conflits, d'autres existent,


tel celui sur la fermeture des cabarets pendant l'office divin. A
chaque fois, c'est la place de l'église dans la vie du village, qui est
en cause, le maire et le conseil municipal penchant soit pour le
respect de l'autonomie du pouvoir temporel et pour sa suprématie
dans des domaines comme les enterrements et l'instruction, soit
se rangeant aux désirs du desservant, quitte à mécontenter une
partie des habitants. Dès 1846,  le Progressif cauchois notait cette
coupure des communes en deux : “Il n'est presque pas de
communes rurales qui ne soit divisée en deux camps  : l'un
spirituel, l'autre temporel. M. le maire est à la tête des Gibelins  ;
les Guelfes obéissent avec non moins de dévouement à M. le
curé”57. Il importe évidemment de prendre ces propos avec recul :
le journaliste ne prend-il pas ses rêves pour la réalité ? Ceci dit,
au delà de la part d'exagération, c'est un écho bien différent sur le
conservatisme cauchois. Loin d'être absente du village, la
politique y a déjà fait son apparition, sous la forme d'un des
conflits majeurs du XIX  siècle, celui sur la place respective du
e

pouvoir laïc et du pouvoir religieux. Si on revient aux élections de


juillet 1848, la reconduction de la majeure partie des anciens
maires, au-delà des explications vues plus haut, ne trouve-t-elle
pas aussi sa source dans l'autonomie, dont une partie d'entre eux
ont su faire preuve vis à vis du pouvoir religieux ? Les électeurs,
en plébiscitant les administrations nommées sous Louis-Philippe,
leur en seraient entre autre reconnaissants.
NOTES
1 Victor HUGO,  Choses vues, 30juillet 1848, Édition Gallimard-Folio,
1972, p. 351.
2 Raymond HUARD,  Le suffrage universel en France, 1848-
1946, Aubier, 1991, p. 30-38.

3 André-Jean TUDESQ, “Institutions locales et histoire sociale : la loi


municipale de 1831 et ses premières applications”, in  Annales de la
Faculté des Lettres et Sciences humaines de Nice, 1969, n° 9-10, p.
327-363. Pierre ROSANVALLON,  Le sacre du citoyen. Histoire du
suffrage universel en France, Gallimard, 1992, p. 268-272.

4 Sur la théorie du citoyen capacitaire, Pierre ROSANVALLON,  Le moment


Guizot, Gallimard, 1985, p. 95-132.

5 Pour les résultats de cette enquête en Seine-Inférieure, ADSM


(Archives Départementales de la Seine-Maritime), 3 M 581, Élections
municipales et constitution des municipalités, 1848-1851.

6 Sur ce débat : “Les paysans et la politique 1750-1850”,  Annales de


Bretagne et des Pays de l'Ouest, 1982, n° 2 ; Eugen WEBER,  La fin des
terroirs, Paris, Fayard, 1983.

7 Eugen WEBER,  Ma France, Paris, Fayard, 1991, p.184.

8 Sur ces formes de domination, Jean-Pierre JESSENNE,  Pouvoir au


village et Révolution. Artois 1760-1848, Lille, Presses Universitaires de
Lille, 1987.

9 J. SION,  Les paysans de la Normandie orientale, Paris, 1909 (nouv.


édition Brionne, 1981). Sur la mise en place des structures foncières du
Pays de Caux, Guy LEMARCHAND,  La fin du féodalisme dans le Pays de
Caux  : conjoncture économique et démographique et structure sociale
dans une région de grande culture, de la crise du XVII   siècle à la
e

stabilisation de la Révolution, 1640-1795, Paris, Éditions du comité des


travaux historiques et scientifiques, 1989, X-661p.

10 André SIEGFRIED,  Tableau politique de la France de l'Ouest, Paris,


1913, p. 243-247.
11 Jean LEGOY,  Le Peuple du Havre et son histoire. Du négoce à
l'industrie, 1800-1914. La vie politique et sociale, Le Havre, 1984, p.
25-26.

12 DSM, 3 M 581.

13 Rappelons que le Gouvernement provisoire avait décidé, le 25


février, le rétablissement du drapeau bleu-rouge-blanc de 1792. Cette
mesure ne fut abandonnée que le 7 mars. Sur cette question, Maurice
Agulhon,  Les Quarante-huitards, Gallimard-Archives, 1975, p. 117-
128.

14 Délibération du 17 mars 1848 du conseil municipal de Gonneville,


ADSM 1 M 165.

15 Délibération du 5 mars 1848 du conseil municipal de La Poterie,


ADSM 1 M 165.

16 Adresse du conseil municipal de Sainte-Marie-au-Bosc, 10 mats


1848, ADSM 1 M 165.

17 ADSM, 3 M 1171, Élections municipales, Norville, 1815-1934.

18 ADSM, 3 U 2/1318, Tribunal correctionnel du Havre, Dossiers de


procédure, janvier-mars 1847.

19 Bihebdomadaire, fondé par Paul VASSELIN en 1841, ce journal ne


disparut qu'en 1851, victi-me du coup d'État. La bibliothèque
historique de Fécamp en possède une collection complète. Sinon, cf.
BN, JO 79.

20 Maurice AGULHON, “Madame Bovary : une lecture historique”,


in  Études normandes, 1992, n° l, p. 7-19.

21 Gustave FLAUBERT,  Madame Bovary, Éd. Le Livre de Poche, Paris,


1972, p. 83.

22 ADSM, 3 M 723, Élections municipales, Beaurepaire, 1815-1934.


23 Pour deux communes, nous n'avons pas retrouvé les listes
électorales de 1846. Pour les autres, on arrive à un total de 48 sur 87,
dont le nom figure sur cette liste. Le pourcentage, ainsi calculé, est
évidemment à manipuler avec prudence : en deux ans, certains ont pu
atteindre l'âge requis pour être électeur ou changer de commune.

24 ADSM, 3 M 1171, Élections municipales, Norville, 1815-1934.

25 On appelle ainsi en cauchois le centre de la commune, où sont


localisées l'église, la mairie et l'école.

26 Les résultats des élections municipales sont conservés pour tout le


XIX  siècle, commune par commune, dans la série 3 M des Archives
e

départementales.

27 Élections municipales, Norville, 1815-1934, ADSM, 3 M 1171.

28 Le recensement de 1851 décompte 21 propriétaires cultivateurs


pour 70 fermiers. Cf. ADSM, 6 M 89, Recensement de 1851, canton de
Lillebonne.

29 ADSM, 3 M 581. Nous n'avons pas pris en compte les villes de


Fécamp, Bolbec, Lillebonne, Ingouville, Graville et Le Havre. Manquent
par ailleurs les communes d'Oudalle et Saint-Vigor-d'Ymonville. Le
total des maires étudiés est de 114 et celui des adjoints de 116,
Montivilliers et Sanvic ayant deux adjoints.

30 Jocelyne GEORGE, Les Maires dans le département du Var, 1800-


1940, Thèse dactyl. pour le doctorat d'État, Université Paris I, 1987, p.
399.

31 Maurice AGULHON, Louis GIRARD, Jean-Louis ROBERT, William SERMAN 
et collaborateurs,  Les Maires en France du Consulat à nos jours, Paris,
Publications de la Sorbonne, 1986, p.78 et 97.

32 On ne trouve que les arrondissements de Saint-Denis et de


Brignoles, mais le taux de communes, où les revenus du maire sont
inconnus, est tel, que les résultats sont complètement faussés.
33 M. Agulhon et alii,  op. cit., p. 77.

34 Circulaire d'Edmond de Lillers, publiée dans le  Progressif


cauchois du 25 juillet 1846.

35 Ainsi, pour le Morvan, Marcel Vigreux note lors des élections “la
rentrée en scène et même l'offensive des châtelains légitimistes de la
grande noblesse propriétaire”. Cf. Marcel Vigreux,  Paysans et notables
du Morvan au XIX   siècle, Clamecy, 1987, p. 269.
e

36 ADSM, 3 M 1339, Élections municipales, Saint-Maurice-d'Etelan,


1815-1930.

37 M. AGULHON et alii,  op. cit., p.70.

38 Cf. note 10.

39 A. SIEGFRIED,  op. cit., p. 241. Son père, Jules Siegfried, candidat


républicain, avait échoué face au vote rural, dans la circonscription de
Bolbec, aux élections législatives de 1877.

40 Sur l'intérêt de ce type de source, qui permet de mieux appréhender


la réalité du suffrage universel, dans la France du XIX  siècle,
e

Alain GARRIGOU,  Le vote et la vertu. Comment les Français sont


devenus électeurs, Paris, F.N.S.P., 1992.

41 ADSM, 3 M 1339.

42 ADSM, 3 PP 740 (1).

43 ADSM, 6 M 89.

44 Réponse du sous-préfet du Havre à l'enquête parlementaire sur les


effets de l'élection des maires et adjoints, 14 février 1850, ADSM, 3 M
581.

45 ADSM, 3 U 2/1322, Tribunal correctionnel du Havre, dossiers de


procédure, 1848.
46 ADSM., 3U2/1002, Tribunal correctionnel du Havre, Jugements,
1847-1848.

47 A.N., F 1c III Seine-Inférieure 6, Rapports préfectoraux, Élections de


1831 à 1877.

48 WEBER,  La fin des terroirs, op. cit. Notons que Weber n'a pas
généralisé sa thèse d'une politisation tardive à l'ensemble du territoire
français, mais l'a présentée pour les régions restées les plus reculées, à
l'opposé donc d'un Pays de Caux largement ouvert sur l'extérieur. Du
même, voir aussi dans l'ouvrage  Ma France (op. cit.), le chapitre 7 “La
Deuxième République, la politique et le paysan” et le chapitre 8
“Comment la politique vint aux paysans”, où il nuance sa position.
L'approche ethnologique, qui met en avant ces conflits entre clans, est
celle qui conduit à situer le plus tard la politisation. Cf.
Pierre VALLIN,  Paysans rouges du Limousin. Mentalité et comportement
politique à Compreignac et dans le nord de la Haute-Vienne, 1870-
1914, Paris, L'Harmattan, 1985.

49 Pour une approche ethnologique de ces familles de notables ruraux,


qui ont su traverser les siècles, Marc ABÉLES,  Jours tranquilles en 89.
Ethnologie politique d'un département français, Paris, 1989.

50 Nous avons dépouillé essentiellement deux titres,   le Progressif


cauchois (cf. note 19) et  le Journal de l'arrondissement du Havre (BN,
JO 1802). Ce dernier, publié à Ingouville, s'adressait aux lecteurs des
faubourgs du Havre et de la campagne cauchoise. Sur ce journal,
Pierre ARDAILLOU, “Un “républicanisme du lendemain”.  Le Journal de
l'arrondissement du Havre, 1848-1851”,  Études Normandes, 1993, n° l,
p. 57-72.

51 Honoré DE BALZAC,  Les Illusions perdues, Édition complète du club


français du livre, 1962, t.4, p.736.

52 Sur la question des emplacements pour les non catholiques,


Philippe MANNEVILLE, “Des cimetières pour les non catholiques en
Seine-Inférieure au XIX  siècle”,  in Protestants et minorités religieuses
e

en Normandie, Actes du 20  Congrès des Sociétés historiques et


e

archéologiques de Normandie des 3 au 7 septembre 1985, Rouen,


Société Libre d'Emulation de la Seine-Maritime, 1987, p. 241-252.

53 Écrivain célèbre dans les années 1840 pour ces romans


sentimentaux et ces chroniques mondaines, Alphonse Karr s'était
entiché de la côte cauchoise. Après avoir mis à la mode Etretat, il
s'installa à Sainte-Adresse. Pendant toute la fin la Seconde République,
il fut l'éditorialiste du  Journal de l'arrondissement du Havre.

54 ADSM, 3 M 1437, Élections municipales, Trouville-Aliquerville,


1831-1932.

55 Journal de l'arrondissement du Havre, 7 mars 1850.

56 Progressif cauchois, 27 juillet 1850. Cf. aussi, ADSM, 3 M 1326,


Élections municipales, Sainte-Marie-au-Bosc, 1815-1929.

57 Progressif cauchois, 18 février 1846.

TABLE DES ILLUSTRATIONS

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AUTEUR
Pierre Ardaillou
Agrégé d'histoire
Du même auteur
 Les Républicains du Havre au XIX  siècle (1815-1889), Presses universitaires de Rouen et
e

du Havre, 1999
 Chapitre 1. Quels républicains ? in Les Républicains du Havre au  XIX   siècle (1815-1889),
e

Presses universitaires de Rouen et du Havre, 1999


 Chapitre 2. Comment fonder une République modérée ? (février – décembre 1848) in Les
Républicains du Havre au  XIX  siècle (1815-1889), Presses universitaires de Rouen et du Havre,
e

1999
Pouvoir local et Révolution
dans l'Italie jacobine et
napoléonienne
Anna-Maria Rao

p. 497-507

TEXTE NOTES AUTEUR

TEXTE INTÉGRAL
1Les études récentes sur l'Italie jacobine et napoléonienne ont
décidément privilégié une approche de longue durée, laissant
plutôt de côté le thème, qui avait passionné l'historiographie des
années 1950 sur la période, du “jacobinisme” italien, abordé dans
le temps court du “triennio” 1796-1799. Dans cette approche de
longue durée, qui considère globalement la période des années
1780 aux premières décennies du XIX , c'est incontestablement le
e

problème de l'État qui se pose au centre de l'attention. Cet intérêt


n'est pas vraiment une nouveauté ni un hasard dans
l'historiographie italienne, qui s'est longtemps occupée du
problème de la construction de l'État national unitaire, et du rôle
de la période révolutionnaire dans ses origines : on reconnaît
généralement que la Révolution fut une étape fondamentale dans
l'élaboration des premiers projets d'unification politique italienne,
qui échouèrent à cause soit de la politique du Directoire et de
Bonaparte, soit de la situation internationale, soit des contrastes
existant parmi les patriotes italiens mêmes.
2Mais ce qui sollicite aujourd'hui les études sur l'Italie jacobine et
napoléonienne n'est plus tellement la question de l'unité
nationale : le souci d'éviter l'anachronisme, et la “régionalisation”
des études, ont conduit les chercheurs à respecter les frontières
des anciens États italiens, analysant les conditions, les caractères
et les limites des processus de centralisation de l'Ancien Régime à
l'époque napoléonienne. Plutôt que les conditions politiques et
culturelles de la création de l'État national, on étudie la formation,
les caractères, et l'évolution de l'appareil administratif et
institutionnel de l'État, ses rapports avec les changements sociaux
et économiques, et, finalement, avec les “pouvoirs locaux”
internes à chacun des anciens États italiens. Si la période
“jacobine” apparaît comme l'explosion de la politique (mais elle
aussi tenta de mettre en place ses instances de contrôle du
territoire), la période napoléonienne, en particulier dans la
République Italienne (puis Royaume d'Italie) et dans le Royaume
de Naples sous Joseph Bonaparte et Murat, apparaît comme le
triomphe de l'État et de son intervention d'en haut, créant une
machine administrative centralisée à la place des anciens pouvoirs
royaux, féodaux, ecclésiastiques. Un triomphe qui ne manqua pas
de soulever des “résistances” mais qui fut aussi soutenu
localement, puisque dès les dernières décennies du XVIII  siècle, le
e

mouvement réformateur avait souhaité une réforme de l'État, et


avait même commencé à la réaliser.
3La régionalisation des études, parfois trop renfermées dans les
limites des anciens États italiens, souvent incapables de se
confronter les unes aux autres, rend difficile de comparer et
d'esquisser un tableau général des rapports pouvoirs centraux-
pouvoirs locaux (puisque c'est au pluriel qu'il faut en parler) dans
l'Italie jacobine et napoléonienne. Elle porte aussi à oublier qu'un
des effets fondamentaux de l'époque napoléonienne en Italie fut
justement celui d'uniformiser les structures administratives,
introduisant partout les lois et le modèle administratif français.
On peut quand même essayer un bilan de ces études, qui font du
rapport entre réformes du XVIII  siècle et révolution un des points
e

centraux de leur réflexion.


 1 On dispose de quelques bilans récents des études sur l'Italie au XVIII :
D. CARPANETTO, G. RICUPER (...)

 2 Cfr. C. CAPRA, S. NUTINI, “Reflets de la révolution française dans le


Milanais”, in L'image de la (...)

4Les États italiens au XVIII  siècle s'étaient déjà engagés dans un


e

effort de centralisation et de rationalisation de l'appareil


administratif, de plus en plus complexe et spécialisé dans ses
fonctions, tentant aussi de recruter son personnel sur la base des
compétences plutôt que de la naissance : c'est là la première
conclusion que l'on peut tirer de ces études. Cette politique avait
eu plus ou moins de succès selon les cas : plus efficace en
Piémont et dans la Lombardie autrichienne, elle rencontra plus de
résistances d'en bas dans le cas de la Toscane, plus de limites et
d'ambiguïtés dans le cas du Royaume de Naples 1. L'évaluation du
cas de la Lombardie autrichienne comme le plus réussi — une
véritable “révolution d'en haut” réalisée par Marie Thérèse et
Joseph II, qui rendit plus facile par la suite l'application du modèle
napoléonien2 – est révélatrice de la tendance à souligner
l'efficacité de l'intervention d'en haut, les aspects de contrôle et
de contrainte exercés par un pouvoir étranger aux pressions et
aux intérêts locaux.
 3 P. VILLANI, “Il decennio francese”, in Storia del Mezzogiorno, cit., vol.
IV, t. II, p. 575-639.

 4 P. AIMO, “Introduzione”, in L'amministrazione nella storia moderna, vol.


II, L'Italia napoleonica  (...)

 5 Voir les textes cités par A. SPAGNOLETTI, “Il controllo degli intendenti


sulle amministrazioni loc (...)

5La période napoléonienne est considérée comme un vrai


tournant dans ce processus de centralisation, plus ou moins
marqué dans les différents pays suivant l'efficacité des politiques
précédentes : on tend à souligner les aspects de continuité,
encore une fois, pour les cas du Piémont et de la Lombardie, et de
rupture pour le Royaume de Naples3. La “monarchie
administrative” napoléonienne réalisa un système tout à fait
nouveau surtout parce qu'elle ne se limita plus à juxtaposer des
organes administratifs nouveaux aux anciens, comme l'avaient
fait les réformes du XVIII  siècle, mais réalisait une réforme
e

globale de l'État : élimination du particularisme juridique et


administratif, des structures oligarchiques du pouvoir local,
substitution d'un système uniforme et hiérarchisé à la multiplicité
de pouvoirs préexistants (Église, féodalité, villes, communautés) 4.
Une politique que quelques chercheurs considèrent comme une
politique de contrainte, autoritaire, qui étouffait les formes
autonomes de gouvernement local, reprenant ainsi l'idéalisation
des anciennes libertés municipales faite dans les premières
décennies du XIX  siècle, qui exprimait surtout le regret des
e

anciens pouvoirs des oligarchies et des patriciats locaux5.


 6 L. ANTONIELLI,  I prefetti dell'Italia napoleonica, Bologna, Il Mulino,
1983, p. 14, 30.

 7 A. DE MARTINO, La nascita delle intendenze. Problemi


dell'amministrazione periferica nel Regno di  (...)

6C'est donc à l'époque napoléonienne, c'est-à-dire entre 1800


(1806 pour le Royaume de Naples) et 1815, qu'en Italie se
construit un appareil d'État hiérarchisé qui installe un véritable
contrôle sur le territoire. La période jacobine n'avait certes pas
ignoré le problème et avait créé les représentants en mission ou
les commissaires organisateurs pour assurer les liens entre
gouvernement central et provinces : mais il s'agissait d'organes de
contrôle politique plutôt qu'administratif. Et, à l'inverse, la
primauté des enjeux politiques faisait que les résistances locales
au gouvernement central pouvaient s'exprimer par la dénonciation
politique, comme il arriva dans la République Cispadane, où les
commissaires du pouvoir exécutif furent souvent accusés d'être
trop ou trop peu “jacobins”6. Ce n'est qu'avec les préfets, créés le
26 janvier 1802 dans la République italienne, et les intendants,
créés le 8 août 1806 dans le Royaume de Naples 7, qu'on installe
un réseau d'organes centraux de contrôle administratif qui laisse
peu de place aux représentations locales.
7Or, faut-il lire ce processus comme une révolution d'en haut,
fondé sur la contrainte, et freiné, si non empêché, par des
résistances d'en bas ? Certes, les exemples de “résistance” ne
manquent pas. Dès 1796-1797, le débat sur le gouvernement à
donner aux territoires libérés par les armées françaises fut
marqué par le souci de ne pas toucher aux autonomies
traditionnelles dont avaient joui, tout en faisant partie de l'État
pontifical, des villes comme Bologne ou Modène, qui
manifestèrent de fortes hostilités à l'unification dans un État
républicain unitaire du Nord qui faisait de Milan sa capitale.
Conflits et jalousies qui persistèrent dans la République italienne
créée en 1802, explosant dans la révolte de Bologne de la même
année. Et même durant le “triennio jacobin” de 1796-99 la
défense des autonomies municipales fut parmi les causes des
révoltes anti-françaises.
 8 A. SAITTA,  Alle origini delRisorgimento : i testi di un “celebre” Concorso
(1796), Roma 1964, 3 vo (...)

8Mais le débat de 1796-1797 est, en même temps, révélateur du


fait que plutôt que de contrainte d'en haut et de résistances d'en
bas, il faudrait parler d'une recherche de nouvelles formes
d'intégration dans l'État des pouvoirs préexistants, réalisant une
rencontre entre pressions d'en haut et exigences d'en bas dont les
rapports n'étaient pas toujours ni nécessairement conflictuels. La
plupart des dissertations qui répondirent au concours lancé le 27
septembre 1796 par l'Administration générale de la Lombardie
sur la question “De tous les gouvernements libres quel est celui
qui convient le mieux à l'Italie  ?”8, insistaient sur la nécessité d'un
gouvernement représentatif : la notion de représentation ne
servant pas seulement à résoudre le problème de la participation
politique des citoyens mais aussi la question de l'intégration
nationale des territoires et de leurs instances locales.
 9 Lettre sur le Piémont, ou Réponse aux observations d'un Piémontais, sur
la réunion de cette Contré (...)

 10 L. ANTONIELLI, op. cit., p. 51.

9Un intérêt particulier est présenté, de ce point de vue par un


texte écrit en 1799 où le piémontais Bonafide, partisan de l'union
à la France du Piémont, conteste les observations de Felice
Bongioanni, qui défendait son indépendance. Le Piémont réuni à
la France, écrivait Bongioanni, “ ne jouirait que faiblement des
avantages dont jouissent les autres départemens. Éloigné […] du
Directoire, des deux Conseils, du gouvernement, sa voix
n'arriverait à Paris, que fatiguée, et infructueuse ”. A celà Bonafide
répondait que Nice, Marseille, Bordeaux, Anvers, Bruxelles, étaient
“tout autant, ou bien plus éloignées de Paris, que ne l'est le
Piémont”, mais que cela n'impliquait pas “ une injuste oppression
pour tous ces départemens, plus éloignés du centre, que ne le
sont les Alpes”. Le respect des lois et de la constitution, les
principes républicains et l'“ardeur guerrière” n'y étaient pas
assurés par la force d'un gouvernement qui “tient assujettis à des
lois, qu'ils détestent, les nombreux mécontens de ces
départemens éloignés” mais par  l'"excellence de ce nouveau
système de gouvernement représentatif : la seule force dont on
pouvait parler c'était “la force de ce levier puissant, mis entre les
mains du directoire  ; force qu'aucune distance ne peut affaiblir  ;
et qui, du centre, imprime également à toutes les parties de cette
vaste machine, le mouvement nécessaire au maintien de son
mécanisme”9. Le gouvernement représentatif fut donc vu comme
moyen d'intégration des instances locales dans la politique
nationale. Ce souci de tutèle des pouvoirs territoriaux resta
évident dans la République italienne, où la loi du 26 juillet 1802
laissait subsister à côté du préfet l'administration de département,
pour garder, comme le disait le vice président Melzi d'Eril, une
“représentation départementale”10.
 11 Ivi, p. 70.

10L'exemple des préfets de l'Italie du Nord est aussi significatif


d'un autre moyen d'intégration des “pouvoirs locaux” dans le
nouvel État : la transformation du notable-propriétaire en
notable-fonctionnaire. Une transformation qui n'alla pas sans
difficultés : les hommes que Melzi voulut choisir parmi les
propriétaires modérés, ne voulaient pas au début laisser leurs
lieux d'origine et leurs intérêts locaux, comme prévu par la loi qui
imposait que le préfet d'un département devait venir d'un autre
département11.
 12 J. DAVIS, Conflict and Control. Law and Order in Nineteenth-Century
Italy, Houndsmill, London 1988

 13 L. ANTONIELLI,  op. cit., p. 59, 161-63 ; A. DE MARTINO, op. cit., p.


59-69, 173-77, 218-20.

11Face aux résistances ouvertes ou latentes manifestées envers la


mainmise croissante du pouvoir central sur le pouvoir local, on a
défini ce processus en termes de “conflit et contrôle” 12. Il faudrait
peut-être nuancer cette vision qui reste quelque peu
manichéenne : il ne s'agit pas seulement ni toujours de conflits et
de contrôle, mais d'un processus d'intégration et de compromis
continu. La mise en place d'organes administratifs de contrôle du
territoire, par exemple, comporta aussi une croissance de la
disponibilité d'emplois au service de l'État qui répondait à une
demande devenue de plus en plus pressante dès les dernières
décennies du XVIII  siècle, et à laquelle le faible développement de
e

l'appareil administratif des États d'Ancien Régime, et un


recrutement fondé surtout sur la cooptation et le privilège de
naissance n'offraient pas assez de débouchés. Le phénomène de
la transformation des “jacobins” italiens en fonctionnaires
napoléoniens, mis en relief par l'historiographie récente, est
significatif non seulement d'une évolution politique – de la
révolution à la bureaucratie – mais aussi d'une rencontre entre les
exigences administratives de l'État et la “course aux emplois” :
une rencontre qui n'alla pas, elle aussi, sans compromis, puisque,
d'un côté, le souci de ne pas soulever des mécontentements
poussa même, au début, à garder dans l'administration
napoléonienne plus de personnel qu'il ne le fallait, et de l'autre,
les vieux notables de province ne furent pas toujours prêts à se
transformer en fonctionnaires13. Encore, la création de la
monarchie administrative entraîna des formes inédites de contrôle
de l'administration locale, soumettant les conseils municipaux et
les maires aux préfets et aux intendants. Mais elle comporta aussi
un service administratif plus proche des administrés, par exemple
sur le plan judiciaire, comblant là aussi l'exigence depuis
longtemps exprimée par les provinces et les communautés d'avoir
la justice à leur portée.
 14 M. BRŒRS, “The Parochial revolution : 1799 and the Counter-
Revolution in Italy”, in  Renaissance &  (...)

12L'époque napoléonienne fut donc un incontestable tournant


pour les États italiens, sur le plan des formes juridiques et
institutionnelles, réalisant un processus non seulement de
contrôle mais d'intégration des pouvoirs locaux – parfois
récalcitrants mais souvent aussi solidaires – dans un appareil
d'État centralisé et hiérarchisé. Mais, à côté des formes juridiques,
il y a des pratiques : des pratiques d'assistance, de patronat, de
clientèle, qui se forment autour de familles et de clans familiaux.
Or sur le plan des pratiques aussi on assiste à des formes soit de
conflit soit d'intégration, suivant les cas et suivant les moments.
Le phénomène a été récemment étudié pour le Piémont,
soulignant – peut-être trop – la défense de localismes fondés sur
les liens familiaux et religieux et l'émergence des rivalités locales
contre l'État révolutionnaire comme éléments fondamentaux des
révoltes de 1799, qui associaient le loyalisme monarchique à la
défense de leurs libertés locales14. Localismes et luttes
municipales intéressèrent aussi le Royaume de Naples, en
particulier les provinces calabraises, qui furent en 1799 base de
recrutement de l'armée sanfédiste et résistèrent par la suite plus
longtemps et plus ouvertement au gouvernement napoléonien.
 15 A. PLACANICA,  Cassa Sacra e beni della Chiesa nella Calabria del
Settecento, Napoli, Università de (...)

13Les Calabres firent l'objet pendant les années 1780-90, à la


suite du tremblement de terre de 1783, d'une politique que l'on
peut très bien définir comme une tentative de la part de l'Etat de
réaffirmer son contrôle sur des provinces trop longtemps confiées
à la médiation des forces féodales, ou plutôt aux équilibres locaux
entre féodalité, communautés et administrations municipales ;
provinces mal desservies par la route, qui le plus souvent ne
communiquaient avec la capitale que grâce aux seigneurs
féodaux, procureurs, magistrats calabrais vivant à Naples. Le
tremblement de terre fut l'occasion d'une tentative de réforme
très ambitieuse : limitation des pouvoirs féodaux, à travers le
contrôle de leurs titres, limitation des pouvoirs de l'Église et
confiscation de ses terres ; tentative de créer une bourgeoisie liée
à l'État par la vente des biens ecclésiastiques (opération de
ralliement qui fut peut-être la plus réussie). La réalisation de ce
plan fut d'abord confiée aux militaires, ce qui est significatif de la
recherche de moyens plus efficaces pour l'affirmation du pouvoir
central dans les provinces. Mais l'intervention militaire,
commandée par le général Francesco Pignatelli en tant que vicaire
général du roi, fut vécue comme une véritable invasion,
provoquant de très fortes réactions.15
 16 A. M. RAO, “Galanti, Simonetti, e la riforma della giustizia nel Regno di
Napoli (1795)”, in Archi  (...)

 17 Bibliothèque des Archives d'État, Naples, suppl. XLC, n. 13/3.

14Les réformes soulevèrent ainsi la même hostilité qui se serait


dressée contre la révolution, non seulement parmi les membres
de la noblesse et du clergé mais au sein de communautés
entières, renforçant les solidarités villageoises et provinciales
contre l'État. La vente des biens ecclésiastiques favorisa la
concentration de la propriété privée, bourgeoise ou nobiliaire,
provoquant des conflits internes sur le front même des
propriétaires, tandis que les paysans pauvres perdaient les
sources de subsistance assurées par l'usage des terres
ecclésiastiques. Cela ne provoqua pas un conflit entre paysannerie
pauvre, propriétaires, clergé, mais, au contraire, renforça leur
solidarité contre l'État, responsable principal du changement des
équilibres anciens. En 1790, Luigi De Medici, envoyé en Calabre
par le roi en qualité de “visiteur”, signalait l'état de dissolution
totale de la justice royale dans la province : les riches achetaient
aux membres du tribunal provincial l'impunité des poursuivis et
des bandits, dont ils pouvaient ainsi se servir pour leurs fins, les
engageant à leur service. En Calabre il n'y avait presque pas de
pouvoir royal, les voleurs, les assassins, les brigands étaient
publiquement protégés16. Le 24 juin 1792 le gouverneur de Santa
Sofia, Michele Torcia-Carratelli, écrivait au roi un rapport
épouvantable sur la situation de Corigliano, Sangiorgio,
Terranova, territoires infestés de malfaiteurs et de bandits
impunis. Pour frapper les bandits, écrivait-il, il fallait avant tout
frapper le réseau de protections dont ils jouissaient auprès des
magistrats seigneuriaux et même auprès du personnel subalterne
des tribunaux provinciaux17.
 18 A. M. RAO, “Esercito e società a Napoli nelle riforme del secondo
Settecento”, in  Rivista italiana (...)

15La guerre contre la France, dans laquelle l'État napolitain


s'engagea en 1793 et en 1798, devint l'occasion de traiter avec le
Bourbon, de contracter une autonomie nouvelle, de démontrer
que la monarchie avait besoin du clergé et de la noblesse pour se
défendre. La noblesse et les notables reproposèrent au roi des
formes de fidélité féodale, engageant une noble compétition dans
le recrutement de soldats pour les levées extraordinaires de 1794
et 1798. Les nécessités de la guerre et de l'ordre public
relancèrent les propositions de confier aux notables locaux le
recrutement, au nom de leur capacité de gérer le consensus parmi
les communautés. Le patricien de Cosenza, Antonio Epaminonda
Ferrari, qui avait été chargé par Francesco Pignatelli en 1782 du
recrutement des milices provinciales, en 1793 présentait un plan
de recrutement qui devait assurer le sort de la guerre contre
l'ennemi et garantir en même temps la sûreté intérieure de la
patrie. Les Calabres, écrivait-il, étaient infestées par un nombre
extraordinaire de gens sanguinaires, bandits, “fuorusciti”,
contumaces (au nombre, disait-il, de 2 500), qui, avec les détenus
des prisons pouvaient fournir à l'armée des hommes inégalables
dans l'emploi des armes à feu, accoutumés à les manier dès leur
enfance, accoutumés au travail, à n'importe quel climat et genre
de vie. Ils n'auraient besoin ni d'armes ni di vêtements, ayant déjà
chacun son fusil. Mais il fallait confier leur commandement aux
membres des principales familles féodales de la région, estimées
et vénérées par les calabrais18.
 19 Cf. A. M. RAO, “La Repubblica Napoletana del 1799”, in Storia del
Mezzogiorno, cit., p. 515-25; J.(...)

16La médiation de nobles et notables revélait ainsi toute son


ambiguïté : au moment même où ils se proposaient comme
agents de l'État ils agissaient et le faisaient en tant que “patrons”
locaux, offrant de mettre au service de l'État leurs liens de famille,
et leurs clientèles. Une fois la République créée, en janvier 1799,
barons, possédants, magistrats locaux essayèrent avant tout
d'assurer la permanence des anciennes administrations et de
contrôler les nouvelles municipalités. Mais dès que le cardinal
Ruffo débarqua à Reggio ils passèrent dans le camp de la contre-
révolution, tandis que conflits et vengeances explosaient entre
communes et communes, et entre les factions qui luttaient pour le
contrôle du pouvoir local19. Les bandes armées recrutées au
service de familles et de clans furent mises au service du roi et de
la Santa Fede.
 20 J. A. DAVIS, “The 'Santafede' and the crisis of the ancien régime in
southern Italy”, in Society a  (...)

17La monarchie restaurée après la chute de la République eut à


faire fact : au problème des bandes sanfédistes qui avaient
soutenu la reconquête du Royaume : elle aussi résolut le problème
encadrant directement les bandes dans l'armée régulière,
légitimant ainsi le pouvoir des factions qui avaient soutenu la
Santafede20.
 21 ANP. FId, IIC 2.

18Mais les royalistes ne furent pas les seuls à recourir à leurs liens
de famille et à leurs clientèles, les intégrant au service de l'État.
Un mémoire très intéressant sur le plan des mentalités et des
pratiques fut envoyé le 12 avril 1806 à Napoléon par un des
“jacobins” napolitains réfugiés à Paris depuis 1799, Michele
Carnevale, originaire de la Calabre Ultérieure, qui soumettait à
l'empereur un plan de répression de la criminalité et du
brigandage dans cette province, entièrement fondé sur le réseau
de ses “connaissances”, sans besoin de soldats, mais tout
simplement par l'aide des amis qu'il avait dans son lieu de
naissance : “soixante familles dans les différents villages, avec qui
j'ai des liens de parentèle, soutendront mon entreprise, qui
connaissent tous les endroits les plus cachés, et tous les fripons
qui dérangent”21. Parentèle et connaissance étaient donc des
moyens plus efficaces de contrôle que le pouvoir de l'État. Mais ce
fut justement à la force militaire que l'État napoléonien eut
recours contre le brigandage en Calabre et ailleurs dans le
Royaume de Naples : ce qui ne fit que rendre endémique le
phénomène.
 22 J. DAVIS, “La fin du Royaume de Murat à Naples (1814-1815)”, in La
fin de l'Europe napoléonienne. (...)

19L'État napoléonien réalisa donc en Italie des formes soit de


contrôle soit d'intégration des pouvoirs locaux. Ce qui ressort
d'ailleurs par la comparaison entre la chute des républiques en
1799 et la chute des Français en 1814-15 : en 1799, les notables
locaux avaient souvent profité de la situation pour régler leurs
comptes entre eux et soulevé les paysans contre les Français et
les républicains, et l'écroulement de l'administration ouvrit la voie
aux violences et aux vendettas. En 1814, la peur des violences et
de l'anarchie populaire les porta à agir plus en fonctionnaires
qu'en notables, à éviter un dangereux effondrement des
structures administratives, à essayer d'assurer une transition
ordonnée de l'État napoléonien à l'État de la Restauration. Ce qui
se réalisa presque partout, sauf en Calabre22.
NOTES
1 On dispose de quelques bilans récents des études sur l'Italie au
XVIII : D. CARPANETTO, G. RICUPERATL,  L'Italia del Settecento. Crisi
trasformazioni lumi, Roma-Bari, Laterza, 1986 ; G. RICUPERATL, “Il
Settecento”, in  La storiografia italiana degli ultimi vent'anni, édité par
Luigi De Rosa, II,  Età moderna, Roma-Bari, Laterza, 1989, p. 97-161 ;
sur la Toscane, M. MIRRI, “Riflessioni su Toscana e Francia, riforme e
rivoluzione”, in  Annuario dell'Accademia Etrusca di Cortona, XXIV
(1990), “Atti del Convegno” 1789 in  Toscana. La Rivoluzione francese
nel Granducato, Cortona, Calosci, 1990, p. 117-233 ; sur le Piémont,
G. RICUPERATI, “Il riformismo sabaudo settecentesco e la Sardegna.
Appunti pet una discussione”, in  Studi storici, 27 (1986), p. 57-92 ; sur
la Lombardie, C. CAPRA, “Il Settecento”, in D. SELLA, C. CAPRA,  Il Ducato
di Milano dal 1535 al 1796, Storia d'Italia dirigée par Giuseppe Galasso,
vol. XI, Torino, Utet, 1984, p. 151-617 ; sur la République de Venise
F. VENTURI,  Settecento riformatore, V, L'Italia dei lumi, t. II,  La
Repubblica di Venezia (1761-1797), Torino, Einaudi, 1990 ; sur le
Royaume de Naples, E. CHIOSI, “Il Regno dal 1734 al 1799” in  Storia del
Mezzogiorno dirigée par Giuseppe Galasso et Rosario Romeo, vol. IV,   Il
Regno dagli Angioini ai Borboni, Roma, Edizioni del Sole, 1986, t. II, p.
371-467, A. M. RAO, “Il riformismo borbonico a Napoli” in  Storia della
società italiana, vol. XII,  Il secolo dei lumi e delle riforme, Milano, Teti,
1989, p. 215-90, ID., “Temi e tendenze della recente storiografia sul
Mezzogiorno nell'età rivoluzionaria e napoleonica”, in   Il Mezzogiorno e
la Basilicata fra l'età giacobina e il decennio francese,  Venosa, Osanna,
1992, p. 41-85 ; P. VILLANI, “L'età rivoluzionaria e napoleonica in Italia”,
in ID.,  Società rurale e ceti dirigenti (XVIII-XX secolo), Napoli, Morano,
1989, p. 52-108. Sur la période révolutionnaire et napoléonienne,
C. CAPRA,  L'età rivoluzionaria e napoleonica in Italia 1796-
1815, Torino, Loescher, 1978 ; A. M. RAO, “Nella tormenta
rivoluzionaria”, in  Storia d'Italia dirigée par Ruggiero Romano, Milano
1989, vol. VII, p. 121-44.
2 Cfr. C. CAPRA, S. NUTINI, “Reflets de la révolution française dans le
Milanais”, in  L'image de la Révolution française. Congrès Mondial pour
le Bicentenaire de la Révolution, Sorbonne, Paris, 6-12 juillet 1989,
dirigé par Michel VOVELLE, Oxford, Pergamon Press, 1989, p. 598-601.

3 P. VILLANI, “Il decennio francese”, in  Storia del Mezzogiorno, cit., vol.


IV, t. II, p. 575-639.

4 P. AIMO, “Introduzione”, in  L'amministrazione nella storia


moderna, vol. II, L'Italia napoleonica :  l'amministrazione come
amministrazione dello Sta to, Milano, Giuffré, 1985, p. 541-73.

5 Voir les textes cités par A. SPAGNOLETTI, “Il controllo degli intendenti


sulle amministrazioni locali nel Regno di Napoli”,  ivi, p. 953 ss.

6 L. ANTONIELLI,  I prefetti dell'Italia napoleonica, Bologna, Il Mulino,


1983, p. 14, 30.

7 A. DE MARTINO,  La nascita delle intendenze. Problemi


dell'amministrazione periferica nel Regno di Napoli 1806-1815, Napoli,
Jovene, 1984.

8 A. SAITTA,  Alle origini delRisorgimento  : i testi di


un “celebre” Concorso (1796), Roma 1964, 3 voll.

9 Lettre sur le Piémont, ou Réponse aux observations d'un Piémontais,


sur la réunion de cette Contrée à la République Française,  par F.
Bonafide, A Paris, de l'Imprimerie de Rabaut le jeune, An VII [Paris, ce
20 Pluviose an 7], p. 10-13.

10 L. ANTONIELLI,  op. cit., p. 51.

11 Ivi, p. 70.

12 J. DAVIS,  Conflict and Control. Law and Order in Nineteenth-Century


Italy, Houndsmill, London 1988.
13 L. ANTONIELLI,  op. cit., p. 59, 161-63 ; A. DE MARTINO,  op. cit., p.
59-69, 173-77, 218-20.

14 M. BRŒRS, “The Parochial revolution : 1799 and the Counter-


Revolution in Italy”, in  Renaissance & Modern Studies, 1990, p. 159-
74 ; ID., “Revolution as Vendetta : Patriotism in Piedmont, 1794-1821”,
in  The Historical Journal, 33 (1990), p. 573-97, “Revolution as
vendetta : Napoleonic Piedmont 1801-1804”, ivi, p. 787-809.

15 A. PLACANICA,  Cassa Sacra e beni della Chiesa nella Calabria del


Settecento, Napoli, Università degli studi, Biblioteca degli “Annali di
storia economica e sociale”, 1970 ; ID.,  Alle origini dell'egemonia
borghese in Calabria. La privatizzazione delle terre ecclesiastiche
(1784-1815), Salerno-Catanzaro, SEM, 1979 ; A. M. RAO, “La Calabria
nel Settecento”, in  Storia della Calabria moderna e contemporanea. Il
lungo periodo, dirigée par Augusto Placanica, Roma, Gangemi, 1992, p.
303-410.

16 A. M. RAO, “Galanti, Simonetti, e la riforma della giustizia nel Regno


di Napoli (1795)”, in Archivio storico per le province napoletane, CII
(1984), p. 281-341.

17 Bibliothèque des Archives d'État, Naples, suppl. XLC, n. 13/3.

18 A. M. RAO, “Esercito e società a Napoli nelle riforme del secondo


Settecento”, in  Rivista italiana di studi napoleonici, XV (1988), p. 155-
6.

19 Cf. A. M. RAO, “La Repubblica Napoletana del 1799”, in  Storia del


Mezzogiorno, cit., p. 515-25; J. DAVIS, “Les Sanfédistes dans le
Royaume de Naples (1799) : guerre sociale ou guerre civile ?”, in  Les
résistances à la Révolution, Actes du Colloque de Rennes (17-21
septembre 1985), recueillis et présentés par François LEBRUN et
Roger DUPUY, Paris, Imago, 1987, p. 311-20.
20 J. A. DAVIS, “The 'Santafede' and the crisis of the ancien régime in
southern Italy”, in  Society ad politics in the Age of the
Risorgimento, Essays in honour of Denis Mack Smith, edited by John
A. DAVIS and P. GINSBORG, Cambridge University Press 1992, p. 21-23.

21 ANP. FId, IIC 2.

22 J. DAVIS, “La fin du Royaume de Murat à Naples (1814-1815)”, in  La


fin de l'Europe napoléonienne. 1814  : la vacance du pouvoir, sous la
direction de Yves-Marie BERCÉ, Paris, Henri VEYRIER, p. 219-34 ;
S. WOOLF, “L'Italie en 1814”, ivi, p. 235-42.

AUTEUR
Anna-Maria Rao
Dipartimento di Discipline Storiche, Università di Napoli-Federico II

Du même auteur

 Table ronde - Conclusion in Du Directoire au Consulat 3. Brumaire dans l'histoire du lien


politique et de l'État-nation, Publications de l’Institut de recherches historiques du
Septentrion, 2001
© Presses universitaires de Rennes, 1999
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Cette publication numérique est issue d’un traitement automatique par reconnaissance optique de
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Les rapports entre l'État et
les pouvoirs locaux en
catalogne (1780-1850) : bilan
des recherches1
Eliseu Toscas
p. 509-518

TEXTE NOTES AUTEUR
TEXTE INTÉGRAL
 1 Ce travail a été possible grâce à l'aide financière de la Fundació
Jaume Bofill et de la C.I.R.I.T (...)

1L'objet de cette communication est d'offrir un bilan des travaux


effectués sur ce thème en Catalogne. En premier lieu, j'expose les
prémisses et les hypothèses qui ont guidé les recherches.
Deuxièmement, je présente ses principaux résultats. Finalement,
je réalise une série de réflexions sur la problématique en vue
d'ultérieures investigations.

PRÉMISSES ET HYPOTHÈSES
DES RECHERCHES2
1. Les collectivités locales ne sont pas des unités sociales
homogènes et harmoniques : on constate toujours à l'intérieur
de la collectivité une distribution inégale des ressources et des
rapports de pouvoir.
2. Mais cela n'implique pas qu'à l'intérieur de la collectivité le
pouvoir soit monopolisé par une unique instance : dans
chaque collectivité il n'y a pas un unique pouvoir local mais
différents pouvoirs locaux (de nature sociale, économique,
idéologique, politique).
3. Le pouvoir politique n'est pas une simple émanation, plus ou
moins indirecte, du pouvoir économique ou la simple
condensation de la relation que les plusieurs classes sociales
peuvent entretenir entre elles.
4. Mais cela ne doit pas s'interpréter dans le sens de postuler que
le monde politique est absolument indépendant du milieu
socio-économique et qu'il est vidé d'un quelconque contenu
social. En définitive, le pouvoir politique c'est une sphère
relativement autonome des processus économiques.
5. La “structure du pouvoir local” et la “politique locale”
constituent un champ social spécifique. Dans la période
étudiée, par exemple, les collectivités jouissent d'un certain
degré d'autonomie, d'une capacité de décision dans nombre
de domaines (démographique, social, économique, culturel et
politique). D'autre part, l'appareil politique local n'est pas un
simple rouage de l'État, il n'est jamais une image réduite,
miniaturisée de la politique nationale.
6. Mais, on l'a déjà dit, l'autonomie dont jouit la collectivité est
toujours relative, de façon qu'aucune collectivité ne peut être
analysée en marge de la société englobante et, concrètement,
l'étude de la structure du pouvoir local ne peut pas faire
abstraction des instances politiques situées hors de la
collectivité et qui ont une influence sur celle-ci. On peut
parfaitement se rendre compte de l'importance de cette
problématique : la consolidation de l'État libéral implique,
entre bien d'autres choses, la progressive intégration des élites
de pouvoir local et régional dans une structure nationale.
7. Mais, la sphère politique locale constituant un camp social
spécifique jaloux de son autonomie et, comme l'État – dans la
période étudiée – tente de centraliser ou d'élargir de façon
constante son aire d'influence et d'intervention dans les
affaires locales, on doit envisager les rapports entre la
communauté et l'État comme des rapports de force.
8. De cette façon, le Conseil municipal est un rouage clef de
l'appareil de l'État et, en même temps, constitue le cadre
politique local où se cristallise le rapport de forces qui règne
dans la collectivité. Le Conseil municipal peut devenir un
élément de base qui peut influencer ce même rapport de
forces : car le pouvoir politique ne joue pas exclusivement
dans le sens de reproduire des rapports sociaux déterminés,
au contraire, dans certaines conjonctures, il peut aussi jouer
comme un facteur de changement social.
9. Le pouvoir n'est pas une donnée intemporelle, il n'a pas
toujours la même signification historique. Les agents
concernés, les instances de pouvoir n'ont pas toujours le
même type de relation, ni le même contenu sociologique non
plus.

LES PRINCIPAUX RÉSULTATS


DES RECHERCHES
 3 Vid., F. AYALA et E. TOSCAS, “Entorn dels poders i les hisendes
locals de dos municipis de Catalun (...)

 4 Barcelone, démographiquement et économiquement la première


ville de la Catalogne et la deuxième d' (...)

 5 Ma thèse de Doctorat, sur les rapports entre l'État et les pouvoirs
locaux en Catalogne, est centr (...)

 6 Il fout esquisser la chronologie politique traditionnelle de la


période en Espagne. La crise de l' (...)

2Du fait que les rapports de force entre l'État et les pouvoirs
locaux ont été longtemps niés pour une grand partie de
l'historiographie espagnole, l'analyse systématique de ces
rapports-là en Catalogne n'en est qu'à son début 3. Dans une
perspective d'histoire comparée, et afin que les résultats soient
plus susceptibles de généralisation, on a choisi trois collectivités
très différentes : Barcelone, Sarrià et Masquefa, urbaine la
première, rurales pour les deux autres 4. Les périodes étudiées
sont assez diverses : d'une part, ont été privilégiés le milieu du
XIX  siècle en ce qui concerne Sarrià et Masquefa, et d'autre part le
e

premier tiers du dix-neuvième en ce qui concerne Barcelone 5. Et


la profondeur de l'analyse des rapports de pouvoir a été très
inégale (le cas de Sarrià, surtout, et celui de Masquefa ont été plus
étudiés que le cas de Barcelone). C'est pourquoi dans l'exposition
des principaux résultats on parlera surtout des collectivités de
Sarrià et de Masquefa plus que du cas barcelonnais, et de la
période de consolidation de l'État libéral plus que de la phase
historique connue en Espagne comme “crise de l'Ancien Régime et
Révolution libérale”6.
3Je résume ensuite les résultats des recherches :
1. A l'intérieur des groups dominants, soit à Sarrià soit à
Masquefa, l'on détecte une forte interdépendance entre leurs
stratégies économiques, matrimoniales et politiques, mais de
là ne résulte pas une vision uniforme de ces groupes : malgré
l'existence d'une considérable endogamie sociale, certaines
familles importantes jamais ne s'allient entre elles, elles ne
manifestent pas non plus un identique intérêt pour être
présentes au Conseil municipal, elles n'accroissent pas ou ne
conservent pas de la même façon leur patrimoine. C'est-à-
dire, on constate une forte hétérogéneité politique au sein des
groupes dominants.
2. Les Conseils municipaux de Sarrià et Masquefa, tant sous
l'absolutisme que sous le régime libéral, ne sont ni
exclusivement ni principalement contrôlés par des
“oligarchies”, parce que ce sont les groupes sociaux “moyens”,
de différente composition selon chaque localité, qui
détiennent la majorité des postes et des emplois municipaux,
conseillers et employés formant un tout connexe et intégré
dans la vie de la collectivité.
3. Dans les périodes absolutistes et “modérées”, tant à Sarrià qu'à
Masquefa, la composition sociale du Conseil municipal était
bien plus “populaire” que sous le libéralisme : l'implantation de
l'État libéral signifia un notable accroissement de la proportion
de grands propriétaires et de grands contribuables à l'échelon
du pouvoir municipal. A Barcelone, par contre, le libéralisme
représente l'accès au pouvoir d'un plus large éventail de
groupes sociaux et c'est justement sous l'absolutisme et les
périodes “modérées” que les Conseils municipaux de la ville
sont plus élitaires. C'est-à-dire, du fait que les rapports de
pouvoir à l'échelle locale sont très différents, qu'il s'agisse de
la ville ou bien de la campagne, la construction de l'État libéral
n'est pas vécue de la même façon dans ces deux mondes.
4. Face aux changements politiques généraux du premier tiers du
XIX  siècle, le comportement politique local des familles des
e

groupes dominants, soit à Barcelone soit à Sarrià, sont très


différents : quelques unes ne participent jamais au Conseil
municipal, d'autres n'y siègent que pendant les périodes
absolutistes ou libérales, d'autres sont présents, de façon
indistincte, à la fois dans les périodes absolutistes et libérales,
et, finalement, on détecte des familles qui, face aux crises
politiques graves, placent quelques uns de leurs membres
dans les différentes factions antagonistes (bien sûr, pour
mieux préserver leur prééminence sociale). D'autre part, en ce
qui concerne Barcelone exclusivement, les deux grands
secteurs socio-économiques des groupes dominants (les
nobles et les grands commerçants) présentent un
comportement politiquement opposé par rapport à l'achat des
Biens Nationaux et à la détention de fonctions municipales.
Les nobles n'achètent pas de Biens dans les années libérales
1820-23, mais monopolisent presque le Conseil municipal
dans les années absolutistes 1824-337, tandis que la plupart
(et les plus importants) des acheteurs de Biens Nationaux sont
des grands commerçants, qui devront restituer les biens
achetés et seront pratiquement exclus du Conseil municipal
pendant la période absolutiste de 1824-33 (après avoir joui
d'une discrète mais significative participation en 1820-23).
S'agit-il de la confirmation locale de l'antagonisme noblesse-
bourgeoisie qui aurait dominé politiquement la “crise de
l'Ancien Régime” ? Les événements semblent plus complexes :
par exemple, cinq conseillers dont trois nobles et deux grands
commerçants (environ une sixième du total du Conseil) font
partie du Conseil municipal de novembre 1823 (de “transition”
vers l'absolutisme) comme du Conseil de février 1833 (de
“transition” vers le libéralisme), ces cinq conseillers étant
exclus en 1824-32. La régulation des changements politiques
(dans des directions théoriquement opposées) par un même
secteur des groupes dominants ne permet pas de parler de
“coupure” ou d'"alternance de situations politiques”, comme on
l'a avancé souvent dans l'historiographie espagnole.
5. Sous le régime libéral on a aussi avancé, au niveau de l'État,
une alternance au pouvoir entre groupes politiques “modérés”
et “progressistes”. Mais on n'a pas constaté cette alternance ni
à Masquefa ni à Sarrià. En fait, la logique d'accès au Conseil
municipal était moins liée aux modalités du suffrage
(indirecte, censitaire) qu'aux réseaux particuliers de pouvoir
(familles, “hommes de paille” des groupes dominants)
existants dans chaque collectivité.
6. Au milieu du XIX  siècle, l'État transfère aux instances
e

politiques locales d'importantes tâches de gestion publique.


Elles ont le rôle de receveur des impôts de l'État, en montée
continuelle, mais, en même temps, toute dépense publique
(enseignement, travaux publiques etc.) doit être prise en
charge par les conseils municipaux, sans percevoir aucune
subvention de l'État. Cette situation génère un déficit
chronique dans les finances locales et l'incapacité de satisfaire
les demandes croissantes de l'État. La principale source de
financement des communes en Espagne n'est pas la fiscalité
purement municipale, mais la surcharge locale des impôts
étatiques ; et cependant, ceux-ci aussi, sont tout à fait
insuffisants. De cette façon, les municipalités entrent dans un
réseau d'emprunts et de rapports de dépendance vis-à-vis du
monde des affaires privées.
7. A la même époque, les communes de Sarrià et Masquefa font
face aux dépenses et aux déficits par l'augmentation de
certains impôts : Sarrià (commune rurale “residentielle”
soumise à une croissante influence et pénétration du capital
urbain de Barcelone) par l'augmentation des impôts de
“consommation” ; Masquefa (commune rurale appartenant à un
pays presque absolument agricole) par elle des impôts
fonciers. (Probablement, le cas de Sarrià reflète celui des
grandes villes, et le cas de Masquefa celui de la majorité du
monde rural). Dans ces deux cas, les groupes dominants sont
les principaux bénéficiaires de l'évolution : à Sarrià, d'une part,
bourgeois de Barcelone, et d'autre part, gros paysans,
institutions ecclésiastiques féminines, constructeurs,
négociants, gros propriétaires d'immeubles de la localité ; à
Masquefa, grands propriétaires ou exploitants des terres,
quelques uns étrangers au village. Le changement politique de
1854 (“progressiste”) ne change pas ce système.
8. On n'a pas constaté ni à Sarrià ni à Masquefa que le maintien
de l'ordre social soit garanti exclusivement par les instances
répressives de l'État ou rapportées à l'État : à Masquefa on n'a
jamais organisé la Garde Nationale tandis qu'à Sarrià, suivant
l'exemple de Barcelone, elle a été organisée dans les périodes
“libérales” et “progressistes”. D'autre part, la “Guardia
Civil”8 n'a qu'une très faible présence à Sarrià et n'existe pas à
Masquefa. A Sarrià, au milieu du XIX  siècle, la Garde
e

Municipale ni la garnison militaire ne semblent suffisants. A


partir de la décennie du 1850 les grands propriétaires de
terres et d'immeubles disposent de gardiens privés.
9. Face aux convulsions sociales de l'époque, on constate un
décalage entre l'instabilité politique du pouvoir central et la
relative stabilité des structures politiques locales : entre 1834
et 1856 (soit 22 ans), on a comptabilisé environ 33 équipes de
gouvernement au pouvoir central, 28 équipes municipales à
Barcelone et 20 à Sarrià. De toutes façons, le décalage est
relatif. En d'autres termes : le pouvoir central et le pouvoir
municipal barcelonnais sont plus proches. Quoique, dans la
même période, les moments politiquement plus
déstabilisateurs pour le pouvoir central le sont aussi pour le
Conseil municipal barcelonnais (bien que pas avec la même
intensité), pas du tout pour le Conseil municipal de Sarrià 9.

4Ces résultats manifestent :


1. que la vie politique locale en Catalogne était très différente de
la “vie politique nationale” (souvent interprétée en termes
d'“alternance de situations politiques”) ;
2. que l'État espagnol n'étais pas en conditions de réaliser la
centralisation qu'il espérait (et que les historiens ont pris
souvent pour une réalité) parce qu'il était vraiment faible ;
3. que la construction de l'État libéral comptait avec une base
sociale plus solide dans la ville de Barcelone (voir ses groupes
dominants) que dans le monde rural ;
4. et finalement, que les pouvoirs locaux et régionaux en
Catalogne jouaient un rôle politique très important au milieu
du XIX  siècle, c'est-à-dire, quand a lieu l'instauration de l'État
e

libéral.

5Réflexions sur la problématique


1. Les études que j'ai synthétisé précédemment, tout comme
beaucoup d'autres, contestent la validité de la notion
traditionnelle de “vie politique” (centrée sur la sphère du
Gouvernement, de l'État comme institution, des affaires
nationales…) et elles montrent un décalage entre la “vie
politique locale” et la “vie politique nationale”. Je crois que la
révision du concept de “vie politique” reste posée pour le
débat : quel doit être son contenu ?.
2. En tant que réaction contre les énoncés traditionnels qui
insistaient sur les “grands changements”, tout en abusant du
concept de “révolution”, les études historiques sur le pouvoir
local dans la période concernée mettent souvent l'accent sur la
“continuité” des rapports de pouvoir anciens face aux
changements politiques généraux. Mais, s'agit-il d'une vraie
continuité politique locale ? A cet égard, J.-P. Jessenne a
signalé que sous la Révolution un Conseil municipal peut être
“populaire” en ce qui concerne sa composition mais “non
révolutionnaire” dans sa politique10. A mon avis, la question
“qui détient le pouvoir ?” est tout à fait nécessaire mais elle est
moins importante que la question “qu'est-ce qu'on fait avec le
pouvoir ?”. De cette façon, la portée de la continuité politique
provenante de la seule considération du personnel qui contrôle
les fonctions exécutives, reste limitée et doit être
ultérieurement vérifiée dans le champ de la pratique politique,
qui est le champ décisif. D'autre part, quand on parle de
continuité politique, c'est souvent la sphère du pouvoir
politique qui est envisagée, tandis que les autres pouvoirs
(économique, idéologique, social) ne font pas toujours l'objet
de la même attention. Donc, je me pose trois questions : les
groupes sociaux qui détiennent ces pouvoirs, sont-ils toujours
– et nécessairement – les mêmes ? quels sont leurs
comportements respectifs face à la vie politique ? le degré de
continuité (ou de changement) est-il le même à tous les
niveaux ?
3. Je crois qu'il faut refuser une vision statique des rapports de
pouvoir à l'échelle locale, et je me pose concrètement la
question de la dynamique politique à l'intérieur de la
collectivité : quelle a été, par exemple, l'évolution du rapport
de forces dans une collectivité donnée entre 1780 et 1850 ?
4. Mais, est-il possible de faire abstraction du poids de l'État et
des désordres “extérieurs” (changements politiques, guerres
etc.) sur les luttes pour le pouvoir à l'intérieur de la
collectivité ? Bien sûr, dans une formation sociale déterminée,
le fait d'observer la crise de l'Ancien Régime et la construction
de l'État libéral “d'en bas”, amène à considérer la grande affaire
des rapports centre-périphérie (sans exclure le poids des
vieilles familles elles-mêmes sur l'Etat). Mais il faut également
considérer d'autres aspects : par exemple, l'extraordinaire
importance du curé dans la vie politique locale et l'influence de
celui-ci sur la construction de l'État libéral, compte tenu que
l'Église avait une vision particulière de l'État11.
5. A mon avis, c'est la localité (non la région), l'unité d'analyse
pertinente pour les études sur les rapports entre l'État et les
pouvoirs locaux. Bien sûr, dans le monde rural on ne peut pas
envisager une collectivité locale hors de son “pays”, et
incontestablement les études régionales du pouvoir local
permettent d'importantes généralisations. Mais je crois qu'il
est très difficile de saisir le poids de l'État sur le rapport de
forces local et le poids réel des vieilles familles (et de leurs
luttes intérieures) sur la construction de l'État libéral, sans que
la localité soit l'unité d'analyse privilégiée. Cependant, compte
tenu que les collectivités ne nouent de relations avec l'État qu'à
travers des instances politiques régionales, les rapports entre
les pouvoirs locaux et ces instances-là sont très importants,
surtout dans une formation sociale comme la Catalogne où les
groupes dominants ne jouissent pas d'un État propre.
6. Apparemment, dans une certaine perspective, on pourrait
soutenir que l'État espagnol du XIX  siècle était plus faible que
e

l'État français ou que l'État anglais12. Je crois qu'une telle


affirmation n'est pas correcte, car chacun de ces systèmes
politiques avait ses particularités irréductibles. Je me pose la
question en d'autres termes : quels seraient les critères
convenables d'une étude comparée des rapports entre l'État et
les pouvoirs locaux en Europe dans la période concernée ?
NOTES
1 Ce travail a été possible grâce à l'aide financière de la Fundació
Jaume Bofill et de la C.I.R.I.T.. Je remercie M. Jaume SUAU, professeur à
l'Université de Barcelone et Directeur de ma thèse de Doctorat sur le
même thème, pour les critiques qu'il a réalisé au manuscrit. Mais, bien
entendu, je suis le seul responsable de ces pages. D'autre part, je dois
exprimer ma reconnaissance à M. Yves LEQUIN, professeur à l'Université
Lumière Lyon II et Directeur du Centre Pierre LÊON, de la M.R.A.S.H. de
Lyon, pour son appui et son amabilité à l'occasion de ma recherche
bibliographique sur le pouvoir local en France.

2 Je résume dans cette section un travail du professeur >Jaume SUAU,


“Qui mana ? Com ? Per què ? Estudi de les relacions de poder en les
collectivitats rurals”, in L'Avenç, n° 160, p. 35-37, où il rend compte
des prémisses qui guident un groupe de chercheurs de l'Université de
Barcelone qu'il coordonne et duquel je fais partie. Pour des raisons
d'espace, j'ai du éviter la mention de la bibliographie concernée.
D'autre part, on se rapportera à, E. TOSCAS, “Los estudios sobre el
poder local en la Francia rural (ss. XVIII-XIX). Un comentario
bibliográfico”, dans, Noticiario de Historia Agraria, n° 2, 1991, p. 113-
122. Je dois avertir que, compte tenu de la nature du Colloque, j'ai
souligné, entre les différents pouvoirs impliqués, le pouvoir politique.

3 Vid., F. AYALA et E. TOSCAS, “Entorn dels poders i les hisendes locals


de dos municipis de Catalunya a mitjan segle XIX : Sarrià i Masquefa
(1847-1856). Una anàlisi comparativa”, dans, Fiscalitat estatal i
hisenda local (ss. XVI-XIX)  : funcionament i repercussions socials,
Palma de Mal lorca, 1988, p. 481-527 ; F. AYALA, Aproximació a
l'estudi del poder local de Masquefa (1847-1874), Mémoire de
Maîtrisse, Université de Barcelone, 1992 ; F. AYALA et E. TOSCA, “Estat i
vida polίtica local : Sarrià i Masquefa a mitjan segle XIX”, dans, L'Avenç,
n° 160, Juin 1992, p. 38-40 ; E. TOSCAS, “Sobre la qüestió política local
a mitjan segle XIX. Aproximació a l'estudi de les relacions entre els
poders locals i lAjuntament al municipi de Sarrià en 1840-1856”,
dans, Estudis d'Història Agrària, n° 9, p. 73-126 ; E. TOSCAS, “Elements
de continuïtat política local a la Barcelona del primer terç del segle
XIX”, dans, Afers, n° 15, p. 163-174 ; E. TOSCAS, “Sentimiento de
pertenencia local y territorio en una colectividad del Llano de Barcelona
entre el Antiguo Régimen y cl Estado liberal : Sarrià (1780-1860)”,
dans Estudios Geográfi-cos, 1993 ; F. AYALA et E. TOSCAS, “ ” (sous
presse).
4 Barcelone, démographiquement et économiquement la première ville
de la Catalogne et la deuxième d'Espagne, est passée des 90.000 aux
180.000 habitants environ au long de la première moitié du XIX  siècle,
e

à cause du processus d'industrialisation. Sarrià, une des communes


rurales de la plaine (“Pla”) de Barcelone, située à cinq kilomètres de la
ville, avec 2.200 habitants à la fin du XVIII  siècle, est devenue une
e

commune de plus en plus dépendante de la capitale mais elle ne s'est


pas industrialisée, et en 1860, avec 3 800 habitants, elle vivait surtout
des activités liées à la construction et à l'urbanisation. Finalement,
Masquefa, un village situé à une quarantaine de kilomètres de
Barcelone, enclavé dans un pays pleinement agricole (“l'Anoia”), était au
milieu du XIX  siècle trois fois plus petit que Sarrià du point de vue
e

démographique (il avait 1.100, habitants) et trois fois plus grand en ce


qui concerne son territoire (il possédait 1.500 hectares). Masquefa, en
fait, s'est maintenu essentiellement rural, dédié à la culture de la vigne,
tandis que Sarrià et, surtout, Barcelone ont souffert de graves
transformations.

5 Ma thèse de Doctorat, sur les rapports entre l'État et les pouvoirs
locaux en Catalogne, est centrée sur la période 1780-1860.

6 Il fout esquisser la chronologie politique traditionnelle de la période


en Espagne. La crise de l'Ancien Régime se situe entre 1780 et 1833. Y
sont compris, entre d'autres événements : la Guerre contre la France
révolutionnaire (1793-95), la Guerre de l'Indépendance de 1808-1814
(contre l'occupation militaire napoléonienne), la première restauration
absolutiste (1814-20), la première période de Monarchie
Constitutionnelle (1820-23), la deuxième restauration absolutiste
(1824-33). La seconde période libérale se déroule à partir de 1833-34,
où des gouvernements “moderés” (résultat d'un pacte entre les
secteurs “moderés” du carlisme et du libéralisme) s'alternent au
pouvoir avec des équipes “progressistes” (plus libérales).

7 Ces nobles barcelonnais, qui se comptaient entre les plus gros


contribuables urbains, constitueront l'essentiel de l'élite dirigeante du
carlisme catalan pendant la guerre de 1833-40.
8 Organisation policière-militaire espagnole crée en 1844 par l'État
pour le maintien de l'ordre social dans le monde rural.

9 A Sarrià c'est l'an 1841 le plus déstabilisateur de la période 1834-


56 ; à Barcelone, par contre, c'est l'an 1842. Et cela malgré des étroites
relations de dépendance économique entre Sarrià et Barcelone.

10 Vid. J.-P. JESSENNE, Pouvoir au village et Révolution. Artois 1760-


1848, Lille, 1987, p. 108 i 142.

11 Je dois cette remarque à la gentillesse du professeur M.


Giovanni LEVI. J'ai travaillé dans cette direction : vid.
E. TOSCAS, “Sentimiento de pertenencia local y territorio…”,  op. cit.

12 Ces dernières lignes doivent beaucoup à une discussion que j'ai eu


sur ce thème avec le professeur M. Giovanni LEVI.

AUTEUR
Eliseu Toscas
Les municipalités
languedociennes à l'épreuve
de la Révolution (1780-1800)
Georges Fournier

p. 521-536

TEXTE NOTES AUTEUR

TEXTE INTÉGRAL
 1 . Georges FOURNIER, Démocratie et vie municipale en Languedoc du
milieu du XVIIIe au début du XIXe (...)

1Le Languedoc connaissait au XVIII  siècle une importante vie


e

municipale. Il constitue donc un terrain privilégié pour s'interroger


sur la portée des mutations de la période 1789-1800.
Révolutionnaires ailleurs, n'auraient-elles représenté ici qu'un
faible changement ? Pire, n'auraient-elles pas, comme on l'a écrit
parfois, rompu un équilibre à peine ébranlé par les tendances
centralisatrices de la monarchie et précipité la mise en tutelle du
pouvoir local ? Répondre à ces questions implique la prise en
compte, de part et d'autre de 1789, des structures du pouvoir,
des formes de participation à ce pouvoir, des réalités et des
limites de ses capacités d'intervention. Il peut sembler trop
ambitieux de prétendre cerner en une seule communication
autant de domaines divers. Il a paru utile, pourtant, de livrer à la
discussion, aux prix d'une inévitable schématisation, les grandes
lignes d'une thèse qui prend appui plus particulièrement sur
l'étude de la région située entre vallée de l'Hérault et vallée de la
Garonne1.

I. LES MUNICIPALITÉS SOUS


L'ANCIEN RÉGIME
2On ne peut comprendre la vitalité de l'institution communale en
Languedoc à la fin du XVIII  siècle qu'en la replaçant dans le cadre
e

plus large d'une structure pyramidale de collectivités territoriales :


une  municipalité provinciale, vingt-quatre municipalités
diocésaines, environ 2 500 municipalités locales ou communautés
d'habitants. Pour les États de Languedoc :
 2 A.D. Hérault, C 5801.

“L'Essence de la Constitution des païs d'État est la liberté, dont l'un des
plus légitimes usages est l'avantage qu'ont les habitants des
Communautés de choisir eux-mêmes leurs administrateurs qui sont en
même temps leurs représentants dans les assemblées des trois ordres
qui forment le corps politique de cette partie de la nation” 2

3Cette hiérarchie représentative justifiait à son tour la tutelle


exercée par les États sur les administrations locales :
 3 Discours de l'archevêque Dillon, Président des États, cité par
Trouvé,  États de Languedoc, Paris, (...)

“…c'est à ce titre que nous formons nous-mêmes des engagements


dont la nature solidaire nous donne et intérêt et droit de surveiller
toutes les administrations particulières. [Nos délibérations…] sont
l'ouvrage de la province entière ; elles sont l'expression fidèle des
sentiments d'un grand peuple, manifestés par ses représentants” 3.

4Cette image idéale demande naturellement à être sérieusement


nuancée. Presque toutes les communautés d'habitants
possédaient leurs consuls, chargés de transmettre et faire
exécuter les décisions des autorités supérieures, mais aussi
d'exercer la “police” et de gérer les intérêts collectifs, et leurs
conseils d'habitants. Représentants de la communauté, ceux-ci
entendaient l'exposé de toute affaire de quelque importance,
délibéraient et votaient. Contrôlant la gestion des consuls,
cautionnant leur action, ils devenaient par contre les garants de
l'exécution des ordres reçus. En principe, depuis 1688, cette
représentation devait être exercée dans le moindre village par un
conseil restreint ou conseil politique, désigné à l'origine par
l'intendant et renouvelé par moitié tous les ans par cooptation. En
fait, certains villages, surtout en dehors de la zone
méditerranéenne, conservèrent jusqu'en 1789 le conseil général
ouvert à tous les propriétaires, parfois même à tous les
contribuables. Malgré leur désir d'uniformisation, l'intendant et
les États n'imposèrent le passage au conseil restreint qu'en cas de
crise locale.
5Le conseil général fut défendu pied à pied par les petits
propriétaires là où ils dominaient, et ils n'en furent souvent
dépossédés qu'à la suite de leurs difficultés économiques. Mais ce
type de conseil avait aussi la faveur des grands propriétaires
Toulousains : ils pouvaient y assister et y recevoir l'appui de leur
clientèle de brassiers, alors que les rares propriétaires villageois
dominaient le conseil restreint, où les forains n'étaient
représentés que par un seul syndic. Le conseil politique pouvait
cependant conserver une certaine représentativité démocratique
dans les villages de population paysanne peu différenciée. Mais la
disparition du conseil général s'accompagna en général de
distinctions hiérarchiques à bases censitaires et socio-
professionnelles qui n'étaient jusque là perceptibles qu'au niveau
du consulat et dans les communautés d'une certaine importance.
Quand les petits propriétaires restaient présents ce n'était qu'au
troisième rang d'une hiérarchie garantissant au mieux une égale
représentation à ces groupes fort inégaux en nombre qu'étaient
les “bourgeois”, les ménagers, les brassiers et artisans. Dans les
bourgs et même certains villages de la zone méditerranéenne,
l'inégalité était encore plus grande : six conseillers pour le
premier rang, quatre pour le second, deux pour le troisième c'est-
à-dire la masse des contribuables. A Servian, par exemple, au
diocèse de Béziers, quinze familles, nobles, “gradués”, bourgeois
vivant noblement, se partageaient la moitié du conseil ; quinze
autres familles, chirurgiens, marchands, riches ménagers, en
occupaient le tiers ; les 367 autres contribuables devaient donc se
contenter de deux représentants. Il ne faut pas s'étonner que de
tels conseils se soient déchirés autour de la définition des deux
premiers rangs, sans remettre en cause leur structure inégalitaire.
Selon la même logique, la collégialité consulaire reculait devant la
primauté du premier consul. Mais ici il faut aussi tenir compte,
malgré la liberté électorale revendiquée par les États, du droit de
regard exercé par les seigneurs sur la majorité des nominations.
6Les villes poussaient plus loin encore les principes d'exclusion et
de hiérarchie. En additionnant critères censitaires et socio-
professionnels, à Béziers comme à Carcassonne, environ 13 % des
contribuables masculins pouvaient prétendre à accéder au conseil,
à Toulouse sans doute guère plus de 10 %, tandis que la
proportion d'admissibles au capitoulat n'atteignait pas 2 %.
Béziers nous offre l'exemple d'une ville moyenne de structure
traditionnelle : le premier chaperon allait alternativement à un
noble et à un avocat ou médecin, tandis que, pour l'ensemble de
la période 1750-1789, chanoines, officiers de justice, nobles et
gradués, fournissent près de la moitié des conseillers.
Carcassonne illustre au contraire le cas des villes dites de grand
commerce. Marchands fabricants et gros négociants participent à
l'alternance pour le premier chaperon et groupe dominant,
envahissent en permanence le second, s'étendant à l'occasion
jusqu'au troisième avec leurs représentants plus modestes. A
Béziers, et de façon plus décisive encore à Narbonne ou dans les
petits évêchés, comme Rieux ou Agde, le seigneur ecclésiastique
pèse aussi sur les choix consulaires.
7Toulouse, par l'arrêt du Conseil du 26 juin 1778, retrouvait la
liberté d'élire les Capitouls, dans un respect des rangs favorable à
la noblesse. Le roi se réservait la nomination d'un chef du
consistoire pris parmi les avocats et dans l'immédiat il désignait
capitouls et conseillers, qui devaient déterminer la suite par le
système de la cooptation. De 1780 à 1789, les différentes
municipalités rassemblèrent 25 % de nobles, 13 % de grands
négociants, 10 % de “bourgeois”, 6 % d'agents des services
publics, et 46 % de professions libérales, dont 37 % d'hommes de
loi. Les liens étaient trop étroits entre noblesse et aristocratie
parlementaire, les hauts magistrats, présents d'office dans les
conseils, trop influents sur leur clientèle d'hommes de loi, pour
que la tutelle du Parlement sur la municipalité soit sérieusement
ébranlée.
8Le “droit public municipal de la Province”, que les États
s'efforcèrent d'instaurer après 1775, était donc loin de livrer un
paysage cohérent. Une logique tendait à l'emporter : l'émergence
des notables. Mais, tout en respectant certains rapports de force
locaux, les États, pas plus d'ailleurs que le Parlement de Toulouse,
ne parvenaient à trancher les contestations par une définition
claire de la notabilité : tantôt la fortune était invoquée “parce que
les plus forts contribuables ont toujours le plus grand intérêt
dans l'économie de la bonne administration ” ; tantôt les
hiérarchies prévalaient, “le nombre des plus forts allivrés étant
précisément des classes inférieures, et presque étrangères à la
formation des conseils politiques”. Nombreuses, les familles du
premier rang se disputaient le pouvoir, peu nombreuses, elles
devaient le défendre face à l'assaut des bénéficiaires de l'évolution
économique. Les rangs inférieurs opposaient aux hiérarchies “la
loi générale”, le “droit commun” de l'ensemble des “citoyens”, et
exigeaient des scrutins secrets ; les exclus de la petite
bourgeoisie urbaine réclamaient en vain leur entrée au conseil.
Souvent, pourtant, par le jeu des clans et des clientèles, la lutte
pour le pouvoir aboutissait à la formation de “deux partis” qui,
dans le désir de mobiliser l'opinion, en venaient d'ailleurs parfois
à définir des politiques municipales rivales. Dans les villages, ceux
qui ne pouvaient plus contrôler le pouvoir ne le reconnaissaient
plus : le refus de l'autorité des consuls, l'agressivité à leur égard,
allaient croissant.
9La vigueur de ces luttes est-elle le signe d'une solide réalité du
pouvoir municipal ? Retenons pour l'instant que le conseil général,
jusqu'aux années 1770 au moins, n'enregistre guère ce qui lui
paraît relever de la seule initiative locale. La croissance apparente
des initiatives après 1770 correspond aux progrès de
l'enregistrement, donc des possibilités de contrôle a posteriori.
Même alors, les conseils apparaissent d'abord comme les
instruments de la machine fiscale. Sauf pour les villages gérant un
important patrimoine collectif, l'exécution dépasse le plus souvent
50 % des points débattus. Les moyens matériels font largement
défaut : budgets étriqués, archives rares et dispersées. En dehors
des bourgs et d'une partie des gros villages méditerranéens,
parler, comme on l'a fait parfois pour le Languedoc, de
communautés capables, grâce à de bonnes archives, de soutenir
efficacement des procès libérateurs, est beaucoup embellir la
réalité.
10Malgré une grande diversité, trois grandes catégories peuvent
être distinguées. Le village paysan isolé, quand il échappe à la
clientèle du seigneur ou du riche forain, vit une autonomie
précaire. On y conserve l'idée que seules les décisions prises par
“le général de la communauté” peuvent engager celle-ci ; la
pression collective, les justifications par la mémoire commune, en
dehors de tout texte ou toute référence juridique, y sont pratiques
courantes. Mais les habitants maîtrisent mal le suivi des
décisions : seule la mise en cause directe de leurs intérêts
provoque une forte mobilisation, encore est-il rare, même alors,
de rassembler plus de 30 à 40 % des contribuables. La
prédominance des formes orales laisse aux consuls une grande
marge de manœuvre, à condition qu'existent des revenus
patrimoniaux faciles à dissimuler aux autorités de tutelle. La
résistance passive, l'ignorance volontaire, restent les meilleures
armes contre les autorités supérieures. Mais dès que se
désagrègent les solidarités communautaires, et le phénomène
s'accélère à la fin du XVIII  siècle, le mépris des règlements, les
e

irrégularités de gestion, sont dévoilés par les dénonciations. Les


arguments ne manquent donc pas pour imposer un conseil
politique.
11Le conseil restreint assure une classe dirigeante plus
compétente, plus indépendante, parfois, vis-à-vis du seigneur ou
du décimateur. Plus que les réactions élémentaires et purement
défensives du conseil général, il devrait permettre le timide
développement de responsables paysans à travers les contraintes
acceptées de l'écriture et de la langue française. Mais les
aliénations économiques, linguistiques et culturelles, jouent
pleinement dans ce milieu restreint. Les clans, au service d'une
oligarchie, tendent à se substituer à la volonté générale. Dans ces
villages, souvent moins isolés, à la vie administrative plus
transparente, les déchirements internes favorisent les
interventions des autorités supérieures, par ailleurs en droit
d'escompter la soumission de notables dont elles ont contribué à
consolider le pouvoir.
12Si le contrôle qui s'exerce sur elles est encore plus strict, les
villes semblent mieux armées pour définir et faire aboutir une
politique municipale, d'autant que leur premier, et parfois leur
second consul, siègent à l'assemblée des États. Mais la perception
d'un octroi, ou subvention, d'ailleurs impopulaire, est compensée
par les lourdes charges qui leur sont imposées, et leur
endettement est considérable.
13Pourquoi les États de Languedoc ne sont-ils pas parvenus,
malgré l'évolution qu'ils ont encouragée, à imposer ce “droit
municipal de la Province” qui aurait assuré, par l'intermédiaire des
notables placés sous leur tutelle, rationalité administrative et
maîtrise des tensions locales ? Sans doute parce que à tous
niveaux s'affirme, on l'a vu, malgré les prétentions affichées, un
grave déficit de représentativité. Les notables locaux eux-mêmes,
privés dans leur très grande majorité de toute influence dans les
assemblées diocésaines dominées par le syndic, homme de
l'évêque, et plus encore de toute chance d'entrer aux États,
n'éprouvent aucune solidarité profonde avec l'administration
provinciale. D'ailleurs, à partir de 1775 surtout, les États, pour
mieux assurer leur primauté administrative aux dépens du
parlement de Toulouse, ont entrepris une étroite collaboration
avec l'intendant et la monarchie. D'un point de vue local, tutelle
de l'intendant et tutelle des États se confondent, et l'on dénonce
avec la même ardeur “despotisme ministériel” et “despotisme” de
la province. Parce qu'elle s'arroge progressivement tout ce qui
touche à la fiscalité et aux travaux publics, terrain propice aux
contentieux et à de lourds prélèvements, l'administration
provinciale détourne même sur elle les réactions hostiles
suscitées par l'égocentrisme local. A l'inverse, les officiers
municipaux qui cherchent un appui auprès des États pour
promouvoir une politique populaire, par exemple en libérant les
communautés de la tutelle seigneuriale, ou en faisant imposer les
biens prétendus nobles, sont souvent déçus par les résultats.
Incapacité à définir de nouveaux modes de représentation et
froide logique de développement d'une administration par ailleurs
efficace, se conjuguaient pour mettre en valeur une certitude : la
communauté locale ne supporte pas mieux un pouvoir régional
qu'un pouvoir central si elle n'y trouve pas un intérêt évident.
II. MUNICIPALITÉS
LANGUEDOCIENNES ET
RÉVOLUTION
14En Languedoc, la loi du 14 décembre 1789 apportait peu de
changements aux structures du pouvoir municipal comme à ses
attributions. La conjonction de la fièvre législative et de la
dynamique révolutionnaire devait cependant donner aux
“fonctions propres à l'administration générale qui peuvent être
déléguées aux corps municipaux” une extension sur laquelle nous
aurons à revenir. Dans l'immédiat, c'est bien la “libre
représentation”, aspiration certainement la plus évidente dans les
conflits municipaux de la fin de l'Ancien Régime, qui constituait la
véritable révolution. Encore faut-il en mesurer les effets.
15Première constatation, la démarche représentative ne met pas
fin partout à la pratique de la “démocratie directe”. Bien des
villages retournent à l'été 1789 aux conseils généraux ouverts,
certains y recourent ensuite plus ou moins fréquemment, en
fonction de la dynamique révolutionnaire, ou à l'inverse pour
justifier des résistances à la révolution. La règle générale renvoie
cependant à l'élection, donc, jusqu'à 1792, à l'exclusion des
citoyens passifs. Se révèle-t-elle mutilante par rapport à la
situation antérieure ? On peut répondre non, avec quelques
nuances. D'une part les micro-parcellaires participaient très
rarement aux conseils généraux, même quand ils y avaient
théoriquement accès. D'autre part la définition de la citoyenneté,
très variable d'une commune à l'autre, reflétait justement la plus
ou moins grande force des traditions démocratiques élémentaires.
Dans les villages habitués au conseil général, les actifs
représentent souvent plus de 90 % des contribuables, y compris
dans le Toulousain où la plupart des paysans n'étaient pas
propriétaires. A l'inverse, dans les villages depuis longtemps régis
par le conseil politique, une stricte application de la logique
censitaire entraîne une plus large exclusion, mais nettement
moindre que celle provoquée par le système des rangs. Quand
des citoyens passifs protestent, c'est en général dans ce type de
communes : ils expriment donc une frustration par rapport à une
espérance plus que le regret d'un droit remis en cause. Par contre,
on retrouve partout la volonté d'écarter non seulement les
domestiques mais aussi, malgré la loi, les maîtres-valets,
considérés, à la différence des métayers, comme les jouets de
leurs maîtres. Dans les villes, quelle que soit l'ampleur de
l'exclusion, il est rare qu'elle compromette sérieusement
l'expression potentielle des forces jusque-là exclues. Dans la ville
basse de Carcassonne les artisans divers forment près de 25 %
des actifs et les artisans du textile près de 18 %. Dans la Cité, ils
sont respectivement 18 et 29 %, avant même que ne tombe toute
barrière, dès 1791. A Béziers, artisans et brassiers semblent bien
détenir la majorité. Par un apparent paradoxe on pourrait dire
que, des villages aux bourgs et aux villes, plus les passifs sont
nombreux plus en réalité s'accroît l'ouverture par rapport à
l'Ancien Régime. Naturellement, c'est pourtant dans les bourgs et
les villes que la démocratie électorale de 1792 aura
théoriquement les effets les plus spectaculaires.
16L'usage fait de ce droit de vote devenait la manifestation la plus
concrète, du moins légalement, de la participation au pouvoir.
Avant l'application de la législation révolutionnaire les élections
aux États-généraux nous fournissent une référence de départ. La
participation, de l'ordre de 40 % dans le Toulousain au sens large,
tombe à 30 % dans la Sénéchaussée de Carcassonne, et à 15 %
dans celle de Béziers. Globalement, malgré quelques exceptions,
plus la pratique du conseil restreint est enracinée moins la
participation est forte. C'est la tradition du conseil général, dans
les limites déjà signalées, qui soutient donc cette première
manifestation de civisme.
17Peut-on dire pour autant que le recours à la procédure
électorale, en rupture avec cette tradition, explique la faible
participation aux élections de la période révolutionnaire ? Il ne le
semble pas. En février 1790, on peut évaluer à plus de 40 % la
participation aux élections municipales en Haute-Garonne, à 48 %
dans le district de Narbonne, à plus de 60 % dans celui de
Montpellier. Dans les petits villages de tradition démocratique la
progression est faible par rapport à une participation qui en 1789
surpassait déjà les conseils généraux les plus fréquentés. Elle sera
d'ailleurs souvent supérieure lors des assemblées primaires de
l'été, comme si l'intérêt pour les élections municipales avait été
limité par la force du consensus. Dans les gros villages, et dans la
zone méditerranéenne en général, la relative mobilisation des
électeurs derrière les “partis” traditionnels se traduit au contraire
par des progrès spectaculaires par rapport à 1789. Les clans
oligarchiques s'élargissent en passions collectives, qui contrastent
parfois avec une certaine indifférence à l'égard des assemblées
primaires. Dans les villes, la participation est souvent du même
ordre pour les élections municipales et les assemblées primaires,
soit moins de 30 %. Carcassonne permet cependant une
intéressante constatation : il y a une nette opposition entre
l'intérêt des classes aisées pour les assemblées primaires et celui
qui porte plutôt le monde du petit commerce et de l'artisanat, y
compris dans ses éléments populaires, vers les élections
municipales. Ici encore, c'est dans les élections municipales que
les “rangs” inférieurs et les exclus trouvent l'aboutissement de
leurs revendications politiques passées.
18Globalement, malgré de sensibles nuances régionales et locales,
pour les trois départements étudiés, l'écart restait cependant peu
marqué en 1790 entre la participation aux assemblées primaires
et aux élections municipales. Il n'en est pas de même en 1791 où
la chute de la participation est nettement plus forte dans les
assemblées primaires, le Bas Languedoc méditerranéen restant le
plus mobilisé par les passions municipales. Il faut presque partout
faire une exception pour les villes, plus intéressées par les
élections législatives de juin. Sur des bases plus fragiles, on peut
estimer que l'écart se creuse encore en 1792 avec une remontée
de la participation beaucoup plus sensible lors des élections
municipales. Si l'on ne retrouve pas toujours les pourcentages de
1790, le nombre de votants est souvent très proche, compte tenu
de l'élargissement du droit de vote, qui masque en particulier la
relative mobilisation des bourgs et des villes. L'an II n'interrompit
pas tout à fait cette longue série électorale : en janvier 1794 la
première épuration de la plupart des municipalités villageoises
s'opéra en assemblée communale, avec une participation
moyenne de l'ordre de 40 %, proche donc d'une certaine
constante. Quelques élections en corps de commune eurent
même lieu au printemps 1794.
19Le Directoire bouleversa au contraire le cadre des élections. Les
officiers municipaux dans les villes, le président de la municipalité
cantonale dans les campagnes, étaient désormais élus en
assemblée primaire après les Électeurs et le juge de paix. Dans les
villes l'élection municipale fut en général la plus fréquentée l'écart
entre les différents scrutins restant cependant limité, du fait d'un
taux de participation parfois exceptionnel lorsque s'affrontaient
les partis : en l'an V, 78 % à Béziers, 71 % à Toulouse, 63 % à
Narbonne ; 44 % à Toulouse. La politisation, alimentée ici par la
vitalité du néo-jacobinisme, jouait dans tous les types d'élections.
En dehors du Bitterrois des grandes communes, où le président de
l'administration cantonale héritait en partie des vieilles passions
municipales, l'indifférence des villageois à ce dernier épisode des
assemblées primaires témoignait au contraire de leurs réticences
face aux nouvelles formes de la vie municipale. En Haute-
Garonne, les assemblées communales pour élire les agents
municipaux retrouvèrent parfois curieusement les formulations
des anciens conseils généraux, mais avec une participation
moyenne de 32 %, quelques points au-dessous du seuil
traditionnel. Dans le Biterrois, plus coutumier autrefois du conseil
restreint, malgré des contrastes marqués, on se situait autour de
35 % : sans doute moins qu'en 1791-1792, mais beaucoup plus
que les 15 % de la première expérience de 1789. C'est ici, dans les
villages urbanisés, que la Révolution marque la plus spectaculaire
ouverture de la vie municipale, dans son expression électorale
tout au moins ; phénomène qui précède ou accompagne la
politisation beaucoup plus nettement qu'ailleurs.
20Sans nier les difficultés d'adaptation à une procédure électorale
longue et complexe, ni les effets démobilisateurs du contexte
politique, soulignés par la baisse irrégulière de la participation
globale après les records de 1790, on doit reconnaître que le
vote, selon les cas, prolonge l'engagement limité de la tradition
démocratique, ou marque une ouverture parfois considérable
dans les pays de conseils restreints. Le retentissement au niveau
des élus peut paraître plus limité, d'autant que, jusqu'au
Directoire, par rapport au passé, l'éligibilité ne joue qu'un rôle
restreint : comme pour les actifs, la plus ou moins grande rigueur
de l'application est fonction de la tradition. Par contre, sous le
Directoire, l'éligibilité devient dans certains cas une barrière plus
marquée que sous l'Ancien Régime.
 4 Pour les municipalités rurales : G. FOURNIER, “Société paysanne et
pouvoir local en Languedoc pend (...)

21Malgré une grande variété de situations on peut tenter une


typologie. Dans les villages de petite et moyenne paysannerie
propriétaire et de tradition relativement démocratique, qu'elle ait
ou non connu le passage récent par le conseil politique, on note
peu de changements, tout au plus une progression des brassiers,
en particulier entre 1792 et 17944.
22Dans le Toulousain à la paysannerie largement dépendante, où
le conseil général dissimulait en fait souvent l'influence de
l'aristocratie urbaine, 1790 marque un net recul des brassiers.
Selon le rapport des forces on assiste, soit à une prise en main
directe des municipalités par les nobles, soit plutôt à la promotion
d'une maigre bourgeoisie de village jusque là indifférente, avec la
conscience d'une valeur accrue de la vie municipale, en dignité
comme en pouvoir. A partir de 1791, et surtout de 1792, en
fonction de la dynamique révolutionnaire, malgré un timide retour
des brassiers, la relève du groupe dirigeant est assurée par les
artisans et surtout par les propriétaires appartenant à la petite et
moyenne bourgeoisie toulousaine acquise à la Révolution. Les
épurations de l'an II (15 %) confirment cette évolution ; beaucoup
plus importantes, celles de l'an III (42 %), ramènent la bourgeoisie
de village ou une bourgeoisie foraine plus modérée.
23La tradition du conseil politique dans une société plus
différenciée, dans la zone méditerranéenne en particulier,
entraîne en 1790 un renouvellement moins net, surtout en termes
de catégories sociales. Parfois les ménagers aisés l'emportent
enfin sur la bourgeoisie de village, mais, le plus souvent, soit le
“parti” au pouvoir est confirmé, soit le “parti” rival, lui aussi
conduit par d'anciennes familles consulaires, prend sa revanche.
La rupture de 1792 est ici encore plus sensible que dans le
Toulousain. La radicalisation, l'ouverture du corps électoral,
donnent leur chance à des bourgeois et des ménagers instruits
jusque là exclus par la longue domination d'un parti ; brassiers et
artisans consolident des progrès amorcés en 1790, mais accèdent
rarement aux postes de maire et procureur. Ici encore, bien que
plus nettes que dans le Toulousain, les épurations de l'an II (21 %)
sont moins marquées que celles de l'an III (45 %), qui ramènent
soit les anciennes familles consulaires soit les vaincus de 1792.
24Statistiquement, il semble évident que l'évolution, depuis 1791
et surtout 1792, a porté au pouvoir dans la plupart des villages
les meilleurs, ou plutôt les moins mauvais, des représentants dont
puisse disposer le Comité de salut public au plan local.
L'analphabétisme, ou tout au moins le manque de compétence,
ont étroitement limité la révolution municipale de l'an II, y compris
dans ses formes autoritaires. Il n'est pas rare que restent en place,
même dans de gros villages, des municipalités dont l'hostilité au
régime, malgré un conformisme prudent, est vainement dénoncée
par les artisans et les brassiers réfugiés dans les Sociétés
populaires, ou même par les Comités révolutionnaires.
 5 G. FOURNIER, “Structures sociales et Révolution dans quelques villes
languedociennes”, Annales du (...)

25Les villes offraient naturellement de plus grandes possibilités de


changement5. Par rapport aux municipalités d'Ancien Régime,
partout, dès février 1790, le renouvellement de l'ensemble
municipal se situe au-dessus de 55 % celui des corps municipaux
par rapport aux corps consulaires de 75 %. La rupture s'accentue
régulièrement à Toulouse, pour atteindre 90 et 100 % en l'an II. A
Carcassonne et à Béziers, par rapport aux familles consulaires, le
renouvellement du corps municipal est, en 1792 comme en l'an II,
de l'ordre de 80 %. Après un certain retour aux hommes de
l'Ancien Régime ou aux élus de 1790 en l'an III, les
administrateurs du Directoire, il est vrai néo-jacobins, confirment
l'effacement des anciennes familles consulaires : 75 % d'hommes
nouveaux à Carcassonne, 88 % à Béziers, 100 % à Toulouse.
26La mutation n'est pas aussi nette en matière de catégories
sociales. Sous la Monarchie constitutionnelle, la petite
bourgeoisie, élargie aux artisans à Carcassonne, aux marchands
jusque-là absents à Toulouse, occupe 25 % des conseils, mais
13 % seulement à Béziers. Ces anciens exclus culminent à 35 % à
Carcassonne, à 23 % à Béziers, avec la période démocratique. A
Toulouse, tombés à 14 % en 1792 ils remontent à 30 % après les
épurations de l'an II, qui voient également les négociants
remplacer pour la première fois les hommes de loi au sommet de
la hiérarchie. A Carcassonne, les marchands fabricants, évincés de
la direction en 1790, reviennent au premier plan en 1791, avant
de s'effacer à partir de 1792 au profit d'une coalition des petits
hommes de loi et des marchands qui prolonge les conflits pré-
révolutionnaires. Si l'on y trouve des hommes nouveaux, les
municipalités du Directoire reposent sur les mêmes groupes
sociaux qu'en l'an II : négociants, hommes de loi, professions de
santé, marchands, en proportion variable selon les villes. Par
contre, peut-être parce qu'il ne reste qu'un groupe restreint
d'administrateurs municipaux et non un véritable conseil, la plus
petite bourgeoisie, présente dans les luttes politiques, est
pratiquement absente des municipalités. Dans les villes, la
Révolution bouleverse les hiérarchies aux dépens des grands
notables mais elle n'ouvre que timidement les municipalités aux
anciens exclus.
27La définition du pouvoir municipal en décembre 1789, les
attributions déléguées ensuite par le législateur, l'intérêt porté
aux élections municipales, le rôle des municipalités dans la
Révolution, autant d'éléments qui, même en Languedoc, plaident
pour un net renforcement du pouvoir local par rapport à l'Ancien
Régime. Mais, à l'inverse, on peut souligner l'intervention des
Sociétés populaires et des Comités révolutionnaires entre 1792 et
1794, comme le caractère contraignant d'une législation
envahissante et la tutelle grandissante du pouvoir central, qui
s'affirme avec le gouvernement révolutionnaire avant de prendre
forme constitutionnelle en l'an III. Essayons de mesurer sur le
terrain ces nouveaux équilibres.
28L'accroissement des activités municipales est considérable. A
Carcassonne, pour une moyenne de 61 points débattus
annuellement entre 1772 et 1788, on passe à 120 en 1791, à
1932 en 1794, soit 32 fois plus. Dans les villages, après un rapide
doublement, on dénombre en 1793 ou 1794 de cinq à dix fois
plus de questions débattues que dans les années 1780.
Incontestablement, c'est l'exécution par délégation de pouvoir qui
représente l'essentiel de ce surcroît d'activité. A Carcassonne, la
part de l'exécution, de 45 % à la fin de l'Ancien Régime, tombe à
34 % en 1791, mais remonte brusquement à 47,5 % en 1794, pour
atteindre 50,8 % en 1795 et plus de 60 % sous le Directoire. Il faut
préciser d'ailleurs qu'à l'intérieur de ce secteur d'activité
l'exécution sans possibilité d'initiative, pratiquement inexistante
de 1790 à 1793, représente 4,2 % en 1794 et 5,7 % sous le
Directoire ; si elle ne concernait que 3,8 % des délibérations de
1772 à 1788 elle avait atteint un record de 7 % entre 1766 et
1771, période de crise municipale. A l'inverse, la pure initiative
culmine nettement à 47 % en 1793, et reste très supérieure,
même en 1794 à ce qu'elle était sous l'Ancien Régime. A s'en tenir
à l'addition des initiatives soumises à autorisation et de la pure
initiative, c'est la période 17891793 qui apparaît comme l'âge d'or
de l'autonomie municipale à Carcassonne, du moins pour la
période étudiée.
29La situation, bien que très variable, est nettement moins
favorable dans les villages, où la part de l'exécution ne baisse
jamais sensiblement et peut atteindre 80 % à partir de 1794, dont
parfois près de 30 % sans possibilité d'initiative. Il faut souligner,
cependant que, même au village, les initiatives, si elles diminuent
en pourcentage, se maintiennent ou même progressent en
nombre.
30Les changements traduisent naturellement les obligations
nouvelles. En ville, les trois activités dominantes des conseils
politiques : travaux publics et urbanisme, fiscalité, finances
locales, se maintiennent jusqu'en 1791 malgré le recul de
l'urbanisme et la montée des problèmes de subsistances. En 1793
s'achève un renversement total : les subsistances passent en tête,
devant les affaires militaires et la police, les affaires militaires
prenant même la première place en 1794-1795. Sous le
Directoire, les subsistances s'effacent, la paix avec l'Espagne
éloigne les préoccupations militaires, la police devient pour
longtemps la plus envahissante. Dans les villages les
responsabilités fiscales constituaient l'essentiel des délibérations
(58 %), lorsque les questions locales étaient systématiquement
sous-enregistrées, elles s'étaient stabilisées à un seuil minima de
38 % avant 1789 lorsque tout était enregistré. Elles restent en tête
jusqu'en 1792, avant d'être supplantées par les obligations liées à
l'armée et accessoirement à la police, cette dernière devenant, ici
encore, le souci principal sous le Directoire.
31En ville, pratiquement toutes les délibérations à prendre,
préparées en commissions, passaient, surtout après 1792, par le
conseil général ; les campagnes délibéraient parfois sous la
pression des commissaires du district. La ville, plus que le village,
garda ainsi jusqu'à l'an III la gestion locale de la politique
révolutionnaire. Mais toutes les communes prenaient en charge,
sans contrôle immédiat, un certain nombre des problèmes
nouveaux, ce qui n'exclut ni l'impression de surcharge ressentie
au niveau de l'exécution, ni le malaise provoqué par l'intrusion de
l'État ou des autorités municipales dans des domaines jusque-là
protégés. Jusqu'à l'an III, le pouvoir municipal est l'articulation
essentielle où se joue, entre collaboration active et résistance
passive, au point le plus sensible à la pression de l'opinion, le sort
de la dynamique révolutionnaire.
32Avec le Directoire s'amorce par bien des aspects une évolution
que le premier XIX  siècle amplifiera et sur laquelle il serait trop
e

long de s'attarder ici. La justification idéologique du principe


centralisateur trouve son illustration dans la constitution.
L'exécution déléguée, dont la police devient l'objet prédominant,
échappe de plus en plus aux délibérations des conseils pour
passer finalement aux maires, agents de l'État. L'affirmation du
principe de notabilité renforce les critères d'éligibilité, puis
introduit massivement les propriétaires forains dans les
municipalités aux dépens des paysans, et réserve les
municipalités urbaines aux plus riches des habitants. Sur tous ces
points, l'Empire et la Restauration, ramènent le pouvoir local à une
dépendance beaucoup plus forte que sous l'Ancien Régime.
33Des municipalités nommées, sans liberté de réunion, n'avaient
jamais eu aussi peu d'activité et aussi peu d'initiative. Les conseils
municipaux, pourtant, surtout dans les villages, ne perdent pas
entièrement leur force de contestation et leur capacité de
résistance passive, mais on ne peut plus parler de libertés locales.

34La Révolution marque bien une phase originale dans l'histoire
du pouvoir local en Languedoc. Les institutions languedociennes
traversaient à la fin de l'Ancien Régime une double crise de
représentativité : dans leur dimension locale comme dans leur
expression provinciale. Malgré les limites de la participation,
l'élection ne remit pas en cause les survivances démocratiques
dans la petite paysannerie et elle assura une nette ouverture dans
la plupart des communes où s'était développé un système
oligarchique. Au niveau des élus, pourtant, malgré la disparition
des hiérarchies, l'élargissement social fut limité par les aliénations
économiques et surtout culturelles. La loi municipale de décembre
1789 créait incontestablement les conditions d'une extension du
pouvoir municipal : l'énorme développement des activités
municipales qui suivit tenait d'abord aux fonctions d'exécution
déléguées, mais il ne se traduisit pas, loin de là, par le recul des
initiatives. Une contradiction, cependant, se développait, que la
disparition de la Province transforma en un inégal face à face,
entre la souveraineté nationale et un pouvoir municipal qui,
s'estimant revêtu par l'élection d'une mission de représentation
locale, pouvait incarner aussi bien un dépassement
révolutionnaire qu'une résistance “localiste”. Conscients du
danger, les Constituants n'eurent pas le temps de briser le cadre
communal. Leurs successeurs, entraînés par la révolution
démocratique, ne pouvaient ignorer le rôle essentiel des
municipalités dans la dynamique révolutionnaire. Devant
l'urgence, les Montagnards essayèrent de maîtriser la
contradiction par la recherche d'une unité idéologique, souvent
imposée en fait par des minorités agissantes substituées à une
impossible cohésion communautaire. Ils ne contestèrent jamais,
pourtant, le principe du pouvoir municipal, ni celui de la
coexistence de l'exécution et de la délibération au sein du même
organisme local. De 1789 à 1794, c'est l'élan donné au
communalisme, en partie par la force des choses plus que par la
volonté des politiques, qui mit ainsi en valeur la difficulté de
concilier politique nationale et intérêts locaux, tout en libérant
des forces sociales que les capacités de régulation et d'arbitrage
d'un pouvoir local suffisaient de moins en moins à maîtriser.
35Dès lors, la dynamique révolutionnaire retombée, le retour sans
partage à une notabilité dont la fluctuante définition fit la
différence essentielle entre les régimes successifs, suffisaient
moins que jamais à garantir la stabilité recherchée. Sans ignorer la
vigueur persistante de la politilisation municipale sous le
Directoire, ni les prudentes, mais réelles, tentatives d'ouverture de
la Monarchie de Juillet, on peut dire que bourgeoisie libérale,
fonctionnaires de l'Empire ou ministres ultras de la Restauration,
s'accordèrent pour justifier la limitation des libertés locales au
nom de la rationalité d'un État centralisateur qui était aussi le
garant d'un ordre social.
NOTES
1 . Georges FOURNIER,  Démocratie et vie municipale en Languedoc du
milieu du XVIII   au début du XIX   siècle, thèse d'État, Université de
e e

Toulouse-Le Mirail, 1991. A paraître prochainement, éd. Amis des


archives de Haute-Garonne.

2 A.D. Hérault, C 5801.

3 Discours de l'archevêque Dillon, Président des États, cité par


Trouvé,  États de Languedoc, Paris, 1818, p. 284.

4 Pour les municipalités rurales : G. FOURNIER, “Société paysanne et


pouvoir local en Languedoc pendant la Révolution”,   La Révolution et le
monde rural, CTHS 1989, p. 381-396.

5 G. FOURNIER, “Structures sociales et Révolution dans quelques villes


languedociennes”, Annales du Midi, n° 168, 1984, p. 401-432.

AUTEUR
Georges Fournier
Université de Toulouse-Le Mirail

Du même auteur

 Le Languedoc et la guerre avec l’Espagne (1793-1795) in L’Espagne et la France à l’époque


de la Révolution française (1793-1807) , Presses universitaires de Perpignan, 1993
 Le néo-jacobinisme héraultais après le coup d’Etat du 18 fructidor in L’histoire à travers
champs, Presses universitaires de Perpignan, 2002
 Le parlement de Toulouse et les communautés d’habitants du Languedoc au XVIII  siècle in
e

Les Parlements de province, Presses universitaires du Midi, 1996


 Tous les textes
© Presses universitaires de Rennes, 1999
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Cette publication numérique est issue d’un traitement automatique par reconnaissance optique de
caractères.
Langues et pouvoirs en
France de 1780 à 1850 : un
problème de définition
Éléments linguistiques pour une histoire de la
centralisation
Philippe Blanchet

p. 537-555

TEXTE BIBLIOGRAPHIE NOTES AUTEUR

TEXTE INTÉGRAL

1. POURQUOI UNE
CONTRIBUTION
LINGUISTIQUE À L'HISTOIRE
DE LA CENTRALISATION ?
1.1. UN REGARD SOUS INFLUENCE
AMBIANTE…
1A écouter les analyses d'historiens dans ce colloque,
centralisation et pouvoir local semblent se réduire implicitement
au problème de “l'autorité politico-administrative”. Or, si notre
problématique pose comme élément fondamental cette
intégration nationale qu'a soulignée R. Dupuy en ouvrant nos
travaux, il faut s'interroger profondément sur les notions même
de centralisation et de pouvoir (local). Le discours dominant en
France, même dans l'activité scientifique, semble considérer
évidente la notion de centralisation de la France, de deux façons :
1. On projette une vision nationaliste sur un passé interprété de
façon à en réduire la diversité et à y trouver la continuité de la
constitution légitime de l'état-nation1 “France”. Ce procédé a
été critiqué grâce à des historiens ou des sociologues inscrits
en faux contre ce nationalisme centraliste (S. Citron, H. Le Bras
et E. Todd, A. Fierro-Domenech, G. Noiriel…). Leurs arguments
sont souvent convaincants, et on a l'impression, par ex., que
l'histoire de France enseignée est aussi un subtil
endoctrinement au nationalisme français “républicain” 2. On a
pu écrire dans un ouvrage pourtant consacré aux dangers
d'une subversion anti-française dans certains mouvements
régionalistes qu'il faut admettre que “sans vouloir mettre en
cause les mérites de l'enseignement traditionnel (…) [celui-ci]
a pu donner l'impression que, dès les origines, la France
possédait déjà une espèce d'unité virtuelle organisée autour
de la capitale et de sa langue3  et que les particularités
régionales étaient purement fortuites et accidentelles ” (J-C.
Rivière 1984 p. 7-8)4.
2. On “constate” qu'il est trop tard, que les particularismes
régionaux sont morts ou moribonds, que la centralisation de
la France est un fait “objectif”, ce qui permet idéologiquement
de ne pas remettre en question le principe centraliste sur
lequel l'État est fondé (ainsi le droit de l'individu et du groupe
à sa langue et sa culture spécifiques est toujours exclu par la
France des textes juridiques internationaux qu'elle signe). Mais
on se limite à l'apparence politico-administrative. Et si l'on
regrette les outrances passées du centralisme, telle la chasse
au “patois”, on n'en remet pas pour autant le présent en
question. A. Fierro-Domenech, dans un ouvrage pourtant
consacré à critiquer une vision centraliste de l'histoire de
France, écrit “Aujourd'hui, les différents dialectes d'oc
paraissent près de l'extinction” (p. 157) sans citer de source.

2H. Walter constatait dans un article récent que les estimations


concernant les locuteurs des langues d'oc varient au moins de 2 à
8 millions (1993, p. 118) ! On imagine le flou et la diversité des
critères d'évaluation employés…
3L'existence du présent colloque montre que nous n'en sommes
encore (ou enfin ?) qu'à nous interroger sur cette “centralisation”…

1.2. DES PRÉOCCUPATIONS


COMPARABLES DANS D'AUTRES
CHAMPS SCIENTIFIQUES :
PROBLÈMES ET MÉTHODES
4Cette interrogation n'est pas qu'une préoccupation d'historiens.
Sociologues, ethnologues, linguistes, d'où mon intervention
aujourd'hui, cherchent à reconstruire ce passé, sans céder ni au
fantasme unitaire français, ni aux appels d'autres nationalismes
souvent aussi fantasmatiques et outranciers, qu'ils soient issus de
“régions” françaises ou d'idéologies anti-républicaines (l'anti-
centralisme a constitué une part de l'idéologie de l'Action
Française – cf. Maurras – ou de Vichy). Il y a toujours idéologie, ce
dont la méthodologie doit tenir compte : le “nationalisme”
occitaniste de certains (cf. R. Lafont, R. Merle, ou l'ouvrage
collectif  La question linguistique au Sud au moment de la
révolution française), au moins aussi volontariste que la
construction de la “nation” française, leur fait considérer comme
soumission à la “domination” française des traits constitutifs de
l'expression en langues d'oc qui ne s'inscrivent pas dans une
démarche nationaliste pan-occitaniste, alors que le concept
d'Occitanie n'a été forgé qu'au cours du XIX , et que d'autres
e

chercheurs voient dans ces traits des marques d'une identité


régionale centrifuge (cf. Ph. Blanchet 1992 a). La réflexion sur la
méthodologie des enquêtes nous montre en outre qu'il faut se
méfier du discours des sources textuelles et des informateurs, car
il met en scène des représentations qui ne correspondent pas
forcément – consciemment ou non – aux pratiques, et des effets
d'accommodation à l'enquêteur et au discours dominant (cf. L-J.
Calvet, 1993). Biais difficiles à éviter, d'où la nécessité d'une
entraide interdisciplinaire !
5Un indicateur qui nous permettrait d'envisager le taux de
centralisation (au sens d'intégration nationale uniformisée) ou de
résistance locale à la centralisation est constitué par un ensemble
de données ethno et sociolinguistiques : d'une part les marqueurs
d'identité française ou régionale/provinciale/locale etc. dans la
conscience et la pratique linguistiques (une telle recherche a déjà
proposé des résultats significatifs, mais reste récente et limitée –
cf. Ph. Blanchet 1992a, Bouvier & Martel 1991,
Fourasté/Reiner/Tap 1989, M. Segalen 1989a/b), d'autre part les
emplois passés et actuels des langues et parlers en France y
compris les stratégies variationnistes, elle aussi récente et trop
peu développée quoique mieux affirmée que la précédente (cf. P.
Achard 1993, Ph. Blanchet 1992a, Boutet et Vermes 1987, J.-C.
Bouvier 1991, P. Bourdieu 1982, L.-J. Calvet 1993, G. Vermes
1988, H. Walter 1993 etc.).

1.3. PERTINENCE DES INDICES


SOCIOLINGUISTIQUES ET
ETHNOLINGUISTIQUES
6La pertinence de tels indices mérite ici quelques justifications.
D'une manière générale, l'identité nationale ou ethnique d'un
peuple, élément crucial du fondement d'un état, est presque
toujours définie notamment par son identité linguistique (cf. R.
Breton 1988, A. Muchielli 1986) : la centralisation de la France a
notamment été bâtie après la révolution de 1789 sur l'enjeu
linguistique avec pour objectif de construire une nation française
unifiée, c'est-à-dire une identité nationale, culturelle, française,
en corollaire à la constitution d'un état central, pour aboutir à
cette adéquation supposée que l'on a appelé “état-nation” (cf. G.
Gosselin 1989, J. de Munck 1992). De ce point de vue, l'école a
joué tout à fait explicitement le rôle de “bâtisseur de la nation.”
par la diffusion du français contre l'emploi des parlers locaux (la
politique linguistique révolutionnaire et républicaine a été
abondamment étudiée), ainsi que par la diffusion de l'histoire
mythifiée signalée ci-dessus, ou des valeurs et lois républicaines.
La langue française est de la sorte devenue une institution
fondatrice de l'état français, l'un de ses piliers (cf. A. Chervel
1977, J.-C. Chevalier 1992, M. Fumaroli 1992). L'institution
langue est aujourd'hui encore sacrée : voir le contenu des
polémiques à propos d'éventuelles rectifications de l'orthographe,
l'inscription du français comme “langue de la république” à
l'article 2 de la Constitution en 1992 (les autres langues de France
étant davantage privées de statut légal et rejetées dans un
prétendu obscurantisme archaïque anti-républicain comme en
1789), le discours normatif ambiant sur le “bon” français, etc.
7Les pratiques linguistiques sont bien des indicateurs de l'état des
processus de production d'identités en France, pour peu qu'on les
envisage avec la relativité méthodologique indispensable, et
notamment dans la perspective de l'analyse du processus de
centralisation et des  contre-pouvoirs qui s'y opposent sur le plan
fondamental de l'identité culturelle. Or, si le développement du
monolinguisme français et l'éradication des idiomes locaux, c'est-
à-dire la réduction drastique de la diversité linguistique et
culturelle en France, fait l'objet d'un discours triomphaliste des
tenants de ce centralisme, il reste à en vérifier la vérité.
Inversement, la pratique de parlers divers, base et témoin d'une
diversité culturelle de fond, reste mal connue hors de quelques
travaux spécialisés et partiels (cf. supra).
8C'est que du point de vue théorico-méthodologique, la
recherche socio et ethnolinguistique distingue le discours sur les
pratiques (les  représentations fonctionnelles) et les pratiques
elles-mêmes, ce qui ne simplifie pas les enquêtes mais apparaît
indispensable comme nous allons le voir. D'où également une
distinction entre  politique linguistique “ensemble de choix
conscients concernant une langue (de la part d'une autorité
instituée, en général)” et  planification linguistique “modification
des pratiques linguistiques par la mise en pratique de ces choix,
et l'effet d'autres facteurs sociaux” (L.-J. Calvet 1993).

2. QUELQUES PISTES : DE LA
LÉGISLATION LINGUISTIQUE
D'ANCIEN RÉGIME À LA
POLITIQUE LINGUISTIQUE
RÉVOLUTIONNAIRE ET POST-
RÉVOLUTIONNAIRE
9C'est dans le domaine juridico-législatif des ressources
normatives que politique et planification linguistiques sont
opérées au premier chef par l'État. Le panorama juridique le plus
complet concernant les langues en France est l'œuvre d'un Maître
des Requêtes au Conseil d'état (D. Latournerie 1983). Cet article
est déjà un peu ancien, puisqu'entre temps, par ex., un ajout
aussi important que celui de la mention du français “langue de la
République” à la Constitution actuelle est intervenu. De plus, il
n'envisage pas les pratiques linguistiques, s'en tenant aux textes
légaux. Mais l'auteur y analyse notamment les décisions de justice
et les interprétations des textes ou de leur absence par les
tribunaux compétents (jurisprudence qui constitue une
planification et donc une politique implicite). C'est un document
précieux trop peu connu.
10Je donnerai quelques pistes pour montrer la complexité des
phénomènes à traiter, notamment si l'on essaye de confronter les
actes de pouvoir politique et les pratiques.

2.1. L'ancien rÉgime : une


centralisation sectorielle
11Du point de vue de l'extension du français dans les usages
administratifs et juridiques, D. Latournerie insiste sur la continuité
d'un effort de centralisation linguistique depuis l'ordonnance “sur
la réformation de la justice” prise par Louis XII en juin 1510
jusqu'aux textes révolutionnaires et postrévolutionnaires, en
passant bien sûr par l'édit de Villers-Cotterêts enregistré au
Parlement de Paris le 6 septembre 1539. L'ordonnance de 1510
substituait dans un soucis démocratique le “vulgaire et langage du
païs” au latin, sous peine de nullité, et non le français. Il en était
de même de l'édit d'Is-sur-Tille, en 1536, qui ordonnait pour la
Provence l'emploi du français ou au moins du provençal. En
signant la “Constitution provençale” en 1486, le roi de France
acceptait du reste un système politique non-centralisé.
12Dans les pratiques, les articles 110 et 111 de l'édit de Villers-
Cotterêts, qui portaient sur la substitution au latin d'une langue
connue des administrés, ont été interprétés de façon ambiguë :
les mots “en langage maternel français” n'ont pas toujours été
compris comme signifiant “en langue française”, mais également
“dans la langue maternelle des sujets du Roi de France
concernés”, soit en parler local. L'usage administratif du provençal
a par conséquent duré par endroits jusqu'à la fin du XVI  (A. Brun
e

1923, Ph. Blanchet 1992), faute d'un appareil d'état suffisamment


centralisé et efficace pour publier des textes interprétatifs et
vérifier leur application, comme c'est le cas aujourd'hui. De plus,
c'est significatif, aucune sanction n'était prévue pour appuyer
cette obligation, contrairement à 1510 (acte frappé de nullité) et
qui ne sera rétabli qu'avec la loi du 2 thermidor an II. On a montré
a contrario que la puissance politique et culturelle française avait
induit l'emploi du français à l'écrit dès avant 1539, même en
Provence, pourtant pays le plus tardif à passer au français, et dans
le Comtat-Venaissin indépendant (A. Brun, 1923) ! En zone d'oïl,
où la proximité de la langue locale et du français a pu faire passer
celle-là comme une variété de celui-ci (y compris encore
aujourd'hui pour de nombreux linguistes), l'usage du français à
l'écrit a pu être généralisé plus rapidement. Mais on manque
d'enquêtes à ce sujet. Ce qu'on appelle souvent la littérature en
“ancien français” est constitué en grande part de textes en picard,
normand, anglo-normand, champenois etc. et non en français
(encore du centralisme rétroactif !).
 5 Édit de Roussillon 1565, de création du Parlement de Pau 1620, ordre de
rendre justice en français (...)

13Sur l'ensemble des territoires concernés d'une manière ou d'une


autre par l'autorité du Roi de France, on assiste à une série de
décisions juridiques d'une portée plutôt limitée (le domaine
juridique dans une province) qui, dans un premier temps prises
contre le latin et favorisant le “roman” ou “vulgaire” laissent une
place aux “vulgaires” locaux autres que le français, sont ensuite
prises en faveur du français contre toutes les langues autres 5. On
a une planification linguistique sectorielle progressive. S'ajoute le
prestige culturel de Paris qui étend le choix du français comme
langue artistique et philosophique un peu partout en Europe, sans
action étatique concertée autre que la création de l'Académie
française en 1635 et du reste de l'Institut en 1664, 1666, jusqu'en
1832. Les effets sociologiques du prestige culturel (et donc social)
du français, prestige certes lié à la puissance politique, mais
n'étant pas la conséquence directe d'une planification
linguistique, sont sans doute plus importants que ceux,
administratifs, de la décision politique de planifier l'usage du
français dans les cours de justice, où il n'était pour beaucoup
qu'un autre latin. En revanche les parlers locaux restèrent parlés
par tous, et seuls parlés par l'immense majorité de la population,
le petit peuple, notamment rural. Dans les zones excentrées, de
langue et de culture nettement différenciées par rapport au
français, même l'élite sociale (aristocratie, haute-bourgeoisie)
pratiquait peu et mal le français : c'était le cas en Provence (A.
Brun 1927). Le taux de scolarisation et d'alphabétisation était bas.
Le latin restait un concurrent sérieux dans le domaine
philosophique et scientifique, et l'activité littéraire en langue
“locale” restait vivante (en Provence, on écrivait plus en provençal
qu'en français) (Ph. Blanchet 1992).
14Que ce soit par mépris du peuple ou dans le but de “diviser
pour régner”, les gouvernements d'ancien régime n'ont semble-t-
il pas cherché à franciser l'ensemble de leurs sujets, et n'en
avaient pas les moyens. L'aristocratie locale et les services
administratifs seuls étaient enclins et engagés à respecter le roi
en tant que de France (et donc d'établir des actes dans sa langue).
De nombreux textes attestent jusqu'au XVIII  en Provence une
e

distinction claire entre être “Français” et être “Provençal” (cf. Ph.


Blanchet 1992, F-X. Emmanuelli 1977). Il y a donc eu
centralisation linguistique et culturelle sous l'ancien régime, mais
seulement au niveau de la sphère étatique (classes supérieures et
administration), et encore d'une façon fluctuante où le
sociologique et le politique se mêlent. Il n'y a de fait pas eu de
centralisation identitaire des populations relevant de l'autorité du
pouvoir politique central, puisque des relais locaux permettaient
la traduction auprès du peuple, dans le système linguistique et
culturel local, d'une autorité politique limitée. Au contraire, la
fonction sélective du langage était du coup très efficace : l'accès
au pouvoir était fermé à tout individu ne maîtrisant pas le français
et son écriture, maîtrise que seules les familles de milieux sociaux
élevés pouvaient assurer à leurs enfants (par leur propre pratique
et par une onéreuse scolarisation). La normativisation croissante
du français sur le modèle des usages “des parties saines de la
Cour”, de Malherbe et Boileau, de Féraud à Vaugelas, jusqu'à la
mise en place d'une institution d'état à cet effet avec l'Académie,
en témoignent. Le sociologique et l'ethnologique s'additionnent
pour relativiser un système d'application limitée.

2.2. PÉRIODE RÉVOLUTIONNAIRE


ET Époque MODERNE : DES ACTES
À LA PAROLE…
15Les textes révolutionnaires manifestent à la fois une franche
volonté politique de centralisation linguistique, culturelle et
identitaire (cf. les célèbres discours de Barrère et de l'abbé
Grégoire) – c'est là qu'est la rupture avec l'ancien régime ou au
moins l'infléchissement violent de sa politique linguistique –,et
une incapacité à la concrétiser directement par les moyens du
pouvoir d'État. Le décret “relatif à l'organisation des écoles” des 5,
7, 9 brumaire an II (26, 27, 28/10/1793) stipulant que (art. 7) :
“Dans toutes les parties de la République l'instruction se fait en
langue française” est modifié un an plus tard par le décret Lakanal
du 27 brumaire an III (17/11/1794) qui stipule (art. 3) : “L'idiome
du pays ne pourra être employé [dans l'enseignement] que
comme moyen auxiliaire”. Il pourra être employé dans une marge
qui reste très vague ! Et le décret du 2 thermidor an II
(20/7/1794) imposant l'emploi du français dans tout acte public,
même sous seing privé, sous peine de condamnation, est
suspendu quelques semaines après (le 16 fructidor an II) jusqu'à
ce qu'un nouveau rapport sur cette matière ait été présenté au
législateur. Le rapport n'ayant jamais existé, le fameux décret   ne
fait plus partie du droit positif (D. Latournerie p. 91). Le seul texte
opératoire restant date du Consulat (24 prairial an XI, 13/6/1803)
et prescrit, sans sanction soutenant l'obligation, l'usage du
français dans les actes publics des départements conquis sur la
Belgique, l'Allemagne, et l'Italie du nord, autorisant l'ajout de la
version en langue du pays sur ces actes, et la langue locale dans
les actes sous seing privé. La Corse jouissait d'une surséance à
l'application de ce décret au bénéfice des agents alors en exercice
sur l'île (décret du 19 ventôse an XIII). Ce texte a été interprété
comme s'appliquant au territoire français par la Cour de cassation
au XIX . D'autres jurisprudences iront jusqu'à s'appuyer sur les
e

décrets d'ancien régime en principe abrogés en 1789, où même


sur le décret du 2 thermidor en principe suspendu ! Il n'y aura
plus aucun texte jusqu'en 1966 et 1975, sauf l'arrêté de 1919
déclarant le français “langue judiciaire” de l'Alsace-Lorraine, et la
loi Deixonne introduisant l'enseignement des langues dites
“régionales” en 1951.
16Dans les faits, le provençal était couramment employé sous la
révolution dans les clubs patriotiques jacobins ( !) et jusqu'à
l'Assemblée nationale (A. Brun 1927, Mauron et Emmanuelli
1986) ; la Constitution de 1791 fut traduite officiellement dans
divers idiomes de France (C. Mauron 1989) ; la Constitution de
1793 fut placardée à Marseille en provençal, alors que la
municipalité interdisait le théâtre en provençal soupçonné d'être
réactionnaire malgré les pièces serviles d'un Pélabon !
17On a montré à quel point l'organisation de l'enseignement était
lamentable jusqu'à la Loi Guizot de 1833, à quel point il était
difficile de trouver un instituteur francophone pour chaque village
de Provence jusqu'à cette date (A. Brun 1927). Paradoxalement, ce
sont des dispositions d'ordre général qui ont aidé à répandre le
français, à franciser la France en la modernisant, mais plus
tardivement, au tournant du XX , comme l'a montré E. Weber. On
e
connaît le rôle des “hussards de la république” et de l'école d'état
de J. Ferry, de la presse et du suffrage universel, du Code civil et
de l'administration omnipotente dès Napoléon, mais on connaît
moins des faits plus indirects et pourtant actifs. L'abolition du
droit d'aînesse a par ex. suscité en Provence l'obligation de
dédommager le cadet qui aurait pu se plaindre en justice d'être
dépouillé de l'héritage par une pratique traditionnelle de toute
façon continuée (encore aujourd'hui… !). Un dédommagement
financier étant souvent impossible, c'est par la scolarisation qu'on
rachetait la part du cadet, ainsi francisé et détaché du terroir. D'où
la proportion plus importante de francophones en Haute-
Provence plus pauvre qu'en Provence méridionale au cours du
XIX  (Ph. Blanchet 1992). Les études sociolinguistiques ont montré
e

qu'alors qu'elles étaient exclues de la vie nationale puisqu'elles


n'avaient pas le droit de vote, et de la promotion sociale
prestigieuse (les emplois de haut rang étaient tenus par des
hommes), ce sont les femmes, soucieuses de leur rôle éducatif et
peut-être d'une certaine esthétique à la mode, mais aussi
sociologiquement contraintes à la docilité, qui ont contribué le
plus à franciser leurs enfants, (P. Achard 1993, Ρ Bourdieu 1982,
A. Brun 1927, L.-J. Calvet 1993). Par contre on constate que les
hommes maintiennent la langue locale dans les activités de
sociabilité traditionnelle (chasse, café, jeux) et tardivement dans
les réunions politiques (cf.  Ethnologie française [collectif] 1973,
Ph. Blanchet 1992).
18Toutes les sources, y compris les textes littéraires en langues
“locales”, attestent deux choses : 1) la continuité de l'emploi
général des langues locales désormais désignées sous le nom
péjoratif de “patois”, à l'oral, par la population de condition
modeste des campagnes et mêmes des grandes villes jusqu'après
la guerre de 1914-18, 2) la puissance du français comme langue
de l'ascension sociale moderne, accompagnée par le rejet
grandissant du “patois” – au moins dans l'idée – par une bonne
partie des populations, certains milieux élevés cherchant à
l'abandonner totalement (alors qu'auparavant ils restaient
bilingues). Elles attestent aussi le sursaut identitaire que
l'imposition brutale du français et de la “francité” a engendré dans
les régions, et dont au XIX  le barzaz Breiz et lou Felibrige sont les
e

figures de proue, avec le Prix Nobel de F. Mistral en 1904 (A. Brun


1927, E. Ripert 1918).
19Pour terminer, j'insisterai sur le fait que la centralisation
linguistique moderne fonctionne, certes, et s'attaque même à la
parole quotidienne de chacun, mais beaucoup moins qu'on
pourrait le penser, et surtout, entre 1789 et 1850, en prenant des
chemins indirects, qui ne sont pas organisés sciemment par le
pouvoir central, peu efficace si l'on en juge au décalage entre
politique et planification linguistiques. La planification de la
centralisation linguistique française est bien davantage le fruit de
facteurs sociologiques indirectement induits par l'idéologie
politique d'État et par des dispositions visant d'autres domaines
(juridique, financier, social) que par une éventuelle mise en
pratique de cette politique linguistique.

2.3. RUPTURE OU CONTINUITÉ ?


20Les faits sont complexes et l'on manque d'informations sur
l'attitude des pouvoirs locaux institués. On peut pourtant
constater qu'il y a simultanément rupture et continuité d'avant à
après la Révolution. Rupture parce qu'on change de conception de
l'État et des rapports État/population. La situation linguistique
effective de la France est stable sous l'ancien régime : le français
s'installe comme langue (écrite) du pouvoir politique, les parlers
locaux occupent tout le reste du marché linguistique. La diversité
culturelle est acceptée dans un état au fond non centralisé.
L'inflexion totalitaire que la Révolution voudra donner à cette
politique apparaît de la sorte comme une véritable rupture.
Continuité parce qu'on observe à long terme (jusqu'après 1850)
une progression lente du français “par le haut” de la hiérarchie
sociale, et sous l'effet de phénomènes sociologiques indirects
mais actifs.

3. ÉVALUER LE PRÉSENT
POUR ÉVALUER LE PASSÉ
21Où en est la centralisation linguistique et culturelle française
aujourd'hui, c'est-à-dire quels sont les effets réels produits par
cette histoire ? Commencer à répondre à cette question permettra
sans doute de mieux mesurer, sélectivement, l'importance des
faits du passé.

3.1. LES FRANÇAIS ET LEURS


LANGUES AUJOURD'HUI
22Les enquêtes à ce sujet sont rares, mais toutes contredisent le
discours dominant et les apparences : les langues locales de
France sont encore largement parlées, les identités culturelles
locales et régionales perdurent avec une résistance surprenante.
Certes, il n'y a plus ou presque de Français non francophones.
L'instauration d'un bilinguisme complexé est le résultat marquant
de la centralisation. Certes les évaluations pointent une baisse
importante des pratiques “patoisantes” depuis 1950. Mais les
chiffres tournent autour de 50 % de la population dans les zones
rurales et les petites villes (avec des pics en creux à 30 % et en
pointe à 100 %). Apparemment, la majorité des Français nés avant
1960 dans ces zones sont bilingues, ceux nés avant 1945 le sont
presque tous. Et ceci d'une façon de plus en plus sûre si l'on
s'éloigne de Paris (H. Walter 1993). Même en Ile-de-France,
comme le dit M.-R. Simoni, responsable de l'Atlas Linguistique et
Ethnographique de cette région, “on parle encore patois en vue de
la Tour Eiffel”. En Bretagne romane, je l'ai constaté, le parler local
reste usuel dans les familles rurales, même pour une partie des
enfants. A cela il convient d'ajouter ce que les sociolinguistes
appellent “les locuteurs passifs”, c'est-à-dire ceux qui savent la
langue régionale, la comprennent, mais disent ne pas la parler. Et
là les chiffres montent considérablement. Dans la plupart des
communautés rurales, on atteint presque les 100 % ! Il n'y a que
dans les grandes villes où l'on manque d'informations, mais où la
pratique des parlers locaux semble – soyons prudents ! –
beaucoup plus réduite.
23Il faut se méfier des évaluations. Les langues locales sont, peut-
être moins depuis peu, des langues honteuses. On les cache, on
ne les parle qu'entre initiés, et on prétend ne pas les connaître,
attitude connue des linguistes et des ethnologues. On la retrouve
par ex. à propos de croyances populaires comme la sorcellerie (cf.
M. Segalen 1989a). Il faut à l'enquêteur, en général plus ou moins
membre de la communauté en question, une grande persévérance
pour percer cette “stratégie de dissimulation” attestée dans
diverses situations jusque chez les Amérindiens (L. Aubague
1986). Je connais des gens qui vivent en Provence depuis 30 ans
et n'ont jamais entendu parler provençal, alors que je sais que les
Provençaux que leurs voisins le parlent quotidiennement entre
eux (Ph. Blanchet 1992a) ! Et puis les enquêtes montrent un
attachement identitaire symbolique profond à la langue locale,
même chez ceux qui ne la savent pas : le  % des enquêtés
favorables à sa promotion, et notamment à son enseignement
atteint les 80 à 90 %, bien plus que le nombre de locuteurs
déclarés. Les estimations sont régulièrement revues et pas à la
baisse comme on pourrait s'y attendre : certains criaient à la fin
des “patois” au début du XIX  (discours
e
enthousiastes de
révolutionnaires ou façade dissimulatrice d'un écrivain de langue
provençale comme V. Gelu). On a ensuite déclaré que le tournant
se situait entre 1880 et 1914 (E. Weber, A. Brun). Puis on s'est
rendu compte que les parlers locaux étaient bien vivants jusque
vers 1930 (P. Roux pour la Provence, par ex.). On en est
aujourd'hui à considérer que le tournant se situe vers les années
1950 ! Peut-être le situera-t-on vers 2010 en 2050 ? Les plus
récents travaux essayant d'établir une typologie prospective de la
“mort” d'une langue ou d'une culture, ou de sa vitalité, restent
prudents et n'aboutissent qu'à envisager quelques indices non
décisifs (cf. C. Clairis, G. Mounin, N. Dorian, P. Prado pour la
“mort” ; L.-J. Calvet, M.-P. Gruenais pour la vitalité). A contrario,
une étude comme celle de P. Boissel (1991) montre qu'il est
téméraire de déclarer qu'une pratique linguistique locale a
disparu, même dans une population jeune où elle semble
abandonnée.
24Par ailleurs, la revendication linguistique, culturelle et
identitaire “régionale” reste forte dans les régions excentrées. On
n'exagère pas en disant que la France connaît un débat anti-
centraliste permanent depuis la Révolution et, au cours du XX , e

des quasi-guérillas en divers lieux : Corse, Pays Basque, Bretagne,


Languedoc, Guadeloupe, Nouvelle Calédonie… Il y a aujourd'hui
des citoyens Français, dont on ignore le nombre, qui réfutent
encore symboliquement la nationalité française pour une identité
régionale, et une majorité de Français qui affirment une identité
régionale (primordiale ou secondaire) conjointe à leur citoyenneté
française. Les pouvoirs locaux prennent de plus en plus de
mesures destinées à promouvoir l'identité régionale. C'est
nettement le cas en Provence ou en Bretagne, par exemple, du
Conseil régional jusqu'à nombre de Conseils municipaux (Ph.
Blanchet 1992).
25Non seulement les langues locales vivent, mais la diversité
linguistique et culturelle se perpétue et se renouvelle même en
français, car si l'on n'envisage que la pratique du français, il faut
corriger notre optique et parler de la pratiques  des variétés de
français. Sur le plan ethnolinguistique, il ne faut pas négliger
l'importance du fait qu'au contact de la langue locale, le français
s'est partout régionalisé. La langue et la culture locales y survivent
en l'imbibant profondément, sur le plan de la prononciation, du
vocabulaire, et de la grammaire. En domaine d'Oïl, on assiste au
fonctionnement d'un continuum sans limite claire depuis le parler
le plus local jusqu'au français le moins local en passant par un
“patois francisé” et un “français patois” difficiles à distinguer. Un
tel continuum est parfaitement comparable aux situations
créolophones à base française dont la spécificité culturelle dans
l'état français est généralement admise. Des études ont montré
que les régionalismes en français pouvaient être des marqueurs
identitaires locaux puissants (Bouvier et Martel 1991, L-J. Calvet
1993 p. 67 et 82).
26Pour vivre quotidiennement le contact interculturel dont
témoignent les variétés de français, étant Provençal en Bretagne,
je peux dire que c'est presque à chaque prise de parole que la
différence se manifeste. Que ce soit par la prononciation, qui varie
largement d'une région à l'autre (H. Walter 1982), l'emploi de
mots spécifiques, ou de mots communs dans des structures
spécifiques, et au delà la façon de s'alimenter, de se soigner, de
rencontrer autrui, de concevoir son lieu de vie etc., la vie avec ma
femme, originaire de la région nantaise, est une rencontre
permanente d'une différence passionnante où les traditions
culturelles locales affleurent à tout instant !
27L'échec de l'imposition de la norme du français académique,
malgré les gros moyens mis à contribution par l'État qui y a visé
une homogénéisation politique et identitaire, est à cet égard un
indicateur puissant (Cf. A. Chervel 1977).
28Bref, c'est la diversité vitale, indispensable, qui l'emporte
toujours dans les fonctionnements sociaux (B. Poche 1989).
 6 Quoique l'étude de D. LATOURNERIE révèle là aussi des faits importants
et méconnus.

29De ce point de vue, comme d'un point de vue ethnologique


général, la centralisation est une réussite récente et superficielle,
mais un échec de fond. Les mesures prises par les pouvoirs
publics (ce n'est pas ici le lieu de faire ne serait-ce que le long
descriptif de ces mesures postérieures à 1850, et bien connues 6,
comme la mise en place du monopole d'état de l'éducation
légitime ou le développement de la règlementation administrative
et du droit rationnel -cf. Dayries 1986, J. de Munck 1992) se sont
heurtées à des  contre-pouvoirs anthropologiques très profonds
et très solides.

4. PERSPECTIVES POUR
L'HISTOIRE DE LA
CENTRALISATION
30Pour conclure, deux choses : 1) la centralisation effective
(“planification”) ne provient pas nécessairement directement de
décisions politiques précises dans un champ donné. Alors que la
Révolution est citée comme l'époque de la naissance d'une
véritable centralisation linguistique, on se rend compte que dans
ce domaine, le pouvoir étatique fut particulièrement inefficace,
que c'est par d'autres voies, conséquences indirectes d'autres
actions étatiques, et plus tardivement, que la population fut plus
ou moins contrainte de se franciser, en continuation élargie d'un
phénomène sociologique existant sous l'ancien-régime, lequel
n'avait en matière de planification linguistique que des ambitions
limitées.
312) Il faut s'entendre sur ce que l'on appelle “centralisation”. On
voit bien qu'avec l'homogénéisation publique superficielle et la
diversité ethnologique subsistant dans les pratiques privées, il y a
deux niveaux. Que le pouvoir politico-administratif, la vie
publique, soient centralisés, cela n'empêche pas les
comportements profonds de rester diversifiés. Beaucoup de
communications à ce colloque l'ont montré, à propos du
fonctionnement effectif des instances administratives (états
d'ancien-régime, syndics, municipalités…). Les Français restent au
fond attachés à certaines pratiques régionales et locales
identitaires diverses (linguistiques, culturelles, etc.), mais se
comportent d'une façon approchant et respectant la “norme”
idéale nationale dans la vie publique. Le point essentiel est à mes
yeux  l'articulation entre les deux niveaux. Car le barrage que le
centralisme instaure produit une tension grave entre les
structures étatiques et les structures anthropologiques. Grave
parce que la nécessaire dialectique entre ces deux niveaux
fonctionnels, entre l'Un canalisateur et le pluriel dynamique, est
empêchée au seul soutien du un étatique ce qui produit une
fragilisation du tissu social, maintes fois dénoncée par les
ethnologues, en appuyant une identité voulue homogène et
exclusive, mais superficielle, en accentuant les inégalités-puisque
le traitement égalitaire de situations différentes est une forme
d'inégalité qui renforce l'inégalité (B. Poche 1989, G. Gosselin
1989). Tant qu'on n'envisage qu'un bout de la chaîne, un certain
nombre de faits historiques ou sociaux paraissent incohérents. Je
ne cherche pas à minimiser les réalités de la centralisation, mais à
souligner, au contraire, ses modalités sélectives de réalisation,
son incapacité à mettre en pratique   l'ensemble des
fonctionnements démocratiques et sociétaux vitaux. On
comprend que le modèle fédératif, souvent présenté comme
l'alternative à l'ornière centraliste sans tomber dans celle des
enfermements ethnico-nationalistes ou anti-démocratiques (J. de
Munck 1992), ait été régulièrement et dès la Révolution proposé
en France. On comprend aussi que la France n'ait pas pu éviter
une certaine décentralisation administrative (Dayries 1986).
32Mon exposé, je l'espère, aura apporté aux historiens un
éclairage utile, et peut-être réussi à montrer l'intérêt éthique,
théorique et méthodologique d'une rencontre interdisciplinaire au
moins pour la question qui nous occupe ici. C'est qu'elle touche
au fond à l'une des questions-clé pour l'ensemble des sciences de
l'homme, la dialectique de l'identité et de l'altérité (cf. G. Jucquois
1991). Il y a là, je crois, des perspectives pour avancer dans la
définition, l'histoire et l'analyse de ce phénomène majeur qu'est la
centralisation en France, et, au-delà, de l'aménagement politique
des sociétés.
BIBLIOGRAPHIE
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NOTES
1 Il faudrait également s'interroger sur la notion de  nation…

2 Je me demande ainsi pourquoi l'intégration de la Provence à la France


est partout présentée comme une “union” remontant à 1481, alors qu'il
semble bien qu'il s'agisse d'une annexion réalisée en 1789, la Provence
étant restée  statutairement (le critère est-il pertinent ?) un état
autonome jusque là (cf. R. Duchêne 1982).
3 C'est moi qui souligne.

4 Les références des ouvrages cités sont données en bibliographie


finale. Je renvoie aux propos dans leur globalité, et, afin d'alléger mon
texte, ne donne une pagination que lorsque je cite précisément un
passage.

5 Édit de Roussillon 1565, de création du Parlement de Pau 1620, ordre


de rendre justice en français à Dunkerque 1663, en Alsace 1657, édit
de 1683 pour les Flandres, 1685 pour l'Alsace, de 1700 pour le
Roussillon, de 1754 pour la Cerdagne.

6 Quoique l'étude de D. LATOURNERIE révèle là aussi des faits


importants et méconnus.

AUTEUR
Philippe Blanchet
Maître de Conférences en Linguistique française Université de Haute Bretagne

Du même auteur

 Ce que le plurilinguisme des espaces francophones nous apprend sur l’enseignement du


français : l’impérative ouverture à la pluralité contre les idéologies glottophobes in Le
français, une langue pour réussir, Presses universitaires de Rennes, 2014
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Débat
p. 556-558

TEXTE

TEXTE INTÉGRAL

Vendredi matin et après-midi


1Cette ultime journée du colloque a été particulièrement dense
(10 communications), de sorte que les débats ont été réduits a
minima et ont surtout concerné les communications de
Kare TØNNESSON, B. GAINOT, et A.-M. RAO.
2Commentant la communication de
K. TØNNESSON, G. FOURNIER explique la relative efficacité de
l'administration cantonale dans les Pyrénées-Orientales, par son
caractère centralisée et du coup, le vrai problème c'est celui de la
coupure entre municipalité de canton et anciennes communes ;
et, si l'on en revient, en l'an VIII, aux anciennes municipalités,
n'est-ce pas que les Municipalités directoriales n'ont pas donné
pleinement satisfaction ?

3Pour ce qui est des néo-jacobins de B. GAINOT en Languedoc ils


se manifestent essentiellement lors de la préparation des
élections, constituant alors de véritables comités électoraux..

4D. LIGOU est persuadé que les problèmes linguistiques ont dû


contribuer à compliquer l'action des municipalités de canton dans
les Pyrénées-Orientales. Pour la Saône-et-Loire, ne faut-il pas
faire état d'une coloration réactionnaire prononcée de certains
cantons ? S. BIANCHI se demande si la confiscation de la vie
politique officielle par les municipalités de canton n'aboutit pas à
un déficit de participation démocratique et si les communautés
traditionnelles, c'est-à-dire les communes de 1790, ne continuent
pas à délibérer malgré tout ?
5K. TØNNESSON confirme le surcroît de difficulté lié aux
particularismes linguistiques et à une maîtrise insuffisante du
Français par les communautés de base. Il y a bien des réunions
illicites des anciennes municipalités des communes pour évoquer
les problèmes de voirie, de pâture, de gestion forestière etc… Il
ajoute que son exposé, faute de temps, a gommé l'insécurité
permanente dénoncée par toutes les administrations : des
émigrés rentrés attaquent les voitures publiques, menacent et
pillent les acheteurs de biens nationaux. Les autorités
apparaissent impuissantes, sans prise effective sur les
populations et si cette administration perdure malgré son
inefficacité, c'est qu'il n'y a pas possibilité de remplacer ces
maires et commissaires cantonaux, si médiocres soient-ils !

6B. GAINOT confirme la transformation des cercles néo-jacobins


en comités électoraux tout en soulignant leurs effectifs souvent
significatifs dans des petites villes et qui témoignent d'une
influence politique non négligeable. Quant à la coloration
massivement réactionnaire du haut Charolais, cela reste à
démontrer. Les “blancs” véritables ne bougent guère et la
confrontation politique oppose plutôt des républicains modérés à
des néo-jacobins qui accusent leurs ennemis de royalisme alors
qu'il s'agit d'un affrontement entre républicains. Il y a
indubitablement déficit de démocratie délibérative si l'on
compare, sur le plan local, la période directoriale aux années de la
Constituante. Enfin pour contester le Jugement de K. TØNNESSON,
tous les commissaires cantonaux n'ont pas été des incapables et
stop souvent on a pris pour argent comptant le discours de la
période consulaires qui les a systématiquement dénigrés. En fait,
ils doivent assumer un tel travail que peu d'individu en ont été
véritablement capables.
7C. LUCAS s'interroge sur les rapports entre pouvoir local et
Sanfédisme dans le Royaume de Naples : peut-on y voir
seulement l'occasion pour la noblesse locale de reconquérir
prérogatives et autorité ? A.-M. RAO insiste sur la différence entre
petite noblesse locale favorable aux sanfédistes et grande
noblesse non-résidente plutôt favorable aux idées libérales et
donc à la République Napolitaine par hostilité à l'absolutisme
borné qui prévalait jusque là. Mais localement, le rôle essentiel a
été joué par les représentants du pouvoir royal, en Calabre ou
dans les Pouilles, ces juges-administrateurs des Audiences sont
restés en place pendant l'épisode républicain et ont facilité
l'entreprise du cardinal Ruffo. Plutôt que de guerre civile, il
faudrait parler d'une reprise en main du pouvoir par
l'administration royale.

8R. DUPUY remercie G. FOURNIER pour son ample synthèse sur le


Languedoc et pour les conclusions et interrogations qui en
découlent et qui peuvent servir de conclusion momentanée à un
colloque dont l'intérêt a connu une sorte de crescendo continu lié
à la permanence thématique des questionnements depuis le
premier jour. Se confirme ainsi l'existence d'une interrogation
nécessaire, par delà les péripéties de la conjoncture
révolutionnaire, sur la capacité de résistances des communautés
locales à la volonté centralisatrice de l'État, quel qu'il soit, et sur
les rapports ambigus entre “saniors pars”, centralisme et
démocratisation. Pour ce qui est de la conclusion définitive, on
pourrait imaginer un bilan polyphonique combinant les réflexions
de J.-P. JESSENNE pour l'Ancien Régime et la Révolution à celles de
J. GEORGE sur la période ultérieure de façon à éviter la myopie
réductrice ou le lyrisme obsessionnel du soliloque habituel.
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Élément de conclusion I
Jean-Pierre Jessenne

p. 560-568

TEXTE NOTES AUTEUR

TEXTE INTÉGRAL
1R. Dupuy a voulu une conclusion à plusieurs voix qui soit l'écho
de la multiplicité des approches conjuguées au cours du colloque
dont il fut l'initiateur. Cette démarche contraint à un
développement forcément limité et impose, plutôt qu'un illusoire
bilan, un relevé sélectif des points forts retenus par chacun, fut-
ce au prix de quelques répétitions.
2Pour ma part, je retiens d'abord trois enseignements des
communications et discussions portant sur la fin de l'Ancien
Régime. Peu d'exposés furent consacrés spécifiquement à la
ruralité pré-révolutionnaire, mais les évocations nombreuses
laissent pressentir la diversité de l'organisation du pouvoir au
village ; cette diversité oblige à beaucoup de précautions dans la
communication entre les chercheurs tant la terminologie utilisée
pour désigner les fonctions peut recouvrir des pratiques
différentes. En second lieu, il se dégage une tendance quasi
générale à l'oligarchisation des corps de ville ; cette
oligarchisation est également observable dans les campagnes,
mais, à en juger par les cas des syndics d'Ile-de France, des
“Généraux de paroisse” du Trégorrois ou des municipalités
languedociennes, elle est nuancée par la moindre uniformité du
recrutement des administrateurs villageois et de la mise sous
tutelle des institutions collectives. Au total, les réflexions
convergent vers la réévaluation de l'influence des
dysfonctionnements du système des pouvoirs locaux sur la crise
de l'État monarchique. Les exemples proposés ayant surtout porté
sur des pays d'États, la crise se présente comme une disjonction
dans la collaboration entre les agents de l'autorité monarchique,
les États provinciaux, les corps de ville et les administrateurs des
collectivités villageoises. Avec une acuité et sous des formes
variées, s'opère un redéploiement plus ou moins conflictuel dans
les partenariats, selon l'exemple nantais présenté par G. Saupin :
dans les années 1780, la municipalité cesse de privilégier l'action
concertée avec l'intendant et se rapproche des États de Bretagne.
Ce redéploiement se nourrit à des sources multiples notamment
l'exacerbation des tensions autour des enjeux classiques de la
relation entre les pouvoirs locaux et la monarchie (fiscalité,
urbanisme), la mise en cause des rôles respectifs par les multiples
projets de réforme et, probablement aussi, les difficultés
qu'éprouvent les détenteurs de fonctions intermédiaires,
subdélégués, consuls ou mayeurs, responsables villageois, à
exercer leur rôle décisif de relais dans la mesure où ils sont de
plus en plus tiraillés entre des pouvoirs concurrents. Le processus
contribue à ce que C. Nières a appelé le “collapsus” de l'État, c'est
à dire son incapacité, face à la coagulation des contradictions, à
remplir sa fonction fondamentale de règlement des conflits.
 1 Notons que le caractère restrictif de cette vision institutionnelle s'affirme
avec évidence à la c (...)

3La recomposition opérée sous la Constituante fut surtout


abordée par le biais des élections pour les administrations
locales ; cette priorité découle logiquement du regain récent des
études sur le vote révolutionnaire mais n'est pas dénuée
d'ambiguïtés par rapport à la problématique du pouvoir local, j'y
reviendrai. Deux observations s'imposent. La nouveauté radicale
que constituent ces élections se conjugue avec le
réinvestissement inévitable de comportements collectifs anciens.
Par ailleurs, la plupart des cas étudiés révèlent de fortes
similitudes dans l'évolution de la participation : elle est plutôt
forte en 1790, notamment pour la formation des premières
municipalités rurales, elle fléchit ensuite plus ou moins
rapidement ; la baisse est en tout cas spectaculaire pour les
élections de 1791. L'un des débats engagés porte donc sur la
signification de cet affaissement ; dans le fil du premier point
relevé, P. Gueniffey discerne dans l'abstention un effet du
décalage entre l'exigence d'individualisation de la participation
politique impliquée par le vote et la force de l'attachement aux
appartenances communautaires traditionnelles. Ayant moi-même
insisté sur la prégnance de cet attachement en 1790, je souscris à
l'idée d'une ambibalence du vote ; par contre, je ne suivrai P.
Gueniffey ni dans la voie qui tend à réduire la question de la
participation politique “moderne” à cette dimension électorale, ni
dans celle qui le conduit à reprendre la formule univoque et
grossièrement globalisante “la Révolution française est passée au
dessus des paysans”. La thèse de “l'infra-politisation” paysanne
ainsi remise à jour ne résiste pas à l'examen attentif des Formes
diverses d'une participation qui se manifeste dans la formation de
la garde nationale, dans les conflits à propos de la délimitation de
l'exercice du droit de vote ou dans les pressions exercées sur les
municipalités élues. Toute interprétation simplificatrice en terme
de désimplication ou “échec de l'institution démocratique” paraît
alors abusive car elle revient à mesurer la dynamique politique
révolutionnaire à la seule aune de l'institutionnalisation de la
représentation nationale1. En fait les engagements des ruraux
recèlent, au-delà du cliché offert par le vote, des virtualités
contradictoires : ici consécration de la domination d'une “élite”
villageoise, là contestation non du principe électif mais d'un
suffrage censitaire qui favorise le pouvoir d'une minorité, ailleurs
investissement de la participation sur d'autres institutions comme
la garde nationale ou la paroisse… La Révolution ne passe pas au-
dessus des paysans, elle ouvre le champ de la politique locale si
bien qu'au temps de la dramatisation des débats nationaux, la
stabilisation de la pyramide des autorités constituées, plutôt bien
engagée en 1790, se heurte à la multiplication des conflits pour le
pouvoir local et débouche sur le paroxysme révolutionnaire de
1792-94.
 2 F. LEBRUN, R. DUPUY, Les résistances à la Révolution, Imago, 1987.

 3 L'exemple confirme plusieurs études portant sur d'autres régions : voir


notamment les travaux de C (...)

4Ainsi, les interventions très variées consacrées principalement à


cette période invitent à étendre à toutes les formes d'engagement
dans la Révolution les nuances apportées par un précédent
colloque rennais sur “les résistances à la Révolution” 2. Par
exemple, la notion de “mauvais gré”, introduite par M. Lapied
pour caractériser l'attitude des communautés du Contat, rend bien
compte de la complexité des comportements villageois ; tandis
que la majorité des habitants cherchent avant tout à se protéger
des retombées révolutionnaires les plus lourdes, les détenteurs
des fonctions locales veillent à satisfaire les exigences civiques
minimales tout en ménageant la collectivité dont ils ont la charge.
La nuance vaut aussi pour les manifestations d'apparent
militantisme révolutionnaire ; l'exemple champenois et picard,
étudié par J. Bernet, montre la portée multiforme de la diffusion
des sociétés populaires de 1791 à l'an II. Il n'est pas jusqu'à la
Terreur elle-même qui, notamment au travers de l'exemple de la
Vienne présenté par J. Peret, n'apparaisse comme la résultante de
rapports complexes et mouvants entre des pouvoirs locaux
concurrents3. L'entreprise constituante d'uniformisation, de
hiérarchisation et d'intégration des collectivités territoriales
aboutit ainsi à la multiplication des pôles du pouvoir ; sur une
toile de fond sans doute largement dominante de recherche par
les habitants de l'auto-protection, cette évolution se traduit, selon
les conditions et les rapports de forces locaux, par des
comportements collectifs variés allant du basculement dans la
résistance ouverte au mauvais gré plus ou moins conformiste
jusqu'à l'engagement révolutionnaire actif. Le vote n'étant plus
alors qu'une forme très ponctuelle de participation politique.
5La tentative directoriale pour institutionnaliser une hiérarchie
remodelée par rapport à 1789, supprimant notamment les pôles
qui s'étaient avérés les plus conflictuels comme les districts, ne
résorbe à aucun moment l'hétérogénéité des comportements et
les contradictions. Le fonctionnement des municipalités de canton
ou des directoires de départements mais aussi des justices de
paix, jusqu'alors peu étudiées, montre la juxtaposition de
secteurs où les administrations acquièrent une indéniable
efficacité et d'autres où elles s'enfoncent dans l'impuissance. De
même, les attitudes électorales, l'évolution de la sociabilité
révèlent que des localités où le surinvestissement politique se
solde par des antagonismes exacerbés voisinent avec des aires de
désengagement ou de refus.
6Sans insister sur la première moitié du 19'siècle davantage
examinée par J. George, je terminerai cette évocation très
sélective des apports du colloque par deux observations plus
transversales. La continuité entre l'évolution oligarchique des
administrations locales sous l'Ancien Régime et la consécration
des notables après 1800 semble évidente, mais elle ne doit pas
alimenter l'illusion de la soumission atavique des sujets devenus
citoyens : la période révolutionnaire montre au contraire l'intense
mais très multiforme implication dans les affaires publiques. N'est
ce pas en fait l'impossibilité de contenir cette implication dans les
formes constitutionnelles qui aboutit à l'autoritaire centralisation
consulaire et à la consécration des notables ? Par ailleurs, comme
l'a montré G. Fournier, la reconnaissance des continuités ne doit
pas masquer les glissements dans les enjeux du pouvoir et dans
la marge d'initiative des autorités locales. N'est-ce pas dès lors un
faux débat que d'envisager sous le seul angle institutionnel la
filiation entre la centralisation sous la monarchie absolue et celle
du 19  siècle ? En fait ces questions posent le problème du
e

contenu du pouvoir local et conduisent à examiner les difficultés


soulevées par nos débats.
7La première de ces difficultés tient paradoxalement à la diversité
et à la richesse des interventions ; les multiples approches du
pouvoir local éclatent en perspectives qu'il est difficile d'articuler
et l'objet d'étude se dérobe.
8A écouter les intervenants, on observe que la notion de pouvoir
local est appliquée à des échelles territoriales et à des niveaux
différents de l'organisation du corps politique, des organes
intermédiaires (États provinciaux d'Ancien Régime, districts et
départements ensuite) aux collectivités élémentaires abordées soit
en tant que communautés d'habitants préexistant à
l'institutionnalisation dans l'État, soit en tant qu'unité territoriale
de base au sein de celui-ci. Certaines études, sur les élections ou
la sociabilité politique notamment, s'abstraient de la dimension
territoriale pour jauger les comportements politiques dominants
et les rapports de force par “grandes masses”.
9Ce problème d'échelle se double d'une ambiguïté
paradigmatique plus globale. Quatre acceptions du terme de
pouvoir local se sont entremêlées au cours du colloque. La
première est avant tout institutionnelle et territoriale : elle
implique l'étude des organes de la puissance publique dans le
cadre des circonscriptions inférieures et intermédiaires de l'État ;
elle tend à privilégier la question du contrôle du centre sur la
périphérie. Une variante de cette approche s'attache à des
catégories charnières dans l'exercice des pouvoirs, notamment les
notables du 19  siècle. Une troisième démarche privilégie l'analyse
e

des comportements politiques en abordant les luttes pour


l'obtention des fonctions, les attitudes de soutien, d'acceptation
ou de refus du gouvernement et/ou du régime. Sur un autre
registre qui a été abordé au cours du colloque surtout à propos
des exemples italien (A.M. Rao) et catalan (E. Toscas), le pouvoir
local est envisagé non seulement sous l'angle du fonctionnement
de la communauté politique officielle, mais aussi sous celui de la
reconstitution des enjeux, notamment économiques, qui sous-
tendent les luttes pour le pouvoir et des ressorts multiformes,
souvent masqués, de celui-ci : relations de dépendance, valeur
symbolique de la communauté, besoin pour elle de s'identifier à
certains de ses membres “d'excellence”.
10Cet éclatement paradigmatique se trouve renforcé par une
double difficulté. D'une part, les études oscillent souvent du rural
à l'urbain et articulent rarement l'un et l'autre dans leurs
spécificités. D'autre part, le pari d'une approche séculaire, que
préconisaient légitimement les attendus initiaux du colloque, se
heurte à un écran historiographique informulé : les historiens
eux-mêmes, comme fascinés par la volonté unificatrice et
intégratrice du projet constituant ou par les perspectives
tocquevilliennes, semblent éprouver des réticences à concevoir le
pouvoir local pendant et après la Révolution autrement que
comme annexe du fonctionnement de l'État et à prolonger l'étude
intrinsèque des systèmes du pouvoir local selon des
problématiques ouvertes à propos des 17  et 18  siècles.
e e

11L'approfondissement et l'articulation plus efficace des


recherches supposent donc la définition de quelques postulats
communs. J'en propose trois à la discussion.
 4 G. BALANDIER, Anthropologie politique, P.U.F., 1969, p. 43.
 5 J. REVEL, “L'histoire au ras du sol”, présentation du livre de G. LEVI Le
pouvoir au village, Gall (...)

12Il me paraît d'abord que l'analyse ne saurait être limitée à


l'étude des institutions dans l'État et à l'occupation des fonctions
en leur sein. A cet égard, l'Histoire gagnerait à s'inspirer de
l'enseignement de l'anthropologie, à se souvenir par exemple de
la définition proposée par G. Balandier : “on définira le pouvoir
comme résultant pour toute société de la nécessité de lutter
contre l'entropie qui la menace de désordre… Mais il ne faut pas
en conclure que cette défense ne recourt qu'à un seul moyen, la
coercition et ne peut être assurée que par un gouvernement bien
différencié”4. La voie en ce domaine fut explorée G. Levi dont
l'ouvrage est bâti sur le précepte souligné par J. Revel : “Le
pouvoir n'est pas une chose… Il s'identifie à un réseau relationnel
constamment mobile”5. Trois éléments peuvent ainsi servir à
définir la notion de pouvoir :
 elle désigne la dévolution et l'exercice de l'autorité au sein des
collectivités organisées à diverses échelles territoriales ;
 ce processus met en jeu, dans nos sociétés modernes, à la fois
des modalités institutionnelles dans le cadre de l'État, les
systèmes relationnels au sein de communautés6, les rapports
entre les diverses collectivités de même type ou de niveaux
différents ;
 il vise notamment à la régulation des rapports entre les
membres afin d'assurer la permanence et l'adaptation du lien
social en réglant les conflits pour l'hégémonie.

13Selon cette définition, l'analyse du pouvoir suppose non un


choix parmi les diverses approches que nous avons pratiquées au
cours du colloque mais la nécessité de les associer constamment.
 7 M. AGULHON et B. KAYSER, “Rapport introductif”, Pouvoir dans la
commune, pouvoir sur la commune, c (...)
14L'application à la période 1750-1850, suppose l'énoncé de
quelques remarques supplémentaires. Elles peuvent se nourrir à
l'avertissement lancé par M. Agulhon et B. Kayser en introduction
au colloque “Pouvoir
sur la commune, pouvoirs dans la
commune” : “Nulle linéarité dans l'évolution séculaire et
contemporaine de cette question des pouvoirs, surtout pas dans
le sens d'un passage d'une autonomie radieuse à un actuel
assujettissement misérable”7. Cet avertissement nous invite à
substituer à une interprétation tendant à réduire l'évolution des
pouvoirs locaux à leur résorption par la centralisation, une
analyse des formes diverses de la décomposition et de la
recomposition du lien entre les différents niveaux du pouvoir
dans la période de passage de la monarchie absolue à l'État-
Nation.
15Encore faut-il, en dernier lieu, circonscrire la sphère du pouvoir
local. Le dictionnaire propose du terme local une définition à la
fois vague et circonscrite à l'Etat-Nation : “relatif à un lieu, à une
région, par opposition au national”. Cette définition tendrait à la
fois à exclure la dimension non institutionnelle du pouvoir et à
étendre indifféremment le champ du local à toutes les instances
détentrices de l'autorité aux niveaux inférieurs et intermédiaires
de la communauté nationale. Or notre recherche serait plus
opératoire si elle posait comme règle que l'étude du pouvoir local
suppose l'enracinement prioritaire sur les villes ou les villages,
qu'ils soient reconnus ou non comme communes, et que l'analyse
des collectivités territoriales intermédiaires ne prend sens que par
la mise en relation avec ces communautés élémentaires.
16Sur ces bases, il me semble possible de dégager quatre
perspectives de recherches que je me bornerai à ébaucher à
grands traits.
 8 Préface citée p. 32.
17La première invite à étudier les figures variées de l'évolution
dans la longue durée des systèmes de pouvoir à l'échelle des
micro-territoires. Il s'agit de reconstituer les dynamiques
politiques et sociales qui travaillent les communautés non en les
traitant comme des isolats mais “en recourant”, selon l'heureuse
formule de J. Revel, “à des variations de la focale qui permettent
de [les] inscrire dans une série de contexte emboîtés ”8. La
multiplication de ces études de cas constitue le seul moyen
d'échapper aux visions abusivement gobalisantes et de rendre
compte de la diversité des figures du pouvoir si souvent
pressentie au cours du colloque. Encore faut-il ne pas se cacher le
risque d'un émiettement insaisissable du fait de la simple
juxtaposition des exemples. L'issue se trouve-t-elle dans
l'établissement d'une typologie des variables et des
comportements (selon les structures agraires, les réseaux urbains
et villageois, les héritages culturels…) ou plutôt dans
l'établissement de configurations régionales ? La démarche ne
prend-elle sens que si on l'inscrit dans la perspective globale du
développement de l'économie de marché de l'individualisation des
rapports sociaux ? Je ne puis ici approfondir le débat ; par contre,
il est évident que cette approche s'articule logiquement avec la
seconde perspective.
 9 F.G. BAILEY,  Les règles du jeu politique, P.U.F, 1971 (Traduction),
chapitre 8.

18Celle-ci vise en effet à explorer les modalités de l'inclusion des


communautés “élémentaires” à l'État-Nation dans la phase de
transition des années 1750-1850. Il conviendrait d'abord
d'examiner comment s'emboîtent des structures politiques
différentes soit entre territoires contigus et notamment entre
villes et campagnes, soit entre niveaux successifs de l'État. On
pourrait au travers d'indicateurs simples, comme les
prélèvements, la propriété foncière, la détention de fonctions ou
les relations familiales et professionnelles, analyser, en adaptant
la typologie proposée par F.-G. Bailey 9, les situations de
juxtaposition sans liens réciproques, d'antagonisme, d'intégration
ou de simple “indirect rule” c'est à dire d'acceptation de la tutelle
à condition qu'elle ne se traduise pas par une modification du jeu
interne à la communauté de vie. Sous cet angle, le processus de
centralisation apparaîtrait plus complexe et moins réducteur des
pouvoirs locaux qu'il n'est souvent dit et le rôle des
intermédiaires, des notables notamment, pourrait sans doute être
reconsidéré.
19Ces perspectives dans la durée me semblent devoir être
croisées avec l'analyse plus spécifique des moments particuliers
de l'évolution des pouvoirs locaux. Ainsi dans la voie ouverte par
ce colloque, l'analyse de la crise de l'interrelation entre les
multiples sphères du pouvoir à la fin de l'Ancien Régime mérite
des prolongements. Les paramètres évoqués trop allusivement
dans cette conclusion pourraient être conjugués avec la diversité
des cas de figure territoriaux. Pour les communautés villageoises,
il conviendrait certainement d'accorder une attention particulière,
dans la concurrence pour le pouvoir, à la fois aux seigneurs et au
clergé. La période révolutionnaire constitue un laboratoire
exceptionnel dans la mesure où le changement, qui visait
initialement à établir des règles unanimement acceptées pour
l'attribution constitutionnelle des pouvoirs, aboutit à multiplier les
enjeux, les expérimentations institutionnelles, les rivalités et les
luttes. Enfin l'utilisation par le Consulat des réseaux de pouvoir
pour confiner ces luttes me semble devoir être réévaluée de même
que la permanence d'une régulation des conflits dans le cadre des
communautés locales en-deçà de la centralisation.
20Pour terminer, j'ajouterai que la confrontation avec des
exemples étrangers doit être élargie car elle permet à la fois de
repérer des composantes du pouvoir local largement
indépendantes des cadres nationaux et d'appréhender les
marques spécifiques imprimées par les particularités des
évolutions respectives.
21Cette ouverture revêt d'autant plus d'importance que la
problématique des pouvoirs locaux dans l'État-Nation prend une
nouvelle dimension à l'heure où “l'Union européenne” se cherche
comme communauté politique.
NOTES
1 Notons que le caractère restrictif de cette vision institutionnelle
s'affirme avec évidence à la confrontation avec les nombreuses
recherches de ces dix dernières années qui ont montré le caractère
multiforme de la politisation, notamment au cours de plusieurs
colloques par exemple :  Les paysans et la politique, Annales de
Bretagne, N° spécial 1983, dir. R. DUPUY ;  Mouvement populaire et
conscience sociale, Maloine, 1985, dir. J. NICOLAS, etc…

2 F. LEBRUN, R. DUPUY,  Les résistances à la Révolution, Imago, 1987.

3 L'exemple confirme plusieurs études portant sur d'autres régions :


voir notamment les travaux de C. LUCAS, J.-P. JESSENNE par exemple
dans  La Révolution française et le monde rural C.T.H.S, 1989 et de
A. FORREST : “The local politic of repression” dans  The French
Revolution and the Creation of Modem Political Culture,  Τ 4, The
Terror, Pergamon, 1994, p. 81-99.

4 G. BALANDIER,  Anthropologie politique, P.U.F., 1969, p. 43.

5 J. REVEL, “L'histoire au ras du sol”, présentation du livre de G. LEVI  Le


pouvoir au village, Gallimard, 1985-1989, p. XVIII.
Pour ma part, j'ai puisé au croisement de cette réflexion
anthropologique et de l'étude de la société rurale artésienne les
recherches résumées dans  Pouvoir au village et Révolution, Artois,
1760-1848, P.U.L., 1987.
6 Communauté entendu au sens donné par E. WEILL “Ce qui est vécu
dans une expérience directe de compréhension humaine dans le cadre
d'institutions qui n'ont pas été créées et “réorganisées” par un
organisateur rationaliste et calculateur”.   Philosophie politique, Vrin,
3'édition 1971, p. 70. Il conviendrait d'ailleurs de clarifier plus
méthodiquement les usages de ces termes communautés, collectivités.

7 M. AGULHON et B. KAYSER, “Rapport introductif”,  Pouvoir dans la


commune, pouvoir sur la commune, colloque organisé par l'Association
des ruralistes français, Montpellier, 1983 (Textes dactylographiés des
interventions non publiés).

8 Préface citée p. 32.

9 F.G. BAILEY,  Les règles du jeu politique, P.U.F, 1971 (Traduction),


chapitre 8.

AUTEUR
Jean-Pierre Jessenne
Du même auteur
 Nationales, communautaires, bourgeoises ? in La plume et le sabre, Éditions de la
Sorbonne, 2002
 Préface in Dans le tourbillon de la Révolution, Presses universitaires de Rennes, 2016
 Les études rurales britanniques et françaises : histoires comparatives, échelles territoriales
et chronologies in Ruralité française et britannique, XIIIe-XXe siècles , Presses universitaires de
Rennes, 2005
Élément de conclusion II
Jocelyne George

p. 569-571

TEXTE AUTEUR

TEXTE INTÉGRAL
1La notion de pouvoir local doit être délivrée du caractère
secondaire qui lui est encore habituellement attribuée, résultat
d'une construction historique mystificatrice. L'idée existe que le
pouvoir local résulterait de la démocratisation progressive du
pouvoir central, qu'il serait absent sous l'Ancien Régime, naîtrait
durant la Révolution, aurait été refusé sous l'Empire et se serait
ensuite progressivement étendu pour parvenir à l'idéal républicain
avec la loi de 1884. En fait, la notion de pouvoir local – sur
l'origine de laquelle il faudrait déjà s'interroger car elle n'a pas
l'évidence qu'on lui prête – est étroitement liée à celle de pouvoir
central. Elle en est constitutive. A chaque forme d'État correspond
une expression locale dont la législation est édifiée sous la
pression sociale avec le souci de contenir ou de désamorcer celle-
ci.
2En France, une donnée médiévale est déterminante : la
communauté d'habitants qui peut regrouper plusieurs paroisses.
Lorsqu'en 1793, elle est baptisée “commune” par la Convention,
elle a derrière elle une longue histoire féodale et monarchique
marquée par les révoltes paysannes. A la veille de 1789, cette
communauté paraît étiolée, dominée par le seigneur accaparée
par une oligarchie bourgeoise urbaine. Pourtant, de façon
inattendue, une révolution municipale contraint le nouvel État
naissant à la reconnaître sauf à être affaibli dans sa lutte au
sommet. Dans la hâte, la communauté est identifiée à la paroisse
et, du coup, surgissent 44 000 municipalités. Ce grand nombre
qui n'a pas fini de poser des problèmes, surtout à ceux qui
inquiète toujours l'extension de la démocratie, fut-il depuis réduit
à 36 000, caractérise l'État libéral à la française.
3On peut considérer la période entre 1789 et 1850 – date limite
de notre colloque-, comme celle de l'hésitante construction de cet
État, dont le concept est bien démodé aujourd'hui. L'État libéral
est d'abord un État gendarme qui vise à la centralisation,
reconnue comme le mode de contrôle le plus efficace. Certes, la
bourgeoisie a remplacé l'aristocratie aux commandes mais celle-
ci approuve le centralisme maintenant qu'il lui profite.
L'anticléricalisme de cette bourgeoisie est aussi une spécificité de
son État. Ailleurs, le communautés locales n'ont pas contesté avec
la même vigueur les élites civiles et religieuses. Sa révolution
ayant été contrée par l'Église, la bourgeoisie française a en effet
été poussée à laïciser le pouvoir local. Elle a ainsi opposé le maire
au curé, transférant au premier les attributions civiles du second,
amoindrissant l'emprise sacerdotale et créant un pôle
d'opposition. La Révolution n'étant pas seulement bourgeoise
mais aussi populaire, l'État libéral doit prendre en compte des
aspirations démocratiques. L'autonomie communale – autre
expression sur l'origine de laquelle il conviendrait également de
s'interroger – est un mythe puissant qui s'exprime concrètement
par la revendication de l'élection de représentants locaux à
l'image de celle des représentants nationaux.
4Comment intégrer cette communauté et son désir de
représentation dans l'État libéral en construction ? Passé le rêve de
la société de propriétaires de 1790, de citoyens de 1792,
Bonaparte confisque la rêve à son usage strictement personnel et,
fort pessimiste sur les hommes, veut faire de la commune une
simple circonscription administrative, base d'un système
hiérarchisé devant aboutir à lui-même, le Premier consul consacre
l'idéal rationnel d'unité des révolutionnaires libéraux et récupère
l'autorité monarchique.
5Quant à la liberté, elle doit être à nouveau défendue par les
libéraux, surtout contre les aristocrates de retour qui assimilent
les libertés communes au pouvoir seigneurial ou qui veulent
restaurer le pouvoir clérical. De 1814 à 1830, les libéraux mis à
l'écart réfléchissent intensément à cet élément essentiel du
gouvernement de la France que sont les communes. Napoléon en
a réduit les ressources financières au profit d'un État central qui
tire néanmoins sa force de leur cohésion et ce leur acceptation de
son autorité. Lorsque l'une et l'autre font défaut comme en 1814
et en 1830, les autorités de Paris et leurs envoyés dans les
départements ne peuvent plus tenir le pays. Les hommes
politiques libéraux, au premier plan Guizot et Thiers, sont très
attentifs au statut de la commune. Le contrôle administratif et
policier de la population ne leur paraît pas suffisant, ils
recherchent l'équilibre social, prenant définitivement en compte
l'aspect conflictuel de la communauté, accru par l'industrialisation
qui se répand. Ils se résolvent pour cela à reconnaître comme
légitime l'élection de représentation. Après la Révolution de juillet,
il faut passer aux actes. Un compromis libéral est adopté en
1831 : le maire est nommé, ce qui préserve l'autorité de l'État, les
conseillers municipaux sont élus à un suffrage censitaire bas, ce
qui préserve l'équilibre social. La loi de 1837 confirme la tutelle
préfectorale et circonscrit l'activité du maire et du conseil
municipal. La contestation politique est ainsi déviée vers la
querelle de clocher. A partir de là, l'institution est acceptée. La
revendication se focalise sur l'extension du droit de vote. En
1848, la conquête du suffrage universel identifie électeur national
et électeur municipal. Passé le recul relatif du Second Empire qui
conserve l'élection du conseil municipal au suffrage universel mais
nomme le maire, la loi de 1884 reprend la compromis établi en
1831 et 1837 : tutelle du préfet, limitation des compétences
municipales, élection des conseillers qui, sauf à Paris, choisissent
désormais le maire parmi eux. L'infériorité communale a fini par
être intériorisée. Le mouvement communaliste de la fin du second
empire apparaît comme une dernière résistance, mal connue et
jugulée avec la violence que l'on sait.
6La loi de 1884 ouvre une période de stabilité de l'État libéral à la
française. Ce régime sera remis en cause, en 1940, par Vichy qui
revient sur le principe électif. Après 1944, commence une autre
période d'élaboration où s'opère le passage à un État néo-libéral.
En même temps que celui-ci se décentre dans un cadre européen,
il renforce la centralisation. Après l'échec répété des tentatives de
réduction du nombre des communes par fusion, le nouveau
compromis est choisi. Par le biais des impératifs financiers, les
attributions de communes mais aussi celles des départements
sont diminuées au profit de la région et de l'État, alors que
s'opère un transfert des charges sur les municipalités et les
conseils généraux qui doivent pallier la fin de l'État-providence,
dernier avatar de l'État libéral.
AUTEUR
Jocelyne George
Du même auteur

 Paris province : un mouvement du capital in Province-Paris. Topographie littéraire


du  XIX   siècle, Presses universitaires de Rouen et du Havre, 2000
e

 Pouvoir local ou “intérêt local” ? in Pouvoir local et Révolution, 1780-1850 , Presses


universitaires de Rennes, 1999
© Presses universitaires de Rennes, 1999
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Élément de conclusion III
Roger Dupuy

p. 572-577

TEXTE AUTEUR

TEXTE INTÉGRAL
1J.-P. JESSENNE, tout en soulignant la remise en cause du
centralisme bourbonien, regrette, avec raison, l'approximation
conceptuelle d'un colloque qui embrassait à la fois et pour la
seule France, les États de Bourgogne, la Ville de Nantes, l'Aubrac
contre-révolutionnaire, la totalité des villes et communautés
rurales du Languedoc, des communes rurales du Haut Comtat et
toutes celles des Pyrénées-Orientales, sans oublier deux paroisses
du Trégor profond sous l'Ancien Régime. Il faut donc rapidement
définir une typologie des instances politiques relevant du pouvoir
local, tout en privilégiant le niveau le plus élémentaire, celui des
communautés d'habitants auxquelles doit être réservée la notion
même de pouvoir local. J. GEORGE nous propose, elle, une lecture
globale de l'emprise croissante de l'État, devenu libéral, sur les
instances inférieures d'un pouvoir politique qu'il confisque dans
sa totalité, n'abandonnant aux notables des conseils municipaux
et encore sous le contrôle des préfets, que l'administration
quotidienne des besoins immédiats des communautés, car ceux
de l'État transitent désormais par des corps spécialisés de
fonctionnaires. C'est ce qu'elle appelle le compromis de 1831,
dans la mesure où l'élection du conseil municipal assure,
théoriquement, une représentativité plus effective de la
population. En fait, c'est la “Sanior pars” qui continue d'assumer la
représentation et la communication de P. ARDAILLOU prouve, du
moins pour le pays de Caux, que le suffrage universel n'entame
guère ce monopole. Est-ce à dire que l'individualisation de la
politique, exaltée par l'État libéral et qui s'incarne désormais dans
la consultation électorale périodique des citoyens, va éliminer les
comportements collectifs et solidaires traditionnels ? D'autant
qu'ils seraient également remis en cause par l'inéluctable
ouverture des campagnes au marché national ! C'est ce qu'a
souvent estimé une historiographie régionale classique limitant
l'approche de ce qu'elle appelait la politisation du monde rural. A
l'étude méthodique des consultations électorales. Sans nier les
conséquences de la démocratisation et du “Marché”, sans
mésestimer les l'approche ainsi privilégiées, ne faut-il pas
s'interroger sur les modalités de la résistance des anciennes
pratiques politiques sans pour autant les taxer, a priori,
d'attavisme, d'ignorance et de fanatisme superstitieux ? Et donc
prendre en compte “Marché” et démocratisation à la lumière de la
réalité complexe et mouvante d'une strate sociale élémentaire,
tissée par une histoire particulière, immergée dans une
promiscuité conviviale ou haineuse, avec ses réseaux complexes
de notoriété et d'influence, son statut de la richesse, le tout
définissant sa conception du pouvoir et des obligations qui lui
incombent.
2La confirmation et la proclamation de l'existence d'une strate
élémentaire du politique nous paraît à la fois correspondre au
vœu de classification typologique de J.-P. JESSENNE et constituer la
conclusion majeure d'un colloque qui nous invite à y voir une
sorte de frontière intérieure dessinée par les équilibres subtiles ou
les affrontements violents entre les exigences uniformisantes de
l'État, quel qu'il soit, et les logiques particularistes des
communautés “primaires”. D'autres considérations pouvant être
également retenues, il nous a paru plus clair de les ramasser sous
une série de rubriques allant à l'essentiel.
UNE FRONTIÈRE
INTÉRIEURE OU LA
RÉHABILITATION DU
POUVOIR LOCAL
3La strate élémentaire des communautés d'habitants constitue
une sorte de plasma social duquel la quasi totalité du reste de la
Société, à un moment ou à un autre, est issu. Cette couche
première est constituée, en 1780, par près de 80 % de la
population du royaume, et si l'on s'en tient à une sorte de
perspective braudélienne horizontale, c'est là que se situe le
phénomène statistique le plus lourd, quantitativement parlant.
Sans pousser trop loin le paradoxe sur l'identité effective de la
véritable “grande politique”, il faut donc réhabiliter ce niveau
initial, mêmes si les sources qui permettent de l'appréhender sont
moins nombreuses et moins loquaces que celles concernant les
multiples aspects de l'autre politique. L'Histoire du pouvoir local
s'identifierait donc à celle de cette frontière intérieure impalpable,
mouvante et pourtant réelle, constamment redessinée par les
rapports de forces nés du renforcement ou de l'affaiblissement
des autorités supérieures et de leur capacité à se faire obéir.
4Communications et débats ont fait surgir l'identité des
comportements des municipalités rurales que ce soit dans le haut
Comtat, en Champagne, en Poitou ou dans les Pyrénées-
Orientales. Partout elles ont tenu un double langage pour écarter
ou retarder réquisitions, épurations et arrestations. Beaucoup s'en
sont tenues à un légalisme prudent finissant par exécuter
partiellement, tout en déplorant les maux qui accablaient leurs
administrés, les décrets et arrêtés dont on les harcelait.
Permanence donc d'une solidarité locale que l'on retrouve, sous
une autre forme, en avril 1848, quand les villages normands
décrits par TOCQUEVILLE, allaient voter en rang, sous la houlette de
leurs prêtres et de leurs notables. Cette unanimité disciplinée ne
serait pas tant l'aveu d'une soumission révérencielle aux
notabilités que l'expression d'une solidarité communautaire
réaffirmée et que P. GUENIFFEY a repérée dans beaucoup de
scrutins ruraux de 1790 et 1791. En fait, en 1848, l'éthique
contractuelle et solidaire de la communauté l'emporte encore sur
les conséquences mal perçues d'une démocratisation qui ne doit
pas inciter à lâcher la proie, même modeste, pour une ombre trop
incertaine.

LES LIMITES DU
CENTRALISME BOURBONIEN
ET SON IMPLOSION (ÉTÉ-
AUTOMNE 1789)
5Le leitmotiv jubilatoire de N. HAMPSON après chaque
communication du premier jour aboutissait à constater l'extrême
diversité institutionnelle de l'Ancien Régime vers 1780, difficile à
concilier avec l'hypothèse d'un centralisme conquérant.
L'Intendant n'est plus ce qu'il était, la communication de
G. SAUPIN le confirme ainsi que le bilan tenté par Cl. NIÈRES. En
Provence, mais surtout en Languedoc et en Bretagne, la
monarchie se heurte au niveau intermédiaire du pouvoir provincial
(États, cours souveraines) qui prétend sauvegarder les libertés et
privilèges de ses concitoyens. Les mots patriote et patriotisme
sont souvent utilisés pour signifier la solidarité active des
communautés d'habitants, surtout les villes, avec ces instances
intermédiaires dans leur combat contre le “despotisme ministériel
“. Avec un bémol cependant, dans la mesure où G. FOURNIER nous
rappelle que les communautés languedociennes se méfient autant
du despotisme de leurs États que de celui des ministres.
6Ce qui est apparu également, c'est l'écroulement brutal de cet
étage intermédiaire du pouvoir provincial, intendants compris. La
discussion a prouvé que, même en Bretagne, on ne regrette guère
l'efficacité administrative et politique de la Commission
intermédiaire des États. Il y a comme une implosion de tout cet
étage provincial qui semble due à deux séries convergentes de
considérations : d'abord la violence et la généralité du sentiment
anti-aristocratique dans tout le royaume mais aussi l'assurance
pour les robins roturiers de trouver des places dans la nouvelle
administration locale et dans les tribunaux où l'on sera débarrassé
de la concurrence nobiliaire. Et de fait, l'étage intermédiaire des
pouvoirs provinciaux est aboli au bénéfice de deux structures de
remplacement, d'une part les Assemblées législatives successives
qui transfèrent dans la capitale la prise en compte et la défense
des intérêts locaux, d'autre part la hiérarchie des administrations
locales superposées : Département, District et municipalités des
grandes villes, ces dernières existant déjà, mais avec moins de
pouvoirs, sous l'Ancien Régime. Le départ entre politique et
administration n'est pas clairement établi, dans la mesure où la
Garde nationale, vecteur du patriotisme et bras armé de la Nation
et aux ordres des municipalités. Mais l'accusation de Fédéralisme
dont Montagnards et sans-culottes flétrissent la protestation des
Départements contre le coup de force du 2 juin 1793, tend à
prouver que la gauche parisienne voit dans ces administrateurs de
département un avatar de l'ancienne robinocratie parlementaire
acquise aux aristocrates et donc une sorte de résurrection de
l'ancien pouvoir provincial. Cela signifie donc le rejet par la
Convention montagnarde de la compétence politique des
Administrations départementales…
DU ROYAUME DÉSUNI À LA
NATION DIVISÉE
7Au moment même où l'Assemblée Constituante unifie le fameux
“agrégat in constitué de peuples désunis” pour en faire l'ensemble
rationnel des 83 départements, au moment où l'élan des
Fédérations milite pour fusionner les anciennes provinces en une
Nation unique et unanime dans son adhésion à la Constitution, la
dynamique de l'abolition des privilèges et des droits de l'homme
engendre des divisions entre partisans, adversaires et déçus de la
Révolution. La population parait tiraillée entre deux logiques
unificatrices, celle unanimiste de la Nation et celle épuratoire de la
Révolution. Dans notre perspective, il s'agit de savoir si ces enjeux
nationaux passionnent véritablement nos communautés
d'habitants ou si les nouveaux clivages ne sont pas utilisés pour
réactiver des antagonismes antérieurs comme dans la Lozère de
V. SOTTOCASA ? Il semblerait que les communautés prennent parti
en faveur des changements que si les objectifs des patriotes
recoupent leurs propres revendications, ainsi la remise en cause
du système seigneurial ou l'hostilité aux dîmes dans certaines
régions. Du coup, les cahiers de doléances apparaissent comme la
charte explicite des changements souhaités; ce qui explique les
réticences ultérieures à accepter des exigences, comme la réforme
du clergé ou les levées d'hommes, non seulement absentes des
cahiers mais contraires à leur esprit communautaire. Nous
retrouvons la thématique des “Résistances à la Révolution” qui
nous apparaît comme devant être englobée dans celle, plus large,
des résistances communautaires aux exigences assimilatrices de
l'État et tout particulièrement de l'État montagnard (1793-94) qui
ne peut tolérer le refus des levées d'hommes quand les despotes
coalisés menacent d'engloutir la Révolution. La division n'est plus
tolérable et devant l'obstination bornée de ces paysans, il ne reste
plus que l'intimidation terroriste des représentants en mission ou
l'exécution militaire pure et simple. Reste à savoir quels types de
communauté ont subi les violences de la guerre civile ? Dans
quelle mesure elles ont été effectivement déchirées par cette
guerre ou si les affrontements n'ont fait qu'opposer les
communautés unanimes à des soldats venus d'ailleurs ? Enfin
cette guerre n'a-t-elle pas pris un visage particulier du fait de son
immersion dans le milieu spécifique de la politique locale ? Et la
vie politique locale elle-même, a dû en subir le contre-coup, mais
avec les transpositions imposées par le système indigène de
représentations. C'est ce que laissait entendre la communication
de M. LAPIED et plus encore celle de V. SOTTOCASA. Reste à
expliquer la permanence et la vitalité, dans certaines régions, d'un
courant néo-jacobin dont on sait que, sous certaines conditions, il
peut s'implanter véritablement dans les campagnes.

POUVOIR LOCAL ET PETITS


NOTABLES…
8L'abolition des structures politiques intermédiaires (Parlements,
États provinciaux) durant le second semestre de 1789 pose le
problème de leur remplacement. La suppression du régime
seigneurial et du privilège de la naissance entraîne un recul de
l'influence nobiliaire sans pour autant la supprimer, notamment
dans l'Ouest où la guerre civile lui a conféré une nouvelle
légitimité.

9Il semble acquis, depuis les travaux de A.-J. TUQUESQ,


M. AGHULON et M. VIGREUX, que les héritiers de la noblesse ont
fusionné avec la haute bourgeoisie pour constituer la classe des
“grands notables” qui soutient et donc exploite les moutures
successives de la monarchie censitaires. De tels personnages ne
participent qu'indirectement au mouvement brownien de la strate
politique élémentaire, mais leur profil et leur cursus supposent un
ancrage local sous la forme d'un patrimoine foncier important,
agrémenté d'un ou plusieurs châteaux. Ils n'y résident
qu'épisodiquement mais jouent le rôle d'intermédiaire influent
avec le pouvoir central dont ils sont acteurs ou qu'ils côtoient
assidûment. Ils sont donc les tenants et aboutissants de ces
réseaux de clientèle dont la communication de C. LE BOZEC nous a
fourni un exemple spectaculaire. Soit par la notoriété antique de
leur famille, soit en tirant partie des bouleversements de la
période révolutionnaire, ils ont su se rendre indispensables en
assurant et contrôlant la noria de la promotion sociopolitique des
notables locaux. Et ce sont ces “petits notables”, clientèle
potentielle et marchepied des “grands”, qui devraient constituer
notre champ d'observation prioritaire. Pas seulement pour les
identifier et les répertorier mais pour évaluer, à la fois, leur taux
d'évaporation vers le haut et la nature socioprofessionnelle de
leurs gros bataillons voués aux seuls délices de la compétition
locale. C'est donc analyser les destinées politiques d'une “sanior
pars” qui semble constituer toujours l'encadrement du monde
rural et dont il faut se demander si elle est véritablement affectée
par les retombées électorales du suffrage universel.
10Pour répondre à nos interrogations initiales, ce colloque a
prouvé que la strate élémentaire du pouvoir local a efficacement
résisté aux entreprises de la centralisation bourbonienne,
révolutionnaire et même impériale. La frontière intérieure, plus
visible souvent à l'étranger (Catalogne) que dans la France
absolutiste, a donc perduré. Indéniablement, le credo de la
nouvelle transcendance nationale a sous-estimé la solidité de la
tessiture sociale et culturelle des communautés d'habitants et a
voulu imposer une assimilation accélérée provoquant des
traumatismes profonds (question “religieuse”) allant jusqu'à la
rébellion armée lorsque ce credo a servi pour justifier les levées
d'hommes que l'on abominait. Ce Colloque apparaît donc bien
comme le prolongement de celui de 1985 sur les Résistances à la
Révolution et les communications concernant les hautes terres du
Comtat, les Pyrénées Orientales, le Poitou et surtout la Lozère de
V. SOTTOCASA l'ont confirmé. La problématique de l'anti-
Révolution populaire s'inscrit dans celle, plus large, du passage du
passage d'une sorte de proto-politique locale aux promesses
ambigües de cette démocratisation brutale de la “grande
politique” que serait le suffrage universel. Passage difficile du fait
des capacités de résistances des structures traditionnelles qu'il
faut examiner de façon plus positive que par le passé, sans
sombrer pour autant dans la célébration passéiste. Dépasser donc
l'anecdote Wébérienne pour voir dans la survie des terroirs un fait
majeur de structure expliquant qu'il faille attendre Gambetta pour
que la majeur partie du monde rural n'ait plus peur de la
République.
AUTEUR
Roger Dupuy
Du même auteur

 La Garde nationale entre Nation et peuple en armes, Presses universitaires de Rennes,


2006
 Pouvoir local et Révolution, 1780-1850, Presses universitaires de Rennes, 1999
 Aux origines idéologiques de la Révolution, Presses universitaires de Rennes, 2001

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