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Dyslexie, TDAH, autisme… Les dérives de la psychanalyse chez les enfants


Par Stéphanie Benz et Victor Garcia
9 - 11 minutes

Caroline Goldman ne s’en cache pas : elle est en croisade pour défendre la psychanalyse. A
longueur de podcasts et d’interviews, la psy pour enfants et fille aînée du chanteur préféré des
Français explique à quel point cette discipline la porte. Si elle en dénonce quelques dérives,
c’est pour mieux pointer le poids excessif, selon elle, de la psychologie scientifique et des
neurosciences dans la prise en charge des enfants. Mais la psychanalyse a-t-elle vraiment
besoin qu’on la défende ? Et doit-elle seulement être défendue ?

En 2021, une méta analyse a montré que cette approche pourrait avoir quelques effets positifs
sur les troubles anxieux ou dépressifs chez les enfants et les adolescents. "On est toutefois
encore loin de la solidité des preuves obtenues par les thérapies comportementales et
cognitives", constate Thomas Villemonteix, maître de conférences en psychologie à l’université
Paris-VIII. Selon cet expert, ce travail portait surtout des prises en charge psychodynamiques
brèves et structurées, courantes dans les pays anglo-saxons mais assez éloignées des
pratiques françaises. "La psychanalyse est une théorie, une quête d’adulte quasi spirituelle, et
je comprends que son aspect théorique puisse séduire, mais lorsque l’on confronte cette théorie
à la pratique clinique, surtout chez les enfants qui ont des difficultés, il est démontré qu’elle n’est
pas efficace, tranche Nathalie Franc, pédopsychiatre au CHU de Montpellier. Elle ne propose
aucun diagnostic, aucune solution, à part de la pâte à modeler et des dessins".

Certains psychanalystes, dont Caroline Goldman, suggèrent même que le trouble du déficit de
l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH) serait une invention de l’industrie
pharmaceutique, pour vendre des médicaments comme le méthylphénidate (une molécule plus
connue sous le nom de Ritaline). "Il s’agit d’un discours dangereux, à l’extérieur du champ
scientifique", alerte Thomas Villemonteix.

Un rapport sous influence

Globalement en perte de vitesse à l’étranger, la psychanalyse reste pourtant encore très


présente dans notre pays. "Son influence recule, mais de nombreux psychiatres et
pédopsychiatres de formation psychanalytique continuent d’exercer et le débat actuel autour de
l’éducation montre bien qu’elle n’a pas disparu", souligne Héloïse Junier, psychologue et
formatrice petite enfance. Pour ceux qui en douteraient, le dernier rapport du Haut conseil de la
famille, de l’enfance et de l’âge (HCFEA) fourni une preuve éclatante de cette influence. Les
auteurs du document dénoncent la hausse de la prescription de méthylphénidate contre le
trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH), qu’ils ne jugent "pas si
efficace". Deux affirmations critiquables, puisque ce produit reste proportionnellement moins
utilisé en France que dans d’autres pays, et que différentes études à grande échelle ont montré
son bénéfice sur les troubles de l’humeur ou les tendances suicidaires des patients. Le rapport
citait aussi les psychothérapies, mettant sur le même plan les approches systémiques,
cognitivo-comportementales (TCC) et psychodynamiques. Ces dernières, d’inspiration
psychanalytique, n’ont en réalité jamais démontré leur efficacité dans les troubles
neurodéveloppementaux. De nombreux professionnels de la petite enfance s’étaient émus de
cette publication, certains y voyant l’influence de Sylviane Giampino, la présidente du HCFEA,
elle-même psychanalyste. Interrogée sur ce point par L’Express, cette dernière avait refusé de
commenter.

Sur le terrain, les associations de parents dont les enfants souffrent de troubles autistiques,
DYS ou de TDAH continuent de dénoncer l’accompagnement proposé dans les centres
médico-psycho-pédagogiques (CMPP) ou les centres médico-psychologiques (CMP). "Nous
avons encore beaucoup trop de témoignages de familles qui ne parviennent pas à obtenir un
diagnostic, à qui on impose une psychothérapie familiale, ou dont les enfants sont vus pendant
des années, sans soins adaptés", déplore Nathalie Groh, présidente de la fédération française
des DYS. En banlieue parisienne, Jana, mère de deux garçons souffrant de TDAH a été
confrontée à ces difficultés : "Le CMPP nous a fait perdre beaucoup de temps. J’ai dû me
tourner vers un médecin en libéral pour avoir un diagnostic. Depuis, mes enfants prennent du
méthylphénidate, et ils vont mieux. Ils se sont intégrés à l’école et ont de bons résultats",
raconte-t-elle.

La culpabilisation des mères

Même constat dans les centres de protection maternelle et infantile : "Prendre en charge les
troubles du comportement des enfants, c’est leur cœur de métier. Mais sont-ils suffisamment
formés aux programmes d’éducation aux habilités parentales et aux TCC ? Cela commence à
s’ouvrir, mais il reste encore de nombreux psychanalystes dans ces structures", constate
Frédérick Russet, docteur en psychologie au CHU de Montpellier. Pour les parents, l’absence
de diagnostic est un problème clef, car il peut alors se révéler très difficile d’obtenir la mise en
place d’aménagements au sein des établissements scolaires. "Les polémiques actuelles autour
de personnalités comme Caroline Goldman s’avèrent très néfastes, car elles confortent certains
enseignants dans leur refus d’entendre que nos enfants ne font pas exprès d’avoir des
problèmes de comportement", regrette Christine Gétin, président de l’association Hypersupers
TDAH. Cette mère de trois enfants ne décolère pas contre les approches psychanalytiques qui
"refusent d’envisager qu’il puisse exister des anomalies du fonctionnement cérébral, et qui
attribuent toutes les difficultés à l’environnement au sens large. Et donc aux familles, et aux
mères en particulier".

Pour obtenir un accompagnement adéquat, les parents sont donc nombreux à se tourner vers
le secteur libéral. Au moins ceux qui en ont les moyens : "Entre le pédopsychiatre,
l’orthophoniste, l’ergothérapeute ou encore le psychomotricien, le reste à charge devient vite
très élevé", soupire Nathalie Groh. Si certaines structures évoluent, personne aujourd’hui ne
sait combien de CMP et de CMPP respectent les recommandations de bonne pratique de la
Haute autorité de santé, qui mettent en avant les approches tirées de la psychologie scientifique
et les TCC. "Malheureusement, ces recommandations ne sont pas opposables juridiquement",
soupire une spécialiste du dossier. Les Agences régionales de santé (ARS) pourraient inciter
les CMPP et les CMP à modifier leurs pratiques. "Le problème, c’est que ces agences ont un
champ de responsabilité très large et des moyens limités. Une priorité chasse l’autre", poursuit
cette experte.

Résistance au changement

Il faut dire aussi que la tâche s’avère complexe. Michel Keisler, directeur général de l’APAJH
Gironde et gestionnaire des quatre CMPP de ce département, en sait quelque chose. Voilà six
ans, lors de son arrivée à la tête de l’association, il s’est attelé à cette transformation : "Nous
avons décidé en 2017 de créer des pôles neurodéveloppementaux avec des équipes
spécialisées et des professionnels experts au sein des CMPP. Dès le départ, nous avons été
confrontés à une forte opposition en interne. Les directeurs médicaux des quatre centres ont fait
le choix de partir ainsi qu’une partie du personnel. Pour autant, nous avons déployé un plan de
formation conséquent, étalé sur quatre ans", se souvient-il. Depuis, la part des enfants
diagnostiqués avec un trouble du neurodéveloppement est passée de moins de 10 % à près de
50 %. "Les profils des enfants sont les mêmes. Simplement, auparavant, les diagnostics
n’étaient pas faits selon les recommandations de la HAS", assure-t-il.

Autre frein aux évolutions : les difficultés à recruter des professionnels formés aux méthodes
recommandées par la Haute autorité de santé. "Même si certaines universités évoluent,
beaucoup d’enseignements en psychologie ou en psychomotricité restent très tournés vers la
psychanalyse. Nous le voyons bien à travers les stagiaires qui postulent dans nos associations :
souvent, elles connaissent mal les thérapies cognitivo-comportementales", constate Isabelle
Rolland, présidente d’Autistes sans frontières. De son côté, le Dr Amandine Bussière,
présidente de la fédération des CMPP, explique le manque d’évolution par "des moyens
insuffisants" : "Les CMPP ont très peu bénéficié des budgets alloués aux plans autisme, alors
que nous aurions des besoins en formation et en recrutement", souligne-t-elle, tout en insistant
sur l’importance "d’une diversité des approches" au sein de ces structures.

La délégation interministérielle à l’autisme et aux troubles du neurodéveloppement avait


toutefois conduit une expérimentation, en finançant des formations et l’achat d’outils de
diagnostic pour les centres volontaires. Une petite centaine y avait participé, mais les
résistances demeurent fortes. Ainsi, en 2021, une dizaine d’associations de psychologues a
attaqué devant le Conseil d’Etat un arrêté ministériel qui prétendait encadrer leurs pratiques
dans les toutes nouvelles "plateformes de conseil et d’orientation" ouvertes pour répondre aux
besoins des familles concernées. Leur recours a été rejeté. Cet épisode le montre : sans une
volonté politique forte, les changements continueront au rythme actuel. Bien trop lentement.

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