Vous êtes sur la page 1sur 267

Collection « 

en 100 questions »
créée par François-Guillaume Lorrain

© Éditions Tallandier, 2017


48, rue du Faubourg-Montmartre – 75009 Paris
www.tallandier.com

EAN : 979-10-210-2021-4

Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo.


Introduction

Le harcèlement en milieu scolaire, et notamment le harcèlement


entre enfants, est un sujet de plus en plus commenté et analysé par
les médias, l’institution, les parents : en effet, le bien-être des enfants
est au cœur des préoccupations modernes, leurs compétences sociales
et relationnelles nous semblent essentielles et déterminantes pour
construire leur avenir. Il est terrifiant de constater que leur
dysfonctionnement ou leur absence peuvent aboutir à des drames
humains, tels que le suicide de certains jeunes adolescents. En
France, la mesure rigoureuse de ce problème est récente et donne
pour l’année 2011 le résultat suivant  : 6  % des élèves du collège
déclarent un nombre de victimations qui pourrait indiquer une
situation de harcèlement, ce chiffre n’évoluant que peu deux ans plus
tard. Quant à l’analyse du phénomène, elle est encore nouvelle et la
définition même de ce qu’est le harcèlement en milieu scolaire ne fait
toujours pas l’exacte unanimité parmi les différents chercheurs,
membres de l’Éducation nationale ou professionnels de l’enfance qui
ne travaillent pas en son sein. De façon synthétique, on pourrait le
définir comme un ensemble de relations redondantes qui engendre
une extrême souffrance chez l’un des enfants ou adolescents.
En ce qui concerne les solutions pour faire face à ces situations,
elles sont encore logiquement en voie d’élaboration et à ce jour
encore insuffisamment étudiées, notamment dans la durée, pour
donner lieu à des certitudes sur leur efficacité à court et moyen
terme. Mais l’on sait déjà que les voies pour réduire ce fléau
générateur de conséquences graves chez un certain nombre de ceux
qui l’ont subi sont vraisemblablement multiples et complémentaires.
Elles se scindent en deux moments distincts qu’il est essentiel de ne
pas confondre pour éviter les solutions improductives, voire
aggravantes.
En amont, lorsque les faits de harcèlement sont potentiels, mais
pas avérés  : la prévention constitue ici une modalité adéquate,
capable de sensibiliser utilement des enfants qui acquerront ainsi une
conscience plus aiguë de la souffrance possiblement engendrée, et
seront sans doute freinés le cas échéant. C’est sur cette voie que se
sont élancés majoritairement les différents ministres de l’Éducation
nationale depuis une dizaine d’années, en organisant des enquêtes
nationales, la journée nationale de lutte contre le harcèlement, des
concours d’affiches et de vidéos sur ce thème au sein des
établissements, pour ne prendre que quelques exemples.
Au moment de la crise, lorsque les faits de harcèlement sont
existants et qu’il convient de les stopper le plus rapidement et
radicalement possible : ici, la prévention n’a plus sa place, il est trop
tard. Il convient d’utiliser des méthodes résolutoires concrètes en
partant du constat, très partagé chez les différents spécialistes du
harcèlement scolaire en France, que la sanction, notamment au
collège, est assez inefficace, voire aggravante. C’est en partant de ce
constat que j’ai modélisé un mode d’intervention qui s’appuie
rigoureusement sur les prémisses de l’École de Palo Alto 1.
Ce livre, issu de la pratique clinique de l’équipe de praticiens de
l’École de Palo Alto –  avec laquelle je travaille au sein des centres
Chagrin scolaire depuis dix ans –, se positionne essentiellement dans
cette deuxième phase. S’il propose de répondre aux nombreuses
questions que vous vous posez sur ce sujet, en tant que parent ou que
professionnel de l’enfance, il a aussi pour objectif de vous
accompagner dans la résolution d’éventuels problèmes
de harcèlement entre pairs en vous donnant des pistes de réflexion et
des moyens d’action. Car il est très fréquent que les adultes se sentent
infiniment démunis face à ces situations lorsqu’elles leur sont confiées
par des enfants en souffrance.
J’ai créé ces centres de consultation il y a dix ans parce que de
nombreux enfants et adolescents m’étaient envoyés. Lorsque je leur
posais la question « Comment ça se passe pour toi dans la cour ? », ils
étaient très nombreux, en présentant des symptômes variés (tics,
bégaiement, énurésie, angoisses, phobie scolaire, décrochage, crises
de colère), à me répondre : « Très mal. » Diplômée en thérapie brève
et stratégique de l’École de Palo Alto, j’ai donc décidé de modéliser
une façon de lutter contre le harcèlement en m’appuyant sur ses
prémisses. Elle est présentée de façon synthétique dans des
conférences TedX que j’ai animées en 2012 et 2013. Mon équipe et
moi recevons aujourd’hui cinq cents enfants et adolescents par an et
animons, en collaboration avec l’université de Bourgogne, le premier
diplôme universitaire dédié à l’apaisement des souffrances en milieu
scolaire et périscolaire grâce à l’École de Palo Alto. Nous outillons à
ce titre des CPE, des infirmières scolaires, des chefs d’établissement,
des enseignants, des éducateurs et des psychologues désireux de
trouver des solutions immédiates et pragmatiques à ce fléau, tant en
ce qui concerne sa détection, la compréhension des interactions qui le
sous-tendent, que sa disparition.
C’est sur ce matériau clinique que cet ouvrage s’appuie pour
partager avec vous des exemples concrets (que j’ai décontextualisés
pour respecter l’anonymat de nos patients) de ce qui ne fonctionne
pas, voire aggrave, et de ce qui peut constituer une solution efficace
et durable en renforçant l’autonomie des enfants vulnérables. En
effet, s’il est parfaitement compréhensible, lorsque son enfant est
ostracisé, moqué, battu, racketté, d’éprouver immédiatement le
besoin impérieux de faire quelque chose pour que cela cesse,
l’intervention directe de l’adulte peut parfois aggraver les choses.
Parce que les codes des (pré)adolescents ne sont pas les mêmes que
les nôtres et que, souvent, notre analyse ne prend pas suffisamment
en compte l’obsession de popularité qui est la leur. Or, passer outre
ces fonctionnements particuliers présente le risque de rendre l’enfant
que l’on souhaite protéger encore plus vulnérable, comme si, sans le
vouloir évidemment, nous renforcions son statut de victime,
fondement fréquent de la mécanique de harcèlement. En revanche,
on peut accompagner son enfant vers l’élimination de ce cruel cercle
vicieux en élaborant des stratégies relationnelles qui s’appuieront
précisément sur ce syndrome de popularité. Vous en présenter les
modalités à vous, parents désemparés, est le premier objectif de ce
livre. Il s’appuie en partie pour cela sur un échantillon des patients
ayant consulté un des praticiens des centres Chagrin scolaire des
régions Bourgogne et Rhône-Alpes dans l’année 2016 pour une
situation de harcèlement en milieu scolaire ou périscolaire. Il
s’articule en plusieurs parties distinctes : d’abord, la présentation des
processus et des acteurs de ces interactions spécifiques  ; puis les
solutions mises en œuvre tant en matière de prévention qu’au
moment où les faits sont là  ; les erreurs à éviter et les pistes à
privilégier en tant que parent, professionnel de l’enfance et… enfant ;
enfin, une série d’exemples qui vous permettront de concrétiser
toutes ces données, que le harcèlement se passe à l’école, au collège
ou au lycée, qu’il soit relationnel ou numérique. Mon parti pris est
clair  : je considère que la compétence qui consiste à savoir se faire
respecter est un atout majeur pour mettre fin aux faits de
harcèlement. En milieu scolaire et ailleurs.

1. Les deux prémisses fondamentales de la thérapie brève et stratégique issue de l’École


de Palo Alto (Donald D. Jackson, Richard Fisch, Giorgio Nardone, Karin Schlanger, Paul
Watzlawick, John Weakland) sont de considérer que c’est fréquemment ce qui a été mis
en place pour résoudre le problème qui le renforce et l’aggrave  : ce que nous
appellerons les tentatives de régulation, traduction du terme américain the attempted
solutions. Qu’il faut par conséquent que ces tentatives de régulation soient stoppées
pour que le problème cesse d’être alimenté. Le lien théorique et clinique entre le
concept batesonien de schismogenèse et celui d’arrêt des tentatives de régulation est
cette idée qu’en stoppant ses propres tentatives de régulation, l’enfant harcelé peut
reprendre rapidement et durablement une partie du contrôle de la relation.
DÉFINITIONS
1

Comment l’Éducation nationale


définit-elle le harcèlement
en milieu scolaire ?

Le Larousse définit ainsi le harcèlement  : «  L’action de harceler


consiste à soumettre quelqu’un à d’incessantes petites attaques.  »
L’administration part de la définition générale en considérant que ce
qui caractérise le harcèlement en milieu scolaire est à la fois l’âge des
protagonistes et les territoires au sein desquels il se produit. Ces
incessantes petites attaques auraient donc lieu dans la cour, dans les
transports scolaires, sur les réseaux sociaux (mais avec des harceleurs
faisant partie du même territoire scolaire, au sens large, que l’enfant
harcelé), dans la classe, dans les couloirs, pendant les temps
périscolaires, à proximité de l’établissement…
La définition institutionnelle, transmise par les services du
ministère de l’Éducation nationale, est la suivante : lorsqu’un enfant
est insulté, menacé, battu, bousculé ou reçoit des messages injurieux
à répétition, on parle de harcèlement.
Les trois caractéristiques du harcèlement en milieu scolaire sont :
– la violence : c’est un rapport de force et de domination entre un
ou plusieurs élèves et une ou plusieurs victimes ;
–  la répétitivité  : il s’agit d’agressions qui se répètent
régulièrement durant une longue période ;
–  l’isolement de la victime  : la victime est souvent isolée, plus
petite, faible physiquement et dans l’incapacité de se défendre.
Le harcèlement se fonde sur le rejet de la différence et sur la
stigmatisation de certaines caractéristiques, telles que :
–  l’apparence physique (poids, taille, couleur ou type de
cheveux) ;
–  le sexe, l’identité de genre (garçon jugé trop efféminé, fille
jugée trop masculine, sexisme), orientation sexuelle ou supposée ;
– un handicap (physique, psychique ou mental) ;
–  un trouble de la communication qui affecte la parole
(bégaiement, bredouillement) ;
– l’appartenance à un groupe social ou culturel particulier ;
– des centres d’intérêts différents 1.
Il s’agit donc d’une définition qui se fonde prioritairement sur
l’enfant harcelé et ses caractéristiques. Elle laisse entendre que le
harcèlement ne pourrait viser que certains et pas d’autres : les enfants
porteurs de « différences ».

1. http://www.nonauharcelement.education.gouv.fr/ressources/le-harcelement-cest-
quoi.
2

Existe-t-il d’autres définitions


du harcèlement scolaire ?

Les praticiens qui consultent selon les principes de l’École de Palo


Alto 1 et qui travaillent plus sur l’apaisement des relations que sur la
résolution de problèmes psychiques intrinsèques définissent le
harcèlement en milieu scolaire comme une escalade complémentaire
entre un enfant ou un groupe d’enfants, d’une part, et un autre
enfant, d’autre part  : le(s) premier(s) prenant de plus en plus de
pouvoir dans la relation et le deuxième, conséquemment, en ayant de
moins en moins, souffrant de cette escalade, et pouvant en garder des
séquelles psychologiques à terme 2.
Selon eux, cette escalade complémentaire ne s’appuie pas sur des
différences ou des caractéristiques visibles des victimes, puisque
nombre d’entre elles ne présentent aucune aspérité de la sorte, mais
plutôt sur une vulnérabilité soupçonnée, puis validée, par le
harceleur ou le groupe de harceleurs. En effet, après une première,
une deuxième, puis une dizaine d’attaques, l’enfant harcelé ne se
défendant toujours pas ou pas de façon efficace, le(s) harceleur(s)
s’en voi(en)t encouragé(s) et l’escalade complémentaire continue de
prospérer. Il s’agit donc d’un cercle vicieux qui prend souvent de plus
en plus d’ampleur, et peut concerner n’importe quel enfant, qu’il soit
différent ou pas, « stigmatisable » ou pas 3.
Cette acception ne considère pas non plus qu’il s’agisse de
«  petites  » agressions, comme l’indique la définition générale, parce
que dans la perception qu’en ont les enfants harcelés, il ne s’agit
jamais de petites agressions, mais d’un ensemble puissant et
profondément blessant, même lorsque, aux yeux des adultes, les
attaques semblent anodines, voire ridicules. L’adjectif «  petit  »
présente le risque d’atténuer cette souffrance et donc d’en dénaturer
la définition dans son contexte.
C’est le psychologue Dan Olweus, souvent cité par les chercheurs
britanniques, pionniers en la matière, qui en donne, selon les
praticiens de l’École de Palo Alto, la définition la plus complète  :
« Quand on cherche querelle à un enfant, quand un autre enfant ou
un groupe d’enfants lui disent des choses méchantes ou désagréables,
quand il reçoit des coups de pied, est menacé, enfermé dans une
pièce, reçoit des lettres ou des messages méchants, quand personne
ne lui parle. Ces choses arrivent souvent et il est difficile pour lui de
se défendre. »

1. Voir note 1, p. 9.


2. Emmanuelle Piquet, Te laisse pas faire  ! Aider son enfant face au harcèlement à
l’école, Paris, Payot, 2014.
3. La notion d’«  escalade (ou schismogenèse) complémentaire et symétrique  » a été
théorisée par Gregory Bateson : Vers une écologie de l’esprit, Paris, Seuil, 1977.
3

Quelles questions poser


aux enfants pour savoir s’ils sont
harcelés ou non ?

La première question concerne la durée de la situation afin de


détecter s’il s’agit d’une difficulté ponctuelle ou d’un problème
enkysté, le harcèlement appartenant à la deuxième catégorie  :
« Depuis combien de temps est-ce difficile pour toi à l’école ? » Si la
situation existe depuis plus d’un an, il est important de savoir si elle
s’est modifiée lorsque l’enfant a changé de classe. Si elle perdure,
c’est le signe d’un harcèlement qui persiste alors que le contexte
change. Encore plus sûrement si l’enfant a changé d’établissement,
car en ce cas les interactions avec ses pairs sont compliquées pour lui
et sa vulnérabilité a été aggravée par des changements qui auraient
pu avoir un effet d’apaisement. Ensuite, il est important d’interroger
l’enfant sur ce qui a été mis en place par lui ou par son entourage et
qui n’a pas fonctionné, voire qui a aggravé la situation de
harcèlement. Si plusieurs tentatives se sont révélées inopérantes, c’est
que l’on se trouve face à une situation complexe et problématique,
que les solutions de bon sens ont échoué à faire cesser. Le fait de
savoir ce qui a été effectivement mis en œuvre sans résultat permettra
également d’écarter des chemins qui se sont avérés improductifs. Une
question sur la façon dont se passent les relations en dehors du
territoire scolaire donne également une idée de l’intensité de la
souffrance et donc de la vulnérabilité de l’élève. Plus globalement, la
question « Dirais-tu que pour toi, d’une façon générale, les relations
avec les gens de ton âge sont difficiles ? » donne aussi une idée de la
perception que l’enfant a de ses compétences sociales. Une réponse
positive pousse là encore vers la conclusion que nous sommes bien
face à une situation de harcèlement. Enfin, une question sur les
conséquences de cette situation : conflits nouveaux dans la fratrie et
plus globalement dans la famille, angoisses, crises de colère
intempestives, chute des notes, insomnies sont des signaux
supplémentaires d’une problématique enkystée. La somme de
réponses positives à toutes ces questions montre clairement que
l’enfant est victime de harcèlement scolaire.
4

Peut-on parler de harcèlement


lorsqu’un enfant est isolé ?

Tout dépend de la définition sur laquelle on s’appuie. Si on


s’appuie sur la définition de l’Éducation nationale 1, alors l’isolement,
la solitude, la mise à l’écart (même sans comportements explicites
pour l’appuyer) ne font pas partie du harcèlement puisque, selon la
définition officielle, il faut qu’il soit « insulté, menacé, battu, bousculé
ou [qu’il reçoive] des messages injurieux à répétition  ». Mais si on
s’appuie sur celle du spécialiste Dan Olweus, qui précise que le
harcèlement en milieu scolaire, c’est aussi «  quand personne ne lui
parle  », alors on peut considérer que l’isolement fait partie des
situations de harcèlement 2. C’est un point très important parce que,
en effet, on ne peut pas forcer toute une classe, toute une cour, toute
une équipe à jouer avec un autre enfant, sans vulnérabiliser
immédiatement ce dernier et provoquer précisément ce que l’on
souhaitait éviter : un isolement supplémentaire.
J’ai reçu un jour une maman qui me raconte qu’elle a été très
étonnée quand sa fille de 8  ans, Lilou, lui a montré un carton
d’invitation pour se rendre à l’anniversaire de Marie, l’une des enfants
les plus populaires de la classe. « Jusqu’à présent, je ne crois pas que
Marie lui ait jamais parlé, Lilou est très seule, elle n’a aucune amie, la
maîtresse et moi sommes d’ailleurs très préoccupées.  » Lorsqu’elles
sont arrivées sur le perron de la maison le jour de l’anniversaire, la
porte s’est ouverte devant Marie, sa maman, et quatre ou cinq de ses
invitées. Marie s’est immédiatement écriée  : «  Mais je ne t’ai pas
invitée  !  » Ce qui était la stricte vérité, Lilou avait fabriqué un faux
carton d’invitation tant elle avait envie de faire partie de la fête. Très
gênée, la maman organisatrice invita immédiatement Lilou à se
joindre à ses camarades. La maman de cette dernière, indécise,
sentant que ce n’était pas une bonne idée, ne put cependant résister
aux supplications de sa fille, d’autant plus touchantes (et
inquiétantes) qu’elles n’étaient pas du tout relayées par ses
camarades de classe. Lilou passa sans doute une des pires journées de
sa vie et sa maman la récupéra en larmes une heure plus tard.
L’isolement, la mise à l’écart, qu’elles soient explicitement
commanditées ou simplement implicites (personne ne s’intéresse à
l’enfant), sont génératrices d’infinies souffrances et doivent être selon
nous considérées comme des situations à traiter avec la même
urgence que les autres cas de harcèlement.

1. Voir la question 1, «  Comment l’Éducation nationale définit-elle le harcèlement en


milieu scolaire ? », p. 15.
2. Voir la question 2, « Existe-t-il d’autres définitions du harcèlement scolaire ? », p. 17.
5

Quels sont les problèmes entre


élèves qui n’entrent pas dans
la définition du harcèlement ?

Hélène Romano, psychologue spécialisée dans le traumatisme


psychique, écrit : « Si le conflit existe entre individus, entre pairs ou
entre générations, et fait partie de la vie, il se différencie de la
violence par le fait qu’il ne dénie pas l’autre 1.  » Les praticiens de
l’École de Palo Alto souscrivent en partie à cette thèse, même s’ils
considèrent qu’il peut y avoir violence et souffrance en dehors du
harcèlement  ; ils parlent d’«  escalade symétrique  » en opposition à
l’« escalade complémentaire » : il s’agit là de ces bagarres soit entre
bandes, soit entre chefs de bande, les protagonistes cherchant à
préserver la position haute. Parfois ils gagnent, parfois ils perdent,
mais ils se nourrissent d’un combat d’égal à égal, ils ne consolident
pas leur pouvoir sur la faiblesse de plus en plus grande de leur
adversaire 2. On pense immédiatement à La Guerre des boutons qui
illustre parfaitement ce type de conflit 3. Il y a violence et
sporadiquement (lors des batailles perdues) il peut y avoir
souffrance. Mais il ne s’agit pas de harcèlement. Certaines situations
qui font alternativement choisir l’une ou l’autre des camarades
comme amie privilégiée par une personnalité populaire de la cour
d’école peuvent engendrer angoisse et tristesse chez les enfants, mais
dans la mesure où la sanction ou la récompense sont réparties sur
plusieurs personnes et pas sur une seule de façon répétitive, on ne
peut parler de harcèlement.

1. Hélène Romano, Harcèlement en milieu scolaire. Victimes, auteurs, que faire  ?,


Paris, Dunod, 2015.
2. Voir la question 2, « Existe-t-il d’autres définitions du harcèlement scolaire ? », p. 17.
3. Film d’Yves Robert, d’après l’œuvre de Louis Pergaud, 1962.
6

Quels sont les autres types


de souffrances entre enfants dans
la cour de l’école ?

En dehors des escalades symétriques, les chagrins d’amitié


peuvent également être synonymes de grandes souffrances en milieu
scolaire. Ils ressemblent dans leur structure à cet isolement évoqué,
mais concentré sur une interaction entre deux individus  : celui qui
était mon ami a choisi quelqu’un d’autre et soit se montre plus
distant, moins en osmose avec moi qu’il ne l’était auparavant, soit ne
m’oppose désormais plus qu’une indifférence lasse dans le meilleur
des cas, glaciale dans le pire. Il ne s’agit pas de harcèlement, mais
d’une perte, d’un renoncement qui va être traité par les praticiens de
l’École de Palo Alto comme un chagrin d’amour, et non comme une
situation de harcèlement.
Ces chagrins peuvent advenir très tôt, dès la maternelle, et
l’enfant ne sait plus comment se comporter pour que le lien se recrée
ou pour retrouver son statut d’ami(e) préféré(e) auprès de l’autre.
Soit il « colle » son ancien ami, engendrant ainsi un peu plus de cette
indifférence hostile qui l’accable, soit il l’agresse verbalement ou
physiquement, provoquant l’exact inverse de ce qu’il veut. Il peut
également, dans certains cas, s’en prendre à des enfants sans que les
adultes ne perçoivent la raison de ces subits accès de colère.
Nous avons reçu un petit garçon de 6 ans, Victor, que sa maman
nous avait amené parce que depuis plusieurs semaines il tapait,
visiblement sans raison, les huit garçons de sa classe alternativement,
en dehors de son meilleur ami Nathan. Après questionnement, nous
avons appris que cette subite colère teintée d’une immense tristesse
était apparue à l’annonce par la maîtresse de son redoublement.
Ayant immédiatement compris qu’il ne serait plus dans la même
classe que Nathan, Victor, par dépit, s’en prenait aux futurs
camarades de son ami, avec qui ils pourraient jouer, eux, en CE1. Une
fois la raison de sa colère précisément comprise, nous avons pu
l’accompagner dans ce renoncement douloureux.
7

Pourquoi parle-t-on autant


de harcèlement en milieu
scolaire depuis quelques
années ?

Si le harcèlement scolaire n’est pas un phénomène nouveau, ce


qui est d’actualité, en revanche, c’est l’intérêt et l’inquiétude qu’il
suscite. Le harcèlement en milieu scolaire engendre en effet une
souffrance enfantine et/ou adolescente, et ce type de souffrance est
de plus en plus scruté par les parents et en conséquence par
l’ensemble de la communauté éducative, ce qui était beaucoup moins
le cas auparavant.
Jusqu’à il y a une petite dizaine d’années, il n’était pas rare de
considérer les situations de harcèlement en milieu scolaire comme
des «  enfantillages  ». En témoigne la très péjorative expression
«  bagarres de cour d’école  » utilisée pour décrire des disputes
infantiles et sans fondement. Tel n’est plus le cas. Ces mêmes
situations créent aujourd’hui une forte inquiétude chez les parents
qui prennent ce sujet au sérieux, à l’instar des chefs d’établissement,
des équipes éducatives et des enseignants.
Or, cette angoisse, si elle a le mérite de ne plus atténuer une
violence et une souffrance réelles, a un effet paradoxal sur l’objet
même qui la suscite, dans la mesure où les parents sont de plus en
plus anxieux à l’idée que leur enfant soit victime de harcèlement.
Ils scrutent l’enfant et ses interactions avec ses congénères
beaucoup plus que les parents des générations antérieures, si bien
qu’ils peuvent créer sans le vouloir une inquiétude sur ses propres
capacités à se faire aimer, à s’intégrer. En effet, en doutant clairement
de cette capacité, la personne qui compte le plus pour moi va
immanquablement provoquer un impact sur ma confiance en moi
dans ce domaine, et créer précisément cette vulnérabilité
relationnelle dont certains enfants harceleurs sont si friands et qu’ils
sont si prompts à détecter. En effet, à partir du moment où je
m’inquiète de savoir si je suis séduisant socialement, je le deviens
beaucoup moins, et ma préoccupation devient mon talon d’Achille, et
quiconque saura s’en servir développera violemment son pouvoir et
sa popularité.
Si le harcèlement est avéré, les parents, tentés d’intervenir pour
faire disparaître la souffrance de leur enfant, prendront le risque,
évidemment sans le vouloir, d’envenimer la situation en cristallisant
l’« escalade complémentaire » : volant au secours de l’enfant harcelé,
ils laisseront entendre à ce dernier, ainsi qu’à son ou ses agresseurs,
qu’il est vulnérable puisque incapable de se défendre seul. Le risque
est de conforter les harceleurs dans leur choix de cette victime en
particulier.
Cette inquiétude, par son intensité, a pour effet aujourd’hui que
ce phénomène ou, plus exactement, son analyse et son traitement
prennent une place quantitativement de plus en plus importante dans
nos sociétés. Les premières enquêtes de victimation 1 françaises ayant
à peine une dizaine d’années, on ne sait pas analyser de façon fiable
l’évolution en nombre de faits de harcèlement avant 2011.

1. On entend par «  enquête de victimation  » celles qui interrogent directement les


victimes, les enfants.
8

À quel âge le harcèlement
commence-t-il ?

Les personnes travaillant en crèches ou en haltes-garderies ont


toutes observé à certains moments des «  escalades
1
complémentaires  » entre enfants de 2 ou 3 ans, par exemple dans les
phénomènes de morsures. En effet, il n’est pas rare de voir un enfant
mordre continuellement l’un ou l’autre de ses congénères, tandis que
ce dernier, ne bronchant pas, continue de se faire mordre dès que les
assistantes maternelles ont le dos tourné, et ce en dépit des
remontrances et autres sanctions.
De la même façon, en observant avec attention ce qui se passe
dans les squares ou dans la cour des écoles maternelles, on remarque
que certains enfants se font continuellement prendre leurs jouets ou
leur place au toboggan, sans autres stratégies de défense que de
pleurer, ou de demander à l’adulte de les défendre, tandis que les
autres –  vraisemblablement stimulés par les pitoyables réactions de
leurs victimes  – considèrent visiblement qu’ils sont tout-puissants et
peuvent obtenir ce qu’ils souhaitent sans avoir à beaucoup forcer.
Je me souviens d’avoir eu à superviser une équipe dans une
crèche, très démunie face au cas d’une petite Salomé, 3 ans et demi,
qui ne pouvait résister à l’irrépressible envie de mordre les joues d’un
petit Gabriel de 3 ans et demi, doté, il faut bien en convenir, de joues
fermes, roses et rebondies. Salomé se postait à un endroit, non loin
du fauteuil où s’installait fréquemment Gabriel, et scrutait les
environs pour s’assurer qu’elle pouvait passer à l’attaque sans en être
empêchée par un adulte acariâtre  ; elle analysait ensuite sa cible,
Gabriel, qui, la voyant faire, se mettait à geindre doucement, sachant
évidemment ce qui allait lui arriver, signal qui poussait Salomé à
passer à l’attaque. Toutes les stratégies explicatives («  Ce n’est pas
bien de mordre, Salomé  ») et disciplinaires (coin et privation de
dessert) avaient pitoyablement échoué. On décida d’entraîner Gabriel
à pousser un très gros rugissement au lieu de l’habituel et inefficace
geignement. Ce que firent les assistantes maternelles en le secondant
dans cette difficile mise en scène. Salomé, subitement très stressée,
contrairement à son habitude lorsqu’elle s’apprêtait à mordre Gabriel,
préféra arrêter les morsures.
On peut donc considérer que les «  escalades complémentaires  »
commencent extrêmement tôt entre les enfants et affirmer que, si
celles-ci perdurent ensuite en primaire, puis au collège, elles finissent
par constituer un phénomène ancré qu’il sera d’autant plus difficile
d’enrayer.

1. Correspondant à la structure du harcèlement.


9

Quels sont les chiffres


du harcèlement scolaire ?

Les chiffres les moins sujets à caution dont on dispose sont issus
des enquêtes de victimation menées par le ministère de l’Éducation
nationale en 2011 et 2013 1 : « Les objectifs de ces enquêtes sont de
fournir des indicateurs statistiques sur les actes dont les élèves sont
victimes, qu’ils aient fait l’objet ou non d’un signalement au sein de
l’établissement ou auprès des autorités policières ou judiciaires. […]
Le questionnaire destiné à l’élève se présente sous un format papier et
s’articule autour de cinq grands thèmes  : le climat scolaire, les
comportements (insultes, menaces, bagarres), les violences à
caractère sexuel, les vols et les jeux dangereux. Pour chacun des faits
remontés, il est demandé sa fréquence, son lieu et/ou la qualité des
auteurs (autres élèves, professeurs, autres adultes). Afin de ne pas
empiéter trop longtemps sur les heures de cours, le questionnaire est
réduit (quinze pages) et son temps de passation limité à quarante-
cinq minutes. […] Le questionnaire est totalement anonyme. […] Un
protocole de collecte spécifique a été mis en place pour respecter
l’anonymat des élèves lors de l’enquête. Les équipes mobiles de
sécurité se sont prêtées au rôle d’enquêteurs et ont eu pour mission
de veiller à ce qu’aucun personnel de l’établissement ne puisse
assister à la passation et qu’aucun élève ne puisse être gêné dans ses
réponses par d’autres camarades. L’enquête a été réalisée auprès d’un
échantillon de 360 collèges publics et privés, représentatif au niveau
national (France métropolitaine et DOM). Au sein de chacun de ces
établissements, 60 élèves ont été tirés au sort aléatoirement, 15 par
niveau, ce qui constitue un échantillon représentatif de 21  600
élèves. Le taux de réponse des élèves à l’enquête 2013 s’élève à
77 %. »
En 2011, 18,9 % des élèves déclarent avoir connu l’une des cinq
situations de violence suivantes  : l’insulte (52  %), le vol de
fournitures scolaires (46  %), l’attribution d’un surnom méchant
(39 %) et la bousculade intentionnelle (36 %). Ils sont 19,1 % à avoir
connu l’une des quatre situations de violence physique significatives ;
5  % cumulent ces deux caractéristiques. De façon globale, 6  % des
élèves déclarent un nombre de victimations qui pourrait indiquer une
situation de harcèlement. Cette «  multivictimation  » est plus
fréquente pour les élèves de 6e que pour ceux de 3e.

1. MEN-MESR Depp, «  Enquête nationale de victimation en milieu scolaire, 2011 et


2013 ».
10

Comment évoluent les chiffres


du harcèlement scolaire
en France ?

Au printemps 2013, l’enquête de victimation a été renouvelée 1. À


champ constant, le pourcentage de collégiens ayant déclaré un
nombre de victimations pouvant s’apparenter à du harcèlement a
augmenté, passant de 6 % à 7 %. Cette progression est due, en partie,
au nombre plus important de filles ayant déclaré des
multivictimations et aux élèves des programmes «  Éclair 2  ». Cette
multivictimation concerne toujours plus souvent les garçons (un tiers
s’est déclaré victime contre 23  % pour les filles) et elle est plus
fréquente pour les élèves de 6e. Elle est principalement due à
l’augmentation de la violence psychologique, la violence physique
n’ayant pas augmenté.
Les quatre violences les plus souvent citées au printemps 2013
sont : les insultes (57 %), le vol de fournitures (47 %), les surnoms
méchants (39  %) et les mises à l’écart (37  %), soit le même
classement que deux ans auparavant avec une hausse assez
significative des mises à l’écart (on passe de 32 à 37 % en global et de
36 à 42 % pour les filles), sachant que, comme nous l’avons indiqué,
cette forme pernicieuse de harcèlement est souvent très douloureuse
pour les enfants concernés 3.
Les garçons sont toujours significativement plus nombreux à être
victimes de violences physiques. La différence est moindre en ce qui
concerne les violences psychologiques répétées (40 % des filles contre
42  % des garçons). Les garçons déclarent toujours plus de
victimations pouvant s’apparenter à du harcèlement. Au contraire,
alors que le taux reste stable pour les garçons entre 2011 et 2013, il
augmente significativement chez les filles. Le pourcentage de filles
multivictimisées s’établit en effet à 5,8  %, soit une augmentation
significative de 1,4 point. Par ailleurs, la proportion de forte
multivictimation a aussi augmenté dans les établissements Éclair
(passant de 6,5 % à 8,7 %).
On pourrait donc considérer qu’en deux ans le nombre de
situations de harcèlement en milieu scolaire a eu tendance à
légèrement augmenter en France, malgré une prise en considération
plus importante qu’auparavant par la communauté éducative. Cette
regrettable stagnation est constatée malgré, là aussi, des campagnes
de communication qui incitent les témoins à briser la loi du silence en
intervenant directement ou en demandant à un adulte d’intervenir 4,
et les enfants harcelés à en parler autour d’eux 5.
Fin 2016, a contrario, le HBSC 6 publie son enquête
internationale sur le bien-être des enfants à l’école (pour l’année
2013-2014) qui pose des questions moins nombreuses à trois
catégories d’âge (11, 13 et 15  ans), notamment  : «  As-tu subi au
moins deux faits de harcèlement par mois dans les deux mois qui
précèdent cette enquête ? » Cette même question avait été posée en
2010  : la proportion d’élèves qui rapportent des brimades à une
fréquence constitutive d’un harcèlement avéré diminue
significativement entre 2010 et 2014, passant de 14  % en 2010 à
11,8  % en 2014 7. Ces deux études qui arrivent à des résultats
opposés montrent bien l’extrême complexité des chiffres, et donc de
leur analyse, dans ce domaine.

1. Voir la question 9, « Quels sont les chiffres du harcèlement scolaire ? », p. 32.


2. Depuis la rentrée 2011, le programme «  Écoles, collèges, lycées pour l’ambition,
l’innovation et la réussite » (Éclair) est devenu le « centre des politiques de l’Éducation
nationale en faveur de l’égalité des chances ». En 2013, les établissements entrant dans
ce dispositif sont un peu plus de 2 000.
3. Voir la question 1, «  Comment l’Éducation nationale définit-elle le harcèlement en
milieu scolaire ? », p. 15.
4. Voir les trois clips de la campagne contre le harcèlement de  janvier 2012  :
https://www.google.it/webhp?sourceid=chrome-instant&ion=1&espv=2&ie=UTF-
8#q=les+claques.
5. Voir les deux clips de 2013  : http://www.dailymotion.com/video/x17p1ow_film-le-
gymnase-chimene-badi-contre-le-harcelement-a-l-ecole_webcam.
6. Health Behaviour in School-Aged Children  : organisation qui effectue depuis trente
ans des enquêtes transnationales auprès de quarante-cinq pays sur le bien-être des
enfants en âge d’être scolarisés.
7. Toutefois, étudiée séparément pour chaque niveau de formation, cette diminution
n’apparaît significative qu’en 6e (passant de 16,1 % en 2010 à 11,4 % en 2014).
11

Quelle classe d’âge est la plus


touchée ?

Il est, là encore, très difficile d’obtenir des chiffres fiables sur le


sujet parce que les collégiens, d’autant plus lorsqu’ils sont harcelés,
ne se confient pas facilement aux adultes, ceux qui, de leur point de
vue, font partie de l’institution.
En effet, ils sont un certain nombre (par définition difficile à
quantifier) à considérer que, s’ils en parlent à un représentant de
l’institution, celui-ci risque par sa réaction –  par exemple une
éventuelle sanction des harceleurs  – de renforcer encore leur statut
de victime et conséquemment d’engendrer des représailles 1.
Dans la mesure où, pour les enquêtes de victimation menées par
l’Éducation nationale en 2011 et 2013, les enquêteurs ont été
sélectionnés parmi les rangs des équipes mobiles de sécurité
académiques, leur appartenance à l’institution, qui plus est à un
service clairement sécuritaire (contrairement par exemple aux
infirmières scolaires), ne faisait probablement aucun doute pour les
interviewés. On peut donc supposer qu’en ce qui concerne le collège
au moins, le nombre d’enfants se disant harcelés est largement sous-
évalué par les résultats de ces études. Les chercheurs Emmanuel
Peignard, Elena Roussier-Fusc et Agnès Van Zanten avertissent : « Les
statistiques sur la fréquence du harcèlement sont à considérer avec
circonspection pour diverses raisons. Le fait n’est pas défini de façon
unique à travers les enquêtes, le même acte n’est pas perçu ni qualifié
de la même façon par tous les acteurs, la crainte de représailles de la
part du harcelé peut dissuader la victime, malgré la garantie de
l’anonymat, de s’avouer brimée 2. »
Cette remarque est corroborée par les résultats de l’enquête de
l’Unicef sur la victimation des élèves d’école élémentaire en 2011 3,
qui présentent un nombre d’enfants harcelés significativement plus
élevés que celui qui ressort des enquêtes menées auprès des
collégiens  : «  Le taux de victimes d’un harcèlement qui cumule
violences répétées physiques et verbales à l’école peut être estimé à
11,7 % des élèves. » Ce qui signifierait qu’il y aurait presque deux fois
plus d’écoliers que de collégiens victimes de harcèlement, ce qui n’est
pas du tout la réalité rencontrée sur le terrain par les professionnels
de l’enfance concernés. Ni même celle que rapportent les souvenirs
de la grande majorité des enfants aujourd’hui devenus adultes et qui
se rappellent à quel point les années de collège étaient celles où
prévalaient les situations de harcèlement.

1. « Victime » est d’ailleurs devenu, depuis environ trois ans, l’insulte la plus répandue
dans les cas de harcèlement au sein du collège.
2. Emmanuel Peignard, Elena Roussier-Fusco, Agnès Van Zanten, « La violence dans les
établissements scolaires britanniques  : approches sociologiques  », Revue française de
pédagogie, vol. CXXIII, no 1, 1998, p. 123-151.
3. Rapport de la recherche réalisée pour l’Unicef France en mars 2011. Enquête réalisée
avec le soutien technique du ministère de l’Éducation nationale, de la jeunesse et de la
vie associative, Depp.
12

Comment la France se situe-t-elle


en Europe ?

Le classement HBSC 1 pour 2014 des pays en fonction du


pourcentage décroissant d’enfants de 11  ans, victimes d’au moins
deux ou trois faits de harcèlement en milieu scolaire par mois dans
les deux mois précédant l’enquête, répond à cette interrogation.
La question posée est précisément la suivante : « Est-ce que tu as
été harcelé au moins deux ou trois fois par mois dans les deux mois
qui viennent de s’écouler  ?  » Il s’agit donc d’une enquête beaucoup
moins fournie que celles de l’Éducation nationale puisqu’il n’y a
qu’une question concernant le harcèlement en tant que tel, mais elle
permet de positionner la France parmi les pays d’Europe : plutôt mal
classée sur cette question en Europe (au 12e  rang sur les 19 pays
européens évalués), elle se situe par ailleurs exactement au milieu du
classement des 45 pays interrogés dans le monde.
Selon l’étude HSBC pour les années 2013 et 2014 concernant les
enfants de 11  ans régulièrement harcelés, les écarts sont en effet
assez significatifs.
C’est en Norvège, en 1983, que fut lancée la première campagne
de prévention, à l’initiative de Dan Olweus. En Finlande, ce sont deux
school shootings (massacres de masse dans des écoles) en 2007 et
2008, commis par des jeunes gens harcelés, qui ont poussé le
gouvernement à réagir.
On peut donc considérer que l’avance prise par certains pays dans
la décision de s’emparer institutionnellement du phénomène a un
impact sur les chiffres. Ce n’est cependant pas suffisant comme
explication, comme en attestent les résultats de la Grande-Bretagne,
qui ne sont pas si éloignés de ceux de la France, alors que la prise en
compte du harcèlement est une donnée beaucoup plus ancienne : dès
1994, un pack anti bullying (anti-harcèlement scolaire) est distribué
gratuitement aux écoles. En 1998, à la suite d’une série de suicides
d’adolescents, le gouvernement de Tony Blair fait adopter une loi
d’orientation et d’éducation qui oblige tous les établissements à
mettre en œuvre des mesures de prévention contre le harcèlement.
Les explications de ces différences sont probablement multiples,
sociologiques sans aucun doute pour une partie, socio-économiques
aussi 2 ; s’y ajoute, évidemment, la manière dont elles sont prises en
compte par les équipes éducatives sur le terrain.
Comme l’indiquent les auteurs de l’article «  La violence dans les
établissements scolaires britanniques  : approches sociologiques  »,
«  les résultats entre les écoles sont très variables et la comparaison
entre les pays doit tenir compte de la nature des établissements dans
lesquels les questionnaires ont été diffusés ».

1. http://www.euro.who.int/__data/assets/pdf_file/0015/303441/HSBC-No.7-
Growing-up-unequal-Part2-Chapters1-5.pdf. En France, l’échantillon de 2014 comporte
7  023 collégiens scolarisés dans 169 collèges métropolitains. Les établissements et
classes sélectionnés pour participer à l’enquête ont été tirés au sort par la Direction de
l’évaluation, de la prospective et de la performance (Depp) du ministère chargé de
l’Éducation nationale, selon un sondage en grappes aléatoire stratifié/équilibré afin
d’assurer la représentativité de l’échantillon final.
2. Les analystes de HBSC observent en effet pour les enquêtes de 2013-2014 que plus la
richesse des familles est élevée et plus le pourcentage d’enfants harcelés est bas.
L’enquête Unicef « Adolescents en France, le grand malaise » de 2014 le corrobore : les
répondants vivant dans la privation ou dans un quartier insécurisant sont, eux aussi,
bien plus nombreux à faire l’expérience du harcèlement dans l’enceinte scolaire. Tout se
passe comme si les enfants et adolescents fragilisés à l’extérieur de l’école pouvaient
devenir la cible privilégiée que choisissent les autres enfants et adolescents pour y
exercer leur domination.
13

Quels sont les chiffres


des suicides d’enfants harcelés ?

En France, 40  000 adolescents tentent de se suicider chaque


année, et en 2013 ce sont 31 enfants de moins de 14 ans et 458 âgés
de 15 à 24 ans qui se sont donné la mort. Selon Xavier Pommereau,
les circonstances alléguées au moment de l’hospitalisation des
adolescents pour tentative de suicide rendent insuffisamment compte
des causes profondes de ces comportements 1. Il s’agit souvent de
souffrances identitaires  : maladie mentale débutante (troubles de la
personnalité ou de l’humeur), histoire de l’adolescent (violences
sexuelles subies) ou de sa famille (ruptures et instabilités).
Néanmoins, selon l’enquête Unicef «  Adolescents en France, le
grand malaise  » de 2014, il ressort que les enfants harcelés sur les
réseaux sociaux présentent 2,3  fois plus de risques d’avoir des
pensées suicidaires que la moyenne des adolescents, et ceux harcelés
à l’école 1,6 fois plus. En parallèle, le manque d’amis sur qui compter,
caractéristique communément rencontrée chez les enfants harcelés,
renforce de 1,59 fois ce risque.
Le harcèlement est donc un facteur d’augmentation très
significatif des idées suicidaires. Selon Nicole Catheline, «  un jeune
enfant harcelé en primaire court quatre fois plus de risques de faire
une tentative de suicide à l’adolescence 2  ». Les passages à l’acte
directement liés à des faits de harcèlement en milieu scolaire (en tout
cas, identifiés comme tels) restent heureusement rares, mais étant
très fortement médiatisés ils peuvent en effet donner l’impression
qu’ils sont nombreux, renforçant ainsi l’inquiétude d’un grand
nombre de parents et d’éducateurs.

1. «  Les conduites suicidaires à l’adolescence  », communication à l’Académie de


médecine, 14 février 2012, Paris.
2. Psychiatre, praticien hospitalier au sein de l’accueil thérapeutique de jour pour
adolescents Mosaïque du centre hospitalier Henri-Laborit à Poitiers.
14

Quelles sont les sanctions


prévues par la loi ?

Les faits de harcèlement scolaire sont sanctionnés même si


commis hors des bâtiments de l’école, du collège ou du lycée. Le
mineur victime de telles violences peut porter plainte jusqu’à ses
38  ans. Seuls les mineurs de plus de 13  ans risquent la prison (6
mois) ou l’amende (7 500 euros).
Des circonstances aggravantes existent  : la victime a moins de
15 ans, elle est porteuse d’un handicap visible ou connu de l’auteur,
son harcèlement a entraîné une incapacité totale de travail (école
manquée) de plus de huit jours, le harcèlement a été commis via
Internet. Pour une circonstance aggravante, la peine de prison passe
de six mois à un an, puis à dix-huit mois s’il existe plusieurs
circonstances aggravantes, l’amende restant dans les trois cas à
7 500 euros.
L’auteur d’une provocation au suicide, s’il est âgé de 13 à 17 ans,
risque une amende, voire une peine de prison. Pour être sanctionnée,
cette provocation doit avoir été suivie du suicide ou d’une tentative
de suicide de la victime. Les sanctions varient, selon l’âge de la
victime, de 18 mois à 2 ans et demi de prison, assortis d’une amende.
Les parents des auteurs mineurs sont responsables civilement des
actes de leur enfant, même s’il a plus de 13  ans. Ce sont eux qui
devront payer les dommages-intérêts aux parents de la victime.
Un enseignant ou tout autre personnel éducatif (surveillant,
proviseur) peut être poursuivi lors d’un procès pénal. Il risque une
amende, voire une peine de prison, pour non-assistance à personne
en danger, si la justice estime qu’il aurait pu empêcher des violences
contre un élève mais qu’il n’a rien fait.
15

Est-ce que le harcèlement touche


autant les garçons que les filles ?

En 2011, 8  % des garçons déclarent être dans une situation de


harcèlement contre 4  % des filles. En 2013, le pourcentage de
garçons reste stable, contrairement à celui des filles qui monte à
5,8 %. Les violences physiques concernent davantage les garçons, les
mises à l’écart (42 % contre 32 % en 2013) et les agressions sexuelles
davantage les filles.
En 2013, on note que les insultes par rapport au genre, à la tenue
vestimentaire ou par rapport au physique concernent plus souvent les
filles, alors que celles qui touchent à l’origine ou à la religion sont
plus souvent citées par les garçons.
Parmi les garçons plus souvent victimes de violences physiques :
–  20  % ont été pris dans une bagarre collective, contre 8  % des
filles (19  % contre 9  % en 2013). En 2013, les garçons sont
significativement plus touchés par les faits de violences graves,
comme être la cible d’objets lancés (17 % contre 13 %), menacé par
une arme (5 % contre 2 %), blessé par une arme (3 % contre 1 %).
–  40  % ont été bousculés intentionnellement, contre 33  % des
filles ;
–  13  % ont expérimenté un jeu dangereux, contre 3  % des filles
(16 % contre 5 % en 2013).
Concernant les vols, les filles en sont autant victimes que les
garçons. Mais, dès lors que le vol s’accompagne de menace ou de
violence physique, les garçons sont surreprésentés.
Les filles sont les premières victimes des atteintes à caractère
sexuel  : environ 7  % d’entre elles déclarent avoir subi un acte de
voyeurisme, une caresse ou un baiser forcés, contre 4 % des garçons
(les chiffres restant les mêmes en 2013).
16

Qu’existe-t-il en France
en matière de prévention ?

Un certain nombre d’actions de prévention ont eu lieu ces


dernières années dans les écoles et les collèges français 1.
En école maternelle, je citerai une action qui a donné lieu à une
évaluation rigoureuse portant sur six classes  : la méthode de Serge
Tisseron, appelée le « jeu des trois figures 2  », qui a pour objectif de
développer l’empathie et de réduire la violence, ainsi que de
«  favoriser le changement de posture identificatoire, tout
particulièrement chez les enfants qui ont tendance à se penser
comme agresseurs ou victimes 3  ». Ce jeu a été élaboré notamment
pour apprendre aux enfants à ne jamais se laisser traiter comme des
victimes sans protester.
Les résultats de l’évaluation montrent en effet que le jeu des trois
figures «  favorise le changement de posture identificatoire, et tout
particulièrement l’évolution des enfants identifiés à des postures
d’agresseurs ou de victimes ». Toute action de prévention allant dans
ce sens semble parfaitement opérationnelle en maternelle et en
primaire.
Cependant, l’évaluation de cette action indique également que le
jeu de trois figures « favorise la posture d’évitement de l’affrontement
et le recours à un adulte comme régulateur des conflits ». C’est là que
le bât blesse, en ce sens qu’un tel recours est le signe que la
victimation persiste chez les enfants, sans qu’ils puisent dans leurs
propres ressources pour sortir des interactions qui les font souffrir. De
plus, on sait que nombre de collégiens sont extrêmement réticents à
l’idée de se confier à un adulte de leur établissement. Cet
apprentissage du recours à l’adulte comme unique solution ne semble
pas de nature à modifier l’«  escalade complémentaire  » propre au
harcèlement –  or il est actuellement au centre de la plupart des
actions de prévention en France.
Au collège, les différentes actions de prévention, très variées et
utilisant différents supports (concours d’affiches, de clips, conférences
de différents spécialistes, visionnage de vidéos) n’ont pas pour
l’instant, à notre connaissance, fait l’objet d’évaluations en tant que
telles. Selon les praticiens de l’École de Palo Alto, ces actions
présentent l’intérêt de mettre en lumière la gravité des faits de
harcèlement, information inconnue lorsque aucune prévention
n’existait  ; cependant, lorsqu’elles utilisent, comme souvent, une
pédagogie axée sur la moralisation pour motiver les collégiens
(potentiellement harceleurs ou spectateurs), elles présentent le risque
d’être franchement antiproductives, car à cet âge-là les
comportements qui déplaisent aux adultes (et aux enfants bien-
pensants) sont extrêmement attractifs.
Les praticiens de l’École de Palo Alto préfèrent, en matière de
prévention, réfléchir avec l’ensemble des collégiens qui le souhaitent
à des stratégies de résistance possibles, plutôt que de marteler l’idée
que « harceler, c’est mal ».
1. Nous entendons par « prévention » tout ce qui n’est pas résolutoire du conflit, mais
qui vise à empêcher les conflits d’avenir.
2. Sur son site, Serge Tisseron le décrit ainsi : « Le jeu des trois figures est une activité
théâtrale que j’ai imaginée en 2006 pour développer l’empathie de la maternelle au
collège et réduire la violence. Il est appelé ainsi en référence aux trois personnages de
l’agresseur, de la victime et du tiers, que celui-ci soit simple témoin, redresseur de torts
ou sauveteur. »
3. Serge Tisseron, «  Prévenir la violence et le harcèlement scolaire. Le jeu des trois
figures », Le Journal des psychologues, 2012, no 299, p. 28-32.
17

Que propose l’Éducation
nationale pour résoudre
le harcèlement scolaire ?

À côté de la prévention, il existe la résolution de la situation de


harcèlement quand elle advient, c’est-à-dire quand la politique de
prévention a échoué.
Institutionnellement, l’approche résolutoire du harcèlement entre
pairs s’appuie exclusivement sur l’appel à un adulte (institutionnel ou
parental, physiquement ou par le biais du numéro vert 3020) ou à un
autre enfant/adolescent qui sera chargé d’en référer à un adulte. Le
site de l’Éducation nationale française 1, à la question «  Que faire
quand je suis victime ? », répond ceci : « Il faut en parler pour trouver
de l’aide et des solutions. »
Une fois l’adulte averti, le protocole de traitement proposé aux
personnels éducatifs par l’opération « Non au harcèlement » consiste
à rechercher les faits et les auteurs du harcèlement en interrogeant la
victime, tout en lui assurant que l’institution va se charger de veiller à
sa sécurité  ; puis à recevoir le harceleur pour lui indiquer ou lui
rappeler la gravité du harcèlement, lui demander de s’engager à ne
pas recommencer, et/ou le sanctionner.
La résolution institutionnelle du « conflit » ne sollicitait pas jusque
récemment les ressources et compétences de l’enfant harcelé ; bien au
contraire, il lui était clairement indiqué qu’il ne devait surtout rien
tenter de résoudre par lui-même. Depuis peu, il est précisé dans le
protocole que, si l’enfant souhaite participer à la résolution du
problème, il doit y être encouragé.
L’institution désigne l’adulte chargé de mettre un terme au
harcèlement par intervention directe auprès du ou des harceleurs.
En ce sens, le protocole résolutoire proposé compte quasi
exclusivement sur le changement de comportement de l’enfant
harceleur pour que le harcèlement s’arrête ; en premier lieu, grâce au
déclenchement «  rationnel  » de son empathie par l’intervention de
l’adulte ou de ses pairs, qui lui apprennent ou lui rappellent à quel
point son comportement peut être douloureux pour l’enfant harcelé ;
en second lieu, grâce à l’espoir que les menaces de sanctions, puis les
sanctions elles-mêmes, soient dissuasives.

1. www.nonauharcelement.education.gouv.
18

Quels sont les autres modes


de résolution ?

La grande majorité des chercheurs français se montre très


sceptique sur l’efficacité de la sanction contre le harceleur pour que le
harcèlement cesse 1. Selon ces chercheurs, la résolution est donc
ailleurs. Pour Éric Debarbieux, les fondamentaux des pratiques
efficaces contre la violence à l’école «  tablent toujours sur la
responsabilité plus que sur l’obéissance, sur le développement
cognitif et non pas sur le conditionnement externe  » des enfants
harceleurs 2.
On le constate  : aucune mention n’est faite des compétences et
des ressources des enfants harcelés. Il s’agit de responsabiliser et de
d’instruire les enfants harceleurs pour qu’ils progressent et changent
de comportement.
La méthode Pikas, du nom de son concepteur, professeur de
psychologie et d’éducation en Suède, préconisée par Jean-Pierre
Bellon et Bertrand Gardette (2012), propose le plan d’action suivant :
«  1re  étape  : rencontre avec les enfants ayant pris part au
harcèlement. »
«  2e  étape  : recherche de solutions avec chaque élève impliqué
dans les faits de harcèlement. »
« 3e étape : rencontre avec la victime. »
La victime est rencontrée en dernier après tous les élèves
harceleurs. L’intervenant doit « lui expliquer que le groupe est en train
de rechercher une solution 3 ». Sans elle ! Nous devons donc constater
qu’ici encore il revient au harceleur de modifier son comportement en
observant la méthode Pikas, qui a pour objectif de développer son
empathie et, partant, sa contribution à l’arrêt du harcèlement.
Les praticiens de l’École de Palo Alto considèrent au contraire que
la résolution de la situation de harcèlement est le plus efficace
lorsqu’elle est l’œuvre de l’enfant harcelé, car il est celui des deux qui
a le plus envie que la violence cesse. De leur point de vue, une façon
de faire baisser les chiffres du harcèlement consiste à outiller les
enfants vulnérables pour les aider à se faire respecter et à sortir de
leur situation d’impuissance. Pour ce faire, il leur semble
indispensable de former des professionnels dans chaque académie,
capables d’aider les enfants et adolescents à effectuer ces nouveaux
apprentissages  ; car évidemment, c’est une mission complexe qui
demande un certain nombre de compétences.

1. Éric Debarbieux, Les Dix Commandements contre la violence à l’école, Paris, Odile
Jacob, 2008 ; Jean-Pierre Bellon et Bernard Gardette, Prévenir le harcèlement à l’école,
Paris, Fabert, 2012.
2. Éric Debarbieux, Les Dix Commandements contre la violence à l’école, op. cit.,
p. 97-153.
3. Jean-Pierre Bellon et Bernard Gardette, Prévenir le harcèlement à l’école, op. cit.,
p. 172-173.
PROFILS ET MOTIVATIONS
19

Comment commence
le harcèlement ?

Le harcèlement commence très souvent par une première attaque


verbale ou physique, que l’on pourrait qualifier de taquine ou de
moqueuse. Nous ne la qualifierions pas de « petite » parce qu’elle est
souvent assez cruelle, notamment quand il s’agit de surnoms ou de
moqueries extrêmement ciblées.
C’est d’ailleurs souvent en soulignant la nature de cette première
attaque que les harceleurs pris en flagrant délit se défendent. Ils
disent  : «  C’est pour rigoler, c’est pas méchant, faut pas le prendre
mal. »
Et peut-être est-ce vrai dans un premier temps.
Mais cela ne peut le rester, puisque c’est précisément de
l’impuissance de l’enfant harcelé que se nourrit la spirale du
harcèlement et, si son objectif est de «  rigoler  », c’est uniquement
le(s) harceleurs(s) qui bénéficie(nt) de cet avantage (et
éventuellement certains témoins). C’est précisément la méchanceté
de l’attaque qui lui donne toute sa valeur ou, précisément, l’état
d’humiliation dans lequel il plonge la victime.
Il est important de noter que c’est la perception de l’enfant harcelé
qui compte, pas la valeur intrinsèque du contenu. Certaines
moqueries peuvent nous sembler anodines à nous, adultes, mais
plonger les enfants concernés dans une immense tristesse – comme ce
jeune garçon que nous avons reçu et qui se faisait traiter
incessamment de «  mauvais délégué de classe  », chez qui cela
engendrait une souffrance indicible, ce que ses harceleurs avaient
parfaitement perçu.
La souffrance vient du fait que l’attaque devient multiquotidienne,
qu’elle change de forme, qu’elle se déroule éventuellement en
présence de plus en plus de spectateurs. On sait aujourd’hui, grâce
aux neurosciences, que la zone du cerveau qui se trouve activée dans
le cas de harcèlement est la même que celle de la souffrance
physique.
Le harcèlement commence parce qu’il a de l’espace pour
prospérer  ; parce que la moquerie du départ, ne générant aucune
conséquence, ou de minuscules, de la part de l’enfant harcelé, peut
s’épanouir en toute sécurité : soit parce que l’enfant se recroqueville
de plus en plus sur lui-même, soit parce qu’il explose dans des crises
spectaculaires.
À partir du moment où le harceleur perçoit, grâce à ces deux
types de feed-back, qu’il peut continuer sans risque pour sa
popularité, alors commence le harcèlement.
20

Existe-t-il un profil type


du harceleur ?

Là encore, les analyses divergent en France. Un certain nombre de


cliniciens et de chercheurs posent comme postulat que les enfants
harceleurs seraient ou victimes de souffrances relationnelles
(familiales, personnelles), ou dysfonctionnels relationnellement parce
que atteints (par exemple) d’alexithymie primaire (c’est-à-dire dénués
d’empathie pour cause de forte angoisse interne) 1. Ils seraient en tout
cas atteints d’un dysfonctionnement intrapsychique inné qui les
empêcherait de stopper d’eux-mêmes le harcèlement.
Or, comme l’observe Olweus 2 dès 1978, si les harceleurs sont plus
agressifs que les autres élèves, à la fois verbalement et physiquement,
contre les professeurs et contre leurs pairs, ils sont souvent plus forts
physiquement que leurs camarades, mais aussi plus sûrs d’eux-
mêmes, moins anxieux.
D’autres chercheurs parlent de perversion manipulatrice
narcissique en évoquant à peu près les mêmes symptômes (sans
aucune preuve organique ni dans un cas, ni dans l’autre).
Bellon et Gardette 3, de leur côté, précisent : « On retrouve chez la
plupart d’entre eux une absence d’empathie. […] Le harceleur ignore
la culpabilité. » Pourtant, aucune observation précise ne vient étayer
ce postulat, qui s’appuie sur une certitude qui est que le harceleur est
saisi par une volonté de nuire, l’une des trois caractéristiques du
harcèlement selon les fondateurs de l’APHEE.
Nous considérons pour notre part la situation de façon plus
relationnelle que personnelle. Selon les observations rapportées par
nos patients harcelés, le harceleur est plus obsédé par sa popularité
propre que par une quelconque volonté de nuire. Il a besoin d’une
victime pour asseoir son pouvoir et n’y renoncera pas tant que celui-ci
est entretenu. Il s’agit donc plus d’un trouble de la relation que d’un
trouble intrapsychique  ; en conséquence, c’est le premier qu’il faut
tenter de soigner plutôt que de diagnostiquer de part et d’autre des
malades ou des immoraux, et de vouloir les soigner ou les changer. Il
n’y a, selon nous, pas de profil type du harceleur, mais une modalité
relationnelle trouvée par certains enfants et adolescents pour installer
leur popularité au détriment d’autres –  cela en raison d’une force
physique ou de compétences relationnelles certaines, dont souvent
l’humour, l’aisance à l’oral et une capacité à la repartie. Il est donc
essentiel que cette popularité ne soit plus obtenue par le harcèlement
pour que le harceleur arrête.
Cette observation est étayée par la description que nous font les
jeunes patients harcelés de leurs agresseurs : selon eux, les harceleurs
ne semblent pas du tout angoissés, mais au contraire très attentifs à
leur propre popularité et peuvent se montrer très empathiques avec
un certain nombre d’autres personnes que leur victime. Plusieurs
enfants harcelés aimeraient d’ailleurs faire partie de leurs amis, ou en
faisaient partie auparavant.
C’est également l’hypothèse avancée par Valérie Besag (1989) 4 et
M.  Boulton (1993) 5   : le bullying (terme anglo-saxon désignant le
harcèlement scolaire) est un moyen pour certains élèves de préserver
une image de gagnants, contrairement à ceux qui évitent les bagarres
ou les comportements de défense.

1. Nicole Catheline, Le Harcèlement scolaire, Paris, PUF, 2014.


2. Dan Olweus, Aggression in the Schools. Bullies and Whipping Boys, New York,
Hemisphere Publishing Corporation, 1978.
3. Jean-Pierre Bellon et Bernard Gardette, Prévenir le harcèlement à l’école, op. cit.
4. Valerie Besag, Bullies and Victims in Schools. A Guide to Understanding and
Management, Milton Keynes, Open University Press, 1989.
5. M.  Boulton, “Proximate Causes of Aggressive Fighting in Middle School Children”,
British Journal of Educational Psychology, vol. LXIII, no 2, 1993, p. 231-244.
21

Existe-t-il un profil type


du harcelé ?

Étonnamment, les avis des spécialistes français sont beaucoup


plus convergents sur cette question. L’enfant harcelé ne leur semble
pas dysfonctionnel de façon innée et intrapsychique, contrairement
au harceleur. Selon Jean-Pierre Bellon et Bernard Gardette, « il n’y a
pas véritablement de profil type de la victime ; tout au plus […] une
difficulté à se défendre à un moment donné 1  ». Nicole Catheline,
quant à elle, réutilise le trouble psychosomatique de l’alexithymie 2
pour caractériser les enfants harcelés, mais en le qualifiant de
secondaire, c’est-à-dire qu’il apparaîtrait sous forme de sidération,
consécutivement à un événement traumatisant comme peut l’être le
harcèlement, et que cette sidération «  va à son tour, susciter une
montée en puissance de l’agression chez le harceleur, satisfait de voir
qu’il a bien affaire, comme il le pensait, à un faible 3 ».
Les systémiciens stratégiques souscrivent également aux postulats
étayant ces deux thèses, parce qu’ils prennent plus en compte la
spécificité relationnelle du harcèlement.
L’enfant harcelé, en état de sidération, est incapable de se
défendre, ce qui augmente la puissance de l’enfant harceleur, lequel
ne prend aucun risque à continuer  : cela sidère davantage encore
l’enfant harcelé et contribue à augmenter le sentiment de puissance
du harceleur…
Selon Nicole Catheline, l’enfant alexithymique «  exprime une
certaine forme de non habiter du corps. L’individu est maladroit,
dénué de grâce (rythme, harmonie), comme coincé ».
Même si aucune généralisation ne peut être faite, nous recevons
fréquemment des enfants qui ont les yeux comme tournés vers
l’intérieur, comme s’ils préféraient en effet rester terrés au plus
profond d’eux-mêmes, ce qui leur donne un aspect étrange et comme
désincarné relationnellement. Et envoie évidemment un signal assez
clair aux potentiels harceleurs sur leur état de vulnérabilité en les
désignant donc comme une proie idéale.
Mais si les spécialistes sont d’accord pour dire que n’importe quel
enfant peut être harcelé, l’institution, elle, continue à insister sur le
fait que ce seraient les enfants différents qui se feraient harceler. En
dehors du fait que l’on peut se demander ce que serait un enfant qui
ne serait pas différent, cette assertion peut créer un risque de
prophétie tout à fait dommageable auprès des enfants porteurs de ces
différences.
Or, redisons-le, le harcèlement en milieu scolaire se nourrit de la
vulnérabilité supposée à un instant t d’un enfant ou d’un adolescent,
et n’importe lequel d’entre eux peut-être vulnérable à un moment
donné, pour toutes sortes de raisons. N’importe quel enfant peut donc
être harcelé.

1. Jean-Pierre Bellon et Bernard Gardette, Prévenir le harcèlement à l’école, op. cit.


2. Voir la question 20, « Existe-t-il un profil type du harceleur ? », p. 61.
3. Nicole Catheline, Le Harcèlement scolaire, op. cit.
22

Que répondre aux enfants
harcelés qui se demandent
« Pourquoi moi » ?

Parfois, des parents soucieux de redonner confiance à leur enfant


répondent  : «  Parce que ton harceleur est jaloux ou parce qu’il est
amoureux de toi. » C’est parfois vrai, sans aucun doute, parfois pas.
Lorsque c’est vrai, même si la réponse semble valorisante, elle n’aide
pas du tout l’enfant à sortir de la tourmente ; tout au plus lui fera-t-
elle prendre une attitude méprisante ou indifférente, qui excitera
encore plus les harceleurs. Cette réponse s’attache à la cause qui a
déclenché le harcèlement, pas à ce qui l’alimente. Or, c’est bien aux
conditions du maintien de cette interaction dysfonctionnelle que nous
devons nous attaquer avec lui. Si c’est faux, l’enfant le pressentira tôt
ou tard et ne fera plus confiance à l’adulte qui tente de le protéger, en
mentant, d’une réalité qu’il peine à modifier.
La seule réponse utile à cette question très fréquente est la
suivante  : «  Parce que c’est un moyen pour lui d’augmenter son
pouvoir et sa popularité et, donc, ton harceleur n’a pour l’instant
aucune raison d’arrêter. »
J’utilise souvent avec les enfants et les adolescents harcelés
l’image du distributeur  : le harceleur met une pièce, il obtient une
friandise, une autre pièce, encore une friandise, pourquoi veux-tu
qu’il arrête ? Cette réponse signifie également, et il est important de
le préciser à l’enfant, que le système n’est pas du tout lié à son
apparence, à des défauts ou des faiblesses qui lui sont propres, mais
juste à la relation qui s’est établie entre lui et le ou les harceleurs.
Nous précisons chaque fois que n’importe quelle personne sensible et
sympa aurait donc fait l’affaire et que, malheureusement, c’est tombé
sur lui. Avec son aide, nous allons trouver une solution efficace qu’il
va mettre en œuvre pour que le mécanisme ne fonctionne plus, du
point de vue du harceleur. On va donc bloquer le distributeur. Et s’il
lui donne un coup de pied, c’est lui qui se fera mal.
23

Qu’est-ce que la popularité ?

C’est une notion importante, parce qu’elle explique très bien un


certain nombre de comportements qu’on constate dans la cour de
l’école ou du collège et qui, sans le besoin de popularité, paraîtraient,
notamment aux adultes, complètement irrationnels.
D’après nos jeunes patients, la popularité est due à une forme de
charisme  : certains (pré)adolescents attirent autour d’eux un cercle
nombreux d’enfants qui se nourrissent socialement du fait même
d’appartenir à leur sillage. Cette proximité rassure les suiveurs, leur
donne une sorte de valeur aux yeux de leurs pairs, mais en même
temps elle provoque fréquemment des angoisses à l’idée qu’ils
pourraient « ne plus en être ».
Ce phénomène est à rapprocher du système des likes que les
adultes cherchent à obtenir sur Facebook ou sur Instagram lorsqu’ils
postent sur ces réseaux, en ce sens qu’il ne qualifie pas réellement le
lien entre la personne populaire et ses suiveurs. Pas de réelle amitié
donc, issue de ce lien quasi virtuel, mais plutôt une forme de sécurité
relationnelle toute relative puisqu’elle dépend en quelque sorte du
bon vouloir du détenteur de la fameuse popularité. La génération de
parents actuelle accorde, il faut le noter, beaucoup plus d’importance
à cette qualité chez leur enfant que les générations précédentes : ce
n’est évidemment pas sans rapport avec l’importance que les
(pré)adolescents actuels lui confèrent.
Le terme même de « populaire » pour qualifier un élève n’est plus
utilisé depuis une petite dizaine d’années que par les écoliers. Au
collège, il est bien plus stylé de ne pas en parler, même si la réalité du
phénomène est encore plus prégnante qu’en primaire.
Dans les cours d’école et du collège, il y a deux types d’enfants
populaires, radicalement différents.
Les premiers, assez rares, le sont, d’une certaine manière, sans le
vouloir. Ils présentent beaucoup de qualités selon les critères
adolescents. Il s’agit de critères physiques (surtout pour les filles qui,
à défaut d’être jolies, seront a minima très bien habillées selon les
diktats en vigueur), d’une forme de générosité, de ce que leurs
congénères qualifieront de maturité, d’une forme de souplesse
s’apparentant à de l’autodérision, d’une intelligence scolaire certaine
sans être excessive. Ces populaires que nous appelons les populaires
de type «  Lady Di  » peuvent parfaitement parler à des enfants eux-
mêmes dénués de popularité, ils ne seront pas châtiés, leur indice de
popularité étant tel qu’il n’est atténué par aucune attaque.
Les deuxièmes, que nous appelons les populaires de type « Nelly
Olson 1 », infiniment plus nombreux, tirent leur popularité de la peur
qu’ils suscitent chez leurs suiveurs et les spectateurs des jeux sociaux
opérant en classe et dans la cour. Stratèges, intuitifs, à l’aise dans les
relations, souvent drôles, ils ont la réputation de pouvoir à tout
moment décider de la mort sociale de n’importe lequel de leurs pairs.

1. Du nom du personnage très méchant de la série La Petite Maison dans la prairie.


24

Quelles sont les motivations


du harceleur ?

Le harceleur fait parfois partie de la seconde catégorie des


populaires 1.
Angoissé comme tous les autres élèves, ou presque, à l’idée de se
retrouver tout seul sur un banc à faire semblant d’envoyer des SMS, il
a trouvé comme parade le fait d’être méchant et craint. Souvent, il
peut aussi être l’un des adjoints de l’élève populaire de cette même
catégorie, auquel il tient lieu de bras armé.
Dans le premier cas, ce qui motive le harceleur, c’est de montrer
sa puissance à l’ensemble du groupe, notamment à son entourage
proche. S’il échoue lors de sa première tentative, c’est-à-dire si
l’enfant sélectionné comme victime ne se démonte pas et le met
immédiatement dans une situation inconfortable par rapport à sa
réputation de «  Nelly Olson  », il n’insistera pas et ira chercher une
proie dont l’absence de réaction ou bien la réaction disproportionnée
seront plus conformes à son objectif.
Si d’ailleurs, lors de la première tentative d’humiliation, d’autres
élèves, notamment parmi les populaires de la première catégorie,
interviennent pour défendre la victime, cela peut constituer un revers
de taille pour le harceleur qui risque de vaciller et peut-être
renoncera à ses attaques. Car l’enfant ainsi défendu sera
immédiatement crédité lui-même d’une popularité dangereuse pour
son agresseur.
Au contraire, si –  et c’est souvent le cas car le populaire de type
«  Nelly Olson  » sait choisir ses cibles parmi les plus vulnérables et
solitaires de l’établissement  – il sent dès la première tentative une
impuissance et un isolement de la part de l’enfant harcelé, sensation
confirmée par ses attaques suivantes, alors il ne lâchera pas sa proie
de sitôt, parce qu’elle lui semblera de premier choix.
Dans le cas du harceleur « adjoint », il s’agit plutôt de montrer au
populaire «  en chef  » de quoi on est capable, afin de s’inscrire
durablement dans son sillage.
Dans tous les cas, les jeunes patients harcelés nous rapportent que
les faits de harcèlement en milieu scolaire ou périscolaire n’ont jamais
lieu sans un minimum de public. Ce n’est donc pas pour assouvir une
volonté de nuire intrinsèque que le harceleur s’acharne, mais bien
pour asseoir son pouvoir, parce qu’il ne sait pas le faire comme les
populaires de la première catégorie.

1. Voir la question 25, « Sur quelles caractéristiques du harcelé s’appuie le plus souvent
le harceleur ? », p. 74.
25

Sur quelles caractéristiques
du harcelé s’appuie le plus
souvent le harceleur ?

D’une certaine façon, on pourrait dire que tous les sujets sont
bons à saisir à partir du moment où la vulnérabilité a été repérée,
puis validée par l’absence de réponse efficace de la part de l’enfant
harcelé. Nous notons cependant, dans notre échantillon étudié, que
les sujets varient assez largement entre l’école élémentaire et le
collège, et dans une moindre mesure entre le collège et le lycée.
En primaire, les faits fréquemment rapportés par les enfants sont
dans l’ordre  : le rejet, l’isolement, l’empêchement de jouer avec
d’autres, soit de façon sporadique, soit presque tout le temps.
Certains écoliers sont terrorisés simplement par des regards
menaçants lancés par d’autres. Une variante de cet isolement est le
jeu auquel s’adonnent couramment les écoliers, appelé «  jeu de la
contamination ». Il consiste à mimer une épouvante, voire une forme
de lente agonie, quand on se trouve en présence de l’enfant
sélectionné comme victime, à mimer l’usage d’un spray désinfectant
en passant dans les lieux qu’il a touchés, comme s’il était porteur
d’une maladie ultracontagieuse. Ce jeu me semble être une
métaphore très précise de ce qu’est la non-popularité  : personne ne
veut être l’ami de celui qui n’en a pas. Nous avons souvent vu,
malheureusement, ce jeu utilisé contre des enfants atteints de
maladies graves, hémophilie ou cancer par exemple, ce qui
évidemment décuple la souffrance déjà aiguë de ces jeunes patients 1.
On note aussi des phrases du type : « Tu sers à rien », « Tu n’as rien à
faire ici » ; les moqueries sur le physique, l’habillement, le nom ou le
prénom, l’origine ; les railleries sur les mauvais résultats.
Dès la sixième, les sujets d’attaque se multiplient et se
complexifient, donnant l’impression que la créativité des collégiens
n’a pas de limites en matière de cruauté. Le terme de « victime » est
sans doute celui qui revient le plus depuis deux ou trois ans,
montrant, s’il en était besoin, à quel point la posture de faiblesse est
un levier de choix pour les harceleurs. Les injures, notamment
concernant la mère, sont très utilisées et donnent lieu à des
surenchères sur les possibles missions ou postures qu’elle pourrait
adopter. Les menaces de coups sont très courantes, surtout de la part
des garçons. Les premières incitations au suicide commencent dès la
6e, en réel et sur les réseaux sociaux, particulièrement par SMS.
 
Au lycée, l’usage des réseaux sociaux se développe, incluant le
harcèlement de type revenge porn 2, la diffusion de photos intimes,
l’usurpation d’identité sur Facebook ou Snapchat pour ridiculiser une
victime, et toutes autres opérations de salissement de réputation sont
privilégiées.

1. Voir la question 72, « Comment combattre une mise à l’écart hostile en primaire ? »,
p. 194.
2. Partage de photos ou de vidéos sexualisées d’une personne sans son consentement,
généralement après une rupture.
26

Pourquoi les autres enfants


n’interviennent-ils pas plus
souvent ?

C’est une question essentielle parce qu’on peut estimer qu’en


France la totalité des collégiens a été au moins témoin une fois dans
sa vie de situations où un enfant était maltraité par d’autres. Ce n’est
d’ailleurs pas un phénomène spécialement contemporain, les adultes
y ont assisté aussi lorsqu’ils étaient enfants et s’en souviennent : « Je
ne pensais pas que c’était si grave, a posteriori je m’en veux de
n’avoir rien fait. » Ils oublient qu’à l’époque leur peur était sans doute
beaucoup plus aiguë que la culpabilité qui resurgit des années plus
tard, alors que les risques ne sont plus là.
En effet, chaque fois que nous posons cette question précise (et de
façon non culpabilisante) dans les écoles ou collèges où nous allons :
«  Comment se fait-il que, lorsque vous voyez quelqu’un (que vous
connaissez ou que vous ne connaissez pas) se faire harceler, vous
n’interveniez pas  ?  », la réponse fuse, collective et sincère  : «  Parce
qu’on a peur. Peur d’être le prochain sur la liste, peur d’avoir la honte
de défendre une victime, peur de se retrouver seul », précisent-ils.
Une peur parfaitement compréhensible parce que, à moins de
faire partie des adolescents ultrapopulaires, cette attitude est en effet
très dangereuse pour eux. Ce serait mentir que de vouloir minimiser
les risques que le harcèlement se retourne contre le défenseur. Les
élèves ne s’y trompent pas. Très fréquemment poussés à intervenir
par la société en général, par les équipes éducatives et par leur
famille, ils n’agissent pourtant pas.
De façon encore plus nette au collège, lorsque l’on demande
individuellement aux enfants témoins ce qui les empêche d’intervenir,
ils répondent en substance : « J’ai tout à perdre et rien à gagner. Ce
que j’ai à perdre, c’est ma tranquillité si jamais je ne fais pas partie
des harcelés. Si j’en fais partie, mon intervention ne servira à rien,
sinon à aggraver mon cas  ; ce que j’ai à gagner, c’est l’estime de
l’adulte… Comment te dire ? »
C’est à mon sens une erreur d’analyse de vouloir pousser les
autres enfants à s’interposer : c’est celle qui consiste à trop minimiser
ce que l’on pourrait appeler le syndrome de popularité et se montrer
en même temps beaucoup trop optimiste sur la présence d’empathie
et de compassion dans la communauté des collégiens. Compassion et
sens de l’empathie refont surface au lycée mais sont plutôt absents
des cours de collège.
C’est la raison pour laquelle je suis assez sceptique sur l’efficacité
du projet «  Sentinelles et Référents  » lancé dans certains
établissements (qui n’a pour l’instant pas donné lieu à évaluation),
qui, sur la base du volontariat, fait intervenir des élèves investis d’une
double mission, à la fois sur l’enfant harcelé (aller vers lui, ne pas le
laisser seul, le « tirer de là ») et sur les témoins, avec l’objectif de leur
faire reconnaître la souffrance de la victime, suivi d’un signalement
aux adultes pour qu’ils interviennent auprès des harceleurs.
D’après de nombreux témoignages d’enfants, ces projets se
heurtent souvent à la difficulté suivante  : la peur d’être traité de
traître, de « balance », par les autres élèves et donc de ne présenter
aucune légitimité aux yeux des harcelés pour constituer des relais
efficaces.
Puisque c’est donc essentiellement la peur qui empêche les
interventions protectrices des témoins, il est logique que le simple
appel à leur empathie soit peu productif quand on espère les faire
changer de comportement.
27

Peut-on se tromper
de harceleur ?

Oui. Parce que parfois l’analyse des faits de harcèlement, ou


désignés comme tels, s’appuie non seulement sur des bouts de
séquences, pas sur l’entièreté de la situation, et surtout sur la
perception par définition faussée de l’adulte puisqu’il n’est pas
présent au moment de l’ensemble des interactions. C’est spécialement
le cas du parent auquel son propre enfant rapporte des faits en
« oubliant » de dire ce qui les a engendrés.
C’est l’injustice faite aux enfants exclus : ils réagissent parfois de
façon brutale, que ce soit verbalement ou physiquement, à cet
isolement perçu légitimement comme hostile… et ce sont eux que
l’on qualifie de harceleurs.
Logiquement les enfants brutalisés vont se plaindre à la fois aux
enseignants et à leurs parents. Mais celui qui ne parvient pas à
s’intégrer ne le signale pas, car, particulièrement en maternelle et en
primaire, il a beaucoup de mal à expliquer ce qui se passe.
Ainsi, lorsque l’enfant «  réputé  » agressif est puni, il ne cherche
pas à se défendre, mais sa colère augmente, un sentiment d’injustice
l’envahit, puisque personne ne prend en compte la souffrance liée à
son isolement et à son incapacité à l’exprimer. Il persiste donc dans
ses comportements agressifs et devient celui par lequel tous les maux
de la classe, voire de l’école, sont expliqués. Il arrive même parfois
qu’une collectivité éducative entière (enfants compris) décide que cet
élève est un harceleur et que, tant qu’il restera au sein de la
communauté, à peu près tout ira mal.
C’est ce qui est arrivé à Medhi. Il venait d’une autre ville pour
intégrer la classe de CM1 d’un petit village. Les enfants se
connaissant tous depuis la maternelle, il a eu beaucoup de mal à se
faire accepter dans les jeux. Au début, quand il demandait à jouer et
que les autres refusaient, il les tapait ou prenait le ballon de force. Il
s’est fait punir et ses parents ont été convoqués par le directeur. On
lui a demandé de se calmer et de se montrer sympa.
Vainement, puisque Medhi savait par expérience que se montrer
sympa ne fonctionnait pas : au début, il avait essayé de nombreuses
fois de demander gentiment à jouer. C’est pourquoi il a choisi de faire
l’inverse, il a arrêté de demander et a tenté de s’imposer par la force
chaque fois qu’il voulait entrer dans un groupe. Des parents se sont
émus et ont demandé au directeur d’être « un peu plus sévère » face
aux agissements de Medhi, car leur propre enfant se plaignait de sa
brutalité. Medhi a été puni de récréation pendant trois jours, ce qui a
renforcé son agressivité et son isolement. Lorsqu’il vient nous voir, il
est prostré sur le canapé, en colère contre le monde entier. Nous
avons eu besoin de plusieurs séances pour l’apprivoiser et trouver des
solutions capables d’apaiser tout le monde.
Il est donc indispensable, dès le début, de bien questionner sur les
faits pour éviter ce genre d’accusation aggravante.
28

Est-ce que ce sont les aînés


ou les plus jeunes d’une fratrie
qui se font harceler ?

Dans notre échantillon, c’est une grande majorité d’enfants aînés


ou uniques qui se fait harceler à l’école.
Pour être très précis, 38  % sont des aînés et 22  % des enfants
uniques, soit un total de 60  % d’enfants n’ayant pas d’interactions
fraternelles.
Et c’est assez logique.
En effet, l’enfant aîné ou unique a eu, jusqu’à ses premiers
instants à la crèche ou à l’école maternelle, moins d’interactions avec
ses pairs que des enfants vivant au sein d’une fratrie.
Il est donc par définition beaucoup moins aguerri et fréquemment
porteur d’une certaine forme de naïveté relationnelle (souvent
entretenue involontairement par des parents qui s’emploient à le
valoriser sans qu’il ait à beaucoup se forcer) qui le rendent a priori
assez vulnérable.
Il entre donc dans la collectivité en pensant, à tort, que tout le
monde va beaucoup l’aimer et le valoriser. Lorsque les premières
attaques se produisent (vol de jouets, dépassement dans la file du
toboggan, bousculades intentionnelles ou non), il ne sera pas a priori
outillé pour rétorquer et se faire respecter. Ce scénario ne signifie pas
que la grande majorité des enfants aînés ou uniques n’apprendra pas
très rapidement à répondre, heureusement ; mais ils le feront par un
processus qu’on pourrait qualifier d’apprentissage sur le tas.
Certains, très étonnés et blessés, auront du mal à s’adapter à ces
nouvelles interactions et préféreront se recroqueviller sur eux-mêmes.
Ils deviendront alors des cibles tout à fait intéressantes pour des
enfants en quête de popularité.
D’autres, très démunis, iront immédiatement chercher de l’aide
auprès de leurs parents, lesquels voleront avec empressement à leur
secours, les privant ainsi d’une belle occasion de renforcer eux-
mêmes leur capacité à se faire respecter.
À l’inverse, les benjamins de fratrie (à l’exception des petits
derniers ayant beaucoup d’écart avec leurs frères et sœurs et
bénéficiant souvent d’un statut à part, que l’on pourrait rapprocher de
celui d’enfant unique) ont eu l’occasion de se frotter intimement à
des congénères de façon plus ou moins rugueuse et se trouvent, de
fait, mieux armés : ils ont déjà, à l’intérieur de leur fratrie, élaboré et
mis en œuvre un certain nombre de stratégies pour faire respecter
leur territoire.
29

Est-ce qu’il y a des parents types


du harceleur ?

Les parents des enfants harceleurs ne consultent pas. En bientôt


dix ans de pratique, après avoir rencontré en séance plusieurs milliers
de parents, nous avons reçu une seule et unique fois des parents
venus consulter pour que leur enfant arrête de se moquer des autres.
Si leur exemple n’est pas représentatif, eux-mêmes se montraient
extrêmement soucieux de valeurs telles que le respect des autres, la
gentillesse et la tolérance.
Plus que de profil type, il vaudrait mieux parler de types
d’attitudes de la part des parents qu’on informe de faits de
harcèlement de la part de leur progéniture. Pour les répertorier, nous
devons nous contenter des témoignages des parents d’enfants
harcelés, qui sont aussi sujets à caution car empreints le plus souvent
de tristesse et de colère, ce qui donne vraisemblablement lieu à une
description peut-être dénuée d’objectivité.
Selon ces nombreux témoignages, trois types de réactions
prévalent lorsque des parents sont informés que leur enfant est
potentiellement un harceleur (trois types de réactions inopérantes
puisqu’ils sont venus consulter précisément parce que le harcèlement
perdure) :
– La colère contre son propre enfant, qui entraîne le plus souvent
des commentaires sur le fait que le harcèlement est immoral,
psychologiquement dangereux pour les victimes et passible de
sanctions. Un appel est fréquemment fait à l’empathie de l’enfant
pour qu’il se rende compte du mal qu’il fait. Parfois, il y a sanction.
– Le déni : « Je connais mon enfant, disent-ils, il n’a pas mauvais
fond, il est incapable de faire ça.  » Ou, aux parents du harcelé  :
« C’est sans doute un peu plus compliqué que ça, êtes-vous bien sûrs
que votre propre enfant est totalement innocent ? » Cette attitude est
presque toujours celle qui advient quand la première n’a pas
fonctionné et que les parents continuent à recevoir des plaintes et des
exhortations à une action éducative plus musclée de la part des
parents de l’enfant harcelé.
–  L’indifférence, voire la valorisation implicite des faits de
harcèlement  : «  Ce sont des bagarres entre enfants  ; je suis bien
content que le mien ne se fasse pas marcher sur les pieds. Il ira loin
dans la vie. »
Selon les études menées par le psychologue Dan Olweus, trois
facteurs liés aux comportements des parents peuvent expliquer des
faits de harcèlement chez leurs enfants  : indifférence, manque de
chaleur et d’implication dans l’éducation  ; permissivité face aux
comportements agressifs de leurs enfants. Quand il y a sanction, une
prépondérance des châtiments physiques 1 tendrait à faire penser que
la majorité des parents concernés adopte plutôt des attitudes telles
que décrites dans le troisième type de réactions.
1. Dan Olweus, “Bullying or Peer Abuse at School. Facts and Intervention”, Current
Directions in Psychological Science, vol. IV, no 6, 1995, p. 196-200.
30

Est-ce qu’il y a des parents types


du harcelé ?

Des parents extrêmement protecteurs peuvent, sans le vouloir,


induire une forme de vulnérabilité chez leur enfant 1. Cette
surprotection rendra celui-ci plus facilement repérable comme proie
potentielle par un éventuel harceleur ou groupe de harceleurs.
C’est notamment le cas de parents anciennement harcelés à
l’école, ce qui évidemment est compréhensible. Terrifiés à l’idée que
leur enfant puisse vivre le même calvaire qu’eux, ils sont
extrêmement scrutateurs de toutes les expériences relationnelles que
leur fils ou leur fille peuvent vivre, s’inquiètent du fait qu’il ou elle
soient invitée aux anniversaires, entourée, appréciée, ils interviennent
avec beaucoup d’amour, mais souvent de façon très maladroite pour
protéger leurs enfants des méchancetés (avérées ou pas) de leurs
congénères, et créent ou renforcent de ce fait la vulnérabilité qu’ils
voudraient au contraire éviter à leur enfant.
Ces parents, par exemple, invitent le plus grand nombre possible
de camarades pour l’anniversaire de leur enfant et n’en voient venir
quasiment aucun.
Là aussi, un cercle vicieux extrêmement générateur de souffrance
chez les enfants et les parents risque de se mettre en route puisque,
plus l’enfant est rejeté, plus son parent va tenter d’y remédier en
aggravant la situation.
Le simple fait de demander tous les jours à son enfant si ça s’est
bien passé pour lui au niveau relationnel, crée évidemment une
inquiétude là où, peut-être, il n’y en avait pas auparavant. En effet,
l’enfant qui voit dans les yeux de son parent à quel point il est
angoissant pour lui qu’il ne soit éventuellement pas apprécié des
autres va à son tour s’inquiéter de ses propres capacités sociales et
tenter par un certain nombre de moyens de se faire aimer. Or, on le
sait, ceux qui mettent tout en œuvre pour être appréciés provoquent
souvent la réaction inverse en ce sens qu’ils montrent une extrême
fragilité relationnelle. Qui quémande trop explicitement l’amitié est
souvent rejeté dans la cour de l’école et du collège.
Ces enfants, par exemple, cherchent à acheter les autres par des
présents, se soumettent au moindre désir de ceux auxquels ils veulent
plaire, ou, comme ce fut le cas d’une de nos jeunes patientes, vont
jusqu’à concevoir un faux carton d’invitation pour participer à
l’anniversaire d’un camarade plus populaire 2.
De l’autre côté du spectre, les enfants très vulnérabilisés parce
qu’ils se sentent abandonnés par leur entourage familial, présentent
aussi plus de risques d’être harcelés que la moyenne 3.

1. Dan Olweus, Bullying at School. What we Know and What we Can Do, Oxford,
Blackwell, 1993.
2. Voir la question 4, «  Peut-on parler de harcèlement lorsqu’un enfant est isolé  ?  »,
p. 21.
3. Selon l’enquête Unicef « Adolescents en France, le grand malaise », 2014.
31

Existe-t-il des établissements
où il n’y a pas du tout
de harcèlement ?

Certains chefs d’établissement prétendent qu’il n’y aucun


problème de harcèlement dans leur collège ou leur école. Je pense
que cette assertion révèle une méconnaissance de ce qui se passe au
quotidien entre les élèves sans que les adultes s’en rendent compte.
En effet, certains établissements mettent en avant la sévérité, la
surveillance et les nombreuses sanctions à l’égard des harceleurs pour
expliquer qu’il est quasi impossible que surviennent des incidents  ;
c’est oublier la remarquable inventivité des collégiens et lycéens pour
échapper aux contrôles de toutes sortes, inventivité évidemment
décuplée par la sévérité de l’institution. Il n’est donc pas rare que des
situations de  harcèlement très sophistiquées et cruelles soient
découvertes précisément dans ce type d’établissement, suscitant un
étonnement sincère au sein de toute l’équipe éducative. Pour ma part,
je donne des conférences dans une centaine d’établissements par an,
je forme des CPE, des enseignants, des psychologues et des
infirmières scolaires sur ce thème, et je n’ai jamais rencontré
d’établissement complètement exempt de ce type de problèmes.
Certains parents pensent qu’en changeant leur enfant
d’établissement, le harcèlement va s’arrêter, parce qu’il y avait plus
d’enfants «  méchants  » dans l’école ou le collège où les faits ont
commencé que dans le nouveau. Reconnaissons-le, parfois la solution
fonctionne, le harcèlement cesse. En effet, si aucun établissement ne
peut prétendre au zéro harcèlement (ne serait-ce que parce que
nombre de faits de harcèlement ne sont pas connus des adultes),
certains ont mis en place des équipes éducatives (CPE, assistants
d’éducation, infirmières et psychologues scolaires) capables d’aider
efficacement les enfants harcelés à sortir de ce cercle vicieux et, de
fait, les situations de harcèlement diminuent.
Malheureusement, la plupart du temps, le changement
d’établissement ne modifie rien et de nouveaux faits de harcèlement
se produisent. Si l’on part du principe que ce sont les enfants
vulnérables qui se font harceler 1, qui de plus fragile et repérable
justement qu’un « nouveau » qui cherche désespérément à ce que tout
se passe bien ? Dans la mesure où, totalement démunis, les parents et
l’enfant ont, d’une certaine manière, choisi la fuite, cet enfant n’a
accompli aucun apprentissage pour contrer d’éventuels nouveaux
faits de harcèlement. Pour les praticiens de l’École de Palo Alto, la
répétition au sein de la nouvelle institution est donc
malheureusement logique.
Mais elle est d’autant plus douloureuse que tout le monde, à
commencer par l’enfant harcelé, était très optimiste sur l’efficacité
d’un changement d’environnement.
Ce nouveau constat d’échec va considérablement entamer sa
confiance en lui, ce qui est précisément l’inverse du résultat
attendu…
1. Voir la question 17, «  Que propose l’Éducation nationale pour résoudre le
harcèlement scolaire ? », p. 52.
32

Est-ce qu’il y a des enfants


qui ne se font jamais harceler ?

Seulement 6  % des enfants disent avoir subi des faits de


harcèlement et, même si l’on estime ces chiffres sous-évalués en
raison du fait qu’un certain nombre de victimes préfèrent rester
silencieuses, seule une minorité d’enfants et d’adolescents en a
souffert. Nombreux sont ceux qui ne seront jamais harcelés au cours
de leur scolarité. Les causes de cette «  invulnérabilité  » sont sans
doute multiples. L’une de mes patientes adolescentes l’expliquait assez
bien  : «  Ce sont des personnes dont on sait qu’elles pourraient être
méchantes. »
Un harceleur en quête de popularité ne tentera probablement pas
de se frotter à ce type de personnalité s’il la pressent comme telle (et
les adolescents ont un radar très aiguisé pour deviner le degré de
vulnérabilité ou de puissance de leurs pairs)  ; il préférera choisir
parmi ceux qu’il sent incapables de se défendre, quoi qu’il advienne.
Un exemple flagrant est celui de l’enfant qui a peur de se battre
physiquement et qui le montre implicitement (en s’éloignant lorsqu’il
y a des conflits, en baissant les yeux quand il se fait agresser, en se
réfugiant à la bibliothèque ou à l’infirmerie pour ne pas avoir à
affronter les belliqueux qui l’agressent). La posture a priori de
certains enfants qui ne se sont jamais fait harceler comporte sans
doute une forme de puissance présumée qui les protège, un peu
comme le ferait une armure.
D’ailleurs, ces enfants n’adoptent pas forcément une attitude
particulière, par conséquent ils se sont probablement déjà fait
moquer, bousculer, insulter eux aussi. Mais pour une majorité d’entre
eux, ils ont réagi d’une manière telle que l’essai de déstabilisation n’a
pas été renouvelé par l’enfant ou le groupe d’enfants harceleurs.
En effet, dans la mesure où le harcèlement procède souvent par
essai/réaction – « Je lance un surnom méchant et je vois comment ma
victime réagit  ; en fonction de cette réaction, soit j’arrête, soit je
continue en amplifiant  » –, on peut se poser la question des
comportements qui stoppent le processus à ses débuts.
Ici intervient une notion importante qui est celle de l’autodérision,
qualité extrêmement intéressante pour bloquer tout type d’interaction
symétrique, mais malheureusement assez peu répandue chez les
enfants et les adolescents dont le degré de susceptibilité et de
sensibilité est souvent assez élevé.
En effet, il est très difficile de faire souffrir quelqu’un qui répond
par l’autodérision aux attaques  : c’est comme  si on n’avait pas de
prise, que la proie s’échappe comme une anguille. Avec le courage,
c’est une autre qualité qui fait que certains enfants ne sont pas
harcelés.
33

Est-ce que les enfants harcelés


peuvent devenir des harceleurs ?

La souffrance emmagasinée par les enfants harcelés qui ne


parviennent pas à stopper ce fléau peut parfois se transformer en
violence. Si l’on analyse de près certains des massacres perpétrés par
des lycéens américains depuis le début du XXIe siècle 1, on relève que
les auteurs des tueries, d’après leurs anciens camarades, étaient
isolés, souvent moqués ou harcelés.
Mais ce n’est pas une règle et, la plupart du temps, c’est bien
plutôt contre elles-mêmes que les anciennes victimes de harcèlement
vont retourner leur colère, dans un mélange de honte,
d’autodéception et de culpabilité qui les empêche parfois de mener
une vie sereine dans un certain nombre de domaines. Notamment
s’ils n’en sont pas sortis par eux-mêmes.
Si le harcèlement a cessé par l’intervention d’adultes, par
exemple, ce résultat leur laisse entendre que, d’une certaine manière,
ils seront faibles toute leur vie. En effet, si une telle situation se
reproduit, ils n’auront d’autre solution que de demander à un tiers
d’intervenir puisque c’est le seul apprentissage qu’ils auront fait.
Cette faible estime de soi n’est pas un ingrédient qui prédispose à
devenir harceleur puisque, comme le précise Olweus dès 1989  :
«  Dans un certain nombre d’études et en utilisant différentes
méthodes, j’ai testé l’affirmation commune selon laquelle les
harceleurs seraient des individus insécurisés derrière une fausse
apparence de confiance en eux. Les résultats vont très précisément à
l’encontre de cette hypothèse  : les harceleurs sont peu sujets aux
angoisses ou à l’insécurité, et en tout cas n’y sont pas plus sujets que
la moyenne de leurs congénères 2. »
En revanche, plus sans doute que la plupart de leurs camarades,
les enfants anciennement harcelés, et que l’on n’a pas aidés à puiser
dans leurs propres ressources pour s’en sortir, feront partie des
témoins silencieux incapables d’intervenir. C’est que la peur que tout
recommence est encore très présente et les tétanise plus que
n’importe quel autre enfant, même s’ils savent mieux que quiconque
la souffrance de celui qui est maltraité devant eux. Ce contexte peut
donc engendrer des combats internes très douloureux.
En ce qui concerne les enfants harcelés qui sont parvenus, souvent
parce qu’ils y ont été aidés, à trouver des solutions relationnelles pour
en sortir, ils l’ont fait, en toute autonomie – et c’est là la différence –
en se servant de la violence qui leur avait été infligée, pour la
retourner contre leur harceleur comme un boomerang, dans des
stratégies que l’on pourrait qualifier de résistantes. Ils ont fait
l’apprentissage de la défense, pas de l’attaque ex nihilo. Et souvent,
encore et pour longtemps sous le choc de ce qu’ils ont enduré, ils
n’ont pas du tout envie de le faire subir à quiconque.

1. École de Newton, avril 2007 ; Columbine, avril 1999 ; Red Lake, mars 2005.


2. “Bullying or Peer Abuse at School. Facts and Intervention”, art. cité.
34

Est-ce que les enfants harceleurs


peuvent devenir des harcelés ?

Oui, puisque n’importe quel enfant ou adolescent peut être


vulnérable à un moment donné et qu’il n’y a pas selon moi, on l’a vu 1,
de profil type ni de l’enfant harceleur, ni de l’enfant harcelé, tout au
plus un niveau de confiance en soi qui par définition est fluctuant. Il
peut donc arriver que des enfants très populaires subissent un
événement douloureux comme un deuil, une séparation, une
humiliation, et que cette épreuve entame drastiquement leur
confiance en eux. Si cette vulnérabilité nouvelle se voit, le risque
apparaît qu’un enfant ou un adolescent en quête de popularité le
pressente et en profite pour faire tomber le premier de son piédestal.
Cependant, plus que la majorité des enfants harcelés, l’enfant
harceleur est dans la capacité de masquer cette vulnérabilité
ponctuelle ou bien, au contraire, de la mettre en scène pour décupler
sa popularité, transformant les courtisans en pleureurs ou protecteurs
d’occasion. Parfois, il n’y parvient pas. La chute est souvent très rude
dans ces cas-là, parce que les courtisans de la première heure se
tournent vite vers quelqu’un de plus populaire. Ce genre de chute est
extrêmement douloureuse pour les anciens meneurs devenus victimes
et les plonge souvent dans des dépressions abyssales, sans doute plus
que les enfants naturellement solitaires, parce que les premiers sont
en quelque sorte dans la nostalgie d’une forme de paradis perdu.
Dans ce genre de cas, évidemment, l’enfant ou l’adolescent n’est pas
prêt à nous expliquer facilement ce qui lui est arrivé et ce qui se
passait avant sa chute. Et lorsqu’il répond parce que nous le
questionnons sans le juger, il serait totalement contre-productif de lui
faire la morale en lui disant que maintenant, au moins, il se rend
compte de la souffrance qu’il a engendrée avant. Comme à n’importe
quel enfant dans ce cas, nous lui proposons une stratégie sur mesure
à mettre en place pour que son harceleur tombe sur un os relationnel.
Mais, là encore, il s’agit d’une stratégie de résistance, pas d’une
attaque ex nihilo.

1. Voir les questions 19, «  Comment commence le harcèlement  ?  », p.  59  ; et 20,
« Existe-t-il un profil type du harceleur ? », p. 61.
35

Est-ce que le harcèlement peut


avoir des conséquences
sur la santé ?

Selon la psychiatre Nicole Catheline, «  l’anxiété est la première


conséquence que produit sur l’enfant le harcèlement dont il est
victime. C’est elle qui est, comme on l’a vu, à l’origine de contre-
performances scolaires ou encore de troubles du sommeil, car elle
entame la concentration et accentue les difficultés d’apprentissage.
Elle est aussi à l’origine de la peur qui saisit l’enfant au moment où il
doit se rendre à l’école. Peu à peu, il court le risque de se
déscolariser  ». Elle ajoute  : «  Sur de jeunes enfants de 8 à 12  ans,
40 % des victimes présentent un état de stress traumatique. »
Les praticiens brefs et stratégiques des centres Chagrin scolaire
reçoivent en effet de nombreux enfants diagnostiqués «  phobiques
scolaires », qui ne peuvent plus retourner en cours par crainte qu’un
scénario de harcèlement ne recommence. Ils restent post-traumatisés
par ce qu’ils ont vécu même si le harcèlement a cessé, et même si un
nouvel établissement leur est proposé. C’est la raison pour laquelle il
semble absolument indispensable de pouvoir les aider à réagir
différemment si le harcèlement reprenait et assez peu productif de les
rassurer en prétendant que les risques sont faibles.
Des symptômes assez variés alertent sur une menace de
harcèlement : énurésie 1, bégaiements, envies de vomir et céphalées,
crampes d’estomac inexplicables physiologiquement, sensations de
vertige, toutes sortes de maux physiques dont ne souffrent pas (ou
moins) les enfants ne rencontrant pas ce type de difficulté
relationnelle.

1. L’énurésie (aussi appelée « pipi au lit ») désigne une fuite d’urine répétée, involontaire
et le plus souvent nocturne, mais elle peut également être diurne.
36

Est-ce qu’il y a des conséquences


quand on est adulte et qu’on
a été harcelé petit ?

Selon une étude du King’s College de Londres, l’impact négatif du


harcèlement scolaire sur la santé physique et mentale s’observe
encore près de quarante ans après les faits 1. À l’âge de 50  ans, les
individus qui ont été harcelés présentent davantage de problèmes de
santé mentale et physique, et de moindres performances cognitives.
De plus, les personnes harcelées durant l’enfance connaissent un
risque plus élevé de dépression, d’angoisse et de pensées suicidaires.
Elles sont aussi moins souvent engagées dans une relation
amoureuse, moins souvent employées et moins bien rémunérées
quand elles travaillent. La qualité de vie et la satisfaction générale
qu’elles déclarent sont inférieures à celles des individus qui n’ont pas
été victimes de harcèlement. «  Indépendamment de toute
psychopathologie, de leur situation sociale ou familiale et de leur QI,
les individus qui ont été victimes de mauvais traitements par leurs
pairs entre 8 et 10 ans courent un risque de présenter des symptômes
psychotiques par incapacité à agir socialement et par dégradation de
l’image de soi  », selon Nicole Catheline 2. Ces conséquences
dramatiques à long terme, en plus de la souffrance engendrée dans
l’instant, sont assez compréhensibles si l’on admet qu’un des
apprentissages que n’ont pas acquis les enfants harcelés est celui de
savoir se faire respecter lorsque quelqu’un tente de les intimider.
Car, évidemment, ce n’est pas parce que la dernière sonnerie du
lycée retentit que, tout à coup, l’enfant harcelé devient subitement
fort et capable de se défendre. Il n’est toujours pas outillé et il le sait :
car, que le harcèlement ait cessé par l’éviction du harceleur, par le
changement d’établissement ou tout simplement par le fait qu’il n’y a
plus d’interaction avec le harceleur ou le groupe de harceleurs,
l’enfant anciennement harcelé ne peut que conserver le sentiment
que dans des circonstances similaires le pire resurgirait, et il a raison.
C’est donc avec une défiance, une tristesse et une anxiété
sensiblement supérieures à la moyenne qu’il vivra sa vie d’adulte. A
contrario, chez l’enfant qui sera parvenu à enrayer le cercle vicieux
du harcèlement dont il a été la victime grâce à ses propres ressources,
la confiance en soi engendrée par cette modification
comportementale lui permettra de regarder son avenir avec plus de
sérénité.

1. Ryu Takizawa, Barbara Maughan, Louise Arseneault, “Adult Health Outcomes of


Childhood Bullying Victimization. Evidence from a Five-Decade Longitudinal British
Birth Cohort”, The American Journal of Psychiatry, vol. CLXXI, no 7, 2014, p. 777-784.
Les chercheurs ont suivi 7 771 enfants, âgés de 7 à 11 ans en 1958, jusqu’à leurs 50 ans.
2. A.  Schreier, D.  Wolke, K.  Thomas et al., cités par Nicole Catheline dans Le
Harcèlement scolaire, op. cit.
37

Comment les conséquences
du harcèlement scolaire peuvent-
elles se manifester à l’âge
adulte ?

Charlotte, 35 ans, vient nous voir parce qu’elle se trouve vraiment


détestable physiquement, ce qui se traduit ainsi : elle ne supporte pas
de se mettre en maillot de bain, ni même en short ou en jupe ; elle
passe des heures et des heures à s’habiller et se maquiller, de plus en
plus d’ailleurs, puisqu’elle est obligée de se lever à 4 heures du matin
pour partir à 7 h 30 correctement « camouflée », comme elle dit ; elle
ne peut pas se mettre nue devant son compagnon et elle nous dit
avoir eu du mal à entamer une relation amoureuse avant ses 30 ans,
tant il lui paraissait insensé qu’on puisse vouloir ne serait-ce que
l’embrasser. Les dénégations de son entourage sur cette
mésestimation disproportionnée n’ont aucun impact sur elle.
Lorsque nous lui demandons depuis quand elle est tellement
dégoûtée par sa propre apparence, elle nous répond que cela date de
l’adolescence, même si, depuis vingt ans, elle connaît des moments
pires que d’autres, comme à l’instant où elle consulte.
Les praticiens de l’École de Palo Alto travaillent avec leurs patients
sur l’« ici et maintenant », ce qui signifie qu’ils ne recherchent pas des
souvenirs enfouis dans le passé de leur patient pour travailler à
apaiser sa souffrance, mais ils s’emploient plutôt à faire cesser ce qui
l’alimente au présent  ; nous avons en effet rencontré beaucoup de
patients qui nous expliquaient qu’ils savaient pourquoi ils étaient
malheureux, mais, malgré cela, ils allaient toujours aussi mal. Nous
ne posons donc jamais la question de savoir ce qui, dans l’enfance, a
déclenché une telle mésestime de soi, parce que ce n’est pas le sujet
sur lequel nous travaillons. Les patients, eux, lorsqu’ils sont aux prises
avec des problématiques telles que celles de Charlotte, ont souvent
beaucoup réfléchi aux raisons de leur malaise.
C’est donc assez rapidement que cette ravissante jeune femme
nous raconte qu’adolescente, elle avait été la cible du harcèlement de
plusieurs garçons qui la comparaient à sa sœur. Elle avait 14 ans, un
appareil dentaire et beaucoup d’acné, alors que sa sœur, de deux ans
son aînée, avait passé le cap de l’ingratitude adolescente. «  C’était
incessant, nous raconte-t-elle. Ils voyaient bien à quel point j’en étais
blessée. Ils m’avaient surnommée “la moche” et se moquaient de moi
à chaque récré. »
D’une façon générale, chez les adultes qui ont été harcelés enfants
et que nous recevons en séance, la caractéristique physique, mentale
ou relationnelle régulièrement dévalorisée avec cruauté devient très
fréquemment une zone de complexes, très sensible à la souffrance  :
complexe physique comme dans le cas de Charlotte, ou intellectuel
chez des adultes qui se sentent nuls, incompétents, inintéressants.
Souvent, le problème est relationnel  : les enfants harcelés devenus
adultes ne se sentent pas dignes d’intérêt dans le cadre d’une relation,
qu’elle soit amicale, professionnelle ou amoureuse.
38

Est-ce qu’on constate


des conséquences chez l’adulte
qui a été harceleur dans
son enfance ?

Les garçons qui harcèlent tendent à devenir par la suite des


délinquants, selon les conclusions de l’étude Pittsburgh Youth Study 1.
Selon les mêmes sources, les interventions qui réduisent les actes de
harcèlement seraient suivies d’une diminution de la délinquance.
Les chercheurs D.  Bender et F.  Lösel, de leur côté, affirment que
36  % de ceux qui ont commis des actes de harcèlement entre 13 et
16 ans sont devenus délinquants entre 16 et 24 ans, contre 10 % de
ceux qui n’en ont jamais commis. Selon Nicole Catheline, enfin, « les
garçons régulièrement auteurs de maltraitance pendant leur
adolescence adoptent trois à quatre fois plus de conduites
socialement inacceptables et violentes à l’âge adulte ».
Là encore, ces conséquences nous semblent logiques. Tant que
l’enfant ou l’adolescent harceleur n’est pas «  tombé sur un os  »
relationnel de la part de ses pairs (la sanction adulte étant rarement
considérée comme telle), il n’a aucune raison d’arrêter. Par ailleurs, il
peut avoir l’illusion, fortement dramatique à terme – pour lui et pour
son entourage – qu’il est tout-puissant et que rien ne peut l’arrêter. Le
pouvoir qu’il obtient par le biais du harcèlement, aussi bien vis-à-vis
de l’enfant harcelé que vis-à-vis des témoins silencieux parce que
particulièrement angoissés à l’idée d’être les prochaines victimes, est
autrement plus grisant et intense que la crainte de l’éventuelle
sanction disciplinaire.
C’est donc bien à cette illusion de toute-puissance que les
praticiens de l’École de Palo Alto tentent de le faire renoncer. Pour
cela, ils outillent l’enfant vulnérable pour faire tomber le harceleur
sur un os qui affaiblira son pouvoir auprès du groupe en même temps
qu’il sera contraint de renoncer à ses illusions pathologiques de toute-
puissance.

1. « Journal of Aggression, Conflict and Peace Research », vol III.


39

Est-ce qu’on risque


des conséquences quand dans
son enfance on a été témoin
et qu’on
n’a pas pu ou su intervenir ?

Ce sont des conséquences souvent moins douloureuses que celles


qui attendent les victimes elles-mêmes. Cependant, et notamment si
le harcèlement ou la mise à l’écart d’un enfant, auxquels a assisté le
témoin, ont donné lieu à des changements structurants négatifs pour
l’enfant maltraité, cela peut induire un impact psychologique sur
l’enfant spectateur des faits.
Notamment si l’enfant harcelé a été contraint de changer
d’établissement, s’il a arrêté sa scolarité de façon ponctuelle ou
définitive, si on apprend qu’il a fait une tentative de suicide et bien
évidemment, de façon encore plus dévorante, s’il a mis fin à ses jours
en raison du harcèlement.
Ces cas peuvent se traduire par une culpabilité submergeante qui
peut rendre l’enfant ou l’adolescent très mélancolique, avec un fort
sentiment d’autodéception et/ou par un ressassement douloureux sur
ce qu’il aurait dû faire et n’a pas fait.
J’ai reçu un adolescent qui n’avait pas osé intervenir pour
défendre une camarade avec laquelle pourtant, il jouait beaucoup
lorsqu’il était petit. Il avait même arrêté de la saluer pour éviter de se
faire remarquer par la bande de harceleurs menaçants qui la
maltraitaient à chaque récréation. Il avait noté que, si elle avait tenté
de chercher son regard (et donc d’après lui sa protection) une fois en
début de sixième, elle avait immédiatement renoncé en voyant qu’il
avait peur de réagir. «  Comme si elle ne m’en voulait pas, disait-il,
comme si elle me comprenait et ne voulait pas me mettre en
difficulté, et c’est sans doute ça le plus horrible. » Cet accord tacite, y
compris celui de l’enfant harcelé, montre à quel point la résignation
est classique dans ce genre de situations.
La collégienne harcelée a dû changer de collège en fin d’année
après une hospitalisation de plusieurs semaines en pédopsychiatrie.
Apprenant cela, mon jeune patient s’est senti terriblement coupable
de n’avoir rien fait, d’avoir selon ses termes été « aussi lâche ». Il me
disait  : «  Si je suis vraiment honnête, je dois ajouter que, sachant
aujourd’hui tout le mal que la situation a pu lui faire, je ne suis
toujours pas sûr que j’interviendrais. Parce que je me souviens
parfaitement de la peur qui me paralysait. » Il n’en dormait plus, se
recroquevillait de plus en plus sur lui-même et commençait à se
désintéresser des apprentissages.
Je lui ai proposé d’écrire à son amie d’enfance en lui présentant
ses excuses, et en lui demandant ce qu’il pouvait faire pour réparer le
mal qu’il lui avait causé. Elle lui a répondu de venir passer un week-
end avec elle dans sa maison de campagne. Ils ont réfléchi à des
stratégies qu’elle pourrait mettre en place dans son nouvel
établissement si ça recommençait.
Lorsqu’un enfant qui a été témoin impuissant de harcèlement
ressasse sa culpabilité et sa honte, des solutions thérapeutiques
peuvent être tentées pour l’apaiser.
DU CÔTÉ DES PARENTS
40

Quels sont les signes qui peuvent


alerter les parents ?

D’une façon générale, ce sont tous les changements un peu


brutaux dans les comportements de l’enfant ou de l’adolescent et
certains symptômes.
D’abord, les signes physiologiques, comme les maux de tête ou de
ventre le dimanche soir notamment et les veilles de rentrée de
vacances scolaires. Signaux encore plus significatifs : l’enfant semble
revivre pendant les vacances et se sent de nouveau mal la veille ou
l’avant-veille de la rentrée.
Les chutes de notes spectaculaires sont également des indices qui
peuvent alerter sur d’éventuelles souffrances relationnelles. En
revanche, certains enfants qui se font traiter d’intellos préfèrent
perdre quelques petits points de moyenne (un ou deux maximum)
pour que le harcèlement cesse  ; si le système fonctionne –  et c’est
parfois le cas –, il faut à mon sens leur laisser cette possibilité-là. La
chute de notes spectaculaire, donc inquiétante, est plutôt le fait
d’enfants qui ne peuvent plus se concentrer correctement sur les
apprentissages parce que leur souffrance et leur inquiétude sont trop
vives, ou parce qu’ils pensent que leur seule chance de survie sociale
est de faire partie des très mauvais élèves. Dans ce cas-là,
évidemment, on ne parle pas de solutions.
Les changements plus pernicieux et auxquels nous ne sommes
souvent pas assez vigilant sont ceux qui affectent les interactions vis-
à-vis de la fratrie et/ou des parents. Un enfant habituellement
pacifique et affectueux qui tout à coup devient agressif ou pique des
crises sans raison apparente, alors que jusque-là il était plutôt calme,
signale peut-être une souffrance relationnelle à l’école. Si ces
changements coïncident avec l’entrée dans l’adolescence, les parents
peuvent à tort penser que c’est la raison de ces modifications
d’humeur. Il est assez logique que la souffrance d’un enfant s’exprime
dans un lieu où ils se sentent en sécurité affectivement. Il faut
absolument dans ces cas-là accueillir leurs émotions plutôt que tenter
de les calmer en vain.
41

Que peuvent les parents pour


faire parler leur enfant ?

Souvent, si les enfants, comme c’est habituellement le cas chez les


collégiens et les lycéens, ont choisi de ne pas parler à leurs parents,
c’est pour plusieurs raisons.
Ils savent que cela leur fera de la peine. Et ils ont raison. Entendre
son enfant raconter les maltraitances relationnelles ou physiques qu’il
subit dans un lieu qui nous semblait a priori sécurisé est une
souffrance indéniable. Très souvent, nos enfants cherchent donc à
nous en protéger.
Ils ont peur que nous intervenions maladroitement et ils ont
raison là aussi, car cette souffrance est telle que les parents éprouvent
le besoin de demander justice aux harceleurs, à leurs parents, à
l’établissement, au ministère, à la police. Or, la plupart des enfants
savent a priori (ou a posteriori parce qu’ils en ont subi les
conséquences) que les interventions des adultes dans ce genre de
situations sont souvent contre-productives.
Pour contourner ces deux écueils, lorsqu’un parent a le sentiment
que son enfant rencontre des difficultés à l’école, au collège ou au
lycée, et s’il ne se confie pas, il pourra utilement lui dire la chose
suivante : « J’ai l’impression que c’est difficile pour toi en ce moment
au collège. C’est normal que tu ne veuilles pas m’en parler parce que
ce sont des choses que les adultes ne comprennent pas très bien,
surtout les parents. Je voulais simplement t’assurer que, si tu m’en
parles, je ne ferai absolument rien sans que tu sois strictement
d’accord. »
Il n’est pas rare alors que l’enfant se confie. Dans ce cas,
évidemment, il faut tenir sa promesse, même si une furieuse envie
nous démange de faire ce qu’il ne souhaite pas que nous fassions, par
exemple, aller voir le chef d’établissement. Avant qu’il se confie, il
sera également utile de lui dire  : «  Ce que tu vas me raconter va
sûrement nous faire de la peine à tous les deux. À toi, parce que tu
vas parler de choses qui te font beaucoup de mal, et à moi parce que
je suis ta maman (ou ton papa) et que je ne supporte pas l’idée qu’on
te fasse souffrir. Donc, il se peut que je pleure, mais je préfère de loin
savoir ce qui t’arrive et être triste, que de ne pas savoir et être super-
angoissée.  » Si les larmes vous viennent, laissez-les venir et serrez
l’enfant dans vos bras en lui répétant que vous comprenez à quel
point c’est douloureux.
42

Comment les parents peuvent-ils


aider les enfants à prévenir
le harcèlement ?

En matière de relations humaines, la prévention est toujours un


sujet complexe. Il n’y a pas deux cas similaires de harcèlement.
Chaque protagoniste a ses spécificités, le contexte est toujours
particulier, les enjeux chaque fois différents de part et d’autre. Vouloir
résoudre a priori des situations de harcèlement qui n’ont pas encore
eu lieu est forcément source d’imprécisions et présente donc le risque
de l’inefficacité quand le problème advient « en vrai ».
En revanche, certaines compétences, certaines qualités
relationnelles peuvent aider les enfants à se défendre suffisamment
bien et tôt pour qu’une première agression ne se transforme pas en
harcèlement. Ces qualités sont l’humour en général, l’autodérision en
particulier.
Mais quand on parle de prévention, on fait référence aux
comportements harcelants. Dans ce sens, notamment en maternelle
et en primaire, des actions peuvent être menées, notamment via des
jeux de rôle, pour développer les qualités relationnelles des enfants
dans leur ensemble. Ils auront des effets plus tard, particulièrement
au collège, car ils apportent visiblement plus de souplesse dans les
interactions ainsi que l’apprentissage, par la perception émotionnelle
et relationnelle dès le plus jeune âge, de ce qu’est l’empathie. On peut
penser que les collégiens enclins au harcèlement seront freinés par
cet apprentissage des bienfaits de l’empathie ainsi opéré en
maternelle. En tant que parent d’enfant en maternelle ou en primaire,
il peut être intéressant d’en parler à l’équipe éducative en évoquant
par exemple le jeu des trois figures de Serge Tisseron 1.

1. Voir la question 16, « Qu’existe-t-il en France en matière de prévention ? », p. 49.


43

Les parents doivent-ils alerter


le directeur de l’établissement ?

Il n’y a évidemment pas de réponse unique à cette question.


Parfois, le fait d’alerter le chef d’établissement, le CPE ou le
professeur principal peut amener un changement radical chez le ou
les harceleurs, soit parce qu’il y a eu discussion avec les adultes ou en
vie de classe, et que cette discussion a fait prendre conscience aux
harceleurs de la gravité des faits, soit parce qu’il y a eu sanction, et
que cette réaction est suffisamment répulsive pour qu’ils cessent leurs
agressions.
Dans les cas relayés par les médias, on notera souvent que les
parents des enfants harcelés se plaignent que, s’il y a eu sanctions
(heures de colle, conseils de discipline, exclusion temporaire ou
définitive), elles n’ont pas été suffisamment fortes puisque le
harcèlement a continué, s’est amplifié ou a changé de protagonistes.
Pour la grande majorité des enfants et des parents qui consultent
dans nos centres, le fait d’alerter l’établissement n’a pas fonctionné et
a même aggravé la situation. Il est rare en effet que nous soyons
sollicités avant que la procédure classique, préconisée par l’Éducation
nationale, ait été mise en œuvre. Or, le premier point de cette
procédure indique qu’il faut alerter le chef d’établissement. Et si les
parents ont pris rendez-vous avec nous, c’est bien que le harcèlement
a néanmoins perduré ou s’est amplifié.
En somme, si cette solution fonctionne parfois, elle risque
néanmoins non seulement de manquer d’efficacité, mais, pire,
d’aggraver la situation. Pourquoi ?
Parce que, comme indiqué dans le schéma général du site NAH 1
présentant les modalités d’intervention que doit suivre le chef
d’établissement, la seule action proposée est dirigée vers les enfants
harceleurs (punitions, sanctions et mesures de réparation). Ce seul
fait cristallise implicitement l’escalade complémentaire entre un élève
tout-puissant qui aurait toutes les clés en main pour que le
harcèlement s’arrête (l’élève harceleur) et un élève victime et
impuissant qu’il conviendra seulement de protéger (l’élève harcelé).
Il est clair que, face à des adolescents un peu rebelles et agressifs,
ce type de protocole est souvent largement antiproductif parce qu’il
envoie comme signal aux harceleurs que leur victime est absolument
incapable de se défendre seule : la preuve, les adultes interviennent à
sa place. Ce renforcement du statut de victime peut donc clairement
les encourager à continuer.
Mais, comme toute mesure disciplinaire, elle rassure un certain
nombre d’acteurs, dont les parents, et il est très difficile au sein des
établissements aujourd’hui de mettre en place des processus plus
responsabilisants, même si les nombreuses équipes éducatives,
convaincues de l’inefficacité de la démarche uniquement
moralisatrice et répressive, préféreraient outiller les enfants en
souffrance. Parce que, ce faisant, elles iraient à l’encontre des
désideratas des parents des enfants en souffrance.
Ces derniers, et c’est compréhensible, ne peuvent pas entendre
que leur enfant doit modifier quoi que ce soit dans l’interaction,
puisque c’est lui qui est en souffrance. Ils sont donc très en colère
quand un membre de l’équipe éducative évoque une solution de ce
type ; à nous, professionnels de l’enfance, de leur expliquer que c’est
en outillant leur enfant que nous le rendrons plus fort et donc moins
malheureux, parce que, comme eux, la situation nous met
terriblement en colère.

1. Non Au Harcèlement  :
http://cache.media.education.gouv.fr/file/harcelement/91/7/Campagne_Non-au-
harcelement-protocole-de-traitement_2nd_degre_7299/7.pdf, page 7.
44

Les parents doivent-ils alerter


les parents du harceleur ?

Comme nous l’avons vu, cette action parentale est souvent


inefficace et pourtant très fréquente. Elle présente régulièrement
l’inconvénient d’ajouter un conflit supplémentaire au premier  :
l’affrontement entre les parents. Il est difficile d’admettre que son
enfant est un méchant harceleur. Les parents ainsi incriminés par
ceux de la victime vont avoir deux réactions possibles. Soit minimiser
les faits, ce qui va profondément ulcérer la partie adverse qui va
tenter de les convaincre qu’ils ne se rendent pas compte de la
perversité de leur enfant. D’où une défense plus virulente encore et
donc plus blessante de la part des parents accusés, et ainsi de suite,
dans une escalade symétrique qui ne résoudra pas la situation de
harcèlement, puisque les protagonistes eux-mêmes, qu’ils soient
harceleurs ou harcelés, sont exclus du débat.
Soit, pour les plus accommodants d’entre eux, faire la morale à
leur enfant et/ou le sanctionner. Comme nous l’avons vu dans la
question précédente, cette modalité n’a que très peu d’impact sur les
enfants harceleurs qui jureront qu’ils ne recommenceront pas, puis
continueront de façon plus sophistiquée pour ne plus se faire
sanctionner, ou feront une réputation de balance à l’enfant harcelé, ce
qui n’améliorera pas ses interactions avec les autres.
Soit pour les moins empathiques d’entre eux, encourager
implicitement leur enfant à continuer dans cette voie, puisque cela ne
constituera pas un problème pour eux, voire parce qu’ils seront assez
satisfaits du fait que leur enfant ne fasse pas partie des victimes, mais
plutôt des puissants.
Dans tous les cas, puisque les parties en présence ne représentent
pas les acteurs directement concernés par l’interaction en cause, on
aboutit la plupart du temps à un échec de la résolution du conflit et à
un découragement supplémentaire de l’enfant harcelé, qui constate
que même les parents sont impuissants.
45

Que peuvent faire les parents


d’un enfant harceleur ?

Il est intéressant de constater que, depuis dix ans, nous n’avons


reçu qu’une seule fois les parents d’un enfant harceleur en
consultation. Ce chiffre corrobore d’ailleurs la thèse selon laquelle ce
sont bien les enfants harcelés qui souffrent et qui ont besoin d’aide ;
sinon, leurs harceleurs et leurs parents seraient plus nombreux au
sein des cabinets de consultation thérapeutique.
Néanmoins, cette question qui nous est très souvent posée en
conférence montre que certains parents ne sont pas très à l’aise avec
la situation et aimeraient pourvoir faire quelque chose pour
contribuer à l’arrêt du harcèlement.
Il convient avant tout de bien garder à l’esprit que, si l’enfant
harceleur auquel on a indiqué à quel point son comportement
engendrait de souffrance chez son camarade, expliqué que le
harcèlement était répréhensible tant sur un plan disciplinaire que
pénal, annoncé des sanctions si cela se reproduisait, appliqué les
sanctions s’il persistait, si donc cet enfant continue malgré tout à
maltraiter sa victime, c’est qu’il a de bonnes raisons de le faire de son
point de vue. Et que l’insistance du parent pour tenter de le stopper
est soit improductif, soit aggravant en raison du caractère
délicieusement transgressif que le courroux de l’adulte amplifie.
Un énième discours dans ce sens, quelles qu’en soient les
modalités, a donc toutes les chances de maintenir le système en
fonctionnement. Néanmoins, dans le cas où la relation est bonne avec
son enfant ou son adolescent, le parent qui est mis au courant des
faits de harcèlement peut discuter avec lui la notion de popularité, en
lui disant qu’il y a au fond deux manières d’être populaire.
La première consiste à terroriser tout le monde grâce à son sens
de la repartie et son humour moqueur, à ses muscles, ou à sa capacité
à être violent et cruel. C’est une façon de faire qui fonctionne assez
bien et qui demande peu de qualités. Elle présente l’inconvénient de
se retrouver plus craint qu’aimé, et le coup de poignard dans le dos
est possible à chaque sortie de cours. C’est plutôt le  choix des
médiocres et des dictateurs.
La deuxième consiste à être généreux sans verser dans la prise en
charge systématique des problèmes des autres, drôle mais plutôt dans
l’autodérision, attentif à ceux que l’on aime mais ouvert aux autres.
C’est une façon de faire qui demande des qualités nombreuses et
variées. C’est plutôt celle que j’aurais aimé que tu choisisses, dira le
parent, mais c’est vrai que c’est beaucoup plus compliqué.
Cette façon de présenter les choses, plus responsabilisante, a des
chances d’aider l’enfant ou l’adolescent à réfléchir.
46

Les parents d’un enfant harcelé


doivent-ils aller voir
les harceleurs ?

Aller dans la cour de l’école maternelle faire la morale (ou peur) à


un enfant qui harcèlerait le sien peut vraisemblablement avoir un
impact, vu l’âge des protagonistes et donc du coupable. Il est toujours
impressionnant, à 4  ans, de se faire interpeller vivement par un
adulte et il est possible que ce soit suffisamment répulsif pour que
l’enfant cesse de voler ses jouets ou de prendre sa place au toboggan
à l’enfant ainsi maltraité. Cependant, ce moyen ne fonctionne pas
toujours, même à cet âge-là, parce que même très petits, certains
enfants perçoivent le message implicite véhiculé par cette
intervention parentale et qui est en substance : « Mon enfant est une
petite chose fragile incapable de se défendre ; c’est pour ça que je suis
là. Tu peux donc continuer sans problème à l’embêter dès que j’aurai
le dos tourné.  » C’est exactement l’opposé du message explicite qui
est  : «  Je t’interdis de continuer à maltraiter mon enfant.  » Or,
malheureusement, lorsque deux messages, l’un implicite, l’autre
explicite, sont en contradiction, c’est toujours le message implicite qui
prime. Même auprès des tout-petits.
En revanche, il est parfaitement clair qu’à partir du CE1-CE2,
cette intervention est totalement improductive, voire dangereuse,
parce qu’elle place l’enfant dans une situation de vulnérabilité
extrême devant non seulement son harceleur, mais même l’ensemble
de ses camarades. Elle provoque donc l’inverse de ce qu’elle devait
provoquer : une fragilisation accrue de l’enfant ainsi défendu.
Quant au fait de parler à des collégiens ou des lycéens, qu’ils
soient harceleurs (tu vas arrêter maintenant d’embêter mon fils ou
ma fille) ou témoins (tu pourrais quand même faire quelque chose
pour qu’on arrête d’embêter mon fils ou ma fille), relève pour moi,
même si je sais qu’évidemment l’intention est inverse, d’une
humiliation qui ne peut qu’aggraver considérablement la situation.
Lorsque nous posons cette question aux enfants, au cours de nos
conférences organisées auprès d’eux dès le CE1 –  «  À votre avis,
quand une maman dit aux enfants qui embêtent le sien d’arrêter, est-
ce que ça marche ? » –, leur réponse est immédiate et unanime : non.
47

Quelles sont les interventions


parentales improductives ?

Cette question est de mêmes nature que celle qui demanderait  :


« Que faut-il faire systématiquement quand son enfant est harcelé ? »
Il n’y a pas de réponse type, car il n’y a pas de solution miracle. Mais
on peut affirmer simplement qu’il est sans doute contre-productif de
persévérer dans une voie qui visiblement ne fonctionne pas.
Autrement dit, si des parents ont alerté le collège et si le collège, soit
par des interventions collectives, soit des sanctions individuelles, a
obtenu que la situation de harcèlement soit stoppée, alors, s’il se
produit un autre cas de harcèlement, il faudra faire la même réponse.
Si en alertant les parents des enfants harceleurs on a créé une
prise de conscience, une réparation et un non-renouvellement, alors,
si les faits se renouvellent ailleurs, il conviendra de ne pas changer
d’attitude. En revanche, si ces différentes actions, même après une
accalmie, n’ont pas enrayé définitivement le cercle vicieux du
harcèlement, alors sans doute faudra-t-il envisager une réponse très
différente, par exemple, aider son enfant à riposter de façon
stratégique en puisant dans ses propres ressources.
Quelle que soit la solution choisie et son impact immédiat sur les
faits de harcèlement, il conviendra cependant de bien se poser la
question, essentielle à mon sens, de l’apprentissage fait par son
enfant après la résolution. Soit il fait sienne la conviction pour les
années à venir que dans une situation similaire la solution vient de
l’extérieur, soit il fait une expérience émotionnelle qui lui fait prendre
conscience qu’il a les compétences pour sortir de situations
relationnelles dysfonctionnelles et génératrices de souffrance.
Et si les parents ont décidé de choisir la deuxième solution, c’est-
à-dire celle de l’outillage de leur enfant, et si ce dernier met en place
la stratégie conçue, l’attitude la pire consisterait à continuer de faire
des choses en parallèle à sa place, car cela reviendrait à annuler tous
ses efforts.
48

Comment un adulte peut-il


aggraver sans le vouloir
une situation de harcèlement
en primaire ?

La grand-mère de Lila est très en colère : sa petite-fille qui est en


CE2 s’est encore fait casser un stylo dans sa trousse et abîmer un
nouveau cahier. Au début, elle lui a expliqué qu’elle devait faire
attention à ses affaires. Si quelqu’un les lui prenait sans son accord,
elle devait absolument le dire au maître, qui est aussi le directeur.
C’est ce qu’a fait Lila. Le directeur a convoqué le garçon et la fille
qui cassaient les affaires de Lila, Théophile et Jeanne, et les a punis ;
ils devaient écrire dix fois pendant le week-end : « Je n’abîme pas les
affaires de mes camarades de classe. » Ils se sont arrêtés de harceler
Lila pendant un mois.
Mais voilà que les harcèlements recommencent et le problème,
c’est qu’on ne sait plus qui en est l’auteur. Lila retrouve sur son
bureau, plusieurs fois dans le mois, ses affaires abîmées. Elles sont
posées là, au milieu de son bureau, exprès pour la narguer. Parfois, il
ne se passe rien pendant plusieurs semaines, et puis tout
recommence. Lila trouve que ça ressemble un peu à un film d’horreur,
comme si un fantôme prenait ses affaires et les abîmait sans raison.
Elle a toujours un peu peur, lorsqu’elle arrive de la cour de récréation
ou de la cantine, de voir encore une de ses fournitures scolaires
détériorée. Et, quand ça se produit, elle ne peut pas s’empêcher de
pleurer, même si ça ne se produit plus si souvent.
La grand-mère de Lila en a parlé de nouveau au directeur parce
qu’elle voit bien que Lila n’est vraiment pas tranquille et pour elle,
comme l’a dit la ministre de l’Éducation nationale, l’école doit être
sanctuarisée. Il faut donc punir les coupables. « Ça ressemble quand
même à de la prédélinquance », a-t-elle dit, et un peu excédée : « J’ai
l’impression que ça ne vous dérange pas vraiment ? »
Le directeur a fait valoir qu’il avait déjà convoqué et puni trois
élèves, qu’il les avait revus pour leur demander si c’étaient eux qui
avaient recommencé. Ils ont assuré que non, et il les croit. Il ne va
quand même pas mettre des caméras dans la salle de classe pour
deux malheureux crayons qui ont été cassés en un mois.
Lila, qui a assisté à la conversation, est très ennuyée de voir que
deux personnes qu’elle aime beaucoup se disputent autant. Elle
espère que son maître l’aimera toujours bien.
La grand-mère de Lila est ulcérée qu’on ne prenne pas plus en
considération le problème de Lila  ; elle-même n’a aucun doute sur
l’identité des prédélinquants et décide de les intercepter en présence
de leurs parents à la sortie de l’école.
La rencontre se passe assez mal. Les parents nient toute
responsabilité de leurs enfants et s’indignent que la grand-mère de
Lila se soit crue autorisée à leur faire la morale d’une façon aussi
agressive. Ils vont se plaindre au directeur, qui leur explique qu’il ne
peut pas empêcher les gens de parler devant le portail de l’école. Les
parents de Jeanne et Théophile le trouvent quand même de parti pris
et insistent pour qu’il convoque la grand-mère de Lila. Il refuse,
sachant parfaitement que l’entretien se passerait très mal.
La situation se tend et devient collective, chacune des parties
allant demander leur soutien à tous les parents de la classe. Certains
interdisent à leurs enfants de continuer à jouer avec Lila (elle ferait
des histoires), qui se retrouve parfois un peu isolée dans la cour. Et
comme elle a peur que les détériorations continuent, elle est
autorisée à emporter ses affaires avec elle en récréation. Obligée de
les surveiller, elle ne joue plus avec personne.
Elle commence à demander à changer d’école et sa grand-mère ne
parle plus à personne quand elle vient la chercher.
Ici, l’attitude contre-productive (et pourtant fort compréhensible)
de la grand-mère a consisté à demander au maître d’intervenir pour
sanctionner et, constatant que ça ne marchait pas, à persévérer dans
cette voie, quitte à l’importuner, renforçant ainsi le statut
d’impuissance de Lila. Elle a également insisté pour que soient
sanctionnés les présumés coupables et pour parler à leurs parents,
transformant Lila en «  faiseuse d’histoires  », et renforçant son
isolement.
49

Comment un adulte peut-il


aggraver sans le vouloir
une situation de harcèlement
au collège ?

Lou est en 4e. Elle fait partie d’une bande de filles assez
populaires, dont l’une, Zoé, personnage central, est en quelque sorte
le centre de gravité de ce groupe. Quand Zoé va, tout va ; quand Zoé
ne va pas, tout le monde est sur les dents. Or, Zoé, depuis un mois
que Basile l’a quittée pour une autre, est parfois en proie à des crises
de tristesse assez abyssales, durant desquelles il lui arrive de se
scarifier. Lorsqu’elle le fait, chez elle ou dans les toilettes du collège,
Lou et ses amies s’en aperçoivent parce qu’elle a les yeux gonflés,
qu’elle n’enlève pas son blouson ou sa veste en cours et qu’elle reste
silencieuse. Toutes la pressent de renoncer à ça, notamment Lou, qui
ne supporte pas que Zoé se fasse du mal, car c’est vraiment son amie
de cœur.
Elle ne sait pas comment l’aider et, après avoir essayé des
centaines de fois, en vain, de la dissuader de se couper pour se sentir
moins mal, elle décide que les adultes sauront sûrement mieux ce
qu’il convient de faire. Elle se résout à en parler à la CPE du collège,
qui est très compréhensive et que les élèves aiment bien.
La CPE remercie Lou et convoque Zoé, lui dit qu’elle est au
courant de ses automutilations et qu’il faut absolument qu’elle arrête.
Zoé supplie la CPE de ne pas en parler à ses parents et la conseillère
lui répond qu’elle les convoquera juste pour leur dire qu’elle trouve
leur fille en souffrance et qu’elle a sûrement besoin d’un soutien
psychologique.
Lorsque Zoé sort de l’entretien, elle est dévastée. Ses parents
détestent être convoqués au collège et ils vont lui poser tout un tas de
questions auxquelles elle ne pourra pas répondre.
Elle se retourne vers Lou, en larmes, et devant tout le groupe, lui
lance : « Est-ce que je t’ai demandé quelque chose ? Pourquoi il faut
que t’ailles faire ta poukave à l’administration en te servant de ma
vie ? Tu voulais faire ta sauveuse ? Oublie-moi, Lou, vraiment, j’ai pas
besoin de ça en ce moment.  » Et, suivie par son cortège d’amies
ulcérées, elle lui tourne le dos. Lou est sidérée. Elle voulait aider son
amie et voilà qu’elle est (temporairement, espère-t-elle) exclue du
groupe de Zoé.
Le soir, en rentrant, elle découvre sur Snapchat toute une série de
commentaires horribles la concernant. Ça se termine par une phrase
de Zoé qui lui fend le cœur : « Et dire que tu comptais tellement pour
moi » – suivie d’un cœur brisé. Elle répond qu’elle est désolée, qu’elle
ne voulait pas lui faire du mal. Un torrent de commentaires haineux
se déverse sur elle, signés du reste de la bande. Elle explique la
situation à sa mère qui lui dit qu’elle a bien fait d’aller voir la CPE et
que, si ça ne se calme pas, il faudra aller la revoir pour qu’elle règle la
situation. Lou est sceptique, elle demande à sa mère de ne surtout
rien faire dans ce sens.
Elle attend quelques jours, espérant que la colère va passer, mais
elle est toujours exclue du groupe et se fait agonir d’injures tous les
soirs. Elle ne répond rien, mais ne peut pas s’empêcher de consulter
les messages. Elle se recroqueville, devient de plus en plus agressive à
la maison.
Un soir, en sortant de la douche, alors qu’elle a oublié de se
déconnecter de Facebook, elle se rend compte que sa mère s’est
introduite dans la conversation. Elle a écrit : « Je suis la mère de Lou.
Ça suffit, maintenant, bande de chipies. Vous savez très bien qu’elle a
fait ça pour le bien de Zoé, donc arrêtez de la harceler, sinon j’appelle
vos parents. Le harcèlement, c’est du pénal.  » Plus personne ne
répond. Lou est aux cent coups. Elle se demande comment les
conséquences vont se manifester.
Dès le lendemain, elle est bloquée sur tous les réseaux sociaux et,
dans la cour du collège, le groupe de Zoé, dès qu’elle la croise, lui
demande en ricanant des nouvelles de sa mère. Zoé ne la regarde
même plus. Lou est tellement fragilisée par tous ces événements
qu’elle n’a pas la force de nouer d’autres relations. Elle songe à
arrêter d’aller au collège.
Ici, l’attitude aggravante de la mère, qui pensait sincèrement
résoudre la situation, comme nombre de parents indignés de voir
comment leur enfant est traité par d’autres, a consisté à s’immiscer
dans le conflit, renforçant immédiatement la vulnérabilité de sa fille.
50

Est-ce qu’il y a des réactions


types de l’enfant harcelé ?

Nous avons identifié trois grandes façons de procéder chez les


enfants harcelés, même si, en affinant, on se rend compte
évidemment que chacun d’entre eux a ses spécificités. Elles sont
souvent vouées à l’échec et c’est donc vers une direction opposée qu’il
convient de guider les enfants.
Les enfants ne parviennent pas à s’éloigner d’un groupe dans
lequel ils voudraient tellement être intégrés. C’est une attitude
usuelle en primaire, mais qui peut se rencontrer aussi au collège,
notamment dans les groupes de filles. C’est le cas, assez fréquent, des
enfants nostalgiques d’une ancienne amitié et qui s’accrochent à
l’espoir que la relation amicale reprenne, avec une persévérance
teintée de désespoir qui n’est évidemment pas très séduisante. On
peut dire que, d’une certaine manière, ils acquiescent à tout et
supportent de vraies maltraitances dans l’espoir d’être un jour
acceptés. On pourrait synthétiser cette attitude par la formule  :
« Tout, sauf être exclu de ce groupe. » Ici, le groupe de harceleurs sait
par définition que l’enfant harcelé est prêt à n’importe quoi et il en
profite très largement.
Les enfants luttent mollement en disant «  arrête  » à leur(s)
agresseurs(s) quand l’agression survient, et font tout pour éviter le
contact, même visuel, avec les harceleurs. Ils tentent par tous les
moyens de se faire le plus petits possible  ; en primaire, certains
cherchent à se réfugier dans la classe, au collège et au lycée, ils se
replient au CDI ou à l’infirmerie pour éviter ces attaques qui les
terrorisent. D’autres finissent par ne même plus pouvoir se rendre
dans l’établissement, l’évitement engendre la peur, qui engendre
l’évitement, qui engendre encore plus de peur. On pourrait résumer
ce que dit cette catégorie d’enfant, en substance, à ses harceleurs  :
« Arrêtez, mais si vous continuez, il n’y aura aucune conséquence de
ma part. »
Le groupe de harceleurs perçoit la peur dans toutes ces attitudes
et acquiert la certitude qu’il ne prend aucun risque.
D’autres enfants explosent de façon très intense en perdant
totalement le contrôle  : crises de larmes spectaculaires, insultes
variées et hautes en couleur, gesticulations désordonnées, brutalités
démesurées. Cette perte de contrôle est précisément ce que recherche
le groupe qui harcèle, parce qu’il a la preuve irréfutable de sa
capacité à influer sur le comportement de quelqu’un. En gros, cette
attitude, parfaitement déconnectée de toute décision de la part de
l’enfant harcelé, consiste à dire : « Arrêtez, mais si vous continuez, ça
me rend complètement débile et ça va vous faire rire. » Le groupe de
harceleurs, très amusé par la perte de contrôle qu’il génère, prend
évidemment un malin plaisir à la réactiver encore et encore par ses
comportements moqueurs et agressifs.
51

Quelles questions doit-on d’abord


poser à l’enfant ?

Avant toute chose, il est absolument impératif de se faire une


vision claire et détaillée de la situation. C’est un exercice délicat parce
que souvent les enfants harcelés n’ont pas spécialement envie de
raconter des séquences dans lesquelles ils sont à la fois en souffrance
et démunis. Il faut donc leur présenter nos excuses avant de leur
refaire traverser ce cauchemar, en leur précisant que, pour les aider,
nous avons vraiment besoin de comprendre les faits, un peu comme
un détective privé qui mène son enquête. Si, à l’énoncé de ses
souffrances, l’enfant se met à pleurer, il faut évidemment accueillir sa
tristesse en lui disant à quel point nous comprenons sa douleur.
Il est à noter que, dans leur immense majorité, les enfants qui ont
accepté d’être aidés donnent avec une immense bonne volonté tous
les éléments nécessaires à la résolution de leur problème, dans la
mesure où ils ont accordé leur confiance.
Voici les questions auxquelles l’enfant harcelé doit pouvoir fournir
des réponses à l’adulte qui veut l’aider, faute de quoi la stratégie
risque d’être inadéquate, manquer de puissance ou de précision et
donc être contre-productive : Qui t’embête ? Quand ? Où ? Combien
de fois par semaine  ? Depuis quand  ? Y a-t-il un ou plusieurs
leaders ? Peux-tu me décrire très précisément les trois dernières fois
où c’est arrivé ? Comment ça a commencé ? Qu’est-ce que tu as fait ?
Comment l’autre a réagi ?
Un peu comme une séquence vidéo. Avec les jeunes enfants, le
dessin est parfois très efficace pour visualiser la situation.
Parfois, certains enfants ou adolescents se sont tellement retirés à
l’intérieur d’eux-mêmes qu’ils n’ont tout simplement pas de souvenirs,
ou que c’est beaucoup trop difficile pour eux de se remémorer les
scènes. Dans ce cas-là, il faudra leur demander d’observer pour nous
les prochaines situations difficiles afin que nous puissions en tirer
tous les éléments nécessaires à l’élaboration de la parade lors de la
séance suivante.
Depuis que c’est arrivé, qu’as-tu fait  ? Qu’ont fait les adultes de
l’établissement ? Ces questions permettent en effet d’éviter de répéter
ce qui visiblement n’a pas fonctionné et surtout d’élaborer ensemble
une stratégie à l’opposé de ce qui visiblement a aggravé la situation.
52

Comment les parents peuvent-ils


aider leur enfant à renverser
la situation ?

Une fois que l’on a parfaitement identifié le leader d’opinion, qu’il


convient de faire tomber de son piédestal, le parent peut s’atteler à la
tâche qui consiste à faire prendre un virage à 180  degrés à son
enfant.
Chaque virage est évidemment spécifique et personnel, et devra
prendre en compte les aptitudes de l’enfant à mener la riposte à
l’instant t, les caractéristiques du leader, les éléments de contexte
éventuellement contraignants.
Dans le cas no  1 (souhait de rester intégré dans le groupe), le
virage à 180  degrés consiste souvent à mettre l’enfant face à une
alternative en le laissant libre de choisir : soit tu continues à vouloir
être intégré dans ce groupe et, comme les enfants le sentent, ils te
tortureront à certains moments, mais tu resteras quand même un
élément du groupe, au moins quelque temps. Donc tu restes, mais tu
prends des coups de pied. Soit tu décides de ne plus en faire partie, et
il faudra ou que tu restes seul – ce qui est assez horrible – ou que tu
te fasses de nouveaux amis, qui seront sûrement moins populaires. Il
n’y a que toi qui peux choisir.
Si l’enfant choisit la première voie, il faut le respecter. Il est à
noter que dans la quasi-totalité des cas (98  %) 1, l’enfant choisit de
quitter le groupe, ce qui étonne infiniment les parents qui lui
conseillaient depuis longtemps de le faire. C’est qu’ici il a le choix, et
nous n’avons pas tenté de lui vendre une solution plutôt qu’une autre.
Nous l’avons simplement aidé à identifier clairement les risques et les
renoncements liés à chacune d’elles.
Dans le cas no 2 (évitement, absence de réaction au harcèlement),
il s’agit de faire dire à l’enfant  : «  Continue et contemple les
conséquences (de ma part). Conséquences que l’on élaborera de
façon qu’elles soulignent clairement le ridicule des actions du
harceleur.
Dans le cas no 3 (sur-réaction du harcelé), le virage à 180 degrés
consiste à remplacer la crise de perte de contrôle par une repartie
cinglante et extrêmement posée qui mettra le harceleur très mal à
l’aise, puisque sa télécommande à crises ne fonctionnera plus.
Dans tous les cas, il est impératif de s’assurer que la stratégie
proposée est bien exactement à l’inverse de ce qui a déjà été tenté
sans résultat.

1. Échantillon issu des consultations harcèlement de l’année 2016 des centres Chagrin
scolaire, Rhône-Alpes et Bourgogne.
53

Est-ce que le harcèlement peut


exister au sein de la fratrie ?

Le harcèlement peut se produire dans n’importe quel système


humain à partir du moment où celui-ci est constitué de deux
personnes (sans parler des mécanismes d’auto-harcèlement dont
certains souffrent parfois). Les relations fraternelles sont
régulièrement génératrices de souffrances. Et il nous arrive souvent
de recevoir des patients qui souffrent encore, de nombreuses années
plus tard, de cette relation à la fois intime et dysfonctionnelle.
Il est particulièrement douloureux pour les parents d’être
confrontés à cette situation puisqu’ils ont souvent la sensation
désagréable de prendre parti sans que ce choix soit efficace. Par
ailleurs, il peut arriver que la souffrance d’un enfant harcelé se
répercute au sein de la  fratrie, notamment s’il a des petits frères et
sœurs avec lesquels il pourra, à cause de ce qu’il subit, être parfois
beaucoup plus agressif, voire cruel, qu’avant.
Classiquement, ce sont plutôt les cadets et benjamins qui se font
harceler par leurs aînés, et parfois c’est l’inverse. Dans tous les cas, la
tentation est grande de la part des parents de s’immiscer dans le
conflit pour tenter de l’apaiser, la plupart du temps en demandant au
plus «  fort  » d’arrêter, renforçant ainsi fréquemment la cause racine
du harcèlement, à savoir que, dans l’esprit de l’aîné, le petit est le
chouchou de sa maman ou son papa.
Mais il est évidemment impossible de demander à des parents de
ne rien faire lorsqu’ils voient arriver l’un de leurs enfants en pleurs à
cause de la cruauté de son frère ou de sa sœur.
Ce harcèlement a parfois lieu à l’école et se prolonge à la maison,
ce qui, à l’instar d’ailleurs du cyber-harcèlement, le rend très
douloureux à vivre puisque aucun lieu n’est totalement exempt de
risques.
Nous avons un jour reçu Nora qui n’en pouvait plus de sa grande
sœur, Mina. « Elle est en CM2 et moi en CE2, mais nous sommes dans
la même cour. Et elle n’arrête pas de venir m’embêter. Enfin pas tout
le temps, mais, dès qu’elle s’ennuie ou qu’elle est toute seule, elle
rejoint mon groupe d’amies et elle leur fait croire que je dis des
choses méchantes sur elles à la maison. Elle leur parle à voix basse
dans l’oreille. Le pire, c’est qu’elle répète des choses que j’ai dites
vraiment à la maison parce que j’étais énervée, et ça crée des
problèmes. L’autre jour, elle a fait pleurer Ophélie en lui disant qu’elle
savait qu’elle avait volé de l’argent à sa grand-mère, parce qu’elle
m’avait entendue le raconter à maman. J’avais fait jurer à maman de
garder le secret. Ophélie m’a fait la tête pendant au moins deux jours
et les autres m’ont dit que ça ne se faisait pas de raconter les secrets
des autres. Quand je l’ai expliqué le soir à maman, Mina a rigolé en
disant que j’avais qu’à être moins commère et elle ne s’est même pas
fait punir, maman a répondu que ce n’était pas si grave. J’aimerais
vraiment ne pas avoir de sœur, la mienne est vraiment trop nulle. »
Dans les cas de harcèlement entre frères et sœurs, nous procédons
exactement de la même façon qu’entre camarades  : nous proposons
une stratégie différente à l’enfant harcelé et lui conseillons de ne pas
trop se plaindre à la maison pour ne pas alimenter le système. Ici,
nous avons proposé à Nora de dire devant toutes ses copines, lorsque
Mina arrive : « Tu n’as toujours pas d’amie dans ta classe, tu as besoin
des miennes ? Vas-y, je leur ai dit que tu pleurais tous les soirs dans ta
chambre, qu’il fallait qu’elles écoutent toutes tes bêtises pour que tu
te sentes moins mal. Je suis ta sœur, quand même, c’est normal que
j’aie pitié ! »
54

Que faire si le harcèlement
bloque mon enfant de tout lien
social ?

Dans une majorité de cas où les enfants nous sont amenés avec un
diagnostic de phobie scolaire, l’événement déclencheur est lié à une
situation de harcèlement. Que celle-ci perdure ou bien qu’elle ait
cessé, d’ailleurs. Elle peut même être simplement redoutée par des
enfants qui auraient été témoins de brutalités ou de mises à l’écart et
qui ont tout bonnement peur que cela leur arrive.
De nombreux élèves que les parents ont changés d’établissement
parce qu’ils ne pouvaient plus aller dans celui où s’était produit le
harcèlement, se retrouvent incapables de faire leur rentrée, ou bien
n’y restent que quelques heures, alors même qu’aucun des acteurs du
cauchemar précédent, qu’il soit réel ou imaginé, n’est présent.
C’est souvent très impressionnant pour les parents parce qu’on
sent un très douloureux combat dans la tête de l’enfant ou de
l’adolescent, entre sa panique qui lui hurle de ne pas y aller et à
laquelle son corps ne peut faire autrement que se soumettre, et une
voix raisonnable dans sa tête qui lui dit qu’il n’a aucune raison d’avoir
peur. Ce combat très violent crée des symptômes physiques assez
spectaculaires, comme des crises de tétanie, des paralysies, des
hoquets douloureux, des crises de larmes inconsolables.
La voix raisonnable ne dit souvent rien d’autre que les adultes qui
tentent d’aider l’enfant pendant et entre les  crises, renforçant, bien
évidemment sans le vouloir, cette lutte paralysante. Pourquoi ? Parce
que le fait même de nier sa peur en disant que tout va bien se passer,
alors que l’enfant a fait l’expérience émotionnelle terrifiante du
contraire, ne fait qu’amplifier cette émotion et le combat qui
l’alimente.
Lorsqu’ils viennent en consultation, ils sont donc très ambivalents,
à l’image de cette lutte interne  : ils ont envie de retourner en cours
parce qu’ils s’ennuient, parce qu’ils ont envie de revoir leurs copains
ou de s’en faire de nouveaux, et ils sont terrorisés à l’idée même d’en
prendre le chemin.
Nous devons donc observer une précaution essentielle qui consiste
à leur dire que nous n’avons pas pour objectif qu’ils retournent à
l’école ou au collège, parce que des solutions comme l’enseignement
à distance existent. Nous leur précisons que notre seul objectif est que
la peur soit moins envahissante. Dès que ce sera le cas, nous les
laisserons absolument libres de choisir de retourner en classe ou pas.
Le risque, si nous n’énonçons pas cela clairement, c’est que l’enfant
ou l’adolescent ait en quelque sorte peur de ne plus avoir peur, se
disant : si j’ai moins peur, j’irai. Or, j’ai trop peur d’y aller. Et que du
coup, il ne participe pas à la thérapie.
Une fois ce principe posé, nous travaillons avec lui à regarder en
face ce qui lui fait le plus peur pour qu’il s’y prépare mentalement,
afin que cesse le combat présenté plus haut ; nous l’encourageons en
réalité à mettre les messages émotionnels et cérébraux au diapason.
« Mon émotion, la peur, me dit que j’ai de très bonnes raisons de ne
pas y aller, je vais demander à mon cerveau de regarder ses raisons
en face  », apprend à se dire l’enfant. C’est un exercice très difficile
parce que, très souvent, il passe son temps à éviter de penser à ce qui
lui fait peur. Progressivement, on l’amène à imaginer ce qu’il pourrait
faire ou dire si la ou les situations les plus épouvantables qu’il puisse
envisager arrivaient, selon les mêmes modalités que lorsque la
situation de harcèlement est avérée et présente. C’est un chemin très
complexe que celui qui consiste à affronter ses peurs pour mieux les
apprivoiser, et il est souvent utile d’être aidé par un thérapeute
spécialisé.
PRÉVENTION ET SOLUTIONS
55

Pourquoi cela ne suffit


pas d’expliquer aux harceleurs
qu’ils font du mal aux autres
pour qu’ils arrêtent ?

Le schéma suivant explique bien pourquoi c’est un discours qui,


notamment au collège, est assez inaudible.
Le syndrome de popularité que nous évoquons plus tôt colore
pendant les quatre années du collège (et de plus en plus
fréquemment dès le CM1) toutes les actions et pensées des enfants.
Il s’agit d’une angoisse, bien plus forte qu’elle ne l’était pour les
générations précédentes parce que aujourd’hui (depuis une petite
dizaine d’années), le fait d’être solitaire, de préférer lire ou dessiner
plutôt que jouer avec les autres est très inquiétant pour les adultes.
Donc tout enfant qui ne semble pas sociable est considéré (à tort ou à
raison) comme souffrant d’un problème. Cette inquiétude presque
sociétale engendre un effet de résonance assez colossal chez les
enfants, qui du coup sont pris dans l’injonction paradoxale suivante :
« Tu dois être aimé de tes pairs et aimer interagir avec tes pairs. » S’ils
n’y parviennent pas (les invitations aux anniversaires constituant par
exemple un très bon indicateur pour les parents qui s’enquièrent
régulièrement auprès des enseignants du nombre de fêtes), ils se
sentent mal à l’aise. Ils vont donc tenter maladroitement de se faire
aimer en apportant des bonbons, des jouets, parfois de l’argent, bref,
en mendiant l’amitié, et ils provoquent un résultat inverse. D’une
façon générale, cette quête de popularité est devenue, dans les
générations actuelles d’écoliers et de collégiens, une priorité relevant
presque de la survie psychique. Elle devient moins prioritaire au
lycée, mais reste quand même assez prépondérante dans les
préoccupations des 15-18 ans.
Parallèlement, la compassion et le sens de l’empathie diminuent,
ce qui s’explique puisque ce n’est pas ce type de qualités qui est
valorisé à ce moment-là, auprès des gens dont l’estime leur est
essentielle  : leurs pairs. Au cours des années de lycée, avec les
premières amours, les premiers combats citoyens et/ou politiques, ces
valeurs de respect et de vivre ensemble redeviennent plus
importantes, mais au collège ce n’est absolument pas, dans leur
grande majorité, ce qu’ils privilégient.
En conséquence, un discours qui fait explicitement appel à ces
qualités morales tout en ne prenant pas en compte l’importance de la
quête de popularité dans leur quotidien est presque fatalement voué
à l’échec. C’est un discours d’adulte, qui parle à d’autres adultes. Il est
rempli de bonnes intentions. Il est juste. Il est moralement
irréprochable. Mais (donc ?) ils ne l’entendent pas ou très peu.
56

Un grand frère ou une grande


sœur peuvent-ils intervenir ?

Selon notre grille d’analyse des phénomènes de harcèlement,


notamment celle du syndrome de popularité, l’intervention d’un aîné
(non adulte, évidemment) peut se révéler efficace. Pourquoi ? Parce
que les codes de la cour de récréation sont assez clairs : les problèmes
d’enfants se règlent entre enfants sous peine de voir se dégrader la
situation de l’enfant vulnérable. Et pour les élèves de fin de primaire
et du collège, les enfants ou les adolescents plus âgés sont, par
essence, populaires. Par conséquent, le fait même de se faire rabrouer
ou moquer par un plus grand sur le sujet du harcèlement peut
constituer l’os interactionnel que nous appelons de nos vœux depuis
le début de cet ouvrage pour faire stopper une escalade
complémentaire entre deux enfants plus jeunes. Le lien de parenté
atténue un peu l’impact de l’intervention, mais elle sera toujours
infiniment plus efficace que celle de n’importe quel adulte  ; car,
rappelons-le, un adulte quel qu’il soit –  en dehors d’une célébrité  –
n’est jamais populaire dans une cour d’école, de collège ou de lycée.
De façon plus astucieuse, parvenir à faire intervenir l’ami(e) de
son grand frère ou de sa grande sœur sera sans doute encore plus
productif. Il nous est arrivé parfois, face à des situations de
harcèlement physique ou de racket, de demander à l’enfant malmené
s’il lui semblait possible d’échanger par exemple des réponses à des
devoirs à la maison (ou même à des devoirs surveillés) contre des
regards menaçants (ou des menaces explicites) émanant d’un costaud
de la classe ou de la cour. Car l’enfant ainsi défendu est
immédiatement, et c’est logique, crédité de compétences
relationnelles qui peuvent impressionner le harceleur. Nous avons
préconisé cette stratégie dans les cas où l’enfant harcelé ne voulait
absolument pas envisager la possibilité même d’une bagarre. Dans ce
genre de situations, notamment entre garçons, la peur de se battre est
un signal très clair que le harcèlement pourra prospérer en toute
impunité. Il est intéressant de constater que, dans les cas où nous
avons conseillé ce moyen, le costaud en question s’est exécuté sans
demander de contrepartie, ce qui a immédiatement engendré un petit
regain de confiance en soi en matière de sociabilité chez l’enfant
demandeur d’aide.
Néanmoins, cette stratégie, souvent fructueuse à court terme, l’est
beaucoup moins à moyen et long terme, puisque l’enfant ne va pas
exactement puiser dans ses propres ressources pour sortir de la
situation, mais dans celles d’un autre. Il ne fait pas d’apprentissage
très utile pour la suite de son existence  : il constate seulement qu’il
lui faudra, dans des circonstances similaires, un garde du corps
suffisamment impressionnant.
57

L’enfant doit-il parler et à qui ?

Il faut toujours examiner la réponse à cette question en pensant


aux risques inhérents que contient la parole. Nombre d’enfants savent
très bien en évaluer les conséquences possibles et préfèrent se taire.
Pourtant, les incitations à parler sont permanentes et proviennent
de toute part depuis un certain nombre d’années  : tous les clips qui
parlent de harcèlement en milieu scolaire depuis 2011 portent cet
unique message, et implicitement la promesse que, s’il en parle,
l’enfant harcelé sera protégé, sauvé, pris en charge, et donc que le
harcèlement s’arrêtera. C’est malheureusement faux et de nombreux
enfants en ont fait l’amère expérience  : le seul plan d’action
consistant à sermonner, puis à sanctionner, les harceleurs n’a souvent
que peu fonctionné.
C’est la raison pour laquelle il faut trouver le moyen de redonner
confiance à l’enfant dans l’aide qu’un adulte est capable de lui
apporter. Pour cela, il est indispensable de former des professionnels
transversaux suffisamment compétents pour proposer autre chose
que la sanction vis-à-vis des harceleurs, et capables notamment
d’outiller les enfants vulnérabilisés par le harcèlement pour que ces
derniers puissent en toute autonomie le faire stopper.
Les infirmières scolaires, les CPE, les psychologues et les médecins
scolaires sont des relais efficaces. Écouter la description de telles
situations de souffrance sans mettre en place une action efficace ne
sert pas à grand-chose. Non seulement le harcèlement et la douleur
qui y est associée perdurent, mais il se crée une sensation
d’impuissance pénible au sein des équipes éducatives qui, de plus et
de façon très injuste, se font accuser d’immobilisme et de négligence
par les parents.
C’est la raison pour laquelle les praticiens de l’École de Palo Alto
reçoivent toujours les parents en première séance. Il s’agit de
comprendre leur point de vue sur la situation et ce qu’ils ont déjà mis
en place pour enrayer le phénomène, avec ou sans résultats (le plus
souvent sans). Fréquemment, ils disent que leur enfant ne souhaite
plus parler à aucun adulte, d’abord parce que raconter ces faits une
nouvelle fois lui sera très douloureux, ensuite parce que, après s’être
confié à un adulte, l’enfant n’a constaté aucun changement. Parfois
même, le cas s’est aggravé. D’une certaine manière, l’enfant ne fait
plus confiance aux adultes pour l’aider à résoudre son problème.
Mais, lorsqu’on demande aux parents de présenter une façon
d’intervenir radicalement différente de ce qui a déjà été tenté, dans
l’immense majorité des cas, les enfants qui refusaient de venir en
consultation demandent à leurs parents de prendre rendez-vous.
Parce qu’ils ont compris qu’on allait leur donner les moyens d’avoir
un impact sur la situation. Les personnes les plus aptes à comprendre
et à aider un enfant harcelé, en dehors des personnes formées dans
cet objectif, sont les adolescents, que l’enfant peut trouver autour de
lui, dans sa famille par exemple.
58

Est-il vrai que les établissements


ne font rien pour régler
le problème ?

C’est en effet un procès qui est fait aux établissements en général


et aux enseignants en particulier par certains parents d’élèves –
 démarche souvent injuste parce qu’il s’agit plutôt d’impuissance que
de mauvaises volontés, comme le prouvent les échanges réguliers
avec de nombreux professionnels.
En toute bonne foi, parce que leur position semble en effet dictée
par le bon sens, des milliers de chefs d’établissement, CPE, assistants
d’éducation, enseignants, infirmières scolaires appliquent avec
rigueur ce que l’institution leur commande de faire, elle aussi en
toute bonne foi. Il s’agit, rappelons-le, de :
–  Accueillir l’élève victime pour recueillir les faits et l’assurer du
soutien de tous les adultes de l’établissement ;
–  Accueillir les témoins auprès desquels, s’ils ont encouragé le
harcèlement, une sensibilisation et un travail sur les compétences
psychosociales s’imposent ;
–  Accueillir l’élève auteur  : on lui rappelle les règles du vivre
ensemble, on lui demande de cesser en lui rappelant les
conséquences du harcèlement. Et enfin on lui propose de contribuer à
la résolution de la situation de violence. En fonction de la nature et
de la gravité du harcèlement, le chef d’établissement l’informe des
suites possibles en termes de mesures disciplinaires.
S’ensuivent les convocations des parents des enfants auteurs et
victimes, auxquels on tient sensiblement le même discours.
C’est, selon moi, la nature même de ce protocole qui prend le
risque de générer le maintien du harcèlement, en conséquence la
colère des parents et ensuite la culpabilisation des personnels. En
effet, il ne modifie en rien la structure même de la relation qui rend
possible le harcèlement puisqu’il ne propose pas concrètement à
l’enfant harcelé de pistes pour s’en sortir lui-même.
Cependant, depuis peu, il est indiqué comme nécessaire de
«  proposer à l’enfant [harcelé] de prendre part à la résolution de la
situation », ce qui est une innovation dans le principe d’action tout à
fait intéressante, même s’il n’est pas encore précisément indiqué
comment la concrétiser auprès de l’enfant. Si elles étaient formées à
la résolution des problèmes de harcèlement par l’outillage des élèves
harcelés en complément des actions de prévention, un grand nombre
d’équipes éducatives seraient absolument ravies de mettre en place
des modes de résolution différents.
59

Que peut-on faire quand


on est un élève et que l’on veut
aider un enfant harcelé ?

C’est une question qui revient souvent. En effet, les élèves savent
intuitivement ou par expérience que, s’ils s’interposent dans une
situation de harcèlement, ils prennent un risque personnel visant leur
propres relations. C’est la raison pour laquelle cela arrive si rarement.
En revanche, lorsqu’ils se rendent compte qu’il leur est possible
d’aider un ami ou un camarade à élaborer une stratégie de défense
que les harcelés mettront en œuvre eux-mêmes, cela leur semble
beaucoup moins difficile à envisager. Ils sont même enthousiastes à
l’idée de participer aux ateliers d’élaboration de stratégies de
résistance que nous organisons dans les établissements pour les
élèves volontaires, qui soit en ont besoin pour eux-mêmes, soit
voudraient en construire pour un(e) ami(e). C’est une bonne chose
car chez les adolescents, notamment, certains sont extrêmement
créatifs dans la recherche de flèches à la fois adéquates et modernes.
Elles n’en sont que plus puissantes. Rappelons cependant que certains
enfants et adolescents extrêmement populaires peuvent, en prenant
explicitement la défense d’un enfant harcelé, redorer suffisamment
son blason pour que le harcèlement cesse ou qu’il sorte de son
isolement. Et ce changement signifie aussitôt que l’enfant est de
nouveau crédité de compétences relationnelles.
J’ai un jour reçu Gaspard qui m’a raconté qu’en 6e il était le
souffre-douleur d’un groupe d’une dizaine de garçons de 4e, qui lui
faisaient notamment vivre de véritables cauchemars à la cantine en
lui mettant de l’eau dans son assiette, en lui piquant son dessert,
parfois en lui écrasant du fromage à tartiner dans les cheveux. Son
calvaire a duré deux très longues semaines, jusqu’à ce qu’une fille de
4e  s’approche du leader responsable de son calvaire et dise devant
toute la tablée  : «  Alors, c’est en terrorisant des 6e  que tu te sens
viril ? » Le groupe ne s’est plus jamais approché de sa table et, m’a-t-il
dit en rougissant, quand je croisais la fille, après, elle me faisait un
signe et un sourire. Ça a changé ma vie.
Cependant, une telle intervention n’est possible et productive que
de la part d’enfants spécifiques, que l’on pourrait qualifier de leaders
d’opinion. Les critères pour ce faire sont absolument dissemblables en
fonction du point de vue où on se place : enfant ou adulte.
60

Est-ce que ça n’est
pas culpabilisant de dire
à un enfant harcelé que c’est
à lui de changer ?

Nous sommes parfois interpellés dans la presse sur ce point par


des enfants anciennement harcelés ou par leurs parents, notamment
lorsque les séquelles du harcèlement subi ont été (ou sont encore)
dramatiques. Ils assimilent notre approche, ou en tout cas ses
principes fondateurs, à des phrases qu’on leur a assenées tandis que
la situation de harcèlement prospérait. Des phrases, comme : « Il ne
faut pas te laisser faire », « Ce sont des chamailleries, laissons-les se
débrouiller » ou même « Il faut changer de posture ». Ils savent à quel
point ces paroles ont été d’une certaine manière aggravantes. Par
ailleurs, c’est profondément blessant de s’entendre dire, lorsque les
conséquences ont été dramatiques, que l’on aurait pu faire
différemment.
Nous sommes absolument d’accord avec ce qui est dit par les
victimes et leurs familles à propos de ces phrases : elles sont à la fois
profondément culpabilisantes et complètement antiproductives si
elles ne sont pas suivies d’un plan d’action adapté, possible à mettre
en œuvre par l’enfant. C’est la raison pour laquelle dire simplement à
son enfant « Ne te laisse pas faire » est souvent totalement insuffisant
et parfois aggravant, l’enfant étant incapable de répondre
positivement à une telle injonction, soit parce qu’il a peur, soit parce
qu’il n’a pas la moindre idée de ce qu’il pourrait faire, paralysé par la
souffrance.
Cependant, ce que ces mêmes personnes appellent de leurs vœux
pour ne pas culpabiliser l’enfant harcelé, c’est la mise en place de
sanctions plus répulsives vis-à-vis des enfants harceleurs –  ce qui,
selon nous et selon les chiffres, non seulement ne fonctionne pas,
mais se révèle en plus terriblement déresponsabilisant.
Dire à l’enfant harcelé «  Tu n’as qu’à te défendre  », comme si
c’était évident et qu’il soit vraiment bête de ne pas y avoir pensé, sans
l’aider à mettre en place quelque chose de fondamentalement
différent, est profondément culpabilisant. Mais régler le problème à
sa place, en sanctionnant par exemple, ce qui, même si ce geste peut
(parfois) le soulager à court terme, revient à lui dire qu’il est
incompétent et ne l’aide pas à s’en sortir quand la situation vient à se
reproduire. Il semble plus efficace de lui dire : « On va leur montrer
que tu n’es pas une cible facile, et voilà comment », en construisant
une stratégie avec et pour lui, en l’entraînant, jusqu’à ce qu’il se sente
en confiance. Et l’on voit rarement autant de fierté dans leurs yeux
que quand les enfants reviennent en ayant décoché leur flèche et
qu’ils nous disent  : «  Ils ne m’embêtent plus.  » Alors, nous pouvons
leur répondre  : «  C’est grâce à toi.  » Parce qu’ils ont acquis la
compétence qui consiste à savoir se faire respecter.
61

Comment faire pour


que le harcèlement s’arrête ?

Tout dépend de ce que l’enfant harcelé a déjà mis en place pour


que le harcèlement s’arrête sans réussir, voire en aggravant la
situation. Nous l’avons vu 1, il y a fréquemment trois façons de faire
utilisées en vain  : «  Tout, sauf être exclu de ce groupe  », «  Arrêtez,
mais si vous continuez, il n’y aura aucune conséquence de ma part »,
« Arrêtez, mais si vous continuez, ça me rend complètement débile et
ça va vous faire rire ».
C’est donc en partant de l’attitude exactement et précisément
inverse que nous allons pouvoir élaborer une stratégie de défense.
L’idée est de proposer une expérience émotionnelle correctrice au
harceleur qui jusqu’à présent alimentait sa popularité grâce à sa
cruauté et qui soudainement va avoir le sentiment que cette même
cruauté pourrait devenir le chemin de sa perte de popularité. Chaque
stratégie doit être :
–  une réponse aux attaques les plus fréquemment faites par les
harceleurs ;
– lancée personnellement au(x) leader(s) du groupe ;
– un moyen de se servir de ce qui est dit pour acquiescer : « Oui,
je suis gros », « Oui, je suis moche », « Non, je n’ai pas d’amis », « Oui,
je suis un intello », « Oui, je suis mal habillé », etc., puis user d’une
riposte qui souligne le ridicule de l’attitude du harceleur.
Il est absolument impératif d’imaginer ce que pourrait répondre le
harceleur une fois la flèche lancée pour ne pas se trouver désarmé
par une repartie quelconque. L’adulte accompagnateur doit prévoir ce
qui pourrait être dit de pire, et trouver comment y répondre en
restant exactement dans le même mouvement que la flèche initiale ;
il est indispensable que l’enfant s’y entraîne avec un adulte de
confiance ou un ami qui jouera le rôle du harceleur, pour que la
réplique puisse fuser tout naturellement dès le lendemain.

1. Voir la question 50, «  Est-ce qu’il y a des réactions types de l’enfant harcelé  ?  »,
p. 136.
62

À quel moment faut-il consulter ?

Plusieurs situations peuvent amener le parent à consulter.


D’une façon générale, lorsque les solutions dites de «  bon sens  »
n’ont pas fonctionné (signalement aux parents des enfants concernés,
signalement à l’établissement, travail en vie de classe sur le sujet,
explications auprès des enfants harceleurs, sanction de ces derniers,
changement d’établissement).
Lorsque le parent ne se sent pas suffisamment fort
émotionnellement pour aider son enfant à élaborer une stratégie de
résistance adéquate. Dans la mesure où la stratégie de défense
s’enracine dans ce qui est assené à l’enfant harcelé et en proportion
de la puissance des attaques, il faut que l’adulte soit prêt à entendre
une réalité qui va lui être évidemment très dure. Il est clair qu’un
praticien non attaché affectivement à l’enfant sera moins entamé
qu’un parent. La tristesse, la colère ou l’anxiété suscitées par la
situation peuvent, lorsqu’elles sont débordantes (et elles ont toutes
les raisons de l’être), altérer l’efficacité de la recherche de stratégie.
Lorsqu’une ou plusieurs premières stratégies ont été élaborées en
famille et qu’elles n’ont pas fonctionné.
Lorsque le parent n’est pas certain de sa stratégie et veut la
valider auprès d’un praticien spécialisé.
Lorsque l’enfant, pour différentes raisons (et notamment parce
que le parent est déjà intervenu de façon improductive), est sceptique
sur sa capacité à l’aider de façon adéquate.
Lorsque l’enfant est toujours dans une situation de harcèlement
ou d’isolement, mais en a plus qu’assez de raconter son histoire à des
adultes qui finalement se révèlent impuissants.
Lorsque l’enfant n’est plus pris dans la situation de harcèlement,
mais continue à ressasser ce qui lui est arrivé, et de ce fait à souffrir.
Évidemment, dans tous les cas, lorsque l’enfant ou l’adolescent le
demande.
63

Quel est le pourcentage d’échecs


de la thérapie brève
et stratégique dans ce domaine
et comment l’expliquer ?

Dans notre échantillon, qui ne prend en compte que les enfants


qui ont demandé explicitement à venir consulter, nous constatons
environ 15 % d’échecs.
Soit la stratégie élaborée pour l’enfant ne lui était pas
suffisamment adaptée, il ne l’a donc pas mise en œuvre. Et il ne nous
fait plus confiance pour l’aider à sortir de la situation. C’est
évidemment un échec amer qui nous pousse à retravailler sur la
raison pour laquelle la « flèche » n’était pas adéquate, et pour ne pas
commettre les mêmes erreurs dans des cas futurs. Si la relation reste
bonne, nous proposons à l’enfant ou adolescent de voir une autre
personne de l’équipe. Parfois il accepte, parfois pas.
Soit nous n’avons pas anticipé de façon suffisamment précise et
surtout exhaustive les reparties que la nouvelle stratégie pourrait
engendrer. Une repartie cinglante du harceleur a fusé après la flèche
et l’enfant, mal préparé, n’a pas su y répondre, retombant ainsi
immédiatement dans une structure de relation complémentaire. Il
sortira de cette expérience avec des sentiments très contradictoires :
la fierté d’avoir pu dire quelque chose de différent, une immense
déception que cela n’ait pas bloqué son adversaire, la peur que le
harcèlement perdure, voire augmente. Cela signifie dans ce cas que
nous ne l’avons pas suffisamment entraîné. Nous envisagerons alors
avec lui une flèche différente et travaillerons de la manière la plus
complète possible sur tous les feed-back qu’elle pourrait générer et
sur une façon d’y répondre en s’attachant de toutes nos forces à la
nouvelle stratégie. Par exemple, imaginons Pierre qui se fait
bousculer sans arrêt par Jules et sa bande. Il baisse les yeux, évite de
les croiser physiquement, se laisse faire en attendant que ça passe,
leur dit mollement d’arrêter. Nous lui proposons de crier en les
voyant arriver  : «  Oh  ! Voilà mon fan club qui vient encore admirer
mon corps de mannequin.  » Jules s’approche et le bouscule. Pierre
pourrait dire alors  : «  Tu aimes vraiment me toucher, hein  ?  » Jules
pourrait à ce moment le traiter de pédé. Pierre pourrait dire : « Moi,
je sais pas, mais toi, c’est quasi sûr, vu ton obsession pour moi. » Jules
pourrait taper plus fort. Pierre pourrait répondre  : «  Ah  ! C’est
vraiment de l’amour vache. » Et lui envoyer un baiser. Donc s’en tenir
à sa nouvelle façon de réagir quoi qu’il advienne. Cet entraînement
présente l’avantage de rassurer l’enfant au moment où il lance sa
flèche, puisque les scénarios les plus horribles ont été pris en compte.
Soit les adultes (autres que nous) qui accompagnent l’enfant ont
continué à mettre en œuvre des actions allant à l’encontre de la
responsabilisation de l’enfant harcelé. Si en effet ce dernier a décidé
de se défendre et si dans le même temps les harceleurs sont
convoqués pour une séance de morale ou que leurs parents soient
sollicités par ceux de l’enfant harcelé pour s’entendre dire d’arrêter,
les deux effets risquent de s’annuler. Il est impératif dans ce cas-là de
faire en sorte que les parents et l’équipe éducative stoppent leurs
propres actions au moins pour un temps.
64

Pourquoi le fait de changer


d’établissement ne fonctionne
pas toujours ?

De nombreux parents sont à la fois très inquiets et, plus encore,


déprimés quand ils se rendent compte que le changement
d’établissement n’a pas modifié les interactions de leur enfant avec
les autres et que le harcèlement, sous une forme ou sous une autre,
perdure. C’est malheureusement extrêmement logique.
Si l’on part du principe que la vulnérabilité attire l’attention
d’enfants ou d’adolescents en quête de popularité, qui de plus
vulnérable qu’un enfant anciennement harcelé, arrivant dans un
nouvel établissement où, par définition, il ne connaît pas grand
monde  ? C’est, a priori, une cible idéale, notamment si dans
l’établissement précédent, il n’a rien appris d’autre que parler aux
adultes ne résout rien puisque, au bout du compte, il faut fuir. La
sensation d’impuissance de l’enfant et de ses parents est alors
évidemment décuplée.
Une anecdote rapportée par le réalisateur Québécois Yan England
est absolument édifiante en ce sens  : plusieurs semaines après le
tournage de son film 1  : 54 sur le harcèlement, qui avait comme
décor un établissement scolaire en activité, il a appris que les deux
acteurs qui jouaient le rôle des harceleurs avaient été considérés par
les élèves du collège comme des stars qu’il fallait inviter aux soirées,
avec lesquels il fallait être vu. Mais personne n’a parlé à l’adolescent
qui jouait le rôle du harcelé, il a même subi des bousculades, le jet
agressif d’une bouteille d’eau et des sarcasmes. C’est dire à quel point
ce syndrome de popularité est ancré dans les esprits.
DU CÔTÉ DES ENFANTS
65

Pourquoi se recroqueviller
aggrave-t-il la situation ?

Du point de vue des praticiens de l’École de Palo Alto, certaines


réponses des enfants harcelés ou mis à l’écart aggravent la situation :
ce sont celles qui augmentent l’escalade complémentaire, déjà
présente au début du processus. Elles renforcent l’enfant ou les
enfants harceleurs dans leur sentiment de toute-puissance, et de
façon complémentaire affaiblissent derechef l’enfant harcelé.
Or, dans le cas des enfants se contentant de dire mollement aux
harceleurs d’arrêter quand le harcèlement se déclenche, mais qui,
d’une façon générale, se recroquevillent, évitent le regard, le contact,
fuient la relation, bref, subissent à l’instant t, tout en évitant le reste
du temps la confrontation, cette attitude envoie un message
implicite  : «  Arrête, mais si tu continues, il n’y aura pas de
conséquence de ma part, je ne suis pas de taille à t’affronter  », qui
renforce la puissance du harceleur et lui donne en quelque sorte une
garantie qu’il peut continuer sans risque. Dans le même temps, cet
évitement, cette non-confrontation, transmettent à l’enfant harcelé
lui-même un message d’autodépréciation. Qui le rend évidemment
encore plus vulnérable  : se sentant nul, il se recroqueville encore
plus.
Il en va de même pour les appels à l’aide envoyés vers l’adulte,
qui, lorsque celui-ci intervient comme un garde du corps (soit auprès
des harceleurs eux-mêmes, soit auprès de leurs parents), indiquent
très clairement dans quel état de faiblesse se trouve l’enfant harcelé.
Notre observation sur le terme de «  victime  », devenue depuis peu
l’insulte suprême dans les cours du collège, montre à quel point cette
attitude est contre-productive, de même que cette forme verbale
étrange utilisé par certains : « En même temps, il fait tout pour être
victimisé. »
66

Pourquoi essayer de raisonner


le harceleur ou s’énerver contre
lui ne fonctionne pas ?

Quand des enfants réagissent de façon disproportionnée par


rapport à l’intensité de l’attaque ponctuelle (la réaction est selon nous
proportionnelle aux souffrances qu’ils endurent quotidiennement),
c’est une autre forme d’escalade complémentaire.
Cette perte de contrôle émotionnelle renvoie en effet l’enfant
harcelé à son côté enfantin, impulsif, sans maîtrise des codes sociaux
et donc, par définition, plus faible que les autres sur ces aspects-là. Il
se donne en spectacle sans se maîtriser alors même que la maîtrise de
soi et des codes adolescents est indispensable à toute survie dans le
groupe.
Par ailleurs, ce constat immédiat de l’impact immense engendré
par l’attitude harcelante chez l’enfant à qui elle fait perdre le contrôle
suscite un sentiment de puissance en plus de la drôlerie (pour les
spectateurs) de la situation. L’enfant harcelé se sent encore plus faible
et inadéquat après une «  crise  » de ce type, il a souvent honte. Le
harceleur en ressort, lui, encore plus conscient de sa propre
puissance.
Dans le cas des enfants qui cherchent à tout prix à s’intégrer en
forçant un peu le passage, par exemple en demandant aux harceleurs
de façon tout à fait sincère pourquoi ils sont si méchants, ou en les
collant physiquement, comme s’ils mendiaient une relation, c’est leur
inquiétude qui alimente l’escalade. Cette appréhension de la solitude
suscite chez les enfants qui rejettent les demandeurs l’envie même de
le faire. Parce qu’ils sauront qu’ils ne prennent aucun risque en les
rejetant, car leur envie de faire partie du groupe est évidente. Cette
« mendicité » relationnelle aggrave donc, selon nous, le cercle vicieux
de l’isolement.
67

Que peut-on faire lorsqu’un


enfant est harcelé
par un instituteur ?

Avant de répondre à cette question, il est très important de noter


que selon l’enquête de l’Unicef 1 de 2011, 96  % des écoliers
entretiennent de bonnes relations avec leurs enseignants. C’est
néanmoins une situation qui peut se produire et qui est souvent
complexe à dénouer parce que, principalement à l’école élémentaire,
plusieurs interactions sont à l’œuvre, notamment entre les adultes  ;
parfois, sans que personne y puisse rien de façon consciente, les
conflits parents/enseignants ont également des répercussions sur la
qualité de la relation entre l’enfant et son maître ou sa maîtresse.
J’ai reçu à plusieurs reprises des instituteurs fortement mis en
cause par des parents d’élèves alors qu’ils avaient la certitude d’avoir
fait tout ce qu’ils pouvaient pour aider l’enfant en question.
Précisément, d’ailleurs, dans des cas de harcèlement : le fait que les
appels à la raison, à l’empathie, et les sanctions n’aient rien donné
prouvait en effet aux parents de l’enfant harcelé que l’instituteur était
«  du côté des coupables  », donc des harceleurs. L’accusation est
parfois posée de façon agressive et le sentiment d’injustice qui en
découle est difficile à supporter par le professionnel. C’est compliqué,
dans ce cas, d’avoir une relation apaisée et positive avec l’enfant en
question, qui, soit par loyauté parentale, soit par conviction, interagit
évidemment d’une façon différente avec son enseignant. Très
souvent, ce genre de situation ressemble au bout d’un moment à une
escalade symétrique pour savoir laquelle des deux parties a raison, et
je conseille à celle qui souffre le plus de cette escalade de la stopper
en prenant une position très basse, en re-légitimant l’autre dans ses
émotions et en présentant ses excuses pour l’avoir éventuellement
blessée sans le vouloir.
Mais j’ai reçu également des parents inquiets, parce que sollicités
de façon récurrente et accusatrice par des enseignants qui ne
supportaient plus leur enfant et le leur faisaient savoir  : ils leur
annonçaient que leur enfant était soit méchant, soit qu’il relevait de
la psychiatrie (certains allant même jusqu’à poser des diagnostics de
troubles de l’attention ou autistiques hâtifs et illégitimes), soit qu’il
était particulièrement mal élevé. Dans tous les cas, les parents
désemparés avaient vraiment l’impression que, quoi qu’ils fassent,
leurs enfants seraient inadéquats. Souvent, les comportements relatés
par les enfants et leurs parents semblaient relever du harcèlement en
raison de la répétition des reproches faits à l’enfant et aux parents. En
fonction du contexte, plusieurs solutions sont possibles.
Si l’enfant souffre et s’il ne l’a pas encore dit lui-même à
l’enseignant, il peut lui en parler ou l’écrire. En expliquant qu’il a
compris que c’était pour son bien, mais que ça l’empêche de réfléchir
ou de se comporter convenablement. Très souvent, il est utile de
stopper les entretiens informels de sortie d’école qui alimentent
inquiétude et colère de part et d’autre. Ce simple arrêt peut vraiment
apaiser la situation relationnelle.
Parfois, il est nécessaire stratégiquement de devoir remercier
l’instituteur en lui indiquant que des séances avec des psychologues
spécialistes du trouble pertinemment diagnostiqué par lui ont été
mises en place, et qu’on lui fera part des résultats. Parce que, souvent,
l’alimentation du cercle vicieux qui engendre les relations
dysfonctionnelles est ce que les enseignants nomment le « déni » des
parents. Dès lors que leur vision du problème est accueillie, le combat
pour convaincre les parents qu’il faut faire quelque chose (et qui
prend souvent la forme d’une observation systématiquement négative
de l’enfant) peut s’arrêter, faute de combattants.

1. Rapport de la recherche réalisée pour l’Unicef France, mars  2011. Enquête réalisée
avec le soutien technique du ministère de l’Éducation nationale, de la Jeunesse et de la
Vie associative, Depp.
68

Que peut-on faire lorsqu’un


collégien est harcelé
par un enseignant ?

Là encore, seuls 14 % des collégiens estiment avoir une mauvaise


relation avec leurs enseignants 1. Il ne s’agit donc que de cas
exceptionnels. Le fait que 14 % des élèves ne s’entendent pas avec les
enseignants en général ne signifie évidemment pas que 14 % de ces
derniers sont harcelés, c’est plutôt le symptôme d’une relation où la
rébellion entre plus en ligne de compte qu’à l’école primaire.
Il peut néanmoins arriver que la relation entre un professeur et un
élève soit tellement dysfonctionnelle qu’elle puisse être assimilée à du
harcèlement. Honnêtement, je n’ai jamais reçu de collégien sur ce
sujet ; ceux que j’ai reçus parlaient plutôt d’indifférence hostile, avec
le sentiment que ce renoncement à leur égard était très dommageable
pour leur confiance en eux, tout en admettant qu’ils ne faisaient eux-
mêmes pas grand-chose pour que cette relation s’améliore. Dans le
cas où, de façon répétée et humiliante, un enseignant s’en prendrait à
un élève, il serait intéressant de noter comment l’élève cherche à
apaiser la situation pour déterminer s’il s’agit d’une escalade
symétrique ou complémentaire.
Dans le premier cas, le collégien ne se laisserait pas faire et
chaque altercation serait un moyen pour chaque partie de faire
tomber l’autre en public. Il ne s’agirait pas là de harcèlement, dans la
mesure où chacun, avec ses armes (l’un avec l’autorité et la discipline,
l’autre avec la capacité à prendre le pouvoir sur la classe), tenterait
de gagner vis-à-vis de l’autre.
Dans le deuxième cas, le collégien serait de plus en plus
recroquevillé devant les éventuelles moqueries ou remarques
dévalorisantes de l’enseignant  ; et, donc, bien incapable de se
défendre. Il serait alors utile de lui trouver une stratégie de défense
explicite dont on aurait au préalable imaginé les conséquences
académiques et disciplinaires, pour que l’enseignant se trouve dans
une situation inconfortable, exactement comme on le ferait pour un
camarade harceleur.

1. Source : MENJVA, Depp – Enquête nationale de victimation en milieu scolaire, 2011.


Champ : élèves de collèges publics de France métropolitaine.
69

Que faire quand on souffre


encore après avoir été harcelé
et que ça s’est arrêté ?

Lorsque l’enfant n’est pas parvenu à enrayer le cercle vicieux du


harcèlement par ses propres moyens, il risque d’être victime de
souffrances que l’on peut qualifier de rétrospectives. Elles s’expriment
de deux façons :
–  Il ressasse les événements traumatisants qui ont eu lieu et se
sent à la fois profondément triste et parfois honteux de ne pas avoir
réussi à faire ou à dire quelque chose pour changer la situation. Ces
ressassements ont souvent lieu le soir, au moment de s’endormir, et
peuvent avoir un impact néfaste sur le sommeil et sur l’estime qu’il a
de lui, puisque une fois par jour il se reproche de ne pas avoir été
assez courageux ou assez intelligent pour que le harcèlement cesse.
– Il a peur qu’une situation similaire se produise et se trouve donc
mal à l’aise, voire paniqué, dans de nombreuses situations
relationnelles en milieu scolaire. Ce qui évidemment crée une
vulnérabilité qui peut attirer de nouveau certains enfants en quête de
pouvoir ou de popularité, et qui trouveront là une proie plus facile
que les autres. Il est essentiel de l’aider.
C’est ce problème qui amène Valentin chez nous. Il est en 4e et a
été victime de harcèlement en CM2 par un groupe de filles qui le
bloquaient dans un coin et le forçaient à les embrasser. S’il refusait,
elles lui donnaient des claques et il en ressent encore la honte et la
douleur cuisante au moment où, trois ans plus tard, il nous raconte
son histoire.
« J’y pense tous les soirs et je me trouve nul, je me dis : mais tu
étais vraiment pas courageux, comment tu as pu laisser faire ça ?
– Sans doute parce qu’elles étaient quatre, hasardons-nous.
–  Oui, mais même. J’étais nettement plus costaud qu’elles et, je
me souviens, je ne bougeais même pas lorsqu’elles venaient me
chercher pour me bloquer. Je les laissais faire, je n’arrivais pas à faire
autrement, c’était n’importe quoi.
– Tu t’en veux ?
– Oui.
–  Donc, assez logiquement, tu t’engueules tous les soirs  ? Parce
que tu trouves peut-être que ça n’a pas été assez dur comme ça, mon
grand ? Tu es pour la double peine en ce qui te concerne, alors ? Moi,
je me dis que, si tu voyais le petit Valentin de 10 ans, là, en face de
toi, qui te raconte l’histoire des quatre sorcières, tu aurais envie de lui
donner des claques supplémentaires ou bien tu aurais plutôt envie de
le prendre dans tes bras en lui disant qu’il a fait ce qu’il a pu à ce
moment-là ?
– La deuxième, dit Valentin en pleurant.
–  Alors, on va faire ça, dorénavant, le soir. Tu vas repenser
volontairement à ces moments horribles que tu as vécus, parce que,
pour l’instant, tu ne peux pas faire autrement ; et, au lieu de te faire
des reproches, tu vas laisser les larmes couler en te disant que tu as
raison d’être triste. Sinon, est-ce que ça te pose problème au
quotidien ?
– Oui, parce qu’une des filles est dans mon collège et parfois elle
me fixe avec un petit sourire et j’ai super peur qu’elle raconte ce qui
s’est passé.
– Et tu fais quoi ?
– Je baisse les yeux et je m’en vais.
–  Que se passerait-il, à ton avis, si tu ne baissais pas les yeux et
que tu lui envoies un baiser en souriant ? »
Valentin se détend. Puis se renfrogne au bout de quelques
secondes.
« Oh là là ! Non, elle pourrait tout raconter pour se venger.
– Et toi, tu pourrais dire qu’elle a toujours été folle de toi et que ça
la rendait violente, même petite. »
Valentin a accueilli tous les soirs sa tristesse qui s’est apaisée au
bout d’une semaine. Il s’est contenté de regarder son ancienne
harceleuse en souriant lorsqu’elle l’a de nouveau fixé. C’est elle qui a
détourné les yeux.
70

Comment aider Marguerite,


5 ans,
qui sollicite sa maîtresse
au moindre petit souci ?

Marguerite inquiète beaucoup sa maîtresse. Celle-ci a convoqué


ses parents pour leur dire que leur petite fille vient très souvent se
plaindre des autres. «  Ce qui est inquiétant, c’est qu’il n’y a pas
d’enfant en particulier qui l’embête, elle a des problèmes avec tous.
Elle pleure et boude beaucoup, et la situation a tendance à empirer
ces dernières semaines. Elle s’isole de plus en plus et je ne sais plus
trop quoi faire. » Lorsque les parents demandent des exemples précis,
voici ce que leur dit l’enseignante : « Mardi, elle est venue me voir en
pleurant parce que Auguste lui avait pris le tricycle pendant la
récréation. J’ai donc expliqué à Auguste que c’était chacun son tour.
Marguerite a repris le tricycle  ; trois minutes plus tard, elle est
revenue en pleurs me dire que c’était Justin qui lui avait pris le
tricycle, cette fois. J’ai dit à Justin la même chose qu’à Auguste. Je ne
vous cache pas que j’avais l’impression de résoudre le problème à
court terme, mais pas du tout sur le fond. Je suis repartie vers mes
collègues en espérant qu’il n’y aurait pas une troisième plainte. Il n’y
en a pas eu.
«  Jeudi, c’est une autre petite fille, Souad, qui l’a bousculée.
Marguerite est venue en hurlant, j’ai vraiment cru qu’elle s’était fait
très mal, mais elle n’avait rien du tout, c’est juste qu’elle était vexée.
J’ai grondé Souad en lui disant qu’elle n’avait pas à bousculer
Marguerite. Souad est repartie jouer après avoir un peu pleuré, mais
ensuite votre fille est restée près de moi tout le temps, refusant d’aller
jouer avec les autres malgré mes propositions répétées. Et vendredi,
c’est Julia qui est passée devant elle au toboggan. Elle est venue me
dire en sanglotant que tout le monde était méchant avec elle. Je l’ai
raccompagnée vers l’aire de jeux, j’ai demandé à Julia de faire ses
excuses et, là, elle est repartie jouer.
– J’ai l’impression que la maîtresse fait ce qu’il faut, non ? Ou bien
devrait-elle réprimander plus sévèrement les enfants brutaux, je ne
sais pas ? me demande cette maman très désemparée.
–  Je comprends que vous vous posiez la question puisque les
solutions mises en place semblent avoir l’effet inverse de celui
escompté. On peut donc logiquement se poser la question de savoir si
les mesures prises ont été assez fortes. Ou bien, au contraire, si ce
sont précisément ces mesures qui aggravent la situation.
–  C’est-à-dire  ? me demande le papa de Marguerite, un peu
interloqué.
– C’est-à-dire que, comme cette maîtresse très sympathique se met
entre Marguerite et son monde dès que cette dernière le lui demande,
votre fille perd de plus en plus confiance en elle au niveau
relationnel. Elle ne sait plus rien faire sans utiliser la maîtresse
comme garde du corps. Celle-ci a très bien analysé qu’elle résout le
problème à court terme, mais l’aggrave à long terme. Comme je
pense qu’elle l’a bien compris, vous allez la remercier infiniment de
tout ce qu’elle fait pour Marguerite, puis lui réexpliquer ce qui est en
train de se passer. En utilisant par exemple la métaphore du papillon
qui sort de son cocon et dont un passant très bien intentionné,
n’écoutant que son bon cœur, l’extirpe délicatement pour l’aider. Il ne
sait pas, le malheureux, que le papillon, privé de l’effort nécessaire
qu’il doit faire pour déployer ses ailes, ne pourra jamais voler.
« Vous lui direz ensuite que vous allez tenter d’aider votre fille à
ne plus se laisser faire et que ce serait bien qu’elle vous seconde dans
ce difficile apprentissage en disant dorénavant à Marguerite que,
chaque fois que quelqu’un tente de l’intimider, elle doit le regarder
dans les yeux, serrer les dents et dire assez fort : “Tu arrêtes ça, je ne
suis pas d’accord.” Ce serait bien que la maîtresse n’intervienne plus
tant que Marguerite n’a pas fait ça. »
Les parents de Marguerite l’ont beaucoup entraînée pendant le
week-end. Dorénavant, elle utilise également la phrase lorsqu’elle
n’est pas d’accord avec ses parents. Il n’y a pas d’amélioration sans
inconvénient.
71

Comment se défendre face


à un CM2 quand on est un petit
CE2 ?

Marius a 8 ans, il est en CE2 et il adore le foot. Il a une bande de


copains dans sa classe, mais il est très fréquemment embêté par un
grand CM2, Edgard, qui est très costaud et qui adore faire des croche-
pattes pendant les matchs de foot. À tous les enfants de CE2 jouant
au football et surtout à Marius, qui est (selon ses propres dires) le
moins costaud des CE2 et peut-être même des CE1. Edgard a une
technique très particulière  : il se place derrière Marius sans que ce
dernier l’entende s’approcher, le prend sous les aisselles et par un jeu
de jambes assez complexe, le faire tomber rudement sur le sol de la
cour de récréation où se déroulent les matchs. Marius indique qu’il
est victime de ces chutes approximativement trois fois par interclasse,
soit plus de dix fois par jour et qu’il en a vraiment assez mais qu’il ne
voit pas bien comment faire pour qu’Edgard arrête. Il n’a pas envie
non plus de renoncer au foot, sa grande passion, pour éviter cette
violence renouvelée. Lorsqu’il lui est demandé ce qu’il fait ou dit au
moment où il se retrouve par terre, il répond qu’il ne fait ni ne dit
rien. Qu’il se relève et qu’il continue à jouer comme si de rien n’était.
Tout en sachant que son calvaire va recommencer quelques minutes
ou quelques heures plus tard. Marius explique qu’il n’en a pas parlé à
la maîtresse parce qu’il a peur qu’Edgard lui fasse encore plus mal. Il
n’en a pas parlé à ses parents parce que, pense-t-il, ils vont
immédiatement en informer la maîtresse. Il espère simplement
qu’Edgard ne redoublera pas son CM2 (il a été ravi d’apprendre que
le législateur l’interdisait dorénavant) et que, lorsque Marius sera
assez grand pour aller au collège, son bourreau aura changé de passe-
temps ou de cible. Mais, malgré le foot, les récréations sont bien
longues pour le jeune Marius et il nous demande si nous n’aurions
pas l’une ou l’autre stratégie possible à lui proposer pour dissuader le
« croche-patteur » de se comporter ainsi avec lui. On lui conseilla de
modifier son attitude de la façon suivante  : une fois ses amis
footballeurs de CE2 informés au préalable, il devait, au moment où
Edgard le faisait tomber, rester quelques secondes à terre, le temps de
chanter assez fort, selon un rythme scandé sur le mode du rap  :
« Edgard le courageux, qui s’attaque aux CE2 ! » Puis, en tapant dans
ses mains, inviter ses amis à reprendre avec lui le refrain terrassant.
Ainsi fut fait. Edgard rougit devant la dizaine d’enfants qui
reprenaient la comptine à leur compte et il ne joua pas au foot ce
jour-là. Et ne s’attaqua plus à Marius.
72

Comment combattre une mise


à l’écart hostile en primaire ?

Paul a eu un cancer. Il est resté longtemps à l’hôpital et, quand il


rentre dans sa classe de CM1, il a peur que ses amis ne le
reconnaissent pas parce que, même si ses cheveux ont un peu
repoussé, ils ne sont plus du tout comme avant et, par endroits, il a
des plaques. Et puis il a un peu grossi à cause du traitement. « Et s’ils
ne voulaient plus jouer avec moi  ?  » demande-t-il. Ses parents le
rassurent : ça va bien se passer, on va expliquer à tous ses camarades
ce qui lui est arrivé. Sa maman va donc voir la maîtresse avant son
retour en classe pour qu’elle puisse l’accompagner au mieux. Le jour
de la reprise de Paul, la maîtresse explique aux enfants qu’il a eu une
grave maladie, qu’il est guéri mais encore fragile, et qu’elle attend de
tout le monde un magnifique accueil à leur camarade. Ainsi fut fait,
notamment par les filles de la classe qui, le premier et le deuxième
jour, s’empressent autour de lui, lui proposant toutes sortes d’aides et
de soutiens.
Quelques jours plus tard, Émilie, qui est très populaire, lance un
jeu en vogue dans les écoles élémentaires, fréquemment appelé « jeu
de la contamination  ». Il consiste à s’écarter d’un enfant dès qu’il
s’approche comme s’il était contagieux, à mimer un jet de spray sur
chacune des surfaces qu’il touche pour signifier qu’elles doivent être
désinfectées, à jouer à l’agonisant dès que l’enfant ciblé arrive.
Souvent, l’enfant sélectionné comme victime de cette déplaisante
cérémonie l’est en raison de son absence de popularité. Ce jeu
constitue, selon nous, une métaphore précise de cet état de fait et de
ses conséquences : personne ne s’approche d’un enfant isolé, par peur
d’être contaminé par sa non-popularité.
Ici, c’est la maladie de Paul qui est visée, comme si son cancer
pouvait être contagieux et, sans doute aussi, sa forte angoisse à l’idée
d’être isolé qui le rend infiniment vulnérable. Paul en parle à ses
parents le soir. Ils sont légitimement ulcérés et demandent à la
maîtresse d’intervenir de façon musclée pour faire cesser ce jeu
stupide et cruel.
La maîtresse prend une heure le lendemain pour expliquer à toute
la classe  : le cancer n’est pas une maladie contagieuse  ; ce jeu est
horrible et il faut absolument arrêter, sinon, des punitions tomberont.
Le jeu cesse pendant une semaine. Et se remet en place
subrepticement  : personne ne joue avec lui et, dans le dos de la
maîtresse, des jets de spray désinfectant sont mimés dès qu’il touche
un objet. Paul en reparle à sa maîtresse et la décision est prise
d’organiser une réunion avec les parents de toute la classe pour qu’ils
puissent en parler à la maison à chacun des enfants.
Malheureusement, rien ne change et, dès qu’elle le peut, Émilie – qui
n’a pas été dénoncée par Paul («  Je ne suis pas une balance, me
confie-t-il, j’ai toujours dit que c’était tout le monde parce que c’est
vrai. Même si c’est elle qui lance le jeu, tout le monde la suit  »)  –
déclenche régulièrement dans des coins discrets le jeu de la
contamination. Paul cesse donc d’en parler aux adultes –  qui voient
pourtant qu’il n’est pas intégré dans la classe et se sentent à la fois en
colère et tristement impuissants.
Lorsque je lui demande ce qu’il fait lorsque le jeu commence, Paul
me dit qu’il s’écarte. Parfois, les autres enfants le suivent, parfois pas.
Je lui annonce que je vais lui proposer une stratégie, sans doute très
difficile à suivre, mais, s’il continue à ne rien faire, les autres n’auront
aucune raison d’arrêter. « La prochaine fois qu’Émilie lance le jeu, tu
t’approches d’elle très rapidement, tu lèches ta main et tu lui touches
la joue avec ta paume en disant : “T’es morte.”
– Ouh là là ! Mais si elle me dénonce à la maîtresse ?
– Je propose que tu dises à ta maîtresse que tout ce qu’on a essayé
jusqu’à présent n’a pas fonctionné et que tu as envie d’essayer autre
chose de ton côté. Puis tu lui expliques la stratégie. »
Émilie la populaire, totalement décontenancée par l’attitude de
Paul, est en effet allée se plaindre à la maîtresse qui lui a répondu :
« On verra demain si tu es morte ou pas. » Le jeu, faute d’animateur, a
cessé. Et Paul a recommencé à jouer dans la cour.
73

Comment arrêter des moqueries


insultantes contre
un de nos proches ?

Tom est en 4e. Il est assez costaud et nerveux et il nous le dit


lorsque nous le recevons la première fois  : «  Franchement, j’ai pas
peur de grand-chose, mais là, c’est horrible, je me fais punir tout le
temps, environ une ou deux fois par semaine.  » Tom a une petite
sœur trisomique, infiniment importante pour lui. C’est donc peu dire
qu’il s’énerve lorsque quelqu’un se moque d’elle ou qu’on tient des
propos négatifs sur le handicap. Il nous explique : « Quand quelqu’un
dit du mal d’elle ou des handicapés en général, j’ai l’impression que
ça me fait sortir de mon corps, j’ai même le sentiment que, si on ne
me retient pas, je pourrai tuer quelqu’un. Pour éviter ça, je hurle des
grossièretés, je deviens tout rouge, je postillonne, je donne des coups
de poing dans les tables et dans les murs, comme ça, je tape sur
personne… et je me fais punir. Pendant ce temps, tout le monde
rigole parce que je suis ridicule. L’autre jour, j’ai pas pu m’en
empêcher, j’ai donné un coup de boule à un type de ma classe, et j’ai
eu trois jours d’exclusion. Le conseil de discipline a dit qu’il prenait
en compte le fait que j’avais fait ça pour défendre ma sœur, mais que
c’était la dernière fois avant l’exclusion définitive. Et Vivien, celui qui
avait traité ma sœur de “moche”, a pris quatre heures de colle et a dû
faire un exposé sur le handicap. Mais il s’en fiche complètement parce
que, depuis, il a recommencé ses blagues moisies. Moi, on m’a dit
qu’il fallait que je canalise mieux mes émotions. »
Lorsque nous lui demandons comment s’y prennent ceux qui le
font exploser aussi régulièrement, il nous raconte que Vivien et sa
bande s’approchent de lui et, sans le regarder, mais suffisamment
distinctement pour qu’il l’entende, disent des choses horribles du
type : « Je me demande si la trisomie est génétique, parce que Tom
franchement, des fois, il est chelou, non  ?  » Ou  : «  Ce qui est dur
quand t’es gogol, c’est qu’en plus d’être complètement débile, t’es
moche. » Ou : « Il est au courant que, si ça se trouve, tous ses gamins
vont être gogols aussi ou bien il faut lui dire ? » Nous lui expliquons
que le carburant de ce cercle vicieux, dont il est le seul à souffrir, ce
sont justement ces explosions où il perd son contrôle et pour
lesquelles, de plus, il est puni. L’intensité de sa crise de colère et la
sensation de toute-puissance de ses harceleurs sont telles qu’ils n’ont
franchement aucune raison d’arrêter. Nous devons cesser ce spectacle
et les mettre eux, en scène, sans qu’ils s’en rendent compte. Nous lui
proposons la chose suivante : « Il faut absolument que tu aies autre
chose à faire qu’exploser. Quelque chose qui prenne en compte ta
colère, parce qu’elle est super légitime. Tu pourrais par exemple
t’approcher de Vivien très calmement, en souriant, de préférence
lorsqu’il y a du monde et lui dire : “J’ai l’impression que le sujet de la
trisomie te préoccupe, tu as peur de quelque chose pour toi  ? C’est
vrai que ça peut prendre différentes formes. Je réponds à toutes tes
questions, si tu veux. Vas-y.” » Mais il n’a pas eu à le faire, ses cruels
harceleurs se sont arrêtés avant, sentant sans doute que Tom n’était
plus de nature à exploser de façon disproportionnée.
74

Comment faire cesser


des insultes à propos d’une
homosexualité présumée ?

Martin a 15 ans et il est en 3e lorsqu’il vient nous voir. Il a mal au


ventre tous les matins en partant au collège et passe le plus clair de
ses interclasses à l’infirmerie. Depuis la rentrée dans ce nouvel
établissement, il est en effet victime d’insultes homophobes de la part
d’un groupe de garçons de 3e qui l’ont choisi pour cible dès le premier
jour. «  Je ne sais pas s’ils ont raison ou non de me traiter de pédé,
parce que je ne sais pas exactement ce que je ressens pour les filles ou
pour les garçons. Mais, ce qui est sûr, c’est que ça ne me donne pas
envie d’être gay, toutes leurs blagues pourries. Je me dis que ce doit
être l’enfer quand on est homo de vivre ça toute sa vie, nous dit
Martin. J’essaie d’être le plus masculin possible, aussi bien dans la
façon dont je m’habille que dans mon comportement. J’ai l’impression
pourtant que ça ne change rien, ils ont cette idée fixe et ils adorent
me perturber avec ça. Heureusement, j’ai une superbonne bande
d’amis, mais franchement, ça me mine, j’ai même l’impression que je
pourrais tomber malade, tellement ça me fait mal au ventre.  »
Lorsque nous lui demandons quand et où les attaques se produisent,
il répond tous les jours et un peu partout. « Ils me font des mimes de
fellation quand je les croise de loin  ; ils me touchent les fesses en
passant derrière moi  ; ils me guettent à la sortie des toilettes et me
demandent avec qui j’étais, ils me caricaturent comme si j’étais
ultraféminisé… J’ai à peu près tout essayé pour qu’ils s’arrêtent. J’ai
feint l’indifférence en me disant qu’ils allaient se lasser, mais ça n’a
pas fonctionné du tout, ils me harcelaient de plus en plus
physiquement, en me disant : “Tu fais ta connasse frigide, mais avoue
que ça t’excite qu’on s’approche de toi comme ça.” Ensuite, j’ai tenté
la carte maturité, en leur demandant quel était leur problème. En
leur disant qu’ils étaient ridicules et qu’on n’était plus au CM2. Qu’il
fallait vraiment être débiles pour avoir ce genre de comportement,
qu’en plus, ils étaient homophobes, ce qui n’était pas la marque des
plus intelligents. Là, la réponse a été immédiate : “Voilà qu’elle fait sa
femme à lunettes, femme à quéquette. Oh là là  ! Elle est brillante,
Martine, hein  ?” Ensuite, j’en ai parlé à la vie scolaire qui les a
convoqués avec moi. Ils ont dit aux assistants d’éducation que c’était
pour rigoler. Ensuite, on nous a laissés ensemble tout seuls une demi-
heure pour s’expliquer et là, ils ont refusé de me dire un mot. Ensuite,
ça a été pire, comme s’ils se vengeaient. Je pense que je suis devenu
une sorte d’obsession pour eux. »
Nous avons confirmé à Martin que son analyse était la bonne et
que nous allions précisément nous servir de cette obsession, s’il en
était d’accord, pour que sa bande de harceleurs tombe enfin sur un os
suffisamment répulsif de leur point de vue pour qu’ils arrêtent. Nous
lui avons proposé de ne pas attendre que ses harceleurs se dirigent
vers lui, mais d’aller au-devant d’eux et de leur dire, en présence de
tous leurs amis et idéalement d’autres spectateurs  : «  Comme j’ai
l’impression que vous vous cherchez un peu question sexualité, je
pourrais peut-être vous apprendre deux ou trois trucs. Alors, je vais
commencer par le plus sexy, toi. » Tu choisiras celui qui te semble le
plus mal à l’aise de la bande. « Rendez-vous ce soir dans ta chambre,
mon cœur, OK  ? Comme ça, tu sauras.  » Paradoxalement, ce serait
pas mal que tu prennes un air un peu efféminé. » Martin a réfléchi,
puis répondu  : «  C’est vrai, autant admettre devant eux que je suis
gay, puisque de toute façon c’est ce qu’ils pensent, quoi que je fasse.
En plus, comme de mon point de vue il n’y a aucune honte à l’être,
c’est comme si je défendais la cause gay. Ça me va, mais eux, ça va
pas leur plaire. » Ça ne leur a pas plu en effet, et ils sont encore plus
mal à l’aise depuis que Martin leur envoie des baisers affectueux dans
les airs chaque fois qu’ils sont à portée de vue.
75

Comment faire face à une bande


de lycéennes qui harcèle ?

Rose a 16 ans et va très mal. En début d’année, le lycée a organisé


des débats par niveau à l’occasion de la Journée nationale contre le
harcèlement scolaire. Lorsque est venu le chapitre concernant le
harcèlement sexuel, alors que l’animatrice demandait si certains
avaient des témoignages, elle a avoué devant toute la classe qu’un
garçon lui avait touché les fesses toute l’année et qu’elle n’a rien osé
dire. Il faut préciser que l’intéressé, Maxence, est un personnage assez
en vue au lycée et personne n’ose lui tenir tête. La professeure
principale, qui coordonnait la journée de débats, en a immédiatement
référé au chef d’établissement. Il a organisé une première
confrontation avec Rose qui a désigné le coupable, puis entre Rose et
Maxence. Ce dernier, arrogant, a tenté pendant l’entretien de
minimiser les faits : elle n’avait qu’à pas se mettre en minishort si elle
ne voulait pas que ça arrive, ça a dû se passer une ou deux fois, pas
plus, et c’était pour rigoler. D’ailleurs, Rose a rigolé et ne lui a jamais
dit d’arrêter. Assez peu convaincu par l’axe de défense du harceleur,
le chef d’établissement organise dans la foulée un conseil de
discipline et, une semaine plus tard, Maxence est exclu
définitivement de l’établissement. Les parents de Rose se demandent
s’ils doivent porter plainte, mais Rose les en dissuade en disant que
cela ne lui apportera rien de plus. Les intimidations commencent peu
après l’exclusion. Dans la cour, un groupe de filles de plusieurs classes
de 1re, capables de mettre quelqu’un en quartier d’isolement en
quelques minutes, s’approche d’elle et lui crache au visage : « Alors,
la mytho, tu vas raconter quoi d’autre maintenant ? T’es prête à tout
pour faire le buzz ? » Rose dit : « J’ai juste dit la vérité. Pourquoi vous
êtes aussi injustes avec moi  ? Qu’est-ce que je vous ai fait  ? On
devrait s’entraider plutôt. » Le groupe de filles répond : « Allez, vas-y,
fais ta grosse victime. Avec les vieux, ça marche, mais pas avec
nous. » À partir de là, Rose ne répond plus rien, tente de les éviter et
fait comme si elle ne les entendait pas en continuant à marcher. Dans
les couloirs, elles la bousculent en lui donnant l’ordre de les regarder
quand elles parlent. Rose court à l’infirmerie à chaque récré, elle ne
sait plus quoi faire pour que ce calvaire s’arrête. Elle se renseigne sur
les modalités de cours par correspondance.
Il lui a été proposé de répondre la chose suivante  : «  Vous avez
raison, je suis une vraie poucave et les vieux m’adorent, je leur fais
croire n’importe quoi ; j’ai pas encore choisi la prochaine que j’allais
faire virer, continuez à me faire chier, ça m’aide à mieux sélectionner
pour la liste noire que je vais filer au proviseur.  » Le groupe de 1re,
assez décontenancé, s’est détourné totalement de Rose qui a pu nouer
d’autres relations.
76

Comment faire quand on insulte


sa famille ?

Camille a 12 ans et c’est une excellente élève. Elle est notamment


première de la classe en mathématiques où elle décroche
régulièrement des 20 sur 20 et des compliments de son enseignant.
Simon est un élève moyen, mais très drôle et très charismatique,
d’après la description imagée que nous en fait Camille.
« Personne ne veut se fâcher avec Simon, parce qu’il a vraiment de
la repartie, il sait clasher n’importe qui et toutes les autres filles
l’adorent parce qu’il joue de la basse et qu’il prend parfois un air
mystérieux. Moi, je l’aime pas.
– Il clashe effectivement tout le monde ?
– Non, pas tout le monde, seulement certains. Moi, par exemple,
chaque fois que j’ai une bonne note en maths, il fait un commentaire
dégueulasse en disant que ma mère a couché avec le prof. La
première fois, il l’a dit en cours assez fort pour que je l’entende et
tout mon rang aussi, mais pas assez pour que le prof comprenne.
– Il a dit quoi exactement ?
–  Il a dit  : “Ta mère, elle a dû lui faire des trucs de ouf au prof
(qui en plus est supermoche) pour que t’aies cette note.” Alors, tout le
rang a rigolé. Alors, le prof a demandé ce qui était si drôle et
personne n’a rien dit, évidemment, on n’est pas des balances.
Maintenant, chaque fois que j’ai une bonne note, il chuchote  : “Ta
mère la pute.” Avant, il ne le faisait qu’en maths, maintenant il le fait
dans toutes les matières. Comme il est derrière moi, je me retourne et
je lui dis de la fermer, “gros con”.
– Et ?
– Il ricane et il énumère les positions qu’ils ont dû prendre. Ça me
dégoûte, mais je peux rien dire parce que personne peut rien dire à
Simon, sinon il te clashe encore plus et tu n’as plus d’amis ; donc je
me tais, mais ça m’énerve beaucoup.
– Oui, mais je me demande ce qu’on va pouvoir faire si on ne peut
rien lui dire ?
– Je voudrais quelque chose qui le fasse taire pour toujours.
–  Un truc clashant, donc. Camille, j’ai l’impression que le fait
même que ça t’énerve lui donne envie de continuer, non ?
– Oui.
– Ça veut dire que nous devons lui faire croire, même si ce n’est
pas vrai, que ces blagues dégoûtantes ne nous font ni chaud ni froid,
tu ne crois pas ?
– Ça dépend. C’est-à-dire ?
– La prochaine fois qu’il fait ce genre de commentaires après une
bonne note, tu pourrais lui dire  : “Ben, cette fois-ci, ma grand-mère
aussi a dû y aller, parce que c’était quand même superdur comme
devoir. Maintenant, c’est une affaire de famille.”
– Non, je vais pas dire ça.
– C’est trop dur ? Trop risqué ?
–  Non, c’est juste que c’est pas vrai, et je peux pas dire quelque
chose qui n’est pas vrai. Cette note, je l’ai eue parce que j’ai travaillé,
parce que je suis forte en maths. Je ne vais pas dire que c’est parce
que ma famille a couché avec le prof.
– Tu as raison, c’est faux. Simon saura que c’est faux parce qu’il le
sait déjà et il comprendra surtout que ça ne te fait plus rien, ces
horribles attaques, puisque tu es même prête à en rigoler avec lui. Et
donc il arrêtera. Parce que ce qui le motive, d’après tout ce que tu
m’as raconté, c’est que ça te met hors de toi.
– Peut-être, mais c’est faux. Je ne veux pas dire quelque chose qui
soit faux.
– Le problème, Camille, c’est que, si on ne fait pas quelque chose
de ce genre, on continue à lui dire que ça te fait du mal et donc il
n’aura aucune raison d’arrêter… Mais je comprends parfaitement ton
point de vue, c’est particulièrement énervant d’être obligée de dire
des trucs faux et en plus pas valorisants, sous prétexte qu’on est la
cible d’un harceleur intouchable. L’avantage, c’est que tu as le choix
désormais : soit tu continues à lui dire de la fermer en l’insultant, et
je pense qu’il va continuer, mais au moins, tu dis la vérité et tu ne
t’abaisses pas à son niveau  ; soit tu fais ce qu’on a dit, et il y a de
fortes chances pour qu’il s’arrête, mais tu auras dit quelque chose de
faux et, d’une certaine manière, tu te seras abaissée à son niveau. Je
comprends que tu n’en aies pas envie. »
Nous avons cherché d’autres stratégies plus adaptées pour
Camille, mais comme chaque fois elles étaient à l’opposé de ce qu’elle
faisait et qui ne fonctionnait pas, c’est-à-dire se vexer en insultant
Simon, elle les a toutes refusées puisqu’il s’agissait de faire preuve
d’autodérision sur un sujet qui pour elle était trop sensible : la vérité.
Ce principe était plus important à respecter que la nécessité de faire
arrêter Simon. Nous avons évidemment respecté son choix.
77

Comment se défendre lorsqu’on


est attaqué sur son physique ?

Gabriel est tout petit. Il a 11  ans et, pour l’instant, son corps
refuse de grandir, ce qui l’ennuie terriblement. Le plus dur, c’est
lorsqu’on le lui fait remarquer en public. Il a vraiment l’impression
que ça lui transperce le cœur. L’autre jour, il est arrivé à l’anniversaire
d’Enzo, son meilleur ami, et le père de ce dernier (qui est souvent en
déplacement) a dit à son petit frère Germain qui n’a que 8 ans (mais
qui est plus grand que lui) : « Alors, c’est toi, Gabriel ? J’ai beaucoup
entendu parler de toi… » Il était tellement mal qu’il a refusé de rester
à l’anniversaire, il a dit qu’il avait mal au cœur. Ce qui était vrai.
Lorsque nous lui demandons en séance comment ça se passe dans la
cour du collège, il nous répond que, régulièrement, des gens de
l’école lui disent  : «  Ah  ! wesh, t’es tout petit, toi  !  » Cela arrive
environ deux fois par semaine et c’est chaque fois des collégiens
différents, plutôt des ados de 4e ou de 3e  qu’il ne connaît pas. Peut-
être y en a-t-il un ou deux qui l’ont dit plusieurs fois, mais ce n’est pas
non plus tous les jours, loin de là. Il n’empêche que c’est très
douloureux et que Gabriel aimerait bien que ça s’arrête. Il ne sait pas
quoi faire quand ça arrive, donc il ne dit rien, il fait comme s’il n’avait
pas entendu. Et celui qui l’a traité de petit, chaque fois, s’en va. Mais
Gabriel est vraiment très mal pendant au moins deux ou trois heures
après. On lui demande s’il veut une réponse universelle, ou bien s’il
n’en veut une que pour le collège, et il choisit la deuxième option. Il
dit : « Les adultes, je sais bien qu’ils ne le font pas méchamment. Mais
les collégiens, j’ai franchement un doute, donc j’aimerais bien, au
moins, que ceux qui l’ont déjà dit une fois n’aient plus envie de le
redire. »
Très touchés par la tristesse de Gabriel, nous décidons de lui
proposer une stratégie assez terrassante qui consiste à dire  : «  C’est
vrai que je suis petit, mais je vais encore grandir, alors que l’arrêt de
croissance du cerveau, c’est beaucoup plus complexe, je crois. Tu vas
faire comment, toi  ?  » Gabriel sourit et dit qu’il va essayer. Quinze
jours plus tard, Gabriel revient.
«  Je suis désolé, dit-il, deux élèves de 3e  m’ont dit que j’étais
superpetit et je n’ai pas dit ta flèche. Je n’ai pas pu.
–  Tu n’as pas à être désolé, dis-je, c’est moi qui dois l’être. C’est
qu’elle n’était pas adaptée, pas intelligente, sinon, tu l’aurais
décochée. Est-ce que tu veux qu’on réfléchisse à une autre qui
corresponde mieux à la situation ? Pour ça, il faut que tu m’expliques
bien ce qui t’a empêché de t’exprimer.
– Oui, je veux bien. Tu vois, en fait, je pense qu’ils ne le disent pas
vraiment pour m’embêter, plutôt comme une espèce de constat. Donc,
si je leur dis un truc superclashant, j’ai peur que, du coup, ils
pensent  : ah, ça l’énerve, donc on va continuer. Alors que, pour
l’instant, on peut dire que c’est une attaque assez calme.
–  Tu as parfaitement raison, c’est vraiment une analyse très
intelligente, Gabriel. Si tu avais lancé ta réplique, peut-être que ça
aurait fait empirer la situation. Tu as vraiment bien fait de ne rien
dire. Voyons comment on peut trouver une flèche plus juste. Que
dirais-tu de “Tu es très observateur, dis donc” ou “Ah, merci de me le
dire, je n’avais pas remarqué, je vais faire attention dorénavant” ou
“Merde, t’as raison, c’est chelou”.
–  Disons que chacun aura la sienne, comme ça, c’est cool  »,
répond Gabriel.
78

Comment survivre au collège


e
quand on est en 6  face
e
à des 3  agressifs et en meute ?

Adrien a sauté deux classes. Il se retrouve donc au collège à 9 ans.


Or, il n’est pas particulièrement grand pour son âge.
«  Je crois qu’au collège on m’a repéré, malgré tous mes efforts
pour me fondre dans la masse des 6e, me dit-il en asseyant son mètre
cinquante sur mon canapé.
–  C’est tout à fait possible, mais comment t’en es-tu rendu
compte ?
–  Eh bien, tous les jours que Dieu fait (oui, Adrien a des
formulations étranges pour un enfant de son âge), une bande
d’élèves, qui à mon avis doit être en classe de 3e, m’attend dans un
renfoncement juste avant que j’arrive au self.
– Ils sont nombreux ?
– Au début, ils étaient deux, puis progressivement leur nombre a
enflé. Quatre, puis six, puis douze ; ils sont maintenant une quinzaine
les uns sur les autres à guetter mon arrivée à l’heure du déjeuner.
– Ce doit être terriblement angoissant !
–  Je ne vous le fais pas dire. Mais, en dehors de leur physique
ingrat et menaçant, c’est angoissant pour une raison essentielle  :
chaque fois, l’un d’entre eux se jette sur moi au moment où je passe
devant leur bande et me fait un croche-pied. Et je tombe,
évidemment. »
Adrien me montre ses blessures pas encore totalement cicatrisées
sur les mains et les genoux.
« Mon pauvre Adrien, tu dois te faire très mal chaque fois ?
–  Oui, surtout, vous l’aurez compris, que c’est sur les mêmes
blessures.
– Effectivement. Dis-moi, vu ton intelligence, tu as sûrement tenté
de mettre en œuvre des choses pour qu’ils cessent ce jeu idiot ?
–  Oui, dit Adrien. Évidemment. J’ai d’abord tenté de trouver un
autre chemin pour aller au self, du type souterrain ou couloir dérobé.
– Et ?
– Rien, en tout cas pour l’instant.
– Zut ! Tu as tenté autre chose ?
– Eh bien, depuis quelques jours, je cours de plus en plus vite (je
m’entraîne le week-end), en me disant que, si je vais très très vite, ils
vont me louper et ils auront vraiment l’air bête. Quelque chose me dit
que les 3e  détestent avoir l’air bête. Je me dis que cela pourrait les
dissuader de recommencer.
–  C’est astucieux, en effet, et l’idée peut un jour fonctionner. Le
problème, c’est qu’en attendant ce jour béni, le fait même que tu
coures plus vite aggrave ton vol plané et conséquemment à la fois tes
blessures et la satisfaction des 3e.
–  Je n’avais pas vu les choses sous cet angle, mais vous avez
raison.
–  Donc il est indispensable que désormais nous fassions
exactement l’inverse pour tenter de créer un tsunami dans leur petit
cerveau. En trouvant quelque chose de totalement inattendu.
– Quoi par exemple ?
–  Eh bien, peut-être que tu pourrais aller lentement au self (pas
trop lentement, je veux dire normalement) et quelques mètres avant
le renfoncement leur faire un petit signe amical en souriant. Et puis,
juste avant de passer devant eux, tu pourrais t’arrêter, montrer tes
pieds du doigt et leur demander  : “Qui s’y colle aujourd’hui  ?” en
restant immobile. Comme ça, s’ils te font un croche-pied, tu te feras
moins mal puisqu’il n’y aura pas de vol plané, et tu pourras leur dire :
“J’espère que vous vous sentez mieux” avant de repartir. »
Adrien reste silencieux. Puis me dit : « Tu es astucieuse pour une
personne âgée. »
79

Comment repousser des attaques


racistes ?

Le papa d’Adiouma, 8 ans, est atterré. C’est bientôt carnaval dans


cette petite école élémentaire privée du centre-ville. Il a commencé à
parler avec Adiouma du déguisement de princesse sénégalaise qu’elle
pourrait mettre à cette occasion et, il y a quinze jours, elle était
d’accord. Sa tante, qui est couturière, a commencé à confectionner la
tenue qui, selon les dires de son papa, est vraiment magnifique.
«  Nous pensions que ce serait vraiment émouvant pour nous de la
voir porter une robe sénégalaise. Nous voulons vraiment que nos
enfants soient fiers d’être sénégalais », me dit ce papa très ému. Or, il
y a dix jours, elle a dit qu’elle ne voulait pas ce déguisement-là, plutôt
une tenue de pirate ou d’Indien, mais pas de princesse sénégalaise.
Qu’elle ne l’aimait pas, finalement. Qu’elle le trouvait moche. Son
papa a insisté, doucement d’abord en lui demandant ses raisons. S’il y
a des choses qu’elle veut modifier sur la tenue pour qu’elle lui plaise
plus. Mais Adiouma reste mutique et pleure. Alors, il lui a dit qu’elle
n’avait pas le choix parce que sa tante avait passé du temps pour
confectionner la magnifique robe et que ce n’était vraiment pas gentil
pour elle. Mais Adiouma refuse et pleure. Le papa parle de caprice,
d’ingratitude et reste inflexible  : Adiouma ira avec sa robe de
princesse sénégalaise au carnaval de l’école, par respect pour le
travail de sa tante et par respect pour ses origines, aussi. Plus la date
du carnaval approche et plus Adiouma se pétrifie. Lorsque son père
lui en parle, tous les soirs au repas, elle se bouche les oreilles et
pleure. Et puis elle quitte la table et s’enferme dans sa chambre.
Un soir, quelques jours avant la journée déguisée, la maman
d’Adiouma apprend à son mari que leur fille lui a parlé. Il paraît qu’à
l’école un des élèves de sa classe va régulièrement toucher les avant-
bras d’Adiouma, puis renifle ses doigts en disant  : «  C’est bien ce
qu’on pensait, tu te mets du caca partout, tous les matins ? Vous êtes
dégueulasses, vous, les Noirs.  » Et tous les copains qui l’entourent
prennent un air dégoûté et s’éloignent d’elle comme si elle était un
tas d’ordures. Adiouma fait celle qui n’entend pas, mais elle a dit à sa
maman que c’était pas une bonne idée d’être Noir, qu’elle, ce qu’elle
voudrait, c’est avoir la peau rose, comme les autres, et que si elle met
sa robe sénégalaise pour carnaval, tout le monde va encore plus se
moquer d’elle et ça lui fait trop de peine. Elle dit aussi que, pour
l’instant, elle n’en a pas parlé à la maison parce qu’elle savait que ça
allait faire énormément de peine à ses parents, surtout à son papa.
Le papa d’Adiouma me dit  : «  Vous répétez qu’en parler à la
maîtresse ne servira à rien. Mais moi, j’ai vraiment envie d’aller la
voir et de lui demander d’envoyer un courrier à tous les parents
d’élèves pour leur expliquer ce qui se passe et leur dire de sermonner,
voire de sanctionner, leurs enfants. C’est vraiment inadmissible, des
propos pareils.
– En effet, Monsieur, c’est inadmissible et cela doit s’arrêter. Pour
ce faire, soit, en effet, nous comptons sur la bonne volonté des
parents et des enfants en espérant que votre courrier soit
suffisamment responsabilisant pour les faire changer complètement
de comportement. Soit nous pensons qu’il y a un risque que cela
continue quand même de façon subreptice et, dans ce cas, il sera utile
d’outiller Adiouma pour qu’elle sache se défendre. Vous pourriez dans
ce cas lui dire de notre part que, si elle ne met pas sa robe, c’est
comme si elle posait une couronne sur la tête d’Hector. Comme si elle
lui disait qu’il a raison de débiter des choses aussi débiles et
méchantes et que ça, ça vous fait vraiment de la peine. Parce qu’une
princesse comme  elle ne doit pas s’agenouiller devant un crapaud
comme Hector, sinon le monde ne tourne pas rond. Elle pourrait donc
lui envoyer une flèche empoisonnée pour que ce soit lui qui
s’agenouille devant elle, par exemple : “Oui, c’est vrai, nous les Noirs,
on est couverts de caca, c’est pour ça qu’on attire les mouches à
merde.” Elle pourrait alors profiter du moment d’hébétude qui suivra
pour lancer sur lui un liquide (à base d’ail) en disant : “On leur jette
des sorts et ensuite on les mange. Miam, miam, Hector, jolie mouche
à merde.” Évidemment, cette flèche aurait beaucoup plus d’allure si
Adiouma portait une robe de princesse. Mais ce n’est pas obligé. La
maman d’Adiouma a confectionné une magnifique étiquette, avec
une tête de mort et une mouche, à coller sur le spray à l’ail et au
romarin concocté pour Hector.
80

Comment rester une bonne élève


sans se faire traiter toute
la journée d’intello ?

Paola est une excellente élève de 6e  et elle a été repérée assez
rapidement par deux redoublantes qui se moquent d’elle en
permanence et la traitent d’intello, de cassos, de bouffonne. Comme
le lui a conseillé sa maman, Paola les ignore, mais les insultes
redoublent d’intensité, et Anaïs et Chloé commencent à lui voler ses
affaires, à verser de l’eau sur son sac de cours, à tenter de lui faire
perdre ses moyens quand elle passe à l’oral. Chaque fois que Paola
répond en cours, elles font un bruit de succion avec leur bouche pour
signifier qu’elle fait de la lèche et, chaque fois qu’elle a une bonne
note, elles viennent vers elle à la récré d’après et lui disent : « Alors,
t’as eu combien, l’intello  ? 16  ? Eh ben, ta mère va être contente,
hein  ? T’as que ça dans la vie, les notes, c’est ça, espèce de
bouffonne. » Puis elles s’en vont en ricanant. Paola ne les regarde pas
et ne leur répond pas. Les amies de Paola, un peu intimidées par les
deux redoublantes qui s’en prennent régulièrement aux 6e, voire aux
5e, et qui parfois même répondent aux profs, lui disent la même
chose  : «  Laisse tomber, fais pas attention, elles vont finir par se
lasser.  » Mais elles ne se lassent pas et Paola commence à avoir des
maux de ventre matin et soir.
À la réunion parents/enseignants du premier trimestre, le
professeur de français dit à sa maman qu’il est ennuyé que Paola ne
participe plus du tout en cours, alors qu’elle était très impliquée en
septembre. Qu’elle semble moins concentrée, comme le prouvent les
deux notes assez moyennes qu’elle a obtenues dernièrement en
français. Paola répond qu’elle est fatiguée, mais qu’elle va se
reprendre. Devant l’enseignant, sa maman lui demande si elle veut
parler d’Anaïs et de Chloé. Paola est en colère parce qu’elle avait
demandé à sa maman de ne rien dire. Mais c’est trop tard. Le
professeur de français demande des détails et Paola n’a pas d’autre
choix que de raconter ce que lui font subir ses deux camarades depuis
la rentrée. Elle demande à l’enseignant de ne pas intervenir parce
qu’elle a vraiment peur que cela envenime la situation. L’enseignant
lui dit de ne pas s’inquiéter, qu’il ne fera rien qui pourrait se retourner
contre elle.
Quelques jours plus tard, en vie de classe, il évoque le sujet
indirectement en disant qu’il a cru voir des comportements agressifs
de la part de certains élèves et qu’il ne le tolérera pas. Puis il s’est
tourné vers le fond de la classe et a déclaré devant tout le monde  :
«  Ce n’est pas parce qu’on a redoublé que l’on doit faire payer sa
paresse aux bons élèves. C’est compris, Anaïs et Chloé ? » Paola était
mortifiée ; elle sentait que les conséquences ne seraient pas celles que
l’enseignant, en toute bonne foi, espérait. Elle avait raison puisque,
quelques jours plus tard, Anaïs et Chloé ont recommencé en ajoutant
« victime » à leurs insultes. Elles viennent se moquer d’elle à chaque
récré en lui disant dorénavant  : «  Alors, l’intello, tu fais encore ta
victime  ? À nous, tu dis rien, tu préfères te faire consoler par les
profs, c’est ça ? » À l’enseignant et à sa mère qui lui ont demandé si
tout était rentré dans l’ordre, Paola a répondu oui. C’est une de ses
amies qui est allée voir la maman de Paola pour lui dire que ça
continuait et que Paola avait commencé à se scarifier.
La première fois que je la vois, Paola est totalement
recroquevillée, comme un lapin pris dans les phares. Je lui demande
si elle a encore la force de faire quelque chose pour que les deux
sorcières s’arrêtent. Elle me répond que, si j’ai une solution, elle
l’appliquera à la lettre tellement elle n’en peut plus. Le lendemain,
lorsque ses deux bourreaux sont venus la traiter d’intello, Paola a
répondu  : «  Désolée, comme je suis beaucoup trop intello, avant, je
ne comprenais pas ce que vous disiez. Pardon. Mais, maintenant, on
va pouvoir parler, j’ai compris que vous ne connaissiez que trois mots.
On y va, vous les dites après moi : intello, cassos, bouffonne. Bravo.
Vous voulez apprendre à les écrire ? Sinon, revenez demain, je vous
en apprendrai un quatrième.  » Elle avait choisi «  trou du cul  ». J’ai
validé. Mais elles ne sont pas revenues.
81

Comment Claire, 8 ans,


a réintégré le groupe-classe après
avoir été isolée par Fadia
et sa bande ?

C’est un jeune professeur des écoles, totalement démuni, qui


m’amène le cas de Claire, 8  ans, avec laquelle personne ne joue
depuis plusieurs mois dans la cour. Elle n’est pas non plus invitée aux
anniversaires ou, plus exactement, quand elle l’est, Fadia et sa bande
qui contrôlent les cartons d’invitation décident de qui peut venir ou
pas. Elles excluent systématiquement Claire. Car tous les enfants de
l’école savent qu’il est plus prudent d’obéir à Fadia. Claire se retrouve
souvent en dehors de tous les jeux. Cette petite fille, excellente élève,
semble de plus en plus triste, de plus en plus éteinte. Elle s’étiole, dit
son maître qui est très inquiet que cela ait, en plus de la souffrance
relationnelle, un impact sur la qualité de ses apprentissages. Il en a
fait part aux parents. La plupart du temps, en récréation, après avoir
tenté plusieurs fois de se faire accepter dans différents groupes qui
refusent catégoriquement son intégration, elle se dirige vers son
instituteur : « Personne ne veut jouer avec moi. » Il a tenté de mettre
en œuvre plusieurs solutions qui semblent évidemment de bon sens.
Il a d’abord proposé différents jeux nouveaux auxquels on peut
participer à trois ou quatre, les groupes étant souvent des duos ou des
trios. Il a d’abord dit aux petites filles concernées que leur attitude
faisait beaucoup de peine à Claire et qu’il fallait vraiment qu’elles
l’intègrent dans les nouveaux jeux qu’il avait trouvés pour elles. Elles
ont toutes acquiescé en disant qu’elles comprenaient. Il en a expliqué
les règles et puis s’est éloigné tout en les observant et il s’est rendu
compte que Claire était de nouveau exclue cinq minutes plus tard. Il a
renouvelé cette amère expérience trois ou quatre fois, en haussant de
plus en plus le ton, avant de (sagement) y renoncer. Il a ensuite
décidé de prendre une demi-heure en classe pour parler du problème
et des changements de comportement qu’il attendait de la part de
toute la classe, insistant sur le fait que Claire était vraiment dans une
situation difficile et qu’il comptait sur la gentillesse et la générosité de
chacun. La situation n’a pas changé. Il a donc convoqué les parents de
Claire pour leur faire part de son inquiétude et, d’un commun accord,
ils ont décidé d’inviter l’une ou l’autre des camarades certains week-
ends chez eux. Ils rapportent à l’enseignant que les week-ends se
passent bien, mais que Claire se plaint toujours d’être très seule à
l’école, même les lundis qui succèdent à ces fameux week-ends.
Nous avons alors décidé de stopper la tentative inopérante qui
consistait à inciter explicitement les enfants à jouer avec Claire, les
faits ayant démontré que cela la rendait encore moins « séduisante »
pour ses camarades. Et nous avons réfléchi à ce qu’elle pourrait faire
en récréation sans solliciter ses camarades, et même se placer dans
une posture totalement opposée où ce serait elle qui répondrait par la
négative à leurs sollicitations. L’instituteur a déclaré à la classe qu’il
trouvait que leur salle d’enseignement était un peu triste et qu’il avait
donc décidé de demander à Claire, excellente en dessin, de faire le
portrait de chacun des élèves pendant la récréation. La consigne était
de commencer par les enfants les moins populaires. Si Fadia ou l’une
de sa garde rapprochée venait lui demander quand elle allait les
dessiner, Claire devait répondre : « J’ai décidé de commencer par les
plus jolies. Je vous verrai plutôt à la fin. » L’instituteur était vraiment
heureux de nous raconter que Claire était entourée par de nombreux
enfants pendant qu’elle effectuait ses portraits.
82

Comment Lola, 12 ans,


a-t-elle réussi à assumer
de ne pas porter d’habits
de marque ?

Nous sommes au mois d’août et Lola, qui va entrer en 5e, nous est
amenée par sa maman parce qu’elle a des crises d’angoisse à l’idée de
retourner au collège et elle supplie cette dernière de l’inscrire au
Cned –  enseignement par correspondance  – pour la suite de ses
études jusqu’en 3e. « Après, dit-elle, ça ira, j’irai en internat dans un
lycée, loin d’ici.  » Elle nous explique que, depuis un an, une de ses
camarades de classe, Violette, qu’elle connaît depuis la maternelle, la
harcèle quotidiennement. Violette lui dit qu’elle est moche, qu’elle
s’habille très mal, ses phrases sont excessivement dures  : «  C’est
impossible de traîner avec toi, tu es vraiment trop moche, ça donne
envie de vomir. » Ou : « Ta mère t’a encore pris tes habits à Emmaüs,
Crapaud  ? Je sais que vous avez pas de thunes, mais quand même,
Emmaüs  !  » Ou encore  : «  C’est fou quand même cette laideur, tu
devrais te renseigner auprès de la Sécu, si ça se trouve, ils
rembourseraient une opération…  » Lola nous dit, les lèvres
tremblantes : « C’est vrai que je suis pas très jolie, mais c’est pas une
raison  pour  me  le  répéter  tout  le  temps.  » Inutile de tenter de la
convaincre que Violette a tort et qu’elle est en fait très jolie, Lola a
fait sienne l’opinion de son bourreau, à l’instar d’un certain nombre
d’enfants harcelés. Populaire, jolie et bien habillée, Violette, toujours
entourée d’une cour de courtisanes, se moque de tout élève qui va
parler avec Lola ou manger avec elle au self  : «  Mais enfin, tu es
fou/folle, pourquoi tu traînes avec elle ? » Lola se retrouve donc toute
seule depuis un certain temps, personne n’osant plus s’afficher avec
elle. De première de classe en début de 6e, elle a complètement chuté
depuis la fin du deuxième trimestre et se recroqueville sur elle-même
chaque jour un peu plus. En novembre, elle a expliqué à table qu’elle
avait du mal à s’intégrer parce que ses habits n’étaient pas assez à la
mode. Sa maman a décidé de faire des heures de ménage en plus
pour lui acheter ce fameux jean hors de prix dont elle n’osait même
pas rêver. Lorsqu’elle est arrivée dans la cour après les vacances de
Noël, à la fois fière et un peu inquiète dans son nouveau pantalon,
elle a vu Violette s’approcher d’elle, la dévisager, puis la détailler de
haut en bas avant de laisser tomber sa sentence : « Alors, toi, même
les beaux habits tu les rends moches, t’es vraiment magique,
Crapaud. » Lola n’a pas pu faire autre chose qu’aller se réfugier dans
les toilettes en pleurant. C’est à cet instant qu’elle s’est dit : « Elle ne
s’arrêtera jamais, il faut que je parte d’ici. »
Nous avons proposé à Lola la stratégie suivante : « La prochaine
fois qu’elle s’approche de toi pour te traiter de moche, tu pourrais lui
répondre la chose suivante  : “C’est vrai que je suis moche, mais toi,
c’est à l’intérieur que tu es monstrueuse. D’ailleurs, quand tu parles,
ça pue, prends un chewing-gum parce vraiment c’est une infection.”
Puis, chaque fois qu’elle prononcera le moindre mot, tu feras une
horrible grimace de dégoût et tu lui tendras un chewing-gum. Ainsi
fit Lola, au grand dam de Violette qui prend dorénavant de grands
détours pour l’éviter. Lola, elle, chaque fois qu’elle croise le regard de
Violette, fait mine de chercher frénétiquement un chewing-gum dans
sa poche.
83

Comment se défendre quand


on est attaqué
sur son homosexualité avérée ?

Pablo est en 1re  dans un lycée professionnel et sa vie n’est pas


facile. Depuis qu’il a annoncé à son père qu’il est homosexuel, il a été
mis à la porte de chez lui de façon définitive et placé dans une famille
d’accueil. Ça se passe relativement bien là-bas, vu qu’il ne s’entendait
pas du tout avec sa famille biologique. Mais au lycée il vit vraiment
un calvaire. Toute la classe se moque de lui et fait en permanence des
allusions à sa sexualité en l’appelant par exemple « petite chatte », en
mimant des scènes pornographiques quand les professeurs ne voient
pas. Il y a même des graffitis à son sujet sur plusieurs murs du lycée.
Parmi les pires, Saber fait mine de le coincer dans les couloirs et le
menace de le tuer «  parce que les pédés, ça devrait pas exister  ». Il
fait peur à Pablo parce qu’il a l’air de le penser sincèrement. Dylan
accourt et ricane nerveusement dès qu’il voit Pablo se faire maltraiter,
et il en rajoute, tout en ayant l’air étrangement mal à l’aise. Océane,
qui est gigantesque, bouscule et insulte tout le monde en ricanant  ;
Pablo est une de ses cibles préférées. Elle l’appelle « ma palombe » et
le presse contre sa poitrine (qu’elle a fort opulente) en disant qu’elle
a les moyens de le faire changer d’avis. Toute la classe est écroulée de
rire. Tristan, atteint de nanisme et dont tout le monde se moque,
aussi. Au début, Pablo trouvait vraiment injuste que quelqu’un soit
harcelé à cause de sa petite taille, alors il a proposé de l’aider à porter
son sac et même à faire ses devoirs. Ça se passait plutôt bien, et puis
Tristan s’est mis à lui faire du chantage en lui disant que, s’il ne
portait pas son sac tout le temps, ou bien s’il ne faisait pas ses devoirs
à sa place, il écrirait sur les réseaux sociaux que Pablo disait des
saloperies sur d’autres gens de la classe, notamment ses harceleurs. Il
l’avertit  : «  Entre un handicapé et toi, tout le monde croira le
handicapé, tu verras, et ils te feront tous chier encore plus. De toute
façon, si on est ensemble toi et moi, c’est parce qu’on est deux grosses
victimes, toi parce que t’es pédé et moi parce que je suis nain. Mais je
serai pas la pire victime des deux. » Pablo a refusé de céder et Tristan
a mis sa menace à exécution. La vie de Pablo est alors devenue un
vrai calvaire au lycée. Et plus il explique que Tristan dit n’importe
quoi, qu’il faut le croire et qu’ils sont ridicules de s’acharner comme
ça, plus ses bourreaux l’insultent et le terrorisent.
Un jour, alors que toute la semaine avait été particulièrement
difficile, la professeure de français de Pablo (formée aux outils de
l’École de Palo Alto et particulièrement touchée par la détresse du
jeune homme) a demandé à lui parler. « J’ai bien l’impression que ce
n’est pas facile pour toi en ce moment, Pablo. Est-ce que tu crois que
je peux faire quelque chose ?
– Je ne crois pas, madame, répond Pablo qui éclate en sanglots et
tente de se cacher maladroitement, paniqué à l’idée qu’un élève de la
classe le voie en larmes.
– Je ne ferai rien si tu n’es pas strictement d’accord, mais je pense
qu’il y a des solutions quand même pour leur faire mordre la
poussière.
–  Ah oui  ? On voit que vous ne les connaissez pas vraiment,
madame. Ils en ont rien à foutre de rien. Ils rêvent même d’aller en
conseil de discipline, vous imaginez ? Donc c’est pas une remarque ou
une sanction qui peut leur faire peur. Et même si vous en virez un, il
y en a dix derrière.
– Je sais bien, Pablo, je sais bien, c’est pour ça qu’il faut taper plus
fort. J’en ai parlé à la prof de droit et on a eu une idée. »
Une semaine plus tard, la professeure de français commence le
cours : « Pour continuer notre parcours d’exposés, c’est Pablo qui va
passer devant vous aujourd’hui pour parler d’un sujet qui, je le sais,
vous passionne tous : l’homosexualité. » Toute la classe commence à
s’agiter et à grommeler des obscénités. Pablo déroule la définition, les
chiffres et l’histoire rapidement. Il marque une courte pause et
s’élance : « Je voudrais parler maintenant d’une maladie assez grave
qui s’appelle l’homophobie. La question qu’on peut se poser, c’est  :
quelles en sont les causes profondes  ?  » La classe est subitement
silencieuse. Il poursuit : « D’abord, un manque d’intelligence. Certains
homophobes ont un cerveau tellement petit que l’idée même que des
gens ayant une sexualité différente puissent exister n’a pas la place
d’y tenir. » Pablo regarde Saber dans les yeux et lui sourit. La classe
commence à ricaner et Saber serre les dents. La professeure
intervient : « C’est vrai, maintenant que tu le dis, plein d’homophobes
que je connais sont dans ce cas. En même temps, les pauvres, ce n’est
pas leur faute.  » Elle regarde fixement Saber qui se tortille sur son
siège. « Y a-t-il des traitements possibles, Pablo, pour ces malades du
cerveau ?
–  Malheureusement non, madame, leur cerveau reste ratatiné
jusqu’à la fin de leur vie.
– Bon, eh bien, il va falloir qu’on s’y fasse. Au moins, on saura que
c’est une maladie neurologique, pas exactement volontaire, on leur
pardonnera, du coup.
–  Deuxième facteur possible, le fait d’être soi-même attiré par
quelqu’un du même sexe et la peur panique que les autres s’en
aperçoivent.
Pablo fixe intensément Dylan et lui envoie un baiser discret. Dylan
se fige et baisse les yeux tandis que tous le regardent, un peu effarés
parce que à cet instant chacun se demande lequel sera le prochain sur
la liste. « Tu as quelque chose à dire, Dylan ? demande la professeure
de français.
– Non, répond-il, rouge écarlate.
– Quelqu’un d’autre veut commenter ? » demande l’enseignante.
Silence de mort dans la classe.
«  Troisième cause répertoriée par les scientifiques  : un énorme
manque de confiance en soi, à cause d’un défaut physique ou d’un
complexe. Le malade se dit  : il faut que je détourne l’attention de
mon complexe vers quelqu’un d’autre de sympa, qui ne se défendra
pas, et pour ça les homosexuels sont bien pratiques. » Pablo se tourne
vers Océane, puis vers Tristan, en silence. Les deux se recroquevillent
sous le regard de l’enseignante qui conclut  : «  C’était vraiment
passionnant, Pablo, merci. On comprend mieux maintenant les
raisons de cette maladie qui ronge la classe. »
84

Comment survivre à un chagrin


d’amitié ?

Mathieu vient nous voir parce que ça se passe très mal dans sa
classe de CM2 depuis que Gustave est arrivé en cours d’année.
«  Avant, nous dit-il, c’était presque le paradis. On était inséparables
avec mon copain Amin et on s’amusait vraiment bien, on n’avait
besoin de personne. Et puis Gustave est arrivé et tout s’est mis à aller
de travers. Parce qu’il veut absolument nous séparer tous les deux, il
veut Amin pour lui tout seul, il le lui a déjà dit. Et comme Amin ne
veut pas, il se venge sur moi et, dès que je joue avec Amin, il fait
plein de choses pour m’énerver. Par exemple, il l’a invité dans sa
maison de campagne en week-end ; il l’invite à son anniversaire, pas
moi  ; il lui dit des trucs pas sympas sur moi et aussi il m’insulte en
direct.
– Qu’est-ce qu’il te dit exactement ?
– Il me dit tout le temps la même chose : “trisomique”, c’est super
énervant.
– J’imagine, en effet. Qu’est-ce que tu lui réponds ?
– Je lui donne un coup de pied ou bien je lui crie dessus, mais ça
m’énerve tellement qu’il se moque encore plus de moi en disant  :
“Mais regarde-toi, t’es un vrai triso, sérieux.” Et il rigole.
– Que fait Amin dans ce cas-là ?
– Il nous dit de nous calmer, et ça m’énerve qu’il le dise aux deux,
parce qu’il voit bien que c’est toujours Gustave qui commence…
– Tu lui en as parlé ?
–  Non, répond Mathieu, l’air grave. On ne parle pas de ce genre
de choses entre hommes. »
Je lui présente mes excuses de ne pas être au courant de tous les
rites et règles de sa confrérie et lui demande ce qu’il attend
exactement de moi.
« Je voudrais juste qu’il arrête de m’insulter.
– Tu es sûr ?
–  Et aussi, ce qui serait vraiment bien, c’est qu’Amin ne l’aime
plus, avoue-t-il, les larmes aux yeux.
–  Je comprends, mon grand, mais je ne sais pas faire ça. J’ai
même l’impression que plus tu vas faire comprendre ça à Amin, plus
tu risques de le perdre. Je pense néanmoins que tu peux lui expliquer
que ça te rend triste que vous n’ayez plus la même relation qu’avant,
mais évidemment tu acceptes qu’il ait d’autres amis, même si tu ne
t’entends pas forcément avec eux. Je te promets que les hommes, les
vrais, sont capables de parler comme ça. Et puis je me disais, en ce
qui concerne Gustave, que tu pourrais lui dire la prochaine fois qu’il
t’insulte : “Oui, je suis trisomique, comme tous les potes d’Amin. C’est
une condition.” Et s’il répond “Ben moi, je suis pas triso”, tu pourras
répondre : “C’est pour ça que t’es pas un vrai pote d’Amin.” »
À la séance suivante, Mathieu, qui avait avec bonheur lancé sa
flèche dans la tête de Gustave, nous a dit : « En ce qui concerne les
hommes, tu avais raison. »
85

Comment ne plus être celle qu’on


prend et qu’on rejette ?

La maman de Capucine semble proche de la crise de nerfs


lorsqu’elle entre avec sa fille de 15  ans dans le cabinet. Elle
m’explique que sa fille est soit en larmes, soit très agressive. «  Je
pense que nous avons droit de sa part à environ un sourire par
trimestre. Le reste du temps, nous vivons l’enfer à la maison. Mais,
évidemment, elle ne veut pas entendre un quelconque conseil de
notre part pour régler son problème avec ses “copines” parce que, soi-
disant, nous ne comprenons rien à ce qui se passe dans la cour du
collège. Ce n’est pas comme à notre époque, paraît-il.
– Tu veux m’expliquer, Capucine, ce qui se passe au juste pour que
tu te sentes aussi mal ?
– Eh ben, je suis dans un groupe assez en vue parmi les 3e. On est
une dizaine de filles, mais c’est comme un club assez fermé, tu vois ?
–  Oui, très bien. Il y a une ou deux leaders dans ce club,
j’imagine ?
– Oui, Daphné, c’est elle, la leader. Elle est vraiment très cool, tu
vois ? Et puis un peu Emma, mais en moins quand même. Emma, je
l’aime pas trop en vrai.
– Que se passe-t-il alors ?
– Parfois, dit Capucine en retenant ses larmes, lorsque j’arrive au
collège le matin, toute la bande fait comme si je n’en faisais plus
partie. Elles me disent pas bonjour et ensuite elles racontent des
choses horribles sur moi en se parlant à l’oreille. J’entends pas
exactement ce que c’est, mais je sais bien que ce sont des trucs
méchants.
– Qu’est-ce que tu fais pendant ce temps ?
–  Ben, j’attends qu’elles reviennent me chercher, mais en restant
pas trop près d’elles, sinon, ça fait vraiment cassos, tu vois ?
– Oui. Et l’exclusion dure combien de temps ?
– Trois jours. Et ça arrive deux fois par mois, par là.
– Mais ça doit être horrible, parce que j’imagine que, lorsque tu es
dans le club, tu as peur d’en être exclue brutalement, et lorsque tu n’y
es pas, tu te sens vraiment triste ?
– Exactement.
– Dis-moi, comment ça se passe après les trois jours d’exclusion ?
Comment sais-tu que tu es réintégrée ?
–  C’est toujours Emma, jamais Daphné, qui s’approche de moi,
elle me dit que je peux revenir, mais qu’il faudrait que je sois un peu
plus mature.
– Et tu réponds quoi ?
– D’accord, merci. »
À cet instant, la maman de Capucine n’y tient plus : « J’espère que
vous allez lui dire qu’il faut ab-so-lu-ment qu’elle quitte ce groupe de
petites chipies, parce que là, j’avoue que ça me dépasse, qu’elle se
laisse traiter comme ça… » Capucine regarde au loin par la fenêtre de
mon cabinet et répond : « Ce que tu peux être vieille, c’est navrant »,
ce qui évidemment engendre encore plus d’irritation chez cette
maman désemparée que j’accompagne dans la salle d’attente pour
qu’elle se repose quelques minutes pendant que je reprends le cours
de l’entretien avec Capucine.
« Je suis vraiment embêtée pour toi parce que je me dis que tu es
face à un choix quasi impossible entre deux voies aussi douloureuses
l’une que l’autre. Évidemment, il n’y a que toi qui peux choisir celle
qui te semble la moins horrible : soit tu restes un Kleenex pleine de
morve dans lequel le club de Daphné se mouche régulièrement ; et,
comme tu n’es pas encore totalement bonne à jeter, tu vas pouvoir
durer avec elles encore quelques semaines, peut-être même quelques
mois. Au bout d’un moment, on est bien contraint de jeter les Kleenex
usagés, mais cela te laisse quand même un temps où tu feras encore
partie de ce groupe et je comprends que, pour toi, c’est très
important. Soit tu te transformes en princesse, mais le problème, c’est
que dans ce club, à mon avis, il n’y a plus de place libre de princesse.
Ça signifiera donc que tu n’en feras plus partie, mais au moins, c’est
toi qui l’auras décidé. S’il y avait au milieu de ces deux voies
particulièrement horribles un chemin de traverse plus agréable, je te
l’indiquerais sans hésiter, mais malheureusement, Capucine, il
n’existe pas et j’en suis désolée.  » Capucine a beaucoup pleuré à
l’évocation de cette difficile alternative, puis m’a demandé  : «  Pour
être une princesse, comment on fait  ?  » Il est à noter que, de mon
point de vue, elle n’aurait pas répondu cela deux mois auparavant,
mais elle en avait vraiment assez de cette situation. «  Plusieurs
possibilités. Par exemple, la prochaine fois que tu te fais exclure et
qu’Emma vient te chercher à l’issue des trois jours, je te propose de
lui dire  : “C’est gentil, mais j’ai décidé d’arrêter l’esclavage. Je
comprends que, pour toi, ce soit un peu plus compliqué.”  » Comme
Capucine déteste Emma, cette repartie lui a plu et elle l’a donc
assenée quelques semaines plus tard. Emma n’a su que répondre et
elle en a référé à Daphné qui s’est déplacée la récréation suivante
pour dire à Capucine en aparté  : «  Tu trouves pas qu’Emma elle est
trop pas mature en ce moment  ?  » Capucine était à cet instant
infiniment partagée  ; elle se retrouvait dans la position d’être la
nouvelle « première dame de compagnie » de Daphné, poste convoité
depuis tellement longtemps, mais elle n’avait plus envie de souffrir.
Elle a répondu  : «  C’est vrai, et en plus elle est sourde, visiblement.
Parce que je lui ai bien dit que je ne voulais plus traîner avec vous. »
Daphné est revenue deux fois à la charge avant de renoncer. « Chaque
fois qu’elle revenait me voir, je la trouvais moins intéressante. C’était
trop bizarre », m’a confié Capucine.
DU CÔTÉ DES ENSEIGNANTS
86

Une classe peut-elle harceler


un enseignant ?

On peut en effet parler de harcèlement dans certains cas, lorsque


par exemple l’obsession des meneurs d’une classe (cela arrive
essentiellement au collège) est de faire exploser un enseignant ou de
lui faire perdre le contrôle de la classe. Le fait d’y être parvenus, ne
serait-ce qu’une fois, alimente chez eux l’envie de recommencer.
D’abord parce que dans la vision du monde des collégiens, c’est une
situation très drôle que de voir un adulte perdre le contrôle. Ensuite
parce que cela donne lieu à un assez gros bonus en matière de
popularité. Qu’importe le fait que certains de leurs camarades leur
demandent d’arrêter, ils sont considérés comme des traîtres à la cause
collégienne et, à l’instant t, leur désapprobation ne fait que renforcer
le cercle vicieux.
Un certain nombre de jeux de collégiens poursuivent cet objectif.
Ils ont pour caractéristiques d’être simples, collectifs, parfois drôles
(quand on n’en est pas la victime) et incontrôlables par les adultes.
L’intention des élèves est justement que l’enseignant tente vainement
de les contrôler et se mette ainsi en échec.
Il y a celui, ancestral, du bourdon, dont la première règle consiste
à bourdonner tous ensemble sans ouvrir la bouche, ce qui donne lieu
à un son uniforme et très oppressant, d’autant qu’il est impossible de
dire qui le fait et qui ne le fait pas. La deuxième règle postule que, si
l’enseignant sanctionne un des élèves, ce dernier doit se plaindre
amèrement en indiquant qu’il ne bourdonnait pas et tous les autres
doivent prendre sa défense, créant ainsi une nouvelle forme de
cacophonie qui empêche le déroulement du cours. C’est la règle du
« Mais, Madame, j’vous jure » qui est valable d’ailleurs pour la grande
majorité des jeux collectifs de cet acabit.
Il y a celui de l’autruche, qui consiste pour tous à se mettre la tête
dans son sac posé à terre comme si on cherchait quelque chose.
L’enseignant se trouve ainsi devant une salle sans têtes. De la même
façon, s’il en sanctionne un, ce dernier lèvera la tête en montrant une
trousse ou un cahier et en disant  : «  Madame, vous abusez, je
cherchais un stylo  », déclenchant ainsi la même défense quasi
unanime. On peut aussi tousser ou se racler la gorge tous en même
temps, menaçant d’une crise d’asthme quiconque tente de les
sanctionner.
Une des enseignantes de français que j’ai reçues m’a décrit un jeu
qu’avait inventé une de ses classes, nommé la «  salade de fruits  »  :
chaque élève s’accole le nom d’un fruit et, dès que la couleur du dit
fruit est prononcée par l’enseignant ou lue dans un texte, l’élève
concerné se dresse brutalement en criant le nom du fruit. Puis, de
façon absolument imprévisible, toute la classe se lève en criant  :
« Salade de fruits ! »
Ces jeux, lorsqu’ils durent, voire augmentent en fréquence et
varient dans leur forme, sont réservés, comme dans le cas de
harcèlement entre pairs, aux enseignants vulnérables à un moment
donné. Ils ne concernent donc pas seulement les jeunes ou
inexpérimentés, mais peuvent parfaitement s’attaquer à des
professeurs confirmés, mais plus fragiles à un moment de leur
carrière. Ce sont des moments très douloureux qui peuvent les
amener à reconsidérer leur volonté de continuer dans ce métier tant
ils se sentent humiliés, impuissants et souvent honteux. C’est, selon
nous, un problème de taille auquel il faudrait également apporter des
solutions pragmatiques et efficaces dans la durée.
87
Comment une professeure
de collège réussit à stopper
le harcèlement de la part d’une
classe entière ?

Justine est professeure de SVT en 5e. Et elle n’en peut plus.


Notamment de la classe de 5e3 qui est infernale. Nous sommes au
début du troisième trimestre et elle ne se souvient pas d’un seul cours
qui se soit bien passé. Dès le premier jour, après la première demi-
heure, trois meneurs – enfin plutôt un meneur et deux suiveurs – se
sont mis à tester son autorité, et ont réussi immédiatement à la
mettre en difficulté. Ils ont commencé à se jeter des objets à travers la
classe dès qu’elle avait le dos tourné. Elle a sanctionné un des
récepteurs qu’elle avait vu attraper une trousse. Il a aussitôt hurlé à
l’injustice en disant qu’il avait juste rattrapé la trousse pour qu’elle ne
tombe pas, et c’est comme ça qu’il est récompensé, vous abusez,
madame. La classe presque entière a pris son parti. Soucieuse d’être
équitable et de ne pas se mettre tous les élèves à dos dès le premier
jour, elle a fait volte-face et a demandé qui avait lancé la trousse à
Aslan. Tout le monde s’est tu. Elle s’est adressée précisément à Aslan :
« Si tu ne me dis pas qui t’a lancé sa trousse, je te sanctionne, toi. » Il
a répondu qu’il n’était pas une balance et qu’il préférait une heure de
colle plutôt que de trahir un ami. La classe l’a applaudi. Justine s’est
énervée : ce n’est pas la mafia ici, et tant pis pour lui s’il préférait se
faire punir à la place d’un autre. Elle lui a demandé son carnet. Et au
moment où elle reprenait son cours, la classe a lancé un bourdon 1.
Elle s’est sentie tellement injustement traitée qu’elle a sanctionné
toute la classe. Qui depuis met tout en œuvre pour l’empêcher de
travailler, et y parvient parfaitement. Elle est revenue épuisée le jour
de la rentrée, se disant déjà que l’année allait être horrible avec cette
classe-là. Prophétie parfaitement réalisée huit mois plus tard.
«  Ils redoublent de créativité, me dit-elle, et me poussent à bout
jusqu’à ce que je craque et que j’en sanctionne un, deux, dix ou
parfois toute la classe. Il n’y a pas une heure de cours sans que je
réclame un carnet et il est très rare qu’il n’y ait pas d’envoi en vie
scolaire. Ils font le bourdon, l’autruche et la toux. Ou bien Aslan et
ses deux acolytes, que j’ai mis chacun à trois coins de la classe, font
des concours de clashs entre eux à haute voix, jusqu’à ce que j’en
envoie un ou deux ou les trois à la vie scolaire. Là, ça se calme, mais
j’ai toujours droit à un ou deux jeux collectifs. Je m’énerve en leur
disant que c’est insupportablement bête et fatigant, et j’en sanctionne
un ou deux s’ils continuent.  » Les cours ont donc très difficilement
lieu et au conseil de classe du deuxième trimestre les parents d’élèves
délégués se sont plaints du climat qui régnait en cours de SVT,
certains élèves ayant révélé qu’il était impossible de suivre. Ce qui est
horrible pour Justine, c’est que la situation la rend tellement triste et
démunie qu’elle se sent devenir injuste, intolérante et qu’elle ne peut
vraiment plus voir ses élèves en peinture. « Je ne me reconnais pas,
dit-elle, ce n’est pas pour ça que j’ai fait des études à l’ESPE ; lorsque
je les croise dans les couloirs, depuis un mois, je ne réponds même
plus à leur bonjour. Je trouve qu’ils sont hypocrites, j’ai envie de les
secouer, de leur demander pourquoi ils me traitent comme ça. Qu’est-
ce que j’ai fait pour mériter un tel comportement de leur part ? Peut-
être que je devrais les interroger ? Peut-être qu’ils auront un sursaut
d’humanité », dit-elle, piochant sans s’en rendre compte, tout au long
de l’entretien, dans le champ lexical de la tyrannie et de la torture.
Comme nous le faisons lorsque les enfants harcelés se posent cette
question, nous lui répondons qu’ils continuent parce que le système
fonctionne et que c’est infiniment intéressant en matière de puissance
(pré)adolescente que de pouvoir faire exploser un adulte, quel qu’il
soit. Ils sont donc en train d’alimenter cet infini plaisir depuis huit
mois puisqu’elle leur obéit totalement. Comme si elle était sans s’en
rendre compte, et bien malgré elle, l’héroïne d’un jeu vidéo grandeur
nature qui a pour fond d’écran la salle de SVT. Dans ce contexte, leur
demander pourquoi ils agissent ainsi, en espérant une émouvante
prise de conscience de leur cruauté, alimenterait selon nous le cercle
vicieux qui la fait déjà tellement souffrir. Un plan d’action à
180 degrés de tout ce qui a été fait jusqu’alors est donc élaboré.
Justine a convoqué après un cours le leader et ses adjoints et leur
a dit qu’elle avait sous-estimé la force de leur amitié, qu’elle était
désolée de les avoir séparés, que dorénavant, pour qu’ils puissent plus
facilement communiquer, elle leur avait prévu un coin tranquille en
fond de classe, où sa voix ne les dérangerait pas trop, dans la mesure
où les cours de SVT ne les intéressaient pas du tout. Elle ne les
embêterait plus jamais à ce sujet. Ensuite, elle a dit à la classe entière
que le ministère de l’Éducation nationale avait lancé un appel dans
les académies pour préparer un article sur les plans que suivaient les
élèves pour énerver au maximum les enseignants. Elle s’était portée
volontaire, d’abord parce que c’était super bien payé, ensuite parce
que ce ne serait pas trop difficile puisqu’elle avait une classe
hyperdouée en la matière. Elle la remerciait de lui faire le plus de
blagues méchantes possible pour qu’elle puisse les transcrire
directement. Il avait été prévu que, à partir de là, chaque fois que les
élèves lanceraient un jeu, elle s’arrêterait et dirait : « Oh, merci, c’est
pour mon article.  » Elle prenait des notes sans autre commentaire.
Puis elle donnait une note au jeu sur sa qualité d’innovation et de
chahut. Elle reprenait ensuite le cours sans plus s’émouvoir. Devant
tant d’indifférence, la classe de 5e3 a baissé les bras.

1. Voir la question 86, « Une classe peut-elle harceler un enseignant ? », p. 241.


88

Des parents d’élèves peuvent-ils


harceler un enseignant ?

C’est une situation possible et, en dix ans, j’ai reçu à trois reprises
des enseignants qui se plaignaient effectivement d’avoir été harcelés
par des parents d’élèves. Il s’agissait chaque fois d’enseignants du
primaire. Ces situations présentaient un deuxième point commun  :
elles se déroulaient en milieu rural, dans de petits villages où, a-t-on
l’impression, tout le monde se connaît.
Ces deux éléments peuvent expliquer l’intensité de la montée en
escalade. Un instituteur qui a peur de mal faire et de se retrouver en
butte à des visages hostiles dès qu’il va acheter sa baguette est
évidemment plus angoissé et donc plus maladroit dans ses
interactions. L’enjeu est immédiatement et violemment incarné au
quotidien, plus sans doute qu’en territoires urbains, plus anonymes.
Les parents d’élèves de primaire, notamment (mais pas seulement)
lorsqu’il s’agit de l’aîné ou d’un enfant unique, sont très inquiets à
l’idée que l’école se passe mal pour eux. Plus vigilants en moyenne
que les parents de collégiens, ils sont parfois poussés par leur anxiété
à être un peu intrusifs et donc maladroits eux aussi. Il est intéressant
de souligner que, dans les deux cas, l’intention est souvent le bien-
être de l’enfant, ainsi que le souci, bien sûr, de préserver sa propre
souffrance de parent ou d’enseignant.
Le troisième point commun fait partie des conséquences  : deux
enseignants ont demandé leur mutation, la troisième a décidé de
changer de métier, mais d’une façon plus douloureuse que positive.
Ce qui montre bien l’intensité de la souffrance qu’une telle situation
peut engendrer.
Je me souviens notamment d’un jeune instituteur, vraiment
soucieux de bien faire, et justement très à l’écoute des souffrances de
ces écoliers que les parents avaient pris soin de lui indiquer comme
étant «  différents  », dans sa classe de CE1-CE2. Léon, qui avait été
diagnostiqué troublé de l’attention avec une possible précocité – dont
il avait été convenu entre parents et spécialistes du diagnostic qu’on
la quantifierait plus tard – avait des comportements très dérangeants.
Sans crier gare, il se mettait à pousser des petits cris, à ramper sous
les bureaux, à roter de façon étrange et à partir dans des fous rires
incontrôlés. Troublé par ces comportements qui lui semblaient relever
d’une souffrance psychique aiguë, le jeune instituteur décida dans un
premier temps de convoquer les parents pour leur faire part de ses
observations et mettre en œuvre ensemble un plan d’action pour
cadrer Léon qui, il faut bien le dire, en plus de l’inquiéter, perturbait
gravement la classe. Les parents de Léon expliquèrent au jeune
instituteur qu’il était impératif de personnaliser son enseignement et
qu’il devait être beaucoup plus patient avec Léon, valoriser ce qui
était positif, ne surtout pas le sanctionner et s’adapter à son rythme
particulier. «  Il est un peu comme une fleur exotique  », lui confia la
maman lors de ce premier entretien, ce qui lui fit immédiatement
répliquer intérieurement qu’il n’était pas horticulteur, pensée qu’il se
garda bien de partager avec elle. Basile, le jeune enseignant, s’efforça
donc de personnaliser son enseignement. Il s’assit à côté de Léon
pour le maintenir le plus gentiment possible dès qu’il était en séances
collectives, et resta avec lui pour le soutenir dans les exercices
individuels, lui donna des exercices adaptés, le survalorisa dès qu’il
réalisait quelque chose, mais la situation empira : Léon se démenait
dans tous les sens, se bouchait les oreilles quand on lui parlait,
refusait de regarder Basile dans les yeux et commença à bousculer ses
camarades. Basile se sentait à la fois de plus en plus démuni et de
plus en plus agacé.
Le deuxième entretien eut lieu à la demande des parents qui
s’inquiétaient que Léon ne progresse pas en lecture. «  C’est assez
logique, répondit Basile, puisqu’il préfère imiter une toupie en
poussant des cris au moment des apprentissages de français. »
Le père demanda alors son âge à Basile. Celui-ci répondit que le
sujet n’était pas son âge, mais les problèmes psychiques de l’enfant.
La mère répondit qu’être enseignant, c’était s’adapter. Il rétorqua qu’il
n’était pas une pieuvre et qu’avec vingt-trois enfants tous différents,
c’était impossible. Que, heureusement, tous n’étaient pas comme
Léon. Qu’il avait fait de son mieux, mais qu’il fallait envisager sans
doute un suivi plus psychologique. Le père se leva en criant que tant
d’incompétence était inadmissible, que le maître avait été prévenu
que Léon était un enfant différent et qu’il ne s’en tiendrait pas là. Ce
qu’il prouva par une lettre recommandée envoyée à l’inspecteur, puis
au recteur. Il déposa aussi une pétition dans différents commerces du
village réclamant qu’on « laisse leur chance aux enfants différents ».
Bien que soutenu par sa hiérarchie, Basile a changé d’école et de
région. C’est un souvenir très douloureux pour lui.
89

Quelles sont les erreurs à éviter


quand on est enseignant
et que l’on constate qu’un élève
se fait harceler ?

Plusieurs points doivent être abordés avec la plus grande


circonspection. De façon générale, ce qui nous semble être l’erreur
fondamentale d’un grand nombre d’actions sur ce thème du
harcèlement en milieu scolaire est la persévérance. Persévérance,
voire redoublement d’intensité, dans des actions qui, la réalité nous le
dit pourtant clairement, non seulement ne résolvent pas, mais bien
plus, aggravent en renforçant la vulnérabilité des enfants que l’on
souhaite justement protéger et que l’on affaiblit. Plus précisément,
voici les voies qui me semblent les plus porteuses de risques.
En premier lieu, en matière de principes, le fait de vouloir
imposer une relation amicale entre deux enfants ou entre un enfant
et un groupe d’enfants, quel que soit leur âge, est immensément
dangereux. Ce faisant, le professionnel de l’enfance interfère dans
une relation qui n’est en aucun cas la sienne. La métaphore qui nous
semble la plus appropriée est celle d’un fil, qui symbolise le lien
unissant deux personnes en interaction. Quelle que soit la personne
extérieure à cette relation, quelle que soit sa bienveillance ou sa
créativité, à partir du moment où elle interfère dans ce fil, elle y fait
des nœuds, provoquant l’exact inverse de ce qu’elle souhaite. Elle sera
tenue pour coupable de l’échec si ce qui est probable arrive  : son
intervention n’aura pas résolu le problème. C’est ainsi d’ailleurs que
de nombreuses équipes éducatives se sont démenées pour faire
stopper des situations de harcèlement, ont échoué malgré toute leur
bonne volonté et ont ensuite été accusées de ne pas avoir été
suffisamment « dures » ou suffisamment « dissuasives ».
Les discours moralisateurs (individuels ou collectifs) tenus plus
d’une fois sans que la première ait eu un impact résolutoire
présentent le risque de cristalliser l’interaction en renforçant, du
point de vue du harceleur (et d’ailleurs du harcelé et des témoins), le
statut de victime du harcelé. Ils peuvent donc avoir un effet
amplificateur du dysfonctionnement et donc de la souffrance
associée.
Les sanctions progressives (rappel à l’ordre, convocation des
parents, heures de colle, conseil de discipline, exclusion partielle, puis
définitive), qui n’ont rien changé à la situation de harcèlement, les
harceleurs déléguant en quelque sorte le harcèlement à d’autres,
peuvent se révéler dangereusement improductives. Elles laissent
surtout entendre à l’enfant harcelé qu’il est incapable de se défendre
seul et qu’il restera donc faible toute sa vie, puisque nous l’avons
privé de la possibilité d’aller puiser dans ses propres compétences.
Mais, à l’opposé, le fait de dire à l’enfant harcelé qu’il n’a qu’à se
défendre lui-même ou qu’il doit avoir plus confiance en lui
s’apparente au fond à un abandon, qui évidemment ne résoudra en
rien son problème. Autrement dit, à partir du moment où l’on
souhaite faire intervenir l’enfant harcelé dans le processus d’arrêt du
cercle vicieux, il faut être à la fois rigoureux, créatif, profondément
chaleureux, et s’être sérieusement formé aux méthodes de résolution
de problèmes de ce type pour l’accompagner dans cette réussite.
90

Est-ce une bonne idée de faire


une information collective
à la classe ?

En tout cas, elle part d’une bonne intention  : celle de faire


partager à l’ensemble de la classe la notion que le harcèlement est
quelque chose de méchant, d’irrespectueux et de pénalement
répréhensible, et qu’il serait donc important qu’il cesse. Parfois, ce
moyen peut fonctionner. Parfois, malheureusement, il engendre l’effet
inverse, c’est-à-dire que les adultes prenant tellement de temps pour
expliquer un interdit, celui-ci en devient encore plus désirable. De
plus, l’intervention de l’adulte en mode «  garde du corps  » pendant
cette information risque de cristalliser l’interaction entre une victime
sans défense (que l’on pourra donc sans aucune difficulté continuer à
malmener) et des élèves tout-puissants  ; en effet, la classe saura
immédiatement, même si personne ne cite son nom, la raison cachée
du thème abordé en vie de classe. C’est la raison pour laquelle,
d’ailleurs, les enfants victimes de harcèlement sont souvent réticents
à cette solution. Ils en pressentent les conséquences. Cependant,
l’idée peut être utilisée exactement à l’inverse. Dans le cas d’élèves
harcelés particulièrement courageux, avec la complicité d’un ou
plusieurs enseignants, l’exposé sera animé par la victime elle-même et
aura pour objectif de ridiculiser les harceleurs sans le dire.
Nous avons par exemple proposé à Margaux, 16 ans, la proie d’un
groupe de garçons qui se moquaient de son physique, de faire un
exposé sur le harcèlement sexiste. Avec sa remarquable professeure
de français, elle avait rédigé un récit assez drôle qui reprenait les
caractéristiques des trois garçons et les siennes propres, et expliquait
concrètement les faits. Pendant l’histoire, qu’elle scanda
régulièrement avec le refrain : « Que voulez-vous, c’est dur d’exister
au collège », tous les regards se sont tournés vers les trois misogynes
comiquement reconnaissables, qui n’en menaient pas large. Ici, il ne
s’agit pas de moralisation sur le thème « Le harcèlement, c’est mal »,
mais d’un acte de courage manifeste qui annihile immédiatement le
statut de victime et crée un véritable inconfort pour les harceleurs  :
nuire à leur propre popularité.
91

Quel rôle un chef d’établissement


peut-il jouer ?

Les chefs d’établissement ont un rôle absolument déterminant


dans la lutte contre le harcèlement, comme dans tout projet
transversal qui touche une école, un collège ou un lycée. C’est sous
leur impulsion que se font les avancées les plus cruciales et
malheureusement aussi, parfois, les retours en arrière les plus
frustrants. La façon dont ils abordent personnellement le harcèlement
colore en effet chacune des actions menées en interne sur ce thème.
Certains, partisans du tout sécuritaire, peuvent engendrer sans le
vouloir des harcèlements sophistiqués et dissimulés qui, lorsqu’ils
sont découverts, donnent lieu à des sanctions dures et exemplaires,
ne permettant pas aux enfants victimes de faire un apprentissage
personnel. D’autres considèrent que leur établissement est exempt de
ce genre de problèmes et laissent perdurer des situations génératrices
de souffrances, considérant qu’il s’agit là de simples chamailleries
entre enfants. Je pense honnêtement qu’ils sont de plus en plus rares.
J’ai la chance d’en croiser de nombreux lors de mes déplacements
en France et je suis admirative chaque fois devant leur immense
volonté que les choses changent. Il est à noter évidemment que, s’ils
m’ont invitée à mener une intervention dans leur établissement, c’est
qu’ils sont particulièrement sensibles à cette problématique. L’analyse
des praticiens de l’École de Palo Alto leur paraît souvent juste, à eux
qui souvent ont tenté vainement par des solutions de bon sens de
faire stopper certaines situations de harcèlement. Le rôle qu’ils
peuvent jouer, lorsqu’ils décident de travailler avec nous, est celui de
porteur d’un projet qui implique l’ensemble des acteurs du système.
C’est ainsi que certains organisent dans la même semaine :
–  Une conférence pour les parents, destinée à leur montrer qu’il
est plus utile d’outiller les enfants vulnérables que de multiplier les
sanctions contre les enfants les plus rebelles. Cela apaise
immédiatement un certain nombre de familles qui, du coup, sont
moins agressives vis-à-vis des équipes éducatives qu’ils jugeaient
jusque-là inefficaces, voire laxistes. Du coup, on travaille mieux avec
les enfants en souffrance puisque les adultes s’orientent dans le même
type de plans d’action.
–  Une conférence, puis des ateliers pour l’équipe éducative, afin
de commencer à les aider à résoudre des problématiques en allant
puiser dans les compétences des enfants harcelés.
– Des ateliers pour les enfants volontaires qui s’y inscrivent (après
avoir travaillé avec l’enseignant sur notre matériel 1) pour être aidés
dans l’élaboration des stratégies personnalisées pour que le
harcèlement s’arrête, soit parce qu’ils en sont victimes, soit parce
qu’ils veulent aider un de leurs camarades.
Le fait que les chefs d’établissement s’investissent
personnellement dans ce type de projet en introduisant les différentes
conférences et ateliers donne évidemment une légitimité très
productive à cette nouvelle façon d’opérer. Certains concrétisent le
projet en envoyant en formation une ou deux personnes chargées de
responsabilités transversales dans leur établissement (CPE, infirmière,
psychologue), dans le but de proposer aux élèves et aux familles, au
sein de leur école ou collège, un référent dont les compétences sont
validées par un diplôme universitaire. Ce qui est certain, c’est que
travailler sur ces thèmes sans leur validation et leur impulsion relève
de la mission impossible, ou pour le moins d’une sorte de traversée
du désert frustrante pour les équipes éducatives.

1. Soit le visionnage de la conférence TedX qui peut donner lieu à débat, soit un travail
sur mon livre Je me défends du harcèlement, Paris, Albin Michel, 2016.
92

L’enseignant doit-il prévenir


les parents ?

C’est une question délicate à laquelle sont parfois confrontés les


professionnels de l’enfance, qu’ils œuvrent d’ailleurs dans des
établissements ou en ville. C’est cependant encore plus vrai en ce qui
concerne les infirmières scolaires qui se trouvent souvent face à ce
dilemme et ne savent pas comment réagir, se fiant (souvent avec
bonheur) à leur intuition.
A priori, la réponse à la question est oui, car le fait de travailler
en collaboration avec les parents des enfants harcelés est un gage
d’efficacité supplémentaire. Le fait qu’ils valident la stratégie retenue,
voire qu’ils contribuent à l’affiner, et qu’ils entraînent leur enfant à
adopter cette nouvelle posture apparaît clairement comme un
amplificateur de performance. Par ailleurs, il est plus rassurant pour
un professionnel d’informer les parents dans le cas où la situation
devient encore plus problématique, voire dangereuse. Il est en effet
très difficile pour un professionnel de l’enfance d’imaginer qu’un
parent lui reproche de ne pas l’avoir averti d’une situation aussi
douloureuse si elle devait finalement s’avérer dramatique pour
l’enfant et sa famille.
Cependant, il existe des circonstances particulières, et notamment
quand l’enfant ou l’adolescent fait part à son interlocuteur de ce qu’il
subit et lui demande instamment de ne pas en parler à ses parents.
C’est souvent, malheureusement, le cas des harcèlements
impressionnants où le professionnel se sent soudainement
extrêmement seul face à un problème gigantesque.
Les raisons de cette demande de l’élève sont multiples  : il ne
souhaite pas que ses parents s’inquiètent ou s’attristent de ce qui lui
arrive  ; il a honte et ne veut en parler à personne d’autre qu’au
professionnel de l’enfance qui se trouve en face de lui, parce que c’est
trop douloureux ou parce que les relations avec ses parents sont à ce
moment-là conflictuelles  ; il a peur qu’une fois ses parents mis au
courant, ces derniers interviennent de façon improductive et
aggravent la situation. Ce sont chaque fois de bonnes raisons.
Par ailleurs, le fait d’opposer un non catégorique à ces enfants ou
à ces adolescents présente le risque de perdre l’alliance avec eux et
donc de louper une occasion de les aider. Réputation qui peut ensuite
se répandre dans la cour de l’établissement et dissuader d’éventuels
enfants harcelés de demander de l’aide. C’est donc une décision qui
peut s’avérer dangereuse et improductive à terme pour les enfants,
même si le professionnel, lui, d’une certaine manière, est protégé.
La solution qui me semble la plus apaisante pour les deux parties
consiste pour le professionnel à répondre à l’enfant que, s’il est
d’accord, il va réfléchir à une stratégie qu’il pourrait mettre en œuvre
pour résoudre son problème de harcèlement, et que si, par malheur,
cela ne suffisait pas, alors il serait contraint d’en parler à ses parents,
et qu’il l’aiderait le cas échéant à minimiser le plus possible les
conséquences de cette annonce. S’ils sont tous deux créatifs, l’élève et
le professionnel, la situation devrait s’arranger durablement. Si
l’enfant est d’accord et que la tâche semble délicate, une supervision
par un spécialiste rigoureusement formé est alors indispensable.
93

Comment expliquer aux parents


d’enfants harcelés
que sanctionner le harceleur
ne fonctionne presque jamais ?

C’est une question que posent très souvent les professionnels de


l’enfance que nous formons, qu’ils soient enseignants, CPE ou chefs
d’établissement. Ils se retrouvent fréquemment en face de parents
dont la seule demande est ce qu’ils appellent une «  sanction
exemplaire  ». C’est paradoxalement d’ailleurs dans des cas où des
sanctions ont bel et bien été prises contre le(s) harceleur(s) qu’ils
sont le plus désemparés et donc le plus virulents, considérant que les
sanctions n’ont pas été suffisantes au regard des souffrances causées à
leur enfant.
Dans ce contexte émotionnellement fort, il est impératif de bien
accueillir la colère des parents, leur tristesse et leur désarroi. Parfois,
comme la relation est tendue, les parents se montrent accusateurs vis-
à-vis de l’établissement, le professionnel de l’enfance « oublie » cette
première étape et l’escalade symétrique a toutes les chances de
prospérer.
Pour prendre les choses différemment, les personnels peuvent
rapidement dire aux parents : « Je suis terriblement en colère contre
la cruauté des harceleurs et très triste pour votre enfant. D’autant
plus que, pour l’instant, nous ne parvenons pas à obtenir qu’ils
cessent, malgré l’heure de vie de classe que le professeur principal a
consacrée au sujet, malgré les heures de colle qui ont été données,
malgré les menaces d’exclusion qui ont été signifiées ; pour vous dire
le fond de ma pensée, je me demande même si ces mesures ne les ont
pas excités encore plus, contrairement à ce que nous voulions,
comme si elles avaient fragilisé votre enfant. J’aurais donc bien aimé
que l’on réfléchisse ensemble à une autre stratégie qui consisterait à
élaborer une parade que votre fils/fille pourrait mettre en place pour
les faire tomber de leur piédestal et les rendre ridicules aux yeux du
plus grand nombre. Voilà qui serait une vraie punition.
–  Ce n’est quand même pas à lui de mettre en place des plans
différents, il est la victime, c’est le monde à l’envers…
– En effet, c’est d’ailleurs, je crois, une des insultes qui lui sont le
plus souvent envoyées. Comprenez-moi bien, je veux vraiment,
comme vous, que ça cesse. Et aussi que ça ne lui arrive plus jamais.
Je me dis qu’il faut que nous l’aidions à mettre les harceleurs par
terre, parce que ce sera beaucoup plus douloureux pour eux que
n’importe quelle mesure disciplinaire et beaucoup plus rassérénant
pour votre enfant. Parce qu’il aura appris à se faire respecter, et c’est
bien pour la suite, car vous savez comme moi que le monde de
l’entreprise n’est pas tendre non plus.
–  Enfin, si on les exclut définitivement, ils ne pourront plus lui
manquer de respect.
– Par expérience, dans une grande majorité de cas, le harcèlement
continue malgré les exclusions, comme s’il avait été délégué à
d’autres. Et la souffrance de l’enfant harcelé s’en trouve décuplée ; il
se dit qu’il ne s’en sortira jamais… Je n’ai pas envie de prendre ce
risque avec votre enfant, d’autant plus que nous avons déjà fait
l’expérience, vous et moi, que les sanctions étaient pour l’instant
sinon aggravantes, au moins improductives. Mais bien entendu, si
vous souhaitez lui faire prendre ce risque, alors, je vous suivrai. »
94

Que peut dire un enseignant


à un parent d’enfant harceleur
pour qu’il aide ?

Du point de vue des praticiens de l’École de Palo Alto, pas grand-


chose, malheureusement. Ou, plus exactement, on peut évidemment
leur en parler (tous les protocoles de résolution prévoient d’ailleurs
cette étape qui consiste à recevoir les parents de l’enfant harceleur),
mais sans en attendre quoi que ce soit de très opérationnel. En effet si
l’intention nous semble excellente, nous sommes assez sceptiques sur
l’impact positif d’un tel entretien sur l’arrêt du harcèlement, parce
que nous nous adressons ici aux parents et non aux protagonistes
eux-mêmes. Or, s’il est  déjà difficile de modifier ses propres
interactions, il  est souvent assez vain de vouloir modifier les
interactions des autres entre eux ; de plus, nous nous adressons aux
parents d’un enfant qui, dans la majorité des cas, n’a pas vraiment
d’intérêt à ce que la situation change. Il y a donc de fortes chances
qu’il explique le contexte d’une façon acceptable pour eux de façon à
les mettre dans son camp.
De deux choses l’une, conséquemment. Soit le parent opposera
(notamment au bout de la deuxième ou troisième convocation) une
dénégation qui ne fera rien avancer, voire aggravera la situation,
selon différentes modalités  : «  Je pense que c’est un peu plus
compliqué que cela  », «  Mon fils n’est pas comme ça  », «  Vous ne
faites confiance qu’à l’une des deux parties  », certains allants même
jusqu’à parler du «  harceleur/harcelé.  » Le risque ici, c’est que le
professionnel se retrouve coincé entre un parent accusateur, celui de
l’enfant harcelé qui le considère comme laxiste, et un parent sur la
défensive, celui de l’enfant harceleur, qui tente de prouver que
l’accusation est fausse pour atténuer les sanctions. Soit le parent –
  c’est beaucoup plus rare mais cela arrive  – voudra en effet faire
prendre conscience à son enfant de la gravité des faits et le
moralisera et/ou sanctionnera de concert avec l’établissement. Le
risque est de renforcer la vulnérabilité de l’enfant harcelé en lui
donnant sans le vouloir une réputation de « balance ».
S’entretenir avec le parent de l’enfant harceleur en lui disant
simplement de s’assurer auprès de lui qu’il est conscient de la
souffrance vécue par l’autre enfant, sans en demander plus, est une
étape logique, possible, mais totalement insuffisante.
95

Comment peut-on se former


quand on est enseignant, CPE,
infirmier, psychologue
ou médecin scolaire ?

Les référents académiques « harcèlement » présents dans chaque


département sont formés régulièrement à l’École supérieure de
l’Éducation nationale (formation sur le climat scolaire en trois ans
inscrit au Plan national de formation). Ces référents assurent ensuite
l’organisation de formations en académie avec pour objectif de
structurer des réseaux de formateurs au plus près des besoins des
écoles et des EPLE.
Dans les académies et les départements, de nombreuses
formations ont été mises en place en 2013-2014, majoritairement
dans le second degré, et se poursuivent, notamment pour mieux
s’étendre au premier degré :
– 26 académies disposent de formateurs ;
–  21 académies ont inscrit le harcèlement au programme de
formation académique (Paf) ;
– 18 académies forment des élèves ;
– 21 académies organisent des formations sur site.
Par ailleurs, dans le cadre de la formation continue, les
enseignants peuvent valider des modules dédiés au harcèlement
(9 heures) dans le parcours M@gistère.
Depuis 2016, l’université de Bourgogne a mis en place en
partenariat avec l’ESPE 1 une formation à l’apaisement des souffrances
en milieu scolaire et périscolaire. Les vingt participants de chaque
promotion sont formés à des outils de résolution de problèmes issus
de l’École de Palo Alto sur les thèmes suivants :
–  Unité d’enseignement 1  : introduction à l’épistémologie de
l’École de Palo Alto centrée sur les souffrances en milieu scolaire
(24 heures) ;
– Unité d’enseignement 2 : les situations d’enseignement difficiles
(24 heures) ;
–  Unité d’enseignement 3  : les souffrances relationnelles entre
élèves (24 heures) ;
–  Unité d’enseignement 4  : les souffrances des élèves liées aux
apprentissages (24 heures) ;
–  Unité d’enseignement 5  : les souffrances liées aux nouvelles
technologies (24 heures).
En ce qui concerne l’Unité d’enseignement 3, elle se décompose
en trois journées qui présentent dans un premier temps les principes
de résolution appliqués à ce type de problèmes par l’École de Palo
Alto, puis des cas réels de harcèlement en primaire, au collège, au
lycée, ainsi que les solutions qui ont été apportées. En troisième
journée, les participants s’entraînent sous forme de jeux de rôle pour
s’approprier plus finement les outils. Chaque Unité d’enseignement
donne lieu à une évaluation individuelle du participant, auquel on
présente un cas à résoudre.
1. École supérieure du professorat et de l’enseignement.
RÉSEAUX SOCIAUX
ET NOUVELLES
TECHNOLOGIES
96

Le cyber-harcèlement
et le harcèlement sont-ils
la même chose ?

Dans la structure de la relation, c’est exactement la même chose.


Ce qui change, c’est le média et, du coup, cela modifie clairement
l’intensité de la violence et donc de la souffrance. Quand le
harcèlement perdure en dehors de l’établissement par le biais des
SMS, de Snapchat, Twitter ou Facebook, cela signifie que plus aucun
lieu n’est véritablement sécurisé, puisque des horreurs sont déversées
toute la journée jusque dans la chambre de l’enfant ou de
l’adolescent. Ce qui change, par ailleurs, c’est que le harcèlement peut
se faire de façon anonyme, ce qui décuple la violence des attaques,
l’empathie, on le sait, étant généralement moins forte lorsque l’on est
derrière un écran que face à sa victime. Ce qui change aussi, c’est le
nombre de spectateurs potentiels de sa propre souffrance, les taches
d’huile engendrées rapidement par les réseaux pouvant
potentiellement atteindre des dizaines de milliers d’internautes et
augmentant la honte ainsi suscitée. Laissant des traces numériques
pendant de nombreuses années, cette forme spécifique de
harcèlement est sans doute encore moins indélébile. Ce qui change,
enfin, c’est qu’Internet suscite pour l’instant beaucoup d’inquiétude
chez un certain nombre de parents et qu’ils se sentent doublement
impuissants lorsque le harcèlement passe par ce biais  :
relationnellement et, d’une certaine manière, techniquement. Ce
phénomène les pousse à intervenir peut-être avec encore plus
d’intensité que dans des situations non virtuelles, ce qui crée le risque
d’aggraver la situation. Et, pour les protéger, à interdire l’accès aux
réseaux à leurs enfants. Ceux-ci, évidemment, sont poussés à leur
dissimuler les propos dont ils sont les victimes car les enfants cyber-
harcelés préfèrent fréquemment savoir ce qui se passe et ce qui se dit
à leur propos, que d’être totalement exclus des informations.
L’ignorance est souvent, de leur point de vue, plus angoissante encore.
Bien plus, certains adultes ont parfois tendance à croire que, s’il n’y
avait pas Internet, il n’y aurait pas de harcèlement.
Je crois que c’est une erreur d’analyse  : de tous les collégiens et
lycéens que nous avons reçus à Paris et en province, et qui se faisaient
harceler via les réseaux, aucun ne se faisait harceler ou isoler
uniquement par ce biais. Snapchat, Facebook, Twitter ou les SMS
faisaient partie du « dispositif global » (et il s’agissait en majorité de
SMS), mais la relation «  réelle  » était elle-même dysfonctionnelle.
Autrement dit, si l’on avait décidé dans leur cas de les couper des
réseaux sociaux, le harcèlement aurait perduré dans la cour. C’est
donc là aussi une réponse relationnellement différente qu’il faut
apporter dans sa structure même. La bonne nouvelle, c’est que si le
harcèlement peut se sophistiquer grâce à Internet, les réponses
stratégiques qu’on peut lui opposer, également.
97

Quelles formes le cyber-


harcèlement peut-il prendre ?

Voici, emprunté à l’association e-enfance 1, une liste de quelques-


uns des faits de cyber-harcèlement en milieu scolaire qui se
produisent les plus fréquemment.
Flood ou flooding : cette pratique consiste à inonder de messages,
de commentaires ou de publications inutiles, éventuellement dénués
de sens, la messagerie ou le mur d’une personne ou d’un groupe de
personnes. Elle vise à gêner les échanges entretenus par cette
personne ou ce groupe, voire à rendre inutilisables leurs moyens de
communication en les saturant.
Doxxing ou doxing  : cette pratique consiste à rassembler des
informations personnelles (anecdotes, photos, vidéos, identité
numérique) sur quelqu’un et à les diffuser auprès d’un grand nombre
afin de lui nuire. Il peut constituer une atteinte à la vie privée. Les
sources de ces informations sont variées : elles peuvent être dérobées,
provenir d’échanges privés, être issues de témoignages
(éventuellement sollicités) ou avoir été recueillies sur des réseaux
sociaux (contenus publics ou privés).
Happy slapping (ou vidéolynchage, vidéo-agression)  : cette
pratique consiste à filmer l’agression physique d’une personne à l’aide
d’un téléphone portable. Le terme s’applique à des gestes d’intensité
variable, de la simple vexation aux violences les plus graves, y
compris les violences sexuelles.
Hoax : il s’agit d’un canular ou d’une rumeur infondée circulant
sur Internet, notamment par le biais des réseaux sociaux ou du
courrier électronique. Cette rumeur vise à déstabiliser la personne ou
le groupe qui en sont l’objet, ou à induire en erreur, éventuellement à
effrayer, ceux qui en prennent connaissance et y prêtent foi.
Revenge porn  : cette méthode consiste à compromettre son ex-
partenaire en diffusant des photos ou des vidéos intimes et à
caractère sexuel, comme vengeance après une rupture. Les photos ou
les vidéos sont publiées sur Internet, souvent sur des sites dédiés, ou
envoyées par messagerie ou par téléphone portable.
Slut shaming : cette expression regroupe un ensemble d’attitudes
individuelles ou collectives agressives envers les filles et les femmes.
Le slut shaming consiste à les stigmatiser, à les culpabiliser et à
dénigrer un aspect physique ou des comportements jugés ou
prétendus provocants ou trop ouvertement sexuels. Il peut
s’apparenter à l’humiliation ou au harcèlement.
Les réseaux les plus communément utilisés par les
(pré)adolescents pour ce faire sont Snapchat, Twitter, Facebook et les
SMS.

1. E-enfance est une association remarquable qui peut aider par exemple de façon
rapide les adolescents à faire stopper des processus de cyber-harcèlement de manière à
en éviter la propagation (http://www.e-enfance.org/).
98

Comment contrer
un harcèlement par SMS ?

Dorian a 17  ans. Il a été élu délégué de classe avec une bonne
majorité de votes en début d’année et il prend son mandat à cœur. La
notion d’équité et d’honnêteté lui semblent notamment importantes
pour résoudre les différents incidents qui ont lieu dans la classe.
Lorsque le conflit entre Lucas et le professeur de SVT éclate, tout
le monde a un peu peur  ; l’enseignant lui réclame son carnet parce
que, pour la dixième fois, il lui a demandé de se taire. Lucas répond
qu’il ne l’a pas. Le professeur se met à crier qu’il arrête de le prendre
pour un idiot. Lucas se lève et demande au professeur s’il vient de le
traiter de menteur. Parce que si c’est le cas, précise Lucas, il va le
planter. Il a un sourire assez bizarre en s’approchant de l’enseignant.
Ce dernier reste muet, apparemment terrifié, ce que Dorian
comprend très bien, et finit par quitter la salle de cours
précipitamment. Il est mis en arrêt de travail le soir même par son
médecin.
Un conseil de discipline est organisé quelques jours plus tard,
auquel les délégués sont conviés. Lorsqu’on leur demande leur avis,
Faustine, la suppléante, dit que Lucas a des problèmes familiaux et
qu’il a du mal à gérer ses émotions, qu’il serait plus juste de lui laisser
une seconde chance. Dorian, lui, répond qu’il n’a pas de commentaire
à faire. Il ne veut pas porter tort à Lucas, mais se sent incapable de le
défendre parce qu’il a trouvé son comportement violent. Ne rien dire
est l’attitude qui lui semble la plus juste et la plus honnête. Lucas est
exclu temporairement et doit des heures de travail à l’établissement.
Il ira pendant plusieurs jours s’occuper des espaces verts. Quelque
temps après l’exclusion, Dorian reçoit un premier message d’un
numéro qu’il ne connaît pas  : «  Délégué de merde. Espèce de
poucave. T’es mort. » Il ne répond rien, pensant que ça va passer et
qu’il est logique que Lucas soit énervé. Une série de nouveaux SMS
commence à pleuvoir quelques heures plus tard, provenant d’au
moins une dizaine de numéros différents. Les jours suivants, ils
redoublent d’intensité et de violence, il est traité de collabo, puis de
nazi, il est écrit  : «  On veut plus de toi ici.  » Plus personne dans la
classe ne lui parle. Il a assez rapidement la sensation horrible que
c’est le lycée entier qui le regarde avec dégoût. Lorsqu’il croise Lucas,
ce dernier fait mine de l’étrangler avec son pouce. Il décide de
démissionner de son mandat de délégué, même si ce choix lui cause
une peine terrible. Lorsque le proviseur lui demande pourquoi, il dit
qu’il a trop de travail pour continuer à s’investir comme il le souhaite.
Ce n’est pas très crédible, parce que ses notes commencent à
dégringoler. Le proviseur a l’air sceptique. Des croix gammées
apparaissent sur son écran de façon intempestive. Dorian commence
à avoir des nausées tous les matins. Un jour, il s’évanouit dans un
couloir. Enfin, les incitations au suicide arrivent. Une, puis deux, puis
une dizaine. Quand ils le croisent, Lucas et sa bande chuchotent  :
«  Crève.  » Lorsque Dorian vient nous voir, il nous montre le dernier
SMS qu’il a reçu le matin : « Tu vas crever comment ? » Recroquevillé
sur le canapé du cabinet, il semble totalement éteint.
«  Je ne sais pas quoi faire. Si je ne fais rien, ils continuent et je
suis sûr que, si je fais quelque chose, ça va être pire pour moi.
– Dorian, c’est profondément injuste, c’est un peu comme si tout
ce à quoi tu crois était violemment bafoué. En plus, maintenant, ils te
terrorisent en t’envoyant ces horribles appels au suicide. Il va falloir
que nous les prenions à leur propre jeu. Je suis d’accord avec toi,
pour l’instant, tu ne réponds rien, mais plus les jours passent et plus,
sans le vouloir, en te recroquevillant, tu leur montres à quel point ils
parviennent à te faire souffrir. C’est comme si tu te débattais en
silence et ça, je vais te dire, les barbares adorent. Je vais donc te
proposer quelque chose qui va te paraître vraiment bizarre –  mais
c’est à la hauteur de l’horrible situation –, et qui va leur faire croire
que tu ne te débats plus. Que tu joues avec eux, car ils n’ont pas
d’impact sur toi. C’est faux, évidemment, mais c’est ce que nous
devons leur faire croire. Je te propose de répondre à leur dernier
SMS, là, maintenant, puis nous répondrons ensuite avec toi en
fonction de ce qui se passera  : «  J’hésite, donc je vais faire un
sondage : A) la corde, B) le train, C) la Saône. Je vous laisse choisir.
En attendant, j’écris ma lettre d’adieux, il y a bien un “d” à la fin de
Lucas Durand ? » Une minute plus tard, un nouveau SMS arrive : « Si
tu fais ça, t’es mort.  » Nous avons envoyé  : «  Trop tard.  » Dorian a
souri pour la première fois en une heure.
99

Comment se défendre contre


un harcèlement sur Snapchat

Melody et Yasmine étaient les deux meilleures amies du monde


pendant plusieurs années et puis, pour une histoire de garçons, elles
se sont disputées violemment et, au dire de Melody, de façon
définitive. Des messages d’insultes ont été mutuellement envoyés par
SMS, puis chacune est partie vaquer à ses occupations et pendant
plusieurs mois c’est silence radio entre les deux jeunes filles après
cette rupture amicale. Malheureusement pour Melody, des
confidences intimes ont été échangées pendant leur période
fusionnelle et elle regrette de s’être ainsi livrée à quelqu’un en qui
elle n’a plus du tout confiance. D’autant plus que la réciproque a été
moins vraie, Yasmine n’étant pas tellement du genre à se confier.
Depuis, Melody a rencontré un garçon et elle a le sentiment que c’est
l’homme de sa vie. Elle inonde donc son fil Facebook de photos avec
lui et envoie des centaines de fois par jour des snaps 1 à toutes ses
amies pour leur faire partager son bonheur extrême. Elle ne nous
cache pas le fait qu’elle espère aussi agacer son ancienne meilleure
amie dont elle sait, par la bande, qu’elle est pour l’instant tristement
célibataire. C’est visiblement réussi puisqu’elle reçoit une story 2 de
Yasmine qui montre une photo d’un de ses ex ainsi légendée  :
« Melody la pute a-t-elle dit à son nouveau mec qu’elle avait avorté de
celui-ci  ?  » Melody est horrifiée et son amoureux, Gabin, qui fait
partie des contacts Snapchat de Yasmine, est un peu choqué. Elle lui
assure qu’il ne s’agit que de jalousie de la part de son ex-amie et,
heureusement, ses copines confirment.
Le lendemain, une story encore plus horrible est diffusée qui
concerne, cette fois, une idylle très courte que Melody a eue avec le
copain d’une de ses amies à l’époque du collège. Elle montre une
photo du garçon en question avec en commentaire : « Melody la pute
a-t-elle dit à son nouveau mec qu’elle aimait bien se taper ceux de ses
copines  ?  » Ils étaient uniquement trois à connaître ces faits qu’elle
juge aujourd’hui honteux, et Melody est obligée de faire des pieds et
des mains pour convaincre tout le monde que c’était encore un
mensonge motivé par la jalousie de Yasmine. Elle devine que Gabin
est heurté par toutes ses rumeurs et ne sait pas quoi faire pour le
rassurer sur sa réputation. Elle le sent devenir distant. Le lendemain,
une nouvelle story apparaît, cette fois-ci inventée de toutes pièces,
sur le fait qu’elle préférait les gros, avec en photo un homme obèse
torse nu. Melody commence à sérieusement déprimer. Elle songe à ne
plus aller en cours, à fermer tous les réseaux sociaux, à se séparer de
Gabin et à partir très loin. Puis les stories s’arrêtent pendant une
semaine. Melody respire. Elle se dit qu’elle a bien fait de ne pas
réagir, que Yasmine, du coup, s’est découragée. Gabin se rapproche
d’elle et tout redevient comme avant. Mais au huitième jour, une
nouvelle story insultante (et vraie) est envoyée, et c’est en urgence
que nous recevons une Melody paralysée par l’angoisse.
«  Je me disais que, si je ne bougeais pas une oreille, elle se
lasserait en pensant que ça ne me fait rien, mais c’est débile, tout le
monde sait que je suis dans tous mes états depuis qu’elle fait ça, donc
elle est au courant, c’est obligatoire, et ça l’excite. Je ne sais pas quoi
faire.
– Réfléchissons un peu. Le mieux, c’est d’utiliser le même support
tout en ridiculisant ce qu’elle est en train de faire, non ?
– Oui, mais comment ?
–  Eh bien, en postant une story d’elle, de préférence avec un
sourire niais, légendée ainsi : “Je vous présente ma fan no 1. Si vous
avez besoin d’infos sur ma life, contactez-la, elle adore parler de
moi.”
– Oh, je vois trop la photo que je vais choisir », sourit Melody.

1. Photos instantanées disparaissant au bout de quelques secondes (on peut néanmoins


réaliser une capture d’écran pour immortaliser l’image).
2. Photo ou vidéo postée sur Snapchat qui reste consultable pendant vingt-quatre
heures.
100
Comment stopper
un harcèlement sur Facebook ?

Laurine est corpulente, comme un peu tous les membres de sa


famille pour laquelle cela ne pose pas de problème. Il en va
autrement au lycée où, régulièrement, surtout depuis cette année de
seconde, elle se fait traiter de truie, de grosse vache, de baleine. Elle
ignore les insultes, comme sa grande sœur le lui a conseillé en lui
prédisant que ses «  harceleurs débiles  » finiront bien par se lasser.
Mais cela s’amplifie gravement et brutalement, car un jour des photos
d’elle sont prises en cours d’éducation physique et sportive, alors
qu’elle est en train d’enlever son tee-shirt. On y voit distinctement ses
bourrelets. La photo zoomée commence à circuler sur Facebook et
très vite un torrent de commentaires horribles sont postés sur une
page intitulée «  Qui pourrait coucher avec Laurine la truie  ?  ».
Laurine est profondément abattue. Dans un premier temps, elle n’en
parle à personne, elle ne réagit pas sur les réseaux, elle a évidemment
peur d’envenimer la situation et se sent seule. La page continue à être
alimentée et des photos-montage répugnants se succèdent jour après
jour, l’exposant dans différentes postures – des photos insoutenables à
regarder. Pourtant, Laurine ne peut s’empêcher d’aller sur Facebook
toutes les heures en espérant que le torrent de haine commence à se
tarir, mais il est régulièrement réactivé par un commentateur, qu’elle
connaît, ou dont elle n’a jamais entendu parler. Un jour, elle est
insultée et giflée dans le bus par un groupe de filles et la vidéo est
publiée sur la page Facebook. Elle obtient cinq cents likes et est
partagée plus de trois cents fois. Laurine a envie de mourir pour ne
plus subir tout ça. C’est sa grande sœur qui découvre la situation
parce qu’elle ne reconnaît pas sa petite Laurine, autrefois toujours de
bonne humeur et câline, et qui devient distante et colérique. De plus,
elle se fait vomir plusieurs fois par jour. Elle parvient à la faire parler
en échange de la promesse de ne rien dire aux parents. «  Ça leur
ferait trop de peine, dit Laurine. D’ailleurs c’est vrai que je suis
grosse, j’ai qu’à moins manger, c’est ma faute. Je ne veux pas qu’ils se
sentent coupables et je ne veux pas qu’ils me forcent à aller porter
plainte ou je ne sais quoi, parce que ce sera pire, j’en suis sûre. » La
grande sœur de Laurine est complètement démunie lorsque nous les
accueillons toutes les deux. Elle ne veut pas trahir la confiance de sa
petite sœur, mais elle ne sait pas comment l’aider.
«  Il faut absolument faire quelque chose immédiatement, c’est
intolérable, dit-elle. Mais on ne sait pas qui a créé la page Facebook et
la plupart des commentateurs ont des pseudos. Je ne sais même pas
comment on s’y prend pour fermer une page de ce type. En plus, j’ai
l’impression qu’ils s’y prendraient autrement, tellement ils sont à la
fois haineux et créatifs. Vraiment, Internet, c’est l’horreur, c’est la
première fois que je ressens ce que signifie vraiment le mot “toile”.
C’est terriblement oppressant.
– En effet, mais le gros avantage, c’est qu’on peut aussi s’en servir
pour renverser la situation. Si Laurine est d’accord, évidemment. »
Laurine acquiesce mollement d’un air sceptique. Elle donne
l’impression de ne plus être avec nous.
«  Que se passerait-il, à ton avis, Laurine, si tu collectais une
centaine de photos de cochons, les plus moches possible, et que tu les
postes toutes les secondes sur cette page qui n’attend que nous, sans
t’arrêter, en taguant tous les commentateurs avec le
#moijeveuxcoucheravectoi, qu’il s’agisse de garçons ou de filles ?
– Ouaaaaaah ! dit Laurine, où est-ce qu’on peut trouver les photos
des cochons les plus moches du monde ? »
Bibliographie

Gregory Bateson, Vers une écologie de l’esprit, Paris, Seuil, 1977.


Jean-Pierre Bellon, Bernard Gardette, Prévenir le harcèlement à l’école,
Paris, Fabert, 2012.
Valérie Besag, Bullies and Victims in Schools. A Guide to Understanding
and Management, Milton Keynes, Open University Press, 1989.
Michael J.  Boulton, “Proximate Causes of Aggressive Fighting in
Middle School Children”, British Journal of Educational
Psychology, no 63, 1993, p. 231-244.
Nicole Catheline, Le Harcèlement scolaire, Paris, PUF, 2014.
Éric Debarbieux, Les Dix Commandements contre la violence à l’école,
Paris, Odile Jacob, 2008.
HBSC, “Growing Up Unequal. Gender and Socioeconomic Differences
in Young People’s Health and Well-Being”, Part 2, Key Data,
Chapter 1, 2013-2014.
MEN-MESR DEPP, «  Enquête nationale de victimation en milieu
scolaire 2011 et 2013 ».
Dan Olweus, Aggression in the Schools, New York, Halsted Press Book,
1978.
Dan Olweus, “Bullying or Peer Abuse at School. Facts and
Intervention”, American Psychological Society, 1989.
Dan Olweus, Bullying at School. What We Know and What We Can Do,
Oxford, Blackwell, 1993.
Emmanuel Peignard, Elena Roussier-Fusco, Agnès Van Zanten, «  La
violence dans les établissements scolaires britanniques  :
approches sociologiques  », Laboratoire de sociologie de
l’éducation, CNRS, Paris-5, 1998.
Emmanuelle Piquet, Te laisse pas faire  ! Aider son enfant face au
harcèlement à l’école, Paris, Payot, 2014.
Emmanuelle Piquet, Je me défends du harcèlement, Paris, Albin
Michel, 2016.
Hélène Romano, Harcèlement en milieu scolaire. Victimes, auteurs, que
faire ?, Paris, Dunod, 2015.
Ryu Takizawa, Barbara Maughan, Louise Arseneault, “Adult Health
Outcomes of Childhood Bullying Victimization. Evidence from a
Five-Decade Longitudinal British Birth Cohort”, The American
Journal of Psychiatry, vol. CLXXI, no 7, 2014, p. 777-784.
Serge Tisseron, «  Prévenir la violence et le harcèlement scolaire. Le
jeu des trois figures », Le Journal des psychologues, 2012, no 299,
p. 28-32.
Unicef, « Adolescents en France, le grand malaise », 2014.
DANS LA MÊME COLLECTION

GUIDÈRE Mathieu, L’État islamique en 100 questions, 2016.


DJALILI Mohammad-Reza et KELLNER Thierry, L’Iran en 100 questions, 2016.
CHAST François, Les Médicaments en 100 questions, 2016.
GRENARD Fabrice, avec AZÉMA Jean-Pierre, Les Français sous l’Occupation en 100 questions,
2016.
MORILLOT Juliette et MALOVIC Dorian, La Corée du Nord en 100 questions, 2016.
DAZI-HÉNI Fatiha, L’Arabie Saoudite en 100 questions, 2017.
SCHMID Dorothée, La Turquie en 100 questions, 2017.
LUIZARD Pierre-Jean, Chiites et sunnites, la grande discorde en 100 questions, 2017.
DU MÊME AUTEUR

À quoi ça sert de vivre si on meurt à la fin ?, en collaboration avec Julien Martinière, Paris,
Sarbacane, 2011.
Te laisse pas faire ! Aider son enfant face au harcèlement à l’école, Paris, Payot, 2014.
Faites votre 180 degrés !, Paris, Payot, 2015.
Je me défends du harcèlement, Paris, Albin Michel, 2015.
Mon ado, ma bataille. Comment apaiser la relation avec nos adolescents, Paris, Payot,
2017.
Retrouvez tous nos ouvrages
sur www.tallandier.com

Vous aimerez peut-être aussi