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en 100 questions »
créée par François-Guillaume Lorrain
EAN : 979-10-210-2021-4
1. http://www.nonauharcelement.education.gouv.fr/ressources/le-harcelement-cest-
quoi.
2
À quel âge le harcèlement
commence-t-il ?
Les chiffres les moins sujets à caution dont on dispose sont issus
des enquêtes de victimation menées par le ministère de l’Éducation
nationale en 2011 et 2013 1 : « Les objectifs de ces enquêtes sont de
fournir des indicateurs statistiques sur les actes dont les élèves sont
victimes, qu’ils aient fait l’objet ou non d’un signalement au sein de
l’établissement ou auprès des autorités policières ou judiciaires. […]
Le questionnaire destiné à l’élève se présente sous un format papier et
s’articule autour de cinq grands thèmes : le climat scolaire, les
comportements (insultes, menaces, bagarres), les violences à
caractère sexuel, les vols et les jeux dangereux. Pour chacun des faits
remontés, il est demandé sa fréquence, son lieu et/ou la qualité des
auteurs (autres élèves, professeurs, autres adultes). Afin de ne pas
empiéter trop longtemps sur les heures de cours, le questionnaire est
réduit (quinze pages) et son temps de passation limité à quarante-
cinq minutes. […] Le questionnaire est totalement anonyme. […] Un
protocole de collecte spécifique a été mis en place pour respecter
l’anonymat des élèves lors de l’enquête. Les équipes mobiles de
sécurité se sont prêtées au rôle d’enquêteurs et ont eu pour mission
de veiller à ce qu’aucun personnel de l’établissement ne puisse
assister à la passation et qu’aucun élève ne puisse être gêné dans ses
réponses par d’autres camarades. L’enquête a été réalisée auprès d’un
échantillon de 360 collèges publics et privés, représentatif au niveau
national (France métropolitaine et DOM). Au sein de chacun de ces
établissements, 60 élèves ont été tirés au sort aléatoirement, 15 par
niveau, ce qui constitue un échantillon représentatif de 21 600
élèves. Le taux de réponse des élèves à l’enquête 2013 s’élève à
77 %. »
En 2011, 18,9 % des élèves déclarent avoir connu l’une des cinq
situations de violence suivantes : l’insulte (52 %), le vol de
fournitures scolaires (46 %), l’attribution d’un surnom méchant
(39 %) et la bousculade intentionnelle (36 %). Ils sont 19,1 % à avoir
connu l’une des quatre situations de violence physique significatives ;
5 % cumulent ces deux caractéristiques. De façon globale, 6 % des
élèves déclarent un nombre de victimations qui pourrait indiquer une
situation de harcèlement. Cette « multivictimation » est plus
fréquente pour les élèves de 6e que pour ceux de 3e.
1. « Victime » est d’ailleurs devenu, depuis environ trois ans, l’insulte la plus répandue
dans les cas de harcèlement au sein du collège.
2. Emmanuel Peignard, Elena Roussier-Fusco, Agnès Van Zanten, « La violence dans les
établissements scolaires britanniques : approches sociologiques », Revue française de
pédagogie, vol. CXXIII, no 1, 1998, p. 123-151.
3. Rapport de la recherche réalisée pour l’Unicef France en mars 2011. Enquête réalisée
avec le soutien technique du ministère de l’Éducation nationale, de la jeunesse et de la
vie associative, Depp.
12
1. http://www.euro.who.int/__data/assets/pdf_file/0015/303441/HSBC-No.7-
Growing-up-unequal-Part2-Chapters1-5.pdf. En France, l’échantillon de 2014 comporte
7 023 collégiens scolarisés dans 169 collèges métropolitains. Les établissements et
classes sélectionnés pour participer à l’enquête ont été tirés au sort par la Direction de
l’évaluation, de la prospective et de la performance (Depp) du ministère chargé de
l’Éducation nationale, selon un sondage en grappes aléatoire stratifié/équilibré afin
d’assurer la représentativité de l’échantillon final.
2. Les analystes de HBSC observent en effet pour les enquêtes de 2013-2014 que plus la
richesse des familles est élevée et plus le pourcentage d’enfants harcelés est bas.
L’enquête Unicef « Adolescents en France, le grand malaise » de 2014 le corrobore : les
répondants vivant dans la privation ou dans un quartier insécurisant sont, eux aussi,
bien plus nombreux à faire l’expérience du harcèlement dans l’enceinte scolaire. Tout se
passe comme si les enfants et adolescents fragilisés à l’extérieur de l’école pouvaient
devenir la cible privilégiée que choisissent les autres enfants et adolescents pour y
exercer leur domination.
13
Qu’existe-t-il en France
en matière de prévention ?
Que propose l’Éducation
nationale pour résoudre
le harcèlement scolaire ?
1. www.nonauharcelement.education.gouv.
18
1. Éric Debarbieux, Les Dix Commandements contre la violence à l’école, Paris, Odile
Jacob, 2008 ; Jean-Pierre Bellon et Bernard Gardette, Prévenir le harcèlement à l’école,
Paris, Fabert, 2012.
2. Éric Debarbieux, Les Dix Commandements contre la violence à l’école, op. cit.,
p. 97-153.
3. Jean-Pierre Bellon et Bernard Gardette, Prévenir le harcèlement à l’école, op. cit.,
p. 172-173.
PROFILS ET MOTIVATIONS
19
Comment commence
le harcèlement ?
Que répondre aux enfants
harcelés qui se demandent
« Pourquoi moi » ?
Qu’est-ce que la popularité ?
1. Voir la question 25, « Sur quelles caractéristiques du harcelé s’appuie le plus souvent
le harceleur ? », p. 74.
25
Sur quelles caractéristiques
du harcelé s’appuie le plus
souvent le harceleur ?
D’une certaine façon, on pourrait dire que tous les sujets sont
bons à saisir à partir du moment où la vulnérabilité a été repérée,
puis validée par l’absence de réponse efficace de la part de l’enfant
harcelé. Nous notons cependant, dans notre échantillon étudié, que
les sujets varient assez largement entre l’école élémentaire et le
collège, et dans une moindre mesure entre le collège et le lycée.
En primaire, les faits fréquemment rapportés par les enfants sont
dans l’ordre : le rejet, l’isolement, l’empêchement de jouer avec
d’autres, soit de façon sporadique, soit presque tout le temps.
Certains écoliers sont terrorisés simplement par des regards
menaçants lancés par d’autres. Une variante de cet isolement est le
jeu auquel s’adonnent couramment les écoliers, appelé « jeu de la
contamination ». Il consiste à mimer une épouvante, voire une forme
de lente agonie, quand on se trouve en présence de l’enfant
sélectionné comme victime, à mimer l’usage d’un spray désinfectant
en passant dans les lieux qu’il a touchés, comme s’il était porteur
d’une maladie ultracontagieuse. Ce jeu me semble être une
métaphore très précise de ce qu’est la non-popularité : personne ne
veut être l’ami de celui qui n’en a pas. Nous avons souvent vu,
malheureusement, ce jeu utilisé contre des enfants atteints de
maladies graves, hémophilie ou cancer par exemple, ce qui
évidemment décuple la souffrance déjà aiguë de ces jeunes patients 1.
On note aussi des phrases du type : « Tu sers à rien », « Tu n’as rien à
faire ici » ; les moqueries sur le physique, l’habillement, le nom ou le
prénom, l’origine ; les railleries sur les mauvais résultats.
Dès la sixième, les sujets d’attaque se multiplient et se
complexifient, donnant l’impression que la créativité des collégiens
n’a pas de limites en matière de cruauté. Le terme de « victime » est
sans doute celui qui revient le plus depuis deux ou trois ans,
montrant, s’il en était besoin, à quel point la posture de faiblesse est
un levier de choix pour les harceleurs. Les injures, notamment
concernant la mère, sont très utilisées et donnent lieu à des
surenchères sur les possibles missions ou postures qu’elle pourrait
adopter. Les menaces de coups sont très courantes, surtout de la part
des garçons. Les premières incitations au suicide commencent dès la
6e, en réel et sur les réseaux sociaux, particulièrement par SMS.
Au lycée, l’usage des réseaux sociaux se développe, incluant le
harcèlement de type revenge porn 2, la diffusion de photos intimes,
l’usurpation d’identité sur Facebook ou Snapchat pour ridiculiser une
victime, et toutes autres opérations de salissement de réputation sont
privilégiées.
1. Voir la question 72, « Comment combattre une mise à l’écart hostile en primaire ? »,
p. 194.
2. Partage de photos ou de vidéos sexualisées d’une personne sans son consentement,
généralement après une rupture.
26
Peut-on se tromper
de harceleur ?
1. Dan Olweus, Bullying at School. What we Know and What we Can Do, Oxford,
Blackwell, 1993.
2. Voir la question 4, « Peut-on parler de harcèlement lorsqu’un enfant est isolé ? »,
p. 21.
3. Selon l’enquête Unicef « Adolescents en France, le grand malaise », 2014.
31
Existe-t-il des établissements
où il n’y a pas du tout
de harcèlement ?
1. Voir les questions 19, « Comment commence le harcèlement ? », p. 59 ; et 20,
« Existe-t-il un profil type du harceleur ? », p. 61.
35
1. L’énurésie (aussi appelée « pipi au lit ») désigne une fuite d’urine répétée, involontaire
et le plus souvent nocturne, mais elle peut également être diurne.
36
Comment les conséquences
du harcèlement scolaire peuvent-
elles se manifester à l’âge
adulte ?
1. Non Au Harcèlement :
http://cache.media.education.gouv.fr/file/harcelement/91/7/Campagne_Non-au-
harcelement-protocole-de-traitement_2nd_degre_7299/7.pdf, page 7.
44
Lou est en 4e. Elle fait partie d’une bande de filles assez
populaires, dont l’une, Zoé, personnage central, est en quelque sorte
le centre de gravité de ce groupe. Quand Zoé va, tout va ; quand Zoé
ne va pas, tout le monde est sur les dents. Or, Zoé, depuis un mois
que Basile l’a quittée pour une autre, est parfois en proie à des crises
de tristesse assez abyssales, durant desquelles il lui arrive de se
scarifier. Lorsqu’elle le fait, chez elle ou dans les toilettes du collège,
Lou et ses amies s’en aperçoivent parce qu’elle a les yeux gonflés,
qu’elle n’enlève pas son blouson ou sa veste en cours et qu’elle reste
silencieuse. Toutes la pressent de renoncer à ça, notamment Lou, qui
ne supporte pas que Zoé se fasse du mal, car c’est vraiment son amie
de cœur.
Elle ne sait pas comment l’aider et, après avoir essayé des
centaines de fois, en vain, de la dissuader de se couper pour se sentir
moins mal, elle décide que les adultes sauront sûrement mieux ce
qu’il convient de faire. Elle se résout à en parler à la CPE du collège,
qui est très compréhensive et que les élèves aiment bien.
La CPE remercie Lou et convoque Zoé, lui dit qu’elle est au
courant de ses automutilations et qu’il faut absolument qu’elle arrête.
Zoé supplie la CPE de ne pas en parler à ses parents et la conseillère
lui répond qu’elle les convoquera juste pour leur dire qu’elle trouve
leur fille en souffrance et qu’elle a sûrement besoin d’un soutien
psychologique.
Lorsque Zoé sort de l’entretien, elle est dévastée. Ses parents
détestent être convoqués au collège et ils vont lui poser tout un tas de
questions auxquelles elle ne pourra pas répondre.
Elle se retourne vers Lou, en larmes, et devant tout le groupe, lui
lance : « Est-ce que je t’ai demandé quelque chose ? Pourquoi il faut
que t’ailles faire ta poukave à l’administration en te servant de ma
vie ? Tu voulais faire ta sauveuse ? Oublie-moi, Lou, vraiment, j’ai pas
besoin de ça en ce moment. » Et, suivie par son cortège d’amies
ulcérées, elle lui tourne le dos. Lou est sidérée. Elle voulait aider son
amie et voilà qu’elle est (temporairement, espère-t-elle) exclue du
groupe de Zoé.
Le soir, en rentrant, elle découvre sur Snapchat toute une série de
commentaires horribles la concernant. Ça se termine par une phrase
de Zoé qui lui fend le cœur : « Et dire que tu comptais tellement pour
moi » – suivie d’un cœur brisé. Elle répond qu’elle est désolée, qu’elle
ne voulait pas lui faire du mal. Un torrent de commentaires haineux
se déverse sur elle, signés du reste de la bande. Elle explique la
situation à sa mère qui lui dit qu’elle a bien fait d’aller voir la CPE et
que, si ça ne se calme pas, il faudra aller la revoir pour qu’elle règle la
situation. Lou est sceptique, elle demande à sa mère de ne surtout
rien faire dans ce sens.
Elle attend quelques jours, espérant que la colère va passer, mais
elle est toujours exclue du groupe et se fait agonir d’injures tous les
soirs. Elle ne répond rien, mais ne peut pas s’empêcher de consulter
les messages. Elle se recroqueville, devient de plus en plus agressive à
la maison.
Un soir, en sortant de la douche, alors qu’elle a oublié de se
déconnecter de Facebook, elle se rend compte que sa mère s’est
introduite dans la conversation. Elle a écrit : « Je suis la mère de Lou.
Ça suffit, maintenant, bande de chipies. Vous savez très bien qu’elle a
fait ça pour le bien de Zoé, donc arrêtez de la harceler, sinon j’appelle
vos parents. Le harcèlement, c’est du pénal. » Plus personne ne
répond. Lou est aux cent coups. Elle se demande comment les
conséquences vont se manifester.
Dès le lendemain, elle est bloquée sur tous les réseaux sociaux et,
dans la cour du collège, le groupe de Zoé, dès qu’elle la croise, lui
demande en ricanant des nouvelles de sa mère. Zoé ne la regarde
même plus. Lou est tellement fragilisée par tous ces événements
qu’elle n’a pas la force de nouer d’autres relations. Elle songe à
arrêter d’aller au collège.
Ici, l’attitude aggravante de la mère, qui pensait sincèrement
résoudre la situation, comme nombre de parents indignés de voir
comment leur enfant est traité par d’autres, a consisté à s’immiscer
dans le conflit, renforçant immédiatement la vulnérabilité de sa fille.
50
1. Échantillon issu des consultations harcèlement de l’année 2016 des centres Chagrin
scolaire, Rhône-Alpes et Bourgogne.
53
Que faire si le harcèlement
bloque mon enfant de tout lien
social ?
Dans une majorité de cas où les enfants nous sont amenés avec un
diagnostic de phobie scolaire, l’événement déclencheur est lié à une
situation de harcèlement. Que celle-ci perdure ou bien qu’elle ait
cessé, d’ailleurs. Elle peut même être simplement redoutée par des
enfants qui auraient été témoins de brutalités ou de mises à l’écart et
qui ont tout bonnement peur que cela leur arrive.
De nombreux élèves que les parents ont changés d’établissement
parce qu’ils ne pouvaient plus aller dans celui où s’était produit le
harcèlement, se retrouvent incapables de faire leur rentrée, ou bien
n’y restent que quelques heures, alors même qu’aucun des acteurs du
cauchemar précédent, qu’il soit réel ou imaginé, n’est présent.
C’est souvent très impressionnant pour les parents parce qu’on
sent un très douloureux combat dans la tête de l’enfant ou de
l’adolescent, entre sa panique qui lui hurle de ne pas y aller et à
laquelle son corps ne peut faire autrement que se soumettre, et une
voix raisonnable dans sa tête qui lui dit qu’il n’a aucune raison d’avoir
peur. Ce combat très violent crée des symptômes physiques assez
spectaculaires, comme des crises de tétanie, des paralysies, des
hoquets douloureux, des crises de larmes inconsolables.
La voix raisonnable ne dit souvent rien d’autre que les adultes qui
tentent d’aider l’enfant pendant et entre les crises, renforçant, bien
évidemment sans le vouloir, cette lutte paralysante. Pourquoi ? Parce
que le fait même de nier sa peur en disant que tout va bien se passer,
alors que l’enfant a fait l’expérience émotionnelle terrifiante du
contraire, ne fait qu’amplifier cette émotion et le combat qui
l’alimente.
Lorsqu’ils viennent en consultation, ils sont donc très ambivalents,
à l’image de cette lutte interne : ils ont envie de retourner en cours
parce qu’ils s’ennuient, parce qu’ils ont envie de revoir leurs copains
ou de s’en faire de nouveaux, et ils sont terrorisés à l’idée même d’en
prendre le chemin.
Nous devons donc observer une précaution essentielle qui consiste
à leur dire que nous n’avons pas pour objectif qu’ils retournent à
l’école ou au collège, parce que des solutions comme l’enseignement
à distance existent. Nous leur précisons que notre seul objectif est que
la peur soit moins envahissante. Dès que ce sera le cas, nous les
laisserons absolument libres de choisir de retourner en classe ou pas.
Le risque, si nous n’énonçons pas cela clairement, c’est que l’enfant
ou l’adolescent ait en quelque sorte peur de ne plus avoir peur, se
disant : si j’ai moins peur, j’irai. Or, j’ai trop peur d’y aller. Et que du
coup, il ne participe pas à la thérapie.
Une fois ce principe posé, nous travaillons avec lui à regarder en
face ce qui lui fait le plus peur pour qu’il s’y prépare mentalement,
afin que cesse le combat présenté plus haut ; nous l’encourageons en
réalité à mettre les messages émotionnels et cérébraux au diapason.
« Mon émotion, la peur, me dit que j’ai de très bonnes raisons de ne
pas y aller, je vais demander à mon cerveau de regarder ses raisons
en face », apprend à se dire l’enfant. C’est un exercice très difficile
parce que, très souvent, il passe son temps à éviter de penser à ce qui
lui fait peur. Progressivement, on l’amène à imaginer ce qu’il pourrait
faire ou dire si la ou les situations les plus épouvantables qu’il puisse
envisager arrivaient, selon les mêmes modalités que lorsque la
situation de harcèlement est avérée et présente. C’est un chemin très
complexe que celui qui consiste à affronter ses peurs pour mieux les
apprivoiser, et il est souvent utile d’être aidé par un thérapeute
spécialisé.
PRÉVENTION ET SOLUTIONS
55
C’est une question qui revient souvent. En effet, les élèves savent
intuitivement ou par expérience que, s’ils s’interposent dans une
situation de harcèlement, ils prennent un risque personnel visant leur
propres relations. C’est la raison pour laquelle cela arrive si rarement.
En revanche, lorsqu’ils se rendent compte qu’il leur est possible
d’aider un ami ou un camarade à élaborer une stratégie de défense
que les harcelés mettront en œuvre eux-mêmes, cela leur semble
beaucoup moins difficile à envisager. Ils sont même enthousiastes à
l’idée de participer aux ateliers d’élaboration de stratégies de
résistance que nous organisons dans les établissements pour les
élèves volontaires, qui soit en ont besoin pour eux-mêmes, soit
voudraient en construire pour un(e) ami(e). C’est une bonne chose
car chez les adolescents, notamment, certains sont extrêmement
créatifs dans la recherche de flèches à la fois adéquates et modernes.
Elles n’en sont que plus puissantes. Rappelons cependant que certains
enfants et adolescents extrêmement populaires peuvent, en prenant
explicitement la défense d’un enfant harcelé, redorer suffisamment
son blason pour que le harcèlement cesse ou qu’il sorte de son
isolement. Et ce changement signifie aussitôt que l’enfant est de
nouveau crédité de compétences relationnelles.
J’ai un jour reçu Gaspard qui m’a raconté qu’en 6e il était le
souffre-douleur d’un groupe d’une dizaine de garçons de 4e, qui lui
faisaient notamment vivre de véritables cauchemars à la cantine en
lui mettant de l’eau dans son assiette, en lui piquant son dessert,
parfois en lui écrasant du fromage à tartiner dans les cheveux. Son
calvaire a duré deux très longues semaines, jusqu’à ce qu’une fille de
4e s’approche du leader responsable de son calvaire et dise devant
toute la tablée : « Alors, c’est en terrorisant des 6e que tu te sens
viril ? » Le groupe ne s’est plus jamais approché de sa table et, m’a-t-il
dit en rougissant, quand je croisais la fille, après, elle me faisait un
signe et un sourire. Ça a changé ma vie.
Cependant, une telle intervention n’est possible et productive que
de la part d’enfants spécifiques, que l’on pourrait qualifier de leaders
d’opinion. Les critères pour ce faire sont absolument dissemblables en
fonction du point de vue où on se place : enfant ou adulte.
60
Est-ce que ça n’est
pas culpabilisant de dire
à un enfant harcelé que c’est
à lui de changer ?
1. Voir la question 50, « Est-ce qu’il y a des réactions types de l’enfant harcelé ? »,
p. 136.
62
Pourquoi se recroqueviller
aggrave-t-il la situation ?
1. Rapport de la recherche réalisée pour l’Unicef France, mars 2011. Enquête réalisée
avec le soutien technique du ministère de l’Éducation nationale, de la Jeunesse et de la
Vie associative, Depp.
68
Gabriel est tout petit. Il a 11 ans et, pour l’instant, son corps
refuse de grandir, ce qui l’ennuie terriblement. Le plus dur, c’est
lorsqu’on le lui fait remarquer en public. Il a vraiment l’impression
que ça lui transperce le cœur. L’autre jour, il est arrivé à l’anniversaire
d’Enzo, son meilleur ami, et le père de ce dernier (qui est souvent en
déplacement) a dit à son petit frère Germain qui n’a que 8 ans (mais
qui est plus grand que lui) : « Alors, c’est toi, Gabriel ? J’ai beaucoup
entendu parler de toi… » Il était tellement mal qu’il a refusé de rester
à l’anniversaire, il a dit qu’il avait mal au cœur. Ce qui était vrai.
Lorsque nous lui demandons en séance comment ça se passe dans la
cour du collège, il nous répond que, régulièrement, des gens de
l’école lui disent : « Ah ! wesh, t’es tout petit, toi ! » Cela arrive
environ deux fois par semaine et c’est chaque fois des collégiens
différents, plutôt des ados de 4e ou de 3e qu’il ne connaît pas. Peut-
être y en a-t-il un ou deux qui l’ont dit plusieurs fois, mais ce n’est pas
non plus tous les jours, loin de là. Il n’empêche que c’est très
douloureux et que Gabriel aimerait bien que ça s’arrête. Il ne sait pas
quoi faire quand ça arrive, donc il ne dit rien, il fait comme s’il n’avait
pas entendu. Et celui qui l’a traité de petit, chaque fois, s’en va. Mais
Gabriel est vraiment très mal pendant au moins deux ou trois heures
après. On lui demande s’il veut une réponse universelle, ou bien s’il
n’en veut une que pour le collège, et il choisit la deuxième option. Il
dit : « Les adultes, je sais bien qu’ils ne le font pas méchamment. Mais
les collégiens, j’ai franchement un doute, donc j’aimerais bien, au
moins, que ceux qui l’ont déjà dit une fois n’aient plus envie de le
redire. »
Très touchés par la tristesse de Gabriel, nous décidons de lui
proposer une stratégie assez terrassante qui consiste à dire : « C’est
vrai que je suis petit, mais je vais encore grandir, alors que l’arrêt de
croissance du cerveau, c’est beaucoup plus complexe, je crois. Tu vas
faire comment, toi ? » Gabriel sourit et dit qu’il va essayer. Quinze
jours plus tard, Gabriel revient.
« Je suis désolé, dit-il, deux élèves de 3e m’ont dit que j’étais
superpetit et je n’ai pas dit ta flèche. Je n’ai pas pu.
– Tu n’as pas à être désolé, dis-je, c’est moi qui dois l’être. C’est
qu’elle n’était pas adaptée, pas intelligente, sinon, tu l’aurais
décochée. Est-ce que tu veux qu’on réfléchisse à une autre qui
corresponde mieux à la situation ? Pour ça, il faut que tu m’expliques
bien ce qui t’a empêché de t’exprimer.
– Oui, je veux bien. Tu vois, en fait, je pense qu’ils ne le disent pas
vraiment pour m’embêter, plutôt comme une espèce de constat. Donc,
si je leur dis un truc superclashant, j’ai peur que, du coup, ils
pensent : ah, ça l’énerve, donc on va continuer. Alors que, pour
l’instant, on peut dire que c’est une attaque assez calme.
– Tu as parfaitement raison, c’est vraiment une analyse très
intelligente, Gabriel. Si tu avais lancé ta réplique, peut-être que ça
aurait fait empirer la situation. Tu as vraiment bien fait de ne rien
dire. Voyons comment on peut trouver une flèche plus juste. Que
dirais-tu de “Tu es très observateur, dis donc” ou “Ah, merci de me le
dire, je n’avais pas remarqué, je vais faire attention dorénavant” ou
“Merde, t’as raison, c’est chelou”.
– Disons que chacun aura la sienne, comme ça, c’est cool »,
répond Gabriel.
78
Paola est une excellente élève de 6e et elle a été repérée assez
rapidement par deux redoublantes qui se moquent d’elle en
permanence et la traitent d’intello, de cassos, de bouffonne. Comme
le lui a conseillé sa maman, Paola les ignore, mais les insultes
redoublent d’intensité, et Anaïs et Chloé commencent à lui voler ses
affaires, à verser de l’eau sur son sac de cours, à tenter de lui faire
perdre ses moyens quand elle passe à l’oral. Chaque fois que Paola
répond en cours, elles font un bruit de succion avec leur bouche pour
signifier qu’elle fait de la lèche et, chaque fois qu’elle a une bonne
note, elles viennent vers elle à la récré d’après et lui disent : « Alors,
t’as eu combien, l’intello ? 16 ? Eh ben, ta mère va être contente,
hein ? T’as que ça dans la vie, les notes, c’est ça, espèce de
bouffonne. » Puis elles s’en vont en ricanant. Paola ne les regarde pas
et ne leur répond pas. Les amies de Paola, un peu intimidées par les
deux redoublantes qui s’en prennent régulièrement aux 6e, voire aux
5e, et qui parfois même répondent aux profs, lui disent la même
chose : « Laisse tomber, fais pas attention, elles vont finir par se
lasser. » Mais elles ne se lassent pas et Paola commence à avoir des
maux de ventre matin et soir.
À la réunion parents/enseignants du premier trimestre, le
professeur de français dit à sa maman qu’il est ennuyé que Paola ne
participe plus du tout en cours, alors qu’elle était très impliquée en
septembre. Qu’elle semble moins concentrée, comme le prouvent les
deux notes assez moyennes qu’elle a obtenues dernièrement en
français. Paola répond qu’elle est fatiguée, mais qu’elle va se
reprendre. Devant l’enseignant, sa maman lui demande si elle veut
parler d’Anaïs et de Chloé. Paola est en colère parce qu’elle avait
demandé à sa maman de ne rien dire. Mais c’est trop tard. Le
professeur de français demande des détails et Paola n’a pas d’autre
choix que de raconter ce que lui font subir ses deux camarades depuis
la rentrée. Elle demande à l’enseignant de ne pas intervenir parce
qu’elle a vraiment peur que cela envenime la situation. L’enseignant
lui dit de ne pas s’inquiéter, qu’il ne fera rien qui pourrait se retourner
contre elle.
Quelques jours plus tard, en vie de classe, il évoque le sujet
indirectement en disant qu’il a cru voir des comportements agressifs
de la part de certains élèves et qu’il ne le tolérera pas. Puis il s’est
tourné vers le fond de la classe et a déclaré devant tout le monde :
« Ce n’est pas parce qu’on a redoublé que l’on doit faire payer sa
paresse aux bons élèves. C’est compris, Anaïs et Chloé ? » Paola était
mortifiée ; elle sentait que les conséquences ne seraient pas celles que
l’enseignant, en toute bonne foi, espérait. Elle avait raison puisque,
quelques jours plus tard, Anaïs et Chloé ont recommencé en ajoutant
« victime » à leurs insultes. Elles viennent se moquer d’elle à chaque
récré en lui disant dorénavant : « Alors, l’intello, tu fais encore ta
victime ? À nous, tu dis rien, tu préfères te faire consoler par les
profs, c’est ça ? » À l’enseignant et à sa mère qui lui ont demandé si
tout était rentré dans l’ordre, Paola a répondu oui. C’est une de ses
amies qui est allée voir la maman de Paola pour lui dire que ça
continuait et que Paola avait commencé à se scarifier.
La première fois que je la vois, Paola est totalement
recroquevillée, comme un lapin pris dans les phares. Je lui demande
si elle a encore la force de faire quelque chose pour que les deux
sorcières s’arrêtent. Elle me répond que, si j’ai une solution, elle
l’appliquera à la lettre tellement elle n’en peut plus. Le lendemain,
lorsque ses deux bourreaux sont venus la traiter d’intello, Paola a
répondu : « Désolée, comme je suis beaucoup trop intello, avant, je
ne comprenais pas ce que vous disiez. Pardon. Mais, maintenant, on
va pouvoir parler, j’ai compris que vous ne connaissiez que trois mots.
On y va, vous les dites après moi : intello, cassos, bouffonne. Bravo.
Vous voulez apprendre à les écrire ? Sinon, revenez demain, je vous
en apprendrai un quatrième. » Elle avait choisi « trou du cul ». J’ai
validé. Mais elles ne sont pas revenues.
81
Nous sommes au mois d’août et Lola, qui va entrer en 5e, nous est
amenée par sa maman parce qu’elle a des crises d’angoisse à l’idée de
retourner au collège et elle supplie cette dernière de l’inscrire au
Cned – enseignement par correspondance – pour la suite de ses
études jusqu’en 3e. « Après, dit-elle, ça ira, j’irai en internat dans un
lycée, loin d’ici. » Elle nous explique que, depuis un an, une de ses
camarades de classe, Violette, qu’elle connaît depuis la maternelle, la
harcèle quotidiennement. Violette lui dit qu’elle est moche, qu’elle
s’habille très mal, ses phrases sont excessivement dures : « C’est
impossible de traîner avec toi, tu es vraiment trop moche, ça donne
envie de vomir. » Ou : « Ta mère t’a encore pris tes habits à Emmaüs,
Crapaud ? Je sais que vous avez pas de thunes, mais quand même,
Emmaüs ! » Ou encore : « C’est fou quand même cette laideur, tu
devrais te renseigner auprès de la Sécu, si ça se trouve, ils
rembourseraient une opération… » Lola nous dit, les lèvres
tremblantes : « C’est vrai que je suis pas très jolie, mais c’est pas une
raison pour me le répéter tout le temps. » Inutile de tenter de la
convaincre que Violette a tort et qu’elle est en fait très jolie, Lola a
fait sienne l’opinion de son bourreau, à l’instar d’un certain nombre
d’enfants harcelés. Populaire, jolie et bien habillée, Violette, toujours
entourée d’une cour de courtisanes, se moque de tout élève qui va
parler avec Lola ou manger avec elle au self : « Mais enfin, tu es
fou/folle, pourquoi tu traînes avec elle ? » Lola se retrouve donc toute
seule depuis un certain temps, personne n’osant plus s’afficher avec
elle. De première de classe en début de 6e, elle a complètement chuté
depuis la fin du deuxième trimestre et se recroqueville sur elle-même
chaque jour un peu plus. En novembre, elle a expliqué à table qu’elle
avait du mal à s’intégrer parce que ses habits n’étaient pas assez à la
mode. Sa maman a décidé de faire des heures de ménage en plus
pour lui acheter ce fameux jean hors de prix dont elle n’osait même
pas rêver. Lorsqu’elle est arrivée dans la cour après les vacances de
Noël, à la fois fière et un peu inquiète dans son nouveau pantalon,
elle a vu Violette s’approcher d’elle, la dévisager, puis la détailler de
haut en bas avant de laisser tomber sa sentence : « Alors, toi, même
les beaux habits tu les rends moches, t’es vraiment magique,
Crapaud. » Lola n’a pas pu faire autre chose qu’aller se réfugier dans
les toilettes en pleurant. C’est à cet instant qu’elle s’est dit : « Elle ne
s’arrêtera jamais, il faut que je parte d’ici. »
Nous avons proposé à Lola la stratégie suivante : « La prochaine
fois qu’elle s’approche de toi pour te traiter de moche, tu pourrais lui
répondre la chose suivante : “C’est vrai que je suis moche, mais toi,
c’est à l’intérieur que tu es monstrueuse. D’ailleurs, quand tu parles,
ça pue, prends un chewing-gum parce vraiment c’est une infection.”
Puis, chaque fois qu’elle prononcera le moindre mot, tu feras une
horrible grimace de dégoût et tu lui tendras un chewing-gum. Ainsi
fit Lola, au grand dam de Violette qui prend dorénavant de grands
détours pour l’éviter. Lola, elle, chaque fois qu’elle croise le regard de
Violette, fait mine de chercher frénétiquement un chewing-gum dans
sa poche.
83
Mathieu vient nous voir parce que ça se passe très mal dans sa
classe de CM2 depuis que Gustave est arrivé en cours d’année.
« Avant, nous dit-il, c’était presque le paradis. On était inséparables
avec mon copain Amin et on s’amusait vraiment bien, on n’avait
besoin de personne. Et puis Gustave est arrivé et tout s’est mis à aller
de travers. Parce qu’il veut absolument nous séparer tous les deux, il
veut Amin pour lui tout seul, il le lui a déjà dit. Et comme Amin ne
veut pas, il se venge sur moi et, dès que je joue avec Amin, il fait
plein de choses pour m’énerver. Par exemple, il l’a invité dans sa
maison de campagne en week-end ; il l’invite à son anniversaire, pas
moi ; il lui dit des trucs pas sympas sur moi et aussi il m’insulte en
direct.
– Qu’est-ce qu’il te dit exactement ?
– Il me dit tout le temps la même chose : “trisomique”, c’est super
énervant.
– J’imagine, en effet. Qu’est-ce que tu lui réponds ?
– Je lui donne un coup de pied ou bien je lui crie dessus, mais ça
m’énerve tellement qu’il se moque encore plus de moi en disant :
“Mais regarde-toi, t’es un vrai triso, sérieux.” Et il rigole.
– Que fait Amin dans ce cas-là ?
– Il nous dit de nous calmer, et ça m’énerve qu’il le dise aux deux,
parce qu’il voit bien que c’est toujours Gustave qui commence…
– Tu lui en as parlé ?
– Non, répond Mathieu, l’air grave. On ne parle pas de ce genre
de choses entre hommes. »
Je lui présente mes excuses de ne pas être au courant de tous les
rites et règles de sa confrérie et lui demande ce qu’il attend
exactement de moi.
« Je voudrais juste qu’il arrête de m’insulter.
– Tu es sûr ?
– Et aussi, ce qui serait vraiment bien, c’est qu’Amin ne l’aime
plus, avoue-t-il, les larmes aux yeux.
– Je comprends, mon grand, mais je ne sais pas faire ça. J’ai
même l’impression que plus tu vas faire comprendre ça à Amin, plus
tu risques de le perdre. Je pense néanmoins que tu peux lui expliquer
que ça te rend triste que vous n’ayez plus la même relation qu’avant,
mais évidemment tu acceptes qu’il ait d’autres amis, même si tu ne
t’entends pas forcément avec eux. Je te promets que les hommes, les
vrais, sont capables de parler comme ça. Et puis je me disais, en ce
qui concerne Gustave, que tu pourrais lui dire la prochaine fois qu’il
t’insulte : “Oui, je suis trisomique, comme tous les potes d’Amin. C’est
une condition.” Et s’il répond “Ben moi, je suis pas triso”, tu pourras
répondre : “C’est pour ça que t’es pas un vrai pote d’Amin.” »
À la séance suivante, Mathieu, qui avait avec bonheur lancé sa
flèche dans la tête de Gustave, nous a dit : « En ce qui concerne les
hommes, tu avais raison. »
85
C’est une situation possible et, en dix ans, j’ai reçu à trois reprises
des enseignants qui se plaignaient effectivement d’avoir été harcelés
par des parents d’élèves. Il s’agissait chaque fois d’enseignants du
primaire. Ces situations présentaient un deuxième point commun :
elles se déroulaient en milieu rural, dans de petits villages où, a-t-on
l’impression, tout le monde se connaît.
Ces deux éléments peuvent expliquer l’intensité de la montée en
escalade. Un instituteur qui a peur de mal faire et de se retrouver en
butte à des visages hostiles dès qu’il va acheter sa baguette est
évidemment plus angoissé et donc plus maladroit dans ses
interactions. L’enjeu est immédiatement et violemment incarné au
quotidien, plus sans doute qu’en territoires urbains, plus anonymes.
Les parents d’élèves de primaire, notamment (mais pas seulement)
lorsqu’il s’agit de l’aîné ou d’un enfant unique, sont très inquiets à
l’idée que l’école se passe mal pour eux. Plus vigilants en moyenne
que les parents de collégiens, ils sont parfois poussés par leur anxiété
à être un peu intrusifs et donc maladroits eux aussi. Il est intéressant
de souligner que, dans les deux cas, l’intention est souvent le bien-
être de l’enfant, ainsi que le souci, bien sûr, de préserver sa propre
souffrance de parent ou d’enseignant.
Le troisième point commun fait partie des conséquences : deux
enseignants ont demandé leur mutation, la troisième a décidé de
changer de métier, mais d’une façon plus douloureuse que positive.
Ce qui montre bien l’intensité de la souffrance qu’une telle situation
peut engendrer.
Je me souviens notamment d’un jeune instituteur, vraiment
soucieux de bien faire, et justement très à l’écoute des souffrances de
ces écoliers que les parents avaient pris soin de lui indiquer comme
étant « différents », dans sa classe de CE1-CE2. Léon, qui avait été
diagnostiqué troublé de l’attention avec une possible précocité – dont
il avait été convenu entre parents et spécialistes du diagnostic qu’on
la quantifierait plus tard – avait des comportements très dérangeants.
Sans crier gare, il se mettait à pousser des petits cris, à ramper sous
les bureaux, à roter de façon étrange et à partir dans des fous rires
incontrôlés. Troublé par ces comportements qui lui semblaient relever
d’une souffrance psychique aiguë, le jeune instituteur décida dans un
premier temps de convoquer les parents pour leur faire part de ses
observations et mettre en œuvre ensemble un plan d’action pour
cadrer Léon qui, il faut bien le dire, en plus de l’inquiéter, perturbait
gravement la classe. Les parents de Léon expliquèrent au jeune
instituteur qu’il était impératif de personnaliser son enseignement et
qu’il devait être beaucoup plus patient avec Léon, valoriser ce qui
était positif, ne surtout pas le sanctionner et s’adapter à son rythme
particulier. « Il est un peu comme une fleur exotique », lui confia la
maman lors de ce premier entretien, ce qui lui fit immédiatement
répliquer intérieurement qu’il n’était pas horticulteur, pensée qu’il se
garda bien de partager avec elle. Basile, le jeune enseignant, s’efforça
donc de personnaliser son enseignement. Il s’assit à côté de Léon
pour le maintenir le plus gentiment possible dès qu’il était en séances
collectives, et resta avec lui pour le soutenir dans les exercices
individuels, lui donna des exercices adaptés, le survalorisa dès qu’il
réalisait quelque chose, mais la situation empira : Léon se démenait
dans tous les sens, se bouchait les oreilles quand on lui parlait,
refusait de regarder Basile dans les yeux et commença à bousculer ses
camarades. Basile se sentait à la fois de plus en plus démuni et de
plus en plus agacé.
Le deuxième entretien eut lieu à la demande des parents qui
s’inquiétaient que Léon ne progresse pas en lecture. « C’est assez
logique, répondit Basile, puisqu’il préfère imiter une toupie en
poussant des cris au moment des apprentissages de français. »
Le père demanda alors son âge à Basile. Celui-ci répondit que le
sujet n’était pas son âge, mais les problèmes psychiques de l’enfant.
La mère répondit qu’être enseignant, c’était s’adapter. Il rétorqua qu’il
n’était pas une pieuvre et qu’avec vingt-trois enfants tous différents,
c’était impossible. Que, heureusement, tous n’étaient pas comme
Léon. Qu’il avait fait de son mieux, mais qu’il fallait envisager sans
doute un suivi plus psychologique. Le père se leva en criant que tant
d’incompétence était inadmissible, que le maître avait été prévenu
que Léon était un enfant différent et qu’il ne s’en tiendrait pas là. Ce
qu’il prouva par une lettre recommandée envoyée à l’inspecteur, puis
au recteur. Il déposa aussi une pétition dans différents commerces du
village réclamant qu’on « laisse leur chance aux enfants différents ».
Bien que soutenu par sa hiérarchie, Basile a changé d’école et de
région. C’est un souvenir très douloureux pour lui.
89
1. Soit le visionnage de la conférence TedX qui peut donner lieu à débat, soit un travail
sur mon livre Je me défends du harcèlement, Paris, Albin Michel, 2016.
92
Le cyber-harcèlement
et le harcèlement sont-ils
la même chose ?
1. E-enfance est une association remarquable qui peut aider par exemple de façon
rapide les adolescents à faire stopper des processus de cyber-harcèlement de manière à
en éviter la propagation (http://www.e-enfance.org/).
98
Comment contrer
un harcèlement par SMS ?
Dorian a 17 ans. Il a été élu délégué de classe avec une bonne
majorité de votes en début d’année et il prend son mandat à cœur. La
notion d’équité et d’honnêteté lui semblent notamment importantes
pour résoudre les différents incidents qui ont lieu dans la classe.
Lorsque le conflit entre Lucas et le professeur de SVT éclate, tout
le monde a un peu peur ; l’enseignant lui réclame son carnet parce
que, pour la dixième fois, il lui a demandé de se taire. Lucas répond
qu’il ne l’a pas. Le professeur se met à crier qu’il arrête de le prendre
pour un idiot. Lucas se lève et demande au professeur s’il vient de le
traiter de menteur. Parce que si c’est le cas, précise Lucas, il va le
planter. Il a un sourire assez bizarre en s’approchant de l’enseignant.
Ce dernier reste muet, apparemment terrifié, ce que Dorian
comprend très bien, et finit par quitter la salle de cours
précipitamment. Il est mis en arrêt de travail le soir même par son
médecin.
Un conseil de discipline est organisé quelques jours plus tard,
auquel les délégués sont conviés. Lorsqu’on leur demande leur avis,
Faustine, la suppléante, dit que Lucas a des problèmes familiaux et
qu’il a du mal à gérer ses émotions, qu’il serait plus juste de lui laisser
une seconde chance. Dorian, lui, répond qu’il n’a pas de commentaire
à faire. Il ne veut pas porter tort à Lucas, mais se sent incapable de le
défendre parce qu’il a trouvé son comportement violent. Ne rien dire
est l’attitude qui lui semble la plus juste et la plus honnête. Lucas est
exclu temporairement et doit des heures de travail à l’établissement.
Il ira pendant plusieurs jours s’occuper des espaces verts. Quelque
temps après l’exclusion, Dorian reçoit un premier message d’un
numéro qu’il ne connaît pas : « Délégué de merde. Espèce de
poucave. T’es mort. » Il ne répond rien, pensant que ça va passer et
qu’il est logique que Lucas soit énervé. Une série de nouveaux SMS
commence à pleuvoir quelques heures plus tard, provenant d’au
moins une dizaine de numéros différents. Les jours suivants, ils
redoublent d’intensité et de violence, il est traité de collabo, puis de
nazi, il est écrit : « On veut plus de toi ici. » Plus personne dans la
classe ne lui parle. Il a assez rapidement la sensation horrible que
c’est le lycée entier qui le regarde avec dégoût. Lorsqu’il croise Lucas,
ce dernier fait mine de l’étrangler avec son pouce. Il décide de
démissionner de son mandat de délégué, même si ce choix lui cause
une peine terrible. Lorsque le proviseur lui demande pourquoi, il dit
qu’il a trop de travail pour continuer à s’investir comme il le souhaite.
Ce n’est pas très crédible, parce que ses notes commencent à
dégringoler. Le proviseur a l’air sceptique. Des croix gammées
apparaissent sur son écran de façon intempestive. Dorian commence
à avoir des nausées tous les matins. Un jour, il s’évanouit dans un
couloir. Enfin, les incitations au suicide arrivent. Une, puis deux, puis
une dizaine. Quand ils le croisent, Lucas et sa bande chuchotent :
« Crève. » Lorsque Dorian vient nous voir, il nous montre le dernier
SMS qu’il a reçu le matin : « Tu vas crever comment ? » Recroquevillé
sur le canapé du cabinet, il semble totalement éteint.
« Je ne sais pas quoi faire. Si je ne fais rien, ils continuent et je
suis sûr que, si je fais quelque chose, ça va être pire pour moi.
– Dorian, c’est profondément injuste, c’est un peu comme si tout
ce à quoi tu crois était violemment bafoué. En plus, maintenant, ils te
terrorisent en t’envoyant ces horribles appels au suicide. Il va falloir
que nous les prenions à leur propre jeu. Je suis d’accord avec toi,
pour l’instant, tu ne réponds rien, mais plus les jours passent et plus,
sans le vouloir, en te recroquevillant, tu leur montres à quel point ils
parviennent à te faire souffrir. C’est comme si tu te débattais en
silence et ça, je vais te dire, les barbares adorent. Je vais donc te
proposer quelque chose qui va te paraître vraiment bizarre – mais
c’est à la hauteur de l’horrible situation –, et qui va leur faire croire
que tu ne te débats plus. Que tu joues avec eux, car ils n’ont pas
d’impact sur toi. C’est faux, évidemment, mais c’est ce que nous
devons leur faire croire. Je te propose de répondre à leur dernier
SMS, là, maintenant, puis nous répondrons ensuite avec toi en
fonction de ce qui se passera : « J’hésite, donc je vais faire un
sondage : A) la corde, B) le train, C) la Saône. Je vous laisse choisir.
En attendant, j’écris ma lettre d’adieux, il y a bien un “d” à la fin de
Lucas Durand ? » Une minute plus tard, un nouveau SMS arrive : « Si
tu fais ça, t’es mort. » Nous avons envoyé : « Trop tard. » Dorian a
souri pour la première fois en une heure.
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À quoi ça sert de vivre si on meurt à la fin ?, en collaboration avec Julien Martinière, Paris,
Sarbacane, 2011.
Te laisse pas faire ! Aider son enfant face au harcèlement à l’école, Paris, Payot, 2014.
Faites votre 180 degrés !, Paris, Payot, 2015.
Je me défends du harcèlement, Paris, Albin Michel, 2015.
Mon ado, ma bataille. Comment apaiser la relation avec nos adolescents, Paris, Payot,
2017.
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