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**LE DEVOILEMENT -al kashf** Le dévoilement est

un mode de connaissance de Dieu évoqué par les


soufis, ces mystiques de l’islam. Fruit de toute une
démarche initiatique, il mène à un état et à une
expérience intérieure qui permet la rencontre, la
(re)connaissance et la (re)découverte de Dieu, mais pas
uniquement. Al-Kashf vise à dévoiler aussi la réalité des
choses de notre monde. Il suppose le discernement (al-
furqân). Peu de musulmans savent l’existence de cette
entreprise exigeante. Et ceux qui le savent peu d’entre
eux osent l’entamer. Encore moins nombreux ceux
parviennent à la réaliser. Théologiquement, le soufisme
s’inscrit dans le prolongement de la prophétie et donc
de la Révélation : notion cardinale et fondatrice de
l’islam. En effet celle-ci se présente comme une
communication de Dieu par l’intermédiaire des signes
(’âyât). Dieu selon le Coran se manifeste aussi à travers
des signes cosmiques et naturels. Deux sémiologies
divines par conséquent qui suggèrent une démarche de
dévoilement afin de pénétrer le sens des vérités
coraniques et d’aller en même temps vers l’exploration
de la connaissance au-delà des phénomènes
cosmiques.

Les trois dimensions de l’islam,

Il faudrait rappeler d’emblée que Dieu, selon le Coran, ne


se révèle pas en tant que Tel, mais révèle ses Paroles,
ses signes et par médiation : derrière un voile . Il ne
vient pas par Lui-même, mais se manifeste à la
conscience humaine par une médiation sémiologique. Il
garde une distance ontologique avec le monde. La
Révélation est donc ce processus de manifestation
distanciée de Dieu. Elle se présente concrètement sous
forme de deux strates scripturaires : le Coran et la
Sunna. Le Coran est d’expression et d’origine divines.
La Sunna, quant à elle, est d’inspiration divine mais
d’expression humaine, à travers la personne du
Prophète Mohammed (paroles, actes et approbations).
Ces deux sources de l’islam traitent de trois grands
sujets : 1) les croyances ; 2) les pratiques cultuelles,
éthiques et juridique exotériques ; 4) les pratiques
ésotériques.
Le premier domaine est celui de la dogmatique (al-
‘aqîda), de la doctrine ou de la théologie spéculative (al-
kalâm) ; le deuxième, relève du champ de la sharia ; le
troisième, est celui du soufisme ou de la théologie
mystique.

Le soufisme en général,

Le soufisme n’est pas une secte ni une religion à part,


ni même un courant ou une tendance de l’islam. Il en
est une dimension constitutive pour ne pas dire son
coeur : une voie de transcendance qui mène à percer la
Réalité du monde et tendre vers la Vérité de Dieu. Il a
fait l’objet de toute une discipline, à l’instar des autres
connaissances de l’islam ( théologie, droit..). Comme la
dogmatique et la sharia, le soufisme se revendique de
l’islam et se réfère à ses sources scripturaires. Tous les
maîtres soufis fondateurs l’admettent puisque qu’eux-
mêmes étaient aussi des théologiens (‘usûliyyûne ou
mutakallîmûn) et des canonistes (fuqaha-s). Il est une
pratique tout à fait légale (shar‘iyya), née à l’époque
des Compagnons du Prophète et de leurs disciples,
comme le souligne Ibn Khaldûn . Il est donc en parfaite
conformité avec l’orthodoxie et l’orthopraxie
musulmanes.
Sha‘rânî ( 1492-1565) est un juriste chaféite,
traditionniste (spécialiste du Hadith), il était en même
temps de filiation soufie chadhilite , un grand
commentateur d’Ibn-Arabî (1165-1240) et fondateur de
l’ordre sha‘rânîyya. Il précise que : «Ceux qui
considèrent que le soufisme est une discipline à part
entière ont raison. Ceux qui pensent qu’il fait partie de
la sharia ont raison aussi. Mais seuls qui sont versés
dans la connaissance de la sharia savent très bien que
le soufisme puise directement de la source de la
sharia» . Autrement dit, le soufisme et la sharia, tous
deux, puisent de la même source : le Coran et de la
Sunna. Sha’ranî savant orthodoxe de l’islam était resté
critique à l’égard des déviances de certaines pratiques
soufies. Ses ouvrages en témoignent.
Tous les ‘ulama-s qui ont critiqué le soufisme n’en ont
condamné qu’une certaine forme. La célèbre ouvrage
connu sous le nom de « ar-risâl al-Quchaïriyya » est une
référence majeure du soufisme. Son auteur Al-Quchaïrî
(986-1076) l’a écrit justement en réponse à une
situation de dégradations des pratiques soufies de son
temps. Théologien (acharite), canoniste (chéféite) et
grand soufi il a voulu ainsi réconcilier le soufisme avec
la sharia , comme fut la cas du soufisme des premiers
temps.
Les savants n’ont donc pas remis en cause les
fondements et la légitimité du soufisme, mais certaines
aberrations commises en son nom. Ibn-Taïmiyya
(1263-1328) que l’on présente à tort comme l’ennemie
par excellence du soufisme, reconnaît avec justesse
que le soufisme contient des choses justes et vraies
mais aussi des aberrations, comme les autres aspects
de la connaissance et des pratiques musulmanes : le
kalam (théologie musulmane) et le fiqh (étude des
normes rituelles morales et du droit). Il estime par
conséquent que le soufisme n’a pas le monopole des
déviances. Il reconnaît en même temps que le soufisme
a produit incontestablement un nombre considérable de
saints (al-awliyyâ’) . Nous trouvons tout un volume de
son ouvrage « Majmu‘atu al-fatâwa » réservé aux
questions soufies. Son disciple le plus fidèle, Ibn
Qayyim al-Jawziyya (1292-1350) a écrit plus d’un livre
sur la mystique où il rapporte certains états et prodiges
mystiques de son maître, notamment dans son livre de
« madârij as-sâlikîne » .
Beaucoup de comportements soufies ont été estimées
hétérodoxes par les soufis eux-mêmes, lesquels ne se
faisaient pas de concessions. Rappelons ici à titre
d’exemple que le premier qui condamna Mansour Al-
Hallaj (857-922) à cause de ses chatahâte-s
(échappées) , était son propre ami et grand soufi
Abubaker Chiblî (861-945).

Cette discipline est enseignée par un maître qu’Ibn-


Taïmiyya qualifie de cheikh al-ma‘rifa wa al-haqîqa ,
qui veut dire maître de la gnose mystique ou de la vérité
ésotérique. Il ne conteste donc pas ce statut. Cependant
pour tous les soufis, le Prophète Muhammad reste le
maître spirituel par excellence, dont il faut suivre les
traces et les enseignements jusqu’au dévoilement,
laquelle notion tire sa légitimité d’un Hadith (parole) du
Prophète, entre autres, qui dit : «l’accomplissement (al-
ihsân) consiste à adorer Dieu comme si tu le voyais. Et
si tu n’arrives pas à le voir, sache que Lui te voit !» .
Il s’agit de transformer l’intuition et la croyance en un
vécu expérientiel de la Présence réelle et vraie des
choses et de Dieu, en passant par la mise en pratique,
sincère et authentique des prescriptions spirituelles et
morales. Cette rectitude est source de discernement,
nous dit le Coran . Il s’agit d’un savoir inspiré (al-‘ilm al-
ladunnî) , sans médiation ni discursivité, comme celui
que possédait cette personne que Moïse a rencontrée
dans un voyage rapporté dans la Sourate la Caverne (
n°18).

Une démarche initiatique :

Il s’agit d’une démarche qui est aussi une marche (sayr)


qui nécessite toute une pédagogie et une initiation qui
se fait par étapes.
– La première étape est appelée at-takhalluq. Elle
consiste à appliquer des techniques et des méthodes
L'ILLUMINATION DE L'AME
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éducatives graduelles d’accompagnement qui
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permettent progressivement à l’aspirant (al-murîd) de
se conformer, dans un Join
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temps, aux normes
cultuelles et morales de la sharia. Cette étape concerne
essentiellement les pratiques visibles du corps.
-La deuxième étape est celle de al-tahaqquq. Fruit d’un
grand effort (jihâd) moral et spirituel, accompli le long
de la première étape. Cette phase fait entrer le
cheminant dans l’univers des pratiques intérieures,
celles du cœur et de l’âme. Le cheminement passe
alors d’un mouvement du corps à celui de l’âme.
Certains font la distinction entre le mouvement du cœur
(al-qalb) comme conscience (damîr) et celui de l’âme
(ar-rûh ou as-sirr) qui pourrait être l’équivalent de
l’Inconscient, et qui serait alors une nouvelle étape.
Selon cette subdivision mystique le cheminant passera
donc par trois étapes : la shârî’a (pratique du corps)
puis la tarîqa (pratique du cœur) pour atteindre la
haqîqa ( pratique de l’âme).

Tout musulman, selon la démarche soufie, doit en


principe œuvrer pour atteindre le but de sa vie spirituelle
: rencontrer Dieu ici et maintenant. Or la voie recherchée
par beaucoup de croyants ne vise que l’obtention d’un
état béatifique et l’accès aux Vérités divines après la
mort par les œuvres prescrites par la sharia dans ce
bas-monde. Quant au musulman mystique, lui, tout en
aspirant à ce même but eschatologique, travaille
parallèlement pour accéder dès ce monde, et sans
attendre l’au-delà, à la (re)connaissance de l’Eternel,
l’Unique Réalité, en abolissant le temps et en le
"
réduisant à l’instant
Write a publicprésent
comment… !"
ou sont concentré #
le passé
et le future. C’est l’autre sens donné à l’assertion qui dit
que le soufi est « fils de son temps » (ibnu waqtih).
C’est ce qu’a réalisé d’une certaine manière l’expérience
mystique d’Ibn-Taîmiyya quand il disait qu’« Il y a un
Paradis dans ce monde celui qui n’y entre pas n’y
entrera pas dans l’Au-delà ». Il disait aussi qu’il portait
son Paradis dans sa poitrine. Il était déjà dans l’au-delà.
Cette étape ésotérique convoque beaucoup de
techniques de rectitude au niveau de la pensée et des
sentiments dont le but, entre autres, d’évacuer tous les
bruits intérieurs issus des passions ainsi que des
agitations les plus enfouis, lesquelles empêchent
d’entendre les inspirations subtiles de Dieu. Elle a pour
objectif également de modérer les désirs dont certains
provoquent un désordre intérieur, créant un brouillard et
une confusion qui empêchent de voir la réalité du
monde et la Vérité de son Créateur.
Il faudrait nécessairement passer par une certaine
vacuité -même si l’on peut se demander si vraiment le
vide absolu et l’inertie existent-ils réellement- afin de
préparer une harmonie et une transparence intérieures
qui permettront à la conscience et à l’âme d’être plus
disponibles à écouter finement la « Voix » de Dieu et à
percevoir Ses lumières. C’est seulement ainsi que le
cheminant entre dans la réalisation de l’évidence (al-
yaqîn) et dont le dévoilement en est la manifestation. Il
y a un autre état similaire sinon supérieur, voire ultime :
C’est l’union mystique citée par un autre Hadith du
Prophète connu sous le nom du « Hadith du saint »
(hadîthu al-walî) . Mais cet état d’union relève d’un
autre sujet, d’un autre projet.
En effet, le Coran informe que nous vivons dans deux
mondes qui cohabitent dans une même réalité
existentielle : le visible (ghaïb) et l’invisible (shahâda).
L’être humain, lui-même, est le lieu de cette coexistence.
Son âme (rûh) qui habite son corps est issue de ce
monde invisible, céleste, et dont il faut lui rendre sa
virginité primordiale. Et c’est là toute la méthose soufie.
Car c’est l’âme qui reste la plus à même à connaître
Dieu puisqu’elle vient de ce monde invisible (ghaïb)
dont elle a gardé des traces. Mais elle lui faudrait pour
cela traverser le désert métaphysique qui l’a séparé de
Dieu après son intégration dans le corps et le monde, et
suspendre le temps physique qui l’En a éloigné. Et pour
y parvenir, elle a besoin que l’impact qu’exerce sur elle
le corps soit atténué, ce qui justifie les pratiques
exotériques obligées de la première étape.

Cela passe donc par le comportement du corps (al-


jasad), puis celui du cœur ou la conscience (al-qalb)
comme deuxième étape afin d’accéder enfin à la
dimension de l’âme (ar-rûh). En effet selon une certaine
théologie de l’âme, celle-ci ne serait localisée, dans le
sens où elle peut être dans le corps et ailleurs en même
temps. Elle peut également échapper à la prison du
temps de la physique classique.
Il faut reconnaître que pour atteindre cet objectif il
faudrait renoncer aux habitudes qui émoussent la
sensibilité, l’attention et la vigilance. Cela suppose une
transformation profonde de l’être. Le travail ultime se
situe alors au niveau de la psychologie des
profondeurs, en quête d’un discernement des fausses
pensées et des faux états intérieurs, les plus
inconscientisés. À ce titre la démarche d’Al-Muhâsibî
(781–857), fondateur de la psychanalyse mystique
reste intéressante à souligner .

Une seule Vérité, des voies multiples

Devant la désertification spirituelle qui gagne un monde


de plus en plus sécularisé, cette dimension de l’islam
vient répondre à une soif de l’Absolu, un besoin naturel
et légitime.
Néanmoins, il faudrait éviter un soufisme qui serait
superstitieux, folklorique, sectaire, avec une intériorité
des sensations et des oraisons, sans disposition
véritable et authentique de l’âme : des litanies, des
paroles, des rituels et des gestuels vains, désertés de
sens. Et qui au lieu de libérer le cheminant de son Ego
ne ferait que le renforcer, ce qui serait une démarche
contraire à l’une des raisons d’être du soufisme.
Lorsque nous parlons du soufisme, nous parlons d’une
fidélité aux Sources et une conformité aux exigences
d’une Raison raisonnable. Aussi, ne confondons-nous
pas la norme tracée par la Tradition primordiale avec
les voies multiples qui permettent de la vivre.
L’intelligence, le discernement, la sagesse consistent en
cette capacité de pouvoir appliquer les principes soufis
dans la diversité des particularismes. L’universel

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