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Immersion dans la seule prison de France à


prendre en charge des détenus atteints de
maladies psychiatriques
Publié le 22/06/2023 à 07h00

Écrit par Amandine Rouve

Depuis 1950, la prison de Château-Thierry se consacre à la prise en charge de détenus atteints de maladies
psychiatriques. • © Amandine Rouve / FTV

Aisne Hauts-de-France Régions

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C’est un établissement unique en France. Depuis 1950, la
prison de Château-Thierry se consacre à la prise en charge
de détenus psychiatriques lourds. On y envoie de toute la
France des prisonniers devenus trop difficiles à gérer, avec
un objectif : mettre en place un ensemble de solutions sur
mesure, pour les rendre à nouveau accessibles à la
détention. Un défi que les équipes s’efforcent de relever,
malgré des conditions difficiles.

Mollement, l’air un peu hagard, "Boubou" serre les mains de ceux qu’il croise
sur la coursive. C’est un vieux monsieur, dont les nombreux tatouages ont un
peu pâli. Incarcéré à Château-Thierry depuis vingt ans, Boubou fait partie des
quelques détenus qui ont élu domicile dans la prison. En délicatesse avec la
société, ils trouvent ici une forme d’équilibre qu’ils ne veulent plus quitter et
finissent toujours par revenir. L’étage de l’aile qui les héberge a même été
surnommé "Papiland", en référence à leur âge avancé. Le benjamin de la
prison, silhouette haute et démarche pas très assurée, rentre de balade au
même moment. Il vient tout juste de fêter ses dix-neuf ans. 

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"Ce que l'on regarde ici, c’est la pathologie et seulement ça", confie une
surveillante. L’instabilité psychique et la dangerosité des comportements qui
en découle dictent la répartition, les protocoles, les activités des prisonniers.
Sur les 59 détenus psychiatriques de la maison centrale, on compte une
majorité de profils schizophrènes et paranoïaques. Presque tous sont
condamnés à de lourdes peines. Considérés comme responsables de leurs
actes par la justice, ils devront les purger en détention.

L’établissement de Château-Thierry abrite aussi une poignée de détenus


conventionnels dans un couloir qui leur est réservé. Des hommes condamnés
à quelques années, souvent ici après une demande sur des motivations
géographiques.

Un système médical insuffisant


Le rez-de-chaussée abrite l’indispensable espace sanitaire de la prison, gage
du calme fragile qui règne entre ces murs. En accord avec la tendance
nationale, le personnel soignant est insuffisant. Sept infirmières composent
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l’équipe permanente, dont deux travaillent à 80 %. Trop peu pour suivre les près
de 70 détenus à leur charge.

Le week-end, elles sont une le matin et une le soir. "Seule pour tout gérer, c’est
trop compliqué", lâche l’une d’elle. Leur rôle est pourtant primordial : à Château-
Thierry, les infirmières distribuent les médicaments individuellement aux
détenus à chaque repas, un système qui permet de surveiller la prise des
traitements et d’éviter les trafics. Leur passage constitue aussi un contact
quotidien qui permet de prévenir les moments difficiles des détenus et un
repère pour ces hommes qui en manquent.

La salle de pharmacie donne le ton d’un univers ultra-médicalisé, où la chimie


joue son rôle. Dans de hautes armoires s’empilent une multitude de tubes,
étiquetés au nom de chaque détenu. On y trouve les dizaines de pilules qui
rythment leur quotidien. Si la plupart acceptent leur traitement, certains
détenus y sont parfois réfractaires, un choix dont ils sont libres. En 2017, un
rapport du Contrôleur général des lieux de privation de liberté dénonçait des
soins forcés, une pratique qui n’a plus cours, affirme le personnel de la prison.

Les infirmières préparent les médicaments dans des tubes étiquetés à leurs noms, qu'elles distribueront ensuite
individuellement à chaque détenu pour surveiller la prise de traitement. • © Amandine Rouve / FTV
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Côté psychiatrie aussi, on manque d’effectifs. Deux psychiatres consacrent
chacun deux matinées par semaine à la prison. Deux psychologues
interviennent aussi. Le week-end, pas de garde, il n’y a personne, regrettent les
infirmières. En cas d’urgence, ce sont les hôpitaux alentours qui prennent le
relai. Le personnel admet les difficultés d’un fonctionnement qui semble
difficile à systématiser. Les rendez-vous obligatoires ont lieu une fois par mois
et des séances supplémentaires sont programmées sur demande, mais
beaucoup de détenus auraient besoin de plus.

Depuis quelques années, une nouvelle difficulté s’ajoute à la liste : un manque


de suivi flagrant des dossiers médicaux. Certains arrivent même entièrement
vides, et taisent de précieuses indications. À Château-Thierry, le diagnostic,
toujours repris à zéro, est au cœur du soin, parfois longuement remanié. Les
autorités sanitaires l’affirment : en six mois, tous les détenus, même les plus
compliqués à l’extérieur, sont globalement stabilisés.

Un établissement vétuste
Construit en 1850, le bâtiment a vieilli. Sols usés, peintures écaillées, certains
espaces portent lourdement les traces du temps, comme la rotonde centrale
qui dessert les quatre ailes de l’établissement. Château-Thierry est une petite
prison. Ici, pas de coursives interminables, mais des couloirs courts aux portes
rose clair qui se détachent sur les murs ternes, un peu tâchés.

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Sols usés, peintures écaillées, certains espaces portent lourdement les traces du temps. • © Amandine Rouve /
FTV

Dans l’aile réservée au centre de détention, cette structure ancienne est une
chance : les anciens dortoirs de 12 m² qui abritaient à l’origine quatre à cinq
personnes sont devenus des cellules individuelles. Elles contrastent avec
celles de la maison centrale, de 6,70 m² seulement, alors que la norme
recommande aujourd’hui un espace de 9 m². Au fil des ans, des petits travaux
de modernisation ont été opérés, comme l’installation de téléphones
individuels dans les cellules, qui s’accompagne de quelques anecdotes :
certaines familles se plaignent désormais de coups de téléphone incessants.
Le système électrique, pas assez performant, est en cours de réfection.

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L'intérieur d'une cellule où certains travaux ont été effectués au fil des années. • © Amandine Rouve / FTV

Dans les étages, on trouve des salles communes repeintes et claires, plus
accueillantes que les hébergements. Certains espaces comme le centre
d’accueil thérapeutique ont aussi bénéficié d’un coup de jeune et pourront
bientôt accueillir des activités artistiques ou des ateliers de cuisine. Les
locaux, dont la structure n’a jamais été modifiée, impliquent surtout plus de
promiscuité qu’ailleurs. Les détenus sont répartis dans différents espaces,
mais les frontières restent floues. Quatre cellules réservées font office de
quartier "arrivants". Le parloir, qui voit passer peu de visiteurs, est encore
commun et ne laisse place à aucune intimité.

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Le centre pénitentiaire bénéficie par ailleurs d'espaces plus accueillant comme la bibliothèque. • © Amandine
Rouve / FTV

La communication plus que la discipline


Détenus et gardiens se connaissent bien. Chose rare en prison, ils se tutoient
et s’appellent par leur prénom. "Je n’autoriserais ça nulle part, mais ici, oui",
commente Emmanuelle Costes, qui dirige l’établissement depuis juillet 2021.
Pour elle, en poste à Château-Thierry après des années dans un établissement
ultra-disciplinaire, cette proximité est indispensable.

Malgré les contraintes, la prison constitue un cadre de confiance pour ces


détenus souvent seuls, loin des leurs ou en rupture familiale. Le personnel
mise sur la communication davantage que sur la discipline. Il y a d’ailleurs ici
peu de sanctions et les détenus semblent apprécier. Sur le pas de sa cellule,
l’un d’eux remercie les surveillants. Passé par plusieurs établissements avant
d’arriver à Château-Thierry, il semble soulagé du changement. "Ailleurs, c’était
l’enfer", estime-t-il.

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Des cellules sont réservées aux nouveaux arrivants. Ils y restent deux semaines afin d’établir un premier
diagnostic sur leur pathologie et leur comportement. • © Amandine Rouve / FTV

Seule règle incontournable : l’agression implique une réaction immédiate. Pour


les gardiens, l’adaptation est parfois compliquée. Les agents ne sont pas
formés à gérer ces personnalités hors normes qui, même stables, peuvent se
montrer imprévisibles et dangereuses. "Ici, il ne faut pas avoir peur, mais il faut
être lucide", résume la directrice. Leur rôle de médiateur, les gardiens
l’apprennent sur le tas. Certains abandonnent rapidement, mais d’autres
restent des dizaines d’années à leur poste, convaincus par une fonction qu’ils
estiment plus humaine qu’ailleurs. "Dans certains cas, le bonhomme, c’est juste
un numéro de cellule", glisse un gardien qui a exercé à Fresnes et à Bordeaux.
"Ici, on peut vraiment parler d’individualisation de la peine."

Le souci de l’individu semble aussi dominer le choix des activités des


prisonniers. Équithérapie, cuisine, jardinage dans un petit extérieur aménagé et
fleuri où gambadent quelques poules, les occupations sont variées, proposées
en accord avec le profil des détenus. Le personnel prend des initiatives,
propose par exemple des repas en commun.

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Le petit jardin a été aménagé au sein de la prison pour permettre aux détenus d'avoir des activités extérieures. •
© Amandine Rouve / FTV

Le travail et les études sont aussi très encouragés. "On va les chercher", affirme
la directrice, qui insiste sur la volonté de faire progresser le parcours de
chacun. La prison prend aussi des mesures plus sommaires comme la gratuité
des lessives pour aider au quotidien ces détenus qui ont du mal à se prendre
en charge et souffrent souvent d’incurie. L’établissement s’illustre par sa
souplesse face à ces hommes inadaptés à la règle commune, avec un
objectif : trouver le juste équilibre, un peu de calme au milieu d’une tempête qui
persiste. Une infirmière le résume en ces mots : "ici, on soigne, on ne guérit
pas."

C’est un lien un peu à part qui se noue entre ces murs anciens, trop anciens,
qu’il faut aujourd’hui rebâtir. Un grand plan de rénovation de 20 millions d’euros
annoncé au début de l’année devrait permettre de moderniser la prison. Un
projet important, qui permettra de rattraper les normes actuelles, mais la
nouvelle inquiète autant qu’elle réjouit. On craint plus de machines,
d’automatismes, de systématisation, de bruit dans ce lieu au calme fragile, où
tout se gère au cas par cas. Le personnel de la prison devrait voir se préciser
les contours du projet dans les mois à venir. Comme toujours, il s’adaptera.
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Pour aller plus loin :
prison justice société santé

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