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04/03/2023 19:42 Poutine est-il en train de gagner ?

L'ordre mondial évolue en sa faveur | Le spectateur

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Magazine: 04 mars 2023

Pierre Frankopan

Poutine est-il en train de gagner ? L'ordre


mondial change en sa faveur
Extrait d'un numéro de magazine : 04 mars 2023

https://www-spectator-co-uk.translate.goog/article/is-putin-winning-the-world-order-is-changing-in-his-favour/?_x_tr_sl=en&_x_tr_tl=fr&_x_tr_hl=f… 1/11
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Texte commentaires

l ne s'agit pas du tout de l'Ukraine, mais de l'ordre mondial", a déclaré


Sergueï Lavrov, ministre russe des Affaires étrangères, un mois après
"I l'invasion. « Le monde unipolaire recule irrémédiablement dans le
passé… Un monde multipolaire est en train de naître. En d'autres
termes, les États-Unis ne sont plus le gendarme du monde – un message qui
résonne dans des pays qui se sont longtemps méfiés de la puissance américaine.
La coalition de base de l'Occident peut rester solide, mais elle n'a pas réussi à
convaincre de nombreux pays qui ont refusé de choisir leur camp. La mission
diplomatique de Moscou pour établir des liens et affiner un récit au cours de la
dernière décennie a porté ses fruits.

Regardez l'Afrique. En mars de l'année dernière, 25 États africains sur 54 se sont


abstenus ou n'ont pas voté dans une motion de l'ONU condamnant l'invasion,
malgré l'énorme pression des puissances occidentales. Leur refus de se ranger
clairement du côté de l'Ukraine témoigne des efforts diplomatiques continus de
la Russie dans le monde en développement.

Il y a un an, Naledi Pandor, ministre des Affaires étrangères d'Afrique du Sud, a


exhorté la Russie à se retirer. Après la visite de Lavrov il y a quelques semaines,
on a demandé à Pandor si elle avait répété ce sentiment à son homologue russe.
Cela avait été "approprié" l'année dernière, dit-elle, mais le répéter maintenant
"me ferait paraître assez simpliste et infantile". Pandor a ensuite salué la "relation
économique bilatérale croissante" entre Pretoria et Moscou, et les deux pays ont
marqué l'anniversaire de la guerre avec des exercices militaires conjoints.

Moscou se présente comme un bastion de

stabilité dans un monde devenu fou, alors

même qu'il cherche à rendre le monde plus

fou

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Ensuite, il y a les pays d'Afrique du Nord, qui ont aidé la Russie à compenser
l'effet économique des 
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sanctions occidentales. Le Maroc, la Tunisie, l'Algérie et
l'Égypte ont tous, au cours de l'année écoulée, importé du diesel russe et d'autres
huiles raffinées, ainsi que des produits chimiques.

Vladimir Poutine cultive délibérément cette alliance de nations qui se sentent


victimes de l'impérialisme occidental et place la Russie à sa tête. L'Occident veut
voir la Russie « comme une colonie », a-t-il déclaré en septembre. "Ils ne veulent
pas une coopération égale, ils veulent nous voler."

Ce message passe aussi bien dans de grandes parties de l'Asie, où plus d'un tiers
des pays ont refusé de condamner la Russie lors du vote initial de l'ONU, ainsi
qu'en Amérique centrale et du Sud, où des vagues de sentiments anti-
occidentaux et anticapitalistes se poursuivent. gonfler.

Comme l'a dit l'ancien ambassadeur de l'Inde en Russie, Venkatesh Varma, la


semaine dernière : « Nous n'avons pas accepté le cadre occidental du conflit. En
fait, il y a très peu de preneurs dans les pays du Sud.' Il ne parle pas au nom du
gouvernement indien. Mais l'Inde, ainsi que la Chine et l'Afrique du Sud, se sont
abstenues la semaine dernière lors d'une autre résolution de l'ONU exigeant le
retrait de la Russie de l'Ukraine. Sur 193 membres, 141 ont voté pour et 32 ​se
sont abstenus. Sept ont voté contre, la Russie étant rejointe par la Biélorussie,
l'Érythrée, le Mali, la Corée du Nord, le Nicaragua et la Syrie.

L'idée que ce sont l'Amérique et ses alliés qui sont à l'origine des perturbations
et de l'instabilité mondiales prévaut. Les revers en Afghanistan et l'idée que la
guerre ukrainienne s'est produite à cause de l'expansion de l'Otan ont alimenté
un récit, et même une sympathie, pour l'idée que Poutine tient simplement tête
à l'Occident (ce qui explique pourquoi la Corée du Nord a expédié des obus
d'artillerie et l'Iran fourni des drones kamikazes).

Poutine est passé maître dans l'art d'attiser le sentiment anti-américain. Dans
son allocution devant l'Assemblée fédérale la semaine dernière, il a fait référence
aux interventions militaires occidentales en Yougoslavie, en Irak, en Libye et en
Syrie. Celles-ci montraient l'Occident agissant « sans vergogne et avec
duplicité… Ils ne pourront jamais laver cette honte ».

Regardez comment l'Ukraine a été soutenue, a-t-il ajouté, tandis que d'autres
ont été abandonnés. Plus de 150 milliards de dollars ont été dépensés pour aider

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et armer Kiev, a-t-il dit, alors que les pays les plus pauvres du monde n'ont reçu
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 d'aide. "Qu'en est-il de tout ce discours sur la lutte
que 60 milliards de dollars
contre la pauvreté, le développement durable et la protection de
l'environnement ?" Il a demandé.

La Russie de Poutine revendique même avec audace le haut degré de la


discrimination raciale. Dans un discours prononcé il y a six mois, Poutine a
déclaré : « La russophobie qui s'exprime aujourd'hui dans le monde entier n'est
rien d'autre que du racisme. La Russie puise ainsi parfaitement dans la
culpabilité occidentale vis-à-vis de son passé colonial, tout en se présentant
comme la principale voix de ce que Lavrov appelle « la majorité internationale ».
"Au cours des longs siècles de colonialisme, de diktat et d'hégémonie", a déclaré
Poutine la semaine dernière, l'Occident "s'est habitué à tout avoir, s'est habitué à
cracher sur le monde entier".

Dans le même temps, le président russe fait appel au conservatisme social


mondial. C'est pourquoi la semaine dernière, il a souligné les contorsions de la
Communion anglicane sur le mariage homosexuel et un Dieu "non sexiste",
qualifiant cela de "catastrophe spirituelle". De tels propos sont bien accueillis par
les populations les plus dévotes de la planète, qui ont tendance à considérer les
débats LGBTQ comme une preuve de la dépravation et de la décadence
occidentales. Il y a une raison pour laquelle RT, la chaîne d'information du
Kremlin, a passé des années à attiser les guerres culturelles.

Moscou se présente ainsi comme un bastion de stabilité dans un monde devenu


fou, alors même qu'elle cherche à déstabiliser le monde et à le rendre encore
plus fou. Sa propagande culturelle est soutenue par la realpolitik et le commerce,
le pétrole, le gaz, les métaux et les cultures étant utilisés comme incitations
diplomatiques à jouer le jeu de la Russie. Les armes étaient une autre incitation,
bien que les mauvaises performances sur le champ de bataille au cours de
l'année écoulée aient affaibli sa réputation de superpuissance d'armes.

Ensuite, il y a la Chine, qui a appelé sans enthousiasme la semaine dernière à des


pourparlers de paix, et qui accueille cette semaine l'allié de Poutine, le président
biélorusse Alexandre Loukachenko. Les relations entre la Russie et la Chine
seront toujours compliquées, mais l'invasion de l'Ukraine et la réponse de
l'Occident ont créé d'énormes opportunités pour la coopération sino-russe. La
Chine a acheté des quantités record de pétrole et de gaz russes bon marché, par

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exemple, tout en exportant beaucoup plus de machines et de semi-conducteurs


Anglais
vers la Russie.
Français

C e qui les unit, c'est l'accent partagé sur l'importance de la stabilité et la


diffusion de l'idée que c'est l'Occident qui est perturbateur, imprévisible et
instable.

Les dirigeants occidentaux parlent de donner

à Kiev les outils pour "finir le travail", mais

les mois à venir s'annoncent sombres

"Nous devons travailler ensemble pour maintenir la paix et la stabilité dans le


monde", a déclaré Xi Jinping dans son dernier discours au Forum de Boao, "et
nous opposer à l'utilisation gratuite de sanctions unilatérales". Tout comme les
commentaires de Lavrov sur l'autonomisation des autres nations visent des pays
d'Asie, d'Afrique et d'Amérique latine - qui ont tous bénéficié de la culture
diplomatique chinoise au cours de la dernière décennie - ces appels chinois à la
"solidarité internationale" le sont également.

Il convient à Pékin de faire écho au récit de la Russie sur les règles du jeu
inégales, la victimisation et la pression – notamment depuis que la Chine a
regardé la guerre se dérouler afin de tirer des leçons qui peuvent façonner son
approche de Taiwan.

Lors de sa visite à Moscou la semaine dernière, le haut diplomate Wang Yi a


parlé de "nouvelles frontières" dans les relations entre la Chine et la Russie et a
appelé à une résistance commune aux pressions de la "communauté
internationale" - une réprimande apparente à la menace du secrétaire d'État
américain Antony Blinken. de « conséquences » si la Chine fournit un soutien
militaire à la Russie.

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Vladimir Poutine rencontre Wang Yi au Kremlin de Moscou, le 22 février 2023 (Getty Images)

Les retombées de la pandémie ont, à certains égards, joué entre les mains de la
Russie et de la Chine. Comme l'a déclaré un rapport de la Fondation Carnegie,
sans les ressources disponibles en Occident, dans les pays économiquement
vulnérables, la crise a "inversé des décennies de progrès en matière de pauvreté,
de soins de santé et d'éducation".

Les pays occidentaux ont acheté des stocks de vaccins – bien plus importants
que nécessaire – puis ont refusé de libérer les dérogations aux brevets pour les
médicaments, les vaccins et les diagnostics, faisant monter les prix et entraînant
des niveaux de mortalité plus élevés. En revanche, la diplomatie énergique des
vaccins de la Russie et de la Chine a renforcé leur position, en particulier en
Afrique et en Amérique latine. Malgré l'inefficacité des vaccins chinois
Sinopharm et Sinovac, les responsables de la santé en Afrique du Sud ont cessé
de donner le vaccin anglo-suédois AstraZeneca, estimant qu'il ne fonctionnait
pas. L'année dernière, une enquête menée auprès des pays de l'ANASE en Asie
du Sud-Est a révélé que l'UE avait un score de perception positive de 2,6 % en ce
qui concerne le soutien aux vaccins, contre près de 60 % pour la Chine.

Quant à la guerre, la Russie est-elle vraiment perdante ? Les Ukrainiens se sont


étonnamment bien battus, mais ont subi d'énormes pertes. Les dirigeants

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occidentaux parlent de donner à Kiev les outils pour « terminer le travail », mais
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 et même années à venir ont à offrir semble sombre,
ce que les semaines, mois
comme le suggèrent les revers de Bakhmut.

L'économie russe semble suffisamment solide pour continuer la guerre : le FMI


prédit que son économie augmentera de 0,3 % cette année. Pendant ce temps,
des centaines de milliers de conscrits russes sont toujours appelés. Comme l'a
noté l'historien Stephen Kotkin, les démocraties mènent les guerres
différemment des autocraties. La Russie continuera de jeter des recrues non
formées dans le "hachoir à viande", dans lequel les trois quarts d'entre elles
meurent. Que font ensuite leurs dirigeants, demande Kotkin : « Vont-ils à
l'église le dimanche et demandent-ils pardon à Dieu ? Ils recommencent.

Cette équation est différente pour l'Ukraine, indépendamment de ce que


l'Occident fournit - parce que Kiev est armée pour une guerre défensive plutôt
qu'offensive. Au fil du temps, cela fait pencher la balance en faveur de celui qui
peut souffrir plus longtemps, en l'occurrence la Russie. Les guerres d'usure sont
coûteuses et difficiles à maintenir.

Si les problèmes d'approvisionnement sont une chose, le renouvellement des


stocks en est une autre. Le chef de l'armée britannique, le général Sir Patrick
Sanders, a déclaré que la fourniture de matériel depuis le Royaume-Uni avait
"affaibli" l'armée. Sans surprise, le secrétaire à la Défense Ben Wallace cherche
10 milliards de livres sterling pour son département – ​à un moment où le
gouvernement tente de combler le «trou noir fiscal» dans ses coffres.

Les commentateurs de la télévision russe soulignent joyeusement ce point. Les


têtes parlantes du Kremlin prétendent souvent que les Européens meurent de
froid à cause des prix élevés de l'énergie ou ont été forcés de manger des
sauterelles en raison d'un manque d'importations de blé russe. Derrière un tel
sensationnalisme se cache l'espoir que les partisans de l'Ukraine s'épuisent et
que des fissures apparaîtront bientôt dans le mur de solidarité de l'Occident. Le
nouvel engagement de l'Allemagne envers l'Ukraine survivra-t-il à un hiver plus
froid ? Les propagandistes russes sont également conscients que, d'ici 2025, une
nouvelle administration américaine pourrait offrir de nouvelles options à
Moscou, surtout s'il y a un président républicain qui est isolationniste, impatient
ou les deux.

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En Europe, la militarisation par la Russie de ses ressources énergétiques a causé


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 Confrontés à des pénuries, les pays européens, dont
des difficultés généralisées.
le Royaume-Uni, se sont précipités pour remplacer les capacités, notamment par
des importations de gaz naturel liquéfié (GNL). Cela a provoqué de l'inflation en
Occident, un problème qui refuse de se résorber alors même que les marchés de
l'énergie s'adaptent.

Il y a eu de grands gagnants, comme les actionnaires des cinq géants pétroliers -


BP, Shell, Exxon, Chevron et Total Energies - qui ont déclaré l'an dernier des
bénéfices combinés de 200 milliards de dollars. Les États producteurs de
combustibles fossiles de l'OPEP ont également enregistré des revenus
époustouflants, atteignant 850 milliards de dollars l'année dernière. Mais la
hausse des prix du GNL a entraîné des pannes d'électricité dans des pays
comme le Pakistan et le Bangladesh, qui ont à leur tour réduit leur productivité.
Cela a ouvert la voie à des troubles sociaux et à une volatilité politique, tout en
augmentant un sentiment mondial de ressentiment envers l'Occident.

Dans ses termes les plus directs, la guerre a été le moment de l'un des plus
grands transferts de richesse de l'histoire, les États riches en énergie récoltant
des bonus en espèces géants qui, à leur tour, ont encore accéléré le changement
de l'ordre mondial.

ÉCRIT PAR

Pierre Frankopan
Peter Frankopan est professeur d'histoire mondiale à l'Université d'Oxford et auteur de The Earth Transformed: An
Untold History

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