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Éditions
de l’École
des
hautes
études en
sciences
sociales
Inde et littératures | Marie-Claude Porcher
Les mystères du
Véda
Spéculations sur le texte sacré des anciens
brames au Siècle des Lumières
The mysteries of the Vedas. Speculations upon the sacred
books of the ancient Brahmins in the late eigthteenth
century
Catherine Weinberger-Thomas
p. 177-231
Résumé
Quelles rêveries les Veda, textes sacrés des brames, mystérieux,
inaccessibles et encore scellés, provoquaient-ils dans l’esprit des
Européens de la fin du #$%%%e siècle ? Telle est la question à laquelle
cette étude s’efforce de répondre.
Elle s’appuie essentiellement sur l’œuvre du naturaliste français Pierre
Sonnerat, dont le Voyage aux Indes orientales et à la Chine paraît
pour la première fois en 1782. Elle comprend deux parties :
1. la première traite de la controverse qui agita pendant plus de
soixante ans savants, missionnaires et Philosophes à propos de
l’authenticité de l’« Ezour-Vedam », arme favorite de Voltaire pour
ruiner la chronologie mosaïque ;
2. la seconde partie est une analyse de l’interprétation que donne
Sonnerat des « fables » de la mythologie indienne, « fables » dont il
tire un roman, que j’ai appelé « la guerre des Veda ». Ce roman a pour
but d’étayer le système de Sonnerat sur une origine indienne des
civilisations et de l’humanité. Ce système trahit à l’évidence le
changement des attitudes face à l’Inde, et annonce l’ascension de
l’astre indien à l’âge romantique.
Texte intégral
L’obscur rapproché de l’obscur ramène dans
l’histoire les ténèbres cimmériennes1.
1 DHI JKL IMN L#%IOLNPL LIO PMNNKL, le Veda a partie liée
dans l’imaginaire occidental avec les mystères du
paganisme dont il détient la clef1. Ensemble inaccessible de
formules absconses scellées par une langue encore
indéchiffrable, on sait cependant qu’il gouverne tout
l’édifice du paganisme indien, et pourrait seul guider le
voyageur à travers cette jungle de l’idolâtrie que constitue
l’Inde pour l’homme européen depuis qu’il en a découvert,
à la fin du #$e siècle, la route maritime2. Protégé du regard
inquisiteur des barbares que nous sommes par le soin
jaloux des brâhmanes, détenteurs exclusifs du texte sacré
qui fonde en droit leur prééminence dans les sphères
confondues du social et du religieux, le Veda se voit aussi
dérobé par ces mêmes brâhmanes au reste de la nation, à la
masse des autres groupes qui peuplent la péninsule3. Aussi
le destin du Veda apparaît-il inextricablement mêlé à celui
des docteurs de la loi des Gentils, à l’histoire de ces savants
« brames »4, dépositaires, receleurs et par là, seuls
médiateurs possibles du fin mot des mystères païens.
2 Je voudrais retracer ici un épisode de cette histoire
conjointe. Je me suis inspirée des rêveries d’un naturaliste
du Siècle des Lumières sur une Inde devenue terrain
d’investigations méthodiques, soumise aux techniques de
l’arpentage, de l’inventaire et de la classification, mais dont
le corps subtil échappe à l’empire de la Raison pour
s’abîmer dans les béances et se perdre dans les méandres
des fictions européennes. Pourtant la parution, en 1782, du
cette fois, outre une très riche collection dans les règnes
animal et végétal, qu’il dépose au Jardin du roi, le Voyage
aux Indes orientales et à la Chine, dont il sera ici question.
6 Si la vie du naturaliste n’offre rien d’aussi romanesque que
celle de son contemporain Anquetil-Duperron
(Darmesteter 1892 ; Schwab 1935), elle n’en comporte pas
moins un épisode assez tragique : Sonnerat est retourné en
Inde en qualité de commandant de Yanaon ; lorsque les
Anglais prennent le comptoir, il est fait prisonnier,
emmené à Pondichéry, où il demeurera en captivité
jusqu’en 1813. Il ne devra sa libération et son rapatriement
qu’à l’intervention conjuguée de J. Banks et Jussieu, et
mourra à Paris l’année suivante. Il travaillait alors à la
publication d’un Nouveau Voyage aux Indes orientales,
qui devait paraître en quatre volumes. Ce manuscrit remis
à Jussieu par la fille de l’auteur ne fut jamais édité ; la trace
s’en est perdue.
7 Sonnerat fonde la lignée des naturalistes qui ont travaillé
sur l’Inde : Victor Jacquemont, bien sûr, mais aussi
Leschenault de la Tour, Duvaucel, Bélanger, Reynaud, H.
de Bougainville, Laplace, Vaillant. Ses travaux, ses
planches superbes, les spécimens qu’il avait collectés,
furent utilisés par Adanson, Jussieu, Linné, Lamarck,
Lacépède et Cuvier. Il entra enfin, sinon dans l’histoire, du
moins dans l’histoire naturelle, puisque son nom reste
associé à un arbre tropical qu’il avait décrit sous le nom de
Papagaté et que Linné baptisa Sonneratia (icosandrie
monogynie, famille des myrtoïdes).
8 Le succès du Voyage, imprimé sous le privilège de
l’Académie Royale des Sciences, fut considérable : en
quelques années, il devint une œuvre de référence
classique sur cette région du monde, d’autant que des
traductions allemande (1783), suédoise (1786) et anglaise
(1788), puis une réédition française, revue et augmentée
par le naturaliste Sonnini de Manoncourt (1806),
contribuèrent à en élargir la diffusion9. Mais il devait aussi
alimenter une vive controverse où l’on trouve mêlés, à des
titres divers, Charpentier de Cossigny, Law de Lauriston,
L’Inde et la Chine
11 Mais si le volume sur l’Inde donna prise à la critique, celui
consacré à la Chine déclencha un véritable scandale dans
les milieux savants. Sonnerat entreprend en effet de ruiner
le modèle chinois, en soutenant qu’il fut construit de toutes
pièces par les Jésuites, à des fins de propagande d’une
idéologie dominatrice :
Placés à quatre mille lieues des plages européennes, les
Chinois n’ont été connus dans l’Occident que par les
relations édifiantes des missionnaires ; [...] Ne pouvant
conquérir le globe par la voie des armes, les Jésuites
avaient résolu de l’asservir au nom de l’Éternel ; c’est
pourquoi ils ne cessaient d’exalter l’avantage des
théocraties, sous l’emblème desquelles ils voulaient
déguiser leur despotisme sacré, image du gouvernement
qu’ils brûlaient d’établir dans toutes les contrées. Les
Chinois devant servir de base à leur système, [...] ils
devaient [les] présenter [...] comme un peuple doux,
humain, heureux et satisfait [...], et dans la position morale
et civile que tous les hommes doivent ambitionner
(Sonnerat, Livre IV : 269-271)14.
Le pyrrhonisme de l’histoire
25 On ne peut que s’étonner de ce déploiement d’arguties à
propos d’un texte dont la tonalité si peu indienne aurait dû
alerter un homme tel qu’Anquetil, quand bien même sa
forme de dialogue entre un maître et un disciple lui
conférait un vernis pseudo-purāṇique. Que Voltaire ait pu
se laisser abuser, cela se conçoit, mais le traducteur des
Upaniṣad 21 ! Car il faut y insister : l’authenticité de
l’Ezour-Vedam ne saurait être contestée pour Anquetil.
Tout ce montage sur l’arrivée en France du précieux
manuscrit montre à l’évidence l’intérêt passionné qu’il
portait à un monument qu’il devait défendre avec
acharnement jusqu’à la fin de sa vie contre Sonnerat et le
P. Paulin de Saint-Barthélemy : « Toutes les raisons que le
P. Paulin accumule contre l’authenticité de cet ouvrage,
qu’il attribue, avec M. Sonnerat, à un missionnaire de
Mazulipatan, toutes ces objections blanchissent devant les
faits et les dates » (ibid. : 120).
26 On négligera ici les motifs personnels qui expliquent peut-
être sa prévention contre Sonnerat, et le dressent sûrement
contre son rival en indologie, le très érudit P. Paulin ;
motifs peu glorieux qu’on retrouve chez le jeune William
Jones, mettant en pièces dans un pamphlet d’une rare
férocité la traduction d’Anquetil du Zend-Avesta (Anquetil-
Duperron 1771 ; Jones 1771). On s’interrogera en revanche
sur l’enjeu de cette apologie de l’Ezour-Vedam, que
mettront en lumière les Observations au Voyage aux Indes
Orientales 22.
27 Sonnerat avait le premier reconnu dans l’Ezour-Vedam un
Épilogue
34 Aucun des protagonistes de cette querelle ne devait vivre
assez longtemps pour en connaître l’épilogue. Ce n’est
qu’en 1822 qu’un article de F. Ellis jette enfin toute la
lumière – ou presque – sur la question (Asiatick
Researches, vol. 14, 1822 : 1-59). En sanscritiste averti,
disposant déjà d’un appareil critique suffisamment fourni
pour ne pas être dupe, Ellis soupçonne d’emblée le texte
publié par Sainte-Croix en 1778 de n’être qu’un apocryphe
chrétien. Il abonde dans le sens de Sonnerat (dont il loue le
discernement), à ce détail près que le faux proviendrait
selon lui du Bengale, et non de Masulipatam. La
transcription des termes prétendument sanscrits trahit à
l’évidence l’origine bengalie du ou des rédacteurs
(« Chumontou » pour Sumanta, « Biach » pour Vyāsa,
etc.). Mais le hasard ne le favorise pas moins, qui lui
apporte la preuve décisive du bien-fondé de la
présomption : Johnson, chief justice de Ceylan, et Frazer,
résident britannique à Pondichéry, découvrent en effet à la
Mission catholique de cette ville, non seulement le
manuscrit original de l’Ezour-Vedam, mais une imitation
des trois autres Veda (Ellis 1822 : 55, n. a). L’ancienne
compagnie de Jésus avait bien fait les choses et couvert
l’ensemble du corpus sacré. Ces manuscrits étaient rédigés
en sanscrit (dans un sanscrit saturé de barbarismes et de
« bengalismes », et en graphie romanisée), avec, en regard,
la traduction française. Le pseudo-Yajur-veda portait le
titre original de Jozur-Béd, biffé à l’encre, et remplacé par
celui d’Ezour-Vedam, de consonance moins bengalie.
35 La peine extrême que prend Ellis à confronter pseudo et
vrais Veda (en s’appuyant sur les travaux de Jones,
Colebrooke, Carey, Ram Mohun Roy25), l’expertise fouillée
à laquelle il soumet les manuscrits de la Mission
Climats
39 Héritier direct des Philosophes, Sonnerat croit lui aussi au
théisme primitif de l’Inde et à sa corruption au cours de
l’histoire en un ramas de superstitions idolâtriques. Mais il
ne peut se satisfaire totalement de la théorie du despotisme
asiatique pour rendre compte du passage entre un état
idéal de perfection originelle et celui de dégradation
consommée qu’il observe sur le terrain. Aussi est-il amené,
Fables
47 Mais comment faire appel à l’histoire quand les
monuments qui permettraient d’en jeter les bases
manquent cruellement ? Le prestige de la Chine depuis la
fin du #$%%e siècle tient pour une grande part à la révélation
de ses annales ; c’est grâce aux sources chinoises qu’un
historien comme de Guignes tente d’établir une
chronologie de l’Inde ancienne et parvient à en poser les
jalons dès 1772 (vingt ans par conséquent avant William
Jones, à qui l’on attribue souvent la primauté de cette
découverte), en identifiant dans le Sandragouten du
Bagavadam (poème tamoul imité du Bhāgavata-purāṇa
traduit par Maridās Pillei et envoyé en France en 1769), le
Sandracottos des témoignages grecs (de Guignes 1772 ;
J- Filliozat 1953 : 95-96 et 1954 : 278-279). En l’absence
d’annales indiennes, Sonnerat propose de recourir au
corpus des « fables » dont cette contrée abonde, « parce
qu’on a tout lieu de présumer qu’[elles] renferment son
histoire allégorique » (Sonnerat, Livre I : 8) : ainsi
retrouvera-t-on sous le travestissement des fictions la
trame des événements qui ont causé la « dégénération » de
l’Inde. Par « fables », il entend non seulement le corpus
mythologique (auquel il a accès par la tradition tamoule),
mais aussi les usages, les coutumes, les cultes ; bref, les
fables sont constituées de la somme des « histoires que
débitent les brames pour entretenir la faiblesse du peuple »
(ibid. : 10), transformées par le temps en articles de foi
(Livre III : 340).
48 La question de l’interprétation des fables du paganisme
agite le monde européen depuis la Renaissance (J.
Le système de Sonnerat
51 La « mythistoire »30 des brachmanes ne forme pas un récit
linéaire inséré dans une anatomie de l’Inde. Elle se
construit comme un puzzle : on en aperçoit ici et là
quelques linéaments, quelques-unes des pièces maîtresses ;
mais ce n’est qu’après coup que l’image se crée, et lorsque
tous ces éléments disparates s’assemblent enfin, on
découvre que ce roman à l’aspect embrouillé et décousu
cache en réalité la rigueur d’un système. Une axiomatique
le sous-tend de bout en bout, qui lui donne sa cohérence
interne et son sens polémique. Car ces dérives au second
degré dans la fabulation (rêveries d’un naturaliste des
Lumières sur d’anciennes « fictions indiennes ») ne
sauraient s’expliquer par le caprice d’un individu : elles
appartiennent à l’histoire d’une migration. Migration des
esprits, en cette fin du #$%%%e siècle, vers une région de
l’exotisme où stationnera longtemps l’imaginaire
occidental. Les divagations de Sonnerat sur la guerre des
Veda annoncent le formidable bouleversement des
attitudes face à l’Inde. Elles désignent ce moment
mystérieux et finalement inassignable où le Théâtre de
l’idolâtrie s’efface devant la Terre promise du mythe aryen
(Poliakov 1971 ; Weinberger-Thomas 1983).
52 Par souci de clarté, je procéderai de la façon suivante : je
L’apparition du liṅga
60 Le premier mythe que Sonnerat déchiffre à l’aide de cette
clef est celui de l’apparition du linga (liṅgodbhava) dans
une version locale très proche des versions purāṇiques
classiques (Vāyu-pur. I 55 ; Brāhmaṇḍa-pur. I 26), mais
dont la tonalité de dévotion śivaïte montre bien que
l’auteur l’a recueillie dans le Sud de l’Inde, et l’apparente
davantage aux versions sectaires de la tradition śivaïte (par
exemple, Śiva-pur. Rudra-Saṃhitā Sr̥ṣṭi-khaṇḍa 15 ;
Linga-pur. I 17 ; Skanda-pur. I 16, I 3 1-2, I 3 9-15,
III 1 14). Ce mythe offre ceci de particulier qu’à l’inverse de
tant de récits étiologiques du brâhmanisme ou de
l’hindouisme, il explique l’origine d’une absence de rite :
pourquoi le Dieu Brahmā « regardé comme Dieu créateur,
n’a cependant ni temple, ni culte, ni sectateurs » (Livre II :
266). En voici l’argument :
« [Brouma] se persuada qu’il était autant que Chiven,
parce qu’il avait le pouvoir de créer ; dès lors il voulut avoir
la prééminence sur Vichenou qu’il insulta grièvement : ce
dernier voulut en tirer vengeance, de manière qu’il y eut un
combat terrible entre eux. » Les dieux innombrables du
Le Rāmāyaṇa
63 Si le mythe de l’apparition du liṅga, dans une variante
śivaïte, témoignait des guerres de religion qu’avait connues
l’Inde ancienne et de l’extermination des partisans de
Brahmā, deux récits – épique et
mythologique – empruntés à la tradition viṣṅuïte,
365).
90 Devant la concordance de tous ces témoignages, peut-on
douter encore que l’Inde ne l’emporte dans ce challenge qui
l’oppose à ses rivales ? « L’Inde fut le berceau de toutes les
religions, et les anciens brachmanes en furent les
inventeurs » (ibid. : 326).
91 Cette énigme éclaircie, les mystères du paganisme indien
demeurent. Le contraste des « deux Indes » n’en ressort
que davantage. Si l’Inde fut la terre des Origines, un abîme
la sépare de l’Indostan moderne : dégradé, avili, ignorant,
inique. L’auteur tente d’abord de fournir une explication
rationnelle où se rejoindraient les points de vue naturaliste
et philosophique : dégénération naturelle, incidence du
climat, corruption du despotisme ; il y ajoute toutefois un
élément nouveau, qui subsume tous les autres facteurs : il
faudrait chercher dans la prime-histoire de l’Inde, dans les
révolutions que cette nation aurait subies à une époque
très reculée, la cause première de sa chute. Il y aurait eu
cassure dramatique plutôt que processus continu de
dégénérescence. Le roman sur la guerre des Veda, tiré des
« fables indiennes », permet à l’auteur de faire
l’archéologie de cette prime-histoire.
92 Dès lors, la fonction dévolue au génocide de l’Urvolk des
brachmanes paraît claire : puisque les brachmanes ont à
jamais disparu de la surface du globe, aucun
rapprochement avec l’Inde moderne ne risque de souiller la
pureté du modèle indien primitif : l’Inde ne serait plus
dans l’Inde.
93 Cependant, cette ségrégation radicale présente un danger,
elle pourrait annuler l’efficace du modèle. À quoi bon, en
effet, exhumer un monde défunt, mort-né en quelque sorte,
livré en pure perte à notre admiration, simple lieu de
rencontre des nostalgies européennes ? Pour Sonnerat,
cette redécouverte n’a de sens que si l’archétype prend
aussi pour nous hic et nunc valeur d’exemple : « On verra
par l’histoire de l’Inde que le despotisme et l’oppression
avilissent bientôt les peuples » (Livre I : #%%) ; « je fais voir
comment la superstition a assujetti sous la domination des
**
*
100 Ainsi, par une ironie de l’histoire des idées, il aura fallu une
éclipse de Veda pour que l’astre de la sagesse indienne se
lève à l’Ouest. Bientôt avec Jones, Herder et F. Schlegel, il
devait monter à son zénith.
Bibliographie
Bibliographie
1. Sources
ANJKLO%v-DKwLxxMN, A.-H., Zend-Avesta, ouvrage de
Zoroastre contenant les idées théologiques, physiques et
morales de ce législateur, les cérémonies du culte religieux
qu’il a établi, et plusieurs traits importants relatifs à
l’ancienne histoire des Perses. Traduit en français sur
Annexes
Abréviations
As.-R., Asiatick Researches or Transactions of the Society
Instituted in Bengal for Inquiring into the History and
Antiquities, the Arts, Sciences and Literature of Asia
(Calcutta, 1788-1836).
Notes
1. L’énoncé type de A. Roger : « le Vedam, qui est le livre de la loi des
Païens, qui comprend en soi tout ce qu’ils (les Bramines) doivent croire
et toutes les cérémonies qu’ils doivent faire [...] est écrit en langue
Samscortam : tous les mystères du paganisme sont écrits dans cette
langue » (1651, trad. 1670 : 34-35) sera repris par tous les auteurs
jusqu’à la fin du #$%%%e siècle, et parfois au-delà.
than death itself among the Hindoos » (A. DM‚ 1768, vol. I : xxiv).
4. Les avatars du mot « brâhmane » dans la littérature des relations,
des missions et des mémoires savants offrent un aperçu de
l’incomparable génie des Européens pour déformer les vocables des
idiomes exotiques : on trouve à peu près tout ce qu’il était possible
d’inventer à partir d’un terme qu’on connaît d’abord par les récits des
Anciens, sous la forme de « brachmane » ou « bracmane ». Au
#$%%%e siècle, cette belle anarchie subsiste toujours comme en témoigne
l’article consacré aux brâhmanes dans l’Encyclopédie sous l’intitulé
suivant : BRAMINES ou BRAMENES, ou BRAMINS ou BRAMENS
(D%{LxMO, vol. 2 : 393b-394a) ; Quant aux « Brachmanes » ou anciens
philosophes de l’Inde, un article distinct leur est réservé (ibid. 391a-b),
ainsi qu’aux « Gymnosophistes » (vol. 7 : 1022a). De Jaucourt tente de
clarifier les choses en établissant un ordre de succession directe entre
« Gymnosophistes », « Brachmanes » et « Bramines » à l’article INDE
(vol. 8 : 662a) ; mais Diderot pose quant à lui un rapport de parfaite
synonymie entre « Gymnosophistes » et « Brachmanes » :
« BRACHMANES [...] Gymnosophistes ou philosophes indiens, dont il
est souvent parlé dans les Anciens » (vol. 2 : 391a) ; cf. également,
D%{LxMO : INDIENS, Philosophie des – (vol. 8 : 675a). La confusion est
donc totale au sein même de l’Encyclopédie. Une tendance semble
toutefois se dégager dans la littérature française du #$%%%e siècle, qui
privilégie l’usage des mots « brahmes » ou « brames » pour désigner
les brâhmanes modernes.
Les « Gentils » (portugais Gentio, italien Gentile, anglais Gentoo)
désignent depuis le #$%e siècle les hindous par opposition aux
« Maures » et aux Parsis (cf. YKvL and BKxNLvv, op. cit. : 367a-369a).
Mais il existe une autre manière très répandue de les nommer
spécifiquement, qui consiste à les qualifier d’« Indiens » : ce n’est là
qu’un des paradoxes d’une terminologie encore balbutiante.
J’utiliserai ici le plus souvent la langue de mes auteurs : « Indien »
renverra à « hindou », « système indien » ou « religion indienne » à
« hindouisme », etc. Ce parti pris « archaïsant » s’imposait, à mon
sens, pour restituer à une littérature assez méconnue des indianistes
d’aujourd’hui, ce que d’aucuns considéreront comme ses limites, et
d’autres sa saveur.
5. L’essai de Colebrooke constitue, selon l’expression de L. Renou, le
« berceau des études védiques » (RLNMK 1950 : 41). Il faudra toutefois
attendre 1816 pour que de larges extraits du Ṛg-veda soient donnés au
public par F. Bopp ; 1830, pour que paraisse le Rig vedae specimen de
F. Rosen ; enfin les années 1846-1847, pour que le Yajurvedae
specimen cum commentario d’A. Weber et le Sāmaveda de Th. Benfey
révèlent enfin à l’Occident le monument authentique de la trayī vidyā
(cf. RLNMK op. cit. et E. W%N{%IP| 1917).
politiques qui ont eu lieu dans l’Inde, depuis 1778 » et autres additions
de Sonnini.
L’Histoire naturelle de l’Inde, enfin, forme le volume IV.
10. J.F. Charpentier de CMII%•Nz 1784 ; Ly‚ de LyKx%IOMN 1783 in
SMNNLxyO 1806, vol. II : 160 sq. ; FMKP|Lx d’O•IMN$%vvL 1785 : 1-31 ;
ANJKLO%v-DKwLxxMN in wyKv%N de Sy%NO-ByxO|‡vL}z 1808, vol. III :
75, 120, 170, 315-316 ; J. de •K%•NLI in Journal des Savants, juil.
1783 : 457-468.
11. Cf. M. Duchet : « depuis la découverte de l’Afrique et de
l’Amérique, et le début du processus de colonisation, l’homme sauvage
est objet, l’homme civilisé seul est sujet ; il est celui qui civilise, il
apporte avec lui la civilisation, il la parle, il la pense, et parce qu’elle est
le mode de son action, elle devient le référent de son discours » (1977 :
20 et sq.). La promotion de cette anthropologie de l’homme et
l’intégration de l’homme « asiatique » à la partie « civilisée » de
l’espèce, ressortent à l’évidence de la préface d’Anquetil-Duperron à sa
traduction du Zend-Avesta : « Eh ! pourquoi craindrais-je de produire
mes faibles efforts, quand l’objet qui les a fait naître est le plus digne
d’occuper l’être pensant ; lorsque le peu de matériaux que j’ai tâché de
rassembler peuvent servir à commencer un édifice, la connaissance de
l’homme [...]. L’homme, le centre en quelque sorte de la Nature, [...]
l’homme, étudié, ou du moins vu et pratiqué depuis l’origine du
Monde, n’est guère plus connu qu’au moment de sa création. On a
mesuré les astres, sondé les abîmes de la mer, parcouru toute l’étendue
du Globe, et déterminé sa forme ; on a surpris le secret de la Nature
dans ses reproductions, dans les lois qui règlent son cours : tout cela
est pour l’homme, et l’homme est ignoré » (1771, vol. I : vi).
12. Le chapitre #%% du Livre I contient une description trop sommaire
des « langues indiennes en général » et du tamoul en particulier, pour
qu’on puisse trancher ici la question. Sonnerat ne maîtrisait sans doute
pas le tamoul, mais affirmer, comme le fait Foucher d’Obsonville – sur
la foi du témoignage de « gens » de la ville de Lorient qui « ont été
dans l’Inde » – qu’il n’y entendait rien, c’est aller un peu vite en
besogne. La lecture du Voyage montre à l’évidence que le naturaliste
savait suffisamment de tamoul pour mener sur le terrain le type
d’investigations auxquelles il se livrait (FMKP|Lx {’O•IMN$%vvL, op.
cit. : 19). En outre, une campagne de diffamation de grande envergure
avait été lancée de Pondichéry contre Sonnerat par M. de Maissin,
colonel d’infanterie ayant servi sous Dupleix et se piquant
d’orientalisme, dont les recherches sur la religion des Indiens n’ont
jamais paru (cf. Lettre de C|yxwLNO%Lx {L CMII%•Nz in SMNNLxyO
1806, vol. II : 180). Maissin pourrait être à l’origine de la prévention
d’Anquetil contre Sonnerat : Anquetil mentionne en effet l’accueil que
lui réserva « M. de Messin » à son arrivée à Pondichéry
Notes de fin
1 ANJKLO%v-DKwLxxMN, Lettre de M. Anquetil du Perron, de
l’Académie Royale des Inscriptions et Belles-Lettres, de Paris, à M.
+++, sur les Antiquités de l’Inde (Paris, le 17 mars 1786), in Recherches
historiques et géographiques sur l’Inde, 1e partie (1786), p. 1.
Auteur
Catherine Weinberger-Thomas
Du même auteur