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Inde et littératures - Les mystères du Véda - Éditions de l’École des h... https://books.openedition.

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Éditions
de l’École
des
hautes
études en
sciences
sociales
Inde et littératures | Marie-Claude Porcher

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Inde et littératures - Les mystères du Véda - Éditions de l’École des h... https://books.openedition.org/editionsehess/48609

Les mystères du
Véda
Spéculations sur le texte sacré des anciens
brames au Siècle des Lumières
The mysteries of the Vedas. Speculations upon the sacred
books of the ancient Brahmins in the late eigthteenth
century

Catherine Weinberger-Thomas
p. 177-231

Résumé
Quelles rêveries les Veda, textes sacrés des brames, mystérieux,
inaccessibles et encore scellés, provoquaient-ils dans l’esprit des
Européens de la fin du #$%%%e siècle ? Telle est la question à laquelle
cette étude s’efforce de répondre.
Elle s’appuie essentiellement sur l’œuvre du naturaliste français Pierre
Sonnerat, dont le Voyage aux Indes orientales et à la Chine paraît
pour la première fois en 1782. Elle comprend deux parties :
1. la première traite de la controverse qui agita pendant plus de
soixante ans savants, missionnaires et Philosophes à propos de
l’authenticité de l’« Ezour-Vedam », arme favorite de Voltaire pour
ruiner la chronologie mosaïque ;
2. la seconde partie est une analyse de l’interprétation que donne
Sonnerat des « fables » de la mythologie indienne, « fables » dont il
tire un roman, que j’ai appelé « la guerre des Veda ». Ce roman a pour
but d’étayer le système de Sonnerat sur une origine indienne des
civilisations et de l’humanité. Ce système trahit à l’évidence le
changement des attitudes face à l’Inde, et annonce l’ascension de
l’astre indien à l’âge romantique.

What fantasies were bom in the minds of the Enlightened Westerners


in the 1780s about the Vedas, those most sacred books of the Hindus,
then inaccessible, mysterious and the exclusive privilege of the
Brahmin cast? This study is an attempt to answer this question.
It is based mostly upon the work of the French natural historian, Pierre
Sonnerat, whose Voyage to the East Indies and China was first
published in 1782. It contains mostly two parts:
1. the first one deals with the history of the controversy that raged

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during more than sixty years about the “ Ezour-Vedam ” , Voltaire’s


favourite weapon against the chronology of Moses;
2. the second part is an analysis of Sonnerat’s interpretation of the “
fables ” of Hindu mythology, used by him in order to build up his own “
fable ” , i.e. his pet theory of India being the primeval and unique
cradle of humanity and civilization. A theory that forecast the change
of attitude towards India in the turn of the century.

Texte intégral
L’obscur rapproché de l’obscur ramène dans
l’histoire les ténèbres cimmériennes1.
1 DHI JKL IMN L#%IOLNPL LIO PMNNKL, le Veda a partie liée
dans l’imaginaire occidental avec les mystères du
paganisme dont il détient la clef1. Ensemble inaccessible de
formules absconses scellées par une langue encore
indéchiffrable, on sait cependant qu’il gouverne tout
l’édifice du paganisme indien, et pourrait seul guider le
voyageur à travers cette jungle de l’idolâtrie que constitue
l’Inde pour l’homme européen depuis qu’il en a découvert,
à la fin du #$e siècle, la route maritime2. Protégé du regard
inquisiteur des barbares que nous sommes par le soin
jaloux des brâhmanes, détenteurs exclusifs du texte sacré
qui fonde en droit leur prééminence dans les sphères
confondues du social et du religieux, le Veda se voit aussi
dérobé par ces mêmes brâhmanes au reste de la nation, à la
masse des autres groupes qui peuplent la péninsule3. Aussi
le destin du Veda apparaît-il inextricablement mêlé à celui
des docteurs de la loi des Gentils, à l’histoire de ces savants
« brames »4, dépositaires, receleurs et par là, seuls
médiateurs possibles du fin mot des mystères païens.
2 Je voudrais retracer ici un épisode de cette histoire
conjointe. Je me suis inspirée des rêveries d’un naturaliste
du Siècle des Lumières sur une Inde devenue terrain
d’investigations méthodiques, soumise aux techniques de
l’arpentage, de l’inventaire et de la classification, mais dont
le corps subtil échappe à l’empire de la Raison pour
s’abîmer dans les béances et se perdre dans les méandres
des fictions européennes. Pourtant la parution, en 1782, du

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Voyage aux Indes orientales et à la Chine de Pierre


Sonnerat coïncide – – à deux ans près – avec l’ouverture
d’une ère de découvertes fondamentales sur l’Asie du Sud,
que consacre la fondation de la Royal Asiatick Society of
Bengal. Vingt-trois ans seulement séparent cet ouvrage, où
l’existence même du Veda est révoquée en doute, d’un
célèbre essai du sanscritiste H.T. Colebrooke (« On the
Vedas, or Sacred Writings of the Hindus »), qui permet
enfin au public occidental d’accéder à l’un des monuments
réputés les plus inexpugnables du monde
5
(Colebrooke 1805 : 396-476) .
3 En dépit de son titre, le Voyage de Sonnerat n’entre que
par convention dans la littérature du genre, un genre dont
la popularité ne cesse de croître depuis le milieu du
#$%%e siècle6. L’auteur n’affiche du reste que mépris pour les
faiseurs de relations, toujours prêts à sacrifier les faits aux
caprices de la mode ou à la crédulité du vulgaire. Pour ce
qui concerne les Livres consacrés à l’Inde, ils s’inscrivent
sans conteste dans le sillage des tentatives inaugurales de
description du « système de la gentilité indienne », où se
sont illustrés dès le début du #$%%e siècle les missionnaires
jésuites et protestants7. Mais la perspective a changé,
tandis que se déplaçaient sur la carte du globe mises et
enjeux. À la passion de l’apologétique, qui conduit la
pensée missionnaire à mettre au premier plan le débat sur
la chronologie, succède, avec l’avènement des sciences de
la nature, un recentrage sur des questions d’ordre
« génétique » : génération des sociétés humaines à partir
de « sols » ou de « climats » propices, diffusion des
cultures, dégénérescence des peuples, grands thèmes qui
traversent la philosophie des Lumières, en cet âge où tant
d’intérêts s’investissent dans les parties éclatées d’un
monde qui a pris enfin – ou presque – les dimensions de
l’univers8.

Les voyages de Sonnerat


4 Un voyage à l’Ile de France, dont son parent P. Poivre est

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l’intendant, décide, en 1767, de la vocation du jeune


Sonnerat. Poivre, « voyageur-philosophe » (Poivre 1769 ;
Ly-Tio-Fane 1958 et 1967), ami des Physiocrates,
administrateur éclairé mais néanmoins fort controversé
(Duchet 1977), retient aux Mascareignes le naturaliste de
l’expédition de Bougainville, Philibert Commerson, à qui
Sonnerat devrait sa formation pour l’avoir accompagné,
de 1768 à 1771, dans l’exploration de Madagascar, de l’Ile
Bourbon et des « terres voisines ». Ce dernier point, qui
faisait l’unanimité des biographes, a été contesté par M.
Ly-Tio-Fane (1973) : il s’agirait d’une légende créée de
toutes pièces par Sonnerat lui-même pour gagner du crédit
auprès de l’Académie Royale des Sciences. En tout état de
cause, Sonnerat se forme sur le terrain. Un premier périple
le conduit des Moluques aux Philippines : il en rapporte
des variétés tropicales telles que le giroflier et le muscadier,
que Poivre veut acclimater aux Mascareignes, mais aussi
une relation qui paraîtra en 1776 sous le titre de Voyage à
la Nouvelle-Guinée (en fait, il n’a vu de la terre des Papous
que la petite île de Gebe).

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5 Il rentre en France en 1774 et repart la même année pour


l’Inde, commissaire de la marine et correspondant
d’Adanson, chargé d’une mission par l’Académie Royale
des Sciences. Il passe à Ceylan, à la côte de Malabar,
séjourne à Mahé, parcourt les ghâtes occidentales, remonte
jusqu’à Surat ; il se fixe ensuite au Coromandel avant de
gagner la péninsule de Malacca et la Chine. Mais l’Inde
l’attire davantage : il décide de s’y établir et pendant deux
ans, il parcourra les « provinces du Carnate, du Tanjaour et
du Maduré », jusqu’à ce que le siège de Pondichéry auquel
il assiste en 1778 ne le force à quitter la place. Il rapporte

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cette fois, outre une très riche collection dans les règnes
animal et végétal, qu’il dépose au Jardin du roi, le Voyage
aux Indes orientales et à la Chine, dont il sera ici question.
6 Si la vie du naturaliste n’offre rien d’aussi romanesque que
celle de son contemporain Anquetil-Duperron
(Darmesteter 1892 ; Schwab 1935), elle n’en comporte pas
moins un épisode assez tragique : Sonnerat est retourné en
Inde en qualité de commandant de Yanaon ; lorsque les
Anglais prennent le comptoir, il est fait prisonnier,
emmené à Pondichéry, où il demeurera en captivité
jusqu’en 1813. Il ne devra sa libération et son rapatriement
qu’à l’intervention conjuguée de J. Banks et Jussieu, et
mourra à Paris l’année suivante. Il travaillait alors à la
publication d’un Nouveau Voyage aux Indes orientales,
qui devait paraître en quatre volumes. Ce manuscrit remis
à Jussieu par la fille de l’auteur ne fut jamais édité ; la trace
s’en est perdue.
7 Sonnerat fonde la lignée des naturalistes qui ont travaillé
sur l’Inde : Victor Jacquemont, bien sûr, mais aussi
Leschenault de la Tour, Duvaucel, Bélanger, Reynaud, H.
de Bougainville, Laplace, Vaillant. Ses travaux, ses
planches superbes, les spécimens qu’il avait collectés,
furent utilisés par Adanson, Jussieu, Linné, Lamarck,
Lacépède et Cuvier. Il entra enfin, sinon dans l’histoire, du
moins dans l’histoire naturelle, puisque son nom reste
associé à un arbre tropical qu’il avait décrit sous le nom de
Papagaté et que Linné baptisa Sonneratia (icosandrie
monogynie, famille des myrtoïdes).
8 Le succès du Voyage, imprimé sous le privilège de
l’Académie Royale des Sciences, fut considérable : en
quelques années, il devint une œuvre de référence
classique sur cette région du monde, d’autant que des
traductions allemande (1783), suédoise (1786) et anglaise
(1788), puis une réédition française, revue et augmentée
par le naturaliste Sonnini de Manoncourt (1806),
contribuèrent à en élargir la diffusion9. Mais il devait aussi
alimenter une vive controverse où l’on trouve mêlés, à des
titres divers, Charpentier de Cossigny, Law de Lauriston,

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Foucher d’Obsonville, Anquetil-Duperron, Joseph de


Guignes et les missionnaires de Pékin10. Quelque dérisoires
que puissent nous paraître aujourd’hui ces querelles
(l’orientalisme n’était pas sorti de ses limbes que l’on
s’éreintait déjà au nom d’un savoir dont nul ne possédait la
clef mais dont chacun revendiquait le monopole), il faut les
évoquer dans la mesure où le Veda constitue l’un des
nœuds du débat, comme je le montrerai plus loin.
9 Ses détracteurs reprochent à Sonnerat une vue doublement
superficielle des choses, qui serait liée à son état de
voyageur-naturaliste : « pour rassembler des
connaissances qui eussent exigé au moins la vie de dix
autres Savants, quatre à cinq ans ont suffi à cet Auteur »
(Foucher d’Obsonville 1785 : 7) ; son volume sur l’Inde
« semble n’être fait que pour les planches » (Anquetil in
Paulin de Saint-Barthélemy 1808, vol. III : 75). Plus
gravement, on lui conteste sa prétention à vouloir sortir de
son rôle d’observateur de la faune et de la flore pour
aborder des domaines hors de sa compétence : ceux où
l’homme, dans sa variété exotique-civilisée (par opposition
à la variété exotique-sauvage répandue en Afrique et dans
le Nouveau Monde) devient l’objet – ou mieux, le
sujet11 – du discours scientifique :
Il aurait été à souhaiter que l’Auteur ne se fût livré qu’à
suivre et approfondir l’histoire naturelle, seule partie qui
lui soit vraiment propre. [...] Mais qui veut avoir tout vu,
tout su, ne doit être souvent que plagiaire ou romanesque :
en un mot, même avec le projet de ne dire que des vérités,
il faut perdre en justesse et en profondeur ce que l’on
gagne en superficie (Foucher d’Obsonville, ibid. : 30).

10 Ignorant des langues indiennes (même du tamoul,


assertion qu’il est difficile de vérifier12), il aurait été réduit à
piller chez d’autres auteurs des informations qu’il ne
pouvait recueillir directement ; il aurait aussi cherché à
masquer sous un tissu d’extravagances ses lacunes en
matière d’histoire et de mythologie. Ainsi, la majeure partie
de ce qu’il a rapporté sur l’Inde serait « triviale »,
« erronée », ou « prise chez d’autres auteurs » (qu’il n’a du

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reste pas cités13).

L’Inde et la Chine
11 Mais si le volume sur l’Inde donna prise à la critique, celui
consacré à la Chine déclencha un véritable scandale dans
les milieux savants. Sonnerat entreprend en effet de ruiner
le modèle chinois, en soutenant qu’il fut construit de toutes
pièces par les Jésuites, à des fins de propagande d’une
idéologie dominatrice :
Placés à quatre mille lieues des plages européennes, les
Chinois n’ont été connus dans l’Occident que par les
relations édifiantes des missionnaires ; [...] Ne pouvant
conquérir le globe par la voie des armes, les Jésuites
avaient résolu de l’asservir au nom de l’Éternel ; c’est
pourquoi ils ne cessaient d’exalter l’avantage des
théocraties, sous l’emblème desquelles ils voulaient
déguiser leur despotisme sacré, image du gouvernement
qu’ils brûlaient d’établir dans toutes les contrées. Les
Chinois devant servir de base à leur système, [...] ils
devaient [les] présenter [...] comme un peuple doux,
humain, heureux et satisfait [...], et dans la position morale
et civile que tous les hommes doivent ambitionner
(Sonnerat, Livre IV : 269-271)14.

12 On comprend que la riposte ait été virulente du côté des


missionnaires incriminés, mais aussi de la part d’un
historien de la Haute Asie tel que de Guignes, solidaire des
Jésuites en matière d’apologétique. À l’issue de la
démolition de son Livre sur la Chine, Sonnerat devait
passer à la postérité comme l’un des auteurs qui ont le plus
mal parlé des Chinois.
13 La question ne se pose pas aujourd’hui de départager dans
cette querelle des adversaires qui, quel qu’ait été leur
mérite pour l’époque, n’en ont pas moins tous soutenu les
thèses les plus extravagantes et défendu les plus mauvaises
causes. Ainsi de Guignes (1756 n. 15, 1759 et 1776, éd.
1780), affirmant avoir prouvé que les Chinois ne sont
qu’une colonie égyptienne assez moderne ou faisant
l’amalgame de la religion des Brahmes et de celle des

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Samanéens (les bouddhistes), ce qui revient à peu près à


confondre « les wahabites avec les musulmans, ou les juifs
avec les chrétiens », comme le note plaisamment Abel
Rémusat (Rémusat 1843 : 11).
14 Ce qui importe, en revanche, c’est d’essayer de comprendre
le sens de cette polémique autour de l’ouvrage de Sonnerat.
On le découvrira peu à peu par le biais des spéculations sur
le texte védique, mais on peut en indiquer déjà la tonalité
dominante. Rémusat a bien vu que le projet de de Guignes
visait à « combattre un système qui, vers 1776, commençait
à se répandre, et qui consistait à placer dans l’Inde le
principe et la source de toutes les religions et de toutes les
connaissances de l’ancien continent » (ibid. : 7). Prouver
que la Chine est une colonie égyptienne assez moderne, ou
éreinter un ouvrage qui fait peu de cas de la Chine et trahit
de manière symptomatique le glissement des sensibilités
vers l’indomanie en ce #$%%%e siècle finissant, sont deux
démarches qui servent la même fin :
faire voir que les Chinois n’avaient pas été policés par les
Indiens, auxquels on attribuait une grande antiquité ; que
ce sentiment n’était fondé que sur de pures conjectures, et
que les Indiens n’ont pu ni civiliser ni instruire les Chinois,
les Egyptiens, les Chaldéens, etc. qu’ainsi il ne faut pas
placer chez eux le berceau des sciences (de Guignes 1780 :
191).

15 Le Voyage de Sonnerat défraya la chronique parce que


l’auteur y défendait la thèse d’une origine indienne des
civilisations, et disposait de circonstances qui avaient fait
défaut à Voltaire pour l’appuyer. Sa formation dans les
sciences naturelles, l’expérience qu’il avait eue de l’Inde
(quoi qu’en aient dit ses détracteurs), son ton grave et
mesuré donnaient autorité à ses arguments. Toute l’ironie
de Voltaire n’avait pas suffi au philosophe pour l’emporter
sur la science de Buffon, encore moins sur les
mathématiques de Bailly : il déclarait forfait devant le
« torrent de lumières » du célèbre astronome (Voltaire in
Bailly 1777 : 14). Le voyageur-naturaliste avait sur lui cet
avantage de manier d’autres armes que la dérision pour

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discuter les théories de Linné et Bailly, qui plaçaient vers la


« Tartarie moscovite » ou les steppes kazakhes le foyer
culturel de l’humanité (Bailly 1777 : 237-238)15. Aussi
apologistes et diffusionnistes devaient-ils s’entendre pour
le renvoyer à ses quadrupèdes et à ses herbiers.
16 Les failles qu’on a reprochées à l’ouvrage méritent
aujourd’hui de retenir notre attention, autant que sa
contribution à la genèse des études indiennes. Le volume
sur l’Inde « semble n’être fait que pour les planches » ? Il
nous permet de saisir le passage de l’anatomie à
l’anthropologie au moment même où il se produit
(Duchet 1977 : 14-15) ; l’auteur s’est montré plagiaire et
romanesque ? Nous avons accès grâce à lui au discours
moyen sur l’Inde, au stock des idées reçues en dehors d’un
cadre purement idéologique (comme celui qui préside aux
recherches des Jésuites), au moment même où
l’indianisme se constitue ; Sonnerat a « mal parlé des
Chinois » ? Nous assistons avec lui à ce déplacement dans
l’engouement européen pour les nations asiatiques, de la
Chine, qui jouissait jusque-là d’une prééminence
incontestée (Pinot 1932), à l’Inde, tenue dans un certain
mépris ou négligée auparavant, au moment même où
émerge ce tropisme indien promis à l’avenir que l’on sait à
l’âge romantique16.

1. L’Ezour-Vedam, ou la carrière d’une forgerie


17 Sur les trois Livres consacrés à l’Inde, on ne relève que
deux passages relatifs au Veda. Encore ne faut-il pas les
mettre sur le même plan, au moins a priori. La première
référence convoque en quelque sorte le motif « Veda »
pour l’annuler aussitôt : Sonnerat mentionne en effet, à la
fin de l’Introduction au Livre I, une « prétendue traduction
de l’Ezour-Vedam » (= Yajur-Veda), dont il reconnaît à
juste titre le caractère forgé et mystificateur ; la seconde
référence au contraire, traite, au chapitre %%% du Livre III
(« Des Livres sacrés des Indiens »), du Veda en tant que
tel, et fournit matière à un long développement.

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18 La faible représentation du motif dans l’économie générale


du texte ne doit pas cependant nous tromper : le Veda
demeure ici l’élément clef du système indien, la pièce
manquante sur laquelle s’assemblent néanmoins toutes les
autres pièces du puzzle. Car en dehors de la partie
purement descriptive qui occupe les trois-quarts de
l’ouvrage, le volume sur l’Inde se construit autour d’une
énigme, d’« un problème regardé comme insoluble, savoir,
si les Chaldéens, les Égyptiens, etc. ont reçu leurs
connaissances des Indiens, ou si ces derniers tiennent les
leurs de ces différentes nations » (Sonnerat, Livre I :
10-11). Bien que l’auteur avoue ne pouvoir « remonter à
l’origine des Indiens », là est bien la question qu’il entend
résoudre, ou plus modestement, débrouiller. Or le Veda
joue un rôle central mais occulte dans cette quête des
origines qui donne lieu à l’élaboration d’un véritable roman
mythico-historique dont les épisodes couvrent l’ensemble
des trois Livres : tout aboutit au Veda, et cependant
l’omniprésence du motif védique se signale par son mode
singulier d’apparition en creux, in absentia.
19 Plus curieusement encore, ce que l’auteur nous rapporte
sur la religion des Indiens, il le doit à un faux, dont la
fausseté même provoque le dévoilement des vérités
secrètes : « j’avais la prétendue traduction de l’Ezour-
Vedam, qu’on trouve à la bibliothèque du roi : je la fis lire à
un brame savant mais fanatique ; et comme cet ouvrage ne
remplissait point l’idée qu’il voulait me donner de sa
religion, il se crut obligé de m’en dévoiler les mystères »
(ibid. : 11). On n’épiloguera pas sur l’intervention
providentielle d’un brâhmane médiateur, qui se retrouve
un peu partout dans la littérature des voyages aux Indes.
Padmanābha ouvrait au missionnaire hollandais Abraham
Roger la porte du Paganisme caché17, tandis qu’« un des
plus fameux pandets qui fut dans toutes les Indes, et qui
autrefois avait eu pension de Dara, le fils aîné du Roi Chah-
Jeban » initiait Bernier aux doctrines des Gentils
(Bernier 1699, éd. 1724, t. II : 133. On n’a d’ailleurs aucune
raison de douter de la réalité de ces personnages, même

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s’ils deviennent des figures de la rhétorique des relations.


Mais s’il y a cliché, les modalités de ce transfert de savoir
revêtent chez Sonnerat un caractère exceptionnel : le
brâhmane ne prêche ici le vrai que pour ruiner
l’imposture ; l’informateur n’accepte de remplir cet office
que pour faire échec à une campagne de désinformation.
Car l’Ezour-Vedam est davantage qu’un faux : une
forgerie ; le pastiche masque une opération de contre-
propagande des principes viṣṇuïtes, qui se trame dans
l’ombre des cercles missionnaires. Trop de passions, de
rêveries, de polémiques se cristallisent autour de l’Ezour-
Vedam (pendant soixante ans) pour qu’on puisse passer
sous silence cette étonnante péripétie de l’histoire de la
découverte des Veda par l’Occident.

Une ténébreuse affaire


20 En octobre 1760, Voltaire reçoit d’un officier français,
commandant pour le roi sur la côte de Coromandel, le
Chevalier de Modave, un manuscrit indien dont il ne
semble pas faire grand cas sur le moment, puisqu’il écrit à
d’Alembert : « M. le chevalier de Maudave m’a donné des
commentaires sur le Veidam qui en valent bien d’autres. Il
m’a donné de plus un Dieu qui en vaut bien un autre : c’est
le Phallum. Il m’a l’air d’en porter sur lui une belle copie »
(Moland n° 4289, 1881 : 11). Un an plus tard, le ton n’est
plus à la plaisanterie lorsqu’il évoque de nouveau ce
manuscrit dans sa lettre à Vernes du %er octobre 1761 :
l’Ezour-Vedam est présenté comme « le seul trésor qui
nous restera de notre compagnie des Indes », le
« monument le plus précieux » que compte la Bibliothèque
du roi depuis qu’il y a été déposé par ses soins (Moland
n° 4696, 1881 : 464). Pour Voltaire en effet, il ne fait pas de
doute que l’on tient là, à défaut du « Veidam » lui-même,
un commentaire « assurément très authentique » et de la
plus haute antiquité (antérieur d’environ quatre cents ans à
la conquête d’Alexandre), qui offre ceci d’inestimable qu’il
divulgue enfin le contenu du pur Veda : « ce qui est
extrêmement important, c’est qu’il rapporte les propres

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paroles du Veidam, dont aucun homme en Europe, jusqu’à


présent, n’avait connu un seul passage » (Voltaire 1767, éd.
1879 : 392-393). Il s’agissait d’un manuscrit relativement
court en français (censément traduit du « hanscrit » par le
« grand-prêtre ou archi-brahme de la pagode de
Sheringham » (1768, éd. 1878 : 326 n.) qui, sous la forme
d’un dialogue entre un maître (Chumontou, l’auteur
présumé de l’original sanscrit) et un disciple (Biach),
exposait la vraie doctrine du Veda, expurgée du fatras de
superstitions et de fables grossières qui commençaient
alors à corrompre l’ancienne religion des
18
gymnosophistes .
21 On sait le parti que Voltaire devait tirer – en tout bonne foi
d’ailleurs – de ce don que le ciel des déistes lui envoyait par
le truchement de Modave (A. Debidour 1924 ; R.
Schwab 1950 ; D.S. Hawley 1974). Il faut cependant
rappeler d’un mot que s’ancre alors de manière quasi
indélébile dans son esprit le préjugé qui lui fait voir dans
les brachmanes les premiers instituteurs de l’humanité,
dont les dogmes originels, purs de tout polythéisme, tels
que Chumontou les présente à l’époque même où les
accrescences vénéneuses de l’idolâtrie menaçaient de les
ruiner, avaient forcé l’admiration du monde antique. Si
Voltaire trouve lui aussi dans la religion professée par les
brachmanes certaines connexions avec la tradition judéo-
chrétienne (connexions établies à partir de rencontres
hasardeuses comme celle de la trimūrti indienne et de la
Trinité, ou encore de la ressemblance des noms de
« brama » et d’Abraham)19, il retourne – grâce à l’appoint
décisif à ses yeux de l’Ezour-Veidam, l’argumentation
classique du discours missionnaire, qui voulait que ces
correspondances fussent la preuve de la dissémination de
la loi mosaïque chez les anciens Indiens, avant qu’ils
n’eussent sombré dans les errements du paganisme.
22 Ce sentiment se renforce lorsqu’il découvre, avec les
Interesting Historical Events relative to the Provinces of
Bengal and the Empire of Indostan... de J.Z. Holwell
(1767 ; trad. française, 1768), un monument indien dont

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l’antiquité pulvérise tous les records : le « Shasta »


(« śāstra), première loi des brachmanes, fixée il y
a 4866 ans (1500 ans, donc, avant le Veidam, conclut
aussitôt Voltaire), où, à côté d’idées sublimes sur la divinité
suprême et la création du monde, se trouve déjà le récit de
la chute des anges. Les choses se compliqueront un peu
lorsqu’un autre « savant anglais », A. Dow, soutiendra que
le « shaster » ou « Bedang » n’est autre que le livre connu
des Européens sous le nom de Védam, et ne peut
revendiquer que 4 000 ans d’âge20. Mais la divergence de
vues entre Holwell et Dow ne devait pas ébranler les
convictions profondes du philosophe : « L’antiquité du
Shastabad fait voir évidemment que les brachmanes
précédèrent de plusieurs siècles les Chinois, qui
précédèrent le reste des hommes » (1776, éd. 1879 : 479) ;
« tout nous vient des bords du Gange » (Voltaire in
Bailly 1777 : 4), autant de formules qui persistent sous sa
plume deux ans avant sa mort. Eût-il survécu, gageons qu’il
eût été relaps, s’il s’avoue « fort ébranlé et presque
converti » par la démonstration de Bailly (ibid. : 9).
23 D’où provenait le mystérieux manuscrit de Modave ? Les
éclaircissements d’Anquetil-Duperron sur ce point ne font
que brouiller davantage les pistes. Qu’on en juge plutôt. Le
manuscrit viendrait « originairement des papiers de M.
Barthélemy, second du Conseil de Pondichéry, qui
vraisemblablement avait fait traduire l’original par les
Interprètes de la Compagnie qui étaient à ses ordres »
(Anquetil 1771, t. I : 83, n. 1). Modave aurait réussi à s’en
procurer la copie, ou bien celle-ci lui aurait été
communiquée par son beau-père, commandant à Karikal
(Anquetil in Paulin 1808, vol. III : 122). En tout état de
cause, il existait un autre exemplaire de cette traduction,
que Barthélemy avait remis à son neveu, Teissier de la
Tour. Un heureux concours de circonstances le fait tomber
entre les mains d’Anquetil, qui le compare aussitôt à la
copie déposée par Voltaire à la Bibliothèque du roi : il s’agit
bien du même texte, mais l’exemplaire de Teissier possède
un chapitre de plus. Aussi Anquetil apporte-t-il sa

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contribution à son ami Sainte-Croix, en lui donnant


l’exemplaire de Teissier, lorsque celui-ci entreprend de
publier, en 1778, l’Ezour-Vedam ou ancien commentaire
du Vedam, contenant l’exposition des opinions religieuses
et philosophiques des Indiens.
24 Jusque-là, les choses sont claires ; elles prennent un tour
énigmatique à partir du moment où intervient le P. Mosac,
ancien supérieur des Jésuites de Chandernagor, ou plutôt,
à partir du moment où son rôle apparaît décisif dans cette
affaire, sans qu’il se manifeste autrement que par
prétérition, si l’on ose dire. C’est le P. Cœurdoux qui
répond, à la place de Mosac, aux demandes
d’éclaircissement d’Anquetil sur les « quatre Vèdes » (lettre
d’Anquetil au P. Mosac du 30 juillet 1768, M.A.I.B.L., t.
XLIX (1808) : 672 sq.), Cœurdoux encore qui lui apprend
que « le P. Mosac [...] prétend avoir découvert le vrai
Vedam. Il le fait postérieur à la gentilité indienne, dont il
est la réfutation détaillée » (lettre du P. Cœurdoux à
Anquetil-Duperron du 10 février 1771, ibid. : 685). En vain
Anquetil exhortera-t-il Mosac à faire enfin connaître ce vrai
Vedam, à joindre l’original à sa traduction, et à
accompagner « ce précieux trésor [...] de discussions
critiques sur la nature, l’auteur, l’ancienneté de ce Vedam,
le pays où il a été composé et les contrées où il fait loi »
(ibid. : 688). Bien que sa demande reste sans réponse, il ne
doute pas un instant que le Vedam traduit par Mosac ne
soit l’Ezour-Vedam, et à partir de là, il échafaude diverses
hypothèses sur la carrière mouvementée du manuscrit.
Après la prise de Chandernagor par les Anglais en 1757, le
P. Mosac avait pu chercher refuge à Pondichéry et,
« dans le besoin pressant où se trouvait la Mission »,
communiquer sa découverte au secrétaire de cette ville,
« pour s’en faire un appui [...] ou bien le même ouvrage se
sera trouvé chez les Brahmes de Scheringam, que le
commerce des Français avait sans doute rendus plus
faciles sur l’article de la religion [...]. Alors la traduction de
l’Ezour-Vedam, faite par un interprète de la Compagnie,
aura passé dans les mains de M. de Mérave (= Modave), en

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même temps qu’il en restait une copie dans les papiers de


M. Barthélemy, remis à son neveu. Le P. Cœurdoux, qui,
en 1771, me parle de celle de son savant confrère, le P.
Mosac, ignorait sans doute que l’Ezour-Vedam existât en
français entre les mains de M. Barthélemy, et M. de
Mérave, l’acheteur, qui voulait se faire un mérite du
présent, n’aura pas divulgué dans l’Inde son acquisition »
(Anquetil in Paulin 1808, vol. III : 122).

Le pyrrhonisme de l’histoire
25 On ne peut que s’étonner de ce déploiement d’arguties à
propos d’un texte dont la tonalité si peu indienne aurait dû
alerter un homme tel qu’Anquetil, quand bien même sa
forme de dialogue entre un maître et un disciple lui
conférait un vernis pseudo-purāṇique. Que Voltaire ait pu
se laisser abuser, cela se conçoit, mais le traducteur des
Upaniṣad 21 ! Car il faut y insister : l’authenticité de
l’Ezour-Vedam ne saurait être contestée pour Anquetil.
Tout ce montage sur l’arrivée en France du précieux
manuscrit montre à l’évidence l’intérêt passionné qu’il
portait à un monument qu’il devait défendre avec
acharnement jusqu’à la fin de sa vie contre Sonnerat et le
P. Paulin de Saint-Barthélemy : « Toutes les raisons que le
P. Paulin accumule contre l’authenticité de cet ouvrage,
qu’il attribue, avec M. Sonnerat, à un missionnaire de
Mazulipatan, toutes ces objections blanchissent devant les
faits et les dates » (ibid. : 120).
26 On négligera ici les motifs personnels qui expliquent peut-
être sa prévention contre Sonnerat, et le dressent sûrement
contre son rival en indologie, le très érudit P. Paulin ;
motifs peu glorieux qu’on retrouve chez le jeune William
Jones, mettant en pièces dans un pamphlet d’une rare
férocité la traduction d’Anquetil du Zend-Avesta (Anquetil-
Duperron 1771 ; Jones 1771). On s’interrogera en revanche
sur l’enjeu de cette apologie de l’Ezour-Vedam, que
mettront en lumière les Observations au Voyage aux Indes
Orientales 22.
27 Sonnerat avait le premier reconnu dans l’Ezour-Vedam un

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apocryphe chrétien destiné à servir la propagande


missionnaire :
Il faut bien se garder de mettre au nombre des livres
canoniques indiens l’ézourvédam, dont nous avons la
prétendue traduction à la bibliothèque du roi, et qui a été
imprimé en 1778. Ce n’est bien certainement pas l’un des
quatre védams, quoiqu’il en porte le nom, mais plutôt un
livre de controverse écrit à Masulipatam par un
missionnaire. C’est une réfutation de quelques pouranons
(= Purāṇa) à la louange de Vichenou, qui sont de bien des
siècles postérieurs aux védams. On voit que l’auteur a
voulu tout ramener à la religion chrétienne, en y laissant
cependant quelques erreurs, afin qu’on ne reconnût pas le
missionnaire sous le manteau du brame. C’est donc à tort
que M. de Voltaire, et quelques autres, donnent à ce livre
une importance qu’il ne mérite pas, et le regardent comme
canonique (Sonnerat, livre. III : 359-360).

28 Sainte-Croix, déjà, mettait en doute, non pas l’authenticité


du texte, mais son ancienneté. L’ouvrage qu’il imprimait,
montrant bien par là qu’il méritait d’être porté au public,
ne pouvait être antérieur au corpus des Purāṇa « qui y sont
cités plusieurs fois. Chumontou paraît avoir eu le dessein
de les décrier et d’en réfuter la doctrine et les récits
fabuleux » (Sainte-Croix 1778, t. I : 172).
29 Paulin de Saint-Barthélemy devait se rallier à l’opinion de
Sonnerat (1791 : 281, 315-17 ; 1792 : 42-50). Mais il devait
surtout en faire un argument pour étayer sa thèse favorite :
le déni de l’existence du « Vedam, comme livre [...], de
Byas (= Vyāsa), comme homme qui ait écrit [...], de
Boudha, comme personnage humain » (Anquetil in Paulin
vol. III : 355). Ces fameux monuments indiens, dont
faisaient si grand cas ces « Messieurs de l’Académie de
Calcutta » (les Warren Hastings, les Wilkins, les William
Jones, quasiment taxés de manie : Paulin 1796, vol. II :
214 sq.), n’avaient pas plus de consistance à ses yeux que
l’Ezour-Vedam. Le procédé de l’amalgame permettait à
Paulin de renvoyer dos à dos une forgerie européenne
(même si elle émanait des milieux missionnaires) et les
sources indigènes. Or Paulin savait non seulement le

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sanscrit et la « langue malabare » pour avoir passé


quatorze ans dans les missions de l’Inde, mais il avait
encore à son actif le dépouillement des matériaux indiens
déposés dans les collections italiennes de Rome, Velletri et
Padoue23 : il réunissait donc en lui toutes les qualités
requises du parfait indianiste, telles qu’Anquetil lui-même
les avait formulées : connaissance des langues, séjour sur le
terrain, étude approfondie des textes. Aussi le système de
Paulin, ce scepticisme extrême qu’on appelle alors le
« pyrrhonisme de l’histoire », paraît-il d’autant plus
dangereux que son auteur est plus savant :
L’auteur soutient que Byas (Viasa), corruption du mot
samscrétam abhyasa 24. Personnage diligent, n’a jamais
existé, que c’est un personnage fictif, allégorique ; qu’il
serait même impossible qu’il eût fait tous les ouvrages
qu’on lui attribue [Veda, Mahābhārata, Purāṇa]. On
pourrait en dire autant d’Homère] ; avec de tels systèmes,
d’où naît le pyrrhonisme de l’histoire, que ne peut-on
hasarder ! Quel édifice, sacré ou profane, ne peut-on pas
ébranler, renverser ! (Anquetil in Paulin, vol. III : 356) ;
« Il n’est pas de siècle où l’imposture trouve plus de crédit,
que ceux où les monuments les plus respectables et les plus
certains sont révoqués en doute (ibid. : 393).

30 Sans prétendre décrire ici ce système, je dirai seulement


qu’il consistait pour l’essentiel à déchiffrer les mythologies
du paganisme à l’aide de deux clefs : corruption des Saintes
Écritures et représentation symbolique des éléments de
l’univers. Par-là, il témoignait d’une double régression,
mais par d’autres aspects, il annonçait la brillante carrière
de la mythologie comparée au #%#e siècle (Detienne 1981).
Anquetil en dénonce l’aspect réducteur :
Système malheureux, toujours le même, la mort des
recherches, hors celles qui conduisent au matériel de
l’Univers ; système qui surtout rend l’étude des différents
idiomes absolument inutile.
Quel besoin, en effet, de dévorer les difficultés du
samscrétam, de l’arabe, de l’esclavon, pour ne trouver
partout que le soleil, la lune, l’eau, le feu, la lumière, les
ténèbres, puis la terre et l’homme soumis à leur action :

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tout cela présenté sous une forme historique, mais simple


fiction, simple fruit de l’imagination ? Avec un globe
céleste et un globe terrestre, on sait tout (Anquetil in
Paulin, vol. III : 455 ; cf. également : 488-490).

31 Les deux adversaires se retrouvent cependant dans le


même camp dès lors qu’il s’agit de mettre au jour les
Vérités sacrées dissimulées sous le voile des fables :
Le Missionnaire revient au vrai développement de la
mythologie indienne : ce ne sont plus les astres, les
éléments représentés par des symboles ; ce sont les
premiers événements, la chute des anges, celle de
l’homme, la perte de la justice primitive, le déluge
universel. Une tradition constante, générale, a conservé
chez les nations les plus anciennes, la mémoire de ces faits
primordiaux, exprimés dans les monuments, tantôt
clairement, littéralement, tantôt sous des enveloppes,
figures, selon le goût des peuples, leurs passions,
l’éloignement où ils étaient de l’origine, la communication
réciproque (ibid. : 428).

32 On comprend mieux dans cette perspective la défense


opiniâtre de l’Ezour-Vedam. Douter de l’authenticité de ce
texte, c’était laisser s’infiltrer le pyrrhonisme et se répandre
son action délétère. Assigner au domaine de la fiction ou de
l’allégorie le Veda, Vyāsa, le Buddha, la guerre de Rāma et
les autres épisodes fameux de l’histoire ancienne de l’Inde,
c’était compromettre l’aventure orientaliste au moment
même où l’un de ses pionniers, Anquetil-Duperron, invitait
ses contemporains à partir avec lui à la découverte de la
face cachée de la planète :
Convenons de bonne foi [...] que, tandis que nous remuons
continuellement quelques lieues de terrain mille fois
fouillées, la plus grande partie du Globe nous est encore
inconnue. Voyageurs instruits et courageux, ne prenons
plus la portée de notre vue pour la mesure de l’Univers ;
osons franchir les Ghâtes, les Cordillères, pour savoir où
nous en sommes de notre route : le sommet de ces hautes
montagnes nous montrera l’espace immense qui nous reste
à parcourir (Anquetil 1771, t. I : dxli-ii).

33 Aussi, lorsqu’il reproche au savant Carme de « nous

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renvoyer aux espaces imaginaires », faut-il inverser la


formule pour en saisir la signification profonde : le système
du P. Paulin menaçait de disparition les espaces
imaginaires des premiers orientalistes.

Épilogue
34 Aucun des protagonistes de cette querelle ne devait vivre
assez longtemps pour en connaître l’épilogue. Ce n’est
qu’en 1822 qu’un article de F. Ellis jette enfin toute la
lumière – ou presque – sur la question (Asiatick
Researches, vol. 14, 1822 : 1-59). En sanscritiste averti,
disposant déjà d’un appareil critique suffisamment fourni
pour ne pas être dupe, Ellis soupçonne d’emblée le texte
publié par Sainte-Croix en 1778 de n’être qu’un apocryphe
chrétien. Il abonde dans le sens de Sonnerat (dont il loue le
discernement), à ce détail près que le faux proviendrait
selon lui du Bengale, et non de Masulipatam. La
transcription des termes prétendument sanscrits trahit à
l’évidence l’origine bengalie du ou des rédacteurs
(« Chumontou » pour Sumanta, « Biach » pour Vyāsa,
etc.). Mais le hasard ne le favorise pas moins, qui lui
apporte la preuve décisive du bien-fondé de la
présomption : Johnson, chief justice de Ceylan, et Frazer,
résident britannique à Pondichéry, découvrent en effet à la
Mission catholique de cette ville, non seulement le
manuscrit original de l’Ezour-Vedam, mais une imitation
des trois autres Veda (Ellis 1822 : 55, n. a). L’ancienne
compagnie de Jésus avait bien fait les choses et couvert
l’ensemble du corpus sacré. Ces manuscrits étaient rédigés
en sanscrit (dans un sanscrit saturé de barbarismes et de
« bengalismes », et en graphie romanisée), avec, en regard,
la traduction française. Le pseudo-Yajur-veda portait le
titre original de Jozur-Béd, biffé à l’encre, et remplacé par
celui d’Ezour-Vedam, de consonance moins bengalie.
35 La peine extrême que prend Ellis à confronter pseudo et
vrais Veda (en s’appuyant sur les travaux de Jones,
Colebrooke, Carey, Ram Mohun Roy25), l’expertise fouillée
à laquelle il soumet les manuscrits de la Mission

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catholique, permettent de mesurer le crédit que la


supercherie des Jésuites avait acquis dans les milieux
orientalistes.
36 Toutefois, Ellis ne désigne pas nommément le ou les
auteurs de ces faux. Il se contente de rapporter la rumeur
qui circule parmi les « plus respectables chrétiens
indigènes de Pondichéry » : l’auteur ne serait autre que
l’illustre fondateur de la mission du Maduré, Roberto de
Nobili. Nobili avait écrit des ouvrages de controverse
religieuse en tamoul, dans lesquels il réfutait la doctrine
des brahmes. Mais pour Ellis, les intentions du « romaka
sannyâsi » (renonçant romain) étaient aussi claires que
pures : s’il cherchait à combattre le système des Gentils sur
leur propre terrain et dans leur propre langage (ce qui
devait lui attirer des ennuis)26, c’était pour convertir les
âmes, non pour tromper les cœurs. Il n’avait pu commettre
cette imposture, sauf à être l’objet d’une piraterie
posthume :
Je suis porté à lui attribuer la seule composition – et non la
contrefaçon – de ces Pseudo-Védas. Il n’est pas
improbable que la substance de ces textes tels qu’ils
existent à l’heure actuelle, soit de sa main, et qu’à l’origine,
ils aient consisté, comme ses ouvrages en tamoul, en
traités séparés sur divers points de controverse, et qu’une
autre main les ait ensuite arrangés sous leur forme
présente, en leur donnant un faux titre, en les transcrivant
en caractères romains, et en les traduisant en français
(Ellis 1822 : 31-32 : je traduis).

37 Cette « autre main » fut-elle celle Mosac ? Ellis ne


mentionne pas le nom de l’ancien supérieur des Jésuites de
Chandernagor. Mosac a-t-il trempé dans cette affaire ?
Telle est l’hypothèse à laquelle se rallie, un siècle plus tard,
J. Charpentier (Charpentier 1922). Une ombre de mystère
demeure, si la supercherie paraît sous un jour éclatant. En
tout état de cause, cet épisode rocambolesque constitue,
comme le dit si bien Schwab, « l’un des plus jolis chapitres
de l’histoire générale des polémistes », puisque « le trop
fameux traité, d’où Voltaire tirait des raisons-massues

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contre la religion et le sacerdoce chrétiens, avait été


imaginé par celui-ci pour sa propagande ! » (Schwab 1950 :
168).

2. La guerre des Veda ou les divagations de la


Raison éclairée
Les religions de tous les peuples, même les plus
sauvages, offrent toujours un mélange de folie et de
sagesse ; et la philosophie, qui les analyse, recueille
quelquefois des vérités utiles sur les débris du
mensonge et de l’allégorie 2.
38 La remarquable sagacité dont Sonnerat fit preuve en
débusquant, quarante ans avant Ellis, une supercherie
religieuse dans un texte qui abusa le monde des savants et
celui des Philosophes, contraste de manière saisissante
avec les divagations où il se perdit, s’agissant du corpus des
vrais Veda. Il devait en effet, à l’issue d’une reconstitution
fantaisiste des origines de l’Inde, nier – non pas que les
Veda eussent jamais existé – mais qu’il en subsistât la
moindre trace matérielle après leur disparition lors d’un
conflit antédiluvien. Cette circonstance expliquait qu’aucun
étranger n’eût encore réussi à s’en procurer la copie. Aussi
extravagant qu’il puisse paraître aujourd’hui aux
spécialistes, ce roman doit être analysé avec le plus grand
soin parce qu’il s’inscrit dans la logique même de l’époque,
de ce moment de l’histoire des idées où sciences de la
nature et philosophie des Lumières se fécondent
mutuellement.

Climats
39 Héritier direct des Philosophes, Sonnerat croit lui aussi au
théisme primitif de l’Inde et à sa corruption au cours de
l’histoire en un ramas de superstitions idolâtriques. Mais il
ne peut se satisfaire totalement de la théorie du despotisme
asiatique pour rendre compte du passage entre un état
idéal de perfection originelle et celui de dégradation
consommée qu’il observe sur le terrain. Aussi est-il amené,

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en naturaliste, à envisager la question dans une perspective


phylogénétique. Le mystère qu’il cherche à élucider ne
s’énonce plus en ces termes : comment les Indiens ont-ils
dégénéré de leurs ancêtres, mais en ceux-ci : comment un
même sol aurait-il pu produire deux variétés d’hommes
aussi éloignées par leurs croyances et leurs mœurs que les
anciens brachmanes et les modernes brames ?

40 Non qu’il conteste l’influence déterminante du climat ou


l’action corrosive du despotisme, dont l’inextricable
conjonction aurait précipité l’Inde dans sa chute. Certains

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passages du Voyage démarquent à l’évidence l’Esprit des


lois : « On verra par l’histoire de l’Inde que le despotisme
et l’oppression avilissent bientôt les peuples, énervent les
états les plus florissants et dégradent le caractère de
l’homme » (Sonnerat : xxii) ; « énervés par le climat, avilis
par l’esclavage, toute leur existence se réduit à végéter dans
l’incurie ; ne voulant même pas avoir l’embarras de penser,
ils se reposent sur les brames du choix de leurs idées et de
leurs actions » (ibid., Livre III : 331-332). Que la décadence
de l’Inde et l’établissement sur son sol d’un joug étranger
(dont il est l’un des premier, avec Anquetil, à dénoncer la
tyrannie27), doivent être imputés aux prêtres qui fanatisent
le peuple pour mieux l’exploiter, et aux princes indiens
« ignorants, avides [...], corrompus par la mollesse d’un
sérail » (ibid., Livre I : 178), ne fait pas de doute à ses yeux.
Il se rallie entièrement aux leçons que les Encyclopédistes
et l’abbé Raynal ont puisées chez Montesquieu.
41 Mais le climat ne saurait être cause d’une chose et de son
contraire : tout à la fois, de l’exceptionnelle fécondité de
l’Inde, qui aurait fait de ce pays l’un des premiers foyers du
rassemblement des hommes en corps de peuple, l’un des
berceaux de la sagesse antique des nations, et du processus
inéluctable de sa chute, sa richesse l’exposant à la
convoitise des contrées voisines, tandis que la douceur de
mœurs de ses habitants la laissait sans défense devant
leurs agresseurs. Cette idée traîne un peu partout dans la
seconde moitié du siècle, et Sonnerat la reprend à son
compte au moins partiellement :
On sera sans doute surpris de voir une nation célèbre dans
l’Antiquité tomber ensuite dans l’ignorance et
l’avilissement : mais pouvait-elle l’éviter ? et son état actuel
n’est-il pas une suite nécessaire de sa position ? Un pays
riche, où tout semble contribuer aux désirs de l’homme, ne
tarde pas à devenir le théâtre sanglant de la guerre (ibid. :
7).

42 Par contre, il ne peut suivre les Philosophes lorsque ceux-ci


invoquent, avec Montesquieu, les contradictions de l’esprit
humain ou de la nature humaine pour justifier le métissage

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chez un même peuple d’une douceur de mœurs qui fit sa


réputation depuis l’Antiquité, avec la barbarie de ses
coutumes, l’atrocité de ses pratiques, l’iniquité de son
système social. C’était l’argument soutenu par
Montesquieu dans sa Défense de l’Esprit des lois (il se
référait au chapitre %%% du Livre XIV intitulé :
« Contradiction dans les caractères de certains peuples du
midi ») (Montesquieu 1748, éd. 1979, t. I : 377) :
L’auteur a remarqué que le climat des Indes produisait une
certaine douceur dans les mœurs. Mais, dit le critique, les
femmes s’y brûlent à la mort de leur mari. Il n’y a guère de
philosophie dans cette objection. Le critique ignore-t-il les
contradictions de l’esprit humain, et comment il sait
séparer les choses les plus unies, et unir celles qui sont le
plus séparées (ibid. t. II : 444).

43 Dans le système de Montesquieu, la coexistence de traits


contradictoires chez les peuples de l’Inde est fonction du
déterminisme absolu qu’il confère au climat, et de la
rigidité même de son axiomatique. Le climat des Indes, où
la chaleur connaît en quelque sorte son acmé (ce qui fait de
cette contrée un exemple type ou un cas limite28, produit la
faiblesse d’organes qui caractérise les Indiens. Cette
faiblesse se manifeste, d’un côté, par leur extrême timidité
(leur lâcheté foncière), leur paresse, leur passivité ; de
l’autre, par la vivacité de leur imagination et les
débordements de leur lubricité native. Quand la chaleur est
poussée à l’excès, le corps demeure sans force et son
abattement passe à l’esprit. Ainsi s’expliquent
l’attachement aux usages anciens, le manque de curiosité,
d’invention, de goût pour l’entreprise, la disposition innée
à la servitude, mais aussi, symétriquement, la douceur des
mœurs et des lois (fruits de l’indolence plutôt que de la
vertu), l’inclination naturelle pour le monachisme (l’entière
inaction étant chez eux le suprême bien), le mépris de la
mort et des mortifications corporelles (qu’il faut mettre au
compte du fanatisme et d’une âme débilitée plutôt qu’à
celui du courage)29.
44 Voltaire, dont on connaît la passion pour ses « chers

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brachmanes », formule les choses de la même manière :


l’ancienne religion de l’Inde, et celle des lettrés à la Chine,
sont les seules dans lesquelles les hommes n’aient point été
barbares. Comment put-il arriver qu’ensuite ces mêmes
hommes, qui se faisaient un crime d’égorger un animal,
permissent que les femmes se brûlassent sur le corps de
leurs maris [...] ? C’est que le fanatisme et les
contradictions sont l’apanage de la nature humaine
(Voltaire 1769 éd. 1963, t. I : 61).

45 Il ne trouve pas d’autre argument que Montesquieu mais


attribue toutefois une part de responsabilité aux
révolutions que cet État a connues dans l’histoire :
Les esprits ont dégénéré dans l’Inde. Probablement le
gouvernement tartare les a hébétés, comme le
gouvernement turc a déprimé les Grecs, et abruti les
Égyptiens. Les sciences ont presque péri de même chez les
Perses, par les révolutions de l’État (ibid. : 231).

46 On comprendra aisément qu’un naturaliste comme


Sonnerat ne pouvait s’accorder avec les Philosophes pour
imputer à la Nature – physique ou humaine – de telles
contradictions. Il lui fallait postuler, soit que le climat eût
changé (hypothèse peu vraisemblable), soit que les
hommes qui peuplaient le territoire de l’Inde ne fussent
point génétiquement les mêmes que ceux qui l’avaient
autrefois habité. Cette idée nécessitait pour se démontrer le
recours à l’histoire. C’est par cet enchaînement de
circonstances qu’elle s’introduit dans un ouvrage « qui
semble n’être fait que pour les planches », et où il s’agit de
répertorier, décrire et classer des êtres et des choses. Le
seul chapitre qui traite ouvertement d’histoire – d’histoire
immédiate –, le premier chapitre du Livre I, s’intitule
d’ailleurs symptomatiquement : « Tableau des révolutions
arrivées dans l’Inde, depuis 1763 jusqu’à la prise de
Pondichéry ». Le projet avoué du Voyage est en effet de
quadriller l’objet « Inde » à l’aide des méthodes linnéennes
de classification, l’auteur se proposant de rapporter
« tout » ce qui a trait à la « presqu’île de l’Inde, sa
topographie, son commerce, la division des Indiens en

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Castes ou Tribus, leur initiation, les coutumes observées


dans les mariages et les funérailles, les arts, les langues, les
monnaies », les apologues, mais aussi, la mythologie et la
religion, la faune et la flore (Sonnerat : xiii). Ces méthodes
s’adaptent d’ailleurs parfaitement à l’Inde, dont la fureur
taxinomique a été bien perçue par l’auteur : « Tout [chez
eux] est distinct et marqué (ibid., Livre I : 118).

Fables
47 Mais comment faire appel à l’histoire quand les
monuments qui permettraient d’en jeter les bases
manquent cruellement ? Le prestige de la Chine depuis la
fin du #$%%e siècle tient pour une grande part à la révélation
de ses annales ; c’est grâce aux sources chinoises qu’un
historien comme de Guignes tente d’établir une
chronologie de l’Inde ancienne et parvient à en poser les
jalons dès 1772 (vingt ans par conséquent avant William
Jones, à qui l’on attribue souvent la primauté de cette
découverte), en identifiant dans le Sandragouten du
Bagavadam (poème tamoul imité du Bhāgavata-purāṇa
traduit par Maridās Pillei et envoyé en France en 1769), le
Sandracottos des témoignages grecs (de Guignes 1772 ;
J- Filliozat 1953 : 95-96 et 1954 : 278-279). En l’absence
d’annales indiennes, Sonnerat propose de recourir au
corpus des « fables » dont cette contrée abonde, « parce
qu’on a tout lieu de présumer qu’[elles] renferment son
histoire allégorique » (Sonnerat, Livre I : 8) : ainsi
retrouvera-t-on sous le travestissement des fictions la
trame des événements qui ont causé la « dégénération » de
l’Inde. Par « fables », il entend non seulement le corpus
mythologique (auquel il a accès par la tradition tamoule),
mais aussi les usages, les coutumes, les cultes ; bref, les
fables sont constituées de la somme des « histoires que
débitent les brames pour entretenir la faiblesse du peuple »
(ibid. : 10), transformées par le temps en articles de foi
(Livre III : 340).
48 La question de l’interprétation des fables du paganisme
agite le monde européen depuis la Renaissance (J.

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Deshayes 1963 ; F. Manuel 1959). Que faire de ces dieux


qui affluent de toutes parts aux frontières de notre espace
mental, de ces fictions qui prolifèrent dans la touffeur de la
jungle païenne ? Faut-il voir dans les fables l’œuvre du
Diable ou la corruption des Vérités sacrées ; le jeu de
l’imaginaire et du symbolique ou « l’histoire des erreurs de
l’esprit humain » (Fontenelle 1724, éd. 1932 : 39) en son
stade infantile avant que les progrès de la Raison ne l’aient
enfin « adultisé » ? Sont-elles un pur tissu d’extravagances
produit par la crédulité des peuples ou les archives
allégoriques d’une prime-histoire des nations ? Doit-on les
rejeter comme autant de scories sans autre intérêt que
l’insanité qu’elles signalent ou au contraire célébrer leur
obscure résistance contre les puissances de l’oubli ?
49 Si au #$%%%e siècle la thèse démonologique apparaît comme
une défroque, et si l’évhémérisme et le psychologisme se
disputent dorénavant le terrain (Manuel 1959 : 8 sq.), le
débat reste ouvert. S’agissant du domaine indien, on en
trouve encore la trace en 1858 dans un monument de
l’historiographie colonialiste, la History of British India de
Mill. Mill pourfend de son mépris les fables hindoues
(celles surtout qui ont trait aux cosmogonies, puisque
l’antiquité de l’Inde y défie Moïse et la Raison) ; son ardeur
vitupérante est d’autant plus grande que ces récits
misérables ont contaminé l’esprit de certains de ses
concitoyens : ceux qu’on appelle les « orientalistes », parce
qu’ils s’opposent aux préjugés raciaux des « anglicistes »
(Kopf 1969). L’éminent et paisible sanscritiste H.H. Wilson
(qui est à l’évidence un « orientaliste » dans les deux sens
du terme) et qui annote l’ouvrage, commence par citer les
points de vue divergents de Hume, Robertson et Gibbon
sur la question, puis ajoute ceci :
This disdain of the early records of nations may sometimes
be suspected to veil a distate for dry, laborious, antiquarian
research. That it is much easier to depreciate than inquire,
we need not go beyond these pages for proof (Mill and
Wilson 1858, vol. I : 109).

50 On comprendra les précautions infinies prises par

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Sonnerat en 1782 pour justifier sa démarche :


Les mythologies n’intéressent point la plupart des lecteurs,
parce qu’au premier coup d’œil elles n’offrent qu’un tissu
d’absurdités incohérentes, qui semblent plutôt appartenir
à l’imagination en délire qu’à la raison éclairée ; cependant
quelque faiblesse qu’on suppose à l’esprit humain, il
répugne de croire que dans tous les temps et dans tous les
lieux on ait voulu le jouer par des fables monstrueuses, qui,
pour être accréditées, n’avaient d’autre recommandation
que l’extravagance. Les philosophes qui se sont appliqués à
les approfondir, en ont porté des jugements plus
favorables ; ils ont reconnu que c’étaient autant
d’allégories ingénieuses, sous lesquelles résidaient la
sagesse et la vérité (Livre II : 263-264.)

Le système de Sonnerat
51 La « mythistoire »30 des brachmanes ne forme pas un récit
linéaire inséré dans une anatomie de l’Inde. Elle se
construit comme un puzzle : on en aperçoit ici et là
quelques linéaments, quelques-unes des pièces maîtresses ;
mais ce n’est qu’après coup que l’image se crée, et lorsque
tous ces éléments disparates s’assemblent enfin, on
découvre que ce roman à l’aspect embrouillé et décousu
cache en réalité la rigueur d’un système. Une axiomatique
le sous-tend de bout en bout, qui lui donne sa cohérence
interne et son sens polémique. Car ces dérives au second
degré dans la fabulation (rêveries d’un naturaliste des
Lumières sur d’anciennes « fictions indiennes ») ne
sauraient s’expliquer par le caprice d’un individu : elles
appartiennent à l’histoire d’une migration. Migration des
esprits, en cette fin du #$%%%e siècle, vers une région de
l’exotisme où stationnera longtemps l’imaginaire
occidental. Les divagations de Sonnerat sur la guerre des
Veda annoncent le formidable bouleversement des
attitudes face à l’Inde. Elles désignent ce moment
mystérieux et finalement inassignable où le Théâtre de
l’idolâtrie s’efface devant la Terre promise du mythe aryen
(Poliakov 1971 ; Weinberger-Thomas 1983).
52 Par souci de clarté, je procéderai de la façon suivante : je

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transcrirai d’abord le discours de l’auteur en rassemblant


les pièces éparses. Je n’interviendrai que pour apporter les
clefs indispensables au décodage du texte. Je replacerai
ensuite ce discours in situ, pour montrer que la « guerre
des Veda » doit aussi s’interpréter comme un des épisodes
de la querelle des diffusionnistes sur la scène européenne.
a. Le mythe-cadre
53 Aux temps originaires, les premiers habitants de la Terre
auraient été les Indiens. « L’Inde seule offre cette fécondité
primitive : toutes les autres parties du globe semblent
autant de conquêtes sur la stérilité » (Livre I : 2). Les
brachmanes, ou sages, jouissaient d’une prééminence
incontestée parmi cette nation dont ils formaient les
législateurs et les prêtres. Ils inventèrent la religion et la
philosophie, les arts et les sciences. Ils adoraient un Être
unique, parfait et immuable : aucune image sensible ne
venait troubler l’idée toute intellectuelle de ce dogme
fondamental de l’unité de Dieu. L’objet du culte des
brachmanes était cet Être unique, qui réunissait en lui les
trois attributs de créer, de conserver et de détruire. Mais
aucun culte distinct rendu à chacun de ces « trois êtres
métaphysiques », aucune personnification n’altéraient
encore l’harmonie radieuse de ce théisme primitif que
l’Inde entière avait adopté pour doctrine, et que l’ensemble
de la planète devait bientôt aller chercher sur les bords du
Gange : « les philosophes de toutes les nations voulurent
être leurs disciples : sacrifiant tout au désir de s’instruire,
ils se rendirent en foule chez les Indiens, et quand ils se
furent appropriés les principes de la morale des
brachmanes, ils les rapportèrent dans leur pays où ils les
naturalisèrent » (Livre III : 326-327). Les brachmanes se
distinguaient par leur désintéressement, leur vie sobre et
retirée, leur morale austère, les pénitences auxquelles ils
s’astreignaient, enfin par cette douceur de mœurs dont la
réputation avait fait le tour de la terre. Ils utilisaient un
idiome sacré et secret – le samscroutam – mais rien n’est
dit des livres où ils auraient consigné leurs enseignements
et leurs lois. C’était l’âge d’or.

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54 Cependant les choses se gâtent. Pouvait-il en être


autrement, dès lors que le perfectionnement absolu était
donné d’emblée, quand on sait que la dynamique de
l’évolution des espèces, de toutes les espèces vivantes, se
réduit pour Buffon et Sonnerat à cette alternative :
dégénérer ou se perfectionner31 ? Les choses se gâtent donc
et pour plusieurs raisons. D’abord parce que « cette idée
intellectuelle de la Divinité ne pouvait pas subsister
longtemps chez une nation apathique. Il fallut recourir aux
images sensibles. Les prêtres inventèrent des fables et des
allégories, qu’ils substituèrent aux vérités simples ; bientôt
elles furent consacrées par l’ignorance et l’amour du
merveilleux » (Livre III : 331).
55 Dans ce premier schéma, Sonnerat montre donc une
« dégénération » naturelle et inéluctable : les Indiens
passent de la sagesse à l’ignorance, de la fertilité
intellectuelle à l’abâtardissement et à la stagnation, de la
transparence des vérités premières à l’opacité des fictions,
comme les différentes espèces passent de la vigueur à la
décrépitude et à la mort.
56 Mais des prêtres fabulateurs (les brames) n’évincent les
héros culturels de l’humanité (les brachmanes) qu’à la
faveur d’une circonstance qui est présentée à la fois comme
une cause et un effet de la décadence de l’Inde : l’oubli du
sanscrit :
« Les erreurs de tous les peuples sont occasionnées par
l’oubli de leur langue naturelle. Lorsqu’elle est tombée en
désuétude, les glossateurs achèvent de la rendre
inintelligible. Dans les commentaires que les brames de
chaque pays ont faits des premiers livres sacrés, ils ont
glissé des fables absurdes et ridicules » (Livre I : 9).

57 L’oubli du sanscrit équivaut à une perte fondamentale de


conscience, à une régression, dont les conséquences
devaient se révéler funestes. En interdisant l’accès aux
enseignements sacrés, il ouvre la voie aux interprétations
frauduleuses, aux fausses doctrines, aux incohérences de
« l’imagination en délire ». Le Multiple prolifère au pays
natif de l’Un. La jungle s’installe sur le bord du Gange :

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« Voilà l’origine des différentes sectes » (Livre III : 342).


Cet oubli irréparable de la langue primitive trahit aussi, à la
façon d’un symptôme, le processus de dégénérescence qu’il
contribue à provoquer. En effet, si la chaleur d’un climat
qui énerve conjuguée à la tyrannie d’un gouvernement qui
opprime n’avait produit la stagnation de l’Inde, si ses Sages
avaient continué de cultiver les sciences, si ses Princes
avaient encouragé les arts et les lettres, le sanscrit ne se
serait ni corrompu ni perdu. « C’est ainsi qu’un peuple qui,
par son antiquité, devrait avoir épuré la raison, se traîne
encore sous l’empire des préjugés et de l’ignorance. Loin
d’être ramené à l’égalité naturelle par les révolutions qu’il
éprouve tous les jours, il semble n’exister que pour en
briser continuellement les liens » (Livre I : 119-120). Il
semble donc que toutes les tares qui ternissent la face de
l’Inde moderne – division des castes, ségrégation des
parias, institutionnalisation de l’injustice et de
l’arbitraire – doivent être imputées à cet oubli fatal, à cette
amnésie collective qui frappe soudainement « des milliers
d’hommes qui passaient autrefois pour les plus sages de la
terre, et chez qui toutes les nations du monde venaient
s’instruire » (ibid. : xxiv).
58 À voir les choses de plus près, on s’aperçoit cependant que
la transition de l’état de perfection à l’état de dégradation
connaît plusieurs stades. Au début, les Indiens ne
formaient qu’une seule secte n’adorant qu’un seul Dieu ;
« mais dans la suite des temps, ils personnifièrent chaque
attribut, et en firent trois Dieux, dont les pouvoirs séparés
furent exprimés d’une manière allégorique : c’est ainsi que
la toute-puissance de Dieu fut désignée par l’acte de la
création, sa providence par celui de la conservation, et sa
justice par celui de la destruction » (Livre III : 264-265).
Ces trois dieux, désignés sous les noms de « Brouma »,
« Vichenou » et « Chiven » eurent à leur tour chacun leurs
dévots. On oublia bientôt l’origine de ces figures divines ;
l’idée disparut qu’elles n’étaient qu’allégories célébrant
sous trois noms différents le même Être parfait « éternel,
incréé, tout-puissant, impassible, juste et miséricordieux »

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(ibid. : 336). Cette personnification des attributs en dieux


entraîna la métamorphose des dévots en séides :
Cette division forma trois sectes qui, poussées par leurs
prêtres, se liguèrent les unes contre les autres, et se firent
une cruelle guerre dans laquelle celle de Brouma fut
entièrement détruite. Toutes les incarnations de leurs
dieux sont des monuments des contestations ou des
guerres qu’eurent entre elles ces différentes sectes. Ils
donnèrent dans leur tradition le nom de rachaders (=
rākṣasa) ou géants à ceux qui étaient d’une secte opposée,
et de deverkels (= devatā) à ceux qui étaient leurs
partisans (ibid. : 335).

59 Il suffit donc de traduire dans la langue de l’Histoire les


fables de la mythologie indienne pour retrouver la trace de
ces événements.
b. Mythes indiens

L’apparition du liṅga
60 Le premier mythe que Sonnerat déchiffre à l’aide de cette
clef est celui de l’apparition du linga (liṅgodbhava) dans
une version locale très proche des versions purāṇiques
classiques (Vāyu-pur. I 55 ; Brāhmaṇḍa-pur. I 26), mais
dont la tonalité de dévotion śivaïte montre bien que
l’auteur l’a recueillie dans le Sud de l’Inde, et l’apparente
davantage aux versions sectaires de la tradition śivaïte (par
exemple, Śiva-pur. Rudra-Saṃhitā Sr̥ṣṭi-khaṇḍa 15 ;
Linga-pur. I 17 ; Skanda-pur. I 16, I 3 1-2, I 3 9-15,
III 1 14). Ce mythe offre ceci de particulier qu’à l’inverse de
tant de récits étiologiques du brâhmanisme ou de
l’hindouisme, il explique l’origine d’une absence de rite :
pourquoi le Dieu Brahmā « regardé comme Dieu créateur,
n’a cependant ni temple, ni culte, ni sectateurs » (Livre II :
266). En voici l’argument :
« [Brouma] se persuada qu’il était autant que Chiven,
parce qu’il avait le pouvoir de créer ; dès lors il voulut avoir
la prééminence sur Vichenou qu’il insulta grièvement : ce
dernier voulut en tirer vengeance, de manière qu’il y eut un
combat terrible entre eux. » Les dieux innombrables du

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panthéon hindou, saisis de terreur, en appelèrent à Śiva,


qui apparut alors « sous la forme d’une colonne de feu (=
le liṅga) qui n’a point de fin. L’aspect de cette colonne
apaisa la colère (des dieux rivaux), et pour terminer le
différend, ils convinrent ensemble que celui qui pourrait
en trouver le pied ou le sommet serait le premier Dieu.
Vichenou prit la forme d’un sanglier, et fit des trous dans la
terre avec ses défenses, qui pénétrèrent jusqu’au Padalon
(= pātāla : les régions infernales) [...] pendant mille ans, il
chercha de la sorte sans pouvoir découvrir le pied de la
colonne ; enfin fatigué, il revint sur ses pas [...] alors
reconnaissant le Seigneur (= Siva), il lui adressa ses
prières. Brouma ne fut pas plus heureux dans la recherche
du sommet ; il prit la figure d’un oiseau nommé annon (=
haṃsa) [...]. C’est ainsi qu’il parcourut inutilement (le Ciel)
pendant cent mille années, après lesquelles [...] il [...]
reconnut le Seigneur ».

61 Mais Brahmā eut l’audace de soutenir auprès de Viṣṇu qu’il


avait découvert le sommet du liṅga. Śiva leur apparut alors
au milieu du pilier flamboyant ; il pardonna sa faute à
Viṣṇu et lui accorda même des dons, tandis qu’il maudissait
le Dieu coupable de mensonge : il n’aurait ni temple, ni
culte, ni dévot. Comme Brahmā se repentissait toutefois
sincèrement, Śiva commua sa peine : dorénavant, toutes
les cérémonies des brâhmanes lui seraient adressées (Livre
II : 267-270).
62 Pour Sonnerat, il ne fait pas de doute que « Cette fable
paraît désigner la destruction totale de la secte de Brouma
[...] Cependant comme ceux des broumanistes qui
échappèrent au massacre général entrèrent dans la secte de
Chiven, on a feint que Brouma s’était repenti » (ibid. :
271-272).

Le Rāmāyaṇa
63 Si le mythe de l’apparition du liṅga, dans une variante
śivaïte, témoignait des guerres de religion qu’avait connues
l’Inde ancienne et de l’extermination des partisans de
Brahmā, deux récits – épique et
mythologique – empruntés à la tradition viṣṅuïte,

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permettent à l’auteur de reconstruire le scénario de ces


affrontements, dont l’issue funeste ne fut pas seulement
une Saint-Barthélemy à l’indienne, mais, on le verra, un
véritable génocide du peuple primitif des brachmanes. Le
premier de ces récits est tiré de l’épopée du Rāmāyaṇa,
tandis que le second se fonde sur une version populaire de
l’incarnation de Viṣṇu en Poisson (matsyāvatāra). Avant
d’en relater la trame, telle que Sonnerat la présente, il faut
apporter ici certains éclaircissements, faute de quoi le
discours de l’auteur perdrait toute pertinence.
64 L’histoire des « descentes » du dieu Viṣṇu catalyse très tôt
l’énergie fabulatrice des Européens. Il semble naturel que
l’intérêt se soit porté d’abord sur les points de la doctrine
des Gentils qui paraissaient les plus scandaleux aux
chrétiens. Dans la « fable » des incarnations d’un dieu
« feint » du paganisme en neuf ou dix créatures, les
croyants voyaient la corruption démoniaque du dogme de
la Sainte Incarnation de Dieu en son Fils Jésus. De toutes
les figures assumées par Viṣṇu, les moins « monstrueuses »
ou « ridicules », les plus anthropoïdes focalisent
l’attention : Rāma, Kṛṣṇa et le Buddha. Dans le bestiaire
avatārique, le Poisson a la priorité, parce qu’il intervient
dans un récit diluvien dont l’exploitation est aisée pour
prouver l’universalité du thème du Déluge, et ressouder
autour de la Révélation l’unité fondamentale du monde32.
Aussi les apologistes convoquent-ils les avatāra de Viṣṇu
dans leurs écrits polémiques pour les exorciser et
contribuer par là à la gloire de Dieu.
65 C’est ainsi qu’on trouve sous la plume d’un des esprits les
plus féconds de son siècle, le Jésuite Athanase Kircher,
ancêtre de l’égyptologie et père fondateur de
l’égyptomanie33, une description des « dix ridicules
incarnations de Dieu », précédée de ce commentaire :
Comme le démon est un abîme de malice, il ne faut pas
s’étonner s’il est toujours insatiable, s’il n’est jamais
content dans l’exercice de ses méchancetés, et s’il n’est pas
seulement satisfait d’avoir abusé et d’avoir aveuglé les
anciens Gentils par ses enchantements et ses ruses

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détestables ; mais encore en ce que son attentat le porte à


cette extrémité de rage contre Dieu, de vouloir mêler les
choses saintes avec les profanes pour un plus grand mépris
de Dieu et de sa loi ; [...] Ce Prince des ténèbres, voulant
encore porter son audace jusque à l’incarnation du Verbe,
a bien osé mille fables honteuses à un si saint et si sacré
mystère que celui de la conception et de la naissance de
Jésus-Christ, et de faire mille commentaires ridicules et
mille métempsychoses absurdes, lesquels ont si fort grossi
dans la suite du temps, qu’ils ont produit un monstre et un
composé d’erreurs le plus détestable qu’on puisse voir.
Vous en reconnaîtrez quelque chose par les dix
incarnations de Dieu dont ils parlent, [...] que le R.P.
Henry Roth, missionnaire infatigable de Mogor (= du
royaume du Mogol)34, m’a racontées, comme étant très
savant dans la langue Brachmanique et très docte dans
tous les points principaux de leur doctrine ; [...] c’est
pourquoi je m’attache à celle-ci que ce bon Religieux m’a
dit, et dont il a instruit nos Pères, afin qu’on prît soin de
réfuter ces impostures et de donner le moyen à tous nos
missionnaires de pouvoir, non seulement désabuser, mais
encore confondre les Brachmanes qui sont imbus de ces
opinions (Kircher 1667 éd. 1670 : 214-215).

66 La diffusion précoce de la geste ramaïte en Europe est due


également pour une grande part au spectre considérable de
son rayonnement en Asie du Sud-Est. Voyageurs et
missionnaires glanent dans ces régions des informations
encore fragmentaires, mais dont la concordance finit par
créer une synopsis. Les relations du Siam apportent sur ce
sujet d’utiles développements. Le Siam, justement, est à la
mode, depuis l’échange de délégations entre son roi et la
cour de Louis XIV35. On s’arrache les récits des voyages de
la Loubère et du P. Tachard, qui évoquent l’histoire de ce
Prince (G. Tachard 1686 ; La Loubère 1691)36. Mais un
autre élément entre en jeu, qui explique la confrontation de
l’Europe au ramaïsme ; un élément beaucoup plus
complexe à analyser et qu’on ne peut traiter ici que de
manière succincte : on veut parler de la confusion entre le
héros épique, Rāma, et le fondateur du samanéisme, le
Buddha.

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67 Il est très difficile aujourd’hui de faire abstraction de notre


connaissance du bouddhisme et de nous représenter les
productions fantasmatiques élaborées autour du
personnage du Buddha37 ; de même nous échappe la
dialectique de la fascination et de la répulsion qui marque
le passage de cette colossale figure mythique dans notre
imaginaire. Cet ancien héros déifié, connu diversement
sous les noms de Fo, Foë, Foto, Bauté, Butta, Budda,
Gotam, Xaca, Che-Kia, Sommonacodon, a été assimilé à
Rāma, mais aussi à Brahmā (de Guignes en fait l’auteur des
Veda, en posant l’équation : Che-Kia (Śākyamuni) = Beass-
mouni (Vyāsa) = Brahmā : de Guignes 1780 : 196 sq.), au
Thoth des Égyptiens, au Tien des Chinois, au Zoroastre des
anciens Persans, à Jésus par Guillaume Postel (1552) ; il
finira dans l’empyrée, astre solaire chez Dupuis, Mercure
dans le « système planétaire » du P. Paulin38. Sa doctrine,
apparue en Inde à une date qui donne lieu à des
discussions sans fin, aurait perverti le reste de l’Orient, du
Pégu au Siam, du Cambodge au Laos, de Java au Tonkin,
de la Chine au Japon. L’identification de Rāma à Buddha
trouve, avec le P. Kircher, son plus zélé propagateur :
Le premier Architecte et le premier inventeur de toutes ces
superstitions est un certain scélérat Brachman, lequel
étant imbu des maximes et de la doctrine de Pythagore,
n’étant pas content d’en avoir publié les erreurs dans toute
l’étendue de ces Provinces, voulut encore ajouter
superstition sur superstition, et fit un tel assemblage et une
rhapsodie si sotte et si ridicule de cette Religion, qu’il n’est
pas au pouvoir de l’homme d’en faire le récit, ni même il
n’est pas possible à la plume de les pouvoirs décrire. Cet
imposteur a eu tant de bonheur dans toutes ces parties
Orientales, et s’est rendu si illustre et si recommandable
parmi ces Idolâtres, que les Indiens l’appellent Rama, les
Chinois Xé Xian, les Japonais Xaca, et les Tonchinois
Chiaga. On dit que ce monstre détestable est né dans un
lieu qui est au milieu de l’Inde [...] après cela, ce monstre
de la nature se retira dans une montagne extrêmement
haute, où il institua l’exécrable idolâtrie, et où il inventa (à
la sollicitation du Démon) cette détestable maxime

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d’adorer les Diables [référence au culte de l’idole de Calicut


décrite par L. de Varthema en 1510 – C.W.T.], qui sont les
ennemis de Dieu et de l’homme, et où enfin il reçut les
dogmes de son infernale et mortelle doctrine (Kircher éd.
1670 : 207-208).

68 Dans l’œuvre baroque de Kircher prend souche l’idée d’une


diffusion de la culture universelle à partir de la vallée du
Nil, idée puisée naturellement chez les Anciens, mais
projetée ici dans un système théologico-occultiste néo-
platonicien, que seule pouvait produire la rencontre d’une
des premières synthèses du savoir universel avec
l’illuminisme post-renaissant. C’est grâce à l’Œdipus
Aegyptiacus (Kircher 1652-1654) et à la China illustrata
(Kircher 1667) que le monogénisme culturel des Lumières
devait passer une saison en Égypte. Il ne faudra pas moins
de cinq volumineux Mémoires à l’abbé Mignot pour tenter,
en 1761-1762, de ruiner la thèse de l’égyptomanie, qui
continuera d’avoir de brillants défenseurs jusqu’au premier
tiers du #%#e siècle.
69 Trois propositions du syncrétisme kircherien sont
essentielles ici pour mettre en perspective le roman de
Sonnerat sur la guerre des Veda :

1. l’idolâtrie chinoise tire son origine de l’Inde ;


2. l’idolâtrie indienne tire son origine d’Égypte : quand le
roi des Perses Cambyse envahit l’Égypte, plus rien ne
subsistait de l’antique sagesse de cette nation. La
perversion idolâtrique avait dévoyé son peuple et ses
prêtres. Détruite et réduite à l’exil par Cambyse, la
classe sacerdotale de Memphis chercha refuge en
Inde, terre de confins déjà balisée par Hermès,
Bacchus et Osiris (Kircher 1670 : 206). Elle y établit
une colonie et y introduisit ses dieux, ses cultes, ses
dogmes : en particulier le culte d’Apis, qui donna
naissance à celui de la Vache, le végétarisme et la
métempsychose ;
3. La diffusion de l’idolâtrie est l’œuvre d’un Indien
pythagorisé, Buddha-Rāma, émissaire du Diable.

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70 Les linéaments de la geste ramaïte apparaissent plusieurs


fois dans le Voyage, mais la synopsis est donnée dans deux
contextes : elle s’insère d’abord naturellement dans le
tableau des neuf principales incarnations de Viṣṇu, à
l’article consacré à ce dieu au Livre II (284-286) ; elle est
reprise ensuite au chapitre qui traite des dogmes des
Indiens au Livre III. C’est cette dernière version que j’ai
choisie :
Dans les premiers temps, l’Inde n’était divisée qu’en deux
sectes, celle de Chiven et celle de Brouma. Celle de
Vichenou ne date que de cinq mille ans, et même elle ne fut
considérée que lorsque ses sectateurs, unis aux chivénistes,
eurent massacré les partisans de Brouma. D’après les livres
sacrés tamouls, il est impossible de remonter à l’origine
des deux premières : la secte de Chiven paraît être de
temps immémorial ; quant à celle de Vichenou, l’histoire
de sa sixième incarnation semblerait attester qu’elle prit
naissance au royaume de Siam : on y voit Rama quitter son
trône pour se faire pénitent ou gymnosophiste des Anciens.
Il traverse le Gange et la montagne Sitrécodon, à la côte
d’Orixa : sa doctrine qu’il répand dans toute cette contrée,
lui attire une foule de prosélytes. Enorgueilli par ses
premiers succès, il parcourt l’Inde entière, et veut s’y faire
adorer le glaive à la main. Après avoir enseigné de cette
manière ses opinions dans le royaume d’Endagarénion, il
passe au désert de Pangiavadi, qui semble être le Maduré
de nos jours, et traverse le bras de mer qu’on appelle
encore le Pont aux Singes ; de là, cet ambitieux sectaire se
rend à Ceylan. Ravanen, roi de cette île, ne voulut point
adopter ses dogmes ; ils se firent une cruelle guerre, et ce
ne fut qu’après la mort de Ravanen qu’il parvint à s’y faire
adorer. Il plaça sur le trône Vibouchanen, frère de ce géant
[...] enfin, après avoir employé quatorze années à fonder sa
religion dans l’Inde et les pays circonvoisins, il retourna
triomphant dans ses États.
C’est vraisemblablement alors que la métempsychose
s’introduisit chez les Indiens, et Kæmpfer a cru mal à
propos qu’elle y fut apportée par les prêtres de Memphis. Il
est vrai que ces derniers s’y réfugièrent lorsque Cambyse
détruisit leurs temples en Égypte, et massacra la plupart
d’entre eux ; mais Pythagore voyageant dans l’Inde

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longtemps avant cette époque, y trouva les mêmes


dogmes ; ce qui désigne assez que Rama ou Vichenou est le
même que Foë, Sommonacodon, le Xaca des Japonais, et
le Boudda des Chingulais.
« On lit dans l’Histoire de la Chine [Kæmpfer 1729] que
Foë gouvernait un petit pays à l’ouest de ce royaume [...]
[qu’]il quitta son royaume pour embrasser la vie solitaire,
et prêcha la métempsychose qu’il avait inventée [...]. Cette
histoire ne diffère en rien de celle de Rama (Livre III :
344-46).

71 Ce récit appelle une remarque préliminaire. Il semble que


l’auteur se contredise gravement. Après avoir affirmé que
l’Inde ne formait au début qu’une seule secte (celle des
brachmanes), que cette secte unique s’était dans la suite
des temps divisée en trois (broumanistes, chivénistes,
vichenouistes), Sonnerat mentionne ici l’existence initiale
de deux sectes, et confère à celle de Śiva la plus haute
antiquité. La troisième secte (établie par Viṣṇu-Rāma-
Buddha) se révèle non seulement beaucoup plus tardive,
mais surtout étrangère. Étrangère par son origine ethnique
(siamoise). étrangère par le dogme (la métempsychose)
qu’elle introduit en Inde à la faveur d’une expédition. Une
lecture attentive du Voyage montre que cette aporie
flagrante, loin de trahir une incohérence du système de
Sonnerat, témoigne au contraire de sa logique profonde,
comme j’essaierai de le montrer plus loin.
72 Mais il faut écarter ici un premier élément de confusion,
qui provient du caractère erratique du vocabulaire.
« Secte », « tribu », « peuple », « nation », pour ne pas
parler de « classe » et de « caste », sont des mots dont le
chevauchement sémantique demeure, au #$%%%e siècle, en
attente de clarification. Le vocabulaire hésite parce
qu’aucun observateur ne parvient encore à se retrouver
dans l’enchevêtrement inextricable du social et du religieux
qui règne dans la jungle indienne, jungle organisée
cependant – et c’est là toute la difficulté – selon un
principe de hiérarchie dont la rigidité frappe les esprits.
Sonnerat désigne le plus souvent les brachmanes comme

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une « classe », un « corps », une « tribu », une « caste ».


Ainsi, au chapitre $ du Livre I (« De la division des
Castes ») :
C’est à Sésostris que les Indiens doivent, à ce qu’on croit,
leur état civil et politique. Lorsque ce roi s’empara de
l’Inde, il divisa le peuple en sept classes, parmi lesquelles
les brachmanes ou sages tenaient le premier rang [lieu
commun pris chez les Anciens] [...] Quand les brames se
furent élevés sur la chute des brachmanes, ils changèrent
les lois et l’ancien culte, et réduisirent à quatre les sept
classes primitives [...] c’est cette division qui subsiste
encore aujourd’hui (Livre I : 83).

73 Les brachmanes constituent donc une classe dans l’ordre


social. Dans l’ordre religieux, ils formaient au début le
contraire d’une secte, puisqu’ils professaient tous une
seule et même doctrine, que la planète devait adopter.
Lorsque Sonnerat évoque la « secte unique » des
brachmanes de l’Inde primitive, il se réfère en réalité à
l’unité du dogme originel (Livre III : 334-335). La
contradiction peut donc se formuler ainsi :

a. un dogme unique, au sein duquel apparaissent trois


mouvements sectaires ;
b. deux sectes indigènes, auxquelles s’ajoute tardivement
(5 000 ans avant l’ère) une troisième secte d’origine
étrangère.

74 Une idée-force se dégage en tout cas des fragments cités :


la discrimination radicale entre brachmanes et brames :
Quelques écrivains célèbres ont voulu que les brames
soient les descendants des brachmanes : la ressemblance
de nom a vraisemblablement produit cette erreur, mais si
l’on consulte les livres sacrés des Indiens, on verra que les
brames ne se répandirent dans l’Inde que lorsque
Vichenou, sous le nom de Rama, vint y prêcher sa
doctrine : ainsi nous devons regarder les lamas, les bonzes
de Foë, ceux de Siam, du Tonquin, de la Cochinchine, les
talapoins (= renonçants) du Pégu et d’Ava, les prêtres de
Ceylan, ceux de l’Égypte et de la Grèce, comme les

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successeurs des anciens brames ou de leurs disciples ; et je


crois qu’il n’y a que les saniassis, espèce de religieux
indiens, qui soient les vrais descendants des brachmanes
(Livre III : 328- 329).

75 Brachmanes et brames ne sont donc pas issus de la même


souche génétique : ils appartiennent à deux variétés
distinctes de l’espèce humaine : la variété « indienne-
primitive » et la variété « siamoise ». Ils s’opposent
également par leur religion : pur théisme tout intellectuel
d’un côté, idolâtrie grossière de l’autre, avec, en particulier,
cette croyance à la transmigration des âmes, qui devait
essaimer en Asie et dans le monde entier : « Vichenou
l’avait établi[e] dans l’Inde, et Pythagore l’adopta dans un
voyage qu’il y fit. Les Égyptiens, les Grecs et plusieurs
autres peuples, les Juifs même au commencement de
l’Église, en firent la base de leur religion » (ibid. : 327).
76 Or c’est ce dogme qui a produit, entre autres effets
pernicieux, la division des castes et la ségrégation des
parias. On a vu que le système des castes ne s’était fixé
historiquement en Inde que lorsque les brames s’étaient
élevés sur la chute des brachmanes. Mais en outre,
l’Intouchabilité ne s’ancre dans les mentalités qu’à la
faveur de l’introduction de cette croyance à la
métempsychose :
Il est [...] probable que c’est à la superstition que ces
malheureux (= les parias) doivent l’avilissement dans
lequel ils vivent ; les Indiens n’ont tant de mépris pour eux
que parce qu’ils pensent que quand on fait beaucoup de
mal sur la terre, on renaît paria. Sans doute, lors de la
division des castes, on conserva la ligne de démarcation
qui, dans tous les pays, sépare le riche du pauvre ; la partie
la plus indigente fut rejetée à la dernière classe, et
condamnée à n’en jamais sortir. La misère et l’opprobre y
devinrent héréditaires. Cette première injustice fut
l’ouvrage de la politique ; mais dans la suite elle fut
aggravée par la religion. Pour se décharger du crime de
l’avoir commise, les Indiens y cherchèrent une cause
surnaturelle ; le dogme de la transmigration des âmes leur
en facilita les moyens. Il était naturel d’imaginer que le

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coupable ne devait revivre que pour souffrir : et dans ce


principe la triste condition de paria lui fut assignée (Livre
I : 108-109).

77 Cette démonstration illustre bien le mélange de folie et de


sagesse qui caractérise la démarche du mythographe des
Lumières. Elle repose sur une intuition juste de la réalité
de la caste (Sonnerat perçoit le lien entre caste et naissance
et le rôle déterminant du karman). Mais la fabulation s’en
empare aussitôt ; l’auteur l’utilise comme pièce d’un
montage « rationaliste-déiste », dont la fonction est de
prouver une fois de plus qu’en Inde, comme partout,
l’inégalité est fille de l’obscurantisme.
78 Si l’on voit clairement s’affirmer la dichotomie entre
brachmanes et brames (dichotomie surdéterminée,
puisqu’elle recouvre trois séries d’oppositions binaires :
indigènes/étrangers ; primitifs/ tardifs ; purs/corrompus),
on distingue moins aisément celle qui sépare les
brachmanes des broumanistes. Dans le discours de
Sonnerat, il paraît évident que les broumanistes
constituent une secte au sens actuel du terme, dans la
mesure où ils accordent la préséance et adressent leur
dévotion à l’un des trois grands Dieux de la trimūrti :
Brahmā. Leur autochtonie ne fait aucun doute, pas plus
que celle de leurs rivaux en sectarisme : les chivénistes. On
doit les considérer comme des brachmanes dévoyés : ils
ont perdu le sens du dogme fondamental de l’Unité de
Dieu ; s’ils n’errent pas encore dans la jungle païenne, ils
en ont déjà pris le chemin. Les brachmanes vivaient
l’immanence des Vérités premières, la diaphanéité des
commencements du monde. Broumanistes et chivénistes,
victimes de l’usure du temps et de l’érosion de l’oubli,
s’engagent dans des luttes sectaires parce qu’ils n’ont plus
accès aux sources : tout est là, et l’on comprend à présent
pourquoi le fin mot des mystères du paganisme indien se
trouve dans le Veda.

Le mythe indien du Déluge


79 Or il existe un mythe indien très répandu qui relate

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justement l’histoire de la disparition des Veda, et ce mythe


n’est autre que celui du Déluge. Sonnerat le mentionne
d’abord, en le synthétisant, lorsqu’il évoque les
incarnations de Viṣṇu :
La première fut en poisson, pour sauver du déluge le roi
Sattiaviraden (= Satyavrata) et sa femme. Pendant tout le
temps que dura cette révolution, arrivée à la fin du
troisième âge, Vichenou fut leur protecteur sous la forme
d’un poisson, et servit de gouvernail au bâtiment qu’il leur
avait envoyé. Quand les eaux se furent retirées,
Sattiaviraden descendit à terre, et ne s’occupa qu’à la
repeupler ; dans cette transformation, on adore Vichenou
sous le nom de Matchia-Vataram (= matsyāvatāra) : il
détruisit sous cette forme le géant Canagachen (=
Hayagrīva), qui avait enlevé les quatre védams à Brouma,
et les avait avalés. Vichenou après avoir vaincu le géant, lui
ouvrit le ventre pour les retirer ; mais il n’en trouva que
trois, le quatrième était digéré (Livre II : 276-277).

80 La version utilisée par Sonnerat ne peut être qu’une


variante tamoule de Bhāgavata-pur. VIII 24 7-58. En effet,
si le motif cosmogonique du Poisson et le thème du Déluge
apparaissent déjà solidaires dans les récits de Śatapatha-
brāhmaṇa I 8 1 1-10 et Mahābhārata III 187, ils ne sont
pas encore liés aux avatāra de Viṣṇu. Le passage se fera
dans Matsya-pur. 1 12 sq., mais il n’y sera toujours pas
question du vol des Veda ni du roi Satyavrata, puisque le
personnage central de tous ces récits demeure Manu,
fondateur et législateur mythique de l’humanité indienne.
Le roi Satyavrata ne se substitue à Manu que dans le
Bhāgavata-purāṇa, monument de la dévotion viṣṇuïte, où
pour la première fois intervient l’argument du vol des Veda
par le démon Hayagrīva, qui sert de préambule à la trame
narrative et de prétexte à l’incarnation de Viṣṇu (M.
Biardeau 1981 : 79-80).
81 Après avoir relaté fidèlement la teneur de cette « fable »,
l’auteur l’insère dans son système, au chapitre idoine
(« Des Livres sacrés des Indiens ») :
Les védams célébraient l’Être suprême sous différents

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attributs ; les brames, pour tenir le peuple dans la sujétion,


firent rendre un culte différent à chaque attribut ; mais le
dogme des brachmanes étant l’unité de Dieu, et leur
croyance étant opposée à celle qu’enseignaient les védams,
ces sages dérobèrent ces livres sacrés aux brames, ce qui
occasionna une guerre où périt la moitié des Indiens, et où
les védams disparurent. Les brames vainqueurs
substituèrent à leur place le shasta ; mais comme les
védams leur donnaient une puissance illimitée, et les
mettaient au-dessus des lois et des princes, ils répandirent
qu’il n’y avait de perdu que celui qui traitait de la magie (=
Atharvaveda). Le moyen le plus sûr d’accréditer cette
fraude était d’en faire un article de foi. Ils n’y manquèrent
pas, et c’est à ce sujet qu’ils inventèrent la fable de la
première incarnation de Vichenou. Un géant qui
représente les brachmanes, s’était emparé des védams ;
Vichenou se change en poisson pour le combattre ; il
l’extermine ; mais comme ce géant avait avalé les livres
dérobés, le quatrième se trouva digéré quand le dieu lui
ouvrit le ventre pour le recouvrer.
Les brames, pour qu’on ne pût les forcer de montrer ces
livres, en interdirent la connaissance au peuple, le
déclarèrent indigne de les lire, et s’en attribuèrent seuls le
droit comme descendants de la Divinité. Quand on les
interroge aujourd’hui sur les védams, ils disent qu’ils sont
renfermés dans un caveau à Bénarès. Jamais personne n’a
pu les voir ; on n’en connaît ni copie, ni traduction ; ainsi
leur existence est pour le moins douteuse : il est difficile de
croire, d’après les tentatives qu’on a faites auprès d’eux,
que leur avarice ait pu résister aux attraits de l’or, qu’on
leur a si souvent offert pour les livrer. (Livre III : 358-359).

82 L’Ezour-Vedam était un faux, une contrefaçon frauduleuse


des dogmes indiens ; les faussaires, des missionnaires
venus d’Europe, sous le couvert d’en présenter la
substance, en subvertissaient le message. Mais voici qu’à
l’issue de l’interprétation du mythe indien du Déluge, les
Veda apparaissent à leur tour comme une supercherie,
commise à six millénaires de distance, par d’autres
étrangers, les brames originaires du Siam, et dans le même
dessein : corrompre la doctrine primordiale pour asservir

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et dominer. Cette mystification devait changer la face de


l’Inde. Les brachmanes disparurent à jamais, et avec eux
disparaissait l’antique sagesse des nations. La jungle
imposait partout sa loi, le paganisme ses délires.
83 Cette dernière révélation de Sonnerat sur l’enjeu d’un
conflit « où périt la moitié des
Indiens » – – l’appropriation des Veda –, et sur la nature
de ces textes, constitue un véritable coup de théâtre. À
partir des mêmes prémisses, on pouvait imaginer en effet
un scénario diamétralement opposé : des imposteurs (les
brames) auraient pu tenter de dérober aux héros de cette
histoire (les brachmanes) l’instrument de leur puissance,
ces fameux Veda auxquels les associe toute la littérature
des relations et des missions, et que les Indiens
considèrent, de l’aveu même de l’auteur, « comme les plus
anciens et les plus révérés [...] ils les adorent comme la
Divinité même, dont ils les croient une émanation et une
partie tout ensemble » (Livre III : 351). Pourquoi ce roman,
cette coupure entre brachmanes et texte védique, cette
liaison entre brames et Veda, pourquoi surtout avoir fait
des Livres sacrés des Indiens un corpus déviationniste (ils
« célébraient l’Être suprême sous différents attributs » et
servaient aux brames à « tenir le peuple dans la
sujétion ») ?
84 On trouvera peut-être la solution de cette énigme si l’on se
demande à quoi sert le système de Sonnerat.

3. Sagesse indienne, folie déiste


85 Sonnerat construit un système pour résoudre une énigme,
précisément : pour « aider à la décision d’un problème
regardé comme insoluble, savoir si les Chaldéens, , les
Égyptiens, etc. ont reçu leurs connaissances des Indiens,
ou si ces derniers tiennent les leurs de ces différentes
nations » (Livre I : 10-11, cf. supra : 184). Le etc. renvoie en
particulier aux Juifs, aux anciens Persans et aux Chinois. Il
faut remarquer que le problème ne se pose que dans la
mesure où le naturaliste adhère pleinement à la théorie du

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monogénisme culturel, alors dominante : « La conformité


des dogmes des Indiens avec ceux de tous les peuples de
l’Asie, avec ceux des Chaldéens, des Égyptiens, des
Phéniciens, des Grecs et des Romains, prouve assez que
toutes ces religions, différentes en apparence, n’ont eu
qu’une même origine » (Livre III : 326).
86 Un seul berceau, par conséquent, pour l’humanité
primitive : le sol qui engendra l’espèce humaine vit naître
aussi la civilisation. Mais où le placer ? En Égypte, en
Judée, en Chaldée, en Perse, à l’est de la mer Caspienne
(comme le voudrait Buffon), en Inde, en Chine, entre le 49e
et le 50e degrés de latitude boréale, comme le soutient
Bailly en s’appuyant sur des calculs astronomiques ? Pour
Sonnerat, cette contrée primitive ne peut être que l’Inde :
On a tout lieu de croire en effet que les premiers enfants de
la nature durent être l’objet de sa complaisance. Ce n’est
pas dans les glaces du Nord, ni dans les sables brûlants de
la Libye, qu’elle leur choisit un berceau : le sol qui les vit
naître dut fournir abondamment et sans travail à leurs
besoins [...]. L’Inde seule offre cette fécondité primitive :
toutes les autres partie du globe semblent autant de
conquêtes sur la stérilité.
C’est donc aux Indiens qu’il faut accorder un droit
d’aînesse, qu’ils pourraient encore justifier par le
témoignage des livres hébraïques, où il est dit que le
Phison, le Tigre, le Gange et l’Euphrate avaient une source
commune dans le paradis terrestre. (Livre I : 1-2).

87 Après avoir invoqué la Nature et l’Ancien Testament, il


entre dans une dispute avec « des savants très distingués,
tels que MM. Linnæus et Bailly », à propos de l’origine
sibérienne du blé et du nitre, qui selon eux militerait en
faveur d’une localisation du berceau des sciences quelque
part « dans la Sibérie ». Au reste, il ne prétend pas
« résoudre cette question savante », autrement dit, la
démontrer scientifiquement : nul n’en a encore les moyens,
mais précisément, personne ne dispose non plus
d’arguments décisifs pour réfuter la thèse qu’il défend.
Aussi lui suffit-il d’accumuler les « preuves », toutes

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traditions mêlées. Traditions occidentales des « itinéraires


spirituels » et des conquêtes légendaires :
On sait, outre cela, que tous les peuples vinrent y puiser les
éléments de leurs connaissances, et que Pythagore quitta la
Grèce pour étudier sous les brachmanes, regardés alors
comme les plus éclairés des hommes. Les Bacchus, les
Sémiramis, les Sésostris, les Alexandre, et tant d’autres
avant eux, n’auraient pas porté leurs armes dans l’Inde,
s’ils n’y avaient été attirés par la célébrité de cette contrée.
On ne vole pas à mille lieues de sa patrie, sacrifier deux
cent mille hommes pour s’emparer d’un pays inculte et
sauvage. D’ailleurs dans des temps bien antérieurs aux
siècles de ces fameux conquérants, toutes les nations
allaient déjà chez les Indiens s’instruire et s’enrichir (ibid. :
5-6).

88 Traditions indiennes, « qui disent que la mer baignait


autrefois les Gates ; combien de siècles ne se seront-ils pas
écoulés depuis sa retraite » (ibid. : 6-7) ; qui parlent d’une
montagne située dans le Nord (le Mérou) qui aurait été la
demeure des anciens Pénitents, « ce qui (comme le dit M.
Bailly) semblerait indiquer un peuple venu du Nord pour
se répandre dans l’Inde : mais à quelle époque est-il
descendu des montagnes du Tibet » (ibid. : 7) (l’auteur
utilise ici Bailly contre Bailly). Arguments géologiques,
comme ces pétrifications de Trévicarré près de
Pondichéry :
Ce phénomène semble annoncer que la terre couvrait
autrefois ces montagnes, et les vivifiait par la végétation.
Un bouleversement terrible les dépouilla de cette parure,
et ne respecta que les rochers arides qui s’opposèrent à ses
efforts [...] mais la nature les a conservés pour nous offrir
des monuments de cette grande époque (ibid. : 45 ; je
souligne).

89 Vestiges archéologiques, enfin, comme ces fameuses


pagodes de Salcette et d’« Ylloura », qui impressionnent
tant les voyageurs (Mitter 1977 : 31-48) : « Les pyramides
tant vantées de l’Égypte sont de bien faibles monuments
auprès des pagodes de Salcette et d’Ylloura » (Livre III :

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365).
90 Devant la concordance de tous ces témoignages, peut-on
douter encore que l’Inde ne l’emporte dans ce challenge qui
l’oppose à ses rivales ? « L’Inde fut le berceau de toutes les
religions, et les anciens brachmanes en furent les
inventeurs » (ibid. : 326).
91 Cette énigme éclaircie, les mystères du paganisme indien
demeurent. Le contraste des « deux Indes » n’en ressort
que davantage. Si l’Inde fut la terre des Origines, un abîme
la sépare de l’Indostan moderne : dégradé, avili, ignorant,
inique. L’auteur tente d’abord de fournir une explication
rationnelle où se rejoindraient les points de vue naturaliste
et philosophique : dégénération naturelle, incidence du
climat, corruption du despotisme ; il y ajoute toutefois un
élément nouveau, qui subsume tous les autres facteurs : il
faudrait chercher dans la prime-histoire de l’Inde, dans les
révolutions que cette nation aurait subies à une époque
très reculée, la cause première de sa chute. Il y aurait eu
cassure dramatique plutôt que processus continu de
dégénérescence. Le roman sur la guerre des Veda, tiré des
« fables indiennes », permet à l’auteur de faire
l’archéologie de cette prime-histoire.
92 Dès lors, la fonction dévolue au génocide de l’Urvolk des
brachmanes paraît claire : puisque les brachmanes ont à
jamais disparu de la surface du globe, aucun
rapprochement avec l’Inde moderne ne risque de souiller la
pureté du modèle indien primitif : l’Inde ne serait plus
dans l’Inde.
93 Cependant, cette ségrégation radicale présente un danger,
elle pourrait annuler l’efficace du modèle. À quoi bon, en
effet, exhumer un monde défunt, mort-né en quelque sorte,
livré en pure perte à notre admiration, simple lieu de
rencontre des nostalgies européennes ? Pour Sonnerat,
cette redécouverte n’a de sens que si l’archétype prend
aussi pour nous hic et nunc valeur d’exemple : « On verra
par l’histoire de l’Inde que le despotisme et l’oppression
avilissent bientôt les peuples » (Livre I : #%%) ; « je fais voir
comment la superstition a assujetti sous la domination des

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prêtres des millions d’hommes qui passaient autrefois pour


les plus sages de la terre » (ibid. : #%$ ; je souligne).
94 À l’évidence, le roman sur la guerre des Veda est une fable
édifiante : nous devons y puiser d’utiles leçons.
Lesquelles ? Eh bien, il nous fournit en dernier ressort le
mythe d’origine du fanatisme universel, des sectarismes
d’Orient et d’Occident. Car nous avons nos sectes de
chrétiens, comme nous avons nos castes :
La plupart des nations étaient divisées de même ; l’Égypte
avait sept tribus, Athènes quatre, l’Arabie trois, entre
lesquelles les prêtres étaient les plus considérés ; les
Romains avaient deux classes de citoyens ; presque tous les
États de l’Europe, à l’imitation de l’Inde, admettent des
distinctions dans leur corps civil ; et nous qui les blâmons,
sommes-nous plus justes et plus sages ; n’avons-nous pas
nos castes ? (Livre I : 120) ; Combien de catholiques et de
protestants ont lu l’Écriture Sainte en hébreu et en grec, et
l’interprétant chacun à leur manière, n’en sont devenus
que plus attachés aux opinions qui les divisent ? (Livre III :
341).

95 Voici l’étiologie des sectes, telle qu’elle se dégage de la


mythistoire des anciens brachmanes : les sectes
apparaissent dès l’instant où un dogme révélé s’interpose
entre un Dieu immanent et les hommes ; où la Lettre vient
opacifier l’Esprit ; où la religion naturelle se dénature en se
transcrivant dans un autre langage que celui de la Création.
Le sens de ce langage ne tarde pas à se perdre, la glose s’en
saisit ; les interprétations discordantes ruinent l’harmonie
primitive : ainsi naissent les sectes. Le fanatisme de leurs
prêtres les dressent bientôt les unes contre les autres ; les
guerres de religion déchirent les peuples pour la plus
grande gloire du despotisme sacré : ainsi naissent les
théocraties.
96 Les brachmanes ne professaient d’autre dogme que l’Unité
de Dieu, un Dieu avec lequel ils entretenaient un libre
commerce, sans la médiation de textes révélés. Aussi les
Veda devaient-ils échoir en partage aux sectaires, et parmi
eux, à ceux qui étaient le plus étrangers aux brachmanes,

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aux brames originaires du Siam. La tradition indienne


semblait corroborer d’une certaine façon le lien privilégié
des brames au Veda :
Ces ouvrages (= les Veda), selon eux, étaient immenses et
innombrables ; la vie des hommes n’était pas assez longue
pour les apprendre, et l’ignorance naissant de cette
difficulté, le vrai Dieu restait sans adorateurs. Vichenou
eut pitié des peuples victimes des ténèbres dans lesquelles
ils étaient plongés, il fit naître d’une partie de lui-même
Viasser (= Vyāsa), qui disposa les védams par ordre, et les
mit en abrégé, ce qui le fit surnommer Védé-Viasser ; il
réduisit le tout en quatre livres, qu’on nomme aujourd’hui
Iroukou (= Ṛk-), Issourou (= Yajur-), Saman, Adrénam (=
atharva-) ; ce dernier [...] est perdu, à ce que disent les
brames ; mais on verra bientôt que les trois autres védams
n’existent peut-être pas davantage (ibid. : 351- 352).

97 Mais s’il fallait, pour dénoncer le fanatisme induit par toute


religion révélée, que les Veda devinssent les Livres sacrés
des brames et l’enjeu d’une guerre sanglante, il fallait aussi
les faire disparaître pour que les mystères du paganisme
s’élucidassent enfin. La perte des Veda expliquait en effet :
1. que personne n’eût réussi à se les procurer ou
simplement à les voir ; 2. que les brames s’en fussent
réservé le monopole ; en eussent interdit l’accès au reste de
la nation indienne (faute de pouvoir les produire) ; 3.
qu’une religion dont l’un des articles essentiels consistait
en la croyance en une Trinité fût partagée en deux sectes
principales et non trois (la troisième ayant été
exterminée) ; 4. que certaines traditions indigènes eussent
accrédité la rumeur d’une perte des Veda : du quatrième
Veda, d’un « cinquième Veda » ou du corpus entier :
« Mais comme ce livre de la Loi n’a jamais paru, quoi qu’en
disent les Bramins, une partie des Malabares révoquent en
doute son existence » (Niecamp 1745, vol. I : 108).
98 Reste à comprendre la contradiction des deux schémas
entre lesquels Sonnerat semble hésiter (cf. supra : 208). La
même difficulté surgit dans l’ensemble de la littérature pré-
indologique. L’observateur étranger adopte sur le terrain

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une double perspective ; par là, il tient un double discours,


où l’on a du mal parfois à se retrouver. Tantôt il décrit la
« grande tradition », le système englobant de
l’hindouisme ; tantôt il se situe au niveau local et devient
l’interprète de la « petite tradition ».
99 Sonnerat n’échappe pas à la règle. Il nous livre parfois le
système englobant, et parfois il embrasse le point de vue
sectaire dominant en pays tamoul : celui de la dévotion
śivaïte. C’est pourquoi l’antiquité des chivénistes « se perd
dans la nuit des temps » ; c’est pourquoi aussi on trouve cet
épilogue à la guerre des Veda :
Les sectateurs de Vichenou, afin de ne pas subir le même
sort que ceux de Brouma, reconnurent les chivénistes pour
les plus puissants, et égalèrent Chiven à Vichenou. Les
chivénistes vainqueurs ne voulurent reconnaître ni
Vichenou, ni Brouma ; mais bientôt les guerres qu’ils
eurent à soutenir contre des brigands qui venaient du bout
du monde pour ravager leur pays, les forcèrent à
suspendre leurs querelles religieuses, sans toutefois les
concilier (Livre III : 335-336).

**
*
100 Ainsi, par une ironie de l’histoire des idées, il aura fallu une
éclipse de Veda pour que l’astre de la sagesse indienne se
lève à l’Ouest. Bientôt avec Jones, Herder et F. Schlegel, il
devait monter à son zénith.

Bibliographie

Bibliographie

1. Sources
ANJKLO%v-DKwLxxMN, A.-H., Zend-Avesta, ouvrage de
Zoroastre contenant les idées théologiques, physiques et
morales de ce législateur, les cérémonies du culte religieux
qu’il a établi, et plusieurs traits importants relatifs à
l’ancienne histoire des Perses. Traduit en français sur

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l’original Zend, avec des remarques et plusieurs traités


propres à éclaircir les matières qui en font l’objet (Paris,
Tillard, 1771), 2 tomes en 3 vols.

ANJKLO%v-DKwLxxMN A.-H., Législation orientale, ouvrage


[...] montrant quels sont en Turquie, en Perse et dans
l’Indostan les principes fondamentaux du gouvernement
[...] (Amsterdam, Rey, 1778).

ANJKLO%v-DKwLxxMN, A.-H., Recherches historiques et


géographiques sur l’Inde, avec une lettre sur son antiquité
(Berlin et Paris, Bourdeaux, 1786- 1787), 2 vols.

ANJKLO%v-DKwLxxMN, A.-H., Oupnek’hat, id est


tegendum : opus ipsa in India rarissimum, continens
antiquam et arcanam, seu theologicam et philosophicam
doctrinam, e quatuor sacris Indorum libris, Rak Beid,
Djedjr Beid Sam Beid, Athrban Beid, excerptam ; ad
verbum e Persico idiomate, Samskreticis vocabulis
intermixto, in Latinum conversum ; dissertationibus et
annotationibus difficiliora explanantibus, illustratum [...]
(Argentorati, Levrault, 1801), 2 vols.

ANJKLO%v-DKwLxxMN, A.-H., Supplément au Mémoire qui


précède [Le Premier Fleuve de l’Inde, le Gange, selon les
Anciens, expliqué par le Gange, selon les Modernes
(1785-1786)], in M.A.I.B. L. XLIX (Paris, Imprimerie
Impériale, 1808), pp. 674-712.

ANJKLO%v-DKwLxxMN, A.-H., in Voyage aux Indes


orientales, par le P. Paulin de Saint-Barthélemy,
missionnaire, traduit de l’italien [...], avec les
observations de MM. Anquetil sur la propriété
individuelle et foncière dans l’Inde et en Égypte (Paris,
Tourneisen Fils, 1808), 3 vols.

By%vvz, J.-S., Lettres sur l’origine des sciences et sur celle


des peuples de l’Asie, adressées à M. de Voltaire par M.
Bailly et précédées de quelques lettres de M. de Voltaire à

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l’auteur (Londres, Elmesly, et Paris, les Frères Debure,


1777).

Byv{yLKI, Ph., Naawkeurige Beschryvinge van Malabar


en Choromandel [...] (Amsterdam, Janssonius van
Waasberge en van Someren, 1671), 3 tomes en 1 vol. ; trad.
allemande (Amsterdam 1672) ; trad. anglaise, A True and
Exact Description of the most celebrated East India coasts
of Malabar and Coromandel [...] Ceylon (including
descriptions of pagan temples, manners, ceremonies) [...].
Also a most Circumstantial and Compleat Account of the
Idolatry of the Pagans of the East Indies, the Malabars,
Benjans, Gentires, Brahmans, etc. Taken partly from their
own Vedam [...] and Authentick manuscripts, partly from
frequent Conversations with Priests and Divines, with the
draughts of the Idols, donc after their Originals (in A.
Churchill, A Collection of Voyages and Travels, vol. III,
Londres, 1704).

ByxO|L}y [VyxO|L}y], L. di, Itinerario de Ludovico de


Verthema, bolognese, ne lo Egypto, ne la Suria, ne la
Arabia deserta e felice, ne la Persia, ne la India e ne la
Ethiopia. La fede, el uiuere, e costumi de tutte le préface
Provincie (Rome, Guillireti de Loreno, 1510).

BLxN%Lx, P., Voyages de F. Bernier (angevin), contenant


la description des États du Grand Mogol, de l’Indoustan,
du Royaume de Kachemire [...] (Amsterdam, Marret 1699,
2 vols ; rééd. de Amsterdam, Marret, 1724), 2 vols.

Cyv}LOOL, Père, S.J., Lettre du P. Calmette au P. de


Tournemine du 16 septembre 1737, in L.É., XXIVe recueil
(Paris, Le Clerc, 1739), pp. 437- 444.

C~Kx{MK#, Père, S.J., Lettre à Anquetil-Duperron


du 10 février 1771, in M.A.I.B. L. XLIX (Paris, Imprimerie
Impériale, 1808), pp. 684-685.

CMvL•xMM€L, H. T., On the Vedas, or Sacred Writings of

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the Hindus, in As. R., vol. 8 (Calcutta, Serampore),


pp. 369-476.

CMII%•Nz, J.-P. Charpentier de. Lettre à M. Sonnerat (Port


Louis, s.e., 1784).

CMKOM, D. do, Cinco livros da Decada doze da historia da


India (1612, éd. Paris, 1645).

{L GK%•NLI, J., Histoire générale des Huns, des Turcs, des


Mogols et autres Tartares occidentaux (Paris, Desaint et
Saillant, 1756-1758), 4 vols.

{L GK%•NLI, J., Mémoire dans lequel on prouve que les


Chinois sont une colonie égyptienne [...] (Paris, Desaint et
Saillant, 1759).

{L GK%•NLI, J., Réflexions sur un Livre Indien intitulé


BAGAVADAM..., 1772, in M.A.I.B. L. XXXVIII (Paris,
Imprimerie Royale, 1777), pp. 312- 336.

{L GK%•NLI, J., Recherches historiques sur la Religion


Indienne, et sur les Livres fondamentaux de cette Religion,
qui ont été traduits de l’Indien en Chinois,
3 Mémoires 1776, in M.A.I.B. L. XL (Paris, Imprimerie
Royale, 1780), pp. 187-355.

D%{LxMO, D., BxyP|}yNLI, in Encyclopédie vol.


2 (Neuchâtel 1751-1780 ; rééd. Stuttgart-Bad Cannstatt,
Frommann Verlag, 1966), p. 391a-b.

D%{LxMO, D., BRAMINES ou BRAMENES, ou BRAMINS


ou BRAMENS, in Encyclopédie vol. 2, pp. 393b-394a.

D%{LxMO, D., Gz}NMIMw|%IOLI, in Encyclopédie vol. 7,


p. 1022a.

D%{LxMO, D., INDIENS, Philosophie des –, in


Encyclopédie, vol. 8 (Stuttgart-Bad Cannstatt, Frommann
Verlag, 1967) pp. 674a-675b

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Dow, A., The History of Hindostan ; from the earliest


account of time, to the death of Akbar ; translated from
the Persian of Mahummud Casim Ferishta of Delhi ;
together with A Dissertation concerning the Religion and
Philosophy of the Brahmins, etc. (Londres, Becket et de
Hondt, 1768), 2 vols. ; trad. française par Bergier (Paris,
Saugrin, 1769).

DKwK%I, C.-F., Origine de tous les cultes, ou Religion


universelle (Paris, Agasse, 1794-1795), 7 tomes en 12 vols.

FLN%P%M, J. S.J., The Livro da seita do Indios orientais


(British Museum Additional Manuscript 9853 [1609] ; Brit.
Mus. Ms. Sloane 1820), ed. with an introduction and notes
by J. Charpentier (Paris, Champion ; Uppsala, Almqvist et
Wiksells Bocktryckeri ; Leipzig, Harrowitz, 1933).

FMNOLNLvvL, B. de, De l’origine des fables (Paris, Brunet,


1724) ; éd. J.R. Carré (Paris, Alcan, 1932).

FMKP|Lx {’O•IMN$%vvL, ..., Supplément au Voyage de M.


Sonnerat dans les Indes Orientales et à la Chine
(Amsterdam, s.e., 1785).

FMKP|Lx {’O•IMN$%vvL, (éd.), Bagavadam ou Doctrine


Divine, ouvrage Indien canonique, sur l’Être Suprême
(Paris, Tillard et Clousier, 1788).

HMv‚Lvv, J. Z., Interesting Historical Events, relative to


the Provinces of Bengal and the Empire of Indostan [...]
As also the Mythology and Cosmogony, Fasts and
Festivals of the Gentoos, followers of the Shastah, and a
Dissertation on the Metempsychosis, commonly, though
erroneously, called the Pythagorean doctrine (Londres,
Becket et de Hondt, 1767- 1771), 3 vols. ; trad. franç.
Événemens historiques intéressans, relatifs aux Provinces
du Bengale et à l’Empire de l’Indostan [...] (Amsterdam,
Arkstée et Merkus, et Paris, Hansy le Jeune, 1768), 2 vols.

JyKPMKxO, L. de, INDE, in Encyclopédie vol. 8 (Stuttgart-

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Bad Cannstatt, Fromman Verlag, 1967), pp. 660b-662b.

JMNLI, Sir W., Lettre à Monsieur A+++ du P+++, dans


laquelle est compris l’examen de sa traduction des livres
attribués à Zoroastre (en français, Londres, s.e., 1771).

JMNLI, Sir W., On the Gods of Greece, Italy and India, in


As. R. vol. I Calcutta, Serampore, 1788), pp. 221-275 ;
repris in Jones’s Asia. Dissertations and miscellaneous
pièces relating to the History and Antiquities, the Arts,
Sciences and Literature of Asia (Dublin, Byrne et Jones,
1793), pp. 1-59 ; et in Marshall (ed.), The Discovery of
Hinduism in the Eighteenth Century (Cambridge,
Cambridge University Press, 1970), pp. 196- 245.

KyL}w„Lx, E., Histoire naturelle, civile et ecclésiastique de


l’Empire du Japon trad. franç. Naudé (La Haye, Gosse et
Neaulme, 1729), 2 vols.

K%xP|Lx, A., S.J., Oedipus Aegyptiacus, hoc est


Universalis hieroglyphicae Veterum doctrinae [...] (Rome,
Mascardi, 1652-1554).

K%xP|Lx, A., S.J., China monumentis qua sacris, qua


profanis, nec non variis naturae et artis spectaculis,
aliarumque rerum memorabilium argumentis illustrata
[China illustrata] (Amsterdam, Jansonium a Waesberge et
Weyerstraet, 1667) ; trad. franç. de Dalquié : La Chine
d’Athanase Kirchère [...] (Amsterdam, Jansson et
Weyerstraet, 1670) ; un Extrait de la Chine illustrée du
Révérend Père A. Kirchère paraît la même année dans
l’ouvrage d’A. Roger, Le Théâtre de l’idolâtrie, ou la Porte
ouverte pour parvenir à la connaissance du Paganisme
caché [...] (Amsterdam, Schipper, 1670), pp. 342-371 (trad.
franç. sensiblement différente de celle de Dalquié).

Ly BMKvvyzL vL GMK…, F. de, Les Voyages et Observations


du sieur de La Boullaye le Gouz [...] (Paris, Clousier, 1653).

Ly LMK•HxL, ... de, Du Royaume de Siam par Monsieur de

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La Loubère envoyé extraordinaire du Roi auprès du Roi


de Siam en 1687 et 1688 (Paris, Coignard, 1791), 2 vols.

Ly‚ {L LyKx%IOMN, J., Observations de M. Law de


Lauriston, sur l’ouvrage intitulé : Voyage de M. Sonnerat
aux Indes orientales et à la Chine, 1783, in Sonnerat
(Paris, Dentu, 1806), vol. II, pp. 161-174.

LMx{, H., A display of two forraigne sects in the East


Indies, viz : the sect of the Banians, the ancient natives of
India, and the sect of the Persees, the ancient inhabitants
of Persia, together with the religion and manners of each
(Londres, Constable, 1630) ; trad. franç. (Paris, de Ninville,
1667).

M%•NMO, E., « Premier Mémoire sur les anciens


Philosophes de l’Inde. Sur la vie, les Mœurs, les
Usages & les Pratiques de ces Philosophes » (févr. 1761) ;
« Second Mémoire sur les Anciens Philosophes de l’Inde.
Ces Philosophes sont-ils redevables à l’Égypte de leur
doctrine et de leurs pratiques ? » (juin 1761) ; « Troisième
Mémoire sur les anciens Philosophes de l’Inde. Examen
des communications prétendues entre l’Inde & l’Égypte :
preuves de la communication des Indiens avec les Perses,
les Grecs, les Romains, les Juifs, les Chrétiens & avec
quelques Hérésiarques (fév. 1762) ; « Quatrième Mémoire
sur les anciens Philosophes de l’Inde. Exposé de la doctrine
des anciens Philosophes de l’Inde, & comparaison de cette
doctrine avec celle des Philosophes des autres pays. »
(juin 1762) ; « Cinquième Mémoire sur les anciens
Philosophes de l’Inde. Suite de l’exposé de la Doctrine des
anciens Philosophes de l’Inde, & de la comparaison de cette
Doctrine avec celle des Philosophes des autres pays » (déc.
1762) in M.A.I.B. L. XXXI, pp. 81-338 (Paris, Imprimerie
Royale, 1768).

M%vv, J. et W%vIMN, H. H., The History of British India


(Londres, Madden, Piper, Stephenson and Spence, 1840),
9 vols. ; rééd. de 1858 (la première édition paraît à Londres

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en 1817 en 3 vols, par James Mill ; la première édition de


Wilson, avec ses annotations, est celle de 1840).

MMNOLIJK%LK, Ch.-L. de, De l’Esprit des Lois, ou du


rapport que les Lois peuvent avoir avec la constitution de
chaque gouvernement, les Mœurs, le Climat, la Religion,
le Commerce, etc. (Genève, Barillot et Fils, 1748), 2 vols ;
(Paris, Garnier-Flammarion, 1979), 2 tomes.

N%LPy}w, J.-L., Histoire de la Mission danoise dans les


Indes orientales, qui renferme en abrégé les relations que
les Missionnaires évangéliques en ont données depuis
l’an 1705 jusqu’à la fin de l’année 1736 (Genève, Goose,
1745). 3 vols.

PyKv%N {L Sy%NO-ByxO|‡vL}z, J.-Ph. [Werdin], Systema


Brahmanicum, Liturgicum, Mythologicum, Civile ex
monumentis Indicis Musei Borgiani Velitris.
Dissertationibus Historico-Criticis illustravit Fr. Paulinus
a S. Bartholomaeo (Rome, Fulgoni, 1791).

PyKv%N {L Sy%NO-ByxO|‡vL}z, J.-Ph., Examen Historico-


Criticum Codicum Indicorum Bibliothecae Sacrae
Congregationis de Propaganda Fide (Rome, Typ. S. Cong.
de Prop. Fide, 1792).

wyKv%N {L Sy%NO-ByxO|‡vL}z, J.-Ph., Musei Borgiani


Velitris Codices Manuscripti Avenses, Peguani, Siamici,
Malabarici, Indostani animad-versionibus Historico-
Criticis castigati et illustrati. Accedwnt monuments
inedita, et Cosmogonia Indico-Tibetana (Rome, Fulgoni,
1793).

PyKv%N {L Sy%NO-ByxO|‡vL}z, J.-Ph., Viaggio alle Indie


orientale (Rome, Fulgoni, 1796) ; trad. franç. Marchena,
Voyage aux Indes orientales, par le P. Paulin de Saint-
Barthélemy (Paris, Tournesein Fils, 1808), 3 vols.

PM%$xL, P., Voyage d’un philosophe, ou Observations sur


les mœurs et les arts des peuples de l’ Afrique, de l’Asie et

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de l’Amérique (Yverdon, s.e., 1768).

PMNI, Père, S.J., Lettre du P. Pons au P. du Halde


du 23 novembre 1740’ in L.É., XXVIe recueil (Paris, Le
Clerc, 1743), pp. 220-256.

Px%LIOvLz, J., A Comparison of the institutions of Moses


with those of the Hindoos and other ancient nations, with
remarks on M. Dupuis’s Origin of all religion, the laws of
and institutions of Moses methodized and an address to
the Jews on the présent state of the world and the
prophecies relating to it (Northumberland, Kennedy,
1799).

RyzNyv, G. T.F., abbé, Histoire philosophique et politique


des Établissements et du Commerce dans les deux Indes
(Amsterdam, 1770 ; Genève, Pellet, 1782), 10 vols.

R‡}KIyO, A., Mélanges posthumes d’histoire et de


littérature orientales (Paris, Imprimerie Royale, 1843),
pp. 1-64.

RM•Lx%KI, A. [RM•Lx], De Open-Deure tot het verborgen


Heydendom ofte Waerachtigh vertoog von het leven ende
zeden, mistgaders de religie ende gods-dienst der
Bramines op de cust Chormandel (Leyde, Hackes, 1651) ;
rééd. Caland, W. (S. Gravenhague, 1915) 1 trad. allemande
(Nuremberg, 1667) ; trad. franç. La Grue (Amsterdam,
Schipper, 1670).

Sy%NOL-CxM%#, G. E.J. de, L’Ezour-Vedam ou ancien


commentaire sur le Vedam, contenant l’exposition des
opinions religieuses et philosophiques des Indiens. Traduit
du Samscretan par un Brame. Revu et publié avec des
observations préliminaires, des notes et des
éclaircissements (Yverdon, s.e., 1778), 2 tomes.

SMNNLxyO, P., Voyage à la Nouvelle-Guinée, dans lequel


on trouve la description des lieux, des observations
physiques et morales, et des détails relatifs à l’histoire

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naturelle (Paris, Ruault, 1776).

SMNNLxyO, P., Voyage aux Indes orientales et à la Chine,


fait par ordre du Roi, depuis 1774 jusqu’en 1781, dans
lequel on traite des mœurs, de la religion, des sciences et
des arts des Indiens, des Chinois, des Pégouins et des
Madégasses ; suivi d’Observations sur le Cap de Bonne-
Espérance, les isles de France et de Bourbon, les Maldives,
Ceylan, Malacca, les Philippines et les Moluques, et de
recherches sur l’histoire naturelle de ces pays (Paris,
l’auteur, 1782), 2 vols ; trad. allemande (Zurich, Orell,
Gessner, Füssli und Kie, 1783), 2 vols ; trad. suédoise
(Uppsala, 1786) ; trad. anglaise (Calcutta, Stuart and
Cooper, 1788), 3 vols ; rééd. franç. par Sonnini de
Manoncourt, C.-N.-S., Voyage aux Indes orientales et à la
Chine, etc. [...], Nouvelle édition, revue et rétablie d’après
le manuscrit autographe de l’auteur ; augmentée d’un
Précis historique sur l’Inde, depuis 1778 jusqu’à nos jours,
de notes et de plusieurs Mémoires inédits (Paris, Dentu,
1806), 4 vols.

TyP|yx{, G. S.J., Voyage de Siam, des Pères Jésuites,


envoyés par le Roi aux Indes et à la Chine. Avec leurs
Observations Astronomiques, et leurs Remarques de
Physique, de Géographie, d’Hydrographie, et d’Histoire
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1767 = La Défense de mon oncle (Moland 1879, vol.


XXVI) ;

1768 = Précis du Siècle de Louis XV (Moland, 1787, vol.


XV) ;

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Colloquial Anglo-Indian words and phrases, and of
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Crooke, Londres, Murray, 1903 ; rééd. Delhi, Munshiram
Manoharlal, 1968).

Annexes

Abréviations
As.-R., Asiatick Researches or Transactions of the Society
Instituted in Bengal for Inquiring into the History and
Antiquities, the Arts, Sciences and Literature of Asia
(Calcutta, 1788-1836).

B.E.F.E.O., Bulletin de l’École Française d’Extrême-Orient.

J.A., fournal Asiatique.

Bull. Ass. G. Budé, Bulletin de l’Association Guillaume


Budé.

L.É., Lettres Édifiantes et Curieuses écrites des Missions


Étrangères, par quelques Missionnaires de la Compagnie
de Jésus (Paris, 1716-1777).

M.A.I.B.L., Histoire de l’Académie Royale des Inscriptions


et Belles-Lettres depuis son établissement [...] avec les
mémoires de littérature tirés des Registres de cette
Académie (Paris, Imprimerie Royale/Impériale, 1717-
1809).

Notes
1. L’énoncé type de A. Roger : « le Vedam, qui est le livre de la loi des
Païens, qui comprend en soi tout ce qu’ils (les Bramines) doivent croire
et toutes les cérémonies qu’ils doivent faire [...] est écrit en langue
Samscortam : tous les mystères du paganisme sont écrits dans cette
langue » (1651, trad. 1670 : 34-35) sera repris par tous les auteurs
jusqu’à la fin du #$%%%e siècle, et parfois au-delà.

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Sur les premières références aux Veda, cf. A. C. BKxNLvv 1879 :


98-100 ; H. YKvL et A. C. BKxNLvv 1903, éd. 1968 : 961b-963b. On
peut mentionner, à titre d’exemple, la description de D. do Couto sur le
corpus sacré des Indiens : « Les livres des Brahmes sont distribués en
corps, membres et articles ou jointures, et les originaux de ces livres
sont ceux qu’ils appellent Vèdes, qui sont divisés en 4 parties, et
ces 4 parties en 52 : de cette manière, 6, qu’ils nomment Schastra
(science, doctrine), voilà les corps ; 18, qu’ils appellent Pourana
(pouranam, histoire en vers) ; voilà les membres ; 28, qu’ils nomment
Agamon (agamam, loi), voilà les articles » (1612, Ve Décade, Livre VI,
chap. 3. Trad. in ANJKLO%v-DKwLxxMN 1808 : 677).
Le commentaire d’Anquetil mérite lui aussi d’être relevé : « Dans cet
exposé, le Schastra me paraît être la partie doctrinale des Vèdes ;
les 18 traités nommés Pourana, sont la partie historique, qui traite de
la génération des dieux et autres faits semblables ; et l’Agamon
renferme vraisemblablement ce qui regarde le culte cérémoniel, les
usages etc. Ces trois objets font la matière des 4 Vèdes, au rapport de
Couto, [...], mais tout cela est présenté comme faisant partie des Vèdes.
Ces morceaux sont appelés les 4 livres originaux des Brahmes, et ils
comprennent le Schastra, les Pourana et l’Agamon, comme la Bible
renferme la Genèse, les Rois, le Lévitique » (ibid. : 678).
Sur le chemin parcouru dans la connaissance des « monuments
indiens » depuis de Barros et do Couto, voir la lettre du P. Pons au P.
du Halde du 23 novembre 1740 (in Lettres Édifiantes et curieuses
écrites des Missions Étrangères, par quelques Missionnaires de la
Compagnie de Jésus [L.É.], 1743, vol. XXVI : 220-256).
2. Sur la découverte du monde indien au #$%e siècle, voir J. W%P€%
1954 : 183-246.
Sur le #$%%%e siècle, voir P. J. MyxI|yvv 1970 : 1-14 ; G. GKI{Mx„ 1973 :
266-286 ; S. MKxx 1983 : 233-284.
Études générales sur la question : Th. BLN„Lz 1869 ; R.
SP|‚y• 1950 et D. F. LyP| 1965 et 1977. Synthèses in J.
F%vv%M…yO 1953 : 80-86 et 1954 : 265-296.
Pour l’histoire des études védiques, voir L. RLNMK 1950 : 40-59 et
1960 : 1-83 (où l’auteur retrace « Le destin du Véda dans l’Inde »,
indispensable mise en regard du destin du Veda en Europe).
Sur le « sceau » qui ferme l’accès aux Veda, innombrables occurrences.
Cf., par exemple, la lettre du P. Calmette au P. de Tournemine
du 16 septembre 1737 : « Mais ces livres, qu’à peine les plus habiles
Docteurs entendent à demi, qu’un Brame n’oserait nous expliquer sans
craindre de s’attirer quelque fâcheuse affaire dans sa Caste, et dont
l’usage du Samscroutam ou de la Langue Savante ne donne pas la clef,
parce qu’ils sont éctits dans une langue plus ancienne, ces Livres, dis-
je, sont à plus d’un titre scellés pour nous » (L.É., 1739, vol. XXIV :
438). Dans sa lettre à Anquetil-Duperron du 10 février 1771, le P.

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Cœurdoux rapporte les plaintes du P. Calmette sur l’archaïsme du


sanscrit védique : « le vrai Vedam est (d’après Calmette) d’un
sanscroutam si ancien qu’il est presque inintelligible ; et que ce qu’on
en cite est du Vedantam, c’est-à-dire des introductions et des
commentaires qu’on a faits sur le Vedam. En effet, dans une fameuse
prière nommée gaïtri, on n’entend que le mot savitourou, le soleil »
(in Histoire de l’Académie Royale des Inscriptions et Belles-Lettres
depuis son établissement [...] avec les mémoires de littérature tirés des
Registres de cette Académie [M.A.I.B.L.] 1808, t. XL : 685). Le P. Pons
exprime en 1740 la même idée, mais dans des termes sensiblement
différents : il insiste moins pour sa part sur l’archaïsme de la langue
védique que sur la considérable corruption du sanscrit depuis l’époque
de la rédaction des Veda (Pons, loc. cit. : 222). En tout état de cause,
les Brahmes ont « perdu leur sanscrit » et les Européens toute chance
de percer le « dialecte obsolète » des Veda (l’expression est de H. T.
CMvL•xMM€L 1805 : 369). Optimisme chez l’abbé Raynal en 1770 : « Le
sceau qui fermait la bouche au brame est rompu, et il est à présumer
qu’un avenir qui n’est pas éloigné nous révélera ce qui reste à savoir de
la religion et de la jurisprudence ancienne des Indiens » (G. T.
RyzNyv 1770, éd. 1782, t. I : 60).
Dès 1731, la Bibliothèque du Roi de France pouvait s’enorgueillir de la
possession (toute matérielle) d’un Ṛg-veda complet en padapāṭha, de
l’Aitareyāraṇyaka, de l’Aitareya-brāhmaṇa envoyés du Sud de l’Inde
par les PP. Calmette et Le Gac ; à ces précieux manuscrits devaient
s’ajouter bientôt les importantes livraisons du P. Pons de
Chandernagor (J. F%vv%M…yO 1941, fasc. I : %%%-%$). Il faut sur ce point
corriger une tradition fermement ancrée chez les historiens anglo-
saxons de l’indianisme : le colonel Polier, R. Chambers, le général
Martine et W. Jones, auraient été les premiers Européens à se procurer
des copies des textes védiques (Cf. par exemple P. J. MyxI|yvv, op.
cit. : 20) ; Marshall affirme en outre que P. Pons ne savait pas le
sanscrit, alors que Filliozat a montré en 1937 que ce Jésuite avait jeté
les bases de la grammaire sanscrite (Journal Asiatique 1937 : 275-284)
et que F. Schlegel avait commencé d’apprendre le sanscrit dans
l’ouvrage de Pons (F. SP|vL•Lv 1808).
3. Deux citations, parmi cent autres, pour montrer la récurrence de ce
topos dans le discours européen sur l’Inde, de l’âge classique au Siècle
des Lumières : « vu que les Bramines ne peuvent découvrir à personne
leurs secrets et leurs mystères, selon l’ordre qui en est prescrit par le
Vedam ; oui, ils les tiennent cachés même à leur nation » (A. RM•Lx,
op. cit. : 94) ; « The Bedas are, by the Brahmins, held so sacred, that
they permit no other sect to read them. [...] The Brahmins themselves
are bound by such strong ties of religion, to confine those writings to
their own tribe, that were any of them known to read them to others,
he would immediately be excommunicated. This punishment is worse

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than death itself among the Hindoos » (A. DM‚ 1768, vol. I : xxiv).
4. Les avatars du mot « brâhmane » dans la littérature des relations,
des missions et des mémoires savants offrent un aperçu de
l’incomparable génie des Européens pour déformer les vocables des
idiomes exotiques : on trouve à peu près tout ce qu’il était possible
d’inventer à partir d’un terme qu’on connaît d’abord par les récits des
Anciens, sous la forme de « brachmane » ou « bracmane ». Au
#$%%%e siècle, cette belle anarchie subsiste toujours comme en témoigne
l’article consacré aux brâhmanes dans l’Encyclopédie sous l’intitulé
suivant : BRAMINES ou BRAMENES, ou BRAMINS ou BRAMENS
(D%{LxMO, vol. 2 : 393b-394a) ; Quant aux « Brachmanes » ou anciens
philosophes de l’Inde, un article distinct leur est réservé (ibid. 391a-b),
ainsi qu’aux « Gymnosophistes » (vol. 7 : 1022a). De Jaucourt tente de
clarifier les choses en établissant un ordre de succession directe entre
« Gymnosophistes », « Brachmanes » et « Bramines » à l’article INDE
(vol. 8 : 662a) ; mais Diderot pose quant à lui un rapport de parfaite
synonymie entre « Gymnosophistes » et « Brachmanes » :
« BRACHMANES [...] Gymnosophistes ou philosophes indiens, dont il
est souvent parlé dans les Anciens » (vol. 2 : 391a) ; cf. également,
D%{LxMO : INDIENS, Philosophie des – (vol. 8 : 675a). La confusion est
donc totale au sein même de l’Encyclopédie. Une tendance semble
toutefois se dégager dans la littérature française du #$%%%e siècle, qui
privilégie l’usage des mots « brahmes » ou « brames » pour désigner
les brâhmanes modernes.
Les « Gentils » (portugais Gentio, italien Gentile, anglais Gentoo)
désignent depuis le #$%e siècle les hindous par opposition aux
« Maures » et aux Parsis (cf. YKvL and BKxNLvv, op. cit. : 367a-369a).
Mais il existe une autre manière très répandue de les nommer
spécifiquement, qui consiste à les qualifier d’« Indiens » : ce n’est là
qu’un des paradoxes d’une terminologie encore balbutiante.
J’utiliserai ici le plus souvent la langue de mes auteurs : « Indien »
renverra à « hindou », « système indien » ou « religion indienne » à
« hindouisme », etc. Ce parti pris « archaïsant » s’imposait, à mon
sens, pour restituer à une littérature assez méconnue des indianistes
d’aujourd’hui, ce que d’aucuns considéreront comme ses limites, et
d’autres sa saveur.
5. L’essai de Colebrooke constitue, selon l’expression de L. Renou, le
« berceau des études védiques » (RLNMK 1950 : 41). Il faudra toutefois
attendre 1816 pour que de larges extraits du Ṛg-veda soient donnés au
public par F. Bopp ; 1830, pour que paraisse le Rig vedae specimen de
F. Rosen ; enfin les années 1846-1847, pour que le Yajurvedae
specimen cum commentario d’A. Weber et le Sāmaveda de Th. Benfey
révèlent enfin à l’Occident le monument authentique de la trayī vidyā
(cf. RLNMK op. cit. et E. W%N{%IP| 1917).

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6. Cf. P. MyxO%NM 1906 (essentiellement, le premier chapitre) et M.


DMM{I 1929 : 16 sq.
7. Cf. l’ouvrage du Jésuite J. FLN%P%M (1609, éd. 1933), que le
missionnaire hollandais Ph. Baldaeus a entièrement pillé (voir à ce
sujet P. M%OOLx 1977 : 57-59 et note 277 : 297-298, et Ph.
Byv{yLKI 1672) ; cf. également le Traité du P.G. F. TxyNPMIM (1616,
éd. 1973) ; ceux de H. LMx{ 1630 et A. RM•Lx 1651 ; enfin, au début du
#$%%%e siècle, l’importante contribution du luthérien danois B.
Z%L•LN•yv•, dont la publication devait attendre 1867 et 1926, mais
dont la substance avait été utilisée et vulgarisée par Veyssière de Ly
CxM…L en 1724 et J.-L. N%LPy}w en 1745.
8. Il est évident que cette perspective changée n’éclipse pas totalement
les combats d’arrière-garde des apologistes : l’année qui clôt le siècle
en voit même l’apothéose, avec A Comparison of the Institutions of
Moses with those of the Hindoos (J. Px%LIOvLz 1799).
9. L’édition utilisée ici sera celle de 1806 : sur les quatre volumes,
seuls le premier et une partie du second traitent de l’Inde. La
description de l’Inde a été divisée par l’auteur en trois Livres ; le Livre
premier consiste en une « anatomie » du pays et de ses habitants,
précédée d’un chapitre sur son histoire récente (depuis 1763 jusqu’à la
prise de Pondichéry en 1778) : les 14 chapitres qui forment ce Livre
reproduisent les plans types de Bernier (pour le chap. 1) et de Roger
pour l’ensemble des autres. Les livres II et III suivent également le
modèle rogerien. La différence la plus notable entre le missionnaire
hollandais (qui fait résidence à Pulicat de 1630 à 1640) et le naturaliste
français (qui travaille sensiblement sur le même terrain), c’est que
Sonnerat ne borne plus ses investigations à la seule population des
brâhmanes, mais embrasse véritablement l’ensemble de la société
tamoule (sur cet aspect de l’ouvrage de Roger, voir C. WL%N•Lx•Lx-
T|M}yI 1983).
Le Livre II, consacré à la mythologie indienne, comprend deux
Sections : la première section, « Des Dieux », se subdivise en trois
Articles, consacrés successivement à Brouma, Vichenou et Chiven ; la
seconde section traite des « demi-Dieux » (Sonnerat ne parle plus de
« diables » comme le faisait Roger).
Le Livre III, en 14 chapitres, aborde la « religion des Indiens »,
analysée à travers ses dogmes, ses cultes, ses livres sacrés, ses temples,
ses fêtes, ses cérémonies, ses renonçants, ses pratiques et croyances
populaires, sa cosmogonie, etc.
L’édition de Sonnini de Manoncourt comporte en outre une
« Traduction du Charta-bade ou Charta-Birma » (pur plagiat de Z.H.
Holwell), ainsi que des « Observations sur le Voyage aux Indes de
Sonnerat » (extraites de Law de Lauriston et de M. de C., qui n’est
autre que Charpentier de Cossigny), enfin un « Précis des événements

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politiques qui ont eu lieu dans l’Inde, depuis 1778 » et autres additions
de Sonnini.
L’Histoire naturelle de l’Inde, enfin, forme le volume IV.
10. J.F. Charpentier de CMII%•Nz 1784 ; Ly‚ de LyKx%IOMN 1783 in
SMNNLxyO 1806, vol. II : 160 sq. ; FMKP|Lx d’O•IMN$%vvL 1785 : 1-31 ;
ANJKLO%v-DKwLxxMN in wyKv%N de Sy%NO-ByxO|‡vL}z 1808, vol. III :
75, 120, 170, 315-316 ; J. de •K%•NLI in Journal des Savants, juil.
1783 : 457-468.
11. Cf. M. Duchet : « depuis la découverte de l’Afrique et de
l’Amérique, et le début du processus de colonisation, l’homme sauvage
est objet, l’homme civilisé seul est sujet ; il est celui qui civilise, il
apporte avec lui la civilisation, il la parle, il la pense, et parce qu’elle est
le mode de son action, elle devient le référent de son discours » (1977 :
20 et sq.). La promotion de cette anthropologie de l’homme et
l’intégration de l’homme « asiatique » à la partie « civilisée » de
l’espèce, ressortent à l’évidence de la préface d’Anquetil-Duperron à sa
traduction du Zend-Avesta : « Eh ! pourquoi craindrais-je de produire
mes faibles efforts, quand l’objet qui les a fait naître est le plus digne
d’occuper l’être pensant ; lorsque le peu de matériaux que j’ai tâché de
rassembler peuvent servir à commencer un édifice, la connaissance de
l’homme [...]. L’homme, le centre en quelque sorte de la Nature, [...]
l’homme, étudié, ou du moins vu et pratiqué depuis l’origine du
Monde, n’est guère plus connu qu’au moment de sa création. On a
mesuré les astres, sondé les abîmes de la mer, parcouru toute l’étendue
du Globe, et déterminé sa forme ; on a surpris le secret de la Nature
dans ses reproductions, dans les lois qui règlent son cours : tout cela
est pour l’homme, et l’homme est ignoré » (1771, vol. I : vi).
12. Le chapitre #%% du Livre I contient une description trop sommaire
des « langues indiennes en général » et du tamoul en particulier, pour
qu’on puisse trancher ici la question. Sonnerat ne maîtrisait sans doute
pas le tamoul, mais affirmer, comme le fait Foucher d’Obsonville – sur
la foi du témoignage de « gens » de la ville de Lorient qui « ont été
dans l’Inde » – qu’il n’y entendait rien, c’est aller un peu vite en
besogne. La lecture du Voyage montre à l’évidence que le naturaliste
savait suffisamment de tamoul pour mener sur le terrain le type
d’investigations auxquelles il se livrait (FMKP|Lx {’O•IMN$%vvL, op.
cit. : 19). En outre, une campagne de diffamation de grande envergure
avait été lancée de Pondichéry contre Sonnerat par M. de Maissin,
colonel d’infanterie ayant servi sous Dupleix et se piquant
d’orientalisme, dont les recherches sur la religion des Indiens n’ont
jamais paru (cf. Lettre de C|yxwLNO%Lx {L CMII%•Nz in SMNNLxyO
1806, vol. II : 180). Maissin pourrait être à l’origine de la prévention
d’Anquetil contre Sonnerat : Anquetil mentionne en effet l’accueil que
lui réserva « M. de Messin » à son arrivée à Pondichéry

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en 1754 (ANJKLO%v in PyKv%N 1808, vol. III : 122).


13. « M. Sonnerat se sera sans doute peu occupé de faits, de
révolutions politiques ; les mœurs, les connaissances, le génie des
peuples étaient plus dignes de son attention. À cet égard, on voudrait
lui reprocher de n’avoir souvent que compilé et répété en d’autres
termes ce qu’on trouve dans différents Écrivains, sans les avoir cités »
(FMKP|Lx {’O•IMN$%vvL, op. cit. : 13) ; « Le Paganisme ouvert ou les
mœurs des Brahmes d’Abraham Roger, et peut-être, par ses amis, les
précieux recueils des Jésuites, sont les mines d’où il a tiré son premier
volume » (ANJKLO%v in PyKv%N 1808, vol. III : 75).
Peu d’auteurs sont en effet cités par Sonnerat, mais parmi ceux-ci
figurent effectivement Roger et le P. Pons (ainsi que Kæmpfer, et bien
sûr Bailly). Le plus souvent, il s’agit pour Sonnerat de les réfuter ou de
les corriger sur certains points.
14. Le Livre IV du Voyage (qui contient les observations sur la Chine,
le Pégu, Madagascar, les îles de France et de Bourbon, le cap de Bonne-
Espérance, Ceylan, les Maldives, Malacca, les Philippines et les
Moluques), dont le premier chapitre traite « De la Chine », commence
par ces lignes : « Le titre de ce chapitre annonce aux lecteurs une
répétition fastidieuse de louanges [...]. Un peuple que nous n’osons
nommer qu’avec respect, dont on ne cite les lois qu’avec éloge et les
mœurs qu’avec admiration, mérite plus qu’aucun autre l’attention de
l’observateur et l’examen du philosophe » (vol. 2 : 268), et se poursuit
par celles-ci : « Qu’on cesse donc de nous vanter ces mœurs si douces,
ce gouvernement si sage, où l’on achète le droit de commettre des
crimes, où le peuple gémit sous le joug de l’oppression et de la misère !
Est-ce là de quoi justifier les éloges pompeux de nos faiseurs de
relations ? » (ibid. : 299).
15. J.S. Bailly publie en 1777, sous le titre de Lettres sur l’origine des
sciences et sur celle des peuples de l’Asie, dix lettres adressées à
Voltaire du 10 août 1776 au 24 septembre de la même année, dans
lesquelles il décrit son « système ». L’ouvrage contient en préambule
trois lettres de Voltaire à Bailly, où le Philosophe demande d’abord
« grâce pour les Bracmanes » (p. 5), ironise sur la thèse « scythique »
ou « caucasienne » de son correspondant (« Enfin, Monsieur,
pardonnez-moi surtout si la faiblesse de mes organes ne m’avait pas
permis de croire que l’astronomie eût pu naître chez les Usbeks et chez
les Kalcas » : p. 12), pour déclarer enfin : « le phénix ne me paraissait
pas inventé par les habitants du Caucase : mais enfin, Monsieur, tout
ce que vous avancez me paraît d’une si vaste érudition, et appuyé de si
grandes probabilités, que je sacrifie sans peine tous mes doutes à votre
torrent de lumières » (p. 14). C’est dans sa 7e lettre à Voltaire que Bailly
évoque une dissertation de Linné imprimée à Uppsala en 1764, où
« Cet habile botaniste conclut que la Sibérie peut être le pays d’où les

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hommes sont sortis après le Déluge, pour se disperser dans le reste du


monde, puisque cette Contrée est la seule qui produise les premiers
aliments des hommes cultivés » (pp. 233-234).
16. Sur cette question, voir R. SP|‚y• 1950 ; H. von GvyILNyww 1960 :
R. G‡xyx{ 1963 ; A. L. W%vvIMN 1964 ; R. TyzvMx in R. IzLx 1965 :
188- 200 et M. HKv%N 1979.
17. L’ouvrage de Roger s’intitule en effet : De Open-Deure tot het
Verborgen Heydendom ; il a été traduit en français sous le titre de : Le
théâtre de l’idolâtrie, ou la Porte ouverte pour parvenir à la
connaissance du Paganisme caché, etc.
18. Dans son Premier Mémoire sur les anciens Philosophes de l’Inde,
lu à l’Académie Royale des Inscriptions et Belles-Lettres
le 27 février 1761, l’abbé Mignot s’interroge gravement sur le nom de
« gymnosophistes » que les Grecs donnaient aux Philosophes indiens :
« Cette nudité était-elle entière ? » et conclut : « Les Grecs ne
donnèrent donc aux Philosophes de l’Inde le nom de gymnosophistes
ou de nus, que parce qu’ils ne portaient qu’une simple tunique, qui
laissait plusieurs parties découvertes, différents en cela des
Philosophes des autres pays qui étaient revêtus d’un manteau par-
dessus la tunique, et qui portaient de plus un bonnet et des
chaussures » (M.A.I.B.L. 1768, t. XXXI : 83-84).
19. Cf., par exemple, $MvOy%xL 1769, éd. 1963, vol. I : 55-58. Sur cette
question, voir Hy‚vLz, 1974.
20. La « Dissertation concerning the Religion & Philosophy of the
Brahmins », insérée dans le premier volume de la History of
Hindostan de A. Dow (1768), a en effet été traduite en français
dès 1769. Dow y affirme que les Brahmins revendiquent une antiquité
de 4886 ans, date du début du « Cal Jug » et de l’assemblage des
« Bedas » par « Beäss Muni » (1768, vol. I : xxvii) ; plus loin, il ne
confère que « environ quatre mille ans d’âge » au « Bedang » ou
« Shaster », toujours d’après les dires des brahmanes (ibid. : xxxviii).
Mais dans la History of Hindostan, il réfute cette tradition fabuleuse :
« As the best and most authentic historians agree that Adam was the
father of mankind, [..] the sensible part of mankind, who love the
plainness of truth better than the extravagance of fable, have rejected
the marvellous traditions of the Hindoos [...], and are of opinion that
they, like other nations, are the descendants of the sons of Noo, who
peopled the world » (Dow ibid. : 7).
Sur Holwell et Dow, voir P. J. MyxI|yvv op. cit. Sur l’utilisation des
deux Anglais par Voltaire, cf. Hy‚vLz, loc. cit., p. 153 sq.
21. Traduction latine, d’après la version persane de Dara Shakoh
rapportée par Bernier : ANJKLO%v 1801-1802 (2 vol.) : il a alors
soixante-dix ans.

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22. J. R. FMxIOLx et S%v$LIOxL {L SyPz sont les co-auteurs de ces


Observations.
23. PyKv%N de Sy%NO-ByxO|‡vL}z 1791, 1792, 1793 et 1799.
24. Étymologie fantaisiste, bien sûr.
25. Travaux de JMNLI et CMvL•xMM€L in Asiatick Researches, vol. VII
et VIII ; traduction de Carey de l’« Iśopaniṣhat » en appendice à sa
Sanscrit Grammar, et de la « Cénépaniṣhat » (version d’après un
commentaire de Sancarāchāryá) par Rám Móhen Rai (Evv%I 1822 : 54).
26. Sur la fameuse querelle des rites malabares qui s’amorce avec de
Nobili, cf. V. CxMN%N 1959.
27. Voir en particulier l’extraordinaire « Dédicace » adressée par
Anquetil en 1778 « aux Peuples de l’Indoustan », dont voici la
conclusion : « Fallait-il que le bruit de vos richesses pénétrât dans un
climat où les besoins factices n’ont point de bornes ! Bientôt de
nouveaux Étrangers abordent à vos côtes. Hôtes incommodes, tout ce
qu’ils touchent leur appartient. Vos querelles soutenues, aigries par des
Agents puissants et encore plus intéressés, deviennent éternelles. C’est
peu d’avoir envahi votre commerce, d’avoir fait tripler le prix des
denrées, celui des marchandises, d’en avoir altéré la qualité ; les
Manufactures presqu’anéanties, les ouvriers fugitifs dans les
montagnes, le fils mourant demandant à son père ce qu’il a fait à ces
étrangers qui lui ôtent le riz de la bouche : rien ne les touche, ne les
attendrit. Votre Or, disait-on aux Péruviens, aux Mexicains. Ici, le
Revenu de l’Indoustan, voilà ce que nous demandons, dût-il en coûter
des ruisseaux de sang. La voix de l’équité ne peut se faire entendre. Au
moins, malheureux Indiens, peut-être apprendrez-vous [...] qu’un
Européen qui vous a vus, qui a vécu avec vous, a osé réclamer en votre
faveur, et présenter au Tribunal de l’Univers vos droits blessés, ceux de
l’humanité flétris par un vil intérêt » (1778 : ii). Dans ce même ouvrage,
Anquetil s’attaque ouvertement à la théorie du despotisme asiatique de
Montesquieu.
28. À cet égard, l’absence de transition entre les généralités de
Montesquieu sur les effets d’une chaleur excessive du climat, à la fin du
chapitre %% du Livre XIV, et l’exemple indien qui lui sert de
démonstration au chapitre %%%, paraît révélatrice (éd. 1979, t. I :
376-377 ; cf. également, ibid. : 379).
29. Sur la fiction du despotisme asiatique, cf. A. GxMIx%P|yx{ 1979.
30. L’expression est empruntée à G. GKI{Mx„ (op. cit. : 379 sq.).
31. M. DKP|LO 1977 : 212-213 ; voir également M. DKP|LO 1971 : 7-48.
Il est évident qu’en utilisant ici l’expression d’évolution des espèces, je
n’ai pas voulu lui donner un sens lamarckien, encore moins darwinien,
qu’il ne pouvait avoir. Buffon n’est même pas « transformiste »,

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comme l’a montré récemment J. RM•Lx (in La Recherche 1982 :


1246-1254).
32. Telle est encore la perspective de W. Jones en 1784 dans la
Dissertation qui fit sa gloire : « On the Gods of Greece, Italy and
India » (Asiatick Researches, vol. I : 221-275). Il y traduit pour la
première fois directement du Bhāgavata-purāṇa le récit de
l’incarnation de Viṣṇu en matsya et commente : « The epitome of the
first Indian history that is now extant, appears to me very curious and
very important ; for the story, though whimsically dressed up in the
form of an allegory, seems to prove the primeral tradition in this
country of the universal deluge described by Moses, and fixes
consequently the time when the genuine Hindu chronology actually
begins » (in Jones’s Asia 1793 : 15 ; repris in P. J. MyxI|yvv, op. cit. :
207). L’identification du septième Manu, Satyavrata, avec Noé ne fait
pas de doute à ses yeux.
Sur la défense de la chronologie biblique chez Jones, cf. S. N.
MK€|Lx‰LL 1968 : 97 sq. Pour Jones, les Veda « stand next in
antiquity to the five books of Moses » (Asiatick Researches, vol. I :
484).
33. Sur A. Kircher, voir E. I$LxILN 1961.
34. Le P. Henry Roth avait rapporté d’Agra au P. Kircher à Rome, non
seulement la liste des « dix fabuleuses Incarnations de Dieu que
croient les Gentils Indiens, qui sont tant au deçà qu’au-delà du
Gange », mais les premiers spécimens des « lettres des Brachmanes »,
des éléments de la « lingua Hanscret », et même la translittération en
devanāgarī de l’Ave Maria et du Pater Noster (K%xP|Lx 1670 : 214 ;
221-222).
Voici la liste des avatāra de Viṣṇu selon Roth :
1. Naraen
2. Ramachandra
3. Machautar, c’est-à-dire Poisson
4. Barahautar, ou Pourçeau
5. Narsing, ou Homme-Lion
6. Dahser, ou dix têtes
7. Jagarnath, le Seigneur du monde
8. Crexno, Noir
9. Bhavani
10. Har.
35. M. DM{{I, op. cit. : 19.
36. P. G. TyP|yx{ 1686 : 397-414 (sur Sommonokhodom, « dernier
Dieu des Siamois » : « Cette histoire au reste est un mélange
monstrueux de Christianisme et des plus ridicules rêveries » : 397) ; La
LMK•HxL 1691, t. I : 524-538 (« vie de Sommona-codom », « fils d’un
Roi de la célèbre Ceylan », « d’après un Livre Bali » : une planche

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en 531 le représente sous trois formes).


La Bodleian Library d’Oxford reçevait en 1698 un « Ramainum or
History of Ram, in the Sanscreet language » (MyxI|yvv op. cit. :
17-18). Cf. également Ly BMKvvyzL vL GMK… 1653 : 142 sq.
37. Cf. H. de Lubac 1952, et G. R. WLv•MN 1968.
38. C. F. DKwK%I 1795, vol. VII : 75 ; PyKv%N {L Sy%NO-ByxO|‡vL}z
1791 : 154-162 ; 1792 : 51 sq. et 1796, t. II : 214 sq.

Notes de fin
1 ANJKLO%v-DKwLxxMN, Lettre de M. Anquetil du Perron, de
l’Académie Royale des Inscriptions et Belles-Lettres, de Paris, à M.
+++, sur les Antiquités de l’Inde (Paris, le 17 mars 1786), in Recherches
historiques et géographiques sur l’Inde, 1e partie (1786), p. 1.

2 SMNNLxyO, Livre III : 340-341.

Auteur

Catherine Weinberger-Thomas
Du même auteur

L’Inde et l’imaginaire, Éditions


de l’École des hautes études en
sciences sociales, 1988
« Going Native ». Déni ou
épiphénomène du métissage
culturel ? in Littérature et
poétiques pluriculturelles en
Asie du Sud, Éditions de
l’École des hautes études en
sciences sociales, 2004
Le tigre mis au tombeau :

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l’Inde-objet de Fritz Lang in


L’Inde et l’imaginaire,
Éditions de l’École des hautes
études en sciences sociales,
1988
Tous les textes
© Éditions de l’École des hautes études en sciences sociales, 1983

Licence OpenEdition Books

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Référence électronique du chapitre


WEINBERGER-THOMAS, Catherine. Les mystères du Véda :
Spéculations sur le texte sacré des anciens brames au Siècle des
Lumières In : Inde et littératures [en ligne]. Paris : Éditions de l’École
des hautes études en sciences sociales, 1983 (généré le 01 avril 2023).
Disponible sur Internet : <http://books.openedition.org/editionsehess
/48609>. ISBN : 9782713231261. DOI : https://doi.org/10.4000
/books.editionsehess.48609.

Référence électronique du livre


PORCHER, Marie-Claude. Inde et littératures. Nouvelle édition [en
ligne]. Paris : Éditions de l’École des hautes études en sciences sociales,
1983 (généré le 01 avril 2023). Disponible sur Internet :
<http://books.openedition.org/editionsehess/48539>. ISBN :
9782713231261. DOI : https://doi.org/10.4000
/books.editionsehess.48539.
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