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Chapitre 33 : début du chapitre jusqu’à « se fait baptiser ».

INTRODUCTION
Gargantua est un roman de François Rabelais publié en 1534-1535. Ce
chef-d’œuvre littéraire s’inscrit pleinement dans le mouvement humaniste.
Il connait un vif succès auprès des contemporains du début du XVIème siècle.

Ces derniers, en effet, pour leur plus grand plaisir, décèlent sous le voile
de l’histoire comique, des sujets de réflexion sérieux, des sujets souvent brûlant
de l’actualité d’une Renaissance quelque peu tourmentée.

Le récit, parodiant le roman de chevalerie, retrace le parcours initiatique


d’un roi modèle, Gargantua.

Le roman joue sur la binarité : de même que sur le thème de l’éducation


le narrateur propose deux modèles d’éducation (Les « vieux tousseux »
sophistes vs « Ponocrate », l’humaniste), il propose deux conceptions de la
guerre. (Grandgousier pacifiste vs Picrochole = Charles Quint).
Le passage repose un dialogue entre Picrochole et ses conseillers de
guerre.

PROBLÉMATIQUE.

 Comment cette saynète qui prête à sourire soutient-elle


une satire de la politique de guerre menée par un roi tyran
considéré comme un anti-modèle ?

MOUVEMENTS DU TEXTE.

Lignes 1 à 14 : Dialogue comique entre Picrochole et ses conseillers = parodie


des conseils de guerre.
Lignes 15 à 27 : condamnation de la politique de guerre de conquêtes par le biais
du discours d’un conseiller.

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ANALYSE LINÉAIRE.

Présenter leur stratégie de guerre donne l’occasion aux conseillers de flatter


l’égo du roi-tyran.

I. Le narrateur brosse un portrait dépréciatif des conseillers et ne manque


pas de souligner leur caractère obséquieux (Lignes 1 à 6)
Présenter leur stratégie de guerre donne l’occasion aux conseillers de flatter
l’égo du roi-tyran.
- Les conseillers sont discrédités grâce à l’onomastique. Même s’ils
appartiennent à noblesse (Comte, duc, capitaine) leurs noms ridicules
prêtent à sourire.
o Spadassin = assassin à gage => rend compte de la cruauté du
conseiller.
o Menuaille = canaille.
o Merdaille = consonance scatologique rend compte de la grossièreté
du conseiller.
 Ils constituent un piètre conseil de guerre.

- Première phrase, prononcée à l’unisson pour un effet comique. Elle


vise uniquement à flatter P. Les conseillers montrent à P. la grande
considération qu’ils ont pour leur roi en lui assurant vouloir le meilleur
pour lui. Cf superlatif de supériorité « le plus heureux ; le plus vaillant
prince ». La comparaison à Alexandre le Grand a pour seul objectif de
flatter l’égo de Picrochole.

- Discours qui obtient l’effet souhaité puisque Picrochole demande à


ses conseillers de se recouvrir. Par ce geste symbolique, il leur fait
comprendre qu’ils l’ont convaincu du respect qu’ils ont pour lui et
qu’il accepte de les écouter. (Rappel : enlever son chapeau = marque
de respect) L’anaphore de l’injonction « Couvrez-vous, couvrez-vous »
prête à sourire. Elle rend compte de la naïveté d’un roi tellement
orgueilleux qu’il se laisse facilement aveugler par des flatteries
intéressées. Cette réplique, qui fait aussi office de didascalie, prête à
sourire car le lecteur imagine aisément les 3 conseillers mettre leur
chapeau en même temps.

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- La réponse des conseillers rend à nouveau compte de leur caractère
obséquieux. Cf remerciement hyperbolique « grand merci » +
affirmation d’un dévouement exclusif au roi grâce à la négation
restrictive. « nous ne faisons que notre devoir. »

II. Les conseillers énoncent leur stratégie de guerre ; leur discours rend
compte d’une capacité à flatter leur roi (Lignes 7 à 21).

A. Dans l’énonciation du plan de défense :

- Ils énoncent un plan de défense pour flatter l’orgueil de P.


 ils vantent ses choix en matière de politique intérieure.
Choix de l’emplacement géographique du royaume +
construction de remparts. « La place » « semble assez
forte tant par sa situation que par les remparts que vous
avez fait édifier ». Cf adverbe subjectif ‘’assez’’ qui laisse
entendre que la situation est à l’avantage de P.
 ils font éloge de l’intelligence de P. « vous l’avez bien sûr
deviné ». Celle-ci apparaît comme une évidence Cf locution
adverbiale « bien sûr ». Le lecteur peut aisément percevoir
l’ironie de cette formule : P. n’a rien deviné du tout, il est
stupide et le conseiller le sait !

B. Dans l’énonciation du plan d’attaque.

- Dans l’énonciation du plan d’attaque (lignes 11 à 14) les conseillers


usent d’une gymnastique oratoire un peu ridicule pour convaincre P.
d’une victoire assurée. Indirectement ils laissent imaginer à P. qu’il est
un roi puissant à la tête d’une puissante armée ; ils flattent ainsi son
orgueil.
 Utilisation du futur pour présenter la victoire comme un
événement dont la réalisation est assurée.
 Adversaire discrédité :

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o Mise en évidence de la facilité avec laquelle
P. peut remporter la victoire « ses gens qui
seront bien vite déconfit » La locution
adverbiale « bien vite » laisse entendre que
les adversaires ne font pas le poids face à la
soi-disant grande armée de P.
o « Ses gens » = sujets et non soldats => rien à
craindre de cette armée de substitution !
o Grandgousier discrédité :
▪ « Ce Grandgousier » Cf emploi du
démonstratif à valeur dépréciative.
▪ Ils utilisent un syllogisme mais ce
dernier est malmené. Cf majeure à la
fin du raisonnement, sous forme de 2
maximes « un noble prince n’a jamais
un sou. Il n’y a que les vilains qui
économisent ». La majeure n’est pas
une vérité avérée. La mineure ne
‘’tient pas plus la route’’ que la
majeure. En effet, le conseiller fait de
Grandgousier un vilain cupide,
thésaurisant son argent « ce vilain en a
en masse » (de l’argent). Le lecteur sait
que G. est généreux et ne thésaurise
pas son argent. La conclusion implicite,
laissant entendre que G. n’est pas un
Prince digne de respect et donc qu’on
peut l’attaquer sans scrupule n’est pas
crédible. Mais la démonstration ne
peut que plaire à P.

 Dans leur énonciation d’un plan d’attaque, les conseillers


font miroiter un gain d’argent assuré, en plus d’une
victoire assurée. Le roi-tyran ne peut qu’être séduit ! « Là,
vous récupèrerez de l’argent en quantité ». L’hyperbole a
pour objectif de nourrir un rêve de fortune.

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C. Satire de la guerre de conquête. (Lignes 15 à 21 jusqu’à détroit de
Gibraltar)
Les conseillers projettent un scénario idéal selon lequel l’armée de P. place tous
les territoires qui sont sur son passage sous son hégémonie, et cela, avec
beaucoup de facilité.
- Énumération de toponymes Cf lignes 15-16 et 18. => P. et le lecteur
peuvent suivre l’itinéraire de l’armée qui prend tour à tour les
territoires de France, du Pays basque, d’Espagne et du Portugal.
- L’armée de P. s’impose sur les terres comme sur les mers. Terres et
mers sont représentées à travers des synecdoques : « ils prendront
villes châteaux et forteresses » « vous vous emparerez des navires ».
La synecdoque laisse entendre que l’armée de P., en plus de conquérir
des territoires prend possession de tout ce qui se trouve sur ces
territoires => plus jouissif pour le roi-tyran !
- Grâce à l’énumération, le rythme des phrases suggère un mouvement
progressif et sans embuches de l’armée de P. (Lire une phrase)
- L’emploi des hyperboles et du pluriel (Citer le texte) rendent compte
de la démesure des ambitions des conseillers.

III. Les conseillers entretiennent le rêve de gloire du roi-tyran. (Ligne 21 à


la fin du passage).
1) Le discours prophétique des conseillers flatte toujours l’orgueil de P.
en lui faisant miroiter une gloire digne des plus grands héros
légendaires.
o Les conseillers comparent P. à Hercule ; ils usent du superlatif de
supériorité « vous érigerez deux colonnes plus magnifiques que
celles d’Hercule » pour mettre en évidence une gloire inégalée !
Pour s’en moquer, Rabelais fait allusion à Charles Quint qui
avait choisi deux colonnes comme emblèmes symbolisant
l’immensité de ses conquêtes.
o Prise en otage de Barberousse = corsaire ottoman qui a aidé
François 1er contre Charles Quint en Méditerranée. Il peut être
jouissif de la part de P. d’imaginer cet ennemi se rendre à lui. Sa
réplique, vis-à-vis de Barberousse peut paraître surprenante.
« Je me montrerai magnanime » Prisonnier d’un rêve
d’hégémonie, P. en oublie d’être cruel ? Où P. est plus faible que

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ce qu’il laisse paraître ? Dans les deux cas, le roi tyran est
ridicule.

2) Réaction des conseillers : allusion aux croisés qui offraient aux vaincus
la possibilité d’être baptisé ou de mourir => leur cruauté tranche avec
la réplique de P. et souligne la molesse de celui-ci.

CONCLUSION.

Cet extrait illustre bien le projet que Rabelais expose dans le prologue : divertir
et instruire / faire rire et faire savoir.
À bien des égards ce dialogue entre Picrochole et ses conseillers de guerre prête
à sourire : le lecteur peut sourire du discours alambiqué et obséquieux des
conseillers, il peut aussi sourire de la stupidité de Picrochole, un roi-tyran
mégalomane.
Le rire signale au lecteur qu’il a pris conscience d’une aberration. Dans cet
extrait, rire de la politique de guerre, telle qu’elle est menée par un roi-tyran, est
d’une part une invitation à réfléchir sur la notion d’autorité politique et d’autre
part une invitation à rejeter la politique de guerre des rois mégalomanes comme
Charles Quint.
Voltaire, dans le 1er § du chapitre 3 de Candide, recourt lui aussi au rire pour
dénoncer la guerre.

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