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Innovations et organisation

Annoncer un cancer :
points de vue d’une psychanalyste
M. Derzelle Mots clés : Annonce, Cancer, Langage,
Médecin, Parole, Psychanalyste.
Psychologue-Psychanalyste, Institut Jean-Godinot, 1, Avenue du Général Koenig,
51056 Reims Cedex, Tél. Prof. : 03 26 50 43 72 Keywords: Announcement, Cancer, Doctor,
Correspondance : martine.derzelle@reims.fnclcc.fr Language, Psychoanalyst, Speech.

Résumé
Les psychanalystes ont, sans doute, plus souvent que les autres, à entendre les effets d’annonce ou les manques de cette annonce dont le
secret serait le paradigme. Les médecins, eux, pourvus d’une certaine autorité symbolique par leur statut, ont la responsabilité d’annoncer,
même s’ils n’y sont pas nécessairement préparés. Ce que médecins et psychanalystes peuvent échanger, c’est que l’annonce, moment
essentiel de la prise en charge, ne saurait faire l’objet de normes technocratiques, évaluables, protocolisables et reproductibles, même si
de grands points nodaux de l’annonce se dégagent de l’expérience. Il y a à affirmer fermement l’impossibilité de tout « coaching » de l’an-
nonce, l’irréductibilité du sujet thérapeutique à un exemplaire de l’espèce ou à un segment de population. Comme si la seule véritable
annonce était que la parole et le langage sont des objets incertains…

Summary Cancer diagnosis announcement: a psychoanalyst’s points of view


Undoubtedly more often than other people have psychoanalysts to hear the effects or the lacks of this announcement whose paradigm
would be secrecy. The doctors themselves, endowed with a symbolic authority by virtue of their status, have the responsibility to announce,
even if they are not necessarily prepared to it. Doctors and psychoanalysts can agree to the idea that announcement, an essential step in the
care process, cannot form the subject of technocratic assessable protocolizeable and reproducible norms, even if major nodal points of announ-
cement emerge from experience. We must declare firmly the impossibility of any announcement "coaching" as well as the irreducibility of
the subject in therapy to a species specimen or to a population segment. As if the only genuine announcement was that speech and lan-
guage are uncertain objects…

« Je me souviens : un costume de flanelle grise, dans celui de la formation professionnelle tion de l’information et mise en branle dans
une chemise rose, une cravate bordeaux, une continue (10). Parole attendue, parole la durée d’une véritable mise à feu de l’his-
mèche de cheveux dans laquelle il passait la redoutée, parole mal entendue, parole sécu- toire du patient où l’annonce des pertes à
main régulièrement et un grand sourire. Je risante mais aussi parole sidérante, elle venir ne peut que réactualiser d’autres per-
me suis dit que ça ne pouvait qu’aller avec un n’est donc pas exempte d’un certain coût tes passées. Comment mieux dire que, s’il
homme dont émanait tant de chaleur » psychique pour ceux qui la pratiquent, à y a bien, au sens superficiel et conscient du
(Une patiente en rémission) l’exacte mesure du point aveugle constitué terme, un traumatisme spécifique à l’an-
par l’absence de tout questionnement sur nonce d’un cancer (2), celui-ci ne saurait
L’annonce fait le quotidien de la rencon- « ce que parler veut dire » dans le cursus cependant occulter la dimension trauma-
tre entre médecins et patients, avec des des études médicales. tique profonde, au sens inconscient et
effets que nous tentons maladroitement L’annonce d’un cancer en particulier, par plus « technique » du terme, que compor-
d’apprécier à partir de catégories que nous l’excès de signification qu’elle comporte, aussi tent toute annonce et ses suites, qui ne
FAIRCOM 86025520 Etabli le 17/02/2009.

cherchons à articuler les unes aux autres : difficilement maîtrisable par le médecin s’inscrivent jamais sur une feuille blanche
effets prévisibles ou imprévus, immédiats qu’entendable par le patient, paraît demeu- (5, 11) ? Elles n’ont donc pas une portée
ou différés, positifs ou négatifs, explicites rer dans notre imaginaire l’annonce abso- traumatique en elles-mêmes, les suites de
ou implicites…La parole médicale, acte lue au point de figurer « l’annonce » par l’annonce ne pouvant, au niveau individuel,
psychique au double aspect verbal et non- excellence, telle une hypostase. C’est que être pensées que sur fond d’histoire et d’in-
verbal (attitude, comportement, voix, son excès semble a priori tenir au fait que, conscient.
regard), ne saurait donc manquer de mesure, révélation à l’autre d’un savoir sur ce qui Ce déploiement de l’annonce sur les deux
alors même que la plupart des praticiens arrive ou va lui arriver, elle est indissocia- registres conscient et inconscient, qui invite
n’ont pas reçu de formation à cette démar- blement sidération inaugurale relative à à ce que l’intentionnalité informative,
che tant dans le cadre universitaire que l’effet traumatique engendré par la récep- exhaustive et parfois écrasante laisse le

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Annoncer un cancer : points de vue d’une psychanalyste

maximum de place à la mise en latence inter- avec sa mort unique et singulière qui ne tolère 7. Il n’y a pas de superposition du temps
prétative du patient, dit l’importance de la ni substitution ni remplacement ni média- objectif des soins et des soignants et du temps
réflexion à mener sur le dispositif de consul- tion que le malade a à faire et pas seule- psychique du malade.
tation d’annonce. Si celui-ci, né d’une ment avec la maladie. Que le médecin Ne serait-ce pas que sortir de l’ignorance,
approche essentiellement « traumatologi- donne crédit ou non à cette réalité, l’annonce, sortir du silence coûte, surtout quand ce
que » au sens conscient du terme, se can- par la « mise au courant » du conscient, qui est à dire annonce un « malheur » ? Alors,
tonnait à donner lieu à des aménagements fait basculer le patient d’un statut de per- nous voudrions une parole bonne claire-
de cadre, de dispositifs de divulgation du sonne en bonne santé à celui de personne ment distincte d’une parole mauvaise, une
savoir et d’accompagnement, il y aurait en atteinte d’un cancer, avec la violence des parole claire exempte de confusion, une parole
effet fort à craindre que les techniques de représentations attachées à ce terme. Loin de confiance sans le doute à traverser… et
communication et le simple humanisme indi- de n’être qu’un pur premier mécanisme nous réalisons que l’information « loyale
viduel soient une « condition nécessaire mais d’adaptation à la maladie qui, dans une et éclairée » garde toujours sa part d’om-
non suffisante à l’accueil de la plainte du visée strictement institutionnelle, favori- bre, que la confiance ne s’établit pas sans
patient », ni, non plus, à la formulation de serait l’assurance d’une collaboration thé- méfiance, que la vérité se construit en se
l’annonce médicale. Traduire la question de rapeutique, l’annonce d’un cancer, alors distinguant du mensonge et donc dans un
l’annonce en purs termes de dynamique défen- que le médecin est déjà souvent dans le rapport à lui. Le praticien, lui, dit faire l’ex-
sive, de déferlement pulsionnel et de dis- « faire » avec un décalage important sus- périence de la complexité au sein de laquelle
positif susceptible de les contenir équivau- ceptible d’augmenter la peur, est donc il s’agit de construire un chemin à chaque
drait alors à une mise à mort du sujet indissociablement , pour le patient, dévoi- fois singulier. Le paradoxe de la parole
humain, sommé de n’être plus un individu lement et anticipation de la solitude d’annonce se manifeste ainsi dans le devoir
unique et singulier capable d’élabora- absolue qui est le régime universel de de parler plutôt que se taire en réalisant l’im-
tion et de subjectivisation. la mort humaine (1), confrontation à la possibilité qu’il y a à maîtriser par avance
Convenons en effet qu’au-delà des contrain- question de la « démaîtrise » de toute tech- tous les effets de cette annonce. Dans le temps
tes légales auxquelles doit se conformer nique, tant médicale que psychologique. de la préparation à dire, il est requis de faire
un médecin « formé aux techniques de De ce point de vue, parce qu’il n’existe l’effort d’anticiper rationnellement les consé-
communication », comme dit le texte, et pas de « bonnes » façons d’annoncer un quences probables de ce dire mais, lors du
au-delà d’une modélisation de l’annonce cancer et que se prévaloir de règles tech- dire, personne ne sait – et ne peut savoir-
comme d’un événement à « organiser » et niques dans la relation médecin-malade quelle sera la portée exacte, complète de
à « encadrer » par des propositions de revient à désavouer l’engagement intersub- cette annonce. Exercice pathétique de la res-
démarches d’accompagnement diverses jectif qui en constitue la dynamique essen- ponsabilité, qui consiste à soutenir la ten-
(infirmières, assistantes sociales, psycholo- tielle, il y a à affirmer fermement l’impos- sion entre un énoncé actuel, inscrit dans
gues, associations de malades) (3), c’est de sibilité de tout « coaching » de l’annonce (9). l’ici et le maintenant, et le futur indéfini
l’acte fondateur d’une relation soi- Par contre, des axes de réflexion et de ques- de sa manifestation pour la vie du sujet.
gnante humaine dont il s’agit avant tout (4). tionnement se dégagent, que l’on pourrait Sans doute le deuil à faire de « l’informa-
Concept qui ne prend sens que du seul cadre considérer comme les points nodaux de l’an- tion idéale », qui supposerait la réception
institutionnel qui l’appelle de ses vœux nonce : intégrale et sa compréhension, par le des-
puisqu’il n’est par ailleurs un concept ni médi- 1. Il y a obligation de dire (pour le prati- tinataire, de la totalité de la « matière
cal, ni juridique, ni psychologique – tous cien) mais pas d’écouter ni d’entendre (pour brute », telle qu’émise dans le message par
domaines qui s’en tiennent à la dimension le malade). l’expéditeur, est-il donc le préalable néces-
informative quant à la maladie –, l’annonce 2. La parole n’est pas sans effets, inévalua- saire à toute réflexion sur l’annonce. Sur
doit donc être plus justement considérée bles par toute technique. l’annonce d’un cancer en particulier, puis-
comme le premier acte de prise en charge 3. L’annonce n’est pas un temps zéro mais que s’ajoute à la difficulté de principe inhé-
d’un homme ou d’une femme à l’histoire elle s’inscrit sur une feuille jamais vierge rente à toute situation d’interlocution le
unique, débordant d’angoisse et d’émo- où, par un processus actif dans une tem- contenu d’un message porteur de ce que
tion, par un praticien pourvu d’une cer- poralité indéfinie, elle se fera parfois une tout être humain redoute le plus : la menace
taine autorité symbolique de par son place. sur son pronostic vital et, à tout le moins,
statut, formé à une approche essentielle- 4. Ce ne sont pas les mécanismes de défense sur la réversibilité de l’intégrité de sa santé
ment quantitative et dont l’événement qui qu’il faut respecter mais les personnes avec antérieure, l’intolérable que constitue pour
survient présentement n’engage pas toute leurs mécanismes de défense (12). chacun d’entre nous le risque de la levée
la vie (6). 5. L’annonce ne peut se suffire d’être celle des illusions fondamentales avec les-
Dans cette rencontre, véritable engagement du consommateur de santé ou de soins. quelles nous fonctionnons « quand tout
du médecin dans la « prise en soins » du 6. On ne peut ignorer les enjeux psychi- va bien » (immortalité, continuité, identité,
patient, et toujours co-création singulière ques de l’annonce, violence faite au méde- maîtrise, prévisibilité) (1, 7). Signe, si besoin
de deux vulnérabilités, c’est avec la mort, cin comme au malade. était, que, si un certain souci de « transpa-

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rence » tend à faire croire que la connais- réalité, ces différentes étapes du soin médi- Références
sance de soi comme objet a pris le pas sur cal sont parcourues à deux, dans un 1 - Aulagnier P. Les destins du plaisir. Paris: PUF ; 1979.
le « souci de soi », dans un rapport tout à échange parlé permanent ; comme tel, cet 2 - Brocq H. Annonce du diagnostic d’une maladie grave :
potentialités traumatiques et prise en charge psycholo-
fait particulier du sujet à « sa vérité », c’est échange produit des effets, par nature
gique .In : Ferragut E. Emotion et traumatisme .Le corps
pourtant les tentatives de soustraction à la imprévisibles. Raisonner par l’absurde et la parole .Paris : Masson ; 2005.34-43.
foudroyante réalité qui prévalent le plus sou- consisterait, pour éviter l’imprévu, à pré- 3 - Brocq H, Collomp R, Bioy A, Ferragut E, Raucoules M.A.
vent au plan de la clinique. coniser une rencontre silencieuse, sans Le discours médical d’annonce. Enjeux, méthodes, proposi-
Alors ? Depuis l’annonce d’un diagnos- parole. Tout risque d’un surgissement iné- tions pour l’avenir. In : Douleurs 2005 ; vol 6 n°4 : 197-221.
tic jusqu’à la prescription d’un traitement dit serait-il pour autant écarté ? Le croire 4 - Célérier M C ,Oresve C, Janiaud-Gouitaa F .La ren-
en passant par la formulation d’un pro- serait ignorer le pouvoir subversif de la parole contre avec le malade. Paris : Dunod ;1999 : 21-33.
nostic, patient et médecin sont en situa- qui, même muette, habite l’humain qui se 5 - Chicaud M B. La crise de la maladie grave. Paris :
Dunod ;1998 : 1-11.
tion d’interlocution. Comment croire qu’il tait. Parole et silence ont un seul et même
6 - Clavreul J. L’ordre médical .Paris : Le Seuil ; 1978.
ne peut advenir de cette rencontre que ce destin chez l’humain : être interprétés.
7 - Derzelle M. Temps, identité, cancer. Cliniques
que l’on attend : intégration du diagnos- Comme si la seule véritable annonce était
Méditerranéennes 2003 ; 68 : 233-243.
tic, observance de la thérapeutique, acquies- que la parole et le langage sont des objets
8 - Gori R. La preuve par la parole. Paris : PUF ; 1996.
cement aux perspectives d’avenir ? En incertains (8)… ■
9 - Gori R. “Le coaching santé : un psycho building des
patients?” 8ème Colloque de Médecine et Psychanalyse. Devenirs
de l’annonce : par delà le bien et le mal. Paris : Etudes
Freudiennes ; 2006 : 15-31.
10 - Keller P H. “Iatrogénie de l’annonce en médecine”.7ème
Colloque de Médecine et Psychanalyse .Violence de l’annonce,
violence du dire. Paris: Etudes Freudiennes ; 2005 : 203-210.
11-Razavi D, Delvaux N. Psycho-Oncologie. Paris : Masson;
1994.
12-RuszniewskiM.Faceàlamaladiegrave.Paris:Dunod;1995.

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