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Engels écrivit l'Origine de la famille, de la propriété privée et de l'État en deux

mois, de fin mars à fin mai 1884. En dépouillant des manuscrits de Marx, il était

tombé sur une analyse détaillée, datant de 1880-1881, de l'ouvrage du savant progressiste américain L.
Morgan Ancient Society ; elle contenait de nombreuses annotations

critiques, (les propositions personnelles et des données complémentaires tirées

d'autres sources. Après avoir pris connaissance de ces notes et s'être convaincu que le

livre de Morgan confirmait la conception matérialiste de l'histoire élaborée par Marx

lui-même et leurs idées sur la société primitive, Engels jugea nécessaire de composer

un ouvrage en mettant largement à contribution les notes de Marx ainsi que certaines

conclusions de Morgan et des faits cites dans son livre. Pour Engels c'était, pour ainsi

dire, l'exécution d'un testament. Il utilisa pour son écrit diverses matières complémentaires tirées de ses
propres études sur l'histoire de la Grèce et de Rome, de l'Irlande

ancienne, des Germains, etc. (voir les travaux d'Engels la Marche, Sur l'histoire des

anciens Germains, l'Époque franque, etc.).

Engels est le premier en littérature marxiste à avoir décrit l'évolution de la famille

à partir des positions du matérialisme historique. Il envisage la famille comme une

catégorie historique et dévoile la liaison organique entre ses formes - depuis le ma-

Friedrich Engels (1884), L’origine de la famille, de la propriété privée et de l’État (Moscou, 1976) 6

riage par groupe jusqu'à la famille monogame qui s'est imposée avec l'apparition de la

propriété privée - et les diverses étapes du développement de la société, la dépendance de ces formes
du mode matériel de production. Il montre comment, à mesure

du progrès des forces productives, on voit diminuer l'influence des liens de parenté

sur la formation sociale et comment avec la victoire de la propriété privée est apparue

une société ou « le régime de la famille est complètement dominé par le régime de la

propriété ». (Voir la présente édition p. 13.)

Engels soumet à une vive critique la famille bourgeoise. Il révèle le fondement

économique de l'inégalité des femmes alors que règne la propriété privée et montre
que la vraie émancipation des femmes passe par l'abolition du mode de production

capitaliste. Ce n'est qu'en société socialiste, note Engels, alors que les femmes seront

largement associées a la production sociale, qu'une véritable égalité avec les hommes

sera instaurée dans tous les domaines de la vie sociale, que les femmes seront affranchies des soucis du
ménage que la société assumera à un degré croissant, c'est alors

seulement que s'affirmera un type de famille nouveau, supérieur, basé sur l'entière

égalité des sexes, le respect mutuel et l'amour.

Engels consacre une grande partie de son ouvrage à l'étude de la genèse et du

développement des diverses formes de propriété et à leur dépendance des diverses

formes d'ordre social. Il prouve à l'évidence que l'institution de la propriété privée

n'est pas éternelle, que, durant une longue période de la préhistoire, les moyens de

production ont été propriété collective. Engels montre comment le progrès des forces

productives et l'élévation de la productivité du travail engendrent la possibilité de

s'accaparer les produits du travail d'autrui, comment de ce fait apparaissent la

propriété privée et l'exploitation de l'homme par l'homme et comment la société se

scinde en classes antagonistes. La conséquence directe a été l'émergence de l'État. Le

problème (le l'origine et de la nature de l'État est essentiel dans l'ouvrage d'Engels ; il

en constitue le pivot. L'étude poussée de ce problème faite par Engels a marque une

étape majeure dans l'élaboration de la doctrine marxiste sur l'État et, sous ce rapport,

son livre rejoint les ouvrages classiques de Marx que sont le Dix-Huit brumaire de

Louis Bonaparte et la Guerre civile en France, ainsi que l'ouvrage d'Engels AntiDühring.

Le livre d'Engels vise directement les savants qui tentent de présenter l'État

comme une forme placée au-dessus des classes et prétendument appelée à défendre

dans une même mesure les intérêts de tous les citoyens. A l'exemple de la genèse de

l'État à Athènes, à Rome et chez les Germains, Engels montre de façon convaincante

que dès sa naissance l'État a toujours été l'instrument de domination des classes qui
détiennent les moyens de production. Dans son ouvrage Engels étudie diverses formes concrètes d'État,
en particulier la république démocratique bourgeoise, que les

défenseurs du capitalisme prés entent comme la forme suprême de la démocratie.

Engels caractérise la nature de classe de cette république comme étant une forme de

domination de la bourgeoisie dissimulée derrière une façade démocratique.

Mettant en garde contre les illusions parlementaires fort répandues à l'époque

parmi une certaine fraction des militants du mouvement ouvrier, singulièrement parmi les cléments
opportunistes de la social-démocratie allemande, Engels montre que

tant que subsiste le pouvoir du capital, les libertés démocratiques ne peuvent aboutir à

l'affranchissement des travailleurs. Il souligne en même temps que le prolétariat est

intéressé à préserver et à élargir les libertés démocratiques qui créent les conditions

Friedrich Engels (1884), L’origine de la famille, de la propriété privée et de l’État (Moscou, 1976) 7

les plus favorables au déploiement de sa lutte libératrice pour la transformation

révolutionnaire de la société.

Étudiant comment change le mode de production des biens matériels à mesure du

développement des forces productives, comment l'apparition de la propriété privée et

la division de la société en classes opposées deviennent inévitables et logiques à une

certaine étape, Engels développe dans son livre la conclusion formulée par les fondateurs du marxisme
que la croissance des forces productives dans la société capitaliste

conduit tout aussi inéluctablement à faire de la propriété privée et des classes

exploiteuses un obstacle au progrès de la production. D'où le caractère inéluctable de

la révolution prolétarienne qui ne peut être réalisée, comme l'ont indiqué Marx et

Engels, à maintes reprises, qu'en brisant l'ancienne machine bureaucratique et exploiteuse de la


bourgeoisie et en la remplaçant par un État de type nouveau, la dictature

du prolétariat, forme suprême de la démocratie.

La doctrine marxiste de l’État, exposée sous cette forme classique par Engels, fut

développée par la suite par Lénine, vu le contexte historique nouveau, dans son important ouvrage l’État
et la révolution.

En 1890, alors qu'il avait accumulé des données nouvelles relatives à l'histoire (le

la société primitive, Engels aborda la préparation d'une nouvelle édition de son livre.

Il étudia, ce faisant, les ouvrages les plus récents traitant (le la question, notamment

les travaux du savant russe Maxime Kovalevsky, il apporta de nombreuses corrections et additions an
texte original, surtout dans le chapitre sur la famille, compte tenu

des derniers acquis en archéologie et en ethnographie (les modifications les plus

notables apportées à l'œuvre dans la 4e édition sont spécifiées dans la présente édition

en bas de page ou entre crochets gras). Cependant ces modifications et précisions ne

concernent pas les conclusions d'Engels qui ont obtenu confirmation nouvelle dans

les données récentes de la science. Ces conclusions ont préservé toute leur valeur

ultérieurement ; les progrès de la science ont montre par la suite, toute la justesse des

principales propositions contenues dans l'ouvrage d'Engels bien que certains faits

empruntes au livre de Morgan, demandent à être précisés a la lumière des données

scientifiques nouvelles (entre autres la périodisation de la préhistoire donnée par

Morgan et la terminologie dont il use).

La 4e édition revue et augmentée du livre d'Engels parut à Stuttgart fin 1891 et ne

connut pas de modifications ultérieures. Engels l'assortit d'une nouvelle préface (voir

pp. 15-34 de la présente édition).

La présente édition reprend la 4c édition allemande de 1891 avec les préfaces de

la ire et de la 4e édition.

Friedrich Engels (1884), L’origine de la famille, de la propriété privée et de l’État (Moscou, 1976) 8

Préface

à la première édition de 1884

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Les chapitres qui suivent constituent, pour ainsi dire, l'exécution d'un testament.
Nul autre que Karl Marx lui-même ne s'était réserve d'exposer les conclusions des

recherches de Morgan, en liaison avec les résultats de sa propre - et je puis (lire, dans

une certaine mesure, de notre - étude matérialiste de l'histoire, et d'en éclairer enfin

toute l'importance. En effet, en Amérique, Morgan avait redécouvert, à sa façon, la

conception matérialiste de l'histoire, découverte par Marx il y a quarante ans, et celleci l'avait conduit, à
propos de la comparaison entre la barbarie et la civilisation, aux

mêmes résultats que Marx sur les points essentiels. Or, pendant des années, les

économistes professionnels d'Allemagne avaient mis autant de zèle à copier le

Capital que d'obstination à le passer sous silence ; et l'Ancient Society * de Morgan

ne fut pas autrement traitée par les porte-parole de la science « préhistorique » en

Angleterre. Mon travail ne peut suppléer que faiblement à ce qu'il n'a pas été donne à

mon ami disparu d'accomplir. Je dispose cependant d'annotations critiques qui se

* Ancient Society, or Researches in the Lines of Human Progress from Savagery, through

Barbarism, to Civilisation. By Lewis H. Morgan, London, Macmillan and Co, 1877. Ce livre est

imprimé en Amérique, il est étonnamment difficile de se le procurer en Angleterre. L'auteur est

mort il y a quelques années. (Note d'Engels.)

Friedrich Engels (1884), L’origine de la famille, de la propriété privée et de l’État (Moscou, 1976) 9

trouvent parmi ses abondants extraits de Morgan **, et je les reproduis ici, dans la

mesure du possible.

Selon la conception matérialiste, le facteur déterminant, en dernier ressort, dans

l'histoire, c'est la production et la reproduction de la vie immediate. Mais, à son tour,

cette production a une double nature. D'une part, la production de moyens d'existence, d'objets servant
à la nourriture, à l’habillement, au logement, et des outils qu'ils

nécessitent, d'autre part, la production des hommes mêmes, la propagation de l'espèce. Les institutions
sociales sous lesquelles vivent les hommes d'une certaine époque

historique et d'un certain pays sont déterminées par ces deux sortes de production :

par le stade de développement où se trouvent d'une part le travail, et d'autre part la


famille. Moins le travail est développé, moins est grande la masse de ses produits et,

par conséquent, la richesse de la société, plus aussi l'influence prédominante des liens

du sang semble dominer l'ordre social. Mais, dans le cadre de cette structure sociale

basée sur les liens du sang, la productivité du travail se développe de plus en plus et,

avec elle, la propriété privée et l'échange, l'inégalité des richesses, la possibilité d'utiliser la force de
travail d'autrui et, du même coup, la base des oppositions de classes :

autant d'éléments sociaux nouveaux qui s'efforcent, au cours des générations, d'adapter la vieille
organisation sociale aux circonstances nouvelles, jusqu'à ce que l'incompatibilité de l'une et des autres
amène un complet bouleversement. La vieille société

basée sur les liens du sang éclate par suite de la collision des classes sociales nouvellement
développées ; une société nouvelle prend sa place, organisée dans l’État, dont

les subdivisions ne sont plus constituées par des associations basées sur les liens du

sang, mais par des groupements territoriaux, une société où le régime de la famille est

complètement dominé par le régime de la propriété, où désormais se développent

librement les oppositions de classes et les luttes de classes qui forment le contenu de

toute l'histoire écrite, jusqu,à nos jours.

C'est le grand mérite de Morgan que d'avoir découvert et restitué dans ses traits

essentiels ce fondement préhistorique de notre histoire écrite, et d'avoir trouvé, dans

les groupes consanguins des Indiens de l'Amérique du Nord, la clef des principales

énigmes, jusqu'alors insolubles, de l'histoire grecque, romaine et germanique la plus

reculée. Mais ses écrits ne furent pas l’œuvre d'un jour. Pendant près de quarante

années il a été aux prises avec son sujet, avant de le dominer tout à fait. Et c'est pourquoi son livre est
une des rares oeuvres de notre temps qui font époque.

Dans l'exposé qui va suivre, le lecteur fera, dans l'ensemble, aisément le départ

entre ce qui émane de Morgan et ce que j'y ai ajouté. Dans les chapitres historiques

sur la Grèce et sur Rome, je ne me suis point limite aux données de Morgan, mais j'y

ai joint ce que j'avais a ma disposition. Les chapitres sur les Celtes et les Germains
sont essentiellement mon ouvrage ; là, Morgan ne disposait guère que de sources de

seconde main et, a quant aux Germains, Morgan n'avait - à part Tacite -que les mauvaises contrefaçons
libérales de M. Freeman 1. J'ai remanie tous les développements

économiques qui, chez Morgan, suffisent au but qu'il se propose, mais sont nettement

insuffisants pour le mien. Enfin, lorsque Morgan n'est pas expressément cité, il va

sans dire que j'assume la responsabilité de toutes les conclusions.

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