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1ère Guerre Punique

Le Soleil qui se lève réchauffe les voiles des puissantes trirèmes. Une flotte immense -
quelque 20000 légionnaires - s'élance vers la Sicile. En ce printemps de l'année 264 avant
notre ère, Rome vient au secours des « Mamertins ».
Qui sont ces Mamertins? Des mercenaires errants qui, il y a quelques années, ont conquis la
ville sicilienne de Messine où ils ont installé un Etat brigand. La puissante Syracuse, au sud,
en a pris ombrage. Elle leur a déclaré une guerre, qu'elle a gagnée. Que pouvaient faire ces
aventuriers si ce n'est appeler à l'aide? Divisés, les Mamertins se sont tournés, les uns vers
Rome, les autres vers Carthage.
Pour la cité africaine l'occasion était trop belle d'étendre sa domination sur l'ensemble de la
Sicile, dont elle contrôlait déjà la partie occidentale. D'où son empressement d'installer une
garnison dans Messine. Quant à Rome, qui s'était rendue maîtresse de la botte italienne, elle
cherchait à son tour à prendre pied dans cette île pleine de blé et d'autres richesses. La plèbe
rêvait de butin; les comices centuriates ont donc voté la guerre. Et pour la justifier, Rome a
accordé aux Mamertins le statut de fédérés ».
« Les Romains présentent toujours leurs guerres comme des guerres justes, précise en effet
Christine Hamdoune, professeur d'histoire romaine à l'Université Montpellier III. Car si une
guerre n'est pas juste selon des critères de droit religieux, la paix des dieux est rompue et la
conséquence en est la défaite. Rome justifie ici son intervention par le fait que des alliés ont
fait appel à eux ».
Sûr de son bon droit, le consul romain Claudius arrive donc à Rhegium, face à Messine. Pour
apprendre, hélas, que ses rivaux Carthaginois l'ont devancé. Les pourparlers qui s'engagent
virent au vinaigre. D'autant qu'un traité conclu en -306 entre les deux empires a fixé les
limites de leurs influences: Rome s'interdisait de poser pied en Sicile, Carthage en Italie.
L’envoi d'une armée romaine en terres siciliennes équivaut donc, pour les Puniques, à une
déclaration de guerre.
Au diable les traités, les puissants navires de Claudius franchissent quand même le détroit.
Sentant le vent tourner, les Mamertins retournent leur veste et chassent les Carthaginois de
leur ville. Ces derniers reviendront, furieux, durant l'hiver 264-263, pour assiéger cette ville
ingrate qu'occupe désormais une garnison romaine. Les Mamertins, très vite, sont oubliés,
pour laisser place à un duel entre Rome et Carthage, les deux grandes puissances de la
Méditerranée occidentale.
Carthage est alors à la tête d'un empire maritime disséminé sur un vaste ensemble d'îles:
l'archipel maltais, une partie de la Sicile et de la Sardaigne, les Baléares. Sans compter le sud
de l'Espagne et, bien sûr, son vaste territoire africain qui s'étend le long de la côte marocaine
et couvre la majeure partie des terres cultivables de l'actuelle Tunisie. Mais la cité punique,
depuis des décennies, observe avec inquiétude l'essor de Rome qui, dès la fin du IVe siècle,
conquiert peu à peu toute l'Italie.
« Rome était devenue une puissance énorme, qui n'allait pas utiliser son armée uniquement
pour parader », explique Yann Le Bohec, professeur d'histoire romaine à la Sorbonne.

Le choc entre les deux poids-lourds était-il donc inévitable? « Les Romains auraient pu partir
ailleurs, poursuit l'historien. Ils auraient pu tenter de conquérir l'Italie du Nord, la Plaine du
Pô, s'attaquer à la Grèce qui était très riche. Si les Carthaginois, au lieu de s'installer en Sicile,
s'étaient d'abord développés en Andalousie, le choc aurait eu lieu beaucoup plus tard. Mais à
partir du moment où il y a un impérialisme romain qui s'emballe, il aurait inévitablement
croisé, un jour ou l'autre, les Carthaginois. »
Or, pour Carthage, la Sicile occidentale est depuis des siècles l'un des pivots de son commerce
maritime. Il est donc exclu de la céder aux Romains, qui reviennent l'année suivante avec des
effectifs deux fois plus importants. L"engrenage guerrier s'enclenche.
La lutte s'engage et - nouveauté dans l'histoire militaire - se fera principalement sur mer.
Carthage commence par railler ces légionnaires-paysans qui prétendent lui tenir tête dans son
propre univers. Et, sur mer, cela démarre en effet plutôt mal pour Rome, avec une première
défaite près des îles Lipari. Mais les Romains savent rebondir. D'autant que les Puniques n'ont
pas une si grande expérience du combat naval non plus.
« Les Carthaginois n'ont pas eu vraiment d'ennemis sur mer. C'étaient des commerçants »,
rappelle en effet Yann le Bohec.
Loin d'être ridicules, les Romains créent la surprise en remportant la bataille suivante, celle de
Myles (Milazzo). Peut-être grâce à l'invention du corbeau, un pont d'assaut installé à l'avant
du navire qui, en se fichant sur le bateau adverse, permet de construire une passerelle entre les
deux navires et de lancer l'abordage.
« Cette menace est présentée comme décisive dans une seule bataille, celle de Myles, mais on
remarque qu'il n'a plus été utilisé par la suite. Certains historiens pensent même qu'il n'a
jamais existé. Et c'est vrai que quand on réfléchit à ce qu'est un corbeau et ce qu'est un bateau
de l'époque, c'est difficilement imaginable parce que ça déséquilibrerait le bateau », constate
Yann Le Bohec, manifestement sceptique.
Peu importe. Avec ou sans corbeau, Rome n'en mène pas moins la dragée haute à « l'empire
de la mer ».
Les victoires navales s'enchaînent. En particulier à Ecnome

Sur le sol africain, où ils finissent par débarquer, les légionnaires sont moins heureux. Les
éléphants et la cavalerie carthaginoise les repoussent sans ménagement. Le conflit s'enlise et
se transforme en guerre d'usure. L'argent manque de part et d'autre. Mais face à Carthage la
commerçante, soucieuse de préserver les intérêts économiques et prête à négocier, Rome la
guerrière s'entête. Les batailles continuent, sur terre comme sur mer.
Pour financer l'équipement de son armée, Rome innove en faisant de la guerre un
investissement: chaque citoyen qui en a les moyens arme un navire à ses frais. En cas de
défaite, tout est perdu. Mais en cas de victoire, le butin est acquis et le marché sicilien s'ouvre
tout grand. Résultat: Rome équipe 200 quinquérèmes, qui permettent au consul Catulus de
s'emparer de Drépane et de Lilybée.
Jusqu'à ce 10 mars 241, où a lieu la bataille décisive des îles Egates. La flotte punique,
alourdie par des renforts et des provisions qu'elle apporte aux troupes du mont Eryx s'engage
en file indienne à travers l'archipel pour rejoindre Drépane. Informé, Catulus allège au
contraire le plus possible ses propres navires qu'il dispose sur une seule ligne. Le choc tourne
vite à son avantage: Carthage perd 120 vaisseaux et 10000 de ses soldats sont faits
prisonniers.
Une défaite cuisante, qui provoque de virulents débats chez les vaincus, où deux partis
s'affrontent.
- Le premier, qui accorde la priorité aux conquêtes en Afrique, propose de
traiter tout de suite avec Rome et à n'importe quel prix. Les caisses sont vides
et des troubles éclatent dans l'arrière-pays africain, qu'il est urgent de
réprimer.
- L'autre parti veut au contraire défendre la Sicile: l'avenir de Carthage. selon
eux, se joue contre Rome et donc d'abord en Sicile.
Les partisans de l'expansion africaine l'emportent. On traite donc avec Rome. Le général
punique Amilcar rédige avec Catulus un projet de traité qui prévoit que Carthage évacue la
Sicile, qu'elle restitue à Rome tous les prisonniers et qu'elle lui verse sur vingt ans une
indemnité en argent de 2200 talents euboïques (soit près de 60000 kilogrammes d'argent).
Encore plus sévère, le peuple romain augmentera le montant de l'indemnité à 3200 talents,
payable en dix ans seulement et demandera aux forces puniques d'évacuer « toutes les îles
situées entre la Sicile et l'Italie ».
Une définition suffisamment ambiguë, puisqu'elle ne nomme pas ces îles, pour pouvoir
ensuite l'interpréter à sa guise.
Pour Carthage, le bilan est donc très lourd: environ 500 navires perdus, des finances
exsangues. Et en évacuant la Sicile, la cité perd un premier pan de la ceinture stratégique qui
la protégeait.
Car après la Sicile, c'est au tour de la Sardaigne, puis de Malte, quelques années plus tard, de
tomber dans l'escarcelle de Rome qui, elle, s'en tire beaucoup mieux. Certes, elle a perdu près
de 700 navires dans le conflit, et ses finances ont aussi souffert. Mais elle peut compter sur
l'indemnité de guerre. Le butin a enrichi les combattants, et l'annexion de la Sicile dope son
économie.
Les Romains viennent surtout le démontrer à tous les peuples de la Méditerranée leur
puissance. Un nouvel ordre s'établit en Méditerranée. L'« empire de la mer » désormais, n'est
plus Carthage, mais Rome.
Emmanuel Montre

Petite Histoire : Une faim de poulet


Lorsque le consul romain Publius Claudius Pulcher décide d'engager une bataille navale au
large de Drépane, la loi lui impose de demander l'avis des dieux avant la rencontre, selon des
moyens divers. Cette fois, il faut proposer du grain à des poulets sacrés, embarqués sur le
navire amiral : s'ils mangent avec appétit, le présage est favorable. Dans le cas contraire,
mieux vaut renoncer. Claudius, pressé de remporter une victoire qui lui paraît acquise,
procède donc à la cérémonie. Hélas, peut-être parce qu'ils ont le mal de mer, les volatiles refu-
sent de picorer. Le consul s'emporte et les jette à l'eau: « Puisqu'ils n'ont pas faim, qu'ils
boivent ». Puis il engage les opérations et... perd la bataille de Drépane.

La guerre des mercenaires

Double peine pour Carthage: après avoir perdu la guerre, il lui faut en plus payer ses
mercenaires! Les caisses, hélas, sont vides. Les dirigeants essaient de gagner du temps et font
patienter les hommes dans leur ville. 20 000 guerriers y attendent leur solde. Pour ne pas
effrayer la population, on finit par les installer à 150 Kms environ. Mais furieux de ne pas être
payés, ils se révoltent et, en -241, font le siège de Carthage. La guerre éclate entre la cité et
ses anciens « employés » et les atrocités se multiplient des deux côtés. Des troubles similaires
naissent en Sardaigne, que Carthage essaie de réprimer.
Rome, opportuniste, prétend que ces mouvements de troupes carthaginois constituent une
menace. Elle en profite pour imposer un nouvel accord. La Sardaigne et la Corse font
désormais partie des « îles situées entre la Sicile et l'Italie », que Carthage doit évacuer, et les
doublement vaincus paieront un supplément de 1200 talents d'argent. Amputée de ses
possessions à l'est, Carthage n'a plus d'autre choix que de se tourner vers l'ouest. Vers les
côtes du Maghreb mais aussi, surtout, vers le sud de la péninsule ibérique où le général
punique Amilcar, très amer, s'exile pour se tailler un nouveau domaine.

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