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EMMANUEL LEVINAS

Carnets de captivité
suivi de
Écrits sur la captivité
et
Notes philosophiques diverses
Volume publié sous la responsabilité de
Rodolphe Câlin et de Catherine Chalier
Établissement du texte, annotation matérielle, avertissement
par Rodolphe Câlin
Préface et notes explicatives
par Rodolphe Câlin et Catherine Chalier

Préface générale de Jean-Luc Marion


de l’Académie française

Ouvragepublié avec le concours


du Centre National du Livre

BERNARD GRASSET/IMEC
Le comifé scientifique réuni pour la publication
des Œuvres d’Emmanuel Levinas
est coordonné par Jean-Luc Marion, de l’Académie française.

ISBN 978-2-246-72721-7

Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation


réservés pour tous pays.
© Éditions Grasset & Fasquelle, IMEC Editeur, 2009-
Sommaire

Préface générale de Jean-Luc Marion..................................... I


Avertissement.......................................................................... 9
Préface au présent volume...................................................... 13
Notice éditoriale...................................................................... 41
Remerciements......;................................................................. 45
I. Carnets de captivité (1940-1945)......................................... 47
Notice sur les Carnets de captivité.................*......................... 4?
Carnet 1 ................................................................................... 51
Carnet 2 ................................................................................... 61
Carnet 3*................................................................................... 97
Carnet 4 ................................................................................... 111
Carnet 5 ................................................................................... 131
Carnet 6 ................................................................................... 149
Carnet 7 171
II. Écrits sur la captivité et Hommage à Bergson....................x.. 199
Captivité.......;.......................................................................... 201
La spiritualité chez le prisonnier israélite............................. 205
L’expérience juive du prisonnier............................................ 209
Hommage à Bergson..........:................................................... 217
8 Carnets de captivité
III. Notes philosophiques diverses............................................. 221
Notice sur les Notes philosophiques diverses.............................. 223
LiasseA.................................................................................... 227
Liasse B .................................................................................... 333
Liasse C .................................................................................... 385
Liasse D .................................................................................... 461
Carnet A................................................................................... 469
Carnet B ................................................................................... 471
Notes........................................................................................ 479
Préface générale

La pensée d'Emmanuel Levinas fut -précoce, mais son œuvre


toute*en transitions. Sa notoriété immédiate, mais sa reconnais­
sance publique tardive. Sa réception déjà ancienne, mais ses-inter­
prétations toujours contrastées. Elle a marqué, autant que celle
de Bergson à laquelle elle répondeur bien des aspects, la -scène ét
l'intrigue philosophique du XXe siècle, en France'et ervgénéral au
point de faite aujourd'hui partie, de plein droit, dé ¿'histoire de la
phénoménologie et de la philosophie tout' court. Far suite;*oflme
saurait s'étonner que tette œûvfer, aussi connue et reconnue qu’elle
soit et peut-être justement pour cela même,'reste aujourd'hui si
difficile à pénétrer. Et pôûr de multiples taisons.-
Bien* sûr èt d'abord parce que ses* écrits ont été publiés d'une
manière dispersée par nombre d’éditeurs divers ; et même d'une
manière rhapsodique, puisque certains recueils organisés ou
cautionnés par Levinas n'offrent pas une- grande homogénéité
thématique, voire chronologique, et que certaines rééditions de
textes d'abord'homogènes les ont transformés, avec le temps, en
des recueils Sinon factices, du moins disparates. L'écriture ensuite
peut dérouter ou surprendre le lecteur : autant'les premiers, textes
publiés (ne partons pas des inédits) maintijennent-ils la neutralité
limpide du style universitaire ou consonnent-ils avec le Vocabu­
laire et les tournures de l'immédiate" après-guerre (et d’abord de
Sartre), autant, à mesure*que passe le temps et surtout à partir
de la publication de Totalité tt Infini en 1961, la langue prend-
II Camèts de captivité
elle une richesse et une rudesse toutes particulières, comme un
français d'autant plus originel qu'il se trouvait comme conquis et
reconstitué à partir d'autres langues (l'allemand, l'hébreu, l’an­
glais, le russe surtout), avec lesquelles par contraste il prenait sa
profondeur, son relief, sa force et déployait des possibilités laissées
inexplorées par la plupart des philosophes français depuis trois
siècles. Il faudra procéder un jour, qu'on souhaite prochain, à une
étude stylistique du corpus lévinassien, preuve vivace qu'on peut
penser en français, du moins dans ce français-là, fait de ruptures
de construction, d'ellipses, de métaphores, d'élisions, d’allusions,
de citations implicites, voire de néologismes ou de détournements
du sens .usuel de termes reçus, etc. ; bref, d’un français, étranger
au. français et d'autant plus intimement, fidèle à son génie, un
français d’écrivain, pas de professeur ni de philosophe. D’ailleurs,
il faut ajouter au nombre des raisons de la difficulté de l’œuvre
de Xevinas son effet proprement et* multiplement littéraire ; la
diversité des genres (article scientifique, article d'actualité, confé­
rence, commentaire talmudique, thèse,- traité systématique,
composition d'essais convergents, collection d'essais divergents,
entretiens plus ou moins, familiers* ou formels* etc.) etVmême la
multiplicité des registres philosophiques (histoire de la philo­
sophie, histoire de la phénoménologie, phénoménologie,
philosophie de la religion, philosophie politique, esthétique, etc.)
et ribn philosophiques (théologie et religion, commentaires talmu­
diques, critique littéraire,‘politique, etc.) exige du lecteur non
seulement des compétences peu communes,-mais surtout d'évaluer
les poids respectifs des textes rencontrés —leur autoritç concep­
tuelle normative pour .toute l'œuvre, ou leur rôle de commen­
taire lié aux circonstances d'une réception, ou leur statut péri­
phérique par .rapport à la pensée philosophante, quoique central
dans l'optique d’une préoccupation plus spécifique (religieuse,
politique* historique, etc.). Cette constante, difficulté à s'orienter
dans les textes, ou plus exactement à mesurer leur autorité et leur
rôle dans l’agencement d'ensemble, culmine dès qu'on les réfère
à l'événement qui les surplombe : la persécution du peuple juif
Préface générale III

par l’Allemagne nazie. Au contraire de la si courante rhétorique


assez inflationniste, qui ne cesse de demander.« comment peut-
on philosopher après Auschwitz ? », pour en parler d'autant plus
quelle en-pense au>fond d'autant moins la logique,d'ignominie
et le blasphème; Levinas n'évoque explicitement la Shoah qu’en
d’assez rares -pages (dont la* célèbre dédicace d'Autrement qu’être,
qui pourtant, avec un universalisme confondant, ajoute'aux «vsix
millions» des «plus proches.», la compagnie involontaire et
parfois volontaire « des millions et millions d'humains de toutes
confessions »), comme si cette ombre *siléndeüse, qui recouvre
tout le texte; l'inspire etie justifie,4ne pouvait ^pourtant et pour
cela même pas se dire ni se montrerdirectement elle-même. De
cette ténèbre lumineuse, l’immense non-dit surdétermine toute
l’oeüvre de Levinas, qui ne la dit jamais qu'à peine. Littéralement,
Levinas ne dit la* Shoah qu’^ peine, parce que dire ia peine, cettè
peine, exige à peine un dit, le moindre dit possible pour manifester
la peine infinie du dire, du dire qui fucainsr dénié et dédit-
L’accumulation de ces difficultés strictement .littéraires "suffirait
déjà à rendre la lecture de l'oeuvre4entière ardue,’délicate, voire
aporétique:* Mais ce n'est encore que le parvis des difficultés stric­
tement conceptuelles d’une philosophie dont l’interprétation-reste
encore profondément indécidéè. Mentionnons les principales.
Levinas débute comme l’un des premiers,' sinon le premier
véritable introducteur de HusseA dans -la philosophie française,
puis der Heidegger, d ’où sôn. statut-incontestable de phénoméno­
logue. Reste à savoir si cette option devient* ensuite plus qu'une
méthode de djépart,.et si sa pensée demeure inscrite essentielle­
ment ,dans le courant phénoménologique*ou s’en affranchit ; et
si oui, 'à partir de quand ét dans quelle" direction ?*Quant à la
reconnaissance jamais remise en question de la pensée de l'auteur
de Sein und Zeit, cela va de pair avec un silence presque complet
sur la différence ontologique (et son éventuelle disqualification) ;
inversement, Husserl reste un repère* déterminant jusqu'aux
tout derniers cours ; par ailleurs, autant les discussions avec les
contemporains (Derrida,*Henry et Ricœur) sont connues, autant
IV Carnets de captivité
leur impörtance réelle rëste à évaluer. Getté indétermination du
rôle pourtant indiscutable de la phénoménologie Jans «son: itiné­
raire de pensée, renforce "par contraste L’importance évidemment
cèntrale du judaïsme de Lëvinas : s agit-il d'une version française
du judaïsme philosophique allemand {de Mendelssohn à*Cohen
et Rosenzweig) ou les études talmudiques atteignent-elles-une
autorité dans le judaïsme orthodoxe (si le singulier a ici un sens),
ou encore ‘relèvent^elles de la philosophie ? Les débats, voire les
polémiques qui ifont cessé d'entourer ces questions, montrent
assez leur centralité : Levinas joue-t-il Athènes contre Jérusalem
ou au contraire Jérusalem contre Athènes en* prétendant parler
gîréc-pour dire Fautre Parole,.que le grec ne peut dire? Et dans
cet 'exercice^ comment pourrait-il ne pas rencontrer, au centre de
son itinéraire, la théologie chrétienne, qui a d'emblée affronté, le
Christ au grec ?. Et enfin, où passe ici la frontière (s’il en reste une
et s'il en faut une) entre ce que l’on fait tourner sous les titres,
d’ailleurs eux-mêmes questionnables, de philosophie (ou phéno­
ménologie) et de théologie ?
Même en supposant ces questions affrontées et assumée la
décision d’une lecture proprement et d'abord philosophique de
Fœuvre, on ne fait qu’ouvrir le débat sur le centre de.gravité et
l’intuition originelle, bref, sur 1affaire de pensée de Levinas.
Dans l'histoire déjà longue de sa réception, on à d'abord (plus
exactement au motaient,’tardif d'ailleurs, Jans les années 1970, de
la reconnaissance publique),privilégié la problématique éthique :
la*iace d'autrui, l'infini hors totalité, la différence de l'absolu.
Lecture légitime sans doute, inévitable sûrement, mais rapide­
ment apparue inadéquate. D'abord parce que Leyinas n’a jamais
tenté d'écrire une éthique, mais de décrire «ce qui rend possible
l'éthique, elle-même. Ensuite parce que la (quasi-)réduction qui
mène au fait de la raison éthique, la responsabilité iriconditionnée
envers autrui, ne permet justement pas d'accéder, du moins
comme telle, à tel ou tel autrui, entendu comme un individu et
ne l'ambitionne peut-être jamais (sauf si l'on prend au sérieux; les
évocations*de l'amour dans la période ultime). A fortiori, jamais
Préface générale v

on ne trouve la moindre tentative de déployer les détails d’une


morale appliquée,.encore moins l’esquisse d'une réflexion stricte­
ment politique^
Aussi a-t-on plus récemment suivi une autre ligne d’interpré­
tation : à considérer les‘premiers écrits (depuis De l’évastofi jusqu’à
Le Temps et l’Autre), surtout en prenant en compte l’environnement
sartrien si visible de l’époque, s’impose la question du soi, de la
difficulté à y accède^et, simultanément, à s’en extraire. Les thèmes
paradoxaux de la dernière période et les hyperboles que Ton y a
parfois stigmatisées (la substitution et ¿’élection en. particulier) ne
deviennent intelligibles que dans cette optique : il s’agit du soi que
je ne suis pas dans le sens même oùje ne dois pas l’être.
D’où la question de l’être elle-même : dès le début en effet, la
haine de l'être* qui surgit avec une violence presque sans généa­
logie, reprend sur le mode d’un renversement (Umwertung, au sens
de1Nietzsche mais aussi de Husserl) énigmatique )e privilège de
la Seinsfrage imposée.par, Heidegger comme l’entrée par excellence
dans la (fin de la) métaphysique. Or, loin.qufe-çette destitution de
l’être en ferme la question, il se pourrait au contraire qu’elle; ait
imposé à Levinas; comme en sous-jDeuvre et en^basse continue, ia
tâçhe ardue jusqu a l’aporie'de,déduire t'être-et la.différençeontb^
logique* à partir de l’autrement qu’être* de sorte que le mouve-
ment.même de. transgresser ¿'essence puisse aussi rendre, raison de
la présence et de sa permanence dans Yessznç&fausia). La défaite
de l'êtire n'aboutirait alors pas à sa disparition, mais à *sa reprise.
Laqùelle ?
Cette indécision, du moins, pour- nous, rejoint finalement
l’ambiguïté de la question de la phénoménalité en général,, ou
plutôt de la manifestation des phénomènes décrits par l'entre­
prise phénoméilologique tout entière, de Levinas. Comment
devons-nous entendre en, effet le ritre, qu’il confère en propre au
phénomène:? Ce qui se*propose dans l’évidçnce de l'Épiphanie
semble en fin de-compte revenir à l’effacement de la trace, de la
tracé comme effacement de la présence* tant celle d’autrui que de
Dieu, du visage que de l’infini. Aboutissons-nous à une'extinction
VI Carnets de captivité
de la visibilité ou à son accomplissement dans l'évidence, à un
salüt du phénomène dans la lumière de l'infini hors totalité ou à
son humiliation dans l'absence, à moins qu'il ne s'agissede notre
. humiliation devant l'insoutenable £dat de ce qui nous advient
sans se soumettre à notre intentionnalité ?-
D'autres questions, aussi décisives, pourraient s'ajoiïter à cette
première recension etr, sans aucun doute, les travaux* à venir en
dégageront encore Je nouvelles, peut-être plus rèdoutables. Mais
cela suppose une appréhension de l’œuvre dans sa totalité. Une
totalité dont la découverte d'une masse considérable et encore
inexploitée d’inédits reitd l'abord encore plus délicat. Nous avons
donc le devoifripais aussi le besoin, de ne pas laisser cestextestrop
longtemps sans les rassembler dans une édition d*Œuvres complètes.
Sans Ce préalable, qui sans aucun-doute exigera1du temps et la
collaboration de- tous les connaisseurs sérieux de l'œuvre, d'in­
terprétation de Levinâs restera longtemps partielle, donc insuffi­
sante, et risquerait de sombrer dansTarbitraire et les polémiques
sans autre objet que l'idéologie.
Un-comité scientifique en charge de ce travail (constitué de
Miguel Abertsour, Rodolphe «Câlin, Bemhardt Gasper, Catherine
Chalier, Michel Deguy;Marc B. Delaunay, Marc Faessler, Giovanni
Ferretti, MiguehGarcia-Barô, Kevin Hart, Jean-Luc Nancy, Guy
Petitdemange, Claude ROmano et Cbordonné par Jean-Luc Marion)
s'est attaché à commencer de travail: Il a posé, en accord avec
l’exécuteur testamentaire (Michaël Levinas), avec l'IMEC (Olivier
Corpet et Nathalie Léger) et les Éditions Grasset (Bernard-Henri
Lévy et Olivier Nbra) les*principes d'édition suivants.
L’édition devra, autant que possible, suivre et, quand ce sera
nécessaire1,'rétablir un ordre chronologique des publications. .Mais
comme certains livtes ont été, lors de leurs rééditions du vivant
de Levihas, augmentés de textes plus récents, de sorte -qu'ils .sont
devenus des recueils composites (par exemple En'découvrant l’exis­
tence... ), et comme "Levinas a organisé ou cautionné des recueils
comprenant'parfois des-textes d’époques très différentes (ainsi Entre
nous)yces choix, bien qu'ils rompent avec le principe chronologique,
Préface générale VII

seront respectés, chaque fois que Levinas s'y est engagé lui-même
sans ambiguïté. Mais d'autres recueils plus arbitraires pourront être
démantelés pour replacer leurs composants dans l'ordre chronolo­
gique. On pourra aussi recourir exceptionnellement à une double
publication du même article : d'abord dans le volume où chrono-
logiquemènt et conceptuellement il est requis (ainsi « L'ontologie
est-elle fondamentale ? » pour Totalité et Infini), ensuite dans le
recueil validé par Levinas (ici Entre not{s, Grasset, 1991).
L'édition tiendra évidemment compte des inédits, tout en
sachant qù'ils ne seront pas tous immédiatement accessibles,
puisque leur classement dans le dépôt qui a été fait à l'IMEC n'est
pas achevé (bien que leur numérisation le soit). Ces inédits seront
édités dans une section spéciale, dont lies volumes seront publiés
soit avant (par exemple pour les Carnets de captivité), soit après la
reprise des ouvrages publiés du .vivant de Levinas, en au moins
trois volumes.
Sous, réserve'de l'accord final des éditeurs de l’œuvre anthume,
l'édition des textes publiés du vivant et Sous l'autorité directe de
Levirfas se fera en les regroiipant^elon un ordre à la fois chronolo­
gique, mais également, quand il sera plus expédient, thématique
(ainsi pour les écrits .dé critique littéraire, les Leçons talmudiques et
les Entretiens).
Chacun de ces volumes sera composé (sur le modèle de l'édi­
tion des Husserliana à Leuven) de deux types de textes : d'abord
les textes publiés par Emmanuel Levinas, ensuite le dossier des
articles et des“conférences préparatoires, des recensions contem­
poraines et des inédits pouvant concerner l'époque et laiquestion,
à titre à*Annexes et documents
L'édition de chaque volume sera* confiée à un nu plusieurs
responsîtble(s), choisi(s) chaque ibis par le comité scientifique, et
qui valide(nt) le manuscrit final.
Jean-Luc Marion
VIII Carnets de captivité
Le plan général des Œuvres se< présente, à l'automne 2009,
comme suit.
Section I. Les inédits.
Tome L Carnets de captivité. Écrits sur la captivité. Notesphilosophi­
ques diverses. Responsables : Rodolphe Câlin et Catherine Chalier.
Tome II. Conférences inédites au collège philosophique deJeaq Wahl
et autres textes. Responsables : Rodolphe Calm et Catherine
Chalier.
TomeTII. Autres inédits.
Section 2. Les textes publiés par Emmanuel Levinas
Tome IV. Philosophie 1.
- La Théorie de Vintuition dans la phénoménologie de Husserl, Alcan,
1930 (avec les compléments).
- De Vévasion (repris de la Revue philosophique, 1935), augmenté
des articles de la période.
- De Vexistence à Vexistant, éditions de la revüe Fontaine, 1947,
repris par J. Vrin, 1947 et 1981.
- « Le Temps et TAutre », in Jean Wahl (éd.), Cahiers du Collège
Philosophique, Arthaud, 1947.
- En découvrant'lexistence avec Husserl et Heidegger, J. Vrin, 1949,
1967, 1974.
Tome V. Philosophie 2 .
-Totalité et Infini. Essai sur Vextériorité, M/Nijhoff, 1961, suivi
d’un dossier.«
- Autrement quatre ou au-delà de Vessence, M. Nijhoff, 1974, avec le
dossier des textes préparatoires.
- De Dieu qui vient à l idée,J. Vrin, 1982,‘avec un ensemble de textes.
Tome VI. Judaïsme. Politique. Critique littéraire.
Tome VII. Entretiens. Varia.Il
Il va sans dire que ce projet subira, à mesure de l’avancement
de sa réalisation, des modifications.
Avertissement

Les inédits que nous présentons ici constituent le volume 1


deda section « Les inédits » des Œuvres d’Emmanuel Levinas. Ce
volume, pas plus que celui qui le suivra, n’entend donner à lire
l’intégralité des nombreux inédits contenus dans le fonds d’ar­
chives Emmanuel Levinas en dépôt conservatoire à J ’Imec. Il
opère donc un choix, qu’il importe pour commencer de justifier.
Composé principalement de fragments rédigés entre le milieu des
années 1930 et la première moitié des années I 960, le présent
volume obéit à deux critères : un critère temporel et un critère
stylistique.
Critère temporel, plus que chronologique, car il contient
une, partie des inédits couvrant la période allant de la fin des
années 1930 au début des années I 960 (la plupart ayant été écrits
avant I960), grosso modo, de De l'évasion (1935) à Totalité et Infini
( 1961)“. Autrement dit, les inédits antérieurs à cette périodé (en
réalité peu nombreux) n’y figurent pas. Le choix de cette période
n’a, rien d’arbitraire, qui concerne la longue phase intermé­
diaire entre le.premier essai d’Emmanuel Levinas et sa première
œuvre philosophique majeure. Or, pour être significative, cette
période n’en est pas moins obscure. Certes, Levinas a publié dans
cet intervalle des ouvrages importants ^ De d'existence à l'existant
(1947), Le Temps et VAutre (1948) et En découvrant Vexistence avec
a. Sur la datation de ces notes, cf. notre notice sur les Notes philosophiques diverses.
10 Carnets de captivité
Husserl et Heidegger (1949). Mais ces œuvres sont de la fin des
années 1940, et nous savons peu de chose sur son activité philo­
sophique pendant les douze années qui ont précédé De l'existence à
l'existant et les douze années qui ont suivi En découvrant l'existence
avec Husserl et Heidegger. Levinas publie fort peu entre 1935 et
1947, et peu d’écrits philosophiques entre 1949 et 1961, l’essen­
tiel des écrits de cette seconde période portant sur le judaïsme.
C’est sur ces années de genèse que la plupart des inédits de ce
volume lèvent en partie le voile.
Critère stylistique ensuite : il s’agit en effet, à l’exception de
trois courts textes sur la captivité et d’un bref hommage à Bergson,
d’écrits fragmentaires, plus précisément de notes, prises soit dans
des carnets, soit sur des feuillets isolés. Le présent volume n’in­
clut cependant pas toutes les notes de la période concernée, mais
seulement celles d’un certain type. Levinas opère en effet plusieurs
subdivisions à l’intérieur de ses notes, et d’abord, il distingue ce
qu’il appelle les « notes diverses de philosophie en recherche »
dés notes préparatoires à une œuvre (article, conférence ou livre).
Notes diverses de philosophie en recherche, c’est le titre donné à une
liasse de fragments, les autres liasses ou carnets de fragments du
même type ne comportant pas de titre. Elles sont diverses parce
qu’elles abordent de multiples sujets ou questions, et notes, de
philosophie en recherche dans la mesure où elles n ont pas, ou du
moins ¿’indiquent pas, de destination précise. Comme exemple
du second type de notes, on peut mentionner l’ensemble intitulé
par Levinas Notes Autrement qu'etre, ou encore les « feuilles prépa­
ratoires » de l'article « Le dire et le dit 4 ». On peut enfin distin­
guer de ces deux types de notes un troisième type, qui participe
à laibis du premier, car il s’agit de notes qui ne sont pas prépara­
toires à une œuvre précise, et du second, en ce quelles possèdent
une forte unité thématique, parce qu’elles traitent une même
question. Nous pensons en particulier à deux séries, l’une portant
À l’intérieur des notes préparatoires, Levinas distingue les notes utilisées (par ex. « Fiches
utilisées », titre d’une série de notes très vraisemblablement préparatoires à l’article « La substitu­
tion ») des notes inutilisées (par ex. : « Buber : notes inutilisées »).
Avertissement 11

le titre « Études », qui a pour thème l'illéité, l'autre, sans titre,


qui a pour thème la trace, la révélation et l'énigme. « Études »,
compris au sens de l'examen d'une question, qualifie parfaitement
ce troisième type de notes.
De ces trois types de notes, Notes diverses dephilosophie en recherche,
Notespréparatoires et Études, qui, d'un point de vue génétique, n'ont
pas la même signification, nous avons, pour ce volume 1, retenu
le premier. Plus précisément, en suivant notre critère temporel,
nous avons retenu les notes diverses qui relèvent de la période
couverte par ce volume. Ce sont donc toutes les notes diverses de philo­
sophie en recherche écrites entre le milieu des années 1930 et le milieu des
années I960, que nous donnons à lire ici. Les Carnets de captivité, bien
qu'ils constituent un ensemble distinct des liasses ou carnets ici
réunis sous le titre de Notes philosophiques diverses, et bien que leur
propos ne soit pas uniquement de l'ordre du discours philoso­
phique, relèvent pour une large part de ce type de notes.
Outre que, comme notes, elles nous donnent à voir « la coulisse,
l’atelier, le laboratoire, le mécanisme intérieur », comme l'écrivait
Poe, à titre de notes de philosophie en recherche, de notes qui ne sont
pas préparatoires à une œuvre en particulier et* gui, pour cette
raison, n’ont pas forcément trouvé d’écho dans l'œuvre publiée,
ou qui n’y ont trouvé qu’un écho très éloigné, elles* révèlent les
possibles de cette recherche : il suffit de penser aux nombreuses
notes sur la métaphore qui témoignent d'intenses réflexions en ce
domaine et dont l'œuvre publiée a conservé peu de traces. C'est
pourquoi, bien qu'elles ne donnent à lire qu'une partie des inédits
de cette période, elles nous offrent, sur elle, un irremplaçable
témoignage.
Rodolphe C âlin
Préface

Carnets de captivité
Écrits, pour l'essentiel, durant ses cinq années de captivité,
mais commencés en 1937 et poursuivis jusqu’en 1950, composés
de notations sur des thèmes et des objets d’apparence fort divers,
ces carnets fie sont pas, comme on s’y attendrait, seulement ni
même principalement l’oeuvre d’un philosophe. Ils sont aussi et
d’abord celle d’un romancier, du moins d’un écrivain qui n’am­
bitionne pas seulement d’accomplir une œuvre philosophique,
mais tout autant - comme Sartre,? - une œuvre littéraire, plus
précisément, romanesque. Un fragment du Carnet 3 le dit sans
détour : « Mon œuvre à faire : Philosophique ! . ..) Littéraire {»..}
Critique* » ; suivent, sous chaque rubrique, des titres ou l’ihdiea-
tion de thèmes d’œuvres projetées. C’est de cette œuvre, dans sa
triple dimension, qu’il est question dans ces Carnets. C’est dire que
les fragments qui les composent ne sont pas divers, voire disso­
nants parce qu’ils aborderaient de multiples sujets, mais d'abord
parce qu’ils parlent sur dés modes très différents.
Et cependant, malgré cette diversité, ils forment un tout. Que
LevinaS'ait jugé bon d'y consigner encore, durant les années de
l'immédiat‘après-guerre, fut-ce, sur deux pages par année, des
a. Carnet 3, p. 32. Toutes les références aux Carnets de captivité sont données suivant la pagina­
tion du manuscrit, indiquée entre crochets obliques dans notre transcription.
14 Carnets de captivité
notations, qui n’eussent pas trouvé ailleurs leur place, suffirait à
l’attester. Or, ce qui donne à ces Carnets leur unité, c’est la captivité
elle-même. Non-pas seulement à titre de situation dans laquelle ils
furent, pour l’essentiel, écrits, ou dont ils nous feraient le récit au
jour le jour. Un tel récit en est absent, et des épisodes, des situa­
tions vécus, lorsqu’ils sont évoqués, le sont souvent de manière très
épurée : ainsi cette scène au cours du travail quotidien en forêt :
« La méchanceté —deux équipes scient. W. est engueulé - Il est
dépité - mais demain son dépit passera. - Lui dire les méchancetés
dès aujourd’hui. Demain ce sera trop tarda ». C’est d’une manière
moins triviale ou moins évidente que la captivité unifie le propos
des pensées ici rassemblées. C’est au sens où elle entre en résonance,
parfois très forte, avec les trois types d’écriture - philosophique,
critique et romanesque - que mêlent ces Carnets, dont elle devient,
pour cette.raison, parfois le thème explicite.
Commençons par l’écriture littéraire. -L’ambition de devenir
romancier n’aura pas habité Levinas uniquement pendant les
années de guerre, c’est-à-dire ces années où son œuvre de philo­
sophe est encore inchoative, «mais, ce qui est plus significatif, au
moins jusqu’au début des années I 960, au moment où il publie
Totalité et Infini, dans lequel sa «philosophie trouve, une ¿première
exposition complète. On lit en effet dans les archives Levinas deux
romans inachevés, le premier intitulé La Damesde chéZ Wepler, le
second, Eros. C’est le second qui nous retiendra ici. Eros, dont
on peut approximativement dater au moins 4’une des campa­
gnes d’écritureb-est Lien en effet le romaa^ —ou du moins l’un
des romans, mais il est vrai, celui dont il est le plus fréquem-
a. Carnet 2, p. 19.
b. Le roman est écrit d’abord sur un cahier d’écolier dont les dernières pages sont laissées
vierges et repris ensuite au verso dé morceaux de feuillets volant& (souvent des imprimés datant du
début des années I960), feuillets qui ne se suivent pas toujours. S’il est difficile dq dater l’écriture
sur cahier —il s’agit d’un cahier de mauvaise qualité qui pourrait être ancien ou avoir très rapide­
ment vieilli*-, certains éléments nous conduisent à penser que ce rôman a connu au moin^ deux
campagnes d’écriture, et qu’un temps relativement long s'est écoulé entre elles. C’est le fait, d'une
part, que Levinas a changé de support d’écriture, cependant que toutes les pages du cahier n’ont
pas été utilisées, et, d’autre part, que la première phrase que l’on peut lire sur le premier feuillet
volant prend, nous a-t-il semblé, trop ostensiblement l’immédiate suite du cahier.
Préfaçe 15

ment question - que Levinas, dans les Carnets, projetait d écrire,


et qu'il y a déjà en grande partie esquissé. Ce roman se contente
seulement, semble-t-il, de changer de titre, puisque Triste opulence
devient Erof.*
Or, le thème de ce roman, c est la débâcle et la captivité elles-
mêmesb. Eros (?) commence en effet en mai 1940, au moment
où Paiïl Rondeau, interprète militaire, part pour le frontc. Il se
poursuit pendant la captivité, à Rennes d’abord, en Allemagne
ensuite?*, et s’achève, si l’on peut dire, parle retour, après cinq ans
de captivité, du héros. (Le nom de ce dernier est d’ailleurs indécis.
De Paul Rondeau, il n’est plus question pendant la période de
captivité1, sans que l’on sache qui, des personnages de cette partie
du roman, le remplace ; ensuite, c’est un personnage appelé Jean-
Paul, qui n’apparaissait pas jusqu’ici, qu’on voit, après cinq années
de captivité, descendre le perron de la gare du Nord, auquel
succède, mystérieusement, dans les dernières pages du manuscrit,

a. Le*titre de ce roman n’est pas certain. Il ne figure en effet que surie feuillet cartonné plié en
deux à l’intérieur duquel se trouvent le cahier et les feuillets volants {cf. la précédente note). Or,
certains feuillets au verso desquels Levinas a écrit son roman sont des manuscrits philosophiques
portant notamment sur Yeros, thème important, on le sait, de l’œuvre lévinâssiènne. On ne peut
exclure que ce feuillet cartonné ait servi, lors d’une première utilisation, à ranger un manuscrit
philosophique sur l'eros. Une“autre raison peut être avancée : si Yeros, plu$ précisément ici, l’éro­
tisme, sont une dimension importante du roman, il n’en est pas, du moins nous a-t-il semblé, le
coeur. C’çsc pourquoi, si rien ne nçus autorise à attribuer à ce romap qui n’est autre que celui qui
s’esquisse à maintes reprises dans les Carnets, le titre qu’il reçoit dans ces derniers, à savojr Triste
opulence - Levinas âyant évidemment pu changer de titre entre-temps —, rien ne nous interdit de
mettre en doute le titre Eros. Par conséquent, chaque fois qu'il en sera question, dans notre pré­
face comme dans ies notes d’édition, nous le ferons suivre d'un point d’interrogation placé entre
parenthèses.
b. La D am de chez Wepler se passe également pendant la guerre (l’action se situe précisément
à la fin du^mois de mai 1940), mais celle-ci n’en constitue pas le thème central ; il y est question
de l’obsession du héros pour une prostituée aperçue trois ans plus tôt, dans le hall de l’hôtel
Georges V, et qu’il n’a pas osé approcher, parce qu’il n’a pu à ce moment-là, lit-on, « se détacher
du monde des-responsabilités ». Sans être du tout un roman « érotique », ce roman aborde, dans
des descriptions qui ne surprendront pas le lecteur de Levinas, « l'abîme, y lit-on, qui sépare le
respect du sexüel ».
c. C’est la première partie du roman que l’on peut lire sur le cahier d’écolier. La suite se trouve
sur les feuillets volants {cf. les deux avant-dernières notes).
d. Rennes oh Levinas commença sa captivité, l'Allemagne où, après avoir connu d’autres camps
de prisonniers en France, il la poursuivit et l’acheva. C f infra notice sur les Carnets de captivité.
16 Carnets de captivité
un personnage .nommé Jules*.) Que ces Carnets rédigés pendant la
captivité soient notamment le lieu d'élaboration d'un roman sur
la captivité mérite que l'on s’*y*attarde. Cela signifie en effet que
la captivité n'y est pas seulement réelle, mais également d'em­
blée fictionnelle, et que si LeVinas n’entend pas en faire le récit
objectif, c’est parce qu'il entend dès l'abord en écrire le romanb.
Sans doute* est-ce làd'aspect le plus frappant et le plus troublant
de ces Carnets, que des personnes réelles avec qui Levinas a partagé
cette captivité et des scènes de vie captive y soient, dans le même
temps, des personnages et des situations d'un roman sur la capti­
vités Que la dure réalité de la captivité y soit dès le début tenue
à distance, déréalisée pour devenir cèlle du roman. Mais cette
déréalisatiQn n'a rien d'accidentel, comme on le voit si l'on veut
bien se pencher, un instant, sur l'expérience qui est au cœur du
roman, et que décrivent déjà de nombreux fragments des Carnets
de ce qui s'intitule encore Triste opulence.
Cette expérience, c’est la défaite de la France, ou, selon l’image
récurrente dans le roman, la chute de la draperie, c’est-à-dire de
l’officiel. Cette cassure du monde de l’officiel, ou plutôt du monde
en tant que, souligne Levinas, il comporte toujours de l’officiel, est
la situation, précise-t-il, non pas « du renversement des valeurs
[...] - du changement d ’autorité - mais de la nudité humaine
de l’absence d’autoritçc ». Cette, sitqation fut certes décrite par
d'autres témoins de la débâcle. Mais elle prend 'chez Levinas
de nouvelles dimensiorfs et une signification plus radicale. Cet
anéantissement de la patrie gagne aussi les choses elles-mêmes,
et, au bout du compte, signifie la fin du sens : « Les draperies qui
a. Même hésitation dans La Dame de chez Wepler. Lors d’une campagne de corrections, Levinas
a écrit « M. Simon » à la plume en surcharge de la première occurrence de « Roland Ribérat »
(écrit, comme la quasi-totalité du roman, au crayon à papier) - les autres occurrences ne sont pas
corrigées.
b. En 1955, Levinas écrivait, à propos du récit de Zvikalitz, Yossel Rakover s’adresse à Dieu, qui
se présente comme le témoignage d’un combattant du ghetto de Varsovie, mais qui est en réalité
une fiction : « Nous venons de lire un texte beau et vrai, vrai comme seule la fiction peut l’être »,
Difficile liberté, Paris, Albin Michel, 1976, p. 189.
c. Page 1 du bifeuillet inséré dans le Carnet 5.
Préface 17

tombent dans ma scène d’Alençon concernent aussi les choses. Les


choses’ se décomposent, perdent leur sens : les forêts deviennent
arbres —tout ce que signifiait forêt dans la littérature française —
disparaît. Décomposition ultérieure des éléments —des bouts de
bois qui restent après-le départ du cirque ou sur la scène - le trône
est un bout de bois, les bijoux des morceaux de verre, etc. Mais
je .ne veux pas simplement parler de la fin des illusions ; mais
plutôt de ïa. fin du -sens. {Le sens lui-même comme une illusion.}
{...] Creuser, cette idée de la “perte de sens” par les choses. Et
la solitude qui en résulte. ». Mais cette chute signifie enfin, plus
radicalement encore, la perte de toute.stabilité, de:toute substan­
tivité : ce n’est plus seulement, soulignera Eros (?), comme lors de
la première guerre mondiale, les personnes et les choses qui sont
anéanties, mais l’espace lui-même ; autrement dit, ce n’est plus
seulement, comme l’affirmait De Vévasion en 1935,auquel semble
penser Levinas dans les premières pages de son roman, « l’ê tre du
moi que la guerre et l’.après-guerre,iious ont permis de connaître »
qui «' sç sent, dans tous les sens du terme, mobilisable* » -, c’est
l’espaçe. qui n’offre plus aucun? appui, qui devient meuble, qui
perd ¿on ordre et sa continuité. La défaite dç la France —de cette
« immense stabilité.» dit Etos (?) —, la chute de ladraperie, c’est
la chute même de *la-réalité, c'estJa réalité, perdant subitement sa
consistance, ,sa substantialjté„sa stabilité mêmes.
Clest dans ce monde qui a perdu ses objets, ou dont les objets
on£ perdu leurs formes et se décomposent, c’est-à-dije retour­
nent dans l’élémental,* ce monde qui n’offre plus aucune base,
aucun appui, bref, selon l’expression de De l’existence à l’existant,
ce « monde cassé », que se déroule la captivité. L’une des scènes
significatives de la seconde partie du roman, qui justifie peut-être
le titre.quij apparemment, lui sera finalement donné, mérite d’être
mentionnée. La vue, par les prisonniers serrés dans la remorque
d’un camion, d’une paire de bas séchant dans une maison où habi­
tent des Allemandes appartenant à l’armée, ou d’une femme se
a. De l’évasion {1935}, Montpellier, Çata Morgana, 1982, p. 70.
18 Carnets de captivité
peignant devant un€ feftêtre, donne lieu à des développements
sur l’érotism^ dans lequel; dit LeVinas, l’anatomie perd sa finalité
biologiquê pour retourner^ « sa massivité de chàir », eü les objets
- par exemple le‘f5èigne - n’ont'« plus;'rien de leur chaste essence
d’ustensiles », c’est-à-dire ont perdu leur finalité, et, dans cette
mesure, leilf^sens. D’une autre manière, un passage des Carnets
souligne cettê'irréalité d’un monde dans lequel no se rencontre
plus rien de substantiel, qui est celui de la captivité ' *<vPhantomes
- ils accomplissent les gestes dans la réalité sans réalité —non
seulement absence d’objets mais absence de progrès, d’accomplis-
semént. L’année de captivité - les gestes quotidiens sont celaa. »
Il est vrai que la captivité n’apparaît pas seulement à Levinas
comme un en-deçà du réel, mais aussi, comme un au-delà : « Le
prisonnier, écrit-il dans Captivité, comme un croyant, vivait dans
l'au-delà. Il n’a jamais pris au sérieux le cadre étroit de sa vie.
Pendant cinq ans, malgré son installation, il était sur le point de
partir. Les réalités les plus solides qui l’entouraient portaient le
cachet du provisoire. Il se sentait engagé dans lin jeu qui dépas­
sait infiniment ce monde d’apparences. Son vrai destin,' son'vrai
salut se faisaient ailleurs. Dans le communiqué. C’étaient des
événements à l’échelle cosmiqueb. » C’est là une autre dimension
de cette captivité, qui mériterait que l’on s’y attardât également,
parce quelle revient à'dire qu'au fond, l’évasion, cette sortie de
l’être dont parlait Levinas dans De Vévasion, d'est paradoxalement
la captivité qui l’accomplit. Il reste que cet'ati-delà ne se produit
qu’à la faveur de l'interruption ou de la cassure de l’ordre du téel,
ou plutôt du réel comme ordre.
Qu’elle nous situe en deçà ou au-delà du réel; la captivité mani­
feste ainsi d’abord son aptitude à devenir « réalité » fictionnelle ou
romanesque. La notion du fantastique, c’est-à-dire, d’une « réalité
a. Carnet 4, p. 60. Eros (?) se fera l’écho de ce passage : exprimant le sentiment qu’éprouve
Jean-Paul en arrivant à Paris, Levinas écrit : « Les choses se dessinaient dans leur stabilité impas­
sible après ces vagabondages sans nombre en Allemagne où aucun paysage n’avait eu de réalité
véritable... »
b. Infra pp. 153-154.
Préface 19

qui tout en étant dans le réel est au-delà du réela », notion sur
laquelle reviennent à plusieurs reprises les Carnets, notamment
au* contact d’Edgar Poe, s’impose ici incontestablement. Et ce,
d’autant que le faiitastique y est reconnu Comme le ressort du
style descriptif du roman tel que le conçoit ’Levinas : dans un frag­
ment* où il détaille ses procédés littéraires, Levinas écrit notam­
ment : « La situation réelle est décrite sobrement. {On y accède
à travers une porte -largement ouverte.} Mais une petite image
finale, sur laquelle il ne convient jamais d’insister, {comme un
vasistas qu’on entrouvre pour un instant}, y fait {circuler} comme
un courant d’air rapide du fantastique. Toute la “situation réelle”
apparaît au-dessus d’un* précipice. » La captivité apparaît dans
ces Carnets comme la situation fantastique par excellence, et les
Carnets ne sont dès lors -rien d’autre *qu’un roman fantastique de
la captivité.
Il ne sera pas nécessaire d’insister autant sur- les- passages
philosophiques des Carnets, qui surprendront moins le lecteur
de Levinas. Concernant l’ëcho qu’est susceptible d’y rencontrer
la captivité comme épreuve même de la cassure du monde, on
rappellera que c’est sur le thème du « monde cassé » que s’ouvre
le premier chapitre de De Vexistence à l’existantŸ ouvrage •qui fut
justement rédigé en grande partie en captivité, comme-le précise
son avant-propos, rédaction dont les Carnets contiennent de
nombreuses traces.-C’est ce thème du monde cassé, qui, à titre de
moment limite, révèle le fait même de l’être, ou encore Vil y ay
notion centrale dans les'premiers écrits de Levinas, véritable point
de départ de sa réflexion. « Dans la situation de la fin du monde se
pose la relation première qui nous rattache à l’êtreb. » Il est donc à
peine besoin de souligner que la captivité* bien qu’elle ne soit pas,
mis à part dàns *l’avant-propos, évoquée dans cet ouvrage, fut-ce à
titre d’exemple, entre en résonance avec la pensée qui s'y déploie.
a. Carnet 6, p. 3.
b. De l'existence à l'existant [1947], Paris, Vrin, 1978, p. 26.
20 Carnets de captivité
On peut d'ailleurs mentionner, le fait que l’une des chemises
dans lesquelles se trouvent rangés quelques feuillets manuscrits
préparatoires à De l'existence à Vexistant contenus datls les archives
Levinas porte simplement le*titre de.« monde caSsé,», attestant
ainsi l’importance, voire le caractère central d’un thème qui, à lire
le début .du premier chapitre de De l'existence à Vexistant, pourrait
donner l’impression de seryir de simple amorce ,à l’élucidation du
fait mêmede l’exister: Ce qui alors devient significatif, c’est le fait
que Levinas, durant les années de guerre, aura tenté de décliner à
la fois dans, L’écHture philosophique et dans l’écriture romanesque
une même expérience de la cassure du monde. Qu'il y soit finale­
ment parvenu en philosophe atteste «ans doute qu’avoir quelque
chose à dire exige encore de lui trouver un langage approprié >4mais
cela ne doit pas faire négliger les tentatives littéraires, ni, surtout,
le concert qu'elles forment avec le propos philosophique. Car la
chose à dire en question s'enrichit incontestablement du fait de
se trouver mêlée à des. tentatives romanesques qui en fournissent
l’illustration, ce qui n'étonnera pas chez un penseur soucieux de
ne jamais-dissocier un concept - ici celui de monde cassé et donc
à'il y a —.des situations concrètes qui l’illustrent —ici lajcapti-
vité.-, au, motif,que la recherche de la <$,“condition des situations
empiriques », doit laisser' «' aux. développements dits empiriques
où*la possibilité conditionnante s’accomplit — à la concréti­
sation - un rôle ontologique qui précise le'sens de la possibilité
fondamentale, sens iavisible dans .cette condition“ ».
Au sujet du contenu des fragments, philosophiques des Carnets
de captivité, on soulignera deux, aspects. Les Carnets témoignent
évidemment de la genèse de De l'existence*à l'existant : une majo­
rité des fragments philosophiques qu’ils contiennent-en abordent
les thèmes essentiels. Toutefois, les Carnets ne sont pas le lieu
où cette œuvre s’élabore principalement, et ils n’offrent rien de
comparable aux nombreuses pages manuscrites de De l'existence à
l'existant qu’on peut lire dans les archives, et qui permettent assez
a. Totalité et Infini. Essai sur l'extériorité, La Haye, Nijhoff, 1961, p. 148.
Préface 21

bien d'en voir la genèse. Il ne faut donc pas y chercher ce qu'on


ne saurait y trouver. On lira malgré cela avec intérêt les quelques
passages des Carnets qui portent la trace de développements que
les manuscrits de De Vexistence à*Vexistant consacrent à la tempo­
ralité comme drame-s'accomplissant en plusieurs temps, et aux
notions de symbole Æt d'accomplissement qui s'y rattachent, mais
qui n'ont pas été retenus par Levinas dans le livre publié.
Un second aspect mérite d'être noté. Il concerne le rapport
entre judaïsme et philosophie, plus particulièrement le souci de
faire apparaître le judaïsme comme une catégorie d e l'être. Il faut
d'autant plus, y insister que la captivité dont nous parle Levinas
est d'abord celle du prisonnier juif. C'est en effet un « roman
j <uif>asur la captivitéb... » qu'entend écrire Levinas, et peut-être
pense-t-il alors à Triste opulence ; de même, les écrits sur la captivité
qu'on*fourra lire, ici,*à la suite des Carnets de captivité, envisagent
d'abord la captivité du prisonnier Israélite. C'est à ce titre que la
captivité devient, eçi un sens, le thème/non plus Seulement des
fragments romanesques, mais aiissi des fragments philosophiques
des Carnets de captivité.
Levinas avait montré, dans -des* écrits d'avant-guerre, que
l’épréuve de l'hitlérisme imposait juif le sentimeiit -d'être
« irïéluctablement rivé à son judaïsme0 ». C’est également le senti­
ment* qu’éprouvera le prisonnier juif « Parqué dans des bara­
ques ou dans des« kommandos spéciaux, tenu pour y échapper à se
camoufler sous une fausse identité —le prisonnier israélite retrouva
brusquement son identité d ’israélited.. >> Or, ce qui ressort des
Carnets 'de captivité\ c’est que cette identité retrouvée de manière si
dramàtique est une situation dont il faut partir pour philosopher, :
il faut,considérer le. judaïsme ou l'être-juif comme une catégorie
a. Levinas n'écrit ici que l'initiale du mot « juif », comme du ipot « judaïsme » en d’autres
passages des Carnets, afin, peut-être, de se protéger au cas où ses carnets auraient été découverts par
les autorités des camps où il était prisonnier.
b. Page 5 du Carnet 7a inséré dans le Carnet 7.
c. « L’inspiration religieuse de l’Alliance », Paix et Droit, organe de l’Alliance israélite univer­
selle, n°*8, oct. 1935, p.4.
d. La Spiritualité chez le prisonnier israélite, infra p. 205.
22 Carnets de captivité
ontologique. Deux fragments, qui se suivent presque immédia­
tement, le disent, de façon laconique mais néanmoins très claire :
« partir du Dasein ou partir ’du J<udaïsme> »*, «J<udaïsme>
comme catégorie4 ». C’est cela que, dans les Carnets, Levinas oppose
à Heidegger, non pas'seulement le Heidegger qui adhéra au patti
nazi, mais aussi et d’abord le pehseur de l’être. Cette opposition
de l’être-juif et du Dasein, plus .précisément, ce souci de faire de
l’être-juif le point de départ de l’ontologie, au moment même où
Levinas rédige De l'existence à Vexistant, est fort significative: Il faut,
en effet,» selon la.philosophie* de De l'existence à l'existant; déduire
la signification de l’étant, plus précisément de l’homme ou du je,
dans l’être ; ce qui revient à partir du « je suis » et non plus du
« Dasein », car ce dernier est d’emblée défini comme compréhen­
sion de l’être et, à ce titre, se trouve non pas déduit, mais posé
« simplement à côté de l’être par une distinctionb », celle de l’être
et de l’étantc. Préalable au mouvement de la compréhension de
l’être par le Dasein est le mouvement par lequel le « je » se pose
dans l’être, exerce sa maîtrise sur l'être et ainsi peut dire « je suis ».
Faire du judaïsme une catégorie ontologique, cela suppose dès
lors, en un sens, de faire aussi pour l’être-juifiou le « je suis,juif »
ce que De l'existence à l'existant fera pour le « je Suis » en général, à
savoir d’en déduire la signification à partir de l’économie ou de la
totalité de l’être, déduction par laquelle justement ¿1 pourra appa­
raître comme catégorie ontologique et servir de'point de départ à
la pensée, d’alternative possible au Dasein. Ces deux déductions
n’ont toutefois pas la même signification': partir de l’être-juif ce
n’est pas, comme dans De l'existence à l'existant, partir d’un « je
suis » compris comme commencement et liberté, pure référence
à soi-même (fût-elle aussitôt 'reconnue .comme un 'enfermement
en soi-même), c’est partir d’un « je » d’emblée compris à partir
du passé de la création et de l’élection, autrement dit, d’un' « je »
a. Carnet 3, p. 35.
b. De /'existence à Vexistant, op. cit.t p. 141.
c. Sur la critique de l’existence comme compréhension chez Heidegger, infra également,
Carnet 7, pp. 38-39.
Préface 23

qui est d’embiéç fils de Dieu et qui ne se pose que dans la filialité3.
Quoi quil en soit des questions soulevées par la « concurrence »
de ces deux points de départ, le « je » et « l’être-juif », que nous ne
pouvons aborder ici, on voit que le fait de considérer le judaïsme
comme catégorie ontologique revient à faire du judaïsme le lieu
d’une nouvelle interprétation de l’homme et de sa subjectivité. Et
c’est bién ce qui est en jeu aussi dans ces Carnets et qui se cherche,
par exemple, au contact, non d’un philosophe, mais d’un écrivain,
Léon Bloy :»« Exemple de ce qu’est le christianisme dans l’inter­
prétation de l’humanité deJ’homme. Tout l’homme est logé dans
les catégories *du catholicisme. Mais tandis que nous autres nous
restons à'ia surface de ces catégories, lui [L- Bloy} en dégage le
sens de feu erde sang, ce sens mystique et transcendant, et il loge
tout ce qui;est humain à ce niveau des catégories^- Même.travail à
entreprendre pour le J<udaïsme>b. ».
C’est d’une manière en apparence plus extérieure que nous
évoquerons la captivité en abordant pour terminer le troisième
type d’écriture à l’œuvre dans*ces Carnets, à savoir la critique litté­
raire. Cela ne signifie pas qtfe la captivité ne soit pas intimement
mêlée aux considérations sur la littérature, car l’insistance sur son
caractère* fantastique .s’éclaire-aussi à partir des divers fragments
dans lesquels'Levinas, notamment au contact de Poe ou de Pouch­
kine, thématise la notion même du fantastique ; mais elle constitue
d’abord un lieu et une période qui, étonnamment, furent propices
à. la 'lecture et à l’étude : « Toute cette-captivité —avec des longs
loisirs qu’elle a procurés, les lectures qu’on n’aurait jamais faites
a. /2 f Carnet 7,p. 25.
b. Carnet 6, p. 5. Cette critique de Heidegger à partir du judaïsme qui se formule dans les
Carnets de'captivité rie va pourtant pas sans difficulté, comme le souligne la note 20 appartenant^
la liasse D des Notes philosophiques diverses, notjr difficile à dater mais sans doute largement posté­
rieure aux Carnets de captivité : « Heidegger - prolongement de la pensée grecque - Lui opposer
le judaïsme ? Mais sa pensée est entièrement christianisée. Lowith lui oppose le monde grecque
(grec). Mais Heidegger se dit prolongement de la pensée grecque. Quels que soient les concepts à
l’aide desquels on voudrait discuter avec Heidegger, Heidegger les dénoncerait comme dépourvus
de pensée parce que encore non révisés à la lumière de sa pensée. - Ce qu’il faut, c’est un point de
vue nouveau. »
24 Carnets de captivité
- comme une période de collège où les hommes mûrs se trouvent,
où l’exercice devient l’essentiel, où l’on découvre qu’il y avait beau­
coup de choses superflues —dans les relations,» dans la nourriture,
dans les occupations. La vie normale pourrait donc elle-même être
organisée-autrement. La crise de notre vie d’avant-guerre appa­
raît dans cette simplicité4. » Les camps de prisonniers pouvaient
comporter d’abondantes bibliothèques où les prisonniers avaient la
possibilité d!occuper leurs maigres loisirsb. Levinas, astreint pour­
tant, comme les autres prisonniers juifs, à des travaux parmi les
plus pénibles de ceux qui furent imposés aux prisonniers, trouvait
les ressources pour y occuper les siens - c’est-à-dire pour y pour­
suivre son oeuvre multiforme. L’exigence d’avoir une oeuvre à faire
l’habite profondément, comme le montre ce fragment où il parle*
simplement, de son « envie » pour ceux « qui n’ont pas l’inquiér
tude du temps perdu comme moi ; le souci d’une œuvrec ». C’est
là qu’il fait d’abondantes lectures et qu’il lit, pour la première fois,
ainsi qu’il l’écrit à sa femme, Raïssa, La Divine Comédie de Dante,
ou encore le Rolandfurieux de l’Arioste dont les Carnets de captivité
parlent assez précisément à plusieurs reprises. Si la Phénoménologie
de Vesprit de Hegel constitue sa principale lecture philosophique;
les lectures littéraires sont en revanche extrêmement variées. De ces
multiples lectures ou relectures, et des réflexions qu’elles suscitent,
parfois sur le vif, il faut évidemment mentionner celle de Proust, le
« poète du social », sur lequel Levinas à l’époque projette l’écriture
d’un essai (cf. Carnet 3, p. 32), qui paraîtra en 1947 dans Deuca-
liony et qui s’esquisse dans les Carnets. On retiendra également* la
lecture des Lettres à sa fiancée de L. Bloy, importante ne serait-ce
que par l’abondance des citations de ces lettres dans le Carnet 6.
C’est évidemment, chez Bloy, la conception de la Femme (Levinas
dira du féminin) qui intéresse Levinas, conception à laquelle il se
référera d’ailleurs, explicitement, mais en passant, dans Le Temps et
a. Carnet 2, p. 23.
b. Cf. Y. Durand, Prisonniers de guerre dans les stalags, les oflags et les kommandos, 1939-1945,
Paris, Hachette Littérature [1987], 1994, pp. 186-187.
c. Carnet 2, p. 50.
Préface 25

VAutre. Mais c'est également le sens bloisien de la transcendance


du mystère que.recèlent les situations empiriques -r la relation avec
là Femme est lune-d’elles -, de la transcendance comprise comme
ce* qui échappe à la lumière —c’est-à-dire à la conscience et à la
connaissance qui ne se produisent jamais autrement *que comme
immanence, transcendance qui, à ce titre, interrompt le système
conformément auquel s'accomplit la pensée philosophique r- qu'il
souligne. « Chez Léon Bloy "Lettres à sa fiàncéè”, 1889-1890. Pas
de système. Mais les "catégories des professeurs'* sont remplacées
par da transcendance même de* l'ordre-du mystère. Et. cet ordre
du.mystère auquel sont ramenées lès situations concrètes —'n'est
là — ne se justifie que epar cette admiration*jusqu'aux larmes
du mystère4. » C’est chez Bloy, sans doute,, que Levinas voit se
produire de façon privilégiée la conjonction*du souci, tout « litté­
raire », pour les.descriptions de situations concrètes, et de d'at­
tention, « religieuse », à la transcendance, conjonction qui fera le
style même de la pensée levinassienne, et qui, surtout, la rendra
capable de produire une intelligibilité « philosophique » nouvelle.
C’est, en particulier, à partir de cette conjonction que la situation
concrète de la captivité, toute chargée de transcendance (puisque,
nous l ’avons rappelé plus haut, elle fut ressentie aussi comme*une
vie dans 1’au-delà) t.devient? comme ce qui précède cherchait à le
montrer, un thème insigne de cette pensée.

Écrits sur la captivité


C’est précisément, ce thème que plusieurs articles de Levinas
datant de json retour de captivité aborderont à nouveau, mais pour
mettre l'accent sut l'intense souffrance des prisonniers des'stalags
et des ofiags. La pudeur préside à leur écriture tant la difficulté
était grande, au lendemain de la guerre, d'oser évoquer sa propre
souffrance face à* celle subie par d’autres, de façon incommen-
a. Carnet 6, pp. 4-5.
26 Carnets de captivité
surablement plus terrible, dans lies camps d’extermination. On
sait d’ailleurs que le sentiment'd’humiliatioti et de*défaite rendit
malaisée la parole des prisonnier^ de güerfe, une fois revenus de
captivité. Mris> si ces pa^es, sobres et belles, décrivent une vie
humaine dépouillée de tout bien prôpre, une vie- où* tout était
provisoire, où‘le sort de chacun se décidait ailleurs et oùi’absence
de*possession rendait à l’essentiel d’une liberté privée d’installa­
tion dans le monde, elles n’accusent 'personne et elles ne récla­
ment rien. Sans masquer les petitesses humaines des prisonniers,
Levinas insiste surtout sur leur dignité dans cette existence'rude
et'- froide* qui. interdisait la plainte et prohibait la faiblesse, une
existence aussi où chacun était identifié par un matricule gravé
sur une plaque de métal qu’il devait présenter à la moindre réqui­
sition. Et c’est sans orgueil aucun qu’il évoqufe, non sans ironie,
cette liberté ignorée des « bourgeois » qu’expérimentaient alors
les prisonniers. Il sait bien en effet qu’une telle liberté, tout entière
vouée à la précarité et à la possibilité de la mort, est à la merci de
souffrances physiques et morales qui peuvent la détruire.
Pour leur part, les prisonniers juifs, bien que protégés par l’uni1
forme d’un destin mortel, furent séparés des autre? et contraints
de travailler dans des kommandos spéciaux. Le .philosophe fut
affecté à un-kommando forestier de soixante-dix* hommes auquel
il fait allusion dans un article célèbre ôù il évoque le mépris que
la population environnante leur vouait et l’enfermement irrémé­
diable dans ce qu’il ressentait être une infra-humanité*. Acculés
à leur identité « israélite », nombre d’entre ces prisonniers la
redécouvrirent d’ailleurs, contraints et forcés, car la croyance qui
les avait animés, jusqu’à la guerre,‘d’appartenir pleihement à la
communauté française, avait relégué pour eux cette*identité au
second plan, voire la leur avait fait oublier. L’humiliation subie,
a. Emmanuel Levinas fut transféré au camp de Fallingsbottel en Prusse, le numéro du stalag
était XI B, le nombre 1492 (date de l’expulsion des juifs d’Espagne) se trouvait inscrit à l’entrée.
C f « Nom d’un chien ou le droit naturel » in Difficile libertéop. cit., pp. 199-202. Voir également,
Yves Durand, op. cit.t p. 86 : « Durs, très durs parfois, sont aussi les travaux en forêt, en particulier
lorsqu’ils sont effectués par les grands froids de l’hiver continental allemand. »
Préface 27
les nouvelles qu’ils recevaient’des déportations de leurs proches et
de leurs amis soudain * partis sans laisser d'adresse », les firent en
effet renouer avec un vieil héritage de souffrances. kMais, précisé­
ment, parce que cet héritage se disait dans des mots et-dans une
histoire partagés avec d’autres, il permettait aussi, si peu que.ce
fut, de prendre une certaine distance vis-à-vis de la souffrance
présente et de ne pas suffoquer sous son poids.
Certains s’initièrent à l’hébreu biblique, d’autres à l’histoire
du peuple juif ; avec maladresse et « sans suite dans les idées » ils
se réunirent aussi pour l’office religieux du soir, partant trop tôt
travailler pour avoir du temps pour celui du matin1. Ils redécou­
vrirent les récits bibliques et, dans leur "désespoir, fut-ce évidem­
ment pou* subir des déconvenues-par la suite, ils «se laissèrent
même aller à croire aux récits dans leur sens obvie : un Dieu les
aimait qui, comme les Hébreux jadis, leur ferait traverser la mer
des Joncs: Penser que les mots «ont vrais de cette vérité simple,
explique’Levinas; suscitait uhe grande émotion.
Le texte d’hommage à Bergson qui est présenté avec cet ensemble
d’artiçles sur la captivité salue la liberté de ce grand philosophe
qui, le premier, dit Levinas, avait.su refuser, de s’incliner devant
le temps froid de la science, alors que la majorité de ses collègues
philosophes s’y-soumettaient. J 1salue aussi, et surtout sans doute,
là liberté admirable de>celui qui, pourtant proche spirituellement
du catholicisme, alla se faire recenser comme juif en<1940 pour
rester jusqu’au bout fidèle à son peuple persécuté.

Notes philosophiques diverses


En 1947, Emmanuel Levinas publiait DeJtfexistence à J}existant,
livre pour lequel il avait commencé ses .recherches avant la guerre
et qui' fut « en majeure partie, rédigé tq> captivité » comme il le
a. Contrairement aux chrétiens, les juifs ne pouvaient célébrer leur culte de façon publique.
Cf. Yves Durand, op. <r/V.,'p. '177.
28 Carnets de captivité
rappelle dans son* avant-propos. En 1948, les quatre conférences
qu’il donna en 1947 au Collège philosophique fondé par Jean Wahl
voient également le jour sousje titré, Le Temps et VAutreyainsi qu’un
article sévère et grave sur l’art, « La réalité et son. oindre », accueilli
par. la* revue dës.Temps modem®. En 1949,' il rassemble plusieurs
étudès anciennés datant de 1932 et 1940 dans'un livre intitulé En
découvrant Vexistence avec Husserl et Heidegger. Puis, jusqu’à la parutioç
de son oéuvte majeure Totalité et Infini en 1961, Emmanuel Levinas
publie essentiellement des comptes rendus de„livres et des articles
dont certains, très importants, tel « Lontologie estTelle. fondamen­
tale ? » (1951), constitueront d’ailleurs la matrice delivres à .venir.
La majorité des articles publiés pendant cette période concernent
cependant le judaïsme et l’éducation juive et ils seront ensuite
rassemblés, en 1963, dans son livre Difficile liberté. Néanmoins,
durant les*années 1950, années de relatif silence éditorial donc, et
bien que privé de reconnaissance universitaire, Emmanuel Levinas
continue assidûment ses recherches philosophiquesÆ’ensemble des
notes diverses ici présentées, écrites pendant cette période préci­
sément, témoigne ainsi d'une pensée sur le quitvive, d’une pensée
qui, pour être très avertie des débats philosophiques de son époque,
n'en poursuit pas moins sa* route de façon originale et forte; dans
la liberté propre au créateur, une liberté que* n'entrave aucun souci
de carrière et, "apparemment, aucun sentiment d’urgence à se voir
édité. L’intérêt'de la publication de ces notes diverses est donc de
montrer à l’œuvre une pensée en devenir, une pensée qui explore
des pistes dont certaines ne seront pas poursuivies, une pensée où
le lien entre philosophie et judaïsme est très explicite et enfin, une
pensée où le souci de l’enseignement et de la transmission joue un
rôle central. f
Il reste difficile toutefois de définir la méthode qui préside à
l’élaboration des articles et des livres futurs du philosophe fcur la
base de la lecture de ces réflexions*. Le jaillissement de la pensée
y semble en effet étranger au souci de la construction d’un plan
précis, scandé par des étapes de raisonnement d’ores et déjà bien
repérées, et conçues de façon programmatique. Le philosophe ne
Préface 29

sait pas par-avance où le conduiront ses réflexions et les conclu­


sions auxquelles il parviendra, presque toujours pour les mettre à
nouveau en mouvement, ne sont-ni conçues ni-posées d emblée,
fut-ce à titre d’hypothèses à vérifier. Emmanuel Lfevinas n avait-il
pas, jusque tard dans sa vie, le goût pour ce que Ton trouve bien
davantage ¿que pour ce qu’on produit ? La rigueur et la vigueur de
la pensée, ne-signifie pas pour lui maîtrise et systématicité, elle ne
fâit jamais fi de la nécessité‘pour le chercheur d'être animé par un
souffle qui;, sans congédier l’indispensable érudition etde travail
de la conceptualité, habite surtout lapuissancedu langage. Le fait
d’écrire ces notes semble avoir été pour Emmanuel Levinas une
façon-de se tenir disponible pour écoüter, lui, cétrte venue de
la pensée. Le fait de* les avôir Soigneüseméïit rassemblées énsuite
montre en outre soll souci de ne pas oubliât :les mots et l£s'verbes,
les pas^ges eritrevus malgré les-difficultés théoriques, les »asso­
ciations et les intuitions qui Kont habité alors, soit encore tout
ce qui* prépare l’éclosion et la maturité d’une philosophie d’ores
et déjà’attentive à‘l’excès qui» tourmente le langage. La création
intellectuelle semble^en effet commencer pour lui par 1*écriture de
fragments ou d’ébauches qui fraient un chemin de pensée encore
ignorant de ccqu’il va découvrir, ce qui ne signifie pas pour autant
qu’il soit contingent ou decirconstance. Ces réflexions isolées sont
aù Contraire mafquées par l'exigence très forte d’aller‘jusqu'au
bout dé pistes nouvelles qii’Emmanuel Levihas aime appeler alors
« ma philosophie » et qüi répondent en particulier à la nécessité,
clairement exprimée comme le lecteur le verra, de promouvoir une
autre.perspective sur l’être et sur autrui que celle'de Heidegger
et, bientôr aussi, un autre éveil de la subjectivité que celui qü’il a
découvert e l'école de la phénoménologie* de Husserl.
»1*

Écrites à la main sur le dos de-cartons d’invitation à telle ou


tfelte Oërémdnie* (mariage juif en particulier), de fiches d’-em-
prunt de livres à la bibliothèque de l’Alliance israélite univer­
selle, ou ehcore de prospectus divers, ces réflexions classées plus
tard .par Levinas lui-même en divers ensembles, témoignent du
30 Carnets de captivité
monde dans lequel vivait le philosophe, de ses intérêts et de‘ses
recherches (les livres empruntés concernent le Talmud ou des
penseurs juifs), mais-aussi d’une singularité certaine : le fait que
ces réflexions‘philosophiques soient écrites sur des^supports dont
beaucoup portent des lettres hébraïques est plus qu’un*aléa maté­
riel en efïet.-Elles donnent une concrétude étonnante à une inter­
rogation ultérieure* d’Emmanuel Levinas-: « Philosopher, est-cè
déchiffrer dans un palimpseste une écriture enfouie? ? » et cela
d’autant plus,qu’à plusieurs reprises, il écrit lui-même en hébreu
sur ses fiches sans d’ailleurs traduire son propos.
Que « trouve » donc Emmanuel Levinas dans ces années qui
précèdent et préparent la publication de Totalité et infini ? On
remarquera d’abord les impressionnantes notes sur la jnétaphorè*
qui s’enthousiasment de ce que la métaphore permet dé penser
plus loin que les données du monde. Ces notes probablement
préparatoires à la conférence sur ce sujet qu’il prononcera au
Collège philosophique, le 26 février 1962, envisagent la méta7
phore comme l’essence même du langage poussé à l’extrême .et
elles soutiennent que,^davantage que le concept donc, elle mène
vers.le haut, vers la pensée de Diçu. Toute signification serait méta­
phorique dès,lots quelle ouyrirait à cette hauteur, et la,merveille
- vocable qui restera si insistant dans l’œuvre ultérieure du philo­
sophe —du langage tiendrait précisément, à cela, à spn pouvoir
de signifier au-delà de ce qu’il jdit.-Loin, donc dp commencer à
philosopher en se méfiant de la rhétprique, la polysémie des
mçts ou de leur ambiguïté, à la manière plus prudçnççdes philo­
sophes qui) par sagesse et par goûtée la maîtrise^ convoquent
l’univocité du concept en rempart contre toutes ces incertitudes
parfois affolantes, Emmanuel Levinas se réjouit de la puissance
polyphonique des mots ordinaires. Il nç-„dissocie pas la pensée
du langage et il maintient que la .concrétude des mots les plus
a. C f Humanisme de Vautre homme, Montpellier, Fata Morgana, 1972, Le Livre de Poche,
p. 108.
b. Cf. Liasse A, note 1.
Préface 31

simples porte en germe des significations excessives qui attes­


tent la vivacité de 1esprit. Or, pour sublimes qu’elles soient, ces
significations ne peuvent passer outre cette concrétude première,
elles en restent tributaires : en même temps qu elles la portent
au-delà d’elle-même, elles sont aussi portées par elle. Sans méta­
phore, soutient encore le philosophe, on ne pourrait entendre la
voix de‘D ieu, et cette’proposition qui n’équivaut pas à soutenir
une thèse ontologique sur l’existence de Dieu, incite elle aussi à
penser comment la transcendance affecte l’immanence des mots,
ou encore comment le « plus >vhabite le « moins ». Le spirituel
—ce que les livres ultérieurs *méditeronC comme la merveille de
l’infini dans le fini —se donne par excellence, selon ces premières
notes, dans le « miracle » de; la* métaphore., « Miracle » qui ne
consiste pas à suspendre line loi naturelle au profit de l’homiîie,
mais qui fairdécouvrir des correspondances ou dès ressemblances,
signifiantes et surprenantes; entre la nature et l’humain.
Cependant, dès ce Recueil de notes, le philosophe cherche
comment le pouvoir de dépassement Verbal se produit par excel­
lence dans la relation avec l’autre : x:e ne serait.pas principalement
grâce.'à* une méditation personnelle sur les mots et sur les corres­
pondances poétiques qu’ils appellent, que l’on découvrirait ce
« miracle », mais par l’exigence de répondre à autrui, de s’adresser &
lui et, dès lors; d’être en relation meme avec le supérieur. En conclusion
de ses notes, Emmanuel Levinas dit en effet son souci de parvenir
à montrer'comment la relation sensible, exigeante et insistante,
avec autrui comme hauteurst visage, et la pensée de la métaphore
comme chemin’vers la hauteur, sont indissociables. Cette der­
nière remarque est essentielle car, loin d’assimiler l’enthousiasme
produit par la metveille et par le miracle deda métaphorê, à un
eriivrement’de l’esprit, bientôt oublieux du monde ,dephilosophe
soutient qtril s’agit au contraire d’un enthousiasme propice à son
dégrisement et à son entrée en responsabilité pour autrui. Cette
entrée, dont l’issue reste toujours plus lointaine que ce que l’on
imagine à première vue, prendra d’ailleùrs bientôt le pas sur ces
réflexions théoriques relatives à la métaphore.
32 Carnets de captivité
Les livres ultérieurs d'Emmanuel Levinas sont en effet rela­
tivement discrets sur la métaphore comme telle, même si sa
réflexion sur. la’littérature,et,sur l'exégèse des livres juifs en reste
très proche, én particulier pat l'insistance qu'il accorde à l'inspi­
ration, soit encore*à l'excès que représente toujours le « pouvoir
dire*»-decertains ¿crits - des grands livres de.4’humanité - sur
le vouloir. dire» de leurs auteurs. Faire.l'exégèse d'un texte,
plutôt que sa généalogie, c'est en? effet .trouver des possibilités
signifiantes .inédites au cœur de la matérialité de ce qui est dit,
grâce à sort propre étonnement face aux mots, et -non s'enquérir
d'un sens’initial que le temps aurait maltraité.
En outre, la propre écriture du philosophe ‘reste marquée par
cette valorisation de la métaphore. On sait qu'Emmanuel Levinas
se méfie de la sclérose qui guette une conceptualité trop sûre de
son droit exclusif à dire ce qui est et que son salutaire scepti­
cisme à cet’ égard le conduit aussi à une écriture excessive qui
n’hésite pas à emprunter à la concrétude sensible - surtout celle
de la chair - des .significations que le concept ne saurait dire
sans se renier.,« S’absoudre de soi comme dans'une hémorragie
d'hémophile » ou encore « psychisme comme corps matethel »
pour parler‘de* la vie de la subjectivité ; <<brins de poussière
recueillis sur son parcours ou gouttes* de sueur qui perleraient
sur-son front » p"o.ur éyôquer là consciencè de soi universèlle chez
Hegel ; Ces quelques exemples donnent Une idée des « trou­
vailles » d’Emfrianuel Levinas. Sôn écriture'ne congédie pas les
métaphores sous prétexte de mieux veiller à la rigueur ration­
nelle de «on propos : la surenchère et L'emphase* le passage au
superlatif et la sublimation11sont indissociables de son écriture
philosophique et, au fil du temps, il n’y renoncera jamais. Ainsi,
si des expressions comme « jouir d'un spectacle » ou « manger
des yeux » sont des métaphores, elles n'en décrivent pas-moins
a. De Dieu qui vient à l’idie, Paris, Vrin, 1982, p. 141 : Levinas oppose la méthode transcen­
dantale qui consiste à « chercher le fondement » à la sienne qui revient à « passer d'une idée à son
superlatif, jusqu’à son emphase ».
Preface 33

- mieux que l’abstraction conceptuelle - certains aspects du


psychisme, elles ne sont pas que des métaphores comme, aiment
à le dire les artisans du concept soucieux* de les dévaloriser et
d’oublier le pouvoir révélant du langage*.
Dès lors, un.autre aspect de ces notes, à saypir les citations,
brèves ou longues, ou les simples mots écrits en hébreu (sans
traduction ni référence précisée) par Levinas sur ses fiches —
comme sur ses Carnets de captivité d'ailleurs —au‘moment meme
où sa réflexion concerne telle ou telle question philosophique,
mérite attention. Il n'établit passant des.parallèles oujdes compa­
raisons explicites entre ua concept ou un thèpie philosophique
—par exemple la méthode de YÉpocbé phénoménologique —et un
vocable*hébraïque —en l'occurrence le Chabbat —qu'il ne cherche
à entendre les mots - Époché et Chabbat - dans leur puissance de
sens respective et dans leur possible éclaircissement mutuel : la
suspension de tqute prise de position relative à la thèsç cju monde
imaginée par Husserl et la suspension, de toute activité suscep­
tible de transformer le monde (le travail interdit), expérimentée par
celui qui .respecte le Chabbat>.(çxaient-elles découvrir ,une réalité
comparableb ? La mise entre parenthèses du cours ordinaire des
jours, le Chabbaty serait-elle susceptible, sur' le plan pratique, de
faire éprouver ce « moi pur » que la réduction (Époché), de toute
thèse par rapport au monde comme existant fait, émerger ? Ou
bien révélerait-elle autre chose encore sur ce « moi pur » ? Tout
comme le phénoménologue çontinue de participe* aux données
naturelles du monde (comme sujet enjpirique) sans en fajre usage,
celui qui « garde » le Chabbat éprouve en effet, en lui-même,.que
son « moi » doit rester sans prise sur ce monde qui pourtant est
là, à portée de jouissance et de transformation éventuelle. Mais
il découvre aussi, dans ce « moi », les exigences de la transcen­
dance dans Timmanence sur lesquelles, évidemment, le phéno­
ménologue ne se prononce pas. Si cette piste d'analyse n’est pas
a. Cf. Autrement qu'être ou au-delà de l'essence, La Haye, Nijhoff, 1974, p. 85.
b. Sur le rapprochement entre Époché et Chabbat, ci. Carnets de captivité, Carnet 1, p. 30.
34 Carnets de captivité
explorée comme telle dans la note de Levinas, l’association des
deuxvocables^u iLf>Îopose ou qui s’impose à lui —est en tout
cas très suggestive et les méditations ultérieures du philosophe
relatives à là subjectivité approfondiront avec une exigence sans
cesse renouvelée ce'sens, irréductible selon lui, de la transcen­
dance dans l’immanence. L’hébreu n’apparaît donc pas, dans ces
notés, comme une référence anodine, étrangère à lâ philosophie,
voire étroitement particulière. Il contribue à l’approfondissement
des questions de philosophie que se pose Levinas. Il ne s’agit en
effet pàs seulement dune*question de langue ou de traduction
mais bien de ce que l’on peut penser dans une langue, dans l’ex­
périence millénaire de ceux qui la parlent et dans la tradition de
Commentaires que cette langue charrie. Les citations des passages
bibliques ou talmudiques (en araméen) et des mots hébraïques
sont en effet riches des associations de sens véhiculés par la tradi­
tion et l’expérience juives, en particulier celle de sa lecture de la
Bible que les philosophes ignorent le plus souvent.
On sait qu’après son retour de captivité, Levinas a étudié le
Talmud sous la conduite d’un maître énigmatique, « authentique »
et prestigieux, Chouthani, auquel il a souvent rendu hommage. Il
lui sait gré en pârticuliet de lui avoir enseigné comment remonter
des problèmes rituels aux problèmes phllosdphiques, oubliés très
souvent dans la pratique habituelle du Talmud. Mais, plus déci­
sivement encore, après le désastre d’Auschwitz, ce maître lui a,
dit-il, redonné confiance dans les livres. C’èst aussi en étudiant
avec lui qu’il a approfondi une idée essentielle l'impossibilité
d’écouter sa propre coriscieîicesans une attention extrême portée
au Livre des livres4. Or, prendre au sérieux une telle pensée passe
par la nécessité d’ouvrir la méthode phénoménologique à autre
chose qu’elle même, par l’incitation à prêter àttentiori à cette
a. C f Emmanuel Levinas, Quatre lectures talmudiques, Paris, Minuic, 1968, introduction, p. 12.
Cf. entretien avec François Poirié, "Emmanuel Levinas, qui êtes-vous ? Lyon, Éditions de la Manufac­
ture, 1987, pp. 125 sq, en particulier p. 130 : « Certainement l’histoire de l’holocauste a joué un
beaucoup plus grand rôle que la rencontre de cet homme [Chouchani] dans mon judaïsme, mais la
rencontre de cet homme m'a redonné une confiance dans les livres. *
Préface 35

couche du psychisme que ni la -réflexivité ni l’intentionnalité ne


font découvrir mais ^iniquement les* livres. Les notes philosophi­
ques’ écrites par Emmanuel Levinas, à cette époque, 'font écho,
à plusieurs reprises, à une telle attention. Ainsi, à propos du
« pour soi » et de « l’en soi » dans les'deux phénoménologies, le
philosophe cite un commentaire de Rachi relatif à une remarque
de Pharaon, disant à Joseph de prendre « le iùeilleur.dir pays
d'Égypte » (Gn 45, 18). Rachf écrit en effet : « Il a prophétisé
et ilfcn’a pas su qu’il ^prophétisait. » Pharaon ne‘savait pas en effet
que les Hébreux partiraient plus tard d’Égypte>en emportant « ie
meilleur », en rendant le pays semblable à un fond de mer où
il n’y'a pas de poisson (Ex 3, 22). Cette note —dont le titre est
Phénoménologie - invite donc à penser comment la conscience (le
pour soi} ne détient pas la mesure de ce qu'ellerénonce en toute
clarté* opit-elle,-et cela non pas à cause de la force de l’inconscient,
mais parce que? même une parole dite en toute conscience porte
un-sens qui reste encore à venir, un sens qu'il faut « rapporter à
l'absôlü ». On sait que les réflexions ultérieures du philosophe sur
le caractère prophétique du psychisme humain, dans Autrement
qu’être ou au-delà de l’essence, approfondiront décisivement ce qui
reste encore, dans cette note, une suggestion.*
Dans une autre note, Emmanuel Levinas écrit encore que si,
pour lui comme pour d'autres philosophes, «ietre est dans sa
vérité », il ne pense pourtant pas que cette vérité se trouve dans
« la splendeur de la manifestation15».*Il faudrait, dit-il, Ta chercher
dans la.grâce qui lui est rendue par l'action ou par l'attitude à l’égard
des hommes, par la vérité dont on témoigne ainsi auprès: d’autrui.
En guise -de conclusion, il recopie alors en hébréu un verset des
psaumes'(30, 10) : « Est-ce que la poussière te rendra grâce, est-
ce qu'elle dira ta vérité ? » Cette note est cértes celle d'un lecteur
assidu:de.Heidegger -.d’un de ses premiers grands commentateurs
en Frarîce —mais d’un lecteur qui, déjà,'s’en distancie. La compré-
a. Cf. Liasse B, note 57.
b. Liasse C.iiote 235.
36 Carnets de captivité
hension de l’être caractérise le Dasein dans ce qu’il a, d’authentique
et ce dévoilement constitue lui-même un événement de l’être pour
Heidegger, ce qui revient à soutenir que l’homme est d’abord un
verbe. Levinas le sait mais il cherche, quant à lui, un autre verbe,
emprunté ici à l’hébreu, pour caractériser cet homme. L’humain ne
passe rpas dans le verbe* être mais dans un verbe différent : léhodot,
rendre'grâce8'. Qr cette piste simplement •amorcée sur cette’fiche,
et encore tributaire ¿ ’une ambiguïté sur ce qu’il Faut entendre par
« être », deviendra centrale pour toute l’œuvre ultérieure. C’est
au sein du rapport à autrui que j’aperçois l’être, précise d’ailleurs
déjà une autre note. Mais ce rapport n’est pas quelconque, c’.est
un rapport où je rends grâce en donnant à autrui ce dont je ne
me savais pas si riche. C’est là, soutient *une. autre note, découvrir
Dieu comme paternité, et non comme concept, ou encore comme
capacité de donner. Citer un psaume ¿e grâce, c’est bien parler de
ce Dieu-là - et non d’un concept ou de la neutralité du verbe être
- mais ce Dieu qui ne me comble pas de biens,, tout en m’obli­
geant au bien, comme le dira l’œuvré future, est .précisément celûi
auquel il s’agit de rçndre grâce. Une autre note de Levinas (accom­
pagnée de la mention début* de captivité), selon laquelle croire en
Dieu, c’est croire au bien sans s’appuyer suraucun* événement, sur
aucune force qui le défçndeb, prend ici sa plus haute signification.
Elle met aussi- 'sUr la voie, .combien exigeante, d’une nécessité de
.nourrir la faim des hommes et de.couvrir Jeur nudité comme*façon
par excellence, de rencontter le Créateur/ Et éela contrairement
aux, philosophes dont Levinas dit encore qu’ils se sont trompés en
Le cherchant ailleurs que ¿ans cette- relation obligeante à l^égard
d’autrui, celle-là même dont il convient de rendre grâce d’en rester
capable, malgré sa misère et sa douleur propres, surtout aux heures
où celles-ci risquent de le Faire oublier.
Une longue notec presque entièrement en hébreu montre
en effet que le philosophe sait combien cette « croyance » est
a. Le nom « léhouda » (Juda) et le mot « léhoudi » (juif) sont formés sur cette racine.
b. Cf. Liasse B, note 21.
c. Cf. Liasse C, note 120.
Préface 37

difficile, surtout par temps de détresse. Il s’interroge en effet


sur la séparation et sur le fait de partir en vacances après la
guerre de 1939-1945, puis, en guise de réponse, il cite le verset
de Jérémie relatif à ia destruction de Jérusalem : « Même Tes
chaçals présentent leurs mamelles et allaitent leurs petits : la
fille de,mort peuple est devenue, elle, cruelle comme l'autruche
au désért » (Lm 4, 3) ; il recopie .ensuite le commentaire de
Rachi expliquant que les chajcals.nourrissent leurs petits affamés,
malgré leur cruauté, car ils» ont des .réserves.-en* eux, tandis que
« la fille de mon peuple » (expression soulignée pâr Levjnas) ne
le fait pas car elle a tellement fajm*qiiè sa vie passe rayant celle
de ses. enfants. Le philosophe ne commente pas ces ».citations
mais on .sait qu’à propos des événements sinistres de la guerre
et de l’extermination des juifs, il citera encoreun autre passage
des Lamentations de Jérémie dans son magnifique texte Sans
nom qui conclut Noms propres (1976). Le gouffre béant n’est pas
comblé .et le vertige saisit toujours, or une des vérités qui nous
vient de cet abîme,«et que le philosophe médite avec amertume
et effroi dans cette note, “diffère de celles qu’il exposera plus
tard dans Noms propres. Cette.vérité, déjà annoncée par Jérémie,
expliquée par Rachi et reprise par Levinas- dans un contexte qui
en amplifie le sens —comme il est de coutume dans la tradition
ofale du-judaïsme —a la saveur „noire et tragique de l’égoïsme
le plus dur et le plus indifférent,«voire hosrile, au sort d’autrui,
fût-ilkaon propre fils. Quand* la vie des parents passe avant celle
des enfants,à cause de la faim; quand la,rupture entre les géné­
rations s’accentue, on peut, en toute certitude, considérer que
l’histoire s’est arrêtée et que la civilisai ion, malgré sa magnifi­
cence et* ses draperies, a sombré. 'Le sauve-qui-peut est général.
Quand plüs personne ne rend grâce du simple fait d’être capable
de donner à autrui —surtout à*ceuK.et à celles qui viennent après
soi —là nôurriture qui apaise la faim et l'es paroles qui, malgré
le malheur et la persécution, avivent le goût de grandir, un gage
terrible est offert aux adeptes de « la mort de Dieu ». Et cela,
que ce soit en toute méchanceté ou en toute frivolité, même si
38 Carnets de captivité
Ton fréquente des lieux de culte, même‘si Ton s accroche encore
à des formules'toutes faites sur Dieu.
Si les parents, et lesiadultes en général, se soucient généralement,
parfois de façon épuisante pour eux, de trouver des ressources pour
nourrir leurs enfants et pour les protéger, cela ne suffit cependant
pas si manquent les paroles qui «relient ces enfants àThistoire qui
les précède. Un autre thème s’impose en effet à'la lecture de ces
notes* : l’importance de l’enseignement. On saitdque Levinas fut
directeur de l'École normale israélite pendant de longues années,
et qu’ily enseignada philosophie aux*élèves de terminale tout en
se souciant de leur éducation juive. On comprend' donc que ces
réflexions répondaient aussi à un souci quotidien, surtout après
les ravages de la guerre.
*« L’histoire, c’est ldiistoire sainte des maîtres et des pères »,
dit une note, ce n’est pas celle des « héros“ ». Le savoir livresque
correspond à tout « ce qui n’a pas été enseigné par un maître »,
précise une autre note. Avec le Talmud, Levinas approfondit
l’idée que l’enseignement oral .«»double éternellement l’ensei-
gnemefit écritb » et il insiste sur le*fait que le maître n’est pas
tant celui qui accouche les* esprits" en questionnant les élèyes
qu’if n’est celui qüfc les élèves ne cessent d’interroger. Les discus­
sions* talmudiques se jôuent entre esprits- réellement multiples
et les talmudistes, écrit-il, « oût une conscience très vive de la
structure essentiellement dialectique^de la vérité ». C’est ainsi
que l’enseignement' est" une "oeuvre‘spirituelle *et il faut sauver
cet héritage.
Mais cela suffit-il ? Si le rapport à un maître (celui qu’on peut
interroger) est ici pensé comme la base de la société, l’existence
et la pérennité d’un tel rapport ne peuvent sans péril dépendre
de la bonne-volonté de quelques individus. Chaque société idoit
donc avoir comme tâche essentielle le fait de se doter des institu-
a. Liasse C, note 213.
b. Liasse A, note 5.
Préface 39

tions qui permettent de rencontrer des maîtres et *d apprendre à


lire. Levinas souligne le caractère exceptionnel»de l'École : fondée
sur ‘l'Écrit, cette institution est en effet selon lui Je « point d’Ar­
chimède8 » de toute -liberté réelle. De l'école primaire à l’école
supérieure, elle constitue le lieu par excellence où l'on ne cesse
d’apprendre à lire, c’est-à-dire le lieu où les livres sont ouverts. Le
lieu où l’on ne se sert pas des livres, mais le lieu où ils nous parlent
parce que nous les interrogeons. Vouloir sortir de l’histoire ce
n’est pas alors proclamer sa liberté vis-à-vis des institutions, c’est
« indiquer une institution plus forte que l’histoireb ». Or l’École,
écrit Levinas, répond précisément à ce souci, car « sa structure
historique vire en structure qui dépasse l’histoire », fondée sur
l’Écrit, elle est la condition de notre liberté réelle.
Les notes présentées sont diverses, mais quelles soient longues
et déjà bien élaborées ou brèves et parfois lacunaires, voire énig­
matiques, elles sont traversées par une grande intensité de pensée
où philosophie et judaïsme ne constituent pas deux domaines’
dont les frontières sont strictement délimitées et étanches mais
bien, plutôt, deux sources indissociables pour la maturation de
l’œuvre à venir. Ces notes témoignent, semble-t-il, d’un travail
assez solitaire même si Levinas avait des échanges intellectuels
avec certains de ses contemporains philosophes. La nécessité
profonde, probablement secrète à son auteur lui-même, à laquelle
obéit la'création d’une œuvre emprunte en tout cas ici pour lui le
chemin d’une longue patience. Ces fragments sont écrits pendant
les années où l’École - une école secondaire juive - était aussi
pour le philosophe, alors en retrait de la scène universitaire et
éditoriale, le seul lieu institutionnel où il pouvait s’exprimer.
La force et la nouveauté de sa philosophie se frayaient donc un
chemin loin des « remous de l’époque » comme il aime à le dire
à propos des modes intellectuelles, ce qui ne signifie aucunement
a. Liasse A, note 156.
b. Liasse A, note 92.
40 Carnets de captivité
d'ailleurs qu'*if n’y prêtait pas attention ; mais son ancrage dans
une tradition lui semblait une meilleure garantie de liberté d'ap­
préciation et de, £ritique, *de recherche et de nouveauté, que le
fait, comme il l’écrit ici, de seprôjeter dans l’avenir uniquement
à*partir du présent:
Rodolphe C âlin et Catherine C halier
Notice éditoriale

Conventions éditoriales
—Notre transcription est linéaire et continue, à l’exception
de certains passages donrii n’était pas possible de modifier la
topographie sans prendre le risque d’en altérer le sens. Pour ceux-
là, nous respectons la disposition du manuscrit. De même, nous
avons scrupuleusement respecté le retrait ou l’absence de.retrait
au début du texte en alinéa» j
-^Soucieux de ne pâs paralyser la lecture, nous nous sommes
permis quelques interventions, en ce qui concerne la ponctuation
et certaines incorrections orthographiques. Les fautes d’ortho­
graphe sont tacitement corrigées lorsque la correction ne laisse
aucun doute. Nous n'avons ôté aucun signe de ponctuation,.mais
nous nous sommes parfois permis, tacitement, d’en ajouter.
—Les corrections interlinéaires d’Emmanuel Levinas, ses ajouts
interlinéaires ou marginaux sont entre accolades ({}).
-L es ratures, lorsqu'elles*traversent horizontalement un mot
ou plusieurs lignes, sont reproduites dans le corps du texte ; lors­
qu’un paragraphe ou plusieurs lignes d’un paragraphe sont- barrés
par une croix de Saint-André, ou par une cancellation en croix,
nous l’indiquons en note.
42 Carnets de captivité
- Les mots ajoutés par nous sont placés entre crochets obliques
(< >).
- Les mots dont le déchiffrement demeure incertain sont suivis
dun point d’interrogation et mis entre crochets obliques (ex. :
<présent ?>) ; lorsque deux lectures sont possibles, la moins
probable se trouve en second, séparée de la première par une barre
oblique (/) (ex. : <affamé/afïairé ?>).
- Les mots que nous n’avons pu déchiffrer sont représentés par
des x (le nombre de x correspond au nombre présumé de lettres)
et placés entre des crochets obliques (<xxx>). Lorsqu’un mot n’est
plus visible à cause de l’altération du feuillet, nous l’indiquons
par un espace blanc entre crochets obliques : < >.
- Une indication factuelle erronée ou encore la substitution
d’un autre mot au mot du texte original dans une citatioti sont
laissées et corrigées de la façon suivante : crecte : ...>.
- Lorsque le texte s’interrompt brusquement, nous le signa­
lons, entre crochets : <interrompu>.
- Les passages en langue étrangère (à l’exception des langues
qui utilisent un alphabet autre que l’alphabet latin) ainsi que les
titres d’ouvrages sont mis en italique. Tous les soulignements
sont de Levinas.

Annotations matérielles
La lecture d’un manuscrit a ses exigences propres : au texte
lui-même viennent s’ajouter des éléments signifiants d’ordre non
textuel, que le lecteur intègre pourtant dans sa lecture au même
titre que les signifiants linguistiques (par ex. le changement d’ins­
trument d’écriture qui lui indique éventuellement que le texte a
pu être complété ou retouché lors d’une seconde campagne d’écri­
ture ; la déchirure visible d’un feuillet, qui lui évite la surprise
d’y lire dans Yincipit la fin d’une phrase dont le reste se trouvait
sur la partie du feuillet qui a été ôtée). La difficulté que rencontre
toute transcription est celle de la restitution de ces éléments
Notice éditoriale 43

matériels, dont l’absence peut parfois altérer significativement la


compréhension du sens d’un texte. Comme il ne s'agissait pas
dans la présente édition de proposer un fac-similé des manuscrits
publiés, ni une transcription dite « diplomatique », qui eût tenté
d'en donner comme une photographie, nous avons opté pour une
description matérielle de certains manuscrits. Ces descriptions se
limitent parfois à la simple indication, dans le corps du texte,
du recto et du verso d'un feuillet (par ex. lorsque le verso d’un
feuillet isolé ne fait pas suite au recto, ou lorsque, entre le recto
et le verso, la continuité du texte n'est pas sûre) ; elles s'efforcent,
le plus souvent,.dans des notes d'édition qui figurent au bas de
la page, de restituer certains éléments içatériels (par ex..: indi­
cation du changement d'instrument d'écriture, description de
la topographie d'un ajout, etc.). Sans être systématiques, elles se
justifient la plupart du temps par la nécessité soit de compenser
la perte d'intelligibilité du texte qu'entraînerait l'absence de ces
éléments matériels, soit de signaler certaines difficultés de trans­
cription (par ex. lorsque la transcription linéaire achoppe sur la
complexité d’un ajout dont l'ordre des parties, dispersées dans
les marges d'un feuillet, n'est pas évident, et qu'il n'était pas
possible, en outre, fût-ce exceptionnellement, de transcrire de
façon topographique).
R. C.
Remerciements

Les éditeurs scientifiques tiennent à remercier, pour leur aide et


leur soutien, Claire Bustarret, Geneviève Capgras, Olivier Corpet,
Didier Franck, Emmanuel Housset, Sophie Kessler-Mesguich,
David Kessler, Nathalie Léger, Michaël Levinas, Jean-Luc Marion,
Florent Perrier, Laurence Renault, Simone Sentz-Michel, Julien
Servois, ainsi que les équipes de l’institut Mémoires de l’édition
contemporaine.
I
C arnets de captivité
( 1940 - 1945 )
Notice sur
les Carnets de •captivité

L’ensefnble comprend sept carnets de petit format,neuf si Ton ajoute


les deux carnets de très petite taille insérés; le preAiier dans te Game16,
le second dans le Carnet 7, mais que nous n’avons pas séparés. Outre
ces deux carnets, dés feuillets isolés ainsi que des coupures de presse
se trouvaient à l'intérieur de certains carnets, ^ensemble est écrit le
plus souvent au crayon à papier de temps en temps repassé à la plume,
parfois directement à la plume. Le titre1de l’ensemble, Carnets de capti­
vité, 1940-1945, porté sur l’enveloppe à l’intérieur de laquelle se trou­
vaient les carnets, est de Levinas. En revanche, le titre de Carnet, suivi
d’un numéro, attribué à chacun des sept carnets principaux, est de nous.
Nous avons également donné le titre de Carnet aux carnets insérés, suivi
du numéro du carnet dans lequel ils se trouvaient, puis de la lettre a.
Plusieurs raisons expliquent le choix de carnets de petit format comme
support'd’écriture. La pénurie de papier, ensuite la nécessité d’échapper
aux fouilles8 ; enfin, la possibilité ainsi offerte d'emporter avec soi ces
carnets, et d’écrire en tous lieux11. Les conditions d’écriture peu fkvofa-
bles dans lesquelles Levinas a pu ainsi se trouver expliquent sans doute
que la graphie assez bien lisible du philosophe deviennè parfois illisible.
Ajoutons que le crayon a parfois passé ou s’est efîàcé, et que les bords de
certains feuillets se sont altérés, empêchant ainsi la lecture.
a. Cf. Y. Durand, op. cit., p. 188.
b. Selon le témoignage de Léon Jakubovitz, son compagnon de baraquement, Levinas empor­
tait toujours un carnet avec lui. Cf. S. Malka, Levinas, la vie et la trace, Paris, Lattès, 2002, p. 93.
50 Carnets de captivité
Les dates indiquées par Levinas dans son titre, « 1940-1945 »,
peuvent surprendre, puisque la rédaction du premier carnet
commence en 1937 et celle du dernier s achève en 1950. Les
Carnets n’en sont pas moins, pour l’essentiel, rédigés en captivité.
Si Levinas n’a pas daté chacun des fragments, il a en revanche
porté quelques dates, soit sur la couverture du carnet, soit au
début d’une séquence de fragments, ce qui a permis de classer
chronologiquement les carnets principaux. Le Carnet 3, qui ne
comporte pas de date, a probablement été écrit en 1943, comme
le suggèrent certains fragments4. Levinas a en outre mentionné,
dans le Carnet 2, les lieux d’écriture, à savoir la ville ou le pays,
soit, par une sorte de métonymie, le Frontstalag ou le Stalag où
il se trouvait - permettant ainsi de préciser la période d’écriture
de certaines parties de ce carnet. Il importe donc d’indiquer la
chronologie des années de captivité de Levinas, ce qu’autorise en
grande partie sa correspondance de guerre inédite avec sa femme.
Il se trouve, successivement, au Frontstalag 133 de Rennes, de
novembre 1940 (?)b à janvier 1941 ; puis, jusqu’en avril 1941,
au Frontstalag 132 de Laval ; il retourne à Rennes, jusqu’en
décembre 1941, puis, jusqu’en mars 1942, à Laval ; à nouveau
Rennes jusqu’en avril 1942, puis le prontstalag 141 de Vesoul
jusqu’en juin 1942 \ il poursuit et achève sa captivité, en mai
1945, au Stalag XI, B de Fallingbostel en Allemagne.
Les carnets ne sont pas paginés. La pagination est de nous et
figure entre crochet^ oblique^. C’est à cette pagination que se réfè­
rent nos citations ou nos renvpis aux carnets, dans la préface et
les notes d’édition. Par ailleurs, les traits de séparation entre les
fragments dont sont composés ces carnets sont de Levinas. Dans
certains cas, il nous a semblé que Levinas avait omis de les tracer ;
nous les avons ajoutés entre crochets obliques.
R. C.
a. Cf. Carnet 3, p. 5,16 et 19, et nos notes 4,15 et 18 qui s’y rapportent respectivement.
b. Sa première lettre conservée date du 30 novembre 1940, mais il ne s’agit probablement pas
de sa première lettre de captivité. Nous n’avons pu obtenir* d’une autre source la date exacte du
début de sa captivité.
<CARNET1> *

<p. 1> 8 septembre 1937


Phénoménologie - science. Précisions. Les analyses psychologi­
ques avant elle de style philonien : il y a de cel$t dans tel açte, Ü
y il y a de ceci dans tel être. Comment ? Wie liçgt es drin1 ? Pas
même envisagé.
Argent-abstraction. Commerçant, homme d affaires - intellec­
tuel. Le bourgeois n arrive pas toujours, à s’élever jusqu’à cette
abstraction. Attaché au « sensible ». Les çhoses ont une valeur de
choses et non.pas d’argent. User jusqu’à la corde*. Pas avarice.
Jeu —recherche du. sérieux.
<---------------- >
<p. 2> Çhez Maimonide, chez Bahi^2 {etc.} - deux ordres seule­
ment : sensible et intellectuel. Ce qui .est impossible dans l’ordre
sensible doit figurer qqch. d’intellectuel. D’où la notion ^d’allé­
gorie. Point de plan propre de l’allégorie - qui serait un troisième
ordre : l’intejlectnel ou l’anti-intellectuel vécu dans Je particulier,
le sensible. Refiguration juive opposée à la préfiguration grecque
ou allégorie: Contre Jl’universalisme grec.

a. Carnet réglé de format 10 X 16 cm, donc la couverture et probablement certains bifeuilllecs


ont été arrachés. L’ensemble est écrit soit au stylo plume à encre noire, soit au crayon à papier.
52 Carnets de captivité
<p. 3> Peinture lutte avec la vision. Cosmos = création de
surfaces.
Forme = couleur, mot (avec leur pittoresque). Lutte avec la forme
peinture - mais dans un autre sens les mathématiques où la forme
s’appauvrit jusqu’au symbolisme algébrique. Quels sont ces deux
sens ?
Mot grossier —index, interjection1.
Sur terre. La terre - point de chute. La terre appui. Être = poids,
mais intérieurement connu, dans sa signification existentielle.
Rodinb.
Dépouiller de la forme —rendre nu. Nudité n’est pas le simple
déshabillé. Déshabillé des classiques et nudité des modernes.
<p. 4> La beauté habille.
La lumière chez les impressionnistes - la densité de la lumière
<ds/de ?>ccertaine peinture de <Paris ?> —vision sans forme. Un
« dans » et non pas un « tontact ».
En transformant la Solitude Çn une forme •dè VIn-def~WeIt-Sein
Heidegger s’interdit de voir dans la solitude une insuffisance le
néant du fait même de l’être et la voiè du saliit. La solitude Le
mal de la solitude n’est pas le fait d’un être se trouvant mal dans
le monde ; mais le màl dufaif <p/5> même dé l’être —auquel on
ne peut pas remédier par un être ^plus complet, màis par le salut.
Salut n’est pas l’être.
Révolutionnaire et criminel. Idéalité de structure existen­
tielle ?>. Pas de responsabilité, pas de racines. Pas de révolution
à droite. Staline a raison : les anciens communistes formés poux' là
a. Phrase ajoutée au crayon à papier, sur la ligne suivante.
b. « Bodin », ajouté au crayon à papier.
c. « <ds/de ?> » en surcharge de « chez ».
Carnets de captivité 53

révolution sont incapables d'idée politique. Grandeur de Yvan le


Terrible.
L’esprit - tout est possible.
<----------->
<p. 6> L'objection : l’appel et la réponse que constate la phéno­
ménologie dans l’état religieux <pieux ?> n’est pas une preuve de
l’existence d’un Dieu transcendaat —Objeeti Objection légitime.
Mais dans une phénoménologie q\ii interprète les, « intentions
du sentiment » comme les intentions de la connaissance —visant
fobjet l’extérieur. Comment vise-t-elle ? Problème.
Personnalité - solitude, responsable de l’univers tout entier. En
créant la personne —Dieu a dû* lui dire ce <qu’elle ?> <a?> à
faire.
<p. 7> Personnalité - personne
= <xxxxxxx>
Ce qui est très important dans le fait de 4a création, c’est qu’il n’y
a pas eu création de l’être et ensuite évolution ; mais que la éiv
création a consisté en plusieurs actes successifs.
Les formes empêchent le moi d’être aussi le rout,
< ---- T - ----- >

<p. 8> Ce qui fait le fond de l’être et de la vie, - c’est le sérieux.


L’évasion du sérieux—le jeu. Création artistique. Théâtre -*distrac­
tion par excellence.
Liberté de vpyageur.
Le problème du soleil - le problème <du/de ?> contenu des
formes.
Le boxeur est habillé quand il est nu.
54 Carnets de captivité
La volupté —formes du corps - Formes qui <æe> sont plus que
des formes. Volupté n'est pas désir du corps.
<---------->
<p. 9> Présent = illusion dans ce sens que nous pouvons toujours
l’ajourner. Nous ne sommes pets {jamais} obligés de <»e> s’oc­
cuper '<sic> de lui tout de suite.
Présent - le <3B«> sur lexoup, impossible d’ajourner. D'où l’idée
que la' mort est l’origine du présent. Mort — pas phénomène
otiginel du présent. Mais présent >n’est pas action. Certes action
ne souffre pas d’ajournement, mais pas en tant qu’action. En tant
qu’action dans une certaine Lebenslage. Présent fait de Lebenslage.
<---------->
<p. 10> Les deux notions du surnaturel -
1) Contre les lois de la nature - miracle.
2) Domaine où les catégories mêmes du naturel ne sont plus vala­
bles. Le sacré.
Pourquoi intellectualisme, même lorsque® intellect engage tout
l'être - n’est pas existentialisme ? Car intelligence dépersonnali­
sation.
<---------->
<p. 11 > Lévy-Bruhl : esprit n’est plus pensée. Il prouve plus que
le fait que les primitifs pensent autrement que nous ; .il prouve
que chez eux esprits pensée, mais orientation, destinée, etc.3.
Le fait que la pensée objective & l’être —c’est qu’elle reflète l’être.
Donne le monde tel qu’il est mais n’y change rien.
<---------- >
<p. 12 > L’affreux eest ce n’est pas la finitude mais l’angoisse
devant la finitude, le fait que cela nous <amuse ?> de vivreb.
a. «lorsque » en surcharge de «lorsqu’il ».
b. Trois coupures de presse se trouvaient entre les pages 11 et 12 du carnet. Nous les reprodui­
sons en donnant le verso lorsqu’il comporte du texte et lorsque le texte n'est pas tronqué :
<coupure 1> Philosophie. Psychologie.
Mtiller-Freienfels, Rich. : Psychologie der Kunst. Bd. 3 : Die psychologie der einzelnen Künste. 2,
Aufl. M. 3 Tfln. 160 S. Mchn. B. Reinhardt.
Carnets de captivité 55

Participation véritable forme de relation avec autrui —


ni connaissance —<extérieure ?>
ni action —ontique.
<---------- >
<p. 13> Philosophie — s'occupe du « sens ». Sens n'est pas
symbole - ni ce «a en vue de quoi (ni causalité ni finalité) —mais
intention même de l'être. Sens delà matière.*
Liberté est marche.
Liberté - aller où l'on veut.
Le culte de la vitesse et la liberté.
<----------->

Nink, Caspar : Sein und Erkennen. 400 S. Lpzg., Jakob Hcgner.


Schiller, Friedrich : Der Weg zur Vollendung. Erkenntnisse. Betrachtungen. Anweisungen. Hrsg. v.
Hartfrid Voss. (Die Bücher der Rose.) 239 S. Ebenhausen b. Mchn., W. Langewiesche-Brandt.
<coupure 2> Philosophie. Psychologie.
Cajalv Ramon y : Regeln und Ratschläge zur wissenschaftlichen Forschung. 2. Aufl. Deutsch v.
D. Miskolczy. 143 S. Mchn., E. Reinhardt.
Hartmann, Nicolai : Möglichkeit und Wirklichkeit. XVII, 481 S. Bin., W. de Gruyter u. Cef.
Jaeger, Werner : Diokles von Karystos. VIII, 244 S. Ebenda.
Müller, W. : Stehen Naturwissenschaften und Philosophie vor einer neuen Grundlage der Erkenntnis ?
41 S. Bin., Buchholz u. Weisßwange.
Schmid-Noerr, Friedr. Alfr. : Dämonen, Götterund Gewissen. 241 S. Bin., Friedr. Vorwerk.
<coupure 3, recto> Naturwissenschaften. Mathematik.
Fahrenkamp, Karl : Vom Außau und Abbau des Lebendigen, il. 2 M. 14 Abb. u. 2 Tab. 83
S..Sttgt., Hippokrates-Verlag.
Kober, Leopold : Der geologische Außau Oesterreichs. M. 20 Textabb. \is 1 Tfl. V.204 S. Wien,
J. Springer.
Mappes, F. : Unser Garten. Ratgeberf d. Haus Klein u. Siedlergarten. M. 68 Abb. 92 S. Mannheim
Dtsches. Druck- u Verlagshaus A. Krug.
Steffek, Johs. : Jedermann als Kleinsiedler. M. vielen Abb. 205 S. Bin., Verl. Der Gartens­
chönheit.
<coupure 3, verso> Der Berliner Philosoph Nicolai Hartmann läßt seiner 1935 erschienenen
„Grundlegung der Ontologie“ ein zweites Buchfolgen, welches die damalige Untersuchung der
Seinsmomente (Dasein und Sosein) durch eine solche der Seinsweisen vertieft. Die Bestimmung
der „Modalität“ in ihren Stufen und Schichtungen stellt dieses Werk „Möglichkeit und Wirkli­
chkeit“ zuletzt in den Dienst einer genai^eren Durchleuchtung des Freiheitsproblems. (Verlag
Walter de Gruyter & Co., Berlin ; geb. RM 12 -.)
a. Guillemets non fermés.
56 Carnets de captivité
<p. 14> La connaissance est une pure immanence. Liberté à
l’égard du monde, ne pas se commettre avec le monde. Mais elle
est moi. Asservissement de l’existence. Pat Le fait même du corps.
D’où nécessité de l’évasion, d’une vraie sortie de soi, d’une trans­
cendance.
Contradictions et absurdité apparaissent quand participation
interprétée en termes de relations. Ce n’est pas dans* les contenus
qu’elle <xxxxx>. <p. 15 > L’erreur des primitifs —se comporter
comme si dans participation contenu était l’essentiel.
Rencontrer et empoigner —dans le regard.
La paresse d’exister.
<---------- >
<p. 16> Existence
absolu -
existence
sans condition.
Sans base -
Pas humain
Dans le vide.
Le fait de respirer.
<-------------- >
<p. 17 > Notion d’appui qui n’est pas simplement le sur pied
- mais qui embrasse même ce qui est devant nous. La base du
devant est le sur.
Bonheur - joie d’exister ?
<--------- >
<p. 18> Une philosophie contre l’émotion.
Se cacher chez lés adultes - Se cacher chez l’enfant. Il se cache
pour soi-même.
Carnets de captivité 57

Eatrie - notion «païenne.


La:Forme est {aussi} expression.
On considère d’habitude que l’jespace est la condition de la forme
—distance fait premier, chez moi <p. 19> .forme „.fait premier,
fermeture des choses, parce' que fermeture du moi,'il‘est toujours
dehors j somme toute la notion de dehors opposée à la notion de
distance.
Notion de « profondeur » opposée à la notion du « dehors {>>—
c----------->
<p. 20 > Participation pas intuition {BergsonLparce que pa$
vision identification par la* sympathie. Somme toute participa­
tion* :«certaine dualité qui n’est pas cependant celle de la connais^
sance4.
<p. 21 > Les hommes ont besoin de mensonges pouf »agir -
Discontinuité du réel - Nécessitétde s’appuyer sur le néant.
Liberté - paresse -
(Oblomot?) - marche
loisir - promenade.
<----- ;-------->
<p. 22 > Publicité —indiscrétion.
Argent —pureté.
Rodin : —pas d’expression du visage —expression du corps, sa
place dans l’espace. Le visage lui-même est comme le corps lui-
même. C’est àussi sa manière de se poser dans l’être qui importe.
{La tête —ce ne sont plus les yeux.} C’ést .qu’expression a ici un
sens différent' : il n’y a plus un corps qui reflète une âme ou un
<p. 23 > événement spirituel quelconque mais le corps lui-même
58 Carnets de captivité
c’est cet événement. Il prolonge beaucoup plus un événement
cosmique existentiel - qu’intérieur. Il concrétise plutôt qu’il n’ex­
prime. Aussi le corps lui-même est vu comme des muscles c.-à.-d.
comme des un épanouissement des tensions: D’autre part ce’corps
est toujours situé d’une certaine manière - (Plus la statue harmo­
nieuse sur un socle —située dans un <p. 24> espace idéal —ni une
statue dont un voit d’une part le corps et d'autre part l’expression
—d’une pensée, des événements intellectuels en général reflétés
dans les yeux : miroirs de l’âme. {Ce qu'il y a- de saisissant dans
les pensées, ce n’est pas le corps de quelqu’un qui pense - c’est
le corps même qui pense : c’est la pensée saisie comme en situa­
tion.}]4 Mais situé par rapport au terrain même sur lequel il est
posé. Ce terrain, ce piédestal joue un rôle dans la l’événement de
la statue. Il constitue le monde de la statue. L’essentiel dans ces
statues est leur position. <p. 25 > C’est ce qu’il y a de position en
elles qui est souligné. D’autre part la statue naît et sort d’un frag­
ment, d’un morceau, d’un monde cassé.
L’ensemble des muscles n’est pas l^ vénemen* l’élan. Muscles -
aussi ce' qui est lourd, pesant, disharmonieux —laid.
L'essentiel du piédestal : c’est qu’il n’est pas indifférent : la
manière il est à la fois le support et le monde.
<---------- >
<p. 26> Ce que je viens de dire de « non pas le corps du penseur
— mais la situation de la pensée », prouve qu’il n’y a pas de
symbolisme ou d’allégorisme chez Rodin, il y a les situations.
Voir « l'homme et sa pensée ».
<p. 27> Itinéraire du retour - on part du fait qu'on est juif-- et
non pas de la doctrine.
Antisémitisme <utilise ?> le pouvoir de l’abstraction.
a. Ce crochet ferme semble-t-il la parenthèse ouverte plus haut.
Carnets de captivité 59

Le rêve : où tout est jeu —impossible de ¡retrouver le sérieux.


<---------------- >
<p. 28 > L'évasion du moi par rapport à soi qui s'accomplit d'ha­
bitude encore « sur terre » - L'évasion absolu4- l'au-delà.
Finalement la relation avec mon existence n’est peut-être pas l’as-
somption de cette existence, mai» son problème seulement. Oui
ou non. Dès lors la liberté du^morà l’égard du-monde <p. 29>
et à.l'égard* de soi - n’est pas l’être mais l’évasion de l’être^- la
possibilité d’être comme si on n'a pas encore été. Wiedêrgeburt.
{(Réduction phénom. —Ascétisme ?)} Vaincre l’histoire —mais
vaincre ce qu’il y a d'être et d'éternité dans l'histoire -n o n pas
par le recours à l'éternité, mais à l'évasion. Dans ce sens : la pensée
est finalement tout l'homme. {(Toute notre dignité consiste en la
pensée.)} Non pas par son mouvementée curiosité - amour des
choses, mais curiosité affranchissement11, <xxxxxxx>.
<— ----->
<p. 30> Les livres ont leur destin.
Notre rencontre avec des livres
notre destin.
Réduction = 6nnw.*il
Wiedergeburt opposée à l'éternité. Wiedergeburt triomphe du
tragique. - Fraîcheur de l’existence,

a. Faut-il lire « absolue » ? Levinas semble bien ici opposer une évasion relative - qui s’ac­
complit encore « sur terre » - à une évasion absolue, comme il le faisait déjà dans Di l’évasion, où
il opposait l'élan vital de Bergson et {'évasion : « Dans l’élan vital nous allons vers l’inconnu, mais
nous allons quelque part, tandis que dans l’évasion nous n’aspirons qu’à sortir » (De l'évasion, op.
dfc, pp. 72-73).
b. Le graphisme est ici incertain. Il est également possible de lire le tiret entre « curiosité » et
« amour » comme un trait d’union, et donc de lire « curiosité-amour des choses » comme un mot
composé ; de même, le mot « affranchissement » peut être lu comme précédé d’un trait d’union,
de sorte que nous aurions le mot composé « curiosité-affranchissement ».
60 Carnets de captivité
Relation de la Wiedergeburt à l’égard de ce <p. 31 > dont il ¿ese est
rené - n’e st pas .elle-même existentielle ou historique. Les criti­
ques que Heidegger en ferait valent uniquement de l’évasion dans
l’éternel.
L’entrée dans le monde est l’entrée dans l’être - dans ce fait qu’il y
a - ’naissance*-, Naissance de tous les instants. Recommencement
dans le temps. Interprétation de la création continue. Naissance
- dans la paresse d’être. Paresse d’être n ’est pas la cpeine ?> de
vivre*comme doùceur - la paresse du <découragement ?> même
de la vie.
< — --------------- >

<p. 32> 1) Franz jô i Cumont


Les Religions orientales dans le pag. antique <recte : romain>.
4e édit7
2) Loisy : Les Mystères anciens crecte : païens> et le mystère chré­
tien3.
LcCel Mermet. Région de Paris.
<CAR.N ET 2> ?

<deuxième de couverture >


Laval 19421
Vesoul
<xxxxxxxxxxxx>
< ------------- >
<p. 1> Puisque mon rêve nlorne, interminable et sombre
Hante un fleuve pesant qui n’est pas le Léthé.
Henri de Régnier
<«> L’ennui <»>
dans Le Miroir des heures2.
La mort n’est pas une issue. Elle ne sauve^pas de l’engagement sans
retour et sans issue, deNce fait d’être*absolument voué, de ne pas.se
pouvoir soustraite —qu’est l’existence. Voir Phèdre au'quatrième acte.
Dans le-<xxx> Le réel est peuplé jde ses parents. Même la morrla
ramène à Minos son père. -»Toutefois la mort p’est pas un iait de l’exis­
tence comme un autre. Elle promet quelque chose d’exceptionnel.
C’est tout de même une possibilité extrême, une promesse de trans­
cendance. <p. 2> Mais en quoi exceptionnelle ? Il y a tout^de même
quelque chose de fini. Précisément la perte de la liberté tragique.
a. Carnet réglé de format 8,5 x 13.5 cm. L’ensemble est le plus souvent écrit au crayon à papier,
sur lequel Levinas a parfois repassé au stylo plume, soit à encre bleue, soit à encre noire ; quelques
passages sont écrits directement au stylo plume à encre noire.
62 Carnets de captivité
D’ailleurs le « ne-pas-être-une-issue » de la mort ne signifie pas
la « vie future ». La deuxième partie du monologue to be or not to
be est trop précise et ne peut avoir qu’une signification d’image.
Comme le désespoir de Phèdre qui retrouve son père dans la région
de la mort. C’est le fait que « le jeu est perdu ». C’est dans l’ordre
de l’accomplissement - « tout est consommé » - que la mort n’est
pas une issue. Dégager cet ordre de l’accomplissement - c’est le
coté méthodologique —le plan philosophique —de ma philoso­
phie. Passer du plan objectif et subjectif des phénomènes à leur
plan d’accomplissement. Qu’est-ce qui est accompli dans tel ou
tel phénomène ? Non pas la phénoménologie qui cherche « l’in­
tention » <p. 3 > ou la signification du phénomène »ft. « Wohin
hier hinausgewollt ist3 » de Husserl. Une psychanalyse de l’esprit.
Mais autre chose. Quoi ?
Le passage essentiel de Phèdre :
« J ’ai pour aïeul le père et le maître des Dieux ;
Le ciel, tout l’univers est plein de mes aïeux.
Où me cacher ? Fuyons dans la nuit infernale.
Mais que dis-je ? mon père y tient l’urne fatale4... »
Et Jonas qui espérait se cacher !b
Et cela est précédé de la vision de l’existence innocente :
« Le ciel de leurs soupirs approuvait l’innocence ;
Ils suivaient sans remords leur <p. 4> penchánt amoureux ;
Tous les jours se levaient clairs et sereins pour eux.
Et moi, triste rebut de .la nature entière,
Je me cachais au jour, je fuyais la lumière, <»>, etc.5.
Et puis :
<«> ... Ils s’aimeront toujours.
Au moment que je parle, ah ! mortelle pensée !
a. Le guillemet ouvrant manque.
b. Phrase ajoutée au crayon à papier, sur la ligne suivante. Le reste du fragment est écrit au
stylo plume à encre noire.
Carnets de captivité 63

Ils bravent la fureur d’une amante insensée.


Malgré ce même exil qui va les écarter,
Ils font mille serments de ne se point quitter6... <»>
<p.> 5 > Crime et innocence - ne sont:pas «lus ?> de vécus ici plus
profondément que des faits moraux. Ou plutôt là morale elle-
même est élevée au plan ontologique. Lé crime’de Phèdre rend
visible le fait qu’elle ne peut « se cacher ». Elle a'assumé l’exis­
tence d’une manière ineffaçable. Et la'mort‘ne fui est pas issue. Le
tragique est là. Il est plus fort que la mort.
Dans Roland furieux de l’Arioste il y a constamment, surtout
pour Bradamante et Roger une série dktventureia certitude d’un
avenir et d’une gloire future prédits par Mélisse et le prophète
Merlin, et cependant une série d’aventures qui n’en deiheurent
pas' <moiris> poignantes pour les personnages ’malgré la certitude
de leur triomphe. Tout cëmme pour <p. 6 > Roland lui-même
qui se sait invulnérable et qüi héannioins déploie un courage et
une noblesse qui sont authentiques, comme si le courage n’était
pas uné attitude à l’égard de la mort: La souveraineté du présent.
Cé qu’il a d’unique'. Le quelque chose de plus qu’il y a dans l’ac-
coihplîssement pat rapport à la certitude qui plane malgré tout
au-dessus de la réalité. Le problème de la prédestination laisse-dû
qui dans un certain sens laisse intacte la liberté ; quico la destinée
réellement vécue <est> qùelque chose de plus que la destinée
écrite d’avance. Par là la tragédie est possible ; non seulement le
malheur qui vient du conflit entre nous et la destinée implacable,
mais entre nous et le destin même favorable. Le tragique est. dans
l’instant.
<p. 7> Les imprécations de Roland contre l’arme à feu qui tue
le combat honnête, qe cbntredisent;-elles pas la nature même du
courage de Roland qui se sait invulnérable7 ? Mais il y a une diffé­
rence essentielle entre la valeur qu'oq est et celle qu’on possède.
64 Carnets de captivité
Dans Roland furieux d’une façon, générale comme « individualité
du corps ». Atlant qui prend toutes les apparences de Roger n’est
pas Roger ; Alcine qui a tontes les apparences d’une »jeune femme
n’est pas une jeune femlme. La magie fait partie de la constitution
du monde. Le réel n’est compris,que, dans son oppqsition à la
magie - à l’illûsion.
À noter : la Ikgue d’Angélique. Magie qui permet <de> résister
à la magie. Charnie négatif8/
<p. 8 > La: ruse d’Atlant qui retient les chevaliers dans un château
vide en leur donnant l’illusion qu’ils ont leur objet cher dans ce
château —et qu’ils ne pourront jamais quitter <ce> château à
jamais inexploré. Beauté littéraire et suggestive de cette image.
Charme plus fort qu’un château en acier9.
Magie dans Roland furieux —n’est pas une action à proprement
parler mais une puissance d’illusionner. Aussi la bague d’Angé­
lique et le livre quç Logistille10 donne à Astplphe qui tous deiuç
qui permettent de défaire, les charmes - c’est la raispn.
L’amour pervers de 1$l.vie. L’âcre plaisir de la spuffrance. C’est la
présence même de Dieu. Amour pervers dp la vie —aipour de Dieu.
Bien au-dessus du <p. 9> panthéisme de Üamour direct —du Dieu
que l’on atteint par le spectacle.de l'univers harmonieux.
Dans l'amour pervers de la vie —la souffrance a un autre goût que
celui de la satisfaction d’un devoir accompli, {ou le) renoncement
purement négatif de l'ascétisme ou la prévision d’une récompense.
Il a quelque chose de la formule : <<intérêt à vivre », la « vie est
intéressante ». Le bonheur de la souffrance, dans la souffrance
elle-même, dans son élection. Et les perspectives quelle ouvre ne
viennent pas d’une récompense qui s'y ajoutera, mais découlent
de la situation même de la souffrance en tapt que position de la
vig, du temps et <de> la « felix cuïpq » qui la domine*11.
a. Le mot « domine » est semble-t-il interrompu par la déchirure du papier. Levinas avait
peut-être écrit « dominent ».
Carnets, de captivité 65

<p. 10> -,L’animalité de l'homme. Non pas dans l’étude de sa


physiôlogie et de sa psychologie.- Mais dans 4a perception de
l'homme. Le sentir. Comme un bœuf ou une vache qui {se} sont
{mis à} marcher sur leurs pattes arrière. Certaines physionomies :
qui portent en elles-mêmes comme leurs propres, limites. Surtout
quand ils4parlent et qu'ils ont l'air d’aller biemau-delàbd'elle-même
£t quexependant dans leurs yeux, dans leurs cils abaissés {(assoupis­
sement)} —on sent qu’ils sont bien en deçà, qu’jlspiétinent sur place,
qu'ils sont comme ces hommes ivres.qui parlent des choses qui sont
absolument sans aucun lien avec ce qu’ils iontr pensent et -ressen­
tent. Sentir l'homme normal comme cuvant une je «ne^sais quelle
ivresse. Ce fond sur lequel se greffentrles propos é!ivresse,- l'anima­
lité. Les <p. 11 > propos d’ivresse portent malgré leurs intentions
leurs, propres limites. Tout cela apparaît aussi dans les prétentions
intellectuelles derrière lesquelles gît en quelque manière cette face
animale, limitée par elle-même. —Une verrue, un tic, la couleur
—chose, chose, chose. Agaçant dans sa matérialité.
Exaspération de la romance chantée par un commis sur une voix
langoureuse et videc.
« Lire un peu de théâtre ». Les « chants de Boileau ». Le recours
à Laroussed.
Le Bonheur dans le crime de J. Barbey d’Aurevilly. .C’est parce qu’ils
étaient si parfaitement capables de1bonheur qu’ils ont été capables
d'un crime.* Et que le crime ne signifiait plus rien pour eux.
< -------------------------- V------------->

a. Levinas passe au masculin alprs que le pronom renvoie semble-t-il aux,« physionomies ».
Remarque similaire à propos du pronom réfléchi « d’elle-même », qu’ifconvient sans doute de
mettre au pluriel.
b. « au-delà » en surcharge de « au-devant ».
c. 'Au début de la note, « C. » ou alors un crochet ouvrant.
d. Même-remarque que dans la précédente nôte.
66 Carnets de captivité
<p. 12 > Le système s'organise :
Le je à la fois le définitif du présent - c'est par le je que le présent
évanescent se survit mieux que dans* la mémoire (la mémoire
suppose le je). Cet aspect du je : la présence du'moi pour le soi.
- Mais le « je » aussi le non définitif du définitifs- ce-par quoi le
présent doit être réparé - ce par quoi il y a espoir et*espoir pour le
présent. Dès lors la dialectique du salut - la dialectique du je qui
s'affranchit de son intimité. .L'intimité avec autrui. Non pas qu'il
y ait là « fusion avec autrui » - précisément il y ardualité du je. Et
cette dualité sera décrite précisément dans la concupiscence char­
nelle —'que l'on prend à tort pour un désir comme un autre. La
sexualité comme origine du social. Parce qu'H y a « intimité » du
sexuel, il y a le phénomène du social qui est plus que la « somme
des individus ».
<p. 13> La caresse et l'accomplisseme' par le corps apparaissent
ainsi. Par l'amour aussi éclaircir le problème de la mort. Nouvelle
lumière projetée sur le couple « mort-amour ». Du sang, de la
mort et de la volupté. C'est aussi sur le plan interpersonnel que se
pose la notion de l'idéal et de l'accomplissement. Vivre « à la face
de Dieu ». L'accomplissement - suppose drame - suppose dualité
de personnes. —Lien dualité et le drame du temps s'éclaircira à
partir de la dualité sociale c’est-à-dire sexuelle. Le Bien - dépasse
l'être.
Quand je pose le sexuel à la base du social - je ne mets pas à
la base de tout le système : le plaisir sexuel, {ou} la libido dont
Freud ne dit rien de plus que kb-reeherc « recherche du plaisir ».
Mais un ordre de relation que l'on peut découvrir dans cette rela­
tion spécifique entre personnes qu'est <p. 14> l’amour sexuel.
Edgar Poe. Sous le titre de Deux contes publiés dans Mercure de
France, 16.II. 1911, un conte intitulé Perte dïhaleine, conte qui n'est
ni dans ni hors de « Blackwood ». Traduit par M. D. Calvocoressi.
Dans la partie supprimée par l'auteur dans l'édition définitive
parue dans BroadwayJournal (car d'après le traducteur, il exprime
Carnets de captivité 67
du pur Edgar Poe qui détonait* dans un conte-parodie de Carlyle
et d’Emerson) le passage suivant pages 804-805 du Mercure :
« Ceci donc, méditait mon esprit, cette obscurité qui est palpable
et opprime d’un sentiment de* suffocation ceci —ceci - est -
véritablement la mort. Ceci est la mort - la tetrible mort - la
sainte mort. Ceci est la mort subie par Régulus - et aussi par
<p. 15 > Sénèque. C est ainsi —c’est ainsi que moi aussi je resterai
toujoùrs - toujours - je resterai toujours. La raison est'folie/la
Philosophie un mensonge. Nul'ne connaîtra mes sensations, mon
épouvante —mon désespoir. JSt*pourtant les'hommes1:continue­
ront à raisonner, à philosopher, à faire les imbéciles*. Il n’y a, je
le vois bien, point de ci-après que ceci. Ceci —ceci —ceci ^ est la
seule Éternité ! - et quelle, ô Belzébüth"! - quelle Éternité - être
étendu dans ce vaste - ce redoutable^vide - à l’état dé hidéuse, de
vague, d’insignifiante anomalie - sans mouvement, mais désireux
de ipe mouvoir - sans puissance, mais avide d’être puissant -pour
jamais, pour jamais, pour jamais11 ! »
À noter les répétitions qui donnent plutôt le rythme de la situa­
tion que des contenus. Mais cette situation n’est faite que de
rythme. {L’« il y a ».}*
< p /l 6 > La réification tju* il*y a toujours à dire : « être ce qu’^ n
est-».-Comme si le phénomène du je était une essence à réaliser.
« Réalisation » n’est toujours Vraie que de la res.
L’opposition même-du possible et de l’existant vient de-la philo­
sophie des « res »/Le phénomène du « je » est d’un autre ordre.
Quel est cet ordre ? Solitude ou société; Enchaînement et liberté.
Être oub bonheur.
Je - Solitude. Être seul - seul au monde - solipsisme qui ne
découle pas « de la relativité de no&sensations » et de L’idéalisme.
a. Ne faut-il pas plutôt lire « détonnait » ?
b. « ou » en surcharge de « et ».
68 Carnets de captivité
C’est en posant Ja soKtudeen termes spécifiques du « je » que l’on
peut découvrir le Sens de Ja « collectivité ».
« Ce serait comme on dit porter des vases à Samos, <p. 17 > dès
chouettes à Athènes et des crocodiles en Égypte. » L’Arioste,
Rolandfurieux, chant 4 0 ,112.
La relation de jertu n’est pas si simple —d’où la difficulté du
tutoiement. Les stades dialectiques : tu - enfantin, {de familia.-
rité, de condescendance} ; vous {de respect et d’indifférence}, tu de
l'amitié ou de-lafamiliarité et de l’amour, de l’amour paternel.
Chez Jankélévitch le fait de L’il y a apparaît uniquement comme
le poids de l’existence à la personne - commeT^ennui. Ce qui est
important-chez moi, c’est le plan même d c l’iLy a. Ce n’est pas
l’inexplicabilité ded’existence -» la Geworfenheit13 —mais'l’imposr
sibilité de mourir14.
-Pour Jankélévitch, toute complaisance de la conscience dans
<p. 18> son malheur - est quelque chose de vain —presque de la
vanité, du snobisme - c’est se rendre intéressant pour s'admirer.
Mais n’y a-t-il vraiment rien de plus profond dans la complai­
sance dans la souffrance. L’essehtiel n'est-il pas dans le fait que
l’on souffre à la face de J3ieu - .D'ailleurs n ’y a-t-il rien d'autre
que de la vanité - dans le désir de « se <rendre> intéressant ».
Est-ce toujours « paraître intéressant » et jamais « être intéresr
saht ». D'<xx> Différence entre le paraître intéressant ou impor­
tant pour les choses .relatives qui est de la vanité, et de l'orgueil* çt
être intéressant pour l’élection divine qui est peut-être le salut.
* C’est dans le désespoir que sont les plaisirs les plus ardent?
surtout*‘quand on a conscience <p. 19> de ce désespoir... »,
Dostoïevski, LEsprit souterrain, p. 165. Traduction E. Halpérine
et Ch. Morice, Éditions Plon15.
Carnets de captivité 69
{Vesoul16}
Respect - perception de la, personne.* Çe qui est .essentiel, c’estde
mystère supposé par le respect. Des êtres,entré eujc —des hommes
—,qui ne se gênent pas pour « leurs J>espins *, qui se connaissent
comme êtres « naturels » avec cetCe soi-disant sobriété, ,« nous
connaissons ce qu’est l’homme » —« on sait que nous avons un
corps, etc. » — ne se connaissent quç comme des êtres matériels
ayant des besoins - Ils reconnaissent leurs droits - droijs a d’indi­
vidus ». « Untel a soif », « untel 'a faim, a Insuffisance foncière
de l’homme démocratique - le droit de l’individu ¿ans respect..
<p. 20 > Le charme de la chanson réaliste : un moyen inattendu dè
sincérité..Les sentiments usés,.décolorés de l’existence bourgeoise
- retrouvent comme leur essence.première - dans l’existence qui
semble les avoir entièrement profanés. Une espèce A\Aufbeburig,
Usûre des formes spirituelles et dérivées.
La-bonté du temps, avoir du temps. Si l’éternité est soustraite
à la mort - son définitif a quelque chose de mort,-.de cadayé-
rique. Mais le temps n’est pas seulement la possibilité de réparer
- et par conséquent quelque*chose par rapport au mal, -'mais la
joie'positive du loisir. C’est autre chose.que la possibilité d’éviter
l’alternative —d’avoir.des possibles riches à la.place des réalités
définitives-et pauvres**C’est le honheur même de yivre, de-fairê
une histoire, de vivre une <p. 21 > histoire. Flâner, aller, revenir
sur ses pas. Le bonheur de vivre n’est pas le bonheur *d’etre. L’être
est cadavre. Il y a une profondeur dans la conception romantique
de la vie. Ambiguïté du mot mort : ce qui n’est plus. - ce qui
est immuable. Le bonheur du mouvement, de la flânerie - et au-
dessus —de l’âpre goût-de la vie/qui n’a rien de commun avec la
dialectique du possible et du réel de Jankélévitch17. Commandé
par': avoir du temps.
Claudel vient expliquer l’enfer : <xxx> <xxx> et sens (feu) —par
l’arrêt de l’être corrompu, dans l’éternité dont il est le prisonnier
70 Carnets de captivité
et où il n’a plus le temps de se réparer. Ver - ver rongeur - faim
métaphorique de Dieu. <Sens ?> <p.j 22 > ouvert —ses sens allant
de l'extérieur vers l’intérieur-ét tiré pat Dieu du repos <où> il se
consume. Cela devient feu-et vers célestes, métaphoriques. N ’y
a-t-il pas*, autre chose dahs 1’« intention * de là brûlure et de ha
« faim » ?
Pour l’arlâlyse de Vetvs. Les1sentiments indirects : souffrir de la
souffrance d’âutrui; se réjouir de ses joies. Réflexion sui genefis. Et
caractère infini de cette réflexion.
Martyre. Ce n’est pas seulement le sacrifice de sa vie. Ce qui
importe, c’est la fidélité jusqu’à la mort. On n’ose pas dire que
le malheur est à son comble, que l’abandon par Dieu est total et
que l’heure de la'malédiction est venue car- <p. 23 > on-a encore
le temps. Le martyre est au-delà de cette*fidélité —esttt la fidélité
dans la mort - là où il ne peut plus y avoir de miracle. Et en même
temps lersalut pour le présent*et non pas une simple récompense
dans l’avenir.
Toute cette Captivité —avec les longs loisirs qu’elle a procurés,
les lectures qu’on n’aurait jamais* faites —comme*une période de
collège où les hpmmes mûrs se- trouvent, où l’exercice devient
l’essentiel,* où- l’on découvre qu’il y avait beaucoup de choses
superflues - dans les-relations, dans la nourriture, dans les occu­
pations. La’vie normale'pourrait donc* elle-même être organisée
autrement. La crise 'de notre vie d’avant-guerre apparaît dans
cette simplicité.
<— :-------->
<p. 24> Allemagne18
Aspect des prisonniers en Allemagne. Vie monacale ou morale.
Même les vieux ont quelque chose d’innocent et de pur.
a. « est » est répété deux fois.
Carnets de captivité 71

Dans là formule habituélle « puis peu à peu l'intelligence s’est


aperçue que l’image à une signification logique à côté de la signi­
fication mystique, etc. », ‘et que l’on critique en*lui reprbchant de
croire à la magie du temps —en dit plus long qu’on né pense et sur
la notion de l’intelligence et sur la fonction du temps <sic>. Le
temps vient initialement de la notion « avoir du temps » —« dü
<xxxx> » - et c’est là la condition de la réflexion pour' l’intelli­
gence elle-même. La possibilité de se saisir et de se ressaisir.
<---------- >
<p. 25 > Besoin —Satisfaction. Besoin prévision. Feli&culpa,
La mort - sôn pouvoir de négation.
La fatigue du repos - l’ennui. Le temps'de l’ennui est* un temps
que l’on n’assume pas à partir de-son recul dans le <passé ?> de
la fatigue. Temps sans activité. D’où le vide de l’ennui. Retour
au temps de l’il y a. Mais alors activité et non position qui fait le
présent ?
Réponse à la*question précédente, l’acte dans la position. Mais ce
n’est pas la position qui est comprise par l’acte - c'est l’acte qui
est déduit de la position - et du présent.
<p. 26> La peur d’autrui - pas peur pour quelque chose. La haine
d’autrui —pas haine de quelque chose. La haine d’un être déter­
miné.
Contribution à l’analyse de l'euros.
Chez Proust les sentiments sont toujours réfléchis. Je veux dire :
l’émotiôn est toujours suscitée par une réflexion sur sa* propre
émotion et plus souvent encore par la réflexion sur l’émotion
d’autrui. Mieux encore : cette réflexion, c’est cette émotion même.
Mais par le rôle que jouent dans toute son œuvre;ces émotions
- réflexion sur les émotions d’àûtrui - c’est vraimènt le poète du
72 Carnets de captivité
social. Non pas un, peintre de I4 société et des mœurs, mais le
poète du fait socjàl - du, fait mçme qu’il y a pour moi autrui.
<---------- >
<p. 2T> Pourquoi il y adeux mondes : ici-bas et au-delà, si le fond
de l’être et du salut n’est pas felix culpalAjà. liberté elle-même et
le choix jie sont pas le but, çorûme condition djune,dignité supé­
rieure, mais comme condition de: la*felix culpa et du temps qui en
est lacànevas.
Chez Proust poésie du social pur. L’intérêt ne tient pas à la
« psychologie » mais au thème : "le social. Toute l’histoire d’Al-
bertine prisonnière — est l’histoire de la relation avec autrui.
Qu’est Albertine {et ses mensonges} sinon l’évanescence même
d’autrui, sa réalité faite de son néant, sa présence faite de son
absence, la lutte avec ^’insaisissable ? Et à côté de cela —Je calme
devant <p. 28 > Albertine qui dort, devant Albertine végétal.‘Le
« caractère », le « solide » = chose.
<Au/Le ?> Kommando — l’intimité abjecte que créent les
dînettes à deux : « tu manges ceci on garde cela pour demain »,
etc. Comme une intimité sexuelle vue du dehors. Dégoût, petit-
bourgeois, égoïsme, etc., etc.
Le « sérieux » du manger la réalité, l’affreuse réalité qui se
recoud.
« Je n’avais pensé d’une âme équilibrée par la présence d’Alber-
tine, qu’à un départ arrangé par moi à une date indéterminée,
c’est-à-dire situé dans un temps inexistant ; par conséquent
j’avais eu seulement l’illusion de penser à-un départ* comme les
gens <p. 29 > se figurent qu’ils ne craignent >pas la mort quand
ils y pensent alors qu’ils sont bien portants et ne font en réalité
qu’introduire une idée purement négative au sein d’une bonne
santé que l’approche de la mort précisément altérerait. » Proust
- Albertiné disparue, I, p. 1519. 1) La maladie elle-même 'est cette
Carnets de captivité 73

pensée de la mort (et le vieillissement et l’ennui) ; 2) Proust a la


notion de cette pensée 'par la maladie ou par le vieillissement qui
sont un accès positif {et approprié} à une notion et sans lequel
nous ne pouvons avoir qu'un concept négatif. Il-y a des pensées
- situations. « Pour se représenter une situation inconnue l'ima­
gination emprunte des éléments connus et, à cause de cela, ne
se la représente pas », p. 15a. mais* la sensibilité même la plus
physique, reçoit, comme le sillon deda foudre, la signature origi­
nale et longtemps indélébile de l'événement nouveau », p. 1520.
« Car la question ne se pose plus entre un certain <p. 30> plaisir
—devenu par l’usage, et peut-être par, ^médiocrité de l'objet,
presque nul - et d’autres plaisirs, ceux-là tentants, ravissants, i#ais
entre ces plaisirs-là et quelque chose de bier\,plus fort qu’eux, la
pitié pour la douleur », Proust, Albertine disparue, I, p. 2221.
« Je me levais pour ne pas perdre de temps, mais la souffrance
nf arrêta. C’était la première fois que je me levais depuis qu'Al­
bertine était partie » - Interrompre J’histoire, c’est se situer dans
l’histoire, p. 2422.
<p. 31 > « Et puis la femme avec qui on se montre le plus indif­
férent sent tout de même obscurément qu’en se fatiguant d’elle,
en vertu d’une même habitude, on s'est attaché de plus en plus à
elle... », p. 1723.
«... et je voyais soudain un nouveau visage de l’Habitude.
Jusqu’ici- je l’avais considérée surtout comme un pouvoir anni-
hilateur qui supprime l’originalité et jusqu’à la conscience des
perceptions ; maintenant je la voyais comme une divinité redou­
table, si rivée à nous, son visage insignifiant si incrusté dans notre
cœur, que si elle se détache, si elle se détourne de nous, tette
déité que nous ne distinguions <p. 32> presque pas, nous inflige
a. £uit une flèche qui invite à se reporter au bas du verso de ce feuillet, sur lequel se trouve la
suite de la citation. Le guillemet ouvrant manque, ainsi que la majuscule au premier mot.
74 Carnets de captivité
des souffrances plus terrible^ qu'aucune et qu’alors elle est aussi
cruelle que la mort. » Page 924.
Mon œuvre à faire :
Philosophique : 1) L’être et le héant
2) Le temps
3) kosênz^eig
4) Rosenberg25
Littéraire :
1) Triste opulence
2) L'irréalité et l'amour
Critique :
Proust
Le fait de mettre sa vie en histoire : tenir de petits <p. 33 > carnets
où l'on mentionne des « menus », marquer le nombre de kilo­
mètres faits, on en viendrait à faire les statistiques de tout : tant
de biscuits mangés, etc., etc.
Même personnage : « suis aimé de ma femme » —la deuxième
moitié de la tablette ? Mais elle a été émiettée dans le colis.
La ville où l’on arrive sans avoir vécu <xx> « la veille » de cette
ville.
La terreur brusquement comprise dans son inhumanité. Marie-
Antoinette séparée de sés petits enfants en attendant l’échafaud
- il n’y a plus de raison supérieure - historique ou autre - qui
excuse cela. Non pas au nom d’une <p. 34*> pitié supérieure et
universelle, mais au nom de ma souffrance personnelle —je <le ?>
comprends. Rien ne justifie la terreur. Marie-Antoinette avant
que tu montes sur la charrette où les cris de la foule te donnaient
déjà l'auréole et la force du martyre, où tu redevenais reine, où
tu étais déjà soutenue par l’histoire. Non ! Marie-Antoinette la
pauvre femme.
Carnets de captivité 75

Les explications données du Grand-Jules26 et de sa carrière - par


les coulisses. {Retour au phénomène.} Le drame n'est compris ni
parles <p. 35 > coulisses, ni de là salle où on est victime-des illu­
sions de la mise en' scène —mais on peütf relire Tdeuvre, revoir ses
intentions.
Grand-Jules —unité d'un destin. Perception immédiate de l'his­
toire faite - de l'histoire in statu nascendi.
Partir du Dasein ou partir du J.ft
Il était si timide qu'il n'arrivait à parler <qu'> en adoptant une
pose, qu'en se donnant un personnage gênant27*.
J.b comme catégorie28.
<----------->
<p. 36> Ma réflexion sur Marie-Antoinette : ce n est pas du
malheur humain de M. A. que je deviens brusquement conscient,
mais-de l'importance des points de vue proprement-humains.
Il y*a toujours de la pitié dans la douceur29.
Cécile de la folie, Marc Chadourne.
« Je crois qu'il se prépare un grand événement, que ma vie va
chahger ; j'écoute dans le vague, je regarde aux ténèbres, je suis
sans goût pour mes travaux, et je retrouve, après, Honorine, de
Balzaoc3°.1*
Le voyage de M. Bergeret31 à <travers ?> le livre d'un <vaga­
bond ?> <charme ?> <toujours ?>d.
<----------->
1a* « J.t » sans doute pour « Judaïsme ».
b. « J. » sans doute pour « Judaïsme fc.
c. Ce fragment est barré par une cancellation en croix.
d. Le déchiffrement est ici très conjectural.
76 Gamets de captivité
<p. 37 > Avant {la chevalerie) Dante {chez Platon) l'amour est
considéré^en, dehors de la feihme. La femme en est ^n> quelque
manière l'accident. Che* Dante : ia* femme, le-féminin devient
une. articulation essentielle^de l’amour. Béatrice. Mène sur la voie
vers J'amour de Dieu. Dans^ce sens .-aussi chez Goethe : das ewig
weibliche. Le féminin devient une essence.
Chei moi ; la. catégorie du npn-moi.
Le féminin est autrui avant qu'autrui, soit une autre personne.
Nouvelle voie vers l'aperception d’autrui. Autrui = autre. *Alté­
rité pure.
<p. 38> L'amour n’est pas dès lors un choix dans une multipli­
cité, c’est lui qui rend possible la multiplicité. Il la précède.
Journal d'un poète de Vigny au sujet des consultations du docteur
Noir (en préparation).
« La deuxième consultation sur le suicide. Elle renfermera tous
les genres de suicide, et des exemples de toutes leurs causes analy­
sées profondément. - Là j'émettrai toutes mes idées sur la vie.
Elles sont consolantes par le désespoir même. Il est bon et salu­
taire de n'avoir aucune "espérance”. L'espérance est la plus grande
de nos folies. Cela bien compris, tout ce qui arrive d'heureux,
surprend32. »
« La solitude est empoisonnée pour lui comme l'air de <p* 39 > la
campagne de Rome. Il le sait ; mais il s'y* abandonne cependant,
tout certain qu'il est d’y trouver une sorte de désespoir sans trans­
ports, qui est l’absence de l'espérance. »
Vigny - Stello^.
« Essence des songes » —un rêve vécu comme qqch. d'étrange,
de profond, d'intense sentiment qui diminue au réveil et il vous
reste un symbole stupide dont on ne voit plus le sens. Ce qui s'est
évaporé - c'est l'essence du songe. Les attributs en eux-mêmes
n'étaient rien. Un grand poète n'est-il pas celui qui met dans
Carnets de captivité 17
ses œuvres cette « essence des songes » ? Vigny —Stello. Toute la
valeur du livre est dans cette essence des songes.
<p. 40> Rapprochement <xxxxx> et savoureux dans Stello entre
les terroristes français de 1793 et Joseph de Maistre34. Vigny n’a
peut-être pas compris de Maistre, mais il a senti ce qu'il y a de
révoltant dans la justification par de Maistre de ce que j'appelle le
«rdiabolique ». Mais il y a malgré tout che? de Maistre un plan
q\ii est au-delà du subjectif et de^l'objectjf qu’irpplique la théorie
de la substitution des souffrances, qui est paradoxale s\ir le^plan
subjectif évidemment et sur le plan objectif où ce serait mécon­
naître le caractère -subjectif de la, souffrance1. On en arrive plan
« idéal » que je cherche : « à la face de Dieu ». Chez les révolu­
tionnaires, <p. 41 > méconnaissance et mépris du sen$ subjectif
de la souffrance. Là seulement Vigny a raison.
« ..^ Je n’avais pas cessé de m'aimer parce que mes liens quoti­
diens avec moi-même n'avaient pas été rompus comme l'avaient
été ceux avec Albertine. Mais si ceux avec mon corps, avec moi-
mêmç, l'étaient aussi ? Certes il en serait de même. Notre amour
de la vie n'est qu’une vieille liaison dont nous £e savons pas noqs
débarrasser. Sa force esjt dans, sa permanence. Mais la mort qui
la rompt nous guérira du désir de l'immortalité » - Albertine
disparuey II, l42a.
<p. 42 > Simhatt —.Thorah,du 4 octobre35.
Tracteur. Prouillard. Panne. Russes - chants —Yvan —la joie de
Goldf devant le nom Yvan. L'intensité de certaines phrases banales
a. Une coupure de presse se trouvait entre les pages 42 et 43 du carnet. Nous donnons unique­
ment le recto, le verso étant tronqué :
Philosophie. Psychologie.
Dietrich. Rud. : Die Etbik Wilhelm Diltbçys. (Abhdlgn. aus Ethik und Moral. Bd. 13.) 168 S.
Düsseldorf, L. Schwann.
Keller, Wilhelm : Der Sinnbegriff als Kategorie der Geisteswissenscbaften. Ten 1. 175 S. Mchn.,
Ernst Reinhardt.
Mâhnke, Dietrich : Unertdliche Spbà're und Allmittelpunkt. Beitr. Zur Généalogie der mathematiscben
Mystik. VIII, 252 S. Halle, M. Niemeyer.
78 Carnets de captivité
dans certaines situations. <Jaruch ?> et son enthousiasme devant
Tare de la porte du pays avec ses inscriptions.
Au retour{<chasse ?>} - lampes, tempêtes.
Les chants de <Bultman ?>.
Jules àu sommet dè sa gloire ne peut pa£ dormir, le rire j. l'em­
pêche36 - Tous les rires : nerveux, absurde ricanement, et le rire
de* l'être libre. Celui-là on ne peut jamais en faire* passer l'envie.
Mardochée37.
L’attrait du « chez moi »’ sur la jeune fille amoureuse.
<p. 43 > Vie avec <sommet ?>
Accouchement.
Connaître la vie de la maison le jour ou l'on y reste aux heures où
d’habitude on s’en allait.
<27/28 ?> octobre — charbonnier. Paysage désolé - abstrait,
arbre sans atmosphère comme sur un dessin enfantin - Après lès
paysages des fo'rêts de bouleaux jeunes et espacés. Comme des
jeunes felles.
Le fait que les grands écrivains ont recours au surnaturel pour
expliquer l'homme (Fantôme - Méphisto) prouve non pas que
dans la nature de l'homme il y a deux principes —mais qu'il
<p. 44> faut plus que l'homme pour expliquer l'homme.
L'èssentiel : entendre l'appel de Dieu. C'est pour cela qu'il y a
toujours ’MH. La beauté du passage de « Samuel » où le jeune
Samuel ne sait pas encore entendre la voix de Dieu38.
Les gens qui même {et surtout} dans une situation où toutes les
situations sont perdues exagèrent - oh très légèrement - la leur.
Carnets de captivité 79

Même le s/o‘ de carrière. Freddy. Un rôle joué. Tout est à nouveau.


Rois sans terre. Rois de cartes.
Louis l'imperturbable. <p. 45>«Sa démarche - ses gamelles - son
livre - son isolement - son ton. Cheveux longs, veste de facteur,
bâton, vaches. - 2 francs dans la poche. N'a pas besoin d'autrui en
tant qu’autrui. {Chat de la vieille filleb.}
Parmi les restes d'un pauvre soldat tué - les bretelles qu'on renvoie
au père. Les bretelles sans la culotte.
Le roman historique recrée le temps de l'histoire. C’est surtout
une question de perspective temporelle. Dans l’histoire, l’histoire
se déroule au rythme du siècle - de l’histoire. Dâns le roman au
rythme d'une vie humaine. Le présent ne peut être donné que par
le roman historique et ïion pas par 1*« histoire ».
<p. 46> Dr. Hartmann : <champ ?> de bataille, fatigue, faim,
soif^- tout est perdu*
Dissimulation dépassant la condition humaine. M. P. P. Qu’est-ce
qu’il pense en fin de compte ? Que dira l’histoire ?
Jonas qui fuit Dieu et qui dort au fond de la cale. Il est flegma­
tique. David Golder39.
Dormir. On entend les bruits des gens qui continuent de vivre.
C’est une agitation,qui souligne la sagesse du dormeur. Comme
le bruit de la mer.
L’acteur qui ne vit pas seulement dans le monde <p. 47 > scénique
—mais qui est appellé constamment à cheyal sur les deux mondes.
Situation nouvelle.
a. « s/o » pour « sous-officier ».
b. Écrit en travers de la marge de droite.
80 Carnets de captivité

Les notions de puissance. Possibilité vide, germe, plant.


« Ce n est pas .un chien.-Il abandonne son maître pour courir ^près
n’iiïïpôrte qui*» - dit Tramel. « Cest précisément cela le chien »
- répondit <Mimi ?> 4o.
La situation de celui qui bâtit pour 3 siècles. Plants de chênes.
« Comment ! toi, un artiste, tu te places devant l’œuvre d’un
autre, tu l’admires <p. 48> et tu n’es pas jaloux. Tu ne te déchires
pas la poitrine avec rage, et tu ne maudis pas le jour où cet ennemi
a trouvé et saisi ce qui est à toi ? (Michel-Ange), Gobineau —La
Renaissance —César Bargia, p. 25841.
La prophétie est la faim de l’événement. Il y est figuré à l’envers
( наизнанку)42. Comme l’aliment dans la faim.

Nous sommes si loin des causes de la guerre que les événements


nous semblent obéir comme à des hasards. Comme les phéno­
mènes météorologiques.* Superstition.
Eros — <xxxxxx>. Voluptés, socialité, Dieu —espèces du <p. 49>
mystère.* Variétés de4a temporalisation.
L. Drf. et son concierge, les attentions pour <Bebett ?>.
La promenade dans le jardin du pape. La gare, la petite usine —le
jardin - les bas saluts - le musée - la jeune fille avec le Bedecker,
étudiante à Pise - conversation - on retourne voir le jardin - le
hàllebardier. - c’était le jardin du pape <xxxxxxxxx> <xxxx>
<xxx> {passage ensemble de la réalité auirêve}.
Carnets de captivité 81

Il s’esMnarié et il est allé voir le r.a- il sortait et il pleura en pensant


le r. est là - et les gens autour disaient Seidener Jungerman43.
Sur-le champ fatigue sommeil <lourd-?>vDr, Hartmann
La desçription des paysages non p^s dans la,çoonaissance <p. 50;*
parfaite qu’on peut avoir d’eux, mais dans leur Aufmacbung.'Poésie
durandM eaulnes. Premières scènes du film. « Le%plus beau film
que J ’ai vu, une voiture,'une jeune,;fille, un jeune homme'qui
passe », disait Michel44.
Dissolution - vagabondage — rencontre -de <Nakim ?> - Salut
par le rôle social.
Envie portée à la chambre éclairée un soir du mois de mai —sons
deupiano.
Envie pour tous ces gens qui savent où ils vont. Et cependant
ils yont peut-être à la débauche - perdent leur temps —Envie
pour les gens qui sont des habitués, qui n’ont pas l’inquiétude
du temps perdu comme moi ; le. souci d’une œuvre. <p. 51 > Les
gens qui prennent leur thé à une heure fixe. M. Landgrebe qui se
repose le dimanche au café.
Les souvenirs cuisants qui vous font rougir toute la vie et qui
sont cependant insignifiants : j’interpelle un garçon du balcon
« Voulez-vous faire ma connaissance » et je vois ma mère, « Oh
pour moi ce n’est rien, je suis plus grand », le chapeau qui dansait
sur „ma tête quand -je faisais la queue au théâtre, « une lettre
froissée envoyée à un maître ».
Félix Culpa ne suppose pas seulement le temps. Les deux actes
du temps ne se suffisent pas : car le comble peut être disputé. Il
a. « r. » pour « rabbin ».
82 Carnets de captivité
faut pour la felix <cUlpa> qu'il y ait un comble-non dépassable
- le Messie: Le temps s achève d'une certaine manière et apporte
quelque chose qui détruit la pesanteur du présent.
<p. 52> Le temps de l'accomplissement.
La théorie de Dieu ne petit se développer qu'à travers Is.ft et le
Messie. Élection, inconnu de* l'avenir - le-Mystère. Dieu une
certaine temporalisation du temptf, lin être qui n’est pas subjectif.
- Dans l'exigence de l'espoir pour le présent il y a déjà Dieu.
Haine à distinguer foncièrement de l'envie de tuer. Elle suppose
1existence de celui qui est haï. Aimer la souffrance d’autrui. Envie
de tuer —Catégorie.
Dans l'Aufmachung les choses apparaissent dans le mystère de
l'étrangeté. Étrange - étranger. Dans leur étrangeté les choses
se révèlent comme un mystère. C'est le charme du cinéma. Les
paysages viennent <p. 53 > tnachen sich auf vor uns45. Souvenir
essentiellement Aufmachung. Pas$ë. Histoire, sujets historiques.
La musique - mouvement même de l’accomplissement. Le temps
pur/
Le mot ordurier dans l’amour. Réalité et mystère coexistent. Mots
tendres, mots caresses. {Profanation.}*Il
L'homme à la houppelande et au blaireau. Karl Freund caméristeb
de Greta Garbo. Sa femme —presque aveugle va en Polynésie.
Il l'accompagne jusqu'à Prague. Erich von Stroheim qui fait un
film : voie de garage perdue dans la campagne - herbe, fleur
blanche, train inattendu —la fleur est écrasée une femme se jette
par la fenêtre et est décapitée —Film de 6 heures. Film lyrique.
a. « Is. * sans doute pour Isaïe.
b. Il faut peut-être plutôt lire « cameraman ».
Carnets de captivité 83

<p. 54> La mise en scène peut tirer quelque chose des pièces de
Labiche. La complexité des situations devient par elle-même une
féerie. Gaston Baty et le Chapeau de paille d’Italie^.
L importance de ’ïïn47. Toute la scène où Samuel ne peut pas
comprendre que Dieu lui parle et où -il va voir Éli : « M’as-tu
appelé ? »
Ivresse n est pas seulement effet du vin. Il y a cè stade du« déta­
chement, de la sortie de la vie que l’on peut connaître dans toute
espèce d'excitation. Au Kommando le dimanche soif. La facilité
de tout parce qu'on est détaché de tout.
«aJe Vous interromps ? <p. 55> —Nom C'est-à-dire on inter­
rompt toujours.
La plaisanterie d’Anatole France <On espère toujours une sagesse
derrière la plaisanterie. Chez A. F. où la cherche - en vain. Une
plaisanterie qui est pour elle-même. Qu'est-ce qui est sérieux
poür J'âbbé Coignard48 ? Le manger, le boire, les filles, les livres.
Paysage hivernal —plus ' abstrait. Blanc —noir. Dessin plutôt que
peihture. Peut-être plus émouvant pour cette raison. Simplifié,
oneiï Voit les grandes lignes.-Dessin. Surtout le fond des arbres,
droits et noirs avec un blanc trait de neige —et sur fond de neige.
<p.56> La mer et la terre <xx>b paraît que la terre est apparaît
comme un immense scintillement.
La lassitude reposante du bateau. Est-ce la mer ou au contraire le
détaçhement de la terre ? Le caractère insulaire de l'existence. Le
à. ‘Le guillemet fermant manque,
b. Mot effacé ou simple tache ?
84 Carnets de captivité
paradis est un bateau ou une île. Le moment paradisiaque est dans
la barque de Charon.
L’homrtie c’est ce qui ne lutte pas pour la vie. C’est, du moins
le christianisme dans son interprétation de Tolstoï. La notion de
travail qui remplacejcelle de la lutte. « L’idée de lutte ou travail ».
Animaux ne travaillent pas.
Dans la vision blanc noir - l’être le noir. L’absence de lumière
- être.
<p. 57> 1943
1er janvier - Bal musette - Qqch. de creux et de fêlé. Pauvre W.ft
tout petit chétif, avec sa coiffe bretonne. Frénésie —Embrassade
- communion - Joie.
Philosophie - réelle en tant que travail. Le, rôle du travail dans
l’économie de l'être. Travail plutôt qué prophétie.
L’urne est critiquée d’un point de vue auquel la politique apparaît
comme compétence, art ou science. Mais la politique est-elle cela ?
Ni science, ni volonté générale. Mais expression d'un savoir mystique.
« La voix du peuple est la voix de Dieu. » Dès lors l’essentiel <p. 6S>
du scmtin <ce> sont les impondérables et non pas ses moments
clairs. Le nombre = mystère statistique. Toutes les « absences » dans
la décision individuelle. Vraiment opération mystique.
Comme l’animal qui en fuyant précisément laisse sur la neige
immaculée les traces qui permettront de le retrouver.
a. « W. » peut-être pour Weill, personnage d’Eros (?). Notre prudence s'explique par le fait
qu’il est question, dans le Carnet 3, p. 10, d'un certain « Wiech », dans une situation dans laquelle
pourrait fort bien se trouver le personnage d’Eros (?). On ne peut donc exclure que ce personnage
se soit d’abord appelé « Wiech » (sur les hésitations de Levinas à propos du nom des personnages
de ses romans, cf. la préface de ce volume).
Carnets de captivité 85

Lamarche sur une route où il n’y a aucune trace humaine, mais


uniquement la trace du gibier.
—î*---3»----
Cette manière de compter les hommes sans les voir.
La joie à la réception d’une lettre <d’aryen,?>\ .Contribution à
l’étude de Robert Dreyfus49.
,<p. 59> <Amour«?> - en pleine'captivité comme»une morsure
quand on me parle de N. Y. et. dé la vie insouciante qu’o n y
mène. Pense à E., à ses péchés - Impatience, peur de rater. Pensée
cuisante de S. F. —<1’ ?> occasion ratée précisément au cours du
premier jour de la captivité quand tant d’aùtres soucis* plus acca­
blants m’assaillaient.*
Dans la chambre avec la petite lucarne les hommes comme des
nuageç qui cachent le «soleil.
La nuit où j’ai <attendu ?> le retour d’E. au nom de la « morale ».
------->
<p. 60> Le caractère synthétique du nombre apparaît quand on
passe du système décimal au système un-imal. Il n’existe pas de
système uni-mal. Il n.’y a pas de nombre tant qu'il n’y a pas de
système*« imal ». Le nombre toujours réflexion au moins sur le
«jdeux,».
Innocence —ne peut pas être décrite psychologiquement. Il y a
des pharisiens qui se sentent dans leur droit—qui n'ont rien à se
reprocher - .très sincèrement. Ils-.sont d'accord avec eux-mêmes.
Leur culpabilité est objective. D'où contraire de l'innocence
enfantine. Non pas au sens freudien. Il est pos-<p. 6l>sible que
psychologiquement l'enfant soit innocent. Mais l’innocence ne
se définit pas psychologiquement. Péché originel - dans ce sens
seulement.
86 Carnets de captivité

Les différentes classes st® <me ?^> abstraites les unes aux autres».
Un cordonnier. Un professeur. Impénétrabilité des milieux. [Une
histoire - la connaissance] ЗНаК0МИТЬСЯ5°]ь. Écrire d’une
manière où ces abstractions seraient surmontées. Chaque milieu
a sa hiérarchie - ses mutations, nominations, carrières - où les
autres se réfléchissent cpmme des abstractions.
Les qualités des choses sont des relations. Odeurs, goûts certain1
- Peut-être couleurs. <p. 62 > Ce qui caractérise la chose - c’esrla
continuité. Point de vue philosophique apparaît avec la disconti­
nuité et le temps. {Discrétion et secret.}
Navon51 qui me parle de Paris et de son train-train quotidien
comme d’une ville inventée. La réalité pour lui était la petite ville
turque dont il venait était venu il y a 60 ans.
Le lecteur non prévenu de la Bible voit la réalité dans les paroles
et les actes des prophètes. Il lui est presque incompréhensible que
la vraie réalité historique soit dans les actes des rois qui apparais1
sent comme suspendus au-<p. 63 >dessus d’un abîme par leurs
péchés.
Uhomme aux souris blanches qui s’arrête dans une auberge. <xx>
au départ multiplication de*souris dans l’auberge. Souris blanches
aux yeux rouges. Très méchantes. Pour leur extermination appel
à un spécialiste.
Js.c comme catégorie52 : où le salut individuel devient collectif
- n’a qu'une forme collective. Le « je » dans le « nous ».

a. « st » en surcharge de « sociales ».
b. Le crochet ouvrant manque.
c. « Js. » sans doute pour « Judaïsme ».
Carnets de captivité 87

Le sens du cauchemar. Réalité immobile - absolument étrangère.


Nuit en plein jour.
La pureté - besoin de pureté. Une innocence <excusée ?>.
< — --------;----------<— >

<p. 64> « Il faut rentrer » — le clocher — Dante — la réalité.


<Musicus ?> qui fait un détour pour ne pas revenir à Vérone
uniquement parce qu'il y est allé - If <a/y: <a> ?> *20 ans —Lâ
retraite - l'existence sereine de lavieillessè près du clocher qui a
vu notre naissance. La Palestine pour nous wentrér.*
La première connaissance - la pudeur - connaissance de la
nudité.
« Il n'a pas pu réprimer un gloussement de joie » quand on lur a
annoncé <xxxx>.
ich spiele klassische Musik und <ich ?> <kann ?> <xxxxxx>. <xx>
<xxxxx> <xxxxxx>53.
<---------------- >
<p. 65 > Foi - au-delà de l’espoir.
Martyre. Fidélité.
Lumière sans chaleur. Clarté sans être. Et déjà comme une caresse.
Printemps.
Montrer la barbarie du médecin. Tout l'intime, le mystérieux
- deviênt terrain de technique, est au clair. De sorte que'tout
ce qu'il y a de virginal dans l'homme est proclamé en somme,
faux-semblant, décors, théâtre. Les ouvriers qui rïianient le ciel* le
jardin, l'arbre comme des cartons —ciel, soleil, arbre qui apparais­
sent dans une féerie aux spectateurs. Tout devient mensonge.
Dostoievsky et la recherche de la nudité.
88 Carnets de captivité
<p. 66 > Les Corybantes - prêtres de Cybèle, lorsqu'ils dormaient
les yeux ouverts, lorsqu'ils gardaient Jupiter de peur quil ne .fut
englouti de <sic> Saturne. Chez Rabelais le verbe corybantier54.
L'histoire de Mme Raskolnikoff : « Et lui, il ne savait pas si
Raskolnikoff l'avait reconnu. Il ne l'a su jamais. »
Le fils a sacrifié son rêve. Il a choisi ee-q la <xxxxx>..Et la mère
qui aimait le rêve du fils lui a <donné ?> l'image de celle qu’il a
sacrifiée. La mère a aimé le rêve du fils.-
<p. 67 > Mme S. Frugole
10, avenue des Vignes
Neuilly-Plaisance
(S.-et-O.)55
Marcel Portalès
2, rue Doria
ou
17, rue du Palais
à Montpellier
sa sœur
Mme Imbert
39, rue de Lille
à Paris 7e
<----------->
<p. 68> <Mlle /Mme ?>- <Mintz ?>
4, rue Arsène-Houssaye
à Paris
Ope 69-44, Jas 40-50
Marcel
21, rue de Tournon
Dan 29-28
Carnets de captivité1 89

Tarr Jas 27-45


RoAdeau Le Vésinet 2-97
RippTro <11 ?>-<42 ?>
MonS. P. 17815
P. M. David
2, place Louis-Pasteur
à Toulon
<p. 69> R. Bagot
4, rue d’Autrain {Lebástard}
à (Rennes)
Sidersky
44, rue Pastorelli
Nice (Alpes-Maritimes)
Bruneau
30, avenue du Chalet
Neuilly-Plaisance
(Seine-et-Oise)
Tél. : 45 Rosny s/Bois Seine*1
Alekhine
11 bis, rue Schoelcher Paris 14e
Dan 63-34
<------— >
<p. 70> Mademoiselle Marguerite Laurent
15, bd Blaize-de-Maisonneuve
à St-Malo
90 Carnets de captivité
Madame Henry Jan
10, avenue Barthtm
à Rennes
Louis
3, rue Beau-Manoir
à Rennes (I-et-V*)
Mme Vallé
75, bd de la Tour d’Auvergne
à Rennes (I et V)
<---------- >
<p. 71 > Ç.A.T.
134, rue de Grenelle
à Paris
Dr. G. Fourès
4, rue de la Têt
Perpignan
(Pyrénées-Orientales)
Max Dorât
Bain-de-Bretagne
(I-et-V)
5423 Fort Hamilton
Parkway
<p. 72 > Fernand Lamouroux
19, avenue du Pont-Juvénal
à Montpellier
Hérault

a. « I et V » pour Ille-et-Vilaine.
Carnets de captivité 91
Mme Sirjacq
24, rue des Fossés
Rennes
Croix-Rouge de Rennes
3, rue St-Hélier
Tél : 54-78
Frédéric Haas
6, rue de Paris
Rennes
<p. 73> M. Gustin
7, rue des Moulins
Paris
M. Vandal
Chez M. Lhomault
Place de l’Églisë
Reuilly
(Indre)
<p. 74> Pilotin Félix
63, bd Kellermann
Paris 13e
Duglué
Campel
(I-et-V)
Tleu Duong
Coiffeur
Dynamite
St-Martin-de-Crau
(Bouches-du-Rhône)
92 Carnets de captivité

<p. 75 > Serge,God chez


Madame Lemarchand
Clinique St-Vincent
Rue Jean-Macé
Rennes (I-et-V)
Kaabouche Ali
Commune mixte
Fedjm Zaala
Douar Roussia
Dept de Constantine
Wallet —12, rue des Tribunaux
St-Omer
(Pas-de-Calais)
<p. 76> Mme Dupré à Laval
25, rue Jules-Ferry
de la part de M. <Rabusson ?>
Dr Gilbert Fourès
Hôtel Continental
1, rue d'Orléans
à Rennes
Dr <Sztabert ?> Charles
Caserne de Pontanézen
Par Lambézellec
Près Brest
Finistère1*
Tambuté
11 bis, rue Lauriston
Paris
Carnets de captivité 93

< Rudes ?>


7 8 , rue Laugier
Paris 1 7 e
< ------------ >
<p. 7 7 > Deprès Élenor
6 0 , rue A nne-D elavaux
Lom m e-lez-Lille
N ord

Devez
Rue du M arais-de-l'Épaix
Valenciennes

M m e Gruel
2 0 , rue de N antes
Rennes

Jean D arnis-G ravelle


2 , rue C orvette
Paris 8 e
ou
Villa Sous la Ruaz
à <Talloires ?>
(H te-Savoie)

M ichel P ilotin
8 6 , rue Olivier-de-Serres
Paris 1 5 e

<p. 7 8 > D r H enry Levy


2 3 8 , rue de Lyon
à A lger
94 Carnets de captivité
Jean Constant Delanoy
5, rue Lam artine
à Amiens

Georges Vion
3 5 , passage Bellivet
Caen (Calvados)

Faucher
7 4 , rue V asco-de-Gam a
Paris 1 5 e

Tam buté
Chez M m e Calvet
8 0 , rue de Chézy
N euilly s/Seine

Jean Asselin
Suresnes (Seine)
2 7 , rue D anton

M aurice P erm
9 7 , m e M eurin
à Lille (N ord)

<p. 7 9 > <G m szku ?>


R obert Levy
Léon
Grand-Léon
<Goldbaum ?>
Goldfeder
R eznik
T?1«A U/1*«/M1
XXL I I * U U 1 U U 1 1

<Placzak ?>
Carnets de captivité 95
<F redy ?>
< xx> < x x x x x x > a

<p. 8 0 > D octeur G ilbert Fourès


Collioure
(Pyrénées-O rientales)
Avenue de la Gare

M ax D orât
B ain-de-B retagne
Rennes
(I-et-V )b

a. Il esc difficile de dire si, dans ce fragment, les mots sont raturés ou alors soulignés. Par
ailleurs, les trois premiers noms figurant sur cette page sont barrés d’un trait en zig-zag et l’en­
semble de la page l'est par une croix de Saint-André.
b. Cette dernière adresse est écrite dans le sens de la largeur de la page.
<CARNET3>8

<p. 1 > La possession de soi tien t à la possession des choses et des


personnes. Liberté à l’égard de sa propre existence, la perte de
tou t et de tous. < xxxxx> de Jo b b ?

Plan d ’un rom an :


Le 'm onde irréel - U ne gare - L a grande ville traversée - U ne
jeune fille de la jeunesse avec une ride un peu grossie - elle aussi
perdue — Elle joue avec votre chapeau com m e autrefois pendant
un incendie elle jouait av e cJa ceinture
U ne autre ville toujours traversée pendant la nuit - Pàris rêve
dans une cham bre de pion - Le vieux directeur qui ne croit
réelle q u ’une petite ville turque de son enfance1 - Il faut tenter
de vivre - les vagabondages dans Paris com m e dans un rêve -
la <sœ ur ?> - le nom de la jeune fille qui s’échappe des lèvres
quand on caresse sa <sœ ur ?> — le courage et la lâcheté de vivre

’a. Carnet réglé de format 10,5 x 14,5 cm, dont la couverture et certains feuillets ont été arra­
chés. L’ensemble est écrit au crayon à papier, sur lequel Levinas a parfois repassé au stylo plume à
encre noire. On note cependant une rature au stylo bille à encre rouge et un mot écrit au craytfn à
papier sur lequel Levinas a repassé avec le même stylo rouge. Le carnet se présentait dans les archives
en deux morceaux, placés l’un à la suite de l’autre, le premier comprenant ies pages 1 à 4 et 21 à
24 de l’actuel ensemble, le second les pages 5 à 20. D’un point de vue matériel, ces deux morceaux
appartenaient manifestement au même carnet ; sur le plan syntaxique et sémantique, les pages 4
et 5 se suivent manifestement ; il semble que ce $oit également le cas des pages 20 et 21, mais on ne
peut l’affirmer catégoriquement, car le dernier mot de la page 20 se laisse difficilement déchiffrer
b. Ce fragment, écrit au crayon à papier, est barré par plusieurs traits obliques écrits au stylo
bille à encre rouge.
98 Carnets de captivité
— les terribles instants « et après ? » - im possibilité de m ourir
— les joies de la vie et l'esclavage. - La jeune fille revient - l'at­
tente jalouse — <p. 2 > la caresse sur les cheveux — oh ! la seule la
presque chaste - quand elle dort ou fait sem blant de dorm ir - la
liberté de septem bre 1 9 3 8 -
La guerre — Tout se perd - L'am our pervers de la vie - plus fort
que la m o rt - la volupté de la passivité - D ieu - Rêve de sa propre
fille sous les traits de la jeune fille - la m ère qui veut connaître
l'im age de la jeune fille quand on y a renoncé cependant.

La conscience bien distincte de la connaissance serait le phéno­


mène de l'accom plissem ent. L'essentiel de la conscience ne serait
pas la réflexion où il y a lum ière, mais le retour pré-réfléchi.

У ПОПа была собака2—l'infini conditionné par la réflexion


sur l'acte qui se donne lui-m êm ett com m e un acte. Il ne suit pâs
seulement l'acte pas à pas mais se retourne vers l ’infini à chaque
pas selon u a <p. 3> nouveau degré. Le vide de cette répétition
— elle n’ajoute rien.
Form ule A + a (A ) + a [A + a (A )] + a{A + a (A ) + a [A + a (A )]}b
+ etc.

Les aviatrices. U n e jeune fille. Elle se peigne. Le caractère quasi


obscène de cet acte3.*Il

R om an. Le jeune hom m e qui a le rire de la jeune fille d'autrefois.


Il avait un rire à m o k ié sans m échanceté. Il atteign ait com m e le
fond de son être, se calait contre lui. U n rire où il était heureux,
léger, sans sarcasme, sans ironie, qui com m ençait com m e dans
l'étonnem ent, les yeux un peu dilatés - q ui, g aîté, n 'était pas pure
naïveté mais celui d'un être réveillé au plaisir.

a. Le pronom semble renvoyer à la « réflexion sur l'acte ». Il convient donc, semble-t-il, de


lire « elle-même » et non « lui-même », et de lire « elle » et non « il » au début de la phrase
suivante.
b. Les accolades sont, ici, de Levinas.
Carrîets de captivité 99

La civilisation — les petites choses qui restent inexprimées et qui


sont comprises de ceux qui lui appartiennent com m e des m ots de
familles. Les gens com prennent les autres m ots — les m ots univer­
sels - <p. 4 > et s’im agin en t avoir com pris la civilisation. R ien du
to u t. Mais civilisation — vraim ent universelle.

Som m eil — existence sans présent. N o n pas seulement sans


conscience du présent, car la conscience du présent n’est pas
com m e on se l’im agin e un simple enregistrem ent, matis préci­
sém ent une articulation du présent ; un constituant <de/du ?>
présent h’pst pas assumé.

L’assom ption du présent en partant du reculade la,fatigue fait le


présent. La conscience n’est plus enregistrem ent, appréhension,
m$is le tem ps m êm e. Le,présent est articulé.

O n ne peut tou t de m êm e pas dire que tou t est connu par l’inté­
rieur. L’hom m e envieux, l’hom m e m échant - ne peut être connu
dans,sa m échanceté que de l’extérieur. L’hom m e de rien aussi. Les
hom m es sont en grande partie ce qu’ils sont pour l’extérieur.

Eros devient am our dans la <p. 5 > souffrance par la souffrance (de
l’autre).
h
Souffrance morale - très beau, confortable. Il y a dignité, etc.
Mais^physique est la vraie souffrance — sans blagues.

Cela résonnera à jamais dans m a vie : le désespoir de la grand-


mère séparée de Simone, de R .a tou t â fait seule. R ien n’arrivera à
effacer cela. C om m e une écharde dans itia chair désormais4.

Chez Tolstoï l’essentiel n ’est pas ¿a vérité sur la nature hû-


maine mais f éhiotion de cefùi qui découvre brusquement toute

a. « R. » pour Raïssa, femme d’Emmanuel Levinas.


100 Carnets de captivité
l ’inauthenticité de la vie, le m ensonge, la com plaisance. Le sentir,
l’anim alité en tout.-Suicide d ’A nna Karénine. Révélation de la vie
purem ent instinctive et.d e son impasse.

L’hom m e tolstoïen — toujours honnête — de bonne volonté.

A ction chez Tolstoï et dans le rom an russe en général.


Toujours com m e un m ystère.
Transformations.
<p. 6> Il n ’y a pas com m e dans le rom an européen les caractères
statiques et constitués devant les événem ents. Il y a com m e la
passion de chaque être.

Le retard sur le présent — la tension m êm e de l’effort.

Il y a certaines situations, certaines im ages qui par elles-m êm és


se rangent selon un rythm e poétique : par exem ple : le rire j. qui
em pêchait le grand J . 5 de dorm ir ; Jon as qui dort dans la tem pêté
dont il est la cause. La poésie est donc com m e un rythm e. L’àr4*
tifice du langage, d e ’la couleur, peut créer ce rythm e. La poésie
musique est ce rythm e dans sà pureté. La poésie c ’est le s choses
mises en musique.

La philosophie de Rabelais d ’après le Livre quart : toutes les civi­


lisations - sont le résultat de M essire G aster prem ier M aître ès
arts du m onde —M a is c ’est <p. 7 > une divinité triste6. Elle repose
n’est rien. Sa divinité est dans la m atière fécale qui se dépose dans
le son pot. Mais seule divinité qui résout les problèmes. C ar ils ne
se posent que dans la lenteur et la m onotonie et l’ennui du tem ps.
C ’est Messire G aster qui p erm et de « haulser le tem ps7,» .

R om an : Ulysse - son extérieur - sa famille pleine de tantes non


mariées, de vieilles filles habitant avec leurs mères — les visites
— les sucettes du dim anche — le p e tit café où il allait prendre sa
grenadine à l’âge de 7 ans avec son père. Son père qui l’appelle
Carnets de captivité 101

U r devant la longue file de cochers de fiacres qui se m etten t en


m ouvem ent.

H oroshansky - sa dureté - sa dém arche (il boite légèrem ent


d ’un pied et a la dém arche large - to u t le corps rem ue), il confie
la mission com m e qqch. d ’insignifiant - l a nuit' dans le train
— cabinet — 3 0 0 0 0 D M vendus* avec les coupons. Après règle­
m en t des com ptes - M archandage - toujours <p. 8 > pas d ’argent
- Djernière réduction.

Roman*
L ajn aison avec l ’entrée de service e t l’autre entrée - парадный
ХОДЪ8 - fermée à l ’aide d ’un verrou de bois — une.grande anti­
cham bre froide —on ne sait jamais si la porte a été verrouillée —on
v it par la porte et dans l’espace de service. Le reste est réservé —
pour qui ? pour quand ? La sonnette tournante. — L’appartem ent
quidonge la cour - où l ’enfant nfe descend pas - Les.habitants de
la côur : photographe - M . Sayète avec sa canne et ses deux sœurs
— le tailleur - les divers escaliers de service visibles de la сбит — le
passage qui conduit dehe dans la rue - la vie .des enfants dans la
cour —le balcon sur la rue avec les grands m arronniers —. M on rêve
là-dedans - des hom m es qui rentrent - ils laissent sortir et pour­
suivent. L’un d ’entre eux prévient quelqu'un dans l’escalier — et il
ne se passe rien cependant - Il <p. 9> <descend ?> d ’escalier ?>
<, >ft < xxxxxxxxx> que si la porte d ’en bas est fermée j e ‘casserai
les* petites vitres de la p orte d ’entrée ■*- mais aucun em pêchem ent
— il y avait juste.une grande <peur ?> , et lfes hom mes disent tou t
cela pour vous ram ener à vous-m êm e, à vos intérêts réels.
— ------------- - ?

A utre .élément* du rêve, exercice désintéressé — l*homb qui fait des


gestfes sans qu’ils «oient utiles, sans en tirer profit.

a. Le mot n'est plus visible, en raison de la détérioration du papier.


b. Il faut sans doute lire « l'homme ».
102 Carnets de captivité
Le ciném a est un art propre *: c'est l’art de YAufmachung et du point
de vue9. La photographie en a déjà <la> possibilité. Le ciném a est
un art non pas parce q u ’il se sépare de la photographie, mais parce
q u ’il en tient.

C om m e les impressionnistes ont découvert la lum ière, le ciném a


a découvert les variations de point de vue.

<p. 1 0 > R om an. É m otion au souvenir de la jeunesse — m êm e les


figures des femmes les plus oubliées. U n rêve où elles sont toutes
là — blondeurs magnifiques — et au m ilieu d ’elles une adolescente
avec une robe sévère de lycéenne - les* traits encore insuffisant
formés, la coiffure plate — e t c ’est elle — tou t ce q u e lle deviendra
et qui som m eille en elle — qui a la préférence.

Rom an.
U ne existence où il n’y a pas d ’enracinem ent dans la terre mais
où la vie se passe au m ilieu de courants chauds ou froids, d ’ém o­
tions. Telle figure vous ramène à telle région, vous plonge dans tel
courant. L’existence com m e installée dans une région où passent
ces effluves — les êtres vous approchent ^d’abord e em avec leur
nuage d ’atm osphère, com m e une m usique. C om m e un leitm otiv
wagnérien.

Le cas W iech »- ém u de se voir appeler M onsieur, de se <p. 11 >


voir -adresser des lettres. < Devenu ?> num éro il est plus que cè
qu’il avait été avant. Il participe à d’inéluctabilité du nom bre.

<Reznik ?> et Fira. Fira* la bonne, la douce, l’adorée. Les objets


qu’on lui donne et qüe l’on trouve aux ordures. Ses4paroles qûi
décident de l’ém igration. O n p art sans lui avoir fait les adieux,
Après des passions plus intenses - m êm e on a été tout proche du
suicide - après une douce femme et un enfant (cette fem m e - une

a. « Fira » en surcharge de « le ».
Carnets de captivité 103

parente, une juive, tellem ent am ie, qu’on découvre dès la gare
m êm e-où Гоп va justem ent sans décision préalable) - peut-être
disparues® tragiquem ent. Mais c ’e s tF ira qu’on doit revoir encore.

H ypocrisie de la distinction entre acte et intention. Avec l’acte


seul il peut y avoir un présent, quelque chose peut être tranché,
éprouvé. Il y a un oui ou un non. <L’intention ?> — une porte
< x x x x > b <p. 12> reculs infinis - un infini com m e toute .pensée
- ‘u a rie n . M êm e m on épreuve suprêm e, m a vérification suprême
- je suis capable de m ourir pour ce j.c —devient désormaisdmpos-
sible, car je ne vois plus avec clarté pour quoi je suis prêt à m ourir,
je ne saurais jamais si c ’est le m om ent de mourir. Les sept fils
d ’Arm a le savaient, parfaitem ent10. En Espagne ils ont inventé le
m arranism e.

Rosrpersholm d ’Ibsen. Le pasteur Rosm ers cherche précisém ent


la preuve,,une certitude de quelque chose. ,C’est cela, plus qu’un
dram e social. Ce qui donne la.preuve — c ’est la m o rt, un acte qui
arrête à jamais la pensée, c ’est-à-dire le recul. Très im portant cette
notion de la m ort en tant que fin de la pensée, fin de son recul.

La dialectique de la nuit — connaissance obscure, connaissance


d autrui. La nuit est con tact - relation à elle. Mais dans sa forme :
une réflexion <p. 13 > qui est attitu d e directe.
Souffrance = attachem ent à la souffrance'.
Il y a = nuit de l’être, etc.

« J e n’ai jamais vu l’âme. O ù est-elle ? », dit l*anatomed. - Elle est


dans les'yeuxl R egarder quelqu’un dans les yeux, c ’est voir l’âme.

a. Il convient, semble-t-il, de lire « disparus », qui se rapporte à la femme et à l’enfant plutôt


qu’aux p^ssionsi*
b. Ce mot illisible, parce qu’il est presque entièrement effacé, ne permet pas de voir comment
la suite du texte, qui commence au verso de ce feuillet, s’insère dans la phrase, ni même d’être
certain qu’il s’agit bien de la sjiite d^cette phrase.
c. « j. » sans doute pour « judaïsme ».
d. Lire, sans doute, « l’anatomiste ».
104 Carnets de captivité
N on .pas commet une* chose. Mais re g a rd e r dans les yeux, c ’est
regarder se regarder, plus encore .c’est i je regarde m e regarder
regardant m e reg ard er... Itération à l’infini réalisée dans l’instant.
C ’est la m e . Réflexion, mais par alternance et par autrui. C ’est
pourquoi p rim at de la vision. P our l’ouïe, pour le toucher rien dfe
tel. L’âme est dans les yeux.

{R om an }. La femme jalouse qui retrouve son m ari après la tour­


m ente et qui assure qu’il peut avouer une infidélité/ L am o u r
pour elle devient pour un instant un simple besoin. É tait-elle
jalouse ?

La scène â Rennes —débâcle —, la jeune fille à laquelle on tien t dans


un abri des propos tristes, mais à laquelle on prend la m ain 11.

<p. 14> Le capitaine <Socquel/Soequel ?> qui p our défendre le


Q . G . se fait beau. L’instant où il est en caleçon. Tam buté qui a été
volontaire, car en som m e je n’ai guère pu faim autrem ent.

Les réfugiés qui partent avec des charrettes les plus absurdes
- incapable de p artir seul, de rester seul. C om m e la lim ace qui
porte sa Coquille.

Q uand on achète son pain place de la Bastille — on est m eublé


com m e <les/des ?> rois - privé de dessert. Le ça y est du
présent.

Le caporal-chef à m oitié fou qui veut tirer avec une m itraillette


sur les avions. Bernouville12.

E t puis il faut rentrer : la vie n’est pas une partie de tourism e.

Les villes qui ressemblent à <p. 15 > des cirques qui partent.
Garnets de captivité 105

Qénuflexion devant l'être — C lem encet13 — Le « Q ui sait ». Le


« C est cela » - l'instant.

Le. relâchem ent au m om ent de la défaite. « M on p etit bonheur


personnel. >»«*N ous allons chercher dans notre bonheur personnel
une com pensation aux malheurs de la p atrie1.4. L'impression au
ciném a en *1938 après et avant M unich. U n film m ilitaire le
colon el ridiculisé.

La nation com m e accès au réel. M onde de Heidegger.

Le pièd hum ain - son apparence*humble, pauvre anim al. Ce sont


les deux « pattes » qui ont chez l'h o m m e1encore la fonction de
l'anim al. Les mainS au contraire.

Si la position est le com m encem ent et si l'abîm e en révèle le sens


- l'approfondissement est la m éthode philosophique.

<p. 16 > Le <-xxxxxxx> —<xxxxxx>—<xx> chênes- <xx-> l'herbe


-«yMQOQBBo <3eocxx> personnages <xx> <-xx>

Le ciel com m e une coquille - dans son silence bruissant naît le


bruit de l'avion - il naît et il m eurt dans ce silence bruissant.
C om m e une démangeaison d ’abord à peine perceptible, d'abord
la perception m êm e de la peur.

Il ne reste plus rien de la F.b, sauf une adm inistration qpi en assure
la continuité. Discours de Laval du mois de juillet 1 9 4 3 15. Rien,
plus de territoire libre, plus d'arm ée, plus d'em pire, plus de flotte.
Mais <des/les ?> bureaux poussiéreux — les chefs de bureau, les
appariteurs {unijam bistes} - les toiles d'araignée.

a. Guillemets non fermés.


b. Lire, évidemment, « France ».
106 Carnets de captivité
< xxxx> réalité gram m aticale et philosophique - devient brus­
quem ent réalité tou t court.

Des plants de chêne se trouvaient en lutte avec les herbes e t le


chardon pour le soleil. « Q u'es-tu donc de plus que nous pour
qu'on te cède la place ? » E t elles poussèrent vite vite et dru dru,
et elles dépassèrent le chêne. Puis vint l’autom ne et toutes les
herbes devinrent < x x x > , et les plants de chêne restèrent seuls
dans la plaine.

<p. 17 > La fausse science de l’anti - C om m e une espèce d'exégèse


monstrueuse - manque de confiance dans l'exégèse elle-m êm e.
Des post hoc, des sim ultanéités qui deviennent des raisons. Des
grands hoc - des citations, etc. M éthode grossière, mais m éthode
susceptible de développement.

25 juillet — le ravitaillem ent — le russe — la fin d ’une mascarade.


Le bien redevient le bien, le m al — le m al.

{Triste opulence : personnages}


Rondeau Claude — Capitaine Lepic - C aporal-chef Bernouville
(noir - sauvage — savant) - Fourès — Landau qui le m atin du
10 mai obtient enfin le droit de m anger au mess des m arins16
— L'homme qui a peur que sa fem m e ne vieillisse — Le notaire
R oger - Raym ond Pontlevoy17.

V alette avec <ses ?> <chaussures ?> neuves le jour de son départ
< x x > a l’Allem agne.

Govin <affaissé/affairé ?> - malade < indique ?> ce m êm e jour du


départ < xxxxxxxx> .
<------------- >

a. Le mot est illisible, mais il faut peut-être lire « en ». C'est du moins en ce sens que cette
situation sera à nouveau évoquée dans Eros (?).
Carnets de captivité 107

<p. 1 8 > TrameU8 - te grand, le fort - et son pudding de dim anche.


« Es wird besser gekocht. »
L’hom m e qui se gêne de dire « m a fem m e, m a m ère, etc. » P eu t-
ê tre p o u r cela quion {les}«appelle « M adame U netelle ».

V or<. ?> lui-m êm e porte une telle casquette - les m œurs — enfin
c ’e stçn tré dans les mœ urs. - Le prestige de l’avant la guerre »“ —le
m êm e pour l’ordre npuveau, pour ses distinctions, ses honneurs, ses
fonctions, ses situations. Ah avoir été professeur sous le tsar — ah
avoir été officier sous le tsar - E t voilà brusquement l’ordre nouveau
devient cet avant-guerre prestigieux, apporte ses points fixes pour
la référence —Vor lui-m êm e porte une telle casquette »b.

Le rêve d ’un voyage en roulotte - la maison qui m arche - le char­


bonnier et son dém énagem ent.
<:------------- >
<p. 19> La m échanceté - deux équipes scient. W c est engueulé
- Il est dépité - mais dem ain son dépit passera. — Lui dire les
m échancetés dès aujourd’hui. D em ain ce sera trop tard 19.

Sirrçpne — catéchism e — gravité du problèm e — sans cabotinage —


pour une fois un problèm e qui n ’est pas m atériel est sérieux. D 'ha­
bitude une fille vous préoccupe par la san tç,.p ar sa conduite, par
son niariage. E t là brusquem ent il est question de sôri salut20.

Ces Visages com m e des cartes d ’opération.

Tram el - ses plis, etc.

Cafburant —L’hom m e machine —Le travail apparaît dans sa m até­


rialité. Autrefois on m angeait pour la santé, pour le Mais m anger

a. Le guillemet ouvrant manque ou alors n’est plus lisible.


b. Le guillemet ouvrant manque ou alors n’est plus lisible.
c. « W. » peut-être pour Weill, personnage d’Eros (?).
108 Carnets de captivité
vivre. O n < xxxxxxx> com m e rattaché à la <vie ?>,, <p. 2 0 >
com m e un être biologique. Mais m anger pour travailler — c est
vraim ent m achine.

M ari d ’une fem m e laide — Sa jalousie en tan t que vie nouvelle et


passionnante.

L’hom m e qui cherche la bienveillance à tou t p rix. Il offre des


paquets de cigarettes — pour q u ’om lu i sôurie et qu’orl1lui dise
m erci. Il fait m êm e des folies.

P our nous les événem ents c ’est vraim ènt la base — de la vie. C ’est
notre vie intérieure.

La Dame de pique et l’équivoque du diabolique.


R approchem ent avec les promesses dés trois sorcières de Macbeth.
Connaissance - position — conscience. N irvana — profondeurs
abyssales — tem ps. Ce qui reste après la connaissance <sans ?>
< p. 21 > que ce soit - le néant.

La dialectique — transform ation en contraire com m e la vérité


m êm e de l’hum ain. Le tim ide qui est orgueilleux en m êm e tem ps
et non pas parce q u ’il est orgueilleux - Le 'modeste qui est yoflit
prétentieux, etc.
D ialectique des régim es politiques depuis la révolution. N otion
m êm e du régim e. La royauté non seulement pouvoir absolu - mais
pouvoir en tant qu’absolu soustrait à la dialectique.

<p. 2 2 > Le jeune garçon qui s’aperçoit d ’une fem m e qui sç


contem ple dans le m iroir toute nue. Elle contient en elle toute la
volupté pour elle-m êm e. Elle est com plète pour elle-m êm e. Elle
est m ystère pour elle-m êm e. Inépuisable à elle-m êm e.
Carnets de captivité 109

O n parle aux enfants sur un to n , à un p e tit soldat sur un ton .


Parfois on s arrache à cette façon de parler sur un ton. O n parle
d ’hom m e à hom m e. En tou t cas la seule façon digne de parler.
{Des gens qui en sont incapables m êm e devant la m ort. Le titi
parisien.} {Le ton d en t sur lequel on parle à une fem m e, etc. Mais
qqch. de profond dans ce besoin : chant, poésie - style —}â.

Triom pher dans l'échec qui est l’essence du christianisme se


rapproche du social où par l’am our Jbn souffre de la souffrance
d ’autrui — et où on peut avoir joie par la joie d ’autrui — à travers
{et m algré} ses <p. 2 3 > propres joies ou souffrances. À réviser
tou t cela.

Triste opulence -
le soir à Alençon -
la hiérarchie s’écroule -
les teintures tom b en t —
les masques pâlissent
les costum es tom b en t21.

<p. 2 4 > b < xxxxxxx> .<xxxxxx>

Sales < xxxxx>


D avid —
étiquettes22 - cartes - lettres (cartes pour Ada)
rem plaçant
adresses — adresse de G ourm elin
Sales :
<Plaezen ?> l’étiquette à rem plir - cartes
Kaufm ann
Jaco b - Stuck

a. Cet ajout se trouve en fait sur la page opposée. Il est relié par une flèche au précédent
ajout.
b. L’ensemble du texte de cette page, excepté les deux derniers mots et le nombre « 80 », est
écrit tête-bêche par rapport aux autres pages du carnet, et barré par une croix de Saint-André.
110 Carnets de captivité
Courtois — baraque 16 —
A rgent : hom m e de confiance
P etillot
Lames — peigne — bloc
<x x x x > Tabak
<3qqqcx> 8 0
<300000 20
<3000
A thée-sur-C her
<CARNET4>8

<p. 1> Tram el <penché ?> sur la bruyère <xxk> - voix ém ue,
pleurnicharde - Le chauffeur < xxxx> qui ctieille des fleurs
de bruyère pour sa fem m e et qui dans son effort d accrocher le
Boùquet <autour ?> de la voiture conduit d'une seule main. Le
bouquet qui tom be à plusieurs reprises. La remorque du tracteur
qüi <saute ?> avec les prisonniers derrièrelb.

W .c ne peut « rentrer daiis sa Coquille ». Car quand il rentre dans


sa*côquille H faut qu’il en sorte im m édiatem ent pour voir si tou t
le m onde a vu qu'il est rentré dans sa coquille2:

<p. 2 > Le néânt de l'assimilé.

W .d- qui parle com m e s'il chantait un opéra. La moindre phrase


est affectée. « M erci #, « B o n jo u r» , « D onnez-m oi une tasse de
thé4». Tout cela de la tim id ité. N écessité d’apparaître toujours
revêtu d]un 'masque, d ’un personnage, Se sentant nu sâtis cela3.

a. Carnet rçégl^ de format 8 x 1 3 cm. L’ensemble est écrit au crayon à papier. Quelques mots
bu quelques suites de mots sont parfois repassés, soit au stylo plume à encre noire, soit au stylo
bille àrencfë noire.
b. L’ensemble de ce fragment est barré par une croix de Saint7André.
c. « W. » peut-être pour Weill, personnage d'Bros (?).
cl. Mêmé remarque quê dans la précédente note.
112 Carnets de captivité
Réaction étrange devant la vérité qui peut être choquante. Le livre
de Rom ain Rolland sur Gandhi4. Le chapitre sur les sévices des
Anglais <xx> Indes. La vérité de ce choc. <xx> éprouver cela devant
les su p p licatio n s ?> <p. 3> de pas mal de justes malheureux.

La draperie qui tom be. Le monde qui apparaît dans ses contours
<nus ?> - Le monde toujours com porte de T« officiel » - la
draperie de 1’« officiel » — c ’est cela la patrie. La chute de la
draperie - la défaite. D écrire dajis la scène d ’A lençon le rythm e de
cette chute. Il n ’y avait plus d ’officiel. R ien n’était plus officiel.

Il vit l’avenir com m e un passé, le présent com m e un souvenir.


À développer. : ce rythm e du tem ps.

Le Dofuhr Rattenfànger5 avait com m e prem ière vocation - le sacer­


doce.

<p. 4 > N otion « m ilitaire » du devoir où le rôle de la conscience


n’est pas ce q u ’il, est dans la morale. Il consiste dans l'obéissance
aux chefs. Le « devoir » est visible. N ’est-ce pas cela que H egel
cherche dans l’É ta t ?

La vérité profonde de la dialectique. Le supérieur, est dialecti­


quem ent dans l ’inférieur. Q uand j’insiste sur la vérité de l’élé­
m entaire dans m on analyse de Veros ce n’est pas bien entendu par
m atérialism e, mais ce n’est pas non plus par une espèce d ’an ti-
intellectu a-<p . 5> lism e, par une opposition des forces « vitales »
et de leur dynam ism e au vicje de l’esprit. Ce que je conserve c ’est
un rythm e particulier de l’élém entaire qui doit être conservé dans
le « supérieur » quand celui-ci en est déduit dialectiquem ent.

La sortie à Ostenholz aux colis —les femmes {« corps en vacances »}


— les enfants qui m angent des pom m es, fillettes et garçons. — Les
garçons sont des hom mes, les fillettes ne sont pas encore des
femmes — <xxx> tous sont < xxxx> < xxxx> <sauf ?> les gestes
Carnets de captivité 113

brutaux <p. 6> de la fillette qui mange des pommes -.a u cu n e


douceur, aucune féminité - , Le -garçon qui dit « ich schnitze » - la
petite’fille aussi. Elle jette brutalement la pomme achevée. E t puis
brusquement — elle se retirera un jour de cette communauté enfantine
—elle se découvrira un m ystère—elle sera retirée de tout et se m ettra à
planer* comme un être légendaire - ramassé sur lui-même, etc.6

M on regard ne s’élève qu’au niveau où il <p. 7 > peut rencontrer


un être hum ain. J e ne vois pas ce qui est à mes pieds.

M échanceté - lim ite de la connaissance intérieure. O n ne la


connaît pas*intérieurement dans son m al. Connaissance intérieure
d ’autrui = sym pathie. M échanceté ne se révèle pas à la sympathie.
Elle est donnée com m e l ’extérieur.

Le double - non pas l’hom m e mauvais accom pagnant l'hom m e


<p. 8 > bon - mais le tragique m êm e de la dualité d'être enchaîné
à un autre - dédoublement à l’infini - être deux. Le m oi est deux.
YVan Karamazov*et le diable7. C ette dualité c ’est le diabolique.

Le thèm e de la trahison et de la personnalité.


Liberté.

W .f ’et la frénésie de plaire.. D eux qui ne sont rien et auxquels on


déclare toutes les choses intim es uniquem ent parce que ce <p. 9>
sont^jd'autres, pour lesquels on dessine, etc.
------ -— —r
D ualité du tem ps et dualité d ’espace. Celle de l’amour, celle du
besoin.

Plptiù d it : Le sage éprouve pourtant les sentim ents d ’amitié- et


de reconnaissance ; il les éprouve à son propre égard il se rend
à lui-m êm e tou t ce qu’il se doit ; il tém oigne aussi de l’ajnitié à

a. « W. », peut-être pour Weill, personnage à’Eras (?).


114 Carnets de captivité
ses am is, mais une am itié accom pagnée, au plus haut p oin t, de
clairvoyance intellectuelle. Ennéades
I, 4 8.
<p. 1 0 > Possibilité d ’un am our ou d ’une am itié sans la dualité
qui pour m oi est l’essentiel. La dualité et le m ystère d ’autnli - est
le fond m êm e de l’amour. La sexualité. C onception qui perm et de
dépasser le problèm e « égoïsm e - altruism e ». Puisque'Fig# ne se
définit pas en dehors de l’am our chez m oi. Sexualité constitutive
de l’égoïté. R upture avec la conception antique de l’amour.

Pour persifler, pour <p. 11 > im iter — il faut beaucoup de grâce.


Sans grâce - tou t cela n’est que grim ace. L’ancien personnage est
lourd sous la grim ace. A u fond dans le persiflage gracieux l’ancien
personnage disparaît-il ? C ’est précisém ent ainsi q u ’il se conserve
intégralem ent {et librem ent} sous le masque.

Pensée - tou t est possible


- recul, pas de présence c.-à-d . pas d ’arrêt. Se défiler.

R attach er la notion d ’am our charitable à la notion du triom phe


conform é-<p. 1 2 > m e n t au chapitre 5 3 d ’Isaïe9 - G radation Eros
— charité.

Faux s/oft - Fon t p artir d ’autres. Roland Baudruche - [le rêve


— un hom m e s’effondre - et puis rien, rien, rien}. Il m ’appelle à
part. Q u ’est-ce que c ’est < x x xxxxx> ? N on . Peur ? P lu tô t - Pas
du tou t. Il a une cham bre vide. C 'est stupéfaction - le m om ent.
Stupéfaction. E t après quand on lui raconte les réclam ations du
< rem plaçant ?> indigné : « Fantastique ».

Toute la scène chez l’ém i-< p . 13> n en ce grise. Socialisme faux,


car dureté, calcul. O pposition du scrupule et de l’action. O ppo­
sition radicale. Socialisme sans judaïsme. L’histoire du gain aux
cartes pour étiquettes10.

a. « s/o » sans doute pour « sous-officier ».


Carnets de captivité 115

Leder - m aigre, m aladif — poli — garçon de course dans un


m agasin d e parfumerie —chanteur —sa sœ ur a épousé un Espagnol
— < îs b b e > en < xxxxx> pendant la guerre d'Espagne — en Espagne
pendant la guerre - la <m ère ?> lui annonce une surprise à son
retour. Il pense à cette surprise. Il s'est imposé une vie sans effort
- m édiocre {à < xxxxxx> d'un hall de la bânque}.
— j—
LeV èrt dans le paysage — le vert d'aquarelle enfantine.
<p. 14 > O n passe devant ujie maison p eut-être abandonnée
- u n tablier de fem m e accroché parm i les chaises abandonnées
— ém otion — com m e pour l'aviatrice qui se peigne11.

Le Soleil d'hiver - com m e le baiser d'un m ort.

Pendant les alertes à Paris en 3 9 /4 0 - la peur des deux vieilles


filles qui n'ont rien <p. 15 > à perdre. « O h M onsieur nous avons
si peur » - La peur des < xx> qui ont dans le règlem ent de ne pas
se mettre^à p oil12.

Le vrai problèm e socialiste est un problème^ de propriété. N on


seulem ent le problèm e du capital <qui perm et d'asservir, mais
un problèm e des relations, avec les c h o s e s l e phénomène de la
possession. Posséder, dans le monde qui n’est pas socialiste - c'est
être asservi par ce q u ’on possède. De là le phénomène de lutte. Ce
n’est pas encore le travail <p. 16> seul qui décide. Dans le monde
socialiste posséder par le travail —sans lu tte —d ’où possession sans
être possédé - affranchissement à l’égard des choses. Les choses
deviennent com m e l ’air - présentes - l’être devient un* présent.
Le m onde messianique est ençore au-delà du monde socialiste. Le
travail et son présent dépassés.

Q uand Ju les parle de la menace qui pèse sur la civilisation — c'est


<p. 17 > bien à la propriété qu'il pense. Son socialisme est inof­
fensif parce qu’il accepte la propriété. Avec l'ancienne propriété le
116 Carnets de. captivité
monde bourgeois reste in tact. E t cependant c est la notion chré­
tienne et j.a qui est civilisation. « Chacun sous sa vigne et sous son
figuier13 » - il n’est question que de la paix et nullem ent des biens
matériels et de propriété. Son figuier : justification de la propriété
en. tant qu’in tim ité.

L’expression de la pensée —est toujours autre chose que le contenu


objectif de la <p. 18 > pensée. D éjà par le sim ple fait de l’expres­
sion — m ots - intervient tou t l’être qui articu le'et to u t le « jeu »
que com porte l ’articulation - le « pittoresque » du langage. C ’est
dans le langage* - dans cette « m atière » de la pensée qu’opère
l’art. La dernière forme de ce jeu de la m atière du langage c ’est le
poèm e avec le rythm e et la rim e. La rim e et son artifice ne sont
ni l’obstacle, ni le guide de la pensée. C ’est la condition m êm e
de l’art. Le poèm e est une <p. 1 9 > collaboration de l’intelligence
et de l ’art taillaht dans le langage, jouant avec le langage com m e
m atière, faisant ses effets propres.

Le besoin de triom phe - et « tous les peuples reconnaîtront14 » , se


retrouve dans le C .b — qui ne saurait être com plet sans cela. C 'est
co n stitu tif du Cc. E n fcela il se sent le but de l’histoire. Toute vérité
est telle - mais le libéralisme nous a habitués à autre ch ose.D atis
ce sens <p. 2 0 > le libéralisme manque d ’universalité. La terreur
est constitutive du triom phe. Le C h rist.d a seul eü 'u n triom phe
messianique — sans terreur.

Les espaces qui se logent l’un dans l’autre. L’exposition de 1 9 3 7


logée dans Paris. C ette expérience des différentes couches de l’es­
pace et des relations de ces différentes couches. L’approfondir. U n
hom m e qui sent tous les <p. 2 1 > Paris qui se sont succédé dans le

a. « j. » sans douce pour « juive ».


b. « C. » sans doute pour « christianisme ».
c. Même remarque que dans la précédente note.
d. Le point après « Christ » n'est pas certain.
Carnets de captivité 117

m êm e espace géom étrique. À travers ces* objets subsistent : fron­


tières de ce s mondes différents.

Depuis P laton, am our vient de l’union de Poros et de Pénia. Dans


l'autour besoin et pauvreté. Dans ces
conditions on ne com prend
pas la notion de sexe. E lle reste notion physiologique. Chez Platon
dans sa théorie de l'am our, elle est .d'ailleurs- subsidiaire. Pour­
q u o i l'im age du beau est-elle attrayante dans la fem m e ? Dans
m a-théorie de ÏEros
c'est le sexe qui devient la <p. 2 2 > notion
centrale.

Un* des caractères du style-moderne introduit peut-être par Baude­


laire ^ e m p lo i de term es abstraits, savants, pour-la description des
choses concrètes.

Ondine de G iraudoux15. C 'est l ’être de l'instant qui précisém ent


connaît la .vraie fidélité - celle qui n'est pas servitude - non pas
fidélité com m e conséquence du sferment, mais fidélité naissant de
<£p. 2 3 > l’am our dans l'instant.

Le m aire de la p etite ville alsacienne - revenu d ’Arrçérique ayec une


fortune gagnée dans les fabrications de guerre - anti j / - se fait une
situation en achetant n'im porte quoi - ne connaît pas sa richesse
— devient m aire par caprice — démissionne, se fait réélire, etc.
Caprice : se prom ène en été avec <un> chapeau de paille sans fond
- fait un arbre de N oël pour tous les enfants - tous reçoivent le
m êm e ,<p. 2 4 > cadeau : une souricière - parce que la contribution
des industriels aux sinistrés du M idi est insuffisante — cherche un
clochard et lui perm et de s’inscrire en haut de liste.

Théorie du besoin
La relation avec les choses - est se réfère au besoin. Ce n'est pas
le m aniable, mais l ’utilisable. D ès lors le L’utilisable - n'est pas

a. « j. », sans douce pour « juif ».


118 Carnets de captivité
ce qui est nécessaire à l’action - (contre Bergson). Les choses sont
nécessaires pour être. <p. 2 5 > Dès lors besoin catégorie.spéciale
de la relation avec les choses. Il y a des besoins : habiter, m anger,
boire, se chauffer, respirer, etc. <Énum ération et classification danà
m on cahier.) Mais par «là besoin correspond à la relation avec l'ex­
térieur. J e veux dire par là que c ’est une catégorie spéciale de l ’ex­
térieur. Ce q u ’on appelle com m unier avec les choses c ’est m anger,
boire, habiter, respirer, voir, etc: La vision et la connaissance elles-
m . sont conçues chez* m oi com m e correspondant couchées dans le
lit du besoin qui est la catégorie prem ière de l’extérieur. Besoin
= appétition.
<p. 2 6 > Mais q u ’est-ce qui caractérise l’extériorité du besoin ?
E st-ce le fait qu'il m anque quelque chose à m on être ? La pénurie
de Platon ? U n asservissement à ce que je n ’ai pas - qui est m on
m aître ? Conception capitaliste — il en découle tou te la théorie de
la propriété qui est une lu tte avec cet asservissent — un renonce­
m en t au présent - [e t une im possibilité de surm onter cet asser­
vissem ent - m ontrer en quoi il subsiste.) - À la pénurie de la
conception classique j’oppose une <p. 2 7 > jouissance qui est libé­
ration socialiste. L’extériorité c ’est le bonheur de l’intervalle et
du vide : l’espace. Les choses : ce qui m ’est donné. Encom bré par
m oi-m êm e - j’ai un intervalle où je « prends » et où je peux jouir*
Ce n’est pas un avenir - puisque le m onde est m on contem porain,
mais c ’est un avenir dans le présent, (à suivre.)

L’appétition - est-elle appétition des choses ou de la jouissance.


A ppétition des choses - capitalism e. C ’est pourquoi on peut
posséder sans jouir.

<p. 2 8 > Théorie du besoin (suite).


Reste à savoir quelle relation entre l’espace en tan t qu’intervalle
d ’appétition et la « position » (à suivre).

Vouloir battre quelqu’un et puis im possibilité en voyant la créa­


ture. R ien de com m un avec la peur.
Carnets de captivité 119

La signification originale de la m ortification. Ce n’est pas lutter


avec sa chair. Si c est lutter avec sa chair <p. 2 9 > la structure du
com bat où le m oi prend l ’initiative* reste intacte. Ici, c ’est le moi
qui est attaqué. E t l’instrum ent de cette attaque c ’est l’intelli­
gence et la volonté c ’est-à-dire encore le m oi : c ’est la lu tte du
m oi avec le soi.

L’intervalle et sa puissance de bonheur expliquent le bonheur


du fait d ’être deux. Dans l’am our l’essentiel n’est pas qu’il y a
<p. 3 0 > union de deux êtres, mais qu’il y a deux êtres.

Propriété légitim e en tan t que condition de la jouissance 'parti­


culière que personne ne doit troubler. La seule propriété — c ’est le
chez soi. Propriété asservant en tant que possession, en tan t que
souci du lendemain, nnn16 < x x x x > .

Théorie du besoin* {excursus).


La;structure du besoin - accom plissem ent qui est propre à la rela­
tion <p. 31 > avec les choses — c ’est le phénomène prem ier de
l’extériorité et de l’espaçe. Ç ’est l’intervalle.* A u trem en t d it : la
dualité intention-accom plissem ent c ’est,l’espace et non pas I n t é ­
riorité de l ’intention elle-m êm e. L’intention est dans le vide. L’in­
tention* donne la lum ière où l’extérieur est intérieur. La pensée de
l'extérieurxe$t le m ouvem ent m êm e de l’accom pliss1 - (à suivre).

Sur la frontière du <p. 3 2 > som m eil et de la veille. Sentim ent


d ’être à égale distance de l’une et de l ’autre avec la lib erté de
se-plonger dans le som m eil ou de ressortir vers la veille. Liberté
totale e t bonheur de cette liberté à l’égard du monde.

a. Un trait traverse, plus qu’il ne souligne, les cinq mots qui précèdent et qui occupent toute
une ligne flans le manuscrit. Il ne s’agit sans*doute paç d’un soulignement, ni d’une rature, mais
plutôt d’un trait de séparation marquant la fin de ce fragment dont Levinas aurait finalement
décidé de prolonger*l’ècriture.
120 Carnets de captivité
Som m et - vision - embrasse un large horizon - Profondeur
- source nourricière - abîm e. M ystère existentiel — opposé à la
lum ière de la vision.

Ce qu'il y a d'essentiel <p. 3 3 > dans tous les besoins - et m êm e


dans Veros— c'est qu’après on rouvre 'les yeux.

François G oblot - Condoléances - et après la gaffe, com m en t va-


t-il ?

Théorie du besoin (suite)


Dans le besoin il y a deux aspects à envisager : 1) en tan t q u ’ap-
p étition, il est une existence avec intervalle — et le prem ier pas
vers le bonheur ; 2 ) en tan t que m al, il a <p. 3 4 > sa source dans
le trop-plein de l'être. Ces deux aspects ne procèdent-ils pas de
la m êm e chose ? - Ce qui distingue le besoin de Yeros - c ’est que
le besoin est un intervalle franchi où la dualité disparaît. A ssim i­
lation du monde extérieur par le sujet. Tout besoin satisfait e&t
en prem ier lieu satiété, le fait d ’avoir m angé. P rim at du m anger
(voir m on cahier).*<C'est cela la signification de la jouissance du
besoin. Dans Yeros c ’est <p. 3 5 > la dualité qui est la jouissance
m êm e. L’intervalle n ’est pas seulem ent franchi - il est. toujours à
franchir. C ’est la différence m êm e en tre l ’espace et le temps» Tout
l’espace e st donné dans la position. Le tem ps est toujours à venir.
L’avenir est m ystère c.-à-d . virginité. - En quoi l'intervalle du
besoin allège-t-il le sujet ? (à suivre.)

Théorie du besoin (suite)


Le sujet est encombré par son existence. Cela veut-dire <p. 3 6>
qu’il n'est pas, n’agit pas de en l’air {Il a des assises} que chacun de
ses modes d ’assumer son être n ’est pas « en l'air » , à l’instant o ù
cela com m ence, mais qu’il suppose toujours dans l'instant m êm e
un acte antérieur de « se poser » , de déposer et de conserver son
« être » com m e un avoir, com m e des « bagages ». Il y a toujours
cette articulation dans l’instant du sujet. Mais encombré ainsi - il
Garnets de captivité 121

a besoin : non seulement il dépose son avoir, il a des appétitions.


Des choses <p. 3 7 > lui-apparaissent com m e un extérieur.--Il peut
absorber. Tout ce qui est est là - et cependant il est encore libbe
à l’égard de toutes choses. L’appétition est une autre manière de
maîtrise sur le tre - voilà mon idée centrale. Donc l’appétition doit
être envisagée^dans la perspective m êm e de la subjectivité. C ’est le
mêm e problème : com m ent - dans quel sens - l’anonymat de l’il
y a devient a -t-il une structure subjective — dans quel sens il peut
y avoir com m encem ent <p. 3 8 > et sujet ? La position {en} est la
première forme. Le sujet encombré se pose. Mais le sujet a aussi la
maîtrise de l'être en le m angeant. E t c ’est en tant qu'aliment<que
l’être est à intervalle et est monde — d ’où possibilité de propriété
- de possession. - 1) Ë n termes m oi = soi, c[ue signifie cette rela­
tion avec l’alim ent ? 2 ) E t que devient dans toute cette théorie
l’idée du besoin en tant qu’entretien de l’être ? <p. 3 9 > D ’abord
la deuxième question. Dans l’appétition en tant qu’appétit - l’idée
développée dans mon carnet de fa force puisée dans la nourriture
- l’idéè de mordre sur et de se revigorer à la morsure. Ce n’est pas
l’idée chim ique de l’assimilation — mais l’idée de maîtrise sur l’être
- de subjectivité. La première question : le moi-soi - jouissance.
Le retour du moi sur soi dans la jouissance n’est pas la réflexion ni
l’ennui, mais une <p. 4 0 > réconciliation du moi avec le soi - décou­
verte du soi par le moi - le moi se suffisant. Dans la satisfaction du
besoin, il y a donc une plénitude de l’être,m on pas due aux choses,
mais se révélant à l’occasion des choses - Iqsister sur le sens de l'in­
tervalle -du besoin - ce n’esp pas attente qui intervient après avec
le temps et Veros
— dans ce sens eros
domine les besoins. Intervalle
propre du besoin - c ’est le désen-<p. 4l> co m b rem en t.

La propriété légitim e du chez soi recèle dialectiquem ent sa néga­


tion - objçts familiers - attachem ents - liens - chaînes,

À établir le rapport entre l’enchaînem ent dç la propriété en tant


que possession - et l’enchaînem ent de l’exploitation. P eu t-être
par l ’élém ent de lutte. Esclavage {H eg el}.
122 Carnets de capttviié

Le plaisir qui vire en souffrance - la souffrance qui vire <p. 4 2 > en


plaisir — ce n'est pas simplement una effet qu’on constate par expé­
rience. Dans l'analyse cin tim e ?> du plaisir elle est à découvrir.

La notion de sexualité à déduire de la « réflexion » sociale : le


plaisir du plaisir — la douleur de la douleur. C ette, relation de
douleur de la douleur — est la relation à l'égard d'un autre sexe.

La pureté de joie <p. 4 3 > de l'enfant de ch œ u r et puis le p etit


garçon m échant et vulgaire — criard, disputeur.

La seule perfection hum aine - beauté. C om m e une branche m ira­


culeuse sur un tronc pourri. Le seul m iracle.

{1 9 4 4 }
Le rêve de lévitation. Les gouffres traversés par un effort de
volonté. C ç n'est pas le vol — m ais une toute-puissance à l'égard
de l'espace.

La « com ptabilité » <p. 4 4 > de l'expiation. Interchangeabilité


des souffrances. Catégorie spéciale qui se situe dans m on système
après la paternité - dans la fraternité.

Le com m encem ent de l'introduction


Tout sens est question de lumière. La philosophie : faire la lumière
de l'obscurité sans chasser l'obscurité et la nuit. L'obscure clarté qui
tombe dés étoiles. - U ne philosophie qui cherche <p. 4 5 > ce sens
- part donc d'un fait - elle ne fait pas la genèse - elle n'explique pas
—elle ne construit pas ce qui est. Elle annonce ce qui va s’accomplir.

Vie intérieure — capacité de dem ander pardon — sentim ent de


culpabilité + pouvoir d'avouer. Toute franchise — est au fond une
confession — une demande de pardon.

a. « un » en surcharge de « 1* ».
Carnets de captivité 123

«ft II aim ait la <p. 4 6 > musique — com m e un art décoratif. Il


ne concevait pas la musique au concert où elle devenait thèm e.
C ’était ennuyeux. Mais la musique com m e atm osphère, com m e
tiédeur -de l’air. -)c o m m e rythm e - la m arche m ilitaire est préci­
sém ent pour cela compréhensible. Le réveil au m atin du mois de
juin, la musique d ’un piano de <xx> < xxxxx> — la musique de
dèrrière le m ur, etc.

<p,. 4 7 > Théorie du besoin {(suite)}


Synthèse et raccordem ent avec la théorie de l’il y a .
Dans la ppsition le sujet s’.étant affirmé est possédé par.lui-m êm e
tou t en. se possédant. P our {La souffrance} Ç ’est dans la mesure où
il n’est pas tou t l’être, qu’il n’est pas le seul événem ent de l’être
queb <Ü-a> sa possession est lim itée. Q u ’il est lim ité en tant que
possédant et en tan t que possédé. Si le sujet est une recherche de
m aîtrise sans retournem ent dialectique <p. 4 8 > à l’égard de l'il y
a - il -faut d ’abord que la m aîtrise soit lim itée. Le m oi m aître du
soi - ne s’absorbe pas dans le soi. Le m oi est m aître d ’un soi qui
tout,en étant soi n ’est pas soi. C ’est dire que le m oi connaît dans la
lum ière. D évelôppem ent sur la lum ière. D istraction du m oi. Les
objets. L’extériorité des objets — le fait qu’ils sont objets d ’appéti-
tion. t a m aîtrise <p. 4 9 > dans la consom m ation. Le besoin - et la
possession au sens capitaliste du term e. Pour y parer, l'appétition
socialiste (à suivre).

« Si nous notas taisions un m om erit, ce qui m e frappait le plus dans


ces flots de brouillard et d ’obscurité, c ’était le ’m utism e morne des
airs chargés. L’im m ensité des espaces que nous n’apercevions pas
se févérait’par la profondeur du silence’. Ce silence, pesant au cœ u r
<p. 5 0 > et à la pensée, h e fu t pas troublé* une seule fois pendant
le parcours de cette lande, qui ressem blait, disait m aître Tainne-
bouy, ù la fin du monde. .. »

a. Le guillemet fermant manque.


b. « que » en surcharge de « qu'il ».
124 Carnets de captivité
Barbey d'Aurevilly, L’Ensorcelée, édition Alphonse Lem erre, p. 4 0 ,
ch. I I 17.

Visite chez Schmanke - sa fem m e gracieuse et enceinte - l ’his­


toire du bois - la Berlinoise entourée des enfants q u o n prend
pour <p. 51 > M m e Sch. - et puis après elle n'était que'celle qui
annonçait - rendre ce rythm e.

Le sujet et la position — La reprise par le sujet du poids qu'il


dépose - la double structure du sujet qui est à la fois ce qui prend
et ce qui est pris —visible dans la fatigue dé la position — 1â néces­
sité de changer de position - dans cette fafigue apparaît <p. 5 2 >
la dualité du sujet — le fait que son acceptation du poids est à son
tour un poids.

N ouveau chantier - honteux de m a satisfaction en voyant là


complaisance à lui-m êm e de R . C.

Lecture de Jankélévitch. Il connaît aussi le phénomène du choc


en retour <p. 53 > mais pour lui cela ne devient pas la clef d'une
théorie du tem p s18.
l\ ne le ramène pas à la position par laquelle on le retrouve dans
tous les phénomènes com m e inséparable de l'effort, t o u r lui cela
reste un phénomène d ’action et non pas de la position. Il n'arrive
donc pas à voir en lui rien de plus profond que l'alternative. Il
ne voit <p. 5 4 > pas q^ue c ’est la nption m êm e d 'étan t qui est^en
cause, du com m encem ent, du sujet.
<------------- ?>
D ’autre part Jankélévitch confond possession,et jouissance. Jo u is­
sance et existence m êm e posées com m e possessions19.

Russes secourus - femmes en п л а т к и 20 - la fraîcheur du rem er­


ciem ent avec le nom du Seigneur.
Carnets de captivité 12 5

La possession— c est la <p. 5 5 > m ain qui prend, m ais c est aussi
le bras qui étreint.

Exem ple d'un pari avec D ieu : verglas - retour chez soi - il reste
quelques m ètres à parcourir - j'ai tous les moyens — indépend* de
D . d ’arriver - glisserai-je ?

Arbre - la verticale la plus insolente de la nature vivante. Sa


majêétfé - majesté dé verticale.

W .a v o it toujours le bien qui le tonsole <lu m al qui l'hum ilie


<p. 5 6 > mais qui reste à l'état de tum eur subconsciente.
R ien ne saurait le décourager. Si qqun l'in su lte — il dira « tiens il
a sü'm on nom ». U n m oi appuyé à d'autres. *1

E xtériorité - lum ière


1) Lum ière en tan t que perspective - ensemble.
2 ) Lum ière - connaissance, m ouvem ent dialectique, ce qui est
m oi et ce qui n'est pas m oi.
3 ) 'Lum ière en tant qu'élargissem ent - échappée - fenêtre — air
— respiration et lum ière.
Dans tou t cela il n ’est <p. 5 7 > pas question d'action sur les
choses, mais d'une relation avec l'espace —avec l'étendue qui n'est
pa$ non plus le sihiple fait de s'y trouver. D onc espace - une forme
de relation avec l'être, une nianière d efte - une façon de S'évader*
de'soi = Toüissance.
Ce < m ouvem ent ?> de s’évader de soi qui nous a perm is de passer
d e là lum ière a l'air - dans toutes les appétitiôns dans lesquelles il
faut donc considérer avant tou t la jouissance.
<p. 5 8 > U sage com m e jouissance et non pas com m e action
E n quoi est-ce un m onde. —
La transform ation de l'idée de possession. La possession — de la
m ain qui prend. Celle de l’étreinte est de ŸÈros.
a. « W. », peut-être pour Weill, personnage d ’Eros (?).
126 Carnets de captivité
Toute jouissance suppose lum ière. C 'est par la lum ière que les
appétitions sont autre chose que le besoin. Intervalle de la lum ière.
Affranchissement et obsession de la m ain.

<p. 5 9 > Gide :


Toute une catégorie de psychologues ne consentit plus q u ’aux
tropismes
. . . O n pouvait unim ent recpnnaître
. . . Chacun trouvant dans le support de l'autre l'em ploi discret de
sa vertu
D e quel entêtem ent était capable ce large front barré de quel
déni.
. . . a cc o rte ... grinchue
G a le ta s... ca ra co ... s'atte n tio n n e ... son cœ u r n'avait jamais
d éro g é... escarb ille... Elle a em pêché ses désirs sur la pente où
son im agination a glissé
trébuchant aux m arches21.
<------------- >
<p. 6 0 > U ne œuvre littéraire — un m onde créé ne vaut com m e
le m onde réel lui-m êm e, <que> par le surnaturel auquel il laisse
la m arge et qu’il fait pressentir : c'est le sens du symbole et sa
fonction.

<Jeffroi ?> - Lapprenti22 - curieux m élange de Zola et de H ugo.


Influence des Misérables. D ’une manière générale dans lç natura­
lisme - sens hallucinant de la réalité - rom antism e de la réalité.

Phantom es4 - ils <p. 61 > accom plissent les gestes dans la réalité
sans réalité — non seulem ent absence d ’objets mais absence de
progrès, d'accom plissem ent.
L'année de captivité — les gestes quotidiens sont cela. Vision de
toutes ces forêts, de toutes ces maisons délabrées, habitées par
nous - blagues de < xxxxx x > Jo jo et R oro - Frühstuck < xx> Mittag
— outils, etc.

a. Levinas orthographie également ainsi ce mot dans d’autres manuscrits.


Carnets de captivité 127

Le thèm e de la jouissance - lum ière. Le moi dans la lumière


<p. 6 2 > n’a pas la répétition de l ’identité. Il est dehors c.-à-d .
ilvn’est pas m oi. Il existe, sans être < xxxxx> par lui-m êm e. Dans
cette négation - le m oi est personne. M oi - extase - espace. Dans
l’éclair de la lum ière — origine de l ’extériorité.

Style de Céline - le verbe s’est réfugié dans l’interjection. Le m ot


obscène ajoute à ce caractère d ’interjection. La phrase <p. 6 3 >
en crise. Les phrases sans verbe qui donnent une allure ’statique
peuvent aussi avoir cette allure d ’exclam ation.

Touttf l’action est dans le prendre.Zuhandenheit de l’activité tient


à la Zuhandenheit de prendre et de posséder - qui tien t à l'inter­
valle de la lum ière et de l’espace.

<p. 6 4 > L’abnégation —est dans la possibilité du m oi de se débar­


rasser de son enchaînem ent à soi.

Livre de Saint Michèle d ’A xel M unthe23. Le con tact avec la vie


- con tact d irect avec la vie en tant q u ’entité. À travers le règne
anipial. B cp de réflexion de bon sens, sim p lem en t* ?>. philo­
sophie exprim ée — élém entaire. Mais il est question d ’une vie
pour laquelle la m agie — n ’est pas un instrum ent ou une <p. 6 5 >
recette, ni cirque ni fakirisme, mais un mode d ’être. Livre qui m et
en relief l ’étroitesse de la philosophie sociale. La sympathie avec
le m onde anim al ne se loge pas dans une métaphysique sociale.
Celle-ci définit la place de l’hom m e dans le monde ; les choses
et les hom m es s’y rangent en effet facilem ent. Ce sont des objets
de besoins, ou des outils — les hom m es — collaborateurs, exploi­
tants, exploité. L'animal dans la sym pathie avec lui <p. 6 5 > n'est
que vie, ne se range pas dans ces catégories. Par là la nature elle-
m êm e et la relation avec la nature apparaît dans son originalité.
La nature est vie ou elle n ’est qu’un objet.
128 Carnets de captivité
La N atu re doit réapparaître dans m a philo, après YEros et le
m ystère.

Quand on d it pour souffrance épreuve — c ’est com m e quand on


d it pour l’être créature. O n prête un sens.

< troisièm e de couverture >


Fourès 29- II. 4 4
< xxxxxxxxxx>
< xxxxxx> < xxxxxx> 2 4 . II. 4 4
< xxxxxxxx>
< xxxxxx> 1 4 . III. 4 4
S. Poirier 14 . III. 4 4

<feuillets m anuscrits isolés insérés à la fin du Carnet 4 > fl

<feuillet isolé 1>

< recto > Il existe un tem ps calqué sur l’espace. C ’est le tem ps dû
travail - il se mesure par l’intervalle à parcourir pour prendre.

Quand à propos de la paternité je parle de catégories moi-soi, c ’est que


la paternité n’est pas un rapport avec une qualité ou une propriété.
Tout le pathos de cette relation réside dans là relation moi-soi. Le
sourire de l’enfant - m ’est chef parce qüe c’est <xxxx> moi-soi.

< verso > Chez A lbin M ichel


A rnoult - Rimbaud24.
N .R .F .
Sartre - Les Mouches25
Thierry M aulnier : Lecture de Phèdre16.

a. Ces feuillecs sont écrits au crayon à papier.


Carnets de captivité 129

que je suis en relation4.

Le dram e de la m o rt — la seule situation où il y a une com m unica­


tion entre le tem ps et ce q u ’on peut appeler l’éternité.
<------------- >
<feuillet isolé 2 b>

< recto > Dans la philosophie classique la paternité est épuisée


par la notion <de> cause. Voir A ristote. C ’est contre cela que je
m ’élève en posant la paternité com m e une relation originelle.

Que le besoin soit autre chose qu’un manque — cela découle aussi
du fait que se nourrir est < f.2 , verso > autre chose qu’absorber des
calories.
<------------- >
<feuillet isolé 3 C>

Intervalle de l’espace - besoin - appétition.


Intervalle du tem ps — eros.
Q u'est-ce que l’extériorité ?
E xtériorité -
Monde socialiste - présent - et par conséquent pas d ’intervalle -
Mais M onde - ce qu'il faut posséder.
Possession dans le présent — qui n'asservit pas — mais travail et
geste de <consom m ation ?> d.
E xtériorité —que c ’est aussi une manière de ne pas être soi — mais
tou t en étant dans l ’instant.
D onc l ’instant se brise avant tou t en multiplicité®.

a. S’agit-il de la suite du texte qui se trouve à la fin du recto du feuillet ?


b. Feuillet double, dont seules les deux premières pages sont écrites.
c. Nous ne donnons que le recto de cette page arrachée d’un cahier. Le verso, en grande partie
illisible, et que Levinas a biffé par une croix de Saint-André, est très vraisemblablement une page
extraite d’un cahier préparatoire de De l’existence à l’existant, ouvrage dont la majeure partie, rap-
pelons-le, a été écrite en captivité. Il est à rattacher aux cahiers préparatoires de cet ouvrage qui se
trouvent dans les archives Levinas.
d. Ce qui précède est écrit sur la page dans le sens de la largeur.
e. Écrit, dans le sens de la hauteur, dans la marge supérieure (cf. la note précédente).
<CARNET 5>a

< couverture > 1 9 4 4

<p. 1> Problèm es d'esthétique. Le son, la couleur, le m ot recou­


vrent des objets. Le son com m e bruit, la couleur com m e recou­
vrant'Une surface, le m ot com m e <recélant ?> un sens. Les sensa­
tions ont donc une signification objective. Mais dans l'art on peut
dire que le prem ier m ouvem ent consiste à détachèr la sensation
de ce sens objectif, de ce renvoi objectif. La sensation aïa&noiç -
devient objet d'esthétique. Alors la sensation révèle quelque chose
qui lui est propfe et s’organise en unité e t en un ordre propre. Par
là l'œ u vré'd 'art est une connaissance d'un genre particulier - non
pas coîhm e intuitiom opposée <p. 2 > à la raison - ni intérieur à
extérieur. E st-ce encore <une> connaissance ? N ’est-ce pas être ?
- E n musique o n com prend ce dépouillem ent. Le son musical
n’est plus*bruit. Il forine des'touts, des rythm es indépendamment
de l’ôbjet.* - La couleur dont le lien avec l’objet est plus intim e,
s’en détâche dans la peinture moderne pour form er des ensembles
qui lui* sont propres. - Le m o t n’est pas séparable'du sens. Mais
il y a 'd ’abord la m atérialité du m o t qui fbrfne <p. 3 > des phéno­
mènes com m e rythm e, rim e, allitération, m ètre. Mais le m ot se
détache du sens encore d ’une autre manière : en tant qu’il s'at-

a. Carnet réglé de format 10,5 x 14,5 cm. Le texte est écrit au crayon à papier, à l’exception
d’une rature, qui est au feutre bleu.
132 Carnets de captivité
tache à une m ultip licité de sens. Alors il fonctionne com m e le fait
nu de signifier sans signifier un objet déterm iné. C e s t le vague du
poèm e. Par là le m ot se rapproche du son m usical - Mais on peut
aller plus loin encore : le récit, l'im age, la m étaphore - peuvent
se détacher de leur signification objective et fonctionner en tant
que <p. 4 > fonctionnant. — O n peut aller m êm e plus loin : le
concept philosophique peut aussi se dém atérialiser de la sorte et
devenir com m e l’art lui-m êm e une connaissance profonde. - Ce
détachem ent de la signification objective donne à l'art le caractère
de jeu. Les événem ents objectifs n’ont pas de valeur propre. Toute
l’œuvre est en quelque m anière sans conséquence.

Toutes les figures de rhétorique - jeu grâce à la m atérialité du


m ot ou p lu tôt grâce à son formalisme.
<---------------- >
<p. 5 > La dernière conséquence de m a conception esthétique — la
métaphysique est en fin de com pte -un a rt, le sens de l’existence
est un art ? - l’existence un art ?

Les draperies qui tom bent dans m a scène d ’Alençon concernent


aussi les choses. Les choses se décom posent, perdent leur sens :
les forêts deviennent arbres — to u t ce que signifiait forêt dans la
littérature française - disparaît. D écom position <p. 6 > ultérieu/e
des élém ents — des bouts de bois qui restent après le d épart du
cirque ou sur la scène — le trône est un bout de bois, les bijoux
des m orceaux de verre, etc. Mais je ne veux pas sim plem ent parleç
de la fin des illusions ; mais p lu tôt de la fin-du sens. {Le s<ens lui-
m êm e com m e une illusion.} Form e concrète de cette situation :
les-maisons vides'et.le séjour dans ces maisons. From age et cham ­
pagne à 5 h du m atin. Creuser cette idée de la « perte de sens »
par les choses. E t la solitude qui en résulte.

<p. 7> A u m ilieu de cette triste opulence la scène de Delannoy


avec l’om elette et l’aim able hôtesse. - La liberté - tou t est perm is
- P erte du sens par les choses : le côté m ajestueux des choses, leur
Carnets de captivité 133

droit àxertain es attitudes {de n o tre ,p a rtf-d e u r prix - leur appar­


tenance à une classe sociale. Il n'y a pas que le sacré e t le .profane
com m e catégorie des choses - mais bien d autres. - Le coiffeur
qui coupe les cheveux sans se faire payer. <O n/ou ?> ne va pas au
travail. L’argent < x x x > 1.

< p / 8 > Le sens apocalyptique des événements chez Bounakov2,


BerdiaefP, W ah l4 —et en face de cela l’incom préhension lucide de
Je a n Schlum berger5.

M ontherlant : Service inutile6. Plus d ’élévation que de profondeur.


Toutr ün 'monde d ’« honneurs » allié à uq christianism e qui est
surtout le christianism e des païens e t non pas le christianism e des
juifs.

U ne de ces choses qu’on ne voit que du dehors : l’âm e, dans son


inquiétante <p. 9 > présence. L’opposition de Bernanos du souf­
frir1pour les âmes (moines) souffrir par les âmes (prêtres)7.

Prem ière connaissance avec Conan Doyle. C rim e étrange.


M éthode extérieure. Les indices objectifs révèlent le crim inel
p lu tôt que la psychologie.'‘Mais intérêt pour l a ‘science m êm e
des indices extérieurs. E xcellent exem ple de c e que j’entends par
« existence avec bagages ». O n ag it toujours en laissant <p. 10 >
des traces. — Chose furieuse : pas de déduction : le Jé d u it est
im m édiatem ent vu ds les indices.

Enfance — exister en jouant - exister sans exister. Situation où un


autre,existe pour vous. Existence remplaçable. Paternité.

Le silence et le verbe. E sp rit européen : le verbe plus fort que


le silence. Mais qu’est-ce que le verbe originellem ent ? Pensée ?
N on : expression - la manière dont l’intérieur devient réalité.
A ccom plissem ent. Le silence n’est pas réalité - mais intervalle.
134 Carnets de captivité
<p. 11 > La grâce —la possibilité pour lexistence.de se dépouillerde
sa charge. Les états ne virent pas en leur contraire: Grâce = gratuité
—plus de-contrepartie qui est précisément ce virem ent en contraire :
« orgueil de l'hum ilité » — « complaisance d e la souffrance », etc.
La fin du livre de Bernanos « Journal d'un curé de campagne ».

Position - ou le fait de se dresser - la verticale - m ouvem ent


contre le poids.
<----------- >
<p. 12 > Pour m oi le tem ps est le fond de l'être. Mais au niveau
m êm e de la loi d'identité. L'identité suppose le tem ps. Le tem ps
c'est cette possibilité pour le définitif qui est le fond de l'o u aia
— et de la définition su b stan tialistede l'être —d 'être non définitif,
de recom m encer. Avec le tem ps le pardon devient la structure
m êm e de l'être. C ’est autre chose que le devenir hégélien, bergso-
nien e t heideggérien.

<p. 13> {Dans ce sens :}


Le tem ps est le m ystère fondam ental au fond de l'être - ce par
quoi l'être est surnaturel.

Lecture des annonces - odeur, propreté, cette neutralité des choses


et des êtres < xxx> que l'on ressent brusquem ent.

Corps en vacances - ce ne sony pas des êtres humains qui travaillent,


ont mal aux dents — mais la fém inité m êm e - <am biance ?>
sexuelle.

<p. 14> U n élém ent essentiel de m a philosophie - ce p ar quoi elle


diffère de la philo, de H eidegger - c ’est l’im portance de l'A utre.
Eros com m e m om ent central. ^
D ’autre part elle suit le rythme du j.a —car à travers paternité —senti­
m ent généreux. Patriarches et leurs troupeaux —b enfants —prophètes.

a. « j. » sans doute pour « judaïsme ».


b. Le tiret est semble-t-il en surcharge de « et ».
Cafïiets de captivité 135

Paix m ieux et plus que 1’am our —p aix p e u r être <p. 15 > la forme
supérieure de l'amour. L'am our c ’est la vie'de la paix. Ce par quoi
paix n ’est pas inertie. Ê tre avec les autres - avec leur m ystère
- sans lutter.

Liberté sociale — du fait qu’elle suppose rapport avec autrui - est


p eu t-être la liberté métaphysique elle-m êm e.

Scène d ’Alençon : le -let tres papier à lettres qui sert à faire une
om elette.
<p. 1 6 > Le bureau de tabac - avec l’ordonnancement des paquets
et-la sensation spéciale de fraîcheur qui lui est propre — transporté
dans les ru e s... Le pillage des,vitrines — les gens qui em portent ce
qui n’a aucun sens : un paquet de papier à lettres — court embar­
rassé - se trouve ridicule dans la mêlée. A u m ilieu de tou t cela le
notaire' R oger qui va à l’essentiel : la brosse qui pourra servir, la
poêle qui seça utile, e tc.8

Chez Dickens poésie des choses <p. 17 > et rigidité de la psycho-


logie. Mais les êtres sont adm irablem ent décrits quand ils sont
décrits çpm m e les choses. Çstrce de l’art inférieur ? N ’est-ce pas
p lu tôt un art qui décrit autrui çn tan t qu’autrui et non pas en tant
que m oi ? A rt spécial.

Avant le départ de Rondeau, visite chez la femme blonde - une


fois - de chez W epler9.

A llégorie - qqch. de plus qu’un signe.


<p. 18> La draperie de la.situation.

Tirer à bout portan t ? E st-ce possible devant la misère et la pitié


du visage haï mais qui devient un peu < x x x x > .
136 Carnets de captivité
Les diverses appellations des gains — profits, traitem ents,* hono­
raires, liste civile, gages, salaires, paye, appointements- <xxxx>\
Cela prouve que la < réalité ?> d ’une relation* sociale n’est p as faite
que de son aspect économ ique.

<p. 19> C om m e {les couleurs} sur le cou de la colom be, les âges
variaient sur la figure de la fem m e qui passait.

P ou r le thèm e de la dégradation des choses à A lençon : U n tel qui


ar enfin une autom obile. — Toute sa vie rêvait à l’autom obile — il
fallait gravir tan t d ’échelons et voici c ’est to u t sim ple10.

La lutte com m e m ode de contem poranéité. Les contem porains


<ont ?> <été ?> sans lutte - c ’est la paix. Mais alors elle est saîis
contenu.

Lim ites du sociàlisme. Tout le <problèm e ?> <p. 2 0 > de l’am our
— ne pas jouir des biens < xxxxx> - pour abolir la lutte. Seiis
profond de l’ascétism e. Se dépouiller en vue de la contem pora­
néité pure.

Incident d e la belle fem m e qui attire toutes les attentions —-si


injustem ent. Tristesse et rem ords après — tristesse d ’une injustice
com m ise. Profanation. f

Voyage à B et souvenir de Paris — Le film donnant la capitale


d’Essia11 - et réconfort.

L’antique question du rapport entre le devoir et la passion. Q u ’est-


ce qui est le vrai m oi ? Chez K an t le devoir et la raison sont la
volonté et le m oi. Définition de l’intériorité. Mais passion f^est
pets est existentielle. Différence entre existentiel (peut-être im m é­
diat) et l’intérieur m édiat ?
Carnets de captivité 13 7

<p. 21 > Insister dans tou t m on travail sur le rem placem ent de la
relation de possession par la relation de participation. La posses­
sion est déjà dans la substance ayant.des accidents.

Le problèm e de Tétant esta {celu i} du com m encem ent = liberté.

« Женщина, только потеряв надежду, может


потерять стыд, это непонятное, врожденное
чувство, это невольное сознание женщины в
неприкосно <р. 22> венноси, в святости своих
тайных прелестей »,
Лермонтов Вадимъ'2.

Le type du m échant - H aine - m ais pas à Tégard d ’un être dpnt on


voudrait la destruction —m ais à Tégard de tou t ; jalousie à Tégard
du soleil ; à Tégard du feuillage, etc. Chacune de « leur » m ani­
festation est détestée. Les autres sont toujours « eux » , etc.

Le songç d ’<A da ?> - il entend <p. 2 3 > des voix de femmes - il


ne peut pas les approcher, car il doit travailler — il travaille dans
leur direction - il abat les arbres, il ébranche, il épluche dans leur
direction.

« Mais quel était donc cet Esprit qui était m oi et en dehors de


m oi ? »
Gérard de N erval, Le Rêve et la V/*13.
La large amplitude — Tamplitude universelle de la vie <p. 2 4 >
pendant la guerre. Chacun vit àb l’échelle des événements. Le
bonheur et le malheur changent de sens. Les gens vivent comme
s’il n y avait pas de maladie, de jalousie, de laideur, d ’amour-propre
blessé, de tous les malheurs qui font chanter et pleurer les poètes de
temps de paix - les tristesses des* Goethe et des Lamartine.

a. Levinas avait semble-c-il d'abord écrit « et ».


b. « à » en surcharge de « au ».
138 Carnets de captivité

Le m onde extérieur. Les êtres <p. 25 > qui e u t ne se détachent


jamais de leur monde s le soldat —avec le m ystère de l’uniforme —
la prostituée avec le m ystère de son fard, de ses yeux passés au noir,
de ses maisons closes, etc. {Le curé avec sa soutane (< x x x x > ).} Lé
sel de la vie — la vraie extériorité.

L’étrangeté d ’un monde où to u t le m onde porte un vêtem ent.


Q uelqu’un venu d ’une autre planète qui trouve cela extraordi­
naire.

<p. 2 6> E n introduisant « économ ie » à la' place de « stru c­


ture » — m ontrer : caractère dram atique — caractère satisfaction
d ’un besoin — « accom plissem ent = satiété, saturation ». Mais ce
besoin loin d ’être un manque est l’expression d ’un « bonheur ».

Le rêve où on retrouve l’antique tendresse pour la mère.

Sim onot regardant Paris sous la pluie et se souvenant de son


journal de province <p. 2 7 > reproduisant le cliché « il pleut a
Paris ».

Jeunesse - théâtre - on joue Adrienne Lecouvreur - le théâtre se


trouve dans un jardin public où il y a une estrade — variété - O n
sort du théâtre — c ’était la troupe de < T arto ff?> M e* Fin août
- soirée tiède.
U ne jeune fille accom pagnée d ’un étudiant. O n sort sous l’im ­
pression du m élodram e m agnifiquem ent joué par la troupe de la
capitale — la jeune fille <p. 2 8 > est tou t heureuse — purifiée par
l’ém otion — elle sent la vie devant elle — si m ystérieuse, et à côté
l’étudiant, et elle est jolie - elle revient à elle, à sa jeunesse, à sa
vie après cette purification du théâtre — elle voit la foule devant
l’estrade — ira-t-on voir — non il ne faut pas abîm er l’impression,
il ne faut pas profaner —geste : elle s’enveloppe dans son m anteau,
ils sortent du jardin.
Carnets de captivité 139

Problèm es qui restent : la <p. 2 9 > m o rt en tan t qu’instant


suprême* En relation*avec 1’« inévitable ».

É m otion unique du service religieux de R . H a. Les prières — le


faible qui triom phe du fort - c ’est cela tout le j.b, c ’est cela le sens
m ystique d ’Is.Ml y a quelques années, ces prières se lisaient com m e
un espoir dérisoire. Bonnes petites vieilles choses dépassées — et
voilà que tou t celà se lit com m e réalité. Brusquem ent le jugeaient
dernier est réalité. Le bien redevient bien, le mal redevient m al
- mais <p. 3 0 > avec quel fracas. {La pensée se réfère à ces lectures
passées dans sa lecture nouvelle.} À tout.cela s’ajoute ce que j’ap­
pelle la liberté ou la m ort. N ous voyons l’aube — verrions-nous le
soleil ? E t enfin, troisièm e m om ent, le psaume chanté à deux voix
< brisées ?> , sans musique - com m e les incantations de la caverne
- les bougies s’éteignent, la lampe d ’acétylène baisse.
------------------------------ V

La. m ain de fem m e, <p. 31 > cette toute p etite m ain qui forme
le chez soi d ’une façon définitive ' {lui doûne une souvefaineté}
- iL devient le m onde et il est fermé sur le monde. La source du
bonheur privé, la puissance du bonheur privé.

Le critique - celui qui par essence peut dire autre chose que
{répéter} cette œ uvre m êm e (= essence de Kartiste).

Fin-de l’enfance : quand on d it <p. 3 2 > à l’enfant en m orale le


contraire de ce qu’on lui disait hier.

R ibérat : m êm e la guerre. La guerre à la mesure humaine. Elle


n’était pas encore cataclysm e. L’évocation de toutes les situa­
tions où l’on préfère un m al à la mesure des forces humaines — au
m al avec abîm e et vertige. U ne maladie m o rtelle à une maladie

av« R. H. » pour Rocb ha Chana (nouvelle année).


b. « j. » sans doute pour « judaïsme ».
c. y Is. » sans doute pour Isaïe.
140 Carnets de captivité
honteuse, une maladie honteuse à la m aladie m o rtelle {folie}.
« N e pas être aimé » à une liaison qui se survit, la pauvreté à
une <p. 3 3 > angoisse, etc. En som m e préférer la m édiocrité':
le bûcheron qui travaille envié par un poète qui souffre -devant
l’inexprim able ou de sa stérilité. Tous ces hom m es qui vont 'à
leur bureau et qui prennent à 2 h moins 1 0 un café sur le zinc
- préférés au-désœuvrement de quelqu’u n qui croit à l’inutilité de
sa tâche, qui a toujours le tem ps d ’accom pagner chez lui l ’hom m e
affairé, de l’écouter, de lui faire passer le tem p s14.

<p. 3 4 > M a mère qui voyait chacune de mes entreprises accom ­


pagnée de l’om bre de sa catastrophe.particulière ? le train — du
déraillem ent; la baignade - de la noyade, le m anger - de l’indi­
gestion, la promenade avee - du fait de se faire écraser par une
voiture, l ’éclairage au gaz ou le chauffage au bois - de l’asphyxie,
et m êm e le remède —de son effet inattendu ; il ne faut pas prendre
d ’aspirine sans m édecin dans notre ville, une jeune fille, etc.
{Paroxysm e de la protection. La p rotection com m e sens de la vie.}
T out Le m onde instable — vivre dans un coffre-fort ou dans de
l’ouate, et voici que l’on v it entre la vie et la m o rt. Pauvre m ère !

<p. 3 5 > Dans m a philosophie : la notion de l’instant est l’équi­


voque fondam entale : ce n ’est pas l'instant qui peu t ressuscite!:
— c ’est ce qui est dans l’instant — et cependant c ’est l’instant qui
est à la fois l’être et l’étant. Instant - là où l’il y a devient hypos-
tase - In stan t hypostase. D e là certains thèm es de m éditations :
1) L’équivoque com m e définition m êm e du verbe.
2 ) Équivoque com m e structure du m ystère.
3 ) D istinction entre mauvaise et bonne am biguïté.

P our le conte de fées :


<1 ?> ) Des soleils de poche.

Le fatalism e m usulm an com m e source de liberté : <p. 3 6 > Ce


n’est pas une liberté du contenu de l’acte : pas choix de ce qu’on
Carnets de captivité 141

fera. C ’est liberté au sens d ’absence de responsabilité - d ’engage­


m ent. Paternité de Dieu. Il existe pour vous.

C ette vie à l ’é chelle mondiale et aux profondeurs du définitif -


chaque chose engage la vie ou la m ort.

Le cerf du général - l’a -t-il tué ? - Oui - Il en attend livraison - Il


faut en <p. 3 7 > a trouver un autre. 2 < jours ?> ,-5 0 rabatteurs.

a) R évolution et b) évolution. Révolution quand tou t le monde


est xontre*m in orité. Fort sentim ent du préseht - perte <p. 3 8 >
du sens* de la continuité. U ne garde prétorienne double la vie
réelle — toute une classe.

<p. 3 9 > Lecture de H aggard . Red Eve15. Les personnages sympa­


thiques y sont anglais - les Français sont antipathiques et m algré le
patriotism e français on süit le texte avec une sympathie constante
pour les Anglais dont on voudrait le triom phe - rappel de la
situation lors de la lecture du livre de R om . Rolland sur M ahatm a
G andhi16 - situation inverse. R appel de mes lectures enfantines,
de l’histoire de N apoléon et des lectures de l’âge mûr.

«^11 p arlait des généraux et des généraux, com m e un <p. 4 0 >


astronom e des étoiles. Il avait l’impression de m anier une m atière
très précieuse. Les draperies éblouissaient.

La beauté de l’héroïsme - déjà parlé, déjà verbalisé - et la grandeur


ded’horrible spectacle qu’il est dans sa crudité - sang, sueur, etc.

R eligiosité — sentir que l’histoire mondiale roule autour de moi.


D ieu Ja com possibilité de la pluralité des religiosités.

a. Plus des deux tiers du feuillet ont été déchirés dans le sens de la hauteur. Levinas a écrit sur
la partie restante.
b. Le guillemet fermant manque.
142 Carnets de captivité
Dans ma* philosophie,* <p. 4 l > étude de la signification de" Ta
sensation : vision —lum ière —raison ; ouïe voix —verbe ; toucher
- caresse - am our ; goû t (odorat) - m anger - besoin. E t cepen­
dant à côté de *o u t cela demeure la sensation dans sa m atérialité
pure, objet de l’esthétique ; vision — couleur, ouïe - .son, verbe
- rythm e, etc.

Dans m a cp la collectivité n ’est pas une com m unauté —qqch. étant


en com m un à ses m em bres. Dans cette conception la co m m u ­
nauté se crée autour <p. 4 2 > de qqch. d ’extérieur. Chez m oi la
collectivité a une dialectique sexuelle à sa base. Elle est relation
directe entre individus. Gela a ’a rien de co m m u n avec une divi­
sion du travail - puisque précisém ent ce n’est pas autour d ’un
travail que l’unité se fait, i l -n’e st m êm e pa II y a certes le principe
de com plém ent. Mais ce par quoi les êtres se com plètent n ’est pas
telle ou telle autre particularité ou propriété. C ’est <p. 4 3 > leur
être m êm e - qqch. qui constitue leur subjectivité m êm e.

Les annonces dans < xxxxxx> : « M am ans, pensez à vos bébés »


- à une époque de cruauté et d ’exclusion. « C ’est pas pour nous »
ces sentim ents humains.

N ouvelle lettre d ’E ssia17 < x x x x x > a 7 m ois — Elle est tellem ent à
lui - Jalousie — Sentir la carte - chercher le parfum - pas le sien
- mais un parfum de femme.

La Sonate à Kreuzer - ce n’est pas le m ensonge du m ariage <p. 4 4 >


que Tolstoï critique. Il y a qqch. de plus profond : depuisAnna
Karénine Tolstoï prend de plus en plus en haine le sexuel qui se
mêle de sentim ents nobles - Il voit dans le sexuel non pas tou t ce
que la phraséologie épicurienne, ou vitaliste {carpe diem, l’élan de
l’être dans Yeros) y exalte - {ni ce que le christianism e y critique :

a. Rature au feutre bleu (cf. supra la note de présentation matérielle de ce carnet).


Carnets de captivité 143

diable, luxure} — mais une espèce de mesquinerie dont le trait* le


plus haïssable, c ’est qu elle est équivoque, devient art, musique,
littératu re. C est cela qui est dénoncé dans La'Sonate à Kreuzer et
<p.* 4> > X a horreur de ces êtres <xxxxx>., de ces fem m esin com p
en pleine beauté - etc. qui ne sont que des vaches qui se m etten t
sur les pattes arrière. E t <1* ?> horreur dè toutes .ces com plai­
sances. Die <Tiere ?> wollen Glucklichsein
.

La m éthode - penséçs pathétiques ramenées aux catégories des


professeurs. Le prem ier professeur : Platon. .R am ener aux idées
- aux abstractions - aux généralités. Réviser la notion de la géné­
ralisation dans, moi* économ ie d'ensemble.

<p. 4 6 > Verbe - est fait de l'im possibilité de s'exprimer. A m our


- m ystère d ’autrui - Verbe - m ystère de m oi-m êm e.

Situation tou t à fait particulière du chef d'orchestre. Son rôle aux


répétitions, la mesure, la correction des erreurs - tou t cela peut se
remplacer. Ce qui donne la m e — c ’est cela qu’il apporte. E t cè fait
de donner la m e - c'est le fait que l'œ uvre est m usicalem ent vécue
par lui. C 'est la synthèse <p. 4 7 > en lui - la passion.

La phobie de Lem linsk. Il com m ençait par des marques de nervo­


sité et d'inquiétude". Pourquoi ? Il avait peur que <sic> voici il
allait donner le prem ier m ouvem ent de la baguette — et personne
ne jouera. L'enchaînem ent du monde se trouvera interrom pu.

M us. reçoit la visite du beau jeune hom m e de 1 8 ans, chef d'or­


chestre — qui ajconnù <p. 4 8 > ,s a ville natale, qui «veut connaître
certaines choses de la m usique qu'on lui a cachées *-
M us. très
ém u de cette rencontre. Pourquoi ? G ide ? Coïncidence «curieuse,
le jeune com positeur qui n'a rien écrit depuis la m ob .b — a écrit
toute la nuit - jusqu'au rassembc.

a. « trait » en surcharge de « plus ».


b. Il faut sans doute lire « mobilisation ».
144 Carnets de captivité

La lum inosité de la lum ière c est la raison, la sonorité du son c ’est


le m ot ; la tactilité du tact - c ’est- la volupté. Ce n ’est pas l’analysé
-¿qui- dégage l ’un de l’autre, il .n’y a pas de relation du simple au
<p. 4 9 > com plexé ni d ’origine à évolution - mais < intention ?>
accom plissem ent. M éthode.
{Dans le m êm e sens catégories de professeurs - sens.}

Pour Proust, les situations du m onde — to u t ce qu'il faut cacher,


dire sans dire, toutes les im plications de la persoùne, toutes ces
réflexions sur felle-mêiiie - autrèhient dit toutes les situations
qui découlent des règles m êm es du grand monde fournissent à la
découverte de l’hum anité de l'hom m e les mêm es possibilités que
l’aventure, la situation de l’épreuve, de l’invention gidienne, etc.

Exem ple : l’antiphrase. Antiphrase <p. 5 0 > de nom breux degrés,


et cette entente entre gens du m êm e m onde dans le calcul exact
et instantané de ce degré.

« Le cre cte : U n > cygne d ’autrefois seft souvient que < c ’est> lui
M agnifique mais qui sans espoir se délivre
Pour n ’avoir pas chanté les cre cte : la> régions où vivre
Quand du stérile hiver <a> resplendit l’ennui » ,
M allarm é18.
C ’est la m o rt - dans le sens de l’instant — de tte m a philo.

Dans m a philo, rupture avec le substantialism e — dans ce sens


que l'intersubjectivité de l’am our et de l’abnégation devient
l’événem ent qui <p. 51 > dom ine l’être lui-m êm e. Mais cela n ’est
possible que si l’on substitue à l’acte - m anifestation prem ière de
la substance — la volupté qui n ’est ni acte ni pensée.

a. « se » en surcharge de « c’est ».
Carnets de captivité 145

Q uand je dis que Proust est un poète du social et que toute son
œuvre consiste à m on trer ce qu’est une personne devant l’autre,
je ne veux pas évoquer sim plem ent l’ancien thèm e de la solitude
fatale de chaque être (Cf. Solitudes d’Estaunié19) - la situation est
<p. 5 2 > différente : à un être tou t de l’autre est caché — mais
il n’en résulte pas une séparation — c ’est précisém ent ce fait de
se cacher qui est le ferm ent de la vie sociale. C ’est m a solitude
qui intéresse autrui et tou t son com portem ent est une agitation
autour de m a solitude. M arcel et Albertine - c ’est cela. L’œuvre si
large de Proust aboutit à ces deux thèm es d'A lbertine prisonnière
et possédée qui n’est pas distinct d ’A lbertine disparue et m orte.
.<p. 5 3 > Son tourm ent qui fait son lien avec elle, c ’est qu'il y a
tan t'd e choses d ’elle - de choses simples, attitudes, gestes, pose
- qu’il ne connaîtra jamais. E t ce q u ’il connaît d'elle est dom iné
par ce q u ’il ignore à jamais - puisque toutes les évidences objec­
tives d'elle sont moins fortes que les doutes qui resteront à jamais
en lui - et qui sont sa relation avec A lbertine.

L’engueulade <ah ?> : - Tous les s/oa gueulent - mais là le carac­


téristique c ’est qu’à un <p. 5 4 > certain m om ent —le tim bre de la
voix devient com m e celui d ’un possédé et qqch. d'identique chez
les gens les plus différents com m e un vieux fond de <FII ?> qui
rem onte. l*I

La sonorité du son : trois caractéristiques : 1) il se penche sur


l’avenir ; 2 ) il s’approfondit en lui-m êm e ; 3) il est un éclat.
Il est essentiellem ent ce qui rem plit le tem ps. Il est symbole
en tan t q u ’éclat. Ce n’est pas pour se com m uniquer q u ’on parle
m ais c ’est parce qu’on se sert <p. 5 5 > du son qu'on se com m u ­
nique. J e veux dire : sib le son sert à la com m unication ce n’est
pas en tan t q u ’il est objet extérieur q u ’on rem arque et à p artir
duquel on recrée en soi la pensée dont il procède. Le son c ’est

a. « s/o » pour « sous-officiers ».


b. « si » en surcharge de « ou ».
146 Carnets de captivité
l'accom plissem ent de la com m unication. C ’est la com m u n ica­
tion qui fait pousser le cri - qui nous introd uit dans autrui - c e
n ’est pas grâce au cri que la com m unication s ’établit seulem ent.
C ette place du cri par rapport à la com m u n ication c ’est précisé­
m en t la voix.

<p. 5 6> E . Lewy


Brooklyn N . Y.
1 3 5 1 - 4 6 Street
U SA

Le début de la captivité - pas de chef, pas de devoir. N on pas que


le devoir m oral soit certitude - mais le devoir m ilitaire l’est. C ’est
sa particularité : ordre objectif, appartenance à cet ordre objec­
tive aussi. O r ici nous vivions le devoir m ilitaire com m e s’il était
devoir moral.

Le problèm e de la personnalité héroïque à travers le messie.

cbifeuillet m anuscrit inséré en tête du Carnet 5 > a

<p. 1> Triste opulence — la scène d ’A lençon où les draperies


tom bent - le thèm e de « R ésurrection » : co m m en t les hom m es
qui apparaissent m aintenant sans draperies officielles ont-ils pu
juger, condamner, etc. Ce n ’est pas la situation du renversement
des valeurs que je veux décrire - du changem ent d ’autorité —mais
de la nudité humaine de l’absence d'autorité.

H ypostase — com m e term e par0 lequel je pourrai rem placer la


notion de subjectivité.

a. Bifeuillet réglé de format 13 x 17,5 cm, écrit au crayon à papier.


b. Levinas a écrit « que » en surcharge de « par ».
Carnets de captivité 147

etc. 20n T “lpD 1X2nrW. Les principes du bien et du m al qui


ont dans le judaïsme et le christianism e la m êm e source - tragique
de cette com m unauté d ’origine. Dans la religion d ’O rm und et
d ’O rien t il n’en est rien21. < x x x x > < x x > 22,313K: Elle ne comprend
pas l’unité de sa personne eta qui cependant est conditionnée par
cette contradiction.

<p. 2> Le m ystère — qqch. qui n’est pas de l’être et qui n’est pas
du néant. La nuit - l’éclairage des étoiles - en quoi consiste le
myséère dont il enveloppe la réalité ?

La transparence du monde éclairé — l’espace —ce n’e$t rien e t c ’est


tou t, Transparence — rien ne s’oppose — il n ’y a rien et cependant
c ’est l’être. C ontribution à m a théorie de la lum ière - où c ’est
m oi-soi et où le soi ^devient m onde et n ’est que soi cependant.
M arquer l’opposition de cette théorie à la théorie du solipsisme
tiré de la relativité des sensations — de la com position du monde
à partir de sensations subjectives.

Ou* p lu tôt : ce n’est pas la subjectivité de la sensation qui fait du


monde un soi — m ais sa lum inosité.

Pourquoi à un certain m om ent le rom an s’arrête. Le m ystère est


fini. À certains m om ents la vie entre dans la zone du m ystère,
com m e dans un tunnel. Quand elle en sort c ’est fini. Ce n ’est pas
l’extraordinaire des événements qui les rend aptes au rom an, mais
leur m ystère.

<p. 3> L’encom brem ent du m oi : la com édie que le soi joue pour
le m oi. Situation des Faux-monnayeurs de Gide.
R om an
La jeune fille d ’autrefois - annonce son enfant de trois mois.
Tendresse infinie. Filialité.

a. Il convient de ne pas lire le « et ».


148 Carnets de captivité

La couleur : l ’opacité transparente.

Rationalism e : il ne suffit pas de dire je crois en la Raison, mais


je doute de la mienne. Le rationalism e n’est pas la confiance en la
structure rationnelle de l’univers, mais {aussi} en l’im m anencexle
la raison. Rationalism e : m on d roit d ’affirmer que m a raison c ’est
la'Raison.

Sieburg dans ses considérations sur N apoléon. Catégories : l’H é A


roïque (le <p. 4 > particulier qui s’est haussé jusqu’à l’universel
- qui éclate et succom be) et le particulier harm onieux, l’hom m e
de la rtiesure réalisant l’univers eh lui23. L’un et 1 autre sont"des
catégories païennes. À cela s’oppose une catégorie' judéo-chré­
tienne : le juste qui souffre - à rechercher cette catégorie à travers
les figures bibliques - la bonté et la douceur par exem ple, non
pas com m e traits psychologiques, m ais aussi com m e structurés
cosm iques — leur signification ontologique. À rechercher.

Catégorie judéo-chrétienne ? C ’est p eu t-être là le point où l’on


puisse* les séparer. Chrétiennes, elles s’appliquent aux problèmes
païens. Le m onde grec est inclus dans le christianism e. Ju d aïsm e
pour hom m es aux problèm es païenè.

a. Il faut peut-être lire « pourrait ».


<CARNET6 > a

<couverture> < xxxxxx>

<p. 1> Fin novembre 4 4

Chez certains interprètes d'un auteur on a le sentim ent d une


chevauchée, mais on ne voit pas les étriers qui ont perm is de
m ôrîter à cheval. Ces étriers ce sont' certaines catégories du texte
{de l'au teu r}. Il faut nous les m ontrer.

« bJ é tdUssais toute la nuit. Ces secousses qui venaient du fond de


m oi {m e devenaient étrangères} com m ençaien t à n e plus {si elles
n'avaient pas <eu/pu~ ?> } p artir-de m oi com m e de leurncentrec. J e
les éprouvais déjà com m e secousses du monde extérieur m êm e,
cofntne {des} trem blem ents de la terre sous l'action d'un immense
cafton. Plus tard c ’était <le/ce ?> coup de canon que je devais
entendre. Mais je pensais que je toussais’toujours, {corps et monde
extérieur.}

a. Carnet réglé de format 10,5 x 17 cm. Le texte est écrit au crayon à papier.
b. Guillemet incertain.
c. Phrase diffiçile à reconstituer en raison des ajouts, surcharges et rafures parfois incertaines. Il
faut peut-être lire : « Ces secousses qui venaient du fond de moi me devenaient étrangères, comme
si elles n’avaient pas pu partir de rfioi confine de leur centre. »
150 Carnets de captivité
Les états de conscience ne sont pas états, ni m êm e intentions
- mais m ouvem ents : savoir, {foi} englobe, com prend le doute
- il est le m ouvem ent dont le doute fait partie {dans le désespoir
du savoir, il y a < xxxx> < savoir ?> } ; am our com prend <p. 2>
impossibilité d ’amour, etc.

Pensée : suppose toujours arrière-pensée.

Le chien Bobby est sym pathique parce qu’il nous aim e sans arrière-
pensée, en dehors de toutes nos distinctions et règles sociales1.

« Mais ceci est m a solitude, d ’être enveloppé.de lum ière2 »,


N ietzsche, Zarathoustra.
Le thèm e de la folie - on vient et on m et fin à toute cette sagesse
et on vous enferme.

Q uand <Mus ?> d it « magnifique » et surtout « fantastique » , ou


que présentant un personnage il fait <p. 3 > le geste qui consiste
à placer son visage de profil, à le tendre, en abaissant sur le visage
tendu les ailes du nez, com m e s’il im itait certains personnages
tels qu’ils sont sur les anciens portraits - il veut en som m e décrire
cet t e situation de la réalité dans un arrangem ent des p arties-et- le
rythm e particulier de l ’œ uvre d ’art (fantastique) ou du portrait.
C om m e s’il décrivait une réalité qui tou t en étant dans le réel est
au-delà du réel (fantastique), en vertu d ’une espèce dedoi interne
qui la transforme en œuvre d ’art.

Les catégories des professeurs — les catégories de l’enseignem ent.


E nseigne-<p. 4 > m e n t com m e relation sociale - avec sa situation
particulière entre le passé et l’avenir, cette façon d ’im pliquer un
passé, l’histoire.

« Le retour des choses » - term e pour exprime^ la manière dont la


relation avec les choses n ’est jamais une liberté.
Garnets de captivité
i 15 1

C atégorie de professeur - souci de système. N e peut-on pas dire


duJsystème autre chose que-« cohérence des parties » ?

Chez Léon Bloy « Lettres à sa fiancée », 1 8 8 9 - 1 8 9 0 3. Pas de


système. Mais les « catégories des professeurs » sont remplacées
parUa transcendance m êm e <p. 5 > de l’ordre du m ystère. E t cet
ordre du m ystère auquel sont ramenées lès situations.concrètes -
n’est là - ne se justifie que par cette adm iration jusqu’aux larmes
{« C ette histoire m e fait pleurer d ’adm iration » ; 2 7 / l l / 8 9 4 ; « J e
suis pénétré d ’un respect infini qui ressemble à de l’épouvante...
quel abîm e » , 2 4 / 1 0 / 8 9 5} du m ystère — A u dem eurant exemple
de ce q u ’est le christianism e dans l'interprétation de l ’hum anité
de l’hom m e. Tout l’hom m e est logé dans les catégories du catho­
licisme.» Mais tandis que nous autres nous restons à la surface de
ces.:catégories, lui en dégage le sens de feu et de sang, ce sens
m ystique et .transcendant, et il loge tou t ce qui est hum ain à ce
nivéau des catégories — M êm e travail à entreprendre pour le j.a —
« Il ne faut jamais livrer son âm e aux <p. 6 > intelligences infé­
rieures » , lettre du 2 9 /S /8 9 6 —
Quand*5 en citan t l’histoire de Jonas dans qui dort au fond de la
cale au m om ent de la tem pête — je ne peux ajouter que le m ot
« form idable » ou qqch. ds ce .genre, et cela exprim e com m e le
fantastique de <Mus ?> , cette respect jusqu'aux larmes dont parle
Bloy. Quelle est cette situ ation ? — « Ce que >D ieu fait sans la
participation de l’hom m e est tjrs bien fait7 » , 8 /9 /8 9 .

Petites filles russes - chocolat - regret - diable - désir de se libérer


- impossible.

La baraque 3 4 - com m e une gare au p etit jour - avec les clochards


qui se chauffent.

a. « j. * pour « judaïsme ».
b. Il convient de ne pas lire ce mot.
152 Carnets de captivité

{B loy}
Exem ple de cette interprétation de sa vie à l’aide de catégories
chrétiennes. « Le boulevers* énorme <p. 7 > qui m e rendait hier
quasi insensé n'existe déjà presque plus. La tem pête va s’apaiser
et le Seigneur Jésus pourra m archer dans sa gloire sur les flots de
m on âm e to u t à fait dom ptée8. » L ettre qui suit celle du 8 /9 / 8 9
et qui est datée dim anche m atin , cinq heures — « A h ! la dignité,
la D ign ité des âmes m édiocres, il y a longtem ps que je la connais,
cette sinistre dérision de m on R édem pteur crucifié9 ! », 2 4 /9 /8 9
- « par respect p o u rv o s admirables plaies10 », 5 / 1 0 / 8 9 - « M on
adorable Sauveur Jésus, qui êtes crucifié, par m oi, pour moi,- en
m oi, depuis deux m ille ans11. . . » , 5 / 1 0 / 8 9 .

Le son - en tant qu’éd at et symbole. Il y a des instruments qui


n’ont pour b u t que le son en tant que <p. 8> tel :1e tam bour (avec
le qqch. d ’angoissant qu’il amène) et surtout la cloche qui crève le
silence et qui rem p lit l’espace de quelque chose qui vient de là-bas-

Le son de la cloche - son pur. Il n ’est pas m usique, mais il n’est


pas simple signe. Le son dans sa sonorité m êm e.

Le m ythe de l ’éternel retour - distend le tem ps. Avec la conscience


de l’éternel xetou r — le présent en tan t que présent est possible^
L'hom m e se libère de l ’asservisse1du tem ps. C 'est plus riche qde
l’éternité en m êm e tem ps, car la richesse du tem ps, le g oû t du
tem ps, y est conservé.

Bloy. « N ous sommes im patients parce que telle est la nature de


l'am our que les anciens appelaient <p. 9> du nom m êm e du désir
- C upido12 » — L ettre du 2 2 o ct. 8 9 . -

eïÔœAov - le visible — c ’est l’essentiel de l’idolâtrie - Deus abscon-


ditus —m ystère —seul trait du judéo-christianism e qui le distingue
de tous les m onothéism es purem ent numériques.
Carnets de captivité 15 3

Ce qui*se cache dans le-m ystère n'est pas d istin ct du fait de se


cacher - e e s t un® événem ent et unb m ode d'être -•dn-fek

« Le“deuxièm e chapitre d e la Genèse où se trouve décrit le paradis


terrestre e s t, à mes yeux, une figure sym bolique-de.la Fem m e.
C'est* une.des découvertes dont je suis le plus fier13. .. »*, 3. X I 8 9 .

R apport entre désir et im patience {B loy }.


R elation entre le besoin et le tem ps.

< p . 1 0 > Bloy


P our »Léon Bloy l'existence sensible dans son ensemble est un
symbole transcendant. Tout en luic répète le m ystère chrétien.
Chaque relation de la vie quotidienne est une messe, une eucha­
ristie. L'existence dans son ensemble est intégrée dans le drame
divin. .Quelques exemples * le sexe de la fem m e - tabernacle du
C hrist argent - (pour lequel le C hrist a été vendu et acheté)
- signe de l’am itié, etc.

La discussion à l’aide de signes dans Rabelais14 - n'est pas panto­


m im e mais dérision d ’une .discussion qui n ’est que simagrée ;
- com m e le jugem ent de B ridoison15 à coups de dés.

Bloy
« J e suis triste naturellem ent, com m e on est p etit ou com m e on est
< p ..l.l> blond. J e ^ u is <né> triste, profondém ent, horriblem ent
triste ¿et si je suis possédé du désir le plus violent de la joie c'est en
vertu de la loi mystérieuse qui attire, les contraires*.. M algré L’a t­
traction puissante exercée sur m oi par l ’idée v agu e,d u bonheur,
ma. nature plus puissante encore m ’incline vers la douleur, vers

a. « un » en surcharge de « T ».
b. « un » en surcharge de « le ».
c. Il faut sans doute lire « elle ».
154 Carnets de captivité
la tristesse, peu t-être vers le désespoir... Ce seul m ot de m alheur
m e transportait d'enthousiasm e. J e pense q u e je tenais cela d e m a
mère dont l’âm e espagnole était à la fois- si ardente et si som bfe et
le principal attrait du christianism e a été pour m oi l'im m ensité
des douleurs du C hrist, la grandiose, la transcendante horreur cfe
la <recte : sa> Passion. Le rêve inouï de cette amoureuse de Dieti
—qui dem andait <p. 12 > un paradis de tortures*;'qui voulait souf­
frir éternelle1 pour J . Ch: et qui concevait ainsi la béatitude me
paraissait alors et me paraît encore aujourd’hui la plus sublime de
toutes les idées hum aines16 >>,* L ettre du 21 X I 8 9 .

J ’ai confiance en Dieu. N on pas qu’il fera tou t selon m on désir.


Mais je sais qu’en dernier ressort j’aurai affaire à Lui. C ’est cela
la confiance. J e suis entre ses mains. La douleur - peut aller* a
l'infini. Elle a quelque chose d ’enivrant - car en elle se fait m a
passivité au sein de D ieu et m on élection. *

Ces conversations : «a <on ?> ctro u v e ?> <p. 1 3 > A ux Trois


Q uartiers. Le Bon M arché a en rayon, etc. C om m e des souvenirs
d ’antiquités. Présent historique.

L’instinct de conservation se camoufle derrière le sentim ent que


c ’est le* triom phe d ’une cause q u ’on désire et non pas* son être
propre. Il fau t'd ire que' l’instinct de conservation est alors bi,en
camouflé.

L’appartenance à un p arti, à une église — est une couleur. C ’est! le


fait de deviner ce qu'il faut faire dans telle ou telle autre situation.
C 'est plus précis qu’une théorie du salut individuel et beaucoup
m oins précis. Plus précis car signe de reconnaissance infaillible,
moins précis car la précision intellectuelle (Léon Bloy) <p. 14>
frise l ’hérésie.

a. Le guillemet fermant manque.


Carnets de captivité 155

Bloy. « C ette jeune-fille d e sp rit léger et de-cœ ur frivole qui pour


échapper à sa famille* pour- être appelée M adam e, pour avoir des
toilettes et des p aru res... 'livrer*au prem ier drôle venu qui s'ap­
pellera son m ari le tabernacle possible d'un Dieu.1- cette jeune
fille fait sangloter la Troisième Personne divine, elle fixe, pour
m ille an? p eu t-être, sur sa C roix de Feu notre'patient {Seigneur}
Jésus C hrist qui allait e n descendre, e tc .17 Les femmes n'ont q u ’un
signe,- mais un sig n e b ien certain pour connaître leur vocation.
C 'est l ’a m o u r... [Les femmes partout ont l’idée ] 181q u elles ont un
secret que nuL hom m e n’est <p. 15> capable de pénétrer*19. . . »
« Cela est bien ridicule et cependant elles o n t raison sans le
savôfr.-Mais si quelqu’un tentait de leur dévoiler ce "secret ignoré
d ’elles-m êm es, et qui appartient à'D ieu, elles n ’y com prendraient
absolum ent rien et traiteraient de fou le révélateur^0. » Rappel
du o tite de la fem m e inconnue chez Saint-Sim ôn. La femme
{ihconnüe} « est attendue, en effet, depuis des siècles* avec d ’im ­
menses soupirs, par ceux-m êm es qui croient attendre, qui croient
chercher autre chose. C ette Désirée des-Nations est invoquée sous
tous« les noms symboliques des concupiscences mystérieuses qui
agiteiît la vieille âm e humaine. A u fond-et dans la ré a lité ,'c’est
toujours <p. l 6 > Elle que notre ignorance appelle'. Les richesses,
la Jo ie , la G loire, la Puissance, la V ertu et m êm e le Vice, tou t ce
qui peut être convoité par le G e n re hum ain exprime; symbolique­
m ent Cette Unique soif des créatures condamnées à l’enfantem ent
et’à la douleur21. »
O r pour*Bloy Fem m e - M arie = Paraclet (qui doit to u t accom ­
plir) -
« L a p ro stitu tio n ... parce que tel est l’inévitable destin de la
fem m e désespérée, quand la Providence n’accom plit pour elle
aucun m iracle22*. »' « Le central concept de ce livre est le sexe
physiologique de la fem m e autour duquel s’enroule ou se débo­
b in e im placable1 sa psychologie tou t entière. <p. 1 7 > Pour parler
net la fem m e dépend de son sexe com m e l’hom m e dépend de son
cerveau. L’idée n’est pas neuve, mais il est possible de la renou­
v e le r^ : d ’en donner m êm e une impression terrifiante e n la pous­
156 Carnets de captivité
sant jusqu'à ses plus extrêm es conséquences, et c'est ce que je m e
propose avec l'espoir de rencontrer la vérité absolue. P ar exem ple,
le cu lte, le vrai culte latrique de la fem m e, quelque vertueuse
qu'on la suppose,»pour le signe extérieur de son sexe q u e lle
estim e inconsciem m ent à.Légal du Paradis, qu'on l’im agine, ce
cu ltev en conflit im m édiat avec l'absolue nécessité de la p ro stitu r
tion vénale, q u ’on pousse <p. 1 8 > jusqu'au bout cette idée* cette
conception* du sacrilège et le plus fier hom m e trem blera devant le
m onstre que son esprit aura évoqué. M on héroïne n'aura n i beaitté
supérieure, ni dons singuliers. Elle oe possédera qu'un noble
cœur* triste, assez touchant, mais elle le portera à la m anière des
femmes, c'est-à-dire au plus profond de son sexe, puisqu’il»faut les
éventrer, ces êtres bizarres, pour leur donner la m aternité qui est
la véritable explosion de leur personnalité affective23.«. »
Le fond de ses'idées,: « Il n'y a pour la fem m e, créature tem po­
raire', provisoire' inférieure, que deux manières d ’être la m aterr
nité la <p. 1 9 > plus auguste ou le titre et la qualité d 'un instru­
m en t de p la isir... M arie M agdeleine.avant ou M arie-M ag. après»
-vE n tre les deux, il n ’y a q u e l'H onnête fem m e c.-à -d . la fem elle
du Bourgeois, du réprouvé absolu que nul holocauste ne peut
racheter. (C'est elle qui refusa l'hospitalité de Bethléem à l'Enfant
D ieu.) - Mais toutes ont un point com m un, c'est la préconception
assurée de leur<lignité<le dispensatrices de <la> Jo ie . Causa nostrqe
laetitiae ! J anua caeli (Litanies de M arie). D ieu seul peut* savoir de
quelle façon ces formes sacrées s'am algam ent à la m éditation des
plus pures et ce que leur mystérieuse physiologie leur suggère24/»*
« P our m oi, qui ne crois qu’aux idées absolues, je passerai par­
dessus toutes les p sych o-<p. 20> Jo gies connues et jTrai .droit à
cette monstrueuse affirmation par laquelle je crois possible de tou t
expliquer. Toute fem m e, qu'elle le sache Ou qu'elle l'ign ore, est
persuadée que, son sexe est« le Paradis. Plantaverat autem Dominas
Deus Paradisum voluptatis a principio etc. (Genèse, II, 8 ). P ar conséT
quent, nulle prière, nulle pénitence, nul m artyre n’ont.une suffi­
sante efficacité d 'im pétration p our obtenir cet inestim able joyau
que le poids en diam ants des nébuleuses ne pourrait payer. Q u'on
Carnets.de captivité 157

juge de cejqu’ellç donne et qu'on m esure son sacrilège quand elle


se vend. Assurément, cela est /dun ridicule prodigieux. Mais voilà
m a conclusion fort attendue. La fem m e a raison25 de croire tou t
cela et dp le <p. 21 > prétendre ridiculem ent. Elle a infiniment
raison, puisque .cette partie de son corps, a été le tabernacle de
D ièo.vivant et que nul ne peut assigner des bornes à la solidarité
de ce confondant m ystère26. . . » « J e veux m ontrer pour l’éton-
ner^ent des âmes médiocres la miraculeuse connexité qui existe
enrrede Sc E sp rit et la plus* lam entable, la plus méprisée, la plus
soùiljée des créatures humaines, la Prostituée27 » ,* 2 7 /1 1 /8 9 .
- « Il m ’arrive quelquefois, quand je suis rempli d ’une idée, de la
projeter hors de m oi et de la dérouler avec plus de véhémence que
deîjdidactique28. »
* Lp sentim ent tou t fém inin qu’on appelle la pudeur a été donné
à la, fem m e spécialem ent. La <p. 2 2 ^ pudeur est, dans la fem m e,
com m e Iç retentissem ent d e la liberté de l ’hom m e, le retentiss' à
travers,sôn se x e ... Quand j’ai écrit que du côté de l'hom m e cela
n’avâit pas la m êm e im portance, je n ’ai pu, suivant la logique de
m a pensée, avoir en vue: que l’acte physiologique im pliqué par
le d o n de soi,.en dehors de l’idée de m ariage et ce qui aurait dû
t ’avertir c ’est l’emploi continuel dans m a lettre du m o t de pros­
titution* S’il arrive, du côté de la fem m e, que le don de soi sans
ampur s’accom plisse dans le m ariage, c'est une abom in ation .et
une dégoûtation sacrilège auprès de quoi l ’état des prostituées
par désespoir ressemble à ,1a <p. 2 3>* sainteté des Dom inations
et les* Séraphins, e t voilà to u t ce qu'on en peut dire.. D u côté de
l’hom m e, c'est encore une horreur et un sacrilège à faire beugler
les étoiles. Seulement ce n'est pas le même^genre d ’atten tat, l'un
et IJautre n’ayant pas .la m êm e chose à donner ni. à perdre29*»,
1 2 /1 2 /8 9 .
« D u jour où je t ’ai donné m on cqeur pour ne jamais le reprendre,
je suis ton égal et m on passé ne peut pas te faire souffrir d'une
façon sérieuse, d ’une façon* intim e. C rois-tu qu'il pourrait en être
ainsi-.de-mon côté, .si ton passé n’était pas pur ? Il n'y a que les
sottes qui puissent être révoltées de cette loi qui fait aux femmes
158 Carnets de captivité
le plus grand honneur, <p. 2 4 > ca,r elle prouve que si les hom m es
peuvent se dissiper çà et là sans inconvénient absolu, les femmes
ont*un trésor si précieüx qu*Dn ne peut l ’acheter q u ’au p rix dû
SiCng de J . C ., G’est-à'-d.p&tile septièm e sacrem 1 de* la Ste Église30 »,
2 /1 2 /8 9 - Ce que Bloy d it du rapport du sexe lui semble < xxx£xx>
sur « tant de m ensongeslittéraires et de dram atiques rengaines^1- »’,
2 7 /1 1 /8 9 -

& Ce q u ’il y a de plus dur pour l’âme c ’est de souffrir, je>ne dis
pas pour les autres, mais dans les autres. Ce* fut* la plus terrible
agonie du Sauveur. Par-dessous l’effroyable Passion Visible du
C hrist, au-delà de cette procession de tortures et d ’ignominfes
dont nous avons déjà tant de peine à <p. 25 > nous form er uñe
vagué idée, il y avait sa Compassion q u ’il nous faudra l’Éternité
pour com prendre - compassion déchirante, absolum ent ineffable
qui éteignit le soleil et fit chanceler les constellations, qui lui fit
suer le sang avant son supplice qui lui fit crier la soif et dem andêr
grâce à son Père pendant le <recte : son > supplice. S’il n’y avait pas
eli cette compassion épouvantable, la Passion Physique n 'e û t été
peuf-ûtre pour N otre Seigneur q u ’une longue ivresse de volupté;
quoiqu’elle ait été, e tc.32 » — « C onsidère‘que J . souffrait dans son
cœ u r avec tte la science d ’un D ieu et que dans sdn cœ u r il y avait
tous les cœ urs humains avec ttes leurs <p. 2 6 > douleurs depuis
A dam jusqu’à la consom m ation des siècles. A h ! oui, souffrir poûr
les autres cela peut être une grande joie quand on a l’âm e géné­
reuse, mais souffrir dans les-autres, voilà ce qui s’appelle vraim ent
souffrir33 », 7 /1 2 /8 9 -
« Il est toujours bon de voir la m o rt et je suis heureux que cette
vue t'a it rem plie de la présence de D ieu. C ’est un signe pour
reconnaître les âmes supérieures. Les chrétiens doivent être co n ti­
nuellem ent inclinés sur les abîm es34 », 1 1 /1 2 /8 9 -
« J e suis très m alheureux, ^sans doute, mais j’ai, quand m êm e,
tant d ’espérance et puis, qui sait ? p eu t-êtrre q u ’il se m êle, sans
que je le sache, à l’expression de mes chagrins, un peu de littéra­
ture33 », 9 /1 /9 0 .
Carnets de captivité 159

<p. 2 7 > D istinction entre l’am our sexuel e t m aternel. « Le


prem ier est une sorte d'enfantillage divin, une exquise et réci­
proque délectation qui suppose jusqu a uri certain p oint, l’ascen­
dant providentiel de la chair Sur l ’esprit et l’abdication m om en­
tanée de ce fier lord dont la lumineuse beauté serait inféconde s’il
repôusSait inexorablem ent sa com pagne aveugle. Par conséquent
il'e st t t à fait dans l ’ordre et dans la nature que deux am ants,
quelque distingués q u ’ils soient par L’intelligence, se fassent tout
petits et semblables à dés enfants quand* ils Se caressent ds leur
am our36. » « J e ne vis q u ’avec toi, pour toi, par toi et en t o i 37 »,
1 8 .1 .9 0 .
« Les expressions absolues38 » de Bloy — « J e ne sais m ’exprim er
<p. 2 8 > autrem ent. J ’ajoute m êm e que je ne peux pas sentir
au trem ent39 », 1 2 /2 /9 0 .

La com paraison entre Certains sentim ents brusque' ressentis


devant”une chose qui n’était pas de prim e abord appelée à susciter
ce sentim ent, avec l’hom m e qui prend un objet excessivement
chaifd qui a l’air frôid et qui sç brûle.
*■>._____ ,__

Bloy « J e m e vois investi de surnaturel40. » 1 4 /2 /9 0 -


Chez Bloy cette dialectique dans la souffrance - abandon - mais
précisém ent cela élection.

Bfov’ « J e ne serais pas ce que je suis c ’est-à-dire un artiste si cette


chienne de littérature n’intervenait pas jusque dans les m ouve­
m ents les plus naïfs de m on cœ ur41. »
<p. 2 9 V « L’Église« dont le langage- ordinaire est m ystérieux,
puisqu’elle est forcéè de parler,co m m e D ie u lui-m êm e a parlé42 »,
1 2 /2 /9 0 .
« Il n ’y a rien de plus ignoré que Dieu. M alheur donc à celui qui
a des pensées divines43 », 8 /3 /9 0 .
« La gloire du père (Joseph) c ’est de cacher ; la gloire du Fils
(Joseph), c ’est d ’être caché ; la gloire de l’A m our (Joseph) c ’est de
trouver. Quelles pensées sublimes44 ! » , 8 /3 /9 0 .
160 Carnets de captivité
« J e t ’ai quelquefois étonnée, j’ai m êm e dû te faire un peu souffrir,
quand je te parlais de notre tendresse et> particulièrem ent* d é j à
mienne en appuyant un peu sur*le,côté sensuel, que les hypocrites
écartent avec tan t de soin45 » , m ardi d eP â q u e < s> 9 0 .

<p. 3 0 > Dans le rêve mystère; de l’objectivation du subjectif. M^is


le m om ent essentiel et pathétique de cette objectivation lorsqu’o n
discute en rêve et que la réplique de l’adversaire vous vient ell£-
m êm e de l’extérieur et vous surprend. M a propre pensée m e vient
du dehors.

N ous dégagions entre N oël et le Jo u r de l’A n des plants {de sapins}


enfouis sous la neige. Elle {était} étendue {en couche m ince} sur
des brins d ’herbe gelées <$ic>, {reposant com m e} Ç om m e sur une
arm ature {évanescente. Tout cela si fragile. M ais} c ’étaient des longs
sillons couverts de neige. Pas de vie sous la neige. E t puis noys
passions dans les sillons, {écartant avec des bâtons et} p ié tin a n te s
brins d ’herbe, secouant la neige, et sous les sillons apparaissaient
de petits arbres de N oël ; des longs colliers de.pefites perles vertes,
une longue série de petits Noëls qui <p. 31 > étaient là tout près
sous la neige, m ystérieux mais prêts à apparaître {se révéler}.

Les draperies qui tom bent — et alors de quel personnage officiel,


artiste faisant des pitreries sur*1 les lieux vides du théâtre am bu­
lant - avec les mains rouges de froid. Les comédiens accom pa­
gnent l’orgue de Barbarie dans m on enfance.

Chez Bloy - pensées absolues, et expressions absolues, empruntées


au dram e chrétien. Curieux langage théologique absolum ent
dégagé de l’onctueux. M êm e effet dans l’argot. A rg ot com m e
langage absolu.

L’idée de lum ière = idée d ’im m anence

a. « sur » en surcharge de « dans ».


Carnets de captivité 161

{1945 }
S1 Paul, É p ître aux Rom ains.
D ieu qui réveille les m orts et donne un nom à ce qui n'est pas
côm m e si cela existait46.

Q ’c ~

<p.. 3 2 > L'École d it Carlyle reste l’endroit où l'on apprend à lire


et à-écrire. Mais c ’est l ’école de signes et non de choses47.

La notion d'être opposée à la connaissance, m ais aussi à la subs­


tance - Œ uvre d ’être - pas à l'égard du néant - (m ort) - mais à
l’égard,d'un autre être - Eros ? - Participation®.

C ’était une époque heureuse où les couleurs étaient nettes, où elles


ne s’estom paient pas, ne viraient pas en leur contraire.

J e pensais qu’un syphilitique, un tuberculeux, un m orphinom ane,


{un pédéraste} — sont finis — non pas parce qu’ils sont près de leur
<p. 3 3 > m o rt, mais parce qu’ils sont com m e .frappés d'une tare
irréparable. E t puis la révélation - ils font partie de la société
- c e sont encore des êtres parce q u ’ils peuvent durer — ce ne sont
que des malades. O n peut raconter que Pierre le Grand avait été
syphilitique, que César Borgia - l ’idole du peuple - avait le « m al
français ».

La peur d'être « dupe » — est-ce q u e ’telle règle pratique qui me


paraît absolue n’est-elle pas purem ent et-sim plem ent de la « litté­
rature » — C ette sphère de la littérature s'élargit infiniment. La
vertu est-elle ?

a. La majuscule esc incertaine.


162 Carnets de captivité
Le portrait - l'hom m e «d éstru ctu ré ?> - vous regarde d u n autre
monde.

<p. 3 4 > Dans la nuit d ’Alençon, un volum e de Corneille et de


Racine. Corneille et Racine - sans France. {H orace et V irgile sont
aussi sans R om e — mais toute la R om e antique subsiste com m e si
elle avait plongé au fond de la m er48.}

Avoir p itié de soi - autre chose qu’être égoïste. Il y a déjà l ’in-


tersubjectivité. A v oir'p itié d ’autrui - ce n’est pas sim plem ent
se m ettre à la place d’autrui - c ’est en plus éprouver l’abandon
d ’autrui - choses qui ne sont visibles que du dehors.

Le thèm e du rêve dans un rêve : l ’hom m e qui s’endort - écoutant


le bruit de ceux qui veillent —gare — autres situations où la réalité
elle-m êm e a l’inconsistance du rêve et où le rêve s'insinue dans
une réalité déjà dissoute. E t <p. 3 5 > alors le dernier rêve — l’esca­
lier et la ch u te, sans passer par les échelons interm édiaires.

Prière = pensée sans arrière-pensée. C ’esta pourquoi la prière doit


être fixée* dans des livres de prières qui sont au-delà des o scilla­
tions de la pensée avec ses arrière-pensées. La pensée absolue* au
sens de B loy est au-delà dè la psychologie. Il sait des choses qui
ne sont pas dan? la phénom énologie.

Vol — n ’est pas seulem ent dû à des références objectives. Par


rapport à celles-ci, banques plus grand voleur q u ’un type qui vole
un pain - M ais 11 Référenceb subjective existe : contre la loi - une
existence crim inelle - désordre.Il

Il y a des réalités q u ’on ne peut <p. 3 6 > pas em porter avec soi
quand on m onte. Ce qui ne veut pas dire q u ’elles sont inférieures.

a. « C’est » en surcharge de « mais ».


b. Dans le manuscrit, ce mot est au pluriel.
Carnets de captivité 163

ElléS ont leur g oû t, leur valeur propre quoique inim itable. La


peur de la nuit q u é le jour dissipe - n est pas un pur-fantôm e.
<A rm and ?> à Fal raconte nos peurs et ne les com prend pas lui-
m êm e.

Dans les contes fantastiques d 'E d gar Poe - l'essentiel de son art
- le genre de beauté qu'il a trouvé com m e dirait Proust - e e s t
au niveau de la sensation. Ce qui est fantastique ce sont certains
aspects im m édiats de la perception : le cœ u r qu'on angoissé4 qu'on
entend battre com m e une m ontre dans du coton ( <Le> Cœur révé­
lateur), lab

<feuillets m anuscrits isolés insérés à la fin du Carnet 6 > c

<feuillet isolé 1>

description du chat - du paysage - E t surtout le temps infini de


l’approche de l’im m inent qu’on ne peut pas fuir (le pendule et le
puits <recte : Le Puits et le Pendule>) - la hantise de l’enterrement
prém aturé — c'est là que chaque instant du temps est vécu — sans
intervalle, sans moyen d'échapper,‘de remplir1le temps par l'espoir,
par qqch. d ’autre que par cette imminence. À tô té dë ce fantastique
profond — un fantastique plus vulgaire —celui de la fable.

Quand on com m ence à m anger du cheval pourquoi ne pas m anger


de l'hom m e ? E st-ce que l'am ateur des chevaux peut-être am ateur

a. « angoissé » en surcharge de « entend ».


b. Ici s'achève le Carnet 6, mais la suite de ce fragment se trouve manifestement sur le feuillet
isolé 1 inséré à la fin de ce carnet.
c. Levinas a inséré à la fin du Carnet 6 cinq feuillets volants - dont le premier {<f la note précé­
dente) contient manifestement la suite du texte qui se trouve sur la dernière page du carnet - , ainsi
qu’une liasse comprenant deux feuillets doubles et un feuillet simple (nous décrivons cette liasse
comme un carnet non relié que nous appelons le Carnet 6a). Parmi ce$ feuillets, un seul pourrait
avoir été arraché du Carnet 6, les autres sont de papiers différents d’un format légèrement inférieur
au format de ce carnet. Tous les feuillets sont écrits au crayon à papier.
164 Carnets de captivité
de cheval ? Le cheval est im m angeable parce que nous le connais­
sons co m m e ^ ê te de som m e, com m e collaborateur.

La substance solide du tem ps - s'effiloche sous l’action des avions


qui la parcourent sans cesse (alertes).
C ’est la fin.

< feuillet isolé 2>

M a matérialité - m a caricature ; ce n’est pas le mécanique plaqué


sur le vivant - c ’est le matériel dont l’esprit qui est fait - qu’il
anime. L’esprit dans le corps c ’est m on visage dans m a caricature.

Volupté — catégorie de renoncem ent et de participation, mais


avec l’accom plissem ent de l’individuel en elle puisqu’elle est joie
et bonheur.

< feuillet isolé 3>

<recto> Platcher Lot-et-G aron n e


M ontauban 1 8 , rue Caussat

Raym ond Pontlevoy


À Bono
par A thée s/Cher
Indre-et-Loire

Capitaine N azare-A ga
3 , avenue Pierre-de-Serbie
Paris 1 6 e

R aïa 8 . IL 4 4 <xx>
R aïa 8 . IL 4 4 <xx>
Çarnets de captivité 165

Suz Poirier 2 1 . II. 4 4 3 0 .4 .4 4


G od 2 1 . 1 1 .4 4 3 0 .4 .4 4
Suz Poirier 2 4 . II. 4 4 6. 5 . 4 4
Suz Stock 2 4 . II. 4 4 7 . 6 .4 4 *

<verso> André G ourm elin


1 9 , rue Le Déan
Q uim per

Delannoy < J. C. ?>


Am iens (Som m e)
1 4 , rue Alphonse-Paillat

D r Charles <Sztabert ?>


Rennes
5 , quai Chateaubriand

David Paul M.
Toulon
2 , place Louis-Pasteur
(Var) France

Suzanne Stockm an
< xx> rue Trufïaultb

< feuillet isolé 4 e>

E. Lewy
Brooklyn 1 9 , N .Y .
1 3 5 1 - 4 6 Street
U SA

3; La ligne suivante est presque entièrement effacée.


b. Même remarque que dans la précédente note.
c. Ce feuillet a pu être arraché du Carnet 6 (ff. supra, la note de présentation matérielle des
feuillets insérés dans le Carnet 6).
166 Chfnets de captivité

René Verduron
Paris 1 7 eA rr
5 1 , rue La Condamine

H abib
2 5 , rue du Rhône
à Genève

<feuillet isolé 5>

Krause X X X V I I I 6 . II. 4 5
H abib X X X I X 2 0 . IL 4 5
R a ïa X L 2 7 .1 1 .4 5
Colis N ational
Essia X L I 2 7 . IL 4 5
R aía X L II 6. III. 4 5
Colis de l'H om m e de Confiance49
Colis N ational
H abib 2 5 . III. 4 5

cC arn et 6 a inséré à la fin du C arnet 6 > a

<p. 1> L Ê tre n'est pas seulem ent un verbe — c'est le Verbê.
D istinction entre verbe et action, verbe et m ouvem ent, verbe
et devenir. Tout cela est l’analogon de l'être. D evenir le plus
rapproché — mais habituellem ent conçu en vue du term e. — Ce
qui n'est pas analogon — m ais être m êm e — c'est le fait qu'il est
verbe -- Le verbe c'est le son — Le son en tan t que retentissem ent
- vibration - ce qu'il y a d ’action dans la vibration - se m aintenir
— une certaine am plitude - '
D ’où différence entre voir - com prendre et entendre - *15

a. Carnet non relié composé de dtfux feuillets doubles et d'un feuillet simple de format 10,5 x
15 cm insérés les uns dans les autres.
Carnets de captivité 167

< p .'2 > Le Пророк de Pouchkine50 - La m éthode fantastique


- étohnem ent devant la sensation - la sensation et la réalité deve­
nant fantastique. Pas sim plem ent étonnem ent de la contradiction
du < x x x x x > . Mais qqch. com m e-un ém erveillem ent —
Dans cette théorie du son - éclaircissem ent sur la notion de l’ex-
pressiôn.

Le son -- pour réapparaître doit être reproduit. Le rouge est le


m êm e <p. 3> rouge - mais le do est toujours nouveau. Certes
le rouge aussi se reproduit à nouveau avec chaque aube — mais il
ne recom m ence pas com m e le son - c ’est la lum ière qui revient
- tandis que pour le son < c’est> tou t son être qui se refait.

Ê tre = verbe. Il y a une question prélim inaire : les m ots - sont-ils


des nom s, c.-à-d . m êm e le verbe un nom d ’action, ad jectif = nom
de qualité, etc. <p. 4 > ou au contraire les noms eux-m êm es sont-
ils des verbes polarisés ? L’essence du m o t n’est-ce pas le verbe ?
Dès lors lien intim e entre m o t et le verbe être.

Le verbe d ’être - dilatation, contraction de l ’être.

Analyse de la durée en tan t q u ’être — non pas ce qui reste sous le


changem ent, car précisém ent en quoi consiste ce dem eurer quand
on ne veut < p .'5 > plus le loger dans les qualités de l’objet — ni
bierl éhtendu le changem ent, le périssable*— ni le devenir - mais
ni le présent — mais eros ou verbe d ’être - ou son.

Philosophie M orale
L'idée du bonheur est coextensive de l’idée de l’individualité*.
C ’est la fin de la notion de l’espèce. C ’est par là que le bonheur
est q q ch : de plus que l’être. Aecom pliss1 — et être: Avec l’idée du
<p. 6 > bonheur - la socialité ne peut 'plus être l’espèce - et lés
relations de l’espèce deviennent elles-mêm es eom pf chargées de
significations subjectives. Si la participation dépasse cependant
la raison - ce n’est donc jamais com m e l’impersonnel,’ l’éternel -
168 Carnets de captivité
mais com m e le transpersonnel. - Synthèse de l ’un et du m ultiple
- D ’autre part le problème de la subjectivité - de l’hypostase tel
que je lavais dégagé — est le problèm e m êm e du bonheur en tant
q u ’il dépasse l'être (Introduction).

<p. 7 > D istinction entre être et acte —entre acte et contem plation
(il ne suffit pas de baptiser la contem plation - acte) - perm et de
voir dans la philosophie — qui est initialem ent m orale — con tem ­
plation = destinée c.-à-d . philosophie = destinée.

Ê tre verbe = son = destinée = économ ie ? = tension ? = son ?

La dém arche anguleuse du sportif désœuvré - les organes et les


muscles naturellem ent tendus vers l’effort - sont ballants <p. 8>
et oisifs.et dans les inadaptés au geste simple de la vie. Ces vacances
dans le m oindre geste. E n < x x x x x > .

La notion de force - s’oppose à la raison qui est solitude - force


intersubjective. La guerre opposée à la raison — Dans la force à la
fois assom ption à partir du ,<seul ?> et intersubjectivité —N otion
com plète de l’économ ie.

La raison ne trouve pas à qui parler - O pposition universelle et


radicale entre raison (asoli-<p. 9 > tu d e — transparence - éternité
- pas d ’intérieur ni d ’extérieur (ils sont convertibles l’un dans
l’autre) - et dub sexe qui a tous les caractères opposés.

Le chat perd toute dignité quand on lui m arche sur la queue. C)n
pensait que c ’est un appendice décoratif, com m e la traîne d ’une
robe, ou le m ousqueton d ’un centurion. E t voilà q u ’il y a ’ là des
nerfs. E t que le chat cet anim al m ystérieux sorcier, - le chat de
Baudelaire crie com m e une vieille femme.

a. La parenthèse fermante manque.


b. Il faut sans doute lire « le ».
Carnets de captivité 169

<p. 10> E n tre 3 0 et 4 0 ans on a la sensation de la brièveté de la


vie - avant on n y croit pas - après on est étonné de voir que cela
continue tou t de m êm e. - entre 2 0 et 3 0 douleur - vouloir tou t
embrasser - vivre toutes les destinées - to u t lire — com m e un
organe sensible et m al protégé.

{O deur = 1m oi - so i!.}
L’impossible intim ité m oi-soi. Dès que j ’arrive quelque part —
dans la nouvelle am biance - il y a déjà m on odeur - pas m on
clim at. Les choses sont déjà arrangées d ’une certaine façon.
<CARNET 7>*

<p. 1> Wir sterbenJung.


L’amoür. E xaltation ne tient pas à la prétendue « fusion de deux
êtres ». A u contraire. Stim ulée par la présence d autrui, par la
conscience aiguë de son im pénétrabilité. « Luttes de Vénus ».
C ette chose est anim ée, son âm e est troublée —mais c ’est un autre,
un ju tre , absolum ent autre. C ette exaltation n est pas déception
par là. Elle est stim ulée par là, exaspérée joyeusement par là.
A m çu r-lu tte. O rigine du social.

A m ou r sexuel - le seul q u o n puisse accom plir, où les caresses


aboutissent. Le reste {m êm e am our filial, m êm e paternel} im puis­
s a n t Im puissant parce qu’inexprim able, non suse incapable de
s’accom plir. {U n e faim essentielle et perpétuelle.}

R éalité — hallucinante.
<---------------- >
< p v2 > U n hom m e pour un autre n'est jamais {sim ple} « ohjet
extér{ç\ir ». N on seulem ent parce qu'on le sait (par la sympathie)
anim é et hom m e, {et qu’on « se m et à^ sa place » }, mais parce
que l’extériorité d ’un être hujnain, l’extérieur d ’un m oi fait-p artie

a. Carnet réglé de format 11 x 17 cm avec une couverture rigide. L’ensemble est écrit soit au
stylo plume, à encre bleue ou noire, soit, plus rarement, au crayon à papier sur lequel Levinas a
parfois repdssé au stylo plume ou au stylo à bille à encre noire.
172 Carnets de captivité
se situe sur un autre plan. Quelque chose d exaltant de voir un
m oi du dehors. C om m e la contem plation d'une nudité. Com m e
l'am our sexuel. O rigine du social.

Angoisse - de la m o rt ? (H eidegger) - qu'on vient de m ourir ?


(M organ) {Sparkenbroke1} - qu’il est impossible de mourir.

Le charnel — le tendre — la caresse.


<------------- >
<p. 3 > La grande erreur de Lawrence dans Lady Chatterley — c'est
de croire que le con tact de la vie est toujours vivifiant. Le garde-
chasse est angoissé — mais il craint l'extérieur, il pense que le
con tact de la vie est toujours une sécurité. Le co n tact de la Vie
peut être m ortel. Péché.

A ccom plissem ent. Symbole. N otions essentielles pour l'évasion


de l’existence. Sacrem ent. Figuration.

J . a com m e une écharde dans la chair. O n pourrait vivre sans cela^


mais si on ne n'avait pas {cette source de souffrance) < xxxxx 3b b « >
m a vie {serait privée) de son acuité et de sa lucidité vigilante.
Com m e si on était émasculé. O u retom bé en enfance.
<---------------- >
<p. 4 > Le fond de m a pensée : lé corps n’est pas un substantif abso­
lum ent parlant, ni l'aboutissem ent d'un acte - mais un accom plis
sem en t, un l'acte lui-m êm e. Pas acte au séns d'activité, d'entre­
prise que l’on achève ou poursuit, mais au sens d'accom plissem ent.
Q qch. s'flccomp Q qch. « se consom m e {consom m e » } {de} par léb
m atérialité m êm e corps. E st-ce le mystère m êm e de la m atière
- est-ce par là que m atière - toujours accom plissem ent - différer de
la qualité ? D istinction entre substantif tou t proche du verbé -^et
de <sic> l'adjectif ? Cela est certain du corps humain. E st-ce aussi
certain de la m atière tou t côurt ? Sens de la* m atière ? \
a. « J. » sans doute pour « Judaïsme ».
b. « le » en surcharge de « la ».
Carnets de captivité 173

< p v 5> La création ex nihilo


-s a is ie sur le plan de la « ». Felixculpa
La faute rachetée,^ donne plus que l’innocence^ Le bonheur et la
paix — victoires sur le tre i ^délivrance de l'être -.d o n n e n t plus que
le néant. La m ort n ’est pas une issue jelle tdélivre de l'ê tre , mais
on y perd .'L e jeu est com prom is. D ’où le désespoir-de M acbeth :
« And migth the staff ofworld to be undon£. »
------ î— ri-
Dans ce sens création n ’est pas ce qui aboutit à l’être, n’est pas la
constitution d ’un être. Le « plus » dont je viens.de parler n’est pas
un surplus d ’être« {C ’est le bonheur.} Ce surplus ne doit pas être
séparé du plan spécifique de la,« Félix culpa
>»„ Dans ce sens aussi
valeur du tem ps. La felix culpa
suppose deux tem ps. Le temps est
< p / 6 > donc essentiellement « dram e » - « deux actes » , plusieurs
actes. L e messianisme est, plus qu’une « création » parfaite. E t
il n,’y aurait* pas de Messie* sans temps.* Temps condition de la
« consom m ation ». « Création en plusieurs jours ». {Samedi n’est
possihle q u ’en raison de 7 jours.}

Le passé est indispensable, par conséquent, p o u r la prem ière fois,


j’entrevois un lien entre la vie terrestre et la vie d u ciel.

G énie et talent {sens étym ologique}. G énie — un autre qui parle.


In terp rétation infinie ^possible}. Talent - don qui fait.p artie de
l'individu,, qui est une faculté .de sa psychologie, dont le sens est
épuisable et fini.*I)

L’hom m e de talent : uq — il possède un don.


L’hom m e de génie : deux - il est possédé.
<i_— ,— >
<p. 7 > La m ort. Pas une solution par elle-m êm e.
I ) Le, jeu,est.perdu. Macbeth. Jo b maudissant sarnaissance» : la m ort
ne le sauverait pas. Tout cela, si la jn o rt est fin de l ’être.

a. «c Messie » en surcharge de « messiani$<me> ».


174 Carnets de captivité
2 ) Mais il y a le thèm e de Hamlet : la m o rt n’est p eu t-être pas une
fin (cette inconnue - cette indéterm ination de là durée - est peut-
être constitutive de la m ort), le thèm e de la triste éternité (paresse
d ’être). Ici la m ort com m e fin est souhaitée, n est pas crainte.
3 ) La crainte de la nîort en tan t que la fatalité de l’attachem ent à
l’être : d ’où sa double nature : elle la m o rt à la*fois ce qui est craint
et ce qui est souhaité. Mais dans les deux cas elle est une fin.
La m ort en tant que naissance à une vie nouvelle : fin pour le corps,
com m encem ent pour l’âme. Christianism e, Platon, M organ3. *
<p. 8 > M ort en tant qu’inconnue - p eu t-être la description la
plus fidèle. U n inconnu dans le dram e du tem ps’ [?]
M ort en tan t qu’accom plissem ent ? U n acte sans appui, sans
base.

La tragédie shakespearienne est avant tou t le con tact de l’hom m e


et du néant, du néant dans son équivoque, dans sa forme diabo­
lique. Le mensonge (Le roi Lear Othello
, ), l’équivoque des sorcières
(Macbeth) ; le fantôm e (Hamlet). D ’où le rôle essentiel dans la
plupart des tragédies shakespeariennes du m enteur et du traître.
Il est le fabricant du néant. Celui <p. 9> qui donne au néant les
apparences de l’être.
H am let est particulièrem ent profond, car ehe là l’hom m e a percé
l’équivoque ou p lu tôt il a fait de cette équivoque le thèm e m êm e
de sa souffrance. H am let c ’estd a réflexion sur la tragédie shakes­
pearienne. Il souffre de l’insinuation du néant dans l’être {ou -de
l’être dans le néant}. Ê tre ou ne pas être — tou t est là.

N u it - repos - Par là la notion de corps apparaît.

J e reprends le thèm e de la m o rt : Le fait que la m o rt = jeu perdu


prouve que la m ort n ’est pas aussi forte que l’être. M êm e si elle
finit l’être elle n’épuise <p. 1 0 > pas tou t ce qu’il a fait. D onc
m êm e dans l’hypothèse, de Macbeth (1 ) elle n ’est pas une fin ni
dans (3).
Carnets de captivité 175

M a ’théorie du tem ps (dans laquelle l'essentiel c'est la m ultipli­


cité des actes) perm et de saisir d'une façon à la fois antirelati­
viste et antirom antique la notion de symbole. P our le relativisme,
le symbole peut- à là rigueur transcender la, sphère de ce qui est
réel. Mais ce que le symbole découvre, pourrait pour D ieu être
im m édiatem ent donné. Le symbole n’a donc de valeur <que>
par rapport à nous. Il est *im itation dans le devenir de ce que
l'être e st en soi. — D an s'P o u r moi <p. 11 > le devenir m êm e a
une valeur car l'accom plissem ent du symbole - la consom m a­
tion - ' n ’est consom m ation e t enrichissem ent (création ex nihilo)
que parce qu’il y a eü histoire. - Pour le rom antism e le symbole
vaut com m e l'inconnu stimulant* une histoire qui vaut indépen­
dam m ent tlu symbole. Pour m oi l'accom plissem ent du symbole
ne saurait se séparer de l'histoire qui y m ène. C ’est par {elle que}
l’accom plissem en rest création. Felix culpa
.

Symbole — p réfigu ration d e l'accom plissem ent et non pas im age


de L’être voilé.

<p. 12> La notion de symbole m e perm et de distinguer m a


doctrine du bergsonisme. Pour Bergson : tem ps = renouveau et
liberté. Pour-moi tem ps, la dualité e t la pluralité dans l’être m êm e
dans le* jeu du dram e qui est préfiguré par le symbole mais dont
la libération consiste «dans ce quelque chose de plus qu'est l'ac­
com plissem ent du symbole. C ’est le fait même*de jouer le drame
{(d ’être)} qui perm et de sortir de l’être* Accom plissem ent =
évasion. Évasion dans quelque chose qui n’est pas’être. Félicité.
i
— -------- ?
Symbole : soit inutile à'une Intelligence supérieure soit <p. 13 >
un mode spécial d'accession à certaines réalitéâ (symboles» de la
science. « M êm e D ieu devrait y accéder de la m êm e manière aux
notions com m e atom es, électrons, etc. », H usserl4). Mais dans
tou t cela symbole rattaché à la contem plation, à la pensée. Ce
qu'tfn en néglige — c ’est son besoin d ’accom plissem ent — donc
avenir. E t dans l'accom plissem ent on néglige q u ’il est venu à la
176 Carnets de captivité
suite d ’un symbole, qu’il a un passé. La notion de tem ps et de sâ
fécondité miraculeuse - l’essentiel du symbole.

Insom nie : « Tant l’écheveau du tem ps se dévide ‘lentem en t5 »«


Baudelaire, D e Profundis ».

<p. 14> Le rôle du symbole et de la préfiguration dans l’accom plis­


sement r- sa propriété de lui donner un sens - de transformer le subs7
tantif en accomplissement —explique le rôle xle la philosophie dans
la poursuite du souverain Bien —évasion - apogée - création - felix
culpa - qui est la notion que je prétendsTéhabiliter. C ’est par la philor
Sophie que l’a ccom plissement — le Messie —peut être ce qu’il est. La
philosophie n'est donc pas identique au salut. Elle n’est pas ellé-
m ême l’aventure de l’existence <p. 15 > com m e le veut Heidegger.
Elle n’est pas la connaissance du Bien —N i métaphysique = contem ­
plation. Mais un élément dans de l’aventure du temps. Indispensable
dans la philosophie de* l'accomplissement. Philosophie — significó
tion. Expliquer la notion de signification et de symbole. Importance
du m ot, de la parole. Tout est « consommé ».

Pensée et acte. Q u ’est-ce qui fait la spécificité de l’acte ? L’in­


tervention sur la m atière ? N on . Car m atière n’est pas notion
prem ière - en tou t cas elle ne.signifie rien par elle-m êm e. Pensée ;
tou t est ppssible, on peut revenir sur tou t. M êm e la décision
<p. 16> pensée dans ce sens. Mais une fois que l’acte s’y ajoute
- c'est irréparable. Irréparable - voilà l’acte. Quel que soit donc le
rôle de l’intention — l’acte y ajoute quelque chose> d ’essentiel.. Par
là véritablem ent pensée = liberté, se trouve un obstacle. Le moi
entre dans l’ordre, cosm ique. La théorie du « fiat » de Jam es s’en
trouve éclaircie. C ’est l’acte qui fait la volonté.

Parm i toutes les choses q u ’on possède - l’alim ent e st une posses-
sion q u ’on peut consom m er. O n voudrait m anger ce q u ’on possède.
M anger - forme exceptionnelle de l’appropriation. C ’est dans ce
sens qu’am our sexuel peut être accom pli. Là aussi <p. 1 7 > il y
Carnets de captivité 177

a plus q u ’une possession. E t la lim ite de l’am our : apparition de


l’Étranger. La souffrance de la possession des choses : on ne.peut
pas les manger.

Patriotism e. Parm i toutes les notions je n’en adm ets qu’une seule
m atérielle : terre. Relation avec la terre quelque chose d'unique. On
peut posséder propriété cojnm e on possède actions, argent. Mais
d^ns.la relation du paysan à la terre relation spécifique. Quelque
chose qui dépasse possession ordinaire. Connaturalicé. Famille
dispersée 4e Pearl B uck6 : terrç plus ou <p. 1 8 > moins vieille. Elle
contient plus ou moins de cadavres d ’ancêtres. Fusion.

Elle pleure, insensé, parce q u e lle a vécu !


E t parce qu’elle vit ! Mais ce q u elle déplore
Surtout, ce qui la fait frém ir jusqu’aux genoux,
C ’est que dem ain,.hélas ! il faudra vivre encore !
D em ain, après-dem ain et toujours ! —com m e nous !

« Le Masque » , Baudelaire7.

Voulez-vous (d ’un destin trop dur


Épouvantable et clair em blèm e !)
<p. 1 9 > M ontrer que dans la fosse m êm e
Le som m eil prom is n’est pas sûr ;

Q u ’envers nous le N éan t est traître ;


Que, tou t, m êm e lg. M o rt, nous m ent,
E t que sem piternellem ent,
Hélas-! il nous faudra p eu t-êtrç

Dans quelque pays inconnu


Éçorch er la terre revêche
E t pousser une lourde bêche
Sous notre pied sanglant et nu ?

« Le Squelette laboureur » , Baudelaire8.


178 Carnets de captivité

Toute l'analyse de la fatigue dans l'in stan t. C ’est d'ailleurs le thèm e


<p. 2 0 > m êm e de m a philos. Devenir et dram e non pas derrière le
tem ps cosm ologique, mais dans une < direction ?> si on peut dire
petpendiculaire. Fatigue — dans un m ouvem ent de tension — pas
une partie dé nôus, mais nûus-même -re n ô n c e , s'engdurdit*. N 'af­
flue plus. Stérilité. L'être lest deux — rïiais deux dans l'instant. N on
pas divisé dans la1pensée, mai$ dàns la sensation. N on pas com m é
dans la douleur où on ne peut pas lâcher. Ici on peut lâcher. Mais
<p. 21 > on ne lâche pas. (Transformer peut-être tou t ce langage :
inscription dans l'être en analyse dè l'instant.)

« Le silence et l'horreur des ténèbres9 » ,


Baudelaire, « Les Chats ».

« L’ennui, fruit de la m orne incuriosité,


Prend les proportions de l’im m o rtalité10 »,
Baudelaire, « Spleen ».

S’émerveiller de l’existence, c'est avant tou t ressentir l'existence


com m e un m iracle.

« Mais les vrais voyageurs sont ceux-là seuls qui partent


Pour p artir11. . . »,
Baudelaire, « Le Voyage ».
<------------- >
<p. 2 2 > La peine de l'effort n'est pâs dans sa souffrance, mais dans
son entreprise. La nécessité générale d'ëntfeprèndre et par consé­
quent de se livrer qui est la peine. Le thèm e général de l'existence.
E xister = peiner.

J e fais aussi de 1'« atom ism e psychologique » puisque je pats de


l'instant. Mais l'instant n'est pas l ’élém ent dont serait faite une
totalité. L’instant c ’est la relation avec l’existence.

a. Levinas avait semble-t-il commencé par écrire « engourdissement ».


Carnets de captivité 179

Le* lien entre m a théorie de‘ l’effort -a cco m p lisse m e n t du


présent -r, et m a théorie de la nuit - le fait anonyme <p. 2 3 > de
l’ih y â - dafls m a théorie* du corps. Le corps c ’est le prem ier acte
—l’acte par excellence dont l’activité apparaît précisém ent dans le
répdS: Repos - le fait m êm e de reposér sur une base, de se tenir.
Tolitfccte suppose ce repos.*Il

II. y? a dans Proust quelque chose d ’unique qui n ’est ni son style,
ni*sa théorie du tem ps, ni la .finesseet la précision de son analyse
psychologique. C 'est la, qualité aristocratique de ses sensations.
Il arrive à faire com prendre sa vie intérieure — où nous retrou­
vons toujours du connu et qui'a quelque chose d ’universel com m e
{dans} les analyses d ’un excellent psychologue — com m e quelque
chose d ’unique, un frémissement <p. 2 4 > inim itable. Com m e
un paysage intérieur absolum ent sans exem ple, éclairage qui ne
transform e pas les proportions des choses ; mais qui est de l’éclai-
ragerpur qui leur donne une âm e n e » propre. Il donne si* on peut
dire l’âm e de son âme. Ce n ’est pas l’inattendu de ses réactions qui
en Fait l ’essentiel — mais leur g oû t qu'elles ont — elles si sem bla­
bles au x nôtres m algré tou t. M o i.. .a
T--------------------------

« E t l’orange pressée dans l’eau sem blait m e livrer au fur et à


mesure que je buvais, la vie secrète de son m ûrissem ent, son action
heureuse contre certains états de ce corps hum ain qui appartient
à un règne si.différent, sou impuissançe à le faire vivre,-m ais en
revaïiche les jeux d ’arrosage par-où elle pouvait lui être favorable,
cei\| m ystères dévoilés par le fruit à-ma sensation, nullem ent à m on
intelligence » , Proust, Sodome et Gpyiorrhe, II, ch. 1, p. 1 5 2 12.
< -------- r— r ->
<p.;25,> X)ans la persécution je retrouve le sens originel du j.b,
son éipotion initiale. N on pas -persécution quelconque — persé­
cution absolue, qui pourchasse l’être de partout pour renferm er

a. Points de suspension incertains.


b. « j. » sans doute pour « judaïsme *.
180 Carnets de captivité
dans le fait nu de son existence. E t c est là aussi {(ch. 5 3 , Isaïe)}
- dans ce découragem ent que personne.ne saurait com prendre -
que se révèle la présence divine. Situation du « subir » pur oùd}
y a une élection ^u sens de r elat ion l'am our d ’une personne qui
vous effleure {caresse}. O u-p lutôt révélation d ’un ordre différent
de l’ordre ^naturel - réel m algré tous les échecs ds l’ordre naturel.
- Ivresse de cette souffrance inutile, de cette passivité pure par
laquelle on devient com m e le fils de D ieu. Enfance. Cela est
< p ..2 6 > -trè s im portant : le « subir » pur n ’est pas une sensatiofi
de l’arbitraire du m onde. ILpeut en être ainsi quand les yeux sont
tournés vers le monde. Mais le subir devient ici : filialité.

« L'âme de l’âme » de Proust ne tient-elle pas sim plem ent à l’im ­


possibilité de situer le cadre réel — de son histoire ?

Il y a des gens pour qui les événements de l’histoire - la guerre


par exemple — n ’est qu’un élém ent de leur vie, un événem ent qui
s’encadre'en elle, mais qui lui sert de déc vient de l’extérieur,
qui se situe au to u r d ’elle co m m e un- déco r com m e tan t d ’autres
événements. <p. 27 > Le ton de toute cette destinée vient de l ’in­
dividu. Chez B arin g 13 la guerre des Boers est un détail dans là
vie de ses héros qui cependant pouvaient y m ourir. Pour d ’autres
au contraire toute leur vie est « centrée » autour d ’un événem ent
extérieur com m e la guerre.

M aurice Baring : Princesse Blanche14. Le rom an est assom m ant,


trop long et la substance pdétique et intellectuelle de ce livre
qui ne surprend jamais tiendrait en quelques pages. Mais arti­
fice intéressant : arrive à donner l’illusion d ’une vie absolum ent
stylisée <p. 2 8 > où tou t, m êm e le m alheur11, m êm e la m o rt trouve
sa place prévue depuis toujours. R ien d ’e Les destinées les plüs
orageuses sont pàrcourues avec sérénité. La société trouve réponse
à tou t; catégorie à tou t. Dans la manière m êm e où <sic> la m o rt

a. « le » en surcharge de « la », et « malheur * en surcharge de « douleur ».


Caïnets de captivité 181

esti notée* presque avec j a sécheresse d ’une biographie dans un


dictionnaire encyclopédique * « “ C et hiver-là une telle a eu telle
maladie et en est m orte. B e rn a rd ... B la n ch e ... l’histoire continue.
La m ort ne vient m êm e pas toujours en fin de chapitre.

<p. 2 9 > R elation entre m oi et conscience. M oi chez les philo­


sophes le dernier spectateur de la conscience. U ne «conscience à
l’intérieu r de la conscience. Chez m oi; « moi » ce qui s’appuie sur
un terrain solide tou t en le repoussant du pied. La fonction essen­
tielle de la conscience dans la mesure où elle est* com m andée par
le m oi n ’est plus la connaissance. Mais alors quoi ?

La pudeur de la douleur, La douleur ét la honte.

Dans la notion de création ex>nihilo il n’y a plus de structure


dehors-dedans. D ieu-n’est pas l’âme du monde ; le monde n’est
pas*non plus le cogitatum
de Dieu.

<p.~30> La m o rt n ’est pas une issue. O n a g o û té à l’être e t on a le


sentim ent q u ’avec le néant l’équilibre n’est pas rétabli. Besoin de
triojnphe. A pparition de L’Idéal. Messianisme.

Le désir de la m o rt n’est pas identique avec le désir de ne pas être


né,«Avec la jn o rt le jeu de l ’être et du néant n ’est pas fini. En nais­
sant, nous nous inscrivons dans l’éternité., La yie éternelle n’est
pas le contrepoids de la m o rt, elle est im pliquée dans la m ort.

La lu tte p ou r l’existence ne connaît pas le fait de l’il y a. O n lu tte


pour <p. 31 > satisfaire ses besoins. Dans la situation du.suitide
l’être lui-m êm e apparaît à L'horizon.

La souffrance - son acuité-est- dans son irrém issibilité dans l’insr


tant. Mais la caresse - y répare quelque chose. N on pas q u elle

a. Le guillemet fermant manque.


182 Carnets de captivité
fasse passer la douleur. Mais il y a tou t de m êm e une modification
dans la douleur. Par là le Miteinander-sein entre dans m on onto­
logie.

Sexualité humaine - irritation par le fait d'autrui.

Le livre du D r Alexis Carrel est fort im pressionnant15. N on pâs


par son côté <p. 3 2 > philosophique. Sa phénom énologie de* là
conscience est* naïve, «ignare de to u t problèm e philosophique de
la signification de l ’existence. A ua problèm e de la « relation entre
la m e et le corps >t résolu par lab p roblèm e notion de la totalité,
a-^ il peu t-être {apporte certes} une solution juste — mais on ne
la com prend pas, c ’est une pure affirmation qui n’a qu’un sen i
pratique : « Il faut toujours envisager un être hum ain com m e
un tout. » La form ation des concepts opérationnels n ’est pas une
Begriffsbildung philosophique — M ais l’intérêt du livre de Carrel
est ailleurs - dans les conséquencés sociologiques qu’il en<tire;
C ’est assurément là la raison de son succès, très m érité. Les eonséqu
Pour un individualiste - pour celui <p. 3 3 > qui conform ém ent
à la tradition judéo-chrétienne pense que le b u t de la civilisation
est la dignité et le bonheur de la personne, le livre de Carrel pose
un problèm e, une difficulté, un cas de conscience. Le but
Quel est en som m e le b u t de la civilisation d ’après Carrel ? La
santé de la race. Il' y a à la base de cette affirmation le sentim ent
d ’un jaillissement de la vie dont l’individu n’est qu’un éclat, uïîe
éclaboussure, et qui pour l’individu est un devoir de continuation,
de préservation. S’occuper de la survie des faibles est un péché
contre la race. Mais à supposer que cela soit vrai — et il est-très
probable que du point de vue du fait l’individu ne soit que c e la —la
vie dans son jaillissem ent universel com porte un <p. 3 4 > aspect
individuel. Il y a des individus qui sont heureux ou m alheureux
et dont le bonheur ou le m alheur peut être en contradiction ou

a. « Au » en surcharge de « le ».
b. « la » en surcharge de « le ».
Carnets de captivité 183

en* àccord avec les exigences de la vie universelle. Mais proclam er


le* droit* au bonheur des individus « forts » c ’est ériger le fait en
droit. C ’est com battre l’exigence foncière de’ la religion judéo-
chrétienne dont le vrai pathos consiste à s’insurger contre le fait.
Onsa certes tort d ’opposer dès'lors l’esprit à la m atière. Mais c ’est
la « totalité » de l’hom m e {qui} exige de la religion un salut qui
doit valoir pour* la »totalité qui doit su rm on ter le tragique de
l’individu opposé à la vie universelle. C ’est <p. 35 > cela la dém o-
Cfatie'dans le sens noble du term e {et indépendam m ent de telle ou
telle autre réalisation technique d e'la dém ocratie contre laquelle
Carrel s’insurge à juste titre et contre laquelle toutes ses critiques
portent. La vie douce et m olle, vulgaire, n ’est pas le salut ; mais
la vie, le droit à la vie du faible - en fait p artie}. ‘BHe La démocr.
p art “d u fait nu de l’individu, elle s’installe précisém ent dans la
contradiction tragique entre l’individu» et l’espèce. Elle-est une
exigence idéale. C ’est en tan t que charité - qu’elle pense à la race.
Toujours à'travers l ’individu. «-
N o û sJ l y a dans tou t ce livre, dans sa prédilection pour les l’âge
des seigneurs féodaux, e tc., ce christianism e aristocratique qui
s’accom m ode si bien avec le paganism e, le culte de la/terre, et*qui
a trouvé son expression dans certaines formes du catholicism e. Les
m éfaits de la civilisation industrielle sont <p. 3 6 > certains "mais
ils ne sont n ullem ent dans l’esprit-dém ocratique, mais le produit
de sa désorganisation et de sa dégénérescence. C e s t à penser que ni
le racism e ni la dém ocratie libérale ne contiennent le vrai salut.

Le rapport de m oi à*sôi - contem plation ? réflexion ? Pour moi :


partie jouée. S’ennuyer - non pas un tem ps vide - c ’est toujours
s'ennuyer avec quelqu’un.

Les troupeau*, le figuier, la vigne qui dans la Bible apparaissent


com m e'le but de l’existence - ne sont que les <p. 3 7 > moyens de
la p aix16*. Pas la félicité m atérialiste, mais la félicité existentielle
de la p aix, de l’idylle, de l’innocence.
184 Carnets de captivité
O n peut faire une caricature de tou t le m onde. Il y a d on c dans
chaque être quelque chose de trop. Le sourire — être sans* carica­
ture. Légèreté* essentielle.

Le m ot « activité » nivelle les rapports au tem ps - le sens tem porel


des différentes activités : penser n accom plit pas l ’existence .dan§
le m êm e sens que travailler^ et travailler pas au m êm e sëns que
com b attre, {com b attre, pas au m êm e sens que jouer}. La distinc­
tion platonicienne : du travailleur, <lu guerrier et du philosophe
est plus existentielle qu’on ne pense. {Là aussi le sens profond du
poète chassé de la cité.)

<p. 3 8 > Le com bat de l’amour. Ce thèm e s’éclaircira quand, on


part de ce que je dis de « m oi-soi » — plus proches que des frèresj
plus étrangers que des amis.

Chez H eidegger <1’> existence accom plit la compréhension. (Il


prend l’idée husserlienne de l’intention spécifique, adéquate
à l’être des objets, pour voir dans les faits de l ’existëncê, dajis
toute leur concrétion des compréhensions.) Pour m oi l’existence
accom plit mais non pas en tan t que .compréhension. E lle'acco m ­
p lit spécifiquement — ce n’est pas un événem ent extérieur — mais
laa com préhension est <p. 3 9 > en dehors de l ’accom plisse1. La
compréhension toujours» théorique, toujours lum ière. Elle donne à
l ’accom plissem ent sa signification propre - qui est dans la tension
dram atique (— tem ps — felix culpa).
(Par elle ce n’est pas un événe­
m ent extérieur) c ’est le symbole anticipant. M ais le sym bolism e,
< connaissance ?> philosophie - n’est pas l’événem ent m êm e.
Symbole doit être {en plus} accom pli — encore

La notion de « partie perdue » est pour, moi le véritable concept dé


l’impossibilité de la m ort. Par là l’aventure individuelle se prolonge
<p. 4 0 > au-delà d ’elle-m êm e et annonce un « ordre » universel. Là

a. « la * en surcharge de « elle ».
Carnets de captivité 185

peur de la m ort ne se rapporte pas à la fin elle-même — mais c’est


com m e si on disait « dom m age ». « Jam ais plus » , nevermore.
Illusion - ludo - jeu.

Le fond du jeu - pas de responsabilité. Liberté sans responsabilité.


Liberté im pliquant responsabilité - est liberté à l’égard des autres
- liberté excluant responsabilité - liberté à l’égard de soi.
-------9 » -7 '~

U n être irresponsable n’aurait pas la crainte de la m ort. Pas de


crain te de la m ort dans une existence jouée.

Conditions de la certitude du cogito': présent, je, pensée. <p. 4 1 >


C ’est l’acte de la pensée du savoir qui est celui auquel la relation
avec le je apporte la garantie de la certitude. Pourquoi ? Parce que
dans la pensée la relation'du je à la pensée est la pensée m êm e ?
Parce que la pensée est le m ouvem ent m êm e du m oi vers le soi ?
O u -p lu tô t n ’est-ce pas parce que la pensée en l’occurrence est
doute — c ’est-à-dire concentration sur le présent pur ?

Le « jamais plus » d ’E d gar Poe. « Le Corbeau » n’est pas seule­


m ent le désespoir qui qui ne p erm ettra plus à l ’âm e de s’élever
en dehors de lui - « et m on âm e, hors du cercle de cette om bre
qui g ît. flottante <p. 4 2 > sur le plancher, ne pourra plus s’élever,
- jamais plus ! »
Ce n ’est pas seulem ent l’im possibilité d ’un avenir —Toute l’acuité
de cette im possibilité tient au m o t « plus » (more)
— encore une
fois. Ce n’est pas le pur néant du jamais — le néant d ’un temps
vide — mais le néant qui vient après quelque chose qui a eu lieu
une fois^-^ le jeu* est perdu - on1ne peüt phis le reprendre. Ce
néant se réfère à un passé, à ce.quia* existé. C e n ’est pas un néant,
c ’est une om bre. L’horreur de la m o rt est l’horreur de <p. 4 3 >
son «a im possibilité ». Edgar Poe d it lui-m êm e du Corbeau : qu’il

a. Guillemet ouvrant incertai


186 Carnets de captivité
est le symbole du souvenir funèbre et éternel (dans la..Genèse d'un
poème).
L'espoir pour le présent, non pas espoir d'une simple justice :
l'instant suivant récom pensera pour un instant passé et on arri­
vera à un équilibre. L'espoir pour le présent, espère pour la souf­
france présente qui resterait inconsolable m êm e si à l'in staôt
suivant elle pouvait être récompensée {c'est grâce à l'espoir pour
le présent que cette com pensation est possible}. Form e concrète
de cet espoir pour le présent - caresse. Elle n'est pas loquace, elle
ne d it pas que cela ira m ieux - mais elle rachète dans le présent
m êm e. O r avec la caresse — nous avons {le} tendre® et le charnel.
Signification* corporelle du tem ps.

<p. 4 5 b> 1 9 4 6

Q u'est-ce que l'esprit ? Voilà un être hum ain qui a un visage


- encadré de cheveux, une barbe, des lèvres rouges, des yeux
brillants, —on on peut les voir tou t cela com m e quand on examine
un anim al : touffes, végétation, couleurs, e tc..Q u il y ait là visagè
- c'est cela l'esprit.

M a philosophie - est une philosophie du face-à-face. R elation


avec autrui, sans interm édiaire. C ’est cela le judaïsme. Dieu
a parlé. Prophètes — le langage, ceux qui parlent m algré e u x -r
transparence totale. Rayonn1 qui s'ignore. Bible — livre c'est-à-
dire — rien : paroles.

<p. 4 6 > 17rmn nnDW —la joie d'avoir la Thora. O n lit le Cantique

min nn
des cantiques. Toutes ces beautés, toutes ces profondeurs — on en
est ! m .

a. « tendre » en surcharge de « tendresse ».


b. La page 44 du carnet a été laissée vierge.
Cartïets de captivité 187

H istoire sainte —une liturgie qui ne devient pas com édie ni m ysti­
fication. U ne liturgie toujours neuve. Pas de gestes. Toujours des
événèfnents.

1947

Le pôuvoir du classement. U n phénomène trouble mais gênant est


couvert du m ot « am itié naissante » — et la chose est réglée. Le fils
aurait dû se révolter de voir son père se remarier à 6 0 ans, un an à
peine-depuis la m ort de sa m ère, avec une jeune femme de 35 ans. Le
<p. 4 7 > père dit : « Il a souffert*» et la chose est réglée. La décence
a été respectée. Rien de profond n ’est plus gênant. La future jeune
femme a m is des fleurs autour de la photo de la première femme
- ce geste,* ce rite - a tout arrangé. Les règles ont été respectées.
Rien'ne gêne plus. Le m o t, le rite ont classé. E t le problème m ême
devient *« classé » au sens où l’on dit « c ’est une affaire classée ».

Différence entre révélation et savoir n’est pas seulement dans la


source. Révélation prétend que l’essentiel du savoir sont des êtres
—alors que'savoir opère à l’aide de notions. R èx. : sortie d’Égypte
constitue l’absolu et non <p. 4 8 > pas le rapport entre substance
et accident ou entre poids atomiques.
Mais 'eri ‘vue de quoi ? Eh vue de l’explication ? - E $ t - c e que l’ex­
plication - ne' suppose pas lum ière et par conséquent idées - et
est-ce que àbsolu peut être autre chose qu'un principe d’explica­
tion ? U sage théorique et usage pratique. U sage pratique autre
chose qu’usage théorique moindre. Connaître et se sauver — N ’y
a -t-il’ pas toujours une supériorité alternante ? E t dans ce balan­
cem ent tou t l’hom m e. Mais le reconnaître - c ’est connaître. À
moins de sè rappeler le caractère ancillaire de cfe connaître.
<---------------- >
<p. 4 9 > 1 9 4 8
La notiorr de chance dans l’analyse de la puissances É lém ent qui
tranche sur la puissance - rencontrer l’objet qu’on.m anie.
188 Carnets dfe captivité

Foi = savoir sans m aîtrise. <

Serm ent Ju re r — im pliquer 1 absolu dans le fait de m a culpabi­


lité. N on originelle. Celle qui vient du fait que je fais toujours
plus que je ne fais - que j’ai une épaisseur dans l ’espace. (Le sujet
de la philosophie classique est infaillible.) <p. 5 0 > Ê tre faillible
- pas faible, m ais vivre dans un m onde où beaucoup de choses
m ’échappent. M on corps (= épaisseur). J e fais un pas : j’écrase des
insectes, je couche l’herbe - je laisse une trace <Sherlock H olm es).
Conscience plongée dans une inconscience. Sens m ultiple de l’in­
conscience : recours dans l ’irresponsabilité.

<p. 51 > La famille épousée — tous les abîm es de la famille —


Im age • je suis à table avec la tante par alliance. Tiens ! C ’est
une chienne. L'oncle est un chat. C om m ent entrer dans leur vie
de chiennes et de chats, « leurs habitudes » « leurs m œ urs
— C ’est terriblem ent anim al — ennemi — folie ! folie ! La personne
m êm e qu’on épouse - elle est choisie abstraite — acceptable.

<p. 5 2 > La m aïeutique — l’idée qu’on ne peut jamais enseigner —


suppose la solitude. - À l’idée de m aïeutique - s’oppose la théotie
du traum atism e et des m ythes.
V érité de la m aïeutique contre l’em pirism e, contre la passivité.dp
savoir com pris com m e m atérialité. Mais urçe relation avec l’autre
laisse une place à la passivité : le traum atism e. Le m ythe.

En lu ttan t contre la réification de la conscience, on aboutit à une


psychologïsation <p. 5 3 > du réel - (l’idée du pouvoir). L’idéç
de l’événem ent ontologique - ni conscience, ni chose : lç type
m êm e de cet événem ent : création : passivité de la création — sans
pouvoir pour la recevoir. Théologism e. À partir du néant.

La situation de B lanchot : ni rom an de l’aventure, ni rom an


psychologique, ni rom an allégorique - mais situation e n te d ’une
im plication logique particulière. 11
Carnets de captivité 189

<p. 5 4 > Le vrai problèm e de la situation concentrationnaire :


d ’une p art la relativité de la plupart des valeurs pacifiques -
seuls les imbéciles continuent à respecter les valeurs pacifiques,
propriété — santé — respect ; et cependant dans ce renversement
des valeurs, ne pas perdre toute m orale — découvrir la morale
absolue. Pratiquem ent : concevoir la possibilité d ’un retour de la
paix et la responsabilité à*l’égard de cette paix!.
déc. 1 9 4 8

<p. 5 5 > Propagande et terreur -


L’action de l’art = propagande.

M érite et valeur
pnr-pnx p P'TS
n p r i- H jr o n p pm
A u point de vue m érite 7}py1 - supérieure à pnx\
Mais la prière de pFÏÏP plus efficace18.
En dem andant on allègue - pas seulem ent le m érite, car alléguer
le m é r i t e - c ’est être lim ité à soi. Alléguer le 19JVDÎ- c ’est <p. 5 6>
alléguer avec m odestie. La modestie est orgueil - si une partie du
m oi n ’est pas extérieure au m oi.
Le'm oi,;extérieu rà m oi - c ’est le père.
i
Le sens* du 20l?lDl?D la seule chose impossible au m érite c ’est la
m odestie. E t la m odestie suppose le père : mais com m e structure
du m oi.
<---------------- >
<p. 5 7 > Ce rêve de la captivité qui dure toujours - Depuis long­
tem ps les autres en sont sortis et ont des problèmes d ’hommes
libres - et m oi toujours encore je m e soude de la libération. Les
disques de Rennes continuent à tourner. Les parties de crapette.

Le non-sens serait la chose du rfionde la m ieux partagée, s’il n ’y


avait pas de méthode qui le font <sic> m entir.
190 Carnets de captivité
Proportions différentes de sensation et de senti dans la couleur et
dans les sons.
<---------- >
<p. 5 8 > Sept. 4 9

À côté de la dualité insurm ontable de Yeros - fusion. Dans quel


sens ? Situation dialectique de participation de deux sujets *au
m êm e sentim ent. Sentim ent c.-à -d . qqch. qui n'est ‘ni objet, hi
situation - pas une idée com m u n e. E t par conséquent p artici­
pation qui <p. 5 9 > n'est ni Etnfublung,
ni extase m ystique où le
papillon se brûle et disparaît.

Pluralité de personnes — pluralités de « façons de se poser ».

Évolution vers l'existence —depuis K an t (conditions de la connais^


sance), H egel - histoire = condition. N ouveau par rapport au
nom inalism e - relation an alo g u eà la gnoséologie pure.
<------------- >
<p. 6 0 > 1 9 5 0
C ette rue Boileau qui aboutit avenue de Versailles - toute bizarre
— Q ui aurait pu lui supposer de tels instincts ?»

L'hom m e vivant dans un monde de haut-parleurs - apprenant


du dehors com m e renseignem ents extérieurs ses m ouvem ents
<p. 61 > les plus intim es — son inconscient.

cC arn et 7a inséré à la fin du Carnet 7 > a

< couverture > 3 , av. V ictoria


Service m édicalb

< deuxièm e de couverture > Grosse Lubar21

a. Carnée réglé, qui était à l’origine relié, de format 8,5 x 10 cm.


b. Écrit, dans le sens de la largeur, sur la couverture.
Carnets de captivité 191

< p .l> O n dém énage. Lits démontés avec leur inscription. O n les
remQnte. Confusion. Personne n ’est dans le lit qui porte son nom .
L’étonnant c ’e s r q u ’U n te L - est dans son lit.

La situation d ’E d gar Poe - le danger qui approche. Conscience de


cette;approche et de son* caractère inéluctable. O n peut mesurer
ce tte approche. Par contre : j’im agine une situation où la menace
<p. 2 > est certaine, mais où on ne peut pas en m esurer l’approche.
D ém énagem ent d ’une maison menacée par une bom be à retarde­
m ent.

U ne baraque au cam p. U ne p etite porte derrière. E t on entre dans


une salle*à m anger, etc.

La m brt n’est plus entourée de sa, solennité - de sa décence habi­


tuelle. - La peur de m ourir seul.
__ i______ÏÏS___

<p. 3> C ette faim an goissée...

Outward Room by M illen Brand22.


La chute* dans le rêve - pourquoi cette angoisse-— n’est-on pas
libre - que peut < -il > nous arriver - C ’est notre être qui reste
noué, crispé - d ’une façon générale je suis crispé - et cependant
ne puis-je pas être libre - sans «bagages.

Le rêve prophétique - je rencontre M ax —.q u i passe triste et


désemparé : Q ui gagnera la -guerre - personne - rentrerai-je -
N on - C om m ent m ourrai-je ? - Autom obile - Quand <p. 4 >
je ne sais pas — Alors je le chasse aux m ots d ’Écoute <sic> — Il
disparaît la tête en bas - {(som m eil)} vite com m e le reflet du soleil
p ro jeté par le m iroir - Réveil - J e m e rendors - J e raconte l ’inci­
dent deux fois aux personnes des rêves suivants.

a. « son » en surcharge de « cette ».


192 Carnets de captivité

Prendre l'hum anité au m o t : les m alédictions et les bénédictions


se réalisent - les sacrifices expiatoires sont acceptés.

Com m e chez A ristote une physique périm ée n 'exclut pas unè


métaphysique, une formation*de concepts profonde - chez <p< 5>
Freud - une technique que je rejette laisse intacte une formation
de concepts absolum ent puissante — en particulier la notion du
« sym bolism e qui cache ».

Idée d'un roman j.ft - sur la captivité pour mes parents.

La m o rt de M ax et le service du père Chesnet — c'est bien?3. * *

Em ployer le m ot « économie » pour « totalité » ou «^ensemble ».

Le plaisir de s'endorm ir - la joie.de l'anéantissem ent, l'être dans


le non-être. Le m oi est là pour jouir de son anéantiss*.

D onner de la durée c'est donner de l'espoir. L'hypothèse^* D . vous


d it : <p. 6 > la m o rt ou la captivité perpétuelle — est absurde dès
qu'on donne de la durée - m êm e si D ieub d it perpétuelle - avec
la durée il y a les interstices par où l'espoir se glisse. A jouter
m on idée du conte d 'E d g ar Poe - cette troisièm e situation. Pas de
danger qui s'approche, pas de danger "qui m enace à to u t instant
— juste une condam nation à perpétuité — Alors espoir.

Ce regard concupiscent jeté sur votre pain.

<p. 7 > J e m e demande si en fin de com p te la philo, n 'est *pas


la seule science pratique. Voici dans quel sens : les notions, de
départ r- sont librem ent choisies - non pas arbitrairem ent $ dans

a. « j. » sans douce pour < juif ».


b. « Dieu » en surcharge de « l’absolu ».
Carnets de captivité 193

ce sens la philosophie n est pas un délire paranoïde mais le carac­


tère pratique tien t à ce libre choix et non pas au fait que l'objet de
la philosophie est l ’action.

A u com m encem ent il y avait la faim —com m e un spasme énorme


dans l'être. Ce n'est pas dans ce sens-là qu'il y a chez Rabelais la
panphagie.*

Il y a chez St Thérèse un voisinage constant - 1) d'une conscience


de l'im possibilité de rien entreprendre — de son néant total e t de
son im possibilité de rien obtenir — de la conviction que to u t lui
viendra de D ie u ,m ê m e sa sainteté - et 2 ) d'autre p art un effort
constant <p. 8> vers la sainteté, com m e si elle pouvait certaine­
m ent quelque chose.
C ette contradiction apparente pourràit certes être d'abord résolue
par un appel au contenu de l’effort. O n peut dire en effet : toute
sa valeur positive lui viendra de la grâce et son effort ne va que
vers là destruction de tou t orgueil' - que vers sa miseien état de
recevoir.
Cependant la destruction doit aller plus loin et devenir plus
profonde en posant t t le problèm e du rapport entre le m érite et
la grâce - il y a deux catégories d'action : L'une humaine qui est
sans efficace et l ’autre efficace (M alebranche). {Il n ’a m êm e pas
l'efficace de provoquer l'efficace.}

<p. 9> « Bien que je sois encore si imparfaite après tant d'années
passées en religion, je sens toujours la m êm e confiance audacieuse
de devenir u n e grande sainte. J e ne com pte pas sur mes mérites
n’en ayant aucun ; mais j'espère en Celui qui est la vertu, la sainteté
m êm e. C ’est Lui seul q u i se contentant de mes faibles efforts; m 'élè­
vera jusqu'à Lui, m e couvrira de ses mérites et m e fera sainte24. »

Quelle différence de style entre St Thérèse et le style ecclésias­


tique avec ses adjectifs com m e les < xxxx> < xxx> de la bondieu­
serie <p. 10 > de St Sulpice.
194 Carnets de captivité

« Vous avez bien tort de penser à ce qui peut arriver de doulou­


reux dans l’avenir, c ’est com m e se m êler de créer. Il ne faut jaiqais
nous tourm enter de rien25 », St Thérèse.

« Si je m ’écoutais, je demanderais à Jésus de m e donner tes tris*


tesses, mais j’aurais peur d ’être égoïste, voulant pour m oi la
m eilleure p art, c.-à-d . la souffrance26. »

« Mais on éprouve une si grande paix d ’être absolum ent pauvre,


de ne com pter que <p. 11 > sur Lui27 » -
« Quand m êm e j’aurais accom pli toutes les œuvres de St Paul, je
m e croirais encore un serviteur inutile. J e trouverais que j’ai les
mains vides, mais c'est justem ent ce qui fait m a joie, car n’ayant
rien je recevrai tou t du bon D ieu28. » '

La m ort — c'est p eu t-être l’entrée dans l’éternel de la scène où


la vie aft été arrêtée ou devient tableau. Le Т И Х И Й ужасъ29
des personnages du tableau : éternité - le geste q u ’il faut faire4et
qu’on ne peut pas faire — paralysie d e to u t — au bord de l’instant
suivant incapacité de franchir l’abîm e <p. 12 > qui sépare deux
instants - T hèm e pour Poe. *1

Mes procédés littéraires :


1) D écrire tou t au niveau de la « sensation » , dans l’élém entaire,
dans cet élém entaire où to u t le com plexe est déjà présent.
2 ) La situation réelle est décrite sobrem ent. {O n y accède à travers
une porte largem ent ouverte.} Mais une p etite im age finale, sur
laquelle il ne convient jamais d ’insister, {com m e un vasistas q u o n
entrouvre pouf un in stan t}, y fait {circu ler} com m e un courant
d ’air rapide dub fantastique. Toute la « situation réelle » apparaît
au-dessus d ’un précipice.

a. « a » en surcharge de « esc ».
b. « du » en surcharge de « dans le ».
Carnets de captivité 19 5

<p. 13 > 3) G iraldism e d'im ages - très sobre -


4 ) Procédés -du film — m ontage de m ots pour éviter ces lourdes
descriptions pour lesquelles m a m ain ne se lève pas.
5) Effet recherché dans (2 ) peut être obtenu par ce que j'appelle le
souci de 1'« Aufmachung30 ».
La transcendance que je pose à la base de m a (p - c'est <sic> ni
la transcendance vers l'objet — ni la transcendance vers l'avenir
— ni la transcendance vers l'am our — mais la transcendance de
l'expression —

N on pas vers qqch. - mais l'extériorité m êm e du sujet - l'être


dans son être est expression — a une gloire qui le double. Le
m ystère c'est ce qqch. de plus que cette gloire et qui se refuse à
cette gloire.
<-----:---- ->
<p. 14 > Les choses à éclaircir :
1) Eros à la base du social — ce qui ne veut pas dire que le social
s’explique par l ’inférieur et qu'il n'y a rien de nouveau dans la
société4 - Mais le social est déjà dans l'être. Il est dans l'économ ie
m êm e du sujet. Le social - c ’est l’être com plet. Mais en q II ne
faut pas s’im aginer des degrés de développement dans l’-être - car
a lo rs‘seulem ent il faudra,m ontrer le q q ch .‘de plus que contient
chaque degré. - Faire une théorie du rapport entre le social de
l'être — et le social de la société.
2) É claircir *le' rapport entre le social - sexuel - rapport entre
personnes, en tre et le social d ’une société assemblée qui n’est tt de
m êm e pas une aberration et où le sexuel apparaît d ’une certaine
façon.

<p. 15 > M acbeth - lui aussi com m e H am let est effrayé du fait
que la m o rt n'existe peu t-être pas - qu’elle ne résout rien. Son
effroi en voyant Banco est dans ce sens le p o in t culm inant de la

a. « société » en surcharge de « social ».


196 Carnets de captivité
tragédie. C ’est à partir de ce m om ent d ’a illeurs qû’il esta sans
lim ite crainte dans le crim e, q u ’il- devient- in trépide et que ses
scrupules contre lesquels lady M acbeth avait à lu tter n ’existent
plus. Pourquoi ? Désespoir.

J e n’ai jamais pu établir un rapport entre l’appartem ent et la rue«

M aître et esclave — relation qui n'est pas sans liberté - carb elle lac
suppose — esclave est un être libre asservi.

A lb ert Cam us - la liberté <p. 1 6 > de l’absurde - n ’est pas la


liberté com m e celle des <vents ?> - que je cherche.

L’oreille qui se fatigue à scruter le silence.

Le m onde de la sagesse antique et de la nécessité - sage im pas­


sible. Le monde de la liberté moderned et de l’action — com m e
destinée hum aine - il faut faire son bonheur.
Le monde de Dieu - et l'appel com m e destinée de l’hom m e —prière
— l’hom m e qui mendie, le pauvre — le mendiant. Ê tre religieux
- cee n’est pas croire à l’existence de Dieu - ce qui est une <p. 17 >
abstraction - mais avoir une question de Dieu - la question de
Dieu c ’est la prière - La question qu’on pose à l’intéressé —l ’appel.

Idéal de l ’hom m e libre - sans attaches — et pour qui cette vie


d ’attaches qui se joue pour la m u ltitu d e reste un objet. L’homngie
sans bagages.

Q u ’est-ce que l’idée préconçue ? - C ’est ne pas laisser ag ir la vérité


sur soi. Pourquoi ? Parce que derrière la vérité on sent une arrière-

a. « esc » en surcharge de « <xxxxxxx> ».


b. « car » en surcharge de « mais ».
c. « la » en surcharge de « qui ».
d. « moderne » en surcharge de « ant<ique>».
e. « ce » en surcharge de « c’est ».
Carnets de captivité 197

pensée - c.-à-d . l ’hom m e. Idée préconçue : se demander gui l’a


d it au lieu de qu’est-ce qu’on a dit.

Interprétation de l’histoire — <p. 18 > Coupe transversale donnée


arbitrairem ent. Cela donne tjrs un tableau - mais est-il la vraie
arm ature de l’événem ent ? Alors on en vient à l’idée : demander
au ch ef de l’événem ent ce qu’il a voulu — m ais le sait-il ? A g ir est-
ce avoir un but ou une politique au sens de Paton31.

Ce peuple chez lequel l’espace est remplacé par le tem ps, et la


géographie par l’histoire.

Ce qu’est l’art pur - où les sensations seules se com m andent — où


il n’y à pas de program m e, pas de libretto —musique. E t cependant
là <p. 19> encore en m ineur ou en m ajeur - fonction d'expres­
sion et architecture — les diverses formes s’ordonnent d ’une façon
dont la règle est sur le plan de la sensation. Il y a un contenu
- il faut que cela serve à quelque chose — à abriter. La relation
entre la fable et l’œuvre littéraire est-elle plus intim e que celle
qui rattache l’habitation à l’œuvre architecturale ? Si, toutefois,
car le sujet intervient par son rythm e m êm e <d’événement ?>.
Lim ite du surréalisme - et des tendances de l ’art pur.

<p. 2 0 > L’évolutionnism e religieux perm et d ’intégrer toute la


tradition (ïalm u d ism e et rabbinism e aussi). Le judaïsme seul
perm et de com prendre l ’histoire — car dans le christianism e tout
est consom m é — chez nous l’atten te du Messie est l'évolution.
- Vie religieuse - étude de la loi avec ses renouvelle' possibles.
— H istoire = révélation = vie. Il n’y a pas de distinction entre
doctrine et vie.
—L'histoire sainte elle-m êm e raconte une évolution et ce m élange
de doctrine et de vie.

< troisièm e de couverture >


198 Carnets de captivité
n cuu ___
Espèce -
Gloire - avenir

R om an <juif ?>
<ciném a ?> <poùr ?>
< xx> < xxx x x x > .

< quatrièm e de couverture >

<Borger ?> J . J .
N unspeetlaan 9 3
La H aye
H ollande
II
Ecrits sur la captivité
r

et
Hommage à Bergson
CAPTIVITÉ*

On' a . tou t d it de la captivité : la grisaille de l’enclos aux


barbèlés et, dans les kom m andos, les m atinées brumeuses où Ton
part au travail. Abandon. H um id ité. Froid. O u soleil de prin­
tem ps qui vous nargue. Le com pte perdu des jours passés et des
jo u rsà venir.

'Quelque chose com pensait-il cette misère ? O n a créé autour


de la captivité un rom antism e où il y a un peu de déclam ation. La
souffrance éveille les âmes et, bien que les prisonniers'n'aient pas
corinu les horreurs de Buchenw ald, il y eut une grande souffrance
daûs les stalags êt les oflags. M âis, en cinq ans, la vie dans* lés
cam ps s'est organisée. Des règles se sont établies, - des mœ urs,
des coutum es - et les habitudes, ce confort du pauvre. Alors sans
détruire une espèce de fraternité latente, apparurent les défauts
humains : égoïsm es, petitesses, bousculades, conflits. Les prison­
niers n'ont pas été des millions de Saints tendus vers la perfec­
tion, de^ m illion s de sages m éditant le passé et l’avenir, mais des
m illiods ‘d'êtres humains qui ont vécu un présent exceptionnel.
Si paradoxal que cela puisse paraître, ils ont connu dans la close
étendue des cam ps une am plitude de vie.plus large et, sous l'œ il

a. Doqble dactylographié. Nous ne savons ni quelle était la destination de ce texte ni quand


il fut écrit. J1 est toutefois raisonnable de supposer qu'il est contemporain des deux textes sur la
captivité qui suivent, soit qu'il fut écrit par Levinas peu après son retour de captivité. Sous le titre,
figure la mention : « par Emmanuel Levinas ». '
202 Carnets de captivité
des sentinelles, une liberté insoupçonnée. Ils n ont pas été des
bourgeois, et c ’est là leur vraie aventure, leur vrai rom antism e.

Le bourgeois est un hom m e installé. Il ne peut se soustraire


au sérieux de sa vie. Son activité quotidienne, est la réalité vraie.
Sa maison, son bureau, son ciném a, ses voisins, sont les points
cardinaux de son existence. Sur le m onde, sur le vaste m onde il
n’ouvre que son journal et il l’ouvre com m e une fenêtre. Il reste
spectateur.

Le prisonnier, com m e un croyant, vivait dans l’au-delà. Il


n ’a jamais pris au sérieux le cadre étroit de sa vie. Pendant cin q
ans, m algré son installation, il était sur le pqint de partir. Les
réalités les plus solides qui l’entouraient portaient le cachet <lu
provisoire. Il se sentait engagé dans un jeu qui dépassait infini­
m en t ce monde d ’apparences. Son vrai destin, son vrai salujt.se
faisaient ailleurs. Dans le com m uniqué. C ’étaient des événements
à l’échelle cosm ique. Ce qui concernait directem ent le paysan exilé
d ’un coin de Bretagne ou de Corrèze et qui, autrefois, n’avait eu
d ’autre horizon que les lim ites de son village, c ’était L’univers., Sa
vie oscillait de Bengazi à Londres, de Saint-N azaire à Stalingrad,
de Singapour à Bucarest. Il prenait son repas fixant les océans ep
le vent des steppes russes berçait son som m eil. Oubliera-p-on uçie
vie pleine de terre-à-terre mais où le terre-à-terre n ’est jamajs
devenu Vie ?

E t puis, il y eut un dépouillem ent qui rendit le sens de l’es­


sentiel. Pas toujours la pauvreté, pas toujours la faim , mais plu?
rien de strictem en t privé. Tous les espaces du quotidien devenus
collectifs. R estait le lit : trois m ètres cubes lim ités par les litt$
de vos deux voisins de gauche et de droite et de votre voisin du
dessus. On possédait. Mais la propriété n 'était pas votre m aître,
elle n’était plus sacrée. La m ain sacrilège du gardien pouvait
fouiller jusqu’à vos lettres et com m e pénétrer dans l’intim ité de
vos souvenirs. Mais nous avons découvert q u ’on n ’en m ourait pas.
Écrits sur la captivité et Hommage à Bergson 203

N ous avons appris la différence entre avoir et être. N ous avons


appris le peu d'espace et le peu de choses qu'il faut pour vivre.
N ous avons appris la liberté.

Voilà les vraies expériences de la captivité. Souffrances,


désespoirs, deuils - certes. Mais par-dessus tou t cela, un rythm e
nouveau de la vie. N ous avions mis le pied sur une autre planète,
respirant une atm osphère d'un m élange inconnu et m anipulant
une m atière qui ne pesait plus.
LA SPIRITUALITÉ
CHEZ LE PRISONNIER ISRAÉLITE 11

N i la qualité ni la q u an tité ni le succès des représentations


théâtrales, offices religieu x, lectures, expositions, conférences,
ne sauraient donner le ton de la vie spirituelle de l'israélite en
cap tivité. Elle tenait à la situ ation exceptionnelle faite au groupe.
Il y avait dans cette con d ition collective de quoi ram ener l'in -
dividu aux ém otions fondam entales de l'existen ce, à son isole­
m en t, à la soif de D ieu, orgueilleusem ent inavouée. L'individu
a conîiu ces réveils en sursaut où cette vie banale et éparpillée
apparut com m e un en gagem en t, com m e une destinée, com m e
un absolu. Ces jours et ces années interm inables rem plis de
toutes les petitesses de l'existence se ram assèrent au tou r d'une
souffrance centrale.
Parqué dans des baraques ou dans'des Kom m andos spéciaux,
tenu pour,,y échapper, à se camoufler sous une fausse identité - le
prisonnier israélite retrouva* brusquem ent son identité d'Israélite.

a. Double "dactylographié comportant des corrections manuscrites. L’article a paru, mais sous
une forme tronquée par le rédacteur, dans Le Magazine de France, « Cinq ans derrière les barbelés »,
Paris, Programmes de France, 1945, p. 20. La version que nous publions est donc inédite. Il ne s'agit
d'ailleurs probablement pas de la version envoyée au Magazine, car le texte publié, bien que tronqué,
contient un .morceau de phrase ainsi qu’uile phrase entière qui n'apparaissent pas dans le double
dactylographié. Il est peu probable que ces phrases aient été ajoutées par le rédacteur du Magazine..
D’ailleurs, Levinas, dans une lettre adressée au Magazine juste après sa parution se plaint que son texte
fôt tronqué, mais non pas réécrit.
Voici la transcription de cette lettre donc nous possédons le double dactylographié. Cette
lettre a bien1été envoyée (Levinas a conservé l'accusé de réception), mais elle n’a peut-être pas reçu
de réponse - du moins Levinas ne l'a pas conservée.
206 Carnets de captivité
C ette chose pour laquelle avant la guerre n'existait dans aucun
registre officiel français de rubrique spéciale, l a rem pli brusque­
m ent jusqu'au bord. H abitu é depuis longtem ps à se considérer
com m e appartenant à la C om m unauté française il a connu la
grande douleur d'en être exclu, m ais acculés à son judaïsme il y
a puisé autre chose que l'am ertum e de l'outrage et de la honte.
L'hum iliation reprit la saveur biblique de l'élection.
Ce qui donnait à cette expérience'son pathétique c'est le fait de
participer aux épreuves subies par tous les Israélites dans les pays
occupés par l'Allemagne. De bonne heure la nouvelle des persé­
cutions raciales, des déportations, des chambres à gaz et des fours

E. LEVINAS Paris, le 21 septembre 1945


29, rue Lemercier
Paris 17*
À Monsieur MERLIN
« Magazine rie France »
62, rue rie Richelieu,
Paris
Monsieur,
Par une lettre du 17 juillet 1945 vous avez demandé à M. Julien Wcill, Grand-Rabbin de
Paris, un article sur la spiritualité israélite en captivité pour le « Magazine de France ».
Je revenais d’Allemagne où, pendant plusieurs années j ’ai vécu dans l’un de ces « kommandos
spéciaux » dont on ignore tout et M. le Grand-Rabbin m’a demandé de faire le papier que vous
demandiez.
J ’acceptais, après avoir obtenu par téléphone votre consentement à ma collaboration. Les deux
pages dactylographiées vous étaient portées à temps et les limites indiquées pat votre lettré rigou­
reusement respectées. J ’ai pris la précaution de vous donner mon adresse.
En ouvrant le numéro qui vient de paraître, j’y trouve mon travail écourté d’un tiers, amputé
des passages qui lui donnaient tout son sens. Ni moi, ni Monsieur le Grand-Rabbin de Paris, noîlfc
ne pouvons comprendre le procédé dont on a usé à l'égard de cet article. Il ne s’agit pas d’une sus­
ceptibilité d’auteur. Mais il est extrêmement pénible de voir la fausse image que le texte tronqué
donne de la spiritualité du prisonnier et où elle apparaît comme n’ayant aucun contenu.
En captivité nous comprenions que les journaux des camps avaient presque toujours un coin de
l’Aumônier et une page du Pasteur sans pouvoir rien consacrer au culte israélite. Faut-il que la vie
spirituelle du prisonnier israélite - qui certes n’avait droit à aucune forme officielle ni même visi­
ble en Allemagne - apparaisse en France, maintenant que le racisme est mort comme'une pauvreté
et comme une quantité négligeable par le caprice ou les habitudes d’un secrétaire de rédaction ?
Et comment remettre les choses au point ? Je me le demande, je vous le demande avec fermeté et
espère que vous jugerez utile de me répondre.
Veuillez agréer, Monsieur, l’expression de mes civilités.
Emmanuel LEVINAS
Prisonnier rapatrié du Stalag X IB Rds 1492'
Mie II6078
Écrits sur la captivité et Hommage à Bergson 207

crématoires se répandit dans ces petites collectivités encore proté­


gées‘par l’iiniforme. L e sort personnel de chacun se trouva soli­
daire t i ’un, vieil héritage de larmes et d e souffrances. Il s'amplifia,
il grandit. La Coiîvention de Genève - où tant de prisonniers non-
juifs.ont «trouvé cette protection de l'individu1qui leur rendait les
horizons de la civilisation — n'apparaissait que com m e une bien
fragile garantie dans le déchaînement de la propagande allemande.
Les autres,parlaient réforme, relève, libération — l'Israélite se savait
dans un monde dur, sans tendresse, sans paternité. Il existait, sans
aucun recours humain. Il assumait seul tout le poids de son exis­
tence.
E t il était seul avec la m ort. À aucun m om ent, il ne concevait
que cette aventure puisse finir par la « libération des prisonniers »
com m e le prévoit avec sérénité la Convention de Genève. Aucune
illusion pour le cas de la victoire allemande ; et au cas espéré de sa
défaite n'était-il pas la victim e toute désignée à la vengeance du
désespoir ? M ort toute proche, mais toujours future, elle n'a rien
perdu de son angoissç - mais elle planait com m e une ombre fami­
lière sur les actes et sur les entreprises. L’existence quotidienne se
jouait au carrefour de la vie et du néant. Le prisonnier israélite
passait avec son tourm ent et sa sagesse secrète à côté des camarades
non-juifs qui ne soupçonnaient peut-être pas les paysages qu’il
portait en lui.
Le prisonnier israélite est-il allé au-delà de ces émotions vers
des formes de culte ou de l’art ? Des vocations personnelles appa­
rurent, elles n ’entraînèrent pas toujours les collectivités. Les
masses m anquaient p eu t-être d ’instrum ents de culture intérieure.
C om m e Robinson elles avaient entrepris leur installation m até­
rielle et spirituelle avec les outils trouvés dans la cale de leur
bâteau échoué. C om m e les {faux} voyageurs qui en Chine, en
É gypte ou à H onolulu retrouvent les cigarettes et les liqueurs de
leur pays d ’origine, les prisonniers traversèrent l ’A llem agne et les
cinq années de captivité avec leurs livres, leurs chansons et leurs
argum ents religieux d ’avant-guerre. Ils n'étaient plus à la mesure
de la réalité qui s'est ouverte à leurs yeux.
208 Carnets de captivité
Mais peut-être aussi l'ém otion ne se transform e en culture que
très lentem ent et l’après-guerre seulem ent verra l'épanouissement
en culte, en* mysticisme,* en art de ces ém otions qui loin d'être un
amas d'états-désagréables - ont été {figuré} com m e un raccourci
de notre destinée d'hom m e dans son angoisse et dans sa souffrahce
fondamentale - c'est-à-dire dans sa religiosité {.} nat-ur-elle.

Em m anuel Levinas
2 9 , rue Lem ercier
LA V O IX D’ISRAËL1

A udition du 2 5 septembre 1 9 4 5

L’EXPÉRIENCE JU IVE D U PRISONNIER*. -

.Dans le dram e que vient de vivre le judaïsme européen,* les


prisonniers de guerre israélites n’ont pas tenu le prem ier rôle.
Ils nont* pas vécu dans les cam ps de la m ort. M iraculeusement
protégés par fu n iform e ils sont, dans leur grande m ajorité,
revenus d ’Allem agne. Ils ont certes, connu la morne existence
de tous les prisonniers - le travail ingrat, le travail m audit de
l’esclavage, la m onotonie des jours, des mois et des années inter­
minables - et la faim et le froid, m ais c ’était le sort de tou t le
m onde. E t cette participation au destin général apportait com m e
un com m encem ent de consolation. Q uand la souffrance physique
n’est pas ^mortelle, elle cède à des raisons morales, se paie le luxe de
pensées réconfortantes. Reconnaître dans sa peine la peine de tout
le m onde, c ’était pour les Israélites dans ces années de distinction

a. Il est difficile de savoir à quelle radio eut lieu cette audition. Il ne s’agit pas de la radio israé­
lienne Kol Israël, qui n’a pris ce nom qu’au moment de la création de l’État d’Israël. Kol Israël fut
également le nom d’une radio clandestine de la Haganah apparue en 1940/ mais il fut abandonné
presque aussitôt et, surtoyt, cette radio cessa la même année d'émettre. On nq peut exclure l’hy­
pothèse d’une émission sur les ondes de ce qui s’appelait alors la Radiodiffusion française (RDF),
mais nous n‘avons pu la vérifier. Une ém ission, semble-t-il irrégulière, appelée «’ La voix d’Israël »,
aexisté, mais l’Ina n’en a pas conservé de traces avant 1946. Par ailleurs, el|e n’a pas non plus de
traces d’une intervention de Levinas avant 1955.
b. Nous disposons de 'deux versions - deux doubles dactylographiés avec corrections manus­
crites - de ce texte. Nous considérons comme version de référence, et transcrivons, celle dont le
texte dactylographié tient compte des corrections manuscrites portées sur l’autre version. Nous
signalons, en notes de bas de page, les quelques différences entre les deux versions (U version de
référence et celle que nous appelons conventionnellement la première version).
210 Carnets de captivité
et d ’exclusion raciales, rejoindre un ordre universel, retrouver la
dignité de l’être humain.
E t cependant, m algré to u t ce que la captivité créait d ’égalité,
elle avait été à tou t m om ent pour l’israélite une expérience du
judaïsme. C ette chose pour laquelle avant la guerre il n’existait
dans aucun registre officiel français de rubrique spéciale, il en
débordait. A u x tristesses q u ’il avait en partage avec ses cam a­
rades non-juifs, elle p rêtait une signification propre. C ’était une
conscience du judaïsme ai'guë com m e une crispation.
D e bonne heure, la nouvelle des persécutions que subissaient
les Israélites dans tous les pays occupés avait attein t les cam ps.
Des lettres adressées à un parent, à une fem m e, a une sœ ur reve­
naient avec la m ention « parti sans laisser d ’adresse »- O n com pre­
nait l’euphémisme. Le jour du courrier devint jour d ’angoisse.
Mais on a su en Allem agne bien plus tô t q u ’en France le sort -de
tous ces « partis sans laisser d ’adresse ». O n savait l’exterm ination
en masse des Israélites en Europe orientale. O n ne s’est jamais
désolidarisés. D evant une volonté systém atique d ’exterm ination’,
que pouvait valoir à l’heure suprême la Convention de Genève, ce
chiffon de papier. Les Ju ifs prisonniers se sentaient les sursitaires
de la m o rt qui planait sur leurs travaux et sur leurs rires com m e
une om bre familière. Dans les Kom m andos spéciaux où ils étaient
groupés, pour la plupart en quelque point perdu d ’une forêt, ils
se trouvèrent à la fois séparés des autres prisonniers et de la popu­
lation civile. Tout se passait com m e si quelque chose se préparait
pour eux, mais s’ajournait toujours.
Il en résultait pour les petits groupes ainsi disséminés* en A lle­
m agne une solitude morale qui com m uniquait à tous les actes et
à toutes les pensées une gravité spéciale. Depuis sa Bar-M itzw a,
le prisonnier avait désappris le langage religieux et jamais sans
doute n’aurait-il consenti à appeler religieuse son existence et,
cependant, elle en avait le caractère. U ne condition sans monde

a. « disséminés » en surcharge de « dissimulés ». « dissimulés » esc peut-être un lapsus, lâ.


première version donnant également à lire « disséminés ».
Écriti sur la captivité et Hommage à Bergson 2 11

e x té rie u r; aucun lien avec cet ensemble de règles et d ’usages


fixes et de chefs reconnus qu’on appelle civilisation ; l’individu
devant un lendemain plein d ’inconnus et de menaces sans aucun
recours hum ain, n’est-ce pas là une solitude avec D ieu, m êm e si
p a r orgueil ou p ar préjugé on n’ose pas prononcer son nom ?
Situation qui était com m une aux prisonniers et aux déportés*;
m ais;.si p ou r le déporté, le m artyre était im m édiat, le prisonnier
avait J e temps de s’y préparer. Entre l’hom m e et sa souffrance, il
y avait com m e un intervalle qui perm ettait de prendre une a tti­
tude à 1-égard de J a douleur avant d ’en être saisi et .déchiré. Dans
cet intervalle, se glisse la m éditation ; c ’est là que la vie spiri­
tuelle com m ence. Ce que j’aime le plus en lisant le récit biblique
d’Abraham allant im m oler Isaac, c’est à m ’imaginer les trois jours
au cours desquels le père et le fils font route vers l’endroit indiqué
par le Seigneur et où ils ont to u t loisir pour mesurer l’événement
dat\siequel ils sont engagés, le silence de ces trois jours rompu seule­
m ent pendant la dernière étape par une question du fils et la réponse
du p ère avec tout ce que cet entretien laisse de sous-entendus. C ’est
g râce à de tels « délais de route » que l’épreuve est féconde. C ’est
par tou t ce que la misère du prisonnier avait de supportable quelle
a pu devenir une prise de conscience du judaïsme, germ e possible
d ’une future vie juive que le déporté, lui, a connue com m e torture,
com m e m ort et com m e Kidouche-H achèm e1.

N ous avions donc le tem ps de nous pencher sur notre malheur,


de nous interroger. Quelques-uns tentèrent d ’aller plus loin.
A cculés à leur judaïsme,-ils y cherchèrent refuge. L’histoire juive,
l’hébreu, la Bible'parurent dignes d’intérêt et d ’études. E t m êm e
les offices religieux devinrent possibles.
Tout ce la souvent avec maladresse, presque toujours sans suite
dans des idées. Mais l’im perfection des entreprises humaines ne
vaut que par la pureté de quelques instants. J e veux vous conter
quelques-uns de ces m om ents exceptionnels, vécus pendant ces
offices de captivité où toute la signification, tou t le contenu du
judaïsme apparut com m e dans un raccourci.
212 Carnets de captivité
J ’éviterai les développem ents d ’un lyrism e facile sur l ’am ­
biance de ces offices. U ne réunion de d ix volontaires2 dans une
cham brée, au m ilieu des lits éclairés par des lam pes à pétrole
— quand il y avait du pétrole —, p ar des lampes à acétylène quand
il n ’y en avait pas. Mais alors, il fallait que l’office ne soit pas trop
long, car la flamme d ’une lam pe à acétylène baisse v ite surtout
dans, les anciennes lanternes de b icyclette q u ’on u tilisait, e t qui
étaient toujours en panne. La fin de l’office dans l’obscurité. J e
ne parlerai pas» beaucoup des sourires sarcastiques de »ceu x qui
n ’y allaient pas, par obligation envers leurs convictions et leur
appartenance au 2 0 e siècle. Toujours des offices .du soir, car dès
l'aube il fallait aller au travail. Tous ces offices du soir sans lende­
m ain. Tous>ces M aariv jamais suivis de Chacheriph3. Tous ces
rites crépusculaires.
D ébit rapide d ’antiques prières. E t voici quelques fidèles, qui,
en les m urm urant du bout des lèvres retournent dans leur esprit
le-sens d e ces vieilles formules.
N ous sommes dans la période des grands succès allemands — la
France écrasée, l'A ngleterre et Londres sous les bom bes, la Yougos­
lavie et la G rèce anéanties, la Russie envahie jusqu’àJMoscou. — La
force dans son triom phe le plus brutal, dans ce triom phe qui fait
douter de tou t ce qu’on avait enseigné sur le Bien et le M al, sur
ün monde gouverné par une M iséricorde. Q uelqu’un l ’a d it : c ’est
à croire que D ieu n’est pas bon ou qu’il n ’est pas puissant.
E t les vieilles paroles liturgiques racontent des histoires invrai­
semblables : Dieu qui a aim é Israël d’un am our éternel, - le
Seigneur qui nous sauve de la m ain de tous les tyrans — la.puis­
sance <dea> Pharaon engloutie par les flots, et les chants d ’al­
légresse d ’Israël. Toutes ces prières juives, répétition infatigable
d ’un credo en le triom phe du faible. Que penser de ces propos
surannés quand, en 1 9 4 0 ou en 1 9 4 1 on est prisonnier israélite eh
Allem agne et quand on les com prend ?

a. Nous ajoutons le mot « de », oublié dans la version de référence, mais présent dans la pré-
mière version.
Écrits sur la captivité et Hommage à Bergson 213

D u n air dédaigneux fermer le livre de prières et partir retenant


un blasphème.qui se presse sur les lèvres ? Répéter ces choses sans
y penser, sans y croire, avec, l’indulgence que l’on peut avoir pour
la candeur oies âges antiques, penser que ces choses étaient mortes
et qüe l’on était sans doctrine et sans vérité com m e on était sans
protècçion et sans avenir. D u fond de l’abîm e, implorer le Seigneur
com m é Jonas4 ?< Tout cela certes et tour à tour. Mais on pouvait
gravir,.pour un instant, un court instant, un échelon encore et sortir
du cercle magique où l’on tournait. O n pouvait trouver à cet amour
de Djeu une terrible confirmation dans la douleur et dans le doute
mêmes. Dans la‘passivitéb tQtale de l’abandon, dans le détachem ent
à l’égardide tous les liens - se sentir com m e entre les mains du
Seignelir, ressentir sa présence. Dans la brûlure de la souffrance
distinguer la flamme du baiser divin. Découvrir le mystérieux
retournement de la souffrance suprême en bonheur. Q u ’est-ce doncc
en' finde-com pte le judaïsme - en quoi difïère-t-il d’autres religions
pleines,, elles aussi, d ’enseignements m oraux et de préceptes de
bien - ayant elles aussi, accédé à l’idée de l’unité du principe divin,
qu’est, le judaïsme sinon l’expérience depuis Isaïe, depuis Jo b de ce
retournement possible — avant l’espoir; au fond de la désespérance
- de la douleur en bonheur ; la découverte dans la souffrance m êm e
des signes de l’élection. Tout le christianisme est déjà contenu
dans cette découverte qui lui est bien antérieure. O h ! ces instants
existaient où le pervers bonheur de la souffrance pénétrait certains
dentée^nous au .m om en t m êm e où nous prenions conscience du
triom phe de la Force et notre affirmation de l’amour étem el du
Seigneür pour Israël n’était plus ni mensonge ni anachronisme.

E t les m êm es prières, les mêm es formules sont revenues dans


d ’autres soirées, dans la m êm e ambiance.

a. Dans la première version, Levinas avait d’abord écrit « Jésus », mot sur lequel il a repassé
à la machine à écrire pour lui substituer « Jonas ». Il a ensuite, en raison de son peu de lisibilité,
barré « Jonas », pour le récrire finalement, à la main, dans l’interligne.
b. Dans la première version, « passivité », écrit à la main, corrige « passion ».
c. On lit « Qu’est donc » dans la première version.
214 Carnets de captivité
Les choses o n t changé dans le m onde. Ce q u ’on avait à peine
espéré devenait réalité. Les forces du m al reculaient partout'. Le
com m uniqué allemand n’enregistrait que des défaites. Débar­
quem ent allié en Afrique du N ord , Stalingrad, invasion. E t voici
que les prières du soir reprenaient une autre signification. Après
tant de détours, elles rejoignaiént leur sens littéral. O u iy Dieu
a aimé Israël d ’un am our éternel - oui, il nous a sauvés de la m ain
de tous les tyrans - oui, la puissance de rPharaon ses chars et ses
troupes sont au fon d 'd e l’O céana {la m er}. O ui,, les ailes p ro tec­
trices de D ieu s’é te n d a n t sur nous - oui, la tente de p aix s’étend
sur nous, sur tou t Israël et sur J é f ^ Jérusalem . Penser que "tous
ces m ots doivent être pris- tels qu*ils sont dits, qu’ils sont vrais
de leur vérité élém entaire, de leur vérité pour enfants, scolaire et
séculaire, de leur vérité populaire, de leur vérité vulgaire, singu^
lière ém otion !
Lire un texte archaïque et>pouvoir le prendre à la lettre sans lui
adapter une interprétation, sans lui chercher un sens symbolique
ou m étaphoriqué !
E t cette vérité elle-m êm e, cette vérité enseignée dès l’enfance
que l’injuste et le fort succom bent, que le faible et le pauvre
sont sauvés et triom phent apparut merveilleuse dans sa sim pli­
cité. Après bienc des années où le bien et le niai changèrent de
place et où l'on com m ençait à s’y habituer, après des années «de
w agnérism e, de nietzchéanism e, de gobiriism e, dont on a é t é soi«
m êm e m inéd, reven ir à la vérité de ses six ans, la voir confirmée
par les événem ents m ondiaux — cela vous coupe6 le souffle, cela
vous prend^ à la gorge.* Le Bien redevient5 Bien, le M al, M al. La
mascarade lugubre est finie.

a. On lie déjà ce mot dans la première version.


b. Il faut lire « s’étendent », qu’on lit d’ailleurs dans la première version.
c. « bien » ne figure pas dans la première version.
d. Dans la première version, « miné », écrit à la main, corrige « pénétré ».
e. On lit « coupait » dans la première version.
f. « prend » en surcharge manuscrite de « prenait » (qu’on lit dans la première version).
g. Dans la première version, « redevint » corrige, à la main, « redevient ».
Écrits sur la captivité et Hommage à Bergson 215

Plus tard , les déceptions viendront p eu t-être ternir cette joie


du sens littéral retrouvé, de la vérité simple reconquise. O n verra
peu t-être la renaissance du m al, la défaillance des hommes*.
Tout sera à recom m encer. Mais cela n'enlèvera rien à ces instants
d'ém erveillem ent incom m unicable devant la vérité d ’un texte
auquel l’Univers tou t entier vient, d ’un seul élan, apporter confir­
m ation. D evant cette vérité vécue avec toute l’acuité de l'actuelb,
devant cet accom plissem ent que nos propres yeux voient.
À la récitation de ces prières de triom phe se m êlait le souvenir
de toutes les lectures anciennes faites dans le doute et le désespoir,
à la m êm e époque, au m êm e endroit. Les événements venaient
couronner0 une douloureuse expérience de doutes et de désespoir.
Ils* apparaissaient com m e com blant une attente. Ils étaient accom ­
plissem ent. « L’Élection de* la souffrance » d'antan apparaissait
com m e la promesse d ’un accom plissem ent glorieux et visible. Le
judaïsme - dans cet instant privilégié était vécu jusqu'au bout.
Le cycle se ferm ait.

Em m anuel Levinas

a. Dans la première version, « la renaissance du mal, la défaillance des hommes. Tour sera... »
corrige, à la main, « . . . que le mal n’a pas disparu —que les hommes n’onc pas changé, que tout
esc... ».
b. « l’actuel » en surcharge de « l’actualité » (qu’on lit dans la première version).
c. Dans la première version, « Les événements venaient couronner » corrige, à la main, « elles
venaient combler ».
d. On lit « Les événements » dans la première version.
e. La première version offre à lire « dans ».
<Hommage à Bergson>a


Il y î cinq ans. le 4 janvier 1 9 4 1 , s’éteignait à Paris à 1 age de
8 2 ans; l’un des plus grands génies philosophiques de tous les
tem ps, H enri Bergson. Les titres tem porels qu'il acquit au cours
de sa carrière - Professeur au Collège de France, M em bre de l'Ins­
titu t et de l'A cadém ie Française, M em bre de nombreuses sociétés
savantes étrangères, P rix N obel - pâlissent devant sa gloire réelle.
Il entraide son'vivant dans la com pagnie des esprits de prem ière
grandeur: A u Banquet éternel de P laton, de Descartes,* de Spinoza,
de K an t, ils s'assey ait en pair.
Il arriva à un m om ent où la pensée humaine après les m agni­
fiques conquêtes des 1 8 e et 1 9 e siècles, se trouvait débordée de ses
propres« richesses. Les merveilles que la science avait mises à la
disposition de l'hom m e, l'hom m e ne savait plus en faire d ’autre
usage que l’application technique. La civilisation, c'étaient des
machines, beaucoup de machines. Cela com m ençait à devenir
encom brant, mais cela ne m anquait pas d'être prestigieux. O n
se dem andait si le prestige des techniques n'était pas l'autorité
mêm e ¿du Vrai, si l'hom m e n’était pas un m écanisme au m ilieu
d'autres m écanism es, petite horloge reproduisant le b attem ent

a. Double dactylographié avec corrections manuscrites. Ce texte, écrit en 1946, comme l’in­
dique son tncipit, ne comporte pas de titre et ne donne pas d’indication concernant sa destination.
À notre connaissance, il n'a pas été publié.
b. « s’asseyait » en surcharge de « s’asseyent ». Levinas a oublié de mettre au singulier le pro­
nom qui précède.
218 Carnets de captivité
du tem ps astronom ique et qui ne pouvait s’en écarter que pour
m arquer une fausse heure. Il y avait certes en Europe en cette
.fin du 1 9 e siècle des croyants et des poètes qui parlaient de leur
âme. Ils retardaient. C ’était un spiritualism e en quelque manière,
privé, à peine avouable. C ’est que jamais encore la liberté de
l’hom m e ne sem blait plus contestable, jamais le m atérialism e
n ’était davantage entré dans les m œ urs et dans les consciences. On
était convaincu que les notions avec lesquelles opérait la science,
étaient le cadre m êm e du monde. La notion du tem ps uniforme et
inhum ain - Saturne dévorant ses enfants — dom inait l’univers.
R ééditant le geste divin de Ju p iter, Bergson a osé l ’attaquer.
Il a été le prem ier à lever la m ain sur le tem ps froid de la science
devant lequel tous les philosophes, jusqu’à lui s’inclinaient. À
ce tic-ta c universel où se succédaient des instants impassibles,
semblables aux points de l’espace et où l’hom m e disparaît darfs
une poussière de secondes, Bergson a opposé les données im m é­
diates de la conscience, le devenir m êm e de. notre vie, to u t om
chatoiem ent, le jeu précieux de qualités nuancées, la continuité
de notre durée concrète. Dans ces instants, qui, tou t en prolon­
geant à leur façon le passé, et qui, déjà gros d ’avenir, conservent
une irréductibilité totale - il a reconnu la liberté. Il a revendiqué
pour cette durée et pour les richesses, jusqu’alors insoupçonnées
qu’elle con tien t, l’autorité m êm e qui s’attache aux notions sciem
tifiques. Il a su m ontrer que le tem ps des horloges et la fatalité
n’étaient qu’une façon dont la durée concrète se déforme, lorsque
q u ittant les profondeurs de notre vie spirituelle, nous agissons. La
vraie connaissance consiste à retrouver com m e l’artiste au m om ent
de sa création, com m e le m ystique à l’heure de l’extase, com m e
le savant à l’instant de l’invention, le rythm e libre de la durée
concrète. E t cette connaissance — qui est aussi liberté — Bergsôn
l’appela intuition. Avec elle la vie intérieure se trouva réhabilitée.
Elle est sortie du dom aine privé, est {devint} à nouveau base de
vérités universelles. La philosophie ressuscita4.

a. « ressuscita » en surcharge de « ressuscite ».


Écrits sur la captivité et Hommage à Bergson 219

Aussi l’influence du bergsonisme sur toutes les formes de la vie


spirituelle est {-elle} incalculable. E n France, notam m ent, il a joué
un rôle considérable et dans la renaissance de l'esprit religieux et
dans les A rts, et dans les m éditations épistémologiques. Il est
dans le M onde à l’origine de tous les efforts faits par l'hom m e en
vue de se com prendre au m ilieu des choses — mais ce qui est plus
im portant encore - de se situer au m ilieu de ses propres produits,
au m ilieu des vérités.
N ous savons depuis 1 9 4 0 la puissance diabolique des fausses
sciences. Il ne restait en ces heures de désespoir que la grandeur
de la conduite. Bergson a été ici encore égal à lui-m êm e. Bien
que tou t proche du catholicism e, ce grand Français était israé-
lite. E n 1 9 4 0 , déjà malade, il se présenta hum blem ent devant
le Com m issaire de Police de son quartier pour se faire recenser
com m e Ju if. Il est m ort bientôt après. Auschwitz lui fut épargné.
Mais cherchait-il cette faveur ? En expliquant dans son testa­
m ent la raison pour laquelle il ne franchissait pas le pas décisif du
baptêm e il écrivait en 1 9 3 7 : « J ’ai voulu rester parm i ceux qui
seront dem ain les persécutés. »
I ll
Notes philosophiques diverses
Notice sur les
Notes philosophiques diverses

Quelques-unes des notes diverses que l’on va lire se trouvent


dans deux carnets ; les autres, beaucoup plus nombreuses, figu­
rent sur des feuillets simples ou m ultiples, ramassés en liasses
dans des chemises. Ces feuillets sont soit des feuilles vierges ou
im prim ées recto (Levinas utilisant alors le verso vierge) approxi-
m ativenient d é form at‘A 4 a, soit, très souvent, des cartes d ’invita­
tion dont LeVinas utilise le verso vierge, soit, enfin, des m orceaux
de feuillet de prbVenances diverses. Dans leur "grande m ajorité,
ces notes sont brèves et n'océUpent pas plus d ’un seul feuillet ;
une m inorité d entre elles*sont relativem ent longues et occupent
plusieurs feuillets que Levinas n ’a pas foliotés mais qu’il a souvent
pris soin d ’agrafer ou bien d ’attacher ensemble par une épingle.
Enfin", la plupart de ces notes sont m anuscrites, quelques-Unes
sont dactylographiées.
L’utilisation des m orceaux de feuillet m érite quelques préci­
sions. Levinas a p u déchirer un feuillët : 1 ) afin d ’obtenir un
support d ’écriture d’un form at équivalant à celui d’une carte
d ’invitation, form at qu’il affectionnait' m anifestem ènt ; 2) afin
d’isoler un fragtnent textuel d’une page m anuscrite ou dactylo­
graphiée (soit pour le retenir tel quel, soit pour ^’intégrer à un

a. Signalons que le format A4 n’apparaît qu’en 1972. C’est à cette date que l’Organisation
internationale de normalisation (Iso) a harmonisé les formats des feuilles de papier fabriquées
industriellement éh 11 formats.
224 Carnets de captivité
nouvel ensemble) ; 3) enfin, variante du cas précédent, pour isoler
un texte rédigé sur la partie vierge d ’une page ou au verso vierge
d ’un feuillet m anuscrit, dactylographié ou im prim é recto.
N ous avons donné à l’ensemble de ces notes le titre de Notes
philosophiques diverses, puisque c ’est à peu près le titre
qui appa­
raît sur la chemise de la Liasse A , « notes diverses de philoso­
phie en recherche, notam m ent m étaphore » , les autres chemises
ne com portant aucune m ention. Afin d ’in titu ler les liasses, ainsi
que les carnets, il n’était évidem m ent pas question d ’indiquer un
thèm e, puisqu’il s’agit de notes diverses, ni de m entionner les
dates de début et de fin d ’écriture, puisque nous ne pouvons les
dater avec une telle précision. N ous avons opté pour une désigna­
tion m atérielle, suivie d ’une lettre*. Enfin, nous avons attribué
un num éro à chacune des notes, en respectant scrupuleusem ent
l’ordre dans lequel nous les Rivons trouvées.
Le critère qui a présidé à la constitution de ces ensembles de
notes par Levinas, soit dans des carnets, soit sous forme de liasses,
est difficile à indiquer, sauf, p eu t-être, dans le cas de la Liasse C.
Il est en effet fort possible que la grande m ajorité des notes de
cette liasse soit préparatoire à Totalité et Infini, bien que Levinas
ne les ait pas désignées com m e telles, cependant que d ’autres
liasses de notes sont décrites par lui com m e préparatoires à telle
ou telle œuvre. C ’est d ’ailleurs la raison pour laquelle les notes de
la Liasse C figurent dans ce recueil de notes diversefb. Les notes dç
cette liasse, à la différence de la plupart de celles que l’on trouve
dans les autres liasses, sont en outre classées, puisque certains
feuillets indiquent le thèm e des notes rédigées sur les feuillets
qui suivent. E n ce qui concerne les autres ensembles de notes, .en
particulier les autres liasses A , B et D , on peut penser que Levinas
les a constituées parce q u ’elles porten t la trace de ses recherches

a. Les inédits antérieurs à ceux que nous publions ici (qui vont de la fin des années 1930 au
début des années I960) ne comportent pas de notes diverses. Les inédits de la période postérieure
en contiennent sous forme de liasses ou de cahiers. Il sera donc aisé, lorsqu’ils paraîtront, de les
désigner, en poursuivant l’ordre de l’alphabet, d’après le même critère.
b. Sur ce qu’il faut entendre par « notes diverses », cf. l’avertissement de ce volume qui pré­
sente les différents types de notes que l’on trouve dans le fonds d’archives Emmanuel Leviijas.
Notes philosophiques diverses 225

philosophiques menées au cours de la période interm édiaire entre


Le Temps et 1’Autre (1 9 4 8 ) et Totalités Infini ( 1 9 6 1 ), ou bien de
recherches contem poraines ou légèrem ent postérieures à ce second
ouvrage* mais qui n’ont pas forcém ent été reprises dans l'oeuvre
publiée (nous pensons dans ce second cas aux nombreuses notes
sur la m étaphore).
N ous sommes ainsi conduit au problèm e de la datation.
Excepté une seultf, aucune des notes n ’est datée par Levinas. Leur
datation n’est pas aisée. Il faut certes s’appuyer sur leur contenu,
mais il peut parfois se révéler trompeur. Certaines notes que leur
propos.sem blait rattacher à telle époque de la pensée de Levinas
se sont révélées postérieures à celle-ci, com m e l ’indique le feuillet
im prim é, daté au verso duquel elles ont été écrites. D eux autres
élém ents, q u ’il faut considérer ensemble, peuvent égalem ent
p erm ettre, fût-ce de façon approxim ative, d ’indiquer la période
d ’écriture d ’une partie de ces notes. D ’abord, la date qui figure
parfois sur les pages im prim ées de certains feuillets, qui nous
donne un terminus a quo, et que nous signalons toujours dans nos
notes d ’édition en bas de page. Ensuite, le fait que, si Levinas
garde en réserve des im prim és afin d ’en utiliser le verso vierge plus
tard, il les utilise, sem ble-t-il, le plus souvent dans les cinq années
qui suivent. C ’est ce que l’on peut vérifier à p artir d ’autres liasses
de notes qui se trouvent dans les archives, et que leur contenu
ou le titre que Levinas leur a donné perm et avec une quasi-
certitude de dater“. O r, si l’on prend les liasses que nous publions
ici : sur les q u atre-vin gt-d ix-h u it feüillets im prim és datés recto
que con tien t la Liasse A , soit un peu moins de la m oitié de l’en­
semble des- feuillets de cette liasse, q u atre-vingt-deux datent

a. Nous en donnerons deux exemples. D’abord les « Fiches de l’époque de Totalité et Infini »,
soie la première moitié des années I960. Sur les 24 fiches que comporte la liasse, 23 - il s’agit
de cartes d’invitation - sont des imprimés datés : sur ces 23 fiches, deux sont datées de 1938,
les autres de 1960-1964. Second exemple : parmi les 17 fiches imprimées datées d’une liasse qui
porte le ‘titre de « Fiches utilisées » (soit environ la moitié de l’ensemble des feuillets de cette
liasse), fiches qui tant sans doute préparatoires à l’article « La substitution » paru en 1968, on
en trouve sept pour 1967, six pour 1966 et une pour chacune des années suivantes : I960, 1962,
1963,1964.
226 Carnets de captivité
des années 1 9 4 9 - 1 9 5 0 , les seize autres des années 1 9 5 6 - 1 9 6 2 ;
sur les trente-quatre feuillets im prim és datés de la Liasse B , vsoit
environ la m oitié de l'ensemble des feuillets, v in g t-h u it datent
des années 1 9 5 0 - 1 9 5 5 , les six autres de 1 9 5 6 - 1 9 6 6 ; en ce qui
concerne la Liasse C , sur les cent quarante-trois feuillets im prim és
datés, soit plus de la m oitié de l'ensemble des feuillets, soixante-
six datent de 1 9 4 8 - 1 9 5 5 , soixante-dix-sept de 1 9 5 6 - 1 9 6 0 ¡'enfin,
les six feuillets im p rim ée datés de la Liasse D , soit environ un
quart de l'ensemble, couvrent une période qui va de 1 9 5 6 à 1 9 6 3 .
O n peut donc avancer, certes avec prudence, dans la mesure où les
im prim és datés constituent une partie seulem ent de l’ensemble
des feuillets de ces liasses, que la plupart des notes ici publiées
datent des années 1 9 5 0 et du début des-années I 9 6 0 , com m e leur
conteriu invite d ’ailleurs à le penser4.
R . C.

a. En ce qui concerne les deux carnets de notes diverses, le Carnet A et le Carnet B, c’est sur
la base de leur seul contenu que nous avons pris le risque de considérer qu’ils relèvent également
de cette période.
Liasse Aa

< l > b-

<f. 1 recto> M étaphore - Signification - Pensée

1° La jpensée porte sur l'objet. Platon : la pensée ne dépend pas du


langage écrit, ni du langage verbal - elle est pure intellection :
la pensée-du cercle = contem plation du cercle. D onc : au départ
intehtionnalité = « égalité » entre pensée et objet visé ; ensuite
nom se-jôint à l'objet et en devient le signe. Il est moins que l'objet
visé lui-m êm e. Pensée verbâle = celle qui s'attache aux signes.
2 ° W . von Huirfbolt : les m ots apparaissent' stir le fond d'un
langage “= visiorf origin eltedu m onde. Langàge décoûvre le monde
- ensemblè significatif qui m et les objet» en perspective'et leur
prête seulem ent une -signification. Gette mise' en signification,
est-elle l a fonction originelle du langage ? A urait-il une inten-

a. L’ensemble des noces ici rassemblées se trouvait à l’intérieur d’une chemise sur la cou­
verture de laquelle Levinas a écrit : « Notes diverses de philosophie en recherche. Notamment
ImétaphoreL »
b. L’ensemble comprend 12 feuillets manuscrits recto verso, à l’exception du feuillet 10, donc
seul le recto est rempli. Il est écrit sur des supports divers mais.^emble-t-il, avec la même plu­
me à encre noire. L’un des feuillets esc un morceau d’enveloppe dont le cachet porte la date du
« 21 IX I960 ». Ce texte, présenté par nos soins, a paru une première fois dans Emmanuel Levinas
et les territoires de la pensée, D. Cohen-Levinas et B. Clément (dir.), Paris, PUF, 2007, pp. 26-40.
Nous avons, dans la présence édition de ce texte, corrigé les quelques erreurs de déchiffrement
qui s’étaient glissées dans la précédente et soumis notre ancienne transcription aux conventions
éditoriales de la présente.
228 Carnets de captivité
tionnalité nouvelle par rapport à celle de la sim ple pensée (en quoi
consisterait-elle alors ?) ou la m ise en signification revient-elle à
une mise en relation grâce à la syntaxe et au vocabulaire — nœuds
objectivem ent fixés de références et règles de leurs combinaisons
— algèbre propre à chaque langue — mais où le parler n'ajouterait
aucune intention nouvelle au penser, sinon une lim itation et un
choix du cham p offert par l'héritage d'un système de signes qui
— langue historiquem ent constituée — infléchirait le penser dans
une certaine direction en faisant faire le choix de certaines rela­
tions entre objets de préférence à d'autres. A u trem en t d it parler,
est-ce sim plem ent <f. 1 verso> com m uniquer une pensée toute
faite et fournir des jalons pour analyser le cham p offert à la pensée
ou parler - est-ce aller plus loin que la pensée sim plem ent fixant
l'objet ?
3 ° L'effort de M . Ponty - choisir le deuxièm e term e de l’alter­
native : le langage pas une entreprise annexe et secondaire pou f
m ieux débrouiller l ’écheveau de la pensée. Il fait partie de fonc*
tion symbolisante du corps sans laquelle — pas de relation avçc
l ’objet laquelle est toujours basée sur la perception. Car accueillir
l'objet ce n'est ni la passivité du sens, ni l’activité synthétique
de l’intelligence, mais activité culturelle — c.-à-d . créatrice dp
l'expression. L'intentionnalité spécifique du langage - tisser la
m édiation culturelle nécessaire à l ’intellection m êm e de l'objet.
Le m ot n'est pas un nœud de références, mais une nouvelle façon
de se référer - pas com m e signe mais com m e expression.
4 ° M étaphore : évocation de ressemblances entre objets ou situa­
tions : m ontagnes, vagues pétrifiées ; forêt, cathédrale ; situation
sans issue ; transgression d'une loi. Le langage ne fait que traduire
une situation qui est visée par l’intention de la pensée. Ressemr
blances entre réalités du m êm e ordre. Ressemblances ou corres­
pondances ? La m étaphore fait <f. 2 recto > éclater des structures
signifiantes qui ne vont pas toujours de l'hum ain au cm atériel ?>
pour hum aniser le naturel, mais qui vont vice versa : la résistance
d ’une cohorte à une attaque se com pare à un rocher résistant à
la m er, à la structure pétrifiée de la résistance ; com m e inverse­
Notes philosophiques diverses 229

m ent elle peut évoquer l'élém ent énergétique et volontaire d'une


situation rigoureusem ent m atérielle. La m étaphore se détache de
la représentation sensible p o u r dégager les significations que les
objets 'incarnent. .Certes, ce tte incarnation est autre chose que la
réalisation d'un concept dans l'individu, puisque cette significa­
tion ne se laisse pas définir com m e le concept en dehors de la repré­
sentation qui l'incarne. Significations innombrables. Abstraction
poétique.
5° C ette visée {au-delà} q u i n'est pas un.e connaissance n'est-elle
pas p utem ent m étaphorique ? Quelle est alors la puissance de la
m étaphore ? M étaphorique, pur, effet8 de langage ? Le-langage
aurait pour effet d'élever une prétention aub-delà de ce que l'ex-
périerice offre. La m étaphore, essence du langage, résiderait dans
cette poussée à l'extrêm e dans ce superlatif toujours plus super­
latif qu'est la transcendance, enjam bem ent du seuil et de l'obs­
tacle, a » <d'?>u n e lim ite fixée, sur-nature!
< f. 2 verso> 6 ° La métaphore attestée d ’abord par le langage. Le
m o t exprim e une idée grâce à une autre idée égalem ent évoquéec.
Par conséquent deux intentions :
a) vers ce qui est exprim é et qui (sauf le cas de l'équivoque
voulu) a un sens tfixe com m e un objet désigné par un signe (le
m ot est donc signe aussi d'une entité qu'est la signification, située
dans un cham p neutre, sans perspective, chaque point_{étant} égal
à un autre, ayant perdu tou t indice de proxim ité ou d'éloigne­
m ent,. tou t « aspect ». dépendant des accès q u e l'on peut avoir à
lui. Içi la signification est un objet fixé par sa définition, se réfé­
rant par conséquent à la hiérarchie objective et non pas aux voies
d'accès) ;
b) vers la signification qui sert à signaler la signification objet
— e t p at l'évocation de laquelle le m o t n'est pas sim plem ent la
désignation d ’un objet. (< Cratyle
1 : le nom propre désignant les

a. « effet » en surcharge d’un mot illisible ; l’adjectif qui précède, « pur », que nous avons
corrigé, est au féminin dans le manuscrit.
b. « au » en surcharge de « de ».
c. « évoquée » en surcharge de « évoquées ».
230 Carnets de captivité
dieux, com porte déjà une deuxièm e intention.) N on pas quelle
m o t im ite par sa m atérialité de m o t une propriété quelconque
de l'objet, mais il nom m e en se référant à des significations qui
présentent une ressemblance avec la signification évoquée dans
la prem ière intention. La ressemblance est alléguée com m e la
relation entre signification objet et la signification qui perm et de
l'évoquer (E st-ce sûr ?).
Il se produit en tou t cas tou t autre chose que l’évocation d'une
deuxième signification éclairant la première.-Pourquoi la deuxième
ferait-elle plus que la prem ière ? La deuxième n'est pas là pour
indiquer en tant que quoi la première vise soii objet. L'en tant qüfe
quoi fait partie < f. 2 verso> de la première intention (vainqueur
de Iéna ou vaincu de W aterloo). Place dans un système objectif
est nécëssaire à l'intellection au sens prem i< er> de l'intention
première. Mais ce n’est pas par là que la signification est m étapho­
rique. Le pouvoir métaphorique du m o t est dans le rapprochement
de la signification et® d ’une autre signification dont elle est com m e
une pelure. Correspondance qui n’a plus rien de com m un avec- le
système où latéralement la signification se place. Participation
d ’une signification à une autre, com m e si les significations s'envo­
laient dans toutes les directions àpartir d’un fond qui leur est com m un
non pas com m e un concept, mais com m e un < trope ?> co m m u n »
génération d ’un particulier à partir d'un particulier.
7 ° Le phénomène de la m étaphore n ’est pas sim plem ent le fait
q u ’une chose signifie autre chose, que toute signification se d it à
l'aide d ’une autre signification. La merveille : une signification a
pu se transform er en une autre, com m e si tou t était dans to u t, non
pas que tou t forme système avec to u t, mais com m e si to u t était
germ e de tou t, toute chose porte en elle le dessinb <f. 3 recto> de
toutes les autres. C ’est cette germ ination qui est ht signification
et nôti pas une <préférence ?> quelconque au pour0 le signifié et
un passage vers lui à partir du signifiant.

a. « et » en surcharge de « avec ».
b. « dessin » en surcharge de « dessein ».
c. « pour » en surcharge d'un mot illisible.
Notes philosophiques diverses 231

8 ° C ette propriété n’est pas seulement le fait des m ots en tant


que signes ou faits matériels objectifs, porteurs de significations
m ultiples. C ette m ultivocité, cette polyvalence est le caractère
interne de la signification, tou t autre chose que les objets dans
leur « en tant?’que céci ou cela ». La signification tiendrait à la
m étaphore en tan t que la m étaphore est la participation mêm e
de l’objet à autre chose que lui. Le sillon dans l’objet par lequel
il répond à d ’autres objets, par lequel il peut être autre chose que
ce q u ’il est. Parce qu’il y a »signification m étaphorique, il y a des
m ots com m e objets culturels (et non pas inversement). O n peut
toutefois se demander, si le fait de désigner des m ots —de consti­
tuer de£ significations parades propositions,-ne creuse pas ce sillon
et ne recotivre pas la chose de sa signification.
9 ° Dâns tou t ce développement je semble laisser au m o t la fonc­
tion de nom m er. O r q u ’est-ce que parler ?
9 0a Pourquoi la m étaphore con stitu e-t-elle la signification ? E st-
ce que la m u ltip licité qu’ouvre le « en tan t que » est par elle-
m êm e intelligibilité ?
<f. 4 récto > 1 0 ° La m erveille des merveilles de la m étaphore,
c ’est la possibilité d e sortir de l’expérience, de penser plus loin
que les données de notre monde. Q u ’est-ce que sortir de l’ex­
p érien ce? Penser D ieu. M algré l ’impossibilité de la réflexion
totale. La prétention d ’être au-dessus de l’expérience, la mise entre
guillem ets de toute expérience - c ’est penser Dieu. Le soupçon de
l’au1delà,«est déjà au-delà. Là force de l’argum ent ontologique. Le
sou p çon ne l’au-^delà - métaphore. M iracle. La mise entre guille­
m ets de l’expérience n’est possible que parce que l’acte droit, p ré ­
réflexif, va vers l'e H au t. La sphère im m anente — sans miracle.
1 1 ° Le phénomène de la métaphore n’est pas dans la clarté qu’un
term e reçoit d ’un autreb. Car pourquoi l’autre term e serait-il plus
éclairant-que le prem ier ? C ’est-l’objet qui pèle. C ’est ce m iroite­
m ent, cec pellem ent <sic> - qu’est sa signification (?).

a. S’agit-il d’un numéro bis ou alors d’une erreur d’inattention dans la numérotation ?
b. « aütre » en surcharge de « <de ?> ».
c. « ce » en surcharge de « cet ».
232 Carnets de captivité
1 2 ° La m étaphore - c’est ce que je substitue à l’idée du nom . -Parler,
n’est pas, le fait de, nom m er, d ’associer un signe, une indication ^ux
choses, qualités, <f. 4 verso> actions (verbes), relations.
Parler, c ’est donner un sens-figuré, désigner au-delà de ce qui pst
désigné, transm uter, en sublim ant. Ce qui n’im plique pas autjui
uniquem ent com m e prototype de la hauteur. C om m ent encore ?
P artir de l’idée que la parole donne le monde. Généraliser = ,$e
dépouiller pour ançrui. E t alors ? N e pas concevoir la m étaphoie
com m e objectivation d ’un pensé : ceci est com parable à cela ; ceci
est com m e cela. Plus encore ! < D ’emblée ?> tou t ceci est « en
tan t que » cela. Parole d it l’être - parole est m étaphore.
1 3 ° L’idée de l’être n’est pas le plus haut - compréhension de
l’être - fondem ent débouté compréhension (H eidegger) --L ’onto­
logie com m e idéalisme — L’être lui-m êm e ne peut s’affirmer dans
son altérité que com m e culture.

<f. 5 recto> La m étaphore

1° Il ne faut pas dire que le dépassement de l’expérience sensible*se


produit grâce à la signification m étaphorique. Toute signification
— en tant que signification — est m étaphorique, elle m ène vers là-
haut. Le langage n ’est pas la traduction de la vérité en signes — la
substitution de signes à des im ages perçues (c’est-à-dire m enant
à la technique < )> . M ener yers le hau t, n ’a pas pour term e 1p.
perception ou la désignation de ce' haut ; m ener vers le hjiut n ’a
d ’ailleurs pas de term e. Supposer un term e au m ouvem ent ver§
là-haut - c ’est interpréter le langage en term es de perception.
M ener vers là-haut, est un m ouvem ent irréductible, le fond de,la
spiritualité humaine - de l’être qui parle. J e l’appelle religion.
D ’oii conséquence >a) ne pas attendre de la religion une technique et
des succès (les attendre, c ’est passer de la religion à la magie <)>.
b) Dieu - orientation de toute« philosophie sans que le problème
de son existence soit l’essentiel de la problématique philosophique.
<f. 5 verso> 2 ° M étaphore - ce que le m ot signifie au-delà de ce
q u ’il désigne.
Noies philosophiques diverses 233

La signification com m e signification est dans cet au-delà. C et au-


delà est-il l ’infini de l ’A utre ?
3 ° Le langage n'est pas métaphorique en pe sens qu’il traduit
une expérience de,transcendance qui serait au préalable dans une
conscience ou dans une pensée isolée - n i une expérience quel­
conque de la transcendance, contenu d ’un concept (essence) que
le langage traduirait.
4° Xç langage est la sim ultanéité de cette désignation et de
cette transcendance m êm e. Mais non pas com m e une conscience
supposant un accom plissem ent au sens existentiel : un concept
<renvoyant ?> à une existence subjective sans laquelle il ne serait
rien. Mais quelle est la nouveauté de la relation.
5° Le .caractère m étaphorique du m o t réside déjà dans sa généra­
lité.
6 ° D ite, que la signification est dans la relation entre les term es au
lieu d ’être dans les term es donnés4 à la perception, n’explique pas
le surplus de la signification qui se réduirait à des contenus ou qui
créerait* un nouveau contenu. Pourquoi la signification apporte-
t-elle une lum ière où l ’on voit la lum ière ? O ù est la nouveauté
de la H au teu r ?

<f. 6 recto> M étaphore

1° Sans m étaphore on ne peut pas entendre la voix de D ieu. Sans


m étaphore toute pensée serait ce q u e lle est et signifierait en fin
de com p te ce qui correspond à la capacité de la pensée.
Mais il n’y a p eu t-être pas de voix de D ieu ?
Il faut retourner îa réflexion : sans D ieu il n*y aurait pas de m éta­
phore. P ie u est la m étaphore m êm e du langage - le fait d ’une
pensée qui se hausse au-dessus d ’elle-m êm e (Çe qui ne veut pas
dire que D ieu n’est qu’une m étaphore. C ar il n’y a pas d ’autre
m étaphore que le m ouvem ent,qui porte vers L u i< )> .
2 ° Q ue peut signifier l ’énoncé : la pensée humaine peut se dépasser,
s’élever au-dessus d ’elie-m êm e ? Quand com m ence le surnaturel

a. « donnés », semble-t-il en surcharge de « données ».


234 Carnets de captivité
dans la pensée ? D irigée hors d ’elle-m êm e, sur le m onde - elle
est cependant dans l’hum ain. Au-dessus- d ’elle < -m êm e> <f. *6
verso> lorsque son objet dépassé sa capacité — M étaphore.
3 ° La m étaphore est un au-delà, la transcendance.
4 ° Dans la perspective « cv érité ?> est en*fin de com pte tech­
nique » - m étaphore = < vérité ?> inutilisable.
5 ° À une analyse qui veut m on trer le bouleversement des stru c­
tures habituelles de la compréhension dans l’audition de la parolè
divine — on oppose la possibilité de ce bouleversement sous l’effet
de n ’im porte quelle autre parole.
Il s’agira de m on trer que toute parole est bouleversante - que ce
bouleversement est critique - <accusateur ?> m oral.
6 ° L’idée d ’un langage pouvant transporter au-delà de la condi­
tion est com prom ise par le fait que tou t langage est com pris par
celui qui l’entend ou n’est pas com pris et donc contenu dans les
lim ites exactes de la condition humaine.
Lea m êm e que tou t langage entendu est un langage com pris — le
socratism e - m arque la fin de toute transcendance < sic> . R ece­
voir la parole, c ’est la trouver en soi. Socrate a ramené la philoso­
phie du ciel sur la terre.

<f. 7 recto> La m étaphore

1° La fonction du langage dans la m étaphore ne consiste pas a


révéler ou à dévoiler ce qui se trouverait au-delà de l’expérience,
mais à élever.
2 ° M aintenir le sens éthique de l’activité spirituelle ultim e.
3 ° Révélation ou dévoilement - expérience, domaine du sensible,
4 ° Toute vérité a un sens pragm atique : échec ou succès d ’une
entreprise = éviter la m ort. D onc pas de vérité.
5 ° La perception - la vab vers ce qui n’est dans le vrai que dan§ la
mesure où il perm et le succès technique - où la vérité n’est jamais
ce qui ne nous fait ni chaud ni froid.

a. Il faut sans doute lire « De ».


b. « va » en surcharge de « <vers ?> ».
Notes philosophiques diverses 235

6 ° Q uand dans un jugem ent <f. 7 verso> bâti autour d'un verbe
— où opère la m étaphore : l'oiseau chante, l'hom m e se promène
— un participe + verbe auxiliaire (l'oiseau est chantant, l’hom m e
est m archant) - on dérange la m étaphore du verbe.
6 oa Les m ots resteraient toujours des signes, mais ils seraient de
simples noms des choses — ils signifieraient les significations des
choses. G râceb aux significations les choses ne sont pas disposées
dans l'espace géom étrique sans se cacher les unes les autres, mais
selon une perspective : une ligne de force de l'ensemble précède
l'u n ité des objets.
7 ° M étaphore rend-elle seule accessible le sur-hum ain ? N 'e st-
ce pas alors écrire m étaphore = symbole ? Le surhum ain dans le
langage à cause de la m étaphore ?

<f. 8 recto> M étaphore

1° La méfiance platonicienne à l'égard du langage tien t au fait


que d'intelligence socratique ne peut rien penser que ce q u elle
sait déjà - et elle ne peut posséder que ce dont elle est capable.
Signification toujours im m anente. Le langage est dans la copule
du jugem ent et d it par conséquent toujours « ce qui en est ».
N égligence de l'autre intention du discours vers A utrui0 — vers
l’infini - * d ’ôù viendrait (est-ce sûr) le transport de la métaphore.
2 ° Le spirituel se définit par la hauteur p lu tôt que par l'exis­
tence.
N on pas que le spirituel nous mène vers ce qui n'est pas, mais la
hauteur est en dehors de l’être et du non-être, sans toutefois rester
un sim ple m ot - ou fondem ent. O u plus exactem ent : être m o t,
c ’est être*plus q u ’être, c'est être plus haut que l'ê tre *- c'est être
métaphore. P eut-on dire *: «d aller vers la hauteur, c ’est ne plus
v oir la différence entre existant et non existant, non pas parce que

a. S’agit-il d’un numéro bis ou alors d’une erreur d’inattention dans la numérotation ?
b. « Grâce » en surcharge de « <Que ?> ».
c. « Autrui » en surcharge de « autrui ».
d. Le guillemet fermant manque.
236 Carnets de captivité
le <f. 8 verse» regard se lim iterait ainsi mais parce qu'il e s tlu i
précisém ent une lim ite d'un m ouvem ent de m ontée — m ouve­
m en t infini - o ù la lim itation du regard introd uit un term e, un
aboutissem ent, un être ?
3 ° La m étaphore par excellence est Dieu.
4 ° a) D ieu —l ’Infini —n'est pas un existant parce qu'il serait source
d'existants? Il n'est pas signifiant com m e conditionnant la pensée
de l'existan t, mais en tan t que créateur. La création est au tre chose
qu’une condition transcendantale.
b) Mais ce surplus du C réateur sur E xistant déborde aussi, la
« pensée objectivante ». Il est par la pensée qui par son pouvoir
m étaphorique décrit une sphère qui esr au-delà de l’Ê tre.
c) Le pensé4 n ’est pas un moins que l ’Ê tre , mais cet A u tre que
l'Ê tre , lequel n ’est pas sim plem ent un superlatif de l’Ê tre , ni
m êm e un autre être.
d) D ieu n'est pas un être parfaitem ent être, ni m êm e un étant
existant»autrem ent que l’être. D ire qu'il est pensé, c'est dire qu'il
est autrem ent que l'être et non seulem ent qu'il'est autrem ent.

<f. 9 recto > M étaphore


r

1° C 'est le propre de notre langage le plus concret et le plus terre


à terre, com m e le propre de notre langage le plus abstrait : « se
porter bien », « élever les enfants » , « vaquer à ses affaires »,
« faire des économies » , tou t com m e « transcendance » , subs­
tance, accident et le m o t m étaphore lui-m êm e.
Tous les m ots de notre langue sont l’effet d ’innombrables m u ta­
tions m étaphoriques de l'histoire et laissent cependant l’im près-
sion de term es non équivoques, à sens unique et littéral. Leur
puissance m étaphorique se réveille quand l’interprétation étym o­
logique com m ence soit dans un effort sciem m ent entrepris dans
ce sens, soit par un effet de style qui consiste à utiliser un term e
dans son sens étym ologique. Termes métaphoriques par excel-

a. « Le pensé » en surcharge de « La pensée ».


Notes ]philosophiques diverses 237

lence — dont le contenu m êm e est m étaphore : D ieu, Absolu, au-


delà de l'Ê tre, au-delà.
2 ° L’effet de la m étaphore n'est sensible que com m e l'effet de ce
déplacem ent m êm e et non pas com m e l'effet de son aboutisse­
ment*. Il fau t en quelque manière que la conscience tienne à la fois
les deux ordres de réalité entre lesquels se fait ce déplacem ent ou
ce dépaysement d'une notion. E t c ’est là l'effet de l'étym ologie
qui rem et en m ouvem ent ce qui s'est déjà fixé en significations
non métaphoriques dans le term e abstrait ou concret : vertu, prin­
tem ps, <patrie ?> , bureau, personne ou (tetthe général) H om m e
ou triangle.
3 ° C 'est l’amplification de sens qui dom ine incontestablem ent
dans le phénomène de la m étaphore la ressemblance. À. tel point
que lorsque la ressemblance çst explicitem ent pensée, nous ne
somme? pas au con tact de l'essentiel de la métaphore : le m ouve­
m ent du transfert et l'am plification sont perdus par la pensée qui
s'absorbe dans la ressemblance com m e en une essence statique.
<f. 9 verso> 4 ° La m étaphore indique - selon sa signification
étym ologique un transfert de sens, lequel s'opère de ressem­
blance'à ressemblance. Mais s’il n’y avait pas1 dans la métaphore
que l’appel du semblable par le semblable on ne verrait pas très
bien l ’intérêt de la métaphore. Le rapprochem ent m étaphorique
prétend apporter quelque chose à la pensée, la m ener plus loin ou
lui faire entendre plus que ce qu’elle entend d ’abord.
5° En dehors de l’art où la m étaphore jouit d ’une faveur univer­
selle, les hom m es sérieux nous apprennent à nous méfier des m éta­
phores. Elle exprim e un transfert de sens. Dans le <noèm e.?> : les
yeux sont bleus com m e le ciel (comparaison), quand nous utilisons
dans la m em e construction verbale des termes .évoquant des ordres
différents de la réalité (les sanglots longs des violons de l’automne)
et où l’effet de la m étaphore peut être beaucoup .moins visible
(jusqu’à la sottise : du char de l’É ta t naviguant sur un volcan), soit
quand le t-erm e transfert s^ n se tient dans l’étymologie.

a. Le sens suppose d’omettre à la lecture cet auxiliaire de négation.


238 Carnets de captivité
6 ° Dans la m étaphore - un sens au-delà, un absolu, un dépas­
sem ent de toute lim ite. Dans chaque m étaphore, en dehors du
term e nouveau ou de la signification apparentée ou de4a significa­
tion com m une à laquelle on aboutit - il y a la transgression elle-
m êm e, le'déplacem ent, m êm e vers l'au-delà ; le fait que chaque
term e est sur le départ. C ette transcendance de la signification
vers une autre signification'est aussi essentielle pour cette signifi­
cation que sa position m êm e.

<f. 1 0 recto> M étaphore (Low ith)

1° Quand von H um bolt analyse le langage - il est devant un


système de signes qui découpe la réalité dans un certain sens. O ù
est la nouveauté du langage ? E st-il instrum ent de la pensée ou
suggestion de pensée ? Simple matérialisation ou fixation ou venti­
lation de la pensée ? O ù est sa fonction en tant que phénomène
corporel ? En tant que surplus ou condition de pensée ? - À moins
de dire : les mots ne peuvent servir de signe que là où il y a signifi­
cations lesquelles sont autre chose que aspect ou im age des choses.
2 ° Langage - <lecture ?> a de renvoi {à la pensée} (Platon). Sauf sur
un point — en tant que visée de celui à qui le langage s'adresse.

<f. 11 recto > M étaphore (Low ith)

1° Le sens des m ots dépend du contexte du discours et du m onde


com m un aux interlocuteurs sur lequel porte ce discours. Dans lè
m onde com m e tel « réside » toujours un dépassement du sens,
par lequel1le m o t s'ouvre à ces déterm inations par le con texte et
le m onde (Low ith 2 1 8 2). Mais le rapport lui-m êm e qu'est-ce/?
Surplus, de quelles relations est-il fait ? Le fond auquel s’ajoute ce
surplus — qu'est-il ? N e s'ag it-il pas toujours de signes ? *
2 bo La parole de D ieu ne peut exister que com m e une proposition
qui accueille une prétention unilatéralem ent com m e venant de

a. « clecture ?> » en surcharge d'un mot illisible.


b. « 2 » en surcharge de « 3 », à moins que ce ne soit l’inverse. Même remarque à propos du
numéro suivant. Il esc possible que Levinas ait souhaité inverser l’ordre des paragraphes.
Notes philosophiques diverses 239

D ieu et .qui ne peut être com m e telle prétendue par «d'humain ?>
(p. 213?)* Percée de l’espritdium ain par l'esprit saint. Elle serait
com m é telle im possible sauf si elle com m ence par ordonner —par
m ettre en question«-Elle est possible com m e «cmorale ?> qui est
a in siJa source de m étaphore. Elle devient.philosophiquem ent
com prise après coup. Rôle du tem ps. Pour le souvenir il n'y a pas
de m iracle. Tout s'arrange. Mais il y a la place de tou t discours
indirect - de tou t souvenir - dans le discours direct.
3 ° C om m ent la* parole de D ieu peut-elle être entendue par un
pécheur ? B arth aperçoit le problème : il faut que D . parle'à partir
de son incarnation. Mais com m en t une révélation est-elle possible
si la parole n'est com prise que dans une correspondance. Il faut
donc éclaircir le rapport du langage spécial de la parole < chré­
tienne ?> avec les capacités de la pensée et du langage humain.
Le xroncépt de « Ansprechen » dem eure lui-m êm e infructueux.
Schlink »dans Kerygma und Dogma prétend que la parole de Dieu
brise le courant habituel : . . . Die Selbstverständlichkeiten seines. . .
Existentbewustseins und das Gehäuse seiner Umwelterkenntnis und
- bemächtigung werden ihm zerschlagen4. » E st-ce particulier à la
lecture*de l'Évangile ? À la place du sujets-objet, appel, ordre de.
Mais c ’est aussi œuvra1de philosophie.

<f. 11 v e r s o La m étaphore

1° H eidegger a aussi à répondre au problème qui consiste à se


demander si la vérité a toujours la signification « m atérielle » de
la vérité : ce dont la méconnaissance amène échec, m o rt ou sanc­
tion. Il proclam e la vérité de l’être opposée à la vérité de l'étant
et dont la fonction consiste à rendre possible la vérité de l’étant
lui-m êm e. - S’il n’y avait pas de vérité de l'être, il n’y aurait pas
eu de vérité en philosophie.
2 ° H egel conserve lesa deux notions : la vérité porte sur la Wirkli­
chkeit, ¿est liée avec l’action ; et la vérité est cohérence. La distinc-
a. « les » en surcharge de « à ».
240 Carnets de captivité
d on de l’être et de l’étant est l’abandon de l’idée de Wirklichkeit.
Réapparition, au fond, de l ’idée de réalité contem plative. Le spiri­
tuel, n ’est-il pas en fin de com pte étranger à l’action et à l’effica­
cité ? <O n ?> le <pensait ?> toujours ! Idéalisme heideggérien.
Chez m oi qqch. d ’interm édiaire entre la Wirklichkeit et la vérité
désintéressée de l’idéalisme et de H eidegger. R elation religieuse
à travers le visage, relation entre étan t’s ^et cependant sans Wirkli­
chkeit.
3 ° La vérité se mesure par son efficience et la réalité = efficience.
Mais l’efficience ÇWirklichkeit) qu’est-ce ? Réussite de l’action ?
C om m ent se reconnaît-elle ? Se reconnaît-elle ? Il y a donc une
vérité qui mesure l’efficience. Efficience par rapport à un but
poursuivi, se constate théoriquem ent. Mais l’efficience absolue ?
Ce qui tue, ce qui m e tue, ce qui m e m enace. Poser la réalité
com m e efficience c ’est la ressentir com m e m enaçant de m o rt, si
on s’oppose radicalem ent à elle ou m êm e si on pènse d ’elle ce que
l’on veut.
4 ° M étaphore : des significations anthropologiques s’inscrivent
dans les choses.
5 ° M ultivocité du réel : aucune signification ne peut être déta?
chée pour elle-m êm e. N ’y a -t-il pas cependant référence à un sens
littéral ?
6 ° M étaphore : sortie en dehors de l ’Expérience et du M onde :
possibilité d ’apprendre et d ’enseigner.
7 ° M étaphore s’insère-t-elle dans la signification ? Suppose-t-ellè
l’intentionnalité ou la rend-elle possible ? Phénom ène de signifi­
cation ou de langage ?

<f. 12 recto> M étaphore

1° La m étaphore des m étaphores — D ieu.


2 ° La conception de qqch. en tant que qqch. serait le phénomène
prem ier de la m étaphore. Le « en tan t que » n ’est pas une relation
entre deux objets donnés au préalable, mais une parenté spirituel­
lem ent antérieure aux parents.
Notes*philosophiques diverses 241

3 ° Ce déplacem ent de sens par la métaphore qui aboutit à l’évo­


lution sém antique ne consiste pas pour le; m o t à perdre son sens.
Il acquiert un nouveau sens tou t en gardant le prem ier - Par là la
m étaphore fait com m uniquer les divers ordres et plans de l’être.
Les diverses significations s’affirment dans une parenté qui n ’est
pas celle d ’élém ents d ’un système organique - d ’éléments qui
s'appellent et se com plètent, une signification contre4 de l’autre
et dans l ’autre - véritable participation, com m e si les significa­
tions pelaient en laissait se*détacher d ’elles d ’autres significatipns
qu’çlleS ne reproduisent pas com m e des enfants et com m e si ces
nouvelles pelures* toutes fines q u elles sont pelaient encore lais­
sant tom ber de nouvelles significations et que ces feuilles m ortes
- ou ces feuilles vives de la signification recouvraient toutes les
avenues de l ’être.
4 ° ^Universalité du langage, c ’est l’universalité de l ’être et de
l'étan t.;Parler, c ’est dire l’être, dire ce qu’il en esr de l'étant - Mais
parler c'est aussi exercer un pouvoir m étaphorique, transporter
aurdelà de l’être et de l’étant. D e sorte que dans le langage il y
a ce m ouvem ent vers l’infini et il n ’existe pas de langage sans ce
m ouvem ent. E t ce m ouvem ent vient de l’autre* en tant que le
langage est réponse à un autre et dépassement de ce qui est dit.
[C ette dernière chose n’est pas sûre. Le dépassement de la m éta­
phore ne vien t-il pas de la trace ?]
5 ° L’çtfe et l’étant sont dans le »langage en tant que déjà dit.
Langage statique. D ans une conscience capable d ’une ènoxi] et
d’un retour sur soi. Par contre le langage qui se parle*en face, de
l’A u tres toujours reprenant ce qui a été dit - est un m ouvem ent
infini, sans retour. Il ne se joue pas entre être et étant, mais en face
de l’autre. E t c ’est d ’A utrui q u ’il tient son pouvoir <f. 12 v£rso>
métaphorique [ce qui n ’est pas sûr}. C ’est en tou t cas le langage
infini, ledajigage non écrit [de Platon ?}.
6 ° J e ne suis pas sûr que la m étaphore - et le m ouvem ent dans
la signification vienne du fait que l’événem ent essentiel du

a. « contre » en surcharge de « <coule ?> ».


242 Carnets de captivité
langage est en-face-de-1’A u tre. C om m en t concilier m a thèse :
la parole dépossède celui qui parle et< la thèse la m étaphore est
le dépassem ent de la signification ? C om m en t m o n trer que le
pouvoir du dépassem ent verbal se place dans la relation avec
l ’A u tre ?
7 ° Le plan de la percep tion et le plan du discours. Il s’ag it çie
deux façons de se tenir dans l’être. Avec le D iscours su rgit la
m étaphore et l ’au-delà - c ’est-à-d ire l ’am b igu ïté - le haut èt
le bas. Le discours est déjà dans la révélation-du divin. Cela ne
peu t pas se d ém ontrer par l ’analyse de la stru ctu re sym bolique
du langage, déposée dans la syntaxe e t la linguistique - mais
d oit se ram ener à la relation m êm e avec le visage où le langage
su rgit. Le langage est ainsi la relation m êm e avec le supérieur
- ou la pensée.
8 ° Les guillem ets dans la littérature philosophique et surtout
phénoménologique : refus du sens littéral — recherche du sens
m étaphorique. E t cependant nécessité de recourir au sens littéral.
Le sens littéral com m e gonflé d ’une signification qui le transcende
mais qui ne peut s’en passer, com m e si on criait tirés fort la mêfnè
chose que l’on d it d ’une voix très douce.
9 ° Penser - m ouvem ent qui a un term e. Idée de l’infini : dans le
term e pensé, refus du term e. M étaphore.
1 0 ° Il est impossible de dire que tou t est m étaphore car cette
affirmation n’est pas métaphorique et que l ’être et la sübjecti-
vité pensante à la mesure de l’être et le problèm e de l’existence
et de l'arrêt de la pensée allant vers l’objet - s’installent com m ’e
ultim es ; mais il est impossible de chasser la m étaphore et lé
dépassement et la m arche à l ’infini de-cet t e E t c ’est pourquoi il y
a philosophie et non pas Sagen.
1 1 ° L’argu m en t de Lôw ith : « les philosophes ont aidé les théo­
logiens5 » se retourne. Les philosophes ont découvert toutes
ces relations tran ch an t sur le langage co m m u n g râce à la théo­
logie. *
Notés philosophiques diverses 243

<2>a

< f .l> Le « pour soi » du besoin

La fin du chaos = séparation de la lum ière et de l’obscurité =


surgissem ent du M oi. La jouissance = vie d un M oi. La jouissance
est satisfaction du besoin — et satisfaire son besoin = être pour
soi. Être-pour-soi ainsi introduit n ’équivaut pas à la notion idéa­
liste : représentation du sujet par le sujet» Pour-soi du besoin,
n’est pas représentation, n’est pas conscience laquelle, com m e
nous le'savons depuis.Descartes - est conscience de l’infini auquel
tou t objiet fini se réfère. Le "besoin est un pour soi sans -horizons
infinis. Le « pour soi » du besoin n’est pas non plus : « être en
vue de sa propre existence » de H eidegger. Car le besoin ne- vise
pas l’existence de l’être besogneux, mais l’objet qui le satisfait. Ce
q u i apparaît à notre science - biologie ou économ ie — com m e le
moyen d ’existence, est visé com m e fin et non pas com m e moyen.
Avoir besoin, c ’est s’arracher aux im plications biologiques, à l’ins­
tin ct vital, pour se donner une fin, ce qui ne renvoie plus à rien
d ’autre. Toute fin du besoin est ultim e. N ous ne mangeons pas
poUt" vivre. La conscience opposée à l ’instinct — c ’est cela : avoir
un term e.
Le « pour soi » du besoin est donc un « pour soi » au sens rigou­
reusem ent égoïste où l’on d it « chacun pour soi ». La jouissance
est ma*jouissance et exclusivem ent m ienne. Elle n ’est pas mienne
au sens d'incom m unicable — ce qui indiquerait une com m uni­
cation préalable entre de m ultiples consciences où d a jouissance
surgirait. Elle est avant. Le moi du besoin, ce*>if est pas « m oi et
pas les autres » ni l ’exclusive du « q uant 'à moi ». C ’est le moi
sourd djur « ventre affamé n’a pas d'oreillfcs ». Ê tre seul, sans soli­
tude. Solitude innocente. Pas solitude d e la m o rt heideggerienne
qui se réfère à la coexistence à laquelle elle s’arrache et .q u e lle
rend illusoire et pensable.

à. Six' feuillets manuscrits recto, écrits au stylo plume à encre noire.


244 Carnets de captivité
C om m ent le pour soi de la jouissance peut ne pas être rela­
tion — fut-elle négative — avec ce qui n est pas l’être besogneux ?
C om m ent une solitude peut-elle ne pas être sur le fond d ’une
coexistence ? <f. 2 > C om m ent trouver un pour soi prem ier qui
ne soit pas un mode déficient ?
M on existence ne flotte pas en l’air. L’ensemble d ’objets offerts
à m a jouissance sont pour moi - pour m a jouissance. Sauf la terre
sur laquelle je me .trouve. Se poser sur la terre, précède toute relation
avec l’objet. Relation avçc la terre est par elle-m êm e originale : dans
m a relation avec la terre, le fait d e « ressentir le contact » , la tension
musculaire de la position, n’est pas seulement « objet » dont j’ai
conscience, mais ce à partir de quoi cette expérience elle-m êm e est
reçue. J e suis ici. La base n’est pas seulement ressentie com m e objet,
- com m e vis-à-vis - elle supporte toute cette expérience. Le lieu
foulé dans la position soutient l’effort non seulement com m e résis­
tance, mais com m e condition de cet effort m êm e. J ’ai un lieu, mais
c ’est la seule possession qui ne soit pas un encom brem ent, mais qui
m e libère de to u t encom brem ent. L acte.d e se poser, consiste préci­
sém ent à ne pas faire d ’acte - à .ne pas*prendre d’initiative, de <sic>
retrouver dans cette passivité foncière du repos, un point de départ*
J e m ’élève et je marche et je repousse la base, en m ’abandonnant
à la base. - Ici est la référence absolue à soi. M a pensée est i c i .- elle
sort d ’une protubérance, d ’une tête. Il n’y a pas seulement dans m a
position sur terre une pensée de localisation, mais localisation de la
pensée qui n'est pas « contenue » dans la pensée, mais à partir de
laquelle la pensée se déploie. - E t les choses ? Pas ici ? Elles sont les
unes par rapport aux autres et en fin de com pte par a p p o rt à Moi.
Il leur manque l’insistance qui est le fait du Moi et qui n’est ni une
pensée, ni un sentim ent, ni un acte. N i un acte - car l’acte déborde
déjà son lieu, suppose le lieu : le sujet préexiste à l’acte. La position
est absolument contemporaine du sujet. Tout en. étant événement
et non pas le fait plat d ’être quelque part, la position est sans trans­
cendance - une immanence.
<f. 3> C ’est l’im m anence - le fait de rester ici qui est l’évé­
nem ent m êm e du pour soi, condition de la jouissance. Philoso-
Notes philosophiques diverses 245

pjiie transcendantale au sens fort : la terre est la condition par


excellen ce.,E t condition est toujours condition d'une possibilité
— puissance. {< x ^ x x > .} Condition de la possibilité est pléonasme
( grunddes Möglichkeit et non pas Bedingung des Möglichkeit). P roto­
type de l'idée m êm e de fondem ent.
Ici et Da
. Le Da
transcendance, l'Ici = sur terre = l'im m anence
par excellence. H eidegger n ’a pas connu l'idée de jouissance, son
p o u r soi. H . a identifié vérité = ^dévoilement = événem ent dans
l'être» se jouant en deçà de la vérité. Le pour soi de la jouissance,
se joue en deçà de la vérité, est indifférent à l'ontologie, demeure
dans des .horizons achevés - vie et non pas vérité. Pas m êm e
connaissance ou vérité de Soia (laquelle suppose déjà l'infini sur
lequel je m e détache). F ait nu du pour soi, référence à Soi dans
cet abandon à la base et cette passivité (non-acte). Ici central - le
mondp „y*aboutit' p ou r1s’offrir à la jouissance. Le M oi — pas rela­
tion avec l'Ê tre, mais frisson égoïste. Ce frisson est irréductible
à »la négation du monde qui suppose affirmation, visée du m onde,
connaissance, etc. M ouvem ent égoïste irréductible à la négation :
subjectivation paradisiaque d ’A dam ,* égoïsme innocent, im m a­
nences dem eurer en soi en n'em pruntant au monde qu'une place
pour être en soi, pour être pas « en vue de » une « place au soleil >>,
habitation, désencom brem ent total, s’abandonner sans penser un
objet n ifaire un projet, sans pouvoir. Condition de toute pensée,
de tou t projet..
D,onc jouissance sans savoir. Strictem ent subjective. Moi <f. 4 >
Tout savoir nous introduit dans l’intersubjectivité. Enseignem ent,
voix de l’autre rive, l’envers du m onde lim ité à la jouissance. S 'o c-.
cuper de cet envers du m onde, c ’est cela la raison.
E n quoi la jouissance diffère-t-elle de la pure et sim ple.exis­
tence sans conscience ? E t de la jouissance anim ale ?
L’« objet » de la jouissance est coupé de ses prolongem ents
finalistes, inscrits dans l’instinct. Pas être pour être, mais goûter
à la vie.

a. La majuscule est incertaine. C’est également le cas de l’occurrence suivante de ce mot.


246 Carnets de captivité
Dans la vie instinctive le besoin n'est pas séparé de sa satisfac­
tion (?). L'animal est riche, l'hom m e est misérable. Sans m oyen ;
nu, affamé, sans abri. D énuem ent que surm onte non pas un
retour à l'in stin ct, mais lutte ét travail et société. La maturité*de
l'hom m e est la fin de sa vie instinctive.
E t jouissance non instinctive, qu'est-ce ? D istance entre le
. sujet et sa jouissance : le jeu — de l'appétit « on pique l'ap p étit »\
D ’autre part : jouir = pas participer im personnellem ent au rythm e
du m onde. Fausse littératu re qui exalte d ’une façon panthéiste la
jouissance — une façon de penser l'hum ain com m e le p rim itif ou
l'enfantin qu'iLfaut m ettre en extase ou bercer. L'humain consiste
à s'arracher aux rythm es. C hant = parole avachie ! La jouissance
est personnelle, « pour soi ». Parce que la jouissance est « pour
soi », elle est précédée de besoin (le m oi se préoccupe de soi).
Parce qu’il existe du jeu entre m oi et l'objet (besoin) et un jeu
(appétit), le monde est extérieur. Parce que le m onde est exté­
rieur, j’ai une m ain ; je dois prendre, mais par là peiner, travailler.
La jouissance est liée à une peine.
L’analyse platonicienne deft besoin la jouissance (m anque qui
se rem plit, donc rien de p o s itif!), m éconnaît l'achèvem ent et
l’autarcie de la jouissance. Le besoin n ’est pas le signe que jouis­
sance = 0. C ’est parce que toute jouissance est pour soi qu'elle
est précédée du besoin* <f. 5 > Le bonheur le plus pur doit être
précédé de cet appétit du bonheur, sans quoi il n ’y aurait personne
pour jouir du bonheur. Le bonheur serait perte de Soi, absorption
dans l'objet qu’on absorbe. C 'est par sab pauvreté que se manifeste
la personnalité de la jouissance. Le m oi est un pauvre. — Enfin
l'analyse platonicienne est inexacte parce qu'elle ne voit d'autre
misère que la torture du besoin ; il existe une peine dans la jouis­
sance dans la mesure où elle n'est pas paradisiaque (nécessité de
travailler et m êm e im possibilité de travailler — chôm age — condi­
tion de prolétaire toujours possible).

a. « de » en surcharge de « du ».
b. « sa » en surcharge de « la ».
Notes philosophiques diverses 247

Le pour soi du besoin suppose le besoin = distance entre le


m onde e t nous. Il .y a du jeu. La distance ne com m ence pas dans la
suspension des besoins et la sérénité de la contem plation - mais
dans le besoin.
La puissance ne se rapporte pas initialem ent àn ou s-m êm e,
mais aux objets. Elle est. travail, prendre ; pas vers l'avenir, mais
vers l'extérieur. Pas créatrice : subjuguer le donné. L'organe de la
puissance est la main. L'avenir de la puissance est le présent. Vers
soi ! E xtraction , »(préexistence traditionnelle de la m atière.) Pas
à l'état consom m able - il faut « cuisiner ». Prendre et cuisiner !
Cuire — sens de la fabrication. M onde non consommable. Com m e
tel il m e dépasse et non pas par son infinitude. D onc : à distance
a) en tan t que supposant le besoin, ce qui est une façon d ’être au
m onde sans être agglutiné à lui ; b) -en tant que non consommable
dans sa crudité. Parce que le monde est à-distance (et est m onde),
jouissance pour Soi. L'indifférence du monde n'est pas le résultat
d ’une généreuse retraite accom plie à son égard par le sujet — mais
par le fait que le sujet est chez soi dans un monde à prendre et
cru . ^ C 'est pour le m oi capable de jouissance que la nature peut
apparaître dans son indifférence, c ’est-à-dire apparaître. <f. 6>
L'instinct, lui, est installé dans le consom m able, l'hom m e est chez
soi. Parce que l’hom m e’ était : dans le froid, sans abri, dans la
misère de la faim - il peut être chez soi. Indifférence du monde :
monde à,prendre et m onde cru. La m ain est pour prendre et pour
modéler, tailler, fabriquer, cuire. D ’où 3 e forme de distance : jgu.
Les outils sont prolongem ent de la m ain, mais aussi jouets. Jo u ir
du travail ! Objets culturels - dépouillés de la crudité de la nature
qui éloigne de nous la nature.

Mais m a puissance n’est jamais seule —L’outil m e préexiste. Le


travail des àutres. Le Capital. Pas Passé. Installations «présentes.
Rien ne renvoie moins au Passé que l’outil. Cela a toujours existé :
autom obiles, avions, téléphones ! Pas d ’anachronismes. O n les
trouve en vente. A chat com m unication avec un passé anonyme
qui est pré devenu présent. A chat rem plaçant l'histoire. Le moi
248 Carnets de captivité
de la jouissance technique est m oderne, sans histoires. O bjets de
jouissance devenus marchandises. Puissance devenue argent*.
Civilisation = société avec des étrangers.
Le moderne assume le Passé. H istoire - grandes figures à
im iter.
J e suis né. Ê tre qui a des besoins e t qui n ’est pas installé dans
une m atière consom m able. J ’ai une nature. M a condition - la
terre à p artir de laquelle j’acquiers une puissance et mes nourri­
tures. Paysan. M onde lim ité à l’horizon. Enracinem ent.

<3 >

<recto> <Suf ?> Le fondem ent - la supposition - la condition


(Réflexions sur la m éthode)

1° Q ue peut-on opposer à l’idée du fondem ent (transcendant et


transcendantal) ? La fin ? Le messianisme ? Serait alors essentiel
non pas la prem ière cause, non pas le pré-supposé de la repré­
sentation (fondem ent transcendantal) lesquelles supposent déjà
l ’égalité être = vérité, mais ce vers quoi to u r va.
Cela supposerait-il que l’être est une histoire ? O u bien l’es­
sentiel est absolum ent indépendant et de la prem ière cause et de
la dernière réalité. L’essentiel - ce qui est en haut. N o n pas que
la hauteur soit le non-être, mais elle est l’infini qui ne s'enferme
pas dans l'être. N ’exerce-t-il pas cependant la fonction de fonde­
m en t ? C om m ent le fonder ?

2° La tendance à comprendre l’humain en fonction de l’être -


n’est-elle pas déjà déterminée par une attitude encore plus radicale
dans l’humain et qui serait le vrai com m encem ent. Mais déjà la
recherche du com m encem ent n’est-elle pas en fonction de qqch.*?l.

l. Ajout en travers de la marge de gauche : « Être cruel, dur, puissant. »


Notes philosophiques diverses 249

3° Poser le problèm e du principe, de l’origine - caractérise


la philo. Mais le problèm e du principe est lié au problème de
l'être.
O n peut se dem ander si le problèm e du principe est premier.
- Mais c'est déjà adm ettre la priorité du principe : être préoccupé
par la priorité du principe n’est-ce pas déjà affirmer le .principe.
À m oins d'entendre par priorité - le prem ier venu qui pose un
problèm e urgent. Dans la vie s’occuper de l’u rgent, ce n’est pas
rem onter au principe - M ais c ’est peut-être que la vie exclut la
philosophie et est à son opposé. - Il y a deux façons : ne pas se
retourner par paresse, par em pâtem ent et ne pas se retourner par
élan. En. tou t cas si on pose le problèm e philosophique à partir
de l’urgence, il ne consiste pas à rem onter à l'origine mais à . .. (?)
( . . . à continuer une tradition ?) - En tou t cas nouveau style de
questionnem ent.

4° Il est ridicule de classer H eideg. com m e m ystique ou autre.


H eid egger est englobant. Le seul critère - < x x x x x x x > ‘ !

<verso> Le transcendantal et le s u p é rie u r ?>

5° La pensée transcendantale est « réalisme » ou « idéalisme ».


À la nécessité analytique dp la dém onstration, vient s ’ajouter la
nécessité transcendantale, com prise (J’abord com m e celle de la
structure nécessaire du sujet e t ensuite com m e celle de la condi­
tion ontologique. L’argum ent ese toujours celui-ci : .il ne s’ag it
pas de dém ontrer l ’existence ou la non-existence de X —le m onde,
le prochain, D ieu - mais de m on trer que le problèm e m êm e de
l’existence ou de la non-existence se m eut déjà au m ilieu de ces
notions bu qu ’il s’en passe. À la fois pas preuve de l’existence, mais
pas preuve de non-existence. Avant la preuve et avant l'existence !
Se dem ander alors, si, après tou t, tou t cela n'est pas subjectif,
c ’est, à nouveau, poser com m e radicale la distinction entre l'être

a. Mot illisible en raison de la détérioration du papier.


250 Carnets de captivité
extérieur, le vrai et le sujet intérieur, susceptible d ’illusion, alors
que cette situation elle-m êm e suppose déjà lesa êtres que l’on m et
en question. - Ce retour de l’idéalisme derrière la pensée trans­
cendantale est toujours possible. La fonction transcendantale - et
tout-ce qui est utilisé dans cette fonction ne peut pas poser l ’être
et n ’est pas être. i
N ’est-on pas devant le retour du problèm e : an sit ? Le problème
de l’existence au sens pré-heideggerien - la perm anence du . cogito
Il existe un m ythe de l ’idéalisme que l’ofx ne peut pas vaincre une
fois pour toutes. M ouvem ent pendulaire.
Q u ’est-ce qui est com m un aux deux conceptions ? Pensée qui
s'arrête c ’est-à-dire réfléchit, c ’est-à-dire pensée qui se distingiie
de son objet, qui adm et la distinction entre noèse et noèm e, un'e
corrélation. Q u ’est-ce q u ’on y opposera ? Pensée qui ne s’arrête
pas ; non pas parce q u elle est naïve, mais parce q u ’elle va vers
l’infini, q u elle est infiniment sollicitée et ne peut pas « laisser
être » son objet, q u elle est irrécuçablem ent sollicitée. U n objet
qui attire infiniment le sujet — qui ne perm et pas au sujet de se
retirer n ’est plus dans la relation sujet-objet. C ’est la responsabi­
lité du M oi. D ém olir la structure sujet-objet, ce n ’est pas revenir
à la sensation à la fois sujet et objet, mais aller vers la hauteur — ce
qui ne signifie pas viser ou désigner un objet qui se trouve dans la
hauteur ; encore m oins se représente-t-il la hauteur m êm e com m e
objet. Q u'est-ce que aller vers le haut ?

èr Q u elle est la rek t -ion-avec-l’infini-si elle-n’est p as-une p ensée ?


Q u e p eu t il y avoir de spe

6° P eu t-on soutenir que l’idée de l’objet - l’intentionnalité -r


est fondée par le retour à soi (que l’idée de l’infini n’a pas le temps
de faire) ? La surdité à < l’appel ?> < intim é ?> m e rejette vers
m oi. Dès lors le non-m oi m ’apparaît au lieu de m ’obliger (????)

a. « les » en surcharge de « des ».


Notes philosophiques diverses 251

<4>
M oi = responsabilité

1° M a thèse consiste à affirmer la dissym étrie dans l'Ê tre : le


Moi supporte toute la responsabilité com m e s’il existait un point
privilégié : l’hom m e en tan t que M oi.
Ce p oin t privilégié en taint que responsabilité - est nécessaire
à une philosophie anti-fasciste ou anti-totalitaire. O n ne peut
douter de la structure sociale de l’humain et de la nécessité de
calculer et de traiter les individus en fonction des nécessités histo­
riques.
Mais pour que, à sa place dans la hiérarchie administrative et
m ilitaire - dans le pur ordre de l’universalité - qui s’institue ainsi
à p artit de l'histoire, pour que l’individu puisse non pas affirmer
ses droits — ce qui serait ridicule contre la nécessité objective qui
est'le droit m êm e - mais qu'il puisse se soustraire «à cette adm i­
nistration ou à cette armée q u i le définissent par l'obéissance — il
convient que le Moi s’affirme dans la responsabilité, laquelle à la
fois est p o iïr... et d ev an t... Elle n’est pas pure pitié parce q u elle
est devant A utrui. Elle n ’est pas pu re obéissance, car elle est respon­
sable d e celui {-là m êm e} auprès de qui elle est responsable.
La philosophie du Moi est celle qu'il faut opposer à l'inhum a­
nité de la hiérarchie et de l’universalité.

2? La deriieure - est un mode d ’être où le M êm e retrouve entiè­


rem ent sa, séparation qui* ne peut disparaître à aucun m om ent
de la relation avec A utrui - et dont l’inaliénable souveraineté se
retrouve,dans la R eprésentation qui, m algré son «caractère condi­
tionné, garde le dernier m o t. - La philosophie du M êm e ne pourra
donc jamais être surm ontée. Mais le D ésir de, l'A utre resurgit
derrière l ’am our de la sagesse pour être, àn ou veau , repris dans
l’am our de la sagesse. C ette alternance m arque la structure de
l'Ê tre à la fois être et au-dessus de l’être.
252 Carnets de 'captivité
3° Philosophie = lucidité. Sans doute ! Lucidité = survol
= retour sur soi = réflexion : qu'en est-il ? O ù en suis-je ? Ques­
tion de l'être ! Elle est inséparable du regard rétrospectif, de
l'arrêt, de Vèno%f\. Mais ce retour sur soi n'a pas tenu com pte de
l’idée de l’Infini. Celle-ci empêche que l’on se retourne : on ne
peut se’dérober à son appel, pas de cach ette, pas d ’ombres. Mais
cette m arche toujours en avant est précisém ent la façon d ontde
sujet se dégage du relatif et le juge. Idée de l’infini = dégagem ent
qui n’est pas celui de la réflexion. L’attrait de l’infini, au-dessus du
dégagem ent de la réflexion. Le vrai dégagem ent !

4° Avoir l’idée de l’infini, est-ce dépasser l'idée de l’être ? Lidée


de l’être n'est-elle pas ultim e ? Certes oui, si l’idée de l ’infini est
intentionnalité, dévoilem ent, vérité. Mais l ’au-dessus de l’être
qu’est l’infini - a -t-il à se dévoiler e t répondre à la question an
sit ? L’idée de l'infini n'est pas une intentionnalité. Mais alors que
com porte encore de « spirituel » l’idée de l’infini ? La relation avec
l ’infini qui oublie la question d ’être est « plus que la pensée inten­
tionnelle au lieu d ’être considérée com m e une pensée m utilée ».
Soit. Mais que faire du retour de la question d 'être ? N ’est-il pas
le déniaisem ent de la naïveté (qui se prend pour souveraine) de la
relation (prétendue) avec l'infini ? C om m ent assurer la priorité de
l’infini ? E st-ce que entre l’être et le non-être « tertium datur » ?
5° Prem ier stade : s'opposer à l'abstraction du prétendu survol
de l’être. L'incarnation serait une façon d 'être libre dans la non-
liberté. Mais alors, enracinem ent, habitation, lieu, xénophobie,
priorité de la culture modifiant la terre dans la position sur terre
(A ntigone-: l'hom m e déchire par la charrue la déesse qu’est la
Terre). D ’où deuxièm e stade : un certain dépaysem ent, pas survol,
m ais libération à l'égard du lieu. C oncept fort de D ieu distinct
de tou t autre corrélatif. Sans rester indifférent au m onde qui vous
berce et vous abrite, s'élever au-dessus de ce m onde. H auteur
distincte du vis-à-vis par contem plation, mais visage.
Notes philosophiques diverses 253

<5>a

<f. 1 refctc» L’O ral et l’É crit

Le Talmud est une discussion, mais entre* intelligences réelle­


m ent différentes. C est-en affirmant que l’idée v it et devient dans
la discussion, <q u e> le talm udiste dépasse la lettre du texte et la
vérité com m e lettre. La vérité com m e lettre s’impose com m e toute
faite et {com m e} faite une fois pour toutes ét pour tous/ Les talm u­
distas o n t au contraire une conscience très vive de la structure
essentiellement dialectique de la vérité. Il s’agit d ’une dialectique
qui n’a rien de didactique ; qui ne ressemble pas au dialogue plato­
nicien où un seul interlocuteur sa-<it> - Socrate - sait où il va. La
discussion talm udique se joue'entre esprits réellement multiples ;
le rationnel tient, d ’après eux, essentiellement à une m ultiplicité
<f. 1 verso > de sens appelant précisém ent la discussion com m e
forme où elle s’accom plit {et se renouvelle} infiniment, et indéfini
nien t. La parolode D ieu selon une H agada est com m e un coup de
marteau m artelant le rocher et envoyant partout des éclats innom­
brables. C ’est la discussion qui <les -?-> {La com m unication entre
esprits} l’amène à sab révélation totale. Enferm er l’idée dans une
formule, c'est la transformer en idole. Dans ce sens un enseigne­
m ent oral n’est pas sim plem ent le surplus qui n’a pu être fixé par
écrit - il double éternellem ent l’enseignement écrit.* C ’est par la
question de l’élève interrogeant le riiaître et non seulement par la
question du m aître accouchant l’esprit de l ’élève que l’enseigne­
m ent écrit peut conserver sa dignité d’enseignement, c ’est-à-dire
d’une œ uvrespirituelle. Le Talmud prét end être cet

a. Huit morceaux de feuillets manuscrits recto, saufles feuillets 1 et 5, manuscrits recto verso.
Levinas a“écrir au stylo bille à encre bleue, sauf sur les feuillets 1 recto et 5 verso, qui sont rédigés
au stylo plume à encre noire. Certains ajouts sont au stylo bille à encre violette. Le papier est le
même pour tout ce manuscrit. Certains morceaux de feuillet laissent deviner un texte plus long
qui a été coupé. Ces éléments matériels permettent de supposer que Levinas a extrait ces feuillets
d’un ensemble plus vaste, et qu’il leur a ajouté deux développements (f. 1 recto et f. 5 verso) afin
de reconstituer uîi tout.
b. « sa » en surcharge de « leur ».
254 Carnets de captivité
<f. 2> Judaïsm e invulnérable à la critique biblique*

Les Rabbis sont des personnalités historiquem ent connues.


M êm e si les textes bibliques n'étaient pas rédigés à l'époque à la­
quelle on les rapporte - ils o n t été m édités, élaborés, codifiés.par
des penseurs qui n e sont ni peuple, ni collectionneurs de folk­
lore - par des consciences lucides et totales. Il im porte évidem-*
m ent d ’adm ettre cette intelligence et cette lucidité. Le judaïsme
post-chrétien, c ’est cette confiance. Il croit dans l'intelligence des
docteurs du Talm ud. Le Rabbi - com m e plus tard le rabbin -
n'est ni prêtre, ni thaum aturge, ni élém ent d ’un pouvoir quasi
politique intégré dans une hiérarchie. Il est une intelligence.
<f. 3> L'époque du deuxième temple, c'est l’époque même o ù ,
selon la science critique - pour- partir d’une position défavorable
à l’orthodoxie juive - la plupart des livres de l’Ancien Testament
étaient seulement rédigés. Ils étaient par conséquent.rédigés dans
l’ambiance même de ceux dont l’autorité se substituait à celle des
membres du sacerdoce et qui devinrent plus tard les pharisiens, - Si
on adopte l’autre hypothèse, celle de l’orthodoxie <f. 4 > juive qui
coïncide sur ce point avec celle de l’Église — si on situe la rédaction
des Écritures aux époques plus reculées, .attestées par les livres saints
eux-mêmes — c’est encore la tradition ininterrompue de la vie intel­
lectuelle et morale juive - aboutissant au Talmud - qui nous fournit
la clef de ces textes remontant aux époques inaccessibles à l’histoire^ et
sans la tradition juive obscurs. D ’autres traditions que la rabbinique
existaient peut-être dans le monde juif, mais c ’est la tradition rabbi­
nique qui fut lettrée. Ce sont les rabbis qui manipulaient les textesj£t
qui en dernier lieu en disposaient. Est-ce précisément leur interpré-,
tation qu’on refusera, alors qu’on a reçu les textes de leur main ?
<f. 5 recto > puisque Selonb un apologue célèbre du Talmud
{(M enachot 2 9 )} Moïse assistant par anticipation à une leçon d e

a. litre ajouté avec le stylo plume à encre noire qui a servi à remplir les feuillets 1 recto et 5 verso.
b. « Selon » en surcharge de « selon ». La majuscule en surcharge de ce mot ainsi que la rature
du mot précédent sont écrites avec le stylo plume à encre noire qui a servi à remplir les feuillets
1 recto et 5 verso.
Notes philosophiques diverses 255

Rabbi Akiba ne reconnaît pas renseignem ent qu’il entend alors


que Rabbi A kiba assure qu’il fut reçu par Moïse au Sinaï. La Bible
contient' tou t ce q u elle a engendré, mais, tout ce qu’elle a en­
gendré dans la continuité m êm e de lor tradit ion {rh isto ire} qui
s’en {était4}, nourrie {à chacun de ses renouvellements}.
Le talm udiste aborde {d on c}b le problème hum ain, social, moral
concret. Il le traite en esprit et en vérité et <f. 5 verso> il rattache
son idée au verset après coup, mais c ’est du »verset qu’il découle
tout de m êm e, car c ’est l’esprit biblique entièrem ent révélé qui
a perm is de traiter le problèm e en esprit et en vérité et de lire le
verset de cette nouvelle manière. Personne n ’est donc plus éloigné
du sens littéral que le D octeur du Talmud.
<f. 6 > Le développem ent de la vérité n ’est pas le passage {du
con cep t} à une percep tion , mais un développem ent du {con cep t
dans 1^ pensée des hom m es}c discours. O u si l’on préfère une
autre, forjnule : pour le judaïsm e {D ieu } ne s’incarne pas. N on
pas parce q u ’un tel événem ent serait co n trad icto ire ou- m ysté ■
fieu x ou choquant pour la raison, m ais parce q u ’il placerait .la
p erception au-dessus de 4a p ensée {du verbe} et co m p ro m ettrait
l’intériorité.
< f.7> et -s arrête-en Pa lestin e*1. A u com m encem ent étaient les
juifs. Les forces religieuses ont été lancées dans notre monde par
le peuplé ju if qui, pour S£ p art, n ’a connu'qu’une existence poli­
tique trè£ précaire, sans souveraineté véritable, se jouant sur un
territoire ?m inuscule, une histoire ,qui n'avait été politique que
pendant.neuf siècles sur quarante. Q uelles sont4es {P eut-on parler
d ’un p < interrom p u >

a. « était » en surcharge de « est ».


b. Les quatre derniers ajouts de cette page sont au stylo bille à encre violette repassé avec le
srylo plume à encre noire qui a servi à remplir les feuillets, 1 recto et 5 verso.
c. Levinas.avait d'abord ajouté, au stylo bille à encre bleue : « (concept dans le) », puis il a
modifié cet ajout et barré le mot « discours » au stylo bille à encre violette.
d. Passage barré qui est la fin d'une phrase figurant sur le tiers supérieur du feuillet que Le-
vinas a déçhiré.
e. La suije de ce passage barré ainsi que du texte qui le corrige et qui aurait sans doute dû être
barré lui aussi se trouvait sur le tiers inférieur du feuillet que Levinas a déchiré.
256 Carnets de captivité
<f. 8> Ju stice sociale ou salut personnel - le dilem m e n’est pas
seulement artificiel pour le judaïsme. S’il y avait alternative — le
choix n’aurait fait aucun doute. N e pas reconnaître que la misère
de l’hom m e est la m isère, c ’est finalement perpétuer cette misère
et rendre caduques les' valeurs mêm es auxquelles on l’a sacrifiée.
C ’est là une idée qui perm et au judaïsme de se reconnaître dans
les m ouvem ents sociaux modernes. E t ce que le christianisrne
social préconise depuis un siècle — le judaïsme le demande depuis
deux m ille ans.

<6>a

<f. 1 > se précisém ent la distance : savoir que la face que l’obstade
m ’offre ne résume pas l’obstacle - c ’est-à-dire le pouvoir de parler
à quelqu’un de l’objet au lieu de buter contre lu i.‘Dans cè sens
le travail, est travail en com m un. La force de la volonté est faite
d ’union de volontés — elle est d ’ores et déjà sociale.
Mais le travail, c ’est-à-dire la conscience n’est possible que p
on est entièrem ent séparé - athée < sic> . L’être séparé, se sépare
dans le bonheur, mais il ne peut travailler que, dans son m ilieu,
il à conscience <sic>. C om m ent cependant la conscience est-elle
possible dans un monde où nous logeons ? C om m ent se faitr-il que
nous n ’aimions pas seulem ent la vie, mais que nous travaillions"?
Il faut pour cela que la vie dans sa séparation et son athéism ê,
entretienne une relation avet un point fixe hors de soi qui ne fasse
pas partie du <f. 2 > chez soi — que nous puissions en quèlque
façon décoller de notre condition. D écoller - cela ne signifie
nullem ent se transporter hors de chez soi — mais chez soi rencon­
trer un être qui n ’existe pas en vue de m oi ou contre m oi, mais en
soi et par rapport à qui le m onde d ’ores et déjà fait contre lequel je

a. Quatre feuillets d'un même papier manuscrits recto, que Levinas a rassemblés dans une
chemise. Ils sont manifestement extraits d’un plus vaste ensemble, car Yincipit du manuscrit est la
suite d’une phrase qui commençait sur un autre feuillet qui n’a pas été conservé et, d’autre part, le
manuscrit s’interrompt brusquement.
Notes philosophiques diverses 257

m e bute n'est pas tou t ce qu'il est pour m oi. Il faut que le monde
soit pour moi autre chose qu'une nourriture ou un chez soi - qu'il
devienne thèm e. Pour cela il faut que je puisse parler à quelqu'un.
La relation que présuppose ce passage à la théorie est par-dessus la
séparation et l’athéism e la relation avec autrui telle qu'elle puisse
enlever à l'être séparé sa position centrale dans l'univers.
La volonté n ’est donc pas la liberté d ’un être causa suiyni l’ascen­
sion aua <f. 3> rang de causa sui.
C ’est ce par quoi un être qui n'est
pas cauja sui est en société, parle à autrui, est capable de questions
et de réponses, est responsable. La responsabilité, ne repose pas sur
la liberté-, elle fonde la-liberté sous la seule forme possible à un être
en relation et qui demeure absolu au sein de la relation. Vouloir,
ce n’est pas nier Dieu, mais refaire le monde, sortir du monde tout
fait, civiliser. L’indépendance de la .volonté ne doit pas être prise
pout. lutte, violence et négation. E t c ’est parce que la volonté ne
peut être comprise que com m e condition de la parole qu'on a vçulu
l’identifier avec la volonté de l’universel. L’essence de la parole elle-
m ême a été située dans l'universalité de la pensée com m e ce par
quoi l’être particulier se dépouille de sa particularité substantielle.
C ’est que le rationalisme ne peut adm ettre une m ultiplicité paci­
fique, ne voit entre particuliers que de la violence et les rapports
pacifiques entre individus <f. 4 > ayant abdiqué leur individualité.
Il n'a pas vu dans le langage la relation entre absolus, antérieure à
l'interaction de libertés. L’indépendance de l'être dépendant n’est
pas un concept construit, c'est k volonté. Elle est le mode d'être par
lequel se fait la séparation. Elle n'est pas le fait d'un être seul, mais
d'un être sortant du système pour parler. O n peut appeler créature
un être qui par la volonté affirme l’indépendance de l’existence dont
il n'est pas l'origine. Dans ce sens, seul l’être créé est volorité. Dans
ce sens seul l'être créé est en société. Dans ce sens la création est la
seule possibilité de k m ultiplicité. Dans ce sens seul l’être créé est
métaphysicien. La créature ne consiste pas à avoir une cause exté­
rieure à soi, mais à être indépendant dans cette dépendance.

a. « au » écrit une seconde fois au début de la page suivante.


258 Carnets de captivité

La-chose,- de pri-m e abe rd^ -se présen te < in te rro m p is

<7>a

<f. 1 > N otes diverses sur la volontéb.

<f: 2 recto> A nim al politique, anim al Civilisé, — l'être s’ac­


croche à l ’extérieur pour son indépendance m êm e. L’extériorité né
lui foürnit pas seulem ent les armes contre les menâces ambiantes.
La liberté réside dans cette libération. La m aîtrise de soi se ñourrit
de la m aîtrise du monde. L’appétit de la vie, la m u ltip licité des
expériences et des sensations accroît et confirme l’existence. La
civilisation européenne est une conscience d’une civilisation - elle
consiste à reconnaître cette présence indispensable des œuvres
humaines, de l’hom m e extériorisé en elles, com m e conditions de'
la liberté et de la dignité humaine.
Mais cette prom otion du désir ne suffit pas au principe qu’ellé
exprim e. Dans le désir, le sujet à la fois se nourrit d ’être, mais aussi,
assouvi, s’en détache. Il faut q u ’il possède au-delà de ce q u ’il tient
en m ain, au-delà de ce qu’il consom m e et utilise à chaque instant?
N on pas seulem ent pour assurer sa sécurité, pour se prém unir
contre les <interrom pu>
<f. 2 verso>c Elle suppose des êtres intérieurs, etj susceptibles
capables d ’activité et susceptibles de passivité et à la fois des êtres én
relation avec l’extérieur (condition que l’être causa sui ne réalise pas).
a. L’ensemble comprend sept feuillets : les feuillets 1 et 2 (verso) sont manuscrits, les feuillets 2
à 7 sont dactylographiés recto et comportent des corrections et des ajouts manuscrits. Le feuillet 1
est écrit au stylo plume à encre noire, le feuillet 2 (verso) au stylo bille à encre bleue. Les feuillets
2 à 6 sont des morceaux de feuillets dactylographiés - sans doute extraits d’un même ensemble,
auquel appartenait aussi le feuillet 7, car le papier ainsi que l'instrument d’écriture sont identiques
—dont Levinas n’a voulu conserver que certains fragments textuels. Ceux-là ne sont pas toujours
soigneusement isolés, c’est pourquoi le texte de certains feuillets soit débute par la fin d’une phrase
qui commençait sur la partie supérieure du feuillet qui a été déchirée ou sur le feuillet précédent
qui n’a pas été conservé, soit se poursuivait sur le même feuillet que Levinas a tronqué ou sur le
feuillet suivant qu’il n’a pas conservé, et est donc interrompu.
b. Écrit au stylo plume à encre noire.
c. Écrit au stylo bille à encre bleue.
Notes philosophiques diverses 259

<f. 3 > a C est pourquoi lexpérien ce de la volonté et l’expérience


d’autrui au sein de la volonté ne peut consister en la découverte
pure et, sim ple d ’une-raison impersonnelle. Vouloir c ’est décider,
c ’est être seul au m onde, d une solitude réelle et non pas sim ple­
m ent personnelle {rationnelle :} ne plus recevoir d ’ordres, être à
l’ofigine et non pas sim plem ent jouer son rôle dans un système qui
le prédéterm ine ou développer le concept de son caractère {.} e t
D eb-m êffle {Vouloir c ’est donc s’opposer à autrui - non point être
< xxxxxxx> t- mais s’opposer de jcette opposition qui rend possible
la guerre pu la p aix —s’opposer en reconnaissant autrui dont je m e
distingue., Goncrètem ent cette, opposition est accom plie dans un
m ouvem ent allant de la paix à la guerre et de la guerre à la paix.
E t-ü M êm e s’il est certain com m e d it Platon que la paix est préfé­
rable. V érité de Clinias contre l’A thénien qui; réduit < xxxxxxxx>
à la lu tte apurement intestine6} Lec rapport avec autrui d ’où je
peux m e voir du dehors, mais où cependant je demeure un moi
séparé, se, manifeste dans l’action. La volonté est l’accom plisse­
m ent d ’une séparation : elle ne se posed' pas pour, cela en s’oppo­
sant, mais être séparé, c ’est aussi pouvoir s’opposer. Désirer avec
quelqu’un, mais de telle manière qu’on puisse aussi désirer contre
quelqu'un. Pour nous, toujours le raisonnable suppose la société
et nompas la société le raisonnable6«
<f. qui subsisterait^ à côté d ’un être libre, nierait cette
liberté5.
{La} Volonté pensée com m e {identifiée avec 1’} intériorité,
{(}à laquelle conduit l’idée duh libre arbitre {)‘} aboutit ainsi à la

a. Les ratures, ajouts et surcharges de cette page sont au stylo bille à encre bleue.
b. «De » en surcharge de « de ».
c. « Le » en surcharge de « le ».
d. « se pose » en surcharge de « s’oppose ».
e. On hésite ici entre un soulignement et une biffure.
f. Les ratures, ajouts et surcharges de cette page, à quelques exceptions près que nous signalons
en note, sont au stylo plume à encre noire.
g. Suite d’une phrase qui se trouvait sur la partie supérieure du feuillet qui a été déchirée.
h. « du » en surcharge de « de ».
i. Les parenthèses sont au stylo bille à encre bleue.
260 Carnets dexaptivité
négation dea individus {substances} m u ltip les {to u te extério­
rité} (si ce n ’est pour l'im agination) dè volontés m u ltip les:b-q t»
{Q r celles -ci} sont- inséparables, en t a i t , de -notre ’exp érience*de
la vo le n té et de la réflexion sur la Volont é: {et par conséquent de
toute m ultip licité dans l'hêtre. N ous -ver-fOns Tout le monde sait
que cela est contraire à notre expérience <em p-?> de la v o l o n t é s
certainem ent Spinoza aussic.}
Si nous nous tournons, en effet, m aintenant vers notre expé­
rience de la volonté, nous aboutirons à des élém ents totalem ent
opposés à ceux que nous venons de rappeler. L'expérience de la
liberté que nous avons à travers la volonté, non seulem ent n 'ex­
clu t <pas> læ m ultiplicité, mais trouve en elle sa condition*1.
<f. 5 > e C om m ençons- par une {Rappelons la} définition de la
volonté, teHe-que {par} Descartes { .} f la- donne dans-les- M éd ita -
t-tons. -Voüft-ce -qui- est d it dans la Méditation IV : « La volonté
consiste seulement en ce que pour affirmer ou nier, poursuivre ou
fuir les choses que l’entendem ent nous propose, nous agissons de
telle sorte que nous ne sentons point qu'aucune force extérieure
nous y contraigne7.
{---------}
D e cette définition, nous voulons retenir deux points :
1) La volonté est saisie à partir de l'œ uvre de la vérité. {L'essence®
de la} volonté dont dépend l’action hum aine et par conséquent
l'histoire humaine est saisiessable par11 D escartes de la m anière la
plus originelle à p artir de la vérité. La* vérité se trouve ainsi être

a. « de » en surcharge de « d’ »
b. « . » en surcharge de « , ».
c. Paragraphe barré d'une cancellation en croix. À gauche de ce paragraphe, dans la marge,
on lit l’ajout suivant : « Vouloir c’est donc être de teHe manière à supprimer son opposition aux
autres en entrant dans comme <interrompu> ». Dans cet ajout, « entrant » est en surcharge de
« rentrant ».
d. À gauche de ce paragraphe, dans la marge, on trouve l’ajout suivant, en partie barré au stylo
bille à encre bleue : « Vouloir qqch. ne diflcre pas formellement de désirer qqch. »
e. La première rature et la première correction sont au stylo plume à encre noire ; les autres
ratures, corrections, ajouts et surcharges de cette page sont au stylo bille à encre bleue.
f. Il convient de ne pas lire le point, qui n’aurait sans doute pas dû être ajouté.
g. « L’essence » en surcharge de « La ».
h. « par » en surcharge de « pour ».
Noies philosophiques diverses 261

l'événem ent central de l'histoire. M algré toutes les différences qui


séparent Descartes et H eidegger, il y a {là} une certaine analogie.
Com m e pour H eidegger, l’histoire est contenue dans un mode de
vérité et révélation ded’être. Rappelons la phrase heideggerienne,
l’une des4 innombrables de ce genre, à la page 3 2 de ¥ Introduction
à la métaphysique : « L’Ê tre n’ést-il qu’un simple m o t, et sa signifi­
cation, de la fumée ; ou nous cach e-t-il le destin spirituel de l’O c­
cident8 ? » {Le destin de la volonté est fonction d ’un événement
impersonnel de révélation de l’Ê tre, qui com m e nous le savons
depûisJH ., se m ue en événem ent personnel. N ous y reviendrons
dans la conclusion13.}
{----- — }
3 ) Retenons la référence de la volonté à la liberté : à la liberté
<interrom p u >c
< L 6 y de-soi et d ’aut rui-s uf- un- p k ft com m un quelconque , mais
un accord, un o u i/1Derrière l’acte de la guerre, de la violence, de
l'action rde l’un sur l’autre — et violence est l’action de l’un qui
ne se définit p as.p ar l’autre sur cet autre qui ne se définit pas
par. l’un - il y a parole ou rencontre du visage de l’autre. Quand
autrui est à terre il faut le relever pour traiter avec lui.
<f. 7 > e Vouloir quelque chose ne diffère pas form ellem ent du
désirer quelque chose. Ce q u ’on veut peut aussi être désiré et
inversement. O n veut contre le désir mais on désire aussi contre
le désir..Il est vrai que quand on désire contre le désir, on veut.
Le désir pur ignore les autres désirs, il est envahi par lui-m êm e,
il est ivre de ses propres vapeurs. La volonté n’est pas seulement
dans l’opposition entre m oi et le monde qui caractérise le désir,
mais dans l ’opposition de m oi à soi. Il s’ag it de cette guerre intes­
tine dont parle Platon, dans Les Lois, et par laquelle’ individu et
É tat peuvent être au-dessus - et au-dessous d'eux-m êm es9. On

a. « des * en surcharge de « d’ ».
b. L’ensemble du paragraphe esc barré par une croix de Saint-André.
c. La suite se trouvait sur le tiers inférieur du feuillet que Levinas a déchiré.
d. Rature au stylo bille à encre bleue.
e. Les ratures, ajouts et corrections de cette page sont au stylo bille à encre bleue.
262 Carnets de captivité
ne peut pas présenter ce conflit com m e ùne lutte de deux forces,
deux forces {quand elles n’anim ent pas deux personnes, ou deux
volontés} ne lu tten t jam ais, m ais donnent un résultat. Interpréter
la volonté co m m e lu tte de forces, c ’est en faire une illusion. C ’est
la m êm e personne qui est en conflit avec elle-m êm e, c ’est-à-dire,
dans une certaine mesure est en dehors, d ’elle-m êm e. La volonté
suppose ce décollem ent à l’égard de soi. Vouloir, o’est se voir du
dehors.
O n peut certes parler ici de l’apparition de la raison, com m e
d ’un Deus ex machina.* Mais la présence d ’autrui fournit la possi­
bilité concrète de se voir du dehors. Vouloir, c ’est com m e si on
avait parlé à autrui. D ’où tous les développements qui identi­
fient volonté et discours, mais la plupart du tem ps il s’ag it d ’un
discours non pas entre interlocuteurs, m ais du discours au sens
de logosimpersonnels qui rendrait possible toute interlocution ;
autrem ent d it, identifier discours et volonté, c ’est identifier
volonté et intelligence
Cela n’est pas conforme à l ’expérience de la volonté. Certes elle
nous apparaît com m e une-con train te ,- com m e [ a c c e ptation-d -’une
loi qui nous dépasse {nous dépassant}. Mais dans la volonté, nous
sommes au plus < in t e r r o m p e

<8>ft

Sens et signification

I o Le problèm e du sens n ’est pas purem ent logique. Il surgit


quand de l’être s’obscurcit, d ’une désorientation.
2 ° Sens n ’est pas le donné, com m e pour les positivistes logiques
sens = ensemble d ’expériences sensibles c.-à -d . de donné (sensible
= donné).

a. Rédigé sur les pages vierges d'une carte d'invitation double (1954).
Notes philosophiques diverses 263

3° Læ sens se <réfère ?> au langage, le langage n ’est pas signe du


donné, mais m étaphore. Priorité du sens figuré sur le littéral.
4 ° A ntériorité du langage par rapport au donné suppose habita-
tipn du m onde, « historicité fondam entale10 » par-delà la struc­
ture noèse.-noème.
5° La culture est antérieure à la passivité de la réceptivité. Q uin­
tessence d e'la cu lture, = art. Signification, expression en général,
s’oppose à la sensibilité.
6 ° Le donné = résidu des significations culturelles : objet pour
un sujet* vérifiable par la technique (signification parm i tant
d ’autres). La signification culturelle a une structure latérale.
7 ° Les significations que l’art révèle, ne viennent pas de l'objet,
luisent de derrière l’objet. O n l’appelle être de l’étant. C ette sphère
suscite,le,sujet, com m e le sujet idéaliste constituant l’objet.
8 ° D ’où.révélation historique des significations. Elles ne sont pas
séparables de la culture qui les suscite. O n n!abat pas les échafau­
dages, on ne tire pas l’échelle.
9 ° A pti-platonism e. Désorientation. Équivalence. Décolonisation.
1 0 ° La .structure culturelle de la signification atteste un monde
rigoureusem ent hum ain — c.-à-d . historique = visible = fini = du
présent et du -temps = de la pensée = de la compensation = de
l’économ ie = de la liberté. Pas de générosité, de gratu ité, d ’action
pure.
1 1 ° M onde à p artir de l’A ction - orienté ; et il n ’y a de sens que
comme: orientation. (Pas de rom antism e de l’A cte.)
1 2 ° Le sens = l ’être est orienté. Sens = orientation. Ê tre orienté =
agir.
1 3 ° C om m ent une orientation est-elle possible ? Répondre à cela,
c ’est analyser les conditions de l’A ction.
14° II
a V a pas d ’abord vie qui ensuite reçoit un sens. La vie est
d erqblée orientée.
1 5 ° A ction (= orientation totale) suppose a) pas de retour sur soi
(pas de pensée au sens absolu du term e, pouvant absorber l ’a tti­
tude) b) aboutissem ent, prise sur le réel (sans quoi l’action serait
jeu).
264 Carnets de captivité
1 6 ° O rientation sans retour = gratu ité de l'initiative et ressourcés
infinies dans le sujet en tan t que sujet’ = liturgie -= ne pas chercher
la contem poranéité Csuccès, com pehsation dans toute con tem ­
poranéité) = ne pas être impressionné par le présent' = patience
(non pas passivité devant l'avenir qui tarde, mais mépris pdur ië
présent et le tem ps) =
1 7 ° O rientation sans retour = non réciprocité en donnant cë
que sollicite le visage = assistance d'A u tru i à sa révélation = 'paÈ
d ’im age plastique ou visuelle = signification sans contexte =
sollicitant assistance et liturgie. La non-réciprocité = hauteur.
1 8 ° O rientation = Désir* sans d é f a u t- désir du surplus* d e
l'infini « ненаситимое состраданье11 ».
1 9 ° Contem plation esthétique ü travers le D ésir sans défaut.
2 0 ° Terme de l'orientation : absolu = visage présent en personne.
Source de sens - A utrui.
2 1 ° A boutiss1 nécessaire de la liturgie — sans quoi le sens serait
non-sens. Le jeu manque de sens.
2 2 ° Terme ultim e de l'A ction — Irrévélé. Mais qui n'est pas
m ystère, lequel est la négatiofi du révélé. Le couple Révélé-M ysté-
rieux est de l'ordre du fini — « pensée » , « savoir » , catégorie
(opposée à l’attitude). Dans le visage qui est révélation — dim en­
sion de la hauteur. *
2 3 ° La dimension de la hauteur ne peut être posée com m e ultim e
signification, bien que l'expérience de la hauteur spatiale supposé
déjà la signification. L'Irrévélé —И - qui n ’est pas l'Ê trê de l'É ta n t,
mais l'Infini.
2 4 ° Visage pas signe de l ’Irrévélé ou de l'Infini, mais sa trace. Lé
visage a un sens, parce q u ’il est la trace. La trace dans le visage
= avenir au-delà de l'avenir.
2 5 ° Phénoménologie de la trace : véritable relation avec la transcen­
dance. Le passé. Dans le visage, le passé est avenir. C'estf toujours passé
et toujours à venir1*. Éternité qui n'est pas un résidu du temps.

a. Graphisme incertain : le mot est peut-être précédé du signe = (égal).


b. Graphisme incertain : on peut lire « à venir » ou « avenir ».
Notes philosophiques diverses 265

26° P roxim ité et jamais coïncidence -ra p p ro c h e m e n t. C ’est


en cela que D ieu diffère de l’Être de l’étant. Voisinage — non
m ystique. Ê tre de l’É tan t est lum ière. In fin i^ <ou ?> Désir sans
défaut. Sa non-satisfaction, est son excellence. Plénitude du vide.
A ccom plissem ent de cette plénitude — infini.
2 7 ° Platonism e. Le sens avant la culture.
2 8 ° Signification - nécessairement abstraction.

< 9>

Le problème : l’hom m e moral n’est pas la bonne volonté seule­


m ent — car J a liberté peut se trouver dans les circonstance^ où elle
n’est plus libre (souffrances, toitu re, menace de. m ort dont elle peut
certes triom pher mais où elle peut succomber. La liberté n’est pas
héroïque*). L’hom m e moral est donc obligé de créer des institutions
où la liberté pourrait s’exercer. L a politique au-dessus de la morale.
Mais l’institution de la cité peqt à son tour, devenir inhumaine.

<10>b

L’être pour la m ort de l’aventurier ?

< 11>
Durée bergsonienne et durée de la filialité.

< 12>

Discours - sim ultanéité de deux ; représentation : présent, unité.

a. Souligné au stylo bille à encre bleue. Tout le reste de cette note est écrit au stylo bille à
encre violette.
b. Rédigé au verso d’un morceau d’imprimé portant la date de 1955-
266 Carnets de captivité
<13>

Le m oi se détachant de soi - apostasie.

< 14 >

< recto > D ésir


На севере диком рас те т [стоит]одиноко
На голой чтесе {вершине} сосна12...
E st ce de H eine ?■ou de Lerm ontov
Abandon — mais présence4 d une existence glorieuse et triste — le
bonheur de cette présence est plus que la participation à cette
présence - Désir de cette présence et non pas besoin d'exister
aussi.

< verso > Le m erveilleux c'est que Lerm ontov a traduit en om et­
tan t la différence de genre Fichtenbaum Palmelb —
la relation devient entre être —
au-delà de l'érotique -
(ou en deçà)

<15>

Conversation mondaine - coexistence sans silence.

< 16 >
La source du verbe qui nom m e dans le verbe qui crée.

a. « présence » en surcharge d’un mot illisible.


Noies philosophiques diverses 267

<17>a

Catégories

Rires - pleurs - chatouilles


Misère — n u d ité — V ictoire
Paternité - Chaud - froid

<18>

Identité de sensation et de sentim ent.

<19>

Le pouvoir m étaphorique des m ots com m e « au-delà » , « trans­


cendant » , « à l’infini », Dieu.

<20>b

C ette déception constante dans une œuvre qui, cheç les modernes
du moins, s’adresse à nous, mais ne tolère pas de questions, parlp
com m e pour soi - constitue com m e le plaisir propre et la m agie de
l’œ uvre-d’art. C ette aube de sens qui n’arrive pas à se faire soleil,
< c’est/cette ?> Galatée qui est prête à parler, mais ne parle pas.

< 21 >

Im patience - contenu du désir, et non pas seulem ent sa formec.

a. Rédigé au verso d’une carte d’invitation (1956).


b. Rédigé au verso d’une cane d’invitation (1954).
c. Sur la ligne du dessous, à droite, le nombre « 280 », dont la signification reste obscure,
entouré et peut-être biffé.
268 Carnets de captivité

D égoût organique - de l’organique* d ’autrui — est le contrepied


de l’am our ou du visage ?
D égoût de l’organique : horreur du con tact - lecture par-dessus
l’épaule - livre froissé, vêtem ent, verre —
D éjà en dehors de l’indifférence : ordre de la haine et de l'am our,
mais expérience de l’altérité -
Visage — retour à l’indifférence.

L’expérience du visage — est la relation dissym étrique.

Les libertés entre elles - sont des forces - réciprocité.

Pourquoi la non-réciprocité fonde la volonté - distincte de la


liberté.
D ignité du créé.

<22>b

A tten tion - pouvoir d ’apprendre - culm ine dans la vision ou dans


le rapport avec l’en soi du m aître.
A utrui - noumène - pouvoir d ’apprendre - atten tion ; pouvoir
d ’apprendre - société.

a. Au-dessus de ce mot, ceci, qui est barré : « 120 - <xxxx.y ».


b. Noce rédigée au verso d’un feuillet imprimé recto de format 10,5 x 13,5 cm plié en son
milieu. Nous ne donnons que la première page manuscrite, utilisée dans le sens de la hauteur, la
seconde, utilisée dans le sens de la largeur, comportant un texte en partie tronqué - suite d’uq
développement commençant Sur un autre feuillet qui n’a pas été conservé —qui a été biffé par
Levinas, et qui est sans rapport avec le précédent. Le voici, en note :
« histoire. Mais nous voyons de quoi l’histoire est faite : elle est faite de la multiplicité même des
volontés1et de puissance.
Mais sous <interrompu ».
Ce texte est en outre biffé par deux traits obliques.
Notes philosophiques diverses 269

< 2 3 > ft

D ire que le oui et le non ne sont pas les premiers m ots - c'est ¿ire
que le dialogue est initialem ent parole sur quelque chose et sur
« lui ».

<2 4 > b

1) L'identité - ne trouve pas le tem ps —l'identité — c ’est le fait de


se trouver dans le tem ps - c'est cela le m êm e.
2) La m isère c'est- donner c'est le com m un c 'est le <xxxxxxx>

<25>c

La jouissance = indépendance dans la dépendance.


Le travail procède de cette indépendance — il vient de l'intério­
rité pour y amener l'extériorité qui, par elle-même, s'oppose à l’in­
dépendance. Le travail est donc la position de l'être séparé à travers
laquelle l'A utre devient le M ême. Concrètem ént - cette position
est corps. Elle est l'ajournement de l'échéance ou l'A utre engloutira
le Même. Elle é$t conscience. D onc corps = conscience.
Mais Cette structure de corps = conscience" qui se dessine dans le
travail, se concrétise com m e maison qui m et en question m a position
naturelle sur terre par l'Autre antérieur à la Parole ou le Féminin.

<26>

Le caractère toujours positif de l'infini —

a. Rédigé au verso d’une carte d’invitation (1953).


b. Note manuscrite rédigée sur un morceau de papier (il s’agit de la marge de gauche du recto
dactylographié d’un feuillet dont est encore lisible la première lettre de chaque ligne). Nous ne
donnons pas le verso manuscrit qui ne contient que des débuts de ligne.
c. Rédigé au verso d’une carte d’invitation (1953).
270 Carnets de captivité
Il faut d abord relever le caractère toujours positivem ent orienté
de l'infini. E lle II n'a pas de pendant négatif. L'infiniment p etit
est positivem ent infini, un de plus en plu s. ..

< 2 7 > ft

O n ne p eu t pas tirer l'altruism e de l'égoïsm e : deux entêtem ents


ne donnent pas une raison — M ais on peut m o n trer en quoi la
raison les dépasse. La dialectique suppose un esprit accom pli.
Toute dialectique est <ee rm p t ?> crégressive ?> .

<28>

La célèbre définition de la pensée par Platon com m e dialogue


silencieux de l’âme avec elle-m êm e - lie le langage à la pensée, lui
enlève son caractère secondaire de sim ple expression d'une pensée
pré-existante.
Elle néglige, dans le langage, le rôle joué par l'interlocuteur
réel, par la personne invoquée, par l'invocation.
Dialogue silencieux, cela revient certes à affirmer le caractère
dialectique de la pensée, son articulation et son m ouvem ent, son
étrangeté à l'intuition, purem ent réceptrice de contenus.
Dans le Cratyle
, instrum ent de révélation et d'enseignem ents,
en tant qu'il dispose de m ots ; m ais, dès lors, il est com m e tout
autre instrum ent (dans Sein undZeit : zuhandenes), subordonné à la
pensée qui l’invente d ’ailleurs dans son com m e son instrum ent
(rf. la fin du Cratyle) et qui est la science elle-m êm e laquelle se
joue dans l'esprit du législateur du langage.

<29>b 1

R éconciliation du point de vue personnel et universel - dans

a. Rédigé au verso d'une cane d'invitation (1953).


b. Rédigé au verso d’une lettre publicitaire non datée mais que son contenu permet de dater
de 1954.
Notes philosophiques diverses 271

une distinction entre une personne em pirique et une personne


kantierlne constituée par l’universel {B ru n sch vicg}4
Volonté - action dirigée par l’universel (H egel).

Kant. Bruns p. 1 3 3 14. U n ité achevée = le fini


D écrire la volonté par la raison - c ’est instaurer la tyrannie de
l’É tat.

<30>b

Sens

1° L’expression ne se réalise pas com m e un projet préalablem ent


conçu.
2 ° L’expression culturelle se révèle déjà dans l’Expression préa­
lable.
3° L’expression peut être a) signe de com m unication, b) change­
m ent d ’après son idée = négativité, conform ation du monde aux
besoins c) célébration d) trace.
4 ° La quête de sens est expression qui déborde la face subjective
qui reflète, le sens. Le sens ne saurait s’inventorier dans la quête
du sens,
5° Le parallélisme noème-noèse est troublé avec l’expression.
6 ° C ulture : penser du sens = expression du sens ; expression du
sens est 'plus que la pensée qui la visait. La pensée qui cherche
l’adéquat le déborde dans l’expression. Expression : rapport de la
pensée au m ouvem ent corporel qui célèbre avant de modifier, de
travailler, de ré-agir.
7 ° Il n’est pas exact que le besoin donne un sens unique - puis­
qu’il divise les hom m es, les particularités des cultures revêtent

a. Ajouté au début de l’interligne suivant dans le manuscrit. Tout comme le nom de Hegel
plus loin, celui de Brunschvicg doit sans doute être mis entre parenthèses.
b. Rédigé au verso d’une carçe d'invitation (1953).
272 Carnets de captivité
les besoins, les particularités deviennent besoins eux-m êm es et
divisent. Les nationalismes dom inent les économ ies. Les langues
diverses sont souhaitées p ou r elles-m êm es.

<31>a

Prendre

Le sujet = réceptivité (em pirism e et m êm e intellectualism e),


praxis qui fournit les pensées. M êm e l'être de l’étatb est accueilli.
Sujet = pour soi fait de besoin.
Donner
Le sujet : responsabilité, donner, se sacrifier, Désir.

<32>c

Ê T R E et D IE U .

<f. 1 recto > La notion de transcendance semble jurer avec la


riotion de philosophie. La divinité de D ieu - si elle est faite de
transcendance — échappera à la philosophie.

S'il est impossible de douter de l'essence théorétique de la


philosophie, toute transcendance perd son étrangeté dès q u ’elle est
comprise philosophiquem ent - {Devenue vraie, la transcendance}
se naturalise, se soumet aux conditions de la connaissance, com m e
si l’étranger n’avait jamais été étranger, mais seulement obscur.
Ce qui de prim e abord se présente tout autre est déjà familier
au sujet - à sa mesure et à sa manière. (N on pas qu’il y ait là une
adéquation com m e celle des triangles congruents. Voir 4 e volet.d)

a. Rédigé au verso d'une carre d’invitation (1954).


b. Il faut peut-être lire « l'étant ».
c. Note rédigée sur les pages vierges et sur l’une des pages imprimées d'un faire-part de ma­
riage (1957) plié deux fois en son milieu. Celui-ci comporte ainsi quatre feuillets.
d. C’est-à-dire le quatrième feuillet.
'Notés philosophiques diverses 273

Tbute rehcontre d'altérité que nous puissions faire dans notre


vie — que ce soit dans la falrfl ou dans le froid, dans la peur, dans
la douleur, devant l’incionnu ou le problématique,*Se laissé réduire
à une expérience, prend un Sens ou prom et un sens, <f. 2 verso>
se délim ite et se définit à l'intérieur de notre m onde, prend- un
sens,-se conjure par la philosophie. Prenant un sens cette réalité
en fin de com pte s'embrasse, "se com prend. La connaissance en
effet<est le éreuset où tou t A u tre que le Même,' se m ue en M ême.

Là transcendance ne se refuse pas à la* connaissance, parce que


la connaissance serait lim itée fcet incapable d e recevoir certaines
réalités, mais parce qüfe dirigée vers l'extériorité elle situe aussitôt
dafis les horizons du m onde qui lui est d'ores et déjà familier.
D ans'ces horizons, l'extériorité elle-m êm e sera explorée.
<£: 3 re cto s L'autre ainsi convertible en m êm e à travers la
connaissance, la philosophie européenne l'a appelé être.

D e Parm énide à H eidegger - corrélation entre être et connais­


sance, non pas en ce que l'être est qqch. de subjectif, mais en ce
que sa production m êm e est lum inescence et appel à ce singulier
vis-à-vis qu’est la pensée de l’hom me.

’L e tre est une production - un dévoilem ent, un jeu de cache-


cache.

if y aurait donc une lutte sans m erci entre les positions reli­
gieuses fondées sur une relation avec Tabsolum ent <f. 4 verso>
A utre et la philosophie qui étend sa juridiction à l’expérience
religieuse elle-m êm e pour en retenir la signification im m anente
et pour-rejeter com m e insuffisamment pensé (c'est-à-dire com m e
un non-sens ou com m e illusions) tou t ce qui serfible, de prim e
abord, excéder l'im m anence.

La vérité = situation exceptionnelle où deux ordres différents


se conform ent l'un à l'autre.
274 Carnets de captivité
La vérité n'est pas congruence {de l'im age e t de l'o b jet}, mais ce
par quoi l'être, par lui-m êm e indifférent à la relation (en soi) - tel
qu'il est un dans la hypothèse du Patynénide —sz
découvre,, se
m ontre, rayonne, déborde sa propre plénitude, ém ane, se produit
pour être ailleurs qu’en soi. Répété infiniment sur les écrans, il
entre dans des intérieurs. Il n’est pas seulement identique à lui-
m êm e, E n dehors de soi de par son rayonnem ent il devient
semblable à lui-m êm e, adéquat à soi. Ce qui psychologique1 est
représentation vraie dans un M oi, est cette pro-duction de l'être
où advient originellem ent sa ressemblance à soi, l’adéquation
prem ière supposée par ttes les autres4.
<f. 4 recto > L’être qui initialem ent se prétend étranger, absolu,
seul et unique et quib, par rapport à notre identité nous appelons
autre, projette des reflets et se com pare à ses reflets. De par la
vérité il a quitté son séjour pour appartenir au monde des phéno­
mènes. La m u ltip licité m êm e est inaugurée ainsi.

<33>c

Saint-Exupéry - Vol de nuitd


1) Le bonheur de l'hom m e n’est pas dans la liberté m ais dans
l'obéissance à une idée supérieure à lui. — Prem ier degré de
compréhension, le plus bas du livre.
2 ) Tout est de la faute de l'hom m e. C om m encer par supprim er
les pénalités lorsque « le m atériel est endom m agé par tem ps de
brouillard »e — c'est aboutir à poser l'innocence de l’hom m e m êm e

a. Au bas de cette page, « TSVP », pour indiquer qu'il faut se reporter au recto imprimé de ce
feuillet sur lequel Levinas a ajouté le développement qui suit.
b. Il faut sans doute lire « que ».
c. Feuillet manuscrit recto verso, écrit, à.deux exceptions près que nous signalons, au stylo
bille à encre bleue.
d. Souligné trois fois, les deux derniers traits de soulignement sont au stylo bille à encre
violette.
e. Guillemets incertains.
Notes philosophiques diverses 275

dans un assassinat ou un viol15. C est pratiquem ent ce qu im ­


plique la doctrine du péché originel. N ier le péché originel c est
proclam er la sévérité d'un ordre hum ain qui ne ressemble en rien
à l’hum anité gaie et joyeuse du national-socialism e ou l'hum anité
idyllique de J .- J . Rousseau. .{L'homme nu d'après le chap. 9 de
l6JïD"P-:'«à Babel nu du péché, en Israël nu de 17nTIXÛ.} O n peut
étendre la responsabilité de l'hom m e m êm e à ses rapports avec les
éléments.
3) Tout .est accessible à l’hom m e. Le règne de l'hom m e s'étend
aux éléments. Il n'y a pas d e chaos.
4 ) Au-dessus du respect de l ’hom m e, il y a le respect de l'idée.
Par lé respect de l'idée®, le respect de l ’hom m e devient possible.
R esp ecter l'h om m e c'est- éveiller sa liberté. L'hom m e n'est pas
libre*naturellem ent. R esp ecter l’hom m e, c ’est com m ander. C om -
m an d ec'c’est agir sur la liberté.
5) A g i t - c'est com m ander, car com m ander c'est éveiller la liberté
en larpliant à j'id é e . A g ir n ’a de sens que si la causalité s'exerce sur
une liberté. Com m ander s’oppose à faire la guerre - où la causa­
lité s'exerce sur ce qui n'est pas libre dans la liberté - violence.
6 ) L¡amour> n’est pas la relation par excellence entre êtres
humains.
7 ) Com m ander, agir sur une liberté, agir sur ce qui ne peut pas
être agi - suppose la vision du visage et le langage.
8) Êtrç. com m andé et commander. L’hom m e doit être entre ces
deux term es. Le prolétaire = celui qui ne com m ande à personne.
9) C om m ander à soi.
10) Le m al - ce qui se glisse à travers les hom mes dès qu'il y a re­
lâ c h è re n t c ’est-à-dire connaissance de l’individu particulier.
11) Respecter l’hom m e - le transform er en hom m e.
12) Celui qui agit dans la guerre n’est pas le soldat, mais l'officier.
Celui qui com m ande. A g ir c ’est commander.

a. « l^jdée » en surcharge de « l’homme ».


276 Carnets de captivité
<3 4 > a

L'intellect ion de l'infini chez Descartes

Descartes fait certes une d istinction entre « l’intellection


conforme à la portée de notre esprit, telle que* chacun reconnaît
<assez en> soi-m êm e avoir de l'infini, et la conception entière
et parfaite desb choses, c'est-à-d ire qui com prenne to u t ce qu’il
y a d'intelligible en elles, qui est telle q u e personne n’en eut
jam ais18 ». Mais cette distinction pose le problèm e p lu tô t qu'elle
ne le résout. L’idée de l’infini dans l'hom m e serait-elle une visée
partielle et im parfaite de cet infini ? Mais com m en t de l'infini
p eu t-il y avoir compréhension partielle ? C om m ent dans une
partie s’annonce un tou t ? C om m ent le thèm e visé par une pensée
est-il brusquem ent débordé sans que, ici la stru ctu re m êm e de la
pensée en tan t que relation avec l'infini* ne soit pas profondém ent
bouleversée ? Chez H usserl, nous trouvons aussi une référence
à l'infini inscrite dans le noème m êm e de la noèse {:}
La chose sensible par excellence est visée dans la perception
de telle façon qu’une série infinie de profils où elle apparaît est
inscrite dans chacun de ces profils et par conséquent est conçue
(ou constituée) com m e infini par la pensée.
Mais cette constatation ne résout pas le problèm e : com m ent
la pensée peut-elle embrasser au-delà de ce q u e lle peut embrasser
sans la merveille de l ’idée de l’infini tranchant sur la structure de
la pensée visant l’être. {] c}

a. Feuillet dactylographié recto comprenant des ajouts manuscrits, manifestement extraie


d’un ensemble plus vaste (y figure un numéro de page, « 13 », que Levinas a biffé).
b. La partie de la phrase qui précède, probablement recopiée de la page qui précédait dans
l’ensemble d’où a été extrait ce feuillet (voir la note précédente), ainsi que le titre de cette note sont
écrits au stylo plume à encre bleue.
c. Crochet manuscrit, au stylo bille à encre noire. Le crochet ouvrant manque. À moins qu'il
ne s’agisse d’un signe de correction typographique. Sa signification toutefois nous échappe, car ce
signe peut difficilement avoir ici le sens que lui confère le code typographique de l’Imprimerie
nationale, à savoir « faire passer à la ligne précédente », et Levinas ne l’utilise semble-t-il pas non
plus pour supprimer cet alinéa et le rattacher à l’alinéa qui précède, puisqu’il emploie pour cela,
dans d’autres manuscrits, le signe conventionnel.
Noies philosophiques diverses 277

L'infini n est donc pas le corrélatif de l'idée de l'infini com m e


si elle était une intentionnalité“. D ira-t-o n que Q {l'infini} peut
affecter le M oi par le fait? que le surplus insaisissable aurait ►une
présence symbolique dans le donné adéquat ? Mais la merveille
du sym bole ne s'explique elle-m êm e que par le bouleversement
de l'intentionnalité —par le fait que contrairem ent à la m aîtrise
parfaite de l'objet, par le sujet dans l'intentionnalité, l'Infini
désarçonne son idée. Ce bouleversement consiste dans le fait que
le M oi reçoit absolum ent, apprend absolum ent, non pas au sens
{socratique, une signification qu'il n 'a pas prêtée, précédant toute
Sihngebungl9}h.

<35>

Prendre position à l'égard de la façon dont H eidegger déprécie le


term e Ausdruck20.

<36>

L ib erté causa sui est fermée sur le monde.


Liberté com m e volonté rapport avec un tiers et avec un toi pour
une justice.

a. Sous les sept derniers mots de cette phrase, écrit au stylo plume àfencre bleue, ce qui semble
être up filet typographique, sans doute de séparation, invitant à faire passer à la ligne la suite du
paragraphe. On trouve plusieurs exemples de l’usage de ce signe de correction typographique - qui
n’est pas conforme au code typographique de rimprimerie nationale - accompagné de la mention
« à la ligne », dans les corrections que Levinas a portées sur quelques'pages (pp. 182 à 184) du
chapitre VII de son exemplaire de La Théorie de l’intuition dans la phénoménologie de Husserl, Paris,
R Alcan, 1930, conservé dans son fonds d’archives. (Il ne s’agit d’ailleurs pas à proprement parler
dans ce cas de corrections, mais de retouches, en vue d’une réutilisation de certains passages du
livre pour un autre écrit.)
b. Ajout manuscrit, au stylo plume à encre bleue, qui probablement recopie la fin de la phrase
qui se trouvait sur le feuillet suivant dans l’ensemble d’où a été extrait ce feuillet.
278 Carnets de captivité
<37>

D roit à la vie - être — existence = ontologie.

D roit à la vie habiter — être chez soi — avoir.

<38>a

Dans les былины, т я г а зе м н а я 21.


O r on interprète les былины par des notions infiniment plus
pauvres : nom adism e, passage du nom adism e à la vie sédentaire.
Les 6 Ы Л И Н Ы retrouvent le sens m étaphysique de ces notions
que Гоп croit à to rt ultim es.
Elles touchent le fond et ne sont pas les figures des phénomènes
sociaux qui seraient ultim es.

<39>

N 'e st-ce pas le propre de la civilisation occidentale que de


dépasser l'h u m ain vers le divin - que de saisir l'É tern el dans
l ’hum ain. C ette confusion — est le con cep t fondam ental.

<40>b

La descente de t é e la parole dans l’É crit - n’éqüivaut pas (avec un


signe sim plem ent inverse) — à la rem ontée de l’É crit à la parole.
L’É crit parle de derrière le m onde, à (est-ce vrai ?) p artir d’uf(
passé qui n ’est pas rem ém oré - passé de l’A utre.

a. Rédigé au verso d’une carte d’invitation (1953).


b. Rédigé au verso d’un prière d’écouter de la Radiodiffusion-télévision française (1957).
Notes philosophiques diverses 279

< 4l> a

É crit et O ral: L’École


Quel est le rapport avec l'É crit ? Lecture. Mais je dois apprendre
à lire. École institution centrale. Lieu où on apprend à lire d’après
Carlyle (de l’école com m unale à la faculté22).
R apport avec le m aître à la base de la société. R apport avec celui
qu’on peu t interroger. D e l ’É crit à i ’O ral. Insuffisance de ypà<poi
Xôyoï.

<42 >

N ous som m es philosophes dès que nous n ’avons plus voulu de la


guerre.

<43 >

Ignore-toi — toi-m êm e.

<44>

D épendance à l’égard de la création et à l’égard de la m ort


- à cela s’oppose : être causa sui et être volonté.

< 45^

L’im patience ne caractérise pas seulem ent le désir. Elle en est


l’essence- Le désir c ’est à la fois séparé tem porellem ent du dési­
rable .et l ’im patience.
D ésir et démangeaison.

a. Rédigé au verso d’une carte d’invitation (1953).


280 Carnets de captivité
<46>a

L’idée husserlienne de YErfüllung23 com m e rythm e général de


l1’être dans la séparation.

<47 >

La privation essentielle du besoin — faim. Le m anger m odèle de


la satisfaction.

<48>b

Présence - plus fondam entale que le tre .


Le modèle de toute présence : porter secours à son discours
(Platon) -
Déchiffrer les symboles.
Assistance.

<49 >

Visage : est une réponse à la question heideggerienne : zà zi êonv


La notion de visage -
ce q u ’on connaît —
le visage est un m ode du quid entièrem ent distin ct du contenu
< C onnu/C om m e ?> Q u ’est-ce qui est connu ? Ceci ou cela.
C ’est-à-dire une im age sensible, une idée. Le visage n ’est pas une
idée, mais l’interlocuteur l’être dans un sens nouveau — celui qui
parle.
Ce qui ne veut pas dire qu’il se révèle - Car alors il serait visag e idée.

a. Rédigé au verso d’une carte d’invitation (1955).


b. Rédigé au verso d’une carte d’invitation (1956).
Notes philosophiques diverses 281

Il acquiert la d u reté même- de 'son être - dans le parler - (dans


rextério rité qui la rend possible). Mais parole est éthique.

<5Q*

Moi - élu. {É goïté inséparable de la filialité.} Fils préféré. Ê tre


moi = exclure, les autres de l'héritage paternel. É lu - m oi libéré
de soi, puisque pour un autre. Ê tre m oi, préféré, élu - voir td*ms
le frère l'ennem i ; chaque m oi = nation excluant toutes les autres.
Dar\$ .l'élection, autre = frère = ennemi.
Moi souverain - par rapport à la terre ; ici, je peux m e réconci­
lier avec autrui contractuellem ent. L'autre n'est pas frère, mais
étranger, indifférent, ignoré.

Le conflit avec le frère est différent du conflit qui peut m'opposer


à l'étran ger et par conséquent leMiteinandersein24 aussi différent.
Avec l'étranger M oi ^ modus deficiens de la socialité. Alors que
l'élection ne se conçoit que dans la socialité : père, frères.

Société des frères pose un problèm e supplém entaire : Fils, je tiens


m on m oi de la préférence dp père. D éjà com m e m o i, je suis <mt>
opposé aux autres^ Posé dans nion ipséité con tre. - Alors que la
souveraineté de celui qui se pose sur terre, s'oppose à autrui à tra­
vers la possession seulement ; le m eurtre peut être dépassé .grâce
à un socialisme qui règle la propriété, grâce à la politique, .grâce
à une organ isation des pouvoirs, à une hiérarchie. Le m eurtre est
ici m èurtre d'étrangers - guerre - on défend sa terre. La haine est
conséquence, pas principe. Dans la société des frères, la haine est
d ’abord, le pillage ensuite. Jalousie, opposition désintéressée pour
l’élection.

Jalousie - le fait que l'autre est aussi. Pourquoi cela ne m 'est pas
indifférent ? Parce que je suis lui - J e suis lui parce que son père
est m oi.
282 Carnets dexaptivité
La haine de la fraternité est surm ontée dans un É ta t. Les frères
qui surm ontent la haine de la fraternité sans devenir.des étrangers
dans un É ta t = Israël.

Les frères ne sont pas, les uns avec les autres, dans un rapport de
libertés qui se com b atten t.

La paternité est une libération du m oi à l'égard de soi. J e suis m on


fils, sans être avec soi-m êm e.

La filialité - m oi-m êm e, enchaîne à soi, m ais dans la mesure où


je suis investi de m on être et ne l’ai pas choisi arbitrairem ent Je
suis glorieux m oi.
C ette investiture n'est ni un héritage, ni la charge-d'une œ uvre
à continuer.

<51>

Études
E. W*. Il n’y a pas de liberté tan t qu'il y a un autre qui lim ite
m a liberté — l'autre est la violence. Violence = entrave à la liberté,
hostilité = un autre en face du m êm e : l'en face = contre.
Il ne m enace pas m on être, m ais m a liberté (je suis p rêt à m ourir
pour la liberté).
a) Il m e m enace par son existence
M a liberté n ’est donc pas com plète puisque elle n'ignore pas
l’existence de l'autre.
M a liberté est donc la définition de m on existence.

fl-n’y a pas de liberté


L'autre peut être autrui - il n'est pas hostile - mais respecté
- il m e reconnaît.

a. « E. W. » pour Éric Weil.


Notes philosophiques diverses 283

L autre ne lim ite {pas} m a liberté parce q u ’il existe car m ais son
existence n ’est pas une existence con tre, mais une existence sans
relations - (absolue) - visage -
M ais quel q u ’est-ce qui en m oi n ’est pas lim ité mais aurait pu
être lim ité par l’autre ? M a volonté — en -tan non pas en tant que
liberté coïncidant avec m on être causa sui (liberté com m e signe
de l’existence) mais volonté non héroïque : être (p rotég eant voué
à l’hégém onie} habitant jouissant des éléments menacé par eu x
dans leur avenir mais ayant le tem ps - conscient - se représentant
- m ais m enacé en quoi ? E n sa volonté, en sa conscience m êm e,
dans sa possibilité de faire à sa guise ? — non, non —J e veux dire :
le visage est-il sim plem ent ce qui ne heurte pas m a liberté par
ôpposition à autrui - force qui < » « > la heurterait ? La différence
n’est-elle pas dans la relation et le visage un simple résidu d ’une
relation ? -
L’essentiel de la relation — n’est-ce pas le fait q u e lle n’est pas
réversible - C ’est un autre type de relation : autrui est le faible, le
pauvre, la veuve et l’orphelin - ou autrui est le fort, le puissant, le
secourable. Pas rapport simple avec <m a/une ?> liberté. C ’est le
propre du visage — d ’apparaître ainsi dons Chose en soi, kocô’cxùtô
--'n ’est que la structure formelle de ce rapport. L’idée d ’une oppo­
sition de volontés - n ’est pas <l’essentiel ?> . Volonté - possibi­
lité pour m oi de réfléchir - à ce qui n ’a <xx>

<52>a

< recto > Les thèm es de l’origine


l’idéal
la thém atisation
la relation sociale6

L’origine impose déjà l’idée de référence ?

a. Rédigé au verso ainsi que sur une partie du recto imprimé d’une carte d'invitation (1957).
b. Écrit, dans le sens de la largeur, dans la partie supérieure droite du recto : « Le monde on
L’intelligibilité ».
284 Carnets de captivité

Q n -p e U n donné a un sens en tan t que signe non pas d u n autre


donné mais d ’un A u tre absolum ent A utre.
< verso > Avoir A un sens — ce qui est absolum ent nouveau l’ex­
térieur - ce qui ouvre le monde.

<53>a

Le but n’est pas la liberté - Mais le chez-soi - m oi revenu à soi


- identité du bonheur.

<54>b

Vouloir c ’est construire.

<55>

Concevoir que. la relation avec l'Absolu n’est pas une négation


com m e une autrer - qu elle ne rend pas relatif l’Absolu, que cette
relation ne le touche pas. Ce rôle particulier d ’une relatio n qui
rend in tact son corrélatif - d’une relation sans réciprocité (?) est
bien la notion grecque de la connaissance et de la vérité.

<56>

La guerre pour la reconnaissance suppose que j’ai reconnu


l’autre. Il ne m e reconnaît pas dans m on être (m e m enace de
m o rt), dans mes biens (exercice de m a liberté). *

a. Rédigé au verso d’un morceau de lettre reçue datée de 1953.


b. Rédigé au verso d’un morceau de feuillet imprimé recto daté de 1953.
Notes philosophiques diverses 285

<57>

P artir de l'athéism e - c ’est p artir de l’hom m e.


P artir de la représentation c ’est supposer Dieu.

<58>‘

Lés thèm es
La tyrannie de l’É ta t -
Le sentim ent.
Le m édecin.
La sexualité et son dépasse1.

<59>

Création
1) Dans m on vouloir, j’ai voulu ce qui peut avoir une autre
signification pour d ’autres -
Ê tre créé = être voulant et produisant des œuvres = m ultipli­
cité d ’êtres.
2) Ce qui a un sens avant moi.
3) Ce qui rend possible l’athéisme.
4 ) L’Infini s’accom m odant d ’une existence séparée.

<60 >

U nè existence causa sui - ne peut pas être en relation - car si elle


particip e à un m onde car elle ne peut être en relation qu’avec
ce q u ’elle a créé. U ne relation est une insertion dans un ordre
préexistant et par conséquent une passivité.

a. Rédigé au verso d’une carte d'invitation (1954).


286 Carnets de captivité
<61>

Ce qu'il y a de plus profond dans l'hom m e, c'est sa peau.


Valéry25.

<62>

La société fondée sur le crédit : — la confiance — détachem ent de


l’ordre naturel - mais ordre entre liberté*.
Engagem ent dans une société : liberté et loi. Loi - com m e néces­
sité dans la liberté.

<63>b

L'idée d'une philosophie religieuse de H . D um éry (R M M 1 9 5 4


N 4 ) 26 n ’est possible que grâce à la phénom énologie :
Q ue certaines visées 1) dem andent des formes concrètes
2) des formes concrètes
ductibles (m ythe) — qui ne sont pas des symboles.

<64>c

Volonté corps : activité et passivité.

<65>d

Rappeler que chez P laton : l'am bition peut se traduire dans l'ar­
g en t com m e l’argent dans l’am bition (catégorie du nom bre27).

•a. II faut sans doute lire « libertés ».


b. Rédigé au verso d’une carte publicitaire (1955).
c. Rédigé au verso d’un morceau de lettre reçue datée de 1954.
d. Rédigé au verso d'une carte d’invitation (1954).
Notes philosophiques diverses 287

<66>

La liberté n ’est pas causa sui - mais refus de la m ort.


La liberté dans la création. Libre parce que séparé, c.-à-d . créé.

<67>*

Le problèm e de la fille de - D*HB28


1) La dignité du ]rD29 est incom patible avec l ’atten te du succès.
2) Responsabilité collective
Dernière page de DIDID30

<68>b

Le rapport entre la religion et la raison n’est pas un problème


de philosophie religieuse - c'est la philosophie elle-m êm e.
R eligion = vérité com m e rapport entre existants. Liturgie. =
L’A utre - Volonté.
Raison = vérité, embrasser une totalité — l'impersonnel.

<69>

L'action sur autrui laisse toujours place à la charité —p itié, etc.


sur Pe bjet pour celui qui est châtié. Justification du point de vue
religieux. Privilège du prochain.

<70>c

Conversation m ondaine — personne ne cjroit à ce que l'on d it —


et cependant les gens se com prennent parfaitem ent. E t cependant

a. Rédigé au verso d’un morceau de carte d’invitation (1957).


b. Rédigé au verso d’une carte d’invitation (1954)..
c. Rédigé au verso d’une carte d’invitation (1953).
288 Carnets de captivité
ils retirent de cette façon de dire le m aintien des apparences - le
respect de la loi.

<71>

Le système de term es qui ne pèsent pas les uns aux autres —


c ’est celui qui est régi par l’obligation.

<72>a

La famille - possibilité pour le père de reconnaître son fils.


Dépasse1du naturel - attaché à l’idée de l’im m ortalité que le fils
représente. Spécificité de l’am our paternel.

<73>b

- Bonjour.
- J e ne vous connais pas.
- Rebonjour.
- J e ne vous connais pas.
- Pardon je suis celui à qui vous fl^avez.avez d it to u t à l’heure je
ne vous connais pas.

<74>

Phénom énologie — mise en relief de l’idée de formel.


O n ne < connaît ?> plus le form ellem ent contradictoirè.

a. Rédigé au verso d’une carte d’invitation (1954).


b. Rédigé au verso d’une carte d’invitation (1954).
Notes philosophiques diverses 289

< 75 >a

É ta t Ju stice
« Dans un É ta t; c'est-à-dire dans une société où il y a des lois,
la liberté ne peut consister qu'à pouvoir faire, ce que l'on doit
vouloir, et à n’être pas cre cte : point> contraint de faire ce que
l'on ne doit pas vouloir.* »
M ontesquieu, Esprit des Loir,
XI*, III.

<76>

Platon 1*hedre%
2 3 8 e -2 3 9 a
(b C 'est le discours de Socrate adoptant sans y croire (?) la thèse
de Lysias
« O r, celui dont ^esprit est malade se plaît à tou t ce qui ne le
contrarie pas, tandis qu’il déteste ce qui lui est supérieur et m êm e
égal. D onc un am oùreux /ie tolérera pas de bon g ré, chez, ses
am ours, ni supériorité, ni égalité, mais toujours il travaille à le
rendre inférieur et plus dénué31. »

< 7 7 >c

<f. 1 > ‘ encore l'exigence éléate de l’unité de l'être : l'unité est


l’équivalence m ê m e de l’exister de l'être. Toute extériorité lui est
m ortelle. Le polythéism e ri'est pas seulement la forme historique
soüs laquelle apparaît dans la pensée humaine une m ultiplicité
d’existënces absolues - c'est aussi la forme sous laquelle elle s^éva-
fteuk. D 'ailleurs d

a. Rédigé au verso d’un morceau de carte d’invitation (1954).


b. La parenthèse fermante, sans doute à placer à la fin de cette phrase,•'manque.
c. Trois feuillets manuscrits recto d’un même papier, manifestement extraits d’un ensemble
plus vaste, puisque le feuillet 1 commence par donner la suite d’un paragraphe donc le début se
trouvait sur un feuillet qui n’a pas été conservé. Le texte est écrit aü stylo bille à encre bleue ;
certains ajouts sont au stylo bille à encre violette.
d. Ce paragraphe esc barré par une croix de Saint-André.
290 Carnets de captivité
Mais notre analyse fait ressortir un point qui prendra toute
son im portance dans la deuxièm e partie de ce travail32. {L’idée
m êm e de guerre n’a aucune signification dans des êtres qui sont
causa sui. La violence suppose h dualité un être dont la liberté
peut s’infléchir. La violence n’a de sens que com m e < inversion ?>
dîune liberté. La violence com m e la non-violence supposent
des libertés qui ne sont pas causa sui - N ous appelons une telle
liberté : volon té.}4 Si {d ’autre p art} la m ultip licité introduit dans
l’être la violence, si la violence consiste dans le fait q u ’un être
trouve un autre être à côté de soi, cela n ’est valable que parce que
les êtres se posent com m e causa sui. C ’est la liberté causa sui qui ne
peut s’accom m oder de l’autre. La violence est donc la façon dont
se rapporte à d ’autres êtres un être qui se sait seul. L’être de l’autre
qui lim ite <f. 2 > l’être de l’un - apparaît a celui-ci com m e orgueil
- c ’est-à-dire com m e une existence de pure apparence, purem ent
phénoménale. {L’autre c ’est le m o rtel.} La violence suppose un
dieu en présence des m ortels. La violence suppose l’idée de l’a u tre
mor-tel— L’au tre-c ’est le m o rtel. La violence de la guerre est ainsi
en fin de com pte de l’ordre de la causalité physique, de l’ordre du
travail. Elle n ’est pas un rapport entre esprits. {M ais poser une
m ultiplicité des êtres com m e une m u ltip licité de libertés — c ’est
en som m e définir l’être par la force - le prendre pour une chose.
Ce n’est pas prendre les êtres absolus au sein de la relation où ils
s’en absolvent — ne pas prendre pour absolu cette relation m êm e
- qui n ’est pas formelle et où l’un en abordant l’autre lui trouve
du fait m êm e qu’il est autre - autre chose q u ’une force b/ ou une
liberté, mais un visage - / une façon d ’être en soi et de se tourner
vers l’extérieur sans être contre l’extérieur et sans se cacher / où il
s’exprim e — secourable ou m alheureux.c}

a. Ajout qui commence dans l’interligne pour se poursuivre dans la partie Inférieure de la
marge de gauche. Inclus dans le trait qui entoure cet ajout, situé juste au-dessous de la dernière
ligne, un signe également entouré et peu lisible (le chiffre « 2 » ou peut-être la lettre « B »)> écrit
au stylo bille à encre violette.
b. Tout ce qui précède dans cet ajout est barré par un trait en zig-zag.
c. La topographie de cet ajout - écrit au stylo bille à encre violette - est assez complexe. Il
commence au milieu de la marge de gauche et se poursuit dans le corps du texte, dans l’interligne,
Notes philosophiques diverses 291

L’évanouissement du polythéism e ne se fait pas cependant


com m e un retour pur et simple à l’unité de l ’être parménidien.
Il aboutit à l’idée du cosMos. Les dieux de l’O lym pe constituent
par-delà les guerres surmontées — un ordre. C ’est que ces dieux
pensent. Chaque être se pose à part de tous les autres, mais, la
liberté de chacun consiste à vouloir l’ordre raisonnable0.
<f. 3 > La violence n’a de sens que si elle s’exerce sur un être qui
est pleinem ent être — c ’est-à-dire qui est liberté ; mais la violence
ne peut pas s’exercer sur une liberté qui par nature est soustraite
à toute influence. La violence n ’a de sens que si elle s’exerce sur
une liberté qui peut-s’infléchir* sür une liberté finie. À moins Mais
la notion de liberté finie est contradictoire si l’on p art de la liberté
= causa sui
, c ’est-à-dire cPune-liberté ne seule acte pur qui ne peut
que se penser soi-m êm e. Sans qu Ilb

<78>

U n développem ent sur la transcendance :


1) Le transcendant — dépasse (valeur) et non seulement se sépare.
2) Sa distance équivaut à son contenu.

<79>

Transcendance
Sortir de soi ne signifie pas une apothéose quelconque, un
dépassement de sa condition ou l’éclatem ent de sa définition,
mais la possibilité d ’une relation avec autre chose que soi-m êm e.

puis en travers de la marge de droite, d’abord, nous a-t-il semblé, dans sa partie supérieure, puis
dans sa partie inférieure, pour se terminer en travers de la marge de gauche, partie supérieure - la
partie de l’ajout se trouvant en travers de la partie inférieure de la marge de droite étant reliée par
une flèche à celle qui figure en travers de la partie supérieure de la marge de gauche. Nous avoos
distingué ces quatre parties de l’ajout en les séparant parles barres obliques.
a. La totalité du paragraphe est barrée par un trait oblique.
b. Ce paragraphe est précédé d’un signe peu lisible entouré d’un trait (peut-être la lettre « C *)
écrit au stylo bille à encre violette.
292 Carnets de captivité
<80>a

La connaissance du M onde = connaissance à travers le langage.

<81>b

Toute volonté est aussi expression.


Mais* dans l’œ uvre de la volonté l’expression est séparable de
celui qui s’exprim e. L’œuvre peu t donc viser autrui, mais m e laisse
m oi-m êm e caché. L ’expression par excellence — sans'que celui qui
s’exprim e en'soit séparable. Pas d ’aliénation possible. Visage.

<82>c

La beauté du paysage, son ouverture — son étendue visible. C 'est


sa forme. Sa forine fait partie du contenu.

<83>

Reprendre toute l’analyse de la sensibilité pour m on trer q u e lle


accom plit la séparation. Ê tre séparé - être quelque p art - à l’inté­
rieur d ’un monde - dans une maison.

<84>d

La promenade - les m ervei secrètes* e t mystérieuses {relations} d ’un


espace qui est la transparence même dès qu’on y place des chosesf.

a. Rédigé au verso d’une carte d’invitation (1961).


b. Rédigé au verso d’une carte d’invitation (1953)-
c. Rédigé au verso d’une carte d'invitation (1953)-
d. Rédigé au verso d’une carte d’invitation (1953)-
e. « secrètes » en surcharge de « secrets ».
f. Écrit tête-bêche, au crayon de couleur rouge, au travers de certains mots'du texte, qui, lui,
est rédigé au stylo bille à encre bleue, le nombre « 141 ». Il s’agit manifestement d’un numéro
attribué à ce feuillet (Levinas utilisant parfois, dans d’autres manuscrits, le même crayon pour
Notés philosophiques diverses 293

< 8 5 > ft

Il n a aucun principe moral" - mais il ne va pas à la dissolution


car il aim e l'argent. L'argent est le substitut du principe moral.
C ’est par son am our de l'argent qu'il est raisonnable. L’argent est
raisôn.

<86>b

É crits

Liberté'conGrète et institutions.
M ai£ les institutions reposent sur des écrits. La réalité qui s'ouvre
à un être réellem ent libre est prise dans les textes qui l'organi­
sent. Textes législatifs, littéraires ou scientifiques. Le m onde de la
liberté repose sur d esiivres ¡c h a rte , statuts. L ittératu re d'un pays
qui i^ouvre sur sac tiature et'sesd m œ urs à chaque individu habi­
tant ; les livres de science qui rendent possible la connaissance
rendent le m onde habitable c'est-à-dire l'hom m e libre.
P ar les écrits l’histoire diffère d ’une simple m ém oire : l'hom m e
peut se rapporter à un passé qu’il n'a jamais vécu com m e
présent.

numéroter ses pages). Toutefois, le numéro se trouvant ainsi disposé, et compte tenu du fait que
l’ençre des mots traversés est, semble-t-il, au-dessus du crayon, i) a pu être écpt avant même que
la note ne soit rédigée ; on ne peut donc considérer avec certitude que cette note faisait partie d’un
ensemble plus vaste. Ajoutons que la note 167 (rédigée également au stylo bille à encre bleui,
au verso d'un autre exemplaire de la carte d’invitation qui a servi à la présente note) comporte le
nombre « 140 », écrit, là aussi, tête-bêche et au crayon de couleur rouge. Mais ces deux notations
n’ont semble-t-il pas de lien thématique entre elles.
a. Rédigé au verso d’un morceau de carte d’invitation (1953).
b. Rédigé au verso d’une carte d’invitation (1953).
c. « sa » en surcharge de « la ».
d. « ses » en surcharge de « les ».
294 Carnets de captivité
< 8 7 > ft

D u relativism e à l'absolu de l ’H istoire

Le fait que l ’hom m e et sa vérité sont déterm inés par les


circonstances où il se trouvé, par les traditions q u il recueille et
par les soucis d ’avenir qui l’ag iten t — a marqué un relativism e de
l’hom m e, de la vérité, de la raison.
M ais de là se tire une nouvelle conception de la philosophie et
de la raison :
a) soit l’affirmation d ’une raison qui se réalise dans l ’histoire
ayant une finalité, laquelle histoire qui-n -est -pas < x x x > et qui
inversem ent est l’histoire m êm e dans son m ouvem ent de raison. ;
b) soit l’affirmation que l’échec de la raison est < am bigu ?> et
que la raison se nourrit de son échec, car elle est la finitude m êm e
et que l’échec est sa m anifestation1*.
Mais l'histoire concept fondam ental, désormais faute de p oin t
d ’A rchim ède originel elle aurait p u être suspendue (ni origine ni
fin, ni événem ent central au sein de l’H istoire).
R ien ne nous libère de l ’histoire, sinon p ar dérision ou tragi­
quem ent la m ort.

<88>c

Langage com m e signes conventionnels suppose une ouverture sur


A utrui et sur le Monde qui rend la convention possible.
Convention = arrêter qqch. contre l’ordre naturel - créer une
institution. Mais institution diffère de la fabrication : le produit
ne s’intégre pas au m onde.

a. Rédigé au verso ainsi qu’au recto imprimé d’une carte d’invitation (1953).
b. Au bas de cette page, « TSVP », pour indiquer qu’il faut se reporter au recto imprimé de
cette carte d’invitation sur laquelle Levinas a ajouté le développement qui suit.
c. Rédigé au verso d’une carte d’invitation (1953).
Notes '■ philosophiques diverses 295

<89>a

J'a i quelque soupçon que l'Ê tre de l'étant demeure le corrélatif d'un
berger qui garde son troupeau pour lui, que l'être de l'étant perpétue
l'unité d'une économie, un ordre d'échanges et de calculs53.

<90>b

La m oralité du g h etto est une valeur parce que le g h etto {se}


situait en dehors des événem ents — ou parm i Jes'événem ents qui
où le g h etto était toujours victim e.
•C ette m oralité est absurde lorsqu'on participe par toutes ses
fibres à la vie politique depuis l'ém ancipation.

<91>c

Le langage - lum ière dans laquelle on voit la lum ière.

<92>d

Le Trans-historique et l'École
Vouloir sortir de l'histoire, ce n'est pas proclam er une existence
libre sans possibilités institutionnelles - mais indiquer une insti­
tution plus forte que l'histoire. C ontester le prim at de l'histoire
sans origine ni fin com m e moyen de comprendre l'hom m e et sa
vérité — il faut trouver une institution dont la structure historique
vire en une stru ctu re qui dépasse l'histoire. Partir* de l’im portance
de l'É c rjt et de la nécessité d ’apprendre la lecture des écrits.

h. Rédigé au verso d’une carte d’invitation (1954).


b. Rédigé au ver$o d’une carte d’invitation (1962).
c. Rédigé au verso d’une carte d’invitation (1953).
d. Rédigé au verso ainsi qu’au recto imprimé d’une carte d’invitation (1953).
e. Au bas de cette page « TSVP », pour indiquer qu’il faut se reporter au recto imprimé de ce
feuillet (il s'agit d'une carte d’invitation dont la date n’indique pas l’année) sur lequel Levinas a
ajouté le développement qui suit.
296 Carnets de captivité
<93>a

La différence entre la considération naïve et scientifique du réel


— et sa considération philosophique : le philosophe a conscience
que les connaissances naïve et scientifique ont des conditions *:da
présence au m onde et les activités de transform ation, de nourri­
ture ou d ’intellection qui résum ent cette présence — reposent sur
une relation préalable avec ce qui est m onde pour la transform a­
tion, la nourriture et l'in tellection .
Q ue ce soient les Idées séparées du m onde du devenir dont la
contem plation rend possible la relation avec le devenir -
que ce soit la synthèse selon les catégories du donné sensible
par le Je pense - qui ouvre la réalité spatio-tem porelle
que ce soit l'accom plissem ent historique de la société qui rend
possible la pensée de ce qui est présent
que ce soit la compréhension de l'Ê tre en général rendant
possible la relation avec les étant's -
toute philosophie suppose des conditions à la relation avec la
réalité et, dans ce sens, est transcendantale.

<94>b

Le texte est toujours testament - p a s seulement ausens de témoignage


- mais com m e dernier m o t, parole d'un m ort. Écrire —mourir.

<95>

La métaphore absolue de la transcendance uniquecc si le trans­


p ort consiste en soumission éthique. La soumission ne conserve
son sens que si elle est sans retour où l'on peut se ressaisir en m esu-

a. Rédigé au verso d’une carte d’invitation (1953).


b. Rédigé au verso d’une cane d’invitation (1953).
c. Levinas a transformé un « que » initial en « unique' ».
"Notés philosophiques diverses 297

ra n t l’obstacle m êm e et l’opacité m êm e devant laquelle on s'est


in d in é. La: soumission à l ’infini qui est l’idée de l'infini - c'est-à-
*
dirè un serls par-delà' la capacité et d'identification — ne peut être
qu’un acte direct incapable de retour - ce en quoi réside sa force
et non*pâs sa faiblesse ; acte ^direct e t pensée sans contenu - car
contenu = arrêt et retour et finitude de l'idée adéquate au m êm e.

<96>

Signification abstraite — ni nature, ni technique


Il existe un sens com m un ou habituel des notions. E st-il littéral ?
E st-il sim plem ent le renvoi d’un signe à un élém ent identifiable ?
La signification {m êm e} littérale ne co m p orte-t-elle pas un jeu de
m étaphore, c'est-à-dire la nécessité d ’uir contexte qui fixerait pour
undnstant la m u ltip licité protéiform e de la signification dont le
jeu ¿in stitu e la signifiance m êm e de la signification ?
N e p eu t-on pas opposer à cette signifiance culturelle —la signi­
fiance de l'ab strait extraculturel (Platon) - entre la signifiance
des élém ents simples des épicuriens - {N atu re} (ou sensation de
l'école de Vienne) et l'univocité de là signification technique à la­
quelle on cherche à ram ener toute signification dite m étaphorique
par une réduction contre laquelle s'élevèrent Bergson et M erleau-
Ponty.

<97> 4

<recto> Sens e t langage, sens e t M aître.

1 Parler = prêter un sens. E n quoi consiste le sens ? M ettre l'objet


perçu en relation avec l ’ensemble du monde : dire en vue de quoi
la table est faite ou quelles sont les lois physiques et sociales qui
l’expliquent. Le langage n ’a pas produit cet effet. Il l’a traduit.

a. « un » en surcharge de « la ».
298 Carnets de captivité
Il était serviteur de la pensée qui a pefisé la «finalité d u sa g e ou
les séries causales. Cf. Cratyle
: le langage n'est pas simple usten­
sile* résultat d'une convention, il a*un rapport avec la réalité q u 'il
im ite ;.m ais chez le législateur qui institue le langage, celu i-ci est
subordonné à la science, à la yision des Idées ; il sert, dans l'ensei­
gnem ent, à provoquer la m ontée vers les Idées.
2 Mais si le sens = contenu de la pensée, est-il possible ? Le
penseur dans le monde <se> dérobe à lui-m êm e en vue de l'en ­
semble. Pas de réflexion totale ! Il faudrait pour que le sens reste
contenu de la pensée, une attitu d e nouvelle à l'égard du m onde,
sans que le*m on de réagisse sur le penseur, il faudrait u n e .a tti­
tude vraim ent libre : s'élever au-dessus du m onde pour qu'il soit
autre chose q u ’une histoire à laquelle l'historien appartient ! — E t
cependant le m onde ne doit pas être dans cette attitu d e réalité
dépassée, com m e dans l'idéalism e*qui le construit ou dans une
philosophie de l'histoire où il est toujours passé et dépassé. Saisir
le sens = saisir le monde com m e ce en quoi nous ne sommes pas
engagés et com m e ce qui est en haut, pas dépassé. Connaître &
maîtriser.
<verso> Connaître = être élève.
N on pas m étaphoriquem ent com m e « élève d'une expérience »
mais au sens réel « élève d'un m aître »
= La réalité acquiert un sens dans l'enseignem ent. Le rapport avec
A utrui com m e m aître rend possible le sens d'une vérité réalité.
Rôle de la parole. Rôle d'enseignem ent.
L'essentiel de la parole - ni service de la pensée à exprim er
(à im iter), ni recours aux signes pour les com m uniquer à A utrui ;
mais dans l'intentionnalité vers A utrui com m e enseignant.
C 'est l'inégalité — M aître-élève - dans leur rencontre qui est l’es­
sentiel de la parole. P rim at de la parolé entendue.
D im ension de la parole = rencontre d 'A utrui = R encontre du
M aître (pas m aître-esclave !) - pas de violence.
Notes philosophiques diverses 299

<98>a

O n pense que l'histoire et la philologie décrivent l'hum ain : paç


opposition ^u tou t fait des choses, l'hom m e est fonction de ce
qu'il a déjà fait - la m aison, son produit, conditionne son exis­
tence ; l'hom m e s'exprim e dajvs ce qu'il a fait ; la parole écritb
dêcçuvre un être plus vaste de l'hom m e à p artir d ’une extériorité
qui çst plus loin que son propre passé. É xistér à p artir de et par
rapport à . .. une institution.

<99>c

C élébrer - fêter -
poèm e d ’<été ?>

< 100>

Idée de Patrie rem place celle d'H istoire.

< 10 1 >
A rtifice, m aniérism e dans l'art -
— m usicocratie
èkevOepoç réxvctçd

<102>e

L'écrit ne répond pas —est sans appel —et devient loi. Toute parole
sans appel ne devient pas loi, mais c'est dans cette dimension que
la loi s'inscrit.

a. Rédigé au verso d’une carte d’invitation (1953).


b. Il faut peur-être lire « la parole écrite *.
c. Rédigé au verso d’une carte d’invitation (1954).
d. Lire “èXeuôépaç.’’
e. Rédigé au verso d'une carte d’invitation (1953).
300 Carnets de captivité
<103>a

L’écrit subordonne notre m onde, - le présent, la maison - à un


ce n tre autre. Il marque la fin de la m ém oire qui récupère son
passé. L’écrit ouvré la perspective de l ’histoire ; l’écriture n ’est
pas un accident d é l’histoire hijmaine, mais* la condition de la
conscience historique. N on seulem ent en ce' qiie par l’écriture
nous connaissons le passé historique, mais en ce que l’écrit nous
rapporte à un passé qui ne fut pas notre présent — que nous ne
sommes pas seulem ent sujet support de l’histoire, mais son objet.
Mais l’écrit nous parle encore : l’histoire dont nous som m es objet
nous laisse la possibilité de répondre, nous laisse aussi libre.

<104>

L’écrit n ’est ni le substitut, ni le prolongem ent de la M ém oire. Il est


sa Loi. Dans ce sens, le projet ouvert p ar l’écrit est le projet m êm e
de l'Institution. La parole de l’É crit est im p é ra tif. Il aménage non
pas notre intérieur, mais l’extériorité. C ’est à cause des écrits que
le monde extérieur ne s’ouvre <pas> seulem ent à nous, mais sur
nous. Toutes ces enseignes, m onum ents, affiches - est un m onde
qui nous regarde et nous appelle et nous attend. C ’est par là qu’il
n ’est pas condition de l’habitant, mais du citoyen. La C ité n ’est
pas un chez soi plus grand. Chez m oi, je suis le m aître, la cité m e
com m ande. Les textes littéraires, œuvres d ’art, peuvent prendre
cette structure légale : ils deviennent classiques, font partie de$
institutions, entrent dans les program m es - ils' sont ce que l’on
n ’est pas tensé ignorer. Enfin le m onde ouvert sur nous dessine par
les écrits les lim ites de notre responsabilité et de notre engage­
m ent : liberté. L’institution que l’écrit rend possible est la condi­
tion de notre liberté réelle. Ê tre com m andé par une loi — par un

a. Rédigé au verso d’une carte d’invitation (1953).


b. Faut-il lire « impérative » ou « l’impératif » ?
'Notet"philosophiques diverses 301

texte écrit avec un principe d'action supérieur à la liberté spon­


tanée de l'habitant — c'est avoir une liberté réelle. (Pourquoi ?)

<105>

La parole et la philologie

L’expression dans le « faire » ne vise pas l'interlocuteur. « O n


fait » en vue du but ou « on fait » parce que m o n être cherche
à s’extérioriser - mais pas à s’exposer. L'expression du faire ne
s'expose que dans une intention seconde. E n luia-m êm e le faire est
donc un jeu g ratu it. R approchem ent avec le jeu artistique — qui
n'est p eu t-être pas, pour les autres, m ais initialem ent « expres­
sion ».sans « exposition ».
S’attacher à l'expression que le faire n'est que secondairement - et
que la parole elle-m êm e com porte (par son style, par ce qui est
gçste en elle) en plus de l’expression qu'elle est en toute droiture
- c ’est adopter à l'égard de l’hom m e l’attitu d e de l'historien.
Comprendre la parole com m e expression involontaire —c’est être
philologue. Proclam erle prim at de cette « intention » seconde dans
la parole, c ’est faire de l'histoire la base de la philosophie. Adopter
à l’égard de la parole, l'attitude même que l’intention de la parole en
attend - c ’est s’en laisser s’enseigner <sic>. C ’est partir du Logos.

< 106 >

Le fait de la conscience - l'acte spirituel - le pour soi : déter­


m ination athée.
Le contenu de la conscience déterm ine la forme du pour soi :
idée de l'infini. La religion m êm e.
L’idée de supériorité est inintelligible sans Dieu.

a. « lui » en surcharge de « elle ».


302 Carnets de captivité
<107>a

bTTP
Il faut lire
raa ’ *yr k lias?pr40

<108>c

H egel et Manifeste Communiste


§ § 2 4 1 - 2 4 2 - 2 4 3 - 2 4 4 35

<109>

H abitation et demeure'1.

<110>'

La. contradiction n ’est pas. le com m encem ent — elle suppose la


parole e t la relation avec autrui.

< lll> f

C om m e je ne veux pas fonder la relation sur l’universalité du


langage, mais sur sa relation — (car l’universalité dém olit les

a. Rédigé au verso d’une carte d’invitation (1953).


b. Écrit dans la marge de gauche.
c. Rédigé au verso d’une carte d’invitation (1953).
d. Indique sans doute le thème d’une suite de notes. Ce feuillet est, semble-t-il, mal classé'
car, parmi les notes qui suivent de façon rapprochée, seules les notes 114, 116 et 118 abordent ce
thème.
e. Rédigé au verso d’une carte d’invitation (1949).
f. Rédigé au verso d’une carte d’invitation (1953).
Notes philosophiques diverses 303

term es et aboutit à l’unité) — il m e faut qualifier cette relation : la


misère. Ce que je veux m aintenir éviter c ’est que le penseur soit
sa propre pensée - cette paix de la solitude. L’universalité suppose
la m u ltip licité et non® la m u ltip licité n’est pas la conséquence de
l’universalité.

<112>b

Le sens n ’est pas sim plem ent une finalité. Car la finalité est une fin
du sens. À la fois m ouvem ent {incessant} et orientation - respon­
sabilité d*Autrui — voilà le sens. Ce n’est pas ce qu’on entend par
« sens de l’histoire ».

<113>c

Chez H eid egger -


pensée de l ’être -
pas d ’orientation !d

< ll4 > e

=f Meubles - produits, moyens et obstacles de la liberté


Se réfère* à son chez soi — à son habitation, à la maison.
=h C ’est en tant que logé que je suis au monde - logé et non pas
exposé aux influences.

a. Le mot « et » qui précède est peut-être barré lui aussi.


b. Rédigé au verso d’une carte d’invitation (1953).
c. Rédigé au verso d’une carte d’invitation (1954).
d. Ce point d’exclamation est'incertain. Il peut aussi s’agir d’une simple tache d’encre.
e. Cette noce - rédigéé au verso d’une carte d’invitation (1953) - est probablement mal clas­
sée. Hile est sans doute la suite de la note 116. Ajoutons qu’elle est écrite au verso d’un autre
exemplaire de la carte d’invitation qui a été utilisée pour celle-ci, et avec le même stylo plume &
encre noire.
f. Le graphisme est ici incertain.
g. Faut-il lire « réfèrent » ?
h. Le graphisme est ici incertain.
304 Carnets de captivité
< 1 1 5 > ft

La question que suscite la peinture - <3Bé> sur l ’intention du


peintre* qui l’a produite.
La question que suscite l ’écrit : sur la pensée m êm e exprim ée par
l’écrit.

< ll6 > b

Le produit hum ain issu de la liberté humaine - ne reste pas en


dehors de cette liberté, mais lui devient moyen ou o b sta cle -
moyen et obstacle.
M eubles

<117>c

H ache - indique m on intention de hacher.


Écrire — indique m on intention d ’exprim er (explicitem ent), mais
aussi, écrire m en renvoie à m on intention de tracer des signes.

<118>

Le froid - être exposé. Incapacité de se protéger en soi-m êm e


contre soi-m êm e, le détachem ent de toute source de vie, le fait
d ’être l’origine de soi sans aucune paternité derrière soi, devant l’il
y a à jamais puissant. {N ’avoir que sa peau pour se couvrir.} Im pos­
sibilité de reculer. Le retour en arrière est fini. Le <danger ?> du
froid - c ’est l’irréversibilité, la m o rt du passé, le néant du passé,
la pureté du présent.

a. Rédigé au verso d’une carte d’invitation (1953).


b. Rédigé au verso d’une carte d’invitation (1953).
c. Rédigé au verso d'une carte de compliments (1954).
Notés philosophiques diverses 305

<M 9>a

Réflexion >et A u tru ib


bonne consciencec. Sed m ettre en question, porter un jugement
sur soi - et fut-ce la.sim ple réflexion sur soi, n est pas une prise
de tonscience, dans la mesure où précisément elle érode6 le rocher
inébranlable sur lequel repose la conscience et la rejette vers l'Autre
dont elle porte désormais le poids. Déjà la simple réflexion sur soi
est un retournem ent contre nature et qui n'atteste pas seulement
mais vient d'une vue qui vient de l'extérieur sur m oi, d'un être qu e
la conscience ne peut pas égaler et qui la m et en question. Déjà
le savoir préréflexif de soi qui accompagne la droiture de la visée
intentionnelle est une méfiance et com m e une honte. La honte de
la critique de soi n'est pas une modalité de la liberté du Même
- allant droit devant soi. Elle est de part en part hétéronomie.

< 120 >

Im m anence (définie par la connaissance)

La connaissance du m onde - c'est-à-dire une connaissance à tra ­


vers le langage - consiste dans une adéquation de l’objet à celui
qui le connaît. La relation de connaissance a ceci de particulier
qu'elle aboutit à se retrouver après le détour de la connaissance
(Le m onde « est étroit dans le souvenir »).

a. Morceau d'un feuillet dactylographié recto (lui-même vraisemblablement extrait d'un en­
semble plus.vaste, parce qu’il est la suite d’un feuillet qui n’a pas été conservé et qu’il comporte,
en outre} urr numéro de page, en partie illisible) que Levinas a dééhiré proprement afin d’en isoler
ce fragment textuçl. Il a entouré le fragment d’un trait en çxdpant les deux preqiiers /nots qui
sont la fin de la phrase qui commençait sur un autre feuillet. Il a ensuite barré ce fragment d’une
cancellation én croix.
b. Titre ajouté au stylo plume. La première lettre du titre est en surcharge d’un numéro de
page en partie illisible.
c. Ajout interlinéaire, au crayon à papier, qui peut se rapporter à la fin de la phrase qui précède
ou au début de la phrase qui suit : « en face d’Autrui ».
d/^'Se »7 écrit au*stylo plume, en surcharge d’un mot illisible.
e. Ce mot «st écrit au stylo plume, dans Un espace laissé vide dans le dactylogramme.
f. Même remarque que dans la note précédente.
306 Carnets de captivité
La notion m êm e d'im m anence est fondée sur cette banalité
foncière de la réalité qui se donne dans la connaissance. Quelle
différence entre naturel et surnaturel ? N atu rel = ce qui peut être
connu. O n ne dûit pas p artir de la nature humaine pour* décou­
vrir le surnaturel qui en déjoue les lois. C 'est ^ co n n aissan ce qui
détient la nature et l'im m anence hum aine. Connaître le transcen­
dant est contradictoire dans les term es.

< 121 >

La séparation -
Sainteté*

< 122>
N otion d'accom plissem ent

Le présent éternel - devient vie grâce à l'intervalle après lequel il


y a accom plissem ent.

<123>

M éthode

La signification des événem ents est dans leur instant, dans leur
« tem ps m ort » et non pas dans leur contexte tem porel. Dans leur
instant : leur initiation à l ’être, leur manière d'accueillir l’aven­
ture de l'existence.

a. Il peut s’agir de l’indication du thème d’un ensemble de notes, mais ce feuillet serait alors
mal classé ou aurait été déclassé, car ce qui suit n’aborde pas ce thème. Il est difficile d’indiquer
les notes qui s’y rapporteraient.
Notes philosophiques diverses 307

<12 4>
»S'il xi y avait pas de d ’ejnseignement - c ’est-à-dire du plus
entrant dans le moins — il n’y aurait pas eu de tem ps — mais l’éter­
nité des essences - étant chacune face ou des monades se reflétant
la m êm e vérité.

<125>a

Cynism e -
ne pas adorer le produit de ses mains.

<126>b

Poésie à la fois
penser sans savoir ce que l ’on pense et penser ce non-savoir
pour le m ettre en valeur -
ce rêve éveillé est, une extrêm e lucidité p o u r... la forme.

<127>c

Phosphorescence -
est l’œ uvre d ’êtfe

Allergie

<128>

Vie d ’argent — vie civilisée — Les choses sont à la fois ce qu’on


cherche ç t ce qui supporte le désir (?).

a. Rédigé au verso d’une carte d’invitation (1954).


b. Rédigé au verso d’une carte d’invitation (1954).
c. Rédigé au verso d’une carte d’invitation (1954).
308 Carnets de captivité
< 1 2 9 > ft

N e pas confondre désir de reconnaissance { être com m e les


autres - (droit' - É ta t)
et ne pas être ¿om m e les autres': 1 ) 'gloire
2 ) êtreb aimé

<130>

IL Y A

règne des mères du Faust36

<131>

Platon

« Suis-je u n-ûftimol -plus-p a par hasard quelque bête plus com pli­
quée et bien plus enfumée par l’orgueil que n’est Typhon ? Suis-
je un anim al plus paisible, sans autant de com plications et qui,
de nature, participe à une destinée divine où n’entrent point les
fumées de l'orgueil ? », Phèdre 2 3 0 a37.

<132>c
Platon Phèdre 2 2 9 e - 230 a

O r je n’en ai pas du to u t, mais pour des occupations de cette


sorte, et en voici, m on cher, la raison : je ne suis pas capable encore,
ainsi que le demande l ’inscription delphique, de m e connaître

a. Rédigé au verso d’une carte d’invitation (1955).


b. « être » en surcharge de « amo<ur>
c. Rédigé au verso d’une lettre reçue (1953).
Notes philosophiques diverses 309

m oi-m êm e ! Dès lors, je vois le ridicule qu’il y a tant que cette


connaissance m e m anque de chercher à scruter les choses qui m e
sont étrangères. P a r’suite, je tire à ces histoires m a révérence et,
à leur sujet, je m e fie à la tradition : ce n est point elles, je le disais
tou t à l’heure, que je cherche à scruter, c ’est m oi-m êm e38.

<133>a

L’allergie métaphysique est la m arque d ’un être m ortel — qui se


sent m enacé par l ’autre dans son être.
Mais si l ’allergie est à cause de la menace pour la liberté ?

<134>b

Filialité = égoïté (ipséité).


D ’où le m eurtre = fratricide. Dans la perception du m eurtre
com m e d ’un fratricide* le m oi se saisit com m e fils.
C om m e fils je suis posé* contre les autres (mes frères) et par
conséquent avec les autres.
J e m e pose contre les autres, car com m e fils je suis élu et par
conséquent élu parm i d ’autres fils, mes frères, mais pour cela,
précisém ent, toujours incertain de m on élection e t, par consé­
quent, contre mes frères.

<135>

É ta t — des hom m es sans père — histoire.


Fam ille - jusqu’à A dam - créatidn.

a. Rédigé au verso d'une carte d'invitation (1955).


b. Rédigé au verso d’une carte d'invitation (1956).
310 Carnets de captivité
<136>a

La lum ière est jouissance - pas éclairage théorétique - mais ce


qui fait la joie de voir.

<137>b

Les antagonism es politiques perdent la signification qu’ils


avaient aux heures historiques. E t de premiers — mais tardifs,
mais tim ides indices tém oignent enfin d ’une répercussion -des
découvertes atom iques sur les com bats humains.

<138>

L’im m ensité du danger entrevu, n ’est pas seule en question


- mais une nouvelle manière de subir le danger. La préhistoire n'est
pas ce qui nous m enace, nous avons déjà une façon préhistorique
de sentir la menace. La vérité ou le mensonge de la <détente ?> et
p eu t-être leur sim ultanéité tien t à cet anachronisme.

<139>

Souffrance — m ort qui ne vient pas ou m o rt qui est déjà venue.

<140>

Les hom m es s’unissent et form ent une société non pas pour
vaincre, mais pour retarder la m o rt. O n appelle cela à juste titre
vivre, car, dans l’intervalle de durée qui sépare la naissance du

a. les notes 136 à 155 sont rassemblées dans un feuillet double cartonné.
b. Rédigé au verso d’une carte d’invitation (1933).
Notes philosophiques diverses 311

trépas, il y a place pour des heures dont la valeur en joies et en


souffrances ne se m esurent pas à la pérennité.

<141>-

La préhistoire devait être une époque où les irresponsables forces


naturelles m enaçaient et ruinaient la vie. Les prim itifs c'étaient
de$ hom m es pour qui les forces de la nature e x i s t e n t . Nous
avons publié tou t cela. N ous avons com m encé une histoire. A u
com m encem ent était la guerre — les dangers venant de l'hom m e.

< l42> b

La parole com m e m ythe :


La chose contée prend un form at - et de l’impersonnalité. U n moi
vivant entre dans sa propre représentation :
« Il pleut à P a ris ... »
L'aventure de Sartre

<143>C

Le fils à la fois plus que possible et moins que possible.

< l44> d

Q uestion — m ettre à la question.


Cela est essentiel : l'interrogation accom pagnée d ’une souffrance
autre que celle de la difficulté théorique elle-m êm e.

a. Rédigé au verso d ’une carte d ’invitation (1955).


b. Rédigé au verso d’une carte d’invitation (1956).
c. Rédigé au verso d’une carte d’invitation (1956).
d. Rédigé au verso d ’une carte d'invitation (1955).
312 Carnets de ^captivité
<145 >

Propriété agraire
P'3
39k s - d

< l4è>

Autrui - celui qui peut mentir - Parce que présent il peut m entir
- s-’il n'était qu apparence il ferait faux mais ne pourrait pas mentir:
Le mensonge suppose autrui néant dans l'être. Autrui — Personne
Angoisse - expérience de l'A utre

<147>

Sujet - pouvoir - héroïsme - virilité.

<148>

possibilité de l'équivoque
ordre
Verbe vœ u
prière
m ythe

<149>

savoir - raisonnem ent


souvenir
Pensée se retenir de l'action
tou t est possible
le dégagem ent

a. Graphisme incertain. On peut lire également le signe égal (=).


Notes philosophiques diverses 313

*1 5 D >

Expression - ce n est pas le fait de rendre o b je c tif - le projet n est


pas ici : réaliser une intériorité - m ais s’adresser à autrui, se m ani­
fester.

<1$1>

Parler —c ’est donner à nous’ <sic> et à tou t ce qui constitue notre


m onde la qualité de symbole - en l’énonçant.
Symbole - le sonore.
Le verbe est une recherche de l’autre — du salut par l’altérité.

<152>a

La maison et la cham bre.

< i53> b

Dans la lu tte, si ouverte q u e lle soit, la relatioir n'est pas fran­


chise. Il s’agit pour chacun des adversaires de dom iner la force
de l’A u tre à p artir de sa faiblesse. La lutte n’est pas intelligence
- l’un com prenant dans sa totalité l’autre - mais ruse, cherchant
le point faible de l’autre, décom posant la totalité de l’autre en
points, refusant sa présence totale. Éco u ter la parole, en tan t que
parole, c ’est s’exposer à une force qui vous saisit en entier, ne pas
chercher à lui offrir u n .côté, à ^’accueillir de profil ni <à/dp ?> l a .
mesurer.. Dans ce sens, écouter et entendre, c ’est s'exposer à une
force infinie ; mais précisém ent la force infini^ est parole ; elle

a. Rédigé au verso d’une carte d’invitation (1953).


b. Rédigé au verso d’une carte d’invitation (1949).
314 Carnets de captivité
ne se livre pas mais n'écrase pas — elle suscite la liberté de la
question.

<154>

Im portance de la logique formelle. Tout ne transparaît pas en elle,


m ais il existe des contenus qui peuvent être dits com m e déjouant
la logique formelle et par là elle est essentielle à la définition de
ces contenus. C 'est K an t qui a inventé cela.

<155>

La notion d'élém ent — ce qui par-delà l'être fait l'être. E x. : l'eau


est l'élém ent du poisson.

<I56>

Ce qui com pte dans une institution - c ’est q u ’elle se trouve dans
le m onde com m e si elle avait cependant ce m onde pour objet.
O r, c ’est sur l’É crit en tant qu'il d it le M onde - m oi y com pris -
qu'est fondée l’institution. L’institution, à cause de l'É crit - A b­
solu - point d ’A rchim ède - nécessaire à la liberté.

< 1 5 7 >a

Expérience et Dieu
Expérience religieuse ? Il ne peut y avoir d ’expérience sur­
naturelle que l'expérience du Diable. La résistance systématique
à l'ordre du M êm e — c ’est le M alin génie lui-m êm e. D ieu doit
absolum ent s'entendre - il n'est pas l'ennem i, m êm e s’il est
l'autre.

a. Rédigé au verso d'une carte d’invitation (1957).


Notes philosophiques diverses 315

<158>

- Ayec les m égots de sa* pensée ils font une fumée de locom otive.
- Si la charité s'éteint faute de m isère, il n y a que les aumônes
pour en être fâchées.
a

< 159 >

2'37 î "3? ymrno


ianV inVa’pn n’s nx pxn nnnsw dvzj :X” n t i i nna min’ an *iax
ppxV ’a? uysÿ mat p $3 f]3?a : nnx^ ,nnns xV aw - Van Vœ
(16 ,ia in w )
(D u bout de la terre nous entendrons des cantiques : G loire au
juste !)
40.pxn ’sa xVi pxn tpaa

< l60> b

L’A u tre est la condition d ’une liberté qui vide le M oi de sa pesan­


teur. La société c ’est retrouver le sens des pensées : q u itter la
philologie pour le logos.

<161>C

E xistence am phibie.

a. Levinas n’a rien écrit à la suite de ce tiret.


b. Rédigé au verso d’une carte d’invitation (1964).
c. Rédigé au verso d’une carte d’invitation (1953).
316 Carnets de captivité
< 162>
L’apôdalypse - est un désastre naturel. S'il était sim plem ent 'poli­
tique1- il ferait encore partie de l’histoire.

< 1 6 3 > ft

{L’écrit, com m e} antagoniste de la m ém oire - ne signifie pas


seulem ent que quand une pensée estb écrite elle rend inutile la
m ém oire - mais avec l’écrit nous ouvrons un plan par rapport
auquel se situe le m onde de la m ém oire lui-m êm e qui est

<164>

L’É ta t0 lui-m êm e subordonne la société de l’écrit à la société de la


parole. Il existe une institution qui est au-delà des institutions : là
où on apprend à lire les écrits et où le rapport oral donn apparaît
com m e la condition des écrits : l’École. C ’est là que le m onde de
l’histoire est suspendu au logos. C ’est là que se réalise la condition
trànscendantale de toute histoire —la lum ière où je vois la lum ière
- l a parole du m aître à l’élève. Carlyle ad <défini ?> c l’Écolé -
m êm e supérieure — com m e le lieu où on apprend à lire41.

a. Les notes 163 et 164 sont chacune un fragment textuel d’une page manuscrite, obtenu par
la déchirure d’un feuillet manuscrit recto. Les deux morceaux de feuillet sont d’un même-papier
et le texte est, dans les deux cas, rédigé au stylo bille à encre violette, les ajouts et surcharges étant
écrits au stylo plume à encre noire. S’il est peu probable qu’ils soient les deux morceaux d’un même
feuillet, ils sont néanmoins extraits d’un même ensemble, comme l'attestent l’unité thématique
des textes qui y figurent et, matériellement, l’identité du support et de l’instrument d'écriture.
b. « est » en surcharge de « elle ».
c. « L’État » en surcharge de « l’état ».
d. Ce qui suit est écrit au stylo plume.
e. Mot illisible en raison de la détérioration du papier. Les deux premières lettres du -mot
encore lisibles suggèrent la lecture de « défini ».
Noies philosophiques diverses 317

<165>4

N ous indiquons ainsi le sens général de cet ouvrage en apercevant


dans le visage, l'épiphanie de l'Infini42. Le rapport social essentiel­
lem ent caractérisé par la non-réciprocatiorr des rapports humains
- est un rapport qui ne constitue jamais de totalité.*
C 'est là que s'accom plit l'approche de l'infini — encore cfûe cette
approche se situant par rapport à l'infini, consiste à se libérer de
tou te situation, c'est-à-d ire à accéder à l'A u tre, non conditionné
par sa civilisation. L'approche de l'Infini est éthique.

<!66>b

Structure de l'É crit

- N 'im p orte qui s'adressant à n'im porte qui - discours imper­


sonnel.
- Écrire : parler à l’absent.
- J e ne m e sers pas du livre — il me parle.
- Viser une chose qui n’est pas une chose - lire.
- La réalité qui m e parle sans m e heurter - réalité pour êtres
libres.
- L’Écrit-parle de l’histoire - du passé. Car réalité antériorité.

< Î67> *

Crise de l'A m ou r
1) pas sortie véritable - (am our extériorité au sein de l'habita­
tion)

a. Morceau d’un feuillet dactylographié que Levinas a déchiré proprement afin d’en isoler ce
fragment textuel, qu’il a en outre entouré au stylo bille à encre bleue.
b. Rédigé-au verso d’une carte d’invitation (1958).
c. Rédigé au verso d’une carte d’invitation (1953).
318 Carnets de captivité
2 ) solitude à deux
3) V olupté = élémental
4 ) Infidélité4
5) O bscénité
Surmontée dans la famille :
1) juridique
2 ) enfant
6) Inégauxb

< 168>

Sur le problèm e Platon et la vie politique :


Diès, Platon, Œ uvres complètes, t. V I, p. v.
R ivaud, Platon auteur dram atique, Rev,; d h ist et de philo, avril-juin
1 9 2 7 , p. 2 5 .
W ilam ow itz, Platon, 1 .1 , 1 9 1 9 , 1 8 0 - 2 4 1 .
V. de M agalhaes-Vilhena, Socrate et la légende platonicienne, p. 109-
P étrem en t, Le Dualism e chez Platon, les gnostiques et les manichéens,
1 9 4 7 , p. 1 2 3 ,3 2 8 .
Lettre V II 3 2 4 b, 3 2 6 e a43.

< l6 9 > d

La volonté - com m e existence absolue—à distance de la m o rt, dans


le tem ps. M oi (e il ne faut pas dire le m oi est un être à distance de

a. En bas à droite, écrit en diagonale et commençant à hauteur de la remarque 4, cet ajout


donc l'emplacement dans le texte de cette note n'est pas déterminé (il est sans doute postérieur à là
rédaction de la note, puisque écrit au stylo bille à encre violette, quand le reste du texte est rédigé
au stylo bille à encre bleue) : j
« Surtout
Société
Illusoire -
sans eux ».
b. Écrit tête-bêche, au crayon de couleur rouge, le nombre « 140 ». Cf. supra notre note d’édi­
tion relative à la note 84.
c. « 326 » en surcharge de « 236 ».
d. Rédigé au verso d’une lettre reçue (1952).
e. La parenthèse fermante manque.
Noies philosophiques diverses 319

la m o rt, car alors c ’est un être corruptible - Le Moi - c ’est le fait


pour un être de se distancer de son néant - d ’être tem porel.
À distance de la m ort chez soi.
Chez soi = ak e rapport avec altérité non assumée car non à as­
sum er = am our -
pas de réflexion sur.l'existence, mais jouissance des choses.

< 1 7 0 > ft

L’unicité du moi est bonheur -


Le désir — solitude
Lé m oi est la discontinuité <m êm e ?> .

< 171>

L’anarchie de la rencontre d ’autrui est condition de la guerre


d'une part (car ni autrui ^ni m oi nous ne sommes principes - nous
parlons sans savoir ce que nous disons)
- la guerre est un com m encem ent à p artir de soi ou de l’autre —
risque
soit de la justice - le com m ence' en N ousb par l’interm édiaire de
D ie u -
D ieu est* avec nous.

<172>c

La politique com m ence quand on ajoute à la morale un « il faut


cependant réaliser cette m orale ». Ce cependant devient aussitôt
l’essentiel.

a. Rédigé au verso d’une carte d’invitation (1955).


b. « Nous » en surcharge de« nous ».
c. Rédigé au verso d'une carte d'invitation (1962).
320 Carnets de captivité
<173>a

Ivresse — le privatissim e - sensible pur = la levée de toute respon­


sabilité - le charm e de fêtes privées dont parle Simone de Beau­
voir dans L a Force de l'âge lorsqu'on restait entre amis em pêché dé
rentrer par le couvre-feu et où au m ilieu de l’occupation on vivait
des nuits uniques dans le privé. Le sens de Пир ВО время
чумы4*.

<174>b

La misère — ce n'est pas la m o rt, mais la faim , la soif, le froid - la


douleur, la maladiec.

La parole - visage.
Mais le fait de se tourner vers m oi - se qualifie - sa misère et
cependant sa non-relativité (misère c ’est sa m anifestation et son
entrée dans m on m onde - chose en soi - sa non-relativité : M isère
à la fois relativité et en soi (€ r i e r {crier} justice).

< 175 >


4
C ette façon de tourner autour du p o t que l'on appelle phénomé^
nologie.

<176>d

< xxxxxxx> < xxxxxx> <il ?> < xxxx> (raison)

a. Rédigé au verso d’une carte d’invitation (1961).


b. Rédigé au verso d’une carte d’invitation (1933).
c. Phrase probablement ajoutée postérieurement (elle est tassée en haut de la page et écrite au
stylo bille à encre bleue, le reste étant rédigé au stylo plume à encre bleue).
d. Rédigé au verso d’une carte d’invitation (1953).
Ilotes philosophiques diverses 321

<177>‘

<recto> C ’-est- C ette possibilité pour une volonté de contraindre


l’autre en ne lui laissant que la liberté de pensée - Pktton 1 apptellë
{èst là} tyrannie.
À d6té du commanderfient * raisonnable {moi s - o ù -la lib erté
< x x x x >-} du roi-philosophe - existe le com m andem ent tyran­
nique ou violent auquel la liberté <interrom pu>

< verso > L’idée de l’im m ortalité com m e résistance à l'histoire -

<178>b

<rècto> L’être séparé - c ’est concrètem ent : l'être est quelque


p a r t /1

La volonté suppose <interrom pu >

<verso>c II est impossible de décrire correctem ent truism e


kt l’hum anité de l’hom m e sans y englober son animàlité* — sur
laquelle l'hum anité.ne se greffe pas sim plem ent - mais dont les
structures déterm inent cette hum anité elle-m êm e.

La-volo n té-suppose <interrom pu>

a. Morceau d’un feuillet manuscrit recto verso. Le texte figurant au recto esc tronqué. Il est
écrit au stylo bille à encre bleue ; les ratures, surcharges et ajouts du premier alinéa sont au stylo
bille à encre violette. Le texte figurant au verso est écrit au stylo bille à encre violette. Ces deux
pages n’ont semble-t-il pas de rapport entre elles, et l'on peut penser, le texte écrit au recto étant
tronqué, que la note que Levinas souhaitait conserver est celle qui figure au verso.
b. Morceau d’un feuillet manuscrit recto verso, au stylo bille à encre bleue (l'encre du recto est
d’un bleu plus clair, la même, semble-t-il, que celle du recto du feuillet de la précédente note). Ces
deux pages n’ont visiblement pas de rapport entre elles, et il est possible, le recto étant tronqué,
que la note que Levinas souhaitait conserver soit celle qui figure au verso. Signalons par ailleurs
que le feuillet sur lequel figure cette note ainsi que celui sur lequel on lit la précédente sont d’un
même papier, quê les textes qui figurent ai> recto de ces feuillets sont probablement écrits àvec le
même stylo bille’à encre bleue, et qu’enfin ils ont pôur thème la volonté. Ces deux feuillets appar­
tenaient sans doute à un même ensemble.
c. En haut de cette page, ces notations barrées, visiblement antérieures à la rédaction de cette
note (elles sont rédigées au stylo bille à encre violette, le reste du texte est au stylo bille à encre
bleue) :»« 23 févfier —vxxxxy -------— *------- 585 ---------------------- u ^157 ».
322 Carnets de captivité
<179>a

<f. 1> Que les m ots ne se bornent pas à refléter des idées,
qu’ils jouent dans l’esprit un rôle p ositif — dem eure la vérité du
nom inalisme. Quel est ce rôle ? Il est facile de rappeler q u ’en
parlant nous dépassons constam m ent notre pensée, car nous
utilisons un outil chargé d ’une puissance d ’évocation déposée
en lui par l’histoire et par la société et que des significations
harmoniques résonnent dès que le m o t est proféré ; que m algré
les cadres sociaux du langage, le m o t prononcé se déforme
dans le langage individuel de chacun. Évocation des harm oni­
ques - à la fois obstacle et instrum ent de la parole. Car voici
la parole devenue artiste : dans le systèm e des signes verbaux
<f. 2 > rdont elle dispose, elle perçoit un clavier et le thèm e simple
qu’elle avait à traduire tou t d ’abord s’enrichit de symphonies
possibles.

< 180>

La finalité c ’est l’actiom du corps - précisém ent parce q u e lle se


fait dans l’ignorance des moyens. C ’est ce que l ’on veut faire qui
seul agit.
Seule l’action technique com porte la connaissance des moyens.
Mais cette action < xxx> crée est <dans ?> ces étapes — finalité.

< 1 8 1 >b

La société - c ’est le crédit -


intervalle essentiel entre l’action et la réaction —
< gratu ité ?>
Foic

a. Il s’agit de deux morceaux de feuillets manuscrits recto que Levinas a déchirés proprement
afin d’en isoler ces quelques lignes, et qui manifestement se suivent. Le papier ainsi que l’instru­
ment d’écriture de ces deux feuillets (stylo plume à encre bleue) sont identiques.
b. Rédigé au verso d’une carte d’invitation (1953).
c. En travers de la marge de gauche, écrit au stylo plume à encre noire (le reste est au stylo bille
à encre violette) : « TRU 72-27 ». Il s’agit probablement d’un ancien numéro de téléphone.
Notes philosophiques diverses 323

< 1 8 2 > ft

A u tru i toujours chose -


C ’est pourquoi la rencontre du visage est parole c ’est-à-dire
production de son.

<183>b

« Sie müssen mich fragen und nicht sich, wenn Sie mich verstehen wollen » ,
L éttre de Joh ann G eorg H am ann à K an t de déc. 1 7 5 9
Éditions Cassirer, Tome 9 , p. 1 9 45.

<18 4 > c

L'essence de l’argent : être et non pas УрИр - La possibi­


lité d ’être caché - nécessité p ar conséquent d ’obtenir le consente­
m en t pour l’obtenir de l’autre. (L’accès n ’y peut rien.) Le passage
de l’or à la monnaie papier introduit und m om ent de droit - mais
la structure du susceptible d ’être caché s’y retrouve46.

<185>e

Le sentim ent - com m e par définition la société de l’amour, de la


dualité.

<186>

Le problèm e du problèm e : la pratique de la Raison devenant


anti-raison.

a. Rédigé au verso d'une note d'honoraires de médecin (1950).


b. Rédigé au verso d’une carte d'invitation (1953).
c. Rédigé au verso d’une carte d’invitation (1952).
d. « un » en surcharge de « le ».
e. Rédigé au verso d’une carte d’invitation (1953).
324 Gâmets de captivité
<187>

Ce qui adhère à la raison universelle - à la tyrannie dé l’univér-


sel - est-ce une raisoA ? une volonté anim ale ?

<188>*

<fecto>„ Tous ceux qui défendent le sujet dans sa subjecti­


vité strictefnent individuelle - ont mauvaise co n scien ce^ { © »
se -souvien t de) -PhUesophef -sur la Q n -sa k >q u e sub Q n sak- que
subject ivité c 'est sem b le-t H trahir <interrom pu>
<verso> Le bonheur peut être interprété com m e un m om ent
de la liberté — ou la liberté com m e élém ent du bonheur.

<189>

J e reconnais que ce sont eux parce que je fais crédit.

< 190>

Ce que j'oppose à la négation hégélienne dans l'affirmation de


soi (conscience, volonté) - c ’est le langage dont la négation n'est
qu'un mode. Le langage ne se réduit pas à l'affirmation et à la
négation. Il en est la condition. Le langage e e s t c ’est la situation
du nous.

a. Morceau d’un feuillet manuscrit recto verso. Le texte figurant au recto, qui n’a, semble-t-il,
aucun rapport avec celui qu’on peut lire au verso, a été tronqué lors de la déchirure du feuillet par
Levinas.
b. Levinas a encadré ce qui suit, mais le bas du cadre a été interrompu par la déchirure du
feuillet.
Notes philosophiques diverses 325

< 1 9 1 > ft

Le m édecin - soulager la souffrance ou ajourner la m o rt ?

*192> b

D ire que le monde est raisonhable - ce n’est pas simple1 dire qu’il
est structuré (structure suppose raison) -
Mais qu’ùn effet attribué à la raison — p. ex. la paix, est possible
en féalité — et que la réalité qui y contribue -

<193>c

A rgen t - lié à m on secret.


Toujours ce que l’on peut cacher (m êm e si sa valeur est d ’origine
sociale) - il faut donc passer par m oi - vivant, sachant où il est
caché - pour m e le prendre.

<194>d

Courage :
com bat contre la peur et la souffrance
contre les désir
plaisir

redoutable caresse de certaines flatteries qui amollissent com m e


une cire les cœ urs de ceux qui se croiefit des hom m es graves.

a. Rédigé au verso d’une carte d'invitation (1955).


b. Rédigé au verso d’une carte d’invitation (1954).
c. Rédigé au verso d’une carte d’invitation (1954).
d. Rédigé au verso d’une carte d’invitation (1954).
326 Carnets de captivité
<195>

Platon 2 2 9 d-e Phèdre


Q uant à m oi Phèdre quelque séduisantes que, par ailleurs, je
juge de telles inventions, elles veulent chez leur auteur trop d’ha­
bileté et de labeur, sans com pter qu’elles ne font pas du tou t son
bonheur, ne serait-ce que pour être, après cela, forcé de rectifier
la conception qu’on se fait des H ippocentaures, puis, une autre
fois, celle de la C him ère ; submergé qu’il est par une cohue de
Gorgones, de Pégases qui sont dans le m êm e cas, {(e)} par la
m u ltitu d e, com m e par l’étrangeté, de certaines autres natures
légendaires, inim aginablem ent monstrueuses. Que si, ayant des
doutes à leur sujet, on réduit chacun de ces êtres à ce qu’il a de
vraisemblable, en recourant à je ne sais quel grossier bon sens,»on
aura besoin d ’avoir bcp de tem ps libre47 !

<196>a

Phèdre 2 3 0 d
« Les champs et les arbres ne consentent à rien m ’enseigner, tandis
que c ’est ce que font les hom m es qui sont dans la ville48. »

E t pourtant Socrate jouit adm irablem ent de la nature.

<197>

Tous les subjectivismes prétendent être conséquences d'une philo­


sophie de l’objectif. Le sujet d ’un m om ent de l’objectif. — (B ru n -
schvicg, H eidegger).

Sauf Kafka, Sartre de L a Nausée.

1. Rédigé au verso d'une carte d'invitation (1955).


'Notes philosophiques diverses 327

<198>*
H aulser.le tem ps49

M ajesté à la fin de la 3 e M éd it< atio n > 50.

<199>b

La possession de soi tient-elle à la possession des choses etudes


personnes ? Liberté à l'égard de sa propre existence —
'La perte de tou t £t-de totp - perm et-elle d ’etre soi ? Job

<200>c
L’idéal suprême de la lim itation et de la destruction des désirs
n’est, pas concevable com m e mode co llectif d ’existence. Dans
cette im possibilité il n’y a pas seulement le mépris de la foule,
mais aussi une contestation de l’universalité de cet idéal.

< 201 >

La négativité - reste dans le M êm e. Le m eurtre - vise Autrui


com m e KCtt’aù rô - il ne consiste pas à nier par rapport à qqch.
d ’A u tre, mais en soi.

< 202>
Lois 6 2 8 b
L’Athénien

a. Le texte est écrit obliquement sur une carte d'invitation (1955). Trois traits horizontaux
séparent les deux remarques.
b. Rédigé au verso d’un faire-part de mariage (1955).
c. Rédigé au verso d'une carte d’invitation (1955).
328 Carnets de captivité
Ce qui à coup sûr est le m ieux, ce n'est ni la guerre, ni la sédi­
tion, et c est une chose détestable de les désirer ; m ais ce qui est le
m ieux c ’est à la fois la paix entre les hom m es et une bienveillance
m utuelle de sentim ents - et il va bien de soi aussi, sem ble-t-il
bien, que la victoire rem portée par un É ta t sur lui-m êm e ne doit
pas être mise au nom bre des choses qui valent le m ieux, mais de
celles qui sont une nécessité51 !

<203>a

H eidegger fait jouer aux œuvres des grands philosophes le rôle


que les religions attribuent aux Écritures.

<204>b

A u Liegen heideggérien s’oppose la création : l ’idée de fondem ent


est inversée - le com m encem ent qui n ’est pas un fondem ent, mais
une parole52.

<205>c

Chez H eidegger
S. u Z. - m onde du travail et des objets (Zuhandenes) dans les
œuvres ultim es.
Le paysage - la cm on tag n e ?> , la forêt, la mer.

< 206 >


Ce en quoi je diffère de H eid egger :

a. Rédigé au verso d’un faire-part de mariage (1954).


b. Rédigé au verso d’une carte d’invitation (1954).
c. Rédigé au verso d’une carte d’invitation (1954).
'Notes philosophiques diverses 329

Il ne s'agit pas de sortir de Y Alltäglichkeit™ vers l’expérience


authentique, m âis de suivre l’hom m e de1Y Alltäglichkeit dans sa
< p ein e?> < m êm e?> >

<207>a

N otre m onde repose sur les écrits, sur les textes. L’hom m e
a un m onde à cause des écrits où il se tien t. À cause des écrits, le
monde qui est pour nous est au préalable ce par rapport à quoi
nous sommes.

<208>

M étaphore

Le fait du langage qui m ène au-delà de l'expérience - n'est pas


une preuve de l’existence de D ieu. - Certes. Mais c'est que « être
avec D ieu » ou « m on ter » , ou « s’élever » — ou « religion » ou
«"langage » - ou « relation avec l’A u tre » conditionnent seule­
m en t la recherche de l'existence.
D ira-t-on : dans la relation avec A u tru i, il im porte tou t de m êm e
de savoir si A u tru i existe ?
O n peut dépasser cette question en posant com m e antérieure
à elle la question : q u ’est-ce qu’être ? O u bien dire : ce n'est pas
par rapport à l'alternative « existe - n’existe pas » que se situe
la relation avec A utrui. La certitude de l'existence ou de la non-
existence (la vérité) ne m arque pas le com m encem ent de toute
vie spirituelle. C ’est p eu t-être cela la foi - non pas certitude que
{« m ais} sans preuve » que quelque chose existe ou n'existe pas ;
la foi serait plus dépassement de la question « an sit » - dépasse­
m ent déjà nécessaire pour que cette question puisse se poser (Mais
c'est encore du transcendantalism e).

a. Rédigé au verso d'une carte d'invitation (1953).


330 Carnets de captivité
- Le problèm e consiste à déterm iner le .plan de cette ¿relation avec
D ieu qui «n'est pas une preuve de, l'existence <le Dieu.
C 'est plus que toute preuve, et cela va au-delà de l'affirmation de
l'existence.
Plus que, au-delà de - superlatifs = métaphore.

<209>

La prim auté de l'abstrait

O ù réside le m om ent m ystificateur de la m étaphore ? Dans le


passage qui s'opère du sens littéral au sens figuré ? Mais le sens
littéral n’est-il pas déjà m étaphorique ? Dans ce cas la démystifi­
cation ne consistera pas à rechercher les significations culturelles
élémentaires, mais des significations extérieures ou antérieures au
jeu des métaphores - significations antérieures aux cultures et aux
langues. Sans, pour au tan t, coïncider avec les élém ents simples
des épicuriens ni avec les significations traduisibles en techniques
— significations précisém ent abstraites (et affirmées com m e telles
contre tou t l'engouem ent m oderne pour le concret), signifiant
non culturellem ent. Tel est le visage. Platon : 7 e lettre = signifi­
cation sans langage.

<210>a

M étaphore et au-delà, (quelques égalités)

1° Touté m étaphore reste dans l'im m anence -car Lab pensée est la
définition m êm e de l’im m anence — ce que l'on ne peut étonner =
pensée. E t en effet : étonnem ent = com m encem ent de la philoso-

a. Rédigé au verso d’une carte d’invitation (1961).


b. « La » en surcharge de « la ».
Notes philosophiques diverses 331

phie. La m étaphore - le dépassement métaphorique - reste cepen­


dant à la mesure de la pensée.

2° R ien ne saurait étonner la pensée - C ’est-à-dire toute pensée


est déjà souvenir.

3° Se souvenir = pouvoir se retirer en soi - ne pas être absorbé


par l’objet, le dominer. D onc avoir du temps pour se retourner =
réfléchir.

4° N e pas avoir le tem ps pour se retourner = ne pas réfléchir. N e


pas avoir le tem ps pour se retourner = être d ’emblée responsable =
être devant ce qui est plus haut. Ê tre infiniment responsable d e ...
et p o u r...

5° La m étaphore qui brise la pensée = penser plus qu’on ne


pense. O r, cela n’est possible4 que com m e responsabilité morale =
critique devsoi avant réflexion. À p artir d ’un sens plus haut que le
tnieQ ... H auteu r de l’infini.

a. « possible » en surcharge de <xxxxxx>.


Liasse B

<1>
D ialectique de la violence

s M oi = causa sut = un violent qui ne connaît pas encore la guerre,


ag it tou t seul com m e ivre. E n trer en guerre, c est se heurter à
l'infini : la lim ite ne lim ite pas, A utrui ne s'épuise pas à me
lim iter, il est en soi On&rfrü №»N). Dans la guerre, pas de force
brutale XiV) - représente cette conception < xxxxxxx>
de lagu erre). O n ne fait la guerre q u ’à l'hom m e - déjà on négocie.
{O n n’exerce la violence que sur celui qui libre ne laisse prise
à aucune violence.} La guerre est la*grande surprise et non pas le
déploiem ent d ’une force. L u tte : force + adresse (l'Autrp, com m e
A utre). La seule ^relation possible entre deux libertés = violence.
* la guerre est relation entre dçux êtres .qui n’ont pas de plan
com m u n auquel ils se réduiraient pour une pensée qui les envi­
sagerait du dehors ; relation entre êtres qui n'ont pas de concept
com m u n , entre êtres libres. Liberté signifierait : extériorité radi­
cale de l'un à l'autre — sans rien de com m un. Liberté = existence
incapable d 'entrer sous une notion pensée du dehors et qui rédui­
rait cette existence à un dénom inateur com m un. L'aventure et
l’inconnu de la guerre nous indiquent qu'il n’existe pas de plan
com m un auquel les adversaires auraient pu être réduits. Guerre
com m e parallélogram m e des forces = guerre vue rétrospective­
m ent. .G uerre = im possibilité de la négociation = incapacité
334 Carnets de captivité
de voir du dehors ce que l’un est pour l’autre et entrevision de
l’aventure, de l’avenir indéterm iné qui découle de cette situation.
N égociation : soit raisonnem ent sur soi et sur l’adversaire - soit
reconnaissance par-delà le plan com m un où l’on se m eu t dans la
l re hypothèse. La guerre ne serait qu’une logistique —calcul précis
des effets flttan *f?a
Xtil).

<2 >

Le Désir - m aintient l’infini, est l’intuition de l’infini

Lim itation im plique violence — quand les term es sont doués de


liberté — laquelle est une possibilité de rencontrer un A utrui qui
ne vous lim ite pas.
L’altérité de la lim itation - et de la violence - suppose une
altérité qui ne lim ite pas :
L etre transcendant ne lim ite pas le sujet par son extériorité»
Le sujet ne dé-finit pas l’être infini dont il a une idée débordante.

< 3>

Il n’est pas vrai que le jugem ent n égatif n ’a pas de force sugges­
tive positive.
Les attrib u ts négatifs ne sont pas sim plem ent lim itatifs.
Force m éta-phorique de la négation.

<4>a

<recto> 1 9 J . 6 1
U ne personne vivante parle. Ce qu'elle d it est sténographié et,
dans l’écrit, s’intégre à un con texte culturel impersonnel. A déjà
été d it par d ’autres ; est contestable ou verbal. Pourquoi le discours

a. Feuillet manuscrit dont le recto est rédigé au stylo plume et le verso (qui en est manifeste­
ment la suite, mais relevant peut-être d’une autre caitïpagne d’écriture) au crayon à papier.
Notes philosophiques diverses 335

vivant a -t-il été davantage ? Par l ’effet de l ’éloquence, du geste


qui s’ajoutait à la parole, de l ’intonation, de l’ambiance ? O u par
le fait que le rapport avec la-personne qui parlait, le lien intersub­
jectif, la réalité intersubjective dom inait m êm e l e co n tact avec
une raison, a était>plus im portant que l’universalité ? Par le fait
que rindividuation.de l’universel a été un événem ent qui dom ine
l’universalité ,du discours, non pas seulem ent pour lui donner
un accent nouveau seulement, com m e une fioriture de plus, mais
pour nous tenir dans un ordre qui dom ine .toute universalité et
par rapport auquel on peut seulement éclairer le sens,m êm e de
l’éloquence,‘ du geste, du style, e tc . L’individuation, J ’intersubjec-
tivjté, l ’expression, {A u tru i} - voilà l’essentiel4 <verso> ou plus
exactem ent encore cela — la vérité — cette pensée —est im portante
parce, que quelqu’un — d ’autre que m oi — le pense.

<5>b

Philosopher — c ’est ne pas pouvoir raisonner. Pas de point


d ’appui. Rien n ’est prémisse.
Savoir qu’on ne sait pas.

<6>c

< p. 3 du bifeuillet> Discours et interruption


Le* discours est ininterrom pu - Certes. Mais cela ne l’enferme
pas dans l'im m anence; le’présent et d’être. Car de lui-m êm e, tout
discours est transcendant. Il brise la totalité dont il envèloppe

a. Le recco comporte un ajput écrit en travers de la marge de gauche, mais ne lui assigne
aucune place dans le corps du texte : « Le fait qu’autrui pense cela, esc plus important que cette
pensée elle-même. Tout le mystère du Maître est le fait que l’enseignement est irremplaçable. »
b. Rédigé au verso d’une carte d’invitation (1954).
c. Note rédigée sur une carte d’invitation double (1966) dont les pages 1 et 4 sont imprimées.
Levinas a écrit, dans le sens de la largeur, sur les pages intérieures vierges ainsi que sur l’une des
deux pages imprimées. Nous foisons commencer la note par la page qui comporte un titre souligné
indiquant le thème général de l’ensemble du propos. Nous signalons chacune des pages remplies
par Levinas en suivant la pagination du bifeuillet : le texte commence donc à la page 3 et se pour­
suit aux pages 2 et 1.
336 Gamets de captivité
tout silence et toute eschatologie et toute interruption en parlant
à l'interlocuteur. Il ne parle ra s à lui-m êm e. (Mais est-ce pour cela
que Platon parle d'un discours silencieux - m ais l’âme silencieuse
pense-t-elle.) *E rm êm e en enveloppant tou t cela par le présent
discours je n e l’interrom ps pas en écrivant. T aut- {Le dialogue, le
discours recherche l’unité — <3eeae> mais il la*demande en inter­
rogeant et par là m êm e la brise. Si la pensée ne se sépare pas
du discours, elle a* déjà perdu la to talité.'T o u t} discours est brisé,
dérangé de par cette contradiction ultim e.
Q ui le* brise l’êtreTou D ieu ?
<p. 2 du bifeuillet> Le discours philosophique qui énonce sa
propre rupture ou sa propre impuissance, est-il le m êm e que celui
qui vient de se rom pre ou de s ^ r ê te r ? S’il est le* m êm e, c'est que
le conditionné et le conditionnant sont contem porains (structure).
Mais le discours est aussi libération à l'égard de sa condition.
Le discours philosophique est un discours qui se rom pt — qui
se retire de la parole qui m arm onne im personnellem ent - (qui se
parle) - p eu r il s'en retire pour parler du discours où tou t à l'heure
il parlait.
Mais le discours qui énonce sa propre rupture — ou sa propre
impuissance - n ’est pas le m êm e que celui qui vient de se rom pre
ou de s’arrêter. Il a réfléchi sur l’interruption. Il n'y <p. 1 du
bifeuillet> a pas d ’unité du discours, mais une histoire faite de ses
interruptions et de la descente à un nouveau niveau, R ep li sur des
positions préparées à l'avance ? U ne descente qui est la m arche
vers le discours absolu à p artird u q u el toute cette histoire et toute
cette descente est visible.
O u n’est-il pas encore en question — en tan t qu’il s’adresse à un
A utre. {Tout Discours est quête. Mais l’interrogation du j e ... m e
demande est déjà discours avec un A u tre4.}

a. Ajout écrit en travers de la marge de gauche, entouré et relié par une flèche à ce qui pré­
cède.
N ôtes philosophiques diverses 337

<7>
Discours et interruption

Soit le discours est plus que présent ou non présent et est, par
lüi-m êm e, logos décidant de norm e, pensée distincte de toute
intention — qut dont on sait a priori qu'il est cela m êm e qui
ne peu t se laisser rom pre et qui est prêt à dire en soi toutes les
ruptures, à les consom m er com m e origine silencieuse ou com m e
eschatologie. C ’est en lui - en g rec - ¿jùe se produisent encore
toutes les interpellations de l’Étrànger.
O n ne peut parler de rupture que dans un *discours de type
philosophique qui ne peut à la lim ite se m ettre en question qu’en
s’affirmant, qu’en se confirm ant lui-m êm e. Pour lui dire l’A utre,
il faut parler g rec aux G recs1, ce qui est déjà lui donner raison.

<8 >

N ’est-il pas possible de m ontrer d ’une part un m ouvem ent au-


delà de l’être dans la Raison elle-m êm e et d ’autre part de décrire
un-scintillem ent de l’au-delà de l’être qui ne se synchronise pas
avec la pensée qui le capte et ne s’y range pas et qui serait le
dérangem ent m êm e.
Dès lors, le dérangem ent p ou rra-t-il se dire dans un discours
qui se prétend im perturbable et sans discontinuité.

<9>

L’essence du kantism e — le réèl’com m e ayant un sens en dehors


dé l’ontologie - en dehors de la question qu’en est-il - en dehors
par conséquent1 des problèmes de la m o rt et de la réalisation qui
sont les problèmes ontologiques e t ceux de l’être.

a. « Conséquent » en surcharge de « conséquence ».


338 Carnets de captivité
Le fait que l’im m ortalité et la théologie - viennent après et ne
sont pas présupposées {considérées} - est un essai de chercher un
sens sans ontologie m êm e si dans ce sens se dessinent après une
< « ?> libération à l’égard de la m o rt » - libération considérée
< in t e r r o m p e

<10>a

E n tre les lignes du discours - énigm atiques ouvertures — incon­


sistantes pour le langage qui reconstitue sa cohérence mais visi­
bles à travers ses folies.

< 11>
Différence entre sensibilité et intelligence : m usique, peinture
- cela ne passe pas par la traduction - cela coule en vous com m e le
manger. La pensée = signes à traduire. Cela passe par la tête.

< 12 >

Se demander en face de la force - d ’où vient cette force ? - c ’est


déjà éviter le coup : c ’est le geste fondam ental de la philologie
devant la pensée et face à la violence de la pensée.

<13>b

L’hum anité surm ontant l’anim alité dans la 3rn 3 “1B - car l ’ani­
m alité a un sens. Les diverses directions que la niDHE em prunte
n’im posent pas un changem ent de direction.

a. Rédigé sur un morceau de cane d'invitation reproduisant une œuvre du peintre Hosiasson
datée de 1966.
b. Rédigé au verso d’une carte d’invitation (1954).
Notes philosophiques diverses 339

< 14 > a

M algré toi tu nais et meurs - C ’est encore de l’existentialism e


à la rigueur. Mais «b m algré toi tu rends com pte, e tc., et tu ne
рейх pas te sauver dans la tom be - C ’est le sens, l’orientation qui
rend impossible le suicide. Pas d ’existentialism e. C f chez Platon
dans le Phédon : les sentinelles ne peuvent pas quitter leur poste4.

<16 >c

c l ’hypotypose ?>
m onothéism e ; nourrir des hom m es — la voilà la tâche sacrée
sur laquelle s’ouvfe Messire G aster le prem ier m aître ès arts du
m onde, m algré l’hum ilité du siège qu’en fin de com pte lui accorde
Rabelais5.

<i6>J

La diplom atie qui use de symboles qui ne désignent pas les


choses ; q u ’on les elle se sert de term es qui tou t en désignant autre
chose q u ’ils désignent, désignent aussi ce qu’ils désignent - et
puisent leur force dans cette possibilité de se réfugier dans le sens
littéral entièrem ent valable m algré son sens caché que l’interlo­
cuteur com prend dans cette am biguïté qu’il ne peut trancher. Le
signe n ’est jamais entièrem ent signe - conservant toujours son
sens littéral.

a. Rédigé au verso d’une carte d’invitation (1954).


b. Le guillemet fermant manque.
c. Morceau d’une enveloppe dont la partie supérieure a été déchirée afin d’isoler ce fragment
texftiel. On y lit encore quelques lettres tronquées laissant deviner un texte plus long, commen­
çant avant le premier mot de ce fragment et se poursuivant sur la même ligne que lui.
d. Rédigé au verso d’une carte d’invitation (1953).
340 Carnets de captivité
<17>

La préhistoire est la période où les hom m es n'avaient qu’une


m ém oire.

<18>‘

.Celui qui s’occupe d ’une idée non pas en raison de sa valeur


intrinsèque, mais de sa valeur sociale ou pédagogique. Sans cela
713*771 "DW coïncide avec "DW.

Fou ou imbécile - Raisonne mal - ou ne contrôle pas ses prémisses.

<19>b

D ieu a créé le soleil e t la lune co m m e deux lum inaires égaux.


C ’est le sens de la création. La lune aperçoit le paradoxe de la
création : elle est im prégnée d'esprit grec. Elle se situe dans une
hiérarchie et renonce à la plénitude de son être. Le ju if est l'hom m e
qui rachète cette nécessité de la logique grecque. Il sait réparer la
dim inution de la lune et rétab lit le sens de la création.

<20>c

- Q ue les besoins ne donnent pas de sens - P laton : É ta t fondé sur


les besoins ne donne pas de satisfaction tan t qu’il ne com porte pas
de luxe (de courtisaties), La satisfaction exige plus que la satisfac­
tion.

a. Rédigé au verso d’une carte d’invitation (1954).


b. Rédigé au verso d’un morceau de feuillet cartonné imprimé recto. On peut dater l’imprimé
de 1961.
c. Rédigé au verso dune carte d’invitation (1954).
Notes philosophiques diverses 341

- -L 'É ta t qui satisfait à tous les besoins’ ne peut être guidé sans
philosophie : il faut que quelqu'un regarde au-delà des besoins.

<2 1 >

Le thèm e de l'hom m e qui croit au bien sans s'appuyer sur


aucun événem ent, sur aucune force qui le défend (D ébut de la
captivité) - C 'est cela croire en Dieu.

<2
La conscience est une méfiance de la liberté à l'égard d'elle-
m êm e.

<23>

Dans le Talmud Yerouchalm i


« Si vous hésitez longtem ps à épouser la Thora — elle en épou­
sera un autre » —
Si vous n'allez pas vers la vérité — vous aurez à tenir com pte de
son histoire - vous aurez à traverser la philologie - vous recevrez la
vérité des mains des autres - vous receviez la Bible de la Septante
et du christianism e - etc., etc. La vérité est pure dans le prem ier
instant d û désir - La vérité est pure à l’origine - N ous sommes
dans un monde faux - La vérité est donnée dans la’ so litu d e...

<24>

« . . . cette puissance que j'ai de com prendre qu'il y a toujours


quelque chose de plus à concevoir, dans le plus grand des nombres,

a. Rédigé au verso d’une carte d’invitation (1^53).


342 Carnets. de captivité
que je ne puis jamais concevoir, ne m e vient pas de m oi-m êm e,
et que je l’ai* reçue de quelque autre être qui est plus parfait que
je ne suis. »
Secondes Réponses, Pléiade, 3 7 5 7.
Cinquième réponse, 4 8 8 - 8 9 .

<25>

Le judaïsme de papa est m ort. La religion de papa est m orte. La révo­


lution qui secoue le monde va faire arriver sur la scène du monde
des peuples et des civilisations où le judaïsme ne figurera m êm e pas
à titre d'ancien testam ent qu’une nouvelle alliance accom plit. •

< 26 >
U ne Jérusalem céleste et jum elée avec la terrestre. Mais les
choses ne se passent pas com m e chez P laton où celle d ’en bas
im iterait celle d ’en haut. D ieu ne peut venir dans la Jéru salem
céleste tan t que la m échanceté des hom m es l’em pêché d ’entrer
dans la Jérusalem terrestre.
5a 8rv>a3?n

<27>

C ’est depuis K an t que nous m ettons en doute la possibilité pour


la pensée de penser ce qu’elle prétend penser. La pensée n’ose pas
se prendre au sérieux et redoute d ’être dupe de ses propres inten­
tions.

<28>

Socrate a ramené la philosophie du ciel sur la terre dans la


mesure où il a ramené toute vérité m étaphorique — du poète et
Notes philosophiques diverses 343

dii langage - à la vérité deila connaissance rationnelle qui ne peut


jamais rien recevoir d ’au-delà, si elle ne trouve pas ici-bas (= en
soi)» la correspondance de cet enseignem ent. Toute connaissance
décrit donc la sphère de i ’im m anent.

< 2 9 > ft

L’idée de l’aboutissem ent de toutes choses en Israël : A m our par


rapport à la poésie. La fin des métaphores.

<30>b

O n peut s’en tenir au concept purem ent formel de la liberté


et la définir com m e le fait de se retrouver toujours le M êm e sans
que rien d ’autre ne vienne lim iter ce M êm e. La liberté serait alors
1) l’infinitude m êm e. Elle serait alors 2 ) le propre d e l’être un ou
d ’un être qui ne rencontre aucun autre être —d ’un dieu mais d'un
dieu du panthéism e obbbo ne laissant place à rien hors de sa
divinité 3) d ’un être qui n'aura m êm e <pas> à être lim ité par sa
cause, c ’est-à-dire un être causa sui 4 ) d ’un être im m ortel qui ne
serait m êm e pas lim ité par la violence absolue de la m ort.
Dès lors toutes les formes de la dépendance seraient ipso facto
négatrices de liberté. La p o sitio n n e l'hom m e dans la nature dont
ilia it p artie, dans la m u ltip licité hum aine, qui lui lim ite l ’espace
et pèse sur luic et dont la présence m êm e à ses côtés est une lim i-

a. Rédigé au verso dune carte d'invitation (1933).


b. Feuillet arraché d'un cahier d’écolier et plié en deux, donc seules les pages 1 et 4 sont
remplies, et dont la moitié du premier volet a été déchirée dans le sens de la hauteur après une pre~
mière utilisation. Le texte écrit sur le recto du premier volet en occupait initialement tout l’espace
et a donc été tronqué, raison pour laquelle Levinas en a recopié les parties manquantes entre les
lignes du texte figurant sur la moitié restante de la page. Par conséquent, nous ne signalons pas ces
parties recopiées comme des ajouts interlinéaires. De même, nous ne transcrivons pas les parties
encore lisibles de mots tronqués que Levinas a barrés et ensuite rétablis.
c. Ce qui suit se trouve sur la pagç 4 du feuillet.
344 Carnets de captivité
tation et une dépendance cfa n le fait qu'il n’aa pas choisi sa nais­
sance et que*la m o rt vient violem m ent m e ttre «fin à son identité.
L’individualité humaine est conçue sur l e modèle de cette
liberté.

<31>b

N ous comprenons ainsi m ieux, peut-être, la distinction fonda­


mentale du kantisme - et combien elle dépasse la distinction
didactique du kantism e : entré une connaissance qui com m e telle
est pour K an t toujours sensible (c’est-à-dire dessine un monde
im m anent au sujet pensant) et ce que K an t appelle pure pensée qui
n’est pas sans signification, dont la visée ne consiste pas à viser le
néant — mais qui - précisément parce q u elle sort de l’immanence
— ne peut plus être qualifiée de connaissance. N on pas pour de purs
motifs de terminologie et de définition, mais en raison du caractère
fondamental de toute connaissance qui reste.dans le M êm e de par sa
positivité m ême. L’idée de l’êtfe est essentiellement assimilable.

<32>c

retourd. Philosopher, c ’est retourner, dans sa patrie. [D evant les


chants des sirènes qui risquent de ravir le voyageur dans un
monde inconnu, le philosophe dans sa lucidité s’attache au m ât
de son bateau pour que la merveille des merveilles ne le détourne
pas de sa fidélité. Ulysse lucide prévient la folie possible d ’Ulysse
qui risque de périr en sortant de soi.]

a. « n’a » en surcharge de « n’ait ».


b. Cette note, écrite sur une feuille arrachée d’un cahier d’écolier, conclut visiblement un
développement qui n’a pas été conservé.
c. Morceau d’un feuillet dactylographié dont Levinas a déchiré les parties supérieure et infé­
rieure afin d'isoler ce fragment textuel. Le premier soulignement ainsi que les crochets droits sont
écrits au crayon à papier ; le second soulignement est au stylo bille à encre noire. L’ensemble est
biffé par une croix de Saint-André au stylo bille à encre noire.
d. Dernier mot d’une phrase qui se trouvait sur la partie supérieure du feuillet qui a été dé­
chirée (çf. la note précédente).
Notes philosophiques diverses 345

<33>

Il existe des créateurs qui ne créent rien —La puissance de créa­


tion ne laisse pas d ’œuvre. - Le D ivin qui s’en va en jeux. D ieu
jouant trois heures p ar jour avec le Léviathan (Chouchani) 9.

<34 > a

C ’est pourquoi Baudelaire situe la transcendance véritable dans


la M ort. Elle seule amène du nouveau ou y conduit. Bien que, là
encore, il puisse y avoir crainte que la m onotonie d ’ici-bas soit
reprise. « Le Squelette laboureur ».

<35>b

À la dém onstration analytique et déductive s’ajoute une déduc­


tion transcendantale :
1) celle du sujet : la valeur supra-subjective de telle ou telle
notion se justifie par la structure du sujet qui ne peut arriver à la
connaissance de l’objet qu’en affirmant la valeur de la notion en
question.
2 ) celle de la condition ontologique : la valeur supra-subjective de
la notion se justifie par sac fonction de fonder.

<36>d

Es entsteht so, gewiss immer in Fühlung mit der Ethikt aber doch
scharf von ih r unterschieden, eine neue Lehre vom Menschen, eben vom

a. Feuillet arraché d’une carte d’invitation qui comportait visiblement trois volets, sur lesquels
Levinas avait peut-être écrit, puisque la note conclut manifestement un développement antérieur.
b. Rédigé au verso d’une carte d’invitation (1961).
c. « sa » en surcharge de « la ».
d. Note manuscrite au verso d’un morceau de feuillet dont le recto également manuscrit ne
contient plus que des fins de ligne, raison pour laquelle nous ne le reproduisons pas.
346 Carnets de captivité
Menschen m it Gott u n d vor Gott, der doch zugleich erst der wirkliche,
gegenwärtige Mensch ist, der sich nicht in die Menschheit der Z ukunft
auflosen IcissPund keine “Vogelscheuche des Sittengesetzes” sein w ill. 2 2 1
Zweistromland10.

<37>a

Philosopher = penser plus audacieusem ent que d ’autres.


Philosophie —pensée audacieuse.

<38>

<recto> « Il est injuste qu’on s’attache à m oi, quoiqu’on le fasse


avec plaisir et volontairem ent. J e trom perais ceux à qui j’en ferais
naître le désir, car je ne suis la fin de personne et n'ai pas de quoi
les satisfaire. N e suis-je pas p rêt à m ourir ? E t ainsi l'objet de leur
attachem ent m o u rra ... J e suis coupable de m e faire aim er11. »
Pascal.

< verso >


Le m atérialism e - C'est penser à l’avenir.

<39>b

M éthode
Souffrance = im possibilité de fuir la souffrance.
M oi — attachem ent à soi.

a. Rédigé au verso d’un morceau de feuillet cartonné manuscrit recto (document scolaire rela­
tif à une « épreuve d’hébreu du 29 juin 1956 »)•
b. Note manuscrite au verso d’un morceau de feuillet dont le recto également manuscrit ne
contient plus qu’une fin de ligne, raison pour laquelle nous ne le reproduisons pas.
Noterphilosophiques diverses 347

<40 >

A gonie - lu tte < xxxxxxx >


acabit — manière d’être
O utils - agrès
s’accom m oder de <vue ?>
accom m odation du cristallin
A greste et poli

<4 1>

Toute la partie sur l’autre - la guerre - la violence doit venir après


l’introduction de l’autre com m e condition de la représentation -
L’A u tre com m e condition de la représentation : le sens du repré­
senté (basé sur la spontanéité) accroché au sens de l’A u tre12.

<42 >*

<recto> rem plit la vie. C 'est {dans} ce deuxièm e sens que nous
disons q u ’on v it de son travail.
N ous avons d it que « vivre d e ... » ne revient pas à puiser de
l ’énergie ailleurs q u ’en nous-m êm e, que la vie consiste non pas
dans la consom m ation de cette énergie fournie par la respiration
et la nourriture, m ais, si l ’on .peut dire dans la consom m ation
m êm e. N ’em pêche--que {si} la vie m arque june certaine dépen­
dance à l’égard de ce qui n ’est pas elle, Be cependant en -insistant
sur- cet t e- dépendance?- op nég lig e {il faut com p ter sur} l'apport
positif de la dépendance à ,l’être dépendant. Ce d ont nous vivons
ne < interrom p u >

a. Morceau d’un feuillet, manuscrit recto verso. Le recto est écrit au stylo plumç à encre bleue,
le verso au stylo bille à encre bleue. Le texte qui figure au recto débute par la fin d'une phrase qui
commençait sur un autre feuillet, la suite se trouvait sur la partie inférieure du feuillet qui a été
déchirée. Il est donc antérieur à celui que l’on peur-lire au verso, avec lequel il n'a pas de rapport,
et appartenait sans doute à un ensemble plus vaste —peut-être l’une des versions manuscrites de
Totalité et Infini.
348 Carnets de captivité
<verso > Visage - com m e par excellence expression - pas une
chose ouverte - mais l’ouverture en général.

Dans la filialité l’étrangeté de la <m ère ?>


Absurdité de fils de Dieu.

<43>

1) Le term e d ’aphasie - signification aphasique.


2 ) Le non-nom brable - séparation de sainteté —
3) L’intérêt pour autrui - qui sem ble intérêt pour <la/les ?>
< xxxxxxx> est nourri par <l ’irréductible ?> .

<44>a

J e suis contre l’intériorité - car intériorité signifie que tou t:p eu t


être absorbé - contenu — E xtério rité — laisse place à l’intériorité
- séparation.

<45>b

Mais en m êm e tem ps qu'il perm et d ’acheter les personnes et


représente par conséquent l’action par excellence, il est aussi recon-»
naissance des personnes, mais il s’insinue là où la volonté déjà* se
trahit, elle aborde autrui com m e traître. L’argent se prête adm ira­
blem ent à conserver au sein de la dépendance qu’il crée, une indé­
pendance qui est la forme la plus radicale de la possession et réalise

a. Rédigé au verso d’un feuillet imprimé recto daté de 1955.


b. Morceau d’un feuillet dactylographié recto verso dont Levinas a soigneusement isolé, en
l’entourant au stylo bille à encre bleue, le paragraphe qui figure au verso. Nous ne donnons pas le
recto, tronqué, qui ne contient que des moitiés de ligne, et que Levinas a barré d’une cancellation
en croix.
Notes philosophiques diverses 349

ainsi la liberté de l’individu dans ce qu elle a d ’inaliénable. E lle est


dans une certaine mesure ce q u ’on ne-peut pas nous prendre. M até­
riellem ent peu de chose, il peut être dissimulé et valoir en fin de
com pte ce que vaut notre secret d& personnes. Il est une possession
intérieure. Pour me le prendre, il faut qu’on m 'oblige à d ire où je
l’ai» caché. Certes l'économie moderne, n'est pas une économie du
bas de laine et "finalement, d’argent m êm e d o n t je dispose repose
sur l’institution du crédit qui donne force àda signature, de sorte
que la.valeur de l'argent*semble repôser sur les institutions sociales
qui lui p erm ettent de jouer sa fonction, mais sa fonction consiste
à être une »possession secrète. Quelles qu’*en soient les conditions
extérieures, il se réfugie dans la forme qui le soustrait ao x fluctua­
tions et à la publicité, que ce soient les obligations de l’É ta t, les
dollars ou les cigarettes américaines en captivité. L'impossibilité
de dissimuler4 - est la fin de l’argent e t dans un certain sens de la
possession autre que celle de < l'usage ?>.

< 4 6 >b

Pluralité sans nom bre -


vpir Ja M onadologie1

<47 >

1931e
Le vide et le néant présentés en guise de concept fondamental,
ne sauraient peu t-être jamais recevoir une définition, positive.
25 ans de m éditations heideggeriennes n’ont certes pas été plus
fructueuses à cet égard que les 2 5 siècles qu'elles prolongent.

a. Ce qui suie esc écrit au stylo bille à encre bleue et recopie probablement la fin de ce paragra­
phe qui se trouvait sur un autre feuillet.
b. Rédigé au versç d’une carte d’invitation (1954).
c. La date - à moins que nous ne la déchiffrions pas correctement - est fautive, puisque la carte
d’invitation au verso de laquelle est rédigée celte notation porte la date de 1954.
350 Carnets de captivité
Im possibilité d aboutir — radicale. L'être — l ’exister — est oublié
aussitôt qu'il est révélé. M ais c'est un oubli,, ce n'est pas une
absence pure et simple de relation, pas une séparation radicale
avec cet événem ent ineffable. Aussi la recherche ontologique est-
elle inextinguible, m algré ses échecs. Elle consiste à dénoncer cet
oubli. L u tter avec cette am nésie, est la seule façon de dem eurer
en rapport avec l'être. C ontre les sarcasmes qui s'attach ent au fait
qu'après le départ glorieux de Sein u nd Z eit à la découverte de
l'être, H eidegger se trouve sur les Holztvege où il. erre après les
longues recherches de l'Ê tre.
. Ce qui est cependant rem arquable, c ’est que la connaissance
repose en fin de com p te sur un oubli.

<48 >

M étaphore
1° La proposition d it l’être. L’unité de langage est un énoncé sur
l’être, puisque la copule est aussi l'expression de ce qu'il en est
d e ... D e sorte que l ’essentiel du langage a pu être présenté com m e
révélation de l’être.
2° Mais langage « direction vers l'inte,rlocuteur auquel cette
révélation de l'être est apportée. Tout langage est direct. M êm e
le discours indirect est enveloppé dans un discours direct. Ce
m ouvem ent qui porte le discours au-delà de celui qui le tierft
- nous l'appelons m étaphore [L'exposition du langage à A utrui
est donc plus transitive que l'exposition des essences].
3° L'intention propre de la m étaphore n'est pas Ta rencontre d'un
contenu nouveau quelconque. Elle est dans les « guillem ets »
q u elle perm et d'ajouter, dans le fait de se hausser sur la pointe des
pieds, dans une espèce de lévitation - dans l’affirmation et un sens
« autre ». -L e q u e l ? Vide de cette intention incapable de découvrir
un contenu nouveau et qui pousse jusqu'au bout — à l'infini - ce
que vise la pensée pensant une signification. Idée au sens kantien
du term e. Le m ot fait faire ce rnouv1 métaphorique.
Notes philosophiques diverses 351

4° La réflexion dém olit toute prétention de la pensée à la trans­


cendance. Tout discourt d ire ct se transform e en indirect.
5° Réflexion - possibilité fondam entale de la pensée. Elle est
u ltim e dans la pensée silencieuse, séparée des m ots com m e la
veut P laton dans la 7 e lettre. La pensée exprim ée est au-delà de la
réflexion. Elle retrouve la métaphore.
6? La m éta-phore du discours — en tant que transcendance du
discours (inscrite dans son adresse), n'est pas une forme vide, mais
rend possible un débordem ent (de l'im m anence inévitable) des
significations sim plem ent pensées.
7° L'im m anence où se place inévitablem ent toute signification
sim plem ent pensée, tient à l'acte m êm e de la pensée retrouvant
en soi toute signification prétendum ent reçue. La pensée ne reçoit
aucune révélation, car a) soit elle com prend ce qui lui est enseigné
^ trouve, par conséquent, en elle-m êm e la mesure de l'enseigne­
m ent reçu b) soit ne reçoit rien du tout.
8° C ette inévitable im m anence est le propre d'une pensée finie
-c 'e s t-à -d ir e se retournant sur elle-m êm e et par conséquent
réfléchissante. C'est dans la réflexion du philosophe — ou dans le
souvenir — dans le m ouvem ent allant vers le passé vécu (pas vers
le Pastfé im m ém orial) que tou t est à la mesure de la pensée, que
rien n ’est neuf (B au d elaire... le monde est p e tit14).
9° L'intentionnalité propre du langage diffère de celle de la pensée
parce que le langage se tien t d'em blée en face de ce qui ne peut
l'arrêter et qu'il ne saurait englober - qui l’appelle sans lui laisser
le tem ps de se retourner : urgence.
10° L’intentionnalité propre du langage est éthique : c ’est celle de
la responsabilité ^ l'égard de l ’A utre. Le langage est une responsa­
bilité ; le retour sur soi (repli sur soi) une dérobade. Il est impos­
sible de résilier cette responsabilité.
11° La critique sans réflexion, dans l'intention prem ière - n'est
possible que dans un acte éthique.
12® L a m étaphore com m e sens figuré qui s’ajoute au prétendu
sens littéral — c'est le sens qu’un term e prend dans un contexte
hum ain : là où l'objet par le langage est offert à A utrui (?) Les
352 Carnets de captivité
objets reçoivent ,des significations du fait de se placer dans la
transcendance d*A utrui : orientation vers Dieu.

< 4 9 > ft

L’intériorité = ce qui ne peu t être exprim é ^ ne peut entrer


sous aucun concept = ce qui n ’a rien de com m un avec rien d ’autre.
Intériorité = unicité. D u dehors : originalité absolue.
La critique hégélienne porte contre une telle intériorité : du
dehors aucun trait ne saurait ressortir sans référence à un système.
De sorte que l’intériorité du moi doit résider non pas dans son
originalité, mais dans l’identité - injustifiable du dehors - du
Moi.
L’É trangeté à tou t système — qui n’est {pas} le résultat d ’un
regard englobant le regardant mais dans le fait de regarder en
face, de rencontrer l'être com m e visage. C ’est cela le vrai dégage­
m ent de la totalité - la vraie séparation.
Le fait que cette vérité elle-m êm e n ’est-pas un geste englobant,
c ’est que t te pensée est discours : je pense en discours, < m a ?>
pensée.

<50>b

<recto> C ’est à travers l’ém otion sociale et les rapports spiri^


tuels q u ’elle im plique que se form eraient dans le judaïsm e, s’il
recherchait une théologie, toutes les notions théologiques. A im er
D ieu ? Q u ’est-ce que cela signifie ? Des trois relations l’h om m é

a. Rédigé au verso d’une carte d’invitation (1953).


b. Morceau d’un feuillet manuscrit dont les parties supérieure et inférieure ont été déchirées
proprement. Le recto est écrit au stylo bille à encre bleue, le verso au stylo plume à encré noire. On
lit encore, en haut et en bas du recto, quelques lettres tronquées qui laissent deviner que le texte
commençait plus,haut sur cette page et se poursuivait plus bas. Dans la mesure où le texte qui
figure au verso semble bien être la suite du recto, on peut penser que Levinas a récrit au verso (et
peut-être retouché) la suite du recto qu’il a tronquée.
Notes philosophiques diverses 353

aim ant D ieu, D ieu aim ant l'hom m e, l'hom m e aim ant l'hom m e,
pour le judaïsme .c'est du dernier <sic> qu'il faut partir. C ’est
dans m a révolte contre la misère de m on prochain que j’a i aimé
D ieu. [*« N e < v e r s o te dérobe pas devant ta chair » —on connaît
le chapitre 5 8 d'Isaïe où le vrai culte revient à rendre leur dû aux
pauvres. Leur dû et non pas la charité ! E t rendre leur dû aux
pauvres, rendre justice - c ’est aim er. Le p g f t re est notre chair - le
m o t chair fait écho à l’exclam ation d 'A q H qui aperçoit pour la
prem ière fois Ève (Genèse). D ieu aim antT e pauvre et l’étranger
duj D eutéronom e — ce n’est pas dire son attribut* mais le définir
essentiellem ent - E t le Psaum e 1 1 9 fait* é ch o .à ces textes : « J e
suis étranger sur la terre, ne m e cache pas tes com m andem ents ! »
D ieu m 'aim e en m e révélant ses ordres. Le m onde ne devient m a
patrie que p ar m a pratique de la justice.

<51>,

Le sens c'est le fait m êm e que l’être est orienté - qu’il y a


A ction ou Vie. Le sens, c'est le sens de la vie. Avoir un sens, c'est
se situer par rapport à ce qui donne un sens à la vie. Ce qui donne
un sens à la vie, c'est ce qui est au-dessus de la vie. E st au-dessus
de la vie, ce qui fait, que la vie est entièrem ent orientée vers lui.
Ê tre orienté v,ers = agir et aboutir (le non-jeu). Ê tre entièrem ent
orienté, c ’est a g ir sons chercher à être contem porain du succès de
l’acte (chercher à être contem porain du succès, ce n'est pas être
orienté vers). Ce vers, quoi l'être est absolum ent orienté = l’Infini
révélé dans la H auteur, etc., etc. La tension = Désir sans défaut. Le
désir sans défaut n’a pas le défaut de son risque ou de sa g ratu ité.
Il a donc surm onté l’échec. (S'il y avait échec, il n'y aurait pas de
sens — la finitude est un non-sens.) Mais D ieu est l'Irrévélé —pour
que la renonciation à la récompense ne soit pas com prom ise. Le
sens exige, à la fois, l'action garantie dans son aboutissem ent et

a. Le crochet fermant manque sur le verso. Il figurait peut-être sur la partie inférieure du
feuillet qui a été déchirée (cf. la note précédente).
354 Carnets de captivité
soustraite à toute récompense - à tou te contem poranéité - et par
conséquent un D ieu irrévélé ou révélé dans l'in gratitu d e : visage
d 'A utrui. Q uant à D ieu, trace, passé, éternité.

<52>a

Parler ne consiste pas à désigner des significations par une série


de signes ou*par un enchevêtrem ent de signes. Cela nous ram ène­
rait à «b penser les significations. O r penser les significations, c ’est
rester dans l'im m anence.

<53>c

Métaphore Idée de l'infini


Le propre de la pensée est la critique —le fait de se retourner, de
m archer en se retournant. Le prim at de l ’idée de l’être tien t à ce
retour. Lequel tien t à un arrêt, à une èrcoxi'i. Le statique.
M archer sans se retourner - tel serait le caractère propre de
l'idée de l'Infini, m arche sans arrêt.
D istinguer entre « sans arrêt » et « sans retour » préréflexif
d'une p art, et le « sans arrêt » et « sans retour » de l'idée excep­
tionnelle, l'idée de l'infini. L'absence est d'em blée dictée par
le contenu de l'idée — plus exactem ent c'est la seule idée sans
contenu qui arrête : les infinies exigences de la conscience m orale,
le non-statique par excellence. La grande difficulté : ne pas user
dans l'analyse de l'idée de l'infini de la distinction pensée-objet,
noèse-noème - propre aux idées statiques - c.-à -d . idées statiques
qui s’arrêtent, se retournent et on t le tem ps pour cela.

a. Rédigé au verso d’une carte d’invitation (1953).


b. Le guillemet fermant manque.
c. Rédigé au verso d’une cane d’invitation (1964).
Notes philosophiques diverses 355

< S 4 > ft

Phénom énologie

La phénom énologie est une description.


Mais une description intentionnelle. Le fond de l'intention­
nalité : le rapport entre réalité suppose des conditions que H egel
appelle situation historique et que la phénom énologie contem po­
raine appelle formes irréductibles d ’accès à un phénomène.

<55>

Phénom énologie

Idée centrale en phénoménologie : L’accès à l’étatb fait partie de


l’étant. Mais cela veut dire : l’étant est une des form e polarisations
de l’être. Si l’am our a affaire à l’identique — ou au particulier cela
ne veut pas dire ,qu’il a « n e {représente une} quiddité ni m êm e
qu’il a affaire à l’étant — ni m êm e à l’être. Mais à ce qui ne peut se
décrire que par l’am our qui se d it en term es tou t autres.

<5$>c

Phénom énologie

Chez H eid egger com m e chez H egel — le « progrès » éven­


tuel rie peut plus surprendre ; nous possédons d ’ores et déjà tous
les concepts de l’histoire - nous sommes modernes4. Mais chez

a. Les notes 54 à 39 se trouvent à l’intérieur d’un feuillet plié en deux, sur lequel est écrit :
« Fiches phénoménologie ». La présente note est rédigée au verso d’une carte d’invitation (1953).
b. Il faut manifestement lire « étant ».
c. Rédigé au verso d’une carte d’invitation (1955).
d. Ce qui précède est écrit au stylo plume à encre bleue ; ce qui suit, qui se trouve tassé au bas
du feuillet, et qui fut sans doute ajouté postérieurement, est rédigé au stylo bille à encre bleue.
356 Carnets de captivité
H eidegger - nous avons perdu le concret - bien que cette perte
nous ramène au concret. {Seul un m oderne peut revenir au préso-
cratism e.} Chez H egel - histoire aboutit.au concret.

<57>

Phénom énologie

D istinction entre le pour soi et l'en soi dans les deux phéno­
ménologies.
15* o w n a s r p k V i km
A ctivité technique ou poétique - qu'il faut rapporter à l'absolu.

<58>

La pensée phénom énologique ? Quand une idée est n'ârrive pas


à dépasser se séparer des voies qui y m ènent. D éjà cela com m ence
avec K an t - lorsqu’à l’idée si sim ple de sim ultanéité il super­
pose l'idée de l’action réciproque, à l’objet k su la succession
tem porelle la caûsalité. L'idée n’arrive pas à se séparer des voies
qui y m ènent ? Il se produit l ’effet contraire - l’idée se trouve
renvoyée à tou t un ensemble de relations que form ellem ent elle
ne contient pas mais qui serait son contenu concret : - d'où une
déduction très inattendue mais riche.
Dans un certain sens c ’est la différence q u ’établit K an t entre
entendem ent et raison. Entendem ent : notion inséparable de l’ex­
périence. Raison - notion libérée de l’expérience - m ais vide.

<59>‘

La phénom énologie est une m éthode où tou t est sut generis. -

a. Rédigé au verso d’une carte d’invitation (1955).


Noies philosophiques diverses 357

<60>a

< f .l> La pensée est inséparable de l'expression. Mais cela


n'indique nullem ent que notre pensée est une pensée incarnée e t
que lle {si quand cela {d oit} signifier q u ’elle} se prolonge en actes.
L'acte ne m e manifeste pas - il n’est pas manifestation - mais
violence et m anque de rapports - il aboutit à une chose* mais p art
de l’impersonnel ou du m ystérieux. L’expression est par'contre la
relation. La relation n’est possible qu’avec un être q u ia un visage
- 'a v e c une substance et non pas avec les qualités et les attributs.
Lexpression suppose donc autrui. L’idée d ’autorité - en m oi ou
en au tru i - est une idée-fausse. O n pense que je suis seul à penser
sans et que -pan conséquent je peux soit m e décider »arbi juger
arbitrairem ent (autorité) soit selon un principe universel (selon
la* raison) — et que dans le deuxièm e cas je ne rejoins autrui qu’à
cause de cette universalité m êm e. E n réalité m a pensée contient
avant tou t m on rapport avec autrui - invocation d ’autrui. J e suis
réel dans la pensée - parce que non pas parce que c ’est une activité
qui a bes im plique un auteur, mais parce que en pensant je dis m a
pensée - c ’est-à-dire parce que je suis entré en relation avec Fautre
- parce que j’ai brisé m on intériorité. C e n’est ¡pas en ^coûtant que
j’ai été en relation avec l’extériorité, mais déjà en pensant. Penser
- avoir conscience - n ’est pas être pour soi ni en soi, m a » ni en
dehors de soi - mais pour l ’autre. Dans la mesure où penser - c ’est
procéder par question et réponse.
< f.2> La différence entre intuition et pensée ne réside pas
dans le fait que la pensée - pense une relation — m ais qu’elle est
dialogue — c'est-à-dire procède par position aussitôt attaquée. Le
m oi qui.pense est un moi qui est contre soi. Dédoublement? : pose
le ¿çoblèm e mais ne le résout pas. Le langage est ^ d é d o u b le m e n t
et d6nc la pensée est langage.

a. Noce rédigée au verso de cinq feuillets imprimés recto. Elle est écrite au stylo bille à encre
violette, à l’exception d’un passage que nous signalons, rédigé au crayon de couleur bleu. Ces im­
primés ¿ont vraisemblablement extraits de deux bulletins d’information hebdomadaires de la léga­
tion d’Israël à Paris. L’un des imprimés est la première page du bulletin daté du 6 mars 1932.
358 Carnets de captivité
Mais ne p ou rra-t-on com prendre Tessence du langage - en
p artant de ce m ouvem ent : on verrait en to u t cas {aussi} q u ’il ne
consiste pas à com m uniquer.
C om m ent dans le m ouvem ent question-réponse - p eut-on
distinguer le phénomène du visage6 ?
Visage —une forme ouverte ? pas ouverture qui fait ressortir une
autre forme. Ouverture qui fait ressortir une autre forme = lumière,
ouverture de l’éclairage. Visage - ouverture qui fait ressortir une
substance sans attributs, un Absolu ; aussi la connaissance ne
continue-t-elle plus - mais le com m erce commence. Il consiste à se
trouver au-dessus de la connaissance, à parler de quelque chose.
Parler de quelque chose — intentionnalité ne serait possible que
sur le plan du com m erce. Sans cela nous demeurons dans le « avoir
besoin de ». La contradiction sujet de la nature et partie de la nature
- penser et exister - se résout par la <pes ?> distinction entre moi
et parole. La transcendance - hors du monde = visage. <Par ?> le
visage. Parole - négation du monde en parlant du monde.
< f.3> La m orale - c ’est la parole pure — la possibilité <le voir
un visage derrière tous ses masques. Différence radicale de-^ d ’un
enseignem ent i6iVttP3in et de l ’enseignem ent publicb — universalité
de la société durckheim ienne. Raison com m e rapport personnel
- opposé à la raison com m e universalité.

Mais revenons à*la question : en quoi la structure de la pensée


com m e interrogation de soi - rythm e question, réponse - suppose
le visage ?
R apport personnel - msnxa - n’est pas accord - mais s’exposer
à la question - Q u ’est-ce que la question - dem ander aide —
demander aide à soi = penser. J e suis en pensant - plus que ce
que je suis. Créateur. Pensée-création. Platon suppose que ce plus
m e vient de la contem plation des idées. De ce que j’ai vu. Mais
Le rythm e question réponse - un m ouvem ent d ’explicitation.

a. « visage » en surcharge de « la engage> ».


b. La première moitié de cet alinéa ainsi que l’alinéa qui précède sont écrits au crayon de
couleur bleu.
Notes philosophiques diverses 359

J ’oppose à cela — m ouvem ent d ’interrogation — supposant l’autre.


G’-estA *d k e la possibilité -de dem ander -à- se-p k c er en dehors {La
rém inis P ou r penser - c ’est-à-idirepour passer de l’affirmation à la
question - il faut se rapporter au visage de l’autre à qui l’on peut
poser la question. Rappeler l’autre. Le contenu a é t é apporté et se
pose la question à < l’auteur .?>. Le donné devient problèm e {par
la relation avec autrui. Le donné ne peut être pensé que s’il est
entièrem ent extérieur — c ’est-à-dire suppose la vision du visage.}
La.*question com m e explicitation c ’est la question du m aître — la
question de l ’accoucheur. L’art de questionner {pour expliciter} est
l’art <ie l’a la m aïeutique. .O r la question du penseur est la ques­
tion de. l’élève. Là question du m aître est une vision philologique
du visage de l’élève — la vision de profil. P ar contre, l'élève ne
dom ine pas l^espr-it- {le visage} <f. 4 > du m aître - il le regarde en
face. L’affirmation du m aître provoque la question de l’élève qui
elle *n-est pas — l'élève ne cherche pas à expliciter. Il dem ande La
parole du m aître — est déjà explicite. L e Le passage de l’im plicite
à l’exp licite - n ’est pas non plus un événem ent subjectif du m aître,
mais ce qu’il accom plit com m e m aître - c ’est-à-dire com m e se
trouvant dans l ’institution de l’école. La question de l'élève est
absolue - elle demande de l’aide - elle s’adresse à au trui. — Elle
vise l’inachèvem ent de l’explicite, son caractère problém atique.
Seule une donnée enseignée devient problém atique c ’est-à-
dire devient donnée pensée. Le “passage de l’intuition à la pensée
= passage du donné au problém atique = suppose l’extériorité
totale au donné. Le rapport au monde à partir d ’un visage - rapport
au m onde com m e problèm e et non pas com m e à une propriété.
Penser = m ettre en question la propriété. Penser = poser une
question à quelqu'un. Langage Toute pensée est langage. Penser =
exprim er une pensée et la question de celui qui écoute fait partie
de l’expression de celui qui parle et de celui qui pense.
<f. 5 > O n peut aller par une autre voie encore — à la thèse
d ’après laquelle la question de celui qui écoute fait partie de l’ex­
pression : en parlant de l’insuffisance de l’écrit qui rie peut se porter
secours. — Elle ne tient pas à la médiocrité de pens la pensée — car
360 Carnets de captivité
alors la présence de Fauteur n y changerait rien. M ais II y a donc
une insuffisance dans la pensée "arrêtée — dans l'affirmation. Elle est
entièrement pensée dans le problème <au ?> et dans laid e qu'on
demande à autrui. Expression affaire de celui qui écoute.
Platon a’tou t de m êm e vu l’im portance du dialogue réel - ne
fut-ce q u e‘dans le pour la pensée* de l'élève : le choc doit venir
du dehors. Pourquoi du dehors ? - Chez P laton cela est m in i­
misé : Le m aître ne m ’entend pas parler — il me v oit parler.* Il
est à l’égard de l’élève dans la position où l’on se trouve à l’égard
du texte : on y voit la pensée et la forme : ce q u on écoute ce que
l ’élève d it et on l’écoute parler. O n le situe et par <là> on le libère
de ses <im plications ?>. Ce n’est pas le simple choc extérieur qui
aboutit à la cristallisation de la conscience, pas un traum atism e
- mais la connaissance de l’élève: E t cette connaissance de l’élève
- çst sa connaissance historique. Philologie.
Mais reste une question : qu’im plique cette idée que pensée
<im p> im plique une demande d ’aide E st c-e Pourquoi p eu t-
on demander de l’aide à l’auteur d ’une pensée — pourquoi cette
demande est autre chose qu’un recours à l’autorité ?

<6l>a

< f.l> La m ort com m e con d ition de la visionb


4° L a com préhension-co m m e pouvoir
Le fait-d ’être,--tout en revêtant la forme dramatique d'un-événe ­
m ent, dem eure un fait d ’intellection . Dans l’intellecfion devenue

a. Dix feuillets manuscrits recto, à l’exception des feuillets 7 et 10, manuscrits recto verso. Le
papier des feuillets 1 à 7 est identique, les feuillets 8 à 10 sont des morceaux de lettres reçues dacty­
lographiées. Les feuillets 1 à 7 (recto) sont écrits au stylo plume à encre bleue, mais les corrections,
ajouts et ratures sont au stylo bille à encre violette ou au crayon à papier.' Les feuillets 7 (verso) à
10 (recto) sont rédigés au crayon à papier. Le feuillet 10" (dernière ligne du recto et intégralité du
texte figurant sur les marges du verso imprimé) est au stylo bille à encre violette. Enfin, signalons
que les feuillets 8 et 9 sont les deux morceaux d’une lettre reçue dactylographié^ datée du 12 juin
1950, ce qui nous donne un terminus a quo%au moins pour l’écriture de ces feuillets. Ces éléments
matériels permettent de supposer que les feuillets 1 à 7 (recto) appartenaient à un ensemble plus
vaste - d’ailleurs, le numéro ainsi que le titre de paragraphe barrés au début du premier feuillette
confirment - et que Levinas a recomposé un tout en y ajoutant trois nouveaux feuillets.
b. Écrit au stylo bille à encre violette.
Notes philosophiques diverses 361

compréhension4- projection ém o tio n ?et s'articu k fte com m e destin


■-* leveniie -^exister m êm e de ^ existen ce— quelle est la- structure
à laq u elleeon^peu t reconnaître 1-intellection ? In co m p réhension, en
efFety es t -intérieureg ïen ré cla irée.Xofeluminosité-de la com préhen
sion est posée par H eideg g en tom p ie.lui appartenant pftf-essence?
w(En quoi la compréhension heideggerienne— si on ne veut pas
s'attacher uniquem ent au parfum intellectualiste qui émane du
term e m êm e de verstehen - choisi p o u rd écrire l'articulation essen­
tielle'd e l'existen ce—, et que de m o t français de compréhension
évoque encore plus - en* quoi la compréhension demeure intel­
lectualiste ?
Elle èst,-d ’après H eidegger, intérieurem ent éclairée.b} Certes,
cette luminosité*n'équivaut pas à l'éclairage d'une im age statique,
mais se présente com m e une anticipation. La vision d'une im age
statique apparaît elle-m êm e {du moins dans Sein u nd Z eit} com m e
le résidu d'une anticipation,- com m e la neutralisation d'iine a tti­
tude soudeuse o ù la tension du souci est, en quelque -m anière,
{s’atténue} atténuée0; La lum inosité signifie <f. -2> dans cette
projection la mesure d u cham p de l’avenir où* l’être s'engage
et; par conséquent, en m êm e tem ps que cette anticipation .une
suspension débouté anticipation — line opposition.à-1'être dans sa
totalité, contem poraine de l'engagem ent dans*cette totalité.
"Comme l'a fait très justement "remarquer M . Koyxé dans ses
réflexions sur l'essence de la vérité de Heidegger, le commencement
de l'histoire coïncidant pour H eidegger avec le dévoilement de l'êtte
- signifie^une Opposition de l'homme à la nature— c'est-à-dire son
opposition à la totalité de l'être déjà contenue {dans letléVoilement}17.

a. Ces quatre mots auraient sans doute dû être barré^ eux aussi.
b. Cet ajout; écrit tu stylo bille à encre violette entre les lignes du passage barré *qui, lui, est
écrit au stylo plume à encre bleue, avait été, d'abord, semblerait, rédigé au crayon à papier dans la
marge de gauche^puis en partie récrit, toujours au crayon, mais avec quelques modificatiqns, entre
les dernières lignes du passage barré. Si la première vérsion au crayon de l'ajout est identique à
l’ajout final, la seconde, que Levinas a barrée, présente quelques différence^, c'est pourquoi nous la
reproduisons en note : « En quoi cependant la compréhension heideggerienne “ -si-on ne veut pas'
s’attacher à kxx* aux souvenirs intellectuels au parfum «interrompu:». *
c. Ce mot aurait sans doute dû être barré.
36 2 Carnets de captivité
Dans le-déve üem ent. Le caractèr e intellectuel de ^ c o m p r éhension
réside dons « n e opposition de* {Certes les fortes pages de Heidegger
dans Holzwege sur l'oubli de l'être au se ia de la révélation,« et l'his­
toire com m e fondée dans cet' oubli — fournissent un commentaire
plus complet de la proposition mystérieuse de l'essence de la vérité.
Mais irréflexion de M . Koyré vaut p ar elle-même. Le caractère intel­
lectuel de la compréhension réside dans une opposition de} ,<f.3>
l'être doué de compréhension au tout âu sein duquel cette compré­
hension s'accomplit. L'histoire commence avec la révélatioh de l'être
si histoire signifie une possibilité pour la partie d e se comporter dan»
le tout autrement que com m e une partie de ce tout.
Mais pour concevoir cet t e-opposm on- l'oritologie, m odem e -ne
dispose plus d ’ {M ais e e s t M . M uller1® qui explique le m ieux le
sens de la form ule : le dévoilem ent com m ence l'histoire : l'être
n ’est pas un absolu intem porel, mais essentiellem ent se révèle par
l’histoire - et le dévoilem ent - c'est-à-d ire le fait que le caché se
révèle, se dévoile,, n ’est intelligible qu'à p artir d'un exister histo ­
rique - être historique et se dévoiler - c'est la m êm e chose - la
v en te 1'essence de la vérité = vérité de l'essence = histoire. Pour
s’opposer - on n'a pas à chercher} un point d'appui en-dehors de
cette totalité. Le pied que l'âm e platonicienne a dans le m onde
des Idées, lui assurait par là m êm e une distance à l’égard de l'être.
L’intellectualism e de la philosophie classique n'était que la trans­
cendance m êm e de l'âm e par rapport à l’être - une p osition d'où
elle le dom inait. Encore que pour la connaissance des Idées elles-
mêmes la distance impliquée par“ la connaissance demeure <f. 4 >
inintelligible et que la situation de la m é au sein de l'infini carté-,
sien au-delà des idées elles-m êm es - c ’est-à-dire une âme volonté
et liberté et non seulem ent entendem ent - est indispensable pour
assurer la notion de l'intellect. {Le dévoilem ent est autre chose
que cette dom ination à p artir de l'É tern el.}
Dans l’ontologie moderne qui m et en question cette position
d'où l'âm e dom ine l’être - il existe égalem en t {se retrouve cepen-

a. « par » en surcharge de « dans ».


Notes philosophiques diverses 363

dant} une opposition à le tr e - dans le fait de s’anéantir. La to ta­


lité où nous sommes engagés, nous nous en dégageons non pas
en contem plant, c ’est-à-dirê en la niant à p artir d ’un absolu qui
nous sauve; mais en nous anéantissant. {C ’est cela dévoiler.} C ette
possibilité est encore une dom ination - parce q u e lle est m a possi­
bilité. L’anéantissem ent — n ’est pas u n ‘anéantissement im per­
sonnel - il est m o rt, c ’est-à-dire m a m o rt, c ’est-à-dire encore m on
pouvoir, un pouvoir.
<f. 5> Ainsi dans l’anéantissem ent se retrouve-k -eom préhen
s ion-;— cet t e^L a m ort assure la} position de dom ination à l’égard
de,l’être, cet t e {en con stitu an t} la personnalité de l’âm e, {ce t} état
civil que l’âme platonicienne am enait de sa patrie située sur les
hauteurs de l’Em pyrée. {C ’est} la finitude de l’être {qui} s’épanouit
en compréhension de l’être :a s’articule-en ex istence , être-solitaire
retrouvant- son -authenticité dans l e dégagem ent lucide de l’an­
goisse; dans la liberté du désespoir lucid em en t assumée.- Lucidité
e t Libertéb qui ne sont {n ’est} rien d ’autre que ce ttç opposition
lAême à l’être par l’anéantissement. {C e tte } Liberté à l’égard de
la to talité et lucidité {q ui e s t lum ière} - parce que rien ne s’in­
terpose plus entre nous et l’être : — tou t « quelque chose » , tou te
{d ed a} perception qui cache l’événem ent'nu de l’être, qui nous
vouant aux é ta n t’s q u i4’ ayant som bré dans la claire.nuit du néant
— c-k ir e en-raison de son obscurité m êm e. <f. 6 > L’événem en t de
l’êtr e Ju i -m êm e est une ontologie.
C ’est donc Lid ée-de {la} dom ination et lec pouvoir par laquelle4*
se m arque la distance au sein de l’être par rapport à cet être — et
la possibilité de le mesurer - quic assuref*jusque' dans l’ontologie
contem poraine la continuité de la philosophie occidentale. La
coexistence - le M iteinandersein19- n’eSt contenue dans cet instant
suprçm e de la résolution où un être s’oppose à l’ensemble de l’être

a. « : » en surcharge de « , ».
b. « Liberté » en surcharge de « liberté ».
c. « le » en surcharge de « de ».
d. « laquelle » renvoyairà « l’idée », mot qui a été barré. Il faut donc lire « lesquels ».
e. « qui » en surcharge de « que ».
f. « assure ».en surcharge de « s’assure ».
364 Carnets de captivité
en le com prenant, que com m e une structure 'dépassée, dialectr-£
quem ent enrobée dans l’isolem ent suprême.
L’idée du pouvoir qui rem place la' notion» de contem plation
réunit le caractère d ’engagem ent qui participe'de* la catégorie
de réciprocité et l’idée d ’opposition*-à la totalité contenue dans
la traditionnelle idée du sujet4. C ette opposition au sein m êm e
<f. 7 recto> de l’engagem ent - c ’est J a vision. E t pour que Renga­
gem ent dans la réalité puisse conserver ce caractère d ’opposition
— il faut que le pouvoir ait un horizon au-delà du poin t précis où ,
il s’applique, qu’il ait déjà parcourub la totalité d e l’être {. La to ta­
lité des êtres -»■n ’est pas leur som m e} - q u e dans ¿(La som m e est- un
fû p p o< rt> . Le total c o m m e som m e » atta ch e eaeo repné <sort- ?>
pas d u rapport; Voir e- L’horizon Dessiner un horizon c ’est dans}
le monde des êtres il ne soit {n ’être q u ’c} aux prises q u ’avec le fait
m êm e d ’être de leur’être. C ’est ainsi- que Led pouvoir de m ourir
{rend possible l’horizon} est- l’essence de to u t pouvoir et rend
possib le {et par conséquent} l’opposition à la to ta lité que contient
sou te-connaissance {le concept traditionnel de la connaissance. Il
est originellem ent dévoilem ent.}6 Voilà donc la source xle cette
évidence {prem ière vérité} qui dès le départ nous a paru inéluc­
table : toute connaissance des étan t’s suppose au préalable la
compréhension de l’être en général.
Mais le pouvoir s’il doit être autre chose qu’une force dans un
monde d ’actions et de réactions n’est possible que dans un être fini.
La révélation de l’être com m e condition de tou tf < interrom pu >
<f.7 verso > Le total {com m e som m e} suppose un processus
indéfini de leur dénom brem ent :

a. La phrase qui précède jest barrée par une croix de Saint-André.


b. Dans la marge de gauche, commençant devant ce qui suit, cet ajout, que nous indiquons
en note afin de ne pas alourdir davantage la transcription de cette page qui comprend déjà de
nombreux ajouts interlinéaires : « L’horizoïr nc ^nous ?y kxxxxxxx x j pas au-delà de chaque être
particulier mais kxxxxj «^en ?>. »
c. 11 convient de ne pas lire ce mot, sans doute ajouté à tort.
d. « Le * en surcharge de « le ».
e. Second ajout marginal qui se trouve devant les dernières lignes du paragraphe, que nous
donnons également en note : « L’être fini a un horizon, par l'horizon il est vision. »
f. Ce paragraphe, qui s’interrompt brusquement, est barré d’une cancellation en croix.
Notes philosophiques diverses 365

Leur dénom b rem ent Inde Son caractère indéfini - {ne signifie}
constitue précisém ent {rien d'autre} {le fai}: que e n {le fait
q u o n }.n 'en a jamais fini — et,que par conséquent on {chem ine}
toujours englobé dans au m ilieu des êtres qui nous englobent.’
S’op'poser -aux être Parcourir la totalité des êtres - c'est précisé­
m en t p rendre à leur égard n'aper s'opposer à eu x le ur se trouv les
situer dans un horizon — {e t c'est pour cela précise1 que l'horizon
est une structure irréductible dua < n etfe ?> rapport} qui n'est
pas fait de leur particularité1" mais qui du fait m êm e mais qui est
le fait m êm e d'être
.L 'h orizon ...

<f. 8> 4 eC om préhension com m e p o u v o ir

O n exp f

L'existeaee-co m m e com p réhension


D ès-lors nous pouvons aller- com prendre concevoir-que to u te
vérité a

E t M ais ce n'est qu'un autre aspect de ce p rim at de l'o n to ­


logie - qui s’im pose d ès'q u e la» raison ,com p ren d son rapport
avec l'être .com m e une d om in ation , c'est-à-d ire commfe* une
opposition <f. 9 > à un to u t - le fait, que tou te connaissance
est* conceptuelle, que le. rapport p ar dans la connaissance avec
le réel - n ’est q u e-u n e la' le fait d e-v o ir jen elle la réalisation
¿Tun con cep t, sans que cette réalisation elle-m êm e soit fonciè­
rem en t étrangère à une opération conceptuelle. La particu larité
m êm e du particulier*— son caractère*d’étantr et d'individu - est
p our tou te <f. 10 recto> la trad itio n {philosophie} occidentale
H eid eg ger y com pris - réductible à sa signification. Lorsque
H çid eg g er d it que l'étan t en tan t q u ’étant - que l'étan tité de

a. Levinas avait d’abord semble-t-il écrit « de ».


b. «.particularité » en surcharge de « totalité ».
c. Écrit au stylo bille à encre bleue.
366 Carnets de captivité
l’étan t — e e f» se ram ène cependant à l ’événem ent ontologique
qui consiste à le laisser être - que l’indépendance de l’étan t se
réduit à la signification de ce tte indépendance - il ne rev ien t-pas
certes {conserve de} la thèse idéaliste sur la fonction de l ’esprit
<f. 1 0 verso> dans l ’être au m oins ce tte p riorité de la significa­
tion de d’horizon, de la vision, de l ’bpposition - et en fin de
com p te du p ouvoir,et de la dom ination.
O r par la dom ination et le pouvoir se décrit le rapport avec les
choses. La chose est ce qui e$t dans notre pouvoir ou ce qui s’y
refuse - la chose est ce qui a une signification, ce«qui est rapporté
à un concept, à un projet, à une anticipation. La <p occidentale
H eidegger y com pris ne conçoit certes pas l’être com m e chose.
Elle le conçoit cependant com m e un pouvoir - c ’est-à-dire com m e
une relation avec les choses.

< 62 > a
M éthode
D éduction de la vision

Il s’ag it-d e fixer »la notion de vision en fonction de rapports


formels que la «vision accom plit. Il ne faut pas dire : la vision
des objets part toujours d ’un fond sur lequel l’objet e sc vu — ou
la vision de l'objet suppose toujours une relation pratique avec
les objets. Tout au contraire : « aller d ’un tout d ’un tou t vers les
parties » - « se rapporter à pett t quelque chose à p artir de ce qu’il
n ’est pas » - «. fe fc « refuser ce dont on jouit » - ou bien « s’ap
p te p « nier sans nier » - définissent la vision elle-m êm e.

a. Note rédigée au verso d’un feuillet imprimé recto du service d’information de la légation
d’Israël à Paris, annonçant les programmes de la radio israélienne Kol Tsione La Gola (« La voix de
Sion » à destination de la diaspora) du 26 novembre au 2 décembre 1950.
Noies philosophiques diverses 367

<63>a

M éthode

Il ne s agit pas {en définissant} de {supposer} un monde préala­


blem en t donné et de superposer des définitions supposant certaines
relations - com m e la connaissance, la vision, la pratique — C ^es
serait là le procédé anthropologique. Dire par exemple : la connais­
sance est une attitude désintéressée et généreuse—c est déjà supposer
le rapport avec le monde (vision ou structure sujet-objet).
Mais alors pourquoi {de quoi} partir ? des Des notions
formelles ? O ù réside leur privilège ? Pas dans leur universalité,
mais dans les situations-lim ites où elles surgissent : la négation
m êm e de toute relation, et de tou t être, de toute présupposition.
La situation de l ’il y a à la lim ite de la subjectivité et de l'objecti­
vité, com porte la dignité du com m encem ent, semblable au cogito
cartésien.

<64>b

L'infini du « tu ne tueras point »

Le rapport m étaphysique n'est possible que com m e rapport


éthique. Si l'im possibilité de tuer était une im possibilité sim ple­
m en t réelle - autrui serait une résistance - et par conséquent serait
purem ent com pris, c'est-à-dire entrerait en m oi par son concept
— com m e la nature elle-m êm e. Le fait qu'autrui résiste à m on
m eurtre éthiquem ent, non pas com m e une force, mais com m e
visage — accom plit m on rapport avec l'extérieur^

a. Noce rédigée au verso d’un feuillet imprimé recto datant de 1930.


b. Note rédigée au verso de deux feuillets imprimés recto du service d’information de la léga­
tion d’Israël à Paris annonçant les programmes de Kol Tsione La Gola, respectivement du 22 au
28 octobre 1930 et du 13 au 19 mai 1931. À<juelques exceptions près, que nous signalons en note,
l’ensemble est écrit au stylo bille à encre violette.
c. Levinas a placé un grand crochet ouvrant - écrit au stylo bille à encre bleue - devant ce
paragraphe.
368 Carnets de captivité
[Mais initialement, ne résister qu éthiquement semble être
moins que résister éthiquem ent réellement. E n quoi résistance
éthique est davantage ? C ’est qu’elle signifie résistance dans un autre
sens.]a Résistance d ’une chose - force. E t il s’agit p eu r 4a {quand il
s’agit <d'une ? > }b force de ¿’approprier, de nier l’être tout en le
m aintenant - de comprendre l’être - ou de ne pas le comprendre -
maintenir l’être com m e incompréhensible. La résistance o o e e o
éthique ne s’oppose pas à l’ontologie, mais à-m a solitude <x x x x x >
au meurtre0. Le désir d ’assassiner découvre non pas un m oàd e être
incompréhensible, mais un être justifié, un être, dans un certain
sens, déjà cbmpréhensible. Le désir d ’assassiner c ’est l’incom pré-
hènsion dü compréhensible, l’irrationalité du rationnel.
Que signifie sa rationalité ? N o n pas le fait d ’être saisis-
sable. N ouveau sens de sensé et de justifié : qui n ’est pas le sens
d’un être, mais d ’une créature. La rationalité avant m oi - {Loi
- R ationalité de la loi plus que celle du logos}. U n e rationalité
antérieure à la com préhension de l’être et au dévoilem ent et à la
vérité. C ette antériorité à l ’hom m e en constitue to u t le contenu.
U n passé absolu. U n m onde com m e créature. Le m onde au lieu
d ’être Geworfenheit est raison — et raison non pas contre le passé,
mais à cause du passé. C ’est le passé absolu com m e tel - qui est
sa justification. Dans ce sens — la raison est enseignem ent. Elle
nous vient du passé, mais d ’un passé absolum ent antérieur à moi
qui n ’est pas rém iniscence - m ais enseignem ent. Le fait de m ’être
antérieur — de ne pas être un souvenir — d ’un passé avant m on
passé et par conséquent d ’un m aître - est l’essentiel de la raison.
A priori. A -priori M ih i prius et non solum experientiae prius.
C ’est là le sens de. la création. Différence entre être et créa­
ture : l’être est contem porain d e l’hom m e, la créature antérieure
à l’hom m e.

a. Ces crochets sont au stylo bille à encre bleue.


b. Ajout écrit au stylo bille à encre bleue. Les trois premiers mots de la phrase auraient dû, eux
aussi, semble-t-il, être barrés.
c. Levinas a placé un grand crochet ouvrant devant la suite du paragraphe qui, dans le manus­
crit, commence à la ligne suivante.
Notes philosophiques diverses 3 69
P ar là, la compréhension de la création se place en deçà de la
distinction entre être et étant.
P ^ r là, la-résistance éthique jpst quelque chose de plus que la
résistance m atérielle. La résistance m atérielle - nous laisse devant
Irration alité ou l’irrationnalité d eT être et, en fin d e ro m p te , nous
laisse avec nous-m êm e. Tuer m atériellem ent c'e st surm onter la
résistance éthique - mais en fin de co m p te ne pas la surm onter,
parce que a) l’être-tué nous a échappé* e t b) que son m eurtre a été
un crim e. La résistance éthique nous a m is en rapport avec l'exté­
rieur - avec ce qui a été avant n o u s-- àvec ce que nous ne pouvons
pas posséder et que nous ne pouvons que nier - Mais la négation
est la dernière tentative - dans n e t là liaison avec D ieu qui ne
peut ni être affirmé, ni être nié - d ’un être qui'prênd l’infini pour
un être. Le m eurtre est à la lim ite de l’ontologie et de la religion.
O n ne peut m êm e pas dire que D ieu ne saurait être nié. Il est au-
delà de la négation et de l’affirmation.

<65>b

Le visage com m e nudité

La caresse n’est pas la connaissance d ’une form e - e t Conriaîtrec


signifie en quelque sorte surprendre quelque chose sur un fond,
parcourir l’objet com m e sur und fond sculpté. {Le contraste.} La
caresse est le con tact d'une nudité, c ’est-à-dire - le con tact dee cef
qui n’a pas de forme { - de l’informe - } et par conséquent to u t le
contraire-du con tact. N on pas ce qui n’est pas encore contact mais

a. « échappé * en surcharge de « échapper ».


b. Note rédigée au verso et sur une partie du recto imprimé d’un feuillet du service d’infor­
mation de la légation d’Israël à Paris. On peut dater approximativement cet imprimé de la fin de
1950.
c. « Connaître » en surcharge de « connaissance ».
d. « un » en surcharge de « <le ?> ».
e. « de » en surcharge de’« <et ?> »
f. « ce » en surcharge de « par ».
370 Carnets de captivité
ce qui n est plus touché -contact. A u-delà du con tact - sans que
cet au-delà soit un nouveau con tact. U ne étreinte. Ce « se saisir »
de l’étreinte - est en réalité le dépouillem ent de tou t ce glii reste
com m e form e dans la nudité. Étreindre c ’est dénuder. Ce n ’est
nullem ent com m e le vou lait Sartre la possession dea l’objetb r- une
objectivation. G’est k recherche de - c le déshabiller. La nudité
n ’est pas assez mue. Elle n’est pas assez obscène. - L’obscène est
cette absence de forme - d ’où sa stupidité dans un m onde de rela­
tions entre formes. Stupide pas com m e objet. -r, Mais le visage
qui se dénude dans la caresse - plus nu que la nudité n’est plus
obscène et com m e la forme de l’informe. Mais .par là, il n ’est plus
ce qui sculpte un fond - mais l ’ouverture elle-m êm e com m e une
nouvelle dimension.
N e demande'pas de contraste
Infini ?
Liberté ?
E xtériorité (distance) ?
L’éthique ?

<66>c

Visage com m e nudité


E n quoi la nudité totale du visage — n'est plus nue au sens
obscène et à nouveau est com m e habillée. E n quoi consiste la
forme, en tant que forme de visage ? E n quoi consiste la décence
du visage ?
Elle est certainem ent déjà là, dès le début. La décence du visage
est la condition de la lascivité du lascif.

a. « de » en surcharge de « du ».
b. « l’objet » en surcharge d’un mot illisible.
c. Note rédigée au verso d’un feuillet imprimé recto dont le tiers supérieur a été déchiré.
L’imprimé est extrait d’un bulletin d’information de la légation d’Israël à Paris datant vraisem­
blablement de 1950.
Notes philosophiques diverses 371

<67 >

Visage - nudité — expression - profondeur - la fin du dévoile­


m ent

Ce qu accom plit la caresse, c ’est la possibilité m êm e de la


nudité. Çelle-ci doit être com prise dans un sens radical, com m e le
dévêçement m êm e dç la forme. E t le dévêtem ent .doit être décrit
dans un. sens entièrem ent distinct du dévoilement. Son aboutis­
sem ent est le visage —nu par excellence, plus nu que la nudité
de la caresse. Le visage n ’est pas,en effet une configuration d’élé­
m ents anatomiques : yeux, nez, bouche, etc. — mais la possibilité
du dévêtem ent .total - la forme qui se démasque.
.Que signifie cette apparition du visage - ou de l’être démasqué
entièrem ent ? [Il y a là plusieurs articulations de la dialectique
phénom énologique qu’il ne faut pas confondre.]
Par rapport à la nudité du caressé - cet achèvem ent de la nudité
où l’obscénité disparaît - ne consiste pas dans un revêtem ent de
l’informe par une forme. Il y a l ’envers de la forme - et l’envers
ne; vaut pas l ’endroit. Par rapport à la nudité obscène le visage*
est com m e ce qui perce — c ’est l’intérieur entièrem ent dégagé .de
sa forme.
Mais si ce « se dégager entièrem ent de sa forme » - n ’est pas
un revêtem ent de forme - c ’est qu’il doit être décrit com m e ce qui
nous vise - c ’est le viser m êm e de l’informe qui s’accom plit dans
la face = le visage.
D égagé de la forme —le visage est dégagé des lim ites — le visage
n’est pas objet défini - mais l’infini.
D égagé de la form e, dévêtu de toute form e, ee qui-app l’infini
dénudé - n ’est pas révélé, n ’est pas dévoilé. Le dévoilement — est
l’apparition d ’une forme sur un fond, à l’horizon qui la délim ite.
L’infini est exprim é. Le visage est expression. Ce que nous avons
dit: sur la particularité de la n u d ité - revient ici à dire qu'expres-

,a. Tout ce qui précède dans cette note est écrit au stylo plume à encre bleue, tout ce qui suit
au stylo plume à encre noire.
372 Carnets de captivité
sion n’est pas signe extérieur, sym bolisant un intérieur. Mais
rapport irréductible : n irsigne, ni symbole. Visage = expression
= dévêtem ent. Form e - objèt - dévoilem ent. Expression n ’est
pas un m ode de conscience - p artant d ’un objet, com pris com m e
symbole — supposant par conséquent un fonctionnem ent indé­
pendant et neutre de la conscience, qui peut devenir conscience
d ’une expression, com m e elle peut être conscience d ’un signe.
L’expression - et la com préhension de l ’expression - caractérise
l’acte lui-m êm e de la compréhension - fait la Bewusstheit mêrrïé de
ce Beivusstsein - qui dès lors h ’est pas vision, mais audition. C ’est
la parole q u i'étab lit la relation et non p as’la conscience visuelle
d e cette parole.
D évoilem ent très d istin ct de dénudem ent. Ce n’est pas la surface
de quelque chose‘d ’éclairé et par conséquent de ferm é (démidem
(dévoilem ent), mais l’ouvertù're elle-m êm e en tan t q u ’ouverture
et non pas en tan t que surface de cette ouverture. P ar conséquent
essentiellem ent un m ouvem ent en profondeur. « Vision » dans
l’ouvert +>- - qui est précisém ent l’ouvert com m e m e visant. Le
creux - le vide - la fenêtre - l’infini - la profondeur.
Q u ’est-ce que viser - ce qui vise (visage) —aller dans la profon­
deur de l ’ouvert - im possibilité éthique du m eurtre au sein d ’une
tentation de m eurtre.
Visage et le fém inin ??

<68>a

Discours - exclusion du Sacré

Le discours est une relation spirituelle - dans un sens précis :


relation sans violence, Relation pacifique. C ’est cela la com m u n i­
cation , La causalité et la violence - c ’est la non-com m unication.
La parole à la fois dépassement de la solitude, mais, sans déborde-

a. Note rédigée au verso d’un feuillet imprimé du service d’information de la légation d’Israël
à Paris annonçant les programmes de Kol Tsione La Gola du 5 au 11 novembre 1950.
Notes philosophiques diverses 373

m en t qui est la {serait} violence. Sans débordem ent : en dehors


de ce que je dis, rien ne se crée involontairem ent, rien n'est par
surcroît. C ’est la notion vraie de conscience : le non-débordem ent.
Possibilité du sincère. Pas de labyrinthe. La grâce { - contraire de
la .Violence} — elle aussi suppose la non-com m unication absolue.
Le m agique et le m ystérieux - non pas choquants pour la* raison
en tan t que m iracles — mais en tan t que violentant la conscience.
Parole du m aître — enseignem ent = violence sans violence.

<69>*

.Le M ot - est-il N o m ou Verbe

N o m m er est-ce associer à l'objet un signe sonore, objét lui-


m êm e, m êm e si en tan t que signe cet objet devait devenir trans­
parent ? C om m ent celui à qui l'objet est nom m é est-il visé dans
le nom ? Cela ne peut pas consister à exposer le nom proféré à
quelqu'un î ou, du m oins, l'exposer suppose le vocatif du nom -
vocatif1"qui n ’a pas le m êm e « objet * que le nom inatif du nomrper.
Le problèm e : com m ent cec vocatif d éterm in e-t-il ced nom inatif ?
Pas" seulem ent- e n tant que II n ’en découle pas ¡seulement souci
d '< « ?> universali<té> < » /x ?> . E n tou t cas réduire la fonction
du nom m er au rapport entre signe et signifié est insuffisant. Telle
est encore la thèse de .Mallarmé : nom m er = nier. N oipm er n'est
pas pier, purem ent et sim plem ent. O u tou t le problèm e : dans
quel sens norpm er = nier.
<? x ) ?> J e veux dire : lç vocatif est plus que le simple souci
d'viqiversalité impersonnelle. L’universalité n'est pas « fu r je d e n -
maqn^» mais pour un visage*.

a. Note rédigée au verso dun feuillet imprimé du service d'information de la légation d'Israël
à Paris extrait du bulletin hebdomadaire de la légation daté du 19 février 1951.
b. Levinas avait semble-t-il d’abord écrit « le vocatif ».
c. « ce » en surcharge de « le ».
d. « ce » en surcharge de « le ».
e. 'Cette phrase est sans doute un ajout ou encore une note de bas de page relative au passage
374 Carnets de captiviti
<70>B

L’É ta t com m e conforme à la m orale.

R encontrer un être, c ’est ne pas pouvoir sur lui. C ’est lui parler.
Tu ne tueras pas est le sens du discours.
Si le pouvoir politique es t un mode d ’existence où autrui est
dom iné, la dém ocratie est un retour à la relation éthique non pas
parce que le parlem ent représente les libertés individuelles. L’alié­
nation des libertés est de l’essence de l’organisation politique. Si
la dém ocratie est un régim e éthique, c ’est qu’au parlem ent, le
pouvoir est parlé à celui qui le subit. N on pas parce que le sujet
est législateur, mais parce que la loi est dite au sujet. Le parle­
m ent est moins le lieu où le peuple parle que le lieu où on parle
au peuple.

<71>b

Conscience : fini arraché à l’infini

Si prendre conscience consiste à arracher à l’infini quelque


chose de fini — on ne saurait supposer dans cette définition de la
conscience cette définition m êm e. E n effet on ne peut pas dire que
prendre conscience consiste à prendre conscience du fini + prendre
conscience de l’infini + prendre conscience de leur rapport. Ce
serait supposer trois fois ce qui est précisém ent en question. — D e
plus s’il y avait conscience d e T ’infini — il aurait fallu supposer
un autre infini auquel le prem ier serait arraché. Chez H eid egger
cette deuxièm e difficulté est résolue de la m anière suivante :
prendre conscience est prendre conscience d ’un fini — mais sur un

qui se trouve un peu plus haut, dans lequel il est question du souci d'universalité qui découle dti
vocatif.
a. Note rédigée au verso d'un imprimé de la légation d’Israël à Paris, vraisemblablement ex­
trait d’un bulletin hebdomadaire de la légation, probablement daté de 1951.
b. Note rédigée au verso d’un imprimé de la Sociécé des études juives daté de mars 1951.
Noies philosophiques diverses 375

horizon plus vaste (quoique fini) qui est la totalité —laquelle n’est
pas donnée à la conscience au prem ier sens du term e, mais à l^ou
l’existence et tou t particulièrem ent à l’extase de l’avenir - par la
m ort.

<72>ft
Le discours d ’après H eidegger

La thèse classique sur le langage — à travers toutes ses varia­


tions - soit confère au langage la fonction de com m uniquer
à autrui notre pensée — soit, selon la conception socratique, la
fonction d ’am ener au sein d ’une vision {déjà} com m u n e des choses
à un point com m un ; ou, ce qui est sensiblement la m êm e chose,
à faire retrouver par l’élève la vérité q u ’il possède déjà.
Dans l’une et l’autre conception, la pensée à com m uniquer
précède son expression sonore, l'inVocation d ’autrui. L’intention
sur autrui est « latérale ». L’essentiel de l’œ uvre du langage est
dans le langage intérieur. Dans la conception préheideggerienne
-î se parler sa pensée c ’est lui donner une allure impersonnelle,
l’épurer d é sa gangue subjective. La pensée — m êm e com m e
dialogue silencieux de l ’âm e avec elle-m êm e (ce qui signifie que la
pensée réfléchit sur son propre m ouvem ent) ne suppose pas d ’ores
et déjà l’interlocuteur réel. Chez H eidegger la parole suppose certes
déjà la coprésence et le rapport'préalable avec’autrui et d ’autrui
avec le m onde m êm e que vise la parole de celui qui parle —mais
l’essentiel de la parole est dans la signification, dans le « etwas als
etwas » (voir surtout Holzwege e t interprétation de H ölderlin20). La
parole ne joue donc pas — en tan t que invocation — de rôle dans le
rapport m êm e avec le m onde.

a. Note rédigée au verso de quatre feuillets imprimés recto. Ces imprimés sont vraisembla­
blement extraits d’un bulletin d'information de la légation d'Israël à Paris que l’on peut dater de
l'année 1951.
37 6 'Carnets de captivité
« D as Aufzeigen der Aussage vollzieht sich a u f dem G rande des im
Versteben schon Erschlossenen bzw. 'Urnsichtig Entdeckten.» (S. u Z ,
156)21.
Certes H eidegger pose la contem poranéité du parler silencieux
avec la Befindlichkeit et le Versteben {D ie Rede ist mit Befindlicbkeit
und Versteben existenzial Gleichursprünglich, S .u Z ., I 6 l 22) mais sa
fonction propre consiste à articuler la com préhension — elle est
originellem ent l'articulation m êm e de la com préhension. A u x
significations articulées s ajoutent des m ots — forme mondaine
d'être, ayant le caractère de Zuhandenheit. L'articulation du monde
-r voilà le p oint qui pour H eidegger déterm ine to u t le reste. E n tre
l'articulation et l'utilisation de l ’appareil sonore et de l’appareil
sém antique - l'intention de1' l'appel direct à autrui ne joue aucun
rôle constitutif. Le rapport avec un visage ne joue aucun rôle dans
la parole. M êm e chez M erleau-Ponty le langage com m e condi­
tion de la pensée — joue le rôle attribué au corps propre dans la
perception. Ce qui est sim plem ent Zuhandenheit chez H eidegger
- devient corps chez M erleau-Ponty - pas instrum ent, mais corps,
incarnation de la pensée. Toutefois aucun soupçon de la relation
avec autrui. A utrui - c'est le monde dans lequel je suis plongé,
une société où je suis engagé, com m e je suis engagé dans m on
corps. J e suis déjà engagé dans les autres pour parler avec les
autres. - Ce que" j'oppose à cette conception - c'est l'appel m êm e
à autrui dans le langage qui constitue la société. L'utilisation de
l’appareil social de la linguistique est rhoins im portant.
Enfin chez H eidegger et chez M erleau-Ponty il y a le problèm e
« Q ui parle ? » quand « je parle ». Le logos ? Parler n ’est-ce pas
originellem ent écouter ? Problèm e qui pour moi; se résout préci­
sém ent par le fait que l'on parle devant un visage et que l'unité de
l'écouter et du parler s'accom plit dans la rencontre du visage — et
que c'est précisém ent par là, qu'écouter ne se confond pas avec le
voir — avec la compréhension et le pouvoir.

a. « de » en surcharge de « d'un ».
Notes philosophiques diverses 377

Il y a chez H eidegger un bout de phrase essentiel : « D as Bere­


dete der Rede ist'immer in bestimmter H insicht u nd in gewissen Grenzen
((angeredet” 23 » - mais il s’ag it de l ’objet du discours - la vue est
fausse —et aucune suite ne lui est dorinée.

<73>a

* <f. 1> Introduction générale

Le paradoxe de la signification - qu i Elle est plus que le donné


intuitivem ent et cependant elle est signifiée, donnée par l’entre­
m ise d ’un signe e t-p a r conséquent moins que le signe qui est
donné. C om m ent une absence de l’être-peut-elle être plus que sa
présence ? E st-elle le propre de l ’être fini - voué à la relation indi­
recte avec un être qui le dépasse —et dont il a la nostalgie ?b <æe>
O u est-elle la forme suprême de la relation avec l’être.
<f.2 > La sigiiification'est le propre du m o t. Le m o t a une signi­
fication. Parler c ’est com prendre cette signification du m o t ; soit
en écoutant les m ots soit en les prononçant. E t de prim e abord
la différence entre écouter et parler est la différence entre {un
m ouvem ent qui .part < d e> } l’intention-qui vise d ’abord le m o t
p our passer à l'intention* qui vise la signification et d ’un- <sic>
m ouvem ent qui vise d ’-abord la signification pour aller ensuite
à l’intention du signe. Telle est la phénoménologie sim pliste du
lan£age.

Là signification est dans la finalité


Mais ainsi com prise la* signification sem ble indépendante
du m ot. N*y a-t-il pas des in ten tio n s qui visent la signification

„ a. L’ensemble est écrit au verso de six feuillets imprimés recto de provenances diverses, à l’ex­
ception du cinquième feuillet, dont le recto imprimé comporte également quelques notes manus­
crites do Levirias. Tous les feuillets sdnt écrits au stylo trille à encre‘noire | excepté le cinquième
feuillet verso qui, à partir de la quatrième ligne, est rédigé au stylo plume à encre bleue. Enfin,
signalons que tous les imprimés comportant une date indiquent celle de I960.
b. « ?» en surcharge de « - ».
378 Carnets de captivité
indépendam m ent du langage ? Il sem ble que oui., N ous pouvons
parler d’une .signification d ’un objet et d ’une situation. N ous
pouvons parler d ’une signification à laquelle nous accédons en
dehors des signes. La signification diun objet, c ’est par exemplè
l’usage auquel il est destiné. Com prendre un objet c ’est savoir
s’en servir — c ’est donc se tenir au préalable dans une attitude
active, c ’est-à-dire être d’une façon ou d ’une autre dans le besôïti,
fiv tendre à quelque chose qui m e manque. {Ce qui d ’une façon ou
d ’une autre est susceptible de servir à m e satisfaire - a une signi­
fication.} Ce qui m e manque - le pain quand j’ai faim , l’eau
quand j’ai soif, la décoration quand je suis vaniteux - aurait une
signification au sens ém inent du terrtie. La signification consiste­
rait donc dans la relation des objets aux besoins. Le parfaitem ent
inutile se x x m anquerait absolum ent de signification.
< f.3> Toutefois la relation directe d ’un besoin avec ce qui le
satisfait, n ’est plus la com préhension d ’une signification. L’air ne
prend de signification p o u r nous que quand il nous m anque, les
vêtem ents « e u quand ils nous m anquent, etc. L’absence de signi­
fication — et l’absence de conscience coïncident. Ce qui sem ble
être un truism e, puisque tou te relation disparaît avec l’extin ction a
de la conscience. Mais ne faut-il pas inverser la situation : c'est
l’absence de signification .qui dém olit la conscience. La significa­
tion ainsi serait la condition de la conscience. Mais vue de ce biai$
elle constituerait la distance entre l'être qui conçoit une significa­
tion et cette signification m êm e. Avoir {une} signification reviens
drait à être à distance de l’être. Le besoin, dans la m esure où il est
toujours à distance de sa satisfaction, serait source de sa* signifi­
cations. La signification serait par essence une-dé€ m oins que la
présence de l’être - laquelle se produirait précisém ent dans la coïn­
cidence avec lui, dans la jouissance. L’être aurait une signification
dans la mesure où il se dérobe encore à nous mais où cependant
il n ’est pas purem ent et sim plem ent absent, mais déjà se dessine
en creux dans le besoin qui en conserve com m e le souvenir {ou

a. « l’extinction » en surcharge de « d'absence ?> ».


Notes philosophiques diverses 379

qui en possède l'espoir}. Aussi kt-s une situation aurait-elle une


signification par excellence etdes intermédiaires* les moyens* qui
Se dessinent dans la situation. La situation c'est la mesure exacte
de la distance qui nous sépare de la satisfaction. Il y a une-situa­
tion lorsque &>bjet le réel qui doit être consom m é ou utilisé s'an­
nonce, m ais s'absente encore, apparaît com m e problèm e inconnu
déterm iné par la situation. <f. 4 > Il y a une situation - lorsque
un m onde nous est assez étranger pour ne-p-que nous ne puissions
pas nous l’incorporer ; mais où il est assez nous-m êm e pour nous
servir d ’organe, pour saisir {en vue de} l'objet désiré.
La distance toute pure - le moins par rapport à l’être qui se
produit ainsi - explique-t-elle pourtant le surplus qu'il y a dans la
signification ? Elle apparaît en effet au philosophe com m e fie rési­
dant pas essentiellem ent dans le besoin qui est l’absence de l'être,
mais qui a le m érite de dégager la distance laquelle peut valoir
par elle produit sa propre vertu dans la contem plation. Dans la
contem plation est- à^la fois absenc absence et p r se produit une
présence d ’un pré être absent — ou-pl une à distance où l'être-n^
la distance ne vi n'est pas sim plem ent la nég ativit é {souffrance}
du besoin mais où elle p erm et l'être de resplendir de sa propre
lum ière. La signification serait alors l'aboutissem ent de la relation
sujet-objet. Par-delà l'obscurité {l'opacité} insignifiante de fout
donné en tan t que donné - qui bouche le regard p lù tô t qu'il ne
l'éclaire - la signification serait accessible à,l'intellect
<f. 5 recto> <1 ?> L a -signification-par rapport à une finalité
qui apercevrait les relations* qu’un objèt donné entretient avec
d'autres objets6.
Q u'u n fait de connaissance ait une signification semble de
p rim e abord s’ajouter à cette connaissance elle-m êm e. La distinc­
tion de la psychologie traditionnelle entre la sensibilité qui donne
et la raison qui com prend atteste cette dualité entre le donné et

a. Ce qui précède sur cette page est écrit avec, semble-t-il, le stylo bille à encre noire qui a
servi à remplir tous les autres feuillets de cette note ; la suite de la |jage est rédigée au stylo plume
à encre bleue. S’agit-il d’un feuillet extrait d’un ensemble plus vaste que Levinas aurait inséré dans
le présent ensemble, en y ajoutant la fin de la phrase qui commence sur le précédent feuillet ?
380 Carnets de captivité
le signifiant. La réflexion philosophique ab ou tit cependant à la
suppression de cette dualité : le sensible p u r serait un m ythe.
L’entendem ent pénètre la sensibilité et rien ne saurait être donné
s’il n ’est pas com pris au-préalable. Seul le signifiant est donné.
Q u ’est-ce qu’être signifiant ? Avoir une signification, c'est être
en relation. Le fait a une signification du fait qu’il se présente à F in­
térieur d ’un système. Le renvoie à autre chose que soi serait donc
la signification. La totalité donnerait donc un sensauparticulier.

<f. 5 verso> Trois sens de signification

Finalité
Relation À cela s’oppose langage com m e condition du signe
Signe

<f. 6> Conclusion

La signification est une relation avec l’être.


La relation avec l’être ne $e peut que dans,l'expression.
L’expression est une m anifestation par-delà les signes où l'être
lui-m êm e assiste à la délivrance des signes - déverrouille ce que
les signes cachent - parle.
La parole est l ’interprétation des signes. E lle est-d vient d ç plus
haut que les sigpes
L a parole L’exp ression
L’expression n'est possible que com m e s’adressant à autrui dans
sa substance, acte de responsabilité suscitant la responsabilité.
L’expressiçn n ’eçt pas la présence de l ’être à distance, m ais de
l’être supérieur à m oi.
Toute signification se place dans la religion.

<74>

C onception théorétique de la signification


Notes philosophiques diverses 381

Il y a signification — quand la donnée de l’expérience, par elle-


m êm e opaque, (heurtant le'pënseur), se réduit à des idées claires
et distinctes qui, de par leur cla rté et de p a rle u r distinction, sont
a'priori. O u encore quand on substitue à’ la'donnée une idée qui
entre dans m r système d ’idées, dans une théorie, dans un enchaî­
nem ent d e concepts.
1 Passer du fait à la signification c ’est donc retrouver* les rela­
tions q u i rattachent le fait à d ’autres faits?- A u lieu de tenir dans
sa'perception, le fait renvoie au système.
f'Q u ’est ce renvoi ?*Symbole ?•V a-t-il d ’un donné objectif vers le
système à son touT objectif ?
Le système n’est pas donné com m e le sensible. Le système des
relations où le-renvoi se joue - tou t entier sur le plan objectif - est
symbolisé par le sensible qui le suggère.
Le sensible exerce d on c la fonction de* symbole dans un autre
sens que le renvoi à l’intérieur du système : il p art du donné
contenu par la perception - vers ce qui est au-delà de la percep­
tion et ne saurait être contenu dans le perçu.
Ce m ouvem ent relie deux plans d ’être. Le sensible est
donc traversé non seulem ent par les relations objectives du
systèm e où il se dissout (gard an t d ’ailleurs toujours un résidu
insoluble), m ais aussi p a r-u n e in ten tion sym bolisante. C ette
in ten tion sym bolisante- p ou rrait aussi s’interp réter com m e
visant le systèm e m êm e d e relations en lesquelles le sensible se
dissout, com m e si le sym bole éta it ici une façon de se rapporter
à id b je t.
D ire donc-qu’un d on n é a une signification, ce n ’est pas seule­
m en t le replacer dans un système de relations en lequel il se
dissdut ; c'est recevoir ce donné-com m e un mode d ’accès à»ce
système de relations, sans lequel ce système ne peut m êm e pas
apparaître. Ce n'est pas substituer une idée claire et distincte à un
donné sensible, c ’est conserver dans la pensée ce donné sensible en
tan t que signe. Mais ce signe a ceci de particulier qu'il ne renvoie
pas à un autre objet qui se trouverait derrière le fait jouant le rôle
de signe.
382 Carnets de captivité
Le fait est, com m e d it H usserl, -signe de lui-même*.- La
construction du système sy scientifique d ont le fait d oit recevoir
une signification, n'est ni un m onde de derrière le m onde, ni le
monde préalablem ent, donné ou anticipé par rapport auquel le
fait apparaît seulement com m e fait dont il serait_le-«*pas encore »
- puisque ce fait, précisém ent, dans sa résistance à la rationalisa­
tion scientifique, est .indispensable à la découverte de ce m onde
scientifique. M êm e une physique divine - d ’après Husserl - doit
recourir, contrairem ent à ce q u ’en pense Leibniz - à la perception
du monde hic et nunc. La signification du fait - de ce m orceau de
bois, de pierre, de ce gaz - ne vient donc pas du m onde scienti­
fique - qui ne saurait en effet jamais l'épuiser.
N ous voilà ramenés, pour caractériser la signification d ’un fait,
au monde de la perception, où la présence de la donnée sensible
à la conscience est débordée par sa signification.

<75>

Signification, Signe et Indice

Les choses on t une signification quand elles s’intégrent dans un


systèm e de choses et renvoient, par conséquent, à cet ensemble.
Le signe est une façon spéciale de renvoyer à autre chose que soi
- il indique la présence de l’absent en tan t q u ’absent.
Dès lors nous pouvons utiliser la signification pragm atique des
choses com m e signe. Le m arteau sert à m arteler e t a ce tte signi­
fication dans un ensemble — usine, atelier ; p artou t où il y a des
clous à enfoncer, du bois, du cuir, etc. Mais on peut choisir le

a. Ce qui suit commence A la page 4 du bifeuillec sur lequel est écrite cette note. En haut de
cette page, Levinas avait écrit au stylo plume à encre noire, puis barré au stylo plume à encre bleue
qui lui a servi à rédiger l'ensemble de cette note :
« Chesten
de l'Agence ^Selphide
Séparation 1
de kxjucxs ».
Notes philosophiques diverses 383

m arteau com m e sigije annonçant la présence d ’une usine. Dans ce


sens le signe est indice. Il joue le rôle de signe déjà avant aucune
intention de signaler quoi que ce soit de la p art de qui que ce soit.
L’indice ne devient signe que dans un contexte interpersonnel
- quand quelqu’un a voulu signaler quelque chose à quelqu’un.
Liasse C

<l>

Le problèm e philosophique de la religion : en quoi consiste


le service de D ieu com m e condition de la liberté ? — Réponse :
servite - subordination d ’une liberté à une liberté - action sur la
liberté qui est appel à la* liberté.
Pas de liberté sans appel à la liberté.

<2>a

La vraie universalité <ce> sont les religions et non pas les nations
- dans la discussion de N ew Delhi l'absurde id é e :b les. religions
divisent1.

<3>c

<recto> La souveraineté du m oi - c ’est celui qui donne, qui a


p itié — com m e s’il n 'était pas pitoyable lui-m êm e. {E t tou t cela

ï. Écrit au crayon à papier, au verso d’une carte d’invitation (1957). Levinas a repassé au stylo
plume à encre bleue sur les cinq derniers mots et modifié légèrement la phrase à cette occasion
(çf. la note suivante).
b. « : » en surcharge de « que ».
c. Feuillet arraché d’un cahier d’écolier, manuscrit recto verso. Le texte, souvent illisible en
raison de la détérioration du feuillet, est écrit au crayon à papier.
386 Carnets de captivité
est obtenu par la position — m on trer dans sa m atérialité cette
m oralité.} Les lim ites de cette conception : m a misère ne trouve-
t-elle pas place dans cet univers. M a m isère, m a lassitude. {Il ne
s’agit pas dans toute cette conception de retourner la relation - la
considérer com m e réciproque : l’abdication de la souveraineté du
m oi doit se faire en face de Q uelqu’un. C ’est la place particulière
d ’un concept com m e D ieu. Il ne se définit donc pas par l’Ê tre
— mais par quelque chose de plus que la Personnalité — plus que
la souveraineté du m oi — P atern ité. A u trem en t d it : il faut à côté
d ’autrui com m e pauvre - un autrui infiniment plus riche que
<m oi ?> {O u p lu tôt : A utrui com m e riche — gloire du dehors}.
Mais non très crich e ?> m atériellem ent en < x x x x x x x x > pouvoir
de donner. C ’est cela la Paternité / < xxxxx> l ’être < x x xxxxxx>
< xx> < x x x x x x x > . E t c ’est cela : à < x xxxxx> la m édiation du Père
qu’autrui < >a / conception de < xxxxx> est incom plète
- car elle n ’englobe pas < > relation avec le Père tsvpb.}

Dém arches philosophiques :


Idéalisme - tou t se transforme en contenu du moi —
Solipsisme.
Sortie du solipsisme : le m oi est essentiellem ent en rapport
avec autrui - mais c ’est dans son essence. -
L'identité m êm e du m oi est indépendante d ’autrui. O u bien :
l’identité du m oi se situe par rapport aux autres mais alors l’ideiL-
tité est pensée com m e d iffé re n ce ? > specificissime. E t cette notion
est remplacée par la place du m oi dans un réseau de relations.

a. Une partie importante de cette phrase n’est plus lisible car le bord droit du feuillet est
déchiré en plusieurs endroits.
b. Cet ajout commence en bas à gauche du recto et se prolonge dans la marge inférieure, puis
dans la marge de droite, enfin, nous a-t-il semblé, dans la marge supérieure. Nous avons distingué
par des barres obliques ces trois parties de l’ajout. Par ailleurs, la détérioration du papier ne per­
met pas de savoir où aboutit la flèche indiquant l’emplacement de l’ajout suivant, qui se trouve
en bas à droite : « Retournement de la maîtrise héroïque. Ne pas <xxxxxxx> cette notion. Donner
matériellement et misère matérielle. Le riche - le pauvre. La dignité de la souffrance morale. Et
<xxxxxxx> <xx> <xx> torture. »
Noies philosophiques diverses 387

À x e la s'oppose le m oi en* tan t que sujet— en tan t qu'étant - en


tan t que dignité — celui qui* s'assume — le fait de s'assumer —
richesse - le fait de donner.
Dès lors la relation avec autrui n 'a pas la structure abstraite de la
coexistence —m ais est le fait de donner. A utrui n'est pas pour m oi
- l'alter ego - c'est le pauvre.
La fin de la théorie de YEinfuhlung com m e d'une sym pathie. O u
p lu tôt la sym pathie - c'est la sympathie avec le pauvre.

<verso> La Bible parle toujours du pauvre, de’la veuve et de l'or­


phelin -
Ces deux dernières notions ajoutent à l'idée de la misère m até­
rielle - m isère'de l'abandon et de la détresse.

T.S.V.P. Idolâtrie - adoration d'autrui sans passer par le Père.

R egard clair d ’une entière possession de soi - ou d'une existence


com m e un élan - com m e une spontanéité {com m e une franchise}.
E t pourtant dans cette gratu ité de l’existence — un nez portan t la
trace < xxxxxxxxx> aux ailes légèrem ent écartées, au bout légère­
m en t retroussé. E t puis des taches de rousseur, au p etit bonheur,
pas au point de déferm er rendre défigurer com m e { < xxxx> peau de
certains roux> < xxxxxxx> — mais tou t juste com m e un appel que
cette peau est un tissu ayant tou t de m êm e sa vie à côté du person­
nage, que l’élan de la personne n'em porte pas tou t entière, qjie cet
élan dans sa spontanéité naît dans quelque chose de bien plus naïf
de bien plus élém entaire, de bien plus naïf. Ce n'était en aucune
façon quelque chose de brutalem ent contraire à cet élan —com m e
des lèvres trop épaisses ou un bouton sur la peau d'un < xxxxx>
< xxxxxxx> d ’esprit créateur {com m e l'épaisseur et la grossièreté
foncières diffuses dans < x xxxxxxx> < xx> <xxxxx3tx>}. <Sa/La ?>
peau avec ses taches de rousseur son nez à forme flamande - étaient
p lu tôt cet élém ent de pureté, d'enfantin, *de non .encore formé
qui com m unique à sa figure quand il écoutait une conférence les
yeux clairs les lèvres <x x x x x x > entrouvertes à peine - toute une
388 Carnets de captivité
jeunesse <æe«> < » > <com m e ?> <*b & > <xxxxxx > ,<xxxxxx >
hom m e dans sa chem ise <xxxk > au d it. E t puis un jour je l'ai vu
avec son < xxxxx> à < xxx x x x > < x x x x x > . Il avait 31 ans.

<4>a

La différence entre philospphie et religion c ’est que la philosophie


est totalitaire et où la parole est impossible - la religion est l’ordre de
la parole —ou du prophétisme, ordre de la parolequi tranche.

Le caractère exceptionnel du langage par rapport à toute autre


relation c ’est que les term es y sont antérieurs à la relation.

<5>b

Philosophie dont le dernier m o t est rn$TD.

Com prendre - jubiler dans la clarté de la compréhension - sans


pouvoir rien changer.

<6>c

Fécondité*1

<7>

Le savoir de cette origine qu’est l ’inconscient s'obtient par


l'audition : entendre la voix.

a. Rédigé au verso d’une carte d’intitation (1957).


b. Rédigé au verso d'une carte d’invitation (1954).
c. Rédigé au verso d’une carte d’invitation (1959).
d. Indique le thème des notes 7'à 17.
Notes philosophiques diverses 389

D 'autfe p art l'inconscient est essentiellem ent fécondité - sexua­


lité (?).

< 8>

Le M oi héroïque — unité du « je pense » qui englobe la m u lti­


p licité du donné dans la lum ière.
Le M oi crée - englobe la m u ltip licité de ses .enfants. Le
M oi com m e identification à travers le tem ps et çio i com m e
des-identification = fécondité.

<9>

Ê tre sexué - un possible qui est au-delà du possible : ni « moins


que l'être » (A ristote), ni « plus que l’être » < (> H eid eg g er< )> .
Ê tre sexué - caractérise la créature ayant une origine e t, dans
son origine, une sécurité et au-delà de sa fin une fécondité.

<10>a

Solipsisme - non pas : m oi seul j’existe mais les autres sont des
« étrangers » absolum ent étrangers. Homo homini lupus- hostilité
sans.h^ine.
Pas négation de la liberté d ’autrui, mais dom ination de cette
liberté. L u tte, travail et lutte - Civilisation.
\ 9

<ll>b

<recto> Le fils n’est jamais fils unique. - D onc : m a contin­


gence. Elle ne tient pas au fait que je n’ai pas choisi m a naissance.

a. Rédigé au verso d’un morceau de faire-part de mariage (1958).


b. Rédigé sur la page vierge ainsi que sur la page imprimée d’un morceau de (aire-pan de
mariage (1958).
390 Carnets de captivité
(C et arbitraire est annulé par l'investiture que m e confère le père
et qui annule m a honte d'usurpateur de l'être.) M a contingence
tien t au fait que je ne suis pas le seul investi - que m on père
subsiste et qu'il est autre chose que m oi et n'est pas épuisé par
m on investiture.
C ette investiture, c'est l'am our du père pour m oi : non pas
une intention à laquelle je corresponds, mais investiture d'après
coup : amour.
Dans cet am our paternel* : le m oi ne retom be pas sur soi. Mais
n'étant pas fils unique — je suis gerworfen.
< verso > Il existe tou t un univers dont je ne suis qu'une
partie. J e ne suis pas le tout. J e ne suis que l'un d'entre les frères.
C om m ent dépasser cette Geworfenheit3 ?
Considérer les frères com m e élém ent m atériel à vendre et
à acheter ? O u apercevoir dans la fraternité qui initialem ent
m ’oppose aux autres, la fraternité com m e rapprochem ent, com m e
société ? Ju stice.

<12>a

Ê tre un autre et être leb tout. La prem ière aspiration répond


à l’ennui du m oi rivé à soi ; la deuxièm e à la douléur d ’être con tin ­
gent. La société répond à cette douleur où le m ol se réconcilie avec
son frère sans < xxxxxx> ses frères dans une puissance sans lim ites
et sans perdre son m oi dans un étatc (panthéism e et rythm e). Majs
dans la société où le m oi est pour l’autre, à p artir de son moi
- à travers la séparation de la fraternité - il se libère aussi de son
retour à soi et est un autre : filialité par-delà la fraternité.

a. Rédigé au verso d’un morceau de faire-part de mariage (1958). Cette note ainsi que les deux
précédentes sont écrites sur les morceaux du même faire-part.
b. « le ».en surcharge de « un ».
c. « état » est à lire avec une majuscule.
Notes philosophiques diverses 391

<13>a

Fécondité et pluralisme
Le tem ps n'est pas une simple projection, mais l'exister
m ultiple lui-m êm e.

< l4 > b

Eros — dualité.
Sensation bicéphale —dans ce sens déjà le fils —m ais, en réalité,
conception du fils seulement.
Le fils com m e m oi libéré de soi.
< E t ?> <interrom pu>

<15>

Le rapport qui s’accom plit dans la génération - est celui du temps


lui-m êm e.
R apport avec ce qui n'est pas — mais rapport qui n'en est pas la
prévision ou la connaissance.
Quelque chose cjui n ’est pas reçoit l'être.
À p artir du présent vers l’avénir — le fait d ’être l’autre.
La postérité est la façon dont le m oi est l'autre.
Eros condition de cette dualité et du tem ps.

<16>C

Le Moi livré à la m o rt qui interrom pt son ennui d ’être avec soi


en lui p erm ettan t d ’en sortir ; mais la m ort com m e fin de l'être est
un p rix trop élevé pour se débarrasser de l’ennui du retour à soi.

№ Rédigé au verso d’une carte d’invitation (1957).


b. Rédigé au verso d’un faire-part de mariage (1957).
c. Rédigé au verso d’une carte d’invitation (1958).
392 Carnets de captivité
Le temps com m e temps de la fécondité : au-delà de la m o rt et
par sa discontinuité débarrassé de l’ennui.

<17>

Ce qui est essentiel dans toute la théorie de la fécondité : le m oi


défini à partir d ’elle n ’est possible qu’à p artir de l’A utre.

<18>‘

A pologieb

<19>

La subjectivité n’est pas la vérité — car la m o rt l’aliène.


Elle a recours au jugem ent, mais reste apologie.
Le jugem ent de l’histoire, n’est pas la vérité, car il aliène la
sujectivité com m e la m ort elle-m êm e e t
La vérité est dans le jugem ent auquel je suis présenp et qui m et
confirme, non pas com m e offensé mais com m e capable de voir les
offenses des autres - com m e l’im possibilité de se dérober.

<20>c

Apologie —position m êm e du M oi.

a. Rédigé au verso d'une carte d'invitation (1959).


b. Écrit, une seconde ibis, en travers de la marge de gauche. Indique le thème des notes 19
et 20.
c. Rédigé au verso d’une carte d’invitation (1954).
Notes philosophiques diverses 393

<21>
Le scnsa

< 22 >

La notion de masque - se réfère au visage. Seul le visage peut être


m asqué. Le vêtem ent n'est pas masque. La notion de mascarade.
Le vêtem ent s'adapte au visage ( К Л И Ц У )Ь.

La violence par excellence - c'est celle de la raison impersonnelle.


{C'est l'inhumain, distinct du brutal.) —Ce qui prouve que la liberté
— n'est pas violence, qu'on peut parler à une liberté — un discours
avant le discours (cohérent). Le monde où il n'y a que le discours
cohérent — tout ce qui se dit est mascarade (préfiguration, symbo­
lisme) - les hommes jouent un rôle dans une pièce qtb où tout autre
cho’se se joue que ce qu'ils Jouent (destin oü raison objective, imper­
sonnelle {ou inconscient}0) - E t cependant les hommçs aiment l'in­
humain : la pureté de l'inhum ain, car l'humain est toujours égoïste,
le je de Simone W eil {moi de 4ПУ*?3} - conflit perinanetit entre l'hu­
main èt l’inhumain : catholicisme - protestantisme.

<23>d
La parole est rapport avec le visage - E t cela signifie q u elle
prend reçoit sa signification non seulem ent à p artir du discours
en général® - mais dans l'absolu de celu i è d ’une relation irréduc-

a. Écrit» une seconde fois, en travers de la marge de gauche. Indique le thème des notes 22 à
32.
b. Phrase ajoutée au stylo bille à encre bleue, le reste de la page est écrit au stylo bille à encre
violette.
c. Ajout écrit au stylo bille à encre bleue (rf. la note précédente).
d. Rédigé au verso d’une carte d’invitation (1932).
e. Ce qui précède est écrit au stylo bille à encre violette, ce qui suit au stylo bille à encre
bleue.
394 Carnets de captivité
tible à autre chose qu elle-m êm e - absolum ent résistante à toute
psycho-analyse — R approchem ent entre le discours cohérent
(objectif) et psychanalyse.
A u discours cohérent : j'oppose non pas la subjectivité capri­
cieuse — mais l'individuel com m e absolu — c ’est cela le visage.

< 2 4 > tt

Ê tre - c ’est avoir une signification et par conséquent s’exprimer. :


avoir un visage.
Ce qui n’a.pas de signification est seulem ent apparence.

<25>b

M anifestation (du sensible) et expression (parole)


Le visage n ’est pas signe. Le signe annonce le signifié. Dans le
visage le signifié est toujours là en plus du signe qui L’annonce
- il assiste à la signification du signe - H c ’est-à-dire répond -
<guette ?> le regard qui le regarde.
La manifestation in terpelle se réfère positivem ent {à celui qui
la perçoit} - elle est exhibitionniste — c'est-à-d ire l'interpelle e t
assiste à sa -< x x > . Le signifié assiste à sa manifestation. Le visage
parle. L’expression se est un m ode de la parole : c ’est-à-dire est
assistance de celui qui est signifié à sa m anifestation.
Dans ce sens chose en soi. Aucune donnée sensible n ’est chose en
soi, mais n’est que plastique.

<26>c
Q u'est-ce que cela veut dire : le réel est raisonnable.

a. Rédigé au verso d'une carte d'invitation (1956).


b. Rédigé au verso d’une carte d’invitation (1956).
c. Rédigé au verso d’une carte de vœux (1954).
Notes philosophiques diverses 395

E . W .a d it : il est structuré.
Mais l’idée de structure suppose la raison.
Le réel est raisonnable —cela veutrdire : e n-peu t —le juste connaîtra
le-be nheur. {peut-être o o o a e o heureux).

<27>b

A u tru i —
Son être = ses avoirs.
Par l’avoir son être est trahi.

<28 >

A utrui com m e KotB’avTÔ rend possible le travail —Il suspend la


relation avec l’individuel com m e nourriture.
Le travail consiste à se donner du tem ps, à voir le particu­
lier d ’en haut. C ette vision d ’en haut n ’est possible que par une
extériorité à l’égard de soi, à p artir de l’extérieur m ô ’a v rô . Le
dialogue com m unique à l’élém ent une généralité. Par là autrui
im porte - il perm et de sortir de l’égoïsm e du m êm e.

<29>c

Tout le passage où je m ontre que le visage est source de toute


signification doit être écrit ainsi : c ’est l’extériorité qui est condi­
tion de la signification ; signifier = être extérieur, mais présent.
D istinguer : la présence com m e im age -
(plastique et sans signification)
présence com m e extériorité5

a. « E. W. » pour Éric Weil.


b. Rédigé au verso d’une carte d’invitation (1953).
c. Écritjau dos d’une fiche d’emprunt de la Bibliothèque de l’Alliance Israélite Universelle.
Levinas emprunte, le 9 novembre 1955 : Diqdouq safat ivri (La Grammain hébraïque) de Spinoza.
396 Carnets de captivité
< 30> »

J ’en viens à renverser l’ordre. Ce n'est pas ce qui est infini qui
est extérieur, mais ce qui est extérieur qui est infini. L e tr e * - c ’est
se rapporter à l ’extérieur.
Le rapport avec l’extérieur - le rapport m oral —est la condition
de la liberté. La com m unication des individus est la source de la
conscience.

<31>b

Si le m ouvem ent de la signification ram enait à un term e qui


ne renvoie qu’à lui-m êm e - on ne com prendrait plus le phéno­
mène m êm e de la signification e t de la relation. Pourquoi faut-il
m u ltip licité ?

<32>

L’idée d ’accom plissem ent, c ’est le fait que l’être a un sens par
rapport à ce qui l’a « préparé ». Dans ce sens la subjectivité m êm e
est un sens, puisque je dom ine m on être.

Le sujet accom plit un verbe.

<33>

Chez soic

a. Rédigé au verso d’une carte d’invitation (1952).


b. Rédigé au verso d’un volet déchiré d’une caste d’invitation que l’on peut dater de 1956.
c. Écrit, une seconde fois, en travers de la marge de gauche. Indique le thème de la note sui­
vante.
Notes'philosophiques diverses 397

<34>

Chez soi : jouissance de la jouissance.

<35>

P ou r le < xxxx>

D istinction du désir et de la volonté. D ésir aspire à qqch. - il a un


but. Volonté — contre une volonté - d ’une façon ou d ’une »autre
tien t com p te de la volonté adverse.

<36>

L’il y a - C ’est la chute dans l'abîm e telle qu’on la connaît dans


le rêve ou dans le vertige -
V ertige - dépersonnalisation.
G rouillem ent de points et non pas points d ’une ligne.

<37>

La <p biologique trad itio n n e ls fut celle de la croissance et


jamais de la génération ni de l’origine ; tem ps de la végétation et
de la croissance.
Q uel-peu t être le rapport avec le-néant- r-appe rt- qui n’en-est pas
k co nnaissance ?*

a. Dans le coin inférieur droit de cette page, écrit tête-bêfche, au stylo bille à encre bleue (le
reste est rédigé au stylo plume à encre noire), un mot, semble-t-il de quatre lettres, qüe nous ne
déchiffrons pas.
398 Carnets de captivité
<38>4

Prophète - essentiellem ent un esprit qui n'est pas in stitu tion


(les faux prophètes sont précisém ent institution) - M êm e leur
nourriture « vient des corbeaux ». Samuel transportant sa maison
partou t et Élysée vivant de charité.

<39>b

Le fou et le malade.
Le malade va chez le m édecin, il dispose d'u n terrain solide dans
son aliénation. Le fou est conduit chez le m édecin par un autre
- il coïncide avec son aliénation.

<40>

exister pour son com pte.

<41>C

La tenue de l'être.
Le pas encore.

<42 >

Travail rem plaçant la lu tte — jouissance ayant trait au travail


= fait hum ain.

a. Rédigé au verso d'une carte d’invitation (1954).


b. Rédigé au verso d’une carte d'invitation (1954).
c. Rédigé au verso d’une carte d’invitation (1954).
Notes philosophiques diverses 399

< 4 3 >a

L’ivresse de cette sobriété.

< 4 4 >b

La m ain — avance sans éclaireur. Liberté pure.


La--p ensée - La représentation - est d ’une part passivité et
obéissance à ce qui se manifeste et d ’autre part — initiative pure,
com m e <ne ?> <pas ?> précédée d ’une représentation.
Mais la pensée avance com m e ujie main.

< 4 5 >c

Le thèm e :
de toutes les exigences pour Soi — aucun vertu récompensée
pour autrui.

<46>d

Pas d ’orthodoxie com m e simple reprise de croyances trans­


mises r
Mais pas libéralisme com m e liberté de l’inspiration.
Pas d ’inspiration sans connaissance de la tradition*.

a. Rédigé au verso d'une carte d’invitation (1954).


b. Rédigé au verso d’une carte d’invitation (1956).
c. Rédigé au verso d’un volet déchiré d’un faire-part cfe mariage (1957).
d. Rédigé au verso d’un faire-part de mariage (1957).
e. Venant immédiatement après ce feuillet, une lettre, que nous ne reproduisons pas, de Léon
Poliakov, datée du 22 mars 1959, et accompagnée d’un feuillet dactylographié reproduisant des
citatiorts extraites de l’ouvrage de Lucien Febvre, La Terre et l'Évolution humaine (1922).
400 Carnets de captivité
< 4 7 > ft

Les lois alim entaires n ’ont rien de m agique.

Î7DR / nWK n^nn HT


nm «rrra
d' o î ïam
68 1 r»*7in s u r

<48>b

Israël — à la fois l’universel et < l’aristocratie ?>


3a7 m t r r r a »

Éducation — com m e définissant l’hom m e.

<49>

<recto> M aïeutique Théétèt£


Il faut 1) avoir été fécond et ne plus l’être pour être sage-fem m e
(pourquoi ces deux conditions ? Alors que assister une fem m e en
couches n ’a rien de com m un avec le fait d ’accoucher ?).
2) Faire les avortem ents des foetus.
3) Entrem ission (fait partie du m êm e art).
4 ) B Y aurait-il la tâche de distinguer le vrai fruit du sim u­
lacre - la tâche de la sage-fem m e aurait été la plus belle. —
Celle de Socrate est plus im portante : fruits spirituels peuvent
n’être que sim ulacre <verso > et il fâut ici savoir distinguer.

a. Rédigé au verso d’une carte d'invication (1957).


b. Rédigé au verso d’une carte d’invitation (1956).
Nvtes ^philosophiques diverses 401

2) ft Socrate pose des questions mais ne m et personne au monde


(vœ u des démons) - (N ’a -t-il jamais été fécond ? E L b).
3) E n trem etteu r (Ironie ?).
4 ) C 'est lui qui délivre — car ses élèves reviennent à lui soit
parce qu'après la séparation ils n'ont plus produit de vrais enfants,
soit qu'ils ont corrom pu ceux qu'ils <avaient ?> .
5) Les élèves sont furieux quand on leur < xxxxxx> que leurs
enfants sont simulacres.

<50>

Ce rêve étrange sous les arcades qui se m ultiplient et s'abais­


sent pour transform er la rue en cage où il n'y a pas possibilité de
reculer. Il ne reste alors qu'à m oùrir ou qu'à se réveiller.

<51>c

La subordination de tous les buts à un but suprêm e, à une


valeur exerçant une attractio n par elle-m êm e im plique une
réflexion totale. Si l ’action était cela - nul ne serait m échant
volontairem ent. A ristote dans le syllogism e de l'action voit la
possibilité d'une prém isse particulière9. C ’est que l'action est dans
l'in stan t du besoin - qui vise la jouissance et non pas l ’être.

<52>d

N e pas traiter l'hom m e com m e une chose, c ’est à la fois un


principe m étaphysique et m oral.

a. Manque le n° 1. Il s’agit sans doute d’une erreur d’inattention dans la numérotation.


b. « EL », sans doute pour Emmanuel Levinas.
c. Rédigé au verso d’une carte d’invitation (1956).
d. Rédigé au verso d’une carte d’invitation (1956).
402 Carnets de captivité
<53>

La question rhétorique ?

<54>a

Il n'y a aucun sens à se dem ander : pourquoi il y a position.


C ette question suppose déjà la position - il n'y a pas de causalité
avant la position.

<55>b

Le prototype de l'activité — c'est le sujet exerçant sa dom ina­


tion sur son être.
D 'où, être pur = acte pur.
E t cette équation, en réalité, n'exalte que l'É ta t.

<56>c

O rdre des idées


M étaphys<ique> - relation avec KaO’aùxô.
R elation avec Ka0’aî>T6 - parler.
Parler ne pas pouvoir tuer.
A ltérité ^ négation.

<57>

1) La guerre atom ique - totalité « sans refuge » —accom plit l ’idée


de guerre (déjà dans l’idée de guerre mondiale).

a. Rédigé au verso d’une carte d’invitation (1953).


b. Rédigé au verso d’une carte de vœux (1955).
c. Rédigé au verso d’un faire-part de mariage (1953).
Notes philosophiques diverses 403

2 ) L'eschatologie au sens*que,je lui donne, conditionne ¡e sch a to ­


logie de la religion <:populaire ?> .

<58>a

La guerre n'est pas une violence com m e une autre. Elle détruit
tou t l'ordre de la morale — elle est m oralem ent le désordre pur.
Elle trace aussi une lim ite à la sim plicité de la bonne volonté et
de la prédication installées dans l'ordre, m êm e <si ?> <elles ?>
consentent le sacrifice suprême. Elles ne peuvent entrevoir cette
lim ite sans perdre tou t au m oins leur innocence, sans faire surgir
la question de savoir s'il faut au nom de la morale risquer l'ordre
m êm e où la m orale trouve ses conditions (p. ex. l'existence d'une
patrie ou d'une civilisation où 4a m orale naît et fleurit), s'il ne faut
pas, au contraire, faire du m al au m al (p. ex. lim iter la liberté e t le
droit de ceux qui profitent de la liberté pour l'étouffer <)> ce qui
ne serait pas s'attacher au Bien inconditionnellem ent ; ou enfin si
l'hypocrisie n’est pas la seule conciliation des attachem ents désor­
mais antagonistes au Bien et au Vrai.

<59>b

L’ontologie de la guerre aboutit auss^ à la paix mais à la paix de


l’em pire - à la totalité.

<60>c

Les formes des choses rem placent les choses dans le jeu des
enfants : les jouets sont des fausses choses m êm e quand ils fonc­
tionnent - ils sont arrachés à la finalité. Illusion. E t cependant les

a. Rédigé sur le verso vierge et le recto imprimé d’une carte d’invitation (1959).
b. Rédigé au verso d’un faire-part de mariage (1959).
c. Rédigé au verso d’une carte d’invitation (1955).
404 Carnets de captivité
formes c ’est ce que m on tren t la peinture e t la sculpture. Elle* n’est
pas cependant fabrication de jouets e t d ’illusion. La fo rm eest-elle
visage ? U n m onde sans peau ? E n to u t cas le visage est une forme
qui ouvre l’intérieur — qui p erm et d ’accéder. U n m e n é

<6l>b

V oir le visage — e t donner*.

<62 >

Obscène - l’am our tel que le font les autres.

Il est m o rt — cela veut dire jamais il ne sera m on ennem i.

<63>d

M ots précieux
O stentation con tact et tangence
A ttirail — <Zeug ?>
O bruption6
Synecdoque battologie
Anaphylaxie
intrication
E n tra c te im pétuosité
Saisissement être capté, longueur d ’onde — pour accès
Allergie

a. Il s'agit sans doute de la forme.


b. Rédigé dans les marges du recto imprimé d'une carte d'invitation (Î959).
c. On lit aussi « visage - donner » en travers de la marge de gauche. Ce feuillet a été mal classé
ou déclassé ; il indiquait sans doute le thème des notes 169 à 177.
d. Rédigé au verso d'une carte d'invitation (1956).
e. Ne faut-il pas plutôt lire « abruption » ?
Notes philosophiques diverses 405

L'opération de la grâce
La foi opère des miracles
O pérer le salut
La grâce a opéré dans son ‘âme

Totalité X" ^ Religion

synoptique
osculation

<64>a

La décence

La pensée visuelle à la place de l'audition - est une mystifica­


tion.
Mais le masque = origine jdu décent. Les relations décentes
sans l’aiguillon de la honte. Êtres ayant suspendu leur origine
— l'inconscient, l'ineffable, l'érotique.
A pparition de la civilisation. la n g a g e neutralisé.

La neutralisation n'est pas contem plation - e t distance à l’égard


des êtres, mais habillem ent des êtres.

<65>*

é co u te r (N égativité)

J-a négation pour m oi n ’est pas la projection, majs le m ode


m êm e dont <sic> le m oi pense en excluant l'activité - c'est-à-
dire en s'écoutant.

a. Rédigé au verso d‘une carte d'invitation (1955).


b. Rédigé au verso d’une carte d’invitation (1953).
406 Carnets de captivité
<66 >

L'Expression n'est pas une actualisation quelconque


L'expression ne se réduit ni à un besoin de com m uniquer sous le
prétexte que m on intérieur est dur à porter, que je suis extérieur*
à m oi-m êm e et ne m e deviens supportable qu'extériorisé —ni à l'ac­
tualisation de mes puissances, au passage de la puissance à la c té ,
m on intériorité étant comprise com m e germ e à <sic> s'épanouir.

< 67 >

Langage11

<68 >

Paysan - existence conditionnée, mais condition contem poraine


du conditionné « terre.

O uvrier - marchandises - argent - l'A utre.

<69 >

La <véfk é ?c> {volonté} n’est pas Entschlossenheit10, mais bonté.

<70>

Dans l’art de B lanchot la réalité devient vraim ent fantom a-

a. Ne faut-il pas plutôt lire « intérieur » ?


b. Indique sans doute le thème de noces qui ont été mal classées ou déclassées. Il peut s’agir
notamment des notes 92,163,181,227 et 239*
c. « <vérité ?> >► en surcharge de « volonté ».
Notes philosophiques diverses 407

tique alors que dans le rom antism e les fantômes apparaissent dans
un monde à contours réels.
Influence des « M ystères » de H am sun, du « P ortrait >► de
G ogol, « N evski prospect » ?
La réalité se déroule com m e un rêve. La fluidité des choses et
d e l'espace. Les paroles ex les gestes .frappent, mais non pas par ce
qui est frappant en eux.

< 7 1 > ft

C 'est dans une philosophie qui part <du> travail et des néces­
sités de la vie m atérielle qu'il y a com plet accord avec soi - une
synthèse de tou t. D ire que toute m a vie spirituelle sort du travail
et de m on existence m atérielle - c'est éviter le dualism e des spiri­
tualistes qui font sim plem ent la part de la m atière — hypocrisie.
Le socialiste seul est entièrem ent d'accord avec sa vie, avec sa
pensée.

M arquer l’im portance du travail dans toutes les thèses sur d 'i n s ­
tant ?> et les perspectives socialistes.

N e pas poser l’équivalence entre instant e t m oi. Le m oi instant


+ espoir pour l'instant.

Souligner dans la prem ière partie.: être se doublant d'avoir - fata­


lité de l’il y ab.

Rappeler pour <prouver ?> m oi - soi - M olière, U A vare.

a. Feuillet arraché d‘un cahier d’écolier, manuscrit recto.


b. Il s’agit probablement de la première partie de De iexistence à Pexistant, qui souligne effecti­
vement ce point. L’ouvrage a été écrit en partie pendant la guerre et a paru en 1947, ce qui permet
de dater approximativement ce feuillet.
408 Carnets de captivité
<72>

La transcendance - relation de la créature-au Créateur, n'est pas


tem porelle, car l'histoire est toujours im m anente au sûjet m êm e
quand elle déborde les souvenirs ; reprise du passé dans la répé­
tition , contem plation adm irative du m ythe ou.du héros est à m a
mesure. Le sujet = possibilité d adapter à sa m e s u r e r vision.
Elle est la transcendance du Discours où le C réateur n'est pas
repris, mais reste en dehors de la reprise car toujours il parle.
Relation avec le Créateur — fin du subjectivism e. Le M oi créé
= n'est plus Sujet.
A udition - n’est pas une m odalité de la vision.

<73>a

O rigine - création

Le m oi de la vision — est dehors.


Mais il est dans un lieu et, par conséquent, conditionné. La vision
n'est pas à l'origine.
Créateur - origine inconditionnée.
Si le moi est créature, le C réateur peu t-il être M oi ? Q uel rapport
entre créature et C réateur ? Si le C réateur est en M oi —panthéis-
tiquem ent — la vision s'érige en origine. Q uel est le rapport entre
créature et Créateur, sinon social, rapport avec une extériorité:
Le reflet du Créateur dans la créature <en/du ?> m oi - dansb une
monade - est panthéism e.
Le m oi créé n’est pas une monade.

a. Rédigé au verso d’une carte d'invitation (1959).


b. « dans » en surcharge de « est ».
Noies philosophiques diverses 409

<74>

Théorie de la connaissance

Pas opposition de concept et d ’expérience, mais d ’entendre


(trad ition, m aître) et voir.
La lum ière est m aîtrise, mai$ ôn n ’est jamais soi-m êm e m aître
dans la lum ière silencieuse, possibilité du <dol ?> . L’expérience
doit se rapporter à l’audition d ’p n enseignem ent (car le concept et
l’idée sont {déjà} une interprétation visuelle de l ’audition).
h erp i

<75>

V érité scientifique suppose la réalité com m e architecture. —


Des choses qui se com portent d ’une certaine façon. Le faire — ce
q u ’on ne trouve pas dans l’architecture ou ce qui est dangereux si
on. y m et l,a m ain çn ignorant com m en t les choses sp com portent.
V érité = il ne faut pas jouer avec le feu, danger de^mort (sens
dernier de la réussite pragm atiste). V érité philosophique - pas de
danger de m ort - sinon indirectem ent : bûcher de l’inquisition.

<7 6>

La pensée de l’origine - c ’est la tradition.


J e ne dis pas que le contenu transm is sur l ’origine est la vérité
sur l’origine.
La vérité sur l’origine - la relation avec l’origine = accueil^d’un
enseignem ent.
V érité n’est pas ici adaequatio rei ac intellectus - mais trad itio n .
V érité = sim ultanéité.
Se débarrasse* de la vérité = dévoilement.

a. Il faut sans doute lire « débarrasser ».


410 Carnets de captivité
Le dévoilem ent, la découverte11 doit apparaître sur la pointe
d ’un événem ent plus profond.

<77>b

Sim ultanéité = vérité = enseignem ent.


Le m aître a reçu d ’ùn m aître au-delà du souvenir et cependant
le reçu est présent par le m aître. Sim ultanéité du successif. La
pensée de l’origine - Îa relation avec l’origine, c ’est l’accûeil de là
tradition, de l’enseignem ent.
Ce n'est pas à partir du présent que je m e projette (protestan­
tism e), mais à partir du m aître qui est à sa façon et m êm e par
excellence <le ?> présent.

<78>c

Sim ultanéité et vérité


Sim ultanéité = triom phe rem porté sur la fatalité de l’instant
- une transcendance dans l ’instant lui-m êm e.
C ontem porain de soi-m êm e - l ’instant est accom plissem ent de
soi : m oi.
Mais si sim ultanéité tien t à la tradition — à la présence de
l’autre - le m oi n ’est possible que par l’autre. Il n'est jamais seul.
Quel A utre ? M aître - D ieu.

<79>

Sim ultanéité et tem ps


Sim ultanéité = ne pas être hors du tem ps — m ais surm onter la
non-souveraineté de la créature (vouloir e t prière).

a. Les quacre dernières lettres de ce mot ainsi que tout ce qui suit sont écrits au stylo plume à
encre noire ; tout ce qui précède est rédigé au stylo plume à encre bleue.
b. Rédigé au verso d’une carte d’invitation (I960).
c. Rédigé au verso d’une carte d’invitation (I960).
Notes philosophiques diverses 411

L'instant présent est susceptible de contem poranéité. Deux


aspec ts
D eux aspects : le fait qu'un instant de suprême individuation
peut recéler un événem ent de contem poranéité, -est dom ination
du tem ps par la pensée et suppose un être non créé.
Si le fait prem ier est inconscient - l'ineffable - que peut signi­
fier le fait de se placer dehors ?
Il faut renverser les term es : ce n'est pas l'extériorité qui est
condition de la sim ultanéité, mais sim ultanéité condition de
l'extériorité. La sim ultanéité fonde l'a c c o rd e t non pas l'accord la
sim ultanéité.

< 80 >a

Le fait prem ier de la conscience n’est pas l'extériorité par


rapport au tem ps, mais la sim ultanéité.

Il reste toujours à m ontrer en quoi la sim ultanéité de la fable


fonde la sim ultanéité du nous.

< 81 >

La sim ultanéité de la fable - suppose


1 1) soit l’extériorité par rapport au tem ps
2 ) soit la perm anence à travers le tem ps qui est encore de
l’extériorité
3) soit la continuité du tem ps
H istoire heideggerienne ?

a. Les crois notes qui suivent sont rédigées sur crois fiches d’emprunt de la Bibliothèque de
1*Alliance Israélite Universelle. Levinas emprunte, le 20 mai 1955, le TraitéKiducbin du Talmud
de Babylone ; ce même craicé, en allemand ; enfin, Halakbot Rav Alpas.
412 Carnets de captivité
<82>

La façon dont le successif peut être sim ultané sans que l’on s’a c ­
croche à un infini, à un parfait.

<83>a

Sim ultanéité -
U n goû t d ’absolu en elle.
Toute négation de la vérité est impossible car elle affirme-une
vérité - d'où privilège de la vie intellectuelle et de la raison. A n ti­
intellectualism e, retourne en intellectualism e. Énoncer une vérité
dans le tem ps, c ’est se placer en dehors du tem ps. A uto-divinisa­
tion - anticréationism e — athéism e.
A nti-intellectualism e = englué dans le tem ps, incapacité
cfan e de saisir la sim ultanéité du successif. Mais la conscience;
sans se placer hors du tem ps, ne peut-elle pas rendre sim ultané
le successif ? En le narrant. Par la fable. Ê tre conscient = est la
fabulation de la succession. Le réel = le « fable ».

<84>b

<f. 1 recto > Fable suppose création et parole.


La vérité et son absolu déduit, non pas du pouvoir, mais de la
Création (< x x x > ?) et surtout de la révélation : entendre la fable.

<f. 2 recto > Sim ultanéité = coïncidence avec soi = vérité

a. Rédigé au verso d’une carte d’invitation (1955).


b. Rédigé sur certaines pages d’une carte d’invitation (datée de 1954) comportant trois volets
qui se plient l’un sur l’autre, et que Levinas a en outre pliée une nouvelle fols, de sorte que l’en­
semble forme six feuillets.
Notes*philosophiques diverses 413

A u tre manière qtxe la fable ^ désir (besoin) ; faim , soif. Toujours


sait ce q u ’il veut, rien ne'le masque.
Dans le désir - d an ssa smcéripé, je suis m on propre contem porain.
Sincérité ? E t l’inconscient ? D errière la sincérité du désir et de sa
vérité : création et fécondité.

<f. 3 verso> D u besoin - on peut passer à la sim ultanéité de la


civilisation, et par là seulem ent à la notion de vérité.

<f. 4 recto > La sim ultanéité — im plique le donner. Ê tre ensemble


-7 se donner (et noi\ pas coexistence formelle, pour un tiers).
D onner com m e conditiqn de l’avenir.
Sexualité
fécondité

<f. 6 verso> Ju stice com m e parachèvem ent de l’hum anité et de la


création. Au-dessus de la chàrité. Elle m ’englobe.

< 8 5 >*

L ap aro le prophétique — la rupture avec sa condition, le contenu


d it soustrait à toute psychanalyse, à toute condition sociale, à
toute position particulière.

<86>b
JLa relation de la parole - celle qui fait sortir de l’ordre de l’in­
carnation ; tou t.acte se déroule dans un corps et va sur la m atière.
Dans la parole - qui part d ’un corps - se révèle une idée séparée
de son incarnation. La parole est dans ce sens principe de l’abs-

a. Rédigé au verso d’une carte d’invitation (1956).


b. Rédigé au verso d’une carte d’invitation (1958).
414 Carnets de captivité
traction. La parole est donc la vraie façon pour D ieu de se révéler.
L’incarnation est aux antipodes de la révélation.
L’hom m e ju if - est celui qui sait parler à D ieu com m e il existe
des hom m es qui savent parler aux femmes.

<87>

La m aïeutique elle-m êm e qui n’enseigne rien a pour but d ’as­


surer le passage du propos solitaire tenu sur quelque chose à l’in­
terpellation de celui qui est en face. Elle est donc enseignante
- elle fait sortir de la rhétorique vers l’expérience par excellence
— celle du M aître. Elle enseigne l’enseignem ent.

<88>a

La prédom inance de la loi orale sur la loi écrite — c ’est la préém i­


nence de la société interpersonnelle sur l’institu tion .

<89>

La musique com m e éternisant les instants - leur p erm ettan t


d ’être pour eux-m êm es — suspendant le tem ps, m arquant les
époques — solennisant.
Solennel = éternisé.

<90>

R apport entre le m ot et la m étaphysique. Le m o t est essentiel­


lem ent m étaphore - il porte l’être au-delà de lui-m êm e.

C f. m eta
nostalgie

a. Rédigé au verso d’une carte d’invitation (1955).


Notes philosophiques diverses 415

<91>a

D istinction entre travail et com m andem ent.


Parler, n ’est pas travailler puisque l’acte porte ici sur la résis­
tance absolue. Celui dont le « travail » consiste à com m ander
a une dignité supérieure parce que son acte est plus com plète­
m en t acte.

<92>b

L’événem ent du langage

H egel : parler, c ’est se m ettre d ’accord avec l ’autre sur le terrain de


l’universel. L’individualité est surm ontée dans la pensée univer­
selle qui s’adresse à n’im porte qui parce qu’elle est universelle.
L’interlocuteur et m oi-m êm e, c ’est ce qu’il faut surmonter.
M aïeutique : s’affranchir de soi.
Blanchot : Le langage se situe avant le rapport avec autrui — dans
une étrangeté de soi à soi.
Moi : Le langage — c ’est YAnsprachen — l'inyocption. La reconnais­
sance d ’autrui com m e tel - L’enseignem ent qui n ’est pas m aïeu­
tique.

<93>c

Intentionnalité n’est pas recherche de lum ièred

a. Rédigé au verso d’une carte d’invitation (1959).


b. Rédigé au verso d’une carte d’invitation (1953).
c. Rédigé au verso d’une carte d’invitation (1959)-
d. Indique le thème des notes 94 à 97 qui suivent.
416 Carnets de captivité
<94>a

La polarité
de toute intentionnalité. M êm e affective ou active.
D ieu en
dehors
de la polarité.
K an t a rendu possible l'idée d'une conscience sans polarité, en
m ontrant une conscience constituant l'objectivité de l'objet, par
synthèseb.

<95>c

L'intentionnalité qui ne va pas à la lum ière.

<96>

Toute l'opposition à H eidegger ne tien t qu'à la contestation de la


prim auté de la vérité = le fond de toute relation n'est pas révéla­
tion . Ce que H eidegger d it : que m êm e la technique est une façon
de m ettre en lum ière, que to u t s'interprète com m e dévoilem ent -
c'est cela qu'il faut m ettre en doute. M ener les analyses co m m e
sans chercher dans l'intentionnalité une recherche de lum ière.

<97>d

Le thèm e général : le rapport entre étants précède la vérité


qui est foncièrem ent impersonnelle et par rapport à laquelle les

a. Rédigé au verso d’une carre d’invitation (1959).


b. « La polarité » ainsi que « Dieu en dehors de la polarité » sont écrits au stylo bille à encre
bleue. Le reste, rédigé en plus petits caractères, est au stylo plume à encre noire.
c. Rédigé au verso d’une fiche d’emprunt de la Bibliothèque de l’Alliance Israélite Universelle.
Levinas emprunte, le 3 juin 1959, Der Schulchan-Aruch, édité par D. Hoffmann.
d. Rédigé au verso d’une cane d’invitation (1959).
Notes philosophiques diverses 417

personnes sont des ombres. V raim ent respect de la personne,


derrière laquelle il n'y aérien.
Théorie : parce que les personnes doivent rem onter de la vérité
aux rapports de justice.

<98>a

Philosophie et religionb

<99>c

Il faut faire du m énage pour faire du ménage - il faut être volonté


pour se constituer une volonté - C 'est précisém ent le niveau de la
volonté opposé à causa sui.

<100>d
< recto > « Ce qui distingue avant tou t la race humaine de
la race anim ale, c ’est précisém ent que l’hom m e a la faculté et
le pouvoir d ’exploiter l’hom m e. O ui certes et heureusement,
l’hom m e défriche son semblable com m e il défriche une terre.
N ous nous exploitons tous les uns les autres ; la nature elle-m êm e
nous exploite et nous exploitons la nature. »
Salvador, Paris, R om , Jérusalem , Tome II, p. 2 7 0 / 7 1 11.
Il fait ensuite la différence entre l’exploitation féconde et stérile.
r

a. Rédigé au verso d’une carte d’invitation (1959).


b. On lit aussi « philo, et religion » en travers de la marge de gauche. Thème des notes qui
suivent, 101 à 107 (excepté les notes 99 et 100, qui sont probablement mal classées).
c. Rédigé au verso d’un faire-part de mariage (1949).
d. Rédigé sur le côté vierge ainsi que sur le côté imprimé d’un faire-part de fiançailles
(1953).'
418 Carnets de captivité
<verso> La chose est plus sérieuse. Seul l'hom m e exploite
l'hom m e —il ne s'agi Ce qui est vrai, c est que l'hum ain com m ence
avec cette possibilité — E n quoi consiste cette possibilité ? Pas
seulement l'utilisation d'un outil. Présence en face d ’un absolu
non héroïque, capable d'ém otion (volonté non héroïque). Volonté
non héroïque : ém otion opposé causa sui : à <3
bbbé lien -avec en >
lu tte avec l'ém otion - corruptible et non pas m ortelle (ou corrup­
tible parce que m ortelle ?).

<101>a
À m on trer com m en t la notion religieuse (chrétienne) dé D ieu est
nécessairement m ythique et idolâtre. D ieu et idole coïncident.

< 102 >


La substitution de D ieu à l'être en général dans la m étaphysique
aristotélicienne n'est-elle pas le triom phe de la métaphysique sur
l’ontologie - interpellation derrière la thém atisation.

<103>b

Postériorité de l'ontologie

Q ui est celui à qui on peut poser une question.


Le visage et autrui sont donc impliqués dans la nature m êm e
de la question et non par le Sein neutre devenant soi-disant É tan t
uniquem ent <en> raison d ’une certaine tournure du dévoilem ent.
Toute m anifestation répond à la question q u'est-ce m ais a déjà

a. Rédigé au verso d'une carte d’invitation (1953).


b. Rédigé au verso d’un imprimé probablement daté de 1956.
Notes philosophiques diverses 419

rep e celui à qui on pose la question s’est déjà présenté. Q ui aussi


fondam ental que le quoi.

<104>

Le seul contenu de la révélation, c est la révélation m êm e : la


présence de l’A utre.

< 1 0 5 > ft

L’athéism e s’oppose à l’idolâtrie - il n’est pas l’antithèse mais la


condition de la religion.

<106>b

L’il y a empêche la dom ination par l’acte. C ’est pourquoi la


philosophie est le seul point de vue absolu. Il n ’y a pas de m aîtrise
absolue - La religion seule la donne. E t la philosophie dans <la/
le ?> < xxxx> .

<107>c

Ce qui ne peut se m anifester à un A utrui hum ain


mais a une portée considérable pour m oi-m êm e
Vie religieuse.

a. Rédigé au verso d’une carte de voeux (1955).


b. Rédigé au verso d’une carte d’invitation (1953).
c. Rédigé au verso d’une carte d’invitation (I960).
420 Carnets de captivité
<108>a

A Ilergieb

<109>c

La violence - quand on ag it com m e si Ton était seul ? N on il


faut un autre — et un autre qui est liberté. La violence suppose la
dualité. Ê tre seul - ni libre, ni non libre.
Mais violence suppose une volonté non héroïque - Volonté non
héroïque constituée par la possession.

< 110>

L’hom m e est D ieu pour l’hom m e.

< lll> d

É ric W eil : Il n’y a pas de liberté tan t q u ’il y a un autre qui la


lim ite.
Moi : Il n ’y a de liberté que tant q u ’il y a une autre liberté par
1a à l’égard de laquelle je suis libre. Mais autre com m e visage et
com m e tiers.

< 112 >

Lois I, 6 2 6 a
Clinias

a. Rédigé au verso d'une carte d’invitation (1958).


b. Indique le thème des notes 1Q9 à 114. « Allergie » signifie, dans la pensée de Levinas, la
violence, la guerre, auxquelles s’oppose la relation éthique avec l’altérité.
c. Rédigé au verso d’une carte d’invitation (1954).
d. Rédigé au verso d’une carte d’invitation (1954).
Notes philosophiques diverses 421

« Il y a toujours, pour tous les É tats contre tous les É tats, un état
de guerre, non proclam é par la voix du héraut ! »
« R ien de tou t le reste, n i biens de fortune, ni occupations, n’est
d ’aucurle u tilité, à moins <en sbm m e> que l’on n ’ait le dessus par
la g u e rre .. : 6 2 6 b 12.

<113>a

La lim itation et l’opposition logique ne sauraient être" identifiées


avec* la violence que si le term e qui est lim ité ne rentre pas dans
sa définition, déborde par conséquent son concept — est identique
au trem ent que par son concept. U n être qui rentre dans sa défi­
nition est précisém ent celui qui est par sa définition et s’intégre
dans la totalité (m ode d ’être que l’on peut appeler participation).

< ll4 > b

Clinias
« Dans la vie publique, tou t hom m e est pour tou t hom m e un’
e n n e m i'e t... dans la vie privée, chacun, individuellem ent, en est
un pour lui-m êm e », 6 2 6 d 13.

< 1 1 5 >c

Tempsd

a. Rédigé au verso d’une carte d’invitation (1954).


b. Rédigé au verso d’une cane d’invitation (1955).
c. Rédigé au verso d’une carte d’invitation (I960).
d. Indique le thème des notes 116 à 118.
422 Carnets de captivité
<116>‘

<recto> Ainsi le tem ps - c'est le fait que to u t {in stan t} est


encore avant (pas encore l'essentiel) - que tou t instant est inten­
tion d u n accom plissem ent - que tou t être est jouissance qui elle-
m êm e est encore un avantb.
Par conséquent le tem ps vécu com m e « avant » —ITITIID 14—
est une individuation, une ipséification : la perm anence au sein
du changem ent - il s'agit toujours du m êm e - c'est le m êm e
bonhom m e pour qui l'instant passé n'est pas passé, n'a pas sombré
dans l'indifférence. D ieu ici est donné dans ce sentim ent qu'on est
avant — çj^H Î y a la Transcendance <verso> qu'on est en société
— qu'on est par la totalité de l’être -

<117>

Le rapport des instants du tem ps entre eux — doit être assez


intim e pour espérer non pas une « com pensation » pour le
présent, — ce qui n'est pas possible car com m ent une larm e p eu t-
elle être oubliée, m êm e si elle est effacée ? - , mais une répara­
tion du présent lui-m êm e : c ’est cela le caractère provisoirç de,
la vie d ’ici-bas : le présent vécu com m e non achevé sans* l’avenir.
Le présent n ’est pas encore l'ê tre . La foi est ainsi une expérience
du tem ps et non pas sim plem ent un espoir. O u p lu tôt elle est un
espoir pour le présent.

<118>c

Le tem ps est condition de conscience précisém ent parce qu'il


décompose l'être en deux actes - Le prem ier est un acte qui n ’est

a. Rédigé sur la page vierge ainsi que sur la page imprimée d’une carte d’invitation (1955).
b. Ce paragraphe est barré par une croix de Saint-André.
c. Rédigé au verso d’une carte d'invitation (1955).
Notes philosophiques diverses 423

pas encore entièrem ent être® — la structure du temps —ce par quoi
il est foi - c ’est que nous sommes toujours dans le THmD (anté­
riorité).
Mais par là aussi le temps est condition de la conscience com m e
jouissance —par là il y a le « surplus d ’être » qui est bonheur.

<119>

Séparationb

<120>c

La séparation ? Après la guerre 1 9 3 9 - 4 5 , aller en vacances.

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15:пулл лапа оггаа ал1? awip

<121>d
Maisons*

a. Tout ce qui précède et qui occupe les quatre premières lignes de ce feuillet manuscrit est
barré par une croix de Saint-André.
b. Indique le thème de la note suivante.
c. Rédigé au verso d’une carte d’invitation (1959).
d. Rédigé au verso d’une carte d’invitation (1956).
e. Indique le thème de la note suivante.
424 Carnets de captivité
<122>a

Loger dans une ville - passer de l'habitation dans la nature à une


présence dans un espacé géom étrique. La ville et le désert —dénu­
dent-ils l'hom m e ?

<123>

Économ ieb

<124>c

L’activité économ ique n’est pas le plan prélim inaire au-dessus


duquel se joue l'activité spirituelle - le rapport économ ique est
déjà le rapport spirituel parce qu'autrui n'est en rapport avec m oi,
ne se tourne vers moi que com m e misérable, com m e exploitable.

<125>d

Économ ie - structure de la création


Le m oi n'est ni sujet, ni am our par lesquels il tiendrait l'être.
Le dialogue ne résume pas la société - parce qu'il n'englobe pas
le tiers.
La condition d'un m oi dans le monde ne se définit ni par sa stru c­
ture de sujet —pensant le m onde com m e objet - ni par sa struc-»
ture d'être aim ant choisissant un être mais oubliant les autres.
Le m oi se définit par la justice. Le rapport entre hom m es - ne
va pas de moi à toi, mais passe par eu x. Ce rapport avec eux,

a. Rédigé au verso d'un morceau de faire-part de mariage (1959).


b. Indique le thème des notes 124 et 125.
c. Rédigé au verso d’une note d’honoraires de médecin (1950).
d. Rédigé au verso d’une carte d’invitation (1958).
"Notes philosophiques diverses 425

n'est’ possible q u'à travers les relations économiques — à travers


lesquelles les* hom m es constituent une totalité - et à travers
laquelle lé vrai rapport de moi à toi - qui est reconnaissance mais
aussi com m andem ent de sérvir - devient seulement possible.
L'hommef n'aborde un autre de face que potir une œ uvre.
Dans ee sens le moi - liberté infinie - se réfère déjà à du préexis­
tan t, est créature : l’être n’est pas transparent au M oi qui, en tant
qüé Moi est cependant libre.

<126>

Le présent8

<127>

R ançon de la lum ière : solitude - retour du m oi à soi.

< 128>

< recto > Le présent est contentem ent. N on pas que tout soit satis­
faisant dans cette présence et dans ce présent de la représentation.
Mais le besoin et la souffrance - dans le défaut où ils se tiennent -
anticipent une plénitude de choses à venir ou à réaliser - un progrès.
Le monde conserve sa plénitude, m êm e s’il lui-manque quelque
chose présentement. Des choses vont suppléer aux choses grâce
à nos pratiques, à nos opérations techniques, médicales, politiques
ou religieuses. Des choses soutiennent des choses com m e les trois
éléphants qui portent la terre sans que l'on ait à se demander qui
soutient <ces/les ?> éléphants. Des choses fondent et expliquent les

a* On lit aussi « présent », en travers de la marge de gauche. Indique le thème des notes 127
et 128.
426 Carnets de captivité
choses - la représentation est positiviste. Elle est, auprès des choses
mêmes, étrangem ent indifférente à leur principe, elle se com plaît
et se contente dans l’horizon du présent. La représentation est cette
complaisance m êm e, cette jouissance dont le contentem ent ^est la
règle. Se représenter c ’est jouir ou opérer - ce n’est pas penser. La
représentation n’est pas compréhension, car elle vide le présent ou
elle immobilise l'objet, de cette m onstruosité qu’est l’im plicite. Le
passé et l’avenir ne sauraient apparaître en lui que com m e représen­
tations de l’avenir et du passé. < verso> Sans traverser la série infinie
du passé à laquelle se réfère cependant m a journée d ’aujourd’hui, je
goûte cette journée en toute réalité et tiens m on être m êm e à partir
de ses instants fugitifs. K ant en m ontrant que l’entendement peut
poursuivre son oeuvre théorique sans répondre à la Raison, a mis en
lumière l’éternelle essence du réalisme empirique qui se passe d ’un
principe inconditionné.

<129>

N éan t et A u tru i“

<130>

Toute m a philosophie consiste à substituer au néant, à la néga­


tivité, à la néantisation — l’apparition d ’autrui.

<131>

D ésirb

a. Indique le thème de la note suivante.


b. Écrit une seconde fois, en travers de la marge de droite. Le feuillet, qui indique le thème de
certaines notes, a sans doute été mal classé ou déclassé. Il faut certainement y rattacher les notes
136, 137,139.
Notes philosophiques diverses 427

<132>a

P ou r les abeilles - intégrées dans le monde in s tin c tif - tout


ce qui vient de notre m on de^ st m iracle, car intraduisible en leur
langage et cependant agissant. U niversalité — monde sans miracle.
M iracle n’a de sens que dans un monde fermé. M iracle com m e
traduction de la transcendance. Toute transcendance'm arquant
une lim itation de l ’im m anence - im plique m iracle. {La notion du
présent - donné mais non pas intégré - m iracle ou visage.}

<133>

L’enseignem ent suppose l’idée d e l ’infini en nous — la possibilité


pour un esprit d ’avoir plus que ce qui peut venir de lui. C ’est ce
que Descartes d it : D ieu a m is en nous l’idée de l’infini. Contre la
m aïeutique.

*134> b

Le visage - l’hum ain - est à la base de la caricature. Il n’y a de


caricature que de l’hum ain. De m êm e la sublim ation suppose
visage.

<135>

L e rapport avec l’Infini dans trois directions :


Ê tre tou t - Fraternité - Société
Sortir de. soi — fécondité — <Im m ortalité ?>
Ê tre à l’origine - Créateur - Surm onter la honte d ’être

a. Rédigé au verso d’une carte d'invitation (1954).


b. Rédigé au verso d’une carte d’invitation (1955).
428 Carnets de captivité
< 136>
D ésir
Le désir d it-on est un besoin conscient de son b u t objet.
Pau Mais cette « conscience de son objet » - n est-elle pas'précisé-
m en t attitu d e àd’égard* de ce qui reste vierge dans le désir ? C ’est
la conscience du but qui est l’im possibilité de la satisfaction ou
p lu tôt : l’im possibilité de la satisfaction est conscience.

<137>a

I. Le D ésir est le propre d ’un être co m p let. L’am our n ’est pas
pouvoir - ni réalisation de possible, ni puissance contre ce qui m e
heurte - marques de l ’incom plet.
IL Le retour de m oi à soi - vieillissem ent et ennui - caractérise
l ’être des pouvoirs issu de la position.
III. Le Désir est Désir du D ésir et, par là, paternité.
IV. Le Moi du D ésir - en tant que M oi devant le Tendre - n ’est
pas- le com m e suscité par l’A utre. D écrire ce M oi qui est avant
tout soi-m oi de la bonté.
V. C om m ent Le visage est-il fondé dans la' fécondité ? ÜEros
suppose A u tru i. {Le fém inin - le visag e synthèse-du visage et de
la fécondité.} Mais la m oralité ne peut s’opposer à l’histoire que
si elle peut contester une fin de l’histoire — fécondité est exigible
dans la relation avec l’A utre.

<138>b

« Toutes passions qui se laissent goû ter et digérer ne sont que


médiocres » , M ontaigne, 3 3 , (La P léiad e)16. ’*

a. Rédigé au verso d'une carte d’invitation (1957).


b. Rédigé au verso d'une carte de membre adhérent (au nom de E. Levinas) à l’Association
Consistoriale Israélite de Paris (1954).
Notes 'philosophiques diverses 429

<139>*

D ésir - désir de F A utre - appel au désir de F A utre - prophétie.


Prophétie - p réd icatio n : engagem ent d ’autrui pour un tiers
(et non pas pour une valeur !). O n est au moins trois dans la
prophétie.
La parole est prière ou prophétie.

<140>

Apologieb

<141>C

Ti O n n ’est libre que dans un monde où l’on peut accuser et


juger.

<142>

La volonté ne se définit pas pour m oi par F « être de soi » - mais


co m m e une apologie — un discours avec autrui, en appelant à son
jugem ent, mais se justifiant, ni l’élém ent « subjectif » de la
justification, ni l ’élém ent o b jectif du jugem ent ne sauraient être
effacés. Aussi celui qui juge n’est-il pas extérieur à ce jugem ent
- car alors il n ’entendrait pas l’apologie - Il est l’interlocuteur
— à la fois infiniment autre et en relation.

•a. Rédigé au verso d’une carte d’invitation (1954).


b. Écrit une seconde fois, et alors souligné, en travers de la marge de gauche. Indique le thème
des notes 141 et 142. C / supra la note 18 qui indique le même thème et qui est écrite, comme
la présente note, sur un volet déchiré d’une carte d’invitation double provenant de l’Union des
étudiants juifs de France.
c. Rédigé au verso d’une carte de vœux (1954).
430 Carnets de captivité
<143>
Pluralisme*

< l44> b
La société en tant que instituant l'ordre où se concilient 1’être-
un-autre, avec l'être-le-to u t, avec la séparation du m oi —est l'ordre
de l'être par-delà la sphère im m obile de Parm énide.

<145>C
C 'est par le tem ps que devient possible une relation telle que
l'union et la séparation de ses term es ne se fasse plus écho - et
que le pluralism e ne soit ni une m u ltip licité de term es isolés, ni
une m u ltip licité de parties dans un tou t. Le tem ps va à la m o rt,
mais se retire de la m o rt qu'il ajourne. Il est refus de la totalité où
cependant il conduit l'être séparé (volonté) ; il refuse la totalité où
il conduit l'être séparé par l'avenir de la fécondité.

<146>
É crit et Orald

a. Écrit une seconde fois, en travers de la marge de droite. Indique le thème des notes 144 et
145.
b. Rédigé au verso d'un faire-part de mariage probablement daté de 1958.
c. Rédigé au verso d'une carte d’invitation (1954).
d. Écrit une seconde fois, et alors souligné, en travers de la marge de droite. Indique le thème
de la note qui suit.
Notes philosophiques diverses 431

< l4 7 > a

Toute liberté d oit s'objectiver par des actes particuliers avant


que son but final ne se réalise. Cela est vrai, aussi du langage qui,
dans la fixité de l‘écrit, trouve le m om ent indispensable de. l’arrêt
qui le rend libre. N ous ne voulons donc pas insister sim plem ent
sur le fait que, dans l ’écrit, le parler devient chose durable et
à tous accessible, mais sur ce que le fait de devenir une quasi-
chose tient à l'événem ent du langage en tan t que précisém ent il
est une activité libre.
Voilà le rapport formel entre l’écrit et l ’oral.

<148>

L a m o rtb

< 149>

L’u tilité est absurde puisqu’on m eurt. Il n’y a d 'u tilité que
relative — pour un tem ps.
L’absolu est l’instant privilégié - ou vie éternelle — ou ce qui
est extérieur à m oi.

<150>

La m o rt est surm ontée dans une société m ilitaire qui place


l’honneur au-dessus de la vie. R espect de la personne à l’origine
de la tragédie de la m ort.

a. Rédigé au verso d'une carte d'invitation (1954).


b. On lit aussi « Mort » en travers de la marge de gauche. Indique le thème des notes 149.
150, 153 et 154. Les notes 151 et 152 ont peut-être été mal classées ou déclassées.
432 Carnets de captivité
<151>

La nudité du visage com m e condition de la nudité de la misère


et de la nudité obscène. Voir une personne sans la voir com m e
particulière - ce n'est pas voir son concept.
— s’adresser à elle au-delà de sa particularité et de sa généralité
— être en com m un avec elle.

< 152>

< recto > Le visage — est l’en soi au m ilieu d ’autres hom m es. Il est
la société oùa à côté du je-tu —existe le il. C ’est pourquoi le visage
est parole — il parle du troisièm e hom m e —e t
Parole à . .. et parole d e ... quelque chose et de quelqu’un. —Ju s te ­
m ent le contraire de l’am our — société à deux — silencieuse.
< verso > La parole pour tous — expression — enseignem ent —

<153>b

Dans la volonté, sim ultanéité d ’une fidélité et d ’une trahison :


trahison par l’oeuvre dont s’em pareront les autres, fidélité à soi
dans le sentim ent d ’être incom pris.
La m ortalité réunit cette contradiction — Elle s’accom plit par
le corps qui se tien t entre santé et maladie.

<154>c

La m o rt est violence - m a i s son étreinte est toujours fu tu re


com m e un chatouillem ent interm inable où le co n tact n ’est jamais

a. « où » en surcharge de « Je ».
b. Rédigé au verso d’une carte d'invitation (1957).
c. Rédigé au verso d’une carte d’invitation (1959).
Notes philosophiques diverses 433

continu et où* le sujet étouffe un rire impossible, se pâm e, c ’est-à-


dire rentre en soi - parce que l’espace où ce rire aurait* dû éclater
et sé répercuter se rétrécit sans que ce contact se réduise au*
contacts indifférents des* parties qui se touchent dans un tou t. Le
chatouillem ent est le con tact avec un être laissé libre et la m ort
qui nous absorbe est aussi celle qui nous laisse libre.

<155>

Inconscient*

<156>b
Schéma
Innocence — péché - pardon =
= Création - sujet — l’A utre.

<157>

L’origine de l’idée consciente - surprise - * cela parle en moi ».

<158>c

Le M oi rationaliste
M oi = intériorité de la raison —t
E n m oi — je retrouve tous les autres.

a. Écrit, une seconde Fois, en travers de la marge de gauche. Indique le thème des notes 157,
159 et 160. Ce feuillet a peut-être été mal classé ou déclassé.
b. Rédigé au verso d’une carte d’invitation (1954).
c. Rédigé au verso d’une carte d'invitation (1954).
434 Carnets de captivité
Difficultés : 1) C om m ent se rejoignent pensée raisonnable et vie
individuelle.
2 ) C om m ent rendre com pte de l'intériorité de la honte où se pose
le m oi sans création et où il exclut les autres et peut m entir.

<159>a

Inconscient

Psychologie négative - freudisme. Mais pour Freud la négation


ne dégage qu'un fait encore psychique — encore phénomène. La
libido n ’est pas pensée dans son originalité véritable (sous-esti­
m ation de la sexualité).
Ce que l’on cherche en niant - l’inconscient. Mais la recherche
reste élucidation. A ucune place laissée pour rapport avec la créa­
tion et la révélation orale.

< l6 0 > b

Le cogito est ébranlé dan par l’inconscient - (l’état 'F n’est pas ce
q u ’il, est) et par l’idée m arxiste de la m ystification (l’état n’est
pas {en soi} ce qu’il est pour soi).

< 161 >

É cou ter0.

a. Rédigé au verso d’une carte d'invitation (1953).


b. Rédigé au verso d’une note d’honoraires de médecin (1948).
c. Écrit une seconde fois, en travers de la marge de gauche. Indique le thème des notes 162,
166 et 167 (les notes 163 à 165 ont peut-être été mal classées ou déclassées).
Noies philosophiques diverses 435

< l62> a

Entendre transpercer sa condition —rem onter à un passé qui est


par-delà tou t passé vécu — vers la création.

<163>

Le langage m athém atique lui-m êm e se réfère avpc phrases qui


lui donnent un lieu. La phrase introduit dans le .réel à partir du
parlant.
Différence entre cette activité et toute autre activité. Diffé­
rence entre dire et triçoter.

<164>

Vision et contem poranéité

pensée visuelle - postérieure à la relation intersubjective initiale­


m en t inséparable de la relation avec l’origine.
Pensée visuelle = êtres contem porains sortis de l'histoire, n ’ayant
l’histoire que com m e objet —vivant dans l’illusion de l’éternel. Le
contem porain est condition du présent et non pas inversement.
[La pensée visuelle est indiquée dans la pensée en tant qu’expres-
sion et g loire.}
???

< l 6 5 > b?

Le m oi —venir à soi = souvenir.


Mais souvenir sans renvoi à la perception.

a. Rédigé au verso d'un faire-part de mariage (1959).


b. Rédigé au verso d’une carte d’invitation (1958).
436 Carnets de captivité

Le Moi - ce n'est pas être ce qu'on n'est pas, mais être en dehors
de la puissance e t de l'im puissance = condition de la créature.
Mais pourquoi renvoi au créateur ? Sans cela, Geworfenheit.

< 166> “
Penser - s'entendre - élém ent du son - rupture du m onde soli­
taire : relation de soi avec ce qui en m oi est avant m oi - penser =
se surprendre.
Ce qui en m oi est avant m oi — création. Pensée = stru ctu re de la
créature. Pensée relation avec le passé qui n'est pas rém iniscence,
mais ? ... prière ?

<l67>b

A udition - sensation, mais apprendre opposé à com prendre : la


forme ne contient plus le fond. E t cependant la sim ultanéité du
dire, rouvre la lum inosité.
Le son : conscience sans m aîtrise, sans assom ption — révéla­
tion.

< 168 >


Les trois degrés m oraux :
l'innocence
le m al qu'on peut racheter
le m al qu'on ne peut plus racheter —

a. Rédigé au verso d’un faire-part de mariage (1957).


b. Rédigé au verso d'un faire-part de mariage (1956).
Notes philosophiques diverses 437

annan na anna
sur - sur les filles de Zelofhad - page 6 de rP33ttl17
l'hom m e la suprême bénédiction au-delà du Bien.

<169>#

Le visage - le noum ène, le KccO’avTÔ - se tourne vers moi


com m e nudité et m isère e t, par là, s'intégre dans le monde par
rapport auquel D ieu est transcendant (?).
Mais son apparition {(de l'A utre qui n'est pas D ieu)} n ’est pas
une apparition à m oi - il n'est pas pour m oi. L'expression com m e
bonté, est bonté pour tous. Dans le Toi qui pénètre dans le monde
s’annonce lui et eu x. Le visage nous regarde — il n'est pas com m e
l'objet vu par tou t le monde — il regarde to u t le monde. J e regarde
celui qui regarde tou t le m onde. (L’amour, par contre, est un isole­
m en t {à deux} ; pas le pouvoir de l’un sur l’autre mais oubli de
l'univers »b.)
L’essentiel de m a conception. Le discours n’est pas impersonnel.
Il repose sur la bonté. J e parle à quelqu’un.

<170>c

R ecevoir et donner — caractéristiques ontologiques du M oi, en


dehors de la passivité et de l'activité.

Im portance de la M atière.

a. Rédigé au verso d’une carte d’invitation (I960).


b. Le guillemet ouvrant manque.
c. Rédigé au verso d’un morceau de faire-part de mariage (1957).
438 Carnets de captivité
< 171 >a

Donner = relation interpersonnelle par excellence.

<172>b

La m atérialité com m e l'envers de lav o ir, condition du donner -


Condition du je.

<173>

Différence entre
j'ai et tu as
(donné) (reçu)

<17 4 > c

J e = je donne à l'autre.
La fameuse neutralité de l'esprit co lle ctif m asque l'injustice
sociale et les devoirs où le m oi se constitue.

<175>

M oi = celui qui donne = retournem ent de la m aîtrise héroïque.


N e pas niveler cette notion : donner m atériellem ent et nuire
m atériellem ent.
Le riche - le pauvre.
La souffrance m orale toujours digne ! Caractère unique de la
torture physique.

a. Rédigé au verso d’un volet déchiré d’une carte d’invitation (1955).


b. Rédigé au verso d’une carte d’invitation (1955).
c. Rédigé au verso d’une carte d’invitation (1955).
Notes, philosophiques diverses 439

<176>

La souveraineté du m oi —
c'est celui qui donne, qui a p itié com m e s'il n 'était pas
pitoyable lui-m êm e.

Elle tien t à la position du M oi - qui exerce son être sur soi-


m êm e.

< 177>

J e suis celui qui donne —


E t m a misère ?
Il ne s’ag it pas de retourner la relation pour la considérer
com m e réciproque. Pour que m oi je puisse exister aussi dans m a
misère — il faut que l'A utre ne soit pas seulement le pauvre. Il faut
Dieu. C 'est la place m êm e de ce concept.
D ieu ne se définit donc pas par l’être, mais par qqch. de plus
que la Personnalité — plus que la Souveraineté du M oi : Celui qui
peut faire apparaître la misère du sujet < xxxxxx> com m e celui
qui donne.

<178>a

N ousb

<179>

Ê tre le tiers exclu -

a. Rédigé sur les marges de la page imprimée d'une carte d’invitation (1959).
b. Écrit une seconde fois en travers de la marge de gauche. Indique le thème des notes 180 à
183 (la note 179 a sans doute été mal classée ou déclassée).
440 Carnets de captivité

T hém atiser - totaliser - identifier être et solide = ce qui traverse


la durée. Mais hum ainem ent vivre = ne pas s occuper d 'être4.
À introduire dans le texte à la suite du développem ent sur l'ana­
logie de l'être — dont le term e est chose — chez A risto te18.

< 180 >b

L’idée directrice :
l’A u tre n'apparaît pas dans l'am our, mais en société.
E n société, l'A utre est décent.
La décence, c ’est précisém ent le discours et son universalité.
N on pas l'universalité des term es (concepts) ; mais universalité
= discours à tous.
Le propre du discours : il m e parle et parle de m oi ; à tous et de
tous. Ce dont on parle = ceux à qui on parle (lim ite de la réifica^
tion par thém atisation).
Le problèm e : com m en t introduire la justice com m e principe
impersonnel ? Loi ? In stitu tion ?

< 181 >c

La supériorité de l'A u tre par rapport à m oi consiste dans m on


appel à lui pour q u ’il m e com m ande — mais aussi —p our qu'il m e
com m ande de le com m ander. Situation du N ous. Elle se fait dans
le langage qui est ainsi le plan de la prédication. Il n'y a pas d 'ac­
tion en faveur d ’autrui, sans qu'il y soit associé. Sans cela servir
autrui = pitié. L'altruism e est donc nécessairement le m oraliser
< sic>. Ainsi se constitue un plan de la m orale objective par la
parole subsistant dans une action qui peut ne jamais com m encer.

a. Ce qui précède esc écrit au stylo plume à-encre bleue, ce qui suit au crayon à papier.
b. Rédigé au verso d'une carte d’invitation (1959).
c. Rédigé au verso d’une carte d’invitation (1954).
Notes philosophiques diverses 441

U ne morale peut être réelle m algré l’égoïsme. Elle ne naît pas du


choc des égoïsmes com m e une prudence, mais de l’abord de l’un
par l’autre, de la salutation de l’un à l’autre.

<182>a

Le N ous qui n’est pas relatif —sim ultanéité qui n ’est pas fusion
- c ’est cela le pluralisme.
Tel le nous de Y Bros (< A m o u r ?> ) et le nous de la Création
(Créateur et Créature).

<183>

La vérité — ce n’est pas copie de la chose — ni accord avec les


autres - mais l'ouverture m êm e sur les autres.
D om ination de pairs.
N ous.

Elle perd son caractère de pouvoir et cependant l’absolu de la


création en elle s’affirme par le fait de l’A udition.
D ialogue — pas de danger - surplus de la vérité philosophique,
toutes les autres vérités sont dangereuses.
Avoir la vérité = substituer événements aux choses lesquelles
apparaissent dans un m ouvem ent vers la Création.

<184>b

Justification de la liberté0

a. Rédigé au verso d’un faire-part de mariage (1956).


b. Rédigé au verso d’une carte d’invitation (1959).
c. Écrit une deuxième fois, en travers de la marge de gauche. Indique le thème de certaines
notes. Cette fiche a sans doute été mal classée ou déclassée, car les notes qui suivent immédiate­
ment n’abordent pas ce thème.
442 Carnets de captivité
<185>a

Seul peut com m ettre une injustice celui qui est susceptible de
la subir.

<186>b

Solum anim al natum est pudoris ac verecundiae particeps appe-


tensque adsocietatem animadvertensque in omnibus rebus quas ageret aut
dicerety ut ne qu id ab eofierit nisi honeste ac décoré.

Cicéron, D e finibusy IV, 1 8 19.

<187>c

Sim ultanéité et conscience


Pensée = son
Son — retour vers la création
et
rapport avec l ’autre qui est
D onc
Son - sim ultanéité et présent.
Le langage ne s’ajoute' pas à la pensée, mais pensée = langage.
E n allant vers l’autre, elle crée la sim ultanéité. D égradation : de
la pensée-langage en langage.
Le langage, c'est ce qui dans la pensée-langage (logos) n’exprim e
pas la pensée, mais crée la sim ultanéité, transform e le tem ps en
sim ultanéité.
De la sim ultanéité des interlocuteurs à la sim ultanéité de la
fable. Phrase = sim ultanéité.

a. Rédigé au verso d’une carte d’invitation (1934).


b. Rédigé au verso d’une carte d’invitation (1954).
c. Rédigé au verso d’une carte d’invitation (1955).
Notes philosophiques diverses 443

<188>a

C réation et pouvoir
C om m ent la recherche philosophique elle-m êm e cesse d ’être
vision et pouvoir ? C om m ent se saisit-elle de l ’origine sans la
fausser ?
C ’est pourquoi on ne peut pas philosopher seul. Philosophie
com m e discussion et enseignem ent.

<189>b

C ondition et Création
O n part du conscient pour aller non pas vers sa condition mais
vers sa création —
N égation , retournem ent, paradoxe.

<190>c

N égation et C réation
La négation du pour soi chez Sartre - suppose le néant.
Chez moi elle suppose la création - un en-deçà de l'origine,
une existence en autrui.

<191>d

Révélation —
qqch. de donné que je ne m e suis pas donné.
N e peut pas être d it en termes d ’expérience qui demeure
puissance et m aîtrise et qui assume dans la lumière.

a. Rédigé au verso d’une carre d’invitation (1953).


b. Rédigé au verso d’une cane d’invitation (1953).
c. Rédigé au verso d’une cane d’invitation (1953).
d. Rédigé au verso d'une cane d’invitation 0955).
444 Carnets de captivité
U n passé qui ne fut pas présent.
O u la parole de TA utre qui est A utrui.

<192>a
A utrui à travers les pouvoirs :
esclave à posséder
ennemi à vaincre
collaborateur autour d ’une tâche com m une.

<193>b

Moi et l'A utre


Moi exclusif -
Parce q u ’il est exclusif il accapare.
Il usurpe avant de tuer.
Il est voleur avant d ’être assassin.

<194>c

Phénom énologie de la honte :


être supérieur possédant une infériorité — raison et anim alité.
M ais la honte ne se conçoit que si je suis responsable de m on
indignité -
J ’ai honte d ’être. N on pas parce que m on existence inju est
injustifiée et que je n’ai pas p u choisir m a naissance.

a. Rédigé au verso d’une carte d’invitation (1958).


b. Rédigé au verso d’une carte imprimée (une notification de changement d’adresse) datée de
1958.
c. Rédigé au verso d’une carte d’invitation (I960).
Notes philosophiques diverses 445

Mais au contraire, parce que j’ai l’air de rav o ir choisie - parce


que j ai l’air d ’affirmer m on droit à mes besoins qui cependant
sont la cause de m a honte.
- Ê tre créé - surm onte cette dialectique.

< 1 9 5 >a

H onte
Caractéristique d'un être pleinem ent responsable - souverain,
héroïque, ayant renié son père, existant.
E xistant en tan t que créé qui voudrait cacher sa souveraineté
injustifiée quand elle est absolum ent séparée de l’origine.
La honte suppose la dualité du souverain et du créé.
Innocence - ê t r e créé qui n ’a pas pris la responsabilité
d ’exister.

< 196 >

Avoir honte - tim id ité - être seul - « ne connaître personne ».


Cela suppose la dignité de la créature — une lignée.

<197>

D istance de la théorie se fonde sur la création - laquelle n’est


possible que par l ’inconscient. Se retenir {retirer dans) l ’incons­
cient ce n’estxpas seulem ent prendre distance à l’égard des choses,
mais m êm e ne pas se com m ettre avec le pouvoir : non pas choisir
le non-pouvoir mais se trouver en deçà des choses entre pouvoir
et non-pouvoir. E t donc pas prendre l’initiative du retour à l'in ­
conscient. Y tomber.

a. Rédigé au verso d’une carte d’invitation (1956).


446 Carnets de captivité
< 198>

Inconscient et Création.
Ê tre profond = inconscient = (pas pouvoir et cependant
personnel) = se retirer en soi = reposer en Dieu = dorm ir.
D orm ir la vraie relation avec l ’obscur.
D orm ir - tellem ent en soi q u ’on n ’est plus en soi, mais en
sécurité, en Dieu.

<199>

Création et sexualité
Le M oi profond sort de soi
soit vers l’origine, vers le C réateur par l'audition (retour de
m oi à soi, mais non pas identification - dualism e 1 <)>
soit vers l'avenir — sexualité.
Ê tre profond : créé et sexué.
Ê tre profond - inconscient - m ode d ’être d istinct du pouvoir et
cependant personnel. Se retirer en soi = reposer en D ieu = dorm ir.
D orm ir la vraie relation avec <1’> obscur.

<200>b

Théorie de la vérité et Création

Conscience — sim ultanéité — événem ent du tem ps — ne plus


pouvoir et néanm oins-être subjectivité. Com m encer, avoir une
origine — créature.

a. « dualisme » en surcharge de « idéalisme ».


b. Rédigé au verso d’une 6che d’emprunt de la Bibliothèque de l’Alliance Israélite Univer­
selle. Levinas emprunte, le 20 mai 1955, Talmud Babli Kidusin. Cf. supra notre note d’édition
relative à la note 80.
Notes philosophiques diverses 447

<201>
Le tragique de la liberté

La liberté devenue - détachem ent par rapport à l'être —devient


choix dans son arbitraire. La*liberté devient subjectivité - arbi­
traire - injustice - La liberté devient brigandage — Ce
qu'il lui faut ce n'est pas la souveraineté totale mais la justifica­
tion, l'investiture.
D ’où retour à la création dont elle s'est détachée.
Ce retour à la création est impossible à la vision. Audition
= aller derrière la souveraineté non pas pour l'acquérir mais pour
la justifier.

<202>a

C réature 6

<203>c

Ê tre dans le monde - est la séparation de D ieu — volonté.


Seul l'être créé peut être volonté — c'est-à-dire être qui avait
à s’opposer à son Créateur.

<204>d

Lui —
quand il apparaît entre deux, dans leur intim ité.

a. Rédigé au verso d’une carte d’invitation (1959).


b. Écrit, une seconde fois, en travers de la marge de gauche. Indique le thème des notes 203
à 224.
c. Rédigé au verso d’une carte d’invitation (1953).
d. Rédigé au verso d’un faire-part de mariage (1958).
448 Carnets d&captivité
< 205>

Création et innocence

Création - pas passivité, mais innôcence.


Mauvaise foi — créature qui cache sa création. Elle est dans le
masque de l'h ab it,co n d itio n de sa souveraineté. Il cache la nudité
de la créature et constitue sa souveraineté factice.

< 206 >

Il est impossible de se voir dans sa créature


mais on peut s'entendre.

<207>a

Gloire de la créature

Dans son repos et sa sécurité — s'inscrit une transcendance.


Assise dans l'être ^ obstacle à la puissance. C 'est plus que le
« je peux » ; en tou t cas sa condition.
La lim ite du pouvoir ne tient pas à la gloire qui le surm onte. Le
pouvoir ne va pas sur la condition — mais nous avons une condi­
tion. - C et avoir > pouvoir.

<2Ô8>b

Création et gloire

Ce qui s'oppose à la honte d'être - la gloire = assise dans l'être.

a. Rédigé au verso d'une carte d’invitation (1958).


b. Rédigé au verso d’une carte d’invitation (1958).
Notes philosophiques diverses 449
Existence honteuse se retourne en gloire de la Créature. D ignité
de la personne qui n’a pas à s’excuser de son existence.
(Laisser entrevoir le lien entre gloire et expression. La transcen­
dance de la gloire - au dehors.)

<209>a

M oi - soi ; création fécondité

Seul un être créé peut avoir la liberté de ne pas être asservi à soi.
1) Sortir de l’ennui de l’identité — sortie aspiration insensée d ’être
l’autre (négation du pouvoir com m e principe de la conscience,
dans laquelle je serais enfermé).
2 ) N e pas être asservi à soi ^ assumer son origine, ce qui est impos­
sible. C ’est avoir un fils. Créé com m e fécond, le m oi est créé libre.
Mais pourquoi fécond ? E st-ce en tan t que créé ? Ê tre créé ^ être
causé, mais avoir reçu son moi (pas clair, E . Lb).

<210>c

H ypostase - héroïsm e - paganism e - possession : J e = j'ai.

<211 >
À travers la m édiation du Père qu 1autrui peut recevoir - car Dieu
n ’est pas un Moi (celui qui donne), mais celui qui assume m on
être et notre être -
Fraternité.

a. Rédigé au verso d'une carte d'invitation (1938).


b. « E. L * sans doute pour Emmanuel Levinas.
c. Rédigé au verso d’une carte d’invitation (1955).
450 Carnets de captivité
<212>a

D ieu — celui devant qui je suis un toi —


Paternité !
A utrui qui n'est pas un pauvre, mais infiniment plus riche que
m oi.
A u trem ent- à k
O u p lu tôt :
A utrui com m e riche - extériorité, et cependant pas solliciteur :
G loire.
Pas riche en avoir - pas pouvoir de donner (com m e m oi) - mais
pouvoir d'assum er m on et notre être : paternité.

<213>b

Contre l'histoire heideggerienne du m ythec, de l’im age plas­


tique et de son im itation.
L'histoire, c'est l’histoire sainte des m aîtres et des pères - ensei­
gnem ent et fécondité - et non pas de héros.
Pas d'histoire politique.

< 2 l4 > d

Sens positif du m ouvem ent vers la condition

Erreur de la 9 traditionnelle qui recherche le C réateur com m e


extériorité : réification de la condition.
L’intériorisation cartésienne de D ieu (et brunschvicgienne <)>
substitue à la causalité d'un D ieu extérieur, la causalité géom é­
trique de l ’idée.

a. Rédigé au verso d’une carte d’invitation (1955).


b. Rédigé au verso d’une carte d’invitation (I960).
c. « du mythe » est répété deux fois.
d. Rédigé au verso d’une carte d’invitation (1959).
Notes philosophiques diverses 451

R elation du fils au père déterm ine positivem ent le m ouvem eht


vers la condition : Il suppose tem ps - discontinuité - intervalle de
l’entretem ps - le surplus du social : le Bien au-dessus de l'être.

< 2 1 5 >a

C réatureb - ce qui est absolum ent passé et antérieur à toute Sinn­


gebung et se justifie par là m êm e, ne requiert pas une justification
par Sinngebung -
Ce qui a une signification par soi-m êm e c'est le visage. Il porte
l'investiture du Créateur. Le visage est la créature par excellence.

<2I6>C

R etou r à la création — A udition — Critique

Le savoir tranche sur l'activité et la naissance parce qu’il est


critique : il pénètre en deçà de sa condition, il pénètre la condi­
tion qui appuie cette pénétration de la condition critique - oppo­
sition radicale à la naïveté, qui procède de la nature. Impossible
com m e réflexion ou com m e explication qui s’enracine dans la
nature. Impossible aussi pour une autre raison : réflexion totale
- où se place-t-elle ? Mais possible com m e audition du récit de
la création. C ritique rem onte à la création, derrière soi. Critique
vient dans le récit du Créateur. Le seul m ouvem ent capable de
se retourner vers sa propre condition — savoir. Savoir est initiale­
m ent entendem ent.

a. Rédigé au verso d’une carte d'invitation (1958).


b. « Créature » en surcharge de « création ».
c. Les notes 216, 218 à 221, 223 et 224 sont probablement écrites sur les morceaux d’un
même feuillet, qui comportait un dessin au recto.
452 Carnets de captivité
< 217>

Le faut ontologique de la sim ultanéité


Sujet 4- opposé à l'il y a .
Ce par quoi l'hypostase prend sur elle-m êm e - devient étant,
renie son père et rom pt avec la création.
Mais la m atérialité est la rançon de la conscience : le tragique
du,retour de m oi à soi.

<218>

Le savoir retourne vers sa condition — est critique —


Ce retour n'est pas acte, n'est pas puissance. Sinon être créé
serait assumer l'acte créateur, or dans la création il n'y a personne
pour accueillir.
K an t a vu que le Moi n'est pas conscient de soi, n'est pas vision,
n'est pas puissance sur soi - une révélation autre que celle qui
illum ine le pouvoir. N e pas être puissance sur soi, ne veut pas dire
être heurté par soi (paralogism e existentialiste). Positivem ent
c'est le rapport irréductible avec la création : être m oi sans se voir
tou t en se référant à soi = être créature. Sans cette relation - être
avec soi — ennui {th èm e <pendant ?> à être avec soi = pudeur].

< 219>

L'être N atu rel = l'être sim plem ent né

Ê tre sim plem ent né, ne signifie pas être chose — mais agir.
1) L'activité est essentiellem ent naïve. 2 ) L'activité est puissance.
<x x x x x x > et dans ce sens encore le fait d'un être né. Car avoir
de U puissance c'est avoir renié l'origine = être né. Avoir renié

a. « Sujet * en surcharge de « Subjet ».


Notes philosophiques diverses 453

l'origine = n avoir qu'un Jtassé-’de souvenirs. Avoir*renié son père


= être adulte, athée, héros, conscience, m oi, présent.

L'histoire est l’origine de ce qui est né. L'histoire heideggerienne


- im itation d'un héros - héritage à l'intérieur de la création -
Cruauté.
H istoire, action, cruauté.

< 220>

L'être créé

C ontrairem ent à l'histoire où se place l'être sim plem ent né


- relation avec le C réateu r par la parole enseignée et non pas
souvenue ou reprise.

U n passé au-delà du passé souvenu ou admiré. U ne histoire au-


delà de l’histoire - histoire sans cruauté.

L'origine de la créature - ni naissance, ni souvenir, ni histoire


- p asd e reniem ent possible du C réateur..

La relation ne se fait pas* par concept, car tou t concept est,


com m e l'a vu Platon - souvenir.

< 221 >

R elation C réature-C réateur

Pas souvenir < ?/!?>


Traum atism e < ?/!?>
Traum atism e souvenir qui n'est pas que souvenir.
C e qui a troué la conscience et n'a pas été assumé par elle.
454 Carnets de captivité
Violence ahsolue (contre la m aïeutique). A ction sur une passivité
totale. C ette passivité indispensable au traum atism e, à l’enseigne­
m en t, à la relation créature-Créateur, est-ce l’inconscient ?

<222>a

Ê tre enseigné — structure de créature.


Enseignem ent — sim ultanéité, mais polarisée, non réversible,
non réciproque <entre> enseignant et enseigné.

<223>

La relation C réature-C réateur n’est pas la relation avec un


m ythe
Violence du m ythe n ’est pas le traum atism e du rapport avec le
Créateur.
Révélation sans création, sans lien avec l’origine. Paganism e.
L’aspect plastique du m ythe. La beauté prem ier degré de l’hor­
rible (R ilke21).
M ystère du sacré qu’aucune lum ière n ’arrive à surm onter.
E xtériorité - crainte : le m onde est plein de dieux. N écessité de
s’enfermer - culte de la vie intérieure.
D onc : définition négative de la création : ni savoir, ni réflexion,
{ni souvenir} (qui sont identification de soi), ni histoire, ni m ythe.
Le ne pas pouvoir ? Passivité absolue ?

<224>

La Création, q u ’est-elle positivem ent ?


N e pas pouvoir ?

a. Rédigé au verso dune carte d'invitation (1956).


Notes philosophiques diverses 455

Passivité absolue ? G om m ent penser, la Création en dehors du


couple « passivité-activité » ?
Analyse du pouvoir (Le tragique du choix)
Ê tre soi = être né, car'être né = renier le père. Ê tre soi = renier
le père. C ette négation n ’est pas le résultat d'un choix qui est
l’œuvre de celui qui est déjà né. (Paralogism e existentialiste - la
naissance serait violence, com m e si on la choisissait. La violence
n ’est pensable que par rapport à un être déjà né et qui a le choix.)
N égation de la naissance crée seulement le vide de la liberté où
le choix devient possible. Le tragique c ’est que la liberté devient
choix et subjectivité.

<225>a

Liberté finie ?b

<226>c

La liberté causa sui - n ’est-elle pas suggérée par la liberté de la


représentation ? - ou p lu tôt liberté de l’action -
Avec l’au tre pas lim itation - mais langage.

<227>d

Liberté finie ? O n ne peut pas dire jusqu’à une certaine mesure


on est libre. Liberté est finie - dans la mesure où elle p roduit des
œ uvres, dans lesquelles elle est m éconnue et interprétée en fbnc-

a. Rédigé au verso d’une carte ^’invitation (1959).


b. Écrit une deuxième fois, en travers de la marge de gauche, sans point d’interrogation. Indi­
que le thème des notes 226 à 228.
c. Rédigé au verso d’une carte d'invitation (1953).
d. Rédigé au verso d’une carte d’invitation (1953).
456 Carnets de captivité
tion des autres (elle n ’est liberté qu’intérieurem ent). Cela suppose
la possibilité d ’un m onde où elle est chez soi — c ’est-à-dire e&riè
tenant entièrem ent entre ses mains sa décision, capable de se
retrancher dans l ’intériorité d'une maison - et cependant entrant
dans l’ordre public. —JLa possibilité de défendre dans la présence
sa liberté par le langage. Langage com m e lim itation pacifique.
Interlocuteur en soi - la volonté est encore absolue dans la rela­
tion du langage, mais com m e tiers est vulnérable, non héroïque.

<228>-

H onte —
honte de son infériorité -
mais on n’a pas honte de son infériorité, que parce qu'on est
supérieur
honte de son corps
mais on n’a pas honte de son corps - queb parce qu’on l’a
choisi.
Cela ne peut pas s’unir dans l’idée de « liberté finie » - mais
parce que le m oi se trouve dans un ordre où il y a justification hors
de moi et où je suis injustifié par m oi-m êm e - où je suis devant
un idéal moral - ce qui, d ’après m oi, n ’est pas une existence au
m ilieu des valeurs, mais en face d ’A utrui.

< 229>

< recto > Enseignem ent oral —

L’objection que l’on fait à la pensée irrationaliste de se con tre­


dire du fait q u elle nie la raison - ne vaut que si on a séparé la

a. Rédigé au verso d'une carte d'invitation (1957).


b. Tout ce qui précède est écrit au stylo plume à encre bleue, la dernière lettre du mot*« que »
ainsi que tout ce qui suit sont rédigés au stylo plume à encre noire.
Notes philosophiques diverses 457

pensée de celui qui l’enseigne - c ’est-à-dire si on l’a prise dans un


écrit. L’écrit - c ’est l’absence du penseur, c ’est la lettre. La pensée
est en lutte avec la lettre. ‘Précisém ent tradition : présence du
m aître qui lutte avec la lettre. (A uto-didacte - contradiction dans
les term es) (le protestantism e q u i-p art de la lettre sans m aître,
aussi pensée auto-didacte).
Les métaphores (m agnétism e, charm e personnel - pensée
vivante) cachent l’événem ent de la tradition : savoir contre la
lettre - ne pas se séparer de ce qu’on pense o u -d it : parler. La*
pensée p eu t-être hors d ’elle-m êm e et pouvoir sur sa dépouille,
non pas parce q u elle se situe dans <verso> l’éternel, mais parce
qu’elle est langage, essentiellement enseignem ent.
Le conscient - c ’est ce qui peut être enseigné - être à deux.
C ’est pour cela que la conscience est plus que l’inconscient et
que l’o n que l’on peut dire l’inconscient lui-m êm e.
La conscience est la contem poranéité de l’instant avec lui-
m êm e. Ainsi en elle la vérité trouve-t-elle une place : sim ulta­
néité = arrachem ent à l ’écoulem ent.

< 230 >

V érité - sim ultanéité du successif.


Dans quel sens la tradition conditionne la sim ultanéité ou
inversement la sim ultanéité conditionne la tradition ?
Q u ’est-ce que la tradition ? - Pensée inséparable de celui qui
pense = enseignem ent oral (alors que la séparation entre pensée et
penseur : écrit) - La tradition ou l’enseignem ent oral est la seule
possibilité de créer la sim ultanéité de la vérité -
V oir développem ent de la notion de tradition = enseignem ent
oral = sim ultanéité = vérité dans une autre fiche22.
458 Carnets de captivité
< 2 3 1 >a

Le savoir livresque n ’est pas seulem ent ce qui n ’a pas été repensé
par soi-m êm e, mais ce qui n'a pas été enseigné par un m aître.
Le m aître plus que la pensée et condition ne la pensée. Penser
— c ’est penser à deux (ce qui ne veut pas dire dialoguer — dénivel­
lem ent !).
N écessité d ’interprétation (c ’est du H eidegger), mais par un
m aître (ce n’est pas du H eid eg g er< )> .

<232>b

Transcendance et vérité 0

<233>d

L’être extérieur qui se révèle, c ’est-à-dire qui enseigne - qui


assiste à sa présence —peut m entir.
Il peut se dissimuler parce qu’il assiste à sa m anifestation. Le
dévoilé peut être caché, mais ne m en t pas, n’est pas présent dans
son absence.

<234>

V érité

Sens pragm atique - son critère : vie ou m ort.

a. Rédigé au verso d’une carte d’invitation (I960).


b. Rédigé au verso d’une carte d’invitation (1959)-
c. Écrit une seconde fois, en travers de la marge de gauche. Indique le thème des notes qui
suivent, sans doute les notes 233 à 235.
d. Rédigé au verso d’un volet déchiré d’un faire-part de mariage (1955).
Noies philosophiques diverses 459

Sens rationnel - son critère : lum ière qui surm onte l'horreur du
sacré et de l'il y a.

<235>a

Pour m oi aussi l'être est dans sa vérité. Mais non pas dans la
splendeur de la m anifestation, mais dans la grâce rendue à lui par
autrui, grâce rendue par l’action ou par l'attitud e à l’égard des
hom m es - par la vérité dite ainsi de lui.

23“|nBN VT7] 1TPn

<236> b

M êm e la liberté du renouvellem ent est de l'ordre du M êm e. La


liberté est toujours de l'ordre du M êm e. C 'est le M oi qui inter­
vient. L’absolum ent autre - n'est pas dans la liberté.

<237>c

Sim ultanéité etd Conscience

La conscience se déduit du langage et de la sim ultanéité qu’il


implique - le fond du langage est la sim ultanéité de la fable.
Pouvoir dire une chose - c ’est créer du présent — arracher au
tem ps - substituer la fable à la réalité.
Le présent du langage = présent de la pensée.

a. Rédigé au verso d'une carte d’invitation (1958).


b. -Rédigé au verso d’un volet déchiré d’un faire-part de mariage (1958).
c. Rédigé au verso d’une carte d’invitation (1955).
d. « et » en surcharge de « de la ».
460 Carnets de captivité
Fable com m encem ent de la civilisation et de la décence -
origine du m oi lucide - et de la pensée visuelle.
Le il de la fable rend possible le je de la pensée.

<238>a

Moi qui «lutte opposé à M oi qui travaille.

< 239>

L’essence du langage :
U ne pensée reçue du dehors -
Le dehors est l’essentiel et non pas l’universalité -
ni m êm e le fait que je peux le com m uniquer à une raison.
(?)

<240>b

La substance de celui qui parle donne une substance à ce qu’il


dit.
EU U
La pensée dans la parole - exposée d irectem en t, sans arrière-
pensée.

a. Rédigé au verso d’une carte d’invitation (1955).


b. Rédigé au verso d’une carte d’invitation (1955).
Liasse D a

<l>

O n com m ence par dénoncer toute contradiction com m e indi­


quant lïne évolution. C 'est facile.
Il n ’est pas moins facile de dénoncer toute trace d ’évolution
com m e contradiction ou com m e déchirem ent.
Pensée historique n ’est pas moins facile que la pensée pathé­
tique15.

< 2>

M onde - interm édiaire entre < l’esthétique ?> et la faim.

a. Alors que les autres liasses de notes diverses ont été transcrites dans leur intégralité, celle-
ci résulte *d’un choix que nous avons opéré à l'intérieur d’un ensemble plus important de notes
écrites sur des cartes d’invitation ou des morceaux de feuillet. Cet ensemble comprend trois sous-en­
sembles bien distincts : d’abord une série de notes de cours de philosophie de terminale (on y trouve
par exemple des définitions de notions traditionnelles telles que le déterminisme, le jugement, etc.) ;
ensuite, des notes pour un exposé sur la notioq^du mïdracht, écrites sur des feuillets que Levinas a
foliotés ; enfin, les vingt notes que nous avons retenues, pour deux raisons : d’une part, à la différence
de la première partie de l’ensemble, Levinas y expose sa philosophie, d’autre part, il s’agit, contraire­
ment à la seconde partie, de notes philosophiques portant sur/les thèmes divers et qui..n’ont pas de
destination précise, c’est-à-dire de « notes diverses de philosophie en recherche * (sur les différents
types de notes distingués par Levinas, voir l’Avertissement de ce volume).
b. En haut à gauche de cette page (il s’agit d’un morceau d’une carte d’invitation), écrit au
stylo bille à encre bleue (le reste est au stylo plume à encre bleue), le nombre « 17 », qui est sans
doute un numéro de folio. Nous n’avons pas retrouvé l’ensemble dont cette note faisait éventuelle­
ment partie, et il nous a semblé quelle pouvait être lue comme une note isolée.
462 Carnets de captivité
<3>

Sommeil - nuit de la nuit.

Som meil - être dans l ’intervalle.

<4>a

La vitesse fait écho à l’im patience - qui est le désir m êm e.


L’outil - répond à cette im patience - il p rom et l ’objet le plus vite.
Dépassem ent perm anent des techniques par des techniques — de
plus.en plus vite ! - désir ! Posséder le m onde - avaler le monde
en un instant - supprim er le tem ps. L’outil et la technique - vers
l ’instant éternel.

< 5>

I. La vigilance de l’insomnie - sans direction, sans intentionna­


lité.
II. Pas de temps perdu ! Le je veux récupérer tout. Il est l’exigence
de cette récupération.
III. La fin du m onde, plus que absence du m onde.
IV. L’ordre = là où l’on se retrouve.
V. Le caractère irrem plaçable de chaque instant - qui crie
vengeance = jg.
V I. Le tem ps d ’un sein nu entre deux chem ises 1 — surprendre
la nudité = la fin du m onde, instant lim ite = secousse sismique
entre la nuit et le jour.
V II. H aulser le tem ps <xx> (Rabelais)2.

a. Cette note ainsi que la suivante sont rédigées chacune sur un morceau de feuillet cartonné.
Ces deux morceaux provenaient peut-être du même feuillet.
Notes philosophiques diverses 463

V III. Le je est-il l’instant dans son exigence du salut et le temps


accom plissem ent du salut ? O u le « je » substance qui traverse
les instants dont aucun n'est privilégié mais qui donne à l’être le
« loisir » de la-compensation ? D euxièm e hypothèse : Économ ie.

< 6>

L’am biguïté corps propre corps étranger - c ’est dans la maladie


qu’elle est <vérité ?>.

’< 7 > a

La lutte légitim e contre les abstractions sert aussi d ’excuse à la


pensée m édiocre. A ccorder les abstractions aux faits est un noble
geste. Il peut s’im iter avec vulgarité par la pensée la plus grossière.
N ’entendons-nous pas invoquer Descartes et les idées claires par
ceux qui ne reconnaissent de clarté qu’au < banal ?> . O n m écon­
n aît, la plupart du tem ps, toute la finesse et toute la subtilité
nécessaires pour découvrir le fait {lu i-m êm e} dans la routine de
notre expérience quotidienne.
Mais l’abstraction ne s’oppose pas seulem ent aux faits, elle
s’oppose au concret. Le concret ne coïncide pas Avec ce qui vient
à notre rencontre et nous heurte dans l’expérience extérieure. Il
est constitué par un horizon présupposé par chaque idée abstraite
et qui dans le m o t nom m ant l’idée est déjà «oublié.-Une pensée
verbale n ’est pas une pensée qui ne pense rien ou qui se laisse
bercer par des sons proférés, mais qui pense des résultats intel­
lectuels, qui les désigne. C ’est une pensée qui ne procèd e que par
des adjectifs et pré noms {n ’use que de pronom s et d ’adjectifs}
dém onstratifs.

a. Rédigé au verso d’un faire-part de mariage (1957).


464 Carnets de captivité
<8>a

Sisyphe — c'est le m étier sans l’art.


La finalité de l'art est en dehors de l'œ uvre. L'œuvre elle-m êm e
sans finalité.

<9>b

<f. 2 verso> tyJDWXI 7WV2 ou miDOH X^X npyn xin ttm n X1? expri­
m en t la priorité de l'attitu d e sur la catégorie. P ou r rendre possible
cette priorité - le concept d 'être ne suffit pas, il faut D ieu. La
théologie est l'opposé p ar excellence de l ’ontologie. Dès qu’il y a
D ieu, il est impossible de se retourner sur soi.
<f. 1 recto> D e m êm e exégèse - connaissance de D ieu. Ce n'est
pas le cercle qui com p te, m ais le fait d'accepter le texte.

< 10 >

Les valeurs ne se rangent pas dans une série à signification et


à sens unique. A u som m et de la hiérarchie se conçoit une fierté à
l'égard de la base - la supériorité se connaissant com m e telle.
Mais on conçoit tou t autant une subordination de la supério­
rité m ise au service de l’infériorité. La superbe dépassée dans l’hu­
m ilité.
D ’où : 1) La morale ne s'en va pas en politique.
2) Il n'y a pas de hiérarchie des hiérarchies.

a. Rédigé au verso d'une carte d’invitation (1956).


b. Rédigé sur une carte d’invitation double. Levinas a utilisé le carton déplié, écrivant d’abord
au verso du second volet, puis au recto du premier volet.
N otes philosophiques diverses 465

<ll>a

-L 'il y a par lui-m êm e, n'est pas tem porel. C ’est par le je qu'il
acquiert un présent.

-In so m n ie - la torture du repos pur et simple - nous ne pouvons


pas nous réconcilier avec la base qui nous soutient. Le som m eil est
le fait m êm e de se reposer.

<12>b

Ce qui est intéressant chez H usserl :


à la fois la vérité est dans l'autoprésentation (< = ?> intui­
tion du Sachverhalt) et non pas dans la relation
et dans cette intuition unc rôle de prem ier plan est joué par
la sensibilité.

< 4 3 > d-

A ucune dogm atique ne-soutient le texte, car s'il y avait une


dogm atique qui le résum e, le texte deviendrait inutile. Le judaïsme
n'a pas m oins de dogm es, il en a plus que le christianism e.

<14>
Le visage est une abstraction - le visage d u prem ier venu.
(M ais pas dans la c n u it ?> )
H ors l'histoire

a. Rédigé au verso d’une carte d’invitation (1957).


b. Rédigé au verso d'une carte d’invitation (1961).
c. « un » en surcharge de « le ».
’ d. Rédigé au verso dune ci rte d’invitation (1963).
466 Carnets de captivité
Avant de se demander : « qui est-ce »
Identification avant l ’identité

<15>

Laurel et H ardy

A u x situations catastrophiques - des solutions dom estiques,


des objets de m énage : une aiguille, une échelle, un m ouchoir, etc.

<I6>

N oté en 1 9 5 2

Le rôle de la morale au 1 9 e s. — La critique <du/au ?> 2 0 e.


La réhabilitation de la m orale :
O bjectivité de l’expérience morale.
Rôle de l’histoire : chaque structure inséparable de son mode
particulier d ’être donné (= situation historique).
Mais la m orale ainsi pensée - expérience de structures et non
pas d e tan t’s.
M orale com m e religion : expérience de l’individuel en tant
q u ’individuel.
Annonce une métaphysique où le général a trait à l’individuel
- appuyé à la m orale com m e accom plissant l’extériorité. J ’oppose
à la m orale com m e m anifestation de la liberté, m orale com m e
possibilité de la transcendance.

<17>

Chaplin dans Un garçon de caféA. Le terrible consom m ateur. Mais


une fois qu’il a demandé à consom m er Chariot devient son m aître.
Notes philosophiques diverses 467

< 1 8 > ft

Il a sonné le quart. D e quelle heure ?

<19>b

Toutes les cartes postales expédiées de vacances. Quelle hum a­


nité privatissim e — et horrible - elles doivent révéler.

<20>

H eidegger - prolongem ent de la pensée grecque -


Lui opposer le judaïsme ?
Mais sa pensée est entièrem ent christianisée.
Löw ith lui oppose le m onde g recque {g re c }5.
Mais H eidegger se d it prolongem ent de la pensée grecque.
Quels que soient les concepts à l'aide desquels on voudrait
discuter avec H eidegger, H eidegger les dénoncerait com m e
dépourvus de pensée parce que encore non révisés à la lum ière de
sa pensée. - Ce qu'il faut, c'est un point de vue nouveau.

a. Rédigé au verso d’un morceau de faire-part de mariage (1958).


b. Rédigé au verso d'un morceau de faire-part de mariage (1958). Ce morceau appartenait au
même faire-part que celui sur lequel a été rédigée la précédente note.
Carnet A

<p. 1 > Les Joueurs de G ogol.


M ystification - La dénonciation de la m ystification est encore de
la m ystification. Mais alors à celui qui dénonce la mystification de
la m ystification - on peut dire : « E t toi ? qui es-tu ? » E t là on
est en dehors de la m ystification parce que on a parlé à quelqu’un.
La réalité n ’est pas dans le nom inatif du contenu ïnais dans le
vocatif de l’interlocuteur.

Trois degrés : réfutation du <p. 2 > scepticism e, cogtto, parole


— qui s’adresse toujours par-delà tout ce qu’on est à celui qui est.

<x x x x x x x > Le livre est une chose - pour être enseignem ent il faut
q u ’il y ait une personne qui parle. A utrui est donc la condition
m êm e de l’enseignem ent. Sans cela la pensée n’est qu’objet. Elle
peut être objet - m a pensée - et enseigné A utrui <p. 3> ce qui
distingue savoir et histoire.

Socrate adm et l’absolu des idées - mais sa soumission aux lois


injustes - afif c'est l’affirmation d'un autre absolu.

a. Carnet de format 10,5 x 17 cm de 22 pages dont seules les pages 1-3 et 7 sont remplies. La
page 7 contient une liste de courses, que nous ne reproduisons pas. Dans la partie supérieure de la
couverture, on lit : « PAIN » ; en bas à droite de la couverture : « Mme <Jeannine ?> * ; sur les
troisième et quatrième de couverture, quelques additions.
Carnet 5 a

<f. double 1, p. l > b


L'infini ne -se- réduit- pas-à un contenu du connaissant dans ce
sens p récis qu'il ne saurait se définir.- La- relation avec l'infini est

La m ort com m e extériorité totale - l'infini (cf. Le Temps et


rA u tre).

L’am our — société de deux —

La sensation devient certes 0 connaissance —, mais dans un


m onde où il y a autre chose que sensation.

L'ami — estd avant tou t, un confident,

<f. simple 1 recto > e

a. Noces manuscrites rédigées sur des morceaux de papier de même format (15 x 19,3 cm)
déchirés proprement, dont une page sur deux seulement, excepté dans un cas, est écrite. L’en­
semble, qui forme un carnet non relié, comprend six doubles feuillets insérés les uns dans les
autres, ainsi que cinq feuillets simples (quatre sont inséras dans' les feuillets doubles, lè cinquième
est à part). Notre transcription suit l’ordre des pages du carnet, mais notre indication des feuillets
fait ressortir la place de chaque feuillet dans le carnet ainsi que sa nature.
b. Le texte de cette page est écrit au stylo bille à encre bleue, à l’exception de la dernière
phrase, écrite au crayon à papier. Certains mots sont repassés au stylo plume à encre bleue.
c. Mot repassé au stylo plume à encre bleue.
d. Le tiret ainsi que le mot « est » sont repassés au stylo plume à encre bleue.
e. Le texte de cette page est écrit au stylo bille à encre bleue.
472 Carnets de captivité
La notion de Y A utre que je veux prom ouvoir n ’est pas le M itei-
nandersein. L’A utre se trouve pour m oi non pas à côté de (com m e
associé à) m on œ uvre de vérité ou de rapport avec l’être — mais
derrière cet être. C ’est dans autrui {au sein} du rapport avec autrui
— que j’aperçois l’être.

<f. double 2 , p. l> a


P rim at du discours
Com prendre - c ’est dire* à quelqu’un
(<1xnn> nVttD1phn K1? T»X < •>&>).
C ’est le discours et non pas l’intuition qui constitue l’événem ent
prem ier de l’intellection -* non pas en raison du « contenu » de
l’intellection, m ais en raison de cette transm issibilité qui ne
s’ajoute pas du dehors à l’intelligible, mais qui en fait partie.

<f. double 3 , p. l > b


Im plication de la m éthode
Il ne suffit pas de décrire phénom énologiquem ent. Il faut aussi
dire quelle est la signification dialectique de la description —mais
dire la signification appartient à son tour le <sic> discours.

<f. double 4 , p. 1>c


Absolu chez K an t et l’Absolu du discours
L’enseignem ent de la m orale kantienne revient à placer l’dA b -
solu non pas devant le sujet - com m e le M onde des Idées qui
s’ouvre au philosophe platonicien - com m e un D onné ou un
Révélé, mais à le placer derrière le sujet. E t cela veut dire com m e
présidant à l’action morale. L’Absolu derrière moi — cela veut
dire : rapport avec l’absolu est une action morale. Ce rapport est
inconvertible en connaissance - c ’est-à-dire l’Absolu est A ction 6.

a. Le texte de cette page est écrit au stylobille à encre violette.


b. Le texte de cette page est écrit au stylobille à encre violette.
c. Le texte de cette page est écrit au stylobille à encre violette.
d. « T » en surcharge de « le ».
e. « Action » en surcharge de « derrière moi ».
Notes philosophiques diverses 473

L’Inconditionné est Liberté. Mais Liberté est raison et non pas un


m oi.
Par® contre 15si je pense {com m e K a n t}, que l’Infinic n’est pas
une idée donnée ou révélée, m ais {je pose l’infini} com m e mon
interlocuteur. Parler à quelqu’un - c ’est-à-dire lui parler et
l ’entendre — est irréductible à l’action et à la connaissance. Elle
est précisém ent la relation que j’entretiens avec l’infini, sans le
lim iter41. L’infini est Toi. L’infini est société et non pas universalité
impersonnelle.

<f. double 5 , p. l > e


Ju stice et rythm e
La justice est un rapport d ’une partie avec le Tout telf que
la partie ne se trouve pas anéantie dans le tout (moi = objet de
l'universel), ni n ’absorbe le tou t (m oi = sujet idéaliste du monde),
ni n ’entre dans le tou t d ’abord pensé et ensuite m e pensant
(rythm e). La parole est la destruction du rythm e —et la justice est
m a présence dans le tou t et contre le tou t - c ’est la façon dont un
être qui parle coexiste avec d ’autres êtres qui parlent - le to u t de
la société.
Ju stice est plus que parole: Dans la parole rapport entre deux
-r 2msP3x:i. La justice - rapport dans un tout.

< f/sim p le 2 recto >g


Philosophie de la réflexion - et le bourgeois gentilhom m e
N e pensons-nous pas trop souvent que notre être bourgeois
s’élève à l’aristocratie du simple fait que nous savons quels sont
les m ouvem ents de lèvres et de langue qui nous p erm etten t de

a. « Par » en surcharge de « <Car ?> ».


b. « contre » en surcharge de « même ».
c. « l'Infini » en surcharge de « l'infini ».
d. la première lettre de ce mot est en surcharge de la lettre « d » ; Levioas avait sans doute
d’abord pensé écrire « délimiter ».
e. Le texte de cette page est écrit au stylo bille à encre violette.
f. « tel » en surcharge de « telle ».
g. Le texte de cette page est écrit au stylo bille à encre violette.
474 Carnets de captivité
prononcer ba et que notre com portem ent intellectuel spontané
depuis quarante siècles et plus s’appelle synthèse ? Réduire la
philosophie à la réflexion phénom énologique — n’est-ce pas perpé­
tuer la comédie du bourgeois gentilhom m e ?

<f. double 6 , p. l> a


Création et finitude

Toute créature est certes une existence finie par rapport à l’In ­
fini du Créateur. Mais ce par quoi la créature n’est pas la finitude,
c ’est par son pouvoir d ’ouvrir une autre dim ension que celle où
s’inscrivent les relations entre le Fin ib <et> l’Infini. Le rapport
social par exem ple. L'essentiel de la créature doit donc s’inter­
préter à partir de ces relations nouvelles dont la finitude n ’est
qu’un accident ou une condition. La finitude est transcendée.

<f. double 6 , p. 3 >c


La différence entre l’ici-bas et l’au-delà - c ’est que la pensée
de l’ici-bas, n’est pas pure pensée, c ’est-à-dire n’est pas le rapport
avec le Transcendant pur. Elle est com préhension, c ’est-à-dire
appropriation - c ’est-à-dire se base sur une distinction entre chose
et élém ent — c ’est-à-dire est jouissance — {c ’est-à-dire reste dans le
q u alitatif extatiquem ent - transforme objet en sujet - ne touche
pas la substance} c ’est-à-dire est économ ique. O pposition entre
économ ie et religion. A u-delà - m orale - parole.

<f. double 5 , p. 3 > d


N otes
1° La conceptualisation - le fait de saisir l’individu qui seul existe
à p artir du général qui seul perm et de saisir — ce m ouvem ent du

a. Le texte de cette page est écrit au stylo bille à encre violette.


b. « Fini » en surcharge de « fini ».
c. Le texte de cette page est écrit au stylo bille à encre violette.
d. Le texte de cette page est écrit au stylo bille à encre violette.
Notes philosophiques diverses 475

particulier à l’universel et de l'universel au particulier - coïncide-


t-il avec le passage de l'étan t à l'être ?
2° L'analyse de l'amour
doit com m encer dans le tendre et le
charnel.
3° Chez m oi, p rim at de l'existentiel (par rapport à l'existential)
— m ais l ’existentiel considéré com m e étant et non pas d'abord
com m e engagé, dans l'histoire. Plutôt*parlant le récit, que parlé
dans le récit.
4° L'ordre éthique ne prend de sens que dans les conflits d'ordre
m atériel.

<f. double 4 , p. 3 >a


D ialectique de la pensée
Le Tout dans lequel je suis est en m oi.

<f. double 4 , p. 4 > b


M éthode
D éduction de la vision
C om m e l’une des relations formelles qui s'im posent im m édia­
tem ent dans l'il y a — apparaît la définition. N on pas com m e un
m ouvem ent de pensée qui suppose déjà la relation sujet objet et
qui apparaît com m e une m odalité de ce rapport.
C ’est la vision elle-m êm e qui rend possible la définition. C ’est
le m êm e processus dans l ’être : une négation de l’infini, une néga­
tion telle que son résultat ne s'affirme qu’en se trahissant. C'est
cela le sujet saisissant l'objet — le saisissant avec la m ain-à partir
d'un système. Le système, c'est précisém ent cette indépendance
et cette évanescence de l’indépendance, cette trahison qui s'offre
à l ’intelligence rusec. La signification de l’objet, c ’est précisém ent
le fait q u ’il se livre. Ce qu’il a de fort et de résistant se livre à tra­
vers ce qu’il a de renoncem ent à son individualité - par sa réfé­
rence à l’horizon ou au concept.

a. Le texte de cette page est écrit au stylo bille à encre violette.


b. Le texte de cette page est écrit au stylo plume à encre bleue.
c. Il faut sans doute comprendre l’intelligence comme ruse. Cf infra feuillet double 1, p. 4.
476 Carnets de captivité
< {. double 3 , page 3 > tt
L’intersubjectivi té
Il n'existe pas de concept du m oi. L'« intersubjectivité » ne
consiste pas à saisir un autre m oi hors de m oi — mais à saisir cet
autre m o i com m e m oi. La vision intersubjective n’est pas sim ple­
m en t la réalisation1" par la pensée d ’un concept — la subsom ption
d ’un individu sous un concept. L’essentiel de l’intersubjectivité :
il n’existe pas de concept du m o i.

<f. double 2 , page 3 > c


Pour M erleau-Ponty — dire que la conscience est intersubjec­
tivité, c ’est poser com m e son événem ent fondam ental : l ’investis­
seur — investi.

<f. simple 3 recto > d


Visage — attitu d e positive à l’égard de l ’Infini. Toute pensée' du
m onde - distincte de la perception - par le fait q u ’elle le saisit
à p artir de l’infini - par la définition - est ra p p o rt avecg d^in
m onde hum ain - e^un monde à p artir d ’un visage. M onde pensé
= monde hum ain. La fin de l ’anonym at. Que peut signifier d ’autre
m onde hum ain î E n réalité avant q u ’on ait abordé le m onde social
et m oral. La pensée = lah morale dans la nature.

<f. simple 4 recto verso>i


Fini — infini
< recto > La conscience com m e définition —consiste à délim iter
un objet, c ’est-à-dire à l’opposer à l’infini. Dès lors se posent deux

a. Le texte de cette page est écrit au stylo bille à encre violette.


b. « réalisation » en surcharge de « vision ».
c. Le texte de cette page est écrit au stylo bille à encre violette.
d. Le texte de cette page est écrit au stylo bille à encre violette.
e. « pensée » en surcharge de « vision ».
f. « rapport » en surcharge de « vision ».
g. « avec » esc sans doute un ajout.
h. Levinas a semble-t-il écrit « le » en surcharge de « la » ; dans l'incertitude, nous préférons
ne pas porter la correction.
i. Le texte de ce feuillet est écrit au stylo bille à encre violette.
Notes philosophiques diverses A il
questions.: l ) y a -t-il conscience avant cette délim itation ? 2 ) en
quoi consiste la conscience de l’infini ?
1) La conscience avant» la délim itation, indifférence à l’égard
de* l’infini = 'sensibilité. N e p a s aller sur les lim ites de l’objet. N e
pas avoir de rapport avec l’objet, com m e objet, mais avec l’objet
com m e qualité. O n a eu to rt de se lim iter à la sensation com pie
atom e de conscience ; sensation com m e élém ent, soutenant, en
dernière analyse, la p erception m êm e de l’objet d it pensé. L’objet
d it pensé - c ’est-à-dire perçu n’a pas seulem ent le sensible com m e
contenu, mais suppose la conscience sensible, com m e conscience
de l’élém ent. - D istinction entre l’objet d it pensé, ce lu i.d e la
perception et l’objet pensé supposant la ^ lim ita tio n par rapport
à l’in f in i-o b je t scientifique. R upture entre p e rc e p tio n s science ?
P rim at du dévoilem ent au niveau de la délim itation ou de l’élé­
m ent.
2 ) La conscience de l’infini - rapport avec la personne. Le
visage. Les possibilités infinies - non pas com m e des révélations
d ’un élém ent : l’étant est interlocuteurs4 et ne <verso> se révèle
pas infiniment - mais la parole est un infini : son'extériorité et sa
force et sab non-violence et son interprétation — et sa sollicitation
à m on renouvellem ent.

<f. double 1-, pp. 3 et 4 > c


><p. 3> Le p rim at d e l’ontologie
« Avant de connaître l’étant, ilfau t connaître l ’être. »T ruism e ?
Les recherches auxquelles cela donne lieu p erm etten t d ’aperce­
voir à cette évidence du sens com m un à la mode — un sens moins
com m un et plus ancien.
Connaissance de l’être rend possible celle de l’étan t.
Platon pour voir : objet et lum ière. Lum ière n ’est pas vue,
m ais on voit dans la lum ière. D onc vision : rapport avec quelque

a. Il faut sans doute mettre le mot au singulier.


b. « sa » en surcharge de « son ».
c. Le texte de ces deux pages est écrit au stylo bille à encre bleue.
478 Carnets de captivité
chose au sens d un rapport avec ce qui n’est pas qqch. O uverture
heideggerienne.
H usserl : voir un objet à* l ’horizon - dans une ouverture
bouchée p ar l ’opacité de l’objet. Chose = essentiellem 1silhouette
à l’horizon. - P ou r H eid g : in telligen ce de l ’étan t consiste
à aller au-delà de l ’étan t et à l ’apercevoir à l’horizon de l ’ê tre .
Chez H usserl l ’idée de silh ou ette est tou te proche : o bjet n ’est
connu que dans un ch atoiem en t de silhouettes (¿Abschattung) -
C et horizon est-il qqch. ou rien ? P ou r H eid eg ger — ce t horizon
n ’est rien — pure ouverture. P ou r dire ce q u ’il est il < instaure /
restaure ?> l ’ontologie.
<p. 4 > R approchem ent avec les G recs : l’objet particulier qui
seul existe neb peut être com pris que sur l’horizon de l’universel —
{Intelligence ruse}
D 'où intelligence —contrairem ent à Berkeley — une m édiation.
Ruse : s’empare de l’individu par sa faiblesse (par ce qu’il a de non
individuel). Lutte. L u tte m êm e dans le corps à corps recherche le
côté par où l’ennemi est plus faible. Les choses s’offrent à l’intel­
ligence violence et ruse.

<f. sim ple 5 recto > c


Si pour un juif la vie dans un É ta t m oderne pouvait devenir
un accom plissem ent du judaïsm e, c ’est que l’É ta t moderne»est un
É ta t issu de la révolution - s’étant donné com m e successeur d ’une
révolution et com m e constructeur des idées révolutionnaires.
L’É ta t m oderne est un É ta t revêtu de mission religieuse.

a. « à » en surcharge de « en ».
b. « ne » répété deux fois.
c. Le texte de cette page est écrit au stylo bille à encre bleue.
Notes

Les quelques passages en russe ont été traduits par Simone Sentz-Michel. La traduc­
tion des passages en hébreu et les notes sur le judaïsme sont de Catherine Chalier. Les
autres notes sont de Rodolphe Câlin.

N o te s des C arn ets d e ca p tiv ité

Notes du Carnet 1

1. L’expression signifie : comment, de quelle manière cela réside-t-il là-dedans ? Il


s’agit d ’une allusion à la question par laquelle Husserl, expliquait Levinas dans Théorie
de l'intuition dans la phénoménologie de H usserl, op. cit. , p. 175 sq .y invite à se déprendre
de la naïveté de l'attitude naturelle qui considère l'objet transcendant comme quelque
chose de donné et d’existant, et reste aveugle aux intentions de la conscience qui le
constituent. Citant les Ideen I de Husserl, Levinas écrivait : « Comprendre la transcen­
dance, c ’est analyser les intentions des actes qui la constituent. C’est voir à quoi vise la
conscience en se transcendant. Il y a à comprendre "le mode d’être du noème, la manière
dont il doit se trouver {w ie es liege) et être conscient dans le vécu” » (ibid. , p. 181).
2. Il s’agit sans doute de Bahya Ibn Paqûda (xi* siècle), qui vécut en Espagne où il
exerça les fonctions de juge. Il est surtout connu pour son livre Les Devoirs du cœury trad.
de A. Chouraqui, préface de J . Maritain, Paris, Desclée de Brouwer, 1950 et 1972. Dans
ce livre, il insiste sur la vie intérieure et sur l ’amour qui l ’anime dans la quête de Dieu.
* 3. Levinas a consacré un article à Lévy-Bruhl, auquel on peut ici se reporter : « Lévy-
Bruhl et la philosophie contemporaine », Revue philosophique de la France et de VÉtranger,
n*° 4 , octobre-décembre 1957, pp. 5 5 6 -5 6 9 (repris dans Entre nous. Essais sur le penser-à-
l’autre, Paris, Grasset, 1 991, pp. 53-67).
4. C'est à la notion de participation chez Lévy-Bruhl que se réfère ici Levinas.
5. Titre du célèbre roman d’Ivan Gontcharov.
6. « Chabbat ».
7. Franz Cumont, Les R eligions orientales dans le paganism e romain. Conférences fa ites
au C ollige de France en 1905 [1 9 0 6 ], 4 e édition revue, illustrée et annotée, Paris, Libr.
P. Geuthner, 1929.
8. Alfred Loisy, Les Mystères païens et le mystère chrétieny Paris, E. Nourry, 1919-
480 Carnets de captivité
Notes du Carnet 2

1. Sur ces indications de temps et de lieu, cf. supra la notice sur les Carnets de cap­
tivité.
2. Henry de Régnier, L e M iroir des heures, 1 9 0 6 -1 9 1 0 , Paris, Mercure de France,
1910, p. 18.
3. Expression husserlienne qui interroge l'intentionnalité de la conscience : « Où
veut-elle en venir ? » Levinas a commenté à plusieurs reprises cette expression. Cf. Théo­
rie de Vintuition dans la phénoménologie de H usserl, op. cit., p. 177 et A ltérité et Transcendance,
Montpellier, Fata Morgana, 19 9 5 , p. 37 sq. Il faut rapprocher ce fragment de celui qui
se trouve au début du Carnet 1, qui évoque une autre formule husserlienne — « w ie
liegt es drin » - , qui a également pour objet de mettre au jour l ’intentionnalité de la
conscience (cf. Carnet 1 , p. 1, et notre note 1).
4. Racine, Phèdre, acte IV, scène V I, v. 1 2 7 5 -1 2 7 8 .
5. Racine, Phèdre, acte IV, scène V I, v. 1 2 3 8 -1 2 4 2 .
6. Racine, Phèdre, acte IV, scène V I, v. 1 2 5 2 -1 2 5 6 .
7. C f. l ’Arioste, R olan d fu rieu x, chant X I , strophes X X I I sq.
8. C f. l’Arioste, R olan dfu rieu x, chant III, strophe X IX .
9. C f l’Arioste, R olan d fu rieu x, chant X III, strophes X L IX -L .
10. C f l’Arioste, R olan dfu rieu x, chant XV, strophe X III.
11. C f. E. Poe, D eux contes, trad. M .-D . Calvocoressi, in M ercure de France, n° 32 8 ,
t. L X X X IX , 16 février 19 1 1 , pp. 7 8 7 -8 1 1 .
12. Levinas cite l’édition suivante : Arioste, R olan d fu rieu x , t. IV, trad. fr. F. Rey-
nard, Paris, A. Lemerre, 1 880, pp. 7 7 -7 8 .
13. Notion développée par Heidegger dans Être et Temps, § 2 9. « Heidegger fixe par
le terme de G ew orfenkeit ce fait d ’être jeté et de se débattre au milieu de ses possibilités
et d’y être abandonné. Nous le traduirons par le mot déréliction », Levinas, « Martin
Heidegger et l’ontologie », article paru en 1932 dans la Revue philosophique, repris dans
En découvrant Vexistence avec H usserl et H eidegger, op. cit., p. 68.
14. Levinas se réfère à L A ltern ative, Paris, Alcan, 1938. Le chapitre 3 de ce livre,
ici visé par Levinas, sera repris avec quelques retouches comme chapitre 2 de L ’Aven-
ture, l ’.ennui, le sérieux, paru en 1963 [réédité dans Philosophie m orale, Paris, Flammarioir,
1998. Nous indiquons successivement la pagination de L A ltern ative et de LA venture,
l’ennui, le sérieux, dans l’édition de 19 9 8 }. Bien que le terme d’« ¡1 y a » ne se trouve
pas dans L A lternative, les descriptions de l ’ennui comme « le “plein du vide”, l ’être du
Rien » (p. 153, p. 9 0 5 ) rejoignent en effet la notion d’« il y a » au sens où l ’entend Le­
vinas. On lira également la page 182 (p. 9 23 de L Aventure, l ’ennui, le sérieux), qui associe
l’ennui et l ’insomnie, insomnie par laquelle Levinas tentera d’approcher F« il y à » dans
Le Temps et l ’A utre [1 9 4 8 ], Paris, PUF, « Quadrige », 1 983, p. 27.
15. Th. Dostoïevsky, L ’Esprit souterrain, traduit et adapté par E. Halpérine et
Ch. Morice, Paris, Plon-Nourrit et Cie, 1886. Le titre de cet ouvrage —Z ap iski iz pod-
p o lia - a varié au gré des traductions françaises. La plus récente s’intitule Les Carnets du
sous-sol, trad. A. Markowicz, Paris, Actes Sud, 1992.
16. Sur cette indication de lieu, cf. supra notice sur les Carnets de captivité.
17. Allusion au premier chapitre de L ’A lternative, op. cit., de Jankélévitch.
Notes 481

18. Sur cette indication de lieu, cf. supra notice sur les Carnets de captivité.
19. M. Proust, À la recherche du temps perdu, t. V II, A lbertine disparue, I, Paris, éd. de
la N ouvelle Revue française^ 1 925, p. 15.
20. La .phrase de Proust se trouve en réalité sur la page 16 de l’édition citéê par
Levinas (cf. la note précédente).
21. Proust, op. cit., p. 22.
22. Proust, ibid. y p. 24.
23. Proust, ib id .y p. 17.
24. Proust, ibid, y p. 9.
25. S ’agit-il du théoricien na2i Alfred Rosenberg ? Rappelons qu’à l ’époque Levi­
nas avait déjà présenté « Quelques réflexions sur la philosophie de l’hitlérisme », dans
Esprit y 1934, n° 2 6 , novembre, pp. 1 9 9 -2 0 8 (article repris dans Les Imprévus de Vhistoirey
Montpellier, Fata Morgana, 1994, pp. 2 7 -41).
26. C f. dans ce xñéme carnet, la p. 4 2 , et notre note 36.
27. C ’est en ces termes que sera décrit W eill, personnage à'Eros (?). En ce qui
concerne ce roman, on se reportera à la préface de ce volume.
28. L’idée du judaïsme comme « catégorie » se réfère à la pensée de Franz Rosen-
zweig. Levinas l ’explicite en effet dans deux articles ¿onsacrés à ce philosophe. C f. « En­
tre deux mondes (la voie de Franz Rosenzweig) » in D ifficile liberté [1 9 6 3 ], Paris, Al­
bin Michel, 2 0 0 6 , p. 237 : « L’existence juive est une catégorie de l ’être » ; et « Franz
Rosenzweig : une pensée juive moderne » in H ors sujet, Montpellier, Fata Morgana,
1987, p. 82 : « Création, Révélation et Rédemption entrent dans la philosophie avec la
dignité de catégories. »
29- Il s’agit d’une citation non littérale du roman de M. Chadoume. Voici l’ensemble
du passage auquel il est fait référence, qui n’est pas sans résonances dans la pensée de Le­
vinas : « Il voudrait dire : “Cécile, comprenez-moi comme j ’essaie moi-même de me com­
prendre. Il n’est qu’un amour, celui’qui me délivre de l’égoïsme qui m ’enserre, m ’élargit,
me fait échapper à ma prison, celui qui m ’unit à toute souffrance ou toute joie et libère ma
pitié. J e me découvre. Toute douceur est pitié. J ’ai connu cette douceur, cette pitié. J e sais
qu'il n’est pas d’autre amour. J e le sais... Et il m ’échappe... À vous maintenant, à mon
secours... Aidez-moi” », Marc Chadoume, Cécile de la fo lie, Paris, Plon, 1930, p. 273.
30. Balzac, H onorine, in L a Comédie hum aine, t. II, Paris, Gallimard, « La Pléiade »,
1 976, p. 571.
31. Allusion au roman d ’Anatole France, M onsieur Bergeret à P aris, Paris, Calmann-
Lévy, 1900.
32. A. de Vigny, Œuvres complètes, t: II, texte présenté et commenté par F. Baldens-
perger, Paris, Gallimard, « La Pléiade », 19 4 8 , p. 9 4 5 .
33. Vigny, Œ uvres complètes, t. II, édition d’Alphonse Bouvet, Paris, Gallimard, « La
Pléiade », 19 9 3 , p. 4 9 8 .
34. C f. Vigny, Stello, chap. 32.
35. Sim hat Torah est la fête de la joie de la Torah. Cette fête se passe en automne,
après le Nouvel An, le Jo u r du Grand Pardon et la fête des Tentes (Souccot) ; elle clôt le
cycle annuel de lecture de la Torah 41e Pentateuque) et entame un nouveau cycle. Les
rouleaux de la Torah sont sortis de l’arche sainte et les fidèles dansent en portant ces
rouleaux.
482 Carnets de captivité
36. Il sera également question, dans le Carnet 3, p. 6, de Ju les, que le rire j. empêche
de dormir. Il est difficile de savoir de qui il s’agit. Signalons, cependant, si surprenante
soit, dans ce contexte, cette référence, que Ju les est aussi le nom d’un personnage d'Eros
(?). Dans un passage de ce roman, que malheureusement son contexte n’éclaire pas,
Levinas écrit : « J u les Le sommeil de Ju les. Le grand G est [.. .}L e sommeil de M. Jules
et son rêve » (Levinas écrit bien ici « G » et non « J . »).
37. C f le livre d’Esther dans la Bible. Mardochée est l ’oncle d’Esther, déporté à Ba-
bylone. L’histoire racontée dans le livre se passe à la cour du roi Assuérus. Mardochée et
Esther jouent un rôle essentiel pour sauver les juifs menacés d’extermination par Aman,
le premier dignitaire du royaume.
38. C f. I Samuel 3, 4 -1 0 . L’Éternel appelle Samuel, celui-ci croit que c ’est Héli qui
l'appelle, l'épisode se répète trois fois et Héli comprend que' c ’est en fait l’Éternel qui
appelle Samuel. Il lui dit alors de répondre désormais : « Parle, ton serviteur écoute. »
L’expression ’ïïn (hinneni) signifie « me voici ». C ’est d’abord la réponse d'Abraham à
l’appel de Dieu, et c’est ensuite celle de tous ceux qui répondent à cet appel. Levinas se
réfère souvent à cette expression dans son œuvre pour parler de la structure prophétique
de la subjectivité.
39. S’agit-il du roman d’Irène Némirovsky, D avid G older, Paris, Grasset, 1929 ?
40. Dans Eros (?), cette réplique de Tramel intervient juste après l ’évocation du
chien Bobby. C f. à propos de ce dernier, Carnet 6 , p. 2, et notre note 1.
41. Les éditions Plon ont réédité de nombreuses fois cet ouvrage, sans respecter
la pagination de la première édition [Gobineau (comte de), L a Renaissance. Savonarole,
C ésar B orgia, Ju les II, Léon X , M ichel-A nge, scènes historiques, Paris, Plon, 1877} ; nous
n’avons pu consulter toutes les rééditions et retrouver celle à laquelle se réfère proba­
blement Levinas. On pourra lire le passage cité dans Gobineau, Œ uvres, t. III, Paris,
Gallimard, « La Pléiade », 19 8 7 , p. 7 3 9 .
42. « na-iznankou » signifie « à l’envers ».
4 3 . Il s’agit d’un nom propre.
4 4 . Sur la n o ù o n d ' A ufmachung, cf. le Carnet 3, p. 9 , et notre note 9. Si le film dont
il est question est celui du G ran d M eaulnes, Levinas ne vise pas l’adaptation cinémato­
graphique du roman d’Alain Fournier, qui n’aura lieu qu’en 19 6 7 , mais il considère
le roman lui-même comme un film, au sens où il y voit la mise en œuvre de ce qu’il
appelle YAufmachung.
4 5 . « partent devant nous », au sens, sans doute, où, à travers les points de vue, les
plans et les gros plans qu’en fait le cinéma, le paysage perd sa continuité ; des morceaux
s’en détachent et ressortent dans leur particularité et leur étrangeté (cf. notre note 9
du Carnet 3 sur la notion d ’Aufm achung). U n passage d’un chapitre de D e l ’existence à
l ’existant, qui décrit la manière dont l’art moderne fait apparaître les objets, nous en
donne un équivalent « À un espace sans horizon, s’arrachent et se jettent sur nous
des choses comme des morceaux qui s’imposent par eux-m êm es... » (D e l ’existence à
l ’existant, op. cit., p. 91).
4 6 . Il s’agit de la pièce d’Eugène Labiche, Un chapeau de p a ille d ’Ita lie, mise en scène
par Gaston Baty (1 8 8 5 -1 9 5 2 ) en 1 9 3 8 à la Comédie-Française.
47. « hinneni » signifie « me voici ». Cf. supra, notre note 38.
48 . Allusion au livre d’Anatole France, Les Opinions de M . Jérôm e C oignard;
Notes 483

recueillies par Jacques Tournebroche et publiées par Anatole France, Paris, Calmann-
Lévy, 1893.
49 . Ce passage nous demeure obscur, mais il s’agit sans doute de Robert Dreyfus
(1 8 7 3 -1 9 3 9 ), auteur notamment de L a Vie et les prophéties du comte de G obineau, Paris,
Cahiers de la quinzaine, 19 0 5 , et des Souvenirs sur M arcel Proust, avec des lettres inédites
de Marcel Proust, Paris, Grasset, 1926.
50. « znakom it’sia » signifie « faire la connaissance de (quelqu’un) ».
51. Il s'agit sans doute de A. H . Navon (1 8 6 4 -1 9 5 2 ), n atif de Sinopoli en Turquie.
Écrivain, il fut également directeur de l’École normale israélite orientale.
52. C f. supra dans ce carnet, p. 3 5 , et notre note 28.
53- Il pourrait s’agir d’une réplique de W eill, personnage d'Eros (?). Dans le roman,
en effet, celui-ci déclare, de façon proche, en français : « J e sais jouer aussi du classique.
D ’ailleurs je préfère renchérissait W. complètement saturé de gloire et recouvrant par
elle sa nudité de timide. S
54. Ce verbe, que l’on peut lire dans L e Q uart L ivret Rabelais, Œuvres complètes, Paris,
Gallimard, « La Pléiade », 19 5 5 , p. 6 2 7 , est défini dans la B riefve déclaration : « cory-
bantier, dormir les oeilz ouvers », ib id ., p. 7 4 2 .
55. On trouve plusieurs listes de correspondants dans ces Carnets. Il ne s’agit pas
seulement de simples correspondants, mais aussi de donateurs, de personnes de connais­
sance (ou alors de personnes auprès desquelles Levinas avait été recommandé par un
tiers) qui s’étaient proposés d’envoyer des colis, et auxquels Levinas devait pour cela
adresser au préalable dei étiquettes ou formulaires de colis (au sujet de ces étiquettes,
cf. Carnet 4 , p. 13, et notre note 10).

Notes du Carnet 3

1. Le personnage du directeur de ce roman est-il inspiré de A. H. Navon ? Sur


A. H. Navon, cf. le Carnet 2, p. 6 2, et notre note 51. Rappelons par ailleurs que Le­
vinas fut lui-même pion à l ’Enio (École normale israélite orientale), où il sera ensuite
professeur et dont il deviendra le directeur en 1946.
2. « O upopa byla sobaka », « un pope avait un chien », début d’une chanson popu­
laire très connue, qui a la particularité d’être sans fin : « Un pope avait un chien / Il
l’aimait /Le chien chipa un morceau de viande /Le pope tua son chien /Puis il creusa un
trou / Enterra son chien / E t sur la pierre il écrivit : / Un pope avait un chien ... »
3. C f. Carnet 4 , p. 14, et notre note 11.
4. Levinas évoque l ’arrestation à Paris en 1943 de sa belle-mère, Malka Frida Lewy,
qui sera ensuite déportée. Simone (née en 1935), fille d’Emmanuel et de Raïssa Levinas,
était alors cachée chez les sœurs de Saint-Vincent-de-Paul et sera rejointe peu de temps
après cette arrestation par sa mère. Elles y resteront jusqu’à la Libération.
5. C f Carnet 2, p. 4 2 , et notre note 36.
6. C f. Rabelais, Le Q uart L ivre, chap. LVII et LVIII.
7. L’expression se trouve dans Le Q uart L ivre, chap. L X III et LXV, Rabelais, Œuvres
complètesf op. cit.t pp. 715 et 7 2 1 . Elle signifie, comme le précise l’éditeur de ces Œuvres
complètes, « mettre le temps au haut, au beau, c’est-à-dire se divertir ».
8. « P aradn yj khog » signifie « entrée principale (d’un immeuble) ».
484 Carnets de captivité
9. Si le concept d'Aufm acbung n’est pas, à notre connaissance, présent dans l’œuvre
publiée de Levinas, la chose l’est néanmoins. Précisons pour commencer que YAufm a-
cbung signifie la présentation visuelle d’un produit. Présenter visuellement un produit,
c’est prendre soin de son apparence extérieure {A ufm achm signifie notamment « arran­
ger », « apprêter » ou encore « parer »), par exemple par l’emballage, afin d ’attirer l’at­
tention sur lui, de le m ettre en avant ou en vedette. C’est le faire passer au premier plan,
en faire, en ce sens, un gros plan. C ’est de là que l ’on peut partir pour comprendre la
définition du cinéma proposée par Levinas. Dans le chapitre de~De l'existence à l'existant
où il souligne que l’art, dans la mesure où il substitue à l’objet une image de l'objet,
c’est-à-dire une simple vue prise sur lui (cinématographiquement, un p lan ), a pour effet
de l’arracher au monde, de le mettre à nu, et, ce faisant, d’en faire ressortir le caractère
d’altérité, Levinas prend notamment l’exemple du cinéma, plus précisément, du gros
plan cinématographique : « Des effets du même ordre s’obtiennent au cinéma par les
gros plans, f __3 Ils arrêtent l’action où le particulier est enchaîné à un ensemble pour
lui permettre d'exister à part ; ils lui perm ettent de manifester sa nature particulière et
absurde que l’o b jectif découvre dans une perspective souvent inattendue, la courbure
d’épaule à laquelle la projection donne des dimensions hallucinantes en m ettant à nu ce
que l’univers visible et le jeu de ses proportions normales estompent et dissimulent »
(D e l'existence à l'existant, op. cit., p. 88). Le gros plan n’est pas ici un exemple parmi
d’autres de l ’art cinématographique, mais bien le propre du cinéma, thèse qui n’a rien
d’aberrant (le théoricien hongrois Bêla Balàzs considérait lui aussi que le propre du
cinéma se manifeste dans le gros plan et non dans le plan général). Définir le cinéma
comme l'art de YAufmacbung, c ’est le définir comme l’art du gros plan, c’est-à-dire,
comme l’art d’arracher les choses à leur contexte, d’en faire ressortir la nudité et, en ce
sens, l’altérité et l’étrangeté : « Dans YAufmacbung les choses apparaissent dans le mys­
tère de l ’étrangeté. [ . . . } C ’est le charme du cinéma », dit un autre passage des Carnets.
On peut dire également que le cinéma est l’art du point de vue, mais à la condition de
préciser que celui-ci y est toujours en un sens un gros plan, parce que, isolant la chose de
tout contexte, il en fait ressortir tout le poids, l ’épaisseur et la matérialité. Ajoutons que
ce terme d'A ufm acbung, sans perdre son enracinement dans l’art cinématographique,
prend aussi dans les Carnets une signification plus générale. Levinas parle ainsi de « la
description des paysages non pas dans la connaissance parfaite qu’on peut avoir d’eux,
mais dans leur Aufmachung » (Carnet 2, pp. 4 9 -5 0 ), c'est-à-dire dans les points de vue
que l’on peut en prendre, qui ont pour effet d'en souligner le mystère, autrement dit,
de les rendre insaisissables et inconnaissables ; ou encore, dans ce même fragment, il
qualifie le souvenir d'Aufm acbung - au sens, sans doute, où le souvenir est fragmentaire.
De même, à propos de ses procédés littéraires, il parle du « souci de YAufmacbung »
(p. 13 du Carnet 7a inséré dans le Carnet 7), c’est-à-dire du souci des choses ou des
situations non pas en tant qu’elles font partie d’un contexte, comme choses du monde,
mais en tant que, dans leur isolement et leur particularité, elles suspendent le monde, y
introduisent la dimension même du fantastique.
10. C f 2 Maccabées 7, 2 0 -4 1 . Antiochus Épiphane (1 7 5 -1 6 4 avant ère courante)
entreprend d’imposer la culture grecque en Palestine. Les sept fils d'Anna sont arrêtés
avec leur mère car ils refusent de se soumettre. Ils sont martyrisés, l’un après l ’autre,
devant leur mère qui les encourage à ne pas céder, et qui mourut après ses fils.
Notes 485

11. Scène semblable dans Eros (?)


12. Laaituation sera reprise dans Eros (?).
13. « Clemencet » est le nom d'un personnage d’JBros (?).
14. Ce relâchement T?t t e repli sur le bonheur personnel seront à nouveau évoqués
dans Eros (?).
15. Allusion, probablement, au discours de Pierre Laval du 10 juillet 1943 aux
représentants des prtsorfniers à Paris.
16. Cette scène "de Landau qui, le 10 mai 1940, se réjouit surtout de voir aboutir ses
démarches pour être admis au mess du ministère de la Marine, sera reprise dans Eros (?).
17. Nous savons, grâce à la correspondance avec sa femme pendant sa captivité,
qu'au moins certains noms mentionnés ici par Levinas ne renvoient pas seulement à
des personnages fictifs, mais aussi à des personnes réelles. C'est lé cas du D r Fourès et
de Raymohd Pdlntlevöy, celui-ci étant décrit dans une lettre comme son « camarade de
captivité ». Le nom de ‘Raymond Pontle^oy,' étonhamment, apparaît également dans
l’un des feuillets insérés dans le Carnet 6 qui contient une liste d’adresses. Le camarade
de captivité èst peut-être devenu un correspondant après avoir été libéré.
18. Précisons que Tramel, dont il est question dans ce fragment qui évoque une
scène dont on ne sait si elle est réelle ou fictionnelle, ou les deux à la fois, sera un per­
sonnage â'Eros (?).
19- Si « W. » désigne bien W eill, personnage à'Eros (?), alors cette scène, que nous
évoquons dans notre préface, n’est pas seulement - voire n’est peut-être pas du tout -
réelle, mais également fictiorinelle.
20. Leyinas évoque probablement l’enseignement religieux que sa fille Simone (née
en 1935) devait recevoir au monastère des sœurs de Saint-Vincent-de-Paul, à Stains, où
elle était cachée pendant la guerre, sous un faux nom de famille (Devos).
21. Sur le roman Triste opulence, voir notre préface des Carnets de captivité.
22. Au sujet de ces étiquettes, cf. Carnet 4 , p. 13, et notre note 10.

Notes du Carnet 4

1. Cette scène sera reprise dans Eros (?), qui la situe au printemps 1942.
2. Description de W eill qui sera reprise dans Eros (?).
3. Mérite remarque que dans la note précédente.
4. Romain Rolland, M ahatm a G an dhi, Paris, Stock, 1923.
5. « Dofuhr » est sans doute une abréviation pour Kommando fiib rer. Ce chef du
commando est évoqué dans Eros (?) et présenté comme étant exterminateur de rats
CRattenfänger) dans le civil.
6. Cette scène sera reprise dans Eros (?), comme' une scène à laquelle assistent les
prisonniers, massés sur la remorque d’un tracteur.
” 7. Allusion au chapitre 9 du livre 11 (quatrième partie) des Frères K aram azov de
Dostoïevski, qui s'intitule : « Le diable. Le cauchemar d’Ivan Fédorovitch ».
'8 . Levinas cite Plotin d’après Ennéades, 1.1 , texte établi* et .traduit par E. Bréhier,
Paris, Les Belles Lettres, première édition, 1 9 2 4 ,p . 8 4.
9. Le chapitre 53 d’Isaïe est connu sous le' nom de chapitre du « serviteur souf­
frant » ; il a reçu des interprétations messianiques tant par les juifs que par les chré­
486 Carnets de captivité
tiens. Levinas s’y réfère à plusieurs reprises dans son œuvre pour parler de la souffrance
pour autrui. C f par exemple, Humanisme de Vautre homme, Montpellier, Fata Morgana,
1972, Le Livre de Poche, p.^53 : « Le M oi, écrit Levinas, est dans sa position même de
part en part responsabilité ou diaconie, comme dans le chapitre 53 d’Isaïe. »
10. Les étiquettes sont des formulaires de colis. Les prisonniers ne pouvaient re­
cevoir de colis qu’à la condition d’expédier aux donateurs une étiquette à leur adresse
que leur remettait le camp. En raison du nombre lim ité des colis auxquels avait droit,
chaque mois, tout prisonnier, les étiquettes pouvaient faire l ’objet d’un rachat, d’un
échange, ou, com ité ici, sem ble-t-il, devenir une mise au jeu.
11. Cette situation sera évoquée, un peu différemment, dans Eros (?). Les prisonniers
passent régulièrement en camion devant une baraque de jeunes Allemandes appartenant
à l’armée et « admirent » un pull ou une paire de bas qui sèchent, ou encore aperçoivent
une fois à travers une fenêtre ouverte une fille qui se peigne ( t f, également, le Carnet 3,
p. 3). Levinas s’attarde alors sur la signification de l'érotisme de cette situation.
12. La scène sera reprise dans L a D am e de chez W epler. Les sœurs Blumenfeld, coutu­
rières, qui tiennent une boutique au rez-de-chaussée de l’immeuble où habite Ribérat,
expriment à ce dernier leur peur lors des alertes dans les premières journées de la guerre.
«< Ce sale, cet instinctif attachement à la vie » qu’exprime cette peur, plus que le man­
que de courage, lui inspire alors le dégoût.
13. L’expression « sa vigne et son figuier » est biblique. C f. Zacharie 3, 10 « En
ce jour, dit l ’Éternel Cebaot, vous vous convierez l’un l’autre sous la vigne et sous le
figuier » ; II Rois 18, 31 : « N ’écoutez pas Ézéchias, car voici ce que propose le roi
d’Assyrie : manifestez à mon égard des sentiments pacifiques, rendez-vous auprès de
moi, et chacun mangera les produits de sa vigne et de son figuier, et chacun boira l’eau
de sa citerne. » L’expression fait allusion à un idéal pacifique ; dans la dernière citation,
il s'agit d’une tentation proposée par le roi d’Assyrie.
14. C f. Deutéronome 2 8 , 10 : « Et tous les peuples de la terre reconnaîtront que
le nom de l’Éternel est associé au tien » ; également Zacharie 2, 15 : les nations « se
rallieront à ¡ ’Éternel ».
15. Jean Giraudoux, 0ndinet Paris, Grasset, 1939.
16. « T ahat » signifie « à la place de, sous ».
17. Levinas cite l’édition de 1916.
18. Levinas se réfère à Jankélévitch, U A lternative, op. cit. (lire en particulier pp. 4 et
58). C f. Carnet 2 , p. 1 7 -1 8 , et notre note 14.
19. Levinas se réfère peut-être à nouveau à Jankélévitch, L ‘A lternative, op. cit.,
p. 64.
20. « p la tk i » signifie « fichu ».
21. Ces citations sont extraites du livre premier des Caves du V atican. Manifeste­
ment, c ’est à la langue de Gide, et, à travers elle, sans doute, à la langue française - qui,
rappelons-le, n’était pas sa langue maternelle — que Levinas est ici attentif. Précisons
que l’avant-dernière citation, « elle a empêché [ . . . ] a glissé », est inexacte. Gide écrit,
à propos de Ju liu s de Baraglioul : « La distinction foncière de sa nature et cette sorte
d’élégance morale qui respirait dans ses moindres écrits avaient toujours empêché ses
désirs sur la pente où sa curiosité de romancier leur eût sans doute lâché la bride », Ro­
mans, récits et soties, œuvres lyriques, Paris, Gallimard, « La Pléiade », 1 9 5 8 , p. 689.
Noies 487

22. Levinas évoque sans doute le roman, de Raymond Guérin, L'Apprenti, Paris,
Gallimard, 1946. Cette évocation peut surprendre, car ce fragment appartient à une
suite de notations datée par Levinas de 1944. Mais R. Guérin fut également prisonnier
au stalag X I B et écrivit ce roman durant sa captivité. Bien que nous n’ayons d’autres
éléments pour l ’étayer, il n’est pas impossible que Levinas et Guérin se soient fréquentés
et que ce dernier lu i ait montré le manuscrit de son roman.
23. Axel Munthe, L e Livre de San M ichèle [1 9 2 9 ], trad. fr. P. Rodocanachi, Paris,
Albin Michel, 1 9 3 4 . Dans une lettre à sa femme datée du 22 février 1944, Levinas lui
recommande le livre d’Axel M unthe, qu’il vient de lire.
24. Pierre Arnoult, R im baud, Paris, Albin Michel, 1943.
25. Jean-Paul Sartre, Les Mouches, Paris, Gallimard, 1943. Levinas évoque cet ouvra­
ge ainsi que le suivant dans une lettre à sa femme datée du 7 août 1943.
26. Thierry Maulnier, Lecture de Phèdre, Paris, Gallimard, 1943. Nouvelle édition
revue et augmentée en 1967.

Notes du Carnet 5

1. Ces scènes qui ont lieu au moment de la débâcle seront en partie reprises dans
Eros (?). C f dans ce carnet, in fra , p. 16, et notre nôre 8.
2. Il s’agit d’Élie Fondaminsky Bounakov (1 8 8 0 -1 9 4 2 ). Intellectuel ju if russe, il
meurt à Auschwitz en 1942.
3. Nicolas Berdiaeff, philosophe russe (1 8 7 4 -1 9 4 8 ).
4. Jean W ahl, philosophe français (1 8 8 8 -1 9 7 4 ). Il fonde notamment en 1946 le
Collège philosophique où Levinas donnera de nombreuses conférences.
5. Jean Schlumberger (1 8 7 7 -1 9 6 8 ), romancier et essayiste, cofondateur de la Nou­
velle Revue fran çaise.
6. Henry de M ontherlant, Service inu tile, Paris, Grasset, 1935.
7. C f Bernanos, Jo u rn a l d'un curé de campagne, in Œuvres romanesques, Paris, G alli­
mard, « La Pléiade », 1961, pp. 1 0 5 1 -1 0 5 2 .
8. Levinas évoquera à nouveau dans Eros (?) cette « frénésie » et cette « facilité de
posséder » qu’illustrent les pillages au moment de la débâcle, dans lesquelles il ne voit
qu’une « triste abondance ».
9. Il s'agit de la scène sur laquelle se termine le manuscrit inachevé L a D am e de chez
Wepler. Elle se situe à la fin du mois de mai 1940, juste avant que le héros ne rejoigne
une unité avancée. Ce dernier ne porte cependant pas dans le roman le nom de Rondeau
(qui est aussi celui d’un personnage de Triste opulence et à ’Eros [?]), mais celui de Roland
Ribérat (auquel Levinas, lors d’une campagne de corrections, substituera d’ailleurs celui
de Simon).
10. La découverte d’une voiture abandonnée par celui qui en a rêvé pendant toute sa
jeunesse est une scène que reprendra Eros (?) au moment d’évoquer les pillages lors de la
débâcle. C f p. 16 du présent'Carnet, et notre note 8.
11. Nous ne savons pas de quel lieu « B » est l’initiale. La capitale d'Essia désigne sans
doute la ville de New York, où avait émigré Essia, sœur de la femme d’Emmanuel Levinas.
12. Il s’agit d'un extrait de Vadim, de Lermontov : « La femme, seulement quand
elle a perdu l’espoir, peut perdre la pudeur, ce sentiment inné, incompréhensible,
488 Carnets de captivité
cette conscience involontaire chez la femme de l ’inviolabilité, du caractère* sacré de ses
chants. » C f. Lermontov, Œ uvres, t. IV, éd. de l’Académie des sciences, Moscou, Lenin­
grad, 1 9 6 2 ;p. 122.
13. Levinas cite fort probablement A urélia ou le Rêve et la vie d’après l ’édition Gau­
tier et Houssaye des œuvres de Gérard de Nerval qui a en effet pour titre, donné par
les éditeurs, L e Rêve et la Vie, Paris, V. Lecou, 1 8 5 5 , p. 71 [Gérard de Nerval, Œuvres
complètes, t. III, Paris, Gallimard, « La Pléiade », 19 9 3 , p. 7 1 7 ]. Dans le texte de Levi­
nas, « Le rêve et la vie » indique plutôt en effet le titre de cette édition que le sous-titre
d’Aurélia.
14. Il s’agit vraisemblablement d’une première version d’un passage de L a D am e de
chez Wepler. Le roman précise que cette guerre, qui ne signifie pas encore une « fin de
monde », est la drôle de guerre, « cette guerre paisible d’avant le 10 mai » 1940.
15. H. Rider Haggard, R ed Eve, Hodder & Stoughton, 1911.
16. Romain Rolland, M ahatm a G an dhit Paris, Stock, 1923. C f Carnet 4 , p. 2.
17. Sur Essia, cf. supra notre note 11.
18. Levinas cite probablement de mémoire la deuxième strophe du poème de M al­
larmé, « Le vierge, le vivace et le bel aujourd’hui ».
19. Édouard Estaunié, Solitudes, Paris, Perrin et Cie, 1917.
20. Levinas cite Genèse 2 5 , 22 : « comme les enfants s’entre-poussaient dans son
sein ». Rébecca attend des jumeaux qui seront Ésaü et Jacob. Selon une interprétation
traditionnelle juive, si Jacob, qui deviendra Israël (Gn 32, 29), est l’ancêtre des juifs,
Ésaü serait celui des chrétiens.
21. Levinas fait allusion au zoroastrisme pour lequel il y a un dieu de lumière (Or-
muzd) et un dieu des ténèbres (Ahriman).
22. Ce mot signifie un « J e » de majesté. C/, en particulier, Exode 20, 2 : « J e
Canokhi) suis l ’Éternel, ton D ie u ... »
23. Levinas fait ici allusion à Friedrich Sieburg, B lick durchs Fenster, Aus zehn J a -
hrert Frankreich und England, Societâts Verlag, 19 3 9 , p. 4 6 sq. ; D e via fenêtre, trad. fr.
A. Coeuroy, Paris, Grasset, 1942, p. 4 6 sq.

Notes du Carnet 6

1 . C f * Nom d’un chien ou le droit naturel », in D ifficile liberté, op. cit.t pp. 199-
202. C f aussi Carnet 2 , p. 4 7 , et notre note 4 0 .
2. Levinas cite vraisemblablement ce passage du discours de Zarathoustra intitulé
« Le chant de la nuit » dans la traduction d’Henri Albert, A insi p a rla it Z arathoustra,
Paris, Société du Mercure de France, 18 9 8 , p. 144.
3. Léon Bloy, Lettres à sa fiancée (août 1889-m ars 1 890), Paris, Stock, Delamain et
Boutelleau, 1922. Réédition, conforme à l ’édition originale, avec une préface de Max
Genève, Paris, Le Castor Astral, 1990. Il est peut-être opportun de* rappeler la faveur
dont jouissait L. Bloy auprès des écrivains russes, comme en témoigne par exemple
N . Berdiaefî. Dans un passage de « L’Orient et l’Occident » où il décrit l ’Orient tel que
le conçoit la Russie, il écrit : « M ais c ’est un Orient qui se souvient que ses origines
les plus profondes sont la Bible et Jérusalem. Tout récemment encore, vous aviez, vous
Français, un écrivain remarquable qui avait cette vérité présente à l’esprit et qui était
Notes 489

proche des motifs russes, bien qu’il fut un latin typique. Mais vous l’avez peu apprécié.
J e parle de l’homme de l'Apocalypse, de Léon Bloy », « L’O rient et l’Occident », in
C ahiers de la quinzaine, neuvième cahier de la vingtième série, 5- juin 1930, p. 18.
4 . Bloy, op. cit.y p. 7 7. Pour l’ensemble des citations de l ’ouvrage, nous avons ajouté
un m ot oublié ou rectifié un m ot fautif entre crochets obliques, mais nous n’avons pas
rétabli les italiques ni les abréviations.
5. Bloy, ib id ., p. 4 3 .
6. Bloy, ib id ., p. 12.
7. Bloy, ibid. y p.*15
8. Bloy, ibid, y p. 20.
9- Bloy, ibid, y pp. 2 3 -2 4
10. Bloy, ibid, y p . 34.
11. Bloy, ib id ., pp. 3 3 -3 4 .
12. Blôy, ibid, y p . 39.
13. Bloy, ib id .y p. 52/
14. C f. par exemple, P antagruel, chap. X V III.
15. Il s’agit en fait de Bridoye. Levinas lui substitue, sem ble-t-il, le nom du person­
nage de la pièce de Beaumarchais, L e M ariage de P igarof appelé Brid’oison et imaginé en
effet d’après celui du juge de Rabelais. Au sujet de Bridoye, qui /décidait des procès au
sort des dés, cf. Rabelais, Le Tiers L ivre, chap. X X X I X .
16. Bloy, op. cit.y p. 89.
17. « etc. » ajouté par Levinas.
18. Levinas résume le, passage qu’il a coupé.
19. Bloy, op. cit.y p. 75.
20. Bloy, ibid, y p. 76.
21. Bloy, ibid, y pp. 7 6 -7 7 .
22. Bloy, ibid, y p. 78.
23. Bloy, ibid., pp. 7 8 -7 9 .
24. Bloy, ibid, ypp. 7 9 -8 0 .
25. « a raison » en petites majuscules dans Bloy.
26. Bloy, ibid, y pp. 8 0 -8 1 .
27. Bloy, ibid, y p. 81.
28. Bloy, ibid, y p. 83.
29. Bloy, ibid, y p. 84.
30. Bloy, ibid, y p. 85.
31. Bloy, ibid, y p. 81. Voici l’intégralité de la phrase de Bloy, afin d’éclairer un peu
ce passage obscur : « Je brûle de dire enfin un peu de vérité profonde au milieu de tant
de mensonges littéraires et de dramatiques rengaines. »
32. Bloy, ib id ., pp. 8 6 -8 7 . « etc. » ajouté par Levinas.
33. Bloy, ibid, y p . 87.
34. Bloy, ibid, y p. 91.
35. Bloy, ibid, y p. 106.
36. Bloy, ibid , y p. 109.
37. Bloy, ibid, y p . 111.
38. Bloy, ib id .y p. 117.
490 Carnets de captivité
39. Bloy, ib id ., p. 117.
40 . B loy ,'ibid ., p. 120.
41 . Bloy, ibid ., p. 121.
4 2 . 'Bloy, ib id ., p. 124.
4 3 . Bloy, ibid\, p. 136.
4 4 . Bloy, ib id ., p. 137.
45 . Bloy, ib id ., p. 140.
46 . Épître aux Romains, 4 , 17.
4 7 . Le vinas évoquera encore à deux autres reprises, dans ses Notes philosophiques
diverses (Liasse A, notes 41 et 164), cette thèse que Carlyle a développée dans la cin­
quième conférence des Héros, le culte des héros et l'héroïque dans l'histoire. Soulignant
l'im pact que l'im prim erie, qui a rendu plus facile l’accès aux livres, a eu sur l ’ensei­
gnem ent, Carlyle écrit : « En réalité, tout ce qu’une université, si prestigieuse soit-
elle, peut vraiment faire pour nous en ce domaine [la prise en compte de l ’existence
des livres im prim és] est la continuation de ce que nous ont donné nos précepteurs
dans notre enfance : nous apprendre à lire. Car nous y apprenons à déchiffrer, souvent
dans plusieurs idiomes, le langage propre aux différentes branches de la connais­
sance ; ce qui revient, en somme, à apprendre l’alphabet et les lettres des m ultiples
catégories de livres qui existent ! Mais la connaissance, même théorique, c ’est dans les
livres eux-mêmes que nous la trouvons. La forme qu’elle prend en nous, sa profondeur
dépendent des livres que nous lisons et de l ’attention avec laquelle nous les lisons,
mais nous l ’acquérons de toute façon après que tous nos professeurs nous ont donné
les clefs de la lecture. Les vraies universités sont aujourd’hui les grandes bibliothè­
ques », Les H éros, trad. F. Rosso, Paris, Maisonneuve et Larose, Éd. des Deux Mondes,
1998, pp. 2 1 6 -2 1 7 .
48. Il peut s’agir d’un fragment du roman qui s’ébauche dans ces C arnets, sous le
titre de Triste opulence, car le roman contient une « scène d’Alençon » évoquée à de m ul­
tiples reprises dans les Carnets.
49. Les hommes de confiance, désignés par les prisonniers de guerre pour les repré­
senter à l’égard des autorités militaires et des puissances protectrices, ont notamment
pour tâche de recevoir et distribuer les envois collectifs (çf. la convention relative au
traitement des prisonniers de guerre, Genève, le 27 juillet 1929, art. 43).
50. « Prorok », « le prophète », poème de Pouchkine. On peut le lire, notamment,
dans Poésie russe, Anthologie du xvm* au XXe siècle présentée par Efim Etkind, Paris, La
Découverte/Maspero, 1983, pp. 6 8 -6 9 .

Notes du Carnet 7

1. Charles Morgan, Sparkenbroke, Londres, Macmillan, 1936.


2. Levinas, sem ble-t-il, cite de mémoire Macbeth, acte V, scène 5, où Macbeth dit
plus exactement : « A nd wish th'estate o' th ' world were now undone. » Il citera à nouveau
cette parole de Macbeth dans Totalité et Infini, op. cit., p. 2 07.
3. Il s’agit de Charles Morgan. Cf. la note 1.
4. Il s’agit, sem ble-t-il, d’une citation non littérale de Husserl. Dans un passage
Notes 491

du § 52 des Idées directrices pour une phénoménologie, 1.1, qui souligne Terreur consistant à
considérer que les catégories telles que « force, accélération, énergie, atome, ion, etc. *
( Idées directrices pour unephénoménologie, trad. P. Ricœur, Paris, Gallimard, « Tel », 1950,
p. 174), paf lesquelles la physique détermine ses objets, seraient, en raison de leur
manque d’intuitivité, à décrire comme les « représentants symboliques » d’une réa­
lité cachée qu’une intelligence mieux pourvue serait à même de convertir en intuition
simple, Husserl écrit : « Même une physique divine ne peut convertir en intuitions
simples les déterminations de la réalité que la pensée réalise par ses catégories, pas plus
que l’omnipotence divine ne peut faire qu’on puisse peindre ou jouer au violon des
fonctions elliptiques » {ib id .%p. 177).
5. Levinas cite sans doute de mémoire ce dernier y ers du poème « De profundis
clamavi », qui dit exactement : « Tant l'écheveau d u temps lentement se dévide ! »,
Baudelaire, Œuvres complètes, 1.1, Paris, Gallimard, « La Pléiade », 1 975, p. 33.>
6. Référence au roman de Pearl Buck; L a Terre chinoise, t. III, L a F am ille dispersée
{1 9 3 5 ], trad. S. Campaux, Paris, Payot, 1935.
7. Baudelaire, Œuvres complètes, 1.1 , op. cit., p. 24.
8. Ib id ., p. 94.
9. Ibid. y p. 6 6.
10. Ib id ., p. 73.
11. Ib id .t p . 130.
12. Marcel Proust, À la recherche du temps perdu, t. V, Sodome et Gomorrhey II, 1, Paris,
éd. de La Nouvelle Revue française, 19 2 2 , p. 152.
13 .C f. Maurice Baring, L a Princesse B lanchet trad. fr. Mme Faisans-Maury, préface
de Charles du Bos, Paris, Librairie Stock, 1930.
14. C f. la note précédente.
15. Il s’agit du livre du D r Alexis Carrel, L'Homme, cet inconnu, Paris, Librairie Plon,
1935. Les citations qui suivent ne sont pas littérales, et renvoient particulièrement à
la p . 137.
16. C f. Carnet 4, notre note 13.
17. « Simhat Torah ». C f Carnet 2, notre note 35.
18. Isaac est un juste, fils de juste (Abraham). Rébecca est une juste, fille de mé­
chant (Bathuel) ; à ce titre, elle aurait davantage de mérite qu’Isaac, mais la prière de
celui-ci serait plus efficace car il implore l ’Étem el au sujet de .Rébecca qui était stérile
et « l’Étem el accueillit sa prière » (Genèse 2 5 , 21).
19. « Z ehkout » signifie « le mérite ».
20. « P ilpou l » : (de « p ilp el », poivre), il s’agit d’un mode de discussion talmudique
destiné à clarifier des questions particulièrement difficiles. Il est aussi utilisé1comme
exercice pour développer le raisonnement logique.
21. Expression dont la signification nous demeure obscure.
22. M illen B ranci, The Outward Room, New York, Simon and Schuster, 1937.
23. Levinas parlera plus explicitement dans D ifficile liberté de l’émotion qu’il a
éprouvée « dans un stalag, en Allemagne, [ . . . ) lorsque, sur la .tombe d’un camarade
ju if que les nazis voulaient faire enterrer comme un chien, un prêtre catholique, le
père Chesnet, a récité des prières qui étaient dans le sens absolu du terme, des prières
sémites », op. cit.t p. 27.
492 Carnets de captivité
24. Sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus et de la Sainte-Face, H istoire d?une âme écrite
p a r elle-même. Lettres. Poésies, Bar-le-Duc, Impr. Saint-Paul, 1 8 9 8 , p. 53 {Sainte Thé­
rèse de l ’Enfant-Jésus et de la Sainte-Face, Œuvres complètes : textes et dernières paro­
les, Paris, Cerf-D D B, 1 9 9 2 , p. 120]. Levinas cite sainte Thérèse d’après des éditions
qui, jusqu’à 1956, étaient incomplètes et surtout très infidèles au texte des manuscrits,
quelles n’hésitèrent pas à tronquer et souvent à réécrire. En ce qui concerne l ’histoire
des éditions des œuvres de sainte Thérèse, çf. P. François de Sainte-Marie, M anuscrits
autobiographiques de sainte Thérèse de l ’Enfant-Jésus, 1.1 , Introduction, Carmel de Lisieux,
1956, p .'25 sq.
25 . Ce texte fait partie des D erniers entretiens £Œ uvres complètes, op. rit., p. 1 0 5 4 ].
Précisons cependant que, sous la forme sous laquelle le cite Levinas, il s’agit en fait de
cette même parole de sainte Thérèse, telle q u ’elle avait été déjà utilisée et en partie
retouchée par l’éditrice dans le chapitre 12 d'H istoire d'une âm e (elle se trouve p. 2 3 0
de l ’édition de 1 8 9 8 ) qui fait notamment le récit des derniers instants de la sainte.
C ette parole ne sera restituée dans sa littéralité q u e‘dans les N ovissim a verba, D erniers
entretiens de sain te Thérèse de l ’E n fant-Jésus, m ai-septem bre 1 8 9 7 , Bar-le-D uc, Impr.
Saint-Paul, 1 9 2 7 , p. 8 9.
26. Citation d’un passage de la lettre de sainte Thérèse à sa sœur Céline du 8 mai
1888, H istoire d ’une âm e, op. cit., p. 2 6 5 . Dès la première édition d ’H istoire d ’une âm e,
en 1898, on trouve, en appendice, des « fragments » de 18 lettres de Sœur Thérèse
de l’Enfant-Jésus à sa sœur Céline, auxquels viendront s’ajouter d’autres lettres dans
les éditions suivantes. Non seulement les lettres authentiques ont été tronquées, mais
elles ont été en partie retouchées. Il en va ainsi du passage que cite ici Levinas, qu i est
entièrement de la m ain de l ’éditrice de sainte Thérèse, et qui disparaîtra dans la première
édition (quasi) complète des lettres de sainte Thérèse en 1948 {Lettres de sainte Thérèse de
l ’Enfant-Jésus, Bar-le-Duc, Impr. Saint-Paul, 1948).
27. Levinas cite à nouveau les D erniers entretiens de sainte Thérèse, N ovissim a verba,
op. cit., p. 122, Œuvres complètes, op. cit., p. 1081. Dans ces deux éditions, le texte dit
exactement « ne compter que sur le bon Dieu ».
28. Levinas cite les Derniers entretiens d’après les N ovissim a verba, op. cit. , p. 37 ; préci­
sons que « je trouverais que j ’ai les mains vides » ne figure plus dans les Œuvres complètes,
op. cit., p. 1018.
29. « tik h ij oujas » signifie « calme terreur » (expression destinée à renforcer l’idée
de terreur).
30. Sur cette notion, cf. le passage du Carnet 3, p. 9 , oh elle est également présente,
et notre note 9 qui s’y rapporte.
31. Faut-il lire « Platon » ?

N o te s de L ’E xpérien ce ju iv e d u p rison n ier

1. Sanctification du Nom.
2. Il faut la présence de dix adultes pour réciter certaines prières dans le judaïsme.
C’est ce qu’on appelle un m inian.
3. « Maariv » désigne la prière du soir, et « chacherith » la prière du matin.
Notes 493

N otes des Notes philosophiques diverses


N o tes de la Liasse A

1. C f. Platon:,rC ratyle; 4 0 0 d sq.


2. Levinas se réfère ici à Karl Lowith, Gesammelte A bbandlungen, Z ur K ritik der ge-
schichtlichèn Existenz, Stuttgart, W. Kohlhammer, I9 6 0 .
3 . C f la note précédente.
4. Ce que l’on peut traduire“airfsi : « . . . les évidences de sa conscience d’exister et le
cocon de la connaissance aihsi que de la maîtrise du monde qui l'entoure s'effondreront
pour lui », Ecfmund Schlink, « D ie Struktur der dogmatischen Aussage als oekumenis-
ches Problem », in Kerygma und D ogm a, Z eitschrift fu r theologische Porscbung und kirchliche
Lehre, 3 . Jah rg an g , H eft 4 jO ktober 1 9 5 1 , p. 2 8 5 . Levinas cite Schlink d'après Lowith,
Gesammelte A bbandlungen, Z ur K ritik der gescbichtlichen Existenz, op. cit., p. 211.
5. Réfèrençe de la citation non retrouvée.
6. SurTa paix considérée comme préférable à la guerre, cf. Platon, Les L ois, 6 3 8 c.
En ce qui concerne la lutte intestine, Levinas pense sans doute aux passages dans les­
quels l’Étranger d’Athènes affirme que la guerre intestine est, de toutes les guerres, la
plus pénible {cf. 6 2 8 b - passage cité plus bas par Levinas, dans la note* 2 02 de cette
liasse - et 6 2 9 d).
7. La traduction française des M éditations dit exactement : « Car elle consiste seu­
lement en ce que nous pouvons foire une>chose, ou ne la foire pas (c’est-à-dire affirmer
ou nier, poursuivre ou fuir), ou plutôt seulement en ce que, pour affirmer ou nier, pour­
suivre ou fuir les choses que l ’entendement nous propose, nous agissons en telle sorte
que nous ne sentons point qu’aucune force extérieure nous y contraigne », Descartes,
M éditations, AT, IX -1 , p. 4 6 .
8. Levinas traduit lui-même ce passage de la p. 32 de Heidegger, Einfiibrung in die
M etaphysik, Tübingen, Max Niemeyer Verlag, 1953 (Introduction à la métaphysique, trad.
G. Kahn, Paris, PUF, 1 958, et Gallimard, « Tel », 19 6 7 , p. 48).
9. C f Platon, Les fo is , 626, e sq,
10. Allusion à Merleau-Ponty. C f « La signification et le sens » (article paru en 1964
dans la Revue de métaphysique et de m orale), dans Humanisme de Vautre homme, Montpellier,
Fata Morgana, 1 972, Le Livre de Poche, p .,3 2 . L’ensemble de ce fragment contient les
idées essentielles exprimées dans cet article.
11. « nienasytim oïe sostradané » signifie « insatiable compassion ». L’expressiop se
trouve dans la quatrième partie, chapitre 4 , de Crim e et châtim ent de Dostoïevsky. C f
Levinas, Humanisme de Vautre homme, op. cit., p. 4 9 : « Il y a dans Crim e et châtim ent, de
Dostoïevsky, Une scène où, à propos de Sonia Marmeladova qui regafde Raskolnikov
dans son désespoir, Dostoïevsky parle d’"insatiable compassion”. Il ne dit pas "inépuisa­
ble compassion”. Comme si la compassion qui va de Sonia à Raskolrîikov était une foim
que la présence de Raskolnikov nourrissait au-delà d e toute saturation en ’accroissant,
à l’infini, cette foim. »
12. Il s’agit des deux premiers vers de la traduction en ruâë*du poème de Heine,
« Ein Fichtenbaum steht einsam », par Lermontov, que Levinas cite vraisemblablement
494 Carnets de captivité
de mémoire. Le poème est composé de deux quatrains : les deux mots barrés par Levinas
se trouvent respectivement aux vers 7 et 8. C f. Lermontov, Poésie, t. I, « Bibliothèque
du poète », éd. L’Écrivain Soviétique, Leningrad, 1950, p. 312.
13. Dans sa traduction du poème de Heine, Lermontov rend en effet « Ein F ich-
tenbaum » (masculin) et « D ie Palm e » (féminin) par deux noms féminins, « sosna » et
« pal'm a ». Or, l’opposition des genres dans le poème de Heine - ici le symbolisme
amoureux de l’opposition entre « Ein Fichtenbaum » et « D ie Palm e » - est essentielle
à l’intelligence du poème. Cette traduction ainsi que d’autres traductions russes de ce
poème ont souvent servi à illustrer le problème des genres dans la traduction. Elles ont
suscité une tradition de commentaires, à partir de 19 3 0 , comme le souligne Daniel
Laferrière, dans « Potebnja, Sklovskij, and the familiarity/strangeness paradox », Rus-
sian Littérature, t, IV (1 9 7 6 ), p. 196. Levinas n'ignorait sans doute pas toyt ou partie
de cette tradition.
14. Levinas renvoie à Léon Brunschvicg, Écrits philosophiques, 1.1 , L ’Humanisme de
l ’Occident, Descartes - K an t - Spinoza, Paris, PUF, 1951. Il vise en particulier dans cette
page le passage où Brunschvicg souligne que la critique kantienne brise l’identification
de l ’infinité et de l'unité sur laquelle repose le « monisme intégral de Spinoza » : « L’es­
prit ne peut comprendre comme unité achevée que le fini. »
15. C f. Antoine de Saint-Exupéry, Vol de nuit, chap. 4 , in Œ uvres, Paris, Gallimard,
« La Pléiade », 1 959, p. 9 0 sq.
16. « Berakhot », premier traité du Talmud.
17. « mitsvot », préceptes religieux.
18. Levinas cite les « Réponses de l'auteur aux cinquièmes objections », sans doute
d’après Descartes, Œuvres et lettres, textes présentés par A. Bridoux, Paris, Gallimard,
1953, p. 4 8 9 (édition citée par Levinas dans la Liasse B , note 24).
19- Notion husserlienne que Levinas traduit par « l ’acte de prêter un sens », et dont
il souligne qu’elle constitue chez Husserl la signification propre de l’intentionnalité de
la conscience (Cf. En découvrant l ’existence avec H usserl et H eidegger, op. cit., p. 22). La criti­
que lévinassienne de l ’intentionnalité est donc d’abord une critique de la Sinngebung.
20. Voir Heidegger, Unterwegs zur Sprache, Pfullingen, Neske, 19 5 9 , p. 14 et p. 2 02
sq. {Acheminement vers la parole, tr. fr. J . Beaufret, Paris, Gallimard, coll. « Tel » , p. 16
et p. 188 sq.)
21. « byliny, tiag a ziem nata » signifie « les bylines, pesanteur terrestre ». Les bylines
sont des chansons épiques populaires en Russie. La pesanteur terrestre, l’accablement
sous un lourd fardeau en sont des motifs constants.
22. C f. supra notre note 47 du Carnet 6.
23. Ce terme désigne chez Husserl le remplissemenc de l’intention par l ’intuition
donatrice. Levinas l ’entend en un sens non théorique, comme remplissement du désir, du
vide de la faim. C f Autrement qu’être ou au -d elà de l ’essence, La Haye, N ijhoff, 1974, p. 83.
24. Allusion à la notion heideggerienne de « rê tre -l’un-avec-l’autre », développée
dans Être et Temps, § 26.
25. P. Valéry, L ’idée fix e ou deux hommes à la mer, Paris, édité par les Laboratoires
M artinet, 1932, p. 50.
26. Levinas se réfère sans doute à Henry Duméry, « Critique et religion », in Revue
de métaphysique et de m orale, n° 4 , 1 954, pp. 4 3 5 -4 5 3 .
Notes 495

27. Cf. Platon, L a République, livre V III et Phédon, 6 8 c.


28. « B ilg a -M y ria m ».
29. « cohen ».
30. Talmud de Jérusaletn, traité Souccot 5, p. 55. Myriam, fille de Bilga, un cohen
(prêtre), s’était convertie pour épouser un Grec. Quand les Grecs sont entrés dans le Saint
des Saints, elle a donné un coup de sandale contre l’autel, au lieu d’être près des juifs en
ces temps d’oppression. Dorénavant, sa famille ne pouvait plus servir dans le Temple.
31. Levinas cite la traduction de Léon Robin, Platon, Œuvres complètes, II, "Paris,
Gallimard, Pléiade, 1 950, p. 24.
32. Il est difficile de savoir de quel travail il s’agit. Signalons seulement que les
idées exprimées ici se retrouvent, en des termes forts semblables, dans T otalité et In fini,
op. cir., p. 195 sq.
33- Allusion à la célèbre définition de l’homme comme berger de l’Être chez Hei­
degger. Cf. Lettre sur l'humanisme, Questions III, Paris, Gallimard, 1 9 6 6 ,p . 101.
34. « lored » signifie é il descend » ; Baba Bathra est un traité du Talmud de Baby-
lone, « d a f 10, am ou da » signifie « folio 10 a ».
35. Levinas se réfère aux Principes de la philosophie du droit de Hegel.
36. La description du royaume des Mères dans l’acte I du second Faust de Goethe
peut en effet être considérée comme une description possible de la notion, centrale chez
Levinas, d’« il y a ».
37. Platon, Œuvres complètes, t. II, trad. L Robin, Paris, Gallimard, « Pléiade »,
1 9 5 0 ,p . 12.
38. Ib id ., p. 13.
39. « Traité Baba Kama f. 7 0 a ». Levinas n’écrit que les initiales du traité.
40. « Rabbi Yéhouda, fils de Rabbi Haï, a d it : depuis le jour oh la <erre a ouvert
la bouche pour, recevoir le sang d’Abel, elle ne l’a plus ouverte, comme il est dit : du
bout de la terre nous entendrons des cantiques : Gloire au juste ! (Isaïe, 24 , 16) ; “du
bout de la terre", et non pas : de la bouche de la terre », Traité du Talmud de Babylone
Sanhédrin, 37 b.
41 . C f supra notre note 47 du Carnet 6.
42. L’ouvrage en question est sans doute T otalité et In fini.
43. Platon, Œuvres complètes, t. V I, L a République, livre I-III, texte établi et traduit par
E. Chambry, avec introduction d’A. Diès, Paris, Les Belles Lettres, 1932 ; A.. Rivaud,
« Platon auteur dramatique », Revue etH istoire de la Philosophie, I " année, fàsc. 2, avril-juin
1927, pp. 125-151 ; Ulrich von Wïlamowitz, Platon, 2 vol., Berlin, Weidmann, 1919 ;
V. de Magalhaes-Vilhena, Socrate et la légende platonicienne, Paris, PUF, 1952 ; Simone Pé-
trement, L e D ualism e chez Platon, les gnostiques et les manichéens, Paris, PUF, 1947.
44. « P ir vo vrém ia tchoumy », « Le festin pendant la peste ». C ’est le titre d ’une
courte tragédie de Pouchkine. O n peut la lire, sous le titre de L e B anquet pendant la peste,
dans Alexandre Pouchkine, Œ uvres complètes, t. II, Œuvres poétiques, vol. 2, publié sous
la direction d’Efim Etkind, Lausanne, L'Âge d’Homme, 19 8 1 , pp. 7 5 -8 2 .-C ’est sans
doute à cette tragédie que fait allusion Levinas dans « La réalité et son ombre », lors­
qu’il écrit : « Il y a quelque chose de méchant et d’égoïste et de lâche dans la jouissance
artistique. Il y a des époques où l’on peut en avoir honte, comme.de festoyer en pleine
peste » (Les Imprévus de l'histoire, op. cit., p. 146).
496 Carnets de captivité
45 . « Vous devez me questionner moi, et non vous, si vous voulez me compren­
dre. » Il s’agit de la dernière phrase de cette lettre de Hamann à Kant, qu’on peut lire
p. 29 et non p. 19 de B riefe von und an K an t, éd. Ernst Cassirer, Erster teil : 1 7 4 9 -1 7 8 9 ,
Im m anuel K ants W erke, Band IX , Berlin, Bruno Cassirer, 1918 [Ak 10, K an t’s Briefw ech­
sel, Bd 1 (1 7 4 7 -1 7 8 8 ), 1 922, p. 31).
46 . Le premier mot en hébreu, « m etaltelim », signifie « m obilier », le second,
« qarq a », signifie « im mobilier ».
4 7 . Platon, Œuvres complètes, t. II, op. cit.t p. 12.
4 8 . Platon, Œuvres complètes, t. II, op. rit., p. 13.
49. Sur cette expression de Rabelais, voir Carnets de captivité, Carnet 3, p. 7, et notre
note 7.
50. Cette fin de la troisième méditation métaphysique’de Descartes est citée dans
T otalité et In fini, op. rit., p. 187.
51. Platon, Œuvres complètes, t. II, op. rit., p. 6 4 0 .
52. Levinas fait allusion, sem ble-t-il, à la conférence de Heidegger intitulée « Lo­
gos », parue dans Vorträge und A ufsätze, Pfullingen, Günther Neske, 1954 (Essais et
Conférences, trad. A. Préau, PaHs, Gallimard, 1958). Dans cette conférence, Heidegger
entend remonter à une détermination du logos plus essentielle que celle qui consiste
à n’y voir que le simple fait de dire compris comme expression du sens par le son. Le
« logos » est compris comme legen (étendre), plus précisément comme un laisser-étendu
(liegen-Lassen) qui a à cœur la préservation dans la non-occultation de ce qui est étendu.
C ’est ce liegen-Lassen entendu comme le fait de laisser la chose présente se montrer
d’elle-même, se faire voir en lumière, que vise Levinas. Bien que ce fragment ne nous
semble pas parfaitement clair, dans la mesure oh le « Liegen heideggerien » auquel Le­
vinas oppose la parole du Créateur est lui-même parole, puisqu’il est la signification du
logos, nous pensons que Levinas exprime ici, à partir du liegen, sa critique, au profit de
l ’idée d’infini et de la notion de création —critique qui forme le cœur de sa pensée et sur
laquelle les textes inédits de ce volume reviennent de nombreuses fois - , de l’interpré­
tation heideggerienne de la vérité comme dévoilement, mise en lumière, en tant que ce
dévoilement constituerait le sens ultim e de la rationalité, et en tant que ce sens ultim e
est de l’ordre d’un fondement. C f, dans ce volume, en particulier, Liasse A, note 3,
Liasse B , note 6 4 , Liasse C, notes 7 8 et 96.
53. « Quotidienneté », notion abondamment développée dans Être et Temps de H ei­
degger.

N o te s de la Liasse B

1. « Ich M ilham a » signifie « homme de guerre ».


2. « O g, roi du Basan... », Nombres, 21, 33.
3. M erkaba est le char céleste, cf. Ezéchiel, 1.
4. Cf. Platon, Phédon, 62 b.
5. Allusion au Quart Livre, chap. 61.
6. Respectivement.: « récompense pour le. fait d»'être allé » et « récompense pour le
fait d’avoir accompli ». M axim es des Pères, chap. 5, max. 14 : « Les étudiants se divisent
Notes 497

en quatre classes. Il y en a qui vont à l’école, mais n'étudient pas ; ils ont au m oin* le
mérite de l ’assiduité. D ’autres étudient chez eux, mais ne fréquerttent pas les écoles ; ils
ont du moins le mérite d’avoir travaillé. Celui qui fréquente les "écoles et travaille avec
zèle, est un hoirlme pieùx.-Celui qui ne va pas écouter les leçons du maître, qui ne
fait non plus rien chez lui, est impie. »
7. Descartes, Œuvres et Lettres, textes présentés par A. Bridoux, Paris, Gallimard,
« La Pléiade », 1953 [AT, I X , 110}.
8. Traité du Talmud de Babylone.
9. Chouchani, personnage énigmatique qui fut le maître du Talmud de Levinas.
10. Citation extraite de F.-Rosenzweig, Zweistrom land, kleinere Schriften zur Religion
und Philosophie, Berlin, Philo, 19 2 6 , p: 22-1 [F. Rosenzweig, D er Mensch und sein W erk,
Gesammelte Schriften, 3, Zw eistrom land, kleinere Schriften zu G lauben u n d Denken, N ij-
hoff, 1984, pp. *2 0 6 -2 0 7 }. Ce que l’on peut traduire comme suit : « Ainsi est née,
et, certes, toujours en contact avec l’éthique, mais tout en étant strictement distincte
d’elle, une nouvelle doctrine de l ’homme, une doctrine, précisémeht, de l’homme avec
et face à dieu - lequel est bien avant tout, en même temps, l ’homme effectif, présent,
qui ne se laisse plus dissoudre dans l’humanité à venir et qui ne veut plus être ’’l’épou­
vantail de la loi morale”. »
11. Pascal, Pensées, fragment 3 9 6 de l ’édition Lafuma, in Œuvres complètes, Paris,
Seuil, 1963, p. 548.
12. Ce fragment évoque-t-il T otalité et In fini, alors en cours d’écriture ? Le plan évo­
qué correspond à* celui de la troisième section de ce livre.
13. Il s’agit d’une critique de la notion leibnizienne de pluralité dans l'unité, ex­
posée notamment dans la M onadologie. Levinas, dans T otalité et'Infini, entend définir un
pluralisme libéré de l’unité du nombre ou de la référence à une totalité, c’est-à-dire
remettre en question le « privilège ontologique » de l ’unité, ou encore le fait qüe la
philosophie occidentale pense * l’être en tant qu’être* [comme} monade » (T otalité et
In fin i, op. cit., p. 2 51. C f. aussi pp. 30 et 53).
14. Référence au poème de Baudelaire « Le voyage », in Les Fleurs du m al.
15. « Il prophétisait sans savoir qu’il prophétisait », commentaire de Rachi, sur
Genèse, 451, 18.
16. « betsniout » signifie « avec modestie ». Ce m ot insiste sur ce qui ne doit pas être
montré en public.
17. C f A. Koyré, « L’évolution philosophique de Heidegger », C ritique, n° 1-2,
ju in-juillet 1946, Paris, éd. du Chêne, p. 168. Article repris dans Études d h istoire de la
pensée philosophique, Paris, A. Colin, 1961.
18. Levinas «e réfère sans doute à Max Müller, Existenzphilosophie in geistigen Leben
der G egenw art, Heidelberg, F. H . Kerle Verlag, 1 949, en particulier aux pp. 50 à 57.
L’ouvrage, augmenté d ’un autre écrit de l ’auteur, est paru en français sous le titre C rise
de la métaphysique, situation de la philosophie au xx* siècle, trad. M. Zemb, C. R . Chartier,
J. Rovan, Paris, D D B , 1953 ; çf. pp. 42 à 47.
19- C f. notre note 22 de la Liasse A.
20. Bien que ^Levinas renvoie à H olzwege, Frankfurt am Main, Klostermann, 1949
(Chemins qu i ne mènent nulle p art, Paris, Gallimard, 1962) et à Erläuterungen zu H ölderlins
D ichtung, Frankfurt am Main, Klostermann, 1951 (Approche de H ölderlin, Paris, Galli-
498 Carnets de captivité
mard, 1962 et 1973 pour la nouvelle édition augmentée), rappelons que c ’est aux § 32
et 33 de Être et Temps, ouvrage que Levinas cite juste après, qu’est mise au jour la struc­
ture du « etwas als ewas », du « quelque chose comme quelque chose », qui signifie que,
dans notre relation avec le monde, les choses ne sont jamais saisies dans leur nudité,
mais toujours comme ceci ou comme cela. Cette structure prélangagière est constitutive
du sens, et c’est sur elle que repose touténoncé, qu’il soit compris comme prédication
ou encore comme communication.
21. Heidegger, Sein und Z eit, Erste Hälfte, Zweite Auflage, M. Niemeyer, Halle
a. d. S., 1929 (édition de l’exemplaire de Levinas, conservé dans ses archives). « La mise
en évidence de l’énôncé s’accomplit sur la base de l ’étant déjà ouvert - ou circons-
pectivement découvert - dans le comprendre », Être et Temps, trad. fr. E. Martineau,
Authentica, 1 985, p. 126.
22. Sein und Z eit, op. cit., p. 161. « Le p arler est existentialem ent cooriginaire avec l ’affec­
tion et le comprendre », Être et Temps, op. cit., p. 129-
23. Sein und Z eit, op. cit., p. 162. « Ce dont il est parlé dans le parler est toujours
“abordé” par lui d’un certain point de vue et dans certaines limites », Être et Temps,
op. cit., p. 129.

N otes de la Liasse C

1. Il peut s’agir d'une allusion aux discussions qui eurent lieu lors de la troisième
assemblée du Conseil oecuménique des Églises à New Delhi en 1961.
2. Psaume 2, 11 : « Réjouissez-vous avec tremblement. »
3. C f supra Carnet-2, notre note 13.
4. « B ilaam » : c f Nombres, chapitre 22 : Bilaam est un prophète païen auquel le
roi Balak demande de maudire les Hébreux, mais il ne peut le faire, Dieu lui disant que
ce peuple est béni.
5. S ’agit-il d'un « passage » de T otalité et In fin i, alors en cours d’écriture ?
6. Lévitique, 1 1 , 2 : « Voici les animaux que vous pouvez manger. » Levinas donne
des références de commentaires à ce verset : le Midrach Tanhoum a, le Midrach K aba, et
le commentaire de Rabbenou Nissim sur le traité du Talmud H olin 8 1.
7. Traité du Talmud sur l ’idolâtrie.
8. C f Platon, Théétète, lA S e s q .
9. Levinas pense peut-être en particulier à Aristote, Éthique à N icom aque, 1143 a 32-
1143 b 5.
10. Sur YEntschlossenheit (résolution), cf. Heidegger, Être et Temps, § 6 0.
11. J. Salvador, P aris, Rome, Jéru salem ou la question ^religieuse au xix* siècle, t. II,
deuxième édition, entièrement revue et augmentée, Paris, Calmann-Lévy, 1880,
pp. 2 7 0 -2 7 1 .
12. Platon, Œuvres complètes, t. II, op. cit., p. 6 3 7 .
13. Platon, Œuvres complètes, t. II, op. cit., p. 6 38.
14. Le mot signifie « vestibule ». Levinas fait allusion à une comparaison tradi­
tionnelle dans le judaïsme entre ce monde-ci et un vestibule préparant l’entrée dans le
monde futur.
Notes 499

15. « “Même les chacals présentent leurs mamelles et allaitent leurs petits : la fille
de mon peuple, elle, est devenue cruelle comme l’autruche du désert", Lamentations,
4 , 3 (traduction du Rabbinat). Commentaire de Rachi : bien qu’ils soient cruels (les
chacals) présentent leurs mamelles quand ils voient venir à eux leurs petits afïàmés ; ils
dégagent leurs mamelles car ils ont une réserve en eux et ils leur en donnent. La fille
de mon peuple est devenue cruelle [souligné par E. L.J : elle voit ses enfants crier pour
demander du pain et elle ne leur en donne pas car sa vie passe avant celles de ses enfants
à cause de la faim (qu’elle éprouve aussi). »
16. Montaigne, Essais, I, 2, in Essais, texte établi et annoté par A. Thibaudet, Paris,
Gallimard, « La Pléiade », 19 5 0 , p. 33.
17. « Celui qui a fait pécher les autres », commentaire de Rachi sur Bémidbar
(Nombres), 2 7, 3, où les filles de Zelofhad font valoir que leur père est mort pour son
péché ; Rachi souligne qu’il n’a pas fait pécher les autres. Taanit est un traité du Talmud.
18. Ce fragment évoque-t-il l'écriture, en cours, de Totalité et Infini ?
19. « ... l ’homme étant le seul être animé qui par sa nature ait en partage des sen­
timents d’honneur et de retenue, le seul qui ait une tendance à rechercher les liaisons
qui aboutissent à la société humaine, le seul qui soit attentif, dans tous ses actes et dans
toutes ses paroles, à éviter que rien ne procède de lui qui ne soit pourvu de beauté mo­
rale et de d ig n ité... », Cicéron, Des termes extrêmes des biens et des maux , t. II, texte établi
et traduit par Ju les Martha, Paris, Les Belles Lettres, pp. 6 4 -6 5 .
20. « Listim » signifie « brigands ».
21. Allusion à la « Première Élégie », dans Les Élégies de Duino de Rilke.
22. Il peut s’agir de la note 77 de la présente Liasse C.
23. Psaume 3 0, 2 : « La poussière rendra-t-elle grâce à ta vérité ? »

N otes de la Liasse D

1. Il s’agit des deux derniers vers du poème de P. Valéry « Le Sylphe » (dans


Charmes). Voir, aussi, Levinas, D e Vexistence à l'existant, op. cit., p. 61.
2. Cf. Carnets de captivité, Carnet 3, notre note 7.
3. « C e n’est pas le discours qui est le principal mais la tradition » ou « Nous ferons
et nous entendrons » (Ex 2 4, 7).
4. C hariot garçon de ca fé (C aught in a cabaret), court-métrage datant de 1914.
5. Nous n’avons pas trouvé le texte auquel Levinas fait peut-être ici allusion. Pré­
cisons toutefois que, dans son livre, H istoire et Salut, Paris, Gallimard, 2 002 (écrit en
1940, paru en anglais en 1 949, en allemand en 1953), Karl Lowith critique les philo­
sophies de l’histoire comme versions sécularisées des idées bibliques et qu’il se tourne
vers la cosmologie et la théologie des Grecs anciens.

N otes du C arnet B

1. « Celui qui étudie mais qui n’enseigne pas n’a pas part au monde à venir. »
2. « betsniout », cf. supra notre note 16 de la Liasse B .
Com posé p ar IG S -C P à A ngoulêm e
cet ouvrage a été achevé d ’im p rim er en août 2 0 0 9
dans les ateliers de 5P6sr G rafica V eneta S .p.A .
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D épôt légal : octob re 2 0 0 9

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