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COnTEXTES

13  (2013)
L'ethos en question

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Reindert Dhondt et Beatrijs Vanacker


Ethos : pour une mise au point
conceptuelle et méthodologique
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Référence électronique
Reindert Dhondt et Beatrijs Vanacker, « Ethos : pour une mise au point conceptuelle et méthodologique »,
COnTEXTES [En ligne], 13 | 2013, mis en ligne le 20 décembre 2013, consulté le 29 avril 2015. URL : http://
contextes.revues.org/5685 ; DOI : 10.4000/contextes.5685

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Ethos : pour une mise au point conceptuelle et méthodologique 2

Reindert Dhondt et Beatrijs Vanacker

Ethos : pour une mise au point


conceptuelle et méthodologique
1. Introduction
1 Tandis que les études rassemblées dans ce recueil convoquent, à partir de cas empiriques, les
différents concepts susceptibles de théoriser l’image de soi d’un auteur, le présent article se
veut une réflexion à la fois synthétisante et introductive sur les présupposés définitionnels,
historiques et opérationnels des concepts en jeu1. Cet essai entend mettre au jour – a priori –
certains flous définitionnels, soulevés par la confrontation des conceptualisations respectives,
et évoquer d’ores et déjà quelques questions d’ordre méthodologique.
2 Il nous a dès lors paru intéressant d’aborder, dans un premier temps, la question des
« glissements » qu’a connus la construction de l’image d’auteur au fil du temps mais aussi
– et surtout – de confronter la charge historique des concepts (posture, ethos, image) à leur
mise en pratique dans les contextes de recherche concernés. Comme Ruth Amossy le posait
à juste titre dans un article de 1999, dans lequel elle entendait déjà aborder le concept sous
un jour pluridisciplinaire2, l’ethos se trouve par définition «  au carrefour des disciplines  :
rhétorique, pragmatique, sociologie des champs3. » Tout comme dans son ouvrage plus récent
La présentation de soi : Ethos et identité verbale de 2010, elle y met en évidence les faces
changeantes et divergentes du concept d’ethos, suivant la discipline, voire selon le spécialiste
qui le prend en charge. « Ainsi l’ethos des pragmaticiens, dans la lignée d’Aristote, se construit
dans l’interaction verbale et est purement interne au discours, alors que celui des sociologues
s’inscrit dans un échange symbolique4  », affirme-t-elle. Amossy ne manque pas non plus
d’insister sur la nature pluridimensionnelle du concept même d’ethos  : «  La construction
discursive, l’imaginaire social et l’autorité institutionnelle contribuent donc à mettre en place
l’ethos, et l’échange verbal dont il fait partie intégrante5. » Étant donné que la construction
d’une image de soi est toujours dynamique, il est nécessaire de prendre en compte des aspects
qui relèvent de différents champs disciplinaires tels que la rhétorique, la pragmatique ou la
sociologie.
3 Dans cet article, la question de l’interdisciplinarité constitutive du concept – qui informera sans
doute certaines études de cas du recueil – ne constitue pas un enjeu en soi. Indépendamment
de toute mise en pratique, nous nous proposons de formuler quelques défis définitionnels et
méthodologiques auxquels pourrait être confronté le chercheur visant à étudier la construction
de « l’image » d’un auteur particulier. Si nous avons trouvé opportun de fonder notre propos sur
un survol, préliminaire et nécessairement succinct, des contextes d’emploi de la notion d’ethos
dans son acception plus ancienne, ce concept sera dans la suite (3. La figure de l’auteur  ;
4. Balises et enjeux de définition) mis en perspective par des renvois aux termes voisins de
« posture » et d’« image d’auteur ». Ces enquêtes aboutiront, dans la dernière partie, à une
série de réflexions méthodologiques propices à interroger la validité opératoire du concept et
ses limites dans une perspective pragmatique.

2. Genèse d’un concept


4 Sans fournir un parcours historique détaillé de l’émergence du concept d’ethos, nous
proposons de rendre compte succinctement de ses germes ainsi que des principaux
« déplacements » sémantiques qui l’on marqué au fil du temps. Dans la Grèce de l’Antiquité
déjà, le concept d’ethos s’établit dans le cadre de la «  pratique oratoire  », conçue comme
une « pratique d’influence », dans l’espace public de l’agora ou du tribunal6. L’ethos y prend
dès lors son sens primaire dans un contexte éminemment oral, qui présuppose le contact,
voire le dialogue immédiat entre l’orateur et son public, même s’il se fonde sur un discours
écrit auparavant. Du point de vue méthodologique, la rhétorique aristotélicienne, qui attribue
une place de prédilection au concept d’ethos, constitue le point de départ de la réflexion

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développée dans cet article. Pour citer Eugene Garver dans son article « La découverte de
l’ethos chez Aristote », « [l]a configuration unique du rapport entre pensée et caractère, entre
le logos et l’ethos, telle que la conçoit Aristote, n’a ni précédent ni postériorité7.  » Plus
particulièrement, le concept d’ethos y trouve son sens – et sa place centrale – dans la fameuse
triade ethos - logos - pathos. Tandis que l’ethos renvoie à l’image de crédibilité que donne
l’orateur de lui-même auprès de son public afin de susciter la confiance, le pathos se réfère aux
émotions que l’orateur cherche à provoquer chez les auditeurs et le logos désigne les arguments
rationnels. Pour Aristote c’est bien l’ethos de l’orateur qui détermine en grande partie l’effet
du discours auprès du public, davantage que la validité logique du raisonnement. Par ailleurs,
comme l’indique James Baumlin dans son introduction au recueil Ethos  :  New Essays in
Rhetorical and Critical theory (1994), il est généralement admis que, dans la Rhétorique
d’Aristote, l’accent tombe sur la construction discursive de l’ethos de l’orateur (« an image, a
representation of character »), plutôt que sur l’orateur comme source préexistante du discours8.
Il s’agirait dès lors de mettre en évidence la prédominance du dire sur le dit, sur le fond de
l’énoncé. Ou encore, comme le note Dominique Maingueneau : « L’efficacité de l’ethos tient
au fait qu’il enveloppe en quelque sorte l’énonciation sans être explicité dans l’énoncé9. » La
réflexion sur l’ethos se situe au niveau de la discursivité : l’ethos ne concerne pas l’instance
primaire et sous-jacente de la personne de l’orateur, mais son reflet discursif, son « paraître »,
la façon, forcément secondaire, dont il se montre dans son discours. Cette prééminence du
« paraître » – « the sufficiency of seeming good10 », comme le pose encore Baumlin – n’ayant
pas été problématisée telle quelle par Aristote, elle a souvent prêté à discussion.
5 On est dès lors confronté à un flou conceptuel, que Baumlin pose comme inhérent à la
conceptualisation aristotélicienne de l’ethos11, et qui a sans doute joué un rôle décisif dans
les appropriations disciplinaires auxquelles la notion d’ethos a été sujette au fil du temps.
Ainsi, dans The Presentation of Self in Everyday Life (1959)12, le sociologue Erving Goffman
mobilise le concept dans une perspective essentiellement interactionnelle et, si l’on veut,
démocratique  : tout en faisant abstraction de l’inscription discursive de la présentation de
soi chez Aristote, Goffman récupère l’idée d’ethos – ou plutôt la « réoriente », à l’instar de
Ruth Amossy13 – en ce qu’il conçoit cette présentation de soi comme une image, comme une
construction qui se réalise en quelque sorte in vivo, à travers l’échange des interlocuteurs dans
une situation donnée. Loin de concerner exclusivement l’échange oratoire, la construction
d’une image de soi est selon Goffman inhérente à tout échange quotidien, « lorsque [les deux
partenaires] sont en présence physique les uns des autres ». Goffman insiste d’ailleurs à son
tour sur la prééminence du paraître, laquelle prend sens à travers une métaphore théâtrale. Ou,
pour reprendre encore les termes de Ruth Amossy : « il ne s’agit pas de ce que le sujet est […]
mais de l’image qu’il projette dans une situation précise14. » Dans ce modèle, l’ethos semble
essentiellement se forger ad hoc, sans qu’il ne soit confronté à quelque image préétablie (cf.
l’ethos préalable).
6 Dans le Traité de l’argumentation  : La nouvelle rhétorique de 1958, Chaïm Perelman et
Lucie Olbrechts-Tyteca renouent avec la tradition rhétorique aristotélicienne, qui constitue
pour eux le point de départ d’une « théorie de l’argumentation moderne15. » Les deux auteurs
s’intéressent surtout à la manière consciente dont l’orateur oriente son discours vers son
auditoire («  ethos rhétorique  »), à l’aide «  des moyens verbaux qui permettent de susciter
l’adhésion des esprits16 », et de manière purement rationnelle. Par conséquent, leur approche
met surtout en évidence les valeurs partagées, la doxa17, qui conditionnent pour ainsi dire
la réussite de tout échange. Parallèlement, cette approche insiste sur la part de l’imaginaire
dans la mise en place de l’échange : l’auditoire visé relève toujours, en premier lieu, d’« une
construction de l’orateur18 ». Inversement, le discours présuppose à son tour l’existence d’une
image bâtie par l’orateur, correspondante à celle projetée sur l’auditoire.
7 En même temps, l’approche perelmanienne récupère aussi l’idée d’un ethos préalable,
« prenant en compte la réputation du locuteur établie sur des paroles et des faits antérieurs
au discours19  », alors que ce concept provient d’une tradition rhétorique qui n’est pas
essentiellement aristotélicienne. Le concept d’ethos « pré-établi » ou « préalable » nous porte à

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l’essentiel des déplacements d’accent ayant reconfiguré le concept d’ethos au cours des siècles.
En effet, absent de la pensée aristotélicienne, l’ethos préalable (Amossy) ou prédiscursif
(Maingueneau) – c’est-à-dire la représentation du locuteur antérieure à la prise de parole – a
été développé dans des traditions rhétoriques postérieures comme celle de Perelman et dans la
conceptualisation récente de l’ethos, dans l’analyse de discours chez Maingueneau et Amossy.
Cette approche reste donc jusqu’à un certain point fidèle à la rhétorique aristotélicienne –
notamment en ce qu’elle met en évidence le versant discursif de l’ethos – tout en introduisant
ce concept dans un nouveau contexte de recherche. Ainsi, plusieurs analystes de discours,
dont Maingueneau, ouvrent explicitement le champ d’investigation au discours écrit, à la
différence de la rhétorique antique, qui avait fait de l’art oratoire son champ de prédilection.
Conformément à la conception grecque selon laquelle l’ethos assure le fonctionnement
d’un discours par la garantie que lui apportent les vertus morales (crédibilité, authenticité,
sincérité…) de l’orateur, Maingueneau attribue à l’énonciateur d’un texte écrit une vocalité ou
un caractère (correspondant à un état psychologique), ainsi qu’une corporalité (correspondant
à une manière d’habiter l’espace social), qui relèvent pourtant en premier lieu de l’intra-
discursif. Or, cette insistance sur le versant discursif de l’ethos n’exclut pas la prise en
compte du monde extra-discursif, ou plutôt pré-discursif qui conditionne, chez Maingueneau
également, la perception du récepteur.
8 Avec l’entrée en jeu du pré-discursif, qui relève du pré-établi et du niveau des idées communes,
censées être partagées par le locuteur et le public, s’impose la question du rapport entre
ces deux niveaux, ou encore ces deux «  moments  » dans la re-construction de l’ethos par
le lecteur20. Les attentes concernant l’ethos de l’auteur et la connaissance du répertoire des
représentations collectives conventionnelles (pensons aux ethè affichés et incorporés du poète
maudit, du dandy ou de l’intellectuel engagé) déterminent dans une large mesure la manière
dont la critique classifie et évalue les œuvres littéraires et façonnent de ce fait l’horizon de
lecture. La construction d’un ethos auctorial – qui peut être perçu comme sincère, ironique ou
engagé – joue un rôle de premier plan dans les débats sur le sens et la valeur d’une œuvre21. Le
catalogage généralement très persistant des écrivains résulte aussi de l’interaction de l’ethos
prédiscursif et l’ethos discursif  : ainsi, pour la publicité éditoriale et la critique, il s’avère
extrêmement difficile de faire abstraction d’étiquettes telles que « littérature migrante » ou
« littérature gay » et de se défaire des partis pris qui interviennent inévitablement avant même
la phase de lecture.

3. La figure de l’auteur
9 Au-delà des questions de conceptualisation, l’ethos n’est pas sans appeler la réflexion
actuelle sur la figure de l’auteur dans plusieurs domaines de recherche en vogue, raison pour
laquelle nous aborderons ici quelques étapes de son parcours historique et quelques-unes
des spécificités des conceptualisations actuelles de l’auteur. Il est généralement admis que
l’auteur commence à être défini comme un créateur individuel à l’époque classique. Dans La
Naissance de l’écrivain (1985), Alain Viala décrit comment le métier et le statut de l’écrivain
se modifient, en rapport avec l’apparition de valeurs de création et de propriété intellectuelle
et d’un réseau institutionnel22. Mais ce n’est qu’avec la révolution romantique que le régime de
l’auctorialité change profondément : de l’autorité classique basée sur la légitimité intellectuelle
et institutionnelle des précurseurs, on passe à l’authorship moderne, qui met en avant le
mythe du poète démiurge et valorise sa singularité23. L’avènement du champ littéraire moderne
contribue à faire de l’auteur un personnage public engagé dans un processus de théâtralisation.
Comme l’a montré José-Luis Diaz, l’écrivain romantique acquiert le statut d’un personnage,
« dont la vraie œuvre est la propre vie24. » Longtemps, d’ailleurs, la biographie et l’intention de
l’auteur ont été les principaux outils d’interprétation d’une œuvre littéraire. Cependant, à la fin
des années 1960, le structuralisme proclame la « mort de l’auteur » et récuse catégoriquement
la lecture psychologisante et le biographisme préconisé par Sainte-Beuve en y substituant
l’analyse des formes du discours. Ainsi Michel Foucault a-t-il mis en cause l’individualité
de l’auteur, puisque celui-ci peut adopter plusieurs postures énonciatives. Le plus souvent
l’œuvre est en effet beaucoup moins cohérente qu’il n’y paraît de prime abord. S’il est vrai

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que la notion d’auteur tend à homogénéiser l’œuvre, celle d’ethos permet de complexifier la
distinction sans doute trop rigide entre instance narrative, d’une part, et instance d’écriture, de
l’autre, pour reprendre la terminologie de Gérard Genette.
10 Certes, le postmodernisme n’a pas tardé à être caractérisé comme l’« ère post-ethos » (age
after ethos25), puisqu’en fin de compte la pensée poststructuraliste avait fini par décentrer et
fragmenter l’individu souverain et stable. De même, les théories de l’intertextualité envisagent
la paternité littéraire en termes de collectivité et d’incommensurabilité. Toutefois, le concept
d’ethos n’en reste pas moins valable pour étudier des textes contemporains, pourvu qu’on
accepte que même le texte le plus objectif renferme un je pluriel ou une multiplicité de
voix. Sans doute l’auteur est-il le plus visible dans les alentours (« seuils ») du texte, mais
il peut aussi figurer de façon moins périphérique dans le texte même en tant que personnage
(avant tout dans des textes qui appartiennent à un genre factuel ou qui relèvent du « régime
élocutif  », centré sur la construction de soi) ou en tant qu’«  auteur implicite  » (Wayne C.
Booth), « voix » (Vincent Jouve) ou encore « image d’auteur » (Maingueneau, Amossy) –
autant de concepts qui s’inscrivent dans des approches qui revendiquent en quelque sorte la
résurrection de l’auteur (ne fût-ce qu’en tant qu’inférence du lecteur) et redécouvrent en même
temps l’ethos classique.
11 Tandis que dans une rencontre dialogique entre le locuteur et son public, l’ethos est le résultat
d’une interaction de face à face, l’échange écrit nécessite un simulacre de la présence physique
de l’auteur. Celui-ci n’est toutefois aucunement la résultante d’une construction identitaire à
sens unique, mais bien le résultat d’un processus complexe et performatif où interviennent
plusieurs médiateurs et instances qui intègrent la figure de l’auteur. Ainsi, Maingueneau
distingue entre « l’inscripteur » (l’énonciateur textuel ou le narrateur ; pensons au personnage
de l’apprenti écrivain Varguitas dans La Tante Julia et le scribouillard (1977) de Mario Vargas
Llosa), la « personne » (l’être civil ; Vargas Llosa le candidat présidentiel de tendance libérale
marié d’abord avec sa tante et plus tard avec sa cousine) et « l’écrivain » (la fonction-auteur
dans le champ littéraire ; Vargas Llosa le détenteur du prix Nobel, titulaire d’innombrables
doctorats honoris causa et membre de l’Académie royale espagnole). Si l’ethos discursif
concerne avant tout le discours de l’inscripteur et si la posture intègre également les conduites
de l’écrivain, il est important de rappeler qu’il s’agit avant tout de notions relationnelles  :
les trois instances distinguées par Maingueneau ne sauraient être envisagées indépendamment
les unes des autres. Du reste, dans Postures littéraires, Jérôme Meizoz souscrit pleinement à
cette tripartition proposée par Maingueneau, tout en précisant que sa réflexion sur la posture,
« si elle privilégie la figure de l’écrivain, cherche à la penser en relation constante avec la
personne et l’inscripteur26. » La démarche « relationnelle » de Meizoz ressort encore de son
ouvrage Postures littéraires II, où il attribue à la notion de « posture » la qualité de « dépasser
la vieille division des tâches entre les spécialistes de l’interne et de l’externe textuel27 », tout
en articulant la complexité inhérente aux « conduites énonciatives et institutionnelles28 ».
12 José-Luis Diaz, pour sa part, distingue dans L’écrivain imaginaire  (2007) trois
« plans » différents : le réel, le textuel et l’imaginaire. L’« écrivain imaginaire » se définit
comme l’auteur tel qu’il se représente ou se laisse représenter. Cette figuration de l’auteur
est distincte de l’«  homme de lettres  » (à la fois sujet biographique et acteur social  ; il
inclut donc la personne et l’écrivain dans la terminologie de Maingueneau) et l’«  auteur
textuel » ou le « régisseur » formel du texte qui se situe à l’intérieur de l’univers de l’œuvre
(correspondant à l’inscripteur de Maingueneau)29. Dans un entretien postérieur (2009), Diaz
distingue l’auteur «  réel  » (qui se limite à l’identité civile) de l’auteur «  textuel  » (défini
maintenant comme l’auteur du livre et le sujet textuel)30. Quoi qu’il en soit, l’écrivain est le
produit d’une image foncièrement protéiforme, « bricolée » par le lecteur à partir de sources
d’information très disparates, qu’il est impératif de mettre en relation avec les écrits de l’auteur
pour ne pas sombrer dans l’anecdotique. Dans son étude, Diaz s’intéresse surtout au processus
de socialisation et de sacralisation de l’écrivain à l’époque romantique et au déploiement
de la stéréotypie auctoriale afin de dresser une typologie des auteurs. Pour cela, il reprend
la terminologie de l’époque et les images que dégagent les auteurs d’eux-mêmes. Par des

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«  scénographies auctoriales  » collectives, l’écrivain se met en scène et adopte une posture


personnalisée, mais cette notion recouvre aussi la scénographie énonciative ou discursive au
sens de Maingueneau.
13 L’ethos d’un auteur est loin d’être immuable. Il varie d’un texte à l’autre et d’un lecteur à
l’autre, notamment en fonction de ce que Diaz nomme les « identités génériques » : ainsi,
le ton et le déploiement des fonctions auctoriales du Borges poète ne sont pas identiques à
ceux du Borges nouvelliste ou essayiste ; en plus, leur renommée respective n’est pas partout
identique. De même, à chaque (semi-)hétéronyme de Pessoa correspond une autre personnalité
fictive et donc un ethos différent : les caractères et même les signes astrologiques de Álvaro
de Campos et de Bernado Soares diffèrent l’un de l’autre, ce dernier étant plus proche de
l’auteur orthonyme. À ce sujet, l’ethos préalable se révèle souvent encombrant puisqu’il s’agit
d’un élément extra-littéraire qui co-construit le sens de l’œuvre. De nos jours, de nombreux
auteurs à succès sont précédés de leur réputation et leur légende se transforme souvent en clé
herméneutique du texte. Dès lors, il n’est pas étonnant que l’ethos s’exploite de façon délibérée
comme garant de qualité dans le cas d’un livre signé par une personnalité et rédigé par une
plume anonyme, mais aussi dans le branding des « égozines » ou personality magazines. Afin
de dépasser cette lecture réductrice de type psychologisant, certains auteurs jouent sur leur
présentation de soi dans le but de s’écarter ou, à l’inverse, de coïncider au maximum avec un
de leurs personnages, ou encore à l’aide des procédés rhétorico-poétiques de la prosopopée
et de l’éthopée. L’exemple de l’écrivain espagnol Javier Marías est bien révélateur à ce sujet.
Toute notice biographique de Marías contient des références à l’île caribéenne de Redonda.
Dans de nombreux entretiens, conférences et essais, Marías ironise la République des Lettres
en s’autoproclamant roi de cette île inhabitée et en anoblissant ses amis artistes comme Pedro
Almodóvar ou Francis Ford Coppola. En plus, il dirige une maison d’édition nommée « Reino
de Redonda  » et décerne un prix littéraire qui porte le même nom. Simultanément, il met
en avant ses lettres de noblesses dans ses écrits fictionnels, développant un singulier cas de
paratopie nobiliaire31.

4. Balises et enjeux de définition


14 Le parcours historique qui précède montre combien la notion s’est redéfinie au fil du temps, ou
du moins – à l’instar de Ruth Amossy dans La présentation de soi : Ethos et identité verbale
– comment des déplacements se sont démarqués par rapport à la rhétorique antique  ayant
reconfiguré le sens et la portée de la notion32. Or, aux défis diachroniques qui rendent difficile
toute tentative de définition arrêtée du concept, se superposent des problèmes de démarcation
synchroniques, en ce que la réflexion sur – et la théorisation de – la présentation de soi
d’un écrivain est conceptualisée non seulement par le biais du terme d’ethos, mais encore
par des termes pour ainsi dire concurrents,  tels que «  posture  » et «  image d’auteur  ».
Le constat selon lequel les définitions respectives du concept utilisé impliquent plus d’une
fois une tentative de démarcation vis-à-vis des concepts voisins témoigne manifestement
de la conscience accrue des spécialistes en question quant aux affinités possibles entre les
différents concepts en jeu. La question est alors de déterminer dans quelle mesure ces efforts
de démarcation s’inspireraient ou non d’un souci méthodologique, chacun des spécialistes
ressentant également le besoin de démontrer la pertinence de son approche particulière. Cette
problématique est articulée spécifiquement dans La fabrique des singularités, où Meizoz
rend compte de quelques observations analogues évoquées par Dominique Maingueneau. Ce
dernier étant occupé par la question de savoir « si le terme de posture ne faisait pas double
emploi avec celui d’ethos », Meizoz « y répon[d] par la négative33 », avant de développer ses
idées avec force détails.
15 Dans plusieurs essais théoriques, ce souci de définition des concepts voisins risque de
complexifier la mise en pratique du concept concerné dans des études de cas. L’ouvrage de
Meizoz, qui n’est un exemple parmi d’autres, définit le concept de « posture » dès le premier
chapitre de Postures littéraires, évoquant la question du choix terminologique à travers la
mise en scène d’un entretien entre deux instances, « le curieux » et « le chercheur ». Dans
cet entretien, le « chercheur » se place dans le droit fil de la réflexion sociologique d’Alain

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Ethos : pour une mise au point conceptuelle et méthodologique 7

Viala34, à qui il attribue la conceptualisation initiale du terme « posture », au sens de « façon


d’occuper une position  » pour un écrivain35. Meizoz précise ensuite que le concept prend
pour lui un sens plus large. Alors que, selon Viala, la/les posture(s) d’un écrivain feraient
partie de son ethos ou de sa «  manière générale d’être36  », Meizoz attribue au terme un
sens «  englobant  »  : «  la ‘posture’ désigne alors ce que Viala nomme ethos  ». En même
temps, la notion d’ethos n’est point écartée par Meizoz, mais seulement rendue opérationnelle
dans son « premier » sens rhétorique : la notion de posture appellerait alors le chercheur à
« décrire relationnellemnt des effets de texte [l’image de soi donnée dans et par le discours,
ce que la rhétorique appelle l’ethos] et des conduites sociales37.  » Ce chapitre introductif
témoigne d’un grand souci de précision définitionnelle, qui nous semble distinguer d’emblée
la démarche de Meizoz. Pourtant, il n’en met pas moins à nu la précarité même des choix
notionnels nécessaires à toute étude de l’image d’auteur. Si le chercheur évoque, à juste titre,
le manque de précision d’un terme aussi récurrent que posture38, sa propre mise en œuvre
de la notion, toute originale et stimulante qu’elle soit, passe nécessairement par un compte
rendu des sens « préalables » du concept, attribués par d’autres théoriciens, dans des contextes
de recherche plus ou moins voisins39. Ainsi, c’est à travers son souci continu de démarcation
et de définition qu’est dévoilée la charge notionnelle parfois encombrante dont les concepts
clés – « ethos », « posture » et « image d’auteur » – se sont investis au fil du temps. Qui
plus est, ce même souci de définition risque parfois d’être interprété, fût-ce à tort, comme une
démarche de démarcation et de positionnement. Dans La Fabrique des singularités, Meizoz
prend le soin de dissocier davantage la notion de posture d’autres concepts voisins : outre
l’ethos, il se réfère également à l’« image d’auteur » (Amossy)40. Écartant l’idée d’une relation
d’équivalence, l’auteur y propose de « hiérarchiser » les trois notions suivant une démarche
« par inclusion41 ». L’ethos d’un auteur étant « inféré » du dedans du discours, d’après Meizoz
la « posture » dépasse la singularité du texte, non seulement parce qu’elle désigne également
la dimension actionnelle d’un auteur, mais encore parce qu’elle permet – à la différence de
l’ethos – de prendre en compte l’œuvre globale de cet auteur. Partant, la posture comme notion
« englobante » telle que l’entend Meizoz met en cohérence le discours et les conduites, le
versant rhétorique et le versant comportemental, mais privilégie plutôt la convergence entre
les propos d’un auteur et ses actes au détriment de la divergence. Bien que fort réfléchie
et justifiée par plusieurs raisons, la latitude terminologique, à certains égards croissante, du
concept de posture pourrait entraîner le risque réductionniste que la notion prenne la forme
d’un « concept passe-partout ». Meizoz lui-même ne manque d’ailleurs pas d’en rendre compte
dans le fragment précité, en qualifiant la notion englobante de « problématique42 ». Par rapport
à cette tendance à développer une définition inclusive de la posture, l’ethos pourrait avoir
l’avantage d’être plus immédiatement opérationnel, en raison de son champ d’application plus
restreint. En même temps, l’ouverture de la notion d’ethos à un univers pré-discursif risquerait,
là encore, de compromettre l’univocité de sa charge fonctionnelle. Du reste, dans son entretien
dans Interférences littéraires/Literaire interferenties, Maingueneau témoigne pour sa part d’un
réflexe  –  voire d’un souci «  protecteur  »  –  similaire quant à la démarcation conceptuelle
d’« ethos » par rapport au concept « englobant » d’image d’auteur, ou encore celui de posture,
qui « ne captent pas les mêmes facettes de l’activité de l’écrivain43. »
16 Étant donné la nécessité de démarcation qui semble sous-tendre la définition même de termes
concurrents, tout (jeune) chercheur qui s’attèle à une analyse de la présentation de soi d’un
auteur  se voit dès lors confronté à la contrainte d’une démarche préparatoire, qui est celle
de considérer le concept adopté en conformité avec l’objet d’étude d’une part, et le cadre de
réflexion conçu par le spécialiste auquel le terme en question est emprunté d’autre part. Cela
vaut d’autant plus pour l’ethos, tel qu’il est défini par Maingueneau, que « l’analyse du discours
qu’il développe se présente comme un réseau de concepts rigoureusement articulés44. » Ainsi,
Maingueneau considère le concept d’ethos en relation étroite avec celui de « scénographie » :
« [l]’ethos n’est qu’une composante de la scénographie et cette dernière est relative au genre de
discours et éventuellement au positionnement de l’auteur. Cela n’a donc pas grand sens d’isoler
l’ethos, de le considérer en lui-même45. » S’il importe de prendre en considération la relation

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Ethos : pour une mise au point conceptuelle et méthodologique 8

ethos-scénographie dans la « méthode Maingueneau », il en va de même avec l’approche de


José-Luis Diaz. Le niveau de « l’écrivain imaginaire » présupposerait notamment un recours
à la notion de « scénographie auctoriale ». Une scénographie pourtant qui, comme le précise
encore Diaz, n’est pas de l’ordre du discours, mais de l’ordre, plus global semble-t-il, de la
représentation. La scénographie « auctoriale », telle que définie par Diaz, et celle « discursive »
avancée par Maingueneau s’articuleraient alors dans un rapport de succession, la scénographie
auctoriale impliquant un choix « préliminaire », susceptible d’entraîner des conséquences sur
le plan discursif. Du reste, notons qu’un constat similaire s’applique à la notion de posture qui,
outre sa conceptualisation circonstanciée par Meizoz, se retrouve également dans les textes de
Diaz et Amossy respectivement46. Afin d’éviter l’embarras du chercheur devant cette multitude
de définitions et de mises en pratique, s’impose alors, comme une sorte de réflexe a priori, le
souci d’une définition « contextuelle » du concept, qui mettrait en évidence la part spécifique
assumée par les notions dans l’approche de tel spécialiste.
17 Tous conscients que se montrent ces spécialistes de l’impératif méthodologique qu’il y a
à préciser la portée et les fonctionnalités exactes de leurs concepts, il subsiste, à ce qu’il
nous semble, la difficulté d’un certain flou notionnel et pratique dont rendent compte les
contributions du présent recueil.

5. Défis méthodologiques
18 Les problèmes méthodologiques soulevés par la notion d’ethos se situent à plusieurs niveaux.
Tout d’abord, l’image de soi qu’un locuteur produit dans son discours exerce inévitablement
une influence sur son allocutaire. L’ethos permet de réfléchir sur l’adhésion du public à une
position discursive particulière. À cet égard, on peut se demander quel est le rôle du lecteur
dans les différentes approches que nous venons de présenter, qui privilégient tantôt le pôle
de l’émission, tantôt celui de la réception. Pour Diaz, par exemple, il incombe au lecteur de
« reconstruire » l’image d’auteur à partir d’une série d’indices, tandis qu’Amossy confie un
rôle plus constructif au lecteur, qui décrypte et réinterprète sans cesse l’image que l’auteur
veut consolider ou retravailler47. En d’autres mots, elle s’intéresse surtout à l’efficacité de la
présentation de soi dans un contexte donné. Maingueneau accorde aussi un rôle important au
lecteur, qui doit activer un certain « monde éthique » composé de situations stéréotypiques.
L’ethos est donc ancré dans la doxa ou l’imaginaire collectif d’une culture donnée qu’il
peut par conséquent confirmer ou bien transgresser. Meizoz ne semble de prime abord pas
explicitement rendre compte des conditions de réussite ou d’échec d’une posture donnée, à la
lumière de la lecture individuelle, même s’il se montre conscient du « regard d’autrui » dans
la présentation de soi d’un auteur48. Dans La Fabrique des singularités. Postures littéraires II,
il insiste davantage sur le fait que la posture « relève d’un processus interactif49 », invoquant
le « public » comme une des instances participant de « l’image collective » qu’est la posture.
19 Il va sans dire que l’ethos se construit différemment selon la culture livresque ou la nationalité
du public lecteur, mais aussi selon la conjonction socio-historique  : ainsi, pour reprendre
l’exemple de Mario Vargas Llosa, son changement de cap idéologique ou son annexion comme
écrivain «  hispano-péruvien  » ou même «  espagnol  » dans la presse péninsulaire ont une
incidence sur l’interprétation et l’évaluation de son œuvre, même rétrospectivement. Comme
de nombreux écrivains, Vargas Llosa modèle aussi son ethos dans ses essais en fonction
de son auditoire. Inversement, on peut se demander par ailleurs dans quelle mesure l’ethos
littéraire contribue à façonner des modèles de comportement, comme l’a observé Maingueneau
à propos du bovarysme50. La question se pose aussi de savoir si les différentes scénographies
auctoriales sont aperçues par le lecteur. Sans doute faut-il distinguer la reconstruction par le
lecteur de l’époque de celle par le lecteur contemporain. En d’autres mots, une étude détaillée
des pratiques lectoriales s’impose dans ce travail de reconstruction, vu que la vocalité d’une
chanson de geste est bien différente de celle d’un poème symbolique. D’où la suggestion
de José-Luis Diaz, pour qui l’image précède le discours, de mettre à profit non seulement
les paratopies du côté de l’émission, mais aussi du côté de la réception. En effet, dans
sa contribution à ce numéro, Diaz s’intéresse avant tout à l’implémentation discursive des

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Ethos : pour une mise au point conceptuelle et méthodologique 9

différentes topologies paratopiques dominantes à l’époque romantique, mais celles-ci doivent


être reconnues et décryptées par le lecteur afin d’être efficaces.
20 Un deuxième défi méthodologique à relever concerne la tension entre l’individuel et le
collectif. Selon James Baumlin, l’ethos se situe toujours dans un entre-deux discursif où
interagissent  la pensée individuelle et l’opinion publique  : «  […] ethos exists “somewhere
between the organism and the outside world,” this “somewhere between” being none other than
a discourse whose language is in part one’s own but in equal part a possession of one’s time
and culture51 ». Diaz, pour sa part, souligne l’importance d’un « imaginaire collectif », d’une
imagerie sociale pour l’écrivain, qui moule son image sur un modèle culturel entériné, tandis
qu’Amossy relie l’ethos au processus de stéréotypage et à la schématisation ou catégorisation
de l’autre en termes d’exogroupe et d’endogroupe. Toujours selon Diaz, l’« image d’auteur »
est la résultante d’un choix parmi un « attirail de masques » (personae) mis à la disposition de
l’auteur. En mettant en évidence la relation entre ethos et topos, il rejoint la prise de position
d’Amossy : « La re-présentation consiste alors dans la réduplication simplifiante plutôt que
dans la vérité de la copie. C’est qu’il s’agit pour l’écrivain non tant de se ‘‘voir’’ vraiment
sous des traits individuels que de se mettre à distance : se re-présenter, se voir comme un autre,
en un miroir qui simplifie ses traits52. » L’ethos concerne la constitution de soi, mais cette
image singulière est toujours décryptée de l’extérieur à l’aide de schémas collectifs. L’ethos
ne coïncide pas nécessairement avec l’intention de l’auteur, mais est (re)construit par le lecteur
qui puise dans un répertoire de stéréotypes historiquement variables. C’est cette dimension
collective qui ouvre à son tour la voie à des approches interculturelles.
21 Il faut par ailleurs se demander si tout matériau est pertinent pour l’étude de l’ethos préalable et
comment on peut mettre à profit les informations extra-littéraires pour l’analyse d’une œuvre
littéraire. S’il est vrai que l’approche posturale de Meizoz permet de dépasser la division entre
l’interne et l’externe textuel, il est tout aussi indéniable que l’ethos se construit à travers le
discours mais doit être complété par des représentations de l’ethos avant l’acte d’énonciation.
Comment penser, en effet, la relation entre l’œuvre et le hors-texte par rapport à l’ethos ? Que
se passe-t-il dans le cas d’un auteur inconnu qui fait ses débuts ? L’ethos préalable n’est-il pas,
lui aussi, en grande partie de nature discursive, puisqu’il se base sur des lectures précédentes ?
22 Ensuite, le rôle des agents intermédiaires dans la construction de l’ethos soulève de nombreux
problèmes de méthode. Quel est le rôle des traducteurs, critiques et spécialistes du marketing
dans la construction d’une image d’auteur ? Dans quelle mesure l’écrivain peut-il rectifier ou
gommer une image qui circule dans les médias ? L’on peut aussi se demander quelle serait, en
fin de compte, l’emprise d’un auteur sur son ethos non-discursif, à une époque où son image
se voit de plus en plus « médiée », voire « médiatisée » par des instances externes. Quelle est
la part de l’inconscient et du stratégique ? À cela s’ajoute la professionnalisation des lectures
et rencontres littéraires et l’importance du corps dans le discours visuel  ; de nombreuses
collections reproduisent des photos souvent iconiques sur la quatrième de couverture.
L’exemple de l’édition nord-américaine des Détectives sauvages (2006) de l’écrivain chilien
Roberto Bolaño est révélateur  : l’éditeur Farrar, Straus & Giroux a délibérément créé un
mythe – et par la suite un buzz commercial – en rapprochant l’ethos de l’écrivain décédé
prématurément avec celui de son protagoniste Arturo Belano par le biais d’une série d’images
du jeune Bolaño qui évoquent la contre-culture et les beatniks. Dès lors, il n’est guère
étonnant que les critiques littéraires américains mettent en avant l’existence itinérante et le
prétendu usage de stupéfiants de Bolaño, ce qui contraste fortement avec l’image de Bolaño
en auteur établi et chef de famille austère et cultivé, répandue par sa maison éditoriale
espagnole Anagrama53. Il est donc indispensable de confronter les différentes approches
de l’autoreprésentation énonciative ou auctoriale dans ses multiples manifestations et, par
extension, la relation que celle-ci entretient avec l’image préexistante au discours, d’une part,
et l’hétéroreprésentation ou la représentation de cette identité par d’autres instances comme la
critique littéraire ou les médias, de l’autre.
23 Enfin, l’aperçu transhistorique invite à creuser le problème de la «  transférabilité  » des
concepts. À cet égard, nous avons déjà signalé que le concept d’ethos en appelle à une tradition
qui permettrait de le mettre en pratique dans des contextes historiques très différents. Reste à

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Ethos : pour une mise au point conceptuelle et méthodologique 10

voir si tel est également le cas d’un concept comme celui de posture54 ou encore de l’écrivain
imaginaire, qui nous semble plus directement greffé sur la figure de l’auteur du XIXe siècle
français. À cet effet, il importerait d’examiner la portée des conceptions divergentes d’ethos,
ainsi que leur complémentarité et leurs relations, sans pour autant en venir à une définition
unique et univoque, inévitablement réductrice.

6. Coda
24 Déjà plurivoque et problématique à l’époque antique, la notion d’ethos ne peut être étudiée
qu’en tenant compte des contraintes imposées par le genre littéraire et les conditions
historiques. Si les traducteurs et les médiateurs font en règle générale preuve de réserve,
étant naturellement enclins à s’effacer, l’ethos littéraire est manifestement plus consciemment
travaillé que l’ethos « objectivant » ou « neutre » du discours scientifique. D’où la nécessité
de prendre en considération non seulement le dispositif d’énonciation et le « monde éthique »
activé par le lecteur, mais aussi l’ethos «  paradiscursif  » et l’ethos «  éditorial  », voire les
aspects matériels qui influent sur la mise en scène du discours, comme la typographie et les
illustrations.
25 Cette vue synoptique, mais aucunement exhaustive, des travaux portant sur les questions
d’ethos, de posture ou d’image d’auteur a montré que les appareils notionnels fonctionnent
à certains égards comme les signatures des différents théoriciens. Les concepts élaborés
dans le cadre d’une théorie spécifique n’étant ni détachables ni transportables avec aisance,
ils pourraient s’avérer encore plus opérationnels suite à un travail préliminaire de mise en
contexte. Placé en préambule des études de cas rassemblés dans ce recueil, le présent article
s’est précisément donné pour objectif d’établir et de confronter un certain nombre de balises
méthodologiques, propices à informer ce souci de rigueur conceptuelle.

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Notes
1 Cette esquisse théorique constitue un remaniement de l’introduction ayant servi de discours d’ouverture
lors du colloque de jeunes chercheurs organisé à Courtrai les 28 et 29 juin 2012.
2 Amossy (Ruth), La Présentation de soi : Ethos et identité verbale, Paris, Presses Universitaires de
France, « L’interrogation philosophique »,2010, p. 209.
3 Amossy (Ruth), «  L’ethos au carrefour des disciplines  : rhétorique, pragmatique, sociologie des
champs », dans Images de soi dans le discours : la construction de l’ethos, sous la direction de Ruth
Amossy, Paris-Lausanne, Delachaux & Niestlé, 1999, « Textes de base en sciences des discours », p. 127.
4 Ibid., p. 134.
5 Ibid., p. 148.
6 Amossy (Ruth), La Présentation de soi : Ethos et identité verbale, op. cit., p. 15.
7 Garver (Eugene), « La découverte de l’ethos chez Aristote », dans Ethos et Pathos. Le statut du sujet
rhétorique, sous la direction de François Cornilliat et Richard Lockwood, Paris, Honoré Champion, 2000,
p. 15.

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Ethos : pour une mise au point conceptuelle et méthodologique 12

8 Baumlin (James S.), « Introduction: Positioning Ethos in Historical and Contemporary Theory », dans
Ethos. New Essays in Rhetorical and Critical Theory, sous la direction de James S. Baumlin & Tita
French Baumlin, Dallas, Southern Methodist University Press, 1994, p. xvi. En tant que telle, l’approche
aristotélicienne s’opposerait à la rhétorique dans la lignée d’Isocrate, qui prône la sincérité morale
inhérente à tout bon orateur : « discourse which is true and lawful and just is the outward image of a
good and faithful soul. » (Baumlin, art. cit., p. xv)
9 Maingueneau (Dominique), « Problèmes d’ethos », Pratiques, n° 113-114, juin 2002, p. 57.
10 Baumlin (James S.), art. cit., p. xv.
11 « One cannot simply read the Rhetorica, and particularly its discussion of ethos, as if it were a clear,
comprehensive outline of inconvertible theory. » Ibid., p. xvii.
12 Goffman (Erving), The Presentation of Self in Everyday Life, Garden City (New York), Doubleday,
1959.
13 Amossy (Ruth), La Présentation de soi : Ethos et identité verbale, op. cit., p. 26.
14 Ibid., p. 27.
15 Damele (Giovanni), « Aristote et Perelman : l’ancienne et la nouvelle rhétorique » [en ligne], consulté
le 15 juin 2012, s.p., URL  : http://www.academia.edu/299003 (version française de: «  Aristotele e
Perelman: antica e nuova retorica », Rivista di Filosofia, n° 1, 2008, pp. 181-259).
16 Amossy (Ruth), op. cit., p. 39.
17 Voir notamment Anne Cauquelin, L’Art du lieu commun. Du bon usage de la doxa, Paris, Seuil, 1999.
18 Voir Amossy (Ruth), op. cit., p. 39.
19 Leff (Michael), «  Perelman, argument ad hominem et ethos rhétorique », dans Argumentation et
Analyse du Discours [en ligne], n° 2, 2009, mis en ligne le 1 avril 2009, consulté le 25 juin 2012,
URL : http://aad.revues.org/213.
20 Pour Dominique Maingueneau, la distinction entre ethos prédiscursif et discursif semble relever d’un
moment précis de l’analyse, alors que  «  si on se situe à un niveau supérieur, plus englobant, il est
naturel qu’on mette aussi l’accent sur les échanges entre les deux. » Maingueneau (Dominique), Dhondt
(Reindert) & Martens (David), « Un réseau de concepts. Entretien avec Dominique Maingueneau au sujet
de l’analyse du discours littéraire », dans Interférences littéraires/Literaire interferenties [en ligne], n°
8, mai 2012, consulté le 20 juin 2012, p. 217, URL : http://interferenceslitteraires.be/node/162.
21 Voir à cet effet Korthals Altes (Liesbeth), «  Slippery author figures, ethos and value regimes –
Houellebecq, a case », dans Authorship Revisited. Conceptions of authorship around 1900 and 2000, sous
la direction de Gillis J. Dorleijn, Ralf Grüttemeier et Liesbeth Korthals Altes, Leuven/Paris/Walpole,
Peeters, 2009, pp. 95-117.
22 Viala (Alain), La Naissance de l’écrivain. Sociologie de la littérature à l’âge classique, Paris, éditions
de Minuit, 1985. Voir aussi les travaux de Roger Chartier, notamment Lectures et lecteurs dans la France
d’Ancien Régime, Paris, Seuil, « L’Univers historique », 1987.
23 Pour la distinction autorité/authorship, voir en particulier Leclerc (Gérard), Le Sceau de l’œuvre,
Paris, Seuil, 1998.
24 Diaz (José-Luis), « Le Poète comme roman », dans L’Auteur comme œuvre : l’auteur, ses masques,
son personnage, sa légende, sous la direction de Nathalie Lavialle et Jean-Benoît Puech, Orléans, Presses
Universitaires d’Orléans, 2000, p. 55.
25 Voir Baumlin (James S.), art. cit., p. xxi.
26 Meizoz (Jérôme), Postures littéraires. Mises en scène modernes de l’auteur, Genève, Slatkine, 2007,
p. 44.
27 Meizoz (Jérôme), La Fabrique des singularités. Postures littéraires II, Genève, Slatkine, 2011, p. 81.
28 Meizoz (Jérôme), ibid., p. 82. Ou encore, «  étudier une posture, c’est aborder ensemble [nous
soulignons] (et croiser ses données, avec la prudence requise) les conduites de l’écrivain, l’ethos de
l’inscripteur et les actes de la personne. » (p. 84).
29 Diaz (José-Luis), «  Pour une théorie de la fonction auctoriale  », dans L’Écrivain imaginaire  :
scénographies auctoriales à l’époque romantique, Paris, Champion, 2007, pp. 11-48.
30 Amossy (Ruth) & Maingueneau (Dominique), « Autour des ‘scénographies auctoriales’ : entretien
avec José-Luis Diaz, auteur de L’Écrivain imaginaire (2007) », Argumentation et Analyse du Discours
[en ligne], n°  3, 2009, mis en ligne le 15 octobre 2009, consulté le 12 juin 2012, URL  :  http://
aad.revues.org/678.
31 La notion de paratopie a été introduite par Maingueneau pour désigner «  la relation paradoxale
d’inclusion/exclusion dans un espace social qu’implique le statut de locuteur d’un texte relevant
d’un ‘discours constituant’  » (cité dans Charaudeau (Patrick) & Maingueneau (Dominique) (dir.),
Dictionnaire d’analyse du discours, Paris, Seuil, p. 420). Depuis le XIXe siècle, de nombreux écrivains

COnTEXTES, 13 | 2013
Ethos : pour une mise au point conceptuelle et méthodologique 13

– qu’ils soient aristocratiques ou non – ont légitimé leur énonciation en ayant recours à cet ‘embrayeur’
de paratopie sociale (voir aussi Maingueneau (Dominique), Le discours littéraire, op. cit., p. 70sq).
32 Amossy (Ruth), op. cit., p. 35.
33 Meizoz (Jérôme), La Fabrique des singularités, op.cit., p. 86.
34 Voir à ce sujet Le Gueux philosophe (Jean-Jacques Rousseau), du même auteur (Lausanne, Antipodes,
coll. Existence et Société, 2003, p. 13).
35 Viala (Alain), « Éléménts de sociopoétique », dans Molinié (Georges) et Viala (Alain), Approches
de la réception, Sémiostylistique et sociopoétique de Le Clézio, Paris, PUF, « Perspectives littéraires »,
1993, p. 216, cité dans dans Meizoz (Jérôme), Postures littéraires. Mises en scène modernes de l’auteur,
Genève, Slatkine, 2007, p. 16.
36 Idem.
37 Ibid., p. 21.
38 Ibid., p. 15. Il en va certainement de même pour les termes d’ethos et d’image d’auteur.
39 Notons du reste que la pensée de Meizoz n’est pas exempte de quelques enchevêtrements inévitables.
Ainsi, alors que « posture » est pour lui un terme « englobant », dans le fragment suivant, il semble le
mettre à l’œuvre pour renvoyer plus spécifiquement au versant « discursif » du terme, qui relèverait de ce
que Maingueneau appelle l’ethos : « Les textes autobiographiques et autofictionnels, la correspondance,
le journal intime, le témoignage, etc. créent une posture, une construction de soi à envisager selon l’état
du champ artistique considéré. Il ne s’agit pas du soi civil ou biographique, du moins pas seulement,
mais d’un soi construit que l’auteur lègue aux lecteurs dans et par le travail de l’œuvre. » (Ibid., p. 28).
40 Meizoz, (Jérôme), La Fabrique des singularités, p. 88.
41 Ibid., p. 92.
42 Idem.
43 Maingueneau (Dominique), Dhondt (Reindert) & Martens (David), art. cit., p. 217. Il s’agit
notamment du rôle du lecteur, qui est sans doute une des facettes les plus problématiques des
conceptualisations de l’image de soi (en discours). Dans un premier temps, Maingueneau insiste sur le
fait que la question des réceptions divergentes selon les publics « [lui] semble en fait relever davantage
de l’image d’auteur », pour tout de suite avouer qu’« il est inévitable que l’ethos étant une construction
du destinataire ne soit pas perçu de la même manière par tous les destinataires, surtout si l’on parle de
textes relevant d’un monde disparu. » (ibid.)
44 Ibid., p. 203.
45 Ibid., p. 216.
46 Voir en particulier Diaz (José-Luis), L’Écrivain imaginaire : scénographies auctoriales à l’époque
romantique, op. cit., et Amossy (Ruth) & Maingueneau (Dominique), «  Autour des ‘scénographies
auctoriales’ : entretien avec José-Luis Diaz, auteur de L’Écrivain imaginaire (2007) », art. cit., passim, et
Amossy (Ruth), « L’ethos au carrefour des disciplines : rhétorique, pragmatique, sociologie des champs
», art. cit., pp. 151-154.
47 Voir notamment Amossy (Ruth), « L’ethos au carrefour des disciplines : rhétorique, pragmatique,
sociologie des champs », art. cit., p. 134sq et Diaz (José-Luis), L’Écrivain imaginaire : scénographies
auctoriales à l’époque romantique, op. cit., p. 27.
48 Dans l’interview avec David Martens, Meizoz évoque le phénomène d’un conflit ou d’un décalage
entre l’image que donne un auteur de lui-même et celle que lui renvoie la critique ou le lectorat. Voir
Meizoz (Jérôme) & Martens (David), « La fabrique d’une notion. Entretien avec Jérôme Meizoz au sujet
du concept de ‘posture’ », dans Interférences littéraires/Literaire interferenties, n° 6, mai 2011, consulté
le 15 mai 2013, pp. 199-212, URL : http://www.interferenceslitteraires.be/node/19.
49 Meizoz (Jérôme), op. cit., p. 83.
50 Maingueneau (Dominique), Le Discours littéraire. Paratopie et scène d’énonciation, op. cit., p. 209.
51 Baumlin (James S.), art. cit., p. xxii.
52 Diaz (José-Luis), L’Écrivain imaginaire : scénographies auctoriales à l’époque romantique, op. cit.,
p. 45.
53 Voir Pollack (Sarah), « Latin America Translated (Again): Roberto Bolaño’s The Savage Detectives
in the United States », dans Comparative Literature, n° 61 (3: « The Americas, Otherwise »), été 2009,
pp. 346-365.
54 Il n’en demeure pas moins qu’une des études de cas prototypiques de l’œuvre de Meizoz concerne
Jean-Jacques Rousseau, auteur-philosophe du XVIIIe siècle que Meizoz continue à revisiter au fil de ses
études. Dans son compte rendu critique de Postures littéraires dans COnTEXTES, Valérie Stiénon pose
la question des « limites chronologiques d’applicabilité de la notion » et souligne que les études de Diaz,
parmi d’autres, peuvent compléter l’essai de Meizoz. Voir Stiénon (Valérie), « Notes et remarques à

COnTEXTES, 13 | 2013
Ethos : pour une mise au point conceptuelle et méthodologique 14

propos de Jérôme Meizoz, Postures littéraires. Mises en scène modernes de l’auteur », COnTEXTES
[en ligne], Notes de lecture, mis en ligne le 02 avril 2008, consulté le 24 juillet 2013. URL  : http://
contextes.revues.org/833.

Pour citer cet article

Référence électronique

Reindert Dhondt et Beatrijs Vanacker, « Ethos : pour une mise au point conceptuelle et
méthodologique », COnTEXTES [En ligne], 13 | 2013, mis en ligne le 20 décembre 2013, consulté le
29 avril 2015. URL : http://contextes.revues.org/5685 ; DOI : 10.4000/contextes.5685

À propos des auteurs


Reindert Dhondt
KU Leuven – FWO-Vlaanderen / Universiteit Utrecht
Beatrijs Vanacker
KU Leuven – FWO-Vlaanderen

Droits d'auteur
© Tous droits réservés

Résumés
 
En guise de préambule théorique aux études de cas réunies dans ce numéro, le présent article
se veut une mise au point du concept d’ethos et de ses concepts voisins, tout en formulant
quelques-uns des défis, tant définitionnels que méthodologiques, qui en résultent. Aussi cette
contribution adopte-t-elle une double démarche, proposant d’abord un regard rétrospectif, qui
résume le parcours historique de la notion d’ethos et de la figure de l’auteur en général, avant de
formuler quelques pistes de réflexion à portée méthodologique. D’une part, celles-ci découlent
du constat d’un certain flou notionnel qui semble subsister dans la recherche consacrée à la
figure de l’auteur, en dépit – ou peut-être en raison – des nombreuses tentatives de définition
des spécialistes concernés. D’autre part, elles font le point sur quelques problèmes de méthode
résultant de la confrontation des diverses conceptions de la figure de l’auteur, mais aussi de leur
mise en œuvre respective dans des études de cas dont la grande diversité historique, générique
et discursive demande à être davantage prise en compte.
 
By way of theoretical prelude to the case-studies collected in this issue, the present article
proposes a clarification of the concept of ethos and its related concepts, as well as of the
definitional and methodological challenges they present. From the outset, this contribution
adopts a double approach: it proposes a historical survey of the notion of ethos and the
authorial figure in general, before formulating some methodological considerations. On the
one hand, these reflections originate from a notional vagueness, which seems to subsist in
the research on the author figure, in spite of – or perhaps because of – multiple attempts to
clarify the variety of definitions proposed by the specialists concerned. On the other hand, the
article touches upon different methodological problems, which derive from the confrontation
of different conceptions of the author figure or from their application in case-studies of which
the historical, generic and discursive diversity needs to be taken more fully into account.

Entrées d'index

Mots-clés : Ethos, Posture, Figure de l’auteur, Analyse du discours, Épistémologie

COnTEXTES, 13 | 2013

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