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LA BIOMACHINE ARCHITECTURALE

interview de Kazuo Shinohara par Sylvie Chirat, November 18, 2013

Kazuo Shinohara, architecte japonaise, théoricien et constructeur, est, père de la théorie sur la
“beauté du chaos” dans le ville, il en explique sa signi cation au moment même où d’aucun
l’interprète à tort et à travers. En découle une nouvelle théorie sur une biomachine architecturale.

Pourriez-vous nous rappeler brièvement votre concept de “machine de degré-zéro” qui fuit
à l’origine de votre theorie sur le “chaos” et l‘“anarchie progressive” des villes japonaises?

En 1960 je me limitais à la construction de petites maisons individuelles et concentrais ma


recherche sur celles-ci. La Maison Parapluie, par exemple, avait un plan carré très compact et un
toit unique trè simple pour uni er l’ensemble. Ce travail était en étroite relation avec l’esprit
japonais de la composition des maisons. A cette époque, je désirais suivre cette voie, entrer dans
cet esprit.

Mais en regardant ce qui composait l’environnement de ma vie quotidienne, je me suis aperçu


qu’il était et est impossible de réaliser au Japon des villes pour le futur semblables à Paris ou à
Vienne. Tokyo n’est pas ainsi. Si, au Japon, nous fabriquons une cité, c’est une ville chaotique:
elle n’exprimera que des bâtiments chaotiques.

Plus d’un quart de siècle après, cette idée se traduit dans mes constructions par les concepts du
“chaos” et de l‘“aléatoire”. Cequi est intéressant puisque cela rejoint les théories de la science
pure ou des technologies les plus avancées.

Lorsque j’obtins mon diplôme en 1953, l’architecture japonaise était en plein période moderniste,
totalement importée des Etats-Unis, de l’Allemagne de l’Ouest ou de la France. A ce moment, j’ai
délibérément choisi de ne pas suivre cette voie. Et quand ma première maison, la Maison à
Hanayama, fut construite, un éditeur anglais y avais souligné la double in uence de Katsura et de
Mies van der Rohe. Je ne peux qu’être d’accord avec lui car son sentiment correspondait au fait
que l’esprit jeune du modernisme des années 20 existait encore. Plus tard, je me suis entièrement
consacré à la tradition japonaise.

Puis, en 1970, pour mon “second style”, j’ai abandonné les matériaux naturels et me suis éloigné
de cette tradition japonaise en adoptant pour chaque enveloppe de mes projets un cube en béton
et en travaillant sur le concept de “ ssure”. J’exprimais alors une plus grande liberté de
composition.

Mais, bien que le cube avait été déjà utilisé comme concept de base par le modernisme des
années 20, je l’employais alors dans une méthodologie beaucoup plus personelle. Mon cube était
plus général, plus neutre et son concept était di érent de celui de Le Corbusier tout en ayant la
même silhouette. Mais l’un comme l’autre ont ni par intercepter le concept de “machine”. 70 ans
plus tard, cette “machine” avait un sens di érent.

Et durant mon “troisième style”, de 1975 à 1980, j’ai développé le concept de “machine de degré
zéro”. Depuis 1980, celui de l‘“anarchie” s’est imposé a moi par l’existence même de la ville
qu’est Tokyo alors que le concept de “machine” provenait de celui du “cube”. Leurs origines sont
distinctes, phénoménales. Maintenaint, je m’intéresse à la science pure et aux technologies
avancées. En e et, quelques domaines d’analyses scienti ques utilisent aussi des concepts tels
que le “chaos”, le “bruit aléatoire” et l‘“incertitude” comme éléments essentiels. Et c’est la
confusion de Tokyo qui a suscité mon intérét pour ces concepts.

La construction du Musée du Centenaire de l’Institut de Technologie de Tokyo est achevé depuis


6 ans. Selon l’article d’un magazine trés populaire, les enfants qui regardent ce bâtiment s’écris
tous: “un Gandan, un Gandan!”. C’est le nom japonais des machines vivantes, héros des dessins
animés télévisés. Ceci est pour moi très intéressant. En e et, je n’ai pas composé cet édi ce
comme une forme architecturale organique mais il semble pourtant directement, très fortement lié
à un animal ou un être humain, bien que je n’avais aucune intention de ce genre. Le demi-cylindre
et le cube constitue la composition de base, le corps principal. Le demi-cylindre otte dans l’air et
se juxtapose au cube de manière incidentale, ni symétrique ni monumentale. La juxtaposition est
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spontanée: un re et de l’ambigu processus aléatoire. De cela seulement, les enfants ont fabriqué
une analogie humaine. Les deux éléments, cube et cylindre, sont très primaires, mais ils
expriment nalement nos manières. Ce bâtiment est le re et de nouvelles activités dans l’espace
architectural.

Comment dé nissez-vous ces nouvelles activités?

Je veux dire que cette activité est une valeur donnée par des méthodes aléatoires. Dans le
quartier de Shibuya à Tokyo, sur lequel j’ai déjà écrit, il est possible de sentir certaines activités de
la ville. Comme à Vienne il est possible de sentir sa composition baroque où toutes les surfaces
des bâtiments s’uni ent dans des règles classiques. Deux cets ans plus tard, cette ville est
toujours magni que, mais sa beauté est gelée, semblable à une sculpture. La structure de la
société a changé depuis cette époque, spécialement depuis le siècle dernier, ou même depuis la
première moitié de ce siècle. Cette belle composition, établie durant une période déterminée de
l’histoire, re était certaines activités. Mais maintenant, elle reste parce que les gens l’apprécient
alors que la société a complètement évolué.

L’architecture aussi doit évoluer et, dans le futur, la beauté des nouvelles villes inclut des
structures chaotiques, aléatoires ou ambiguës. Les espaces d’autrefois étaient uni és, simples.
Mais si l’on reprend l’exemple de Shibuya, on peut y voir un paysage très désordonné. Attention:
je ne veux pas dire que le chaos doit devenir l’étape suivante. Mon intention est di érente et loin
de cette puérile interprétation. Simplement, le futur du quartier de Shibuya sera une composition
qui ne devra rien à une méthode uni catrice. Shibuya est un problème architectural et il faut être
prudent. Je tente seulement d’abstraire un quelconque avenir de ce paysage urbain car
maintenant le chaos, l’aléatoire et l’ambiguité sont les problèmes majeures dans tous les
domaines.

Les éléments du chaos ne sont pas le produit de di érentes méthodes mais celui de di érentes
types. Pour le bâtiment de Musée du Centenaire de l’Institut de Technologie de Tokyo, je n’ai fait
que plier le demi-cylindre. Une méthode simple et essentielle re ète l’ectivité de l’espace.

Mais quelles sont exactement les analogies avec les sciences?

Dans les années 20, le modernisme était lié aux nouvelles données scienti ques comme, par
exemple, la relativité. De même, la politique, la nance se sont aussi synchronisées sur ces
théories; nous ne pouvons exister indépendamment. Et l’architecture est le domaine de l’ingénerie
comme de l’art.

La pensée doit être reliée aux sciences et aux technologies de l’époque correspondante,
l’architecture d’aujourd’hui aux techniques d’aujourd’hui. Les dernières années ont été
particulièrement intéressantes car des changements de structures techniques ont eu lieu dans
tous les domaines et soudain de nouvelles possibilités sont apparues. Maintenant, à l’aube de
l’an 2000, les sympathies vont à l’homme et à la vie.

Est-ce là l’origine de votre biomachine architecturale?

Les ordinateurs sont de plus en plus souvent utilisés. Naguère, ils fonctionnaient avec la simple
opération binaire 0-1-0-1. De nos jours, ils utilisent des éléments beaucoup plus complexes. Ils
peuvent devenir subjectifs et cela constitue un nouveau problème. Un ordinateur pourra-t-il
analyser la beauté, simplement choisir ce qui est beau ou non? Les sens de la machine se
rapprochent petit à petit de ceux de l’homme en activité. Par exemple, le bâtiment de l’Institut du
Monde Arabe de Jean Nouvel a une façade sud en claustra métallique dont les dessins arabisants
s’ouvrent ou se ferment selon l’intensité du soleil. Dans un futur proche, cette machine sourira
peut-être par quelque accident.

Si le public est important, elle sourira encore plus; s’il n’est pas “gentil”, elle sera en colère … Si
nous sommes capables de réaliser des compositions dans cet esprit, ce seront des biomachines
encore plus proches de l¡activité humaine.

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Bien entendu, la machine est irrémédiablement di érente de l’homme. Elle ne peut être un être
humain exact. Mais regardons son nouvel aspect. Bien qu’elle se situe à l’opposé de l’homme,
elle interfère parfois avec les activités humaines et il existe une certaine ambivalence; ce qui est
un point important. La machine ne possède aucune similarité de formes, elle est composée très
précisément selon une méthode avancée de fonctionnalité. Chaque volume et chaque espace est
un produit de cette fonctionnalité tout comme l’assemblage des divers éléments. Mais,
maintenant nous pouvons espérer que la machine va se rapprocher de l’homme bien que ses
surfaces ne l’expriment pas (yeux, sourires, etc). Cette similarité là n’est pas essentielle à la
biomachine.

Dans ce contexte, la ville représente aussi une biomachine. En 1953, j’écrivais, dans un article
intitulé “Cités irrationelles”, que la machine de futur la plus avancée sera la ville. Nous pouvons
parler de cet avenir dans notre architecture. Les projets sont limités mais la ville peut en exprimer
toute la structure, parfois rationelle, parfois irrationelle. L’aspect sera le résultat de cet énorme
mécanisme de la cité.

Pensez-vous que ce point de vue correspond aux besoins des villes japonaises?

Je ne pense pas. Le concept provient de la cité japonaise, mais je ne veux dire que l’architecte
japonaise doit représenter le chaos. Ma dé nition est une abstraction de l’essence de la cité. La
situation exacte est di érenre: il faut faire attention. Quelques architectes expriment des
méthodes complexes, d’autres plus directes, mais tous montrent la scène de la ville. Pour moi, il
n’est pas nécessaire d’utiliser un grand nombres d’éléments ou de moyens pour exprimer mes
concepts.

J’aime les présenter d’une manière simple, compacte et basée sur la structure essentielle de la
société ou du domaine organique.

Toute ces théories seraient-elles valables pour une ville comme Paris?

Paris doit être belle. A New York, c’est l’ordinaire dé nition de la beauté, mais à Paris il est
possible la conserver si l’on prend soin d’elle. Par exemple, les immeubles ont essentiellement
une fonction de logements et leurs rez-de-chaussées sont presque toujours occupés par des
boutiques. Aux Champs-Elysées, les yeux rencontrent à leur niveau un nombre très important de
vitrines de mode modernes ainsi que des panneaux publicitaires. Cet ensemble est limité au sol et
les niveaux supérieurs qui font la célèbre “beauté de Paris” existent encore bien sur, la ville de
Paris est limitée. Si un décalage important s’établit entre les nieveaux du sol et ceux qui leur sont
supérieurs, le paysage deviendra chaotique et aléatoire. Chaque boutique ne pense pas à son
environnement immédiat, aux commerces voisins, elle correspond plus profondément à sa
fonction et cela entraîne la confusion. Heureusement, la bonne qualité des designers de Paris
permet encore d’exprimer cette beauté qui n’a pas changé depuis les débuts. Mais, évidemment,
si nous croyons aux concepts purs du modernisme, la contradiction entre logements et
commerces est déjà étrange. Pourtant, elle re ète agréablement la vigueur d’une cité européene.
La beauté et l’activité de Paris provient à la fois d’une forte tradition et d’un design de mode trés
moderne; ceci inclu tous les matériels: vêtements, mannequins, passants dans la rue et
automobiles. Devant la façade de vieux immobles, le stationnement de nouvelles voitures
engendrent une beauté inattendue. Cette contradiction reste la base de la composition des belles
cutés européennes. Au Japon, des bâtiments très dissemblables se cotoient dans la ville, et des
diversités entre les espaces nous attendons une situation di érente de celle de l’Europe. La scène
et le drame sont autres. Je ne dis pas que les immeubles doivent représenter l’activité d’une
situation chaotique. Chaque construction est à elaborer selon une méthode sereine. Déjà en soi,
cela devient un élément aléatoire car chaque architecte ne peut copier le bâtiment voisin.
L’architecture se di érencie visuellement, mais sont principe doit être identique. Comme le poste
de police que j’ai construit à Kumamoto: il est di érent du Musée du Centenaire et de la clinique à
Hanayama qui furent composés selon un axe. Indépendamment du site, il prolonge en un banal
plan rectangulaire un vieux bâtiment ordinaire.

Pourtant extrêmement simple, il fut fabriqué à partir des mêmes concepts. La façade sur rue,
tournée vers l’ouest, y est plus agréable, plus large. Le chaos et l’aléatoire sont des éléments
essentiels de la plus avancée des technologies, et j’a rme clairement l’importance de la relation
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avec les sciences. Bien que cela comporte une part de jeu, c’est l’inverse de l’architecture-jouet.
Je n’aime pas un projet sans structure. Sans cette dernière et les ingéneurs pour la réaliser, il est
impossible de composer la machine.

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