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Doc. 8355

23 mars 1999

Médias et culture démocratique

Rapport

Commission de la culture et de l'éducation

Rapporteur: M. Josef Jařab, République tchèque, Groupe du Parti populaire


européen

Résumé

Les médias constituent un élément essentiel dans la création et le développement


d'une culture démocratique dans tout pays. Ils fournissent des informations qui
influencent les opinions et les attitudes ainsi que les choix politiques. En
conséquence, les médias doivent être libres, pluralistes et indépendants, tout en
assumant volontairement une responsabilité sociale.

Avec le renforcement de la coopération entre les pays européens, l'apparition de


nouvelles technologies de l'information et la mondialisation des marchés, les
médias font de plus en plus face au même type de problèmes, lesquels appellent le
même type d'approches coordonnées. Les principaux défis sont : sauvegarder
l'indépendance politique et commerciale des médias ; préserver le service public de
radiodiffusion; éviter la dépendance, l'uniformisation, le sensationnalisme,
«l'infospectacle», le crime et la violence; trouver un équilibre entre le droit à la vie
privée et le droit à l'information.

L'Assemblée souligne qu'il est nécessaire que les responsables politiques


veillent à ce que les conditions politiques et juridiques soient réunies, d'une part,
pour permettre aux médias d'opérer librement et, d'autre part, pour garantir les
libertés individuelles et les autres droits fondamentaux de l'homme.

I. Projet de recommandation

1. L'Assemblée souligne que les médias sont essentiels pour la création et le


développement d'une culture démocratique dans tout pays. Ils fournissent de
l'information qui influence les opinions et les attitudes ainsi que les choix
politiques.

2. En conséquence, les médias doivent être libres, pluralistes et indépendants,


tout en étant socialement responsables. Telles sont aussi les conditions pour qu'ils
soient largement crédibles. L'Assemblée rappelle, à cet égard, sa Résolution
1003 (1993) relative à l'éthique du journalisme.

3. Des médias libres ne peuvent prospérer dans un pays qui n'est pas
démocratique. Il incombe en conséquence aux responsables politiques de veiller à
ce que les conditions politiques et juridiques soient réunies, d'une part, pour
permettre aux médias d'opérer librement et, d'autre part, pour garantir les libertés
individuelles et les autres droits fondamentaux de l'homme.

4. La quantité des informations ne garantit pas en soi, notamment lorsque les


médias sont fortement concentrés, la variété et la qualité. L'intensification des
communications ne rend pas non plus nécessairement les gens plus aptes à prendre
des décisions ou à influer sur les processus décisionnels, ni plus qualifiés pour le
faire.

5. La situation des médias en Europe varie d'un pays à l'autre en fonction des
traditions culturelles, du poids économique, de la puissance des institutions
démocratiques et du degré de professionnalisme. Toutefois, avec l'ouverture de la
quasi totalité des pays du continent, avec le renforcement de la coopération et de
l'intégration entre ces pays et l'apparition de nouvelles technologies de
l'information, les médias font de plus en plus face aux mêmes types de problèmes,
lesquels appellent le même type d'approches coordonnées.

6. L'indépendance des médias demeure l'un des problèmes les plus difficiles.
Même lorsque les traditions démocratiques sont profondément enracinées, le droit
de présenter des faits et d'exprimer des opinions est parfois restreint. Les méthodes
vont des entraves bénignes à l'accès à l'information, aux représailles physiques et à
la violence, en passant par les monopoles d'Etat dans les secteurs du papier ou de la
distribution, le refus d'accorder des licences de radio et de télévision (ou de leur
restriction excessive), les poursuites judiciaires et l'interdiction des journaux, des
chaînes de télévision et des stations de radio.

7. Le rapport délicat entre la liberté d'expression et le droit du citoyen à une


information objective et non dénaturée est un autre problème chroniquement
difficile. Les médias peuvent toujours servir d'instrument pour régler des comptes,
tant au niveau politique qu'au niveau personnel. La commercialisation et la
concurrence croissantes dans le secteur des médias poussent même des médias
sérieux à l'«uniformisation» et au sensationnalisme; elles les incitent à préférer
«l'infospectacle» et à mettre beaucoup trop l'accent sur le crime et la violence.

8. Le service public de la radiodiffusion (qu'il ne faut pas confondre avec les


médias sous contrôle de l'Etat) a toujours été considéré comme la garantie que
toutes les catégories du public, y compris les groupes minoritaires, ont accès à des
programmes impartiaux et variés, à l'abri de toute ingérence des pouvoirs publics
ou partisane, et qui portent sur l'information, l'éducation, la culture et les loisirs.
Dans la réalité cependant, elle fait souvent l'objet de pressions politiques et
économiques et d'une concurrence de plus en plus vive des services de
radiodiffusion commerciaux, qui deviennent moins coûteux et plus facilement
disponibles grâce aux nouvelles technologies de l'information.

9. Etant donné que la culture démocratique d'une société ne saurait être


imposée, mais que des efforts conscients et durables sont nécessaires pour la
développer de manière qu'elle puisse relever les nouveaux défis, l'Assemblée
recommande au Comité des Ministres:

i. de surveiller étroitement l'état de la liberté de la presse dans les pays


européens membres et non membres, afin:

a. d'exercer des pressions morales et politiques sur les gouvernements qui violent la
liberté d'expression;

b. de défendre et de protéger les journalistes qui sont victimes de telles


violations;

ii. de continuer à développer ses programmes d'assistance et de coopération


pour réformer la législation relative aux médias, notamment en ce qui concerne:a

a. l'élaboration de principes directeurs clairs sur l'accès du public à


l'information, et le fonctionnement des services de presse publics, et de veiller à ce
que ces principes directeurs soient respectés, à tous les niveaux;

b. l'élaboration de lignes directrices sur le respect du droit à la vie privée et la


divulgation d'informations relatives aux personnes qui exercent des fonctions
politiques ou publiques, dans l'esprit des propositions formulées dans la Résolution
1165 (1998) de l'Assemblée sur le droit au respect de la vie privé;

c. l' assistance méthodologique et concrète aux pays membres et non membres


qui peuvent en avoir besoin pour assurer une couverture équitable des campagnes
électorales par les médias;

iii. de veiller à l'application de la législation et des règles de protection de la


liberté d'expression et des autres droits fondamentaux de l'homme, y inclus les
droits des enfants, conformément aux principes énoncés par le Conseil de l'Europe,
notamment à l'article 10 de la Convention Européenne des droits de l'homme;

iv. de mettre l'accent sur les aspects relatifs aux médias dans ses programmes
sur l'éducation à la citoyenneté démocratique ainsi que sur le développement et la
consolidation de la stabilité démocratique;

v. de continuer à faciliter le développement du service public de la


radiodiffusion en Europe centrale et orientale, conformément à sa Recommandation
n° (96) 10, et de continuer à surveiller l'évolution de ce secteur à l'échelle
européenne;

vi. de favoriser la mise en place de mécanismes d'auto-réglementation dans les


médias, par exemple en réunissant des exemples de bonne pratique et en faisant
mieux percevoir ces mécanismes; de créer un cadre spécial pour l'information sur la
réglementation et l'autoréglementation des nouveaux services de communication et
d'information;v

vii. d'être plus attentif à la question de l'indépendance des médias dans le cadre
de la concurrence sur les marchés et de la mondialisation, et, à cette fin:a

a. d'examiner les manières de garantir l'indépendance rédactionnelle dans les


pays où la conjoncture économique ne permet pas aux médias de fonctionner en
toute indépendance;

b. de poursuivre les travaux sur les concentrations de médias; d'accorder une


assistance pratique aux pays membres, conformément à ses recommandations
pertinentes, et de mettre l'accent sur la question de la transparence en matière de
propriété et de financement;

viii. de favoriser l'éducation aux médias et par les médias, par exemple en
encourageant les autorités compétentes des Etats membres:

a. à donner des possibilités d'éducation et de formation aux journalistes qui


souhaitent atteindre au plus haut niveau de professionnalisme et de déontologie;
b. à favoriser l'éducation aux médias (traditionnels et électroniques) dans le
cadre des programmes scolaires, conformément aux principes énoncés dans la
Recommandation 1276 (1995) relative au pouvoir de l'image, par exemple en
familiarisant les élèves avec les codes de déontologie des journalistes et en
encourageant la création de journaux et d'émissions scolaires, avec la collaboration
de journalistes professionnels;

ix. d'assurer une meilleure coordination entre les différents organes du Conseil
de l'Europe qui participent aux programmes de coopération et d'assistance dans le
domaine des médias, et d'intensifier la coopération avec les associations de médias,
des structures indépendantes telles que des commissions des plaintes en matière de
presse et d'autres organisations non gouvernementales compétentes, y compris
celles qui sont mises en place par les consommateurs de médias et qui interviennent
en leur nom.

x. à promouvoir une meilleure coopération et complémentarité entre les


programmes relatifs aux médias des organisations internationales, notamment
l'Union Européenne, l'Unesco et l'OSCE.I

II. Exposé des motifs par M. Jařab

1. Introduction

1. Au cours de l'élaboration du présent rapport, une préoccupation (ou une mise en


garde) a été exprimée: «les responsables politiques ne devraient pas discuter du rôle
des médias».

2. Votre rapporteur est en total désaccord avec cette affirmation bien qu'il partage
le point de vue selon lequel les responsables politiques ne devraient pas s'interposer
au niveau du contenu des médias et ne devraient pas «dire aux médias ce qu'ils
doivent faire». Ces derniers, comme les responsables politiques, font partie de la
société et ils ont les uns et les autres du pouvoir et de l'influence, d'où des
responsabilités. Malgré la relation amour-haine qu'ils entretiennent, ils sont
mutuellement dépendants. Les responsables politiques sont élus par le peuple, qui
est aussi celui qui «consomme» les médias. Ils ont besoin des médias pour faire
passer leurs messages; en présentant une gamme d'opinions, les médias permettent
à la population de faire ses choix politiques. Par ailleurs, les médias ont besoin
d'une démocratie saine pour bien fonctionner, et il incombe aux responsables
politiques d'en assurer les conditions nécessaires, comme la liberté d'expression et
la pluralité des sources d'information et des opinions exprimées.

3. La législation fournit le cadre officiel de la relation entre les médias et la


politique. Toutefois, outre les règles écrites, cette relation dépend très largement
des normes culturelles et éthiques ou de ce qu'on pourrait appeler, plus
généralement, la culture démocratique d'une société. J'entends, par-là, une
conscience publique par laquelle les médias, tout en jouissant pleinement de la
liberté d'expression, assument volontairement une responsabilité sociale; dans une
telle culture démocratique, les autorités non seulement proclament publiquement
les libertés de l'information, mais elles se soumettent volontairement à la
surveillance du public et ne succombent pas à la tentation de s'ingérer dans le
contenu des médias.

4. Le contenu de l'information est une question purement journalistique, et toute


tentative visant à le dicter est d'ordinaire associée aux régimes totalitaires et
autoritaires. Il faut toutefois reconnaître que même dans les démocraties saines, le
contenu n'est pas toujours décidé par les seuls journalistes. Il en est ainsi pour les
organes de propagande des partis politiques ou pour les journaux à sensation ou les
programmes de radio et de télévision aux mains de propriétaires dont le seul but est
de réaliser des profits, même au détriment du respect de la dignité humaine et de la
décence.

5. Cultiver et favoriser la culture démocratique d'une société exige des efforts des
deux parties, tant des médias que des responsables politiques. Le Conseil de
l'Europe étant un organe politique, le présent rapport a pour objet d'examiner les
défis que les médias doivent relever dans le cadre de la culture démocratique de
l'Europe dans son ensemble et également d'évaluer dans quelle mesure les
conditions politiques, économiques et sociales dans les différents pays permettent
aux médias de s'acquitter de leurs fonctions à cet égard.

6. Depuis 1989, l'Assemblée débat régulièrement de questions relatives aux médias.


Un débat a porté sur la situation des médias dans un pays d'Europe orientale: le
rapport sur la situation culturelle dans l'ex-Yougoslavie et deux autres ont porté sur
le développement des standards en Europe centrale et orientale (1994): un colloque
tenu en 1990 et un rapport de 1989 ont examiné la coopération audiovisuelle est-
ouest et un autre rapport en 1991 a porté sur la responsabilité parlementaire face à
la réforme démocratique de la radiodiffusion.

7. Les autres rapports ont eu pour thèmes: Eurimages (1990); la situation de la


radio locale en Europe (1991); l'éthique du journalisme (1993), le pouvoir de
l'image visuelle (1995), les migrants, les minorités ethniques et les médias (1995),
les parlements et les médias (1997).

8. La nécessité de traiter toute la série des problèmes concernant les médias dans
une perspective paneuropéenne: voilà, en fait, ce qui a motivé la présentation d'une
proposition de recommandation sur le rôle des médias dans l'éducation à la
démocratie et la promotion de l'humanisme et de la tolérance (Doc. 8031/26 février
1998), proposition qui sert de point de départ au présent rapport.

9. Afin de tenir compte d'un maximum de points de vue, la sous-commission des


médias a organisé le 4 novembre 1998 à Strasbourg une audition sur la qualité de
l'information dans les médias, à laquelle ont pris part des associations de médias,
des experts et des journalistes. Les discussions sont reproduites séparément et il en
a été largement tenu compte lors de l'élaboration du présent rapport.

10. Le Comité des Ministres a aussi formulé de nombreuses recommandations aux


Etats membres dans le domaine des médias; un grand nombre de programmes
d'assistance ont été mis en place par le Comité directeur sur les moyens de
communication de masse (CDMM), et le Conseil de l'Europe a joué un rôle
essentiel dans la promotion de la législation visant à créer des structures
démocratiques.

11. Il n'en reste pas moins que la mise en œuvre de ces recommandations demeure
délicate, ce qui représente une raison supplémentaire de maintenir un dialogue
permanent entre les différentes parties en cause. Le présent rapport est placé sous le
signe du dialogue.

2. Pouvoirs et limites des médias

12. Les médias façonnent l'opinion publique, mais il ne serait pas juste d'affirmer
qu'ils sont les seuls à le faire. La culture démocratique d'une société est aussi
déterminée par son histoire, ses traditions culturelles et religieuses et son niveau de
vie. Elle s'acquiert également au sein de la famille, sur les lieux de travail et dans la
communauté.

13. L'expérience des anciens pays communistes fournit un bon exemple des
pouvoirs et des limites des médias pour ce qui est de forger les valeurs publiques.
La propagande totalitaire a certainement contribué, d'une certaine façon, au
maintien du régime, mais elle n'a jamais réussi à gagner la population à la «grande
idée» qui a progressivement été perçue comme un «énorme mensonge». Les gens
voyaient bien l'écart qui existait entre le tableau idyllique présenté par les médias et
les aspects rebutants de leur vie quotidienne. Parallèlement, des médias
mondialement réputés pour leur qualité (BBC, Voice of America, Deutsche Welle)
ont permis aux populations d'y voir plus clair, mais ils n'auraient pas pu à eux seuls
abolir la règle totalitaire.

14. Dans les nouvelles démocraties, les limites à ce que les médias peuvent obtenir
sont apparues clairement, même s'il est aussi devenu évident que la liberté et la
démocratie ne sont guère possibles sans une information indépendante et crédible.

15. Pour ce qui est de la réalité occidentale, les illustrations récentes les plus
frappantes de l'influence des médias – la couverture du décès de la princesse de
Galles ainsi que l'audition et la mise en accusation du Président des Etats-Unis, Bill
Clinton – ont aussi montré que les médias ne peuvent dicter aux gens ce qu'ils
doivent penser même s'ils peuvent imposer un thème. Bien que les médias aient
donné l'impression que le monde entier pleurait la mort de la princesse Diana, il est
par la suite apparu clairement que la plupart des gens jugeaient l'événement de
façon rationnelle et avec discernement. Toutefois, sur le moment, l'opinion de cette
partie silencieuse de la population n'avait pas été rapportée. Dans l'affaire
Clinton/Lewinski, la majorité de la population américaine semble avoir préféré
prendre une certaine distance, si ce n'est faire preuve d'indifférence, face aux
batailles livrées dans les gros titres des médias et sur la scène politique.

16. Par conséquent, on voit que même dans les pays où la tradition démocratique
est solidement ancrée, la culture démocratique a encore un long chemin à parcourir
pour accepter et traiter de manière égale des opinions qui ne sont pas celles qui
s'expriment le plus bruyamment. Parallèlement, la culture démocratique d'une
nation peut permettre au public de distinguer le compte rendu objectif de la
manipulation.

17. Comme il a été indiqué à l’audition sur la qualité de l'information dans les
médias, la situation des médias dans plusieurs pays de l’Europe du Sud-Est, en
particulier la Croatie, la Bosnie et Herzégovine et la République fédérale de
Yougoslavie, prouve abondamment que la plupart des efforts déployés par la
communauté internationale pour améliorer la qualité des reportages demeureront
vains si les formes de pouvoirs autoritaires ne tolèrent pas l’autonomie des médias
et/ou aussi les impératifs économiques ne permettent pas d’accroître la
consommation de médias.

18. Par ailleurs, les médias qui pratiquent le langage de la haine ne peuvent avoir
qu’un effet limité sur un public instruit, élevé dans une tradition éclairée et
démocratique. La réalité quotidienne dans les démocraties occidentales établies, en
période de prospérité économique, vient étayer cette analyse.

19. Le danger, toutefois, est que ces médias peuvent favoriser des positions
extrêmes dans les couches les plus vulnérables de la population, qui sont le plus
sujettes à manipulation, à savoir les jeunes ou les marginalisés; ceux-ci peuvent
retomber dans différentes sortes d’extrémisme ou de fondamentalisme pour
exprimer leur frustration sociale.

20. Le fait que les médias ne soient pas tout-puissants doit être souligné, également,
parce qu’ils sont le bouc émissaire traditionnel en cas de crise politique et sociale.
Les reproches qu'on leur adresse sont souvent un moyen de masquer les fautes de
quelqu’un d’autre. En pareil cas, les appels à davantage de responsabilité pourraient
traduire une intention de renforcer le contrôle exercé sur eux et de restreindre la
liberté d’expression. Mais c’est précisément parce que les médias ne sont pas un
pouvoir au-dessus de tout et de tous qu’ils doivent assumer leur responsabilité
sociale, tout comme devraient le faire l'ensemble des autres institutions et, en fait,
chaque citoyen dans une société démocratique.
21. Plutôt que de parler de responsabilités, certains représentants des médias
préfèrent dire qu’ils sont là pour répondre aux besoins et aux souhaits de leur
public. Ils prétendent que le public, s'il n'obtient pas satisfaction à cet égard,
imposera aux médias la meilleure sanction qui soit: l'abandon. Faut-il pour autant
répondre à tous les besoins, y compris à ceux qui sont contraires aux principes
d’une société démocratique?

22. Par ailleurs, les médias ne sont pas non plus de simples miroirs de la société. Ils
font aussi partie du processus qui influe sur les règles communes, la langue, la
culture, la vision du monde. Avec le développement des médias électroniques et
des nouveaux services, ils deviennent de plus en plus puissants.

23. L'expérience que l'on a du monde extérieur est essentiellement transmise par les
médias. Il est également impensable d’imaginer des élections modernes sans des
médias. Certains experts affirment même que les médias ont contribué au recul des
idées et des idéologies politiques au profit de la personnalisation de la politique,
souvent dénuée de contenu.

3. Liberté et dépendance

24. La liberté d’expression est un élément essentiel de la culture démocratique d’un


pays. Même s’il semble sans intérêt de réaffirmer ce principe, il ne faut pas oublier
que sa mise en œuvre peut être très compliquée et faire l’objet d’une lutte
quotidienne.

A. Censure et suppression des médias

25. La forme la plus grave de censure est l'assassinat de journalistes; or, cela se
produit encore en Europe. Selon le «Committee to Protect Journalists» (CPJ),
128 journalistes ont été tués au cours des dix dernières années en Europe et dans les
républiques de l’ex-Union soviétique.

26. En Irlande, la principale journaliste d’investigation du pays, Veronica Guerin, a


été abattue dans sa voiture près de Dublin en juin 1996. En 1997, deux journalistes
ont été tués en Ukraine et un en Russie. En 1998, la rédactrice en chef du journal
d’opposition Sovietskaïa Kalmykia Segodnïa, Larissa Ioudina, également
responsable locale du parti de l'opposition libérale Iabloko, a été assassinée dans la
République autonome de Kalmoukie, dans le sud de la Fédération de Russie.
Mme Ioudina avait fait l'objet de harcèlements et de menaces fréquents à cause de
ses articles sur la corruption des pouvoirs locaux et la ligne de conduite dure
adoptée par le Président millionnaire de la République.

27. L’emprisonnement est une autre forme de violation de la liberté d’expression


des journalistes. Selon des informations du CPJ, vingt-neuf journalistes ont été
emprisonnés en Turquie en 1997 simplement pour avoir exprimé leur point de vue.
28. Au Bélarus, Pavel Cheremet, correspondant influent de la télévision russe et,
rédacteur en chef du journal Bélarusskaïa Delovaïa Gazeta, a été arrêté, privé de
son accréditation, et s'est vu interdire de se rendre en Occident ou de travailler
comme journaliste jusqu’en 1999. Le Président Lukachenko l'accusait de partialité
dans les informations qu’il donnait; M. Cheremet a été mis en accusation pour
«espionnage à la solde d’un pays étranger». Il s’est attiré les foudres du régime en
couvrant les meetings de l’opposition et en exposant la politique de style soviétique
adoptée par le Président Lukachenko.

B. Défis juridiques

29. Les actions en justice servent toujours, dans certains pays européens, à
réduire au silence les médias qui dérangent. Il n’est pas surprenant que la première
affaire examinée par la nouvelle Cour européenne des Droits de l’Homme au
lendemain de son inauguration, le 3 novembre 1998, ait porté sur l’article 10 de la
Convention européenne des Droits de l’Homme (liberté d’expression). La
jurisprudence de la Cour ne manque pas d'affaires analogues concernant des pays
où la démocratie est établie de longue date. De plus en plus d’affaires viennent
désormais des pays d’Europe centrale et orientale.

30. L'une des violations les plus frappantes de tous les principes démocratiques
relatifs à la liberté d’expression est la nouvelle loi serbe sur l’information publique.
Quelques jours seulement après son adoption, les autorités ont interdit trois
quotidiens indépendants, Danas, Dnevi Telegraf et Nasa Borba, quatre stations de
radio et une chaîne de télévision. Les experts du Conseil de l’Europe ont montré
que seule l'abrogation de cette loi permettrait au pays de se rapprocher
juridiquement des normes européennes.

31. En Croatie, l’hebdomadaire satirique Feral Tribune, et d’autres journaux


indépendants, ont dû faire face à des centaines d'actions civiles en diffamation,
engagées essentiellement par des personnalités publiques pour mettre un terme aux
enquêtes des journalistes. La fille du Président Tudjman a, par exemple, intenté une
action en réparation pour un montant d’environ 560 000 dollars qui visait à faire
disparaître une publication indépendante1.

32. Le Conseil de l’Europe suit de près les cas de violation de la liberté de la


presse dans les pays européens; et différentes sortes de mesures sont prises à divers
niveaux. Toutefois, des pressions encore plus fortes sont nécessaires pour montrer
clairement aux responsables politiques concernés que les violations de la liberté
d’expression ne peuvent être tolérées. La déclaration sans précédent sur la situation
des médias au Bélarus, adoptée à la Conférence ministérielle de Thessalonique sur
les mass media en décembre 1997 constitue un bon exemple à cet égard. Il en est de
même de la conférence sur «les médias pour une Europe démocratique», organisée
à Belgrade en décembre 1998.
33. Afin d'accroître l'impact politique, il conviendrait de renforcer la synergie
entre les secteurs intergouvernementaux compétents, l’Assemblée et le Congrès des
pouvoirs locaux et régionaux de l’Europe, ainsi qu’entre les différents domaines de
coopération, tels que le domaine culturel, le domaine juridique et le suivi. Cette
remarque s’applique aussi aux différents programmes de coopération et
d’assistance visant à améliorer la législation relative aux médias et à promouvoir la
culture démocratique en relation avec les médias.

34. Chaque pays a des règles visant à protéger la sécurité nationale ou l’ordre
public. Lorsque ces règles ne sont pas clairement définies, elles peuvent très
facilement servir à neutraliser la critique et à supprimer le journalisme
d'investigation. C’est pourquoi, il importe d’énoncer des critères clairs
réglementant l’accès à l’information publique.

35. De nombreux pays garantissent, dans leur constitution, l’accès du public à


l’information. La plupart des pays européens disposent aussi d’une législation ad
hoc qui garantit effectivement l’accès aux documents officiels, aux actes de
procédure judiciaire, aux comptes rendus de travaux législatifs, aux documents
administratifs, etc., ainsi que la divulgation de ces documents; une telle législation
peut être très importante pour le journalisme d'investigation et le journalisme qui se
montre critique vis-à-vis des autorités.

36. Pourtant, la nécessité d’améliorer l’accès du public à l’information est


largement reconnue, même si certains pays ne veulent pas aller aussi loin que le
modèle scandinave, qui se caractérise par une ouverture totale.

37. Dans certains pays d’Europe centrale et orientale, la fonction publique a encore
besoin d'être dépolitisée; et il faut changer sa structure et sa mentalité, de manière
que les problèmes liés à l’information soient traités par des experts, et non par des
personnalités politiques désignées qui changent avec les gouvernements.

38. Il n'est pas douteux que les médias en Europe ont besoin d’une plus grande
liberté, mais cette liberté peut-elle être absolue? Certaines limites imposées aux
médias sont plus ou moins largement acceptées; c'est le cas de celles qui ont trait à
la pornographie ou à l’interdiction de la publicité pour le tabac et l’alcool.

39. Comme le souligne la Secrétaire générale adjointe de la Fédération


internationale des journalistes, Bettina Peters, «les professionnels des médias
devraient reconnaître que la liberté d’expression doit aller de pair avec les autres
droits de l’homme fondamentaux, y compris la liberté de ne pas être victime
d’exploitation ni d’intimidation»2.

40. Le débat sur le droit au respect de la vie privée, qui a été relancé par le décès de
la princesse de Galles, est loin d’être clos. Si personne ne conteste le principe selon
lequel il est normal que, dans l’intérêt général, la vie privée des personnalités
publiques soit moins respectée que celle des citoyens ordinaires, il faut se
demander si tout ce qui a trait à ces personnalités devrait intéresser le public. Il
existe une limite au-delà de laquelle l’intérêt général fait place au voyeurisme et à
la curiosité malsaine. C'est à ce moment-là que la culture démocratique d’une
société est mise à mal, au lieu de se développer.

41. En ce qui concerne la législation, l’Assemblée a énoncé des principes directeurs


clairs, afin d'améliorer la situation, dans sa Résolution 1165 (1998), relative au
droit au respect de la vie privée. De plus, le Conseil de l’Europe devrait élaborer
certains critères concernant la divulgation d’informations relatives aux titulaires de
fonctions politiques ou de fonctions publiques. La culture démocratique de
l’Europe n’a pas besoin d’une affaire Clinton/Lewinsky.

C. Un instrument à fonctions multiples?

42. Si la protection de la liberté d'expression demeure essentielle, il n'est pas


moins important de se rendre compte que les médias eux-mêmes peuvent servir à
promouvoir des tendances antidémocratiques dans la société. D'ordinaire, il en est
ainsi lorsqu'ils deviennent les porte-parole de responsables politiques répandant des
messages agressifs.

43. Ce n’est pas un responsable politique, mais la Fédération internationale des


journalistes, qui déclare dans un rapport sur la couverture des élections nationales
tenues en Bosnie et Herzégovine les 12 et 13 septembre 1998: «Les médias dans
l’ex-Yougoslavie ont joué un rôle principal – pour ne pas dire le rôle principal –
dans la création d'un climat de haine ethnique et de xénophobie. Ce climat a
contribué à faire naître les conditions qui ont permis l'émergence des conflits
ethniques sanglants auxquels le monde a assisté au cours des dix dernières
années.»3

44. «Il est difficile à ceux qui vivent dans des démocraties établies, où les
médias fonctionnent, de comprendre comment l'on peut rendre compte de la
situation de la manière dont de nombreuses organisations l’ont fait, ou comment le
public peut accepter ces informations comme quelque chose qui ressemble à la
vérité. Exemple suprême: les médias bosno-serbes racontent que les autorités
musulmanes de Sarajevo jetaient des nourrissons serbes en pâture aux animaux du
zoo. Cette information a été largement diffusée et, alors que nous parcourions la
région pendant la campagne électorale, six ans plus tard, elle nous a été répétée
avec un label d'authenticité.»4

45. Le rapport indique naturellement que la politique de haine a été conçue dans
les milieux politiques de Belgrade et de Zagreb.

46. Toutefois, même les médias dans les démocraties bien établies peuvent
servir d'instrument aux forces qui exploitent le fait que la violence ou un
comportement scandaleux ont davantage de chances de faire les gros titres. Ainsi,
les points de vue extrêmes délibérément exprimés par certains responsables
politiques accroissent leurs chances d'être entendus. De même les terroristes
n'atteignent que partiellement leurs objectifs par leurs actes proprement dits.
Comme José Antonio Zarzalejos, conseiller du journal espagnol El Correo l'a fait
observer: «la véritable attaque terroriste ne commence pas lorsqu'on fait usage
d’armes, mais lorsque les stations de radio commencent à en parler.» Il a aussi cité
le terroriste des brigades rouges Bommi Baumann, qui avait déclaré à un journaliste
de la revue allemande Stern au début des années 80: «Sans les journalistes, nous
nous trouverions devant un certain vide.»

4. Les médias et le marché

47. Il est faux de penser que le marché, et le marché seul, peut donner aux
médias la liberté dont ils ont besoin. En fait, même si le niveau global de liberté
politique des médias en Europe augmente, la pression exercée par les forces du
marché sur le contenu des médias s'accroît.

48. Comme l’un des participants à l’audition l’a indiqué, «le souci d'intégrer le
profit dans les décisions prises au niveau de la rédaction n'est que le reflet de notre
civilisation actuelle».

A. La nouvelle alchimie de l'information

49. Afin de survivre en toute indépendance, un média doit allier sa mission


d’information et d’éducation aux contraintes qui caractérisent une entreprise
commerciale.

50. La logique économique consiste à augmenter au maximum l'audience et à


réduire au minimum les coûts. Rien ne pourrait être accueilli plus favorablement, à
cet égard, par les entreprises du secteur des médias que les nouvelles technologies
de la communication. Il devient chaque jour plus facile et plus rapide de produire
de l'information.

51. Paradoxalement, au lieu d’offrir des informations de plus en plus variées, la


course à l’information, conjuguée à l'exacerbation de la concurrence, se traduisent
par l'uniformisation. Les mêmes types de programmes peuvent être vus en
différentes langues sur les chaînes de télévision de toute l’Europe.

52. Les éditorialistes, au lieu de chercher des sujets présentant un intérêt


médiatique, développent souvent ce que certains qualifient de «panurgisme
télévisuel», en interprétant à n’en plus finir la même histoire, en faisant des
vedettes de «non-héros» comme O.J. Simpson ou Louise Woodward.
53. La nécessité de capter le public à tout prix fait que les médias délaissent
l’analyse et l’enquête de fond au profit de «l'infospectacle», du sensationnel et
accordent une place disproportionnée à la criminalité et à la violence. Des
programmes culturels tels que des concerts, des pièces de théâtre et des films
sérieux sont diffusés à des moments où seulement le public le plus enthousiaste
sera encore devant la télévision.

B. Concentration des médias

54. Il est évident qu’une démocratie saine est impensable sans de multiples
sources d’information. Même les médias les plus démocratiques ne peuvent
remplacer la possibilité, pour chacun, de choisir librement l'information et, à partir
de là, de se forger librement un avis. Les concentrations de médias ont toujours été
suivies avec vigilance par le Conseil de l’Europe, mais certains faits récents
méritent une attention spéciale et appellent des mesures urgentes. Sous l’effet de la
mondialisation et de la convergence des technologies de l’information
traditionnelles et nouvelles, certains marchés nationaux commencent à être
dominés, dans une mesure préoccupante, par les mêmes groupes de médias.

55. Il était difficile d'éviter la concentration des médias en Europe centrale et


orientale, où les nouveaux médias indépendants avaient besoin de gros
investissements pour relever leur niveau technologique. En conséquence, dans des
pays comme la Pologne, la République tchèque, la Hongrie, la Bulgarie, la
Roumanie, quelques grands opérateurs étrangers contrôlent aujourd’hui 40 à 60 %
de la presse. De même, une seule société de médias électroniques, CME, originaire
des Etats-Unis, a indiqué avoir plus de 100 millions de téléspectateurs en Europe
orientale. A elle seule, la télévision Nova de la CME attirerait 60 à 70 %
des téléspectateurs tchèques. En même temps, dans de nombreux pays, les petits
médias électroniques privés qui contribueraient à la pluralité ne disposent pas des
ressources nécessaires pour augmenter leur audience.

56. En Europe occidentale, la situation est tout aussi préoccupante lorsqu'on


voit par exemple à quel point Rupert Murdoch contrôle les médias au Royaume-
Uni.

57. La mondialisation et la concentration posent un autre problème spécifique.


Souvent, les propriétaires de médias qui attirent plus de la moitié de certains
publics ne peuvent même pas lire les journaux, ni comprendre les émissions des
chaînes dont ils sont propriétaires. Ils habitent à des milliers de kilomètres, dans des
pays différents, dont la culture et les problèmes sont différents. Certains pourraient
dire que tant qu'ils ne se mêlent pas du contenu des médias, une telle situation peut
favoriser l’indépendance rédactionnelle dans le pays concerné. D'un autre côté, si
l’on s’accorde à penser que les bons journalistes sont de bons citoyens, ne devrait-il
pas en être de même des propriétaires de médias?
58. Il n'est pas rare d'entendre dire que les responsables politiques sont
impuissants face à des magnats de la presse ou des technologies de l’information
comme Rupert Murdoch ou Bill Gates. Même si les choses sont difficiles au niveau
individuel, la coopération internationale demeure capable de faire obstacle aux
pires cas de concentration. C’est pourquoi le Conseil de l’Europe devrait
poursuivre ses travaux dans ce domaine en favorisant le renforcement des
législations nationales et en actualisant les principes directeurs internationaux, en
coopération avec l’Union européenne. L’accent devrait être mis sur la question de
la transparence en matière de propriété et de financement.

C. Les riches et les pauvres

59. Certains pays d’Europe centrale et orientale se trouvent confrontés à un


problème concret, dans la mesure où l’indépendance des médias est menacée par la
crise économique générale. La mauvaise conjoncture économique a une incidence
particulièrement négative sur les entreprises du secteur des médias. Ces entreprises,
contrairement à celles d’autres secteurs, dépendent de leur public non seulement
pour vendre leurs produits, mais aussi pour attirer les annonceurs publicitaires.

60. Or, lorsque le niveau de vie chute, les journaux sont souvent l'une des
premières dépenses à être sacrifiée par ceux qui cherchent à équilibrer leur budget.
Le temps consacré à «consommer des médias» diminue aussi parce qu’il faut
travailler davantage, et souvent avoir un deuxième emploi. L’inflation élevée rend
les abonnements impossibles; dans de nombreux pays de l’ex-Union soviétique, les
journaux ne pouvaient, récemment encore, avoir de prix fixe: le prix était
constamment renégocié jusqu'à plusieurs fois par jour.

61. Lorsque les médias ne peuvent survivre sur le marché, ils deviennent
immédiatement une proie facile aux mains des groupes politiques et économiques
qui leur accordent un «intérêt spécial». Au niveau individuel, les journalistes qui ne
peuvent vivre de leur salaire ne sont pas intouchables. Pour toutes ces raisons, votre
rapporteur pense que le Conseil de l’Europe devrait aussi examiner de plus près
l’interface entre la liberté des médias et la situation économique.

5. Développer la culture démocratique par les médias et dans les médias

A. L’avenir de la radiodiffusion de service public de radiodiffusion

62. Le service public indépendant de la radiodiffusion demeure la meilleure


garantie que les besoins d’information de l’ensemble de la population seront
satisfaits, y compris ceux des groupes minoritaires (qui ne présentent guère d'attrait
pour les annonceurs des médias commerciaux). Le service public est aussi tenu
d’assurer des programmes éducatifs, culturels et autres, en plus des programmes de
divertissement.
63. Malheureusement, même dans les démocraties établies de longue date, le
service public est souvent confondu avec le service d'Etat, pour plusieurs raisons.
L’une tient à l’histoire de l’institution de la radiodiffusion, qui, au début, était
effectivement aux mains de l’Etat. Une autre raison est due au fait que la redevance
qui finance le service public de radiodiffusion est considérée à tort comme un
impôt de l’Etat. Le fait que le gouvernement ou le parlement aient parfois son mot
à dire dans la nomination d’un conseil d’administration fait aussi douter de
l’indépendance de l’institution.

64. Dans certains pays d’Europe centrale et orientale, la radio et la télévision


publiques demeurent en tout ou en partie aux mains de l'Etat. Des organisations
internationales comme le Conseil de l’Europe peuvent apporter une aide – ce
qu’elles font d'ailleurs – pour les transformer avec succès en radio-télévision de
service public. Mais, il s’agit avant tout d’une question de volonté politique; il
s'agit de sensibiliser les gens à la nécessité d’un tel service, afin de faire pression
sur les pouvoirs publics. Cela relève de la question de culture démocratique. Les
journalistes eux-mêmes peuvent être très utiles; même ceux qui travaillent pour des
médias commerciaux devraient, malgré la concurrence avec le service public,
défendre son existence; car il est le meilleur indicateur de l'attachement des
pouvoirs publics à la démocratie.

65. S'agissant du financement, le service public de radiodiffusion devrait être


financé par des sources indépendantes (redevance, recettes publicitaires), et non sur
le budget de l’Etat. Mais même sur ce point on rencontre des dilemmes difficiles.

66. Sous l'effet de la concurrence croissante des radiodiffuseurs commerciaux –


en particulier ceux qui fournissent, contre paiement, des services par satellite et par
câble le service public de radiodiffusion se trouve confronté dans toute l'Europe à
des défis qui lui sont difficiles à relever. Les gens ne sont pas toujours prêts à
s’acquitter de la redevance, lorsque celle-ci vient s'ajouter à ce qu'ils paient pour le
câble et le satellite – d’autant plus que les nombreux contrats de services par câble
comprennent aujourd’hui Internet. Les services numériques leur permettront de
choisir leurs programmes à la carte. En conséquence, le service public de
radiodiffusion perd une part importante de son public, ce qui remet parfois en cause
son caractère «public».

67. Par ailleurs, dans les pays en butte à des difficultés économiques, et
notamment dans les pays en transition, la redevance est la dernière chose que les
gens sont prêts à payer lorsque les salaires ne leur permettent même pas d'acquérir
les besoins de première nécessité. En pareil cas, il est très facile de persuader la
population qu’il appartient aux pouvoirs publics de maintenir ce service. Cette
question relève elle aussi de la culture démocratique.

68. Revenir aux recettes publicitaires, même si elles ne sont pas aussi
importantes que celles de la radio et de la télévision commerciales, représente une
autre possibilité pour essayer d’éviter le contrôle de l’Etat. Il existe toutefois le
risque de voir la dépendance politique être remplacée par une dépendance vis-à-vis
du marché, et ce souvent au détriment de la qualité.

69. Enfin, il faut admettre que, dans la réalité, le service public de


radiodiffusion ne peut pas toujours être considéré comme synonyme de haute
qualité, et que la radiodiffusion commerciale ne peut pas toujours être associée à la
culture de masse. Après tout, un service public mal financé ne peut assurer des
salaires élevés, et les bons journalistes sont souvent attirés par les stations
commerciales.

70. De l’avis de certains chercheurs, le service public de radiodiffusion


préférera la spécialisation et son rôle et sa forme changeront. Cela devrait faire
l’objet d’un vaste débat public auquel devraient participer activement les
journalistes et les responsables politiques.

B. Organes de régulation, autoréglementation

71. Il ne fait aucun doute que la législation demeure acceptable, voire


nécessaire, dans certains domaines tels que la protection des mineurs. Dans leur
législation, la plupart des pays protègent aussi la réputation des particuliers avant
tout plutôt que celle des institutions et des pouvoirs publics. Par ailleurs, la
législation et l’autoréglementation devraient être compatibles et complémentaires.

72. L’autoréglementation est un vaste sujet en soi, qui ne peut être développé en
détail dans le présent rapport, en raison des multiples pratiques et notions qui
existent dans les différents pays européens. En substance, elle est décrite comme un
«ensemble de règles et d’organes de mise en œuvre créés volontairement par les
professionnels des médias eux-mêmes».

73. La mesure dans laquelle les médias peuvent s’autoréglementer, et leur


capacité à le faire, sont des indicateurs importants de la culture démocratique d’un
pays. Il n’appartient pas aux responsables politiques (et cela ne rentre donc pas
dans le cadre du présent rapport) de dire aux médias comment procéder. Il existe
une vérité simple: si les médias ne sont pas capables de s’autoréglementer, ils
ouvrent la voie à des tentatives de contrôle de la part des autorités.

6. Education

A. Les médias

74. On pense souvent qu'un enseignement spécifique n'est pas nécessaire, et que
la profession de journaliste s’apprend dans les salles de rédaction. Il est vrai que
bon nombre de journalistes, parmi les meilleurs, n’ont pas de formation
universitaire, et la réponse à la question de savoir si le journalisme devrait ou non
faire l’objet d’un enseignement universitaire varie d’un pays à l’autre.

75. La situation des médias en Europe centrale et orientale dans les premières
années de la transition milite cependant en faveur de la formation. Après la chute
du communisme, de nombreux journalistes qui s'étaient trop compromis en
collaborant avec l’ancien régime ont dû quitter la profession. L'essor sans précédent
de nouveaux débouchés dans le secteur des médias, provoqué par le retour à la
liberté d’expression, a poussé vers le journalisme de nombreux jeunes sans
expérience professionnelle ni expérience de la vie. En conséquence, l’augmentation
quantitative s'est immédiatement accompagnée d'une forte baisse qualitative. Les
médias sont devenus le miroir de toutes les faiblesses de l’enseignement scolaire et
supérieur – depuis les lacunes générales en sciences sociales, histoire, géographie,
etc. jusqu'à l’incapacité de rédiger, en passant par la méconnaissance de la
grammaire.

76. Si des collègues plus âgés et plus expérimentés ont pu en partie remédier à
cette situation, la démocratie a été une nouvelle expérience pour tous. S'il est vrai
que certains principes sacrés du journalisme avaient été défendus par certains
journalistes, même pendant la période la plus noire de l’oppression totalitaire, des
règles fondamentales telles que la séparation des faits et des opinions, le respect du
point de vue d’autrui ou le refus d'utiliser les médias pour régler des comptes ont le
plus souvent été violées. Les vieilles associations professionnelles, considérées
comme des «apparatchiks», n’ont eu aucune influence dans la promotion de codes
de déontologie; quant aux associations qui venaient d’être créées, elles n’avaient
aucune expérience de l’autoréglementation.

77. Dans un souci d'en finir avec l’enseignement journalistique de style


communiste, la formation s'est souvent partagée entre les universités et les salles de
rédaction. Cette position intermédiaire est probablement souhaitable: rester proche
de l’université donne certaines garanties d’indépendance par rapport au
gouvernement; rester proche de la profession améliore les perspectives
d’embauche. Toutefois, les journalistes en exercice sont rarement prêts à enseigner
ou ont rarement le temps de le faire. Il s'ensuit que la plupart des professeurs ne
connaissent pas la profession telle qu’elle est aujourd’hui. De plus, il arrive souvent
qu’ils ne soient que des héritiers de l'ancien régime, tout juste «reconvertis».

78. La nécessité d’améliorer la formation est tout aussi pertinente dans les
démocraties les plus avancées. Le journaliste polyvalent qui pouvait ou devait
passer avec bonne grâce d’un sujet à l’autre a fait son temps. Les journalistes
d’aujourd’hui doivent s'appuyer sur une base de connaissances beaucoup plus
solide que dans le passé, et il faudrait tenir compte de ce facteur dans le programme
de formation.
79. Les journalistes doivent faire face à l’explosion de l'information, sous l'effet
des nouvelles technologies qui modifient considérablement la manière de rendre
compte de l'actualité, avec une mondialisation qui exige d'avoir davantage de
connaissances, de connaître plusieurs langues et de penser au niveau transnational.
De plus, de nouvelles formes de journalisme apparaissent, comme le journalisme en
direct qui exige des compétences entièrement nouvelles.

80. Tous ces défis s'appliquent également aux journalistes en exercice. La


notion d'apprentissage à vie est essentielle pour la profession de journaliste. Par
ailleurs, comme on l'a indiqué lors de l'audition, les stages internationaux où des
journalistes mettent en commun leur expérience peuvent aussi permettre de
développer cette compréhension et cette tolérance qui les empêcheront de céder à la
xénophobie et au racisme.

81. Il a aussi été reconnu que «la mise en place d'un système de formation
complémentaire est coûteuse et incombe largement à la profession elle-même. Les
syndicats d'éditeurs et de journalistes doivent coopérer pour réunir les moyens
nécessaires à une formation complémentaire; et s'il est trop onéreux de détacher des
journalistes pendant plusieurs semaines ou plusieurs jours, il faut mettre au point
des modèles de formation à distance»4.

B. Le public

82. La nécessité de réformer en profondeur les systèmes éducatifs de la plupart


des pays européens est un fait bien connu et ne rentre pas dans le cadre du présent
rapport. Ce qu'on peut rappeler, toutefois, c'est que le fait d'assurer aux futurs
journalistes un enseignement de qualité et complet devrait renforcer le potentiel des
médias en tant qu'instrument d'éducation à la démocratie et en tant que facteur
important de développement de la culture démocratique de chaque société.

83. L'importance de développer l'éducation aux médias dans le cadre des


programmes scolaires, qui est soulignée dans la Recommandation 1276 (1995) de
l'Assemblée relative au pouvoir de l'image, demeure d'actualité. Avec le
développement d'Internet, les enfants devraient se familiariser non seulement avec
le journalisme traditionnel, mais aussi le journalisme en direct.

84. Il serait utile, par exemple, que les codes de déontologie des journalistes
soient mis à la disposition des établissements scolaires et qu'il soit demandé aux
enfants de discuter de leur application spécifique dans des textes ou des
programmes. Les élèves pourraient aussi prendre goût à la manière dont l'actualité
est présentée s'ils sont encouragés à concevoir leur propre journal scolaire, leurs
émissions et sites Internet, sous la conduite de journalistes professionnels.

85. Enfin, il ne faut pas oublier que tout journaliste est un ancien élève; d'où
l'importance de l'éducation générale dans l'enseignement des valeurs démocratiques
et dans la préparation des futurs citoyens à leur rôle dans la société. Pour ce qui est
des médias, le Conseil de l'Europe pourrait être très actif dans le cadre de son projet
sur l'éducation à la citoyenneté démocratique.

7. Conclusions

86. Alors que les participants à l'audition sur la qualité de l'information dans les
médias ont essayé d'identifier et de décrire le journal ou programme démocratique
«parfait», on a fait observer, non sans dérision, qu'un tel journal serait
profondément ennuyeux. Il est vrai que tel sujet qui peut être essentiel pour le
fonctionnement de la démocratie peut ne pas sembler particulièrement divertissant.
Toutefois, le fait que de nombreux médias estompent la limite bien définie entre
l'information et le divertissement peut avoir des conséquences graves. Par exemple,
il est devenu évident que le comportement scandaleux de certains hommes
politiques fait que leurs opinions bénéficient d'une publicité bien plus grande. Si le
divertissement et l'attrait deviennent des facteurs décisifs pour la médiatisation, le
potentiel et le rôle plus importants des médias dans une société démocratique
pourraient être menacés.

87. Par ailleurs, les responsables politiques ont du mal à admettre que couvrir
des sujets politiques ne signifie pas nécessairement rendre service à la démocratie.
Un exemple classique, à cet égard, est celui des premières retransmissions
télévisées en direct des travaux des parlements nouvellement élus en Europe
centrale et orientale. Après l'enthousiasme initial suscité par la réapparition de la
liberté de l'information, la population s'est lassée des chamailleries constantes et de
l'absence apparente d'esprit constructif chez certains députés. Il a fallu beaucoup de
temps aux journalistes pour apprendre à servir la démocratie sans accorder de
faveurs aux responsables politiques. Même aujourd'hui, dans certaines démocraties
nouvelles, les journaux, les programmes de radio et de télévision demeurent très
politisés. La qualité du compte rendu est souvent médiocre, et les journaux
télévisés du soir inondent les téléspectateurs des mêmes images de responsables
politiques donnant des conférences de presse et de journalistes prenant assidûment
des notes. La population en vient ainsi à penser que la véritable démocratie
n'apparaîtra que lorsqu'il ne sera plus question de politique à la télévision.

88. D'où la nécessité d'encourager et de développer le journalisme


d'investigation. Aujourd'hui, même dans les démocraties bien établies, les
journalistes peuvent encore perdre leur emploi ou faire l'objet de procédures
judiciaires s'ils sont «trop curieux». Les journalistes et les responsables politiques
devraient aussi essayer de briser les tabous qui continuent d'entourer certains sujets
dans la société. Un grand progrès a été réalisé au cours des dernières années, par
exemple en mettant l'accent sur les questions environnementales, sur les problèmes
de racisme et de xénophobie, en mettant en évidence les problèmes liés à la
pédophilie, en commençant à discuter plus ouvertement du statut social des
homosexuels, etc.
89. En réalité, les journalistes dans les nouvelles démocraties se sont peu à peu
rendu compte que les sujets sociaux, culturels ou environnementaux peuvent être
tout aussi importants pour la démocratie que les sujets «purement» politiques. Une
couverture plus large et bien étayée des problèmes économiques, éducatifs,
scientifiques et culturels
– présentés de manière créative et intéressante – pourrait permettre d'inverser le
processus de «nivellement par le bas». Une démocratie ne se caractérise pas
simplement par les propos que les responsables politiques tiennent, mais aussi, et
surtout, par les conséquences que leur action a sur la vie quotidienne de la
population; et il est difficile d'imaginer que les gens puissent ne pas s'intéresser à
leur propre vie.

Commission chargée du rapport: commission de la culture et de l'éducation

Implications budgétaires pour l'Assemblée: néant

Renvoi en commission: Doc 8031 et renvoi n° 2269 du 18 mars 1998

Projet de recommandation: adopté à l'unanimité par la commission le 1er mars


1999.

Membres de la commission: MM. Nothomb (Président), Zingeris, Roseta, de Puig


(rempl.: Varela) (Vice-Présidents), Arnason, Arzilli, Bartumeu Cassany, Bauer,
Baumel, Billing, Chiliman,. Chornovil, Corrao, Cubreacov, Diaz de Mera,
Dumitrescu (rempl.: Baciu), Mme Fehr, M. Glotov, Mme Granlund, MM.
Gül, Hadjidemetriou, Hegyi, Hornhues, Irmer (rempl.: Kolb), Mme Isohookana-
Asunmaa, MM. Ivanov, Jakic, Jarab, Mme Katseli, MM. Kiely, Kofod-
Svendsen, Kollwelter, Lachat, Mme Laternser, MM. Legendre, Lemoine, Libicki,
Liiv, Mme Lucyga, MM. Van der Maelen (rempl.: Staes), McNamara
(rempl.: Flynn), Mezeckis, Mme Nemcova, MM.O’Hara, Pereira Marques,
Polydoras, Mme Poptodorova, MM. Pullicino Orlando, Radic, Ragno, Risari,
Rockenbauer, Mme Saele, Mme Schicker, Mr Shaklein, Mme Stefani, MM.
Sudarenkov, Svec, Symonenko, Tanik, Urbanczyk, Valk, Verbeek, Wilshire
(rempl.: Colvin), Xhaferi

N.B. Le nom des membres ayant pris part au vote est en italiques.

Secrétaires de la commission: M. Ary, Mme Theophilova-Permaul, et Mlle


Kostenko

1
. Country Report: Croatia: Committee to Protect Journalists,
1997, http://www.cpj.org/contrystatus/1997/Europe/Croatia.htlm
2.Audition sur la qualité de l’information des médias, Strasbourg, 4 novembre
1998: déclaration de Bettina Peters, Secrétaire générale adjointe, FIJ.
3
. «Hear no Evil, See no Evil (How Bosnia’s Election Coverage was Rigged for
Democracy).» Rapport sur la couverture des élections nationales tenues en Bosnie
et Herzégovine les 12 et 13 septembre 1998. Fédération internationale des
journalistes.
4.Audition sur la qualité de l'information dans les médias, Strasbourg, le 4
novembre 1998: déclaration de Mogens Schmidt, directeur du Centre européen du
journalisme, Maastricht.

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