Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
Tél :+33/ 3 88 41 20 00
Fax : +33 / 3 88 41 27 76
Email : pace@coe.fr
http://stars.coe.fr/
Doc. 8355
23 mars 1999
Rapport
Résumé
I. Projet de recommandation
3. Des médias libres ne peuvent prospérer dans un pays qui n'est pas
démocratique. Il incombe en conséquence aux responsables politiques de veiller à
ce que les conditions politiques et juridiques soient réunies, d'une part, pour
permettre aux médias d'opérer librement et, d'autre part, pour garantir les libertés
individuelles et les autres droits fondamentaux de l'homme.
5. La situation des médias en Europe varie d'un pays à l'autre en fonction des
traditions culturelles, du poids économique, de la puissance des institutions
démocratiques et du degré de professionnalisme. Toutefois, avec l'ouverture de la
quasi totalité des pays du continent, avec le renforcement de la coopération et de
l'intégration entre ces pays et l'apparition de nouvelles technologies de
l'information, les médias font de plus en plus face aux mêmes types de problèmes,
lesquels appellent le même type d'approches coordonnées.
6. L'indépendance des médias demeure l'un des problèmes les plus difficiles.
Même lorsque les traditions démocratiques sont profondément enracinées, le droit
de présenter des faits et d'exprimer des opinions est parfois restreint. Les méthodes
vont des entraves bénignes à l'accès à l'information, aux représailles physiques et à
la violence, en passant par les monopoles d'Etat dans les secteurs du papier ou de la
distribution, le refus d'accorder des licences de radio et de télévision (ou de leur
restriction excessive), les poursuites judiciaires et l'interdiction des journaux, des
chaînes de télévision et des stations de radio.
a. d'exercer des pressions morales et politiques sur les gouvernements qui violent la
liberté d'expression;
iv. de mettre l'accent sur les aspects relatifs aux médias dans ses programmes
sur l'éducation à la citoyenneté démocratique ainsi que sur le développement et la
consolidation de la stabilité démocratique;
vii. d'être plus attentif à la question de l'indépendance des médias dans le cadre
de la concurrence sur les marchés et de la mondialisation, et, à cette fin:a
viii. de favoriser l'éducation aux médias et par les médias, par exemple en
encourageant les autorités compétentes des Etats membres:
ix. d'assurer une meilleure coordination entre les différents organes du Conseil
de l'Europe qui participent aux programmes de coopération et d'assistance dans le
domaine des médias, et d'intensifier la coopération avec les associations de médias,
des structures indépendantes telles que des commissions des plaintes en matière de
presse et d'autres organisations non gouvernementales compétentes, y compris
celles qui sont mises en place par les consommateurs de médias et qui interviennent
en leur nom.
1. Introduction
2. Votre rapporteur est en total désaccord avec cette affirmation bien qu'il partage
le point de vue selon lequel les responsables politiques ne devraient pas s'interposer
au niveau du contenu des médias et ne devraient pas «dire aux médias ce qu'ils
doivent faire». Ces derniers, comme les responsables politiques, font partie de la
société et ils ont les uns et les autres du pouvoir et de l'influence, d'où des
responsabilités. Malgré la relation amour-haine qu'ils entretiennent, ils sont
mutuellement dépendants. Les responsables politiques sont élus par le peuple, qui
est aussi celui qui «consomme» les médias. Ils ont besoin des médias pour faire
passer leurs messages; en présentant une gamme d'opinions, les médias permettent
à la population de faire ses choix politiques. Par ailleurs, les médias ont besoin
d'une démocratie saine pour bien fonctionner, et il incombe aux responsables
politiques d'en assurer les conditions nécessaires, comme la liberté d'expression et
la pluralité des sources d'information et des opinions exprimées.
5. Cultiver et favoriser la culture démocratique d'une société exige des efforts des
deux parties, tant des médias que des responsables politiques. Le Conseil de
l'Europe étant un organe politique, le présent rapport a pour objet d'examiner les
défis que les médias doivent relever dans le cadre de la culture démocratique de
l'Europe dans son ensemble et également d'évaluer dans quelle mesure les
conditions politiques, économiques et sociales dans les différents pays permettent
aux médias de s'acquitter de leurs fonctions à cet égard.
8. La nécessité de traiter toute la série des problèmes concernant les médias dans
une perspective paneuropéenne: voilà, en fait, ce qui a motivé la présentation d'une
proposition de recommandation sur le rôle des médias dans l'éducation à la
démocratie et la promotion de l'humanisme et de la tolérance (Doc. 8031/26 février
1998), proposition qui sert de point de départ au présent rapport.
11. Il n'en reste pas moins que la mise en œuvre de ces recommandations demeure
délicate, ce qui représente une raison supplémentaire de maintenir un dialogue
permanent entre les différentes parties en cause. Le présent rapport est placé sous le
signe du dialogue.
12. Les médias façonnent l'opinion publique, mais il ne serait pas juste d'affirmer
qu'ils sont les seuls à le faire. La culture démocratique d'une société est aussi
déterminée par son histoire, ses traditions culturelles et religieuses et son niveau de
vie. Elle s'acquiert également au sein de la famille, sur les lieux de travail et dans la
communauté.
13. L'expérience des anciens pays communistes fournit un bon exemple des
pouvoirs et des limites des médias pour ce qui est de forger les valeurs publiques.
La propagande totalitaire a certainement contribué, d'une certaine façon, au
maintien du régime, mais elle n'a jamais réussi à gagner la population à la «grande
idée» qui a progressivement été perçue comme un «énorme mensonge». Les gens
voyaient bien l'écart qui existait entre le tableau idyllique présenté par les médias et
les aspects rebutants de leur vie quotidienne. Parallèlement, des médias
mondialement réputés pour leur qualité (BBC, Voice of America, Deutsche Welle)
ont permis aux populations d'y voir plus clair, mais ils n'auraient pas pu à eux seuls
abolir la règle totalitaire.
14. Dans les nouvelles démocraties, les limites à ce que les médias peuvent obtenir
sont apparues clairement, même s'il est aussi devenu évident que la liberté et la
démocratie ne sont guère possibles sans une information indépendante et crédible.
15. Pour ce qui est de la réalité occidentale, les illustrations récentes les plus
frappantes de l'influence des médias – la couverture du décès de la princesse de
Galles ainsi que l'audition et la mise en accusation du Président des Etats-Unis, Bill
Clinton – ont aussi montré que les médias ne peuvent dicter aux gens ce qu'ils
doivent penser même s'ils peuvent imposer un thème. Bien que les médias aient
donné l'impression que le monde entier pleurait la mort de la princesse Diana, il est
par la suite apparu clairement que la plupart des gens jugeaient l'événement de
façon rationnelle et avec discernement. Toutefois, sur le moment, l'opinion de cette
partie silencieuse de la population n'avait pas été rapportée. Dans l'affaire
Clinton/Lewinski, la majorité de la population américaine semble avoir préféré
prendre une certaine distance, si ce n'est faire preuve d'indifférence, face aux
batailles livrées dans les gros titres des médias et sur la scène politique.
16. Par conséquent, on voit que même dans les pays où la tradition démocratique
est solidement ancrée, la culture démocratique a encore un long chemin à parcourir
pour accepter et traiter de manière égale des opinions qui ne sont pas celles qui
s'expriment le plus bruyamment. Parallèlement, la culture démocratique d'une
nation peut permettre au public de distinguer le compte rendu objectif de la
manipulation.
17. Comme il a été indiqué à l’audition sur la qualité de l'information dans les
médias, la situation des médias dans plusieurs pays de l’Europe du Sud-Est, en
particulier la Croatie, la Bosnie et Herzégovine et la République fédérale de
Yougoslavie, prouve abondamment que la plupart des efforts déployés par la
communauté internationale pour améliorer la qualité des reportages demeureront
vains si les formes de pouvoirs autoritaires ne tolèrent pas l’autonomie des médias
et/ou aussi les impératifs économiques ne permettent pas d’accroître la
consommation de médias.
18. Par ailleurs, les médias qui pratiquent le langage de la haine ne peuvent avoir
qu’un effet limité sur un public instruit, élevé dans une tradition éclairée et
démocratique. La réalité quotidienne dans les démocraties occidentales établies, en
période de prospérité économique, vient étayer cette analyse.
19. Le danger, toutefois, est que ces médias peuvent favoriser des positions
extrêmes dans les couches les plus vulnérables de la population, qui sont le plus
sujettes à manipulation, à savoir les jeunes ou les marginalisés; ceux-ci peuvent
retomber dans différentes sortes d’extrémisme ou de fondamentalisme pour
exprimer leur frustration sociale.
20. Le fait que les médias ne soient pas tout-puissants doit être souligné, également,
parce qu’ils sont le bouc émissaire traditionnel en cas de crise politique et sociale.
Les reproches qu'on leur adresse sont souvent un moyen de masquer les fautes de
quelqu’un d’autre. En pareil cas, les appels à davantage de responsabilité pourraient
traduire une intention de renforcer le contrôle exercé sur eux et de restreindre la
liberté d’expression. Mais c’est précisément parce que les médias ne sont pas un
pouvoir au-dessus de tout et de tous qu’ils doivent assumer leur responsabilité
sociale, tout comme devraient le faire l'ensemble des autres institutions et, en fait,
chaque citoyen dans une société démocratique.
21. Plutôt que de parler de responsabilités, certains représentants des médias
préfèrent dire qu’ils sont là pour répondre aux besoins et aux souhaits de leur
public. Ils prétendent que le public, s'il n'obtient pas satisfaction à cet égard,
imposera aux médias la meilleure sanction qui soit: l'abandon. Faut-il pour autant
répondre à tous les besoins, y compris à ceux qui sont contraires aux principes
d’une société démocratique?
22. Par ailleurs, les médias ne sont pas non plus de simples miroirs de la société. Ils
font aussi partie du processus qui influe sur les règles communes, la langue, la
culture, la vision du monde. Avec le développement des médias électroniques et
des nouveaux services, ils deviennent de plus en plus puissants.
23. L'expérience que l'on a du monde extérieur est essentiellement transmise par les
médias. Il est également impensable d’imaginer des élections modernes sans des
médias. Certains experts affirment même que les médias ont contribué au recul des
idées et des idéologies politiques au profit de la personnalisation de la politique,
souvent dénuée de contenu.
3. Liberté et dépendance
25. La forme la plus grave de censure est l'assassinat de journalistes; or, cela se
produit encore en Europe. Selon le «Committee to Protect Journalists» (CPJ),
128 journalistes ont été tués au cours des dix dernières années en Europe et dans les
républiques de l’ex-Union soviétique.
B. Défis juridiques
29. Les actions en justice servent toujours, dans certains pays européens, à
réduire au silence les médias qui dérangent. Il n’est pas surprenant que la première
affaire examinée par la nouvelle Cour européenne des Droits de l’Homme au
lendemain de son inauguration, le 3 novembre 1998, ait porté sur l’article 10 de la
Convention européenne des Droits de l’Homme (liberté d’expression). La
jurisprudence de la Cour ne manque pas d'affaires analogues concernant des pays
où la démocratie est établie de longue date. De plus en plus d’affaires viennent
désormais des pays d’Europe centrale et orientale.
30. L'une des violations les plus frappantes de tous les principes démocratiques
relatifs à la liberté d’expression est la nouvelle loi serbe sur l’information publique.
Quelques jours seulement après son adoption, les autorités ont interdit trois
quotidiens indépendants, Danas, Dnevi Telegraf et Nasa Borba, quatre stations de
radio et une chaîne de télévision. Les experts du Conseil de l’Europe ont montré
que seule l'abrogation de cette loi permettrait au pays de se rapprocher
juridiquement des normes européennes.
34. Chaque pays a des règles visant à protéger la sécurité nationale ou l’ordre
public. Lorsque ces règles ne sont pas clairement définies, elles peuvent très
facilement servir à neutraliser la critique et à supprimer le journalisme
d'investigation. C’est pourquoi, il importe d’énoncer des critères clairs
réglementant l’accès à l’information publique.
37. Dans certains pays d’Europe centrale et orientale, la fonction publique a encore
besoin d'être dépolitisée; et il faut changer sa structure et sa mentalité, de manière
que les problèmes liés à l’information soient traités par des experts, et non par des
personnalités politiques désignées qui changent avec les gouvernements.
38. Il n'est pas douteux que les médias en Europe ont besoin d’une plus grande
liberté, mais cette liberté peut-elle être absolue? Certaines limites imposées aux
médias sont plus ou moins largement acceptées; c'est le cas de celles qui ont trait à
la pornographie ou à l’interdiction de la publicité pour le tabac et l’alcool.
40. Le débat sur le droit au respect de la vie privée, qui a été relancé par le décès de
la princesse de Galles, est loin d’être clos. Si personne ne conteste le principe selon
lequel il est normal que, dans l’intérêt général, la vie privée des personnalités
publiques soit moins respectée que celle des citoyens ordinaires, il faut se
demander si tout ce qui a trait à ces personnalités devrait intéresser le public. Il
existe une limite au-delà de laquelle l’intérêt général fait place au voyeurisme et à
la curiosité malsaine. C'est à ce moment-là que la culture démocratique d’une
société est mise à mal, au lieu de se développer.
44. «Il est difficile à ceux qui vivent dans des démocraties établies, où les
médias fonctionnent, de comprendre comment l'on peut rendre compte de la
situation de la manière dont de nombreuses organisations l’ont fait, ou comment le
public peut accepter ces informations comme quelque chose qui ressemble à la
vérité. Exemple suprême: les médias bosno-serbes racontent que les autorités
musulmanes de Sarajevo jetaient des nourrissons serbes en pâture aux animaux du
zoo. Cette information a été largement diffusée et, alors que nous parcourions la
région pendant la campagne électorale, six ans plus tard, elle nous a été répétée
avec un label d'authenticité.»4
45. Le rapport indique naturellement que la politique de haine a été conçue dans
les milieux politiques de Belgrade et de Zagreb.
46. Toutefois, même les médias dans les démocraties bien établies peuvent
servir d'instrument aux forces qui exploitent le fait que la violence ou un
comportement scandaleux ont davantage de chances de faire les gros titres. Ainsi,
les points de vue extrêmes délibérément exprimés par certains responsables
politiques accroissent leurs chances d'être entendus. De même les terroristes
n'atteignent que partiellement leurs objectifs par leurs actes proprement dits.
Comme José Antonio Zarzalejos, conseiller du journal espagnol El Correo l'a fait
observer: «la véritable attaque terroriste ne commence pas lorsqu'on fait usage
d’armes, mais lorsque les stations de radio commencent à en parler.» Il a aussi cité
le terroriste des brigades rouges Bommi Baumann, qui avait déclaré à un journaliste
de la revue allemande Stern au début des années 80: «Sans les journalistes, nous
nous trouverions devant un certain vide.»
47. Il est faux de penser que le marché, et le marché seul, peut donner aux
médias la liberté dont ils ont besoin. En fait, même si le niveau global de liberté
politique des médias en Europe augmente, la pression exercée par les forces du
marché sur le contenu des médias s'accroît.
48. Comme l’un des participants à l’audition l’a indiqué, «le souci d'intégrer le
profit dans les décisions prises au niveau de la rédaction n'est que le reflet de notre
civilisation actuelle».
54. Il est évident qu’une démocratie saine est impensable sans de multiples
sources d’information. Même les médias les plus démocratiques ne peuvent
remplacer la possibilité, pour chacun, de choisir librement l'information et, à partir
de là, de se forger librement un avis. Les concentrations de médias ont toujours été
suivies avec vigilance par le Conseil de l’Europe, mais certains faits récents
méritent une attention spéciale et appellent des mesures urgentes. Sous l’effet de la
mondialisation et de la convergence des technologies de l’information
traditionnelles et nouvelles, certains marchés nationaux commencent à être
dominés, dans une mesure préoccupante, par les mêmes groupes de médias.
60. Or, lorsque le niveau de vie chute, les journaux sont souvent l'une des
premières dépenses à être sacrifiée par ceux qui cherchent à équilibrer leur budget.
Le temps consacré à «consommer des médias» diminue aussi parce qu’il faut
travailler davantage, et souvent avoir un deuxième emploi. L’inflation élevée rend
les abonnements impossibles; dans de nombreux pays de l’ex-Union soviétique, les
journaux ne pouvaient, récemment encore, avoir de prix fixe: le prix était
constamment renégocié jusqu'à plusieurs fois par jour.
61. Lorsque les médias ne peuvent survivre sur le marché, ils deviennent
immédiatement une proie facile aux mains des groupes politiques et économiques
qui leur accordent un «intérêt spécial». Au niveau individuel, les journalistes qui ne
peuvent vivre de leur salaire ne sont pas intouchables. Pour toutes ces raisons, votre
rapporteur pense que le Conseil de l’Europe devrait aussi examiner de plus près
l’interface entre la liberté des médias et la situation économique.
67. Par ailleurs, dans les pays en butte à des difficultés économiques, et
notamment dans les pays en transition, la redevance est la dernière chose que les
gens sont prêts à payer lorsque les salaires ne leur permettent même pas d'acquérir
les besoins de première nécessité. En pareil cas, il est très facile de persuader la
population qu’il appartient aux pouvoirs publics de maintenir ce service. Cette
question relève elle aussi de la culture démocratique.
68. Revenir aux recettes publicitaires, même si elles ne sont pas aussi
importantes que celles de la radio et de la télévision commerciales, représente une
autre possibilité pour essayer d’éviter le contrôle de l’Etat. Il existe toutefois le
risque de voir la dépendance politique être remplacée par une dépendance vis-à-vis
du marché, et ce souvent au détriment de la qualité.
72. L’autoréglementation est un vaste sujet en soi, qui ne peut être développé en
détail dans le présent rapport, en raison des multiples pratiques et notions qui
existent dans les différents pays européens. En substance, elle est décrite comme un
«ensemble de règles et d’organes de mise en œuvre créés volontairement par les
professionnels des médias eux-mêmes».
6. Education
A. Les médias
74. On pense souvent qu'un enseignement spécifique n'est pas nécessaire, et que
la profession de journaliste s’apprend dans les salles de rédaction. Il est vrai que
bon nombre de journalistes, parmi les meilleurs, n’ont pas de formation
universitaire, et la réponse à la question de savoir si le journalisme devrait ou non
faire l’objet d’un enseignement universitaire varie d’un pays à l’autre.
75. La situation des médias en Europe centrale et orientale dans les premières
années de la transition milite cependant en faveur de la formation. Après la chute
du communisme, de nombreux journalistes qui s'étaient trop compromis en
collaborant avec l’ancien régime ont dû quitter la profession. L'essor sans précédent
de nouveaux débouchés dans le secteur des médias, provoqué par le retour à la
liberté d’expression, a poussé vers le journalisme de nombreux jeunes sans
expérience professionnelle ni expérience de la vie. En conséquence, l’augmentation
quantitative s'est immédiatement accompagnée d'une forte baisse qualitative. Les
médias sont devenus le miroir de toutes les faiblesses de l’enseignement scolaire et
supérieur – depuis les lacunes générales en sciences sociales, histoire, géographie,
etc. jusqu'à l’incapacité de rédiger, en passant par la méconnaissance de la
grammaire.
76. Si des collègues plus âgés et plus expérimentés ont pu en partie remédier à
cette situation, la démocratie a été une nouvelle expérience pour tous. S'il est vrai
que certains principes sacrés du journalisme avaient été défendus par certains
journalistes, même pendant la période la plus noire de l’oppression totalitaire, des
règles fondamentales telles que la séparation des faits et des opinions, le respect du
point de vue d’autrui ou le refus d'utiliser les médias pour régler des comptes ont le
plus souvent été violées. Les vieilles associations professionnelles, considérées
comme des «apparatchiks», n’ont eu aucune influence dans la promotion de codes
de déontologie; quant aux associations qui venaient d’être créées, elles n’avaient
aucune expérience de l’autoréglementation.
78. La nécessité d’améliorer la formation est tout aussi pertinente dans les
démocraties les plus avancées. Le journaliste polyvalent qui pouvait ou devait
passer avec bonne grâce d’un sujet à l’autre a fait son temps. Les journalistes
d’aujourd’hui doivent s'appuyer sur une base de connaissances beaucoup plus
solide que dans le passé, et il faudrait tenir compte de ce facteur dans le programme
de formation.
79. Les journalistes doivent faire face à l’explosion de l'information, sous l'effet
des nouvelles technologies qui modifient considérablement la manière de rendre
compte de l'actualité, avec une mondialisation qui exige d'avoir davantage de
connaissances, de connaître plusieurs langues et de penser au niveau transnational.
De plus, de nouvelles formes de journalisme apparaissent, comme le journalisme en
direct qui exige des compétences entièrement nouvelles.
81. Il a aussi été reconnu que «la mise en place d'un système de formation
complémentaire est coûteuse et incombe largement à la profession elle-même. Les
syndicats d'éditeurs et de journalistes doivent coopérer pour réunir les moyens
nécessaires à une formation complémentaire; et s'il est trop onéreux de détacher des
journalistes pendant plusieurs semaines ou plusieurs jours, il faut mettre au point
des modèles de formation à distance»4.
B. Le public
84. Il serait utile, par exemple, que les codes de déontologie des journalistes
soient mis à la disposition des établissements scolaires et qu'il soit demandé aux
enfants de discuter de leur application spécifique dans des textes ou des
programmes. Les élèves pourraient aussi prendre goût à la manière dont l'actualité
est présentée s'ils sont encouragés à concevoir leur propre journal scolaire, leurs
émissions et sites Internet, sous la conduite de journalistes professionnels.
85. Enfin, il ne faut pas oublier que tout journaliste est un ancien élève; d'où
l'importance de l'éducation générale dans l'enseignement des valeurs démocratiques
et dans la préparation des futurs citoyens à leur rôle dans la société. Pour ce qui est
des médias, le Conseil de l'Europe pourrait être très actif dans le cadre de son projet
sur l'éducation à la citoyenneté démocratique.
7. Conclusions
86. Alors que les participants à l'audition sur la qualité de l'information dans les
médias ont essayé d'identifier et de décrire le journal ou programme démocratique
«parfait», on a fait observer, non sans dérision, qu'un tel journal serait
profondément ennuyeux. Il est vrai que tel sujet qui peut être essentiel pour le
fonctionnement de la démocratie peut ne pas sembler particulièrement divertissant.
Toutefois, le fait que de nombreux médias estompent la limite bien définie entre
l'information et le divertissement peut avoir des conséquences graves. Par exemple,
il est devenu évident que le comportement scandaleux de certains hommes
politiques fait que leurs opinions bénéficient d'une publicité bien plus grande. Si le
divertissement et l'attrait deviennent des facteurs décisifs pour la médiatisation, le
potentiel et le rôle plus importants des médias dans une société démocratique
pourraient être menacés.
87. Par ailleurs, les responsables politiques ont du mal à admettre que couvrir
des sujets politiques ne signifie pas nécessairement rendre service à la démocratie.
Un exemple classique, à cet égard, est celui des premières retransmissions
télévisées en direct des travaux des parlements nouvellement élus en Europe
centrale et orientale. Après l'enthousiasme initial suscité par la réapparition de la
liberté de l'information, la population s'est lassée des chamailleries constantes et de
l'absence apparente d'esprit constructif chez certains députés. Il a fallu beaucoup de
temps aux journalistes pour apprendre à servir la démocratie sans accorder de
faveurs aux responsables politiques. Même aujourd'hui, dans certaines démocraties
nouvelles, les journaux, les programmes de radio et de télévision demeurent très
politisés. La qualité du compte rendu est souvent médiocre, et les journaux
télévisés du soir inondent les téléspectateurs des mêmes images de responsables
politiques donnant des conférences de presse et de journalistes prenant assidûment
des notes. La population en vient ainsi à penser que la véritable démocratie
n'apparaîtra que lorsqu'il ne sera plus question de politique à la télévision.
N.B. Le nom des membres ayant pris part au vote est en italiques.
1
. Country Report: Croatia: Committee to Protect Journalists,
1997, http://www.cpj.org/contrystatus/1997/Europe/Croatia.htlm
2.Audition sur la qualité de l’information des médias, Strasbourg, 4 novembre
1998: déclaration de Bettina Peters, Secrétaire générale adjointe, FIJ.
3
. «Hear no Evil, See no Evil (How Bosnia’s Election Coverage was Rigged for
Democracy).» Rapport sur la couverture des élections nationales tenues en Bosnie
et Herzégovine les 12 et 13 septembre 1998. Fédération internationale des
journalistes.
4.Audition sur la qualité de l'information dans les médias, Strasbourg, le 4
novembre 1998: déclaration de Mogens Schmidt, directeur du Centre européen du
journalisme, Maastricht.