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Les Odonates du marais de Larchant


(département de la Seine-et-Marne)
Par Olivier LABBAYE
Office de Génie Ecologique-O.G.E. 5 boulevard de Créteil, F-94100 Saint-Maur-des-Fossés ;
<o.labbaye@oge.fr>

Reçu le 26 janvier 2010 / Revu et accepté le 16 novembre 2011

Mots-clés : LARCHANT, LEUCORRHINIA CAUDALIS, LEUCORRHINIA PECTORALIS


AESHNA ISOCELES
Key-words : LARCHANT, LEUCORRHINIA CAUDALIS, LEUCORRHINIA
PECTORALIS, AESHNA ISOCELES

Résumé : Dans le cadre du suivi naturaliste de la Réserve naturelle régionale


du Marais de Larchant en Seine-et-Marne, plusieurs espèces d’Odonates ont
été observées. Certaines sont particulièrement remarquables en Île-de-France,
telles Leucorrhinia caudalis, L. pectoralis, Aeshna isoceles et Somatochlora
metallica.
Odonata of the Larchant marsh (Seine-et-Marne, France)
Summary: During the study of the Réserve naturelle régionale du Marais de
Larchant (Seine-et-Marne department), Odonata species were observed.
Some of which were noteworthy within the Île-de-France region, such as
Leucorrhinia caudalis, L. pectoralis and Somatochlora metallica.
____________

Introduction
Présentation du marais
Situé dans le sud-ouest du département de la Seine-et-Marne, le marais de Larchant se
trouve en limite ouest de la forêt de la Commanderie, au sud de la forêt de Fontainebleau
(Fig. 1). Il est inclus dans le périmètre de la zone Natura 2000 du massif de
Fontainebleau ainsi que dans celui du Parc naturel régional du Gâtinais français.
Anciennement en Réserve naturelle volontaire, le marais est depuis le 27 novembre
2008 une Réserve naturelle régionale dans sa totalité. Sa superficie est de 118 hectares.
Sa gestion est assurée par l’Association de la Réserve naturelle du Marais de Larchant
(ARNML) avec l’aide du bureau d’études Office de Génie Ecologique (OGE).
Description physique
Sur le plan topographique, le marais se situe dans une cuvette bordée au nord, à
l’ouest et au sud par le plateau du Gâtinais.
Le site est un marais plutôt alcalin, avec des eaux au pH légèrement supérieur à 7,
mais aux marges plus acides du fait de la présence massive des sables de Fontainebleau
au-delà des limites nord-ouest, nord et nord-est (AZUELOS, 2005).
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De nombreux canaux de profondeur et de largeur variables y serpentent avec, dans la


partie sud, une vaste étendue d'eau protégée du reste du réseau hydrographique par une
digue.

Figure 1. Carte du marais de Larchant et des nouveaux périmètres de la Réserve Naturelle Régionale.

La grande originalité du marais sur le plan hydraulique est l’absence de rivière


l’alimentant. La présence d’eau dépend quasi exclusivement du niveau de la nappe
phréatique affleurante et de ses résurgences. Cette nappe connaît des variations
pluriannuelles particulièrement importantes qui occasionnent des phases d’inondation et
d’assèchement durant chacune de 5 à 30 ans. Le niveau des eaux n'est donc pas
directement en relation avec la saison et l'importance des précipitations en cours.
Actuellement ce niveau baisse depuis le printemps 2008 après une phase d’inondation
amorcée au début des années 2000.
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L’alternance de phases d’assèchement et d’inondation contribue grandement à


l’intérêt écologique du marais de Larchant. Des espèces aux exigences différentes seront
toutes favorisées à un moment donné au cours de ces cycles, sans pour autant disparaître
lors des phases défavorables du fait de la persistance de l’eau lors des phases
d’assèchement et de parties à sec lors des phases d’inondations. La plupart des espèces
floristiques et faunistiques arrivent donc à se maintenir en permanence, avec toutefois
une abondance variable en fonction du niveau d’eau.
Le descriptif succinct de la flore qui suit ne concerne que ce que nous avons observé
ces dernières années. Il correspond donc à un stade évolutif se situant entre une phase
maximale d’inondation et le début d’une phase d’assèchement.
Dans la partie sud du marais, un vaste plan d’eau peu profond est en partie occupé par
une roselière inondée de plusieurs dizaines d’hectares ainsi que par une saulaie inondée
et dépérissante. Les formations d’hydrophytes sont quasi absentes de ce plan d’eau et de
cette roselière, où les eaux limpides, qui n'excédaient pas 50 cm de profondeur en 2007,
laissent apparaître un fond recouvert de débris végétaux. En 2009, le plan d’eau était en
voie d’assèchement.
En bordure ouest et sud-ouest, les digues sont plus ou moins envahies par des saules
et, plus à l'est, sont bordées par quelques prairies humides, dont l’une est totalement
inondée, ainsi que par une mégaphorbiaie.
Dans la partie nord du marais, des digues au tracé très sinueux se succèdent jusqu'à la
digue de ceinture. Entre ces digues, les espaces inondés soit sont peu profonds avec une
végétation d’hydrophytes dense, soit présentent une profondeur plus importante mais
sans végétation aquatique. Dans ce dernier cas, il s’agit de canaux creusés profondément
afin que cette partie du marais reste toujours en eau en période sèche. Les herbiers
aquatiques des eaux peu profondes sont composés presque exclusivement de l'Utriculaire
commune (Utricularia vulgaris Linnaeus, 1753), formation particulièrement rare en Île-
de-France. La baisse du niveau d’eau semble avoir favorisé le développement d’herbiers
de characées (Chara spp.). En effet, ces derniers n’avaient pas été notés en 2007, étaient
très ponctuels en 2008 et étaient devenus très abondants en 2009, au début de la phase
d’assèchement (THEVENIN P, 2010).
Par endroits, des algues filamenteuses forment quelques radeaux flottants en forme de
galette. D'autres genres comme les potamots (Potamogeton spp.) sont très localisés. Cette
rareté a peut-être pour origine la consommation due au Ragondin [Myocastor coypus
(Molina, 1792)] et à la Carpe (Cyprinus carpio Linnaeus, 1758), deux espèces
abondantes dans la réserve.

Méthodologie
Dans le cadre de la réalisation du plan de gestion de la réserve, des visites ont été
effectuées pour l’inventaire et le suivi de la flore et de plusieurs groupes faunistiques.
C’est en particulier le cas des Odonates, qui ont été recherchés en 2007 et en 2009.
Les limites de temps n'ont pas permis de procéder à un inventaire précis et
systématique des espèces, des individus, et de leurs comportements, ni d’évaluer
l’importance des populations. Malgré tout, quelques données ont pu être récoltées,
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parfois avec suffisamment de précision pour qu’elles puissent être présentées au chapitre
suivant.
Les déterminations ont été faites à partir d’individus capturés au filet mais aussi à vue
à l’aide de jumelles. La prudence étant de mise en ce qui concerne les observations à
distance, nous n’avons pas cherché à forcer l’identification des individus en cas de doute.
Des photos ont également été prises, en particulier pour la plupart des espèces
remarquables. C’est notamment le cas des deux espèces de Leucorrhinia trouvées dans le
marais.
Quelques exuvies ont été récoltées au gré des parcours, puis déterminées pour une
partie d’entre elles.
Sauf indication contraire, toutes les données des années 1980 proviennent d’un
rapport de la Sfo cité en bibliographie (DOMMANGET, 1995).

Liste commentée des espèces


Chalcolestes viridis
Quelques individus ont été observés en 2009. L’espèce avait déjà été vue en
septembre 1985.
Sympecma fusca
En 2009, au moins 10 individus ont été observés, incluant un accouplement dans la
partie nord du marais.
Aucune donnée ancienne concernant l’espèce ne semble être disponible.
L’observation d’un accouplement et la nature des habitats présents, avec une
végétation rivulaire herbacée et arbustive dense, rendent probable la reproduction de ce
Lestidae sur le site.
Coenagrion puella
L’espèce est répandue dans l’ensemble du marais. Des données de 1986 et 1987
existent pour cette espèce.
Erythromma lindenii
Au moins un individu a été observé en 2009. Une seule donnée concernant cette
espèce, non datée, a été trouvée (ARNABOLDI, 1995).
E. viridulum
Plusieurs dizaines d’individus, incluant des accouplements, ont été notés dans un
secteur du marais en 2009. Aucune donnée antérieure ne concerne cette espèce.
Vu le nombre d’individus et les accouplements observés dans un habitat favorable, la
reproduction de l’espèce est très probable sur le marais.
Ischnura elegans
L’espèce est répandue dans l’ensemble du marais. Elle a été vue à plusieurs reprises
en 1985, 1986 et 1987.
Pyrrhosoma nymphula
Quelques individus ont été observés en 2009. Aucune donnée antérieure ne fait
référence à cette espèce.
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Aeshna grandis
En août 2009, au moins un individu a été observé, chassant au-dessus d’un canal à
l’extrémité sud-ouest du marais. Il s’agit de la seule donnée connue pour Aeshna grandis
sur le site. La présence de cette espèce à fortes capacités de dispersion ne préjuge
évidemment en rien d’une éventuelle reproduction dans le marais.
A. isoceles
Cette espèce a été observée, toujours au mois de juin, en 2007, avec trois individus, et
en 2009, avec deux individus. Les sites occupés en 2007 ont sensiblement la même
physionomie qu’en 2009. Ce sont des secteurs en eau bordés par une végétation rivulaire
herbacée dense avec notamment des formations linéaires de phragmites inondés.
Le territoire parcouru par chaque individu était de l'ordre d’une centaine de mètres
carrés. Cependant, nous ne sommes pas repassés à chacune des localisations durant les
journées de prospection pour vérifier si les individus n'avaient pas changé de secteur.
Très actifs, ils allaient et venaient à une hauteur variant de un à deux mètres au-dessus de
la surface de l'eau et effectuaient régulièrement des vols stationnaires, restant parfois
jusqu'à 15 secondes au point fixe.
Tout Odonate Anisoptère passant sur le territoire était chassé, mais jamais au-delà des
environs immédiats du circuit emprunté par l'occupant des lieux.
Aeshna isoceles est connu sur le marais de Larchant depuis au moins le milieu des
années 1980, avec une observation faite en juin 1986. Sa présence semble donc régulière
dans le marais, avec une probabilité de reproduction élevée.
A. mixta
Des individus isolés ont été observés dispersés sur l’ensemble du marais à la fin de
l’été et au début de l’automne, et ce jusqu’en octobre. L’espèce a également été observée
en 1985 et 1987. Au vu des habitats présents et de la régularité des observations, Aeshna
mixta se reproduit probablement dans le marais.
Anax imperator
L’espèce a été observée en chasse à de nombreuses reprises au-dessus des parties en
eau mais aussi des digues, des prairies et des lisières. Des observations ont également été
faites en 1986 et 1987.
A. parthenope
Au moins trois individus ont été observés en chasse en 2009. Aucune donnée
antérieure ne concerne cette espèce.
La présence d’une végétation rivulaire dense, avec notamment des phragmites,
convient à l’espèce, mais il est impossible de se prononcer sur sa probabilité de
reproduction sur site, du fait du faible nombre d’observations et des capacités
importantes de dispersion des individus.
Brachytron pratense
Au moins six individus ont été observés au printemps 2009. L’espèce n’avait jamais
été rencontrée dans le marais par le passé.
Vu le nombre relativement important d’individus observés en 2009 ainsi que la nature
des habitats présents, sa reproduction a probablement lieu sur le marais.
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Gomphus pulchellus
Quelques individus ont été observés isolément avec, au printemps 2007, un individu
ténéral prouvant la reproduction de l’espèce sur le site. Ce Gomphus avait déjà été
identifié en juin 1986.
Cordulia aenea
Cette Cordulie est fréquente dans le marais et quelques exuvies ont été collectées. La
plupart des individus ont été observés chassant à grande vitesse au ras de l’eau. Une
donnée la concernant avait déjà été faite en juin 1986.
Somatochlora metallica metallica
Un ♂ a été observé le 20 juin 2007. L'individu effectuait un parcours en boucle au-
dessus d'un canal étroit bordé de saules, dans la partie sud du marais. Il volait entre 2 et 3
mètres au-dessus de l'eau, le plus souvent au plus près ou sous le feuillage des arbres
riverains qui, en certains endroits, se rejoignent au-dessus du canal.
Cette libellule peut parfois passer inaperçue, même dans les secteurs qu’elle fréquente
régulièrement, ce qui est probable au marais de Larchant où l’espèce a également été
observée en 1987.
Les canaux et les fossés en eau ombragés des bordures ouest et sud-ouest de la réserve
semblent particulièrement favorables à sa reproduction, même si aucune preuve n’a pu
être relevée.
Crocothemis erythraea
Cette espèce est fréquente dans le marais, avec notamment des observations
d’individus ténéraux prouvant sa reproduction sur site.
L'espèce avait déjà été vue en juin 1986.
Leucorrhinia caudalis
Les premières observations de cette espèce ont eu lieu les 7 et 10 mai 2009 dans deux
secteurs éloignés de la partie nord du marais, avec deux jeunes individus fraîchement
éclos distincts. Ceux-ci étaient posés sur la végétation, restaient passifs et présentaient
des ailes brillantes, preuve d’une émergence très récente, probablement dans le marais
même. La prospection suivante du 22 mai a permis de trouver plusieurs ♂ cantonnés et
d’observer un accouplement, toujours dans la partie nord du marais. Le 12 juin, dans le
même secteur, le nombre d’individus observés atteignait son maximum avec 22 ♂
cantonnés. Par la suite, les effectifs ont décru rapidement au cours des mois de juin et
juillet.
Les habitats fréquentés par les individus étaient des secteurs d’eau libre peu profonds
occupés par des herbiers denses de Chara spp.. Cette attirance de l’espèce pour les
herbiers à characées est également connue dans les marais de la Souche situés dans
l’Aisne (BARDET & HAUGUEL, 2003). La plus forte concentration d’individus se situait
sur un espace en eau de 1200 m² environ, avec 9 ♂ cantonnés comptabilisés et un
accouplement noté.
En l’absence des characées, aucun individu n’était observé. Dans les secteurs
occupés, les ♂ se tenaient posés et isolés sur des petits radeaux flottants d’algues
filamenteuses à partir desquels ils s’envolaient momentanément pour chasser un
congénère ou d’autres libellules de taille similaire. Il est couramment admis que les ♂
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tiennent leurs territoires posés sur des feuilles de nymphéas (Nymphaea alba Linnaeus,
1758) ; en l’absence de ces derniers dans le marais de Larchant, les ♂ ont ainsi trouvé
des postes de guet de substitution. A ce détail près, les caractéristiques des habitats
occupés par l’espèce sont conformes à celles décrites dans la littérature, en particulier le
pH de l’eau légèrement supérieur à 7, ainsi que des rives formant une protection aux
vents dominants avec des arbres espacés et bordées par une bande d’hélophytes de moins
d’un mètre de large (BARDET & HAUGUEL, 2003).
L’observation au mois de mai de deux imagos ténéraux ou immatures prouve
quasiment la reproduction de l’espèce sur site durant l’année 2008 au moins, puisque la
phase larvaire semble bien être d’un an pour cette espèce. Mais au-delà… la question
reste entière, d’autant plus que l’espèce n’avait jamais été observée sur le marais.
Leucorrhinia caudalis est une espèce dont la répartition est principalement orientale
avec, depuis quelques temps, une expansion dans plusieurs régions d’Europe occidentale
(MAUERSBERGER, 2009), ce qui peut expliquer la présence de l’espèce dans le marais. En
ce qui concerne les populations situées à proximité, notons en premier lieu qu’il n’est
plus certain que l’espèce se reproduise encore en Île-de-France. La dernière population
connue se situait ou se situe encore à Forges-les-Bains en Essonne. Jusqu’en 2007, seuls
quelques individus étaient observés dans la R.N.V. de Bonnelles dans les Yvelines
(DOMMANGET, 2007). Depuis et en dehors de Larchant, l’espèce a également été trouvée
en 2009 à 50 kilomètres plus à l’est dans la Réserve naturelle nationale de la Bassée
(Fabien Branger, com. pers.). L’espèce n’avait jamais été observée auparavant dans ce
secteur où, au printemps 2009, 28 ♂ ont été localisés et un accouplement observé. A la
différence de Larchant, il n’y eut pas de jeunes individus observés. Notons également
qu’à une trentaine de kilomètres vers l’est, dans le secteur de Romilly-sur-Seine dans le
département de l’Aube, se trouve une population connue depuis quelques années.
Même si l’espèce se reproduisait très probablement dans le marais de Larchant en
2008 du fait de la présence d’individus ténéraux ou immatures en 2009, il est impossible
de savoir avec certitude si c’était le cas auparavant et dans quelles proportions. Elle
n’avait pas été vue dans les années 1980 et a pu arriver sur le marais récemment, dans un
contexte d’augmentation temporaire des populations dans la vallée de la Seine située à
l’est. D’autre part, sa dépendance aux herbiers de characées Chara spp. rend sa
population fragile, car l’abondance et la répartition de ces herbiers, dans un marais aux
fortes fluctuations pluriannuelles de niveau d’eau, sont très variables. Ces herbiers
étaient d’ailleurs bien moins représentés en 2007. Qu’en était-il alors de L. caudalis ?
L. pectoralis
Un ♂ à comportement territorial a été observé les 12 et 25 juin 2009, dans la partie
nord du marais. Son territoire était une portion de rive d’une trentaine de mètres de long
avec une centaine de mètres carrés de surface en eau. La rive était occupée par des saules
buissonnants avec un étroit rideau de phragmites par endroits. L’eau, peu profonde,
contenait quelques herbiers de characées. L’individu en question était souvent dans ou
sur les branches de saules et les feuilles de roseaux, mais passait parfois au-dessus de
l’eau et faisait des arrêts prolongés sur des branches mortes émergées. Ce ♂ était très
discret et il était nécessaire d’attendre au moins un quart d’heure pour le voir. Sa période
d’activité était essentiellement matinale, l’individu restant invisible l’après-midi.
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L’habitat occupé correspondait aux exigences de l’espèce même si la partie nord du


marais est particulièrement poissonneuse. Les larves de L. pectoralis sont réputées être
très sensibles à la prédation des poissons, mais Mauersberger (2010) a montré que malgré
tout l’espèce pouvait présenter des populations résiduelles dans les habitats riches en
certains poissons. D’une manière générale, cela nous mène à la question essentielle de
savoir si l’individu est né ou non dans le marais.
Indiquons tout d’abord que la reproduction de L. pectoralis n’est pas prouvée en
région parisienne. Seuls quelques individus sont parfois observés dans les Yvelines, où
une population est peut-être encore présente (DOMMANGET, 2007). Hormis ce cas, les
populations connues les plus proches se situent vers le sud-ouest dans le Loir-et-Cher, à
environ 130 km, et vers le nord-est, dans l’Aisne, à environ 200 km. Cette espèce a
beaucoup régressé en Europe occidentale et en France en particulier, où les populations
sont très disséminées. Cette libellule d’Europe du Nord et de Sibérie a une répartition
morcelée en France. L’espèce est assez mobile et des individus isolés apparaissent
parfois ça et là hors de leurs secteurs de reproduction connus.
Il est possible que le ♂ observé à Larchant soit un individu erratique recherchant un
site favorable, mais il ne faut pas minimiser la probabilité de reproduction de cette
espèce sur le site pour les raisons suivantes :
- Certains habitats, dont le secteur de cantonnement de ce ♂, semblent favorables à la
reproduction de l’espèce.
- La présence d’une espèce proche, L. caudalis, qui, elle, se reproduit très
probablement sur le site, est une indication précieuse car les deux espèces ont quelques
exigences en commun.
- Leucorrhinia pectoralis est une espèce très discrète et d’autres individus ont pu
facilement passer inaperçus.
Libellula depressa
Très peu d’individus ont été observés dans le marais. Cette rareté est au moins à
mettre au compte de la quasi-absence de secteurs en eau libre non bordés de végétation.
A ce titre, une mare creusée lors de l’hiver 2007–2008 a attiré l’espèce dès le printemps
2008. L'espèce avait déjà été vue sur le marais, avec une donnée de juin 1986.
L. fulva
Plusieurs individus immatures et adultes ont été observés en 2007 et 2009. Aucune
donnée antérieure à notre étude et relative à cette espèce n'a été trouvée.
Malgré l'absence de preuves d'autochtonie, la diversité des habitats humides présents
et la qualité appréciable des eaux semblent favorables à la reproduction de l'espèce sur
site.
L. quadrimaculata
L’espèce se reproduit sur le marais avec de nombreux individus observés,
principalement aux mois de mai et de juin, et plusieurs exuvies récoltées. Pendant la
période d’émergence et de maturation, un nombre impressionnant d’individus occupait le
marais. Les imagos étaient alors posés ou en vol stationnaire plus ou moins élevé, faisant
dans ce dernier cas des proies faciles pour le Faucon hobereau (Falco subbuteo Linnaeus,
1758), dont plusieurs individus les cueillaient et les consommaient en vol. Quelques
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semaines plus tard, les individus étaient très actifs avec des poursuites incessantes au ras
de l’eau.
L'espèce avait déjà été observée sur le marais en juin 1986.
Orthetrum albistylum
En 2007, deux individus ont été identifiés avec au moins un ♂ venant à peine
d'émerger. En 2009, quatre individus ont été localisés.
Il s'agit des premières observations pour cette espèce dans le marais de Larchant avec,
de surcroît, une preuve de reproduction. L'espèce est actuellement en expansion vers le
nord. En 2006, les secteurs occupés par l'espèce étaient distants de quelques dizaines de
kilomètres plus au sud, dans le département du Loiret. L'absence de suivi odonatologique
sur la réserve de Larchant dans les années 1990 et au début des années 2000 ne permet
pas de connaître l'année précise de son installation sur le site. Ceci étant, sa présence
dans le marais n'est probablement pas antérieure aux années 2000, comme dans les autres
sites situés à latitude comparable. A titre d'exemple, l'espèce n'est notée dans le Parc
Naturel Régional de la Forêt d'Orient (Aube) que depuis 2001, avec un premier
accouplement observé en 2003 (TERNOIS, 2005).
O. cancellatum
Cette espèce très commune est présente dans l’ensemble du marais. Plusieurs
observations ont été faites en 1985, 1986 et 1987.
Sympetrum sanguineum
L’espèce a été observée à plusieurs reprises dans le marais. Elle avait également été
vue en 1985, 1986 et 1987.
S. striolatum
Cette espèce tardive est présente en nombre dans le marais. Elle avait aussi été
observée en 1985.

Espèces citées en bibliographie mais non observées dans le cadre du suivi


Voici les espèces citées en bibliographie qui n’ont pas été retrouvées lors de nos
suivis :
- Platycnemis acutipennis, observé le 22 septembre 1985, soit à une date tardive
pour l’espèce.
- Platycnemis pennipes, observé dans le marais sans date précisée (ARNABOLDI,
1995).
- Erythromma najas, observé en août 1987.
- Aeshna cyanea, vu en septembre 1985.
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Statut
Liste des espèces observées de 2007 à 2009
patrimonial
Zygoptères
1 Chalcolestes viridis (Vander Linden, 1825)
2 Sympecma fusca (Vander Linden, 1820) ZNIEFF
3 Coenagrion puella (Linnaeus, 1758)
4 Erythromma lindenii (Selys, 1840) ZNIEFF
5 E. viridulum (Charpentier, 1840)
6 Ischnura elegans (Vander Linden, 1820)
7 Pyrrhosoma nymphula (Sulzer, 1776)
Anisoptères
8 Aeshna grandis (Linnaeus, 1758) IdF, ZNIEFF
9 A. isoceles (O. F. Müller, 1767) ZNIEFF
10 A. mixta Latreille, 1805
11 Anax imperator Leach, 1815
12 A. parthenope (Selys, 1839)
13 Brachytron pratense (O. F. Müller, 1764) ZNIEFF
14 Gomphus pulchellus Selys, 1840 ZNIEFF
15 Cordulia aenea (Linnaeus, 1758)
16 Somatochlora metallica (Vander Linden, 1825) ZNIEFF
17 Crocothemis erythraea (Brullé, 1832)
18 Leucorrhinia caudalis (Charpentier, 1840) DH, ZNIEFF
19 L. pectoralis (Charpentier, 1825) DH
20 Libellula depressa Linnaeus, 1758
21 L. fulva O. F. Müller, 1764 ZNIEFF
22 L. quadrimaculata Linnaeus, 1758
23 Orthetrum albistylum (Selys, 1848)
24 O. cancellatum (Linnaeus, 1758)
25 Sympetrum sanguineum (O. F. Müller, 1764)
26 S. striolatum (Charpentier, 1840)

Légende :
DH: espèce d'intérêt communautaire (directive "Habitats")
IdF: espèce protégée régionalement (en Île-de-France)
ZNIEFF: espèce déterminante ZNIEFF en Île-de-France
Tableau 1. Récapitulation des espèces observées dans le cadre de l’étude.

Discussion
Depuis l’année 2007, nos prospections ont permis de répertorier 26 espèces avec un
nombre non négligeable d’espèces à statut patrimonial élevé. Cette richesse est
évidemment tributaire du niveau des eaux du marais, soumis à d’importantes et
irrégulières variations dont la ou les causes précises restent toujours inconnues.
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Bien évidemment, cette évolution n'est pas sans incidence sur les milieux. Lors des
phases d’assèchement, la surface d'eau libre se réduit considérablement pour se
concentrer au fond des canaux les plus profonds, ainsi que dans quelques secteurs où les
résurgences provenant de la nappe persistent. C'est exactement ce qui arriva entre 1995 et
2000. Hélas ! Les données odonatologiques publiées ne concernent pas cette période, ce
qui est particulièrement dommage car ces informations nous auraient éclairés sur les
répercussions du phénomène sur les populations d'Odonates.
Cependant et comme nous l’avons précisé, des parties restent en eau lors des phases
d’assèchement permettant nécessairement la survie de plusieurs espèces, sans qu’il soit
possible pour l’instant d’identifier celles qui restent et celles qui disparaissent.
La phase d’assèchement qui semble s’amorcer depuis 2008 permettra certainement de
localiser à l’avenir les parties en eau résiduelles et les Odonates qui s’y concentrent. Il
n’y a plus qu’à espérer qu’un maximum d’espèces parviendra à se maintenir. La
recherche et le suivi de L. caudalis et de L. pectoralis seront bien entendu prioritaires.
Du fait de la dépendance de ces deux espèces aux herbiers de characées, on assurera
également un suivi floristique. On peut déjà noter que ces herbiers se sont
particulièrement étendus en 2009 consécutivement à une baisse du niveau d’eau. Cette
dernière se poursuivant, il faudra vérifier si les secteurs encore en eau en contiennent
encore et dans quelles proportions. Si comme indiqué dans le texte nous ne saurons
probablement jamais quand les deux Leucorrhinia sont arrivées dans le marais,
l’évolution de leur population en période d’assèchement donnera des éléments quant à
leur capacité de survie sur un site soumis à de telles variations de la surface en eau… si,
toutefois, elles sont encore présentes dans le futur.

Epilogue
Depuis la soumission du manuscrit (janvier 2010), l’évolution du niveau d’eau a eu
une influence particulièrement marquée sur les Odonates du marais. Amorcé en 2008
comme indiqué en introduction, l’assèchement naturel s’est poursuivi. Si l’eau subsiste
encore dans les canaux les plus profonds, les autres espaces aquatiques n’existent plus et
plusieurs espèces n’ont pas été revues. C’est en particulier le cas des deux espèces du
genre Leucorrhinia ainsi que d’Aeshna isoceles. Il faut espérer que la prochaine phase
d’inondation permette leur retour.

Remerciements
Nous tenons à remercier ici :
- Madame Sybille Friedel, propriétaire du marais, Mademoiselle Virginie Péron et
Monsieur Bruno Armand, gardes et intendants de la réserve, et Monsieur Sylvain
Stassens chargé de l’entretien et des travaux, dont l’aide nous a permis de procéder aux
inventaires dans les meilleures conditions.
- Monsieur Philippe Bruneau de Miré, entomologiste, pour ses connaissances sur les
insectes du marais.
- Madame Nadia Vargas, chargée de mission Biodiversité et Paysage au conseil
régional de la région Île-de-France, pour ses informations sur le marais.
80 Martinia

- Monsieur Fabien Branger, garde animateur de la R.N.N. de la Bassée, pour ses


informations sur la présence de Leucorrhinia caudalis dans sa réserve.
- Monsieur Philippe Thévenin, botaniste, chargé d’études à l’Office de Génie
Ecologique-O.G.E., pour sa relecture attentive.

Travaux cités
ARNABOLDI F., 1995. Proposition de plan de gestion de la Réserve naturelle volontaire du marais
de Larchant. Document DIREN Île-de-France. 29 p + annexes.
AZUELOS L., 2005. Bilan écologique de la Réserve naturelle régionale de Larchant (77).
Conservatoire botanique national du Bassin parisien. M.N.H.N. 47 p. + annexes.
BARDET O. & HAUGUEL J.C., 2003. Contribution à l'écologie de la Leucorrhine à large queue
(Leucorrhinia caudalis) et de la Leucorrhine à gros thorax (Leucorrhinia pectoralis) dans les
marais de la Souche (Aisne, France). In : Gestion et conservation des ceintures de végétation
lacustre - Actes du séminaire européen, Le Bourget-du-Lac, 23-26 octobre 2002.
Conservatoire du patrimoine naturel de la Savoie, p. 215-234.
[DOMMANGET J.-L., 1995. Inventaire odonatologique de la Région Île-de-France. Société
Française d’Odonatologie. Rapport 1994 pour la DIREN Île-de-France. 21 pp. + annexes :
23-73.]
DOMMANGET J.-L., 2007. La faune odonatologique du département des Yvelines : état des
connaissances (Région Île-de-France). Martinia, 23 (3) : 95-108.
MAUERSBERGER R. 2009. Nimmt Leucorrhinia caudalis im Nordosten Deutschlands rezent zu?
(Odonata:Libellulidae). Libellula 28(1/2): 69-84. (in German, with English summary)
MAUERSBERGER R. 2010: Leucorrhinia pectoralis can coexist with fish (Odonata: Libellulidae).
International Journal of Odonatology 13(2): 193-204. (in English)
TERNOIS V., 2005. Atlas préliminaire des Odonates du Parc naturel régional de la Forêt d'Orient.
Syndicat mixte pour l'aménagement et la gestion du Parc naturel régional de la Forêt d'Orient.
Courrier scientifique n°28. 84 p.
[THEVENIN P, 2010. Suivi floristique 2009. Bilan des prospections. A.R.N.M.L., Office de Génie
Écologique. Rapport d’étude disponible auprès de l’A.R.N.M.L., 20 pp. + annexes]
____________________
Tome 27, fascicule 2, décembre 2011 81

Écologie et gestion des populations de


Leucorrhinia albifrons (Burmeister, 1839) et
L. caudalis (Charpentier, 1840) (Odonata, Anisoptera :
Libellulidae) sur un étang du Saumurois
(département du Maine-et-Loire)
Par Sylvain COURANT* et Benjamin MEME-LAFOND*
* LPO Anjou, 10 rue de Port Boulet, F-49080 Bouchemaine ; <courantsylvain@yahoo.fr>

Reçu le 9 novembre 2010 / Revu et accepté le 16 novembre 2011

Mots-clés : ODONATES, LEUCORRHINIA, COLLECTE D’EXUVIES, PLAN DE


GESTION
Key words : ODONATA, LEUCORRHINIA, EXUVIAE COLLECTION, ACTION PLAN
Résumé : Ces deux Leucorrhines protégées et figurant sur la Liste Rouge
française ont été découvertes simultanément sur un étang forestier de la
commune de Gennes (Maine-et-Loire) au cours de l’été 2009. La première
espèce constitue une nouveauté pour l’entomofaune des Pays de la Loire,
tandis que la seconde n’était jusqu’alors connue que d’une unique station
régionale en très mauvais état de conservation. La découverte de ces deux
espèces hautement patrimoniales a donc justifié une étude fine de l’écologie
et des habitats essentiels à leur pérennité sur le site et à l’échelle de la région.
L’application d’un protocole de récolte d’exuvies couplé à un suivi des
imagos durant toute la période d’activité des espèces permet d’obtenir des
informations phénologiques et écologiques essentielles, et met en évidence le
rôle vital des massifs d’hydrophytes, qui permettent aux larves d’accomplir
l’ensemble de leur développement à l’abri des prédateurs. La qualité des eaux
et la structure de la végétation des berges jouent également un rôle primordial
pour les imagos lors de la reproduction. Les préconisations de gestion qui
s’appuient sur ces informations permettent de proposer des aménagements
favorables à la pérennisation des Leucorrhines en Anjou, aisément
transposables par d’autres gestionnaires soucieux de préserver ces espèces
emblématiques des étangs non eutrophisés de plaine.
Ecology and management of Leucorrhinia albifrons (Burmeister, 1839)
and L. caudalis (Charpentier, 1840) at a pond in the Saumur area (Maine-
et-Loire department)
Summary: These both Whitefaces recorded in the French Red List were
discovered at a forest pool in Gennes (Maine-et-Loire) during summer 2009,
several hundred miles away from their nearest breeding sites. The first is a
new species to the Pays de la Loire, whereas the second was regularly
observed at a site more and more altered since 2006. Following this
82 Martinia

discovery, a survey is carried out to study both the ecology of these


Leucorrhinia species and the crucial habitat parameters for their survival. The
research based on both exuviae’ and adults’ surveys brought us phenological
and ecological data on these species, and emphasized the role of dense
aquatic vegetation which allows the survival of larvae over their entire
development period. Water quality and structure of vegetation also play a
vital role for L. caudalis and L. albifrons during reproduction. The
management plan based on these data provides suitable suggestions to ensure
the optimal conditions for these Whitefaces.
____________

Introduction
En 2008, un Plan National d’Actions (PNA) ciblé sur les taxons les plus sensibles de
la faune odonatologique française a vu le jour sous l’impulsion du Ministère en charge de
l’écologie. Ce schéma directeur fixe les bases d’une stratégie nationale de conservation
des Odonates et a vocation à être décliné par la suite dans chaque région pour initier et
soutenir des actions de conservation des Odonates (DUPONT, 2009). Ce PNA trouve un
écho particulier en Anjou, l'une des régions françaises au réseau hydrographique le plus
important et doté de zones humides remarquables (basses vallées angevines, vallée de la
Loire…) propice au développement de communautés diversifiées d’Odonates. En 2009,
l’inventaire odonatologique angevin faisait état de 61 espèces (M. CHARRIER, comm.
pers.). Dans le cadre des prospections menées chaque année par une poignée de
naturalistes angevins, des sorties odonatologiques ont été menées au cours de l’été 2009
sur l’étang de Joreau à Gennes, un plan d’eau forestier caractérisé par la présence de
vastes herbiers aquatiques. Plusieurs naturalistes révèlent à cette occasion la présence
d’un cortège unique d’Odonates, parmi lesquels Leucorrhinia albifrons et L. caudalis,
deux taxons rarissimes dans l’ouest de la France. Ceux-ci constituent des espèces à fort
enjeu patrimonial tant leur statut de conservation s’avère être défavorable en France
(DOMMANGET et al., 2008) et en Europe (KALKMAN et al., 2010). La première espèce est
nouvelle pour l’entomofaune régionale, et la localité concernée se situe à plusieurs
centaines de kilomètres des plus proches sites de reproduction connus. La seconde espèce
n’est connue que d’une autre station dans la région des Pays de la Loire, partiellement
détruite au cours des dernières années. Un partenariat entre la LPO Anjou et le PNR
Loire-Anjou-Touraine a vu le jour et a permis en 2010 la mise en place d’une étude
approfondie du cortège d’Odonates de l’étang. Les auteurs se proposent d’en relater ici
les principaux résultats concernant la structure d’habitat et les paramètres écologiques
assurant la pérennité des espèces du genre Leucorrhinia, qui ont permis de définir les
orientations de gestion jugées favorables à leur maintien en Anjou.
Présentation du site d’étude
L’étang de Joreau occupe actuellement une superficie de 6 ha au sein du massif
forestier de Milly, au centre du département de Maine-et-Loire. Depuis sa création au
XIVe siècle, l’étang a conservé une vocation piscicole de loisir et des empoissonnements
réguliers (essentiellement par des gardons) sont encore aujourd’hui organisés par la
municipalité de Gennes, qui en est propriétaire. Le site demeure également très fréquenté
par les marcheurs et les vététistes, qui apprécient l’environnement boisé et préservé
Tome 27, fascicule 2, décembre 2011 83

autour du plan d’eau. Le site peut être scindé en deux, avec une partie nord fréquentée
par les promeneurs et les pêcheurs le long des enrochements de la digue, et une autre
partie plus naturelle comprenant deux queues d’étang et une presqu’île. Le plan d’eau est
entouré d’une boulaie humide et d’une large ceinture d’hélophytes (Phragmites australis,
Carex sp.) dans la partie sud. Les profondeurs d’eau sont globalement faibles, de l’ordre
de 1 à 1,5 m en moyenne, et atteignent 2,5 m au pied des enrochements de la digue.
L’étang est principalement alimenté par des eaux souterraines à travers deux sources
localisées dans chacune des queues d’étang. Ce type d’alimentation, le fort taux de
boisement du bassin-versant (82 %) et la nature sableuse des sols en surface sont à
l’origine d’une stabilité importante du milieu aquatique (peu de marnage, peu d’apports
extérieurs) et pourraient suffire à expliquer la clarté remarquable des eaux de l’étang.
Leur nature alcaline a en outre permis le développement d’importants massifs de
Characées (Nitellopsis obtusa, Nitella tenuissima), qui constituent un habitat d’intérêt
communautaire en Europe.
Circonstances des découvertes et contexte local
Lors d’une prospection odonatologique sur l’étang de Joreau, Kévin Barré, un jeune
naturaliste angevin, capture et photographie un couple d’Anisoptères indéterminés sur la
digue nord de l’étang, posé sur une fronde de fougère. Le cliché finit par parvenir à l’un
d’entre nous (BML), qui identifie formellement L. albifrons, inconnu jusqu’alors en Pays
de la Loire. L’information diffuse discrètement à travers le réseau naturaliste local et
incite les entomologistes angevins à mener de nouvelles prospections sur le site : les
observations qui vont suivre permettent alors de confirmer la présence de L. albifrons et
de découvrir d’autres espèces rares en Anjou telles L. caudalis (2e station régionale,
effectif local remarquable), Aeshna isoceles (2e station départementale), Coenagrion
pulchellum (3e mention angevine, population reproductrice locale d’au moins une
centaine d’individus), Sympetrum danae (moins de 5 stations dans le département) et
Anax parthenope (rare).
Dans le même temps, la municipalité de Gennes, propriétaire de l’étang, valide un
projet d’aménagement du site avec un début des travaux prévu pour l’automne 2009.
Conscients des enjeux liés à la présence de ces espèces, la LPO Anjou et le PNR Loire-
Anjou-Touraine alertent alors la commune et parviennent à repousser l’échéance des
travaux, le temps d’étudier ce remarquable cortège d’Odonates et d’évaluer l’impact
potentiel des aménagements envisagés pour en annuler les effets négatifs sur les espèces
concernées.

Méthodes
La présente étude s’intéresse à la phénologie d’émergence et à l’écologie des deux
espèces de Leucorrhines en s’appuyant sur des protocoles de suivi rigoureux durant toute
la période d’activité aérienne des individus.
Echantillonnage des exuvies
Le protocole adopté a pour but de cartographier et de caractériser les émergences
(phénologie, abondance relative, substrat préférentiel) des Leucorrhines sur l’étang. Une
récolte aléatoire des exuvies est pratiquée à intervalle régulier (2 à 3 récoltes/semaine)
84 Martinia

entre avril et juillet sur l’ensemble du linéaire des berges de l’étang, afin d’obtenir une
image fiable des zones d’émergence préférentielles. En parallèle, un échantillonnage
stratifié est pratiqué de façon systématique sur plusieurs placettes localisées au sein des
habitats rivulaires délimités au préalable, dans le but de parvenir à corréler les
abondances relatives observées avec les variables mesurées in situ : substrat de fond,
profondeur d’eau (en m), surface d’eau libre au sein de la placette (en %), surface de
végétation émergée observée en mai sur la placette (en %), surface de recouvrement de la
placette par les ligneux (en %), ensoleillement moyen (en %) et nature de la végétation
dominante. Le support et la hauteur d’émergence de chaque exuvie du genre
Leucorrhinia collectée sont systématiquement notés afin d’affiner les informations
concernant la nature et la structure de la végétation utilisée par les larves lors de
l’émergence.
Suivi des imagos
Des prospections sont menées durant la période de vol des imagos de Leucorrhines,
sur l’étang et dans les zones ouvertes en périphérie. Ce suivi a pour objectifs d’estimer la
durée de maturation, de localiser les zones de ponte des espèces prioritaires et de les
comparer à leurs sites d’émergence, et d’obtenir une idée du ratio entre les effectifs
d’exuvies et d’imagos observés. Les affinités des deux espèces envers les différentes
zones de l’étang et les types de végétaux sont systématiquement notées.

Résultats et discussion
Diversité du peuplement odonatologique
L’inventaire des espèces présentes au sein du périmètre ZNIEFF du Bois de Joreau
fait désormais état de 46 espèces d’Odonates depuis 2008, ce qui en fait le site le plus
diversifié du département. Toutes les espèces appartenant au cortège odonatologique
associé à la présence de L. caudalis et L. albifrons décrit par MAUERSBERGER &
HEINRICH (1993) se reproduisent actuellement sur l’étang, hormis Somatochlora
flavomaculata, considéré comme très rare dans le département et dont la présence sur
Joreau n’est toujours pas attestée, malgré des habitats favorables et des prospections
menées durant la période d’activité maximale des imagos (juillet).
Récoltes d’exuvies
Répartition
Les résultats montrent une répartition des exuvies très hétérogène sur le plan d’eau,
qui apparaissent majoritairement concentrées dans la partie nord et ouest de l’étang (Fig.
1). En considérant la totalité des exuvies récoltées (les deux espèces confondues), seules
16,2 % d’entre elles ont été collectées sur les hélophytes bordant la presqu’île et les
secteurs de cariçaies au sud de l’étang. Les émergences s’effectuaient majoritairement en
matinée vers 7 h (heure civile) pour peu que la température extérieure atteigne 20 °C, et
ce, quelles que soient les conditions météorologiques : plusieurs dizaines d’émergences
ont ainsi eu lieu le matin du 10 mai sous une pluie continue, provoquant une mortalité
élevée des individus dont les ailes, ne pouvant sécher, restaient molles et atrophiées.
Tome 27, fascicule 2, décembre 2011 85

Abondance relative
En considérant l’ensemble des 4 640 exuvies dénombrées entre le 22 avril et le 25
juin, L. caudalis et L. albifrons occupent respectivement la 3ème et 5ème place des espèces
d’Odonates les plus abondantes sur l’étang au printemps (tab. 1).

Espèces Effectif exuviaux (avril-juin) Proportion (%)


Cordulia aenea 1 050 22,6
Crocothemis erythraea 1 048 22,6
Leucorrhinia caudalis 777 16,7
Anax imperator 696 15,0
Leucorrhinia albifrons 572 12,3
Libellula fulva 179 3,9
Orthetrum cancellatum 159 3,4
Libellula quadrimaculata 49 1,1
Brachytron pratense 44 0,9
Gomphus pulchellus 25 0,5
Sympetrum striolatum 19 0,4
Sympetrum sanguineum 11 0,2
Sympetrum fonscolombii 1 0,01
Tableau 1. Effectifs exuviaux collectés entre avril et juin 2011

Le nombre total d’exuvies de Leucorrhines récoltées au cours des prospections est


de 1349, dont 19,6 % collectées sur les placettes du protocole standardisé. Les effectifs
exuviaux apparaissent plus élevés chez L. caudalis, avec un rapport de 1,4 entre les deux
espèces.
En dépit d’un effort de prospection globalement homogène sur l’ensemble du site, des
indices d’abondance plus élevés ont été relevés sur les portions de berges au nord et à
l’ouest, avec jusqu’à 48 exuvies / 10 m de berge chez L. caudalis et 39 exuvies / 10 m de
berge chez L. albifrons (effectifs cumulés d’avril à juillet).

a b

Figure 1. Cartographie des secteurs d’émergence chez L. caudalis (a) et L. albifrons (b)
86 Martinia

Phénologie et chronologie d’émergence


Les émergences de L. caudalis apparaissent synchronisées, la moitié de la population
larvaire locale ayant probablement émergé entre le 26 avril et le 13 mai, soit 18 jours
(Fig. 2). L’espèce semble également plus précoce que L. albifrons : les premières exuvies
étaient découvertes dès le 26 avril, puis les émergences se sont faites de plus en plus
nombreuses au fil du mois de mai pour culminer à 122 exuvies le 22 mai. Chez L.
albifrons, la cinétique d’émergence était sensiblement identique (EM50 : 19 jours), mais
la période d’émergence semblait plus étalée dans le temps à la faveur de conditions
météorologiques favorables : 3 exuvies étaient encore trouvées le 23 juillet sur la berge
ouest de l’étang. Ces données concordent avec la phénologie généralement observée en
plaine (GRAND & BOUDOT, 2006).

Figure 2. Phénologie des émergences de L. caudalis et L. albifrons.


Effectifs décadaires (histogramme) et cumulés (courbe) par espèce.

Structure de végétation des zones d’émergence


Presque toutes les émergences relevées ont eu lieu sur des supports végétaux (Fig. 3),
à l’exception d’une exuvie de L. caudalis découverte sur un bloc rocheux. Les hauteurs
d’émergence s’échelonnaient de 2 à 100 cm, avec une médiane située à 30 cm chez L.
caudalis, 35 cm chez L. albifrons. Les exuvies étaient majoritairement récoltées dans la
végétation rivulaire entre 20 et 50 cm, mais les hauteurs d’émergence variaient
considérablement selon la nature du support, les plus basses étant collectées sur les
Éléocharis et les tiges d’Iris. Les Laîches constituaient les supports les plus utilisés lors
de l’émergence par les deux espèces, ce qui s’explique en grande partie par l’extension
importante de ces espèces le long des berges de l’étang.
Tome 27, fascicule 2, décembre 2011 87

Figure 3. Hauteur d’émergence et nature des supports et chez L. caudalis et L. albifrons.


Les barres d’erreurs correspondent à l’écart-type calculé de chaque série de données.

Influence des facteurs environnementaux


Les zones d’émergence se situent sur des habitats très divers, tant en termes de
substrat (sable, graviers, vase) que de faciès de végétation. Certains éléments
apparaissent néanmoins susceptibles d’entrer en compte dans le choix des larves lors de
l’émergence.
Chez L. caudalis, la répartition des exuvies récoltées suivait assez nettement la
délimitation des berges arborées. Malgré une pression de prospection comparable,
aucune exuvie n’a été découverte sur les placettes situées à plus de 5 m d’une ceinture
d’arbres (Fig. 4). Le schéma de répartition des exuvies sur l’étang est différent pour L.
albifrons, chez qui les larves semblent fréquenter une plus large gamme de sites
d’émergence.

Figure 4. Répartition des exuvies de Leucorrhinia sur les placettes de suivi.


La position des points est fonction des valeurs relevées sur chaque placette (n=29).
88 Martinia

L’étendue importante des massifs de Characées dans lesquels se développent les


larves explique que 54 % des exuvies aient été collectées sur des berges situées à
proximité immédiate de ces herbiers aquatiques (moins de 10m). Cependant, les larves ne
semblent pas effectuer systématiquement leur sortie de l’eau sur le premier support
venu : une partie des exuvies récoltées a été découverte à l’intérieur même des zones de
cariçaie (généralement sous le couvert des arbres pour L. caudalis) et parfois à plusieurs
mètres au-delà de la ligne de démarcation entre l’eau libre et la berge. Puisque les larves
se développent dans les massifs de végétation immergée (MAUERSBERGER & HEINRICH,
1993 ; GRAND & BOUDOT, 2006), il est probable qu’une fraction d’individus progresse
ainsi parmi les touffes de laîches jusqu’à parvenir à des touradons ombragés, où ils
émergent. L’ensemble du cycle larvaire ne peut de toute façon pas avoir lieu au sein
même de la cariçaie, car une majeure partie de cet habitat se trouve asséchée de juin à
octobre.
Étude des imagos
Sex-ratio à l’émergence
L’ensemble des individus vus émergeant (190 individus au total du 3 mai au 2 juillet)
ont été sexés afin d’estimer le sex-ratio de chacune des deux espèces à l’émergence. Ce
chiffre, établi a posteriori, se stabilise à 1 en fin de saison, et aucune différence
significative n’apparaît entre la phénologie d’émergence des deux sexes chez L. caudalis
(test Chi² : χ² = 6,21 ; p = 0,10 ; ddl = 3) et L. albifrons (test Chi² : χ ² = 3,42 ; p = 0,49 ;
ddl = 5)
Période de vol
Après émergence, les immatures prennent aussitôt de la hauteur pour trouver refuge
sous le couvert des arbres. Il est probable qu’une majorité des imagos stationnent dans la
canopée durant toute leur période de maturation, car aucune des prospections menées
dans les espaces ouverts de landes et de prairies autour de l’étang n’a donné lieu à des
observations d’imagos.
Pour L. caudalis, la période écoulée entre l’apparition des premières exuvies et celle
des imagos les plus précoces a été de 34 jours, ce qui est très supérieur à la durée
moyenne de maturation rapportée par GRAND & BOUDOT (une dizaine de jours). Des
conditions météorologiques défavorables pourraient avoir provoqué une mortalité chez
les individus les plus précoces. Le premier cantonnement a été observé le 20 mai. Cinq
jours plus tard, ce sont deux ♂ matures qui étaient notés sur leur territoire respectif. Le
nombre de territoires occupés a ensuite augmenté rapidement jusqu’au 7 juin, date à
laquelle 23 individus étaient comptabilisés simultanément sur le plan d’eau. L’apparition
d’épisodes pluvieux le 5 juin, puis du 9 au 14 juin, ont provoqué une chute brutale du
nombre d’imagos. Le 21 juin, 5 ♂ étaient de retour sur l’étang, cantonnés sur des
Nymphéas, puis le nombre de territoires occupés est demeuré faible et a ensuite diminué
rapidement jusqu’au 8 juillet, date à laquelle les 3 derniers ♂ territoriaux de la saison ont
été observés.
Les imagos matures de L. albifrons sont apparus sur l’étang début juillet, soit 2 mois
après la découverte des premières exuvies. Les conditions météorologiques exécrables de
début juin (pluie, vent) pourraient être à l’origine d’une mortalité importante des
individus durant leur phase de maturation, et expliqueraient ce laps de temps
Tome 27, fascicule 2, décembre 2011 89

anormalement long entre l’apparition des premières exuvies (3 mai) et celle des imagos
(7 juillet). La période de vol observée est très courte car elle intervient à la fin de la
période de suivi, mais il est possible que des imagos aient pu se reproduire jusqu’à la mi-
août, les dernières exuvies ayant été découvertes le 27 juillet.

a b

Figure 5. (a) Leucorrhinia caudalis (accouplement) et (b) Leucorrhinia albifrons, étang de Joreau, 2010
(clichés : S. Courant)
Estimation de l’effectif reproducteur local
En considérant simultanément la localisation des ♂ cantonnés et les conditions
météorologiques sur la période considérée, on peut estimer qu’au total un minimum de
51 ♂ de L. caudalis a occupé l’étang cette saison sur une période de vol de 45 jours.
Chez L. albifrons, seuls 9 ♂ ont été observés. Ces chiffres contrastent donc fortement
avec les effectifs exuviaux relevés durant la même période sur le site. Ce phénomène,
déjà mis en évidence par DUREPAIRE (1992) lors de son étude sur les exigences
écologiques de L. caudalis au sein de la Réserve Naturelle du Pinail (Vienne), traduit la
sélection exercée par de multiples facteurs (prédation, émigration, mortalité liée aux
aléas climatiques…) sur les imagos durant le stade critique de la maturation.
Une campagne de capture-marquage des imagos permettrait d’individualiser les
observations et ainsi peut-être de préciser le renouvellement (turn-over) au sein de la
population (pool) de reproducteurs. Cette technique semble particulièrement adaptée au
suivi des imagos de Leucorrhinia, qui se tiennent généralement en évidence sur des
supports à faible hauteur.
Localisation des cantons
Les ♂ de L. caudalis établissaient typiquement leur territoire sur les berges abritées
des vents d’ouest et comportant un éventail de supports de pose (laîches, phragmites,
nymphéas) leur permettant de surveiller leur domaine. Si 37 % des observations
d’imagos ont été effectués sur des nymphéas, d’autres types de support étaient également
régulièrement utilisés : arbres morts en berge (23 %), ligneux vivants divers (20 %), tiges
de phragmite (11 %) et de laîche (9 %) constituaient des perchoirs utilisés par les ♂, tant
pour surveiller leur territoire que pour chasser à vue. En définitive, l’attractivité des
berges semble conditionnée par l’association de perchoirs aériens et flottants, qui
entraîne souvent le cantonnement des ♂. La localisation des cantons paraît également
très dépendante de la proximité avec les herbiers aquatiques (Characées). Près de 70 %
90 Martinia

des territoires recensés étaient situés au-dessus des herbiers aquatiques ou à une distance
inférieure à 5 mètres.
Le schéma de répartition des cantons paraissait identique chez L. albifrons, bien que
le manque de données (seulement 8 territoires identifiés) ne permet pas de préciser
l’environnement autour des ♂ cantonnés. La végétation buissonnante en berge (jeunes
saules) et les tiges d’hélophytes au-dessus de l’eau constituaient des sites de pose très
fréquents, également utilisés lors des accouplements.
Territorialité
Chez les deux espèces, les ♂ sont connus pour s’approprier et défendre un territoire
de 10 à 20 m² lors de la reproduction (GRAND & BOUDOT, 2006), ce qui facilite à la fois
leur localisation (mobilité concentrée sur une surface réduite) et leur observation (pose
en évidence sur le canton). L’agressivité des ♂ s’atténue généralement chez L. albifrons
lorsque les densités sont élevées, ce qui n’est pas nécessairement le cas chez L. caudalis.
Sur l’étang de Joreau, les observations du comportement des ♂ sur leur canton étaient
parfois paradoxales. Chez L. caudalis, bien que le nombre de ♂ observés simultanément
demeure assez faible, les individus pouvaient s’avérer tour à tour très territoriaux
(attaques entre ♂, poursuites sur Orthetrum et Cordulia) et totalement indifférents. Un ♂
posé sur une souche toléra même qu’un couple vienne se reproduire à 40 cm de lui sans
réagir. En règle générale, les ♂ étaient posés en position typique d’obélisque (abdomen
relevé, ailes étalées vers le bas) sur un support stratégique de leur canton : feuilles
externes d’un massif de nymphéas, tige saillante de Carex, souche ensoleillée…
Leucorrhinia albifrons démontrait quant à lui une agressivité très réduite, sans doute liée
à des densités localement assez fortes (jusqu’à 6 ♂ cantonnés sur un linéaire de 40 m de
berge le 8 juillet).
Activité reproductrice
Lors de l’étude, les seules données de L. caudalis femelles matures ont été obtenues
lors des accouplements, observés à 5 reprises entre le 31 mai et le 7 juin. Ces
accouplements avaient lieu au sein du territoire du mâle, situé à proximité immédiate des
herbiers au-dessus desquels les femelles ont été observées en ponte. Chez L. albifrons,
les accouplements étaient également notés dans le territoire de mâles, mais la seule
action de ponte observée l’a été au centre du plan d’eau, c'est-à-dire à plusieurs dizaines
de mètres du plus proche territoire identifié. Les œufs ont alors été largués en vol au-
dessus d’un herbier dense de Characées.

Applications à la gestion conservatoire des Leucorrhines


Autécologie des espèces
Habitat larvaire
Les informations disponibles (TROCKUR & DIDION, 1999 ; STERNBERG et al., 2000 ;
HEIDEMANN & SEIDENBUSCH, 2002 ; GRAND & BOUDOT, 2006) sont unanimes sur le fait
que le développement des larves s’effectue au sein des hydrophytes. Sur l’étang de
Joreau, à la fin du cycle larvaire, la migration vers les sites d’émergence favorables
pourrait amener la plupart des individus à effectuer des distances de plusieurs dizaines de
mètres en se faufilant à travers l’entrelacs des filaments de Characées, ce qui confirme le
rôle essentiel de ces végétaux qui assurent aux larves une protection contre les
Tome 27, fascicule 2, décembre 2011 91

prédateurs. Les déplacements qui s’effectuent de la lisière des herbiers jusqu’aux


premiers hélophytes émergés constituent une étape décisive dans la vie des larves :
certains individus doivent en effet parcourir jusqu’à plusieurs dizaines de mètres en
évoluant à découvert sur le fond de l’étang à la recherche d’un support d’émergence
satisfaisant. Il est probable que la prédation exercée à ce moment sur les larves en fin de
cycle soit importante, ce qui expliquerait également le fait que les densités d’exuvies
récoltées soient plus faibles sur les berges de la partie nord de l’étang, plus éloignées des
massifs de végétation aquatique que du côté ouest.
Les faibles densités relevées le long de la digue, pourtant à proximité immédiate des
massifs de Characées, pourraient être quant à elles liées à l’absence de support
d’émergence et à la nature abrupte de la berge. Les touffes de Carex y sont rares, et il est
possible que ces larves choisissent de poursuivre leur « migration » en longeant la digue
jusqu’à parvenir à l’une de ses extrémités, où elles trouvent des supports naturels (carex,
iris, phragmites) abondants et adaptés à la métamorphose.
Choix des sites d’émergence
Les informations fournies par cette étude sont encore insuffisantes pour statuer sur
une arrivée relativement ancienne de ces deux espèces sur l’étang, qui semblent
néanmoins avoir trouvé ici des conditions de vie convenables qu’il faut s’attacher à
conserver à long terme.
Chez L . caudalis, la présence d’une ceinture d’arbres en berge semble être un critère
déterminant dans le choix du site d’émergence. Dans la plupart des cas, la proximité des
arbres en rive implique un ensoleillement modéré des berges. BARDET & HAUGUEL
(2002) soulignent d’ailleurs le caractère « généralement ombragé » (donc relativement
proche des arbres) des sites d’émergence chez L. caudalis dans l’Aisne, en précisant
toutefois qu’un fort taux d’ombrage paraît défavorable à l’espèce. Sur Joreau, le schéma
de répartition des larves lors de l’émergence semble diverger chez L. albifrons, pourtant
inféodé également à des paysages forestiers, chez qui les larves paraissent moins
exigeantes dans le choix de leur zone d’émergence : des exuvies ont été découvertes dans
des zones humides temporaires au cœur de la cariçaie, sans que l’on puisse affirmer que
ces habitats permettent l’accomplissement complet du cycle larvaire. Quoi qu’il en soit,
les larves doivent faire preuve d’une grande mobilité, et des émergences ont lieu sur des
supports sortant de l’eau parfois très éloignés des massifs d’hydrophytes où elles
effectuent leur développement.
Habitat imaginal
Les ♂ de L. caudalis se cantonnent préférentiellement le long des queues d’étang, sur
les rives à l’abri des vents dominants. La présence de taches éparses de nymphéas près
des berges semble attirer en priorité les reproducteurs et constituent des noyaux de
territoires très appréciés. Cette affinité a déjà été soulignée par BARDET & HAUGUEL
(2003) dans l’Est de la France et MALE-MALHERBE (2009) en Brenne, où les auteurs
évoquent le rôle prépondérant des massifs de nénuphars. Sur l’étang de Joreau, les
nymphéas de la queue et de la presqu’île sont effectivement colonisés en priorité par les
reproducteurs (Fig. 5).
92 Martinia

Figure 5. Territoire typique de Leucorrhinia caudalis sur l’étang de Joreau.


(cliché : S. Courant)

Le chevauchement de certains territoires indiquerait des exigences écologiques


similaires chez les imagos des deux Leucorrhines. Une compétition pour le choix des
territoires n’est donc pas à exclure entre les deux espèces : dans ce cas, il semble que le
caractère territorial de L. caudalis lui procure un avantage et lui permette d’occuper en
premier les sites de reproduction favorables. Cette compétition a déjà été observée sur les
lagunes de Gironde (JOURDAIN, com. pers.), et pourrait peut-être expliquer le « retour »
tardif des ♂ de L. albifrons sur l’étang de Joreau, intervenu en juillet à la fin de la
période de vol de L. caudalis.
Mesures de gestion applicables
La pérennité des populations de Leucorrhines de l’étang de Joreau repose sur deux
fondements essentiels : la préservation des habitats nécessaires au développement des
Odonates, et la création de sites de substitution favorables à la reproduction à proximité
du plan d’eau principal (sites de report en cas de vidange).
Il apparaît clairement que les herbiers aquatiques jouent un rôle primordial dans la
diversité d’Odonates vivant sur l’étang de Joreau. Ces habitats aquatiques singuliers qui
tapissent une très large partie du fond de l’étang offrent des conditions de vie essentielles
à la survie des larves. L’entrelacs de leurs filaments constitue un écran impénétrable pour
de nombreux poissons, et garantit aux larves des deux espèces une survie optimale durant
leur développement, ceci malgré la présence avérée de nombreux poissons carnassiers
telle la Perche soleil Lepomis gibbosus (Linnaeus 1758). Dans le maintien des zones de
développement larvaire intervient donc en premier lieu la protection stricte de ces
herbiers, à travers l’interdiction des arrachages mécaniques et des traitements chimiques.
En l’absence de perturbation biologique (eutrophisation) ou chimique (pollution agricole
ou industrielle), ces formations végétales sont relativement stables. Leur développement
près des berges est également essentiel pour les Leucorrhines, c’est pourquoi les zones de
pêche ne peuvent s’étendre au-delà de la limite fixée actuellement, sous peine de voir se
multiplier les arrachages sauvages en pied de berge. Conjuguée à la proximité d’une
Tome 27, fascicule 2, décembre 2011 93

ceinture végétale bien ensoleillée et abritée du vent, la présence de ces herbiers est un
élément déterminant dans le choix d’un territoire pour les ♂ de Leucorrhines.
Une gestion adaptée doit être apportée aux berges des queues d’étang afin de
contrôler le développement des hélophytes d’une part, et d’améliorer leurs capacités
d’accueil pour les Leucorrhines d’autre part. L’installation de souches d’arbres morts
disposées sur les berges augmenterait par exemple l’attractivité de certaines zones,
comme cela a été expérimenté dans les lagunes de Gironde vis-à-vis de L. albifrons
(JOURDAIN com. pers.). La présence des saules en bordure de la presqu’île demeure
favorable aux Odonates en fournissant des supports de pose, des abris et une protection
contre le vent.
Enfin, malgré toutes ces préconisations, il demeure essentiel de proposer la création
de nouvelles zones humides favorables pour offrir en particulier de nouveaux sites de
reproduction potentiels pour les Leucorrhines. La constitution d’un réseau de sites
utilisés pour la reproduction renforce la pérennité des populations isolées en permettant
aux individus de se reporter sur des sites-refuges en cas de perturbation importante du
site actuel (COTREL et al., 2007). Des expériences concluantes ont par exemple été
menées en Brenne (MALE-MALHERBE, com. pers.).

Conclusion
Ces recherches auront permis d’apporter des éléments nouveaux sur l’écologie d’un
des genres les plus sensibles de l’entomofaune angevine, en s’appuyant sur une double
approche scientifique et naturaliste indispensable à la définition de mesures de gestion
cohérentes. Ce travail met en évidence les habitats essentiels au développement de ces
espèces et à l’accomplissement complet de leur cycle de vie. L’équilibre fragile qui
semble s’être instauré depuis la dernière vidange complète de l’étang, effectuée il y a
plus d’une cinquantaine d’années, a permis le développement d’habitats aquatiques à
l’origine d’une diversité faunistique singulière.
Le maintien de la valeur écologique du site peut s’avérer compatible avec une
fréquentation touristique régulière et des pratiques piscicoles de loisir. Une attention
particulière doit néanmoins être apportée aux empoissonnements qui ne doivent en aucun
cas faire appel à des espèces exotiques phytophages (Amours blancs Ctenopharyngodon
idella, Carpes koï Cyprinus carpio), qui provoqueraient à la fois la disparition des
massifs d’hydrophytes et l’augmentation de la turbidité.
Les préconisations détaillées figurant dans le schéma de gestion proposé au terme de
cette étude permettront d’accompagner efficacement cette démarche de mise en valeur du
site, en proposant les outils scientifiques et techniques indispensables. Ces modalités de
gestion portent sur la création de mares périphériques en milieu semi-forestier et sur
l’amélioration des capacités d’accueil pour les Leucorrhines et pour la biodiversité
globale du site. L’avenir des espèces les plus emblématiques de cette zone humide
s’avère également indissociable des modes de gestion à la fois forestiers et agricoles mis
en œuvre autour de l’étang.
Cette étude sur l’écologie des Leucorrhines s’inscrit entièrement dans le cadre des
actions préconisées par le Plan National d’Action Odonates (DUPONT, 2009). La
94 Martinia

déclinaison régionale du plan devrait venir soutenir l’ensemble de ces initiatives en leur
assurant un appui technique et financier.

Remerciements
Nous souhaitons remercier tous ceux qui ont pris part à cette étude et qui ont
contribué à améliorer nos connaissances sur les Leucorrhines angevines. Nous
remercions le PNR Loire-Anjou-Touraine par l’intermédiaire de Samuel Havet, qui s’est
comme nous largement impliqué dans cette étude. Nous tenons également à remercier
l’ensemble des gestionnaires, chargés d’études et référents contactés sur la thématique
Leucorrhines en France et en Suisse, et qui ont accepté de nous communiquer des
données sur ces espèces dans leur région.

Travaux cités
[BARDET O. & HAUGUEL J.-C., 2003. Contribution à l’écologie de la Leucorrhine à large queue
(Leucorrhinia caudalis) et de la Leucorrhine à gros thorax (Leucorrhinia pectoralis) dans les
marais de la Souche (Aisne - France). Conservatoire des sites naturels de Picardie, 20 pp.]
[COTREL N., GAILLEDRAT M., JOURDE PH., PRECIGOUT L., PRUD’HOMME E., 2007. Liste Rouge
des Libellules menacées du Poitou-Charentes. Statut de conservation des Odonates et priorités
d’actions. Poitou-Charentes Nature, Fontaine-le-Comte, 48 pp.]
[DOMMANGET J.-L., PRIOUL B., GAJDOS A. & BOUDOT J.-P., 2008. Document préparatoire à une
Liste Rouge des Odonates de France métropolitaine complétée par la liste des espèces à suivi
prioritaire. Société française d’Odonatologie (Sfonat). Rapport non publié, 47 pp.]
[DUPONT P., 2009. Plan national d'actions en faveur des Odonates. Document de travail (décembre
2009). OPIE, MEEDD. 115 pp.]
DUREPAIRE P., 1992. Etude de la population de Leucorrhinia caudalis sur la réserve naturelle du
Pinail. Association de gestion de la Réserve naturelle du Pinail (GEREPI), Vouneuil-sur-
Vienne, 30 pp.
GRAND D. & BOUDOT J.-P., 2006. Les Libellules de France, Belgique et Luxembourg. Biotope,
Mèze, Collection Parthenope, 480 pp.
HEIDEMANN H. & SEIDENBUSCH R., 2002. Larves et exuvies des libellules de France et
d'Allemagne (sauf de Corse). Société française d’Odonatologie, Bois-d’Arcy, France. 415 pp.
KALKMAN V.J., BOUDOT J.-P., BERNARD R., CONZE K.-J., DE KNIJF G., DYATLOVA E., FERREIRA
S., JOVIC M., OTT J., RISERVATO E., SAHLEN G., 2010. European Red List of Dragonflies.
Publications Office of the European Union, Luxembourg. 40p.
[MALE-MALHERBE E., 2009. Les populations de Leucorrhines à large queue Leucorrhinia caudalis
du département de l’Indre. Compléments et synthèse générale 2006 à 2008. RN de Chérine,
CERCOPE, DIREN Centre, LPO, 56 pp.]
MAUERSBERGER R. & HEINRICH D., 1993. Zur Habitatpräferenz von Leucorrhinia caudalis
(Charpentier) (Anisoptera: Libellulidae). Libellula 12: 63-82.
STERNBERG K., HÖPPNER B., SCHIEL F.-J., RADEMACHER M., 2000. Leucorrhinia caudalis
(Charpentier, 1840). In: STERNBERG, K. & BUCHWALL, R. (Hrsg.): Die Libellen Baden-
Württembergs, Band 2. Ulmer, Stuttgart : 391-403.
TROCKUR B. & DIDION, A.,1999. Fortpflanzungsnachweise der Zierlichen Moosjungfer,
Leucorrhinia caudalis CHARPENTIER, 1840 im Moseltal. Abhandlungen der Delattinia 25:
57-66.
____________________
Tome 27, fascicule 2, décembre 2011 95

Sympetrum pedemontanum (Allioni, 1766) nouveau


pour les départements de la Loire et de la Haute-Loire,
et sites majeurs pour S. depressiusculum (Selys, 1841)
dans ces deux départements
Par André ULMER
Le Colombier, F-42140 - Chazelles-sur-Lyon ; <andre.ulmer@free.fr>

Reçu le 28 novembre 2010 / Revu et accepté le 4 décembre 2011

Mots-clés : SYMPETRUM PEDEMONTANUM, S. DEPRESSIUSCULUM, LOIRE,


HAUTE-LOIRE.
Key-words: SYMPETRUM PEDEMONTANUM, S. DEPRESSIUSCULUM, LOIRE
DEPARTMENT, HAUTE-LOIRE DEPARTMENT.

Résumé : L’article relate la découverte de Sympetrum pedemontanum,


espèce nouvelle pour les départements de la Loire et de la Haute-Loire. S.
depressiusculum a également été observé en nombre. Des éléments
indiquent la reproduction très probable des deux espèces. L’importance de
ces observations au niveau local est discutée.
Sympetrum pedemontanum (Allioni, 1766) new to the Loire and Haute-
Loire departments, and important sites for S. depressiusculum (Selys,
1841) in both departments.
Summary: This paper deals with the discovery of Sympetrum
pedemontanum, which is new to the Loire and the Haute-Loire departments.
Numbers of S. depressiusculum were also present. Some observations
indicate that the breeding of both species is highly probable. The importance
of these findings at a local scale is discussed.
____________

Introduction
Le 20 juillet 2006, sur la commune de Saint-Maurice-en-Gourgois, dans le
département de la Loire, lors de relevés portant sur les Orthoptères dans une prairie de
fauche, j’ai été surpris par la présence de nombreux Odonates. Ceux-ci voletaient ou
simplement se prélassaient au soleil. Il s’agissait principalement de Sympetrum, parmi
lesquels j’ai rapidement remarqué la présence de quelques individus des deux sexes de S.
pedemontanum (Allioni, 1766), espèce encore jamais citée dans le département, et de
plusieurs dizaines de S. depressiusculum (Selys, 1841). Ce dernier est classé comme très
rare dans le département de la Loire, où il a été redécouvert en 2002 (GRPLS). S.
depressiusculum est donné comme EN (en danger d’extinction) et S. pedemontanum
comme CR (en danger critique d’extinction) dans la liste rouge des Odonates de la Loire
96 Martinia

(DELIRY et al., 2008). Le premier est considéré VU (vulnérable) dans la liste rouge
européenne (KALKMAN et al., 2009).
Suite à la découverte de ces espèces à enjeu local fort, nous avons, avec l’appui du
Syndicat Mixte d’Aménagement des Gorges de la Loire, jugé nécessaire d’effectuer une
recherche des lieux d’émergence de cette espèce dans cette zone en 2007 et 2008.

Matériel et méthodes
En 2007, j’ai recherché les zones de reproduction de Sympetrum pedemontanum et,
dans un premier temps, j’ai prospecté l’ensemble des vallons descendant sur la rive
gauche ainsi que les zones de plateaux afin de chercher des sites potentiels. J’ai aussi
longé les rives du fleuve à pied, lorsque cela était possible. Une prospection partielle du
plan d’eau a été faite en barque.
Ces prospections m’ont permis de découvrir deux secteurs où les deux espèces
étaient présentes, parfois en nombre pour S. depressiusculum. Ces deux sites sont situés à
environ 420 mètres d’altitude, dans un méandre de la Loire, sur la commune d’Aurec en
Haute-Loire, au lieu-dit Semène, ainsi que sur les rives de ce même fleuve au niveau de
Saint-Paul-en-Cornillon, dans le département de la Loire.
Distants d’environ 1,5 km l’un de l’autre, ils sont situés en queue de la retenue du
barrage de Grangent et sont soumis au fort marnage lié au fonctionnement de ce
complexe hydroélectrique. On trouve les deux espèces dans les roselières riveraines,
(code CORINE 53.1) et dans les ourlets riverains mixtes (code CORINE 37.715). Les
roselières sont dominées par des espèces comme la Baldingère (Phalaris arundinacea L.)
et les Massettes (Typha latifolia L.), tandis que dans les ourlets riverains mixtes on
trouve des espèces comme la Salicaire (Lythrum salicaria L.), la Balsamine de
l'Himalaya (Impatiens glandulifera Royle), ou encore le Liseron des haies (Calystegia
sepium L.).
Ces milieux sont situés sous l’eau une grande partie de l’année. A partir du 15
septembre, la baisse du niveau du barrage liée à l’exploitation électrique de la retenue
fait apparaître de grandes plages.
Tome 27, fascicule 2, décembre 2011 97

Figure 1. Localisation des sites à Sympetrumdepressiusculum et S. pedemontanum dans le secteur de St-


Paul-en-Cornillon.

Figure 2. Site de Saint Paul en Cornillon, le 7 septembre 2008 (cliché : A. Ulmer).


98 Martinia

a b
Figure 3. Site d’Aurec ; a) le 31 août, b) le 15 octobre 2007

Résultats
Depuis la localisation des sites (CORBIN & ULMER, 2007a) jusqu’en 2010, nous
avons réalisé deux à quatre passages par an. Ils ont été effectués, entre fin juin et mi
octobre, sur les secteurs des bords du fleuve Loire identifiés en 2007 ainsi que sur ceux
où la rive possède un ourlet de végétation de roselière. En 2007, nous n’avons pu
apporter la preuve certaine de reproduction de S. pedemontanum (CORBIN & ULMER,
2007b). Ce n’est qu’en 2008, 2009 et 2010 que nous avons rencontré des individus
fraîchement émergés (ténéraux), à peine volant, qui indiquent la reproduction fort
probable des deux espèces dans les deux sites. On peut aussi noter l’importance des
stations avec l’observation de plus de cent individus pour chacun des sites pour S.
depressiusculum. S. pedemontanum est, quant à lui, beaucoup moins abondant. Le site de
Saint-Paul-en-Cornillon semble moins favorable à cette dernière espèce. Sur ce site, en
2007, le seul individu de l'espèce rencontré a été tué sous mes yeux par un frelon.
En 2010, sur le même site, j'ai pu observer un tandem composé d'un ♂ de S.
depressiusculum et d'une ♀ de S. pedemontanum.

Discussion
La synthèse des connaissances sur ces deux espèces dans les deux départements et les
deux régions concernés permet de connaître leur statut local.
Auvergne et Haute-Loire
Dans la liste régionale des Odonates établie par la SFO Auvergne en 2007, S.
depressiusculum est cité comme peu fréquent en région Auvergne. Dans le département
de la Haute-Loire, l'espèce aurait été observée en 2005 ou 2006 par la LPO Auvergne et a
été observée en 2008 par Alain Giraud à Bas-en-Basset (com. pers.). Elle est considérée
comme disparue ou non revue par DOMMANGET (1987), BRONNEC (2006) et GRAND et
BOUDOT (2006) dans les départements du Puy-de-Dôme et de l’Allier. Cette espèce est
inscrite en liste rouge régionale comme espèce en danger d’extinction.
D’après la liste régionale 2007, S. pedemontanum était jusqu’à présent inconnu en
région Auvergne.
Tome 27, fascicule 2, décembre 2011 99

Loire et Rhône-Alpes
En Rhône-Alpes, aucune de ces deux espèces n’a été citée dans le département de la
Loire par BRUGIERE en 1999. Ensuite, GRAND et BOUDOT (2006), puis DELIRY (2008),
se fondant sur des données récentes, mentionnent la présence actuelle de S.
depressiusculum dans le département de la Loire, où il avait déjà été cité au XIXe siècle
(DOMMANGET, 1987).
Sympetrum depressiusculum est considéré comme disparu du Rhône (dernière donnée
1978) (GRAND, 2004) et est classé comme vulnérable dans la Liste Rouge de l’Ardèche
(FATON in DELIRY, 2008). Il figure en Liste Orange Rhône Alpes comme espèce rare. Il
semble montrer quelques déplacements et des observations ponctuelles ont été
enregistrées dans les années 2000, tant en Isère, qu’en Savoie et qu’en Haute-Savoie. Il
s’agissait systématiquement d’individus isolés. Dans la Loire, il a été redécouvert en
2002, puis retrouvé par Stéphane PISSAVIN (2003), avec 7 individus dans 4 communes.
Sympetrum pedemontanum est quant à lui connu en Ardèche et dans la Drôme. Il
semble également montrer quelques déplacements et des observations ponctuelles
d’individus isolés ont également été enregistrées dans les années 2000 en Isère, en Savoie
et en Haute-Savoie.
Il est classé VU en Liste rouge régionale de Rhône Alpes.
La découverte de ces deux sites a permis d’ajouter deux espèces à la liste des
Odonates de Haute-Loire et une à la région Auvergne, ainsi qu’une espèce pour le
département de la Loire. Il faut cependant noter l’importance de la population de
Sympetrum depressiusculum. Ces deux sites de reproduction révèlent leur très grande
importance (plus de 250 individus dénombrés au total en août 2008). Cette espèce est
inscrite au Plan National Odonates et est en Liste Rouge Européenne.
D’après Cyrille Deliry (com. pers.), c’est très probablement le marnage, avec mise en
eau estivale et étiage en intersaison, qui est favorable à ces deux espèces qui,
paradoxalement, doivent leur présence à des conditions de mise en eau inverses de celles
qui découleraient des rythmes saisonniers naturels. Il nous semble important de suivre
ces populations afin de bien appréhender tous les enjeux de conservation de ces deux
sites majeurs, en considérant leur fonctionnement, lié à celui du complexe
hydroélectrique de Grangent.

Remerciements
Je tiens à remercier Bruno Gillard et Alain Giraud de la SFO Auvergne, pour leurs
informations auvergnates, Cyrille Deliry du GRPLS pour celles de Rhône Alpes ainsi que
Sébastien Arnaud et Nelly Weber du SMAGL pour leur appui pour l’établissement des
campagnes. Un merci particulier à Yoann Boeglin, pour les relevés botaniques et à
Elodie Calonnier, Diane Corbin et Mickael Villemagne de la FRAPNA Loire, pour leur
appui lors des campagnes de relevés.

Travaux cités
[BRONNEC F., 2006. Cartographie des Odonates du Puy-de-Dôme. Société d’Histoire
naturelle Alcide-d’Orbigny, <www.shnao.net>].
100 Martinia

BRUGIERE D., 1999. Pré inventaire des Odonates du département de la Loire. Martinia,
15 (2) : p 47-53.
[CORBIN D., ULMER A. (FRAPNA Loire), 2007a. Site Natura 2000 (L 12) des Gorges de
la Loire, prospections entomologiques et botaniques 2006. SMAGL, 42 pages plus
annexes.]
[CORBIN D., ULMER A. (FRAPNA Loire), 2007b. Site Natura 2000 (L 12) des Gorges de
la Loire, prospections entomologiques et botaniques 2007. SMAGL, 49 pp + Ann.]
DELIRY C. (coord), 2008. Atlas illustré des libellules de la région Rhône-Alpes. Éditions
Biotope, Collection Parthénope, Mèze, 408 pp.
DOMMANGET J.-L., 1987. Etude faunistique et bibliographique des Odonates de France.
Muséum National d'Histoire Naturelle, Paris. 283 pp.
GRAND D., 2004. Les libellules du Rhône. Muséum de Lyon, 256 pp.
GRAND D. & BOUDOT J.-P., 2006. Les Libellules de France, Belgique et Luxembourg.
Éditions Biotope, Collection Parthénope, Mèze, 480 pp.
KALKMAN V.J., BOUDOT J.-P., BERNARD R., CONZE K.-J., DE KNIJF G., DYATLOVA E.,
FERREIRA S., JOVIC M., OTT J., RISERVATO E. & SAHLEN G., 2009. European Red
List of Dragonflies. IUCN, Gland, Switzerland & Cambridge, United-Kingdom &
Office for Official Publications of the European Communities, Luxembourg, 28 pp.
<http://ec.europa.eu/environment/nature/conservation/species/redlist/downloads/Eur
opean_dragonflies.pdf>
PISSAVIN S., 2003. Rapport de prospections, département de la Loire, 2003. GRPLS, 9
pp.
[SFO AUVERGNE, 2007. Liste des Odonates d’Auvergne version IV. Société française
d’Odonatologie, délégation Auvergne, version 4, 3 pp.].

____________________
Tome 27, fascicule 2, décembre 2011 101

Nouvelles découvertes de Boyeria irene


(Fonscolombe, 1838) en Champagne-Ardenne et
premières mentions pour le département de la Marne
(Odonata, Anisoptera : Aeshnidae)
Par Jean-Luc LAMBERT1 et Vincent TERNOIS2 (coord.)
1
Onema - Service départemental de la Marne F-51520 La Veuve ; <sd51@onema.fr>
2
CPIE du Pays de Soulaines, Domaine de Saint-Victor F-10200 Soulaines-Dhuys ;
<cpie.vincent.ternois@wanadoo.fr>

Reçu le 27 avril 2011 / Revu et accepté le 21 novembre 2011

Mots clés : ODONATES, FAUNISTIQUE, BOYERIA IRENE, CHAMPAGNE-


ARDENNE
Key words : ODONATA, FAUNISTIC, BOYERIA IRENE, CHAMPAGNE-ARDENNE
Résumé : Boyeria irene (Fonscolombe, 1838) est une acquisition récente de
l’odonatofaune de Champagne-Ardenne. La première observation de
l’espèce semble dater de 1995 dans l’Aube. Suspectée en 2004 dans la
Marne, redécouverte en 2006 dans l’Aube puis citée pour la première fois en
2007 dans la Haute-Marne, cette espèce a vu ces dernières années les
observations la concernant s’accroître dans la région, ce qui suggère la
présence de foyers de populations bien implantés. Suite à la découverte de
données IBGN non publiées, des prospections spécifiques ont été conduites
en 2010 pour vérifier leur validité. Les campagnes de prospection ont non
seulement permis de valider ces données historiques, mais aussi de
découvrir de nouvelles stations. Les auteurs présentent les conditions de ces
découvertes et actualisent la carte de répartition de l’espèce pour la région.
New discoveries of Boyeria irene (Foscolombe, 1838) in the Champagne-
Ardenne region and first mentions for the Marne department (Odonata,
Anisoptera: Aeshnidae).
Summary: Boyeria irene (Fonscolombe,1838) is a recent acquisition of
Odonata distribution in the French Champagne-Ardenne region. The first
observation of this species seems to date back from 1995, in the Aube
department. During the last decade, the species was suspected to be present
in the Marne department in 2004, was rediscovered in the Aube department
in 2006 and was mentioned for the first time in the Haute-Marne in 2007.
Observations have increased in the region during the past few years,
suggesting the presence of well established populations. When unpublished
IBGN data (equivalent to BMWP in the UK) were discovered, targeted
prospections were organized in 2010, with the aim to check their reliability.
These field investigations not only confirmed these historical data, but also
allowed us to discover new localities. The authors present the conditions in
which B. irene was discovered and update its distribution map in the region.
____________
102 Martinia

Préambule
Boyeria irene (Fonscolombe, 1838) est une espèce de répartition atlanto-
méditerranéenne (ou pan ouest-méditerranéenne – GRAND & BOUDOT, 2006). En France,
il est commun en région méditerranéenne et en Aquitaine, puis se raréfie vers le nord. Il
est globalement absent au nord d’une ligne reliant le Calvados à la Franche-Comté.
Sa présence en région Champagne-Ardenne semble récente. Il a été découvert en
septembre 2006 en bordure de l‘Aube à Lesmont, au sein du Parc naturel régional de la
Forêt d’Orient (TERNOIS & EPE, 2007). Alors que nous pensions à l’époque avoir à faire
à la toute première donnée régionale, il nous a été communiqué depuis trois données
auboises antérieures, données qui n’avaient pas été publiées à l’époque. Boyeria irene
avait, en effet, été déjà observé le 12 juin 1995 à Bar-sur-Aube (2 larves - S. Potel, com.
pers.) et le 3 septembre 1997 sur l’Ardusson à Saint-Aubin (1 larve - Y. Séchure, com.
pers.). L’espèce a été observée à nouveau sur ce dernier cours d’eau, à Ferreux-Quincey,
en 2005 (1 larve - Y. Séchure, com. pers.). On notera que sa présence était fortement
suspectée dans le département de la Marne dès 2004 sur la Superbe à Pleurs (JLL) mais,
en l’absence de capture d’un imago observé en vol, cette donnée avait été provisoirement
mise de côté.
A compter de 2007, suite à une nouvelle découverte de l’espèce sur la Renne, à
Montheries, en Haute-Marne (TERNOIS, 2008), les auteurs se sont attachés à préciser le
statut de l’espèce dans la région. Il convenait de vérifier la validité des données
historiques et de préciser le statut de cette espèce discrète. Cet article présente les
principaux résultats collectés en 2009 et 2010 en région Champagne-Ardenne.

Premières mentions pour le département de la Marne


Le 8 septembre 2004, sur la commune de Pleurs, un Aeshnidae est brièvement
observé par l’un d’entre nous (JLL) le long de la Superbe. L’insecte passe rapidement en
vol puis disparaît sous le couvert de la ripisylve sans se laisser capturer. Il est aux
environs de 16 h 30 et après une quinzaine de minutes d’attente, l’insecte ne sera pas
revu. L’observation, bien que furtive, a permis de discerner quelques détails anatomiques
et comportementaux : l’Aeshnidae, de couleur vert sombre et de taille moyenne, volait le
long des berges ombragées du cours d’eau avant de prendre de l’altitude et de
s’engouffrer dans les arbres bordant la rivière. L’auteur pense immédiatement à B. irene,
puis se ravise aussitôt car cette idée lui paraît saugrenue, la présence de l’espèce n’étant
pas encore documentée dans la région (première donnée Sfo collectée en 2006 – TERNOIS
& EPE, 2007). Pourtant, en observant le milieu, la rivière et ses potentialités d’habitats, la
présence de B. irene apparaissait tout à fait possible.
Cette anecdote va éveiller la curiosité de l’observateur et le pousser à être
particulièrement attentif à la présence éventuelle de B. irene sur des milieux semblant
suffisamment accueillants. Les années suivantes, il s’attache alors à rechercher la
présence de populations sur quelques rivières marnaises aux eaux plus ou moins
courantes et ombragées, où les ripisylves d’aulnes et de saules développent sur les rives
des systèmes racinaires immergés conséquents : la Saulx, le Puits, la Planche Coulon,
l’Ornain, l’Isson, la Guenelle, la Droyes, la Chée, le Cavé, la Bruxenelle, l’Aisne...
Tome 27, fascicule 2, décembre 2011 103

Les prospections ont eu lieu essentiellement de juin à septembre et ont consisté à


rechercher les exuvies sur les berges (mi-juin à fin août), les imagos (début juillet à fin
septembre) ou les larves à différentes périodes de l’année. Il faut également préciser
qu’elles n’ont fait l’objet d’aucun protocole particulier, notamment au niveau du temps
consacré aux recherches et aux linéaires de berge prospectés. En effet, ces prospections
n’entrant pas dans le cadre d’une étude précise, elles n’ont pu être menées qu’au coup
par coup, en fonction du temps disponible et d’opportunités de déplacement.
Douze cours d’eau marnais ont ainsi pu bénéficier d’investigations entre 2006 et
2009. Dix-neuf communes ont été concernées et 22 espèces ont été observées. Il a fallu
attendre le 16 juillet 2009 pour que des exuvies de B. irene soient découvertes sur les
rives de la Superbe à Pleurs, en amont immédiat du lieu de l’observation de septembre
2004. Onze exuvies ont alors été récoltées sur 800 mètres de rives (400 m en rive droite +
400 m en rive gauche), prospectées à deux observateurs, à pied et depuis le cours de la
rivière, soit environ une tous les 75 mètres. Aucun imago n’a été observé ce jour-là,
malgré des conditions adéquates d’horaire, d’ensoleillement et de température
suffisamment élevées et stables depuis plusieurs jours.

Autres observations en 2009


Le 11 juin 2009, dans le cadre de prospections en canoë visant à rechercher des
exuvies d’Oxygastra curtisii (Dale, 1834) dans la vallée de la Voire, une émergence de
B. irene est observée sur la commune de Lentilles, dans l’Aube (TERNOIS et al., 2009).
L’individu émergeant est découvert en milieu de matinée sur un petit prunellier enraciné
sur la rive. A cet endroit, la berge est relativement haute et le système racinaire
pratiquement absent (secteur peu favorable à O. curtisii). L’individu est à l’aplomb de
l’eau et à environ 1 mètre de la surface.

La récolte de cette exuvie, puis celles de Pleurs en juillet, met définitivement un


terme à l’ambigüité de l’autochtonie de l’espèce dans la région, les données historiques
de l’Aube et de l’Ardusson n’ayant pas encore été confirmées cette année-là.

a b

Figures 1. Détails de l’exuvie de B. irene récoltée sur les rives de la Voire le 11 juin 2009 ; a) tête et
thorax, b) abdomen (clichés : V. Ternois).
104 Martinia

Prospections spécifiques en 2010


L’espèce est réputée discrète à l’état imaginal et détecter sa présence peut prendre un
certain temps. A la fois diurnes, crépusculaires et même nocturnes, les adultes partagent
leur période d’activité en différentes phases de vol entrecoupées de longs temps de repos
pendant lesquels leur pattern cryptique les rend pratiquement invisibles. Les observations
d’imagos de B. irene dans l’Aube, la Marne ou la Haute-Marne, même si elles résultent
de conditions fortuites, restent très rares et ne concernent qu’un individu à chaque fois,
exceptionnellement deux. Ces constats laissent supposer que les populations présentent
des effectifs plutôt faibles, et leur détection doit donc nécessiter un effort particulier de
prospection qui n’a semble-t-il jamais été réalisé à l’échelle de la région. Par contre, les
larves de dernier stade présentent des caractéristiques typiques et sont facilement
identifiables. Nous décidons alors de consulter les relevés taxonomiques des IBGN
réalisés par la DREAL Champagne-Ardenne dans la région durant les vingt dernières
années afin de rechercher d’éventuelles données qui n’auraient pas été communiquées
aux odonatologues locaux.
Il s’avère que le genre Boyeria apparaît dans trois relevés IBGN (source : DREAL) :
une donnée a été obtenue sur l’Aube à Baudement dans la Marne le 21 juillet 2009, une
deuxième l’a été sur la Blaise à Wassy le 29 juillet 2008 et la troisième l’a été sur la
Laignes à Balnot-sur-Laignes, cours d’eau situé dans le sud du département de l’Aube, le
4 août 2009. L’indigence de ces résultats s’explique d’une part par la rareté objective de
ce taxon en région Champagne-Ardenne, et d’autre part par le fait que dans les
protocoles standardisés de type IBGN, l’identification du matériel prélevé s’arrête
souvent à la famille. Ainsi, les différents types de formulaires fournis aux déterminateurs
n’incitent pas toujours ces derniers à préciser le genre dans la famille des Aeshnidae. Il
faut également préciser que la clé de détermination des invertébrés d’eau douce
(TACHET, 2006 et antérieurs), utilisée par les hydrobiologistes en charge d’analyser les
échantillons de prélèvement, est sujette à confusion pour le genre Boyeria. Ces quelques
résultats sont donc à prendre avec beaucoup de précaution et doivent être vérifiés.
Le 7 juillet 2010 une sortie a été organisée sur l’Ardusson en compagnie d’Y.
Séchure (Onema) pour confirmer les observations de 1997 et 2005. Très rapidement, 4
exuvies ont été collectées sur la commune de Ferreux-Quincey (1 sous un pont et 3 sur
un Aulne). Par contre, les recherches se sont révélées infructueuses à Saint-Aubin (milieu
peu favorable) et Saint-Loup-de-Buffigny (assez favorable : chevelus racinaires très
présents mais lame d’eau peu importante).
Dès le lendemain, des investigations étaient engagées sur la Laignes. Sept exuvies
étaient rapidement découvertes à hauteur de la station IBGN de Balnot-sur-Laignes, dont
2 sous un pont et 5 sur des rejets d’Aulne glutineux, ainsi que sur d’autres tronçons du
cours d’eau. Au final, l’espèce était notée sur 5 des 9 sites échantillonnés, en
l’occurrence sur les communes de Balnot-sur-Laignes (2 sites) et des Riceys (3 sites).
Considérant ces premiers résultats encourageants, les prospections ont été étendues le
même jour sur l’Ource voisine. Une nouvelle fois, des exuvies étaient découvertes sous
les ponts ou à proximité, à Loches-sur-Ource (1 site) et à Verpillière-sur-Ource (1 site).
Le 9 juillet, les recherches étaient dirigées sur la vallée du Rognon, en Haute-Marne.
Aucune exuvie n’a été découverte sur la partie amont du cours d’eau, de Lanques-sur-
Tome 27, fascicule 2, décembre 2011 105

Rognon à Forcey. Finalement, une exuvie a été collectée sous un pont en aval de
Bourdons-sur-Rognon, confirmant la présence de l’espèce sur ce cours d’eau également.
Par la suite, 5 autres exuvies ont été collectées en aval d’un second pont, distant de
500 m mais toujours situé sur le finage de Bourdons-sur-Rognon. On notera que 5 ♂
adultes et 3 exuvies ont été observés sur ce second site le 19 juillet (D. Druart, com.
pers.). La poursuite des recherches menées en aval, de Cirey-les-Mareilles à
Doulaincourt-Saucourt, s’est révélée infructueuse.
Boyeria irene avait été découvert sur la Renne en 2007 (TERNOIS, 2008). Des imagos
y avaient été observés à nouveau en 2008 et 2009, mais, en l’absence d’une présence
régulière tout au long de la saison, aucune preuve fiable de reproduction n’avait pu être
mise en évidence. Le 10 juillet 2010, une recherche d’exuvies a donc été entreprise sur le
secteur supposé favorable, mais sans succès. Pourtant, le 3 août, 2 imagos volent comme
les années précédentes dans la cour d’une ancienne ferme. Des individus y sont encore
observés les 7 (2 imagos) et 13 août (1 imago)…
Deux exuvies sont ensuite découvertes le 20 juillet 2010 sur la commune de Saint-
Loup-sur-Aujon (D. Druart, com. pers.). Puis l’espèce est identifiée sur ce même cours
d’eau le 2 août avec la collecte d’exuvies à Cours-l’Evêque (1 exuvie sous le pont du
village) et Aizanville (4 exuvies collectées sur un Aulne). Ce jour-là, quelques
recherches étaient également réalisées sur le secteur amont des vallées de l’Aube et de
l’Ource. Prospections fructueuses, puisque des exuvies étaient trouvées à Aubepierre-sur-
Aube et à Dancevoir. L’espèce ne semble par contre pas présente à la source de l’Aube,
l’habitat y étant visiblement peu favorable (systèmes racinaires très peu développés).
Boyeria irene a également été observé sur la partie haut-marnaise de l’Ource (déjà
identifiée sur la partie auboise le 8 juillet) par la découverte d’une ♀ adulte à Colmier-le-
Bas. Posée sur les parois d’un pont, elle s’est envolée puis a commencé à pondre dans la
mousse située à la base du pont.
Le 4 août, de nouvelles investigations étaient menées sur le dernier secteur haut-
marnais non encore couvert de l’Aube, en particulier depuis Silvarouvres à Longchamp-
sur-Aujon. Bien que les prospections aient été plus difficiles (hauteur d’eau plus
importante limitant l’accès aux piliers des ponts), une exuvie était collectée sous le pont
de Silvarouvres et 5 autres sous le pont d‘Outre-Aube, sur la commune de Longchamp-
sur-Aujon.
Des recherches ont également été menées sur la Blaise. Les prospections réalisées le
15 juillet 2010 de Wassy à Ville-en-Blaisois puis le 4 août de Lachapelle-en-Blaisy à
Cirey-sur-Blaise n’ont pas permis de découvrir d’exuvie. Le cours d’eau semble moins
favorable à l’espèce, si ce n’est peut-être sur le tronçon intermédiaire, non prospecté
faute de temps (apparition de chevelus racinaires potentiellement favorables à Cirey-sur-
Blaise et Ville-en-Blaisois). Précisons toutefois que 2 larves ont été identifiées par le
passé sur ce cours d’eau d’après les relevés IBGN réalisés à Wassy le 29 juillet 2008
(source : DREAL).
Enfin, 3 imagos ont été découverts le 14 août 2010 sur l’Armance à Davrey (G.
Geneste, com. pers.). Suspectée la veille par l’observation d’un individu qui chassait sur
un parking en fin de journée, l’identité de l’espèce était confirmée le 14, tout d’abord par
l’observation d’un individu se posant sur une maison à la mi-journée, puis par la
106 Martinia

découverte de 3 individus posés au même endroit de 20 h à 22 h 30. Cette observation


n’est pas sans rappeler les observations d’individus prospectant le mur d’enceinte d’une
habitation à Lesmont en 2006, ou encore les observations annuelles réalisées dans un
corps de ferme à Montheries (TERNOIS & EPE, 2007 ; TERNOIS, 2008).

Répartition et biotopes

Figure 2. Synthèse des observations de Boyeria irene en région Champagne-Ardenne


(synthèse des données bibliographiques et personnelles).
Tome 27, fascicule 2, décembre 2011 107

L’espèce est visiblement attachée aux cours d’eau frais et ombragés de la moitié sud
de la région, dont les faibles variations des niveaux d’eau permettent un développement
de chevelus racinaires important. La plupart des exuvies collectées en dehors des ponts
l’ont été à hauteur d’Aulnes glutineux possédant un important chevelu racinaire. Les
exuvies sont alors fixées sur les petits rejets poussant à la base des souches, ou plus
exceptionnellement sur le tronc ou même en rétroversion sous des feuilles de rejets. Dans
bien des cas, lorsque les chevelus sont peu ou pas développés, aucune exuvie ne peut être
collectée.

a b

Figures 3. Aulne en rive de l’Ardusson sur lequel 3 exuvies de B. irene ont été récoltées entre 80 et 120
cm de hauteur le 7 juillet 2010 ; a) vue générale, b) détail du racinaire immergé apprécié des larves
(clichés : J.-L. Lambert).

Au droit des sites d’émergence, le cours d’eau se caractérise par des vitesses de
courant moyennes à modérées (plats courants) et le fond est bien souvent formé de blocs.
Les herbiers sont quant à eux absents. C’est principalement le cas sur le Rognon, la
Laignes, l’Ource, l’Aube et l’Aujon.
Quelques exceptions peuvent être notées, avec des émergences constatées sur des
saules, un frêne, une ronce, des branches mortes, un iris, des blocs d’enrochement de
berge, etc. La majeure partie des exuvies a été collectée au-dessus de l’eau et jusqu’à 20-
30 cm de la rive. En général, elles se trouvaient à des hauteurs comprises entre 40 et 80
cm, mais ces valeurs sont régulièrement plus importantes sous les ponts, avec des exuvies
jusqu’à 1 m 80 de hauteur.
On notera que les prospections se sont révélées infructueuses vers les sources de
l’Aube (secteur d’Auberive) et de la Blaise, où les chevelus racinaires sont pratiquement
inexistants. Sur le Rognon, B. irene a été trouvé uniquement sur le secteur le plus
ombragé et encaissé de la vallée. En amont, la rivière circule dans des secteurs ouverts
(prairies pâturées) peu favorables alors qu’en aval le cours d’eau est caractérisé par un
régime hydraulique très fluctuant (pertes régulières sur certains tronçons et crues
printanières importantes) limitant le développement de ces chevelus.
108 Martinia

Nb Hauteur Distance Milieu * (écoulements /


Date Commune Support
d’ex (cm) (cm) substrats dominants)
La Superbe
16/07/09 Pleurs (51) 11 Saule (5), Aulne (3), 40 à 120 200 à Plats courant et lentique,
enrochement (1), surplomb chenal lentique, mouille de
végétation herbacée (2) concavité / Blocs, pierres,
06/07/10 2 Embâcle d’Aulne (2) graviers, sables, limons
L’Ardusson
07/07/10 Ferreux- 4 Pont (1), Aulne (3) 80 à 120 0 ou Radier, plat courant / Blocs,
Quincey (10) surplomb pierres, graviers et sables

La Laignes
08/07/10 Les Riceys (10) 1 Aulne (1) 60 0 Plat courant / Graviers et
/ Site 1 sables, quelques herbiers
08/07/10 Les Riceys (10) 3 Aulne (3) 30 à 50 20 à 30 Plat courant, chenal lentique
/ Site 2 / Blocs, pierres et sables,
herbiers absents
08/07/10 Les Riceys (10) 9 Aulne (7), Iris (1), Frêne 20 à 120 60 à Plat courant / Blocs, pierres,
/ Site 3 (1) surplomb graviers, herbiers absents
08/07/10 Balnot-sur- 7 Pont (2), Aulne (5) 20 à 180 60 à 100 Plat courant / Blocs et
Laignes (10) / pierres, herbiers absents
Site 1
08/07/10 Balnot-sur- 3 Pont (1), branche morte 40 à 160 0 à 10 Plat courant / Blocs, pierres,
Laignes (10) / (1), Aulne (1) herbiers absents
Site 2
L’Ource
08/07/10 Loches-sur- 4 Pont (4) 50 à 110 25 à Plat courant / Blocs, pierres,
Ource (10) surplomb graviers, herbiers absents
08/07/10 Verpillières- 3 Pont (2), ronce (1) 70 à 110 surplomb Plat courant / Blocs, pierres,
sur-Ource (10) herbiers absents
02/08/10 Colmier-le-Bas 0 Pas d’exuvie. Une femelle pondant sur des Radier / Pierres, herbiers
(52) bryophytes à la base d’un pont absents

Le Rognon
09/07/10 Bourdons-sur- 1 Pont (1) 80 surplomb Radier / Blocs, pierres,
Rognon (52) / herbiers absents
Site 1
09/07/10 Bourdons-sur- 5 Aulne (5) 50 à 80 0 à 20 Plat courant / Blocs, pierres,
19/07/10 Rognon (52) / 3 Enrochement (2), Frêne (1) graviers, sables, herbiers
Site 2 absents
L’Aube
02/08/10 Aubepierre-sur- 1 Végétation herbacée (1) 60 surplomb Plat courant / Blocs, pierres,
Aube (52) herbiers présents
(renoncules)
02/08/10 Dancevoir (52) 1 Branche morte (1) 60 20 Plat courant / Pierres,
graviers, herbiers présents
(renoncules)
04/08/10 Silvarouvres 1 Pont (1) 40 surplomb Plat courant / Blocs, pierres,
(52) herbiers absents

04/08/10 Longchamp- 5 Pont (5) 160 à 0 Plat courant / Blocs (dalles),


sur-Aujon (52) 180 pierres, graviers, sables,
quelques herbiers présents
Tableau 1. Caractéristiques des sites d’émergence (et de ponte) identifiés en Champagne-Ardenne.
* d’après MALAVOI et SOUCHON (2002).
Tome 27, fascicule 2, décembre 2011 109

Nb Hauteur Distance Milieu * (écoulements /


Date Commune Support
d’ex (cm) (cm) substrats dominants)
L’Aujon
20/07/10 Saint-Loup-sur- 2 Frêne (2) 150 0 Plat courant / Blocs, pierres,
Aujon graviers
02/08/10 Cours-l’Evêque 1 Pont (1) 40 0 Plat courant / Limons
(52)
02/08/10 Aizanville (52) 4 Aulne (4) 50 à 70 0 à 50 Plat courant / Blocs, pierres,
herbiers absents
La Voire
11/06/09 Lentilles (10) 1 Prunellier (1) 80 surplomb Chenal lentique / Limons,
argiles

Tableau 1 (suite et fin).


* d’après MALAVOI et SOUCHON (2002).

Compte tenu de la distribution actuelle des données, il est possible que l’espèce soit
présente sur une grande partie de l’Aube et de la Seine, même si les micro-habitats
recherchés par B. irene y sont moins développés que sur les petits cours d’eau du sud de
la région. Les rivières du Barrois et du Tonnerois, avec leur régime hydraulique
particulier (faible marnage) sont certainement les secteurs les plus favorables à l’espèce.
Les effectifs les plus élevés semblent pour l’instant se trouver sur la Laignes.
Boyeria irene a été retrouvé sur la Superbe le 6 juillet 2010, date à laquelle deux
exuvies ont été récoltées à hauteur de la station de 2009. On notera que cette station
constitue à ce jour la seule population identifiée du département de la Marne malgré des
prospections menées depuis plusieurs années sur une douzaine de cours d’eau du sud de
ce département. A notre connaissance, c’est également le site le plus septentrional du
nord-est de la France où l’indigénat de cette espèce est actuellement certain. D’après J.-
P. Boudot (com. pers.), deux anciennes données datant de 1970 et 1976 et provenant de
naturalistes allemands font cependant état d’observations de larves de B. irene en
Lorraine sur la Meurthe au nord de Nancy. Ces observations n’ont jamais pu être
confirmées à l’époque et, depuis, des travaux lourds d’aménagements hydrauliques ont
profondément modifié les habitats de cette rivière, rendant improbable le maintien ou
l’installation de l’espèce sur ce secteur.

Espèces compagnes et formes


Dans bien des cas, la découverte de B. irene s’est accompagnée de la collecte de
nombreuses exuvies de Cordulegaster boltonii (Donovan, 1807) et l’observation
d’importants effectifs de Calopteryx virgo (Linnaeus, 1758). Ces deux espèces
confirment le caractère ombragé, frais et bien oxygéné des stations à B. irene. Si cela est
particulièrement vrai pour le sud de la région (où C. boltonii et C. virgo abondent), cela
s’est également confirmé sur l’Ardusson et la Superbe.
L’analyse d’un lot de 49 exuvies collectées sur les rivières du sud de la région
(Laignes, Ource, Aube, Rognon…) en 2010 a permis d’identifier 21 ♂ pour 28 ♀. Pour
ces dernières, la forme brachycerca y est prédominante avec 25 exuvies contre 3
seulement pour la forme typica. Les deux formes sont donc présentes en Champagne-
Ardenne.
110 Martinia

Période de vol
Selon HEIDEMANN & SEIDENBUSCH (2002), l’émergence de B. irene intervient dès la
mi-juin et se poursuit jusqu’au début du mois d’août. Dans le nord de la France, la
reproduction se déroule principalement en août et les imagos s’observent jusqu’aux tous
premiers jours d’octobre (GRAND & BOUDOT, 2006). Les données régionales sont
conformes à ces informations, puisqu’elles ont été enregistrées entre le 11 juin
(émergence sur la Voire à Lentilles) et le 23 septembre (1 imago sur la Renne à
Montheries).

12

10

6
Imagos

4 Exuvies

0
01-10 11-20 21-30 01-10 11-20 21-31 01-10 11-20 21-31 01-10 11-20 21-30
juin juin juin juil. juil. juil. août août août sept. sept. sept.

Figure 4. Phénologie de B. irene en Champagne-Ardenne. Synthèse des données collectées de 2006 à


2010 (exuvies et imagos ; N = 42).

Malgré les prospections spécifiques réalisées en 2010 sur des secteurs


particulièrement favorables, les premiers adultes (5 ♂) ont été observés le 19 juillet sur le
Rognon (D. Druart, com. pers.). Il n’y avait aucun imago actif sur ce même site le 9
juillet (VT). Il s’agit, pour l’instant, de la donnée d’un imago mature la plus précoce.
Les visites régulières du site de Montheries sur lequel des imagos sont observés
chaque année permettent d’apprécier la période de vol de l’espèce dans la région. Si les
prospections « exuvies » montrent que l’espèce peut émerger dès le début du mois de
juin, les premiers adultes ne sont véritablement actifs qu’à partir de la fin du mois de
juillet (du 4 août au 23 septembre en 2007, du 9 août au 7 septembre en 2008, du 30
juillet (immature) au 13 septembre en 2009 et du 3 août au 13 août en 2010). Ce résultat
implique une certaine discrétion de l’espèce pendant sa phase de maturation et un
décalage de l’ordre de 15 jours à 3 semaines entre l’émergence et le retour aux sites de
reproduction. Cela corrobore les éléments avancés par DELIRY (2008) pour la région
Rhône-Alpes. Par contre, les imagos sont particulièrement actifs en août et septembre,
même si la période de vol peut être parfois écourtée lors d’épisodes météorologiques
particulièrement défavorables (comme à la fin d’août 2010).
On retiendra que les prospections 2010, axées sur la collecte d’exuvies en juillet (7
juillet au 4 août), ont été particulièrement efficaces. C’est donc au cours de cette période
Tome 27, fascicule 2, décembre 2011 111

que les recherches d’exuvies doivent être programmées, alors que les observations
d’imagos seront plus faciles du mois d’août jusqu’aux tous premiers jours de septembre.

Discussion
L’évaluation du statut de B. irene en Champagne-Ardenne reste un exercice difficile.
La toute première donnée publiée dans le bilan du Programme INVOD (DOMMANGET et
al., 2002) s’est révélée être une erreur d’encodage. Par la suite, l’espèce est
vraisemblablement entraperçue à Pleurs en 2004, mais l’absence de capture nous a incité
à une sage prudence. Finalement, ce n’est qu’en 2006 que l’espèce a été officiellement
identifiée dans la région, grâce à la photographie d’un touriste hollandais en vacances
dans le Parc naturel régional de la Forêt d’Orient (TERNOIS & EPE, 2007). Ravis à
l’époque d’officialiser cette découverte, nous avons dû rapidement nous rendre à
l’évidence qu’il ne s’agissait pas de la première mention pour la région. En effet, après la
publication de cette donnée, S. Pottel nous a informé que l’espèce avait été découverte
dès 1995 à Bar-sur-Aube par des étudiants allemands en villégiature dans la région, et Y.
Séchure nous a fait part de ses collectes de larves sur l’Ardusson en 1997 et 2005. A la
décharge des auteurs des publications de ces dernières années portant sur B. irene en
Champagne-Ardenne, ces données historiques n’avaient été ni publiées ni transmises aux
odonatologues de la région. Depuis 2007 et la découverte de l’espèce en Haute-Marne
(TERNOIS, 2008), la présence de foyers de populations était fortement suspectée dans le
sud de la région, mais le manque de temps et de moyens n’avaient pas permis de lever les
doutes. Enfin, l’analyse début 2010 des relevés taxonomiques des IBGN consultés à la
DREAL Champagne-Ardenne, révèle que ces derniers font état de la présence de larves
de B. irene dans plusieurs prélèvements. Après plusieurs années de tergiversations et
d’interrogations, il devenait urgent de préciser le statut de l’espèce dans la région.
Les prospections de 2010 ont permis d’identifier un foyer de populations dans le sud
de la région et plus particulièrement sur les bassins amonts de la Seine et de l’Aube.
L’espèce est visiblement bien implantée sur la Laignes et l’Ource et est également
présente sur l’Aube, l’Aujon, le Rognon et l’Armance. Mais nul doute, au regard des
données de la Voire, de l’Ardusson et de la Superbe, que cette espèce se reproduit sur
d’autres cours d’eau de la région.
Ce nouveau statut pose aussi quelques interrogations. Pourquoi a-t-il fallu attendre 15
ans pour démontrer l’implantation importante de l’espèce dans le sud de la région ? Est-
ce lié à une sous-prospection odonatologique régionale et au manque d’intérêt porté aux
cours d’eau ? Est-ce dû à la grande discrétion de cette espèce au stade imaginal lorsque
les populations sont réduites, ou cette implantation est-elle récente ? Nous n’y
répondrons peut-être jamais. En effet, il est difficile de dire que l’espèce est
d’installation récente alors même que le sud de la région a été peu prospecté par le passé
et que les imagos peuvent facilement passer inaperçus. On notera tout de même les
récentes découvertes en Suisse et en Allemagne qui suggèrent une expansion de l’espèce
au nord de son aire de répartition traditionnelle (CLAUSNITZER et al., 2010 ; HERTZOG
M., 2010).
112 Martinia

Remerciements
Nous tenons à associer à cette synthèse nos collègues et amis Didier Druart (Onema,
Service départemental de la Haute-Marne), Yves Séchure (Onema, Service départemental
de l’Aube), Jean-Pierre Raulin et Ghislain Kuzemskyj (Onema, Service départemental de
la Marne) et Guillaume Geneste (Association nature du Nogentais), pour leurs
contributions aux prospections de terrain et la mise à disposition de leurs données. Merci
également à Jean-Pierre Boudot (CNRS/Université Henri Poincaré Nancy I) pour ses
informations, Emmanuelle Fradin (CPIE du Pays de Soulaines) pour l’élaboration de la
carte de distribution et Nicolas Le Normand (Onema, service départemental d’Indre-et-
Loire) pour la traduction du résumé.
Un grand merci à Marie-Georges Mercelot et Guillaume Widiez (DREAL
Champagne-Ardenne) pour nous avoir permis l’accès aux données IBGN.
Ce travail n’aurait pas eu de tels résultats sans le soutien apporté par la Région
Champagne-Ardenne et la DREAL Champagne-Ardenne à l’Observatoire des Odonates
de Champagne-Ardenne.

Travaux cités
CLAUSNITZER H.-J., HENGST R., KRIEGER C. & THOMES A., 2010. Boyeria irene in Niedersachsen
(Odonata : Aeshnidae). Libellula 29 (3/4) : 155-168.
DELIRY C. (coord.), 2008. Atlas illustré des libellules de la région Rhône-Alpes. Ed. Biotope, col.
Parthénope, Mèze, 408 pp.
DOMMANGET C, DOMMANGET T. & DOMMANGET J.-L. (coord.), 2002. Inventaire cartographique
des odonates de France (programme INVOD). Bilan 1982-2000. Martinia 18, suppl. 1, 1-68.
GRAND D. & BOUDOT J.-P., 2006. Les libellules de France, Belgique et Luxembourg. Ed. Biotope,
Coll. Parthénope, Mèze, 480 pp.
HEIDEMANN H. & SEIDENBUSCH R., 2002. Larves et exuvies des libellules de France et
d’Allemagne (sauf de Corse). Société Française d’Odonatologie, 416 pp.
HERTZOG M., 2010. Beobachtung eines frisch geschlüpften Weibchens von Boyeria irene am
Seerhein (Odonata : Aeshnidae). Libellula 29: 169-174.
MALAVOI J.-R. & SOUCHON Y., 2002. Description standardisée des principaux facies d’écoulement
observables en rivière : clé de détermination qualitative et mesures physiques. Bulletin
Français de la Pêche et de la Pisciculture 365/366 : 357-372.
TACHET H., 2006. Invertébrés d’eau douce : systématique, biologie, écologie. CNRS Editions,
Paris 587 pp.
TERNOIS V., 2008. L’Aeschne paisible Boyeria irene (Fonscolombe, 1938) : première mention
pour le département de la Haute-Marne (Odonata, Anisoptera, Aeshnidae). Bull. Soc. Sc. Nat.
Arch. Hte-Marne, N. S., 7 : 11-13.
TERNOIS V. & EPE M., 2007. Première mention de Boyeria irene (Fonscolombe, 1938) dans le
Parc naturel régional de la Forêt d’Orient et en région Champagne-Ardenne (Odonata,
Anisoptera, Aeshnidae). Martinia 23 (2) : 53-57.
[TERNOIS V. RONDEL S. & FRADIN E., 2009. Sur la présence de la Cordulie à corps fin sur la
vallée de la Voire (site Natura 2000 n° 50) – Prospections 2009. CPIE du Pays de Soulaines /
Chambre d’Agriculture de l’Aube. 9 pp.]
____________________
Tome 27, fascicule 2, décembre 2011 113

Annexe

Bilan des observations par commune.

Commune (dépt) Remarques Auteurs


Balnot-sur-Laignes 2009 : donnée IBGN (1 larve) DREAL
2010 : 10 exuvies (2 sites) V. Ternois
Bar-sur-Aube (10) 1995 : larves S. Pottel

Ferreux-Quincey (10) 2005 : donnée IBGN (1 larve) Y. Séchure


2010 : 4 exuvies (1 site) Yves Séchure, J.-L. Lambert
et V. Ternois
Lentilles (10) 2009 : 1 émergence V. Ternois et S. Rondel

Lesmont (10) 2006 : 1 imago M. Epe

Les Riceys (10) 2010 : 13 exuvies (3 sites) V. Ternois

Loches-sur-Ource 2010 : 4 exuvies (1 site) V. Ternois

Saint-Aubin (10) 1997 : donnée IBGN (1 larve) Y. Séchure

Verpillières-sur-Ource 2010 : 3 exuvies (1 site) V. Ternois

Baudement (51) 2009 : donnée IBGN (2 larves) DREAL

Pleurs (51) 2004 : 1 imago (fortement) suspecté J.-L. Lambert


2009 : 11 exuvies (1 site) J.-L. Lambert et J.-P. Raulin
2010 : 2 exuvies (1 site) J.-L. Lambert et J.-P. Raulin
Aizanville 2010 : 4 exuvies (1 site) V. Ternois

Aubepierre-sur-Aube 2010 : 1 exuvie V. Ternois

Bourdons-sur-Rognon (52) 2010 : 9 exuvies + 5 imagos (2 sites) D. Druart et V. Ternois

Colmier-le-Bas 2010 : 1 imago (ponte) V. Ternois

Cours-l’Evêque 2010 : 1 exuvie V. Ternois

Dancevoir 2010 : 1 exuvie V. Ternois

Longchamp-sur-Aujon 2010 : 5 exuvies (1 site) V. Ternois

Montheries (52) 2007, 2008, 2009 et 2010 : 1 à 2 imagos V. Ternois

Saint-Loup-sur-Aujon (52) 2010 : 2 exuvies D. Druart

Silvarouvres 2010 : 1 exuvie V. Ternois

Wassy (52) 2008 : 1 larve DREAL


114 Martinia

Résultats du concours pour la photo de couverture.


C’est un cliché de Marc Levasseur qui a remporté la majorité auprès de nos adhérents. Parmi
les 35 personnes qui ont exprimé leur choix à martinia@libellules.org avant le 1er décembre, 15
voix – soit 42,9 % du total – ont été enregistrées en faveur de ce Cordulia aenea en vol
stationnaire. Cette couverture nous offre une face nette, qui se dégage parfaitement sur le flou d’un
fond vert.

La deuxième position, avec 11 voix (31,4 %) est occupée par Libellula fulva, photographié par
Régis Krieg-Jacquier. Cette photo avait obtenu la 14e place au Concours national nature 2009 de
la Fédération photographique de
France. Le contre-jour met en
évidence la nervation des ailes
qui, rehaussée par le fond
sombre, donne beaucoup de
lumière au cliché. On regrettera
peut-être le cadrage très serré dû
à la proximité du sujet lors de la
prise de vue.

Pour finir, la dernière couverture proposée a recueilli 9 voix (25,7 %). L’image de ce Lestes
sponsa posé en fin de journée a été prise par Philippe Lambret. Elle illustre bien le fait que les
Zygoptères choisissent pour se poser des tiges dont le diamètre est inférieur à l’écartement des
yeux, ce qui leur assure un champ de vision optimisé pour une vigilance accrue (pour en savoir
plus, voir : ASKEW R.R., 1982.
Roosting and resting site
selection by coenagrionid
damselflies. Advances in
Odonatology 1 : 1-8.). Les
couleurs de la photo offrent
cependant un effet ton sur ton
avec le reste de la couverture,
et l’ensemble paraît un peu
vide...

Vous pouvez proposer vos meilleurs clichés à martinia@libellules.org en suivant quelques


règles : une seule photo par sociétaire et par tome, chaque proposition soumise une seule fois,
effets graphiques privilégiés et format permettant le recadrage. En juin 2012, la vedette sera
Hemianax ephippiger.
Tome 27, fascicule 2, décembre 2011 115

Découverte du premier site de reproduction de


Leucorrhinia caudalis (Charpentier, 1840) en
Indre-et-Loire (Odonata, Anisoptera : Libellulidae)
Par Eric SANSAULT
A.N.E.P.E. Caudalis. 118, rue de l’Ermitage, F-37100 Tours. <anepe.caudalis@gmail.com>

Reçu le 9 mai 2011 / Revu et accepté le 4 novembre 2011

Mots clés : ODONATE, LEUCORRHINIA CAUDALIS, SITE DE REPRODUCTION,


INDRE-ET-LOIRE, REGION CENTRE
Key words : ODONATE, LEUCORRHINIA CAUDALIS, BREEDING SITE, INDRE-ET-
LOIRE, REGION CENTRE
Résumé : un site de reproduction de Leucorrhinia caudalis (Charpentier,
1840) a été découvert en mai 2008 sur un étang forestier du nord-ouest de
l'Indre-et-Loire, France. Les conditions particulières liées à cette découverte
ainsi que les observations ultérieures qui y furent réalisées sont détaillées ici.
La présence de cette population au sein d’une Zone Naturelle d’Intérêt
Ecologique Faunistique et Floristique, ainsi que les enjeux de conservation
qui y sont liés, sont discutés.
Leucorrhinia caudalis (Charpentier, 1840), discovery of the first breeding
site in Indre-et-Loire, France (Odonata, Anisoptera : Libellulidae).
Summary: a breeding site of Leucorrhinia caudalis (Charpentier, 1840) has
been discovered in a small forest pond, north-west of Indre-et-Loire, France,
on May 2008. The particular circumstances of this discovery and the
following sightings of the species in this area are detailed. Conservation
issues linked to the discovery of this endangered species into a protected high
nature value area are discussed.
____________

Introduction
Dans le cadre de l’inventaire odonatologique du département de l'Indre-et-Loire initié
en 2007, des prospections ont eu lieu sur un grand nombre d’étangs, zones humides et
cours d’eau du département. Le 8 mai 2008, l’une de ces prospections réalisées à
Ambillou, sur l'étang de la Céseraie, permettait d’apporter les premières preuves de
reproduction en Indre-et-Loire d'une espèce menacée et à forte valeur patrimoniale:
Leucorrhinia caudalis (Charpentier, 1840). Cet article fait le point sur les conditions de
la découverte et regroupe les données obtenues depuis cette date. En termes de
problématiques de conservation, les implications liées à la découverte de cette espèce
rare et menacée sur cet étang sont discutées.
116 Martinia

Matériel et méthode
À ce stade de l'inventaire départemental, aucun protocole d'échantillonnage particulier
n'avait encore été mis en place. Les recherches d'exuvies, d'individus émergents et
d'imagos ont simplement été réalisées en parcourant à pied les bordures d’étangs. Les
précautions maximales ont été prises afin d'éviter toute altération du milieu. Pour les
espèces nécessitant une identification en main, les captures ont été effectuées à l'aide de
filets de type « filet à papillons » et les individus conservés en main le moins longtemps
possible. Concernant les espèces identifiables à distance, l'utilisation de jumelles de type
10 x 42 a été privilégiée. Les exuvies récoltées ont été identifiées à l'aide d'une loupe x10
et ont été conservées au sein de boîtes en plastique translucide à petits compartiments
(type boîte d'appâts pour la pêche).

Résultats
Première observation de Leucorrhinia caudalis
Le 8 mai 2008, un petit Anisoptère était découvert piégé dans une toile d'araignée
(Araneus sp.). Celui-ci était situé à quelques centimètres de hauteur et se trouvait en
bordure d'étang. Le cadavre de l'Anisoptère était trop dégradé pour permettre son
identification. Toutefois, juste à côté, une exuvie d'Anisoptère a été récoltée et conservée
(Fig. 1, localisation 1). Un peu plus loin et toujours en bordure d'étang, un second
cadavre d’Anisoptère était ensuite découvert piégé, lui aussi, dans une toile d'araignée
(Fig. 1, localisation 2). Bien mieux conservé, presque intact, celui-ci pouvait rapidement
être identifié comme L. caudalis ♀. L'observation à la loupe de la lame vulvaire

Figure 1. Étang de la Céseraie, Indre-et-Loire, France : représentation schématique des différents


biotopes et localisation des différentes observations de Leucorrhinia caudalis
effectuées entre le 8 mai 2008 et le 22 mai 2010.

(bifide, très échancrée, avec de longs lobes parallèles dont seules les extrémités
divergent) confirmait rigoureusement l'identification (DIJKSTRA, 2007). Enfin, après une
Tome 27, fascicule 2, décembre 2011 117

étude minutieuse de l'exuvie, celle-ci était identifiée comme appartenant à L. caudalis


(GRAND & BOUDOT, 2006), et il s'agissait également d'un individu ♀.
Observations ultérieures
Depuis cette découverte, sept sessions de prospection ont eu lieu sur le site. Des
individus appartenant à L. caudalis ont été observés durant cinq d’entre elles. Le premier
individu vivant (une ♀ immature) a été observé le 13 mai 2008 (Fig. 1, localisation 3).
Cet individu flottait à la surface de l'eau, se débattant au milieu de la végétation
aquatique, son aile antérieure gauche froissée l’empêchant de voler. Le 10 juin 2008, six
individus matures (4 ♂ et 2 ♀) furent observés (Fig. 2), mais aucun accouplement n'a été
constaté. Le 29 juin 2008, un seul ♂ mature a été observé (Fig. 1, localisation 4).
L'absence de prospections en 2009 explique pourquoi aucune donnée n'a été réalisée
durant cette saison. Enfin, le 22 mai 2010, deux ♂ (dont un émergeant, Fig. 3) ont été à
nouveau observés sur ce site (Fig. 1, localisation 5).

Figure 2. Mâle mature de Leucorrhinia caudalis à Ambillou le 10 juin 2008 (cliché : Eric Sansault).
Le jour de cette observation 3 autres mâles et 2 femelles étaient également présents sur le site.

Cortège d'espèces
L'étang de la Céseraie présente un cortège d'espèces assez typiques d'un étang
forestier d'Indre-et-Loire. Parmi les Zygoptères, signalons : Calopteryx splendens,
Chalcolestes viridis, Sympecma fusca, Coenagrion puella, Ceriagrion tenellum,
Enallagma cyathigerum, Erythromma najas, Ischnura elegans, Pyrrhosoma nymphula et
Platycnemis pennipes. Les Anisoptères sont représentés par : Anax imperator, A.
parthenope, Brachytron pratense, Cordulia aenea, Crocothemis erythraea, Leucorrhinia
caudalis, Libellula depressa, L. quadrimaculata, Orthetrum albistylum, O. cancellatum
et Sympetrum sanguineum. Durant la rédaction de cet article, une nouvelle espèce a été
ajoutée à la liste, il s'agit d'Epitheca bimaculata dont un imago a été observé le 30 avril
2011 (BAETA, base de données de l'A.N.E.P.E. Caudalis).
118 Martinia

Figure 3. Mâle immature de Leucorrhinia caudalis à Ambillou le 22 mai 2010 (cliché : Eric Sansault).
Cette même journée un mâle mature était également présent sur le site. Les ailes froissées sont dues à un
problème lors de l'émergence.

Discussion
En France, comme un peu partout dans l’ouest de l’Europe, les populations de L.
caudalis sont fortement morcelées et menacées (SAHLEN et al., 2004). La perte d’habitats
liée à l’eutrophisation, à l’acidification et à la gestion des milieux qui lui étaient
favorables (SAHLEN et al., 2004 ; GRAND & BOUDOT, 2006) font que cette espèce est
inscrite à l'Annexe IV de la directive Habitats (directive 92/43/CEE, 1992). Au niveau
des 27 pays membres de la CEE, elle figure en classe NT (quasi menacée) dans la récente
Liste Rouge (KALKMAN et al., 2009), mais est notée depuis peu en expansion dans
certaines régions (Allemagne, Belgique, Suisse...). Ses potentialités de dispersion ont été
très étudiées en Suisse (KELLER et al., 2010). En France, cette espèce pourrait être
considérée comme « En Danger » (DOMMANGET et al., 2009). Des découvertes récentes
en Région Centre montrent qu’elle y est désormais présente dans quatre départements.
En effet, aux populations de l'Indre et du Loiret sont venues s'ajouter de nouvelles
populations dans le Loir-et-Cher (SEMPE, en préparation) et en Indre-et-Loire (présent
article). Concernant l’Indre-et-Loire, la seule donnée antérieure à 2008 rapportait la
présence d'un ♂ erratique sur un étang de Champeigne le 10 juin 1983 (CLOUPEAU et al.,
2000). Leucorrhinia caudalis est d’ailleurs également considéré comme « En Danger »
en Région Centre (LETT et al., 2009).
Situé sur la commune d’Ambillou (37340), l'étang de la Céseraie est une Zone
Naturelle d’Intérêt Écologique Faunistique et Floristique (ZNIEFF) de type 1 (id.
Tome 27, fascicule 2, décembre 2011 119

national 240006277). Les informations qui suivent proviennent de la fiche descriptive de


l'inventaire ZNIEFF :
« Il s'agit d'un étang dont les berges sont à l'heure actuelle occupées par un
Hydrocotylo-Baldellion sur substrat tourbeux (22.314). On trouve dans cet habitat 4
espèces déterminantes : Baldellia ranunculoides, Hypericum elodes et Eleogiton fluitans.
En outre, une petite population de Luronium natans subsiste en queue d'étang. Au total, 5
espèces déterminantes, dont une protégée, ont été observées en 2003. Cet étang a donc
été vraisemblablement plus intéressant dans le passé qu'il ne l'est maintenant, cependant
la présence de 5 espèces déterminantes, dont le Luronium, justifie son maintien en
ZNIEFF. »
Ce site semble correspondre aux exigences écologiques de L. caudalis puisque
l’espèce arrive à s’y reproduire et à s’y maintenir d’une année sur l’autre. Les fortes
variations de niveaux d’eau auxquelles cet étang semble parfois sujet pourraient toutefois
poser un problème au maintien de cette petite population. Comme le précise la
description du site (voir ci-dessus), la dernière actualisation des informations relatives à
cette zone remonte à 2003. Les références citées sont cependant plus anciennes et datent
des XIXe et XXe siècles (Fiche ZNIEFF n° 240006277). De nouvelles études floristiques
et faunistiques, qui prendraient en compte la présence de L. caudalis sur ce site, semblent
donc indispensables et doivent être réalisées rapidement. De plus, faisant partie des
espèces concernées par le Plan National d'Actions Odonates démarré en 2011 (DUPONT,
2010), L. caudalis est une espèce sur laquelle d’importants efforts de prospection et de
conservation devraient être rapidement mis en place. Compte tenu de la faible quantité de
données obtenues à ce jour sur l'étang de la Céseraie, un suivi spécifique local
permettrait d'améliorer les connaissances sur l’écologie et l’état de conservation de cette
population. De plus, dans la mesure où l'étang de la Céseraie fait partie intégrante d’un
large complexe d’étangs et de mares forestiers inclus dans la Zone de Protection Spéciale
du lac de Rillé et des forêts voisines d'Anjou et de Touraine (Natura 2000, site fr2410016
– ZPS de Rillé), nous avons prospecté en 2011 les nombreux sites a priori favorables à
l'espèce. Les résultats de ces recherches seront publiés ultérieurement mais nous savons
désormais que l'espèce est présente sur au moins une dizaine de plans d'eau au sein de la
ZPS de Rillé. Ces découvertes suivent la récente expansion de l'espèce en Belgique
(VANTIEGHEM et al., 2011) et en Allemagne (MAUERSBERGER, 2009 ; OLTHOFF et al.,
2011). Cependant, la faible pression de prospection de L. caudalis dans le département
d'Indre-et-Loire ne permet pas de définir si ces découvertes s'inscrivent dans une
dynamique d'expansion à l'échelle de l'Europe ou si l'espèce a toujours été présente au
sein de ce réseau d'étangs sans y avoir été détectée. Dans tous les cas, de futures
investigations permettront d'appréhender plus finement ce réseau de zones humides, de
définir quels échanges et quelle dynamique de migration existent entre les différents sites
de la ZPS de Rillé et de mieux comprendre le rôle tenu par l'Étang de la Céseraie dans ce
vaste complexe. Ces recherches seront aussi l'occasion de découvrir peut-être de
nouvelles espèces d'Odonates.
120 Martinia

Remerciements
L'auteur remercie Louis Sallé pour être le co-découvreur des premières preuves de
reproduction sur le site de la Céseraie. L'auteur remercie aussi Renaud Baeta, Roger
Cloupeau, Jean-Michel Lett et Julien Présent pour leurs conseils, relectures et
commentaires.

Travaux cités
CLOUPEAU R., BOUDIER F., LEVASSEUR M. & COCQUEMPOT CH., 2000. Les Odonates de Touraine
(Département d'Indre-et-Loire, France). Bilan de l'inventaire en cours. - Martinia, 16 (4) décembre
2000 : 153-170.
DIJKSTRA K.-D.B., 2007. Guide des libellules de France et d'Europe. Delachaux et Niestlé, 320 pp.
[DOMMANGET J.-L., PRIOUL B., GAJDOS A. & BOUDOT J.-P., 2009. Document préparatoire à une Liste
Rouge des Odonates de France métropolitaine complétée par la liste des espèces à suivi prioritaire.
Société française d’odonatologie (Sfonat). Document de travail non publié, 47 pp.]
DUPONT P., coordination, 2010. Plan national d’actions en faveur des Odonates. Office pour les
Insectes et leur Environnement / Société française d’Odonatologie – Ministère de Écologie, de
l’Énergie, du Développement durable et de la Mer, 170 pp.
GRAND D. & BOUDOT J.-P., 2006. Les libellules de France, Belgique et Luxembourg. Editions Biotope,
collection Parthénope, Mèze (France), 480 pp.
KALKMAN V.J., BOUDOT J.-P., BERNARD R., CONZE K.-J., DE KNIJF G., DYATLOVA E., FERREIRA S.,
JOVIC M., OTT J., RISERVATO E. & SAHLEN G., 2009. European Red List of Dragonflies. IUCN,
Gland, Switzerland & Cambridge, United-Kingdom & Office for Official Publications of the
European Communities, Luxembourg, 28 pp. <http://ec.europa.eu/environment/ nature/conservation
/species/redlist/downloads/European_dragonflies.pdf>
KELLER D., BRODBECK S., FLÖSS I., VONWIL G. & HOLDEREGGER R. 2010. Ecological and genetic
measurements of dispersal in a threatened dragonfly. Biological Conservation, 143: 2658-2663.
LETT J.-M., CLOUPEAU R., MALE-MALHERBE E., PRATZ J.-L., DOHOGNE R., GARNIER P. & GRESSETTE
S., 2009. Livre Rouge. Groupe invertébrés - Odonates. Liste commentée des Odonates, Document
de travail intermédiaire- CERCOPE, 14 pp.
LETT J.-M., CLOUPEAU R., PRATZ J.-L. & MALE-MALHERBE E (coord.)., 2001. Liste commentée des
Odonates de la région Centre (Départements du Cher, de l'Eure-et-Loire, de l'Indre, de l'Indre-et-
Loire, du Loir-et-Cher et du Loiret). Martinia, 17 (4) : 123-169.
MAUERSBERGER R., 2009. Nimmt Leucorrhinia caudalis im Nordosten Deutschlands rezent zu?
(Odonata: Libellulidae). Libellula, 28 (1/2): 69-84.
[Ministère de l'Environnement /IFEN /Service du Patrimoine Naturel – MNHN. Inventaire des Zones
Naturelles d'Intérêt Écologique, Faunistique et Floristique. Étang de la Céseraie. <http://
www.centre.ecologie.gouv.fr/Zonages-Nature-pdf/ZNIEFF/Cartes_et_fiches_2eme_generation/ ZN
IEFF-240006277.pdf>]
OLTHOFF M., MENKE N. & RODENKIRCHEN J., 2011. Leucorrhinia caudalis in der Ville bei Köln:
Wiederfund für Nordrhein-Westfalen (Odonata: Libellulidae). Libellula, 30 (1/2): 1-12.
[Réseau Natura 2000. Zone de Protection Spéciale du Lac de Rillé et des forêts voisines d'Anjou et de
Touraine, sitefr2410016. <http://natura2000.environnement.gouv.fr/sites/FR2410016.html>]
SAHLEN G., BERNARD R., RIVERA A. C., KETELAAR R. & SUHLING F., 2004. Critical species of Odonata
in Europe. International Journal of Odonatology, 7 (2) : 385-398.
VANTIEGHEM P., DE GROOTE D., DEWOLF J., 2011. Rediscovery of Leucorrhinia caudalis (Charpentier,
1840) in Belgium after a century of absence. Libellenvereniging Vlaanderen - nieuwsbrief, 5 (2): 2-
3.
____________________
Tome 27, fascicule 2, décembre 2011 121

Brève communication

Redécouverte de Gomphus flavipes (Charpentier, 1825) en Provence-


Alpes-Côte d’Azur (Odonata, Anisoptera : Gomphidae)
Par Yoann BLANCHON1, Eric DURAND2 et Philippe LAMBRET3
1
Chemin de la Mourgatte, F-26200 Montélimar ; <yoann.blanchon@orange.fr>
2
52 bis ch. Roque, F-13450 Grans ; <e.durand@naturalia-environnement.fr>
3
Marais du Vigueirat, F-13104 Mas Thibert ; <philambret@hotmail.com>

Reçu le 24 septembre 2011 / Revu et accepté le 16 novembre 2011

Gomphus flavipes a été autrefois cité d’Arles


(Bouches-du-Rhône) par MORTON (MORTON K.J., 1912. A
collecting trip to the Camargue and the Sierra de Albaracin.
The Entomologist, 45 (587): 109-114). Le spécimen de
cette unique mention a depuis été validé, illustré et localisé
au Royal Museum of Scotland d’Edinburgh (ASKEW R.R.,
1988. The dragonflies of Europe. Harley Books, Martins,
Colchester, Essex, England, 291 pp.). Depuis lors, aucune
autre observation n’a été publiée pour la région PACA1. De
nouvelles prospections faites en Rhône-Alpes qui mirent
récemment en évidence la présence de l’espèce dans la
moyenne vallée du Rhône (GRAND et al., 2011. Gomphus
flavipes (Charpentier, 1825) redécouvert sur le bassin
hydrographique du Rhône (Anisoptera : Gomphidae).
Martinia, 27 (1) : 9-26), puis l’observation d’un imago ♀ à
proximité du Rhône sur la commune de Codolet (Gard) en
2010 (Y. Blanchon, obs. pers.) ont motivé la recherche sur
le cours inférieur du Rhône de cette espèce visée par le Plan
National d’Actions en faveur des Odonates (DUPONT, P.
[coord.], 2010. Plan national d’actions en faveur des Odonates. Opie / SFO – MEEDDM, 170 pp).
Après pointage des sites potentiels sur photos aériennes et suite à une session de
reconnaissance, le secteur de l’Île de Saxy, située sur le Rhône au nord d’Arles (Coordonnées
WGS84 internationales : 43,70972° N / 4,618611° E) a été retenu pour une prospection en barque.
Le site est coupé du chenal navigable par des digues et n’est soumis qu’à un faible courant,
favorisant ainsi le développement de taches de Ceratophyllum demersum et de Myriophyllum cf.
spicatum. Les berges sablo-limoneuses présentent une pente généralement douce et sont bordées
d'une ripisylve mature favorisant la présence d’embâcles pouvant servir de support d’émergence.
Les branches et leurs draperies de végétation desséchée ont été ciblées lors des prospections.
Le 26 juin 2011, en 3 heures de prospection sur 1,7 km de berge, 6 exuvies de G. flavipes ont
été collectées (Fig. 1). Elles étaient toutes isolées. La moitié d’entre elles se situaient au niveau de
la berge, les autres étaient fixées sur les branches sortant de l’eau à une distance pouvant atteindre
4 m pour une lame d’eau supérieure à 1,20 m. Cinq d'entre elles étaient positionnées la tête en haut
à une hauteur de 10 à 83 cm au-dessus de la surface de l’eau.

1
NDLR : dans une communication verbale à Gilles Jacquemin, Pierre Aguesse indique
toutefois G. flavipes en Camargue, entre l’étang du Vaccarès et le Rhône, au niveau du Sambuc.
122 Martinia

Les habitats favorables à l’espèce semblent fréquents le long du Rhône. Sur la seule rive
gauche du fleuve, quatorze autres sites d’émergences totalisant 53 exuvies ont été nouvellement
recensés à Arles entre le 10 et le 23 juillet 2011 du Mas de Ranchier en amont jusqu’au Mas de la
Ville en aval. La diversité des supports d’émergence paraît importante, comme en atteste la
découverte d’exuvies sur des troncs ou des branches exondées, des systèmes racinaires, des troncs
distants de plus de 3 mètres de la rive ou encore sur des enrochements de berges.
Enfin, un imago a aussi été observé au niveau de l’Île de l’Oiselet le 28 juillet 2011 à Sorgues
(Vaucluse) (G. Aubin, comm. pers.).
Par la suite, un échantillonnage des deux rives sur la basse vallée du Rhône permettra d’avoir
des éléments plus précis sur la répartition et la densité des populations de cette espèce.
____________________
Tome 27, fascicule 2, décembre 2011 123

Liste Rouge des Odonates de


Provence-Alpes-Côte d’Azur
Par Stéphane BENCE, Yoann BLANCHON, Yoan BRAUD, Cyrille DELIRY,
Eric DURAND & Philippe LAMBRET*
* Coordinateur régional PACA du Plan d’Actions en faveur des Odonates
Amis des Marais du Vigueirat, F-13104 Mas Thibert ; <p.lambret@espaces-naturels.fr>

Reçu le 19 septembre 2011 / Revu et accepté le 1er décembre 2011

Mots-clés : LISTE ROUGE, ODONATES, PROVENCE-ALPES COTE D’AZUR,


METHODE UICN.
Key-words: RED LIST, ODONATA, PROVENCE-ALPES CÔTE D’AZUR, IUCN
METHODS.

Résumé : Dans le cadre de la rédaction de la déclinaison régionale


Provence-Alpes-Côte d’Azur du Plan National d’Actions en faveur des
Odonates, six odonatologues de la région se sont réunis le 19 mars 2011 afin
de partager leur expertise et d’élaborer une liste rouge régionale des
Odonates. La méthode de l’UICN a été suivie. Sympecma paedisca est éteint
régionalement (RE). Lestes macrostigma, Coenagrion caerulescens,
Cordulegaster bidentata, Somatochlora m. meridionalis, Sympetrum
depressiusculum et S. v. vulgatum sont en danger d’extinction (EN).
Coenagrion pulchellum, S. m. metallica, S. flavomaculata, S. alpestris, S.
arctica et Leucorrhinia dubia sont vulnérables (VU). Lestes barbarus, L.
dryas, L. virens vestalis, C. mercuriale, Brachytron pratense, Hemianax
ephippiger, Gomphus vulgatissimus, G. simillimus, Onychogomphus
uncatus, Cordulia aenea, Oxygastra curtisii, S. pedemontanum et Trithemis
annulata sont quasi menacés (NT). Les données sont insuffisantes (DD)
pour Aeshna grandis, G. flavipes et C. b. boltonii. La méthode UICN n’est
pas applicable pour C. hastulatum, Erythromma najas et G. graslinii.
Calopteryx v. virgo, Macromia splendens, Ophiogomphus cecilia, Epitheca
bimaculata, L. albifrons et Pantala flavescens sont considérés comme
erronés ou incertains. Le risque d’extinction des autres espèces présentes en
PACA est une préoccupation mineure (LC). Les principales menaces sont la
fragmentation des habitats et la diminution de leur qualité. Les politiques
publiques mises en œuvre actuellement pour stopper l’érosion de la
biodiversité devraient contribuer à la diminution du risque d’extinction
régionale. Une nouvelle évaluation est programmée pour 2015.
Red list of the Odonata from Provence-Alpes-Côte d’Azur region
(southern France).
Summary: Under the frame of the French Action Plan for Odonata, six
odonatologists of Provence-Alpes-Côte d’Azur met on the 19th March, 2011
in order to share their knowledge and to produce a regional red list of
Odonata. The IUCN methods were used. Sympecma paedisca is Regionally
124 Martinia

Extinct (RE). Lestes macrostigma, Coenagrion caerulescens, Cordulegaster


bidentata, Somatochlora m. meridionalis, Sympetrum depressiusculum and
S. v. vulgatum are Endangered (EN). Coenagrion pulchellum, S. m.
metallica, S. flavomaculata, S. alpestris, S. arctica and Leucorrhinia dubia
are Vulnerable (VU). Lestes barbarus, L. dryas, L. virens vestalis, C.
mercuriale, Brachytron pratense, Hemianax ephippiger, Gomphus
vulgatissimus, G. simillimus, Onychogomphus uncatus, Cordulia aenea,
Oxygastra curtisii, S. pedemontanum and Trithemis annulata are Near
Threatened (NT). Data are Defficient (DD) for Aeshna grandis, G. flavipes
and C. b. boltonii. The IUCN methods were Not Applicable (NA) in the
region for C. hastulatum, Erythromma najas and G. graslinii. Records of
Calopteryx v. virgo, Macromia splendens, Ophiogomphus cecilia, Epitheca
bimaculata, L. albifrons and Pantala flavescens are considered erroneous or
unreliable. Other species which are present in the PACA region are
classified Least Concern (LC). The main threats are habitat fragmentation
and reduction of habitat quality. The current policies for biodiversity
conservation should contribute to the reduction of the regional extinction
risk. A new evaluation of this risk should be made in 2015.
____________

Introduction
Les Listes Rouges (LR) évaluent le risque d’extinction d’espèces rares ou en
régression. Elles constituent un outil important permettant de définir des priorités en
matière de conservation des habitats et des espèces. Une réflexion avait été engagée à
propos des Odonates par le Conservatoire d’espaces naturels Provence-Alpes-Côte
d’Azur (ancien Conservatoire et Études des Écosystèmes de Provence), mais aucune liste
officielle n’a été validée. Dans le cadre du Plan National d’Actions en faveur des
Odonates et de la rédaction de sa déclinaison régionale, il a été nécessaire de définir la
liste régionale des espèces entrant dans cette démarche. Une LR régionale s’avérait donc
très utile. Un atelier dédié s’est tenu le 19 mars 2011 à Aix-en-Provence ; il a été suivi de
plusieurs échanges afin d’affiner le travail réalisé ce jour-là.
Par souci d’objectivité et d’homogénéité avec les autres Listes Rouges existantes,
nous avons choisi de suivre la méthodologie de l’Union Internationale pour la
Conservation de la Nature (UICN). Cependant, cette méthodologie, élaborée à l’origine
pour les vertébrés, est délicate à appliquer aux Insectes (seuils numériques
démographiques inadaptés ; manque d’informations historiques précises pour évaluer
correctement les évolutions). De plus, nous ne disposons pas pour la région PACA d’un
jeu complet de données récentes sur la répartition régionale des Odonates, ce qui n’a pas
permis d’évaluer finement les aires d’occupations et d’occurrences. Leur estimation a
néanmoins été tout a fait possible en utilisant la littérature disponible (par ex. :
DOMMANGET et al., 2002 ; GRAND & BOUDOT, 2006).
Le « dire d'expert » est fondamental pour connaître les évolutions passées et estimer
les évolutions à venir, tant en ce qui concerne les espèces elles-mêmes que la qualité des
habitats qui les hébergent. Les auteurs attirent donc l’attention des lecteurs et des
utilisateurs de cette Liste Rouge sur le fait que ce « dire d'expert » a été important et
Tome 27, fascicule 2, décembre 2011 125

qu’une certaine subjectivité est inévitable. L’objectivité des arguments avancés a


néanmoins été une préoccupation constante lors de l’atelier. A l’issue du PRAO et de la
production d’un atlas régional, la communauté odonatologique disposera certainement de
données supplémentaires qui permettront de revoir la Liste Rouge présentée ici.

Matériel et méthodes
La méthodologie suivie est celle de l’UICN dans son application à l’échelle régionale
(UICN, 2000, 2003). Une première étape consiste à examiner le cas de chaque espèce
dans la région en faisant abstraction des régions adjacentes et des autres échelles, puis à
attribuer une catégorie de menace. Une seconde étape consiste à reprendre chaque espèce
en examinant cette fois le contexte extrarégional proche tout en cherchant à savoir s’il y
a une possibilité d’immigration ou d’émigration significative, ces effets pouvant modifier
le diagnostic fait précédemment. Il convient également de savoir si les éventuels
immigrés survivent ou non dans la région, celle-ci n’étant pas nécessairement compatible
avec leur physiologie (par exemple, Hemianax ephippiger arrive moribond en Islande…).
Toute émigration importante résultera en un appauvrissement des effectifs régionaux et à
une fragilisation de l’espèce dans la région, alors qu’une immigration viable et notable
renforcera les effectifs locaux et augmentera les potentialités de conservation à l’échelle
régionale. Dans le premier cas on augmentera le degré de menace pour l’espèce d’un
niveau, dans le second on le diminuera d’autant. Dans la présente LR, si un changement
de classe de menace a été effectué, la catégorie qui lui avait été initialement attribuée
sera indiquée entre parenthèses. Dans tous les cas, l’abréviation des classes garde le
libellé anglais, alors que leur libellé entier peut être traduit.
Les espèces dont la présence en PACA ne repose que sur des données délicates et/ou
non confirmées ont été considérées comme erronées ou incertaines et n’ont donc pas été
évaluées (catégorie NE = non évalué [Not Evaluated]). Une Liste Rouge étant une
évaluation du risque d’extinction d’espèces, si la présence de l’une de celles-ci n’est en
PACA que sporadique, la méthode UICN n’est pas applicable et son risque d’extinction
ne peut être évalué. Il en est de même si sa présence n’est avérée que depuis moins de 10
ans. Seule exception : une espèce nouvellement découverte dans une région peut être
évaluée en LR si l’on connaît sa dynamique ou que l’on dispose d’éléments sérieux
permettant de ne pas douter de sa pérennité.
Quelques adaptations ont été apportées à ce protocole. Les seuils d’occupation
déterminant les classes de menace ont été modifiés afin de tenir compte de la superficie
réduite de la région PACA. Celle-ci n’a au total qu’une surface de 31400 km². Un seuil
de 5000 km2 (surface supérieure à celle d’un département) a en conséquence été substitué
au seuil de 20000 km² pour l’attribution de la classe VU (Vulnérable) (en l’absence d’un
tel changement, une espèce classée non menacée à l’échelle nationale pourrait très bien
se retrouver menacée dans toutes les régions).
Les sous-espèces ont été évaluées distinctement. Ceci est particulièrement pertinent
pour le cas de Somatochlora m. metallica et Somatochlora m. meridionalis en raison du
flou phylogénique qui existe pour ces taxons : si les odonatologues français utilisent les
sous-espèces, celles-ci sont considérées comme étant des espèces distinctes dans d’autres
126 Martinia

pays (ex. : RISERVATO et al., 2009). Par conséquent, les taxons possédant des sous-
espèces n’ont pas été globalement évalués au rang de l'espèce.
Dans les résultats, les espèces de la classe LC n’ont pas été commentées, sauf lorsque
cette évaluation résulte d’un changement de classement (cf. supra). Elles sont en
revanche reprises dans le tableau synthétique de la conclusion. Pour chaque catégorie,
l’ordre systématique plutôt qu’alphabétique a été retenu. Pour chaque espèce, plutôt que
de reprendre l’ensemble de la démarche menant à l’attribution de sa catégorie, les
critères remplis sont indiqués ; ces critères sont également visibles dans le tableau 1.
Quelques commentaires sont donnés le cas échéant. En cas de doute, le critère est retenu
selon le principe de précaution recommandé par l’UICN.

Résultats
Éteint régionalement (RE = Regionally Extinct)
- Sympecma paedisca (Brauer, 1877)
Aucune citation depuis BILEK (1964). Autochtonie inconnue mais possible au vu de
l’existence de l’espèce au pied des Alpes dans le nord de l’Italie.
En danger d’extinction (EN = Endangered)
- Lestes macrostigma (Eversmann, 1836)
Occurrence B1 < 5000 km². Occupation B2 < 10 km². Localités Ba < 5. Déclin de
l'occurrence b(i), de l'occupation b(ii) et du nombre de localités b(iv) sur la base de la
disparition de la population de l'étang du Citis. Déclin de la superficie de l’habitat b(iii)
sur cette même base, déclin de la superficie des mares temporaires et des lagunes
naturelles. Pas de fragmentation en raison des capacités raisonnablement présumées de
dispersion. Fluctuations extrêmes d’abondance faisant partie de la biologie de l'espèce
(espèce à éclipse).
- Coenagrion caerulescens (Fonscolombe, 1838)
Occupation B2 < 500 km². Fragmentation Ba due au barrage d'Aix-en-Provence et de
l'artificialisation de la Durance. Déclin de l'occupation b(ii), de la superficie de l’habitat
b(iii) et du nombre de localités b(iv).
- Cordulegaster bidentata Selys, 1843
Occupation B2 < 500 km². Fragmentation Ba : adultes observés parfois loin de tout
point d’eau mais il existe de grandes distances entre les stations ; études sur les capacités
de dispersion manquantes ; fragmentation retenue par principe de précaution. Déclin de
la qualité des habitats b(iii) qui pourrait cependant se réduire grâce à la prise en compte
de la directive cadre sur l’eau (DCE).
- Somatochlora m. meridionalis Nielsen, 1935
Occurrence B1 < 100 km². Occupation B2 < 10 km². Localités Ba < 5.
- Sympetrum depressiusculum (Selys, 1841)
Occupation B2 < 500 km². Fragmentation Ba. Déclin de la superficie de l’habitat (un
assec périodique lui est favorable, ce qui se raréfie) b(iii).
- S. v. vulgatum (Linnaeus, 1758)
Occupation B2 < 500 km². Fragmentation Ba. Déclin de l'occurrence b(i), de
l'occupation b(ii) et du nombre de localités b(iv). Déclin antérieur à une décennie.
Tome 27, fascicule 2, décembre 2011 127

Vulnérable (VU = Vulnerable)


- Coenagrion pulchellum (Vander Linden, 1825)
Déclin A2 > 30% ces 10 dernières années (déclin étalé sur deux ou trois décennies).
Occupation B2 < 500 km². Déclin de la superficie de l’habitat b(iii), du nombre de
localités b(iv) et du nombre d’individus b(v).
- Somatochlora m. metallica (Vander Linden, 1825)
Faible nombre de localités D2 (n = 2). Occupation < 10 km². Fragilité des habitats
peu évidente.
- S. flavomaculata (Vander Linden, 1825)
Faible nombre de localités D2. Occurrence < 5000 km². Occupation < 500 km².
- S. alpestris (Selys, 1840)
Faible nombre de localités D2. Occurrence < 5000 km². Occupation < 10 km².
Fragmentation.
- S. arctica (Zetterstedt, 1840)
Faible nombre de localités D2 (n = 3). Occupation B2 < 10 km².
- Leucorrhinia dubia (Vander Linden, 1825)
Populations C < 2500 individus. Il existe d’autres habitats potentiellement favorables
mais ils sont très rares. Pas assez de recul pour savoir s’il s’agit d’une arrivée récente ou
d’une population relictuelle ; déclin possible du fait qu’aucune sous-population > 50
individus matures n’est connue a 2(i). Faible nombre de localités D2.
Quasi menacé (NT = Near Threatened)
- Lestes barbarus (Fabricius, 1798)
Occupation B2 < 500 km². Fragmentation Ba. Peu commun ; reproduction dans les
Bouches-du-Rhône. Fluctuations d’abondance faisant partie de la biologie de l'espèce.
- L. dryas Kirby, 1890
Occupation B2 < 500 km². Globalement en difficulté. Une fragmentation Ba et/ou
une fragilisation des habitats Bb(iii) peuvent être envisagées. La prise en compte d’un
seul de ces éléments conduit à NT, des deux à EN. Dans le cadre de raisonnables
certitudes sur les limites de menace sur cette espèce dans la région, le contexte NT
semble mieux adapté.
- L. virens vestalis Rambur, 1842
Occurrence B1 < 5000 km². Occupation B2 < 500 km².
- Coenagrion mercuriale (Charpentier, 1840)
Occupation B2 < 500 km². Déclin de la superficie de l’habitat b(iii). Capacités de
dispersion évaluées à 3 km (STERNBERG et al., 1999). Plus précisément, les études
anglaises et quelques données françaises montrent que 70 % des adultes restent
sédentaires dans un rayon de 50 m autour de leur site de naissance et que 85 % se
déplacent de moins de 100 m autour de leur site de reproduction. Seuls 0,12 % se
déplacent entre 1 et 2 ou 3 km. Une différenciation génétique substantielle apparaît entre
des populations distantes de seulement quelques kilomètres (entre 2 et 10 km)
(THOMPSON & WATTS, 2006 ; WATTS et al., 2006 ; DELIRY, 2008). Peu de secteurs
semblent isolés en Basse-Provence, mais immigration extrarégionale douteuse.
128 Martinia

- Coenagrion scitulum (Rambur, 1842)


Occupation B2 < 500 km². Fragmentation Ba. Mais pas d’autre critère d’où catégorie
NT. Dynamique d’expansion mais présence encore limitée en PACA ; pas de sous-
classement.
- Brachytron pratense (O.F. Müller, 1764)
Occupation B2 < 500 km². Fragmentation Ba (?) par principe de précaution.
- Hemianax ephippiger (Burmeister, 1839)
Occurrence B1 < 5000 km². Occupation B2 < 500 km². Reproducteur certain une
génération sur deux : vu régulièrement, avec reproduction et émergences estivales, mais
développement larvaire hivernal à préciser. Migrateur obligé : forte immigration
printanière et forte émigration des émergents de la génération locale dérivée. On a donc
pour la région un effet de sauvetage suivi d'une émigration proche d’un effet de puits (un
effet de puits au sens strict impliquerait l'extinction sur place des individus immigrés
sans descendance (c'est le cas d'H. ephippiger en Islande). Ici, il y a une descendance
mais elle émigre, et, pour la région, c'est comme si les parents s'étaient éteints sans
descendance). Fluctuations extrêmes faisant partie de la biologie de l’espèce. Ni
fragmentation ni déclin de la qualité de l’habitat.
- Gomphus vulgatissimus (Linnaeus, 1758)
Occupation B2 < 500 km².
- G. simillimus Selys, 1840
Occupation B2 < 500 km². Déclin de la superficie de l’habitat b(iii).
- Onychogomphus uncatus (Charpentier, 1840)
Occupation B2 < 500 km². Déclin de la superficie de l’habitat b(iii).
- Cordulia aenea (Linnaeus, 1758)
Occupation B2 < 500 km². Fragmentation Ba. Découverte de nouvelles stations.
Mieux représenté en altitude ; en raison du réchauffement climatique, transfert des
stations de plaine plus en altitude probable, résultant in fine en un déclin potentiel des
habitats b(iii).
- Oxygastra curtisii (Dale, 1834)
Occupation B2 < 500 km². Déclin possible de la qualité de l’habitat b(iii). A l’échelle
mondiale EN en 1986, VU entre 1988 et 1996, NT depuis 2006.
- Sympetrum pedemontanum (Müller in Allioni, 1766)
Occupation B2 < 500 km². Déclin de la qualité de son habitat b(iii) (?) par principe
de précaution.
- Trithemis annulata (Palisot de Beauvois, 1807)
Présent dans la région depuis moins de 10 ans: observé pour la première fois le 21
août 2008 par Yannick Cher à Bormes-les-Mimosas (83). Mais dynamique connue : en
expansion (Onem, 2011). Occupation B2 < 500 km².
Données insuffisantes (DD = Data Deficient)
- Aeshna grandis (Linnaeus, 1758)
Occurrence B1 < 5000 km². Occupation B2 < 10 km². Un individu observé dans une
clairière de la Drôme dans une commune proche des Hautes-Alpes. Quelques autres
observations dans les Écrins (05), dont une à 2270 m d’altitude et une autre à 800 m
(vallée du Buech). Rien de probant en termes de reproduction.
Tome 27, fascicule 2, décembre 2011 129

- Gomphus flavipes (Charpentier, 1825)


Découvert à Arles au début du siècle dernier (MORTON, 1912 ; ASKEW, 2004), puis
redécouvert en plusieurs localités le long du Rhône en 2011 (BLANCHON et al., 2011).
- Cordulegaster b. boltonii (Donovan, 1807)
Occurrence B1 < 5000 km². Occupation B2 < 500 km². Seulement sur les plus hautes
régions de PACA (Mercantour [vallée de la Vésubie], région d'Allos).
Non applicable (NA = Not Applicable)
- Coenagrion hastulatum (Charpentier, 1825)
Signalé au lac de Roue, mais ni population ni pérennité connue. Considéré comme
taxon visiteur.
- Erythromma najas (Hansemann, 1823)
Plusieurs observations réalisées par Damien Bernard, Jean-Laurent Lucchesi et
Olivier Tourillon sur les communes de Monetier-Allemont (05), Arles (13) et Aubignan
(84) (ODONATES-PACA), mais aucune population stable connue.
- Gomphus graslinii Rambur, 1842
Découvert en PACA en 2010 sur la commune d’Arles (13) par Etienne Iorio (IORIO,
2011). Egalement observé en 2011 sur le canal de Donzère-Mondragon (Benoit Nabholz,
in http://www.faune-paca.org) et dans le secteur du lac du Paty (commune de Caromb,
Vaucluse) (R. Lhuillier et J.-M. Deprez, in http://www.faune-paca.org).
Non évalué (NE = Not Evaluated)
- Calopteryx v. virgo Linnaeus, 1758
Présence en PACA incertaine, absence dans la collection de Degrange (Muséum de
Grenoble).
- Macromia splendens (Pictet, 1843)
Une donnée imprécise « des Bouches-du-Rhône » est disponible pour la région
PACA (MORTON, 1925). L’espèce n’a jamais été retrouvée en PACA.
- Ophiogomphus cecilia (Geoffroy in Fourcroy, 1785)
La larve aurait été découverte sur ce site (REHFELDT et al., 1991) lors de cinq
échantillonnages de 1990 à 1991 (SCHRIDDE & SUHLING, 1994). F. Suhling (comm. pers)
précise que « l’identification des larves a été faite avant la mise en évidence que les
larves d’Onychogomphus forcipatus unguiculatus diffèrent de celles d’O. f. forcipatus et
ressemblent dans les premiers stades à celles d’O. cecilia » ; l’identification des larves
est donc incertaine. Il précise également que Gunnar Rehfeldt a aussi observé l’adulte et
qu’il connaît bien cette espèce. Ces données n’ont pas été reprises dans la monographie
que Frank Suhling a consacrée aux Gomphidae d’Europe (SUHLING & MÜLLER, 1996).
Compte tenu de la sensibilité de l’espèce et du manque de preuves irréfutables de sa
présence (par ex. : photographies), nous préférons ne pas évaluer cette espèce.
- Epitheca bimaculata (Charpentier, 1825)
Une citation très douteuse est disponible pour la vallée du Verdon (CHAMPEAU et al.,
1982). Elle est maintenant considérée comme probablement erronée par son auteur.
- Leucorrhinia albifrons (Burmeister, 1839)
Dans la base de données des Marais du Vigueirat : identification faite en 1973 par
Gérard Metge, botaniste de la Faculté des Sciences et Techniques de Saint-Jérôme
130 Martinia

(Marseille). Donnée considérée comme douteuse compte tenu de la répartition connue de


cette espèce et de son écologie.
- Pantala flavescens (Fabricius, 1798)
Indiqué en France et en Provence par Aguesse (1968) sans aucune source ou mention
précise. Aucune observation documentée en France.

Catégorie LR

Taxon monde Europe Europe des 27 Bassin médit.


région PACA (http://www.iucnredlist. (Kalkman et al., (Kalkman et al., (Riservato et al.,
org/apps/redlist/search) 2009) 2009) 2009)
Calopterygidae
Calopteryx s. splendens LC 2011 LC (C. splendens ) LC (C. splendens ) LC (C. splendens ) LC (C. splendens )
C. xanthostoma LC 2011 LC LC LC LC
C. v. virgo NE 2011 NE (C. virgo )
LC (C. virgo ) LC (C. virgo ) LC (C. virgo )
C. v. meridionalis LC 2011 NE
C. haemorrhoidalis LC 2011 LC LC LC LC
Lestes barbarus NT 2011 LC LC LC LC
L. v. virens LC 2011
NE (L. virens ) LC (L. virens ) LC (L. virens ) LC (L. virens )
L. v. vestalis NT 2011
L. sponsa LC 2011 NE LC LC LC
L. dryas NT 2011 NE LC LC LC
L. macrostigma EN B1,2 a,b (i,ii, iii, iv) 2011 NE VU EN NT
Chalcolestes viridis LC 2011 NE LC LC LC
Sympecma fusca LC 2011 LC LC LC LC
S. paedisca RE 2011 NE LC LC EN
Platycnemididae
Platycnemis pennipes LC 2011 LC LC LC LC
P. latipes LC 2011 LC LC LC LC
P. acutipennis LC 2011 LC LC LC LC
Coenagrionidae
Coenagrion puella LC 2011 LC LC LC LC
C. pulchellum VU A2 2011 NE LC LC NT
C. hastulatum NE 2011 LC LC LC LC
C. mercuriale NT 2011 NT NT NT NT
C. scitulum NT 2011 NE LC LC LC
C. caerulescens EN B2 a,b (ii, iii, iv) 2011 LC NT NT LC
Enallagma cyathigerum LC 2011 LC LC LC LC
Ischnura elegans LC 2011 LC LC LC LC
I. pumilio LC 2011 NE LC LC LC
Erythromma lindenii LC 2011 LC LC LC LC
E. najas NE 2011 NE LC LC NT
E. viridulum LC 2011 NE LC LC LC
Pyrrhosoma nymphula LC 2011 NE LC LC LC
Ceriagrion tenellum LC 2011 NE LC LC LC
Aeshnidae
Aeshna affinis LC 2011 LC LC LC LC
A. mixta LC 2011 LC LC LC LC
A. juncea LC 2011 NE LC LC LC
A. cyanea LC 2011 NE LC LC LC
A. grandis NE 2011 LC LC LC LC
A. isoceles LC 2011 LC LC LC LC
Brachytron pratense NT 2011 NE LC LC NT
Boyeria irene LC 2011 NE LC LC LC
Hemianax ephippiger NT 2011 LC LC LC LC
Anax imperator LC 2011 LC LC LC LC
A. parthenope LC 2011 LC LC LC LC

Tableau 1. Liste Rouge des Odonates de Provence-Alpes-Côte d’Azur. Les pourcentages des populations
régionales par rapport aux mondiales ne sont pas indiqués (UICN, 2003) car inconnus.
Le tableau se poursuit sur la page suivante.
Tome 27, fascicule 2, décembre 2011 131
Catégorie LR
monde Europe Europe des 27 Bassin médit.
Taxon
région PACA (http://www.iucnredlist. (Kalkman et al., (Kalkman et al., (Riservato et al.,
org/apps/redlist/search) 2009) 2009) 2009)
Gomphidae
Gomphus vulgatissimus NT 2011 NE LC LC LC
G. pulchellus LC 2011 LC LC LC LC
G. simillimus NT 2011 NE NT NT NT
G. graslinii NE 2011 NT NT NT EN
G. flavipes DD 2011 NE LC LC NT
Ophiogomphus cecilia NE 2011 LC LC LC LC
Onychogomphus f. forcipatus LC 2011 NE LC LC
LC (O. forcipatus )
O. f. unguiculatus LC 2011 NE LC LC
O. uncatus NT 2011 NE LC LC LC
Cordulegastridae
Cordulegaster b. boltonii DD 2011 NE
LC (C. boltonii ) LC (C. boltonii ) LC (C. boltonii )
C. b. immaculifrons LC 2011 NE
C. bidentata EN B2 a,b (iii) NT NT NT NT
Macromiidae
Macromia splendens NE 2011 VU A4ce VU VU VU
Cordulidae
Cordulia aenea NT 2011 LC LC LC NT
Somatochlora m. metallica VU D2 LC LC LC NT
S. m. meridionalis EN B1,2 a,b (iii) 2011 NE LC LC LC
S. flavomaculata VU D2 NE LC LC LC
S. alpestris VU D2 NE LC LC NT
S. arctica VU D2 NE LC LC NT
Oxygastra curtisii NT 2011 NT NT NT LC
Epitheca bimaculata NE 2011 NE LC LC DD
Libellulidae
Libellula quadrimaculata LC 2011 LC LC LC LC
Libellula depressa LC 2011 NE LC LC LC
Libellula fulva LC 2011 NE LC LC LC
Orthetrum cancellatum LC 2011 LC LC LC LC
Orthetrum albistylum LC 2011 LC LC LC LC
Orthetrum brunneum LC 2011 LC LC LC LC
Orthetrum c. coerulescens LC 2011 LC (O. coerulescens ) LC (O. coerulescens ) LC (O. coerulescens ) LC (O. coerulescens )
Crocothemis erythraea LC 2011 LC LC LC LC
Sympetrum danae LC 2011 NE LC LC LC
Sympetrum sanguineum LC 2011 LC LC LC LC
Sympetrum depressiusculum EN B2 a,b (iii) 2011 NE VU VU VU
Sympetrum striolatum LC 2011 LC LC LC LC
Sympetrum v. vulgatum EN B2 a,b (i, ii, iv) 2011 NE LC (S. vulgatum ) LC (S. vulgatum ) NT (S. vulgatum )
Sympetrum meridionale LC 2011 NE LC LC LC
Sympetrum flaveolum LC 2011 NE LC LC LC
Sympetrum fonscolombii LC 2011 LC LC LC LC
Sympetrum pedemontanum NT 2011 NE LC LC LC
Leucorrhinia dubia VU D2 2011 LC LC LC NT
Leucorrhinia albifrons NE 2011 LC LC NT EN
Trithemis annulata NT 2011 LC LC LC LC
Pantala flavescens NE 2011 LC NE NE NE

Tableau 1 (suite et fin).

Conclusion
Parmi les 84 taxons (espèces ou sous-espèces) signalés dans la région PACA, l'un est
régionalement éteint et six sont erronés ou incertains et par conséquent non évaluables ;
six (7 %) sont en danger d’extinction, six (7 %) sont vulnérables et treize (15 %) quasi
menacés. Les principales menaces qui pèsent sur les Odonates de la région sont la
fragmentation des habitats et l’altération de leur qualité. Cette liste rouge a été un outil
précieux afin de définir la liste régionale des espèces déterminantes et remarquables pour
les ZNIEFF. Elle a également été déterminante dans le choix des espèces prioritaires du
Plan Régional d’Actions en faveur des Odonates. Plusieurs actions de ce PRAO qui
seront prochainement mises en œuvre viseront à la réduction du risque d’extinction
régionale de ces espèces (par ex., la restauration d’habitats favorables à Lestes
132 Martinia

macrostigma en cohérence avec la Trame Verte et Bleue). Le risque d’extinction


régionale des Odonates de PACA sera à nouveau évalué en 2015, lorsque les
connaissances régionales, notamment leur distribution, seront meilleures.

Remerciements
Nous tenons à remercier Jean-Pierre Boudot, expert à l'UICN, commission de la
sauvegarde des espèces, pour les Odonates, pour ses critiques et recommandations
avisées.

Travaux cités
AGUESSE P. 1968. Les Odonates de l’Europe occidentale, du Nord de l’Afrique et des îles
atlantiques. Masson, Paris. 258 pp.
ASKEW R. R., 2004. The dragonflies of Europe (revised edition) Harley Books, Colchester, 291
pp.
BILEK A., 1964. Beobachtungen über Odonaten in Südfrankreich mit besonderer Berücksichtigung
der Färbungsstadien von Anax parthenope Selys. Nachrichtenblatt der Bayerischen
Entomologen, 12 (6) : 59-64.
BLANCHON Y., DURANT E. & LAMBRET P., 2011. Redécouverte de Gomphus flavipes (Charpentier,
1825) en Provence-Alpes-Côtes d’Azur (Odonata, Anisoptera : Gomphidae). Martinia, 27
(2) : 121-122.
CHAMPEAU A. et coll., 1982. Les retenues hydro-électriques du Verdon : impact sur la rivière,
conséquences du marnage. Bulletin d’Écologie, 13 (2) : 203-239.
DELIRY C. [coord.], 2008. Atlas des libellules de la région Rhône-Alpes. Biotope, coll. Parthénope,
Mèze, 408 pp.
DOMMANGET C., DOMMANGET T. & DOMMANGET J.-L., 2002. Inventaire cartographique des
Odonates de France (programme Invod). Bilan 1982-2000. Martinia, 18, Supplément 1, 68 pp.
GRAND D. & BOUDOT J.-P., 2006. Les libellules de France, Belgique et Luxembourg. Biotope,
coll. Parthénope, Mèze, 480 pp.
IORIO E., 2011. Observation de Gomphus graslinii Rambur, 1842 dans les Bouches-du-Rhône
(Odonata, Anisoptera : Gomphidae). Martinia, 27 (1) : 39-43.
KALKMAN V.J., BOUDOT J.-P., BERNARD R., CONZE K.-J., DE KNIJF G., DYATLOVA E., FERREIRA
S., JOVIC M., OTT J., RISERVATO E. & SAHLEN G., 2009. European Red List of Dragonflies.
IUCN Red List of Threatened Species, Regional Assessments series. IUCN, Gland,
Switzerland & Cambridge, United-Kingdom & Office for Official Publications of the
European Communities, Luxembourg, 28 pp.
MORTON K.J., 1912. A collecting trip to the Camargue and the Sierra de Albaracin. The
Entomologist, 45 (587): 109-114.
MORTON K.J., 1925. Macromia splendens al least: an account of dragonfly hunting in France.
Entomologist's monthly Magazine, 61: 1-5.
[ODONATES-PACA, 2011. Atlas des Odonates de Provence-Alpes-Côte d’Azur. <http://odonates-
paca.org> (consulté le 19 mars 2011)].
[ONEM, 2011. Carte de distribution de Trithemis annulata <http://www.onem-
france.org/trithemis/wakka.php?wiki=TrithemisCarto> (accès le 19 mars 2011)].
REHFELDT G., SCHRIDDE P & SUHLING F., 1991. Inventaire et protection des Odonates du canal de
Vergières (Bouches-du-Rhône). Faune de Provence 12 : 4-9.
RISERVATO E., J.P. BOUDOT, S. FERREIRA, M. JOVIC, V.J. KALKMAN, W. SCHNEIDER, B. SAMRAOUI
& A. CUTTELOD, 2009. The Status and Distribution of Dragonflies of the Mediterranean
Tome 27, fascicule 2, décembre 2011 133

Basin. IUCN Red List of Threatened Species, Regional Assessments series. IUCN, Gland,
Switzerland & Malaga, Spain, vii + 33 pp.
SCHRIDDE P, SUHLING F, 1994. Larval dragonfly communities in different habitats of a
mediterranean running water system. Advances in Odonatology 6: 89-100.
STERNBERG K., BUCHWALD R. & RÖSKE W., 1999. Coenagrion mercuriale (Charpentier, 1840)
Helm Azurjungfer. Die Libellen Baden-Württenberg. K. B. Sternberg. Stuttgart (Ulmer). Bd.
1 : 255-270.
SUHLING F. & MÜLLER O., 1996. Die Flußjunfern Europas. Gomphidae. DieLibellen Europas 2.
Spektrum. Westrap, Wissenschaften. Heidelberg, Berlin, Oxford, 237pp.
THOMPSON D.J. & WATTS P.C., 2006. The structure of the Coenagrion mercuriale populations in
the New Forest, southern England. In : Adolfo Cordero Rivera (ed), Forests and Dragonflies.
Fourth WDA International Symposium of Odonatology, Pontevedra (Spain), July 2005.
Pensoft Publishers, Sofia–Moscow, pp. 239-258.
UICN, 2000. Catégories et Critères de l’UICN pour la Liste Rouge : Version 3.1. Commission de
la sauvegarde des espèces de l’UICN. UICN, Gland, Suisse et Cambridge, Royaume-Uni. ii +
32 pp.
UICN, 2003. Lignes directrices pour l’application, au niveau régional, des critères de l’UICN pour
la Liste Rouge. Commission de la sauvegarde des espèces de l’UICN. UICN, Gland, Suisse et
Cambridge, Royaume-Uni. ii + 26 pp.
[UICN, 2011. Liste rouge mondiale. <http://www.iucnredlist.org/apps/redlist/search> (consultation
le 10 septembre 2011).]
WATTS P.C., SACCHERI I.J., KEMP S.J. & THOMPSON D.J., 2006. Population structure and the
impact of regional and local habitat isolation upon levels of genetic diversity of the
endangered damselfly Coenagrion mercuriale (Odonata: Zygoptera). Freshwater Biology, 51:
193-205.
____________________
134 Martinia

Mâle de Crocothemis erythraea (Brullé, 1832) posé sur une tige de Phragmites australis
(dessin original de Cyril Girard [www.cyrilgirard.fr]).
Tome 27, fascicule 2, décembre 2011 135

Observation précoce d’un individu sénescent de


Crocothemis erythraea (Brullé, 1832) et discussion
sur son origine (Odonata, Anisoptera : Libellulidae)
Par Philippe LAMBRET
Cabane de Ligagneau, Route de l’Etourneau 13104 Mas-Thibert ; <philambret@hotmail.com>

Reçu le 12 octobre 2011 / Revu et accepté le 23 octobre 2011

Mots-clés : CROCOTHEMIS ERYTHRAEA, SENESCENCE, DISPERSION,


HIVERNAGE.
Key-words: CROCOTHEMIS ERYTHRAEA, SENESCENCE, DISPERSAL,
OVERWINTER.
Résumé : L’observation début mai d’une ♀ de Crocothemis erythraea ayant
les ailes très abîmées est rapportée. Cet état indique qu’il s’agissait d’un
vieil individu et non d’un émergent sous nos latitudes durant l’année de
l’observation. Il ne pouvait s’agir que d’un individu ayant réussi à passer
l’hiver et/ou provenant de latitudes plus méridionales.

Early observation of an old individual of Crocothemis erythraea (Brullé,


1832) and probable origin (Odonata, Anisoptera : Libellulidae)
Summary: I observed in the beginning of May an old female of
Crocothemis erythraea which had very damaged wings. This state indicates
that this individual was old and could not have emerged in the area during
the year of observation. It was rather an individual which succeeded in
overwintering and/or which came from southern latitudes.
____________

Observation
Le 11 mai 2011, j’ai observé dans une jonchaie des Marais du Vigueirat (43°29'55’’ N
/ 04°48’02’’ E) une ♀ de Crocothemis erythraea dont les ailes étaient si endommagées
qu’elles étaient réduites jusqu’à environ 1/3 de leur surface (ailes postérieures, Fig. 1a).
Sa coloration était globalement assez sombre (Fig. 1b).

Discussion
Dans le sud de la France, les observations les plus précoces de cette espèce
correspondent à fin avril (GRAND & BOUDOT, 2006). En 2011, le premier immature des
Marais du Vigueirat a été vu le 19 avril. Les ailes auraient pu être endommagées par un
épisode orageux mais le dernier orage datait du 28 mars (44 mm) et nous n’avons
enregistré depuis lors que 6,2 mm de pluie entre les 23 et 29 avril (données : pluviomètre
des Marais du Vigueirat). Il paraît donc impossible que cette ♀ ait fait sa
136 Martinia

a b
Figure 1. Femelle de Crocothemis erythraea sénescente au printemps ;
a) vue latéro-ventrale, b) vue dorsale.

métamorphose en France en 2011 : les ailes auraient atteint cet état en seulement trois
semaines. L’état des ailes et la coloration de cet imago sont donc à considérer comme des
signes de sa vieillesse extrême. En 2010, les émergences les plus tardives de cette espèce
en PACA ont été enregistrées le 18 août aux Gravières de Puy-Sainte-Réparade (Y.
Blanchon, comm. pers.) et l’observation la plus tardive a été faite le 3 novembre aux
Saintes-Maries-de-la-Mer (B. Vollot, comm. pers.). L’hiver 2010-2011 a été
particulièrement clément en Camargue (Tab. 1), si bien qu’une hypothèse raisonnable est
que cet individu ait passé l’hiver à l’état d’imago dans la région. Ceci a déjà été observé
chez Sympetrum striolatum (Charpentier 1840) dans le nord-est de l’Espagne
(TORRALBA BURRIAL & OCHARAN, 2004).

Nb. de j. < 0 °C T °C mini. T °C moy. Ecart type n


2010 novembre 3 -5,3 7,9 4,7 1659
décembre 10 -6 5,6 5,0 2976
2011 janvier 10 -3,7 6,2 4,4 2976
février 3 -1,2 8,3 3,7 2688
Tableau 1. Températures en Camargue durant l’hiver sensu lato 2010-2011 : nombre de jours avec des
températures en dessous de zéro, température minimale enregistrée durant le mois (°C), moyennes
mensuelles des températures avec écarts types et nombre de données correspondantes (un
enregistrement toutes les 15 minutes ;
données : Amis des Marais du Vigueirat).

L’espèce vole dès février dans la péninsule Ibérique (SANCHEZ et al., 2009) et toute
l’année au Sahara (DIJKSTRA & LEWINGTON, 2007). Crocothemis erythraea tend par
ailleurs à se disperser sur de longues distances (GRAND & BOUDOT, 2006). Si l’état des
ailes de cet individu n’a pu lui permettre de parcourir une grande distance, sa
détérioration prononcée pourrait être une conséquence – partielle – d’un long voyage.
L’origine extra-régionale, et même extra-continentale, est donc une deuxième hypothèse.
Il est difficile de retenir l’une de ces deux hypothèses plus que l’autre, d’autant qu’elles
ne sont pas incompatibles.
Tome 27, fascicule 2, décembre 2011 137

Travaux cités
DIJKSTRA K.-D. B. & LEWINGTON R., 2007. Guide des libellules de France et d'Europe.
Delachaux et Niestlé, 320 pp.
GRAND D. & BOUDOT J.-P., 2006. Les libellules de France, de Belgique et du
Luxembourg. Biotope, coll. Parthénope, Mèze, 480 pp.
SANCHEZ A., PEREZ J., JIMENEZ E. & TOVAR C., 2009. Los Odonatos de Extremadura.
Consejería de Industria, Energía y Medio Ambiante, 344 pp.
TORRALBA BURRIAL A. & OCHARAN F. J., 2004. Presencia y comportamiento invernal de
adultos de Sympetrum striolatum en el NE de España (Odonata: Libellulidae). Boletín
de la Asociación Española de Entomología, 28 (3-4) : 189-191.
____________________

La dispersion spectaculaire d’Hemianax ephippiger en 2011 : un tome


hors-série ?
Afin de marquer cet évènement exceptionnel, la Rédaction souhaiterait voir dans les pages de
Martinia un article synthétisant les observations réalisées à travers la France durant l’année 2011.
Un appel est lancé aux forums entomologiques, aux administrateurs de bases de données, aux
odonatologues... afin de recueillir le plus grand nombre de données qui permettront non seulement
à cet article synthétique de voir le jour, mais aussi à la synthèse européenne prévue par Geert De
Knijf d’être plus complète. Si vous souhaitez contribuer, vous pouvez envoyer vos données à
martinia@libellules.org.

Outre cet article, chaque région ou département pourrait produire articles ou brèves relatant les
faits les plus marquants et inédits de cette dispersion remarquable à l’échelle locale.

La parution d’un tome hors série au mois de juin, en plus du tome classique 28(1), ne pourra se
faire que si un nombre conséquent d’articles sur H. ephippiger, mais également sur d’autres sujets,
sont soumis à la revue.

La sortie d’un tome hors-série influera sur le budget de l’association. Afin de l’adapter au
mieux, nous vous invitons dès à présent, et jusqu’au 31 janvier 2012, à nous indiquer vos
intentions de publication pour le début de l’année.

N’hésitez pas à nous contacter si vous souhaitez en savoir plus.

La rédaction.
138 Martinia

Brève communication

Androchromie partielle chez une femelle de Trithemis annulata


(Palisot de Beauvois, 1807) (Odonata, Anisoptera : Libellulidae)
Par Alain COCHET
27 rue Louis Saint Sevin, 40000 Mont de Marsan ; <alain.cochet7@orange.fr>

Reçu le 1er octobre 2011 / Revu et accepté le 12 octobre 2011

Sur les rives de l’étang de pêche de l’Association Sportive de La Poste et France


Télécom de Mont de Marsan (40), le 23 septembre 2011 en début d’après-midi, j’ai pu
photographier cette ♀ de Trithemis annulata qui avait une face de ♂ (fig. 1) : tandis que
la face des ♀ est d’ordinaire jaunâtre ou brune avec le dessus des yeux marron, celle-ci
avait une face rouge vif et des yeux brun-rouge. L’androchromie est particulièrement
constatée si des individus sont exposés à de fortes températures juste après l’émergence,
mais aussi durant la période de vol (CORBET P.S., 2004. Dragonflies : Behaviour and
ecology of Odonata. Harley books, Colchester, p 278). Des cas d’androchromie,
apparemment peu fréquents, sont connus chez des ♀ de Crocothemis erythraea (Brullé,
1832) (cf p. ex. KOTARAC M., 1996. A note on the existence of androchrome females in
Crocothemis erythraea (Brullé) (Anisoptera: Libellulidae). Notulae Odonatologicae, 4
(7) : 123-124). Ce phénomène concerne alors la totalité de l’individu. Ce qui est
surprenant ici, c’est que seule la tête et non la totalité du corps était touchée par
l’androchromie.

a b

Figure 1. Femelle de Trithemis annulata dont la tête possède une coloration typique des mâles
conspécifiques ; (a) vue latérale, (b) vue frontale.

____________________
Tome 27, fascicule 2, décembre 2011 139

Brève communication

Observations de Coenagrion mercuriale (Charpentier, 1840) et


de Cordulegaster boltonii (Donovan, 1807) à Fontenay-le-Fleury
(Département des Yvelines)
Par Florent HUON* et Edouard DIEU
*
50, avenue de Villepreux, F-78340 Les-Clayes-Sous-Bois ; <florent.huon@gmail.com>

Reçu le 15 novembre 2011 / Revu et accepté le 27 novembre 2011

C’est dans le cadre de l’inventaire Cilif-IdF (PnAO Opie/Sfo et CG-IdF) que nous
avons prospecté en 2010 et 2011 un secteur situé sur la commune de Fontenay-le-Fleury.
A l’ouest de l’agglomération coulent plusieurs rus en contrebas de la partie nord du
plateau de Trappes. Ceux-ci se trouvent encore pour la plupart dans un contexte agricole
et sont donc généralement bien ensoleillés et peu perturbés.

Deux rus ont fait l’objet de notre attention. Le premier, dénommé ruisseau de
l’Oisemont, est situé à l’ouest du quartier des Sables en zone agricole et rejoint le ru de
Gally au nord. Le second, le ru du Fossé Paté, est situé au sud du quartier de la
Démènerie, dans un secteur nettement plus urbain, en zone pavillonnaire à 200 mètres
d'un hypermarché.
Dans ces deux milieux, nous avons eu la surprise d’observer Coenagrion mercuriale
(Charpentier, 1840) le 30 juin 2010 et lors des relevés ultérieurs. L’espèce y présentait
des effectifs de quelques individus à une centaine selon les secteurs et les dates des
relevés. Des comportements de reproduction ont été constatés (tandems et
accouplements). Coenagrion mercuriale figure à l’annexe 2 de la directive Habitats
92/43/CEE et est protégé en Europe. Il est classé quasi menacé (NT) sur la Liste Rouge
européenne publiée par l'IUCN en 2010.
Sur le ruisseau de l’Oisemont, nous avons également observé quelques individus de
Cordulegaster boltonii (Donovan, 1807), espèce protégée en Ile-de-France.
Quelques individus d’Ischnura elegans (Vander Linden, 1820) et de Coenagrion
puella (Linnaeus, 1758) sont également présents sur le ruisseau de l’Oisemont. Il est
vraisemblable que d’autres Odonates y soient aussi présents.

Ces deux sites sont situés dans la plaine de Versailles, qui jouit, pour sa partie située
dans le prolongement du Parc du château de Versailles, d’un statut particulier limitant en
particulier l’urbanisation. Il s’agit pour se secteur d’un site classé depuis 2000, au titre de
la loi du 2 mai 1930. Malheureusement, Fontenay-le-Fleury n’est concerné par ce statut
que sur sa partie est.
Malgré tout, si pour le ru du Fossé Paté, il sera sans doute difficile d’améliorer son
état actuel, il en est tout autrement du ruisseau de l’Oisemont qui se trouve encore pour
le moment en secteur agricole, bien ouvert et bordé d’hélophytes (Carex, etc.). Il est
140 Martinia

encore possible de maintenir et d'améliorer son état de conservation pour assurer ainsi la
pérennité de ces deux espèces patrimoniales.

Nous remercions Jean-Louis Dommanget et Maxime Ferrand (Sfo) pour avoir validé
nos données et pour avoir réalisé quelques observations et effectué des analyses d’eau
dans le cadre de cette découverte, ainsi que Gérard Grolleau pour les informations
relatives à la plaine de Versailles.
____________________
Tome 27, fascicule 2, décembre 2011 141

Rejet d’une proie capturée par un Zygoptère (Odonata)


et implication en termes de chemioréception
Par Philippe LAMBRET
1
Cabane de Ligagneau, Route de l’Etourneau, F-13104 Mas-Thibert ; <philambret@hotmail.com>

Reçu le 2 décembre 2011 / Revu et accepté le 4 décembre 2011

Mots-clés : REJET, PROIE, CHEMIORECEPTEUR, COCCINELIDAE, ZYGOPTERE.


Key-words: REJECTION, PREY, CHEMIORECEPTOR, COCCINELIDAE,
ZYGOPTERA.
Résumé : Une femelle de Lestes macrostigma qui captura un Coleoptère
Coccinelidae puis le rejetta a été photographiée. Il semble que la proie ait
été rejetée en raison de son goût désagréable. Cette observation conforte
l’hypothèse selon laquelle les Odonates possèdent des chemiorecepteurs
dédiés au sens du goût.
Rejection of a prey captured by a Zygoptera (Odonata) and implication in
term of chemoreception.
Summary: A female of Lestes macrostigma which captured a Coleoptera
Coccinelidae and abandoned it then has been photographed. It seems that the
prey has been rejected because of distasteful reasons. This observation
sustains the fact that Odonata have chemoreceptors which are dedicated to
taste.
____________

Introduction
Parmi les récepteurs sensoriels dont disposent les Insectes certains sont sensibles à
des substances chimiques. Ces chemiorecepteurs dotent ainsi les espèces qui les portent
du sens de l’odorat et/ou du goût. Les chemiorécepteurs liés au sens du goût sont le plus
souvent localisés dans la région buccale de l’Insecte, et parfois sur les antennes ou sur les
tarses (ANONYME, 2011). Les informations concernant le goût sont rares pour les
Odonates adultes. On sait cependant qu’Erythemis vasiculosa (Fabricius, 1775) rejette
Siproeta stelenes (Lepidoptera Nymphalidae) apparemment après être entré en contact
avec son hémolymphe (ALONSO-MEJIA & MARQUEZ, 1994 in CORBET, 2004). Il est
supposé que les sensilles présentes dans la bouche des Odonates renseignent sur le goût
des proies après leur capture (TEMBHARE & WAZALWAR, 1995 in CORBET, 2004).

Observation
Le 1er juillet 2009, je prenais en photo en mode « rafale » une ♀ de Lestes
macrostigma (Eversmann, 1836) qui chassait. En visionnant les photos prises, j’en
découvrais une série où l’on constate la capture d’un Coccinelidae (Fig. 1a), son maintien
alors que le vol de la ♀ se poursuit (Fig. 1b) puis l’absence de la proie (Fig. 1c). Les trois
clichés ont été pris durant un temps inférieur à une seconde.
142 Martinia

a b c
Figure 1. Femelle de Lestes macrostigma (a) capturant un Coccinelidae, puis (b-c) l’abandonnant.

Discussion
La perte de la proie pourrait être invoquée. Les Odonates sont connus pour leur
capacité à maintenir des proies parfois plus grosses qu’eux et/ou dans des conditions
difficiles (par ex. : DE KNIJF & MUUSE, 2011 ; LAMBRET, 2011). Lestes macrostigma est
capable de se nourrir de proies de taille respectable telle qu’Ishnura elegans (Vander
Linden, 1820) ou des Diptères Tipulidae (obs. pers.). Cette hypothèse paraît donc peu
probable. CORBET (2004) évoque le fait que la dureté de l’exosquelette d’une proie – qui
ne peut être évaluée avant que le prédateur ne tienne sa proie – peut être un moyen de
défense efficace. Mais L. macrostigma consomme régulièrement des Coléoptères
Dysticidae (obs. pers.) et cette seconde hypothèse ne paraît pas plus satisfaisante.
Les Coccinelidae possèdent des glandes répugnatoires (CHINERY, 1988) qui
confèrent à leur hémolymphe une odeur désagréable. Les Lestes sont des percheurs
(CORBET, 2004) et consomment leur proies lorsqu’ils sont posés. En admettant que la
proie ait été portée à la bouche avant que le Lestes n’ait atterri – ou qu’il possède des
chémorécepteurs sur les pattes – il est donc plausible que cette ♀ ait abandonné sa proie
pour des raisons chimiques ; ce qui conforterait l’hypothèse selon laquelle les Odonates
possèdent le sens du goût.

Travaux cités
ALONSO-MEJIA A. & MARQUEZ M., 1994. Dragonfly predation on butterflies in a tropical dry
forest. Biotropica 26: 341-344. In CORBET P.S., 2004. Dragonflies : Behaviour and ecology
of Odonata. Harley books, Colchester, p 354.
[ANONYME, 2011. Insect physiology. <http://en.wikipedia.org/wiki/Insect_physiology>, consulté le
2 décembre 2011.]
CHINERY M., 1988. Insectes de France et d’Europe occidentale. Arthaud, Paris, 320 pp.
CORBET P.S., 2004. Op. cit.
DE KNIJF G. & MUUSSE T., 2011. Predatie van Glassnijder (Brachytron pratense) op Viervlek
(Libellula quadrimaculata) en op Smaragdlibel (Corduliae aenea). Brachytron 14 : 54-58.
LAMBRET P., 2011. Cas d’un mâle d’Anax parthenope (Selys, 1839) se nourrissant au sol renversé
sur le dos (Odonata, Anisoptera : Aeshnidae). Martinia 27 (1) : 66-67.
TEMBHARE D.B. & WAZALWAR S.M., 1995. Mouthpart sensilla in the dragonfly Brachythemis
contaminata (Fabr.). Abstract, 13th International Symposium of Odonatology, Essen: 53, Oral.
In CORBET P.S., 2004. Op. cit.
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Tome 27, fascicule 2, décembre 2011 143

In memoriam Renaud Bernhard


Par Pierre JULIAND1 et Benoît GUILLON2
1
Le serre F - 07110 Joannas ; <christine.juliand@wanadoo.fr>
2
Les Hautes Roches F - 49600 Beaupréau ; <benoit.guillon@meslibellules.fr>

Reçu le 6 novembre 2011 / Revu et accepté le 8 novembre 2011

Renaud,
Tu nous as quittés ce 23 octobre, sale journée pour
nous !
Comme beaucoup d’odonatologues je t’ai connu
grâce au forum insecte.org et nous avons sympathisé
virtuellement. Puis ta passion t’a conduit vers nos
rivières ardéchoises en 2009, mais c’est l’année
suivante que Christine Juliand et moi avons pu te
rencontrer sur nos spots à Macromia splendens…Un
suisse bardé de matériel photo pataugeant comme nous
dans ces cours d’eau, belle image !
Puis l’Ardèche t’a accueilli à nouveau en 2011 et là,
tu as visité d’autres sites où se côtoient Oxygastra
curtisii, Gomphus graslinii et M. splendens. Tu as très
vite compris où et à quels moments observer au mieux
M. splendens et, sur tes trois séjours, tu as vu plus
d’individus posés que nous en 20 ans !
Et à la fin de ton séjour de 2011 je t’ai guidé sur le
site à Coenagrion lunulatum. Autre décor, autre ambiance mais là aussi, même si tu étais peu
démonstratif, je t’ai vu content d’avoir fait une coche, marchant à pas mesurés sur ce site, à l’affût
de tout ce qui volait et le Canon a bien chauffé.
Je suis honoré d’avoir pu te rencontrer, homme passionné dont les connaissances
odonatologiques auraient pu te permettre de publier sur de nombreux sujets, mais non, tu as œuvré
dans la discrétion et l’humilité, préférant mettre à disposition tes compétences à tous ceux qui le
demandaient sur le forum, n’est-ce pas Benoît…

Merci à toi
Pierre
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Que dire de Renaud que je ne connaissais pas. Avec lequel j'ai échangé tant de messages, de
mails et de photos depuis 5 ans. Je ne l'avais jamais vu, je ne connaissais ni son âge, ni son
physique, ni sa profession, rien de ce qui nous rapproche et peut créer des liens dans le monde réel.
Renaud était un ami virtuel...
Et c'est la première fois que je perds un ami réel du monde virtuel.
144 Martinia

Je ne suis pas le seul à le perdre, toute notre communauté odonatologique, en particulier notre
forum odonates d'insecte.org, se sent abandonné.
Après 30 ans de libellules, sa passion était intacte et la façon dont il savait partager la somme
de ses connaissances témoignait de son humilité; prêt pour chacun à chercher dans sa biblio, à
refaire des croquis, des scans, à travailler des photos pour expliquer, à interroger les listes
spécialisées, prêt à douter de ses connaissances. Bien que l'un des plus savants d'entre nous, il
s'enthousiasmait d'apprendre tel ou tel détail que des clichés improbables ou des observations
inattendues pouvaient révéler.
Discret, réservé, mais très présent et actif, il avait pris une place immense sur notre forum.
Il était, avec Pierre, l'un de mes soutiens dans mon rôle d'animateur.
Il nous reste le plaisir de poursuivre ce qui le passionnait : découvrir, comprendre et expliquer.
Benoît.
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