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ANNUAIRE FRANÇAIS DE DROIT INTERNATIONAL
LVII – 2011 – CNRS Éditions, Paris
ARBITRAGE TRANSNATIONAL
ET DROIT INTERNATIONAL GÉNÉRAL
(2011)
PATRICK JACOB
FRANCK LATTY
I. – ARBITRAGE TRANSNATIONAL
ET SOURCES DU DROIT INTERNATIONAL
sentence du 31 octobre 2011, §§ 322 et s., 340, 447-448 (pouvoir souverain de l’État de choisir sa politique
économique et d’adopter des mesures fiscales) ; CIRDI, Abaclat et al. (anciennement Giovanna a Beccara et
al.) c. Argentine, aff. n° ARB/07/5, décision sur la compétence et la recevabilité, 4 août 2011, §§ 476, 548 et s.
(rejet de l’exception d’incompétence fondée sur le fait que le différend concerne la restructuration de dettes
souveraines ; contra op. diss. G. Abi-Saab, §§ 269-271) ; CIRDI, Tza Yap Shum c. Pérou, aff. n° ARB/07/6,
sentence du 7 juillet 2011, §§ 95, 125 (présomption de légitimité des mesures de puissance publique,
spécialement celles prises pour le respect de l’ordre public) ; CNUDCI, Sergei Paushok, CJSC Golden East
Company et CJSC Vostokneftegaz Company c. Mongolie, sentence sur la compétence et la responsabilité,
28 avril 2011, §§ 298 et s. (droit de modifier le cadre législatif, de prévoir des taux d’imposition très élevés,
d’adopter des lois rapidement et sans consultation, d’imposer certains secteurs et non d’autres) ; CIRDI,
Impregilo S.p.A. c. Argentine, aff. n° ARB/07/17, sentence du 21 juin 2011, § 290 (le standard de traitement
juste et équitable n’interdit pas à l’État de faire évoluer sa législation).
6. Voy. R. HOFMANN / Ch. J. TAMS (dir.), International Investment Law and General International Law.
From Clinical Isolation to Systemic Integration ?, Baden-Baden, Nomos, 2011, 275 p., notamment l’intro-
duction des deux auteurs, « International Investment Law : Situating an Exotic Special Regime within the
Framework of General International Law », pp. 9-15. Voy. aussi J. E. ALVAREZ, « The Public International
Law Regime Governing International Investment », RCADI, 2011, vol. 344, pp. 368-433.
7. G. BASTID BURDEAU, « Rapport de synthèse », in F. HORCHANI (dir.), CIRDI, 45 ans après. Bilan
d’un système, Paris, Pedone, 2011, p. 434.
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arbitrage transnational et droit international général 535
A. Traités
L’affaire Libananco, fondée sur le traité sur la charte de l’énergie, a soulevé l’in-
téressant problème de la définition des réserves aux traités. La Turquie entendait
se prévaloir de la clause d’exclusion (dite aussi d’opting out) contenue à l’article 26
du traité, relatif au règlement des différends entre un investisseur et une partie
contractante. Le paragraphe 3 de la disposition prévoit en effet que l’État peut, en
figurant sur la liste de l’annexe ID du traité 8, ne pas donner son « consentement
inconditionnel » à l’arbitrage lorsque le différend a été soumis à ses juridictions
internes 9. Il est également prévu que l’État souhaitant se prévaloir de cette échap-
patoire transmet une notification indiquant « ses politiques, pratiques et conditions
en la matière ». Au vu de la notification de la Turquie qui se référait au principe de la
res judicata comme fondement à la limitation de son consentement, le tribunal s’est
interrogé sur la nature de la notification : s’agissait-il d’une déclaration similaire ou
équivalente à une réserve, dont le contenu conditionnait l’étendue et les effets des
limites apportées au consentement à l’arbitrage 10 ? Le tribunal a répondu par la
négative : selon lui, la limitation du consentement à l’arbitrage offerte aux États par
l’article 26, § 3, opère de manière automatique, i.e. par leur simple inscription sur
la liste qui permet de les identifier définitivement, sans que le contenu de la notifi-
cation, qui intervient pour des « raisons de transparence » selon l’article 26, puisse
conditionner ni le principe même de la limitation ni son étendue 11. Au surplus,
le tribunal a constaté que l’article 46 du traité sur la charte de l’énergie interdit
les réserves, ce qui l’a conduit à refuser d’envisager le système de l’article 26, § 3,
comme s’il s’agissait d’un « purpose-built regime for permitted reservations » 12 au
traité sur la charte de l’énergie ; il a refusé au même titre d’appliquer à l’article 26,
§ 3, les règles relatives aux réserves de la convention de Vienne sur le droit des
traités et du droit international général 13.
Une telle solution encourt la critique – le tribunal l’admet lui-même à demi-
mot 14 – au regard du texte même de l’article 26 du traité qui vise les États ne
donnant pas un « consentement inconditionnel », ce qui a contrario pourrait signifier
que leur acceptation est soumise à conditions, et non qu’il y a automatiquement
absence de tout consentement. L’article 26 précise encore que la notification que
8. L’Annexe ID comporte la « liste des parties contractantes qui ne permettent pas à un investisseur
de soumettre de nouveau le même différend à un arbitrage international, à un stade ultérieur, au titre
de l’article 26 ».
9. Article 26, § 2 : « Si un différend […] n’a pu être réglé [à l’amiable], l’investisseur partie au différend
peut choisir de le soumettre, en vue de son règlement : a) aux juridictions judiciaires ou administratives de
la partie contractante qui est partie au différend ; ou b) conformément à toute procédure de règlement des
différends applicable préalablement convenue ; ou c) conformément aux paragraphes suivants du présent
article » ; § 3 : « a) Sous réserve des seuls points b) et c), chaque partie contractante donne son consente-
ment inconditionnel à la soumission de tout différend à une procédure d’arbitrage […] ; b) i) Les parties
contractantes énumérées à l’annexe ID ne donnent pas ce consentement inconditionnel si l’investisseur a,
au préalable, soumis ce différend selon les procédures prévues au paragraphe 2) points a) ou b). ii) Pour
des raisons de transparence, chaque partie contractante qui est indiquée à l’annexe ID communique par
écrit ses politiques, pratiques et conditions en la matière au Secrétariat au plus tard à la date de dépôt de
son instrument de ratification, d’acceptation ou d’approbation conformément à l’article 39, ou au dépôt de
son instrument d’adhésion conformément à l’article 41 […] ».
10. CIRDI, Libananco Holdings Co. Limited c. Turquie, aff. n° ARB/06/8, sentence du 2 septembre
2011, § 545.
11. Id., § 546.
12. Id., § 547.
13. Ibid.
14. Ibid.
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536 arbitrage transnational et droit international général
i) Pour trancher les litiges qui leur sont soumis, les tribunaux arbitraux sont
immanquablement conduits à interpréter des traités internationaux 21, non seule-
ment le traité de protection des investissements applicable, mais encore la conven-
tion de Washington pour les tribunaux ou comités ad hoc constitués dans le cadre
du CIRDI 22. L’hommage à l’article 31 (« Règle générale d’interprétation »), le cas
23. CPA (CNUDCI), HICEE B.V. c. Slovaquie, sentence partielle du 23 mai 2011, § 115 ; comité ad
hoc CIRDI, Duke Energy International Peru Investments n° 1, Ltd c. Pérou, décision du 1er mars 2011, § 85.
24. CNUDCI, White industries Australia Ltd. c. Inde, sentence finale, 30 novembre 2011, § 7.3.2 et
11.2.6.
25. La règle est citée in extenso à plusieurs reprises in CIRDI, El Paso Energy International Company
c. Argentine, aff. n° ARB/03/15, sentence du 31 octobre 2011, § 338, 614, 730. Voy. aussi CIRDI, Hochtief
AG c. Argentine, aff. n° ARB/07/31, décision sur la compétence et la recevabilité, 24 octobre 2011, §§ 26 et
s. ; CIRDI, Spyridon Roussalis c. Roumanie, aff. n° ARB/06/1, sentence du 7 décembre 2011, §§ 311, 335,
869, 875. Pour le comité ad hoc de l’affaire Togo-Electricité, la règle d’interprétation de l’article 31 est
« universellement reconnue par des tribunaux et des comités ad hoc CIRDI comme le principe directeur en
la matière » (comité ad hoc CIRDI, Togo-Electricité et GDF-Suez Énergie Services c. Togo, aff. n° ARB/06/07,
décision en annulation du 6 septembre 2011, § 45).
26. J.-M. SOREL, commentaire de l’article 31, in O. CORTEN / P. KLEIN, Les Conventions de Vienne sur
le droit des traités. Commentaire article par article, Bruxelles, Bruylant, 2006, p. 1319.
27. CIRDI, El Paso Energy International Company c. Argentine, aff. n° ARB/03/15, sentence du
31 octobre 2011, § 591 (interprétation des dispositions du traité selon le sens des termes au moment de la
conclusion du traité et non au vu de la pratique conventionnelle ultérieure) ; CIRDI, Libananco Holdings
Co. Limited c. Turquie, aff. n° ARB/06/8, sentence du 2 septembre 2011, § 533 (priorité au sens ordinaire
si aucun élément ne permet d’identifier un sens particulier).
28. Ex. : sentence El Paso, § 319 ; CIRDI, Tza Yap Shum c. Pérou, aff. n° ARB/07/6, sentence du
7 juillet 2011, § 187.
29. Ex. : sentence El Paso, § 237 ; sentence Tza Yap Shum, § 188.
30. Ex. : sentence El Paso, § 237 ; sentence Tza Yap Shum, § 189-192 (jurisprudence de la CIJ).
31. Ex. : sentence El Paso, § 599 ; CNUDCI, Alps Finance and Trade AG c. Slovaquie, sentence du
5 mars 2011, §§ 225 et s. ; CIRDI, Impregilo S.p.A. c. Argentine, aff. n° ARB/07/17, sentence du 21 juin
2011, §§ 80 et s.
32. Ex. : sentence El Paso, §§ 602, 616-624 (interprétation de la clause de sauvegarde du TBI à l’aide
des règles coutumières de responsabilité). Voy. aussi infra I, A, 3 (état de nécessité) et III, B, 2, (question
du droit applicable).
33. Ex. : sentence El Paso, § 604 (mise en place d’un système équilibré).
34. CIRDI, Abaclat et al. (anciennement Giovanna a Beccara et al.) c. Argentine, aff. n° ARB/07/5,
décision sur la compétence et la recevabilité, 4 août 2011, §§ 291 et s. Sur cette question voy. infra III.
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tribunal s’est référé, dans le cadre des principes d’interprétation des traités 35, à
l’objet et au but de la convention de Washington 36.
Les arbitres dissidents n’hésitent pas, de leur côté, à dénoncer dans leurs
opinions le dévoiement des articles 31 et 32 de la convention par le tribunal arbi-
tral qui les a isolés. Ainsi, Georges Abi-Saab a vigoureusement adressé le reproche
suivant aux arbitres de l’affaire Abaclat :
« the principles of treaty interpretation, as codified in articles 31 and 32 of the Vienna
Convention on the Law of Treaties of 1969, prescribe starting with the text in its
context and be guided by the object and purpose of the treaty, if need be, to clarify
any subsisting ambiguity. These principles do not prescribe nor justify, the invocation
left and right by the Tribunal, of the object and purpose, as subjectively represented
by it, in order to deduce directly from them the solutions it seeks to reach, jumping
over text, context and general rules of international law applicable to the matter » 37.
L’attitude « cavalière » 38 de certains tribunaux arbitraux à l’égard des règles
d’interprétation de la convention de Vienne a été également relevée par la doctrine,
qui déplore « the general tendency to let policy considerations unduly influence the
interpretative approach » 39 et voit dans l’affichage du recours aux articles 31 et 32
un moyen de justifier un résultat voulu à l’avance 40. Ces remarques, confrontées
à des interprétations particulièrement hardies comme celle menée dans l’affaire
Abaclat, ne paraissent pas dénuées de fondement. Pourtant, à rebours, on peut leur
opposer le fait que « [t]he rules of interpretation are not there to provide the answer
to a particular question of interpretation ; they give you the techniques by which
you find the answer to your question » 41. Pour dire les choses autrement, l’inter-
prétation n’est pas une science exacte, de même que la règle énoncée à l’article 31
n’est pas une formule mathématique fournissant par a + b la solution unique
à tout problème d’interprétation. La convention de Vienne offre simplement des
« directives générales » 42, parmi lesquels l’interprète – les arbitres majoritaires le
cas échéant – puise pour donner le sens à un énoncé – ou à un silence – donné. Le
débat renvoie à vrai dire aux fondements même de la théorie de l’interprétation,
fonction de la connaissance 43 ou bien fonction de la volonté 44.
45. Voy. comité ad hoc CIRDI, Togo-Electricité et GDF-Suez Énergie Services c. Togo, aff. n° ARB/06/07,
décision en annulation du 6 septembre 2011, §§ 46 et 57, où le tribunal se réfère aux travaux préparatoires
pour « confirmer » son interprétation de l’article 57 de la convention de Washington. Voy. aussi CIRDI,
Libananco Holdings Co. Limited c. Turquie, aff. n° ARB/06/8, sentence du 2 septembre 2011, §§ 551 et s.,
au sujet du terme « État tiers » dans le traité sur la charte de l’énergie.
46. Sur l’articulation entre les art. 31 et 32, voy. CPA (CNUDCI), HICEE B.V. c. Slovaquie, sentence
partielle du 23 mai 2011, §§ 117 et s. Contestant le recours à l’art. 32 alors que l’interprétation au terme
de l’art. 31, qualifié de « critère primaire d’interprétation » ne le justifiait pas, voy. l’opinion dissidente de
Ch. N. Brower, §§ 38 et s.
47. « Un terme sera entendu dans un sens particulier s’il est établi que telle était l’intention des
parties ».
48. CIRDI, El Paso Energy International Company c. Argentine, aff. n° ARB/03/15, sentence du
31 octobre 2011, § 607.
49. Voy. Y. LE BOUTHILLIER, commentaire de l’article 32 in O. CORTEN / P. KLEIN, op. cit. note 26,
pp. 1366 et s.
50. CPA (CNUDCI), HICEE B.V. c. Slovaquie, sentence partielle du 23 mai 2011, § 137.
51. Id., § 136.
52. Ibid.
53. Id., § 137.
54. Id., § 139.
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est discutée, mais un État et investisseur non partie, qui n’a généralement pas
accès à l’historique des négociations, sauf lorsque les travaux préparatoires ont été
rendus publics. Comme le tribunal de l’affaire Perenco l’a noté, « [i]n investor-State
arbitration, the private claimant does not speak for its State of nationality nor does
it necessarily have access to the State’s records relating to the negociating history
of the treaty which it invokes » 55. Le principe du contradictoire et de l’égalité des
armes pourrait justifier la mise à l’écart de cette technique interprétative, ou à
tout le moins requérir du tribunal une extrême prudence dans l’appréciation de
travaux préparatoires fournis exclusivement par l’État défendeur 56. Dans l’affaire
Perenco, le demandeur, une société des Bahamas, entendait se prévaloir du TBI
France/Équateur à l’encontre de ce dernier État, arguant de son contrôle indirect
par des intérêts français 57. L’Equateur avait en l’occurrence sorti de ses archives
des documents de négociation montrant que, dans la définition des sociétés proté-
gées par le traité, la mention du caractère « direct ou indirect » du contrôle avait
été supprimée, ce qui tendrait à exclure la compétence personnelle du tribunal à
l’égard d’une société indirectement contrôlée par des Français. L’argument était
renforcé par le fait qu’une telle rédaction divergeait par rapport au modèle français
de TBI et aux traités conclus par la France à cette époque 58. Incapable d’inter-
préter le traité au moyen de la règle générale de l’article 31 de la convention de
Vienne – la décision arbitrale aurait pu préciser que sa mise en œuvre « laiss[ait] le
sens ambigu ou obscur », conformément à l’article 32 –, le tribunal a semblé consi-
dérer que l’analyse des travaux préparatoires constituait la clé de l’interprétation
de la disposition controversée. Toutefois, pour éviter d’avoir une vision tronquée
des négociations, il a préféré surseoir à statuer sur la question de sa compétence
personnelle et inviter les parties à rentrer en contact avec les autorités françaises
afin de leur faire part de l’intérêt du tribunal pour les travaux préparatoires du
TBI conclu avec l’Équateur 59. L’interprétation de la clause du traité litigieuse, qui
conditionne largement l’issue du différend, repose donc dans une large mesure sur
la bonne volonté d’un État tiers au litige. Cette solution montre une nouvelle fois
que la transposition au contentieux transnational de règles nées dans un contexte
interétatique ne se fait pas sans à-coups.
B. Autres sources
1. Coutume
55. CIRDI, Perenco Ecuador Limited c. Équateur et Empresa Estatal Petróleos del Ecuador, aff.
n° ARB/08/6, décision sur la compétence, 30 juin 2011, § 92. Le tribunal renvoie à l’opinion dissidente de
Sir F. Berman jointe à la décision du comité ad hoc CIRDI, Industria Nacional de Lalimentos, SA et Indalsa
Perù c. Pérou, aff. ARB/03/04, 5 septembre 2007, § 9.
56. Sir F. BERMAN, « Evolution or Revolution ? », in Ch. BROWN / K. MILES, op. cit. note 41, p. 669.
57. Le tribunal note à ce sujet le caractère inédit de ce recours par un « national » qui n’a la nationalité
d’aucun des deux États parties au traité (CIRDI, Perenco Ecuador Limited c. Équateur et Empresa Estatal
Petróleos del Ecuador, aff. n° ARB/08/6, décision sur la compétence, 30 juin 2011, § 90).
58. Id., §§ 74 et s.
59. Id., § 94. Le tribunal précise qu’il « is not inviting argument from the French Republic. Rather, it
wishes to receive any travaux préparatoires that may shed light on the way in which this Treaty may differ
from other contemporaneous French Treaties » (§ 95). Cf. infra III, C, 4, la question de la participation à la
procédure arbitrale d’États parties au traité applicable mais tiers au litige.
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arbitrage transnational et droit international général 541
60. Voy. M. PAPARINSKIS, « Investment Treaty Interpretation and Customary Investment Law :
Preliminary Remarks », in Ch. BROWN / K. MILES, op. cit. note 41, pp. 65 et s. et infra III, B (Droit
applicable).
61. CIRDI, El Paso Energy International Company c. Argentine, aff. n° ARB/03/15, sentence du
31 octobre 2011, §§ 617 et s. (exclusion de l’état de nécessité lorsque l’État a contribué à la situation de
nécessité).
62. CNUDCI (ALENA), Grand River Enterprises e.a. c. États-Unis d’Amérique, sentence du 12 janvier
2011, § 210.
63. Id., 59.
64. Id., § 210.
65. Id., § 211. Voy. aussi infra III, B, 2 (Droit applicable).
66. P. DAILLIER / M. FORTEAU / A. PELLET, op. cit. note 42, p. 381, n° 223.
67. M. VIRALLY, « Le rôle des “principes” dans le développement du droit international », in Le droit
international en devenir. Essais écrits au fil des ans, Paris, P.U.F., 1990, p. 203.
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68. M. VIRALLY, « Vers un tiers droit ? Réflexions théoriques », in Le droit des relations économiques
internationales (Études offertes à B. Goldman), Paris, Litec, 1982, p. 383.
69. CIRDI, Malicorp Limited c. Égypte, aff. n°ARB/08/18, sentence du 7 février 2011, § 116.
70. Comité ad hoc CIRDI, Continental Casualty Company c. Argentine, aff. n° ARB/03/9, décision sur
la demande d’annulation, 16 septembre 2011, §§ 268, 272.
71. CIRDI, Abaclat et al. (anciennement Giovanna a Beccara et al.) c. Argentine, aff. n° ARB/07/5,
décision sur la compétence et la recevabilité, 4 août 2011, § 436
72. P. DAILLIER / M. FORTEAU / A. PELLET, op. cit. note 42, p. 384, n° 225.
73. Voy. D. CARREAU / F. MARRELLA, Droit international, 11e éd., Paris, Pedone, 2012, p. 336, n° 41 ;
A. PELLET, Recherche sur les principes généraux de droit en droit international public, Thèse, Paris, 1974,
pp. 321-322.
74. CIRDI, El Paso Energy International Company c. Argentine, aff. n° ARB/03/15, sentence du
31 octobre 2011, § 622.
75. Id., § 623.
76. Id., § 624.
77. Id., §§ 617 et s.
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valeur coutumière 78, une telle « relégation » montre que les principes n’occupent
qu’une place subsidiaire dans l’arbitrage fondé sur des traités de protection des
investissements comme au sein du « droit de la société interétatique » 79. Cette
situation est d’autant plus paradoxale que dans l’arbitrage fondé sur des contrats
d’État comme sur des contrats de droit privé, au niveau du CIRDI comme devant
les tribunaux arbitraux du commerce international, ce mode de formation du droit
continue de connaître un vif succès 80.
3. Actes unilatéraux
Comme en 2010 81, certains tribunaux arbitraux ont été confrontés à des actes
unilatéraux émis par des États. Concernant les actes intervenant, selon la typologie
de la CDI, « dans l’exercice de la liberté des États d’agir au plan international » 82, le
tribunal de l’affaire El Paso a été conduit, dans le cadre de l’examen de la violation
alléguée du traitement juste et équitable, à examiner la politique « agressive » de
promotion de son programme de privatisation menée à l’étranger par l’Argentine,
notamment auprès d’investisseurs américains à l’occasion de road shows sur le
territoire américain 83. Le demandeur assimilait ces démarches à des actes unilaté-
raux au sens de la jurisprudence de la Cour internationale de Justice dans l’affaire
des Essais nucléaires. Sans surprise, le tribunal a rapidement écarté l’argument :
« what is involved here are two totally different types of unilateral declarations – one
made before the highest judicial body in the world, the other in commercial meet-
ings – and […] no lesson can be drawn from the Nuclear Tests cases to give legal
weight to investment-promoting road shows. In the Tribunal’s view, such political
and commercial incitements cannot be equated with commitments capable of creating
reasonable expectations protected by the international mechanism of the BIT » 84.
Le même sort a été réservé par le tribunal au préambule d’un décret mention-
nant la garantie de la stabilité de l’environnement juridique et à une déclaration
politique du président de la République au Congrès dans le même sens – s’agissant
de cette dernière, le tribunal « is aware, as is every individual, of the limited confi-
dence that can be given to such political statements in all countries of the world »
78. Voy. par ex. CPJI, Emprunts serbes, arrêt du 12 juillet 1929, série A, n° 29, pp. 33-40 ; Emprunts
brésiliens, arrêt du 12 juillet 1929, série A, n° 21, p. 120 (force majeure en tant que principe général de
droit).
79. D. CARREAU / F. MARRELLA, op. cit. note 73, pp. 343 et s.
80. Id., pp. 341-342. La « méthode des règles transnationales » (E. GAILLARD, « Trente ans de lex
mercatoria. L’application sélective de la méthode des principes généraux du droit », JDI, 1995, p. 22) mise
en œuvre par les arbitres du commerce international est en effet similaire à celle qui préside à la formation
de principes généraux de droit dans l’ordre international, même si les exigences en termes de partage
du principe parmi les principaux systèmes juridiques sont moindres. Voy. à cet égard l’étonnante opinion
dissidente de J. Voss jointe à la sentence Lemire, dans laquelle l’arbitre minoritaire s’efforce de dégager
un principe général de droit sur le lien de causalité en matière d’offres publiques à partir de l’exemple des
seuls droits européen et allemand, avant d’évaluer ce principe au regard de « principes » plus généraux
du droit international, « notably the bias against awarding “speculative profits” and the requirement of
“particularizing’ damages” » (op. diss., §§ 272 et s. et §§ 290 et s. ; contra CIRDI, Joseph Charles Lemire
c. Ukraine, aff. n° ARB/06/18, sentence du 28 mars 2011, § 297, note 317).
81. Voy. cette chronique, in cet Annuaire, 2010, pp. 628.
82. CDI, Principes directeurs applicables aux déclarations unilatérales des États susceptibles de
créer des obligations juridiques, Ann. CDI, 2006, A/61/10, § 176.
83. Voy. CIRDI, El Paso Energy International Company c. Argentine, aff. n° ARB/03/15, sentence du
31 octobre 2011, § 84 (« In these meetings, the new-found openness of Argentina’s economy and the stability of
the new investment framework were emphasised. Potential investors were led to assume that prices would be
determined by market mechanisms and that costs and capacity payments be denominated in dollars »).
84. Id., § 392.
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(sic) 85. Il faut toutefois noter que dans cette affaire comme dans l’affaire GEA
Group 86, les tribunaux arbitraux n’ont pas exclu par principe que la jurisprudence
de la Cour sur les actes unilatéraux, qui concerne les relations interétatiques, soit
transposée au cas des relations transnationales, i.e. qu’un État puisse unilaté-
ralement prendre un engagement international à l’égard d’une personne privée
étrangère.
L’affaire Brandes a par ailleurs confronté le tribunal saisi à un acte unilatéral
émis « dans le cadre et sur le fondement d’une habilitation expresse du droit inter-
national » 87, dans la mesure où était examinée la clause de règlement des différends
de la loi vénézuélienne de promotion et de protection des investissements de 1999,
qui mentionnait le CIRDI et pouvait dès lors être envisagée comme découlant
d’une habilitation de la convention de Washington 88. Le tribunal a toutefois semblé
s’éloigner de l’approche purement internationaliste des tribunaux Mobil et CEMEX
qui les avait conduits à envisager l’article 22 de la loi comme un acte international,
soumis aux règles d’interprétation du droit international, lesquelles, accordant une
attention particulière à la volonté de l’État, impliquaient la prise en compte des
règles vénézuéliennes d’interprétation 89. De manière moins alambiquée mais plus
« impressionniste », le tribunal s’est fondé sur la nature à la fois interne et interna-
tionale de la disposition pour considérer que « the initial process of interpretation
should be conducted according to the parameters set by the Republic legal system »
mais que le résultat de l’interprétation ayant des « direct effects on the operation of
Article 25 of the ICSID Convention, the conclusions from that initial analysis must
be read in accordance with the principles of international law » 90. L’analyse de la
disposition menée par la suite, au terme d’une analyse grammaticale écartée car
non concluante, de l’examen de son contexte, des circonstances de son adoption et
des buts poursuivis 91, ne diverge guère des méthodes de la convention de Vienne
sur le droit des traités, au point qu’on peut se demander si le tribunal n’aurait
pas pu dégager des principes « transnationaux » 92, pour ne pas dire universels,
d’interprétation, applicables à des actes à la fois nationaux et internationaux, lui
évitant la « gymnastique », largement fictive, de la double interprétation au regard
du droit vénézuélien et du droit international public 93.
4. Jurisprudence et doctrine
94. Comité ad hoc CIRDI, Duke Energy International Peru Investments n° 1, Ltd c. Pérou, décision
du 1er mars 2011, § 88.
95. P. DAILLIER / M. FORTEAU / A. PELLET, op. cit. note 42, p. 435, n° 257.
96. CIRDI, El Paso Energy International Company c. Argentine, aff. n° ARB/03/15, sentence du
31 octobre 2011, §§ 237 et s. (recours à la doctrine et à la jurisprudence concernant les mesures régle-
mentaires de l’État qui, par principe, n’équivalent pas à une expropriation indirecte) ; CIRDI, Interna-
tional Quantum Resources Ltd, Frontier SPRL et Compagnie minière de Sakania SPRL c. Congo, aff.
n° ARB/10/21, ordonnance n° 3 du 28 novembre 2011, §§ 40 et s. (dans le silence de la convention de
Washington et du règlement CIRDI sur les conditions d’octroi des mesures conservatoires, le tribunal
recourt à la jurisprudence sur ce sujet, « complétée par les prises de position de la doctrine », en l’occurrence
le commentaire de la convention de Washington par Ch. Schreuer e.a., cité note 38 ; au sujet des mesures
conservatoires, voy. infra III, C, 1).
97. CIRDI, Spyridon Roussalis c. Roumanie, aff. n° ARB/06/1, sentence du 7 décembre 2011, § 318 (au
sujet du traitement juste et équitable ; les auteurs cités renvoient à l’appréciation casuistique, par le
tribunal compétent, des violations du standard).
98. CNUDCI, White industries Australia Ltd. c. Inde, sentence finale, 30 novembre 2011, §§ 10.3.5
et s. (le tribunal s’appuie sur la doctrine pour contrer l’interprétation extensive de la sentence Tecmed
concernant les espérances légitimes de l’investisseur).
99. Id., § 9.2.5 et s. (au sujet des obligations entourant la phase de pré-investissement, le tribunal
constate que la jurisprudence est sans secours mais que les « commentators » considèrent que les disposi-
tions des TBI comportant des clauses sur l’établissement ne font pas naître de droits substantiels pour les
investisseurs) ; CIRDI, Spyridon Roussalis c. Roumanie, aff. n° ARB/06/1, sentence du 7 décembre 2011,
§ 871 (au sujet des demandes reconventionnelles dans le contentieux transnational ; sur cette question,
voy. infra III, c, 2).
100. Voy cette chronique, in cet Annuaire, 2009, pp. 688-689.
101. Voy. cette chronique in cet Annuaire, 2009, pp. 695 et s. et 2010, pp. 628 et s.
102. CNUDCI (ALENA), Grand River Enterprises e.a. c. États-Unis d’Amérique, sentence du 12 janvier
2011, § 61 (rappelant la règle du non-binding precedent, le tribunal indique qu’il « has given careful consi-
deration to the reasoning set out in the cited authorities – both NAFTA and non-NAFTA investment cases »,
mais qu’il a tranché le différend « based on its own assessment of the facts and the applicable law ») ; CPA/
CIRDI, Abaclat et al. (anciennement Giovanna a Beccara et al.) c. Argentine, aff. CPA n° IR 2011/1, aff.
CIRDI n° ARB/07/5, recommandation sur la demande de récusation, 18 décembre 2011, § 49 (le secrétaire
général de la CPA précise qu’il n’est pas lié par les précédents CIRDI mais qu’il peut les prendre en considé-
ration dès qu’ils « shed any useful light on the issues arising in this case ») ; comité ad hoc CIRDI, Continental
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546 arbitrage transnational et droit international général
considéré que le meilleur moyen d’éviter que le traitement d’une question aussi
délicate que l’application des clauses de la nation la plus favorisée 103 soit tributaire
des opinions personnelles des arbitres était de « to make determination on the basis
of case law whenever a clear case law can be discerned » 104. Même s’ils ne le disent
pas aussi clairement, la plupart des tribunaux s’inscrivent généralement dans un
esprit de système, qui les conduit à souhaiter l’émergence d’une « jurisprudence
constante » 105, et partant à œuvrer à son développement, au besoin en écartant les
mauvais précédents, par exemple ceux qui représentent « an incorrect departure
from the developing jurisprudence » 106 sur une question donnée.
Il n’empêche que des divergences jurisprudentielles sur des questions aussi
fondamentales que la définition de l’investissement 107 ou le contenu des standards
de protection des investissements subsistent, voire se développent, dans l’arbitrage
transnational. Les tribunaux ont conscience que ces disparités nuisent, sinon à
la crédibilité de l’arbitrage transnational, du moins à sa prévisibilité et, partant,
au développement du droit des investissements. Animés par l’ambition de favo-
riser l’unification jurisprudentielle, certains arbitres n’hésitent pas à faire œuvre
pédagogique, par exemple en entreprenant de distinguer l’étendue des différents
standards de protection 108. La pratique parfois abondante de l’obiter dictum révèle
également l’inclinaison qu’ont certains tribunaux à vouloir « faire jurisprudence ».
Est symptomatique à cet égard, la sentence rendue par le tribunal de l’affaire Liba-
nanco qui fait montre d’une « prodigalité de moyens » : bien qu’ayant conclu à son
incompétence, le tribunal prend la peine de discuter les exceptions préliminaires
devenues inopérantes, non seulement « out of deference to the care with which all
of the Preliminary Jurisdictional Objections have been pleaded by both Parties »,
mais aussi – et surtout semble-t-il – « in the hope that it may be of some benefit to
those who have to confront these issues in future » 109.
Casualty Company c. Argentine, aff. n° ARB/03/9, décision sur la demande d’annulation, 16 septembre
2011, § 141. Adde CIRDI, El Paso Energy International Company c. Argentine, aff. n° ARB/03/15, sentence
du 31 octobre 2011, § 650 (le tribunal indique qu’il n’accordera que « very limited consideration [to] prior
decisions in other cases involving Argentina since the arguments and evidence placed before each tribunal
are not the same in every case ») ; CIRDI, Brandes Investment Partners, LP c. Venezuela, aff. n° ARB/08/3,
sentence du 2 août 2011, § 31 (prise en compte des décisions arbitrales « to the extent that those decisions
may shed light on the issue to be decided at this stage of the proceeding »).
103. Voy. infra III, A, 5.
104. CIRDI, Impregilo S.p.A. c. Argentine, aff. n° ARB/07/17, sentence du 21 juin 2011, § 108.
105. Comité ad hoc CIRDI, Continental Casualty Company c. Argentine, aff. n° ARB/03/9, décision
sur la demande d’annulation, 16 septembre 2011, § 84.
106. CNUDCI, White industries Australia Ltd. c. Inde, sentence finale, 30 novembre 2011, § 9.6.8.
107. Voy. CIRDI, GEA Group Aktiengesellschaft c. Ukraine, aff. n° ARB/08/16, sentence du 31 mars
2011, §§ 137 et s. (le tribunal relève les divergences jurisprudentielles sur la définition de l’investissement,
sans prendre position sur cette question).
108. CIRDI, El Paso Energy International Company c. Argentine, aff. n° ARB/03/15, sentence du
31 octobre 2011, § 226 (« ICSID case-law has developed in a way that generates some confusion and overlap
between these different standards of protection found in most BITs. In view of this situation, which is not
conducive to security of the legal framework and predictability of its application to foreign investments, the
Tribunal will endeavour to clarify as much as possible the scope of the different standards of protection, for
it is convinced that they should not be used indifferently one for the other »). Voy. aussi infra III, A, 5, les
analyses proposées par B. STERN sur la clause de la nation la plus favorisée, dans son opinion dissidente
de l’affaire Impregilo.
109. CIRDI, Libananco Holdings Co. Limited c. Turquie, aff. n° ARB/06/8, sentence du 2 septembre
2011, § 538.
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arbitrage transnational et droit international général 547
A. Engagement de la responsabilité
110. Ch. LEBEN, « La responsabilité internationale de l’État sur le fondement des traités de promotion
et de protection des investissements », cet Annuaire, 2004, p. 697.
111. J. CRAWFORD, « Investment Arbitration and the ILC Articles on State Responsibility », ICSID
Rev., vol. 25, n° 1, Spring 2010, p. 128.
112. Article 2 des Articles. Voy. F. LATTY, « Actions and omissions », in J. CRAWFORD / A. PELLET /
S. OLLESON (ed.), The Law of International Responsibility, Oxford UP, 2010, pp. 355 et s.
113. CIRDI, Gustav F W Hamester GmbH & Co KG c. Ghana, aff. n° ARB/07/24, sentence du 18 juin
2010, § 173, cette chronique in cet Annuaire, 2010, pp. 637-638. Voy. CIJ, Application de la Convention
pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-Monténégro), arrêt
du 26 février 2007, § 429, où la Cour, après avoir mentionné un ensemble d’instruments internationaux
prévoyant des obligations de prévention, prend soin de préciser qu’elle n’entend pas « déterminer s’il existe,
au-delà des textes applicables à des domaines spécifiques, une obligation générale, à la charge des États,
de prévenir la commission par d’autres personnes ou entités qu’eux-mêmes des actes contraires à certaines
normes du droit international général ».
114. CIRDI, Sergei Paushok, CJSC Golden East Company et CJSC Vostokneftegaz Company
c. Mongolie, sentence sur la compétence et la responsabilité, 28 avril 2011, § 325.
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548 arbitrage transnational et droit international général
115. CIRDI, El Paso Energy International Company c. Argentine, aff. n° ARB/03/15, sentence du
31 octobre 2011, § 522.
116. Ibid., § 524.
117. Voy. M. RAUX, La responsabilité de l’État sur le fondement des traités de promotion et de protection
des investissements, thèse, Paris II, 2010, pp. 192 et s.
118. Sentence El Paso, §§ 226-231, voy. supra note 108
119. Voy. cette chronique in cet Annuaire, 2008, pp. 484-485 ; 2009, pp. 700-701 ; 2010, pp. 638-639.
120. CIRDI, Spyridon Roussalis c. Roumanie, aff. n° ARB/06/1, sentence du 7 décembre 2011,
§ 329.
121. Sentence El Paso, § 518.
122. Ibid., §§ 515-517.
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arbitrage transnational et droit international général 549
2. Attribution
123. CIRDI, Sergei Paushok, CJSC Golden East Company et CJSC Vostokneftegaz Company
c. Mongolie, sentence sur la compétence et la responsabilité, 28 avril 2011, §§ 498-499.
124. Ibid., §§ 580 et 584.
125. Voy. cette chronique in cet Annuaire, 2008, pp. 486-487.
126. Pour un nouvel exemple, voy. CNUDCI (ALENA), Grand River Enterprises e.a. c. États-Unis
d’Amérique, sentence du 12 janvier 2011, § 78.
127. CNUDCI, White industries Australia Ltd. c. Inde, sentence finale, 30 novembre 2011, § 8.1.2.
128. Sentence Sergei Paushok, §§ 582-583.
129. Ibid., § 585.
130. Ainsi de l’Autorité du Canal de Suez (CIRDI, Jan de Nul N.V. et Dredging International N.V.
c. Égypte, aff. n° ARB/04/13, sentence du 24 octobre 2008, §§ 142-175) ou de l’Autorité nationale des auto-
routes pakistanaise (CIRDI, Bayindir c. Pakistan, aff. n° ARB/03/29, sentence du 24 août 2009, § 119).
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550 arbitrage transnational et droit international général
demonstrates that it fulfills a role that only a State can fulfill » 131. Elle est en effet
chargée d’émettre la monnaie, d’établir et mettre en œuvre la politique monétaire
de la Mongolie, d’agir en tant qu’intermédiaire financier du gouvernement, de
contrôler l’activité des autres banques et de gérer les réserves de change de l’État.
Mais le tribunal n’a finalement pas jugé nécessaire de trancher la question, dès
lors que les comportements spécifiquement en cause avaient, quoi qu’il en soit, été
accomplis de jure imperii 132.
Ces hésitations traduisent l’influence qu’ont pu jouer les Articles de la CDI
sur la pratique des tribunaux arbitraux alors même qu’ils étaient encore en cours
d’élaboration. Cette pratique est en effet nettement marquée par le texte adopté en
première lecture aux termes duquel la notion d’organe inclut uniquement les entités
« ayant ce statut d’après le droit interne de cet État » 133. C’est cette définition qui a
d’abord conduit les arbitres à exclure de la catégorie d’organe toute entité disposant
d’une personnalité juridique propre dans l’ordre interne. Mais l’approche de la CDI
a évolué en seconde lecture, les Articles finalement adoptés indiquant que le terme
« organe comprend toute personne ou entité qui a ce statut d’après le droit interne
de l’État » 134. La nuance est de taille puisque l’inclusion du verbe « comprend »
vise à indiquer que la notion d’organe ne se limite pas aux entités qui ont ce statut
d’après le droit interne mais inclut « tous les organes, institutions et fonctionnaires
qui font partie de son organisation et agissent en cette qualité, qu’ils aient ou non la
personnalité juridique en droit interne » 135. Les tribunaux arbitraux oscillent ainsi
entre une jurisprudence forgée à partir des articles adoptés en première lecture,
qui les conduit à restreindre la qualification d’organe aux entités qui ont ce statut
dans l’ordre interne, et le texte final des Articles, qui les invite à ne pas s’arrêter
à la personnalité juridique de l’entité considérée mais à examiner également ses
fonctions, ses pouvoirs et sa relation avec d’autres entités pour déterminer si elle
peut être qualifiée d’organe 136.
ii) Si le tribunal de l’affaire Serguei Paushok n’a finalement pas jugé utile
d’établir que la banque centrale de Mongolie était un organe étatique, c’est parce
qu’il a considéré que les comportements spécifiquement en cause traduisaient quoi
qu’il en soit l’exercice de la puissance publique. Le différend trouvait son origine
dans l’exécution d’un contrat entre l’entreprise d’extraction d’or de l’investisseur (la
GEM) et la banque. Ce contrat était mixte puisqu’il prévoyait que l’or extrait par
la GEM serait, dans un premier temps, simplement déposé auprès de la banque,
avant, dans un second temps seulement, de lui être vendu. La réalisation de la vente
était alors suspendue à l’envoi d’une lettre à la banque par la GEM ou, à défaut,
à une date déterminée. La banque n’a toutefois pas respecté cette chronologie
puisque, alors même qu’elle n’était pas encore propriétaire de l’or, elle l’a d’abord
exporté afin qu’il soit raffiné et placé sur un compte non alloué avant de refuser
de le restituer à la GEM. Les arbitres ont jugé que, sinon le contrat lui-même, du
moins les agissements de la banque au cours de son exécution traduisaient l’exercice
de la puissance publique puisqu’elle avait disposé de l’or dans le but d’accroître les
réserves monétaires de la Mongolie 137. Même si le tribunal n’a guère précisé son
raisonnement sur ce point et même s’il a fait référence aux pouvoirs spécifiques
conférés à la banque centrale par la loi, il est remarquable que l’élément détermi-
nant qu’il a retenu afin d’établir qu’elle a agi de jure imperii tient au but poursuivi
par sa décision. Même si l’article 5 des Articles se réfère à la notion de « prérogatives
de puissance publique », on ne peut donc affirmer avec certitude que, pour ce qui
est de l’attribution à l’État aux fins de la responsabilité internationale, le critère
des moyens l’a emporté sur celui des fins. La formule de la sentence Jan de Nul
rendue en 2008 selon laquelle « [w]hat matters is not the “service public” element,
but the use of “prérogatives de puissance publique” or governmental authority »
peut alors sembler quelque peu péremptoire 138.
iii) Ayant considéré que les agissements de la banque centrale de Mongolie dans
l’exécution du contrat qui la liait à la GEM étaient non seulement attribuables à
la Mongolie parce qu’accomplis de jure imperii mais constitutifs d’une violation de
l’obligation de traitement juste et équitable, le tribunal a encore dû s’arrêter sur
un dernier point. La Mongolie considérait en effet que sa responsabilité ne saurait
être engagée dès lors que la banque centrale ne pouvait légalement conclure un
tel contrat, dont la cause résidait principalement dans la volonté de la GEM de se
soustraire à une taxe en suspendant la vente jusqu’à ce que la législation fiscale
évolue. Le tribunal a alors considéré que, « whether or not the [contract] would have
been impermissible under Mongolian law, this is not sufficient to make it imper-
missible under the Treaty and international law », notamment car l’entreprise de
l’investisseur « was in its right to assume that Mongol Bank was acting within the
powers granted to it by the State » 139.
Bien qu’il ne s’agisse pas d’attribuer un comportement à l’État aux fins de la
responsabilité puisque la violation du traité ne résultait pas de la conclusion du
contrat mais de son exécution, il serait tentant de voir dans cette précision une
application de l’article 7 des Articles. Celui-ci prévoit en effet que le comportement
d’une personne agissant en qualité d’organe ou d’entité habilitée à l’exercice de
prérogatives de puissance publique est attribuable à l’État même si elle « outre-
passe sa compétence ou contrevient à ses instructions », le commentaire précisant
que tel est le cas dès lors que la personne « agit à titre apparemment officiel, ou
en se prévalant d’une compétence » 140. Le tribunal s’est d’ailleurs appuyé sur des
sentences dans lesquelles les arbitres s’étaient référés aux règles d’attribution aux
fins de la responsabilité afin d’établir que des engagements illégalement pris par
des organes étatiques avaient pu faire naître des attentes légitimes dans le chef
des investisseurs 141. Il s’est toutefois gardé de citer l’article 7, de sorte qu’il n’est
pas certain que l’on puisse voir ici un nouvel usage décontextualisé des Articles
relatifs à l’attribution aux fins de la responsabilité, dont cette chronique se fait
137. Sentence Sergei Paushok, § 592 : « The Tribunal therefore has no hesitation in concluding that
MongolBank acted de jure imperii, if not in entering into the SCSA, at least when it exported GEM’s
gold for refining and deposited it or its value in an unallocated account in England “with the purposes of
increasing the country’s reserves”. Those actions were de jure imperii and went beyond a mere contractual
relationship ».
138. CIRDI, Jan de Nul N.V et Dredging International N.V. c. Égypte, aff. n° ARB/04/13, sentence du
24 octobre 2008, § 170 ; voy. cette chronique in cet Annuaire, 2008, pp. 487-488.
139. Sentence Sergei Paushok, § 607.
140. Commentaire de l’article 4, § 13, reproduit in J. CRAWFORD, Les Articles…, op. cit. note 133,
p. 118. Voy. aussi commentaire de l’article 7 § 8, où la Commission estime qu’« en somme, la question est
de savoir s’ils avaient apparemment qualité pour agir » (ibid., p. 129).
141. CIRDI, Southern Pacific Properties (Middle East) Limited c. Égypte, aff. n° ARB/84/3, sentence
du 20 mai 1992, §§ 81-85 ; CIRDI, Kardassopoulos c. Géorgie, aff. n° ARB/05/18, décision sur la compétence
du 6 juillet 2007, §§ 189-194.
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552 arbitrage transnational et droit international général
régulièrement l’écho 142. L’analogie est d’ailleurs douteuse. En effet, il s’agit ici
de déterminer si l’investisseur a pu légitimement se fonder sur les engagements
pris par l’État. Tel ne serait pas le cas s’il était en mesure de se rendre compte
de l’illicéité de l’engagement. Or, l’article 7 prévoit qu’un comportement doit être
attribué à l’État aux fins de la responsabilité quand bien même l’organe étatique
aurait manifestement dépassé sa compétence 143. Dès lors, si analogie il devait y
avoir, peut-être serait-ce plutôt avec l’article 46 de la convention de Vienne sur le
droit des traités 144.
iv) Une autre sentence rendue en 2011 met en lumière une dernière difficulté
en matière d’attribution. Elle porte cette fois sur l’application de l’article 8 des
Articles, qui conduit à attribuer à l’État le comportement d’une personne ou d’un
groupe qui « en adoptant ce comportement, agit en fait sur les instructions ou les
directives ou sous le contrôle de cet État ». Bien que le contexte soit fort différent
puisqu’ils examinent les liens entre États et entreprises publiques plutôt qu’entre
États et groupes armés, les tribunaux arbitraux ont transposé dans le contentieux
investisseur-État la controverse qui a opposé la CIJ au TPIY s’agissant du type et
du degré de contrôle nécessaires pour attribuer le comportement d’une entité non
étatique à l’État. Là où les uns, fidèles à l’approche de la CIJ, estiment qu’« inter-
national jurisprudence is very demanding in order to attribute the act of a person
or entity to a State, as it requires both a general control of the State over the person
or entity and a specific control of the State over the act the attribution of which is
at stake » 145, d’autres, se rapprochant du TPIY tout en estimant appliquer une lex
specialis, considèrent que « the approach developed in such areas of international
law is not always adapted to the realities of international economic law and that
they should not prevent a finding of attribution if the specific facts of an investment
dispute so warrant » 146. La sentence rendue par un tribunal CNUDCI en l’affaire
White se rapproche de la première tendance. Après avoir rapidement exclu que
le comportement de Coal India puisse être attribué à l’État sur le fondement des
articles 4 et 5 des Articles, le tribunal a rappelé que le test permettant de déter-
miner si cette entreprise a agi pour le compte de l’Inde est « a tough one » et qu’il
« involves a high threshold » 147. En s’appuyant sur la jurisprudence de la CIJ, sur le
commentaire de l’article 8, et sur certains précédents arbitraux, le tribunal a alors
considéré que l’investisseur devait démontrer que l’Inde « had both general control
over Coal India as well as specific control over the particular acts in question » 148.
On ne saurait nier qu’il y a là une question ardue. Les termes du débat
paraissent toutefois avoir été davantage obscurcis que clarifiés par la controverse
autour de la notion de contrôle. L’arrêt rendu par la CIJ en l’affaire du Génocide a
pourtant éclairé le double rôle qu’elle peut jouer dans l’opération d’attribution. Le
142. Voy. cette chronique in cet Annuaire, 2008, pp. 488-489 ; 2009, pp. 703 et 708 et s. ; 2010,
p. 643.
143. Commentaire de l’article 7, § 2, reproduit in J. CRAWFORD, Les Articles…, op. cit. note 133,
p. 126.
144. Aux termes duquel « le fait que le consentement d’un État à être lié par un traité a été exprimé
en violation d’une disposition de son droit interne concernant la compétence pour conclure des traités
ne peut être invoqué par cet État comme viciant son consentement, à moins que cette violation n’ait été
manifeste et ne concerne une règle de son droit interne d’importance fondamentale ». En ce sens, s’agissant
de l’estoppel, voy. CIRDI, Duke Energy Electroquil Partners & Electroquil S.A. c. Pérou, aff. n° ARB/03/28,
sentence du 25 juillet 2008, §§ 241-251, cette chronique in cet Annuaire, 2008, p. 485, n. 145.
145. CIRDI, Jan de Nul N.V et Dredging International N.V. c. Égypte, aff. n° ARB/04/13, sentence du
24 octobre 2008, §§ 172-173, cette chronique in cet Annuaire, 2008, p. 490.
146. CIRDI, Bayindir c. Pakistan, aff. n° ARB/03/29, sentence du 24 août 2009, § 130, cette chronique
in cet Annuaire, 2009, pp. 702-703.
147. CNUDCI, White industries Australia Ltd. c. Inde, sentence finale, 30 novembre 2011, §§ 8.1.4
et 8.1.10.
148. Ibid., § 8.1.18.
TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS - TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS - TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS
arbitrage transnational et droit international général 553
contrôle exercé par l’État sur l’entité qui agit peut tout d’abord conduire à la muer
en organe de facto sur le fondement de l’article 4. La CIJ exige pour qu’il en aille
ainsi que l’entité en cause se trouve soumise à un degré particulièrement élevé
de contrôle, qualifié de « totale dépendance » 149. Mais le contrôle peut également
conduire à attribuer à l’État, sur le fondement de l’article 8, le comportement d’une
entité qui demeure non-étatique 150. Ce contrôle ne porte alors plus sur l’entité
de manière générale mais sur l’opération au cours de laquelle le comportement
en cause a été adopté. Il ne faut toutefois pas perdre de vue que ce critère n’a été
introduit par la Commission aux côtés de celui des instructions que pour préciser,
et non restreindre, les cas dans lesquels un comportement peut être considéré
comme ayant été accompli pour le compte de l’État 151. Or, en se focalisant sur la
question du contrôle lorsqu’ils mettent en œuvre l’article 8, en exigeant alors un
contrôle général sur l’entité qui agit et un contrôle spécifique sur les comporte-
ments en cause, les arbitres risquent de perdre de vue que cette disposition tend
avant tout à attribuer à l’État les comportements des entités qui, tout en restant
non-étatiques, agissent dans un cas particulier pour son compte 152. Si l’on revient
à cette idée simple au fondement de l’article 8, les controverses sus-évoquées se
réduisent finalement à un problème de preuve. En admettant que la charge de la
preuve repose sur celui qui invoque un fait, il s’agit alors seulement de déterminer
quel est le standard de preuve qui peut lui être opposé et quels sont les moyens de
preuve qu’il peut invoquer afin de démontrer qu’une entité non-étatique a adopté
un comportement particulier pour le compte de l’État. L’approche peut alors être
centrée dans un premier temps sur le comportement en cause et consistera à
rechercher s’il a été adopté à l’instigation des organes de l’État. Faute de pouvoir
l’établir, elle pourra dans un second temps s’élargir à l’opération dans laquelle ce
comportement s’insérait en considérant que, si cette opération s’est déroulée sous
le contrôle de l’État, il est possible d’en déduire que le comportement en cause a
été accompli pour son compte 153.
La pratique des tribunaux arbitraux transnationaux en matière d’attribution
montre ainsi que, si les principes posés par les Articles sont bien admis par les
arbitres, leur mise en œuvre concrète ne se fait pas sans difficulté. C’est encore
plus le cas s’agissant des circonstances excluant l’illicéité, et spécialement de l’état
de nécessité.
L’année 2011 a connu son lot de sentences tentant d’apporter des précisions
sur l’état de nécessité dans le contexte de la crise argentine, sans que l’on puisse
constater une harmonisation jurisprudentielle totale 154. Ces précisions ont porté
aussi bien sur la possibilité d’invoquer l’état de nécessité et les conséquences qui
s’ensuivent que sur les conditions qui doivent être réunies pour que cet argument
puisse prospérer.
i) Une première difficulté est en voie de clarification. Elle porte sur le fonde-
ment permettant d’invoquer l’état de nécessité et sur les liens qu’entretiennent les
traités bilatéraux et le droit international coutumier sur ce point. Ces liens ont été
discutés dans deux directions.
D’un côté, certains arbitres ont envisagé que le silence d’un traité ne conte-
nant aucune clause de sauvegarde puisse être interprété comme signifiant que les
États parties ont entendu exclure la possibilité d’invoquer l’état de nécessité pour
échapper à leur responsabilité vis-à-vis des investisseurs 155. Si le tribunal qui avait
soulevé cette difficulté n’avait pas jugé nécessaire de la résoudre dès lors que les
conditions de l’état de nécessité n’étaient, quoi qu’il en soit, pas réunies, les arbitres
de l’affaire Impregilo ont jugé que le fait que le TBI Argentine/Italie ne contienne
qu’une clause se contentant de prohiber toute discrimination dans l’indemnisation
des dommages causés en situation de crise « cannot be read so as to exclude the
application of customary international law to an emergency situation » 156. Ils ont
donc accepté d’examiner les arguments de l’Argentine au regard du droit interna-
tional coutumier tel que codifié à l’article 25 des Articles. Bien que forgé dans un
contexte interétatique, le concept d’état de nécessité doit donc pouvoir s’acclimater,
moyennant de menus aménagements 157, au contentieux investisseur-État quand
bien même les TBI ne le prévoiraient pas.
La question est plus ardue en sens inverse, c’est-à-dire lorsque les TBI
contiennent une clause de sauvegarde, comme c’est le cas du TBI États-Unis/
Argentine 158. Là où les uns considéraient que cette clause devait être appliquée
en tant que lex specialis et écartaient dès lors l’application du droit coutumier,
d’autres assimilaient purement et simplement les règles conventionnelles et coutu-
mières 159. La plupart des tribunaux suivent à présent sur ce point la voie tracée par
la décision du comité ad hoc de l’affaire CMS 160. C’est le cas en 2011 des arbitres
de l’affaire El Paso, qui ont jugé devoir statuer d’abord au regard de l’article XI du
TBI en tant que lex specialis 161. Cette approche n’est pas sans effets. Ceux-ci sont
potentiellement de deux ordres, que l’on examine les conditions ou les conséquences
de la reconnaissance d’une situation de nécessité. S’agissant des conséquences,
les arbitres considèrent l’article XI comme une règle primaire, en ce sens qu’elle
limite le champ d’application des obligations substantielles pesant sur l’État. Ils
estiment ainsi qu’en situation de crise l’État peut prendre toute mesure nécessaire
au maintien de l’ordre public ou à la protection de ses intérêts essentiels sans
violer ses obligations en vertu du TBI car celles-ci sont suspendues. En l’absence
d’obligation, il ne saurait y avoir de fait illicite et, donc, de réparation. À l’inverse,
l’article 25 des Articles est perçu par les arbitres comme une règle secondaire, en
ce sens qu’il n’affecterait pas les obligations substantielles de l’État et donc l’exis-
tence d’un fait illicite mais lui permettrait seulement d’échapper, dans un second
temps, à sa responsabilité. Il s’agirait ainsi davantage d’une circonstance excluant
la responsabilité que d’une circonstance excluant l’illicéité et la question de l’indem-
nisation des dommages causés alors que l’État se trouvait en situation de nécessité
resterait entière. L’article 27 des Articles précise d’ailleurs que « l’invocation d’une
circonstance excluant l’illicéité (…) est sans préjudice (…) de la question de l’indem-
nisation de toute perte effective causée par le fait en question ». Le comité ad hoc de
l’affaire Continental casualty a rappelé cette importante différence. L’investisseur
reprochait au tribunal de ne pas s’être prononcé sur la question de l’indemnisation,
après la fin de la situation de nécessité, des dommages qu’il avait subis du fait des
mesures prises par l’Argentine pour y remédier. Le comité lui a rétorqué que « if
it is the case, as the Tribunal found, that the BIT was simply inapplicable to the
2001-2002 measures by virtue of Article XI, due to the crisis then prevailing, then
it would follow that those measures cannot be a violation of the BIT, even if their
consequences continue to be felt after the crisis is over » et donc que le tribunal avait
implicitement mais nécessairement considéré que l’Argentine n’était pas tenue de
compenser les pertes subies par l’investisseur, même une fois la crise passée 162.
ii) Le choix de l’application de l’article XI du TBI ou de l’article 25 des Articles a
donc, aux yeux des arbitres, des effets non négligeables sur les conséquences de l’ad-
mission d’une situation de nécessité. Il pourrait également en avoir sur les condi-
tions d’une telle admission. C’est ce qu’avaient estimé certains arbitres qui, tout en
admettant que les conditions de l’article XI pouvaient être interprétées à la lumière
de l’article 25, avaient jugé qu’elles devaient être appliquées plus souplement dans
le contexte spécifique du droit des investissements 163. Les sentences rendues en
2011 font toutefois douter de cette souplesse. En effet, le tribunal de l’affaire El
Paso, qui s’est fondé sur l’article XI du TBI États-Unis/Argentine, n’a pas montré
davantage d’égard vis-à-vis des arguments argentins que celui de l’affaire Impregilo,
qui s’est appuyé sur l’article 25 des Articles en l’absence de clause de sauvegarde
dans le TBI qu’il avait la charge d’appliquer. L’un comme l’autre ont certes admis
que la situation dans laquelle l’Argentine s’est trouvée en 2001-2002 faisait peser
une menace sur ses intérêts essentiels ou sur ceux de sa population 164. Mais ils ont
tous deux considéré que cet État avait contribué de manière substantielle à cette
situation, de sorte qu’il ne saurait l’invoquer pour échapper à ses obligations ou à
sa responsabilité. La seule différence entre ces sentences tient au fait que, tandis
que les arbitres de l’affaire Impregilo ont pu se reposer sur le travail de la CDI, ceux
de l’affaire El Paso ont consacré d’importants développements à l’interprétation
de l’article XI du TBI États-Unis/Argentine, directives des articles 31 et 32 de la
convention de Vienne sur le droit des traités à l’appui. D’abord pour établir un point
sur lequel les arbitres s’accordent généralement même s’il continue de faire débat
entre les parties et en doctrine 165 : l’article XI n’est pas self-judging 166. Ensuite
162. Comité ad hoc CIRDI, Continental Casualty Company c. Argentine, aff. n° ARB/03/9, décision
sur la demande d’annulation du 16 septembre 2011, § 126 ; voy. aussi sentence El Paso, § 612.
163. CIRDI, Continental Casualty Company c. Argentine, aff. n° ARB/03/9, sentence du 5 septembre
2008, §§ 167-168.
164. Sentence El Paso, § 611 ; sentence Impregilo, §§ 346-350, insistant non seulement sur la préser-
vation de la stabilité économique et sociale de l’État mais également sur l’impératif de fournir de l’eau à
la population.
165. Voy. A. MARTIN, « Investment Disputes after Argentina’s Economic Cirsis : Interpreting BIT
Non-Precluded Measures and the Doctrine of Necessity under Customary International Law », Journal
of International Arbitration, 2011, pp. 49-70, qui estime que l’article XI laisse une marge d’appréciation
importante aux États et, donc, que les arbitres devraient restreindre leur contrôle.
166. Sentence El Paso, §§ 563-610.
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556 arbitrage transnational et droit international général
pour juger que l’État qui en sollicite l’application ne doit pas avoir contribué de
manière substantielle à la survenance de la situation qu’il invoque 167. Pour ce faire,
les arbitres se sont référés non seulement à l’objet et au but du traité, mais aussi à
« toute règle de droit international applicable aux relations entre les parties » 168.
Ils ont alors identifié une règle de droit international en ce sens, qu’elle résulte
du droit coutumier tel que codifié à l’article 25 des Articles ou qu’il s’agisse d’un
principe général de droit international 169. Les deux tribunaux ont certes jugé,
souverainement selon le comité ad hoc de l’affaire Continental casualty 170, que
c’était au demandeur d’établir que l’État a contribué de manière substantielle à la
situation de nécessité 171. Mais ils ont tous deux considéré que, même si la crise de
2001-2002 était due à plusieurs facteurs tant exogènes qu’endogènes, l’attitude de
l’Argentine y avait contribué de manière substantielle 172.
Les signes adressés par les arbitres dans le sens d’un respect des compétences
souveraines des États d’accueil des investissements et, plus largement, d’un rééqui-
librage en leur faveur du régime des investissements 173 n’ont donc pas pleinement
pénétré l’appréciation de l’excuse de nécessité. Certains arbitres le regrettent toute-
fois, au rang desquels B. Stern, qui s’est séparée de la majorité dans les deux cas,
affirmant qu’on ne saurait constater à la légère qu’un État a contribué de manière
substantielle à la crise économique qui le frappe 174. Les dissonances qui perdu-
rent en la matière conduisent d’ailleurs certains auteurs à mettre en lumière le
rôle déterminant « des préférences politiques des individus qui agissent en tant
qu’arbitres » sur le processus arbitral 175. D’autres craignent que ces hésitations
et le poids accordé à la lex specialis dans certains cas ne mènent à une double
fragmentation du droit international des investissements et du droit international
sous l’effet du droit des investissements 176. Les divergences sont toutefois moindres
lorsque l’on aborde le contenu de la responsabilité.
B. Le contenu de la responsabilité
1. Le principe de la réparation
La réparation n’est due que s’il existe un dommage réparable (b) et un lien de
causalité entre ce dommage et le fait internationalement illicite (a). Les sentences
rendues en 2011 apportent des précisions sur chacun de ces points.
a) Le lien de causalité
178. J. CRAWFORD, « Investment Arbitration and the ILC Articles on State Responsibility », op. cit.
note 111, p. 130 ; Z. DOUGLAS, « Other Specific Regimes of Responsibility : Investment Treaty Arbitration
and ICSID », in J. CRAWFORD / A. PELLET / S. OLLESON, op. cit. note 112, pp. 820 et s.
179. CPJI, Usine de Chorzów (fond), arrêt du 13 septembre 1928, série A, n° 17, p. 48.
180. CNUDCI/ALENA (CIRDI), Merrill & Ring Forestry LP c. Canada, sentence du 31 mars 2010,
§§ 243 et s., cette chronique in cet Annuaire, 2010, pp. 635-637.
181. Sentence El Paso, §§ 270-280 pour ce qui est de l’expropriation et 488-509 pour ce qui est du
traitement juste et équitable.
182. Ibid, § 279.
183. Ibid., § 507.
184. Ibid., §§ 684, 687.
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558 arbitrage transnational et droit international général
L’examen du lien de causalité peut donc se situer aussi bien au stade de l’enga-
gement qu’à celui du contenu de la responsabilité 185. On peut comprendre que le
contenu de l’obligation primaire 186 conduise les arbitres à rechercher si les mesures
étatiques ont contraint l’investisseur à vendre ses actions dès lors qu’il ne saurait
y avoir d’expropriation sans perte de contrôle sur l’investissement. L’examen du
lien de causalité étonne en revanche s’agissant d’établir une atteinte au traitement
juste et équitable. La conception objective de la responsabilité défendue par la CDI
permet en effet d’envisager qu’une telle atteinte puisse être caractérisée sans qu’un
préjudice, ou tout du moins un préjudice économique, en résulte nécessairement 187.
L’examen du lien de causalité demeurerait certes nécessaire pour déterminer le
mode de réparation approprié ou l’étendue de la réparation due, mais il ne serait
pas indispensable pour établir le fait illicite et, donc, engager la responsabilité. La
bifurcation opérée dans l’affaire Lemire tend à le confirmer. Bien qu’ils aient déjà
constaté dans une première sentence que les agissements de l’Ukraine étaient
constitutifs d’un traitement injuste et inéquitable 188, les arbitres ont jugé devoir
encore établir, au stade de la réparation, si ce traitement avait causé les pertes
qu’invoquait le demandeur, condition de leur indemnisation 189.
ii) Quoi qu’il en soit, les tribunaux doivent examiner le lien de causalité au stade
de la détermination du contenu de la responsabilité. C’est ainsi que les arbitres des
affaires El Paso, Tza Yap Shum, Impregilo ou Lemire ont chacun établi, à l’heure de
statuer sur la réparation, que les pertes subies par les investisseurs ne résultaient
pas seulement des risques inhérents à leur investissement, du retournement de la
conjoncture économique ou de leurs choix stratégiques mais aussi des mesures éta-
tiques illicites 190. Confronté à une situation dans laquelle le demandeur prétendait
avoir subi d’importantes pertes économiques parce que les irrégularités commises
par les organes ukrainiens dans la procédure d’attribution des fréquences radio-
phoniques avaient entravé le développement de la station de radio dans laquelle
il avait investi, le tribunal de l’affaire Lemire a apporté d’intéressantes précisions
sur ce point. Pour établir le lien de causalité, les arbitres devaient déterminer si, en
l’absence de fait illicite, 1°) la station du demandeur aurait obtenu les fréquences
radiophoniques auxquelles elle prétendait et 2°) l’obtention de ces fréquences lui
aurait permis de se développer de la manière projetée 191. En effet, pour prétendre
à une réparation, le demandeur doit certes établir l’existence d’une chaîne qui
mène de manière ininterrompue du fait illicite au dommage, mais cette chaîne
peut comprendre plusieurs maillons. Dans ce cas, le lien de causalité n’est pas pur
mais transitif 192. L’incertitude gagne alors, mais les arbitres considèrent que le
lien de causalité ne doit pas nécessairement être certain. Il suffit pour l’établir de
démontrer, objectivement, que le fait illicite devait en toute probabilité et suivant
le cours naturel des choses causer le dommage ou, subjectivement, que l’auteur du
185. Soulignant la différence entre ces deux liens de causalité, voy. B. STERN, « The Obligation to
Make Reparation », in J. CRAWFORD / A. PELLET / S. OLLESON, op. cit. note 112, p. 570.
186. Commentaire de l’article 2 des Articles, § 9 : « La nécessité de tenir compte [du dommage]
dépend du contenu de l’obligation primaire, et il n’y a a pas de règles générales à cet égard » (reproduit in
J. CRAWFORD, Les Articles…, op. cit. note 133, p. 102).
187. Voy. les observations de F. LATTY, cette chronique in cet Annuaire, 2010, p. 635-637.
188. CIRDI, J. Ch. Lemire c. Ukraine, aff. n° ARB/06/18, décision sur la compétence et la responsabi-
lité, 14 janvier 2010, §§ 476, 477, 486, commentée dans cette chronique, in cet Annuaire, 2010, p. 648-649.
189. CIRDI, J. Ch. Lemire c. Ukraine, aff. n° ARB/06/18, sentence du 28 mars 2011, §§ 153 et s., alors
même que le demandeur considérait que le lien de causalité avait été établi dans le cadre de la décision
sur la compétence et la responsabilité (§ 154).
190. Sentence El Paso, §§ 682-687 ; sentence Tza Yap Shum, § 270 ; sentence Impregilo, §§ 370,
376-377.
191. Sentence Lemire, §§ 173-202 s’agissant du premier lien et 203-207 s’agissant du second.
192. Ibid., §§ 163-167, reprenant la distinction établie par B. STERN in Le préjudice dans la théorie
de la responsabilité internationale, Paris, Pedone, 1973, p. 186.
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arbitrage transnational et droit international général 559
fait illicite pouvait raisonnablement prévoir qu’il causerait le dommage 193. Appli-
quant ces standards de preuve, le tribunal a jugé que, si la procédure d’attribution
des fréquences radiophoniques avait été juste et équitable, la station de radio
dans laquelle M. Lemire avait investi aurait probablement obtenu les fréquences
auxquelles elle aspirait et que cela lui aurait probablement permis de prendre une
envergure nationale 194. Il faut dire que la station de radio du demandeur présen-
tait, au regard de ses concurrents qui ont conquis le marché ukrainien après son
éviction, de sérieux atouts : outre le savoir-faire reconnu de M. Lemire et la place
qu’elle occupait déjà à Kiev, elle comptait en effet dans ses rangs le fameux (sic)
DJ Pascha !
iii) On constate alors que l’examen du lien de causalité conduit les arbitres à
des analyses factuelles particulièrement détaillées. Il arrive d’ailleurs qu’ils doivent
non seulement se livrer à un examen approfondi de la viabilité économique des
investissements réalisés mais encore se mettre dans la peau des autorités natio-
nales pour déterminer quelle aurait été leur attitude en l’absence de violation. Les
arbitres de l’affaire Lemire durent ainsi se substituer aux autorités ukrainiennes
pour déterminer si la station de radio de l’investisseur aurait dû obtenir, au regard
des critères définis en droit interne, les fréquences auxquelles elle prétendait 195.
De même, après avoir constaté que l’Inde avait privé l’investisseur d’un recours
effectif en ne statuant pas sur sa demande d’exécution d’une sentence CCI dans
un délai raisonnable, le tribunal de l’affaire White s’est placé dans la situation
des juridictions indiennes pour déterminer si elles auraient rendu cette sentence
exécutoire 196.
200. CIRDI, Europe Cement Investment & Trade S.A. c. Turquie, aff. n° ARB(AF)/07/2, sentence du
13 août 2009, § 181 ; CIRDI, Cementownia “Nowa Huta” S.A. c. Turquie, aff. n° ARB(AF)/06/2, sentence
du 17 septembre 2009, §§ 169-171.
201. Décision Lemire sur la compétence et la responsabilité, § 486.
202. Sentence Lemire, § 333 ; sentence Tza Yap Shum, § 281.
203. Sentence Lemire, § 344.
204. Sentence Lemire, §§ 334-345 ; sentence Tza Yap Shum, §§ 282-285.
205. J. CRAWFORD, « Troisième rapport sur la responsabilité internationale des États », doc. A/CN4/507
Add. 4 (2000), § 409 : « Aux fins du débat, le Rapporteur spécial propose qu’en cas de violations graves
d’obligations envers la communauté, l’État responsable soit obligé de verser des dommages-intérêts puni-
tifs ».
206. La sentence Desert line parlait ainsi de « fault-based liability », § 290, voy. cette chronique in
cet Annuaire, 2008, pp. 500-501.
207. P. DUMBERRY, « Compensation for Moral Damages in Investor-State Arbitration Disputes »,
Journal of International Arbitration, 2010, pp. 247-276.
208. H. LAUTERPACHT, « Règles générales du droit de la paix », RCADI, 1937, vol. 62, p. 355.
209. Tandis que le commentaire de l’article 36 des Articles indique que l’indemnisation « n’a pas
pour but de punir l’État responsable et n’a pas non plus un caractère “expressif” ou exemplaire » (§ 4,
reproduit in J. CRAWFORD, Les Articles…, op. cit. note 133, p. 262), celui de l’article 37 précise toutefois
que la satisfaction peut prendre la forme de « l’octroi de dommages-intérêts symboliques pour préjudice
non pécuniaire » (§ 5, reproduit in ibid., p. 280). Les dommages-intérêts symboliques octroyés au titre de
la satisfaction se distinguent toutefois des dommages-intérêts substantiels susceptibles d’être accordés
à titre punitif.
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arbitrage transnational et droit international général 561
en droit des investissements 210. Sans doute cette dimension punitive justifie-t-elle
d’ailleurs l’approche restrictive des arbitres lorsqu’il est question de réparation du
dommage moral. Leur rigueur ne les empêche toutefois ni de tenir compte de la
gravité de la violation en cause dans l’exercice de la marge d’appréciation dont ils
disposent à l’heure de procéder au calcul de l’indemnisation 211, ni de rappeler que la
reconnaissance dans la sentence des violations par l’État de ses obligations interna-
tionales ainsi que l’indemnisation des pertes économiques éprouvées peuvent consti-
tuer une compensation suffisante des aspects moraux du préjudice subi 212. C’est donc
davantage à l’indemnisation du dommage moral qu’à sa réparation, éventuellement
sous forme de satisfaction, que les arbitres se montrent réticents.
a) L’indemnisation
210. Plusieurs TBI, dont le modèle américain de 2004, interdisent ainsi l’octroi de dommages-intérêts
punitifs (article 34, al. 3). Sur ce point, voy. J. R. LAIRD, « Moral Damages and the Punitive Question in
ICSID Arbitration », ICSID Review, 2011, pp. 171-183.
211. P. DUMBERRY, loc. cit. note 207, pp. 270-274.
212. Sentence Lemire, §§ 339, 344. Voy. aussi infra.
213. Commentaire de l’article 36, § 2, reproduit in J. CRAWFORD, Les Articles…, op. cit. note 133,
p. 260.
214. Sentence Lemire, § 247 : « While the existence of damage is certain, calculating the precise amount
of the compensation is fraught with much more difficulty, inherent in the very nature of the “but for” hypo-
thesis. Valuation is not an exact science. The Tribunal has no crystal ball and cannot claim to know what
would have happened under a hypothesis of no breach; the best any tribunal can do is to make an informed
and conscientious evaluation, taking into account all the relevant circumstances of the case, not unlike that
made by anyone who assesses the value of a business on the basis of its likely future earnings ».
215. Sentence Lemire, § 147 ; sentence Tza Yap Shum, § 253 ; sentence White, § 14.3.3.
216. Sentence Lemire, § 149.
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562 arbitrage transnational et droit international général
manque à gagner dans la mesure où celui-ci est établi » 217. Mais, comme le tribunal
de l’affaire Lemire l’a remarqué, « this is only a theoretical definition of a general
standard » 218, dont l’application effective reste délicate. Les arbitres doivent en
effet opter pour une méthode d’évaluation 219.
La logique de la réparation intégrale peut alors les conduire à choisir la
méthode des flux monétaires actualisés (méthode DCF, pour discounted cash-flow).
Si elle permet d’évaluer la valeur d’un investissement en fonction de son rendement
escompté sur une période déterminée, cette méthode est complexe 220 et comporte
un fort aspect prospectif. La CDI a même considéré qu’elle « fait appel à un large
éventail d’éléments qui relèvent foncièrement du domaine de la spéculation » 221.
Cela n’a pas empêché le tribunal de l’affaire Lemire de la mettre en œuvre après
avoir remarqué que le standard de preuve pouvait être allégé lorsqu’il s’agit, non
plus d’établir un lien de causalité entre le fait illicite et le dommage, mais d’évaluer
ce dommage 222. Ainsi, une fois établi que la croissance de la radio dans laquelle le
demandeur avait investi a été entravée par le traitement illicite que lui a infligé
l’Ukraine, l’évaluation de la taille et du rendement qu’elle aurait pu atteindre en
l’absence de cette violation peut se faire plus souplement. Les arbitres ont tout de
même pris certaines précautions dans la mise en œuvre de la méthode DCF : en
écartant les hypothèses les plus spéculatives ; en fixant un taux d’actualisation
tenant compte du risque accru d’un investissement sur le marché ukrainien ; enfin
en confrontant le montant finalement obtenu, « developed on a number of assump-
tions, some of which necessarily involve more estimation than certitude », à d’autres
paramètres afin d’établir qu’il restait proportionné au montant initialement investi
compte tenu du risque de l’opération 223.
D’autres tribunaux ont toutefois renoncé à cette méthode lorsque les risques
des investissements en cause étaient tels qu’il était impossible d’affirmer avec une
probabilité suffisante qu’ils auraient prospéré en l’absence de fait étatique illicite.
En pareil cas, les arbitres peuvent s’appuyer sur la valeur comptable ajustée de
l’investissement à la date de la mesure illicite, c’est-à-dire sur le patrimoine net
de l’entreprise affecté d’un coefficient calculé à partir de la valeur de vente d’entre-
prises comparables sur le marché 224, voire se contenter d’indemniser la valeur de
l’investissement effectivement effectué par le demandeur 225. Il arrive toutefois
que le calcul de l’indemnité soit plus simple. Tel était le cas de l’affaire White,
dans laquelle les arbitres ont calculé l’indemnisation due sur la base de la somme
octroyée par la sentence CCI dont le demandeur demandait l’exécution devant les
juridictions internes défaillantes augmentée des sommes engagées pour en obtenir
l’exécution 226. L’arbitrage CNUDCI a ainsi permis à l’investisseur de changer de
débiteur : la somme qui lui était due par son cocontractant l’est désormais par
l’État, faute pour celui-ci d’avoir fait exécuter son obligation par celui-là dans un
délai raisonnable.
En dehors de ces quelques cas où l’évaluation du dommage est aisée, le raffine-
ment des raisonnements déployés ne parvient toutefois pas à masquer l’immense,
et peut-être irréductible, marge de manœuvre dont disposent les arbitres à l’heure
de statuer sur le montant de l’indemnisation 227.
ii) Cette marge existe également s’agissant d’octroyer des intérêts mais l’at-
titude des arbitres paraît alors moins aléatoire. Le taux de ces intérêts peut être
discuté 228 et la date à partir de laquelle ils commencent à courir (le dies a quo)
peut dépendre de la date à laquelle le tribunal a évalué le dommage 229. Mais les
tribunaux tendent à s’accorder quant au type d’intérêts octroyés. En effet, tandis
que la CDI a pu remarquer que « les cours et tribunaux ont généralement pris
position contre l’allocation d’intérêts composés » 230, les arbitres sont au contraire
enclins à en octroyer en considérant que de tels intérêts « reflects economic reality
and will therefore better ensure full reparation » 231. Ces intérêts, « qui sont capi-
talisés et deviennent à leur tour productifs d’intérêts » 232, ont été octroyés dans
toutes les sentences rendues en 2011, ce qui tend à indiquer que, par-delà les
divergences encore observées par les arbitres, une tendance nouvelle, sinon une
« jurisprudence constante » 233, se dégage progressivement sur ce point 234. Cela
n’exclut toutefois pas que les intérêts composés puissent être jugés inappropriés
dans certaines situations 235.
Ch. N. Brower, §§ 35-39, qui défend l’application de la méthode DCF en remarquant que, dès les premières
années d’exécution du contrat de concession, son bilan était positif.
226. Sentence White, 14.3.6.
227. Voy. cette chronique in cet Annuaire, 2010, pp. 650-653.
228. Sentence El Paso, § 745 ; sentence Tza Yap Shum, §§ 289-290 ; sentence Lemire, §§ 355-356 ;
sentence Impregilo, § 383.
229. Sentence Tza Yap Shum, § 291 ; sentence Impregilo, § 384. Ces tribunaux ayant écarté la prise
en compte du lucrum cessans, les intérêts commencent à courir à partir de la date des mesures illicites et
non à partir de la date de la sentence.
230. Commentaire de l’article 38, § 8, reproduit in J. CRAWFORD, Les Articles…, op. cit. note 133,
p. 285.
231. Sentence El Paso, § 746 ; sentence Tza Yap Shum, § 291 ; sentence Lemire, §§ 357-361 ; sentence
Impregilo, § 382.
232. V° « Intérêts composés », in J. SALMON (dir.), Dictionnaire de droit international public, Bruxelles,
Bruylant/AUF, 2001, p. 598.
233. CIRDI, Gemplus SA et Talsud SA c. Mexique, aff. n° ARB(AF)/04/3 et ARB(AF)/04/4, sentence
du 16 juin 2010, §§ 16-26.
234. Voy. B. SABAHI, op. cit. note 219, pp. 152-153.
235. Voy. cette chronique in cet Annuaire, 2010, pp. 652-653.
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564 arbitrage transnational et droit international général
Seront abordés dans cette partie, les apports au droit du contentieux interna-
tional des décisions arbitrales rendues en 2011 pour ce qui touche aux questions
de compétence (A), de droit applicable (B), de procédure arbitrale (C), et de voies
de recours (D).
236. CIRDI, ATA Construction, Industrial and Trading Company c. Jordanie, aff. n° ARB/08/2,
sentence du 18 mai 2010, §§ 131-132, cette chronique in cet Annuaire, 2010, p. 654.
237. CIRDI, ATA Construction, Industrial and Trading Company c. Jordanie, aff. n° ARB/08/2, déci-
sion sur l’interprétation et la demande de mesures conservatoires du 7 mars 2011, §§ 39-45. Voy. infra
III, D, 1.
238. Tandis que certains s’appuient sur le fait que cette disposition ne mentionne pas la restitution
pour en déduire qu’elle doit être exclue des modes de réparation des atteintes aux investissements étran-
gers (Z. DOUGLAS, op. cit., note 178 pp. 829 et s.), d’autres soulignent que l’article 54 ne concerne que la
mise en œuvre des sentences dans l’ordre interne et n’interdit pas aux arbitres de prescrire des mesures
de restitution (B. SABAHI, op. cit. note 219, p. 64).
239. Sentence Lemire, §§ 339, 344.
240. Cette chronique in cet Annuaire, 2008, p. 502.
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arbitrage transnational et droit international général 565
A. Compétence
1. Compétence de la compétence
241. CIRDI, Perenco Ecuador Limited c. Équateur et Empresa Estatal Petróleos del Ecuador, aff.
n° ARB/08/6, décision sur la compétence, 30 juin 2011, § 239. Voy. S. W. CHANG, « Inherent Power of the
Arbitral Tribunal to Investigate Its Own Jurisdiction », Journal of International Arbitration, vol. 29, n° 2,
2012, pp. 171 et s. ; et la présente chronique in cet Annuaire, 2009, pp. 706-707.
242. CIRDI, Hochtief AG c. Argentine, aff. n° ARB/07/31, décision sur la compétence et la recevabilité,
24 octobre 2011, § 11.
243. Décision Hochtief, § 11. L’article 41, § 1, de la convention de Washington dispose : « Le Tribunal
est juge de sa compétence ».
244. CIRDI, Perenco Ecuador Limited c. Équateur et Empresa Estatal Petróleos del Ecuador, aff.
n° ARB/08/6, décision sur la compétence, 30 juin 2011, §§ 233-240. Sur la restitution, voy. supra II.
245. CNUDCI, Alps Finance and Trade AG c. Slovak Republic, sentence du 5 mars 2011, § 119
(« frequent overlap between procedural and substantive issues »). Considérant, à rebours de certaines
décisions arbitrales, que la condition de l’investissement réalisé de bonne foi ressortit davantage au fond
de l’affaire qu’à la compétence du tribunal, voy. CIRDI, Malicorp Limited c. Égypte, aff. n°ARB/08/18,
sentence du 7 février 2011, §§ 115-119 ; CIRDI, Abaclat et al. (anciennement Giovanna a Beccara et al.)
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566 arbitrage transnational et droit international général
compétence matérielle du tribunal 246. En la matière, il est courant que les tribu-
naux transnationaux se réfèrent à la jurisprudence de la Cour internationale de
Justice dans l’affaire des Plates-formes pétrolières selon laquelle sa compétence
ratione materiae dans une affaire est établie « si les violations du traité […] allé-
guées […] entrent […] dans les prévisions de ce traité » 247. Ainsi les tribunaux sont-
ils conduits à examiner prima facie des questions de fond – y a-t-il une violation
potentielle du traité ? – aux fins d’établir leur compétence.
Dans l’affaire Duke Energy, le tribunal arbitral, saisi non sur le fondement d’un
traité mais en vertu de la clause compromissoire d’un accord de stabilisation, avait
raisonné de manière similaire, en jugeant que le différend relevait de sa compétence
dans la mesure où les faits litigieux étaient de nature à constituer une violation de
l’accord conclu entre l’entreprise et le Pérou. Saisi d’une demande d’annulation, un
comité ad hoc a été conduit à examiner les déterminations du tribunal en la matière.
Il a ainsi relevé que de la mise en œuvre du « prima facie standard » en matière de
compétence pouvaient naître des confusions. Le tribunal de l’affaire Duke Energy
n’y avait pas échappé en concluant que le demandeur « has made a prima facie case
that the dispute falls within its jurisdiction » 248, ce qui pouvait laisser accroire que
sa compétence n’était établie qu’« à première vue ». En se fondant sur l’arrêt de la
Cour dans l’affaire des Plates-formes et la fameuse opinion jointe de la juge Higgins,
le comité ad hoc a pris la peine de détailler les deux temps du raisonnement devant
conduire un tribunal à apprécier sa compétence matérielle sans empiéter sur le
jugement des questions de fond :
« First, since – as the Tribunal here correctly observed – it ‘must not in any way
prejudge the merits of the case’, an arbitral tribunal must, for the purpose of its
jurisdictional determination, presume the facts which found the claim on the merits
as alleged by the claimant to be true (unless they are plainly without any founda-
tion). In that sense, its determination may be said to be prima facie. But, second, in
the application of those presumed facts to the legal question of jurisdiction before it,
the tribunal must objectively characterise those facts in order to determine finally
whether they fall within or outside the scope of the parties’ consent. In making this
determination, the tribunal may not simply adopt the claimant’s characterisation
without examination » 249.
Et le comité ad hoc d’ajouter qu’un tribunal qui suit la démarche en deux temps
décrite trouvera le juste équilibre entre « avoiding pre-judging the merits, on the
one hand, and objectively determining the question of jurisdiction on the other » 250.
À son terme, il adoptera une position définitive – et non prima facie – sur la question
de sa compétence 251.
c. Argentine, aff. n° ARB/07/5, décision sur la compétence et la recevabilité, 4 août 2011, § 382. Estimant
que la condition de l’écoulement d’une période de négociation, en raison de son expiration, ne relève plus
de la compétence mais de la réparation, voy. CNUDCI, Sergei Paushok, CJSC Golden East Company et
CJSC Vostokneftegaz Company c. Mongolie, sentence sur la compétence et la responsabilité, 28 avril 2011,
§ 220 (voir aussi le paragraphe 224 au sujet de la question de l’abus de procédure).
246. Voy. la présente chronique in cet Annuaire, 2009, pp. 707 et s.
247. CIJ, affaire des Plates-formes pétrolières, arrêt du 12 décembre 1996, CIJ Recueil 1996, p. 810,
§ 16.
248. CIRDI, Duke Energy International Peru Investments n° 1, Ltd c. Pérou, décision sur la compé-
tence, 1er février 2006, § 90. De manière assez ambiguë, voy. CIRDI, El Paso Energy International Company
c. Argentine, aff. n° ARB/03/15, sentence du 31 octobre 2011, § 192 (le tribunal relève que dans sa décision
sur la compétence, il a conclu que « the Claimant has made out a prima facie case that there is indeed an
investment agreement as that notion may be generally understood »).
249. Comité ad hoc CIRDI, Duke Energy, § 118.
250. Id., § 118.
251. Voy. le paragraphe 31 de l’opinion de R. Higgins jointe à l’arrêt des Plates-formes pétrolières,
arrêt du 12 décembre 1996, in CIJ Recueil 1996, p. 855.
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arbitrage transnational et droit international général 567
252. CIRDI, Phoenix Action, Ltd. c. République tchèque, aff. n° ARB/06/5, sentence du 15 avril 2009,
§ 61 (« If the alleged facts are facts that, if proven, would constitute a violation of the relevant BIT, they
have indeed to be accepted as such at the jurisdictional stage, until their existence is ascertained or not at
the merits level. On the contrary, if jurisdiction rests on the existence of certain facts, they have to be proven
at the jurisdictional stage »).
253. CIRDI, Libananco Holdings Co. Limited c. Turquie, aff. n° ARB/06/8, sentence du 2 septembre
2011, §§ 121 et s. (« the Tribunal confirms its view that it is not required to make a pro tem assumption of
the truth of a fact if the evidence of that fact has been fully presented, and sufficient evidence exists for the
Tribunal to make an informed and dispositive finding at this stage »).
254. En ce sens voy. CIRDI, Abaclat et al. (anciennement Giovanna a Beccara et al.) c. Argentine, aff.
n° ARB/07/5, décision sur la compétence et la recevabilité, 4 août 2011, § 303 (« the Tribunal applies a prima
facie standard, both to the determination of the meaning and scope of the relevant BIT provisions invoked
as well as to the assessment of whether the facts alleged may constitute breaches of these provisions on its
face »). Voy. aussi, concernant l’existence d’un investissement fondant la compétence matérielle du tribunal,
CIRDI, El Paso Energy International Company c. Argentine, aff. n° ARB/03/15, sentence du 31 octobre
2011, §§ 193 et s., où le tribunal revient sur sa décision sur la compétence, dans laquelle il avait conclu
qu’il existait prima facie des accords d’investissement fondant sa compétence en matière de réclamations
fiscales. Au fond, le tribunal estime que les conventions en question, conclues par des sociétés argentines
et non par le demandeur, ne peuvent finalement pas être qualifiées d’accords d’investissement au sens du
traité. La conclusion initiale du tribunal selon laquelle il a compétence pour les mesures fiscales touchant
les accords d’investissement n’est pas remise en cause ; seule l’est la qualification juridique, faite prima
facie, des accords concernés.
255. Opinion de R. Higgins jointe à l’arrêt des Plates-formes pétrolières, arrêt du 12 décembre 1996,
in CIJ Recueil 1996, p. 856, § 33.
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568 arbitrage transnational et droit international général
une fois prouvées « would be capable of constituing a violation of the BIT » 256.
Mais c’est au terme d’un examen pour le moins expéditif que le tribunal a conclu
que le « prima facie plausibility test » n’était pas rempli : au lieu de confronter les
faits aux obligations du traité, le tribunal s’est contenté de postuler qu’aucune
violation du traité ne saurait résulter de simples erreurs de droit de la part de
juridictions nationales, contenues dans des décisions ne visant pas spécifiquement
le demandeur et demeurant susceptibles de recours internes. Si la remarque est
sans doute exacte en ce qui concerne le déni de justice évoqué par les arbitres 257,
on peut douter qu’elle le soit nécessairement au regard de standards plus généraux
du droit des investissements, notamment celui du traitement juste et équitable 258.
En l’occurrence, le caractère littéralement bâclé de l’examen de la qualification
juridique s’explique peut-être par le fait qu’il n’intervenait qu’à titre subsidiaire :
à titre principal le tribunal avait jugé qu’il n’avait pas compétence ratione personae
vis-à-vis du demandeur qui, ne menant pas d’activités économiques réelles sur le
territoire suisse 259, ne correspondait pas à la définition de l’investisseur au sens
du traité. Dans l’affaire Abaclat et al. en revanche, le tribunal a estimé au terme
d’un examen plus attentif que les faits allégués étaient susceptibles de constituer
une violation du traitement juste et équitable, voire un acte d’expropriation, ainsi
qu’une violation de l’obligation de s’abstenir de prendre des mesures discrimina-
toires et d’assurer le traitement national, l’examen de l’exactitude des faits étant
repoussé à la phase du fond 260.
3. Compétence/recevabilité
Dans cette même affaire Abaclat et al., le tribunal a consacré de longs déve-
loppements à la distinction entre compétence et recevabilité, après avoir constaté
que le terme large de « compétence » utilisé aux articles 25 et 41 de la convention
de Washington sur le CIRDI était susceptible de couvrir des questions de receva-
bilité 261. Les circonstances de l’espèce expliquent un tel luxe de précisions, dont
les tribunaux transnationaux font en général l’économie dès lors que le résultat
de l’incompétence comme de l’irrecevabilité est le même : le tribunal ne statue pas
sur la réclamation. Or l’affaire Abaclat et al. était soumise au CIRDI par plusieurs
dizaines de milliers de « petits porteurs » italiens d’obligations souveraines émises
par l’Argentine, représentés par la TFA (Task Force Argentina), une association
créée dans cette optique par huit grandes banques italiennes. La question du
recours collectif ou « arbitrage de masse » 262 en rapport avec des dettes souveraines
étant ignorée tant par le traité argentino-italien applicable que par la convention
de Washington 263, le problème se posait de savoir si elle devait être envisagée sous
l’angle de la compétence ou de la recevabilité.
Sous l’angle de la compétence, la mise en œuvre de l’arbitrage de masse
supposait un consentement au moins implicite de l’Argentine à la possibilité
256. CNUDCI, Alps Finance and Trade AG v. Slovak Republic, sentence du 5 mars 2011, § 248.
257. Id., § 250.
258. Rejetant la condition d’épuisement des voies de recours internes en ce qui concerne le traitement
juste et équitable, voy. comité ad hoc CIRDI, Helnan International Hotels c. Égypte, aff. n° ARB/05/19,
décision sur la demande d’annulation, 14 juin 2010, § 47.
259. Sur ce point, voy. le comm. de L. ACHTOUK-SPIVAK, in Cahiers de l’arbitrage, 2011/4, pp. 1007
et s.
260. CIRDI, Abaclat et al. (anciennement Giovanna a Beccara et al.) c. Argentine, aff. n° ARB/07/5,
décision sur la compétence et la recevabilité, 4 août 2011, § 315.
261. Décision Abaclat et al., § 245
262. Voy. le commentaire de la sentence par E. ONGUENE ONANA, in JDI, 2011, pp. 286 et s. et par
B. POULAIN, in Cahiers de l’arbitrage, 2011/4, pp. 1007 et s.
263. Décision Abaclat et al., § 297.
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arbitrage transnational et droit international général 569
pour les investisseurs d’intenter des actions collectives, dont l’absence aurait eu
pour effet de mettre un terme définitif à la procédure. Sous l’angle de la receva-
bilité en revanche, point n’était besoin selon les deux arbitres majoritaires de se
préoccuper du consentement spécifique de l’État pour ce type d’actions, l’attention
devant se concentrer sur les conditions procédurales d’admission de la requête :
à partir du moment où le système d’arbitrage du CIRDI n’est pas incompatible
avec les actions collectives, le consentement de l’Argentine était réputé inclure
cette forme de recours 264.
De manière d’autant plus surprenante qu’elle est aussi confuse que peu argu-
mentée, la démarche des arbitres majoritaires pour répartir les questions de
compétence et les questions de recevabilité a été d’examiner l’immuabilité ou non
des exigences préliminaires en fonction de l’unité ou de la pluralité des requé-
rants 265. Si l’on comprend bien la position des arbitres Tercier et Van den Berg,
relèveraient ainsi de la compétence les questions préliminaires ne nécessitant pas
un examen individualisé des réclamations, dès lors qu’elles sont soumises à des
conditions invariables, quel que soit le nombre de requérants. En revanche, les
questions procédurales qui ne se poseraient pas en présence d’un seul demandeur
ressortiraient à la recevabilité. À l’usage, la distribution ainsi opérée apparaît
bien peu convaincante, notamment lorsqu’est examinée la compétence ratione
personae du tribunal. En effet, faute de procéder à un examen individualisé de la
situation des requérants (ce qu’il s’est interdit dès lors qu’il traite de sa compé-
tence), le tribunal se contente d’identifier des conditions générales touchant à la
nationalité et à la capacité des personnes physiques et morales demanderesses 266,
sans jamais vérifier qu’elles sont bien remplies en l’espèce – il semble postuler que
globalement, elles le sont 267. De même, au regard de la compétence matérielle, le
tribunal se contente de présumer le caractère « homogène » des différentes récla-
mations sans jamais procéder à un examen individualisé, ce qu’il justifie in fine au
stade de l’examen de la recevabilité : l’homogénéité des réclamations justifie une
simplification des méthodes d’examen et de la procédure 268. La décision rendue
sur la compétence n’établit donc pas définitivement la compétence du tribunal,
paradoxe qui fait écho à l’ambiguïté entretenue par le tribunal sur la nature de
l’action intentée, qualifiée d’« hybride » entre la technique de la représentation et
celle de l’agrégation 269. L’action serait en effet agrégative et non représentative
dans la mesure où elle repose sur une pluralité de réclamations fondées sur une
addition de consentements individuels à l’arbitrage, par opposition à la technique
de la class-action par laquelle un représentant intente une action unique au nom
d’un groupe de demandeurs non spécifiquement identifiés et dont le nombre peut
demeurer indéterminé. Mais dans certains de ses aspects (et en dépit de la plura-
lité des réclamations), l’action aurait une dimension représentative en raison de
264. Id., § 491. Contra, opinion dissidente G. Abi-Saab, § 19 (les questions de recevabilité sont étran-
gères à la détermination de l’étendue du consentement).
265. Décision Abaclat et al., § 249 : « If there was only one Claimant, what would be the requirements
for ICSID’s jurisdiction over its claim ? If the issue raised relates to such requirements, it is a matter of
jurisdiction. If the issue raised relates to another aspect of the proceedings, which would not apply if there
was just one Claimant, then it must be considered a matter of admissibility and not of jurisdiction ». Voy.
aussi les paragraphes 484-490 de la décision et contra op. diss. G. Abi-Saab, §§ 122 et s., qui définit la
compétence comme le pouvoir d’exercer la fonction juridictionnelle, dont les limites relèvent par nature
de la compétence (§ 126).
266. Décision Abaclat et al., §§ 412 et 421.
267. Id., §§ 409 et 414, où le tribunal estime curieusement qu’à ce stade de la procédure (la décision
sur la compétence pourtant) il ne lui revient pas de « to determine whether the information submitted by
Claimants so far sufficiently evidences the fulfilment of these conditions » (§ 409) cf. supra 1.
268. Id., § 544.
269. Id., § 488.
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570 arbitrage transnational et droit international général
la passivité des demandeurs, dont les intérêts collectifs – et non individuels – sont
défendus par l’association TFA 270.
La position de départ des arbitres majoritaires était, semble-t-il, que le
tribunal devait accepter de se prononcer sur l’action collective intentée 271, ce
qui supposait, en l’absence de consentement exprès de l’Argentine 272, d’exfiltrer
la question de l’arbitrage de masse du champ de la compétence. Ainsi, pour la
majorité du tribunal, « the ‘mass’ aspect of the present proceedings relates to the
modalities and implementation of the ICSID proceedings and not to the ques-
tion whether Respondent consented to ICSID arbitration » 273. Même dans ce
cas de figure, en l’absence de dispositions concernant l’arbitrage de masse dans
la convention de Washington et le règlement d’arbitrage du CIRDI, le tribunal
aurait pu déclarer l’action collective irrecevable. Il a en l’occurrence préféré
s’appuyer sur son pouvoir de trancher les questions de procédure non résolues
pour définir les adaptations procédurales nécessaires à la poursuite de l’action
collective devant le CIRDI 274. En filigrane, apparaît l’idée que les questions de
recevabilité autorisent une plus grande flexibilité dans leur appréciation que
celles de compétence 275.
De manière similaire, l’exigence de consultation et d’écoulement d’un délai
de dix-huit mois après l’introduction d’une requête devant les juridictions natio-
nales, prévue par la clause de règlement des différends du TBI argentino-italien,
n’a pas été considérée par le tribunal comme une condition de compétence, mais
de recevabilité 276. L’on sait que « la répartition matérielle entre compétence et
recevabilité n’est pas stable » 277. Néanmoins, à partir du moment où les condi-
tions précitées sont incluses dans la clause du TBI qui comporte l’engagement
juridictionnel, il y a tout lieu d’y voir, à l’instar de la Cour internationale de
Justice 278, une condition non de recevabilité mais de compétence. Comme le dit
avec finesse Georges Abi-Saab dans son opinion dissidente, « in this case these
270. Décision Abaclat et al., §§ 486-487. Contra op. diss. G. Abi-Saab, §§ 130 et s.
271. Cf. la critique formulée par G. Bastid Burdeau, selon qui le système CIRDI est « au service des
grands investisseurs », les petits et moyens investisseurs n’y ayant pas accès : « rien n’est fait pour les y
encourager, et on cherche au contraire à les en dissuader », loc. cit. note 7, pp. 442-443). Voy. l’op. diss. de
G. Abi-Saab, §§ 263 et s., où l’arbitre reproche au tribunal d’avoir eu à l’esprit des « policy considerations »
l’ayant conduit à retenir sa compétence, auxquelles il oppose d’autres considérations au terme desquelles
il ne reviendrait pas au CIRDI de connaître des problèmes relatifs aux dettes souveraines des États.
272. Dans son opinon dissidente, G. Abi-Saab constate que toutes les expériences d’actions collectives
en droit international (devant des commissions mixtes, le tribunal irano-américain de réclamations, etc.)
ont été établies spécifiquement pour régler un type particulier de réclamations de masse (aucune n’a
été intentée devant un tribunal déjà en place ni sur le fondement d’un titre juridictionnel préexistant).
Toutes ces expériences ont par ailleurs reposé sur l’expression du consentement des parties concernées,
à l’exception du cas particulier de la commission de compensation des Nations Unies créée par le Conseil
de sécurité après la guerre du Golfe (§§ 183 et s.). Voy. H. HOLTZMAN / E. KRISTJANSDOTTIR, International
Mass Claims Processes : Legal and Practical Perspectives, Oxford University Press, 2007, 504 p. (ouvrage
dont des extraits étaient reproduits dans les annexes des pièces de procédure écrite des demandeurs).
273. Décision Abaclat et al., § 492.
274. Id., §§ 506 et s. Voy. infra III, C, 1, la question des pouvoirs du tribunal arbitral.
275. Voy. les remarques de J. Crawford, in J. CRAWFORD / A. PELLET, « Aspects des modes continentaux
et anglo-saxons de plaidoiries devant la C.I.J. », International Law Between Universalism and Fragmen-
tation – Festschrift in Honour of Gerhard Hafner, Nijhoff, Leiden-Boston, 2008, p. 835.
276. Décision Abaclat et al., § 494. Contra, voy. op. diss. G. Abi-Saab, §§ 20 et s. Voy. aussi le para-
graphe 447 de la décision : la question de la validité du pouvoir de l’avocat pour exprimer le consentement
de son client à l’arbitrage est une question procédurale relevant de la recevabilité, tandis que la validité
du consentement lui-même ressortit à la compétence.
277. C. SANTULLI, Droit du contentieux international, Paris, Montchrestien, 2005, p. 145, § 255.
278. Voy. notamment CIJ, Activités armées sur le territoire du Congo (nouvelle requête : 2002) (RDC
c. Rwanda), arrêt du 20 février 2006, exceptions préliminaires, Rec. 2006, pp. 39-40, § 88.
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arbitrage transnational et droit international général 571
288. CNUDCI, Alps Finance and Trade AG v. Slovak Republic, sentence du 5 mars 2011, § 209. Voy.
la présente chronique in cet Annuaire, 2010, pp. 632-633.
289. Id., § 201.
290. Id., § 200.
291. CNUDCI, Sergei Paushok, CJSC Golden East Company et CJSC Vostokneftegaz Company
c. Mongolie, sentence sur la compétence et la responsabilité, 28 avril 2011, § 220.
292. CIJ, Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discri-
mination raciale (Géorgie c. Fédération de Russie), arrêt du 1er avril 2011, exceptions préliminaires, §§ 122
et s.
293. Voy. C. SANTULLI, op. cit. note 277, pp. 172 et s.
294. Sentence Paushok, § 428. Le tribunal cite l’affaire CIRDI, Impregilo SpA c. Pakistan, aff.
n° ARB/03/03, décision sur la compétence, 22 avril 2005, § 309.
295. Dans le même sens, et faisant référence aux règles du droit intertemporel énoncées par Max
Huber dans l’affaire de l’Ile de Palmas, voy. comité ad hoc CIRDI, Duke Energy International Peru Invest-
ments n° 1, Ltd c. Pérou, décision du 1er mars 2011, §§ 172 et s.
296. Sentence Paushok, § 429 et s. Cf. la présente chronique in cet Annuaire, 2008, pp. 484-485 ;
2009, pp. 693-694 et 700-701 ; et 2010, pp. 620-621.
297. Voy. notamment, en plus des affaires Mavrommatis et Ambatielos citées par la sentence Paushok
(§§ 464 et s.), CPJI, Phosphates du Maroc (Italie c. France), arrêt du 14 juin 1938, Exceptions prélimi-
naires, série A/B, n° 74, pp. 22 et s. (déclaration française de juridiction obligatoire concernant « tous les
différends qui s’élèveraient après la ratification de la présente déclaration au sujet des situations ou des
faits postérieurs à cette ratification ») ; CIJ, Certains biens (Liechtenstein c. Allemagne), arrêt du 10 février
2005, Exceptions préliminaires, Rec. 2005, pp. 19 et s., §§ 29 et s. (exclusion par l’art. 27 de la convention
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arbitrage transnational et droit international général 573
Parmi les questions de droit des investissements faisant l’objet d’un traite-
ment jurisprudentiel notoirement contradictoire figure le champ d’application des
clauses de traitement de la nation la plus favorisée contenues dans nombre de
TBI 303. S’il n’est pas contesté qu’une telle clause permet à un investisseur de
bénéficier du traitement « substantiel » plus favorable prévu dans un autre traité
d’investissement 304, les tribunaux arbitraux – et parfois en leur sein les arbitres –
se déchirent sur la question de son extension aux procédures de règlement des
différends plus avantageuses en raison de conditions procédurales préalables à
l’arbitrage moins contraignantes (par exemple, conditions de délais plus courts,
absence d’obligation de soumission du litige aux juridictions internes etc.). Parmi les
arguments nourrissant le débat, il a été soutenu dans un sens que, dans l’examen
du traitement réservé à l’investisseur, la faculté de recourir à l’arbitrage constitue
une protection difficilement dissociable des règles dites substantielles, l’ensemble
façonnant le régime de protection de l’investissement 305. Dès lors, le principe de
européenne pour le règlement des différends des « différends concernant des faits ou situations antérieurs
à l’entrée en vigueur de la présente convention entre les parties au différend »).
298. Sentence Paushok, § 449. Distinguant clairement deux fondements d’incompétence ratione
temporis (date d’apparition du différend et date à laquelle les événements à l’origine de la réclamation
sont intervenus), voy. comité ad hoc CIRDI, Duke Energy International Peru Investments n° 1, Ltd c. Pérou,
décision du 1er mars 2011, § 71.
299. Voy. supra II, A, 1.
300. Sentence Paushok, §§ 467 et s.
301. « Un investisseur d’une Partie, agissant au nom d’une entreprise d’une autre Partie qui est une
personne morale que l’investisseur détient ou contrôle directement ou indirectement, peut soumettre à
l’arbitrage, en vertu de la présente section, une allégation selon laquelle l’autre Partie a manqué à une
obligation […] ».
302. CNUDCI, Vito G. Gallo c. Canada, sentence du 15 septembre 2011, § 326.
303. Voy. la présente chronique in cet Annuaire, 2009, pp. 710-712. Pour une contribution récente
au débat, voy. M. PAPARINSKIS, « MFN Clauses and International Dispute Settlement : Moving Beyond
Maffezini and Plama ? », ICSID Rev., vol. 26, n° 2, Fall 2011, pp. 14 et s.
304. « Incorporant » par le biais de la clause de la nation la plus favorisée prévue dans le TBI Australie/
Inde l’obligation de fournir aux investisseurs un recours effectif (effective means) contenue dans le TBI
Inde/Koweït, voy. CNUDCI, White Industries Australia Ltd. c. Inde, sentence finale, 30 novembre 2011,
§§ 11.2.1 et s.
305. Voy. par ex. CIRDI/CNUDCI, Suez, Sociedad General de Aguas de Barcelona, SA et Vivendi
Universal, SA c. Argentine, aff. n° ARB/03/19, décision sur la responsabilité, 30 juillet 2010, § 57.
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574 arbitrage transnational et droit international général
l’« identité de genre » (ejusdem generis), selon lequel « la clause de la nation la plus
favorisée ne peut attirer que les matières relevant du même ordre de sujets que
celui auquel se rapporte la clause elle-même » 306, ne ferait pas obstacle au jeu de
la clause. En sens inverse, on peut éprouver des réticences à ce qu’une telle clause
ait pour effet de modifier le « mandat juridictionnel » 307 conféré à un tribunal par
le TBI applicable.
Un document de travail rédigé par Donald McRae pour le groupe d’étude sur
la clause de la nation la plus favorisée constitué par la Commission du droit inter-
national des Nations Unies n’a pu que constater que
« les tribunaux ne résolvaient pas de la même façon le problème du recours à une
clause NPF pour incorporer dans l’accord dont il s’agissait les dispositions relatives
au règlement de différends. L’argumentation des tribunaux qui repoussaient ce
moyen n’était pas non plus constante » 308.
Deux décisions arbitrales rendues en 2011 reflétant l’éclatement jurispruden-
tiel persistant sur la question sont de nature à inspirer les travaux de la CDI et,
au-delà, à alimenter le débat sur les clauses de la nation la plus favorisée 309.
Dans l’affaire Impregilo, du nom de la société italienne dont le contrat de
concession de distribution des eaux avait été résilié pour non-exécution, le tribunal
a commencé par constater son incompétence au regard du TBI Italie/Argentine, au
motif que la condition de soumission du litige aux juridictions nationales pendant
un délai de dix-huit mois, prévue par la clause de règlement des litiges, n’avait
pas été respectée 310. Néanmoins, il a ensuite pleinement pris en considération la
procédure de règlement des différends offerte par le TBI Argentine/États-Unis, qui
dispensait l’investisseur de la saisine préalable des tribunaux internes. Par le jeu de
la clause de la nation la plus favorisée prévue à l’article 3 du TBI Argentine/Italie,
le tribunal a retenu sa compétence après avoir fait bénéficier le demandeur des
conditions procédurales plus souples offertes par le traité Argentine/États-Unis 311.
Ce faisant, il s’est inscrit dans la ligne jurisprudentielle de l’affaire Maffezini 312,
à partir de laquelle plusieurs tribunaux arbitraux ont jugé que le traitement plus
favorable couvert par les clauses de la nation la plus favorisée n’était pas seulement
substantiel mais également procédural.
306. Commission d’arbitrage, Ambatielos, 6 mars 1956, RSA, vol. XII, pp. 106-107 et CIJ, Ambatielos,
arrêt du 19 mai 1953, Rec. 1953, p. 10.
307. Z. DOUGLAS, « The MFN Clause in Investment Treaty Arbitration : Treaty Interpretation off the
Rails », Journal of International Dispute Settlement, 2012, p. 5.
308. Rapport de la CDI, 63e session, Assemblée générale, Documents officiels, A/66/12, p. 302,
§ 353.
309. CIRDI, Impregilo S.p.A. c. Argentine, aff. n° ARB/07/17, sentence du 21 juin 2011 (comm.
C. CRÉPET-DAIGREMONT, in Cahiers de l’arbitrage, 2011/4, pp. 1007 et s. ; S. MANCIAUX, in JDI, 2012/1,
p. 345 ; J. FOURET / D. KHAYAT, in The Law and Practice of International Courts and Tribunals, vol. 11,
2012, p. 187) ; CIRDI, Hochtief AG c. Argentine, aff. n° ARB/07/31, décision sur la compétence et la receva-
bilité, 24 octobre 2011. Le Rapport de la CDI précité s’arrête en particulier sur l’opinion de Brigitte Stern
jointe à la sentence Impregilo ; la décision de l’affaire Hochtief ayant été communiquée postérieurement
aux réunions de la CDI en 2011, son rapport annuel n’en fait pas état.
310. CIRDI, Impregilo S.p.A. c. Argentine, aff. n° ARB/07/17, sentence du 21 juin 2011, §§ 79-94.
311. Id., §§ 95-109. Considérant de manière plutôt convaincante que les conditions du TBI Argentine/
États-Unis ne sont pas nécessairement plus favorables que celles du TBI Argentine/Italie mais qu’elles
sont simplement différentes, voy. l’opinion de B. Stern jointe à la sentence, §§ 10 et s. B. Stern estime
également que le traitement dont a bénéficié Impregilo au terme de la procédure n’est pas le traitement
plus favorable du TBI argentino-américain, mais un traitement favorable sui generis dès lors que la
condition de renonciation aux voies de recours internes prévue par le TBI avec les États-Unis ne lui a pas
été imposée (§ 12).
312. CIRDI, Emilio Agustín Maffezini c. Espagne, aff. n° ARB/97/7, décision du tribunal sur les
objections à la compétence, 25 janvier 2000, §§ 56 et s.
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arbitrage transnational et droit international général 575
313. Voy. notamment CIRDI, Plama Consortium Ltd c. Bulgarie, aff. n° ARB/03/24, décision sur la
compétence, 8 février 2005, § 209. B. Stern estime peu convaincant l’argument selon lequel la non-appli-
cabilité de la clause de la nation la plus favorisée aux mécanismes de règlement des différends reposerait
sur le fait qu’une procédure ayant fait l’objet d’un accord « spécifiquement négocié » entre les deux États
parties au TBI ne saurait être écartée. En effet, toutes les dispositions d’un TBI sont censées reposer sur
une négociation entre les États concernés, sans que la pratique révèle une insistance particulière des États
lorsqu’est abordée la clause de règlement des différends État/investisseur (op. diss., §§ 21 et s.).
314. Op. diss. Brigitte Stern, § 45. Contra voy. CIRDI, Hochtief AG c. Argentine, aff. n° ARB/07/31,
décision sur la compétence et la recevabilité, 24 octobre 2011, § 66 (« the (“procedural”) right to enforce
another (“substantive”) right is one component of the bundles of rights and duties that make up the legal
concept of what property is », souligné dans le texte).
315. C.I.J., Sud-Ouest Africain (Éthiopie et Libéria c. Afrique du sud), 2e phase, arrêt du 18 juillet
1966, Rec. 1966, p. 46, § 86.
316. La mention des droits juridictionnels dans le champ d’application de la clause de la nation la plus
favorisée laisse-t-elle entendre que la clause serait susceptible d’offrir à un investisseur le bénéfice d’une
procédure d’arbitrage lorsque le traité applicable ne prévoit que le recours aux juridictions internes ? On
voit poindre le paradoxe : l’investisseur pourrait se prévaloir de la clause de la nation la plus favorisée pour
bénéficier d’une procédure à laquelle l’État n’a pas consenti dans le traité applicable, mais il ne pourrait
pas bénéficier de conditions d’arbitrage plus avantageuses prévues dans un traité autre lorsque l’État a
donné son consentement à l’arbitrage dans le traité contenant la clause de la nation la plus favorisée.
317. Op. diss. Brigitte Stern, § 47.
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576 arbitrage transnational et droit international général
B. Droit applicable
1. Le droit interne
333. Afin de statuer sur les demandes de récusation d’arbitres, les tribunaux ont également été
invités par certaines parties à se référer aux Lignes directrices sur les conflits d’intérêts dans l’arbitrage
international adoptées par l’International Bar Association le 22 mai 2004. Bien qu’ils ne s’estiment pas liés
par ces Lignes directrices mais uniquement par la convention de Washington et le règlement du CIRDI,
ils leur reconnaissent tout de même une valeur indicative (comité ad hoc CIRDI, Nations Energy Inc., et
al. c. République du Panama, aff. n° ARB/06/19, décision sur la demande de récusation de M. Alexandrov,
7 septembre 2011, § 57 ; CIRDI, OPIC Karimum Corporation c. Venezuela, aff. n° ARB/10/14, décision sur
la demande de récusation du Professeur Philippe Sands, 5 mai 2011, § 48 ; CIRDI, Universal Compres-
sion International Holdings, S.L.U. c. Venezuela, aff. n° ARB/10/9, décision sur la demande de récusation
du Professeur Brigitte Stern et du Professeur Santiago Tawil, arbitres, 20 mai 2011, §§ 73 et s.). Sur la
récusation d’arbitres, voy. infra III, C, 5.
334. Sentence El Paso, § 129, qui reprend ici une formule déjà dégagée par un comité ad hoc CIRDI
dans l’affaire Wena Hotels Limited c. Égypte, aff. ARB/98/4, décision d’annulation du 5 février 2002, § 40 :
« What is clear is that the sense and meaning of the negotiations leading to the second sentence of Article 42(1)
allowed for both legal orders to have a role. The law of the host State can indeed be applied in conjunction
with international law if this is justified. So too international law can be applied by itself if the appropriate
rule is found in this other ambit ».
335. CIRDI, Spyridon Roussalis c. Roumanie, aff. n° ARB/06/1, sentence du 7 décembre 2011,
§ 306.
336. CIRDI, Abaclat et al. (anciennement Giovanna a Beccara et al.) c. Argentine, aff. n° ARB/07/5,
décision sur la compétence et la recevabilité, 4 août 2011, § 430.
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arbitrage transnational et droit international général 579
337. CIRDI, Brandes Investment Partners, LP c. Venezuela, aff. n° ARB/08/3, sentence du 2 août 2011,
§ 36. Voy. supra I, B, 3 (Actes unilatéraux).
338. C. SANTULLI, op. cit. note 277, pp. 336-337.
339. CIRDI, Libananco Holdings Co. Limited c. Turquie, aff. n° ARB/06/8, sentence du 2 septembre
2011, §§ 112-113.
340. Sentence Abaclat, §§ 407 et 413, s’agissant de la nationalité des personnes physiques et morales,
§§ 416 et s. considérant qu’il n’est pas nécessaire pour être qualifié de société italienne au sens du TBI
d’avoir la pleine personnalité juridique dès lors que le droit italien permet à des entités qui en sont dépour-
vues d’investir et d’ester en justice.
341. Sentence Alps, § 216.
342. L. ATCHOUK-SPIVAK, « Notion de siège social et protection des investissements », in Cahiers de
l’arbitrage, 20 novembre 2011, pp. 1007 et s., n° 7
343. Sentence Spyridon Roussalis, § 599 ; sentence Alps, § 198.
344. Sentence Alps, §§ 197-198.
345. Sentence El Paso, § 135 ; CNUDCI (ALENA), Grand River Enterprises e.a. c. États-Unis d’Amé-
rique, sentence du 12 janvier 2011, §§ 136 et s.
346. CNUDCI, Sergei Paushok, CJSC Golden East Company et CJSC Vostokneftegaz Company
c. Mongolie, sentence sur la compétence et la responsabilité, 28 avril 2011, § 607.
347. CIRDI, Joseph Charles Lemire c. Ukraine, aff. n° ARB/06/18, sentence du 28 mars 2011,
§§ 173-202, s’agissant de l’octroi de fréquences radiophoniques ; CNUDCI, White industries Australia
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580 arbitrage transnational et droit international général
Tout cela confirme que ce type d’« instance juridictionnelle a été pragmatique-
ment configurée sur la base de la relation juridique objet du différend (l’opération
d’investissement, qui se rattache à plusieurs ordres juridiques) au lieu d’être orga-
nisée en fonction d’un ordre juridique donné dans le cadre exclusif duquel elle se
serait déployée » 348.
Ltd. c. Inde, sentence finale, 30 novembre 2011, §§ 14.3.1-14.3.6 s’agissant d’accorder l’exequatur à une
sentence CCI. Voy. supra II, B, 1.
348. M. FORTEAU, op. cit., note 327 p. 117.
349. La question de l’usage de sources internationales extérieures se pose également, même si ce
n’est pas toujours dans les mêmes termes, devant la CEDH. Voy. G. COHEN-JONATHAN/J.-F. FLAUSS puis
E. LAMBERT-ABDELGAWAD/S. TOUZÉ, puis D. SZYMCZAK /S. TOUZÉ, « La Cour européenne des droits de
l’homme et le droit international », cet Annuaire, 2008, pp. 529-541 ; 2009, pp. 765-772 ; 2010, pp. 694-695 ;
2011, pp. 611.
350. C’est d’ailleurs le lot de toutes les juridictions spécialisées, voy. C. SANTULLI, op. cit. note 277,
p. 331.
351. Sentence El Paso, §§ 613-626. Voy. supra, II, A, 3.
352. Sentence Alps, § 231.
353. Id., §§ 196, 229, 239-245.
354. W. BEN HAMIDA, « La notion d’investissement : quand le CIRDI contamine la CNUDCI », in
Cahiers de l’arbitrage, 20 novembre 2011, pp. 1007 et s., nos 29 et s.
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arbitrage transnational et droit international général 581
355. Sur cette question, voy. Ch. T. KOTUBY, « “Other International Obligations” as the Applicable
Law in Investment Arbitration », International Arbitration Law Review, 2011, pp. 162-172.
356. CIRDI, Spyridon Roussalis c. Roumanie, aff. n° ARB/06/1, sentence du 7 décembre 2011,
§§ 306-312.
357. CNUDCI (ALENA), Grand River Enterprises e.a. c. États-Unis d’Amérique, sentence du 12 janvier
2011, § 71.
358. Ibid., § 143.
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582 arbitrage transnational et droit international général
« does not incorporate other legal protections that may be provided investors or classes
of investors under other sources of law. To hold otherwise would make Article 1105 a
vehicle for generally litigating claims based on alleged infractions of domestic and
international law and thereby unduly circumvent the limited reach of Article 1105
as determined by the Free Trade Commission in its binding directive » 359.
Ainsi, tout en doutant de la conformité des agissements des États-Unis aux
règles de droit international protégeant les peuples autochtones 360, les arbitres ont
considéré qu’un tribunal chargé d’appliquer l’ALENA n’était pas le forum approprié
pour trancher ces questions.
Les arbitres admettent donc la prise en compte de sources du droit interna-
tional extérieures au droit des investissements, que ce soit par la voie de l’interpré-
tation en application de l’article 31, § 3, litt. c de la convention de Vienne, du fait
de renvois exprès dans les clauses du traité telles que celle qui prévoit l’application
de la norme la plus favorable aux investisseurs, ou encore par le jeu de références
implicites telles que celles qui peuvent être dégagées de la protection des attentes
légitimes ou des clauses de respect des engagements, susceptibles de couvrir les
engagements internationaux de l’État. Mais ils rechignent à s’engager sur une voie
qui pourrait faire d’eux les juges de toute règle de droit international dès lors que
sa violation est susceptible d’affecter un investissement étranger.
C. Procédure arbitrale
1. Pouvoirs du tribunal
De plus, dès lors que la compétence du tribunal arbitral est limitée au litige qui lui
est soumis par les parties qu’il oppose, les mesures conservatoires ne sauraient en
principe porter sur les droits de tiers, qui ne sont pas impliqués dans la procédure
d’arbitrage » 363.
Le tribunal a par la suite mis en œuvre ces conditions – qui stricto sensu n’en
sont d’ailleurs pas toutes – lorsqu’il a examiné les différentes demandes de la
société requérante. Concernant par exemple la mesure sollicitée de suspension
du recouvrement par la République démocratique du Congo des taxes fiscales et
autres charges sociales, il a estimé que sa compétence prima facie était remplie
(les taxes en question étant liées aux activités régies par le code minier à l’origine
de la compétence du tribunal) 364 et que le droit au maintien du statu quo et à la
protection de l’arbitrage était un droit à protéger dont l’existence prima facie n’était
pas contestable 365. En revanche, il a considéré que la nécessité de la mesure de
suspension n’était pas établie 366 et a par conséquent refusé d’ordonner la suspen-
sion du recouvrement.
2. Demandes reconventionnelles
Dans le contentieux transnational fondé sur des traités de protection des inves-
tissements étrangers, l’État se trouve systématiquement en position de défendeur,
en raison notamment du caractère dissocié de l’expression des consentements à
l’arbitrage : tandis que l’État exprime l’offre d’arbitrage dans la clause du traité
relative au règlement des litiges, l’investisseur donne son consentement dans la
requête adressée au tribunal 375. Le mécanisme de la demande reconventionnelle,
définie comme la « [d]emande incidente par laquelle une partie à une instance
prétend obtenir, en sus du rejet de la demande introduite contre elle, la satisfaction
par la partie adverse d’une prétention entretenant un lien de connexité avec l’objet
de la demande de cette partie » 376, permet toutefois à l’État de rechercher la mise
en œuvre de la responsabilité de l’investisseur.
Telle a été la tentative effectuée dans l’affaire Spyridon Roussalis par la
Roumanie, qui reprochait au demandeur de n’avoir pas respecté l’accord de parti-
cipation relatif à un entrepôt de stockage de nourriture surgelée, alors qu’initia-
lement M. Roussalis invoquait la violation du TBI par la Roumanie en raison de
divers comportements relatifs à sa prise de participation dans l’entrepôt. Tandis que
la demande principale a été rejetée au fond, celle conventionnelle a été considérée
par le tribunal comme étant étrangère à sa compétence pour défaut de consen-
tement 377. L’article 46 de la convention de Washington pose en effet expressé-
ment la condition selon laquelle les demandes reconventionnelles doivent être
371. CIRDI, Abaclat et al. (anciennement Giovanna a Beccara et al.) c. Argentine, aff. n° ARB/07/5,
décision sur la compétence et la recevabilité, 4 août 2011, § 507.
372. Id., § 526.
373. Id., § 533. Le tribunal estime que les adaptations de la procédure au caractère collectif de
la réclamation restent dans le cadre de ses pouvoirs, tant au regard de l’article 44 de la convention de
Washington qu’au regard de l’équilibre entre les droits des parties établi par la convention (voy. §§ 534 et s.,
où le tribunal considère que les adaptations nécessaires présupposent une homogénéité des réclamations,
et précise qu’elles ne doivent pas affecter les droits de la défense de l’État ni priver les demandeurs de
leurs droits procéduraux).
374. Voy. l’opinion dissidente de G. Abi-Saab qui estime que le tribunal a agi ultra vires (§§ 194). Voy.
aussi le comm. de B. POULAIN in Cahiers de l’arbitrage, 2011/4, pp. 1007 et s., § 15.
375. Voy. E. GAILLARD, La jurisprudence du CIRDI, Paris, Pedone, 2004, p. 2 ; J. PAULSSON, « Arbi-
tration Without Privity », ICSID Review, 1995, pp. 232-257.
376. V° « Demande reconventionnelle », in Dictionnaire de droit international public, op. cit. note
232, p. 316.
377. CIRDI, Spyridon Roussalis c. Roumanie, aff. n° ARB/06/1, sentence du 7 décembre 2011, §§
859 et s.
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arbitrage transnational et droit international général 585
3. Preuve
éléments de preuve présentés 394. Les décisions arbitrales qui consacrent des déve-
loppements aux standards de preuve le font généralement en réponse aux argu-
ments des parties invoquant un alourdissement ou inversement un allègement
des preuves à apporter concernant certains faits. La sentence Libananco a ainsi
considéré que le standard de preuve n’était pas plus élevé en matière de fraude 395.
Certes le tribunal fait sienne la proposition selon laquelle « the graver the charge, the
more confidence there must be in the evidence relied on ». Pour autant, il n’en résulte
pas nécessairement un alourdissement du standard de preuve : « It may simply
require more persuasive evidence, in the case a fact is inherently improbable, in order
for the Tribunal to be satisfied that the burden of proof has been discharged » 396.
4. Amicus curiae
de récusation d’arbitre, selon l’art. 57 de la convention de Washington, défini dans l’affaire SGS Société
générale de surveillance c. Pakistan. En la matière, doit être prouvée à la fois l’existence des faits indiquant
un manque d’indépendance et le caractère « manifeste » de ce défaut. Voy. note 423.
394. Accordant peu de poids aux témoignages d’anciens responsables tchécoslovaques, voy. CPA
(CNUDCI), HICEE B.V. c. Slovaquie, sentence partielle du 23 mai 2011, § 124 (« The witness evidence,
taken as a whole, fell into precisely that category against which the International Law Commission and
international tribunals have warned, namely ex post facto expressions of opinion about what was presumed
to have animated the negociation of a treaty text »).
395. CIRDI, Libananco Holdings Co. Limited c. Turquie, aff. n° ARB/06/8, sentence du 2 septembre
2011, § 125. Cf. sentence Vito G. Gallo, § 270, où le tribunal ne se prononce pas sur l’alourdissement du
standard de preuve lorsque la fraude est alléguée.
396. Sentence Libananco, § 125.
397. Voy. A. CRIVELLARO, « Transparence de la procédure et l’accès des tiers : amicus curiae », in
F. HORCHANI (dir.), op. cit. note 7, p. 225 et s. ; S. MENÉTREY, « La transparence dans l’arbitrage d’inves-
tissement », Rev. Arb., 2012, n° 1, pp. 33 et s. ; M. ZACHARIASIEWICZ, « Amicus Curiae in International
Investment Arbitration : Can It Enhance the Transparency of Investment Dispute Resolution ? », Journal
of International Arbitration, vol. 29, n° 2, 2012, pp. 205 et s. Voy. également le projet de règlement sur
la transparence dans les arbitrages entre investisseurs et États fondés sur des traités (A/CN.9/WG.II/
WP.16), élaboré par le Groupe de travail II de la CNUDCI, qui comporte un projet d’article 5 relatif aux
« Observations présentées par des tiers » et un article 6 sur les « Observations présentées par une partie
au traité non partie au litige ».
398. Voy. cette chronique in cet Annuaire, 2009, pp. 718-721. Adde Ch. KNAHR, « The New Rules
on Participation of Non-Disputing Parties in ICSID Arbitration : Blessing or Curse ? », in Ch. BROWN /
K. MILES, op. cit. note 41, pp. 319 et s.
399. CPA (CNUDCI), Chevron Corporation et Texaco Petroleum Corporation c. Équateur, ordonnance
procédurale n° 8, 18 avril 2011, § 7 ; CIRDI, Pac Rim Cayman LLC c. El Salvador, aff. n° ARB/09/12,
ordonnance procédurale n° 8, 23 mars 2011.
400. Ordonnance Chevron et Texaco, § 7.
401. CNUDCI, Apotex Inc. c. États-Unis, ordonnance procédurale n° 2 sur l’intervention d’une tierce
partie, 11 octobre 2011, § 4.
402. CIRDI, Commerce Group Corp. et San Sebastian Gold Mines, Inc. c. Salvador, aff. n° ARB/09/17,
sentence du 14 mars 2011, §§ 40 et 81 et s., où le tribunal s’appuie sur l’interprétation de l’article 10.18 de
l’accord de libre-échange centraméricain défendue par le Costa Rica et le Nicaragua dans leurs soumissions
à titre d’amicus curiae. Cf. CNUDCI (ALENA), Grand River Enterprises e.a. c. États-Unis d’Amérique,
sentence du 12 janvier 2011, § 59, où le Canada, conformément à l’art. 1128 de l’ALENA, a présenté des
conclusions au sujet de l’interprétation de l’art. 1105 de l’ALENA au regard du traité de Jay, d’une part,
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588 arbitrage transnational et droit international général
d’ailleurs justifié qu’elle soit distinguée du cas des « vrais » amici curiae dans le
projet sur la transparence de l’arbitrage élaboré au sein de la CNUDCI 403.
La question spécifique de la participation d’« amis de la Cour » à la procédure dès
le stade de la compétence a donné lieu en 2011 à plusieurs solutions distinctes. De
prime abord, les intérêts – qu’il s’agisse de l’intérêt général ou d’intérêts plus secto-
riels – défendus par les organisations souhaitant participer à l’instance concernent
des questions de fond : il s’agit généralement d’attirer l’attention du tribunal sur des
éléments extérieurs au droit des investissements (défense des droits de l’homme, de
l’environnement etc.). Dans cette optique, lorsqu’il y a bifurcation des procédures,
l’amicus curiae n’aurait pas vocation à se manifester au stade de la compétence
mais seulement à celui de l’examen des questions de fond 404. Tel a été le sens
implicite de l’ordonnance rendue par la Cour permanente d’arbitrage dans l’affaire
Chevron et Texaco. Sur le fondement de l’article 15 du règlement d’arbitrage de la
CNUDCI de 1976 qui laisse le tribunal arbitral « procéder à l’arbitrage comme il le
juge approprié » 405, les arbitres ont discrétionnairement décidé de ne pas autoriser
« at this stage of the arbitration » la participation des organisations sollicitantes
en tant qu’amici curiae 406. Si une solution similaire a été retenue par le tribunal
de l’affaire Apotex (refus de la participation en tant qu’amicus du Study Center for
Sustainable Finance, rattaché à l’entreprise de conseil BNM), le raisonnement pour
y aboutir a divergé. Il est vrai qu’en plus du règlement de la CNUDCI était appli-
cable la déclaration de la Commission du libre-échange de l’ALENA qui comporte
une série de recommandations sur la participation de tierces parties 407. De plus, la
partie non contestante voulait faire valoir une position qui concernait directement
la compétence matérielle du tribunal dans la mesure où elle touchait à la définition
de l’investissement 408. S’il a admis implicitement que les perspectives différentes
offertes par les amici curiae pouvaient renforcer le processus arbitral 409, le tribunal
a en l’espèce rejeté la demande de BNM. En application des critères d’admission
des mémoires des tierces parties fixés par la Commission du libre-échange 410, le
tribunal a jugé que l’apport à l’arbitrage de BNM sur la définition de l’investisse-
ment serait nul 411. En revanche, le tribunal a très explicitement considéré que les
et de la convention n° 169 de l’OIT et de la déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples indi-
gènes, d’autre part.
403. Voy. supra note 397. Cf. l’art. 63 du statut de la CIJ qui prévoit une procédure d’intervention
spécifique, non assimilable à une procédure d’amicus curiae, « [l]orsqu’il s’agit de l’interprétation d’une
convention à laquelle ont participé d’autres États que les parties en litige ».
404. En ce sens, voy. CNUDCI/ALENA, United Parcel Service of America Inc. c. Canada, décision sur
la demande d’intervention et la participation en tant qu’amicus curiae, 17 octobre 2011, § 71.
405. « Sous réserve des dispositions du Règlement, le tribunal arbitral peut procéder à l’arbitrage
comme il le juge approprié, pourvu que les parties soient traitées sur un pied d’égalité et qu’à tout stade de
la procédure chaque partie ait toute possibilité de faire valoir ses droits et proposer ses moyens » (§ 1). La
disposition est reprise en substance à l’art. 17 du Règlement d’arbitrage de la CNUDCI modifié en 2010.
406. Ordonnance Chevron et Texaco, § 20.
407. L’article A de la déclaration prévoit notamment : « Aucune disposition de l’Accord de libre-échange
nord-américain (« ALENA ») n’empêche un tribunal, s’il le juge approprié, d’accepter les mémoires écrits
présentés par une personne ou une entité qui n’est pas une partie contestante (« tierce partie ») » (§ 1).
408. CNUDCI (ALENA), Apotex Inc. c. États-Unis, ordonnance procédurale n° 2 sur l’intervention
d’une tierce partie, 11 octobre 2011, § 10 : « the Applicant seeks to put forward a position that ‘the expenses
(venture capital) of claimant cannot qualify as investment under NAFTA … and the Tribunal has no juris-
diction to enter into the merits of this case’ ».
409. Ordonnance Apotex Inc., § 22.
410. Art. B, § 6, de la déclaration de la Commission du libre-échange : « 6. Pour déterminer s’il autorise
une tierce partie à présenter un mémoire, le tribunal évaluera, entre autres, dans quelle mesure : a) le
mémoire de la tierce partie aidera le tribunal à se prononcer sur des questions de fait ou de droit rattachées
à l’arbitrage en offrant une perspective, des connaissances ou des idées particulières qui sont différentes
de celles des parties contestantes ».
411. « [T]here is nothing in BMN’s intended submission that can properly be characterised as reflec-
ting a distinct insight or perspective on the definition of “investment” that would otherwise be absent from
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arbitrage transnational et droit international général 589
questions de compétence sont bien des questions « liées à l’objet du différend » 412,
qui ne peuvent par principe être privées de la possibilité de recevoir l’éclairage
d’amici curiae 413.
this arbitral process, and that would therefore be of assistance to the Tribunal » (§ 26). Le tribunal estime
également que BNM n’a pas démontré en quoi « l’arbitrage présente un grand intérêt pour la tierce partie »
(art. B, § 6, litt c de la déclaration, § 28 de l’ordonnance), ni en quoi « la question soumise à l’arbitrage est
d’intérêt public » (art. B, § 6, litt. d de la déclaration et § 29 de l’ordonnance).
412. Art. B, § 6, litt. b de la déclaration.
413. §§ 32-33 de l’ordonnance. Autorisant la production d’un mémoire en amicus curiae du Centre
pour le droit international de l’environnement afin d’assister le tribunal sur la résolution des questions
de compétence, à l’exclusion des questions de fond, voy. CIRDI, Pac Rim Cayman LLC c. El Salvador, aff.
n° ARB/09/12, ordonnance procédurale n°8, 23 mars 2011, ii) et iii).
414. C. SANTULLI, op. cit. note 277, p. 447, n° 777.
415. Voy. D. COHEN, « Indépendance des arbitres et conflits d’intérêts », Rev. Arb, 2011, n° 3,
pp. 648-650.
416. Art. 58 de la convention de Washington (« Les autres membres […] du Tribunal […] se prononcent
sur toute demande en récusation […] d’un arbitre ».
417. Comité ad hoc CIRDI, Nations Energy Inc., et al. c. Panama, aff. n° ARB/06/19, décision sur la
demande de récusation de M. Alexandrov, 7 septembre 2011, §§ 41 et s.
418. Comité ad hoc CIRDI, Compañiá de Aguas del Aconquija S.A. et Vivendi Universal S.A. c. Argen-
tine, aff. n° ARB/97/3, décision sur la demande de récusation du président du comité, 3 octobre 2001,
§§ 1-13.
419. Voy. par ex. CIRDI, Universal Compression International Holdings, S.L.U. c. Venezuela, aff.
n° ARB/10/9, décision sur la demande de récusation du Professeur Brigitte Stern et du Professeur Santiago
Tawil, arbitres, 20 mai 2011.
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590 arbitrage transnational et droit international général
après que le CIRDI eut sollicité l’avis du secrétaire général de la Cour permanente
d’arbitrage sur la demande de récusation 420.
Les demandes de récusation examinées en 2011 ont reposé sur un « défaut
manifeste » 421 d’indépendance ou d’impartialité des arbitres. Il revenait alors
à la partie concernée de démontrer que l’arbitre « lacks the quality of being a
person who can be relied upon to exercise independent judgment and impartiality
of judgment » 422. Le standard de preuve est élevé dans la mesure où « the burden
of proof is on the challenging party to establish, first, the existence of the facts
from which it is said that a manifest lack of the relevant qualities can be inferred,
and, secondly, to establish that such an inference can reasonably be inferred in the
circumstances » 423. Dans l’affaire Abaclat, l’Argentine estimait que les solutions
retenues par les arbitres majoritaires, concernant en particulier l’admission de
l’arbitrage de masse 424, lui étaient à ce point défavorables qu’elles constituaient la
preuve d’un manque d’indépendance et d’impartialité. Pour le secrétaire général de
la CPA toutefois « dissatisfaction with a ruling is not a fact indicating a manifest
lack of independence or impartiality » 425, et ce même si les arbitres étaient dans
l’erreur : « An arbitrator can be wrong in fact or in law, and still be independent
and impartial » 426. Nonobstant le caractère prétendument injuste de la décision
arbitrale, en l’absence de preuves objectives établissant le manque d’indépendance
ou d’impartialité, la demande de récusation a reçu un avis négatif.
Un problème particulier résulte de l’« hyperactivité » de certains arbitres,
nommés dans plusieurs affaires similaires, souvent par les mêmes États ou le
cabinet les représentant, et qui plus est parfois auteurs d’opinions individuelles
permettant de connaître précisément leurs positions sur certains points contro-
versés du droit des investissements quand ils ne participent pas par ailleurs au
développement de la doctrine en ce domaine. Dans le « petit monde » de l’arbitrage
transnational, ces personnes ont parfois acquis à leur grand dam une réputation
pro-État ou inversement pro-investisseur, de nature à nuire à l’impartialité, sinon
à l’apparence d’impartialité, qui doit s’attacher à leur jugement.
Encore rares, les demandes de récusation fondées sur les nominations multiples
d’un arbitre par une partie ou un conseil ont fait l’objet de deux décisions en 2011,
concernant les professeurs Philippe Sands et Brigitte Stern. Dans les deux cas, la
demande a été rejetée, faute d’avoir répondu à la « relatively high burden for those
seeking to challenge ICSID arbitrators » 427. En la matière, en effet, le manque
d’indépendance devant être « manifeste », il doit être « clearly and objectively esta-
blished » ; dès lors il ne suffit pas de « to show an appearence of a lack of impartiality
420. CPA/CIRDI, Abaclat et al. c. Argentine, aff. CPA n° IR 2011/1 et aff. CIRDI n° ARB/07/5, recom-
mandation sur la demande de récusation, 19 décembre 2011, §§ 15 et s.
421. Art. 57 de la convention de Washington : « Une partie peut demander […] au Tribunal la récu-
sation d’un de ses membres pour tout motif impliquant un défaut manifeste des qualités requises par
l’article 14, alinéa (1) […] ». L’article 14, al. 1, prévoit que « [l]es personnes désignées pour figurer sur
les listes doivent jouir d’une haute considération morale, être d’une compétence reconnue en matière
juridique, commerciale, industrielle ou financière et offrir toute garantie d’indépendance dans l’exercice
de leurs fonctions. […] » (it. aj.).
422. CPA/CIRDI, Abaclat et al., recommandation sur la demande de récusation, § 50.
423. Id., § 63. Voy. aussi comité ad hoc CIRDI, Nations Energy Inc., et al. c. Panama, aff. n° ARB/06/19,
décision sur la demande de récusation de M. Alexandrov, 7 septembre 2011, § 65 ; CIRDI, Universal
Compression International Holdings, S.L.U. c. Venezuela, aff. n° ARB/10/9, décision sur la demande de
récusation du Professeur Brigitte Stern et du Professeur Santiago Tawil, arbitres, 20 mai 2011, §§ 70 et s.
424. Voy. supra III, A, 3 et 4.
425. CPA/CIRDI, Abaclat et al., recommandation sur la demande de récusation, § 60.
426. Id., § 63.
427. CIRDI, OPIC Karimum Corporation c. Venezuela, aff. n° ARB/10/14, décision sur la demande de
récusation du Professeur Philippe Sands, 5 mai 2011, § 45.
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arbitrage transnational et droit international général 591
436. CIJ, Demande de réformation du jugement no 158 du Tribunal administratif des Nations Unies,
avis consultatif du 12 juillet 1973, Rec. 1973, § 98, p. 212 : « Il faut tenir compte aussi du principe fonda-
mental en matière de dépens qui s’applique au contentieux devant les tribunaux internationaux, à savoir
que chacune des parties supporte ses propres frais à moins que le tribunal n’en décide autrement par une
décision expresse (voir l’article 64 du Statut de la Cour) ».
437. Opérant un constat en ce sens avant d’en prendre le contre-pied, voy. CIRDI, EDF (Services)
Ltd. c. Roumanie, aff. n° ARB/05/13, sentence du 8 octobre 2009, § 322.
438. CIRDI, Tza Yap Shum c. Pérou, aff. n° ARB/07/6, sentence du 7 juillet 2011, §§ 293-302, jugeant
que cette solution est de nature à inciter les parties à adopter un comportement aussi diligent que possible
dans le cadre de la procédure arbitrale.
439. CNUDCI (ALENA), Grand River Enterprises e.a. c. États-Unis d’Amérique, sentence du 12 janvier
2011, §§ 244-247.
440. Comité ad hoc CIRDI, Continental Casualty Company c. Argentine, aff. n° ARB/03/9, décision sur
la demande d’annulation, 16 septembre 2011, §§ 280-285, estimant que les deux parties sont à l’origine de
la procédure et qu’aucune de leur réclamation n’a abouti. Voy. aussi, CIRDI, El Paso Energy International
Company c. Argentine, aff. n° ARB/03/15, sentence du 31 octobre 2011, §§ 748-751 et CIRDI, Impregilo
S.p.A. c. Argentine, aff. n° ARB/07/17, sentence du 21 juin 2011, § 385, soulignant que chaque partie avait de
sérieux arguments à faire valoir et que les sentences n’ont donné que partiellement raison au demandeur ;
CIRDI, Commerce Group Corp. et San Sebastian Gold Mines, Inc. c. Salvador, aff. n° ARB/09/17, sentence
du 14 mars 2011, §§ 135-139, appliquant l’article 10.20.6 du Central American-Dominican Republic Free
Trade Agreement qui prévoit une répartition à parts égales des frais d’arbitrage à moins que la demande
soit manifestement mal-fondée (frivolous), ce qui n’était pas le cas en l’espèce ; CIRDI, Malicorp Limited
c. Égypte, aff. n°ARB/08/18, sentence du 7 février 2011, §§ 146-148, remarquant que, bien que le demandeur
ait succombé au fond, sa demande a été jugée recevable et que le défendeur « was not itself completely
beyond reproach » dans l’opération qui a conduit à la saisine du tribunal ; Comité ad hoc CIRDI, Duke
Energy International Peru Investments n° 1, Ltd c. Pérou, décision sur la demande d’annulation, 1er mars
2011, §§ 259-268, entérinant l’accord entre les parties sur la prise en charge par le Pérou, à l’origine de
la demande d’annulation, des frais de procédure mais laissant chacune des parties assumer ses frais de
représentation au motif que le Pérou, qui a succombé, avait présenté des moyens d’annulation sérieux et
a poursuivi la procédure d’annulation de manière constructive et professionnelle. Pour une critique de ces
motifs, voy. S. MANCIAUX, JDI, 2012/1, pp. 265 et s.
441. CIRDI, GEA Group Aktiengesellschaft c. Ukraine, aff. n° ARB/08/16, sentence du 31 mars 2011,
§§ 362 et s., mettant la totalité des frais à la charge de l’investisseur dont la demande n’a été jugée que
partiellement recevable et a été rejetée en totalité au fond ; CIRDI, Joseph Charles Lemire c. Ukraine,
aff. n° ARB/06/18, sentence du 28 mars 2011, §§ 377-383, mettant une partie des frais de représentation
du demandeur à la charge du défendeur au motif que, bien que toutes ses prétentions n’aient pas été
accueillies, le premier est « the overall winning party », contra op. diss. Voss ; CPA/CNUDCI, HICEE B.V.
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arbitrage transnational et droit international général 593
charge de la partie défaite des montants prohibitifs. Il suffit pour s’en convaincre
de constater que, dans l’année, les demandeurs des affaires Spyridon Roussalis et
Libananco ont été condamnés à verser respectivement pas moins de six millions
d’euros 442 et quinze millions de dollars aux États qu’ils avaient attraits devant les
tribunaux. Il faut dire que dans cette dernière affaire, les frais de représentation
de la Turquie s’élevaient à trente-cinq millions de dollars, somme que les arbitres
ont ramené à quinze millions en ne tenant compte que des frais qu’ils ont jugé
nécessaires en suivant une « ‘broad-brush’ approach ». Ainsi amputée, cette somme
n’a pas semblé déraisonnable aux arbitres compte tenu de la situation financière
du demandeur et de l’enjeu de l’affaire, sa requête portant sur pas moins de dix
milliards de dollars 443. Il n’en reste pas moins que l’approche suivant laquelle
« the costs follow the event » permet de tenir compte de l’attitude des parties, et
notamment du caractère abusif de leurs recours 444, et conduit donc les arbitres à
mettre en œuvre une forme de responsabilité de type procédural 445.
D. Voies de recours
1. Interprétation
c. Slovaquie, aff. n° 2009-11, sentence supplémentaire et finale, 17 octobre 2011, mettant la totalité des frais
supplémentaires à la charge du demandeur dès lors que le tribunal s’est déclaré incompétent. Voy. aussi
comité ad hoc CIRDI, Togo-Electricité et GDF-Suez Energie Services c. Togo, aff. n° ARB/06/07, décision
en annulation du 6 septembre 2011, §§ 254-261, mettant la totalité des frais à la charge de la République
togolaise, dont la demande d’annulation a été intégralement rejetée.
442. CIRDI, Spyridon Roussalis c. Roumanie, aff. n° ARB/06/1, sentence du 7 décembre 2011,
§§ 878-882, jugeant que le demandeur doit supporter 60 % des frais d’arbitrage au motif que sa demande
a été rejetée mais que la demande reconventionnelle de la Roumanie, dont les frais de représentation
s’élevaient à plus de dix millions d’euros, l’a également été.
443. CIRDI, Libananco Holdings Co. Limited c. Turquie, aff. n° ARB/06/8, sentence du 2 septembre
2011, §§ 560-569.
444. Voy. notamment comité ad hoc CIRDI, RSM Production Corporation c. Grenade, aff. n° ARB/05/14,
ordonnance du comité mettant fin à la procédure et décision sur les coûts, §§ 55-69, mettant les frais à la
charge du demandeur qui a entamé la procédure d’annulation avant de s’en désister selon une stratégie
que le comité semble considérer comme abusive, même s’il n’estime pas nécessaire de l’affirmer explicite-
ment. Voy. aussi, comité ad hoc CIRDI, ATA Construction, Industrial and Trading Company c. Royaume
Hachémite de Jordanie, aff. n° ARB/08/2, ordonnance prenant note du désistement, 11 juillet 2011, § 33,
mettant à la charge de l’investisseur une partie des frais engagés par la Jordanie, pourtant à l’origine de
la procédure d’annulation et qui s’en est ensuite désistée, au motif que le premier « increased unnecessarily
the costs of the proceeding for the other Party ». Non seulement la demande d’annulation avait été formée
en réponse à une demande d’interprétation de l’investisseur peu fondée, mais ce dernier avait adopté des
manœuvres dilatoires.
445. Voy. cette chronique in cet Annuaire, 2009, p. 723 ; 2010, pp. 640-641.
446. C. SANTULLI, op. cit. note 277, pp. 361 et s.
447. CIRDI, ATA Construction, Industrial and Trading Company c. Jordanie, aff. n° ARB/08/2, décision
sur l’interprétation et la demande de mesures conservatoires, 7 mars 2011 (comm. J. CAZALA, in Cahiers
de l’arbitrage, 2011/4, pp. 1007 et s. et J. FOURET / D. KHAYAT, in The Law and Practice of International
Courts and Tribunals, vol. 11, 2012, p. 160).
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594 arbitrage transnational et droit international général
statu quo ante en décidant que le demandeur était « entitled to proceed to arbitra-
tion » 448. Les parties s’opposaient sur la question de savoir si la restauration du
droit à l’arbitrage concernait uniquement la société turque ATA ou si la convention
d’arbitrage ressuscitait in toto – ce qui autoriserait un recours ou une demande
reconventionnelle de la partie jordanienne 449. Eu égard aux conditions de délai
pour former une demande d’annulation – et sans doute pour exercer une certaine
pression sur le tribunal – l’État avait assorti sa demande d’interprétation d’une
requête auprès du secrétaire général du CIRDI aux fins d’annulation de la sentence,
conformément à l’article 52 de la convention de Washington – demande retirée à
l’issue de la décision examinée, qui a tranché en faveur de l’interprétation de la
sentence formulée la Jordanie.
Dans sa décision sur l’interprétation, le tribunal qui avait initialement rendu
la sentence 450 a constaté, au vu des soumissions contradictoires des parties, qu’il
y avait bien « a need for authoritative interpretation of the Award », bien qu’il ait
« some difficulty in seeing how its Award could be misunderstood » 451. Cette (légi-
time) « pointe d’agacement » 452 mise à part, force est de constater qu’il y avait bien
« un différend qui [s’était] élev[é] entre les parties concernant le sens ou la portée
de la sentence » 453, qu’il lui revenait de trancher en application de la convention de
Washington. Il aurait pu ajouter, conformément à la jurisprudence en matière d’in-
terprétation, que le différend sur l’interprétation avait des conséquences pratiques
déterminantes pour la mise en œuvre de la sentence 454. Faisant abstraction de la
formulation un peu maladroite, ou du moins imprécise, qu’il avait retenue dans
sa sentence, le tribunal a estimé qu’au regard des règles en matière de restitution
juridique, il aurait commis un excès de pouvoir en décidant d’une mesure de resti-
tution juridique modifiant la clause compromissoire initiale. Partant, la convention
d’arbitrage prévue dans le contrat était restaurée in toto et non uniquement en
faveur de la société turque. La solution paraît à ce point évidente qu’elle aurait
pu conduire le tribunal à déclarer la demande irrecevable 455. Faute d’avoir retenu
une telle position et en l’absence de développements sur la portée de l’article 50
de la convention de Washington, la décision apporte peu au régime des recours en
interprétation, au demeurant déjà bien dégrossi au niveau du CIRDI par la décision
Wena Hotels de 2005 456.
2. Annulation
448. Sentence ATA Construction, § 132. Voy. cet Annuaire 2010, p. 654.
449. Voy. supra II, B, 2, b.
450. Art. 50, § 2, de la convention de Washington : « La demande est, si possible, soumise au tribunal
qui a statué »
451. Décision ATA Construction.
452. J. CAZALA, comm. précité note 447, § 5.
453. Art. 50 de la convention de Washington.
454. CIRDI, Wena Hotels Ltd. c. Égypte, aff. n° ARB/98/4, décision sur l’interprétation du 31 octobre
2005, § 87.
455. C. SANTULLI, op. cit. note 277, p. 361 n° 617, cité par J. CAZALA, comm. précité note 447, § 5.
456. Voy. le commentaire de l’art. 50 de la convention de Washington in Ch. SCHREUER et al, op. cit.
note 369, pp. 866 et s.
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arbitrage transnational et droit international général 595
des pouvoirs de l’organe d’annulation 457. Les trois comités ad hoc ayant rendu des
décisions en 2011 ont chacun réaffirmé la ligne dominante au niveau du CIRDI,
selon laquelle l’examen de la sentence contestée demeure strictement limité – en
dépit des décisions de certains comités qui ont retenu une conception plus intrusive
de leur office 458. La décision rendue dans l’affaire Continental illustre ce retour à
une certaine orthodoxie dans l’examen des sentences contestées. Le comité rappelle
que les cas limités d’ouverture du recours en annulation excluent qu’un comité ad
hoc remplisse la fonction d’une cour d’appel – expressément exclue par l’article 53
de la convention 459 – et s’emploie à reconsidérer la substance du différend 460. Ainsi,
l’excès manifeste de pouvoir ne sera pas caractérisé lorsque le tribunal applique le
droit applicable, même s’il n’a pas identifié ou pris en considération toutes les dispo-
sitions pertinentes du corpus juridique concerné 461. En effet, « [f]or the tribunal
to take such a view, righlty or wrongly, even merely by implication, is an exercise
of tribunal’s power, and not an excess of power » 462. Sans aller jusqu’à poser une
présomption de validité de la sentence arbitrale examinée, le comité de l’affaire
Continental estime que si deux interprétations d’une sentence sont envisageables,
celle qui ne conduit pas à l’annulation doit être privilégiée, quitte à recourir à l’idée
que certaines déterminations du tribunal demeurent implicites 463. Ce positionne-
ment semble faire écho à l’affirmation du comité ad hoc de l’affaire Duke Energy,
selon lequel « [t]he role of an ad hoc committee is to ensure the stability of the ICSID
arbitration system, not to overthrow awards because of its disagreements with the
arbitral tribunal » 464. La multiplication des annulations de sentences arbitrales
imparfaites affecterait en effet probablement la stabilité de l’édifice CIRDI, déjà
ébranlé par l’imprévisibilité résultant de décisions arbitrales contradictoires sur
des questions pourtant fondamentales du droit des investissements et les demandes
de récusation d’arbitres de plus en plus fréquentes. Inversement, n’y a-t-il pas
lieu de considérer qu’un contrôle plus poussé des sentences par les comités ad hoc
pourrait non pas seulement garantir une plus grande rectitude des sentences mais
surtout œuvrer en faveur d’une harmonisation des solutions ? En bout de course,
le système d’arbitrage CIRDI en ressortirait renforcé.
457. Voy. C. SANTULLI, op. cit. note 277, pp. 375 et s. et la présente chronique in cet Annuaire, 2009,
pp. 725-726. Voy. aussi C. B. LAMM, « Internationalization of the Practice of Law and Important Emerging
Issues for Investor-State Arbitration », RCADI, vol. 354, 2011, pp. 35 et s.
458. Voy. la présente chronique in cet Annuaire, 2010, pp. 644-646 et Ch. SCHREUER, « From ICSID
Annulment to Appeal. Half Way Down the Slippery Slope », The Law and Practice of International Courts
and Tribunals, 2011, pp. 211-225.
459. « La sentence […] ne peut faire l’objet d’aucun appel […] » (§ 1).
460. Comité ad hoc CIRDI, Continental Casualty Company c. Argentine, aff. n° ARB/03/9, décision
sur la demande d’annulation, 16 septembre 2011, § 81. Dans l’affaire Togo-Électricité, le comité ad hoc
saisi ajoute que, toute possibilité d’appel étant exclue, il « ne peut prendre en considération de nouveaux
éléments concernant le fond d’une affaire dans le cadre d’une procédure en annulation » (comité ad hoc
CIRDI, Togo-Électricité et GDF-Suez Énergie Services c. Togo, aff. n° ARB/06/07, décision en annulation
du 6 septembre 2011, § 50). De même, le comité ad hoc de l’affaire Duke Energy refuse de « consider the
objections taken by a party to the decision or award of a tribunal in isolation from the grounds specified
in Article 52(1). To do so would amount to an appeal – a remedy which the Contracting States decided by
Article 53(1) should not be available » (comité ad hoc CIRDI, Duke Energy International Peru Investments
n° 1, Ltd c. Pérou, décision du 1er mars 2011, § 89).
461. Décision Continental Casualty, § 91.
462. Id., § 92. Dans le même sens, voy. comité ad hoc CIRDI, Togo-Électricité et GDF-Suez Energie
Services c. Togo, § 57. Le comité a également estimé que l’excès manifeste de pouvoir implique un examen
prima facie de l’excès allégué, qui doit alors « sauter aux yeux » (§§ 55-56).
463. Décision Continental Casualty, §§ 256-257.
464. Comité ad hoc CIRDI, Duke Energy International Peru Investments n° 1, Ltd c. Pérou, décision
du 1er mars 2011, § 165 (comm. J. FOURET / D. KHAYAT, in The Law and Practice of International Courts
and Tribunals, vol. 11, 2012, pp. 154 et s.).
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