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La prodigieuse histoire
du nom éléments
des
Du même auteur
Ouvrages sur les polymères :
• Mise en forme des polymères. Approche thermomécanique de la plasturgie, avec
J.-F. Agassant et J.-Ph. Sergent, B. Vergnes et M. Vincent, Lavoisier, 4e éd. 2014
[1re éd. 1982], préface de Pierre-Gilles De Gennes
• Polymer processing. Principles and modeling, avec J.-F. Agassant, P.-J. Carreau,
B. Vergnes et M. Vincent, Hanser Publishers, 2e éd. 2017 [1re éd. 1991]
• “Etymology of main polysaccharide names”, Chap. 2 of The European Polysaccharide
Network of Excellence (EPNOE), Research initiatives and results, P. Navard (ed.),
Springer, 2012
Ouvrages d’étymologie avec Henriette WALTER chez Robert-Laffont :
• L’Étonnante histoire des noms des mammifères. De la musaraigne étrusque à la baleine
bleue, 2e éd. 2018 [1re éd. 2003], republié en 2 volumes « Le goût des mots » chez
Points : Chihuahua, zébu et Cie, 2007 et Bonobo, gazelle et Cie, 2008
• La Mystérieuse histoire du nom des oiseaux. Du minuscule roitelet à l’albatros géant, 2007
• La Fabuleuse histoire du nom des poissons. Du tout petit poisson-clown au très grand
requin blanc, 2011
• La Majestueuse histoire du nom des arbres. Du modeste noisetier au séquoia géant, 2017
Tous droits de traduction, d’adaptation et de reproduction par tous procédés, réservés pour tous
pays. La loi du 11 mars 1957 n’autorisant, aux termes des alinéas 2 et 3 de l’article 41, d’une
part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non
destinés à une utilisation collective », et d’autre part, que les analyses et les courtes citations
dans un but d’exemple et d’illustration, « toute représentation intégrale, ou partielle, faite sans le
consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (alinéa 1er de l’article
40). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc
une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du code pénal.
III
Chapitre : Préface
Préface
LA PRODIGIEUSE HISTOIRE
DU NOM DES ÉLÉMENTS
IV
La prodigieuse histoire du nom des éléments
Jacques Livage
Professeur au Collège de France
Membre de l’Académie des Sciences
V
Chapitre : Avant-propos
Avant-propos
LA PRODIGIEUSE HISTOIRE
DU NOM DES ÉLÉMENTS
z
Une démarche qui part de l’étymologie…
Le présent ouvrage reprend la série d’articles, dits « clins d’œil étymolo-
giques », publiés depuis 2012 dans l’Actualité Chimique, une revue de la
Société Chimique de France1 (SCF). L’idée de base est d’y présenter
1. www.societechimiquedefrance.fr
VI
La prodigieuse histoire du nom des éléments
z
… et qui mène vers des mondes parfois insoupçonnés
En effet, l’étymologie en dit long, souvent, sur la découverte de la
substance évoquée, sur les chercheurs impliqués dans cette découverte,
et même sur l’état de la science à ce moment-là. Toute une histoire
qui a vite fait de nous mener vers d’autres domaines scientifiques ou
culturels : botanique et zoologie, astronomie, histoire et mythologie,
médecine et biologie, technique et industrie…
Des noms qui font voyager, ne serait-ce que parce qu’ils sont donnés en
français et, au minimum, en espagnol, anglais et allemand. Tant les titres
des chapitres que les illustrations laissent libre cours à l’imagination.
Mais le but de l’ouvrage est aussi de rendre plus familier le tableau
périodique mis en relief dans le thème de l’année 2019.
z
De la liste des éléments au tableau périodique
En 1789, Lavoisier établissait le concept d’élément chimique et son
Traité élémentaire de chimie donnait la liste de 23 éléments connus à
cette date.
Par la suite, on a découvert d’autres éléments, classés par leurs masses du
plus léger, l’hydrogène, au plus lourd, l’uranium. Et en tenant compte
de leurs propriétés, on les a rangés dans un tableau à plusieurs colonnes.
Et c’est un polytechnicien et ingénieur des Mines, Alexandre de
Chancourtois (1820-1886), qui fut le premier à introduire une
périodicité dans ce classement, en 1862, sous la forme originale d’une
hélice tracée sur un cylindre, la vis tellurique toujours visible à l’École
des Mines de Paris. Puis, dans les quelques années suivantes, d’autres
chercheurs, indépendamment les uns des autres, ont présenté cette
périodicité dans un tableau à double entrée. Ce fut notamment le cas
en Allemagne de Lothar Meyer et en Russie de Dimitri Mendeleïev,
qui, le premier, a fait de ce tableau un outil prédictif.
VII
Avant-propos
z
Le tableau de Mendeleïev, périodique certes
et surtout prédictif
Mendeleïev (1834-1907), professeur de chimie à Saint-Pétersbourg,
a marqué l’histoire de la chimie par sa publication de 18692, non pas
tant par le concept de périodicité des éléments, déjà bien compris par
d’autres, mais surtout en prédisant la découverte ultérieure d’éléments
manquants à des emplacements restés vides dans son tableau des
63 éléments alors connus. Il prédisait en outre certaines propriétés de
ces futurs éléments, dont trois ont été effectivement découverts de son
vivant, ce qui a fait sensation.
On trouvera ces trois éléments historiques dans La prodigieuse histoire du
nom des éléments, et bien d’autres références au tableau périodique, dont
on pourra suivre la construction tout au long de l’ouvrage.
Mais pour les savants de l’Antiquité, les éléments étaient le feu, l’air,
l’eau et la terre, un point de départ par lequel nous allons commencer,
au chapitre 1.
2. E. Scerri, Le tableau périodique, Son histoire et sa signification, EDP Sciences, Paris, 2011, 349 p.,
p. 64 (1re éd. The periodic Table, its story and its significance, Oxford, 2006).
VIII
Aide à la lecture
z
Conventions typographiques :
en italique le mot lui-même
« » le sens du mot
< > forme graphique
[ ] prononciation
*(devant un mot) forme reconstruite, non attestée par écrit
Sauf quelques exceptions, les mots grecs sont translittérés, selon les
normes usuelles :
Įĺ a ȕĺ b Șĺ ê șĺ th ijĺ ph ȥĺ ps Ȧĺ ô
Ȥĺ kh (devient <ch> prononcé [k], en latin et en français)
ȣĺ u (devient <y> en latin et en français)
Exemple :
grec IJȣμȠȜȠȖȚĮĺ etumologia > latin etymologia > français étymologie
Les mots écrits dans des alphabets spécifiques (cyrillique, arabe…) sont
translittérés également.
z
Quelques mots-clés
– indo-européen : renvoie à une langue reconstruite, dont on pense qu’elle
était parlée 5 000 ans avant notre ère dans une région proche de la mer
Noire, et d’où proviennent les langues de la famille dite indo-européenne,
comportant principalement le sanskrit, des langues d’Asie (persan,
hindi…), et la plupart des langues d’Europe : le grec, le latin et les langues
romanes dont elles sont issues (italien, espagnol, français…), les langues
slaves (russe…), germaniques (anglais, allemand…), celtiques (breton…)…
– atome : du grec atomos, « indivisible », qualifiant déjà une particule
indivisible chez Aristote. C’est vers 1900 qu’a été comprise la structure
de l’atome : un noyau positif entouré d’électrons négatifs. Depuis
lors, et c’est le cas dans le présent ouvrage, on parle tantôt d’éléments
chimiques, tantôt d’atomes.
IX
Aide à la lecture
z
L’IUPAC (International Union of Pure and Applied
Chemistry)
L’Union Internationale de Chimie Pure et Appliquée est une
organisation non gouvernementale ayant son siège à Zurich. Créée
en 1919, elle s’intéresse aux progrès en chimie, chimie physique,
biochimie, etc. Elle a pour membres des sociétés nationales de chimie.
C’est l’IUPAC qui valide la nomenclature chimique, dont les noms des
éléments chimiques (ou des atomes), leurs symboles chimiques, leurs
isotopes, etc. Exemple : l’IUPAC a validé récemment le nom du dernier
élément identifié à ce jour, l’oganesson (Og), numéro atomique 118.
X
Les explorateurs d’éléments
Sommaire
1 Le feu, l’air, l’eau, la terre… et le 5e élément ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1
Où l’on voit comment Lavoisier a fait émerger la chimie moderne
Références . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 252
Index . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 254
XI
CHAPITRE
/H FXEH KH[DÅGUH D OpDSSDUHQFH OD SOXV VWDEOH GH OD terre, alors que le
WÆWUDÅGUHSDUDËWSOXVPRELOHHWSOXV}FRXSDQW}DJUHVVLIFRPPHOHfeu.
L’octaèdre représente l’air et l’icosaèdre roule facilement, comme l’eau
qui coule.
2ULOH[LVWHXQFLQTXLÅPHSRO\ÅGUHUÆJXOLHUFRQYH[Hle dodé-
FDÅGUHHWVHORQ3ODWRQ}}le Dieu s’en est servi pour le Tout,
TXDQGLODGHVVLQÆOpDUUDQJHPHQWƂQDO}1.
&HGRGÆFDÅGUHSUÆƂJXUDLWODQRWLRQGHeÆOÆPHQWH[SOLFLWÆH
ensuite par Aristote.
1. Platon, Timée Critias, Timée 55 c, Les Belles Lettres, Paris, 2011, texte Albert Rivaud.
2
La prodigieuse histoire du nom des éléments
u
tions que procurent les éléments, leurs qualités
Ai
Fe
r
premières que sont le chaud et le froid d’une SEC HUMIDE
Te
u
part, l’humide et le sec d’autre part. Selon lui, les
Ea
rr
e
quatre éléments découlent de ces qualités fonda- FROID
PHQWDOHVDVVRFLÆHVGHX[½GHX[
0DLVQp\DYDLWLOTXHTXDWUHÆOÆPHQWVGDQVOp8QLYHUV}"
/HFLQTXLÅPHÆOÆPHQW}l’éther
Dans la mythologie grecque, Æther (grec Aithêr HVWOpXQGHVGLHX[SULPRUGLDX[
DVVRFLÆV½ODFUÆDWLRQGXPRQGH,OSHUVRQQLƂHODSDUWLHODSOXVOXPLQHXVHOD
plus pure et la plus élevée de l’atmosphère, nommée en grec aithêr, nom qui
se relie au grec aithein}EUØOHUÇWUHOXPLQHX[}HWGpRÖYLHQWéther en français.
Pour Aristote2, le cinquième élément est cet éther, dans lequel baignent les
ÆWRLOHVGXƂUPDPHQWHQURWDWLRQDXWRXUGHOD7HUUH
2. Aristote, Du Ciel, Livre I, 270 b, Les Belles Lettres, Paris, 2003, texte Paul Moraux.
3
Chapitre 1 : Le feu, l’air, l’eau, la terre… et le 5eÆOÆPHQW}"
1 Terre, précieuse
mine de diamant !
Le carbone (C), le charbon, le diamant,
le graphite, le graphène et le fullérène
z
Les diamants sont éternels, seulement au cinéma
Toute matière très dure, y compris métallique, puis plus
spécialement le diamant chez Théophraste, se nommait en grec
adamas, adamantos, formé du a- privatif et du verbe damnêmi,
« dompter ». Le diamant, aux propriétés exceptionnelles, était
donc qualifié d’« indomptable » en grec, ce que le latin a repris
sous la forme adamas, devenant en bas latin diamas, diamantis, d’où
en français diamant, en italien et espagnol diamante, en anglais
diamond et en allemand Diamant. Le a- privatif est tombé dans cette
évolution, même en grec moderne, diamanti, comme si le diamant
n’était plus « indomptable ». Une évolution prémonitoire.
4
7HUUHSUÆFLHXVHPLQHGHGLDPDQW}
z
Du diamant au charbon, lumière sur le carbone
En 1773, Lavoisier, aidé notamment de Macquer, montrait en effet
que, loin d’être éternel, le diamant porté à haute température brûlait
en donnant le même gaz de combustion que le charbon. De là, il
identifiait l’élément qu’il nommait « substance charbonneuse » en 1781,
et que Guyton de Morveau baptisait carbone en 1787. Et le diamant
est donc un cristal de carbone.
Le mot carbone a été formé sur le latin carbo, carbonis, déjà à l’origine
de charbon. En effet, le latin carbo, sans doute lié au verbe cremare,
« brûler, cramer », a d’abord désigné le charbon de bois, puis surtout le
charbon de terre. En français, charbon et carbone sont donc des doublets
étymologiques, qui existent aussi dans les autres langues romanes,
mais pas dans les langues germaniques : coal en anglais et Kohle en
allemand ont une même origine, non pas latine mais germanique.
z
La mine de plomb, l’écriture et le graphite
Le charbon de bois est utilisé comme crayon noir depuis l’origine des
temps, déjà sur des peintures rupestres, ce qui permet de les dater au
carbone 14. Aujourd’hui encore, il sert à dessiner : c’est le fusain en
français, nommé carboncino en italien par exemple.
Dans l’Antiquité, on écrivait aussi avec une pointe métallique à base
de plomb, ou encore par la suite avec une pierre nommée plombagine
à cause de sa ressemblance avec du minerai de plomb (plumbago en
latin). On appelait aussi cette pierre mine de plomb, où mine signifiait
« minerai ». Mais le chimiste suédois Scheele a montré, à la fin du
XVIIIe siècle, que cette plombagine, ou mine de plomb, n’avait rien à
5
Chapitre 1 : Le feu, l’air, l’eau, la terre… et le 5eÆOÆPHQW}"
z
Les petits derniers : les fullerènes… et le graphène
Coup de théâtre en 1985 : on
découvre une toute nouvelle forme
du carbone, dont l’archétype est
le C60, un ensemble sphérique de
60 atomes de carbone formant
20 hexagones et 12 pentagones,
tel un microscopique ballon de
➜ )XOOHUÅQHVRX}IRRWEDOOÅQHV}SRXUOH&60.
football. Platon aurait sûrement
aimé connaître cette étonnante molécule, lui qui imaginait des
particules élémentaires en forme de polyèdres, même si les siens
étaient réguliers, donc composés d’une seule sorte de polygones, alors
que le C60 est un polyèdre semi-régulier, dit archimédien, car composé
de deux sortes de polygones.
Cette structure rappelait aussi les dômes géodésiques (c’est-à-dire
reproduisant la forme de la Terre) de l’architecte américain Richard
Buckminster Fuller (1895-1983), dit Fuller. De là, le nom fullerène a été
donné en 1992 aux C60 et autres molécules apparentées, y compris les
nanotubes découverts un peu auparavant.
Dernier rebondissement en 2004 : on parvient à
isoler en tant que nouvelle espèce chimique, nommée
graphène, le feuillet de carbone plan constitutif du
graphite.
6
7HUUHSUÆFLHXVHPLQHGHGLDPDQW}
z
Épilogue : une mine de découvertes autour
du carbone !
Entre le diamant jadis assimilé à l’élément terre et le dôme de Fuller
imitant la Terre, le carbone est à la base de la vie sur Terre, et il
prend des formes aussi variées que le diamant, le graphite, la fibre de
carbone, le noir de carbone, les fullerènes et le graphène.
Une diversité stupéfiante, si l’on ose dire en pensant à la chanson
des Beatles Lucy in the Sky with Diamonds, où l’on peut lire LSD
(Lysergsäurediethylamid), et dont les archéologues se sont inspirés1
pour nommer Lucy la célèbre australopithèque découverte en 1974
en Éthiopie…
➜ /HGÑPHJÆRGÆVLTXH½OpH[SRVLWLRQXQLYHUVHOOHGH0RQWUÆDO
Wikipédia, licence CC-BY-SA-3.0, Eberhard von Nellenburg.
3. Coppens, Yves, Le genou de Lucy, Poche Odile Jacob, Paris, 2000, 221 p., p. 155.
7
Chapitre 1 : Le feu, l’air, l’eau, la terre… et le 5eÆOÆPHQW}"
2 L’air et l’eau,
éléments de la vie
L’hydrogène (H), l’oxygène (O)… et l’azote (N)
z
L’hydrogène génère l’eau, et l’oxygène l’acide…
Dans leur Méthode de Nomenclature Chimique (1787), MM. de Morveau,
Lavoisier, Bertholet et de Fourcroy désignent « le seul [élément] qui
produise de l’eau par sa combinaison avec l’oxigène » sous le nom « Hidrogène,
c’est-à-dire engendrant l’eau ». Lavoisier écrit <hydrogène> dès 1789, du
grec hudro-, « relatif à l’eau », de hudôr, « eau ». Dès lors, en français,
l’élément hydro- renvoie tantôt à l’eau, comme dans hydroélectricité, tantôt
à l’hydrogène, comme dans hydrocarbure.
Dans la même publication, les auteurs adoptent « l’expression d’oxi-
gène, en la tirant, comme M. Lavoisier l’a dès longtemps proposé, du grec oxus
acide & geinomai j’engendre, à cause [du] grand nombre des substances avec
lesquelles il s’unit à l’état d’acide. »
Ce nom, écrit <oxygène> dès 1789,
s’applique logiquement à un élément
présent dans de nombreux acides,
comme HNO3, H2SO4, H2CO3…
Cependant, les auteurs sont allés ➜ 'LVSRVLWLIGH/DYRLVLHUSRXUVHVH[SÆULHQFHV
servant à démontrer et caractériser
trop loin en ajoutant que cet élément OH}UDGLFDOFRQVWLWXWLI}GHOpHDX
paraissait « être un principe nécessaire à qu’il baptise hydrogène. Traité élémentaire
l’acidité », puisqu’on a trouvé aussi des de chimie, 1789.
8
L’air et l’eau, éléments de la vie
acides comme H2S ou ceux formés avec les halogènes (HF, HCl…), qui
ne comportent pas d’oxygène. Et ce dernier point a soulevé la critique.
z
… et pourquoi pas l’inverse ?
Dès 1787, un certain de La Métherie, philosophe et minéralogiste,
critiquait en effet la Nomenclature en observant que l’acidité n’était pas
liée à la présence d’oxygène. En outre, il notait que l’eau comportait
près de 90 % d’oxygène, en masse, soit beaucoup plus que d’hydrogène.
De là à inverser les noms hydrogène et oxygène, il n’y avait qu’un pas…
que toutefois personne n’a osé franchir.
À ce petit jeu-là, tout en restant en relation avec l’eau, on pourrait
aussi songer à inverser les noms aquarium et piscine, qui vient de piscis,
« poisson » en latin, où piscina désignait un vivier de poissons. Il serait
plus logique de se rendre à l’aquarium et de mettre ses poissons rouges
dans une piscine. Mais reprenons notre propos...
z
Encore deux écoles, pour nommer l’azote
Toujours dans la Nomenclature de 1787, les auteurs déclarent à propos
de l’azote : « il lui fallait un nom particulier, & en le cherchant nous avons
également tâché d’éviter & l’inconvénient de former un de ces mots tout à fait
insignifiants qui ne se relient à aucune idée connue […], & l’inconvénient
peut-être encore plus grand d’affirmer prématurément ce qui n’est encore
qu’apperçu » (sic). Forts de ce dernier argument, ils réfutent le nom alka-
ligène, considérant que la présence de l’azote était prouvée dans l’alcali
volatil (l’ammoniac), mais pas dans les autres alcalis. Ils préfèrent tenir
compte de la propriété « de ne pas entretenir la vie des animaux, d’être
réellement non-vital », d’où le nom azote, du a privatif et du grec zôtikos,
« vital », de zôê, « vie ».
Malgré le soin avec lequel il a été choisi, le nom azote n’a pas entraîné
l’adhésion de toute la communauté scientifique, même pas en France
puisque, dès 1790, Chaptal lui préférait le nom nitrogène, en reprenant
l’idée d’alcaligène, mieux ciblée sur l’acide nitrique. Et cette fois, le
monde anglo-saxon a suivi ce nom dissident, d’où l’anglais nitrogen,
« azote », attesté dès 1794. Le tableau ci-après montre qu’en italien,
9
Chapitre 1 : Le feu, l’air, l’eau, la terre… et le 5eÆOÆPHQW}"
z
Épilogue : retour aux sources
Cette rubrique illustre la part d’arbitraire qui subsiste dans toute
appellation. Concernant l’hydrogène, on a vu que certains l’auraient
volontiers nommé oxygène.
Remarquons toutefois que le lien entre l’hydrogène et l’eau est double : si
l’hydrogène engendre l’eau, on peut aussi extraire l’hydrogène de l’eau,
par électrolyse notamment. L’oxygène aussi ? Certes mais l’oxygène est
déjà disponible dans l’air, et on ne manque pas d’air. En fait, on peut
10
L’air et l’eau, éléments de la vie
➜ Une bulle d’air sous pression, lâchée au fond de l’eau à 50 cm de profondeur, remonte sous
IRUPHGpXQDQQHDXMXVTXp½ODVXUIDFHRÖLOGLVSDUDËW4.
4. Honvault, Jacques, ConSciences, Voyage aux frontières de l’entendement, Les Cavaliers de l’Orage,
Paris, 2013, 188 p., p. 180.
11
Chapitre 1 : Le feu, l’air, l’eau, la terre… et le 5eÆOÆPHQW}"
3 Une quête
qui mène au feu
Le phosphore (P) et le phosgène
z
Du grec phôsphoros au français phosphore
En grec, l’adjectif phôsphoros signifiait « qui porte la lumière » et
s’appliquait donc, au sens propre, à une torche qui éclaire. Puis en grec
tardif, Phôsphoros désignait la planète Aphrodite (devenue Vénus, l’étoile du
berger) tôt le matin, quand cette étoile est la plus brillante du ciel et qu’elle
apporte en quelque sorte la lumière du jour. En latin, son nom était
Phosphorus, ou Lucifer, de lux, lucis, « lumière », et ferre, « porter », alors
que le soir, on l’appelait Hesperus, du grec Hesperos, de hespera, « soir ».
12
Une quête qui mène au feu
Plus tard, les alchimistes ont donné le nom phosphorus aux substances
luminescentes qu’ils rencontraient. L’une des premières découvertes,
à Bologne en 1602, fut la luminescence du sulfure de baryum calciné,
nommé phosphore de Bologne. Par la suite, le nitrate et le sulfure de calcium
ont aussi été qualifiés de phosphores. Le grec phôsphoros a donc abouti
en français à phosphore pour désigner au XVIIe siècle toute substance
luminescente, et c’est dans ce contexte qu’est intervenue en 1669 la
découverte extraordinaire, sinon rocambolesque, d’un alchimiste de
Hambourg.
z
Comment en cherchant l’or, on découvrit
le phosphore
Comme la plupart des alchimistes, Henning Brandt était obsédé par
l’idée de fabriquer de l’or, et il était persuadé que le corps humain en
contenait. Le nom de l’or en allemand, Gold, signifie « métal jaune »,
comme si ce métal s’identifiait à sa couleur, et de là à penser qu’une
substance jaune devait contenir de l’or, il n’y avait qu’un pas. On le
pensait ainsi de l’urine, et c’est sous l’influence de aurum, « or », que
le latin urina, « urine », est devenu en bas latin *aurina, puis orine en
français du XIIe siècle, redevenu urine en français au XIVe siècle (mais
resté orina en italien et en espagnol). Et donc Brandt s’est mis en
tête d’obtenir de l’or, ou au moins la Pierre Philosophale capable de
transmuter le plomb en or… à partir de l’urine !
L’expérience cruciale eut lieu en 1669 : la distillation de l’urine poussée
à l’extrême, suivie d’une calcination du résidu, a donné une substance
blanche et cireuse, qui, loin d’être de l’or, avait la propriété inattendue
de s’enflammer violemment à l’air et de luire dans l’obscurité.
z
2019, le 350e anniversaire de la découverte
du phosphore
Cette substance nouvelle était donc un phosphore, que d’autres
alchimistes ont su produire sous des noms tels que phosphore de Kunckel
ou d’Angleterre, jusqu’à ce que Lavoisier lui donne le statut d’élément
chimique en lui réservant le nom phosphore, tout court. C’était bel et
bien le premier élément chimique dont la découverte pouvait être
13
Chapitre 1 : Le feu, l’air, l’eau, la terre… et le 5eÆOÆPHQW}"
➜ L’alchimiste
Henning Brandt, à la recherche de l’or et de la Pierre
Philosophale, soudain illuminé par son ballon. Joseph Wright (1771).
14
Une quête qui mène au feu
'p2¶9,(17/(0273+26*¥1(}"
On pourrait voir une sorte de synonyme de phosphore dans phosgène, dont le sens
VHUDLW}TXLJÆQÅUHODOXPLÅUH}0DLVSDVGXWRXW}OHFKLPLVWHDQJODLV-RKQ'DY\D
obtenu le phosgène en 1812 par réaction du FKORUHHWGXPRQR[\GHGHcarbone sous
OpDFWLRQGHODOXPLÅUHHWQRQSDVDYHFÆPLVVLRQGHOXPLÅUH}
?lumière
Cl2 + CO A Cl2CO
Donc étymologiquement, phosgène VLJQLƂH } TXL HVW JÆQÆUÆ SDU OD OXPLÅUH} (Q
HIIHWOHVHQVGXVXIƂ[Hgène en français est tantôt actif, comme dans oxygène,}TXL
génère OpDFLGH}WDQWÑWSDVVLIFRPPHGDQVexogène,}TXLHVWJÆQÆUÆSDUOpH[WÆULHXU}
(cf}OpÆSLORJXHGHODUXEULTXHSUÆFÆGHQWH
z
Épilogue tout feu tout flamme
L’aventure du phosphore est un magnifique exemple de sérendipité : le
phosphore obtenu par Brandt provenait des phosphates contenus dans
l’urine, restée d’ailleurs pendant un siècle la seule source de phosphore.
Cet élément a été tiré ensuite de l’os, et maintenant des phosphates
dont les gisements résultent d’une lente accumulation de déjections
animales, surtout du guano des oiseaux et des chauves-souris. À ce
propos, la disponibilité du phosphore à long terme pose un problème
sur lequel, si l’on ose dire, il est urgent de phosphorer…
espagnol italien français anglais allemand
fόsforo fosforo phosphore phophorus Phosphor
15
Chapitre 1 : Le feu, l’air, l’eau, la terre… et le 5eÆOÆPHQW}"
4 Le 5e élément…
vers la quintessence !
L’éther, l’alcool éthylique, l’éthane,
le méthane, le propane… et les alcanes
z
Une origine « éthérée »
La première synthèse de l’éther date au moins au XVIe siècle, mais
son nom est attesté seulement en 1730 dans un texte en anglais de
Frobenius, sous la forme latine æther (aujourd’hui ether en anglais).
L’auteur s’est inspiré du nom grec aithêr, devenu en latin aether,
qui désignait la région supérieure de l’atmosphère, le ciel en poésie.
On comprend que les chimistes aient adopté ce nom pour un produit
volatil et inflammable, qui s’évapore en semblant se dissoudre dans l’air.
z
De l’éther à l’éthyle
Beaucoup plus tard, Liebig élucidait la structure chimique de l’éther :
CH3-CH2-O-CH2-CH3, qu’il définissait comme l’oxyde d’éthyle.
16
Le 5eÆOÆPHQWfYHUVODTXLQWHVVHQFH}
z
De l’éthyle à l’éthane
Le nom éthyle associe le radical éth- au suffixe -yle,
formé sur le grec hulê, dont le sens initial est très
concret : le bois (bois sur pied ou bois coupé).
Ensuite hulê désigne tout matériau de construction
(bois, pierre…), d’où finalement toute matière,
quelle qu’elle soit (concrète ou même abstraite).
De là, le suffixe -yle a été adopté pour traduire l’existence matérielle des
radicaux « hypothétiques », tels que le radical éthyle.
Enfin, le nom éthane lui-même n’apparaît qu’en 1867 en anglais, ethane,
déduit de éthyle par un changement de suffixe de -yle à -ane. Mais autant
-yle a un véritable sens étymologique, qui remonte in fine au nom grec
du bois, autant -ane est un suffixe formel, de forme latine, adopté
définitivement au Congrès de Genève de 1892 pour les alcanes (ce
terme étant lui-même formé de alc(ool) + -ane).
z
L’éthane, un alcane parmi d’autres
Le chimiste allemand Hofmann proposait en fait, dans sa publi-
cation en anglais de 1867, toute la série de noms methane (CH4),
ethane (CH3-CH3), propane (CH3-CH2-CH3)…, formés sur les noms
antérieurs des radicaux méthyle, éthyle, propyle… où :
– méth- provient du grec methu, « boisson alcoolisée », l’alcool
méthylique ayant été extrait du bois par distillation, et confondu avec
l’alcool éthylique ;
– prop- provient du grec pro, « devant », et piôn, « gras », car c’est à
partir de 3 carbones qu’apparaissent, dans cette série, les propriétés
d’acide gras.
17
Chapitre 1 : Le feu, l’air, l’eau, la terre… et le 5eÆOÆPHQW}"
Et Hofmann continue la série par des noms basés sur les chiffres en
latin : … quartane, quintane, sextane…
On a ensuite abandonné quartane au profit de butane, où but- provient
du latin butyrum, « beurre » (plus de détails sur butane dans le
chapitre 8, rubrique 2.).
Enfin, la communauté scientifique a décidé en 1872 de nommer les alcanes
à partir du 5e par des noms basés sur les chiffres en grec, et non plus en latin
(sauf le nonane, resté sur le latin nonus, « neuvième », et non pas sur le grec
ennea « neuf », comme pour l’ennéagone, polygone à 9 côtés).
z
Des séries alphanumériques
Si les noms des quatre premiers alcanes sont particuliers, à partir du 5e, ils
deviennent donc purement numériques : pentane, hexane, heptane, octane
(on connaît bien l’indice d’octane de l’essence)… C’est un peu la même
chose pour les polygones, qui, à partir du 5e, s’appellent pentagone, hexa-
gone, heptagone, octogone… même si dans ce cas les premiers noms, triangle
et quadrilatère, sont déjà basés sur les chiffres 3 et 4, mais en latin.
On peut aussi faire une analogie, un peu forcée peut-être, avec les
noms des mois de l’année. En effet, le calendrier romain comportait
initialement 10 mois, dont les 4 premiers avaient des noms différenciés
(devenus mars, avril, mai, juin) alors que les noms des suivants étaient
des numéros d’ordre : Quintilis, Sextilis, September, October… Par la suite,
les mois de janvier et février ont été ajoutés, d’où le fait que maintenant,
les 9e, 10e, 11e et 12e mois de l’année sont septembre, octobre, novembre et
décembre (Quintilis et Sextilis étant devenus entre-temps juillet et août).
Mais il y a plus étonnant : dans les grandes familles romaines5, il arrivait
que seuls les quatre premiers prénoms des enfants soient variés, alors
que les suivants étaient simplement Quintus, Sextus, Septimus, Octa-
vius… (ou l’équivalent féminin). C’est l’origine de prénoms comme
Quentin, Sixtine ou Octave, qui se donnent encore aujourd’hui.
À ce propos, Ethan est un prénom d’origine biblique… mais non, la
ressemblance avec éthane est purement fortuite.
5. Ifrah, Georges, Histoire universelle des chiffres, Lorsque les nombres racontent les hommes, Seghers,
Paris, 1981, 568 p., p. 14.
18
Le 5eÆOÆPHQWfYHUVODTXLQWHVVHQFH}
z
Épilogue cosmique
Le mot éther est tombé bien bas. C’était le haut du ciel divinisé dans
l’Antiquité, et c’est aujourd’hui un terme ordinaire en chimie peu usité.
Dans les langues modernes, le dieu Æther est moins présent que son
grand-père, Chaos, le dieu du vide primordial antérieur à la création,
visible dans le mot chaos, et caché en outre dans le mot gaz.
z
2019, le 260e anniversaire
du tableau de Lavoisier
Lavoisier établit en 1789 la notion
moderne d’élément chimique et
publie le premier tableau (encore
imparfait et pas encore périodique)
de ces éléments, comportant 33
« substances » :
– 2 réminiscences des 5 éléments
de l’Antiquité, le « Calorique »
pour le feu et la « Lumière » pour
l’éther ;
– des composés comme la chaux ou
la magnésie ;
– et 23 éléments chimiques
proprement dits : le soufre et
une quinzaine de métaux, dont il
sera question dans les chapitres
suivants,
19
Chapitre 1 : Le feu, l’air, l’eau, la terre… et le 5eÆOÆPHQW}"
57 58 59 60 61 62 63 64 65 66 67 68 69 70 71
La Ce Pr Nd Pm Sm Eu Gd Tb Dy Ho Er Tm Yb Lu
lanthane cérium praséodyme néodyme prométhéum samarium europium gadolinium terbium dysprosium holmium erbium thulium ytterbium lutécium
89 90 91 92 93 94 95 96 97 98 99 100 101 102 103
Ac Th Pa U Np Pu Am Cm Bk Cf Es Fm Md No Lr
actinium thorium protactinium uranium neptunium plutonium américium curium berkélium californium einsteinium fermium mendélévium nobélium lawrencium
➜ /HV$QFLHQVDYDLHQWWRXWFRPSULV}OHXUÆWKHUHVWOpÆOÆPHQWSULPRUGLDOGpRÖSURYLHQQHQWOHV
}SRXVVLÅUHVGpÆWRLOHV6}
6. Selon la phrase de Carl Sagan (1934-1996), reprise par Hubert Reeves dans Poussières d’étoiles,
Seuil, Paris, 1994 (1re éd. 1984), 254 p.
20
CHAPITRE
Au bonheur des
artistes et des artisans
2
Où l’on se rappelle que les Anciens
connaissaient 7 métaux
1. Hésiode, Théogonie, Les travaux et les jours, Le bouclier, Paris, 1964, texte de Paul Mazon, Les
travaux et les jours, p. 90.
22
La prodigieuse histoire du nom des éléments
FKLPLTXHFHOOHGHVPÆWDX[&pHVWHQFRUH$ULVWRWHTXLDFODULƂÆFHWWHTXHVWLRQ
comme on va le voir à propos de l’étymologie du mot métal2.
2. Halleux, Robert, Le problème des métaux dans la science antique, Les Belles Lettres, Paris, 1974,
252 p., p. 45.
23
Chapitre 2 : Au bonheur des artistes et des artisans
1 Un métal pour
l’éternité
L’or (Au)
Les noms donnés à l’or en Europe sont variés : en grec ancien khrusos,
d’origine sémitique et resté tel quel en grec moderne, en français or, du
latin aurum, en anglais gold, en russe zoloto… Ces noms remontent en
effet à plusieurs origines, dont l’une est liée à la couleur éclatante de ce
métal, activement recherché par les humains depuis toujours.
z
Le métal jaune par excellence
C’est en effet, dans les langues slaves, à la
même racine indo-européenne *gholtom que
se rattachent les noms de la couleur jaune
et ceux de l’or : par exemple en russe zoloto,
« or », et žëltyj, « jaune », ou en polonais
złoto, « or », et żółty, « jaune », d’où le nom du zloty : étymologiquement,
l’argent polonais est en or.
En allemand, on établit un rapport entre Gold, « or », et gelb, « jaune »,
et de même en anglais, entre gold et le vieil-anglais geolu, « jaune »,
devenu yellow en anglais moderne. Ces noms, et leurs équivalents dans
les autres langues germaniques, se rattachent en effet à cette même
racine indo-européenne, *ghel-, *gholtom, qui désigne la couleur jaune,
et l’or par métaphore. Et cela explique la correspondance phonétique
entre le russe zoloto, « or » (basé sur les consonnes z-l-t), et l’anglais
gold (basé sur g-l-d).
On a donc, dans les langues germaniques et slaves, un vaste ensemble
des noms où l’or est désigné par une sorte de périphrase : le métal jaune,
couleur jaune d’or en l’occurrence3.
3. Buck, Carl Darling, A dictionary of selected synonyms in the principal Indo-European languages, The
University of Chicago Press, Chicago, 1949 (réimprimé 1988), 1515 p., p. 609.
24
Un métal pour l’éternité
z
L’or, appelé par son nom
Le latin aurum, « or », se rattache à une autre racine, *ausom, qui serait,
elle, le véritable nom indo-européen de l’or. En dehors du latin et de ses
dérivés dans les langues romanes (aur en roumain, oro, or…) et celtiques
(breton aour…), cette racine *ausom n’a pratiquement pas laissé de trace
dans les langues modernes. Comme on vient de le voir, pour une raison
qui n’est pas connue, on a préféré dans les langues germaniques et slaves
nommer l’or indirectement, « (métal) jaune », plutôt que de l’appeler
par son propre nom. Cette situation n’est toutefois pas unique.
On la retrouve un peu avec les noms de l’ours, dont
le nom indo-européen est employé dans les langues
romanes (latin ursus, ours…) et celtiques (breton
art…), mais pas dans les langues germaniques et
slaves, qui emploient une périphrase : l’animal
« brun » dans les langues germaniques (bear,
Bär…) et le « mangeur de miel » dans les langues
slaves (medved’ en russe…). On parle dans ce cas
de tabou linguistique, comme si certains peuples
avaient évité de nommer l’ours explicitement,
soit parce qu’ils le craignaient, soit parce qu’ils ➜ L’Oursd’Or (Goldener Bär)
le respectaient, voire le divinisaient… comme on du festival de cinéma
de Berlin.
vénère aujourd’hui l’Ours d’Or, qui récompense Wikipédia, licence cc-by-2.0,
Solar ikon.
les films au festival de Berlin !
Dans un autre registre, l’or a pu aussi faire l’objet de superstitions.
z
De l’auréole à la dorure
De aurum vient en latin aureolus,
« doré », d’où aureola corona, « couronne
dorée », et finalement auréole en français.
On reconnaît aussi aurum dans aurifère
et les noms des ions aureux (Au+) et
aurique (Au3+). Mais dès le bas latin,
aurum a été concurrencée par la forme
➜ Leloriot d’Europe š (Oriolus oriolus)
orum, qui l’a emporté dans les mots
est jaune d’or. usuels : or, orfèvre, dorer, doré… orpailleur,
25
Chapitre 2 : Au bonheur des artistes et des artisans
z
Épilogue et immortalité
Dans de nombreux mots grecs, apparaît l’élément khrus(os), devenant
en latin puis en français chrys(o), et il renvoie soit à l’or, soit à la couleur
jaune de l’or.
Ainsi l’immortelle, cette plante à fleurs jaune d’or venue d’Orient, se
nommait en grec helikhrusos, c’est-à-dire « or du soleil ». Comme ses
fleurs ne se fanent pas, ce qui fait écho à la durabilité de l’or, elles
servaient dans l’Antiquité
à confectionner les
couronnes mortuaires.
Puis en latin l’immortelle
se nommait helichrysus,
ou encore chr ysan-
themon (avec anthemon,
« fleur »), d’où vient en
français le chrysanthème, la
fleur des cimetières. Les
➜ L’immortelle (Helichrysum stoechas), utilisée dans
l’Antiquité pour les couronnes mortuaires.
chrysanthèmes sont bien
26
Un métal pour l’éternité
➜ 6WDWXHFKU\VÆOÆSKDQWLQHGH=HXV½2O\PSLHODWURLVLÅPHPHUYHLOOHGX
Monde, réalisée par le sculpteur grec Phidias vers 436 avant J.-C.
Gravure de 1815.
27
Chapitre 2 : Au bonheur des artistes et des artisans
2 Noces de métaux
Le mercure (Hg), l’argent (Ag),
le platine (Pt) et le cinabre
z
De l’argent liquide, comme l’eau
Tant en grec chez Théophraste qu’en latin chez Pline l’Ancien, le
mercure était nommé d’après sa ressemblance avec l’argent. Celui tiré
du cinabre était comparé à de l’argent liquide en grec, arguros khutos,
du verbe khein, « couler », ou à de l’argent vif, animé, en latin argentum
vivum. De là d’anciennes appellations du mercure dans les langues
romanes et germaniques : en français vif-argent, en italien argento
vivo, en espagnol plata liquida, en anglais quicksilver… et en allemand
Quecksilber, qui est resté en usage dans cette langue. Les Anciens
avaient remarqué que le mercure natif était encore plus fluide, et ils
le comparaient carrément à de l’eau : en grec hudrarguros, de hudôr,
« eau », et arguros, « argent », d’où en latin hydrargyrus, devenant en
ancien français hydrargyre et en latin médiéval hydrargyrum, qui explique
le symbole chimique Hg.
28
Noces de métaux
z
Le métal jumelé avec la planète Mercure
Le mercure fait partie des sept métaux connus dans l’Antiquité et
associés aux sept astres non fixes observables à l’époque. Après quelque
hésitation, le vif-argent a été associé à Mercure, dont la vélocité autour
du Soleil évoquait la fluidité et la mobilité des gouttelettes de ce métal.
Finalement, sans doute pour éviter des confusions, on a nommé le métal
d’après la planète plutôt que d’après l’argent en anglais dès 1386 et
dans les langues romanes (anglais
mercury, français mercure, italien
et espagnol mercurio), le mercure
étant dans ces langues le seul des
sept métaux anciens à porter le
même nom que son astre associé.
Quant au dieu Mercure des
Romains, assimilé à l’Hermès
des Grecs, il était principalement
le protecteur des commerçants.
En latin, son nom Mercurius se
relie d’ailleurs à merx, mercis,
« marchandise », d’où mercator,
« marchand », merces, « prix
d’une marchandise » (et merci en
français). En outre, les attributions
d’Hermès et du dieu égyptien
Thot se combinent dans celles du
mythique Hermès Trismégiste, à
l’origine de l’hermétisme et des
textes dits hermétiques, développés
par les alchimistes. Or ceux-ci ont
accordé une grande importance au
mercure et à ses associations avec
d’autres substances : les amalgames.
➜ Mercure ou Hermès, dieu du commerce.
29
Chapitre 2 : Au bonheur des artistes et des artisans
z
Ce métal qui « épouse » d’autres métaux
Le nom amalgame, du latin alchimiste amalgama attesté au XIIIe siècle,
a longtemps été considéré comme une déformation du grec malagma,
« onguent », emprunté par Pline en latin, et lié au verbe grec malassein,
en latin malaxare, « amollir », d’où malaxer. Cependant, dans le Littré
(supplément 1886), on a supposé un lien entre amalgama et l’arabe
al-djam’a, « la réunion », ou aussi « le mariage », l’amalgame étant
parfois présenté par les alchimistes comme un mariage entre le mercure
et un autre métal. Aujourd’hui, cette origine arabe est retenue comme
probable dans les dictionnaires, mais force est de reconnaître que
l’étymologie d’amalgame est encore, si l’on ose dire, assez hermétique.
z
Histoire d’argent
On a pu constater plus haut que les noms de l’argent en Europe sont
de trois sortes.
- Le grec arguros, « argent », de l’adjectif argos, « blanc, brillant » (à ne
pas confondre avec son homonyme, argos, « inerte », d’où vient le nom
de l’argon), devient en latin argentum, d’où argent en français, argento
en italien… Des navigateurs italiens sans doute sont à l’origine du
nom de l’Argentine, où ils auraient trouvé des objets en argent réalisés
par les Amérindiens.
- L’anglais silver et l’allemand Silber appartiennent à une autre famille
de noms, germano-slave (en serbe srebro, d’où le nom de Srebrenica,
où se situent d’anciennes mines d’argent).
- L’espagnol plata, « argent », est à part (avec le portugais prata) : il vient
du latin médiéval plata désignant une plaque de métal, en particulier
d’argent. En Argentine, les Espagnols ont nommé Rio de la Plata
(« rivière d’argent ») un vaste estuaire censé conduire à la légendaire
montagne d’argent de la Sierra de la Plata.
Et ce n’est pas tout, car le nom d’un troisième métal apparaît dans
l’épilogue.
30
Noces de métaux
z
Épilogue gris argenté
L’explorateur et scientifique espagnol Ulloa a découvert en Colombie
un métal natif ressemblant à l’argent, mais en moins brillant. En 1748,
il le nomme platina, diminutif de plata, « argent », qui est traduit en
français par platine, d’abord féminin comme platina, puis masculin, de
même qu’en espagnol où son nom devient platino. De là dans les autres
langues : l’italien platino, l’anglais platinum, l’allemand Platin…
Sans vouloir faire un amalgame, on constate une connivence
étymologique entre le mercure, l’argent et le platine.
➜ )UHVTXHGHVP\VWÅUHVGURLWH9LOODGHV0\VWÅUHV3RPSÆL
,WDOLH RÖOHcinabre (HgS) a été
largement utilisé comme colorant rouge dans les peintures.
31
Chapitre 2 : Au bonheur des artistes et des artisans
3 Métaux et alliages
emblématiques
Le cuivre (Cu), le zinc (Zn), le cadmium (Cd),
le bronze et le laiton
z
Le cuivre et le bronze à travers les âges
Le cuivre et l’étain font partie des sept métaux connus des Anciens, qui
en tiraient un alliage de la première importance, le bronze, auquel ils
donnaient cependant le même nom qu’au cuivre :
– en grec, khalkos, « cuivre, bronze », d’où en français l’élément chalco-,
« cuivre » : ainsi en préhistoire, le chalcolithique est la période du début
de l’industrie du cuivre, période intermédiaire entre le néolithique et
l’âge du bronze ; d’où aussi la chalcopyrite (CuFeS2) ;
– en latin classique aes, aeris, « cuivre, bronze », d’où viennent le nom
poétique du bronze en français, airain, ainsi que le nom du cuivre, un
peu surprenant, en italien rame, par l’intermédiaire d’un dérivé latin,
aeramen, « cuivre, bronze ».
Puis en latin tardif, apparaît pour le cuivre le nom cyprum, dérivé de
Cyprus, « Chypre », à cause de l’abondance des mines de cuivre à
32
Métaux et alliages emblématiques
Chypre. Ce nom évolue en cuprum, d’où sont issus la plupart des noms
du cuivre en Europe. La naissance légendaire de Vénus sur le rivage
de Chypre est l’une des raisons de l’ancienne correspondance entre le
métal cuivre et la planète Vénus.
Quant au mot bronze, c’est un emprunt à l’italien bronzo, dont l’origine
est incertaine : d’un nom persan ? Ou bien du nom de Brindisi, où, selon
Pline l’Ancien, on produisait un bronze réputé ?
Les informations qui précèdent sont rassemblées dans le tableau
ci-après, où les noms qui sont à l’origine d’une série d’autres sont écrits
en gras :
z
Le laiton depuis l’Antiquité
Les Anciens pouvaient-ils produire du laiton, alors qu’ils ne
connaissaient pas le zinc ? Oui car ils en connaissaient certains
minerais, comme la calamine (silicate de zinc), dont ils tiraient, en
combinaison avec le cuivre, un alliage entre cuivre et zinc. Cet alliage
se nommait oreikhalkos en grec (= « cuivre de montagne », sans doute
à cause de mines situées en montagne), d’où orichalcum en latin, écrit
aussi aurichalcum, sous l’influence de la couleur jaune d’or du laiton,
parfois nommé cuivre jaune.
Certains dictionnaires usuels du français comportent encore le nom
archaïque orichalque, supplanté de nos jours par laiton, qui est d’une
tout autre origine.
33
Chapitre 2 : Au bonheur des artistes et des artisans
34
Métaux et alliages emblématiques
z
Épilogue et florilège de métaux
Revenons au minerai de zinc nommé calamine, déformation de son
nom en latin, cadmia, emprunté au grec kadmia, dérivé de Kadmos, nom
du légendaire fondateur de l’ancienne cité grecque de Thèbes, et cela
parce que ce minerai, nommé aussi pierre de Kadmos, était extrait de
mines voisines. Or on a découvert un métal très proche du zinc (juste
en dessous de lui dans la colonne 12 de la classification) dans cette
calamine, d’où le nom de cadmium que le chimiste allemand Stromeyer
lui a donné en 1817, à partir du latin cadmia, « calamine ».
➜ 7URXYƽ9L[HQGDQVODWRPEHGXQHSULQFHVVHFHOWHFHFUDWÅUHJUHFVDQVGRXWH
fabriqué en Italie, pèse 200 kg et mesure 1,64 m de haut.
&UDWÅUHGH9L[EURQ]H9,HVLÅFOHDY-&0XVÆHGX3D\V&K¿WLOORQQDLVt7UÆVRUGH9L[
Châtillon-sur-Seine, Côte-d’Or © Mathieu Rabaud – RMN Grand Palais.
35
Chapitre 2 : Au bonheur des artistes et des artisans
z
Le fer qui tombe du ciel
La Terre comporte un noyau métallique (le nife = Ni + Fe)
constitué principalement de fer (≈ 85 %) et de nickel (≈ 7 %).
De même, parmi les astéroïdes, d’où proviennent les météorites
tombant régulièrement sur la Terre, certains ont aussi un noyau
composé en majorité de fer, et dans une moindre mesure de nickel.
C’est pourquoi on trouve des météorites très riches en fer, les
sidérolites, du grec sidêros, « fer », et lithos, « pierre ». Elles ont
servi à fabriquer des objets en fer dit météoritique, bien avant la
métallurgie de l’âge du fer proprement dit. C’est le cas du poignard
placé dans la tombe de Toutankhamon (mort vers 1 350 av. J.-C.).
➜ Poignard en fer de Toutankhamon.
36
Le métal des arts martiaux
Les hommes ont compris très tôt que les pierres d’apparence métallique
qu’ils trouvaient sur le sol étaient tombées du ciel et provenaient de la
fragmentation des corps célestes visibles sous forme d’étoiles filantes ou
de bolides lumineux. Pline l’Ancien par exemple affirme « qu’il tombe
fréquemment des pierres » et il rapporte avoir vu de ses yeux dans un
champ « une pierre qui venait de tomber ».
➜ 3OLQHOp$QFLHQDIILUPH}TXpLOWRPEHIUÆTXHPPHQWGHVSLHUUHV}f
Fotolia.com – JohanSwanepoel.
37
Chapitre 2 : Au bonheur des artistes et des artisans
z
Le fer et Mars
Chacun des sept métaux connus dans l’Antiquité avait un correspondant
parmi les astres, et pour le fer, c’était la planète Mars, elle-même dédiée
à Mars, dieu de la guerre. Cette association reposait d’une part sur la
couleur rougeâtre de la planète, rappelant le rouge de l’hématite ou du
fer rouillé, et d’autre part sur le fer en tant que matériau des armes et
de la guerre, qui elle-même fait couler le sang, rouge lui-aussi (d’où
le nom hématite). Et ce qui est fantastique, c’est que tout cela avait un
côté prémonitoire : la couleur rouge de Mars est justement due au fer,
allié à l’oxygène dans l’hématite présente à la surface de la planète, et
le rouge du sang est dû aussi au fer dans l’hémoglobine.
Pour les alchimistes en tout cas, un autre nom du fer était mars, d’où
l’adjectif martial dans le sens de « relatif au fer ». En médecine, on parle
de carence martiale pour la carence en fer, responsable de l’anémie, et
dans le langage courant, on parle d’un air martial ou des arts martiaux,
dont l’escrime par exemple, où l’on croise le fer.
z
Pas de nom indo-européen pour le fer
Tout comme le grec sidêros, le latin ferrum, « fer » (d’où en espagnol,
hierro), est d’origine obscure, et il n’a visiblement pas de rapport avec
le grec, ni d’ailleurs avec la racine germano-celtique *isarnon, que l’on
retrouve dans les noms de fer en breton houarn, ainsi qu’en allemand
38
Le métal des arts martiaux
Eisen et en anglais iron. En fait, on pense que le fer, autre que celui des
météorites trouvées fortuitement, n’était pas connu du monde indo-
européen.
z
Épilogue de super-héros et d’anti-héros
Quel rapport entre Ysengrin, le loup du Roman de Renart, Iron Man, un
super-héros de Marvel, le Grand Ferré, héros picard de la guerre de Cent
Ans, Sidêrô, personnage de femme cruelle dans la mythologie grecque ?
Réponse : le nom du fer et sa dureté, moins visible dans Ysengrin, où
pourtant l’élément Ysen- se relie bien à l’allemand Eisen, « fer ».
➜ ,URQ0DQHVWLOWRPEÆGXFLHOFRPPHXQDVWÆURÌGH}"
Anthony Stark, alias Iron Man, apparaît en 1963 (en anglais, stark}ULJLGH}
39
Chapitre 2 : Au bonheur des artistes et des artisans
5 Jeu de taquin
entre métaux
Le plomb (Pb), le molybdène (Mo), l’étain (Sn),
la galène, la molybdénite et la cassitérite
z
La galène, un minéral brillant
C’est dans l’Histoire Naturelle de Pline l’Ancien (1er siècle) qu’apparait
le latin galena, d’où galène en français (galena en anglais et espagnol,
Galenit en allemand). Ce nom latin est l’équivalent du grec galênê, un
nom attesté sept siècles plus tôt dans l’Odyssée pour désigner le calme
de la mer, la tranquillité. De là vient l’adjectif grec galênos, « calme »,
qui était aussi le surnom du grand médecin grec du IIe siècle, Galien, le
père de la galénique. Mais quel rapport avec la galène ?
Aux origines du grec, galênê était plus précisément le calme de la
mer qui brille sous le Soleil, un sens que l’on a rapproché du verbe
grec gelan, « briller ». Et la métaphore de la mer aux reflets argentés
pourrait donc expliquer l’emploi de galênê pour un minéral brillant tel
que la galène, souvent argentifère. Certes, cet emploi n’est pas attesté
antérieurement aux écrits de Pline, mais celui-ci, connaisseur du
40
Jeu de taquin entre métaux
z
Le plomb et l’étain, une histoire de faux jumeaux
En grec, le nom du plomb était molubdos, et celui de l’étain kassiteros
(qui subsiste en français dans le nom du dioxyde d’étain, la cassitérite).
Puis, le nom du plomb en latin était plumbum (d’où le symbole Pb, le
français plomb, l’espagnol plomo), mais Pline a plutôt compliqué le sujet en
nommant l’étain plumbum album (= plomb blanc). De plus, il employait
dans certains cas molybdoena comme synonyme de galena. Enfin, sous le
nom stagnum, il décrivait un alliage de plomb et d’argent servant alors
à revêtir l’intérieur des récipients en cuivre : cet alliage sera remplacé
par l’étain, qui sera alors nommé à son tour stagnum, puis en bas latin
stannum, d’où le symbole Sn, le français étain et l’espagnol estaño, alors
qu’en italien, c’est de stagnum que vient stagno, « étain ». Et de stannum
viennent aussi les qualificatifs stanneux (avec Sn2+) et stannique (avec Sn4+).
Notons que toutes ces références gréco-latines ne se retrouvent pas
dans les langues germaniques, où le plomb (anglais lead et allemand
Blei) et l’étain (anglais tin et en allemand Zinn) ont d’ailleurs des noms
d’origine obscure.
Le tableau ci-après rassemble les noms donnés au plomb, à l’étain et au
molybdène, depuis le grec ancien jusqu’aux langues modernes :
Grec molubdenos kassiteros
Latin plumbum (nigrum) plumbum album
Bas latin stannum
Français molybdène plomb étain
Espagnol molibdeno plombo estaño
Anglais molybdenum lead tin
Allemand Molybdän Blei Zinn
41
Chapitre 2 : Au bonheur des artistes et des artisans
z
Ça a la couleur du plomb, la consistance du
plomb… mais ce n’est pas du plomb
Pour ajouter à la confusion, certains minéraux ont été pris à tort pour
du plomb. Ce fut le cas de la plombagine ou mine de plomb, ainsi que d’un
minéral nommé jadis la molybdène. Il faudra attendre 1778 pour que le
chimiste suédois Scheele démystifie ces appellations : la plombagine,
c’était du graphite (voir le chapitre 1, rubrique 1) et la « molybdène »,
c’était en réalité le sulfure d’un nouveau métal, nommé ensuite le molyb-
dène (Mo), son sulfure devenant la molybdénite (MoS2). Remarquons
que ces deux « faux plombs », molybdénite et graphite, sont encore
aujourd’hui associés dans la composition d’une huile dite molygraphite.
Dans la même veine, le sulfure de zinc, la blende, a longtemps été
confondu avec la galène, et d’ailleurs nommé fausse galène. Son nom
vient de l’allemand blenden, « tromper », car on s’attendait, en vain, à
en tirer du plomb. Une histoire qui rappelle celle du nickel, nommé
d’après son minerai « trompeur », dont on cherchait, en vain, à tirer
du cuivre (voir le chapitre 3, rubrique 5). À noter qu’une variété de
blende, la sphalérite, a été nommée en 1847 à partir du grec sphaleros,
« trompeur », toujours à cause de la confusion avec la galène.
z
On peut encore épiloguer sur le plomb et l’étain
Les noms modernes sont sans équivoque, mais dans le langage courant, les
anciens noms ont la vie dure. Ainsi on parle du tain, la couche réfléchissante
d’un miroir, et donc d’une glace sans tain. Mais ce tain (altération de étain)
était un amalgame d’étain et de mercure, abandonné depuis longtemps au
profit d’une métallisation (souvent à l’argent). En vérité, même un miroir
réfléchissant est aujourd’hui « sans tain ». Et que dire du plomb, qu’on
élimine de la plomberie, des plombages, surtout dentaires, ou des plombs
de chasse. Il n’y a guère qu’avec
l’essence sans plomb qu’il s’agit
réellement de plomb, justement
pour dire qu’il n’y en a pas.
Plus inattendu, le nom d’un oiseau
marin, le plongeon, vient du bas latin ➜ Plongeon arctique (Gavia arctica).
Wikipédia Creative Commons, CC-BY-SA-2.0, Steve
plumbio, de plumbum, « plomb », Garvie.
42
Jeu de taquin entre métaux
➜ $X[FRQILQVGXV\VWÅPHVRODLUHFRQQXGHV$QFLHQV6DWXUQHPHWSUÅVGHWUHQWHDQV½IDLUH
OHWRXUGX6ROHLO½}}NPGHFH6ROHLOTXLOpÆFODLUH½SHLQHXQHSODQÅWHSHVDQWHHWWHUQH
rappelant le plomb auquel on l’associait déjà dans l’Antiquité. Une association qui a la vie dure
SXLVTXpHQFRUHDXMRXUGpKXLOHVDWXUQLVPHHVWXQHLQWR[LFDWLRQDXplomb.
43
Chapitre 2 : Au bonheur des artistes et des artisans
6 Des histoires
sulfureuses
Le soufre (S), l’antimoine (Sb)
et l’alcool
z
Le soufre, l’élément des dieux
En grec le soufre se disait theion qui, déjà dans l’Iliade et Odyssée,
désignait la fumée de soufre, servant notamment aux purifications.
Le rapprochement est tentant avec theion, neutre de l’adjectif theios,
« divin, relatif aux dieux », dérivé de theos, « dieu ». On peut imaginer
la volonté divine exprimée par un oracle entouré de vapeurs sulfureuses.
On pense aussi au verbe thuein, « offrir un sacrifice aux dieux », auquel
se rattache thuia, le nom du thuya de Barbarie, ce conifère odoriférant
d’Afrique du Nord dont le bois était brûlé comme de l’encens.
De theion est tiré l’élément thio-, dans thiochimie, « chimie du soufre »,
et qui désigne un atome de soufre comme on vient de le voir dans dithio-
44
Des histoires sulfureuses
z
Le soufre en latin
En effet, le nom du soufre en latin est sulpur, qui devient sulphur sous
l’influence du grec, puis tardivement sulfur, d’où en italien zolfo, en
français soufre, en allemand Schwefel, alors que l’anglais a conservé
sulphur (ou sulfur en Amérique), et que l’espagnol azufre vient de
l’ancienne expression (piedr)a sufre, « pierre de soufre ».
z
Toutes sortes de sulfures
Dans son Histoire naturelle, Pline l’Ancien remarque à juste titre que
le soufre « a la propriété d’agir puissamment sur de très nombreuses subs-
tances » et il présente plusieurs minéraux qui sont des sulfures, tels que
la galène (PbS), la pyrite de fer (FeS2), le cinabre (HgS), ou encore
une poudre fine nommée en latin stibium (relié au grec stimmi, stibi),
composant principal du fard dont on se maquillait les yeux déjà en
l’Égypte ancienne.
45
Chapitre 2 : Au bonheur des artistes et des artisans
➜ 3RUWUDLWGpXQHGDPHDX[\HX[IDUGÆVVXUOHWRPEHDX
de Menna, dans la vallée des nobles, en Égypte.
46
Des histoires sulfureuses
z
Épilogue cosmétique
Ce fard est connu sous son nom arabe, le kôhl, et c’est de al-kôhl que
vient le mot alcool désignant d’abord une poudre raffinée analogue au
stibium ancien, puis tout produit raffiné, y compris un liquide obtenu
par distillation, donc y compris les essences telles que l’esprit-de-vin,
que Lavoisier a finalement recommandé de nommer alkool. Ensuite, on
a généralisé la notion de fonction alcool (-OH) en chimie, d’abord en
allemand Alkohol. Beaucoup plus tard, on a défini la fonction thioalcool
(-SH), ou thiol, ou encore mercaptan, d’un ancien nom latin mercurius
captans, « qui capte le mercure ». Ces molécules soufrées réagissent en
effet avec le mercure, qui était jadis l’un des 3 principes alchimiques, à
côté du soufre justement, et du sel.
47
Chapitre 2 : Au bonheur des artistes et des artisans
57 58 59 60 61 62 63 64 65 66 67 68 69 70 71
La Ce Pr Nd Pm Sm Eu Gd Tb Dy Ho Er Tm Yb Lu
lanthane cérium praséodyme néodyme prométhéum samarium europium gadolinium terbium dysprosium holmium erbium thulium ytterbium lutécium
89 90 91 92 93 94 95 96 97 98 99 100 101 102 103
Ac Th Pa U Np Pu Am Cm Bk Cf Es Fm Md No Lr
actinium thorium protactinium uranium neptunium plutonium américium curium berkélium californium einsteinium fermium mendélévium nobélium lawrencium
➜ /p$WRPLXPGH%UX[HOOHVzXYUHGpDUWHWSURXHVVHWHFKQLTXHWRXW½ODIRLVHVWXQK\PQHDX
progrès scientifique au service de l’Humanité. C’est une allégorie du métal, du fer et de sa
structure cristalline, de l’atome et de l’élément chimique dans toute son universalité.
/p$WRPLXPDÆWÆFRQVWUXLW½OpRFFDVLRQGHOp([SRVLWLRQXQLYHUVHOOHGH
48
CHAPITRE
Dieux, mythes
et légendes
3
Où l’on se plonge dans la mythologie
et l’astronomie
021',(848(//()$0,//(}
Dans la généalogie gréco-latine qui suit, on retrouve CHAOS, dont le nom a
servi à former le mot gazVRQSHWLWƂOV£7+(5SHUVRQQLƂFDWLRQGHl’éther,
ainsi qu’une partie de son immense descendance sur 5 générations.
CHAOS
(Vide primordial)
1\[ Gaïa/Tellus
(Nuit) (Terre)
1 Ouranos/Uranus (Ciel) Pontos (Mer)
Aphrodite/Vénus
2 £7+(5 Hypérion Cronos/Saturne Japet Thaumas
(un Titan) (un Titan) (un Titan)
5 Niobé
,OH[LVWHGHVYDULDQWHVGDQVOHVOÆJHQGHV$LQVL$SKURGLWH9ÆQXVHVWSDUIRLV
SUÆVHQWÆHFRPPHXQHƂOOHGH=HXVHWHOOHHVWFRQVLGÆUÆHLFLFRPPHQÆHGH
l’écume de la mer fécondée par Ouranos. De son séjour à Chypre vient son
surnom Cypris, du latin Cyprus}&K\SUH}GpRÖDXVVLHQODWLQcuprum, le nom
du cuivre, métal abondant à Chypre et associé à la planète Vénus. Tout se tient.
50
La prodigieuse histoire du nom des éléments
51
&KDSLWUH'LHX[P\WKHVHWOÆJHQGHV
1 Des dieux
et des planètes
/pXUDQLXP} 8 OHQHSWXQLXP} 1S
le SOXWRQLXP} 3X OHWHOOXUH} 7H OHVÆOÆQLXP} 6H
le FÆULXP} &H HWOHSDOODGLXP} 3G
z
Les 7 métaux de l’Antiquité
Les Anciens en effet, puis les alchimistes, ont cultivé une sorte de
numérologie basée sur le chiffre 7, en associant les 7 métaux connus
depuis toujours aux 7 astres non fixes (Soleil, Lune et 5 planètes
identifiées à l’époque), portant eux-mêmes les noms de 7 divinités
mythologiques gréco-latines. Après quelque hésitation pour certaines
planètes2, les correspondances suivantes se sont imposées : le Soleil
et l’éclat de l’or, la Lune et sa lumière d’argent, le rouge de Mars et
du fer employé pour la guerre, le jaune de Vénus et de son miroir en
cuivre (métal abondant à Chypre, l’île de Vénus), le blanc de Jupiter,
de son éclair et de l’étain, la pâleur de Saturne dont la lenteur (tour du
Soleil en 30 ans) s’accorde avec la pesanteur du plomb, et au contraire
la vélocité de Mercure (tour du Soleil en 3 mois) qui évoque la fluidité
du mercure (anciennement vif-argent) et l’agilité des commerçants.
1. Klaproth, Martin, Mémoires de l’Académie royale des sciences et belles-lettres, Berlin, 1792, p. 172.
2. Halleux, Robert, Le problème des métaux dans la science antique, Les Belles Lettres, Paris, 1974,
252 p., p. 154.
52
Des dieux et des planètes
3 Or 8 Étain
Soleil Jupiter
% Argent 7 Fer
Lune Mars
5 Mercure Mercure 6 Civre Vénus
0 Plomb Saturne
➜ Tableau alchimiste.
z
Et dix de plus…
En fait, dès l’Antiquité, on a utilisé, mais sans parvenir à les identifier,
d’autres métaux que les 7 primitifs, le plus souvent en composition dans
divers minéraux. Mais seuls ces 7 métaux étaient connus en tant que
tels, et ils le sont restés… jusqu’à la fin du Moyen Âge, où apparaissent
le zinc et l’antimoine, et surtout au XVIIIe siècle, où sont découverts le
platine, le bismuth, le cobalt, le nickel, le manganèse, le molybdène, le
tungstène. Il faut y ajouter l’arsenic, et l’on arrive aux 17 « substances
simples métalliques » du tableau de Lavoisier de 1789.
Constatant donc en 1792 que déjà 17 métaux étaient connus, Klaproth
écrivait, non sans humour, que « comme le catalogue des planètes ne fut point
grossi à mesure, les métaux nouveaux furent privés de ces pompeuses dénomi-
nations empruntées du système planétaire, & réduits à des noms imposés par
le hasard, ou par des mineurs obscurs ». Il pensait sûrement aux « mineurs
obscurs » des mines de cobalt et de nickel que l’on trouvera plus loin dans
ce chapitre (rubrique 5). Quant au « hasard », on pouvait l’attribuer à
des noms comme zinc ou antimoine, dont les étymologies sont pour le
moins obscures, et plus encore au nom bismuth, apparu au XVe siècle en
allemand, Wismut, d’origine complètement inconnue (d’où aussi Bismut
en allemand, bismuth en français et anglais, bismuto en espagnol).
z
Uranus et l’uranium
Klaproth a étudié la pechblende, un minéral déjà utilisé dans les
céramiques, mais dont la structure était inconnue. Il a montré que ce
minéral était l’oxyde d’un nouveau métal, qu’il nommait en 1792 en
ces termes : « Je me prévaux des droits incontestables de tout inventeur, &
je donne à ce métal nouveau le nom d’Uranium, ou Urane, emprunté de
la planète Urane, dont la découverte est également récente ». En 1781 en
effet, l’astronome germano-anglais Herschel découvrait la planète
53
&KDSLWUH'LHX[P\WKHVHWOÆJHQGHV
z
Planètes transuraniennes et métaux transuraniens
Enfin, deux autres planètes ont été découvertes ensuite, et nommées
selon la tradition mythologique : Neptune, trouvée en 1846 grâce au
calcul précis de Le Verrier, et Pluton en 1930 (devenue planète naine
en 2006). On a mis plus de temps cette fois à nommer des métaux
neptunium et plutonium. Ce fut aux États-Unis, au cours des travaux de
physique nucléaire dans les années 1940, à partir des noms des planètes,
et aussi par analogie entre deux filiations : celle d’Uranus, grand-père de
Neptune et Pluton, et celle de l’uranium (on parle parfois de noyau père et
de noyau fils), donnant le neptunium et le plutonium par désintégrations
successives du type ci-dessous, où les atomes apparaissent dans l’ordre
des planètes :
54
Des dieux et des planètes
22 23 24 25 26 27 28 29 30 31 32 33 34
Ti V Cr Mn Fe Co Ni Cu Zn Ga Ge As Se
titane vanadium chrome manganèse fer cobalt nickel cuivre zinc gallium germanium arsenic sélénium
40 41 42 43 44 45 46 47 48 49 50 51 52
Zr Nb Mo Tc Ru Rh Pd Ag Cd In Sn Sb Te
zirconium niobium molybdène technétium ruthénium rhodium palladium argent cadmium indium étain antimoine tellure
72 73 74 75 76 77 78 79 80 81 82 83 84
Hf Ta W Re Os Ir Pt Au Hg Tl Pb Bi Po
hafnium tantale tungstène rhénium osmium iridium platine or mercure thallium plomb bismuth polonium
57 58 90 91 92 93 94 95 96 97
La Ce Th Pa U Np Pu Am Cm Bk
lanthane cérium thorium protactinium uranium neptunium plutonium américium curium berkélium
z
Épilogue lunaire
Le Soleil, la Lune et les planètes ont donc chacun un métal associé (ou
un métalloïde pour la Terre), et la Lune est même favorisée car, en plus
de l’argent, elle a un non-métal, le sélénium, nommé ainsi par Berzelius
en 1818 à partir du nom grec, Selênê, de la déesse de la Lune, à cause
de l’extrême proximité de cet élément avec le tellure.
Une belle convergence symbolique, sur trois millénaires, entre
mythologie, astronomie et chimie, que traduit bien l’étymologie des
noms de l’uranium et des premiers transuraniens.
➜ 0ÆWDX[DVVRFLÆVDX[DVWUHVGHSXLVOp$QWLTXLWÆHWFHX[TXLRQWÆWÆQRPPÆVGpDSUÅVGHVDVWUHV½
partir de 1792. L’hélium n’apparaît pas, car la logique de son nom est toute autre, une logique
d’ailleurs purement astrophysique.
55
&KDSLWUH'LHX[P\WKHVHWOÆJHQGHV
2 Ciel ou enfer ?
Le WLWDQH 7L OHzirconium (Zr),
le WDQWDOH 7D OHniobium (Nb) et l’iridium (Ir)
z
Une histoire de Titans
En 1795, Klaproth découvrait en effet un autre métal, qu’il baptisait Tita-
nium en précisant que ce nom était « comme pour l’uranium, inspiré de la
mythologie » : une association d’idées naturelle car les Titans sont des fils
d’Uranus. Ils sont au nombre de six, et le plus jeune Titan est Saturne, le
père de Jupiter (ou Zeus). À ce propos, le plus gros satellite de la planète
Saturne ne s’appelle-t-il pas Titan ? Si, mais ce nom ne date que de 1847,
bien après le choix de Titanium par Klaproth. Celui-ci a réalisé en tout
cas un énorme travail en chimie, un travail titanesque si l’on ose dire. En
effet, en plus de l’uranium, du tellure, du cérium et du titane, Klaproth
a aussi identifié pour la première fois en 1789 le zirconium à partir d’un
zircon de Ceylan. C’est du nom de ce minéral (ZrSiO4) en allemand,
Zircon, qu’est dérivé le nom zirconium.
z
Du fils de Zeus à l’oiseau
En 1802, le chimiste suédois Ekeberg découvre, dans un minéral de Suède,
un nouveau métal à propos duquel il écrit : « En me prévalant de l’usage
qui admet des dénominations mythologiques, et pour exprimer l’impuissance du
nouveau métal de se saturer des acides dans lesquels on le plonge, je lui ai appliqué le
56
&LHORXHQIHU}"
z
La fille cachée de Tantale
En 1801, le chimiste anglais Hatchett avait identifié, à partir d’un
minéral d’Amérique du Nord, un nouveau métal qu’il a nommé colum-
57
&KDSLWUH'LHX[P\WKHVHWOÆJHQGHV
z
Épilogue irisé
En 1804, le chimiste américain Tennant découvre
un autre métal, caractérisé par la diversité de
couleurs de ses sels. En s’inspirant d’Iris (Iris, Iridos
en grec), la messagère des dieux, personnification
de l’arc-en-ciel, il nomme ce métal iridium.
En grec, iris, iridos désignait déjà l’arc-en-ciel, ou la fleur d’iris (chez
Théophraste), ou l’iris de l’œil (chez Galien). En français : irisé, « aux
couleurs d’arc-en-ciel », iridacée, « plante de la famille de l’iris », irien,
iridien, « relatif à l’iris de l’œil », des mots qui n’ont de rapport avec
iridié, « qui contient de l’iridium », que par la mythologie grecque.
58
&LHORXHQIHU}"
➜ 3DUPLOHVIOHXUVGpLULVODPHVVDJÅUHGHVGLHX[HWSHUVRQQLILFDWLRQGHOpDUFHQFLHO,ULV
assure le lien entre le ciel et la terre.
Artwork © Josephine Wall.
59
&KDSLWUH'LHX[P\WKHVHWOÆJHQGHV
3 Prométhée et
les terres cachées
Le cérium (Ce), le lanthane (La), le VDPDULXP} 6P
l’europium (Eu), le praséodyme (Pr),
le néodyme (Nd), le prométhium (Pm),
le gadolinium (Gd) et le WHFKQÆWLXP 7F
15 lanthanides
➜ Les 17 terres rares, dont les 9 de la série de l’yttrium (en rouge)
et 8 de la série du cérium (en bleu).
z
Cérium, un nom astronomique et mythologique
La « pierre pesante de Bastnäs » a été étudiée par plusieurs équipes, dont
celles des chimistes allemand Klaproth et suédois Berzelius, qui ont
mis en évidence un nouveau métal, auquel ils ont, en 1804, « donné
60
Prométhée et les terres cachées
z
Cachés dans le cérium, le lanthane et son jumeau
En 1839, le chimiste suédois Mosander découvre un « nouveau métal
qui ne change que peu les propriétés du cérium, et qui s’y tient pour ainsi
dire caché. » D’où le nom de lanthane qu’il lui donne, du verbe grec
lanthanein, « être caché ». Une idée dont s’inspirera peut-être Ramsay
en 1898 pour nommer le krypton, du grec kruptein, « cacher » : deux
façons de dire « caché » en grec, pour désigner d’abord une terre rare
cachée dans le cérium, puis un gaz rare caché dans l’argon.
Mosander a montré que le cérium cachait encore un autre métal, qu’il
a nommé en 1842 didyme, du grec didumos, « jumeau », le jumeau du
lanthane en quelque sorte. Mais on s’est aperçu assez vite que ce didyme
lui-même n’était pas un corps simple…
z
Un jumeau peut en cacher d’autres
Dans un minerai du sud de l’Oural, la samarskite, du nom de l’ingénieur
des mines russe Samarsky-Bykhovets, on a trouvé aussi du didyme,
et le chimiste français Lecoq de Boisbaudran y a détecté par analyse
61
&KDSLWUH'LHX[P\WKHVHWOÆJHQGHV
z
Épilogue prométhéen
Toutefois, l’histoire ne s’arrêtait pas à
l’europium, car on avait découvert les éléments
57, 58, 59, 60 et 62, 63, 64, mais l’élément 61
restait introuvable. Ce métal est en effet la plus
rare des terres rares, car tous ses isotopes sont
radioactifs et à relativement courte durée de vie. ➜ Prométhée, puni,
enchaîné avec l’aigle.
62
Prométhée et les terres cachées
63
&KDSLWUH'LHX[P\WKHVHWOÆJHQGHV
4 Hélène de Troie
et les sucres
L’inuline et l’insuline
L’inuline occupe une place particulière parmi les sucres lents (les
polysaccharides) d’origine naturelle. Elle a été découverte en 1804 par le
pharmacologiste allemand Valentin Rose Junior, à partir de racines d’une
plante réputée depuis l’Antiquité pour ses vertus médicinales, la grande
aunée. Le terme inuline vient du nom latin de cette plante, lui-même
emprunté au grec.
z
Une plante enracinée… dans la mythologie
Théophraste qualifiait en grec la grande aunée de panacée de Chiron,
ce qui renvoie deux fois, et à la mythologie, et à la médecine. En
effet, Chiron (du grec kheir, « main », cf. chirurgien) était le Centaure
omniscient, donc aussi médecin et chirurgien : ce fut le précepteur
d’Asclépios, devenu lui-même le dieu de la médecine, dont la fille
Panacée (du grec pan, « tout », et akesis, « guérison ») guérissait tous les
maux, d’où la panacée dans le langage courant.
64
Hélène de Troie et les sucres
➜ %LHQDSUÅVOHSDVVDJHGp+ÆOÅQH$OH[DQGULH
sera créée en face de l’île de Pharos, sur
laquelle sera érigée la septième merveille
GXPRQGHOH3KDUHGp$OH[DQGULHDLQVLQRPPÆ
GpDSUÅVOHQRPGHOpËOHGpRÖYLHQWILQDOHPHQW
le mot phare en français.
z
D’Hélène à l’inuline, une recombinaison
linguistique ?
Le grec helenion a été emprunté par le latin, en évoluant vers des noms
variés de la grande aunée : de la forme elena vient son nom anglais,
elecampane (de ele(na) campana), puis de elna vient aunée en français,
et ella devient Alant, « aunée », en allemand. Et la surprise vient de
son nom latin inula, employé par Pline l’Ancien, que l’on relie aussi à
helenion, en admettant que les consonnes /l/ et /n/ se sont échangées
dans l’évolution. Un tel échange est parfaitement répertorié par les
3. Amigues, Suzanne, Théophraste, Recherche sur les plantes, À l’origine de la botanique, Belin, Paris,
2010, 414 p., p. 355.
65
&KDSLWUH'LHX[P\WKHVHWOÆJHQGHV
z
De l’inuline à l’inSuline
L’inuline est aujourd’hui un prébiotique, qui présente de l’intérêt dans
certains régimes alimentaires, par exemple en cas de diabète. Mais dans
ce dernier cas, on connaît mieux le rôle plus important de l’insuline,
dont le nom ne diffère fortuitement d’inuline que par l’ajout d’une
lettre : inuline + s = insuline.
L’insuline a été nommée en 1909 à partir du latin insula, « île, îlot »,
car on avait constaté que cette protéine était sécrétée par des cellules
du pancréas regroupées dans des amas cellulaires dits (en 1905) « îlots
de Langerhans », du nom de leur découvreur.
z
Épilogue insulaire
L’insuline n’est certes pas, comme l’inuline, riche de références à
l’Antiquité, mais c’est tout de même au latin, encore une fois, que son
nom remonte directement : insuline a rejoint la grande famille des mots
comme péninsule, insulaire, isolé, île… qui descendent du latin insula,
« île ». Avec inuline et une lettre de moins, tout était différent et l’on
évoquait la belle Hélène au désespoir sur une île de la Méditerranée…
Une autre histoire d’île, dirait-on, mais on ne s’étendra pas sur ce qui
n’est qu’une coïncidence.
66
Hélène de Troie et les sucres
67
&KDSLWUH'LHX[P\WKHVHWOÆJHQGHV
5 Des nains
démoniaques
Le nickel (Ni), le cobalt (Co) et l’arsenic (As)
Il est préférable de commencer par le cobalt, car son histoire est la plus
ancienne des deux.
z
Un métal énigmatique et des minerais malfaisants
L’histoire du cobalt commence avec celle des pigments minéraux, qui
remonte à la plus haute Antiquité. Déjà en Égypte ancienne, on obtenait
un verre d’une couleur bleue intense grâce à un pigment particulier,
nommé beaucoup plus tard bleu de cobalt car il était basé sur ce métal
resté longtemps inconnu.
➜ Masque mortuaire
de Toutankhamon,
PRUWYHUV}DYDQW-&
Les bandes bleues sont en
verre coloré par le cobalt.
68
Des nains démoniaques
➜ /HVQDLQV
HQFRUHOHFKLIIUH}}
de Blanche-Neige étaient de
gentils kobolds fréquentant leurs
mines, à la recherche du nickel
FDFKÆ}"3RXUOpLQVWDQW
c’est Simplet qui est caché…
z
Un vrai faux minerai de cuivre
Parmi tous les minerais découverts à partir du XVe siècle en Europe, il en
était un dont les reflets rouges laissaient vraiment penser qu’il contenait
du cuivre à coup sûr. Mais il s’avérait encore une fois impossible de
69
&KDSLWUH'LHX[P\WKHVHWOÆJHQGHV
z
Épilogue : in cauda venenum…
Le nom du nickel, issu de la mythologie germanique, semble indépendant
de l’Antiquité gréco-latine tellement présente dans tout le vocabulaire
de la chimie… du moins à première vue, car le nom Nicolas remonte au
grec Nikolaos, du grec nikê, « victoire », et laos, « armée, foule, peuple ».
Notons enfin que Brandt, à côté du cobalt, a aussi identifié et nommé
l’élément arsenic, alors que jusque-là ce nom arsenic désignait divers
composés toxiques contenant du soufre ou de l’arsenic. Il a fait, si l’on
ose dire, d’une pierre deux coups.
70
Des nains démoniaques
71
&KDSLWUH'LHX[P\WKHVHWOÆJHQGHV
6 La peur
du loup-garou
Le tungstène (W) et le wolfram
72
La peur du loup-garou
➜ ([WUDLWGHODSDJHGXWUDLWÆGH0LQÆUDORJLHGH:DOOHULXV
1750.
z
L’homme aussi est un loup…
Précisons d’abord que ce prénom existait bien avant les traités de
minéralogie. Par exemple, Saint Wulfran fut évêque de Sens au VIIe
siècle et Wolfram von Eschenbach fut un grand poète allemand de la fin
du XIIe siècle.
En fait, Wolfram fait partie des nombreux noms de baptême, d’origine
franque en général, basés sur deux racines. Ainsi, Wolfram est basé sur
wulf, « loup », et hram, « corbeau », son élément -ram n’étant donc pas
le même que celui du nom de minerai. Quant au loup, il est présent
dans les deux cas, mais avec des connotations opposées, négative dans
les termes (al)chimiques, et positive dans les noms d’hommes : le nom
Wolf lui-même existe, le loup étant vu comme un héros, un guerrier
valeureux, et prudent dans sa progression à pas de loup, ce qu’évoque
le prénom Wolfgang (Gang, « démarche »). Wolfram combine ici les
qualités du corbeau (divinisé dans la mythologie scandinave) et celles du
loup : une double référence à des animaux mythiques qui se voit aussi
dans Arnolphe (arn, « aigle », + wulf) ou Bernolf (bern, « ours », + wulf).
Et le loup apparaît encore dans Rodolphe (hrod, « gloire », + wulf), Raoul
(rad, « conseil », + wulf) ou… Adolphe (adal, « noble », + wulf).
Le prénom a-t-il finalement joué un rôle dans la formation de Wolfram,
le minerai ? Une chose est sûre : les premiers (al)chimistes qui ont
articulé ce nom ne pouvaient pas l’ignorer. Or c’est bien la forme
Wolfram qui apparaît d’emblée dans les textes de minéralogie, et non
pas *Wolfrahm par exemple, qui ne semble pas attesté. Il est donc
73
&KDSLWUH'LHX[P\WKHVHWOÆJHQGHV
z
Du lourd minerai au nouveau métal
C’est seulement en 1779 que la présence d’un métal inconnu dans le
wolfram est soupçonnée, par le chimiste anglais Peter Woulfe, au nom
assurément prédestiné ! Or en 1781, le chimiste suédois Scheele identifie,
sans l’isoler, un nouveau métal dans un autre minerai, le tungstate de
calcium, nommé alors en suédois tungsten (de tung, « lourd », et sten,
« pierre »), à cause de sa densité de 6, très élevée. Scheele donne le même
nom en suédois, tungsten, à ce nouveau métal. Deux ans plus tard enfin,
le chimiste espagnol Juan José d’Elhúyar, avec l’aide de son frère Fausto,
repartent du wolfram et en tirent un métal, qui s’avère être le même que
celui de Scheele, et ils écrivent : « Nous donnerons à ce nouveau métal le nom
de Volfran, en le prenant de la matière dont nous l’avons retiré. »
z
Épilogue obstiné
Pendant longtemps, les noms basés sur
l’allemand Wolfram et sur le suédois
tungsten ont coexisté, de même que les
symboles chimiques W et Tu. Jusque vers
1950 encore, des débats opposaient les
« proWolfram » et les « protungsten ».
La tendance était de préférer Wolfram,
mais les chercheurs anglo-saxons,
considérant la masse de publications
existantes avec l’anglais tungsten, n’ont
pas accepté de changer. Aujourd’hui, la
majorité se range du côté Wolfram, et le
symbole W est admis par tous, mais il y
a de notables exceptions comme l’anglais
➜ Letungstène va disparaître au profit tungsten ou le français tungstène…
des LED.
74
La peur du loup-garou
Formule
anglais français espagnol allemand suédois
chimique
W tungsten tungstène wolframio Wolfram volfram
(Fe,Mn)WO4 wolframite wolfram(ite), wolframita Wolframit volframit
CaWO4 scheelite scheelite scheelita Scheelit scheelit
75
&KDSLWUH'LHX[P\WKHVHWOÆJHQGHV
7 Vanadis et Thor,
le jour et la nuit
Le vanadium (V), le WKRULXP 7K OHchrome (Cr)
et le rhodium (Rh)
z
Une découverte incomprise, au Mexique
En 1801, l’histoire commence pourtant à Mexico, où le minéralogiste
del Rio annonçait la découverte d’un nouveau métal dans un minerai du
Mexique. Cependant, la communauté scientifique a considéré que le métal
en question n’était que du chrome impur. En fait, c’est del Rio qui avait
raison. On a compris plus tard qu’il avait bien trouvé le vanadium, situé dans
la classification juste à côté du chrome que Vauquelin venait d’identifier,
et de nommer en 1798 à partir du grec khrôma, « couleur », à cause de ses
sels diversement colorés. Le métal que del Rio pensait, à juste titre, avoir
trouvé, produisait d’ailleurs des sels de couleur rouge intense, d’où le nom
erythronium, du grec eruthros, « rouge », qu’il avait proposé, en vain.
➜ Le minéralogiste espagnol
Andrés Manuel del Río
(1764-1849) a fréquenté
les écoles des mines
d’Espagne et d’Allemagne, a
connu Humboldt et travaillé
avec Lavoisier, avant de
partir en Nouvelle-Espagne,
GHYHQXHOH0H[LTXHHQ
1821. Il est l’infortuné
découvreur du vanadium. ➜ Vanadinite, Pb5(VO4)3Cl.
76
Vanadis et Thor, le jour et la nuit
z
La redécouverte, en Suède
Près de trente ans plus tard, le chimiste et minéralogiste suédois Nils
Gabriel Sefström, examinant « une espèce de fer remarquable par son
extrême mollesse », montrait qu’un nouvel élément était responsable de
cette propriété, et redécouvrait ainsi le vanadium.
Sefström travaillait alors chez son ancien
professeur, Berzelius, qui écrivait en 1830 :
« Nous n’avons pas encore fixé définitivement le
nom de cette substance. Nous l’appelons provisoi-
rement vanadium, de Vanadis, nom d’une divi-
nité scandinave. » Berzelius laissait la primeur
de l’annonce à Sefström, qui confirmait, dès
1831, le nom du nouveau métal : « Comme le
nom est indifférent par lui-même, je l’ai dérivé de ➜ Jöns Jacob Berzelius.
Vanadis, surnom de Freyja, principale déesse de la mythologie scandinave. »
Un nom peut-être pas si indifférent que cela, puisqu’il lui permettait
de signer cette découverte d’un nom scandinave. Compte tenu de
l’originalité des travaux de Sefström, la communauté scientifique a
effectivement retenu vanadium, au détriment d’erythronium proposé
par del Rio.
z
Vanadis, une déesse inspiratrice
Dans la mythologie scandinave, les dieux se répartissent entre les Ases,
qui ont des pouvoirs de justice et de guerre, et les Vanes, tournés
vers la fertilité et la prospérité. Freyja fait partie des Vanes, d’où
son surnom de Vanadis. Comme Vénus chez les Romains, elle est la
déesse de la fécondité et de la beauté, des qualités illustrées par le
vanadium, qui est remarquable par la diversité et les riches couleurs
de ses dérivés.
Berzelius était, semble-t-il, inspiré par Vanadis4. Dans une lettre de
1831 à son confrère allemand Wöhler, célèbre pour avoir réussi la
synthèse de l’urée, voici à peu près ce qu’il écrivait : vous avez frappé
4. Weeks, Mary Elvira, Discovery of the Elements, 3rd ed. revised 1935 (1st 1933), Journal of
Chemical Education, Easton, Pa, USA, 371 p., p.88.
77
&KDSLWUH'LHX[P\WKHVHWOÆJHQGHV
une fois à la porte de Vanadis, elle n’a pas répondu, et vous n’avez pas
insisté, mais quelque temps après Sefström n’a cessé de frapper à sa
porte, elle a fini par s’ouvrir, et « de cette union est né le vanadium ». Une
puissante métaphore que Wöhler a prise du bon côté puisque la même
année, il écrivait cette fois à Liebig : « je suis un âne » de ne pas avoir
découvert le vanadium dans le minerai mexicain. Pour terminer sur
ces échanges, citons encore Berzelius, consolant Wöhler en lui disant
que la synthèse de l’urée nécessitait plus de génie « que la découverte de
10 nouveaux éléments. »
Que d’émotion autour du vanadium… et de la belle Vanadis... qui, plus
tard, a aussi inspiré les astronomes, puisqu’un astéroïde découvert en
1884 a été baptisé Vanadis : encore une correspondance entre un astre
et un métal, mais a priori fortuite cette fois.
z
Thor, une autre divinité scandinave
Berzelius avait déjà puisé dans la mythologie scandinave pour
nommer thorium en 1818 un métal qu’il croyait nouveau, à partir du
nom de Thor, le dieu du tonnerre et des éclairs. Armé de son marteau,
ce dieu est un avatar de Jupiter et de Donar dans la mythologie
germanique. Plus tard, lorsque Berzelius découvre, réellement cette
fois, un nouveau métal en 1829, à peu près en même temps d’ailleurs
que la redécouverte du vanadium, il reprend ce nom thorium, à bon
escient cette fois.
Dans la classification, le thorium (Th), 90e élément et 2e actinide, est
fort éloigné du vanadium (V), 23e élément et 3e métal de transition.
Pourtant, dans la symbolique des jours de la semaine, le jeudi/Thursday/
Donnerstag, dédié à Jupiter, Thor et Donar, précède juste le vendredi/
Friday/Freitag, dédié à Vénus, Frigg et Freyja, dite Vanadis, parfois
confondue avec Frigg.
78
Vanadis et Thor, le jour et la nuit
z
Épilogue et couple alchimique
Grâce au grand chimiste suédois Berzelius, la mythologie scandinave
est représentée dans la classification des éléments par le vanadium et
le thorium.
La déesse Vanadis, parmi les Vanes, en face du dieu Thor, parmi les
Ases, symbolisant le vanadium, un oligoélément, qui rend l’acier ductile
et donne des dérivés de toute beauté, en face du thorium, deux fois plus
lourd, radioactif, et dont l’oxyde résiste aux très hautes températures…
Serait-ce une référence implicite à la philosophie du
yin (la terre sombre, la souplesse, le « féminin ») et
du yang (le ciel lumineux, la dureté, le « masculin »),
à la base de l’alchimie chinoise ?
➜ /HFRXSOHGHODP\WKRORJLHQRUGLTXH})UH\MDRX9DQDGLVGÆHVVHGHODEHDXWÆ
HWGHODIHUWLOLWÆHW7KRUGLHXGXWRQQHUUH}HWGHODJXHUUH}XQHDOFKLPLHGHV
principes contraires inspiratrice des noms des éléments chimiques YDQDGLXP} 9
et WKRULXP 7K }
79
&KDSLWUH'LHX[P\WKHVHWOÆJHQGHV
z
Un point de repère géographique
À cause de l’immense réputation de ce temple, où l’on recevait les
oracles d’Amon, la ville voisine a pris en grec le nom d’Ammôn et
sa région le nom d’Ammônis, devenu presque synonyme de Libye.
Tout naturellement, est apparu l’adjectif qualifiant l’appartenance
géographique : Ammôniakos, « de Libye ».
z
Une résine bénéfique
On a trouvé dans cette région des plantes exsudant une résine à laquelle
on attribuait, dès l’Antiquité, de multiples vertus, médicinales et autres :
on l’utilisait en particulier, et c’est toujours le cas, en enluminure pour
poser la feuille d’or. Cette résine, récoltée sous forme de « larmes », a été
nommée en grec ammônikon, puis en latin ammoniacum, et finalement
en français gomme ammoniaque.
Comme on le voit, l’adjectif ammoniaque ne
signifie pas ici que cette gomme contient de
l’ammoniac, mais qu’elle est originaire de
régions voisines d’un ancien temple d’Amon,
exactement comme la gomme arabique est
appelée ainsi parce qu’on la trouvait dans des
régions de langue arabe.
➜ Gomme ammoniaque.
80
Les oracles d’Amon
z
L’origine de l’ammoniac
Indépendamment de la gomme ammoniaque,
on récoltait un tout autre produit tiré
des accumulations de sable imprégné de
déjections et d’urine des chameaux, très
nombreux à séjourner dans les oasis comme
celle du temple d’Amon. Ce produit portait,
pour la même raison, le même nom grec,
ammôniakon, que la gomme ammoniaque,
mais cette fois c’était bien un sel d’ammonium
pouvant dégager de l’ammoniac NH3. ➜ Le dieu Amon.
81
&KDSLWUH'LHX[P\WKHVHWOÆJHQGHV
z
Quel rapport avec des fossiles d’ammonites ?
Pourquoi ce nom d’ammonite ? Ces fossiles
ont-ils été trouvés d’abord en Libye, ou bien
le métabolisme supposé de ces céphalopodes
disparus faisait-elle intervenir l’ammoniac ?
Pas du tout, et c’est encore vers le dieu
Amon qu’il faut se tourner. En effet, le bélier
était l’animal principal dédié à ce dieu, qui ➜ Ammonite rappelant les
était lui-même représenté sous l’aspect d’un cornes d’Amon. Wikipédia,
cc-by-sa-3.0, Eduard Solà.
homme, tantôt à tête de bélier, tantôt à tête
humaine portant des cornes de bélier.
Or les ammonites enroulées en spirales ont rappelé des cornes de bélier
aux hommes qui les trouvaient, et cela bien avant la compréhension de
ce qu’étaient réellement des fossiles, qui ne remonte qu’au XVIIIe siècle.
Déjà chez Pline l’Ancien, on trouve l’appellation Ammonis cornu, devenue
en français cornes d’Ammon jusqu’au XVIIIe siècle, et finalement ammonites.
z
Épilogue inattendu
Les noms de l’ammoniac et de l’ammonite se rejoignent, si l’on ose dire,
dans la même inspiration divine et mythologique.
82
Les oracles d’Amon
57 58 59 60 61 62 63 64
57 58 59 60 61 62 63 64 65 66 67 68 69 70
7 71
La La CeCe Pr
Pr Nd
Nd Pm SmSm Eu Eu Gd GdTb
Pm Dy Ho Er Tm Yb
Y Lu
lanthane
lanthane cérium
cérium praséodyme
praséodyme néodyme prométhéum
néodyme prométhéumsamarium
samariumeuropiumeuropium
gadoliniumgadolinium
terbium dysprosium holmium erbium thulium ytterbium
ytte lutécium
89 9090 91 9292 93 93 94 94 95
5 96 97 98 99 100 101 102
1 103
Ac ThTh Pa UU Np
Np Pu Pu Am
m Cm Bk Cf Es Fm Md No
N Lr
actinium thorium
thorium protactinium uranium
uranium neptunium
neptuniumplutonium américium
plutonium icium curium berkélium californium einsteinium fermium mendélévium nobélium
nob lawrencium
➜ Le point le plus nouveau ici est le début de remplissage des parties des lignes 6 et 7 situées
HQEDV}
t}OHODQWKDQHHWOHVODQWKDQLGHVVXLYDQWVVRQWGHVWHUUHVUDUHV}
t}OHthorium et la série uranium, neptunium, plutonium font partie des premiers actinides.
83
&KDSLWUH'LHX[P\WKHVHWOÆJHQGHV
➜ Une mystérieuse trainée blanchâtre est visible dans le ciel étoilé. Elle est appelée Voie lactée,
½ODVXLWHGHV$QFLHQVTXLYR\DLHQWXQ}FHUFOHODLWHX[}}HQODWLQcirculus lacteus, en grec
galaxias kuklos, de gala, galactos}ODLW}GpRÖYLHQGUDOHQRPGXgalactose au chapitre 8.
On sait aujourd’hui que la Voie lactée est l’amas d’étoiles auquel appartient le Soleil, vu sur
ODWUDQFKHGpRÖVRQQRPGHJDOD[LHTXLYLHQWGRQFGHFHOXLGXODLW0DLVSRXUTXRLFHOD}"
'DQVOD}P\WKRORJLHJUHFTXH}=HXV}DSODFÆVRQILOV}QRXYHDXQÆ+ÆUDFOÅVVXUOHVHLQGHVRQ
ÆSRXVH}+ÆUDDORUVHQGRUPLHDILQTXHOHEÆEÆDEVRUEHOHODLWGLYLQ/RUVTXp+ÆUDVpHVWUÆYHLOOÆH
en sursaut, elle a repoussé ce bébé inconnu, et un jet de son lait s’est répandu dans le ciel,
formant cette fameuse Voie lactée.
84
CHAPITRE
SCANDIA
Holmia •
Hafnia •
GERMANIA
Lutetia • RHUTENIA
GALLIA
Brundisium • MAGNESIA
Cadmea • (Thebae)
CYPRUS
… et les modernes
Les noms d’éléments chimiques d’origine géographique sont parfois liés au
OLHXRÖOHXUPLQHUDLDÆWÆWURXYÆSDUH[HPSOHSUÅVGHGHX[YLOODJHVQRUGLTXHV
Strontian en Écosse et Ytterby en Suède, qui ont acquis ainsi une certaine
célébrité, dans le monde de la chimie en tout cas.
3OXVVRXYHQWRQWLHQWFRPSWHGXSD\VRXGHODYLOOHRÖOpÆOÆPHQWDÆWÆGÆFRX-
vert. D’autre fois encore, ce qui est pris en compte, c’est le pays natal du
GÆFRXYUHXURXSOXWÑWGHODGÆFRXYUHXVHVpDJLVVDQWGHGHX[JUDQGHVGDPHV
de l’histoire de la chimie.
86
La prodigieuse histoire du nom des éléments
1ÆH0DULD6NĜRGRZVNDHQ½9DUVRYLH0DULH&XULHDUULYHHQ)UDQFHHQ
1891, et elle manifeste son attachement à la Pologne en nommant en 1898
le polonium. Marguerite Perey, née en 1909 près de Paris, a travaillé dans
l’équipe de Marie Curie, et elle a découvert et nommé le francium en 1939.
87
Chapitre 4 : Voyages avec les mots
15 lanthanides
z
Au commencement était une pierre noire du côté
d’Ytterby
Les terres rares, chimiquement très proches les unes des autres, sont
souvent intimement associées dans les mêmes minerais. C’est ainsi que
l’yttrium, et 8 autres éléments ensuite, ont été découverts dans une
même pierre noire trouvée en 1788 tout près du petit village d’Ytterby,
proche de Stockholm : une origine minéralogique commune qui va
se traduire par une parenté exceptionnelle entre les noms de ces
9 éléments, ou de presque tous.
88
Une bonne récolte en Scandinavie
➜ <WWHUE\HVWXQYLOODJHVLWXƽ}NPDXQRUGHVWGXFHQWUHGH6WRFNKROPVXUOpËOHGH5HVDUÓ
OpXQHGHVTXHOTXH}}ËOHVHWËORWVGHWRXWHVWDLOOHVTXLFRQVWLWXHQWOpDUFKLSHOGH6WRFNKROP
z
Et Ytterby engendra trois autres noms
de terres rares…
Les deux premiers ont été mis en évidence par le chimiste suédois
Carl Gustaf Mosander, qui a adopté une démarche « linguistique »
assez originale : d’Ytterby, déjà à l’origine d’yttrium, il a tiré en 1843 les
noms de 2 nouveaux oxydes, la terbine et l’erbine. Suite à une confusion,
le métal de l’erbine fut nommé finalement terbium, et celui de la terbine
erbium, mais en tout état de cause, on aboutissait ainsi à 3 éléments nommés
à partir d’un même nom de village, Ytterby, ce qui ne s’était jamais vu.
Et pourtant, ce record est battu en 1878, lorsque le chimiste suisse
Jean Charles Galissard de Marignac découvre à partir de l’erbium
(donc impur) un nouvel élément, qu’il nomme carrément ytterbium, la
forme la plus explicitement dérivée d’Ytterby. En termes de linguistique,
on peut dire que, rétroactivement, terbium et erbium semblent provenir
d’une succession de deux aphérèses (= élimination d’une ou plusieurs
lettres au début d’un mot) :
ytterbium → (yt) terbium → (t) erbium,
89
Chapitre 4 : Voyages avec les mots
cependant qu’yttrium est formé sur Ytter, venant aussi d’Ytter (by) mais
par une apocope (= élimination de lettres à la fin d’un mot).
z
… puis encore d’autres terres rares suivirent aux
alentours
On n’ira pas au-delà de 4 noms tirés d’Ytterby, ce qui reste un record
absolu. Les découvreurs ont puisé ensuite dans le registre géographique
entourant Ytterby. Sont apparus ainsi en 1879 les noms holmium, de
Holmia, le nom latin de Stockholm, scandium, de Scandia, le nom latin
de la Scandinavie, et thulium, de Thulé, le nom ancien et mythologique
de la Scandinavie, un nom connu surtout aujourd’hui grâce au poème
de Goethe, Le roi de Thulé (1782).
LE HAFNIUM EST AUSSI SCANDINAVE
En 1923, les chimistes néerlandais Coster et hongrois Hevesy découvrirent dans un
minerai de zirconium un nouveau métal qu’ils nommèrent hafnium, de hafnia, le nom
ODWLQGH&RSHQKDJXHWRXWVLPSOHPHQWSDUFHTXpLOV\DYDLHQWPHQÆVOHXUVWUDYDX[(W
voilà comment la capitale du Danemark donne son nom à l’élément 72, situé sous le
]LUFRQLXP OXLPÇPHVRXVOHtitane (22), dans la colonne 4 du tableau périodique.
z
Des chimistes français, pour finir la série
La pierre d’Ytterby, apparemment inépuisable, livrera encore une
8e et une 9e terre rare, nommées par deux chimistes français, qui se sont
éloignés délibérément d’Ytterby et de la Scandinavie.
D’abord le dysprosium, nommé en 1886 par Lecoq de Boisbaudran qui,
en bon helléniste, précise son inspiration : « De Δυσπρóσιτος : d’un
abord difficile ». En effet, l’adjectif grec dusprositos contient le préfixe
dus-, « dys- », qui exprime la difficulté, et l’élément -prositos, du verbe
prosiemai, « s’approcher ». Boisbaudran nous informe ainsi du mal qu’il
s’est donné pour mettre en évidence cet élément par la spectroscopie,
qui était sa technique d’analyse de prédilection.
Cependant, le nom le plus inattendu est sans doute celui de la dernière
terre rare de cette histoire, donné par le chimiste français Georges Urbain
dans une note à l’Académie des sciences de 1907 sous le titre « Un nouvel
élément : le lutécium, résultant du dédoublement de l’ytterbium de Marignac ».
90
Une bonne récolte en Scandinavie
z
Épilogue à Paris, 5e arrondissement
Urbain revenait à un nom géographique, mais en passant sans transition
d’Ytterby au Quartier latin à Paris. Il y avait mené ses travaux, à l’ESPCI
(École Supérieure de Physique et de Chimie de la ville de Paris) puis
à Normale Sup, non loin des vestiges des arènes de Lutèce, qui lui ont
peut-être inspiré le choix de lutécium.
Un seul minerai est donc à l’origine de 9 éléments, et qui plus est de 9
terres rares… Plus que rare, ce cas est unique !
➜ Thulé,
d’après la Carta Marina de Olaus Magnus (1539). Thulé est sur cette carte une île
imaginaire située entre les îles Féroé et l’Islande.
91
Chapitre 4 : Voyages avec les mots
2 France et
Allemagne,
face à face
Le gallium (Ga), le germanium (Ge),
le ruthénium (Ru) et le francium (Fr)
z
Les sobriquets dans les noms de famille
Le patronyme Lecoq (ou aussi Lecocq, moins souvent Le Coq) vient sans
doute d’un sobriquet attribué à quelque ancêtre beau parleur, ou porté
sur la galanterie, voire belliqueux. On sait bien que les hommes se
donnent facilement des noms d’oiseaux. D’ailleurs, Lecoq de Boisbaudran
cache le nom d’un second oiseau car Baudran, visible dans Boisbaudran
(hameau proche d’Angoulême), est formé sur les racines germaniques
bald, « audacieux », et hram, « corbeau », tout comme par exemple
Bertrand sur berht, « brillant », et hram, « corbeau », le corbeau ayant
été divinisé dans la mythologie scandinave.
92
France et Allemagne, face à face
z
S’agit-il du coq ou de la Gaule ?
Après avoir laissé le champ libre aux interprétations, Lecoq de
Boisbaudran révèle en 1877, dans les Annales de Chimie et de
Physique1, qu’il a nommé le gallium « en l’honneur de la France (Gallia) ».
Le problème c’est que cette explication écrite est arrivée tardivement,
et que beaucoup ont continué à voir en gallium un dérivé de gallus,
« coq ». Pourtant, la justification donnée par Lecoq de Boisbaudran
était crédible : près de trente ans plus tôt, le nom du ruthénium avait
été formé sur le nom latin Rhutenia, de la Russie. En effet, le chimiste
allemand Osann a nommé en 1828 ruthénium le métal qu’il a découvert
comme une impureté dans du platine venant de l’Oural. Mais revenons
au gallium.
z
Patriotisme et chimie
En dédiant le gallium à la France, Lecoq de Boisbaudran honorait son
pays dans une période de forte tension entre l’Allemagne et la France,
93
Chapitre 4 : Voyages avec les mots
➜ /DFODVVLILFDWLRQSXEOLÆHSDU0HQGHOHÌHYHQODLVVHGHX[
cases vides pour l’eka-aluminium et l’eka-silicium, situés à une
place (eka = 1 en sanskrit) de Al et Si. Ces cases sont occupées
aujourd’hui par le gallium et le germanium.
z
Épilogue gaulois
Pour conclure ce propos, revenons au latin : on s’aperçoit que les deux
explications du nom gallium ne sont pas tellement éloignées l’une de
l’autre car gallus, « coq », est homonyme de Gallus, « gaulois » (lui-même
94
France et Allemagne, face à face
14
Si
z
La découverte du gallium silicium
31 32 33
et du germanium, une aubaine Ga Ge As
pour le monde de l’électronique gallium germanium arsenic
95
Chapitre 4 : Voyages avec les mots
3 En Écosse, du côté
du loch Ness
Le baryum (Ba), le strontium (Sr), le calcium (Ca),
le magnésium (Mg), le bérylium (Be),
le radium (Ra) et les métaux alcalinoterreux
Colonne 1 Colonne 2
alcalins alcalinoterreux
Comme on a pu le voir à l’introduction du chapitre 2,
3 4
ces métaux sont dits alcalinoterreux car ils sont Li Be
lithium béryllium
proches des alcalins, et -terreux car ils ont été tirés 11 12
d’un minerai. Dans le tableau périodique, entre la Na Mg Colonne 3
sodium magnésium terre rares
colonne 1 des alcalins et la colonne 3 des terres rares, 19 20 21
z
La chaux (CaO) et la magnésie (MgO)
Depuis l’Antiquité, on connaît le calcaire et sa transformation en chaux
dans un four. Le grec khalix, puis le latin calx, calcis, désignaient d’abord
une pierre quelconque, puis une pierre calcaire et la chaux elle-même.
Du latin calx on arrive à chaux en français, de son dérivé calcarius, « relatif
à la chaux », vient calcaire, et de son diminutif calculus, « petite pierre »,
vient calcul, au sens médical (calcul rénal) ou au sens de l’arithmétique,
qui se pratiquait à l’aide de petits cailloux sur une table à calculer. Enfin,
en bas latin apparaît le verbe calcinare, d’où calciner, par analogie avec
le traitement du calcaire dans un four à chaux.
Quant à la magnésie, elle est connue depuis le Moyen Âge au moins,
et son nom remonte à la Magnésie, la région grecque, par des voies
compliquées, qui seront explorées dans la prochaine rubrique.
96
En Écosse, du côté du loch Ness
z
La baryte (BaSO4) et la strontianite (SrCO3)
Dès 1774-1776, plusieurs chimistes détectent un nouveau métal dans
des minéraux de densités très élevées, nommés de ce fait « spath pesant »
ou « terre pesante » et en 1787, le chimiste et révolutionnaire français
Guyton de Morveau écrit : « nous remplaçons ces expressions impropres ou
périphrasées par le mot baryte, dérivé du grec βαρυς, pesanteur ». En fait,
baryte dérive du grec barus, « pesant », qui est lié à baros, « pesanteur »,
et baryte est bien étymologiquement synonyme de (terre) pesante.
D’autre part, un autre minéral, d’abord pris
pour la baryte, est identifié au carbonate d’un
métal inconnu et est baptisé en 1791 strontianite.
Il provenait des environs de Strontian, village
du bord du loch Sunart débouchant sur la côte
Sud-Ouest de l’Écosse. Ce village n’est donc
pas au bord du fabuleux loch Ness, mais il n’en
est pas très loin et son nom en écossais, Sròn an
t-Sìthein ou « Sommet de la colline aux fées »,
est aussi chargé d’un certain mystère.
z
Des minerais aux métaux
À la fin du XVIIIe siècle, on connaissait donc la baryte, la strontianite,
la chaux et la magnésie. Restait à isoler les 4 métaux correspondants,
ce qu’a réalisé en 1808, par électrolyse, le chimiste anglais Humphry
Davy, qui écrivait (en anglais) : « par les mêmes principes que j’ai suivis pour
nommer les […] potassium et sodium, je hasarderai de désigner les métaux des
terres alcalines par les noms de barium, strontium, calcium, et magnium
(quelques années plus tard remplacé par magnésium) ». Ces noms sont
adoptés par toutes les langues à des variantes près, comme baryum,
substitué à barium en français, point sur lequel on reviendra à l’épilogue.
Mais il reste encore le nom d’un 6e métal alcalinoterreux à expliquer.
z
Du béryl Be3Al2(Si6O18) au béryllium
Connu depuis l’Antiquité, le béryl est une pierre précieuse, dont l’aigue
marine et l’émeraude sont des variétés fameuses. Son nom vient, par le
latin beryllus, du grec bêrullos, lui-même emprunté à une langue du sud
97
Chapitre 4 : Voyages avec les mots
z
Épilogue hyperétymologique
On peut enfin s’arrêter sur le <y> de baryum en français, certes inspiré
du grec barus, « pesant » (cf. barycentre), mais qui ne va pas de soi ici. En
effet, la forme bar.ium, avec le suffixe -ium (neutre du suffixe latin -ius
qui traduit une dépendance) est logique pour une substance tirée d’un
minerai, alors que la forme bary.um, avec le suffixe -um, conviendrait
pour un nom de matière première naturelle comme en latin aurum,
« or », ferrum, « fer », cuprum, « cuivre », lignum, « bois »… D’ailleurs,
sur 118 éléments on a en français 74 noms en -ium, et un seul en -um,
le baryum. En outre, l’anglais a gardé tel quel barium proposé par
Humphry Davy, avec un <i>, comme en allemand, Barium, et le comble
est qu’en grec moderne, baryum se dit bario (avec un iota), alors que
l’adjectif « pesant » se dit toujours barus, comme en grec ancien, avec
un upsilon.
Ce <y> de baryum en français résulte, si l’on ose dire, d’un excès de zèle
étymologique.
98
En Écosse, du côté du loch Ness
➜ /HORFK1HVVRÖOHP\VWÅUHUHVWHHQWLHU
99
Chapitre 4 : Voyages avec les mots
z
Magnésie en Grèce et en Asie Mineure
Les Magnètes, un peuple déjà présent dans les textes d’Homère au VIIIe
siècle avant J.-C., ont donné leur nom à la région qu’ils habitaient au
nord-est de la Grèce, la Magnésie. À partir du IVe siècle avant J.-C., les
100
Sur les bords de la mer Égée
z
La magnétite (Fe3O4)
Une première sorte de magnetes de Pline correspond à ce que nous
appelons magnétite aujourd’hui, et qui a tellement impressionné les
Anciens par sa capacité à attirer le fer. L’origine du nom magnétite se
confond avec celle du nom des Magnètes et de la Magnésie grecque,
où ce minerai est effectivement présent, et qui est donc en quelque
sorte le berceau du magnétisme. Cependant, beaucoup d’auteurs
associent le nom magnétite à Magnésie du Sipyle en Asie Mineure,
car le mont Sipyle est connu également pour l’exploitation de ses
gisements de magnétite.
2. Pline l’Ancien, Histoire naturelle, édition bilingue Les belles lettres, Paris, 2003, Livre XXXVI,
§ 126 à 130 et 192.
101
Chapitre 4 : Voyages avec les mots
z
Le dioxyde de manganèse (MnO2)
Toujours selon Pline, une deuxième sorte de magnetes était utilisée
comme additif dans la fabrication du verre, et n’était donc certainement
pas de la magnétite. On ne sait pas précisément de quel minéral il
s’agissait, ni quelle était sa provenance (de quelle Magnésie ?), mais,
d’après l’usage évoqué, on peut penser au dioxyde de manganèse, ce qui
expliquerait son appellation ancienne de magnésie noire.
À ce propos, manganèse provient d’un emprunt à l’ancien italien manganese,
qui a désigné d’abord la magnésie noire, puis le métal lui-même. L’italien
manganese est sans doute une altération de magnesia, avec attraction par
étymologie populaire de l’italien mangano, « calandre » (c’est-à-dire un
grand cylindre d’acier, en acier au manganèse ?).
D’autre part, dans sa classification de 1869 Mendeleïev laisse à droite
du manganèse deux cases vides successives, dans lesquelles il prédit
l’existence future de deux éléments, nommés provisoirement eka-
manganèse et tri-manganèse. L’eka-manganèse ne sera définitivement
identifié et nommé technétium qu’en 1937. Quant au tri-manganèse, il
a été découvert plus tôt, comme on le voit dans l’encadré qui suit.
UN DÉTOUR PAR L’ALLEMAGNE
En 1925, les trois chimistes allemands Berg, Noddack, et la future épouse de celui-ci,
,GD7DFNHGÆFRXYUHQWSDUVSHFWURVFRSLHDX[UD\RQV;XQQRXYHDXmétal dans un
minerai de manganèse. Ils nomment ce nouvel élément rhénium, pour rappeler le
Rhin, au bord duquel était née Ida Tacke. Cet élément n’était autre que le tri-manga-
nèse prévu par Mendeleïev.
Il y a donc trois éléments dont le nom honore une femme chimiste par l’intermédiaire
GHVRQSD\VRXGHVDUÆJLRQGpRULJLQH}OHfrancium de Marguerite Perey, le polonium
de Marie Curie, et le moins connu rhénium d’Ida Tacke.
z
Quid de la magnésie (MgO), et même
des magnésies ?
On ne retrouve pas de manière certaine la magnésie actuelle (MgO,
nommée jadis magnésie blanche) dans les descriptions grecques ou
latines. Il y a bien une troisième sorte de magnetes qui, selon Pline,
vient « de Magnésie d’Asie » (mais laquelle ?) et « rappelle la pierre ponce ».
S’agirait-il de l’écume de mer (H4Mg2Si3O10), nommée aussi parfois
102
Sur les bords de la mer Égée
z
Épilogue et voisinage
Si l’on n’a pas peur d’un coq à l’âne caractérisé, on trouvera dans le
voisinage de Magnésie du Méandre l’antique cité grecque Colophon, qui
a donné son nom à la… colophane, car ce produit, obtenu par distillation
de la résine de pin, y était réputé d’une excellente qualité.
103
Chapitre 4 : Voyages avec les mots
K = 39 Rb = 85 Cs = 133 – –
Ca = 40 Sr = 87 Ba = 137 – –
21
– "<W " "'L " (U " – Sc
scandium
7L " =U &H " /D " Tb = 231
43
V = 51 Nb = 94 – Ta = 182 Tc
– technétium
Cr = 52 Mo = 96 – W = 184 U = 240 75
Re
Mn = 55 – – – –
rhénium
➜ Premier tableau périodique de Dmitri Mendeleiev publié dans une revue scientifique (1869).
104
En passant par l’Irlande
5 En passant par
l’Irlande
Le carraghénane et l’agar-agar
z
Des algues…
Depuis des siècles, on récolte à
marée basse sur les côtes rocheuses
de l’Atlantique Nord une algue
rouge dont on tire une sorte de gelée
à usage alimentaire ou médicinal.
En Bretagne, c’est un dessert
traditionnel, le blanc-manger, qui
➜ Le blanc-manger, traditionnel en
est préparé à partir de lait et de cette Bretagne. Licence CC-BY-SA, 3.0, 2.5, 2.0,
algue, nommée en breton pioka. 1.0, Apmarles.
Cette algue est plus connue encore sous le nom de mousse d’Irlande (en
anglais Irish moss), parce qu’on la trouve en abondance sur les côtes
d’Irlande, et parce qu’elle s’accroche aux rochers, un peu comme de
la mousse.
Mais l’appellation mousse d’Irlande ne nous mène pas à carraghénane,
qui vient visiblement d’un autre nom de cette algue, Carrageen moss
105
Chapitre 4 : Voyages avec les mots
z
Des algues, des localités
d’Irlande…
L’appellation Carrageen moss laisse
penser que Carrageen est un nom
propre, qui en l’occurrence est
certainement un nom de lieu :
Carrageen (Carraigín en irlandais) est,
à des variantes près, le nom d’assez
nombreuses localités en Irlande. Le
très autorisé dictionnaire d’Oxford
relie le nom de l’algue à celui du
106
En passant par l’Irlande
z
Des algues, des localités d’Irlande
et des blocs de pierre
En irlandais Carraigín est le diminutif de carraig, « rocher », et c’est le
nom typique d’une localité située sur un terrain rocheux. Or les algues
nommées carragheen poussent elles-mêmes sur les rochers, et de là à
penser que leur nom vient directement de carraig, « rocher », il n’y
a qu’un pas, que certains auteurs ont franchi. Pourtant, les noms des
localités sont sans doute attestés bien avant celui de l’algue.
En conclusion, carraghénane vient du nom d’une algue, qui lui-même
remonte en dernière analyse à l’irlandais carraig, « rocher »,
probablement par l’intermédiaire du nom d’un lieu, qui n’est cependant
pas localisé sur les côtes d’Irlande. On peut être déçu de ce résultat
imparfait, mais c’est inhérent à l’étymologie qui ne parvient pas toujours
à lever toutes les incertitudes de l’histoire des mots.
z
Épilogue mondialisé
Enfin, comme souvent, l’usage du nom s’est élargi au-delà du sens
initial, et l’on parle aujourd’hui des carraghénanes, qui ne proviennent
plus seulement du carragheen, mais aussi d’autres algues rouges
appartenant à des genres voisins et récoltées loin de l’Irlande, jusqu’en
Amérique du Sud. Ces produits sont d’ailleurs très voisins de l’agar-agar
(un nom malais) préparé également à partir d’algues rouges, en Asie
du Sud-Est. Les agars-agars sont des épaississants, homologués comme
additif alimentaire E 406, juste à côté des carraghénanes, E 407.
107
Chapitre 4 : Voyages avec les mots
1 18
1 2
H He
béryllium
hydrogène 24 13 14 15 16 17 hélium
3 Be4 numéro atomique 5 6 7 8 9 10
Li Be
9,0122
symbole B C N O F Ne
lithium béryllium
magnésium nom bore carbone Azote oxygène fluor néon
12
11 12 13 14 15 16 17 18
Mg
Na Mg
24,305 Al Si P S Cl Ar
sodium magnésium 3 4 5 6 7
manganèse 8 9 10 11 12 aluminium silicium phosphore soufre chlore argon
calcium scandium gallium germanium
19 20
20 2121 22 23 24 25
25 26 27 28 29 30 31
31 3232 33 34 35 36
K Ca
Ca ScSc Ti V Cr Mn
Mn Fe Co Ni Cu Zn Ga
Ga Ge
Ge As Se Br Kr
40,078(4) 44,956 54,938 69,723 72,630(8)
potassium calcium scandium titane vanadium chrome g
manganèse fer cobalt nickel cuivre zinc gallium germanium arsenic sélénium brome krypton
ruthénium
37 38
strontium 39
yttrium 40 41 42 43 4444 45 46 47 48 49 50 51 52 53 54
38 39
Rb Sr
Sr YY Zr Nb Mo Tc Ru
Ru Rh Pd Ag Cd In Sn Sb Te I Xe
rubidium strontium
87,62
yttrium
88,906
rconium
zirconium niobium molybdène technétium ruthénium
101,07(2) hodium
rhodium palladium argent cadmium indium étain antimoine tellure iode xénon
hafnium polonium
55 56 72 73
72
74 75
rhenium 76 77 78 79 80 81 82 83 84
84 85 86
baryum
Cs Ba56 anthanoïdes
lanthanoïdes Hf Ta
Hf W Re
75 Os Ir Pt Au Hg Tl Pb Bi Po
Po At Rn
césium Ba
baryum hafnium tantale
178,49(2) tungstène Re
rhénium osmium iridium platine or mercure thallium plomb bismuth polonium astate radon
137,33 186,21
87 88 104 105 106 107 108 109 110 111 112 113 114 115 116 117 118
Fr
francium
87
Ra
radium
88
actinoïdes Rf Db Sg Bh Hs Mt Ds Rg Cn Nh Fl Mc Lv Ts Og
francium radium rutherfordium dubnium seaborgium bohrium hassium meitnérium darmstadtium rœntgenium copernicium nihonium flerovium moscovium livermorium tennessine oganesson
Fr Ra
57 58 59 60 61 62 63 64 terbium
65
65 dysprosium
66
66 holmium
67
67 erbium
68
68
thulium
69
69
ytterbium
7070 71lutécium
71
La Ce Pr Nd Pm Sm Eu GdTb Tb Dy Dy HoHo
G Er
Er Tm
Tm Yb
Yb LuLu
lanthane cérium praséodyme néodyme prométhéum samarium europium gad
gadolinium
158,93 terbium dysprosium 164,93
162,50 holmium erbium
167,26 thulium
168,93 ytterbium
173,05 lutécium
174,97
➜ &HWWHIRLVGHX[JUDQGHVIDPLOOHVFKLPLTXHVVRQWFRPSOÅWHV}WRXWHODFRORQQHGHValcalino-
WHUUHX[HWWRXWHVOHVWHUUHVUDUHV
108
CHAPITRE
Les goûts,
les couleurs
5
et les odeurs des noms
Où l’on perçoit le mot dans tous les sens du terme
110
La prodigieuse histoire du nom des éléments
De l’aigre au doux
Acide se dit en anglais acid, mais en allemand Säure, d’une racine germa-
nique, visible aussi en français dans l’adjectif sur, ou dans hareng saur, ou
dans choucroute, de l’allemand Sauerkraut (avec Kraut, qui désigne l’herbe,
LFLOHFKRX}
(QƂQVLHQFKLPLHOHFRQWUDLUHd’acide est basique, dans le domaine gustatif
c’est plutôt doux, sucré.
111
&KDSLWUH/HVJRØWVOHVFRXOHXUVHWOHVRGHXUVGHVQRPV
1 Ne pas abuser
du sucre
Le dextrose, le lévulose,
le glucose et le fructose
➜ JDXFKH½GURLWHRXDXPLOLHXFHQpHVWSDVOHPÇPHsucre…
112
Ne pas abuser du sucre
➜ JDXFKH}IRUPHOÆYRJ\UHGXglucose½GURLWH}
dextroseIRUPHGH[WURJ\UHGXglucose.
z
Une droite homogène
L’adjectif signifiant « à droite » a une connotation positive dans la
plupart des langues d’Europe. En grec d’abord, dexios, « à droite »,
se relie à dekhomai, « accepter », car on accepte et on jure de la main
droite (dexia, « main droite »), d’où en latin dexter, « à droite »,
et en ancien français la dextre, la main qui tenait jadis le cheval de
combat, le destrier.
Puis dans les langues d’Europe de l’Ouest, on trouve pour signifier
« à droite » des formes apparentées, remontant au latin rectus,
« droit, juste, correct » : l’anglais right, l’allemand rechte, et, par
le latin directus, « en ligne droite, direct », l’espagnol derecho, et le
français le droit et la droite.
113
&KDSLWUH/HVJRØWVOHVFRXOHXUVHWOHVRGHXUVGHVQRPV
z
Une gauche plurielle
A contrario, les adjectifs signifiant « à gauche » varient beaucoup d’une
langue à l’autre. Ils sont souvent d’origine incertaine ou inconnue, et
toujours connotés négativement.
En français, l’adjectif gauche (« à gauche » et « maladroit ») est d’origine
incertaine ; il a détrôné l’ancien français senestre, issu du latin sinister, « à
gauche », lui-même d’étymologie obscure, peut-être en rapport avec le
latin sine, « sans », ce qui marquerait un manque à gauche par rapport
à la droite (sinistre subsiste en français dans un sens figuré).
En espagnol, une racine pré-indo-européenne dont le sens originel
serait « tordu » se manifeste dans izquierdo, « à gauche ». Enfin, en
anglais, left s’est employé dans le sens de « faible » avant de signifier
uniquement « à gauche » et en allemand, linke, d’une autre origine, a
connu une évolution de sens analogue.
z
La gauche en chimie
On constate que ce tour d’horizon des langues d’Europe de l’Ouest
ne suggère pas d’explication pour lévulose. Il faut pour cela remonter à
une racine indo-européenne signifiant peut-être « tordu » à l’origine,
dont est issu le grec ancien laios, « à gauche », et le latin laevus de même
sens (ainsi que l’adjectif équivalent dans les langues slaves, comme en
polonais lewy, « à gauche »). Ce latin laevus permet enfin d’expliquer
lévogyre et l’élément lévo-, « gauche », mais il faut encore passer par
un diminutif supposé *laevulus (l’astérisque devant le mot signale une
forme non attestée) pour expliquer l’élément lévulo-, « à gauche »,
trouvé dans lévulose.
114
Ne pas abuser du sucre
z
Le glucose, le sucre par excellence
On comprend donc les radicaux de dextrose et de lévulose,
et il reste à expliquer l’élément –ose. Comme on a pu le
voir dans l’introduction de ce chapitre, cet élément est tiré
du nom du plus commun des sucres, glucose, proposé par
Dumas en 1838 à partir du grec gleukos, qui désigne le vin
doux, c’est-à-dire sucré.
➜Le glucose, du grec gleukosGÆVLJQHOHYLQGRX[FpHVW½GLUHVXFUÆ
z
Un épilogue un peu osé
C’est d’une toute autre nature qu’est le suffixe -ose caractérisant des
noms de pathologies, comme par exemple arthrose : ce suffixe est formé
sur le grec ôsis, « action de pousser »,
du verbe ôthein, « heurter, pénétrer ».
Il s’ensuit par exemple que sinistrose
n’est pas, malgré les apparences,
synonyme de lévulose.
1. Fischer, Emil, Synthèses dans le groupe des sucres, Le Moniteur scientifique, série 4, t. IV, chez
Quesneville, 1890, p. 1123.
115
&KDSLWUH/HVJRØWVOHVFRXOHXUVHWOHVRGHXUVGHVQRPV
2 Quand ça sent
le roussi
L’ozone et l’osmium (Os)
z
Une odeur caractéristique
Au cours de ses travaux sur l’électrolyse de l’eau, Schönbein remarque
l’apparition d’une odeur particulière, un peu piquante, du côté de
l’électrode positive, là où se dégage l’oxygène. Cette odeur, qu’il qualifie
de « phosphoreuse » ou d’« électrique », lui rappelle celle qui se dégage au
voisinage d’un arc électrique, et plus fortement encore « dans le voisinage
d’un lieu que la foudre a frappé ». Dans une publication de 1840, il se
rappelle qu’à l’âge de douze ans, non loin de son village natal, il a senti
cette même odeur à l’intérieur d’une église dont le clocher venait d’être
foudroyé. Il n’est pas banal de trouver ainsi un souvenir d’enfance parmi
les arguments avancés pour une démonstration scientifique.
116
Quand ça sent le roussi
117
&KDSLWUH/HVJRØWVOHVFRXOHXUVHWOHVRGHXUVGHVQRPV
Cette phrase est l’acte de naissance du nom ozone (ozone en anglais, Ozon
en allemand, ozono en espagnol…). Pourtant, Schönbein était vraiment
très loin d’avoir compris la nature de ce « principe odorant » : il pensait
– sans certitude, il le pressentait seulement, si l’on ose dire – que c’était
un nouvel élément halogène, classé avec d’autres gaz à l’odeur agressive,
comme le brome, lui-même nommé en 1826 à partir justement du grec
brômos, « odeur infecte » (voir la rubrique 4 de ce chapitre).
z
L’ozone est du tri-oxygène
En 1845, deux autres chimistes suisses démontrent que l’ozone n’est
constitué en fait que d’atomes d’oxygène, ce que Schönbein mettra
plusieurs années à admettre. Vingt ans plus tard enfin, c’est encore
un chimiste suisse qui établit la structure moléculaire à trois atomes
d’oxygène de l’ozone.
O2 → O + O ; puis O + O2 → O3
➜ Dissociationde OpR[\JÅQHVXLYLHGpXQH
réaction catalytique qui aboutit à l’ozone.
z
Une autre substance révélée par son odeur
L’existence de l’ozone a donc été détectée par son odeur. C’est un
cas plutôt original, mais il y avait tout de même un précédent : vers
1804, l’osmium (Os) a été découvert par l’odeur des eaux de lavage du
minerai de platine. On a parlé d’une « vapeur âcre semblable au raifort,
et qui irritait les yeux et la gorge », ou d’une « odeur de légume pourri ».
Il s’agissait en fait du tétroxyde d’osmium (OsO4), hautement toxique
et puissamment odorant, ce qui a conduit le chimiste anglais Smithson
Tennant, découvreur de l’osmium, à écrire en 1804 : « Comme cette
odeur est l’un de ses caractères les plus distinctifs, j’aurais tendance, sur cette
base, à nommer le métal Osmium », du grec osmê, « odeur », dérivé du
verbe ozein, « exhaler une odeur ».
118
Quand ça sent le roussi
z
Encore un épilogue osé
Les noms ozone et osmium ont finalement une même origine grecque,
que ne partage d’ailleurs pas le mot osmose, du grec ôsmos, variante de
ôsis, « action de pousser », du verbe ôthein, « heurter, pénétrer », ce que
fait la pression osmotique, sans aucun rapport avec la notion d’odeur,
ni non plus avec les noms de sucres en -ose de la rubrique précédente.
119
&KDSLWUH/HVJRØWVOHVFRXOHXUVHWOHVRGHXUVGHVQRPV
z
Un nom qui venait d’un spectre
L’indium a été découvert en 1863 (après le ruthénium, mais avant le
gallium et le germanium) par les chimistes allemands Ferdinand Reich et
Theodore Richter, à partir d’analyses spectroscopiques sur un minerai de
zinc d’origine allemande, donc sans aucune relation a priori avec l’Inde.
En fait, ces chercheurs ont décelé dans le spectre d’émission du minerai
une raie nouvelle de couleur indigo, traduisant la présence d’un nouveau
métal, et ils ont trouvé cette raie spectrale « si brillante, nette et persistante »
qu’ils ont « souhaité nommer indium ce métal inconnu jusqu’à présent ». Au
premier degré, le nom de l’indium est donc basé sur celui de la couleur
indigo (indigblau en allemand dans la publication de 1863).
120
Une couleur qui ne s’imposait pas
➜ Spectre
d’émission de OpLQGLXPRÖOpRQYRLWODUDLHindigo caractéristique de ce métal, qui se
détachait nettement dans le spectre du minerai observé en 1863.
z
Pourquoi une raie indigo ?
La question peut se poser en effet car si l’on distingue assez facilement
six couleurs de l’arc-en-ciel (rouge, orange, jaune, vert, bleu et violet),
il est très difficile, sinon impossible, de discerner visuellement l’indigo
entre le bleu et le violet.
121
&KDSLWUH/HVJRØWVOHVFRXOHXUVHWOHVRGHXUVGHVQRPV
non fixes (le Soleil, la Lune et les 5 planètes visibles depuis l’Antiquité).
Et c’est bien parce que l’indigo a été choisi comme la « septième »
couleur du spectre visible que l’on peut parler de raie indigo, et que
l’indium s’appelle ainsi. Mais le nom de l’indigo vient-il vraiment de
celui de l’Inde ?
z
D’où vient l’indigo ?
L’indigo est un colorant bleu foncé à reflets violets connu depuis
l’Antiquité, époque à laquelle il était importé d’Asie, et plus
particulièrement d’Inde vers l’Europe. Nommé en grec Indikon, c’est-
à-dire « indien », ce colorant était appelé par Pline l’Ancien Indicum
caeruleum, c’est-à-dire « azur indien », et c’est du latin indicum que vient
le nom indigo, sans doute par l’intermédiaire du portugais. Voilà donc
établi le rapport, très indirect, entre l’Inde et l’indium.
D’AUTRES RÉALITÉS D’ORIGINE INDIENNE, OU PAS
/p,QGH DSSDUDËW H[SOLFLWHPHQW GDQV GHV QRPV FRPSRVÆV FRPPH œillet d’Inde ou
cochon d’IndeSDUH[HPSOH3RXUWDQWOpzLOOHWGp,QGHHVWXQHƃHXUDPÆULFDLQHGHV
régions tropicales, et le cochon d’Inde un rongeur d’Amérique du Sud, nommé aussi
cobaye, de son nom en tupi, une langue amérindienne du Brésil. En réalité, le nom
Inde représente ici le Nouveau Monde que Christophe Colomb a découvert en croyant
arriver en Inde, et que l’on nommait jadis Indes occidentales/DVLWXDWLRQHVWODPÇPH
avec la dinde, d’abord appelée poule d’Inde}HOOHDXVVLDÆWÆWURXYÆHHQ$PÆULTXH
En revanche, dans le nom du marron d’Inde, le plus souvent appelé marron tout
court, c’est bien de l’Inde actuelle qu’il s’agit. En effet, on a longtemps cru que le
marronnier venait de ce pays et, bien qu’il soit considéré aujourd’hui comme originaire
des Balkans, le nom marron d’Inde est resté. On évite ainsi toute confusion avec les
marrons de la dinde aux marronsTXLHX[VRQWGHVFK¿WDLJQHV
122
Une couleur qui ne s’imposait pas
z
Épilogue puriste
Remarquons enfin qu’à partir du latin indicus, « de couleur indigo »,
la forme vraiment analogue à rubidium (de rubidus) ou césium (de
caesius) aurait dû être indicium, où, curieusement, le nom de l’Inde
aurait été moins apparent que dans indium. En outre, le mot indicium
existe en latin et signifie « indication ».
Mais une autre question se pose, celle de la pertinence du nom césium.
En effet, les découvreurs Bunsen et Kirchhoff ont expliqué le choix de
ce nom à partir du latin « cæsius qui, chez les Anciens, servait à désigner le
bleu de la partie supérieure du firmament », correspondant pour eux à « la
belle couleur bleue des vapeurs incandescentes de ce nouveau corps simple ».
Pourtant, cæsius s’applique en latin à la couleur des yeux tirant sur le
vert, cette couleur indéfinissable des yeux d’Athéna, dite la déesse aux
yeux pers. C’est en fait l’adjectif cæruleus ou cærulus qui désigne le bleu
foncé, l’azur, et qui peut se relier en effet au latin cælum, « ciel ». C’est
d’ailleurs, comme on vient de le voir, le choix de Pline pour l’indigo,
Indicum caeruleum.
Pour évoquer le bleu du ciel, les découvreurs auraient dû nommer leur
nouveau métal cérulium plutôt que césium.
123
&KDSLWUH/HVJRØWVOHVFRXOHXUVHWOHVRGHXUVGHVQRPV
Colonne 17
Dans le tableau périodique, le fluor est en haut de la colonne 9
2. Courtois, Bernard et Gay-Lussac, Louis, Annales de chimie et de physique, t. 88, Paris, 1813,
p. 305.
124
Une histoire qui ne manque pas de sel
z
Le fluor, issu d’un minéral
Avec le fluor, on croit voir encore un nom de couleur, en pensant
aux teintes fluo, c’est-à-dire fluorescentes, ainsi nommées car cette
luminescence a été observée sur des variétés de spath fluor. Or c’est aussi
à partir du spath fluor (ou fluorine, CaF2) qu’a été identifié et nommé le
fluor. Mais en dernière analyse, ces noms n’ont aucun rapport avec une
couleur : spath fluor est formé de spath, « roche cristalline », et du latin
fluor, « écoulement » (cf. fluere, « couler »), car ce minéral fluidifie le
minerai en métallurgie. L’enchaînement des idées a donc été le suivant :
latin fluor, « écoulement » spath fluor fluorescence fluo
fluor
Quant au Fluocaril®, créé en 1946, ce fut le premier dentifrice contenant
du fluor, avec à la fois du fluorure (NaF) et du monofluorophosphate
de sodium (Na2PO3F) dans le bi-fluoré. Et sa présentation commerciale
fait aussi penser au vert fluo.
125
&KDSLWUH/HVJRØWVOHVFRXOHXUVHWOHVRGHXUVGHVQRPV
z
Les halogènes
En 1825, Berzélius reprend le nom abandonné pour le chlore, halogène
(= « générateur de sel »), pour le généraliser aux « corps électronégatifs
[…] qui forment des sels avec les métaux électropositifs », c’est-à-dire à
cette date, le chlore, l’iode et le fluor, auquel s’ajoutra le brome l’année
suivante.
z
Le brome odorant et l’astate radioactif
En 1826, le pharmacien français Balard a découvert dans le sel marin
un élément qu’il a voulu nommer muride, du latin muria, « saumure ».
Mais l’Académie des sciences, pour éviter une confusion avec muriate
(alors le nom d’un chlorure), a préféré brome, du grec brômos, « odeur
infecte », à cause de sa très mauvaise odeur en effet.
Enfin, l’astate, obtenu par irradiation du bismuth (l’un de ses isotopes),
lui-même instable, d’où son nom (1956) tiré du grec astatos, « instable »,
de a- privatif et statos, « stable ». Étymologiquement, astate (du grec)
équivaut à instable (du latin), un peu comme atome équivaut à indivisible.
D’ailleurs, bien avant les chimistes, les naturalistes avaient déjà fait
appel au grec astatos, car une astate est une petite guêpe fouisseuse,
très mobile.
➜ Une astate.
6D[LIUDJD$E+%DDV
126
Une histoire qui ne manque pas de sel
Moins de risque de confusion sans doute entre ces deux « astates », que
dans les noms qui suivent.
z
Épilogue trompeur
Quel rapport entre la chlorophylle, la fluorescéine et la théobromine ?
Réponse : aucune de ces trois molécules ne comporte d’halogène. La
chlorophylle (C55H72O5N4Mg) colore les végétaux en vert et la fluorescéine
(C20H10Na2O5) est fluorescente. Quant à la théobromine (C7H8N4O2),
c’est le principal alcaloïde du chocolat et le nom de genre donné par
Linné au cacaoyer est Theobroma, du grec theos, « dieu », et brôma,
« nourriture », car le chocolat était une boisson sacrée pour les
Amérindiens. Et comme la nourriture finit par pourrir, du grec brôma
vient peut-être brômos, « odeur infecte », ce qui renvoie au brome, très
indirectement !
Mais le comble est atteint avec les senteurs marines, dites iodées, qui sont
dues à des émanations d’algues et à des embruns, et non pas à l’iode.
Si l’on dit iodé, c’est par association d’idées entre l’air marin vivifiant
et l’iode, qui est un oligoélément abondant dans les algues marines et
les fruits de mer. Il y a cependant encore moins d’iode dans l’« odeur
d’iode » que de fer dans les épinards3 !
3. Bouvet, Jean-François, Du fer dans les épinards, et autres idées reçues, Points, Paris, 1997, 170
p., p. 51.
127
&KDSLWUH/HVJRØWVOHVFRXOHXUVHWOHVRGHXUVGHVQRPV
1 18
1 2
H He
fluor
hydrogène 2 13 14 15 16 17
9
hélium
3 4 numéro atomique 5 6 7 8 F9 10
Li Be symbole B C N O F
19,998 Ne
lithium béryllium nom bore carbone Azote oxygène fluor
chlore néon
11 12 13 14 15 16 17
17
18
Na Mg Al Si P S Cl
Cl Ar
35,45
sodium magnésium 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 aluminium silicium phosphore soufre chlore argon
brome
19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30 31 32 33 34 35
35
36
K Ca Sc Ti V Cr Mn Fe Co Ni Cu Zn Ga Ge As Se Br Kr
potassium calcium scandium titane vanadium chrome manganèse fer cobalt nickel cuivre zinc gallium germanium arsenic sélénium brome
79,904 krypton
k
rubidium indium
37
37 38 39 40 41 42 43 44 45 46 47 48 49
49 50 51 52 53
iode 54
Rb Sr Y Zr Nb Mo Tc Ru Rh Pd Ag Cd In Sn Sb Te I
53 Xe
rubidium
85,468 strontium yttrium zirconium niobium molybdène technétium ruthénium rhodium palladium argent cadmium 114,82
indium étain antimoine tellure l
iode xénon
osmium 126,90
55
césium 56 72 73 74 75 76
76
77 78 79 80 81
thallium 82 83 84 85 86
55 81 astate
Cs
Cs Ba lanthanoïdes Hf Ta W Re Os Ir Pt Au Hg Tl
Tl Pb Bi Po At
85
Rn
césium baryum hafnium tantale tungstène rhénium osmium
190,23(3) iridium platine or mercure thallium
204,36
plomb bismuth polonium astate
At radon
132,91
87 88 104 105 106 107 108 109 110 111 112 113 114 115 116 117 118
Fr Ra actinoïdes Rf Db Sg Bh Hs Mt Ds Rg Cn Nh Fl Mc Lv Ts Og
francium radium rutherfordium dubnium seaborgium bohrium hassium meitnérium darmstadtium rœntgenium copernicium nihonium flerovium moscovium livermorium tennessine oganesson
57 58 59 60 61 62 63 64 65 66 67 68 69 70 71
La Ce Pr Nd Pm Sm Eu Gd Tb Dy Ho Er Tm Yb Lu
lanthane cérium praséodyme néodyme prométhéum samarium europium gadolinium terbium dysprosium holmium erbium thulium ytterbium lutécium
89 90 91 92 93 94 95 96 97 98 99 100 101 102 103
Ac Th Pa U Np Pu Am Cm Bk Cf Es Fm Md No Lr
actinium thorium protactinium uranium neptunium plutonium américium curium berkélium californium einsteinium fermium mendélévium nobélium lawrencium
➜ À ce stade, le fait le plus marquant est l’apparition des halogènes dans la colonne 17.
➜ Si l’iode a été découvert dans une algue brune, le varech, elle n’est pas pour autant à l’origine
des senteurs marines dites iodées.
128
CHAPITRE
Les explorateurs
6
d’éléments
Où l’on voit comment ils ont baptisé
leurs découvertes
Humphry Davy
1 Les sels de la terre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 132
2 Du minéral dans le végétal . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 136
3 Le manteau terrestre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 140
Emil Fischer
4 Les sucres de la vie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 144
5 L’alphabet du règne vivant . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 148
William Ramsay
6 Des noms éclectiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 152
7 D’étranges gaz cachés dans l’air. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 156
Glenn Seaborg
8 Quand vient le tour de la physique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 160
Chapitre 6 : Les explorateurs d’éléments
130
La prodigieuse histoire du nom des éléments
131
Chapitre 6 : Les explorateurs d’éléments
Les nitrates sont les sels de l’acide nitrique avec, selon la Méthode de
nomenclature chimique de 1787, le suffixe -ique pour les acides à teneur
maximale en oxygène, ici l’acide nitrique (HNO3), et le suffixe -ate pour
leurs sels, en l’occurrence le nitrate, dont le nom est basé sur le radical
nitr-, qui nous renvoie à la plus haute Antiquité.
z
Le sel marin et le sel « terrestre » dans l’Antiquité
Dans le livre XXXI de son Histoire
naturelle, Pline l’Ancien évoque
d’une part le sel de mer (en
latin, sal, salis), et, d’autre part,
un minéral blanc ressemblant
au sel de mer, mais bien distinct
puisque nommé autrement,
nitrum, et provenant de
l’évaporation des eaux des lacs
et des cours d’eau dans les pays
chauds (Grèce, Asie Mineure,
Moyen-Orient, Afrique). Le
latin nitrum vient du grec nitron, ➜
0DUFKDQGVSKÆQLFLHQVREVHUYDQWODIRUPDWLRQ
employé par Théophraste dans GHYHUUHIRQGXO½RÖOHVDEOHHVWHQFRQWDFWDYHF
une étude dont Pline disposait, OHVEORFVGHQDWURQ 1D&2+2 TXH3OLQH
nommait nitrum
mais qui n’est pas parvenue /HVDUWVHWPÆWLHUVLOOXVWUHV-XOHV5RXIIHW
&LHÆGLWHXUV3DULV
jusqu’à nous, et ce grec nitron est
emprunté lui-même à l’égyptien
hiéroglyphique [r.t.n]. L’Égypte en effet était dans l’Antiquité une
source importante de ce sel « terrestre » qui, on le sait maintenant,
était un mélange composé surtout de carbonates et de nitrates plus ou
moins hydratés, de sodium et de potassium. Sa composition dépendait
du lieu de la récolte.
132
Les sels de la terre
Plus loin, dans son livre XXXVI (l’avant-dernier), Pline indique que,
mélangé au sable, ce produit sert à fabriquer le verre, qui aurait été
inventé par hasard par des marins faisant du feu sur une plage de
Phénicie. On en déduit que, dans ce cas, le produit nommé nitrum par
Pline était principalement du carbonate de sodium hydraté.
z
Du borax aussi au bord des lacs salés
Le borax est un autre minéral des dépôts d’évaporation de lacs salés,
récolté depuis l’Antiquité de la Perse jusqu’à l’Inde. Son nom vient du
bas latin borax, de l’arabe bnjraq, lui-même du persan bnjrƗh, qui désignait
à la fois ce sel et le nitrum des Romains. En 1807, Davy en tirait par
électrolyse un élément nouveau qu’il nommait en anglais boron, sur
le modèle de carbon, et dans le même temps, Gay-Lussac et Thénard
obtenaient cet élément par une autre voie, et le nommaient en français
bore (en allemand Bor, en espagnol boro). On sait aujourd’hui que le
borax est le borate de sodium hydraté, Na2B4O7·10H2O.
z
Le nitre, le natron et les alcalis
Revenons au latin nitrum, qui est devenu nitre, attesté en français au
XIIIe siècle, d’abord dans le même sens qu’en latin, recouvrant donc une
grande diversité de compositions chimiques. Puis d’autres appellations
sont apparues comme natron (attesté en français vers 1650), une variante
de nitre venue par l’espagnol de l’arabe natrnjn, pour désigner plus
particulièrement le sel provenant de lacs salés africains (comme le lac
Natron de Tanzanie), et qui servait à la fabrication du verre : le mot
natron est alors devenu synonyme de carbonate de sodium.
Par opposition avec le natron, on a progressivement réservé le nom nitre
aux sels composés surtout de nitrate de potassium, jusqu’à ce que nitre
devienne carrément synonyme de nitrate de potassium. Cela explique
l’adoption du radical nitr- pour l’acide nitrique et sa famille chimique.
Pour ajouter encore à la confusion, on obtenait des produits nommés
également nitrum par Pline à partir de végétaux et de leurs cendres,
notamment des plantes côtières nommées en bas latin soda ou kali, des
noms d’origine arabe, comme on le verra dans la prochaine rubrique.
133
Chapitre 6 : Les explorateurs d’éléments
z
Le sel de pierre
Depuis toujours en effet, on a récolté sur les parois humides des grottes
et des caves des habitations une sorte d’efflorescence minérale ayant
des propriétés d’usage communes avec le nitre. Nommé en grec aphro-
nitron, c’est-à-dire « écume de nitre », ce produit s’est appelé en bas
latin salpetrae, c’est-à-dire « sel de pierre », d’où salpêtre, nom du produit
pulvérulent qui était utilisé comme engrais ou, mélangé à du soufre et
du charbon, comme explosif. Ce salpêtre est essentiellement du nitrate
de potassium, où l’azote provient de l’eau de pluie (la foudre produit des
oxydes d’azote dans la haute atmosphère) et surtout des déjections du
bétail élevé près des habitations, ou plus spécifiquement dans certaines
grottes, du guano des chauves-souris.
134
Les sels de la terre
z
Épilogue carbonaté ?
Aujourd’hui, on distingue clairement la soude (NaOH), le carbonate de
sodium (Na2CO3) et son bicarbonate (NaHCO3), la potasse (KOH) et
le nitrate de potassium (KNO3), des termes qui ont remplacé des noms
plus ou moins ambigus du passé, comme nitre, natron, carbonate de soude,
potasse nitrée, alcali, salpêtre… Mais certains mots anciens ont la vie dure,
comme soda, nom donné aujourd’hui aux boissons gazeuses aromatisées.
Ce terme vient de l’anglais soda water, pour l’eau gazeuse obtenue avec
du bicarbonate de sodium (en anglais ancien, soda bicarbonate).
➜/DF1DWURQHQ7DQ]DQLH&RPPHVRQQRPOpLQGLTXHRQ\WURXYHGXnatron
FDUERQDWHGHVRGLXP
135
Chapitre 6 : Les explorateurs d’éléments
2 Du minéral dans
le végétal
La zéolithe, la soude, la potasse,
le lithium (Li), le sodium (Na), le potassium (K)
et les métaux alcalins
z
La « pierre qui bout »
Le chimiste suédois Axel Cronstedt, découvreur du nickel en 1751 (voir
le chapitre 3, rubrique 5), présente en 1756 un mémoire qui commence
ainsi : « Parmi les substances minérales que j’ai eu l’occasion de rassembler, il
s’en trouve une, qui, examinée à l’aide du feu, montre des phénomènes qui la
distinguent de toutes les espèces connues ». Il constate en effet que « cette
pierre, exposée à la flamme de la lampe des émailleurs, se gonfle et bouillonne
[…] ». Et de conclure : « j’ai cru devoir donner à cette pierre le nom de
Zeolite [en suédois], pour la distinguer des autres ».
L’auteur n’a pas pris la peine d’expliciter l’origine de Zeolite, considérant
que ses confrères y reconnaîtraient aisément, à côté de l’élément –lite,
« pierre », le grec zeô, « je bous », du verbe zein, « bouillir ». Toutes
les langues ont adopté ce mot suédois, tel quel en anglais zeolite, un
peu adapté en allemand Zeolith, en espagnol zeolita, et en français sous
deux variantes, zéolite ou zéolithe. D’un point de vue étymologique, on
136
'XPLQÆUDOGDQVOH}YÆJÆWDO
z
La zéolithe parmi d’autres pierres
En plus des deux orthographes, les dictionnaires ont longtemps hésité
pour le genre de zéolit(h)e, et c’est le féminin qui est finalement retenu
aujourd’hui, à l’instar de la chrysolithe… mais on dit un mégalithe,… ou
encore un sphérolite en géologie ou dans les polymères. Enfin, l’élément
lith(o)- apparaît aussi en début de mot, comme dans la lithographie (ou la
litho), ou la lithosphère (sphérolite inversé !), ou encore le lithium, auquel
nous arrivons.
z
D’une pierre deux coups
Un élève de Berzelius découvre le lithium
en 1817 à partir d’un minerai trouvé
dans l’île d’Utö, au sud de l’archipel de
Stockholm : la pétalite (= pétal- + -ite,
du grec petalon, « feuille végétale »,
d’où « plaque », car cette pierre se clive
➜La pétalite /L$O 6L2)) est
facilement, par plaques). la source historique du lithium
:LNLSÆGLDOLFHQFHFFE\VD(XULFR
Ce nouveau métal s’avère être alcalin, =LPEUHV
comme le sodium et le potassium, et
Berzelius le nomme lithium, pour rappeler qu’il avait été « découvert
dans le règne minéral, alors que les deux autres l’avaient été dans le règne
végétal ». On va voir en effet que le sodium et le potassium ont été
découverts à partir de végétaux.
Pour l’étymologie de lithium, on indique parfois : du grec lithos,
« pierre ». C’est vrai, mais incomplet, et même troublant car presque
tous les métaux ont été découverts dans un minéral : c’est le cas général.
Le sodium et le potassium sont deux exceptions, et c’est seulement par
rapport à ces deux métaux exceptionnels que le lithium est lui-même
exceptionnel, « le cas général pouvant être considéré comme une exception
non exceptionnelle », disait Boris Vian.
137
Chapitre 6 : Les explorateurs d’éléments
z
De la pierre aux plantes
En 1808, le chimiste anglais Humphry Davy avait nommé sodium et
potassium les métaux qu’il avait isolés (par électrolyse) de la soude et
de la potasse.
Il a dérivé potassium de l’anglais potash, « potasse », formé de pot, « pot,
récipient », et ash, « cendre », d’où vient aussi potasse en français. Quant
à sodium, Davy l’a dérivé du bas latin soda, qui désignait à la fois des
plantes poussant sur les rivages de la Méditerranée, et la substance tirée
de leurs cendres. De là vient le mot soude, pour les plantes en botanique
et pour la substance en chimie. Ce mot soda est d’origine arabe, et on le
rapproche du bas latin sodanum, « remède contre la migraine », l’arabe
sudƗ signifiant « migraine », sans doute en référence à l’effet bénéfique
du bicarbonate présent dans ces plantes. Celles-ci se nommaient aussi
en arabe qalî, et avec l’article, al-qalî, d’où alcali, le nom donné aux sels
basiques tirés des cendres végétales, et l’adjectif alcalin. Ce terme se
relie cette fois au verbe signifiant « faire griller » en arabe.
D’autre part, le terme natron désignait un carbonate de sodium naturel
trouvé dans les dépôts des lacs salés. Comme on a pu le voir dans la
rubrique précédente, le chimiste allemand Klaproth a choisi pour
le sodium le nom Natrium (de natron) et pour le potassium Kalium,
même si les alcalis naturels comportaient en général à la fois du
sodium et du potassium.
138
'XPLQÆUDOGDQVOH}YÆJÆWDO
139
Chapitre 6 : Les explorateurs d’éléments
3 Le manteau
terrestre
Le quartz, le silex, la silice, l’alumine,
le silicium (Si) et l’aluminium (Al)
z
De l’eau gelée en glace… à la galerie des glaces
L’expression cristal de roche remonte à l’Antiquité puisque Pline l’Ancien
appelait déjà ce minéral crystallus, nom qui désignait aussi la glace (l’eau
gelée). Crystallus est lui-même un emprunt au grec krustallos, d’abord le
nom de la glace, du grec kruos, « froid » (cf. l’élément cryo- en français),
puis par métaphore le nom du cristal de roche. L’évolution sémantique
a donc été : la glace, puis le cristal de roche qui lui ressemble, puis,
1. Kluge, Friedrich et Seebold, Elmar, Etymologisches Wörterbuch der deutschen Sprache, de Gruyter,
Berlin, 1989, sous Quarz.
140
Le manteau terrestre
z
Du quartz au silicium
Dans la Nomenclature chimique de 1787, les auteurs décident de « subs-
tituer la silice au quartz, à la terre vitrifiable, en laissant le mot silex en
possession de représenter l’espèce déjà très composée dont on fait les pierres à
fusil ». Ce texte crée donc le mot silice à partir de silex, silicis, le nom latin
du silex. On savait en effet que le quartz était la forme la plus pure et la
mieux cristallisée de l’oxyde d’un nouvel élément, cet oxyde composant
l’essentiel du silex.
Ce nouvel élément n’a été obtenu par Berzelius qu’en 1824, et il faut
attendre les années 1830 pour que la formule chimique correcte, SiO2,
soit établie pour la silice, d’après laquelle le chimiste anglais Davy avait
proposé en 1808 le nom silicium, avec la désinence -ium d’un métal. Ce
nom a été adopté dans la plupart des langues, mais pas en anglais où,
à l’instigation d’un autre chimiste anglais, Th. Thomson, le silicium
n’étant pas un métal mais un métalloïde, on a préféré le nom silicon, sur
le modèle de carbon, et de boron. Mais par la suite, ont été découverts des
composés organiques comportant de l’oxygène et du silicium, nommés
d’abord Silikon en allemand, d’où silicone en français et en anglais, où il
faut éviter une confusion avec silicon, « silicium ».
141
Chapitre 6 : Les explorateurs d’éléments
z
L’aluminium, compagnon étymologique du silicium
La silice et l’alumine sont les
deux constituants principaux de
la croûte terrestre, souvent sous
forme d’aluminosilicates, d’où
le nom de sial (Si + Al) parfois
donné à cette partie de la Terre.
Il se trouve que les étymologies
de silicium et aluminium ont des
analogies :
– silicium remonte au nom du ➜7UDQFKHGHsilicium sur laquelle sont gravées
silex, aluminium remonte au des puces comportant chacune des millions
GHWUDQVLVWRUV
nom d’un autre minéral exploité
depuis l’Antiquité, l’alun,
en latin alumen, aluminis, dont le constituant principal est le sulfate
d’aluminium ;
– c’est dans la Nomenclature de 1787 qu’apparaît le terme silice, et qu’est
mentionné aussi le nom de l’alumine, identifiée, comme l’était la silice,
à l’oxyde d’un nouvel élément ;
– enfin en 1808, Davy propose à la fois les noms silicium et alumium,
puis très vite aluminium, adopté dans quasiment toutes les langues,
même en anglais, s’agissant cette fois sans conteste d’un métal, plus
souvent toutefois sous la variante aluminum aux États-Unis.
Autre point commun entre ces deux éléments, leur importance
technologique : l’aluminium dans la construction des avions, le silicium
dans le photovoltaïque et surtout dans les semi-conducteurs du monde
de l’informatique, comme en témoigne le nom de la Silicon Valley.
142
Le manteau terrestre
z
Épilogue latiniste
L’expression in silico est apparue vers 1990 dans des publications en
anglais, pour qualifier un résultat de biologie obtenu par modélisation
numérique, c’est-à-dire « dans le silicium », et non pas in vivo, « dans
le vivant », ou in vitro, « dans le verre (des éprouvettes ou boîtes de
Petri) ». In vivo et in vitro, c’est bien du latin, vivo et vitro étant des formes
(l’ablatif) de vivum et vitrum, mais in silico est un néologisme, plutôt
surprenant pour un francophone, qui dériverait plus logiquement in
silicio de silicium considéré comme du latin. Un anglophone au contraire,
pour qui le silicium se dit silicon, pourrait penser à un latin silico, -onis
(comme l’anglais carbon est formé sur le latin carbo, -onis), mais alors
l’expression latine serait in silicone, qu’il ne faudrait pas prendre pour
« dans le silicone » !
En définitive, il faut supposer un latin scientifique silicum, « silicium » :
l’expression in silico se construit alors logiquement, comme in vitro sur
le latin vitrum, « verre » (où l’on trouve déjà, ironie de la chimie,
beaucoup de silicium !).
➜Les études dites in silico sont réalisées sur ordinateur, dont les composants actifs sont à EDVH
de VLOLFLXP
143
Chapitre 6 : Les explorateurs d’éléments
➜'LIIÆUHQWHVIRUPHVGXULERVH'ULERVH/ULERVHHWXQHIRUPHF\FOLTXH
z
De xylose à lyxose, une métathèse
Le xylose est identifié depuis les années 1850. C’est un sucre tiré de
polysaccharides du bois, d’où son nom, du grec xulon, « bois ». En 1896,
Fischer a montré que l’acide xylonique (Xylonsäure) pouvait s’isomériser
et donner ainsi un nouvel acide organique, les positions d’un OH et
d’un H étant échangées sur le même carbone :
2. Deux molécules sont dites isomères quand elles sont composées des mêmes atomes agencés
différemment. La transformation de l’une en l'autre est dite isomérisation.
144
/HVVXFUHVGH}OD}YLH
z
D’arabinose à ribose
L’arabinose est un sucre tiré de la gomme arabique, que sécrètent
plusieurs espèces d’acacias africains, une résine exploitée pour divers
usages depuis l’Égypte ancienne. L’oxydation de l’arabinose donne
l’acide arabinique, que Fischer avait isomérisé dès 1891, obtenant ainsi
un nouvel acide qu’il nommait en allemand Ribonsäure, en expliquant de
manière un peu sibylline : « ce mot est créé à partir des lettres de Arabinose,
qui s’y retrouvent camouflées ». De là il créait en allemand le nom Ribose
(repris dans toutes les langues, ribose, ribosa…) et RIB(OSE) comporte
donc des lettres de ARABIN(OSE), mais un peu camouflées. Comme
on vient de le voir, Fischer adoptera plus tard une démarche plus
transparente pour lyxose, dérivé de xylose.
145
Chapitre 6 : Les explorateurs d’éléments
➜*RPPHDUDELTXH
z
La deuxième vie du ribose
Dans le contexte des polysaccharides,
le ribose est un sucre bien moins
connu que le glucose ou le fructose…
Mais en biologie moléculaire, le même
ribose (précisément le D -ribose)
occupe une place de tout premier
plan car c’est le sucre qui entre dans
la composition des acides nucléiques :
le ribose et le désoxyribose forment ➜([HPSOHGHQXFOÆRWLGH}OpDGÆQRVLQH
monophosphate est un nucléotide de
en effet, avec l’acide phosphorique Op$51IRUPƽSDUWLUGXULERVHGH
et 5 bases azotées, les nucléotides de l’acide phosphorique et de OpDGÆQLQH
l’ADN (Acide DésoxyriboNucléique)
et de l’ARN (Acide RiboNucléique).
La structure des nucléotides a été découverte par le biologiste américain
Phoebus Levene, qui a dirigé à partir de 1907 la Division de Chimie du
Rockefeller Institute for Medical Research, créé à New York en 1901.
Les articles de Levene de 1909 ont fait passer le ribose du statut d’un
sucre quelconque, à celui de l’une des briques élémentaires les plus
essentielles du règne vivant.
146
/HVVXFUHVGH}OD}YLH
z
Épilogue et fausse étymologie
Est-ce parce que Fischer n’a pas justifié clairement le mot ribose ? Ou parce
que le rôle biologique du ribose est apparu tellement extraordinaire ?
Que dans plusieurs ouvrages récents de biologie moléculaire, on peut
lire : ribose provient des initiales du Rockefeller Institute of Biochemistry
(« RIB ose ») ? En fait, cette affirmation relève de la légende car, dans
sa publication de 1909, Levene ne revendique absolument pas pour
son institut la paternité du mot ribose, qu’il emploie en se référant au
contraire, et très logiquement, à la publication de Fischer de 1891.
Donc dans ARN, le R est bien celui de aRabique et non pas celui de
Rockefeller ! On peut tout de même se demander comment une telle
légende a pu naître et se perpétuer ainsi jusqu’à ce jour.
➜Acacia niloticaSRXUYR\HXUGHODJRPPHDUDELTXH
147
Chapitre 6 : Les explorateurs d’éléments
5 L’alphabet du
règne vivant
L’urée, la purine, l’adénine, la guanine,
la pyrimidine, la cytosine, la thymine et l’uracile
z
De l’acide urique à la purine
En 1884, le chimiste allemand Emil Fischer montre que la molécule
d’acide urique a de profondes analogies avec deux des quatre bases
constitutives de l’ADN : l’adénine,
du grec adên, adenos, « glande », car
cette molécule a été extraite d’une
glande, le pancréas, et la guanine, de
guano, du quechua huano, car cette
148
L’alphabet du règne vivant
On voit que toutes ces structures dérivent d’un même molécule de base,
nommée purine (Purin en allemand), mot que Fischer explique comme
une « combinaison des mots purum et uricum »3. On sait que Fischer fera
preuve d’innovation linguistique en nommant plus tard le ribose et le
xylose (voir la rubrique précédente). Ici, il étonne déjà
car purine pourrait très bien être dérivé du latin purum,
« pur », mais il insiste sur le rôle de uricum, ce qui assure
le lien avec l’acide urique, d’où une sorte de mot-valise :
purine = p(urum) + ur(icum) + ine.
Le comble c’est que dans une
ferme d’élevage bovin, on
recueille par filtration le purin,
dont le nom vient de l’ancien
français purer, « filtrer », du
latin purus, « pur », ce purin,
concentré en urée, étant un
engrais, comme le guano. Un
rapprochement cocasse en
français entre purine et purin. ➜¦SDQGDJHGpHQJUDLVQDWXUHO
3. Fischer, Emil, Untersuchungen in der Puringruppe (1882-1906), Springer, Berlin, 1907, 600 p.,
p. 14.
149
Chapitre 6 : Les explorateurs d’éléments
z
Les 4 « lettres » de l’ADN
Pour revenir à la biologie, on note que deux des quatre bases de l’ADN,
l’adénine et la guanine, sont dites puriques. Les deux autres, la cytosine
(de cyto-, « cellule », du grec kutos, « cavité ») et la thymine (découverte
dans le thymus de veau), dites pyrimidiques, sont construites sur une
autre molécule de base la pyrimidine.
z
De la thymine à l’uracile
Trois des quatre bases de l’ARN sont identiques à celles de l’ADN : les
deux bases puriques et la cytosine. En revanche la thymine de l’ADN est
remplacée dans l’ARN par l’uracile, où l’on retrouve le radical ur(ée).
C’est en effet à partir d’urée et d’acétoacétate d’éthyle que le chimiste
allemand Behrend a obtenu en 1886 un isomère de la thymine, qu’il
a nommé méthyluracile, où -uracile = ur(ée) + ac(éto acétate) + suffixe
–ile. On a ensuite isolé l’uracile, qui a la structure de la thymine ou du
méthyluracile, mais sans le groupe méthyle (CH3).
150
L’alphabet du règne vivant
z
Épilogue polymère
Les polyuréthanes sont largement utilisés sous forme de mousse, de
fibre, de matière plastique ou de résine dans les colles et peintures. Le
mot uréthane apparaît en 1833 dans une publication du chimiste français
Jean-Baptiste Dumas, qui écrit à propos de cette substance : « Elle peut
enfin se représenter encore par de l’éther carbonique et de l’urée unis atome
à atome ». Il s’agissait en effet d’une molécule comportant le radical
interne -NHCOO-, associant la structure de l’urée, H-NHCO-NH2,
et celle d’un éther, R-O-R’. Le mot uréthane s’analyse donc en trois
parties : ur(ée) + éth(er) + suffixe -ane.
Du monde du vivant, on repasse au monde du « synthétique », par le
jeu des molécules… et du langage.
➜6LOHVEDVHVSXULTXHHWS\ULPLGLTXHIRQWOpDOSKDEHWGXYLYDQWOp$'1HVWXQURPDQGXYLYDQWGRQW
OHVJÅQHVVRQWGHVSDUDJUDSKHV
151
Chapitre 6 : Les explorateurs d’éléments
6 Des noms
éclectiques
La valine, l’acide valérique et l’acide pivalique
z
Valin, un nom qui rétablit l’orthodoxie
En 1906, Fischer étudie l’Į-aminoacide isovalérique et le nomme en
allemand Valin, en même temps que le radical correspondant Valyl,
d’où en français valine pour l’acide aminé et valyle pour le radical
correspondant, à cinq carbones. Il dérivait visiblement ces noms de celui
de l’acide isovalérique, (CH3)2-CH2-CH2-COOH, un acide organique à
cinq carbones. Cette décision n’allait pas de soi à l’époque, car depuis
le milieu du XIXe siècle on nommait à tort valyle le radical à quatre
carbones seulement, (CH3)2-CH2-CH2-, résultant d’une décomposition
de l’acide isovalérique, mais qu’il aurait fallu reconnaître comme un
butyle. Et Fischer a donc coupé court à cet usage fautif du mot valyle,
en considérant que cela ne devait pas entraîner de confusion avec des
noms commerciaux existants (de feu la société pharmaceutique Hoechst
en particulier). Depuis lors, le radical valyle désigne bien un pentyle, à
cinq carbones.
Mais tout cela ne dit pas d’où vient le nom de l’acide (iso)valérique, qui
a une origine botanique.
152
Des noms éclectiques
153
Chapitre 6 : Les explorateurs d’éléments
z
Du dauphin à la valériane
Dès 1817 en effet, Chevreul avait tiré de l’huile de dauphin un acide qu’il
a nommé delphinique, puis phocénique, du grec phôkaina, « marsouin », par
le latin naturaliste phocoena. Cet acide était identique à l’acide isovalérique
trouvé en 1833 par Trommsdorf mais, malgré la chronologie, c’est le
nom d’origine végétale qui l’a emporté dans
l’usage, y compris pour les isomères synthétisés
par la suite : l’acide valérique normal, CH3-CH2-
CH2-CH2-COOH, ainsi que son isomère
méthyléthylacétique, CH3-CH2-CH(CH3)-
COOH. Ces acides ont été synthétisés en 1869
par Emil Erlenmeyer, plus connu pour avoir
été le père (et l’éponyme) de la célèbre fiole,
➜Erlenmeyer, en allemand l’erlenmeyer, qu’il a présenté dans un congrès de
Erlenmeyerkolben. pharmacie de 1857.
z
Épilogue pictural
Enfin, c’est en 1873 que Charles Friedel4 synthétise à partir de la
pinacolone, C(CH3)3-COCH3, le quatrième et dernier isomère de
l’acide valérique, le triméthylacétique, C(CH3)3-COOH, qu’il nomme
pivalique en combinant les éléments pi- de pinacolone et val- de valérique.
Mais d’où vient ce nom pinacolone ? Du nom du pin, comme pinène
par exemple ? Pas du tout, et loin s’en faut. La pinacolone fait partie
d’une famille chimique dont le premier représentant a été nommé en
allemand Pinakon, à partir du grec pinax, pinakos, « planche, tablette
en bois pour écrire ou pour peindre », parce que les cristaux que
donne cette substance ont la forme de petites tablettes carrées bien
individualisées. Il fallait un peu d’imagination pour aller chercher ce
mot grec, que l’on ne voit guère en français que dans pinacothèque, nom
donné parfois à un musée de peinture. Il est vrai que le mot Pinakothek
est plus populaire en allemand grâce aux grandes pinacothèques de
Munich ou de Berlin.
4. Friedel, Charles et Silva, R.-D., Sur un nouvel isomère de l’acide valérianique, Comptes rendus
de l’Académie des Sciences, Paris, t. 77, 1873, p. 48.
154
Des noms éclectiques
155
Chapitre 6 : Les explorateurs d’éléments
7 D’étranges gaz
cachés dans l’air
L’hélium (He), le néon (Ne), l’argon (Ar),
le krypton (Kr), le xénon (Xe) et le radon (Rn)
Les 6 gaz nobles, aussi appelés gaz rares, forment la dernière colonne de
la classification périodique. Ils ont des propriétés chimiques similaires,
mais aussi des noms qui se ressemblent, tels que xénon, argon, krypton
et néon. C’est en effet le même chimiste anglais, William Ramsay, qui
a découvert et nommé ces 4 éléments. Ayant travaillé aussi sur l’hélium
et le radon, il a reçu le prix Nobel de chimie en 1904 pour l’ensemble
de ses travaux sur les gaz nobles.
z
L’hélium, d’abord un extraterrestre
Lors de l’éclipse solaire de 1868, les astrophysiciens détectent dans
le spectre de la couronne solaire une intense raie jaune, d’abord prise
pour celle du sodium, puis finalement attribuée à un élément nouveau,
donc inconnu alors sur Terre.
Logiquement, cet élément est
nommé hélium, du grec hêlios,
« Soleil ». Et c’est seulement en
1882 que l’hélium est détecté
dans une roche volcanique, puis
en 1895 que Ramsey parvient
à l’isoler à partir d’un minerai
d’uranium : le cas unique d’un
élément découvert dans l’espace
avant de l’être sur Terre. ➜La couronne solaire, dans laquelle fut détecté
pour la première fois OpKÆOLXP
Si les alchimistes associaient le
Soleil à l’or, un métal noble, les
chimistes l’ont associé à un gaz noble, l’hélium, établissant ainsi une
correspondance de plus entre un astre et un élément chimique.
156
D’étranges gaz cachés dans l’air
z
L’argon, l’archétype du gaz inerte
En fait, lors de sa découverte de l’hélium, Ramsay cherchait à retrouver
dans le minerai d’uranium le gaz qu’il avait isolé l’année précédente (1894).
Comme ce gaz apparaissait inerte, incapable de s’associer à d’autres atomes,
il l’avait nommé argon, à partir de l’adjectif grec argos, « inactif », lui-même
formé du a- privatif et de ergon, « action, travail » (d’où énergie…).
z
Le krypton, bien caché dans l’argon
C’est toujours Ramsay qui, aidé de collaborateurs dont Morris Travers,
va découvrir en 1898 trois autres gaz nobles par distillation de l’argon
(donc impur). Il débusque d’abord le krypton de sa cachette dans l’argon,
et le nomme à partir du grec kruptos, « caché, secret » (cf. la crypte
d’une église ou le cryptage d’un document). Ensuite, il met en évidence
en même temps un gaz plus léger qu’il nomme néon, du grec neos,
« nouveau », et un plus lourd qu’il nomme xénon, du grec xenos, d’abord
« étranger », d’où « étrange ».
z
Le xénon, étrange avec sa couleur bleue inattendue
En effet ce qui a retenu l’attention
des chercheurs, c’est la couleur
bleue du spectre d’émission de
ce nouveau gaz, et ils ont donc
cherché des noms évoquant le
bleu. Par exemple, ce nom aurait
pu être *cyanon, du grec kuanous,
« bleu », mais comme ce radical
était déjà utilisé pour le mot
cyanure, Ramsay ne l’acceptait
➜Éclairage au [ÆQRQGpXQEOHXLQDWWHQGX pas. Finalement, celui-ci eut l’idée
de nommer cet élément xenon, à
partir du grec xenos, en anglais stranger, c’est-à-dire « inconnu, étrange ».
Cela rendait compte du caractère inattendu de la couleur bleue émise par
le xénon, et d’autre part la racine xenos n’avait jamais été utilisée en chimie5.
5. Travers, Morris, The Discovery of Rare Gases, E. Arnold &Co, Londres, 1928, 128 p., p. 106.
157
Chapitre 6 : Les explorateurs d’éléments
z
Le néon, le petit nouveau
Colonne 18
Le nom le plus étonnant de la série est certainement néon,
18
qui signifie simplement « nouveau », ce qui est véritablement 2
sous la forme grecque neon, comme pour les autres gaz nobles 86
Rn
déjà nommés. radon
z
La 18e colonne est sortie de l’ombre
Toutes ces nouveaux éléments posaient un problème : ils ne trouvaient
de place dans aucune case libre du tableau périodique alors en vigueur,
ne comportant encore que 17 colonnes. L’existence d’une 18e colonne
n’avait pas été prévue par Mendeleïev, ni par personne d’autre. Ce sont
bien Ramsay et Rayleigh qui l’ont proposée pour accueillir l’hélium
et l’argon, puis très rapidement le néon, le krypton et le xénon. Dans
un premier temps Mendeleïev n’a pas accepté l’idée, pour finalement
reconnaître dans une lettre de 1902 que la 18e colonne se justifiait,
et constituait même « une confirmation glorieuse du caractère général de
l’application de la loi périodique ».7
z
Le radon, gaz noble et radioactif
Le plus lourd des gaz nobles est aussi le seul à être radioactif. En 1908,
Ramsay et le chimiste anglais Gray ont proposé pour cet élément le nom
niton, du latin nitens, « brillant », à cause de la luminescence qu’il peut
engendrer. Mais d’autres noms proposés par différentes équipes ont été
en concurrence et c’est le nom radon, proposé par le chimiste allemand
6. Travers, Morris, The Discovery of Rare Gases, E. Arnold &Co, Londres, 1928, 128 p., p. 96.
7. Scerri, Eric, Le tableau périodique, Son histoire et sa signification, EDP Sciences, Paris, 2011, p. 144.
158
D’étranges gaz cachés dans l’air
z
Un épilogue en queue de poisson
En définitive, un mot d’enfant
est à l’origine de néon, qui est
certainement le nom de gaz noble
le plus familier, puisque tout
éclairage tubulaire, qu’il contienne
du néon ou d’autres gaz, s’appelle
couramment tube au néon. Et pour
les aquariophiles, le néon est aussi
➜Le néon estun petit poisson d’eau douce
Gp$PÆULTXHGX6XG
un petit poisson portant des lignes
:LNLSÆGLDFFE\+.ULVS de couleurs vives.
➜/DYUDLHFRXOHXUGpXQWXEHOXPLQHVFHQWUHPSOLGHgaz QÆRQ
:LNLSÆGLDOLFHQFHFFE\VD3VODZLQVNL
159
Chapitre 6 : Les explorateurs d’éléments
L’uranium et ses voisins, neptunium (le 93) et plutonium (le 94), ainsi
que le thorium (90), sont apparus avec leurs noms mythologiques au
chapitre 3. L’actinium et les autres actinides font l’objet des pages qui
suivent.
z
Dans le sillage de Pierre et Marie Curie
Leurs recherches sur les éléments radioactifs ont valu le prix Nobel
1903 de physique à Pierre et Marie Curie, conjointement avec Henri
Becquerel, découvreur de la radioactivité elle-même. Puis le prix
Nobel 1911 de chimie sera attribué à Marie Curie pour la découverte
du polonium et du radium dans la pechblende, un minerai d’uranium.
Et c’est dans la suite de ces travaux que le chimiste français Debierne
a isolé un nouvel élément radioactif qu’il a nommé en 1900 actinium
(Ac), du grec aktis, aktinos, « rayon, rayonnement » : le même sens
étymologique pour actinium, du grec, que pour radium, du latin radius,
« rayon, rayonnement ».
Plus tard, des chercheurs allemands et anglais découvriront, par
désintégration de l’uranium, l’élément 91, que l’on nommera en 1920
protactinium (Pa), du grec prôtos, « premier », car sa propre désintégration
produit l’actinium.
160
Quand vient le tour de la physique
z
Les États-Unis prenant le relais de l’Europe
Tous les actinides transuraniens ont été découverts entre 1940 et 1960,
principalement à l’université de Berkeley, en Californie, où le physicien
américain Glenn Seaborg a joué un rôle de tout premier plan. Son
nom est attaché au plutonium, à l’américium, au curium, au berkélium
et au californium, et le prix Nobel 1951 de chimie lui a été attribué,
conjointement avec Edwin McMillan, découvreur du neptunium, à
Berkeley également.
La prééminence de cette université californienne et plus largement
des États-Unis dans cette période s’est traduite dans plusieurs noms
d’éléments :
– pour l’élément 95, américium dérivé de America, un clin d’œil de
Seaborg qui nommait ainsi l’élément situé juste en dessous de l’europium
(l’élément 63) dans le tableau périodique, comme pour acter la fin d’une
époque européenne ;
– pour l’élément 98, californium d’après le nom de la Californie, et
pour l’élément 97, berkélium à la gloire de Berkeley.
z
Des noms honorant de grands hommes disparus
Donner à un élément le nom d’un savant, cela ne s’est pratiquement
jamais fait avant les années 1940. Le seul cas est celui du gadolinium,
nommé par Lecoq de Boisbaudran, en référence au nom du chimiste
finlandais Gadolin. Du moins si l’on croit de Boisbaudran, qui dit avoir
nommé le gallium à partir de Gallia, « Gaule », et non pas à partir de
son nom Lecoq, gallus en latin (voir le chapitre 4, rubrique 2).
Mais dans le domaine des transuraniens, les découvreurs ont largement
fait appel aux noms des collègues récemment disparus, tous lauréats du
161
Chapitre 6 : Les explorateurs d’éléments
z
Le temps des polémiques
À partir des années 1960 les Américains ont rencontré une concurrence
de plus en plus vive de la part du centre de recherche nucléaire de
Doubna, décidé par l’URSS en 1946 et inauguré en 1956 à 125 km
au nord de Moscou. D’autre part, de plus en plus de résultats ont été
obtenus aussi à Darmstadt en Allemagne. Les éléments 104 à 109,
découverts des années 1960 à 1980, souvent en plusieurs lieux à peu de
temps d’intervalle, ont tous donné lieu à polémique entre les équipes
rivales, au début dans un contexte de guerre froide. Il a fallu attendre
l’arbitrage de l’IUPAC (International Union of Pure and Applied
Chemistry) donné en 1997 pour avoir les noms des nouveaux éléments
reconnus dans le monde entier :
– rutherfordium pour l’élément 104, en l’honneur d’Ernst Rutherford ;
– dubnium pour le 105, d’après Doubna, au nord de Moscou ;
– seaborgium pour le 106, honorant Glenn Seaborg, de son vivant, ce
162
Quand vient le tour de la physique
z
Le temps des collaborations
En 2011/2012, l’IUPAC valide flerovium pour le 114, découvert à
Doubna, d’après le nom du physicien russe Gueorgui Florov, et liver-
morium pour le 116, en référence au laboratoire de Livermore, en
Californie, qui a coopéré avec Doubna dans la découverte de cet élément.
Enfin, en 2015/2016, l’IUPAC a validé les 4 derniers éléments connus :
– l’élément 113, le nihonium, de Nihon, un ancien nom du Japon, où
cet élément a été identifié, au RINKEN, près de Tokyo. C’est le seul
élément « asiatique » du tableau ;
– l’élément 115, le moscovium, découvert à Doubna par une équipe
américano-russe ;
– l’élément 117, le tennesse (en anglais tennessine), du nom du Tennessee
où se situe le Oak Ridge Laboratory qui a collaboré avec Doubna ;
163
Chapitre 6 : Les explorateurs d’éléments
z
Épilogue géométrique
Nous voici arrivés à un point remarquable de l’ouvrage : la totalité
des 118 éléments chimiques connus à ce jour, dont 90 seulement sont
naturels, ont été abordés. Leurs noms ont été expliqués, ce qui renseigne
souvent sur les circonstances de leur découverte.
Curieusement, l’élément 118 se situe en bas de la colonne 18 des gaz
nobles, ce qui complète le tableau, dont la base est donc à ce jour
parfaitement rectangulaire !
1 18
1 2
H He
hydrogène 2 13 14 15 16 17 hélium
3 4 numéro atomique 5 6 7 8 9 10
Li Be symbole B C N O F Ne
lithium béryllium nom bore carbone Azote oxygène fluor néon
11 12 13 14 15 16 17 18
Na Mg Al Si P S Cl Ar
sodium magnésium 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 aluminium silicium phosphore soufre chlore argon
19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30 31 32 33 34 35 36
K Ca Sc Ti V Cr Mn Fe Co Ni Cu Zn Ga Ge As Se Br Kr
potassium calcium scandium titane vanadium chrome manganèse fer cobalt nickel cuivre zinc gallium germanium arsenic sélénium brome krypton
37 38 39 40 41 42 43 44 45 46 47 48 49 50 51 52 53 54
Rb Sr Y Zr Nb Mo Tc Ru Rh Pd Ag Cd In Sn Sb Te I Xe
rubidium strontium yttrium zirconium niobium molybdène technétium ruthénium rhodium palladium argent cadmium indium étain antimoine tellure iode xénon
55 56 72 73 74 75 76 77 78 79 80 81 82 83 84 85 86
Cs Ba lanthanoïdes Hf Ta W Re Os Ir Pt Au Hg Tl Pb Bi Po At Rn
césium baryum hafnium tantale tungstène rhénium osmium iridium platine or mercure thallium plomb bismuth polonium astate radon
87 88 104 105 106 107 108 109 110 111 112 113 114 115 116 117 118
Fr Ra actinoïdes Rf Db Sg Bh Hs Mt Ds Rg Cn Nh Fl Mc Lv Ts Og
francium radium rutherfordium dubnium seaborgium bohrium hassium meitnérium darmstadtium rœntgenium copernicium nihonium flerovium moscovium livermorium tennessine oganesson
57 58 59 60 61 62 63 64 65 66 67 68 69 70 71
La Ce Pr Nd Pm Sm Eu Gd Tb Dy Ho Er Tm Yb Lu
lanthane cérium praséodyme néodyme prométhéum samarium europium gadolinium terbium dysprosium holmium erbium thulium ytterbium lutécium
89 90 91 92 93 94 95 96 97 98 99 100 101 102 103
Ac Th Pa U Np Pu Am Cm Bk Cf Es Fm Md No Lr
actinium thorium protactinium uranium neptunium plutonium américium curium berkélium californium einsteinium fermium mendélévium nobélium lawrencium
➜*HUEHGpDWRPHVHWSDUWLFXOHVGDQVOH*UDQGFROOLVLRQQHXU
GH+DGURQ /DUJH+DGURQ&ROOLGHU VLWXÆSUÅVGH*HQÅYH
164
CHAPITRE
Dans l’intimité
7
des plantes
Où la botanique est source d’inspiration
166
La prodigieuse histoire du nom des éléments
2GHXUVHWFRQLIÅUHV}OHVWHUSÅQHV
Les terpènes et polyterpènes
VRQW SUÆVHQWV GDQV EHDXFRXS
de plantes (par exemple les
conifères), et sont souvent
UHVSRQVDEOHV GH OHXUV RGHXUV
Ces molécules sont exploitées
dans la parfumerie et constituent
les principes actifs des huiles
essentielles (la menthe, le pin
V\OYHVWUHf ➜+XLOHVHVVHQWLHOOHV
167
&KDSLWUH'DQVOpLQWLPLWÆGHVSODQWHV
1 Le blé au four et
au moulin
L’amidon et l’amylase
z
Faut-il une meule pour produire de l’amidon ?
Pour les Anciens, non : ils obtenaient l’amidon à partir du blé, dont les
grains entiers étaient mis à macérer dans l’eau, puis pressés et séchés au
soleil. Dans ce procédé le blé n’était donc pas moulu, ce qui explique le
nom du produit en grec ancien, amulon, formé avec le préfixe privatif
a- et l’élément -mulon, dérivé de mulê, « meule » : l’amidon était par
définition le produit obtenu « sans meule », par opposition à la farine.
Ce nom grec amulon devient en latin classique amylum, puis en latin
médiéval amidum, où le d remplaçant le l masque un peu le nom de la
meule (comme dans moudre, venant de l’ancien français moldre, lui-même
du latin molere). En outre, l’origine étymologique du mot a dû se perdre
de vue progressivement, d’autant plus que le procédé de fabrication
de l’amidon évoluait, le blé étant écrasé, broyé ou même moulu avant
la macération. Finalement, l’amidon de blé est produit aujourd’hui à
partir de farine, ce qui est en complète contradiction avec l’étymologie
du nom amidon. Une telle situation se rencontre avec beaucoup d’autres
mots dont le sens s’est éloigné du sens initial : par exemple, un album est
à l’origine un livre blanc (albus en latin), mais il reste ensuite un album,
même s’il n’est pas blanc.
C’est en tout cas du bas latin amidum que dérive le nom de l’amidon,
en français comme dans les autres langues romanes : italien amido,
espagnol almidón, où se voit l’influence de l’article arabe al…
168
/HEOÆDXIRXUHWDX}PRXOLQ
z
Un produit qui épaissit et qui rigidifie
Les noms de l’amidon en anglais (starch) et en allemand (Stärke) n’ont
manifestement pas l’origine gréco-latine trouvée dans les langues
romanes. Ils sont d’une origine germanique plus récente et ils se
rattachent à la même racine indo-européenne que l’adjectif stark,
signifiant « raide, rigide » en anglais, et « fort, solide, résistant » en
allemand. Cette fois, les noms sont motivés, non pas par le procédé
d’obtention, mais par les propriétés d’usage de l’amidon : un épaississant
ou, en dehors des usages alimentaires, un rigidifiant pour les textiles qui
sont amidonnés, ou empesés.
z
Un oiseau empesé ?
Étonnamment, les noms de la cigogne en anglais (stork) et en allemand
(Storch) se relient aussi à la même origine que l’adjectif stark, car cet
oiseau, particulièrement gracieux en vol, se caractérise au sol par
une sorte de raideur dans la démarche, comme si ses pattes étaient
amidonnées. À l’instar de l’amidon, la cigogne porte des noms très
différents dans les langues germaniques et dans les langues romanes :
cigogne, italien cigogna, espagnol cigüeña, issus du latin ciconia (qui se
prononçait kikonia), sans doute une onomatopée.
169
&KDSLWUH'DQVOpLQWLPLWÆGHVSODQWHV
z
Un langage commun pour la chimie
Si le nom de l’amidon varie beaucoup d’une langue à l’autre, celui de
l’amylase, l’enzyme de digestion de l’amidon, est très stable : amylase en
anglais, Amylase en allemand, amilasi en italien, amilasa en espagnol.
Même dans les langues non européennes, le nom de cette enzyme est
phonétiquement voisin (en japonais, アミラーゼ se prononce à peu près
comme amylase).
Ce mot amylase est basé sur le latin amylum et le suffixe -ase servant à
former les noms des enzymes.
z
Épilogue espérantiste
Heureusement en effet, pour désigner les noms des composés
chimiques relatifs à l’amidon, la terminologie internationale revient au
latin classique amylum en utilisant l’élément amyl(o)-, ou amil(o)-, ou
l’équivalent phonétique avec d’autres alphabets.
On voit bien le rôle que jouent toujours le latin et le grec dans la
communication scientifique et technique entre pays de langues
différentes. À ce propos, en espéranto, l’amidon se dit amelo.
170
/HEOÆDXIRXUHWDX}PRXOLQ
➜L’amidon, mélange de polymères (un enchaînement type de sa structure est représenté ici),
HVWREWHQX½SDUWLUGXEOÆ
,PDJH})RWROLDFRPDLUERUQH
➜0HXOHHWIRXU½SDLQ
171
&KDSLWUH'DQVOpLQWLPLWÆGHVSODQWHV
2 Le meilleur et
le pire d’une
graine
La ricinoléine, la ricine
et l’acide crotonique
z
Du ricin… au castor
En anglais en effet, le ricin (la plante) se nomme castor plant, sa graine
castor bean, et son huile castor oil. S’agit-il vraiment ici du rongeur
nommé castor en français (du latin castor, du grec kastôr), alors que
son nom usuel en anglais est beaver (du germanique) ? En fait oui,
à la suite de confusions sans doute, car il existe chez le castor une
glande abdominale qui sécrète une substance huileuse, connue depuis
l’Antiquité sous le nom latin castoreum, du grec kastorion. L’emploi de
l’huile de ricin et du castoréum dans les mêmes usages médicinaux, ou
172
/HPHLOOHXUHWOH}SLUHGpXQHJUDLQH
comme lubrifiant, est sans doute à l’origine de l’anglais castor oil, « huile
de ricin », transposition du français « huile de castor ».
➜/HULFLQHVWDSSHOÆ}FDVWRUSODQW}HQDQJODLV
Mais attention aux faux amis ! En anglais, castor plant désigne le ricin,
tandis que le mot ricin, plus récent, désigne la ricine… une protéine
hautement toxique, contenue aussi, en petite quantité, dans la graine
de ricin. Un faux ami mortel en l’occurrence.
z
Du ricin… à la tique
La deuxième surprise, moins
sympathique peut-être, vient du
nom latin ricinus, qui désignait au
premier sens… la tique, ce vilain
acarien que redoutaient déjà
les Anciens, notamment pour ➜/DJUDLQHGHULFLQHWODWLTXHGXFKLHQEUXQH
leurs moutons ou leurs chiens. XQÆWUDQJHDLUGHIDPLOOH}
7LTXH}:LNLSÆGLD&&%<%5
Pourquoi cette métaphore ? $QGUÆ.DUZDWKDND
173
&KDSLWUH'DQVOpLQWLPLWÆGHVSODQWHV
Parce que la graine de ricin rappelle un peu une tique, par sa forme d’une
part, et même par sa couleur marbrée semblable à celle de certaines
espèces de tiques du chien. Une tique mâle est plus petite que la graine,
mais une tique femelle gonflée de sang est presque aussi grosse.
Le grand naturaliste suédois Linné a pérennisé en tout cas le double
sens du latin ricinus en classant le ricin dans le genre Ricinus tout en
donnant le nom d’espèce ricinus à la tique du mouton (Ixodes ricinus).
z
Du ricin… au croton
Le passage en latin de la tique
à la graine de ricin était en fait
inspiré du grec car Théophraste
(IIIe siècle avant J.-C.) donnait
déjà au ricin le nom krotôn, qui
au premier sens désignait… la
tique. L’évolution de sens du
latin ricinus est donc un calque
de celle du grec krotôn.
Mais l’histoire ne s’arrête pas
là car on a découvert, dans la
même famille que le ricin (les
euphorbiacées), des plantes ➜L’acide crotonique est extrait d’une espèce
dont les graines oléagineuses de croton (Croton tiglium
)UDQ](XJHQ.ÓKOHU.ÓKOHUpV0HGL]LQDO3IODQ]HQt
ressemblent à celles du ricin, &UHDWLYHFRPPRQDWWULEXWLRQ
d’où les noms ricinus, ou
ricinoides, ou croton qu’on leur
donnait. Et Linné a clarifié ces appellations dans son Species plantorum
(1753), où le ricin est nommé Ricinus communis (resté à ce jour seul dans
son genre) et où apparaît le genre Croton (pour déjà treize espèces, alors
qu’on en connaît aujourd’hui environ… 1 200).
174
/HPHLOOHXUHWOH}SLUHGpXQHJUDLQH
3285/(6&+,0,67(6}'8&52721$/$&52721,6$7,21
(QFKLPLHRUJDQLTXHOpREWHQWLRQGpXQDOGÆK\GHLQVDWXUÆSDUGÆVK\GUDWDWLRQHQα d’un
aldol se nomme une crotonisation, en référence au crotonaldéhyde, qui est insaturé, et
TXLVpREWLHQW½SDUWLUGHGHX[PROÆFXOHVGpDFÆWDOGÆK\GHVHORQXQVFKÆPDUÆDFWLRQQHO
GRQWODGHUQLÅUHÆWDSHHVWMXVWHPHQWODGÆVK\GUDWDWLRQGpXQDOGRO
➜6\QWKÅVHGXFURWRQDOGÆK\GH
2 2 aldolisation 2+ 2 crotonisation H 2
5 H -H2
5 H H H 5 H
5
DOGÆK\GHV 5 5
saturés aldol aldéhyde
insaturé
➜5ÆDFWLRQGHFURWRQLVDWLRQGDQVOHFDVJÆQÆUDO
z
Épilogue à tiroirs
En définitive, l’huile de croton est tirée d’une plante, le croton, dont la
graine, comme celle du ricin (castor plant en anglais), ressemble à une
tique, que les Grecs nommaient krotôn. Une étymologie qui réunit
des observations de chimie, de botanique et de zoologie, faites depuis
l’Antiquité.
175
&KDSLWUH'DQVOpLQWLPLWÆGHVSODQWHV
3 L’arbre du
réconfort
La quinine et la cinchonine
z
Une écorce miraculeuse
Les Espagnols installés dans la région du Pérou à partir des années
1540 ont sans doute remarqué que les Incas vivant dans les Andes
buvaient des infusions d’écorce d’un certain arbre, le quinquina, pour
lutter contre les états fiévreux1. Ils en ont déduit qu’un remède fébrifuge
pouvait être tiré de cette écorce, un peu comme de celle du saule, déjà
bien connue en Europe, et qui donnerait plus tard l’idée de l’aspirine.
Les Espagnols ont même pensé pouvoir tirer du quinquina un remède
contre le paludisme, ce fléau de l’Ancien Monde que les Européens,
inévitablement, apportaient en Amérique.
Ce sont en fait les jésuites, en particulier ceux qui étaient basés à Lima,
qui ont mené à bien les observations botaniques, les récoltes d’écorce et
les essais de traitements des malades. Le succès rencontré en Amérique
s’est poursuivi en Europe à partir des années 1630, jusqu’à ce que
l’écorce de quinquina devienne la source d’un important médicament
antipaludique, qui fut appelé parfois la poudre des jésuites.
L’histoire fut parfois enjolivée, comme par ce médecin de Gênes qui
publiait en 1663 un récit selon lequel la 4e comtesse de Chinchón, épouse
1. Rocco, Fiammetta, L’écorce miraculeuse, Le remède qui changea le monde, Noir sur Blanc, Paris,
2006 (traduit de The miraculous Fever-Tree, Harper-Collins, 2003), 322 p., p. 72.
176
L’arbre du réconfort
➜/DFRPWHVVHGH&KLQFKÐQUHFHYDQWGXYLFHURLOpLQIXVLRQGHTXLQTXLQDGHYDQWOp,QFDTXLHQ
UDSSRUWDLWOpÆFRUFH/HUDPHDXGXQuinquina jaune (Cinchona calisaya) pousse dans les Andes
HQWUH}HW}}PGpDOWLWXGH
7DEOHDX}:HOOFRPH/LEUDU\/RQGUHV}TXLQTXLQDMDXQH})UDQ](XJHQ.ÓKOHU.ÓKOHUpV0HGL]LQDO3IODQ]HQ
&UHDWLYH&RPPRQV$WWULEXWLRQ
z
D’où vient le nom quinquina ?
On lit dans plusieurs dictionnaires que quinquina, en français, est un
nom emprunté par l’intermédiaire de l’espagnol au quechua, la langue
amérindienne du Pérou, comme c’est le cas d’autres noms de végétaux
(hévéa ou quinoa…) ou d’animaux (condor, puma, lama, guanaco ou vigogne…).
177
&KDSLWUH'DQVOpLQWLPLWÆGHVSODQWHV
Cependant, son origine est moins simple que cela, et elle reste encore
incertaine. Tout d’abord, en espagnol, le nom du quinquina est quina,
et quina désignait déjà au Moyen Âge une plante asiatique, ou le remède
qu’on en tirait. Il est donc possible que les Espagnols aient réutilisé ce
nom quina, qui serait devenu dans la langue quechua quina-quina (d’où
quinquina), par un redoublement de type superlatif, pour la précieuse
écorce. Enfin, on a remarqué également que le nom de genre Cinchona se
prononce en latin kin’kona, ce qui s’entend à peu près comme kinkina…
En résumé, il est peut-être moins précis, mais plus exact, de retenir que
quinquina est d’origine d’hispano-quechua, résultant de la collaboration
entre les Espagnols et les Amérindiens. On a d’ailleurs longtemps utilisé
en français le nom quina tout court, à côté de quinquina. Ainsi Jean de
La Fontaine, Maître des eaux et forêts à ses heures, dédiait Le poème
du Quinquina (1682) à la duchesse du Bouillon (cela ne s’invente pas),
et lui recommandait avec enthousiasme : « Le Quina s’offre à vous, usez
de ses trésors. »
z
La chimie du quinquina
À l’orée du XIXe siècle, les chimistes
français Pelletier et Caventou ont
recherché les principes actifs dans
l’écorce de plusieurs espèces de
quinquinas. Après avoir isolé une
première substance active, qu’ils
ont nommée cinchonine (dérivé de
Cinchona), ils en découvraient une
seconde, plus active, à propos de
laquelle ils écrivaient en 1820 :
« Nous avons cru devoir la nommer
quinine, pour la distinguer de la
cinchonine par un nom qui indique
également son origine », quinine
étant dérivé de quina. Cette ➜6WUXFWXUHGHODquinine
découverte leur valut le titre de (en espagnol quinina, en anglais quinine, en
« bienfaiteurs de l’humanité ». allemand Chinin SUÆVHQWHGDQVOD}FÆOÅEUH
ERLVVRQCanada Dry Tonic Water.
178
L’arbre du réconfort
z
Épilogue tonique
La quinine a effectivement permis de faire régresser le paludisme
dans le monde et elle reste utilisée dans certains cas, même si d’autres
molécules le sont plus largement aujourd’hui.
En outre, on trouve toujours une petite dose de quinine dans des boissons
dites « toniques », comme le Canada Dry Tonic Water, le cocktail gin tonic
ou d’autres boissons réputées pour être requinquantes. Le quinquina est
requinquant ? Oui, mais pas étymologiquement, car requinquer pourrait
être une altération d’un ancien *reclinquer (mot non attesté par écrit)
dérivé de clinquer, qui aurait signifié « se donner du clinquant ».
179
&KDSLWUH'DQVOpLQWLPLWÆGHVSODQWHV
4 Et revoici Jupiter,
avec des noix !
La juglone et la lawsone
z
Ô noix du noyer, fruits divins d’un arbre royal !
Le latin nux, nucis, désignait la
noix, ou par analogie d’autres
fruits à coque, et pour éviter les
confusions, on employait des
qualificatifs : abellana nux pour
la noisette, pinea nux pour le
pignon de pin, ou encore juglans
nux pour la noix commune, qui
était le plus prisé de ces fruits. ➜'HV}EURXV}FRQWLHQQHQWGHV}QRL[juglans nux,
VRLWXQIUXLWGLYLQHPHQWERQ}
Or juglans vient de l’expression
latine Jovis glans, de glans,
glandis, « gland », ici « fruit sec », et Jovis, « de Jupiter », car ce fruit
était considéré comme digne du dieu suprême, un fruit divinement bon.
En latin, la noix se nommait donc nux, ou juglans nux, ou finalement
juglans tout court, qui désignait aussi chez Pline l’Ancien le noyer
180
/HPHLOOHXUHWOH}SLUHGpXQHJUDLQH
z
D’autres termes en chimie provenant du nom de
la noix ?
Oui, et d’abord le mot noyau (atomique ou benzénique), qui vient de nux
par le bas latin nucalis, car la noix avec sa coquille est bien le noyau du
fruit cueilli sur l’arbre. Et il y a en outre des mots issus du latin nucleus
(lui-même dérivé de nux), qui désignait d’abord le cerneau de noix, puis
par extension un noyau. De nucleus viennent l’adjectif nucléaire et des
mots relatifs soit au noyau atomique (nucléide, nucléon…), soit au noyau
cellulaire (acide nucléique, dont l’ARN et l’ADN, où le N est bien celui
de noix).
Et en grec ? Le nom de la noix en grec était karuon, qui par extension
signifiait aussi « noyau », d’où en français l’élément caryo-, « noyau »,
qui apparaît dans le vocabulaire de la biologie relatif au noyau cellulaire :
les procaryotes, les eucaryotes et leur caryotype (où l’on retrouve l’ADN !).
Mais revenons au noyer.
z
Un arbre aux multiples usages
Depuis toujours, le noyer est apprécié pour son bois, ses noix, son
huile de noix, et même ses feuilles aux vertus médicinales. En outre,
la macération de l’écorce (le brou) de la noix aboutit au brou de noix,
auquel la juglone donne une belle coloration brune. Pline rapporte que
ce produit servait à teindre la laine, ainsi que les cheveux, ce dernier
usage étant similaire à celui du henné, tiré des feuilles du buisson du
même nom, et dont le principe actif, la lawsone, est d’ailleurs très voisin
de la juglone.
181
&KDSLWUH'DQVOpLQWLPLWÆGHVSODQWHV
2. Perego, François, Dictionnaire des matériaux du peintre, Belin, Paris, 2005, 895 p., p. 140.
182
/HPHLOOHXUHWOH}SLUHGpXQHJUDLQH
z
Épilogue paradoxal
La juglone a donc un rapport chimique, et discrètement étymologique,
avec la noix, dont le nom est bien plus évident dans brou de noix, même
lorsque ce produit est tiré du lignite. Une contradiction que l’on a aussi
avec le nougat, du provençal nougo, « noix », car c’était jadis un mélange
de miel et de noix, toujours nommé ainsi bien que les noix aient été
remplacées par des amandes depuis environ quatre cents ans en France.
➜3HLQWXUHDX}EURXGHQRL[}
:LNLSÆGLDOLFHQFH&&%<6$6700+%
183
&KDSLWUH'DQVOpLQWLPLWÆGHVSODQWHV
5 Bois d’œuvre et
bois de chauffe
La lignine, le lignite, la cellulose et le xylose
Nous allons voir qu’un mot peut changer de sens en voyageant, et que
d’autre part les noms du bois sont très variés en Europe…
➜/HVQRPVGHVERLVSHXYHQWHPSUXQWHUGLYHUVFKHPLQV
184
Bois d’œuvre et bois de chauffe
z
Le bois, un matériau composite avant la lettre
C’est le chercheur français Payen qui met en évidence en 1838-1839
les deux composantes principales du bois : d’une part ce qu’il nomme
la cellulose, et d’autre part une matière enrobant cette cellulose, et qu’il
qualifie de « matière spéciale, qui serait le ligneux proprement dit ». On
remarque qu’il n’emploie pas le nom lignine, ni dans son sens initial de
1813, ni dans son sens actuel.
Bien plus tard, en 1856, le chercheur allemand Schulze s’inspire du
français lignine, encore peu usité, pour créer en allemand le nom Lignin,
désignant cette fois non pas le bois mais l’une de ses composantes : cette
matière enrobant la cellulose, appelée depuis lors en français lignine.
Le nom français lignine a donc pris sa signification actuelle après un
aller et retour par l’allemand. D’autre part, il s’est généralisé : lignin en
anglais, lignina en italien et en espagnol… ou par exemple リグニン en
japonais, ce qui se prononce à peu près comme lignine.
➜La
lignine est un SRO\PÅUHWULGLPHQVLRQQHOTXLVpDSSDUHQWH½XQHUÆVLQHSKÆQROLTXH
Un tissu végétal est ligneux lorsque la proportion de OLJQLQHGÆSDVV½}
185
&KDSLWUH'DQVOpLQWLPLWÆGHVSODQWHV
z
La lignine, la ligne… et le lin
Y aurait-il un rapport étymologique entre lignine, ligneux et ligne ? À
cause des lignes qui semblent dessinées sur la tranche du bois coupé,
comme si ligneux voulait dire « plein de lignes » ?
En fait ligne vient du latin linea, qui est simplement le féminin de
l’adjectif lineus, « en lin », dérivé de linum, « lin » : autrement dit,
étymologiquement, une ligne est un fil de lin, de même d’ailleurs
qu’un linge est un tissu de lin. Plus inattendu peut-être, dans l’industrie
chimique, on parle de liner (nom emprunté à l’anglais) pour désigner le
revêtement intérieur d’un tuyau ou d’un réacteur, mais au premier sens,
liner désigne en anglais la doublure, à l’origine en lin, d’un vêtement.
Cependant, le lin ne ressemble pas à du bois, et, de fait, lignum, « bois »,
ne vient pas du tout de linum, « lin ».
z
Deux noms pour le bois en latin
La véritable origine de lignum remonte au verbe latin legere, dont le
premier sens était « ramasser, cueillir », à cause du bois mort que l’on
ramasse pour alimenter le foyer. Étymologiquement, lignum désigne
donc le bois à brûler, par opposition à un autre nom latin, materia, qui
désigne la matière ou le matériau en général, et plus particulièrement
le bois en tant que matériau de construction. On retrouve d’ailleurs
ces deux noms en espagnol : leña, « bois à brûler », et madera, « bois
d’œuvre ». En revanche, en italien, legno s’emploie pour désigner, sans
distinction, le bois en général.
z
Encore d’autres noms du bois
Dans d’autres langues, le nom du bois n’est pas lié au fait qu’on le ramasse,
ni à ses qualités de matériau, mais simplement au fait qu’il vient des arbres
et que les arbres forment des forêts, grandes ou petites. Ainsi en français
bois, issu du francique *bosk, « buisson », désigne à la fois le bois en tant
que groupement d’arbres et le bois en tant que matériau. Il en est de
même en anglais avec wood, ainsi qu’en ancien allemand avec Holz, dont
le sens s’est finalement restreint en allemand moderne au bois matériau,
alors que Wald s’est imposé pour désigner les forêts et les bois.
186
Bois d’œuvre et bois de chauffe
z
Épilogue multilingue
On constate une diversité spectaculaire des noms du bois, ne serait-ce
qu’à l’intérieur des langues d’Europe (hulê, xulon, legno, madera, bois,
wood, Holz), alors que le nom lignine, avec ses faibles variations d’une
langue à l’autre, est compris mondialement, comme de l’espéranto, où
d’ailleurs le bois se dit ligno.
➜¦JOLVHHQERLVDXPLOLHXGHVERLVQRUYÆJLHQV
187
&KDSLWUH'DQVOpLQWLPLWÆGHVSODQWHV
6 L’arbre inventeur
du polystyrène
Le styrène et le benzène
z
Un produit « vedette de cinéma »
Étonnamment, le styrène est entré dans l’histoire du cinéma, avec
Le Chant du styrène, court-métrage d’Alain Resnais sorti en 1958, avec
le concours technique de feu la société Pechiney. Le commentaire
de ce petit film (visible aujourd’hui sur YouTube) est un poème écrit
par le surréaliste Raymond Queneau, plus connu pour avoir publié
Zazie dans le métro l’année suivante. Le Chant du styrène est donc aussi
un improbable chant poétique en alexandrins, où l’on trouve cette
évocation du styrène et de son origine pétrochimique :
« Le styrène est produit en grande quantité
À partir de l’éthylbenzène surchauffé. »
Queneau, qui aimait jouer avec l’étymologie, ajoutait peu après :
« Le styrène autrefois s’extrayait du benjoin
Provenant du styrax, arbuste indonésien. »
Ces vers suggèrent que styrène vient de styrax, ce qui est une certitude
en effet, mais nécessite quelque explication. Le même nom grec sturax,
puis styrax en latin, d’où styrax, parfois storax, en français, s’applique à
deux résines aromatiques voisines, dont l’une est tirée liquide de l’écorce
188
L’arbre inventeur du polystyrène
d’un grand arbre, alors que l’autre est une gomme solide sécrétée par
un arbuste4. Ce double sens de styrax ne pouvait que prêter à confusion.
z
Du benjoin au benzène
Considérons d’abord le styrax
solide, qui était brûlé comme
de l’encens dans l’Antiquité, et
qui était récolté principalement
sur un arbuste (Styrax officinalis
➜Benzène (à gauche) et VW\UÅQH ½GURLWH
depuis Linné), appelé lui-même
styrax. D’autres arbustes du
même genre, les styrax au sens
large, produisent aussi une
gomme solide, comme le benjoin,
récolté sur le styrax benjoin (nom
latinisé en Styrax benzoin), dont
le nom remonte, par le catalan,
à l’arabe lubƗn-gƗwi, « encens de
Java ». Ce « benjoin » est donc
bien « indonésien », mais plutôt
qu’au styrène, son nom renvoie
visiblement au benzène : cette
résine contient en effet un acide,
➜/HEHQMRLQ Styrax benzoin HVWXQ}DUEXVWH isolé depuis la fin du XVIe siècle
LQGRQÆVLHQ}HWFpHVWGHVDUÆVLQHVROLGHTXpD et baptisé en 1787 benzoïque (du
été tiré l’acide EHQ]RÌTXHGRQWOHPRWbenzène
latin botanique benzoin). De là
vient l’élément benzo-, et benzène, où il est amusant de constater que le
/z/ est un avatar du /J/ de Java.
z
Du styrax liquide au styrène
Mais alors quid de styrène ? En fait, cette molécule n’a pas été trouvée
dans un styrax solide, mais au contraire dans un styrax liquide. Cette
résine, utilisée depuis toujours en pharmacie, provient de l’écorce
4. Amiguès, Suzanne, Le styrax et ses usages antiques, Journal des savants, n° 2, 2007, pp. 261-318.
189
&KDSLWUH'DQVOpLQWLPLWÆGHVSODQWHV
190
L’arbre inventeur du polystyrène
z
Épilogue poétique
Pour conclure par un « à la manière de », l’étymologie de styrène tient
en deux alexandrins :
Le styrène venait du styrax, au départ,
Résine tirée du tronc des liquidambars.
Une étymologie rassurante pour certains, puisqu’elle confirme que
le styrène est bien une « invention » de la nature avant d’être une
production humaine.
191
&KDSLWUH'DQVOpLQWLPLWÆGHVSODQWHV
7 Les arômes
des plantes
La népétalactone, la térébenthine,
le pinène, l’isoprène et autres terpènes…,
et l’acide téréphtalique
192
/HVDUÑPHVGHV}SODQWHV
z
Un nom d’origine allemande…
Le nom terpène est en effet l’adaptation en français (attestée en 1866)
de l’allemand Terpen, dérivé de l’allemand Terpentin, « térébenthine »,
et proposé en 1863 par le chimiste allemand Kekulé pour désigner les
monoterpènes en C10H16 tirés de l’essence de térébenthine5. Les noms
Terpen, terpène, terpene en anglais, terpeno en espagnol… ont pris ensuite
le sens actuel, qui est plus large, au-delà des stricts monoterpènes.
Le nom térébenthine fait penser
immédiatement aux conifères,
car c’est ainsi que l’on nomme
historiquement la résine des
pins, épicéas et autres résineux.
La térébenthine se sépare en un
résidu solide, la colophane et
une huile essentielle, l’essence
de térébenthine, de composition
variable selon les espèces
➜L’essence de WÆUÆEHQWKLQHLVVXHGHVFRQLIÅUHV végétales, mais comportant
contient un monoterpène appelé α-pinène
:LNLPHGLDt.HNND&UHDWLYHFRPPRQDWWULEXWLRQ toujours du pinène, en proportion
&&%< particulièrement importante
dans la résine de pin (d’où pinène,
du latin pinus, « pin »).
5. Kekulé, August, Lehrbuch der Organischen Chemie, Ferdinand Enke, Erlangen, 1863, t. 2, p. 464.
193
&KDSLWUH'DQVOpLQWLPLWÆGHVSODQWHV
z
… qui remonte au grec
La térébenthine est connue depuis l’Antiquité. On l’extrayait certes
des conifères, mais aussi d’une autre source très importante, un arbuste
méditerranéen que le philosophe et naturaliste grec Théophraste
nommait terminthos, devenu en grec tardif terebinthos, peut-être sous
l’influence du grec erebinthos, « pois chiche ». Cet arbuste est un
pistachier, nommé en latin terebinthus, puis en français pistachier téré-
binthe : il produit de petites pistaches, qui peut-être ont été confondues
avec des pois chiches, et surtout une résine abondante, nommée tere-
binthinê en grec, puis, par le latin, térébenthine en français, Terpentin en
allemand, turpentine en anglais…, pour désigner la résine de cet arbuste
et plus généralement de tous les résineux, dont les conifères.
z
Les dérivés de la térébenthine… et de son nom
Depuis toujours, on a distillé la térébenthine pour obtenir divers
dérivés plus ou moins volatils, nommés par exemple térébène,
térébenthène, acide térébique… dans les publications françaises des
environs de 1840. Puis en 1846, le chimiste français Cailliot, en
oxydant l’essence de térébenthine par l’acide nitrique, obtenait trois
nouveaux acides organiques qu’il qualifiait de téréphtalique, térében-
zique et téréchrysique, ce qui revenait à considérer l’élément téré-
comme un préfixe. Kekulé, tout en créant le nom collectif Terpen,
désignait des terpènes particuliers sous des noms comme Tereben,
Terebenten…, à la suite des publications françaises.
Cependant, alors que le nom Terpen a été adopté dans toutes les langues,
la plupart des noms dérivés de téré(bent)- ont été abandonnés : ils ont été
remplacés par des noms plus spécifiques, comme pinène, limonène, etc.
Il y a tout de même une exception notable avec le nom de l’acide téré-
phtalique, acide qui a pris une importance industrielle considérable pour
la synthèse des polyesters les plus utilisés dans les fibres textiles et les
matières thermoplastiques.
194
/HVDUÑPHVGHV}SODQWHV
z
Épilogue historique
On emploie donc couramment en chimie deux noms qui renvoient à
la térébenthine : acide téréphtalique et terpène. Avec du recul, on peut se
dire que le nom térébène aurait été plus naturel que terpène en français,
mais ce nom terpène a le mérite de rappeler les travaux de Kekulé publiés
en allemand.
➜'XSLVWDFKLHUWÆUÆELQWKHf½ODERXWHLOOHHQ3(7HQSDVVDQWSDUl’acide WÆUÆSKWDOLTXH
3LVWDFLDWHUHELQWKXV:LNLPHGLDtJUHIIHUQHW&UHDWLYHFRPPRQDWWULEXWLRQ&&%<6$
➜/HVFRQLIÅUHVVRQWULFKHVHQWHUSÅQHV
195
&KDSLWUH'DQVOpLQWLPLWÆGHVSODQWHV
➜%URFÆOLDQGHHVWXQHIRUÇWP\WKLTXHTXLDSSDUDËWGDQVOHVOÆJHQGHVGXURL$UWKXU
2QSHXW\WURXYHU0HUOLQOpHQFKDQWHXUOHVIÆHV0RUJDQHHW9LYLDQHDLQVLTXHFHUWDLQV
FKHYDOLHUGHODWDEOHURQGH
3KRWR}&57%%HUWKLHU(PPDQXHO
196
CHAPITRE
Histoires animalières
8
Où se rencontrent la zoologie et la chimie
HISTOIRES ANIMALIÈRES
➜/H5RPDQGH5HQDUW HQOXPLQXUHGHPDQXVFULW
198
La prodigieuse histoire du nom des éléments
Ainsi, outre l’huile de dauphin, Chevreul a étudié aussi l’huile tirée du blanc
de baleine, extrait de la tête des cachalots et autres cétacés, qu’il a nommée
en 1816 cétine, du latin cetus, ceti}EDOHLQHFDFKDORWFÆWDFÆ}'HODFÆWLQH
a été tiré l’alcane en C16, le cétane. C’est ainsi que le nom de la baleine est
sous-jacent dans l’indice de cétane, équivalent pour le carburant diésel de
l’indice d’octane pour l’essence.
Attention à ne pas confondre le cétane avec une cétone, nom dérivé (par
DSKÆUÅVH GHacétone, lui-même venant de l’acide acétique, du latin acetum
}YLQDLJUH}YUDLPHQWVDQVUDSSRUWDYHFXQHEDOHLQH
CH2OH CH2OH
Lactose O OH Glucose O
Lactase OH
CH2OH OH
CH2OH
OH OH OH
O O OH O
OH OH OH OH
OH
Galactose
OH OH
199
Chapitre 8 : Histoires animalières
1 Un malin,
ce renard
La fuchsine
L’histoire de la fuchsine
commence avec les
travaux du chimiste
lyonnais Verguin, qui
dépose en 1858 un
premier brevet pour
la fabrication d’une
m a t i è r e c o l o r a n t e ➜Fleurs de fuchsia et molécule de fuchsine.
Licence CC-BY-SA-2.5, André Karwath aka.
violette par oxydation
au bichromate d’un mélange d’aniline et d’autres composés aminés
(comportant l’atome d’azote, N).
Mais Verguin vend rapidement son brevet aux frères Renard, teinturiers
à Lyon, qui modifient le procédé avec le chlorure d’étain comme
oxydant et déposent le brevet du 8 avril 1859 pour la « Préparation et
emploi de la Fuchsine, nouvelle matière colorante rouge ». Le nom fuch-
sine apparaît donc pour la première fois dans ce brevet, où les auteurs
précisent : « Nous désignons cette matière sous le nom de Fuchsine à cause de
sa ressemblance à la couleur de la fleur du Fuchsia ».
On ne peut pas être plus clair. Il est même rare que l’on dispose d’une
preuve aussi explicite de l’origine d’un nom, et malgré cela, un certain
nombre d’ouvrages présentent l’étymologie de fuchsine comme incertaine.
z
Une double origine ?
On lit dans la dernière édition du Dictionnaire de l’Académie française
que fuchsine vient probablement de fuchsia, et dans le Trésor de la Langue
Française que fuchsine vient soit de fuchsia, soit de Fuchs, le nom des frères
Renard en allemand. Pourtant, à la lecture du brevet de 1859, dont tous
200
8QPDOLQFH}UHQDUG
les mots ont sûrement été pesés, il apparaît bien que fuchsine dérive de
manière certaine de fuchsia. Cependant, il est non moins certain que
les frères Renard n’ont pas pu envisager, puis décider, d’adopter ce
nom commercial de fuchsine sans penser à un moment ou à un autre au
rapprochement que l’on ne manquerait pas de faire avec leur propre
nom en allemand, d’autant plus que la chimie allemande occupait déjà
à cette époque une place de premier plan.
En conclusion, le nom fuchsine découle explicitement de fuchsia, mais
il rappelle aussi, implicitement, le nom des détenteurs du brevet. On
peut même se demander si les frères Renard n’ont pas cherché, par le
choix de fuchsine, même motivé par la couleur, une manière de marquer
en même temps leur propriété sur une innovation issue des travaux
de Verguin.
z
Renard, y es-tu ?
Le nom de cet animal est sous-jacent dans fuchsia, nom créé en 1703
en l’honneur de l’illustre botaniste allemand Leonhart Fuchs, dont le
nom rappelle quelque lointain ancêtre, comparé pour une raison ou
une autre à un renard. On s’explique de la même façon l’existence des
noms de familles Fox (« renard » en anglais) et Vos (« renard » en
néerlandais), ou Devos, qui signifie « le renard ». En revanche, et cela
semble paradoxal, le plus probable est que le nom des frères Renard ne
provienne pas du nom de l’animal.
En effet, l’équivalent de Fuchs, Fox ou Devos
dans les noms français est plutôt Goupil, ou
Legoupil, où l’on reconnaît goupil (du latin
vulpiculus, diminutif de vulpes, « renard »), le
nom du renard en ancien français, qui prévalait
dans la période où se formaient les premiers
noms de familles. C’est seulement à la suite
➜Le goupil du Roman de Renart.
de l’immense succès populaire du Roman de Licence CC-BY-SA-2.5, Frithjof
Renart au XIIe siècle que le nom renart, puis Spangenberg.
201
Chapitre 8 : Histoires animalières
qui existait avant le XIIe siècle, et plus rarement le nom de l’animal, pour
des noms de famille de formation plus récente. Autrement dit, c’est le
nom que portaient les frères Renard qui aurait été donné à l’animal
plutôt que l’inverse !
z
Un nom prometteur
L’étymologie consistant à remonter
le plus loin possible dans l’histoire
des mots, on peut s’interroger
maintenant sur l’origine du nom
Renard lui-même : il fait partie de
tous ces noms français d’origine
germanique (souvent franque)
qui ont été des noms de baptême
fréquents à partir du IXe siècle. Ces
noms sont en général formés sur
deux racines germaniques : ainsi
Renard, en latin médiéval Ragi-
nardus, est formé sur les racines
ragin, « conseil, avis », et hard,
« dur, fort » (cf. les noms en -ard,
évoquant la force, d’un ours pour
Bernard (ours se dit Bär, Baren en
allemand), d’un sanglier pour Evrard
(sanglier se dit Eber en allemand),
d’un lion pour Léonard…). Renard
évoque donc « fort en conseil »,
c’est-à-dire « futé, astucieux », et il
n’est pas étonnant que les auteurs
du Roman de Renart aient nommé
ainsi leur héros, le goupil. C’est par
la démarche inverse que, beaucoup
plus tard, on donnera à Volpone le ➜Volpone, créé en 1606 par Ben Jonson,
nom du vieux renard en italien et à HW=RUURFUÆÆHQSDU-RKQVWRQ
McCulley, avec le renard dans leurs noms,
Zorro le nom du renard en espagnol. sont les successeurs lointains du héros
du Roman de Renart.
202
8QPDOLQFH}UHQDUG
z
Épilogue ingénieux
En conclusion, le nom de la fuchsine est lié avec certitude à la couleur
du fuchsia, et il rappelle sans doute aussi le nom de ses inventeurs,
Renard, qui, si l’on va jusqu’au bout de l’étymologie, évoque en outre
toute l’astuce et l’ingéniosité qu’il a fallu déployer pour mettre au point
et développer ce produit, toujours utilisé aujourd’hui, surtout comme
réactif en biologie.
203
Chapitre 8 : Histoires animalières
2 Le beurre et l’acide
du beurre
L’acide butyrique, le butane,
les acides caproïque, caprylique, caprique,
et le caprolactame
Le nom du butane est connu de tous, même de ceux qui ne font pas
de camping ! Mais connaît-on son origine ? L’un des mérites de
l’étymologie est de révéler parfois des liens inattendus entre des mots
employés dans des contextes très différents : en l’occurrence, on ne
s’attend peut-être pas à trouver ici le nom d’un animal familier caché
sous le terme de butane.
L’histoire commence au début du XIXe siècle avec les travaux sur les
corps gras du chimiste Chevreul1, né en 1786 et mort à l’âge respectable
de 102 ans.
1. Chevreul, Michel-Eugène, Recherches chimiques sur les corps gras d’origine animale, Levrault, Paris,
1823, 485 p., p. 215.
204
Le beurre et l’acide du beurre
z
Un nom prédestiné
Le nom de famille Chevreul fut sans doute à l’origine un sobriquet
désignant un homme agile comme un chevreuil, du latin capreolus,
« chevreuil », dérivé de capra, « chèvre ».
Or, dans son étude des années 1810 sur la composition des corps gras,
Chevreul nomme respectivement acide caproïque et acide caprique deux
des constituants du beurre, à cause de leur odeur de chèvre caractéristique.
Plus tard, on s’apercevra que l’acide nommé « caprique » était en fait un
mélange de deux acides, auxquels on a conservé le nom d’acide caprique
pour l’un, et qu’on a nommé acide caprylique pour l’autre.
En définitive, nous connaissons aujourd’hui grâce à Chevreul les
acides caproïque (à 6 carbones), caprylique (à 8 carbones) et caprique (à
10 carbones), et l’on voit ainsi quatre noms dont le rapport avec la
chèvre est transparent.
C’est ainsi que le nom de la chèvre transparaît dans celui du capro-
lactame, à 6 carbones, basé sur l’acide caproïque, qui est la matière
première du polyamide 6, aussi nommé nylon 6.
Mais tout cela ne nous dit rien sur le nom du butane ni sur l’animal qui
s’y cache.
z
Une recherche sur le beurre
Les travaux de Chevreul lui ont permis H H H H H H H O
d’isoler également l’acide gras à H C C C C H H C C C C
H H H H H H H O H
4 carbones, qu’il a nommé acide buty-
➜Le butane et l’acide butyrique.
rique (il écrivait alors <butirique>),
dérivé du latin butyrum, « beurre »,
à cause de son odeur caractéristique du beurre rance. Par la suite,
l’élément but(y)- a été repris pour former les noms des molécules à
4 carbones, dont, avec le suffixe -ane des alcanes, celui du butane.
Du latin butyrum viennent le nom du beurre en anglais, butter, en
allemand, Butter (de l’anglais), et en français, beurre, avec la disparition
du t de butyrum (que les linguistes nomment « chute de la consonne
intervocalique », un phénomène habituel en français). De ce fait, le lien
205
Chapitre 8 : Histoires animalières
z
Du fromage au beurre
C’est l’étymologie du latin butyrum, « beurre », qui donne la solution,
car ce nom est emprunté au grec bouturon, formé des éléments bou- et
-turon, où -turon dérive du grec turos, « fromage », et bou- dérive du grec
bous, « bovin, bœuf ou vache », ici « vache » bien sûr. Le grec bouturon
signifie donc étymologiquement « fromage de vache », et l’on découvre
que c’est finalement la vache qui se cache sous le nom butane.
z
Épilogue pour du beurre
Étymologiquement, parler du beurre de vache relèverait en quelque sorte
du pur pléonasme, alors que parler du beurre de chèvre, étudié aussi par
Chevreul, serait incongru ! Mais naturellement, c’est l’usage qui prime
sur l’étymologie.
206
Le beurre et l’acide du beurre
207
Chapitre 8 : Histoires animalières
3 Un nom qui
convient au poil
La kératine et le kérosène
Molécule
Les cheveux se composent à 95 %
de kératine d’une protéine fibreuse nommée
Protofibrilles
kératine.
Ce nom kératine est un terme
Microfibrilles
scientifique, mais il est bien connu
Macrofibrilles
et même familier du grand public
car un bon nombre de marques de
shampooings et autres produits de
Cortex cosmétique affichent sur les emballages
Moelle le mot Kératine, ou Keratin, ou un nom
Cuticule dérivé comme Phytokératine®, Keraliss®,
➜Lecheveu a une structure
Kérastase®…
microfibrillaire basée sur des
molécules de kératine, des protéines
Tous ces produits sont destinés aux
contenant 18 acides aminés. soins du cheveu, dont le nom vient du
&RXSHGHFKHYHX}&HQWUH&ODXGHUHU
latin capillus, « cheveu, chevelure »,
d’où aussi l’adjectif capillaire. Mais on voit bien que kératine ne dérive
pas de capillus, ni d’ailleurs du grec thrix, trikhos, « poil, cheveu », ni
non plus du grec komê, « chevelure », auquel on pouvait penser (de komê
vient komêtês, comète, dont la queue dans le ciel est comparée à une
chevelure). On s’aperçoit finalement que le nom kératine ne renvoie pas
au cheveu, mais… à la corne.
z
Les cheveux n’ont pas l’exclusivité de la kératine
C’est en 1827 qu’apparaît le nom Keratin dans une publication du
biochimiste allemand Hünefeld, qui présente ce nom comme synonyme
de Hornsubstanz (« substance de la corne ») et qui a donc visiblement formé
Keratin sur le grec keras, keratos, « corne ». En effet, Hünefeld expose que la
208
Un nom qui convient au poil
kératine est le composant constitutif des « cornes, sabots, griffes, ongles, plumes,
écailles et plaques (de carapace) » de certains animaux, et qu’on la trouve chez
les humains dans les ongles, les cheveux et aussi l’épiderme.
Le nom de la kératine est donc né en allemand, Keratin, lui-même
emprunté par les autres langues, dont l’anglais keratin (attesté en 1850)
et le français kératine, cité dans le supplément de 1892 du dictionnaire
Wurtz, qui employait encore en 1876 épidermose, le premier nom donné
en français à la kératine. À ce propos, la kératinisation de la peau peut
aboutir à une kératose. En revanche, kératite désigne une inflammation
de la cornée de l’œil, du grec keratoeidês, « cornée », c’est-à-dire
« (membrane) semblable à de la corne », tout comme le mot cornée
lui-même dérive du latin cornu, « corne ».
z
Intermède inspiré par l’indo-européen
On a pu remarquer plus haut que la corne en allemand se dit Horn,
avec l’initiale [h] là où c’est un [k] en grec (keras) et en latin (cornu,
d’où le français corne). C’est l’occasion de mentionner que cette même
correspondance se constate dans toute une série de mots issus de racines
indo-européennes commençant par la consonne notée *kw-, évoluant
209
Chapitre 8 : Histoires animalières
vers [k] en grec et en latin, et vers [h] dans les langues germaniques. Par
exemple, les noms du chien (grec kuôn, latin canis et allemand Hund), et
aussi quelques noms en rapport avec celui de la corne : le cerf, animal
cornu par excellence (même s’il porte… des bois !), et le cerveau, situé
dans le crâne, d’où sortent les cornes des animaux :
grec latin français allemand
keras cornu corne Horn
keraos}FRUQX} cervus cerf Hirsch
kara}WÇWH} cerebrum cerveau Hirn
On voit que le k initial grec est conservé dans kératine, un mot forgé au
XIXe siècle, alors qu’une évolution « naturelle » à partir du grec keratinos,
« relatif à la corne », aurait pu, théoriquement, conduire à cératine en
français et Heratin en allemand. Mais pour revenir à la chimie, à propos
de nom commençant par kér-, et si l’on ne redoute pas le coq à l’âne,
le mot kérosène vient à l’esprit.
z
Épilogue et rapprochement incongru
Le nom kérosène est apparu vers 1850 aux États-
Unis pour désigner un hydrocarbure destiné à
l’éclairage, le pétrole lampant, inventé par le
géologue américain Gesner (c’est un siècle plus
tard que le kérosène sera le carburant des avions).
Mais l’élément ker- de kérosène est-il celui de
kératine ? Non, le kérosène est plus visqueux que
l’essence, sa consistance se rapproche de celle
d’une cire, et il a concurrencé la cire de bougie.
C’est pourquoi kérosène est formé sur le grec
kêros (țȘȡȩȢ), « cire (d’abeille) », sans rapport ➜La cire d’abeille (en grec
avec keras (țȑȡĮȢ), « corne ». Pas plus de rapport kêros SHXWÇWUHERQQHSRXU
la kératine (du grec keras }
étymologique donc que de rapport sémantique DWDQJDIU
entre kératine et kérosène. Tout au plus peut-on
remarquer, même si c’est un peu tiré par les cheveux, que la cire d’abeille
s’emploie dans certains produits comme des gels capillaires.
210
Un nom qui convient au poil
211
Chapitre 8 : Histoires animalières
4 Une découverte
dans le foie
L’héparine
2. Howell, William et Holt, Emmett, Two new factors in blood coagulation – heparin and
pro-antithrombiin, American Journal of Physiology, 47, 1918-19, p.;328.
212
Une découverte dans le foie
z
Le foie dans l’Antiquité
Les Anciens accordaient une importance primordiale au foie chez
l’homme. Lors des sacrifices d’animaux, les prêtres examinaient les
entrailles, plus particulièrement le foie, dont chaque partie était dédiée
à tel ou tel aspect de la divination.
213
Chapitre 8 : Histoires animalières
➜/HFRPEOHFpHVWTXHOpRQDSSUÆFLHDXMRXUGpKXLOHIRLHJUDVf½ODILJXH}
214
Une découverte dans le foie
z
Épilogue helléniste
La diversité des noms du foie dans les langues modernes d’Europe
ne se reflète pas dans les noms de l’héparine, qui sont dérivés, par
l’anglais, du nom du foie en grec ancien. Le grec joue ici encore son
rôle de langue scientifique mondiale, comme on l’a vu à propos de
l’amidon (voir le chapitre 7, rubrique 1). À ce propos, le nom du foie
en espéranto est hepato.
215
➜Le Ciel est un véritable zoo.
Il est illuminé par 88 constellations, dont près de la moitié portent un nom d’animal, réel ou
imaginaire, souvent lié à une légende mythologique. Leurs noms officiels internationaux sont
en latin. Les plus connues sont sans doute la Grande Ourse (Ursa major OD3HWLWH2XUVH
(Ursa minor HWOHVFRQVWHOODWLRQVGX]RGLDTXHHQJUHFzôdiakos, dérivé de zôon}DQLPDO}
La moitié des constellations ont été nommées au IIe siècle par l’astronome Claude Ptolémée.
Il y eut ensuite cinq autres contributeurs, dont l’astronome polonais Johannes Hevelius, à qui
l’on doit à la fin du XVIIe siècle le Petit Renard et l’Oie (Vulpecula cum Anser $XMRXUGpKXLFHWWH
constellation se nomme le Petit Renard (Vulpecula HWVRQÆWRLOHODSOXVEULOODQWHHVWOp2LH
(Anser 8QPDOLQFHUHQDUGLODPDQJÆOpRLH
Carte astronomique anglaise de 1825.
CHAPITRE
Des produits
9
du quotidien
nous racontent
Où l’on découvre l’histoire des noms
de produits usuels
218
La prodigieuse histoire du nom des éléments
219
&KDSLWUH'HVSURGXLWVGXTXRWLGLHQQRXVUDFRQWHQW
1 Le secret de
la porcelaine
Le kaolin
z
Un nom chinois
Le nom kaolin apparaît en français en 1712 dans l’une des Lettres
édifiantes et curieuses du père jésuite d’Entrecolles, missionnaire en
Chine, qui séjournait alors à Jingdezhen (à 500 km au sud-ouest de
Shanghai). Cette ville était connue depuis des siècles pour l’excellence
de sa porcelaine, une réputation qui se perpétue encore aujourd’hui. Or
le père d’Entrecolles divulguait ainsi l’un des secrets de fabrication de
la porcelaine à l’époque : l’utilisation d’une argile blanche particulière,
extraite d’un gisement situé près de Gaoling, un village englobé par
la suite dans l’agglomération de Jingdezhen. Gaoling s’écrit en chinois
高䒕, formé de 高 gao, ou kao, « haut », et 䒕 ling, « colline », ce qui
rappelle l’existence d’une colline toute proche.
➜La porcelaine est une céramique à base de kaolin, du nom d’un village chinois, Gaolin.
220
/HVHFUHWGHOD}SRUFHODLQH
couche tétraédrique
O
OH
Al couche octaédrique
Si
z
Du kaolin à la porcelaine
Jusqu’au début du XVIIIe siècle, l’Europe a importé toute la porcelaine
fine de Chine, où le secret en était conservé, ce qui explique le nom
usuel de la porcelaine en anglais, china. En fait, l’obtention d’une
porcelaine translucide nécessitait la vitrification d’une pâte comportant
du kaolin, un procédé qui n’a été mis au point que dans les années 1710
en Europe, à partir de révélations des connaissances chinoises et aussi
à partir des travaux menés en Allemagne, à Meissen, d’où est issue la
célèbre porcelaine de Saxe.
221
&KDSLWUH'HVSURGXLWVGXTXRWLGLHQQRXVUDFRQWHQW
z
La porcelaine est aussi un coquillage
C’est dans l’édition en ancien
français de 1298 du Livre des
merveilles de Marco Polo, ou
Devisement du monde, que ce
nom apparaît pour désigner
d’abord un coquillage marin, ➜Coquillage appelé porcelaine, ou cauri (de son
QRPHQWDPRXO ,OHQH[LVWHGHVFHQWDLQHV
utilisé alors comme monnaie en d’espèces, dont celle-ci, Cypraea tigris (nom
Asie, et toujours nommé porce- donné par Linné d’après Cypris, le surnom
laine en français aujourd’hui. JUHFGp$SKURGLWH HWGpDXWUHVEODQFKHVTXL
servaient de monnaie.
Dans la suite du texte, Marco
Polo mentionne une cité chinoise où « se font escuelle de porcellaine,
grant et pitet, les plus belles que l’en peust deviser »1. C’est donc par
analogie d’aspect avec le coquillage vernissé et translucide que le nom
de porcelaine a été donné à la précieuse matière céramique, comme
si les hommes avaient voulu reproduire cette merveille de la nature.
Certains pensaient même que le secret était d’incorporer de la poudre
du coquillage dans la pâte à porcelaine.
La question est maintenant de savoir pourquoi le coquillage a été
nommé porcelaine.
z
Un coquillage aux formes suggestives
Le nom porcelaine était en fait la transcription de l’italien porcellana,
désignant d’abord le coquillage, et par analogie la matière céramique.
Or porcellana ne peut être qu’un dérivé de porcella, « petite truie », ou
de porcello, « porcelet ».
Certes, le coquillage, vu de dessus ou de profil, ressemble vaguement
222
/HVHFUHWGHOD}SRUFHODLQH
z
Épilogue : pour jeter des perles aux pourceaux
Il est donc certain, aussi surprenant soit-il,
que le latin porcus, « porc », est à l’origine
du nom de la porcelaine, de Saxe, de Sèvres
ou de Limoges. Ce nom, comme
celui du kaolin, s’est généralisé aux
autres langues d’Europe : porcelana
en espagnol, porcelain en anglais (à
côté de china), et même Porzellan en
allemand, où la surprise est peut-être
plus grande encore car le nom du porc
(Schwein) ne se perçoit pas du tout dans
Porzellan.
➜Porcelaine de Chine.
223
&KDSLWUH'HVSURGXLWVGXTXRWLGLHQQRXVUDFRQWHQW
z
De l’îlot de Javel au quartier de Javel
Le métro Javel, la rue de Javel, l’église Saint-Christophe-de-Javel, le port
de Javel sur la Seine, se situent dans le quartier de Javel, qui occupe
le quart sud-ouest du XVe arrondissement de Paris. Très récemment
(en 2003) on a même créé la place du Moulin-de-Javel, tout près de
l’emplacement d’un ancien moulin à vent qui avait été construit sur
un îlot du bord de Seine, réuni à la berge au XVIIIe siècle. Cet îlot est
mentionné dans un manuscrit du XIIIe siècle en latin médiéval sous le
nom insula de javeto, qui est la première attestation connue du nom
224
Un produit qui fait du propre
z
De la liqueur de Berthollet à l’eau de Javel
Au lieu-dit Javel, alors très peu habité, on crée en 1778 une manufacture
chimique pour produire notamment l’acide sulfurique, et le chimiste
Berthollet y installe en 1785 son procédé original de fabrication d’une
eau chlorée, dite lessive de Berthollet, mise au point pour le blanchiment
des tissus. Cependant, Berthollet ne s’entend pas avec les exploitants
de l’usine, qui améliorent considérablement le procédé et rebaptisent
le produit lessive de Javel, déjà en
1791, et par la suite eau de Javel.
Ainsi donc, le Javel du métro Javel
est bien le même que celui de l’eau
de Javel.
Cependant, le nom Javel ne
s’emploie généralement pas
en dehors du français : l’eau
de Javel se dit en espagnol lejía
(du latin lixiva, « lessive »), ➜Le moulin de Javel en 1780
225
&KDSLWUH'HVSURGXLWVGXTXRWLGLHQQRXVUDFRQWHQW
z
Javel, un nom bien français, et même gaulois
Dans un dictionnaire usuel du
français, on trouve javel (eau
de), javelliser, javellisation, mais
aussi un terme d’agriculture un
peu ancien, javelle, « poignée de
céréales coupées », et sa famille :
javeler, javeleur, javelage…
Or javelle fait partie du petit nombre
➜Javelles de blé amoncelées en gerbes.
(entre 100 et 200) de mots français
Wikipédia, licence CC-BY-SA, 2.0,Trish Steel. d’origine gauloise. Ce nom se relie
à une racine qui signifie « prendre avec la main », à laquelle on rattache
aussi le nom javelot, gaulois également. En ancien français, par analogie
avec un amoncellement de javelles dans les champs, les noms javel, javelle
ont désigné d’une manière générale toutes sortes d’amoncellements, et en
particulier un amoncellement de sable et de limon formé par débordement
d’une rivière, c’est-à-dire une île côtière (appelée aujourd’hui un javeau).
C’est probablement à cette dernière signification que correspond le nom
géographique Javel, à l’origine le nom d’un îlot du bord de Seine.
z
Épilogue salé
À partir de la fin du XIXe siècle, javelle
désigne aussi un autre amoncellement,
un tas de sel au bord d’un marais-salant.
Et cela nous suggère une conclusion ➜Javelles de sel provenant du raclage
en forme de raccourci : lorsque, par des tables d’un marais-salant.
électrolyse du chlorure de sodium, on passe du sel récolté en javelles à de
l’eau de Javel, on relie en fait deux mots d’une même origine gauloise.
226
Un produit qui fait du propre
➜Le Javel du métro Javel est le même que celui de l’eau de Javel.
Wikipédia, licence cc-by-2.0, Guilhem Vellut.
227
&KDSLWUH'HVSURGXLWVGXTXRWLGLHQQRXVUDFRQWHQW
3 Une histoire à
rebondissements
Le caoutchouc naturel et l’ébonite
228
Une histoire à rebondissements
Coïncidence : tout comme le graphite doit son nom à son usage dans
une mine de crayon (voir le chapitre 1), le caoutchouc en anglais, rubber,
doit son nom à la gomme à crayon, deux applications pourtant aussi
marginales l’une que l’autre !
z
Du dieu romain du feu et des forges à la vulcanisation
Le verbe vulcaniser n’est pas dû à Goodyear, qui employait le verbe
to metallize, comme pour indiquer que le caoutchouc traité au soufre
devenait solide comme du métal. Mais pendant ce temps-là, le chimiste
anglais Thomas Hancock, ayant disposé d’échantillons issus de l’usine de
Goodyear, étudiait aussi la réaction entre le caoutchouc et le soufre, qu’il
a finalement brevetée en Angleterre fin 1843, un peu avant Goodyear
aux États-Unis, ce qui a provoqué une controverse : la justice a donné
raison à Goodyear, qui cependant ne s’est pas remis du préjudice et est
mort ruiné. Et c’est dans le brevet anglais de Hancock qu’apparaît le
verbe to vulcanize, qui a été adopté par toutes les langues. Selon le « récit
personnel » d’Hancock, l’idée est venue de son ami Brockedon, à la fois
artiste-peintre, écrivain et inventeur, qui l’avait aidé dans ses travaux.
Brockedon se référait, avec une certaine emphase, à Vulcain, le forgeron
229
&KDSLWUH'HVSURGXLWVGXTXRWLGLHQQRXVUDFRQWHQW
z
Et revoici Mercure aux pieds ailés
Plus tard, l’entrepreneur Franck Seiberling (sans lien avec la famille
Goodyear) créera en 1898 la Goodyear Tire & Rubber Company,
dont le nom rendait hommage à celui qu’il considérait comme le père
véritable de la vulcanisation. Dès l’année 1900, il introduisait une
nouvelle référence à la mythologie, le pied ailé de Mercure dans le logo
de la société : un symbole de l’agilité des commerçants et des voyageurs,
équipés de bons pneus !
230
Une histoire à rebondissements
z
Épilogue musical
L’ébonite (parfois nommée hard rubber en
anglais) a connu un destin bien différent de celui
du caoutchouc industriel. En anglais, on fait bien
le lien entre l’ébène et l’ébonite (ebony/ebonite).
C’est moins net en français (ébène/ébonite), en
espagnol (ébano/ebonita), en allemand (Ebenholz/
Ebonit)… Mais les objets en ébonite rappellent
bien le bois précieux qu’est l’ébène. Cette
résine est utilisée dans plusieurs applications
haut de gamme, comme par exemple les becs
de saxophones, ou encore des articles de luxe
➜%HF}&RQFHSW}EHF
de saxophone en ébonite pour le bureau.
(fabrication Henri
SELMER Paris, numéro un
PRQGLDOGXVD[RSKRQH
➜0RQQDLHURPDLQHÆPLVHHQDYDQW-&}VXUOpDYHUV-XQRQ0RQHWDODPÅUHGH9XOFDLQ}
VXUOHUHYHUVOHVRXWLOVGH9XOFDLQ OpHQFOXPHOHPDUWHDXHWOHVWHQDLOOHV DLQVLTXHVRQERQQHW
rituel de forgeron.
CGB Numismatique Paris.
231
&KDSLWUH'HVSURGXLWVGXTXRWLGLHQQRXVUDFRQWHQW
4 Un génial
inventeur
La bakélite, le phénol, le formol, l’acide
formique, la mélamine et le formica
z
D’une éponymie est né le nom bakélite
En Grèce antique, on qualifiait d’éponyme (du grec epi, « sur », et
232
Un génial inventeur
z
De la fourmi à l’acide formique et au formol
On savait depuis longtemps que
les fourmis rousses projettent
un venin acide et urticant pour
défendre leur fourmilière. En
distillant une décoction de telles
fourmis, on a pu obtenir un
mélange dans lequel le chimiste
suédois Bergman a identifié en
1775 un nouvel acide, qualifié
de formique (du latin formica,
➜Fourmi rousse (classée par Linné dans « fourmi »). Berthelot en
le genre Formica HQSRVWXUHGHSURMHFWLRQ
d’acide formique. donnera la formule (HCOOH)
www.ardennesmagazine.be – photo Haentjens. en 1855, et l’élément form- sera
alors employé pour désigner des molécules de la même famille, à un
seul carbone, comme le chloroforme (CHCl3) en 1834, le formaldéhyde
(H2C=O) en 1882 et sa solution aqueuse, le formol en 1892. Pourquoi
ce suffixe -ol qui évoque un alcool ? Justement parce qu’avec l’eau, le
formaldéhyde se transforme presque complètement en polyalcool. Mais
dans l’usage courant, formol est devenu synonyme de formaldéhyde, bien
que dans ce cas, le suffixe -ol soit incongru : ainsi, dans phénol-formol, ce
suffixe n’est logique que pour le phénol, qui est un alcool.
233
&KDSLWUH'HVSURGXLWVGXTXRWLGLHQQRXVUDFRQWHQW
z
Formaldéhyde ou formol, ou… méthanal
Les chimistes français Dumas et Péligot montrent en 1835 que la
distillation du bois produit un alcool, l’« esprit de bois », qui s’oxyde en
acide formique, et qui comporte donc un seul carbone. Mais au lieu de
conserver l’élément form- pour le nommer, ils introduisent l’élément
meth-, tiré du grec methu, « boisson fermentée », ce qui conduira
Hofmann à nommer en 1867 l’alcane CH4 méthane, d’où méthanol. Un
choix étrange car le méthanol, loin d’être une boisson sympathique,
s’est révélé être un poison redoutable.
De tout cela résulte une sorte de famille hybride, où l’usage privilégie :
méthane, acide formique (plutôt que méthanoïque), méthanol et formaldé-
hyde, ou formol. On emploie aussi formaldehyde en anglais et Formaldehyd
en allemand, même si, dans ces langues, l’élément form- n’évoque pas la
fourmi, qui se dit ant en anglais et Ameise en allemand (d’où Ameisen-
saüre pour acide formique en allemand).
Enfin le méthane, avant d’être connu chimiquement, a été utilisé
comme gaz d’éclairage dès la fin du XVIIIe siècle, et cela nous conduit
opportunément au phénol.
z
Du gaz d’éclairage au phénol
En effet, le chimiste français Laurent étudiait en 1836 des molécules
extraites « du goudron provenant des usines du gaz d’éclairage par la houille ».
Les noms de ces molécules aromatiques auraient pu être dérivés de
benzène, mais Laurent a voulu éviter des confusions en créant l’élément
phén-, du grec phainein, « éclairer », à cause du gaz d’éclairage à l’origine
de ses travaux : un rapport indirect, pour ne pas dire alambiqué. Puis en
1843, on a formé à partir de l’élément phén- le nom du phénol (qui est
aussi l’hydroxybenzène), d’où une autre famille hybride où se côtoient
les radicaux phényle (H5C6-) et benzyle (H5C6CH2-).
234
Un génial inventeur
z
Épilogue : tout est dans la forme
Les résines phénol-formol, ou phénoplastes,
ont ouvert la voie à d’autres matériaux
plastiques thermodurcissables4, comme les
mélamine-formol, ou aminoplastes. C’est par
ses travaux publiés en 1834 que le chimiste
➜/RJRGH)250,&$*5283TXL
commercialise le Formica®. allemand Liebig avait obtenu le mélam, et en
avait tiré la mélamine. Or mélam est un nom
arbitraire, créé ex nihilo et revendiqué comme tel par Liebig5, et mélamine
est simplement son dérivé, mélam + -ine.
Les résines aminoplastes sont connues par le nom de marque Formica®,
devenu nom commun en français. Formica ? Fourmi ? Pas du tout, ce
nom de marque, créé aux États-Unis en 1913, vient de for mica, c’est-à-
dire « à la place du mica », car ces stratifiés se substituaient au mica, alors
utilisé en isolation électrique ! Le hasard a vraiment bien fait les choses.
➜/D6ÆTXDQDLVHWÆOÆSKRQHDQFLHQ
Association Adolphe Cochery.
4. Un plastique thermodurcissable est une matière qui, sous l’action de la chaleur, se durcit
progressivement pour atteindre un état solide irréversible.
5. Liebig Justus, Sur quelques combinaisons d’Azote, Annales de chimie et de physique, Crochard,
Paris, t. 56, 1834, p. 16.
235
&KDSLWUH'HVSURGXLWVGXTXRWLGLHQQRXVUDFRQWHQW
5 Un verre à double
facette
Le plexiglas, l’altuglas,
l’acroléine et l’acide acrylique
Il n’est pas rare qu’un nom commercial, lorsqu’il est très largement
utilisé, finisse par entrer dans la langue commune. On connaît bien
l’exemple de frigidaire, et en chimie on peut citer le nylon. Le cas de plexi-
glas est analogue : c’est un nom commun présent dans les dictionnaires
usuels, mais son origine est un nom de marque déposé en 1933 par
une société chimique allemande (dont le nom a disparu à la suite des
restructurations de la chimie allemande).
236
Un verre à double facette
'p2¶9,(17/(027$&5</,48(}"
En 1838, le pharmacien allemand Brandes nomme Acrol une substance piquante (latin
acer, acris}SRLQWX} SURYHQDQWGHODGÆFRPSRVLWLRQGHVFRUSVJUDVFRPPHOpKXLOH
(OelHQDOOHPDQG SDUODFKDOHXU%HU]HOLXVSUÆFLVHOHQRPacroléine et sa structure
est établie un peu plus tard.
H2C O H2C O
Oxydation
H OH
acroléine acide acrylique
Sur le radical acr ROÆLQH HVWQRPPÆl’acide acrylique, d’où les acrylates et méthacry-
lates qui constituent l’essentiel des résines acryliques, entrant dans la composition
GHQRPEUHX[SURGXLWVGHFRQVRPPDWLRQ SHLQWXUHVFROOHVYHUUHFRXFKHVEÆEÆVf
z
La saga du PMMA dans les dictionnaires français
Il existe trois « petits » dictionnaires usuels du français (Larousse,
Robert et Hachette), qui sont réédités chaque année avec quelques
mots en plus ou en moins, et millésimés. Le Petit Larousse a été créé en
1905, et le nom plexiglas y apparaît dans le millésime 1950 (sous la forme
<plexiglass>, puis <plexiglas> depuis le Petit Larousse 1952). Quant
aux Petit Robert et Hachette, on y trouve plexiglas depuis leur création,
respectivement en 1967 et en 1980.
Mais si l’on consulte le Petit Robert à plexiglas, on constate qu’il mentionne
« ³ aussi altuglas », et réciproquement. En effet, le nom altuglas y est
présent depuis le Petit Robert 1977, et il est apparu également dans le
Petit Larousse 1989, puis dans le Hachette 1994.
Ce nom altuglas est aussi à l’origine le nom d’une marque, Altuglas®,
initialement concurrente de Plexiglas® en Europe dans la production du
PMMA. Altuglas® a été déposée en 1958 par la société Altulor, alors filiale
237
&KDSLWUH'HVSURGXLWVGXTXRWLGLHQQRXVUDFRQWHQW
z
Une synonymie particulière : plexiglas et altuglas
Ces deux noms proviennent donc de deux marques concurrentes
d’un même produit, un cas de figure sans doute unique dans la langue
française. Ce sont des synonymes, ce qui, dans l’acception moderne
du terme, ne signifie pas « de
sens identiques » (on considère
que les « vrais » synonymes
n’existent pas), mais seulement
« de sens très voisins, presque
identiques ». Or les mots ont
une signification, mais aussi
une connotation, et c’est ce qui
distingue vraiment les noms
communs altuglas et plexiglas.
Le mot plexiglas a une ➜Cette table a un design original. Son plateau
est en Altuglas®, dont les amateurs de beaux
connotation plutôt technique. Ses matériaux dans le mobilier et la décoration
définitions dans les dictionnaires apprécient particulièrement la diversité
mentionnent la transparence du d’aspect et de coloration.
3KRWR}$OWXJODVJURXSH$UNHPD
238
Un verre à double facette
z
Épilogue lumineux
Les étymologies d’altuglas et plexiglas sont de natures bien différentes.
L’élément plexi(glas) vient du latin : c’est un doublet de plexus, le nom de
cette zone anatomique sensible car pleine de filets nerveux entrelacés (cf.
le verbe latin plectere au sens « entrelacer »).
Dans un registre complètement différent, on retrouve les initiales
d’anciennes sociétés industrielles dans altu(glas), où le T honore en
définitive Elihu Thomson. Fondateur de Thomson-Houston vers 1880,
ce fut un remarquable ingénieur et industriel américain, président du
MIT en 1920 et 1921, et à l’origine de plusieurs centaines de brevets.
Une référence pour un matériau chargé d’innovation.
À propos d’innovation, on réalise aujourd’hui des fibres optiques en
PMMA.
239
&KDSLWUH'HVSURGXLWVGXTXRWLGLHQQRXVUDFRQWHQW
5 De l’alambic à
la raffinerie
Le white-spirit, le naphta, le naphtalène,
OH}bitume, le béton, l’asphalte et le goudron
z
Le white-spirit, un esprit blanc ?
En fait, ce passage de l’anglais au français est,
comme souvent, un prêté pour un rendu car
l’anglais spirit est un emprunt à l’ancien français
espirit, qui vient lui-même du latin spiritus, et est
devenu esprit en français. Ce latin spiritus, lié au ➜Le white-spirit, un esprit
verbe spirare, « souffler, respirer » (cf. inspirer, EODQF}"
240
'HOpDODPELF½OD}UDIƂQHULH
z
Le naphte était connu dans l’Antiquité
Dans le Livre II de son Histoire Naturelle,
Pline l’Ancien nomme en latin naphtha « un
produit qui coule comme du bitume liquide dans les
environs de Babylone et en Parthie [Iran]. Le feu a
une grande affinité pour le naphte et, d’où qu’il le
voie, il se jette aussitôt sur lui. C’est de cette façon, ➜Naphtalène.
dit-on, que Médée brûla sa rivale : celle-ci s’était
approchée de l’autel pour y offrir un sacrifice lorsque sa couronne prit feu ».
Plus tard, dans son Dictionnaire de chimie (1778), Macquer définit le
naphte comme « le pétrole le plus blanc, le plus volatil & le plus fluide ». En
fait, le terme naphte désigne historiquement le pétrole léger suintant
à la surface du sol, et connu depuis l’Antiquité, surtout au Moyen
Orient, et on nomme naphta, à la suite de l’anglais naphtha, toute
coupe pétrolière qui a sensiblement les mêmes caractéristiques. Ce
nom remonte au grec naphtha (ȞȐijșĮ), sans doute emprunté au persan.
Selon les langues, son écriture est soit translittérée sur le modèle du
latin naphtha, comme en allemand (Naphtha) et en anglais (naphtha),
soit complètement simplifiée comme en italien et en espagnol (nafta).
Mais le français (naphta) adopte une voie moyenne : le ij est translittéré
en ph, et en même temps le ș est simplifié en t au lieu de th. Cette
sorte de demi-mesure est habituelle en français, comme le montre la
comparaison avec l’anglais dans quelques exemples : rythme et rhythm,
ichtyologie et ichthyology… sans compter naphtalène et naphthalene, noms
dérivés de naphta et naphtha.
z
Bitume et béton, asphalte et goudron…
On vient de voir que Pline comparait le naphte à du bitume liquide.
Quant à l’asphalte, c’est un mélange, naturel ou synthétique, de bitumes
et de charges minérales. Son nom vient, par le latin, du grec asphaltos,
formé du a- privatif et de l’élément -sphaltos (cf. sphaltês, « celui qui fait
tomber »), du verbe sphallein, « faire tomber ». Le grec asphaltos signifie
donc « qui empêche de tomber, qui solidifie », un nom logique pour
des produits utilisés depuis toujours comme ciments pour solidifier une
structure, ou pour calfater l’arche de Noé par exemple.
241
&KDSLWUH'HVSURGXLWVGXTXRWLGLHQQRXVUDFRQWHQW
z
À l’épilogue, on est tombé sur le béton
Partant du volatil white-spirit, on est arrivé à de lourds produits
utilisés sur le macadam qui perpétue le nom de son inventeur écossais,
John L. MacAdam (1756-1836). À ne pas confondre, si l’on sort de la
route, avec son compatriote chimiste John Macadam (1827-1865), qui
a vécu en Australie, où son nom a inspiré celui de la noix de macadamia.
Deux homonymes pour deux éponymes de deux réalités bien différentes.
242
'HOpDODPELF½OD}UDIƂQHULH
243
&KDSLWUH'HVSURGXLWVGXTXRWLGLHQQRXVUDFRQWHQW
244
Épilogue des épilogues
Au terme de cette Prodigieuse histoire du nom des éléments, l’étymologie
nous a donné un aperçu sur près de 300 substances, dont les
118 éléments chimiques connus à ce jour. Mais à ce propos, d’où
vient ce mot élément ?
z
Les éléments en rangs d’oignons
Certainement pas du grec, où cette notion se dit stoikheion, désignant
en particulier les quatre éléments feu, air, eau, terre. Ce mot stoikheion
dérive du verbe steikhein, « marcher, marcher en rang », d’où aussi
stikhos, « rangée, file de soldats, d’arbres, ligne d’écriture », désignant
même finalement une lettre en tant qu’élément d’un alphabet. Le
grec stoikheion évoque donc des éléments alignés, numérotés, rangés
en ordre, comme le seront justement, longtemps après, les éléments
chimiques, repérés chacun par son numéro atomique et son symbole
en une ou deux lettres, et classés dans les lignes du tableau périodique.
En fait, élément vient du latin elementum (souvent au pluriel, elementa),
différent du grec, mais traduisant bien stoikheion dans tous ses emplois, y
compris pour désigner les quatre éléments de l’Antiquité, ou les lettres
d’un alphabet. Ce dernier point a conduit les linguistes à émettre deux
hypothèses étonnantes qui, même si elles ne sont pas retenues en
définitive, méritent d’être mentionnées11 :
– elementum aurait été dérivé de LMN, les trois premières lettres de
la seconde partie de l’alphabet, souvent présenté en effet en deux
parties… ;
– encore plus inattendu peut-être, elementum serait venu d’un
hypothétique *elepantum, « lettre gravée sur l’ivoire », du grec elephas,
« éléphant, ivoire » ! Une histoire animalière que l’on n’imaginait
pas ! Mais qui se comprend cependant si l’on sait que de très anciens
abécédaires en ivoire ont été retrouvés dans des sites archéologiques.
245
Épilogue des épilogues
z
Les éléments dans les éléments
Comme on le constate pour la plupart des mots, le sens du latin
elementum a évolué du concret à l’abstrait, pour désigner toute partie
constitutive d’un ensemble, en toute généralité. C’est le cas aussi pour
élément en français. Dès lors, on peut qualifier par exemple les protéines
d’éléments du monde vivant. Ce sont des polymères constitués
eux-mêmes d’éléments, les 20 acides aminés, une sorte d’alphabet
moléculaire, construits à partir de seulement 5 éléments chimiques :
C, N, O, H et S.
De même les molécules d’ADN sont les éléments essentiels des
chromosomes. Ce sont des polymères constitués d’éléments, les 4
nucléotides, eux-mêmes construits à partir de seulement 5 éléments
chimiques : C, N, O, H… et P cette fois.
On s’aperçoit que la nature se contente de 6 éléments chimiques,
représentés par 6 lettres, C, N, O, H, P et S, pour construire les acides
nucléiques, donc le code génétique, et les protéines du monde vivant.
246
La prodigieuse histoire du nom des éléments
Un prodigieux édifice !
z
Oui, c’est bien une histoire prodigieuse
Que de prodiges en effet tout au long de cette aventure des éléments :
– les Anciens associaient le fer et Mars tout en ignorant que cette
planète était rouge… justement à cause du fer ;
– un alchimiste part en quête de l’or et découvre… le phosphore ;
– Lavoisier démontre que l’air et l’eau se décomposent en 3 éléments
chimiques ;
– Mendeleïev prévoit l’existence de nouveaux éléments chimiques, que
l’on découvre effectivement ;
– on ne s’attendait pas à trouver des gaz nobles cachés dans l’atmosphère
et des terres rares cachées dans les minéraux ;
– le styrène fut inventé par un arbre, avant d’être un produit
pétrochimique ;
et tant d’autres histoires extraordinaires…
Buffon avait raison : « il ne faut rien voir d’impossible, s’attendre à tout,
et supposer que tout ce qui peut être, est ».
z
Les éléments, leurs noms et leurs découvreurs
Tout au long de l’ouvrage, les noms des éléments sont comme des
révélateurs de l’inspiration des chercheurs formant la longue chaîne
humaine qui, de par le monde, a fait progresser la chimie et son langage.
Grâce à des références culturelles communes, et à l’utilisation des
racines grecques et latines, ce langage est une sorte d’espéranto qui
favorise les échanges entre les chercheurs du monde entier.
247
&KDSLWUH7DEOHGHVPDWLÅUHV
Avant-propos . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . VI
Aide à la lecture . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . IX
Aide à la lecture . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . XI
248
Des dieux et des planètes
249
&KDSLWUH7DEOHGHVPDWLÅUHV
Emil Fischer
4. Les sucres de la vie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 144
Le xylose, le lyxose, l’arabinose et le ribose
5. L’alphabet du règne vivant . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 148
L’urée, la purine, l’adénine, la guanine, la pyrimidine, la cytosine, la thymine et l’uracile
6. Des noms éclectiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 152
La valine, l’acide valérique et l’acide pivalique
William Ramsay
7. D’étranges gaz cachés dans l’air . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 156
L’hélium (He), le néon (Ne), l’argon (Ar), le krypton (Kr), le xénon (Xe) et le radon (Rn)
Glenn Seaborg
8. Quand vient le tour de la physique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 160
L’actinium (Ac) et les 14 autres actinides, le rutherfordium (Rf) et les autres transactinides
250
/HVDUÑPHVGHV}SODQWHV
Références . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 252
Index . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 254
251
Références
Les références générales utilisées pour le présent ouvrage sont les
suivantes.
z
Dictionnaires étymologiques
Bloch Oscar et von Wartburg Walther, Dictionnaire étymologique de la
langue française, PUF, 2002 (réimp. 5e édition, 1932).
TLF, le Trésor de la Langue Française, CNRS, 1993, TLF informatisé :
http://atilf.atilf.fr/
Corominas Joan, Breve diccionario etimológico de la lengua castellana,
Gredos, Madrid, 2006 (1re édition 1961).
Simpson John et Weiner Edmund (Ed.), The Oxford English Dictionary,
20 vol., 2e éd., Clarendon Press, Oxford, 1989.
Kluge Friedrich, et Seebold Elmar, Etymologisches Wörterbuch der
deutschen Sprache, de Gruyter, Berlin, 1989.
dictionnaires Larousse et Robert.
z
Ouvrages relatifs à la chimie et au tableau
périodique
Elvira Mary Weeks, Discovery of the Elements, 3rd ed. revised 1935
(1st 1933), Journal of Chemical Education, Easton, Pa, USA, 371 p.
Scerri Eric, Le tableau périodique, Son histoire et sa signification, EDP
Sciences, Paris, 2011, 349 p.
(1re éd. The periodic Table, its story and its significance, Oxford, 2006).
de Menten Pierre, Dictionnaire de chimie, Une approche étymologique et
historique, De Boeck, Bruxelles, 2013, 395 p. + références en pdf.
252
La prodigieuse histoire du nom des éléments
z
Sites Internet
IUPAC
van der Krogt Peter, Elementymology & Elements Multidict, http://www.
vanderkrogt.net/elements/ (dernière mise à jour : 13 juin 2016).
z
Ouvrages relatifs à l’Antiquité
Pline (l’Ancien), Histoire naturelle, édition bilingue Les belles lettres,
Paris, 37 volumes
Grimal Pierre, Dictionnaire de la mythologie grecque et romaine, PUF,
Paris, 1re ed. 1951, 14e éd. 1999, 574 p.
253
&KDSLWUH,QGH[
Index
A argon 20, 30, 48, 61, 83, 108, 128, 131, 156,
157, 158, 164, 250
acétique 110, 199 arsenic 20, 26, 48, 53, 55, 68, 70, 71, 83, 95,
acétone 199 108, 128, 164, 249
acide 8, 9, 10, 15, 17, 44, 110, 111, 124, 132, asparagine 155
133, 144, 145, 146, 148, 149, 150, 152, asphalte 240, 241, 242, 243, 251
153, 154, 155, 166, 172, 174, 175, 181, astate 20, 48, 83, 108, 124, 126, 127, 128,
189, 192, 194, 195, 197, 198, 199, 204, 164, 124
205, 225, 232, 233, 234, 236, 237, 249, azote 9, 20, 48, 83, 108, 128, 164, 235
250, 251
acroléine 236, 237, 251
acrylique 236, 237, 251 B
actinium 20, 48, 83, 108, 128, 160, 164, 250
bakélite 232, 233, 251
adénine 146, 148, 150, 250
baryum 13, 20, 48, 83, 96, 97, 98, 108, 128,
agar-agar 105, 107, 249
130, 164, 249
airain 32
base 5, 7, 69, 79, 110, 118, 136, 143, 149,
alanine 155
150, 164, 219, 220
alcalin 137, 138, 139
benzène 188, 189, 234, 250
alcalinoterreux 23, 96, 108
benzoïque 189
alcaloïde 127, 166, 167
berkélium 20, 48, 55, 83, 108, 128, 160, 161,
alcane 17, 199, 234
164
alcool 16, 17, 44, 47, 166, 190, 233, 234, 248
béryllium 20, 48, 83, 96, 97, 98, 108, 128, 164
altuglas 236, 237, 238, 239, 251
béton 240, 241, 242, 243, 251
alumine 140, 142, 250
bismuth 20, 46, 48, 53, 55, 83, 108, 126, 128,
aluminium 20, 48, 83, 94, 108, 128, 130, 140,
164
142, 164, 250
bitume 240, 241, 242, 251
alun 142
blende 42
amalgame 30, 31, 42, 81
bohrium 20, 48, 83, 108, 128, 162, 163, 164
américium 20, 48, 55, 83, 87, 108, 128, 160,
bore 20, 48, 83, 108, 128, 130, 132, 133, 163,
161, 164
164, 249
amide 80, 82, 249
brome 20, 48, 83, 108, 117, 118, 124, 126,
amidon VII, 111, 166, 168, 169, 170, 171,
127, 128, 164, 124
215, 250
bronze 22, 32, 33, 35, 86, 213, 248
amine 80, 82, 249
butane 16, 18, 204, 205, 206, 207, 250
ammoniac 9, 51, 80, 81, 82, 139, 249
butyrique 204, 205, 250
ammoniaque 80, 81, 82, 249
ammonium 80, 81, 139, 249
amylase 168, 170, 250
antimoine 20, 44, 46, 48, 53, 55, 72, 83, 108,
C
128, 164, 248 cadmium 20, 32, 35, 48, 55, 83, 86, 108, 120,
arabinose 144, 145, 250 128, 164, 248
argent VI, 20, 22, 23, 24, 28, 29, 30, 31, 41, calamine 33, 35
42, 48, 51, 52, 55, 83, 93, 108, 120, 128, calcaire 96
155, 164, 248 calcium 13, 20, 48, 74, 75, 83, 96, 97, 108,
arginine 155 128, 130, 164, 249
254
La prodigieuse histoire du nom des éléments
255
Index
I M
indigo 120, 121, 122, 123 magnésie 19, 96, 97, 100, 102, 103, 249
indium 20, 48, 55, 83, 108, 120, 121, 122, magnésite 100, 103, 249
123, 128, 164, 249 magnésium 20, 48, 83, 96, 97, 100, 103, 108,
insuline 64, 66, 155, 249 124, 128, 130, 164, 249
inuline 64, 65, 66, 166, 249 magnétite 36, 100, 101, 102, 103, 248, 249
iode VI, 20, 48, 83, 108, 124, 125, 126, 127, manganèse 20, 48, 53, 55, 68, 72, 83, 100,
128, 164, 249, 124 102, 103, 104, 108, 128, 164, 249
iridium 20, 48, 55, 56, 58, 83, 108, 128, 164, meitnérium 20, 48, 83, 108, 128, 162, 163,
248 164
isoleucine 155 mélamine 232, 235, 251
isoprène 192, 193, 250 mendélévium 20, 48, 83, 108, 128, 160, 162,
164
mercaptan 47
J mercure 20, 22, 28, 29, 30, 31, 42, 47, 48,
Javel (eau de) 218, 224, 225, 226, 227, 251 51, 52, 55, 56, 81, 83, 108, 128, 164, 248
juglone 167, 180, 181, 182, 183, 250 métal 13, 21, 22, 23, 24, 25, 28, 29, 30, 31,
33, 35, 36, 42, 46, 48, 50, 51, 52, 53, 54,
55, 56, 57, 58, 60, 61, 62, 68, 69, 70, 72,
K 74, 75, 76, 77, 78, 89, 90, 93, 97, 98, 100,
102, 118, 120, 121, 123, 137, 139, 141,
kaolin 218, 220, 221, 223, 251 142, 156, 229, 248
kératine 208, 209, 210, 211, 251 methane 17
256
La prodigieuse histoire du nom des éléments
257
Index
ribose 131, 144, 145, 146, 147, 149, 152, 250 tellure 20, 48, 52, 54, 55, 56, 83, 108, 128,
ricine 172, 173, 250 130, 164, 248
ricinoléine 172, 250 tennesse 163
roentgenium 163 terbium 20, 48, 60, 83, 88, 89, 108, 128, 164,
rubidium 20, 48, 83, 96, 108, 120, 122, 123, 249
128, 139, 164, 249 térébenthine 192, 193, 194, 195, 250
ruthénium 20, 48, 55, 83, 92, 93, 108, 120, téréphtalique 192, 194, 195, 250
128, 164, 249 terpène 192, 193, 195
rutherfordium 20, 48, 83, 108, 128, 160, 162, thallium 20, 48, 55, 83, 108, 120, 122, 128,
164, 250 164, 249
théobromine 127, 167
thioalcool 47
S thiol 47
saccharide 111 thorium 20, 48, 55, 76, 78, 79, 83, 108, 128,
salpêtre 134, 135 130, 160, 164, 249
samarium 20, 48, 60, 62, 83, 88, 108, 128, thréonine 155
164, 248 thulium 20, 48, 60, 83, 86, 88, 90, 108, 128,
scandium 20, 48, 60, 83, 86, 88, 90, 96, 104, 164, 249
108, 128, 164, 249 thymine 148, 150, 250
scheelite 75 titane 20, 48, 55, 56, 58, 83, 90, 108, 128,
seaborgium 20, 48, 83, 108, 128, 162, 164 130, 164, 248
sel VI, 10, 37, 47, 62, 81, 95, 109, 110, 124, tryptophane 155
126, 132, 133, 134, 226, 240, 249 tungstène 20, 23, 48, 53, 55, 72, 74, 75, 83,
sélénium VI, 20, 48, 52, 55, 83, 108, 128, 108, 128, 164, 198, 249
130, 164, 248 tyrosine 155
sérine 155
sidérite 36, 248
silex 140, 141, 142, 250 U
silice 140, 141, 142, 250 uracile 148, 150, 250
silicium VI, 20, 40, 48, 83, 94, 95, 108, 128, uranium VI, VII, 20, 48, 51, 52, 53, 54, 55,
130, 140, 141, 142, 143, 164, 250 56, 63, 83, 108, 128, 130, 156, 157, 160,
sodium VI, 20, 48, 83, 96, 97, 108, 110, 124, 164, 248
125, 128, 130, 132, 133, 134, 135, 136, urée 77, 78, 81, 148, 149, 150, 151, 250
137, 138, 139, 156, 164, 166, 226, 250 uréthane 150, 151
soude 135, 136, 138, 139, 166, 250
soufre VI, 19, 20, 23, 44, 45, 47, 48, 70, 71,
83, 108, 128, 134, 155, 164, 228, 229,
230, 248
V
stibine 46 valine 152, 155, 250
strontium 20, 48, 83, 96, 97, 108, 128, 130, vanadium 20, 48, 55, 61, 76, 77, 78, 79, 83,
164, 249 108, 128, 130, 164, 249
styrène 167, 188, 189, 190, 191, 247, 250
sucre 109, 110, 111, 112, 115, 144, 145, 146,
155, 168, 187, 249 W
white-spirit 240, 242, 251
T wolfram(ite) 72, 73, 74, 75, 249
tantale 20, 48, 55, 56, 57, 58, 83, 108, 128,
164, 248
technétium 20, 48, 55, 60, 63, 83, 102, 104,
X
108, 128, 164, 248 xanthate 44
258
xénon 20, 48, 83, 108, 128, 131, 156, 157,
158, 164, 250
Z
xylène 187 zéolithe 136, 137, 250
xylose 144, 145, 149, 184, 187, 250 zinc 20, 32, 33, 35, 42, 48, 53, 55, 68, 83, 108,
120, 128, 164, 248
zirconium 20, 48, 55, 56, 83, 90, 108, 128,
Y 164, 248
ytterbium 20, 48, 60, 83, 88, 89, 90, 108, 128,
164, 249
yttrium 20, 48, 60, 83, 88, 89, 90, 96, 108,
128, 164, 249