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Pierre Avenas

avec la collaboration de Minh-Thu Dinh-Audouin

La prodigieuse histoire
du nom éléments
des
Du même auteur
Ouvrages sur les polymères :
• Mise en forme des polymères. Approche thermomécanique de la plasturgie, avec
J.-F. Agassant et J.-Ph. Sergent, B. Vergnes et M. Vincent, Lavoisier, 4e éd. 2014
[1re éd. 1982], préface de Pierre-Gilles De Gennes
• Polymer processing. Principles and modeling, avec J.-F. Agassant, P.-J. Carreau,
B. Vergnes et M. Vincent, Hanser Publishers, 2e éd. 2017 [1re éd. 1991]
• “Etymology of main polysaccharide names”, Chap. 2 of The European Polysaccharide
Network of Excellence (EPNOE), Research initiatives and results, P. Navard (ed.),
Springer, 2012
Ouvrages d’étymologie avec Henriette WALTER chez Robert-Laffont :
• L’Étonnante histoire des noms des mammifères. De la musaraigne étrusque à la baleine
bleue, 2e éd. 2018 [1re éd. 2003], republié en 2 volumes « Le goût des mots » chez
Points : Chihuahua, zébu et Cie, 2007 et Bonobo, gazelle et Cie, 2008
• La Mystérieuse histoire du nom des oiseaux. Du minuscule roitelet à l’albatros géant, 2007
• La Fabuleuse histoire du nom des poissons. Du tout petit poisson-clown au très grand
requin blanc, 2011
• La Majestueuse histoire du nom des arbres. Du modeste noisetier au séquoia géant, 2017

Conception et mise en pages : CB Defretin, Lisieux


Infographie : Minh-Thu Dinh-Audouin
Imprimé en France
ISBN (papier) : 978-2-7598-2302-4 – ISBN (ebook) : 978-2-7598-2303-1

Tous droits de traduction, d’adaptation et de reproduction par tous procédés, réservés pour tous
pays. La loi du 11 mars 1957 n’autorisant, aux termes des alinéas 2 et 3 de l’article 41, d’une
part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non
destinés à une utilisation collective », et d’autre part, que les analyses et les courtes citations
dans un but d’exemple et d’illustration, « toute représentation intégrale, ou partielle, faite sans le
consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (alinéa 1er de l’article
40). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc
une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du code pénal.

© EDP Sciences, 2018


Ce n’est point en resserrant la sphère de la nature et en la
renfermant dans un cercle étroit qu’on pourra la connaître ; ce
n’est point en la faisant agir par des vues particulières qu’on saura
la juger ni qu’on pourra la deviner ; ce n’est point en lui prêtant
nos idées qu’on approfondira les desseins de son auteur. Au lieu
de resserrer les limites de sa puissance, il faudra les reculer, les
étendre jusque dans l’immensité ; il ne faut rien voir d’impossible,
s’attendre à tout, et supposer que tout ce qui peut être, est.
Buffon, Histoire naturelle

III
Chapitre : Préface

Préface
LA PRODIGIEUSE HISTOIRE
DU NOM DES ÉLÉMENTS

L’UNESCO a décrété l’année 2019 « année internationale du tableau


périodique des éléments chimiques ». Il y a en effet maintenant 150 ans
que Mendeleïev a publié son célèbre tableau périodique qui rassemblait
les 63 éléments chimiques connus à cette époque. Ils sont aujourd’hui
118 qui ont tous trouvé une place dans les cases laissées vides par
Mendeleïev !
Il était donc utile d’établir un bilan et de rappeler l’histoire de ce tableau
et l’origine du nom des éléments qui le composent. C’est ce qu’a réalisé
Pierre Avenas, bien connu pour les rubriques étymologiques qu’il publie
dans L’Actualité Chimique, revue de la Société Chimique de France.
A priori, on aurait pu craindre une simple énumération des éléments
classés par ordre alphabétique ou par date de leur découverte. Mais
en fait l’auteur, en s’appuyant sur l’origine étymologique des noms,
nous emmène dans une véritable odyssée de la matière minérale,
vivante et même pensante. Il nous montre comment, derrière la
simple dénomination des éléments, se cache en fait toute l’histoire de
l’humanité, depuis les quatre éléments d’Empédocle jusqu’aux éléments
radioactifs découverts récemment. D’ailleurs, le terme d’élément
ne correspond pas seulement aux atomes du tableau périodique.
Il s’applique tout autant aux objets qui composent un ensemble ou aux
protéines, éléments du monde vivant. Les critères qui ont conduit à la
dénomination des éléments chimiques sont très divers. Ils dépassent
le plus souvent le simple domaine de la chimie pour s’inspirer d’autres
disciplines, scientifiques ou culturelles.
Le tableau périodique des éléments révèle le génie de Mendeleïev.
C’est sans doute l’une des plus belles manifestations de l’esprit humain.
À l’époque, on ne connaissait qu’une soixantaine d’éléments, caractérisés

IV
La prodigieuse histoire du nom des éléments

par leur masse et leurs propriétés. On ignorait tout de la structure de


l’atome avec son noyau et ses couches électroniques. Comment, à partir
de si peu d’informations, pouvait-on dresser un tableau et surtout laisser
des cases vides pour des éléments qui ne seront découverts que bien
plus tard ?
L’ouvrage commence tout naturellement par les quatre éléments
d’Empédocle, le feu, l’air, l’eau et la terre, qui ont dominé la description
de la matière jusqu’au 18e siècle. Il rappelle le rôle fondamental des
métaux dans l’histoire de l’humanité, depuis l’âge du bronze jusqu’à
l’âge du fer ! Le livre nous emmène ensuite vers d’autres horizons, tels
que la mythologie, l’histoire ou la géographie. Il nous montre quels
sont les hommes, les croyances ou les circonstances qui ont inspiré le
nom de chaque élément.
On parcourt ainsi toute l’histoire de l’humanité, depuis les pigments
des peintures pariétales jusqu’aux éléments radiocatifs découverts tout
récemment. Ces éléments, qui constituent en fait toute la matière,
vivante et inanimée de l’Univers, jouent un rôle fondamental dans
notre histoire. Bien au-delà de la simple chimie, Pierre Avenas nous
ouvre un vaste horizon dans lequel sciences, histoire et humanités sont
étroitement imbriquées.

Jacques Livage
Professeur au Collège de France
Membre de l’Académie des Sciences

V
Chapitre : Avant-propos

Avant-propos
LA PRODIGIEUSE HISTOIRE
DU NOM DES ÉLÉMENTS

L’année 2019 a été proclamée par l’UNESCO


« Année internationale du tableau périodique des éléments chimiques ».
Formulé en termes scientifiques, ce thème est plus familier qu’il n’y
paraît, car nous employons tous les jours des noms d’éléments chimiques,
comme celui de l’oxygène que l’on respire ou de l’hélium qui sert à
gonfler les ballons. L’or et de l’argent sont aussi des éléments chimiques,
comme le cuivre ou le fer et les innombrables autres métaux. Certains
éléments sont réputés bénéfiques pour la santé, comme le phosphore
pour le cerveau, le fluor pour les dents, le soufre pour les cheveux…
et d’autres sont connus sous le nom d’oligoéléments, tels l’iode ou le
sélénium. Et tout le monde sait que le sel de table est du chlorure de
sodium, où se combinent deux éléments, le chlore et le sodium. Citons
enfin le domaine de l’énergie où il est constamment question du carbone,
mais aussi du silicium photovoltaïque et de l’uranium des centrales
nucléaires. On voit que bon nombre d’éléments chimiques sont loin de
nous être étrangers.
On en a identifié aujourd’hui 118, dont 90 sont naturels sur la Terre où ils
constituent la totalité de la matière, du règne minéral ou du règne vivant.
Les éléments se combinent en effet dans les innombrables substances
qui nous entourent, et dont beaucoup font partie de la vie quotidienne.

z
Une démarche qui part de l’étymologie…
Le présent ouvrage reprend la série d’articles, dits « clins d’œil étymolo-
giques », publiés depuis 2012 dans l’Actualité Chimique, une revue de la
Société Chimique de France1 (SCF). L’idée de base est d’y présenter

1. www.societechimiquedefrance.fr

VI
La prodigieuse histoire du nom des éléments

l’origine étymologique des noms des substances, qu’il s’agisse d’éléments


chimiques ou de composés tels l’amidon, le laiton ou le plexiglas.
Mais ce n’est pas tout, l’objectif de l’ouvrage va bien au-delà.

z
… et qui mène vers des mondes parfois insoupçonnés
En effet, l’étymologie en dit long, souvent, sur la découverte de la
substance évoquée, sur les chercheurs impliqués dans cette découverte,
et même sur l’état de la science à ce moment-là. Toute une histoire
qui a vite fait de nous mener vers d’autres domaines scientifiques ou
culturels : botanique et zoologie, astronomie, histoire et mythologie,
médecine et biologie, technique et industrie…
Des noms qui font voyager, ne serait-ce que parce qu’ils sont donnés en
français et, au minimum, en espagnol, anglais et allemand. Tant les titres
des chapitres que les illustrations laissent libre cours à l’imagination.
Mais le but de l’ouvrage est aussi de rendre plus familier le tableau
périodique mis en relief dans le thème de l’année 2019.

z
De la liste des éléments au tableau périodique
En 1789, Lavoisier établissait le concept d’élément chimique et son
Traité élémentaire de chimie donnait la liste de 23 éléments connus à
cette date.
Par la suite, on a découvert d’autres éléments, classés par leurs masses du
plus léger, l’hydrogène, au plus lourd, l’uranium. Et en tenant compte
de leurs propriétés, on les a rangés dans un tableau à plusieurs colonnes.
Et c’est un polytechnicien et ingénieur des Mines, Alexandre de
Chancourtois (1820-1886), qui fut le premier à introduire une
périodicité dans ce classement, en 1862, sous la forme originale d’une
hélice tracée sur un cylindre, la vis tellurique toujours visible à l’École
des Mines de Paris. Puis, dans les quelques années suivantes, d’autres
chercheurs, indépendamment les uns des autres, ont présenté cette
périodicité dans un tableau à double entrée. Ce fut notamment le cas
en Allemagne de Lothar Meyer et en Russie de Dimitri Mendeleïev,
qui, le premier, a fait de ce tableau un outil prédictif.

VII
Avant-propos

z
Le tableau de Mendeleïev, périodique certes
et surtout prédictif
Mendeleïev (1834-1907), professeur de chimie à Saint-Pétersbourg,
a marqué l’histoire de la chimie par sa publication de 18692, non pas
tant par le concept de périodicité des éléments, déjà bien compris par
d’autres, mais surtout en prédisant la découverte ultérieure d’éléments
manquants à des emplacements restés vides dans son tableau des
63 éléments alors connus. Il prédisait en outre certaines propriétés de
ces futurs éléments, dont trois ont été effectivement découverts de son
vivant, ce qui a fait sensation.
On trouvera ces trois éléments historiques dans La prodigieuse histoire du
nom des éléments, et bien d’autres références au tableau périodique, dont
on pourra suivre la construction tout au long de l’ouvrage.
Mais pour les savants de l’Antiquité, les éléments étaient le feu, l’air,
l’eau et la terre, un point de départ par lequel nous allons commencer,
au chapitre 1.

2. E. Scerri, Le tableau périodique, Son histoire et sa signification, EDP Sciences, Paris, 2011, 349 p.,
p. 64 (1re éd. The periodic Table, its story and its significance, Oxford, 2006).

VIII
Aide à la lecture
z
Conventions typographiques :
en italique le mot lui-même
« » le sens du mot
< > forme graphique
[ ] prononciation
*(devant un mot) forme reconstruite, non attestée par écrit
Sauf quelques exceptions, les mots grecs sont translittérés, selon les
normes usuelles :
Įĺ a ȕĺ b Șĺ ê șĺ th ijĺ ph ȥĺ ps Ȧĺ ô
Ȥĺ kh (devient <ch> prononcé [k], en latin et en français)
ȣĺ u (devient <y> en latin et en français)
Exemple :
grec ‫݋‬IJȣμȠȜȠȖȚĮĺ etumologia > latin etymologia > français étymologie
Les mots écrits dans des alphabets spécifiques (cyrillique, arabe…) sont
translittérés également.

z
Quelques mots-clés
– indo-européen : renvoie à une langue reconstruite, dont on pense qu’elle
était parlée 5 000 ans avant notre ère dans une région proche de la mer
Noire, et d’où proviennent les langues de la famille dite indo-européenne,
comportant principalement le sanskrit, des langues d’Asie (persan,
hindi…), et la plupart des langues d’Europe : le grec, le latin et les langues
romanes dont elles sont issues (italien, espagnol, français…), les langues
slaves (russe…), germaniques (anglais, allemand…), celtiques (breton…)…
– atome : du grec atomos, « indivisible », qualifiant déjà une particule
indivisible chez Aristote. C’est vers 1900 qu’a été comprise la structure
de l’atome : un noyau positif entouré d’électrons négatifs. Depuis
lors, et c’est le cas dans le présent ouvrage, on parle tantôt d’éléments
chimiques, tantôt d’atomes.

IX
Aide à la lecture

– ion : un atome qui a soit capté un ou des électrons (c’est un anion,


négatif), soit en a perdu un ou plusieurs (c’est un cation, positif). Créé
par le physicien anglais Faraday en 1834, ce nom vient du grec ion,
participe présent du verbe « aller », donc « allant, qui va », soit vers
l’anode (le +), soit vers la cathode (le -).
– isotope : du grec iso, « le même » et topos, « lieu », créé en 1913 par le
physicien américain Soddy pour désigner des atomes d’une même case
du tableau périodique, ayant donc le même numéro atomique (même
nombre d’électrons), mais des masses différentes. Exemple : pour le
carbone (numéro atomique 6) on connaît le carbone 14, qui est un
isotope radioactif alors que l’isotope le plus courant, le carbone 12, ne
l’est pas.

z
L’IUPAC (International Union of Pure and Applied
Chemistry)
L’Union Internationale de Chimie Pure et Appliquée est une
organisation non gouvernementale ayant son siège à Zurich. Créée
en 1919, elle s’intéresse aux progrès en chimie, chimie physique,
biochimie, etc. Elle a pour membres des sociétés nationales de chimie.
C’est l’IUPAC qui valide la nomenclature chimique, dont les noms des
éléments chimiques (ou des atomes), leurs symboles chimiques, leurs
isotopes, etc. Exemple : l’IUPAC a validé récemment le nom du dernier
élément identifié à ce jour, l’oganesson (Og), numéro atomique 118.

X
Les explorateurs d’éléments

Sommaire
1 Le feu, l’air, l’eau, la terre… et le 5e élément ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1
Où l’on voit comment Lavoisier a fait émerger la chimie moderne

2 Au bonheur des artistes et des artisans . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 21


Où l’on se rappelle que les Anciens connaissaient 7 métaux

3 Dieux, mythes et légendes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 49


Où l’on se plonge dans la mythologie et l’astronomie

4 Voyages avec les mots. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 85


Où l’on trouve des noms de villes, de pays, et même de continents

5 Les goûts, les couleurs et les odeurs des noms . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 109


Où l’on perçoit le mot dans tous les sens du terme

6 Les explorateurs d’éléments . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 129


Où l’on voit comment ils ont baptisé leurs découvertes

7 Dans l’intimité des plantes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 165


Où la botanique est source d’inspiration

8 Histoires animalières . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 197


Où se rencontrent la zoologie et la chimie

9 Des produits du quotidien nous racontent . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 217


Où l’on découvre l’histoire des noms de produits usuels

Épilogue des épilogues . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 245

Table des matières . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 248

Références . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 252

Index . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 254

XI
CHAPITRE

Le feu, l’air, l’eau,


1
la terre…
et le 5e élément ?
Où l’on voit comment Lavoisier a fait
émerger la chimie moderne

1 Terre, précieuse mine de diamant !. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4


2 L’air et l’eau, éléments de la vie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8
3 Une quête qui mène au feu . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12
4 Le 5e élément… vers la quintessence ! . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 16
Chapitre 1 : Le feu, l’air, l’eau, la terre… et le 5eÆOÆPHQW}"

LES ÉLÉMENTS DES ANCIENS


ET DES ALCHIMISTES
Les philosophes grecs de l’Antiquité ont d’abord pensé qu’un seul élément
était à l’origine de tout, le feu pour les uns, ou l’eau pour d’autres, jusqu’à
ce qu’Empédocle, au VeVLÅFOHDYDQW-&DIƂUPHOpH[LVWHQFHGHTXDWUH
ÆOÆPHQWVSULPLWLIV}OHfeu, l’air, l’eau et la terre, non pas la Terre au sens
de la planète, ni la terreVXUODTXHOOHSRXVVHQWOHVYÆJÆWDX[PDLVODterre
au sens de l’ensemble des matières solides, considérées comme formant
un seul élément.
La description d’Empédocle, né dans la ville grecque d’Agrigente en Sicile,
ÆWDLWSRÆWLTXHHWP\WKRORJLTXH}DLQVLOHfeu OXPLQHX[ÆWDLWFHOXLGH=HXVHW
l’eau provenait des pleurs de Nestis, une divinité sicilienne.
Ensuite Platon (vers 427-347 avant J.-C.), né à Athènes, adoptait une concep-
tion plus mathématique. Il supposait que les quatre éléments étaient formés
de très petites particules, invisibles, ayant la forme de polyèdres réguliers,
WHOVTXpÆWXGLÆVDXSDUDYDQWSDUOHV3\WKDJRULFLHQV}

/H FXEH KH[DÅGUH  D OpDSSDUHQFH OD SOXV VWDEOH GH OD terre, alors que le
WÆWUDÅGUHSDUDËWSOXVPRELOHHWSOXVˆ}FRXSDQW}˜DJUHVVLIFRPPHOHfeu.
L’octaèdre représente l’air et l’icosaèdre roule facilement, comme l’eau
qui coule.
2ULOH[LVWHXQFLQTXLÅPHSRO\ÅGUHUÆJXOLHUFRQYH[Hle dodé-
FDÅGUHHWVHORQ3ODWRQ}ˆ}le Dieu s’en est servi pour le Tout,
TXDQGLODGHVVLQÆOpDUUDQJHPHQWƂQDO}˜1.


&HGRGÆFDÅGUHSUÆƂJXUDLWODQRWLRQGHeÆOÆPHQWH[SOLFLWÆH
ensuite par Aristote.

1. Platon, Timée Critias, Timée 55 c, Les Belles Lettres, Paris, 2011, texte Albert Rivaud.

2
La prodigieuse histoire du nom des éléments

Aristote (384-322 avant J.-C.), né à Stagire CHAUD


en Macédoine, privilégie quant à lui les sensa-

u
tions que procurent les éléments, leurs qualités

Ai
Fe

r
premières que sont le chaud et le froid d’une SEC HUMIDE

Te

u
part, l’humide et le sec d’autre part. Selon lui, les

Ea
rr
e
quatre éléments découlent de ces qualités fonda- FROID
PHQWDOHVDVVRFLÆHVGHX[½GHX[
0DLVQp\DYDLWLOTXHTXDWUHÆOÆPHQWVGDQVOp8QLYHUV}"

/HFLQTXLÅPHÆOÆPHQW}l’éther
Dans la mythologie grecque, Æther (grec Aithêr HVWOpXQGHVGLHX[SULPRUGLDX[
DVVRFLÆV½ODFUÆDWLRQGXPRQGH,OSHUVRQQLƂHODSDUWLHODSOXVOXPLQHXVHOD
plus pure et la plus élevée de l’atmosphère, nommée en grec aithêr, nom qui
se relie au grec aitheinˆ}EUØOHUÇWUHOXPLQHX[}˜HWGpRÖYLHQWéther en français.
Pour Aristote2, le cinquième élément est cet éther, dans lequel baignent les
ÆWRLOHVGXƂUPDPHQWHQURWDWLRQDXWRXUGHOD7HUUH

Les alchimistes, continuateurs des Anciens


Le principe des quatre éléments est resté en vigueur pendant tout le Moyen
Âge et jusqu’au début du XVIIIe siècle. Quant au concept du cinquième élément,
LO D LQVSLUÆ DX[ DOFKLPLVWHV OH WHUPH GH quinte essence, du latin quintus,
ˆ}FLQTXLÅPH}˜HWessentiaˆ}QDWXUHGHVFKRVHV}˜SRXUGÆVLJQHUOHVWDGHXOWLPH
GHWRXWHGLVWLOODWLRQGpRÖODQRWLRQSOXVJÆQÆUDOHDXMRXUGpKXLGHquintessence.
Dans la 2de édition (1778) du Dictionnaire de chimie de Macquer, un colla-
borateur de Lavoisier, le mot éther a déjà son sens moderne de liquide très
YRODWLOPDLVRQWURXYHHQFRUHOHVTXDWUHÆOÆPHQWV}OHfeu, l’air et l’eau, non
décomposables, et la terre, dont l’émanation la plus pure est le quartz, à la
place du diamant donné dans la 1re édition (1766).

La théorie révolutionnaire de Lavoisier


Or en 1789, dans son Traité élémentaire de chimie, Lavoisier publiait le premier
tableau des éléments chimiques au sens moderne du terme, dont l’hydrogène
et OpR[\JÅQHLVVXVGHODGÆFRPSRVLWLRQGHOpHDXOpD]RWHLVVXGHODGÆFRPSR-
 
sition de l’air, le carbone reconnu comme l’unique constituant du diamant…
FHTXLUXLQDLWGÆƂQLWLYHPHQWOpDQFLHQQHWKÆRULHGHVTXDWUHÆOÆPHQWV
En une décennie, était franchi un pas de géant, comme nous allons le voir.

2. Aristote, Du Ciel, Livre I, 270 b, Les Belles Lettres, Paris, 2003, texte Paul Moraux.

3
Chapitre 1 : Le feu, l’air, l’eau, la terre… et le 5eÆOÆPHQW}"

1 Terre, précieuse
mine de diamant !
Le carbone (C), le charbon, le diamant,
le graphite, le graphène et le fullérène

Le diamant n’est constitué que


d’atomes de carbone, qui forment des
cubes empilés les uns sur les autres,
un peu comme Platon imaginait la
structure de l’élément terre !
Le diamant, un produit chimique ?
➜ 'LDPDQWÆPDQDWLRQGpXQ}ÆOÆPHQWSXU}"
Pourquoi pas. En 1766, à l’article
terre de la 1re édition de son Dictionnaire de chimie, le chimiste français
Macquer écrivait du diamant : « c’est la matière même de cette pierre
que nous regardons comme la terre la plus simple, la plus pure & la plus
élémentaire que nous connaissions ».
Ce texte était prophétique car le diamant est bien l’émanation d’un
élément pur, certes pas de la terre, au sens ancien du terme élément, mais
du carbone, un élément chimique au sens moderne du terme.

z
Les diamants sont éternels, seulement au cinéma
Toute matière très dure, y compris métallique, puis plus
spécialement le diamant chez Théophraste, se nommait en grec
adamas, adamantos, formé du a- privatif et du verbe damnêmi,
« dompter ». Le diamant, aux propriétés exceptionnelles, était
donc qualifié d’« indomptable » en grec, ce que le latin a repris
sous la forme adamas, devenant en bas latin diamas, diamantis, d’où
en français diamant, en italien et espagnol diamante, en anglais
diamond et en allemand Diamant. Le a- privatif est tombé dans cette
évolution, même en grec moderne, diamanti, comme si le diamant
n’était plus « indomptable ». Une évolution prémonitoire.

4
7HUUHSUÆFLHXVHPLQHGHGLDPDQW}

z
Du diamant au charbon, lumière sur le carbone
En 1773, Lavoisier, aidé notamment de Macquer, montrait en effet
que, loin d’être éternel, le diamant porté à haute température brûlait
en donnant le même gaz de combustion que le charbon. De là, il
identifiait l’élément qu’il nommait « substance charbonneuse » en 1781,
et que Guyton de Morveau baptisait carbone en 1787. Et le diamant
est donc un cristal de carbone.
Le mot carbone a été formé sur le latin carbo, carbonis, déjà à l’origine
de charbon. En effet, le latin carbo, sans doute lié au verbe cremare,
« brûler, cramer », a d’abord désigné le charbon de bois, puis surtout le
charbon de terre. En français, charbon et carbone sont donc des doublets
étymologiques, qui existent aussi dans les autres langues romanes,
mais pas dans les langues germaniques : coal en anglais et Kohle en
allemand ont une même origine, non pas latine mais germanique.

français italien espagnol anglais allemand


charbon carbone (m.) carbón coal Kohle (f.)
carbone carbonio carbono carbon Kohlenstoff (m.)

L’allemand est un peu à part, avec Kohlenstoff qui traduit la « substance


charbonneuse » de Lavoisier. Le CO2 par exemple se dit Kohlenstoff-
dioxid, mais aussi et même plutôt Kohlendioxid. Et le radical Carbon-/
Karbon-, s’emploie aussi, notamment, pour Carbonat, Carbonyl…

z
La mine de plomb, l’écriture et le graphite
Le charbon de bois est utilisé comme crayon noir depuis l’origine des
temps, déjà sur des peintures rupestres, ce qui permet de les dater au
carbone 14. Aujourd’hui encore, il sert à dessiner : c’est le fusain en
français, nommé carboncino en italien par exemple.
Dans l’Antiquité, on écrivait aussi avec une pointe métallique à base
de plomb, ou encore par la suite avec une pierre nommée plombagine
à cause de sa ressemblance avec du minerai de plomb (plumbago en
latin). On appelait aussi cette pierre mine de plomb, où mine signifiait
« minerai ». Mais le chimiste suédois Scheele a montré, à la fin du
XVIIIe siècle, que cette plombagine, ou mine de plomb, n’avait rien à

5
Chapitre 1 : Le feu, l’air, l’eau, la terre… et le 5eÆOÆPHQW}"

voir avec le plomb, et que c’était en fait une forme particulière du


carbone, encore meilleure que le charbon de bois pour l’écriture.
Le minéralogiste allemand Werner lui donnera en 1790 un nom plus
satisfaisant, graphite, du grec graphein, « écrire ». Toutefois, on emploie
encore parfois en français l’expression crayon à mine de plomb, d’où le nom
usuel de la mine d’un crayon en général. En allemand, le nom traditionnel
du crayon noir est Bleistift, de Blei, « plomb », et
Stift, « pointe, crayon », et en anglais, c’est même
la mine d’un crayon en général qui se dit
communément lead, c’est-à-dire « plomb ».

z
Les petits derniers : les fullerènes… et le graphène
Coup de théâtre en 1985 : on
découvre une toute nouvelle forme
du carbone, dont l’archétype est
le C60, un ensemble sphérique de
60 atomes de carbone formant
20 hexagones et 12 pentagones,
tel un microscopique ballon de
➜ )XOOHUÅQHVRXˆ}IRRWEDOOÅQHV}˜SRXUOH&60.
football. Platon aurait sûrement
aimé connaître cette étonnante molécule, lui qui imaginait des
particules élémentaires en forme de polyèdres, même si les siens
étaient réguliers, donc composés d’une seule sorte de polygones, alors
que le C60 est un polyèdre semi-régulier, dit archimédien, car composé
de deux sortes de polygones.
Cette structure rappelait aussi les dômes géodésiques (c’est-à-dire
reproduisant la forme de la Terre) de l’architecte américain Richard
Buckminster Fuller (1895-1983), dit Fuller. De là, le nom fullerène a été
donné en 1992 aux C60 et autres molécules apparentées, y compris les
nanotubes découverts un peu auparavant.
Dernier rebondissement en 2004 : on parvient à
isoler en tant que nouvelle espèce chimique, nommée
graphène, le feuillet de carbone plan constitutif du
graphite.

6
7HUUHSUÆFLHXVHPLQHGHGLDPDQW}

z
Épilogue : une mine de découvertes autour
du carbone !
Entre le diamant jadis assimilé à l’élément terre et le dôme de Fuller
imitant la Terre, le carbone est à la base de la vie sur Terre, et il
prend des formes aussi variées que le diamant, le graphite, la fibre de
carbone, le noir de carbone, les fullerènes et le graphène.
Une diversité stupéfiante, si l’on ose dire en pensant à la chanson
des Beatles Lucy in the Sky with Diamonds, où l’on peut lire LSD
(Lysergsäurediethylamid), et dont les archéologues se sont inspirés1
pour nommer Lucy la célèbre australopithèque découverte en 1974
en Éthiopie…

➜ /HGÑPHJÆRGÆVLTXH½OpH[SRVLWLRQXQLYHUVHOOHGH0RQWUÆDO
Wikipédia, licence CC-BY-SA-3.0, Eberhard von Nellenburg.

3. Coppens, Yves, Le genou de Lucy, Poche Odile Jacob, Paris, 2000, 221 p., p. 155.

7
Chapitre 1 : Le feu, l’air, l’eau, la terre… et le 5eÆOÆPHQW}"

2 L’air et l’eau,
éléments de la vie
L’hydrogène (H), l’oxygène (O)… et l’azote (N)

Trois chimistes anglais, Cavendish, Priestley et D. Rutherford ont été


les premiers à isoler respectivement l’hydrogène, l’oxygène et l’azote,
mais c’est Lavoisier qui a mis en évidence les relations de ces gaz avec
l’eau et l’air.
Il a montré ainsi que deux éléments vitaux parmi les quatre de l’Antiquité,
l’eau et l’air, se composent de trois éléments chimiques essentiels dans
la construction du vivant : H, O et N.

z
L’hydrogène génère l’eau, et l’oxygène l’acide…
Dans leur Méthode de Nomenclature Chimique (1787), MM. de Morveau,
Lavoisier, Bertholet et de Fourcroy désignent « le seul [élément] qui
produise de l’eau par sa combinaison avec l’oxigène » sous le nom « Hidrogène,
c’est-à-dire engendrant l’eau ». Lavoisier écrit <hydrogène> dès 1789, du
grec hudro-, « relatif à l’eau », de hudôr, « eau ». Dès lors, en français,
l’élément hydro- renvoie tantôt à l’eau, comme dans hydroélectricité, tantôt
à l’hydrogène, comme dans hydrocarbure.
Dans la même publication, les auteurs adoptent « l’expression d’oxi-
gène, en la tirant, comme M. Lavoisier l’a dès longtemps proposé, du grec oxus
acide & geinomai j’engendre, à cause [du] grand nombre des substances avec
lesquelles il s’unit à l’état d’acide. »
Ce nom, écrit <oxygène> dès 1789,
s’applique logiquement à un élément
présent dans de nombreux acides,
comme HNO3, H2SO4, H2CO3…
Cependant, les auteurs sont allés ➜ 'LVSRVLWLIGH/DYRLVLHUSRXUVHVH[SÆULHQFHV
servant à démontrer et caractériser
trop loin en ajoutant que cet élément OHˆ}UDGLFDOFRQVWLWXWLI}˜GHOpHDX
paraissait « être un principe nécessaire à qu’il baptise hydrogène. Traité élémentaire
l’acidité », puisqu’on a trouvé aussi des de chimie, 1789.

8
L’air et l’eau, éléments de la vie

acides comme H2S ou ceux formés avec les halogènes (HF, HCl…), qui
ne comportent pas d’oxygène. Et ce dernier point a soulevé la critique.

z
… et pourquoi pas l’inverse ?
Dès 1787, un certain de La Métherie, philosophe et minéralogiste,
critiquait en effet la Nomenclature en observant que l’acidité n’était pas
liée à la présence d’oxygène. En outre, il notait que l’eau comportait
près de 90 % d’oxygène, en masse, soit beaucoup plus que d’hydrogène.
De là à inverser les noms hydrogène et oxygène, il n’y avait qu’un pas…
que toutefois personne n’a osé franchir.
À ce petit jeu-là, tout en restant en relation avec l’eau, on pourrait
aussi songer à inverser les noms aquarium et piscine, qui vient de piscis,
« poisson » en latin, où piscina désignait un vivier de poissons. Il serait
plus logique de se rendre à l’aquarium et de mettre ses poissons rouges
dans une piscine. Mais reprenons notre propos...

z
Encore deux écoles, pour nommer l’azote
Toujours dans la Nomenclature de 1787, les auteurs déclarent à propos
de l’azote : « il lui fallait un nom particulier, & en le cherchant nous avons
également tâché d’éviter & l’inconvénient de former un de ces mots tout à fait
insignifiants qui ne se relient à aucune idée connue […], & l’inconvénient
peut-être encore plus grand d’affirmer prématurément ce qui n’est encore
qu’apperçu » (sic). Forts de ce dernier argument, ils réfutent le nom alka-
ligène, considérant que la présence de l’azote était prouvée dans l’alcali
volatil (l’ammoniac), mais pas dans les autres alcalis. Ils préfèrent tenir
compte de la propriété « de ne pas entretenir la vie des animaux, d’être
réellement non-vital », d’où le nom azote, du a privatif et du grec zôtikos,
« vital », de zôê, « vie ».
Malgré le soin avec lequel il a été choisi, le nom azote n’a pas entraîné
l’adhésion de toute la communauté scientifique, même pas en France
puisque, dès 1790, Chaptal lui préférait le nom nitrogène, en reprenant
l’idée d’alcaligène, mieux ciblée sur l’acide nitrique. Et cette fois, le
monde anglo-saxon a suivi ce nom dissident, d’où l’anglais nitrogen,
« azote », attesté dès 1794. Le tableau ci-après montre qu’en italien,

9
Chapitre 1 : Le feu, l’air, l’eau, la terre… et le 5eÆOÆPHQW}"

on suit le français, mais qu’en espagnol, on suit l’anglais, alors qu’en


allemand, les noms sont, en apparence, très différents.

français italien espagnol anglais allemand symbole


hydrogène idrogeno hidrógeno hydrogen Wasserstoff H
oxygène ossigeno oxígeno oxygen Sauerstoff O
azote azoto nitrógeno nitrogen Stickstoff N

En fait, la langue allemande affectionne les noms composés de nature


expressive, et cela se voit bien ici : Wasserstoff, de Wasser, « eau », et Stoff,
« substance », a le même sens étymologique qu’hydrogène, et de même,
Sauerstoff, de sauer, « acide », est pratiquement un calque d’oxygène.
Quant à Stickstoff, de ersticken, « étouffer », c’est un nom inspiré du
français azote, et pas du tout de l’anglais nitrogen.
Enfin, si les noms des éléments H, O et N sont assez divers, ceux de
leurs composés sont plus homogènes, et en général inspirés de l’anglais :

français italien espagnol anglais allemand ion


hydrure idruro hidruro hydride Hydrid H-
oxyde ossido óxido oxyde Oxid O2-
nitrure nitruro nitruro nitride Nitrid N3-
azoture azoturo azida azide Azid N3-

Par exemple en français, nitrure a éliminé azoture, qu’employait


Lavoisier (mais plus tard, on a repris ce nom azoture pour désigner un
sel de l’acide azothydrique, HN3, sel nommé azide en anglais).

z
Épilogue : retour aux sources
Cette rubrique illustre la part d’arbitraire qui subsiste dans toute
appellation. Concernant l’hydrogène, on a vu que certains l’auraient
volontiers nommé oxygène.
Remarquons toutefois que le lien entre l’hydrogène et l’eau est double : si
l’hydrogène engendre l’eau, on peut aussi extraire l’hydrogène de l’eau,
par électrolyse notamment. L’oxygène aussi ? Certes mais l’oxygène est
déjà disponible dans l’air, et on ne manque pas d’air. En fait, on peut

10
L’air et l’eau, éléments de la vie

voir l’eau comme un minerai (inépuisable d’ailleurs) d’hydrogène, ce


que l’élément hydro-, « eau », rappelle opportunément. D’ailleurs, en
français, le sens du suffixe -gène est tantôt actif comme dans fumigène
« qui génère la fumée », tantôt passif comme dans exogène « qui est
généré par l’extérieur ». Le mot hydrogène peut donc se comprendre
dans les deux sens.
En conclusion de ces deux premières rubriques, on est passé, grâce à
Lavoisier, de trois des quatre éléments de l’Antiquité, air, eau, terre,
aux quatre atomes les plus importants du règne vivant, le carbone,
l’oxygène, l’hydrogène et l’azote. Ce dernier élément doit son nom en
français au fait qu’il « n’entretient pas la vie », mais cela ne l’empêche
pas de participer à la construction du vivant !

➜ Une bulle d’air sous pression, lâchée au fond de l’eau à 50 cm de profondeur, remonte sous
IRUPHGpXQDQQHDXMXVTXp½ODVXUIDFHRÖLOGLVSDUDËW4.

4. Honvault, Jacques, ConSciences, Voyage aux frontières de l’entendement, Les Cavaliers de l’Orage,
Paris, 2013, 188 p., p. 180.

11
Chapitre 1 : Le feu, l’air, l’eau, la terre… et le 5eÆOÆPHQW}"

3 Une quête
qui mène au feu
Le phosphore (P) et le phosgène

Le nom de cet élément remonte visiblement au grec phôsphoros, de


phôs, phôtos, « lumière », et pherein, « porter » ; cette étymologie reflète
une double histoire, celle des mots et celle de la découverte, haute en
couleur, du phosphore.

z
Du grec phôsphoros au français phosphore
En grec, l’adjectif phôsphoros signifiait « qui porte la lumière » et
s’appliquait donc, au sens propre, à une torche qui éclaire. Puis en grec
tardif, Phôsphoros désignait la planète Aphrodite (devenue Vénus, l’étoile du
berger) tôt le matin, quand cette étoile est la plus brillante du ciel et qu’elle
apporte en quelque sorte la lumière du jour. En latin, son nom était
Phosphorus, ou Lucifer, de lux, lucis, « lumière », et ferre, « porter », alors
que le soir, on l’appelait Hesperus, du grec Hesperos, de hespera, « soir ».

➜ Phôsphoros désignait la planète Vénus, l’étoile du berger, apparaissant le matin.

12
Une quête qui mène au feu

Plus tard, les alchimistes ont donné le nom phosphorus aux substances
luminescentes qu’ils rencontraient. L’une des premières découvertes,
à Bologne en 1602, fut la luminescence du sulfure de baryum calciné,
nommé phosphore de Bologne. Par la suite, le nitrate et le sulfure de calcium
ont aussi été qualifiés de phosphores. Le grec phôsphoros a donc abouti
en français à phosphore pour désigner au XVIIe siècle toute substance
luminescente, et c’est dans ce contexte qu’est intervenue en 1669 la
découverte extraordinaire, sinon rocambolesque, d’un alchimiste de
Hambourg.

z
Comment en cherchant l’or, on découvrit
le phosphore
Comme la plupart des alchimistes, Henning Brandt était obsédé par
l’idée de fabriquer de l’or, et il était persuadé que le corps humain en
contenait. Le nom de l’or en allemand, Gold, signifie « métal jaune »,
comme si ce métal s’identifiait à sa couleur, et de là à penser qu’une
substance jaune devait contenir de l’or, il n’y avait qu’un pas. On le
pensait ainsi de l’urine, et c’est sous l’influence de aurum, « or », que
le latin urina, « urine », est devenu en bas latin *aurina, puis orine en
français du XIIe siècle, redevenu urine en français au XIVe siècle (mais
resté orina en italien et en espagnol). Et donc Brandt s’est mis en
tête d’obtenir de l’or, ou au moins la Pierre Philosophale capable de
transmuter le plomb en or… à partir de l’urine !
L’expérience cruciale eut lieu en 1669 : la distillation de l’urine poussée
à l’extrême, suivie d’une calcination du résidu, a donné une substance
blanche et cireuse, qui, loin d’être de l’or, avait la propriété inattendue
de s’enflammer violemment à l’air et de luire dans l’obscurité.

z
2019, le 350e anniversaire de la découverte
du phosphore
Cette substance nouvelle était donc un phosphore, que d’autres
alchimistes ont su produire sous des noms tels que phosphore de Kunckel
ou d’Angleterre, jusqu’à ce que Lavoisier lui donne le statut d’élément
chimique en lui réservant le nom phosphore, tout court. C’était bel et
bien le premier élément chimique dont la découverte pouvait être

13
Chapitre 1 : Le feu, l’air, l’eau, la terre… et le 5eÆOÆPHQW}"

attribuée à une personne, Henning Brandt, qui avait trouvé en même


temps une façon inattendue de produire du feu.
Le mot phosphorescence dérive du nom du phosphore, qui est phosphorescent
en effet, du moins au sens usuel du terme. Mais en toute rigueur, la
phosphorescence est définie comme une luminescence d’origine purement
électronique, alors que celle du phosphore est d’origine chimique
(chimiluminescence).
Autre curiosité : en grec tardif, phôsphoros a pour synonyme phôtophoros,
que le français a emprunté au XIXe siècle, le photophore. D’où d’étranges
doublets : phosphore en chimie et photophore pour l’éclairage.

➜ L’alchimiste
Henning Brandt, à la recherche de l’or et de la Pierre
Philosophale, soudain illuminé par son ballon. Joseph Wright (1771).

14
Une quête qui mène au feu

'p2¶9,(17/(0273+26*¥1(}"
On pourrait voir une sorte de synonyme de phosphore dans phosgène, dont le sens
VHUDLWˆ}TXLJÆQÅUHODOXPLÅUH}˜0DLVSDVGXWRXW}OHFKLPLVWHDQJODLV-RKQ'DY\D
obtenu le phosgène en 1812 par réaction du FKORUHHWGXPRQR[\GHGHcarbone sous
OpDFWLRQGHODOXPLÅUHHWQRQSDVDYHFÆPLVVLRQGHOXPLÅUH}
?lumière
Cl2 + CO A Cl2CO
Donc étymologiquement, phosgène VLJQLƂH ˆ} TXL HVW JÆQÆUÆ SDU OD OXPLÅUH} ˜ (Q
HIIHWOHVHQVGXVXIƂ[Hgène en français est tantôt actif, comme dans oxygène,ˆ}TXL
génère OpDFLGH}˜WDQWÑWSDVVLIFRPPHGDQVexogène,ˆ}TXLHVWJÆQÆUÆSDUOpH[WÆULHXU}˜
(cf}OpÆSLORJXHGHODUXEULTXHSUÆFÆGHQWH 

z
Épilogue tout feu tout flamme
L’aventure du phosphore est un magnifique exemple de sérendipité : le
phosphore obtenu par Brandt provenait des phosphates contenus dans
l’urine, restée d’ailleurs pendant un siècle la seule source de phosphore.
Cet élément a été tiré ensuite de l’os, et maintenant des phosphates
dont les gisements résultent d’une lente accumulation de déjections
animales, surtout du guano des oiseaux et des chauves-souris. À ce
propos, la disponibilité du phosphore à long terme pose un problème
sur lequel, si l’on ose dire, il est urgent de phosphorer…
espagnol italien français anglais allemand
fόsforo fosforo phosphore phophorus Phosphor

➜ L’espagnol fόsforo désigne aussi une allumette,


porteuse du feu, et d’ailleurs inventée au XIXe siècle
grâce au phosphore.

15
Chapitre 1 : Le feu, l’air, l’eau, la terre… et le 5eÆOÆPHQW}"

4 Le 5e élément…
vers la quintessence !
L’éther, l’alcool éthylique, l’éthane,
le méthane, le propane… et les alcanes

Tout chimiste a en tête la liste des premiers


alcanes (méthane, éthane, propane, butane…),
mais dans la vie courante, on connaît
surtout le butane et le propane, ainsi que
le méthane, dont il est souvent question à
➜ Aether, en latin, désigne le ciel propos d’environnement. On parle moins de
en poésie. l’éthane, beaucoup moins en tout cas que de
l’alcool éthylique, et d’ailleurs on pourrait croire que l’adjectif éthylique
vient du nom éthane.
En fait, c’est l’inverse car dans les textes de chimie, éthane est apparu
bien après éthylique ou éthyle, et tous ces termes remontent au nom
encore plus ancien de l’éther, un liquide organique connu pour sa
grande volatilité.

z
Une origine « éthérée »
La première synthèse de l’éther date au moins au XVIe siècle, mais
son nom est attesté seulement en 1730 dans un texte en anglais de
Frobenius, sous la forme latine æther (aujourd’hui ether en anglais).
L’auteur s’est inspiré du nom grec aithêr, devenu en latin aether,
qui désignait la région supérieure de l’atmosphère, le ciel en poésie.
On comprend que les chimistes aient adopté ce nom pour un produit
volatil et inflammable, qui s’évapore en semblant se dissoudre dans l’air.

z
De l’éther à l’éthyle
Beaucoup plus tard, Liebig élucidait la structure chimique de l’éther :
CH3-CH2-O-CH2-CH3, qu’il définissait comme l’oxyde d’éthyle.

16
Le 5eÆOÆPHQWfYHUVODTXLQWHVVHQFH}

Il créait ainsi pour le radical -CH2-CH3 le nom éthyle, dont il donnait


en 1840 cette jolie définition : « L’éthyle est le radical hypothétique de
toutes les combinaisons éthérées ». D’autre part, cet oxyde d’éthyle (de
diéthyle en fait) étant l’éther ordinaire, on a nommé éther toute molécule
comportant un pont oxygène, R-O-R’, d’où aussi des polyéthers dont
certains sont d’usage courant.

z
De l’éthyle à l’éthane
Le nom éthyle associe le radical éth- au suffixe -yle,
formé sur le grec hulê, dont le sens initial est très
concret : le bois (bois sur pied ou bois coupé).
Ensuite hulê désigne tout matériau de construction
(bois, pierre…), d’où finalement toute matière,
quelle qu’elle soit (concrète ou même abstraite).
De là, le suffixe -yle a été adopté pour traduire l’existence matérielle des
radicaux « hypothétiques », tels que le radical éthyle.
Enfin, le nom éthane lui-même n’apparaît qu’en 1867 en anglais, ethane,
déduit de éthyle par un changement de suffixe de -yle à -ane. Mais autant
-yle a un véritable sens étymologique, qui remonte in fine au nom grec
du bois, autant -ane est un suffixe formel, de forme latine, adopté
définitivement au Congrès de Genève de 1892 pour les alcanes (ce
terme étant lui-même formé de alc(ool) + -ane).

z
L’éthane, un alcane parmi d’autres
Le chimiste allemand Hofmann proposait en fait, dans sa publi-
cation en anglais de 1867, toute la série de noms methane (CH4),
ethane (CH3-CH3), propane (CH3-CH2-CH3)…, formés sur les noms
antérieurs des radicaux méthyle, éthyle, propyle… où :
– méth- provient du grec methu, « boisson alcoolisée », l’alcool
méthylique ayant été extrait du bois par distillation, et confondu avec
l’alcool éthylique ;
– prop- provient du grec pro, « devant », et piôn, « gras », car c’est à
partir de 3 carbones qu’apparaissent, dans cette série, les propriétés
d’acide gras.

17
Chapitre 1 : Le feu, l’air, l’eau, la terre… et le 5eÆOÆPHQW}"

Et Hofmann continue la série par des noms basés sur les chiffres en
latin : … quartane, quintane, sextane…
On a ensuite abandonné quartane au profit de butane, où but- provient
du latin butyrum, « beurre » (plus de détails sur butane dans le
chapitre 8, rubrique 2.).
Enfin, la communauté scientifique a décidé en 1872 de nommer les alcanes
à partir du 5e par des noms basés sur les chiffres en grec, et non plus en latin
(sauf le nonane, resté sur le latin nonus, « neuvième », et non pas sur le grec
ennea « neuf », comme pour l’ennéagone, polygone à 9 côtés).

z
Des séries alphanumériques
Si les noms des quatre premiers alcanes sont particuliers, à partir du 5e, ils
deviennent donc purement numériques : pentane, hexane, heptane, octane
(on connaît bien l’indice d’octane de l’essence)… C’est un peu la même
chose pour les polygones, qui, à partir du 5e, s’appellent pentagone, hexa-
gone, heptagone, octogone… même si dans ce cas les premiers noms, triangle
et quadrilatère, sont déjà basés sur les chiffres 3 et 4, mais en latin.
On peut aussi faire une analogie, un peu forcée peut-être, avec les
noms des mois de l’année. En effet, le calendrier romain comportait
initialement 10 mois, dont les 4 premiers avaient des noms différenciés
(devenus mars, avril, mai, juin) alors que les noms des suivants étaient
des numéros d’ordre : Quintilis, Sextilis, September, October… Par la suite,
les mois de janvier et février ont été ajoutés, d’où le fait que maintenant,
les 9e, 10e, 11e et 12e mois de l’année sont septembre, octobre, novembre et
décembre (Quintilis et Sextilis étant devenus entre-temps juillet et août).
Mais il y a plus étonnant : dans les grandes familles romaines5, il arrivait
que seuls les quatre premiers prénoms des enfants soient variés, alors
que les suivants étaient simplement Quintus, Sextus, Septimus, Octa-
vius… (ou l’équivalent féminin). C’est l’origine de prénoms comme
Quentin, Sixtine ou Octave, qui se donnent encore aujourd’hui.
À ce propos, Ethan est un prénom d’origine biblique… mais non, la
ressemblance avec éthane est purement fortuite.

5. Ifrah, Georges, Histoire universelle des chiffres, Lorsque les nombres racontent les hommes, Seghers,
Paris, 1981, 568 p., p. 14.

18
Le 5eÆOÆPHQWfYHUVODTXLQWHVVHQFH}

z
Épilogue cosmique
Le mot éther est tombé bien bas. C’était le haut du ciel divinisé dans
l’Antiquité, et c’est aujourd’hui un terme ordinaire en chimie peu usité.
Dans les langues modernes, le dieu Æther est moins présent que son
grand-père, Chaos, le dieu du vide primordial antérieur à la création,
visible dans le mot chaos, et caché en outre dans le mot gaz.

D’OÙ VIENT LE MOT GAZ}"


Le savant néerlandais Jean-Baptiste Van Helmont (1579-1644) était philosophe,
médecin, physicien et alchimiste. Il étudiait les interactions entre physique et physio-
logie, et il a cherché à comprendre la nature de la fumée qui s’élève au-dessus d’une
ƃDPPH3RXUGÆVLJQHUFHWWHIXPÆH9DQ+HOPRQWHQHVWDUULYƽSURSRVHUXQPRWODWLQ
nouveau, gasˆ}proche dérivé du nom chaos des Anciens}˜3DUFHPRWgas, emprunté
dans toutes les langues (en français, gaz), il évoquait la matière ramenée par le feu
DXFKDRVDXWHPSVGXGLHXJUHF&KDRVRÖDXFXQRUGUHQpÆWDLWHQFRUHLPSRVÆDX[
éléments du monde.

z
2019, le 260e anniversaire
du tableau de Lavoisier
Lavoisier établit en 1789 la notion
moderne d’élément chimique et
publie le premier tableau (encore
imparfait et pas encore périodique)
de ces éléments, comportant 33
« substances » :
– 2 réminiscences des 5 éléments
de l’Antiquité, le « Calorique »
pour le feu et la « Lumière » pour
l’éther ;
– des composés comme la chaux ou
la magnésie ;
– et 23 éléments chimiques
proprement dits : le soufre et
une quinzaine de métaux, dont il
sera question dans les chapitres
suivants,

19
Chapitre 1 : Le feu, l’air, l’eau, la terre… et le 5eÆOÆPHQW}"

ainsi que les 5 éléments de ce premier chapitre : H, O, N et C, qui


« remplacent » en quelque sorte la terre, l’air et l’eau des Anciens, et le
phosphore, P, très important lui aussi dans la construction des organismes
vivants, puisque c’est aussi un atome essentiel de l’ADN.
Ces 5 éléments figurent regroupés en haut du tableau périodique.
1 18
11 2
H He
hydrogène
hydrogène 2 13 14 15 16 17
1 hélium
6 7 8
3 4 numéro atomique 5 6 7 8 9 10
Li Be symbole B CC N
N OO F Ne
lithium béryllium nom bore carbone
carbone Azote
Azote oxygène
oxygène flfluor néon
11 12 13 14 15
15 16 1
17 18
Na Mg Al Si P S Cl
C Ar
sodium magnésium 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 aluminium silicium phosphore
phosphore soufre chlore
ch argon
19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30 31 32 33 34 35
3 36
K Ca Sc Ti V Cr Mn Fe Co Ni Cu Zn Ga Ge As Se Br Kr
potassium calcium scandium titane vanadium chrome manganèse fer cobalt nickel cuivre zinc gallium germanium arsenic sélénium brome krypton
37 38 39 40 41 42 43 44 45 46 47 48 49 50 51 52 53 54
Rb Sr Y Zr Nb Mo Tc Ru Rh Pd Ag Cd In Sn Sb Te I Xe
rubidium strontium yttrium zirconium niobium molybdène technétium ruthénium rhodium palladium argent cadmium indium étain antimoine tellure iode xénon
55 56 72 73 74 75 76 77 78 79 80 81 82 83 84 85 86
Cs Ba lanthanoïdes Hf Ta W Re Os Ir Pt Au Hg Tl Pb Bi Po At Rn
césium baryum hafnium tantale tungstène rhénium osmium iridium platine or mercure thallium plomb bismuth polonium astate radon
87 88 104 105 106 107 108 109 110 111 112 113 114 115 116 117 118
Fr Ra actinoïdes Rf Db Sg Bh Hs Mt Ds Rg Cn Nh Fl Mc Lv Ts Og
francium radium rutherfordium dubnium seaborgium bohrium hassium meitnérium darmstadtium rœntgenium copernicium nihonium flerovium moscovium livermorium tennessine oganesson

57 58 59 60 61 62 63 64 65 66 67 68 69 70 71
La Ce Pr Nd Pm Sm Eu Gd Tb Dy Ho Er Tm Yb Lu
lanthane cérium praséodyme néodyme prométhéum samarium europium gadolinium terbium dysprosium holmium erbium thulium ytterbium lutécium
89 90 91 92 93 94 95 96 97 98 99 100 101 102 103
Ac Th Pa U Np Pu Am Cm Bk Cf Es Fm Md No Lr
actinium thorium protactinium uranium neptunium plutonium américium curium berkélium californium einsteinium fermium mendélévium nobélium lawrencium

➜ /HV$QFLHQVDYDLHQWWRXWFRPSULV}OHXUÆWKHUHVWOpÆOÆPHQWSULPRUGLDOGpRÖSURYLHQQHQWOHV
ˆ}SRXVVLÅUHVGpÆWRLOHV6}˜

6. Selon la phrase de Carl Sagan (1934-1996), reprise par Hubert Reeves dans Poussières d’étoiles,
Seuil, Paris, 1994 (1re éd. 1984), 254 p.

20
CHAPITRE

Au bonheur des
artistes et des artisans
2
Où l’on se rappelle que les Anciens
connaissaient 7 métaux

1 Un métal pour l’éternité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 24


2 Noces de métaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 28
3 Métaux et alliages emblématiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 32
4 Le métal des arts martiaux. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 36
5 Jeu de taquin entre métaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 40
6 Des histoires sulfureuses . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 44
Chapitre 2 : Au bonheur des artistes et des artisans

LES 7 MÉTAUX ET AUTRES ÉLÉMENTS


CONNUS DES ANCIENS
Au VIIIe}VLÅFOHDYDQW-&GDQVLes Travaux et les Jours, voici comment le poète
grec Hésiode présente le mythe des âges de l’humanité1}
– d’abord l’âge d’orHVWOpÆSRTXHLGÆDOHRÖHQDFFRUGSDUIDLWDYHFODQDWXUH
GDQVXQSULQWHPSVÆWHUQHOOHVKXPDLQVQHWUDYDLOODLHQWSDV}
– puis à l’âge d’argent, ils ont manifesté de la démesure (en grec hubris) et
RQWDORUVFRQQXOHPDOHWODGRXOHXU}
– l’âge de bronze IXW HQVXLWH XQ ¿JH JXHUULHU TXL ƂQLW SDU VpDQÆDQWLU
OXLPÇPHVXLYLGHOp¿JHGHVKÆURVHWGHOHXUVÆSRSÆHVGRQWODIDPHXVH
JXHUUHGH7URLH}
tHQƂQOpâge de fer, actuel, est le temps le plus dur car la discorde y règne
jusque dans les familles.
Il est remarquable de trouver, comme marqueurs de cette fresque poétique,
OHVPÆWDX[TXHOHVSUHPLHUVKXPDLQVRQWSXWURXYHU½OpÆWDWQDWLI}Opor et
l’argent, le cuivre, transformé en bronze, et le fer. Après la vision purement
métaphorique des âges d’or et GpDUJHQWFpÆWDLWXQHSUÆƂJXUDWLRQGHVJUDQGHV
SÆULRGHVGÆƂQLHVSDUOHVDUFKÆRORJXHVPRGHUQHV}Opâge du bronze (entre
}HW}}DQVHQYLURQDYDQW-& VXLYLGHOpâge du ferRÖFHVPÆWDX[
ont servi en particulier à fabriquer des armes et à faire la guerre.

➜ Or des Scythes, pièce d’Athènes en argent, hache en bronze et fer de lance.

Les 7 métaux de l’Antiquité


Un cinquième PÆWDOH[LVWH½OpÆWDWQDWLIOHmercure, un liquide qui a sans doute
LQWULJXÆOHVSUHPLHUVKXPDLQV(QƂQOHV$QFLHQVRQWVXWUÅVWÑWH[WUDLUHGHOHXUV
minerais le plomb, ainsi que l’étainOXLPÇPHDOOLÆDXcuivre dans le bronze.
/HV$QFLHQVFRQQDLVVDLHQWGRQFPÆWDX[XQFKLIIUHTXLQHERXJHUDSDV
MXVTXp½ODƂQGX0R\HQŸJH(WLOVRQWSULVFRQVFLHQFHGHODQDWXUHSDUWLFX-
1
lière de ces 7 substances, qui constituaient de fait une première catégorie

1. Hésiode, Théogonie, Les travaux et les jours, Le bouclier, Paris, 1964, texte de Paul Mazon, Les
travaux et les jours, p. 90.

22
La prodigieuse histoire du nom des éléments

FKLPLTXHFHOOHGHVPÆWDX[&pHVWHQFRUH$ULVWRWHTXLDFODULƂÆFHWWHTXHVWLRQ
comme on va le voir à propos de l’étymologie du mot métal2.

De la mine au minerai, puis au métal


Le mot métal vient, par le latin metallum, du grec metallon, qui désignait à
l’origine une mine, spécialement une mine d’or ou GpDUJHQWH[SORLWÆHSDU
galeries. Ensuite, metallon a désigné une mine en général, puis toute produc-
WLRQPLQLÅUHHWFpHVW$ULVWRWHTXLDGÆƂQLOHVPÆWDX[FRPPHÆWDQWˆ}les corps
qui s’extraient des mines et qui sont fusibles ou malléables comme le fer, l’or,
le cuivre}˜GpRÖƂQDOHPHQWHQJUHFmetallonˆ}PÆWDO}˜
Parallèlement, le mot mine, d’origine celtique, désignait d’abord aussi bien
XQHPLQHTXpXQPLQHUDLGpRÖOpH[SUHVVLRQmine de plomb pour un minerai, et
la mine d’un crayon comme on a pu le voir au chapitre précédent.

Des éléments chimiques avant la lettre


Sans vouloir réécrire l’histoire, on peut s’étonner que les Anciens n’aient pas
FRQVLGÆUÆOHVPÆWDX[FRPPHGHVÆOÆPHQWV(QIDLWLOVQpÆWDLHQWSRXUHX[TXH
des formes particulières de l’élément terreOXLPÇPHOpXQGHVÆOÆPHQWV feu,
air, eau, terre). Les alchimistes ont persévéré dans cette conception puisqu’ils
UÇYDLHQWSDUH[HPSOHGHWUDQVIRUPHUOHSORPEHQRUTXLOXLPÇPHQpHVWSDV
absolument inaltérable. En conséquence, le mot terre pouvait désigner aussi en
DQFLHQIUDQÄDLVWRXWHVXEVWDQFHH[WUDLWHGXVROWHOOHTXpXQXQPLQÆUDOFRPPHOH
quartz nommé WHUUHYLWULƂDEOH, ou un minerai comme celui de tungstène nommé
terre pesanteRXPÇPHXQPÆWDOWLUÆGpXQPLQHUDLGpRÖGHVWHUPHVVXUSUHQDQWV}
– les terres raresTXLVRQWHQIDLWGHVPÆWDX[TXHOpRQWURXYHUDDXFKDSLWUH
UXEULTXH}
tOHVPÆWDX[alcalino-terreux YRLUOHFKDSLWUHUXEULTXH} TXLVRQWGLWV
ˆ}WHUUHX[}˜HQFHVHQVTXpLOVRQWÆWÆGÆFRXYHUWVGDQVXQPLQHUDLFpHVW½
dire une terreSDURSSRVLWLRQ½FHUWDLQVPÆWDX[DOFDOLQVGÆFRXYHUWVGDQV
GHVYÆJÆWDX[
2QDSXYRLUDXFKDSLWUHTXH/DYRLVLHUDPLVƂQDXFRQFHSWGHV}ÆOÆPHQWVHQ
publiant en 1789 le premier tableau des éléments chimiques. Ce tableau histo-
ULTXHFRPSRUWHOHVPÆWDX[GHOp$QWLTXLWÆDLQVLTXHOHsoufre, une substance
également trouvée à l’état natif, encore un élément chimique qui s’ignorait.
,OHVWWHPSVGHVpLQWÆUHVVHU½FKDFXQGHFHVPÆWDX[DLQVLTXpDXsoufre à la
2 ƂQGHFHFKDSLWUHHWHQFRPPHQÄDQW½WRXWVHLJQHXUWRXWKRQQHXUSDUOpRU

2. Halleux, Robert, Le problème des métaux dans la science antique, Les Belles Lettres, Paris, 1974,
252 p., p. 45.

23
Chapitre 2 : Au bonheur des artistes et des artisans

1 Un métal pour
l’éternité
L’or (Au)

Les noms donnés à l’or en Europe sont variés : en grec ancien khrusos,
d’origine sémitique et resté tel quel en grec moderne, en français or, du
latin aurum, en anglais gold, en russe zoloto… Ces noms remontent en
effet à plusieurs origines, dont l’une est liée à la couleur éclatante de ce
métal, activement recherché par les humains depuis toujours.

z
Le métal jaune par excellence
C’est en effet, dans les langues slaves, à la
même racine indo-européenne *gholtom que
se rattachent les noms de la couleur jaune
et ceux de l’or : par exemple en russe zoloto,
« or », et žëltyj, « jaune », ou en polonais
złoto, « or », et żółty, « jaune », d’où le nom du zloty : étymologiquement,
l’argent polonais est en or.
En allemand, on établit un rapport entre Gold, « or », et gelb, « jaune »,
et de même en anglais, entre gold et le vieil-anglais geolu, « jaune »,
devenu yellow en anglais moderne. Ces noms, et leurs équivalents dans
les autres langues germaniques, se rattachent en effet à cette même
racine indo-européenne, *ghel-, *gholtom, qui désigne la couleur jaune,
et l’or par métaphore. Et cela explique la correspondance phonétique
entre le russe zoloto, « or » (basé sur les consonnes z-l-t), et l’anglais
gold (basé sur g-l-d).
On a donc, dans les langues germaniques et slaves, un vaste ensemble
des noms où l’or est désigné par une sorte de périphrase : le métal jaune,
couleur jaune d’or en l’occurrence3.

3. Buck, Carl Darling, A dictionary of selected synonyms in the principal Indo-European languages, The
University of Chicago Press, Chicago, 1949 (réimprimé 1988), 1515 p., p. 609.

24
Un métal pour l’éternité

z
L’or, appelé par son nom
Le latin aurum, « or », se rattache à une autre racine, *ausom, qui serait,
elle, le véritable nom indo-européen de l’or. En dehors du latin et de ses
dérivés dans les langues romanes (aur en roumain, oro, or…) et celtiques
(breton aour…), cette racine *ausom n’a pratiquement pas laissé de trace
dans les langues modernes. Comme on vient de le voir, pour une raison
qui n’est pas connue, on a préféré dans les langues germaniques et slaves
nommer l’or indirectement, « (métal) jaune », plutôt que de l’appeler
par son propre nom. Cette situation n’est toutefois pas unique.
On la retrouve un peu avec les noms de l’ours, dont
le nom indo-européen est employé dans les langues
romanes (latin ursus, ours…) et celtiques (breton
art…), mais pas dans les langues germaniques et
slaves, qui emploient une périphrase : l’animal
« brun » dans les langues germaniques (bear,
Bär…) et le « mangeur de miel » dans les langues
slaves (medved’ en russe…). On parle dans ce cas
de tabou linguistique, comme si certains peuples
avaient évité de nommer l’ours explicitement,
soit parce qu’ils le craignaient, soit parce qu’ils ➜ L’Oursd’Or (Goldener Bär)
le respectaient, voire le divinisaient… comme on du festival de cinéma
de Berlin.
vénère aujourd’hui l’Ours d’Or, qui récompense Wikipédia, licence cc-by-2.0,
Solar ikon.
les films au festival de Berlin !
Dans un autre registre, l’or a pu aussi faire l’objet de superstitions.

z
De l’auréole à la dorure
De aurum vient en latin aureolus,
« doré », d’où aureola corona, « couronne
dorée », et finalement auréole en français.
On reconnaît aussi aurum dans aurifère
et les noms des ions aureux (Au+) et
aurique (Au3+). Mais dès le bas latin,
aurum a été concurrencée par la forme
➜ Leloriot d’Europe š (Oriolus oriolus)
orum, qui l’a emporté dans les mots
est jaune d’or. usuels : or, orfèvre, dorer, doré… orpailleur,

25
Chapitre 2 : Au bonheur des artistes et des artisans

orpiment (du latin auripigmentum), le sulfure d’arsenic… ou encore le


nom d’un oiseau au plumage jaune d’or, le loriot, de l’ancien français
oriol, du latin aureolus, « doré ».
Pour les poissons, le français accepte
daurade ou dorade. Toutefois, on
écrit de préférence daurade royale,
pour un poisson qui a effectivement
des taches dorées sur le front et sur
les côtés de la tête, et dorade rose ou
grise pour des poissons qui n’ont
rien de doré mais qui doivent leur
nom de dorade à leur ressemblance ➜ des La daurade royale (Sparus aurata) a comme
sourcils dorés. Gianni Neto.
avec la daurade royale. D’ailleurs
parmi ces poissons, seule la daurade royale a un nom lié à l’or en latin chez
Pline l’Ancien, aurata, et en grec chez Aristote, khrusophrus, comportant
ophrus, « sourcil », et où l’on retrouve le grec khrusos, « or ».

z
Épilogue et immortalité
Dans de nombreux mots grecs, apparaît l’élément khrus(os), devenant
en latin puis en français chrys(o), et il renvoie soit à l’or, soit à la couleur
jaune de l’or.
Ainsi l’immortelle, cette plante à fleurs jaune d’or venue d’Orient, se
nommait en grec helikhrusos, c’est-à-dire « or du soleil ». Comme ses
fleurs ne se fanent pas, ce qui fait écho à la durabilité de l’or, elles
servaient dans l’Antiquité
à confectionner les
couronnes mortuaires.
Puis en latin l’immortelle
se nommait helichrysus,
ou encore chr ysan-
themon (avec anthemon,
« fleur »), d’où vient en
français le chrysanthème, la
fleur des cimetières. Les
➜ L’immortelle (Helichrysum stoechas), utilisée dans
l’Antiquité pour les couronnes mortuaires.
chrysanthèmes sont bien

26
Un métal pour l’éternité

issus de fleurs sauvages jaunes, mais malgré leur nom, de nombreuses


variétés de chrysanthèmes cultivées aujourd’hui ne sont pas jaunes.
Enfin, une statue est dite chryséléphantine lorsqu’elle est faite d’or
et d’ivoire.

➜ 6WDWXHFKU\VÆOÆSKDQWLQHGH=HXV½2O\PSLHODWURLVLÅPHPHUYHLOOHGX
Monde, réalisée par le sculpteur grec Phidias vers 436 avant J.-C.
Gravure de 1815.

27
Chapitre 2 : Au bonheur des artistes et des artisans

2 Noces de métaux
Le mercure (Hg), l’argent (Ag),
le platine (Pt) et le cinabre

Le mercure natif existe dans


la nature et il a certainement
fasciné les premiers humains par
son aspect argenté et sa fluidité,
en particulier sous la forme de
gouttelettes étrangement mobiles.
En outre, les Anciens ont extrait ce
métal de son principal minerai, le
sulfure de mercure, nommé cinabre,
du latin cinnabaris, lui-même du
grec kinnabari. C’est d’ailleurs dans ➜ Gouttelettes
de PHUFXUHQDWLIH[VXGDQW
le cinabre que l’on trouve la plus d’un échantillon de cinabre rouge (αHgS).
3KRWR}-HDQ0LFKHO/H&OÆDFpK0XVÆH
grande partie du mercure natif. de Minéralogie de l’École des Mines-ParisTech.

z
De l’argent liquide, comme l’eau
Tant en grec chez Théophraste qu’en latin chez Pline l’Ancien, le
mercure était nommé d’après sa ressemblance avec l’argent. Celui tiré
du cinabre était comparé à de l’argent liquide en grec, arguros khutos,
du verbe khein, « couler », ou à de l’argent vif, animé, en latin argentum
vivum. De là d’anciennes appellations du mercure dans les langues
romanes et germaniques : en français vif-argent, en italien argento
vivo, en espagnol plata liquida, en anglais quicksilver… et en allemand
Quecksilber, qui est resté en usage dans cette langue. Les Anciens
avaient remarqué que le mercure natif était encore plus fluide, et ils
le comparaient carrément à de l’eau : en grec hudrarguros, de hudôr,
« eau », et arguros, « argent », d’où en latin hydrargyrus, devenant en
ancien français hydrargyre et en latin médiéval hydrargyrum, qui explique
le symbole chimique Hg.

28
Noces de métaux

Cependant, en anglais et dans la plupart des langues romanes, ces noms


anciens sont sortis d’usage entre la fin du Moyen Âge et le XVIIIe siècle.

z
Le métal jumelé avec la planète Mercure
Le mercure fait partie des sept métaux connus dans l’Antiquité et
associés aux sept astres non fixes observables à l’époque. Après quelque
hésitation, le vif-argent a été associé à Mercure, dont la vélocité autour
du Soleil évoquait la fluidité et la mobilité des gouttelettes de ce métal.
Finalement, sans doute pour éviter des confusions, on a nommé le métal
d’après la planète plutôt que d’après l’argent en anglais dès 1386 et
dans les langues romanes (anglais
mercury, français mercure, italien
et espagnol mercurio), le mercure
étant dans ces langues le seul des
sept métaux anciens à porter le
même nom que son astre associé.
Quant au dieu Mercure des
Romains, assimilé à l’Hermès
des Grecs, il était principalement
le protecteur des commerçants.
En latin, son nom Mercurius se
relie d’ailleurs à merx, mercis,
« marchandise », d’où mercator,
« marchand », merces, « prix
d’une marchandise » (et merci en
français). En outre, les attributions
d’Hermès et du dieu égyptien
Thot se combinent dans celles du
mythique Hermès Trismégiste, à
l’origine de l’hermétisme et des
textes dits hermétiques, développés
par les alchimistes. Or ceux-ci ont
accordé une grande importance au
mercure et à ses associations avec
d’autres substances : les amalgames.
➜ Mercure ou Hermès, dieu du commerce.

29
Chapitre 2 : Au bonheur des artistes et des artisans

z
Ce métal qui « épouse » d’autres métaux
Le nom amalgame, du latin alchimiste amalgama attesté au XIIIe siècle,
a longtemps été considéré comme une déformation du grec malagma,
« onguent », emprunté par Pline en latin, et lié au verbe grec malassein,
en latin malaxare, « amollir », d’où malaxer. Cependant, dans le Littré
(supplément 1886), on a supposé un lien entre amalgama et l’arabe
al-djam’a, « la réunion », ou aussi « le mariage », l’amalgame étant
parfois présenté par les alchimistes comme un mariage entre le mercure
et un autre métal. Aujourd’hui, cette origine arabe est retenue comme
probable dans les dictionnaires, mais force est de reconnaître que
l’étymologie d’amalgame est encore, si l’on ose dire, assez hermétique.

z
Histoire d’argent
On a pu constater plus haut que les noms de l’argent en Europe sont
de trois sortes.
- Le grec arguros, « argent », de l’adjectif argos, « blanc, brillant » (à ne
pas confondre avec son homonyme, argos, « inerte », d’où vient le nom
de l’argon), devient en latin argentum, d’où argent en français, argento
en italien… Des navigateurs italiens sans doute sont à l’origine du
nom de l’Argentine, où ils auraient trouvé des objets en argent réalisés
par les Amérindiens.
- L’anglais silver et l’allemand Silber appartiennent à une autre famille
de noms, germano-slave (en serbe srebro, d’où le nom de Srebrenica,
où se situent d’anciennes mines d’argent).
- L’espagnol plata, « argent », est à part (avec le portugais prata) : il vient
du latin médiéval plata désignant une plaque de métal, en particulier
d’argent. En Argentine, les Espagnols ont nommé Rio de la Plata
(« rivière d’argent ») un vaste estuaire censé conduire à la légendaire
montagne d’argent de la Sierra de la Plata.
Et ce n’est pas tout, car le nom d’un troisième métal apparaît dans
l’épilogue.

30
Noces de métaux

z
Épilogue gris argenté
L’explorateur et scientifique espagnol Ulloa a découvert en Colombie
un métal natif ressemblant à l’argent, mais en moins brillant. En 1748,
il le nomme platina, diminutif de plata, « argent », qui est traduit en
français par platine, d’abord féminin comme platina, puis masculin, de
même qu’en espagnol où son nom devient platino. De là dans les autres
langues : l’italien platino, l’anglais platinum, l’allemand Platin…
Sans vouloir faire un amalgame, on constate une connivence
étymologique entre le mercure, l’argent et le platine.

➜ )UHVTXHGHVP\VWÅUHVGURLWH9LOODGHV0\VWÅUHV3RPSÆL
,WDOLH RÖOHcinabre (HgS) a été
largement utilisé comme colorant rouge dans les peintures.

31
Chapitre 2 : Au bonheur des artistes et des artisans

3 Métaux et alliages
emblématiques
Le cuivre (Cu), le zinc (Zn), le cadmium (Cd),
le bronze et le laiton

Le laiton nous donne l’occasion d’évoquer aussi ses composants


principaux, le cuivre et le zinc.
Même s’il a pu être produit incidemment
en petites quantités dans l’Antiquité, le
zinc n’a été identifié qu’à la fin du XVIIe
siècle. On l’a nommé alors en allemand
zinch, aujourd’hui Zink, peut-être de
Zinke, « dent de fourche », à cause de
la forme de certains cristaux de zinc à la ➜ &ULVWDX[GHQGULWLTXHVGHzinc
sortie du four de métallurgie. formés dans le four de métallurgie.

Contrairement au zinc, le cuivre est bien connu, nommé et exploité,


pur ou en alliage, depuis les temps les plus reculés.

z
Le cuivre et le bronze à travers les âges
Le cuivre et l’étain font partie des sept métaux connus des Anciens, qui
en tiraient un alliage de la première importance, le bronze, auquel ils
donnaient cependant le même nom qu’au cuivre :
– en grec, khalkos, « cuivre, bronze », d’où en français l’élément chalco-,
« cuivre » : ainsi en préhistoire, le chalcolithique est la période du début
de l’industrie du cuivre, période intermédiaire entre le néolithique et
l’âge du bronze ; d’où aussi la chalcopyrite (CuFeS2) ;
– en latin classique aes, aeris, « cuivre, bronze », d’où viennent le nom
poétique du bronze en français, airain, ainsi que le nom du cuivre, un
peu surprenant, en italien rame, par l’intermédiaire d’un dérivé latin,
aeramen, « cuivre, bronze ».
Puis en latin tardif, apparaît pour le cuivre le nom cyprum, dérivé de
Cyprus, « Chypre », à cause de l’abondance des mines de cuivre à

32
Métaux et alliages emblématiques

Chypre. Ce nom évolue en cuprum, d’où sont issus la plupart des noms
du cuivre en Europe. La naissance légendaire de Vénus sur le rivage
de Chypre est l’une des raisons de l’ancienne correspondance entre le
métal cuivre et la planète Vénus.
Quant au mot bronze, c’est un emprunt à l’italien bronzo, dont l’origine
est incertaine : d’un nom persan ? Ou bien du nom de Brindisi, où, selon
Pline l’Ancien, on produisait un bronze réputé ?
Les informations qui précèdent sont rassemblées dans le tableau
ci-après, où les noms qui sont à l’origine d’une série d’autres sont écrits
en gras :

grec latin ital. franç. esp. anglais allemand


inconnu inconnu zinco zinc cinc zinc Zink
khalkos aes, aeris rame cuivre cobre copper Kupfer
cyprum, cuprum
khalkos aes, aeris bronzo bronze bronce bronze Bronze

z
Le laiton depuis l’Antiquité
Les Anciens pouvaient-ils produire du laiton, alors qu’ils ne
connaissaient pas le zinc ? Oui car ils en connaissaient certains
minerais, comme la calamine (silicate de zinc), dont ils tiraient, en
combinaison avec le cuivre, un alliage entre cuivre et zinc. Cet alliage
se nommait oreikhalkos en grec (= « cuivre de montagne », sans doute
à cause de mines situées en montagne), d’où orichalcum en latin, écrit
aussi aurichalcum, sous l’influence de la couleur jaune d’or du laiton,
parfois nommé cuivre jaune.
Certains dictionnaires usuels du français comportent encore le nom
archaïque orichalque, supplanté de nos jours par laiton, qui est d’une
tout autre origine.

33
Chapitre 2 : Au bonheur des artistes et des artisans

➜ Unsanglier en tôle de laiton du 1er}VLÅFOHDY-&}UÆSOLTXHUÆDVVHPEOÆHDX


Keltenmuseum de Hallein (Salzbourg) de l’enseigne gauloise découverte en 1989 à
Soulac-sur-Mer (Gironde).
Wikipédia Creative Common, Licence CC-BY-SA-3.0, Wolfgang Sauber.

Le nom laiton, attesté en français au XIIIe siècle, était laton en ancien


français, lui-même relié à l’espagnol laton (aujourd’hui latón), attesté
d’abord sous la forme allaton (en 852), avec un début en al- laissant
penser à une origine arabe. D’après les dictionnaires étymologiques
d’espagnol et de français, laton est en effet un emprunt à l’arabe
lǴt͌n, « laiton », lui-même relié au turc ancien altun, désignant l’or
(aujourd’hui altan), ou le cuivre dans quelques rares dialectes.
Toutefois, cette étymologie est controversée : l’espagnol laton pourrait
avoir la même origine germanique que le français latte, le laiton étant fourni
aux artisans sous forme de plaques allongées, des lattes. C’est ainsi que
s’explique le nom du fer blanc (fer étamé) en espagnol, lata, et en italien,
latta, travaillé également à partir de lattes : une explication basée sur la
forme des demi-produits utilisés, et non plus sur la nature des métaux.
Remarquons enfin que les noms du laiton en anglais, brass, et en
allemand, Messing, sont complètement différents et d’origine obscure.

grec latin italien français espagnol anglais allemand


oreikhalkos orichalcum ottone laiton latón brass Messing

34
Métaux et alliages emblématiques

z
Épilogue et florilège de métaux
Revenons au minerai de zinc nommé calamine, déformation de son
nom en latin, cadmia, emprunté au grec kadmia, dérivé de Kadmos, nom
du légendaire fondateur de l’ancienne cité grecque de Thèbes, et cela
parce que ce minerai, nommé aussi pierre de Kadmos, était extrait de
mines voisines. Or on a découvert un métal très proche du zinc (juste
en dessous de lui dans la colonne 12 de la classification) dans cette
calamine, d’où le nom de cadmium que le chimiste allemand Stromeyer
lui a donné en 1817, à partir du latin cadmia, « calamine ».

➜ 7URXYƽ9L[HQGDQVODWRPEHGXQHSULQFHVVHFHOWHFHFUDWÅUHJUHFVDQVGRXWH
fabriqué en Italie, pèse 200 kg et mesure 1,64 m de haut.
&UDWÅUHGH9L[EURQ]H9,HVLÅFOHDY-&0XVÆHGX3D\V&K¿WLOORQQDLVt7UÆVRUGH9L[
Châtillon-sur-Seine, Côte-d’Or © Mathieu Rabaud – RMN Grand Palais.

35
Chapitre 2 : Au bonheur des artistes et des artisans

4 Le métal des arts


martiaux
Le fer (Fe),
la sidérite, la pyrite, l’hématite et la magnétite

Plusieurs minerais de fer, déjà bien connus dans l’Antiquité, avaient


un nom en grec ancien traduisant leur propriété la plus marquante : la
pyrite (FeS2), du grec pur, « feu », car c’est une pierre à feu ; l’hématite
(Fe2O3), du grec haima, « sang », car, réduite en poudre, c’est un
pigment rouge ; la magnétite (Fe3O4), du grec Magnês lithos, « aimant »,
car elle est magnétique (voir le chapitre 4 rubrique 4).
Mais le carbonate de fer (FeCO3) naturel n’a été décrit qu’en 1845,
par le minéralogiste autrichien Haidinger, qui l’a nommé sidérite,
simplement du grec sidêros, « fer », ce qui ne traduit aucune propriété
remarquable. Ce nom grec du fer se retrouve dans sidérurgie, ou dans
sidéroxylon, le nom d’un arbre au bois très dur, appelé aussi « bois de
fer ». Et ce qui frappe, c’est l’absence de relation évidente entre les
noms du fer en grec sidêros (resté en grec moderne), en latin ferrum, en
anglais iron, en allemand Eisen…

z
Le fer qui tombe du ciel
La Terre comporte un noyau métallique (le nife = Ni + Fe)
constitué principalement de fer (≈ 85 %) et de nickel (≈ 7 %).
De même, parmi les astéroïdes, d’où proviennent les météorites
tombant régulièrement sur la Terre, certains ont aussi un noyau
composé en majorité de fer, et dans une moindre mesure de nickel.
C’est pourquoi on trouve des météorites très riches en fer, les
sidérolites, du grec sidêros, « fer », et lithos, « pierre ». Elles ont
servi à fabriquer des objets en fer dit météoritique, bien avant la
métallurgie de l’âge du fer proprement dit. C’est le cas du poignard
placé dans la tombe de Toutankhamon (mort vers 1 350 av. J.-C.).
➜ Poignard en fer de Toutankhamon.

36
Le métal des arts martiaux

Les hommes ont compris très tôt que les pierres d’apparence métallique
qu’ils trouvaient sur le sol étaient tombées du ciel et provenaient de la
fragmentation des corps célestes visibles sous forme d’étoiles filantes ou
de bolides lumineux. Pline l’Ancien par exemple affirme « qu’il tombe
fréquemment des pierres » et il rapporte avoir vu de ses yeux dans un
champ « une pierre qui venait de tomber ».

➜ 3OLQHOp$QFLHQDIILUPHˆ}TXpLOWRPEHIUÆTXHPPHQWGHVSLHUUHV}˜f
Fotolia.com – JohanSwanepoel.

On savait donc que le fer météoritique venait du monde sidéral, du latin


sideralis, « relatif aux étoiles, sidéral », de sidus, sideris, « étoile », et il est
tentant par conséquent de rapprocher sidéral du grec sidêros, « fer ». Une
hypothèse séduisante, même si elle est un peu sidérante (sidération vient,
avec certitude cette fois, du latin sideratio, « action funeste des astres »,
de sidus, sideris, « étoile »). Hélas, cette hypothèse n’est pas validée
par les linguistes, qui font remarquer à ce propos que l’initiale /s/ en
latin correspond souvent à l’initiale /h/ en grec, comme par exemple le
nom du sel : sal, salis en latin, mais hals, halos en grec (cf. halogène). À ce
jour, on ignore encore l’origine de sidêros, le nom grec du fer, qui a par
ailleurs un autre rapport avec les astres.

37
Chapitre 2 : Au bonheur des artistes et des artisans

z
Le fer et Mars
Chacun des sept métaux connus dans l’Antiquité avait un correspondant
parmi les astres, et pour le fer, c’était la planète Mars, elle-même dédiée
à Mars, dieu de la guerre. Cette association reposait d’une part sur la
couleur rougeâtre de la planète, rappelant le rouge de l’hématite ou du
fer rouillé, et d’autre part sur le fer en tant que matériau des armes et
de la guerre, qui elle-même fait couler le sang, rouge lui-aussi (d’où
le nom hématite). Et ce qui est fantastique, c’est que tout cela avait un
côté prémonitoire : la couleur rouge de Mars est justement due au fer,
allié à l’oxygène dans l’hématite présente à la surface de la planète, et
le rouge du sang est dû aussi au fer dans l’hémoglobine.
Pour les alchimistes en tout cas, un autre nom du fer était mars, d’où
l’adjectif martial dans le sens de « relatif au fer ». En médecine, on parle
de carence martiale pour la carence en fer, responsable de l’anémie, et
dans le langage courant, on parle d’un air martial ou des arts martiaux,
dont l’escrime par exemple, où l’on croise le fer.

➜ La planète Mars, vue au télescope… et un globule rouge, vu au microscope.

z
Pas de nom indo-européen pour le fer
Tout comme le grec sidêros, le latin ferrum, « fer » (d’où en espagnol,
hierro), est d’origine obscure, et il n’a visiblement pas de rapport avec
le grec, ni d’ailleurs avec la racine germano-celtique *isarnon, que l’on
retrouve dans les noms de fer en breton houarn, ainsi qu’en allemand

38
Le métal des arts martiaux

Eisen et en anglais iron. En fait, on pense que le fer, autre que celui des
météorites trouvées fortuitement, n’était pas connu du monde indo-
européen.

z
Épilogue de super-héros et d’anti-héros
Quel rapport entre Ysengrin, le loup du Roman de Renart, Iron Man, un
super-héros de Marvel, le Grand Ferré, héros picard de la guerre de Cent
Ans, Sidêrô, personnage de femme cruelle dans la mythologie grecque ?
Réponse : le nom du fer et sa dureté, moins visible dans Ysengrin, où
pourtant l’élément Ysen- se relie bien à l’allemand Eisen, « fer ».

➜ ,URQ0DQHVWLOWRPEÆGXFLHOFRPPHXQDVWÆURÌGH}"
Anthony Stark, alias Iron Man, apparaît en 1963 (en anglais, starkˆ}ULJLGH}˜ 

39
Chapitre 2 : Au bonheur des artistes et des artisans

5 Jeu de taquin
entre métaux
Le plomb (Pb), le molybdène (Mo), l’étain (Sn),
la galène, la molybdénite et la cassitérite

La galène est un produit chimique


qui a brillé dans l’histoire de la radio,
car la TSF a pris son essor dans la
première moitié du XXe siècle grâce
au poste à galène. On avait découvert
en effet qu’un cristal de galène
était un semi-conducteur et qu’on
obtenait une diode en appliquant
une pointe métallique sur ce cristal.
➜ /pDQFÇWUHGHODGLRGHFRPSRVDQWFOÆ
La galène a donc ouvert la voie au du poste à galène.
silicium, composant essentiel de www.FurnishYourCastle.com

toute l’électronique moderne.

z
La galène, un minéral brillant
C’est dans l’Histoire Naturelle de Pline l’Ancien (1er siècle) qu’apparait
le latin galena, d’où galène en français (galena en anglais et espagnol,
Galenit en allemand). Ce nom latin est l’équivalent du grec galênê, un
nom attesté sept siècles plus tôt dans l’Odyssée pour désigner le calme
de la mer, la tranquillité. De là vient l’adjectif grec galênos, « calme »,
qui était aussi le surnom du grand médecin grec du IIe siècle, Galien, le
père de la galénique. Mais quel rapport avec la galène ?
Aux origines du grec, galênê était plus précisément le calme de la
mer qui brille sous le Soleil, un sens que l’on a rapproché du verbe
grec gelan, « briller ». Et la métaphore de la mer aux reflets argentés
pourrait donc expliquer l’emploi de galênê pour un minéral brillant tel
que la galène, souvent argentifère. Certes, cet emploi n’est pas attesté
antérieurement aux écrits de Pline, mais celui-ci, connaisseur du

40
Jeu de taquin entre métaux

grec et de son histoire, ne pouvait ignorer


le sens profond de galênê. Il nommait en
tout cas galena le sulfure de plomb, mais
aussi parfois d’autres minerais de plomb,
voire le plomb lui-même : encore des
imprécisions de vocabulaire, inévitables
➜ Des reflets argentés sur la mer
et sur la galène.
à cette époque.

z
Le plomb et l’étain, une histoire de faux jumeaux
En grec, le nom du plomb était molubdos, et celui de l’étain kassiteros
(qui subsiste en français dans le nom du dioxyde d’étain, la cassitérite).
Puis, le nom du plomb en latin était plumbum (d’où le symbole Pb, le
français plomb, l’espagnol plomo), mais Pline a plutôt compliqué le sujet en
nommant l’étain plumbum album (= plomb blanc). De plus, il employait
dans certains cas molybdoena comme synonyme de galena. Enfin, sous le
nom stagnum, il décrivait un alliage de plomb et d’argent servant alors
à revêtir l’intérieur des récipients en cuivre : cet alliage sera remplacé
par l’étain, qui sera alors nommé à son tour stagnum, puis en bas latin
stannum, d’où le symbole Sn, le français étain et l’espagnol estaño, alors
qu’en italien, c’est de stagnum que vient stagno, « étain ». Et de stannum
viennent aussi les qualificatifs stanneux (avec Sn2+) et stannique (avec Sn4+).
Notons que toutes ces références gréco-latines ne se retrouvent pas
dans les langues germaniques, où le plomb (anglais lead et allemand
Blei) et l’étain (anglais tin et en allemand Zinn) ont d’ailleurs des noms
d’origine obscure.
Le tableau ci-après rassemble les noms donnés au plomb, à l’étain et au
molybdène, depuis le grec ancien jusqu’aux langues modernes :
Grec molubdenos kassiteros
Latin plumbum (nigrum) plumbum album
Bas latin stannum
Français molybdène plomb étain
Espagnol molibdeno plombo estaño
Anglais molybdenum lead tin
Allemand Molybdän Blei Zinn

41
Chapitre 2 : Au bonheur des artistes et des artisans

z
Ça a la couleur du plomb, la consistance du
plomb… mais ce n’est pas du plomb
Pour ajouter à la confusion, certains minéraux ont été pris à tort pour
du plomb. Ce fut le cas de la plombagine ou mine de plomb, ainsi que d’un
minéral nommé jadis la molybdène. Il faudra attendre 1778 pour que le
chimiste suédois Scheele démystifie ces appellations : la plombagine,
c’était du graphite (voir le chapitre 1, rubrique 1) et la « molybdène »,
c’était en réalité le sulfure d’un nouveau métal, nommé ensuite le molyb-
dène (Mo), son sulfure devenant la molybdénite (MoS2). Remarquons
que ces deux « faux plombs », molybdénite et graphite, sont encore
aujourd’hui associés dans la composition d’une huile dite molygraphite.
Dans la même veine, le sulfure de zinc, la blende, a longtemps été
confondu avec la galène, et d’ailleurs nommé fausse galène. Son nom
vient de l’allemand blenden, « tromper », car on s’attendait, en vain, à
en tirer du plomb. Une histoire qui rappelle celle du nickel, nommé
d’après son minerai « trompeur », dont on cherchait, en vain, à tirer
du cuivre (voir le chapitre 3, rubrique 5). À noter qu’une variété de
blende, la sphalérite, a été nommée en 1847 à partir du grec sphaleros,
« trompeur », toujours à cause de la confusion avec la galène.

z
On peut encore épiloguer sur le plomb et l’étain
Les noms modernes sont sans équivoque, mais dans le langage courant, les
anciens noms ont la vie dure. Ainsi on parle du tain, la couche réfléchissante
d’un miroir, et donc d’une glace sans tain. Mais ce tain (altération de étain)
était un amalgame d’étain et de mercure, abandonné depuis longtemps au
profit d’une métallisation (souvent à l’argent). En vérité, même un miroir
réfléchissant est aujourd’hui « sans tain ». Et que dire du plomb, qu’on
élimine de la plomberie, des plombages, surtout dentaires, ou des plombs
de chasse. Il n’y a guère qu’avec
l’essence sans plomb qu’il s’agit
réellement de plomb, justement
pour dire qu’il n’y en a pas.
Plus inattendu, le nom d’un oiseau
marin, le plongeon, vient du bas latin ➜ Plongeon arctique (Gavia arctica).
Wikipédia Creative Commons, CC-BY-SA-2.0, Steve
plumbio, de plumbum, « plomb », Garvie.

42
Jeu de taquin entre métaux

car il disparait rapidement et longtemps sous l’eau, comme le plomb du


pêcheur. Plus tard, du latin populaire *plumbicare viendra le verbe plonger,
qui donc, à l’instar du nom de l’oiseau, remonte à la métaphore du plomb
coulant à pic.
Mais le comble du faux-ami revient au Plomb du Cantal, à 1 855 mètres
d’altitude. Au XIIIe siècle, son nom était Pom de Cantal, à cause de sa cime
arrondie, comme une pomme (en ancien français, pom, « pommeau »).
Et finalement, la montagne a dû évoquer plutôt la lourdeur du plomb
(plom en ancien français) que la rondeur d’une pomme ! Encore un faux
plomb, au risque de plomber le discours !

➜ $X[FRQILQVGXV\VWÅPHVRODLUHFRQQXGHV$QFLHQV6DWXUQHPHWSUÅVGHWUHQWHDQV½IDLUH
OHWRXUGX6ROHLO½}}NPGHFH6ROHLOTXLOpÆFODLUH½SHLQHXQHSODQÅWHSHVDQWHHWWHUQH
rappelant le plomb auquel on l’associait déjà dans l’Antiquité. Une association qui a la vie dure
SXLVTXpHQFRUHDXMRXUGpKXLOHVDWXUQLVPHHVWXQHLQWR[LFDWLRQDXplomb.

43
Chapitre 2 : Au bonheur des artistes et des artisans

6 Des histoires
sulfureuses
Le soufre (S), l’antimoine (Sb)
et l’alcool

Un acide xanthique est de formule générale :

Sa réaction chimique avec un alcool (R’OH) donne un xanthate


(réaction d’estérification) :

Ce nom est formé sur le grec xanthos, « jaune », à cause de la couleur


jaune de la plupart des xanthates (esters ou sels), que l’on nomme aussi
dithiocarbonates, car 2 des 3 atomes d’oxygène de l’élément CO3 y sont
remplacés par un atome de soufre. Ce qui nous conduit à évoquer le
soufre, mais pourquoi thio ?

z
Le soufre, l’élément des dieux
En grec le soufre se disait theion qui, déjà dans l’Iliade et Odyssée,
désignait la fumée de soufre, servant notamment aux purifications.
Le rapprochement est tentant avec theion, neutre de l’adjectif theios,
« divin, relatif aux dieux », dérivé de theos, « dieu ». On peut imaginer
la volonté divine exprimée par un oracle entouré de vapeurs sulfureuses.
On pense aussi au verbe thuein, « offrir un sacrifice aux dieux », auquel
se rattache thuia, le nom du thuya de Barbarie, ce conifère odoriférant
d’Afrique du Nord dont le bois était brûlé comme de l’encens.
De theion est tiré l’élément thio-, dans thiochimie, « chimie du soufre »,
et qui désigne un atome de soufre comme on vient de le voir dans dithio-

44
Des histoires sulfureuses

carbonate. C’est le cas aussi dans un thiosulfate, où un soufre remplace


l’un des 4 oxygènes de SO4, et qui combine donc les noms du soufre
en grec et en latin.

z
Le soufre en latin
En effet, le nom du soufre en latin est sulpur, qui devient sulphur sous
l’influence du grec, puis tardivement sulfur, d’où en italien zolfo, en
français soufre, en allemand Schwefel, alors que l’anglais a conservé
sulphur (ou sulfur en Amérique), et que l’espagnol azufre vient de
l’ancienne expression (piedr)a sufre, « pierre de soufre ».

latin italien espagnol français anglais allemand


sulpur, sulphur, sulfur zolfo azufre soufre sulphur, sulfur Schwefel
solfuro sulfuro sulfure VXOSKLGHVXOƂGH 6XOƂG

La forme latine sulfur a inspiré de terme sulfure en français et l’équivalent


dans les langues romanes, mais l’anglais, ayant conservé sulphur,
« soufre », a privilégié sulphide, sulfide, « sulfure », imité par l’allemand.
Plus généralement, l’anglais emploie le suffixe -ide (cf. chloride) et le
français -ure (cf. chlorure), sauf pour oxyde (anciennement oxide).

z
Toutes sortes de sulfures
Dans son Histoire naturelle, Pline l’Ancien remarque à juste titre que
le soufre « a la propriété d’agir puissamment sur de très nombreuses subs-
tances » et il présente plusieurs minéraux qui sont des sulfures, tels que
la galène (PbS), la pyrite de fer (FeS2), le cinabre (HgS), ou encore
une poudre fine nommée en latin stibium (relié au grec stimmi, stibi),
composant principal du fard dont on se maquillait les yeux déjà en
l’Égypte ancienne.

45
Chapitre 2 : Au bonheur des artistes et des artisans

➜ 3RUWUDLWGpXQHGDPHDX[\HX[IDUGÆVVXUOHWRPEHDX
de Menna, dans la vallée des nobles, en Égypte.

On sait aujourd’hui que ce stibium devait être le plus souvent un


composé de plomb comme la galène, mais dans le courant du Moyen
Âge, les alchimiste ont dû nommer stibium le minerai d’un métal voisin
(un métalloïde en fait) nommé en latin médiéval antimonium (lié au grec
stimmi ?), d’où en anglais antimony, en allemand Antimon, en italien et
espagnol antimonio, et en français antimoine, dont la forme étrange,
anti-moine, n’a pas manqué d’inspirer des légendes « monacales ». Le
symbole chimique de l’antimoine est resté Sb et la stibine est aujourd’hui
le trisulfure d’antimoine (Sb2S3).
50 51
Sn Sb
étain antimoine
82 83
Pb Bi
plomb bismuth

L’antimoine était facilement confondu avec le plomb ou l’étain, ou


encore le bismuth, que l’on trouvera au chapitre 3.

46
Des histoires sulfureuses

z
Épilogue cosmétique
Ce fard est connu sous son nom arabe, le kôhl, et c’est de al-kôhl que
vient le mot alcool désignant d’abord une poudre raffinée analogue au
stibium ancien, puis tout produit raffiné, y compris un liquide obtenu
par distillation, donc y compris les essences telles que l’esprit-de-vin,
que Lavoisier a finalement recommandé de nommer alkool. Ensuite, on
a généralisé la notion de fonction alcool (-OH) en chimie, d’abord en
allemand Alkohol. Beaucoup plus tard, on a défini la fonction thioalcool
(-SH), ou thiol, ou encore mercaptan, d’un ancien nom latin mercurius
captans, « qui capte le mercure ». Ces molécules soufrées réagissent en
effet avec le mercure, qui était jadis l’un des 3 principes alchimiques, à
côté du soufre justement, et du sel.

➜ Unsolfatare (de l’italien solfatara) est un dépôt de VRXIUHGØDX[ÆPDQDWLRQVGHgaz sulfurés


dans les régions volcaniques, pleines de mystères.

47
Chapitre 2 : Au bonheur des artistes et des artisans

Après les 5 éléments du chapitre 1, ce sont 13 autres qui apparaissent


au chapitre 2, dont 6 métaux dits de transition, 5 métaux dits pauvres,
1 métalloïde (Sb) et un non-métal (S).
1 18
1 2
H He
hydrogène 2 13 14 15 16 17 hélium
3 4 numéro atomique 5 6 7 8 9 10
Li Be symbole B C N O F Ne
lithium béryllium nom bore carbone Azote oxygène fluor néon
11 12 13 14 15 16
16 17 18
Na Mg Al
A Si P S Cl Ar
sodium magnésium 3 4 5 6 7 8 9 10 11
29 1230 aluminium
um
minium silicium phosphore soufre
soufre chlore argon
19 20 21 22 23 24 25 26
26 27 28 29 30 31
3 32 33 34 35 36
Cu Zn
K Ca Sc Ti V Cr Mn Fe Co Ni Cu
cuivre Znzinc Ga
G Ge As Se Br Kr
potassium calcium scandium titane vanadium
m chrome
h manganèse
ma fer cobalt nickel cuivre zinc gallium
galllium germanium arsenic sélénium brome krypton
42 47 48 50 51
37 38 39 40 41 42 43 44 45 46 47 48 49 50 51 52 53 54
Rb Sr Y Zr Nb Mo Tc Ru Rh Pd Ag
Ag Cd
Cd In Sn
Sn Sb
Sb Te I Xe
rubidium strontium yttrium zirconium niobium
m molybdène technétium
tecchnétium ruthénium rhodium palladium argent
argent cadmium
cadmium indium
m étain
étain antimoine
antimoine tellure iode xénon
55 56 72 73 74 75 76 77 7878 79 8080 81 82
82 83 84 85 86
Cs Ba lanthanoïdes Hf Ta W Re Os Ir PtPt Au
AU Hg
Hg Tl Pb
Pb Bi Po At Rn
césium baryum hafnium tantalee tungstène rhénium osmium iridium platine
platine or
or mercure
mercure thallium
m plomb
plomb bismuth polonium astate radon
87 88 104 105 106 107 108 109 110 111 112 113 114 115 116 117 118
Fr Ra actinoïdes Rf Db Sg Bh Hs Mt Ds Rg Cn Nh Fl Mc Lv Ts Og
francium radium rutherfordium dubnium seaborgium bohrium hassium meitnérium darmstadtium rœntgenium copernicium nihonium flerovium moscovium livermorium tennessine oganesson

57 58 59 60 61 62 63 64 65 66 67 68 69 70 71
La Ce Pr Nd Pm Sm Eu Gd Tb Dy Ho Er Tm Yb Lu
lanthane cérium praséodyme néodyme prométhéum samarium europium gadolinium terbium dysprosium holmium erbium thulium ytterbium lutécium
89 90 91 92 93 94 95 96 97 98 99 100 101 102 103
Ac Th Pa U Np Pu Am Cm Bk Cf Es Fm Md No Lr
actinium thorium protactinium uranium neptunium plutonium américium curium berkélium californium einsteinium fermium mendélévium nobélium lawrencium

➜ /p$WRPLXPGH%UX[HOOHVzXYUHGpDUWHWSURXHVVHWHFKQLTXHWRXW½ODIRLVHVWXQK\PQHDX
progrès scientifique au service de l’Humanité. C’est une allégorie du métal, du fer et de sa
structure cristalline, de l’atome et de l’élément chimique dans toute son universalité.
/p$WRPLXPDÆWÆFRQVWUXLW½OpRFFDVLRQGHOp([SRVLWLRQXQLYHUVHOOHGH

48
CHAPITRE

Dieux, mythes
et légendes
3
Où l’on se plonge dans la mythologie
et l’astronomie

1 Des dieux et des planètes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 52


2 &LHORXHQIHU}" . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 56
3 Prométhée et les terres cachées . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 60
4 Hélène de Troie et les sucres . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 64
5 Des nains démoniaques ...................................................... 68

6 La peur du loup-garou ........................................................ 72

7 Vanadis et Thor, le jour et la nuit .......................................... 76

8 Les oracles d’Amon . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 80


&KDSLWUH'LHX[P\WKHVHWOÆJHQGHV

021',(848(//()$0,//(}
Dans la généalogie gréco-latine qui suit, on retrouve CHAOS, dont le nom a
servi à former le mot gazVRQSHWLWƂOV£7+(5SHUVRQQLƂFDWLRQGHl’éther,
ainsi qu’une partie de son immense descendance sur 5 générations.
CHAOS
(Vide primordial)
1\[ Gaïa/Tellus
(Nuit) (Terre)
1 Ouranos/Uranus (Ciel) Pontos (Mer)
Aphrodite/Vénus
2 £7+(5 Hypérion Cronos/Saturne Japet Thaumas
(un Titan) (un Titan) (un Titan)

3 Hélios/Soleil Séléné/Lune Prométhée Iris

3 Héra/Junon =HXVJupiter Déméter/Cérès Hadès/Pluton Poséidon/Neptune

4 Héphaïstos/Vulcain Arès/Mars Pallas Athéna/Minerve

4 Hermès/Mercure Tantale Hélène

5 Niobé
,OH[LVWHGHVYDULDQWHVGDQVOHVOÆJHQGHV$LQVL$SKURGLWH9ÆQXVHVWSDUIRLV
SUÆVHQWÆHFRPPHXQHƂOOHGH=HXVHWHOOHHVWFRQVLGÆUÆHLFLFRPPHQÆHGH
l’écume de la mer fécondée par Ouranos. De son séjour à Chypre vient son
surnom Cypris, du latin Cyprusˆ}&K\SUH}˜GpRÖDXVVLHQODWLQcuprum, le nom
du cuivre, métal abondant à Chypre et associé à la planète Vénus. Tout se tient.

➜ La naissance de Vénus, vers 1484/1485 par Botticelli.

50
La prodigieuse histoire du nom des éléments

La mythologie gréco-latine dans l’astronomie…


/H6ROHLOOD/XQHHWOHVSODQÅWHVLGHQWLƂÆHV½OpÆSRTXHIRUPHQWXQHQVHPEOHGH
DVWUHVTXLÆWDLHQWTXDOLƂÆVHQJUHFGHplanêtes, pluriel de planetosˆ}HUUDQW}˜
FDULOVVRQWPRELOHVSDUUDSSRUWDX[FRQVWHOODWLRQVƂ[HVGXFLHO&HWWHSDUWLFX-
ODULWÆHVWDSSDUXHVLLPSRUWDQWHDX[$QFLHQVTXpLOVRQWGRQQƽFHVDVWUHVOHV
QRPVGHGLYLQLWÆVP\WKRORJLTXHVGHSUHPLHUSODQ HQURXJHFLFRQWUH }-XSLWHU
trône entre son père Saturne, et ses enfants Mercure et Mars, ainsi que Vénus.
(WSRXUQRPPHUODQRXYHOOHSODQÅWHLGHQWLƂÆHHQRQDWRXWQDWXUHO-
OHPHQWIDLWDSSHO½8UDQXVOHSÅUHGH6DWXUQH(QƂQOHVGHX[GHUQLÅUHV
planètes découvertes, Neptune et Pluton, ont été dédiées à des frères de
-XSLWHUVDQVRXEOLHUOHVGHX[JURVDVWÆURÌGHV&ÆUÅVHW3DOODV

…et dans l’alchimie puis la chimie


/HV$QFLHQVSXLVOHVDOFKLPLVWHVRQWDVVRFLÆOHVDVWUHVQRQƂ[HVTXpLOV
REVHUYDLHQWDX[PÆWDX[TXpLOVFRQQDLVVDLHQWVDQVSRXUDXWDQWOHXUGRQQHU
le nom des astres, sauf pour le mercure tardivement puisque ce métal liquide
VpHVWORQJWHPSVQRPPƈ}YLIDUJHQW}˜
Puis à l’époque moderne, les chimistes ont volontiers nommé des éléments
chimiques à partir de la mythologie, en passant, ou pas, par l’intermédiaire
de l’astronomie. C’est le chimiste allemand Martin Klaproth qui a initié cette
démarche en 1792 en nommant l’uranium à partir du nom de la planète
Uranus, fraîchement découverte.
Dans la généalogie ci-contre, 14 noms sont écrits en caractères gras et se
devinent sous les noms de 14 éléments chimiques. Il sera question de ces
FRXSOHVˆ}GLYLQLWÆÆOÆPHQW}˜GDQVOHVSDJHVTXLVXLYHQWPDLVSDVGXFRXSOH
Hélios-héliumFDULOHVWWUÅVSDUWLFXOLHUHWVDQVUDSSRUWDYHFODP\WKRORJLH}
l’élément a été découvert dans le Soleil, comme on le verra plus loin dans le
Chapitre 6 (sur les gaz nobles).

Ainsi que d’autres mythologies


/HVQRPVGpRULJLQHJUHFTXHHWRXODWLQHVRQWFHUWHVOHVSOXVQRPEUHX[GDQV
le vocabulaire de la chimie, mais on y trouve aussi des noms inspirés des
contes et légendes germaniques et scandinaves.
2QUHPRQWHPÇPHHQFRUHSOXVORLQGDQVODQXLWGHVWHPSVVLOpRQFRQVLGÅUH
le nom de l’ammoniac, qui renvoie au dieu Amon de l’Égypte ancienne.
9R\DJHRQVVDQVSOXVWDUGHUGDQVOHVP\WKHVHWOÆJHQGHV}

51
&KDSLWUH'LHX[P\WKHVHWOÆJHQGHV

1 Des dieux
et des planètes
/pXUDQLXP} 8 OHQHSWXQLXP} 1S 
le SOXWRQLXP} 3X OHWHOOXUH} 7H OHVÆOÆQLXP} 6H 
le FÆULXP} &H HWOHSDOODGLXP} 3G

En 1792, le pharmacien et chimiste allemand Martin


Klaproth publiait un mémoire commençant ainsi en
français : « Les philosophes anciens, prévenus de l’idée que
notre globe était le centre de l’Univers, […] furent frappés du
rapport numérique qu’ils trouvèrent entre les sept métaux qu’ils
connaissaient, & les sept planètes qui existaient selon leur hypo-
thèse »1. C’est à partir de ce rappel historique que l’auteur ➜ Martin Klaproth
justifiait, comme on va le voir, le nom même de l’uranium. (1743-1817).

z
Les 7 métaux de l’Antiquité
Les Anciens en effet, puis les alchimistes, ont cultivé une sorte de
numérologie basée sur le chiffre 7, en associant les 7 métaux connus
depuis toujours aux 7 astres non fixes (Soleil, Lune et 5 planètes
identifiées à l’époque), portant eux-mêmes les noms de 7 divinités
mythologiques gréco-latines. Après quelque hésitation pour certaines
planètes2, les correspondances suivantes se sont imposées : le Soleil
et l’éclat de l’or, la Lune et sa lumière d’argent, le rouge de Mars et
du fer employé pour la guerre, le jaune de Vénus et de son miroir en
cuivre (métal abondant à Chypre, l’île de Vénus), le blanc de Jupiter,
de son éclair et de l’étain, la pâleur de Saturne dont la lenteur (tour du
Soleil en 30 ans) s’accorde avec la pesanteur du plomb, et au contraire
la vélocité de Mercure (tour du Soleil en 3 mois) qui évoque la fluidité
du mercure (anciennement vif-argent) et l’agilité des commerçants.

1. Klaproth, Martin, Mémoires de l’Académie royale des sciences et belles-lettres, Berlin, 1792, p. 172.
2. Halleux, Robert, Le problème des métaux dans la science antique, Les Belles Lettres, Paris, 1974,
252 p., p. 154.

52
Des dieux et des planètes

3 Or 8 Étain
Soleil Jupiter
% Argent 7 Fer
Lune Mars
5 Mercure Mercure 6 Civre Vénus
0 Plomb Saturne
➜ Tableau alchimiste.

z
Et dix de plus…
En fait, dès l’Antiquité, on a utilisé, mais sans parvenir à les identifier,
d’autres métaux que les 7 primitifs, le plus souvent en composition dans
divers minéraux. Mais seuls ces 7 métaux étaient connus en tant que
tels, et ils le sont restés… jusqu’à la fin du Moyen Âge, où apparaissent
le zinc et l’antimoine, et surtout au XVIIIe siècle, où sont découverts le
platine, le bismuth, le cobalt, le nickel, le manganèse, le molybdène, le
tungstène. Il faut y ajouter l’arsenic, et l’on arrive aux 17 « substances
simples métalliques » du tableau de Lavoisier de 1789.
Constatant donc en 1792 que déjà 17 métaux étaient connus, Klaproth
écrivait, non sans humour, que « comme le catalogue des planètes ne fut point
grossi à mesure, les métaux nouveaux furent privés de ces pompeuses dénomi-
nations empruntées du système planétaire, & réduits à des noms imposés par
le hasard, ou par des mineurs obscurs ». Il pensait sûrement aux « mineurs
obscurs » des mines de cobalt et de nickel que l’on trouvera plus loin dans
ce chapitre (rubrique 5). Quant au « hasard », on pouvait l’attribuer à
des noms comme zinc ou antimoine, dont les étymologies sont pour le
moins obscures, et plus encore au nom bismuth, apparu au XVe siècle en
allemand, Wismut, d’origine complètement inconnue (d’où aussi Bismut
en allemand, bismuth en français et anglais, bismuto en espagnol).

z
Uranus et l’uranium
Klaproth a étudié la pechblende, un minéral déjà utilisé dans les
céramiques, mais dont la structure était inconnue. Il a montré que ce
minéral était l’oxyde d’un nouveau métal, qu’il nommait en 1792 en
ces termes : « Je me prévaux des droits incontestables de tout inventeur, &
je donne à ce métal nouveau le nom d’Uranium, ou Urane, emprunté de
la planète Urane, dont la découverte est également récente ». En 1781 en
effet, l’astronome germano-anglais Herschel découvrait la planète

53
&KDSLWUH'LHX[P\WKHVHWOÆJHQGHV

Uranus (d’abord Urane), un astre que d’autres avaient vu auparavant,


mais qu’ils avaient pris pour une étoile fixe car son déplacement est
très lent (tour du Soleil en 84 ans). Uranus venait logiquement après
Jupiter et Saturne, puisque Uranus est le père de Saturne et le grand-
père de Jupiter.
En suivant explicitement la tradition ancienne, Klaproth associait donc
le dernier métal identifié à la toute nouvelle planète, ajoutant ainsi le
couple Uranus-uranium aux 7 couples « astre-métal » de l’Antiquité.
Dans le même esprit, il donnait en 1798 son nom au tellure à partir de
Tellus, le nom latin de la déesse Terre. En effet, la Terre n’étant plus
le centre de l’Univers depuis longtemps, elle ne pouvait pas rester la
seule planète sans correspondant, même si, en l’occurrence, le tellure
est un métalloïde.
De plus, on a détecté en 1801 et 1802 les deux premières planètes
naines, ou astéroïdes, Cérès et Pallas, dont les noms ont inspiré ceux des
deux métaux identifiés peu après, le cérium par Klaproth lui-même, et
le palladium (du latin Pallas, Palladis) par le physicien et chimiste anglais
Wollaston.

z
Planètes transuraniennes et métaux transuraniens
Enfin, deux autres planètes ont été découvertes ensuite, et nommées
selon la tradition mythologique : Neptune, trouvée en 1846 grâce au
calcul précis de Le Verrier, et Pluton en 1930 (devenue planète naine
en 2006). On a mis plus de temps cette fois à nommer des métaux
neptunium et plutonium. Ce fut aux États-Unis, au cours des travaux de
physique nucléaire dans les années 1940, à partir des noms des planètes,
et aussi par analogie entre deux filiations : celle d’Uranus, grand-père de
Neptune et Pluton, et celle de l’uranium (on parle parfois de noyau père et
de noyau fils), donnant le neptunium et le plutonium par désintégrations
successives du type ci-dessous, où les atomes apparaissent dans l’ordre
des planètes :

54
Des dieux et des planètes

22 23 24 25 26 27 28 29 30 31 32 33 34
Ti V Cr Mn Fe Co Ni Cu Zn Ga Ge As Se
titane vanadium chrome manganèse fer cobalt nickel cuivre zinc gallium germanium arsenic sélénium
40 41 42 43 44 45 46 47 48 49 50 51 52
Zr Nb Mo Tc Ru Rh Pd Ag Cd In Sn Sb Te
zirconium niobium molybdène technétium ruthénium rhodium palladium argent cadmium indium étain antimoine tellure
72 73 74 75 76 77 78 79 80 81 82 83 84
Hf Ta W Re Os Ir Pt Au Hg Tl Pb Bi Po
hafnium tantale tungstène rhénium osmium iridium platine or mercure thallium plomb bismuth polonium

57 58 90 91 92 93 94 95 96 97
La Ce Th Pa U Np Pu Am Cm Bk
lanthane cérium thorium protactinium uranium neptunium plutonium américium curium berkélium

➜ /HV}PÆWDX[GHOp$QWLTXLWÆ HQURXJH HWOHV}QRXYHDX[PÆWDX[GH.ODSURWKHQ HQEOHX 


'HVQRPVGpLQVSLUDWLRQDVWURQRPLTXH}l’uranium, le neptunium, le plutonium (les planètes, en
vert), le tellure et le sélénium (en jaune), le cérium et le palladium (les astéroïdes, en violet).

z
Épilogue lunaire
Le Soleil, la Lune et les planètes ont donc chacun un métal associé (ou
un métalloïde pour la Terre), et la Lune est même favorisée car, en plus
de l’argent, elle a un non-métal, le sélénium, nommé ainsi par Berzelius
en 1818 à partir du nom grec, Selênê, de la déesse de la Lune, à cause
de l’extrême proximité de cet élément avec le tellure.
Une belle convergence symbolique, sur trois millénaires, entre
mythologie, astronomie et chimie, que traduit bien l’étymologie des
noms de l’uranium et des premiers transuraniens.

➜ 0ÆWDX[DVVRFLÆVDX[DVWUHVGHSXLVOp$QWLTXLWÆHWFHX[TXLRQWÆWÆQRPPÆVGpDSUÅVGHVDVWUHV½
partir de 1792. L’hélium n’apparaît pas, car la logique de son nom est toute autre, une logique
d’ailleurs purement astrophysique.

PLUTON ET LE CÉLÈBRE CHIEN PLUTO


Le chien de Mickey a été nommé Pluto par Walt Disney en 1930
pour célébrer la découverte de Pluton par les astronomes améri-
cains. À noter qu’en anglais, Pluton se dit Pluto, comme le chien,
du latin Pluto, Plutonis. Au contraire, en français on distingue
Pluton et Pluto, le nom du chien qu’on oublierait presque d’as-
socier au dieu des Enfers, dont le chien était d’ailleurs Cerbère…

55
&KDSLWUH'LHX[P\WKHVHWOÆJHQGHV

2 Ciel ou enfer ?
Le WLWDQH 7L OHzirconium (Zr),
le WDQWDOH 7D OHniobium (Nb) et l’iridium (Ir)

Comme on vient de le voir, les Anciens, puis les alchimistes, associaient


les métaux aux astres, eux-mêmes dédiés aux divinités : ainsi, mercure
désigne à la fois le métal, la planète et le dieu. Et en 1792, le chimiste
allemand Klaproth renouait avec cette tradition en nommant l’uranium
en référence à la planète Uranus, elle-même dédiée au dieu du Ciel.
Mais certains noms de métaux sont directement inspirés de la mythologie
gréco-latine, sans l’intervention d’un astre, et c’est encore Klaproth qui
a donné l’exemple avec le titane.

z
Une histoire de Titans
En 1795, Klaproth découvrait en effet un autre métal, qu’il baptisait Tita-
nium en précisant que ce nom était « comme pour l’uranium, inspiré de la
mythologie » : une association d’idées naturelle car les Titans sont des fils
d’Uranus. Ils sont au nombre de six, et le plus jeune Titan est Saturne, le
père de Jupiter (ou Zeus). À ce propos, le plus gros satellite de la planète
Saturne ne s’appelle-t-il pas Titan ? Si, mais ce nom ne date que de 1847,
bien après le choix de Titanium par Klaproth. Celui-ci a réalisé en tout
cas un énorme travail en chimie, un travail titanesque si l’on ose dire. En
effet, en plus de l’uranium, du tellure, du cérium et du titane, Klaproth
a aussi identifié pour la première fois en 1789 le zirconium à partir d’un
zircon de Ceylan. C’est du nom de ce minéral (ZrSiO4) en allemand,
Zircon, qu’est dérivé le nom zirconium.

z
Du fils de Zeus à l’oiseau
En 1802, le chimiste suédois Ekeberg découvre, dans un minéral de Suède,
un nouveau métal à propos duquel il écrit : « En me prévalant de l’usage
qui admet des dénominations mythologiques, et pour exprimer l’impuissance du
nouveau métal de se saturer des acides dans lesquels on le plonge, je lui ai appliqué le

56
&LHORXHQIHU}"

nom de tantalium ». L’impossibilité pour ce


métal de réagir avec les acides lui rappelait
l’impossibilité de se nourrir pour Tantale,
ce fils de Zeus qui, ayant gravement
offensé les dieux, fut condamné à la faim
et la soif éternelles : plongé jusqu’au cou
dans l’eau du Tartare, aux Enfers, il ne
➜ La tentation de Tantale dans
pouvait ni boire car l’eau fuyait sa bouche, OH7DUWDUHDX[(QIHUV
ni manger car dès qu’il tentait de cueillir Gravure Bernard Picart, Le Temple des
muses (1733).
un fruit, le vent l’éloignait de lui.
Ekeberg n’était toutefois pas le premier à s’inspirer du supplice de
Tantale (Tantalus en latin). En effet, en 1750, un ornithologue avait
nommé tantalus une sorte de cigogne d’Amérique, que l’on voit marcher
dans l’eau en y plongeant sans cesse son bec, comme si elle ne pouvait
jamais se rassasier. Linné a retenu en 1766 le nom de genre Tantalus
pour cet oiseau, d’où son nom en français, tantale. Ekeberg, universitaire
à Uppsala, près de Stockholm, s’était inspiré du nom d’oiseau établi par
l’illustre Linné, professeur avant lui à Uppsala ?

➜ Tantale d’Amérique (Mycteria americana, que Linné classait dans le


genre Tantalus).
Wikipédia, Creative Commons, cc-by-sa-2.0, Bernard DUPONT.

z
La fille cachée de Tantale
En 1801, le chimiste anglais Hatchett avait identifié, à partir d’un
minéral d’Amérique du Nord, un nouveau métal qu’il a nommé colum-

57
&KDSLWUH'LHX[P\WKHVHWOÆJHQGHV

bium, de Columbia, le nom poétique de l’Amérique. Mais la confusion


s’est ensuite installée entre ce columbium et le tantale d’Ekeberg, car
les deux métaux avaient des propriétés voisines. On a même pensé que
peut-être ils ne faisaient qu’un, puis, en isolant les métaux, le chimiste
allemand Rose a montré en 1844 que le tantale d’Ekeberg contenait en
fait un autre métal, qu’il a nommé niobium, du nom de Niobé, la fille de
Tantale, et qu’il a identifié… au columbium. La confusion a perduré car
le même métal est longtemps resté nommé colombium aux États-Unis et
niobium en Europe, et c’est en 1950 que la communauté scientifique a
tranché en faveur de niobium. De columbium vient columbite, le nom du
minéral (Fe,Mn).(Nb,Ta)2.O6, où l’on trouve le tantale et le niobium
en proportions variables.

z
Épilogue irisé
En 1804, le chimiste américain Tennant découvre
un autre métal, caractérisé par la diversité de
couleurs de ses sels. En s’inspirant d’Iris (Iris, Iridos
en grec), la messagère des dieux, personnification
de l’arc-en-ciel, il nomme ce métal iridium.
En grec, iris, iridos désignait déjà l’arc-en-ciel, ou la fleur d’iris (chez
Théophraste), ou l’iris de l’œil (chez Galien). En français : irisé, « aux
couleurs d’arc-en-ciel », iridacée, « plante de la famille de l’iris », irien,
iridien, « relatif à l’iris de l’œil », des mots qui n’ont de rapport avec
iridié, « qui contient de l’iridium », que par la mythologie grecque.

français italien espagnol anglais allemand

titane titanio titanio titanium Titan


tantale tantalio tantalio tantalum Tantal
niobium niobio niobio niobium Niob
iridium iridio iridio iridium Iridium

58
&LHORXHQIHU}"

➜ 3DUPLOHVIOHXUVGpLULVODPHVVDJÅUHGHVGLHX[HWSHUVRQQLILFDWLRQGHOpDUFHQFLHO,ULV
assure le lien entre le ciel et la terre.
Artwork © Josephine Wall.

59
&KDSLWUH'LHX[P\WKHVHWOÆJHQGHV

3 Prométhée et
les terres cachées
Le cérium (Ce), le lanthane (La), le VDPDULXP} 6P 
l’europium (Eu), le praséodyme (Pr),
le néodyme (Nd), le prométhium (Pm),
le gadolinium (Gd) et le WHFKQÆWLXP 7F

Les 17 terres rares dessinent une sorte d’équerre dans la classification


périodique : le scandium, l’yttrium et le lanthane en colonne, et les
14 autres lanthanides en ligne 6, du cérium au lutécium.
Colonne 3
21
Sc
scandium
39
Y
yttrium Ligne 6
57 58 59 60 61 62 63 64 65 66 67 68 69 70 71
La Ce Pr Nd Pm Sm Eu Gd Tb Dy Ho Er Tm Yb Lu
lanthane cérium praséodyme néodyme prométhéum samarium europium gadolinium terbium dysprosium holmium erbium thulium ytterbium lutécium

15 lanthanides
➜ Les 17 terres rares, dont les 9 de la série de l’yttrium (en rouge)
et 8 de la série du cérium (en bleu).

Une pierre trouvée à Ytterby, près de Stockholm, a fourni les terres


rares de la série de l’yttrium, mais c’est à partir d’une autre pierre,
trouvée à Bastnäs dans l’intérieur de la Suède, que l’on a découvert
la seconde série de terres rares, la série du cérium. Deux origines
géographiques voisines en Suède, mais des noms très éloignés, car
yttrium est attaché à son petit village d’Ytterby, comme on le verra
au chapitre 4, rubrique 1, alors que cérium entraîne à des centaines de
millions de kilomètres de la Terre !

z
Cérium, un nom astronomique et mythologique
La « pierre pesante de Bastnäs » a été étudiée par plusieurs équipes, dont
celles des chimistes allemand Klaproth et suédois Berzelius, qui ont
mis en évidence un nouveau métal, auquel ils ont, en 1804, « donné

60
Prométhée et les terres cachées

le nom de cérium, d’après la planète de Cérès ». Celle-ci venait en effet


d’être découverte et dédiée à la déesse romaine de la fécondité et des
moissons. Klaproth ne pouvait qu’approuver ce choix, lui qui avait
renoué en 1792 avec les relations métal-planète de la tradition antique.
Plus tard, Berzélius dédiera le vanadium à Vanadis, dite parfois la Cérès
des Scandinaves (voir la rubrique 7).

➜ L’astéroïde Cérès et la déesse romaine.


:LNLSÆGLDFFE\VD%RUJKHVH&ROOHFWLRQSXUFKDVH

z
Cachés dans le cérium, le lanthane et son jumeau
En 1839, le chimiste suédois Mosander découvre un « nouveau métal
qui ne change que peu les propriétés du cérium, et qui s’y tient pour ainsi
dire caché. » D’où le nom de lanthane qu’il lui donne, du verbe grec
lanthanein, « être caché ». Une idée dont s’inspirera peut-être Ramsay
en 1898 pour nommer le krypton, du grec kruptein, « cacher » : deux
façons de dire « caché » en grec, pour désigner d’abord une terre rare
cachée dans le cérium, puis un gaz rare caché dans l’argon.
Mosander a montré que le cérium cachait encore un autre métal, qu’il
a nommé en 1842 didyme, du grec didumos, « jumeau », le jumeau du
lanthane en quelque sorte. Mais on s’est aperçu assez vite que ce didyme
lui-même n’était pas un corps simple…

z
Un jumeau peut en cacher d’autres
Dans un minerai du sud de l’Oural, la samarskite, du nom de l’ingénieur
des mines russe Samarsky-Bykhovets, on a trouvé aussi du didyme,
et le chimiste français Lecoq de Boisbaudran y a détecté par analyse

61
&KDSLWUH'LHX[P\WKHVHWOÆJHQGHV

spectroscopique en 1879 un premier métal, qu’il a baptisé samarium,


d’après samarskite, puis en 1886, un second métal qu’il a nommé
gadolinium, en l’honneur du minéralogiste finlandais Johan Gadolin,
le pionnier de la découverte des terres rares, que l’on retrouvera au
chapitre 4, rubrique 1.
Et finalement, le chimiste autrichien Auer von Welsbach a prouvé que
ce didyme lui-même était en fait constitué de deux métaux voisins,
pour ne pas dire eux-mêmes jumeaux. Dans un Bulletin de la Société
Chimique de France de 1886, il explique avoir abouti « d’abord au sel
vert et enfin au sel rose, qui correspondent aux deux éléments du didyme, le
praséodyme et le néodyme. » De vrais jumeaux aux noms assez étranges,
où l’élément -dyme sert de suffixe, associé d’une part à praséo- du grec
prason, « poireau », prasinos, « vert tendre comme le poireau », et d’autre
part à néo-, de neos, « nouveau ». Mais pourquoi néo- ? Pourquoi pas
« rhododyme », par symétrie, pour le métal au sel rose ?
Notons ici qu’Auer von Welsbach a aussi découvert
la possibilité de doper grâce à des oxydes de terres
rares la lumière émise par un bec de gaz ; d’où son
invention du bec Auer, une lampe d’éclairage très en
vogue à la Belle Époque. C’était une sophistication
du bec Bunsen, mis au point par le chimiste allemand ➜ PublicitéArt déco
Bunsen, chez qui d’ailleurs Auer avait travaillé. pour le bec Auer.

Puis le chimiste français Demarçay identifiera en 1901 dans le minerai


du samarium un métal qu’il nommera europium : un nom rassembleur
pour des travaux menés dans plusieurs pays, de la Suède à l’Oural,
frontière naturelle de l’Europe.

z
Épilogue prométhéen
Toutefois, l’histoire ne s’arrêtait pas à
l’europium, car on avait découvert les éléments
57, 58, 59, 60 et 62, 63, 64, mais l’élément 61
restait introuvable. Ce métal est en effet la plus
rare des terres rares, car tous ses isotopes sont
radioactifs et à relativement courte durée de vie. ➜ Prométhée, puni,
enchaîné avec l’aigle.

62
Prométhée et les terres cachées

Il faudra attendre 1945 pour que l’élément 61 soit identifié au moyen du


réacteur nucléaire d’Oak Ridge (Tennessee), dirigé alors par le chimiste
américain Coryell.
Et l’histoire retient que l’épouse de Coryell, Grace, a donné l’idée
en 1948 de nommer ce nouvel élément prométhium, car ceux qui
cherchaient à maîtriser l’énergie nucléaire lui rappelaient Prométhée
dérobant le feu aux dieux de l’Olympe.
Prométhée a aussi enseigné aux hommes la technique (en grec tekhnê),
et l’on avait d’ailleurs nommé en 1937 technétium, du grec tekhnêtos,
« artificiel », l’élément 43, décelé dans le molybdène irradié, et alors
inconnu dans la nature. Les éléments technétium 43 et prométhium 61
étaient donc les deux seuls éléments, parmi les 92 premiers, inconnus
dans la nature. On a trouvé depuis le technétium à l’état de traces (dans
un minerai d’uranium), mais pas le prométhium.
Le prométhium, la dernière terre rare identifiée, est donc le seul des 92
premiers éléments à n’avoir jamais été trouvé sur Terre. C’est, si l’on
ose dire, une terre rarissime, et elle a bien été dérobée, sinon aux dieux,
du moins au-delà de la condition terrestre.

➜ Cérès, déesse romaine de la fécondité et des


PRLVVRQVfGpRÖOHQRPFÆUÆDOHV
)DOODLWLOXQHGÆHVVHSRXUUÆFROWHUGHVWHUUHVUDUHV}"

63
&KDSLWUH'LHX[P\WKHVHWOÆJHQGHV

4 Hélène de Troie
et les sucres
L’inuline et l’insuline

L’inuline occupe une place particulière parmi les sucres lents (les
polysaccharides) d’origine naturelle. Elle a été découverte en 1804 par le
pharmacologiste allemand Valentin Rose Junior, à partir de racines d’une
plante réputée depuis l’Antiquité pour ses vertus médicinales, la grande
aunée. Le terme inuline vient du nom latin de cette plante, lui-même
emprunté au grec.

➜ Lagrande aunée (Inula helenium) atteint trois mètres


de haut. L’inuline (à droite) est un polymère de fructose.

z
Une plante enracinée… dans la mythologie
Théophraste qualifiait en grec la grande aunée de panacée de Chiron,
ce qui renvoie deux fois, et à la mythologie, et à la médecine. En
effet, Chiron (du grec kheir, « main », cf. chirurgien) était le Centaure
omniscient, donc aussi médecin et chirurgien : ce fut le précepteur
d’Asclépios, devenu lui-même le dieu de la médecine, dont la fille
Panacée (du grec pan, « tout », et akesis, « guérison ») guérissait tous les
maux, d’où la panacée dans le langage courant.
64
Hélène de Troie et les sucres

Plus tard, Dioscoride donnait à la même grande aunée un autre nom


grec, helenion, rappelant à nouveau un personnage mythologique, cette
fois Hélène (grec Helenê), dont l’enlèvement a provoqué la guerre de
Troie. Mais en quoi la plus belle femme de l’Antiquité, après Aphrodite,
est-elle concernée ici ? La réponse réside dans un mélange de sciences
naturelles et de légendes.
Au cours de son retour de Troie, la belle Hélène avait dû être éloignée
sur l’île de Pharos pour échapper aux avances du roi d’Égypte. Or
Pharos, proche du delta du Nil, était infestée de serpents, et il a donc
fallu donner à Hélène une plante guérissant leurs morsures, plante
nommée helenion, « herbe d’Hélène ». Une variante de la légende
affirme que cette plante est née sur l’île des larmes mêmes d’Hélène.
Toujours est-il que, par analogie, quelques autres plantes censées
soigner les morsures de serpents ont aussi été nommées en grec hele-
nion, et c’est le cas de la grande aunée, puisque, selon Théophraste, « on
l’utilise contre les vipères. »3

➜ %LHQDSUÅVOHSDVVDJHGp+ÆOÅQH$OH[DQGULH
sera créée en face de l’île de Pharos, sur
laquelle sera érigée la septième merveille
GXPRQGHOH3KDUHGp$OH[DQGULHDLQVLQRPPÆ
GpDSUÅVOHQRPGHOpËOHGpRÖYLHQWILQDOHPHQW
le mot phare en français.

z
D’Hélène à l’inuline, une recombinaison
linguistique ?
Le grec helenion a été emprunté par le latin, en évoluant vers des noms
variés de la grande aunée : de la forme elena vient son nom anglais,
elecampane (de ele(na) campana), puis de elna vient aunée en français,
et ella devient Alant, « aunée », en allemand. Et la surprise vient de
son nom latin inula, employé par Pline l’Ancien, que l’on relie aussi à
helenion, en admettant que les consonnes /l/ et /n/ se sont échangées
dans l’évolution. Un tel échange est parfaitement répertorié par les

3. Amigues, Suzanne, Théophraste, Recherche sur les plantes, À l’origine de la botanique, Belin, Paris,
2010, 414 p., p. 355.

65
&KDSLWUH'LHX[P\WKHVHWOÆJHQGHV

linguistes, sous le nom de métathèse, un nom familier aux chimistes qui


l’appliquent aussi, mais à un échange de positions d’atomes sur une
molécule au cours d’une réaction.
En 1753, Linné nommait en tout cas la grande aunée Inula helenium,
et du nom de genre Inula dérive inuline, en anglais inulin, en espagnol
inulina, en allemand Inulin…

z
De l’inuline à l’inSuline
L’inuline est aujourd’hui un prébiotique, qui présente de l’intérêt dans
certains régimes alimentaires, par exemple en cas de diabète. Mais dans
ce dernier cas, on connaît mieux le rôle plus important de l’insuline,
dont le nom ne diffère fortuitement d’inuline que par l’ajout d’une
lettre : inuline + s = insuline.
L’insuline a été nommée en 1909 à partir du latin insula, « île, îlot »,
car on avait constaté que cette protéine était sécrétée par des cellules
du pancréas regroupées dans des amas cellulaires dits (en 1905) « îlots
de Langerhans », du nom de leur découvreur.

z
Épilogue insulaire
L’insuline n’est certes pas, comme l’inuline, riche de références à
l’Antiquité, mais c’est tout de même au latin, encore une fois, que son
nom remonte directement : insuline a rejoint la grande famille des mots
comme péninsule, insulaire, isolé, île… qui descendent du latin insula,
« île ». Avec inuline et une lettre de moins, tout était différent et l’on
évoquait la belle Hélène au désespoir sur une île de la Méditerranée…
Une autre histoire d’île, dirait-on, mais on ne s’étendra pas sur ce qui
n’est qu’une coïncidence.

66
Hélène de Troie et les sucres

➜ Hélènede Troie, qui donna le nom


helenion à la grande aunée.

67
&KDSLWUH'LHX[P\WKHVHWOÆJHQGHV

5 Des nains
démoniaques
Le nickel (Ni), le cobalt (Co) et l’arsenic (As)

Dans les dictionnaires étymologiques, au nom nickel, on fait référence


à celui du cobalt, et réciproquement. En effet, ces deux métaux, situés
côte à côte juste avant le cuivre dans la classification périodique, ont des
noms d’une même origine, liée à la mythologie germanique.
24 25 26 27
27 28
28 29 30 31 32 33
Cr Mn Fe
e Co
Co Ni
Ni Cu
C Zn Ga Ge As
chrome manganèse fer cobalt
cobalt nickel
nickel cuivre
c zinc gallium germanium arsenic

➜ 7HOVGHX[IUÅUHVLQVÆSDUDEOHVnickel et cobalt ont


une origine commune.

Il est préférable de commencer par le cobalt, car son histoire est la plus
ancienne des deux.

z
Un métal énigmatique et des minerais malfaisants
L’histoire du cobalt commence avec celle des pigments minéraux, qui
remonte à la plus haute Antiquité. Déjà en Égypte ancienne, on obtenait
un verre d’une couleur bleue intense grâce à un pigment particulier,
nommé beaucoup plus tard bleu de cobalt car il était basé sur ce métal
resté longtemps inconnu.

➜ Masque mortuaire
de Toutankhamon,
PRUWYHUV}DYDQW-&
Les bandes bleues sont en
verre coloré par le cobalt.

On a continué à utiliser ce pigment (où le cobalt restait incognito)


dans l’art des vitraux au Moyen Âge par exemple, mais il a pris une plus
grande importance avec l’exploitation de minerais découverts au XVe

68
Des nains démoniaques

siècle en Europe, surtout en Saxe et en Bohême. Le pigment était alors


obtenu par grillage de ces minerais, et on le nommait saffre (aujourd’hui
safre), un nom lié à celui d’une pierre bleue, le saphir (du grec sappheiros,
« saphir »). Cependant, les mineurs allemands rencontraient des
difficultés de tous ordres. D’abord ils cherchaient, en vain, à extraire du
cuivre de ces minerais, ce cuivre bien connu depuis l’Antiquité comme
matériau et même comme base de pigments, tels que le bleu égyptien
(d’un usage différent de celui du bleu de cobalt). En outre, les mineurs
subissaient de graves intoxications dues aux fumées dégagées par le
grillage des minerais : rien d’étonnant si l’on sait qu’il s’agissait de
sulfures ou d’arséniures. Pour toutes ces raisons, les mineurs détestaient
ces minerais, qu’ils affublaient du nom allemand Kobold donné aux petits
lutins de la mythologie germanique. Les Kobolds, gentiment taquins
et facétieux dans la vie quotidienne, fréquentaient le monde des mines
souterraines. D’ailleurs, les célèbres petits nains de Blanche Neige
étaient de gentils Kobolds. Mais certains autres pouvaient devenir
malfaisants et dangereux dans ces mines ; on les accusait de détruire le
travail des mineurs et de leur causer tous les ennuis possibles.

➜ /HVQDLQV
HQFRUHOHFKLIIUH}} 
de Blanche-Neige étaient de
gentils kobolds fréquentant leurs
mines, à la recherche du nickel
FDFKÆ}"3RXUOpLQVWDQW
c’est Simplet qui est caché…

Le chimiste suédois Georg Brandt a finalement identifié le métal


fantôme en 1735 et lui a donné le nom du minerai, en suédois kobolt,
repris dans toutes les langues : Kobalt en allemand, cobalt en français et
anglais, cobalto en espagnol…
Et la malédiction du cobalt s’est poursuivie avec celle du nickel.

z
Un vrai faux minerai de cuivre
Parmi tous les minerais découverts à partir du XVe siècle en Europe, il en
était un dont les reflets rouges laissaient vraiment penser qu’il contenait
du cuivre à coup sûr. Mais il s’avérait encore une fois impossible de

69
&KDSLWUH'LHX[P\WKHVHWOÆJHQGHV

tirer la moindre parcelle de ce métal, et le grillage du minerai dégageait


encore des fumées toxiques. Et pour cause : c’était en fait de l’arséniure
de nickel (NiAs), nommé aujourd’hui nickeline. Les mineurs se sentaient
encore une fois harcelés par un Kobold, auquel ils ont donné, comme
c’était la coutume, un petit surnom affectueux, comme pour l’amadouer :
Nickel, diminutif de Nikolaus. Ils ont même nommé ce minerai Kupfer-
Nickel, de l’allemand Kupfer, « cuivre », c’est-à-dire le « petit Nicolas
du cuivre », parce qu’il fait semblant de contenir du cuivre, mais n’en
donne point, pis encore, il empoisonne.
Le chimiste suédois Axel Frederik Cronstedt a finalement identifié le
métal inconnu en 1751 et, s’inspirant manifestement du nom du cobalt,
il l’a nommé nickel, repris tel quel dans beaucoup de langues (níquel en
espagnol).
Par un curieux hasard, le nom allemand Kupfernickel s’utilise toujours
aujourd’hui, mais pour désigner le bien réel cupronickel, l’alliage entre
le cuivre et le nickel.

z
Épilogue : in cauda venenum…
Le nom du nickel, issu de la mythologie germanique, semble indépendant
de l’Antiquité gréco-latine tellement présente dans tout le vocabulaire
de la chimie… du moins à première vue, car le nom Nicolas remonte au
grec Nikolaos, du grec nikê, « victoire », et laos, « armée, foule, peuple ».
Notons enfin que Brandt, à côté du cobalt, a aussi identifié et nommé
l’élément arsenic, alors que jusque-là ce nom arsenic désignait divers
composés toxiques contenant du soufre ou de l’arsenic. Il a fait, si l’on
ose dire, d’une pierre deux coups.

70
Des nains démoniaques

ARSENIC ET SON ÉTYMOLOGIE POPULAIRE


Le nom arsenic vient du latin tardif arsenicumOXLPÇPHGXODWLQFODVVLTXHarrhenicum,
un emprunt au grec arrenikon ou arsenikon, qui désigne chez Aristote l’arsenic jaune,
ou orpiment (As2S3 UÆSXWÆSRXUDYRLUODFRXOHXUGHOpRU/HJUHFHVWOXLPÇPHXQ
HPSUXQW½XQPRWSHUVDQVLJQLƂDQWˆ}FRXOHXUGpRU}˜(QIDLWWRXVFHVPRWVVHVRQW
DSSOLTXÆV½GHVFRPSRVÆVWR[LTXHVd’arsenic ou de VRXIUHRXGHVGHX[HWPÇPH½
d’autres poisons.
Par ailleurs, le grec arsên (ou arrên HVWXQWHUPHDQFLHQVLJQLƂDQWˆ}P¿OH}˜TXHOpRQ
a, par étymologie populaire, rapproché de arsenikon, la dureté d’un poison étant
associée à un mâle tempérament. Et l’on trouve en grec tardif, comme dérivé de arsên,
ˆ}P¿OH}˜OpDGMHFWLIarsenikosˆ}P¿OHPDVFXOLQ}˜TXLODLVVHSHQVHU½WRUWqu’arsenic
VLJQLƂHˆ}P¿OH}˜VHORQVRQÆW\PRORJLH

➜ Kobold,la créature du folklore germanique qui causait les accidents


dans les mines.

71
&KDSLWUH'LHX[P\WKHVHWOÆJHQGHV

6 La peur
du loup-garou
Le tungstène (W) et le wolfram

En français, le tungstate de fer et de manganèse se nomme wolfram, qui


est un faux ami car en allemand Wolfram ne désigne pas ce minerai, mais
le tungstène lui-même : le même métal sous deux noms bien différents,
en français tungstène et en allemand Wolfram, où l’on se demande pourquoi
apparaît le nom du loup (Wolf), ou encore le prénom allemand Wolfram.
Tout d’abord, pourquoi le loup ? En premier lieu, le minéralogiste
allemand Agricola au XVIe siècle signale que ce wolfram ressemble à un
minerai d’étain sans pour autant contenir d’étain. Plus tard, le chimiste
suédois Wallerius a repris ce propos et on en a déduit que l’étain avait été
dévoré... par un loup ! Une métaphore typique du langage ésotérique des
alchimistes, assimilant par exemple
l’antimoine au loup gris… qui engloutit
l’or. Qui plus est, selon Wallerius, le
wolfram pouvait se confondre aussi
avec du minerai d’antimoine. Enfin,
la fusion du wolfram produisait des
suies noirâtres qui encrassaient les
fours de métallurgie, comme des
traces d’un loup malfaisant. Le nom
wolfram renvoie donc à l’image du
méchant loup, un peu comme, dans
un autre domaine, le nom du houblon
chez Pline l’Ancien est lupus, car le ➜ Logo de la bière Lupulus. Le latin
lupulus, diminutif de lupus, signifie
houblon, épuisant le sol et étouffant ½ODIRLVˆ}ORXYHWHDX}˜HWˆ}KRXEORQ}˜
les plantes voisines, serait comme un qui fait dépérir les plantes voisines.
†}ˆ}%UDVVHULHOHV})RXUTXHWV}˜
loup pour les autres plantes. – www.lupulus.be

D’autre part, selon Wallerius, le latin spuma lupi, synonyme de wolfram,


incite à voir dans l’élément -ram un dérivé d’un ancien nom allemand,

72
La peur du loup-garou

Rahm, « salissure ». Étymologiquement, wolfram, en minéralogie, signifie


donc « bave de loup ». Mais revenons à la question du prénom Wolfram.

➜ ([WUDLWGHODSDJHGXWUDLWÆGH0LQÆUDORJLHGH:DOOHULXV
1750.

z
L’homme aussi est un loup…
Précisons d’abord que ce prénom existait bien avant les traités de
minéralogie. Par exemple, Saint Wulfran fut évêque de Sens au VIIe
siècle et Wolfram von Eschenbach fut un grand poète allemand de la fin
du XIIe siècle.
En fait, Wolfram fait partie des nombreux noms de baptême, d’origine
franque en général, basés sur deux racines. Ainsi, Wolfram est basé sur
wulf, « loup », et hram, « corbeau », son élément -ram n’étant donc pas
le même que celui du nom de minerai. Quant au loup, il est présent
dans les deux cas, mais avec des connotations opposées, négative dans
les termes (al)chimiques, et positive dans les noms d’hommes : le nom
Wolf lui-même existe, le loup étant vu comme un héros, un guerrier
valeureux, et prudent dans sa progression à pas de loup, ce qu’évoque
le prénom Wolfgang (Gang, « démarche »). Wolfram combine ici les
qualités du corbeau (divinisé dans la mythologie scandinave) et celles du
loup : une double référence à des animaux mythiques qui se voit aussi
dans Arnolphe (arn, « aigle », + wulf) ou Bernolf (bern, « ours », + wulf).
Et le loup apparaît encore dans Rodolphe (hrod, « gloire », + wulf), Raoul
(rad, « conseil », + wulf) ou… Adolphe (adal, « noble », + wulf).
Le prénom a-t-il finalement joué un rôle dans la formation de Wolfram,
le minerai ? Une chose est sûre : les premiers (al)chimistes qui ont
articulé ce nom ne pouvaient pas l’ignorer. Or c’est bien la forme
Wolfram qui apparaît d’emblée dans les textes de minéralogie, et non
pas *Wolfrahm par exemple, qui ne semble pas attesté. Il est donc

73
&KDSLWUH'LHX[P\WKHVHWOÆJHQGHV

vraisemblable que le prénom ait influencé la formation du nom du


minerai. N’était-ce pas, au fond, une façon de donner un nom humain
à un minerai qui posait des problèmes, un peu comme ce fut le cas de
Nickel (= petit Nicolas), comme si Wolfram avait aussi été un Kobold
(voir la rubrique précédente) ?

z
Du lourd minerai au nouveau métal
C’est seulement en 1779 que la présence d’un métal inconnu dans le
wolfram est soupçonnée, par le chimiste anglais Peter Woulfe, au nom
assurément prédestiné ! Or en 1781, le chimiste suédois Scheele identifie,
sans l’isoler, un nouveau métal dans un autre minerai, le tungstate de
calcium, nommé alors en suédois tungsten (de tung, « lourd », et sten,
« pierre »), à cause de sa densité de 6, très élevée. Scheele donne le même
nom en suédois, tungsten, à ce nouveau métal. Deux ans plus tard enfin,
le chimiste espagnol Juan José d’Elhúyar, avec l’aide de son frère Fausto,
repartent du wolfram et en tirent un métal, qui s’avère être le même que
celui de Scheele, et ils écrivent : « Nous donnerons à ce nouveau métal le nom
de Volfran, en le prenant de la matière dont nous l’avons retiré. »

z
Épilogue obstiné
Pendant longtemps, les noms basés sur
l’allemand Wolfram et sur le suédois
tungsten ont coexisté, de même que les
symboles chimiques W et Tu. Jusque vers
1950 encore, des débats opposaient les
« proWolfram » et les « protungsten ».
La tendance était de préférer Wolfram,
mais les chercheurs anglo-saxons,
considérant la masse de publications
existantes avec l’anglais tungsten, n’ont
pas accepté de changer. Aujourd’hui, la
majorité se range du côté Wolfram, et le
symbole W est admis par tous, mais il y
a de notables exceptions comme l’anglais
➜ Letungstène va disparaître au profit tungsten ou le français tungstène…
des LED.

74
La peur du loup-garou

En suédois, c’est un comble, tungsten est sorti d’usage et le tungstène se


dit volfram. Nul n’est prophète en son pays ! Mais le nom scheelite, du
tungstate de calcium, honore tout de même le chimiste suédois.

Formule
anglais français espagnol allemand suédois
chimique
W tungsten tungstène wolframio Wolfram volfram
(Fe,Mn)WO4 wolframite wolfram(ite), wolframita Wolframit volframit
CaWO4 scheelite scheelite scheelita Scheelit scheelit

➜ L’Étoile mystérieuse, page 11.


Le professeur Calys a découvert son nouveau métal
½SDUWLUGXVSHFWUHOXPLQHX[GHOp¦WRLOHP\VWÆULHXVH
H[DFWHPHQWFRPPHl’hélium l’a été à partir
GXVSHFWUHOXPLQHX[GX6ROHLO,OHPSORLHOpÆOÆPHQW
–stèneˆ}SLHUUH}˜GHtungstène. A-t-il pensé aussi
au neveu d’Aristote, Callisthène, du grec kallos,
ˆ}EHDXWÆ}˜HWsthenosˆ}IRUFH}˜}"'HWRXWHIDÄRQ
le calystène était une illusion.
Hergé/Moulinsart 2017.

75
&KDSLWUH'LHX[P\WKHVHWOÆJHQGHV

7 Vanadis et Thor,
le jour et la nuit
Le vanadium (V), le WKRULXP 7K OHchrome (Cr)
et le rhodium (Rh)

C’est une histoire pleine de péripéties que celle de la découverte du


vanadium, dont le nom nous entraîne dans la mythologie scandinave,
certainement moins présente que les références gréco-latines dans les
appellations de la chimie.

z
Une découverte incomprise, au Mexique
En 1801, l’histoire commence pourtant à Mexico, où le minéralogiste
del Rio annonçait la découverte d’un nouveau métal dans un minerai du
Mexique. Cependant, la communauté scientifique a considéré que le métal
en question n’était que du chrome impur. En fait, c’est del Rio qui avait
raison. On a compris plus tard qu’il avait bien trouvé le vanadium, situé dans
la classification juste à côté du chrome que Vauquelin venait d’identifier,
et de nommer en 1798 à partir du grec khrôma, « couleur », à cause de ses
sels diversement colorés. Le métal que del Rio pensait, à juste titre, avoir
trouvé, produisait d’ailleurs des sels de couleur rouge intense, d’où le nom
erythronium, du grec eruthros, « rouge », qu’il avait proposé, en vain.
➜ Le minéralogiste espagnol
Andrés Manuel del Río
(1764-1849) a fréquenté
les écoles des mines
d’Espagne et d’Allemagne, a
connu Humboldt et travaillé
avec Lavoisier, avant de
partir en Nouvelle-Espagne,
GHYHQXHOH0H[LTXHHQ
1821. Il est l’infortuné
découvreur du vanadium. ➜ Vanadinite, Pb5(VO4)3Cl.

Le chimiste anglais Wollaston aura plus de chance en 1805 en proposant


rhodium, du grec rhodon, « rose », à cause de la couleur rose de ses sels
en solution.

76
Vanadis et Thor, le jour et la nuit

z
La redécouverte, en Suède
Près de trente ans plus tard, le chimiste et minéralogiste suédois Nils
Gabriel Sefström, examinant « une espèce de fer remarquable par son
extrême mollesse », montrait qu’un nouvel élément était responsable de
cette propriété, et redécouvrait ainsi le vanadium.
Sefström travaillait alors chez son ancien
professeur, Berzelius, qui écrivait en 1830 :
« Nous n’avons pas encore fixé définitivement le
nom de cette substance. Nous l’appelons provisoi-
rement vanadium, de Vanadis, nom d’une divi-
nité scandinave. » Berzelius laissait la primeur
de l’annonce à Sefström, qui confirmait, dès
1831, le nom du nouveau métal : « Comme le
nom est indifférent par lui-même, je l’ai dérivé de ➜ Jöns Jacob Berzelius.
Vanadis, surnom de Freyja, principale déesse de la mythologie scandinave. »
Un nom peut-être pas si indifférent que cela, puisqu’il lui permettait
de signer cette découverte d’un nom scandinave. Compte tenu de
l’originalité des travaux de Sefström, la communauté scientifique a
effectivement retenu vanadium, au détriment d’erythronium proposé
par del Rio.

z
Vanadis, une déesse inspiratrice
Dans la mythologie scandinave, les dieux se répartissent entre les Ases,
qui ont des pouvoirs de justice et de guerre, et les Vanes, tournés
vers la fertilité et la prospérité. Freyja fait partie des Vanes, d’où
son surnom de Vanadis. Comme Vénus chez les Romains, elle est la
déesse de la fécondité et de la beauté, des qualités illustrées par le
vanadium, qui est remarquable par la diversité et les riches couleurs
de ses dérivés.
Berzelius était, semble-t-il, inspiré par Vanadis4. Dans une lettre de
1831 à son confrère allemand Wöhler, célèbre pour avoir réussi la
synthèse de l’urée, voici à peu près ce qu’il écrivait : vous avez frappé

4. Weeks, Mary Elvira, Discovery of the Elements, 3rd ed. revised 1935 (1st 1933), Journal of
Chemical Education, Easton, Pa, USA, 371 p., p.88.

77
&KDSLWUH'LHX[P\WKHVHWOÆJHQGHV

une fois à la porte de Vanadis, elle n’a pas répondu, et vous n’avez pas
insisté, mais quelque temps après Sefström n’a cessé de frapper à sa
porte, elle a fini par s’ouvrir, et « de cette union est né le vanadium ». Une
puissante métaphore que Wöhler a prise du bon côté puisque la même
année, il écrivait cette fois à Liebig : « je suis un âne » de ne pas avoir
découvert le vanadium dans le minerai mexicain. Pour terminer sur
ces échanges, citons encore Berzelius, consolant Wöhler en lui disant
que la synthèse de l’urée nécessitait plus de génie « que la découverte de
10 nouveaux éléments. »
Que d’émotion autour du vanadium… et de la belle Vanadis... qui, plus
tard, a aussi inspiré les astronomes, puisqu’un astéroïde découvert en
1884 a été baptisé Vanadis : encore une correspondance entre un astre
et un métal, mais a priori fortuite cette fois.

z
Thor, une autre divinité scandinave
Berzelius avait déjà puisé dans la mythologie scandinave pour
nommer thorium en 1818 un métal qu’il croyait nouveau, à partir du
nom de Thor, le dieu du tonnerre et des éclairs. Armé de son marteau,
ce dieu est un avatar de Jupiter et de Donar dans la mythologie
germanique. Plus tard, lorsque Berzelius découvre, réellement cette
fois, un nouveau métal en 1829, à peu près en même temps d’ailleurs
que la redécouverte du vanadium, il reprend ce nom thorium, à bon
escient cette fois.
Dans la classification, le thorium (Th), 90e élément et 2e actinide, est
fort éloigné du vanadium (V), 23e élément et 3e métal de transition.
Pourtant, dans la symbolique des jours de la semaine, le jeudi/Thursday/
Donnerstag, dédié à Jupiter, Thor et Donar, précède juste le vendredi/
Friday/Freitag, dédié à Vénus, Frigg et Freyja, dite Vanadis, parfois
confondue avec Frigg.

Latin Français Espagnol Anglais Allemand


Jovis dies Thursday Donnerstag
jeudi jueves
(jour de Jupiter) (jour de Thor) (jour de Donar)
Veneris dies Friday Freitag
vendredi viernes
(jour de Vénus) (jour de Frigg) (jour de Freyja)

78
Vanadis et Thor, le jour et la nuit

z
Épilogue et couple alchimique
Grâce au grand chimiste suédois Berzelius, la mythologie scandinave
est représentée dans la classification des éléments par le vanadium et
le thorium.
La déesse Vanadis, parmi les Vanes, en face du dieu Thor, parmi les
Ases, symbolisant le vanadium, un oligoélément, qui rend l’acier ductile
et donne des dérivés de toute beauté, en face du thorium, deux fois plus
lourd, radioactif, et dont l’oxyde résiste aux très hautes températures…
Serait-ce une référence implicite à la philosophie du
yin (la terre sombre, la souplesse, le « féminin ») et
du yang (le ciel lumineux, la dureté, le « masculin »),
à la base de l’alchimie chinoise ?

➜ /HFRXSOHGHODP\WKRORJLHQRUGLTXH})UH\MDRX9DQDGLVGÆHVVHGHODEHDXWÆ
HWGHODIHUWLOLWÆHW7KRUGLHXGXWRQQHUUH}HWGHODJXHUUH}XQHDOFKLPLHGHV
principes contraires inspiratrice des noms des éléments chimiques YDQDGLXP} 9 
et WKRULXP 7K }

79
&KDSLWUH'LHX[P\WKHVHWOÆJHQGHV

8 Les oracles d’Amon


L’ammoniaque, l’ammoniac, l’ammonium,
une amine et un amide

Contre toute attente, l’histoire du mot ammoniac nous entraîne jusqu’en


Égypte ancienne, où le dieu égyptien Amon (Ammôn en grec) a été
qualifié de « roi des dieux ». Les Grecs l’ont assimilé à Zeus, puis les
Romains à Jupiter. Les temples d’Amon ont pris dans l’Antiquité une
importance considérable, en particulier celui de l’oasis de Siwa, située
aujourd’hui au nord-ouest de l’Égypte, tout près de la frontière libyenne.

z
Un point de repère géographique
À cause de l’immense réputation de ce temple, où l’on recevait les
oracles d’Amon, la ville voisine a pris en grec le nom d’Ammôn et
sa région le nom d’Ammônis, devenu presque synonyme de Libye.
Tout naturellement, est apparu l’adjectif qualifiant l’appartenance
géographique : Ammôniakos, « de Libye ».

z
Une résine bénéfique
On a trouvé dans cette région des plantes exsudant une résine à laquelle
on attribuait, dès l’Antiquité, de multiples vertus, médicinales et autres :
on l’utilisait en particulier, et c’est toujours le cas, en enluminure pour
poser la feuille d’or. Cette résine, récoltée sous forme de « larmes », a été
nommée en grec ammônikon, puis en latin ammoniacum, et finalement
en français gomme ammoniaque.
Comme on le voit, l’adjectif ammoniaque ne
signifie pas ici que cette gomme contient de
l’ammoniac, mais qu’elle est originaire de
régions voisines d’un ancien temple d’Amon,
exactement comme la gomme arabique est
appelée ainsi parce qu’on la trouvait dans des
régions de langue arabe.
➜ Gomme ammoniaque.

80
Les oracles d’Amon

z
L’origine de l’ammoniac
Indépendamment de la gomme ammoniaque,
on récoltait un tout autre produit tiré
des accumulations de sable imprégné de
déjections et d’urine des chameaux, très
nombreux à séjourner dans les oasis comme
celle du temple d’Amon. Ce produit portait,
pour la même raison, le même nom grec,
ammôniakon, que la gomme ammoniaque,
mais cette fois c’était bien un sel d’ammonium
pouvant dégager de l’ammoniac NH3. ➜ Le dieu Amon.

Notons ici que Pline l’Ancien rapprochait ammôniakon et même Ammon


du grec ammos, « sable », qui appartient pourtant à une autre famille de
mots, d’où viennent en français le nom savant de la vipère des sables,
l’ammodyte, et l’adjectif ammophile, « qui vit dans le sable » (à ne pas
confondre avec ammonophile, pour une plante qui métabolise l’ion
ammonium). Ce rapprochement entre Ammon et ses dérivés et ammos,
« sable », relève en fait d’une étymologie populaire.
Du grec ammôniakon vient en définitive le mot ammoniaque en français,
attesté dès le XVIe siècle, puis du gaz ammoniac, dans la Nomenclature de
1787. Ce produit est d’ailleurs resté fabriqué à partir d’urée naturelle
jusqu’à ce qu’un procédé de synthèse à partir de l’azote atmosphérique
soit mis au point au début du XXe siècle.
C’est ainsi que le nom d’un grand dieu de l’Égypte ancienne est
à l’origine du mot ammoniac en français, ainsi que dans les autres
langues : anglais ammonia, allemand Ammoniak, espagnol amoníaco…
En 1809, le chimiste anglais Humphry Davy5 a l’intuition que
l’ammoniac, dont il a obtenu un amalgame avec le mercure, doit
être une substance « métallique dans sa propre nature », qu’il nomme
« ammonium, dans le but de faciliter la discussion qui la concerne ». Cela
se confirme avec Berzelius qui identifie en 1825 l’ion ammonium
comme étant NH4+.

5. Davy, Humphry, Annales de chimie et de physique, 1, 70, 1809, p. 258.

81
&KDSLWUH'LHX[P\WKHVHWOÆJHQGHV

Par la suite, on nommera une amine un composé NH2R ou NHR1R2


ou NR1R2R3, et un amide un composé RCO-NR1R2.

z
Quel rapport avec des fossiles d’ammonites ?
Pourquoi ce nom d’ammonite ? Ces fossiles
ont-ils été trouvés d’abord en Libye, ou bien
le métabolisme supposé de ces céphalopodes
disparus faisait-elle intervenir l’ammoniac ?
Pas du tout, et c’est encore vers le dieu
Amon qu’il faut se tourner. En effet, le bélier
était l’animal principal dédié à ce dieu, qui ➜ Ammonite rappelant les
était lui-même représenté sous l’aspect d’un cornes d’Amon. Wikipédia,
cc-by-sa-3.0, Eduard Solà.
homme, tantôt à tête de bélier, tantôt à tête
humaine portant des cornes de bélier.
Or les ammonites enroulées en spirales ont rappelé des cornes de bélier
aux hommes qui les trouvaient, et cela bien avant la compréhension de
ce qu’étaient réellement des fossiles, qui ne remonte qu’au XVIIIe siècle.
Déjà chez Pline l’Ancien, on trouve l’appellation Ammonis cornu, devenue
en français cornes d’Ammon jusqu’au XVIIIe siècle, et finalement ammonites.

z
Épilogue inattendu
Les noms de l’ammoniac et de l’ammonite se rejoignent, si l’on ose dire,
dans la même inspiration divine et mythologique.

➜ L’ammoniac (NH3), le dieu Amon, la gomme


DPPRQLDTXHGH/LE\H} ˆ}Ammôniakos}˜ 
et les ammonites (en rappel de la forme
des cornes de Bélier du dieu Amon)…
GHVOLHQVGHSDUHQWÆLQVRXSÄRQQÆV}
© Jr RGEN LIEPE.

82
Les oracles d’Amon

Aux 5 éléments du chapitre 1, puis 13 éléments du chapitre 2, s’ajoutent


ici les 29 éléments du chapitre 3.
1 18
1 2
H He
hydrogène 2 13 14 15 16 17 hélium
3 4 numéro atomique 5 6 7 8 9 10
Li Be symbole B C N O F Ne
lithium béryllium nom bore carbone Azote oxygène fluor néon
11 12 13 14 15 16 17 18
Na Mg Al Si P S Cl
C Ar
sodium magnésium 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 aluminium silicium phosphore
h h soufre
f chlore
ch argon
22 23 24 27 28 33 34
19 20 21
Ti 22 V 23 24
Cr 25 26 27
Co
28
Ni
29 30 31 32
As33 34
Se 35
3 36
K Ca Sc Ti
titane
V
vanadium
Cr
chrome
Mn Fe Co
cobalt
Ni
nickel
Cu Zn Ga Ge As
arsenic
Se
sélénium
Br
B Kr
potassium calcium scandium
andi titane vanadium chrome manganèse fer cobalt nickel cuivre zinc gallium germanium arsenic sélénium brome
br krypton
37 38 39 40 40 4141 42 4343 44 45
45 4646 47 48 49 50 51 5252 53
5 54
Rb Sr Y Zr Zr Nb
Nb Mo TcTc Ru Rh Pd
Pd Ag Cd In Sn Sb Te
Te I Xe
rubidium strontium yttrium zirconium niobium
ttriu zirconium niobium molybdène technétium
technétium ruthénium
uthénium rhodium
rhodium palladium
palladium argent cadmium indium étain antimoine tellure
tellure iode
io xénon
55 56 72 7373 74
74 75 76 77
77 78 79 80 81 82 83
83 84 85
8 86
Cs Ba lanthanoïdes
hanoïdes Hf Ta
Ta W
W Re Os Ir
Ir Pt Au Hg Tl Pb Bi
Bi Po At
A Rn
césium baryum hafnium tantale tungstène rhénium osmium iridium platine or mercure thallium plomb bismuth polonium astate
as radon
tantale tungstène iridium bismuth
87 88 104 105 106 107 108 109 110 111 112 113 114 115 116 117
1 118
Fr Ra actinoïdes
tinoïdes Rf Db Sg Bh Hs Mt Ds Rg Cn Nh Fl Mc Lv Ts
T Og
francium radium rutherfordium dubnium seaborgium bohrium hassium meitnérium darmstadtium rœntgenium copernicium nihonium flerovium moscovium livermorium tennessine
tenn oganesson

57 58 59 60 61 62 63 64
57 58 59 60 61 62 63 64 65 66 67 68 69 70
7 71
La La CeCe Pr
Pr Nd
Nd Pm SmSm Eu Eu Gd GdTb
Pm Dy Ho Er Tm Yb
Y Lu
lanthane
lanthane cérium
cérium praséodyme
praséodyme néodyme prométhéum
néodyme prométhéumsamarium
samariumeuropiumeuropium
gadoliniumgadolinium
terbium dysprosium holmium erbium thulium ytterbium
ytte lutécium
89 9090 91 9292 93 93 94 94 95
5 96 97 98 99 100 101 102
1 103
Ac ThTh Pa UU Np
Np Pu Pu Am
m Cm Bk Cf Es Fm Md No
N Lr
actinium thorium
thorium protactinium uranium
uranium neptunium
neptuniumplutonium américium
plutonium icium curium berkélium californium einsteinium fermium mendélévium nobélium
nob lawrencium

➜ Le point le plus nouveau ici est le début de remplissage des parties des lignes 6 et 7 situées
HQEDV}
t}OHODQWKDQHHWOHVODQWKDQLGHVVXLYDQWVVRQWGHVWHUUHVUDUHV}
t}OHthorium et la série uranium, neptunium, plutonium font partie des premiers actinides.

83
&KDSLWUH'LHX[P\WKHVHWOÆJHQGHV

➜ Une mystérieuse trainée blanchâtre est visible dans le ciel étoilé. Elle est appelée Voie lactée,
½ODVXLWHGHV$QFLHQVTXLYR\DLHQWXQˆ}FHUFOHODLWHX[}˜}HQODWLQcirculus lacteus, en grec
galaxias kuklos, de gala, galactosˆ}ODLW}˜GpRÖYLHQGUDOHQRPGXgalactose au chapitre 8.
On sait aujourd’hui que la Voie lactée est l’amas d’étoiles auquel appartient le Soleil, vu sur
ODWUDQFKHGpRÖVRQQRPGHJDOD[LHTXLYLHQWGRQFGHFHOXLGXODLW0DLVSRXUTXRLFHOD}"
'DQVOD}P\WKRORJLHJUHFTXH}=HXV}DSODFÆVRQILOV}QRXYHDXQÆ+ÆUDFOÅVVXUOHVHLQGHVRQ
ÆSRXVH}+ÆUDDORUVHQGRUPLHDILQTXHOHEÆEÆDEVRUEHOHODLWGLYLQ/RUVTXp+ÆUDVpHVWUÆYHLOOÆH
en sursaut, elle a repoussé ce bébé inconnu, et un jet de son lait s’est répandu dans le ciel,
formant cette fameuse Voie lactée.

84
CHAPITRE

Voyages avec les mots


4
Où l’on trouve des noms de villes, de pays,
et même de continents

1 Une bonne récolte en Scandinavie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 88


2 France et Allemagne, face à face . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 92
3 En Écosse, du côté du loch Ness . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 96
4 Sur les bords de la mer Égée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 100
5 En passant par l’Irlande . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 105
Chapitre 4 : Voyages avec les mots

QUAND LES DÉCOUVREURS FONT


DE LA GÉOGRAPHIE

Les noms anciens…


On reste encore dans le monde des légendes avec le nom mythique d’une
mystérieuse contrée nordique, Thulé GpRÖOHthulium TXLÆWDLWSHXWÇWUHOD
Scandinavie, nommée en latin Scandia GpRÖOHscandium). La carte ci-des-
sous situe diverses régions et villes européennes dont les appellations latines
transparaissent dans des noms d’éléments chimiques. On a vu déjà que cuivre
remonte à Cyprus ˆ} &K\SUH} ˜ cadmium à Cadmea, citadelle de Thèbes,
et bronzeSHXWÇWUH½Brundisiumˆ}%ULQGLVL}˜/HVDXWUHVQRPVGHODFDUWH
DSSDUDËWURQWGDQVOHVSDJHVTXLVXLYHQWRÖOpRQWURXYHUDDXVVLOHrhénium,
nommé d’après Rhenus, le nom latin du Rhin.

SCANDIA
Holmia •
Hafnia •

GERMANIA
Lutetia • RHUTENIA
GALLIA

Brundisium • MAGNESIA
Cadmea • (Thebae)
CYPRUS

… et les modernes
Les noms d’éléments chimiques d’origine géographique sont parfois liés au
OLHXRÖOHXUPLQHUDLDÆWÆWURXYÆSDUH[HPSOHSUÅVGHGHX[YLOODJHVQRUGLTXHV
Strontian en Écosse et Ytterby en Suède, qui ont acquis ainsi une certaine
célébrité, dans le monde de la chimie en tout cas.
3OXVVRXYHQWRQWLHQWFRPSWHGXSD\VRXGHODYLOOHRÖOpÆOÆPHQWDÆWÆGÆFRX-
vert. D’autre fois encore, ce qui est pris en compte, c’est le pays natal du
GÆFRXYUHXURXSOXWÑWGHODGÆFRXYUHXVHVpDJLVVDQWGHGHX[JUDQGHVGDPHV
de l’histoire de la chimie.

86
La prodigieuse histoire du nom des éléments

1ÆH0DULD6NĜRGRZVNDHQ½9DUVRYLH0DULH&XULHDUULYHHQ)UDQFHHQ
1891, et elle manifeste son attachement à la Pologne en nommant en 1898
le polonium. Marguerite Perey, née en 1909 près de Paris, a travaillé dans
l’équipe de Marie Curie, et elle a découvert et nommé le francium en 1939.

➜ 2019, le 80e anniversaire de la découverte du francium.


Marguerite Perey : Musée Curie (coll. Institut du Radium).

Une mondialisation tardive


Tous les noms géographiques cités jusqu’ici sont européens, et l’europium
HQHVWOpH[HPSOHOHSOXVÆYLGHQW&pHVW½ODVXLWHGXGÆYHORSSHPHQWGHOD
SK\VLTXHQXFOÆDLUHDX[¦WDWV8QLVTXHOp$PÆULTXHDSSDUDËWUDGDQVOHWDEOHDX
périodique, avec l’américium en 1950, puis très vite d’autres noms d’éléments
DUWLƂFLHOVTXLVHURQWSUÆVHQWÆVSOXVORLQDXFKDSLWUH}
Il est maintenant grand temps de partir en voyage.

87
Chapitre 4 : Voyages avec les mots

1 Une bonne récolte


en Scandinavie
L’yttrium (Y), l’ytterbium (Yb),
le WHUELXP 7E l’erbium (Er),
l’holmium (Ho), le scandium (Sc), le WKXOLXP 7P 
le dysprosium (Dy), le lutécium (Lu)
et le hafnium (Hf)

Les 17 terres rares dessinent une sorte d’équerre dans la classification


périodique et se répartissent en 2 séries : la série du cérium déjà évoquée
dans le chapitre 3, rubrique 3, et la série de l’yttrium à laquelle nous
arrivons.
Colonne 3
21
Sc
scandium
39
Y
yttrium Ligne 6
57 58 59 60 61 62 63 64 65 66 67 68 69 70 71
La Ce Pr Nd Pm Sm Eu Gd Tb Dy Ho Er Tm Yb Lu
lanthane cérium praséodyme néodyme prométhéum samarium europium gadolinium terbium dysprosium holmium erbium thulium ytterbium lutécium

15 lanthanides

➜ Les 17 terres rares, dont les 8 de la série du cérium (en bleu)


et les 9 de la série de l’yttrium (en rouge)

z
Au commencement était une pierre noire du côté
d’Ytterby
Les terres rares, chimiquement très proches les unes des autres, sont
souvent intimement associées dans les mêmes minerais. C’est ainsi que
l’yttrium, et 8 autres éléments ensuite, ont été découverts dans une
même pierre noire trouvée en 1788 tout près du petit village d’Ytterby,
proche de Stockholm : une origine minéralogique commune qui va
se traduire par une parenté exceptionnelle entre les noms de ces
9 éléments, ou de presque tous.

88
Une bonne récolte en Scandinavie

➜ <WWHUE\HVWXQYLOODJHVLWXƽ}NPDXQRUGHVWGXFHQWUHGH6WRFNKROPVXUOpËOHGH5HVDUÓ
OpXQHGHVTXHOTXH}}ËOHVHWËORWVGHWRXWHVWDLOOHVTXLFRQVWLWXHQWOpDUFKLSHOGH6WRFNKROP

C’est le minéralogiste finlandais Johan Gadolin qui a identifié dans


cette roche d’Ytterby un nouvel oxyde, nommé à partir de Ytter (by),
yttria, d’où le nom du nouveau métal, l’yttrium (1816). Ce n’était qu’un
début car, grâce à la ténacité de plusieurs générations de chercheurs,
cette roche d’Ytterby, baptisée gadolinite, délivrera ensuite, sur un siècle
d’histoire, 8 autres éléments nouveaux…

z
Et Ytterby engendra trois autres noms
de terres rares…
Les deux premiers ont été mis en évidence par le chimiste suédois
Carl Gustaf Mosander, qui a adopté une démarche « linguistique »
assez originale : d’Ytterby, déjà à l’origine d’yttrium, il a tiré en 1843 les
noms de 2 nouveaux oxydes, la terbine et l’erbine. Suite à une confusion,
le métal de l’erbine fut nommé finalement terbium, et celui de la terbine
erbium, mais en tout état de cause, on aboutissait ainsi à 3 éléments nommés
à partir d’un même nom de village, Ytterby, ce qui ne s’était jamais vu.
Et pourtant, ce record est battu en 1878, lorsque le chimiste suisse
Jean Charles Galissard de Marignac découvre à partir de l’erbium
(donc impur) un nouvel élément, qu’il nomme carrément ytterbium, la
forme la plus explicitement dérivée d’Ytterby. En termes de linguistique,
on peut dire que, rétroactivement, terbium et erbium semblent provenir
d’une succession de deux aphérèses (= élimination d’une ou plusieurs
lettres au début d’un mot) :
ytterbium → (yt) terbium → (t) erbium,

89
Chapitre 4 : Voyages avec les mots

cependant qu’yttrium est formé sur Ytter, venant aussi d’Ytter (by) mais
par une apocope (= élimination de lettres à la fin d’un mot).

z
… puis encore d’autres terres rares suivirent aux
alentours
On n’ira pas au-delà de 4 noms tirés d’Ytterby, ce qui reste un record
absolu. Les découvreurs ont puisé ensuite dans le registre géographique
entourant Ytterby. Sont apparus ainsi en 1879 les noms holmium, de
Holmia, le nom latin de Stockholm, scandium, de Scandia, le nom latin
de la Scandinavie, et thulium, de Thulé, le nom ancien et mythologique
de la Scandinavie, un nom connu surtout aujourd’hui grâce au poème
de Goethe, Le roi de Thulé (1782).
LE HAFNIUM EST AUSSI SCANDINAVE
En 1923, les chimistes néerlandais Coster et hongrois Hevesy découvrirent dans un
minerai de zirconium un nouveau métal qu’ils nommèrent hafnium, de hafnia, le nom
ODWLQGH&RSHQKDJXHWRXWVLPSOHPHQWSDUFHTXpLOV\DYDLHQWPHQÆVOHXUVWUDYDX[(W
voilà comment la capitale du Danemark donne son nom à l’élément 72, situé sous le
]LUFRQLXP  OXLPÇPHVRXVOHtitane (22), dans la colonne 4 du tableau périodique.

z
Des chimistes français, pour finir la série
La pierre d’Ytterby, apparemment inépuisable, livrera encore une
8e et une 9e terre rare, nommées par deux chimistes français, qui se sont
éloignés délibérément d’Ytterby et de la Scandinavie.
D’abord le dysprosium, nommé en 1886 par Lecoq de Boisbaudran qui,
en bon helléniste, précise son inspiration : « De Δυσπρóσιτος : d’un
abord difficile ». En effet, l’adjectif grec dusprositos contient le préfixe
dus-, « dys- », qui exprime la difficulté, et l’élément -prositos, du verbe
prosiemai, « s’approcher ». Boisbaudran nous informe ainsi du mal qu’il
s’est donné pour mettre en évidence cet élément par la spectroscopie,
qui était sa technique d’analyse de prédilection.
Cependant, le nom le plus inattendu est sans doute celui de la dernière
terre rare de cette histoire, donné par le chimiste français Georges Urbain
dans une note à l’Académie des sciences de 1907 sous le titre « Un nouvel
élément : le lutécium, résultant du dédoublement de l’ytterbium de Marignac ».

90
Une bonne récolte en Scandinavie

z
Épilogue à Paris, 5e arrondissement
Urbain revenait à un nom géographique, mais en passant sans transition
d’Ytterby au Quartier latin à Paris. Il y avait mené ses travaux, à l’ESPCI
(École Supérieure de Physique et de Chimie de la ville de Paris) puis
à Normale Sup, non loin des vestiges des arènes de Lutèce, qui lui ont
peut-être inspiré le choix de lutécium.
Un seul minerai est donc à l’origine de 9 éléments, et qui plus est de 9
terres rares… Plus que rare, ce cas est unique !

➜ Thulé,
d’après la Carta Marina de Olaus Magnus (1539). Thulé est sur cette carte une île
imaginaire située entre les îles Féroé et l’Islande.

91
Chapitre 4 : Voyages avec les mots

2 France et
Allemagne,
face à face
Le gallium (Ga), le germanium (Ge),
le ruthénium (Ru) et le francium (Fr)

En 1875, le chimiste français Lecoq de Boisbaudran prouvait par la


spectroscopie l’existence d’un nouvel élément, qu’il isolait à partir d’un
minerai des Pyrénées françaises et dont il publiait le nom, gallium, sans
en donner la moindre justification. La communauté internationale a
bien accepté gallium, en même temps qu’une interprétation quelque
peu polémique se répandait : le découvreur se serait mis en avant en
s’inspirant de son propre nom, symbolisé fièrement par un coq (en latin,
gallus) sur le blason familial. Une telle attitude ne s’était jamais vue, et,
même si par la suite on a nommé des éléments en honorant de grands
scientifiques, on a cherché à ne pas le faire de leur vivant.

z
Les sobriquets dans les noms de famille
Le patronyme Lecoq (ou aussi Lecocq, moins souvent Le Coq) vient sans
doute d’un sobriquet attribué à quelque ancêtre beau parleur, ou porté
sur la galanterie, voire belliqueux. On sait bien que les hommes se
donnent facilement des noms d’oiseaux. D’ailleurs, Lecoq de Boisbaudran
cache le nom d’un second oiseau car Baudran, visible dans Boisbaudran
(hameau proche d’Angoulême), est formé sur les racines germaniques
bald, « audacieux », et hram, « corbeau », tout comme par exemple
Bertrand sur berht, « brillant », et hram, « corbeau », le corbeau ayant
été divinisé dans la mythologie scandinave.

92
France et Allemagne, face à face

➜ Paul-Émile,dit François, Lecoq de


Boisbaudran (1838-1912), contemplant
son blason d’azur, au coq d’argent,
cretté, becqué et membré de gueules,
alors que sous Boisbaudran se cache
un corbeau (hram).

z
S’agit-il du coq ou de la Gaule ?
Après avoir laissé le champ libre aux interprétations, Lecoq de
Boisbaudran révèle en 1877, dans les Annales de Chimie et de
Physique1, qu’il a nommé le gallium « en l’honneur de la France (Gallia) ».
Le problème c’est que cette explication écrite est arrivée tardivement,
et que beaucoup ont continué à voir en gallium un dérivé de gallus,
« coq ». Pourtant, la justification donnée par Lecoq de Boisbaudran
était crédible : près de trente ans plus tôt, le nom du ruthénium avait
été formé sur le nom latin Rhutenia, de la Russie. En effet, le chimiste
allemand Osann a nommé en 1828 ruthénium le métal qu’il a découvert
comme une impureté dans du platine venant de l’Oural. Mais revenons
au gallium.

z
Patriotisme et chimie
En dédiant le gallium à la France, Lecoq de Boisbaudran honorait son
pays dans une période de forte tension entre l’Allemagne et la France,

1. Lecoq de Boisbaudran, François, Sur un nouveau métal, le gallium, Annales de chimie et de


physique, série 5, tome X, Paris, 1877, p. 103.

93
Chapitre 4 : Voyages avec les mots

qui venait de perdre une guerre. Or le chimiste allemand Winkler


découvrit en 1886 un nouvel élément, qu’il nomma sans équivoque
germanium d’après Germania, le nom latin de l’Allemagne. Cela fut
perçu comme une réponse à Lecoq de Boisbaudran, et a posteriori, cela
renforçait même le lien entre gallium et Gallia. D’autres noms d’origine
géographique suivront, comme en 1901 celui de l’europium (un nom
plus consensuel, voir le chapitre 3, rubrique 3), ou encore en 1949 celui
du francium, qui honore sans ambiguïté cette fois la France, patrie de
sa découvreuse Marguerite Perey.

➜ /DFODVVLILFDWLRQSXEOLÆHSDU0HQGHOHÌHYHQODLVVHGHX[
cases vides pour l’eka-aluminium et l’eka-silicium, situés à une
place (eka = 1 en sanskrit) de Al et Si. Ces cases sont occupées
aujourd’hui par le gallium et le germanium.

Malgré tous les arguments en faveur de l’explication géopolitique, les


dictionnaires hésitent encore aujourd’hui entre les deux origines, gallus,
« coq », ou Gallia, « Gaule ». On peut admettre plus précisément
que le nom gallium renvoie explicitement à la France, la nationalité de
son découvreur, mais implicitement aussi au nom de celui-ci, Lecoq.
Cette double motivation ressemble étrangement à celle du nom fuchsine
(chapitre 8, rubrique 1), avec une différence : autant les frères Renard
ont d’emblée affiché la couleur (si l’on ose dire) en écrivant que fuch-
sine se reliait à fuchsia, autant Lecoq de Boisbaudran a laissé planer un
certain temps un doute, qui subsiste aujourd’hui dans les esprits.

z
Épilogue gaulois
Pour conclure ce propos, revenons au latin : on s’aperçoit que les deux
explications du nom gallium ne sont pas tellement éloignées l’une de
l’autre car gallus, « coq », est homonyme de Gallus, « gaulois » (lui-même

94
France et Allemagne, face à face

issu du germanique walho, « étranger »). De plus, gallus, « coq », signifie


peut-être tout simplement « (oiseau) gaulois », le coq ayant été considéré
comme typiquement gaulois par les Romains, qui plaisantaient sur le
jeu de mots Gallus gallus, « coq gaulois » (resté l’emblème sportif de la
France !). Il se peut aussi que gallus, « coq », soit un nom onomatopéique,
lié au chant de l’oiseau, comme c’est d’ailleurs le cas en français, où coq
évoque le cocorico de l’oiseau. Dans tous les cas, le nom du gallium flatte
donc l’orgueil national de la France.

14
Si
z
La découverte du gallium silicium
31 32 33
et du germanium, une aubaine Ga Ge As
pour le monde de l’électronique gallium germanium arsenic

➜ C’est sur un cristal de germanium que


l’effet transistor a été mis en évidence
en 1947 par les chercheurs américains
Barden, Shockley et Brattain (tous les trois
SUL[1REHOGHSK\VLTXHHQ DX[%HOO
Laboratories. Cette innovation majeure
RXYUDLWODYRLHDXIDEXOHX[GÆYHORSSHPHQW
de l’électronique, qui en définitive fera
surtout appel au silicium.

Par la suite, l’une des premières manifestation de l’effet diode


luminescente, dite LED (light-emitting-diode), a été obtenue sur un
cristal d’arséniure de gallium (GaAs). La plupart des LED sont basées
sur un sel de gallium.

95
Chapitre 4 : Voyages avec les mots

3 En Écosse, du côté
du loch Ness
Le baryum (Ba), le strontium (Sr), le calcium (Ca),
le magnésium (Mg), le bérylium (Be),
le radium (Ra) et les métaux alcalinoterreux
Colonne 1 Colonne 2
alcalins alcalinoterreux
Comme on a pu le voir à l’introduction du chapitre 2,
3 4
ces métaux sont dits alcalinoterreux car ils sont Li Be
lithium béryllium
proches des alcalins, et -terreux car ils ont été tirés 11 12
d’un minerai. Dans le tableau périodique, entre la Na Mg Colonne 3
sodium magnésium terre rares
colonne 1 des alcalins et la colonne 3 des terres rares, 19 20 21

on trouve logiquement la colonne 2 des six alcalinoter- K Ca Sc


potassium calcium scandium
reux. Le nom du radium, de radius, « rayonnement », 37 38 39
Rb Sr Y
est dû à Pierre et Marie Curie qui l’ont découvert rubidium strontium yttrium

en 1898. Et parmi les cinq autres, nommés d’après 55 56


Cs Ba lanthanoïdes
leurs minerais, le magnésium nous entraînera sur les césium baryum
87 88
bords de la mer Égée dans la prochaine rubrique, et Fr Ra
le strontium nous emmène d’abord en Écosse. francium radium

z
La chaux (CaO) et la magnésie (MgO)
Depuis l’Antiquité, on connaît le calcaire et sa transformation en chaux
dans un four. Le grec khalix, puis le latin calx, calcis, désignaient d’abord
une pierre quelconque, puis une pierre calcaire et la chaux elle-même.
Du latin calx on arrive à chaux en français, de son dérivé calcarius, « relatif
à la chaux », vient calcaire, et de son diminutif calculus, « petite pierre »,
vient calcul, au sens médical (calcul rénal) ou au sens de l’arithmétique,
qui se pratiquait à l’aide de petits cailloux sur une table à calculer. Enfin,
en bas latin apparaît le verbe calcinare, d’où calciner, par analogie avec
le traitement du calcaire dans un four à chaux.
Quant à la magnésie, elle est connue depuis le Moyen Âge au moins,
et son nom remonte à la Magnésie, la région grecque, par des voies
compliquées, qui seront explorées dans la prochaine rubrique.

96
En Écosse, du côté du loch Ness

z
La baryte (BaSO4) et la strontianite (SrCO3)
Dès 1774-1776, plusieurs chimistes détectent un nouveau métal dans
des minéraux de densités très élevées, nommés de ce fait « spath pesant »
ou « terre pesante » et en 1787, le chimiste et révolutionnaire français
Guyton de Morveau écrit : « nous remplaçons ces expressions impropres ou
périphrasées par le mot baryte, dérivé du grec βαρυς, pesanteur ». En fait,
baryte dérive du grec barus, « pesant », qui est lié à baros, « pesanteur »,
et baryte est bien étymologiquement synonyme de (terre) pesante.
D’autre part, un autre minéral, d’abord pris
pour la baryte, est identifié au carbonate d’un
métal inconnu et est baptisé en 1791 strontianite.
Il provenait des environs de Strontian, village
du bord du loch Sunart débouchant sur la côte
Sud-Ouest de l’Écosse. Ce village n’est donc
pas au bord du fabuleux loch Ness, mais il n’en
est pas très loin et son nom en écossais, Sròn an
t-Sìthein ou « Sommet de la colline aux fées »,
est aussi chargé d’un certain mystère.

z
Des minerais aux métaux
À la fin du XVIIIe siècle, on connaissait donc la baryte, la strontianite,
la chaux et la magnésie. Restait à isoler les 4 métaux correspondants,
ce qu’a réalisé en 1808, par électrolyse, le chimiste anglais Humphry
Davy, qui écrivait (en anglais) : « par les mêmes principes que j’ai suivis pour
nommer les […] potassium et sodium, je hasarderai de désigner les métaux des
terres alcalines par les noms de barium, strontium, calcium, et magnium
(quelques années plus tard remplacé par magnésium) ». Ces noms sont
adoptés par toutes les langues à des variantes près, comme baryum,
substitué à barium en français, point sur lequel on reviendra à l’épilogue.
Mais il reste encore le nom d’un 6e métal alcalinoterreux à expliquer.

z
Du béryl Be3Al2(Si6O18) au béryllium
Connu depuis l’Antiquité, le béryl est une pierre précieuse, dont l’aigue
marine et l’émeraude sont des variétés fameuses. Son nom vient, par le
latin beryllus, du grec bêrullos, lui-même emprunté à une langue du sud

97
Chapitre 4 : Voyages avec les mots

de l’Inde. Pline l’Ancien écrivait :


« L’Inde le produit, et on en trouve
rarement ailleurs ».
En 1798, le chimiste français
Vauquelin a identifié dans une
émeraude un nouveau métal
nommé alors, en référence à un
certain goût sucré de ses sels, gluci-
nium, du grec gleukos, « vin doux »,
d’où viendra glucose plus tard.
Ensuite, on préfèrera à glucinium
le nom béryllium, dont l’origine est
plus transparente !
➜ Béryl, de la variété émeraude.
À ce propos, le nom besicles, par Wikipédia, licence CC-BY-SA-3.0, Rob Lavinsky.
l’ancien français bericle, vient de
béryl, ce minéral ayant servi jadis à fabriquer des verres optiques, d’où
aussi l’allemand Brille, « lunettes ».

z
Épilogue hyperétymologique
On peut enfin s’arrêter sur le <y> de baryum en français, certes inspiré
du grec barus, « pesant » (cf. barycentre), mais qui ne va pas de soi ici. En
effet, la forme bar.ium, avec le suffixe -ium (neutre du suffixe latin -ius
qui traduit une dépendance) est logique pour une substance tirée d’un
minerai, alors que la forme bary.um, avec le suffixe -um, conviendrait
pour un nom de matière première naturelle comme en latin aurum,
« or », ferrum, « fer », cuprum, « cuivre », lignum, « bois »… D’ailleurs,
sur 118 éléments on a en français 74 noms en -ium, et un seul en -um,
le baryum. En outre, l’anglais a gardé tel quel barium proposé par
Humphry Davy, avec un <i>, comme en allemand, Barium, et le comble
est qu’en grec moderne, baryum se dit bario (avec un iota), alors que
l’adjectif « pesant » se dit toujours barus, comme en grec ancien, avec
un upsilon.
Ce <y> de baryum en français résulte, si l’on ose dire, d’un excès de zèle
étymologique.

98
En Écosse, du côté du loch Ness

➜ /HORFK1HVVRÖOHP\VWÅUHUHVWHHQWLHU

99
Chapitre 4 : Voyages avec les mots

4 Sur les bords


de la mer Égée
Le manganèse (Mn), le rhénium (Re),
la magnétite, la magnésite, la magnésie
et la colophane

En 1808, comme on a pu le voir dans la rubrique précédente, le chimiste


anglais Humphry Davy met en évidence par électrolyse de la magnésie
(MgO) le métal nommé magnésium à partir de magnésie. Ce dernier nom
remonte au latin médiéval magnesia, lui-même issu du nom de la pierre
de Magnésie (du latin Magnes lapis, du grec Magnês lithos). Les Anciens
nommaient ainsi plusieurs minéraux, mais principalement la pierre
d’aimant, découverte, selon la légende, par un berger nommé Magnês,
qui trouvait cette pierre collée aux clous de ses sandales. Le magnésium
n’est cependant pas magnétique, et le lien entre magnésium et Magnésie
est moins simple qu’il n’y paraît, pour deux raisons principales :
- d’une part, le nom de magnésie n’a pas toujours été réservé aux dérivés
du magnésium. Ainsi, le dioxyde de manganèse (MnO2) se nommait
jadis magnésie noire, et son métal a d’abord été nommé magnésium, puis
renommé rapidement manganèse, laissant à magnésium son sens actuel.
En outre, le nom magnétite, voisin de magnésie, renvoie à un troisième
métal puisqu’il désigne un oxyde de fer (Fe3O4), qui est, lui, fortement
magnétique ;
- d’autre part, il eut dans l’Antiquité plusieurs lieux nommés Magnésie,
et c’est par là qu’il faut commencer, car c’est une première source de
confusion possible entre tous ces noms.

z
Magnésie en Grèce et en Asie Mineure
Les Magnètes, un peuple déjà présent dans les textes d’Homère au VIIIe
siècle avant J.-C., ont donné leur nom à la région qu’ils habitaient au
nord-est de la Grèce, la Magnésie. À partir du IVe siècle avant J.-C., les

100
Sur les bords de la mer Égée

Magnètes ont essaimé en Asie Mineure, principalement à Magnésie du


Sipyle (aujourd’hui Manisa en Turquie), près du mont Sipyle, et à Magnésie
du Méandre, non loin du fleuve célèbre pour avoir inspiré le nom d’un
trajet sinueux, comme celui d’un méandre (de la Seine par exemple).
Un même nom issu de Magnésie a donc pu être donné à des minéraux
complètement différents provenant de lieux très éloignés les uns des
autres. Ainsi, Pline l’Ancien évoque plusieurs sortes de minéraux qu’il
nomme en latin magnetes (pluriel de magnes, magnetis)2.

➜ Les trois Magnésie dans l’Antiquité grecque.

z
La magnétite (Fe3O4)
Une première sorte de magnetes de Pline correspond à ce que nous
appelons magnétite aujourd’hui, et qui a tellement impressionné les
Anciens par sa capacité à attirer le fer. L’origine du nom magnétite se
confond avec celle du nom des Magnètes et de la Magnésie grecque,
où ce minerai est effectivement présent, et qui est donc en quelque
sorte le berceau du magnétisme. Cependant, beaucoup d’auteurs
associent le nom magnétite à Magnésie du Sipyle en Asie Mineure,
car le mont Sipyle est connu également pour l’exploitation de ses
gisements de magnétite.

2. Pline l’Ancien, Histoire naturelle, édition bilingue Les belles lettres, Paris, 2003, Livre XXXVI,
§ 126 à 130 et 192.

101
Chapitre 4 : Voyages avec les mots

z
Le dioxyde de manganèse (MnO2)
Toujours selon Pline, une deuxième sorte de magnetes était utilisée
comme additif dans la fabrication du verre, et n’était donc certainement
pas de la magnétite. On ne sait pas précisément de quel minéral il
s’agissait, ni quelle était sa provenance (de quelle Magnésie ?), mais,
d’après l’usage évoqué, on peut penser au dioxyde de manganèse, ce qui
expliquerait son appellation ancienne de magnésie noire.
À ce propos, manganèse provient d’un emprunt à l’ancien italien manganese,
qui a désigné d’abord la magnésie noire, puis le métal lui-même. L’italien
manganese est sans doute une altération de magnesia, avec attraction par
étymologie populaire de l’italien mangano, « calandre » (c’est-à-dire un
grand cylindre d’acier, en acier au manganèse ?).
D’autre part, dans sa classification de 1869 Mendeleïev laisse à droite
du manganèse deux cases vides successives, dans lesquelles il prédit
l’existence future de deux éléments, nommés provisoirement eka-
manganèse et tri-manganèse. L’eka-manganèse ne sera définitivement
identifié et nommé technétium qu’en 1937. Quant au tri-manganèse, il
a été découvert plus tôt, comme on le voit dans l’encadré qui suit.
UN DÉTOUR PAR L’ALLEMAGNE
En 1925, les trois chimistes allemands Berg, Noddack, et la future épouse de celui-ci,
,GD7DFNHGÆFRXYUHQWSDUVSHFWURVFRSLHDX[UD\RQV;XQQRXYHDXmétal dans un
minerai de manganèse. Ils nomment ce nouvel élément rhénium, pour rappeler le
Rhin, au bord duquel était née Ida Tacke. Cet élément n’était autre que le tri-manga-
nèse prévu par Mendeleïev.
Il y a donc trois éléments dont le nom honore une femme chimiste par l’intermédiaire
GHVRQSD\VRXGHVDUÆJLRQGpRULJLQH}OHfrancium de Marguerite Perey, le polonium
de Marie Curie, et le moins connu rhénium d’Ida Tacke.

z
Quid de la magnésie (MgO), et même
des magnésies ?
On ne retrouve pas de manière certaine la magnésie actuelle (MgO,
nommée jadis magnésie blanche) dans les descriptions grecques ou
latines. Il y a bien une troisième sorte de magnetes qui, selon Pline,
vient « de Magnésie d’Asie » (mais laquelle ?) et « rappelle la pierre ponce ».
S’agirait-il de l’écume de mer (H4Mg2Si3O10), nommée aussi parfois

102
Sur les bords de la mer Égée

magnésie, et qui flotte sur l’eau comme la pierre ponce ?


On connaît également le carbonate de magnésium (MgCO3), nommé
magnésite au début du XIXe siècle, et bien connu aujourd’hui des
gymnastes, qui l’utilisent comme poudre antidérapante sous le nom
usuel de… magnésie. Mais ce minerai était-il exploité dans l’Antiquité ?
D’autre part, le dictionnaire étymologique d’Oxford mentionne le
terme magnes carneus (du latin carneus, « relatif à la chair »), employé
au XVIe siècle pour désigner une poudre qui colle à la langue comme
l’aimant au fer, et qui devait être la magnésie (MgO). Cette appellation
tardive a peut-être joué un rôle dans l’origine même du nom magnésie
pour l’oxyde de magnésium, en renvoyant toujours, mais indirectement,
à la Magnésie grecque.
Cela illustre en tout cas l’imbroglio qui a existé entre les noms magné-
tite, magnésie, manganèse, magnésium, magnésite, donnés à des substances
dont certaines sont magnétiques, comme la magnétite et le manganèse,
mais justement pas le magnésium.

z
Épilogue et voisinage
Si l’on n’a pas peur d’un coq à l’âne caractérisé, on trouvera dans le
voisinage de Magnésie du Méandre l’antique cité grecque Colophon, qui
a donné son nom à la… colophane, car ce produit, obtenu par distillation
de la résine de pin, y était réputé d’une excellente qualité.

103
Chapitre 4 : Voyages avec les mots

K = 39 Rb = 85 Cs = 133 – –
Ca = 40 Sr = 87 Ba = 137 – –
21
– "<W " "'L " (U " – Sc
scandium
7L " =U  &H " /D " Tb = 231
43

V = 51 Nb = 94 – Ta = 182 Tc
– technétium

Cr = 52 Mo = 96 – W = 184 U = 240 75
Re
Mn = 55 – – – –
rhénium

Fe = 56 Ru = 104 – 2V " –


Co = 59 Rh = 104 – Ir = 197 –
Ni = 50 Pd = 106 – Pt = 197 –
H=1 Li = 7 Na = 23 Cu = 63 Ag = 108 – $ " –
Re = 9,4 Mg = 24 =Q  Cd = 112 – Hg = 200 –
31
Ga B = 11 Al = 27,3 – In = 113 – Tl = 204 –
gallium
C = 12 Si = 28 – Sn = 118 – l’b = 207 –
32
Ge
germanium N = 14 P = 31 As = 75 Sb = 122 – Bi = 208 –
O = 16 S = 32 Se = 78 7H " – – –
F = 19 Cl = 35,5 Br = 127 J = 127 – – –

➜ Premier tableau périodique de Dmitri Mendeleiev publié dans une revue scientifique (1869).

z 2019, le 150e anniversaire du premier tableau


périodique de Mendeleïev
Mendeleïev, mort en 1907, a eu la grande satisfaction de 25
Mn
connaître les découvertes en 1875, 1879 et 1886 des éléments manganèse

gallium, scandium et germanium, dont il avait prévu l’existence 43


Tc
d’après son tableau de 1869. En revanche il n’aura pas eu technétium
75
le bonheur de connaître celles du rhénium en 1925 et du Re
technétium en 1937. rhénium

104
En passant par l’Irlande

5 En passant par
l’Irlande
Le carraghénane et l’agar-agar

Le nom carraghénane est un peu étrange et connu seulement des


spécialistes. Il désigne pourtant un produit couramment utilisé dans
l’industrie agro-alimentaire, mais mentionné en général sur les
emballages sous un nom de code, E 407. C’est un agent texturant, qui
peut être épaississant ou gélifiant selon le cas, et qui entre principalement
dans la composition de desserts laitiers.
L’étymologie met parfois en relation des réalités de natures
complètement différentes. C’est le cas avec l’origine de carraghénane,
qui nous renvoie successivement à des algues, à des localités d’Irlande
et à des blocs de pierre.

z
Des algues…
Depuis des siècles, on récolte à
marée basse sur les côtes rocheuses
de l’Atlantique Nord une algue
rouge dont on tire une sorte de gelée
à usage alimentaire ou médicinal.
En Bretagne, c’est un dessert
traditionnel, le blanc-manger, qui
➜ Le blanc-manger, traditionnel en
est préparé à partir de lait et de cette Bretagne. Licence CC-BY-SA, 3.0, 2.5, 2.0,
algue, nommée en breton pioka. 1.0, Apmarles.

Cette algue est plus connue encore sous le nom de mousse d’Irlande (en
anglais Irish moss), parce qu’on la trouve en abondance sur les côtes
d’Irlande, et parce qu’elle s’accroche aux rochers, un peu comme de
la mousse.
Mais l’appellation mousse d’Irlande ne nous mène pas à carraghénane,
qui vient visiblement d’un autre nom de cette algue, Carrageen moss

105
Chapitre 4 : Voyages avec les mots

ou Carrageen, attesté vers


1830 en anglais. Ce nom
anglais a été emprunté par
les autres langues, et c’est
de là que vient le nom de la
molécule historiquement
extraite de cette algue :
en anglais carrageenan, en
espagnol carragenano, en
allemand Carrageen, et en ➜ Carragheen, ou mousse d’Irlande, ou pioka en
breton, principalement Chondrus crispus (du grec
français carraghénane (où le khondros,ˆ}FDUWLODJH}˜HWGXODWLQcrispus,ˆ}IULVÆ}˜ 
/h/ permet de conserver une Photos de Algaebase/M.D. Guiry.

prononciation proche de l’anglais).

➜ Structuredu carraghénane κ. Les carraghénanes sont des polymères


de galactose.

La question qui se pose maintenant est celle de l’origine de carrageen


en anglais.

z
Des algues, des localités
d’Irlande…
L’appellation Carrageen moss laisse
penser que Carrageen est un nom
propre, qui en l’occurrence est
certainement un nom de lieu :
Carrageen (Carraigín en irlandais) est,
à des variantes près, le nom d’assez
nombreuses localités en Irlande. Le
très autorisé dictionnaire d’Oxford
relie le nom de l’algue à celui du

106
En passant par l’Irlande

village de Carrigeen, proche du port de Waterford, sur la côte Sud-Est de


l’Irlande. Reprise par d’autres ouvrages, cette indication est cependant
mise en doute aujourd’hui. On a pensé aussi à la région du cap Carrigan
Head, située à l’opposé, sur la côte Nord-Ouest de l’Irlande.
L’emplacement de Carrigeen reste donc incertain, mais en tout état de
cause ce nom géographique a lui-même une étymologie (donnée par la
toponymie, c’est-à-dire la science des noms de lieux).

z
Des algues, des localités d’Irlande
et des blocs de pierre
En irlandais Carraigín est le diminutif de carraig, « rocher », et c’est le
nom typique d’une localité située sur un terrain rocheux. Or les algues
nommées carragheen poussent elles-mêmes sur les rochers, et de là à
penser que leur nom vient directement de carraig, « rocher », il n’y
a qu’un pas, que certains auteurs ont franchi. Pourtant, les noms des
localités sont sans doute attestés bien avant celui de l’algue.
En conclusion, carraghénane vient du nom d’une algue, qui lui-même
remonte en dernière analyse à l’irlandais carraig, « rocher »,
probablement par l’intermédiaire du nom d’un lieu, qui n’est cependant
pas localisé sur les côtes d’Irlande. On peut être déçu de ce résultat
imparfait, mais c’est inhérent à l’étymologie qui ne parvient pas toujours
à lever toutes les incertitudes de l’histoire des mots.

z
Épilogue mondialisé
Enfin, comme souvent, l’usage du nom s’est élargi au-delà du sens
initial, et l’on parle aujourd’hui des carraghénanes, qui ne proviennent
plus seulement du carragheen, mais aussi d’autres algues rouges
appartenant à des genres voisins et récoltées loin de l’Irlande, jusqu’en
Amérique du Sud. Ces produits sont d’ailleurs très voisins de l’agar-agar
(un nom malais) préparé également à partir d’algues rouges, en Asie
du Sud-Est. Les agars-agars sont des épaississants, homologués comme
additif alimentaire E 406, juste à côté des carraghénanes, E 407.

107
Chapitre 4 : Voyages avec les mots

1 18
1 2
H He
béryllium
hydrogène 24 13 14 15 16 17 hélium
3 Be4 numéro atomique 5 6 7 8 9 10
Li Be
9,0122
symbole B C N O F Ne
lithium béryllium
magnésium nom bore carbone Azote oxygène fluor néon
12
11 12 13 14 15 16 17 18
Mg
Na Mg
24,305 Al Si P S Cl Ar
sodium magnésium 3 4 5 6 7
manganèse 8 9 10 11 12 aluminium silicium phosphore soufre chlore argon
calcium scandium gallium germanium
19 20
20 2121 22 23 24 25
25 26 27 28 29 30 31
31 3232 33 34 35 36
K Ca
Ca ScSc Ti V Cr Mn
Mn Fe Co Ni Cu Zn Ga
Ga Ge
Ge As Se Br Kr
40,078(4) 44,956 54,938 69,723 72,630(8)
potassium calcium scandium titane vanadium chrome g
manganèse fer cobalt nickel cuivre zinc gallium germanium arsenic sélénium brome krypton
ruthénium
37 38
strontium 39
yttrium 40 41 42 43 4444 45 46 47 48 49 50 51 52 53 54
38 39
Rb Sr
Sr YY Zr Nb Mo Tc Ru
Ru Rh Pd Ag Cd In Sn Sb Te I Xe
rubidium strontium
87,62
yttrium
88,906
rconium
zirconium niobium molybdène technétium ruthénium
101,07(2) hodium
rhodium palladium argent cadmium indium étain antimoine tellure iode xénon
hafnium polonium
55 56 72 73
72
74 75
rhenium 76 77 78 79 80 81 82 83 84
84 85 86
baryum
Cs Ba56 anthanoïdes
lanthanoïdes Hf Ta
Hf W Re
75 Os Ir Pt Au Hg Tl Pb Bi Po
Po At Rn
césium Ba
baryum hafnium tantale
178,49(2) tungstène Re
rhénium osmium iridium platine or mercure thallium plomb bismuth polonium astate radon
137,33 186,21
87 88 104 105 106 107 108 109 110 111 112 113 114 115 116 117 118
Fr
francium
87
Ra
radium
88
actinoïdes Rf Db Sg Bh Hs Mt Ds Rg Cn Nh Fl Mc Lv Ts Og
francium radium rutherfordium dubnium seaborgium bohrium hassium meitnérium darmstadtium rœntgenium copernicium nihonium flerovium moscovium livermorium tennessine oganesson
Fr Ra
57 58 59 60 61 62 63 64 terbium
65
65 dysprosium
66
66 holmium
67
67 erbium
68
68
thulium
69
69
ytterbium
7070 71lutécium
71
La Ce Pr Nd Pm Sm Eu GdTb Tb Dy Dy HoHo
G Er
Er Tm
Tm Yb
Yb LuLu
lanthane cérium praséodyme néodyme prométhéum samarium europium gad
gadolinium
158,93 terbium dysprosium 164,93
162,50 holmium erbium
167,26 thulium
168,93 ytterbium
173,05 lutécium
174,97

89 90 91 92 93 94 95 96 97 98 99 100 101 102 103


Ac Th Pa U Np Pu Am Cm Bk Cf Es Fm Md No Lr
actinium thorium protactinium uranium neptunium plutonium américium curium berkélium californium einsteinium fermium mendélévium nobélium lawrencium

➜ &HWWHIRLVGHX[JUDQGHVIDPLOOHVFKLPLTXHVVRQWFRPSOÅWHV}WRXWHODFRORQQHGHValcalino-
WHUUHX[HWWRXWHVOHVWHUUHVUDUHV

➜ Les orgues basaltiques de la Chaussée des Géants, au nord de l’Irlande.


Les Géants (en grec Gigas, Gigantosˆ}*ÆDQW}˜HVWIRUPÆVXUGê ou Gaiaˆ}7HUUH}˜ VRQWGHV
enfants de la Terre, aussi terribles que leurs frères les Titans.

108
CHAPITRE

Les goûts,
les couleurs
5
et les odeurs des noms
Où l’on perçoit le mot dans tous les sens du terme

1 Ne pas abuser du sucre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 112


2 Quand ça sent le roussi . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 116
3 Une couleur qui ne s’imposait pas . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 120
4 Une histoire qui ne manque pas de sel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 124
&KDSLWUH/HVJRØWVOHVFRXOHXUVHWOHVRGHXUVGHVQRPV

INTRODUCTION SUR LES QUATRE SAVEURS


$ULVWRWHFKHUFKDLWGÆM½½WKÆRULVHUOHJRØWXQHQRWLRQTXLDIDLWGHSXLVOpREMHW
de nombreuses études, dont celle de chimiste français Chevreul à partir de
VHVWUDYDX[VXUOHVDFLGHVJUDV YRLUSOXVORLQDXFKDSLWUH $XMRXUGpKXLRQ
GÆFRPSRVHOHJRØWHQTXDWUHVDYHXUVSULQFLSDOHV}
– amer, comme la TXLQLQH TXHOpRQSRXUUDUHWURXYHUDXFKDSLWUH }
– salé, comme le sel marin (le chlorure de VRGLXP }
– sucré, comme le saccharose (le VXFUHGHODEHWWHUDYH }
– acide, comme l’acide citrique (l’acide du citron).
Ces trois dernières saveurs sont en relation avec trois grandes catégories de
PROÆFXOHV}OHVVHOVOHVVXFUHVHWOHVDFLGHV&HVPRWVVRQWXWLOLVÆVWRXWOHORQJ
de l’ouvrage. Commençons par évoquer l’étymologie des mots sucre et acide.

Le vinaigre, l’acide par excellence


Au verbe latin acereˆ}ÇWUHSLTXDQWDFLGHDLJUH}˜VHUHOLHQWOHVDGMHFWLIV
acerˆ}SRLQWXDLJUH}˜acerbusˆ}¿SUHSÆQLEOHDPHU}˜HWacidusˆ}DLJUH
GÆVDJUÆDEOH}˜GpRÖYLHQQHQWYLVLEOHPHQWOHVDGMHFWLIVFRXUDQWVHQIUDQÄDLV
aigre, acerbe, acide, ainsi que, par le latin aciesˆ}SRLQWHWUDQFKDQW}˜OH
nom de l’acier.
C’est le mot acide qui a été retenu en chimie, comme l’indique le dictionnaire
GHGH)XUHWLÅUHTXLÆFULW}OpDFLGHHVWˆ}en ce sens opposé à l’alkali}˜
Plus tard apparaîtra, à la place de alkali, le terme plus général de base, pour
désigner une substance qui, combinée à un acide (liquide), lui donne de la
solidité sous la forme d’un sel, solide comme une base sur laquelle on peut
VpDSSX\HU&pHVWODJUDQGHORL}acide + base → sel + eau.
Alors qu’acerbeQHVpHPSORLHSOXVTXpDXVHQVƂJXUÆaigre conserve dans l’usage
courant un sens voisin d’acide$LQVLORUVTXpXQHVXEVWDQFHYÆJÆWDOHVpDFLGLƂH
elle devient aigre, comme le vin devient du vinaigre, dont le nom en latin était
acetum, encore un dérivé du verbe acereˆ}ÇWUH
piquant, DFLGH DLJUH} ˜ $LQVL OD ERXFOH HVW
bouclée, car le vinaigre est donc selon l’étymo-
logie l’archétype de l’acide. D’acetum dérive en
chimie l’adjectif acétiqueHWOpH[SUHVVLRQacide
acétique est au fond une sorte de pléonasme.
Un peu comme huile d’olive car huile vient du
latin oleumOXLPÇPHGHoleaˆ}ROLYH}˜'HX[
SOÆRQDVPHVGDQVXQHYLQDLJUHWWH} ➜ Les saveurs se passent de mots…

110
La prodigieuse histoire du nom des éléments

De l’aigre au doux
Acide se dit en anglais acid, mais en allemand Säure, d’une racine germa-
nique, visible aussi en français dans l’adjectif sur, ou dans hareng saur, ou
dans choucroute, de l’allemand Sauerkraut (avec Kraut, qui désigne l’herbe,
LFLOHFKRX} 
(QƂQVLHQFKLPLHOHFRQWUDLUHd’acide est basique, dans le domaine gustatif
c’est plutôt doux, sucré.

Mais d’où vient le mot sucre}"


On connaissait en Grèce antique un produit nommé sakkhar, sakkharos. Il
s’agissait alors d’une poudre tirée de certains bambous, qui étaient en fait
des cannes à sucre, une poudre importée d’Inde en petite quantité et pour un
usage médicinal. Pour sucrer les aliments, on employait le miel des abeilles,
et ce n’est qu’à partir du XVIIIe siècle que l’usage du sucre de canne s’est
développé.
Le grec sakkhar, resté en grec moderne zakharê, remonte par le persan au
sanskrit ÄDUNDUÞGÆVLJQDQWGpDERUGGXJUDQXOÆGpRÖFHsucre en poudre, en
latin saccharum, emprunté au grec. Du sanskrit par le persan, vient aussi
le nom du sucre en arabe, sukkarGpRÖOpLWDOLHQzucchero, le français sucre,
l’anglais sugar, l’allemand Sucker, et l’espagnol azúcarRÖVHYRLWELHQOpRUL-
gine, al zukkar.

Toutes sortes de noms des sucres en chimie


En 1860, Marcellin Berthelot créé le mot saccharide GpRÖmonosaccharide,
tel que le glucose, et polysaccharide, tel que l’amidon…), et il établit en
PÇPHWHPSVTXHOHVQRPVGHVVXFUHVGRLYHQWFRPSRUWHUOpÆOÆPHQWose,
sur le modèle de glucose, nom proposé par Jean Baptise Dumas en 1838 à
partir du grec gleukosˆ}YLQGRX[VXFUÆ}˜3OXVWDUGVXUODVXJJHVWLRQGp(PLO
)LVFKHURQDSSHOOHUDPÇPHXQose tout monosaccharide.
Le grec gleukosˆ}YLQGRX[}˜GÆULYHGHOpDGMHFWLIglukusˆ}GRX[DJUÆDEOH}˜
VpRSSRVDQWVHORQOHVFDV½ˆ}DPHU}˜ FIOpDPDQGHGRXFH ½ˆ}VDOÆ}˜ FIOpHDX
GRXFH RX½ˆ}DFLGH}˜HWVLJQLƂDQWDORUVˆ}VXFUÆ}˜&pHVWFHGHUQLHUVHQVTXL
est retenu en chimie avec l’élément glyco- ou gluc(o)-, comme dans glucide.
2QSDUOHUDGRQFVHORQOHFRQWH[WHGHsucres, de saccharides, d’oses ou de
glucidesfGHVQRPVSRXUWRXVOHVJRØWVHWGDQVOHVSDJHVTXLVXLYHQWLOVHUD
aussi question de mots liés à d’autres sensations que sont la couleur et l’odeur.

111
&KDSLWUH/HVJRØWVOHVFRXOHXUVHWOHVRGHXUVGHVQRPV

1 Ne pas abuser
du sucre
Le dextrose, le lévulose,
le glucose et le fructose

En français, le nom du dextrose, proposé en allemand par Kekulé en


1863, fait tout de suite penser à la dextre, l’ancienne appellation de la
droite, ou de la main droite (d’où dextérité, ambidextre…). En effet, une
solution de dextrose fait tourner vers la droite le plan d’une lumière
polarisée qui la traverse. Autrement dit, le dextrose est dextrogyre (du
grec guroun, « tourner »), et la relation entre dextrose et droite est, si
l’on ose dire, transparente.
En revanche, le lévulose avait été nommé ainsi par le chimiste et
industriel français Dubrunfaut en 1860, car cette molécule est lévogyre,
c’est-à-dire que sa solution fait tourner le plan d’une lumière polarisée
vers la gauche. Cette fois, on ne perçoit pas du tout dans lévulose ou
lévogyre le mot gauche, ni non plus d’ailleurs le mot sénestre, qui était en
ancien français le contraire de dextre.

➜ JDXFKH½GURLWHRXDXPLOLHXFHQpHVWSDVOHPÇPHsucre…

La différence linguistique entre la droite et la gauche est en effet


très marquée, et pas seulement en français. Déjà lorsque les Grecs
interprétaient le vol des oiseaux, ils se tournaient vers le Nord et

112
Ne pas abuser du sucre

considéraient alors comme favorable la droite (l’Est, le Soleil levant)


et défavorable la gauche (l’Ouest, le Soleil couchant). Cela rejoint le fait
que, 90 % des humains étant droitiers, la droite a toujours été associée
à l’habileté de la main droite, et la gauche à la maladresse de la main
gauche… des droitiers.
Ces deux molécules, opposées comme des mains, sont dites chirales, du
grec kheir, « main ».

➜ JDXFKH}IRUPHOÆYRJ\UHGXglucose½GURLWH}
dextroseIRUPHGH[WURJ\UHGXglucose.

z
Une droite homogène
L’adjectif signifiant « à droite » a une connotation positive dans la
plupart des langues d’Europe. En grec d’abord, dexios, « à droite »,
se relie à dekhomai, « accepter », car on accepte et on jure de la main
droite (dexia, « main droite »), d’où en latin dexter, « à droite »,
et en ancien français la dextre, la main qui tenait jadis le cheval de
combat, le destrier.
Puis dans les langues d’Europe de l’Ouest, on trouve pour signifier
« à droite » des formes apparentées, remontant au latin rectus,
« droit, juste, correct » : l’anglais right, l’allemand rechte, et, par
le latin directus, « en ligne droite, direct », l’espagnol derecho, et le
français le droit et la droite.

113
&KDSLWUH/HVJRØWVOHVFRXOHXUVHWOHVRGHXUVGHVQRPV

z
Une gauche plurielle
A contrario, les adjectifs signifiant « à gauche » varient beaucoup d’une
langue à l’autre. Ils sont souvent d’origine incertaine ou inconnue, et
toujours connotés négativement.
En français, l’adjectif gauche (« à gauche » et « maladroit ») est d’origine
incertaine ; il a détrôné l’ancien français senestre, issu du latin sinister, « à
gauche », lui-même d’étymologie obscure, peut-être en rapport avec le
latin sine, « sans », ce qui marquerait un manque à gauche par rapport
à la droite (sinistre subsiste en français dans un sens figuré).
En espagnol, une racine pré-indo-européenne dont le sens originel
serait « tordu » se manifeste dans izquierdo, « à gauche ». Enfin, en
anglais, left s’est employé dans le sens de « faible » avant de signifier
uniquement « à gauche » et en allemand, linke, d’une autre origine, a
connu une évolution de sens analogue.

z
La gauche en chimie
On constate que ce tour d’horizon des langues d’Europe de l’Ouest
ne suggère pas d’explication pour lévulose. Il faut pour cela remonter à
une racine indo-européenne signifiant peut-être « tordu » à l’origine,
dont est issu le grec ancien laios, « à gauche », et le latin laevus de même
sens (ainsi que l’adjectif équivalent dans les langues slaves, comme en
polonais lewy, « à gauche »). Ce latin laevus permet enfin d’expliquer
lévogyre et l’élément lévo-, « gauche », mais il faut encore passer par
un diminutif supposé *laevulus (l’astérisque devant le mot signale une
forme non attestée) pour expliquer l’élément lévulo-, « à gauche »,
trouvé dans lévulose.

➜ Le lévulose est la forme lévogyre du


fructose. Ce nom à été établi par
Emil Fischer en 1890, du latin fructus,
ˆ}IUXLW}˜

114
Ne pas abuser du sucre

z
Le glucose, le sucre par excellence
On comprend donc les radicaux de dextrose et de lévulose,
et il reste à expliquer l’élément –ose. Comme on a pu le
voir dans l’introduction de ce chapitre, cet élément est tiré
du nom du plus commun des sucres, glucose, proposé par
Dumas en 1838 à partir du grec gleukos, qui désigne le vin
doux, c’est-à-dire sucré.
➜Le glucose, du grec gleukosGÆVLJQHOHYLQGRX[FpHVW½GLUHVXFUÆ

En 1890, Fischer remet en cause la pertinence des appellations dextrose


et lévulose et écrit : « Malgré nos auteurs renommés Berthelot et Kekulé,
on fera bien d’abandonner ces noms ». Il recommande de les remplacer
par glucose et fructose, du latin fructus, « fruit », en précisant lévogyre
ou dextrogyre, et c’est ce qui est adopté en chimie1. Cependant, dans le
domaine nutritionnel, on emploie aussi dextrose et lévulose.

z
Un épilogue un peu osé
C’est d’une toute autre nature qu’est le suffixe -ose caractérisant des
noms de pathologies, comme par exemple arthrose : ce suffixe est formé
sur le grec ôsis, « action de pousser »,
du verbe ôthein, « heurter, pénétrer ».
Il s’ensuit par exemple que sinistrose
n’est pas, malgré les apparences,
synonyme de lévulose.

➜L’espèce principale de canne à sucre, nommée


Saccharum officinarum par Linné, du latin
saccharumˆ}VXFUH}˜SURGXLWOHVDFFKDURVH
un disaccharide composé d’un glucose et
d’un IUXFWRVHFHX[MXVWHPHQWDSSHOÆVdextrose
et lévulose.
Wikipédia CC-ByY-SA-2.0, Ton Rulkens

1. Fischer, Emil, Synthèses dans le groupe des sucres, Le Moniteur scientifique, série 4, t. IV, chez
Quesneville, 1890, p. 1123.

115
&KDSLWUH/HVJRØWVOHVFRXOHXUVHWOHVRGHXUVGHVQRPV

2 Quand ça sent
le roussi
L’ozone et l’osmium (Os)

Le chimiste Christian Schönbein (1799-1868), né en Allemagne, a vécu


longtemps à Bâle, où il a pris la nationalité suisse et où il publiait en
français. Il a nommé ozone une substance qu’il a détectée à son odeur,
mais dont la nature chimique n’a été comprise que bien plus tard, par
d’autres chercheurs.

➜ L’ozonea un rôle protecteur pour la vie sur Terre vis-à-vis


du rayonnement UV en provenance du Soleil.

z
Une odeur caractéristique
Au cours de ses travaux sur l’électrolyse de l’eau, Schönbein remarque
l’apparition d’une odeur particulière, un peu piquante, du côté de
l’électrode positive, là où se dégage l’oxygène. Cette odeur, qu’il qualifie
de « phosphoreuse » ou d’« électrique », lui rappelle celle qui se dégage au
voisinage d’un arc électrique, et plus fortement encore « dans le voisinage
d’un lieu que la foudre a frappé ». Dans une publication de 1840, il se
rappelle qu’à l’âge de douze ans, non loin de son village natal, il a senti
cette même odeur à l’intérieur d’une église dont le clocher venait d’être
foudroyé. Il n’est pas banal de trouver ainsi un souvenir d’enfance parmi
les arguments avancés pour une démonstration scientifique.
116
Quand ça sent le roussi

Schönbein pense alors être en présence d’une substance nouvelle. Il


s’en explique dans une lettre à François Arago (publiée dans les Comptes
rendus de l’Académie des sciences de 1840) et il conclut ainsi : « Étant à
peu près sûr que le principe odorant doit être classé au genre de corps auquel
appartient (sic) le chlore et le brome, c’est-à-dire les substances élémentaires
et halogènes, je propose de lui donner le nom de ozone », du grec ozon,
« odorant », participe présent du verbe ozein, « exhaler une odeur ».

➜ Dela foudre s’abattant sur un clocher à une inspiration scientifique, d’un


souvenir d’enfance à la découverte de l’ozone par Schönbein…
†}'XQFDQ1RDNHV)RWROLDFRP

117
&KDSLWUH/HVJRØWVOHVFRXOHXUVHWOHVRGHXUVGHVQRPV

Cette phrase est l’acte de naissance du nom ozone (ozone en anglais, Ozon
en allemand, ozono en espagnol…). Pourtant, Schönbein était vraiment
très loin d’avoir compris la nature de ce « principe odorant » : il pensait
– sans certitude, il le pressentait seulement, si l’on ose dire – que c’était
un nouvel élément halogène, classé avec d’autres gaz à l’odeur agressive,
comme le brome, lui-même nommé en 1826 à partir justement du grec
brômos, « odeur infecte » (voir la rubrique 4 de ce chapitre).

z
L’ozone est du tri-oxygène
En 1845, deux autres chimistes suisses démontrent que l’ozone n’est
constitué en fait que d’atomes d’oxygène, ce que Schönbein mettra
plusieurs années à admettre. Vingt ans plus tard enfin, c’est encore
un chimiste suisse qui établit la structure moléculaire à trois atomes
d’oxygène de l’ozone.
O2 → O + O ; puis O + O2 → O3
➜ Dissociationde OpR[\JÅQHVXLYLHGpXQH
réaction catalytique qui aboutit à l’ozone.

La réaction ci-dessus se produit dans la stratosphère, où se situe la


« couche d’ozone », dont on connaît le rôle protecteur pour la vie sur
Terre vis-à-vis du rayonnement UV en provenance du Soleil. On s’en
doute, ce n’est pas par l’odeur, mais par des mesures spectroscopiques,
que cet ozone naturel a été mis en évidence.

z
Une autre substance révélée par son odeur
L’existence de l’ozone a donc été détectée par son odeur. C’est un
cas plutôt original, mais il y avait tout de même un précédent : vers
1804, l’osmium (Os) a été découvert par l’odeur des eaux de lavage du
minerai de platine. On a parlé d’une « vapeur âcre semblable au raifort,
et qui irritait les yeux et la gorge », ou d’une « odeur de légume pourri ».
Il s’agissait en fait du tétroxyde d’osmium (OsO4), hautement toxique
et puissamment odorant, ce qui a conduit le chimiste anglais Smithson
Tennant, découvreur de l’osmium, à écrire en 1804 : « Comme cette
odeur est l’un de ses caractères les plus distinctifs, j’aurais tendance, sur cette
base, à nommer le métal Osmium », du grec osmê, « odeur », dérivé du
verbe ozein, « exhaler une odeur ».

118
Quand ça sent le roussi

z
Encore un épilogue osé
Les noms ozone et osmium ont finalement une même origine grecque,
que ne partage d’ailleurs pas le mot osmose, du grec ôsmos, variante de
ôsis, « action de pousser », du verbe ôthein, « heurter, pénétrer », ce que
fait la pression osmotique, sans aucun rapport avec la notion d’odeur,
ni non plus avec les noms de sucres en -ose de la rubrique précédente.

➜ La Terre est protégée par la couche d’ozone.

119
&KDSLWUH/HVJRØWVOHVFRXOHXUVHWOHVRGHXUVGHVQRPV

3 Une couleur qui ne


s’imposait pas
L’indium (In), le rubidium (Rb), le césium (Cs)
et le WKDOOLXP 7O

Par analogie avec les noms du ruthénium, du gallium, du germanium…,


qui rappellent les noms latins de la Russie (Ruthenia), de la France
(Gallia) (voir le chapitre 4, rubrique 2), de l’Allemagne (Germania)…,
on peut supposer que le nom de l’indium est formé sur India, le nom
latin de l’Inde. Mais qu’en est-il en réalité ?
26 27 28 29 30 31 32
Fe Co Ni Cu Zn Ga Ge
fer cobalt nickel cuivre zinc gallium ge
germanium
indium
44 45 46 47 48 49
49 50
Ru Rh Pd Ag Cd In Sn
ruthénium rhodium palladium argent cadmium
m indium
114,82 étain

➜ Dans le tableau périodique, OpLQGLXP ,Q HVW}VLWXÆ


juste en dessous du gallium (Ga), tout près du
JHUPDQLXP *H HWVXUODPÇPHOLJQHTXHOH
ruthénium (Ru).

z
Un nom qui venait d’un spectre
L’indium a été découvert en 1863 (après le ruthénium, mais avant le
gallium et le germanium) par les chimistes allemands Ferdinand Reich et
Theodore Richter, à partir d’analyses spectroscopiques sur un minerai de
zinc d’origine allemande, donc sans aucune relation a priori avec l’Inde.
En fait, ces chercheurs ont décelé dans le spectre d’émission du minerai
une raie nouvelle de couleur indigo, traduisant la présence d’un nouveau
métal, et ils ont trouvé cette raie spectrale « si brillante, nette et persistante »
qu’ils ont « souhaité nommer indium ce métal inconnu jusqu’à présent ». Au
premier degré, le nom de l’indium est donc basé sur celui de la couleur
indigo (indigblau en allemand dans la publication de 1863).

120
Une couleur qui ne s’imposait pas

➜ Spectre
d’émission de OpLQGLXPRÖOpRQYRLWODUDLHindigo caractéristique de ce métal, qui se
détachait nettement dans le spectre du minerai observé en 1863.

z
Pourquoi une raie indigo ?
La question peut se poser en effet car si l’on distingue assez facilement
six couleurs de l’arc-en-ciel (rouge, orange, jaune, vert, bleu et violet),
il est très difficile, sinon impossible, de discerner visuellement l’indigo
entre le bleu et le violet.

➜ Les sept couleurs de l’arc-en-ciel.

En fait, Newton, à qui l’on doit la théorie moderne de la dispersion


de la lumière, a tenu à retrouver le chiffre 7 dans les couleurs de l’arc-
en-ciel. Il recherchait une sorte de cohérence cosmologique avec les
7 notes de musique, les 7 jours de la semaine… et à l’origine les 7 astres

121
&KDSLWUH/HVJRØWVOHVFRXOHXUVHWOHVRGHXUVGHVQRPV

non fixes (le Soleil, la Lune et les 5 planètes visibles depuis l’Antiquité).
Et c’est bien parce que l’indigo a été choisi comme la « septième »
couleur du spectre visible que l’on peut parler de raie indigo, et que
l’indium s’appelle ainsi. Mais le nom de l’indigo vient-il vraiment de
celui de l’Inde ?

z
D’où vient l’indigo ?
L’indigo est un colorant bleu foncé à reflets violets connu depuis
l’Antiquité, époque à laquelle il était importé d’Asie, et plus
particulièrement d’Inde vers l’Europe. Nommé en grec Indikon, c’est-
à-dire « indien », ce colorant était appelé par Pline l’Ancien Indicum
caeruleum, c’est-à-dire « azur indien », et c’est du latin indicum que vient
le nom indigo, sans doute par l’intermédiaire du portugais. Voilà donc
établi le rapport, très indirect, entre l’Inde et l’indium.
D’AUTRES RÉALITÉS D’ORIGINE INDIENNE, OU PAS
/p,QGH DSSDUDËW H[SOLFLWHPHQW GDQV GHV QRPV FRPSRVÆV FRPPH œillet d’Inde ou
cochon d’IndeSDUH[HPSOH3RXUWDQWOpzLOOHWGp,QGHHVWXQHƃHXUDPÆULFDLQHGHV
régions tropicales, et le cochon d’Inde un rongeur d’Amérique du Sud, nommé aussi
cobaye, de son nom en tupi, une langue amérindienne du Brésil. En réalité, le nom
Inde représente ici le Nouveau Monde que Christophe Colomb a découvert en croyant
arriver en Inde, et que l’on nommait jadis Indes occidentales/DVLWXDWLRQHVWODPÇPH
avec la dinde, d’abord appelée poule d’Inde}HOOHDXVVLDÆWÆWURXYÆHHQ$PÆULTXH
En revanche, dans le nom du marron d’Inde, le plus souvent appelé marron tout
court, c’est bien de l’Inde actuelle qu’il s’agit. En effet, on a longtemps cru que le
marronnier venait de ce pays et, bien qu’il soit considéré aujourd’hui comme originaire
des Balkans, le nom marron d’Inde est resté. On évite ainsi toute confusion avec les
marrons de la dinde aux marronsTXLHX[VRQWGHVFK¿WDLJQHV

En conclusion, on a vu que l’origine indienne du nom de l’indium est


indéniable mais lointaine. Plutôt qu’à des noms géographiques, il est
préférable de rapprocher le nom de l’indium de celui du rubidium (du latin
rubidus, « rouge foncé », de ruber, « rouge »), du césium (du latin cæsius,
« bleu-vert-gris ») et du thallium (du grec thallos, « jeune pousse », thallein,
« verdoyer »), dont les noms sont formés, comme pour l’indium, sur les
couleurs de leurs raies spectrales caractéristiques. La même année 1861
en effet, à partir d’études spectroscopiques, le rubidium et le césium ont
été découverts par les chimistes allemands Bunsen et Gustav Kirchhoff,
et le thallium par le chimiste anglais Crookes.

122
Une couleur qui ne s’imposait pas

z
Épilogue puriste
Remarquons enfin qu’à partir du latin indicus, « de couleur indigo »,
la forme vraiment analogue à rubidium (de rubidus) ou césium (de
caesius) aurait dû être indicium, où, curieusement, le nom de l’Inde
aurait été moins apparent que dans indium. En outre, le mot indicium
existe en latin et signifie « indication ».
Mais une autre question se pose, celle de la pertinence du nom césium.
En effet, les découvreurs Bunsen et Kirchhoff ont expliqué le choix de
ce nom à partir du latin « cæsius qui, chez les Anciens, servait à désigner le
bleu de la partie supérieure du firmament », correspondant pour eux à « la
belle couleur bleue des vapeurs incandescentes de ce nouveau corps simple ».
Pourtant, cæsius s’applique en latin à la couleur des yeux tirant sur le
vert, cette couleur indéfinissable des yeux d’Athéna, dite la déesse aux
yeux pers. C’est en fait l’adjectif cæruleus ou cærulus qui désigne le bleu
foncé, l’azur, et qui peut se relier en effet au latin cælum, « ciel ». C’est
d’ailleurs, comme on vient de le voir, le choix de Pline pour l’indigo,
Indicum caeruleum.
Pour évoquer le bleu du ciel, les découvreurs auraient dû nommer leur
nouveau métal cérulium plutôt que césium.

➜ Indigotier (Indigofera tinctoria).


Wikipédia, licence CC-BY-SA-3.0, Pancrat.

123
&KDSLWUH/HVJRØWVOHVFRXOHXUVHWOHVRGHXUVGHVQRPV

4 Une histoire qui ne


manque pas de sel
Le ƃXRU ) OHchlore (Cl),
le brome (Br), l’iode (I) et l’astate (At)

Colonne 17
Dans le tableau périodique, le fluor est en haut de la colonne 9

17, dont l’histoire s’est déroulée sur plus d’un siècle, de la F


fluor
découverte du chlore jusqu’à celle de l’astate, en passant par 17
Cl
l’iode, le fluor et le brome. chlore
35
Br
z
Le chlore, l’iode et les couleurs brome
53
I
Le chlore a été tiré de l’acide chlorhydrique (HCl), nommé iode

alors acide muriatique, du latin muria, « saumure », à cause de 85


At
son origine marine. Le nom halogène, du grec hals, halos, astate

« mer », d’où « sel de mer », et genos, « générateur », a d’ailleurs


été proposé pour cet élément, mais en 1810 le chimiste anglais Humphry
Davy a préféré le nommer chlore (chlorine en anglais), du grec khlôros,
« vert », la couleur de ce gaz.
Le radical chlor(o)- peut donc désigner le chlore, comme
dans un chlorite (de sodium par exemple, NaClO2), ou
bien la couleur verte, comme celle d’une chlorite (un
aluminosilicate de fer et de magnésium).
L’élément extrait d’une algue, le varech, par le chimiste
français Courtois en 1811, fut nommé « iode à cause de
la belle couleur violette de sa vapeur » par Gay-Lussac2.
Celui-ci s’inspirait du grec iôdês, « de couleur violette »,
de –eidês, « semblable à », et de ion, le nom grec de la
violette, la fleur qui donne son nom à la couleur.
➜ &KORUHJD]HX[MDXQHYHUG¿WUH

2. Courtois, Bernard et Gay-Lussac, Louis, Annales de chimie et de physique, t. 88, Paris, 1813,
p. 305.

124
Une histoire qui ne manque pas de sel

➜ Vapeur d’iode et fleurs de violette (Viola odorata selon Linné).


Ballon : Wikipédia, creative commons cc-by-sa-3.0, Matias Molnar.

z
Le fluor, issu d’un minéral
Avec le fluor, on croit voir encore un nom de couleur, en pensant
aux teintes fluo, c’est-à-dire fluorescentes, ainsi nommées car cette
luminescence a été observée sur des variétés de spath fluor. Or c’est aussi
à partir du spath fluor (ou fluorine, CaF2) qu’a été identifié et nommé le
fluor. Mais en dernière analyse, ces noms n’ont aucun rapport avec une
couleur : spath fluor est formé de spath, « roche cristalline », et du latin
fluor, « écoulement » (cf. fluere, « couler »), car ce minéral fluidifie le
minerai en métallurgie. L’enchaînement des idées a donc été le suivant :
latin fluor, « écoulement » spath fluor fluorescence fluo
fluor
Quant au Fluocaril®, créé en 1946, ce fut le premier dentifrice contenant
du fluor, avec à la fois du fluorure (NaF) et du monofluorophosphate
de sodium (Na2PO3F) dans le bi-fluoré. Et sa présentation commerciale
fait aussi penser au vert fluo.

➜ Le premier dentifrice contenant du fluor.

125
&KDSLWUH/HVJRØWVOHVFRXOHXUVHWOHVRGHXUVGHVQRPV

z
Les halogènes
En 1825, Berzélius reprend le nom abandonné pour le chlore, halogène
(= « générateur de sel »), pour le généraliser aux « corps électronégatifs
[…] qui forment des sels avec les métaux électropositifs », c’est-à-dire à
cette date, le chlore, l’iode et le fluor, auquel s’ajoutra le brome l’année
suivante.

z
Le brome odorant et l’astate radioactif
En 1826, le pharmacien français Balard a découvert dans le sel marin
un élément qu’il a voulu nommer muride, du latin muria, « saumure ».
Mais l’Académie des sciences, pour éviter une confusion avec muriate
(alors le nom d’un chlorure), a préféré brome, du grec brômos, « odeur
infecte », à cause de sa très mauvaise odeur en effet.
Enfin, l’astate, obtenu par irradiation du bismuth (l’un de ses isotopes),
lui-même instable, d’où son nom (1956) tiré du grec astatos, « instable »,
de a- privatif et statos, « stable ». Étymologiquement, astate (du grec)
équivaut à instable (du latin), un peu comme atome équivaut à indivisible.
D’ailleurs, bien avant les chimistes, les naturalistes avaient déjà fait
appel au grec astatos, car une astate est une petite guêpe fouisseuse,
très mobile.

➜ Une astate.
6D[LIUDJD$E+%DDV

126
Une histoire qui ne manque pas de sel

Moins de risque de confusion sans doute entre ces deux « astates », que
dans les noms qui suivent.

z
Épilogue trompeur
Quel rapport entre la chlorophylle, la fluorescéine et la théobromine ?
Réponse : aucune de ces trois molécules ne comporte d’halogène. La
chlorophylle (C55H72O5N4Mg) colore les végétaux en vert et la fluorescéine
(C20H10Na2O5) est fluorescente. Quant à la théobromine (C7H8N4O2),
c’est le principal alcaloïde du chocolat et le nom de genre donné par
Linné au cacaoyer est Theobroma, du grec theos, « dieu », et brôma,
« nourriture », car le chocolat était une boisson sacrée pour les
Amérindiens. Et comme la nourriture finit par pourrir, du grec brôma
vient peut-être brômos, « odeur infecte », ce qui renvoie au brome, très
indirectement !
Mais le comble est atteint avec les senteurs marines, dites iodées, qui sont
dues à des émanations d’algues et à des embruns, et non pas à l’iode.
Si l’on dit iodé, c’est par association d’idées entre l’air marin vivifiant
et l’iode, qui est un oligoélément abondant dans les algues marines et
les fruits de mer. Il y a cependant encore moins d’iode dans l’« odeur
d’iode » que de fer dans les épinards3 !

français italien espagnol anglais allemand


ƃXRU ƃXRUR ƃ×RU ƃXRULQH Fluor
chlore cloro cloro chlorine Chlor
brome bromo bromo bromine Brom
iode iodio yodo iodine Iod
astate astato ástato astatine Astat
➜ (QJUDV}ODODQJXHGDQVODTXHOOHOHQRPDÆWÆSURSRVÆ

3. Bouvet, Jean-François, Du fer dans les épinards, et autres idées reçues, Points, Paris, 1997, 170
p., p. 51.

127
&KDSLWUH/HVJRØWVOHVFRXOHXUVHWOHVRGHXUVGHVQRPV

1 18
1 2
H He
fluor
hydrogène 2 13 14 15 16 17
9
hélium
3 4 numéro atomique 5 6 7 8 F9 10
Li Be symbole B C N O F
19,998 Ne
lithium béryllium nom bore carbone Azote oxygène fluor
chlore néon
11 12 13 14 15 16 17
17
18
Na Mg Al Si P S Cl
Cl Ar
35,45
sodium magnésium 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 aluminium silicium phosphore soufre chlore argon
brome
19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30 31 32 33 34 35
35
36
K Ca Sc Ti V Cr Mn Fe Co Ni Cu Zn Ga Ge As Se Br Kr
potassium calcium scandium titane vanadium chrome manganèse fer cobalt nickel cuivre zinc gallium germanium arsenic sélénium brome
79,904 krypton
k
rubidium indium
37
37 38 39 40 41 42 43 44 45 46 47 48 49
49 50 51 52 53
iode 54
Rb Sr Y Zr Nb Mo Tc Ru Rh Pd Ag Cd In Sn Sb Te I
53 Xe
rubidium
85,468 strontium yttrium zirconium niobium molybdène technétium ruthénium rhodium palladium argent cadmium 114,82
indium étain antimoine tellure l
iode xénon
osmium 126,90
55
césium 56 72 73 74 75 76
76
77 78 79 80 81
thallium 82 83 84 85 86
55 81 astate
Cs
Cs Ba lanthanoïdes Hf Ta W Re Os Ir Pt Au Hg Tl
Tl Pb Bi Po At
85
Rn
césium baryum hafnium tantale tungstène rhénium osmium
190,23(3) iridium platine or mercure thallium
204,36
plomb bismuth polonium astate
At radon
132,91
87 88 104 105 106 107 108 109 110 111 112 113 114 115 116 117 118
Fr Ra actinoïdes Rf Db Sg Bh Hs Mt Ds Rg Cn Nh Fl Mc Lv Ts Og
francium radium rutherfordium dubnium seaborgium bohrium hassium meitnérium darmstadtium rœntgenium copernicium nihonium flerovium moscovium livermorium tennessine oganesson

57 58 59 60 61 62 63 64 65 66 67 68 69 70 71
La Ce Pr Nd Pm Sm Eu Gd Tb Dy Ho Er Tm Yb Lu
lanthane cérium praséodyme néodyme prométhéum samarium europium gadolinium terbium dysprosium holmium erbium thulium ytterbium lutécium
89 90 91 92 93 94 95 96 97 98 99 100 101 102 103
Ac Th Pa U Np Pu Am Cm Bk Cf Es Fm Md No Lr
actinium thorium protactinium uranium neptunium plutonium américium curium berkélium californium einsteinium fermium mendélévium nobélium lawrencium

➜ À ce stade, le fait le plus marquant est l’apparition des halogènes dans la colonne 17.

➜ Si l’iode a été découvert dans une algue brune, le varech, elle n’est pas pour autant à l’origine
des senteurs marines dites iodées.

128
CHAPITRE

Les explorateurs
6
d’éléments
Où l’on voit comment ils ont baptisé
leurs découvertes

Humphry Davy
1 Les sels de la terre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 132
2 Du minéral dans le végétal . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 136
3 Le manteau terrestre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 140

Emil Fischer
4 Les sucres de la vie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 144
5 L’alphabet du règne vivant . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 148

William Ramsay
6 Des noms éclectiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 152
7 D’étranges gaz cachés dans l’air. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 156

Glenn Seaborg
8 Quand vient le tour de la physique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 160
Chapitre 6 : Les explorateurs d’éléments

COMMENT ONT ÉTÉ BAPTISÉES


LES DÉCOUVERTES
Certains chimistes ont fait preuve d’imagination pour nommer leurs décou-
YHUWHVFRPPHSDUH[HPSOH}
– Lavoisier, qui a inventé les noms en –gène pour l’hydrogène, l’oxygènef}
– Martin Klaproth, qui s’est inspiré de l’astronomie et de la mythologie pour
nommer l’uranium, le tellure, le cérium, le titane}
– de même que Berzelius pour le sélénium, thorium, vanadium…
(WYRLFLTXDWUHFKLPLVWHVTXLRQWÆWÆSDUWLFXOLÅUHPHQWSUROLƂTXHVHWFUÆD-
WLIV WDQW GH SDU OHXUV GÆFRXYHUWHV TXH GH SDU OD IDÄRQ GH OHV QRPPHU} 
+XPSKU\}'DY\(PLO)LVFKHU:LOOLDP5DPVD\HW*OHQQ6HDERUJ

Humphry Davy, un pionnier de l’électrochimie


$SUÅVXQHSDVVLRQGHMHXQHVVHSRXUODSRÆVLH+XPSKU\'DY\VpHVWWRXUQÆ
vers la chimie en s’intéressant aux travaux de Lavoisier, dont il lisait le Traité
élémentaire de chimie½Op¿JHGH}DQV7URLVDQVSOXVWDUGGDQVVRQWUDLWÆ
sur la chaleur et la lumière (1799), il démontrait que la chaleur n’était pas
un élément chimique, comme Lavoisier l’avait encore écrit sous le nom du
calorique3HXDSUÅV'DY\SUHQDLWFRQQDLVVDQFHGHODOHWWUHGHGDQV
ODTXHOOH$OHVVDQGUR9ROWDH[SOLTXDLWOHSULQFLSHGHODSLOHÆOHFWULTXH3HUVXDGÆ
de la puissance de cette innovation, il s’est lancé dans la recherche sur l’élec-
trolyse, au moyen de laquelle il a réussi, dans les années
½½LVROHUVHSWPÆWDX[HWXQPÆWDOORÌGH½SDUWLUGH
PLQHUDLVTXH/DYRLVLHUDYDLWHQFRUHFODVVÆVGDQVOHVˆ}subs-
tances simples}˜'DY\DGRQFFODULƂÆHWODUJHPHQWFRPSOÆWÆOH
WDEOHDXGH/DYRLVLHUWRXWHQGRQQDQWDX[QRXYHDX[ÆOÆPHQWV
XQHVÆULHGHQRPVKRPRJÅQH}DXFKDSLWUHOHmagnésium,
le calcium, le baryum, le strontium, au chapitre 5 le chlore, ➜La médaille
et dans les pages qui suivent, le sodium, le potassium, 'DY\FUÆÆHHQ
l’aluminium, le silicium, et le boreTXH'DY\DFRGÆFRXYHUW 1877, honorant
+XPSKU\'DY\
6RLWDXWRWDOÆOÆPHQWVFpHVWXQUHFRUG}  

Emil Fischer, un pionnier de la biochimie


(PLO)LVFKHUYRXODLWVpRULHQWHUYHUVOHVVFLHQFHVQDWXUHOOHVPDLVLODGØLQWÆ-
JUHUOpHQWUHSULVHIDPLOLDOHSRXUƂQDOHPHQWHQWUHU½OpXQLYHUVLWÆRÖLODVXLYLOHV
FRXUVGH.HNXOÆ'pRÖXQHFDUULÅUHGHFKLPLVWHGHVSOXVEULOODQWHVPDUTXÆH
SDUOpREWHQWLRQGHODPÆGDLOOH'DY\HWGXSUL[1REHOGHFKLPLHSRXU

130
La prodigieuse histoire du nom des éléments

ˆ}ses travaux sur la synthèse des sucres et des purines}˜


)LVFKHU ÆWDLW DXVVL LQYHQWLI SRXU GÆFRXYULU GH QRXYHOOHV
molécules que pour les nommer, à commencer par ce
terme purineTXLVpH[SOLTXHUDGDQVOHVSDJHVVXLYDQWHV,O
a fait preuve d’ingéniosité pour nommer des sucres comme
le ribose ou le lyxosefHQMRXDQWDYHFOHVOHWWUHV

William Ramsay, un pionnier de la chimie des gaz ➜(PLO)LVFKHU


 
:LOOLDP5DPVD\HQIDQWVpLQWÆUHVVDLW½WRXWHQWUHDXWUHV½
SUL[1REHO
OpDSSUHQWLVVDJHGHVODQJXHVDQFLHQQHVHWPRGHUQHVGpRÖ GHFKLPLH
sans doute le soin avec lequel il a choisi les noms des gaz
TXpLODGÆFRXYHUWVGDQVOpDLU}argon, krypton, néon, xénon
&HVTXDWUHQRPVVRQWEDVÆVVXUXQDGMHFWLIJUHF½ODIRUPH
QHXWUHLGÆDOHSRXUGHVDWRPHVQHXWUHVSDUH[FHOOHQFH(Q
RXWUH5DPVD\DYDLWXQHH[LJHQFH}QHSDUWLUTXHGHUDGL-
FDX[QRQHQFRUHXWLOLVÆVHQFKLPLH([HPSOH}LOQRPPHHQ
1898 le krypton avec le radical de krupteinˆ} VH FDFKHU}˜
en évitant celui de lanthaneinˆ}ÇWUHFDFKÆ}˜GÆM½XWLOLVÆ
pour le ODQWKDQHHQ2QYHUUDTXH5DPVD\DELHQ ➜:LOOLDP5DPVD\
 
appliqué ce principe, que cependant d’autres n’ont pas SUL[1REHO
UHVSHFWÆDSUÅVOXL GHFKLPLH

Glenn Seaborg, un pionnier de la physique nucléaire


/H MHXQH 6HDERUJ VpHVW GpDERUG LQWÆUHVVÆ DX VSRUW DX
cinéma et aux livres, avant de se tourner tardivement vers
ODSK\VLTXH(QLODREWHQXVRQ3K'½OpXQLYHUVLWÆGH
%HUNHOH\GDQVOHGRPDLQHGHODSK\VLTXHQXFOÆDLUH&pHVW
dans ce domaine, et à Berkeley, qu’il a travaillé toute sa
YLH,ODSDUWLFLSÆDXSURMHW0DQKDWWDQHWDX[LQVWDQFHV
➜*OHQQ6HDERUJ
FUÆÆHV DSUÅV OD 6HFRQGH *XHUUH PRQGLDOH FRQFHUQDQW  SUL[
OpÆQHUJLHDWRPLTXH6HDERUJDGÆFRXYHUWRXFRQWULEXƽ 1REHOGHFKLPLH
la découverte d’une dizaine d’éléments transuraniens, à 1951 avec Edwin
0F0LOODQ
commencer par le plutonium.

131
Chapitre 6 : Les explorateurs d’éléments

1 Les sels de la terre


Le nitre, l’acide nitrique, les nitrates,
le borax, le bore (B) et les borates

Les nitrates sont les sels de l’acide nitrique avec, selon la Méthode de
nomenclature chimique de 1787, le suffixe -ique pour les acides à teneur
maximale en oxygène, ici l’acide nitrique (HNO3), et le suffixe -ate pour
leurs sels, en l’occurrence le nitrate, dont le nom est basé sur le radical
nitr-, qui nous renvoie à la plus haute Antiquité.

z
Le sel marin et le sel « terrestre » dans l’Antiquité
Dans le livre XXXI de son Histoire
naturelle, Pline l’Ancien évoque
d’une part le sel de mer (en
latin, sal, salis), et, d’autre part,
un minéral blanc ressemblant
au sel de mer, mais bien distinct
puisque nommé autrement,
nitrum, et provenant de
l’évaporation des eaux des lacs
et des cours d’eau dans les pays
chauds (Grèce, Asie Mineure,
Moyen-Orient, Afrique). Le
latin nitrum vient du grec nitron, ➜
0DUFKDQGVSKÆQLFLHQVREVHUYDQWODIRUPDWLRQ
employé par Théophraste dans GHYHUUHIRQGXO½RÖOHVDEOHHVWHQFRQWDFWDYHF
une étude dont Pline disposait, OHVEORFVGHQDWURQ 1D&2+2 TXH3OLQH
nommait nitrum
mais qui n’est pas parvenue /HVDUWVHWPÆWLHUVLOOXVWUHV-XOHV5RXIIHW
&LHÆGLWHXUV3DULV
jusqu’à nous, et ce grec nitron est
emprunté lui-même à l’égyptien
hiéroglyphique [r.t.n]. L’Égypte en effet était dans l’Antiquité une
source importante de ce sel « terrestre » qui, on le sait maintenant,
était un mélange composé surtout de carbonates et de nitrates plus ou
moins hydratés, de sodium et de potassium. Sa composition dépendait
du lieu de la récolte.
132
Les sels de la terre

Plus loin, dans son livre XXXVI (l’avant-dernier), Pline indique que,
mélangé au sable, ce produit sert à fabriquer le verre, qui aurait été
inventé par hasard par des marins faisant du feu sur une plage de
Phénicie. On en déduit que, dans ce cas, le produit nommé nitrum par
Pline était principalement du carbonate de sodium hydraté.

z
Du borax aussi au bord des lacs salés
Le borax est un autre minéral des dépôts d’évaporation de lacs salés,
récolté depuis l’Antiquité de la Perse jusqu’à l’Inde. Son nom vient du
bas latin borax, de l’arabe bnjraq, lui-même du persan bnjrƗh, qui désignait
à la fois ce sel et le nitrum des Romains. En 1807, Davy en tirait par
électrolyse un élément nouveau qu’il nommait en anglais boron, sur
le modèle de carbon, et dans le même temps, Gay-Lussac et Thénard
obtenaient cet élément par une autre voie, et le nommaient en français
bore (en allemand Bor, en espagnol boro). On sait aujourd’hui que le
borax est le borate de sodium hydraté, Na2B4O7·10H2O.

z
Le nitre, le natron et les alcalis
Revenons au latin nitrum, qui est devenu nitre, attesté en français au
XIIIe siècle, d’abord dans le même sens qu’en latin, recouvrant donc une
grande diversité de compositions chimiques. Puis d’autres appellations
sont apparues comme natron (attesté en français vers 1650), une variante
de nitre venue par l’espagnol de l’arabe natrnjn, pour désigner plus
particulièrement le sel provenant de lacs salés africains (comme le lac
Natron de Tanzanie), et qui servait à la fabrication du verre : le mot
natron est alors devenu synonyme de carbonate de sodium.
Par opposition avec le natron, on a progressivement réservé le nom nitre
aux sels composés surtout de nitrate de potassium, jusqu’à ce que nitre
devienne carrément synonyme de nitrate de potassium. Cela explique
l’adoption du radical nitr- pour l’acide nitrique et sa famille chimique.
Pour ajouter encore à la confusion, on obtenait des produits nommés
également nitrum par Pline à partir de végétaux et de leurs cendres,
notamment des plantes côtières nommées en bas latin soda ou kali, des
noms d’origine arabe, comme on le verra dans la prochaine rubrique.

133
Chapitre 6 : Les explorateurs d’éléments

Ces produits étaient surtout


constitués de carbonates de
sodium et de potassium, connus
jadis sous le nom d’alcalis, et,
au début du XIXe siècle, il y eut
alors deux écoles pour nommer
les métaux correspondants : le
chimiste anglais Davy, ayant
isolé les métaux par électrolyse,
créait en 1808 les noms sodium, ➜Le salpêtre était produit dans une nitrière
du bas latin soda, et potas- (du latin nitraria), ou salpêtrière, qui était
remplie de matière végétale en décomposition
sium, de l’anglais potash (pot + PÆODQJÆHDYHFGHVGÆMHFWLRQVDQLPDOHV
ash, « cendre »), alors qu’en $OOHPDJQH a 
:LNLSÆGLDOLFHQFH&&%<6$0FDSGHYLOOD
allemand, le chimiste Klaproth
préférait nommer le sodium
Natrium, à partir de natron, et le potassium Kalium, à partir de kali.
Des appellations un peu contradictoires, qui témoignent de la confusion
qui a longtemps régné dans les noms de ces minéraux, auxquels il faut
ajouter encore celui du salpêtre.

z
Le sel de pierre
Depuis toujours en effet, on a récolté sur les parois humides des grottes
et des caves des habitations une sorte d’efflorescence minérale ayant
des propriétés d’usage communes avec le nitre. Nommé en grec aphro-
nitron, c’est-à-dire « écume de nitre », ce produit s’est appelé en bas
latin salpetrae, c’est-à-dire « sel de pierre », d’où salpêtre, nom du produit
pulvérulent qui était utilisé comme engrais ou, mélangé à du soufre et
du charbon, comme explosif. Ce salpêtre est essentiellement du nitrate
de potassium, où l’azote provient de l’eau de pluie (la foudre produit des
oxydes d’azote dans la haute atmosphère) et surtout des déjections du
bétail élevé près des habitations, ou plus spécifiquement dans certaines
grottes, du guano des chauves-souris.

134
Les sels de la terre

Un bâtiment destiné à la production de salpêtre, ou à sa transformation


en explosif, se nommait alors une salpêtrière. Celle de Paris, créée sous
Louis XIII, a été remplacée dès 1656 par un hospice qui est devenu,
après de multiples transformations, l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière.
On peut citer aussi la grotte de la Salpêtrière, où l’on a produit jadis du
salpêtre, tout près du Pont du Gard, non loin de Nîmes.

z
Épilogue carbonaté ?
Aujourd’hui, on distingue clairement la soude (NaOH), le carbonate de
sodium (Na2CO3) et son bicarbonate (NaHCO3), la potasse (KOH) et
le nitrate de potassium (KNO3), des termes qui ont remplacé des noms
plus ou moins ambigus du passé, comme nitre, natron, carbonate de soude,
potasse nitrée, alcali, salpêtre… Mais certains mots anciens ont la vie dure,
comme soda, nom donné aujourd’hui aux boissons gazeuses aromatisées.
Ce terme vient de l’anglais soda water, pour l’eau gazeuse obtenue avec
du bicarbonate de sodium (en anglais ancien, soda bicarbonate).

➜/DF1DWURQHQ7DQ]DQLH&RPPHVRQQRPOpLQGLTXHRQ\WURXYHGXnatron
FDUERQDWHGHVRGLXP 

135
Chapitre 6 : Les explorateurs d’éléments

2 Du minéral dans
le végétal
La zéolithe, la soude, la potasse,
le lithium (Li), le sodium (Na), le potassium (K)
et les métaux alcalins

Les zéolithes, naturelles ou


artificielles, sont des minéraux
qui constituent un groupe
particulier d’aluminosilicates.
On reconnaît dans leur nom
l’élément -lithe, du grec lithos, ➜La structure cristalline des zéolithes
comporte un réseau de canaux et cavités
« pierre », d’où vient aussi le GHWDLOOHQDQRPÆWULTXHGpRÖOHXUDXWUHQRP
nom du lithium, qui nous mènera tamis moléculaire ½GURLWH}VWUXFWXUHGHEDVH
aux métaux alcalins. Mais voyons d’une ]ÆROLWKH 

d’abord ce que signifie zéo-.

z
La « pierre qui bout »
Le chimiste suédois Axel Cronstedt, découvreur du nickel en 1751 (voir
le chapitre 3, rubrique 5), présente en 1756 un mémoire qui commence
ainsi : « Parmi les substances minérales que j’ai eu l’occasion de rassembler, il
s’en trouve une, qui, examinée à l’aide du feu, montre des phénomènes qui la
distinguent de toutes les espèces connues ». Il constate en effet que « cette
pierre, exposée à la flamme de la lampe des émailleurs, se gonfle et bouillonne
[…] ». Et de conclure : « j’ai cru devoir donner à cette pierre le nom de
Zeolite [en suédois], pour la distinguer des autres ».
L’auteur n’a pas pris la peine d’expliciter l’origine de Zeolite, considérant
que ses confrères y reconnaîtraient aisément, à côté de l’élément –lite,
« pierre », le grec zeô, « je bous », du verbe zein, « bouillir ». Toutes
les langues ont adopté ce mot suédois, tel quel en anglais zeolite, un
peu adapté en allemand Zeolith, en espagnol zeolita, et en français sous
deux variantes, zéolite ou zéolithe. D’un point de vue étymologique, on

136
'XPLQÆUDOGDQVOH}YÆJÆWDO

préférera la forme -lithe, plus proche du grec, et bien distincte du suffixe


-ite des noms de la minéralogie (comme graphite) ou des sels d’acides
en -eux (comme nitrite).

z
La zéolithe parmi d’autres pierres
En plus des deux orthographes, les dictionnaires ont longtemps hésité
pour le genre de zéolit(h)e, et c’est le féminin qui est finalement retenu
aujourd’hui, à l’instar de la chrysolithe… mais on dit un mégalithe,… ou
encore un sphérolite en géologie ou dans les polymères. Enfin, l’élément
lith(o)- apparaît aussi en début de mot, comme dans la lithographie (ou la
litho), ou la lithosphère (sphérolite inversé !), ou encore le lithium, auquel
nous arrivons.

z
D’une pierre deux coups
Un élève de Berzelius découvre le lithium
en 1817 à partir d’un minerai trouvé
dans l’île d’Utö, au sud de l’archipel de
Stockholm : la pétalite (= pétal- + -ite,
du grec petalon, « feuille végétale »,
d’où « plaque », car cette pierre se clive
➜La pétalite /L$O 6L2)) est
facilement, par plaques). la source historique du lithium
:LNLSÆGLDOLFHQFHFFE\VD(XULFR
Ce nouveau métal s’avère être alcalin, =LPEUHV
comme le sodium et le potassium, et
Berzelius le nomme lithium, pour rappeler qu’il avait été « découvert
dans le règne minéral, alors que les deux autres l’avaient été dans le règne
végétal ». On va voir en effet que le sodium et le potassium ont été
découverts à partir de végétaux.
Pour l’étymologie de lithium, on indique parfois : du grec lithos,
« pierre ». C’est vrai, mais incomplet, et même troublant car presque
tous les métaux ont été découverts dans un minéral : c’est le cas général.
Le sodium et le potassium sont deux exceptions, et c’est seulement par
rapport à ces deux métaux exceptionnels que le lithium est lui-même
exceptionnel, « le cas général pouvant être considéré comme une exception
non exceptionnelle », disait Boris Vian.

137
Chapitre 6 : Les explorateurs d’éléments

z
De la pierre aux plantes
En 1808, le chimiste anglais Humphry Davy avait nommé sodium et
potassium les métaux qu’il avait isolés (par électrolyse) de la soude et
de la potasse.
Il a dérivé potassium de l’anglais potash, « potasse », formé de pot, « pot,
récipient », et ash, « cendre », d’où vient aussi potasse en français. Quant
à sodium, Davy l’a dérivé du bas latin soda, qui désignait à la fois des
plantes poussant sur les rivages de la Méditerranée, et la substance tirée
de leurs cendres. De là vient le mot soude, pour les plantes en botanique
et pour la substance en chimie. Ce mot soda est d’origine arabe, et on le
rapproche du bas latin sodanum, « remède contre la migraine », l’arabe
sudƗ signifiant « migraine », sans doute en référence à l’effet bénéfique
du bicarbonate présent dans ces plantes. Celles-ci se nommaient aussi
en arabe qalî, et avec l’article, al-qalî, d’où alcali, le nom donné aux sels
basiques tirés des cendres végétales, et l’adjectif alcalin. Ce terme se
relie cette fois au verbe signifiant « faire griller » en arabe.
D’autre part, le terme natron désignait un carbonate de sodium naturel
trouvé dans les dépôts des lacs salés. Comme on a pu le voir dans la
rubrique précédente, le chimiste allemand Klaproth a choisi pour
le sodium le nom Natrium (de natron) et pour le potassium Kalium,
même si les alcalis naturels comportaient en général à la fois du
sodium et du potassium.

➜JDXFKH}soude commune (Salsola soda ½GURLWH}VRXGHEUØOÆH Salsola kali 


Linné a classé les soudes dans le genre Salsola, du latin salsusˆ}VDOÆ}˜
:LNLSÆGLDOLFHQFHFFQ\VD/XLJL5LJQDQHVHFFE\VD-×OLR5HLV

138
'XPLQÆUDOGDQVOH}YÆJÆWDO

Le choix de Klaproth a fait autorité car les symboles Colonne 1

internationaux du sodium et du potassium sont Na et K, 1


1
leurs noms en espéranto sont natrio et kalio, et en médecine, H
hydrogène
une insuffisance dans le sang de ces deux métaux se dit 3

respectivement : hyponatrémie et hypokaliémie ! Li


lithium
11
français anglais espagnol allemand Symbole chimique Na
sodium
lithium lithium litio Lithium Li 19
K
potassium
sodium sodium sodio Natrium Na
37
Rb
potassium potassium potasio Kalium K rubidium
55
Cs
césium
z
Épilogue alcalin 87
Fr
Le lithium, le sodium et le potassium sont les trois métaux francium

alcalins les plus connus. Vers 1860, s’y adjoindront le rubidium


et le césium, nommés en fonction de la couleur d’une raie spectrale
caractéristique (voir le chapitre 5, rubrique 3), puis beaucoup plus
tard, en 1939, le francium dont le nom rappelle la nationalité de sa
découvreuse (voir le chapitre 4).
Les métaux alcalins, surmontés
par l’hydrogène, forment la
colonne 1 du tableau périodique.
L’hydrogène semble n’être pas à
sa place ici, mais son association
avec l’azote sous la forme NH4+
a les propriétés chimiques d’un
ion de métal alcalin. Comme
on a pu le voir à la dernière ➜Comme les soudes, les salicornes
rubrique du chapitre 3, c’est (ici Salicornia europeana), sont des plantes
halophiles, dont les cendres sont riches en
encore à Davy que l’on doit cette sodium et en SRWDVVLXP
observation et le nom même :LNLSÆGLDOLFHQFHFFE\VD0DUFR6FKPLGW

ammonium. Le nom ancien alcali


rendait bien compte de cette vision puisqu’on connaissait l’alcali volatil
(l’ammoniac), l’alcali minéral (la soude) et l’alcali végétal (la potasse).

139
Chapitre 6 : Les explorateurs d’éléments

3 Le manteau
terrestre
Le quartz, le silex, la silice, l’alumine,
le silicium (Si) et l’aluminium (Al)

Les noms quartz en français et


en anglais, cuarzo en espagnol,
sont empruntés à l’allemand
Quarz, de même sens, attesté
au XIVe siècle dans les régions
minières d’Allemagne. Quarz
est sans doute une déformation
de Querg, variante ancienne de
Zwzeg, « nain »1, en référence
au lutin de la mythologie
germanique qui hantait les mines ➜Le quartz, ou cristal de roche, est constitué de
VLOLFH 6L2 FULVWDOOLVÆH
souterraines, le Kobold… dont
le nom a été donné au cobalt, et
indirectement au nickel (voir le chapitre 3), ainsi probablement qu’au
quartz, l’un des plus beaux minéraux que trouvaient les mineurs.
L’autre nom du quartz est cristal de roche.

z
De l’eau gelée en glace… à la galerie des glaces
L’expression cristal de roche remonte à l’Antiquité puisque Pline l’Ancien
appelait déjà ce minéral crystallus, nom qui désignait aussi la glace (l’eau
gelée). Crystallus est lui-même un emprunt au grec krustallos, d’abord le
nom de la glace, du grec kruos, « froid » (cf. l’élément cryo- en français),
puis par métaphore le nom du cristal de roche. L’évolution sémantique
a donc été : la glace, puis le cristal de roche qui lui ressemble, puis,

1. Kluge, Friedrich et Seebold, Elmar, Etymologisches Wörterbuch der deutschen Sprache, de Gruyter,
Berlin, 1989, sous Quarz.

140
Le manteau terrestre

au-delà du quartz, tout cristal


en minéralogie. Ensuite, on a
nommé cristal le verre au plomb,
qui a la transparence et l’éclat
des plus beaux cristaux.
Le quartz se nommait aussi terre
vitrifiable, car il servait depuis
l’Antiquité à fabriquer le verre
➜/D*DOHULHGHVJODFHVXQHzXYUH
GHODPDQXIDFWXUHGHV*ODFHVFUÆÆHSDU
(en latin vitrum), et plus tard
&ROEHUWHWDQFLHQQRPGH6DLQW*REDLQ les vitres et les miroirs, et un
:LNLPHGLD&&%<6$0\UDEHOOD
grand miroir s’appelle… une
glace (comme par effet miroir !).

z
Du quartz au silicium
Dans la Nomenclature chimique de 1787, les auteurs décident de « subs-
tituer la silice au quartz, à la terre vitrifiable, en laissant le mot silex en
possession de représenter l’espèce déjà très composée dont on fait les pierres à
fusil ». Ce texte crée donc le mot silice à partir de silex, silicis, le nom latin
du silex. On savait en effet que le quartz était la forme la plus pure et la
mieux cristallisée de l’oxyde d’un nouvel élément, cet oxyde composant
l’essentiel du silex.
Ce nouvel élément n’a été obtenu par Berzelius qu’en 1824, et il faut
attendre les années 1830 pour que la formule chimique correcte, SiO2,
soit établie pour la silice, d’après laquelle le chimiste anglais Davy avait
proposé en 1808 le nom silicium, avec la désinence -ium d’un métal. Ce
nom a été adopté dans la plupart des langues, mais pas en anglais où,
à l’instigation d’un autre chimiste anglais, Th. Thomson, le silicium
n’étant pas un métal mais un métalloïde, on a préféré le nom silicon, sur
le modèle de carbon, et de boron. Mais par la suite, ont été découverts des
composés organiques comportant de l’oxygène et du silicium, nommés
d’abord Silikon en allemand, d’où silicone en français et en anglais, où il
faut éviter une confusion avec silicon, « silicium ».

141
Chapitre 6 : Les explorateurs d’éléments

latin français espagnol anglais allemand


silex, silicis silex sílex ƃLQW Feuerstein
- silice sílice silica Kieselerde
- silicium silicio silicon Silizium
- silicone silicona silicone Silikon

z
L’aluminium, compagnon étymologique du silicium
La silice et l’alumine sont les
deux constituants principaux de
la croûte terrestre, souvent sous
forme d’aluminosilicates, d’où
le nom de sial (Si + Al) parfois
donné à cette partie de la Terre.
Il se trouve que les étymologies
de silicium et aluminium ont des
analogies :
– silicium remonte au nom du ➜7UDQFKHGHsilicium sur laquelle sont gravées
silex, aluminium remonte au des puces comportant chacune des millions
GHWUDQVLVWRUV
nom d’un autre minéral exploité
depuis l’Antiquité, l’alun,
en latin alumen, aluminis, dont le constituant principal est le sulfate
d’aluminium ;
– c’est dans la Nomenclature de 1787 qu’apparaît le terme silice, et qu’est
mentionné aussi le nom de l’alumine, identifiée, comme l’était la silice,
à l’oxyde d’un nouvel élément ;
– enfin en 1808, Davy propose à la fois les noms silicium et alumium,
puis très vite aluminium, adopté dans quasiment toutes les langues,
même en anglais, s’agissant cette fois sans conteste d’un métal, plus
souvent toutefois sous la variante aluminum aux États-Unis.
Autre point commun entre ces deux éléments, leur importance
technologique : l’aluminium dans la construction des avions, le silicium
dans le photovoltaïque et surtout dans les semi-conducteurs du monde
de l’informatique, comme en témoigne le nom de la Silicon Valley.

142
Le manteau terrestre

z
Épilogue latiniste
L’expression in silico est apparue vers 1990 dans des publications en
anglais, pour qualifier un résultat de biologie obtenu par modélisation
numérique, c’est-à-dire « dans le silicium », et non pas in vivo, « dans
le vivant », ou in vitro, « dans le verre (des éprouvettes ou boîtes de
Petri) ». In vivo et in vitro, c’est bien du latin, vivo et vitro étant des formes
(l’ablatif) de vivum et vitrum, mais in silico est un néologisme, plutôt
surprenant pour un francophone, qui dériverait plus logiquement in
silicio de silicium considéré comme du latin. Un anglophone au contraire,
pour qui le silicium se dit silicon, pourrait penser à un latin silico, -onis
(comme l’anglais carbon est formé sur le latin carbo, -onis), mais alors
l’expression latine serait in silicone, qu’il ne faudrait pas prendre pour
« dans le silicone » !
En définitive, il faut supposer un latin scientifique silicum, « silicium » :
l’expression in silico se construit alors logiquement, comme in vitro sur
le latin vitrum, « verre » (où l’on trouve déjà, ironie de la chimie,
beaucoup de silicium !).

➜Les études dites in silico sont réalisées sur ordinateur, dont les composants actifs sont à EDVH
de VLOLFLXP

143
Chapitre 6 : Les explorateurs d’éléments

4 Les sucres de la vie


Le xylose, le lyxose, l’arabinose et le ribose

Le ribose est un sucre qui a été découvert en 1891 par le chimiste


allemand Emil Fischer, prix Nobel de chimie 1902 (le deuxième de
l’histoire). Ce grand scientifique a fait preuve d’originalité également
dans la façon de nommer les molécules qu’il découvrait, en particulier
dans le domaine des sucres.

➜'LIIÆUHQWHVIRUPHVGXULERVH'ULERVH/ULERVHHWXQHIRUPHF\FOLTXH

Avant d’en venir au ribose lui-même, considérons le cas, plus simple,


des isomères2 du xylose.

z
De xylose à lyxose, une métathèse
Le xylose est identifié depuis les années 1850. C’est un sucre tiré de
polysaccharides du bois, d’où son nom, du grec xulon, « bois ». En 1896,
Fischer a montré que l’acide xylonique (Xylonsäure) pouvait s’isomériser
et donner ainsi un nouvel acide organique, les positions d’un OH et
d’un H étant échangées sur le même carbone :

2. Deux molécules sont dites isomères quand elles sont composées des mêmes atomes agencés
différemment. La transformation de l’une en l'autre est dite isomérisation.

144
/HVVXFUHVGH}OD}YLH

Pour désigner ce nouvel acide, Fischer crée le mot acide lyxonique


(Lyxonsäure) et nomme « le nouveau sucre, lyxose ». L’échange de position
des OH et H sur la molécule est ainsi symbolisé par celui des lettres X
et L dans les noms, XYLOSE et LYXOSE.
Cette interversion de deux lettres au cours de l’évolution d’un mot est
une forme usuelle de ce qu’on nomme métathèse en linguistique. Un
exemple classique est celui de MOUSTIQUE, emprunté à l’espagnol
MOSQUITO, lui-même diminutif de mosca, « mouche » (en latin, musca).
Et pour revenir au domaine des polysaccharides, on peut citer aussi le
nom d’une plante, la grande aunée, qui passe du grec HELENIUM au
latin INULA, avec interversion de L et N (voir le chapitre 3).
Ce terme métathèse, du grec metathesis, « transposition, changement »,
s’employait déjà chez les rhétoriciens grecs, et les chimistes l’ont adopté,
dans le cas où les positions de deux atomes (ou groupes d’atomes) de
deux molécules s’échangent au cours d’une réaction. Cette définition
ne s’applique pas exactement à une isomérisation , mais presque, si on
la considère comme une sorte de métathèse intra-moléculaire.
Le cas du ribose se présente un peu différemment.

z
D’arabinose à ribose
L’arabinose est un sucre tiré de la gomme arabique, que sécrètent
plusieurs espèces d’acacias africains, une résine exploitée pour divers
usages depuis l’Égypte ancienne. L’oxydation de l’arabinose donne
l’acide arabinique, que Fischer avait isomérisé dès 1891, obtenant ainsi
un nouvel acide qu’il nommait en allemand Ribonsäure, en expliquant de
manière un peu sibylline : « ce mot est créé à partir des lettres de Arabinose,
qui s’y retrouvent camouflées ». De là il créait en allemand le nom Ribose
(repris dans toutes les langues, ribose, ribosa…) et RIB(OSE) comporte
donc des lettres de ARABIN(OSE), mais un peu camouflées. Comme
on vient de le voir, Fischer adoptera plus tard une démarche plus
transparente pour lyxose, dérivé de xylose.

145
Chapitre 6 : Les explorateurs d’éléments

➜*RPPHDUDELTXH

z
La deuxième vie du ribose
Dans le contexte des polysaccharides,
le ribose est un sucre bien moins
connu que le glucose ou le fructose…
Mais en biologie moléculaire, le même
ribose (précisément le D -ribose)
occupe une place de tout premier
plan car c’est le sucre qui entre dans
la composition des acides nucléiques :
le ribose et le désoxyribose forment ➜([HPSOHGHQXFOÆRWLGH}OpDGÆQRVLQH
monophosphate est un nucléotide de
en effet, avec l’acide phosphorique Op$51IRUPƽSDUWLUGXULERVHGH
et 5 bases azotées, les nucléotides de l’acide phosphorique et de OpDGÆQLQH
l’ADN (Acide DésoxyriboNucléique)
et de l’ARN (Acide RiboNucléique).
La structure des nucléotides a été découverte par le biologiste américain
Phoebus Levene, qui a dirigé à partir de 1907 la Division de Chimie du
Rockefeller Institute for Medical Research, créé à New York en 1901.
Les articles de Levene de 1909 ont fait passer le ribose du statut d’un
sucre quelconque, à celui de l’une des briques élémentaires les plus
essentielles du règne vivant.

146
/HVVXFUHVGH}OD}YLH

z
Épilogue et fausse étymologie
Est-ce parce que Fischer n’a pas justifié clairement le mot ribose ? Ou parce
que le rôle biologique du ribose est apparu tellement extraordinaire ?
Que dans plusieurs ouvrages récents de biologie moléculaire, on peut
lire : ribose provient des initiales du Rockefeller Institute of Biochemistry
(« RIB ose ») ? En fait, cette affirmation relève de la légende car, dans
sa publication de 1909, Levene ne revendique absolument pas pour
son institut la paternité du mot ribose, qu’il emploie en se référant au
contraire, et très logiquement, à la publication de Fischer de 1891.
Donc dans ARN, le R est bien celui de aRabique et non pas celui de
Rockefeller ! On peut tout de même se demander comment une telle
légende a pu naître et se perpétuer ainsi jusqu’à ce jour.

➜Acacia niloticaSRXUYR\HXUGHODJRPPHDUDELTXH

147
Chapitre 6 : Les explorateurs d’éléments

5 L’alphabet du
règne vivant
L’urée, la purine, l’adénine, la guanine,
la pyrimidine, la cytosine, la thymine et l’uracile

Dans une publication de 1799,


les chimistes français Fourcroy
et Vauquelin nomment urée le
principal composant organique
de l’urine. Ce mot urée apparaît
comme un dérivé de urine, (du ➜L’urée (ou carbamide, à gauche) provient
GHUÆDFWLRQVGHGÆJUDGDWLRQGHVSURWÆLQHV
latin urina), un dérivé dit régressif L’acide urique (ici, forme céto-, à droite)
car résultant de la suppression SURYLHQWGHUÆDFWLRQVGHGÆJUDGDWLRQGHV$'1
HW$51
de l’élément -ine. Dans la même
publication, les auteurs dérivent de ur(ée), dans le sens habituel cette fois,
l’adjectif urique pour désigner l’acide urique présent aussi dans l’urine.
L’urée synthétique est aujourd’hui un produit chimique important, à
la fois en tant qu’engrais et en tant que matière première en chimie
organique. C’est d’ailleurs au chimiste allemand Wöhler que l’on doit
la première synthèse de l’urée en 1828 : une révolution à cette époque
où l’on réalise qu’il est possible d’accéder aux « molécules du vivant »
par pure synthèse chimique. Et l’on va voir que l’acide urique nous
mène plus loin encore dans le monde du vivant.

z
De l’acide urique à la purine
En 1884, le chimiste allemand Emil Fischer montre que la molécule
d’acide urique a de profondes analogies avec deux des quatre bases
constitutives de l’ADN : l’adénine,
du grec adên, adenos, « glande », car
cette molécule a été extraite d’une
glande, le pancréas, et la guanine, de
guano, du quechua huano, car cette

148
L’alphabet du règne vivant

molécule a été extraite des excréments d’oiseaux utilisés depuis des


siècles comme engrais par les Péruviens :
Fischer a trouvé aussi des analogies entre l’acide urique et les alcaloïdes
caractéristiques du café, du thé et du chocolat.

On voit que toutes ces structures dérivent d’un même molécule de base,
nommée purine (Purin en allemand), mot que Fischer explique comme
une « combinaison des mots purum et uricum »3. On sait que Fischer fera
preuve d’innovation linguistique en nommant plus tard le ribose et le
xylose (voir la rubrique précédente). Ici, il étonne déjà
car purine pourrait très bien être dérivé du latin purum,
« pur », mais il insiste sur le rôle de uricum, ce qui assure
le lien avec l’acide urique, d’où une sorte de mot-valise :
purine = p(urum) + ur(icum) + ine.
Le comble c’est que dans une
ferme d’élevage bovin, on
recueille par filtration le purin,
dont le nom vient de l’ancien
français purer, « filtrer », du
latin purus, « pur », ce purin,
concentré en urée, étant un
engrais, comme le guano. Un
rapprochement cocasse en
français entre purine et purin. ➜¦SDQGDJHGpHQJUDLVQDWXUHO

3. Fischer, Emil, Untersuchungen in der Puringruppe (1882-1906), Springer, Berlin, 1907, 600 p.,
p. 14.

149
Chapitre 6 : Les explorateurs d’éléments

z
Les 4 « lettres » de l’ADN
Pour revenir à la biologie, on note que deux des quatre bases de l’ADN,
l’adénine et la guanine, sont dites puriques. Les deux autres, la cytosine
(de cyto-, « cellule », du grec kutos, « cavité ») et la thymine (découverte
dans le thymus de veau), dites pyrimidiques, sont construites sur une
autre molécule de base la pyrimidine.

Le nom de la pyridine (d’où pyrimidine) vient du grec pur, « feu », car


cette substance a été obtenue à partir d’une pyrolyse.

z
De la thymine à l’uracile
Trois des quatre bases de l’ARN sont identiques à celles de l’ADN : les
deux bases puriques et la cytosine. En revanche la thymine de l’ADN est
remplacée dans l’ARN par l’uracile, où l’on retrouve le radical ur(ée).
C’est en effet à partir d’urée et d’acétoacétate d’éthyle que le chimiste
allemand Behrend a obtenu en 1886 un isomère de la thymine, qu’il
a nommé méthyluracile, où -uracile = ur(ée) + ac(éto acétate) + suffixe
–ile. On a ensuite isolé l’uracile, qui a la structure de la thymine ou du
méthyluracile, mais sans le groupe méthyle (CH3).

En anglais et en espagnol, urée est latinisé en urea. En allemand on


emploie Harnstoff, « urée » (Harn, « urine ») et Harnsäure, « acide
urique », mais le radical ur- est utilisé en composition, par exemple
dans Purin, Uracil, ou encore dans Uräthan, « uréthane ».

150
L’alphabet du règne vivant

z
Épilogue polymère
Les polyuréthanes sont largement utilisés sous forme de mousse, de
fibre, de matière plastique ou de résine dans les colles et peintures. Le
mot uréthane apparaît en 1833 dans une publication du chimiste français
Jean-Baptiste Dumas, qui écrit à propos de cette substance : « Elle peut
enfin se représenter encore par de l’éther carbonique et de l’urée unis atome
à atome ». Il s’agissait en effet d’une molécule comportant le radical
interne -NHCOO-, associant la structure de l’urée, H-NHCO-NH2,
et celle d’un éther, R-O-R’. Le mot uréthane s’analyse donc en trois
parties : ur(ée) + éth(er) + suffixe -ane.
Du monde du vivant, on repasse au monde du « synthétique », par le
jeu des molécules… et du langage.

➜6LOHVEDVHVSXULTXHHWS\ULPLGLTXHIRQWOpDOSKDEHWGXYLYDQWOp$'1HVWXQURPDQGXYLYDQWGRQW
OHVJÅQHVVRQWGHVSDUDJUDSKHV

151
Chapitre 6 : Les explorateurs d’éléments

6 Des noms
éclectiques
La valine, l’acide valérique et l’acide pivalique

Parmi la vingtaine d’acides aminés


naturels constituant les protéines, la
valine a été l’un des derniers nommés,
par Emil Fischer, celui-là même à qui
l’on devait déjà les noms du ribose et
du lyxose, ou encore de la purine. À ➜L-YDOLQH} &+)-CH&+ 1+ &22+
propos de la valine, on s’intéressera
aussi aux noms des isomères de l’acide valérique, qui réservent une
surprise dans l’épilogue.

z
Valin, un nom qui rétablit l’orthodoxie
En 1906, Fischer étudie l’Į-aminoacide isovalérique et le nomme en
allemand Valin, en même temps que le radical correspondant Valyl,
d’où en français valine pour l’acide aminé et valyle pour le radical
correspondant, à cinq carbones. Il dérivait visiblement ces noms de celui
de l’acide isovalérique, (CH3)2-CH2-CH2-COOH, un acide organique à
cinq carbones. Cette décision n’allait pas de soi à l’époque, car depuis
le milieu du XIXe siècle on nommait à tort valyle le radical à quatre
carbones seulement, (CH3)2-CH2-CH2-, résultant d’une décomposition
de l’acide isovalérique, mais qu’il aurait fallu reconnaître comme un
butyle. Et Fischer a donc coupé court à cet usage fautif du mot valyle,
en considérant que cela ne devait pas entraîner de confusion avec des
noms commerciaux existants (de feu la société pharmaceutique Hoechst
en particulier). Depuis lors, le radical valyle désigne bien un pentyle, à
cinq carbones.
Mais tout cela ne dit pas d’où vient le nom de l’acide (iso)valérique, qui
a une origine botanique.

152
Des noms éclectiques

z La valériane, une plante médicinale connue depuis


l’Antiquité
En 1833, l’adjectif valérique (d’abord valérianique) est donné en allemand
(Valeriansäure) par le chimiste Trommsdorf, qui a extrait l’acide
isovalérique des racines de la valériane, en précisant qu’il s’agissait de
la valériane officinale.

➜Valériane officinale, Valeriana officinalisGHSXLV/LQQÆHQ

Il existe une grande variété de valérianes puisque Linné en décrivait


seize espèces, dans le genre Valeriana dont on connaît près de trois
cents espèces aujourd’hui. Dioscoride en distinguait déjà plusieurs
sortes sous le nom grec nardos, un nom d’origine sémitique, emprunté
en latin nardus, d’où vient en français le mot nard, présent dans les
dictionnaires mais supplanté dans l’usage courant par valériane. Et ce
dernier nom dérive du latin tardif valeriana, d’après le nom latin Valeria
d’une province romaine située à peu près à l’emplacement actuel de la
Hongrie, où cette plante était très commune.
Même si au cours des âges il y a eu sans doute des confusions entre des
espèces voisines, il est certain que la racine de la valériane officinale a,
comme son nom l’indique, des vertus médicinales, en particulier
sédatives et anxiolytiques. Ces propriétés, reconnues depuis l’Antiquité,
ne sont d’ailleurs pas dues directement à l’acide isovalérique, mais elles
expliquent pourquoi les chimistes se sont intéressés à la valériane, et
peut-être aussi pourquoi le nom valérique l’a emporté sur un autre nom
donné auparavant au même acide.

153
Chapitre 6 : Les explorateurs d’éléments

z
Du dauphin à la valériane
Dès 1817 en effet, Chevreul avait tiré de l’huile de dauphin un acide qu’il
a nommé delphinique, puis phocénique, du grec phôkaina, « marsouin », par
le latin naturaliste phocoena. Cet acide était identique à l’acide isovalérique
trouvé en 1833 par Trommsdorf mais, malgré la chronologie, c’est le
nom d’origine végétale qui l’a emporté dans
l’usage, y compris pour les isomères synthétisés
par la suite : l’acide valérique normal, CH3-CH2-
CH2-CH2-COOH, ainsi que son isomère
méthyléthylacétique, CH3-CH2-CH(CH3)-
COOH. Ces acides ont été synthétisés en 1869
par Emil Erlenmeyer, plus connu pour avoir
été le père (et l’éponyme) de la célèbre fiole,
➜Erlenmeyer, en allemand l’erlenmeyer, qu’il a présenté dans un congrès de
Erlenmeyerkolben. pharmacie de 1857.

z
Épilogue pictural
Enfin, c’est en 1873 que Charles Friedel4 synthétise à partir de la
pinacolone, C(CH3)3-COCH3, le quatrième et dernier isomère de
l’acide valérique, le triméthylacétique, C(CH3)3-COOH, qu’il nomme
pivalique en combinant les éléments pi- de pinacolone et val- de valérique.
Mais d’où vient ce nom pinacolone ? Du nom du pin, comme pinène
par exemple ? Pas du tout, et loin s’en faut. La pinacolone fait partie
d’une famille chimique dont le premier représentant a été nommé en
allemand Pinakon, à partir du grec pinax, pinakos, « planche, tablette
en bois pour écrire ou pour peindre », parce que les cristaux que
donne cette substance ont la forme de petites tablettes carrées bien
individualisées. Il fallait un peu d’imagination pour aller chercher ce
mot grec, que l’on ne voit guère en français que dans pinacothèque, nom
donné parfois à un musée de peinture. Il est vrai que le mot Pinakothek
est plus populaire en allemand grâce aux grandes pinacothèques de
Munich ou de Berlin.

4. Friedel, Charles et Silva, R.-D., Sur un nouvel isomère de l’acide valérianique, Comptes rendus
de l’Académie des Sciences, Paris, t. 77, 1873, p. 48.

154
Des noms éclectiques

LES VINGT ÉLÉMENTS DES PROTÉINES


/HVQRPVGHVDFLGHVDPLQÆVFRPSRVDQWOHVSURWÆLQHVRQWGHVRULJLQHVYDULÆHV}
tOHQRPGpXQHSODQWH}GXQRPGHODYDOÆULDQHYLHQWvaline (Val), et du nom de
l’asperge (en latin asparagus) vient asparagine (Asn), ainsi que le nom de l’acide
aspartique (Asp)}
tOHQRPGpXQHSURWÆLQHYÆJÆWDOH}GXQRPGXgluten (du latin glutenˆ}FROOH}˜GpRÖ
aussi le mot glu) vient celui de la glutamine (Gln) et de l’acide glutamique (Glu)}
tOHQRPGpXQHVDYHXU}OpDFLGHDPLQÆWLUÆGHODJÆODWLQHHVWGpDERUGQRPPÆsucre
de gélatine, à cause de son pouvoir sucrant, et Berzelius lui préfère le nom de
glycine (Gly)}
tOHQRPGpXQHSURWÆLQHDQLPDOH}GXQRPGHODVÆULFLQHSURWÆLQHGHODVRLH HQ
latin sericum), vient celui de la sérine (Ser), et du nom de la caséine, protéine
du fromage (en latin caseus), vient le nom de la tyrosine (Tyr) (du grec turos,
ˆ}IURPDJH}˜ HWLQGLUHFWHPHQWOHQRPGHOD lysine (Lys), trouvée par hydrolyse de
ODFDVÆLQH}
tOHQRPGpXQRUJDQHDQLPDO}GXQRPGHODYHVVLH HQJUHFkustis) vient celui de
ODF\VWLQHtGÆFRXYHUWHGDQVFHVFDOFXOVGHODYHVVLHtGpRÖODcystéine (Cys)}
tOHQRPGpXQHSURSULÆWÆJÆQÆUDOH}OHtryptophane (Trp) apparaît (grec phainein,
ˆ}SDUDËWUH}˜ VRXVOpDFWLRQGHODWU\SVLQH GXJUHFthrupteinˆ}UDPROOLU}˜ LQWHUYHQDQW
GDQVODGLJHVWLRQ}l’histidine (His) intervient dans la croissance des tissus (du
grec histosˆ}WLVVX}˜ }
tOHQRPGpXQHFRXOHXU}OHQLWUDWHGHl’arginine (Arg) (du latin argentumˆ}DUJHQW}˜ 
DGHVUHƃHWVDUJHQWÆV}OD leucine (Leu) (du grec leukosˆ}EODQF}˜ HWl’isoleu-
cine (Ile)YLHQQHQWGXQRPGpXQHVXEVWDQFHEODQFKHOLÆH½FHVDFLGHVDPLQÆV}OD
thréonine (Thr) vient du nom d’un sucre, le thréose, proche de l’érythrose (du grec
eruthrosˆ}URXJH}˜ ½FDXVHGpXQHFRORUDWLRQURXJH}
– et tous les autres acides ami-
nés ont un nom purement
ˆ}FKLPLTXH}˜}
– l’alanine (Ala), de al(déhyde),
GpRÖODphénylalanine (Phe), la
méthionine (Met), de méth(y- Chaîne B
30 acides aminés
lène) + thio ˆ} VRXIUH} ˜ HW HQƂQ
la proline (Pro), dont le nom est
GؽQRXYHDX½OpDXGDFHOLQJXLV-
WLTXHGp(PLO)LVFKHU&HOXLFLQpD
SDV KÆVLWÆ ½ UHPSODFHU ˆ} pour
abréger} ˜ OH QRP FRPSOHW GH
Chaîne A
l’acide aminé qu’il découvrait en 21 acides aminés
 HQ DOOHPDQGPyrrolidincar-
bonsäureDEUÆJÆHQProlin, soit en
français l’acide pyrrolidinecarbo-
nique, devenant la proline
➜L’insuline et ses 51 acides aminés dont
}GLIIÆUHQWVHWIRLVODYDOLQH

155
Chapitre 6 : Les explorateurs d’éléments

7 D’étranges gaz
cachés dans l’air
L’hélium (He), le néon (Ne), l’argon (Ar),
le krypton (Kr), le xénon (Xe) et le radon (Rn)

Les 6 gaz nobles, aussi appelés gaz rares, forment la dernière colonne de
la classification périodique. Ils ont des propriétés chimiques similaires,
mais aussi des noms qui se ressemblent, tels que xénon, argon, krypton
et néon. C’est en effet le même chimiste anglais, William Ramsay, qui
a découvert et nommé ces 4 éléments. Ayant travaillé aussi sur l’hélium
et le radon, il a reçu le prix Nobel de chimie en 1904 pour l’ensemble
de ses travaux sur les gaz nobles.

z
L’hélium, d’abord un extraterrestre
Lors de l’éclipse solaire de 1868, les astrophysiciens détectent dans
le spectre de la couronne solaire une intense raie jaune, d’abord prise
pour celle du sodium, puis finalement attribuée à un élément nouveau,
donc inconnu alors sur Terre.
Logiquement, cet élément est
nommé hélium, du grec hêlios,
« Soleil ». Et c’est seulement en
1882 que l’hélium est détecté
dans une roche volcanique, puis
en 1895 que Ramsey parvient
à l’isoler à partir d’un minerai
d’uranium : le cas unique d’un
élément découvert dans l’espace
avant de l’être sur Terre. ➜La couronne solaire, dans laquelle fut détecté
pour la première fois OpKÆOLXP
Si les alchimistes associaient le
Soleil à l’or, un métal noble, les
chimistes l’ont associé à un gaz noble, l’hélium, établissant ainsi une
correspondance de plus entre un astre et un élément chimique.

156
D’étranges gaz cachés dans l’air

z
L’argon, l’archétype du gaz inerte
En fait, lors de sa découverte de l’hélium, Ramsay cherchait à retrouver
dans le minerai d’uranium le gaz qu’il avait isolé l’année précédente (1894).
Comme ce gaz apparaissait inerte, incapable de s’associer à d’autres atomes,
il l’avait nommé argon, à partir de l’adjectif grec argos, « inactif », lui-même
formé du a- privatif et de ergon, « action, travail » (d’où énergie…).

z
Le krypton, bien caché dans l’argon
C’est toujours Ramsay qui, aidé de collaborateurs dont Morris Travers,
va découvrir en 1898 trois autres gaz nobles par distillation de l’argon
(donc impur). Il débusque d’abord le krypton de sa cachette dans l’argon,
et le nomme à partir du grec kruptos, « caché, secret » (cf. la crypte
d’une église ou le cryptage d’un document). Ensuite, il met en évidence
en même temps un gaz plus léger qu’il nomme néon, du grec neos,
« nouveau », et un plus lourd qu’il nomme xénon, du grec xenos, d’abord
« étranger », d’où « étrange ».

z
Le xénon, étrange avec sa couleur bleue inattendue
En effet ce qui a retenu l’attention
des chercheurs, c’est la couleur
bleue du spectre d’émission de
ce nouveau gaz, et ils ont donc
cherché des noms évoquant le
bleu. Par exemple, ce nom aurait
pu être *cyanon, du grec kuanous,
« bleu », mais comme ce radical
était déjà utilisé pour le mot
cyanure, Ramsay ne l’acceptait
➜Éclairage au [ÆQRQGpXQEOHXLQDWWHQGX pas. Finalement, celui-ci eut l’idée
de nommer cet élément xenon, à
partir du grec xenos, en anglais stranger, c’est-à-dire « inconnu, étrange ».
Cela rendait compte du caractère inattendu de la couleur bleue émise par
le xénon, et d’autre part la racine xenos n’avait jamais été utilisée en chimie5.

5. Travers, Morris, The Discovery of Rare Gases, E. Arnold &Co, Londres, 1928, 128 p., p. 106.

157
Chapitre 6 : Les explorateurs d’éléments

z
Le néon, le petit nouveau
Colonne 18
Le nom le plus étonnant de la série est certainement néon,
18
qui signifie simplement « nouveau », ce qui est véritablement 2

tautologique pour tout élément, forcément nouveau au moment He


hélium
de sa découverte. Comment Ramsay a-t-il pu choisir un nom 10
Ne
aussi général ? La réponse est dans une anecdote, rapportée néon
18
par son collaborateur Travers comme suit6. Le fils de Ramsay, Ar
Willie, âgé de treize ans environ, était venu au laboratoire et, argon
36
s’intéressant aux travaux en cours, avait suggéré de nommer le Kr
krypton
dernier gaz découvert novum, c’est-à-dire « nouveau » en latin. 54
Xe
Ramsay a retenu l’idée, a priori candide, de son jeune fils, mais xénon

sous la forme grecque neon, comme pour les autres gaz nobles 86
Rn
déjà nommés. radon

z
La 18e colonne est sortie de l’ombre
Toutes ces nouveaux éléments posaient un problème : ils ne trouvaient
de place dans aucune case libre du tableau périodique alors en vigueur,
ne comportant encore que 17 colonnes. L’existence d’une 18e colonne
n’avait pas été prévue par Mendeleïev, ni par personne d’autre. Ce sont
bien Ramsay et Rayleigh qui l’ont proposée pour accueillir l’hélium
et l’argon, puis très rapidement le néon, le krypton et le xénon. Dans
un premier temps Mendeleïev n’a pas accepté l’idée, pour finalement
reconnaître dans une lettre de 1902 que la 18e colonne se justifiait,
et constituait même « une confirmation glorieuse du caractère général de
l’application de la loi périodique ».7

z
Le radon, gaz noble et radioactif
Le plus lourd des gaz nobles est aussi le seul à être radioactif. En 1908,
Ramsay et le chimiste anglais Gray ont proposé pour cet élément le nom
niton, du latin nitens, « brillant », à cause de la luminescence qu’il peut
engendrer. Mais d’autres noms proposés par différentes équipes ont été
en concurrence et c’est le nom radon, proposé par le chimiste allemand

6. Travers, Morris, The Discovery of Rare Gases, E. Arnold &Co, Londres, 1928, 128 p., p. 96.
7. Scerri, Eric, Le tableau périodique, Son histoire et sa signification, EDP Sciences, Paris, 2011, p. 144.

158
D’étranges gaz cachés dans l’air

G. C. Schmidt en 1915, qui a finalement été adopté officiellement en 1923.


C’était après la mort en 1916 de Ramsay, qui se serait sûrement opposé à
ce choix puisque radon est basé sur le latin radius, « rayon, rayonnement »,
déjà utilisé en 1898 par Pierre et Marie Curie pour nommer le radium.

z
Un épilogue en queue de poisson
En définitive, un mot d’enfant
est à l’origine de néon, qui est
certainement le nom de gaz noble
le plus familier, puisque tout
éclairage tubulaire, qu’il contienne
du néon ou d’autres gaz, s’appelle
couramment tube au néon. Et pour
les aquariophiles, le néon est aussi
➜Le néon estun petit poisson d’eau douce
Gp$PÆULTXHGX6XG
un petit poisson portant des lignes
:LNLSÆGLDFFE\+.ULVS de couleurs vives.

➜/DYUDLHFRXOHXUGpXQWXEHOXPLQHVFHQWUHPSOLGHgaz QÆRQ
:LNLSÆGLDOLFHQFHFFE\VD3VODZLQVNL

159
Chapitre 6 : Les explorateurs d’éléments

8 Quand vient le tour


de la physique
L’actinium (Ac) et les 14 autres actinides
le rutherfordium (Rf) et les autres transactinides

Juste en dessous des 15 lanthanides, se situent les 15 actinides, les


éléments 90 à 103. Il s’agit de métaux qui sont tous radioactifs, et même
artificiels au-delà de l’uranium (l’élément 92).
89 90 91 92 93 94 95 96 97 98 99 100 101 102 103
Ac Th Pa U Np Pu Am Cm Bk Cf Es Fm Md No Lr
actinium thorium protactinium uranium neptunium plutonium américium curium berkélium californium einsteinium fermium mendélévium nobélium lawrencium

L’uranium et ses voisins, neptunium (le 93) et plutonium (le 94), ainsi
que le thorium (90), sont apparus avec leurs noms mythologiques au
chapitre 3. L’actinium et les autres actinides font l’objet des pages qui
suivent.

z
Dans le sillage de Pierre et Marie Curie
Leurs recherches sur les éléments radioactifs ont valu le prix Nobel
1903 de physique à Pierre et Marie Curie, conjointement avec Henri
Becquerel, découvreur de la radioactivité elle-même. Puis le prix
Nobel 1911 de chimie sera attribué à Marie Curie pour la découverte
du polonium et du radium dans la pechblende, un minerai d’uranium.
Et c’est dans la suite de ces travaux que le chimiste français Debierne
a isolé un nouvel élément radioactif qu’il a nommé en 1900 actinium
(Ac), du grec aktis, aktinos, « rayon, rayonnement » : le même sens
étymologique pour actinium, du grec, que pour radium, du latin radius,
« rayon, rayonnement ».
Plus tard, des chercheurs allemands et anglais découvriront, par
désintégration de l’uranium, l’élément 91, que l’on nommera en 1920
protactinium (Pa), du grec prôtos, « premier », car sa propre désintégration
produit l’actinium.

160
Quand vient le tour de la physique

À partir de là, les découvertes de nouveaux actinides seront des résultats


de physique nucléaire, à commencer par le neptunium et le plutonium
(voir le chapitre 3), identifiés dans les années 1940 au cours du projet
Manhattan destiné à mettre au point la bombe atomique.

z
Les États-Unis prenant le relais de l’Europe
Tous les actinides transuraniens ont été découverts entre 1940 et 1960,
principalement à l’université de Berkeley, en Californie, où le physicien
américain Glenn Seaborg a joué un rôle de tout premier plan. Son
nom est attaché au plutonium, à l’américium, au curium, au berkélium
et au californium, et le prix Nobel 1951 de chimie lui a été attribué,
conjointement avec Edwin McMillan, découvreur du neptunium, à
Berkeley également.
La prééminence de cette université californienne et plus largement
des États-Unis dans cette période s’est traduite dans plusieurs noms
d’éléments :
– pour l’élément 95, américium dérivé de America, un clin d’œil de
Seaborg qui nommait ainsi l’élément situé juste en dessous de l’europium
(l’élément 63) dans le tableau périodique, comme pour acter la fin d’une
époque européenne ;
– pour l’élément 98, californium d’après le nom de la Californie, et
pour l’élément 97, berkélium à la gloire de Berkeley.

z
Des noms honorant de grands hommes disparus
Donner à un élément le nom d’un savant, cela ne s’est pratiquement
jamais fait avant les années 1940. Le seul cas est celui du gadolinium,
nommé par Lecoq de Boisbaudran, en référence au nom du chimiste
finlandais Gadolin. Du moins si l’on croit de Boisbaudran, qui dit avoir
nommé le gallium à partir de Gallia, « Gaule », et non pas à partir de
son nom Lecoq, gallus en latin (voir le chapitre 4, rubrique 2).
Mais dans le domaine des transuraniens, les découvreurs ont largement
fait appel aux noms des collègues récemment disparus, tous lauréats du

161
Chapitre 6 : Les explorateurs d’éléments

prix Nobel, de physique ou de chimie, sauf Nobel, et pour cause, et


Mendeleïev, qui l’a manqué de peu :
– pour l’élément 96, curium honore Pierre et Marie Curie ;
– pour les éléments 99 et 100, einsteinium et fermium honorent Albert
Einstein et Enrico Fermi, qui ont joué un rôle majeur dans le projet
Manhattan. Ces éléments ont d’ailleurs été détectés dans les résidus de
l’explosion de la première bombe H, en 1955 ;
– pour l’élément 101, mendélévium permet enfin à Mendeleïev de
figurer, à titre posthume, dans son tableau, la moindre des choses, faute
de prix Nobel ;
– pour l’élément 102, nobélium par lequel les physiciens suédois ont
mis en vedette leur compatriote Alfred Nobel, qui a trouvé le moyen
d’être le plus célèbre parmi les célébrités ;
– et enfin pour l’élément 103, lawrencium, nom formé sur celui
d’Ernest Lawrence, l’inventeur en 1930 du cyclotron, sans lequel tout
ce développement de la physique nucléaire n’aurait pas été possible.
Le sujet s’est compliqué ensuite pour la découverte des transactinides.
104 105 106 107 108 109 110 111 112 113 114 115 116 117 118
Rf Db Sg Bh Hs Mt Ds Rg Cn Nh Fl Mc Lv Ts Og
rutherfordium dubnium seaborgium bohrium hassium meitnérium darmstadtium rœntgenium copernicium nihonium flerovium moscovium livermorium tennessine oganesson

z
Le temps des polémiques
À partir des années 1960 les Américains ont rencontré une concurrence
de plus en plus vive de la part du centre de recherche nucléaire de
Doubna, décidé par l’URSS en 1946 et inauguré en 1956 à 125 km
au nord de Moscou. D’autre part, de plus en plus de résultats ont été
obtenus aussi à Darmstadt en Allemagne. Les éléments 104 à 109,
découverts des années 1960 à 1980, souvent en plusieurs lieux à peu de
temps d’intervalle, ont tous donné lieu à polémique entre les équipes
rivales, au début dans un contexte de guerre froide. Il a fallu attendre
l’arbitrage de l’IUPAC (International Union of Pure and Applied
Chemistry) donné en 1997 pour avoir les noms des nouveaux éléments
reconnus dans le monde entier :
– rutherfordium pour l’élément 104, en l’honneur d’Ernst Rutherford ;
– dubnium pour le 105, d’après Doubna, au nord de Moscou ;
– seaborgium pour le 106, honorant Glenn Seaborg, de son vivant, ce

162
Quand vient le tour de la physique

qui a soulevé la polémique, puisque c’était contraire aux principes. Cette


polémique s’est éteinte le 25 février 1999, en même temps que Seaborg
lui-même ;
– bohrium pour le 107, pour honorer le physicien danois Niels Bohr,
malgré l’opposition des anglophones qui redoutaient une confusion
avec boron, le nom du bore en anglais (bor en danois) ;
– hassium pour le 108, de Hassia, le nom latin de la Hesse, la région
où se situe Darmstadt ;
– et enfin meitnérium pour le 109, en l’honneur de Lise Meitner
(1878-1968), la physicienne autrichienne, naturalisée suédoise, qui a
travaillé notamment avec Otto Hahn sur la fission nucléaire. Il s’agit
ici du seul élément du tableau qui porte le nom d’une femme, curium
étant un nom mixte en quelque sorte. Pour certains observateurs, cela
compensait le fait que Lise Meitner n’ait pas été associée au prix Nobel
1944 de chimie attribué à Otto Hahn.
En 2003/2004, l’IUPAC a validé darmstadtium pour l’élément 110 et
roentgenium pour le 111, d’après Darmstadt, où ces deux éléments ont
été identifiés, et Wilhelm Roentgen, le physicien allemand découvreur
des rayons X. Puis en 2009/2010 l’IUPAC a validé copernicium pour
le 112, découvert également à Darmstadt.

z
Le temps des collaborations
En 2011/2012, l’IUPAC valide flerovium pour le 114, découvert à
Doubna, d’après le nom du physicien russe Gueorgui Florov, et liver-
morium pour le 116, en référence au laboratoire de Livermore, en
Californie, qui a coopéré avec Doubna dans la découverte de cet élément.
Enfin, en 2015/2016, l’IUPAC a validé les 4 derniers éléments connus :
– l’élément 113, le nihonium, de Nihon, un ancien nom du Japon, où
cet élément a été identifié, au RINKEN, près de Tokyo. C’est le seul
élément « asiatique » du tableau ;
– l’élément 115, le moscovium, découvert à Doubna par une équipe
américano-russe ;
– l’élément 117, le tennesse (en anglais tennessine), du nom du Tennessee
où se situe le Oak Ridge Laboratory qui a collaboré avec Doubna ;

163
Chapitre 6 : Les explorateurs d’éléments

– l’élément 118, l’oganesson, découvert à Doubna, du nom du physicien


russe d’origine arménienne Iouri Oganessian, né en 1933.

z
Épilogue géométrique
Nous voici arrivés à un point remarquable de l’ouvrage : la totalité
des 118 éléments chimiques connus à ce jour, dont 90 seulement sont
naturels, ont été abordés. Leurs noms ont été expliqués, ce qui renseigne
souvent sur les circonstances de leur découverte.
Curieusement, l’élément 118 se situe en bas de la colonne 18 des gaz
nobles, ce qui complète le tableau, dont la base est donc à ce jour
parfaitement rectangulaire !
1 18
1 2
H He
hydrogène 2 13 14 15 16 17 hélium
3 4 numéro atomique 5 6 7 8 9 10
Li Be symbole B C N O F Ne
lithium béryllium nom bore carbone Azote oxygène fluor néon
11 12 13 14 15 16 17 18
Na Mg Al Si P S Cl Ar
sodium magnésium 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 aluminium silicium phosphore soufre chlore argon
19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30 31 32 33 34 35 36
K Ca Sc Ti V Cr Mn Fe Co Ni Cu Zn Ga Ge As Se Br Kr
potassium calcium scandium titane vanadium chrome manganèse fer cobalt nickel cuivre zinc gallium germanium arsenic sélénium brome krypton
37 38 39 40 41 42 43 44 45 46 47 48 49 50 51 52 53 54
Rb Sr Y Zr Nb Mo Tc Ru Rh Pd Ag Cd In Sn Sb Te I Xe
rubidium strontium yttrium zirconium niobium molybdène technétium ruthénium rhodium palladium argent cadmium indium étain antimoine tellure iode xénon
55 56 72 73 74 75 76 77 78 79 80 81 82 83 84 85 86
Cs Ba lanthanoïdes Hf Ta W Re Os Ir Pt Au Hg Tl Pb Bi Po At Rn
césium baryum hafnium tantale tungstène rhénium osmium iridium platine or mercure thallium plomb bismuth polonium astate radon
87 88 104 105 106 107 108 109 110 111 112 113 114 115 116 117 118
Fr Ra actinoïdes Rf Db Sg Bh Hs Mt Ds Rg Cn Nh Fl Mc Lv Ts Og
francium radium rutherfordium dubnium seaborgium bohrium hassium meitnérium darmstadtium rœntgenium copernicium nihonium flerovium moscovium livermorium tennessine oganesson

57 58 59 60 61 62 63 64 65 66 67 68 69 70 71
La Ce Pr Nd Pm Sm Eu Gd Tb Dy Ho Er Tm Yb Lu
lanthane cérium praséodyme néodyme prométhéum samarium europium gadolinium terbium dysprosium holmium erbium thulium ytterbium lutécium
89 90 91 92 93 94 95 96 97 98 99 100 101 102 103
Ac Th Pa U Np Pu Am Cm Bk Cf Es Fm Md No Lr
actinium thorium protactinium uranium neptunium plutonium américium curium berkélium californium einsteinium fermium mendélévium nobélium lawrencium

➜*HUEHGpDWRPHVHWSDUWLFXOHVGDQVOH*UDQGFROOLVLRQQHXU
GH+DGURQ /DUJH+DGURQ&ROOLGHU VLWXÆSUÅVGH*HQÅYH

164
CHAPITRE

Dans l’intimité
7
des plantes
Où la botanique est source d’inspiration

1 Le blé au four et au moulin . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 168


2 Le meilleur et le pire d’une graine . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 172
3 L’arbre du réconfort . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 176
4 (WUHYRLFL-XSLWHUDYHFGHVQRL[}. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 180
5 Bois d’œuvre et bois de chauffe . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 184
6 L’arbre inventeur du polystyrène . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 188
7 Les arômes des plantes. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 192
&KDSLWUH'DQVOpLQWLPLWÆGHVSODQWHV

QUAND LE LANGAGE DES PLANTES NOUS INSPIRE


/DFKLPLHGRLWEHDXFRXSDX[YÆJÆWDX[TXLOXLIRXUQLVVHQWGHJUDQGHVTXDQ-
WLWÆVGHVXEVWDQFHVRUJDQLTXHV(OOHOHXUGRLWPÇPHTXHOTXHVÆOÆPHQWV}OH
FDUERQH & GRQWODSUHPLÅUHIRUPHGLVSRQLEOHIXWOHFKDUERQGHERLVDLQVL
que le VRGLXP 1D HWOHSRWDVVLXP . TXLRQWÆWÆLVROÆVSDU+XPSKU\'DY\½
partir des cendres de certaines plantes, dont celles auxquelles on a justement
donné le nom de soude

Les plantes sont des chimistes


Les molécules d’origine végétale appartiennent à plusieurs grandes familles
FKLPLTXHV}
tOHVVXFUHVGRQWLOHVWEHDXFRXSTXHVWLRQDX[FKDSLWUHV}HWHQSDUWLFXOLHU
½SURSRVGHVWUDYDX[Gp(PLO)LVFKHU}
– parmi ces sucres, les polysaccharides sont des polymères (longues chaînes
d’unités répétitives), comme par exemple OpLQXOLQHYXHDXFKDSLWUH}WLUÆHGH
cette sorte de grande marguerite jaune qu’est la grande aunée, ou encore,
dans ce chapitre, l’amidonTXLMRXHXQUÑOHFRQVLGÆUDEOHGDQVOpDOLPHQWDWLRQ
KXPDLQH}
tOHVDOFRROVREWHQXVSDUIHUPHQWDWLRQGHVVXFUHVYÆJÆWDX[}l’alcool éthy-
lique, le plus connu de tous, et OpDOFRROPÆWK\OLTXHREWHQXSDUGLVWLOODWLRQGX
ERLVGpRÖOHVQRPVGXPÆWKDQHHWGHOpÆWKDQHDXFKDSLWUH}}
– les acides, dont le premier de tous est le vinaigre, comme on l’a vu au
FKDSLWUH}6RQQRPJUHFoxon, est à l’origine d’oxygène, et son nom latin,
acetum, à l’origine d’acide, et aussi de l’allemand Essigˆ}YLQDLJUH}˜(WFpHVW½
partir de Essigätherˆ}ÆWKHUGHYLQDLJUH}˜TXHOHFKLPLVWHDOOHPDQG/}*PHOLQ
DFUÆÆHQOHPRWester (Essigäther SRXUOHUÆVXOWDWGHOpÆTXDWLRQ}
acide + alcool ➝ ester + eau
tOHVOLSLGHV}FHQRPGXJUHFliposˆ}JUDV}˜GÆVLJQHOHVHVWHUVGpDOFRROVHW
d’acides gras, comme celui de l’huile de ricin½YHQLUGDQVFHFKDSLWUH}
tOHVEDVHVQRPPÆHVDXVVLDOFDOLVORUVTXpLOVpDJLWGHODsoude et de la potasse,
TXLRQWÆWÆORQJWHPSVWLUÆHVGHVYÆJÆWDX[FRPPHRQOpDYXDXFKDSLWUH

Des substances remontantes


Un alcaloïde est un produit d’origine végétale qui se caractérise par un fort
LPSDFWSK\VLRORJLTXHVXUOHVKXPDLQV&HQRPTXLDSSDUDËWHQDOOHPDQG
(Alkaloid HQVLJQLƂHˆ}TXLUHVVHPEOH½XQDOFDOL}˜&pHVWHQHIIHWXQH
PROÆFXOH D]RWÆH ½ SURSULÆWÆV EDVLTXHV 2Q D UHQFRQWUÆ DX FKDSLWUH  OD

166
La prodigieuse histoire du nom des éléments

caféine (du café et du thé), la théophylline (du thé) et la


WKÆREURPLQH GXFKRFRODW RQWURXYHUDODquinine, produit
WRQLTXHVpLOHQHVWGDQVFHFKDSLWUH
'pDXWUHVDOFDORÌGHVVRQWWUÅVFRQQXV}ODFRFDÌQHGHODFRFD
QRPDPÆULQGLHQ Gp$PÆULTXHGX6XGOpRSLXPGXSDYRW HQ
grec opion), dont on tire la PRUSKLQHRÖOpRQUHWURXYHOD
P\WKRORJLHJUHFTXH}0RUSKÆHGLHXGHVVRQJHVOpXQGHV
PLOOHHQIDQWVGp+\SQRVOHGLHXGXVRPPHLOOXLPÇPHƂOV
➜-HDQ1LFRW
GHOD1XLW  
Mais il serait dommage de ne pas citer également la nico-
tine, OpDOFDORÌGHGXWDEDFTXLGRLWVRQQRP½-HDQ1LFRW½ODIRLVXQGLSORPDWH
HWXQÆUXGLWTXLIXWOpLQWURGXFWHXUGXWDEDFHQ)UDQFHHWOHSÅUHGXThresor de
la langue francoyse tant ancienne que moderneSXEOLÆHQ

De véritables usines à molécules


'pDXWUHVSURGXFWLRQVYÆJÆWDOHVVRQWUHPDUTXDEOHV}
– l’écorce de noix contient la juglone, une molécule de la famille des
TXLQRQHV}
– la lignineGXERLVHVWXQHVRUWHGHUÆVLQHSKÆQROLTXHQDWXUHOOHHWLOVHUD
question du phénol et de résines phénoliques synthétiques au chapitre
VXLYDQW}
tODUÆVLQHGpXQDUEUHOHOLTXLGDPEDUHVWHQTXHOTXHVRUWHXQHSURGXFWLRQ
naturelle de styrèneELHQFRQQXHQWDQWTXHSURGXLWV\QWKÆWLTXH(WOpRQ
WURXYHUD½ODƂQGHFHFKDSLWUHXQHDXWUHIDPLOOHGHPROÆFXOHVOHVWHUSÅQHV

2GHXUVHWFRQLIÅUHV}OHVWHUSÅQHV
Les terpènes et polyterpènes
VRQW SUÆVHQWV GDQV EHDXFRXS
de plantes (par exemple les
conifères), et sont souvent
UHVSRQVDEOHV GH OHXUV RGHXUV
Ces molécules sont exploitées
dans la parfumerie et constituent
les principes actifs des huiles
essentielles (la menthe, le pin
V\OYHVWUHf  ➜+XLOHVHVVHQWLHOOHV

167
&KDSLWUH'DQVOpLQWLPLWÆGHVSODQWHV

1 Le blé au four et
au moulin
L’amidon et l’amylase

L’amidon est connu en Europe depuis


l’Antiquité grecque et romaine, époque à
laquelle il servait principalement à faire du
pain et des gâteaux.
➜L’amidon est appelé VXFUHOHQW

z
Faut-il une meule pour produire de l’amidon ?
Pour les Anciens, non : ils obtenaient l’amidon à partir du blé, dont les
grains entiers étaient mis à macérer dans l’eau, puis pressés et séchés au
soleil. Dans ce procédé le blé n’était donc pas moulu, ce qui explique le
nom du produit en grec ancien, amulon, formé avec le préfixe privatif
a- et l’élément -mulon, dérivé de mulê, « meule » : l’amidon était par
définition le produit obtenu « sans meule », par opposition à la farine.
Ce nom grec amulon devient en latin classique amylum, puis en latin
médiéval amidum, où le d remplaçant le l masque un peu le nom de la
meule (comme dans moudre, venant de l’ancien français moldre, lui-même
du latin molere). En outre, l’origine étymologique du mot a dû se perdre
de vue progressivement, d’autant plus que le procédé de fabrication
de l’amidon évoluait, le blé étant écrasé, broyé ou même moulu avant
la macération. Finalement, l’amidon de blé est produit aujourd’hui à
partir de farine, ce qui est en complète contradiction avec l’étymologie
du nom amidon. Une telle situation se rencontre avec beaucoup d’autres
mots dont le sens s’est éloigné du sens initial : par exemple, un album est
à l’origine un livre blanc (albus en latin), mais il reste ensuite un album,
même s’il n’est pas blanc.
C’est en tout cas du bas latin amidum que dérive le nom de l’amidon,
en français comme dans les autres langues romanes : italien amido,
espagnol almidón, où se voit l’influence de l’article arabe al…

168
/HEOÆDXIRXUHWDX}PRXOLQ

z
Un produit qui épaissit et qui rigidifie
Les noms de l’amidon en anglais (starch) et en allemand (Stärke) n’ont
manifestement pas l’origine gréco-latine trouvée dans les langues
romanes. Ils sont d’une origine germanique plus récente et ils se
rattachent à la même racine indo-européenne que l’adjectif stark,
signifiant « raide, rigide » en anglais, et « fort, solide, résistant » en
allemand. Cette fois, les noms sont motivés, non pas par le procédé
d’obtention, mais par les propriétés d’usage de l’amidon : un épaississant
ou, en dehors des usages alimentaires, un rigidifiant pour les textiles qui
sont amidonnés, ou empesés.

z
Un oiseau empesé ?
Étonnamment, les noms de la cigogne en anglais (stork) et en allemand
(Storch) se relient aussi à la même origine que l’adjectif stark, car cet
oiseau, particulièrement gracieux en vol, se caractérise au sol par
une sorte de raideur dans la démarche, comme si ses pattes étaient
amidonnées. À l’instar de l’amidon, la cigogne porte des noms très
différents dans les langues germaniques et dans les langues romanes :
cigogne, italien cigogna, espagnol cigüeña, issus du latin ciconia (qui se
prononçait kikonia), sans doute une onomatopée.

➜Les pieds de la cigogne paraissent amidonnés tellement


LOVVRQWUDLGHV

169
&KDSLWUH'DQVOpLQWLPLWÆGHVSODQWHV

z
Un langage commun pour la chimie
Si le nom de l’amidon varie beaucoup d’une langue à l’autre, celui de
l’amylase, l’enzyme de digestion de l’amidon, est très stable : amylase en
anglais, Amylase en allemand, amilasi en italien, amilasa en espagnol.
Même dans les langues non européennes, le nom de cette enzyme est
phonétiquement voisin (en japonais, アミラーゼ se prononce à peu près
comme amylase).
Ce mot amylase est basé sur le latin amylum et le suffixe -ase servant à
former les noms des enzymes.

D’OÙ VIENT LE MOT (1=<0(}?


Le mot allemand Enzym a été forgé en 1877 par le physiologiste allemand Kühne,
du grec en ˆ} GDQV} ˜ HW zumê ˆ} OHYDLQ OHYXUH GH ELÅUH} ˜ SRXU GÆVLJQHU XQH
SURWÆLQHFDSDEOHGHSURYRTXHURXGpDFFÆOÆUHUFpHVW½GLUHGHFDWDO\VHUXQHUÆDFWLRQ
ELRFKLPLTXH/HPRWHVWDGRSWÆGDQVEHDXFRXSGHODQJXHVHQDQJODLVenzyme, en
espagnol enzima…
Les enzymes par excellence sont donc celles qui assurent le levage d’une pâte ou la
IHUPHQWDWLRQGpXQHERLVVRQ HQODWLQfermentumˆ}OHYDLQIHUPHQW}˜ 'HSXLVODSOXV
KDXWH$QWLTXLWÆRQFRQQDËWOHVHIIHWVGHOHXUSUÆVHQFHfHWGHOHXUDEVHQFHFRPPH
dans le cas du pain azymeFpHVW½GLUHˆ}VDQVOHYDLQ}˜

z
Épilogue espérantiste
Heureusement en effet, pour désigner les noms des composés
chimiques relatifs à l’amidon, la terminologie internationale revient au
latin classique amylum en utilisant l’élément amyl(o)-, ou amil(o)-, ou
l’équivalent phonétique avec d’autres alphabets.
On voit bien le rôle que jouent toujours le latin et le grec dans la
communication scientifique et technique entre pays de langues
différentes. À ce propos, en espéranto, l’amidon se dit amelo.

170
/HEOÆDXIRXUHWDX}PRXOLQ

➜L’amidon, mélange de polymères (un enchaînement type de sa structure est représenté ici),
HVWREWHQX½SDUWLUGXEOÆ
,PDJH})RWROLDFRPDLUERUQH

➜0HXOHHWIRXU½SDLQ

171
&KDSLWUH'DQVOpLQWLPLWÆGHVSODQWHV

2 Le meilleur et
le pire d’une
graine
La ricinoléine, la ricine
et l’acide crotonique

La ricinoléine dérive de l’acide ricinoléique ;


c’est le constituant essentiel de l’huile
de ricin, extraite de la graine de ricin et
utilisée depuis l’Antiquité pour ses vertus
médicinales ou comme lubrifiant. Ce
sujet nous donne une nouvelle occasion
de remonter au latin et au grec, tout
en évoquant des métaphores assez
inattendues.
Le nom de la plante, ricin, dérive tout
➜L’acide ricinoléique est extrait du
simplement de son nom en latin, ricinus,
ricin (Ricinus communis  tout comme en espagnol (ricino) ou en
allemand (Rizinus), mais pas en anglais,
d’où vient la première surprise.

z
Du ricin… au castor
En anglais en effet, le ricin (la plante) se nomme castor plant, sa graine
castor bean, et son huile castor oil. S’agit-il vraiment ici du rongeur
nommé castor en français (du latin castor, du grec kastôr), alors que
son nom usuel en anglais est beaver (du germanique) ? En fait oui,
à la suite de confusions sans doute, car il existe chez le castor une
glande abdominale qui sécrète une substance huileuse, connue depuis
l’Antiquité sous le nom latin castoreum, du grec kastorion. L’emploi de
l’huile de ricin et du castoréum dans les mêmes usages médicinaux, ou

172
/HPHLOOHXUHWOH}SLUHGpXQHJUDLQH

comme lubrifiant, est sans doute à l’origine de l’anglais castor oil, « huile
de ricin », transposition du français « huile de castor ».

➜/HULFLQHVWDSSHOƈ}FDVWRUSODQW}˜HQDQJODLV

Mais attention aux faux amis ! En anglais, castor plant désigne le ricin,
tandis que le mot ricin, plus récent, désigne la ricine… une protéine
hautement toxique, contenue aussi, en petite quantité, dans la graine
de ricin. Un faux ami mortel en l’occurrence.

français anglais espagnol allemand


ricin castor plant ricino Rizinus

ricine ricin ricina Rizin

z
Du ricin… à la tique
La deuxième surprise, moins
sympathique peut-être, vient du
nom latin ricinus, qui désignait au
premier sens… la tique, ce vilain
acarien que redoutaient déjà
les Anciens, notamment pour ➜/DJUDLQHGHULFLQHWODWLTXHGXFKLHQEUXQH
leurs moutons ou leurs chiens. XQÆWUDQJHDLUGHIDPLOOH}
7LTXH}:LNLSÆGLD&&%<%5
Pourquoi cette métaphore ? $QGUÆ.DUZDWKDND

173
&KDSLWUH'DQVOpLQWLPLWÆGHVSODQWHV

Parce que la graine de ricin rappelle un peu une tique, par sa forme d’une
part, et même par sa couleur marbrée semblable à celle de certaines
espèces de tiques du chien. Une tique mâle est plus petite que la graine,
mais une tique femelle gonflée de sang est presque aussi grosse.
Le grand naturaliste suédois Linné a pérennisé en tout cas le double
sens du latin ricinus en classant le ricin dans le genre Ricinus tout en
donnant le nom d’espèce ricinus à la tique du mouton (Ixodes ricinus).

z
Du ricin… au croton
Le passage en latin de la tique
à la graine de ricin était en fait
inspiré du grec car Théophraste
(IIIe siècle avant J.-C.) donnait
déjà au ricin le nom krotôn, qui
au premier sens désignait… la
tique. L’évolution de sens du
latin ricinus est donc un calque
de celle du grec krotôn.
Mais l’histoire ne s’arrête pas
là car on a découvert, dans la
même famille que le ricin (les
euphorbiacées), des plantes ➜L’acide crotonique est extrait d’une espèce
dont les graines oléagineuses de croton (Croton tiglium 
)UDQ](XJHQ.ÓKOHU.ÓKOHUpV0HGL]LQDO3IODQ]HQt
ressemblent à celles du ricin, &UHDWLYHFRPPRQDWWULEXWLRQ
d’où les noms ricinus, ou
ricinoides, ou croton qu’on leur
donnait. Et Linné a clarifié ces appellations dans son Species plantorum
(1753), où le ricin est nommé Ricinus communis (resté à ce jour seul dans
son genre) et où apparaît le genre Croton (pour déjà treize espèces, alors
qu’on en connaît aujourd’hui environ… 1 200).

174
/HPHLOOHXUHWOH}SLUHGpXQHJUDLQH

Le croton le plus courant est Croton tiglium, une plante médicinale


originaire d’Asie subtropicale. On en tire l’huile de croton, constituée
principalement d’un dérivé de l’acide crotonique, d’ailleurs isolé en
1831 par Pelletier et Caventou, les découvreurs de la quinine (voir la
prochaine rubrique).

3285/(6&+,0,67(6}'8&52721$/$&52721,6$7,21
(QFKLPLHRUJDQLTXHOpREWHQWLRQGpXQDOGÆK\GHLQVDWXUÆSDUGÆVK\GUDWDWLRQHQα d’un
aldol se nomme une crotonisation, en référence au crotonaldéhyde, qui est insaturé, et
TXLVpREWLHQW½SDUWLUGHGHX[PROÆFXOHVGpDFÆWDOGÆK\GHVHORQXQVFKÆPDUÆDFWLRQQHO
GRQWODGHUQLÅUHÆWDSHHVWMXVWHPHQWODGÆVK\GUDWDWLRQGpXQDOGRO

➜6\QWKÅVHGXFURWRQDOGÆK\GH

2 2 aldolisation 2+ 2 crotonisation H 2
5 H -H2
5 H H H 5 H
5
DOGÆK\GHV 5 5
saturés aldol aldéhyde
insaturé
➜5ÆDFWLRQGHFURWRQLVDWLRQGDQVOHFDVJÆQÆUDO

z
Épilogue à tiroirs
En définitive, l’huile de croton est tirée d’une plante, le croton, dont la
graine, comme celle du ricin (castor plant en anglais), ressemble à une
tique, que les Grecs nommaient krotôn. Une étymologie qui réunit
des observations de chimie, de botanique et de zoologie, faites depuis
l’Antiquité.

175
&KDSLWUH'DQVOpLQWLPLWÆGHVSODQWHV

3 L’arbre du
réconfort
La quinine et la cinchonine

La saga de la quinine est un chapitre


remarquable de l’histoire des Espagnols
en Amérique du Sud, et de leurs
échanges culturels et linguistiques avec
➜Le
les Amérindiens.
quinquina, poudre de la comtesse
GH&KLQFKÐQRXGHVMÆVXLWHV}"

z
Une écorce miraculeuse
Les Espagnols installés dans la région du Pérou à partir des années
1540 ont sans doute remarqué que les Incas vivant dans les Andes
buvaient des infusions d’écorce d’un certain arbre, le quinquina, pour
lutter contre les états fiévreux1. Ils en ont déduit qu’un remède fébrifuge
pouvait être tiré de cette écorce, un peu comme de celle du saule, déjà
bien connue en Europe, et qui donnerait plus tard l’idée de l’aspirine.
Les Espagnols ont même pensé pouvoir tirer du quinquina un remède
contre le paludisme, ce fléau de l’Ancien Monde que les Européens,
inévitablement, apportaient en Amérique.
Ce sont en fait les jésuites, en particulier ceux qui étaient basés à Lima,
qui ont mené à bien les observations botaniques, les récoltes d’écorce et
les essais de traitements des malades. Le succès rencontré en Amérique
s’est poursuivi en Europe à partir des années 1630, jusqu’à ce que
l’écorce de quinquina devienne la source d’un important médicament
antipaludique, qui fut appelé parfois la poudre des jésuites.
L’histoire fut parfois enjolivée, comme par ce médecin de Gênes qui
publiait en 1663 un récit selon lequel la 4e comtesse de Chinchón, épouse

1. Rocco, Fiammetta, L’écorce miraculeuse, Le remède qui changea le monde, Noir sur Blanc, Paris,
2006 (traduit de The miraculous Fever-Tree, Harper-Collins, 2003), 322 p., p. 72.

176
L’arbre du réconfort

du vice-roi du Pérou, avait été guérie de la maladie par la précieuse


écorce « à la stupéfaction générale ». On a prouvé ensuite que ce récit était
fantaisiste, la comtesse étant décédée au cours de son retour vers Madrid,
mais l’histoire a eu la vie dure, au point que la poudre de quinquina a été
surnommée aussi poudre de la comtesse. Le grand botaniste Linné a même
déduit de Chinchón (en oubliant le premier /h/) le nom de genre Cinchona
des différentes espèces de quinquinas.

➜/DFRPWHVVHGH&KLQFKÐQUHFHYDQWGXYLFHURLOpLQIXVLRQGHTXLQTXLQDGHYDQWOp,QFDTXLHQ
UDSSRUWDLWOpÆFRUFH/HUDPHDXGXQuinquina jaune (Cinchona calisaya) pousse dans les Andes
HQWUH}HW}}PGpDOWLWXGH
7DEOHDX}:HOOFRPH/LEUDU\/RQGUHV}TXLQTXLQDMDXQH})UDQ](XJHQ.ÓKOHU.ÓKOHUpV0HGL]LQDO3IODQ]HQ
&UHDWLYH&RPPRQV$WWULEXWLRQ

z
D’où vient le nom quinquina ?
On lit dans plusieurs dictionnaires que quinquina, en français, est un
nom emprunté par l’intermédiaire de l’espagnol au quechua, la langue
amérindienne du Pérou, comme c’est le cas d’autres noms de végétaux
(hévéa ou quinoa…) ou d’animaux (condor, puma, lama, guanaco ou vigogne…).

177
&KDSLWUH'DQVOpLQWLPLWÆGHVSODQWHV

Cependant, son origine est moins simple que cela, et elle reste encore
incertaine. Tout d’abord, en espagnol, le nom du quinquina est quina,
et quina désignait déjà au Moyen Âge une plante asiatique, ou le remède
qu’on en tirait. Il est donc possible que les Espagnols aient réutilisé ce
nom quina, qui serait devenu dans la langue quechua quina-quina (d’où
quinquina), par un redoublement de type superlatif, pour la précieuse
écorce. Enfin, on a remarqué également que le nom de genre Cinchona se
prononce en latin kin’kona, ce qui s’entend à peu près comme kinkina…
En résumé, il est peut-être moins précis, mais plus exact, de retenir que
quinquina est d’origine d’hispano-quechua, résultant de la collaboration
entre les Espagnols et les Amérindiens. On a d’ailleurs longtemps utilisé
en français le nom quina tout court, à côté de quinquina. Ainsi Jean de
La Fontaine, Maître des eaux et forêts à ses heures, dédiait Le poème
du Quinquina (1682) à la duchesse du Bouillon (cela ne s’invente pas),
et lui recommandait avec enthousiasme : « Le Quina s’offre à vous, usez
de ses trésors. »

z
La chimie du quinquina
À l’orée du XIXe siècle, les chimistes
français Pelletier et Caventou ont
recherché les principes actifs dans
l’écorce de plusieurs espèces de
quinquinas. Après avoir isolé une
première substance active, qu’ils
ont nommée cinchonine (dérivé de
Cinchona), ils en découvraient une
seconde, plus active, à propos de
laquelle ils écrivaient en 1820 :
« Nous avons cru devoir la nommer
quinine, pour la distinguer de la
cinchonine par un nom qui indique
également son origine », quinine
étant dérivé de quina. Cette ➜6WUXFWXUHGHODquinine
découverte leur valut le titre de (en espagnol quinina, en anglais quinine, en
« bienfaiteurs de l’humanité ». allemand Chinin SUÆVHQWHGDQVOD}FÆOÅEUH
ERLVVRQCanada Dry Tonic Water.

178
L’arbre du réconfort

z
Épilogue tonique
La quinine a effectivement permis de faire régresser le paludisme
dans le monde et elle reste utilisée dans certains cas, même si d’autres
molécules le sont plus largement aujourd’hui.
En outre, on trouve toujours une petite dose de quinine dans des boissons
dites « toniques », comme le Canada Dry Tonic Water, le cocktail gin tonic
ou d’autres boissons réputées pour être requinquantes. Le quinquina est
requinquant ? Oui, mais pas étymologiquement, car requinquer pourrait
être une altération d’un ancien *reclinquer (mot non attesté par écrit)
dérivé de clinquer, qui aurait signifié « se donner du clinquant ».

➜&HWWHVWDWXH GH VXUOHERXOHYDUG6DLQW0LFKHO½3DULV


QRQORLQGHOD)DFXOWÆGHSKDUPDFLHUHSUÆVHQWHXQHIHPPHJXÆULH
de la fièvre grâce à la TXLQLQHGÆFRXYHUWHSDU3HOOHWLHUHW&DYHQWRX
3KRWR}07'LQK$XGRXLQ

179
&KDSLWUH'DQVOpLQWLPLWÆGHVSODQWHV

4 Et revoici Jupiter,
avec des noix !
La juglone et la lawsone

Les principes actifs d’origine végétale ont souvent un nom transparent :


la jasmone s’extrait du jasmin, le géraniol du géranium, le thymol du thym,
l’eucalyptol de l’eucalyptus ou le pinène du pin… Mais la plante qui se cache
sous le nom juglone ne saute pas aux yeux. Un ancien nom donné à cette
substance, nucine, est plus parlant : il fait penser à la noix, en latin nux, nucis.
La juglone est en effet une molécule présente dans les racines, l’écorce,
les feuilles et les fruits du noyer. Son nom (idem en anglais, juglona en
espagnol, Juglon en allemand) vient du latin juglans, juglandis, « noyer »
(d’où juglandine, un autre ancien nom de la juglone), dont l’origine est
un peu inattendue.

z
Ô noix du noyer, fruits divins d’un arbre royal !
Le latin nux, nucis, désignait la
noix, ou par analogie d’autres
fruits à coque, et pour éviter les
confusions, on employait des
qualificatifs : abellana nux pour
la noisette, pinea nux pour le
pignon de pin, ou encore juglans
nux pour la noix commune, qui
était le plus prisé de ces fruits. ➜'HV}EURXV}FRQWLHQQHQWGHV}QRL[juglans nux,
VRLWXQIUXLWGLYLQHPHQWERQ}
Or juglans vient de l’expression
latine Jovis glans, de glans,
glandis, « gland », ici « fruit sec », et Jovis, « de Jupiter », car ce fruit
était considéré comme digne du dieu suprême, un fruit divinement bon.
En latin, la noix se nommait donc nux, ou juglans nux, ou finalement
juglans tout court, qui désignait aussi chez Pline l’Ancien le noyer

180
/HPHLOOHXUHWOH}SLUHGpXQHJUDLQH

lui-même. Linné (1753) a créé le genre Juglans et nommé l’espèce du


noyer commun d’Europe Juglans regia, c’est-à-dire « noyer royal ».
Le nom juglone est donc formé de jugl(ans), « noix, noyer », et du suffixe
-one car cette molécule appartient à la famille des quinones, dont le nom
est dérivé de celui du quinquina (tout comme celui de la quinine vue à
la rubrique précédente).

z
D’autres termes en chimie provenant du nom de
la noix ?
Oui, et d’abord le mot noyau (atomique ou benzénique), qui vient de nux
par le bas latin nucalis, car la noix avec sa coquille est bien le noyau du
fruit cueilli sur l’arbre. Et il y a en outre des mots issus du latin nucleus
(lui-même dérivé de nux), qui désignait d’abord le cerneau de noix, puis
par extension un noyau. De nucleus viennent l’adjectif nucléaire et des
mots relatifs soit au noyau atomique (nucléide, nucléon…), soit au noyau
cellulaire (acide nucléique, dont l’ARN et l’ADN, où le N est bien celui
de noix).
Et en grec ? Le nom de la noix en grec était karuon, qui par extension
signifiait aussi « noyau », d’où en français l’élément caryo-, « noyau »,
qui apparaît dans le vocabulaire de la biologie relatif au noyau cellulaire :
les procaryotes, les eucaryotes et leur caryotype (où l’on retrouve l’ADN !).
Mais revenons au noyer.

z
Un arbre aux multiples usages
Depuis toujours, le noyer est apprécié pour son bois, ses noix, son
huile de noix, et même ses feuilles aux vertus médicinales. En outre,
la macération de l’écorce (le brou) de la noix aboutit au brou de noix,
auquel la juglone donne une belle coloration brune. Pline rapporte que
ce produit servait à teindre la laine, ainsi que les cheveux, ce dernier
usage étant similaire à celui du henné, tiré des feuilles du buisson du
même nom, et dont le principe actif, la lawsone, est d’ailleurs très voisin
de la juglone.

181
&KDSLWUH'DQVOpLQWLPLWÆGHVSODQWHV

➜La juglone du noyer (Juglans regia }HWODlawsone du henné


(Lawsonia inermisGpDSUÅV,VDDF/DZVRQQDWXUDOLVWHÆFRVVDLVGXXVIIIe VLÅFOH 

Le brou de noix a aussi servi à teinter le bois, et les artistes peintres en


ont tiré des encres et des couleurs brunes.
Mais Pline mentionne aussi, en exagérant un peu, que l’ombre « du
noyer est pénible et nuisible, même à l’homme, à qui elle donne mal à la tête,
et à tous les végétaux alentour ». Il est connu en effet que la végétation
pousse peu sous un noyer, ce qui est dû à une certaine toxicité de la
juglone. En fait, le véritable brou de noix ne s’utilise pratiquement plus
de nos jours. Il est remplacé par un produit d’une couleur très proche,
mis au point à partir du lignite, un charbon pauvre en carbone mais
riche en résidus ligneux (lignite vient du latin lignum, « bois », comme
lignine : voir la rubrique suivante). Les gisements de lignite situés près
de Cassel (Hesse), dans le centre de l’Allemagne, ont donné leur nom
à l’extrait de Cassel, qui permet de préparer une liqueur nommée brou de
noix, car elle en a la couleur2. Plus besoin donc de casser des noix avec
l’extrait de Cassel !

2. Perego, François, Dictionnaire des matériaux du peintre, Belin, Paris, 2005, 895 p., p. 140.

182
/HPHLOOHXUHWOH}SLUHGpXQHJUDLQH

z
Épilogue paradoxal
La juglone a donc un rapport chimique, et discrètement étymologique,
avec la noix, dont le nom est bien plus évident dans brou de noix, même
lorsque ce produit est tiré du lignite. Une contradiction que l’on a aussi
avec le nougat, du provençal nougo, « noix », car c’était jadis un mélange
de miel et de noix, toujours nommé ainsi bien que les noix aient été
remplacées par des amandes depuis environ quatre cents ans en France.

➜3HLQWXUHDXˆ}EURXGHQRL[}˜
:LNLSÆGLDOLFHQFH&&%<6$6700+%

183
&KDSLWUH'DQVOpLQWLPLWÆGHVSODQWHV

5 Bois d’œuvre et
bois de chauffe
La lignine, le lignite, la cellulose et le xylose

Nous allons voir qu’un mot peut changer de sens en voyageant, et que
d’autre part les noms du bois sont très variés en Europe…

➜/HVQRPVGHVERLVSHXYHQWHPSUXQWHUGLYHUVFKHPLQV

Le nom lignine apparaît en français dans la Théorie élémentaire de la


botanique3 du genevois Augustin de Candolle, qui créait ainsi un terme
scientifique pour ce qu’on nommait alors le corps ligneux, ou le ligneux
d’un végétal, ou tout simplement le bois dans le cas d’un arbre. Ce nom
nouveau était formé, comme l’adjectif ligneux, sur le latin lignum, « bois »,
mais avec le suffixe -ine d’une substance. Au fond, lignine était alors
pratiquement synonyme de bois, loin donc de sa signification actuelle.

3. de Candolle, Augustin Pyrame, Théorie élémentaire de la botanique, ou Exposition des principes de la


classification naturelle et de l’art de décrire et d’étudier les végétaux, Déterville, Paris, 1813, 527 p., p. 417.

184
Bois d’œuvre et bois de chauffe

Il n’y a pas de confusion possible en tout cas entre les doublets


étymologiques, la lignine et le lignite, nom attesté déjà en 1765, avec
le suffixe -ite d’un minéral, et désignant un charbon pauvre provenant
d’une décomposition incomplète de matières ligneuses.

z
Le bois, un matériau composite avant la lettre
C’est le chercheur français Payen qui met en évidence en 1838-1839
les deux composantes principales du bois : d’une part ce qu’il nomme
la cellulose, et d’autre part une matière enrobant cette cellulose, et qu’il
qualifie de « matière spéciale, qui serait le ligneux proprement dit ». On
remarque qu’il n’emploie pas le nom lignine, ni dans son sens initial de
1813, ni dans son sens actuel.
Bien plus tard, en 1856, le chercheur allemand Schulze s’inspire du
français lignine, encore peu usité, pour créer en allemand le nom Lignin,
désignant cette fois non pas le bois mais l’une de ses composantes : cette
matière enrobant la cellulose, appelée depuis lors en français lignine.
Le nom français lignine a donc pris sa signification actuelle après un
aller et retour par l’allemand. D’autre part, il s’est généralisé : lignin en
anglais, lignina en italien et en espagnol… ou par exemple リグニン en
japonais, ce qui se prononce à peu près comme lignine.

➜La
lignine est un SRO\PÅUHWULGLPHQVLRQQHOTXLVpDSSDUHQWH½XQHUÆVLQHSKÆQROLTXH
Un tissu végétal est ligneux lorsque la proportion de OLJQLQHGÆSDVV½}

185
&KDSLWUH'DQVOpLQWLPLWÆGHVSODQWHV

z
La lignine, la ligne… et le lin
Y aurait-il un rapport étymologique entre lignine, ligneux et ligne ? À
cause des lignes qui semblent dessinées sur la tranche du bois coupé,
comme si ligneux voulait dire « plein de lignes » ?
En fait ligne vient du latin linea, qui est simplement le féminin de
l’adjectif lineus, « en lin », dérivé de linum, « lin » : autrement dit,
étymologiquement, une ligne est un fil de lin, de même d’ailleurs
qu’un linge est un tissu de lin. Plus inattendu peut-être, dans l’industrie
chimique, on parle de liner (nom emprunté à l’anglais) pour désigner le
revêtement intérieur d’un tuyau ou d’un réacteur, mais au premier sens,
liner désigne en anglais la doublure, à l’origine en lin, d’un vêtement.
Cependant, le lin ne ressemble pas à du bois, et, de fait, lignum, « bois »,
ne vient pas du tout de linum, « lin ».

z
Deux noms pour le bois en latin
La véritable origine de lignum remonte au verbe latin legere, dont le
premier sens était « ramasser, cueillir », à cause du bois mort que l’on
ramasse pour alimenter le foyer. Étymologiquement, lignum désigne
donc le bois à brûler, par opposition à un autre nom latin, materia, qui
désigne la matière ou le matériau en général, et plus particulièrement
le bois en tant que matériau de construction. On retrouve d’ailleurs
ces deux noms en espagnol : leña, « bois à brûler », et madera, « bois
d’œuvre ». En revanche, en italien, legno s’emploie pour désigner, sans
distinction, le bois en général.

z
Encore d’autres noms du bois
Dans d’autres langues, le nom du bois n’est pas lié au fait qu’on le ramasse,
ni à ses qualités de matériau, mais simplement au fait qu’il vient des arbres
et que les arbres forment des forêts, grandes ou petites. Ainsi en français
bois, issu du francique *bosk, « buisson », désigne à la fois le bois en tant
que groupement d’arbres et le bois en tant que matériau. Il en est de
même en anglais avec wood, ainsi qu’en ancien allemand avec Holz, dont
le sens s’est finalement restreint en allemand moderne au bois matériau,
alors que Wald s’est imposé pour désigner les forêts et les bois.

186
Bois d’œuvre et bois de chauffe

En grec, hulê, à l’origine du suffixe -yle en chimie (voir le chapitre 1),


prend également toutes les significations depuis la forêt jusqu’au bois
matériau. L’autre nom grec du bois, xulon, désigne plutôt le matériau
et les objets en bois, d’où l’élément xyl(o)-, « bois », visible dans les
noms du xylène, découvert dans des produits de distillation du bois, et
du xylose, ou « sucre de bois », isolé à partir de composants du bois.

z
Épilogue multilingue
On constate une diversité spectaculaire des noms du bois, ne serait-ce
qu’à l’intérieur des langues d’Europe (hulê, xulon, legno, madera, bois,
wood, Holz), alors que le nom lignine, avec ses faibles variations d’une
langue à l’autre, est compris mondialement, comme de l’espéranto, où
d’ailleurs le bois se dit ligno.

➜¦JOLVHHQERLVDXPLOLHXGHVERLVQRUYÆJLHQV

187
&KDSLWUH'DQVOpLQWLPLWÆGHVSODQWHV

6 L’arbre inventeur
du polystyrène
Le styrène et le benzène

Le polystyrène, expansé ou pas, rend de nombreux services dans la vie


quotidienne, et de fait, le nom styrène est bien connu : même si l’on
n’est pas chimiste, on se doute bien que le styrène sert à fabriquer le
polystyrène. Ce nom est cependant connoté négativement, car on le
situe immédiatement dans la grande pétrochimie, dans la production
de masse de produits synthétiques. Or l’étymologie du nom styrène,
méconnue en général, lui donne pourtant une connotation que
d’aucuns jugeront plus positive, puisqu’elle renvoie à l’origine végétale
du produit.

z
Un produit « vedette de cinéma »
Étonnamment, le styrène est entré dans l’histoire du cinéma, avec
Le Chant du styrène, court-métrage d’Alain Resnais sorti en 1958, avec
le concours technique de feu la société Pechiney. Le commentaire
de ce petit film (visible aujourd’hui sur YouTube) est un poème écrit
par le surréaliste Raymond Queneau, plus connu pour avoir publié
Zazie dans le métro l’année suivante. Le Chant du styrène est donc aussi
un improbable chant poétique en alexandrins, où l’on trouve cette
évocation du styrène et de son origine pétrochimique :
« Le styrène est produit en grande quantité
À partir de l’éthylbenzène surchauffé. »
Queneau, qui aimait jouer avec l’étymologie, ajoutait peu après :
« Le styrène autrefois s’extrayait du benjoin
Provenant du styrax, arbuste indonésien. »
Ces vers suggèrent que styrène vient de styrax, ce qui est une certitude
en effet, mais nécessite quelque explication. Le même nom grec sturax,
puis styrax en latin, d’où styrax, parfois storax, en français, s’applique à
deux résines aromatiques voisines, dont l’une est tirée liquide de l’écorce

188
L’arbre inventeur du polystyrène

d’un grand arbre, alors que l’autre est une gomme solide sécrétée par
un arbuste4. Ce double sens de styrax ne pouvait que prêter à confusion.

z
Du benjoin au benzène
Considérons d’abord le styrax
solide, qui était brûlé comme
de l’encens dans l’Antiquité, et
qui était récolté principalement
sur un arbuste (Styrax officinalis
➜Benzène (à gauche) et VW\UÅQH ½GURLWH 
depuis Linné), appelé lui-même
styrax. D’autres arbustes du
même genre, les styrax au sens
large, produisent aussi une
gomme solide, comme le benjoin,
récolté sur le styrax benjoin (nom
latinisé en Styrax benzoin), dont
le nom remonte, par le catalan,
à l’arabe lubƗn-gƗwi, « encens de
Java ». Ce « benjoin » est donc
bien « indonésien », mais plutôt
qu’au styrène, son nom renvoie
visiblement au benzène : cette
résine contient en effet un acide,
➜/HEHQMRLQ Styrax benzoin HVWXQˆ}DUEXVWH isolé depuis la fin du XVIe siècle
LQGRQÆVLHQ}˜HWFpHVWGHVDUÆVLQHVROLGHTXpD et baptisé en 1787 benzoïque (du
été tiré l’acide EHQ]RÌTXHGRQWOHPRWbenzène
latin botanique benzoin). De là
vient l’élément benzo-, et benzène, où il est amusant de constater que le
/z/ est un avatar du /J/ de Java.

z
Du styrax liquide au styrène
Mais alors quid de styrène ? En fait, cette molécule n’a pas été trouvée
dans un styrax solide, mais au contraire dans un styrax liquide. Cette
résine, utilisée depuis toujours en pharmacie, provient de l’écorce

4. Amiguès, Suzanne, Le styrax et ses usages antiques, Journal des savants, n° 2, 2007, pp. 261-318.

189
&KDSLWUH'DQVOpLQWLPLWÆGHVSODQWHV

de grands arbres, appelés


aussi styrax dans l’Antiquité
et au Moyen Âge, mais dont
le nom moderne est liqui-
dambar. L’un des liquidambars
est présent en Europe du Sud
depuis l’Antiquité, et un autre
a été découvert en Amérique et
nommé par Linné Liquidambar
styraciflua, car s’écoule de son
écorce un styrax liquide de la
couleur de l’ambre jaune, comme
une sorte d’« ambre liquide »
(d’où vient justement le nom ➜Le Liquidambar orientalis produit le styrax
liquidambar, par l’espagnol). OLTXLGH

Et c’est de ce styrax liquide que le styrène


a été extrait par distillation. En 1831, dans
le Journal de Pharmacie, le chimiste français
Bonastre décrivait un liquide incolore
nouveau, qu’il qualifiait d’« huile volatile »,
et qui en fait contenait une majorité de
styrène. Plus tard, le pharmacien berlinois
Simon a repris ces travaux en poussant plus
loin la distillation jusqu’à obtenir un liquide
huileux de composition chimique définie.
Dans sa publication de 1839, Simon montre
que la structure chimique de ce produit est
➜)HXLOOHVHWIUXLWV de forme CnHn et il le nomme en allemand
GXOLTXLGDPEDU
styrol, de styr(ax) + öl, « huile ». D’autres
chercheurs montreront ensuite que n = 8 et établiront la structure
développée de la molécule. Ce nom styrol est resté en usage en allemand,
mais en français, la confusion possible avec un alcool, puisque son nom
se termine par –ol, a conduit à le modifier en styrolène et finalement
styrène, analogue de styrene en anglais, estireno en espagnol (où le styrax,
la résine, se dit estorace)…

190
L’arbre inventeur du polystyrène

z
Épilogue poétique
Pour conclure par un « à la manière de », l’étymologie de styrène tient
en deux alexandrins :
Le styrène venait du styrax, au départ,
Résine tirée du tronc des liquidambars.
Une étymologie rassurante pour certains, puisqu’elle confirme que
le styrène est bien une « invention » de la nature avant d’être une
production humaine.

➜'HOpÆFRUFHGX Liquidambar styraciflua s’écoule un styrax,


GpRÖSHXWÇWUHH[WUDLWOHVW\UÅQH

191
&KDSLWUH'DQVOpLQWLPLWÆGHVSODQWHV

7 Les arômes
des plantes
La népétalactone, la térébenthine,
le pinène, l’isoprène et autres terpènes…,
et l’acide téréphtalique

À propos de la menthe à chat, qui attire les félins, on peut lire :


« La népétalactone déclenche des phéromones sexuelles dans son cerveau, c’est
l’effet de ce terpène ». Serait-ce dans un traité de chimie ? Pas du tout :
c’est dans le roman d’Éric-Emmanuel Schmitt, L’élixir d’amour (2014),
qui a été adapté au théâtre, où l’emploi du mot terpène peut surprendre
un spectateur qui n’est pas féru de chimie.
Pour le chimiste en tout cas, un terpène est défini comme un hydrocarbure
d’origine naturelle, formellement dérivé d’unités isoprène (C5H8 ou
[CH2=C(CH3)CH=CH2] ; voir la figure page suivante). D’origine
naturelle ou non, les molécules possédant un tel squelette carboné avec
diverses variations possibles (réarrangements du squelette, présence
d’oxygène,…) sont appelées
isoprénoïdes (terpénoïdes dans le cas
particulier des dérivés oxygénés).
Mais dans l’usage courant, on
confond souvent isoprénoïde,
terpénoïde et terpène. D’ailleurs,
stricto sensu, la népétalactone
est un terpénoïde, mais on n’en
voudra pas à l’auteur qui la ➜'deDQV népétalactone, on reconnaît le nom latin
la menthe à chat, nepeta
qualifie de terpène.
Ce nom terpène pourrait indiquer une structure ternaire, un peu comme
un terpolymère est constitué de 3 monomères différents, mais cette idée
ne tient pas car le nombre d’isoprènes dans les molécules de terpènes
n’est absolument pas fixé à 3. Au contraire, un terpène est construit
avec 2 isoprènes si c’est un monoterpène (C10H16), avec 3 isoprènes si

192
/HVDUÑPHVGHV}SODQWHV

c’est un sesquiterpène (C15H24), où sesqui = un et demi, avec 4 isoprènes


si c’est un diterpène (C20H32), etc., jusqu’aux polyterpènes, tels que
le polyisoprène du caoutchouc naturel. C’est d’ailleurs à partir de ce
dernier polymère que l’isoprène a été isolé en 1860 (et nommé en
anglais isoprene, un nom donné sans explication, et resté énigmatique
depuis lors, ce qui est un cas inhabituel).
Sans rapport donc avec le chiffre 3, l’étymologie du nom des terpènes
réside en fait dans leur origine naturelle : les terpènes sont extraits
principalement de diverses résines végétales, les térébenthines.

z
Un nom d’origine allemande…
Le nom terpène est en effet l’adaptation en français (attestée en 1866)
de l’allemand Terpen, dérivé de l’allemand Terpentin, « térébenthine »,
et proposé en 1863 par le chimiste allemand Kekulé pour désigner les
monoterpènes en C10H16 tirés de l’essence de térébenthine5. Les noms
Terpen, terpène, terpene en anglais, terpeno en espagnol… ont pris ensuite
le sens actuel, qui est plus large, au-delà des stricts monoterpènes.
Le nom térébenthine fait penser
immédiatement aux conifères,
car c’est ainsi que l’on nomme
historiquement la résine des
pins, épicéas et autres résineux.
La térébenthine se sépare en un
résidu solide, la colophane et
une huile essentielle, l’essence
de térébenthine, de composition
variable selon les espèces
➜L’essence de WÆUÆEHQWKLQHLVVXHGHVFRQLIÅUHV végétales, mais comportant
contient un monoterpène appelé α-pinène
:LNLPHGLDt.HNND&UHDWLYHFRPPRQDWWULEXWLRQ toujours du pinène, en proportion
&&%< particulièrement importante
dans la résine de pin (d’où pinène,
du latin pinus, « pin »).

5. Kekulé, August, Lehrbuch der Organischen Chemie, Ferdinand Enke, Erlangen, 1863, t. 2, p. 464.

193
&KDSLWUH'DQVOpLQWLPLWÆGHVSODQWHV

On s’attend donc à ce que le nom térébenthine ait un rapport avec celui


du pin, ou du moins d’un conifère, mais c’est encore une fausse piste.

z
… qui remonte au grec
La térébenthine est connue depuis l’Antiquité. On l’extrayait certes
des conifères, mais aussi d’une autre source très importante, un arbuste
méditerranéen que le philosophe et naturaliste grec Théophraste
nommait terminthos, devenu en grec tardif terebinthos, peut-être sous
l’influence du grec erebinthos, « pois chiche ». Cet arbuste est un
pistachier, nommé en latin terebinthus, puis en français pistachier téré-
binthe : il produit de petites pistaches, qui peut-être ont été confondues
avec des pois chiches, et surtout une résine abondante, nommée tere-
binthinê en grec, puis, par le latin, térébenthine en français, Terpentin en
allemand, turpentine en anglais…, pour désigner la résine de cet arbuste
et plus généralement de tous les résineux, dont les conifères.

z
Les dérivés de la térébenthine… et de son nom
Depuis toujours, on a distillé la térébenthine pour obtenir divers
dérivés plus ou moins volatils, nommés par exemple térébène,
térébenthène, acide térébique… dans les publications françaises des
environs de 1840. Puis en 1846, le chimiste français Cailliot, en
oxydant l’essence de térébenthine par l’acide nitrique, obtenait trois
nouveaux acides organiques qu’il qualifiait de téréphtalique, térében-
zique et téréchrysique, ce qui revenait à considérer l’élément téré-
comme un préfixe. Kekulé, tout en créant le nom collectif Terpen,
désignait des terpènes particuliers sous des noms comme Tereben,
Terebenten…, à la suite des publications françaises.
Cependant, alors que le nom Terpen a été adopté dans toutes les langues,
la plupart des noms dérivés de téré(bent)- ont été abandonnés : ils ont été
remplacés par des noms plus spécifiques, comme pinène, limonène, etc.
Il y a tout de même une exception notable avec le nom de l’acide téré-
phtalique, acide qui a pris une importance industrielle considérable pour
la synthèse des polyesters les plus utilisés dans les fibres textiles et les
matières thermoplastiques.

194
/HVDUÑPHVGHV}SODQWHV

z
Épilogue historique
On emploie donc couramment en chimie deux noms qui renvoient à
la térébenthine : acide téréphtalique et terpène. Avec du recul, on peut se
dire que le nom térébène aurait été plus naturel que terpène en français,
mais ce nom terpène a le mérite de rappeler les travaux de Kekulé publiés
en allemand.

➜'XSLVWDFKLHUWÆUÆELQWKHf½ODERXWHLOOHHQ3(7HQSDVVDQWSDUl’acide WÆUÆSKWDOLTXH
3LVWDFLDWHUHELQWKXV:LNLPHGLDtJUHIIHUQHW&UHDWLYHFRPPRQDWWULEXWLRQ&&%<6$

Enfin, l’acide téréphtalique sert à fabriquer le polyéthylène téréphtalate, le


polyester plus couramment désigné par le sigle PET, où le T est donc
l’initiale du nom terminthos, que Théophraste donnait à un pistachier
résineux au IIIe siècle avant J.-C. Un raccourci un peu rapide à travers
2 300 ans d’histoire.

➜/HVFRQLIÅUHVVRQWULFKHVHQWHUSÅQHV

195
&KDSLWUH'DQVOpLQWLPLWÆGHVSODQWHV

➜%URFÆOLDQGHHVWXQHIRUÇWP\WKLTXHTXLDSSDUDËWGDQVOHVOÆJHQGHVGXURL$UWKXU
2QSHXW\WURXYHU0HUOLQOpHQFKDQWHXUOHVIÆHV0RUJDQHHW9LYLDQHDLQVLTXHFHUWDLQV
FKHYDOLHUGHODWDEOHURQGH
3KRWR}&57%%HUWKLHU(PPDQXHO

196
CHAPITRE

Histoires animalières
8
Où se rencontrent la zoologie et la chimie

1 Un malin, ce renard . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 200


2 Le beurre et l’acide du beurre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 204
3 Le nom qui convient au poil . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 208
4 Une découverte dans le foie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 212
Chapitre 8 : Histoires animalières

HISTOIRES ANIMALIÈRES

Le renard, vedette des bestiaires au cours des âges


La littérature est jalonnée de bestiaires remarquables, dont le
plus ancien sans doute remonte au VIe siècle avant J.-C., celui
des fables d’Ésope. On recense environ 360 de ces fables,
GRQW SUÅV GH  VRLW XQ SHX SOXV GH }   PHWWHQW HQ
scène des animaux. Et la vedette incontestée de ces histoires
animalières, c’est le renard, qui joue un rôle dans pas moins ➜Ésope et
OH}UHQDUG
de 42 fables. À ce propos, la seule représentation ancienne Musées du
que l’on connaisse d’Ésope, personnage à la fois historique Vatican. Free
Art-licence.
et légendaire, le montre conversant avec un renard (une terre
cuite du VeVLÅFOHDYDQW-& 
(WSDUODVXLWHOHUHQDUGPDOLQHWPDOÆƂTXHHVWUHVWÆOHKÆURVGHQRPEUHXVHV
histoires, dont l’emblématique Roman de Renart, d’où vient le nom même
de cet animal en français. Et ce n’est sans doute pas un hasard si le renard
apparaît de multiples façons dans la rubrique qui suit.

➜/H5RPDQGH5HQDUW HQOXPLQXUHGHPDQXVFULW 

D’autres animaux en chimie


On a trouvé le loup légendaire à propos du tungstène, dont le symbole W
rappelle son nom en allemand, Wolf FKDSLWUH DLQVLTXHOHcastor à propos
GHOpKXLOHGHULFLQ FKDSLWUH 2QWURXYHUDDXFKDSLWUHOD fourmi à propos
de l’acide formique.
D’une manière générale, on rencontre beaucoup plus de plantes que d’animaux
dans les noms de la chimie. On a vu par exemple dans la dernière rubrique
que le nom d’origine végétale de l’acide valérique a été préféré à des noms
relatifs au dauphin ou au marsouin, proposés auparavant par le chimiste
français Michel-Eugène Chevreul. Mais celui-ci fut plus heureux dans le choix
des nombreux autres noms de produits, notamment d’acides gras d’origine
animale, comme on le verra dans la deuxième rubrique de ce chapitre.

198
La prodigieuse histoire du nom des éléments

Ainsi, outre l’huile de dauphin, Chevreul a étudié aussi l’huile tirée du blanc
de baleine, extrait de la tête des cachalots et autres cétacés, qu’il a nommée
en 1816 cétine, du latin cetus, cetiˆ}EDOHLQHFDFKDORWFÆWDFÆ}˜'HODFÆWLQH
a été tiré l’alcane en C16, le cétane. C’est ainsi que le nom de la baleine est
sous-jacent dans l’indice de cétane, équivalent pour le carburant diésel de
l’indice d’octane pour l’essence.
Attention à ne pas confondre le cétane avec une cétone, nom dérivé (par
DSKÆUÅVH GHacétone, lui-même venant de l’acide acétique, du latin acetum
ˆ}YLQDLJUH}˜YUDLPHQWVDQVUDSSRUWDYHFXQHEDOHLQH

D’autres noms liés au règne animal


Dans la chimie des corps gras, le lait est une matière première essentielle.
Ses noms en grec, gala, galactos, et en latin lac, lactis, sont apparentés. Du
grec vient le nom du galactose, un isomère du glucose, et du latin vient le
nom du lactose, une molécule composée justement d’une unité glucose et
une unité galactose, qu’une enzyme est capable de séparer, la lactase. C’est
grâce à cette enzyme qu’on peut ainsi digérer le lait, enzyme que les individus
n’ont pas tous dans la même quantité dans l’organisme (voir l’étymologie de
enzymeFKDSLWUH 

CH2OH CH2OH
Lactose O OH Glucose O
Lactase OH
CH2OH OH
CH2OH
OH OH OH
O O OH O
OH OH OH OH
OH
Galactose
OH OH

Le métabolisme des animaux fait intervenir un grand nombre de protéines et


de sucres, dont on trouvera deux exemples, respectivement dans la 3e et la
4e rubrique de ce chapitre.
Et c’est donc avec le renard que commencent nos histoires animalières.

199
Chapitre 8 : Histoires animalières

1 Un malin,
ce renard
La fuchsine

L’histoire de la fuchsine
commence avec les
travaux du chimiste
lyonnais Verguin, qui
dépose en 1858 un
premier brevet pour
la fabrication d’une
m a t i è r e c o l o r a n t e ➜Fleurs de fuchsia et molécule de fuchsine.
Licence CC-BY-SA-2.5, André Karwath aka.
violette par oxydation
au bichromate d’un mélange d’aniline et d’autres composés aminés
(comportant l’atome d’azote, N).
Mais Verguin vend rapidement son brevet aux frères Renard, teinturiers
à Lyon, qui modifient le procédé avec le chlorure d’étain comme
oxydant et déposent le brevet du 8 avril 1859 pour la « Préparation et
emploi de la Fuchsine, nouvelle matière colorante rouge ». Le nom fuch-
sine apparaît donc pour la première fois dans ce brevet, où les auteurs
précisent : « Nous désignons cette matière sous le nom de Fuchsine à cause de
sa ressemblance à la couleur de la fleur du Fuchsia ».
On ne peut pas être plus clair. Il est même rare que l’on dispose d’une
preuve aussi explicite de l’origine d’un nom, et malgré cela, un certain
nombre d’ouvrages présentent l’étymologie de fuchsine comme incertaine.

z
Une double origine ?
On lit dans la dernière édition du Dictionnaire de l’Académie française
que fuchsine vient probablement de fuchsia, et dans le Trésor de la Langue
Française que fuchsine vient soit de fuchsia, soit de Fuchs, le nom des frères
Renard en allemand. Pourtant, à la lecture du brevet de 1859, dont tous

200
8QPDOLQFH}UHQDUG

les mots ont sûrement été pesés, il apparaît bien que fuchsine dérive de
manière certaine de fuchsia. Cependant, il est non moins certain que
les frères Renard n’ont pas pu envisager, puis décider, d’adopter ce
nom commercial de fuchsine sans penser à un moment ou à un autre au
rapprochement que l’on ne manquerait pas de faire avec leur propre
nom en allemand, d’autant plus que la chimie allemande occupait déjà
à cette époque une place de premier plan.
En conclusion, le nom fuchsine découle explicitement de fuchsia, mais
il rappelle aussi, implicitement, le nom des détenteurs du brevet. On
peut même se demander si les frères Renard n’ont pas cherché, par le
choix de fuchsine, même motivé par la couleur, une manière de marquer
en même temps leur propriété sur une innovation issue des travaux
de Verguin.

z
Renard, y es-tu ?
Le nom de cet animal est sous-jacent dans fuchsia, nom créé en 1703
en l’honneur de l’illustre botaniste allemand Leonhart Fuchs, dont le
nom rappelle quelque lointain ancêtre, comparé pour une raison ou
une autre à un renard. On s’explique de la même façon l’existence des
noms de familles Fox (« renard » en anglais) et Vos (« renard » en
néerlandais), ou Devos, qui signifie « le renard ». En revanche, et cela
semble paradoxal, le plus probable est que le nom des frères Renard ne
provienne pas du nom de l’animal.
En effet, l’équivalent de Fuchs, Fox ou Devos
dans les noms français est plutôt Goupil, ou
Legoupil, où l’on reconnaît goupil (du latin
vulpiculus, diminutif de vulpes, « renard »), le
nom du renard en ancien français, qui prévalait
dans la période où se formaient les premiers
noms de familles. C’est seulement à la suite
➜Le goupil du Roman de Renart.
de l’immense succès populaire du Roman de Licence CC-BY-SA-2.5, Frithjof
Renart au XIIe siècle que le nom renart, puis Spangenberg.

renard, a supplanté progressivement goupil


dans la langue française. Il en résulte que Renard, qui fait partie des cent
noms de familles les plus fréquents en France, est le plus souvent le nom

201
Chapitre 8 : Histoires animalières

qui existait avant le XIIe siècle, et plus rarement le nom de l’animal, pour
des noms de famille de formation plus récente. Autrement dit, c’est le
nom que portaient les frères Renard qui aurait été donné à l’animal
plutôt que l’inverse !

z
Un nom prometteur
L’étymologie consistant à remonter
le plus loin possible dans l’histoire
des mots, on peut s’interroger
maintenant sur l’origine du nom
Renard lui-même : il fait partie de
tous ces noms français d’origine
germanique (souvent franque)
qui ont été des noms de baptême
fréquents à partir du IXe siècle. Ces
noms sont en général formés sur
deux racines germaniques : ainsi
Renard, en latin médiéval Ragi-
nardus, est formé sur les racines
ragin, « conseil, avis », et hard,
« dur, fort » (cf. les noms en -ard,
évoquant la force, d’un ours pour
Bernard (ours se dit Bär, Baren en
allemand), d’un sanglier pour Evrard
(sanglier se dit Eber en allemand),
d’un lion pour Léonard…). Renard
évoque donc « fort en conseil »,
c’est-à-dire « futé, astucieux », et il
n’est pas étonnant que les auteurs
du Roman de Renart aient nommé
ainsi leur héros, le goupil. C’est par
la démarche inverse que, beaucoup
plus tard, on donnera à Volpone le ➜Volpone, créé en 1606 par Ben Jonson,
nom du vieux renard en italien et à HW=RUURFUÆÆHQSDU-RKQVWRQ
McCulley, avec le renard dans leurs noms,
Zorro le nom du renard en espagnol. sont les successeurs lointains du héros
du Roman de Renart.

202
8QPDOLQFH}UHQDUG

Ainsi, du goupil du Roman de Renart au Moyen-Âge au justicier espagnol


Zorro (1919) de l’écrivain américain Johnson McCulley, en passant
par le cynique italien Volpone de la comédie de Ben Jonson (1606), le
renard est un animal qui a toujours été associé à la ruse.

z
Épilogue ingénieux
En conclusion, le nom de la fuchsine est lié avec certitude à la couleur
du fuchsia, et il rappelle sans doute aussi le nom de ses inventeurs,
Renard, qui, si l’on va jusqu’au bout de l’étymologie, évoque en outre
toute l’astuce et l’ingéniosité qu’il a fallu déployer pour mettre au point
et développer ce produit, toujours utilisé aujourd’hui, surtout comme
réactif en biologie.

➜Le renard cache une étymologie bien rusée.

203
Chapitre 8 : Histoires animalières

2 Le beurre et l’acide
du beurre
L’acide butyrique, le butane,
les acides caproïque, caprylique, caprique,
et le caprolactame

Le nom du butane est connu de tous, même de ceux qui ne font pas
de camping ! Mais connaît-on son origine ? L’un des mérites de
l’étymologie est de révéler parfois des liens inattendus entre des mots
employés dans des contextes très différents : en l’occurrence, on ne
s’attend peut-être pas à trouver ici le nom d’un animal familier caché
sous le terme de butane.
L’histoire commence au début du XIXe siècle avec les travaux sur les
corps gras du chimiste Chevreul1, né en 1786 et mort à l’âge respectable
de 102 ans.

➜0LFKHO(XJÅQH&KHYUHXO  FKLPLVWHIUDQÄDLVPHPEUHGHOp$FDGÆPLHGHV6FLHQFHV


Médaille du centenaire de sa naissance.
Wikipédia, licence CC-BY-SA-3.0, Selvejp.

1. Chevreul, Michel-Eugène, Recherches chimiques sur les corps gras d’origine animale, Levrault, Paris,
1823, 485 p., p. 215.

204
Le beurre et l’acide du beurre

z
Un nom prédestiné
Le nom de famille Chevreul fut sans doute à l’origine un sobriquet
désignant un homme agile comme un chevreuil, du latin capreolus,
« chevreuil », dérivé de capra, « chèvre ».
Or, dans son étude des années 1810 sur la composition des corps gras,
Chevreul nomme respectivement acide caproïque et acide caprique deux
des constituants du beurre, à cause de leur odeur de chèvre caractéristique.
Plus tard, on s’apercevra que l’acide nommé « caprique » était en fait un
mélange de deux acides, auxquels on a conservé le nom d’acide caprique
pour l’un, et qu’on a nommé acide caprylique pour l’autre.
En définitive, nous connaissons aujourd’hui grâce à Chevreul les
acides caproïque (à 6 carbones), caprylique (à 8 carbones) et caprique (à
10 carbones), et l’on voit ainsi quatre noms dont le rapport avec la
chèvre est transparent.
C’est ainsi que le nom de la chèvre transparaît dans celui du capro-
lactame, à 6 carbones, basé sur l’acide caproïque, qui est la matière
première du polyamide 6, aussi nommé nylon 6.
Mais tout cela ne nous dit rien sur le nom du butane ni sur l’animal qui
s’y cache.

z
Une recherche sur le beurre
Les travaux de Chevreul lui ont permis H H H H H H H O
d’isoler également l’acide gras à H C C C C H H C C C C
H H H H H H H O H
4 carbones, qu’il a nommé acide buty-
➜Le butane et l’acide butyrique.
rique (il écrivait alors <butirique>),
dérivé du latin butyrum, « beurre »,
à cause de son odeur caractéristique du beurre rance. Par la suite,
l’élément but(y)- a été repris pour former les noms des molécules à
4 carbones, dont, avec le suffixe -ane des alcanes, celui du butane.
Du latin butyrum viennent le nom du beurre en anglais, butter, en
allemand, Butter (de l’anglais), et en français, beurre, avec la disparition
du t de butyrum (que les linguistes nomment « chute de la consonne
intervocalique », un phénomène habituel en français). De ce fait, le lien

205
Chapitre 8 : Histoires animalières

entre les noms du butane et du beurre est plus visible en anglais et en


allemand qu’en français, cependant qu’il est carrément insoupçonnable
en espagnol, où le beurre se dit mantequilla (d’origine incertaine, sans
rapport avec le nom latin du beurre).
Mais nous n’avons toujours pas le nom de l’animal recherché.

z
Du fromage au beurre
C’est l’étymologie du latin butyrum, « beurre », qui donne la solution,
car ce nom est emprunté au grec bouturon, formé des éléments bou- et
-turon, où -turon dérive du grec turos, « fromage », et bou- dérive du grec
bous, « bovin, bœuf ou vache », ici « vache » bien sûr. Le grec bouturon
signifie donc étymologiquement « fromage de vache », et l’on découvre
que c’est finalement la vache qui se cache sous le nom butane.

z
Épilogue pour du beurre
Étymologiquement, parler du beurre de vache relèverait en quelque sorte
du pur pléonasme, alors que parler du beurre de chèvre, étudié aussi par
Chevreul, serait incongru ! Mais naturellement, c’est l’usage qui prime
sur l’étymologie.

206
Le beurre et l’acide du beurre

➜Sous butane se cache le nom grec de la vache !

207
Chapitre 8 : Histoires animalières

3 Un nom qui
convient au poil
La kératine et le kérosène

Molécule
Les cheveux se composent à 95 %
de kératine d’une protéine fibreuse nommée
Protofibrilles
kératine.
Ce nom kératine est un terme
Microfibrilles
scientifique, mais il est bien connu
Macrofibrilles
et même familier du grand public
car un bon nombre de marques de
shampooings et autres produits de
Cortex cosmétique affichent sur les emballages
Moelle le mot Kératine, ou Keratin, ou un nom
Cuticule dérivé comme Phytokératine®, Keraliss®,
➜Lecheveu a une structure
Kérastase®…
microfibrillaire basée sur des
molécules de kératine, des protéines
Tous ces produits sont destinés aux
contenant 18 acides aminés. soins du cheveu, dont le nom vient du
&RXSHGHFKHYHX}†&HQWUH&ODXGHUHU
latin capillus, « cheveu, chevelure »,
d’où aussi l’adjectif capillaire. Mais on voit bien que kératine ne dérive
pas de capillus, ni d’ailleurs du grec thrix, trikhos, « poil, cheveu », ni
non plus du grec komê, « chevelure », auquel on pouvait penser (de komê
vient komêtês, comète, dont la queue dans le ciel est comparée à une
chevelure). On s’aperçoit finalement que le nom kératine ne renvoie pas
au cheveu, mais… à la corne.

z
Les cheveux n’ont pas l’exclusivité de la kératine
C’est en 1827 qu’apparaît le nom Keratin dans une publication du
biochimiste allemand Hünefeld, qui présente ce nom comme synonyme
de Hornsubstanz (« substance de la corne ») et qui a donc visiblement formé
Keratin sur le grec keras, keratos, « corne ». En effet, Hünefeld expose que la

208
Un nom qui convient au poil

➜Kérastase®, ligne de produits capillaires de L’Oréal.


†/p2UÆDO

kératine est le composant constitutif des « cornes, sabots, griffes, ongles, plumes,
écailles et plaques (de carapace) » de certains animaux, et qu’on la trouve chez
les humains dans les ongles, les cheveux et aussi l’épiderme.
Le nom de la kératine est donc né en allemand, Keratin, lui-même
emprunté par les autres langues, dont l’anglais keratin (attesté en 1850)
et le français kératine, cité dans le supplément de 1892 du dictionnaire
Wurtz, qui employait encore en 1876 épidermose, le premier nom donné
en français à la kératine. À ce propos, la kératinisation de la peau peut
aboutir à une kératose. En revanche, kératite désigne une inflammation
de la cornée de l’œil, du grec keratoeidês, « cornée », c’est-à-dire
« (membrane) semblable à de la corne », tout comme le mot cornée
lui-même dérive du latin cornu, « corne ».

z
Intermède inspiré par l’indo-européen
On a pu remarquer plus haut que la corne en allemand se dit Horn,
avec l’initiale [h] là où c’est un [k] en grec (keras) et en latin (cornu,
d’où le français corne). C’est l’occasion de mentionner que cette même
correspondance se constate dans toute une série de mots issus de racines
indo-européennes commençant par la consonne notée *kw-, évoluant

209
Chapitre 8 : Histoires animalières

vers [k] en grec et en latin, et vers [h] dans les langues germaniques. Par
exemple, les noms du chien (grec kuôn, latin canis et allemand Hund), et
aussi quelques noms en rapport avec celui de la corne : le cerf, animal
cornu par excellence (même s’il porte… des bois !), et le cerveau, situé
dans le crâne, d’où sortent les cornes des animaux :
grec latin français allemand
keras cornu corne Horn
keraosˆ}FRUQX}˜ cervus cerf Hirsch
karaˆ}WÇWH}˜ cerebrum cerveau Hirn

On voit que le k initial grec est conservé dans kératine, un mot forgé au
XIXe siècle, alors qu’une évolution « naturelle » à partir du grec keratinos,
« relatif à la corne », aurait pu, théoriquement, conduire à cératine en
français et Heratin en allemand. Mais pour revenir à la chimie, à propos
de nom commençant par kér-, et si l’on ne redoute pas le coq à l’âne,
le mot kérosène vient à l’esprit.

z
Épilogue et rapprochement incongru
Le nom kérosène est apparu vers 1850 aux États-
Unis pour désigner un hydrocarbure destiné à
l’éclairage, le pétrole lampant, inventé par le
géologue américain Gesner (c’est un siècle plus
tard que le kérosène sera le carburant des avions).
Mais l’élément ker- de kérosène est-il celui de
kératine ? Non, le kérosène est plus visqueux que
l’essence, sa consistance se rapproche de celle
d’une cire, et il a concurrencé la cire de bougie.
C’est pourquoi kérosène est formé sur le grec
kêros (țȘȡȩȢ), « cire (d’abeille) », sans rapport ➜La cire d’abeille (en grec
avec keras (țȑȡĮȢ), « corne ». Pas plus de rapport kêros SHXWÇWUHERQQHSRXU
la kératine (du grec keras }
étymologique donc que de rapport sémantique †DWDQJDIU
entre kératine et kérosène. Tout au plus peut-on
remarquer, même si c’est un peu tiré par les cheveux, que la cire d’abeille
s’emploie dans certains produits comme des gels capillaires.

210
Un nom qui convient au poil

➜La kératine est le composant constitutif des cornes et des poils.

211
Chapitre 8 : Histoires animalières

4 Une découverte
dans le foie
L’héparine

➜Quel est le rapport entre OpKÆSDULQHHWOHVRLHV}"

Le nom de ce puissant anticoagulant apparaît en 1918 dans une


publication américaine où le nom anglais heparin est créé à partir
du grec ancien hêpar, « foie »2. Ce nom anglais a été adapté dans les
autres langues : héparine en français, Heparin en allemand, heparina en
espagnol, eparina en italien…
Le nom héparine est donc de la même famille que l’adjectif hépatique
(déjà en grec, hêpatikos, « relatif au foie »), ou que le nom de l’hépatite.
Pourtant, cette molécule n’est pas sécrétée exclusivement par le foie.

2. Howell, William et Holt, Emmett, Two new factors in blood coagulation – heparin and
pro-antithrombiin, American Journal of Physiology, 47, 1918-19, p.;328.

212
Une découverte dans le foie

Elle est au contraire présente dans la plupart


des organes chez les mammifères : ainsi
aujourd’hui, c’est principalement de l’intestin
de porc que l’héparine commerciale est tirée.
Le lien entre hêpar et héparine a donc un côté
fortuit : il rappelle seulement que l’activité
anticoagulante de l’héparine a été découverte
(en 1916) à partir d’extraits de cellules de foie,
du chien en l’occurrence. ➜L’héparine.

Mais ce qui pique la curiosité, s’agissant d’étymologie, c’est le grand


écart de forme entre hêpar en grec ancien et foie en français. En outre,
l’anglais liver, « foie », est encore tout différent alors que même en
grec moderne, sukôti, « foie », n’a pas non plus de rapport avec hêpar :
et l’on s’aperçoit alors que, contre toute attente, sukôti dérive de sukon,
le nom grec… de la figue.

z
Le foie dans l’Antiquité
Les Anciens accordaient une importance primordiale au foie chez
l’homme. Lors des sacrifices d’animaux, les prêtres examinaient les
entrailles, plus particulièrement le foie, dont chaque partie était dédiée
à tel ou tel aspect de la divination.

➜Maquette en bronze d’un foie de mouton (autour du IIeVLÅFOHDYDQW-& 3LÅFHGpRULJLQHÆWUXVTXH


HWWURXYÆH½3ODLVDQFH ,WDOLH 

213
Chapitre 8 : Histoires animalières

➜/HFRPEOHFpHVWTXHOpRQDSSUÆFLHDXMRXUGpKXLOHIRLHJUDVf½ODILJXH}

Les sacrifices d’animaux étaient suivis de repas rituels, où sans doute


on pouvait joindre l’utile (religieux) à l’agréable (gastronomique). Le
foie était considéré comme un morceau de choix, souvent agrémenté
de figues. En outre, les Grecs pratiquaient déjà le gavage des oies,
de préférence avec des figues, et ils obtenaient ainsi un foie gras très
apprécié, qu’ils nommaient hêpar sukôton, c’est-à-dire « foie à la figue ».
Le côté culinaire l’emportant progressivement, on a désigné le foie
de moins en moins par le nom hêpar, qui s’est spécialisé dans l’usage
religieux ou médical, et de plus en plus par sukôton (adjectif devenu
substantif), d’où finalement sukôti, « foie », en grec moderne.
Les Romains ont poursuivi les traditions grecques et cela explique que
le latin ficatum, dérivé de ficus, « figue, figuier », ait désigné d’abord le
foie gras d’oie, puis finalement le foie en général. Et c’est de ficatum
que viennent les noms du foie en italien, fegato, et en espagnol, hígado
(avec le passage de /f/ à /h/ fréquent en espagnol, où la figue se dit higo).
En français, l’aboutissement d’une évolution phonétique radicale est ce
nom très court, foie, où l’on ne décèle plus du tout le nom de la figue.
Enfin, le nom du foie dans les langues germaniques, liver en anglais,
ou Leber, « foie », en allemand, peut se relier au grec liparos, « gras »,
dérivé de lipos, « graisse » (d’où vient l’élément lipo- en français).

214
Une découverte dans le foie

z
Épilogue helléniste
La diversité des noms du foie dans les langues modernes d’Europe
ne se reflète pas dans les noms de l’héparine, qui sont dérivés, par
l’anglais, du nom du foie en grec ancien. Le grec joue ici encore son
rôle de langue scientifique mondiale, comme on l’a vu à propos de
l’amidon (voir le chapitre 7, rubrique 1). À ce propos, le nom du foie
en espéranto est hepato.

215
➜Le Ciel est un véritable zoo.
Il est illuminé par 88 constellations, dont près de la moitié portent un nom d’animal, réel ou
imaginaire, souvent lié à une légende mythologique. Leurs noms officiels internationaux sont
en latin. Les plus connues sont sans doute la Grande Ourse (Ursa major OD3HWLWH2XUVH
(Ursa minor HWOHVFRQVWHOODWLRQVGX]RGLDTXHHQJUHFzôdiakos, dérivé de zôonˆ}DQLPDO}˜
La moitié des constellations ont été nommées au IIe siècle par l’astronome Claude Ptolémée.
Il y eut ensuite cinq autres contributeurs, dont l’astronome polonais Johannes Hevelius, à qui
l’on doit à la fin du XVIIe siècle le Petit Renard et l’Oie (Vulpecula cum Anser $XMRXUGpKXLFHWWH
constellation se nomme le Petit Renard (Vulpecula HWVRQÆWRLOHODSOXVEULOODQWHHVWOp2LH
(Anser 8QPDOLQFHUHQDUGLODPDQJÆOpRLH
Carte astronomique anglaise de 1825.
CHAPITRE

Des produits
9
du quotidien
nous racontent
Où l’on découvre l’histoire des noms
de produits usuels

1 Le secret de la porcelaine . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 220


2 Le produit qui fait du propre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 224
3 Une histoire à rebondissements . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 228
4 Un génial inventeur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 232
5 Un verre à double facette . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 236
6 De l’alambic à la raffinerie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 240
&KDSLWUH'HVSURGXLWVGXTXRWLGLHQQRXVUDFRQWHQW

LES NOMS DES PRODUITS DE CONSOMMATION


MODERNES ONT UNE HISTOIRE…
Le mot alchimie est un emprunt au latin médiéval alchemia, provenant de
l’arabe DONĈPL\Þ, lui-même peut-être de l’égyptien kemiˆ}PDJLH}˜RXELHQ
GpXQHRULJLQHJUHFTXH}khumeiaˆ}PÆODQJH GHVVXFV }˜ GHkhumosˆ}VXF}˜ 
ou plutôt khemeiaˆ}DUWGHIRQGUHOHPLQHUDL}˜'HFHVPRWVJUHFVYLHQGUDLW
aussi le latin médiéval chimia, devenant chymie, puis chimie.
&HWWHÆW\PRORJLHREVFXUHHVWOHUHƃHWGHODGLVFLSOLQHREVFXUHTXpRQWSUDWLTXÆH
depuis l’antiquité les alchimistes égyptiens, grecs, romains, arabes, médiévaux…,
avec un intérêt marqué pour la métallurgie. Les alchimistes essayaient toutes
sortes de combinaisons par des mélanges, des distillations, des calcinations…,
PDLVVDQVPR\HQVSRXUFDUDFWÆULVHUOHVVXEVWDQFHVQLTXDQWLƂHUOHXUÆYROXWLRQ
C’est ainsi qu’un alchimiste allemand à la recherche de l’or est arrivé fortui-
tement à la découverte du phosphore en 1669 YRLUOHFKDSLWUH 'DQVOD
prochaine rubrique, on verra que les céramistes européens n’ont percé qu’au
tout début du XVIIIe siècle le secret de la porcelaine, connu depuis des
siècles en Chine, et qui ne tenait qu’au choix de la bonne argile, le kaolin.
Et c’est dans la deuxième moitié du siècle des Lumières que l’empirisme de
l’alchimie a laissé la place à la démarche de la chimie, avec en point d’orgue la
publication du Traité élémentaire de chimieGH/DYRLVLHUHQ/HVEDVHVQÆFHV-
saires à un développement plus formel et rationnel de la chimie étaient jetées.
La chimie et la révolution industrielle
/pDFFURLVVHPHQW GHV FRQQDLVVDQFHV VFLHQWLƂTXHV HW WHFKQLTXHV D FRQQX
XQHDFFÆOÆUDWLRQVSHFWDFXODLUH½ODƂQGX XVIIIe et au XIXe siècle. En chimie,
de nombreuses substances nouvelles sont apparues dans les deux grands
GRPDLQHVWUDGLWLRQQHOV}ODFKLPLHPLQÆUDOH RXinorganique pour suivre l’an-
glais, inorganic chemistry \FRPSULVODPÆWDOOXUJLHHWODFKLPLHRUJDQLTXH
elle-même en interaction avec la biochimie. Beaucoup de ces substances ont
été mentionnées dans les chapitres précédents, et les 2e et 3e rubriques de ce
FKDSLWUHGRQQHQWGHX[H[HPSOHVVLJQLƂFDWLIVGHGÆYHORSSHPHQWLQGXVWULHO}
t}l’eau de Javel, le produit qui fait du propreHQFKLPLHPLQÆUDOH}
t}OHcaoutchouc naturel, une histoire à rebondissements, en chimie organique.
'HVSRO\PÅUHVQDWXUHOVDX[SRO\PÅUHVDUWLƂFLHOV
La fabrication du caoutchouc est un bel exemple d’utilisation d’un polymère
naturel. Plus tard, dans le XIXe siècle, on a mis au point des polymères
DUWLƂFLHOVREWHQXVSDUPRGLƂFDWLRQFKLPLTXHGHSRO\PÅUHVQDWXUHOV}FpHVW
le cas de la cellulose dont on a tiré le celluloïd, l’acétate de cellulose, ainsi
TXHGHVƂEUHVWH[WLOHVFRPPHODUD\RQQHHWODVRLHDUWLƂFLHOOH

218
La prodigieuse histoire du nom des éléments

Les polymères synthétiques, au XXe siècle


$SUÅVOHVSRO\PÅUHVQDWXUHOVSXLVDUWLƂFLHOVOpÆWDSHVXLYDQWHHVWIUDQFKLH
par Léo Baekeland, un génial inventeurTXLDEUHYHWÆHQOHSUHPLHU
polymère synthétique commercialisé dans l’histoire (voir la rubrique 4 de ce
FKDSLWUH 3RXUWDQW½FHWWHGDWHRQQHVDYDLWWRXMRXUVSDVTXpXQHPROÆFXOH
géante pouvait exister, ce que le chimiste allemand Staudinger a établi vers
VHXOHPHQW,ODFUÆÆDORUVOHPRWmacromolécule (en allemand Makro-
molekül SRXUXQHPROÆFXOHGHSOXVGH}DWRPHV
À partir de là, la notion de polymérisation était comprise et un grand nombre
de polymères synthétiques ont été inventés en une trentaine d’années. Les
WRXVSUHPLHUVFRPPHUFLDOLVÆVRQWÆWÆ}
t}OHSRO\VW\UÅQHHQGRQWRQDYXDXFKDSLWUHSUÆFÆGHQWTXpLOVpLQVSLUDLW
GHODUÆVLQHGpXQDUEUHOHOLTXLGDPEDU}
t}OHSRO\PÆWKDFU\ODWHGHPÆWK\OH 300$ TXLDSSDUDËWGDQVODe rubrique
de ce chapitre, un verre à double facette}
t}SXLVOHVSRO\FKORUXUHVGHYLQ\OH 39& SRO\DPLGHVSRO\HVWHUVSRO\ÆWK\-
OÅQHVSRO\XUÆWKDQHVSRO\FDUERQDWHVSRO\SURS\OÅQHV HQ f

À propos du mot polymère


L’élément -mère de polymère vient du grec merosˆ}SDUWLH}˜GpRÖDXVVLXQ
monomère, un dimère, un élastomère, un ionomère, des isomères…
L’élément poly- vient du grec polusTXLSHXWVLJQLƂHUˆ}QRPEUHX[}˜RXVHXOH-
PHQWˆ}SOXVLHXUV}˜$LQVLXQtétraèdre est un polyèdre particulier. Et d’ailleurs,
lorsque Berzelius a proposé, vers 1830, le terme polymère en chimie, c’était
pour désigner une molécule de composition chimique multiple de quelques
IRLVFHOOHGpXQHDXWUH}RQQpLPDJLQDLWSDV½OpÆSRTXHXQHPROÆFXOHJÆDQWH(W
lorsque Staudinger a prouvé leur existence, on a continué à parler de polymère,
mais en précisant haut polymère pour désigner des molécules comportant un
grand nombre d’éléments, et pas seulement plusieurs. Puis on a créé le terme
oligomère, du grec oligosˆ}SHXQRPEUHX[}˜SDUH[HPSOHSRXUXQtétramère,
TXHOpRQQHTXDOLƂHUDSDVGHpolymère. En conclusion, dans polymère, ainsi que
GDQVOHVQRPVVSÆFLƂTXHVFRPPHpolystyrène, l’élément poly- a désormais un
VHQVUHVWUHLQW½ˆ}QRPEUHX[}˜ SDVVHXOHPHQWˆ}SOXVLHXUV}˜ 

Chimie et génie chimique


La distillation était l’un des outils de base des alchimistes dans leurs aventures
expérimentales, et c’est toujours un procédé important du génie chimique,
comme l’illustre la 6e rubrique de ce chapitre, GHOpDODPELF½ODUDIƂQHULH.

219
&KDSLWUH'HVSURGXLWVGXTXRWLGLHQQRXVUDFRQWHQW

1 Le secret de
la porcelaine
Le kaolin

Le kaolin nous met directement en relation avec la Chine ancestrale et


nous donne aussi l’occasion d’évoquer une étymologie surprise, peut-
être l’une des plus étonnantes qui soit.

z
Un nom chinois
Le nom kaolin apparaît en français en 1712 dans l’une des Lettres
édifiantes et curieuses du père jésuite d’Entrecolles, missionnaire en
Chine, qui séjournait alors à Jingdezhen (à 500 km au sud-ouest de
Shanghai). Cette ville était connue depuis des siècles pour l’excellence
de sa porcelaine, une réputation qui se perpétue encore aujourd’hui. Or
le père d’Entrecolles divulguait ainsi l’un des secrets de fabrication de
la porcelaine à l’époque : l’utilisation d’une argile blanche particulière,
extraite d’un gisement situé près de Gaoling, un village englobé par
la suite dans l’agglomération de Jingdezhen. Gaoling s’écrit en chinois
高䒕, formé de 高 gao, ou kao, « haut », et 䒕 ling, « colline », ce qui
rappelle l’existence d’une colline toute proche.

➜La porcelaine est une céramique à base de kaolin, du nom d’un village chinois, Gaolin.

220
/HVHFUHWGHOD}SRUFHODLQH

C’est donc l’importance historique de ce gisement, maintenant épuisé,


qui est à l’origine du nom kaolin, adopté dans le monde entier : caolín
en espagnol, kaolin en anglais, Kaolin en allemand…

Al2 O3 2 SiO2, 2 H2O

couche tétraédrique

O
OH
Al couche octaédrique
Si

➜Structure d’un feuillet de kaolinite, constituant principal du kaolin.

z
Du kaolin à la porcelaine
Jusqu’au début du XVIIIe siècle, l’Europe a importé toute la porcelaine
fine de Chine, où le secret en était conservé, ce qui explique le nom
usuel de la porcelaine en anglais, china. En fait, l’obtention d’une
porcelaine translucide nécessitait la vitrification d’une pâte comportant
du kaolin, un procédé qui n’a été mis au point que dans les années 1710
en Europe, à partir de révélations des connaissances chinoises et aussi
à partir des travaux menés en Allemagne, à Meissen, d’où est issue la
célèbre porcelaine de Saxe.

➜La porcelaine est une céramique fine et translucide.

221
&KDSLWUH'HVSURGXLWVGXTXRWLGLHQQRXVUDFRQWHQW

Mais ce qui intrigue, s’agissant d’étymologie, c’est ce nom de porcelaine,


qui rappelle un peu celui de porcelet, ce qui semble a priori résulter d’un
pur hasard…

z
La porcelaine est aussi un coquillage
C’est dans l’édition en ancien
français de 1298 du Livre des
merveilles de Marco Polo, ou
Devisement du monde, que ce
nom apparaît pour désigner
d’abord un coquillage marin, ➜Coquillage appelé porcelaine, ou cauri (de son
QRPHQWDPRXO ,OHQH[LVWHGHVFHQWDLQHV
utilisé alors comme monnaie en d’espèces, dont celle-ci, Cypraea tigris (nom
Asie, et toujours nommé porce- donné par Linné d’après Cypris, le surnom
laine en français aujourd’hui. JUHFGp$SKURGLWH HWGpDXWUHVEODQFKHVTXL
servaient de monnaie.
Dans la suite du texte, Marco
Polo mentionne une cité chinoise où « se font escuelle de porcellaine,
grant et pitet, les plus belles que l’en peust deviser »1. C’est donc par
analogie d’aspect avec le coquillage vernissé et translucide que le nom
de porcelaine a été donné à la précieuse matière céramique, comme
si les hommes avaient voulu reproduire cette merveille de la nature.
Certains pensaient même que le secret était d’incorporer de la poudre
du coquillage dans la pâte à porcelaine.
La question est maintenant de savoir pourquoi le coquillage a été
nommé porcelaine.

z
Un coquillage aux formes suggestives
Le nom porcelaine était en fait la transcription de l’italien porcellana,
désignant d’abord le coquillage, et par analogie la matière céramique.
Or porcellana ne peut être qu’un dérivé de porcella, « petite truie », ou
de porcello, « porcelet ».
Certes, le coquillage, vu de dessus ou de profil, ressemble vaguement

1. TLF, Le Trésor de la Langue Française, CNRS, 1993, TLF informatisé : http://atilf.atilf.fr/,


sous porcelaine.

222
/HVHFUHWGHOD}SRUFHODLQH

à un petit cochon. Ainsi, sur les côtes bretonnes, on ramasse de petites


porcelaines, auxquelles on donne encore parfois le nom familier de petit
cochon. Au fond, on peut rapprocher cette métaphore de celle du but
à la pétanque, appelé plus souvent cochonnet, parce qu’il est bien rond,
comme un petit cochon.
Il existe cependant une autre interprétation étymologique, plus imagée
et plus osée, qui est retenue par la majorité des dictionnaires : le même
coquillage, vu autrement, rappellerait l’organe procréateur de la
truie, fort caractéristique de cet animal comme on le sait. Cela serait
cohérent avec le genre féminin de porcellana. Il faut dire que les formes
des coquillages ont de tout temps donné lieu à des comparaisons plus
ou moins scabreuses, et qu’en outre la truie est la source d’un certain
nombre de métaphores évocatrices (le nom écrou vient par exemple du
latin scrofa, « truie », parce que l’écrou est la partie femelle du système
vis-écrou).

z
Épilogue : pour jeter des perles aux pourceaux
Il est donc certain, aussi surprenant soit-il,
que le latin porcus, « porc », est à l’origine
du nom de la porcelaine, de Saxe, de Sèvres
ou de Limoges. Ce nom, comme
celui du kaolin, s’est généralisé aux
autres langues d’Europe : porcelana
en espagnol, porcelain en anglais (à
côté de china), et même Porzellan en
allemand, où la surprise est peut-être
plus grande encore car le nom du porc
(Schwein) ne se perçoit pas du tout dans
Porzellan.

➜Porcelaine de Chine.

223
&KDSLWUH'HVSURGXLWVGXTXRWLGLHQQRXVUDFRQWHQW

2 Un produit qui fait


du propre
L’eau de Javel

S’il est un produit chimique vraiment


populaire, c’est bien l’eau de Javel,
ou plus familièrement la javel, le
désinfectant par excellence. Mais à ce
propos, que signifie Javel ? Serait-ce le
nom d’un chimiste ? Un peu comme
l’eau de Dakin (pour ainsi dire l’eau
de Javel « pharmaceutique ») porte
le nom du chimiste anglais qui l’a
inventée. Ou serait-ce plutôt, à l’instar
de l’eau de Cologne, le nom d’un lieu ?
Et dans ce cas, de quel lieu ?
Certes, il y a bien une station de métro
Javel à Paris… mais on peut croire à
➜Eau de Javel = Na+ Cl- et Na+ ClO-
une simple coïncidence avec le nom en solution aqueuse. La libération
de l’eau de Javel… Pourtant, comme d’oxygène (2 ClO- ¤ 2 Cl- + O2 H[SOLTXH
l’action de l’eau de Javel à la fois
on va le voir, cette homonymie n’est comme agent de blanchiment et agent
pas fortuite. de désinfection.

z
De l’îlot de Javel au quartier de Javel
Le métro Javel, la rue de Javel, l’église Saint-Christophe-de-Javel, le port
de Javel sur la Seine, se situent dans le quartier de Javel, qui occupe
le quart sud-ouest du XVe arrondissement de Paris. Très récemment
(en 2003) on a même créé la place du Moulin-de-Javel, tout près de
l’emplacement d’un ancien moulin à vent qui avait été construit sur
un îlot du bord de Seine, réuni à la berge au XVIIIe siècle. Cet îlot est
mentionné dans un manuscrit du XIIIe siècle en latin médiéval sous le
nom insula de javeto, qui est la première attestation connue du nom

224
Un produit qui fait du propre

écrit Javet ou Javelle, et finalement Javel pour le lieu-dit, qui fut


rattaché à Paris en 18602.

➜([WUDLWGXSODQ&DVVLQLŮ RÖOpRQYRLWOHmoulin de Javel LFL-DYHOOH! DXERUGGHOD


Seine, non loin d’Issy, aujourd’hui Issy-les-Moulineaux.

z
De la liqueur de Berthollet à l’eau de Javel
Au lieu-dit Javel, alors très peu habité, on crée en 1778 une manufacture
chimique pour produire notamment l’acide sulfurique, et le chimiste
Berthollet y installe en 1785 son procédé original de fabrication d’une
eau chlorée, dite lessive de Berthollet, mise au point pour le blanchiment
des tissus. Cependant, Berthollet ne s’entend pas avec les exploitants
de l’usine, qui améliorent considérablement le procédé et rebaptisent
le produit lessive de Javel, déjà en
1791, et par la suite eau de Javel.
Ainsi donc, le Javel du métro Javel
est bien le même que celui de l’eau
de Javel.
Cependant, le nom Javel ne
s’emploie généralement pas
en dehors du français : l’eau
de Javel se dit en espagnol lejía
(du latin lixiva, « lessive »), ➜Le moulin de Javel en 1780

2. Périn, Michel, Le moulin, la guinguette et la manufacture de Javel, Bulletin de la société historique


et archéologique du XVe arrondissement de Paris, n° 21, 2003, p. 65.

225
&KDSLWUH'HVSURGXLWVGXTXRWLGLHQQRXVUDFRQWHQW

en anglais bleach (cf. to bleach, « blanchir »), et on trouve


plusieurs noms en allemand, comme Chlorwasser ou Bleichmittel
(de bleichen, « blanchir », et Mittel, « agent »), alors que Javellelauge
(de Lauge, « lessive ») a tendance à être moins employé.

z
Javel, un nom bien français, et même gaulois
Dans un dictionnaire usuel du
français, on trouve javel (eau
de), javelliser, javellisation, mais
aussi un terme d’agriculture un
peu ancien, javelle, « poignée de
céréales coupées », et sa famille :
javeler, javeleur, javelage…
Or javelle fait partie du petit nombre
➜Javelles de blé amoncelées en gerbes.
(entre 100 et 200) de mots français
Wikipédia, licence CC-BY-SA, 2.0,Trish Steel. d’origine gauloise. Ce nom se relie
à une racine qui signifie « prendre avec la main », à laquelle on rattache
aussi le nom javelot, gaulois également. En ancien français, par analogie
avec un amoncellement de javelles dans les champs, les noms javel, javelle
ont désigné d’une manière générale toutes sortes d’amoncellements, et en
particulier un amoncellement de sable et de limon formé par débordement
d’une rivière, c’est-à-dire une île côtière (appelée aujourd’hui un javeau).
C’est probablement à cette dernière signification que correspond le nom
géographique Javel, à l’origine le nom d’un îlot du bord de Seine.

z
Épilogue salé
À partir de la fin du XIXe siècle, javelle
désigne aussi un autre amoncellement,
un tas de sel au bord d’un marais-salant.
Et cela nous suggère une conclusion ➜Javelles de sel provenant du raclage
en forme de raccourci : lorsque, par des tables d’un marais-salant.
électrolyse du chlorure de sodium, on passe du sel récolté en javelles à de
l’eau de Javel, on relie en fait deux mots d’une même origine gauloise.

226
Un produit qui fait du propre

➜Le Javel du métro Javel est le même que celui de l’eau de Javel.
Wikipédia, licence cc-by-2.0, Guilhem Vellut.

227
&KDSLWUH'HVSURGXLWVGXTXRWLGLHQQRXVUDFRQWHQW

3 Une histoire à
rebondissements
Le caoutchouc naturel et l’ébonite

L’inventeur américain Charles


Goodyear (1800-1860) a
découvert la vulcanisation
au soufre du caoutchouc
naturel en 1839, grâce à une
succession de hasards qu’il
a lui-même relatés dans ses
mémoires. Il s’est aperçu en
outre qu’en poussant cette
vulcanisation plus loin, il
obtenait un matériau non
plus élastique mais très dur,
et noir comme l’ébène, d’où
son nom ebonite, de l’anglais
ebony, « ébène ».
Mais intéressons-nous ➜&KDUOHV*RRG\HDUDGÆFRXYHUWOD}YXOFDQLVDWLRQ
au VRXIUHHQ
d’abord au caouchouc, en
particulier au nom de la réaction d’où tout est parti, la vulcanisation.

zDe la gomme élastique des Amérindiens… à


la gomme à effacer des Anglais
Le nom caoutchouc est emprunté à une langue amérindienne de
l’Équateur, coa-o-chu, signifiant « bois qui pleure », pour désigner cette
gomme élastique connue en Amérique depuis des siècles, et découverte
par les Européens en 1493. On a trouvé en Amazonie vers 1736 l’arbre
nommé hévéa (du quechua) qui produit le latex donnant en séchant
cette matière élastique nommée, selon la langue et le contexte, tantôt
caoutchouc, tantôt gomme (élastique). Ce nom vient, par le latin gummi, du

228
Une histoire à rebondissements

grec kommi, désignant toute sécrétion d’origine végétale (cf. la gomme


arabique, chapitre 6, rubrique 4), et l’on emploie aussi gomme pour des
usages spécialisés du caoutchouc, notamment pour la gomme à effacer,
inventée en Angleterre vers 17703.
Or ce qui frappe dans le tableau qui suit, c’est justement le cas
particulier de l’anglais où le nom de cette gomme à effacer, rubber (de
to rub off, « effacer », de to rub, « frotter »), s’est imposé pour désigner
le caoutchouc en toute généralité.
français espagnol anglais allemand
gomme (élastique) goma (elastica) (elastic) gum (elastisch) Gummi
gomme (à effacer) goma (de borrar) rubber Radiergummi
caoutchouc caucho rubber Kautschuk

Coïncidence : tout comme le graphite doit son nom à son usage dans
une mine de crayon (voir le chapitre 1), le caoutchouc en anglais, rubber,
doit son nom à la gomme à crayon, deux applications pourtant aussi
marginales l’une que l’autre !

z
Du dieu romain du feu et des forges à la vulcanisation
Le verbe vulcaniser n’est pas dû à Goodyear, qui employait le verbe
to metallize, comme pour indiquer que le caoutchouc traité au soufre
devenait solide comme du métal. Mais pendant ce temps-là, le chimiste
anglais Thomas Hancock, ayant disposé d’échantillons issus de l’usine de
Goodyear, étudiait aussi la réaction entre le caoutchouc et le soufre, qu’il
a finalement brevetée en Angleterre fin 1843, un peu avant Goodyear
aux États-Unis, ce qui a provoqué une controverse : la justice a donné
raison à Goodyear, qui cependant ne s’est pas remis du préjudice et est
mort ruiné. Et c’est dans le brevet anglais de Hancock qu’apparaît le
verbe to vulcanize, qui a été adopté par toutes les langues. Selon le « récit
personnel » d’Hancock, l’idée est venue de son ami Brockedon, à la fois
artiste-peintre, écrivain et inventeur, qui l’avait aidé dans ses travaux.
Brockedon se référait, avec une certaine emphase, à Vulcain, le forgeron

3. Figuier, Louis, Industrie du caoutchouc et de la gutta percha, Les merveilles de l’industrie, ou


description des principales industries modernes, Jouvet, Furne et Cie, Paris, 1873-1877, tome 2, p. 549.

229
&KDSLWUH'HVSURGXLWVGXTXRWLGLHQQRXVUDFRQWHQW

de la mythologie et le dieu des volcans,


cracheurs de soufre. Il supplantait ainsi la
comparaison métallurgique de Goodyear,
décidément ignoré. Notons que vulcaniser
un caoutchouc, c’est historiquement le
réticuler au soufre – c’est-à-dire créer des
➜La vulcanisation du polyisoprène, ponts entre les chaînes moléculaires pour
donnant le caoutchouc avec un former un réseau –, puis c’est le réticuler
bas taux de soufre, et l’ébonite
avec un taux élevé de soufre. par tout agent, même autre que le soufre (en
anglais to vulcanize, ou plus souvent to cure).
Remarquons ici que, dans la nature, les protéines sont réticulées par les ponts
-CH2-S-S-CH2- de la cystine, l’un des acides aminés, un peu comme si
les protéines avaient été vulcanisées au soufre, si l’on ose dire.

z
Et revoici Mercure aux pieds ailés
Plus tard, l’entrepreneur Franck Seiberling (sans lien avec la famille
Goodyear) créera en 1898 la Goodyear Tire & Rubber Company,
dont le nom rendait hommage à celui qu’il considérait comme le père
véritable de la vulcanisation. Dès l’année 1900, il introduisait une
nouvelle référence à la mythologie, le pied ailé de Mercure dans le logo
de la société : un symbole de l’agilité des commerçants et des voyageurs,
équipés de bons pneus !

➜La Goodyear Tire & Rubber Company est le 3e producteur de pneus.

Parmi les tous premiers producteurs mondiaux de pneus, à côté de


Goodyear, on trouve d’autres grands noms de l’histoire industrielle du
caoutchouc, comme Bridgestone (= Ishibashi), Michelin, Pirelli... et
Hankook... Thomas Hancock ? Non, Hankook est le nom anglicisé de
la Corée en coréen ! Hasard ou ironie de l’histoire ?

230
Une histoire à rebondissements

z
Épilogue musical
L’ébonite (parfois nommée hard rubber en
anglais) a connu un destin bien différent de celui
du caoutchouc industriel. En anglais, on fait bien
le lien entre l’ébène et l’ébonite (ebony/ebonite).
C’est moins net en français (ébène/ébonite), en
espagnol (ébano/ebonita), en allemand (Ebenholz/
Ebonit)… Mais les objets en ébonite rappellent
bien le bois précieux qu’est l’ébène. Cette
résine est utilisée dans plusieurs applications
haut de gamme, comme par exemple les becs
de saxophones, ou encore des articles de luxe
➜%HFˆ}&RQFHSW}˜EHF
de saxophone en ébonite pour le bureau.
(fabrication Henri
SELMER Paris, numéro un
PRQGLDOGXVD[RSKRQH 

➜0RQQDLHURPDLQHÆPLVHHQDYDQW-&}VXUOpDYHUV-XQRQ0RQHWDODPÅUHGH9XOFDLQ}
VXUOHUHYHUVOHVRXWLOVGH9XOFDLQ OpHQFOXPHOHPDUWHDXHWOHVWHQDLOOHV DLQVLTXHVRQERQQHW
rituel de forgeron.
CGB Numismatique Paris.

231
&KDSLWUH'HVSURGXLWVGXTXRWLGLHQQRXVUDFRQWHQW

4 Un génial
inventeur
La bakélite, le phénol, le formol, l’acide
formique, la mélamine et le formica

À partir de phénol et de formol, le chimiste


américain d’origine belge Leo Baekeland a mis
au point le premier polymère synthétique de
l’histoire industrielle, sous le nom de marque
Bakelite ®, déposé en 1907. Devenu nom
➜Quel est le rapport entre
commun en anglais bakelite, en allemand Bakelit,
OHIRUPLFDHWOHVIRXUPLV}" en espagnol baquelita ou en français bakélite, ce
mot a une étymologie assez évidente, ce qui
est loin d’être le cas des noms phénol et formol, auxquels on va aussi
s’intéresser.

➜Bakelite®, synthétisée à partir du phénol et du formol.


Wikimedia Commons, licence CC BY-SA 3.0, Dirk Hünniger.

z
D’une éponymie est né le nom bakélite
En Grèce antique, on qualifiait d’éponyme (du grec epi, « sur », et

232
Un génial inventeur

ônumos, « nom ») le haut magistrat dont le nom servait en quelque


sorte de « surnom » à son année d’exercice. Par analogie, un personnage
dont le nom est adopté pour quelque chose est qualifié d’éponyme de
cette chose. Par exemple, le chimiste allemand Emil Erlenmeyer est
l’éponyme de l’erlenmeyer.
Ainsi, Baekeland est l’éponyme de la bakélite : Baekel(and) + suffixe -ite.
Une éponymie bien méritée, car ce fut l’une des innovations les plus
remarquables et les plus prolifiques de toute l’ère industrielle moderne.
Les résines formo-phénoliques ont été les premières matières plastiques,
dont le succès est venu de leur grande facilité de mise en forme (du latin
forma, « moule, forme »)… mais formol renvoie à la fourmi, pas à la forme.

z
De la fourmi à l’acide formique et au formol
On savait depuis longtemps que
les fourmis rousses projettent
un venin acide et urticant pour
défendre leur fourmilière. En
distillant une décoction de telles
fourmis, on a pu obtenir un
mélange dans lequel le chimiste
suédois Bergman a identifié en
1775 un nouvel acide, qualifié
de formique (du latin formica,
➜Fourmi rousse (classée par Linné dans « fourmi »). Berthelot en
le genre Formica HQSRVWXUHGHSURMHFWLRQ
d’acide formique. donnera la formule (HCOOH)
www.ardennesmagazine.be – photo Haentjens. en 1855, et l’élément form- sera
alors employé pour désigner des molécules de la même famille, à un
seul carbone, comme le chloroforme (CHCl3) en 1834, le formaldéhyde
(H2C=O) en 1882 et sa solution aqueuse, le formol en 1892. Pourquoi
ce suffixe -ol qui évoque un alcool ? Justement parce qu’avec l’eau, le
formaldéhyde se transforme presque complètement en polyalcool. Mais
dans l’usage courant, formol est devenu synonyme de formaldéhyde, bien
que dans ce cas, le suffixe -ol soit incongru : ainsi, dans phénol-formol, ce
suffixe n’est logique que pour le phénol, qui est un alcool.

233
&KDSLWUH'HVSURGXLWVGXTXRWLGLHQQRXVUDFRQWHQW

z
Formaldéhyde ou formol, ou… méthanal
Les chimistes français Dumas et Péligot montrent en 1835 que la
distillation du bois produit un alcool, l’« esprit de bois », qui s’oxyde en
acide formique, et qui comporte donc un seul carbone. Mais au lieu de
conserver l’élément form- pour le nommer, ils introduisent l’élément
meth-, tiré du grec methu, « boisson fermentée », ce qui conduira
Hofmann à nommer en 1867 l’alcane CH4 méthane, d’où méthanol. Un
choix étrange car le méthanol, loin d’être une boisson sympathique,
s’est révélé être un poison redoutable.
De tout cela résulte une sorte de famille hybride, où l’usage privilégie :
méthane, acide formique (plutôt que méthanoïque), méthanol et formaldé-
hyde, ou formol. On emploie aussi formaldehyde en anglais et Formaldehyd
en allemand, même si, dans ces langues, l’élément form- n’évoque pas la
fourmi, qui se dit ant en anglais et Ameise en allemand (d’où Ameisen-
saüre pour acide formique en allemand).
Enfin le méthane, avant d’être connu chimiquement, a été utilisé
comme gaz d’éclairage dès la fin du XVIIIe siècle, et cela nous conduit
opportunément au phénol.

z
Du gaz d’éclairage au phénol
En effet, le chimiste français Laurent étudiait en 1836 des molécules
extraites « du goudron provenant des usines du gaz d’éclairage par la houille ».
Les noms de ces molécules aromatiques auraient pu être dérivés de
benzène, mais Laurent a voulu éviter des confusions en créant l’élément
phén-, du grec phainein, « éclairer », à cause du gaz d’éclairage à l’origine
de ses travaux : un rapport indirect, pour ne pas dire alambiqué. Puis en
1843, on a formé à partir de l’élément phén- le nom du phénol (qui est
aussi l’hydroxybenzène), d’où une autre famille hybride où se côtoient
les radicaux phényle (H5C6-) et benzyle (H5C6CH2-).

234
Un génial inventeur

z
Épilogue : tout est dans la forme
Les résines phénol-formol, ou phénoplastes,
ont ouvert la voie à d’autres matériaux
plastiques thermodurcissables4, comme les
mélamine-formol, ou aminoplastes. C’est par
ses travaux publiés en 1834 que le chimiste
➜/RJRGH)250,&$*5283TXL
commercialise le Formica®. allemand Liebig avait obtenu le mélam, et en
avait tiré la mélamine. Or mélam est un nom
arbitraire, créé ex nihilo et revendiqué comme tel par Liebig5, et mélamine
est simplement son dérivé, mélam + -ine.
Les résines aminoplastes sont connues par le nom de marque Formica®,
devenu nom commun en français. Formica ? Fourmi ? Pas du tout, ce
nom de marque, créé aux États-Unis en 1913, vient de for mica, c’est-à-
dire « à la place du mica », car ces stratifiés se substituaient au mica, alors
utilisé en isolation électrique ! Le hasard a vraiment bien fait les choses.

➜/D6ÆTXDQDLVHWÆOÆSKRQHDQFLHQ  
Association Adolphe Cochery.

4. Un plastique thermodurcissable est une matière qui, sous l’action de la chaleur, se durcit
progressivement pour atteindre un état solide irréversible.
5. Liebig Justus, Sur quelques combinaisons d’Azote, Annales de chimie et de physique, Crochard,
Paris, t. 56, 1834, p. 16.

235
&KDSLWUH'HVSURGXLWVGXTXRWLGLHQQRXVUDFRQWHQW

5 Un verre à double
facette
Le plexiglas, l’altuglas,
l’acroléine et l’acide acrylique

Il n’est pas rare qu’un nom commercial, lorsqu’il est très largement
utilisé, finisse par entrer dans la langue commune. On connaît bien
l’exemple de frigidaire, et en chimie on peut citer le nylon. Le cas de plexi-
glas est analogue : c’est un nom commun présent dans les dictionnaires
usuels, mais son origine est un nom de marque déposé en 1933 par
une société chimique allemande (dont le nom a disparu à la suite des
restructurations de la chimie allemande).

➜Le plexiglas®, un matériau de consommation courante et d’art aussi.

Plexiglas® est composé de l’élément plexi-, du latin plexus, participe


passé du verbe plectere, « courber, rouler, entrelacer », et de l’allemand
Glas, « verre ». Ce nom désigne en effet un verre qui peut être
courbé, donc façonné aisément : un nom logique pour ce polymère,
le polyméthacrylate de méthyle, ou PMMA, qui a effectivement la
transparence du verre minéral, mais pas sa rigidité ni sa fragilité. On le
nomme aussi verre acrylique.

236
Un verre à double facette

➜Structuremoléculaire du polyméthacrylate de PÆWK\OHRX300$ GHOpDQJODLVˆ}Poly Methyl


MethAcrylate}˜ GRQWOHVFKDËQHVHQWUHODFÆHVIRUPHQWXQPDWÆULDXSODVWLTXHDPRUSKH

'p2¶9,(17/(027$&5</,48(}"
En 1838, le pharmacien allemand Brandes nomme Acrol une substance piquante (latin
acer, acrisˆ}SRLQWX}˜ SURYHQDQWGHODGÆFRPSRVLWLRQGHVFRUSVJUDVFRPPHOpKXLOH
(OelHQDOOHPDQG SDUODFKDOHXU%HU]HOLXVSUÆFLVHOHQRPacroléine et sa structure
est établie un peu plus tard.

H2C O H2C O
Oxydation
H OH
acroléine acide acrylique

Sur le radical acr ROÆLQH HVWQRPPÆl’acide acrylique, d’où les acrylates et méthacry-
lates qui constituent l’essentiel des résines acryliques, entrant dans la composition
GHQRPEUHX[SURGXLWVGHFRQVRPPDWLRQ SHLQWXUHVFROOHVYHUUHFRXFKHVEÆEÆVf

z
La saga du PMMA dans les dictionnaires français
Il existe trois « petits » dictionnaires usuels du français (Larousse,
Robert et Hachette), qui sont réédités chaque année avec quelques
mots en plus ou en moins, et millésimés. Le Petit Larousse a été créé en
1905, et le nom plexiglas y apparaît dans le millésime 1950 (sous la forme
<plexiglass>, puis <plexiglas> depuis le Petit Larousse 1952). Quant
aux Petit Robert et Hachette, on y trouve plexiglas depuis leur création,
respectivement en 1967 et en 1980.
Mais si l’on consulte le Petit Robert à plexiglas, on constate qu’il mentionne
« ³ aussi altuglas », et réciproquement. En effet, le nom altuglas y est
présent depuis le Petit Robert 1977, et il est apparu également dans le
Petit Larousse 1989, puis dans le Hachette 1994.
Ce nom altuglas est aussi à l’origine le nom d’une marque, Altuglas®,
initialement concurrente de Plexiglas® en Europe dans la production du
PMMA. Altuglas® a été déposée en 1958 par la société Altulor, alors filiale

237
&KDSLWUH'HVSURGXLWVGXTXRWLGLHQQRXVUDFRQWHQW

de Alsthom et d’Ugilor, nom formé de (société) Ugine + (Houillères de)


Lorraine. À la suite des restructurations industrielles françaises, ces trois
noms de sociétés ont disparu,
mais l’étymologie de l’élément
ALTU- en conserve une trace :
ALTU = AL + T + U = AL de
Alsace + T de Thomson + U de
Ugine, car Alsthom provenait
de l’Alsacienne de constructions
mécaniques et de Thom- ➜Twizy est une voiture électrique de Renault.
son-Houston. Dans Altulor, il Son toit transparent est en PMMA nanostructuré
Altuglas®ShieldUp.
y avait l’Alsace et la Lorraine ! 3KRWR}$OWXJODV‹JURXSH$UNHPD5HQDXOW

En définitive, le nom Altuglas® est constitué de l’élément altu- et de


-glas, le nom du verre en allemand, comme en écho à Plexiglas®. On
trouve parfois les orthographes fautives, plexiglass et altuglass, dues à
une influence de l’anglais glass, « verre ».

z
Une synonymie particulière : plexiglas et altuglas
Ces deux noms proviennent donc de deux marques concurrentes
d’un même produit, un cas de figure sans doute unique dans la langue
française. Ce sont des synonymes, ce qui, dans l’acception moderne
du terme, ne signifie pas « de
sens identiques » (on considère
que les « vrais » synonymes
n’existent pas), mais seulement
« de sens très voisins, presque
identiques ». Or les mots ont
une signification, mais aussi
une connotation, et c’est ce qui
distingue vraiment les noms
communs altuglas et plexiglas.
Le mot plexiglas a une ➜Cette table a un design original. Son plateau
est en Altuglas®, dont les amateurs de beaux
connotation plutôt technique. Ses matériaux dans le mobilier et la décoration
définitions dans les dictionnaires apprécient particulièrement la diversité
mentionnent la transparence du d’aspect et de coloration.
3KRWR}$OWXJODV‹JURXSH$UNHPD

238
Un verre à double facette

produit et son usage comme verre de sécurité. Le mot altuglas a une


connotation plutôt esthétique. Ses définitions dans les dictionnaires
mentionnent une matière translucide ou teintée, et son usage dans
le mobilier.

z
Épilogue lumineux
Les étymologies d’altuglas et plexiglas sont de natures bien différentes.
L’élément plexi(glas) vient du latin : c’est un doublet de plexus, le nom de
cette zone anatomique sensible car pleine de filets nerveux entrelacés (cf.
le verbe latin plectere au sens « entrelacer »).
Dans un registre complètement différent, on retrouve les initiales
d’anciennes sociétés industrielles dans altu(glas), où le T honore en
définitive Elihu Thomson. Fondateur de Thomson-Houston vers 1880,
ce fut un remarquable ingénieur et industriel américain, président du
MIT en 1920 et 1921, et à l’origine de plusieurs centaines de brevets.
Une référence pour un matériau chargé d’innovation.
À propos d’innovation, on réalise aujourd’hui des fibres optiques en
PMMA.

➜Fibres optiques en PMMA, comme des fils courbés, entrelacés (plectere 

239
&KDSLWUH'HVSURGXLWVGXTXRWLGLHQQRXVUDFRQWHQW

5 De l’alambic à
la raffinerie
Le white-spirit, le naphta, le naphtalène,
OH}bitume, le béton, l’asphalte et le goudron

Voilà un mot emprunté tel quel, au trait d’union


près, à l’anglais white spirit désignant un diluant
pour peinture d’usage courant, qui est tiré du
pétrole. White-spirit est donc un anglicisme,
ce qui n’est pas rare dans le vocabulaire des
pétroliers, où l’on emploie aussi des noms qui
remontent à l’Antiquité comme on va le voir.

z
Le white-spirit, un esprit blanc ?
En fait, ce passage de l’anglais au français est,
comme souvent, un prêté pour un rendu car
l’anglais spirit est un emprunt à l’ancien français
espirit, qui vient lui-même du latin spiritus, et est
devenu esprit en français. Ce latin spiritus, lié au ➜Le white-spirit, un esprit
verbe spirare, « souffler, respirer » (cf. inspirer, EODQF}"

expirer, transpirer…), signifiait au sens propre


« souffle, respiration » et au figuré « esprit, âme… ». Puis, spiritus en
bas latin, d’où espirit, esprit en ancien français, ont aussi désigné chez les
alchimistes tout produit léger obtenu par une distillation : on connaissait
l’esprit-de-vin (cf. les vins et spiritueux), l’esprit de bois, l’esprit de sel… Le
white-spirit est donc un esprit au sens ancien du terme, ici un distillat
relativement léger (très inflammable en tout cas) du naphta, qui lui-même
est un distillat de pétrole situé entre l’essence et le kérosène. Le white-
spirit est en fait un naphta lourd (hydrocarbures en C8 à C12), mais donc
plus léger que les kérosènes, bitumes ou goudrons, et c’est par opposition
à ces produits bruns ou noirs que le naphta lourd est qualifié de blanc,
c’est-à-dire ici « incolore ». Mais d’où vient ce mot naphta ?

240
'HOpDODPELF½OD}UDIƂQHULH

z
Le naphte était connu dans l’Antiquité
Dans le Livre II de son Histoire Naturelle,
Pline l’Ancien nomme en latin naphtha « un
produit qui coule comme du bitume liquide dans les
environs de Babylone et en Parthie [Iran]. Le feu a
une grande affinité pour le naphte et, d’où qu’il le
voie, il se jette aussitôt sur lui. C’est de cette façon, ➜Naphtalène.
dit-on, que Médée brûla sa rivale : celle-ci s’était
approchée de l’autel pour y offrir un sacrifice lorsque sa couronne prit feu ».
Plus tard, dans son Dictionnaire de chimie (1778), Macquer définit le
naphte comme « le pétrole le plus blanc, le plus volatil & le plus fluide ». En
fait, le terme naphte désigne historiquement le pétrole léger suintant
à la surface du sol, et connu depuis l’Antiquité, surtout au Moyen
Orient, et on nomme naphta, à la suite de l’anglais naphtha, toute
coupe pétrolière qui a sensiblement les mêmes caractéristiques. Ce
nom remonte au grec naphtha (ȞȐijșĮ), sans doute emprunté au persan.
Selon les langues, son écriture est soit translittérée sur le modèle du
latin naphtha, comme en allemand (Naphtha) et en anglais (naphtha),
soit complètement simplifiée comme en italien et en espagnol (nafta).
Mais le français (naphta) adopte une voie moyenne : le ij est translittéré
en ph, et en même temps le ș est simplifié en t au lieu de th. Cette
sorte de demi-mesure est habituelle en français, comme le montre la
comparaison avec l’anglais dans quelques exemples : rythme et rhythm,
ichtyologie et ichthyology… sans compter naphtalène et naphthalene, noms
dérivés de naphta et naphtha.

z
Bitume et béton, asphalte et goudron…
On vient de voir que Pline comparait le naphte à du bitume liquide.
Quant à l’asphalte, c’est un mélange, naturel ou synthétique, de bitumes
et de charges minérales. Son nom vient, par le latin, du grec asphaltos,
formé du a- privatif et de l’élément -sphaltos (cf. sphaltês, « celui qui fait
tomber »), du verbe sphallein, « faire tomber ». Le grec asphaltos signifie
donc « qui empêche de tomber, qui solidifie », un nom logique pour
des produits utilisés depuis toujours comme ciments pour solidifier une
structure, ou pour calfater l’arche de Noé par exemple.

241
&KDSLWUH'HVSURGXLWVGXTXRWLGLHQQRXVUDFRQWHQW

Enfin, on confond souvent asphalte, bitume… et goudron, dont le nom


provient de l’arabe d’Égypte qa‫ܒ‬rƗn, « goudron », en passant par des
formes anciennes catran (XIIe siècle), goutren, gouderon… On extrait le
goudron du pétrole, du charbon, mais aussi du bois, d’où son nom en
anglais, tar, en allemand, Teer, relié à l’anglais tree, « arbre ».
D’ailleurs, selon Pline, c’est de l’écorce de bouleau qu’était tiré par
chauffage le bitume. On en déduit que le latin bitumen vient sans
doute de betulla, le nom latin, d’origine gauloise, du bouleau, alors
qu’aujourd’hui le bitume est le plus souvent un dérivé du pétrole
presque solide : béton, anciennement betum, est d’ailleurs emprunté au
latin bitumen.

z
À l’épilogue, on est tombé sur le béton
Partant du volatil white-spirit, on est arrivé à de lourds produits
utilisés sur le macadam qui perpétue le nom de son inventeur écossais,
John L. MacAdam (1756-1836). À ne pas confondre, si l’on sort de la
route, avec son compatriote chimiste John Macadam (1827-1865), qui
a vécu en Australie, où son nom a inspiré celui de la noix de macadamia.
Deux homonymes pour deux éponymes de deux réalités bien différentes.

242
'HOpDODPELF½OD}UDIƂQHULH

➜L’arche de Noé, plus solide que le EÆWRQ}l’asphalte.

243
&KDSLWUH'HVSURGXLWVGXTXRWLGLHQQRXVUDFRQWHQW

➜6\PEROHGHODPRGHUQLWÆODIUHVTXHGH5DRXO'XI\TXHOTXHVH[WUDLWVLFL /D)ÆH¦OHFWULFLWÆ  


SUÆVHQWHHQVRQFHQWUHOHVGLHX[GHOp2O\PSH,O\DVDYDQWVGRQW'PLWUL0HQGHOHLHYHW
Humphry Davy.
†$GDJS3DULV>@&OLFKÆ/HHPDJH6%,$1&+(77,$GDJSLPDJHV$GDJS3DULV>@&OLFKÆ
Adagp images.

244
Épilogue des épilogues
Au terme de cette Prodigieuse histoire du nom des éléments, l’étymologie
nous a donné un aperçu sur près de 300 substances, dont les
118 éléments chimiques connus à ce jour. Mais à ce propos, d’où
vient ce mot élément ?

z
Les éléments en rangs d’oignons
Certainement pas du grec, où cette notion se dit stoikheion, désignant
en particulier les quatre éléments feu, air, eau, terre. Ce mot stoikheion
dérive du verbe steikhein, « marcher, marcher en rang », d’où aussi
stikhos, « rangée, file de soldats, d’arbres, ligne d’écriture », désignant
même finalement une lettre en tant qu’élément d’un alphabet. Le
grec stoikheion évoque donc des éléments alignés, numérotés, rangés
en ordre, comme le seront justement, longtemps après, les éléments
chimiques, repérés chacun par son numéro atomique et son symbole
en une ou deux lettres, et classés dans les lignes du tableau périodique.
En fait, élément vient du latin elementum (souvent au pluriel, elementa),
différent du grec, mais traduisant bien stoikheion dans tous ses emplois, y
compris pour désigner les quatre éléments de l’Antiquité, ou les lettres
d’un alphabet. Ce dernier point a conduit les linguistes à émettre deux
hypothèses étonnantes qui, même si elles ne sont pas retenues en
définitive, méritent d’être mentionnées11 :
– elementum aurait été dérivé de LMN, les trois premières lettres de
la seconde partie de l’alphabet, souvent présenté en effet en deux
parties… ;
– encore plus inattendu peut-être, elementum serait venu d’un
hypothétique *elepantum, « lettre gravée sur l’ivoire », du grec elephas,
« éléphant, ivoire » ! Une histoire animalière que l’on n’imaginait
pas ! Mais qui se comprend cependant si l’on sait que de très anciens
abécédaires en ivoire ont été retrouvés dans des sites archéologiques.

1. Ernout, Alfred et Meillet, Antoine, additions de André, Jacques, Dictionnaire étymologique de la


langue latine -histoire des mots-, Éditions Klincksieck, Paris, 1985 (1re édition 1932), sous elementum

245
Épilogue des épilogues

L’illustration ci-dessous en donne un exemple.

➜La Tablette de Marsiliana est en ivoire. Elle provient d’une


sépulture étrusque trouvée en Italie près du village de
Marsiliana d’Albegna, tout au sud de la Toscane. Elle présente
un alphabet, de droite à gauche, daté de 700 avant J.-C.

À ce jour, l’étymologie de elementum reste un énigme.

z
Les éléments dans les éléments
Comme on le constate pour la plupart des mots, le sens du latin
elementum a évolué du concret à l’abstrait, pour désigner toute partie
constitutive d’un ensemble, en toute généralité. C’est le cas aussi pour
élément en français. Dès lors, on peut qualifier par exemple les protéines
d’éléments du monde vivant. Ce sont des polymères constitués
eux-mêmes d’éléments, les 20 acides aminés, une sorte d’alphabet
moléculaire, construits à partir de seulement 5 éléments chimiques :
C, N, O, H et S.
De même les molécules d’ADN sont les éléments essentiels des
chromosomes. Ce sont des polymères constitués d’éléments, les 4
nucléotides, eux-mêmes construits à partir de seulement 5 éléments
chimiques : C, N, O, H… et P cette fois.
On s’aperçoit que la nature se contente de 6 éléments chimiques,
représentés par 6 lettres, C, N, O, H, P et S, pour construire les acides
nucléiques, donc le code génétique, et les protéines du monde vivant.

246
La prodigieuse histoire du nom des éléments

Un prodigieux édifice !

z
Oui, c’est bien une histoire prodigieuse
Que de prodiges en effet tout au long de cette aventure des éléments :
– les Anciens associaient le fer et Mars tout en ignorant que cette
planète était rouge… justement à cause du fer ;
– un alchimiste part en quête de l’or et découvre… le phosphore ;
– Lavoisier démontre que l’air et l’eau se décomposent en 3 éléments
chimiques ;
– Mendeleïev prévoit l’existence de nouveaux éléments chimiques, que
l’on découvre effectivement ;
– on ne s’attendait pas à trouver des gaz nobles cachés dans l’atmosphère
et des terres rares cachées dans les minéraux ;
– le styrène fut inventé par un arbre, avant d’être un produit
pétrochimique ;
et tant d’autres histoires extraordinaires…
Buffon avait raison : « il ne faut rien voir d’impossible, s’attendre à tout,
et supposer que tout ce qui peut être, est ».

z
Les éléments, leurs noms et leurs découvreurs
Tout au long de l’ouvrage, les noms des éléments sont comme des
révélateurs de l’inspiration des chercheurs formant la longue chaîne
humaine qui, de par le monde, a fait progresser la chimie et son langage.
Grâce à des références culturelles communes, et à l’utilisation des
racines grecques et latines, ce langage est une sorte d’espéranto qui
favorise les échanges entre les chercheurs du monde entier.

247
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Table des matières


Préface . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . IV

Avant-propos . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . VI

Aide à la lecture . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . IX

Aide à la lecture . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . XI

1 Le feu, l’air, l’eau, la terre… et le 5e élément ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1


Où l’on voit comment Lavoisier a fait émerger la chimie moderne
1. Terre, précieuse mine de diamant ! . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4
Le carbone (C), le charbon, le diamant, le graphite, le graphène et le fullerène
2. L’air et l’eau, éléments de la vie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8
L’hydrogène (H), l’oxygène (O)… et l’azote (N)
3. Une quête qui mène au feu . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12
Le phosphore (P) et le phosgène
4. Le 5e élément… vers la quintessence ! . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 16
L’éther, l’alcool éthylique, l’éthane, le méthane, le propane… et les alcanes

2 Au bonheur des artistes et des artisans . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 21


Où l’on se rappelle que les Anciens connaissaient 7 métaux
1. Un métal pour l’éternité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 24
L’or (Au)
2. Noces de métaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 28
Le mercure (Hg), l’argent (Ag), le platine (Pt) et le cinabre
3. Métaux et alliages emblématiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 32
Le cuivre (Cu), le zinc (Zn), le cadmium (Cd), le bronze et le laiton
4. Le métal des arts martiaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 36
Le fer (Fe), la sidérite, la pyrite, l’hématite et la magnétite
5. Jeu de taquin entre métaux. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 40
Le plomb (Pb), le molybdène (Mo), l’étain (Sn), la galène,
la molybdénite et la cassitérite
6. Des histoires sulfureuses . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 44
Le soufre (S), l’antimoine (Sb) et l’alcool

248
Des dieux et des planètes

3 Dieux, mythes et légendes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 49


Où l’on se plonge dans la mythologie et l’astronomie
1. Des dieux et des planètes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 52
L’uranium (U), le neptunium (Np), le plutonium (Pu), le tellure (Te), le sélénium (Se),
le cérium (Ce) et le palladium (Pd)
2. Ciel ou enfer ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 56
Le titane (Ti), le zirconium (Zr), le tantale (Ta), le niobium (Nb) et l’iridium (Ir)
3. Prométhée et les terres cachées . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 60
Le cérium (Ce), le lanthane (La), le samarium (Sm), l’europium (Eu), le praséodyme (Pr),
le néodyme (Nd), le prométhium (Pm), le gadolinium (Gd) et le technétium (Tc)
4. Hélène de Troie et les sucres . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 64
L’inuline et l’insuline
5. Des nains démoniaques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 68
Le nickel (Ni), le cobalt (Co) et l’arsenic (As)
6. La peur du loup-garou . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 72
Le tungstène (W) et le wolfram
7. Vanadis et Thor, le jour et la nuit . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 76
Le vanadium (V), le thorium (Th), le chrome (Cr) et le rhodium (Rh)
8. Les oracles d’Amon . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 80
L’ammoniaque, l’ammoniac, l’ammonium, une amine et un amide

4 Voyages avec les mots . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 85


Où l’on trouve des noms de villes, de pays, et même de continents
1. Une bonne récolte en Scandinavie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 88
L’yttrium (Y), l’ytterbium (Yb), le terbium (Tb), l’erbium (Er), l’holmium (Ho),
le scandium (Sc), le thulium (Tm), le dysprosium (Dy), le lutécium (Lu) et le hafnium (Hf)
2. France et Allemagne, face à face. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 92
Le gallium (Ga), le germanium (Ge), le ruthénium (Ru) et le francium (Fr)
3. En Écosse, du côté du loch Ness . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 96
Le baryum (Ba), le strontium (Sr), le calcium (Ca), le magnésium (Mg), le bérylium (Be),
le radium (Ra) et les métaux alcalinoterreux
4. Sur les bords de la mer Égée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 100
Le manganèse (Mn), le rhénium (Re), la magnétite, la magnésite,
la magnésie et la colophane
5. En passant par l’Irlande . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 105
Le carraghénane et l’agar-agar

5 Les goûts, les couleurs et les odeurs des noms . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 109


Où l’on perçoit le mot dans tous les sens du terme
1. Ne pas abuser du sucre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 112
Le dextrose, le lévulose, le glucose et le fructose
2. Quand ça sent le roussi. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 116
L’ozone et l’osmium (Os)

249
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3. Une couleur qui ne s’imposait pas . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 120


L’indium (In), le rubidium (Rb), le césium (Cs) et le thallium (Tl)
4. Une histoire qui ne manque pas de sel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 124
Le fluor (F), le chlore (Cl), le brome (Br), l’iode (I) et l’astate (At)

6 Les explorateurs d’éléments . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 129


Où l’on voit comment ils ont baptisé leurs découvertes
Humphry Davy
1. Les sels de la terre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 132
Le nitre, l’acide nitrique, les nitrates, le borax, le bore (B) et les borates
2. Du minéral dans le végétal . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 136
La zéolithe, la soude, la potasse, le lithium (Li), le sodium (Na), le potassium (K)
et les métaux alcalins
3. Le manteau terrestre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 140
Le quartz, le silex, la silice, l’alumine, le silicium (Si) et l’aluminium (Al)

Emil Fischer
4. Les sucres de la vie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 144
Le xylose, le lyxose, l’arabinose et le ribose
5. L’alphabet du règne vivant . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 148
L’urée, la purine, l’adénine, la guanine, la pyrimidine, la cytosine, la thymine et l’uracile
6. Des noms éclectiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 152
La valine, l’acide valérique et l’acide pivalique

William Ramsay
7. D’étranges gaz cachés dans l’air . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 156
L’hélium (He), le néon (Ne), l’argon (Ar), le krypton (Kr), le xénon (Xe) et le radon (Rn)

Glenn Seaborg
8. Quand vient le tour de la physique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 160
L’actinium (Ac) et les 14 autres actinides, le rutherfordium (Rf) et les autres transactinides

7 Dans l’intimité des plantes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 165


Où la botanique est source d’inspiration
1. Le blé au four et au moulin . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 168
L’amidon et l’amylase
2. Le meilleur et le pire d’une graine . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 172
La ricinoléine, la ricine et l’acide crotonique
3. L’arbre du réconfort. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 176
La quinine et la cinchonine
4. Et revoici Jupiter, avec des noix ! . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 180
La juglone et la lawsone
5. Bois d’œuvre et bois de chauffe . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 184
La lignine, le lignite, la cellulose et le xylose
6. L’arbre inventeur du polystyrène . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 188
Le styrène et le benzène

250
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7. Les arômes des plantes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 192


La népétalactone, la térébenthine, le pinène, l’isoprène et autres terpènes…,
et l’acide téréphtalique

8 Histoires animalières . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 197


Où se rencontrent la zoologie et la chimie
1. Un malin, ce renard . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 200
La fuchsine
2. Le beurre et l’acide du beurre. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 204
L’acide butyrique, le butane, les acides caproïque, caprylique, caprique,
et le caprolactame
3. Un nom qui convient au poil . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 208
La kératine et le kérosène
4. Une découverte dans le foie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 212
L’héparine

9 Des produits du quotidien nous racontent . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 217


Où l’on découvre l’histoire des noms de produits usuels
1. Le secret de la porcelaine . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 220
Le kaolin
2. Un produit qui fait du propre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 224
L’eau de Javel
3. Une histoire à rebondissements . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 228
Le caoutchouc naturel et l’ébonite
4. Un génial inventeur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 232
La bakélite, le phénol, le formol, l’acide formique, la mélamine et le formica
5. Un verre à double facette . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 236
Le plexiglas, l’altuglas, l’acroléine et l’acide acrylique
6. De l’alambic à la raffinerie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 240
Le white-spirit, le naphta, le naphtalène, le bitume, le béton, l’asphalte et le goudron

Épilogue des épilogues . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 245

Table des matières . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 248

Références . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 252

Index . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 254

251
Références
Les références générales utilisées pour le présent ouvrage sont les
suivantes.

z
Dictionnaires étymologiques
Bloch Oscar et von Wartburg Walther, Dictionnaire étymologique de la
langue française, PUF, 2002 (réimp. 5e édition, 1932).
TLF, le Trésor de la Langue Française, CNRS, 1993, TLF informatisé :
http://atilf.atilf.fr/
Corominas Joan, Breve diccionario etimológico de la lengua castellana,
Gredos, Madrid, 2006 (1re édition 1961).
Simpson John et Weiner Edmund (Ed.), The Oxford English Dictionary,
20 vol., 2e éd., Clarendon Press, Oxford, 1989.
Kluge Friedrich, et Seebold Elmar, Etymologisches Wörterbuch der
deutschen Sprache, de Gruyter, Berlin, 1989.
dictionnaires Larousse et Robert.

z
Ouvrages relatifs à la chimie et au tableau
périodique
Elvira Mary Weeks, Discovery of the Elements, 3rd ed. revised 1935
(1st 1933), Journal of Chemical Education, Easton, Pa, USA, 371 p.
Scerri Eric, Le tableau périodique, Son histoire et sa signification, EDP
Sciences, Paris, 2011, 349 p.
(1re éd. The periodic Table, its story and its significance, Oxford, 2006).
de Menten Pierre, Dictionnaire de chimie, Une approche étymologique et
historique, De Boeck, Bruxelles, 2013, 395 p. + références en pdf.

252
La prodigieuse histoire du nom des éléments

z
Sites Internet
IUPAC
van der Krogt Peter, Elementymology & Elements Multidict, http://www.
vanderkrogt.net/elements/ (dernière mise à jour : 13 juin 2016).

z
Ouvrages relatifs à l’Antiquité
Pline (l’Ancien), Histoire naturelle, édition bilingue Les belles lettres,
Paris, 37 volumes
Grimal Pierre, Dictionnaire de la mythologie grecque et romaine, PUF,
Paris, 1re ed. 1951, 14e éd. 1999, 574 p.

253
&KDSLWUH,QGH[

Index
A argon 20, 30, 48, 61, 83, 108, 128, 131, 156,
157, 158, 164, 250
acétique 110, 199 arsenic 20, 26, 48, 53, 55, 68, 70, 71, 83, 95,
acétone 199 108, 128, 164, 249
acide 8, 9, 10, 15, 17, 44, 110, 111, 124, 132, asparagine 155
133, 144, 145, 146, 148, 149, 150, 152, asphalte 240, 241, 242, 243, 251
153, 154, 155, 166, 172, 174, 175, 181, astate 20, 48, 83, 108, 124, 126, 127, 128,
189, 192, 194, 195, 197, 198, 199, 204, 164, 124
205, 225, 232, 233, 234, 236, 237, 249, azote 9, 20, 48, 83, 108, 128, 164, 235
250, 251
acroléine 236, 237, 251
acrylique 236, 237, 251 B
actinium 20, 48, 83, 108, 128, 160, 164, 250
bakélite 232, 233, 251
adénine 146, 148, 150, 250
baryum 13, 20, 48, 83, 96, 97, 98, 108, 128,
agar-agar 105, 107, 249
130, 164, 249
airain 32
base 5, 7, 69, 79, 110, 118, 136, 143, 149,
alanine 155
150, 164, 219, 220
alcalin 137, 138, 139
benzène 188, 189, 234, 250
alcalinoterreux 23, 96, 108
benzoïque 189
alcaloïde 127, 166, 167
berkélium 20, 48, 55, 83, 108, 128, 160, 161,
alcane 17, 199, 234
164
alcool 16, 17, 44, 47, 166, 190, 233, 234, 248
béryllium 20, 48, 83, 96, 97, 98, 108, 128, 164
altuglas 236, 237, 238, 239, 251
béton 240, 241, 242, 243, 251
alumine 140, 142, 250
bismuth 20, 46, 48, 53, 55, 83, 108, 126, 128,
aluminium 20, 48, 83, 94, 108, 128, 130, 140,
164
142, 164, 250
bitume 240, 241, 242, 251
alun 142
blende 42
amalgame 30, 31, 42, 81
bohrium 20, 48, 83, 108, 128, 162, 163, 164
américium 20, 48, 55, 83, 87, 108, 128, 160,
bore 20, 48, 83, 108, 128, 130, 132, 133, 163,
161, 164
164, 249
amide 80, 82, 249
brome 20, 48, 83, 108, 117, 118, 124, 126,
amidon VII, 111, 166, 168, 169, 170, 171,
127, 128, 164, 124
215, 250
bronze 22, 32, 33, 35, 86, 213, 248
amine 80, 82, 249
butane 16, 18, 204, 205, 206, 207, 250
ammoniac 9, 51, 80, 81, 82, 139, 249
butyrique 204, 205, 250
ammoniaque 80, 81, 82, 249
ammonium 80, 81, 139, 249
amylase 168, 170, 250
antimoine 20, 44, 46, 48, 53, 55, 72, 83, 108,
C
128, 164, 248 cadmium 20, 32, 35, 48, 55, 83, 86, 108, 120,
arabinose 144, 145, 250 128, 164, 248
argent VI, 20, 22, 23, 24, 28, 29, 30, 31, 41, calamine 33, 35
42, 48, 51, 52, 55, 83, 93, 108, 120, 128, calcaire 96
155, 164, 248 calcium 13, 20, 48, 74, 75, 83, 96, 97, 108,
arginine 155 128, 130, 164, 249

254
La prodigieuse histoire du nom des éléments

californium 20, 48, 83, 108, 128, 160, 161,


164
E
caoutchouc 193, 218, 228, 229, 230, 231, 251 ébonite 228, 230, 231, 251
caprique 204, 205, 250 einsteinium 20, 48, 83, 108, 128, 160, 162,
caproïque 204, 205, 250 164
caprolactame 204, 205, 250 enzyme 170, 199
caprylique 204, 205, 250 erbium 20, 48, 60, 83, 88, 89, 108, 128, 164,
carbone VI, X, 3, 4, 5, 6, 7, 11, 15, 20, 48, 249
83, 108, 128, 144, 164, 166, 182, 233, ester 166
234, 248 étain 20, 22, 32, 40, 41, 42, 46, 48, 52, 55, 72,
carraghénane 105, 106, 107, 249 83, 108, 120, 128, 164, 200, 248
cassitérite 40, 41, 248 éthane 16, 17, 18, 166, 248
cellulose 184, 185, 218, 250 éther 3, 16, 17, 19, 20, 50, 52, 151, 166, 248
cérium 20, 48, 52, 54, 55, 56, 60, 61, 83, 88, éthyle 16, 17, 150
108, 128, 130, 164, 248 europium 20, 48, 60, 62, 83, 87, 88, 94, 108,
césium 20, 48, 83, 96, 108, 120, 122, 123, 128, 161, 164, 248
128, 139, 164, 249
cétane 199
cétone 199 F
chalcopyrite 32
charbon 4, 5, 6, 134, 166, 182, 185, 242, 248 fer VI, 20, 22, 23, 34, 36, 37, 38, 39, 45, 48,
chaux 19, 96, 97 52, 55, 68, 72, 77, 83, 98, 100, 101, 103,
chlore VI, 15, 20, 48, 83, 108, 117, 124, 126, 108, 120, 124, 127, 128, 164, 247, 248
127, 128, 130, 164, 124 fermium 20, 48, 83, 108, 128, 160, 162, 164
chlorophylle 127 flerovium 20, 48, 83, 108, 128, 162, 163, 164
chrome 20, 48, 55, 68, 76, 83, 108, 128, 164, fluor VI, 20, 48, 83, 108, 124, 125, 126, 127,
249 128, 164, 124
cinabre 28, 31, 45, 248 fluorescéine 127
cinchonine 176, 178, 250 fluorine 125, 127
cobalt 20, 48, 53, 55, 68, 69, 70, 83, 108, 120, formique 198, 232, 233, 234, 251
128, 140, 164, 249 formol 232, 233, 234, 235, 251
copernicium 20, 48, 83, 108, 128, 162, 163, francium 20, 48, 83, 87, 92, 94, 102, 108, 128,
164 139, 164, 96
crotonique 172, 174, 175, 250 fructose 64, 112, 114, 115, 146
cuivre VI, 20, 22, 23, 32, 33, 34, 41, 42, 48, fuchsine 94, 200, 201, 203, 250
50, 52, 55, 68, 69, 70, 83, 86, 98, 108, 120, fullerène 4, 6, 248
128, 164, 248
curium 20, 48, 55, 83, 108, 128, 160, 161,
162, 163, 164 G
cystéine 155
cytosine 148, 150, 250 gadolinium 20, 48, 60, 62, 83, 88, 108, 128,
161, 164, 248
galactose 84, 106, 199
galène 40, 41, 42, 45, 46, 248
D gallium 20, 48, 55, 68, 83, 92, 93, 94, 95, 104,
darmstadtium 20, 48, 83, 108, 128, 162, 163, 108, 120, 128, 161, 164, 249
164 gaz 5, 8, 19, 47, 50, 51, 61, 62, 81, 118, 124,
dextrose 112, 113, 115, 249 129, 131, 156, 157, 158, 159, 164, 234,
diamant 1, 3, 4, 5, 7, 248 247, 250
dubnium 20, 48, 83, 108, 128, 162, 164 germanium 20, 48, 55, 68, 83, 92, 94, 95, 104,
dysprosium 20, 48, 60, 83, 88, 90, 108, 128, 108, 120, 128, 164, 249
164, 249 glucose 98, 111, 112, 113, 115, 146, 199, 249

255
Index

glutamine 155 kérosène 208, 210, 240, 251


glutamique 155 krypton 20, 48, 61, 83, 108, 128, 131, 156,
gluten 155 157, 158, 164, 250
glycine 155
goudron 234, 240, 241, 242, 251
graphène 4, 6, 7, 248 L
graphite 4, 5, 6, 7, 42, 137, 229, 248
guanine 148, 150, 250 lactose 199
laiton VII, 32, 33, 34, 248
lanthane 20, 48, 55, 60, 61, 83, 88, 108, 128,
H 131, 164, 248
lawrencium 20, 48, 83, 108, 128, 160, 162,
hafnium 20, 48, 55, 83, 88, 90, 108, 128, 164, 164
249 lawsone 180, 181, 182, 250
halogène 37, 118, 124, 126, 127 leucine 155
hassium 20, 48, 83, 108, 128, 162, 163, 164 lévulose 112, 114, 115, 249
hélium VI, 20, 48, 51, 55, 75, 83, 108, 128, lignine 167, 182, 184, 185, 186, 187, 250
156, 157, 158, 164, 250 lignite 182, 183, 184, 185, 250
hématite 36, 38, 248 lithium 20, 48, 83, 96, 108, 128, 136, 137,
héparine 212, 213, 215, 251 139, 164, 250
histidine 155 livermorium 20, 48, 83, 108, 128, 162, 163,
holmium 20, 48, 60, 83, 88, 90, 108, 128, 164
164, 249 lutécium 20, 48, 60, 83, 88, 90, 91, 108, 128,
hydrocarbure 8, 192, 210 164, 249
hydrogène VII, 3, 8, 9, 10, 11, 20, 48, 83, 108, lysine 155
128, 130, 139, 164, 248 lyxose 131, 144, 145, 152, 250

I M
indigo 120, 121, 122, 123 magnésie 19, 96, 97, 100, 102, 103, 249
indium 20, 48, 55, 83, 108, 120, 121, 122, magnésite 100, 103, 249
123, 128, 164, 249 magnésium 20, 48, 83, 96, 97, 100, 103, 108,
insuline 64, 66, 155, 249 124, 128, 130, 164, 249
inuline 64, 65, 66, 166, 249 magnétite 36, 100, 101, 102, 103, 248, 249
iode VI, 20, 48, 83, 108, 124, 125, 126, 127, manganèse 20, 48, 53, 55, 68, 72, 83, 100,
128, 164, 249, 124 102, 103, 104, 108, 128, 164, 249
iridium 20, 48, 55, 56, 58, 83, 108, 128, 164, meitnérium 20, 48, 83, 108, 128, 162, 163,
248 164
isoleucine 155 mélamine 232, 235, 251
isoprène 192, 193, 250 mendélévium 20, 48, 83, 108, 128, 160, 162,
164
mercaptan 47
J mercure 20, 22, 28, 29, 30, 31, 42, 47, 48,
Javel (eau de) 218, 224, 225, 226, 227, 251 51, 52, 55, 56, 81, 83, 108, 128, 164, 248
juglone 167, 180, 181, 182, 183, 250 métal 13, 21, 22, 23, 24, 25, 28, 29, 30, 31,
33, 35, 36, 42, 46, 48, 50, 51, 52, 53, 54,
55, 56, 57, 58, 60, 61, 62, 68, 69, 70, 72,
K 74, 75, 76, 77, 78, 89, 90, 93, 97, 98, 100,
102, 118, 120, 121, 123, 137, 139, 141,
kaolin 218, 220, 221, 223, 251 142, 156, 229, 248
kératine 208, 209, 210, 211, 251 methane 17

256
La prodigieuse histoire du nom des éléments

méthionine 155 phénol 167, 232, 233, 234, 235, 251


méthyle 17, 150, 219, 236, 237 phénylalanine 155
molybdène 20, 40, 41, 42, 48, 53, 55, 63, 83, phosgène 12, 15, 248
108, 128, 164, 248 phosphore VI, 12, 13, 14, 15, 20, 48, 83, 108,
morphine 167 128, 164, 218, 247, 248
moscovium 20, 48, 83, 108, 128, 162, 163, pinène 154, 180, 192, 193, 194, 250
164 pivalique 152, 154, 250
platine 20, 28, 31, 48, 53, 55, 83, 93, 108,
118, 128, 164, 248
N plexiglas VII, 236, 237, 238, 239, 251
plomb 5, 6, 13, 20, 22, 23, 40, 41, 42, 43, 46,
naphta 240, 241, 251 48, 52, 55, 83, 108, 128, 141, 164, 248
naphtalène 240, 241, 251 plombagine 5, 42
natron 132, 133, 134, 135, 138 plutonium 20, 48, 52, 54, 55, 83, 108, 128,
néodyme 20, 48, 60, 62, 83, 88, 108, 128, 131, 160, 161, 164, 248
164, 248 polonium 20, 48, 55, 83, 87, 102, 108, 128,
néon 20, 48, 83, 108, 128, 131, 156, 157, 158, 160, 164
159, 164, 250 polymère 64, 151, 185, 193, 218, 219, 232,
népétalactone 192, 250 236
neptunium 20, 48, 52, 54, 55, 83, 108, 128, porcelaine 217, 218, 220, 221, 222, 223, 251
160, 161, 164, 248 potassium 20, 48, 83, 96, 97, 108, 128, 130,
nickel 20, 36, 42, 48, 53, 55, 68, 69, 70, 83, 132, 133, 134, 135, 136, 137, 138, 139,
108, 120, 128, 136, 140, 164, 69 164, 166, 250
nicotine 167 praséodyme 20, 48, 60, 62, 83, 88, 108, 128,
nihonium 20, 48, 83, 108, 128, 162, 163, 164 164, 248
niobium 20, 48, 55, 56, 58, 83, 108, 128, 164, proline 155
248 prométhium 60, 63, 248
nitre 132, 133, 134, 135, 249 propane 16, 17, 248
nitrique 9, 132, 133, 194, 249 propyle 17
nobélium 20, 48, 83, 108, 128, 160, 162, 164 protactinium 20, 48, 55, 83, 108, 128, 160,
164
purine 131, 148, 149, 152, 250
O pyridine 150
pyrite 36, 45, 248
oganesson X, 20, 48, 83, 108, 128, 162, 164
or 2, 3, 22, 25, 29, 35, 53, 65, 73, 74, 82, 94,
107, 125, 180, 188, 205, 220, 222, 226,
229, 235, 238
Q
orichalque 33 quartz 3, 23, 140, 141, 250
orpiment 26, 71 quinine 110, 167, 175, 176, 178, 179, 181, 250
osmium 20, 48, 55, 83, 108, 116, 118, 119,
128, 164, 249
oxygène VI, 3, 8, 9, 10, 11, 15, 17, 20, 38, 44, R
48, 83, 108, 116, 118, 128, 130, 132, 141,
164, 166, 192, 224, 248 radium 20, 48, 83, 96, 108, 128, 159, 160,
ozone 116, 117, 118, 119, 249 164, 96
radon 20, 48, 83, 108, 128, 156, 158, 159,
164, 250
P rhénium 20, 48, 55, 83, 86, 100, 102, 104,
108, 128, 164, 249
palladium 20, 48, 52, 54, 55, 83, 108, 120, rhodium 20, 48, 55, 76, 83, 108, 120, 128,
128, 164, 248 164, 249

257
Index

ribose 131, 144, 145, 146, 147, 149, 152, 250 tellure 20, 48, 52, 54, 55, 56, 83, 108, 128,
ricine 172, 173, 250 130, 164, 248
ricinoléine 172, 250 tennesse 163
roentgenium 163 terbium 20, 48, 60, 83, 88, 89, 108, 128, 164,
rubidium 20, 48, 83, 96, 108, 120, 122, 123, 249
128, 139, 164, 249 térébenthine 192, 193, 194, 195, 250
ruthénium 20, 48, 55, 83, 92, 93, 108, 120, téréphtalique 192, 194, 195, 250
128, 164, 249 terpène 192, 193, 195
rutherfordium 20, 48, 83, 108, 128, 160, 162, thallium 20, 48, 55, 83, 108, 120, 122, 128,
164, 250 164, 249
théobromine 127, 167
thioalcool 47
S thiol 47
saccharide 111 thorium 20, 48, 55, 76, 78, 79, 83, 108, 128,
salpêtre 134, 135 130, 160, 164, 249
samarium 20, 48, 60, 62, 83, 88, 108, 128, thréonine 155
164, 248 thulium 20, 48, 60, 83, 86, 88, 90, 108, 128,
scandium 20, 48, 60, 83, 86, 88, 90, 96, 104, 164, 249
108, 128, 164, 249 thymine 148, 150, 250
scheelite 75 titane 20, 48, 55, 56, 58, 83, 90, 108, 128,
seaborgium 20, 48, 83, 108, 128, 162, 164 130, 164, 248
sel VI, 10, 37, 47, 62, 81, 95, 109, 110, 124, tryptophane 155
126, 132, 133, 134, 226, 240, 249 tungstène 20, 23, 48, 53, 55, 72, 74, 75, 83,
sélénium VI, 20, 48, 52, 55, 83, 108, 128, 108, 128, 164, 198, 249
130, 164, 248 tyrosine 155
sérine 155
sidérite 36, 248
silex 140, 141, 142, 250 U
silice 140, 141, 142, 250 uracile 148, 150, 250
silicium VI, 20, 40, 48, 83, 94, 95, 108, 128, uranium VI, VII, 20, 48, 51, 52, 53, 54, 55,
130, 140, 141, 142, 143, 164, 250 56, 63, 83, 108, 128, 130, 156, 157, 160,
sodium VI, 20, 48, 83, 96, 97, 108, 110, 124, 164, 248
125, 128, 130, 132, 133, 134, 135, 136, urée 77, 78, 81, 148, 149, 150, 151, 250
137, 138, 139, 156, 164, 166, 226, 250 uréthane 150, 151
soude 135, 136, 138, 139, 166, 250
soufre VI, 19, 20, 23, 44, 45, 47, 48, 70, 71,
83, 108, 128, 134, 155, 164, 228, 229,
230, 248
V
stibine 46 valine 152, 155, 250
strontium 20, 48, 83, 96, 97, 108, 128, 130, vanadium 20, 48, 55, 61, 76, 77, 78, 79, 83,
164, 249 108, 128, 130, 164, 249
styrène 167, 188, 189, 190, 191, 247, 250
sucre 109, 110, 111, 112, 115, 144, 145, 146,
155, 168, 187, 249 W
white-spirit 240, 242, 251
T wolfram(ite) 72, 73, 74, 75, 249

tantale 20, 48, 55, 56, 57, 58, 83, 108, 128,
164, 248
technétium 20, 48, 55, 60, 63, 83, 102, 104,
X
108, 128, 164, 248 xanthate 44

258
xénon 20, 48, 83, 108, 128, 131, 156, 157,
158, 164, 250
Z
xylène 187 zéolithe 136, 137, 250
xylose 144, 145, 149, 184, 187, 250 zinc 20, 32, 33, 35, 42, 48, 53, 55, 68, 83, 108,
120, 128, 164, 248
zirconium 20, 48, 55, 56, 83, 90, 108, 128,
Y 164, 248

ytterbium 20, 48, 60, 83, 88, 89, 90, 108, 128,
164, 249
yttrium 20, 48, 60, 83, 88, 89, 90, 96, 108,
128, 164, 249

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