Vous êtes sur la page 1sur 131

I. NECHAEV ET G.

JENKINS

Le roman des éléments

Traduit de l'anglais par Jean Deguillaume


Traduit de The Chemical Eléments, publié par Tarquin Publications. © I. Nechaev, G.W.Jenkins, 2003.
Illustrations de Borin Van Loon.
Couverture : © David Nunuk / Science Photo Library.

© Éditions Belin 2005


EAN numérique : 9782701178332

Ouvrage numérisé avec le soutien du Centre national du livre.

Le code de la propriété intellectuelle n’autorise que « les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage
privé du copiste et non destinées à une utilisation collective » [article L. 122-5] ; il autorise également les courtes
citations effectuées dans un but d’exemple ou d’illustration. En revanche « toute représentation ou reproduction
intégrale ou partielle, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite » [article L.
122-4].

Ce livre numérique a été converti initialement au format XML et ePub le 02/08/2013 par Prismallia à partir de
l’édition papier du même ouvrage.

Retrouvez l’ensemble de nos titres sur notre site http://www.editions-belin.com


Présentation

En réalisant de périlleuses expériences dans l’arrière-boutique de son patron, Carl Scheele, chimiste autodidacte,
comprend que l’air est composé de deux gaz aux propriétés très différentes. Grâce à la pile électrique fraîchement
inventée, Humphry Davy, ancien cancre devenu universitaire, découvre deux nouveaux métaux dans la potasse et la
soude.
De l’oxygène (XVIIIe siècle) au radium (XXe siècle), cet ouvrage retrace les péripéties qui ont conduit à la découverte
des différents éléments constituant la matière. Nous emportant dans le quotidien des savants, il conte leurs
recherches, leurs tâtonnements, restitue leurs raisonnements, dans un récit où le hasard heureux côtoie l’intelligence,
l’inventivité, la ténacité, sans oublier l’émotion. Mêlant grande et petite histoire, les auteurs nous instruisent, en nous
étonnant et nous amusant à la fois.
Avant-propos

Ce merveilleux récit de la découverte des éléments chimiques a attiré mon attention pour la première fois à la fin
1994. Il arriva sous la forme d’un petit livre rouge défraîchi, imprimé sur du papier de temps de guerre. Il avait été
publié en 1944(1) et montrait, de manière remarquable, les émotions et les tribulations de la découverte scientifique ;
je décidais immédiatement de le rééditer.
À la même occasion, j’en ai profité pour ajouter un chapitre qui met ce récit à jour. Il explique comment la
science nucléaire et la mécanique quantique ont énormément fait progresser notre compréhension de ce que sont les
éléments chimiques et de la manière dont ils sont liés. En même temps, il apporte une explication claire de la
régularité du tableau périodique ; régularité et similarités qui ont tant intrigué Mendeleïev et les savants de son
temps. La dernière version du tableau périodique est donnée en page 178.
Toutes tentatives pour retrouver l’auteur ont échoué, mais les éditeurs seraient vraiment enchantés d’avoir des
nouvelles de M. Nechaev ou de sa famille. Il est extrêmement satisfaisant que son ouvrage continue à vivre et puisse
aujourd’hui servir à inspirer une autre génération.
Gerald Jenkins, Stradbroke (Grande-Bretagne), printemps 1997.
En avril 2003, six ans après la publication de ce livre en. 1991, un exemplaire attira l’attention du professeur
Victor Pan à New York et le mystère de l’existence de « I. Nechaev » fit résolu. C’était le pseudonyme du père du
professeur Pan, qui l’utilisa pour écrire ce livre qui fut publié à Moscou en. 1939.
L’histoire de l’auteur, racontée sous la forme d’une lettre de son fils à l’éditeur, est publiée en page 184.
[Note de l’éditeur français : la présente édition française est me traduction de l’édition britannique de 2003. Les
encadrés et les notes sont des compléments de la main du traducteur, à l’attention, de ceux qui souhaitent en savoir
plus sur les phénomènes chimiques décrits.]
Introduction

De quoi les choses sont-elles faites ?


Qu’est donc le sol sur lequel nous marchons ? Le Soleil au-dessus de nos têtes, les maisons et les machines, les
arbres, les buissons et les fleurs — et notre propre corps — de quoi sont-ils faits ?
Regardez simplement autour de vous et vous pourrez facilement compter des dizaines, des centaines de choses
différentes. Regardez le livre que vous lisez, par exemple. Il est fait de papier, de carton, d’encre d’imprimerie, de
colle… Et la table sur laquelle repose le livre ; elle est faite de bois, couvert de vernis, collé avec de la colle à bois.
Dans un coin, il y a un radiateur en fonte. Sur le mur, du lait de chaux pour couvrir le plâtre et les briques. Vous
trouverez deux types de verre dans votre pièce, celui de la fenêtre et celui des ampoules électriques. Vous pouvez
ajouter à cette liste le cuivre et le plastique des fils électriques, la porcelaine dans la douille, l’encre et l’acier d’une
plume, de la peinture de différentes couleurs, et beaucoup d’autres choses encore.
Si vous sortez, vous serez entourés de beaucoup plus de sortes de choses. Entrez dans une usine et essayez de
compter les différents objets que vous voyez. Allez dans un bois ou à la montagne, ou mettez un scaphandre et
descendez au fond de la mer. Partout, vous trouverez une grande diversité de choses.
On peut compter des dizaines de millions de substances différentes, animées ou inanimées. Prenez les pierres
précieuses seulement — il y a en a des centaines de sortes différentes sur Terre. Il existe des milliers de minerais
différents de fer, d’espèces d’arbres. Des couleurs, naturelles et artificielles, il y en a des dizaines de milliers.
Et quelle variété de qualités peut-on trouver parmi toutes ces choses ! Une substance est incroyablement dure ;
une autre se pulvérise au toucher de la main d’un enfant ; une a bon goût ; une autre brûle la langue. Certaines
choses sont transparentes, d’autres opaques, certaines sont ternes, d’autres étincelantes, certaines d’un gris sale,
d’autres blanches comme la neige. Certaines substances ne se solidifient pas, mais restent liquides à une température
de moins 250 °C. D’autres ne fondent pas, mais restent solides, même sous la terrible chaleur de l’arc électrique.
Une chose n’est affectée ni par la chaleur ni par le froid ni par l’humidité ou les acides forts ; tandis qu’une autre,
simplement sous la chaleur de la main, va exploser et se pulvériser en mille morceaux.
Tout dans la nature est en mouvement permanent. Des milliers de changements se produisent en permanence sur
chaque mètre carré du sol. Certaines choses disparaissent, d’autres prennent leur place. À première vue, il semble
que tous ces changements se produisent au hasard. Vous pourriez croire que tout est confusion et désordre. Mais en
vérité il n’en est rien. Il y a très longtemps, des gens ont pensé qu’il devait exister une certaine unité et une certaine
simplicité derrière cette immense variété de la nature. On a découvert que toutes les choses sont faites des mêmes
ingrédients simples, auxquels on a donné le nom d’« éléments ». Il n’existe qu’un petit nombre d’éléments, mais ils
peuvent former un nombre incalculable de composés et de combinaisons. Mis ensemble, les éléments forment toutes
les choses que nous trouvons dans le monde.
Une comparaison peut être faite avec le monde de la parole et celui du son. Tous nos mots sont constitués des 26
lettres de l’alphabet ; des milliers de mélodies différentes sont composées simplement en formant différentes
combinaisons des mêmes notes de musique : des hymnes et des marches funèbres, de simples chansons enfantines et
des symphonies compliquées.
Les éléments n’ont pas tous été découverts en même temps. Dans des temps reculés, les hommes étaient familiers
avec beaucoup d’entre eux. Mais il a fallu longtemps avant de comprendre qu’il s’agissait d’éléments et non de
composés. Par ailleurs, certains composés ont passé longtemps pour des éléments, du temps où les chimistes ne
savaient pas comment les analyser. Certains éléments sont si rares ou tellement cachés à nos yeux qu’un énorme
travail a été nécessaire pour les découvrir.
Les savants ont persévéré dans leur recherche des éléments pendant des centaines d’années. Ils ont passé de
nombreuses heures à la tâche et ont montré beaucoup d’ingéniosité et d’intelligence. Vous allez trouver leur histoire
dans ce livre. C’est le récit des plus importantes découvertes d’éléments et de la manière dont elles ont eu lieu.
Chapitre 1

L'air vital

Carl Scheele, l’apprenti apothicaire

Carl Wilhelm Scheele (1742-1786).

Dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle vivait en Suède un jeune apothicaire particulièrement enthousiaste. Son
nom était Carl Wilhelm Scheele. Bien qu’il ne fût qu’un simple apprenti et plus tard un aide de laboratoire, sa
grande diligence et sa dévotion à son travail étonnaient ses employeurs. Son travail consistait à préparer des pilules,
des remèdes et des emplâtres. Mais Scheele faisait toujours beaucoup plus que ce qu’on lui demandait. Dès qu’il
avait fini de préparer ses remèdes, il disparaissait dans un coin du laboratoire et commençait à broyer, à évaporer et à
distiller ses chers produits chimiques. Il restait dans le laboratoire nuit et jour. Il se plongeait dans de vieux livres de
chimie, que même des apothicaires expérimentés disaient être difficiles à comprendre. Et même s’il n’avait pas
passé tant de temps sur des expériences qui parfois se terminaient par des explosions inattendues, ce singulier
assistant n’aurait pas été trop bien vu de ses employeurs. Ses mains étaient toujours brûlées par les alcalis(2) ou les
acides. Il semblait même aimer l’odeur âcre du soufre et les vapeurs suffocantes de l’acide nitrique.
Un jour, Scheele prépara un composé qui sentait l’amande amère. Il respira les vapeurs pour en déterminer
l’odeur exacte. Puis il le goûta et sa bouche commença à le brûler. Quiconque tient à la vie n’oserait tenter une telle
expérience aujourd’hui. Le composé qui sentait l’amande amère était ce que nous appelons l’acide cyanhydrique(3),
qui est bien connu pour être un poison violent. Ce fut une bonne chose que Scheele n’en avale qu’une minuscule
goutte. Il ne savait pas que l’acide qu’il avait découvert était un poison. Mais, même s’il l’avait soupçonné, il aurait
probablement fait l’essai. Il ne connaissait pas de plus grande joie que de découvrir une nouvelle substance, que
personne d’autre dans le monde n’avait jamais vue, ou de découvrir de nouvelles propriétés pour des substances déjà
familières. Il faisait sans cesse de nouvelles expériences et il attendait anxieusement les résultats de chacune pour
voir ce qu’il pouvait apprendre de nouveau au sujet de la nature. Un jour, il écrivit une lettre à un ami : « Ce que ça
peut être émouvant pour un expérimentateur que de trouver ce qu’il cherche ! »
Scheele ressentit cette joie de nombreuses fois et il n’avait que lui-même à remercier pour sa bonne fortune. Il
n’avait été à aucune école ou université et il n’avait pas d’assistant. Il avait tout appris par lui-même ; il s’était même
initié à l’usage d’appareils simples, surtout des bocaux d’apothicaires, des cornues de verre et des vessies de bœuf.
Pendant huit ans, il fut apprenti chez l’apothicaire Bauch. Et quand, dix-neuf ans plus tard, il fut élu à l’Académie
suédoise des sciences, il n’était toujours qu’aide de laboratoire chez un apothicaire de province. Il dépensait toujours
la plus grande part de son maigre salaire à acheter des livres et des réactifs, tout comme il l’avait fait dans sa
jeunesse. Scheele était un chimiste-né et, comme tout vrai chimiste, il essayait de trouver « de quoi les choses sont
faites ». Surtout, il voulait découvrir quels étaient les éléments les plus simples à partir desquels les choses autour de
nous sont formées. De longues années d’expériences l’avaient convaincu qu’il ne pourrait jamais y parvenir avant de
comprendre la nature exacte du feu. De fait, presque aucune réaction chimique ne pouvait se produire sans chaleur,
sans feu.
Quand Scheele commença à étudier la nature du feu, il atteignit le point où il se demanda lui-même quel rôle l’air
jouait quand quelque chose brûlait. Il put se renseigner un peu à ce sujet dans les livres des vieux chimistes. Un
siècle auparavant, un Anglais, Robert Boyle, ainsi que plusieurs autres savants, avaient prouvé qu’aucune substance
ne peut brûler s’il n’y a pas une quantité suffisante d’air. Par exemple, si on couvre une bougie allumée d’une cloche
de verre, elle brûlera quelque temps, puis elle s'éteindra. Et si on fait le vide sous la cloche, la bougie s'éteint
instantanément. Par ailleurs, si l’on envoie plus d’air sur un feu, comme les forgerons le font avec leur soufflet de
forge, la flamme devient plus ardente et plus chaude. Mais personne en ce temps ne pouvait expliquer pourquoi il en
est ainsi, précisément pourquoi l’air est indispensable à la combustion.
Afin d’étudier ce phénomène, Scheele commença à effectuer des expériences avec différents produits chimiques,
dans des récipients hermétiquement fermés. Il raisonna ainsi : « Il y a seulement me quantité limitée d’air dans un
récipient fermé et aucun air extérieur ne peut y pénétrer. Donc, si l’air a quelque chose à voir avec la combustion et
d’autres changements chimiques, ce sera la méthode la plus facile pour le découvrir. »
En ce temps-là, l’air était toujours considéré comme un élément — c’est-à-dire une substance qui ne pouvait être
séparée en parties encore plus simples. Scheele partageait cette croyance, mais il fut bientôt obligé de changer
d’avis.

Pourquoi le feu s'éteint-il ?

Une nuit, Carl Scheele était dans le laboratoire de son patron à Uppsala, où il préparait ses expériences
journalières. Un silence de mort régnait dans le bâtiment. Il y avait longtemps qu’il avait fermé la porte derrière le
dernier client et que le propriétaire de la boutique était parti se coucher. Scheele se délectait parmi ses bocaux et ses
cornues. Il sortit d’une armoire un grand bocal plein d’eau, au fond duquel se trouvait un morceau d’un produit
jaune, qui ressemblait à de la cire. L’eau et le produit cireux au fond du bocal émettaient une mystérieuse lumière
verdâtre dans l’obscurité partielle de la pièce. Le produit était le phosphore, que les chimistes gardent toujours sous
l’eau, parce qu’il se transforme immédiatement quand il est exposé à l’air, en perdant ses propriétés habituelles.
Scheele introduisit son couteau dans le bocal et coupa un petit morceau de phosphore sans le sortir de l’eau. Il le
jeta dans un flacon de verre vide, qu’il boucha avec un bouchon de liège, puis porta ensuite au-dessus d’une bougie
allumée. Dès que la pointe de la flamme toucha le flacon, le phosphore fondit et se rassembla au fond en une petite
flaque. Une seconde plus tard, il s’enflamma et le flacon se remplit d’un épais brouillard, qui se déposa rapidement
sur les parois comme du givre.
Tout cela eut lieu en un instant. Le phosphore prit feu d’un seul coup et se transforma en acide phosphorique sec
(aujourd’hui, on appelle cet acide l’anhydride phosphorique. Quand il est dissous dans l’eau, la solution est appelée
acide phosphorique. Mais, du temps de Scheele, ces deux substances étaient appelées acides). L’expérience était très
spectaculaire. Mais Scheele en parut fort peu ému. Ce n’était pas la première fois qu’il mettait le feu à du phosphore
et qu’il le regardait se transformer en acide. Dans ce cas, ce n’était pas le phosphore lui-même qui l’intéressait.
C’était tout à fait autre chose : il voulait savoir ce qui arrivait à l’air présent dans le flacon quand le phosphore
brûlait.
Sitôt que le flacon eût refroidi, Scheele le retourna et en plongea le col dans une cuvette d’eau. Alors une chose
étrange se produisit : l’eau se rua dans le flacon et en remplit un cinquième du volume. « Encore ! marmonna
Scheele. Encore la même chose. Un cinquième de l’air a disparu et l’eau a rempli l’espace vide. » C’était étonnant !
Quelle que soit la substance que Scheele essayait de brûler dans un récipient clos, il obtenait toujours le même
curieux résultat : l’air dans le récipient perdait régulièrement un cinquième de son volume. À nouveau, la même
chose se produisait. Tout le phosphore avait brûlé. Tout l’acide phosphorique était resté dans le flacon, mais un
cinquième de l’air s’était échappé. Comment pouvait-il s’échapper d’un flacon hermétiquement clos ?
Tandis que le flacon refroidissait, Scheele avait préparé une nouvelle expérience. Il avait décidé cette fois-ci
d’essayer de brûler quelque chose d’encore plus combustible dans un flacon scellé : le gaz qui se forme quand un
métal se dissout dans un acide. La préparation du gaz combustible ne prit que quelques minutes. Scheele introduisit
un peu de limaille de fer dans une petite bouteille, y versa une solution d’huile de vitriol et ferma avec un bouchon
muni d’un long tube de verre. Le contenu de la bouteille bouillonna et de petites bulles argentées se formèrent.
Scheele tenait une bougie allumée à l’extrémité du tube de verre inséré dans le bouchon. Immédiatement, le gaz qui
s’échappait prit feu et une petite flamme pâle vacilla au bout du tube. (Lecteur, si vous essayez de reproduire cette
expérience vous-même, vous pouvez causer une explosion. Avant d’allumer le gaz, vous devez attendre quelques
minutes, jusqu’à ce que le tube en soit plein. Il vaudrait mieux ne pas essayer de réaliser de telles expériences vous-
même, mais les faire sous la surveillance de votre professeur.)
Ensuite, Scheele mit la bouteille dans un haut récipient de verre rempli d’eau et renversa un flacon vide par-
dessus, de façon à ce que le col du flacon fût sous l’eau et que l’air ne puisse s’en échapper. La petite flamme pâle
continua à brûler dans cet espace clos. Au moment où le flacon fut renversé sur la flamme, l’eau commença à
monter dans celui-ci. La flamme continuait à brûler dans la partie supérieure et l’eau montait progressivement dans
la partie inférieure. Au fur et à mesure qu’elle montait, la flamme devenait plus faible, jusqu’au moment où elle
s’éteignit complètement.

Scheele mit la bouteille dans un haut récipient de verre rempli d'eau et renversa un flacon vide par-dessus.

Scheele remarqua qu’à ce moment l’eau occupait environ un cinquième du volume du flacon. « Voyons un peu,
pensa-t-il, admettons que l’air, pour une raison inconnue, disparaisse pendant la combustion. Mais pourquoi
seulement un cinquième ? Il y a toujours assez de gaz pour entretenir la flamme pendant un long moment. La
limaille de fer bouillonne toujours, il y a toujours de l’acide. Si je retire le flacon et rallume le gaz à l’air libre, il
brûlera à nouveau. Pourquoi la flamme s’éteint-elle dans le flacon, quand il y a toujours quatre cinquièmes
d’air ? » Soudain, une vague théorie émergea de son esprit, une de celles qui lui étaient venues plusieurs fois. « Est-
il possible que l’air qui reste dans le flacon soit différent de cette partie qui a disparu pendant la combustion ? » Il
était sur le point de commencer une autre expérience pour tester cette hypothèse, mais, en regardant la pendule, il
abandonna l’idée à regret. Il était déjà minuit passé et il savait qu’il devait être à son poste tôt le lendemain matin,
pour préparer ses remèdes. Il éteignit alors sa bougie et quitta le laboratoire à contrecœur. Mais cette idée de deux
différents types d’air persistait dans son esprit. Il y pensait toujours quand il s’endormit.
La préparation du gaz combustible

« Le gaz qui se forme quand un métal se dissout dans un acide » est l'hydrogène. Aujourd'hui, l'huile de vitriol est appelée acide
sulfurique. Les acides contiennent des atomes d'hydrogène, qui au contact de certains métaux, « s'échappent » sous forme de gaz
hydrogène. Ce gaz est non seulement très combustible, mais il peut aussi exploser en présence d'oxygène. C'est pourquoi il est
fortement déconseillé d'essayer de reproduire l'expérience de Scheele sans l'assistance d'une personne expérimentée !

[Pour ceux qui aiment les formules…]


L'acide sulfurique a pour formule H2SO4 et sa solution : 2 H+ + S042-.
La réaction qui a lieu avec le fer (Fe) s'écrit :
Fe + 2 H+→ Fe2+ + H2
Il s'agit d'une réaction d'oxydoréduction.
En chimie, le gaz formé, H2, est appelé plus rigoureusement dihydrogène, car chaque molécule contient deux atomes d'hydrogène.

L'air vivant et l’air mort

Le lendemain, aussitôt après avoir achevé ses tâches routinières, Scheele se mit ardemment au travail pour tester
sa nouvelle théorie. Il relut toutes les notes qu’il avait prises sur son carnet de laboratoire depuis qu’il avait
commencé à étudier le feu et la combustion. Il répéta quelques expériences. Il examina très attentivement l’air qui
restait dans le flacon après que quelque chose y eut brûlé. Cet air semblait sans vie et parfaitement inutile. Rien ne
voulait y brûler. Des bougies allumées s’y éteignaient comme si une personne invisible les avait soufflées. Des
charbons ardents y refroidissaient ; un tison y mourait aussi vite que s’il avait été arrosé d’eau. Même le phosphore
refusait de s’y consumer.
Scheele essaya de placer des souris vivantes dans un récipient rempli d’air mort. Elles moururent immédiatement
par suffocation. Pourtant, cet air ne paraissait pas différent de l’air ordinaire. Il était tout aussi transparent, incolore,
insipide et inodore que l’air qui remplissait la pièce.
Soudainement, tout parut clair à Scheele : l’air ordinaire, l’air qui est tout autour de nous, n’était pas un élément,
comme on avait pu le penser depuis toujours. Ce n’était pas une simple substance, mais un mélange de deux choses
entièrement différentes. L’une entretenait la combustion, mais disparaissait quelque part au cours de celle-ci.
L’autre, la plus importante, était totalement indifférente au feu et aux substances subissant la combustion. Et si l’air
avait consisté en cette partie seulement, il n’y aurait jamais eu une seule étincelle ou un seul feu sur Terre.
Bien sûr, Scheele était beaucoup plus intéressé par la partie active de l’air, la partie qui disparaissait durant la
combustion, que par la partie morte. « Je me demande si je peux obtenir cette partie active à l’état pur, la séparer de
l’air mutile ? » se demanda-t-il. Et il se trouve qu’il le put.
Il se rappela qu’il avait été intrigué quand il avait vu comment des bouts de suie s’enflammaient quand ils
flottaient au-dessus d’un creuset dans lequel du salpêtre était en fusion (le même qui est utilisé pour faire la poudre
noire(4)). « Pourquoi, se demanda-t-il, ces bouts de suie s’allument-ils si fadement ? Est-ce parce que cette partie de
l’air particulière, qui cause la combustion, se dégage du salpêtre en fusion ? » Il renonça quelque temps à toutes
autres expériences pour se consacrer au salpêtre. Il le fit fondre, le distilla parfois avec un peu d’huile de vitriol,
parfois sans, il le broya avec du soufre et du charbon. Le propriétaire de la boutique d’apothicaire surveillait toute
cette activité avec quelque inquiétude. Il pensait qu’à tout moment toutes ses possessions ici-bas pourraient se
transformer en fumée. Il n’y a en effet qu’un pas du salpêtre à la poudre noire.
Mais quelque chose de très différent se produisit. Un jour, alors que le propriétaire de la boutique louait les vertus
d’un de ses emplâtres à la moutarde à l’un de ses fidèles clients, Scheele fit soudain éruption dans la boutique. Il
agitait une bouteille vide et criait : « De l’air combustible, de l’air combustible !
– Pour l’amour du ciel, que se passe-t-il ? » demanda l’apothicaire éberlué. Connaissant le calme et la réserve
naturels de son assistant, il pensait que quelque chose de dramatique devait être arrivé pour le rendre aussi
exubérant. « De l’air combustible ! » s’écria Scheele de nouveau, en exhibant la bouteille vide qu’il tenait dans sa
main. « Venez voir ! Je vais vous montrer un véritable miracle ! » Et il traîna l’apothicaire éberlué et le client dans le
laboratoire. Avec une pelle, il prit quelques morceaux de charbon au rouge dans un brasero, puis il ouvrit la bouteille
et les y laissa tomber. Instantanément une flamme chaude et blanche jaillit des charbons à demi éteints. « De l’air
combustible ! » répéta Scheele fièrement. L’apothicaire et le client se regardèrent avec stupéfaction. Ni l’un ni
l’autre ne dirent un mot.
Ensuite, Scheele prit un petit morceau de bois, l’alluma, puis l’éteignit en soufflant dessus et le laissa tomber
dans une autre bouteille de son « air combustible ». Une fois encore, le point rouge se remit à brûler vivement.
« Qu’est-ce que c’est que cette magie ? » bégaya le pauvre client, en croyant à peine ses yeux. À ce qu’il pouvait
voir en effet, la bouteille était complètement vide. Scheele essaya d’expliquer : « Il y avait du gaz dam cette
bouteille, de l’air combustible. Je l’ai obtenu en distillant du salpêtre. Seulement un cinquième de l’air ordinaire,
l’air qui nous entoure, est combustible. » Le client cligna des paupières. Il ne comprenait pas un mot de ce que disait
Scheele. « Excusez-moi, Carl, dit l’apothicaire fermement, vous dites des bêtises. Qui va croire qu’il y a autre chose
que de l’air dans l’air ? Tout le monde ne sait-il pas que l’air est toujours et partout le même ? Tout de même, je
dois admettre que votre expérience du bâton ardent était très impressionnante. Rurriez-vous recommencer ? »
Scheele ranima facilement le point rouge sur la baguette de bois. Néanmoins, il ne réussit pas à convaincre son
employeur. Les gens avaient l’habitude de penser que l’air est un élément uniforme, inchangeable et il était difficile
de les persuader d’un seul coup qu’il en était autrement. À vrai dire, Scheele lui-même trouvait étrange que l’air soit
constitué de deux gaz si différents : l’air combustible et l’air inutile, comme il les appelait. Cependant, il n’y avait
aucun doute, et d’autant moins que Scheele était capable de préparer de l’air ordinaire lui-même, en mélangeant une
partie d’air de « salpêtre » avec quatre parties d’air inutile. Les bougies brûlaient tranquillement dans ce mélange.
Les souris y respiraient aussi facilement que dans l’air ordinaire.
Scheele apprit bientôt à obtenir de l’air combustible par une méthode très simple : en chauffant tout bonnement
du salpêtre. Il introduisait du salpêtre sec dans une cornue de verre, qu’il plaçait sur un brasero et, sitôt que le
salpêtre commençait à fondre, il maintenait une vessie de bœuf vide sur le col de la cornue. Lentement, la vessie
commençait à gonfler, et se remplissait de l’air combustible qui provenait de la cornue. Il trouva alors une méthode
ingénieuse pour transférer cet air de la vessie vers le récipient qu’il désirait — une bouteille, un verre ou un flacon.
Scheele introduisait du salpêtre sec dans une cornue de verre, qu'il plaçait sur un brasero et, sitôt que le salpêtre commençait à fondre, il
maintenait une vessie de bœuf vide sur le col de la cornue.

Scheele découvrit encore une autre méthode pour obtenir de l’air combustible pur à partir d’écailles d’oxyde de
mercure(5). Mais celle qui utilisait le salpêtre était moins chère. Il l’employait donc la plupart du temps pour ses
expériences.
Il était totalement fasciné par sa dernière découverte. Il n’y avait rien au monde qui lui fasse plus plaisir que de
regarder différentes choses brûler dans l’air combustible pur. Elles brûlaient très vite avec une lumière aveuglante,
beaucoup plus éblouissante que dans l’air ordinaire. Et l’air combustible disparaissait totalement du récipient
pendant la combustion. Le fait fut particulièrement flagrant quand Scheele réalisa l’expérience avec du phosphore
dans un flacon scellé. La flamme était si éblouissante qu’elle faisait mal aux yeux si on la regardait. Plus tard, quand
le flacon eut refroidi et que Scheele voulut le placer dans une bassine d’eau, il implosa avec un bruit assourdissant
au moment où il le toucha, et vola en mille éclats.
Heureusement, il ne fut pas blessé et il garda assez de présence d’esprit pour comprendre ce qui avait causé
l’explosion : pendant la combustion, l’air combustible avait tout consommé et laissé le vide total dans le flacon. La
pression de l’air extérieur avait donc écrasé le flacon, tout comme un casse-noisettes écrase une coquille vide.
Quand il réalisa cette expérience à nouveau avec du phosphore, Scheele fut plus prudent. Il utilisa un flacon solide, à
parois épaisses, qui pouvait supporter la pression de l’air. Cette fois, quand le phosphore eut brûlé et que le flacon
eut refroidi, il mit le col dans l’eau et essaya d’enlever le bouchon, sous l’eau, pour voir combien d’air combustible
restait. Mais il lui fut très difficile d’enlever le bouchon. De toute évidence, il régnait un vide presque parfait à
l’intérieur du flacon et la pression extérieure poussait le bouchon avec force dans le col. Tout se passait comme s’il
était serré par une puissante paire de tenailles. Scheele décida alors de pousser le bouchon vers l’intérieur. Il n’eut
aucune difficulté à le faire et, immédiatement, l’eau de la bassine où il avait plongé le flacon renversé s’engouffra et
remplit totalement le flacon.
Ainsi, il était absolument sûr que l’air combustible avait complètement disparu pendant la combustion. Scheele
essaya de respirer l’air combustible pur dans la vessie. Il ne put pas faire de différence avec l’air ordinaire. De fait, il
est bien sûr beaucoup plus facile de respirer l’air combustible que l’air ordinaire. C’est pour cela qu’aujourd’hui on
en donne aux personnes malades ou mourantes qui ont des difficultés à respirer. Simplement, on ne l’appelle pas
« air combustible ». On l’appelle oxygène.

L'insaisissable phlogistique

Scheele était occupé à démêler le mystère du feu, quand ses recherches le menèrent à la découverte inattendue
que l’air n’était pas un élément, mais un mélange de deux gaz, qu’il appela air « combustible » et air « inutile ». Ce
fut la plus importante des nombreuses découvertes majeures de Scheele. Mais avait-il atteint son intention
première ? Avait-il découvert la véritable nature du feu ? Comprenait-il maintenant ce qu’était le feu et ce qui se
passait pendant la combustion ?
Il pensait qu’il avait accompli ce qu’il s’était fixé. Mais, en vérité, le feu restait toujours un aussi grand mystère.
La racine du problème se trouvait dans la théorie du « phlogistique », que tous les chimistes de cette époque tenaient
pour exacte. Ils pensaient qu’une substance ne pouvait brûler que si elle contenait une grande quantité d’une
substance inflammable. Et ils appelaient cette substance le phlogistique(6).
Personne ne savait exactement ce qu’était le phlogistique. Certains pensaient que c’était un genre de gaz, tandis
que d’autres disaient qu’on ne pouvait pas voir le phlogistique ni l’obtenir à l’état pur, parce qu’il ne pouvait exister
indépendamment, mais qu’il était toujours combiné à d’autres substances. Certains savants, il est vrai, affirmèrent
pendant quelque temps qu’ils avaient réussi à isoler le phlogistique à l’état pur, mais, plus tard, eux-mêmes en
doutèrent et annoncèrent que « ce que mus avions pris pour le phlogistique pur n’était pas le phlogistique du tout ».
Les chimistes ne savaient pas si le phlogistique avait oui ou non un poids, comme toutes les autres choses. Il était
aussi insaisissable et sans substance qu’un fantôme. Cependant, en ce temps-là, tous les chimistes croyaient
fermement en son existence. D’où une notion aussi curieuse provenait-elle ?
Tous ceux qui avaient observé un feu avaient remarqué que quand quelque chose brûle, tout est détruit et tout
disparaît. Alors les gens en avaient conclu que quelque chose était retiré de la substance qui brûlait et partait dans la
flamme, laissant seulement des braises, des cendres, de la rouille ou un acide (de nos jours, nous appelons un tel
produit de combustion un anhydride d’acide). Tout se passait comme si la flamme extirpait quelque fantomatique,
insaisissable « esprit de feu » de la substance qui brûlait. On en avait conclu que « la combustion est la
désagrégation d’une substance inflammable complexe en son élément ardent, le phlogistique et ses autres parties ».
Tous les chimistes de ce temps recherchaient des traces de ce mystérieux phlogistique. Quand ils brûlaient un
morceau de charbon, ils disaient : « Tout le phlogistique est sorti du charbon et est passé dans l’air, laissant
seulement des cendres. » Quand le phosphore brûlait et se transformait en acide phosphorique sec, ils l’expliquaient
de la même manière : « Vous voyez, le phosphore s'est désintégré en ses composants — le phlogistique et l’acide
phosphorique. » Quand les métaux rouillaient parce qu’ils étaient soumis à une grande chaleur ou exposés à
l’humidité, les chimistes de ce temps-là aimaient à penser qu’il s’agissait du travail du phlogistique. Ils disaient :
« Le phlogistique est parti et tout ce qui reste est la rouille. »
Ce phlogistique a permis aux savants du XVIIIe siècle de donner des explications très satisfaisantes à de nombreux
phénomènes naturels et procédés techniques, qui, autrement, auraient paru incompréhensibles. Pendant longtemps,
cette théorie aida les chimistes dans leurs recherches et ils ne doutèrent jamais de son exactitude.
Carl Scheele aussi y croyait fermement et, dans ses nombreuses expériences, il essayait toujours de comprendre
ce qu’il était advenu du phlogistique. Quand il découvrit son « air combustible », il conclut immédiatement : « Cet
air est bien évidemment fortement attiré par le phlogistique. Il est susceptible de dérober le phlogistique de toute
substance inflammable. C’est la raison pour laquelle tout y brûle si spontanément et si rapidement. L’air inutile,
d’autre part, raisonnait-il, ne se combine pas si volontiers avec le phlogistique et, par conséquent, il éteint le feu. »
Vous souvenez-vous de l’étonnement de Scheele quand, pendant la combustion, l’air ardent s’échappait d’un
récipient hermétiquement clos ? Avec ou sans phlogistique, d’une manière ou d’une autre, l’air ardent disparaissait
toujours. Où passait-il et comment sortait-il d’un récipient scellé ? Pendant longtemps, Scheele se creusa la tête au
sujet de cette énigme et finalement, imagina une explication : « Quand une substance brûle, dit-il, le phlogistique se
combine avec l’air ardent et ce composé invisible est si léger qu’il s’évapore à travers le verre du flacon sans qu’on
le remarque, tout comme l’eau qui filtre à travers du tissu. » Comme un spectre fantasmagorique qui passe à travers
des murs de pierre et des portes fermées… Vous voyez à quelle singulière conclusion la grande foi de Scheele dans
le phlogistique l’avait mené. Pourtant, s’il avait fait une étude systématique de son air ardent dans le flacon, il
l’aurait, selon toute certitude, trouvé là. Mais il aurait d’abord dû renoncer à la théorie du phlogistique et, malgré
tout son génie, il fut incapable de le faire.
C’est un autre grand savant du XVIIIe siècle qui, finalement, mit fin au phlogistique. Il s’agit d’Antoine Lavoisier,
un Français. Quand ce fut fait, la mystérieuse disparition de l’air ardent, ainsi que bien d’autres phénomènes
difficiles à expliquer, perdirent immédiatement tout leur mystère.

Antoine Lavoisier et son assistant


Antoine Lavoisier (1743-1794).

Trois savants différents découvrirent l’air ardent presque en même temps. Des trois, Scheele fut le premier. Un
ou deux ans plus tard, Joseph Priestley, un Anglais qui ne savait rien de la découverte de Scheele, le découvrit aussi.
Enfin, quelques mois plus tard, Lavoisier, tentant sa chance sur une vague indication de Priestley à propos d’un gaz
dans lequel les bougies brûlaient avec un éclat particulier, comprit également la nature composée de l’air.
Lavoisier fut le seul des trois à réaliser toute la portée de la découverte : le véritable rôle de l’air ardent dans la
nature. En fait, Lavoisier avait un remarquable assistant, qui lui apportait une aide inestimable dans tous ses travaux.
À vrai dire, Scheele et Priestley avaient le même assistant, mais ils n’utilisèrent pas toujours ses services et
n’attachèrent pas une grande importance à ses conseils.
L’aide de Lavoisier était… la balance. À chaque fois qu’il commençait une expérience, il pesait avec soin
chacune des substances qu’il allait soumettre à une transformation chimique et, à la fin de l’expérience, il les
repesait. Non seulement il pesait, mais il raisonnait : « Cette chose a perdu du poids, cette autre est plus lourde. Ça
signifie que quelque chose a été pris de la première et s’est uni avec la seconde. »
Ce fut la balance qui clarifia la nature réelle du feu aux yeux de Lavoisier. Elle lui expliqua ce qu’il était advenu
de l’air ardent pendant la combustion (Lavoisier l’appelait l’« air vital »). La balance lui révéla quelles substances
étaient complexes et quelles autres étaient simples, ainsi que de nombreuses et précieuses autres données.
Comme Scheele, Lavoisier essaya de brûler du phosphore dans un flacon scellé. Mais il ne perdit pas son temps à
imaginer ce qu’il était advenu du cinquième de l’air du flacon après que le phosphore eut brûlé. Sa balance donna à
sa question une réponse d’une totale précision. Avant de placer le morceau de phosphore dans le flacon et d’y mettre
le feu, il l’avait pesé. Et quand le phosphore eut brûlé, il pesa l’acide phosphorique sec qui restait dans la cornue. Et,
d’après vous, quel était le plus lourd — du phosphore du début ou de ce qui restait après la combustion ? Scheele et
tous les autres chimistes de cette époque auraient répondu sans regarder la balance : « Bien sûr, l’acide
phosphorique est plus léger que le phosphore avant de brûler, parce que le phosphore a été détruit et a perdu son
phlogistique. Et, de toute manière, même si on admet que le phlogistique n’ait pas de poids, l’acide phosphorique
pèsera juste la même chose que le phosphore avant la combustion. » Il se trouve que ce n’était pas du tout le cas. La
balance déclara que la poudre, blanche comme du givre, qui s’était déposée sur les parois du flacon, pesait plus que
le phosphore initial d’où elle provenait. Comment expliquer le fait que le phosphore avait perdu son phlogistique et
était cependant devenu plus lourd ? Cela semblait aussi ridicule que si quelqu’un maintenait qu’une cruche pèse plus
quand elle est vide que quand elle est pleine d’eau à ras bord. Et, selon vous, d’où venait le poids supplémentaire
acquis par l’acide phosphorique ? « De l’air ! » Telle fut la réponse de Lavoisier.
Cette partie même de l’air, qui semblait avoir disparu du flacon, n’avait pas disparu du tout ; elle s’était tout
simplement unie au phosphore lorsqu’il brûlait. L’acide était le résultat de la combinaison (aujourd’hui, nous
appelons cette substance l’anhydride phosphorique). La mystérieuse disparition de l’« air ardent » fut donc
expliquée aussi simplement que cela.
Cette énigme aida ensuite à en résoudre une autre : Lavoisier comprit que la combustion du phosphore n’était pas
une exception. Ses expériences prouvaient qu’à chaque fois que quelque chose brûle ou qu’un métal rouille, le
même phénomène se produit. Il réalisa donc une nouvelle expérience : il plaça un morceau d’étain dans un récipient
qu’il scella ensuite hermétiquement, de telle sorte que rien ne puisse y pénétrer. Il prit alors une grosse loupe et
dirigea les rayons brûlants du Soleil sur l’étain, qui tout d’abord fondit, puis commença à rouiller, pour se
transformer en une espèce de poudre grise. Or Lavoisier avait pesé l’air et l’étain dans le récipient avant de
commencer l’expérience. Quand tout fut terminé, il pesa à nouveau la poudre qui s’était formée et l’air qui restait. Et
d’après vous, que s’était-il passé ? La poudre avait gagné exactement autant de poids que l’air en avait perdu.
Il était absolument impossible que quelque chose ait pu pénétrer de l’extérieur dans le récipient, sauf les rayons
du Soleil. Excepté le morceau d’étain et l’air, il n’y avait absolument rien eu d’autre dans le récipient. Cependant,
l’étain avait gagné du poids quand il s’était transformé en rouille. Après cela, comment quelqu’un aurait-il pu nier
que la rouille était le résultat de la combinaison de l’étain avec la partie « ardente » ou « vitale » de l’air ?
Lavoisier brûla aussi un morceau de charbon de bois dans un récipient fermé, rempli d’air « vital ». Et quand le
charbon eut brûlé, il parut ne plus rien rester, sauf une toute petite, presque invisible pincée de cendre. Mais la
balance racontait une autre histoire. Elle montrait que l’air du récipient s’était alourdi exactement du poids du
charbon qui avait brûlé. Tout cela indiquait que le charbon de bois n’avait pas disparu quand il avait brûlé, mais
avait formé, dans une combinaison avec l’air « vital », une nouvelle substance. Lavoisier appela ce gaz lourd acide
carbonique ou gaz carbonique.
Quand Lavoisier décrivit ses expériences et déclara hardiment ce qu’il en pensait, presque tous les autres
chimistes s’opposèrent à lui. « Quoi ! protestèrent-ils. Vous prétendriez que quand quelque chose brûle ou rouille,
cette chose n’est pas détruite, pas brisée en différentes parties, mais au contraire qu'elle s'est unie avec l’air vital ?
— C’est exactement ce que je veux soutenir, répondit Lavoisier, C’est précisément ce que je pense. — Et, d’après
votre théorie, qu’est-il advenu, je vous prie, du phlogistique pendant la combustion ? demandèrent-ils. — Je ne sais
rien du phlogistique, répliqua Lavoisier. Je n’en ai jamais vu. Ma balance ne m’a jamais donné aucun signe de son
existence. Je prends une simple substance combustible telle que le phosphore, ou un métal pur tel que l’étain et je le
brûle dans un récipient fermé, où il n’y a rien, que le plus pur air vital. Et comme résultat de la combustion, la
substance et l’air vital disparaissent. À leur place, quelque chose d’entièrement nouveau apparaît dans le récipient
– dans un cas l’acide phosphorique et, dans l’autre cas, la rouille d’étain. J’ai pesé ces nouvelles substances et il se
trouve que celle qui s’est formée pendant la combustion pèse précisément le poids du phosphore ou de l’étain plus
la quantité d’air vital qui se trouvait précédemment dans la cornue. C’est, aussi, clair que deux et deux font quatre.
C’est tout simplement me absurdité que d’introduire le phlogistique. »
Cette annonce créa un ouragan dans le monde scientifique. Les chimistes étaient si habitués à voir partout les
signes invisibles du phlogistique qu’ils ne pouvaient absolument pas comprendre qu’il disparaisse soudainement de
la scène. Il leur paraissait tout simplement absurde d’affirmer que quand quelque chose brûlait, cette chose n’était
pas détruite mais, qu’au contraire elle avait absorbé l’air vital. Tout le monde ne connaissait-il pas depuis sa tendre
enfance la puissance destructrice du feu ?
D’abord, ils se contentèrent de rire de Lavoisier. Puis ils commencèrent à minimiser ses travaux, à lui dire que sa
balance lui mentait. Mais les faits sont des choses têtues. Lavoisier continuait à apporter de nouvelles réfutations
toujours plus convaincantes de la théorie du phlogistique. Il présenta des faits que tout le monde pouvait vérifier et
se convaincre ainsi de leur exactitude. Sous la pression de ces faits indiscutables, les partisans de la théorie du
phlogistique commencèrent peu à peu à céder du terrain. Un bon nombre de chimistes tentèrent de réconcilier la
nouvelle découverte avec la théorie du phlogistique, suggérant des idées toutes plus farfelues les unes que les autres
et proposant toutes sortes d’explications improbables. Mais, finalement, les vues de Lavoisier prédominèrent. Les
partisans de la théorie du phlogistique déposèrent leurs armes les uns après les autres et reconnurent : « C’est dur de
se battre contre l’évidence. Lavoisier a raison. ! » À la fin du XVIIIe siècle, le phlogistique était une fois pour toutes
extirpé de la chimie.
[Pour ceux qui aiment les formules…]

La combustion est généralement une réaction très énergétique de combinaison avec l'oxygène de l'air (ou plus précisément le
dioxygène O2, l'air vital de Lavoisier). Les combustions décrites ici s'écrivent :

Une purge des éléments


La découverte de l’air ardent ou vital et la chute de la théorie du phlogistique révolutionnèrent toute la chimie.
Celle-ci prit un tournant différent. Il devenait enfin possible de découvrir ce que sont les éléments dont le monde
autour de nous est fait. Quelle substance devait être considérée la plus complexe, la plus simple : le phosphore ou
l’acide phosphorique ? le carbone ou l’acide carbonique ? le métal ou la rouille du métal ? Avant Lavoisier, tous les
chimistes auraient affirmé : « Le phosphore est bien, sûr plus complexe que l’acide phosphorique et le métal est bien
sûr plus complexe que sa rouille. Le phosphore consiste en deux éléments, le phlogistique et l’acide phosphorique.
L’étain consiste en deux éléments, le phlogistique et la rouille d’étain, etc. » Comme il s’était avéré que ces deux
substances ne perdaient rien pendant la combustion, mais, qu’au contraire elles acquéraient un nouvel élément —
l’air « ardent » — il fallait tout regarder sous un angle différent. On devait considérer le phosphore comme un
élément pur et l’acide phosphorique comme un composé, puisque ce dernier est formé par la combinaison du
phosphore et de l’air « ardent », tandis qu’il est impossible de décomposer le phosphore en aucune autre substance.
Le carbone pur fut reconnu être un élément, et non l’acide carbonique.
Lavoisier annonça que tous les métaux étaient des éléments et que leurs rouilles étaient des composés. En outre,
l’air « ardent » et l’air « inutile » nouvellement découverts furent élevés au rang d’éléments. Lavoisier appela le
premier oxygène, le faiseur d’acide, parce qu’il forme des acides avec un grand nombre de substances
combustibles : l’acide phosphorique sec avec le phosphore, l’acide carbonique avec le carbone, l’acide sulfurique
avec le soufre… Il baptisa l’air « inutile » azote, d’un mot grec signifiant « sans vie ».
Jusqu’à cette époque, l’eau avait été considérée comme un élément. Depuis les temps les plus anciens, les savants
et les philosophes avaient toujours commencé leur liste des éléments par l’air et l’eau. Nous venons juste
d’apprendre comment on a montré que l’air est un mélange et non un élément. Eh bien, dix ans environ après la
découverte de la nature composée de l’air, ce fut le tour de l’eau. D’abord un Anglais, Cavendish, et un peu plus
tard, Lavoisier prouvèrent que l’eau n’était pas du tout un élément mais un composé.
Vous pouvez imaginer l’étonnement des gens. L’eau, juste l’eau ordinaire, se révélait être de l’air « vital », ou
oxygène, et un autre élément, que Lavoisier nomma hydrogène (le faiseur d’eau). L’hydrogène est un gaz
combustible très léger qui se dégage quand un métal se dissout dans un acide. Comme l’air, l’eau, dut donc aussi
être rayée de la liste des éléments.
Après cela, Lavoisier essaya de compter tous les éléments qu’il y avait sur Terre. Il en compta plus de trente.
Selon lui, l’infinité de choses complexes constituant notre monde était donc composée de ces trente éléments. Mais
il avait des doutes à propos de certaines substances qu’il avait cataloguées parmi les éléments. « Je suis forcé de les
considérer comme des éléments, avoua-t-il, seulement, parce que nous n’avons pas encore pu les séparer en leurs
composants. Il y a bien, des raisons de croire qu'en fait, ce sont, des composés. Le jour viendra où les chimistes
trouveront le moyen de le prouver avec autant d’assurance que nous avons maintenant établi la nature composée de
l’air et de l’eau. »
La prophétie de Lavoisier se réalisa à la lettre, et très rapidement. Nous allons découvrir dans le chapitre suivant
comment tout s’est passé.
Les éléments

Aujourd'hui, on parle plutôt de « corps simples » pour désigner les substances qui ne peuvent pas être décomposées en substances
plus simples (les « éléments »), par opposition aux corps composés.

[Pour ceux qui aiment les formules…]


La formule de la molécule d'eau est H2O. À l'époque de Lavoisier, on ne connaissait pas les atomes ; on était donc bien incapable de
faire la différence entre les atomes et les molécules. D'où la confusion entre les atomes d'oxygène et d'hydrogène, dont l'eau est
constituée, et les molécules de dioxygène O2 (l'air « vital ») et de dihydrogène H2 (le gaz combustible).
Chapitre 2

La chimie et l’électricité forment une alliance

Les piles de Volta

Au début du XIXe siècle, deux savants italiens, Luigi Galvani et Alessandro Volta, firent une importante
découverte : l'électricité pouvait circuler dans un circuit fermé sans jamais s’arrêter et ce, pendant très longtemps.
Galvani fut le premier à l’observer, mais ce fut Volta qui trouva l’explication correcte. Pendant les dernières
années du XVIIIe siècle, Volta construisit le premier appareil pour produire un courant électrique et, à partir de ce
moment, un nouvel épisode de l’histoire de la science et de la technique commença.
L’appareil de Volta était très simple : une plaque ronde de zinc était placée sur une plaque identique d’argent ou
de cuivre. Il trouva qu’il pouvait même utiliser des pièces de monnaie ordinaires d’argent ou de cuivre. Ensuite
venait un disque semblable en carton, en cuir ou en tissu, qui avait été trempé dans de l’eau salée. Par-dessus, il
plaçait un disque d’argent, puis de zinc, puis un morceau de cuir et ainsi de suite, jusqu’à dix, vingt ou trente
couches — argent, zinc, cuir humide. Il construisait ainsi une pile ou, comme on l’appela plus tard, une « pile
Volta ». Ce simple arrangement de disques métalliques et non métalliques empilés dans cet ordre, l’un sur l'autre,
produisait toujours un courant constant d’électricité.
La pile de Volta pouvait aussi être fabriquée d’une autre manière : sur un plan horizontal. Dix, vingt ou n’importe
quel nombre de pots de verre remplis d’eau salée ou d’acide dilué étaient placés en série, les uns à la suite des autres.
Dans chaque pot de verre, on suspendait d’un côté une plaque de cuivre et, de l’autre côté, une plaque de zinc. La
rangée entière de pots était alors réunie en connectant la plaque de cuivre d’un pot à la plaque de zinc du pot suivant.
Une telle batterie prenait beaucoup plus de place qu’une pile de petits disques, mais, en contrepartie, elle était
beaucoup plus puissante. N’importe qui pourrait facilement construire une telle batterie soi-même et tester la
puissance de la nouvelle force découverte par Galvani et Volta.
On comprit tout de suite que le courant électrique permettrait d’accomplir des choses extraordinaires. Tout
d’abord, il décomposait l’eau. Dès que le circuit de l’une de ces batteries était fermé, l’eau commençait à se séparer
en ses composants. D’un côté, un gaz inflammable s’échappait, un gaz déjà connu, l’hydrogène. De l’autre côté, de
petites bulles s’élevaient ; il s’agit d’un gaz que connaissons déjà : l’oxygène, ou l’air « ardent » de Scheele.
On remarqua aussi que quand un courant électrique passait à travers de l’eau ordinaire, un acide apparaissait
mystérieusement sur une plaque et un alcali caustique sur l’autre. Non seulement le courant séparait l’eau en
hydrogène et en oxygène, ce dont l’eau est composée, mais encore il tirait de l’eau une substance qui n’y avait
jamais été découverte.
Quelque temps plus tard, on fit une autre découverte : un courant d’une pile Volta séparait des métaux d’une
solution faite de leurs sels. Si, par exemple, des cristaux de vitriol bleu (le sulfate de cuivre) étaient dissous dans
l’eau et qu’on faisait passer un courant électrique à travers la solution, une couche uniforme de cuivre pur
commençait bientôt à se déposer sur l’une des plaques. De la même manière, l’or, l’argent et d’autres métaux
pouvaient être séparés de leurs solutions liquides.
De façon inattendue, la pile Volta, le travail d’un physicien, se trouva être un outil puissant dans les mains de
chimistes. En effet, sans feu ni flamme, silencieusement et avec la plus grande précision, le courant électrique
produisait les plus étonnantes transformations chimiques. Les revues scientifiques ne pouvaient plus imprimer les
communications sans nombre qu’elles recevaient des savants, annonçant une nouvelle expérience d’électricité.
Comme des prospecteurs dans une ruée vers l’or, au moment d’une découverte importante dans un champ aurifère,
les savants se ruèrent dans le champ expérimental créé par la pile Volta. Ils en attendaient un flot ininterrompu de
miracles. Parmi cette foule des électrochimistes de la première heure, le nom d’un jeune savant — Humphry Davy,
un Anglais — ressortait parmi tous les autres.
[Pour ceux qui aiment les formules…]

Le phénomène de « décomposition » de certaines substances par le courant électrique s'appelle électrolyse. L'eau pure, notamment,
est décomposée selon :
Ce type de réaction est une oxydoréduction et fait intervenir les électrons qui circulent dans le circuit électrique. Dans l'électrolyse
d'une solution de sulfate de cuivre, de formule CuSO4, les ions cuivre Cu2+ présents dans la solution captent les électrons (e-)
apportés par une des électrodes, pour donner du métal cuivre solide Cu :
Cu2+ + 2 e‾ → Cu
En présence de sel, le chlorure de sodium NaCl par exemple, l'électrolyse de l'eau produit de l'hydroxyde de sodium NaOH (un alcali
caustique) sur une plaque et de l'acide chlorhydrique HCI sur l'autre :
2 H2O + 2 Na+ + 2 e‾ → H2 + 2 NaOH
2 Cl‾ + H2O → 2 e‾ + HClO + HCl

L’enfance et la jeunesse de Humphry Davy

Humphry Davy (1778-1829).

L’année où le professeur Galvani annonça sa découverte au monde, Humphry Davy n’était qu’un gosse espiègle,
sans attachement particulier pour l’école, qui s’était fait tirer les oreilles plus d’une fois par ses maîtres pour ses
frasques et son indifférence au latin. Bien sûr, il préférait s’asseoir près d’un ruisseau avec sa canne à pêche ou
parcourir les bois pour chercher du gibier que de passer des heures ennuyeuses à l’école à se bourrer la cervelle de
vieux poètes romains.
« Oh Humphry ! disait son maître, le révérend Coriton, il n’inventera jamais la poudre. »
Penzance, où Humphry était né et avait passé sa jeunesse, était alors une bourgade de campagne typique. Elle
était coupée des grandes villes d’Angleterre par de mauvaises routes. En ce temps-là, il était plus difficile d’aller de
Penzance à Londres qu’aujourd’hui des États-Unis en Abyssinie. Les gens voyageaient la plupart du temps à cheval,
et un fiacre ordinaire dans les rues de Penzance était aussi rare qu’un chameau le serait aujourd’hui dans les rues de
Londres. Les nouvelles de ce qui se passait dans le monde mettaient beaucoup de temps à atteindre Penzance et fort
peu de gens dans le village s’y intéressaient quand elles arrivaient.
Les matchs de boxe, la chasse, les combats de coqs et les beuveries étaient les distractions favorites de la
population. Qu’y avait-il dans un tel environnement pour stimuler un intérêt pour la science chez un jeune garçon ?
Certainement pas le révérend Coriton, avec son latin. Humphry n’était qu’un fichu galopin jusqu’à l’âge de seize
ans. Il était renommé parmi ses compagnons pour deux choses : sa capacité à écrire des poèmes originaux et son
adresse au tir. À part ça, c’était tout bonnement un gosse empoté, négligeant et à la tête vide.
Sa vie changea brusquement à la mort de son père, qui était graveur sur bois. En tant que fils aîné dans une
famille d’orphelins, Humphry ressentit une lourde responsabilité. En vérité, il ne pouvait pas faire grand-chose pour
sa famille avec ses rimes et son mauvais latin, ou même avec son adresse de pêcheur et de tireur. Humphry décida
de devenir apprenti chez le médecin du village, dont le nom était Borlas. Ce médecin, comme la majorité des
médecins de ce temps, était un médecin « empirique », c’est-à-dire qu’il n’avait pas fait d’études particulières de
médecine. Il avait appris ce qu’il savait de la science de la guérison en s’exerçant sur les gens. D’abord, il avait
travaillé chez un vieux médecin et observé ce qu’il faisait. Plus tard, il s’était installé à son compte. C’était ce que
Humphry Davy envisageait. En ce temps-là, personne ne pensait qu’il y avait quelque chose d’étrange à apprendre le
métier de la médecine de la même manière que d’autres gens apprenaient à faire des chaussures ou à ferrer des
chevaux.
En outre, le Dr Borlas était aussi apothicaire. Il fabriquait ses propres médicaments et, au début, le principal
travail du jeune Davy était de préparer des poudres, dissoudre des sels et des épices et distiller des huiles et des
acides. Ce fut là dans la boutique du Dr Borlas que Humphry prit pour la première fois contact avec la chimie. Son
histoire ressemble beaucoup à celle de Carl Scheele. En partant de la préparation de pilules et de remèdes, Humphry
aboutit à des expériences de chimie beaucoup plus compliquées et il commença bientôt à s’intéresser profondément
à son nouveau métier. Il n’avait pas totalement renoncé à la poésie et à la pêche, mais elles avaient été reléguées à
l’arrière-plan. Les membres de la famille du Dr Borlas sautaient parfois de leurs lits, frappés de terreur et réveillés
par le grondement d’une explosion, qui était le résultat des recherches de cet apprenti zélé dans les secrets de la
chimie.
Pour la première fois de sa vie, Humphry comprit alors qu’il était ignorant et il commença sérieusement à
rattraper le temps perdu. Il s’organisa un programme d’autoéducation, qui comprenait l’apprentissage de pas moins
de sept langues, vivantes et mortes, ainsi que l’étude d’environ vingt branches différentes de la science, de
l’anatomie à la philosophie. Ce n’était pas vraiment un programme modeste pour un garçon de seize ans. Mais Davy
fit preuve de qualités inattendues. Il absorbait tout en un éclair. Il était capable de digérer un gros volume comme s’il
s’agissait de bonnes histoires. Ses amis étaient étonnés de la manière dont il maîtrisait le contenu de livres sérieux
qu’il semblait seulement avoir parcourus. Après un ou deux ans, son ancien maître fut obligé d’admettre qu’il s’était
fortement trompé dans son jugement sur cet élève espiègle. Les gens les mieux éduqués de Penzance et des environs
devinrent des admirateurs enthousiastes de l’érudition de Davy et de ses expériences ingénieuses.
Sa célébrité s’étendit bientôt au-delà des limites de Penzance. En 1798, alors qu’il n’avait que vingt ans, il fut
invité à Bristol pour travailler à l’Institut médical pneumatique, où un certain professeur Beddoes expérimentait des
traitements sur des malades avec de l’azote, de l’oxygène et d’autres gaz récemment découverts. Là, Davy mena
plusieurs expériences intéressantes. Il découvrit le « gaz hilarant » — un gaz qui excitait et intoxiquait comme le
vin(7). Cette découverte le rendit célèbre dans toute l’Angleterre.
Un beau jour, Davy reçut une lettre de Londres. L’Institut royal l’invitait à travailler en son sein. Le mot « royal »
ne veut pas dire que le roi d’Angleterre était à la tête de cette institution ou participait en aucune manière à ses
travaux. Le roi n’avait presque aucun rapport avec elle. Il ne donnait même pas un sou. Un groupe de bienfaiteurs
privés la soutenait de ses propres moyens et sollicitait des subsides auprès de gens riches. Le roi permettait
seulement « gracieusement » d’être inscrit comme l’un des fondateurs de cet institut scientifique ; c’est pourquoi il
était dit « royal ».
Bien sûr, le jeune Davy était enchanté de cette invitation et il se hâta d’envoyer son accord. Dans le rapport d’une
session de l’Institut royal du 16 février 1801, on peut lire : « Monsieur Humphry Davy a été engagé par l’Institut
royal en tant qu’assistant du professeur de chimie, directeur du laboratoire et rédacteur du journal de l’Institut. Son
salaire est 100 guinées par an, logé, charbon et chandelles étant fournis. »

L'institut d'Albemarle Street

Les désœuvrés de Londres appartenant à ce qu’on appelle la « haute société » découvrirent soudain une nouvelle
forme de divertissement : assister aux conférences de chimie de l’Institut royal. Il se trouve qu’à cette époque, une
guerre opposait la France et l’Angleterre. Il était donc impossible pour ces gens à la mode de se rendre à Paris, la
ville des plaisirs, comme ils en avaient l’habitude. Où allaient-ils trouver des distractions ?
Une rumeur courait à propos d’un nouveau professeur à l’institut d’Albemarle Street, dont les conférences étaient
très particulières. Des dames frivoles et des messieurs corpulents, qui s’ennuyaient ferme dans leurs salons et leurs
cercles, se précipitèrent pour obtenir des billets pour ces conférences. Jamais auparavant, la société de Londres
n’avait pris la chimie pour une distraction.
La première chose qu’ils remarquaient quand ils pénétraient dans la grande salle d’Albemarle Street était une
grande table couverte de toutes sortes d’appareils. Un œil expérimenté aurait tout de suite remarqué une haute pile
Volta, d’où des spirales de fils partaient dans tous les sens. À l’heure indiquée, la porte s’ouvrait et le nouveau
professeur faisait son entrée. Les dames prenaient leur lorgnette et les messieurs tendaient le cou pour avoir une
bonne vue. Ils voyaient un homme jeune et grand, de vingt-six ans, debout sur une estrade devant eux. Il avait une
tête assez petite, avec une abondante chevelure châtain et une remarquable et vivace expression d’intelligence dans
le regard. « Qu’il est jeune ! » murmurait-on dans l’assemblée. C’était le professeur Humphry Davy, le fils d’un
graveur sur bois, ce même Humphry qui, quelques années auparavant, courait dans les rues de Penzance avec sa
canne à pêche dans une main et les poches pleines de vers. Maintenant, il donnait des conférences devant la société
de Londres la plus exclusive !
Davy, nerveux et agité, se pressait d’un instrument à l’autre. Il branchait et débranchait des circuits galvaniques,
montrait comment le tournesol bleu devenait rouge dès qu’un acide apparaissait sur la plaque des batteries
électriques ; comment, sous leurs yeux, certaines substances disparaissaient et d’autres prenaient leur place. Son
approche vivante de théories difficiles les rendait simples et claires. Il parlait avec passion et éloquence. Il semblait
alors que ce n’était pas un savant, mais un poète qui déclamait sa propre poésie. Peu de prédicateurs ou de
politiciens avaient parlé avec tant d’enthousiasme, si passionnément, d’une manière si convaincante, que Davy le
chimiste présentant ses expériences.
Ses conférences avaient un énorme succès. La salle était toujours pleine. Souvent, l’assistance éclatait en
applaudissements ; les femmes envoyaient des fleurs au conférencier et lui écrivaient des lettres enflammées. Il était
constamment invité par des gens bien en vue et il acceptait les invitations. Après avoir brossé ses mains maculées
par les produits chimiques, il mettait une tenue de soirée et se rendait en toute hâte à un grand dîner ou à un bal. Ce
talentueux chercheur, cet homme éduqué, ce poète de la science gaspillait trop de son précieux temps dans les
salons. Mais son génie et sa jeunesse compensaient ses absences. Quand il travaillait, il se jetait corps et âme dans ce
qu’il faisait, si bien qu’il accomplissait des prodiges pendant les quelques heures qui lui restaient.
Que faisait-il à l’Institut royal ? Les administrateurs de l’Institut le sollicitaient pour les services les plus
inattendus. Par exemple, ils lui demandèrent de donner une série de conférences sur le tannage du cuir, au profit des
professionnels du tannage. « Mais je n’ai jamais été dans une tannerie de ma vie, objecta Davy. — Ça n’a pas
d’importance, répliquèrent-ils. De toute manière, vous connaissez la chimie. » Il n’y avait rien donc d’autre à faire
que d’étudier le tannage du cuir. Quel que soit le domaine sur lequel il portait son attention, il était si prompt à
apprendre et si captivé par son travail qu’en fort peu de temps, il maîtrisait parfaitement son sujet. Il découvrit que le
cuir pouvait être tanné en utilisant la sève d’un certain arbre, le cachou, et il recommanda aux tanneurs de l’utiliser
dans leurs tanneries.
Mais les administrateurs de l’Institut inventèrent bientôt quelque chose de nouveau à lui faire faire. Ils lui
demandèrent d’organiser la vaste collection de minéraux de l’Institut. Il lui fallut donc analyser les différents
minéraux de la collection. Puis ils l’orientèrent vers l’agrochimie, la chimie de l’agriculture. Il commença une série
de visites des grandes propriétés terriennes et des fermes des paysans. Il prit des échantillons de boue et d’argile,
étudia le fumier et parla avec de vieux fermiers de leurs récoltes. Il fit tout cela un peu malgré lui. Sa vraie spécialité
était l’électrochimie et il regrettait le temps passé à ces autres tâches.
Pendant son séjour à Bristol, à l’Institut pneumatique, il avait maîtrisé l’utilisation de la pile Volta et réalisé
beaucoup d’expériences avec elle. Et maintenant qu’il avait le laboratoire de l’Institut royal à sa disposition, il
commença à construire sans cesse de nouvelles batteries, toutes plus puissantes que les autres. Certaines avaient cent
plaques ou plus. Il était particulièrement intéressé par les transformations chimiques causées par le courant
électrique. D’où provenaient les acides et les alcalis qui apparaissaient dans l’eau ordinaire quand un courant
électrique la traversait ? C’était la question qui l’intéressait le plus dans ses premiers temps au laboratoire. Petit à
petit, il put obtenir la réponse. Il dit que c’était une erreur de penser, comme certaines gens le faisaient, que les
alcalis et les acides pouvaient être créés à partir de rien. Il insista sur le fait qu’ils devaient venir du verre du pot, ou
de toutes petites particules du métal des plaques et que le courant électrique attirait toutes sortes de matières
étrangères. Il déposait ensuite des impuretés, sous la forme d’acides ou de bases sur les plaques (que le courant
devait traverser) suspendues dans l’eau.
Afin de prouver cette affirmation que les acides et les alcalis venaient des impuretés, il tenta l’expérience
suivante : il fabriqua une batterie en utilisant un récipient en or pur rempli d’eau distillée. Il plaça cette batterie sous
une cloche de verre et fit le vide pour qu’il ne puisse y avoir aucune substance étrangère. Alors il établit le courant.
Des bulles d’hydrogène et d’oxygène apparurent immédiatement, mais il n’y eut aucune trace d’acides ou d’alcalis.
Davy mentionna cette expérience à l’Institut royal le 20 novembre 1806. La conférence au cours de laquelle il fit
ce rapport était appelée la conférence de Baker, parce qu’un certain monsieur Baker, antiquaire et scientifique
amateur, avait, à sa mort, légué 100 livres sterling à l’Institut royal, étant entendu que chaque année les intérêts
seraient versés à un savant qui donnerait une conférence au sujet de quelque importante découverte scientifique.
C’est une coutume très répandue dans différents pays et un grand nombre de riches personnalités ont ainsi essayé
d’acheter la célébrité qu’ils n’avaient pas pu obtenir autrement.
Au début du XIXe siècle, on considérait que c’était un grand honneur d’être sollicité pour donner la conférence
annuelle de Baker. Ce fut en 1806 que cet honneur échut pour la première fois à Davy et il fit une telle impression
dans le monde scientifique, en Angleterre et à l'étranger, qu’une médaille d’or lui fut conférée par la France, bien
que ce pays fût en guerre avec l’Angleterre à cette époque. La découverte de Davy fut acclamée comme la plus
importante découverte depuis celle de Volta.
Mais ce n’était que le début. Un an plus tard, jour pour jour, Davy donna à nouveau une conférence de Baker à
l’Institut royal et, cette fois, les honorables membres de l’Institut entendirent quelque chose de vraiment incroyable
— à savoir que trois nouveaux éléments chimiques avaient été découverts. Et quels éléments !

La potasse caustique et la soude caustique

Parmi les nombreuses choses que les chimistes utilisaient depuis longtemps dans leurs laboratoires, deux alcalis
caustiques, la potasse caustique et la soude caustique occupaient une place importante. Des centaines de réactions
chimiques différentes étaient réalisées dans les laboratoires, dans les usines, et dans la vie quotidienne avec ces
alcalis. Par exemple, grâce à eux, on pouvait rendre solubles des substances qui sont généralement insolubles et,
avec leur aide, les acides les plus forts et les vapeurs les plus suffocantes pouvaient être débarrassées de leurs
propriétés corrosives et toxiques.
Les alcalis caustiques sont des substances très singulières. En apparence, elles ne sont pas du tout inhabituelles.
Elles ressemblent à une pierre blanchâtre assez dure. Mais prenez un morceau de soude caustique ou de potasse
caustique et essayez de le presser dans votre main, vous aurez une sensation de brûlure, à peu près la même que si
vous saisissiez des orties [Mise en garde : ne tentez pas de faire cette expérience. Il est dangereux de mettre de tels
produits chimiques en contact avec la peau. Les produits chimiques modernes sont plus purs et plus corrosifs que
ceux qui étaient utilisés quand ce livre a été publié pour la première fois.] Si vous le tenez assez longtemps, cela
deviendra très douloureux et, finalement, votre peau et votre chair seront rongées jusqu’aux os. C’est la raison pour
laquelle on les qualifie de caustiques, pour les distinguer d’autres formes d’alcalis moins agressives telles que la
soude et la potasse ordinaires. La soude et la potasse caustiques étaient généralement obtenues à partir de soude ou
de potasse ordinaire.
Ces alcalis caustiques attirent fortement l’eau. Si vous laissez un morceau de soude ou de potasse caustique
parfaitement sec à l’air, la surface va rapidement se couvrir d’humidité. En un temps assez bref, il deviendra mou et
poreux et, finalement, ce ne sera plus qu’une masse fluide et informe. La raison en est que l’alcali a attiré la vapeur
d’eau et a formé une solution. Si une personne trempe son doigt dans une solution d’alcali caustique, elle s’exclame
avec étonnement : « Ça alors, on dirait du savon ! » Et c’est tout à fait ça, c’est glissant comme du savon. Si le
savon est « savonneux », c’est en fait parce qu’il est préparé avec un alcali. Et une solution d’alcali caustique a aussi
un goût de savon.
Cependant, un chimiste ne reconnaît pas un alcali caustique par son goût, mais par la manière dont il agit sur le
tournesol et sur les acides. Un morceau de papier trempé dans du tournesol bleu devient instantanément rouge si on
le trempe dans un acide et si ce papier rouge est alors trempé dans un alcali, il devient instantanément bleu à
nouveau.
Les alcalis caustiques et les acides ne peuvent coexister durant une seule seconde. Une violente réaction se
produit immédiatement. Ils grésillent, ils chauffent et l’un absorbe l’autre jusqu’à complet épuisement de l’un
d’entre eux. Alors, seulement la paix règne à nouveau. L’expression technique pour cette réaction est qu’un alcali et
un acide se « neutralisent » l’un l’autre. S’ils sont combinés, le mélange résultant est un sel « neutre », ni alcalin(8) ni
acide. Par exemple, le sel de cuisine ordinaire est formé par la combinaison de l’acide chlorhydrique et de la soude
caustique.
Pour un chimiste du temps de Davy, tout comme pour un chimiste contemporain, les alcalis caustiques sont des
réactifs très utiles. Chaque laborantin fait très vite leur connaissance et rares sont les jours où il ne les utilise pas
dans son travail. On pensait que les alcalis caustiques étaient des corps simples, des substances indivisibles. Ils se
combinent avec toutes sortes de substances, mais on croyait qu’il était totalement impossible de les décomposer en
substances plus simples. On les considérait comme des éléments, de la même façon que les métaux, le soufre, le
phosphore et les gaz nouvellement découverts — l’oxygène, l’hydrogène et l’azote.
Humphry Davy voulait observer l’effet destructeur du courant électrique sur ces substances familières.
Les alcalis

Les alcalis sont des bases particulières, c'est-à-dire des substances capables de neutraliser les acides. Leur composition fait
intervenir des éléments dits « alcalins » (le sodium et le potassium). On appelle alcalis « caustiques » les hydroxydes de sodium
(soude) et de potassium (potasse). Quand un alcali caustique réagit avec un acide, il se forme de l'eau et ce qu'on appelle un sel,
contenant l'élément alcalin. Les alcalis ordinaires sont, quant à eux, les carbonates de sodium et de potassium.

[Pour ceux qui aiment les formules…]


La soude et la potasse caustiques ont pour formules NaOH et KOH, la soude et la potasse ordinaires : Na2CO3 et K2CO3.
La réaction entre l'acide chlorhydrique HCI et la soude caustique s'écrit :
HCl + NaOH → NaCl + H2O
Le sel formé NaCl est le sel de cuisine.

Le secret de la flamme mauve

Cette idée vint à l’esprit de Davy quand il vit avec quelle facilité le courant électrique décomposait les produits
chimiques, même ces minuscules particules de corps étrangers qui se trouvaient par hasard dans un circuit
galvanique. « Il se peut, pensa-t-il, que beaucoup de choses considérées jusqu’à aujourd’hui comme des éléments
indivisibles ne puissent supporter l’effet du courant électrique. » Il commença une étude et une comparaison critique
des propriétés du soufre, du phosphore, du carbone, des alcalis, de la magnésie, de la chaux et de l’argile. Ces
substances étaient-elles ou non des éléments ? Et si elles n’étaient pas des éléments, quelles substances inconnues
contenaient-elles ? Une énigme intéressante, qui méritait de s’y arrêter !
Pour plusieurs raisons, Davy décida de commencer par les alcalis caustiques. De bien des manières, ils se
comportaient comme des substances connues pour être des composés. Puisqu’il en est ainsi, raisonna-t-il, peut-être
les alcalis sont-ils aussi des composés.
Vous souvenez-vous de la conviction prophétique de Lavoisier, qui pensait que certaines choses, considérées
comme des éléments, étaient en fait des composés ? Lavoisier avait été incapable de le prouver et d’autres chimistes
n’étaient pas d’accord avec lui, mais si un chimiste aussi avisé que Lavoisier avait soupçonné les alcalis, alors il était
logique de commencer par eux.
Quand Davy fit ses premiers essais avec la potasse caustique, il commença par en préparer une solution dans
l’eau. Alors il demanda à son assistant, Edmond, qui était aussi son cousin, de préparer et de connecter tous les
appareils à produire de l’électricité de l’Institut royal. Le tout produisait un étalage imposant : 24 grosses batteries
avec des plaques de zinc et de cuivre de 30 cm de côté ; 100 avec des plaques de 15 cm de côté ; 150 avec des
plaques de 10 cm. Cette combinaison de batteries fournissait un puissant courant et Davy espérait que la potasse
caustique ne pourrait supporter ce courant sans se séparer en ses divers composants. Ils versèrent un peu de la
solution alcaline incolore et transparente dans un récipient, puis ils plongèrent deux fils connectés à la batterie
galvanique.
Dès que le courant passa à travers la solution, des bulles de gaz apparurent au niveau des fils. En peu de temps, la
solution commença à bouillonner et à chauffer et les bulles montèrent de plus en plus rapidement à la surface. «
C’est l’eau qui se sépare en hydrogène et en oxygène, dit Davy d’une voix désolée. Voyons ce qui va se passa
maintenant. » Mais il ne se passa rien d’autre. Le courant décomposait l’eau de la solution en hydrogène et en
oxygène, mais la potasse caustique demeurait inaltérée. Cependant, Davy n’était pas homme à renoncer au premier
échec. « Voyons, pensa-t-il, si l’eau est un obstacle, mus allons essayer sans eau. »
Il décida alors de faire fondre l’alcali, au lieu de le mettre en solution. Il déposa un peu de potasse caustique dans
une cuillère en platine et la maintint au-dessus d’une lampe à alcool. Utilisant un soufflet, il insuffla dans la flamme
de l’oxygène qu’il avait préparé auparavant. Cela rendit la flamme plus ardente et après trois minutes environ, une
petite flaque de potasse caustique se rassembla au fond de la cuillère. Il connecta une extrémité du circuit galvanique
à la cuillère et plongea l’autre extrémité dans l’alcali brûlant. Le liquide caustique commença à fumer un peu et à
projeter de brillantes étincelles. Davy était trop surexcité pour remarquer les brûlures qu’elles lui causaient sur les
mains. Ses seules pensées, lorsqu’il tenait le fil de platine à la surface de l’alcali, étaient : « Est-ce que ça va se
séparer ou non ? Il n’y a pas d’eau cette fois. Rien que l’alcali dans la cuillère. Si ce n’est pas un élément, il faut
qu’il nous le dise maintenant… Ou peut-être le courant ne passera pas à travers l’alcali fondu ? » Mais oui, le
courant le traversait. « Regardez ! s’écria Davy d’une voix fort excitée. Venez ici, Edmond ! Je parie que ça va se
séparer ! » Son assistant arriva, tenant une main devant les yeux pour se protéger des étincelles. Mais Davy
regardait si intensément que son nez touchait presque la cuillère. De toute évidence, le courant électrique avait un
effet sur l’alcali fondu. Une mince langue de feu, avec une belle et inhabituelle couleur rose-lilas, jaillissait du point
où le platine touchait l’alcali fondu. Il continua à brûler, tant que le courant passait, mais au moment où le courant
fut arrêté, la flamme disparut. L’assistant regardait son patron avec stupéfaction. « Qu’est-ce que ça veut dire ?
demanda-t-il. Ceci, mon cher, Edmond, veut dire que nous avons trouvé un élément imposteur, dit Davy
emphatiquement. Le courant a séparé quelque substance inconnue de l’alcali. C’est ce qui a donné la couleur
mauve à la flamme au bout du fil. Il n’y a pas d’autre explication possible. Mais ce qu’elle est et comment je vais la
cerner, ça, je ne le sais pas moi-même. » Cette mystérieuse substance ne semblait pas facile à isoler.
Existait-elle vraiment ? Davy n’attachait-il pas trop d’importance à ce minuscule bout de flamme à l’extrémité du
fil de platine ? Un expérimentateur moins enthousiaste que Davy, Luigi Galvani, avait dit une fois très sagement :
« Quand il fait une expérience, un investigateur ne voit bien souvent que ce qu’il veut voir, plutôt que ce qui se
passe vraiment. » Peut-être Davy ne voyait-il dans la cuillère que ce qu’il voulait tant voir ?
Il répéta son expérience plusieurs fois et chaque fois, sans exception, la petite flamme mauve apparaissait dès que
le fil du haut était connecté au pôle négatif de la batterie et la cuillère de platine au pôle positif. Si cet ordre était
inversé, il n’y avait pas de flamme, mais il y avait d’autres signes de décomposition de l’alcali : des bulles d’un gaz
s’élevaient du fond de la cuillère et s’enflammaient à la surface les unes après les autres. C’était de l’hydrogène.
Quant à la substance inconnue qui brûlait avec une flamme mauve, il fut incapable de la capturer, malgré tous ses
efforts.

« Une expérience magnifique »

Par un matin embrumé d’octobre, Davy se hâta vers son laboratoire après un rapide petit-déjeuner dans sa
chambre. Ce jour-là, il allait encore faire un nouvel essai. La première expérience avait échoué à cause de l’eau. La
deuxième fois, les ennuis étaient causés par la température trop élevée de l’alcali en fusion. Cela indiquait qu’il
devait donc essayer d’extraire la substance inconnue sans eau, mais sans chaleur non plus, parce qu’elle brûlait au
moment où elle apparaissait. S’il pouvait se passer de feu, alors il pourrait réussir.
Mais comment allait-il faire fondre la potasse caustique sans feu ? Pourquoi ne pas essayer de faire passer le
courant électrique à travers un morceau froid et solide ? C’était le projet que Davy avait en tête par ce froid matin
d’octobre. La veille, il était rentré tard d’un bal et n’avait eu que trois heures de sommeil. Il n’était donc pas tout à
fait dans son assiette. Mais, dès qu’il eut commencé son travail, sa fatigue s’évapora et il prépara l’expérience avec
son enthousiasme habituel. Edmond arriva bientôt pour l’aider.

Pourquoi ne pas essayer de faire passer le courant électrique à travers un morceau froid et solide ?

Le problème était de faire passer le courant à travers de la potasse froide. Davy savait que la potasse froide à
l’état sec était un isolant, comme le verre ou le phosphore, et que l’électricité ne la traverserait pas. C’est pour cette
raison qu’il avait préparé une solution aqueuse pour sa première expérience, mais seulement pour constater que le
courant électrique ne faisait que décomposer l’eau et n’avait aucun effet sur la potasse. Pendant des heures, il
travaillait sur cette potasse caustique qui lui résistait, mais il n’aboutissait à rien. S’il écartait l’eau de l’alcali, le
courant ne passait pas, même s’il y mettait toute la puissance. Malgré tout, il ne réussissait pas plus en présence
d’eau. Mais il n’abandonna pas. Il avait tout oublié du monde. Un petit morceau de potasse était en permanence
devant ses yeux : indivisible, défiant la terre entière. « Quoi qu’il arrive, je dois simplement décomposer cet
alcali ! »
Une douzaine de nouveaux plans germèrent dans son esprit mais soit ils étaient trop compliqués soit ils avaient
fort peu de chance de réussir. Il se décida finalement : « Il faut absolument que je fasse passer le courant à travers
un morceau solide d’alcali. Edmond, essayons encore une fois. Donnez-moi un autre morceau de potasse. »
Edmond prit un autre morceau de potasse parfaitement sec dans le pot. Cependant, avant de le poser sur la feuille de
platine qui était connectée au pôle négatif de la batterie, Davy la laissa une minute, seulement une minute à l’air.
« Cette fois-ci, nous allons le laissa prendre juste un tout petit peu d’humidité de l’air. Cela sera peut-être suffisant
pour le rendre conducteur de l’électricité, raisonna-t-il à haute voix. Une si petite quantité d’eau n’empêchera
probablement pas le courant de décomposer l’alcali. » C’était une brillante idée. Il ne fallait pas que ce soit humide
et il ne fallait pas que ce soit sec, alors il décida de faire l’essai sur un morceau qui n’était ni humide ni sec. Le
morceau de potasse ne laissait voir qu’une fine couche d’humidité à sa surface quand Davy le plaça sur la feuille de
platine et toucha le haut avec un fil de platine, fermant ainsi le circuit. Le courant passa ! Le morceau dur d’alcali
commença à fondre immédiatement de haut en bas. En regardant cette expérience, Davy tremblait d’excitation et
osait à peine respirer. L’alcali fondait au point de contact avec le métal. Il bouillonnait doucement. Les secondes
semblaient des heures. Soudain, il y eut un crépitement, quelque chose comme une petite explosion. Davy poussa
violemment son assistant du coude, alors qu’il était penché sur l’expérience.
« Edmond, Edmond… Regarda, Edmond » murmura-t-il. La potasse fondue commençait à bouillonner de plus en
plus à la surface. Au-dessous, sur la feuille de platine, ils purent voir de tout petits globules sortir de l’alcali fondu.
Les globules avaient un éclat argenté et ressemblaient à des gouttes de mercure, mais ils agissaient tout autrement.
Certains explosaient et disparaissaient presque aussi vite qu’ils étaient apparus. Ceux qui restaient ternissaient
rapidement au contact de l’air et se couvraient bientôt d’un film blanc. Il semblait qu’il y avait un genre de métal
dans la potasse caustique ! Jusqu’à ce jour, personne n’avait jamais soupçonné une telle chose.
Davy sautait comme un fou et, dans sa joie, commença à caracoler dans le laboratoire. Quelque chose tomba
d’une étagère et se brisa. Une cornue vide heurta un trépied en fer et se brisa en mille morceaux. Dans un coin du
laboratoire, un assistant, très occupé à remplir une bouteille d’eau distillée, se précipita au-dehors, à moitié mort de
peur, en serrant sa bouteille. « Hourra, hourra ! cria Davy. — Bravo, Humphry ! Vous y êtes enfin arrivé ! » Il jeta
ses bras autour des épaules de son cousin, le secoua et l’éloigna de la paillasse. « Arrêta le courant, Edmond ! cria-t-
il. Nous avons trouvé ce que nous voulions. Voyez-vous la signification de ce que nous venons de faire ? — Je le
vois certainement, Humphry, et je vous félicite de tout mon cœur ! » Il fallut un bon moment à Davy pour se calmer.
Il était enivré par sa victoire. « Ce n’est que le début, dit-il à son assistant. En route maintenant pour les autres
éléments ! Rien ne peut résister au courant galvanique. Nous allons mettre la science entière de la chimie sens
dessus dessous ! »
Il n’aurait servi à rien de parler de travail ce jour-là. Davy était trop fou de joie. Quand il se fut un peu calmé, il
s’assit à son bureau et ouvrit le cahier de laboratoire. Faisant des pâtés sur toute la page et cassant plusieurs plumes
d’oie dans son émotion, il écrivit les détails des événements de la journée. Puis il se lava précipitamment les mains
et sortit du laboratoire en chantant à tue-tête. Au moment où il atteignit la porte, il s’arrêta soudain, fit demi-tour et
retourna à son bureau. Il rouvrit le cahier et, dans la marge de la page où il avait consigné les résultats de sa dernière
expérience, il écrivit en grosses lettres noires : « Une expérience magnifique ! »

Un métal qui flotte sur l’eau et brûle sur la glace

Ce jour-là, personne ne pouvait en vouloir à Davy pour son exubérance. Il avait rêvé de décomposer un alcali
caustique depuis des mois. Il avait été déçu bien des fois. Et soudain, il accomplissait l’impossible. Ce que l’on avait
considéré comme non séparable était séparé. Il rayait la potasse caustique de la liste des éléments et mettait à sa
place une nouvelle substance inconnue par le passé, un véritable élément qu’il nomma potassium.
Davy avait toujours été un travailleur rapide et impétueux. Mais maintenant, il montrait une énergie vraiment
incroyable. Il était follement impatient d’obtenir assez de ce nouvel élément pour en faire une étude approfondie.
Mais ce n’était pas si facile. Le potassium se trouvait avoir les propriétés les plus inhabituelles. Pour commencer, il
refusait obstinément de rester à l’état « pur ». À peine apparu, il essayait de disparaître à nouveau pour se combiner
avec autre chose. Le conserver pendant une période suffisamment longue demanda à Davy beaucoup d’ingéniosité.
S’il n’explosait pas ou ne brûlait pas au moment où il émergeait de la potasse fondue, il se transformait
instantanément quand il était exposé à l’air. Sous ses yeux, il perdait son éclat en quelques minutes et se couvrait
d’un film blanc. Cela ne servait à rien d’essayer d’enlever ce film, car le métal nu se recouvrait immédiatement d’un
nouveau film, qui devenait humide et poreux et, en un temps assez bref, il ne restait plus rien du métal argenté, mis à
part une flaque informe et fluide. Vous n’aviez alors qu’à toucher cette flaque pour comprendre qu’il s’agissait à
nouveau de notre bon vieil ami la potasse caustique. Au toucher, c’était comme du savon et, à son contact, le papier
de tournesol rouge passait immédiatement au bleu. Il était donc bien évident que le potassium absorbait avidement
l’oxygène et la vapeur d’eau de l’air pour retourner à son état initial et redevenir un alcali.
Davy essaya de jeter du potassium dans l’eau. Eh bien, vous pourriez penser qu’un métal coule immédiatement
au fond si vous le jetez dans l’eau. En tout cas, c’était ce qui arrivait avec tous les métaux que Davy connaissait.
Mais pas avec le potassium. Ce métal ne coulait pas, mais il tourbillonnait à la surface de l’eau, en émettant un fort
sifflement. Peu de temps après, il explosait et une flamme mauve apparaissait au-dessus. Et ça continuait ainsi, le
métal devenant de plus en plus petit, jusqu’à ce que finalement il se transforme totalement en alcali caustique et se
dissolve dans l’eau. Quel que soit l’endroit où Davy plaçait cet « incorrigible » élément, il commençait
inévitablement son remue-ménage et prenait feu. Même quand, en apparence, il s’accommodait de quelque autre
substance, il chassait progressivement d’autres éléments de ce composé et prenait leur place. Il s’enflammait dans
les acides ; il rongeait le verre. Si on le plaçait dans l’oxygène pur, il s’enflammait avec un éclat blanc aveuglant,
qu’il était impossible de regarder. Il trouvait toujours des traces d’eau dans l’alcool ou l’éther et se combinait
immédiatement avec eux. Il fondait et se combinait facilement et rapidement avec tous les métaux. Il se combinait
avec le soufre et le phosphore, en s’enflammant lors de la réaction. Il brûlait même sur la glace et y faisait un trou,
pour se calmer seulement quand il s’était transformé en alcali.
Comment Davy allait-il manipuler cet élément insaisissable ? Comment allait-il le capturer ? Qu’allait-il faire ?
Où et comment le conserver ? Finalement, alors qu’il avait presque renoncé à découvrir quelque chose qui pût
résister au potassium, il le trouva.
Il s’agissait du pétrole. Le potassium se tenait parfaitement tranquille dans le pétrole. Il lui était apparemment
indifférent et y restait bien sagement. Dès que Davy l’eut découvert, il commença à stocker des morceaux de
potassium dans le pétrole, aussitôt après les avoir obtenus à partir de la potasse caustique. Cela rendit son travail
beaucoup plus facile. Il avait une source de potassium à sa disposition et il n’avait plus à s’inquiéter d’avoir à
interrompre une expérience par manque de cette nouvelle substance.
Mais maintenant qu’il en avait assez pour examiner ses propriétés, Davy commença à être tourmenté par des
doutes. Le potassium était-il vraiment un métal ? D’un côté, il semblait évident que c’en fût un. Quand il
apparaissait la première fois, avant que son exposition à l’air ne change son apparence, il brillait avec un admirable
éclat métallique, comme de l’argent poli. De plus, comme les autres métaux, il était bon conducteur de l’électricité et
de la chaleur et se dissolvait dans le mercure liquide. Mais, d’un autre côté, qui avait jamais entendu parler d’un
métal qui brûlait dans l’eau et rouillait dans l’air en un clin d’œil ? Le potassium était également mou, comme de la
cire, et on pouvait le couper facilement avec un couteau. Et il était si léger qu’il ne coulait pas toujours dans le
pétrole, qui est considérablement plus léger que l’eau. L’or était vingt fois plus lourd, le vif-argent(9) seize fois plus
lourd, le fer neuf fois. Même certains bois étaient plus lourds que le potassium.
Mais Davy décida finalement que c’était bien un métal. « Bien sûr; pensa-t-il, il est très étonnant que le
potassium soit si léger. Mais, si on y pense, le fer est aussi, un métal très léger comparé au platine et à l’or. Le
mercure est à mi-chemin entre les deux, plus léger que le platine, mais plus lourd que le fer. Tout, le problème vient
de ce que nous nous sommes accoutumés aux métaux anciens et que nous ne connaissons rien, de l’existence des
nouveaux. Il est à peu près certain, que d’autres métaux en dehors du potassium, seront finalement découverts et
rempliront l’espace entre le potassium et le fer. »
La prédiction de Davy fut plus tard complètement confirmée.

Six semaines tumultueuses

La conférence de Baker devait être prononcée à l’Institut royal le 19 novembre 1807. Davy devait la présenter à
nouveau. Qui y avait-il pour lui contester cet honneur ? Quel autre accomplissement scientifique pouvait surpasser la
découverte du potassium ?
Il devait bien se préparer pour la conférence. Il devait rassembler un grand nombre de faits et d’observations
intéressants. Il passa les quelques semaines qui lui restaient à étudier la nouvelle substance de manière approfondie,
de telle sorte que le jour de la conférence, tout serait parfaitement clair. Il était impatient, de toute manière,
d’apprendre tout ce qu’on pouvait découvrir sur le potassium, aussi rapidement que possible.
Il passa ces six semaines dans une sorte de frénésie. Il avait toujours eu la réputation de pouvoir travailler sur
plusieurs sujets à la fois, allant de l’un à l’autre, mais, pendant cette période, il fut le démon de l’énergie même. Ses
assistants et les aides de laboratoire étaient exténués. En un seul jour, Davy prépara 100 expériences. Il se ruait de la
hotte aspirante aux batteries électriques, de la pompe à vide à son bureau pour consigner les résultats d’une
expérience. Dans sa hâte, il brisait sans pitié des récipients de verre du laboratoire et cassait des appareils. Le bruit
du potassium qui explosait alternait avec le fracas de cornues et de flacons brisés.
Sans cesse, de nouvelles théories émergeaient de son esprit. Les projets se succédaient, à toute vitesse. Il insistait
pour réaliser chacun d’eux, immédiatement, sans tenir compte des difficultés pour réorganiser tous les appareils qui
avaient été montés, pour une autre expérience, avec tant de travail et de peine seulement une heure auparavant. Le
chaos, la saleté et le désordre étaient partout. Le laboratoire ressemblait à une écurie. Mais, en contrepartie, le jour
où la conférence arriva, Davy en savait autant sur le potassium que sur tout autre élément que des chimistes avaient
étudié depuis des siècles. Durant ces six semaines, il fonda une branche totalement nouvelle de la chimie. Et il ne
limita pas non plus au potassium.
Dès qu’il eut réussi à décomposer la potasse caustique, il s’attaqua à un autre alcali, la soude caustique. Elle aussi
fut décomposée par le courant électrique. Comme la potasse caustique, elle se trouva être un composé. Comme la
potasse caustique, elle était formée d’oxygène, d’hydrogène et d’un autre métal inconnu à ce jour. Ce second métal
ressemblait étonnamment au potassium. Lui aussi avait un éclat argenté et on pouvait facilement le couper avec un
couteau, bien qu’il fût un peu plus dur que le potassium. Lui aussi se transformait rapidement quand il était exposé à
l’air et tourbillonnait en sifflant à la surface de l’eau, bien qu’il ne prît pas feu à ce moment-là. Il était inerte
également dans le pétrole et s’enflammait également dans les acides, mais sa flamme était d’un jaune terne au lieu
de la couleur lilas. En un mot, Davy avait découvert pour la science deux éléments « jumeaux » similaires en même
temps. À vrai dire, ils différaient sur quelques points, mais leurs similarités surpassaient en nombre leurs
différences. Le second métal était un peu moins actif que le premier ; c’était tout. Cependant, il était suffisamment
actif pour percer des trous dans la glace. Davy appela le deuxième élément sodium, puisqu’il l’avait obtenu à partir
de la soude caustique.
[Pour ceux qui aiment les formules…]

La transformation que Davy fait subir à la soude et la potasse caustique est une électrolyse. Les ions potassium et sodium présents
dans les alcalis captent les électrons apportés par le courant électrique selon :
K+ + e‾ → K
Na+ + e‾ → Na
Il se forme alors les corps purs simples métalliques potassium K et sodium Na. Ces métaux sont très peu stables. Ils captent la
moindre humidité pour former à nouveau des alcalis :
2 K + 2 H2O → 2 KOH + H2
2 Na + 2 H2O → 2 NaOH + H2
Dans l'eau, la réaction est très énergétique, le potassium prend feu et brûle dans l'oxygène pour former un oxyde :
K + O2 → KO2

Pendant ces six semaines, Davy maintint son rythme effréné sans interruption. Mais ne vous imaginez tout de
même pas qu’il passa tout son temps dans son laboratoire durant cette période. En dépit de tout, il continuait à mener
une vie mondaine. Les invitations pleuvaient sur lui tous azimuts – aujourd’hui un bal, le lendemain un dîner, le jour
suivant les deux à la fois. Et Davy, le grand Davy, qui ne s’arrêtait jamais un instant de penser à ses merveilleux
métaux jumeaux, acceptait néanmoins toutes ces invitations. Il ne négligeait aucune de ces trois choses — le
potassium, le sodium ou les salons à la mode. En plus de tout cela, il écrivait aussi de la poésie et, à cette époque, on
l’appela pour enquêter dans une prison où le typhus faisait rage. Il lui fallut trouver un bon désinfectant pour
empêcher la maladie de s’étendre. Il vit des prisonniers qu’on gardait dans d’horribles oubliettes infestées de
vermine, le teint jauni par l’air vicié, la mauvaise nourriture et la maladie. Quelle aide la chimie pouvait-elle leur
apporter ? Aucune bien sûr, mais Davy ne refusa pas de visiter la prison comme on le lui avait demandé de le faire.
Le 19 novembre, le jour de la conférence devant l’Institut royal approchait. Davy était à demi-mort, les joues
creuses, les yeux enfoncés et le teint anémié. Mais il ne renonçait pas. Il travaillait dans son laboratoire jusqu’à trois
ou quatre heures du matin, puis il se levait de bonne heure et était toujours de retour au travail avant que les autres
n’arrivent. Le soir, il se souvenait qu’il devait dîner chez quelque lord ou autre et se mettait en quatre pour accepter
l’invitation.
Il ne négligeait aucune de ces trois choses — le potassium, le sodium ou les salons à la mode.

Ses amis faisaient entre eux cette remarque : « Avez-vous noté que notre ami Davy a pris du poids ? — Oui, j’ai
vu. Mais, aujourd’hui, il semble avoir perdu du poids à nouveau, n’avez-vous pas remarqué ? » C’est ce que
quelqu’un répondait lorsqu’il paraissait la fois suivante. L’explication de ces changements soudains était simple.
Davy était toujours si pressé qu’il ne pouvait pas prendre le temps de changer de vêtements. Quand il fallait qu’il se
précipite de son laboratoire à un bal, il n’enlevait pas les vêtements qu’il portait. Il mettait simplement des vêtements
propres sur les autres. Le lendemain, il enfilait une autre chemise propre sur ses chemises sales. Quelquefois, il
portait une demi-douzaine de chemises à la fois. Quand il pouvait trouver un moment de libre, il les retirait toutes en
même temps et se retrouvait ainsi amaigri, ce qui faisait l’étonnement de ses amis et connaissances. Mais, à vrai
dire, toute cette histoire est certainement issue de ragots fantaisistes.
Finalement, le jour de la conférence de Baker arriva. Davy parut et prononça son discours comme il l’avait prévu,
rendant compte de toutes les expériences récentes qu’il avait faites. À la fin, il fit une démonstration de ses métaux
jumeaux en action. Ils tourbillonnaient sur l’eau, explosaient et faisaient des feux d’artifice dans l’air. Chacun
pouvait voir par lui-même que c’étaient de véritables métaux, puisqu’on les voyait briller avec un éclat doux et
argenté dans leur bain de pétrole. Les membres de l’Institut royal étaient profondément émus. Les journaux
commencèrent bientôt à parler des récentes découvertes de Davy. « Avez-vous entendu la dernière ? disaient partout
les gens. Ils ont découvert deux métaux incroyables dans la potasse et dans la soude ordinaires ! Ils sont plus légers
que le bois, plus mous que la cire, plus combustibles que le charbon ! La prochaine fois, vous verrez, avec cette
électricité, ils vont trouver de l’or dans le tabac à priser et des diamants Dieu sait où ! » La puissance de la science
avait rarement été révélée plus clairement et d’une manière plus convaincante que cette fois-ci. Davy fut submergé
par un ouragan d’éloges et de félicitations.

Une interruption inattendue

La passion de Davy pour le travail lui coûta presque la vie. Quelques jours avant la conférence, il commença à se
sentir malade. Il avait mal à la tête. Ses jambes étaient faibles et tremblantes. Un frisson le saisissait aux moments
les plus inattendus — alors qu’il travaillait au-dessus du bain(10) de sable dans son laboratoire, ou qu’il dansait le
quadrille dans une pièce si bien fermée que les chandelles s’éteignaient presque à cause du manque d’air et que les
autres invités ruisselaient de transpiration. Il n’était pas dans son assiette et sentait qu’une maladie couvait, mais,
serrant les dents, il se forçait à continuer de travailler. « Qu'rriverait-il si je mourais avant le jour de la conférence et
si je ne pouvais révéler mes découvertes au monde ? » Tel était son souci. « Alors quelqu’un d'autre, quelque
étranger; viendra annoncer qu’il a réussi à décomposer les alcalis. Non ! Tant que mon cerveau fonctionnera et que
ma main pourra tenir une plume, je continuerai à tout noter jusqu’aux plus petits détails. Alors, même si je ne peux
faire la conférence moi-même, tout sera couché sur le papier et quelqu’un d’autre pourra lire à ma place. » Il put
malgré tout donner la conférence lui-même. Quand il monta sur l’estrade, il tremblait de fièvre, des boutons rouges
brûlaient ses joues, ses mains tremblaient. Mais il parla comme jamais il n’avait parlé. Il quitta l’estrade faible, mais
heureux. « Que se passe-t-il ? » demanda Edmond anxieusement, remarquant qu’il pouvait à peine tenir debout. « Je
crains d’avoir attrapé le typhus, murmura Davy. Maudite prison ! » Trois ou quatre jours plus tard, il s’effondra
complètement. Son état devint immédiatement très inquiétant. Il était consumé par la fièvre et délirait
continuellement. Certains jours, son cas paraissait désespéré. Les administrateurs de l’Institut royal étaient inquiets
au plus haut point. Depuis quelque temps, il y avait eu de moins en moins de dons de riches bienfaiteurs et l’Institut
dépendait largement des conférences de Davy comme principale source de revenu. Sa mort aurait été la ruine de
l’institution qui portait le nom de Sa Majesté. « Comment va-t-il ? » s’enquéraient dans un murmure les
administrateurs auprès des médecins, dès que l’un d’eux quittait la chambre du malade. « Comment va monsieur
Davy ? »

Il n'était pas dans son assiette et sentait qu'une maladie couvait.

De tout Londres, on demandait des nouvelles de sa santé. Son nom venait tout juste d’être connu du grand public.
Dans toutes les maisons et tous les cercles, on parlait des étonnantes propriétés des nouveaux métaux que Davy avait
découverts. À peine la renommée des exploits du professeur d’Albemarle Street avait-elle atteint l’étranger qu’une
rumeur entièrement différente suivit rapidement sur ses talons : « Avez-vous entendu les dernières nouvelles ? se
demandaient les Londoniens les uns aux autres. Monsieur Davy est mourant ! » Les gens affluaient à l’Institut,
exigeant de connaître les plus petits détails. Comment le professeur Davy avait-il passé la nuit ? Quelle était sa
température ? Était-il vrai qu’il avait attrapé le typhus lorsqu’il enquêtait sur les conditions dans les prisons ? Les
administrateurs de l’Institut furent forcés d’afficher des bulletins de santé. Pendant dix semaines, Davy resta alité,
brûlé par la fièvre, entre la vie et la mort. Ses amis médecins se relayaient à son chevet nuit et jour. « Davy n’a
aucun symptôme du typhus, disaient-ils. Il était simplement surmené et sa résistance était réduite à un point tel
qu’un léger refroidissement lui a mis un pied dans la tombe. »
Mais il survécut. À la fin du mois de janvier, il commença à se rétablir. Il était toujours horriblement pâle,
amaigri et faible. Travailler au laboratoire était hors de question. Alors, afin de ne pas perdre de temps, il se mit au
travail pour terminer un poème inachevé qu’il avait commencé quelque temps auparavant. Sa maladie ne l’avait pas
brisé. C’était toujours le même fougueux Davy, aussi fin d’esprit et aussi habile de ses mains. Mais il fallait qu’il
reste au lit pendant quelque temps. Dans son pauvre appartement, il n’y avait même pas un canapé ou un bon
fauteuil. Il n’avait donc rien d’autre que son lit pour se reposer pendant sa convalescence. Oh, ne pensez pas que la
riche Angleterre n’appréciait pas son célèbre savant. Tous les journaux étaient pleins d’admiration et de louanges
pour lui. Mais un bon canapé coûte cher. Et le fils d’un graveur sur bois dans un village de campagne peut très bien
se passer d’un canapé. Finalement, ses amis firent honte aux administrateurs de l’Institut royal, afin qu’ils lui
achètent un canapé bon marché pour trois guinées et demie(11), qui fut installé cérémonieusement dans le salon de
Davy. Mais à ce moment-là, il n’en avait plus tant besoin.

Le calcium, le magnésium et les autres

Un mois plus tard, les expériences avaient de nouveau démarré dans le laboratoire. Davy travaillait avec ardeur
pour rattraper le temps perdu. Il n’avait pas promis de mettre le monde de la chimie sens dessus dessous pour rien !
Il y avait beaucoup d’éléments suspects en dehors des alcalis caustiques. Davy voulait les tester aussi avec le courant
électrique.
La potasse caustique et la soude caustique menaient droit aux éléments que les chimistes appelaient les terres
alcalines : la chaux, la magnésie, la baryte, la strontiane. On les appelait des terres, parce qu’elles entrent dans la
composition de beaucoup de types de sols. Elles résistaient au feu et ne fondaient pas, elles ne se décomposaient pas
ou ne se transformaient en aucune façon, quelle que soit la durée pendant laquelle on les chauffait. Il était
impossible, ou du moins très difficile, de les dissoudre dans l’eau. En un mot, c’étaient des terres. Cependant, elles
ressemblaient sous bien des aspects aux alcalis caustiques, savonneux et avides d’eau. Comme les alcalis, elles se
combinaient avec les acides et les neutralisaient, formant ainsi des sels inoffensifs. Et si, par un grand effort, on
parvenait à dissoudre même une infime quantité de l’une de ces terres dans l’eau, la solution faisait virer
instantanément le tournesol rouge au bleu — un des signes sûrs des alcalis. C’est la raison pour laquelle on les avait
nommées terres alcalines.
Après avoir réussi, de façon spectaculaire, à décomposer les alcalis caustiques et à révéler ainsi la présence d’un
nouveau métal dans leur composition, Davy ne doutait pas qu’il puisse faire la même chose avec les terres alcalines.
Il était sûr qu’il devait y avoir quatre vieux éléments de moins et quatre nouveaux éléments de plus. Ce n’était
qu’une question de temps. La décomposition de ces terres promettait d'être une chose facile — il n’y avait qu’à en
humidifier un morceau et à faire passer un fort courant électrique au travers.
Mais les choses ne se passèrent pas aussi aisément que Davy l’avait espéré. Effectivement, certains signes
indiquaient que les terres alcalines pouvaient être décomposées. Des traces ténues d’un genre de métal
apparaissaient, sous la forme d’un film métallique, sur les fils conducteurs du courant électrique. Elles ternissaient à
l’air et extrayaient l’hydrogène de l’eau, tout comme le potassium et le sodium. Mais Davy ne parvenait pas à
obtenir une quantité appréciable de ces nouveaux métaux. Il fit passer le courant électrique au travers pendant des
heures, mais il n’obtint que de toutes petites particules et il ne s’agissait pas de métaux purs, mais d’un alliage avec
le fer des fils. Il continua son expérience sur une longue durée, jusqu’à ce qu’il eût finalement épuisé sa grosse
batterie électrique, mais sans parvenir à un succès total. On construisit une nouvelle batterie encore plus puissante.
Elle comprenait 500 paires de plaques. Mais toujours sans plus de résultats.
Finalement, un chimiste suédois, Berzelius, le mit sur la bonne voie. Il écrivit à Davy une lettre lui indiquant sa
méthode pour séparer les terres, et lui suggérant de l’essayer. Au lieu de fils métalliques, Berzelius utilisait du
mercure liquide dans ses batteries, pour conduire le courant électrique aux terres alcalines. Il pensait que dès que le
métal aurait été séparé de la terre par le courant électrique, il se dissoudrait immédiatement dans le mercure et on
obtiendrait un alliage du nouveau métal avec ce dernier. Or, puisque le mercure, comme l’eau, se transformait en
vapeur quand il était chauffé, on pourrait facilement s’en débarrasser et obtenir ainsi le nouveau métal à l’état pur.

Jöns Jacob Berzelius (1779-1848).

Davy suivit immédiatement le conseil de Berzelius et parvint à obtenir les nouveaux métaux à partir des terres
alcalines. Il appela calcium celui de la chaux, du mot latin pour la craie. Il appela magnésium celui de la magnésie et
il nomma les deux autres baryum et strontium. Ils sont toujours connus sous ces noms. Ces métaux sont tous
argentés et ils perdent rapidement leur éclat à l’air : ils ternissent. Ils décomposent l’eau en ses composants, bien que
moins énergiquement que le potassium et le sodium. En général, les métaux dits « alcalino-terreux » occupent une
place à mi-chemin entre les métaux légers et actifs, le potassium et le sodium, et les vieux métaux lourds et inactifs,
le fer, le cuivre et le mercure.
Davy ne les obtint jamais dans un parfait état de pureté, même après la lettre de Berzelius. Il aurait fallu
beaucoup de travail sur chacun d’eux et il n’avait pas la patience de continuer. Il prouva que les terres alcalines
n’étaient pas des éléments mais des composés, contenant tous de l’oxygène et un certain métal. Mais cette fois-ci, il
n’était pas spécialement avide de poursuivre ses recherches sur ces nouveaux métaux et d’étudier leurs propriétés.
Après le potassium et le sodium, rien ne pouvait le surprendre.
Davy eut encore moins de succès quand il essaya de décomposer quatre autres terres qui avaient été, jusqu’à ce
jour, considérées comme des éléments : l’alumine, qu’on trouve dans l’argile ; la silice, le constituant majeur du
sable, et les terres du béryllium et du zirconium, que les chimistes venaient seulement de découvrir dans des
minéraux rares. Il ne poursuivit pas l’étude des terres plus longtemps. Il donna des noms aux véritables éléments
qu’elles contenaient, bien qu’il n’ait jamais réussi à les voir et renonça à les étudier. Une terre ressemblait à une
autre, un métal léger à un autre. Tous lui paraissaient un peu monotones. Il voulait faire des découvertes
inhabituelles et étonnantes.
Le jour de la conférence de Baker approchait de nouveau et Davy savait que le public attendait impatiemment sa
présentation. Alors il accéléra son rythme de travail, abandonnant une chose et s’attaquant à une autre qui paraissait
plus prometteuse ; il la délaissait alors à son tour avant d’en avoir fini pour passer encore à une autre. Il essaya
même de décomposer des éléments dont la pureté n’était pas en doute : le soufre, le phosphore, le carbone, l’azote.
Davy était si impatient de découvrir d’autres substances cachées dans ces éléments qu’il imagina, alors qu’il faisait
ses expériences, avoir réussi. Sans attendre la vérification de ses observations, il annonça, dans sa troisième
conférence de Baker, qu’il avait réussi à prouver que le soufre, le phosphore, le carbone et l’azote étaient des
composés. Ce n’était pas seulement improbable, c’était faux. Si Davy s’était moins pressé, il aurait découvert ses
erreurs à temps et n’aurait pas refusé au soufre, au phosphore et au carbone le rang de véritables éléments.
Les terres

Les terres citées dans le texte sont des composés constitués d'un élément métallique, d'oxygène et éventuellement d'hydrogène.
Comme les éléments alcalins, les éléments alcalino-terreux constituent une catégorie particulière d'éléments métalliques. Le béryllium
en fait partie. En revanche, l'aluminium, constituant de l'alumine, le silicium, constituant de la silice et le zirconium appartiennent à une
autre catégorie.

« Sir » Humphry Davy

Cet échec ne mit pas fin aux activités de Davy en tant que scientifique. Il avait tout juste trente ans et était plein
d’énergie et d’initiatives. Dans les années qui suivirent, il fit du très bon travail. Il étudia les propriétés du chlore,
qui avait été découvert au XVIIIe siècle par Scheele et il fut le premier à prouver que ce gaz asphyxiant est un
élément. Il inventa une lampe de sûreté pour les mineurs, avec laquelle ils pouvaient descendre dans la mine sans
risquer de mettre le feu au grisou et provoquer ainsi une explosion. Cette lampe, toujours appelée lampe de Davy, a
sauvé la vie de plusieurs milliers de mineurs de charbon. Mais aucune de ses autres recherches n’égala en prestige le
résultat de sa découverte de la décomposition des alcalis caustiques. La découverte du potassium et du sodium
marqua le zénith de sa carrière scientifique.
Pendant plusieurs années, il expérimenta avec son ardeur et son audace habituelles, risquant bien souvent sa
propre vie. Un jour, il se brûla une main avec de la potasse fondue et une autre fois, il fut blessé à l’œil par une
explosion. Mais il eut toujours beaucoup de chance et ne fut jamais gravement blessé. Toutefois, comme les années
passaient, Davy s’intéressait de plus en plus à des sujets non scientifiques. Ses relations avec de riches parasites
l’influencèrent trop. Il ne se satisfaisait plus de son humble appartement à l’Institut royal et son revenu modeste de
professeur lui semblait beaucoup trop faible. Davy voulait la richesse et une position sociale. Il n’aimait pas qu’on
lui rappelle que son père était un simple artisan et que lui-même avait commencé sa carrière comme apprenti chez
un rebouteux. Un jour, il pensa s’installer dans son propre cabinet médical. Avec sa renommée, pensait-t-il, il ne
devrait pas manquer de clients. Puis ses amis du clergé tentèrent d’embrigader le grand savant. Ils espéraient
s’accaparer l’éloquence de Davy, avec la promesse d’un gros salaire en tant que serviteur de l’Église.

Davy inventa une lampe de sûreté pour les mineurs.

Finalement, Davy choisit une autre solution pour sortir de ses difficultés : il épousa une riche veuve de
l’aristocratie. La veille de son mariage, Davy fut fait chevalier par le Prince Régent. À partir de ce jour, il put alors
fièrement signer lui-même : « Sir Humphry Davy ».
Chapitre 3

Quelque chose d'à la fois rouge et bleu

Cinquante-sept et pas un de plus

En 1789, quand Lavoisier décida d’établir une liste de tous les éléments connus, il en compta 33 en tout. Mais, en
réalité, seuls 24 de ceux qu’il avait catalogués étaient de véritables éléments. Les 9 qui restaient n’existaient pas
dans la nature ou étaient considérés comme des éléments, seulement parce qu’on ne disposait pas à cette époque de
moyen de les séparer en leurs composants.
Quarante ans plus tard, quand Davy mourut, les chimistes étaient déjà certains de l’existence de 53 éléments
différents. Davy avait lui-même découvert ou montré la voie de la découverte de 10 nouveaux éléments. Le reste le
fut par d’autres savants de divers pays.
Au début du XIXe siècle, Courtois vivait à Paris. Quand les guerres napoléoniennes commencèrent en Europe et
que la demande de salpêtre, utilisé pour fabriquer la poudre, augmenta, il construisit une usine de salpêtre près de
Paris. Son entreprise prospérait, mais il remarqua bientôt que les cuves de cuivre où l’on préparait ce produit étaient
rongées trop rapidement. Courtois commença à enquêter et découvrit une substance caustique inconnue dans les
solutions alcalines. Dans sa forme pure, il s’agissait de cristaux durs avec un éclat métallique sombre. Ces cristaux
avaient une propriété inhabituelle : quand on les chauffait, ils se transformaient immédiatement en une vapeur
violette au lieu de fondre.
Courtois donna un peu de cette substance à son ami, le professeur Clément, pour la faire analyser. Clément
montra le produit au grand chimiste français Gay-Lussac et, en 1813, alors que Davy visitait Paris, on lui en remit un
peu pour qu’il puisse l’analyser. Un nouvel élément, l’iode, fut ainsi découvert ; cet iode que nous utilisons quand
nous voulons désinfecter une coupure, une égratignure ou une blessure(12). Simplement, nous n’utilisons pas le
produit solide, mais une solution dans l’alcool.
Quelques années après l’iode, un autre élément inconnu fut encore découvert, un métal qui ressemblait au
potassium et au sodium. Il était très léger, seulement un peu plus lourd que la plus légère des espèces de bois. Si ce
métal, comme le potassium et le sodium, n’avait pas la propriété de se combiner violemment avec l’eau, il ferait
d’excellentes ceintures de sauvetage en raison de sa légèreté. Ce troisième métal du trio de la famille des métaux
alcalins fut appelé lithium.
Un « copain » fut finalement trouvé pour l’iode également. En 1826, Balard, un Français, découvrit une
substance inconnue dans un marais d’où on extrayait le sel. Elle avait beaucoup de propriétés similaires à celles de
l’iode, mais ce n’était pas de l’iode. Quand la nouvelle substance fut extraite à l’état pur, elle se trouva être un
liquide rouge et lourd avec une odeur suffocante(13). Ce nouvel élément fut appelé brome. Tous ceux qui connaissent
un peu la photographie savent que toutes les plaques photographiques, le papier et les films sont couverts d’un
composé de brome et d’argent. Un composé de brome et de sodium est également vendu dans les pharmacies
comme somnifère(14).
Le savant suédois Berzelius, celui-là même qui avait aidé Davy en 1808, découvrit plusieurs nouveaux éléments.
De nouveaux éléments furent aussi trouvés parmi les métaux précieux. Jusqu’à cette époque, on connaissait
seulement trois métaux précieux : l’or, l’argent et le platine. Tout au début du XIXe siècle, on en découvrit quatre de
plus : l’iridium, l’osmium, le rhodium et le palladium.
Ce n’était pas fini. Quinze ans plus tard, en 1844, après la mort de Davy, le professeur Klaus, de l’Université de
Kazan en Russie, trouva encore un autre élément dans les minerais de platine. Il ressemblait au platine et il l’appela
le ruthénium. Cela porta le nombre des éléments à 57.
Les métaux précieux

Il existe un certain nombre de métaux, qui, comme les gaz nobles de l'atmosphère (argon, néon…) sont très peu réactifs. On les
appelle métaux précieux ou nobles — nous en reparlerons dans le chapitre 7. Ils sont souvent trouvés à l'état natif dans la nature,
c'est-à-dire sous forme de corps simples. Ce sont essentiellement l'or, l'argent et le platine.
Puis vint une pause. Aucun autre élément ne fut plus découvert nulle part. C’est à cette époque, le deuxième quart
du XIXe siècle, que l’industrie commença à se développer rapidement. Les premiers chemins de fer furent construits
en Europe et en Amérique. Les premiers bateaux à vapeur apparurent sur les mers. On commença à se rendre aux
quatre coins de la Terre pour trouver des matières premières pour l'industrie : des minerais, du charbon et d’autres
gisements de minéraux. D’énormes collections de minéraux furent amassées. Des milliers de substances différentes
passèrent entre les mains des chimistes, dans les usines et dans les laboratoires, pour une analyse précise.
Néanmoins, aucun élément ne fut découvert en plus des 57 déjà connus.
Était-il possible que tous les éléments qui existaient dans le monde aient vraiment été découverts et qu’il soit
inutile d’en chercher d’autres ? Non, tous ceux qui cherchaient ces éléments n’étaient pas satisfaits. Ils raisonnaient
ainsi : jusqu’à présent, nous n’avons découvert que les éléments qui existent en grande quantité dans de nombreux
sites sur Terre et qui sont faciles à séparer des autres. Mais nous savons que tous les éléments connus sont répartis
très inégalement sur Terre. Il y a, par exemple, beaucoup de fer partout dans le monde, beaucoup moins de cuivre,
encore moins d’argent et très peu d’or. Et il y a, apparemment, seulement quelques tonnes de ruthénium dans le
monde entier. Pourquoi ne pas supposer qu’il existe des éléments encore plus rares quelque part en quantité infime ?
Nous devons examiner le problème.
Les recherches continuèrent, en vain. Des minerais venant de partout furent examinés : d’Australie, du
Groenland, des environs de Paris et même du Vésuve. Mais tous étaient constitués d’éléments déjà connus. Personne
ne trouva d’éléments nouveaux. Pourtant, il était plus facile de chercher de nouvelles substances que du temps de
Scheele ou de Lavoisier. La technique de l’analyse chimique s’était améliorée d’année en année. Les chimistes
pouvaient non seulement dire de quels éléments une pierre ou une argile étaient composées, mais ils pouvaient aussi
indiquer très précisément la quantité de chaque élément présent. Des chimistes expérimentés pouvaient effectuer de
nombreuses opérations et transformations différentes sur un seul gramme de substance. Ils en faisaient une solution,
ils l’évaporaient, ils la lavaient, ils la filtraient, ils la chauffaient au rouge, ils la traitaient avec des acides ou des
alcalis, ils la calcinaient et la congelaient sur de la glace. Ils la broyaient dans un mortier. Et tout cela, sans perdre
une seule miette de la substance ! Des balances analytiques complexes furent inventées, si sensibles qu’elles
pouvaient peser une minuscule particule des milliers de fois plus légères qu’un poids d’un gramme. Dans les
laboratoires, les gens apprenaient à travailler avec une incroyable précision. Cependant, aucun nouvel élément ne fut
trouvé.
Finalement, la physique vint au secours de la chimie, tout comme auparavant les découvertes du physicien Volta
avaient aidé le travail du chimiste Davy. L’électricité avait alors mené à de nombreux nouveaux éléments. Cette
fois-ci, un demi-siècle plus tard, ce fut la lumière qui aida les chimistes. Deux amis, Robert Bunsen, le chimiste, et
Gustav Kirchhoff, le physicien, combinèrent leurs talents pour aboutir à d’extraordinaires découvertes.

Robert Bunsen et Gustav Kirchhoff

Robert Bunsen (1811-1899).


Gustav Kirchhoff (1824-1887).

La vie de Robert Bunsen était tranquille et régulière comme un mouvement d’horloge. Il n’avait jamais connu la
pauvreté ni le besoin et n’avait jamais recherché la richesse. Il connaissait sa science et rien d’autre. Il n’était pas
autodidacte comme Scheele et Davy. Ses parents s’étaient assuré que leur fils reçoive une bonne éducation et toutes
les fréquentations de son enfance et de sa jeunesse avaient pour but de l’intéresser à l’étude des sciences. La ville
allemande de Göttingen, où il était né, était célèbre dans le monde entier pour son université. Elle vivait de la
science, gagnait son pain quotidien par la science, juste comme un port vit de la mer ou une station climatique vit
des malades. Le père de Robert était professeur à l’Université de Göttingen. Il n’y avait donc rien d’extraordinaire à
ce que le fils talentueux d’un professeur estimé devint un savant à son tour.
Bunsen termina ses études au Gymnasium ou lycée en 1828, à l’âge de dix-sept ans. Il entra immédiatement à
l’université et, trois ans plus tard, il reçut le diplôme de docteur ès sciences. Puis il entama un périple à travers
l’Europe. Pendant un an et demi, il voyagea inconfortablement dans des voitures à cheval ou alla à pied de ville en
ville, de pays en pays. Il visita de nombreuses usines — de métallurgie, de chimie et même une sucrerie. Il descendit
dans des mines de charbon et fit l’ascension de montagnes enneigées. Il fit la connaissance de grands chimistes en
Allemagne, en France, en Suisse et en Autriche. À Saint-Étienne en France, il vit pour la première fois ce qui était
en ce temps-là une nouveauté fascinante, les chemins de fer, avec lesquels les gens voyageaient dans des voitures
qui n’étaient pas tirées par des chevaux.
Le jeune docteur ès sciences retourna ensuite dans son Göttingen natal et s’installa dans la paisible routine d’une
carrière professionnelle. En suivant un chemin bien tracé, qui commençait par une nomination comme privat-dozent
(professeur assistant), il commença à enseigner la chimie. C’était en 1834. À partir de ce moment, sa vie entière
suivit un rythme régulier : cours, laboratoire, cours à nouveau, puis à nouveau laboratoire. À l’âge de vingt-cinq ans,
son programme journalier était précisément ce qu’il était à cinquante ans, et à cinquante ans, c’était le même qu’à
soixante-dix ans. Il se levait à l’aube, s’asseyait à son bureau pour écrire un compte rendu de son travail et vérifier
ses résultats. Puis il allait donner ses cours. De l’amphithéâtre, il se dirigeait vers le laboratoire, où il restait jusqu’à
midi. Après déjeuner, il se promenait avec quelque ami, puis retournait au laboratoire.
À vrai dire, il y eut certaines occasions où il fut obligé d’interrompre sa routine pendant quelque temps. Mais ce
ne fut pas pour cause de maladie, Bunsen ne fut jamais malade de sa vie, avant d’être très âgé. Ce ne furent pas des
affaires de cœur, il n’est jamais tombé amoureux ; ni des déboires conjugaux, il ne s’est jamais marié ; ni à cause de
politique, il ne se mêlait pas de politique et évitait la vie publique. Une explosion ou une infection occasionnelles, le
lot habituel de tout chimiste audacieux, furent les seuls accidents de sa vie. Bunsen fut remarqué en premier lieu
pour son travail sur une substance chimique complexe, le cacodyle(15). Alors qu’il était occupé à ces premières
expériences, une explosion se produisit dans son laboratoire ; il perdit un œil et fut presque asphyxié par les vapeurs
toxiques.
Bunsen était passé maître dans l’art de l’analyse chimique. Il inventait constamment de nouvelles et ingénieuses
méthodes pour trouver la composition de différentes substances avec plus de précision et plus rapidement. Du
monde entier, les étudiants et les jeunes chimistes affluaient dans son laboratoire pour apprendre ses délicates
techniques. L’analyse, cependant, n’était pas sa seule spécialité. Il fit beaucoup d’importantes découvertes et inventa
de nombreux appareils de laboratoire. Mais, comme un de ses amis aimait à dire, la plus grande découverte de
Bunsen fut la « découverte » de Gustav Kirchhoff. Bunsen « découvrit », c’est-à-dire rencontra Kirchhoff en 1851, à
Breslau, où il avait été invité pour être professeur de chimie. Ils devinrent amis immédiatement. Kirchhoff menait le
même genre de vie professorale bien rythmée et paisible que Bunsen. Il était très doué aussi, mais sa spécialité était
la physique et les mathématiques, au lieu de la chimie.
En apparence, ils étaient complètement différents. Quand ils marchaient ensemble dans les rues de Breslau, les
gens se retournaient pour regarder cette paire si disparate. Imaginez un homme grand, aux larges épaules, avec un
cigare à la bouche et sur la tête un chapeau haut de forme si haut qu’il atteignait presque les fenêtres du premier
étage. C’était Bunsen. À côté de lui, trottait un petit homme, gesticulant sans arrêt avec ses mains. C’était Kirchhoff.

Quand Bunsen et Kirchhoff marchaient ensemble dans les rues de Breslau, les gens se retournaient pour regarder cette paire si disparate.

Bunsen n'était pas bavard, tandis que Kirchhoff aimait parler. Quand il était tout gosse, il bavardait sans cesse, si
bien que sa mère lui disait parfois : « Tiens-toi tranquille, Julchen ! Tiens-toi tranquille me minute ! » Elle l’appelait
« Julia »(16) parce qu’il était très mince et délicat, comme une fille. Kirchhoff aimait beaucoup la littérature et réciter
de la poésie. À un moment, il avait été fortement tenté de devenir acteur. Mais ça ne l’empêcha pas de s’attacher
profondément à Bunsen, qui ne savait rien et ne voulait rien savoir, sauf sa science, et ne pouvait être convaincu de
quitter le peu de confort de son logis de célibataire pour quelque mondanité que ce soit.
Un an et demi après leur rencontre, les deux amis durent se séparer. Bunsen fut appelé par l’une des plus
anciennes et des meilleures Universités d’Allemagne, l’Université de Heidelberg. Il y alla. Mais son ami Kirchhoff
lui manquait et il manquait à Kirchhoff si bien que, finalement, Bunsen réussit à faire inviter Kirchhoff à Heidelberg
aussi. À partir de ce moment-là, les deux savants ne furent plus jamais séparés. Presque chaque jour, ils faisaient de
longues promenades dans la campagne vallonnée, aux alentours de Heidelberg, soit seuls ou accompagnés d’un de
leurs collègues de l’Université. Pendant ces promenades, Bunsen et Kirchhoff discutaient des détails de leurs
expériences respectives et de leur travail scientifique. Avant peu, le temps vint de se rejoindre et de travailler
ensemble sur le même problème.

La couleur du feu

En 1854, une usine à gaz fut construite à Heidelberg et le gaz fut canalisé dans le laboratoire de Bunsen. Il fallait
qu’ils se procurent leur propre brûleur. Bunsen essaya différents types de brûleurs mais aucun d’entre eux n’était
satisfaisant. Alors il en inventa un bien meilleur. Le brûleur de Bunsen ne fumait pas et pouvait être réglé à volonté.
Il pouvait donner une flamme très chaude, pure et incolore ou moins chaude, mais plus étendue. Il pouvait aussi être
réduit pour ne donner qu’une toute petite flamme, qui cependant ne s’éteignait pas. Ce brûleur étonnamment
pratique et simple est toujours utilisé dans tous les laboratoires du monde. Il s’appelle le bec Bunsen.
Bunsen aimait jouer avec le feu. Il était passé maître dans l’art de souffler le verre pour fabriquer des appareils de
chimie. Quelquefois, il restait assis devant une table pendant des heures, un soufflet dans les mains, attisant le feu
d’une petite forge, pendant qu’il manipulait avec habileté un morceau de verre dans la flamme ardente. Il aimait à
souffler une masse de verre incandescent pour en faire des objets fantastiques. Il fondait du métal sur des récipients
de verre, soudait un tube ou un instrument à un autre, tenant le verre mou avec ses mains nues, comme si elles
étaient faites d’une matière résistant au feu, au lieu de peau et de chair comme tous les autres gens.
Ce brûleur étonnamment pratique et simple est toujours utilisé dans tous les laboratoires du monde. Il s'appelle le bec Bunsen.

« Vous allez bientôt sentir la viande rôtie ! » aimaient à dire les étudiants quand le professeur s’asseyait avec son
chalumeau. Quelquefois, les doigts de Bunsen commençaient véritablement à fumer. Mais il agissait comme si de
rien n’était et il ne laissait jamais tomber le verre brûlant. Il avait sa propre méthode originale pour refroidir ses
doigts quand la douleur était trop forte. H portait sa main à son oreille et pinçait le lobe avec ses doigts chauds. Ses
mains « ignifugées » étaient célèbres dans toute l’université.
Quand il soufflait le verre, Bunsen ne pouvait s’empêcher de remarquer que la couleur de la flamme changeait de
temps en temps. Il le remarqua surtout après avoir commencé à utiliser son propre bec de gaz. Généralement, il
donnait une flamme chaude et légèrement bleutée. Mais au moment où le tube de verre entrait dans la flamme
incolore, elle prenait une coloration jaune. Si le cuivre du bec devenait rouge parce que la flamme était descendue à
l’intérieur, la flamme prenait une coloration verte. Si un grain de sel de potassium y était brûlé, elle devenait rose
lilas.
Bunsen fit des expériences en plaçant des grains de différentes substances au bout d’un fil de platine et en le
tenant dans la flamme ; il trouva qu’il pouvait produire toutes sortes de couleurs avec la flamme incolore du gaz.
Un grain de sel de strontium donnait une flamme rouge pourpre.
Le calcium : rouge brique.
Le baryum : vert.
Le sodium : jaune vif.
Et ainsi de suite.
Bunsen savait que, depuis quelque temps, plusieurs chimistes essayaient de déterminer la composition d’une
substance par la couleur de la flamme. Mais ils n’avaient pas abouti à grand-chose parce qu’ils utilisaient une lampe
à alcool, qui avait sa propre couleur spécifique. Dans cette flamme incolore du bec Bunsen, tout apparaissait très
clairement. « Cela mus offre d’immenses possibilités, pensa-t-il. On pourrait déterminer la composition de
n’importe quoi juste en quelques secondes ! » En tant que chimiste analyste, Bunsen savait bien le travail que
représentait une analyse chimique ordinaire. Il fallait passer des heures, quelquefois même des jours, pour
déterminer la composition chimique d’une substance donnée. Comme ce serait simple s’il n’y avait qu’à tenir un
grain de la substance à analyser dans la flamme d’un bec Bunsen et voir immédiatement de quoi elle était faite !
Cependant, ce n’était pas aussi simple que ça. Ce serait très bien si votre substance ne contenait que du potassium,
par exemple, ou seulement du strontium et rien d’autre. Alors la flamme aurait une couleur lilas ou pourpre distincte
et pure. Mais qu’arriverait-il s’il y avait plusieurs éléments différents dans la substance à analyser, comme c’est
presque toujours le cas ? Alors il serait difficile d’obtenir une indication catégorique, même dans la flamme pure du
bec Bunsen. Une couleur interférerait avec une autre.
Bunsen essaya divers procédés dans l’espoir de voir chaque couleur séparément. Il regarda la flamme à travers un
verre bleu. Ainsi, il pouvait quelquefois distinguer dans la flamme la couleur mauve du potassium et le rouge du
lithium, bien que sans verre bleu tout ce qu’il pouvait voir soit la couleur jaune intense du sodium. Le jaune n’était
pas visible à travers le verre bleu, donc le mauve ressortait distinctement. Mais le résultat était incertain et
l’expérience ne marchait que dans un cas sur cent.
Un jour qu’il se promenait avec Kirchhoff, il raconta à son ami ses difficultés et Kirchhoff fit la remarque
suivante : « En tant que physicien, j’approcherais le problème d’une autre manière. À mon avis, vous ne devriez pas
regarder la flamme directement, mais regarder son spectre. Alors toutes les couleurs ressortiraient beaucoup plus
distinctement. » Bunsen fut enchanté de cette idée. Ils décidèrent tous deux de travailler ensemble sur ce projet et de
commencer immédiatement. Cette conversation eut lieu au début de l’automne 1859. Elle eut des conséquences
d’une exceptionnelle importance pour la science. Mais avant de vous les raconter, nous devons être sûrs de savoir ce
qu’est un spectre. Pour cela, revenons deux cents ans en arrière.

Pourquoi Newton jouait avec les rayons du Soleil

Isaac Newton (1642-1727).

En 1660, le jeune savant Isaac Newton, qui vivait dans la paisible ville de Cambridge, passait des jours et des
jours à faire une chose très étrange : attraper les rayons du Soleil ! Il s’isolait dans une pièce obscure, s’affairant sur
quelque chose, marmonnant de temps en temps à haute voix. Peut-être cherchait-il à échapper à la chaleur et
essayait-il de trouver la fraîcheur dans cette pièce obscure ? Certainement pas ! Il avait couvert soigneusement toutes
les fissures et la pièce était comme un four. Il portait une grande perruque, à la mode en ce temps-là, et la sueur
perlait sur son visage. Dehors, une brise fraîche soufflait.
Pourquoi restait-il dans cette pièce suffocante ? Il attrapait la réflexion des rayons du Soleil sur un morceau de
papier. Les volets de toutes les fenêtres étaient bien fermés, afin qu’aucune lumière ne puisse rentrer. Dans l’un des
volets, Newton avait fait un petit trou rond de la taille d’un petit doigt. À travers ce petit trou, un étroit pinceau de
lumière pénétrait dans la pièce obscure. Newton marchait tranquillement dans la pièce, tenant tantôt la paume de sa
main dans le pinceau, tantôt une feuille de papier, ou laissant le rayon traverser la pièce. Une tache lumineuse claire
et brillante sautait de sa main sur le mur, du mur sur le papier, du papier sur le gilet noir de Newton.
Était-il possible que le jeune savant joue à quelque jeu d’enfant ? Non, Newton ne s’amusait absolument pas. Il
s’occupait de travail sérieux. Il réalisait une expérience. Il avait un prisme triangulaire dans la main, juste un
morceau de verre ordinaire avec trois faces égales. De temps en temps, il tenait ce petit morceau de verre dans le
pinceau de lumière. Aussitôt que le verre interceptait le chemin du rayon lumineux, le disque de lumière blanche sur
le mur disparaissait et, à sa place, une longue bande de plusieurs couleurs apparaissait. « Où est passée la lumière
blanche ? » se demanda Newton avec étonnement la première fois qu’il observa ce changement inexplicable. Il
tenait le prisme dans une main et, de l’autre, il attrapait les rayons du Soleil après qu’ils eurent traversé le prisme. Il
remuait ses doigts, agitait sa main. Ses doigts étaient rouges, jaunes, verts, bleus et violets. Il ne pouvait trouver la
lumière blanche nulle part.

Le prisme de Newton. Aussitôt que le verre interceptait le chemin du rayon lumineux, le disque de lumière blanche sur le mur disparaissait
et, à sa place, une longue bande de plusieurs couleurs apparaissait.
Il répéta cette expérience de nombreuses fois. Et, à chaque fois, la même chose arrivait : sans prisme, les rayons
du Soleil étaient d’un blanc ordinaire, mais, quand ils traversaient le prisme, ils sortaient peints de toutes les
couleurs de l’arc-en-ciel. Au moment où il retirait le prisme, le point blanc de lumière solaire dansait sur le mur, une
copie exacte du trou dans le volet. Mais quand il replaçait le prisme dans le chemin des rayons, la tache allongée et
multicolore réapparaissait à nouveau. Newton appela cette bande de couleurs le spectre. La partie supérieure du
spectre était toujours rouge. Le rouge se fondait imperceptiblement dans l’orange, l’orange dans le jaune, le jaune
dans le vert, le vert dans le bleu. Tout en bas du spectre venaient l’indigo et le violet.
Pendant longtemps, Newton se creusa la tête pour essayer de découvrir d’où venait le spectre. Dès que le Soleil
se montrait le matin, il fermait les volets et essayait d’attraper les rayons multicolores ; il restait emprisonné
volontairement jusqu’au soir, regardant dans la lumière le merveilleux spectre coloré qui dansait toujours devant ses
yeux. Il y pensait constamment, nuit et jour et, finalement, il trouva la réponse. La lumière du Soleil n’est pas
vraiment blanche, conclut-il. Elle nous semble seulement blanche. En réalité, un déluge de rayons multicolores
tombe du ciel et quand les rayons arrivent ensemble, nos yeux ne peuvent pas les distinguer les uns des autres. C’est
pourquoi elle apparaît blanche. Mais quand ces rayons entremêlés passent à travers le prisme, le prisme les disperse
et nous voyons chacun deux séparément. Chaque rayon fait un petit rond de lumière, une exacte copie du trou dans
le volet. Le rouge est en haut parce que les rayons rouges sont moins réfractés par le prisme. Les rayons violets sont
en bas parce que le prisme les réfracte plus que tous les autres. Les autres sont distribués entre le rouge et le violet.
Le bord de chacun de ces petits cercles dépasse sur le bord du suivant, et ainsi, à la place d’une copie ronde et
blanche du trou dans le volet, on obtient sur le mur une bande allongée et multicolore — le spectre.
L’explication de Newton a dû paraître très curieuse au début. Il était difficile de saisir cette idée que la lumière
blanche n’était en réalité pas blanche du tout ; que le Soleil qui brille dans le ciel au-dessus de nos têtes n’est pas un
beau Soleil blanc, mais un merveilleux astre multicolore, qui est en même temps rouge, jaune, vert et violet. Cette
incroyable affirmation est néanmoins vraie. Pensez aux gouttes de rosée et de pluies transparentes, qui luisent de
couleurs éclatantes dans la lumière du Soleil !
Newton réalisa des dizaines d’expériences dans sa chambre noire, avant de conclure que la lumière blanche du
Soleil est en réalité un mélange de rayons. Et ses preuves étaient si convaincantes qu’il était difficile de le
contredire. Il décomposait non seulement la lumière blanche en ses composantes colorées, mais il renversait aussi
l’opération et, en faisant passer les rayons colorés à travers une lentille, il montrait que, par recombinaison, ils
ressortaient blancs à nouveau. Il fit aussi l’expérience suivante : il peignit toutes les couleurs des rayons du Soleil
sur un morceau de bois circulaire, puis il le fit tourner rapidement sur son axe. La roue en rotation parut blanche,
bien qu’elle fût en réalité peinte avec des couleurs et qu’il n’y eût aucune trace de blanc dessus.

Les raies de Fraunhofer

Mais, après tout, qu’est-ce que le Soleil a à voir avec tout ça ? Nous parlions de la flamme du bec Bunsen et de
l’analyse de substances chimiques. Pourquoi soudainement avons-nous commencé à parler du Soleil et de son
spectre ?
Nous allons le savoir tout de suite. Que fit Newton ? Il découvrit, dans sa chambre noire, que la lumière du Soleil
n’est pas d’une seule couleur. Au contraire, elle est constituée de rayons de différentes couleurs et ces rayons sont
déviés de leur chemin rectiligne par un prisme. Maintenant, est-ce que les autres lumières, la lumière artificielle,
aussi bien que la lumière du Soleil, ne sont pas elles aussi uniformes quant à la couleur ? Par exemple, la flamme de
la lampe à alcool ou de la chandelle consiste-t-elle aussi de rayons de différentes couleurs ?
Oui, la lumière artificielle peut également être séparée en différentes couleurs. En 1814, un brillant opticien
allemand, Fraunhofer, étudiait le spectre de différents types de lampes, essayant de trouver une source de lumière
qui ne donnerait que des rayons d’une seule couleur. Il avait besoin d’une telle lumière pour tester la qualité des
lentilles à fort grossissement qu’il préparait pour certains instruments d’optique. Fraunhofer ne parvint pas à trouver
une source de lumière d’une seule couleur, mais il fit quelques très curieuses découvertes. Comme Newton, il
travaillait dans une chambre obscure, mais, au lieu d’un trou rond, il admettait la lumière à travers une fente très
étroite dans une fenêtre ou dans une porte. Il plaçait la lampe dehors, directement en face de l’ouverture et disposait
une lunette astronomique derrière le prisme pour y capturer le spectre. La lunette avait une grande puissance de
grossissement et le prisme était fait d’un type spécial de verre qui dispersait fortement les rayons. Il obtint donc un
spectre extrêmement long, lumineux et net.
D’abord, Fraunhofer plaça une lampe à huile devant la fente. Quand il regarda dans sa lunette, il remarqua que
deux raies jaunes très brillantes ressortaient l’une à côté de l’autre dans le ruban de lumière aux nombreuses nuances
et que ces lignes avaient juste la largeur de la fente. Il tourna l’objectif de la lunette et regarda à nouveau. Les raies
jaunes étaient toujours là. Il comprit ce que ça voulait dire : que de tous les rayons qui venaient de la lampe, il y en
avait deux tellement brillants qu’ils ne se mélangeaient pas aux autres mais donnaient des images nettes et séparées
de la fente. Quand il utilisa une lampe à alcool au lieu d’une lampe à huile, il constata que les raies jaunes
apparaissaient toujours dans le champ de vision de la lunette. Ensuite, il essaya une chandelle ; à nouveau les raies
jaunes brillaient. Elles étaient toujours dans la même position, pourvu que le prisme et la lunette n’aient pas bougé et
que le long spectre demeure inchangé. Alors il chercha les raies jaunes dans le spectre du Soleil. Mais elles n’étaient
pas là. Cependant, il remarqua quelque chose d'autre : la longue et brillante bande multicolore du spectre solaire était
hachée de nombreuses raies sombres. Il en compta plus de 500. Chacune de ces étroites raies sombres, de la largeur
de la fente, occupait toujours exactement la même position. Certaines étaient plus claires, certaines plus foncées,
mais d’autres encore ressortaient clairement et paraissaient noir d’encre sur le fond brillant du spectre. Fraunhofer
donna les noms A, B, C, D, etc., à ces raies noires particulièrement marquées.
« C’est extraordinaire ! pensa-t-il, alors qu’il regardait, ces raies noires. On dirait qu’il manque certaines
couleurs dans la lumière du Soleil. » Il commença à examiner les lignes avec plus d’attention et il fut plus étonné
que jamais quand il remarqua qu’il y avait une double raie très noire à l’endroit même où les lignes jaunes brillantes
étaient apparues dans le spectre de la chandelle ou de la lampe. Pendant la journée, il laissait passer la lumière
solaire à travers la fente et il y avait toujours ces raies noires dans le spectre, précisément dans la même position. Le
soir, il plaçait la lampe ou la chandelle devant la fente et la double raie jaune apparaissait brillante dans le spectre,
exactement à la même place. Les deux paires coïncidaient parfaitement, c’est-à-dire que les rayons qui brillaient le
plus fortement dans la lumière artificielle étaient justement ceux qui manquaient dans la lumière du Soleil. Un
étrange phénomène, inexplicable !
Beaucoup d’autres savants avaient étudié les spectres de différentes sources de lumière : des bougies stéariques,
des étincelles électriques, des arcs voltaïques. Dans presque tous les cas, ils avaient trouvé les raies jaunes brillantes
et, fréquemment, ils avaient aussi découvert d’autres raies brillantes. Dans le spectre du Soleil, on trouvait de plus en
plus de raies noires, les « raies de Fraunhofer », comme on commença à les appeler. Cependant, personne ne pouvait
donner une explication satisfaisante à leur cause. Certains savants furent très près de la bonne réponse, tout en étant
incapables de clarifier complètement le mystère.
Ce fut à Kirchhoff et à Bunsen d’y parvenir.

L'analyse spectrale

Les deux amis commencèrent par construire un spectroscope, un instrument pour observer les spectres. Un beau
jour, Kirchhoff arriva au laboratoire avec une boîte à cigares et deux lunettes astronomiques, qui avaient vu de
meilleurs jours. Avec ce simple matériel, ils fabriquèrent eux-mêmes leur spectroscope. La lumière était admise à
travers une lunette, dont l’oculaire était remplacé par une fente. Un tel tube avec une fente est appelé un collimateur.
Il est facile de comprendre que le collimateur jouait le même rôle que le volet avec un trou que Newton avait dans sa
chambre noire. Les rayons du collimateur tombaient sur le prisme à l’intérieur de la boîte à cigares. Kirchhoff avait
collé du papier noir dans la boîte pour qu’aucune lumière parasite ne puisse entrer. Le prisme réfractait les rayons
qui passaient à travers la fente. Un spectre apparut. Bunsen et Kirchhoff le regardèrent à travers l’autre lunette,
exactement comme Fraunhofer l’avait fait.

Une boîte à cigares et deux lunettes astronomiques : avec ce simple matériel, Bunsen et Kirchhoff fabriquèrent eux-mêmes leur
spectroscope.

Naturellement Kirchhoff, étant physicien, réalisa la plus grande partie du travail pour fabriquer le spectroscope.
Mais Bunsen n’était pas oisif pour autant. Il préparait des substances d’une grande pureté pour les examiner dans la
flamme. Il dissolvait de nombreux sels, les recristallisait, les filtrait, les lavait, les remettait en solution, etc., jusqu’à
ce qu’il obtienne de bons échantillons. À vrai dire, c’était parfois une besogne pénible et ingrate. Mais, depuis sa
jeunesse, Bunsen avait appris à être patient et persévérant dans son travail scientifique. Les deux amis étaient des
travailleurs précis et intelligents. Et ils obtinrent des résultats.
Pour tester l’instrument, Kirchhoff, utilisant un miroir comme réflecteur, admit d’abord un faisceau de lumière
solaire à travers la fente. Il regarda et fut enchanté de voir un beau spectre multicolore, haché des raies noires de
Fraunhofer. Ensuite, il ferma les volets de la fenêtre et plaça un bec Bunsen allumé devant la fente. Cette fois-ci, tout
était sombre dans le collimateur et Kirchhoff pouvait seulement distinguer une très faible lumière quand il regardait
dans le tube. Le bec Bunsen était tout près de la fente du collimateur et brûlait avec une flamme chaude, plus chaude
que l’acier fondu. Cependant, la lumière de la flamme ne produisait presque aucun spectre, tout était bien blanc et
sans couleur.
L’image changea du tout au tout quand Bunsen ajouta des grains de différentes substances. D’abord, il prit du sel
de cuisine pur, que les chimistes appellent chlorure de sodium, parce qu’il est composé de sodium et de chlore.
Bunsen mit une pincée de ce sel sur un fil de platine et le tint dans la flamme. La flamme devint immédiatement
jaune vif. Kirchhoff plaça son œil derrière la lunette. « Je vois deux raies jaunes côte à côte, dit-il. Rien d’autre.
Juste un fond obscur et deux raies jaunes dessus. » Ils obtinrent exactement les mêmes raies jaunes à partir d’autres
composés du sodium. Bunsen les essaya les uns après les autres : le carbonate de sodium, le nitrate de sodium,
appelé aussi salpêtre, et beaucoup d’autres sels de sodium. Ils donnaient tous exactement le même spectre : deux
raies jaunes sur un fond noir et toujours dans la même position. Tout était parfaitement clair maintenant : le sel de
sodium s’était instantanément décomposé sous l’effet de la chaleur, le sodium s’était transformé en vapeurs chaudes,
lesquelles donnaient ces invariables raies jaunes. Dès que le sel de sodium avait disparu totalement, la flamme
redevenait incolore.
Après avoir nettoyé scrupuleusement le fil de platine, Bunsen y mit une pincée de sel de potassium et le tint dans
la flamme. La flamme devint d’une délicate couleur lilas. Kirchhoff prit sa place derrière le tube. Silence pendant
quelques secondes. « Que voyez-vous, Gustav ? demanda Bunsen — Je vois une raie violette et une raie rouge sur
un fond noir et ente elles un spectre presque complet, sans raies brillantes distinctes. » Tous les sels de lithium
donnaient une raie rouge brillante et une raie orange moins vive. Le spectre du strontium avait une raie bleue
brillante et plusieurs raies rouge sombre. Et ainsi de suite avec chaque élément. Cela prouvait que les vapeurs
chaudes de chacun d’entre eux donnaient des rayons d’une couleur distincte et que le prisme dirigeait ces rayons
vers un endroit spécifique du spectre.
La vue de ces belles raies colorées dans le spectroscope enchantait Robert et Gustav. Bunsen fabriqua un petit
support spécial pour le fil de platine, pour ne pas avoir à rester assis et à le tenir tout le temps, mais pour pouvoir
aussi regarder dans le spectroscope. Des chandelles commençaient à danser devant leurs yeux, mais Kirchhoff ne
voulait pas s’arrêter. « Nous devons faire un dessin de tout ça, dit-il. Il faut que nous ayons tous les spectres sur
papier pour pouvoir en faire des comparaisons plus tard. — Attendez une minute, dit Bunsen en l’arrêtant. Mus ne
savons pas la plus importante chose de toute : quel genre de spectre nous allons obtenir si nous mélangeons
plusieurs sels ensemble et les tenons dans la flamme — par exemple du sodium, du potassium et du lithium. » Ils
décidèrent donc de tenter cette expérience et de faire ensuite une pause. Ils étaient tous les deux impatients de
découvrir s’ils pouvaient déterminer, avec le spectroscope, la composition des substances contenant beaucoup
d’éléments différents.
Le moment crucial était arrivé. Kirchhoff faisait les cent pas en frottant ses yeux fatigués. Bunsen, imperturbable
comme d’habitude, prenait beaucoup de temps à mélanger avec soin plusieurs sels. Finalement, il mit quelques
particules du mélange sur le fil et le tint dans la flamme. La flamme devint immédiatement jaune vif — ce qui
signifiait que le sodium prédominait sur les autres couleurs. Et le spectroscope, que montrait-il ? Kirchhoff regarda
dans le tube assez longtemps. La pièce était très calme. Les sels crépitaient dans la flamme. La main de Bunsen,
tenant un bout du fil, tremblait légèrement. « Je peux vous dire quels sels vous avez mélangés, dit enfin Kirchhoff.
Vous avez mélangé du sodium, du potassium, du lithium et du strontium. — Correct ! cria Bunsen. » Il attacha le fil
sur son support et se rua vers le tube du spectroscope. Et voici ce qu’il vit : chaque raie brillante ressortait
séparément, chacune à sa place. Les deux raies jaunes du sodium ressortaient le plus clairement. Mais la raie violette
du potassium, la raie rouge du lithium et la raie bleue intense du strontium apparaissaient toutes distinctement dans
les différentes parties de la longue bande multicolore du spectre. Exactement comme une personne peut être
localisée dans une foule par le son de sa voix, chaque élément dans un mélange pouvait être identifié par les rayons
colorés que ses vapeurs incandescentes produisaient. Le prisme distribuait les raies envoyées par chaque élément
vers leur propre position dans le spectre, ainsi aucune couleur n’en cachait une autre.
Kirchhoff et Bunsen pouvaient se féliciter. Le but qu’ils s’étaient assigné était atteint : ils avaient découvert une
nouvelle méthode pour réaliser une analyse chimique : l’analyse spectrale.

Cherchons quelque chose en plein jour avec une lanterne

Les jours passaient. Un doux automne mordoré ornait les jardins de Heidelberg. Les collines boisées autour de la
ville brillaient de toutes les couleurs de la portion rouge-jaune du spectre. L’air était clair, pur et vif. Mais Bunsen et
Kirchhoff ne pouvaient plus se permettre leurs promenades. Ils restaient dans leur laboratoire et travaillaient
fébrilement et résolument. Ils avaient un instrument magique entre les mains. Ce dernier révélait les secrets du
monde aussi facilement et aussi simplement que dans un conte de fées et les deux amis ne se lassaient jamais de
travailler avec, se réjouissant de toutes leurs découvertes.
Le spectroscope se révéla être un appareil si fin et si sensible que même les balances les plus modernes et les plus
précises, qui pouvaient peser un grain de sable, semblaient grossières en comparaison. Devinez combien de sodium
il faudrait dans la flamme d’un bec Bunsen pour pouvoir observer la double raie jaune dans le spectroscope ? Vous
diriez probablement un gramme, ou un demi-gramme, ou la millième partie d’un gramme, c’est-à-dire un
milligramme. Vous auriez tort. Une particule de soude ou de sel de sodium pesant trois millions de fois moins qu’un
milligramme est suffisante pour que la flamme envoie les rayons jaunes dans le spectroscope !
Pouvez-vous imaginer ce qu’est un trois-millionième de milligramme ? Si vous dissolviez dans un verre d’eau
une pincée de sel ordinaire pesant un gramme, alors versez-le dans un tonneau qui contient quatre seaux d’eau pure,
puis prenez un verre de cette eau dans le tonneau et versez-le dans un tonneau qui contient quarante seaux,
finalement une goutte d’eau du dernier tonneau contiendrait à peu près un trois-millionième de milligramme de sel
de sodium. Et pourtant, une quantité aussi incroyablement faible de sodium peut être détectée au moyen du
spectroscope.
Il n’est pas étonnant que Fraunhofer et les autres savants après lui trouvent la raie jaune dans le spectre de chaque
lampe et de chaque chandelle qu’ils examinèrent. C’était le sodium qui donnait cette raie jaune. Sans aucun doute,
on pouvait toujours trouver plusieurs millionièmes de milligramme de sel ordinaire dans n’importe quelle mèche de
lampe ou cire de bougie — ou en fait dans n’importe quoi. Si pur que puisse paraître l’air du laboratoire, il y a
toujours beaucoup de manières dont le sodium peut arriver à la flamme. Si Bunsen, par exemple, touchait le bout du
fil de platine avec son doigt juste une seconde, il laissait des traces de sel dessus. La sueur passe constamment à
travers les pores de la peau et la sueur est salée. Si, après avoir touché le fil avec son doigt, Bunsen mettait le fil dans
la flamme, la raie jaune apparaissait dans le spectre. Quand un livre poussiéreux est fermé violemment près d’un bec
Bunsen allumé, il y a immédiatement des étincelles jaunes dans la flamme incolore et le spectroscope enregistre
fidèlement, avec sa raie jaune, la présence d’un sel de sodium. D’où vient le sodium qui était dans le livre ? De
l’océan. Les vents qui soufflent de la mer emportent de minuscules particules d’eau de mer salée et transportent ces
particules invisibles de sel de sodium sur des milliers de kilomètres dans les terres. Ces particules microscopiques
volent dans la poussière et se déposent sur terre avec elle. Soufflez de la poussière dans la flamme d’un bec Bunsen
et le spectroscope annonce immédiatement : « Sodium ! »
Bunsen et Kirchhoff ont découvert que nous vivons dans un monde très sale. Ils ont trouvé que la poussière
apparaît presque partout, souvent même quand il semble impossible qu’elle soit là. Le fidèle spectroscope expose
toujours ces substances supposées propres et annonce : « Il y a des impuretés. Peut-être y a-t-il seulement la plus
infime quantité, peut-être seulement le millième ou le millionième d’un gramme ou même moins, mais les impuretés
sont là. » Comme un chien policier suit à la trace le criminel en fuite, le spectroscope révélait l’existence de
minuscules particules de substances dans les endroits les plus inattendus. Les raies brillantes du spectre semblaient
dire aux savants : « Regardez, ici il y a du sodium et là du potassium, du strontium, du baryum, du magnésium et
beaucoup d’autres éléments que vous ne vous attendiez pas du tout à trouver là. » Un matin, quand Kirchhoff arriva
au laboratoire, Bunsen l’étonna en lui annonçant : « Savez-vous où j’ai trouvé du lithium ? Dans les cendres du
tabac ! » Jusqu’à ce jour, le lithium, un métal très léger, apparenté au sodium et au potassium, avait été considéré
comme le plus rare des éléments sur Terre. On le trouvait seulement dans trois ou quatre minéraux rares. Et là,
soudain, on découvrait du lithium dans du tabac ordinaire ! Le spectroscope l’avait démasqué.
Et pas seulement dans le tabac. Pas un jour ne passait sans que Bunsen et Kirchhoff ne découvrent cet élément
dans quelque nouvel endroit. Du lithium fut trouvé dans le granite ordinaire, dans l’eau salée de l’Atlantique, dans
l’eau douce des rivières et dans l’eau pure des torrents de montagne. Il y avait du lithium partout : dans le thé, dans
le lait, dans le raisin, dans le sang humain et dans les tissus animaux. Même dans les météorites qui tombaient du
cosmos sur Terre. Oui, même là, on trouvait du lithium.
Armés de leur spectroscope, Bunsen et Kirchhoff passèrent des semaines à traquer les éléments. Au début, c’était
une joie constante de trouver des cachettes d’éléments dans chaque pierre et dans chaque échantillon chimique. Mais
ce divertissement perdit bientôt de son charme. Les deux hommes voulaient autre chose. Ils commencèrent à rêver
de découvrir de nouveaux éléments, qui n’avaient jamais été vus par les hommes. Il n’était pas déraisonnable
d’espérer qu’ils pourraient maintenant trouver des éléments qui avaient toujours glissé entre les doigts des chimistes,
parce qu’ils n’étaient présents qu’en très petite quantité. Le spectroscope les dénichait même quand il n’y en avait
qu’un millionième ou un milliardième de gramme. Pourquoi, alors, n’était-il pas raisonnable de supposer que leur
nouvel instrument mettrait Bunsen et Kirchhoff sur la piste d’éléments inconnus ?
Bunsen, aidé par Kirchhoff, cherchait de nouveaux éléments. Un rôle très important dans cette recherche fut joué
par ces raies sombres du spectre du Soleil — les raies de Fraunhofer.

La lumière du Soleil et la lumière de Drummond

Un jour, Kirchhoff dit à son ami :


« Savez-vous ce à quoi je pense tout le temps, Robert. ?
– Aux nouveaux éléments, interrompit Bunsen.
– Non, croyez-le ou non, ce n'est pas ça. Je pense sans cesse aux raies de Fraunhofer. Que signifient-elles ?
Pourquoi, le spectre solaire est-il rayé de ces lignes sombres ? Nous avons pu expliquer beaucoup de choses mais
nous n'avons pas encore trouvé me explication pour ces raies.
– C’est ainsi. Mais, en ce qui me concerne, je suis plus intéressé par de nouveaux éléments à présent.
– Mais réfléchissez un instant, Robert., pourquoi la raie jaune du sodium est-elle toujours exactement à la même
place que la raie noire « D » du spectre solaire ?
Je suis convaincu que ça n'arrive pas par hasard. Il doit y avoir une relation entre ces deux faits. »
Kirchhoff étudia le spectre solaire à la première apparition du Soleil. Quelque temps auparavant, il avait ajouté
des graduations au spectroscope. Maintenant, chaque raie du spectre apparaissait toujours au-dessus d’une certaine
graduation, il était donc impossible de confondre une raie avec une autre. Les rayons du Soleil tombaient droit sur la
fente du collimateur. Un beau spectre brillant s’étalait derrière le prisme. Il n’y avait pas une seule raie brillante
dedans. Les larges bandes de couleur se fondaient les unes dans les autres et seules les raies noires de Fraunhofer
ressortaient sur le fond lumineux, comme les pieux d’une clôture. Kirchhoff trouva la graduation qui correspondait à
la raie jaune du sodium. Cette raie, bien sûr, n’apparaissait pas dans le spectre solaire mais, à sa place, directement
au-dessus de la graduation, il y avait une raie très sombre — la raie double « D ». Ensuite, Kirchhoff supprima la
lumière solaire, plaça un bec de gaz devant la fente et mit un peu de sel de sodium dans la flamme. Maintenant, à la
place du magnifique spectre solaire multicolore, il pouvait voir seulement deux barres jaunes isolées. Cela lui
suggéra une idée intéressante.
« Je vais réadmettre les rayons du Soleil, pensa-t-il, et je vais laisser le bec de gaz là où il est. Nous allons bien
voir comment un spectre se superpose à un autre. » Pour empêcher le brillant spectre solaire d’éclipser
complètement la flamme du sodium, il fit passer les rayons du Soleil à travers plusieurs couches de verre pilé. La
douce lumière atténuée du Soleil passait à travers la flamme du bec de gaz, puis pénétrait dans la fente en même
temps que les rayons du sodium incandescent. Et que montrait le spectroscope ?
Le spectre solaire bien régulier, bien qu’assez pâle, apparut. Mais il y avait une anomalie : la raie du sodium
brillait fortement à la place de la raie « D » de Fraunhofer. Un spectre s’était superposé à l’autre. Kirchhoff
augmenta un peu l’intensité de la lumière solaire ; la raie du sodium resta à la même place. Puis il fit passer les
rayons du Soleil sans protection à travers la flamme du sodium et dans la fente. Quand il regarda dans le
spectroscope, il grogna de surprise. Contrairement à son attente, la raie brillante du sodium avait disparu. À sa place,
il y avait une épaisse raie noire. Bien que la flamme brûlât toujours intensément et, comme auparavant, émît sa forte
lumière jaune, il y avait un espace noir, vide, à la place de la raie jaune. Kirchhoff était stupéfié.
Le spectroscope amélioré de Kirchhoff.

La chose la plus étonnante de toutes était que la raie sombre « D » paraissait maintenant beaucoup plus distincte
qu’auparavant. Elle était plus sombre et ressortait plus nettement que les autres raies de Fraunhofer, en dépit du fait
que les rayons intenses du sodium incandescent, dispersés par le prisme du spectroscope, étaient dirigés à l’endroit
précis où se trouvaient ces raies noires. Si la raie jaune du sodium était apparue plus pâle que d’habitude sur le fond
brillant du spectre solaire, Kirchhoff n’aurait pas été étonné. Bien sûr, la flamme du bec de gaz était beaucoup moins
intense que les rayons du Soleil. Mais la disparition de la raie du sodium et l’apparition, à sa place, d’une raie « D »
inhabituellement noire produisaient une véritable énigme.
Kirchhoff laissa le spectroscope et regarda pensivement par la fenêtre. Son cerveau s’attaquait à un sérieux
problème. « Il semble que j’aie trouvé la clé de quelque chose », se dit-il en lui-même. Bunsen n’était pas dans le
laboratoire à ce moment-là, alors Kirchhoff appela un assistant et lui demanda de placer devant le spectroscope ce
que nous appelons une « lumière de Drummond », ainsi nommée d’après l’Anglais qui l’a inventée.
Une lumière de Drummond(17) est une lumière produite en brûlant ensemble deux gaz, l’hydrogène et l’oxygène,
arrivant de deux tubes simultanément. L’hydrogène brûle intensément dans l’oxygène et la flamme très chaude est
dirigée sur un bâton fait de chaux pure. La chaux est alors chauffée à blanc et donne une lumière aveuglante. La
lumière incandescente ne donne pas des raies séparées, comme le font les vapeurs lumineuses, mais un beau spectre
continu sans raies d’aucune sorte, et même un spectre semblable à celui du Soleil, sauf qu’il ne contient pas de raies
sombres.
Pourquoi Kirchhoff voulait-il une lumière de Drummond ? Il souhaitait l’utiliser comme un soleil artificiel. Son
idée était de faire passer les rayons de la lumière de Drummond à travers la flamme du sodium dans le spectroscope.
Il était impatient de voir si oui ou non les raies jaunes du sodium se comporteraient de la même manière sur le fond
du spectre continu d’une lumière de Drummond que sur le spectre solaire. D’abord, Kirchhoff fit passer la lumière
de Drummond seule par la fente, sans la flamme jaune du sodium. Il observa dans le spectroscope un spectre pur et
continu, sans signe de raies sombres ou colorées. Puis il plaça du sel dans le bec de gaz et déplaça la flamme juste
sous la fente, de sorte que ses rayons interfèrent avec ceux de la lumière de Drummond. Instantanément, la double
raie « D » sombre apparut dans la partie jaune du spectre de la lumière de Drummond.

Instantanément, la double raie « D » sombre apparut dans la partie jaune du spectre de la lumière de Drummond.

« Une raie artificielle de Fraunhofer ! murmura Kirchhoff. Voilà ce que c'est ! Maintenant je pense que je
commence à comprendre de quoi il retourne. Les raies sombres sont le résultat du passage de la lumière à travers
une substance illuminée — à travers des vapeurs incandescentes. À l’évidence, la flamme du sodium émet non
seulement des rayons jaunes, mais elle absorbe aussi d'autres rayons jaunes, des rayons de la même couleur mais
qui viennent d'une autre source de lumière. À vrai dire, des rayons jaunes du bec de gaz arrivent toujours à cet
endroit, mais ils sont faibles, en comparaison de la puissante lumière de Drummond. Par conséquent, les lignes
noires apparaissent incolores dans le spectre brillant de la lumière de Drummond ou du Soleil. »
Bunsen arriva dans le laboratoire pour y trouver son ami dans un état de grande excitation. Parlant rapidement,
nerveusement, et se répétant souvent, Kirchhoff essayait de dire à Bunsen ce qu’il avait découvert. Il décrivit toutes
ses expériences les unes après les autres pour montrer à Bunsen l’origine des raies de Fraunhofer. « Je peux les
recréer moi-même ! s’exclama-t-il. Maintenant on peut produire soi-même des raies de Fraunhofer dans son
laboratoire, à n'importe quel moment. Qu’en pensez-vous ? »

La chimie du Soleil

Kirchhoff mit longtemps à s’endormir cette nuit-là. Il pensait sans cesse et plus il pensait, plus il s’agitait, moins
il avait envie de dormir. Le lendemain, pâle et les yeux enfoncés, il alla voir Bunsen aussitôt après avoir terminé ses
cours. Sans prendre le temps de dire bonjour, il éclata : « J’ai, pensé à ce que mus avons découvert hier, Robert, et
cela m'a mené à la plus remarquable des conclusions — si osée que je peux à peine y croire moi-même.
- Vraiment. ? Et peut-on savoir ?
- Il y a du sodium dans le Soleil !
- Du sodium dans le Soleil ! Pourquoi ? Que voulez-vous dire par là ?
- Ce que je veux dire est que notre analyse spectrale peut être utilisée non seulement pour étudier des substances
sur Terre mais aussi pour étudier la composition du Soleil et des étoiles. Mus pouvons reconnaître les éléments sur
Terre par les raies brillantes de leur spectre. Mais nous pouvons aussi dire quels éléments sont dans le Soleil par les
raies sombres de Fraunhofer. »
C’était sûrement un audacieux trait de génie — trouver un moyen d’analyser le Soleil et les étoiles, aussi
simplement qu’un minéral ou une poignée d’argile.
Kirchhoff raisonnait ainsi : le Soleil consiste en un noyau compact et surchauffé, entouré d’une atmosphère
raréfiée de gaz incandescents. La lumière qui vient du Soleil à la Terre provient de la surface de ce noyau compact.
Cette lumière contient des rayons de toutes les couleurs, de milliers de nuances. Si elle venait directement vers nous,
si elle n’avait pas à traverser d’abord l’atmosphère incandescente du Soleil, tous ces rayons atteindraient la Terre et
le spectre solaire serait pur et continu, comme le spectre d’une lumière de Drummond. Mais la lumière solaire doit
d’abord traverser les gaz incandescents de l’atmosphère solaire. Ces gaz émettent aussi de la lumière, bien moins
intense que celle du noyau du Soleil. Par conséquent, l’atmosphère agit juste comme la flamme du sodium dans
l’expérience de Kirchhoff : elle absorbe, elle intercepte une partie du rayonnement solaire.
Quels rayons absorbe-t-elle ? Ces mêmes rayons qui sont émis par les éléments qui constituent l’atmosphère du
Soleil. Donc, quand la lumière émerge de l’atmosphère solaire et se dirige vers la Terre, un bon nombre de ses
rayons manquent. Et quand elle arrive dans le spectroscope, cette lumière ne donne pas un spectre coloré complet,
mais une bande colorée hachée des raies sombres de Fraunhofer. La raie sombre « D » apparaît là où la raie brillante
jaune du sodium devrait normalement être. Cela indique, à ce que croyait Kirchhoff, la présence de vapeurs de
sodium dans l’atmosphère solaire.
Mais peut-être la coïncidence de la raie noire « D » avec la raie jaune du sodium était-elle simplement
accidentelle ? Supposons qu’il en soit ainsi, alors l’expérience avec la lumière de Drummond prouve qu’il n’y a pas
de coïncidence possible. Mais si c’était tout de même le cas, comment expliquer la coïncidence des raies du fer ?
Kirchhoff et Bunsen produisirent, au moyen d’un arc électrique, des vapeurs incandescentes de fer et
enregistrèrent leur spectre. Ils comptèrent 60 raies brillantes distinctes. Ils comparèrent ce spectre avec celui du
Soleil et voici ce qu’ils découvrirent : chaque raie brillante du spectre du fer correspondait par sa position à une raie
sombre de la même largeur et de la même netteté dans le spectre du Soleil. La coïncidence de ces 60 raies ne pouvait
être accidentelle. Il était inévitable que ces raies coïncident parce que le fer, sous la forme de vapeurs
incandescentes, existe dans l’atmosphère solaire et ces vapeurs retiennent tous les rayons normalement émis par les
vapeurs incandescentes du fer.
Utilisant la même méthode, Kirchhoff découvrit environ 30 autres éléments dans le Soleil : du cuivre, du plomb,
de l’étain, de l’hydrogène, du potassium et beaucoup d’autres substances présentes sur Terre. Ces deux amis savants
cherchaient une méthode facile pour analyser des substances chimiques sur la Terre et ils découvrirent une méthode
pour analyser le Soleil !
Kirchhoff envoya la première annonce de sa découverte à l’Académie des sciences de Berlin le 20 octobre 1859.
Elle fut suivie presque immédiatement par une autre, expliquant comment il avait, par des calculs théoriques, prouvé
que des gaz incandescents doivent absorber des rayons identiques à ceux qu’ils émettent. Kirchhoff utilisait ainsi la
théorie pour confirmer la pratique. Pendant tout ce temps, il travaillait patiemment à d’autres expériences. Toutes
confirmaient les déductions qu’il avait déjà faites : le Soleil se compose de substances communes, identiques à
celles qu’on trouve sur la Terre.
La nouvelle de sa découverte fit le tour du monde. Les noms de Kirchhoff et de Bunsen étaient sur les lèvres de
tous les gens instruits. Pensez-y seulement ! Ces deux savants, assis dans leur laboratoire sur Terre, étaient capables
de découvrir la composition de corps célestes à des millions de kilomètres de distance ! Le Soleil, et bientôt les
étoiles, perdirent alors beaucoup de leur mystère pour l’homme.

Le césium et le rubidium

En mai 1860, le sac postal régulier adressé à l’Académie des sciences de Berlin fut expédié de la poste de
Heidelberg. Cette fois, c’était Bunsen, et non Kirchhoff, qui faisait une communication. Tandis que Kirchhoff
consacrait tout son temps à étudier l’atmosphère solaire, son ami n’avait pas oublié les affaires plus terre à terre.
Bunsen continuait à rechercher de nouveaux éléments. Il avait testé des centaines d’échantillons dans la flamme du
bec de gaz ou dans la décharge d’étincelles électriques : des minéraux, des minerais, des sels, des eaux, des cendres
végétales, des tissus animaux. Le spectroscope lui annonçait sans fin, une douzaine de fois par jour : « Il y a du
potassium, du calcium, du sodium, du baryum, du lithium… » À ce moment-là, Bunsen était aussi familier avec les
raies colorées de chacun de leur spectre qu’avec les cinq doigts de sa main, ou la vue de la fenêtre de sa chambre.
Sans même regarder l’échelle, il pouvait reconnaître n’importe quelle d’entre elles instantanément par sa position
dans le spectre, par sa couleur et son intensité. Il pouvait fermer ses yeux et voir en imagination le spectre de
n’importe quel élément, aussi distinctement que s’il avait été dessiné sur le tableau. La nuit, il rêvait de raies jaunes,
rouges, bleues et violettes sur un fond sombre coloré. Et voilà qu’un jour, il découvrit de nouvelles raies non
familières !
Ce fut à l’occasion de l’analyse de l’eau minérale des sources de Durkheim, une eau minérale ordinaire — salée
et quelque peu amère au goût. Les médecins la prescrivaient pour le traitement de différentes maladies. Il se trouvait
que Bunsen en avait un peu par hasard et l’examinait, en même temps qu’un certain nombre d’autres échantillons.
Tout d’abord, le spectroscope ne lui annonça rien d’inhabituel : simplement du sodium, du potassium, du lithium, du
calcium, du strontium. Mais Bunsen avait la fine intuition de l’analyste. « Il y a une grande quantité de ces
substances dans l’eau de Durkheim, raisonna-t-il, et, pour cette raison, ces raies sont trop brillantes. De plus, le
calcium et le strontium donnent beaucoup de raies différentes et s’il se trouvait qu’il y ait une quantité infinitésimale
de quelque élément inconnu dam cette goutte, il serait sans doute impossible de la distinguer. Je dois me
débarrasser du calcium, du strontium et du lithium. » Et c’est ce qu’il fit, laissant seulement les sels de sodium et de
potassium, et une petite quantité de sels de lithium. Alors il essaya une goutte dans la flamme et regarda dans le
spectroscope. Son cœur manqua un battement. Timidement cachés parmi les raies familières du sodium, du
potassium et du lithium, il y avait deux petits filets bleus très brillants, jamais vus auparavant.
Pour être certain de ne pas s’être trompé, Bunsen examina les tables de couleurs des spectres que lui et Kirchhoff
avaient établies. Non, aucun élément ne présentait deux raies bleues à cet endroit. Le strontium avait une raie bleue,
mais seulement une. De plus, il y avait deux raies distinctes et aucune autre raie du spectre du strontium n’était
visible. Était-ce un nouvel élément ?
Bunsen versa sans cesse de nouvelles gouttes dans la flamme. Les raies bleues continuaient à apparaître
imperturbablement à leur place. Comme il les regardait, Bunsen se souvint soudain de l’histoire de Christophe
Colomb, qu’il avait lue longtemps auparavant dans sa jeunesse. Comment en 1492, cet amiral aventureux avait
appareillé sur une vieille caravelle vers une mer inconnue. Comment, pendant trente-trois jours, les marins ne virent
que le ciel et la mer, la mer et le ciel. Comment ils continuèrent à voguer, l’espoir cédant la place à la peur et à la
déception, puis à l’espoir qui revenait. Vers la fin, une nuit, au milieu de cet immense océan sans rivages, Colomb
vit soudain, loin vers l’ouest, le faible scintillement d’une lumière. Qui pouvait dire quels trésors étaient cachés
derrière ce point de lumière sur des rives inconnues ? Et qui pouvait dire quelle chose inconnue, signalée par ces
brillants rayons bleu ciel, était cachée dans cette goutte d’eau de Durkheim ?
Bunsen, le chimiste de Heidelberg, ne pleura pas comme Colomb quand il découvrit la nouvelle terre.
Naturellement, il n’y avait pas de larmes dans ses yeux quand il vit le signal d’une substance inconnue dans le
spectroscope. Néanmoins, lui aussi ressentit à ce moment la joie intense de l’explorateur sur le point de faire la
découverte tant attendue.
Bunsen appela le nouvel élément le césium, ce qui signifie « bleu ciel » en latin. Il était sur le bon chemin. Il
devait maintenant suivre la piste qui le mènerait jusqu'à la substance bleue elle-même, séparer le césium des autres
substances pour l’obtenir à l’état pur et voir à quoi il ressemblait. Ce n’était pas une chose facile ! Il n’y avait que
d’infimes traces du nouvel élément dans l’eau de Durkheim — un quarante-millième de gramme dans un verre. Si
Bunsen voulait essayer d’en obtenir seulement dix ou vingt grammes dans ses récipients de laboratoire, il devrait
passer le reste de sa vie à bricoler avec l’eau de Durkheim, à la faire bouillir et à la traiter avec des réactifs
chimiques. Il s’y prit donc d’une autre manière.
Près de Heidelberg, il y avait une usine de produits chimiques où l’on fabriquait de la soude. L’usine avait de
grandes cuves, des chaudières et des pompes mécaniques. Bunsen s’arrangea avec le directeur de l’usine pour passer
plusieurs semaines à évaporer et à traiter chimiquement environ 55 000 litres d’eau minérale. De cette mer de
liquide, il obtint en tout et pour tout sept grammes de sel de césium pur. Mais, en outre, il trouva un autre nouvel
élément !
Voici comment ça s’est passé : Bunsen avançait pas à pas vers le césium, en éliminant les autres éléments, un,
deux, trois à la fois. Finalement, il ne restait plus que deux sels — le césium et le potassium. Tandis que le
potassium était éliminé petit à petit, le spectroscope donna un signal inattendu : deux nouvelles raies violettes,
suivies d’autres vertes et jaunes, et des raies rouge sombre particulièrement vives. Un autre élément nouveau se
cachait dans l’eau de Durkheim !
Cela faisait 59 éléments. Bunsen appela ce dernier élément le rubidium, le mot latin pour « rouge sombre ». À
partir de la quantité d’eau de Durkheim qu’il analysait, il obtint un peu plus de cet autre élément que de césium —
dix grammes en tout.

Des métaux encore plus « turbulents »

Sept grammes et dix grammes. Il ne s’agissait pas vraiment de grandes quantités, mais elles étaient suffisantes
pour un maître chimiste comme Bunsen.
Il essaya plusieurs combinaisons du césium et du rubidium avec les anciens éléments et il observa comment ces
nouveaux composés réagissaient. Il apprit leur goût, évalua leur solubilité dans l’eau, mesura les dimensions des
cristaux qu’ils formaient, leur température de fusion — et encore bien d’autres choses. Il se trouva que le césium et
le rubidium ressemblaient beaucoup aux célèbres métaux turbulents de Davy, le potassium et le sodium et à leur
triplé, le lithium. Le césium et le rubidium se révélèrent tous deux être des métaux argentés et légers, bien qu’un peu
plus lourds que le lithium. Ils étaient mous comme de la cire, même plus mous que le potassium et le sodium. Ils
prenaient feu quand ils étaient exposés à l’air et se transformaient en alcali caustique. Ils tourbillonnaient sur l’eau
en brûlant et en jetant des étincelles, et ils étaient encore plus instables que le potassium et le sodium. Comme les
métaux de Davy, ils ne pouvaient être conservés que dans le pétrole.
Les sels chlorés de césium et de rubidium ressemblaient exactement au sel de cuisine ordinaire, que les chimistes
appellent chlorure de sodium. De par leur apparence, le cuisinier le plus expérimenté n’hésiterait jamais à saler sa
soupe avec eux. Les nitrates de césium et de rubidium se révélèrent tout à fait semblables au salpêtre, que les
chimistes appellent nitrate de potassium. La poudre noire pouvait aussi être faite avec les sels nitriques du césium et
du rubidium. L’alcali caustique du césium (l’hydroxyde de césium) et l’alcali caustique du rubidium (l’hydroxyde
de rubidium) étaient glissants au toucher et avaient un goût de savon, comme la potasse caustique et la soude
caustique. Le fabricant de savon le plus expérimenté n’aurait pas pu les différencier et en aurait fait du savon avec la
conscience tranquille. Il aurait obtenu un bon savon d’ailleurs. Mais une simple savonnette lui aurait coûté une
fortune.

Et notre histoire continue

Peut-être certains lecteurs commencent-ils à penser : « Tout ça est très bien. Kirchhoff et Bunsen, ont réalisé des
expériences extraordinaires. Ce sont les inventeurs de l’analyse spectrale. Ils ont découvert la composition du
Soleil. Ils ont découvert deux éléments rares, dont les composés pourraient servir à faire du savon et de la poudre
noire, s’ils ne coûtaient pas plus cher que l’or. Mais quelles étaient les applications pratiques de leurs
découvertes ? Ont-ils aidé à faire avancer la technologie ou l’industrie de quelque manière que ce soit ? »
Oui, il y a eu des retombées, mais pas tout de suite. Les grandes découvertes scientifiques n’ont pas toujours
d’applications pratiques immédiatement. Mais à la fin, il y en a inévitablement, quelquefois là où on les attend le
moins.
Quand Bunsen découvrit le métal rare, le césium, dans l’eau de Durkheim, il n’avait jamais rêvé que ce nouvel
élément serait un jour utilisé pour la télévision. Il n’aurait pas pu le savoir, parce que de son temps, il n’y avait rien
qui ressemble à une caméra de télévision. La radiotélégraphie n’existait même pas. Le césium est utilisé aujourd’hui
dans les cellules photoélectriques, qui entrent dans la constitution de toutes les caméras de télévision.
Quand Kirchhoff et Bunsen dirigeaient les rayons du Soleil ou de la flamme du bec de gaz dans leur
spectroscope, ils ne pouvaient pas imaginer que le fruit de leur travail serait utilisé un jour dans les dirigeables. Ils
ne pouvaient avoir une telle idée, parce que les dirigeables n’avaient pas encore été inventés. Mais quelques
décennies plus tard, les pilotes de dirigeables firent bon usage des résultats du travail des savants de Heidelberg. Je
vous en reparlerai dans un prochain chapitre.
Ni Kirchhoff ni Bunsen ne savaient non plus que, grâce à leur spectroscope, on apprendrait un jour à fabriquer
des ampoules électriques de longue durée. En 1859, il n’existait d’ampoules électriques d’aucun type, que ce soit de
longue durée ou de courte durée. Mais plus tard, grâce surtout à l’analyse spectrale, on a appris à prolonger leur vie.
Vous pouvez vous demander comment c’est arrivé. Eh bien, c’est quelque chose que vous découvrirez également
plus tard dans notre histoire.
Les découvertes de Bunsen et de Kirchhoff aidèrent l’industrie et la technologie de bien des manières. Nous ne
pouvons pas toutes vous les présenter dans ce livre. Il y en a trop.

Un élément du Soleil

Bunsen et Kirchhoff eurent bientôt beaucoup d’imitateurs. Partout, les chimistes étaient émerveillés quand ils
entendaient parler de la découverte des nouveaux éléments. Un laboratoire après l’autre installait le nouvel appareil,
qui fonctionnait aussi bien avec le Soleil qu’avec une goutte d’eau. Toutes les substances possibles et imaginables
furent chauffées et examinées dans le spectroscope, à la recherche de nouvelles raies. Et on en trouva !
En 1861, l’Anglais Crookes reçut d’une usine chimique un type particulier d’argile, qui s’était déposé au fond de
cuves de plomb où l’on fabriquait de l’acide sulfurique. Crookes découvrit une raie verte inconnue dans le spectre de
cette argile. Cela mena à la découverte d’un nouvel élément, le thallium, un métal lourd.
Deux ans plus tard, les chimistes allemands Richter et Reich observèrent une nouvelle raie de couleur indigo dans
le spectre d’un minerai de zinc. Ils appelèrent ce nouvel élément l’indium. L’indium se trouva aussi être un métal, un
métal blanc. Cinq ans plus tard, des savants étaient à nouveau sur la trace d’un élément inconnu. Mais cette fois,
c’étaient des astronomes, et non des chimistes, et les nouvelles raies furent trouvées dans le spectre du Soleil.
Ce fut pendant une éclipse de Soleil. Un astronome français, Janssen, et un astronome anglais, Lockyer,
dirigèrent le tube de leur spectroscope vers le Soleil et découvrirent dans le spectre résultant une ligne jaune
brillante, près de la place habituellement occupée par la raie jaune du sodium. Pendant une éclipse, la Lune couvre le
disque brillant du Soleil. Seules les parties supérieures de son atmosphère incandescente s’étendent au-delà de
l’ombre obscure de la Lune et envoient leurs rayons, faibles mais encore visibles, vers la Terre. Ce fut dans le
spectre de cette lumière, qui est tout à fait différent du spectre solaire ordinaire et ses raies de Fraunhofer, que
Janssen découvrit la nouvelle raie jaune. Quel était l’élément qui émettait ces rayons jaunes ?
Qui pouvait le dire ? Vous ne pouvez pas mettre le Soleil dans un flacon, vous ne pouvez pas l’évaporer dans une
cuve d’usine. Tout ce que les savants pouvaient dire à propos de la découverte de Janssen était qu’il y avait un
élément inconnu dans le Soleil, qui n’avait jamais été trouvé sur Terre. Ils appelèrent le nouvel élément hélium
(hêlios est le mot grec pour le Soleil).
Ils le nommèrent hélium, mais il n’y avait aucun moyen de trouver ce que c’était, à quoi il ressemblait et quelles
étaient ses propriétés. Il serait intéressant, n’est-ce pas, de résoudre l’énigme de cette substance solaire — de
découvrir si oui ou non elle ressemble à des éléments qu’on trouve sur Terre ou s’il s’agit d’un genre entièrement
différent de matière ? Devons-nous attendre que les hommes aillent dans le Soleil avec des fusées pour avoir la
réponse ? Comment pouvons-nous la trouver ? Peut-être le secret de l’hélium vous sera-t-il révélé beaucoup plus tôt
que vous ne le pensez — même avant que vous finissiez de lire ce livre.
En attendant, écoutez l’histoire de ce chimiste russe, Dimitri Mendeleïev, et comment il découvrit plusieurs
éléments nouveaux dans son cabinet, assis à son bureau. Il n’avait jamais vu ces éléments ni à l’œil nu ni au moyen
d’un spectroscope. Il les découvrit uniquement en utilisant sa formidable puissance de raisonnement.
Chapitre 4

La loi de Mendeleïev

Un labyrinthe chimique

Dimitri Mendeleïev (1834-1907).

En 1867, Dimitri Mendeleïev, un jeune chimiste, fut invité à occuper la chaire vacante de chimie générale à
l’Université de Saint-Pétersbourg. C’était un grand honneur d’être sollicité pour donner le plus important cours de
chimie dans la plus prestigieuse université du pays, et le professeur de trente-trois ans décida de faire tout ce qui
était possible pour montrer qu’il en était digne. Plein d’enthousiasme, Mendeleïev commença à préparer ses cours. Il
se plongea dans les livres et les revues. Il ressortit toutes les notes qu’il avait prises dans son travail pendant des
années d’études et de recherche. Il était submergé par une mer immense de faits, d’expériences et de lois établies
pendant des décennies par des centaines de chimistes. La profusion de faits suffisait à occuper une douzaine de cours
universitaires. Mais, assez curieusement, plus il plongeait profondément dans cette science si familière pour lui, plus
la tâche lui paraissait difficile.
À l’automne, il commença ses cours. Ils eurent un énorme succès. L’amphithéâtre était plein à craquer, comme la
salle d’un théâtre quand quelque acteur célèbre doit faire une apparition. On venait de toute l’université pour
l’écouter : de la faculté de droit, de la faculté de médecine, de la faculté d’histoire. On venait d’autres institutions.
On se ruait dans l’amphithéâtre et on arrivait bien avant l’heure prévue pour le cours. On se tenait debout dans les
allées, on s’entassait autour des portes dans le hall et on se pressait autour de la paillasse à l’entrée de la salle.
Un professeur d’Université remportait rarement un tel triomphe. Cependant, au fond de lui, Mendeleïev n’était
pas satisfait. Il commença à préparer un nouveau livre traitant des fondements de la chimie. Il l’appela Les Principes
de la Chimie. Il écrivait vite et facilement, utilisant les notes dont il s’était servi pour ses cours. Ses étudiants
attendaient impatiemment de voir ces brillantes conférences imprimées. Mais Mendeleïev restait insatisfait. Le livre
n’était pas ce qu’il voulait qu’il fût. Il commençait à avoir la sensation que la science de la chimie était comme une
forêt dense sans pistes ni routes. Il avait l’impression d’errer d’un arbre à l’autre dans cette forêt, décrivant chacun
d’eux séparément. Et il y en avait des milliers !
À cette époque, les chimistes connaissaient 63 éléments différents. Des combinaisons de ces éléments donnaient
des centaines de milliers de substances différentes : des oxydes, des sels, des acides, des bases… Il y avait des gaz,
des liquides, des cristaux, des métaux… Il y avait des substances incolores et des substances d’un éclat aveuglant,
avec ou sans odeur, dures ou molles, amères ou sucrées, lourdes ou légères, stables ou instables. Aucune n’était tout
à fait semblable aux autres.
Les chimistes avaient étudié à fond cette énorme variété de choses dont le monde est fait. Ils connaissaient des
centaines de détails sur chacune d’elles prise séparément. Ils savaient même exactement comment préparer ces
composés et quelle était la méthode la plus économique. Ils connaissaient la couleur de chaque minerai, la forme de
ses cristaux, sa densité, ses points d’ébullition et de fusion. Tout cela, et bien d’autres choses encore, avait été
mesuré, pesé, décrit dans les livres et les encyclopédies. On avait étudié les effets de la chaleur et du froid sur tous
ces composés ; comment ils étaient affectés par le courant électrique ou la pression ; comment ils se comportaient
dans le vide. La manière dont ils réagissaient avec l’oxygène et l’hydrogène, avec les acides et avec les alcalis avait
été testée, de même que la quantité de chaleur ou de froid mise en jeu pendant la réaction.
On pouvait passer des semaines, voire des mois, à décrire le nombre infini de substances chimiques et en oublier
un grand nombre. Et plus on en parlait, moins l’auditeur comprenait la chimie. Il n’y avait pas d’uniformité dans ce
chaos, pas de système général. Était-il possible que toute cette matière dont notre monde est fait fût arrangée au petit
bonheur ? Mendeleïev voulait développer devant ses étudiants une image simple et ordonnée des choses ; il voulait
leur montrer les lois essentielles qui gouvernent la construction de l’Univers. Mais il ne trouvait ni unité ni ordre
dans sa science bien aimée.
À vrai dire, cette énorme variété de matériaux pouvait être produite à partir de peu d’éléments. Mais la confusion
et le désordre commençaient là, dans ce petit groupe de substances fondamentales. Il n’y avait pas d’explication au
fait que le métal magnésium était plus inflammable que le charbon, que le platine pouvait rester des milliers
d’années sans jamais s’altérer, tandis que le gaz fluor aimait tellement les transformations chimiques qu’il rongeait
même le verre du récipient qui le contenait. Il semblait n’y avoir aucune régularité dans tout cela. Et si les éléments
avaient eu exactement les propriétés opposées à celles qu’ils ont — par exemple, si le platine attaquait le verre et si
le fluor était la plus stable des substances — les chimistes n’auraient pas été étonnés du tout. Chaque élément, avec
toutes ses propriétés individuelles, semblait être un arrangement de la matière dû purement au hasard. Il semblait n’y
avoir absolument aucune relation entre ces formes primitives de la matière ou, du moins, c’est ainsi que cela
paraissait pour la grande majorité.
Cela n’inquiétait pas les chimistes le moins du monde. « S’il n’y a pas d’ordre naturel dans le monde de la
matière, raisonnaient-ils, nous allons donc faire la liste des éléments dans l’ordre que mus voulons. » Ils
commençaient en général par l’oxygène, parce qu’il y a plus de cet élément dans le monde qu’aucun autre. Mais
certains chimistes préféraient commencer par l’hydrogène, puisque c’était l’élément le plus léger. Et ils auraient pu
commencer tout aussi bien par le fer, parce que c’est le plus utile, ou par l’or, parce que c’est l’un des plus chers, ou
par le très rare indium, parce que c’est l’élément qui avait été le plus récemment découvert.
L’endroit où vous pénétrez dans une épaisse forêt a-t-il une importance ? Après avoir fait seulement quelques
pas, toute trace de sentier ou de route disparaîtra. Mendeleïev ne voulait pas entrer dans ce dédale au petit bonheur.
Comme il préparait son cours universitaire sur les principes de la chimie, il cherchait continuellement une loi
générale qui régisse tous les éléments. Il était convaincu qu’il devait y avoir une telle loi, quelque uniformité cachée
parmi les éléments, si différents les uns des autres en apparence. C’était donc ce qu’il cherchait.

Le poids atomique

Après tout, il n’y avait pas besoin d’être particulièrement perspicace pour remarquer une ressemblance frappante
entre certains éléments. À part les éléments jumeaux, des éléments apparentés dans le groupe des métaux
« inflammables » découverts par Davy et Bunsen, il y en avait beaucoup d’autres restés inconnus des chimistes
pendant longtemps, par exemple, le fluor, le brome, l’iode, ainsi que les métaux alcalino-terreux, le magnésium, le
calcium, le strontium et le baryum.
« Ça ne peut, pas être simplement dû au hasard, raisonna Mendeleïev. Il doit y avoir quelque interdépendance,
un genre de lien entre tous les éléments. Il doit y avoir me caractéristique fondamentale commune à tous les
éléments sans exception, me caractéristique qui indique à la fois leurs similarités et leurs différences. Si nous
connaissions cette loi, nous pourrions classer tous les éléments et en même temps classer cette infinité de
combinaisons en ordre régulier, tout comme les soldats qui sont alignés selon leur taille. » Quelle pouvait être cette
caractéristique fondamentale, cet indicateur décisif ? La couleur de l’élément peut-être ? Mais comment décider de
la couleur d’un élément ? Prenons le phosphore, par exemple. Il y a du phosphore rouge et du phosphore blanc. Ou
prenons l’iode ; à l’état solide, il est marron foncé avec un éclat métallique, mais si on le chauffe, ce même iode
apparaît sous forme de vapeurs violettes. Et, quand il est laminé en feuilles très minces, l’or jaune devient bleu-vert
et il est transparent, comme le mica. Non, la couleur est bien évidemment une qualité trop instable et secondaire
pour s’y fier si nous devons établir un ordre naturel parmi les éléments.
Et que dire de la densité ? C’est une qualité encore moins fiable. À partir du moment où l’on chauffe quelque
chose, même légèrement, sa densité change (la densité est la mesure du nombre de fois qu’un élément est plus lourd
qu’un autre. Habituellement, les masses des différentes substances sont comparées à la masse du même volume
d’eau. Ainsi, par exemple, la densité du fer à la température de 15 °C est 7,8, ce qui veut dire que 1 centimètre cube
de fer est 7,8 fois plus lourd que 1 centimètre cube d’eau). Pour la même raison, ni la conductivité thermique ou
électrique ni le magnétisme ou quelque autre propriété que ce soit ne feront l’affaire.
À l’évidence, il devait y avoir un autre indicateur fondamental qui ne change jamais, sans lequel aucun élément
ne peut vraiment exister — un indicateur aussi caractéristique d’un élément que l’est le visage de chaque être
humain ; un indicateur qu’un élément ne perd jamais, même quand il est combiné avec d’autres éléments pour
former de nouvelles substances complexes avec de nouvelles propriétés. Y avait-il, pouvait-il y avoir un tel
indicateur ? Cette question hantait Mendeleïev ; elle ne le quittait jamais. Il pensait, il imaginait, il comparait. À vrai
dire, il y avait toujours eu un tel indicateur, une telle caractéristique. Il était bien connu de Mendeleïev et de tous les
autres chimistes, mais aucun d’entre eux n’y avait attaché d’importance. Il s’appelait le poids atomique(18). Chaque
élément chimique a le sien, un poids atomique parfaitement défini, déterminé expérimentalement. Qu’il soit chaud
ou froid, blanc ou rouge, de coloration foncée ou claire, il demeure toujours le même. Le poids atomique ne change
jamais, quelles que soient les circonstances. C’est l’étiquette de l’élément.
Le poids atomique d’un élément indique dans quelles proportions son atome, c’est-à-dire l’une des plus petites
particules qui composent l’élément, est plus lourd par rapport à un atome d’hydrogène, le plus léger de tous les
éléments. L’oxygène, par exemple, a un poids atomique de 16. Cela signifie que ses atomes sont 16 fois plus lourds
qu’un atome d’hydrogène. Le poids atomique de l’or est 197 ; autrement dit, ses atomes sont 197 fois plus lourds
que les atomes d’hydrogène. Tous les atomes d’un élément donné sont absolument identiques. Chaque atome d’un
élément donné diffère de chaque atome de tout autre élément donné par sa dimension, par sa masse. Ne semblerait-il
pas alors, que toutes les autres différences qui caractérisent les différents éléments devraient dépendre précisément
de cet indicateur fondamental ?
Mendeleïev arriva à cette conclusion après d’attentives comparaisons des propriétés de tous les éléments. Il
soupçonna que là résidait la clé des lois gouvernant leurs similarités et leurs différences. C’était la clé qu’il avait
cherchée, la clé de l’uniformité et de l’ordre dans le monde de la matière. Tout ce qu’il fallait maintenant était de
savoir comment utiliser la clé. Les indices étaient vagues et confus. Pour se garder des erreurs et s’aider à éclaircir
les rapports entre les différents éléments, Mendeleïev découpa 63 carrés de carton et écrivit sur chacun le nom d’un
des éléments, ses principales caractéristiques et son poids atomique. Il réarrangeait les cartons de différentes
manières, les changeait de place, cherchait des similarités et des différences, espérant trouver quelque ordre général,
quelque loi unique qui gouverne toutes ces substances.
Jour et nuit, en chaire, au laboratoire, à son bureau chez lui ou dans la rue en se promenant, la pensée de ce
système naturel des éléments ne quittait jamais son esprit. Un soir, nous dit un de ses étudiants, il s’assit pendant
très, très longtemps, jouant avec sa réussite chimique, jusqu’à ce qu’il s’endorme finalement, sans avoir accompli
quoi que ce soit. Mais son cerveau, excité par ce long effort mental, ne s’est manifestement pas arrêté de travailler
pendant qu’il dormait, parce qu’il rêva de son système écrit sous la forme d’une table bien ordonnée, irréfutable,
claire. Le lendemain matin, il se leva et l’écrivit noir sur blanc.

Les éléments s’alignent

Il serait bien sûr très difficile de vérifier cette histoire aujourd’hui. Mais, qu’elle soit vraie ou fausse, le système
naturel ou périodique des éléments fut découvert au printemps de l’année 1869. Au fil du temps, Mendeleïev affina
sa découverte et l’annonça à la Société nasse de Physique et Chimie.
En quoi sa découverte consistait-elle ? Tous les éléments chimiques s'arrangent dans un ordre naturel. On
commence avec l’hydrogène, le plus léger des éléments, constitué des plus petits atomes. Son poids atomique est 1.
Le dernier de la liste est le métal uranium, constitué des atomes les plus lourds. Son poids atomique est 238. Entre
les deux, on arrange tous les autres éléments avec des atomes dont le poids augmente graduellement. Toutes les
caractéristiques d’un élément donné, son apparence visuelle, sa stabilité, sa capacité à former des combinaisons avec
d’autres éléments, et aussi les caractéristiques de telles combinaisons, dépendent précisément de la position de
l’élément sur la liste.
C’est un fait vraiment curieux que les éléments, quand ils sont arrangés par ordre de poids atomique croissant,
tombent automatiquement dans des groupes semblables qui ont les mêmes caractéristiques ; ils forment des familles
de substances apparentées. Imaginez donc, à titre d’exemple, une foule de gens de toutes les tailles et habillés de
costumes de toutes les couleurs. À première vue, il semble n’y avoir rien d’autre qu’un désordre coloré. Mais
supposons que ces gens soient placés en rang strictement selon leur taille, et qu’une fois fait, tout le désordre
apparent disparaisse de lui-même. Il se trouve que les sept premières personnes, les plus petites, sont habillées
respectivement en rouge, orange, jaune, vert, bleu, indigo, violet. Le groupe suivant de sept porte les mêmes
couleurs arrangées dans le même ordre. Et ainsi de suite jusqu’à la fin, jusqu’à la dernière famille, la plus grande. On
a découvert que les couleurs se répètent toutes les sept personnes. Et si chaque famille est placée derrière une autre,
la foule bigarrée du début s’arrange en séries identiques de rouge, d’orange, de jaune, etc. Il semble alors y avoir
l’ordre le plus strict en matière de taille également, du plus petit de la famille du premier rang jusqu’au plus grand au
dernier rang du côté opposé.
Voici approximativement l’ordre que Mendeleïev découvrit parmi les éléments quand il les arrangea selon leurs
poids atomiques. Chaque groupe de sept éléments voit ses caractéristiques répétées périodiquement. Les éléments
semblables se tiennent « les uns derrière les autres », dans des séries régulières ou groupes.
Ainsi, le métal léger lithium, avec un poids atomique de 7, arrive en deuxième position, juste après l’hydrogène.
Et le neuvième est le sodium, avec un poids atomique de 23 ; un métal également très léger – comme le lithium — et
actif, inflammable, prêt à s’unir avec d’autres éléments. En seizième position arrive encore un métal léger,
inflammable, le potassium, avec un poids atomique de 39. Et ainsi de suite, à intervalles réguliers, ou périodes, les
autres métaux alcalins se rangent d’eux-mêmes en ordre : le rubidium, avec un poids atomique de 85,5, le césium
avec un poids atomique de 133.

Le système périodique des éléments de Mendeleïev tel qu'il était en 1870.

Dans cet ordre, les propriétés des métaux légers changent graduellement de haut en bas. Le plus léger, le lithium,
est aussi le plus stable. Si on le met sur l’eau, il réagit et émet un sifflement, mais il ne brûle pas comme le
potassium et le césium. Le lithium rouille également moins vite que les deux autres éléments apparentés quand il est
exposé à l’air. Le sodium est plus actif que le lithium et le césium, le dernier de la série et le plus lourd par le poids
atomique, produit les plus violentes réactions chimiques de tous. Le césium ne peut rester une seule seconde exposé
à l’air. Il est immédiatement dévoré par une combustion spontanée.
Tous les éléments sont arrangés ainsi dans des groupes plus ou moins apparentés ou familles. Et dans chaque
groupe, les caractéristiques des éléments et les caractéristiques de leurs innombrables composés changent
progressivement et dans un ordre strict avec l’accroissement de leur poids atomique.
Le monde de la matière, chaotique à première vue, est donc en réalité extraordinairement bien ordonné. Derrière
une diversité extérieure, Mendeleïev vit une uniformité interne, une loi de fer de régularité. Il l’appela la Loi
périodique.

De la chimie ou de la magie ?

Il peut paraître étrange que, jusqu’à l’époque de Mendeleïev, personne n’ait remarqué cette relation naturelle
entre les éléments. Établir simplement la liste des éléments, en les arrangeant selon leur poids atomique semblait
pourtant la chose la plus naturelle au monde. Alors la Loi périodique se serait révélée d’elle-même. Comment
expliquer qu’aucun chimiste à part Mendeleïev n’en ait eu l’idée ? Apparemment, c’était une chose très facile à
faire, aussi facile que de classer les éléments, disons, par ordre alphabétique.
En fait, d’autres chimistes s’y étaient essayé, mais Mendeleïev fut le seul à découvrir la Loi périodique et à
l’utiliser pour faire avancer la science. Car, en toute vérité, ce n’était pas une chose si simple que ça après tout. La
véritable relation entre les éléments se révéla être incroyablement compliquée, comme quelque chose d’écrit dans
une langue chiffrée. Trouver le secret du code chimique demanda une compréhension et une imagination
exceptionnelles.
Imaginez un investigateur qui prend possession d’un document de valeur codé, avec la clé du code. Il lit
avidement les deux documents, espérant déchiffrer le message secret. Mais quand il commence à les comparer, il
découvre soudain qu’on lui a joué un tour : la clé est inutilisable. Certains symboles sont mélangés et d’autres
manquent totalement. Il n’y a que 15 ou 20 symboles au lieu des 26, un pour chaque lettre de l’alphabet, comme cela
devrait être. Supposons, par exemple, que le premier symbole représente « a ». Il n’y a aucun moyen de savoir si le
deuxième représente « b », « c » ou « d ». Et ces espaces vides, cette absence de symboles rendent le système de
décodage sans valeur, parce qu’il est impossible d’être sûr de savoir à quelle lettre de l’alphabet correspond le reste
des symboles. Quand Mendeleïev découvrit la Loi périodique, il était dans la même sorte de situation. Il arrangeait
les éléments selon leurs poids atomiques, mais il ne savait pas que les poids atomiques attribués à certains éléments
étaient inexacts. Avec les méthodes utilisées à cette époque, un certain nombre d’entre eux étaient forcément faux et
les erreurs ne furent pas découvertes avant bien des années. De tels éléments, avec de fausses étiquettes, furent ainsi
placés à la mauvaise place dans le système de Mendeleïev et bien sûr gâchaient l’ordre naturel des éléments. Des
groupes d’éléments semblables étaient rompus par la présence d’une brebis galeuse en leur sein.
Les cases vides étaient encore plus troublantes. Mendeleïev connaissait l’existence de 63 éléments et il ne
pouvait pas savoir si oui ou non il existait encore des éléments non découverts dans la nature. Souvenez-vous des
gens en costumes de couleur rangés selon leur taille. Supposons que cinq ou dix personnes sortent des rangs. Les
couleurs seraient alors toutes mélangées et il n’y aurait plus d’ordre dans la succession. C’était le cas pour les
éléments. Il était très difficile de faire entrer les éléments connus de Mendeleïev dans sa table. Ils s’entassaient et
quittaient les rangs comme de jeunes recrues. Mendeleïev, par pure force de son génie, les contraignit à gagner leur
véritable place et, résolument, apporta l’ordre à partir du chaos.
Selon l’arrangement, sous l’élément bore, qui arrivait quatrième, et l’aluminium, qui arrivait onzième, il y avait
l’élément titane, en dix-huitième position. L’espace entre eux semblait correct — exactement six éléments, une
période complète. Mais les caractéristiques du titane en faisaient un parfait étranger dans le groupe du bore et de
l’aluminium. Il appartenait davantage au groupe voisin, le groupe du carbone. Mendeleïev décida alors de le sortir
de la dix-huitième place. « Il devrait y avoir un autre élément ici, un que mus n’avons pas encore découvert, dit-il.
Un élément semblable au bore et à l’aluminium. » Alors il laissa un espace libre. Quand le titane fut transféré, il se
trouva dans son propre groupe et, une fois repoussé, il repoussa aussi tous les éléments suivants.
En utilisant ces espaces libres, Mendeleïev parvint à bien grouper les éléments dans sa table, de sorte qu’ils
obéissent à la Loi périodique. Cependant, il ne les laissa pas entièrement vides. Il les remplit avec de nouveaux
éléments, qu’il avait inventés lui-même. Il leur donna même des noms : l’éka-bore, ce qui signifie bore plus un. Éka
est le Sanscrit pour un. L’éka-aluminium, l’éka-silicium. Et il prédit les caractéristiques de ces éléments, qu’il
n’avait jamais vus, des éléments qui étaient nés de sa propre imagination. Il décrivit même leur apparence, leur poids
atomique et les composés qu’ils formeraient avec d’autres éléments.
Il n’y avait pas de magie, rien de surnaturel dans ces prophéties, parce que, voyez-vous, ces éléments inconnus
dans les cases vides n’étaient pas des individus solitaires. Ils étaient à une place bien définie parmi des éléments
semblables dans la table et il était donc possible de calculer tout simplement leurs caractéristiques, bien que
personne au monde ne les ait jamais vus. Mendeleïev le fit parce qu’il était intimement convaincu de la validité de la
Loi périodique qu’il avait découverte. Mais beaucoup d’autres chimistes pensèrent qu’il était impudent et
présomptueux. « L’idée d’inventer des éléments qui n’existent pas, puis attribuer à ces fantômes des propriétés
supposées et d’incorporer tout ceci dans le cours d’une science exacte qui ne s’occupe que de substances existantes,
que de faits tangibles et incontestables ! Ce n’est pas de la chimie, c’est de la magie ! C’est comme essayer de
prédire l’avenir à partir des rêves ! » Voici pratiquement la manière dont la plupart des savants de cette époque
accueillirent le système de Mendeleïev et ses prédictions des éléments. Seuls des faits pouvaient convaincre ces
sceptiques.
Les années passèrent et les cases vides dans la table de Mendeleïev n’étaient toujours occupées que par des
fantômes, des substances imaginaires. Personne ne les prenait au sérieux. Pire, elles furent presque entièrement
oubliées.

Les prophéties se réalisent

Le 20 septembre 1875, l’académicien Wurtz prit la parole lors d’une séance régulière de l’Académie des sciences
de Paris et demanda, au nom de l’un de ses étudiants, Lecoq de Boisbaudran, qu’une lettre qui avait été envoyée au
secrétaire de l’Académie trois semaines auparavant soit lue à haute voix. « La nuit d’hier, le 27 août. 1875, avait
écrit Lecoq de Boisbaudran, entre trois et quatre heures du matin, j’ai découvert un nouvel élément dam un sulfure
de zinc minéral provenant de la mine de Pierrefitte dans les Pyrénées… » Un nouvel élément ! Enfin. Cela faisait
longtemps que les chimistes n’avaient pas entendu une telle annonce. Lecoq de Boisbaudran s’était spécialisé depuis
bien des années dans l’analyse spectrale des substances chimiques. Et là, enfin, il était brillamment récompensé pour
la dévotion qu’il portait à son travail. Il avait « capturé » un rayon violet non familier, l’indication d’un élément
inconnu.
Cette nuit, le 27 août 1875, il n’avait que quelques gouttes d’une solution de sel de zinc contenant une particule
microscopique du nouvel élément. Lecoq décida donc de ne pas l’annoncer immédiatement. Mais pour être sûr
d’être crédité de l’honneur de la découverte du nouvel élément, au cas où quelqu’un d’autre le découvrirait entre-
temps, il se précipita à l’Académie et adressa à Wurtz un paquet scellé contenant une première annonce. Trois
semaines plus tard, il avait préparé un milligramme entier du nouvel élément, c’est-à-dire la millième partie d’un
gramme. Il pouvait sans aucune crainte affirmer que c’était vraiment un nouvel élément. Il voulait l’appeler gallium,
en l’honneur de son pays natal. Gallia est le vieux nom latin de la France. Lecoq de Boisbaudran écrivait qu’il
continuait ses recherches et qu’il aurait plus d’informations à communiquer en temps utile. Tout ce qu’il pouvait
dire alors était que, chimiquement parlant, le gallium ressemblait beaucoup à l’aluminium, si familier.
Quand le rapport de la séance de l’Académie des sciences atteignit la distante Saint-Pétersbourg, Mendeleïev fut
sidéré. Cet élément que le Français avait trouvé dans une mine des Pyrénées n’était pas un nouvel élément du tout.
Mendeleïev l’avait découvert cinq ans plus tôt. C’était simplement l’éka-aluminium ! Tout tombait en place, même
la prophétie de Mendeleïev que l’éka-aluminium, qui était très volatil, serait découvert par analyse spectrale. Dans
l’ancien temps, les gens auraient appelé ça un miracle. Mendeleïev était lui-même profondément ému par la brillante
réalisation de sa prophétie. Il envoya immédiatement une lettre à l’Académie des sciences de Paris, disant : « Le
gallium est l’éka-aluminium que j’avais prédit. Son poids atomique est environ 68, sa densité est environ 5,9. Voyez
si c’est correct. »
Les chimistes du monde entier suivaient maintenant avidement les rapports de l’Académie des sciences de Paris.
C’était une situation extraordinairement intéressante : un savant, assis dans son bureau à Saint-Pétersbourg, fait une
prophétie et un autre à Paris, travaillant avec des ballons et des tubes à essai, réalise une expérience et des mesures
exactes qui confirment les prédictions de son lointain collègue !
Cependant, il y avait un débat à propos de la densité du gallium. Quand Lecoq de Boisbaudran eut une quantité
suffisamment importante du nouvel élément à l’état pur — un quinzième de gramme — il détermina la densité et
trouva 4,7. « Ce n’est pas correct ! insista Mendeleïev, bien loin à Saint-Pétersbourg. Ce devrait être 5,9. À
l’évidence, votre échantillon n’est pas suffisamment pur. » Boisbaudran essaya à nouveau, cette fois-ci avec un plus
gros échantillon. « Oui, admit-il finalement. Monsieur Mendeleïev a raison. La densité du gallium est 5,9. » Ce fut
la première grande victoire pour la Loi périodique. Elle fut suivie presque immédiatement par d’autres. Deux
expérimentateurs Scandinaves, Nilson et Cleve, découvrirent un nouvel élément dans un minéral rare, la gadolinite.
Ils l’appelèrent le scandium. Dès qu’ils commencèrent à étudier ses caractéristiques, il fut bien évident que lui aussi
était une vieille connaissance, l’éka-bore, de la dix-huitième case « vide » de la table de Mendeleïev.
Mais le plus brillant triomphe de Mendeleïev arriva en 1885, quand un chimiste allemand, Winkler, découvrit un
autre nouvel élément dans un minerai d’argent de la mine de Himmelsfürst. Winkler appela le nouvel élément le
germanium. Ce dernier se plaçait exactement dans la vingt-neuvième case vide de la table de Mendeleïev,
temporairement occupée par l’éka-silicium. Les caractéristiques de ces deux éléments, l’un prédit par Mendeleïev et
le véritable découvert par Winkler, coïncidaient si parfaitement que c’était d’une étrangeté inquiétante.
Jugez-en par vous-mêmes. En 1870, Mendeleïev prédisait qu’un nouvel élément serait découvert, appartenant au
groupe du carbone et du chrome, et que ce serait un métal gris sombre. Quinze ans plus tard, Winkler trouve, dans
une mine près de Fribourg, un élément semblable sous beaucoup d’aspects au carbone et au chrome et il se trouve
que c’est une substance gris sombre avec un éclat métallique.
« Son poids atomique sera environ 72, prédisait Mendeleïev.
– Son poids atomique est 72,73, confirma Winkler.
– Sa densité sera environ 5,5, prédisait Mendeleïev.
– 5,47, confirma Winkler.
Mendeleïev : L’oxyde du nouvel élément, c’est-à-dire le composé qu’il forme avec l’oxygène, sera difficilement
fusible, il sera très difficilement fusible même dans un four très chaud. La densité de cet oxyde sera 4,7.
Winkler : Parfaitement exact.
Mendeleïev : La densité d'un composé du nouvel élément avec le chlore sera environ 1,9.
Winkler : 1,887. »
Et ainsi de suite.

La disparition des cases vides

À partir de ce moment, le Système naturel des éléments fut universellement reconnu. Il était clair maintenant que
les corps simples n’étaient pas des phénomènes non apparentés ou accidentels, qu’entre eux, il y avait une relation
intime, une unité de toutes les formes de la matière. Auparavant, les chimistes n’avaient aucun moyen de savoir si
tous les éléments avaient été découverts ou s’ils pouvaient s’attendre à ce que de nouveaux éléments, avec des
caractéristiques entièrement inattendues, soient découverts indéfiniment.
Dorénavant, grâce à Mendeleïev, l’image de la construction matérielle de l’Univers était incomparablement plus
claire et plus distincte. Un chimiste se sentait assez confiant avec ses repères dans le monde des éléments, comme le
géographe d’aujourd’hui parmi les mers et les continents de notre globe, exploré d’un bout à l’autre. Disposant de
cartes précises, aucun géographe d’aujourd’hui ne partirait à la recherche d’îles inconnues dans l’Atlantique entre
Terre-Neuve et l’Irlande, ou de sommets de montagnes dans les plaines d’Amérique du Sud. Il sait qu’ils ne sont pas
là et qu’ils ne peuvent pas y être. De même, les chimistes, armés de la table de Mendeleïev, ne chercheront pas de
nouveau métal alcalin entre le potassium et le sodium ni d’élément nouveau entre le scandium et le titane, parce que
l’existence de tels éléments est impossible. Elle serait contraire à la Loi périodique. Avec la table de Mendeleïev, les
chimistes pouvaient estimer plus ou moins exactement combien d’éléments il y avait dans le monde. Désormais, ils
savaient approximativement combien d’éléments leur échappaient encore, cachés dans des minéraux rares dans
quelque coin reculé du monde. Les cases vides dans le monde de la matière disparaissaient les unes après les autres,
parce qu’on savait maintenant où se trouvaient les absents et comment les rechercher. Cependant, un bon nombre de
surprises attendaient encore les chimistes.
Vous souvenez-vous de cet intrigant élément du Soleil, l’hélium, dont nous parlions au chapitre 3 ? Qu’est-il
devenu ? Lui avait-on trouvé une place dans la table de Mendeleïev ? Est-ce que Mendeleïev avait décrit ses
caractéristiques sans l’avoir jamais vu, comme il l’avait fait pour le gallium, le scandium et le germanium ? Non,
Mendeleïev n’avait pas très confiance en cet élément du Soleil. Sa théorie était que l’un des éléments connus, le fer
ou l’oxygène peut-être, donnait cette inhabituelle raie jaune. Il considérait qu’il était probable qu’à cause de la haute
température du Soleil et des énormes pressions qui y régnaient, ces éléments puissent émettre des rayons de couleurs
différentes de ceux qu’ils émettent dans les conditions habituelles sur notre Terre. Le jour arriva, à marquer d’une
pierre blanche pour la science, où l’énigme de l’hélium fut résolue une fois pour toutes. Mendeleïev était toujours
vivant. Il pensait qu’il avait subi une grande défaite sur la question, mais ce fut la plus grande de toutes ses victoires
scientifiques.

Un prophète sans honneur dans son propre pays

Le triomphe de la Loi périodique apporta à Mendeleïev un renom mondial. Beaucoup d’Universités étrangères lui
conférèrent un doctorat à titre honorifique. Il fut élu membre d’académies des sciences et de sociétés scientifiques.
Des savants anglais l’invitèrent à Londres pour donner la conférence de Faraday — traditionnellement confiée aux
plus grands savants et à eux seuls. Il reçut aussi la médaille d’or de Davy. Tous les pays civilisés du monde
honoraient l’auteur de la Loi périodique et rivalisaient d’acclamations pour son travail scientifique.
Il n’y a que dans son propre pays, gouverné à cette époque par un monarque absolu, que Mendeleïev ne reçut pas
la reconnaissance qu’il méritait. Pire encore, des protégés du tsar osèrent insulter et humilier le grand chimiste.
Quand son nom fut présenté pour une élection à l’Académie des sciences russe, il fut rejeté. Toutes sortes
d’insignifiants lèche-bottes et de parasites étaient membres de l’Académie, et on refusa cet honneur au plus grand
savant russe qui ait jamais vécu !
Plus tard, un ministre tsariste appelé Delyanov l’exclut de l’Université pour avoir « osé » présenter une pétition
des étudiants en vue d’améliorer les conditions de vie à l’université. Et pendant de nombreuses années, ce vieux
savant, célèbre dans le monde entier, n’eut pas de laboratoire pour travailler. Toutefois, Mendeleïev ne s’était jamais
enfermé dans son laboratoire. C’était un ardent patriote et il dévouait toute son énergie et son talent au profit de son
pays. Cependant, presque toutes ses propositions pratiques furent rejetées.
À cette époque, l’industrie pétrolière commençait tout juste à se développer dans le Caucase. Mendeleïev insistait
pour que le pétrole soit utilisé avec parcimonie, parce que c’était un produit chimique de grande valeur. Il disait que
l’utiliser dans des chaudières était aussi irrationnel que d’alimenter un feu avec des billets de banque. Il voulait que
la production et le traitement du pétrole brut soient effectués seulement d’une manière strictement scientifique. Mais
très peu de gens écoutèrent Mendeleïev. Les propriétaires des champs pétrolifères extrayaient et utilisaient le pétrole
brut de la manière la plus barbare, refusant totalement de penser aux problèmes du futur. Mendeleïev s’attacha à
prouver au peuple russe qu’ils avaient besoin d’une puissante industrie chimique. Mais jusqu’à la révolution
d’Octobre (1917), la Russie ne possédait que quelques petites usines mal équipées. Mendeleïev rêvait d’explorer la
stratosphère et, une fois, il fit une ascension en ballon sans l’aide d’un pilote. Il demanda que les voies maritimes de
l’Arctique soient ouvertes et il étudia un projet de brise-glace. Après avoir passé quelque temps dans des mines
d’anthracite de l’Oural, il proposa une gazéification souterraine du charbon. Il montra comment le charbon pouvait
être enflammé directement dans la mine, transformant ainsi le charbon en gaz inflammable à la source, épargnant
aux mineurs le travail difficile d’extraction et de manutention jusqu’à la surface.
Mais ses propositions et ses projets, aussi brillants fussent-ils, ne trouvèrent aucun soutien. La plupart des
courtisans tsaristes n’étaient motivés que par les métiers faciles et l’argent. Rares étaient ceux qui s’intéressaient au
développement de la science et à la promotion du bien-être général du pays. Ce ne fut qu’après la mort de
Mendeleïev, quand une nouvelle vie commença en Russie, que le plan quinquennal pour le développement
économique et technologique de l’URSS commença à mettre en pratique de nombreuses idées du grand savant.
Chapitre 5

Les gaz nobles

Un millième de gramme

Lord Rayleigh (1842-1919).

Dans ce chapitre, nous allons enfin vous raconter l’histoire de l’élément hélium. Vous devez vous souvenir que
ce sont des astronomes qui découvrirent l’hélium en premier. Ensuite, des physiciens prirent le relais, puis des
chimistes, et finalement des géologues. Ce fut une merveilleuse chaîne de découvertes et de brillantes conjectures.
Voici toute l’histoire.
Dans les années 1880, un physicien anglais, Rayleigh, conduisait une longue série d’expériences sur les gaz. Pour
certaines raisons, qui seraient trop longues à expliquer ici, Rayleigh devait mesurer avec une grande précision la
masse d’un litre de chaque gaz. C’est ce que nous appelons sa densité.
Rayleigh pesa d’abord l’hydrogène, le plus léger de tous, ensuite l’oxygène, puis il s’attaqua à l’azote. Il voulait
que ses mesures soient les plus précises jamais effectuées par des physiciens. Il ne laisserait pas échapper une bulle
de gaz, si petite soit-elle, durant ses pesées. Il prit mille précautions pour être sûr que le gaz à peser était absolument
pur. Il n’est pas difficile d’obtenir de l’azote pur à partir de l’air. Depuis le temps de Scheele et de Lavoisier, tout le
monde savait que l’air était constitué de quatre parts d’azote et d’une part d’oxygène. Tout ce qu’il y avait à faire
était de se débarrasser de l’oxygène, d’un peu de gaz carbonique et de vapeur d’eau, qui y sont toujours présents,
pour obtenir de l’azote pur. Rayleigh procéda ainsi. Il fit passer l’air à travers une série de pièges chimiques : dans
l’un, le gaz carbonique était absorbé, un autre éliminait l’oxygène, un troisième absorbait la vapeur d’eau. Rayleigh
utilisa aussi l’acide sulfurique, mais il utilisa également d’autres substances et elles éliminèrent tout l’oxygène, le
gaz carbonique et l’humidité. Il ne restait plus que l’azote pur et Rayleigh le pesa.
Tout bon expérimentateur n’hésite jamais à réitérer ses propres expériences autant de fois que nécessaire, afin
d’éviter les erreurs possibles. Rayleigh était un expérimentateur exceptionnellement consciencieux et précis, mais
l’un des pièges avait pu ne pas fonctionner comme il fallait. Certaines impuretés pouvaient être passées, ou le tuyau
de caoutchouc avait pu avoir l’une de ces petites fuites traîtresses, minuscules, invisibles à l’œil nu, mais néanmoins
assez grosses pour laisser entrer de l’air impur de l’extérieur. Aussi, afin de vérifier ses résultats, Rayleigh décida
d’obtenir de l’azote par une autre méthode qu’à partir de l’air. Si les densités concordaient, cela signifierait que tout
était en ordre et que ses résultats étaient corrects. Il pourrait être sûr que le travail avait été fait avec soin, que l’azote
était exempt d’impuretés et que les appareils étaient en bon état de marche.
L’un de ses amis chimistes, Ramsay, lui conseilla d’obtenir de l’azote à partir de l’ammoniac gazeux(19). C’était
une bonne méthode et Rayleigh l’essaya immédiatement. Il tira l’azote de l’ammoniac, le purifia selon les règles,
puis le pesa. Imaginez sa déception quand il s’aperçut que les masses des deux gaz, tous deux de l’azote, ne
concordaient pas. Un litre d’azote obtenu à partir de l’air pesait 1,257 2 gramme. Un litre d’azote obtenu à partir de
l’ammoniac pesait 1,256 0 g — c’est-à-dire 1/1 000 gramme de moins.
Rayleigh pensa qu’il devait y avoir une erreur dans son travail. Ce n’était pas une très grosse différence, 1/1 000
de gramme, mais il y en avait une néanmoins. Il vérifia soigneusement chaque appareil ; il testa chaque récipient,
chaque piège, les tuyaux, la pompe, la balance. Puis il décida d’obtenir de nouveaux échantillons d’azote, l’un de
l’air, l’autre de l’ammoniac. Il purifia les deux échantillons avec le plus grand soin… et, à nouveau, les deux masses
différaient de 1/1 000 de gramme. La différence était si faible — vous pourriez penser qu’il était plus simple de
l’ignorer. Mais Rayleigh ne pouvait pas se décider à ignorer même la plus petite erreur. Il était contrarié et irrité par
cette discordance. Il continuait à conduire ses expériences sur l’azote, sans avancer d’un pouce. Des dizaines
d’autres problèmes de physique intéressants sollicitaient son attention, mais il ne pouvait pas leur consacrer de
temps ; il était si occupé par ses difficultés avec l’azote qu’il était devenu chimiste, bien malgré lui.
Un jour, alors que Rayleigh relisait avec un dégoût non masqué les pages où il avait consigné les résultats de sa
dernière pesée, il remarqua le dernier numéro de la revue scientifique anglaise Nature qui traînait là. « Je vais leur
écrire une lettre ! » décida-t-il. Sans perdre un instant, il griffonna une lettre aux éditeurs. Il évoqua ses mauvais
résultats avec l’azote et défia les chimistes de lui montrer où il avait fait une quelconque erreur, qui pourrait
expliquer cette discordance têtue. Puis il envoya sa lettre et attendit. Peut-être que les chimistes le sortiraient de cette
impasse.

L'azote lourd et l’azote léger

Des réponses à sa lettre commencèrent à arriver. Parmi elles, il y en avait une de Ramsay. Les chimistes
donnaient au physicien déçu beaucoup de bons conseils mais, malheureusement, aucun d’eux ne l’aidait vraiment.
La différence de poids entre les deux gaz persistait. Pire encore, quand Rayleigh changea les conditions de
l’expérience, la différence s’accentua.
Rayleigh passa deux ans sur ce gaz obstiné. Il essaya tout. Il fit passer une décharge électrique à travers l’azote de
l’air et l’azote de l’ammoniac. Il isola l’azote dans un récipient hermétiquement clos pendant huit mois. Mais ni
l'électricité ni le temps ne changèrent les propriétés des deux gaz. La différence de densité demeura la même.
Rayleigh essaya d’obtenir de l’azote à partir d’autres sources. Il l’obtint du gaz hilarant, de l’oxyde d’azote, de
l’urée(20). Dans chaque cas, le poids du gaz obtenu de cette manière concordait avec celui de l’azote obtenu à partir
de l’ammoniac, mais l’azote de l’air continuait à peser plus lourd.
Ensuite, Rayleigh essaya d’obtenir de l’azote de l’air par un procédé différent. Il avait auparavant fait passer l’air
sur du cuivre incandescent. Quand le métal brûlait, il prenait tout l’oxygène de l’air, laissant de l’azote pur. Cette
fois-ci, il essaya d’utiliser du fer incandescent ou toute autre substance qui absorbe volontiers l’oxygène. Mais la
densité de l’azote de l’air ne varia pas le moins du monde. Il était toujours un peu plus lourd que l’azote de
l’ammoniac.
À l’issue d’un grand nombre d’expériences, Rayleigh ne voyait toujours pas de lumière au bout du tunnel. Il lui
semblait qu’il se heurtait à un mur qu’il ne pouvait ni contourner ni traverser. Mais, au moins, il était sûr maintenant
que la différence n’était due à aucune erreur de sa part. C’était la faute de la nature, pas la sienne. Il était
incontestablement évident que l’azote obtenu à partir de l’air était plus lourd que l’azote obtenu à partir de composés
chimiques. Mais pourquoi ? Comment une chose et son double pouvaient-elles avoir deux poids différents ? Cette
angoissante énigme ne cessait de le tourmenter.

« Regardez dans les vieux journaux »

En 1894, Rayleigh donna une conférence à la Société royale de Londres, à propos de ses expériences sur l’azote.
Après la conférence, Ramsay, le chimiste, vint vers lui et lui offrit son aide : « Il y a deux ans, quand vous avez écrit
cette lettre à Nature, je ne pouvais pas comprendre le pourquoi de cette divergence. Mais je pense que c’est tout à
fait clair maintenant. Il y a quelque impureté lourde dans l’azote de l’air — quelque gaz inconnu. Si vous me le
permettez, j’aimerais essayer de poursuivre votre travail. » Rayleigh était trop heureux d’accepter son aide, même
s’il pensait que l’hypothèse du gaz inconnu était improbable. Des milliers d’analystes avaient étudié l’air de
multiples fois et ils n’avaient toujours trouvé que de l’azote, de l’oxygène et de petites quantités de gaz carbonique
et de vapeur d’eau. D’où ce gaz (étrange pouvait-il venir ? Il discuta du problème avec plusieurs de ses collègues de
la Société royale et parmi eux, Dewar, un physicien.
Sir William Ramsay (1852-1916).

« Regardez dans quelques vieux journaux, dit Dewar. Il me semble que Henry Cavendish affirmait quelque part
que l’azote de l’air n’était pas homogène.
– Cavendish ! s’exclama Rayleigh avec étonnement. Il y a cent ans !
– Oui, insista Dewar. Il me semble que dans l’une de ses plus anciennes expériences sur la composition de l’air;
il y a quelque commentaire à ce sujet. Regardez donc.
– Certainement, je vais le faire, aujourd’hui même ! » dit Rayleigh.
Penser qu’il pouvait avoir été devancé de cent ans !

L'expérience de Henry Cavendish

Henry Cavendish (1737-1810).

Henry Cavendish, un homme solitaire, excentrique, extrêmement timide, vivait à Londres pendant la seconde
moitié du XVIIIe siècle. Il avait si peur des gens que quand on lui parlait, il rougissait, poussait quelques cris aigus et
disparaissait aussi vite qu’il pouvait. Ou alors, s’il rassemblait assez de courage pour répondre, il bégayait et
mélangeait ses mots comme un jeune enfant qui venait juste d’apprendre à parler. Cavendish vivait comme un
ermite dans une grande maison inconfortable, paraissant seulement rarement en public. Cet homme réservé et
silencieux n’avait qu’une seule passion : la science, l’étude de la nature.
Pendant cinquante ans, jour après jour, sans repos ni distraction ni vacances, Cavendish travailla, calcula,
expérimenta. Il découvrit la composition de l’eau. Il fut le premier à calculer le poids de la Terre. Au même moment
que Scheele et Lavoisier, il étudia la composition de l’air, ainsi que les propriétés de l’oxygène et de l’azote.
Cavendish était prudent et sceptique et n’était jamais pressé de publier les résultats de ses expériences. Beaucoup
de choses sont restées enfouies dans ses archives. Une partie de son œuvre a été simplement oubliée. C’est ainsi que
plusieurs générations plus tard, John Rayleigh, se torturant l’esprit sur l’énigme de l’air « lourd », n’avait jamais
soupçonné qu’il pourrait trouver la réponse de l’énigme en feuilletant les pages jaunies des comptes rendus de la
Société royale de l’année 1785. Là, Cavendish décrivait l’expérience suivante : il envoyait des étincelles électriques,
de petits éclairs artificiels, dans un tube de verre rempli d’air. L’électricité provoquait la combinaison des deux
composants de l’air, l’azote et l’oxygène et la formation d’un composé chimique, un nouveau gaz d’odeur
suffocante. Il éliminait sans cesse ce gaz du tube en l’absorbant avec une solution spéciale. Or, puisqu’il y a quatre
fois moins d’oxygène que d’azote dans l’air, l’oxygène était épuisé bien avant l’azote. Il ajoutait donc de l’oxygène
pur, envoyait à nouveau des étincelles électriques et répétait l’opération jusqu’à ce que, finalement, tout l’azote soit
combiné à l’oxygène sous la forme d’un nouveau gaz suffocant, que la solution alcaline absorbait.

L'expérience d'Henry Cavendish.

Une petite bulle d’azote cependant, restait obstinément dans le tube et n’était pas absorbée par cette solution.
Cavendish essaya à plusieurs reprises d’ajouter davantage d’oxygène pur, mais en vain. Les décharges électriques
n’avaient aucun effet. Plus aucun gaz suffocant n’était produit. La petite bulle d’azote, pas plus grosse qu’un pois,
flottait au-dessus de la solution et refusait de se combiner à l’oxygène. « Par cette expérience, écrivit Cavendish, je
suis arrivé à la conclusion que l'azote de l’air n’est pas homogène. Une partie [1/120] se comporte différemment de
la partie principale, la plus grande. Il est probable que l’azote n’est pas une substance uniforme, mais un mélange
de deux substances différentes. » (Cavendish était un partisan de la théorie du phlogistique et il appelait l’azote « air
phlogistiqué ».)
L'expérience de Cavendish

Le gaz d'odeur suffocante formé lors de l'expérience de Cavendish est un oxyde d'azote. En présence d'eau, ce gaz se transforme en
acide nitrique. Cette réaction est à la base de la formation des pluies acides, à partir des oxydes d'azote produits par les usines ou les
automobiles.
L'acide nitrique peut être neutralisé par une solution basique de soude (la solution « spéciale » dont il est question dans le texte).

[Pour ceux qui aiment les formules…]


Formation du dioxyde d'azote :
N2 + 2 O2 → 2 NO2
Réaction avec l'eau :

Neutralisation :
HNO3 + HNO2 + 2 NaOH → NaNO3 + NaNO2 + 2 H2O

Quand Rayleigh eut lu cet article dans le vieux journal, il porta ses mains à sa tête et se précipita dans son
laboratoire pour répéter l’ancienne expérience de Cavendish.

De quoi l’air est-il fait ?

Pendant ce temps, William Ramsay, le chimiste, collègue de Rayleigh à la Société royale, ne perdait pas son
temps non plus. Son raisonnement était très simple : il y a dans l’air quelque impureté dont nous ne savons rien. Une
seule méthode existe pour la découvrir : prendre une certaine quantité d’air et en extraire tous les composants les uns
après les autres. Si quelque chose restait après ça, cela prouverait l’existence d’un gaz inconnu dans l’air.
Ramsay fit passer l’air à travers un certain nombre de pièges chimiques et sépara facilement l’oxygène, la vapeur
d’eau et le gaz carbonique. Restait l’azote. Il avait trouvé un piège pour lui aussi. Plusieurs années auparavant, il
avait découvert, tout à fait par hasard, que l’azote a une grande affinité pour des copeaux incandescents de
magnésium, le métal employé pour la photographie dans les endroits obscurs. Utilisant cette connaissance, il fit alors
passer de l’azote sur du magnésium incandescent. La majorité fut absorbée lors du premier passage dans le tube
contenant le magnésium, mais une petite quantité en sortit. Il la fit alors repasser sur les copeaux incandescents et
obtint moins de gaz. Il répéta l’opération et pesa ce qui restait.
Ce gaz était définitivement plus lourd que l’azote ordinaire trouvé dans l’air. L’azote ordinaire était 14 fois plus
lourd que l’hydrogène. Ce gaz était 14,88 fois plus lourd. Sentant qu’il était sur la bonne piste, Ramsay fit repasser
le gaz sur le magnésium. Cette fois encore, une partie du gaz fut arrêtée, mais la partie restante était devenue encore
plus dense. À chaque fois qu’il recommençait l’expérience, la quantité de gaz diminuait, mais sa densité augmentait.
Elle atteignit 16, puis 18, 19… À 20, elle resta stationnaire. Et précisément à ce point, la quantité de gaz demeura
également inchangée. À l’évidence, tout l’azote avait été absorbé et ce qui restait consistait en l’impureté lourde
inconnue, sur laquelle le magnésium n’agissait pas. Pendant tout l’été, Ramsay continua à faire passer de l’air dans
un tube absorbeur, jusqu’à obtenir un dixième de litre du nouveau gaz.
Rayleigh, qui utilisait la vieille méthode de Cavendish, n’avançait pas aussi rapidement. À la fin de l’été 1894, il
n’avait collecté qu’un demi-centimètre cube de la lourde impureté. Mais l’important était que les deux chercheurs,
travaillant indépendamment et utilisant des méthodes différentes, avaient obtenu des résultats identiques.
Maintenant, tout ce qu’ils avaient à faire était de demander au spectroscope son « opinion » sur le nouveau gaz. Ils
fondirent des électrodes dans un tube de verre, le remplirent du nouveau gaz, et établirent le courant. Le gaz brillait
avec une belle lumière froide. Son spectre présentait des raies rouges, vertes et bleues — toutes des raies nouvelles,
jamais observées auparavant par aucun spectroscopiste.
Le 13 août 1894, Rayleigh et Ramsay se rendirent à Oxford, où se tenait une réunion de chercheurs scientifiques
britanniques, et ils demandèrent la permission de faire une annonce qui n’était pas prévue au programme. « Nous
avons découvert un nouvel élément, affirmèrent-ils. Il est tout autour de mus, partout. Avec l’oxygène et de l’azote,
c’est un des composants de l’air que nous respirons. »

Un élément ermite

Si une bombe avait explosé au-dessus de la tête de ces savants réunis à Oxford, ils auraient été moins étonnés que
par cette annonce. « Un élément inconnu dans l'air ! Des quantités énormes dans chaque laboratoire, dans chaque
université, partout dans le monde, et personne n’avait jamais rien suspecté ! » Pendant tout un siècle, les chercheurs
avaient collecté des minéraux rares partout dans le monde, dans un effort pour saisir les derniers éléments encore
cachés aux yeux des chimistes. Et ils avaient négligé une substance inconnue qui était juste sous leur nez ! Comment
était-ce possible ? Il y avait en effet une quantité considérable de ce gaz dans l’air : un litre pour cent litres.
Quand Cavendish initia cette ligne de recherche, on venait tout juste de comprendre qu’il y avait deux sortes
d’air : l’air « vital » et l’air « mort ». L’oxygène et l’azote étaient encore de grandes nouveautés. Alors personne, pas
même Cavendish lui-même, ne prêta attention à cette petite bulle de gaz si différent de l’azote. Mais pourquoi,
pendant tout le siècle qui suivit, les chimistes n’avaient-ils jamais observé que l’azote de l’air est un mélange de
deux gaz ? Ils avaient analysé l’air des milliers de fois. Tout étudiant ou assistant de laboratoire, même un ouvrier
non qualifié dans une usine de chimie, pouvait le faire. Les chimistes avaient calculé jusqu’au centième de pour cent
les quantités d’oxygène et d’azote dans l’air. Ils avaient aussi établi le fait que l’air contient 0,03% de gaz
carbonique. Ils avaient même découvert une proportion infime d’hydrogène dans l’air, moins d’un dix-millième
pour cent.
Un dix-millième pour cent ! Et, pendant toutes ces années, ils n’avaient pas pu trouver un pour cent entier d’un
gaz inconnu. Pourquoi ? Parce que ce gaz était invisible, sans odeur et sans saveur. Il ne révélait sa présence
d’aucune manière. Modeste, il accompagnait l’azote partout sans attirer l’attention sur lui-même, comme s’il n’avait
pas d’existence propre. Ce nouvel élément refusait de se combiner avec aucun autre élément. Il se tenait à l’écart au
milieu des autres choses du monde, qui subissaient de perpétuels changements, de continuelles transformations
chimiques. Un élément ermite. Un élément solitaire.
Ce nouveau gaz se révéla totalement immunisé contre toute espèce de réaction chimique. Il était absolument
inactif, inerte. On lui donna alors le nom d’argon, ce qui, en grec, signifie « inactif, inerte ». Ramsay essaya de le
mélanger avec tous les agents les plus actifs, avec le chlore, un gaz suffocant qui attaque les métaux, qui décolore les
peintures et détruit le tissu et le papier. Mais il n’avait pas le moindre effet sur l’argon. Il essaya de brûler du
phosphore dedans. Ce produit toxique ronge les mains, se combine à l’oxygène, s’enflamme spontanément quand il
est exposé à l’air. L’argon resta totalement indifférent. Ni la chaleur ni le froid ni l'électricité ni les acides forts ne
pouvaient faire participer l’argon à une réaction chimique. Toute chose l’ignorait et n’avait aucune action sur lui.
Ramsay et d’autres chimistes trouvèrent difficile de se résigner à l’existence d’une substance si étrange,
totalement indifférente au reste du monde. Elle devait se combiner avec quelque chose ! Même les métaux
« nobles », l’or et le platine, qui ne rouillent ni dans l’eau ni dans l’air et ne peuvent être dissous même dans les
acides, forment néanmoins des composés avec certaines substances. Était-il possible que l'argon soit la chose la plus
inabordable au monde ? Encore et encore, Ramsay et ses assistants introduisaient des réactifs dans des récipients qui
contenaient de l'argon. Ils essayèrent presque tous les corps simples et beaucoup de substances complexes, alors que
les jours, les semaines et les mois passaient. Mais il n’y avait rien à faire ; l'argon ne se soumettait pas.

Un gaz extrait d’un minéral

Un jour, après avoir donné une conférence à la Société royale sur ses expériences avec l’argon, Ramsay reçut une
lettre d’un géologue, Henry A. Miers, qui n’avait pas assisté à la conférence mais qui, de toute évidence, en avait
entendu parler. « Je ne sais pas si vous avez essayé de combiner l’argon, avec de l’uranium, écrivait-il. Si ce n’est,
pas le cas, je pense que cela vaudrait la peine d’essayer. Il y a quelques années, un géologue américain nommé
Hillebrand a remarqué que, lorsqu’il est chauffé dans de l’acide sulfurique, l’uranium de la clévéite génère me
grande quantité de gaz. Hillebrand disait que ce gaz était de l’azote. Peut-être contenait-il de l’argon aussi ? Il me
semble que cela vaudrait la peine d’étudier si, par hasard, un composé de l’uranium, et de l’argon n'entre pas dans
la composition de la clévéite. »
Ramsay pensa que c’était une bonne piste. Mais où allait-il trouver de la clévéite ? C’est un minéral très rare et
très cher, qu’on ne trouve qu’en Norvège. À tout hasard, un des assistants de Ramsay fit le tour des boutiques de
Londres à la recherche d’un morceau de clévéite et, coup de chance, il parvint à en trouver deux onces, environ 60
grammes, pour la somme de 18 shillings(21), chez un marchand de minéraux.
L’assistant mit immédiatement la clévéite dans de l’acide sulfurique et la chauffa. L’acide se mit à mousser et à
dégager du gaz. Mais Ramsay, qui était occupé par d’autres expériences à ce moment, ne poursuivit pas l’expérience
tout de suite. Il demanda que le gaz soit conservé dans un tube scellé. Un mois et demi passa, pendant lequel
Ramsay fit encore un bon nombre d’essais infructueux pour forcer l’argon à former une combinaison chimique avec
quelque chose d’autre. Finalement, il perdit patience. Il était impuissant face à cette matière super-têtue et
incroyablement inerte. Mais, avant d’abandonner, il décida de faire un dernier essai avec le gaz de la clévéite.
D’abord, il devait déterminer si ce gaz était de l’azote, comme Hillebrand l’avait affirmé, ou de l’argon. Un
assistant de Ramsay fit chauffer au rouge des copeaux de magnésium et y fit passer le gaz. Si c’était de l’azote, il
serait piégé et absorbé. Le gaz en sortit presque intact. Cela signifiait que Hillebrand avait tort. Ensuite, Ramsay alla
dans la chambre noire du laboratoire pour voir quel genre de spectre ce gaz donnait. Il prit un tube de verre avec des
plaques métalliques — des électrodes — fondues aux extrémités et fit le vide à l’intérieur. Puis il introduisit le
nouveau gaz et fit passer le courant électrique. Le gaz du tube devint immédiatement lumineux. Ramsay regarda
dans le spectroscope. Il vit un certain nombre de raies brillantes de différentes couleurs et, parmi elles, une raie jaune
très brillante. « Du sodium, pensa-t-il. Apparemment, il y avait du sodium dans les copeaux de magnésium. On ne
peut rien y faire. » Afin de comprendre plus facilement ce spectre compliqué, Ramsay remplit un autre tube d’argon
pur et y fit passer le courant électrique. Maintenant, il avait dans le spectroscope les spectres des deux tubes et il
pouvait les comparer.
Beaucoup de raies coïncidaient. Il y avait aussi une raie jaune dans le spectre de l’argon, mais plus faible. Bien
évidemment, une petite quantité de ce sodium était omniprésente dans le second tube. Mais, pour quelque raison, la
raie jaune du sodium du second tube, le tube de contrôle, se tenait juste à côté de la raie jaune de la clévéite. Ramsay
ajusta le spectroscope et fit légèrement tourner la fente du collimateur pour que les raies coïncident. Mais les raies
restaient là où elles étaient. Elles étaient très rapprochées mais elles ne coïncidaient pas. « Il y a quelque chose de
déréglé dans notre spectroscope », dit Ramsay. Il alluma la lumière, démonta le spectroscope et nettoya
soigneusement les lentilles. Mais cela ne changea rien à l’affaire. Quand il remonta le spectroscope et regarda à
nouveau, il vit une fois de plus que les raies du sodium des deux tubes étaient décalées l’une par rapport à l’autre.
Quel ennui ! Depuis Bunsen et de Kirchhoff, tous les chimistes et tous les physiciens savaient que la raie du
sodium a une place bien définie dans le spectre. Si vous prenez mille échantillons de sodium de partout dans le
monde et si vous les examinez, ils émettront tous exactement les mêmes rayons jaunes et donneront la même raie
dans le spectroscope. Pourquoi alors, ici dans le laboratoire de l’université de Londres, les raies du sodium s’étaient-
elles déplacées ?
Ramsay s’assit quelques instants devant le spectroscope, les yeux fixés sur le tube rempli de gaz, illuminé par une
lumière froide et dorée. En vérité, il ne trouvait aucune difficulté à expliquer le phénomène. Seulement, il était
effrayé de l’explication qui lui venait à l’esprit, effrayé que cela puisse être une hypothèse trop hardie. Il avait peur
de faire confiance à sa propre chance. « Mais pourquoi ne pas supposer qu’il y a quelque chose d’autre dans le tube
en plus de l’argon ? Quelque autre nouvel élément inconnu ! » Et là, en un éclair, un nom pour cet élément lui vint à
l’esprit — le krypton — le mot grec pour « caché », « mystérieux ».
Ramsay mit immédiatement sa théorie à l’épreuve. Il travailla de nombreuses heures dans la chambre noire,
ignorant le temps et indifférent à la fatigue. Il examina le spectre du gaz de la clévéite, le compara à celui de l’argon,
de l’azote et du sodium. Mais son spectroscope, relativement mauvais, n’était pas à la hauteur d’une tâche si
complexe. Alors il décida de faire appel à son collègue, le physicien Crookes, qui était un grand spécialiste de
l’utilisation de cet appareil. Il envoya un tube de krypton à Crookes et lui demanda de l’examiner. C’était le soir du
22 mars 1895. Le lendemain matin, un télégraphiste vint au laboratoire et on alla chercher Ramsay dans la chambre
noire pour lui donner le télégramme suivant : « Le krypton est l’hélium, Venez voir vous-même, Signé Crookes ».
Ramsay alla se rendre compte par lui-même : la raie jaune du gaz de la clévéite coïncidait exactement avec la
mystérieuse raie du spectre solaire, la raie de l’hélium. Ainsi fut découvert sur Terre l’élément du Soleil.
Pourquoi y a-t-il de l’hélium dans la clévéite ?

L'uranium qui constitue la clévéite est un élément radioactif qui, lorsqu'il se désintègre, produit de l'hélium. Cet hélium reste piégé
dans la roche et peut être libéré par chauffage.

L'hélium sur la Terre

Quel chemin sinueux et inextricable nous a menés à la découverte de l’hélium ! D’abord, des astronomes
soupçonnèrent l’existence d’un élément inconnu dans le Soleil. Ensuite, Rayleigh, qui n’avait absolument aucune
idée de la composition du Soleil, commença à peser différents gaz : l’hydrogène, l’oxygène, l’azote, pour tester
quelque vieille hypothèse scientifique. Tout ce qu’il voulait était de savoir aussi précisément que possible combien
pesait un litre de ces gaz, rien d’autre. Grâce aux expériences de Rayleigh, une expérience de Cavendish oubliée
depuis longtemps fut ressuscitée. Et finalement, grâce aux efforts combinés de Rayleigh et de Ramsay, une impureté
lourde fut trouvée dans l’air, un gaz étrange, l’argon.
Toujours sans rien connaître de la matière constituant le Soleil, Ramsay commença à étudier les caractéristiques
de l’argon et découvrit qu’il était inhabituellement passif, indifférent aux autres substances. Quand le géologue
Miers le mit sur la voie de la clévéite, Ramsay espérait seulement qu’il pourrait enfin trouver quelque chose qui se
combine avec l’argon. Il n’avait aucune autre idée en tête. Il obtint un gaz à partir de la clévéite, sur laquelle
Hillebrand avait travaillé quelques années auparavant sans suspecter quoi que ce soit. Ramsay vit que ce gaz n’était
ni de l’argon ni de l’azote, mais il ne comprit pas tout de suite ce que c’était. Ce fut le physicien Crookes qui
comprit le premier que le nouveau gaz était l’élément que les astronomes avaient découvert dans le Soleil vingt-sept
ans auparavant.

Sir William Crookes (1832-1919).

Les Terriens ordinaires tenaient maintenant dans leurs mains cet invité de l'astre lointain. Ils l’examinèrent,
expérimentèrent avec, l’étudièrent sous tous les angles. Quelles merveilleuses propriétés allait-il montrer ?
Beaucoup de gens, éblouis par la merveilleuse histoire de sa découverte, espéraient secrètement que ce serait
quelque chose d’extraordinaire, tout à fait différent de ce qu’on avait vu sur Terre auparavant. Mais rien de
miraculeux n’arriva. On découvrit bientôt que l’hélium était un gaz « noble », comme l’argon — incolore,
transparent, sans odeur et sans saveur. Il montrait la même obstination que l’argon à n’entrer dans aucune sorte de
combinaison chimique. Mais, sur un point, il était totalement différent de l’argon : son poids. L’hélium se trouva
être l’une des substances les plus légères du monde, arrivant juste après l’hydrogène pour sa légèreté.

De nouvelles découvertes

Les grandes découvertes de ces jours menaçaient de secouer l'harmonieuse structure que Mendeleïev avait établie
vingt-cinq ans auparavant. Ramsay était en mesure de défier Mendeleïev. Il pouvait affirmer, avec raison, que son
système n’était pas valable, parce qu’il n’y avait pas de case libre dans la table de Mendeleïev pour les nouveaux
éléments. Il n’y avait pas de groupe dans lequel on pourrait placer l’argon et l’hélium. Quand on essayait de les
imposer dans les séries complètes des autres éléments, dont les poids atomiques se conformaient aux leurs, l’ordre
de la table était rompu et alors tout devenait confus. Certains chimistes, essayant de trouver une issue à cette
situation inconfortable, affirmèrent que l’argon et l’hélium n’étaient pas du tout des éléments. « Ce ne sont que
d’autres formes de l’azote, dirent-ils. Nous savons que d’autres éléments, aussi, ont plusieurs formes. Le carbone,
par exemple, existe sous trois formes : le carbone, le graphite et le diamant. L’oxygène a deux formes. Pourquoi ne
pas supposer que l’azote a plusieurs formes différentes aussi ? »
Mais Ramsay avait une autre idée sur la question. « Nous n’avons pas encore tout découvert, dit-il. Nous devons
continuer à chercher parce qu’il y a apparemment d’autres éléments semblables à l’argon et à l’hélium. Tous
ensemble ils formeront me nouvelle “famille ” d’éléments, me nouvelle série qui s’imbriquera dans la table de
Mendeleïev. Les nouveaux éléments ne bouleverseront pas le système périodique. Au contraire, il sera plus complet
et par conséquent plus précis et plus correct. » Lui et ses collègues se mirent alors à la recherche des nouveaux
éléments, les « parents » de l’argon et de l’hélium. Il examina 150 minéraux rares, 20 eaux minérales différentes et il
chercha même des traces des nouveaux éléments dans des fragments de météorites. Et finalement, il les trouva, mais
dans un endroit entièrement différent : dans l’air.
Ramsay découvrit que l’air ordinaire contenait trois autres éléments en plus de l’argon. Il les appela le néon, le
krypton et le xénon. Il avait déjà trouvé de l’hélium dans l’air. Ces cinq éléments semblables entraient parfaitement
dans le tableau de Mendeleïev, en formant une nouvelle série, et mettaient ainsi la touche finale à la preuve de
l’exactitude de la loi de Mendeleïev.

Les gaz rares : cinq éléments semblables qui forment une nouvelle série dans le tableau de Mendeleïev.

Mais pourquoi Ramsay ne découvrit-il pas tous ces éléments en même temps, au lieu de découvrir seulement
l'argon en premier ? Parce qu’il y a une quantité considérable d’argon dans l’air, un litre pour cent litres, tandis qu’il
n’y a que très peu d’hélium, de néon, de krypton et de xénon. Chaque fois que nous respirons, nous inhalons environ
cinq centimètres cubes d’argon, l’équivalent d’une demi-cuillère à soupe. Un demi-millième serait de l’hélium, un
dix-millième du krypton et un cent-millième du xénon. Bien sûr, tous ces gaz passent dans nos poumons sans le
moindre effet, puisqu’ils sont indifférents à tout type de matière et ne participent jamais à des transformations
chimiques.
Depuis la découverte de ces gaz rares, des applications pratiques et utiles ont été trouvées. Des ampoules
électriques sont remplies d’argon pour empêcher le filament incandescent de brûler trop vite. Dans ce gaz inerte et
sans vie, même de l’essence ne brûlerait pas, sans parler d’un métal avec un haut point de fusion. Le krypton et le
xénon sont encore meilleurs pour cette utilisation. Des ampoules qui en sont remplies pourraient presque être
appelées perpétuelles, tant elles durent longtemps. Le néon est aussi utilisé pour l’éclairage électrique, mais, dans ce
cas, on n’utilise pas des ampoules ordinaires. Vous avez déjà vu les tubes fluorescents rouges de milliers
d’enseignes dans toutes les villes. Ces tubes sont remplis de néon et quand le courant électrique passe, le gaz
s’illumine d’une belle couleur rouge.
Quant à l’hélium, si léger, il fait merveille dans les dirigeables. Les dirigeables et les ballons stratosphériques
remplis d’hélium flottent dans l’air. À vrai dire, ce gaz est plus cher et un peu plus lourd que l’hydrogène, qui est
aussi utilisé dans ce but, mais l’hydrogène est inflammable. Une étincelle et le dirigeable entier s’enflamme comme
une torche. Quand on utilise l’hélium, il n’y a pas de danger d’incendie. Si vous essayiez, vous verriez qu’on ne peut
pas mettre le feu à l’hélium ou à l’argon, même si vous rassembliez les substances les plus inflammables du monde.

Peut-on rompre les éléments ?

Après la découverte de l’argon et de l’hélium, beaucoup de savants pensaient que tous les secrets de la matière
avaient été révélés. La table de Mendeleïev était presque pleine. La plupart des éléments avaient été découverts. Les
réactions de centaines de milliers de combinaisons avaient été explorées à fond. Apparemment, il ne restait plus
grand-chose à découvrir.
Cent ans plus tôt, à la fin du XVIIIe siècle, Scheele, Lavoisier et d’autres chercheurs avaient juste commencé à se
demander de quoi les choses étaient faites. Et maintenant, chaque chimiste pouvait donner une réponse tout à fait
raisonnable et précise à cette question : « D’environ. 80 éléments, auraient-ils dit. Ils forment, la structure de base de
tout l'Univers : les étoiles et le Soleil, la Terre et ses habitants, les roches et la végétation. Tout est formé de ces
éléments que les chimistes ont étudiés si minutieusement. Quelle que soit la chose dont on parte pour la diviser, on
trouve toujours les mêmes composants finaux — les éléments. Dans un composé, il peut y avoir deux éléments. Dans
d’autres, trois, cinq ou dix. Mais toujours et partout, les éléments sont les mêmes. Qu’il s’agisse d’une météorite qui
nous arrive de l’espace intersidéral, ou du corps humain, ou d’une pierre précieuse, ou de la vile poussière de la
rue, vous trouverez que tout est constitué de ces 80 éléments. »
Et les éléments eux-mêmes, peuvent-ils être fractionnés en quelque chose de plus simple encore ? « Non !
auraient répondu emphatiquement les savants à la fin du XIXe siècle. Il n’y a rien de plus simple qu’un élément. C’est
la limite de la simplification de la matière. Ni dam la nature ni dam un laboratoire ni dam des usines, nulle part et
jamais quelqu’un n’a vu un élément divisé en parties plus petites.
« Seuls les composés peuvent se transformer, se désintégra, disparaître. Les éléments ne disparaissent pas. Ils
sont indestructibles et ils ne peuvent pas se transformer en d’autres éléments. Ils sont éternels et immuables. Il y a
tout autant de fer, de plomb et d’hélium dam le monde d’aujourd’hui qu’il y en avait il y a cent ans ou qu’il y en
aura dans cent ans à partir d’aujourd’hui, parce que le plus petit atome de matière élémentaire ne peut ni
disparaître ni changer.
« Chaque élément est constitué d’atomes identiques. Un atome est indivisible. C’est la plus petite particule de
matière. Les atomes de différents éléments peuvent s’unir de différentes manières. Mais un atome d’oxygène est le
même, qu’il entre dam la composition d’un caveau humain, de cendre, d’un minerai, de l’eau de mer ou d’un nuage
menaçant. Il peut voyager partout dam le monde, prendre part à un nombre infini de transformations chimiques,
mais il ne peut ni disparaître ni se transformer, parce que les atomes des éléments sont éternels et immuables. »
C’est ainsi que la chimie était enseignée à la fin du XIXe siècle. C’était une doctrine très logique et très plausible.
Tous les grands explorateurs des éléments dont nous avons parlé y croyaient. Mais maintenant, vous allez lire le
récit de découvertes plus récentes qui ont changé de fond en comble les fondements de cette théorie.
Chapitre 6

Les rayons invisibles

La découverte de Wilhelm Röntgen

Wilhelm Konrad Röntgen (1845-1923).

Tout au début de l’année 1896, les Universités et les académies furent surprises par une communication
sensationnelle : un professeur allemand fort peu connu, Wilhelm Konrad Röntgen, avait découvert de nouveaux
rayons aux caractéristiques remarquables. Ils étaient invisibles à l’œil nu, mais ils impressionnaient une plaque
photographique et permettaient de prendre des photos dans l’obscurité totale. Ils signalaient aussi leur présence
d’une autre manière. Si du papier ou un écran de verre, couvert d’un produit chimique spécial, était placé sur leur
trajectoire, l’écran produisait une phosphorescence intense.
Mais la chose la plus étonnante était que ces rayons passaient plus ou moins aisément à travers toutes sortes
d’objets, tout comme la lumière passe à travers le verre. Ils pénétraient à travers des portes fermées, des cloisons
solides, des vêtements et le corps humain. Si, par exemple, une personne mettait son poignet entre la source des
rayons et l’écran, l’ombre du squelette de sa main apparaissait sur l’écran avec les doigts qui bougeaient ! Des
personnes très dignes, en redingote boutonnée jusqu’au col et des manchettes amidonnées, pouvaient voir leurs côtes
et leur colonne vertébrale, l’ombre de tout leur squelette sur l’écran. Ils pouvaient aussi voir leur montre dans leur
gousset et des pièces dans des porte-monnaie cachés dans leurs poches de pantalon.
Certaines personnes commencèrent immédiatement à trouver un intérêt pratique à ces nouveaux rayons. En
Amérique, par exemple, un médecin les utilisa pour localiser une balle dans le corps d’un de ses patients, seulement
quatre jours après avoir appris leur existence. Mais les physiciens étaient encore plus intéressés par la découverte de
Röntgen que les médecins. Ils voulaient savoir de quel genre de rayons il s’agissait, s’ils étaient semblables aux
rayons lumineux ordinaires ou non, d’où ils venaient et pourquoi. L’histoire de la manière dont Röntgen avait fait sa
découverte courut de bouche en bouche.
Il était en train d’étudier les phénomènes qui ont lieu dans un tube de Crookes. Le tube de Crookes est en verre,
on y a fait le vide et des électrodes de métal y ont été fondues à chaque extrémité. Quand le courant passe, il produit
une décharge électrique dans l’air raréfié entre les deux électrodes, et l’air et les parois du tube émettent alors une
lumière froide. Accidentellement, Röntgen avait laissé un paquet de plaques photographiques vierges, enveloppées
dans du papier noir, près d’un tube de Crookes. Plus tard, quand il les prit pour les utiliser, il se rendit compte
qu’elles étaient voilées, comme si elles avaient été exposées à la lumière. Cela arriva plusieurs fois : des plaques
neuves, jamais manipulées, bien enveloppées dans du papier noir, étaient invariablement gâchées si elles étaient
laissées à proximité du tube de Crookes. Crookes lui-même, et d’autres qui travaillaient avec ces tubes à décharge,
avaient eu la même mésaventure, mais ils n’y avaient pas prêté attention. Les plaques sont voilées si elles sont
laissées près du tube — eh bien, mettons-les plus loin, avaient-ils pensé. Mais cela ne satisfaisait pas Röntgen. Il
commença à réaliser des expériences pour découvrir ce qui causait ces ennuis.
Un jour, il travaillait avec un tube de Crookes couvert d’un carton noir. Il était sur le point de quitter le
laboratoire et il avait éteint la lumière, quand il se souvint qu’il avait oublié d’arrêter la bobine d’induction solidaire
du tube de Crookes. Sans rallumer la lumière, il se dirigea vers la table pour couper le courant. À ce moment, il
remarqua une faible lueur froide sur la table voisine. La lumière provenait d’un endroit où se trouvait une feuille de
papier couverte de platino-cyanure de baryum. Ce produit chimique a la propriété d’émettre une lueur
phosphorescente froide quand il est exposé à une forte lumière. Mais il n’y avait pas de lumière dans le laboratoire !
La faible lumière froide du tube de Crookes ne pouvait pas causer cette phosphorescence. De plus, le tube était
couvert d’un carton noir. Qu’est-ce qui avait causé la phosphorescence de l’écran dans l’obscurité ?
Plus tard, quand on demanda à Röntgen ce qu’il avait pensé quand il avait remarqué cette lumière, il répondit :
« À quoi ai-je pensé ? Je n'ai pas pensé ; j’ai commencé à réaliser des expériences. » Il expérimenta, avec habileté
et persistance. Il cherchait continuellement une explication à ce phénomène et, finalement, il découvrit les nouveaux
rayons. Röntgen les appela modestement rayons X, pour bien montrer qu’il ne savait pas exactement lui-même
quelle était leur véritable nature.
Des dizaines d’autres savants dans différents pays se hâtèrent de compléter le travail que Röntgen avait
commencé. Les journaux scientifiques étaient remplis de rapports d’expériences sur les rayons X à propos de leurs
propriétés et de leur origine. Quelques savants, dans le feu de l’excitation, crurent qu’ils avaient découvert d’autres
nouveaux rayons. On pouvait lire toutes sortes de rapports sur des « rayons Z » et de la « lumière noire ». La « fièvre
des rayons » fit rage dans tous les laboratoires d’Europe et d’Amérique.

Une erreur bienvenue

Henri Poincaré, un savant français, fit une intéressante conjecture sur les rayons X. Quand Poincaré lut le rapport
de la découverte de Röntgen, un détail le frappa particulièrement. Röntgen disait que les rayons X provenaient d’une
partie du tube de Crookes qui était bombardée par des particules électrisées venant de l’électrode négative, la
cathode, et se dirigeant vers l’électrode positive, l’anode. En ce point de la paroi du tube de verre, la lueur
phosphorescente était particulièrement intense. « Les rayons de Röntgen partent d’un point où la phosphorescence
est intense, raisonna Poincaré. Peut-être que tous les corps phosphorescents, pas seulement les tubes de Crookes,
émettent ces rayons quand un courant électrique les traverse. » Charles Henri, un compatriote de Poincaré, décida
immédiatement de tester cette hypothèse.
On peut créer de la lumière froide de bien des manières. On savait depuis longtemps que certaines substances
émettent de la lumière froide si elles sont exposées au Soleil ou à toute autre lumière intense. Certaines de ces
substances continuent à luire, même après que la lumière a disparu. D’autres continueront à luire pendant un bref
moment seulement. De telles substances sont utilisées pour peindre les chiffres sur les cadrans de montres, pour
qu’on puisse voir l’heure la nuit sans allumer la lumière. Le bois pourri émet aussi de la lumière froide. Le
phosphore émet une lueur verdâtre, parce qu’il s’oxyde lentement à l’air. Vous voyez, il existe beaucoup de causes
possibles à la phosphorescence.
Poincaré suggérait qu’à chaque fois qu’il y avait de la phosphorescence, quelle qu’en soit la source, il y aurait
émission de rayons de Röntgen. Afin de tester la théorie de Poincaré, Charles Henri prit du sulfure de zinc(22), qui est
particulièrement phosphorescent à la lumière du Soleil. Son expérience était très simple : il enveloppa une plaque
photographique ordinaire dans du papier noir, mit un morceau de sulfure de zinc sur le papier et l’exposa au Soleil,
puis il développa la plaque dans une chambre noire. Une tache sombre était apparue sur la plaque à l’endroit où la
substance phosphorescente avait été posée.
Cela prouvait-il que la théorie de Poincaré était correcte ? que toute substance phosphorescente émettait des
rayons X invisibles qui passaient librement à travers le papier noir ? Ce fut du moins la conclusion d’Henri et il fit
une communication lors d’une session de l’Académie des sciences le 10 février 1896. Une semaine plus tard, un
autre Français, Nevenglovski, confirma pleinement la théorie d’Henri lors d’une communication. Nevenglovski
avait utilisé du sulfure de calcium(23) au lieu de sulfure de zinc et il avait obtenu les mêmes résultats.
À partir de ce moment, il n’y eut pas une session de l’Académie des sciences où quelqu’un ne rende pas compte
de la production de rayons de Röntgen en utilisant des substances phosphorescentes. C’était une expérience simple à
réaliser. Il ne fallait pas beaucoup de temps pour envelopper une plaque photographique dans du papier noir, mettre
un morceau d’une certaine substance dessus, l’exposer au Soleil pendant un certain temps et développer la plaque.
Les physiciens se hâtaient de faire cette expérience de peur que quelqu’un d’autre ne la fît avant eux. Les rayons X
avaient perdu beaucoup de leur mystère du début. Pensez donc, même les chiffres phosphorescents du cadran d’une
montre ordinaire les émettaient !
« Vous n’avez pas besoin de tubes à décharge, qui se cassent si facilement, dit Trost, un membre de l’Académie
des sciences française. Vous n’avez pas besoin d’appareils électriques chers et compliqués. Placez juste un morceau
de n’importe quelle substance phosphorescente dans me lumière intense et, immédiatement, elle commence à
émettre des rayons X. » Mais il avait tort. Ils avaient tous terriblement tort : Trost, Henri et Nevenglovski.
Heureusement, cette erreur rendit un grand service à la science et à l’humanité, et nous pouvons tous être
reconnaissants envers ces savants pour la hâte et la négligence empressées qu’ils montrèrent à cette occasion.

Quand les nuages cachèrent le Soleil

Henri Becquerel, un physicien, les rejoignit dans cette chasse aux rayons X. Il menait des expériences avec
différentes substances phosphorescentes et il lui sembla que, quand elles étaient exposées à une lumière intense,
elles émettaient toutes des rayons X invisibles qui agissaient sur la plaque photographique. Mais il n’était pas
entièrement satisfait de l’ombre indistincte qu’il voyait sur les plaques développées. Alors il décida de tenter
d’autres expériences avec des substances phosphorescentes plus puissantes. Elles donneraient, pensa-t-il, des rayons
X plus puissants, et l’image sur la plaque photographique deviendrait plus nette.
Becquerel venait d’une famille de scientifiques. Son père avait fait des études spéciales sur la phosphorescence et
il avait étudié une substance très phosphorescente, le sel d’uranium et de potassium de l’acide sulfurique(24).
Becquerel, le fils, avait étudié aussi ce sel plus tard. Il décida donc de l’utiliser dans ses expériences avec les rayons
X. Il utilisa également d’autres substances contenant de l’uranium.
Il obtint les résultats qu’il escomptait. Après exposition à la lumière solaire, les sels d’uranium donnaient
vraiment une image photographique distincte à travers le papier noir. La méthode de Becquerel consistait à
envelopper la plaque dans du papier noir très épais. Sur le papier, il plaça un gabarit découpé dans du métal et, sur le
métal, il étendit une feuille de papier et saupoudra une couche de sel d’uranium sur ce papier. Puis il exposa le tout
au Soleil. Selon toute attente, quand il développa la plaque, le gabarit ressortait en blanc sur fond noir. Il était bien
évident que les rayons émis par le sel d’uranium phosphorescent, des rayons X invisibles, pénétraient le papier noir
mais ne pouvaient pénétrer le métal, donc la plaque resta vierge là où elle était protégée par le métal. Becquerel fit
une communication à l’Académie des sciences.
Puis, un jour, le 2 mars 1896, Becquerel apparut à l’Académie des sciences avec d’étranges nouvelles. Quatre
jours auparavant, le 26 février 1896, il avait tout préparé pour une expérience de routine avec un sel d’uranium. Les
plaques enveloppées dans du papier noir, le gabarit de métal, les cristaux de sel par-dessus. Mais ce jour-là, des
nuages obscurcissaient le Soleil, donc il décida de tout ranger dans un tiroir tel quel. Il n’avait même pas retiré les
cristaux de sel, de façon qu’à la première occasion, il serait facile de reprendre l’expérience.
Le lendemain, le 27, le Soleil n’apparut pas du tout ni les deux jours suivants(25). Le 1er mars, il décida de
développer les plaques. Puisqu’elles avaient été enfermées dans un tiroir la plupart du temps, n’ayant reçu que très
peu d’une faible lumière du Soleil le premier jour, il s’attendait à ce qu’il y eût peu ou pas de phosphorescence et par
conséquent, très peu de rayons. Il s’imaginait qu’il n’y aurait pratiquement rien à voir sur la plaque, mais c’est
exactement le contraire qui se produisit. Jamais auparavant, dans toutes ses expériences avec des sels
phosphorescents, il n’avait obtenu une image aussi nette du gabarit en blanc sur un fond noir. C’était
incompréhensible, inexplicable.
Plus Becquerel expérimentait, moins il comprenait ce qui arrivait. Il trouva que le sel d’uranium était tout aussi
efficace et agissait sur la plaque photographique à travers le papier noir tout aussi bien quand il n’était pas exposé à
la lumière qu’après une exposition à une lumière intense. Il essaya de cacher des grains de sel dans une boîte, puis il
rangea la boîte dans un tiroir et laissa le tiroir fermé pendant quinze jours dans une pièce obscure. Il ne pouvait être
question là de phosphorescence. Cependant, le sel agissait de la même manière sur la plaque photographique. Cela
voulait dire qu’il émettait toujours les rayons invisibles qui pénétraient le papier noir, même dans l’obscurité totale.
Becquerel essaya ensuite un type de sel d’uranium qui n’était pas phosphorescent, sur lequel la plus brillante
lumière n’avait aucun effet. Il obscurcit la plaque photographique, aussi bien que le sel phosphorescent.

L'uranium, la cause de tous les problèmes

Des doutes commencèrent à tourmenter Becquerel. Peut-être Poincaré avait-il tort et la phosphorescence n’avait-
elle rien à voir avec les rayons invisibles. Peut-être l’uranium était-il la cause unique, car il y avait de l’uranium dans
tous les sels qui donnaient de bonnes impressions sur la plaque photographique. Est-ce que les rayons invisibles en
provenaient ? Comment expliquer alors les expériences d’Henri, de Nevenglovski et de Trost ? Comment expliquer
les premières expériences de Becquerel lui-même, avant qu’il n’utilise des sels d’uranium ? Est-ce que ces
substances phosphorescentes n’émettaient pas aussi des rayons invisibles ? N’agissaient-elles pas aussi sur la plaque
photographique à travers le papier noir ? Un nœud difficile à démêler !
Pendant quelque temps, Becquerel abandonna l’usage de sels d’uranium et recommença à expérimenter avec le
sulfure de zinc et le sulfure de calcium, les substances phosphorescentes avec lesquelles il avait commencé à
travailler un mois plus tôt. Après avoir enveloppé plusieurs plaques dans du papier noir, il plaça un morceau de
quelque substance phosphorescente sur chacune d’entre elles et les exposa toutes au Soleil en même temps. Ensuite,
il développa les plaques. Pas la moindre trace de tache noire sur aucune d’entre elles ! Il répéta immédiatement
l’expérience. La même chose se reproduisit : les plaques étaient parfaitement vierges.
Alors il essaya d’exposer ses cristaux à une forte lumière artificielle au lieu de la lumière du Soleil. Il alluma une
brillante flamme de magnésium au-dessus des plaques et il essaya aussi de diriger vers elles l’éclat aveuglant d’un
arc électrique. Mais sans le moindre succès. Afin de produire une phosphorescence plus intense, il chauffa certains
des cristaux et en refroidit d’autres dans un mélange sel-glace. Les cristaux brillèrent plus fortement. Becquerel
n’avait jamais vu auparavant une phosphorescence si brillante. Mais elle n’avait aucun effet sur les plaques.
Il se tourna vers Trost pour de l’aide ; Trost, qui avait dit que les cristaux phosphorescents pouvaient remplacer le
fragile tube de Crookes, les batteries électriques, etc. Ce membre respecté de l’Académie offrit volontiers son aide…
mais, oh scandale ! lui non plus n’obtint aucun résultat ! Cependant, le sel d’uranium, qui n’avait jamais eu de
propriété de phosphorescence et qui avait été rangé pendant un mois entier au fond d’un tiroir, continuait à agir sur
les plaques à travers le papier noir sans faiblir.
Des semaines, des mois passèrent. Le sel d’uranium était rangé dans un endroit obscur et, sans interruption, il
émettait des rayons invisibles. Toutes les combinaisons chimiques de l’uranium furent essayées : les oxydes, les
acides et les sels, sous la forme de cristaux solides, en poudre, en solution liquide, et même fondues. Finalement, ils
testèrent l’uranium métallique dans sa forme pure. Tous les types d’uranium, sans exception, formèrent une tache
sur la plaque photographique. L’uranium pur fit la tache la plus nette.
Il ne pouvait plus y avoir aucun doute : l’uranium et ses composés émettaient un certain type de curieux rayons
invisibles, différents des rayons de Röntgen. Et la phosphorescence n’avait rien à voir dans cette affaire.

Une autre énigme

Revoyons la chaîne d’événements qui conduisit à la découverte du rayonnement de l’uranium. Röntgen, en


travaillant sur un tube de Grookes, découvrit les invisibles rayons X. Ces rayons provenaient d’une partie du tube de
Crookes où le flux de particules électrisées, passant à travers l’atmosphère raréfiée, frappait la paroi de verre du
tube. En ce point, on observait toujours une phosphorescence intense. Henri Poincaré proposa la théorie selon
laquelle les rayons X sont émis non seulement par le tube de Crookes, mais aussi à chaque fois qu’il y a de la
phosphorescence. Plusieurs chercheurs firent des expériences hâtives et confirmèrent la théorie que les rayons X
sont émis, en fait, lorsqu’il y a de la phosphorescence. Dans ses recherches pour trouver la substance la plus
phosphorescente, Becquerel réalisa des expériences avec des sels d’uranium. C’est alors qu’il découvrit qu’il n’y
avait en réalité pas de relation entre la phosphorescence et les rayons X. Mais il découvrit de nouveaux rayons — les
rayons de l’uranium.

Le tube à rayons X de Röntgen en forme de poire.


Il est difficile d’admettre le fait que plusieurs expérimentateurs firent la même erreur. Était-ce, peut-être, parce
qu’ils utilisaient des plaques photographiques imparfaites ? Ou parce qu’elles avaient été mal développées ? Ou que
le papier noir n’était pas entièrement opaque et que les plaques étaient légèrement voilées par la lumière du Soleil
sans que les rayons X eussent aucune responsabilité ? Ou est-ce que les substances sulfureuses, quand elles étaient
chauffées par le Soleil, se décomposaient et que les gaz sulfureux(26) faisaient des trous dans le papier, laissant passer
de la lumière qui voilait les plaques ?
Il est vraisemblable que toutes ces causes ont pu être en partie responsables. Toutes sortes d’accidents peuvent
arriver si une expérience n’a pas été préparée avec le plus grand soin, mettant les chercheurs sur une mauvaise piste.
C’est exactement ce qui est arrivé dans le cas de Charles Henri, Nevenglovski, Trost et, en premier lieu, Becquerel.
Mais quand lui et Trost menèrent leurs expériences plus soigneusement, il se trouva que les objets phosphorescents,
à moins qu’ils ne contiennent de l’uranium, n’avaient aucun effet sur la plaque photographique. Cependant, l’erreur
fut heureuse. Grâce à elle, Becquerel découvrit les rayons de l’uranium, qui, plus tard, menèrent à des découvertes
encore plus remarquables.
Sous bien des aspects, les rayons de l’uranium étaient semblables aux rayons X. Tous deux étaient invisibles.
Tous deux avaient la propriété d’agir sur la plaque photographique. Ils électrifiaient l’air. Mais les rayons de
l’uranium ne pénétraient pas les obstacles comme les rayons X. Ils pouvaient passer à travers le papier noir épais
dans lequel les plaques étaient enveloppées et à travers des feuilles minces d’aluminium. Ils ne pouvaient pas passer
à travers le corps humain, ou à travers des portes ou des cloisons minces, que les rayons de Röntgen pénétraient
facilement. Des photos très intéressantes pouvaient être prises avec les rayons X et, au début, leur spectacle éveillait
tant de passion qu’on organisait des démonstrations publiques. Les rayons de Röntgen étaient la toquade. On donnait
des soirées où le clou consistait à installer des tubes de Crookes dans son salon et à montrer son squelette à
d’élégants invités.
Mais les rayons de l’uranium n’étaient pas très efficaces. Seuls les spécialistes en physique les connaissaient. En
vérité, ils étaient beaucoup plus miraculeux que les rayons X. Les rayons X étaient produits par l’impact de
particules électriques se déplaçant à haute vitesse sur les parois de verre du tube de Crookes. L’uranium et ses
composés émettaient des rayons invisibles spontanément, sans aucune cause visible. Ils ne nécessitaient
d’illumination par aucun type de lumière ; ils n’avaient pas besoin d’être chauffés ni traversés par des décharges
électriques. Cependant, jour et nuit, pendant des mois et des années, ils continuaient à émettre certains types de
rayons, un certain type d’énergie. L’émission de ces rayons ne cessait jamais même un instant. Et les substances
émettant ces rayons restaient, apparemment, entièrement inchangées. C’était un véritable miracle — un étonnant
phénomène, inexpliqué. Aujourd’hui, nous appelons ce miracle la radioactivité.

Les premières expériences de madame Curie

Marie Curie (1867-1934).


Pierre Curie (1859-1906).

Quatre ans avant la découverte des rayons de l’uranium, Marie Sklodowska venait d’arriver à Paris de son
Varsovie natal. Son ambition était de travailler dans la recherche scientifique. Il était alors difficile pour une femme
en Pologne d’accéder même à l’éducation supérieure, en ce temps où le pays faisait toujours partie du vieil empire
russe, sans même parler de sérieuses recherches scientifiques. Mademoiselle Sklodowska se rendit alors à Paris.
La vie à Paris était dure. Elle gagnait un peu d’argent en donnant des leçons particulières quand elle le pouvait et,
quand il n’y avait pas de leçons, elle nettoyait le laboratoire, lavait la verrerie et nettoyait les appareils à l’université
de Paris, la Sorbonne. Avec son maigre salaire, elle pouvait tout juste louer une petite chambre au sixième étage
sous les toits et, quelquefois, elle était obligée de ne se nourrir que de pain sec pendant des semaines. En hiver, elle
devait monter elle-même le charbon au sixième — quand elle avait suffisamment d’argent pour acheter du charbon.
Quand elle n’en avait pas, il faisait terriblement froid dans sa petite chambre de bonne. L’eau gelait dans la cruche et
la jeune étudiante devait mettre tous les vêtements qu’elle possédait pour résister au froid.
Mais, en dépit de toutes ces privations, mademoiselle Sklodowska était une bonne étudiante et, bientôt, elle
termina son cursus universitaire. Peu de temps après sa licence, elle épousa un savant français, Pierre Curie, un
professeur de physique. Quand elle dut choisir un sujet pour sa thèse de doctorat, elle décida, avec l’avis de son
mari, d’étudier les rayons de l’uranium. C’était sans aucun doute un sujet difficile pour une débutante. On ne
connaissait presque rien sur les rayons de l’uranium, leur nature, la source de leur énergie, comment ils sont produits
dans les composés de l’uranium, ou si l’uranium seul avait le pouvoir de les émettre.
Marie Sklodowska plongea hardiment dans ce labyrinthe. D’abord, elle devait apprendre à reconnaître les rayons
de l’uranium rapidement et à mesurer leur intensité avec précision. L’utilisation de plaques photographiques était
trop lente. Bien sûr, madame Curie pouvait comparer les différentes impressions laissées sur les plaques
photographiques et juger par la densité de l’image si les rayons étaient plus ou moins intenses, mais, de cette
manière, elle ne pouvait pas obtenir de mesures précises. Une bien meilleure méthode consistait à mesurer l’énergie
des rayons au moyen d’un appareil de physique — juste comme la température est mesurée par un thermomètre et la
force d’un courant électrique par un ampèremètre.
Son mari, le professeur Curie, construisit un appareil pour elle. Il prit un condensateur plan ordinaire : deux
plateaux métalliques séparés par une couche d’air. Le plateau inférieur était chargé d’électricité par une puissante
batterie ; le plateau supérieur était relié à la terre. Par conséquent, l’air étant dans les conditions normales, comme
vous le savez, un isolant électrique, le circuit était ouvert. Mais aussitôt qu’une couche de sel d’uranium était
dispersée sur le plateau inférieur, l’électricité commençait immédiatement à traverser la couche d’air entre les deux
plateaux du condensateur. Les rayons de l’uranium avaient rendu l’air conducteur de l'électricité. Plus les rayons
étaient intenses, plus l’air devenait conducteur et plus l’intensité du courant était grande.
À vrai dire, même avec la plus puissante radiation, le courant n’excédait jamais quelques milliardièmes
d’ampère. Néanmoins, on pouvait le mesurer avec un instrument spécial, inventé aussi par le professeur Curie. Au
moment où la substance utilisée pour une expérience était répandue sur le plateau inférieur du condensateur,
l'électromètre relié au plateau supérieur indiquait si oui ou non des rayons de l’uranium étaient émis et leurs
radiations pouvaient être mesurées avec une grande précision.
Armée de cet instrument commode, madame Curie chercha immédiatement à savoir s’il y avait d’autres
substances qui émettaient spontanément des rayons invisibles, comme le faisaient les composés de l’uranium. Elle
rassembla une certaine quantité de minéraux qu’elle avait trouvés un peu partout. D’un laboratoire, elle obtint des
sels et des oxydes chimiquement purs de tous les éléments connus. Un autre lui donna plusieurs sels rares, si rares
qu’ils coûtaient plus cher que l’or. Un musée minéralogique sacrifia de nombreux échantillons de minéraux qui
venaient des quatre coins de la Terre. Elle les mit tous sur le plateau inférieur du condensateur et observa
attentivement ce que l'électromètre disait.

L'appareil des Curie pour mesurer l'intensité des radiations radioactives.

Pendant longtemps, rien ne se passa. L’aiguille de l’électromètre ne bougea pas une fois, bien qu’elle ait essayé
des douzaines de composés différents sur le plateau inférieur. Mais madame Curie continuait patiemment à tester ses
échantillons les uns après les autres, toujours sur le qui-vive, guettant un signal de l’électromètre. Finalement, un
jour, l’aiguille dévia du zéro. Un composé du métal thorium était sur le plateau inférieur à ce moment-là(27). Une
première victoire ! Cela signifiait que l’uranium n’était pas la seule chose à émettre des rayons invisibles. Le
thorium et ses composés en émettaient aussi. Et tous les autres éléments — les composés du fer, du plomb, du
magnésium du carbone, du phosphore ? Est-ce que toutes les autres substances sans nombre du monde avaient aussi
la propriété d’émettre ces rayons ? Non, l’électromètre des Curie donnait une réponse définitivement négative à cette
question.
Madame Curie retourna ensuite aux composés de l’uranium. Elle mesura la capacité rayonnante des oxydes
d’uranium, de ses sels, de ses acides, ainsi que de tous les minéraux dont l’uranium est l’un des composants. Ils
électrifiaient tous l’air à des degrés différents — certains plus, certains moins, selon le pourcentage d’uranium qu’ils
contenaient. Les rayons d’une substance contenant 50 % d’uranium avaient seulement la moitié de l’intensité des
rayons de l’uranium pur à 100 % ; une substance qui en contenait 25 % avait seulement un quart de cette intensité, et
ainsi de suite. La loi était valide sans exception pour tous les composés de l’uranium, tous les oxydes, les sels, les
acides et les minéraux contenant l’uranium métal lui-même. Par conséquent, il était totalement impossible qu’il pût y
avoir un composé de l’uranium avec des radiations plus fortes que l’uranium pur, puisqu’il n’était pas possible
d’avoir un composé qui contienne plus de 100 % d’uranium.
Mais deux minerais d’uranium, la pechblende et la chalcolite(28), agissaient d’une manière très étrange quand on
les mettait sur la plaque inférieure du condensateur. Ils produisaient un courant beaucoup plus intense que l’uranium
pur. Comment cela pouvait-il se produire ? Était-il possible qu’il y ait un autre élément émettant des rayons dans ces
minéraux ? Mais quel élément ? L’uranium et le thorium étaient supposés être les deux seuls qui avaient cette
propriété et les rayons du thorium étaient très peu différents de ceux de l’uranium.
Afin de régler cette question, madame Curie décida de préparer artificiellement de la chalcolite. Elle en fabriqua
un peu avec des produits chimiques de son laboratoire et le produit artificiel ressemblait en tout point à la chalcolite
naturelle. Il contenait précisément le même pourcentage d’uranium que celle-ci. Quand elle plaça un peu de cette
chalcolite artificielle sur la plaque inférieure du condensateur, l’intensité de ses radiations se révéla être cinq fois et
demi moins forte que celle du minerai naturel. Cela voulait dire qu’il y avait quelque autre impureté active dans la
chalcolite naturelle et la pechblende — quelque chose de supérieur à l’uranium et peut-être de beaucoup plus
puissant. La situation prenait une telle dimension que Pierre Curie décida de renoncer à ses propres recherches
scientifiques et de prendre une part active au travail de sa femme.

Le polonium et le radium

Les Curie suivaient à la trace cet intangible quelque chose dans un morceau de pechblende, comme un chasseur
suit à la trace un animal rare dans la nature. Ils avançaient à tâtons avec l’aide de l’instrument du professeur Curie.
Ils utilisèrent approximativement la même méthode que Bunsen quand il essayait d’isoler la substance bleue de l’eau
minérale de Durkheim, sauf que le guide de Bunsen était les raies bleues du spectre, tandis que les Curie ne
disposaient que des rayons invisibles émis par la substance inconnue pour les guider.
Finalement, le jour vint où les Curie décidèrent qu’ils avaient quelque chose à annoncer. Oui, ce truc-là existait
vraiment et ils en avaient un peu. Ils lui donnèrent un nom, bien qu’ils aient seulement des traces de cette substance
inconnue, rien qu’un faible signal. Pas à pas, Pierre et Marie Curie séparèrent cette impureté des autres éléments
entrant dans la composition de la pechblende.
Un simple exemple va vous expliquer comment ils procédèrent. Supposons que vous portiez un sac de sel sur une
route sablonneuse, que le sac ait un trou, que le sel se répande et soit mélangé au sable. Comment vous y prendriez-
vous pour les séparer ? Vous mettriez le mélange dans de l’eau et vous chaufferiez le tout. Le sable se déposerait au
fond. Puis vous filtreriez la solution, vous l’évaporeriez et vous recueilleriez le sel pur débarrassé du sable. Un
chimiste fait à peu près la même chose quand il veut isoler une seule substance dans sa forme pure d’un composé
consistant de plusieurs substances ou d’un mélange de tels composés. Seulement, les méthodes du chimiste sont
beaucoup plus compliquées : il prépare une solution de son composé ou du mélange, tantôt dans de l’acide, tantôt
dans un alcali, puis dans de l’eau. Ainsi il se débarrasse graduellement des composants les uns après les autres. Ce
qui reste devient de plus en plus riche en la substance qu’il veut isoler. Finalement, la dernière impureté est séparée
et il obtient un échantillon chimiquement pur de cette substance.
C’est ainsi que Pierre et Marie Curie procédèrent quand ils essayèrent d’isoler un échantillon de la substance
inconnue de la pechblende. Ce fut incroyablement difficile parce qu’il y en avait apparemment très peu et ils
n’avaient aucune idée de ses propriétés. Tout ce qu’ils savaient était qu’à l’évidence une substance inconnue
émettait d’intenses radiations. Ce fut le guide qu’ils utilisèrent pour résoudre le mystère.
Ils dissolurent le minerai dans de l’acide, puis firent passer de l’hydrogène sulfuré dans la solution. Un précipité
noir de sulfures métalliques apparut dans la solution. Tout le plomb qui était originellement dans le minerai, ainsi
que le cuivre, l’arsenic et le bismuth se séparèrent. L’uranium, le thorium, le baryum et d’autres composants du
minerai restèrent en solution. Et qu’advint de la substance inconnue ? Était-elle avec les éléments qui avaient
précipité ou avec ceux qui étaient restés en solution ?
Les Curie placèrent le précipité et la solution sur le plateau du condensateur et ils trouvèrent que le précipité
donnait les rayons les plus puissants. Cela indiquait que la substance active était dans le précipité et que c’était là
qu’on devait la chercher. Comme ils séparaient graduellement les autres substances, les Curie obtinrent un
échantillon qui émettait des radiations quatre cents fois plus intenses que celles de l’uranium. Dans cet échantillon, il
y avait beaucoup de bismuth, un métal très familier pour les chimistes, mais aussi une quantité infinitésimale de la
substance inconnue. Bien qu’ils n’aient pas encore réussi à l’isoler complètement du bismuth, ils étaient sûrs
maintenant qu’ils y parviendraient tôt ou tard.
En juillet 1898, Pierre et Marie Curie envoyèrent un rapport de leur travail à l’Académie des sciences. Ils
déclarèrent qu’ils avaient découvert un nouvel élément, semblable au bismuth, mais qui avait la propriété d’émettre
des radiations invisibles extraordinairement puissantes. Si cela devait être confirmé, écrivirent-ils, ils aimeraient que
le nouvel élément soit appelé polonium, en l’honneur de la mère-patrie de Marie Curie, la Pologne.
Cinq mois plus tard, l’Académie reçut un autre rapport des Curie. Cette fois, ils annonçaient avoir encore
découvert un autre élément dans la pechblende, qui émettait des radiations encore plus intenses. Par ses propriétés,
cet élément était très semblable au métal baryum. Ils disaient avoir déjà obtenu des échantillons, qui donnaient des
radiations neuf cents fois plus intenses que celles de l’uranium pur. Les Curie appelèrent radium ce nouvel élément
émetteur de radiations, du mot latin radius, qui signifie rayon.
[Pour ceux qui aiment les formules…]

Pour séparer les différents métaux du minerai, Marie et Pierre Curie utilisent de l'hydrogène sulfuré. Ce composé a pour formule H2S.
Quand on le fait passer dans une solution contenant des ions plomb, cuivre, arsenic ou bismuth, provenant du minerai dissous, il se
produit les réactions suivantes :
Cu2+ + H2S → CuS + 2 H+
Pb2+ + H2S → PbS + 2 H+
2 As3+ + 3 H2S → As2S3 + 6 H+
2 Bi3+ + 3 H2S → Bi2S3 + 6 H+
Les sulfures métalliques CuS, PbS et Bi2S3 sont solides et précipitent.

Une aiguille dans une botte de foin


Madame Curie, avec l’aide de son mari, découvrit donc deux nouveaux éléments chimiques. Un bon début pour
une jeune étudiante de doctorat ! Cependant, jusque-là, le couple n’avait pas encore réussi à obtenir l’un de ces
éléments à l’état pur. Seule une infime quantité était disponible sous la forme d’impuretés dans le bismuth et le
baryum. Ils devaient encore les isoler. Et ce n’était pas chose facile ; un peu comme trouver une aiguille dans une
botte de foin.
Il était plus aisé d’isoler le radium du baryum que le polonium du bismuth. Les Curie décidèrent donc de se
concentrer sur le radium, mais ils n’avaient qu’une petite quantité de pechblende et pour obtenir une quantité
appréciable du nouvel élément, ils avaient besoin d’au moins une tonne de minerai. Cela coûtait de l’argent et les
Curie n’en avaient pas. Ils faisaient leurs expériences à leurs frais. Le gouvernement ne les subventionnait pas du
tout. Ils obtenaient leur minerai de Joachimstahl(29), dans ce qui était alors l’Autriche. À cet endroit seul, l’uranium
était extrait du minerai et le reste était rejeté. C’était précisément dans cette gangue qu’on allait trouver le polonium
et le radium ; alors les Curie s’adressèrent à l’Académie des sciences autrichienne et le gouvernement autrichien,
dans un geste magnanime, consentit à donner aux savants français, totalement gratuitement, une tonne de cette
gangue inutile.
Cela donnait aux Curie assez de matériau pour travailler. Ce dont ils avaient besoin ensuite était d’un atelier pour
le traiter. Dans la cour de l’École de physique et de chimie industrielles, où le professeur Curie enseignait, il y avait
un vieux baraquement. Les directeurs de l’école permirent gracieusement aux Curie de l’occuper pour leurs travaux.
Pendant deux ans, madame Curie resta là. En travaillant héroïquement, elle mit tout ce temps pour accomplir dans
son atelier ce que Bunsen avait fait en six semaines dans une grande usine bien équipée. Elle n’avait pas de machine
à sa disposition, pas de grandes cuves ni d’équipement. Des flacons et des bouteilles de verre — et ses deux mains
— voilà tout ce qu’elle avait. Rien d’autre.
Pendant deux ans, elle dut dissoudre le minerai, l’évaporer, précipiter les cristaux, siphonner le liquide, filtrer le
précipité, le redissoudre, le laisser décanter à nouveau, brasser le précieux liquide avec une tige métallique pendant
des heures et des heures. Elle travaillait opiniâtrement, n’hésitant jamais à faire les travaux les plus durs, avec
l’enthousiasme d’une personne qui sait qu’elle travaille pour un noble but. Son mari venait l’aider pendant son
temps libre. On lui apportait dans le laboratoire son bébé, Irène, née l’année précédant la découverte du radium. Elle
passait toute sa vie dans cette baraque parmi des bouteilles d’eau distillée et des tas de cristaux humides. Bien plus
tard, en 1934, l’année de la mort de Marie Curie, Irène Curie découvrit la radioactivité artificielle, immortalisant
ainsi une fois de plus le nom des Curie.

Madame Curie disposait uniquement de flacons et de bouteilles de verre — et de ses deux mains.

Petit à petit, les Curie séparèrent l’élément inconnu du minerai. Bientôt, ils eurent des échantillons dont la
radioactivité était cinq mille fois celle de l’uranium et plus la proportion de radium dans le mélange avec le baryum
était importante, plus la radioactivité était grande : dix mille, cinquante mille, cent mille fois… Quand ils eurent
finalement obtenu un morceau de radium absolument pur, il révéla une radioactivité plusieurs millions de fois
supérieure à celle de l’uranium.
D’une tonne de minerai d’uranium, ils obtinrent en tout et pour tout trois dixièmes de gramme de radium.

Une révolution pour la science

Les radiations émises par le radium étaient approximativement du même type que celles émises par l’uranium. La
différence résidait dans leur intensité. Mais cette augmentation d’intensité par un facteur de plusieurs millions
changeait complètement la perspective. Si quelqu’un passait gentiment sa main sur votre tête, vous sentiriez une
caresse. Mais multipliez la pression par des millions et cela serait suffisant pour vous écraser comme une crêpe.
Voici ce qu’est une différence d’ordre de grandeur.
Chaque petit cristal de radium émettait des torrents d’énergie. Il fallait des heures pour obtenir une image sur la
plaque photographique avec les radiations de l’uranium. Les radiations du radium la produisaient instantanément.
Les écrans phosphorescents brillaient quand ils étaient exposés aux radiations du radium — autant qu’avec les
rayons Röntgen. De plus, les radiations du radium produisaient la phosphorescence de choses qui n’avaient jamais
eu la propriété d’émettre de la lumière froide.
Les Curie avaient remarqué comment le verre, le papier, les vêtements, tout dans leur laboratoire brillait dans
l’obscurité après avoir été exposé à ces puissantes radiations. Les cristaux contenant du radium brillaient si
intensément qu’on pouvait lire dans leur clarté. Les rayons émettaient aussi de la chaleur — environ 140 calories par
heure et par gramme de radium. Ils affectaient également l’organisme humain. Pierre Curie le prouva en
expérimentant sur lui-même. Il exposa sa main aux radiations invisibles du radium pendant plusieurs heures et il fut
sévèrement brûlé.
Quand les Curie commencèrent à publier les propriétés du nouvel élément, les gens étaient très sceptiques.
Fallait-il s’en étonner ? Comment pouvaient-ils imaginer la possibilité d’une telle quantité de lumière et de chaleur
et ces rayons invisibles incroyablement puissants qui venaient de l’intérieur du radium sans le moindre conducteur
d’énergie ? D’où cela venait-il ? Était-il possible que la loi universelle et rigoureuse de la conservation de l’énergie
soit prise en défaut dans ce vieux baraquement dans la cour de l’École de physique de Paris ? C’était trop à admettre
et cela contredisait toutes les expériences que les hommes avaient conduites depuis un siècle.
Néanmoins, le fait demeurait que, dans le laboratoire parisien des Curie, quelques petits bouts de radium
déversaient, de jour comme de nuit, des torrents d’énergie, de l’énergie qui venait de nulle part.
De nulle part ! Cela secoua les fondements de la science. Immédiatement, des douzaines d’expérimentateurs,
partout dans le monde, commencèrent à travailler sur la radioactivité. À Londres, New York, Berlin, Saint-
Pétersbourg, Montréal, Vienne, ils étudiaient ces substances, essayant de résoudre l’énigme de l’émission spontanée
d’énergie. Peu de temps après, de nombreuses découvertes étonnantes furent annoncées. On découvrit que le radium
émettait trois types de rayons invisibles ; on les appelle par les trois premières lettres de l’alphabet grec : les rayons
alpha, bêta et gamma. Les rayons gamma sont comme les rayons de Röntgen, de la même nature que les rayons de la
lumière visible ordinaire, se différenciant seulement par la longueur d’onde. Mais les rayons alpha et bêta consistent
en des particules de matière chargées électriquement. Ainsi, non seulement le radium émet de l’énergie par lui-
même, mais il se détruit en même temps. À vrai dire, le taux de destruction est si lent qu’en 1 600 ans seulement, la
moitié de chaque gramme de radium disparaît, mais cela ne change rien au principe. L’important est que la matière
dont cet élément est composé se désintègre et que, quand elle se désintègre, elle libère de l’énergie.
On découvrit rapidement que quand le radium se désintègre, il se transforme finalement en plomb et en hélium.
Mais l’hélium est un élément et le plomb en est un également. Ainsi, un élément pouvait se transformer en un autre
élément ! Ce qui avait été considéré pendant des siècles comme un rêve naïf, digne seulement des alchimistes
ignorants du Moyen Âge, était maintenant devenu un fait scientifique incontestable. Beaucoup de savants, et de gens
instruits en général, refusèrent d’accepter tout ceci. Il leur semblait que toutes les connaissances accumulées
auparavant deviendraient inutiles s’ils admettaient la véracité de ces nouvelles découvertes. La matière qu’ils avaient
considérée comme éternelle pouvait être détruite. Les éléments, qu’on avait considérés comme inchangeables à
travers les siècles, se transformaient l’un en l’autre. Les atomes, que l’on pensait être indivisibles et indestructibles,
étaient fractionnés en particules de matière encore plus petites, les particules alpha et bêta, et ces particules étaient
chargées d’électricité. Tout cela suffisait à vous rendre fou.
Cependant, les scientifiques progressistes ne s’accrochèrent pas à de vieux points de vue dépassés. Ils marchèrent
hardiment en avant sur les ruines des théories renversées, ils construisirent une nouvelle science, plus puissante,
capable d’expliquer de manière plus complète toutes les transformations de la matière et de l’énergie, et donnant à
l’homme des outils plus puissants pour conquérir les forces de la nature.
Chapitre 7

L'histoire continue

Tant de mystères expliqués

Quand Nechaev termina son livre en 1944, il écrivit bravement dans son épilogue(30) : « Pour le chimiste de 1944,
il n’existe plus d’éléments inconnus, non seulement sur Terre, mais aussi dans tout l’Univers. Nous savons
maintenant qu’il y a environ. 92 éléments en tout. » Il avait écrit son livre avant les événements dramatiques du 6
août et du 9 août 1945, quand des bombes atomiques explosèrent sur les villes d’Hiroshima et de Nagasaki. Le
secret entourant le projet et les recherches réalisés dans le désert du Nouveau Mexique était si grand que pas un mot
n’avait filtré sur la récente découverte de quatre nouveaux éléments : en 1940, les éléments 93 et 94, le neptunium et
le plutonium et, en 1944, les éléments 95 et 96, l’américium et le curium. Ces éléments n’ont pas été découverts de
la même façon que les éléments décrits par Nechaev, mais ils ont été créés artificiellement dans un réacteur
atomique. La nouvelle et en ce temps-là très secrète science de la physique nucléaire pouvait créer de nouveaux
éléments pour la première fois, en assemblant des particules de base en de nouvelles configurations. La première
bombe atomique utilisa un isotope de l’uranium, l’uranium 235, qui était extrait de l’uranium naturel, mais la
deuxième utilisa le plutonium, un nouvel élément spécialement créé dans ce but.
Ce chapitre final continue l’histoire et l’amène jusqu’à nos jours. Cependant, le sujet de la plus intéressante partie
de l’histoire moderne n’est plus la découverte de nouveaux éléments, mais celle de la structure interne de l’atome.
Cela ne veut pas dire qu’aucun élément nouveau n’a été découvert depuis 1944. Il y en a eu beaucoup. Quand ce
chapitre a été écrit au printemps 1997, le score total avait définitivement atteint 109 et même peut-être 111(31). Il est
fort peu probable que ces records tiennent bien longtemps. L’avenir nous le dira mais, en attendant, l’histoire
vraiment fascinante des cinquante dernières années raconte comment la théorie de la mécanique quantique a permis
de révéler les secrets de l’atome lui-même.
Nous savons maintenant — Nechaev l’ignorait — pourquoi les éléments sont si stables et peuvent néanmoins être
transmutés ou créés. Nous pouvons aussi enfin comprendre pourquoi Mendeleïev avait raison de placer les éléments
connus dans sept colonnes et pourquoi la découverte des gaz inertes ajouta simplement une huitième colonne et
n’altéra pas le système. C’est à cela et à d’autres concepts que ce chapitre final est consacré.

Tant de mystères à expliquer

Dans l'introduction de la page précédente, des mots tels que « isotope » et « quantum » ont été utilisés et le
numéro atomique moderne a été donné pour chaque nouvel élément cité. Bien que de tels mots soient utilisés
couramment aujourd’hui, et certains lecteurs sauront ce qu’ils veulent dire, ils n’étaient pas employés par Nechaev
au début de ce livre. Chaque terme sera donc expliqué au moment voulu pour faire avancer le propos et les
explications des progrès étonnants réalisés pendant ces cinquante dernières années.

À quel point un atome est-il petit ?

Nechaev savait que les atomes étaient petits et, en 1944, leur véritable dimension était connue. Cependant, il
serait bon d’attirer votre attention sur leur dimension réelle. Par exemple, considérons les deux lignes de la figure en
page de droite :
Elles font 50 mm de long et 1 mm de large. L’encre noire utilisée pour les imprimer est préparée en dispersant un
élément, du carbone pur, dans un solvant. Quand le solvant s’évapore, les atomes de carbone se lient aux molécules
du papier et on peut voir les lignes. En gros, il y a 10 000 000 d’atomes par millimètre. Cependant, pour imprimer
des lignes comme celles-ci, qui puissent être vues, il faut qu’il y ait une épaisseur de plus d’un atome. En moyenne,
il faut une épaisseur d’au moins 10 000 couches d’atomes. S’il y en avait moins, les lignes et bien sûr ces mots que
vous lisez, seraient peu visibles.
Avec ces informations, on peut calculer approximativement combien il faut d’atomes de carbone pour imprimer
chacune de ces lignes : 5 × 108 × 1 × 107× 1 × 104 = 5 × 1019 = 50 000 000 000 000 000 000 atomes.
Si quelqu’un a besoin d’être convaincu que les atomes sont vraiment très petits, alors ce simple calcul devrait
suffire !

Quelles sont les particules contenues dans l’atome ?

Du point de vue de la chimie et du tableau périodique, il suffit de dire que les atomes sont constitués de trois
particules : les protons, les neutrons et les électrons. Les physiciens nucléaires vont plus loin, mais si on considère
les propriétés chimiques des éléments, des particules telles que les mésons, les positons, les neutrinos, etc. peuvent
être ignorées. Des trois particules que l’on ne peut pas ignorer, les protons ont une charge positive, les électrons ont
une charge négative et les neutrons n’ont pas de charge du tout. Il existe un fait, digne d’être noté et jusqu’à ce jour
non expliqué : la charge positive du proton a précisément la même valeur que la charge négative de l’électron et le
neutron est exactement neutre.

Quelle est la structure de l’atome ?

Le schéma page suivante illustre un modèle de l’atome qui a été proposé par Rutherford en 1911 et amélioré plus
tard par Niels Bohr. Bien qu’on sache maintenant qu’il n’est pas correct dans les détails, il reste une représentation
pratique de ce que peut être un atome.

Les atomes sont beaucoup plus étranges que ce schéma ne le suggère, mais il constitue néanmoins une représentation pratique.

Un atome se divise naturellement en deux régions distinctes. Au centre d’abord, il y a un noyau dense, qui
occupe environ un dix-millième du diamètre de l’atome et qui contient les protons et les neutrons. Toute la masse y
est concentrée. Ensuite, il y a une région pratiquement vide qui contient un nuage tourbillonnant d’électrons.
Comme nous allons le voir, les atomes sont beaucoup plus étranges que ce schéma ne le suggère mais, pour
l’instant, il sera très utile comme point de départ.
On a découvert que les protons et les neutrons ont à peu près la même masse, le neutron étant légèrement plus
lourd. Les électrons sont beaucoup plus légers. Puisque la masse d’un électron est environ 1840 fois moindre que
celles du proton et du neutron, il est pratique courante d’ignorer la masse des électrons dans les calculs de la chimie.
Les protons et les neutrons sont nommés nucléons et ils déterminent ce qu’on appelait le poids atomique et qui
s’appelle maintenant la masse atomique. Le noyau d’hydrogène ne comprend qu’un seul proton et il est clair que la
raison pour laquelle tant d’éléments sont un nombre entier de fois plus lourds que l’hydrogène est simplement que le
nombre de nucléons doit être un nombre entier.
Les numéros atomiques

C’est le nombre de protons dans le noyau qui détermine quel élément un atome est. Ce nombre est le numéro
atomique et, pour chaque proton dans le noyau, il y a un électron en orbite autour du noyau. Avec tous les noyaux
plus lourds que l’hydrogène, il y a aussi un certain nombre de neutrons. Le tableau ci-dessous rassemble des
données concernant les quatre premiers éléments du tableau périodique.

Éléments Hydrogène Hélium Lithium Béryllium


Numéro atomique 1 2 3 4
Électrons en orbite 1 2 3 4
Protons dans le noyau 1 2 3 4
Neutrons dans le noyau 0 ou 1 1 ou 2 3 ou 4 5
Nombre de masse (Total des nucléons) 1 ou 2 3 ou 4 6 ou 7 9

Les isotopes

À l’exception de l’hydrogène avec un seul proton, tous les noyaux sont une masse confuse de protons et de
neutrons agissant et réagissant à deux forces opposées. Tous les nucléons sont attirés fortement les uns vers les
autres par ce que l’on appelle la « force nucléaire forte » et les protons, avec leur charge positive, sont aussi éloignés
par la force électrostatique de répulsion. Si les forces de répulsion sont plus fortes que les forces d’attraction, le
noyau n’est pas stable.
La force électrostatique de répulsion entre des paires de protons est cent fois plus faible que la force nucléaire
forte d’attraction, mais elle devient significative sur une grande distance. La situation est complexe, mais c’est un
fait que seules certaines combinaisons de protons et de neutrons sont assez stables pour survivre longtemps. Avec un
nombre donné de protons, il peut y avoir une série de nombres de neutrons différents et ces versions de l’élément
sont appelées les « isotopes ». Tous les isotopes du même élément sont virtuellement identiques dans les réactions
chimiques, parce que c’est la charge totale, plutôt que la masse, qui est importante en chimie.

Isotope Protons Neutrons Électrons Abondance


Silicium 28 14 14 14 92,21 %
Silicium 29 14 15 14 4,70 %
Silicium 30 14 16 14 3,09 %

Bien que le silicium ait toujours 14 protons et 14 électrons, sinon ce ne serait pas du silicium, il y a des isotopes
stables avec soit 14, 15 ou 16 neutrons, ce qui donne des nombres de masse de 28, 29 et 30, correspondant au
nombre total de nucléons présents. Tous ces isotopes du silicium se comportent chimiquement d’une manière
identique et un échantillon normal de cet élément, par exemple, quand il est combiné à l’oxygène (qui a aussi trois
isotopes stables) dans le sable au bord de la mer, contiendra les trois types selon des pourcentages fixes.
Pour les éléments plus légers, le rapport du nombre de neutrons sur le nombre de protons donnant des isotopes
stables tend à être environ un, mais, quand le numéro atomique augmente, le rapport augmente aussi. Par exemple,
les formes stables du plomb (82 protons) ont 124, 125 et 126 neutrons.

Une manière pratique d’écrire les formules chimiques pour distinguer les isotopes stables du plomb, du silicium
et de l’oxygène est donnée par le petit tableau ci-contre. Chaque symbole montre le nombre de masse et le numéro
atomique. En toute rigueur, le symbole chimique n’est pas indispensable. Cependant, peu de gens peuvent se
souvenir des numéros atomiques de tous les éléments ; un petit aide-mémoire est donc utile !

La masse atomique relative

La communauté scientifique utilise aujourd’hui un étalon commun pour mesurer la masse des atomes et des
molécules. Il s’agit du carbone 12 (six protons, six neutrons et six électrons), qui est pris pour être exactement 12
unités. Des échantillons de la plupart des éléments qui existent naturellement contiennent des mélanges des
différents isotopes et leur abondance relative est connue. Par conséquent, la masse atomique relative peut être
calculée. Le silicium est un élément typique, du fait que la plus grande part consiste en un seul isotope, le silicium
28. Les abondances relatives des trois isotopes stables du silicium sont données ci-dessous. La masse atomique
relative d’un échantillon normal de silicium pourrait être calculée ainsi :
28 × 0,9221 + 29 × 0,0470 + 30 × 0,0309 = 28,11.
Ce n’est qu’une simplification, car nous devrions utiliser les unités de masse atomique (uma) pour chaque isotope
et non les nombres de masse, mais cela nous montre comment le calcul devrait être fait. La valeur publiée pour le
silicium est 28,0855 uma. Il n’est pas possible d’arriver à la masse d’un isotope en unités de masse atomique en
ajoutant simplement les unités de masse atomique de chaque particule. La véritable masse d’un atome est toujours
légèrement inférieure. Ce « défaut de masse » a été expliqué par Einstein, en terme d’énergie absorbée quand un
atome se forme à partir de ses constituants, par la célèbre relation E = mc2. Par exemple, l’hélium 4 consiste en deux
protons, deux neutrons et quatre électrons, ce qui donne une masse apparente totale de 4,0331 uma. Cependant, la
véritable masse est 4,0026 uma, un « défaut » de 0,0305 uma.
La transmutation des éléments

Pour transformer un élément en un autre, il faut changer le nombre de protons dans le noyau. Cela demande une
énorme quantité d’énergie, beaucoup plus que ce qu’une réaction chimique peut apporter. Cela explique pourquoi
les éléments semblent si stables et pourquoi le rêve des anciens alchimistes de pouvoir changer le plomb ou le
mercure en or, en découvrant un astucieux mélange chimique, un procédé ou une potion est désespérément
impossible.
Bien qu’un élément ne puisse se transmuter en un autre par une réaction chimique, c’est tout à fait possible au
moyen d’une réaction nucléaire. La première démonstration claire fut réalisée par Rutherford en 1919. Il transforma
de l’azote (7 protons) en oxygène (8 protons) en le bombardant avec des noyaux d’hélium. Un noyau d’hélium
contient deux protons et deux neutrons et l’énergie de l’impact était suffisante pour réarranger le nombre de protons
et de neutrons entre les noyaux. L’équation de la réaction, qui nous montre les nombres de masse et les numéros
atomiques est donnée ci-dessous :

Remarquez bien que le nombre total de protons et de neutrons reste inchangé.

La radioactivité

Quand des noyaux sont instables et se désintègrent spontanément, on dit qu’ils sont radioactifs. Le processus de
désintégration transforme de tels éléments et isotopes en d’autres éléments et libère une grande quantité d’énergie,
qui se manifeste sous forme de radiation et de chaleur. On reconnut rapidement qu’il y avait trois types différents de
radiations émises par des substances radioactives et elles furent appelées les rayons alpha, bêta et gamma. Elles
demandaient différentes épaisseurs de matière pour les arrêter et elles pouvaient être séparées par leur comportement
dans un champ magnétique. Des travaux ultérieurs montrèrent que les rayons alpha étaient en fait des noyaux
d’hélium animés d’une grande vitesse, les rayons bêta étaient des électrons énergétiques et les rayons gamma étaient
vraiment des rayons. Ils ressemblaient beaucoup aux rayons X, mais avec une longueur d’onde plus courte, et ils
étaient beaucoup plus pénétrants.
Un élément radioactif est un élément dont tous les isotopes sont instables. D’autres éléments ont des isotopes qui
sont stables et des isotopes qui ne le sont pas. Par exemple, le silicium a trois isotopes stables dont nous avons déjà
parlé, mais il a aussi huit isotopes connus qui sont instables, donc radioactifs. Le plomb n’a pas moins de 28 isotopes
instables connus. Le noyau stable le plus lourd est le bismuth 83, avec 209 nucléons en tout. Tous les nouveaux
éléments découverts depuis 1944 sont radioactifs, y compris une étape importante en 1947. L’élément 61, le
prométhium, fut alors synthétisé, remplissant la seule case vide qui restait alors parmi les 92 premiers éléments.
L’unité de désintégration radioactive est le becquerel et il est égal à une désintégration nucléaire par seconde.
Puisqu’il s’agit d’une très petite unité, une autre est parfois utilisée, le curie, la radioactivité d’un gramme de radium
226. Un curie correspond à 3,7 × 1010 désintégrations par seconde. Il est facile de comprendre pourquoi la
découverte, l’identification et la séparation du radium par les Curie furent si étonnantes. Tant d’énergie est libérée et
elle est tellement constante. Dans une pièce obscure, le radium luit et continue à luire, en émettant de l’énergie d’une
manière prodigue et mystérieuse. Sur une période de quelques années, la diminution de l’activité est si faible qu’elle
est presque indétectable.
Il n’est jamais possible de prédire quand un atome en particulier va soudain se briser, mais il y en a tellement,
même dans un petit échantillon, que la proportion qui se désintègre pendant des périodes égales de temps est
remarquablement constante. Ce taux n’est affecté ni par la température ni par le mouvement ou par les réactions
chimiques.
Dans le noyau, les protons et les neutrons sont dans un état permanent de mouvement dû au hasard. De temps en
temps, les nucléons se réarrangent, de telle sorte que certains groupes parviennent à se séparer des autres. S’étant
soustraits à la force nucléaire forte, ils s’éloignent les uns des autres sous l’effet de la répulsion électrostatique entre
les charges des protons, ce qui leur permet de s’échapper complètement. Cette « rupture de l’atome » est souvent
violente et parce que le nombre des protons a changé, de nouveaux éléments sont créés.
L’un des groupes les plus fréquents à s’échapper ainsi des atomes radioactifs est la particule alpha, un groupe de
deux protons et de deux neutrons. Une fois que les particules alpha se sont échappées, elles peuvent entrer en
collision avec d’autres atomes et causer d’autres changements ou simplement capturer deux électrons et devenir de
l’hélium. En 1903, Ramsay et Soddy montrèrent que l’hélium était produit en permanence par la désintégration du
radium. Bien que l’hélium ait été découvert en premier dans le spectre solaire, il est présent en quantité appréciable
dans le gaz naturel et il est commercialisé pour de nombreuses utilisations, parmi lesquelles le gonflage des ballons
et la plongée sous-marine. Cet hélium, produit par la désintégration d’éléments naturels radioactifs dans les
profondeurs de la Terre, est piégé par les mêmes formations rocheuses qui emprisonnent le méthane et les autres
produits pétroliers.

La période

On mesure l’instabilité par le laps de temps qu’il faut pour que la moitié des atomes s'autodétruisent. C’est ce
qu’on appelle la demi-vie ou période. Plus la période est courte, plus le matériau est actif. Le nombre d’atomes
présents dans un échantillon diminue d’une façon exponentielle. Le graphique a toujours la même forme, mais
l’échelle des temps sur l’axe horizontal peut être très différente pour diverses substances, depuis plusieurs millions
d’années jusqu’à la plus petite fraction d’une seconde.

Dans chaque laps de temps de « demi-vie », la moitié des atomes présents au début se désintègre.

Différentes combinaisons de protons et de neutrons (c’est-à-dire différents éléments et différents isotopes) se


désintègrent de différentes manières et donnent divers produits de désintégration. Le détail est très complexe, mais
chaque type de désintégration est unique et produit des quantités très différentes d’énergie. La table ci-après montre
les périodes d’une sélection d’éléments avec une remarquable diversité d’activités. En haut du tableau, il y a
l’uranium 238, avec une période de 4 500 000 000 années, à peu près l’âge de la Terre. Environ la moitié des atomes
d’uranium 238 présents quand la Terre s’est formée se sont désintégrés depuis et l’autre moitié est toujours là. Avec
une si longue période et un taux de production d’énergie relativement bas, des lingots de métal peuvent être
manipulés sans danger.
Le radium a une période de 1 620 ans et il est très énergétique ; un petit échantillon vous brûlera rapidement la
peau. Le carbone 14 est produit dans la haute atmosphère par le bombardement de l’azote par les neutrons des
rayons cosmiques. Les plantes et les animaux vivants l’absorbent par l’intermédiaire du gaz carbonique et il est donc
présent dans tous les tissus vivants, heureusement dans une toute petite proportion. La plus grande partie du carbone
organique consiste en deux formes stables, le carbone 12 (98,9 %) et le carbone 13 (1,1 %). Un échantillon d’un
gramme a donc une très faible activité. Au moment de la mort, les échanges avec l’atmosphère cessent et le carbone
14 présent continue à se désintégrer. Sa période est de 5 730 ans. La proportion présente, qui change
progressivement dans l’échantillon de matière organique, permet de le dater. Cette technique a été très précieuse
pour comprendre l’histoire de l’humanité.

Les réactions en chaîne

Dans la table ci-dessus, il est remarquable de constater que l’uranium 235, le combustible nucléaire de la bombe
atomique, est presque aussi stable que l’uranium 238. Sa période est de 700 000 000 ans. Cependant, ce qui a fait
choisir l’uranium 235 pour la bombe n’était pas le fait qu’il se désintégrait spontanément, mais ce qui arrive quand
un neutron libre entre en collision. Quand on ajoute un neutron au noyau, il se scinde en deux parties à peu près
égales en libérant deux ou trois neutrons et une grande quantité d’énergie. Si ces neutrons supplémentaires entrent
en collision avec un autre atome d’uranium 235, il se scinde alors et en produit encore davantage. C’est ce qu’on
appelle une réaction en chaîne, libérant, en une fraction de seconde, une énorme quantité d’énergie. Les neutrons ne
réagissent pas facilement avec les atomes ; une forte proportion se perd et est absorbée par d’autres matériaux. Une
réaction en chaîne n’a donc lieu que s’il y a une masse suffisante, connue sous le nom de masse critique, de matière
réactive. Le principe de la bombe atomique est assez simple. Deux morceaux, chacun en dessous de la masse
critique, sont mis en contact soudainement autour d’une source de neutrons. Une fois que la réaction a commencé, le
nombre des neutrons augmente rapidement et d’une manière incontrôlable. L’explosion se produit pratiquement
instantanément.
Dans une centrale nucléaire, la quantité de matière fissible est surveillée étroitement pour qu’en moyenne, un seul
neutron soit libéré pour chaque neutron absorbé. Le rêve d’énergie bon marché en quantité illimitée que l’énergie
nucléaire paraissait offrir est assez éteint de nos jours. Le besoin de sécurité et de maîtrise augmente grandement le
coût et le problème du stockage des produits indésirables de la fission n’a toujours pas été résolu. La réponse à ce
problème sera laissée aux générations futures. Il est certain que si on trouve des solutions, ce sera certainement grâce
à une plus grande compréhension de la nature de l’atome. Il est temps maintenant de commencer à apprécier à quel
point ces atomes sont étranges.

À la fois particules et ondes

Lors des discussions sur les éléments, les isotopes et la radioactivité, il était commode de considérer les électrons,
les neutrons et les protons comme de petites particules. Cependant, la mécanique quantique nous dit que ce n’est
qu’une manière de les considérer. On peut aussi les décrire avantageusement comme des ondes.
À partir de l’époque de Newton, il y a eu un long débat sur la nature de la lumière. Certaines expériences
semblaient suggérer qu’elle était « corpusculaire », c’est-à-dire de la même nature qu’une particule, d’autres que
c’était un genre d’onde. Le débat fit rage pendant des années et l’affaire fut finalement classée, quand on réalisa
qu’elle était les deux à la fois. Un débat semblable eut lieu à propos de l'électron. Il est vraiment curieux de constater
que J.J. Thomson a reçu le prix Nobel de physique en 1906 pour avoir prouvé que l'électron était une particule et que
son fils G. P. Thomson ait reçu ce même prix en 1937 pour avoir prouvé que c’était une onde.
La nature double onde-particule de la matière est établie aujourd’hui sans doute possible et c’est le cœur de la
mécanique quantique, qui a révolutionné notre compréhension de la structure de l’atome.
Le savant français de Broglie a montré comment calculer les longueurs d’onde pour des particules de n’importe
quelle taille et a prouvé que plus la quantité de mouvement d’une particule (masse × vitesse) était grande, plus la
longueur d’onde était courte. Plus la longueur d’onde est courte, plus elle se comporte comme une particule. Nous
devrions nous attendre à ce que les protons et les neutrons ressemblent plus à des particules et les électrons plus à
des ondes. C’est ainsi qu’ils se comportent et qu’on les considère généralement. Cependant, on ne doit jamais perdre
de vue le fait que toutes les particules ont cette double nature.

Les orbites et les orbitales

Le mot orbite est utilisé pour décrire le trajet suivi par une planète autour du Soleil ou par un satellite ou un
vaisseau spatial autour de la Terre. La masse de tels objets est si grande que leur nature ondulatoire est sans
importance et peut être ignorée, ce qui veut dire qu’une trajectoire précise peut être calculée.
Le mot « orbitale » est utilisé pour décrire une région de l’espace où un électron pourrait se trouver. Il est
coutumier de représenter une orbitale par un schéma flou (ci-contre), parce que la mécanique quantique ne dit pas
précisément où est l'électron, mais donne une probabilité de trouver l'électron dans chaque région de l’orbitale. C’est
une affirmation de probabilité et plus la zone est sombre, plus il y a de chance d’y trouver l'électron.

Bien sûr, le schéma précédent est juste une représentation en deux dimensions d’une orbitale en trois dimensions.
Aussi flou que le schéma puisse paraître, ne croyez pas qu’il y ait quoi que ce soit de flou dans cette idée ou de
vague dans les calculs qui peuvent être faits. Les idées de la mécanique quantique nous permettent d’expliquer
brillamment les propriétés de l’atome.

Le quantum

À l’échelle sub-atomique, les niveaux d’énergie ne sont pas continus, mais vont par paquet. Un quantum est le
nom donné à un paquet d’énergie. L’énergie est ajoutée ou retirée des systèmes atomiques exactement un quantum à
la fois. Du fait qu’un quantum d’énergie est très petit, cette « discontinuité » n’est pas plus apparente à l’échelle
humaine que n’est apparent dans la vie ordinaire le fait que la matière est constituée d’atomes et que les atomes sont
essentiellement de l’espace vide. Quand la lumière ou toutes autres formes d’énergie électromagnétique sont
considérées comme des particules, on les appelle des photons. Un seul photon est donc un quantum d’énergie
électromagnétique.
La mécanique quantique est le traitement mathématique des quanta et de la structure atomique. On l’appelle aussi
« mécanique ondulatoire ». Il est vrai que ces idées sont très subtiles et ne peuvent être vraiment comprises et
appréciées qu’avec l’aide des mathématiques de haut niveau. Cependant, tout comme il est possible de faire bon
usage d’une voiture avec seulement une connaissance superficielle des mécanismes utilisés, on peut comprendre
beaucoup de choses sur les éléments et la nature du tableau périodique sans se plonger trop profondément dans les
véritables raisonnements mathématiques attenants à la mécanique quantique. Ce dont nous avons besoin, cependant,
est une appréciation de la signification de quelques idées fondamentales, telles que les « niveaux d’énergie » et ce
que l’on entend par « saut quantique ».

Les niveaux d'énergie

Le schéma ci-contre montre une vue de profil d’un escalier ordinaire commençant sur un plan horizontal. Il
pourra nous servir de modèle pour les niveaux d’énergie à l’intérieur de l’atome. Imaginons que quelqu’un ait placé
une pomme sur chacune des trois premières marches et que ces pommes soient identiques. L’énergie dans ce cas est
appelée « énergie potentielle » ou « énergie gravitationnelle ».

Un schéma qui peut être utilisé comme une image mentale pratique pour se représenter les niveaux d'énergie dans les atomes.

Chaque marche horizontale représente un niveau stable d’énergie, un endroit où une pomme peut rester, à moins
d’être perturbée par une force ou un événement extérieur. Chacune des trois pommes occupe un niveau d’énergie
différent et il est logique de numéroter les marches 1, 2, 3, en commençant par la plus basse. Élever une pomme sur
une marche ou un niveau d’énergie plus haut requiert du travail pour vaincre la force de pesanteur. De la même
manière, une pomme qui tombe sur une marche plus basse restitue de l’énergie et cette énergie apparaît sous la
forme de mouvement. La pomme la plus basse est sur le sol et ne peut pas tomber plus bas.
Nous parlerons aussi de niveaux d’énergie « occupés » ou « vacants ». Dans l’exemple de l’escalier, les trois
niveaux d’énergie les plus bas 1, 2 et 3 sont occupés et les quatre niveaux les plus élevés 4, 5, 6 et 7 sont vacants.
Dans l’atome, il y a aussi des niveaux distincts d’énergie, mais ils ne sont bien sûr pas dus à la force de
pesanteur. Ils existent parce que les électrons négatifs sont au voisinage du noyau chargé positivement et sont une
conséquence de la nature ondulatoire de l’électron. Le niveau d’énergie le plus bas est appelé « niveau
fondamental » et ce fut le triomphe de la théorie de la mécanique quantique d’avoir prévu l’existence des niveaux
d’énergie et aussi celle d’un niveau fondamental. C’étaient des idées très importantes et elles furent des facteurs
essentiels qui menèrent à l’acceptation de la théorie. Un électron, bien que chargé négativement et attiré par les
protons chargés positivement, ne peut jamais tomber sur le noyau directement ou progressivement.
Les électrons sautent entre des niveaux d'énergie lorsqu'ils absorbent ou émettent un quantum d'énergie.

Une autre manière de représenter les niveaux d’énergie dans l’atome est d’utiliser une série de barres
horizontales, matérialisées ci-contre par des lignes pointillées. Remarquez que les intervalles entre les niveaux
d’énergie ne sont pas égaux comme ils l’étaient dans l’exemple de l’escalier, mais deviennent régulièrement plus
rapprochés quand l’énergie s’accroît. Puisque les électrons ne peuvent exister qu’à des niveaux d’énergie permis et
que l’énergie ne peut seulement être absorbée ou émise qu’un quantum à la fois, les électrons doivent sauter entre
les niveaux. Chaque saut absorbe ou émet une quantité précise d’énergie. Le schéma ci-dessus montre quelques
sauts quantiques entre les niveaux d’énergie qui sont disponibles. La structure exacte des niveaux d’énergie pour un
certain atome dépend du nombre de protons dans le noyau et, puisque ce nombre est unique pour chaque élément, la
nature des sauts quantiques l’est également. Quand Bunsen et Kirchhoff découvrirent que les raies spectrales étaient
un moyen d’identifier les éléments, ils utilisèrent l’unicité de ces structures de sauts quantiques ou transitions.
Ne tombez pas dans le piège qui laisserait supposer que tous les quanta représentent la même quantité d’énergie.
C’est faux. L’énergie d’un photon est proportionnelle à sa fréquence ou inversement proportionnelle à sa longueur
d’onde.

La longueur d’onde et la fréquence

La longueur d’onde de la lumière est représentée habituellement par la lettre grecque λ (lambda), où λ est la
distance entre un sommet de Fonde et le suivant. Aujourd’hui, elle est habituellement exprimée en nanomètre, un
millionième de millimètre. Les longueurs d’onde de la lumière dans le spectre visible tombent entre 680 nm (rouge)
et 400 nm (violet). La fréquence des radiations électromagnétiques, y compris la lumière visible, est exprimée par la
lettre grecque v (nu). Elle est mesurée en hertz (Hz) et est le nombre de vagues qui passent par seconde devant un
point fixe. La lettre c est toujours utilisée pour représenter la vitesse de la lumière et bien sûr c’est une constante
universelle. Puisque longueur d’onde × fréquence = vitesse de la lumière, la formule est λ × v = c. Avec cette
formule, on peut calculer la longueur d’onde de la lumière de n’importe quelle couleur à partir de sa fréquence ou la
fréquence à partir de la longueur d’onde.

La longueur d’onde est la distance entre deux maxima consécutifs.

L'énergie des photons

La formule de l’énergie d’un photon est E = hv. Elle est donc directement proportionnelle à la fréquence. La
constante h est une constante fondamentale de l’univers. C’est la « constante de Planck » et elle a une très petite
valeur en unités M.K.S.(32) C’est pourquoi la mécanique quantique est si importante à l’échelle microscopique. La
constante de Planck montre l’échelle où les effets de la mécanique quantique sont significatifs.
La table ci-contre présente des niveaux d’énergie typiques de photons de différentes fréquences dans une unité
adéquate. Elle montre qu’un quantum de lumière violette (47 unités) a presque deux fois plus d’énergie qu’un
quantum de lumière rouge (28 unités). Elle montre aussi qu’un quantum de fréquence des rayons X contient plus de
cent fois plus d’énergie qu’un quantum de lumière visible. Un quantum de radiation gamma en contient encore plus.
Le spectre

La plupart d'entre nous avons observé ce qui arrive à la lumière du Soleil quand elle passe à travers un prisme et
nous avons admiré les couleurs de l’arc-en-ciel qui sont ainsi produites. Ce fut Isaac Newton qui fut le premier, en
1666, à en faire l'expérience et qui découvrit que la lumière blanche était en fait un mélange de couleurs. Puisque les
différentes couleurs ont différentes longueurs d’onde, la lumière blanche est un mélange de lumières de toutes les
longueurs d’onde.

Un prisme trie les photons d'après leur fréquence. Les photons du rouge ont la plus basse fréquence et les photons du violet la plus haute.

Pour la mécanique quantique, il est commode de penser en termes de photons et de fréquence ; ainsi la lumière
blanche est un mélange de photons de différentes fréquences. Un prisme dévie la trajectoire des photons de
différentes fréquences de différentes manières et peut ainsi les séparer. Les photons du rouge, qui ont le moins
d’énergie, ont leur trajectoire la moins déviée et les photons du violet, qui ont le plus d’énergie, ont leur trajectoire la
plus déviée. Un prisme peut donc trier les photons selon leur fréquence.

Le spectre de raies

Quand un atome est chauffé dans une flamme ou excité par un courant électrique, les électrons sautent entre les
niveaux d’énergie permis ; ils émettent et absorbent une « signature » unique de fréquences de photons. Si cette
lumière émise traverse un prisme, les photons sont triés par fréquence et le résultat est vu sous la forme d’un spectre
de raies colorées.

Longueur d'onde (nm)


Voici le système de raies dans le spectre visible (la série de Balmer) qui apparaît quand l’hydrogène brûle ou est
excité et quand la lumière passe à travers un prisme. La puissance de la mécanique quantique en tant que théorie
scientifique gagna grandement en crédibilité lorsqu’on constata que les longueurs d’onde calculées étaient en parfait
accord avec celles observées expérimentalement.

La spectroscopie

Comme Nechaev nous l’a déjà expliqué dans ce livre, ce fut Bunsen et Kirchhoff qui, en 1859, furent les
premiers à utiliser le spectre de raies comme méthode pour identifier les éléments. Cette méthode d’analyse avait un
grand avantage sur les méthodes précédentes : il suffisait seulement d’une très petite quantité de la substance et les
résultats pouvaient être obtenus très rapidement. Le premier élément qu’ils identifièrent ainsi fut le césium, qu’ils
nommèrent d’après la couleur bleu ciel des principaux photons qu’il émet. Après avoir découvert le rubidium en
utilisant les raies rouge sombre de son spectre, ils parvinrent à identifier pas moins de 30 éléments dans le Soleil.
C’était un travail de longue haleine, car, simplement pour confirmer la présence de fer, il fallait vérifier et identifier
plus de 60 raies. Aujourd’hui, on utilise des spectroscopes sensibles, couplés à des ordinateurs, pour analyser
presque instantanément les spectres de lointaines étoiles et pour identifier les éléments qui s’y trouvent. Voilà
pourquoi il est raisonnable de croire que le reste de l’Univers ne contient pas d’autres éléments que ceux qui sont
présents sur Terre.

Comment voyons-nous les couleurs ?

Quand de la lumière blanche tombe sur des atomes et des molécules, certains photons sont réfléchis et d’autres
sont absorbés. Si la substance est opaque, les photons sont absorbés par les couches près de la surface. Si elle est
transparente, ils peuvent alors la traverser, et seule une petite proportion est absorbée en chemin. L’énergie contenue
dans les photons se manifeste sous forme de chaleur, ce qui signifie que les atomes et les molécules s’agitent un peu
plus.
Un photon qui possède un niveau d’énergie correspondant à des sauts quantiques autorisés dans un certain atome
ou une certaine molécule réagira d’une manière tout à fait différente. Il va forcer l’électron à quitter une orbitale
basse et l’envoyer sur une orbitale de plus haut niveau d’énergie. Cette orbitale haute est instable, et l'électron va
donc presque instantanément retomber à un niveau plus bas, en émettant un photon de cette fréquence ou de cette
couleur. La direction de l’émission est due au hasard et, comme les photons sont absorbés et émis des millions de
fois par seconde, des photons de cette couleur iront dans toutes les directions.
Ainsi, les objets absorbent et émettent des photons de certaines fréquences, mais n’absorbent que des photons
d’autres fréquences. Dans nos yeux, il y a trois types de molécules et chacune d’elles est capable d’interagir avec des
photons d’une bande de fréquences. En gros, l’une détecte les photons du rouge, la deuxième les photons du vert et
la troisième les photons du bleu, bien qu’il y ait des chevauchements. Nos cerveaux peuvent intégrer ces interactions
et nous interprétons chaque mélange comme une couleur. Nous sommes très performants pour détecter et analyser
des mélanges de photons de cette manière et nous pouvons distinguer peut-être dix millions de couleurs différentes.
Il est fascinant de réaliser que les couleurs que nous voyons autour de nous sont la conséquence des sauts quantiques
dans les atomes !

Pas trop réels !

Dans certaines circonstances, il est commode de considérer un photon comme une particule, un paquet d’énergie,
mais il ne serait pas raisonnable de trop croire qu’il a une existence séparée. Par exemple, si un gaz est excité par un
courant électrique (un flux d’électrons), il luit d’une couleur caractéristique. Ainsi le néon donne une lumière rouge
et le sodium une lumière jaune. Les atomes continuent à émettre un flux de photons d’une certaine fréquence tant
que le courant passe et il est logique de se demander d’où viennent ces photons. Il n’est pas raisonnable de penser
qu’ils sont dans l’atome, attendant d’être éjectés.
Une bonne analogie est de penser aux mots qui sont créés quand on parle. Les mots ne sont pas là dans vos
cordes vocales, attendant d’être libérés, mais ils sont créés quand on en a besoin. Après avoir été créés, ils
transportent une information à travers l’air, jusqu’à ce qu’ils soient réabsorbés et qu’ils disparaissent.
Certains mots sont enregistrés ou sont la cause de changements dans le monde, mais la plupart apparaissent, puis
disparaissent. Il en est ainsi avec les photons. Certains causent des transformations chimiques permanentes et aident
certaines réactions. D’autres commencent un voyage à travers l’espace, qui pourra durer des millions d’années, mais
la plupart sont réabsorbés dans l’énergie générale des atomes et des molécules en état de permanente agitation.

Des paires d'électrons

Nous devons concentrer toute notre attention sur le comportement d’un électron isolé qui saute entre des niveaux
d’énergie et qui, naturellement, se stabilise sur l’état fondamental quand il n’est pas excité. Les électrons sont
chargés négativement et se repoussent les uns les autres, donc le prochain point à considérer est le niveau où les
électrons se trouvent dans un atome qui contient beaucoup d'électrons. Une possibilité est qu’ils pourraient tous
s’installer dans le niveau fondamental, l’état de plus faible énergie, et n’en sortir que lorsqu’un photon avec le
niveau correct d’énergie arrive. Mais ce n’est pas le cas.
Il y a une loi de la nature, le principe d’exclusion de Pauli, qui dit que deux particules identiques ne peuvent pas
partager la même orbitale. À première vue, cela pourrait suggérer que tout électron dans un atome multi-électronique
doit occuper sa propre orbitale. Cependant, les électrons ont une curieuse propriété appelée le « spin », qui a deux
états. Ainsi, un électron dans un état n’est pas identique à un électron dans l’autre état, ce qui signifie qu’une orbitale
peut être occupée par un maximum de deux élections, un dans chaque état. Quand cela arrive, ils forment une « paire
d'électrons ». Une fois qu’une orbitale est occupée par deux électrons, elle est pleine et les autres électrons doivent
aller ailleurs. Cette exigence, avec la règle de l’énergie minimum, est la clef pour la compréhension du système
sous-jacent au tableau périodique.

Les règles de l’énergie minimum

1. Les électrons dans un atome prennent la configuration d’énergie la plus basse possible quand ils sont dans un
état de non-excitation.
2. Deux élections ne partagent une orbitale et ne forment une paire d’électrons que lorsque les autres orbitales de
ce niveau d’énergie sont occupées.

L'introduction des couches

Il est commode de visualiser les niveaux d’énergie comme étant groupés en une suite de couches sphériques
entourant le noyau. Dans les couches d’un atome ordinaire, il existe quatre types d’orbitales différentes et elles sont
classées par les lettres s, p, d et f. Elles sont disposées dans cet ordre et le nombre d’orbitales disponibles est la suite
croissante des nombres impairs 1, 3, 5, 7. C’est exactement ce que la mécanique quantique prévoit. La raison de
l’utilisation de ces lettres est simplement que les premiers spectroscopistes les utilisèrent. Elles n’ont pas de
signification particulière.

La première couche comprend des orbitales du type s, la seconde des types s et p, la troisième des types s, p et d
et ainsi de suite, comme le montre le tableau ci-contre. Il existe une loi satisfaisante pour les quatre premières
couches, qui dit que le nombre total d’orbitales disponibles dans les couches successives est égal au carré du nombre
de la couche. D’après la théorie, le système devrait aller plus loin, mais, pratiquement cela nous emmènerait au-delà
de la fin du tableau périodique réel et il n’y a pas donc de raison de continuer. De toutes celles citées ci-dessus, les
orbitales théoriques des couches 5, 6, et 7 ne sont jamais toutes requises dans les atomes réels.

Couche Orbitales disponibles Total des orbitales Maximum d’électrons


1 1s (1) 1 2
2 2s 2p (1) (3) 4 8
3 3s 3p 3d (1) (3) (5) 9 18
4 4s 4p 4d 4f (1) (3) (5) (7) 16 32
5 5s 5p 5d 5f (1) (3) (5) (7) 16 32
6 6s 6p 6d (1) (3) (5) 9 18
7 7s (1) 1 2

Quand une couche est pleine, les électrons sont dans une configuration stable de basse énergie et on ne peut les
persuader facilement de prendre part à des réactions chimiques.

La construction du tableau périodique

L’idée des niveaux d’énergie a été introduite au moyen de sept marches ordinaires et de trois pommes. Ce
schéma montre que, bien que la situation dans un atome multi-électronique soit plus complexe, l’idée de base est
toujours la même. Chaque marche horizontale représente un niveau d’énergie et, sur chaque niveau, il peut y avoir
soit 1, 3, 5 ou 7 orbitales. Puisque chaque orbitale peut contenir un maximum de deux électrons, chaque marche peut
contenir jusqu’à 2, 6, 10 ou 14 électrons. Les sept marches primitives étaient numérotées de 1 à 7 et elles
représentent grossièrement les niveaux d’énergie des couches électroniques. Cependant, dans toutes les couches,
sauf pour la première, il y a différents niveaux d’énergie associés avec les types d’orbitales s, p, d et f. Cela signifie
que les marches sont essentiellement divisées en sous-marches. Il y a même certaines de ces marches qui
redescendent. C’est ce schéma (page suivante), entièrement prévu par la mécanique quantique, qui illustre à la fois la
structure et le détail du tableau périodique.
Quand les éléments sont disposés dans l’ordre de leurs numéros atomiques, chaque élément a un proton de plus et
un électron de plus que le précédent. Imaginons qu’un électron supplémentaire soit introduit dans le système. Il va
naturellement trouver l’orbitale de plus basse énergie possible à sa disposition. Ainsi, la structure électronique des
éléments successifs peut être considérée comme se remplissant de l’intérieur quand le numéro atomique augmente.
Comme nous savons que chaque orbitale peut recevoir un maximum de deux électrons, tout le tableau périodique
peut être construit de façon logique un élément à la fois en partant de l’hydrogène. Ce procédé est connu sous le
nom du « Principe d’Aufbau ».

Numéro de la couche
Le remplissage des couches

Le tableau ci-contre montre la manière dont les orbitales se remplissent. L’orbitale 1s est la première à se remplir
parce qu’elle a le niveau d’énergie le plus bas. Le seul électron de l’hydrogène y entre et ensuite, le deuxième
électron de l’hélium complète la paire d’électrons.
L’élément 3 est le lithium, avec trois électrons. Deux électrons remplissent l’orbitale 1s en formant une paire
d'électrons et le troisième entre dans l’orbitale 2s, la suivante, de plus basse énergie possible. Avec le quatrième
électron du béryllium, qui complète la paire d’électrons, l’orbitale 2s est remplie.
Les électrons suivants vont dans les orbitales 2p et il y en a trois. Il n’existera pas de paires d’électrons jusqu’à ce
qu’elles possèdent un électron chacune. Cette situation est atteinte avec l’azote. L’oxygène, le fluor et le néon ont
une paire d'électrons dans les orbitales s et respectivement une, deux et trois paires d’électrons dans les orbitales p.
La deuxième couche est alors pleine et l’électron suivant commence une troisième couche.
Et ainsi de suite, d’une manière satisfaisante et logique, jusqu’à ce tous les éléments soient placés dans le tableau
périodique. Ne confondez pas ce schéma avec les niveaux d’énergie qui se trouvent dans chaque atome. Comme
chaque élément a un nombre unique de protons et d’électrons, il a aussi un système de niveaux d’énergie et de sauts
quantiques qui est unique. C’est pourquoi les éléments peuvent être identifiés grâce à leur spectre.

Les électrons de valence

Si vous regardez en page 166, vous verrez que les orbitales 4s, 5s, 6s et 7s redescendent et ont une énergie plus
basse que les orbitales d et f de la couche précédente. Cela signifie que les électrons se placeront dans ces orbitales s
et commenceront une nouvelle couche avant que la ou les couches précédentes soient pleines. Il est également vrai
que les orbitales p d’une couche ont toujours une énergie plus basse que les orbitales s de la couche suivante. Une
conséquence très importante est que la couche externe ne contient jamais plus de 8 électrons.
Quand nous parlons des propriétés chimiques d’un élément, nous parlons vraiment de la manière dont il réagit et
se combine avec d'autres éléments. Ces réactions sont déterminées par les structures électroniques, parce que quand
les éléments s’unissent pour former des composés, il y a transfert ou mise en commun d'électrons. Le nom général
de « valence » est donné à la tendance à former des composés par un changement dans la structure électronique, et
les électrons qui sont les plus impliqués dans les réactions avec d’autres atomes, et qui sont sur la couche externe,
sont donc appelés les « électrons de valence ». La couche externe, quelle qu’elle soit, est appelée couche de valence.

Mendeleïev et les groupes chimiques

Si vous vous souvenez, Mendeleïev avait d’abord classé les éléments connus d’après leur masse, puis avait formé
des colonnes en mettant les éléments qui avaient des composés semblables les uns sous les autres. Il n’était pas
conscient qu’il les classait d’après le nombre d’électrons sur la couche externe, mais c’est ce qu’il a fait. La
périodicité qu’il observait était due au fait qu’il ne peut y avoir que 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7 ou 8 électrons sur la couche de
valence. Bien sûr, il n’y avait pas de « 8 », car les gaz rares n’avaient pas encore été découverts.
Dans une colonne du tableau périodique, chaque élément a le même nombre d’électrons sur la couche externe et
l’ensemble des éléments de la colonne forme ce qu’on appelle un « groupe chimique » ou une « famille ». Ces
éléments partagent de nombreuses propriétés physiques et chimiques. Le schéma ci-contre nous montre deux
groupes typiques. Mendeleïev avait remarqué que l’hydrogène était un élément bien à part et, bien qu’il pensât que
le cuivre devait être placé dans la première colonne, il ne semblait pas vraiment être à sa place. Il avait raison d’être
préoccupé à propos de ces deux éléments et bien sûr de certains autres et ses doutes confirment quel grand savant il
était. Il était totalement convaincu de la véracité de sa théorie, mais il ne laissa pas son enthousiasme l’aveugler
quant à ses faiblesses et certaines inconsistances. La compréhension moderne de la structure électronique de l’atome
a permis de mettre chaque élément à sa place. Voyez la dernière version de la classification périodique page 178.

Deux groupes chimiques et leurs structures électroniques.

Cette compréhension a aussi montré que bien que la plupart des propriétés chimiques et des réactions dépendent
du nombre d’électrons sur la couche externe, leur nombre sur une couche interne incomplète a aussi une influence.
Bien sûr, même si Mendeleïev ne connaissait pas les gaz rares ou la huitième colonne, il est clair que leur découverte
a confirmé plutôt que dérangé sa théorie.

Les gaz rares

Le schéma ci-dessous nous montre les structures électroniques complètes des six gaz rares. Le plus important est
que, dans chaque cas, la couche de valence est pleine. Dans le cas de l’hélium, la couche externe ne requiert que
deux électrons, mais, pour tous les autres, il en faut huit.
Une couche complète d’électrons a une stabilité considérable et une résistance à toute interférence venant
d’autres atomes. Cela signifie qu’elle joue un faible rôle dans les réactions chimiques. À cause de leur structure, les
gaz rares peuvent à peine être persuadés de prendre part à aucune réaction chimique et aucun composé de l’hélium,
du néon ou de l’argon n’a encore été découvert(33). Il n’est donc pas étonnant qu’ils demeurèrent inconnus et
insoupçonnés pendant si longtemps.

Le cuivre, l’argent et l’or


Ces trois éléments ont des structures électroniques semblables et partagent de nombreuses propriétés. Tous les
trois étaient connus dans l’Antiquité et on les trouve parfois à l’état natif. Ils forment des minerais d’où l’on peut
extraire le métal facilement et ils ont été utilisés depuis toujours pour la monnaie et la bijouterie. Ils sont faciles à
travailler mais, comme ils sont assez mous, on utilise des alliages avec d’autres métaux pour les rendre plus
résistants à l’usure. On mélange le cuivre avec de l’étain pour préparer le bronze, l’argent avec le cuivre et l’or avec
l’argent. Ils forment un sous-groupe, numéroté aujourd’hui 11 mais auparavant numéroté IB.

Bien que chacun d’eux n’ait qu’un élection de valence, comme le sodium et le potassium, et qu’on puisse
s’attendre à ce qu’ils soient chimiquement très actifs, leurs couches internes ont les nombres magiques 18 et 32, ce
qui les mène vers la stabilité des gaz rares. C’est surtout vrai pour l’or, qui reste inaltéré à travers les siècles et a été
hautement considéré par toutes les civilisations comme un symbole de la pureté et de l’éternité.

Le remplissage des couches internes, les premiers métaux de transition

Le niveau d’énergie 4s est le premier à redescendre à un niveau plus bas que le précédent et la quatrième couche
commence alors avant que la troisième ne soit pleine. Les deux premiers éléments possédant des électrons dans
l’orbitale 4s sont le potassium et le calcium. Après eux, les orbitales suivantes à remplir sont le groupe de cinq
orbitales 3d, donnant exactement 10 éléments. Ce sont les premiers métaux de transition et les éléments 21-30 sont
les premiers éléments de la classification périodique où le remplissage a lieu sur une couche interne. Comme on
pourrait s’y attendre, ils ont tous des propriétés chimiques semblables. Cependant, tous ces éléments sont clairement
reconnaissables et dans le système moderne de numérotation des groupes, ils appartiennent à des groupes différents.
Un fait surprenant à noter est que le chrome et le cuivre n’ont pas deux électrons de valence comme on pourrait
s’y attendre, mais un. D’après leurs positions dans la table, il serait logique que leurs structures électroniques soient
(2.8.12.2) et (2.8.17.2). Cependant, ce n’est pas ce qui se passe en fait, parce que les arrangements (2.8.13.1) et
(2.8.18.1) ont des énergies légèrement plus basses.
Mendeleïev avait aussi remarqué que certains groupes d’éléments adjacents partageaient également beaucoup de
propriétés. À l’intérieur de ce premier groupe de métaux de transition, il y a trois éléments, le fer, le cobalt et le
nickel, qui sont dans ce cas. Ils forment ce que l’on appelle la première triade et ils sont fortement magnétiques. On
les trouve tous les trois ensemble dans les météorites.

Le remplissage des couches internes, les terres rares

Le nom collectif pour ces quatorze éléments prête à confusion car ils ne sont pas rares et ce ne sont pas des terres.
Ce nom leur vint parce qu’à l’origine, on croyait que leurs oxydes étaient les éléments. C’est seulement plus tard que
leur véritable nature fut appréciée. Ce sont tous des métaux mous, malléables et même le moins commun est aussi
abondant que l’iode.

Voyez comme les niveaux d'énergie 5s, 5p et 6s sont plus bas que 4f. La couche externe de chacun de ces
éléments contient 2 électrons sur les orbitales 6s et 8 ou 9 électrons sur la suivante. Le remplissage des sept orbitales
4f se produit dans la troisième couche à partir de l’extérieur et cela explique pourquoi les propriétés chimiques de ce
groupe de quatorze éléments sont très semblables. Là où se trouve un de ces éléments, on trouve la plupart des
autres, sinon tous et ils sont très difficiles à séparer les uns des autres. Le niveau d’énergie 5d est lui-même
fractionné et est presque le même que le niveau 4f. L’élément 57, le lanthane, est souvent inclus dans les terres rares,
bien qu’il n’ait pas d’électrons dans les orbitales 4f. En fait, les terres rares sont parfois appelées lanthanides.
On ne trouve pas les terres rares en beaucoup d’endroits du globe : ils sont concentrés dans quelques sites
particuliers en Scandinavie, en Sibérie, au Groenland, en Amérique du Nord, au Brésil et en Inde. Le site le plus
connu se trouve près d’Ytterby en Suède, un lieu qui a donné son nom à trois éléments : l’ytterbium, l'erbium et
l’yttrium.
L’élément le plus commun du groupe, le cérium, est plus abondant que l'étain et le plomb mais, contrairement à
eux, il a donné lieu à relativement peu d’applications pratiques jusqu’à présent. La plus connue est la fabrication de
pierres à briquet, car quand il est mélangé au fer, on obtient un alliage qui produit une étincelle quand on le frappe. Il
est aussi utilisé dans les convertisseurs catalytiques pour les automobiles. Certaines terres rares sont utilisées dans
cette nouvelle et étonnante découverte que sont les supraconducteurs à haute température.

Les éléments artificiels

La différence fondamentale entre un élément et un autre réside dans le nombre de protons du noyau. Pour créer
un nouvel élément, il faut donc ajouter ou retirer des protons. La recherche nucléaire a montré que le bombardement
avec des particules de haute énergie pouvait accomplir cela et une technique particulièrement intéressante a été
d’ajouter des protons à de gros noyaux et donc de créer des éléments avec des numéros atomiques supérieurs à 92.
Quand ce chapitre a été écrit, tous les éléments jusqu’à 109 ont été créés et nommés. Quelle que soit la charge
positive du noyau, un nombre d’électrons correspondant à une charge négative équivalente est attiré et ces électrons
s’installent dans une nouvelle configuration de plus basse énergie possible. Jusqu’à présent, tous les éléments
artificiels ont deux électrons dans la couche externe. Certains de ces nouveaux éléments ont des périodes mesurées
en milliers ou en millions d’années et continueront donc à exister sur Terre pendant encore très longtemps. En règle
générale, quand le numéro atomique augmente, les éléments deviennent de plus en plus instables. Les éléments 108
et 109 ont des périodes de seulement quelques millièmes de seconde et ce n’est pas assez pour pouvoir en faire une
étude systématique. Seuls quelques atomes ont été créés et ils ont été détectés essentiellement par la manière dont ils
disparaissent.
L’élément le plus lourd existant naturellement sur Terre est l’uranium et les 92 premiers éléments, avec juste
deux exceptions, le technétium et le prométhium, ont été découverts. Ni l’un ni l’autre n’ont d’isotopes stables et les
périodes de ces derniers sont trop courtes pour permettre l’existence de gisements naturels. Le technétium fut le
premier exemple d’un élément artificiel. Il a été créé pour la première fois en 1937 en ajoutant un proton au
molybdène. Comme sa période est de 4,2 millions d’années, on en trouvera sur Terre pendant encore très longtemps.
On ne peut pas dire la même chose du prométhium, à moins qu’on n’en prépare continuellement, parce que son
isotope le plus stable a une période de seulement 17,8 années.
D’où viennent les éléments chimiques ?

Bien qu’il faille encore résoudre quelques détails, une idée générale de l’origine des éléments chimiques sur
Terre et partout dans l’Univers a été élaborée par les astronomes.
Les éléments les plus légers, l’hydrogène et presque tout l’hélium, furent créés dans les quelques premières
minutes après le Big Bang. Après environ 100 000 ans et comme l’Univers refroidissait, des protons se combinèrent
avec des électrons pour former de l’hydrogène, et des protons, des neutrons et des élections pour former de l’hélium.
L’hélium formait 24 % de la matière et l’hydrogène 76 %. De petites quantités de deutérium(34) et de lithium furent
aussi produites. Puis il y eut une longue période, peut-être des milliards d’années, pendant laquelle les galaxies et les
étoiles se condensèrent lentement à partir du gaz qui se dilatait rapidement, mais initialement uniforme, produit par
le Big Bang. Quand la densité locale devint assez forte pour entretenir des réactions nucléaires, les étoiles
s’allumèrent. Dans ces étoiles, un peu d’hélium fut créé à partir de l’hydrogène, une addition minime par rapport à
ce qui existait déjà. Tous les autres éléments furent créés par des réactions nucléaires à l’intérieur des étoiles.
Comme l’hydrogène s’épuisait, ces étoiles atteignirent la fin de leur vie et de spectaculaires explosions de
supernovæ projetèrent dans l’espace d’énormes quantités d’éléments lourds, du fer en particulier. Ces matériaux se
mélangèrent avec l’hydrogène et l’hélium primitifs et se condensèrent en une nouvelle génération d’étoiles. Le
processus se répéta, mais, cette fois, il y avait des éléments lourds et des planètes telles que la Terre pouvaient se
former. Peut-être plus de 92 éléments, mais, en tout cas, 90 à coup sûr étaient présents dans la nouvelle Terre. Il est
fascinant de voir que tous les éléments qui maintenant constituent notre corps, sauf l’hydrogène, ont été créés dans
des étoiles antérieures.
La recherche des éléments chimiques se termine sur Terre et en nous-mêmes !
Annexes

1. Le tableau périodique

avec les groupes traditionnels et les nouveaux groupes

2. Les éléments

Leurs symboles, leurs numéros et leurs masses atomiques

3. La découverte des éléments


4. Épilogue de l’édition de 1944

Et finalement…
Marie et Pierre Curie furent les derniers d’une longue lignée de chercheurs d’éléments. À vrai dire, quelques
rares éléments ont été découverts depuis le polonium et le radium, leurs voisins dans le système périodique. Mais
ces nouvelles découvertes n’ont pas apporté de changements importants.
Aujourd’hui, le tableau de Mendeleïev peut être considéré comme tout à fait complet. Pour le chimiste de 1944, il
n’existe plus d’éléments inconnus, non seulement sur Terre, mais aussi dans tout l’Univers. Nous savons maintenant
qu’il y a environ 92 éléments en tout. Les chimistes, imitant et souvent surpassant la nature, peuvent créer des
centaines de milliers, même des millions de substances les plus variées et les plus complexes à partir de ces quelques
éléments.
Mais pour la science de notre temps, l’élément a cessé d’être la limite de la divisibilité. Depuis la grande
découverte des Curie, il est devenu clair que nous pouvons aller plus loin — que nous pouvons diviser les éléments
eux-mêmes. En quoi ? En formes primitives de la matière — ces minuscules particules dont les atomes des éléments
sont faits.
Vous souvenez-vous comment Mendeleïev avait démontré qu’il y avait un lien commun, une parenté parmi tous
les éléments ? En ce temps-là, la raison de cette parenté n’était pas encore connue. On la connaît maintenant. Les
atomes de tous les éléments — du léger hydrogène, du paresseux argon, du turbulent sodium, du noble or, du radium
— sont tous construits, chacun d’entre eux sans exception, de minuscules particules identiques. Nous les appelons
des protons, des électrons, des particules alpha et des neutrons.
Les chercheurs d’aujourd’hui peuvent séparer ces particules primaires des atomes et peuvent même en former de
nouvelles combinaisons. Il est devenu ainsi possible de transmuter un élément en un autre artificiellement. Les
physiciens font de l’hydrogène avec des atomes d’azote, du carbone avec de l’aluminium, de l’or avec du mercure. Il
est vrai qu’ils ne peuvent pas encore produire de grandes quantités de ces éléments artificiels. Quelques
milliardièmes de gramme sont tout ce qu’ils ont pu obtenir jusqu’à maintenant.
Mais ce n’est que le début. La clé de la maîtrise de la matière est entre nos mains. Et peut-être le jour n’est-il pas
loin où nous pourrons prendre de l’argile ordinaire et fabriquer n’importe quel élément — et toutes sortes de
substances des plus complexes aussi. Les réalisations de la science du futur promettent de surpasser de loin les
réalisations du passé.
Il n’y a pas de limite à la maîtrise de l’homme sur la nature — sur la matière et l’énergie.

5. Lettre de Victor Pan à Gerald Jenkins

Cher monsieur Jenkins,


La découverte de votre livre The Chemical Eléments, écrit par mon père, a été pour moi une merveilleuse
surprise. L’édition russe a été rééditée en URSS en 1960, mais je pensais jusqu’à maintenant que l’édition anglaise
n’avait pas été réimprimée depuis les années quarante.
Je suis très content de pouvoir vous dire quelque chose au sujet de mon père.
Son nom était Yakov (Jacob) Salomonovitch Pan et il est né en 1906, à Berditchev (Ukraine), alors une petite
communauté juive. Il venait d’une famille pauvre, et son père avait eu 18 enfants, dont 10 seulement atteignirent
l’âge adulte. Sa mère est morte quand il était encore jeune et il n’y avait jamais assez d’argent pour envoyer les
enfants à l’école. Les chaussures étaient aussi un problème et, comme il n’y avait qu’une seule paire de chaussures
pour lui et son frère, ils allaient à l’école chacun à leur tour. Et bien qu’il lût tout ce qu’il pouvait trouver afin de
s’éduquer lui-même, il se sentait terriblement isolé dans cet endroit si reculé. Cependant, en 1921, il écrivit au
ministre de l’Éducation, A. Lunacharsky, et un miracle se produisit. Lunacharsky fut si impressionné qu’il décida de
l’aider et, en décembre de la même année, il offrit à mon père une place dans une école de Moscou. Sa capacité à
étudier par lui-même fut encouragée et il put se procurer des livres dans les bibliothèques. Il fut reçu au MVTU,
l’une des meilleures universités techniques de Moscou, et étudia la chimie. Il était aussi très intéressé par les
découvertes scientifiques et par les gens qui en étaient les auteurs. Finalement, il commença à écrire à ce sujet et son
premier livre, Les Eléments chimiques, fut publié en 1939. Ce fut un succès immédiat et chaque journal de Moscou
lui consacra un grand article. Il fut réimprimé de nombreuses fois en nasse et fut traduit en anglais et publié aux
USA en 1942 par Coward-McCann. J’ai été intéressé d’apprendre que l’édition anglaise qu’on vous a donnée a été
publiée en 1944 par Lindsay Drummond. Pendant cette dernière période à Moscou, mon père souffrait de la
tuberculose et fut donc réformé. Cependant, comme les Allemands s’approchaient de Moscou, il s’engagea et fut
malheureusement tué en 1941 près du lac Seliger (à environ 350 km à l’ouest de Moscou). Il avait 35 ans.
Je suis né en 1939 et je n’ai ni frères ni sœurs. Je ne connais mon père que par ce que ma mère m’en a dit, par
leurs journaux intimes et par ce que m’ont raconté nos amis et nos parents, qui sont tous décédés maintenant,
excepté mon cousin Vladimir Pan, un physicien de Kiev de renommée internationale. Il m’a dit qu’il avait choisi de
poursuivre une carrière scientifique après avoir été inspiré par la lecture des Éléments chimiques quand il était
enfant. J’ai épousé Lydia Perelman à Moscou en 1972 et nous avons émigré aux USA en 1976. Pendant ma
jeunesse, j’admirais beaucoup les livres de mon père, ainsi que bon nombre de nos amis. Je suis donc assez surpris,
très heureux et je vous suis très reconnaissant d’apprendre que le travail de mon père continue à susciter de l’intérêt
plus de 60 ans après. Autant que je sache, le pseudonyme I. Nechaev n’a été choisi qu’après mûre réflexion. Après
le succès des Éléments chimiques, il l’utilisa pour ses autres livres : La Naine blanche et L’Arme chimique. En ce
temps-là en Russie, le nom Pan n’était pas bon à utiliser pour un auteur, parce qu’il était associé à la classe des
propriétaires terriens en Ukraine et en Pologne. L’utilisation d’un pseudonyme explique aussi pourquoi vous n’aviez
pu le trouver nulle part, ce qui rend encore plus remarquable qu’un volume arrive jusqu’à moi, Victor Pan. Le livre a
été découvert par un de mes étudiants de doctorat, Taj-Eddin, il y a seulement quelques jours. Il étudie
l’informatique mais s’intéresse aussi à l’histoire des sciences. Je lui ai parlé de l’édition de 1942 des Éléments
chimiques de mon père. Il le chercha et, chose étonnante, trouva un exemplaire de votre édition de 1997 dans la
bibliothèque. C’est stupéfiant !

I. Nechaev

Je suis très heureux qu’une nouvelle édition soit publiée et que le souvenir de mon père et son travail perdurent.
Je joins également une vieille photo que ma mère avait gardée et qu’elle m’avait transmise. Très cordialement,
Victor Pan Professeur émérite Département Mathématiques et Informatique Lehman College, CUNY Bronx NY
10468, USA
Aux éditions Belin

Pierre RADVANYI, Les Curie. Pionniers de l’atome, 2005.


Loïc BARBO, Les Becquerel. Une dynastie de scientifiques, 2003.
Paul ARNAUD, Si la chimie m’était contée, 2002.
Collectif NEPAL, Voyage au cœur de la matière, 2002.
Mohamed Larbi BOUGUERRA, Linus Pauling. L’« Einstein » de la chimie, 2002.
Hervé THIS, Casseroles et éprouvettes, 2002.
Hervé THIS, Traité élémentaire de cuisine, 2002.
Pierre ROUTHIER, Voyage au monde du métal. Inventions et aventures, 1999.
Hervé THIS, La Casserole des enfants, 1998.
Rémy BROSSUT, Phéromones. La Communication chimique chez les animaux, 1997.
Hervé THIS, Révélations gastronomiques, 1995.
Hervé THIS, Les Secrets de la casserole, 1993.
Jean ADAM, La Fusion nucléaire. Une source d’énergie pour l’avenir, 1993.
Gilbert GAILLARD et Édouard BORENFREUND, Les Industries de la chimie, 1992.
Graham RICHARDS, La Chimie, 1989.
Pierre RADVANYI, Monique BORDRY, Histoires d’atomes, 1988.
Retrouvez l’ensemble de nos titres sur le site des éditions Belin : www.editions-belin.com
NOTES
Note 1

Il s’agit de l’édition anglaise d’un ouvrage russe signé I. Nechaev.

— Retour au texte —
Note 2

Les alcalis sont des bases particulières (voir le chapitre 2, p. 39).

— Retour au texte —
Note 3

Appelé aussi cyanure d’hydrogène (ou acide prussique), de formule HCN.

— Retour au texte —
Note 4

Le salpêtre est du nitrate de potassium (de formule KNO3). La poudre noire, ou poudre à canon, était constituée
de 75 parties de salpêtre, 15 parties de charbon de bois et 10 parties de soufre.

— Retour au texte —
Note 5

De formule HgO. Lavoisier utilisa également ce produit lors de son analyse de l’air.

— Retour au texte —
Note 6

Le mot phlogistique dérive du grec phlox, qui signifie « flamme, ardeur ».

— Retour au texte —
Note 7

Il s’agit du protoxyde d’azote N2O. Ce gaz est utilisé aujourd’hui en anesthésie.

— Retour au texte —
Note 8

Ou « basique ».

— Retour au texte —
Note 9

Le mercure.

— Retour au texte —
Note 10

Récipient contenant du sable chauffé par-dessous, permettant de répartir la chaleur. Ce système permet
d’obtenir de plus hautes températures que le bain-marie.

— Retour au texte —
Note 11

Ancienne unité monétaire anglaise valant 21 shillings, ou en unité moderne, 1,05 livre.

— Retour au texte —
Note 12

Il est alors sous la forme de diiode I2.

— Retour au texte —
Note 13

Ce liquide est du dibrome, de formule Br2.

— Retour au texte —
Note 14

Il s’agit du bromure de sodium (NaBr).

— Retour au texte —
Note 15

Composé de formule (CH3)2AsAs(CH3)2.

— Retour au texte —
Note 16

En allemand, Julchen est un diminutif affectueux pour Julia.

— Retour au texte —
Note 17

Également appelée lumière oxhydrique.

— Retour au texte —
Note 18

Aujourd’hui, on dit « masse atomique ».

— Retour au texte —
Note 19

De formule NH3.

— Retour au texte —
Note 20

De formules respectives N2O, NO et (NH2)2CO.

— Retour au texte —
Note 21

Il y avait 20 shillings dans une livre sterling et une livre valait 25 francs-or. Cet échantillon de clévéite coûtait
donc très cher.

— Retour au texte —
Note 22

De formule ZnS.

— Retour au texte —
Note 23

CaS.

— Retour au texte —
Note 24

De formule K2UO2(SO4)2.

— Retour au texte —
Note 25

Il s’agissait d’une année bissextile !

— Retour au texte —
Note 26

Il s’agit du dioxyde et du trioxyde de soufre, SO2 et SO3.

— Retour au texte —
Note 27

À cette époque, seuls le thorium et l’uranium, qui ont une masse atomique supérieure au bismuth, dernier
élément stable, avaient été découverts.

— Retour au texte —
Note 28

Uranate d’uranyle, UO, U2O3 et phosphate d’uranyle et de cuivre Cu(UO2)2(PO4)2.

— Retour au texte —
Note 29

Aujourd’hui Jachymov, en République tchèque.

— Retour au texte —
Note 30

Reproduit en page 182.

— Retour au texte —
Note 31

En 2005, on en est à 112 avec certitude. Les éléments 113 à 116 ont été observés par des équipes de chercheurs,
mais les résultats n’ont pas encore été confirmés. Les éléments 110 à 112, non pris en compte dans l’édition
britannique, le sont, dans la présente traduction, dans les tableaux des pages 178 à 181.

— Retour au texte —
Note 32

Aujourd’hui, on parle du Système international (SI) ou Système de Giorgi.

— Retour au texte —
Note 33

On connaît aujourd’hui des composés du xénon : l’hexafluorure de xénon, XeF6, notamment.

— Retour au texte —
Note 34

Le deutérium est un isotope de l’hydrogène. L’atome d’hydrogène ordinaire consiste en un proton avec un
électron en orbite. Le deutérium comprend un neutron accompagnant le proton. Sa masse atomique est de 2,
d’où son autre nom d’hydrogène lourd. Il peut se combiner avec l’oxygène pour former la fameuse « eau
lourde ».

— Retour au texte —

Vous aimerez peut-être aussi