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Valérie JouVe
laurence Kimmel
stéphanie NaVa
marylène Negro
Hugues reiP
Par
laure JeaNdet
Février 2014
une pensée particulière pour Valerie Jouve qui m’a orienté durant le
l’élaboration du ilm, et pour laurence Kimmel qui a su m’orienter
dans mes lectures et me donner de précieux conseils.
6
table des matières
iNtroductioN 3
coNclusioN 65
bibliograPHie 67
icoNograPHie 68
FilmograPHie 69
1
2
iNtroductioN Quelle est l’esthétique de ces lieux, et quels sentiments procurent-elles ?
C’est donc sous trois angles, idéologique, urbanistique, puis esthétique, que
les villes de bords de mer et la plage qui les constituent, vont être analysées.
Le sujet de mon mémoire écrit a découlé du thème du court métrage
que j’ai réalisé dans le cadre du séminaire art, architecture et cinéma. Suite à
Les architectes et les urbanistes ont un rôle politique fort, car ils ont pour
l’année d’échange ERASMUS passée à Cesena, en Italie, je me suis intéressée
mission de donner formes aux espaces publics, utilisés par les citoyens. En les
tant aux espaces publiques que sont les bords de mer qu’au statut particulier
façonnant, ils façonnent également leurs modes de vie. C’est pourquoi dans
des villes qui constituent la Riviera Romagnola.
un premier temps il est important de revenir sur la notion d’espace public, de
Cette région est connue pour ses villes balnéaires touristiques. J’ai tout d’abord
comprendre son origine, comment il a évolué, quel comportement il induit, et
fréquenté ces espaces en période hivernale, durant la saison morte, quand les
vers quoi il tend actuellement, et particulièrement l’espace public de la plage.
villes sont abandonnées par les touristes. Certaines d’entre elles sont presque
totalement formées d’hôtels. Ce sont des villes fantômes et désertiques que
L’étude in-situ, l’analyse d’un cas, celui de la ville de Milano Marittima,
l’on traverse. Les villes et leurs activités semblent être «mises sur pause»
nous permettra de comprendre la politique urbaine de ce type de ville, ain de
jusqu’à l’arrivée des beaux jours.
mettre en évidence quels espaces sont produits, quel en sont les programmes,
quels sont les paysages qui la composent. Cette analyse urbaine a pour but de
Cette hibernation des villes durant une période de l’année m’a fortement
révéler les conséquences de l’urbanisme actuellement pratiqué dans les villes
interpellé. En tant qu’étudiante en architecture, je me suis demandée comment
touristiques balnéaires.
une ville pouvait passer d’un extrême à un autre en terme de fréquentation.
Comment les architectes et urbanistes ont-ils pensé la ville ? Avaient-ils pris
Ces lieux sont les hôtes d’univers opposés. La dualité de ces espaces m’a
en compte les conséquences d’une ville mono-programmatique ? Quel est le
semblé très intéressante d’un point de vue esthétique. A travers une histoire
rôle de l’espace public dans ces lieux, et particulièrement celui de la plage ?
de la représentation de la plage dans la peinture, puis à travers le cinéma et
Comment ces espaces sont-ils perçus, et quelle esthétique engendrent-ils ?
la photographie, j’ai voulu voir en quoi la plage est porteuse de symboles
L’hypothèse est que ces villes balnéaires, et leur urbanisme, sont des aperçus
et comment, à différentes époques, elle a été perçue par ses contemporains.
de ce que deviendront l’ensemble des villes. La plage et les villes de bords de
Après le point de vue du spécialiste, c’est celui de l’artiste, de l’habitant et du
mer seraient comme un microcosme révélateur de notre société.
promeneur qui m’intéressent, car inalement c’est celui qui concerne le plus
En quoi les villes balnéaires et la plage sont-ils l’incarnation de la société du
grand nombre.
spectacle ? En quoi l’architecture et l’urbanisme traduisent-ils cette idéologie,
comment les espaces sont-ils révélateurs de cette politique économique ?
3
comme un animal vieillissant dont la carapace s’épaissit, formant
autour de son corps une croûte imperméable qui ne permet plus à
l’épiderme de respirer et accélère ainsi le progrès de sa sénescence,
la plupart des pays européens laissent leurs côtes s’obstruer de villas,
d’hôtels et de casinos. au lieu que le littoral ébauche, comme autre-
fois, une image anticipée des solitudes océaniques, il devient une
sorte de front où les hommes mobilisent périodiquement toutes leurs
forces, pour donner l’assaut à une liberté dont ils démentent l’at-
trait par les conditions dans lesquels ils acceptent de se la ravir. les
plages, où la mer nous livrait les fruits d’une agitation millénaire,
étonnante galerie où la nature se classait toujours à l’avant-garde,
sous le piétinement des foules ne servent plus guère qu’à la disposi-
tion et à l’exposition des rebuts. Je préfère donc la montagne à la mer.
tristes tropiques
claude leVi-strauss
4
i/ la Plage comme esPace Public, iNcarNatioN d’uNe NouVelle sociÉtÉ
Selon la législation 10
Selon les moeurs 11
5
Définition de l’espace public De plus, l'évolution de la société à cette époque désacralise l'information,
D'après Thierry Paquot qui dans son deuxième chapitre traite de cette notion,
« L’espace public est un terme polysémique qui désigne un
« l'espace public correspond à la publicité d'une conviction privée qui vient
espace à la fois métaphorique et matériel. Comme espace
alimenter le débat collectif et participer à l'élaboration d'une opinion publique
métaphorique, l’espace public est synonyme de sphère publique
»3. Mais, la sphère publique, qui caractérisait les espaces tels que les Salons et
ou du débat public. Comme espace matériel, les espaces publics
cafés, disparaît avec la « transformation des structures sociales »4. La sphère
correspondent tantôt à des espaces de rencontre et d’interaction
familiale ne joue plus un rôle dans l'éducation, elle perd « le pouvoir qu'elle
sociales, tantôt à des espaces géographiques ouverts au public,
avait de favoriser l'intériorisation de l'individu »5. La structure familiale n'a
1
tantôt à une catégorie d’action »
plus d'autorité, ainsi « ce sont des instances extérieures à la famille, c'est même
directement la société, qui prennent en charge, dans une proportion croissante,
Interrogeons-nous sur l'aspect métaphorique, à travers le livre
l'apprentissage de la vie en société qu'elles dispensent aux individus qui
d'Habermas. Il est le premier à utiliser l'expression « espace public » en 1962.
composent la famille »6. D'après Habermas, « l'effacement de la sphère privée
Habermas donne une déinition de l'espace public à travers l'évolution de la
et de la perte d'un accès assuré à la sphère publique sont à l'heure actuelle les
société bourgeoise. Nous nous intéresserons aux conditions de sa création.
En effet, au XVIIIème siècle, le développement de la sphère publique a été
favorisé par l’émergence de nouveaux médias et lieux, tels que les journaux, 2 Jürgen Habermas, l’espace public : archéologie de la publicité comme dimension
constitutive de la société bourgeoise, Payot, Paris, 1997, p 46
les salons et les cafés. Ces lieux sont propices à l'échange d'opinion car ils
3 hierry Paquot, l’espace public, la découverte, coll. « repères », 2009, p 32
font abstraction des conditions sociales, les personnes se sentent à égalité. 4 Jürgen Habermas, l’espace public : archéologie de la publicité comme dimension
constitutive de la société bourgeoise, Payot, Paris, 1997, p 164
5 idem.
6 Jürgen Habermas, l’espace public : archéologie de la publicité comme dimension
1 http://www.hypergeo.eu constitutive de la société bourgeoise, Payot, Paris, 1997, p 164
6
caractéristiques du mode de vie et de l'habitat urbain »7. De plus il afirme L’espace public contemporain
que «dans la mesure où la vie privée devient publique, la sphère publique
Étudions désormais l'aspect matériel. Thierry Paquot dans son
revêt elle-même certaines caractéristiques propres à la sphère d'intimité»8. La
ouvrage, parut en 2009, commence par une différenciation entre l' «espace
ville arbore donc certaines caractéristiques de la sphère intime. Les habitants
public» et «les espaces publics». Le premier étant un lieu du débat politique,
de la ville perdent toute intimité, leurs vies privées s'étalent dans la sphère
une confrontation des opinions privées, de la pratique démocratique et de la
publique qui devient par la même occasion une sphère privée. H.P Bahrdt
circulation de points de vue alors que le second sont des endroits accessibles
explique que :
au(x) public(s). L'aspect physique, urbain de l'espace public est plus
approfondi dans cet écrit.
« la corrélation qui liait la sphère privée à la sphère publique
n'existe plus. Elle n'a pas disparu parce que le citadin est en soi
En effet l'auteur retrace le lien entre «privé» et «public» au cours de l'histoire,
un homme de masse qui ne saurait donc plus comment entretenir
de l'antiquité grecque où le privé était l'espace de la pudeur de l'intime ;«Le
une sphère privé, mais parce qu'il est désormais impossible de
domaine privé contient une partie un peu moins privée, déjà publique en
considérer la vie toujours plus complexe des grandes villes comme
quelque sorte, qui sert à la réception.»10; au Moyen Age où le public et le
une vie publique. Plus la ville dans son ensemble se transforme
privé s'opposent, pour inir par l'époque moderne où «le « privé » ne se
en une jungle impénétrable et plus il se réfugie dans sa sphère
préoccupe que de l'individu »11. Par la suite, l'aspect urbain est analysé à
privée, laquelle ne cesse d'être démantelée, mais lui permet tout
travers les époques. L'espace public au Moyen Age étant un « espace de
de même de percevoir le déclin de la sphère publique urbaine, et
contact » puis à l' Ère classique un «espace de spectacle» qui devient un
d'abord à travers le fait que l'espace a été perverti en une surface
«espace de circulation » durant la période industrielle, pour devenir à notre
où règne de manière désordonnée une circulation tyrannique »9
époque «un espace de branchement ». Cette chronologie nous permet de
comprendre les évolutions des comportements et mœurs dans l'espace public
Par conséquent, la sphère publique est remplacée par le domaine pseudo-
ainsi que leurs nouvelles utilisations, qui se «précisent au fur et à mesure via
public de la consommation de la culture de masse que constituent les médias.
les agissements des résidents.»12 Ainsi, se sont les actions au sein de l'espace
Le débat devient en lui même un bien de consommation.
qui déterminent ce dernier. Le choix d'associer une action spéciique à un lieu
est donc un acte politique.
7 idem, p 165
8 idem, p 165 10 hierry Paquot, l’espace public, la découverte, coll. « repères », 2009, p 48
9 H.P bahrdt, « Von der romantischen grossstadtkritik zum urbanen städtebau » in 11 idem, p 57
schweizer monatshete, 1958, p.644sq. 12 idem, p 57
7
Comme le dit Henri Lefebvre, «l'espace est politique et idéologique. C'est En effet, avec l’apparition du travail comme activité principale et qualiiante
13
une représentation littéralement peuplée d'idéologie.» . On peut donc de la vie de l’homme la question du loisir et du temps libre est apparue et avec
conclure que les idéologies individuelles construisent l'espace, ce dernier elle la publicité et la culture de masse.
étant politique les comportements individuels le sont aussi.
« La désagréable vérité, c’est que la victoire que le monde
Francesco Masci, dans L'ordre règne à Berlin, révèle que l’espace public a moderne a remportée sur la nécessité est due à l’émancipation
perdu sa fonction politique et est devenu un «terrain d'essai » où l'homme du travail, c’est-à-dire au fait que l’animal laborans a eu le droit
moderne est en quête de son identité. Le citadin est à la recherche de sens. Si d’occuper le domaine public et que cependant, tant qu’il en
la théorie de Thierry Paquot est juste, on peut afirmer que la perte d'identité demeure propriétaire, il ne peut y avoir de vrai domaine public,
des citadins implique une perte d'identité des espaces. L'espace public tend à mais seulement des activités privées étalées au grand jour. Le
être dénué de sens. résultat est ce qu’on appelle par euphémisme culture de masse
(…). »14
Une société du temps libre
Dans son ouvrage , La mondialisation de la culture, Jean Pierre Warnier
Les différents questionnements soulevés par les précédentes lectures
rappelle que :
m’ont mené à lire «Condition de l’homme moderne » de Hannah Arendt.
Cette lecture éclairci les problématiques évoquées antérieurement. En effet,
« D'une manière générale, l'école de Francfort soulignait les cotés
H.Arendt décrit le processus qui a conduit l’homme moderne à la situation
négatifs de la modernité industrielle incapable de transmettre une
dans laquelle il se trouve actuellement.
culture atteignant les sujets dans leurs profondeurs, réduite au
Cet ouvrage permet de comprendre les mécanismes politiques et sociologiques
pastiche, à l'inauthenticité et à la standardisation supericielle.»15
qui ont fait basculer l’homme du stade homo faber à l’animal laborans. La
rélexion de l’auteur s’articule sur l’opposition de la vita activa et la vita
Les loisirs et les temps libres, dont les vacances font partie, ont désormais un
contemplativa. La notion de privé et public, notion d’appropriation d’un
rôle important dans notre culture.
espace, hautement politique, est au cœur du passage de l’état d’homo faber à
Il est important d'insister sur ce basculement dans la société moderne, qui a
animal laborans. L'évolution de l’homme qui pense et contemple, à l’homme
qui travaille a engendré une modiication de l’organisation du temps imparti
aux humains.
14 Hannah arendt, condition de l’homme moderne, agora, 2012, p184
15 Jean Pierre Warnier, la mondialisation de la culture, la découverte, coll. re-
13 Henri lefebvre, espace et politique, editions anthropos, coll. Points, 1972 pères,2008 , p14
8
entraîné la «société du spectacle » et le culte du temps libre et du divertissement.
C'est dans le but de comprendre ce changement que j’en suis venue à étudier
les lieux touristiques et tout particulièrement les plages.
9
Moeurs et réglementation de l’espace public Bien qu'il y ait eu évolution des mœurs les tribunaux ayant jugés des affaires
Selon la législation de monokini considèrent “qu'en France, dans l'état actuel de nos mœurs, le
spectacle d'une femme s'exhibant la poitrine entièrement nue dans les rues
L'espace public contemporain induit une attitude spéciique. L'homme
d'une ville, même à proximité d'une plage, est de nature à provoquer le
est dans un lieu «public», où ses actes et ses paroles sont aux regards de
scandale et à offenser la pudeur du plus grand nombre”.
ses semblables, son comportement est donc déterminé par le caractère de
Une nouvelle cour d'appel traduisant l'évolution des mœurs a jugé plus
l'espace. Le droit français ne reconnaît pas la notion d’« espace public » mais
récemment qu'il convient de relaxer la personne qui s'était mise nue pour
celle de « domaine public », ensemble très vaste recouvrant autant le mobilier
plonger dans un port au motif que “la simple nudité d'un individu sans attitude
que l’immobilier et dont l’État est propriétaire. L’article 714 du Code civil
provocante ou obscène ne sufit pas à constituer le délit d'outrage public à la
donne du « domaine public » cette déinition :
pudeur” (CA Douai, 28 sept. 1989 : JurisData n° 1989-052784).
La question reste sensible et ambiguë. Bien que les moeurs aient changé
Il est des choses qui n’appartiennent à personne et dont l’usage
et que les passants ne soient plus choqués par les femmes bronzant seins
est commun à tous. Des lois de police règlent la manière d’en
nus, leur présence en ville et la nudité en général, restent, d'un point de vue
jouir.
législatif répréhensible.
L'ordre public régit ainsi les lois qui ont pour ambition de changer les
Ces espaces ne sont pas uniquement soumis à un contrôle législatif mais
comportements. Les espaces publiques sont donc soumis à des lois qui
également à un contrôle culturel, par le biais de la morale.
induisent le comportement des gens, ces derniers ne devant pas aller à
l'encontre des bonnes mœurs.
« Pour la sociologie, la morale, c'est l'aspect normatif d'un
Prenons pas exemple, la nudité dans le domaine public. Même d'un point de
système de valeurs, lequel constitue la déinition fondamentale
vue juridique la limite entre le permis et le défendu, dans le domaine de la
d'une culture. Qui si l'on préfère, la morale représente l'ensemble
nudité, suit l'évolution des mœurs et la notion de pudeur.
des moyens psychologiques et institutionnels par lesquels sont
En effet pendant longtemps il a été certain que le fait de se montrer
assurés les comportements dont il importe qu'ils soient conformes
publiquement en état de nudité complète constituait l'outrage public à
aux valeurs d'une culture déterminée »16
la pudeur alors même qu'aucune idée lubrique ne guidait l'auteur du délit
(É. Garçon, op. cit., art. 330, n° 16).
2
12
L’espace public balnéaire système qui englobe tout. La société industrielle avancée rejoint
rapidement, avec ses activités et ses symboles, tous les conins
des territoires nationaux et transforme paradoxalement les aires
La juridiction française déinit le littoral comme faisant partie du marginales, déjà en opposition à la modernité oppressante, en
domaine public maritime. Tous comme les espaces publics « classiques », la aires symboliquement centrales, avancées, précurseurs de ce
plage et le littoral sont soumis à la même réglementation. que réservera le système sociale tous ceux qui partageront pas la
Cependant il est facile de constater que l'attitude des gens diffère qu'ils soient même logique et n’adhéreront pas à elle. »22
à la plage ou en ville. Cette zone de transition entre la terre et la mer, “peut
être vue comme la limite, construite en toute conscience, de la civilité […] Le système applique les mêmes principes en ville qu’à la plage. Le phénomène
où les conventions civiles communes viennent à se diminuer ou du moins d’appropriation évoqué précédemment, à travers le livre L’ordre règne à
sont en état du suspens”20. La encore les mœurs et la culture déterminent Berlin de Francesco Masci, est également en vigueur à la plage.
l'utilisation du lieu. Bien que cet espace nous semble naturel et donc soumis à d'autres règles que
Étudions en quoi celles-ci diffèrent-elles à la plage et pourquoi l'étude de ce celles appliquées au milieu urbain, il n'est en réalité qu'une construction, tout
lieu est intéressante ainde
de la
comprendre comme la ville. La plage est blanchie et nettoyée de ses algues, certaines sont
La plage : double ville? les mécanismes de notre société.
même totalement artiicielles.
« la plage est une table rase, une abstraction, une terre vide [...]
Comme le commente J-D Urbain, la plage n'est pas «un monde hors qui s'inscrit dans un programme symbolique d'extermination de la
du monde, mais la caricature du second, dont elle révèle au grand jours les sauvagerie ain que la plage soit ce désert idéal, cette scène vide,
obscénités occultes.»21 L'espace géographique est différent mais les Hommes, cette rive nue, à l'image du corps dévêtu : un site dès lors soustrait
restent les mêmes. Ils emportent avec eux, leur morale et leurs mœurs. à la nature comme à la culture, un théâtre suspendu pour un jeu
Les bords de mer étaient des lieux marginaux. Mais, de société lui-même détaché du monde et de ses contingences. »23
« rapidement, ce qui était externe est absorbé à l’intérieur d’un Cet espace anciennement sauvage, est devenu un lieu artiiciel, organisé par
20 Jean-didier urbain, sur la plage, Payot & rivages, coll. Petite bibliothèque Payot,
2007 22 asterio savelli, sociologia del turismo balneare, franco angeli, 2002
21 Jean-didier urbain, sur la plage, Payot & rivages, coll. Petite bibliothèque Payot, 23 Jean-didier urbain, sur la plage, Payot & rivages, coll. Petite bibliothèque Payot,
2007, p259 2007, p227
13
l'homme et pour l'homme. Sa fonction a changé. Ce n'est plus un lieu de d' ses règles et leurs transgressions, ses stratégies de coexistences et
« être », c'est devenu un lieu d' « avoir ». ses codes d'installation, ses partages et ses inégalités, ses alliances
Ce désir de foule et son détachement simultané nous rappelle les analyses de et ses affrontements, sa logique organisatrice et ses sentiments
Benjamin et Simmel évoquées précédemment. La métropole est l'espace du enin.
travail, la plage celui des vacances. Seule la fonction change. Les relations La plage est spectaculaire. Elle est un théâtre où la société se
sociales non. dévoile, se dénude (c'est le cas de le dire), mettant en évidence «
Ce lieu de villégiature devient un échappatoire à la réalité urbaine tout en la dimension affective et sensible des relations sociales » dans le
recréant les conditions sociales quotidiennes, tout de même quelque peu cadre d'une scénographie « qui stylise l'existence, en fait ressortir
modiiées. En effet, la caractéristique essentielle ». La plage avec ses rites et ses jeux,
propose une épure : une image hyper-réelle de la vie collective
Le “déplacement du concept de vacances comme évasion des (…). »25
habitudes de la régularité de la vie quotidienne au proit d’une
vision qui fait de l’expérience touristique un approfondissement Le champ lexical du théâtre est révélateur de la facticité de cet espace.
et une ampliication du monde de l’expérience habituelle des Il est une reproduction de la nature, il ressemble mais n'est pas. C'est une
personnes” aboutit à l’“émergence d’une vision polyédrique du exacerbation de la réalité urbaine qui est produite par celle de la plage. Une
touriste qui met en lumière la diversité culturelle et relationnelle exagération de la réalité. Un nouveau contexte qui ressemble au modèle, celui
de ce dernier et en conséquence la multiplicité des expériences de la ville, mais qui est différent par sa nature, sa fonction et ses mœurs.
24
qu’il requiert dans l’environnement des vacances.”
« la plage et les littoraux, justement parce que jusqu’à ce moment
La plage est le théâtre des interactions sociales. Comme le souligne Jean sont restés extérieur à toute logique du système, apparaissent
Didier Urbain, dans son livre «Sur la plage, mœurs et coutumes balnéaires » : comme l’espace idéal pour y concentrer les fonctions centrales
de ce complexe théâtral dans lequel est mis en scène le
« la plage apparaît à l'analyse comme un de ces lieux privilégiés «futur paradis », offert par le système lui même à ses propres
où la société se met en scène, avec ses rites et ses symboles, ses membres. »26
coutumes festives, et ses conventions, ses désirs et ses normes,
24 P. battilani, Vacanze di pochi, vacanze di tutti. l’evoluzione del turismo europeo , il 25 Jean-didier urbain, sur la plage, Payot & rivages, coll. Petite bibliothèque Payot,
mulino, coll. le vie della civiltà 2007, p 21
26 asterio savelli, sociologia del turismo balneare, franco angeli, 2002
14
La plage : théâtre à ciel ouvert joueur très près d'un « croire qu'il est ». »28
Le plagiste se prend donc à son propre jeu. Il devient un autre lui, un double
rêvé. Durant la période des vacances, il se détache de la réalité pour endosser
L'espace de la plage est un microcosme à l'intérieur duquel se rejouent
le costume de son lui magniié. Tous les acteurs vous le diront, le costume
les scènes d’interactions sociales entre ses occupants. La plage devient un «
joue un rôle primordial dans l'appropriation du personnage. Au Moyen-Age,
théâtre public de la vie privée ou désert privé à usage public »27
la fête de Carnaval consistait à une inversion des classes sociales par le biais
du travestissement. La question est donc la suivante: comment le plagiste
« Sur le sable de la plage, illuminée par le projecteur unique du
peut-il se déguiser alors que son seul vêtement est un maillot de bain, qui avec
soleil estival, la pièce peut donc commencer. Grégarité heureuse
le temps devient de plus en plus minimaliste ? En l’absence de vêtements,
et jalouse, jeunesse éternelle ou immaculée propreté, les valeurs
c'est le corps qui prend le relais.
incarnées par les tribus et les corps « costumés » s'animent à
présent, tous en quête de rôles prolongeant leurs images. Entre le
souci de soi et la présence de l'autre, il faut maintenant jouer le
jeu, c'est à dire, tout à la fois, se regrouper, car on joue ensemble,
et s'isoler, car on joue contre, face à face ou côte à côte. Le jeu et
la rencontre de l'individu et de la société. Il suppose des règles et
convoque des scènes et des scénarios types : des gestes d'acteurs,
des conventions théâtrales, des protocoles d'entrée et de sortie,
des ruses et des mystères. Bien souvent ces artiices de comédiens
font basculer le ludique dans le cérémoniel ou le simulacre dans
la simulation, tant il est vrai qu'ils confèrent aux comportements,
aux actes et aux déplacements de chacun, outre une ritualité, une
réelle solennité, voire une gravité. Un sérieux qui, sans lui faire
perdre la conscience complète de la réalité ordinaire, mène le
27 Jean-didier urbain, sur la plage, Payot & rivages, coll. Petite bibliothèque Payot,
2007, p 252 28 idem, p 404 - 405
15
Le corps comme parure proposant des produits toujours plus proche du naturel mais augmentant
toujours plus la facticité. Le corps devient un signe de reconnaissance social.
Comme le fait remarquer J-D Urbain :
Par conséquent,
« Tous s'observent. Chacun déchiffre l'autre, le reconnaît,
commentant et jugeant le langage des corps, des gestes et des
« ce qui caractérise la société de plage contemporaine, c'est
objets. Ils circulent, s'échangent et se manipulent comme des
bien cette inversion, ce déplacement de l'ostentation vers la
signes. Cette communication, qui déinit une manière d'être
transparence, qui voit en quelque sorte le corps se substituer au
ensemble, est la vie sociale même. »29
social ( ou le sujet à ses attributs économiques) et être, en lieu et
place des « signes extérieurs de richesse », le premier des signes
Cette nouvelle société du dévêtu, a créé de nouveaux signes distinctifs
de valorisation et de reconnaissance. »31
permettant la communication, constituant à eux seuls la vie sociale. C'est à
travers ce langage corporel que se forment les interactions sociales, par le
En conclusion, les mœurs allégées dans les espaces balnéaires
biais de nouveaux symboles.
ont mené à une nudité du corps et à sa sexualisation. L’absence de signes
Le bronzage en est un, il peut être naturel ou factice. Les crèmes auto-
extérieurs distinctifs ont transformé le corps lui même en signe. Tout comme
bronzantes deviennent de nouvelles peaux, de véritables combinaisons. La
le lieu, l'utilisateur devient une construction ictive, une représentation.
gamme des produits de beautés de cesse de s'agrandir d'année en année,
30 idem, p 424
29 idem, p 382 31 idem, p 386
16
Encore une fois c'est l'image qui domine. La perte de rigueur des mœurs a
entraîné une supericialité des relations sociales. L'espace de la plage n'est
qu'une parenthèse dans la réalité où tout est, plus ou moins, permis. L'heure
est au divertissement.
« Ici on pratique aussi le zapping social. On peut aussi, par À travers ce cliché de Riccione, les thèmes évoqués précédemment
plaisir, non seulement changer de partenaire sexuel mais, plus transparaissent.
aisément encore et contrairement à la vie courante, d'amis, de La photo est constituée de cinq parties: le ciel occulté par la ligné d'hôtels,
connaissances, de voisins ou de copains, au ils des mésententes les parasols qui créent une délimitation entre le bâtit et la plage, les chaises
(en déplaçant sa tribu) ou, plus banalement et le plus souvent, au longues qui recouvrent presque entièrement la plage et inalement la mer, qui
rythme des départs et des arrivées qui scandent la démographie n'est qu'un angle en haut à droite.
intermittente de cette société mouvante, par ses mœurs et ses La progression se fait du bâtit vers le naturel, la photo s'épure dans un
valeurs qui, ici, au contraire, notamment à travers la tribalisation, mouvement de gauche à droite. Néanmoins la place anecdotique de la mer,
se reproduisent, se reconstituent ou se consolident. »32 révèle la prédominance de l'homme sur la nature. De plus, la hauteur du ciel à
l’extrémité droite de la photographie, est équivalente à la hauteur du premier
Massimo Vitali a étudié ces phénomènes à travers une série de hôtel. L'artiiciel domine le naturel.
photographies consacrées aux plages. Il commence cette série milieu des Comme le dit Massimo Vitali, « Sur les plages, certaines interactions sont plus
années 1990. Dans une interview donnée à Angela Madesani Massimo Vitali exposées, plus facile à voir, à recueillir. » Si l'on regarde en détail la photo,
présente ses photographies comme des recherches sociologiques. ce qui est possible grâce au très grand format de celle-ci, on peut observer de
petites scénettes sociales entre les vacanciers. Les touristes deviennent des
« Étant ethnologue, j’étudie la sociabilité humaine. Je m’intéresse acteurs, jouent la farce sociale mondialisée, la plage en est le décors, l'objectif
à l'observation et au voyeurisme. le spectateur.
Je suis fasciné par le fonctionnement de la vie, des dynamiques
sociales, des espaces, des interactions : toutes ces petites choses
qui n’intéressent personne. La photographie, en ce sens, devient On a vu précédemment que les actes des citoyens façonnent l'espace.
secondaire, (...). La photographie est pour moi un moyen de Les villes balnéaires sont en conséquent conditionnées par les plagistes. On
pouvoir regarder les gens. » pourrait donc avancer l'hypothèse que les villes balnéaires sont elles aussi des
simulacres, des royaumes du divertissement et de la représentation.
32 idem, p 443 Étudions l'exemple de la ville balnéaire Milano Maritima, construite ex-
17
18
19
3
nihilo, ain de voir en quoi sa forme urbaine serait stigmatisée par sa fonction
et ses usages.
20
ii/ aNalyse urbaiNe : l’exemPle de milaNo marittima
Histoire de la ville 23
Contextualisation 23
Création de la ville 24
Son développement 26
Analyse urbaine 31
Les réseaux 33
Milano Marittima : ville fragmentée? 35
Espace public 37
Parcours sensibles 39
La plage 39
Aménagements balnéaires 41
Les hôtels 43
Les rues commerçantes et le centre-ville 45
Les maisons résidentielles 47
Coupe du territoire 48
48
Synthèse
21
Trento
Aosta Trieste
Milano
Venezia
Torino
Ravenna
Bologna
Genova
Milano Marittima
San Marino
Firenze Ancona
Milano Marittima
Cervia
Perugia
L’Aquila
Roma
Campobasso
Bari
Napoli
Potenza
Cagliari
Catanzaro
Messina
22
Nous avons vu en quoi la plage est un espace particulier se différen- Histoire de la ville
ciant des autres espaces publics, aussi bien par sa nature, que par les mœurs
Contextualisation
qu’elle induit. Ain de comprendre quels sont les mécanismes urbanistiques
liés au développement de villes touristiques balnéaires, nous allons étudier le
Milano Marittima est une fraction de la ville de Cervia, dans la pro-
cas de la ville de Milano Marittima, en Emilia Romagna, Italie.
vince de Ravenna en Emilia Romagna.
L’étude de cette ville, me semble d’autant plus pertinente, qu’elle constitue
l’un des nombreux lieux de tournages composant mon « ilm mémoire ».
Son emplacement stratégique au centre de la côte Adriatique et, plus préci-
Cette ville est ambivalente, élitiste et populaire en même temps. Les villas
sément dans le centre méridionale de la vallée du Pô, permet de rejoindre
et hôtels de luxes côtoient le gratte-ciel symbole du tourisme de masse, les
aisément les grandes villes adjacentes telles que Rimini, Ravenne, Bologne
« stars » se mélangent aux vacanciers.
ou Venise au nord.
L’hypothèse qui m’a poussée à analyser les espaces touristiques, que sont
Elle est l’une des destinations phares de l’Italie, notamment grâce à une large
les plages, est que ces lieux deviennent «l’espace symbolique dans lequel se
offre touriste, ses night-clubs, et ses infrastructures. C’est un lieu prisé par la
retrouve et se représente le système social tel qu’il est »1
jet-set italienne et les touristes fortunés de l’Europe de l’est.
Ainsi analyser ce microcosme et en comprendre ses mécaniques, c’est com-
prendre le fonctionnement de toute notre société. Par conséquent étudier
Elle est considérée dans toute l’Italie comme la capitale de la fête et du diver-
l’évolution de l’espace public dans les lieux touristiques balnéaires c’est en-
tissement.
trevoir ce à quoi aspire l’espace public de notre quotidien.
1957 à 1960 : Création des plans déinissant les zones naturelles, les lignes
De 1820 à 1829, la ville progresse le long de la côte et investie les plages pour
d’infrastructures, les zones et futures zones de constructions. Le manque
des raisons économiques, telles que la pêche. (Figure 10 et 11)
d’analyse et de prévision en terme de développement ainsi que l’absence
de lois permettant la sauvegarde des territoires naturels et du tissu existant
1907 : Année durant laquelle l’administration concède à Giaccomo et Pietro
aboutit à la croissance exponentielle de la ville.
Maffei les terrains disposés entre la plage et la pinède pour y construire un
nouveau quartier balnéaire.
1974 : Plan régulateur de Giuseppe Campos Venuti. Il déinit les limites
précises des zones de développement urbain ainsi que les nouvelles aires
1912 : Réalisation du premier plan de Milano Marittima. (Figure 12)
d’expansions résidentielles, touristiques et industrielles. Il identiie clairement
Le premier quartier, réalisé au nord du port canal, présentait les caractéristiques
les espaces collectifs et propose de nouveaux espaces collectifs
de la ville construite ex-nihilo, adaptées aux logiques d’entreprises et
économiques. La création de Milano Marittima ralenti la croissance de Cervia,
liée à l’activité des salines, mais accélère le développement du tourisme.
26
1989 : Plan régulateur de Silvano Tintori. Pour la première fois, la planiication
ne se fait pas uniquement sous le regard du développement économique et
touristique de la ville marginalisant l’aspect environnemental et patrimonial.
Silvano Tintori cherche à réinscrire la ville dans son contexte territorial. Il
met l’accent sur les biens naturels, ain de recréer un lien entre la réalité
urbaine, qu’elle soit touristique ou historique, et le paysage environnant.
10
8,9. images du
site dans lequel
sera construite
cervia Nouvelle
(1691-1697)
10,11. carte du
territoire de cer-
via (début du
xViiième siècle)
11
27
28
12
29
30
Analyses urbaines modes d’occupation du territoire et de la présence d’infrastructures comme le
train, les routes nationales et les autoroutes.
La vision depuis ces infrastructures fausse la perception et rend le territoire
homogène et compact.
En réalité, c’est une séquence d’éléments, de lieux périodiquement répétés
La rivière Adriatique s’est afirmée à partir des années soixante dans lesquels les rapports entre espace et société apparaissent complètement
comme le lieu emblématique d’un nouveau type de vacances, marqué par les redessinés et se trouvent “toujours dans un espace et toujours en dehors des
premières formes de tourisme de masse, et l’arrivée des touristes européens. lieux”. Ce lieu se distingue du reste du territoire par l’identité qu’il a dans
En réalité l’histoire du tourisme de la Rivierra peut être datée plus en amont, l’imaginaire collectif, comme celui d’un lieu dédié aux vacances, “assumant
dès les premiers établissements balnéaires qui font leur apparition à partir du le divertissement comme la dimension choisie, le temps privilégié de la vie”1
XIXeme siècle.
Nous allons étudier le cas de Milano Marittima, considérée comme une
Cette portion de la cote adriatique, connaît aujourd’hui une nouvelle période “metropoliviera”2 à utilisation saisonnière.
de transformation, après la crise de la dernière décennie, symboliquement A travers une analyse urbaine détaillée nous allons essayer de comprendre
représentée par la pollution et de la présence dans l’adriatique des bombes le fonctionnement de cette ville, quelles traces a-t-elle gardée de son plan
lâchées par les avions de retour de mission militaire. Les touristes ont changé, d’origine et vers quoi s’oriente-t-elle. Plusieurs parcours dans la ville nous
ainsi que les habitants. Ont également changé les modes de consommation du permettront, dans un second temps, de compléter l’analyse, ain d’appréhender
temps libre, avec l’apparition des discothèques et parcs à thème. cet espace d’un point de vue sensible et esthétique.
On trouve aussi les premières traces d’une nouvelle stratégie urbaine. Le
projet d’un système de transport public à échelle métropolitaine, parallèle
à la côte, qui relie les points du territoire côtier, représente un exemple des
premiers indices de l’existence d’un système urbain plus complexe et articulé
que la pure juxtaposition des diverses entités urbaines traditionnelles.
33
espaces agricoles
salines
bâtis résidentiels
activités touristiques
espaces publics
Zones industrielles
colonies
route nationale
34
Milano marittima : ville fragmentaire? Actuellement, la densité d’habitants des villes et localités balnéaires est très
variable durant l’année en fonction de la haute ou basse saison. Par exemple,
Tout comme les réseaux, le programme de la ville a été pensé dans le Cercia et Milano Marittima comptent 26 474 lits d’hôtels, 4 250 lits camping,
seul but balnéaire. L’expansion urbaine n’a pas été pensée en amont. 17 851 lits privés et 3 871 autres. Au total elles comptent 52 446 lits pour une
La carte ci-contre représente les fonctions des espaces constituant la ville de population permanente égale à 26 390.
Mialno Marittima et de sa compagne Cervia.
Il est frappant de voir à quel point la ville est constituée de zones distinctes,
caractérisées par leurs fonctions.
Milano Marittima est constituées de bandes fonctionnelles parallèles au bord
de mer.
La première est formée par la plage, cet espace public privatisé est dédiée
exclusivement au tourisme et activités balnéaires.
La strate successive est celle des activités touristiques, telles que les hôtels,
restaurants, bars, discothèques, colonies, villégiatures.
Passée cette muraille du divertissement on retrouve la zone résidentielle, à
l’ouest. À l’est un large parc subsiste.
35
36
Espace public En effet, le dernier type, est formé par les petites rues qui desservent les
activités hôtelières, les kiosques balnéaires, qui garantissent un accès direct
Le bord de mer est caractérisé par la présence balnéaire, sa particularité
à la plage. Ces rues résidentielles fragmentent le bord de mer et rompent la
est d’être en relation directe avec la plage et ses aménagements.
promenade.
Dans le cas de Milano Marritima il n’est pas possible d’identiier un bord de
mer unitaire, tant une série d’aires indéinies, périodiquement interrompues,
Les espaces verts sont eux aussi disséminés dans la ville, sans réels liens.
se succèdent. La cause de cette fragmentation est le processus complexe de
Bien qu’étant un des éléments fondateurs de la ville, ils sont aujourd’hui de
croissance de la ville. Dans le projet du peintre milanais, la relation entre mer
plus en plus anecdotiques. En effet, même si à première vue la ville nous
et ville devait être réglée par un système d’axe orthogonaux qui auraient du
semble très arborée, les espaces verts sont surtout privés (jardins, golfs). La
doter les espaces et édiices d’aires publiques en contact direct avec la plage.
pinède est toujours plus sujette à la privatisation, bien qu’elle soit protégée.
Le plan initial ne sera jamais terminé, ce qui explique la forme actuelle de la
ville. On peut identiier trois traitements différents de l’espace public.
37
38
Parcours sensibles proposer des services à ces promeneurs du dimanche. Les kiosques bordant
toute la plage sont fermés et il faut parcourir de longues distances avant de
La plage
trouver un espace,en rentrant à l’intérieur de la ville, où se restaurer.
L’analyse historique et cartographique de la ville, nous a premis de
nous rendre compte que Milano Marittima s’organise en bandes parallèles
thématiques. Se succèdent la bande de la plage, celle des aménagements
balnéaires, des hôtels, les rues commerçantes et inalement les résidences
pavillonnaires balnéaires. A travers plusieurs parcours photos illustrant ces
différentes strates, nous allons décortiquer l’aménagement de la ville et sa
programmation.
41
42
Les hôtels
La zone des hôtels est la seule zone d’activité économique en
basse saison. Les grandes infrastructures hôtelières requièrent énormément
d’entretien et de travaux durant la période hivernale.
La promenade de bord de mer et l’espace entre les kiosques et les hôtels
deviennent de grands chantiers. Bien qu’aménagés pour la promenade, le
parcours à la frontière entre la ville et la plage est délaissé. Zone de passage
et de transition durant l’été, il devient une véritable enclave durant l’hiver.
Les espaces semi-publics entre les kiosques sont fermés et ne permettent plus
la connexion entre les rues et la plage.
La promenade devient une interminable impasse, bordée de part et d’autres
par des édiices fermés.
La présence humaine y est très rare. Les ouvriers sont les seuls utilisateurs de
ces lieux. De nouveaux édiices voient le jours, ain d’alimenter l’engouement
des futurs touristes, avides de nouveautés.
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Les rues commerçantes et le centre-ville
La zone commerçante du centre ville constituée par l’avenue
principale est quant à elle déserte. Quelques boutiques, de vêtements et
accessoires exclusivement, résistent tant bien que mal, mais l’activité y
semble extrêmement faible. Les discothèques et les bars sont fermés et la
ville reste éteinte quelque soit l’heure de la journée. Cette désertiication
réside dans le fait que la population permanente de Milano Marittima est
quasiment inexistante. La zone bâtie entre la première rangée d’hôtel et la
rue commerçante est constituée de divers types de construction, de la maison
individuelle, aux services touristiques tels que les restaurants et les bars, les
hôtels de grandes et petites ampleurs. Les espaces publics sont essentiellement
des parkings, vides à cette saison. La route n’est plus un espace de promenade,
souvent piéton durant l’été, mais uniquement un lieu de passage, de traversée.
Le centre ville ne propose pas de services qui permettraient de re-dynamiser la
ville durant la basse saison. L’absence de banque, poste, équipements publics,
primeurs, etc., est déinitivement l’une des entrave au développement de la
ville.
45
46
Les maisons résidentielles
Les maisons résidentielles, éparpillées entre la zone commerçante La grande question soulevé par cette analyse est celle du programme et de sa
et la bande exclusivement pavillonnaire en bordure de la forêt de pinède, mutabilité. Il est essentiel de repenser la connexion entre les villes balnéaires et
restent désespérément vides. Malgré la présence d’une école maternelle, la l’intérieur des terres. Le zonning actuellement appliqué à ces sites et la mono-
population ne s’implante pas dans la ville. activité entrave une activité durable, sur toute l’année. La requaliication des
Les styles architecturaux sont assez variés, allant des constructions classées, espaces publics est donc impérative si l’on veut voir une dynamisation de la
datant de la création de la ville et dessinée par G. Palanti, aux nouvelles ville. Les parcs et les places ne structurent pas les espaces environnants, ils
constructions rappelant les constructions balnéaires britanniques. servent uniquement de pauses dans le bâti.
Le caractère bucolique et romantique s’accentue en se rapprochant de la
pinède.
Là encore l’espace reste mono-fonctionnel et aucune mixité de programme
n’est présente.
47
Coupe du territoire
Synthèse
On se rend compte de la complexité du territoire. La ville est divisée en secteurs qui n’échangent pas. La liaison avec sa cousine Cervia est également dificile
qui ont du mal à communiquer entre eux. L’idéal de Palanti, celui de construire pour les piétons. Elles sont séparées par un canal et un seul pont les relie.
une ville à l’image des cités-jardin, à échelle humaine et en rapport avec la À échelle plus large, la ville de Cervia, celle de Milano Marittima,les terres
nature, a été progressivement oublié. Bien qu’il persiste les grands tracés du agricoles et les salines, semblent fonctionner en alternance sans liens entre
plan, les avenues et les rond-points, et quelques maisons initiales, les grands elles.
hôtels et autres constructions à in touristiques ont considérablement modiié La mono-programmation, et le fonctionnement saisonnier soulèvent
le paysage de la ville. Avec le temps, et les différents boom économiques et beaucoup de questions, primordiales pour des architectes et urbanistes, qui
touristiques, la ville s’est densiiée, mais elle est restée saisonnière. pourtant ne semblent pas avoir été prises en compte lors du développement
Les différentes strates qui la composent, la plage, les hôtels, la rue de la « metropoliviera ».
commerçante, les résidences et inalement la pinède et les salines de l’autre
coté de la ceinture ferroviaire, ne communiquent pas entre elles. En effet les questions de la connexion avec l’entre-terre restent sans réponses,
Milano Marittima est constituée de paysages mis les un à coté des autres mais la voie ferroviaire et la superstrada sont des scalpels qui coupent la rive de
48
l’intérieur des terres. Les passages permettant de franchir cette limite sont urbanistiques est le relet de la dynamique générale qui se produit dans
très ponctuels. La question de la temporalité n’a pas été anticipée dans la l’ensemble des villes.
réalisation architecturale. Les complexes hôteliers et les cabines de plages
sont à l’abandon pendant une longue période de l’année.
Il est important que les architectes et les urbanistes reprennent position dans
ces villes balnéaires. La dérive économique qui engendre des aberrations
49
ii
les stances
JeaN moreas
50
iii/ estHÉtiQue de la Plage eN HiVer
Méthodologie de tournage 62
Les intentions 62
Le tournage 62
Le montage 63
51
13 14
15 16
52
La représentation de la mer à travers l’art « Ici elle exprime le plaisir physique, sensoriels, mais aussi
psychique et relationnel,qui semble impliquer et absorber tous
La naissance des villes balnéaires et des villégiatures est un fait
les sens et les sentiments de l’observateur, lequel, de plus, se sent
marquant pour la société de la révolution industrielle. Les nouveaux thèmes
en communion avec les personnages représentés, presque comme
que sont les vacances, les loisirs et les divertissements vont devenir des sujets
s’il rentrait lui aussi dans le tableau»1
d’études de nombreux peintres connus, jusqu’à devenir un thème classique,
comme celui des baigneuses.
Renoir entame une rélexion sur les lieux d’amusements, sur la vie frénétique
Nous allons étudier brièvement l’évolution du thème de la mer et des
des habitants de la ville. En 1918, il reprend la igure des Baigneuses, (Figure
baigneuses dans l’histoire de l’art, ain de comprendre les changements de
14). Les corps des femmes se confondent à la nature, elles sont en totale
perceptions de ce lieu et comment cette vision est retranscrit graphiquement.
immersion. Les corps sont charnus et dévêtus. Les lieux de baignades, et la
La plage comme symbole de la nature sauvage plage, sont assimilés à des lieux de nature totale, où les contraintes tombent.
La naissance des lieux de villégiatures balnéaires est liée à Les corps ne sont plus normés, et façonnés par des corsets comme en ville, ils
l’industrialisation de la ville. En effet, la vie quotidienne devenant de plus en retrouvent une liberté, un certain retour au sauvage.
plus urbanisée et mécanisée, un certain nombre de personnes, appartenant à la
bourgeoisie, ont cherché à se détacher de la métropole et de sa vie aliénante. Seurat étudie également le thème de la Baignade à travers le tableau, Une
La plage, espace de in du monde, privée de toute réglementation, à l’époque, baignade à Asnières (Figure 15). Le tableau représente une scène de temps
va incarner la nature à l’état sauvage. La plage est la frontière vers l’autre libre collectif durant laquelle les personnages semblent ne rien partager
monde, ces terres fantastiques que l’on ne connaît pas. Elle devient le lieu de les uns avec les autres si ce n’est cette condition d’isolement. Il représente
l’imaginaire et de la contemplation, une passerelle vers l’au delà. les moments de temps libre comme des individualités collectives. Les
personnages forment un groupe à première vue, mais en réalité aucun ne
Dans Impression soleil levant, (Figure 13), Monet représente la mer de façon communique avec les autres.
abstraite. Ce tableau qui donnera son nom au mouvement impressionniste
dans, Les grandes baigneuses (Figure 16), de Paul Cezanne, la fonction
représente bien cette idée d’ailleurs. Les contours des bateaux ne sont pas très
sociale des bains est explicitée à travers l’organisation du tableau. Deux
bien déinis, ils se mêlent au ciel et à l’eau, ils semblent former qu’une seule
groupes de femmes, symétriquement réparties d’un coté et de l’autre de l’axe
étendue. Tous semble légèrement lou. Le tableau n’est pas un instantané,
vertical du tableau, convergent en un triangle qui contient toutes les igures
mais plutôt une pause longue, comme si le peintre nous transcrivait un une
image des heures de contemplations, plusieurs visions du même lieu qui
s’entrecroisent. 1 asterio savelli, sociologia del turismo balneare , ed Franco angeli, 2010; p29
53
17 18
19 20
54
humaines. Les personnages sont regroupés comme dans un théâtre, encadrés « La plage est désormais seulement la scène d’un jeu social, qui
par les arbres. La nature semble être un décors plat, accueillant la scène jouée ne conçoit plus de voir la nature ».
par les baigneuses.
La nature comme décors va être approfondie dans les œuvres des années
« le corps féminin, déshumanisé, restitué sous la forme d’un pur 30, dans Femme assise sur la plage (Figure 19), la rive devient « l’espace
volume, se pli docilement et construit l’espace, il s’adapte au d’un jeu social codiié, l’occasion plus pure et totalisante pour exprimer la
mouvement des arbres, se contorsionne, se cajole, tout tendu a nouvelle condition humaine. »
exhiber sa substance matérielle » lapenta 2003.
Cette nouvelle condition humaine est traduite par la forme géométrique de la
Après cette première période durant laquelle la plage et les bains sont femme. Ce n’est plus un corps charnu et sensuel, mais un corps anguleux et
considérés comme des lieux naturels, opposés à la ville dans sa forme et sa formel qui est représenté.
fonction, une rupture s’opère dans la perception de ces lieux. L’oeuvre de
Munch, constitue une rupture d’harmonie déinitive en totale opposition avec Comme l’explique Asterio Savelli,
la fonction que le littoral avait eu à assumer depuis l’œuvre de Botticelli,
quatre siècles auparavant. « Dans l’ouvre de Guttuso, intérieur et extérieur, privé et public,
latent et manifeste s’entremêlent dans la dimension de masse,
La plage comme symbole du malaise social celle de La spiaggia [Figure 20] (1955), qui semble devenir le
En 1893, Le cri (Figure 17) offre une vision nouvelle des lieux lieu absolu, non plus opposé à la mer de la ligne du littoral et non
balnéaires. Le personnage est le symbole de l’aliénation et de la tourmente. plus distinct des espaces sociaux publics, de la scène et de l’arrière
Le manque de sens, le thème de la mort ne sont plus seulement liés à la vie scène théorisé par Erving Goffman : comme cela le devient dans
métropolitaine mais également au bord de mer. La nouvelle société, fruit de la ville, ces espaces désormais coïncident, et sont absorbés dans
la révolution industrielle, ne laisse aucune voie d’issue à l’individu. La mer une scène absolue, où le sujet joue contemporainement des rôles,
devient le symbole de ce que l’homme fuit. Sur les côtes, se projettent la divers mais confus, d’observateur observé dans son observation
vacuité de l’humanité, le vide et la terreur. des autres qui sont dans le fond pareil que lui. »2
55
Panoramique de droite à gauche, partant de la plage vers le ponton où se trouvent les per-
sonnages. suivis de plans rapprochés de chaque personnage. la dolce Vita
Panoramique de la gauche du ponton encadrant les personnages vers la droite les ilmant en
train de sauter sur la plage et s'éloigner.
arrivée du chien qui les amène derrière les baraquements de la plage et fait se rencontrer
augusto et sa sœur qui revoit son amant marié.
la strada
56
La perception de la plage à travers le cinéma et la Par la suite, les jeunes hommes viennent durant l’hiver méditer sur le ponton de
photographie la plage de Rimini. Ils observent le large et pensent à leurs avenirs incertains.
La vacuité de leur vie vient s’ancrer dans celle de la plage. Le retour à la
Nous avons vu comment la perception de la plage a évolué au cours normale, au quotidien est marqué par la in du silence et le mouvement de
des époques à travers sa représentation picturale. Nous allons nous intéresser caméra de la mer vers la ville.
désormais aux villes balnéaires et aux plages en hiver, à travers la photographie La dernière scène de mer est celle où Fausto, pris par l’angoisse, cherche sa
et le cinéma. femme et sa ille qui ont disparu, sur la promenade du bord de mer.
La plage dans le cinéma fellinien
La Stada commence et se termine par une scène sur la plage. La première
Fellini, dans ses ilms, utilise la mer comme un personnage. Il révèle durant laquelle la mère de Gelsomina vend sa ille à Zampano. Ce lieu
aux Cahiers du Cinéma : représente alors la rupture, la douleur. Le ilm se clos sur la plage, de nuit ,
où est venue s’échouer Zampano après avoir appris la mort de Gelsomina. La
encore, la plage représente la douleur, la mort et la mélancolie. L’homme étant
“Je cherchais des modèles illustres, comme Leopardi, pour
venu dans ce lieu pour rechercher le fantôme de Gelsomina, son souvenir.
justiier cette crainte du maillot, cette incapacité à prendre du bon
temps comme les autres qui allaient barboter dans l’eau (c’est
La scène inale de La Dolce Vita (1960) se ini également en bord de mer.
peut-être pour cette raison que la mer a pour moi un tel charme,
Après la in de la fête, Marcello se retrouve sur la plage à l’aube. Son amertume
comme d’une chose jamais conquise : l’endroit d’où viennent les
envers sa perte de morale s’incarne à travers l’étrange animal marin, cette
monstres et les fantômes).”
raie géante morte. Au même instant la jeune ille, symbolisant la candeur,
La rêverie Fellinienne naît sur les plages d’hiver de Rimini. Le réalisateur essaye de se faire entendre du protagoniste. La mer et la plage représente la
n’utilise pas la plage et la mer pour leurs uniques fonctions illustratives, s’en perte de naïveté, la dégradation de la morale et la dépravation de la nouvelle
servant de paysage, la mer a toujours un rôle symbolique et narratif. génération. Il représente le passage d’un monde à un autre. Le montre passant
de la sphère aquatique à celle terrestre, le monde de la nuit à celui du jours,
Dans les Vitelloni, (1953) la présence de la mer vient à plusieurs reprises. celui du travail représentés par les pêcheurs, à celui du divertissement.
La première fois la mer est le lieu de la transgression, le lieu où les mœurs La encore Fellini s’appuie sur la vision traditionnelle de la plage comme lieu
perdent leurs rigidités. C’est là que le comédien entraîne l’un des personnages, de frontière.
Leopoldo, durant la nuit, sous le vent et les vagues, pour le séduire.
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Bien que dans le Satyricon de Fellini, le poète Eumolpo afirme que « la un sentiment d’attente, d’hibernation. Ce sont les traces de l’été durant l’hiver,
mer est bonne », dans les ilms de Fellini elle ne fait jamais référence à un les souvenirs d’une époque révolue. Ces lieux sont porteurs de mélancolie par
moment festif ou heureux. Elle est toujours représentative de la douleur, leurs contrastes avec la réalité hivernale. Tout semble être «mis sur pause».
d’une désillusion, de rêves perdus ou pervertis, de mort, comme le montrent
les funérailles dans E la nave va. Le photographe Luigi Ghirri traduit parfaitement cette attente, ce malaise
latent, de ce lieu de vie qui retient son soufle.
Luigi Ghirri aimait convoquer cette scène du ilm de Fellini dans laquelle Le tourniquet est immobile (Figure 21), perdu dans le vide de la plage. Il
« un homme marche le long d’une route, au bord de la mer, une femme est est le symbole du temps qui passe, de la roue qui tourne. Il est à l’arrêt. Le
en train d’étendre du linge en fredonnant une chanson. En arrière-plan, des temps hivernale est une période durant laquelle le lieu créé une dimension
enfants jouent sur une esplanade et, un peu plus loin, un chapiteau de cirque surnaturelle, comme un monde parallèle à celui qui lui ai familièrement
et un manège ». Commentant ce photogramme de la Strada, il écrivait : associé, celui de l’été. On se prend à imaginer des utilisateurs, des personnages
qui rentreraient dans le cadre de la photographie pour animer l’objet. Le seul
« C’est toute une façon nouvelle de pénétrer le paysage qui personnage qui pourrait insufler un soufle de vie à ce mécanisme est le
m’a été révélée, de par ce spectacle si familier, sans emphase ni personnage de la nature, s’incarnant dans la igure du vent ; le grincement du
rhétorique, cet impact si doux. » tourniquet comme râle de réanimation.
La plage et la mélancolie Ces aménagements à l’abandon sont source de mélancolie, qui est au Moyen
Dans son Bulletin des navigateurs, Luigi Ghirri parle du paysage Age était associée à la mer. C’est en littérature le « sentiment d’une tristesse
marin comme d’une vision qui lui «devient familière, scène idéale pour le jeu vague et douce, dans laquelle on se complaît, et qui favorise la rêverie
de la vie, qui se déroule sur une toile de fond apparemment ixe et immuable ». désenchantée et la méditation (thème poétique et littéraire cher aux pré-
Il réduit les formes et les couleurs à l’essentiel. Les plages abandonnées romantiques et aux romantiques) », d’après la déinition du CNRTL.
par les vacanciers retrouvent calme et sérénité. Baignées dans une lumière La photo suivante de Luigi Ghirri représente également un jeu d’enfant (Figure
blanchâtre, elles ont un côté irréel, mélancolique. 22). Cette structure qui normalement est en mouvement, reste ixe. Dans ce
cliché il y a néanmoins une présence humaine, mais qui reste anecdotique.
Les aménagements balnéaires, que sont les bars, les kiosques de locations de Le personnage à droite est ridiculement petit. Il semble être ajouté, être en
chaises longues, les parcs d’attractions, sont fermés durant la basse saison. En suspend. La différence d’échelle accentue l’écart qu’il y a entre la structure
théorie ils devraient être démontés et retirés durant l’hiver. Dans les faits, ils et le personnage. La distance qui les sépare représente la durée de la saison
restent présent, simplement démantelés et emballés. Ces structures renvoient hivernale.
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il deserto rosso, antonioni, 1964
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Les fantômes du désert rouge
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Méthodologie de tournage Le tournage
Les intentions
Dans un premier temps, il y a un an de cela, j’ai commencé a ilmer
Les recherches exposées précédemment m’ont permises de façonner ces villes de bords de mer, Rimini, Riccione, Milano Marittima, Cesenatico,
mon ilm, aussi bien dans le fond que dans la forme. Nous allons voir durant l’hiver.
comment. Baignée par les ilms du cinéma italien des années soixante, j’ai voulu ilmer
Ce n’est pas directement que je me suis intéressée aux espaces balnéaires. C’est ces lieux, ces villes, ces plages comme des personnages. J’ai pris le parti
sous l’angle de l’espace public que j’ai abordé ce sujet. Depuis longtemps les de réaliser quasiment que des plans ixes. Cette ixité de l’image renforce
lieux abandonnés et en marges m’intéressent, car avec eux se pose la question l’absence de mouvements à l’écran. C’est une ville fantôme que j’ai voulu
du rôle de l’espace public. Ce sont des espaces n’appartenant à personne et à représenter, vide d’âmes humaines, comme un lieu pots-apocalyptique. De
tout le monde en même temps. Ils n’ont plus de fonctions prédéinies, ce sont l’humain il ne reste que la trace de ses constructions.
les occupants qui leurs en donne une. L’acte politique de ré-appropriation Les baraquements de la plage nous rappellent un passé lointain, un ailleurs.
d’un lieu par un groupe de personnes m’a amené à explorer la zone balnéaire À l’intérieur de la ville c’est également des fantômes que je traquais, des
de la Riviera Romagnola. formes, des ombres.
Par la suite je me suis rendu compte, que ce qui m’intéressait réellement ce L’activité estivale est tellement caractéristique de ces lieux qu’il m’était
n’était pas quels types de détournements pouvaient être effectués dans ces impossible de ne pas la représenter. L’été fait parti du présent de l’hiver. On ne
lieux, mais bel et bien l’acte en soit, comme revendication politique. peut se balader sur la plage, sans avoir des lashs, des réminiscences de scènes
Cet acte, c’est également celui de l’architecte, de l’urbaniste, qui projettent estivales. Notre esprit anime ces lieux par des visions d’une autre saison.
des espaces publics, des places, des parcs et donnent un rôle et un sens aux
espaces. Durant l’été qui a suivi, j’ai donc été capturer la vie des plagistes. Je suis
retournée sur les lieux que j’avais ilmés pendant l’hiver. Les plans sont
Les villes touristiques balnéaires qui constituent la Riviera Romagnola sont très clos et denses. J’ai cherché à représenter l’étouffement et la foule par
pour la plus grande part désertées durant la période hivernal. Ce n’est plus des cadrages serrés et ne laissant pas d’échappatoires. Les scènes qui ont
un simple terrain qui est livré à soi-même mais une ville entière. Or, aucun attirées mon attention étaient celles reproduisant des actes privés dans un
changement de la politique urbaine ne semble advenir. Le programme reste espace public. Les thématiques du décor et du théâtre ont été traitées par
désespérément mono-fonctionnel. Les villes saisonnières, et les espaces l’aplatissement des plans dans une même image.
publics de moins en moins qualiiées.
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Le montage
Vient l’hiver. Les plans sont longs et blancs en contraste avec la multiplicité
de couleurs de la partie estivale. Ils sont appuyés, pouvant quelques fois
aller jusqu’à l’ennui. Une fois le décors planté, l’ambiance de ville fantôme
façonnée, surgissent les revenants. Ces lashs-back renforcent le contraste
entre les deux réalités de ces lieux, et nous rappellent les thèmes du souvenir
et de la mélancolie. La plage devient un lieu irréel où les rêves s’incarnent
dans la réalité.
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coNclusioN conscients de l’absurdité de la société du spectacle, nous acceptons d’être
les acteurs de la farce et, en même temps cherchons à percer le décor, et à
retrouver la véracité de la nature, incarné par la mer.
L’hypothèse que les villes touristiques sont le relet de la société de
spectacle et de consommation a été vériiée par cette recherche.
Le présupposé que les lieux balnéaires soient un aperçu de ce que deviendra
La plage est un théâtre où notre société se libère de ses mœurs, et se met à nue
la ville en général, ne peut pas être validé avec certitude, néanmoins plusieurs
pour jouer sa comédie, ou plutôt sa tragédie. à travers l’étude de l’évolution
arguments vont dans ce sens. Le livre, Le ParK, de Bruce Begout est une
de notre société, par le bais des écrits de Hannah Arendt, Guy Debord ou
vision extrême de ce que pourrait devenir notre société, l’architecte en étant
encore Francesco Masci, nous avons pu comprendre le passage d’une société
le concepteur ou du moins un des responsables. Plus proche de nous, des
basée sur l’« être » à celle du « paraître ». La société n’est plus réglée par
villes comme Las Vegas, Miami ou encore Dubai sont des exemples de l’idéal
l’activité mais par la passivité, c’est à dire par le temps des loisirs et de la
architectural et urbain actuel. Dans ces villes l’espace public est soumis à un
consommation. Ce changement a inévitablement modiié le visage des villes.
contrôle permanent et n’est plus à la disposition des citoyens, et au contraire,
Les passe-temps et le divertissement sont les moteurs de développement des
ce sont eux qui doivent s’adapter aux espaces.
villes. Ce phénomène est d’autant plus lisible dans les villes touristiques.
L’analyse urbaine de Milano Marittima nous a permis d’établir un état des
Il est impossible de nier la culpabilité des architectes et des urbanistes dans
lieux, de mettre en évidence les conséquences d’une politique sous-tendue par
cette dérive du monumental et du factice, et la perte qualitative des espaces
le divertissement et l’éphémère. On s’est rendu compte que cette ville n’est
publics, bien que ce ne sont évidemment pas les seuls acteurs, et que la
pas une ville a proprement parler, mais juste une juxtaposition de différents
politique économique mondiale en est la principale responsable. Néanmoins,
types architecturaux soumis à la déesse du spectacle. Le tissu est fractionné et
il est primordiale que les questions du rôle politique de l’architecte et son
sans réel sens, ce n’est qu’un décor, des images faisant illusion.
impact sur la société soient remises à l’ordre du jour, aussi bien dans la
L’analyse esthétique nous permet, quant à elle, d’étudier l’impact de ces
pratique mais surtout dans l’enseignement de l’architecture et de l’urbanisme.
images. L’évolution de la représentation de la mer à travers la peinture
moderne aide à la compréhension de l’état actuel des choses. Les cinéastes tels
que Fellini, Antonioni et Pasolini ont été les premiers à voir ce que cette jeune
société d’après guerre, produisait comme mode de vie, idéologie et comme
espaces. La mer est associée à l’errance et à la mélancolie. Il semblerait que
le malaise que notre société produit vient s’incarner sur les plages. La plage
dans sa dualité saisonnière représente la dualité de notre société. Bien que
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bibliographie
- JürgeN Habermas, l’espace public : archéologie de la publicité comme dimension constitutive de la société bourgeoise, Payot, Paris, 1997
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iconographie
1. Felix VallottoN, sur la Plage, 1899, huile sur carton, 42cm x 48 cm, collection privée, Fondation Felix Valloton, lausanne.
8, 9, 10 source : reti idrograiche e strutture urbane : i bacini luviali della romagna nel sistema insediativo : contributi e linee di indagine delle dinami
che evolutive per una eicace mitigazione del rischio idrogeologico, maria giulia marziliano; Piero secondini, Firenze, alinea, 2008.
11, 12 idem
13. claude moNet, impression soleil levant, 1872, Huile sur toile, 48 cm × 63 cm, musée marmottan monet, Paris, France
14. Pierre-auguste reNoir, les baigneuses, Vers 1918-1919, Huile sur toile,110 cm x 160 cm, musée d’orsay
15. georges seurat, une baignade à asnières, 1884,Huile sur toile, 201 cm × 300 cm, National gallery londres
16. Paul cÉZaNNe, les grandes baigneuses, 1898-1905, Huile sur toile, 210cm x 251 cm, Philadelphia museum of art
17. edVard muNcH, le cri, 1893, tempera, Peinture à l’huile, Pastel, 91 cm x 74 cm ,musée munch, Nasjonalgalleriet
18. Pablo Picasso, deux femmes courant sur la plage ou la course, 1922, gouache sur contreplaqué ,32,5 cm x 41,1 cm, musée Picasso Paris
19. Pablo Picasso, Femme assise sur la plage, 10 février 1937. Huile, fusain, et pastel sur toile, lyon musée des beaux-arts
20. reNato guttuso, la spiaggia, 1955-1956, Huile sur toile, 301 cm x 452 cm, galeria Nazionale Parma
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Filmographie
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