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L’ÉPHÉMÈRE AVEC LE CAS DE NANTES

Depuis les années 1980, avec l’essor de la ville évènemen9elle, créa9ve et culturelle, nous
observons une augmenta9on des installa9ons ar9s9ques éphémères dans l'espace public. Ces
interven9ons ar9s9ques changent la façon dont les acteurs urbains, tels que les opérateurs culturels,
les ar9stes et les ges9onnaires publics, façonnent la ville. Au cours des trente dernières années, la ville
est devenue un espace privilégié pour les ar9stes, comme le démontre la popularité croissante des arts
de rue et des formes d'arts visuels tels que l'agit-prop, le land art et l'art contextuel. Ces expressions
ar9s9ques éphémères transforment temporairement l'espace urbain en interagissant avec la rou9ne
quo9dienne de la ville. C'est un spectacle vivant de performances qui interagit et parfois confronte la
ville et ses résidents. L'éphémère dans ces œuvres ar9s9ques est lié à la no9on d'événement. Favorisée
par les poli9ques culturelles, la mise en scène d'événements est vue comme un moyen de renforcer le
lien social dans une ville qui se veut créa9ve, conduisant à la no9on de "ville événemen9elle".
Aujourd’hui, c’est devenu un véritable ou9l de marké9ng. En effet, certaines anima9ons donnent une
image cogni9ve de la ville et vont labélisés des territoires comme le fes9val de Cannes à Cannes ou le
fes9val du jazz à Montréal. Au-delà des phénomènes de consomma9on que ces événements
entrainent, ils permeSent aussi une pra9que du corps, une sollicita9on polysensorielle. Les 5 sens sont
engagés ainsi que le 6ième : la marche. En effet, on va être amener à déambuler, à être acteurs de
l’espace. La place du piéton est redéfinie en ville. D’après Benjamin Pradel : « l'urbanité événemen9elle
est une construc9on interac9ve entre les par9cipants qui u9lisent les aménagements comme des
prises symboliques et matérielles pour produire des normes implicites de comportements qui se
déploient dans l'instantanéité des pra9ques. ». C’est le cas avec les anima9ons du Quar9er des
spectacles. En effet, les anima9ons éphémères (étudiés sur la place des fes9vals à Montréal) montrent
que les usagers u9lisent davantage les espaces publics lors de la présence d’événements éphémères.
Ces événements créent du mouvement, une ambiance qui sort de l’ordinaire et alors, de l’anima9on.

D’après l’ar9cle « en marge du Quar+er des spectacles : tensi+vité et trajectoires opposées du


Spectrum et du Café Cléopâtre » de Jonathan Cha et Éléonora Diaman9, la créa9on du Quar9er des
spectacles s’est faite avec la présence d’une tension entre la volonté de conserver l’aspect culturel et
la volonté de créer une place pour les fes9vals et alors faire rayonner Montréal comme une ville
culturelle aSrac9ve à l’échelle mondiale. En effet, les promoteurs ont exercé une pression pour que
ceSe place existe malgré les contesta9ons des citoyens pour sauver certains bâ9ments comme le
Spectrum de la démoli9on. Cela montre la différence entre une place public réfléchie pour les citoyens
(et par les citoyens) et une place « alibi » qui n’existe pas sans programme, créer dans le but de faire
du lobby. Cela montre aussi les limites de la planifica9on urbaine, inflexible, qui cause alors des conflits
car ne s’adapte pas à la popula9on. Pour Anne Durand dans « Mutabilité urbaine, la nouvelle fabrique
des villes », la rigidité de la planifica9on urbaine « fabrique l’absence de vie et par conséquent la
difficulté pour chacun des acteurs, qu’ils soient élus, techniciens ou habitants, de pouvoir réaliser leur
projet ». C’est le cas avec la place des fes9vals, où en l’absence de planifica9on événemen9elle, la place
se retrouve déserte et sans vie. À Montréal, la stratégie culturelle de la ville a donc été de transformer
un quar9er historique, l'ancien Red Light, en un espace dédié aux arts appelé Quar9er des Spectacles
selon une planifica9on urbaine. Pour Anne Durand « Planifier, c’est alors organiser une succession
d’ac+ons dans le temps pour abou+r à un objec+f par+culier ». Le Quar9er des Spectacles ne laisse pas
place à l’imprévisible, et l’éphémère ne peut donc pas influencer l’espace car il est prévu dans ses
moindre détail. Il a alors pour seul répercu9ons d’animer celui-ci et de procurer aux usagers de
nouvelles sensa9ons, de nouvelles images qu’ils n’arrivent pas forcément à s’approprier (car cela n’est
pas de leur ini9a9ve).

De nouvelles ini:a:ves

À Nantes, la stratégie de développement culturel est basée sur un projet global, sans cesse
repensé lors de son processus, plutôt que sur une infrastructure spécifique. L'épanouissement culturel
de Nantes a été ini9é par des ar9stes de rue, notamment des troupes comme Royal de Luxe, qui
u9lisent des installa9ons éphémères monumentales. Ces projets ont eu un impact dans la
représenta9on de la ville et la construc9on de son iden9té. Ils témoignent du glissement d’une
installa9on éphémère au service d’un projet ar9s9que à une installa9on éphémère au service du projet
urbain. Nantes est un bon exemple de mutabilité comme décris par Anne Durand « la capacité à
s’adapter posi+vement aux transforma+ons et à favoriser l’avènement des possibles non envisagés
préalablement ».
Après la clôture des chan9ers navals en 1987 provoquant un trauma9sme qui a touché à la
mémoire collec9ve des habitants, une grande par9e de l’île a été délaissée. Pour faire face à cela,
Nantes a décidé de prioriser la culture afin de rendre ce site de nouveau aSrac9f. Élu maire en 1989,
Jean-Marc Ayrault a soutenu les ar9stes explorant l’Île de Nantes en tant que terrain ar9s9que, en
meSant en place un département pour le développement culturel basé sur des projets spécifiques. Ses
acteurs le qualifient « d’une somme d’expériences vivantes, une manière d’inventer le projet chemin
faisant, en le réalisant dans l’espace public » (Alexandre Chemetoff, 2010). C’est un projet qui a su
s’adapter grâce à la place qu’il a donné à l’imprévisible. Le temporaire a permis un temps de
l’expérimenta9on et la fabrique d’un imaginaire commun à travers notamment des compagnies
ar9s9ques comme Royal de Luxe. Pour construire son projet de revitalisa9on, Nantes n’a pas u9lisé une
planifica9on unilatérale du site mais une planifica9on progressive et par9cipa9ve (souvent cri9qué car
davantage sous la forme de communica9on que de partage) qui a laissé la place à l’éphémère. Pour se
Faire Nantes a élaboré un Plan-guide n’ayant pas de valeur contractuel et proposant des idées et
favorisant les négocia9ons. Ce plan guide donne des plans et des projec9ons renouvelés tous les trois
mois et n’impose pas une vision future pour le projet. « Il repose sur de nombreuses incer+tudes et
s’est adapté con+nuellement par le biais des principes structurants centrés sur l’espace public et des
îlots dont l’affecta+on n’était pas précisée ». Il laisse alors à l’éphémère l’occasion d’apporter des
changements au projet final. En effet, le projet de Nantes a su prendre en comptes différentes
temporalités dont les temps court caractéris9ques de l’éphémère. En effet, dans des projets d’une telle
envergure, certains temps d’aSente sont présents entre le moment où la ville acquiert un territoire et
le moment où le projet défini9f débute réellement. L’accepta9on du provisoire est devenue une des
composantes du projet. C’est le cas de l’usine Lu, acheté par la ville de Nantes, et qui en aSendant que
sa réhabilita9on débute, a été confié pour une durée de 3 à 5 ans à des plas9ciens et à des compagnies
comme Royal de Luxe. C’est donc en 1989 que Nantes a accueille la troupe Royal de Luxe. CeSe troupe
a transformé la ville en un théâtre vivant, permeSant aux habitants de la redécouvrir. Les spectacles
comme la saga du Géant tombé du ciel en 1994 ont cap9vé les résidents, offrant une nouvelle vision
de leur ville. Ces ar9stes, avec leur perspec9ve unique et inspirante, ont transformé ces espaces en
terrains d’histoires s9mulant l'imaginaire commun. CeSe période fes9ve a également marqué une
collabora9on accrue entre les ar9stes et l'administra9on municipale, avec des événements comme la
rue du Cargo 92, rassemblant des talents tels que Royal de Luxe. Ces collabora9ons ont posé les bases
de partenariats fructueux qui ont influencé les pra9ques ins9tu9onnelles. Trois étapes dans l'évolu9on
des ini9a9ves culturelles urbaines de Nantes sont iden9fiées. La première étape (1989-1997) est
marquée par l'expérimenta9on, avec l'arrivée d'ar9stes innovants. La deuxième étape (1997-2007) voit
l'ins9tu9onnalisa9on de ces ini9a9ves, meSant l'accent sur la pérennisa9on de l'éphémère. La
dernière étape (2007-2015) reflète la ges9on de l'art comme une caractéris9que iden9taire de la ville
de Nantes.

Le temporaire comme expérimenta:on

D’après le Plan-Guide, l’incer9tude est alors une des cons9tuantes essen9elles du projet de l’île de
Nantes. D’après Anne Durand, « lorsque l’incer+tude est l’un des éléments principaux dans la réalisa+on
d’un projet, le rapport au temps se modifie et l’accepta+on du provisoire devient une composante du
projet ». Dans le cadre du projet de l'île de Nantes, on assiste à une pluralité de projets de
requalifica9on. Ces ini9a9ves englobent non seulement des programmes spécifiques préétablis mais
également des usages provisoires d'espaces délaissés, une approche peu u9lisé dans le développement
urbain. Bien que ceSe pra9que suscite des réserves — notamment la crainte d'une précarité pérenne,
d'une appropria9on illicite des espaces, d'engagements financiers jugés secondaires en raison du
caractère éphémère, ou encore de probléma9ques sécuritaires —, elle est u9lisée dans la construc9on
urbaine de Nantes. CeSe culture de projet éphémère a pris racine grâce aux ini9a9ves des Ateliers de
l'Île de Nantes. L'exemple de la Samoa, installée temporairement dans les Halles Alstom, illustre ceSe
dynamique, s'éloignant ainsi des modèles descendant (top-down) où les décideurs restent souvent loin
des terrains qu’ils plannifient. « CeIe stratégie d'occupa+on des lieux, qui a simplement nécessité un
neIoyage approfondi et une remise en peinture de certaines portes, s'aligne avec la philosophie de
construire la ville en la vivant » Chemetoff (2010, p.46).Les Halles Alstom incarnent un exemple
significa9f de ceSe disposi9on à accueillir et à u9liser provisoirement un espace. À la suite d’une
décennie d'existence transitoire, elles ont vu défiler une cinquantaine d'en9tés économiques. CeSe
approche pragma9que et innovante a finalement séduit et s'est ins9tu9onnalisée au-delà des
fron9ères de la région nantaise, influençant notamment la métropole parisienne à par9r de l'horizon
2015 (par exemple avec le projet des Grands Voisins à Paris 14).

En effet, les vastes halles industrielles de l'entreprise Alstom (26 000 m²) incarnent un pan
significa9f des métamorphoses de l'île de Nantes. Cet espace, témoin d'un riche passé industriel, fut
en cours de transforma9on pour accueillir, en 2017, l'École Supérieure des Beaux Arts de Nantes
Métropole (ESBANM), un pôle universitaire axé sur les cultures numériques, un incubateur
d'entreprises, ainsi qu'une can9ne numérique et divers espaces de restaura9on. En amont de ceSe
conversion défini9ve, les Halles Alstom ont joué un rôle pionnier en ma9ère d'occupa9on temporaire
de 2001 à 2011. Ce fut un intermède créa9f pendant lequel la Samoa (Société d'Aménagement de la
Métropole Ouest Atlan9que) s'y est établie en 2003, en plus d'une mul9tude d'autres u9lisa9ons :
ateliers d'ar9stes, espaces pour entreprises innovantes (avec plus de 50 entreprises recensées en 2010)
et lieux pour des événements culturels et ar9s9ques variés (tels que l'exposi9on « Le Grand Répertoire
», le fes9val Scopitone, des marchés de vêtements vintage comme la Fripe Party, ou encore des
rassemblements conviviaux tels que Crêpe-town). CeSe période a été le catalyseur d'une approche
unique et spécifique au développement de l'Île de Nantes. Les expériences menées au sein des Halles
Alstom ont pavé la voie à une nouvelle généra9on de projets de réhabilita9on temporaire, illustrés par
trois exemples notables comme le Kar9ng en 2012, Solilab en 2014 et CHapidock en 2012. Ces
ini9a9ves témoignent d'une volonté d'intégrer l'aspect transitoire comme une composante intégrale
et innovante dans la concep9on et la revitalisa9on urbaine.
Fabriquer un imaginaire commun pour construire le futur (Cas de Royale De Luxe)

Royal de Luxe : présenta:on de la compagnie

Fondée en 1979 à Aix-en-Provence par Jean-Luc Courcoult, Véronique Loève et Didier Gallot-
Lavallée, Royal de Luxe est une pres9gieuse compagnie française de théâtre de rue. Depuis 1989, sous
la direc9on de Jean-Luc Courcoult, elle a établi son siège à Nantes. La compagnie, acclamée sur la scène
interna9onale, est célèbre pour ses spectacles, mêlant parades urbaines et performances fixes, avec la
rue comme scène principale. Avant de prendre racine à Nantes, la compagnie Royal de Luxe avait déjà
une décennie d'expérience. Fondée en 1979, elle présente son premier spectacle "Le Cap Horn" la
même année. Bien avant d'être ins9tu9onnellement reconnue, la troupe a passé ses premières années
à forger son iden9té. À Aix-en-Provence puis à Saint-Jean-du-Gard, Royal de Luxe a progressivement
créé et développé des personnages embléma9ques qui peuplent ses spectacles, tels que la péniche, le
cheval ou l'éléphant. À ces débuts, l'ambi9on de la compagnie était de créer des œuvres "pour la rue
et dans la rue", insistant ainsi sur le fait que tout se déroule toujours en extérieur. En 1980, la
compagnie adopte officiellement le nom de Royal de Luxe. C'est également à ceSe époque que François
Delarozière rejoint la troupe, marquant le début d'une riche collabora9on. La compagnie se dis9ngue
alors par son théâtre "d'accident", où l'ac9on théâtrale surgit spontanément dans la vie quo9dienne,
sans préavis, bouleversant le quo9dien urbain. Lorsqu'ils s'installent à Toulouse en 1984, leur
renommée ins9tu9onnelle prend son envol, notamment grâce à des spectacles comme "Les Grands
Mammifères" et "Histoire d'amour entre un cheval et une péniche". Lorsqu'ils s'établissent finalement
à Nantes, leur renommée ne fait que grandir, et ils con9nuent de se faire connaître interna9onalement.
Royal de Luxe a toujours privilégié la gratuité de ses représenta9ons, assurant ainsi l'accessibilité à un
large public. CeSe démarche renforce leur interac9on singulière avec l'espace public, où ils meSent en
scène leurs produc9ons. En 1989, face au refus de Toulouse de lui octroyer un sou9en financier, Royal
de Luxe lance un appel à travers les médias na9onaux. Jean-Marc Ayrault, alors maire de Nantes, invite
alors la compagnie dans sa ville, en lui garan9ssant des subven9ons et des espaces de travail.
L'administra9on de Nantes était déjà familière avec la troupe, ayant accueilli par le passé certains de
leurs spectacles. Pour donner suite à son implanta9on à Nantes, la compagnie dévoile le spectacle "La
véritable histoire de France", qui est présentée lors du fes9val d'Avignon en 1990. CeSe par9cipa9on
marque une étape supplémentaire dans leur reconnaissance ar9s9que. Au fil des années, les arts de
rue en France gagnent en notoriété et sont de plus en plus perçus comme un genre ar9s9que majeur.
De ce fait, de nombreuses compagnies comme Royal de Luxe se voient sollicitées par les municipalités
et les fes9vals. Au sein du paysage nantais, la compagnie Royal de Luxe s'est rapidement dis9nguée,
notamment par l'ini9a9on, en 1991, d'un projet ambi9eux : la tournée-spectacle Cargo 92,
commémorant le cinquième centenaire de la découverte de l’Amérique par Christophe Colomb. CeSe
ini9a9ve représente un tournant significa9f pour la compagnie. Elle marque la transi9on d'une pra9que
théâtrale en plein air, centrée essen9ellement sur des représenta9ons sta9ques, vers des spectacles
déambulatoires influençant un territoire plus étendu, englobant les centres-villes. Il est à noter que les
décors, dans ceSe nouvelle approche, ne sont plus uniquement conçus en tant qu'accessoires
scéniques. Ils s'imbriquent et interagissent avec le 9ssu urbain existant.

Exemple de la Saga des Géants

En 1993, la compagnie Royal de Luxe a inauguré un nouveau chapitre de son histoire ar9s9que
avec le lancement de "La Saga des Géants", marquant ainsi un tournant dans l'approche spectaculaire
de l'espace urbain. François Delarozière, en tant que créateur, a concré9sé ceSe vision par la
concep9on d'un Géant qui, tombé du ciel, vient perturber l'ordre établi des échelles en milieu urbain.
La présence imposante du Géant, évoluant à travers les artères de la ville, a non seulement remodelé
l'imaginaire collec9f mais a également engendré un récit urbain dynamique et en constante évolu9on.
La réflexion sur la juxtaposi9on et l'interac9on des monuments urbains avec l'art théâtral s'est trouvée
au cœur de la démarche de Royal de Luxe. D’après Emmanuellle Gangloff dans sa thèse « Quand la
scénographie devient urbaine » Les organisterus de Royal de Luxe, interrogés sur la raison d'intégrer
des figures gigantesques au sein de l'espace urbain, ont explicité que l'origine de ceSe ini9a9ve réside
dans une interroga9on de longue date : « comment narrer une histoire qui s'adresse simultanément à
l'ensemble d'une cité ? ». Il y a donc une volonté chez Royal De Luxe à parler à l’ensemble de la
popula9on nantaises, de créer une œuvre qui parle à tous.
La première œuvre de ceSe série, imprégnée d'une nature fabuleuse, narre l'aventure d'un
Géant capturé par les humains et exhibé dans une cage. Confronté aux cauchemars tourmentant ses
nuits, un mur de lumière est érigé dans l'espoir de troubler son sommeil. Cependant, lors d'une nuit
par9culière, le Géant rêve avec une telle intensité qu'il s'évapore dans l'éclat lumineux, laissant derrière
lui une légende qui con9nue de résonner dans l'esprit des spectateurs et des habitants. CeSe narra9on
ne se contente pas de relater un conte ; elle invite à une réflexion plus profonde sur la manière dont
les récits et les mythes s'entremêlent avec l'espace vécu, influençant ainsi la percep9on et l'expérience
collec9ve de la ville. Au sein de l'univers théâtral de Royal de Luxe, l'évolu9on narra9ve s'appuie sur le
retour et la con9nuité des personnages, qui, au fil des représenta9ons, se voient aSribuer des
aventures renouvelées, 9ssant ainsi une trame con9nue au cœur de l'espace urbain. La figure du Géant,
après s'être éclipsée, réapparaît pour renouer avec La Pe9te Géante, et, dans une suite spectaculaire
in9tulée El Xolo, c'est l'oncle de ces personnages qui vient à la rencontre du public. Les spectacles
cons9tuent alors une forme de « rendez-vous collec9f » pour les habitants.

La troupe Royal de Luxe se dis9ngue par son habileté à jongler entre théâtre sta9que et
performances i9nérantes. Leur approche, qualifiée de "théâtre d'accident", se base sur une mise en
scène surprise, montée rapidement et en secret pendant la nuit, afin de cap9ver les citadins à l'aube.
CeSe stratégie de mise en scène inaSendue se manifeste également dans la discré9on avec laquelle
sont dévoilés les i9néraires des spectacles déambulatoires de la Saga des Géants, où seuls quelques
indices disséminés en ville annoncent sub9lement les événements à venir. Toutefois, avec la croissante
notoriété de la compagnie et un sou9en ins9tu9onnel renforcé, le caractère improvisé et spontané de
ces représenta9ons tend à s'orienter vers une forme de théâtre an9cipé, voire programmé. La décision
de la ville de financer la troupe a permis à ceSe dernière de proposer des créa9ons ar9s9ques
novatrices qui réinventent l'espace urbain en scène vivante. D'un côté, pour les autorités municipales,
ceSe expérience a révélé un nouveau poten9el de collabora9on ar9s9que. De l'autre, pour la
compagnie désormais soutenue financièrement, ceSe opportunité a donné naissance à de nouvelles
ambi9ons scéniques. Nantes, en devenant le berceau de la Saga des Géants, a permis à la ville elle-
même de s'insérer dans la narra9ve des spectacles. Les médias et la mémoire collec9ve des habitants,
relayant ces événements, ont érigé Nantes en un théâtre à ciel ouvert, où la ville et la troupe
s'entremêlent pour créer une expérience théâtrale urbaine unique et mémorable.

Depuis plus d'un quart de siècle, les créa9ons de Royal de Luxe prennent forme et vie dans la
ville de Nantes, devenant ainsi un patrimoine culturel vivant qui éveille l'émo9on collec9ve au travers
d'un récit urbain grandeur nature. Ces spectacles posent un regard nouveau sur l'aménagement urbain
de Nantes, en intégrant sub9lement le ressen9 dans le développement de la cité. Les performances de
Royal de Luxe sont une invita9on à redécouvrir les recoins de la ville, meSant en lumière ses
irrégularités souvent invisibles. Au fil du temps, les ar9stes ont exploré diverses formes d'expression
scénique et ont porté un regard innovant sur l'espace urbain. CeSe démarche ar9s9que a, en écho,
engendré une résonance affec9ve au sein de la popula9on, mobilisant les émo9ons et capturant
l'expérience sensorielle des résidents, un constat qui se vérifie dans l'engagement émo9onnel des
Nantais face aux parades spectaculaires de la Saga des Géants qui transfigurent leur décor quo9dien.
Avec ces spectacles, la ville porte une aSen9on par9culière aux espaces transitoires, ceux en muta9on
et les zones de passage, les animant par des interven9ons ar9s9ques temporaires. La Loire, par
exemple, devient souvent le théâtre du dénouement des parades, soulignant le lien profond entre les
Nantais et l'océan. La no9on de temps s’infiltre alors dans les représenta9ons, qu'elles s'étalent sur un
jour, une semaine ou s'inscrivent dans la durée. Les équipes organisent et adaptent le rythme de la ville
aux cycles des événements ar9s9ques, permeSant ainsi à la popula9on à jouer avec le temps, soit en
suspendant le quo9dien lors de moments marquants, soit en prolongeant des instants éphémères à
travers un récit con9nu. L'imaginaire collec9f de Nantes s'est enrichi de ces expériences, d'abord
relayées par les ini9a9ves ar9s9ques, puis soutenues et ins9tu9onnalisées par la municipalité. Ces
pra9ques ont laissé des empreintes dans le paysage urbain, notamment à travers la préserva9on de
certaines œuvres, mais aussi dans la diffusion d'images, d'émo9ons et d'un vocabulaire propre à ces
événements. Ces expériences ar9s9ques confèrent à Nantes une dimension esthé9que dis9ncte,
complétée par une des 'interven9ons ar9s9ques urbaines et temporaires, qui façonnent son iden9té
et enrichissent son patrimoine culturel.

SOURCES

Thèses Emanuelle Gangloff « Quand la scénographie devient urbaine : Nantes comme observatoire des
fonc+ons du scénographe dans la fabrique de la ville »

Livre Anne Durand « Mutabilité urbaine. La nouvelle fabrique des villes »

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