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Biologie-santé (Biologie animale)

Biologie animale

faucheuxLes
William Shear
Proches des araignées, les faucheux, ou opilions, sont des espèces
familières et cependant méconnues. C’est sous les tropiques
que leur diversité explose.

S ouvent, l’une des premières questions


que l’on me pose après une de mes
conférences est la suivante : « Est-il
vrai que le venin des faucheux est le plus
puissant du monde animal?» En réalité, les
le naturaliste suédois Karl Sundevall (du
latin opilio : berger), peut-être en réfé-
rence aux échasses utilisées autrefois par
les bergers. Le faucheux typique a un corps
compact de quelques millimètres (de moins
aussi des informations tactiles et proba-
blement chimiques, un peu comme les
antennes des insectes.
Contrairement à leurs cousines, les arai-
gnées (ordre des Araneae), les faucheux
faucheux ne produisent pas de venin. Cette de un millimètre et demi à 22 millimètres ne sécrètent pas de soie et ne construisent
légende est née probablement d’un mal- pour le plus grand, Trogulus torosus), équipé donc pas de toile, et leur corps apparaît
entendu: un article sur une araignée aus- de huit pattes filiformes grâce auxquelles compact et non pas divisé en deux parties,
tralienne affirmait que les «faucheux» ont il se déplace rapidement. le céphalothorax et l'abdomen, même si
des venins particulièrement puissants. Or, Dans la majeure partie du monde, les cette segmentation est sous-jacente. Deux
le même mot anglais (daddy-long-legs) qua- opilions à longues pattes prédominent. yeux (contre six ou huit chez les araignées)
lifie aussi bien cette araignée que les fau- Cependant, des espèces minuscules à pattes occupent souvent une petite tourelle dor-
cheux, fréquents en Europe et aux États- courtes colonisent les litières de feuilles et sale, le mamelon oculaire ou ocularium,
Unis. Lorsque l’histoire a été reprise par des l’humus. À l’inverse, il existe de grands à l’avant du céphalothorax. Petits, ils ne
journaux américains, les faucheux ont opilions tropicaux, souvent très colorés, servent vraisemblablement pas à détec-
conservé, aux États-Unis, une réputation aux corps couverts de protubérances et ter la nourriture ou les ennemis, ou à orien-
de petites bêtes venimeuses. d’épines. En outre, quelques faucheux ter l’animal, mais contribuent au contrôle
Cette anecdote illustre l’ignorance qui vivent dans des anfractuosités ou des du rythme des activités diurnes et noc-
entoure le groupe des faucheux, proche grottes; ils n’ont ni yeux ni pigmentation. turnes de chaque espèce. Comme d’autres
des araignées. Les faucheux, ou faucheurs, arachnides, les faucheux vivent dans un
constituent pourtant un groupe d’arach-
nides familier pour quiconque se promène
Un ressort monde dominé par le toucher et le goût,
plus que par la vision.
en forêt ou dans un jardin. En Europe et dans les pattes Des pattes environ 20 fois plus longues
dans certaines régions d’Amérique du Comme d’autres arthropodes, les faucheux que le corps procurent-elles un avantage?
Nord, ce nom vernaculaire vient de ce que ont une cuticule dure, armure imper- Un modèle physique de pendule inversé à
ces arachnides apparaissent dans les méable qui sert aussi de charpente externe ressort, nommé SLIP (spring-loaded inverted-
champs à l’époque des moissons ; leur où se fixent les muscles, et leurs pattes sont pendulum), suggère que oui : de longues
démarche dégingandée ressemble à celle formées de segments tubulaires articulés. pattes assurent la suspension du corps, à
d’un paysan aux longues jambes mani- On les classe parmi les arachnides en rai- la façon de ressorts; l’énergie potentielle de
pulant sa faux. Leurs noms dans les diffé- son de leurs quatre paires de pattes et parce ces ressorts est stockée dans la cuticule élas-
rents pays rappellent cette apparition qu’ils portent deux appendices en forme tique, puis convertie en énergie cinétique,
saisonnière, la longueur de leurs pattes ou de pinces, les chélicères, puis, juste der- celle-ci servant à propulser l’animal. Autre
bien leur ressemblance avec les araignées. rière, deux appendices sensoriels, les pédi- explication: les pattes surélèvent l’animal,
Au sein de la classe des arachnides, les palpes, parfois de grande dimension. La qui est ainsi à l’abri des prédateurs, telles
faucheux appartiennent à l’ordre des opi- seconde paire de pattes, habituellement les fourmis. Par ailleurs, certaines espèces
lions (Opiliones), un nom créé en 1833 par de plus grande taille que les autres, capte sud-américaines (non identifiées) de la sous-

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1. LE FAUCHEUX
PHALANGIUM OPILIO
(ici une femelle), commun
en Europe, a colonisé presque
tous les milieux : forêts, villes,
champs, bordures de cours
d’eau, etc. Comme la plupart
des opilions, c’est un omnivore.
Il est connu par ailleurs pour
les combats rituels qui opposent
les mâles avant l’accouplement.

famille des Goniosomatinae se suspendent régurgitant des enzymes, puis avalent la


à l’envers, leurs longues pattes écartées : bouillie obtenue.
de cette façon, elles ressembleraient à une On connaît cependant quelques rares
toile d’araignée et captureraient des proies cas d’opilions dont l’alimentation est
au vol. De plus, leurs extrémités sont pré- spécialisée. Au moins deux espèces euro-
hensiles et capables de s’enrouler autour de péennes, Ischyropsalis hellwigii et Trogulus
petites branches, et de grandes pattes leur tricarinatus, consomment surtout des escar-
permettent peut-être de se déplacer dans gots. À l’aide de leurs puissantes chélicères,
une végétation touffue. aussi longues ou plus que leur corps, les
Près de 6500 espèces d’opilions ont été Ischyropsalis cassent et arrachent des mor-
identifiées, dont 350 en Europe et environ ceaux de coquille de leur proie, jusqu’à ce
130 en France. Mais leur nombre réel atteint que sa chair soit mise à nu. Trogulus s’in- L’ E S S E N T I E L
sans doute le double. Elles sont répandues filtre dans la coquille grâce à ses courtes
dans les milieux tempérés jusqu’aux pattes et son corps allongé, et dévore l’oc- ✔ Les faucheux,
déserts et à la toundra, mais sont plus cupant de l’intérieur. Sa femelle pond aussi ou opilions, arachnides
fréquentes et diversifiées en forêt, en dans la coquille. Il existe peut-être d’autres apparus il y a environ
particulier tropicale. stratégies de consommation d’escargots, 400 millions d’années,
ou des opilions capables d’attaquer des comptent environ
6 500 espèces connues.
Omnivores et proies plus coriaces. On sait en effet que

amateurs d’escargots quelques faucheux tropicaux – presque


toutes les espèces de la famille asiatique
✔ Ils se distinguent
des araignées par
À la différence des autres arachnides, les des Epidanidae –, ont d’énormes et puis-
leur corps d’un seul tenant
opilions ne sont pas seulement des pré- santes chélicères, présentant de grosses
et par l’absence
dateurs, mais aussi des détritivores et des aspérités ; parce qu’ils ressemblent à ceux
de crochets venimeux
végétariens. Ils dévorent de petits arthro- des homards, on pense que ces appendices
sur les chélicères,
podes, dont certains insectes nuisibles pour servent à broyer les coquilles ou les exos-
appendices servant
les plantes tels que pucerons et cochenilles, quelettes des proies.
à l’alimentation.
et des animaux morts. Ils aspirent parfois Chez les faucheux du sous-ordre des
✔ Omnivores, ils ont
© Shutterstock/Eric Isselée

la sève de plantes ou grignotent des fruits Dyspnoi, les pédipalpes sont couverts de
ou des champignons en décomposition. soies gluantes et glandulaires. Malgré le développé des défenses
Ce sont les seuls arachnides à ingurgiter manque d’observations directes, des cher- chimiques, morphologiques
des fragments solides, alors que presque cheurs ont suggéré qu’ils agissent comme et, semble-t-il, sociales.
tous les autres digèrent leurs proies en du papier tue-mouches, piégeant de petits

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arthropodes, qui sont ensuite rapprochés contrairement au cas de certaines araignées, minuscules Cyphophthalmides de la litière
de la bouche par des sortes de peignes et l’opilion ne survit pas s’il en perd trop. forestière, qui ressemblent à des acariens,
présents sur les chélicères. Chez les espèces Des faucheux de la litière forestière sont produisent un mélange de quinones et d’al-
qui capturent des proies mobiles, les pédi- couverts de structures cuticulaires qui accu- cools. Les plus étonnants sont les travu-
palpes sont l’arme de choix. Parfois de mulent de la terre et des fragments d’hu- nioidés, qui fréquentent les sols d’Amérique
grande taille, ces appendices présentent des mus. Ces structures sont des soies courtes du Nord, d’Europe et du Japon; les rares
rangées d’épines qui servent non seulement et courbes, des bosses glandulaires sécré- espèces étudiées produisent des substances
à maintenir la proie, mais aussi à la trans- tant une colle ou des sortes de maillages. analogues à la pseudoéphédrine, le prin-
percer. Chez certains faucheux d’Amérique Associée à la capacité de ces espèces à faire cipe actif de médicaments décongestion-
du Sud, les Stygnides, l’extrémité des pédi- le mort quand elles sont dérangées, cette nants, ainsi qu’à la nicotine et à des
palpes allongés porte une «pince» hérissée stratégie les rend peu visibles par les alcaloïdes toxiques apparentés.
de piquants, qui embroche la proie. oiseaux ou les amphibiens. Elle a aussi Les méthodes de dispersion de ces com-
Prédateurs, les faucheux sont eux- longtemps rendu leur repérage et leur col- posés sont aussi variées. Certains faucheux
mêmes la proie d’amphibiens, de reptiles lecte difficiles dans la nature, ce qui créent autour d’eux un nuage de molécules
et d’oiseaux, entre autres, mais ils ne se explique peut-être pourquoi autant de nou- répulsives, car le liquide produit par les
laissent pas capturer facilement. Par velles espèces sont aujourd’hui décrites glandes se répand rapidement sur leur
exemple, la carapace dure de certains dans ce groupe. corps et s’évapore. D’autres font jaillir la
faucheux tropicaux est couverte d’épines sécrétion de leurs pattes, en jet ou sous
pointues. Un Gonyleptide sud-améri- forme d’aérosol. Les petits Cyphophthal-
cain, Acanthopachylus aculeatus, est armé
Une défense chimique mides prélèvent la sécrétion du bout de
de quatre grandes pattes à épines dont la Le mécanisme de défense des faucheux le leurs pattes et en maculent les assaillants.
piqûre est douloureuse, même pour l’hom- plus original est de nature chimique. Chez Les Dyspnoi, dotés de pédipalpes à «papier
me. Les opilions communs d’Europe et nombre d’entre eux, des glandes sécrètent tue-mouches», possèdent des ozopores et
d’Amérique du Nord abandonnent une des composés chimiques nocifs via une paire des glandes, mais on ne leur connaît pas de
patte ou deux lorsqu’ils sont attaqués, une d’orifices, les ozopores, situés latéralement défense chimique volatile.
capacité appelée autospasie ou autotomie. à l’avant du corps. Leur nature chimique Il reste beaucoup à apprendre sur la vie
La patte isolée continue à bouger pen- varie d’un groupe à l’autre. Par exemple, sexuelle des faucheux. Seules quelques
dant une minute et jusqu’à une heure chez chez les Leiobunum et opilions apparentés, espèces ont été étudiées en détail. L’exis-
certaines espèces (entre autres du fait de il s’agit d’alcools et d’aldéhydes à longues tence d’un dimorphisme sexuel chez cer-
l’activité d’un ganglion nerveux présent chaînes, qui produisent une odeur assimi- taines espèces, les mâles étant parfois plus
dans le premier segment de la patte), dis- lable à celle de vieilles chaussettes de gros, plus larges et plus cuirassés et épineux
trayant ainsi le prédateur, ainsi que l’ont sport sales. Chez la plupart des Gonylep- que les femelles, suggère que des combats
montré des expériences; toutefois, les pattes tides tropicaux et des familles apparentées, peuvent opposer les mâles. C’est le cas de
auto-amputées ne se régénèrent pas, ce sont des benzoquinones corrosives. Les l’espèce commune Phalangium opilio (voir la

CAPTURER DES PROIES


Omnivores, les opilions sont des prédateurs d’insectes, de vers et d’escargots,
et ne dédaignent pas les proies mortes, les végétaux et les champignons.
Leurs pédipalpes, parfois de grande taille, peuvent constituer des armes redou-
tables pour capturer leurs proies. William Shear

Les faucheux Stygnides


d’Amérique du Sud peuvent Les pédipalpes des faucheux
saisir leur proie à plusieurs du sous-ordre des Dyspnoi portent
centimètres de distance en se des soies sécrétant des gouttelettes
servant de leurs longs d’une colle poisseuse. Ils piègent
pédipalpes, terminés chacun ainsi de petites proies.
par une structure épineuse.
Erebomaster flavescens vit
dans les anfractuosités et la litière
forestière du centre des Appalaches,
à l’Est des États-Unis. Ses pédipalpes
épineux saisissent et empalent
les petites proies à corps mou.
Ce juvénile a une couleur violet clair
Joe Warfel

caractéristique, tandis que les adultes


sont jaune vif ou orange.

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figure 1). Chez quelques espèces, les mâles leurs longues pattes ; cela crée une masse L’ A U T E U R
sont en compétition pour l’accès aux vibrante dans laquelle l’assaillant a du
femelles, mais aussi aux ressources. Par mal à choisir une proie.
exemple, chez le Gonyleptide d’Amérique La découverte en 2003 de trois spéci-
du Sud Zygopachylus, ils construisent des mens fossilisés au début du Dévonien (il
nids fortifiés en boue; puis les femelles sont y a 400 millions d’années) dans les dépôts
incitées à y pondre, et les mâles se battent de grès siliceux (cherts) du village de
alors souvent pour garder le nid et les œufs. Rhynie, en Écosse, montre que les opi-
lions constituent un groupe ancien. L’es-
Des comportements pèce en question, Eophalangium sheari,
décrite par Jason Dunlop, Hagen Hass et William SHEAR
sociaux ? leurs collègues de l’Université Humboldt est professeur de biologie
à la Faculté de Hampden-Sydney,
En général, la parade amoureuse est brève: de Berlin et de l’Université de Münster, en Virginie, aux États-Unis.
le mâle se contente de tapoter sa parte- est similaire aux espèces qui vivent aujour-
naire de ses pédipalpes ; chez les Dysp- d’hui dans la même région. Les spéci- Nous remercions la revue
noi, des glandes situées sur ses chélicères mens – deux mâles et une femelle – sont si American Scientist de nous
avoir autorisés à reproduire
émettent une sécrétion. Généralement, les bien conservés que le pénis du mâle et l’ovi- cet article.
mâles ont un long pénis chitinisé dont la
base, dotée de muscles spéciaux, est exten-
sible et dont l’extrémité est parfois arti- SE DÉFENDRE
culée et mobile. Ils l’introduisent, en
Démunis de crochets et de venin, les opilions se défendent à l'aide
général en position de face-à-face, dans de sécrétions odorantes qui exsudent d’orifices latéraux, les ozopores.
l’orifice génital de la femelle. Celle-ci stocke Certaines espèces américaines possèdent en outre des piquants défensifs ;
les spermatozoïdes jusqu’à ce que ses d’autres peuvent se camoufler.
ovules soient prêts à être fécondés.
La femelle pond à l’aide d’un long ovi- Les Cosmétides sont une famille de faucheux riche
positeur extensible qui pénètre dans les fis- en espèces, réparties de l’Est des États-Unis au
sures rocheuses et entre les particules du Pérou. Les deux taches blanches de cette espèce
sol. Chez de nombreuses espèces, les œufs péruvienne (qui n’a pas reçu de nom) jouent
peut-être un rôle d’avertissement. Les prédateurs
sont cachés et ne font pas l’objet de soins ; l’associent à l’existence d’une défense chimique
chez d’autres, la mère – ou le mâle chez et d’une paire de piquants acérés sur son dos.
Joe Warfel

Zygopachylus ou chez des Gonyleptides tro- Les deux taches, faites d’une sécrétion de cire,
picaux des genres Ampheres et Chavesin- peuvent être effacées par frottement.
cola – garde non seulement les œufs, mais
aussi les jeunes tout juste éclos (voir la Répondant à la pression d’une pince,
ce Cosmétide tropical, Cynorta astora,
figure 2). Enfin, quelques espèces appar- exsude deux gouttes de sécrétion
tenant notamment à la famille des Caddi- répulsive (en blanc) par des ozopores
dés se passent totalement de mâles : les situés de chaque côté de son corps.
Tappey Jones

femelles produisent des jeunes à partir Cette sécrétion est composée


d’œufs non fécondés, par parthénogenèse. d’un mélange de deux phénols,
Reproduction mise à part, certains tous deux caustiques et toxiques.
faucheux paraissent assez sociables. Plu-
Acutisoma proximum est l’un des nombreux
sieurs espèces de Leiobunum d’Amérique
faucheux de grande taille endémiques de la forêt
du Nord et d’Europe forment des ras- atlantique menacée du Brésil. Le motif coloré
semblements de plusieurs centaines ou de son corps et ses rangées de piquants
milliers d’individus, généralement dans sont typiques des Gonyleptides, une importante
des anfractuosités ou des conduits. Ces famille de faucheux sud-américaine.
regroupements se produisent le plus sou- Les ozopores d’où sont sécrétées les substances
vent en période de froid, quand les fau- défensives, des benzoquinones, se situent
Joe Warfel

juste au-dessus de la base de la seconde paire


cheux cherchent un abri pour passer de pattes (petites taches orange).
l’hiver. Il pourrait s’agir aussi d’un effet
de la coïncidence de leurs déplacements
ou d’une action défensive : la défense chi-
mique de centaines de faucheux est cer- Ortholasma rugosum, qui se
tainement plus efficace que celle de rencontre en Californie dans la litière
quelques individus isolés. Les rassem- des forêts, est caractérisé par son
Marshal Hedin

blements semblent aussi dissuader les camouflage composé de terre.


Il est fixé sur un maillage reposant
prédateurs : quand on en dérange un, les sur des piliers dorsaux.
faucheux se mettent tous à remuer sur

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Joe Warfel
2. CETTE FEMELLE DE FAUCHEUX cranaide de positeur de la femelle sont identifiables. On Caddo agilis, avec laquelle ils cohabitent.
Trinidad (ci-dessus), de l’espèce Santinezia ser- connaît par ailleurs près de 25 espèces de J’ai avancé l’hypothèse que la première se
ratotibialis, garde ses œufs et ses juvéniles. Chez faucheux fossiles depuis le début du Car- serait différenciée à partir de la seconde
les faucheux tropicaux, il arrive que les deux parents bonifère, la plupart trouvées dans de par néoténie, un processus de dévelop-
prennent soin de la progéniture. Inversement, l’ambre. Toutes suggèrent que l’anatomie pement où la maturité sexuelle survient
chez Caddo agilis (à droite), les populations du
des faucheux a peu changé depuis 400 mil- dès le stade larvaire ; les deux espèces se
Japon et d’Amérique du Nord sont composées
presque uniquement de femelles et peuvent se lions d’années. reproduisant par parthénogenèse, la néo-
reproduire sans mâles, par parthénogenèse. ténie peut en effet produire des indivi-
Premières études dus de forme juvénile constituant une
nouvelle espèce. Caddo agilis aurait été
génétiques autrefois répartie dans tout l’hémisphère
La génétique des opilions, la biologie de Nord, et C. pepperella serait apparue à deux
✔ BIBLIOGRAPHIE leur évolution et l’étude de leur réparti- reprises, une fois au Japon et une fois en
E. Delfosse, Catalogue tion géographique commencent à produire Amérique du Nord, à partir de popula-
préliminaire des Opilions des résultats. Par exemple, selon tions locales de la première espèce.
de France métropolitaine Nobuo Tsurusaki, de l’Université de Tot- Or, grâce à l’étude de séquences d’ADN
(Arachnida : Opiliones), II.,
Bulletin de la Linnéenne tori, au Japon, certains faucheux du genre des deux espèces, Jeff Shultz et Jerome
de Bordeaux, à paraître. Leiobunum ont un nombre de chromosomes Regier, de l’Université du Maryland, ont
très variable d’une population à l’autre, ce montré en 2009 que les populations japo-
R. Pinto-da-Rocha et al., qui représente l’une des amplitudes de naises de C. pepperella sont plus proches
Harvestmen : The Biology of
Opiliones, Harvard University variation génétique les plus grandes du génétiquement des populations améri-
Press, 2007. monde animal. Ainsi, certaines popula- caines de cette espèce que des populations
tions ont quatre lots de chromosomes au japonaises de C. agilis. Caddo pepperella a
J. A. Dunlop et al., Preserved
organs of Devonian harvestmen, lieu de deux ou d’autres chromosomes sur- donc dû apparaître avant la séparation des
Nature, vol. 425, p. 916, 2003. numéraires de fonction inconnue. populations japonaises et américaines de
Autre exemple: Steven Thomas et Mar- C. agilis, ce qui contredit mon hypothèse.
D. Jones, Guide des araignées et shal Hedin, de l’Université de San Diego, Un autre effet de l’évolution a pu
des opilions d'Europe, Delachaux
et Niestlé, 384 p., 2001. en Californie, ont montré en 2008 qu’un être étudié : la vicariance, ou séparation
petit faucheux jaune vif des Appalaches géographique d’organismes liée à la dérive
que j’avais découvert et nommé Fumon- des continents. Selon Gonzalo Giribet, de
tana deprehendor, en 1977, ne constitue l’Université Harvard, et Sarah Boyer, du
pas une, mais peut-être cinq espèces. Ses Collège Macalester, l’arbre évolutif des
populations sont en effet génétiquement Cyphophthalmides (opilions de la litière
✔ SUR LE WEB distinctes, séparées par les barrières que forestière) correspond à ce que l’on atten-
http://www.arachnology.be/ forment les fleuves et les dépressions, mais drait de la façon dont la Pangée – le
pages/Opiliones.html il est impossible de les différencier par leur vaste supercontinent du Paléozoïque – a
forme et leur anatomie. éclaté il y a environ 200 millions d’années:
http://www.museunacional.ufrj.br/
mndi/Aracnologia/opiliones.html J’ai moi-même étudié des espèces du les premières branches de cet arbre cor-
genre Caddo. Les adultes d’un faucheux respondent aux premiers événements
http://www.abdn.ac.uk/rhynie/ de Nouvelle-Angleterre, Caddo peppe- de spéciation liés à la fragmentation du
harvestmen.htm
rella, ressemblent aux juvéniles de l’espèce supercontinent. ■

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