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La Théorie de la lecture

et l'expérience du lecteur

I
L EST ADMtS QUE LA PERTE de cunfiancc en l'autcur. qu'iI crit d
¢clanf • mort ou qu'ii suii remis en cause dans le lien que l'histoirc
Ii!tYraire ótablit ax'cc • ï'auvre ». a eu pour contzocoup une
promotion
de la n‹xion de lecteur. Dcpuis @u'esr-ez gur lo finyrarure 7 üc Sartre, le
Iccteur est Jcvcnu un rólc central dans la th5orie et )”ana]ysc litlórairc. ïï a
donn£ Kieu à une cohorte de penonnagcs, qui sant en réaïit£ autanl de fonc-
tionr : narratairc (GeralJ Prince}, lecfeur tmplicite ou intpliqué (Wolfgang
fser et Wayne Booíh), Lecteur Mo‹lèle (Umbcrtn Ecoj... La lccture devicnt
un paramètre esscnticl de la dófinition mdme du icxtc Iitt8raire’. Pourtan¢
on pcut sc demandar si ccttc attcntion snutcnuc portde au lcctrur s”ast
accompegnde d'une connaissznce approfondie de la lectura comrnc cxpEricnce.
D"unc part, i”analyse de la ïecture s'est surtout cenwdc sui les tcxtes nar•
ratifs. et ceci indópendamment des strictes dtudes poètiques et narratolo•
giguce, qu'il s”agissc de prendre en compte unc phdnomúnologie de la lec-
tura, fnndé« sud la phi)osophie husserïicnne llngardcn puis ïscr), unc
rh/turique de !a lectura (Michel Ckarïes) oc cncore unc philosophie de la
tcmpur«1itd et de T'idcnlit5 propre au rócit (Paul RicccuÚï. C'cst vrai en par-
ticulicr dans lcr travaux qui retèvent de I’cstMtiqur de la rYccption, et tou‹
particulièrcmcnt le ccux d” Iscr, La conswuciion priviltgic claircmcnt le
tcctcur d'un tcxtc narratif, currespondant majoritairemcnt au canon du
roman r5alislc de la recendc mniti£ du 19’ sièclc. Dons son livre £”E@rf-
Personnaye dons ( roman, Vincent ïoux't xccurde zssurYment, dans la
lignée de Jauss et de Mickel Picard. une !rts grandc piacc à la leclute
commc cx@ricnce dans la fiction ci par la ficti‹›n. En distinguant diRcrcntcs
stratógicï romanesques (pcnuasinn, séductinn, tcniaiion) et difTcrcntcs
rúactions phénoménnlogigucs (reluur sur soi, participati‹›n cnmpr£hensivc,
retzouvaillcs avóC le moi passà). Vincent /uuve anaiysc les formes de i'irt-
tcrac!iun lcctcur / pcrsonnagcs*. Si la dimcnsion subjcctive de l'cxpéricncc
de lectura es! clairement prise en compic. cllc ne s'inidressc qu'è la lcclurc
romanerque. dont Vincent Jou›e Jdgage d'aillcurs les grande.s sj›dcificités.
D'uutre part, mèrn¢ si ics approchcs qui empruntent à la phént›ménologie
s'inttrcsscnt au ïecteur cummc sujct, miler finirscnt psr le ç›crdrc de vuc : au
centre des théorics d’ iser lrouvenl finalcment les gcestis›ns d' indótcr-
O L'Esprii Crtairur, Vol. 49, No. I t2tO0l, pp. 9n-110
mination ct dc dćyragmatisatioc. Les notions dø « vision » ou dc
perception. et toutcs lcs métophorcs optiqucs qu'ii emploie, sent.
ihč‹›nqucmcnt. dštacMes du corps et dc la scnsibilitć du Icclcur rćcl ct
rclčvenł d*un pruces- sus cogníтif cт non d'une cxpćrience
phénoménolngique. Ce qui I”intбrer•к• est moins l’cxpćń¢ucc subjective de
la lecture que la synthèsc yarticuličrc qu*impliquc l'activitć dc la lecture.
scs cnjeux sur la tcmporalitć ct sur la saisic de I’objct dćnotč. qui est
finalement modifiã par la lecture. Jaucs, rntmc s'il accords une place
importante à la phčnnménctogie ct aux notions psychanalytiques. en
particulier Iorsqu'il dćfinit la jouissancc csthćtiquc en se rćfčrant autant à
Freud ct à sa théorïc du refoulement qu'è Arislotc, visc avanl tout une
cntrcpria de rćnovation dc l'hîstoirr littdmire ct truuvc son pnint
d”ahuutissemcnt dans la gúnéтalisatiun ct l'historicisation des points dc vuc
singuliers. La notion de jeu coinme la distinction entrc ïa réccpïion du
tenant. du iisæit ct du Iu, scion Michel Picatd puis Vincent /ouvc. tcndeot,
clles. š płacer l'cxpćńence du łectcur au centre de la rćflexion.
Los travaux des historians cnt, eux aussi, permis Je mieux cunnaîcc la
lecture. Lhistoiтe de la lecture en partîculîer, a pcmiis de dčfinir ce qu*ont
ćté. au fiï du temps, )es pratiqucs de lecture. récu ant 1”approchc purcrncnt
sYman- tigue du texte. L'histoйen Roger Chattier. qui s'opposc cłaircmcnt aux
trovaux de la thčorie littćraire, cńtique

mets suss ks ‹he Iлeratres Yes plu› s=• dc ams‹ruiтr la r6c¢piiPn de• uvrx•. II
feul łmir Luc ks f pøxÎuis¢ztc du suns «ł qu"un tc•tr. stable ea sø kŁtr0, 0s¢ inv€ci d"un€
*ignificaii‹кi ы d'un чзiui iяółiu k›rsqw cł›xagcn‹ I«s Jîqк›siûfs qui k pгopo яi з I”i«aчpгrcз-
üoя. JI hut tгnir nв‹i qьc la ł¢c‹ure «st łoяjoun une jкaiiqтк incsm6c daлs éвs gгoes. dos
cSȚjo¢ dcs kabİhïdes. distaDœ d'une pMni¥nćælogie qui ełface to«ło «t¢daÎitć r¢nscfčtr
dc l”uctc d¢ țoc!urc ct Ir rełacи'riвc par •cs ePet , țx›sțuIčs ‹o‹nme u›ii call. [.. .] unc hisuńrc dev
mania яc Birr Juii identifier In disjяisitions sP6гiñqw qui diuinçucnl Ice commnnautćs d•
łвctetirs et Ics łradirinns d¢ leclure’.

On sait égalcmcnt I'importance des appnx:hcs suciologiques, qui toutes


s”affrontcnt avcc la thčoric du textc et see prčsupposćs autaтcigiJcs’. BrcГ,
tous łes champs du savoir sc som intJressds au iectcur, au point qu'il faille re
demanded qucilc ldgitímitć pcut encore avoir unc appn›che qui priviłćgic l¢s
rčcits que font les écrivains de leu propres expćńcnces de lecture. Ne con-
stituent-ił» ps une rčgrcssion par rapport à ce.s avancées théońqucs ou scicn-
tifiques ? N'est-cc s une maničre trap strictemcnt inteme à la litlćraturc. ct
sourde aux auтr¢s discoun. que de let prendre en considčratiun iorsque l”on
veut cerncr cc qu'est la Lecture littćraire I’ Au fond, pnur qucllcs raisons pcuc-
on cuaidéror que ces rčcits d'ćcńvкins, qui sunt autant d'autoportraits Ju

Voi.. 49, No. I


L’Esenrr CnßaTEllR

sujet ‹kvenant ćcrivain. sont encore intčressants, voire peuvent étn privilégiés
torsqu’il s'agit de comprendre la lectum ?
On ne pcui évidcinment se contenter d'un argument tautolopique qui con-
sisterøit å affirmer que, parce qu'on s'intéresse ù la Insure litiéraire, tin aurait
intćrët ù pńvilégier la lecture ie1le qu'elle est ‹kcriie dans Íes iextes littéraìres.
Le motif dc l'čcńvain comrnc « super-lectcur » n'est pas non plus xnIi.«Гвis:›m
pour jusłifior ccłtc dćmarckc : si I”écrivain a бtб incontestableinвnt un lecteur.
son expYrience n'a pas à étre valcrisćc parse qu'iI eьt čcrivuin. S'il faut
prcndre вppui sur Ics rćcits d’ćcrivains (romanciers. autobîographes) pour
comprendrd ce qu*est la lecture, c”est qu”îłs nous donncnt è enxevoir cc qui
échappc aussì bien à l'histoire qu”à la thëorie : la lecture comme cxpóńencc
subjective c\ sun articulation à l'écriture.
C”cït que, dans la lecture, queïcțue choc rësistc tnujr›u à la thć‹чńc—
commc sans duutc auмi à l'histoirc. Si Ics appптchcs phćnornénolngiqucs ont
1cntб de prendre eп considćraтion cette dimension, en particulier en čtanc
attrnłivcs aux problèines de tcmporalitć, ellcs nc rendent pas comptc dc la ïec-
!ure cumrne expćnence globale, pas plus que ne ïe fail ł”histoire de la łœture
ou du livre, qui s”intбresse plus au rapp‹xт au livrc qu”à la relation qu'un
lecteur noue par le )ivre avec soi, avec sa mëmoire, as Jćsirs. ses émolions,
mais aussi ses idćcs. scs vзleurs, ses goûts ; avec ce qu'il pence eł croit pcnser
aussi bien qu'avcc ce qu’ii ne peut per penser. La lecture ćтoquče par fee
čcrivains appazaît comrne une experience giuhale, en IaqusIIc se croisent, sans
nčccssairemcnt sc totaliscr. Ics courd‹›nnćcs pratiques qui intéresscnт lcs his-
luricns, Ics clčterminatiuns sociales. )es caracićrirtiques phćn‹›mćn‹›logiques...
Lø dimension hermćnculiquc y csт évidcnte. puisqu'cst prd«isëmerit en cзusc
Ic dćchiffrcmcnt de Koi ct du mcnde. Pour tuutes ces raïsonr, numbreux sont
les points de jonciion, voirc de friction, entre Iss thć‹кicк Jc la lecture et ïes
notions qu'cIles pn ent et les expëûcnces de fa lecture tells que les
é«ńvains les relatent, qu'il s'agissc de l'intcrprétation ‹›u Jc l’apprcntiss3ge
autorîsć pвr la lecture, du trкvaïł de l*imagination. dc l'Cxpćricnce de
I*aItćriič, de la temporaJitč proprc à la iccturc.
Michel Chaгłcs revcndique clairefnent ce recours aux łcxtcs liцčraiгes :

Mais cette expćńerк:e n'cn est pas pour autant fł›ôorisable. Eïlc ne con-
sliiuc pøs une doctrine : Barthes évoquait justement son • dćsarroi » face ă la
Nxzi+us Prsc•v-Geos

doctnne qu'ii faudrait avoir, nu qu'il vaut mieux peut-żtre ne pzs avoir, dc la

)a etc sais pss si Îa lecture n'cst pas, c‹xistÎnøiscæcøL un ckamp ptuń cl ‹łc pratîqucs disctusives,
d•cffcts ittćJvcü bic•. ct si. jжгc‹ч›s¥qwв Is lnxarc gc ïa k'ct‹ut, ïa kłćta-kctrrc. a”cst pas
•hc- ničmc ń ea d'aucr qu"un č¢l9î d’id6es. dc craiaæs. ‹łc dćsîrs, dcjo«îssazæes, d'‹ąŞłressiol›s.
‹Ñ øø ii co« ient de pæïer au c‹я›p pвт coup’.

C'csi que pour la Iccrurr n'a pas d•ot›jet proprc et. pnr con-
sźqucnt. il n•y a pBs de craл d'Brr¿f lćęiiime š la îcciurz :

jl n“y p pas dc cœstraintc sln›cturaIc è cÌc›rc la lecture : jc puis nn••i bicn r¢øulcr S I’infizti
k's limitcs du liable, ô fcxlcr que tnui est fir›alo»eяt Ii*ibk psi ilïisiblc gut c•la pяsi••ej. maix
a sh ã ț•invezse, ‹ldcs er qu”øM fold ‹å arm ïcxæ. sl łisibîe qu’iÌ ait čcć Liu, il y щ il rsstø dø
I’iłlÎsÎble. (Baztłw £c gruisxeæ‹uu ‹Ń ' fa /owgi‹r 39)

Sarм duute ce dćsaгroi s'cxpiique-t-iI largenienт par la plac¢ gu'a le corps


dane la hmm, unc place non ihčorisable, si elle est re@rabIe, quoique sou-
sent refouléc. par lcs hisтoricns eт les sociulogues. i.u lecture est зffairc
d'čmois : « dans la lecture, tous let dmoi.к Ju corps . nпł Ià, iridlangés, roulćs
:
)a fascination. łк va¢8ncc. 18 doutøur, la v‹›Iuytć. La lecture produit un corps
boulcvcrsč, mais non murce/Z (san. gu‹›i la lecture nc relèvcrail pas d2
l'lmaginairs » (Bsldyes, £e Bmissrinвnt dв In Ini›jp‹e 4J).
De mčmc. Micheì J« Cericau ›'uuIait rendrc visible ce qui d«ns Iu
lecture
ćchappc nšccsмùernent au regard ; il vnulait • relrouveг ìes mпuvcrncnts
dans le coгps Iui-même, apparemment docile ct silcncicux, que Iz Ila lecture]
mime å sa manière : łes rctraiics en toutcs sortcs de *cahinets’ dc lecture
libčrent dcs gcstes insus, des grommcllcments. des tic.s. dss Jtałcmcnts ou
rotations, dos bniics insolitcs, cnfin unc orchestraiiun sauvayc du corps’
•.
Dcvant cctye failłc dc la thćorie, nous pouvuns dunc íair¢ Ic pari que nous
avons tout & gagnsr dc la cnnsidćration prćcise dev cxpćricncc« dcs 6cAxa›ns
(ct non sculement de icurs discours). Lerte.s, Ic rëcił dcs lectures, en particulier
d'cnfancc, est touroć vers lø dcvcnir-écrivain : le rëcit d'cnfancc est
souvcnt
un élćmeni d'une mythologie personnclle. Que l'ironie la iempčrc ct Ía
mcøe à distance ou non, cc regard rčuospectif esi as určmcnt toujours
orients vcrs un dïsccurs de soi cnvers lequeł il faut sc garder de tou‹e naï›’ctd.
Nćanmoiтzs, cr que nous apprennent ccs rżcits d”écтiт ain eat essential pour
comprenó rc la lecture coriunc cxpćriecce.
EEpćń ence de ła solitude ct ‹Ïe la différence. Car on lit convø : contre
l'ordrs ț›atcm¢I et sгжizl d'abord. Julicn Sorol. auquel вon pčre donnc un cuup
VoL. 49, No. I !01
L’EsPRlT CRË TEUR

si forт quø ie livrc qu'iI est en train d¢ Iîrc. au lieu dc travailłer ã la •cic où il
œt de gardø. tumbe Ians le ruisscau, en est t'embičrne. Cuntrc l'ordrc bour-
geois aussî : Javottc. rlnns /и• Яomoл ônкzgeoiз de Furetičrc, lit avвc lant
d’avidité los romans que lui pršte en secтet son amourcux Pancrace qu'eIIe y
apprend rapidenicnt iout dc l’am‹тur et nc veuł plus sc rč oudre à la vie bour-
geoise que her parents łui ont prćparć¢, ps plus qu”à ł”čjxxix qu”iI ïuï faMdra
prcndzs, si fade compcrć aux amants merveilleux que ïcs n›mans lui ont hit
entrevoir. Come ł”école égalenзent. Au dćbut de £oi‹is Lnmbr '. łe narratcur.
avïde de lectures, rac‹›ntc comment il a conclu un p«cie avec son rYpćtiteur de
ma0ičmaüque, qui en bihlioth8caire :

{ił} mc laissnit prentłrc W livrcv iøns trop regarikr cru•. qur j’em¡xxuis ‹k lø bihlimhò qt .
lieu Iron uille øb act lcs r crdations, il me lè isait
imé mc dømær see nx ... il næ • ntctiait trYs omвtйтs dc lire p«ndзn‹ le
icntps dcs rćpćtîcions, ct travaillaity nc said ã quci. (...] Jo conłinitai mes łectucъ jø Œs'ins
l”čcriłîer 1e nкúns agissant. le plus parosscîłx. Îc plus con- irmplaiif de ïa Jitisi‹xi due Pctit›. et
pacłaвi łc plus souvent puni’.

C'esi pourquoi il y a les lectures prescribes ct les lectures interdiies ;


5iinone dn Beauvoir ćvoque dans les ñlëinoiirs d'unr jeunrj?ffr run#êr. les
pages que sa rnère čpinglait dans certnins livrcs. puur en inter‹Jire la lecture.
D¢.snt›s, quant a lui. rapț›slle qu*iI lisait, comme tous ceux de sa gčnémтion,
dcs iivres qui n”étaienc pы ceux que ł'école prœcńvait. et que ce som ces łivres,
narureltcment. qui ont faii d”cux dcs lœtetirs authenłiqucr et dss r2veun :
• Noмs vcnions dc naîtrc. Nous apprîmes à lire dans £e‹ Misérubies ct dans
Le )uífermni. Un impatient désir d'amour, de iYvn]te et de зuhlime nnux tour-
mcntait. Nous n”ćtions pas vicicux: nous ćtions précoccs. Nous cachions
ies Claudine dans nowc pupitre!0•.
On pourrait multiplier les examples qui montrcnt comment la lecture est
une cxpdricncc de subjectivation morale. une confrontation à dcs systčmcs de
valeurs, qu'c)Ic apprcnnc lc bien ou le mal, qu'eIic upjx›'•c à lc moгalc
domi- взnte ou qu'clle la conforte. Stenühal reconnaît ainsi que c'cst la l
¢cтure du n›man dc Ruus'•cau qui a fait de lui un hommc :

La lecture ùc Axe .hôuwfte IU/ui*’r et ks -ru{кilos dø 5eint-Prcux me førmćrrnt țrolœdón¥¢nł


honi¥žtc Îłontms : je fxxivais cccxx<. ¥ąx s cøttc łccî irц fзitr дv¢c lances вț dans ‹:ks tfaaspo¥ts
d'aøour pour la term, faire des coquin¢zies, mais je rræ sørxi> s¢mti çoquìn. Ajnsi c"cst цл 1iv¥¢
lu en graødc crłłcîtc ct mdgY riæs parcnîș qui m”a fait Ïionnčte homn !!.

Los discours qui stigmatiscnt la lecture reconnaisscnt son pouvoir moral


ct pourfendent matte acüvitč profondčment corruptrice. EłIe est d”aurant
plus dangcrcusc qu'eIle s’adrcsse è un public large (lcs romans pubtids
dвns la
NATHALIE @Ž fiAY-GR€IS

presse sont considYrYs commo pæticulièrement néfastcs) oc à un public


censé facile ä duper (les femmes, tes jeunes gens, le peuple). Ainsi,
pouvait-on lire sous ta p)ume d'un pôdagogue contempnrain de Jules Ferry
et de Paul Bert ces

Je pu}e dc ceux (les u .mo} qui affoiem ic public avi‹fe d'črnmimu cv--»ivcx et dg gerei cv.

llr s'opposcnt aux bons romans poputairss : ceux qui « prcnnent Ia


socičtč dans ce qu”eI)e a d'honnštc, de bon. d”aimable. ea dčpeignent les
joics ct les tristesses, les dcvoin ct les rdscssitčs, Ie sčrieux et les ridiculcs,
avec Ia verve cntrainante. les saillies spiritueltcs. le patbččquc cc I”humour
dont l'csprit et le corps unt be«oin aprčs Ic iravail de Ia juumče • '.
D'une manitr¢ gčnfm)n la leciurr esl supposčc pcrvcriir les esprits
ei mâme conduire à des pratiques a-sociales. voire criminelles. Ainsi.
dans te Juüsicr que Michel FùUcault a constirud pour analyser le cas de Pierre
Rivière. inculpé pour avoir assassiné sa mère et ses fr€'rcs et so'ur, on lrouvc de
nom- hrsuse.s mises en cause Je la lecture. Pierre Rivière était un lecteur
axsiJu, et ce n'est en rien porté au crédit de son intelligence ou dc sa
culture. Au contraire. son activi‹5 de lecteur est perçue comme un
£lJmcnt ä charge. assombrissaot encore le portrait dc l'ëwe asocial :

Dis sun rnf8zr-r. il fuycit h s¢¥;iYj des hcmzoes, gui nube edl jxs le c‹›rriger en le izxnJifiaot : il
6e condam«ut v‹fluniaizmzeci¢ á i la so4iNalc. ¢as ss rxuHTtua+m¢ deni l”oe¥ts¢ s¢s ú •o
>iv»> bizarrgs ct se6 aveog}¢S pc$$nxss. Les lcmuzcs qu'il W<imit au Wsaz¢l ofTraJent á sm

iraagina-
uho ir. Sim intelligeace s'useit ‹rit se bri•uit cordre tks illosioni thimčriques . su sensibilitč se

L'ambivalence dc la lecturo est donc grande : c'cst ž la fois urie ex@rience


moraJ tc livre. et tuui particuličremcnt Ie roman, ‹›n devient un čc•
mfxa), on cxcrcc san južtcmcnt moral, on d6couvr¢ It' jeu ct Ie disc‹xirs dc
I”amour, eic.—si bien qu'cn tcrmcs moderr›cs nri puurrait dirc quc la lecture
apparuit commc une expčriericC dc •rx ialisation čthiquc, mai Ia Iectuf¢ cel
aussi expčrience de Ia solitudc, de I”isok'ntcnt ct de la diftzrericc,
gu'cIIc accusc. EIIe est more duuluureuse pour fc Iccteur et reJoutče par les
ccnseurs el rnurali'dus, qui voient d8ns cctte soiituJe un risquc dc
comuplion incon-
VOL. 49, No. l
L'Esrnrr C TEUR

łrô lablc. Sartre, dans £e.r Met.s, a raconté cette expćriencc double, du bonheur
dc la lecture qui se renverse en solitude doułourcusc. On sc souviCnt que
Îa sortie au Luxembourg est pour 1e jeunc Poulou une čpreuvc : ies
autres enfanLs jcucnt ct lui est isolé . II admire les ê tres en chair et en
m qui sont dcvany ]ui ct qui ne participant pcs de sa drzmaturgie
imaginaire et

lsolé, mcabÍc. ił rentre chez lui avec sa mère ct se mplonge dans son
monde romanesque, solitaire. qui le console ct Ic vcngc : • An crdpuscule,
je rctrou- vais mon perchoit, les hauls lieux où soiiMaît l'espni. mcs
songes : je me vengeais de mcs dëconvenues par six mots d'enfant ct le
massacre de cent

Paul Ricicur a justement insisté our l'ambivalence fondainønlaÍe de la lec-


ture, qui n'csl pa.s indiffćrenle ã celle que røeitent en Evidence les ò crivains ct
les diffćrrnix di•.c‹nirx sur la lecture (tension entre solitude ct st ialisaiion,
cxpćńcncc dc soi et cxpëńcncc de i*aJtdritéï. Le puuvuir de la lecture c.st tič
à
l'hcrmćneutiquc que tt›ut lecteur accornplit man. toujours a*en rendre compte,
ct que sans dcutc t”es‹hć‹ique de la rć«eptïun a permïs de pnici r. Ce
pouvuir
¢st double : la lecture est à la fois interruption du cuun• Je I’acti‹›n ct
relance
vcrs I"actinn. Ccs deux perspectives. que Ricwur rccnnnaît ccmme diver-
gences, sinon antithćtiqucs, rćsultent dircctcmcnt dc la fonction doubîe dc la
lecture : affirontcrncnt ct liaison cnoe le munde imoginairc du textc ct le
mantle effcctif du leczeur. Pour Ricour. cctte irrćalitć dc la lecture, cottc
pause qu'elIe ccnstituc pour la rčflexion et l'action, nc doivcnt pcs Stre
maničro enüèrement nćgativc. La lecture est • stase • ør « cnvoi • : te
lecteur de
perçuer
incorpore 1es enseigncnłents de ses lectures à sa vision du mc›nde, afin d'cn
augmenter la lisibiłitč prYalable (Ricteur. 7ømgs r/ rY‹'ii J:32tšj, La lecture
nc troux'c done pas ca fin efi sui : I”érran etc, I’irrćaJisation dans Ic mundc
fictif sum unc cunditi¢in pour que Ic fctc«tr au mondc rčel scii diffšrcnl.
C*est ausri ce que nr›u apprcnncnt Ics rčcits littéraircs Jc Ic‹:ture. S'iIs
som aussi nom- brcux à appwuitre dans ie roman ct dams l”autobiographie.
c'est prëcisëment parcc que la Iœrurc est unc expčrie•cc «mbivalentc, qui
engage le sujet, per-

I04
N»THAL1E AYKitOS

tonnage de roman ou personnage-é cris'ain. dans une expérience her-


mëneutique particulière, essentielle pour la formation de sa subjectivi@ et de
su personnalité moraie el politique. C'esi parce qu'elle donne ù lire un rdcit
de subjcctivation que mule l'écriture et la fiction autorisent—ct non parce
que la Recrute setait pour l'ficrivain I*ëcolc dc l'écriture. l’apprentissage
autarcique dc la iittčraturc par Ia littčrature—que l'cxpčricncc dc l'šcrivain
nous apprcnd quelque chosc d”essentiel sur Ia lecture et qu'iI importe
de la prcndre en compte uver ]es discours et propositions rhčoriques.
La lectwe telle gue Ia racoutent les čcrivains esi dnnc ur›e expčricuce
de subjectivatiun cxceptionnellc, non seulement sur 1c plan rixxal. mais aussi
sui oclui des čmotions ou de celui de Ia iemporalitč. Toutr une conccption quc
I'on poumšt qualifier de nxnantiquc fait dc Ia iectiJre unc cxpčtienuc dc sonic
de soi, prčaJable r›dcexsoire š iJng coinmuniun avec une autze c‹›nsciezx:e, qiic
scuL ta lœture permettrait. Ln lecture est alors perçue comme une forme de
fusion avec la peus4c et la '•ensibi)iiY d”un autre. « Lécrivain nc dit que par une
habitude jsisc dans le langage insincùre des préf s ct des dddicaces 'mon
lecteur'. En réalité. cI»ujuc kctcur est, quand il lii, le prupre kctcur1 s‹›i-
m5m• ». affirme Proust dans Temps ierrna né. Mai9 cela est rendu justement
. sible en raison dc la communication avec t’aJtérité qu”auturi»c l'czuvrc d'ari : •
Pnr l'art seule- ment nous pouvons sortir Je nous, savoir ce que voit un outre do
col univcn qui n'est {xLs le mï\mc que le nîxrr et dont tes paysages nous scmient
restët aussi in¢onitcs gtic ceux qu'il peut y avoir dans la lune". »
Le pnint de vue dc Georges Poulet est similaire, cc qui munizc une fois
encore les puints de jonction entre théorie littéraire et r6cit de lecture :
Fl en rčsultc unc conccption xd'1ancoliquc dc 1a lecturg :

In's que je remplace pgr lex nxus d'un livre ma perception direcœ dc la rèalitè, jt me 1i•rr, pieds
er jxiings tits. t ls tuutc-laiissaræe du mmsoagc. Je din Julien t ce qui est. pur fcirxlre R
croire

VOL. 49. Nn. 105


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L’ESPRïT ARË ATHUR

Et G cetIø prise de țxzssession, il n'y apæ mrłyen d’€c . Le lengage ‹n”enłou‹c ‹łg ¥a ł"›cłiŒŁ,
c-uтяяв• I•csu r¢c‹n‹v«ua ruyaum• englout› par b въп'. NuJłc зæü‹a de lз ‹taliiY n"œt c I•abгi
dc cut cr‹scvclisscmat \îniwms1. {Boulct 279)

Le Iвctcur вst à la fois čcartč dc lui-inćmc (jc est un autrc pcndarit lв lec-
ture) ct au plus prčs de tui-mêrne . la lecture est čminemment réflcxivc : la
se p¢nsr ct s'ápnnive que je lis. Ellc renvoic ic sujet š Iui-
mime par le d4iour dc l'auce ; elle l'inviie done å prulonşet la lecture an-ü elä
du livrr, à вc dćchiffrer soi-rnèmc.
L'enchaîncmcnt de ccs citations nous rriontrc bien quø le point de vue du
critique et tc point dc we du romancieг sc rejoigncnt : dzns Ics merges dc la.
dit t'cxpćriencc que tous ceux qui veułent saisít la lecture
seulement comme pratique ou modèle ont intdrń t ã privilбgier. On poumú t
íaire encore ce mêrne cunstat à propus tie la phënuménuługie de la lecture ct

Les romanciers ct lcs autobiographcs, en pBrticulicr, montrcnt comment la


lecture donna à noir : ex@rience visuełlc. cllc ddvcloppe sous Ics ycux du
lecteur un monde sensible. qui se dJploie awe une matćnaiiić parfois frap-
panic. Pruust év‹xjue • l'écran diapré d•ćtats difTérents que, tandis que jc
lisais, dčployait simultančment (mța conscience •. Bouvard et
P6cuchet lisent des rs›mans histt›riques. iïs ж›nt м›uJain happćs par le monde
qui s”ouvre dcvanт cux : • On .тuï/ de. veicз un cavalier quí galopc Ic long d¢s
grčvcs. Un aspire au milieu deл genčts la frBîckeur du vent. 1к lune č‹:Iairc dcs
lacs où glissc un batcau’® ».
Nathdie Sarraute laconic ainsi dans Enforce fa I‹м:ture qu"eIIe faisait de
Rocamöвle, retranchcЧз dans sa chambre ; loгsqu'eïle eкt uppвlče pour üîncr.
« il [lui] faut aÏlcr au milieu dc ccs gens pctits, raisnnnables, prudcnts, ncn nc
leur arńve, que peut-il arriт'cr łè où its vivent... )à rout est si ćlriquë. mesguin,
parcimonicux... alarm que chez nous lè-bas, on rail ś chatju« instant des
palais. dcs hčtełs, dss meublcs, des ubjets. des jardins, des čquipages dc touts
beautY, commc on n'cn voit jamais ici, des flots de pičces d'or. dev rivièrcs
dc diamants" ». Ccs textes, et les nombrcux examples que l'on pourrait
cans pcine aj‹xitcr, semblcni illustrcr let notions d•lngarden. dc «
dimension voyageur
ima#eantc • dc la le‹:turr ou Ie • pa nt dc vuc » et toutes ies
mëtapkores optiqucs d'lser.
Un autre poinÍ de jomlion fone entre la thëorie ct l'exptrience de la Iec-
ture cst la question dc la iemporalitú . • Que deviant dRfłs ma mčmoizc ic déjà-
tu d'un roman en cuurs ü e lecture. quellc forme dc prësence rcvû t-ellc dans
mon esprit nu moment øû j'uborü e—par exenipl la page 175 ? », se
Nx AME Pi5c y-GROS

iœi limiocire, qucuion d¥cisiee jx»u l"¢\atxxxaon de axMc mJuftiqvc du n›mcn.


quastioti qu”lÎ R”€ct jus aÈsÉ d0 ffintiüdlo pu¥co qu0, •‘ "•- d4¥tS C€ttaiD¢4 ¢ hACTV4limS II Îa
¥tDxtUf¢ Ô¢ l'stcxo«, o¥ l'agression du z«ganl c«fFu ¥ elle •tuJc àd oaturw le ptdnoni£nc, I’
xiv invcuigcrur.
«o W ¥€t¢usmatst vers lui ptxu” l’irt¢crrogw, disjoint auîtX¥ïaîiqu¢m¢nt el ôrmcmÎflV k
fragile ra¢Ï¢ats c‹æsstnsit, sans dr¥zts, pôÎc-mËk. au¥ant dc cages è pnuÏos et do bouts ¢Ïe }›ÎaacÎ\
cs qœ dc matrices. uscmbl pn›gmsi‹vnwnl j›ar ‹x s ä I"a+eugkue en cours de kcoirc. ct pi
ixxis •er• vaÎt Æ' 1ag§x+ri pxsr rxxrs maiz¥enir è fï+k danr le fil du couraztt naczaîif. Il se
p‹xuzait ¢pæ Ïs
• vic • d”uanxnae tienne c›ui enuàrc dans le secret, difFc›k ä dc faxv w le
masse dex é l&ræ ls ttc future d'fjà cnmgimë s re se së durentc pas è u< dans l'esprit ihi
ÎfflrtlF eft Ott K]3At lfKf'tr, their W tfat4StorfrK tout TntÎêm cit aiglfffÎnff ifftagÎnTtif. No, }Mafr tirer
des termes de la më c•ni . fait que cè de masse iiærte tout enuë re se transmet ci er mt&îlîsc

Ž /o zer/zc/z-8e du temps¡›efidu montre comment Ia iecrurc installe dans


un antre tcmps, qu'il soit noctume. ou en marge des activitčs sr›ciaIcs.
comrnc clle imposc un autre lieu (1e cabinet, la charmillc). Elk cst ditatarion
du tcmps, jcu siir les complcxes suarifications rlc la rn4moirc. Chateaubriand,
dans les Mraiaires d”uuize-inrnbe, a fait de Ia relecrure de s pmpres ceuvrer
un parcours š travers la mčmoire dc .mi ct dc uri temu : si lu lecture
est ex@rience de subjectivation, c’e.st d”abonI parce qu'elle permet d'exercer
une emprise sur lx mémoire tout en exigeant l'oubü, en ouvrant la brèche au
retour du rcfoul5. Les dtudes phéncmdnotogiques att psychanalytiques ont
bien montrë cette dimension. User dans une perspective husscrlicnnc. insistant
sur la protcnsion propre è la lecture. Umberto Eco sur la maicisc Je l'avenir.
.sur
]ejeu d¢ ptflvision sans cesse engagé. Michel Picard a avancé. )ui, l'hypothèse
dc l'ouvcrtum d”un temps w•uisitiunnct dans lajucl le présent travaille e@ec-
rivrmeof le passë : l'activité de la lecture permet de penser la contræliction ct
d'assum « l'indispcnsable liaist›n/dé1iaison qui construit une tcmpora1it¿
vraie" •.
Mais ces théories n*ont pcutltrc pas suffisamment insiste syr les varia-
tions dc tctapi de la lecture, sur lesquelles Barthes avait dejà attird l'atten-
tion". Cœ variations url une x'alcur historique : c'csl en cc sens que VaJJry
pouvait associer l'ëvulution (la dégradation) de la littifraturu ù celle de la lec-
ture, dc plus en plus rapide :

L'övnluiion dc la littèraure a›odcrnr n'en que l'fvoluöon dc la kctore qui icial à ‹k•eair une
eric xc di›inaii‹m d'effets au rra›ym dt 9iætq s mine vur presque simultanément er tu détri-
ment au dessin des phrases. C'esi b rzirJ ep6i et 1’imprcssinnoisnc grossier dos ans
rhume et au.x jounæux. L'Îioomw voit ci nc lil plus^.

Sur Ie plan individual. ccttc vitcssc de la lecture. si relative, est un des


aspects Ics plus singutien dc )a sub tivit6. Lire vile nu lize Icntcincnt
n'cst

Von. 49, No. l t07


pas seulerncni une affairs de capacitć, d'habitudc. d’ćpoquc. Lø variabilîté du
tempo traduit aussi l'impael de 1’investîssemcnt affectif ct fmiasmatiqut
ei rèvé le la syricope dcs Emotions ct les coniretemps de la më moire. Sans
doute cetie dimension altatoite, erraiique. nćgative. est-elle ce qui rësiste le
plus ä la thćorisøtion de la lecture. C'esl ce tlemier pøint qui nous conduira ä
notrn conclusion,
Dans £zz £z•cfure ronime /ru, Michel Picard a souügnć que • tout lirr.
comme peut-čtre ne jamnis accepted d'interrompre unc Lecture ennuyeusc.
tiendrait de I"oIxsessionaIité" •. Lire. c'est toujours bwonner, pour rgprgndre
le terme de Michel de Certeau, gui vuit dacs łes lacfeurs ches • voyageurs [qui)
circulent sur les terres d”autrui, nomades Tennant à travel ice champs
qu'ik n'ont pas čcrirs, ravissant Ice bicns d”Egyptc pour en jotiir. » II ajoutc :

1.*čcriturc œcumuic, stroke, rčsisie an œmps par l*itablisscwcnt d'uo lice ct molliplíc sø pro-
øm i'ex ioooisrrir dr la urtiøø. Lø iaure re c atiı cimn l'usurt du
łemps too s'oublie ct l'on uifilie}, eclk m
the sec est rčpćtiti*m du pørutis pcrdu^.

Danr un trčs beau tcxtc dans Icquc) on pcut lire une critique de la
tMoric IittJruirc, Yvcs Bonnefoy revendique. pour le le«teur, la nčcccsité
de • lever let ycux de son livre •. La lecture n'cst pas affsirc dc
combinatoire, de jeu, ni de structure, cllc est cxpćń ence du Kemps ct de la
prYscncc. Pour en parier, ił faut renoncer au inë ta-langage spćcîfiquc ct sc
coupcr du commentaite :

L’ùsrem•P‹ù›a. dms la łectæc d"un lcxs, Peut avnir vaJew e•scnú ełlc ct quasîom c fondaiz+ce
duøs lc rapport du kcteur I ł'muvrt, tt d'ailhun øussi, txt d'øbord, døøs celui dc {'a teur I ta
c&ttîoo en ceurs. Car 1’ inlerruptøin. c'esi bien cv qui sc pfudoii duax cot iotü øtt oó on pen;oit
Qtf’ă ú Cfift rap fte fßİt que R *Œttf å 4}Ut IrQtfS İfŁi8$0S ¡ tł Oû OO hUsțfnd ce rèYe. piHlr Tø souvenİr
qu'il ş a, ao«lchocs. du tcøqrs, du lien, im høsard, dev. cføuz á d6rider, dr la murt, mats atissi
turn. ea veia, un mœdr. {...] L’inu•nuptiøø eit tKjà dans la Crë nlioo".

Pour que ccrtc lecture fčcondc suit possible, il faut accepted que le locteur
se déioume du textc. qu'it renoncc à tout Iiro. Çțu'il soit lc contrairc du
Lectcur Mudèle d”Eco. qui, lui. avance pas à pas dans le texte, piYvt›it
et anticipe cormctement sur ł‹›ut cc quî va arrivcr ct finalcrncnt, comprcnd
tout car il reliant tout. Matmencr le tcxtc done. pour Ic lire dc manižrc
autkcntiquc, pour qu'ił snit unc ouverture stir cc qu”ì1 n'est pas.
Cette manipulation peut allcr jusqu'a un point où la suhjcctivïić du lerłeur
s'ïnstitue en rcinc ei s”affim c au déiń rnent du ‹cxtc et dc son intć ń ić.
Ce joint łimitc, sur Icqucł nous vnudrions conclude, est aussi celui oš la
résis- tance à la thčorisatioc de la IecNre est la plus forte. Par deiè
l’anc«Jutc ct son
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NAI34ALTE PtÉGxy-GROS

pittoresque plaisant, les uois exemples que nous citons pour finir signifient
c1airen›rnt que lire, ce n'esi jamais rom lire, encore moins iout retenir.
tour conserver. Lire. c'est oublier, pcnlre, détacher. s'approprier, alicrer. La
thènrie dc la lecture a fair une gmnde part 3 la riégstivitë (l’CxCmple le
plus évident pourrait en êire la • Lcersielle » de lserl : mais cette
riëgativitë éiait toujours en attente d'une p‹isilivilf (c'esi aussi la siasc de
Ricœur, tendue vers un envoi). L’expérience dr la lecture fait parfois place
dc maniùtc plus rude. non lhëorisablc, au blanc. au vide : • Quel divin
poète {Le Tasset quand il oublie d’imiter ... ! J'ai arrangé un exemplaire
de la Jérusalem à mon usage. en effaçani ions les jeuz de mots qui inc
choqueni. er fireni la fortune si rapide du poème en 1581* •. Censure du
lecteur, qui arrange le livm 1 son go0i.
Censure plus forte encure tie celui qui, tel J‹xiberi peint per Chaieaubriand
er ciiê par Barihrs, le recompo , faisani un livre adapië ä l'idioiie de
chaque kcicur: • Quand il lisais il déchttaii de se.s livre.s tes feuilles qui lui
dëplaisaienç ayant, ‹k la sorle, une bibliothèque i son usage, composée
d'ouvrages évidés, renfertnés dans des couvertures rop larges^ •.
La rccumpositiun du tiwe matérialise le volume pnur ce lecteur Egale-
ment, qui cx›tipe ct iailic. jusqu’à ce que le livre lui aille :

J'ai une bibtioititque uniquerrieai à mm usage. et que je ac pmtx›se pas en exemple. 1...]
C'est mon refuge : une tarièm dont j'ai effacé iouics trœes dc pur devant la porte, j'y suit chez
rriui. 11 y a des livres ik têtes uirtes : unis. si vern alliez les œsvrir, vxus m i** bien émruif.
Ils sont tnus imompleis : quelques-uns nt contiennent pius ‹lAns kur rehure 9tc deux ou trois
feuilkis. Je avis d'avis qu’ii favi faire comnuxKnwnt ce qv'ce fcit toos les jotrs ; clore. je lie
a*ec ëes ciseaux, exrii•rt-moi, el je couçc fout ce qui ne d£pl•iL J'ci ainsi des lecurres qui ne
m'oficnsent maix. W. L›upr, j'ai gardd dix pagei ; un peu -«ri::> du ¥t•t-ner ou 6oui dr
fr nui De
orncilk. ’ai wdé teuf Pet vurtr et uzc ’ du frd ^.

U'nirezsi7/ Paris Di‹Ien›t—Paris 7


Vu t9. No. t
L’Esl'9lT TEUR

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