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La Colère

& la spiritualité
La colère : une
émotion qui en cache
une autre
La colère est une émotion naturelle et
universelle, parfois bien difficile à
contenir. Un psychanalyste nous en
explique les ressorts, notamment chez les
personnes ultrasensibles qui sont souvent
colériques. Entretien avec Saverio
Tomasella, psychanalyste,

Vous avez consacré beaucoup


d’ouvrages et d’études aux
personnes ultrasensibles, sont-elles
plus fragiles que la moyenne ?
Saverio Tomasella : Tout le monde est
fragile mais tout le monde n’est pas
ultrasensible. L’objet de mon travail
n’est pas tellement de définir ce qu’est
la fragilité pour elle-même, mais plutôt
de comprendre le comportement et les
attitudes qui influencent la sensibilité
des individus. J’étudie la sensibilité
extrême, que j’appelle plus volontiers
l’ultrasensibilité. Des personnes à
certains moments de leur vie ou de
façon plus durable, vont se sentir plus
sensibles. Elles ont des sensations très
aiguës, à la fois plus fines et intenses,
sur une atmosphère, un lieu, une
relation, une intonation de voix dans
une conversation, etc. Ces perceptions
provoquent des réactions parfois
inattendues, et souvent qualifiées
d’excessives, par des spectateurs
extérieurs.
Les personnes sensibles s’expriment
alors de façon plus colorée, plus
intense, parfois de manière théâtrale.
Cela ne veut pas dire qu’elles jouent un
rôle, c’est leur manière d’être au
monde. Elles sont entières et réagissent
vivement dans la joie comme dans la
douleur ! Cela s’intensifie encore en
fonction de la fatigue, du contexte, ou si
elles se sentent submergées
d’informations auxquelles elles
n’arrivent plus à faire face, etc. Lorsque
ces moments intenses se multiplient, il
leur est encore plus difficile de bien
vivre leurs émotions. Dans ces
situations de pression, de stress, de
panique, elles pourront être à fleur de
peau, devenir irritables, irascibles, plus
susceptibles, voire en colère. Une
colère rarement froide, mais bien plutôt
explosive ! Les colériques chroniques
sont souvent des personnes
ultrasensibles.
S’informer avec calme, recul et confiance est
plus que jamais nécessaire

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Si, pour les chrétiens, la colère est
un des sept péchés capitaux, qu’en
est-il pour les psychanalystes ?
S. T. : Il s’agit avant tout d’une émotion.
En psychanalyse, il n’y a pas d’a priori
moral pour qualifier une émotion. La
colère n’est donc ni bonne, ni mauvaise
! C’est une réaction humaine naturelle,
notamment lorsqu’une limite a été
dépassée.
Au travail, par exemple, de nombreuses
personnes se sentent épuisées et dans
l’incapacité de se protéger d’un système
qui leur en demande toujours trop. « Je
n’ai plus aucun filtre ; j’ai le sentiment
d’être sur une autre planète ou d’être en
permanence une bombe à retardement
» sont des expressions courantes,
révélatrices d’une grande souffrance.
L’impression de ne pas être compris,
d’avoir sacrifié le meilleur de soi sans
reconnaissance en contrepartie, suscite
tristesse, révolte et colère. Pour
comprendre un colérique, il faut aussi
tenir compte de ses colères accumulées
depuis l’enfance. Ses crises se
déclenchent souvent à la suite d’une
parole, d’un geste, d’une attitude
réactivant une frustration enfouie. Pour
ne pas en arriver là, il est essentiel pour
les parents et les éducateurs d’aider les
enfants à mieux accepter leurs
frustrations.

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Que proposez-vous pour y parvenir ?


S. T. : Jusqu’à six ou sept ans, on est
dans l’émotionnel pur. Permettre aux
enfants de se calmer, par exemple en
malaxant une « boule antistress » ou en
dessinant leur colère est une solution.
Cependant, une émotion en cache
parfois une autre qu’il est important de
décrypter. Pourquoi l’enfant est-il dans
cet état ? N’est-il pas angoissé d’être
séparé de son père, sa mère, sa grand-
mère… ? N’est-il pas triste d’avoir quitté
la maison de vacances ? Est-il anxieux
par la perspective de reprendre l’école,
de revoir son enseignant, de retrouver
certains camarades, etc. ? Grâce à une
écoute rassurante, la colère tombera.
L’enfant se forgera alors la certitude
qu’il est préférable de s’exprimer, de
formuler sa colère et ainsi de la
maîtriser, voire d’en faire une force
d’affirmation. Il est en effet des colères
qui mettent en mouvement : pour
changer le monde, se battre contre une
injustice ou se relever d’un échec.
Même si l’Église considère la colère
comme l’un des sept péchés capitaux,
rappelons-nous que Jésus lui-même
s’est mis en colère pour chasser les
marchands du temple ou pour reprendre
les disciples qui empêchaient des
enfants de l’approcher. Dans l’Ancien
Testament aussi, Dieu se met en colère
lorsque la liberté et la dignité de l’être
humain sont menacées.

Y a-t-il une gradation dans la colère ?


S. T. : On peut effectivement définir une
« échelle de Richter » de la colère, avec
plusieurs niveaux d’intensité. Le
premier degré est celui de l’irritation, de
l’énervement et de la révolte.
S’ensuivent la colère, la rage et enfin la
fureur. L’irritation est souvent une
réaction face à une personne qui vous
sollicite alors que vous n’êtes pas
disponible ! En proie à l’énervement, le
sujet sent monter en lui une colère sans
en comprendre l’origine. La colère
proprement dite, en revanche, est
volcanique ! Elle prend de court et il est
difficile, voire impossible, de la contrôler
: elle s’impose. Hors de lui, le colérique
cède à la violence verbale, parfois
physique. La rage, elle, est une colère
installée qui résulte souvent d’un
manque de respect. Elle fait suite à une
agression qui laisse impuissant. Par
exemple, quand on est contraint de faire
quelque chose qui nous déplaît sans
pouvoir en discuter. Le stade ultime de
la colère est la fureur. Elle se manifeste
lorsque les liens amoureux, familiaux,
parentaux, les valeurs, les croyances
sont directement menacés.

Comment contrôler ces


déchaînements quand ils
apparaissent ?
S. T. : D’abord, en évitant d’y voir
forcément un problème grave. La
personne en colère se sent en danger ;
elle réagit, ce qui est positif ! Mais pour
éviter tout débordement préjudiciable,
elle peut commencer par… souffler !
Cela peut suffire à stopper
l’emballement. Soupirer exprime un
mécontentement, c’est une alerte, un
signal pour l’entourage, qui comprend
qu’il y a un problème. Dans certains
cas, le souffle peut évoluer en cri. Crier
permet d’expulser l’énergie négative
engendrée par la colère. Des attitudes
et des gestes permettront malgré tout
de réagir plus calmement : par exemple
en quittant la pièce, en prenant l’air
quelques minutes et donc de la
distance. Sous l’effet de la colère, la
température du corps augmente. L’eau
est un excellent moyen pour la réguler :
se laver les mains, le visage ou encore
prendre une douche permettent sinon
d’arrêter au moins de contenir la
pression !

Comment vivre avec un colérique ?


S. T. : Les personnes colériques sont
souvent en attente de reconnaissance.
Elles se sentent incomprises ;
l’entourage les stigmatise : « Il est
irascible, elle est susceptible… » Il
suffirait pourtant de prendre un peu de
recul pour essayer de les comprendre.
En observant leurs réactions et le
contexte, il est possible d’agir. Lorsque
la pression est retombée, on peut
rétablir l’échange avec bienveillance. «
J’ai l’impression de t’avoir froissé hier,
explique-moi pourquoi. » Cette question
simple doit permettre au colérique de
retrouver confiance, de communiquer et
de se libérer de sa colère dévastatrice.
Cela prend du temps, beaucoup de
temps parfois, car la confiance en soi et
en l’autre se gagne grâce à une grande
patience réciproque. C’est une condition
nécessaire pour ne pas gâcher ou
perdre une relation à laquelle on tient.

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