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Le grand bazar

Ou l’allopathie des émotions

J'ai écrit cet article suite à un agacement après plusieurs coachings. Cet agacement
était non pas dirigé contre mes clients, qui justement se démènent pour à nouveau
ressentir, mais contre l'aveuglement collectif dont nous sommes victimes. Il est
assez direct, il parle d'émotions, et comme je trouve que partager des émotions
ensemble est la plus belle chose qui soit, je le dédis à tous mes clients, dur ou doux,
je les prends tous !

D’abord, 3 observations pour nous mettre d’accord :

Observation 1 - Nous sommes traversés chaque minute par des émotions


(tristesse, colère, honte, peurs et, parfois, avec un peu de pot, de la joie).

Observation 2 - Nous y résistons. Nous avons enregistré qu’il fallait être fort,
s'accrocher, avoir confiance en soi, oser, ne pas avoir peur, etc.. Nous pensons donc
que nous ne devrions pas les ressentir. Ca nous épuise. Et nous ressentons pour les
plus sensibles le symptôme de résistance aux émotions : l’anxiété (ou l’angoisse).
Puis ce sera une maladie chronique, plus tard.

Observation 3 - Nous en concluons généralement que nous avons un problème


puisque nous ressentons ce que nous ne devrions pas ressentir. Et cette conclusion,
nous la pratiquons depuis l'enfance.

Pour chacun d'entre nous, ça donne, en vrac :

● Nous pensons être faible, fragile, instable


● Nous pensons manquer de confiance en nous, ne pas être adapté
● Nous pensons être victime d’une sacrée névrose
● Nous pensons être handicapé par nos blessures d’enfance.

DEUX HYPOTHÈSES

Ok. Maintenant, deux hypothèses :

● Soit vous avez un problème et a priori plus que les autres. Les autres sont
plus forts, plus heureux, plus adaptés, moins émotionnels, moins tristes,
moins en colères. Vous êtes fragile et instable. Pas de pot. Vous aurez peut
être une meilleure chance dans une autre vie.

● Soit les autres sont dans le même bain que vous. Vous n'avez pas plus de
problèmes. Mais si tout le monde est dans le même bain, certains semblent
alors sentir l’eau beaucoup plus que d’autres. Ils (vous) sentent plus leurs
peurs, leurs émotions, leur fragilité, leur inadaptation, leurs doutes. Mais
alors, les autres ressentent-ils moins ? Pourquoi ?

Qu’en pensez-vous ?

Et si vous ressentez plus alors que le bain est le même, est-ce que ça veut dire que
les autres ressentent moins ?

A votre avis, notre société nous incite t-elle à sentir l’eau ou à ne pas la sentir ?

L’INVITATION SOCIALE AU DÉNI

Notre société (civilisation ?) nous invite à faire abstraction de ce que nous


ressentons. Elle nous invite depuis que nous sommes petit à pratiquer un déni de
nos émotions, qui ne sont pourtant que de simples messages nous indiquant nos
besoins et nos limites. Elle nous invite à rejeter également nos ressentis, qui sont
notre façon de percevoir et comprendre le monde. Mais j'en parlerai plus dans
l'article sur le ressenti et le double bind. Nous allons nous concentrer ici sur les
émotions.

A force de nier, à force de supposer que ce que l’on ressent n’est pas bienvenu, à
force de ne pas entendre le message de nos besoins, on se fabrique une vie qui n’a
rien à voir avec nos vrais besoins. On s’en rend compte, un peu malgré nous
souvent, au moment de la maladie ou du burn out : ce que l'on vivait avant devient
alors IMPOSSIBLE à vivre encore.

C’est pour cela que ces deux moments de crise sont si essentiels. Ils nous indiquent
que nous avons atteint le maximum de non-respect de nos besoins et de nos
aspirations. C’est l’heure de changer la donne (ce que j’appelle le “foutu pour foutu”,
un joyeux état qui permet d’actionner ce que l’on aurait jamais actionner jusque là).
Jusqu'à la crise, une partie de la population, la grande majorité à mesure que les
générations sont plus anciennes, ne moufte pas. Elle refoule. Donc tout va bien. En
revanche, pour ceux qui refoulent moins, c'est potentiellement l'enfer dès
l'adolescence, voire même dés l'enfance.

LA PETITE SPÉCIFICITÉ DE L’HYPERSENSIBLE

L'hypersensible est dans le même bain que les autres. Déni, refoulement, etc. La
seule petite différence, c’est que ses émotions ne se laissent pas faire. Elles
affleurent et il n’arrive pas à les contrôler aussi bien que les autres. Il en souffre
puisqu’elles lui indiquent qu'il n’est pas adapté au modèle de super humain que lui
propose son monde.

Bref, il paraît bien fragile... et bien névrosé par rapport aux autres.

Je dirais qu’il représente traditionnellement 10 % de la population, mais depuis un


moment, je ne sais plus, j'en vois partout (sauf à la télé!).

UN SUPER HUMAIN VS 100 % DE L’HUMANITÉ

Nous avons donc en clair une bonne partie de la population qui refoule ses émotions
(les émotions qui ne correspondent pas aux attentes) et qui ne les ressent que de
façon parcimonieuse, assez pour paraître vivant mais pas trop pour paraître adapté.
Et une plus faible partie de la population pour qui le contrôle est une opération
catastrophe qui se voit et qu'il ressent.

Mais si 100 % de la population tente (efficacement ou pas) de cacher des émotions


qu’elle n’est pas censée ressentir (tristesse, peurs, honte), que vous vient-il comme
pensée ?

Si 10 % n’arrive pas à contrôler ces émotions, pensez-vous que ces 10% des
humains soient inadaptés ?

Oui, je suis d’accord avec vous, quelque chose ne va pas dans notre royaume : si
100 % des gens refoulent et que 10 % n’y arrivent même pas bien, c’est que
quelque chose ne va pas.

L’HUMAIN VS SA SOCIÉTÉ

Les émotions nous indiquent un besoin non satisfait. Au vu de l’ampleur du


refoulement, il semble que nos besoins humains (amour, respect, intégration,
bienveillance, non-jugement, place, sens, etc) ne soient pas pleinement satisfaits
dans notre société. En soi, ce n’est pas grave. C’est le lot de toute société. Avec
certaines plus performantes que d’autres (heu… non, la notre n’en fait pas - encore -
partie. Cf. Sagesses d’ailleurs). Ce qui est plus grave, c’est l’opération totalitaire
mais discrète qui nous demande de faire semblant que tout va bien si l’on veut être
intégré. Avoir des émotions négatives est une chose, mais faire semblant de ne pas
les avoir ou se sentir obligé de les refouler est en fait une maltraitance inouïe qui
demande en plus la participation de la victime.

La question n’est donc plus qui est inadapté. La question est : mais comment se
fait-il que certaines personnes paraissent si adaptées ?! La réponse est : elle
refoulent mieux. Et pour cela, elles se sont carapacées tôt.

APPRENDRE À NE PLUS FAIRE CONFIANCE À SES ÉMOTIONS

Les 3 grands acteurs de cette grande opération de conditionnement quand nous


sommes enfants sont :

● Nos parents. Normal, ils font ce qu’on leur a appris à faire et ce qu’ils ont
vécu eux-même.
● L’école. Normal, l’école est une émanation de la société. Elle véhicule ce
qu’elle a à véhiculer : le cadre, la sécurité vs les émotions, le besoin de sens.
● Les camarades. Normal, ils reproduisent entre eux ce qu’ils expérimentent
chez eux.

LE MOYEN : DES PHRASES ET DES SITUATIONS BANALES ET RÉPÉTITIVES

Ces phrases, ces situations nous disent qu’on ne devrait pas ressentir… ce que l’on
ressent. Posé comme ça, vous sentez déjà la folie de la demande. Comment
peut-on s’empêcher de ressentir ce que l’on ressent ? Demandez à un enfant en
colère de ne plus être en colère, que se passe t-il ? Dites à un enfant triste qu’il ne
doit pas être triste, cela lui enlève t-il sa tristesse ? Dites à un adolescent qu’il
devrait être heureux avec ses camarades alors qu’il se sent seul, se sentira t-il
heureux ?

C’est pourtant le message qui nous a été envoyé : "Voilà ce que tu dois ressentir. Et
si tu ne ressens pas ça…. c’est que tu as un problème."

Ces phrases
● Ne sois pas triste, c’est pas grave, remets-toi
● Tu manques de concentration, tu n’es pas assez attentif
● Tu ne devrais pas être triste, papa et maman t’aiment très fort
● Mais si je t’écoute
● Maman ne sera pas contente si tu te mets en colère
● Ca va jamais avec toi, tu n’es jamais satisfait
● Tu ne te sens pas respecté ? Mais si, je te respecte
● Tu n’as pas à être en colère, tu devrais avoir honte
● Mais l’école c’est très bon pour toi, il faut juste que tu t’adaptes
● Mais si je te comprends, mais tu es compliqué aussi !
● Il n’y a aucune raison que tu ne puisses pas tenir 8 heures en classe
● C’est pas normal que tu n’arrives pas à faire tes devoirs
● Tu ne devrais pas te sentir mal à l’aise, tout va bien.
● Un problème avec toi ? Non pas du tout, j’ai pas de problème avec toi,
pourquoi ?
● Non, mais tu n’as aucune raison de te sentir seul(e), tu as plein d’amis
● T’es stressé d’aller à l’école ? Non mais ça va aller, y a pas de raison.
● Tu trouves les autres méchants les uns avec les autres ? Oh ben t’es trop
sensible…
● Hé, tu te poses trop de questions...
● T’as pas assez confiance en toi, tu nous fais honte
● Tu devrais être contente de pouvoir traîner avec nous, déjà on t’accepte
● Oh le chéri a sa maman, il se sent seul, c’est un bébé
● Fais comme moi, maîtrises toi (ou prends sur toi)
● Etc.

Ce qu’on aurait pu nous dire


● “J’entends ce que tu sens, mais j’ai besoin que tu….”
● “Oui je ne t’écoutais pas, mais là j’ai pas le temps”
● Non je t’avoue, je ne te comprends pas, je sais jamais quoi te répondre
● “Oui c’est dur de se sentir seul, surtout parmi les autres, mais que peut-on y
faire ?
● “Oui, tu peux ressentir que les autres enfants sont méchants entre eux, et
c’est sans doute vrai mais tu vas pas arrêter l'école pour autant"
● “Tu te poses beaucoup plus de questions que moi, ça me donne le tournis
perso”
● “Faire tes devoirs, oui je sais, c’est pas facile de se re-concentrer après 7
heures de classe)
● “Ok ça te rend triste, mais est-ce que tu es prêt à …”
● “T’en as marre de l’école ? ok. Moi aussi à ton âge. T’as une autre solution ?”
● “Ta sensibilité me dérange, je me sens mal à l’aise avec toi”
● “Ben oui, on t’embête, mais ça nous fait du bien de t’embêter, ça nous
détend” (non oui celle là, on ne l’entendra pas, mais pourtant c’est vrai !)
● etc.

VOUS SAISISSEZ LA DIFFÉRENCE ?

Dans un cas, l'interlocuteur (papa, maman, etc) nie la pertinence du ressenti, dans
l’autre, il ne la nie pas, mais il pose ses propres limites, ou son incapacité. Notre
société trouve plus simple de supprimer le problème à la source : si tu as des
émotions, tu as un problème. Change-les, adapte-toi.

Ce qui devrait être un équilibre entre la vérité de l’individu et les nécessités


collectives s’est donc transformé en une inadaptation de l’individu face à la norme
du super humain, une norme qui ne nous dit pas ce que nous devons faire (comme
la norme d’une dictature, ce qui serait plus facile à combattre), mais ce que nous
devons ressentir (et là c'est totalitaire, et le totalitarisme a cette spécificité de
rendre fou).

L’ALLOPATHIE DES EMOTIONS


Personnellement ce traitement de l’humain me fait penser à la médecine que nous
nous auto-administrons : la médecine allopathique. La meilleure façon de se
débarrasser d’une maladie étant, dans notre société, d’en supprimer les symptômes,
nous avons opérer de même avec les émotions : contrôlons les émotions et
adaptons-nous, le système devrait fonctionner.

La seule limite à ce fonctionnement, qui (pourquoi pas ?) pourrait être le bon, c’est
que nous expérimentons, d’un côté, pour les 35-55 ans, une cascades de burn-outs
et de crises existentielles depuis quelques années, et d’autre part, pour les 11-25
ans, une explosion des phobies scolaires, de traitement médicamenteux pour
enfants et d’internements en hôpitaux psychiatriques pour les adolescents et les
jeunes adultes.

Alors, sont-ils tous trop fragiles et inadaptés ? Ou ce système allopathique nous


fait-il tout simplement souffrir en niant nos émotions et en nous empêchant de
répondre à nos vrais besoins ?

QUE NOUS DISENT NOS ÉMOTIONS EN VRAI ?

Des choses assez simples : elles nous parlent de nos besoins : de sens, de
respect, d’intégration, d’interactions positives avec les autres, d’amour, de partage,
de joie, etc.

Comment se manifestent-elles ? Simplement mais de façon moins sympas que le


message qu’elles transmettent : colère, honte, tristesse, peur. Ces émotions disent
que le besoin n’est pas satisfait. Si elles étaient agréables, on resterait sur un besoin
non satisfait. Heureusement, elles sont désagréables pour nous pousser à agir.

Comment les traitons-nous ? Nous ne les refoulons, mais pas toutes : quand elles
rentrent dans le cadre (celui que nous avons interprété comme correct), nous les
acceptons : la pleine joie avec nos enfants, la tristesse face au malheur des autres,
la colère contre les méchants banquiers...

En revanche, les émotions hors cadre, hors super humain (celui que nous avons en
tête en tout cas) sont traitées comme des manifestations de faiblesse,
d’insuffisance, ou de “mauvaiseté”. La sensation d’être seul, ou de ne pas être
compris, la peur de ne pas être accepté, la peur de la déchéance, la tristesse de ne
pas être non-reconnu, l’agacement face à une amie, le découragement face à un
projet, la honte (j’adore la honte !). Toutes ses émotions sont peut être ressenties
(au moins par les 10%) mais jugées et refoulées.

J’ai en tête mes derniers échanges de coaching avec 3 clients où une belle
unanimité s’est dégagée sur 3 jours : chaque client était persuadé d’accueillir
pleinement ses émotions. Et pourtant, chacun refoulait la même émotion : la colère
ou l’agacement qu’il ressentait face à certaines personnes. Chacun était horrifié à
l’idée de ne pas être “gentil”, à l'idée d’être, peut-être, une mauvaise personne. Et au
lieu de regarder cet agacement qui leur parlait d’eux et d’un besoin (celui de
s'autoriser à être libre), ils le refoulaient… et restaient confinés ainsi dans leurs
injonctions personnelles.

LA RÉALITÉ, C’EST QUE :

Toutes les émotions non accueillies et jugées restent stockées en nous. Elles
s’accumulent énergétiquement. Elles conditionnent nos actes, nos pensées et
notre santé. Plus nous les accumulons, plus notre corps s’épuise. Plus nous les
accumulons, et plus elles pilotent à notre place. La question est : jusqu’à quand
tiendrons-nous ?

Les émotions non vécues pleinement sont parfois refoulées vers l’extérieur.
Quand elles nous font trop souffrir, nous les vivons par procuration, en les
provoquant chez l’autre. Ainsi si vous refoulez l'humiliation que vous avez subie
enfant, vous aurez tendance à humilier malgré vous. Idem pour la peur, la tristesse,
etc. Donc les accueillir, c’est aussi pour vos proches :-)

Toutes les émotions pleinement accueillies et ressenties disparaissent…


définitivement. Un enfant qui pique une bonne colère sera capable d’être en joie 10
mn après avec un bout de carton, sans rancune et sans traces de colère. Vous
pouvez faire pareil : aucune blessure d’enfance ne résiste à l’accueil. Il faut juste
apprendre à le pratiquer.

Les émotions sont le miroir de l’âme et de nos envies. Si vous ne vous donnez
pas accès à vos émotions, vous pourrez toujours courir pour être heureux. Vous irez
là où vous ne devez pas aller. Vous ignorerez votre envie véritable. Vous n’aurez
pas accès à votre potentiel. La vie sera quand même un petit peu morne…

Et enfin : rien de ce que vous pouvez ressentir n’est mal. Vous êtes parfait et
vous l’avez toujours été. Je peux vous coacher pendant 1 an, rien de ce que nous
trouverons en vous ne sera autrement que touchant et beau. Comme ce que ressent
un enfant. Car pourquoi lui et pas vous ?

Pour finir, une petite citation de Trungpa (puisque tout est là) :

“Si nous sommes disposés à y jeter un coup d’oeil impartial, nous verrons que
malgré tous nos problèmes et toute notre confusion, malgré les hauts et les bas
émotionnels, il y a quelque chose d’intrinsèquement bon dans notre existence
d’êtres humains. Il est indispensable d’expérimenter cette racine de la bonté et de la
confiance primordialement libre pour envisager une amélioration quelconque de
nous-mêmes et de notre entourage.” Trungpa - La Voie du guerrier

COMMENT LES ACCUEILLIR ?

Il n’y a rien à faire. Chaque jour, notre vie nous donne l’occasion de ressentir ce que
l’on fuit : chaque fois que nous sommes en colère, que notre vie nous rend triste,
que nous avons peur de quelque chose, la vie ne fait que nous appuyer là où nous
avions déjà mal. Nous pouvons donc choisir de ressentir ces émotions chaque jour.

Si vous ressentez que vous n'arrivez pas à sentir pleinement, que vous n'osez pas
encore à vous autoriser, faites-vous aider (énergétique, coaching, etc..)

Il y aura toujours des couches en dessous. Les premières sautent et vous constatez
instantanément l’impact sur votre vie. Les suivantes sauteront aussi. Et chaque fois
vous constaterez l’impact sur votre vie…

La bonne nouvelle, c’est que la question n’est pas : est-ce que ça va marcher ? Ca
marche toujours. La question, c’est : suis-je enfin prêt à rompre mon douloureux
équilibre ?

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