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Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 57 (2009) 32–37

Article original

Hallucinations et idées délirantes chez les enfants et adolescents :


mise en perspective avec les travaux réalisés chez l’adulte夽
Hallucinations and delusions in children and adolescents: A brief review
of the literature and its relation to research in adult populations
F. Larøi a,∗ , M. Van der Linden a,b , J.-L. Goëb c,d
a Secteur de psychopathologie cognitive, université de Liège, boulevard du Rectorat (B33), 4000 Liège, Belgique
b Secteur de psychopathologie et neuropsychologie cognitive, université de Genève, Genève, Suisse
c Service de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, (Pr Pierre Delion), CHU de Lille, Lille, France
d CNRS, UMR 8160, université de Lille 2, Lille, France

Résumé
La littérature montre que les hallucinations et les idées délirantes s’observent dans des populations cliniques variées (psychiatriques et non
psychiatriques), mais aussi chez des personnes non cliniques. Cependant, la majorité des études ont étudié ces phénomènes chez l’adulte. Le but du
présent article est de passer en revue les études ayant exploré les hallucinations et idées délirantes chez les enfants et adolescents. La prévalence, les
caractéristiques et la nature des hallucinations et idées délirantes dans les populations cliniques et non cliniques sont présentées. L’article examine
ensuite les implications théoriques et cliniques de ces travaux.
© 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
Abstract
Studies have shown that hallucinations and delusions occur in a number of different populations including psychiatric and nonpsychiatric patients
and in nonclinical individuals. However, the majority of these studies have included adult populations. The goal of the present article is to review
the research on hallucinations and delusions in children and adolescents. The prevalence, characteristics and nature of hallucinations and delusions
in both nonclinical and clinical child and adolescent populations will be presented. The paper will conclude with a discussion of important issues
and questions, including various clinical and theoretical implications.
© 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Mots clés : Hallucinations ; Idées délirantes ; Développement ; Enfance ; Adolescence

Keywords: Hallucinations; Delusions; Development; Childhood; Adolescence

Un grand nombre d’études ont établi que les hallucinations la prévalence des hallucinations et idées délirantes chez des
et les idées délirantes peuvent être observées dans des popu- personnes adultes. Ce n’est que récemment que les chercheurs
lations cliniques très diverses (somatiques, neurologiques ou ont commencé à documenter la présence des hallucinations et
psychiatriques) et dans des populations non cliniques (voir pour idées délirantes chez les enfants et les adolescents. Il a ainsi été
revue [1]). Cependant, la majorité de ces études ont examiné observé que des enfants non psychotiques peuvent manifester
des hallucinations dès l’âge de cinq ans [2,3].
Dans cette revue de la littérature, nous aborderons à la fois les
夽 Cet article est issu d’une communication lors de la journée « Schizophrénies
hallucinations et les idées délirantes, car ce sont deux questions
infantiles : schizophrénies de l’enfance ou schizophrénies dès l’enfance ? » orga- liées au plan phénoménologique, clinique et étiologique. Néan-
nisée par le Dr J.-L. Goëb et le Pr P. Delion à la faculté de médecine de Lille-2,
le 15 mars 2007.
moins, le lecteur remarquera que beaucoup plus d’études ont
∗ Auteur correspondant. été consacrées à l’examen des hallucinations chez les enfants et
Adresse e-mail : flaroi@ulg.ac.be (F. Larøi). adolescents. Ce déséquilibre dans la littérature scientifique est

0222-9617/$ – see front matter © 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
doi:10.1016/j.neurenf.2008.05.005
F. Larøi et al. / Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 57 (2009) 32–37 33

d’une certaine façon le reflet de la réalité clinique : en effet, les l’âge de 26 ans (n = 761, soit 97 % de l’échantillon original).
hallucinations sont plus fréquemment observées chez les enfants Les résultats ont montré que le risque d’avoir un trouble psycho-
et adolescents que les idées délirantes. tique à l’âge de 26 ans était 16,4 fois plus grand chez les enfants
qui avaient des symptômes psychotiques à l’âge de 11 ans. Il
1. Populations non cliniques est important de souligner que le nombre d’enfants ayant déve-
loppé un trouble psychotique était faible, avec 3,3 % de trouble
1.1. Prévalence, phénoménologie et associations schizophréniforme et, 1,8 % de manie (1,8 %). De façon plus
générale, certains auteurs [9] suggèrent que le repérage d’enfants
Les études qui ont examiné la prévalence des hallucinations à risque de schizophrénie devrait reposer sur l’évaluation de
et des idées délirantes chez des enfants et adolescents dans la trois domaines différents : la présence d’hallucinations et d’idées
population générale montrent une prévalence des hallucinations délirantes, la présence d’un retard psychomoteur et de langage,
variant entre 6 et 33 % [4–7]. Pour les idées délirantes, la pré- ainsi que la présence de difficultés sociales, émotionnelles ou
valence est de 24 % [7]. Une autre étude concernant la présence comportementales.
d’hallucinations et/ou d’idées délirantes décrit une prévalence Dhossche et al. [4] ont montré que la présence
de 13 % [8]. d’hallucinations avait aussi une valeur prédictive dans une
De nombreux symptômes psychopathologiques coexistent population non clinique pour la survenue de troubles non
avec la présence d’expériences hallucinatoires et d’idées déli- psychotiques. Après un délai de huit ans, ils ont revus
rantes dans la population non clinique d’enfants et d’adolescents. 86 % (c’est-à-dire, 783 sur 913 personnes) de leur échan-
Ainsi, les hallucinations et les idées délirantes sont associées à tillon d’enfants et d’adolescents (les enfants avaient 14 ans en
des processus dissociatifs [7], des symptômes dépressifs [4,5,7], moyenne lors de la première évaluation et 22 ans en moyenne
des abus de substances, un état de stress post-traumatique, une lors de la deuxième évaluation). Les résultats ont montré
phobie sociale [4] et de l’anxiété [5]. Yoshizumi et al. [6] qu’aucun des participants n’a reçu de diagnostic de trouble schi-
ont, par ailleurs, mis en évidence une relation entre le type zophréniforme ou de schizophrénie, mais qu’environ la moitié
d’hallucination et le risque de comorbidité. Ainsi, les individus des participants avec des hallucinations ont eu un diagnostic de
qui ont vécu des hallucinations multimodales (en particulier, trouble non psychotique (troubles dépressifs, abus de substances
des hallucinations auditives avec des hallucinations visuelles) et phobie sociale). Le risque de présenter un trouble non psycho-
avaient des scores significativement plus élevés de psycho- tique (DSM-IV – Axe I) était environ quatre fois plus élevé chez
pathologie (scores plus hauts sur des mesures d’anxiété et les adolescents avec des hallucinations que chez les témoins.
d’expériences dissociatives) que les individus présentant des hal-
lucinations selon une seule modalité (hallucinations auditives 1.3. Études épidémiologiques
isolées) et les individus sans hallucination. De plus, les per-
sonnes présentant des hallucinations visuelles avec un contenu Des études épidémiologiques confirment elles aussi la
concret avaient des niveaux de dépression, d’anxiété et de dis- présence d’expériences psychotiques (hallucinations et idées
sociation significativement plus élevés que celles présentant délirantes) dans la population générale (non clinique). Ainsi,
des hallucinations visuelles plus abstraites ou sans contenu Johns et al. [10], en excluant des personnes avec une psy-
concret. chose probable, ont observé que parmi les 8520 personnes non
cliniques examinées, 5,5 % avait un ou plusieurs symptômes
1.2. Études longitudinales de populations non cliniques psychotiques. D’autres études épidémiologiques ont montré que
ce n’est pas simplement la présence ou la nature de ces expé-
En général, les études de suivi à long terme montrent que la riences en tant que telles qui déterminerait si ces expériences
présence d’hallucinations et d’idées délirantes chez les enfants sont pathogènes et qui vont pousser la personne à chercher un
et adolescents augmente le risque d’avoir différents troubles traitement, mais plutôt la façon dont les personnes réagissent
psychopathologiques (mais pas exclusivement des troubles psy- psychologiquement face à ces expériences. Plus généralement,
chotiques) au cours de l’enfance et de l’adolescence, mais il apparaît que le caractère problématique des expériences psy-
également à l’âge adulte. Cependant, il est important de sou- chotiques et la nécessité d’un traitement psychologique et/ou
ligner que beaucoup de ces hallucinations et idées délirantes pharmacologique sont déterminés par la présence de facteurs
sont de nature transitoire et peuvent ainsi disparaître en peu de de risque génétiques et environnementaux, par le développe-
temps. En outre, un nombre important d’enfants et d’adolescents ment de réactions émotionnelles (humeur dépressive, anxiété)
présentant des hallucinations ou des idées délirantes ne dévelop- en lien avec ces expériences et par la façon dont la personne les
peront pas une condition psychopathologique majeure au cours interprète [11].
de leur vie.
Dans une étude en population générale, Poulton et al. [8] ont 1.4. Événements de la vie
montré que des scores élevés à une échelle d’autoévaluation de
symptômes psychotiques prédisent l’existence d’un diagnostic De nombreuses études montrent une association entre la
de trouble schizophréniforme à l’âge adulte. Dans cette étude, présence d’évènements de vie traumatiques survenant dans
les enfants ont été interrogés sur la présence de croyances déli- l’enfance ou l’adolescence et la présence d’hallucinations :
rantes et d’hallucinations à l’âge de 11 ans (n = 789), puis à en particulier, les abus sexuels ou physiques, les deuils et les
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séparations représentent des facteurs déclenchants importants aussi mis en évidence la présence d’hallucinations et d’idées
chez des enfants et adolescents, par ailleurs, en bonne santé délirantes dans des groupes cliniques d’enfants et d’adolescents
[12–15]. Dans la grande majorité de ces cas, ces hallucinations avec des troubles non spécifiés [29,30] ou avec des troubles
et idées délirantes ne sont que transitoires et ne nécessitent psychiatriques mixtes [31].
aucune médication : l’intervention n’implique souvent qu’une
thérapie de soutien pour la famille. 2.3. Données issues de la psychopathologie clinique
Dans une étude récente qui a exploré les relations entre évé-
nements de vie et idéations psychotiques, Escher et al. [16] La question du délire chez l’enfant est complexe du fait
ont montré que des événements ou des circonstances trauma- des nombreux états frontières comme les troubles réactionnels,
tiques ont eu lieu au moment de l’apparition des hallucinations les pathologies de la personnalité et les états pré- ou parapsy-
chez 75 % des participants qui entendaient des voix. Ces évé- chotiques, les dysharmonies évolutives ou les états dépressifs
nements traumatiques consistaient en la mort d’un membre de ou déficitaires [32]. Cette question dépasse en tout cas les
la famille proche ou d’un ami proche, des problèmes fami- seules pathologies schizophréniques à début précoce. Lebovici
liaux (tensions entre parents ou frères/sœurs), des problèmes [33] évoque des « comportements délirants » dont il souligne
à l’école (brimades, problèmes avec les enseignants, difficul- la valeur défensive momentanée. D’un point de vue sémiolo-
tés d’apprentissage) ou des circonstances hors du contrôle de gique, alors que le délire chez l’adulte est caractérisé par sa
l’enfant (abus sexuel, maladie chronique). Dans beaucoup de durée, sa permanence, la conviction inébranlable et incroyable
cas, les voix ont disparu quand ces problèmes se sont réso- (bizarrerie des thèmes), la pathologie imaginaire chez l’enfant
lus. Plus spécifiquement, pendant la durée de l’étude (trois ans), malade est spécifique. Le délire de rêverie (Heuyer) survient
60 % des enfants ont cessé d’entendre des voix. Le fait d’être entre quatre et 14 ans et évolue par bouffées processuelles.
en contact avec une institution de soin psychiatrique n’a pas Il est soutenu par une conviction délirante : l’enfant vit dans
influencé l’évolution des hallucinations. un rêve continu, automatique et involontaire, auprès duquel la
Pour terminer, plusieurs études épidémiologiques observent réalité semble s’effacer, mais la conviction ne semble pas abso-
également une association entre le fait d’être victimes d’abus lue et les thèmes sont très fluctuants, généralement inspirés de
émotionnels, sexuels ou autres pendant l’enfance et la présence l’environnement scolaire ou télévisuel de l’enfant. Indépendam-
d’expériences psychotiques à l’âge adulte. Janssen et al. [17] ment des cas où les thèmes délirants sont partagés ou induits,
ont ainsi montré que les abus pendant l’enfance prédisaient la l’entourage est essentiel pour que l’enfant distingue entre rêve
présence de symptômes psychotiques à l’âge adulte. Lataster et réalité.
et al. [18] ont quant à eux trouvé qu’à la fois des expériences Attribuer aux productions imaginatives de l’enfant un carac-
traumatiques graves (être victimes d’abus sexuels) et des expé- tère pathologique est très difficile avant « l’âge de raison »
riences moins traumatisantes (être victime de brimades) vécues (autour de 6–7 ans) et il convient de les situer dans le contexte du
à l’adolescence sont associées à des symptômes psychotiques développement de l’enfant et de son histoire. Il convient d’être
non cliniques à l’âge adulte. sensible au degré d’envahissement de la vie de l’enfant par ses
productions ludiques, leur persistance ou seulement leur non-
2. Populations cliniques modification en présence de l’adulte, la disparition des repères
d’espace et de temps, l’indistinction des limites corporelles et
Les hallucinations et les idées délirantes peuvent aussi se psychiques, le retentissement scolaire et familial, les répercus-
manifester chez les enfants et les adolescents présentant des sions sur le sommeil et l’alimentation. Il importe également de
troubles psychiatriques variés (troubles psychotiques et non rechercher les angoisses, les moments de panique éprouvés par
psychotiques) et des pathologies non psychiatriques (troubles le sujet comme des anéantissements de sa personne. Pour Raca-
neurologiques, métaboliques, endocriniens, infectieux) [1]. mier [34], cette angoisse intense, précipitant le sujet dans la
psychose, émane d’un conflit intrapsychique ancien, réactua-
2.1. Troubles non psychiatriques lisé, dont le délire est une solution qui permet de préserver la
capacité de penser.
Les hallucinations et les idées délirantes peuvent se mani-
fester dans un grand nombre de troubles physiques [3], et ces 3. Considérations théoriques
symptômes ont également été observés chez les personnes souf-
frant des migraines [2], de syndrome de Tourette [19] et le 3.1. Variables associées aux hallucinations et idées
syndrome vélocardiofacial [20,21]. délirantes dans des populations adultes

2.2. Troubles psychiatriques De nombreuses données indiquent que les hallucina-


tions apparaissent lorsqu’un événement cognitif interne (par
Les hallucinations et les idées délirantes peuvent se mani- exemple : un événement imaginé) est faussement attribué à une
fester chez les enfants et les adolescents au cours de troubles source externe. Au moins deux facteurs semblent jouer un rôle
psychiatriques variés comme bien sûr la schizophrénie [22,23], important dans ce processus de fausse attribution : des pertur-
mais aussi les troubles d’humeur et les troubles anxieux [24–26], bations dans le contrôle de la réalité et la présence de certaines
ainsi que certains troubles des conduites [27,28]. Des études ont croyances métacognitives.
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3.1.1. Contrôle de la réalité des croyances vis-à-vis de nos propres processus ou contenus
Bentall [35] a suggéré que les hallucinations étaient asso- mentaux. Elles peuvent inclure, par exemple, la croyance que
ciées à des perturbations du « contrôle de la réalité » (reality les événements mentaux doivent être contrôlés, que certaines
monitoring). Le contrôle de la réalité est une des facettes d’un pensées sont dangereuses ou mauvaises, ou que les pensées
ensemble de processus appelés « contrôle de la source » (source intrusives sont acceptables ou bénéfiques. Selon Morrison et al.
monitoring). La source d’un souvenir est l’ensemble des infor- [44] la discordance entre ce que les personnes vivent (une pen-
mations qui situent l’origine d’un souvenir [36]. Il peut s’agir sée intrusive qui vient à leur esprit automatiquement) et ce qu’ils
du contexte spatial ou temporel de l’épisode, des émotions qui croient (« Il faut contrôler toutes les pensées ») mène la personne
lui sont associées, des opérations cognitives mises en œuvre au à un état désagréable de « dissonance cognitive ». Afin de réduire
moment de la création de ce souvenir, etc. De façon plus spéci- cette discordance et d’éviter les affects négatifs qui en découlent,
fique, le contrôle de la réalité permet de déterminer si l’origine la personne peut soit modifier sa croyance métacognitive (qui
du souvenir est interne ou externe (« ai-je imaginé ou réelle- nécessite un investissement psychologique considérable), ou soit
ment vécu l’évènement représenté dans mon souvenir ? »). Selon externaliser la pensée intrusive (ce qui résulte en une hallucina-
Bentall [35], les hallucinations seraient le résultat d’une confu- tion) sans changer son système de croyance personnelle. Par
sion entre une source interne (imaginée) et une source externe exemple, si une personne croit que toutes ses pensées doivent
(perçue). être sous son contrôle, elle va attribuer les pensées intrusives
Plusieurs études ont confirmé un déficit du contrôle de la à une source externe, car dans cette situation, sa responsabilité
réalité chez les patients schizophrènes avec hallucinations ou personnelle est supprimée ou diminuée. De nombreuses études
chez les personnes non cliniques avec une propension aux hal- ont montré une association entre des croyances métacognitives
lucinations (pour revue voir [37–39]). Par exemple, dans une de et la présence d’hallucinations dans des groupes cliniques et non
nos études [40], 100 jeunes adultes non cliniques ont complété cliniques (pour revue voir [37,45]).
un questionnaire évaluant la propension aux hallucinations, le Par exemple, nous avons exploré la relation entre la propen-
Launay-Slade hallucinations scale (LSHS [41,42]), un question- sion aux hallucinations et les croyances métacognitives dans
naire qui évalue les croyances métacognitives (meta-cognitions une population non clinique [45]. Dans cette étude, 331 jeunes
questionnaire [43]) et une tâche de contrôle de la réalité. Cette adultes non cliniques ont complété un questionnaire qui évalue
tâche consistait à présenter une liste de mots qui différaient selon la propension aux hallucinations (LSHS [41,42]), la propension
leur saillance émotionnelle (positive, négative, neutre) Pendant aux idées délirantes (PDI [46]) et un questionnaire qui évalue les
la phase d’étude, les mots étaient présentés et les participants croyances métacognitives (meta-cognitions questionnaire [43]).
devaient générer le premier mot qui leur venait à l’esprit associé Les résultats ont montré que les personnes avec une propension
au mot présenté. Après un délai, une liste de mots était admi- aux hallucinations et les personnes avec une propension aux
nistrée comprenant les mots présentés par l’expérimentateur, les idées délirantes différaient significativement concernant leurs
mots générés par le participant et de nouveaux mots. Les parti- scores à l’échelle de croyances métacognitives (scores plus éle-
cipants, répartis en deux groupes (avec ou sans propension aux vés) par rapport aux personnes sans propension. De plus, une
hallucinations), devaient déterminer si les mots avaient été ren- analyse de régression multiple a montré que les croyances méta-
contrés durant la tâche ou s’il s’agissait de mots non rencontrés, cognitive positives (par exemple : « Je dois me tracasser pour
et en outre, pour chaque mot reconnu, ils devaient déterminer s’il que les choses soient faites ») et négatives (par exemple : « Si je
avait été présenté par l’examinateur ou généré par eux-mêmes. ne parvenais pas à contrôler mes pensées, je deviendrais fou »)
Les résultats montrent que les participants avec une propension étaient les meilleurs facteurs prédictifs d’une propension aux
aux hallucinations déterminaient plus souvent, de façon erronée, hallucinations et aux idées délirantes.
que les mots qu’ils avaient générés avaient en fait été présentés Il apparaît donc que la propension aux hallucinations semble
par l’examinateur, et ces erreurs étaient plus importantes pour dépendre de deux facteurs principaux : une difficulté à attri-
les mots avec une valence émotionnelle. buer correctement une source à une information interne et un
phénomène d’externalisation en lien avec des croyances méta-
3.1.2. Croyances métacognitives cognitives. Dans l’étude (décrite précédemment) où nous avons
Selon Morrison et al. [44], les hallucinations sont des événe- mis en évidence un déficit de contrôle de la réalité chez les
ments cognitifs internes, comme des pensées intrusives, qui sont personnes avec propension aux hallucinations [40], nous avons
faussement attribués à une source externe. Ce besoin d’attribuer également constaté que les perturbations du « contrôle de la
des pensées intrusives à une source externe est dû à des fac- réalité » étaient en association avec la présence des croyances
teurs motivationnels. La présence de certaines pensées intrusives métacognitives.
peut amener à des affects négatifs chez la personne comme de Il est important de noter que des études ont montré que
l’anxiété [35] ou un état de dissonance cognitive [44]. Selon d’autres variables que les croyances métacognitives et le
Morrison et al. [44], afin de réduire ou d’éviter ces affects néga- contrôle de la réalité semblent également jouer un rôle important
tifs, la personne externalise la pensée intrusive, ce qui conduit à dans les hallucinations, comme un déficit d’inhibition (difficulté
une hallucination. En particulier, Morrison et al. insistent sur d’empêcher des informations non pertinentes de venir perturber
le rôle important que peuvent jouer les croyances métacog- la tâche en cours) et un déficit de mémoire du contexte [47].
nitives dans ce processus d’attribution erronée. D’une façon En ce qui concerne les idées délirantes, un grand nombre
générale, les croyances métacognitives sont considérées comme d’études ont montré qu’elles sont associées à divers biais cog-
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nitifs (pour une revue récente voir Bell et al. [48]). Par exemple, jet de soins adapté à la situation de l’enfant ou de l’adolescent
les patients avec idées délirantes montrent un biais de raison- concerné. Les prescriptions ne devraient pas être automatiques
nement du genre jumping to conclusions, qui se caractérisent en cas d’hallucinations chez un enfant ou un adolescent.
par une tendance à se baser sur moins d’indices ou d’éléments
de preuve par rapport aux personnes de contrôle quand il s’agit Références
d’estimer des probabilités ou d’établir des hypothèses, puis de
les modifier. Les idées délirantes peuvent aussi être associées à [1] Larøi F, Van der Linden M, Goëb J-L. Hallucinations and delusions in
un biais d’externalisation des événements négatifs, c’est-à-dire children and adolescents. Curr Psychiatry Rev 2006;2:473–85.
attribuer la cause de ces événements à autrui ou à la situation. [2] Schreier HA. Auditory hallucinations in non-psychotic children with
affective syndromes and migraines: Report of 13 cases. J Child Neurol
1998;13:377–82.
3.2. Considérations développementales et implications [3] Edelsohn GA. Hallucinations in children and adolescents: Considerations
cliniques in the emergency setting. Am J Psychiat 2006;163:781–5.
[4] Dhossche D, Ferdinand R, Van der Ende J, Hofstra MB, Verhulst F. Diag-
Plusieurs facteurs cognitifs, tels que le contrôle de la réalité, nostic outcome of self-reported hallucinations in a community sample of
adolescents. Psychol Med 2002;32:619–27.
les croyances métacognitives, divers biais cognitifs, les capacités [5] McGee R, Williams S, Poulton R. Hallucinations in nonpsychotic children.
d’inhibition ou de mémoire du contexte, semblent être impli- J Am Acad Child Adolesc Psychiatry 2000;39:12–3.
qués dans la genèse des hallucinations et des idées délirantes [6] Yoshizumi T, Murase S, Honjo S, Kaneko H, Murakami T. Hallucinatory
chez des personnes adultes. Cependant, aucune étude n’a exa- experiences in a community sample of Japanese children. J Am Acad Child
miné la contribution de ces mécanismes au développement et Adolesc Psychiatry 2004;43:1030–6.
[7] Altman H, Collins M, Mundy P. Subclinical hallucinations and delusions
au maintien des hallucinations et des idées délirantes chez les in nonpsychotic adolescents. J Child Psychol Psychiatry 1997;38:413–
enfants et les adolescents. Une telle exploration devra évidem- 20.
ment s’inscrire dans une perspective développementale, sachant [8] Poulton R, Avshalom C, Moffitt TE, Cannon M, Murray R, Harrington
par exemple que le contrôle de la réalité n’est réellement efficace H. Children’s self-reported psychotic symptoms and adult schizophre-
que dans le courant de l’adolescence et que les croyances méta- niform disorder: A 15-year longitudinal study. Arch General Psychiatry
2000;57:1053–8.
cognitives vont également se développer progressivement et être [9] Laurens KR, Hodgins S, Maughan B, Murray RM, Rutter ML, Taylor EA.
déterminées par des facteurs multiples (individuels, familiaux, Community screening for psychotic-like experiences and other putative
sociaux). antecedents of schizophrenia in children aged 9–12 years. Schizophr Res
Sur base des travaux cognitifs menés chez l’adulte et les 2007;90:130–46.
données épidémiologiques, on peut néanmoins postuler que les [10] Johns LC, Cannon M, Singleton N, Murray RM, Farrell M, Brugha T,
Bebbington P, Jenkins R, Meltzer H. Prevalence and correlates of self-
hallucinations et les idées délirantes chez les enfants et les reported psychotic symptoms in the British population. Br J Psychiatry
adolescents peuvent être considérées comme le produit d’une 2004;185:298–305.
réponse à un événement cognitif intrusif (par exemple, une [11] Krabbendam L, van Os J. Affective processes in the onset and persistence
image ou pensées intrusive) qui engendre un état affectif désa- of psychosis. Eur Arch Psychiatry Cl Neuroscience 2005;255:185–9.
gréable (par exemple : un sentiment de détresse ou de l’anxiété). [12] Murase S, Honjo S, Inoko K, Ohta T. A child who visited the emergency
room with stress-related nonpsychotic hallucinations. Gen Hosp Psychiatry
Ces images, souvenirs ou pensées intrusives seraient directe- 2002;24:448–54.
ment reliés au fait d’avoir vécu des événements plus ou moins [13] Murase S, Ochiai S, Ohta T. Separation anxiety leads to nonpsy-
traumatisants. La capacité de gérer cet évènement mental intru- chotic hallucinations. J Am Acad Child Adolesc Psychiatry 2000;39:
sif semble dépendre de nombreux facteurs, certains d’entre eux 1345.
pouvant conduire au développement d’hallucinations ou d’idées [14] Kaufman J, Birmaher B, Clayton S, Retano A, Wongchaowart B. Case
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délirantes. 1997;36:1602–5.
Au plan clinique, il importe de déstigmatiser les expériences [15] Semper TF, McClellan JM. The psychotic child. Child Adolesc Psychiatr
psychotiques en fournissant aux enfants et adolescents, à leurs Clin N Am 2003;2:679–91.
proches et aux professionnels de la santé des informations [16] Escher A, Morris M, Buiks A, Delespaul P, Van Os J, Romme M. Determi-
adaptées, montrant notamment en quoi ces manifestations sont nants of outcome in the pathways through care for children hearing voices.
Int J Soc Welfare 2004;13:208–22.
courantes et déterminées par des mécanismes qui gouvernent le [17] Janssen I, Krabbendam L, Bak M, et al. Childhood abuse as a risk factor
fonctionnement de tout un chacun. En d’autres termes, elles ne for psychotic experiences. Acta Psychiat Scand 2004;109:38–45.
doivent pas être considérées comme l’expression de processus [18] Lataster T, van Os J, Drukker M, et al. Childhood victimisation and deve-
atypiques, signant « un état de folie ». Des interventions visant lopmental expression of non-clinical delusional ideation and hallucinatory
à mieux gérer les hallucinations et leurs idées délirantes et à experiences: Victimisation and non-clinical psychotic experiences. Soc
Psychiatry Psychiatr Epidemiol 2006;41:423–8.
modifier les croyances qui y sont reliées sont également à envi- [19] Bruun RD, Budman CL. Hallucinations in nonpsychotic children. J Am
sager. De plus, il s’agit aussi de pendre en compte le fait que Acad Child Adolesc Psychiatry 1999;38:1328–9.
les hallucinations et idées délirantes coexistent souvent avec [20] Baker KD, Skuse DH. Adolescents and young adults with 22q11 dele-
d’autres manifestations psychologiques telles que l’anxiété ou tion syndrome: Psychopathology in an at-risk group. Br J Psychiatry
la dépression. Seule une évaluation pluridisciplinaire prudente 2005;186:115–20.
[21] Debbané M, Glaser B, David MK, Feinstein C, Eliez S. Psychotic
(au cours de consultations ambulatoires, d’accueil d’observation symptoms in children and adolescents with 22q11.2 deletion syn-
en hôpital de jour, ou au besoin pendant une hospitalisation à drome: Neuropsychological and behavioral implications. Schizophr Res
temps complet) nous semble permettre l’établissement d’un pro- 2006;84:187–93.
F. Larøi et al. / Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 57 (2009) 32–37 37

[22] White T, Anjum A, Schultz SC. The schizophrenia prodrome. Am J Psy- [36] Johnson MK, Hashtroudi S, Lindsay DS. Source monitoring. Psychol Bull
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