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Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 57 (2009) 6–13

Article original

Les troubles du développement de l’image du corps dans la petite enfance :


une dimension commune partagée par la schizophrénie et l’autisme ?
Developmental disorder in body image occuring in early childhood:
A common dimension shared by schizophrenia and autism?
S. Tordjman a,1,∗ , A.-S. Maillhes b,2
a Service hospitalo-universitaire de psychiatrie, de l’enfant et de l’adolescent de Rennes, 154, rue de Châtillon, 35000 Rennes, France
b Centre hospitalier Guillaume-Régnier, 35703 Rennes, France

Résumé
La question des relations entre autisme et schizophrénie a fait l’objet de nombreux débats et ce depuis l’apparition même du terme autisme
dans la nosographie, ainsi que de nombreuses études aux résultats contradictoires. Cette question reste d’actualité et suscite à ce jour un regain
d’intérêt, tant de la part des cliniciens que des chercheurs. Nous analyserons dans cet article les cas cliniques de deux frères : l’un présentait
un autisme dans la petite enfance (selon les critères diagnostiques des classifications américaines et de l’OMS, et autisme de Kanner selon la
classification française), avec des troubles sévères de la communication sociale et du développement psychomoteur (énurésie diurne et nocturne
avec encoprésie persistant jusqu’à 14 ans, troubles de l’équilibre et troubles importants de la coordination motrice fine et globale), qui a évolué vers
une schizophrénie à début très précoce (forme mixte) à l’âge de 11 ans alors qu’il n’avait pas encore débuté sa puberté ; son frère présentait, lui, des
troubles du développement psychomoteur dans la petite enfance (énurésie nocturne persistant jusqu’à sept ans, stéréotypies motrices disparaissant
vers cinq ans, troubles importants de la coordination motrice fine toujours présents à l’âge adulte avec ultérieurement détérioration progressive de
la coordination motrice globale), et est devenu schizophrène (forme déficitaire) à l’âge de 17 ans (schizophrénie, dont le début est marqué par une
dysmorphophobie associée à des conduites auto-agressives et à un retrait dans la domaine de la communication sociale). À la lumière de ces deux
cas cliniques, les relations entre autismes et schizophrénies seront discutées et revisitées. Nous développerons notamment ici l’hypothèse que les
troubles du développement de l’image du corps, présents dès la petite enfance, pourraient constituer une dimension commune à la schizophrénie et
l’autisme, et relever d’un possible problème dans l’élaboration de la conscience du soi corporel, entraînant des troubles de la différenciation soi/non
soi, et par conséquent des troubles du développement de la communication sociale s’exprimant très tôt dans certains cas (lorsque le développement
psychomoteur est très altéré) et au moment de la puberté dans d’autres cas (lorsque les troubles du développement psychomoteur sont moins
sévères). Les modifications physiques pubertaires, survenant sur un terrain déjà fragile, viendraient majorer les problèmes préexistants dans la
construction de l’image du corps et le développement de la conscience du soi corporel, et alors constituer un facteur de décompensation participant
au déclenchement de la schizophrénie.
© 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
Abstract
The relationship between autism and schizophrenia has been subject of debate since the very appearance of the term “autism” in the nosography,
and led to many studies with contradictory results. This question remains current and is nowadays the focus of renewed interest on the part
of both clinicians and researchers. This article analyzes the clinical cases of two brothers. One showed autism in early childhood (according
to the diagnostic criteria of the American and WHO classifications, and Kanner autism according to the French classification), with severe
impairments in social communication and psychomotor development (diurnal and nocturnal enuresis and encopresis persisting until the age of
14, balance impairment, and severe fine and gross motor skill problems), which evolved towards very early onset schizophrenia (mixed form)
at 11 years of age, whereas he had not yet entered puberty. His brother displayed psychomotor development impairments in early childhood
(nocturnal enuresis persisting to the age of seven years, motor stereotypies that disappeared towards five years of age, substantial fine motor

∗ Auteur correspondant.
Adresse e-mail : s.tordjman@yahoo.fr (S. Tordjman).
1 Professeur en pédopsychiatrie, responsable de pôle et chef du service hospitalo-universitaire de l’enfant et de l’adolescent de Rennes.
2 Psychiatre au centre hospitalier Guillaume-Régnier.

0222-9617/$ – see front matter © 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
doi:10.1016/j.neurenf.2008.09.005
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coordination problems still present in adulthood with later progressive deterioration of gross motor skills), and became schizophrenic (deficit
form) at the age of 17 (schizophrenia with onset marked by dysmorphophobia associated with self-injurious behavior and withdrawal in terms of
social communication). Based on these two clinical cases, the relationship between autistic disorder and schizophrenia is reviewed and discussed.
In particular, we develop the hypothesis that developmental disorder in body image, already present since early childhood, may be a dimension
common to schizophrenia and autism relevant to a possible problem in the development of body self conscience, leading to problems differentiating
self/non-self, and consequently problems in social communication development that are expressed very early in some cases (when psychomotor
development is highly altered) and at puberty in other cases (when psychomotor problems are less severe). The physical changes inherent to
puberty, occurring in an already vulnerable individual may add to the pre-existing difficulties in body image construction and the development of
body-self conscience, and therefore be a decompensatory factor participating in the onset of schizophrenia.
© 2008 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

Mots clés : Schizophrénie ; Autisme ; Image du corps ; Soi corporel ; Troubles du développement psychomoteur

Keywords: Schizophrenia; Autism; Body image; Body self; Psychomotor developmental disorder

1. Introduction En conclusion de cette partie, nous pourrions faire


l’hypothèse que la schizophrénie à début précoce et l’autisme
Historiquement, l’étroite intrication entre autisme et schizo- partagent des mécanismes psychopathologiques communs
phrénie, allant jusqu’à leur recouvrement diagnostique, existe entraînant le développement de troubles de la communication
depuis l’apparition nosographique de l’autisme dans la nomen- sociale.
clature des troubles mentaux. Dès le départ, autisme et
schizophrénie ont été liés, puisque étymologiquement le terme
Nous avons été également interpellés par d’autres analogies,
autisme, dérivé du grec « autos » qui signifie « centré sur soi »,
tant biologiques que cliniques, apparaissant dans l’autisme et
a été introduit pour la première fois par le psychiatre suisse
la schizophrénie, et portant notamment sur une vulnérabilité au
Eugen Bleuler en 1911 [1], pour décrire le retrait social chez
stress dans ces deux pathologies.
des adultes atteints de schizophrénie. En 1943, le psychiatre
américain Léo Kanner [2] empruntera à Eugen Bleuler le terme
« autisme » pour dénommer un syndrome clinique observé chez D’un point de vue biologique, Tordjman et al. [9] et Jan-
11 enfants qui, à cette époque, relevaient de la catégorie diag- sen et al. [10,11] rapportent l’existence de réponses anormales
nostique « schizophrénie infantile ». Depuis le début des années au stress sur l’axe hypothalamohypophysaire et adrénergique
1970, l’autisme et la schizophrénie sont considérés comme (HPA), aussi bien chez certains patients atteints de schizophré-
deux entités nosographiques distinctes. Cependant, plusieurs nie que chez les enfants avec autisme. Ainsi, certaines études
auteurs soulignent encore qu’elles partagent certaines carac- dans la schizophrénie [10,11] mettent en évidence un problème
téristiques communes : elles s’apparentent toutes deux à des de réponse de l’axe HPA concernant le stress psychosocial mais
troubles du développement avec des symptômes psychotiques et pas physique, avec des scores d’anxiété anormalement élevés.
des déficits portant plus particulièrement sur les domaines de la Les études de Jansen objectivent également chez les patients
communication et des interactions sociales. Ainsi, les troubles schizophrènes des mécanismes de coping passifs et d’évitement
de la communication sont reportés tant dans le syndrome autis- face à un stress psychosocial. De plus, au cours d’un premier
tique que dans la schizophrénie à début précoce [3,4,5,6], et épisode psychotique et avant tout traitement pharmacologique,
concernent la communication verbale (retard de développement les patients schizophrènes présentent des taux plasmatiques de
du langage verbal, discours pauvre ou désorganisé) comme la cortisol et d’ACTH plus élevés que ceux des sujets témoins,
communication non verbale (pauvreté du langage infraverbal et ce qui reflète une hyperactivité du fonctionnement de base
des expressions faciales, échange de regards limité, expression de l’axe HPA. Des taux élevés d’ACTH sont aussi retrouvés
émotionnelle anormale avec des affects bizarres ou inappro- chez les patients schizophrènes traités de longue date, mais
priés). De plus, le développement social est altéré aussi bien avec des concentrations normales de cortisol. Enfin, l’injection
dans la schizophrénie que dans l’autisme. La détérioration des d’hydrocortisone, en l’absence de tout stress, augmenterait
compétences sociales est associée à la chronicisation de la davantage l’activité cérébrale des patients schizophrènes [12].
schizophrénie dans sa forme déficitaire [7]. L’isolement social D’un point de vue clinique, sont décrites, aussi bien dans
observé chez les patients schizophrènes, en particulier dans la schizophrénie que l’autisme, des difficultés à s’adapter aux
l’enfance des patients présentant une schizophrénie à début très situations nouvelles, des réponses comportementales anormales
précoce, est similaire au retrait autistique décrit par Kanner aux stimuli environnementaux et aux situations stressantes
[2]. On peut cependant s’interroger sur le caractère spon- [13,14,15]. D’un point de vue psychodynamique, Haag et
tané de cet isolement social ou au contraire provoqué par des al. [16] soulignent aussi l’importance des angoisses autis-
comportements inadaptés qui entraîneraient un rejet du sujet et tiques, notamment d’angoisses majeures portant sur l’image
sa marginalisation. L’étude de Friedlander [8] est à cet égard inté- du corps qui pourraient être communes à ces deux patholo-
ressante puisqu’elle met en évidence que la majorité des patients, gies. Des études de cas ont rapporté, tant chez les patients
suivis et devenus schizophrènes, considéraient leur retrait social autistes que schizophrènes, des observations de sensibilité à
comme spontané. la douleur réduite, voir absente, ce qui a amené au dévelop-
8 S. Tordjman, A.-S. Maillhes / Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 57 (2009) 6–13

psychotique apparaît) faisant l’hypothèse que des individus


hautement vulnérables à la schizophrénie présenteraient des
épisodes psychotiques réactionnels à des événements stressants
modérés, alors que des individus faiblement vulnérables
ne présenteraient des épisodes psychotiques que lors d’un
stress majeur. D’autres modèles de vulnérabilité au stress ont
été proposés, comme celui très intéressant de Nuechterlein et
Dawson [33]. Ce modèle fait l’hypothèse qu’il existerait des états
intermédiaires précédant la survenue d’un épisode psychotique
et qui comporteraient une augmentation de l’activité du système
nerveux végétatif, une surcharge des capacités de traitement des
informations et un déficit des interactions sociales. L’évolution
dépendrait des stratégies d’adaptation mises en place par le
sujet.
Fig. 1. Modèle de stress-vulnérabilité seuil-dépendant de Zubin et Spring [50].

Par ailleurs, des études rétrospectives menées chez les


pement de la théorie des opioïdes (augmentation d’activité patients schizophrènes ou des études longitudinales portant sur
centrale des endomorphines) dans ces deux pathologies les enfants autistes rapportent de fréquentes associations entre
avec les perspectives thérapeutiques de la naloxone ou nal- ces deux pathologies qui, selon les auteurs, ne peuvent pas être
trexone [16,17,18,19]. Cependant, les études mesurant les taux totalement dues au hasard (antécédents de troubles autistiques
d’endorphines chez les patients autistes ou schisophrènes ont dans l’enfance des patients schizophrènes et apparition de
mis en évidence des résultats contradictoires [20,21,17,22,23]. schizophrénie dans le groupe autiste [3,34,11,35]). Cependant,
En fait, dans les deux cas, l’apparente insensibilité à la dou- d’autres études longitudinales ou rétrospectives ne mettent pas
leur relèverait moins d’une réelle analgésie endogène que de en évidence d’associations significatives entre l’autisme et la
troubles de l’image du corps et de la communication sociale schizophrénie [36,37].
[24,25,26,19,27].
L’ensemble de ces observations et résultats nous amène
à développer ici le concept de vulnérabilité au stress qui À partir d’observations cliniques réalisées au sein du ser-
pourrait être un concept commun et pertinent aussi bien pour vice hospitalo-universitaire de psychiatrie de l’enfant et de
l’autisme que la schizophrénie à début précoce. Il paraît utile, l’adolescent de Rennes, nous nous sommes intéressés à la ques-
tout d’abord, de replacer le concept de vulnérabilité dans tion des relations possibles entre autismes et schizophrénies.
un contexte historique ([28,29] pour un état de la question Nous allons maintenant rapporter le cas clinique d’un patient
détaillé) : dès le xixe siècle, Morel conçoit la maladie mentale autiste suivi dans le service et qui, au décours de son évolu-
comme une déviation pathologique survenant sur un terrain tion, a présenté une schizophrénie à début très précoce (avant
fragile préexistant à l’apparition de la maladie et abaissant le 13 ans) avec une première hospitalisation dès l’âge de 11 ans
seuil de tolérance ; la littérature psychiatrique mentionne pour et demi, ainsi que celui de son frère devenu également schi-
la première fois le terme de « vulnérabilité » avec les travaux zophrène mais plus tardivement (décompensation psychotique
de Rado et Meehl dans les années 1960 (une prédisposition vers 17 ans avec première hospitalisation à 18 ans). Les carac-
génétique sous l’influence de facteurs d’environnement serait téristiques cliniques actuelles et passées de ces patients seront
à l’origine de la maladie), et un des premiers modèles de détaillées. À la lumière de ces deux cas cliniques et des études
vulnérabilité sera celui proposé par Rosenthal en 1970, le précédemment citées, sera discutée, dans une perspective de
diathesis stress model, où la maladie ne se révèle que sous clarification, et revisitée la question des liens entre autismes et
l’effet de l’environnement. Par la suite, d’autres auteurs ont schizophrénies.
développé l’hypothèse que la vulnérabilité serait en rapport
avec une prédisposition génétique rendant le sujet plus sensible 2. Cas cliniques
aux stresseurs socio-environnementaux qui viendraient alors
perturber son homéostasie [30]. Concernant les stresseurs 2.1. Antécédents familiaux de Thomas et Michel
socio-environnementaux, on distingue les facteurs de stress
prédisposant à la schizophrénie et les facteurs précipitant de L’anamnèse maternelle fait état d’une tante, âgée de 40 ans,
la maladie [31], ces derniers pouvant être endogènes (biolo- sans enfant, décrite comme « bizarroïde » et ayant des préoc-
giques) ou exogènes (environnements de vie stressants pour cupations mystiques, d’un oncle présentant des problèmes de
le sujet). Pour Zubin et Spring [32], la vulnérabilité pourrait comportement avec une hypersensibilité et des troubles atten-
relever de facteurs génétiques, mais aussi être acquise au tionnels, d’une grand-mère décédée par suicide à 50 ans dans
cours du développement. Zubin et Spring [32] ont également le contexte d’un suivi pour trouble bipolaire et d’une arrière-
développé un modèle de stress-vulnérabilité seuil-dépendant grand-mère hospitalisée à de multiples reprises en psychiatrie
(Fig. 1 ; le seuil représentant le niveau au-delà duquel les avec un diagnostic de trouble de l’humeur. Du côté paternel,
capacités d’adaptation du sujet sont débordées et où l’épisode aucun antécédent psychiatrique n’est retrouvé.
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2.2. Anamnèse de Thomas typique est porté à partir de l’ADI-R (dont les scores sont au des-
sus des scores seuils dans les principaux domaines concernés)
2.2.1. Petite enfance : 0–4 ans qui met en évidence un syndrome autistique complet avant l’âge
Thomas est né en septembre 1982, à terme, suite à un accou- de trois ans. Le tableau clinique présenté par Thomas répond
chement difficile par césarienne. La mère a été extrêmement même au diagnostic d’autisme de Kanner selon les critères de la
déçue car elle s’attendait à avoir une fille, au point que les inter- Classification française des troubles mentaux de l’enfant et de
actions très précoces en ont été perturbées pendant les premiers l’adolescent (CFTMEA [39]), avec un début des troubles avant
jours voire semaines (propos rapportés par la mère elle-même). l’âge d’un an.
Dans ce contexte, la mère n’a pas souhaité allaiter au sein Tho-
mas. Les parents le décrivent, dès sa naissance, comme un bébé 2.2.2. Enfance : 5–11 ans
trop sage, sans accrochage du regard, ne faisant pas de sourires À l’école primaire, des difficultés d’apprentissage (lecture,
et avec des troubles de l’accordage affectif. calcul) ont entraîné un redoublement du CP. Un suivi au CMP
La marche a été acquise à 14 mois (acquisition de la marche pendant un an, entre cinq et six ans, a alors été mis en place, sans
associée à un trouble de l’équilibre), la propreté diurne à 14 ans qu’aucun diagnostic ne soit posé. Au collège, certains troubles
avec à la même période une disparition de l’encoprésie, et la tels qu’une énurésie persistante, une agressivité et des idées de
propreté nocturne à 15 ans (ce qui correspond à l’âge de début persécution par rapport aux adultes le prenant en charge ont pu
de la puberté de Thomas). On note également l’existence d’une être rapportés. Devant ces troubles, une consultation pédopsy-
écholalie. Il n’a pas été à la crèche et était gardé par sa mère chiatrique a été proposée en sixième, permettant d’objectiver des
jusqu’à son entrée à l’école maternelle. L’institutrice de la petite signes négatifs à type de retrait social et d’isolement évoluant
section a alors alerté les parents, en expliquant que Thomas, âgé depuis environ deux ans. La question de prodromes apparus dès
de deux ans et demi, ne respectait pas les consignes, qu’il était l’âge de neuf ans sous forme de signes négatifs, peut donc être
« absent » et avait un comportement « à part » (il restait seul dans pertinente. La scolarité a été arrêtée au début de la sixième.
son coin, en retrait, à faire tourner des objets). Concernant les À 11 ans et demi, devant l’existence d’idées délirantes cen-
problèmes somatiques, un eczéma invalidant ainsi qu’un zona trées sur Louis XIV, une première hospitalisation a eu lieu,
sont rapportés. durant laquelle le diagnostic de schizophrénie à début très pré-
La passation de l’Autism Diagnostic Interview-Revised (ADI- coce (forme mixte) fut porté, alors que Thomas n’avait pas
R), échelle validée de façon rétrospective (sur la période de encore débuté sa puberté.
vie des quatre à cinq ans) qui permet de poser un diagnostic
d’autisme selon les critères du DSM-IV [38] et de la CIM- 2.2.3. Âge adulte
10 [39], est réalisée lors d’un entretien parental semi-structuré Un entretien semi-structuré au moyen du Mini Internatio-
portant sur la période de vie actuelle et sur la période des nal Neuropsychiatric Interview (MINI), réalisé récemment avec
quatre à cinq ans. Cette évaluation met en évidence des ano- Thomas, âgé de 23 ans, confirme l’existence d’un trouble psy-
malies importantes de l’interaction sociale réciproque dans chotique (caractères bizarres des réponses), avec devinement et
la petite enfance de Thomas. En effet, il présentait, à l’âge intrusion de la pensée, sentiment d’étrangeté, et une dysthymie
de quatre à cinq ans, de grandes difficultés à utiliser les associée à des antécédents de troubles maniaques et dépressifs
comportements non verbaux pour réguler les interactions (une tentative de suicide par défénestration est même survenue
sociales (regard direct, sourire social, variété des expressions un an auparavant).
faciales), à développer des relations avec ses pairs, ainsi qu’un Les résultats de l’ADI-R sur la période actuelle mettent en
manque de plaisir partagé et de réciprocité socioémotionnelle. évidence une persistance des stéréotypies idéiques précédem-
L’ADI-R montre également des troubles de la communication ment décrites, ainsi que des troubles de la communication sociale
verbale et non verbale, tel qu’un retard de parole non compensé (avec notamment des troubles des interactions sociales et de la
par les gestes, un manque de jeux de faire-semblant et de jeux communication non verbale juste en dessous des scores seuils),
sociaux imitatifs, ainsi qu’un échec à initier ou à soutenir un mais sans qu’un diagnostic d’autisme ne puisse être porté à ce
échange conversationnel. jour.
Thomas présentait également des stéréotypies idéiques (pré- Actuellement, Thomas vit dans un centre de réhabilitation
occupations très envahissantes et idées fixes avec des troubles pour patients schizophrènes où il est suivi pour schizophrénie
obsessionnels compulsifs centrés sur l’ouverture et fermeture dysthymique et y reçoit un traitement médicamenteux (amisul-
répétées des portes ou encore la rotation d’objets, ainsi qu’un pride et divalproate de sodium).
attachement inhabituel à son cartable et ses chaussures), mais
non motrices (aucun mouvement répétitif et stéréotypé à type 2.3. Anamnèse de Michel
de balancements, battements, stéréotypies giratoires ou marche
sur la pointe des pieds, n’est observé). Enfin, l’entretien paren- 2.3.1. Petite enfance : 0–4 ans
tal, dans le cadre de l’ADI-R, fait état de troubles sévères de la Michel est né en août 1980, à terme, avec un accouchement
coordination motrice fine et globale qui s’amélioreront légère- par voie basse sous forceps entraînant une blessure au niveau de
ment avec l’âge (il ne pouvait prendre une assiette sans la faire la tête et une anoxie secondaire à une circulaire du cordon. Dans
tomber, et plus tard ce problème deviendra gênant au point de le ce contexte, Michel, tout comme Thomas, n’a pas pu être allaité
faire exclure de stages de restauration). Un diagnostic d’autisme au sein. La grossesse s’était par ailleurs déroulée normalement.
10 S. Tordjman, A.-S. Maillhes / Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 57 (2009) 6–13

La marche a été acquise à 13 mois, la propreté diurne à deux Un MINI réalisé récemment retrouve bien un trouble psy-
ans et la propreté nocturne à sept ans. Vers deux ans et demi, chotique (traité par zuclopenthixol 200 mg par mois), associé
les premiers symptômes alertant les parents ont été des stéréoty- à une phobie sociale ainsi qu’une dépendance au canna-
pies des mains (maniérismes des mains et des doigts devant les bis. Aucun élément dépressif, dysthymique, risque suicidaire,
yeux pendant près de 15 minutes) avec des bizarreries compor- trouble obsessionnel compulsif ou trouble des conduites alimen-
tementales (par exemple, il se mettait parfois à hurler en pleine taires n’est observé.
rue), des troubles du regard (strabisme provoqué par le rappro- Les résultats de l’ADI-R, sur la période actuelle, mettent
chement des objets très près de ses yeux) et des troubles du en évidence des troubles de la communication sociale sévères
comportement à type de crise d’agitation et d’opposition au sein (troubles des interactions sociales et de la communication non
de la famille (les parents parlent aussi de « débordement émo- verbale) atteignant les scores seuils, ainsi que des stéréotypies
tionnel »). On ne note durant cette période aucun antécédent idéiques majeures (rituels et adhésion compulsive à des routines,
somatique particulier. intérêts restreints perturbant la vie sociale, sensibilité excessive
Comme pour son frère, l’ADI-R a été réalisé lors d’un entre- aux bruits des voitures et à certaines odeurs) entraînant, même si
tien parental semi-structuré portant sur la période actuelle et des les stéréotypies motrices ont totalement disparu, une altération
quatre à cinq ans. Les résultats de l’ADI-R indiquent l’existence du domaine des « comportements répétitifs et patterns stéréoty-
à l’âge de quatre à cinq ans de stéréotypies motrices (persistance pés » avec un score total dans ce domaine au dessus du score
du maniérisme des mains et des doigts apparu vers deux ans et seuil.
demi, et qui disparaîtra vers l’âge de cinq ans) et de troubles Michel vit actuellement dans une structure aidant à la réha-
importants de la coordination motrice fine au point de faire bilitation psychosociale des patients schizophrènes.
l’objet des commentaires d’autrui (il n’arrivait pas à tenir les
objets dans ses mains et les faisait tomber). Ces troubles impor- 3. Discussion
tants de la coordination motrice fine persisteront à l’âge adulte (il
ne peut toujours pas actuellement planter des clous avec un mar- Les deux cas cliniques présentés, avec notamment l’évolution
teau sans se taper les doigts), alors que la coordination motrice d’un cas d’autisme typique vers une schizophrénie à début très
globale est normale à l’âge de quatre à cinq ans, mais se détério- précoce, nous amènent à discuter les hypothèses qui suivent.
rera avec le temps. Les troubles de la communication sociale
n’atteignant pas les scores seuils (ce qui n’est, en revanche, 3.1. Tronc commun dans la petite enfance
pas le cas du domaine des comportements répétitifs et stéréo-
typés), le diagnostic d’autisme ne peut donc être alors porté Il existerait, dans les premières années de vie, un tronc
selon l’ADI-R, c’est-à-dire selon les critères de la CIM-10 et du commun à l’autisme et à la schizophrénie, en particulier la schi-
DSM-IV. zophrénie à début très précoce ; l’évolution ultérieure vers l’une
ou l’autre de ces pathologies dépendrait de facteurs environne-
2.3.2. Adolescence mentaux et/ou génétiques.
Michel présenta brutalement à l’âge de 16 ans (alors qu’il est
en pleine puberté, la puberté ayant débuté à 14 ans), dans un 3.2. Voie finale commune qui serait la schizophrénie
contexte d’hospitalisation de son frère et de déménagement (il
est passé d’un milieu rural à un milieu urbain), un désinvestis- À l’inverse, on pourrait envisager que les troubles initiaux
sement scolaire avec consommation de cannabis, des fugues à de l’autisme et de la schizophrénie seraient différents, mais
répétition, et des traits psychopatiques (agressivité, intolérance que la schizophrénie pourrait être la « voie finale sémiologique
à la frustration). Un peu plus tard à l’âge de 17 ans, une dysmor- commune » à des processus psychopathologiques pour certains
phophobie apparût (sensations bizarres et angoissantes au niveau identiques à ceux de l’autisme, tandis que d’autres s’en
de son visage qu’il ne reconnaissait plus) avec des conduites distingueraient radicalement. Les cas cliniques ici présentés
auto-agressives qui persisteront jusqu’à l’âge de 23 ans (il se concernant deux frères très différents en regard de leur petite
giflait pendant des heures au point d’entraîner des lésions graves enfance (puisque, si Thomas répond bien au diagnostic
et se cognait la tête contre les murs) et un repli majeur (ne parlait d’autisme, ce n’est pas le cas de Michel), mais devenus
plus, ne se lavait plus et refusait de manger). Il arrêta ses études ultérieurement tous deux schizophrènes, constituent une bonne
au niveau du Bac sans obtention du diplôme. illustration de la possible existence de facteurs génétiques
communs. Des facteurs génétiques communs à l’autisme et à
2.3.3. Âge adulte la schizophrénie sont également discutés par Yan et al. [40].
La première hospitalisation eut lieu à l’âge de 18 ans avec un Cependant, il n’est pas exclu que des facteurs d’environnement
diagnostic alors porté de personnalité psychopatique. Lors de sa pourraient favoriser l’émergence, dans une même fratrie,
seconde hospitalisation, faisant suite à une crise clastique surve- de la schizophrénie en tant que « voie finale sémiologique
nue au domicile à l’âge de 23 ans, Michel décrivait une musique commune ». Toute l’attention de la famille étant centrée sur
lancinante, répétitive, intrapsychique et présentait un isolement Thomas, autiste dès la petite enfance, nous pourrions faire
social important. Le diagnostic de schizophrénie simple (selon l’hypothèse que Michel, au regard des possibles bénéfices
les critères de la CIM-10) est alors porté avec une prédominance secondaires attendus, se serait identifié à Thomas et aurait alors
d’emblée de symptômes négatifs (forme déficitaire). développé lors de l’adolescence, des troubles psychotiques
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avec certaines similitudes sémiologiques au tableau clinique petite enfance, pourraient constituer une dimension commune à
présenté par son frère. Cependant, l’existence chez Michel, dans la schizophrénie et l’autisme, et relever d’un possible problème
sa petite enfance, de stéréotypies motrices qui n’ont jamais été dans l’élaboration de la conscience d’un soi corporel (les tra-
observées chez Thomas, n’est pas en faveur de cette hypothèse. vaux de Rochat et Meltzoff mettent en évidence que, dès les
premières semaines de vie, le bébé serait capable de reconnaître
3.3. Continuité évolutive entre un sous-type d’autisme et un le soi corporel, (voir [41]) pour une état de la question). Cette
sous-type de schizophrénie conscience du soi corporel permettrait la différenciation soi/non
soi, préalable nécessaire au développement de la communica-
Il existerait une continuité évolutive entre un sous-type tion (verbale et non verbale) et des interactions sociales. Une
d’autisme (troubles autistiques portant sur une alteration altération de ces processus entraînerait donc des troubles de
majeure des interactions sociales et de la communication, mais la communication sociale (troubles majeurs de la communica-
sans stéréotypies motrices) et un sous-type de schizophrénie tion sociale dans la petite enfance de Thomas qui présentait
(schizophrénie à début précoce voire très précoce, dont les alors un développement psychomoteur très altéré, et à partir
prodromes comprendraient des signes déficitaires évoluant ulté- de l’adolescence pour Michel dont les troubles du développe-
rieurement vers une forme mixte). ment psychomoteur étaient moins sévères). On peut s’interroger,
ici, sur l’existence de facteurs génétiques de vulnérabilité à la
3.4. Pas de continuité évolutive d’un point de vue schizophrénie, qui influenceraient l’expression, chez ces deux
catégoriel mais dimensionnel frères, de la sévérité des troubles psychomoteurs (expression
dans la petite enfance plus complète pour Thomas que pour
Il n’existerait pas vraiment de continuité évolutive entre Michel). Il est intéressant de relever que la littérature rapporte
l’autisme et la schizophrénie ; la relation entre ces deux patho- aussi, dans l’enfance des patients schizophrènes, des troubles
logies ne s’inscrirait pas dans une perspective longitudinale moteurs à type de troubles de la coordination motrice fine, de
catégorielle mais plutôt dans une approche sémiologique dimen- retard à la marche ou d’anomalies posturales [42]. On peut rap-
sionnelle dont il reste à déterminer si elle est sous-tendue procher de ces observations les résultats des travaux de Marie
par des mécanismes psychopathologiques communs entraî- Odile Krebs [43] qui mettent en évidence une fréquence anor-
nant l’apparition d’un profil clinique similaire dans certains malement élevée, dans les familles des schizophrènes, de signes
domaines, en particulier dans les domaines de la communication neurologiques mineurs où nous retrouvons les troubles de la
sociale et de l’image du corps. coordination motrice (présents aussi bien chez Michel que chez
Concernant le domaine de la communication sociale, il est Thomas), ainsi que des troubles de l’équilibre (également obser-
remarquable d’observer que Thomas présente dans la petite vés chez Thomas), des mouvements anormaux (existant dans la
enfance un tableau d’autisme marqué par des troubles sévères petite enfance de Michel), ou encore des troubles de l’intégration
des interactions sociales et de la communication (tant verbale sensorielle et de la latéralisation.
que non verbale) qui persisteront ultérieurement alors que le On peut penser que pour Michel, les modifications phy-
diagnostic de schizophrénie sera porté, mais à un degré moindre siques pubertaires (sachant que la puberté, indépendamment
et avec une nette amélioration de la communication verbale. des remaniements psychiques de l’adolescence, est une période
On peut ici se questionner quant au rôle des perturbations des susceptible, de par les changements physiques physiologiques
interactions très précoces mère-bébé rapportées par la mère qu’elle entraîne avec notamment l’apparition des caractères
(extrêmement déçue que son bébé ne soit pas une fille, elle n’a sexuels secondaires, de provoquer des remaniements de la cons-
pu s’en occuper dans un premier temps) sur les troubles du déve- cience de soi et de l’identité), survenant sur un terrain déjà fragile
loppement de la communication sociale dans la petite enfance de et dans un contexte environnemental potentiellement stressant
Thomas. Ces troubles sévères de la communication sociale sont (déménagement, hospitalisation de son frère), vont venir majo-
également retrouvés chez Michel, mais après qu’il soit devenu rer les problèmes préexistants dans la construction de l’image
schizophrène. du corps et le développement de la conscience du soi corporel,
Concernant l’image du corps, il est là encore remarquable et alors constituer un facteur de décompensation participant au
de noter que Michel présente, durant sa petite enfance princi- déclenchement de la schizophrénie. L’apparition chez Michel,
palement, des troubles centrés sur le corps (énurésie nocturne à l’âge de 17 ans, d’une dysmorphophobie avec des symptômes
jusqu’à l’âge de sept ans, troubles importants de la coordi- de déréalisation corporelle, qui témoigne d’une distorsion de la
nation motrice fine persistants ultérieurement et stéréotypies perception corporelle et d’idées délirantes centrées sur l’image
motrices disparaissant vers cinq ans). Cela suggère un problème du corps, est en faveur de cette hypothèse. Les conduites auto-
de construction et d’intégration de l’image du corps, illustré agressives (se gifler, se cogner la tête) apparues à la même
par l’absence de contrôle sphinctérien (énurésie primaire diurne période que la dysmorphophobie, peuvent également être inter-
jusqu’à sept ans chez Michel et 15 ans chez Thomas, associée prétées au regard de ces troubles de l’image du corps. En effet,
pour ce dernier à une énurésie diurne avec encoprésie persis- elles peuvent être considérées comme des attaques dirigées vers
tant jusqu’à 14 ans) et les troubles sévères de la coordination les parties d’un corps (ici le visage et la tête) devenu persécu-
motrice fine (observés aussi bien chez Michel que Thomas, tant (sensations bizarres et angoissantes au niveau du visage que
dans leur petite enfance, puis également à l’âge adulte). Ces Michel ne reconnaissait plus), mais aussi comme des compor-
troubles de l’intégration de l’image du corps, présents dès la tements permettant de percevoir les limites corporelles à partir
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d’une sensation douloureuse provoquée à la tête (sachant que la peuvent être aussi retrouvées chez les patients schizophrènes
tête est une des parties du corps qui comporte le plus de récep- [49,27,50].
teurs sensoriels), et donc de mieux se représenter le schéma Il semble donc nécessaire d’affiner la description nosogra-
corporel, notamment au niveau céphalique. phique du tableau d’autisme et notamment de mieux préciser
Cela apporte un éclairage intéressant au rôle de la puberté les comportements plus spécifiques ou caractéristiques d’un
dans la survenue de la schizophrénie : la puberté pourrait être diagnostic d’autisme stable. Dans cette perspective, le domaine
un facteur de stress surajouté qui, en reprenant les modèles de des stéréotypies motrices apparaît être un des domaines
vulnérabilité au stress précédemment mentionnés et notamment intéressants et importants à explorer.
le modèle de stress-vulnérabilité seuil-dépendant de Zubin
et Spring [32], déborderait les capacités de sujets hautement Nous confirmons, avec le cas clinique de Thomas, les don-
vulnérables quant à un défaut de développement, dans la nées de la littérature rapportant dans l’enfance des patients
petite enfance, de l’image du corps et de la conscience du présentant une schizophrénie à début précoce, des antécédents
soi corporel. Dans cette même perspective d’un modèle de prémorbides avec notamment une altération de la communica-
stress-vulnérabilité seuil-dépendant, l’entrée au collège pour tion sociale voire des troubles envahissants de développement
Thomas aurait pu, elle, constituer un facteur de stress surajouté [5,4] ; Michel, chez qui l’on ne retrouve pas de troubles majeurs
participant au déclenchement de la schizophrénie sur un terrain de la communication sociale dans la petite enfance, évoluera
encore plus fragile que celui de Michel. lui vers une schizophrénie à début beaucoup plus tardif. En
revanche, la littérature rapporte que les antécédents prémorbides
3.5. Critères diagnostiques actuels insuffisants pour seraient associés aux formes déficitaires de schizophrénie avec
discriminer l’autisme de la schizophrénie une évolution péjorative sur le plan de la socialisation et des
hospitalisations [47,48], alors que Thomas, autiste dans la petite
Les définitions actuelles de l’autisme seraient insuffisantes enfance, évoluera vers une schizophrénie mixte avec une nette
pour bien discriminer les patients autistes des futurs schizo- amélioration des interactions sociales et de la communication, et
phrènes. Tantam [44] argumente même que certains patients que Michel, dont les antécédents prémorbides sont moins mar-
autistes présentent des symptômes qui peuvent aussi être qués que ceux de son frère, présentera ultérieurement une forme
considérés comme des traits de personnalité schizoïde. Plus déficitaire de schizophrénie avec une détérioration majeure de
récemment, Kornstanteras et Hewitt [45] ont mis en évidence la communication sociale.
que 50 % d’une cohorte de patients autistes de haut niveau pré- Enfin, le cas clinique de Thomas (avec l’existence d’un
sentaient des signes de schizophrénie lors d’une évaluation au diagnostic d’autisme dans la petite enfance qui disparaît
moyen du Structured Clinical Interview Schedule (SCID). Inver- ultérieurement pour évoluer vers une schizophrénie à début
sément, des auteurs comme Scheitman et al. [46] ont montré que très précoce), tout comme celui de son frère Michel (avec
sur 21 adultes schizophrènes âgés de 18 à 60 ans et résistants l’apparition à l’adolescence d’une schizophrénie associée à un
aux traitements, 15 présentaient des troubles autistiques lors tableau clinique d’autisme) souligne, d’une part, les limites des
d’une évaluation clinique réalisée en utilisant l’Autism Behavior classifications du DSM-IV-TR et de la CIM-10 qui définissent
Checklist (ABC). des catégories nosographiques fixes ne permettant pas le pas-
Si on analyse plus précisément ce recouvrement diagnostique sage d’une catégorie à l’autre et, d’autre part, l’intérêt de la
entre autisme et schizophrène, on s’aperçoit qu’il concerne sur- classification française se caractérisant par des organisations
tout les signes négatifs de schizophrénie, comme l’anhédonie, psychopathologiques susceptibles d’évoluer, et de façon plus
l’anergie, l’émoussement affectif ou le retard social et de générale, l’intérêt d’une approche psychodynamique (au sens
communication. Ce recouvrement symptomatique peut être large) et diachronique.
observé en particulier entre l’autisme de haut niveau ou le
syndrome d’Asperger et la schizophrénie à début précoce qui
se caractérise souvent par une symptomatologie négative avec Conflit d’intérêt
des troubles des interactions sociales [47] et une évolution
chronique [48]. Cependant, ces deux pathologies diffèrent par Aucun.
l’âge de début des troubles (avant trois ans pour l’autisme,
période de l’adolescence pour la schizophrénie), mais aussi par Références
les symptômes avec des signes positifs (hallucinations, idées
délirantes) dans la schizophrénie que l’on ne retrouverait pas [1] Bleuler E. Dementia Praecox oder Gruppe der Schizophrenien. Handbuch
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dans l’autisme infantile [48]. Il est d’ailleurs intéressant de [2] Kanner L. Austistic disturbances of affective contact. Nerv Child
noter qu’en cas d’antécédent de troubles autistiques, le diag- 1943;2:217–53.
nostic associé de schizophrénie ne peut être porté, selon les [3] Alaghband-Rad J, McKenna K, Gordon CT. Childhood onset schizophre-
critères du DSM-IV-TR, que si l’on observe des idées déli- nia: the severity of premorbid course. J Am Acad Child Adolesc Psychiatry
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