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DE PHILOSOPHIE CONTEMPORAINE
LES
CAUSES SOCIALES
DE
LA FOLIE
PAR
G.-L. DUPRAT
Docteur ès lettres
Professeur de philosophie au lycée d'Alençon
PARIS
ANCIENNE LIBRAIRIE GERMER BA1LL1ÈR13 ET C*
FÉLIX ALCAN, ÉDITEUR
. 108, BOULEVARD, SAINT-GERMAIN, 108
1900
LES
CAUSES SOCIALES
DE
LA FOLIE
LES
CAUSES SOCIALES
DE .
DU;MÊME AUTEUR
LA FOLI
PAR
L'instabilité mentale, Paris, F. Alcan, 1 vol. i,n-8° de
la Bibliothèque de p hUosophie contemporaine 1899. 5 fr..
L'éducation physique à l'école, Bordeaux, Gou- G.-L. DUPRAT
nouilhou, broch. in-8». Docteur ès lettres
Rapports de la psychologie et de la sociologie, Professeur de Philosophie au Lycée d'Alençon
Imprimerie nationale, broch. in-8°.
Morphologie des faits sociaux, Paris, Giard et
Brière, broch. in-8°.
Science sociale et démocratie, Paris, Giard et Brière,
1 vol. in-8°.
PARIS
ANCIENNE LIBRAIRIE GERMER BAILLIÈRE ET C"
FÉLIX ALCAN, ÉDITEUR
108,'BOULEVARD SAINT-GERMAIN , 108
1900
Chartres. — Imprimerie DURAND, rue Fulbert.
Tous droits réservés.
A Monsieur TH. R1BOT
MEMBRE DE L'iNSTITUT
Respectueux hommage.
AVANT-PROPOS
INTRODUCTION
grégation mentale ; on n'a pas assez considéré auxquelles l'instabilité pathologique antérieure
que l'expression désagrégation mentale désigne permet seule d'avoir des effets.
d'une façon pittoresque, métaphorique, un fait Nous avons par là même fait entendre la
dont la description seule permet de connaître la nécessité d'une nouvelle série d'explications
nature, un fait qui requiert une explication, qui propres à rendre compte de la diversité des faits
n'explique rien par lui-même, qui ne satisfait psycho-pathologiques. De quelle nature peu-
en rien l'esprit si par derrière on n'aperçoit pas vent-elles être ? En dehors des explications que
une loi. Que la désagrégation psychologique fournit la biologie, il y a celles que permettent
puisse se produire ou non, la loi d'instabilité les lois qui régissent soit les faits d'ordre mental,
mentale n'en subsiste pas moins, acceptable de soit les faits d'ordre social. Mais est-il aisé de
tous—car il n'est personne qui nie le changement formuler en lois les relations purement psycho-
continuel de notre conscience — et s'imposant logiques ? La psychologie pure n'a-t-elle pas un
même à tous ceux qui, empiristes ou rationa- domaine si restreint qu'une explication reposant
listes, matérialistes ou idéalistes, ne pourront pas seulement sur elle est aussi incomplète que
s'empêcher de constater la mobilité d'esprit de précaire ?
tous les hommes, singulièrement exagérée chez La description des différentes sortes d'actes
les névropathes et les aliénés. M. Pierre Janet qui constituent notre vie mentale semble avoir
nous a objecté l'impression d'immobilité, de été faite d'une façon à peu près complète : la
stabilité, que produit un asile d'aliénés dans perception, le souvenir, le raisonnement, la
la plupart de ses quartiers. Bien loin de nier passion semblent avoir été analysés depuis long-
qu'une telle impression soit produite en général temps déjà et être connus dans tous leurs détails.
par les asiles de la folie où les mélancoliques Cependant les descriptions qu'on en fait n'abou-
abondent, nous l'avons signalée, en attribuant la tissent-elles pas toutes à un appel à l'introspec-
stabilité morbide de la majorité des aliénés à tion? — Voulez-vous savoir, nous dit-on, ce
des causes autres que l'instabilité mentale, mais qu'est le souvenir? Regardez en vous-même;
8 LES CAUSES SOCIALES DE LA FOLIE INTRODUCTION 0
vous découvrirez des représentations que vous de sorte que c'est une illusion de supposer que
rejetez dans le passé ou plutôt que vous localisez la psychologie peut remplir même la première
en un point du cours total de votre existence, partie de sa tâche sans sortir des limites de la
qui ont été conservées et sont reproduites conscience. »
grâce à l'attention et à l'habitude, etc. — Mais Les faits objectifs, communs à la multitude
que sont ces représentations, qu'est votre moi, des consciences, qui offrent à la représentation
que sont vos habitudes?— Si vous tentez de les une base, universellement et nécessairement la
analyser sans faire appel à des faits biologiques, même, setrouventforcément àpeuprès tous hors
vous n'y réussirez pas; et si vous devez vous de la conscience essentiellement instable et per-
contenter des données de votre conscience, ces sonnelle que chacun de nous a de ses états
données subjectives, variables d'individu à indi- d'esprit, c'est-à-dire presque exclusivement dans
vidu, teintées chacune du sentiment personnel, le domaine biologique et dans le domaine socio-
ne peuvent être vraiment les aboutissants d'une logique. On peut cependant persister à dire que
science. la psychologie pure existe en tant que science.
Comme l'a montréMunsterberg«le psycho- Il y a quelques faits psychiques généraux, qui se
logue est obligé de sortir du monde psychique retrouvent en toutes les consciences humaines ;
et d'entrer dans le monde physique qui ne ce ne sont pas tels ou tels souvenirs, telles ou
saurait cependant l'intéresser directement2 », telles émotions ; ce sont précisément ces fonctions
non pas seulement « parce que les faits psychi- mentales auxquelles aboutissent nos analyses
ques ont besoin d'un substrat physique, mais psychologiques quand elles nous permettent
encore parce que la description même des faits de parler en général de la représentation, du
psychiques présuppose constamment le monde moi, de l'attention, de l'habitude, de la raison.
physique, exige constamment qu'on s'y réfère, Si la notion d'un raisonnement particulier,
d'une idée particulière est trop subjective, il n'en
1. Psyc/wlogy and Life, 1839.
2. Ibid., p. 43-44. est pas tout à fait de même de celle des fonc-
l.
10 LES CAUSES SOCIALES DE LA FOLIE INTRODUCTION 11
à génération, dépend des sentiments politiques, plus en plus à reconnaître en des faits aussi psy-
religieux et moraux, répandus dans la collec- chologiques en apparence que l'hypocrisie, par
tivité, se complaît enfin dans l'expression exemple, des faits essentiellement psycho-socio-
concrète d'idées sociales. Certaines émotions logiques et d'origine purement sociale. Il suffit
agréables ou pénibles s'associent à des objets d'ailleurs, pour l'exemple choisi, de considérer la
différents selon la mode, les préjugés, les habi- parenté de l'hypocrisie et de la pudeur, qui est
tudes contractées dans la vie en commun ; les assurément un fait d'origine sociale, pour être
tendances sont presque toutes rectifiées ou convaincu de l'importance du rôle joué par la so-
déformées par l'éducation que l'enfant reçoit ciété dans le développement de ce vice si commun.
dans la famille et à l'école, que l'adulte reçoit Si les faits normaux que notre conscience
dans la rue, l'atelier, le club, partout où il se nous fait connaître directement sont, en si grand
trouve en contact avec ses semblables. Les nombre, sous la dépendance des conditions
modes d'action les plus systématiques, tels que sociales d'existence individuelle, comment les
les procédés industriels, commerciaux, agrico- faits anormaux, les psychopathies, ne seraient-
les, les techniques » de tous les genres, sont elles pas explicables dans une certaine mesure
enseignés par la société, par un groupe social par les mêmes conditions d'existence?
plus ou moins restreint. Il n'est pas jusqu'à la
façon de parler et même de marcher qui ne II
dépende du milieu social dans lequel on a grandi. Lorsqu'on pénètre dans un asile d'aliénés, une
L'association des idées, des sentiments se fait fois séparé du monde qui pense et agit normale-
sous l'influence de certaines synthèses primi- ment par de grands murs qui semblent devoir
tives, spontanément imitées, qui déterminent enclore à jamais ceux qui s'agitent ou se lamen-
jusqu'au cours de la pensée à certains moments, tent dans leur enceinte, on est peu porté à
jusqu'aux consécutions de représentations dans établir une étroite relation entre la vie sociale
certaines circonstances. Enfin, on s'habitue de et les désordres de l'esprit. L'extérieur diffère
14 L1£S CAUSES SOCIALES DE LA FOLIE INTRODUCTION 15
tellement de l'intérieur que celui-ci semble l'humanité, a-t-on dit, les sages seraient par
former un monde à part, fermé aux salutaires eux proclamés fous, tenus pour tels et enfermés
influences de la société, constitué même en dans des asiles. En effet, les aliénés n'hésitent
dehors de toute action sociale. pas à déclarer insensées les personnes qui ne
Cependant la folie est un fait social. Pour qui pensent pas comme eux ; contrariez-les dans
examine soigneusement et sans idée préconçue leurs desseins, déclarez absurdes leurs visions
sa nature et ses conditions, le fait social peut délirantes: ils vous accuseront d'être de mau-
être défini : tout phénomène qui est en confor- vaise foi. Le propre des fous est de ne pas
mité ou en opposition avec une tendance savoir qu'ils sont fous. Mais alors même qu'ils
collective, primitive ou déi'ivée. Or être fou, au constitueraient à peu près toute l'humanité,
point de vue sociologique, c'est ne pas penser et nous n'aurions encore rien à craindre d'eux, car
agir « comme tout le monde », c'est tenir pour à peu d'exceptions près ils ne s'entendraient pas.
certains des principes que les autres hommes Sans doute on rencontre des cas de folie épidé-
proclament faux, c'est donner comme valables mique, de contagion morale, où les mêmes
des démonstrations généralement considérées hallucinations, le même délire, les mêmes
comme absurdes, c'est méconnaître les maximes haines font agir de concert quelques aliénés ;
pratiques universellement admises ; bref, c'est on voit quelques exemples de folie familiale ;
être en désaccord avec toutes les tendances ou mais ce sont des cas exceptionnels. Ce qui,
avec quelques-unes des principales tendances de d'après Lombroso1, distingue le fou du criminel,
la « conscience sociale », avec la science ou la c'est que celui-ci « ne peut vivre sans compa-
morale ou la Raison, avec ce que la quasi- gnons, s'expose même au danger pour en trouver,
unanimité des hommes proclame nécessaire à la tandis que les fous préfèrent toujours la soli-
vie en commun. tude, évitent toujours la société d'autrui. Il en
Il s'ensuit qu'être fou, c'est être plus ou moins 1. L'homme criminel, trad. Régnier et Bournet, p. 374 (Paris,
insociable. Si les fous étaient en majorité dans F. Alcan).
•16 LES CAUSES SOCIALES DE LA FOLIE INTRODUCTION 17
résulte que les complots sont d'autant plus rares Tandis que les caractères des êtres normaux se
dans les asiles d'aliénés qu'ils sont plus fré- ressemblent par bien des côtés, façonnés comme
quents dans les bagnes. » ils le sont par la même hérédité sociale, par les
Non seulement les fous ne parlent pas la même mêmes influences extérieures, puisant à une
langue que nous, mais encore, en général du source commune leurs principes les plus effica-
moins1, ils ne parlent pas entre eux une langue ces de détermination, les caractères des aliénés
commune, ils diffèrent de sentiments, de mœurs, semblent tellement différents les uns des autres
de principes, d'idées directrices. Chacun a son qu'on songerait tout d'abord à attribuer leur diver-
monde propre d'images, de fantômes, créés par sité à une étonnante indépendance du moi à
ses hallucinations, entretenus par ses délires; l'égard du dehors. Mais peut-on parler du moi,
ses conceptions sont sans valeur objective, pu- du caractère d'un aliéné ? N'est-ce pas précisé-
rement individuelles. Au lieu de se compléter ment parce qu'il ne s'appartient plus qu'un sujet
les unes les autres, comme le font celles des peut être dit fou ? Nous ne voulons pas opposer ici
êtres normaux, les aptitudes diverses des aliénés la domination exercée par un prétendu principe
sont incompatibles; leurs types divers ne peu- spirituel sur des passions, des sentiments dits
vent se coordonner en un système quelconque. inférieurs, des fonctions supposées d'ordre maté-
Incapables de contracter explicitement ou riel, à la domination exercée par une passion, un
implicitement, plus ou moins dépourvus de sentiment, une idée fixe, un produit de l'imagina-
moralité, de sentiments esthétiques et religieux, tion, sur l'être tout entier pendant plus ou moins
d'esprit scientifique, de tout ce que nous savons longtemps; nous n'admettons pas, parce qu'on
être des éléments d'union, d'entente, de cohé- ne nous en a pas démontré la nécessité, l'oppo-
sion sociales, ils réalisent la plus complète sition du spirituel et du matériel, et nous ne
anarchie par suite d'une radicale « asociabilité ». croyons pas que la suprématie de la Yolonté
raisonnable diffère essentiellement de la supré-
1. Voir plus loin quelques exceptions créées par la contagion
morale. matie d'une tendance, d'une passion. L'aliéné
18 LES CAUSES SOCIALES DE LA FOLIE INTRODUCTION 19
dont la conduite a pour principes directeurs des d'une façon à peu près fixe et constante, mais ra-
appétits d'ordre inférieur n'en possède pas moins tionnelle, aux excitations du milieu. Les sujets
une âme ; mais chez lui ou bien il n'y a pas de normaux sont adaptés à un milieu social déter-
principe directeur constant, ou bien il n'y a miné, grâce à des habitudes contractées sous l'em-
qu'un principe insuffisant, impuissant à diriger pire de ce milieu social même : ils ont tous même
le cours de son existence d'une façon normale et fin, à savoir la même adaptation ; et ils subissent
grâce à l'usage de toutes les facultés proprement tous à peu près les mêmes influences en vue de
humaines : nous avons montré ailleurs comment cette fin. Les aliénés n'ont ni la fin, ni le moyen ;
l'instabilité morbide et la stabilité morbide à plus forte raison leurs activités distinctes
s'opposent à l'instabilité normale et à la conti- n'ont-elles ni même objet, ni même point de
nuité régulière de la vie mentale. Dans l'insta- départ. Au lieu de chercher à s'adapter à un
bilité morbide, pas de caractère fixe ; dans la milieu donné, ils se créent un milieu imaginaire;
stabilité morbide, on pourrait presque dire qu'il aussi sont-ils généralement réfractaires à toute
y a trop de caractère, en ce sens que tous les influence éducatrice tendant à les rendre plus
instants sont uniformément caractérisés comme aptes : ils n'en éprouvent nullement le besoin.
conséquences d'une tendance morbide ; à pro- Leur caractère pathologique dominant est-il
prement parler, il n'y a pas plus de caractère l'instabilité? Ils ne peuvent concevoir des modes
véritable, car ni l'idée fixe ne saurait être con- fixes de réaction ; ils changent continuellement
fondue avec la volonté, ni le monoïdéisme de procédés et répondent aux excitations du
continuel avec l'expression d'une personnalité milieu par des décharges d'énergie psycho-
foncièrement identique à elle-même. motrice plus ou moins appropriées, générale-
Si les aliénés s'opposent les uns aux autres, ment aussi malencontreuses que violentes. —
ce n'est donc pas tant parce que leurs caractères Leur caractère pathologique dominant est-il au
sont incompatibles qu'à cause de l'absence d'un contraire la stabilité morbide? Ce sont les mêmes
caractère personnel qui leur permette de réagir tendances, les mêmes appétits qui sont continuel-
20 LUS CAUSES SOCIALES DE LA FOLIE INTRODUCTION 21
lement contrariés par les excitations externes, valeur. D'où viennent ces sentiments, ces pas-
ou qui sont continuellement satisfaits par les sions, ces appétits, ces impulsions?
productions arbitraires de l'imagination. Gom-
ment dans le premier cas, celui de l'instabilité III
généralisée, le pur hasard ferait-il, sinon par Dans l'hypothèse matérialiste de la conscience
exception, que les actes de deux aliénés soient épiphénomène, ils sont la prise de conscience
en harmonie? Comment dans le second cas, d'états de l'organisme, de mouvements ébauchés
celui de la stabilité morbide, peut-il arriver, ou de modifications latentes des éléments ner-
autrement que par accident, que le développe- veux et musculaires. La pensée n'est en effet dans
ment de deux ou plusieurs psychoses identiques cette hypothèse rien de plus qu'un aspect des
s'effectue pari passu dans les mômes circonstan- vibrations de la substance nerveuse ; les faits
ces, identiquement perçues ou conçues? psychiques sont du moins entièrement déter-
Les aliénés sont donc sans influence récipro- minés clans leur qualité, leur intensité, leur
que les uns sur les autres précisément parce modalité, leur nature et leurs relations par
qu'ils n'ont aucune action volontaire sur eux- l'amplitude, la vitesse et le nombre des vibra-
mêmes, parce qu'ils ne sont plus que des forces tions de la matière cérébrale. Raisonnons tout
déterminées dans leur direction par d'autres d'abord en admettant cette hypothèse.
forces étrangères à la volonté ; celle-ci étant, La mélancolie provient, dit-on, de la dégé-
comme on le sait, l'expression même du carac- nérescence de certains ganglions du grand
tère personnel dans la direction des actes sympathique ; la paralysie générale et la « dégé-
réfléchis, intentionnels. Ils sont par conséquent nérescence mentale », de certaines névroses du
déterminés à l'activité mentale comme à l'action système "nerveux spinal, etc. Les intoxications,
proprement dite par des sentiments implantés les interpositions passagères ou durables de né-
dans leur âme, entrés dans leur esprit sans avoir vroglie jouent le plus grand rôle dans la psycho-
été contrôlés quant à leur provenance et à leur pathologie ainsi comprise. Mais c'estsous l'action
INTRODUCTION 23
22 LES CAUSES SOCIALES DE LA FOLIE
d'excitations ex ternes que la substance nerveuse, cerveaux, qu'ils y apportent parfois le trouble,
appelée à répondre d'une façon appropriée, s'use, qu'ils y donnent naissance à ce que les psycho-
se désagrège, perd ses propriétés essentielles. Or logues appellent des sentiments, des tendances,
parmi ces excitations externes ne comptera-t-on des idées. Que si ces sentiments, tendances ou
pas celles qui émanent des forces sociales? idées, ne rencontrent pas dans le sujet d'autres
Le dehors n'est pas seulement un système de mouvements du même genre déjà coordonnés de
forces physiques ou mieux de relations physiques, façon à formerun ensemble caractéristique d'une
c'est aussi un système de relations sociales: personnalité définie, stable en ses traits essen-
la réalité des phénomènes sociaux est reconnue tiels ; s'ils produisent en conséquence le délire,
dé tous, même de ceux qui, avec les positivistes l'hallucination, la folie, il est bien vrai que
et Auguste Comte, semblent vouloir ignorer l'aliénation mentale a des causes sociales, sans
l'existence des faits psychiques. Une grève, une préjudice bien entendu de ses causes biologiques.
émeute, une prière publique, une exposition Mais l'hypothèse matérialiste n'a pas plus que
d'œuvres d'art ou d'œuvres industrielles peuvent l'hypothèse idéaliste le droit de se proclamer
sans doute se réduire à des mouvements diver- seule scientifique ; peut-être même est-elle anti-
sement synthétisés et eux-mêmes divers ; mais scientifique en ce sens qu'elle nie la pleine
ces mouvements ou systèmes de mouvements réalité des faits psychiques qui sont des faits
empruntent toute leur valeur, toute leur portée, comme les faits biologiques et les faits sociaux,
toute leur signification à ce fait qu'ils ont pour bien que des faits d'un ordre particulier. La
origine des êtres sociaux et pour fin la réalisation « prise de conscience », d'ailleurs, constitue un
de conceptions sociales ; c'est en tant que faits phénomène irréductible à des relations purement
sociaux et non en tant que simples mouvements biologiques. Comment dès lors serait-il indiffé-
qu'ils se répandent, se communiquent, subsistent, rent qu'un organisme puisse se concevoir, savoir
naissent même. C'est donc en tant que faits so- qu'il pense, veut et raisonne, puisse se croire
ciaux qu'ils ébranlent les systèmes nerveux, les capable par ses idées de modifier même le cours
24 . LES CAUSES SOCIALES DE LA FOLIE INTRODUCTION 23
de la nature inintelligente? Ne peut-on pas attri- Nous disions plus haut que les événements
buer un rôle, une fonction à la vie psychique ? A sociaux ébranlent, en tant que tels, les systè-
priori, on peut dire que si elle n'avait eu aucune mes nerveux, font naître des vibrations, des
fonction à remplir, la nature l'eût éliminée ou changements moléculaires dans les cerveaux ;
eût du moins tendu à l'éliminer, au lieu de la mais n'est-ce pas le plus souvent par l'intermé-
développer sans cesse comme elle le fait évidem- diaire de la pensée, de la conscience? Sans
ment. A posteriori, ne voit-on pas que cette doute, il est des troubles nerveux directement
fonction de la conscience est de permettre au engendrés par des faits sociaux tels que la
dehors d'agir sur le système nerveux et l'orga- guerre, la famine : une dépêche de Prétoria, à
nisme, par les images, les idées, les tendances, la date du six octobre 1899, à la veille de la
les sentiments que ce dehors suscite? déclaration de guerre faite par le Transvaal à
.La pensée permet aux excitations externes de l'Angleterre, nous apprend qu'un train sur-
se condenser pour agir « en masse ». A quelle chargé d'émigrants est arrivé à destination après
multitude de vibrations la plus simple idée de tels retards et dans de telles conditions que
exprimée par l'un do nos concitoyens ne corres- plusieurs hommes sont devenus complètement
pond-elle pas, et quels effets un motn'a-t-il pas, fous. Leur folie n'a-t-elle pas été engendrée sim-
s'il est prononcé à notre oreille dans certaines plement par les privations qu'ils ont dû s'im-
circonstances qu'en un instant nous concevons ? poser, par la misère physiologique, résultat du
Combien de siècles d'expérience, de travaux, ie défaut d'organisation et du défaut de ressources
recherches, de démarches, de sacrifices, un prin- pécuniaires? Tout porte à le croire. Cependant
cipe scientifique, si promptement présent à notre il peut se faire que les préoccupations, les ter-
esprit, ne résume-t-il pas en des termes qui, reurs vaines, la crainte de voir apparaître
sans la pensée susceptible de les interpréter, se l'ennemi, la douleur de quitter la patrie, l'appré-
réduiraient à des ondes sonores sans lien entre hension du lendemain, aient été les intermé-
elles, perdues en une multitude d'autres ? diaires psychologiques entre le fait social de
G.-L. DUPRAT. 2
26 LES CAUSES SOCIALES DE LA POLIE INTRODUCTION 27
l'exode, avec ses antécédents politiques ou écono- évolution morbide, à la fois mentale et somati-
miques, et le fait morbide, psycho-physiologi- que, et n'est pas toujours nécessairement la
que assurément, de la folie. conséquence d'un processus névropathique, les
C'est surtout par la conscience que les forces forces sociales susceptibles d'ébranler la santé
sociales, qui, en elle sont représentées, conçues, de l'esprit et du cerveau ne peuvent-elles pas
et ne le sont qu'en elle, peuvent agir sur les agir directement sur notre pensée sans avoir
organismes ; non seulement les représentations besoin d'exercer leur néfaste influence jusque
à base sensorielle sont nécessaires pour que les sur notre système nerveux? — Et alors n'aurions-
hommes puissent s'inciter les uns les autres, se nous pas trois modes d'action funeste des forces
communiquer les uns aux autres leurs impres- sociales sur l'éclosion et le développement de
sions, leurs émotions, apercevoir leurs actes, l'aliénation mentale : 1° l'action directe sur le
mais encore le langage est indispensable pour système nerveux ; 2° l'action indirecte sur le sys-
que les êtres raisonnables se transmettent les tème nerveux par l'intermédiaire de la conscience;
uns aux autres leurs connaissances. Or les sen- 3° l'action directe sur l'esprit, sans influence
sations sans conscience, le langage sans pensée immédiate sur l'étal du système nerveux ?
sont de vains phénomènes biologiques. De ces trois façons, la folie nous semble
Enfin ne peut-on pas prétendre que de même susceptible d'avoir des causes sociales. 11 n'en
qu'il y a des faits psycho-pathologiques engen- faut pas davantage pour légitimer l'étude que
drés par des dégénérescences nerveuses ou autres nous entreprenons, et qui se rattache d'ailleurs
phénomènes biologiques, il y a des faits neuro- aux recherches qu'ont souvent commencées les
pathologiques engendrés par des troubles plus éclairés de nos aliénisles. « Le facteur
psychiques plus ou moins durables et qui sociologique, disent MM. A. Marie et Ch. Vallon1,
deviennent permanents quand ils ont acquis souvent négligé en pathologie mentale nous
une solide base biologique ? Si l'instabilité
mentale peut être le point de départ d'une I. Des psychoses à évolution progressive, Archives de neurol.,
1896, p. 479.
28 LÉS CAUSES SOCIALES DE LA FOLIE
Il est rare qu'un crime épouvantable ne dénote le «dégénéré», et ses discours attestent
trouve plusieurs aliénés pour s'en accuser spon- au moins sa faiblesse d'esprit. Il n'a pas pu
tanément. A peine les journaux ont-ils porté les matériellement accomplir seul le crime dont si
public, que des lettres d'aveux donnant les ren- qu'il désigne fournissent des alibis probants et
seignements les plus circonstanciés, les plus lui-même pourrait vraisemblablement en four-
propres à faire accroire à la culpabilité de ceux nir. Est-il simplement victime d'une auto-
qui se dénoncent eux-mêmes, parviennent aux suggestion? S'il en était ainsi, il n'eût pas varié
magistrats, rendus perplexes toujours, parfois dans ses affirmations ou eût développé, le même
même induits en erreur. On peut voir à l'asile thème sans se contredire nettement; il eût été
de Cadillac (Gironde), un jeune homme, Uh..., hypnotisable sans doute, accessible à des sugges-
qui tantôt se dit seul auteur, tantôt se reconnaît tions étrangères. Il est plutôt atteint du délire
enfin se déclare simple spectateur ou simple Il est « vantard », loquace, quand il s'agit de
instigateur d'un crime commis à Bordeaux dans rapporter des exploits de « malandrin » qui ne
des circonstances mystérieuses, et qu'il explique furent pas tous les siens ; il est orgueilleux et
de la façon la plus plausible. Il a été détenu susceptible : sa psychose semble donc aisée à
pendant de longs mois, a lancé l'instruction sur déterminer et appelée à se préciser dans le sens
toutes soi'tes de fausses pistes, et s'est tellement de la folie systématique. Un fait de la vie collec-
accusé qu'il a fini par convaincre le magistrat tive a ainsi donné naissance dans l'esprit d'Ub...
Uh... est sans doute un aliéné ; sa face asymé- dans d'autres circonstances eût probablement
conformation de ses oreilles et de tout son corps, N'y eut-il pas dans l'antiquité grecque ou
son front bas et étroit, son strabisme, tout romaine et au moyen âge des gens qui s'accu-
3i LES CAUSES SOCIALES DE LA FOLIE ASPECTS PSYCHO-PATHOLOGIQUES 35
sèrent de fautes ou de péchés énormes, qui se La vérité est que les délires à évolution systé-
proposèrent comme victimes expiatoires par matique changent facilement d'aspect avec la
conviction intime de leur culpabilité ou de nature des événements saillants de l'existence
leur méchanceté foncière, qui n'étaient que des collective. La mégalomanie notamment revêt à
aliénés atteints du délire d'auto-accusation, chez différentes époques des dehors tout différents.
qui enfin des événements sociaux malheureux, Un négociant très honorable, Jar..., vient
tels que la peste, la défaite, la persécution col- trouver M. B..., maire de C... et lui dit : « Me
lective, avaient éveillé une psychose latente et voici de retour de Berlin. L'cmpei'enr d'Alle-
donné à cette psychose une forme spéciale? Ceci magne était très irrité de ce qui se passe en
n'est qu'une hypothèse, qu'il est difficile de véri- France à propos de l'affaire Dreyfus. Mais je
fier, par suite du défaut de documents ; peut-être suis parvenu à lui faire entendre raison. Il m'a
cependant évèillera-t-elle dans l'esprit de quelque fait une commande importante. Puis il m'a dit
chercheur le désir de la réfuter ou de la contrôler. de répéter partout en France qu'à cause de
l'honorabilité du maire de ma ville, en considé-
II ration de vos mérites, il consent à neutraliser
Le désastre financier du Panama, plus récem- l'Alsace et la Lorraine. » M. B..., stupéfait d'un
ment l'affaire Dreyfus et l'antisémitisme, ont tel langage écoute patiemment son malheureux
contribué en France à déceler le trouble foncier administré qui continue à divaguer, puis il le
de certains esprits. « Encore une victime de fait reconduire chez lui, se souvenant que la
l'affaire! », s'écriaient volontiers les gens mal mère de Jar... a dû être internée pour folie et
soupçonnant le fils de-débuter ainsi, soudain,
informés de la nature de l'aliénation mentale et
dans l'aliénation mentale. Depuis, Jar... semble
portés, par leur ignorance des causes réelles,
à attribuer aux seuls facteurs sociaux des effets incurable.
Parfois les déments adoptent le costume et les
dus surtout à des influences biologiques et à la
manières qu'ils croient convenir au personnage
débilité psychique congénitale.
36 LES CAUSES SOCIALES DE LA FOLIE ASPECTS PSYCHO-PATHOLOGIQUES 37
important dont ils ont entrepris de jouer le rôle ; transformations politiques, au point que leur
et c'est ici qu'on peut le mieux peut-être aperce- délire semble prendre une orientation nouvelle
voir les variations concomitantes des idées popu- ou revêtir une forme particulière ; ce sont aussi
laires sur la grandeur, la puissance, et des les maniaques, les hystériques, tous les insta-
aspects du délire mégalomaniaque. Dans un bles, dont les états morbides portent la marque
même asile on voit les plus anciens pensionnai- du milieu dans lequel ils vivent, des préoccupa-
res jouer au Napoléon III, et les plus récents tions que leur impose leur situation sociale,
jouer au grand inventeur, au grand diplomate, des faits qui retiennent le plus leur attention.
au grand homme dans une démocratie. Les pre- Sans doute les maniaques montrent surtout
miers, décorés et chamarrés, dans une attitude de l'incohérence dans leurs discours ou dans
pleine de fierté ou d'accablement, selon qu'ils se leurs actes ; mais, comme de nombreux auteurs
supposent au temps de la victoire ou au temps l'ont signalé, sous cette incohérence existe
des revers irrémédiables, parlent de gloire mili- toujours un principe de coordination, quelque
taire ou de trahison, d'hommages rendus ou de faible qu'il soit, ne fût-il même que verbal
persécutions éprouvées. Les autres prennent des (comme dans la recherche constante du calem-
attitudes méditatives ou inspirées, parlent des bour). Il y a chez ces malades ce qu'on a appelé
services, reconnus ou méconnus, qu'ils ont ren- une « accélération de l'idéalion 1 » ; les uns se
dus à l'humanité. Le développement industriel et croient poètes, font des vers; les autres musi-
commercial, les progrès de la science, l'habitude ciens, et ils composent ; d'autres aspirent à des
du régime républicain font peu à peu disparaître positions sociales très élevées. » Or, pour la
le premier type, multiplient le second. plupart, dans ces dernières années, où la
Ce ne sont pas seulement les délirants chro- « question sociale » se pose avec une singulière
niques qu'affectent les événements de la vie insistance, ils émettent des vues humanitaires,
sociale, que frappent vivement dans leur ima-
gination la venue d'un grand homme ou les 1, COLOLIAN. Annales méd, psych., 1898, t. II, p. 210.
G.-L. )
I UPEAT. 3
38 LES CAUSES SOCIALES DE LA FOLIE
ASPECTS PSYCHO-PATHOLOGIQUES 39
très puériles bien qu'ils les croient très profon-
Les hystériques, malgré leur instabilité men-
des, mais qui n'en attestent pas moins leur
tale si évidente, ont, comme l'a montré M. Pierre
participation au mouvement général des esprits.
Janet, des idées fixes qui donnent naissance aux
Ils s'inspirent de théories antérieurement émises
attaques, aux tics, aux délires, aux crises
pour concevoir des réformes sociales propres,
variées, si difficiles à éviter, si lentes à dispa-
disent-ils, à remédier aux souffrances collectives.
raître, précisément à cause de la persistance des
Quand ils n'ont pas de préoccupations huma-
conceptions latentes. Ces idées fixes sont parfois
nitaires, ils ont des préoccupations scientifiques,
la conséquence d'événements sociaux, tels qu'une
religieuses, esthétiques, qui reflètent encore
épidémie de choléra, un malheur public, une
l'état général des esprits à notre époque. La
catastrophe politique, nationale, financière.
Science, la Religion, l'Art sont, nous l'avons dit
Sans doute, les hystériques de nos jours sem-
plus haut, choses sociales ; les idées qui s'y
blent éprouver surtout des sentiments égoïstes ;
rattachent dépendent de l'état de la connaissance
leur moi est restreint, leur vie est confinée, le
et de la sensibilité collectives à un moment
champ de leur conscience n'est pas seulement
donné; l'amour du Vrai, celui du Beau et celui
rétréci au psychologique, mais encore au moral ;
de Dieu prédominent alternativement dans une
leur misère psycho-physiologique les éloigne
société, et l'aliénation mentale est un indice
volontiers des préoccupations d'ordre social, et,
plus ou moins lent à se produire, mais généra-
en les obligeant à se replier sur eux-mêmes,
lement sûr, de la prédominance passée de l'un
donne à leurs idées fixes un caractère subjectif à
ou de l'autre.
l'excès. De plus, ils changent trop aisément de
On nous permettra, ici, de rapprocher des fous
personnalité pour qu'on voie au premier abord
les hystériques"et les neurasthéniques, les névro-
dans toutes les transformations de leur moi des
pathes en général. La ligne de séparation n'est
effets de causes sociales. Le même malade devient
pas d'ailleurs si nette qu'il soit inopportun de
successivement des personnages tout à fait diffé-
parler d'hystérie à propos d'aliénation mentale. ■
rents, au gré, semble-t-il, de son imagination.
ASPECTS PSYCHO-PATHOLOGIQUES il
40 ' LES CAUSES SOCIALES DE LA FOLIE
pas introduire l'ordre, l'harmonie, l'unité dans
Ce devenir n'est pas cependant aussi spontané le monde social ; au contraire le chaos extérieur
qu'il le semble. Nous ne parlons pas, bien en- aggrave chez eux le désordre mental et leur
tendu, des transformations qui sont dues à des esprit en vient à refléter comme un miroir passif
expériences de suggestion, généralement très
l'inconstance des choses de la nature et surtout
aisées à réaliser. Mais la suggestibilité môme des
des choses sociales, sans qu'y apparaisse une
hystériques les rend éminemment aptes à subir
image nette de ce qui est fixe, permanent ou
l'influence « transformatrice » du milieu social. constant dans le monde.
C'est d'abord parce que le milieu leur fournit En un temps où le milieu social était relative-
des types variés de personnalités, de nombreux- ment simple et comme figé, sans devenir
modes d'action possibles, qu'ils sont inconstants industriel, commercial et politique, au moyen
dans leurs manières d'être les plus extérieures. âge par exemple, les hystériques se ressentaient
C'est ensuite parce que la situation sociale de d'un tel état de stagnation au point de présenter
chacun de nous varie sans cesse que l'hysté- un aspect psycho-pathologique à peu près uni-
rique se croit appelé à revêtir divers aspects forme. En ces siècles de foi religieuse où l'esprit
au gré des circonstances extérieures. L'absence était presque absorbé par les conceptions théolo-
de stabilité normale, de caractère, livre son giques, l'hystérique ne nous est guère connu que
esprit tout entier au désordre. Or le monde sous la forme d'un malheureux être que le clergé
social, comme tout le reste de l'univers, n'est persécutait, que l'Inquisition condamnait à la
qu'un chaos pour l'esprit qui n'y introduit point torture et au bûcher, comme convaincu de rela-
de lui-même un ordre, qui n'en fait pas sponta- tions avec l'Esprit malin. L'hystérique se croyait
nément une unité synthétique. Tous les auteurs possédé du démon, appelait de ses vœux l'exor-
s'accordent à reconnaître chez l'hystérique cisme et parfois n'estimait pas payer trop cher sa
l'absence relative ou l'insuffisance de ce que délivrance morale en supportant les atroces
liant a appelé « l'unité originairement synthé- souffrances que lui imposaient ses bourreaux.
tique du moi. » Nos malades ne peuvent donc
42 LES CAUSES SOCIALES DE LA FOLIE ASPECTS PSYCHO-PATHOLOGIQUES 43
Nous reviendrons plus loin sur l'épidémie malades. Tout autre prophète eût sans doute
de folie religieuse qui, il y a quelques années, obtenu le même résultat. Conselheiro n'a fait
sévit en une partie du Brésil Le fait intéres- que refléter les idées religieuses, fétichistes et
sant pour nous en ce point de notre étude, c'est monothéistes en même temps, de son milieu ; il a
qu'Antonio Maciel, surnommé Conselheiro, été l'instrument qui manquait à la superstition
réussit par son apparition et ses prédications, à brésilienne pour s'affirmer en des manifestations
transformer presque subitement les divers genres identiques, tandis qu'elle n'avait auparavant que
de folie dont étaient atteints certains déments de des manifestations divergentes. Le Dr Rodrigues1
son entourage, à imprimer le même « cachet dé- et M. Oscar d'Araujo2 s'accordent à le recon-
mentiel » sur l'esprit de douze malheureux qui naître. Nous sommes donc bien ici en présence
devinrent ses apôtres. Nous n'avons pas de ren- do causes sociales agissant grâce à la plasticité
seignements précis sur la nature psycho-patho- dés esprits malades.
logique de chacun de ces douze déments avant Celle-ci doit être rattachée, comme nous
l'apparition de Conselheiro ; nous ne pouvons l'avons fait, à la suggestibilité hystérique, qui,
pas juger de la distance qui séparait leur folie comme elle, repose en définitive sur une ten-
primitive de la folie religieuse consécutive aux dance naturelle à l'imitation, sur une reproduc- ~s~
exhortations du nouveau Messie ; mais nous en lion non-intentionnelle, automatique le plus
savons assez pour voir dans ce cas une nouvelle souvent, des actes et attitudes d'autrui, ou sur
preuve de la plasticité de l'esprit chez les déments. une exécution également machinale des actes
Ce n'est pas d'ailleurs la personne même de indiqués par les paroles ou les gestes d'autrui.
Conselheiro, ce n'est pas son génie, son talent, Sans doute, la suggestibilité des hystériques est
son caractère qui ont été susceptibles d'exercer beaucoup plus grande que celle des déments,
une influence aussi décisive sur ces divers esprits des délirants chroniques: chez ces derniers, la
I. Cf. Dr Nina Rodrigues. Une épidémie de folie religieuse au
1. Loc. cit.
Brésil (Annales médico-psych., 1898, t. I, p. 371).
2. Rev. encyclop., 1898, p. 52.
46 LES CAUSES SOCIALES DE LA FOLIE
ASPECTS PSYC1I0 PATHOLOGIQUES 47
stabilité morbide, beaucoup plus accentuée, avons relatés dans ce chapitre sont donc dans
empêche bien des suggestions d'aboutir, met un une certaine mesure susceptibles de recevoir
veto nettement prohibitif à certains actes, à une explication psycho-sociologique. L'explica-
certaines pensées. Mais où l'aliéné puiserait-il tion psychologique consiste à rattacher la folie à
les matériaux indispensables à ses constructions l'hystérie et toutes deux aux lois de l'imita-
imaginatives, si l'imitation lui faisait complète- tion spontanée, de la reproduction et de la
ment défaut ? D'où viendrait sa ferme croyance production automatique de certains états de
à la réalité de ses conceptions subjectives s'il conscience, de l'attribution d'une valeur objec-
n'avait une «grande puissance d'aulo-sugges- tive aux conceptions qui1 ne rencontrent pas
tion», pour parler le langage des médecins- d'inhibition rationnelle ou de « réducteurs anta-
psychologues qui semblent ne pas toujours bien gonistes. » La personnalité est modifiée, en son
voir que ce qu'ils attribuent à la simple imagi- aspect du moins, par de fortes croyances, ces
nation chez l'aliéné, ils l'attribuent à une faculté fortes croyances fussent-elles des convictions
mystérieuse de suggestibilité chez le névropathe? absurdes. L'explication sociologique consiste à
Quand on peut s'affirmer à soi-même la réalité montrer que ces croyances, ces convictions
de choses imaginaires, on peut bien croire, d'une sont déterminées par le milieu, par les circons-
croyance équivalente à la certitude, à la valeur tances sociales ; qu'elles sont fortes précisément
objective des affirmations d'autrui. Il n'y a pas pour cette raison, car ce qui est d'origine so-
de différence foncière entre l'aulo-suggestion et ciale a toujours à priori une haute valeur pour
la suggestion, entre la suggestibilité des aliénés la conscience individuelle.
et celle des hystériques.
Si donc l'hystérique dépend de son milieu
IV
social et des suggestions de ce milieu, au moins
quant à la forme de ses conceptions morbides,il Notre tâche toucherait-elle déjà à sa fin et
en est de même de l'aliéné. Les faits que nous
1. Par suite de l'instabilité morbide de l'esprit.
48 LES CAUSES SOCIALES DE LA FOLIE ASPECTS PSYCHO-PATHOLOGIQUES 49
devrions-nous ici nous borner à signaler le lien ment administratif, nous y trouvons pour les
superficiel qui rattache l'aliéné à son temps et à hommes : environ 51 pour cent d'aliénés atteints
son milieu, à reconnaître la loi qui fait que la de « folie simple el épileptique » ; 13 pourcentde
folie reflète en partie la vie sociale? On le croira paralytiques généraux; 13 pour cent de fous
d'autant plus aisément que l'on rattachera plus alcooliques; 18 pour cent d'idiots et de crétins ;
étroitement la folie à des lésions du système 5 pour cent de déments séniles ; et pour les
nerveux, à des troubles biologiques dont on femmes : 60 pour cent d'aliénées atteintes de
cherchera l'explication dans l'évolution même « folie simple et épileptique»; 4 pour cent de
ou plutôt dans la dissolution des tissus vivants. folles alcooliques ; a pour cent de « paralytiques
Mais il faut dans tous les cas rechercher une générales»; 10 pour cent de démentes séniles
cause à la dégénérescence des neurones ou à et 20 pour cent d'idiotes, ou par idiotie congé-
tout autre accident de ce genre, surtout lorsqu'on nitale ou par crétinisme.
constate que de tels faits se reproduisent pério- Si la proportion diffère un peu d'une année à
diquement avec une régularité, soit dans la l'autre, c'est à cause d'un accroissement à peu
progression, soit dans la régression, ou avec une près continu du nombre d'alcooliques, de para-
constance qui indiquent nettement la régularité, lytiques généraux, d'idiots et de crétins. La
la constance d'une influence pernicieuse. démence sénile reste à peu près slationnaire ;
Dans une société donnée et pour une assez quant à la « folie simple et épileptique », elle
longue période, les statistiques accusent en effet comprend une telle variété de formes morbides,
un nombre régulièrement croissant, ou sensi- depuis la folie mystique jusqu'à la simple exci-
blement égal, d'entrées dans les asiles d'aliénés tation maniaque, qu'on comprend aisément
et une proportion à peu près constante des que les nombres coiTespondants varient le plus.
divers genres de folie. En France, la population C'est elle d'ailleurs qui présente la plus grande
des asiles dans ces dernières années est d'environ quantité de cas de guérison ou d'amélioration,
60,000 malades, et, si nous suivons le classe- tandis que la statistique de la folie paralytique
50 LES CAUSES SOCIALES DE LA FOLIE ASPECTS PSYCIIO-PATUOLOGIQUES 51
accuse une quantité considérable de décès : en- les femmes, qui se reproduisent d'une façon
viron 1,500 décès sur 6,000 admissions. Ce qui régulière et qui sont autant de causes d'aliéna-
semble prouver que la première de ces psychoses tion mentale. Mais la régularité de ces « acci-
est beaucoup plus passagère, et ce qui explique dents », ne tient-elle pas à ce qu'ils se,
qu'elle amène dans les hospices un flux et un produisent dans une société donnée et en con-
reflux plus irréguliers. séquence même d'un mode d'existence sociale
La constance dans la quantité de déments déterminée. La nocivité des épidémies varie
séniles dépend évidemment de la constance de avec les mesures hygiéniques prises par les
la population du pays. L'accroissement de la gouvernements, les accidents sont moins fré-
population n'est pas tel en France que pour une quents lorsque diminuent la hâte de construire,
période de dix années, le nombre de cas de l'importance des bâtiments à édifier ou des
démence sénile puisse varier d'une façon œuvres à réaliser, l'insouciance des pouvoirs
notoire. Mais peut-on invoquer une cause de ce publics et des administrations préposées à la
genre à la régularité dans l'accroissement du sauvegarde et à la sécurité des travailleurs ou
nombre des paralytiques généraux, des alcooli- des voyageurs ou des citoyens en général. La
ques, des idiots et des crétins? puerpéralité est rendue moins dangereuse par
Et comme, malgré certaines fluctuations, la l'application générale de procédés scientifiques.
folie simple et épileptique ne varie pas elle-même Bien des intoxications enfin peuvent être évitées
de telle façon qu'on ne puisse y constater une dans une société bien organisée.
certaine régularité dans la progression, peut-on D'ailleurs les traumatismes, les intoxications,
assigner une cause physique ou biologique les fièvres infectieuses, etc., engendrent la folie
constante à cette progression continue ? surtout par l'intermédiaire de la misère psycho-
Sans doute il y a des intoxications, des « chocs » physiologique qui résulte de tels accidents. Les
nerveux, des traumatismes, des maladies infec- phénomènes sociaux ne sont-ils pas susceptibles
tieuses, des cas morbides de puerpéralité chez de déterminer cette misère psycho-physiologi-
52 LES CAUSES SOCIALES DE LA FOLIE ASPECTS PSYCUO-l'ATIIOLOGlUUES 53
que ? La débilité mentale, la dégénérescence des des diverses forces sociales comme le corps
éléments nerveux, ne peuvent être consécutives subit sans cesse l'action de la pesanteur. Les
qu'à des actions lentes, prolongées, relativement influences ainsi exercées peuvent être fécondes
continues. Mais où trouver plus de continuité en heureux résultats ; mais qui niera qu'elles
que dans l'action lente exercée sur l'individu peuvent être nuisibles, pernicieuses à la santé
par le milieu social ? Il n'est pas jusqu'aux de l'esprit ?
vestiges des états sociaux passés qui ne pèsent 11 en est des forces sociales comme des autres
de tout leur poids sur l'individu, et parfois pour forces de la nature : on peut céder à leur puis-
l'obséder ou pour contrarier ses tendances les sance de diverses façons, de sorte que leurs effets
plus légitimes. L'hérédité sociale, celle qui fait peuvent être utiles plutôt que nuisibles, heureux
que la génération présente est redevable au plutôt que malheureux; on peut sans doute
passé d'une partie de sa structure, de la majeure tirer parti de l'hérédité sociale, de la contrainte
partie de ses principes constitutifs ou directeurs, exercée par la collectivité sur l'individu, comme
mais qui fait aussi que suivant l'expression on peut tirer parti de la pesanteur pour assurer
d'Auguste Comte les morts gouvernent les vi- sa marche au lieu de tomber maladroitement
vants, n'est pas toujours favorable au dévelop- par obéissance aux lois de la pesanteur ; mais
pement normal de la nature humaine : des pré- on subit l'action des forces sociales comme on
jugés enracinés des traditions néfastes viennent subit celle des autres, c'est-à-dire sans interrup-
tourmenter certains esprits à tout propos, vien- tion et d'une façon inéluctable.
nent leur donner dès les premiers moments de On ne peut donc à priori refuser d'examiner
réflexion comme un cauchemar continuel. les rapports des forces sociales et de la folie,
La contrainte sociale, les nécessités économi- dans l'hypothèse d'une influence exercée par le
ques, les besoins ou les aspirations politiques, milieu, les institutions, les fonctions politiques,
esthétiques, religieuses, ne laissent aucun repos économiques, religieuses, etc. On doit au
à l'âme humaine ; elle subit sans cesse l'action contraire admettre cette hypothèse comme pro-
54 LES CAUSES SOCIALES DE LA FOLIE
des obstacles infranchissables à leur union, et qui, malgré des mélanges antérieurs, a réussi
étrangères au développement les unes des autres à conserver un caractère qui lui est bien propre :
pendant de si longs siècles qu'elles sont encore c'est le type sémitique. Cependant le Juif por-
profondément différentes, il ne faut pas oublier tugais et le Juif hollandais diffèrent l'un de
cependant qu'en chacune de ces grandes variétés l'autre; le Juif russe ou allemand, au dire de
de l'espèce humaine sont des variétés secon- M. Zangwill1, méprise le Juif polonais; et le
daires nées du mélange incessant de types spon- même auteur ne craint pas d'affirmer que «les
tanément différenciés et dont aucun ne reste Juifs de différents pays non seulement s'assimi-
absolument pur. De sorte que clans la race jaune lent le caractère moral de leurs compatriotes,
comme dans la race blanche il y a des types en mais encore adoptent peu àpeu leurtype facial. »
voie de disparition et des types en voie de for- Quoi qu'il en soit, et surtout si l'on se refuse à
mation. 11 y a en Asie comme en Europe des admettre chez les Juifs l'incessante rénovation
phénomènes de progrès collectif et de décadence des types sociaux, il semble que leur exemple
collective, si l'on appelle progrès l'affirmation ne vienne pas à l'appui de la thèse générale
croissante d'un type et décadence sa disparition qui affirme la dégénérescence inéluctable des
graduelle. On peut dire que ce sont des phéno- vieilles races. Car à moins que l'on ne considère
mènes de dégénérescence ; mais cette affirma- l'habileté, l'acuité intellectuelle, comme des
tion n'implique en rien la valeur de la thèse indices de dégénérescence, on ne voit pas que
ordinairement soutenue, celle d'une décadence les Juifs de nos jours soient inférieurs à ceux
naturelle des branches les plus vieilles de du moyen âge ou de l'antiquité.
l'espèce humaine, décadence irrémédiable et Supposons cependant que nos contemporains
dont on ne donne aucune raison. israélites soient des dégénérés, que le nombre
Parmi les divers types constitutifs de la race des Juifs aliénés soit proportionnellement plus
blanche, il en est un qui depuis plusieurs siècles considérable que celui dés aliénés d'origine
semble avoir pris à tâche de s'isoler des autres 1. Zangwill. Children of the Ghello.
G.-L. DUPBAT. 4
62 LES CAUSES SOCIALES DE LA FOLIE LA DÉGÉNÉRESCENCE 63
chrétienne. Sera-t-il prouvé pour cela que la et sains ; et cela non à cause d'une mystérieuse
« dégénérescence » estune cause réelle de débilité dégénérescence de ce plasma qui d'après
physique et mentale? Il faudrait, pour que nous Weismann se transmet à peu près intact de
soyons contraints de l'admettre, que nous ne descendant en descendant, mais simplement à
puissions trouver aucune autre explication que cause du renforcement des caractères morbides
cette explication toute verbale à la décadence de l'un des parents par l'existence des mêmes
d'un type qui, par hypothèse, conserve sa pureté caractères morbides chez l'autre procréateur.
par un rigoureux isolement. C'est pourquoi la noblesse d'Espagne par
suite de ses mariages répétés entre consanguins
II a perdu peu à peu les nobles qualités ances-
Or, on connaît bien les conséquences des trales et ne présente bientôt plus, sans avan-
maiùages entre consanguins. Sans doute on a tages proéminents ou compensateurs, que les
contesté que l'union de cousins germains par défauts des aïeux, défauts d'autant plus ridicules
exemple entraînât clans la plupart des cas la qu'ils sont maintenant plus accentués \
surdi-mutité ou d'autres tares névropalhiques Chez les infusoires et les ciliés, chez les êtres
analogues. Du moins personne ne conteste que les plus simples, les plus proches de l'état
le mariage de proches parents présentant à peu mono-cellulaire, la conjugaison est l'équivalent
près le même caractère, les mêmes prédisposi- de l'union sexuelle chez les animaux supérieurs ;
tions névropathiques n'entraine une aggrava- or elle ne se fait pas entre éléments homogènes ;
tion de ces prédispositions chez les enfants. elle n'a lieu qu'entre éléments déjà très diffé-
Il semble que dans l'espèce humaine comme renciés ; et tandis que la bipartition, qui se
dans les autres espèces animales, comme dans produit lorsque la conjugaison est rendue impos-
toutes les espèces végétales, comme dans le sible, entraîne la dégénérescence et la mort2, la
domaine tout entier de la vie, la même souche 1. Cf. Ribot. L'hérédité psychologique (Paris, F. Alcan).
2. * Maupas. Recherches expérimentales sur la multiplication
familiale ne puisse longtemps donner des rejetons des infusoires.
61 LES CAUSES SOCIALES DE LA FOLIE LA DÉGÉNÉRESCENCE 65
conjugaison amène le rajeunissement du type, La science enseigne que, pour prospérer, les
lui confère une vitalité d'autant plus grande que « races » primitives doivent s'unir, qu'un type
les deux éléments associés sont plus hétérogènes '. ne peut vivre qu'en se déformant et que toute
N'en est-il pas de même dans la société tentative pour conserver intact un type social
humaine, et pour qu'une souche demeure vivace, peu répandu entraîne sa décadence par suite de
ne faut-il pas que ses représentants s'unissent à l'hérédité morbide qui en est le premier effet.
ceux d'une souche aussi éloignée que possible ? Si donc il y a chez un peuple des motifs
Pour qu'une collectivité conserve sa vitalité, son sociaux d'isolement, de prohibition des unions
activité intellectuelle, sa puissance, ne faut-il entre individus de type différent ; s'il y subsiste
pas qu'elle se laisse infuser un sang nou- des castes qui obligent par exemple les nobles aux
veau en facilitant l'accès en son sein d'éléments mariages entre consanguins, on doit chercher là,
étrangers, le plus hétérogènes possible? et parfois là seulement, les causes d'une déca-
Pour expliquer la décadence hypothétique du dence psycho-physiologique qui peut être elle-
caractère juif, il ne faudrait, donc pas recourir même cause d'aliénation mentale. Ainsi on est
à la supposition d'une dégénérescence inexpli- amené à substituer à l'explication verbale par
cable, incompréhensible en tant qu'affection la « dégénérescence de la race », la recherche
d'une «race vieillie». Il suffirait de remarquer scientifique des causes .de décadence d'un type
que le nombre des mariages entre consanguins, social.
dans une collectivité relativement peu impor- M. Brooks Adams1 a essayé d'induire des faits
tante au point de vue numérique, est fatalement historiques « la loi de la civilisation et de la
considérable, étant donnée la prohibition des décadence ». A notre avis, il n'a pas réussi et
unions sexuelles hors du type Juif. Il s'ensui- ne pouvait pas réussir à expliquer entièrement
vrait nécessairement, de par les lois mômes de la décadence par le pouvoir croissant de l'argent
la nature biologique, une décadence de ce type.
I. La loi de lacioilisation et de la décadence. Essai historique
1. Lalande. La dissolution (Paris, F. Alcan, 1899), p. 130 sqq. par Brooks Adams. Trad. Dietrich (Paris, F. Alcan, 1899).
4..
66 LES CAUSES SOCIALES DE LA FOLIE LA DÉGÉNÉRESCENCE 67
et par les diverses phases de la lutte économi- finiront tôt ou tard par se renforcer les uns les
que. Cependant il semble nettement ressortir de autres et précipiter la décadence.
son étude que chez un peuple se succèdent « Le changement opéré dans le caractère
naturellement et inévitablement : 1° l'esprit romain en trois siècles environ a toujours été
guerrier, quand ce peuple sort à peine de la bar- un des problèmes de l'histoire... Ardent en ses
barie au sein de laquelle il est né ou dans passions, austère dans sa vie, féroce dans sa
laquelle il a puisé des éléments qui l'ont rajeuni jalousie, [le Romain primitif] plaçait dans la
et qui, plus proches delà nature sauvage, l'éloi- possession non disputée de la femme son suprême
gnent du négoce ; 2° l'esprit mercantile,, écono- bonheur... Comparez cette race virile avec l'aris-
mique, qui, à mesure qu'il s'affirme davantage, tocratie du milieu de l'empire. Au 11e siècle, la
amène la corruption des mœurs, la ruine des pureté féminine était d'un poids léger contre
idées religieuses, la décadence de l'art. Il y a en l'argent ; Marc Aurèle, dit-on, condensa en une
effet, au cours des siècles, dans une civilisation courte sentence tout le code moral économi-
donnée, une modification inéluctable de l'esprit que... Vivement sollicité de répudier Faustine,
social due à uné transformation inévitable des le philosophe répondit : « Alors, je devrais ren-
conditions économiques d'existence. Comme le dre sa dot... » Même fausse, l'histoire n'en reflète
caractère individuel, le caractère collectif, tout pas moins avec fidélité les tendances de l'époque.
en restant foncièrement le même dans un peu- — Les esprits des nobles romains des me et
ple et pendant toute l'évolution de ce peuple, se iv° siècles, sous la même impulsion, opéraient
manifeste de diverses façons ; et il est vraisem- d'une autre façon que ceux de leurs ancêtres
blable que l'ordre de ses manifestations est réglé, primitifs... En loi générale, un des caractères
est soumis à des lois naturelles. Si l'on joint saillants des derniers règnes fut une lassitude
aux effets d'une hérédité morbide croissante, sexuelle qui ne cédait qu'aux plus puissants
les effets de la loi de transformation de l'esprit stimulants. On a observé le même phénomène
social sous l'influence des faits économiques, ils chez les Français à la chute du second empire,
LA DÉGÉNÉRESCENCE 69
68 LES CAUSES SOCIALES DE LA FOLIE
et depuis lors des symptômes semblables ont été dans la plupart des sociétés humaines, à des
constatés à Londres1. » De là à rattacher les conditions sociales qui en font aussi un acte
perversions sexuelles, l'amour morbide ou juridique. Dans tous les cas, il est nécessaire-
l'absence de sentiments amoureux chez nos alié- ment précédé de phénomènes psycho-sociologi-
nés, à la loi générale de la décadence par déve- ques que résument les mots recherche, accep-
loppement exagéré de l'esprit économique, il n'y tation ou choix.
avait qu'un pas à faire. M. Brooks Adams n'hésite Les époux sont déterminés à s'unir non seu-
pas à rattacher à cette loi le faux goût esthétique, lement par les sentiments qu'ils éprouvent l'un
l'émolivité exagérée, les sentiments morbides. Il pour l'autre en tant qu'individus ayant un
n'eût pas hésité davantage pour la folie,, s'il eût caractère psychologique, sentiments à la nais-
cru qu'il fût de son sujet d'en parler. sance desquels la mode, les préjugés, les
C'était bien de son sujet cependant, car les cas traditions ne sont pas sans avoir une grande
de folie sont nombreux aux époques de déca- part; — mais encore par les désirs de leurs
dence, et il eût été appelé à signaler surtout familles, suscités le plus souvent par des consi-
l'influence de l'esprit social sur l'hérédité dérations d'ordre social : économiques, politi-
morbide par l'intermédiaire du mauvais choix ques, morales, religieuses.
dans le mariage. La recherche d'un époux ou d'une épouse est
ainsi limitée à certains milieux, en dehors des-
m quels le choix ne peut s'égarer sans exposer
. Lé mariage est en effet un phénomène de na- celui qui le fait au reproche de mésalliance. Les
ture mixte. Il implique essentiellement l'union causes sociales qui empêchent l'union sexuelle
sexuelle qui peut être considérée, à un point de d'individus appartenant à des peuples de carac-
vue très étroit, comme un fait purement biolo- tères différents, et, dans un même peuple, à des
gique; mais son accomplissement est soumis, castes distinctes ou à des classes, à des catégo-
ries qui n'ont que mésestime l'une pour l'autre,
1. Drooks Adams, op. cil., p. 423-121,
70 LES CAUSES SOCIALES DE LA FOLIE LA DÉGÉNÉRESCENCE 71
sont donc multiples, et on peut les rattacher soit une cause sociale de folie. S'il est vrai, comme
à l'évolution sociale soit à de multiples préjugés le prétend M. Brooks Adams, que les dernières
collectifs. générations mâles qui représentent un type so-
D'autres raisons font que le choix se fait cial à son déclin s'éloignent des amours francs,
souvent dans des conditions défavorables. Par honnêtes, vraiment virils et normaux, si elles
exemple, à la suite de la guerre meurtrière entre s'abandonnent aux amours faciles, aux séduc-
la France et l'Allemagne, en 1870-71, la jeunesse tions des courtisanes, si elles s'abaissent au
mâle de ces deux pays se trouva décimée ou marchandage des dots et regardent plus à la
anémiée; un grand nombre de.jeunes gens, et quantité des avantages matériels qu'à la santé
des plus valides, avaient disparu ; aussi vit-on physiologique et morale des femmes, ne faut-il
se succéder, dans la suite, des générations pas voir dans ce fait social la cause d'un
beaucoup plus débiles, de corps et d'esprit, en accroissement du nombre des cas d'aliénation
moyenne, que celles qui les avaient précédées. mentale ?
Les contingents militaires de 1891, 1892, 1893 Abandonnons donc définitivement le concept de
et 1894 furent tristement" remarquables par la dégénérescence comme trop vague, pour attri-
misère psycho-physiologique de nombreux buer nettement à l'hérédité pathologique, déter- -/"*
conscrits que l'hérédité avait rendus impropres minée le plus souvent par des causes sociales, une
à des exercices fatigants, avait voués à la phtisie, place dans l'étiologie de la folie. Nous inaugu-
à l'hystérie, la neurasthénie, la folie même. Ce rerons ainsi par un résultat positif la série de nos
fait social aura pendant de longues années sa recherches sur les rapports intimes des phéno-
lamentable répercussion dans les asiles d'aliénés mènes sociaux et de l'aliénation mentale, consi-
et clans les cliniques de maladies mentales. dérée en elle-même et non plus en son aspect
Tout ce qui contribue de la même façon à le plus superficiel.
déterminer des mariages que la raison scientifi- Nous avons vu plus haut que les cas d'idiotie,
que réprouve ou permet de prévoir néfastes, est de crétinisme, d'imbécillité deviennent plus
72 LES CAUSES SOCIALES DE LA FOLIE
I
La folie, a-t-on dit, est la même dans tous les
temps ; Hippocrate connaissait comme nous la
manie et la mélancolie, ces deux formes essen-
tielles de l'aliénation mentale \ Galien distin-
l'on ne peut affirmer que la race anglaise soit se développèrent les sociétés anciennes. L'Égyp-
plus exposée à la folie qu'elle ne l'était autrefois, tien, le Chinois, le Grec, le Romain, le Germain
on peut cependant constater une grand accrois- barbare, quelque trouble qu'apportassent dans
sement dans le nombre des cas de paralysie leur existence l'ignorance, la superstition, l'agi-
générale. Il en est de même en France. La folie tation politique ou guerrière, étaient loin de
paralytique, rare dans le midi de la France et de pouvoir soupçonner la complexité et l'instabilité
l'Europe de 1820 à 1825, y est devenue fréquente de la vie moderne. Jamais la lutte pour l'exis-
dans ces quarante dernières années1. Aussi les tence ne fut plus âpre que de nos jours ; et, dans
aliénistes s'accordent-ils à affirmer une modifi- cette lutte, les hommes ont avec eux et contre
cation considérable dans l'aliénation mentale , en eux des moyens de destruction ou de ruine qui
général, une « régression » plus marquée, dans transforment la cité contemporaine en un champ
la période contemporaine, « vers des formes infé- de bataille d'où les plus forts même sortent
rieures d'affections cérébrales2 ». chaque jour plus meurtris.
Or ce quiasubiune modification concomitante, La concurrence est universelle : dans le
ce n'est pas le milieu physique, malgré les domaine littéraire et scientifique comme dans le
changements considérables qu'il a présentés domaine artistique, industriel, commercial, sur
progressivement, sous l'influence des transfor- le champ de la colonisation comme sur l'arène
mations que l'humanité fait subir aux matières politique. La femme, autrefois enfermée, mais
premières de la nature ; c'est le milieu social. calme et heureuse, dans le gynécée ou le harem,
prend part à la lutte ; elle devient, par nécessité,
II plus active, plus entreprenante : le besoin de
Les conditions d'existence, dans la société vivre décuple son audace et son énergie ; elle
contemporaine, diffèrent de celles dans lesquelles s'émancipe pour fuir la misère, elle travaille
pour nourrir ses enfants dont le fardeau devient
1. Dr Sauze. Ann. méd. psych., 1881.
2. R. S. Stewart. Inc. cit. chaque jour plus onéreux. Et ces enfants eux-
78 LES CAUSES SOCIALES DE LA FOLIE
PARALYSIE GÉNÉRALE ET CIVILISATION 79
mêmes sont de bonne heure jetés dans l'affreuse
richesse, nuit toujours, et surtout quand elle
mêlée, exposés de bonne heure aux pires injures,
confine à la misère, à la santé de l'esprit: les
obligés de devenir intrigants, astucieux avant
statistiques montrent la progression des mala-
l'âge, virils dans l'adolescence, courageux dans
dies chroniques dans les classes pauvres, non
la faiblesse, pour pouvoir eux aussi survivre
pas à vrai dire dans celles des campagnes,
dans le conflit général des êtres.
adonnées aux travaux des champs, mais dans
Parfois soudain, les conditions auxquelles on
celles des ports de commerce et celles des villes
est adapté changent, disparaissent pour faire
industrielles. Sans doute, la statistique de
place à de nouvelles conditions d'existence
Stewart montre que la paralysie générale se
auxquelles il faut s'adapter, de toute nécessité.
trouve chez les gens aisés deux fois plus encore
Les plus forts recommencent, acquièrent de
que chez les indigents ; mais parmi les « gens
nouvelles aptitudes pour ce nouveau concours
aisés » on comprend généralement tous ceux
dont la vie est le prix. Les plus faibles, découra- qui exercent une profession libérale, tous ceux
gés, s'asseoient sur le bord du chemin ; quelques- qui, même quand leurs moyens ne le leur per-
uns vont chercher le repos dans le néant, mettent pas, se livrent cependant à l'alcoolisme
d'autres le trouvent dans l'abandon de toute ou à toute autre forme de la débauche, et
volonté, d'autres enfin voient leur raison som- n'ignorent rien de la misère noire.
brer ; et ce sont ces dernières victimes de la lutte Les soucis d'ordre économique semblent seuls
pour l'existence que les plus aptes, seuls vrais expliquer pourquoi les cas de paralysie générale
survivants, enferment dans les asiles, soignent sont cinq fois plus nombreux chez les hommes
dans les hôpitaux, désespérant presque toujours mariés que chez les célibataires ; et, dans toutes
de leur guérison. les régions où les femmes n'ont pas encore
La pauvreté, qui,quandellen'est pas excessive, déserté leur ménage pour l'atelier, dix-neuf fols
a peu d'influence sur la moralité, et du moins plus nombreux chez les hommes que chez les
ne favorise pas plus le vice que ne le fait la femmes en général, soixante fois plus nombreux
80 LES CAUSES SOCIALES DE LA FOLIE PARALYSIE GÉNÉRALE ET CIVILISATION 81
en particulier chez les hommes mariés que chez les maladies infectieuses et les causes morales,
1
les femmes mariées . Mais la disproportion entre tous agents de « moindre résistance organique »
hommes et femmes est beaucoup moins grande, ou de « méionexie», aboutissant à la paralysie
quand on compare les hommes mariés ou céli- générale « ou par le processus de la sénilité, ou
bataires et les femmes non mariées qui mènent par un processus d'inflammation ou de dégéné-
une vie irrégulière. Nous avons signalé ailleurs la ration banales. »
fréquence de la paralysie générale chez les pros- En général, les psychiatres reconnaissent
tituées et les femmes dites du « demi-monde ». comme cause de la paralysie générale une
C'est même ce qui a porté de nombreux alié- « association d'intoxications »\ amenées par des
nistes à admettre comme cause unique de la para- excès de toutes sortes. Ces excès eux-mêmes ont
lysie générale l'infection syphilique. Il est pro- des causes sociales. Si comme l'affirme Greiden-
bable que cette infection prédispose simplement berg2 la paralysie générale est encore une
d'une façon toute particulière à la paralysie géné- maladie urbaine qui croît de jour en jour dans
rale, bien que MM. Mairet et Vires2 estiment que la les classes moyennes et inférieures et qui de
syphilis détermine seulement « une paralysie plus en plus atteint la femme, c'est que dans les
cérébrale à forme de paralysie générale », ou villes et dans les classes pauvres les préoccupa-
mieux « une paralysie généralisée syphilitique-», tions croissent sans cesse par suite des difficultés
distincte de la véritable paralysie générale. Les de l'existence et des exigences du milieu social,
mêmes auteurs émettent même des doutes sur c'est que la femme est de plus en plus soumise
l'action de l'hérédité alcoolique ou tuberculeuse à des influences débilitantes qui l'anémient et la
ou névropathique; ils admettent comme causes « détraquent ».
principales : l'arthritisme, la « cérébralité », On a même remarqué que l'étiologie de la
l'alcoolisme, les excès divers, les traumatismes,
1. A. Paris. La Paralysie générale. Arch. fie neurol., 1898.
1. Cf. Stewart, loc. cit. 2. Contribut. à la statist. et à l'éliol. de la par. gèn. (Neurol.
2. La paralysie générale, Etiologie, pathogénie, traitement. Centrait)., XVI, 1897).
5.
82 LES CAUSES SOCIALES DE LA FOLIE PARALYSIE GÉNÉRALE ET CIVILISATION 83
paralysie générale variait avec les «particula- entre un esprit « bien meublé et bien fait » de
rités nationales et ethniques ». Ici c'est l'arthri- notre temps et l'esprit le mieux fait, le plus
tisme, ailleurs l'alcoolisme, ailleurs la syphilis érudit du moyen âge !
qui semble surtout y prédisposer ; mais partout Il y a à peine un siècle, l'intelligence des
sont les « causes morales », les efforts faits en jeunes gens les plus instruits recevait une cul-
vue d'une adaptation de plus en plus difficile, ture toute formelle ; du savoir on ne se préoccu-
les excès et le surmenage intellectuel qu'exige pait que fort peu dans l'éducation delà jeunesse.
une civilisation marchant à pas de géant vers Aujourd'hui à vingt-cinq ans un jeune homme doit
une effroyable complexité sociale. déjà être un savant ou avoir mérité d'être réputé
tel par une série ininterrompue de succès dans
III les concours et les examens. C'est dans tous les
Le surmenage intellectuel est en effet une des pays européens une rivalité, admirable sans
nécessités de notre époque. Au moyen âge, doute, mais néfaste, de jeunes hommes instruits
l'intelligence humaine possédait un système et travailleurs, dans tous les ordres de connais-
beaucoup plus restreint d'idées, et les connais- sances, qui cherchent à se distancer les uns les
sances à acquérir ne représentaient qu'une infime autres dans la poursuite de la renommée, de la
partie de la science que doit posséder de nos gloire. Les inventeurs abondent et les plus méri-
jours un candidat sérieux au baccalauréat! tants sont parfois les plus ignorés. Bref l'activité
Qu'est la théologie la plus subtile, tout le mentale, la « cérébralisation », comme l'appel-
système des doctrines aristotéliciennes y fût-il lent certains physiologistes, est fiévreuse, dévo-
joint, auprès de nos connaissances en physique, rante comme une flamme qui consume ce qui
en biologie, en mathématiques, etc.? Et si l'on l'alimente.
envisage les applications pratiques dont tant de L'excès dans l'étude, ditHackTuke1, « n'occupe
connaissances sont susceptibles et qui sont en pas le rang qu'il mérite dans la statistique des
un sens la fin de la science, quelle différence, 1. Mental Se, 1880.
84 - LES CAUSES SOCIALES DE LA FOLIE PARALYSIE GÉNÉRALE ET CIVILISATION 85
causes de la folie». Ce surmenage produit fré- On sait et il est aisé de constater combien est
quemment, d'après le D1' A. Clark, de l'excitation dangereux « le goût pour la production littéraire,
maniaque, de la dépression mentale avec ten- qui pousse un trop grand nombre d'esprits à
dance au suicide, de la chorée ou de l'épilepsie. s'accoutumer aux conceptions fantastiques, aux
r 1
Le D Lagneau lui attribue de nombreux cas de visions hallucinatoires, nécessaires cependant
neurasthénie: on voit en effet des jeunes hommes pour décrire avec vigueur ce que l'on imagine
vigoureux, alertes, devenir, après une plus ou avec quelque originalité ». Les illusions des sens,
moins longue série de travaux intellectuels, lents, que Flaubert prétendit avoir éprouvé en écri-
débiles, moroses, préoccupés à propos de rien. vant « Madame Bovary », sont, de celles qui
Quelques jours de distractions au grand air, de mènent à l'aliénation mentale un sujet prédis-
promenades, de repos, leur rendent leur bonne posé, quand elles se répètent trop fréquemment.
santé, un instant compromise par l'étude. Il en est Le génie des grands artistes résiste sans doute à
malheureusement dont les psychoses sont plus l'épreuve, mais le talent des esprits ordinaires
graves : T..., après quelques années de prépara- trop souvent y succombe, entraînant dans sa
tion au concours d'agrégation des sciences phy- ruine la raison même de l'écrivain. Les mu-
siques, fut pris d'un accès de manie dans lequel siciens, les peintres, les sculpteurs, tous les
les idées scientifiques les plus bizarrement asso- artistes sont, au même titre que les auteurs d'ou-
ciées constituaient le fond du délire ; on fut obligé vrages littéraires, exposés à une suractivité psy-
de l'inlerner pendant quelque temps, et il revint chique et cérébrale tôt ou tard funeste à leur
heureusement à la santé après une série de soins santé mentale.
intelligents. Combien d'autres n'y reviennent A côté du surmenage intellectuel on peut
point, consumés sans profit pour la société, par placer le surmenage professionnel, qui lui aussi
le surmenage intellectuel qui s'imposait à eux est une des conséquences de notre activité
comme la condition même de l'existence. sociale, des exigences de la vie contemporaine.
1. Annales d'hygiène et de médec. légale, 1898. La division du travail tend à attacher de plus en
86 LES CAUSES SOCIALES DE LA FOLIE PARALYSIE GÉNÉRALE ET CIVILISATION 87
1
plus chaque ouvrier, chaque employé exclusive- graves : M. Grasset a signalé le « tic du colpor-
ment à sa fonction, ce qui diminue sans doute teur » et M.T. Cohn2 aconstaté chez un horloger
la fatigue en rendant l'effort nécessaire de moins une « vibration scintillante de l'œil gauche »
en moins considérable, mais augmente l'au- qu'il a appelé le « tic de l'horloger ». Or on
tomatisme, restreint l'empire de la volonté sait combien les tics sont étroitement liés aux
raisonnable, transforme l'homme en un rouage, obsessions : M. Pierre Janet a montré l'existence
l'empêche de sentir sa débilité croissante, son d'idées fixes sous les tics et les convulsions
épuisement nerveux et psychique. Les mécani- hystériques ; M. G. Flatau a observé des obses-
ciens des chemins de fer, dans la tension constante sions remplaçant progressivement les tics dispa-
de leur esprit, ne sentent la fatigue les gagner rus8. Sous les tics professionnels se cachent
qu'après avoir accompli une besogne qui parfois donc des obsessions professionnelles dues aux
excède la puissance de leur système nerveux. préoccupations propres à l'exercice d'un métier.
Au bout de quelques années les plus prédisposés Il est d'ailleurs toute une classe d'obsessions
aux troubles de l'esprit voient leurs prédis- liées à des problèmes, spéculatifs ou pratiques,
positions s'accentuer, souvent d'une façon radicalement insolubles. — Le fait même de
alarmante. poser ces problèmes est un indice de trouble
Le surmenage professionnel combine quel- mental ; la recherche constante d'une solution
quefois ses effets avec des intoxications particu- constitue un genre de folie très caractéristique
lières, chacune étant propre à chaque métier : de notre époque, toute de recherches pénibles et
Le sulfure de carbone, d'après M. Marandon de d'activité fiévreuse.
Montyel \ entraînerait des désordres aigus ou
IV
chroniques. Mais par lui-même le surmenage
détermine des tics symptomatiques de la pro- La vie mondaine a été parfois accusée d'engen-
chaine apparition de troubles psychiques plus 1. Nouvelle iconogr. de la Salpétr., 1897.
2. Neurol. Centralb., XVI, 1897.
1. Annales d'hygiène et de médec. légale, 1898. 3. Centralb. f. Nervenk., XX, 1897.
88 LES CAUSES SOCIALES DE LA FOLIE PARALYSIE GÉNÉRALE ET CIVILISATION 89
drer des troubles de l'esprit. M. L.-O. Granholm Or les « relations mondaines », qui jadis étaient
attribue un grand nombre de cas de neurasthénie réservées à une aristocratie brillante dans sa fri-
(et l'on sait combien la neurasthénie est chez volité, où la grâce et les bonnes manières étaient
certains sujets proche de la mélancolie) à des devenues, pour ainsi dire, des habitudes hérédi-
rapports trop fréquents et trop étendus avec ce taires, se sont peu à peu répandues dans la
qu'on est convenu d'appeler « le monde ». bourgeoisie et le peuple, désireux d'imiter la
Dépenser son énergie mentale en efforts pour noblesse, moins aptes qu'elle cependant à mener
se faire remarquer ou se faire favorablement cette vie d'une valeur toute superficielle où la
juger par les « sociétés » si hétérogènes et si forme l'emporte de beaucoup sur le fond. Il en
diverses qui composent les salons de notre résulte pour bien des gens des habitudes de vanité
temps, c'est assurément s'exposer non seule- morbide qui ne sont pas sans exercer une in-
ment à se donner beaucoup de mal en pure fluence néfaste sur les esprits faibles.
perte, mais encore à contracter des habitu- Le développement industriel et commercial,
des d'esprit funestes : la puissance d'atten- intellectuel et politique, des peuples civilisés
tion se perd dans cette excitation permanente dans la période contemporaine a eu d'ailleurs
du cerveau, occupé à réagir de façons diverses deux conséquences bien différentes : d'une part
à des impressions hétérogènes ; la résistance de le goût dû luxe et de la débauche qui a gagné la
l'organisme s'affaiblit pour autant, l'instabilité bourgeoisie et le peuple ; d'autre part, le milita-
mentale ne tarde pas à accompagner la misère risme, le désir collectif de posséder des forces
physiologique, et les sujets en apparence le mieux armées assez puissantes pour appuyer efficace-
constitués deviennent incapables d'occupation ment à l'occasion les revendications des nations
régulière, de réflexion, de volonté, de pensées en concurrence.
suivies. Qu'un choc soudain ébranle ces esprits La guerre, avec les privations et les fatigues
instables, et ils iront à l'aventure, comme des qu'elle entraîne, est une cause d'aliénation men-
vaisseaux désemparés, ballottés par la tempête. tale dont les effets ont été, à ce point de vue,
90 LES CAUSES SOCIALES DE LA FOLIE PARALYSIE GÉNÉRALE ET CIVILISATION 91
r 1
trop peu étudiés. Le D Lœchner constata dix- session pathologique. Certains sujets ne passent
huit cas de folie sur trente-trois malades après pas impunément plusieurs années dans un état
la guerre franco-allemande de 1870. Même en d'esprit qui les déprime quant au corps, et les rend
temps de paix, les manœuvres fatigantes sont anxieux, mélancoliques ou du moins timorés,
suivies d'une recrudescence de cas d'aliénation parfois pour le reste de leur existence.
mentale. Des hommes partis expansifs, ardents, Enfin, le « militarisme », par les loisirs fré-
doués d'une belle santé morale et physique, quents faits aux officiers et aux soldats, par l'effet
reviennent concentrés sur eux-mêmes, sauvages, inéluctable de la vie en commun et de l'entraî-
timides, en proie à une neurasthénie souvent nement réciproque au vice, favorise la débauche,
tenace. D'après Frohlich2. la vie militaire pro- l'abus des boissons alcooliques, l'abus des « plai-
duit fréquemment la nostalgie, sorte de neuras- sirs ». Il développe aussi chez beaucoup d'officiers
thénie ou de mélancolie, et la paralysie générale. le goût du luxe, de la vie mondaine, dont les
La vie dans les casernes elle-même n'est pas dépenses sont souvent hors de proportion avec
exempte de dangers pour la santé morale du les ressources du soldat. Au point de vue patholo-
soldat. Précisément parce que la caserne est gique la vie militaire et la vie civile se rejoignent
l'école de l'abnégation, du renoncement à la donc ici. L'officier et le civil subissent également
libre initiative, à l'action vraiment volontaire, les effets d'un développement excessif et général
elle n'est pas toujours une bonne école pour la des goûts de parade (plus encore que du désir de
formation du caractère viril. L'habitude d'une vie confortable) nés de l'accroissement plus ap-
obéissance passive, d'une soumission aveugle est parent que réel de la richesse publique. Il y a
antagoniste du développement de l'esprit critique. déséquilibre constant entre les ressources dont la
De plus, pour les esprits faibles, la crainte du chef plupart disposent et les nécessités de la vie mon-
et de la punition est le commencement de l'ob- daine qu'ils s'efforcent de mener, qu'ils sont même
parfois obligés de mener à cause de l'opinion
1. Allg. Zeitsch. fr. psych., 1880.
2, Ibid., 1879. publique, dans l'intérêt même de leurs affaires,
92 LES CAUSES SOCIALES DE LA FOLIE
plupart des nations européennes ; non seulement Si les ligues et les congrès anti-alcooliques
les gens qui s'adonnent à l'ivresse alcoolique ont si peu de résultats pratiques, c'est que l'usage
deviennent vite des déments incurables par suite de l'alcool, loin d'être le résultac d'une fantaisie
de la dégénérescence de leur système nerveux, passagère, d'une coutume sans solide raison
mais encore ils procréent des enfants chez qui assignable, a son excuse dans les conditions
les effets de l'intoxication, la dégénérescence d'existence constantes de la plupart des gens du
psychologique des ascendants semblent s'être peuple.
conservés et avoir créé une prédisposition, très Le travailleur a besoin de repos et de nourri-
forte parfois, à l'épilepsie, à l'idiotie, à la para- ture saine, abondante ; dans les villes surtout,
lysie générale. Il est bien rare que parmi les il n'a ni un repos suffisant, ni une nourriture
parents en ligne directe d'un aliéné on ne trouve convenable. Il sent ses forces diminuer et il
pas un ou plusieurs alcooliques ; les enfants croit que l'alcool, avec l'ardeur qu'il communi-
conçus dans l'ivresse ont presque fatalement des que dès le premier moment, est susceptible de
tares névropathiques ; les enfants de père et remplacer les aliments qui font défaut.
mère alcooliques sont presque toujours idiots. La femme, appelée par la nécessité à travail-
La philanthropie des gens éclairés s'exerce ler hors du logis de l'ouvrier, ne trouve plus le
en ce moment avec une ardeur digne de plus de temps de lui préparer ses repas ; l'intérieur si
succès dans la lutte contre la consommation de réconfortant, si suggestif d'honnêtes pensers, est
l'alcool. On est allé jusqu'à proposer de pros- abandonné par l'un et par l'autre. L'entraîne-
crire totalement le vin, le cidre, la bière, les ment aidant, le cabaret devient aux yeux de
« boissons hygiéniques », qui prises en petite l'ouvrier comme la source de toute vigueur
quantité semblent cependant loin d'être nuisibles physique, de toute satisfaction matérielle.
et qui prises accidentellement à trop forte dose Ce que le besoin de nourriture et la recherche
ne provoquent guère qu'un trouble passager. d'excitants du système nerveux amène chez
L'excès a nui, bien que l'intention fût bonne. l'ouvrier, le désœuvrement l'amène chez les per-
96 LES CAUSES SOCIALES DE LA FOLIE
PARALYSIE GÉNÉRALE ET CIVILISATION 97
sonnes aisées à qui le poison apparaît sous mille effets morbides à la tension de l'esprit ; la débilité
formes diverses, qu'il revêt tantôt pour paraître physiologique est presque inévitable, et l'on sait
anodin, tantôt pour plaire par une factice géné- combien la suit de près la débilité mentale.
rosité. Toutefois les entreprises coloniales sont en
Et à mesure que l'usage de l'alcool devient général l'œuvre de gens hardis, bien pourvus de
davantage un besoin, les organismes se débilitent, moyens de toutes sortes. Mais les émigrants
se trouvent de moins en moins aptes à supporter constituent un genre particulier de colons. Le
les effets nuisibles de ce produit industriel si plus souvent chassés de leur patrie par la misère
répandu. De sorte que par un double processus ou l'opprobre, ils sont en butte à toutes sortes
d'accroissement d'un côté et de décadence de de vexations, leur esprit est assailli de préoccu-
l'autre, le mal social qu'est l'alcoolisme est de- pations incessantes bien propres à troubler leur
venu de plus en plus redoutable pour l'avenir raison. Quand ils ont été poussés à l'émigration
des nations européennes et même pour l'avenir par le désir de faire fortune, la tendance cons-
de l'humanité tout entière. tante de leur esprit à rechercher tout ce qui est
susceptible de leur procurer biens et honneurs
II
est, comme l'a remarqué M. Pailhas1, une source
Une des exigences de la situation économique féconde de conceptions délirantes.
est en certains pays l'émigration et la colonisa- Les émigrés politiques ont des inquiétudes et
tion. C'est toujours une entreprise ardue que la des tendances d'un autre genre. Quand ils ont
colonisation d'un pays : les dangers, les diffi- perdu leur situation sociale et leurs biens à la
cultés, les déboires sont de tous les instants ; la suite d'un de ces grands bouleversements politi-
vie est fiévreuse et l'intelligence surmenée som- ques trop fréquents de nos jours, quand, après
bre quelquefois dans le délire, dans la paralysie avoir connu le luxe dans l'oisiveté, ils doivent
générale. Le climat généralement malsain, les
privations continuelles viennent ajouter leurs 1. Annales mèd. psych., février 1897.
G.-L. DUPEAT. 6
98 LES CAUSES SOCIALES DE LA FOLIE PARALYSIE GÉNÉRALE ET CIVILISATION 99
faire le rude apprentissage de l'inquiétude dans plus funeste encore à la santé physique et morale
la misère, il n'est pas étonnant que leur esprit que l'émigration coloniale : c'est l'émigration
reste comme étourdi du choc social qui a détruit des travailleurs vers les grandes villes. Dans un
leur bien-être. La haine de leurs persécuteurs, ouvrage1 des plus documentés, édité par la
le désir de vengeance, l'horreur des événements Faculté des Sciences politiques de Columbia
néfastes qui les ont contraints à l'exil, les priva- University, M. Fcrrin Weber a montré l'accrois-
tions qu'il leur faut supporter, tout contribue à sement continu de la population des grands
ébranler leur raison. Il leur arrive ce qui par la centres au détriment des campagnes, dont la
voie inverse survient parfois aux hommes que dépopulation nous menace d'une crise économi-
la faveur populaire, qu'une heureuse fortune, a que d'un nouvel ordre. 11 a insisté teut particu-
soudain comblés d'honneurs et de richesses, qui lièrement sur les causes sociales de ce mouvement
risquent eux aussi de voir leur raison s'égarer, ininterrompu : la nécessité d'avoir de grands
quand ils sont peu aptes à jouir des avantages centres industriels et commerciaux, les exigen-
que le sort plutôt que le mérite leur a procurés. ces de la civilisation qui aboutissent à la con-
De part et d'autre, il y a, en effet, défaut d'adap- centration de l'activité collective, etc. Il a enfin
tation à un milieu nouveau, manque de com- consacré un chapitre à l'étude plutôt optimiste
plexité dans l'intelligence et de souplesse dans le de la «santé morale et physique dans les grandes
caractère, alors que semblent nécessaires les cités. » L'optimisme de l'écrivain va même par-
qualités les plus diverses et les transformations fois jusqu'à déguiser les dangers réels de la vie
les plus rapides, sans préjudice de la froide urbaine.
maîtrise de soi-même dans le changement L'opinion bien connue de Max Nordau sur la
incessant des relations sociales autour de soi. population des centres les plus importants de
l'Europe, est au contraire marquée au coin d'un
III
1. The Growth of Ciliés, in the 19"' Century. Macmillan,
Il est un genre tout particulier d'émigration, 1899.
100 LES CAUSES SOCIALES DE LA FOLIE
PARALYSIE GÉNÉRALE ET CIVILISATION 101
pessimisme parfois injustifié. « L'habitant d'une
excitation nerveuse » dans lequel se trouve le
grande ville, dit fort bien Nordau, même le plus
citadin est parfois favorable à l'efflorescence
riche, celui qui jouit du plus grand bien-être, est
géniale, à raffinement de l'esprit, à la promptitude
continuellement exposé à des influences néfastes
du jugement. Mais le Dr Hansen1 affirme avec
qui diminuent outre mesure sa puissance vitale. »
raison que c'est dans la population urbaine que
En effet, la vie moyenne du citadin est de plus
se recrutent la plupart des gens enclins au crime,
courte durée que celle du paysan ; et le robuste
au suicide, à la folie ; que dans les villes où la
tempérament de celui-ci, quand il émigré dans
population est mêlée, où les paysans viennent
un centre populeux, fait bientôt place à un tem-
s'établir en grand nombre, ce sont les citadins
pérament plus débile. Mais on ne peut aller
de naissance qui constituent les classes infé-
jusqu'à dire que tous les enfants des villes
rieures de la société, occupent les emplois les
« à 14 ou 15 ans, après avoir paru jusqu'à ce
moins honorables, ont la vie la plus instable, la
temps alertes, brillamment doués, après avoir
plus troublée, la plus misérable.
donné les plus hautes promesses, s'arrêtent sou-
Quelques citadins à peine se maintiennent
dain au point que leur esprit perde sa facilité à
de génération en génération dans les posi-
comprendre, devienne obtus, complètement
tions sociales les plus élevées et constituent
fermé même à certaines idées ; que leur corps
par excellence l'élite de la ville. La grande
participe à cet arrêt de développement, et qu'ils
majorité des « gens honorables » d'une cité est
ne puissent faire dans la suite que des « dégé-
constituée par des individus sur lesquels
nérés1».
l'influence néfaste de la vie urbaine ne s'est pas
Il y a quelques exceptions, de nombreuses encore exercée. Ceci est un fait d'observation
exceptions même, à cette « dégénérescence » courante que les statistiques ne sauraient effica-
de la jeunesse des villes. « L'état de continuelle cement contrôler. Comment en effet trouver dans
J. Cf. Max Nordau. Dégénérescence (Paris, F, Alcan). 1. G. Hansen. Die drei Bevolkerungsstufen, Munich, 1889, pp.
150-202.
6.
102 LES CAUSES SOCIALES DE LA FOLIE PARALYSIE GÉNÉRALE ET CIVILISATION 103
une statistique les moyens d'apprécier jusqu'à trer que plus la ville est importante, plus la
quel point un homme est parvenu à se sous- proportion des fous à l'égard du reste de la popu-
traire aux influences pernicieuses de son lation augmente. Elle est de 88 pour 100,000
milieu ? dans les campagnes, de 185 pour 100,000 dans
En revanche, ce que montre bien la statistique, les villes de moyenne importance, de 221 pour
c'est que les criminels et les fous surgissent en 100,000 à Munich.
grand nombre du sein du paupérisme, si profond . Si donc la vie dans les grands centres indus-
et si étendu dans les grandes agglomérations triels et commerciaux est une des exigences de
comme Londres et Paris. Que, parmi les misé- notre civilisation, ne faut-il pas en conclure que
rables citadins, se trouvent, en plus ou moins cette exigence, comme la plupart des autres, est
grand nombre, des paysans, des ouvriers, venus néfaste à notre santé morale. C'est une assertion
récemment de la province ou de la campagne, dont la subtile argumentation de M. F. Weber
qui n'ont pu s'adapter à la vie toute spéciale des ne parviendra pas à atténuer la portée.
grands centres, peu nous importe, en définitive: Il faut par conséquent ajouter aux intoxica-
les campagnards qui voient leur misère aug- tions chroniques qui entraînent la paralysie
menter dès le premier moment de leur séjour générale toutes les auto-intoxications produites
dans les grandes villes sont punis d'avoir re- par l'usure du système nerveux dans des condi-
cherché la vie urbaine avant d'avoir pu être tions anormales d'existence, en des milieux défa-
victimes de cette vie elle-même. vorables à l'expansion régulière de l'activité hu-
Les statistiques récentes de Billings sur les maine, soit en des contrées sauvages, soit en des
fous, les sourds-muets et les aveugles aux États- centres peuplés à l'excès, où la vie est difficile,
Unis et celles plus anciennes du Dr Mayr1 sur les les excitations cérébrales incessantes, l'équilibre
mêmes malades en Bavière s'accordent à mon- mental fatalement instable, l'intelligence tou-
jours en éveil, les émotions morbides toujours
1. Dr Mayr. Die Yerbreitung derBlindheit, der Taubstummheit,
des Blôdsinns and des Irrsinns in Bayern, 1877. prêtes à se produire, les sentiments dépri-
104 LES CAUSES SOCIALES DE LA FOLIE PARALYSIE GÉNÉRALE ET CIVILISATION 105
mants toujours portés à prévaloir dans la con- sociales des troubles de l'esprit, des causes dont
science. les effets ne se bornent pas à l'aspect des maladies
Dans la brousse de Madagascar, sous le chaud mentales, mais contribuent aussi pour une large
soleil d'Afrique ou dans les pampas de l'Amé- part à déterminer leur nature foncière.
rique, comme dans les quartiers infects de Paris Que la cause immédiate de la paralysie géné-
et de Londres, c'était déjà trop des souffrances rale soit, comme tout porte à le croire et comme
et des agitations imposées à l'organisme, à la fois les théories les plus récentes concourent à le
parla nature et par la société qui condamne tant faire penser, une combinaison d'intoxications ;
d'hommes à vivre en de tels milieux physiques ; cela n'empêche point les effets moraux d'une
et cependant la vie sociale est venue encore y civilisation hâtive d'avoir une part dans l'étio-
ajouter le trouble de la pensée, rendant ainsi logie de cette terrible maladie de l'esprit. Car,
inévitable la démence finale. comme le faisait remarquer récemment M. La-
lande1, la dépense d'énergie mentale est une
De tout ce qui précède, il résulte que, comme dissolution d'énergies biologiques, une usure
l'ont bien vu de nombreux aliénistes, la para- nerveuse : « Si les contrariétés, les blessures
lysie générale est, en définitive, la caractéristique d'amour-propre, les chagrins, les soucis, le
psycho-pathologique de notre époque, et cela manque de bonheur et de satisfactions dans la
parce qu'elle est la conséquence fatale du mode vie produisent l'anémie aussi sûrement qu'une
commun d'existence. alimentation ou une oxydation insuffisantes...2,
Ce fait même qu'une époque peut être carac- on ne peut nier que toutes ces peines, lot commun
térisée par le développement continu d'une des hommes, soient ressenties d'une manière
psycho-névrose dont il est bien difficile de ne pas particulièrement vive par l'homme de pensée »3,
faire une entité morbide toute particulière, est
une confirmation de l'opinion émise au début 1. La Dissolution opposée à l'Évolution. Paris, Alcan, 1899,
2. G. Sèe. Pathologie gén., t. I, p. 188.
même de cette étude : à savoir qu'il y a des causes 3. Lalande, op. cit., p. 154,
106 LES CAUSES SOCIALES DE LA FOLIE
I
La plupart des aliénistes reconnaissent dans
l'orgueil un des sentiments les plus communs
chez les aliénés1. « Les maniaques sont rarement
modestes et les mélancoliques ne sont humbles
qu'en apparence : on a prétendu avec raison que
leur tristesse tient à des idées de grandeur. »
des délires de la chicane. La « paranoïa quœru-. phiques. Le délire de revendication les conduit
lens » s'explique toutefois non pas tant par le parfois à des sophismes, parfois leur fait
développement de l'esprit positiviste que par commettre des actes délictueux qui permettent
l'évolution politique qui a permis de plus en plus de rapprocher leur folie de la « folie morale ».
aux pauvres, aux humbles, de se mesurer avec Pe..., un ancien marchand de poisson, a été in-
les puissants à la barre de la justice et de faire terné le 16 août 1899, après avoir fait quelques
prévaloir leurs revendications quand leurs droits jours de prévention :• il avait tiré sur son gendre,
sont méconnus. Les prétentions les plus injustes, sans l'atteindre, deux coups de fusil. Depuis son
les plus extravagantes ont ainsi été progressive- internement, il a toujours été calme et lorsqu'on
ment amenées à se faire jour ; et c'est même l'interroge il répond avec bonhomie : il prétend
1
devenu, comme le dit M. Cullerre , une « pra- avoir tiré en l'air pour effrayer son gendre, qui
tique habituelle. Les droits les plus contraires à lui a enlevé ses titres de possession, « ses actes ».
la loi et au bon sens sont revendiqués journelle- Il ne comprend pas que l'on tarde tant à lui faire
ment par des gens qui ne sont pas fous, qui ne rendre son bien ; il est décidé à revendiquer
sont que passionnés. » S'ils ne sont pas tous devant n'importe quel tribunal les droits qu'il
fous, quelques-uns d'entre eux, du moins, sont tient de la loi. Il ne hait pas son gendre, mais il
voués à le devenir. le tuera assurément si celui-ci ne veut pas lui
Il est d'ailleurs aisé de constater combien sont rendre « ses actes ». On tente vainement de lui
nombreux les aliénés internés qui revendiquent faire entendre que la possession de ces titres ne
sans cesse des droits « imprescriptibles », « au lui est pas indispensable et surtout que le crime
nom de la justice qui doit être égale pour tous », qu'il commettrait en tuant son gendre serait un
au nom de la Déclaration des Droits de l'homme, acte immoral et punissable. II persiste dans son
au nom des principes religieux ou philoso- raisonnement : « J'ai droit à la possession de
mes actes, je les veux, car nul n'a le pouvoir de
1. Annales mèdico-psychol., 1897, n° 3, p. 367. m'en priver ; celui qui m'en prive est un voleur,
7.
J18 LES CAUSES SOCIALES DE LA FOLIE
GRANDEUR ET PERSÉCUTION 119
j'ai le droit de le tuer et l'on ne peut pas me conséquent. Dans toutes les sociétés s'est posée
poursuivre pour avoir revendiqué la légitime l'antinomie de la renommée ou de l'estime à
possession de mon bien. » On.lui déclare qu'il conquérir par l'individu et des injustices inévi-
sera maintenu interné : « Yous n'en avez pas le tables, qu'il faut supporter en les désapprou-
droit », répond-il. Cet homme si exigeant quand vant, aux effets desquelles il faut obvier d'abord,
il s'agit de ses droits, dont il parle à tout propos,
sans renoncer à chercher dans la suite la répa-
méconnaît ses devoirs envers sa fille, envers ses
ration des dommages qu'elles ont causées. Cette
deux fils, et surtout le devoir si strict de respecter
antinomie, les esprits faibles ne peuvent la
la vie d'autrui. Folie morale, sans doute ; mais
résoudre que par la conception d'une persécution
folie morale entraînée uniquement par un délire
subie avec résignation, mais suivie de punition,
de revendication, né lui-même des habitudes
de réparation.
d'esprit de ce vieux marchand, qui a passé sa vie
En tous temps les grands et les forts ont per-
tout entière à se quereller avec les ménagères
sécuté les humbles et les faibles. La persécution
pour obtenir d'elles le prix demandé, pour faire
religieuse, la persécution politique sont de tou-
le plus grand bénéfice possible, avec l'idée fixe tes les civilisations. Il n'est pas d'époque dans
de s'enrichir.
l'histoire où n'apparaissent une fraction du peu-
ple persécutée pour ses sentiments et pour ses
III
tendances, des individus souffrant pour leur foi,
Les persécutés deviennent ainsi aisément des
victimes d'abus de pouvoir, maudissant l'injus-
persécuteurs : victimes imaginaires de la haine tice, aspirant vers un état social meilleur, gar-
de leurs semblables, ils en font des victimes inno- dant au fond de leur cœur l'espérance, plutôt
centes de leur folie morale. L'idée de persécution mauvaise et immorale, de l'intervention plus
injuste, comme celle de juste vengeance, n'est ou moins tardive du Dieu protecteur des faibles,
pas sans avoir des racines nombreuses dans la ennemi des méchants, vengeur de toutes les in-
vie religieuse et politique, des causes sociales par jures. Dans l'état social actuel, le prolétariat
120 LES CAUSES SOCIALES DE LA FOLIE
GRANDEUR ET PERSÉCUTION 121
s'estime persécuté : spolié par le capitaliste, peu traire aux principes mêmes de la vie en société
à peu supplanté par la machine à vapeur, l'ou- que nous nous fassions justice nous-mêmes.
vrier appelle de ses vœux une révolution sociale Il n'y a donc que les fanatiques, qui se lais-
qui lui permette de persécuter ses persécuteurs. sent aveugler par la passion au point de ne tenir
Le jésuite, le protestant, le franc-maçon se pro- aucun compte des prescriptions morales les plus
clament tour à tour persécutés et justiciers ; le élémentaires, qui répondent à la prétendue per-
juif, accusé de faire peser sur l'Europe le joug sécution par une persécution réelle. Ceux-là
de l'argent, se plaint des machinations ourdies sont tout près de la folie ; ils nous font mieux
contre lui par le monde catholique ; le petit comprendre en tous cas comment les faibles d'es-
commerçant se pose en victime des grands prit, incapables de supporter la moindre injure
magasins et des sociétés coopératives ; l'individu, (en outre obsédés par ces faits sociaux : la persé-
quel qu'il soit en définitive, se dit accablé d'im- cution et l'injustice, en même temps que par
pôts, las de supporter des mesures vexatoires, cette idée inhérente à l'être social : l'idée de
prêt à se révolter contre l'omnipotence de l'État. réparation ou de juste punition), deviennent les
Tous nous sommes plus ou moins injustement redoutables pérsécutés-persécuteurs qu'il faut
traités, persécutés; et tous aussitôt nous nous toujours craindre, mais surtout lorsqu'ils mon-
érigeons en justiciers, et, au nom de la conscience
trent le plus de calme.
morale outragée, nous vouons nos adversaires
aux peines, aux supplices qu'a mérités à nos
yeux leur prétendue méchanceté.
Heureusement un certain scepticisme vient
modérer l'ardeur que nous apporterions à nous
plaindre, et surtout notre sens moral plus ou
moins intact, affiné plutôt que rendu obtus par
l'expérience, nous montre combien il serait con-
LA FOLIE RELIGIEUSE . 123
vue clinique, cette folie soit non pas une forme vagues, dans lesquelles l'imagination de ses
parliculière du délire systématique, mais une contemporains voyait des avertissements ou des
forme générale que peuvent affecter des psychoses menaces précises émanant de la divinité même.
diverses. Ainsi le mal parait mieux correspondre A côté du délire pi'ophétique il faut placer
à sa cause. certains autres délires, certaines formes d'agita-
Ne voit-on pas en outre la nature de la folie tion maniaque ou de mélancolie, attribués à la
religieuse varier de civilisation à civilisation, poursuite des Furies vengeresses. Les sacrilèges,
d'âge en âge même, au sein de chaque civilisa- les blasphèmes, les crimes contre la divinité,
tion? Le délire inspiré par les idées religieuses étaient la raison présumée de cette persécution
semble avoir été dans l'antiquité grecque et latine des sombres déesses.
surtout un délire prophétique, une manie de Mais en général le peuple grec, épris de
vaticination. Le dément était possédé, inspiré liberté et de clarté, au moins autant que de
par la divinité qui parlait par sa bouche. Nous vérité et de beauté, fut peu accessible à la folie
avons de nombreuses descriptions de ces accès religieuse. En son sein, il n'y avait point une
de folie auxquels 1 es délires de l'oracle de Delphes, caste sacerdotale; il n'obéissait pas aux pres-
de la Pythonisse de Cumes devaient ressembler, criptions rigoureuses d'une religion dontle dogme
sans pourtant se confondre avec eux. Car s'il y fût bien fixé ; ses dieux étaient sans doute parfois
1
a lieu de distinguer avec M. Prouvost , le délire terribles et vindicatifs, mais leurs passions étaient
prophétique vésanique du délire prophétique en définitive les passions humaines et leur nature
hystérique, c'est sans doute ce dernier qui ne différait pas sensiblement de celle de leurs
faisait écumer la bouche de la prophétesse, adorateurs. Enfin, le culte lui-même était beau-
qui la poussait à proférer des paroles parfois coup plus esthétique et poétique que religieux,
inintelligibles, ou à prononcer des formules au sens où nous l'entendons aujourd'hui : de
longues théories se déroulant autour d'un foyer
1. Thèse de médecine, Bordeaux, 1897. sur lequel brûlait la victime propitiatoire, des
126 LES CAUSES SOCIALES DE LA FOLIE LA FOLIE RELIGIEUSE 127
danses et des chants n'étaient pas faits pour trou- des tristes et des heureux présages, tout cela se
bler l'esprit des croyants. Tout au plus le culte rapportait aux affaires, aux entreprises commer-
de Bacchus, les mystères orphiques, eussent-ils ciales ou guerrières ou politiques, et n'avait qu'un
pu ébranler certains esprits; encore avaient-ils rapport très lointain avec le culte de la divinité.
plutôt le caractère d'orgies, du moins pour la Le mysticisme cependant exista dans le
multitude et pour la plupart des initiés. monde antique. L'école d'Alexandrie, depuis
Le peuple romain se préoccupait moins encore Philon le Juif, à la suite d'Ammonius Saccas et
que le peuple grec de la piété réelle, de la reli- de Plotin, fut livrée à l'extase et à la théomanie.
gion du fond du cœur. Son esprit méthodique, Bien auparavant, Empédocle avait pu se croire
militariste, pratique, l'avait poussé à des institu- un Dieu; cependant il avait été plutôt un mysti-
tions religieuses d'une grande sévérité et d'une ficateur qu'un mystique. Les Pythagoriciens,
rigoureuse immutabilité; mais ses dieux chan- malgré leur esprit d'ascétisme, et leur apparence
geaient souvent de caractère et chaque nouveau d'organisation religieuse, ne furent pas des
peuple subjugué ajoutait à leur nombre. mystiques. Mais Plotin déclare avoir communié
La superstition toutefois était plus répandue trois fois avec l'Un ineffable, c'est-à-dire avoir
à Rome que dans la Grèce : c'est contre la super- dépouillé tout ce qui le faisait homme, tout ce
stition, sous le nom de relligio, que luttèrent qui le faisait intelligence, n'être pas même resté
les esprits les plus éclairés à la suite du poète un pur esprit, mais plongé dans l'extase, avoir
admirateur d'Epicure. Mais la superstition elle- trouvé la réalité suprême dans le néant.
même était inspirée par l'esprit pratique : la Il engageait ses disciples à faire comme lui, à
croyance aux sortilèges, la confiance dans les abandonner ces corps qui les rattachaient à la
devins, les sorciers, les astrologues, la crainte terre, qui en faisaient des individus distincts, et
de certaines conjonctions d'astres et de certaines à s'abîmer progressivement dans l'infini. Ces
combinaisons de constellations, le cas considé- gens-là furent-ils fous d'une folie religieuse bien
rable fait des bons et des mauvais auspices, caractérisée ou furent-ils simplement des illu-
128 LES CAUSES SOCIALES DE LA FOLIE
LA FOLIE RELIGIEUSE - 129
minés, ou bien encore des penseurs dont l'esprit
qu'il pratiquait, les premiers éléments de son
s'était laissé entraîner, par la méditation des écrits
enseignement ». C'est par certains « ravisse-
de Platon et par le rapprochement de la doctrine
ments d'esprit » que le néophyte soufi reconnaît
platonicienne et des idées juives, à des spécu-
son mérite : c'est en observant en lui-même un
lations insensées?
premier état extatique qu'il se sent apte à s'élever
On ne saurait le dire ; mais s'il faut en juger
«jusqu'au degré sublime où les 160,000 voiles
par leurs descendants indirects, les fanatiques
qui enveloppent les secrets divins s'écartent et
musulmans de nos jours, l'exaltation maniaque,
lui laissent voir l'Impénétrable », l'Ineffable des
l'hystérie, la-théomanie, le délire prophétique
Néo-Platoniciens. Le soufi « s'abîme dans la vue
devaient être fréquents chez eux.
de la beauté de l'existence de l'Un ». Or l'être
« Les doctrines néo-platoniciennes, » disent
« en union intime avec le Dieu ineffable, n'est-ce
deux auteurs qui ont montré une parfaite con-
pas Plotin lui-même dépeignant son bonheur?
naissance des mœurs arabes et du fanatisme
Les états ou stations des soufis sont synonymes
morbide dans le monde musulman1, «offrent
de ce que Plotin appelle dans ses Ennéades les
une frappante analogie avec celle des soufis qui
vertus politiques et les purifications », qui mènent
semblent avoir continué les premières et em-
à la vie angélique.
ployer certains mots avec une signification ana-
Nous allons voir combien l'aliénation mentale
logne à ceux dont se servaient les disciples de
est intimement liée au fanatisme musulman;-
Platon.... Le fakir, en prenant le titre de soufi,
mais est-il besoin d'ailleurs de prouver que
mit de la méthode dans ses pratiques et trouva,
l'extase religieuse, quelle qu'elle soit, est une
dans le renoncement au monde, la continence,
manifestation de folie, un cas d'aliénation men-
la privation, l'humilité, la générosité désinté-
tale indubitable?
ressée, le dévouement absolu à Xidéal mystique
persécuté du destin qui dans son délire orgueil- moment où le dernier de ces fanatiques tombe
leux rêve de s'élever à la divinité en se laissant anéanti à côté de ses compagnons plongés dans
absorber par l'infinité de l'Un-tout? S'il n'est pas une ivresse stupide.
atteint à vrai dire d'un délire systématisé de Du sein de cette foule hallucinée sortent des
dénégation, du moins le néant l'attire, le fascine; prophètes, dès tbéomanes, des délirants dont
il est hypnotisé par lui. C'est qu'en effet, tout l'état chronique est la même folie religieuse qui
autour de cet être, c'est le néant social, le néant par intermittence agite la masse populaire. Ils
politique, le néant économique et presque le font aisément des adeptes qu'ils entraînent à leur
néant familial. suite dans l'aliénation mentale. Ce sont les saints,
Il est dans un état constant de réceptivité les hérauts d'Allah dont les crimes restent impu-
morbide ; sa débilité physique, son inertie men- nis, dont les actions sont vantées au loin, dont
tale, son ignorance, son aboulie le rendent émi- la puissance est démesurément grandie par
nemment suggestible. Or la suggestion est le l'imagination collective, prompte à s'enflammer
fondement même de la contagion morale, un au récit de mystérieux prodiges.
des phénomènes sociaux les plus remarquables Voilà bien les fous dangereux pour lesquels
de l'Islamisme. nous faisions une exception au début de cette
Les croyants se réunissent en aussi grand étude, quand nous observions qu'en général les
nombre que possible dans un lieu de prières et aliénés ne peuvent pas s'entendre, se concerter.
lorsqu'ils ont répété plusieurs centaines de fois Ceux-là sont tous d'accord; il n'y a chez eux ni
de monotones litanies, l'état hypnotique vient refus d'obéissance aux envoyés des grands chefs
avec la fatigue extrême; quelques-uns s'agitent de l'Islam, ni velléités d'indépendance.Le même
dans une exaltation inconsciente; enfin la folie fanatisme les inspire parce qu'il a chez tous
gagne de proche en proche toute l'assistance et ce la même origine; la même idée les dirige, se
sont des danses, des vociférations, des luttes, des communique de l'un à l'autre grâce au même
scènes sans nom qui se déroulent jusqu'au procédé. La contagion morale fait leur unani-
G. -L. DUPRAT. 8
134 LES CAUSES SOCIALES DE LA FOLIE
LA FOLIE RELIGIEUSE 135
mité, l'hypnose fait leur « monoïdéisme », la soit d'ordre inférieur ou bien qu'il se déforme et
religion fait leur force si redoutable et leur se rabaisse. Les idées et les sentiments religieux
démence, folie éminemment sociale. de la foule seront en conséquence des idées
grossières, des sentiments sans élévation. Parlez
III à la foule religieuse d'amour, de pardon, d'oubli
Les foules religieuses ont* au plus haut degré des injures, elle vous comprendra, s'il s'agit
les défauts de la foule. Ces défauts ont été si- pour elle d'être aimée, d'être pardonnée, d'être
gnalés, tels qu'ils se présentent en général, par traitée avec justice et charité, et c'est pourquoi
divers auteurs1 ; au point de vue particulier au- le christianisme a eu à son début dans les
quel nous sommes placés, ce qui nous intéresse masses populaires tant de fervents adeptes. Mais
le plus c'est le mode de propagation des idées s'il s'agit d'aimer autrui, de lui rendre le bien
et des sentiments dans la. masse des croyants et pour le mal, la foule ne vous entend plus. Par-
la contrainte qu'exerce ensuite sur chaque indi- lez-lui de conquérir, de massacrer, de brûler,
vidu l'idée devenue collective, le sentiment de- de tout soumettre à sa domination, de suppri-
venu commun à tous. mer toutes les croyances qui ne soient pas les
On sait que l'intelligence de la foule est une siennes ; elle vous suivra avec enthousiasme ;
intelligence inférieure, incapable de s'élever à vous aurez au cri de « Vive Dieu ! » (cri absurde
de hautes conceptions ; que sa sensibilité- est s'il en fut dans la bouche d'un croyant) le
obtuse, ses passions violentes, ses réactions bru- mouvement formidable des croisades du moyen
tales. Pour qu'une idée, un sentiment, se ré- âge, ou les dragonnades du règne de Louis XIV,
pande dans la masse des .esprits par voie de ou les mouvements antisémitiques de nos jours.
propagation imitative, il faut donc ou bien qu'il Lombroso1 considère avec raison de tels mou-
vements comme des « psychopathies épidémi-
1. Cf. Le Bon. Psychologie des foules (Paris, F. Alcan). —
Tarde. Foules et Sectes (Revue des Deux-Mondes, novembre
1. L'Antisémitisme. Cf. H. Dagan. Enquête sur l'Antisémi-
1893).
tisme.
136 LES CAUSES SOCIALES DE LA FOLIE LÀ FOLIE RELIGIEUSE 137
ques des foules ». On peut les rapprocher de gunço » brésilien, sont relativement' en opposi-
ceux qui sont inspirés par d'autres sentiments, tion avec la religion chrétienne épurée, qu'on a
également^ religieux » et vulgaires, tels que le vainement tenté de lui imposer; son besoin de
sentiment d'espoir qui pousse des milliers de foi religieuse, son goût superstitieux pour les
pèlerins dans les eaux du Gange, dans la piscine fétiches et pour les faits d'apparence surnatu-
de Lourdes ou dans les mosquées de La Mecque. relle n'est pas satisfait ; sa tendance vivace et
Que de troubles cérébraux résultent des uns et héréditaire aux conceptions religieuses de l'ordre
des autres! On n'établira jamais le bilan psycho- le plus inférieur est en désaccord avec l'éducation
pathologique des croisades du moyen âge ; mais qu'il reçoit. D'autre part la vie politique de la
il ne serait pas malaisé de nos jours de compter à région du Brésil où s'est produite l'épidémie est
peu près les victimes d'un mouvement religieux très troublée ; les habitants sont débilités par les
populaire. Nous avons cité ailleurs le cas de privations, rendus inquiets et méfiants par de
deux malheureuses jeunes filles parties de Russie nombreuses crises sociales. L'état d'esprit de
pour venir en pèlerinage à Rome en passant Conselheiro est donc un produit direct .de l'état
par Lourdes. Les privations, les péripéties du d'esprit collectif; son délire, ainsi que celui des
voyage, l'exaltation religieuse qui les gagna peu déments qui sont devenus ses disciples « réflé-
à peu les fit délirer l'une après l'autre, et il fal- chit les conditions sociologiques du milieu dans
lut les interner dès leur arrivée à Rome. lequel il s'est formé. » L'apparition d'un prophète
Nous avons aussi indiqué plus haut, d'après dans ce milieu, d'un halluciné se disant fils de
le Dr Nina Rodrigues, les conséquences d'une Dieu et apportant .une nouvelle formule reli-
épidémie de folie religieuse au Brésil. L'auteur gieuse, plus aisée à comprendre, mieux en har-
qui nous la fait connaître lui assigne des causes monie avec les goûts de la foule et avec son
sociales dont l'analyse nous paraît fort juste. grossier mysticisme, ne pouvait manquer en outre
Les sentiments grossiers, l'esprit enfantin, le de provoquer l'apparition de nombreuses psy-
caractère instable, les mœurs sauvages du « ja- choses, de nombreux délires religieux. L'ébran-
8.
138 LES CAUSES SOCIALES DE LA FOLIE LA FOLIE RELIGIEUSE 139
lement subit des esprits, puis la répercussion de Dieu, lui permet même de se croire appelé à
ce choc mental à travers les masses, enfin l'in- devenir l'élu du Seigneur.
fluence morbide de la foule sur certains individus, Par ces côtés inférieurs, le christianisme s'est
suffisent, partout où il existe des prédispositions concilié de nombreux adeptes dans le peuple,
générales, à engendrer des manifestations psycho- tandis que s'oblitérait de plus en plus son beau
pathologiques du même genre. côté, celui qui lui est propre cependant, qui eût
mérité de devenir prépondérant et même de
IV faire disparaître les deux autres. Par eux encore
La religion chrétienne en tant que religion la religion chrétienne est devenue une cause de
d'amour ne fut jamais vraiment populaire. psychopathies : ce que l'on comprend aisément
D'après ce que nous avons dit plus haut, elle ne si l'on considère comme un principe de la psy-
saurait l'être : l'amour d'autrui, le désintéresse- chologie des foules que, seuls les sentiments
ment, le sacrifice sans espoir de récompense ne inférieurs et les conceptions grossières étant
peuvent être conçus que par des intelligences susceptibles de propagation dans le peuple, une
raffinées, sous l'impulsion de sentiments géné- institution sociale ne peut exercer d'action fu-
reux. Mais le christianisme vulgaire peut être neste sur les esprits faibles que par des défauts
considéré, ainsi que toutes les autres religions, originaires ou acquis.
comme une religion de crainte et d'orgueil ; de Ce fut d'abord la crainte religieuse qui engen-
crainte, en ce sens qu'il conçoit un Dieu redou- dra des troubles de l'esprit dans le monde chré-
table, vengeur des injures qui lui sont faites en tien. On a déjà dit que le moyen âge fut l'époque
désobéissant à ses commandements, ne procu- des démonopathies. La misère était grande dans
rant du bonheur qu'à ceux qui l'apaisent et le peuple, les famines fréquentes, la débilité
l'implorent; — d'orgueil, en ce sens qu'il rap- physiologique générale. Sans doute, l'esprit
proche l'homme de la divinité, lui fait espérer n'était pas fatigué par les recherches scientifi-
la communion de tous les dévots au sein de ques ou les préoccupations politiques : la vie
LA FOLIE RELIGIEUSE 141
HO LES CAUSES SOCIALES DE LA FOLIE
théories de damnés, sarabandes infernales, dan-
était simple, monotone ; mais l'ignorance quasi-
ses macabres menées par tous les diables dé-
universelle encourageait la superstition, et l'ins-
chaînés.
truction exclusivement religieuse ne présentait
A l'idée d'artifices diaboliques se joignait, par
guère d'aliment à l'imagination en dehors des
suite de la persistance de croyances « païennes »,
conceptions bibliques d'un paradis presque inac-
et aussi par une conséquence naturelle des
cessible et d'un enfer toujours prêt à s'ouvrir
croyances populaires à cette époque, la concep-
sous les pas du pécheur'.
tion de pratiques de sorcellerie, d'incantations
L'Eglise était elle-même terrible pour les
mystérieuses, d'enchantements et de délivrances
croyants : l'anathème, l'excommunication, le
féeriques, de transformations bizarres des hommes
bûcher remplissaient de terreur les âmes reli-
en animaux, etc. Les sorciers et les loups-garous
gieuses. Les prédicateurs évoquaient sans cesse
couraient les campagnes, répandant la terreur,
la puissance malfaisante du démon, prompt à
distribuant les maléfices, d'un seul regard « je-
profiter de la moindre défaillance pour perdre à
tant des sorts », « donnant des maladies » que
jamais l'homme le plus juste et pieux. Et ce dé-
seuls ils pouvaient guérir.
mon revêtait mille aspects ; comme l'a dit Mi-
Aussi, la plupart des malades atteints de folie
chelet, il entrait dans le corps des animaux, des
religieuse étaient-ils possédés du démon. Le
enfants et des femmes; en vain on l'exorcisait,
diable parlait par leur bouche ; il leur faisait
chassé sous une forme il reparaissait sous une
entendre les voix les plus terribles, les métamor-
autre, méconnaissable parfois, toujours tenta-
phosait en loups, les torturait de mille façons,
teur. L'imagination populaire était tellement
les agitait convulsivement.
obsédée de l'idée du démon et de la crainte de
Mais ce qui caractérise la folie religieuse du
l'enfer que ce ne sont, sculptées sur les portails
moyen âge et permet de la distinguer des formes
des cathédrales du moyen âge, que longues
modernes du délire de la persécution, de la folie
mélancolique, de l'agitation maniaque, c'est son
1. Cf. Marie. Archives de neurol., avril 1889.
142 LES CAUSES SOCIALES DE LA FOLIE LA FOLIE RELIGIEUSE 143
tudes morbides inconscientes de raisonnement, crainte; les délires religieux seront désormais
de pensée. surtout des délires de théomanie.
Comment donc nier que la folie religieuse du ■ 11 faut assurément attribuer ce changement si
moyen âge a eu surtout des causes sociales, indé- important aux modifications considérables que
pendamment de la religion elle-même, qui, sous subit le monde chrétien à la suite des guerres
sa forme la plus générale, considérée sous l'as- religieuses et des triomphes du protestantisme.
pect qui lui est le plus défavorable, est incon- Le clergé catholique avait perdu une partie de
testablement la première de ces causes sociales. son prestige ; moins redouté, il avait pris à tâche
de s'accommoder aux aspirations populaires, de
Y s'adapter à ses fidèles, de se soumettre en par-
A partir du xvin6 siècle, comme l'a constaté tie à leurs exigences et non plus de les soumettre,
M. Marie1, la folie religieuse s'est complète- ouvertement du moins, aux siennes. La religion
ment transformée. Il n'y a presque plus d'épi- demeurait intimement unie cà la politique, mais
démies de lycanthropie ou de démonopathie 2, comme auxiliaire du pouvoir civil et non plus
presque plus de possession par les mauvais cômme souveraine; elle s'imprégnait de l'esprit
anges3 ; la crainte du démon a considérable- mondain et en perdant son austérité elle voyait
ment diminué; ce n'est plus seulement le côté dans ses mains plus débiles s'allumer bien plus
redoutable de la puissance divine qui apparaît rarement des foudres d'ailleurs impuissantes.
aux yeux du peuple ; l'orgueil s'est joint à la Qui donc pensait au démon, sinon pour se de-
mander s'il n'avait pas lié partie avec certains
1. toc. cit. princes de l'Église? Qui donc pouvait songer au
2. Cependant M. Colin a signalé (Annales d'hygiène et de
médecine légale, juillet 1881) une épidémie récente de folie
Dieu terrible, quand les Jésuites le montraient
religieuse en Italie : l'épidémie de Verzégius en 1871 éclata au si accommodant, si aisé à satisfaire, si prompt
sein d'une population pauvre et peu intelligente; elle fut si
tenace qu'elle ne céda qu'à l'occupation militaire. à tout oublier?
3. Le Dr Pierre Janet a signalé un cas récent de possession
démoniaque. Cf. Névroses et Idées fixes (Paris, F. Alcan). Chez les catholiques le scepticisme en matière
G.-L. DUPRA-T. 9 •
146 LES CAUSES SOCIALES DE LA FOLIE
LA FOLIE RELIGIEUSE 147
de religion gagnait la majorité des esprits. Les
base même de l'extase religieuse, est le point de
institutions religieuses n'en subsistaient pas
départ de l'illuminisme, du délire prophétique.
moins, la contrainte sociale s'exerçait sur tous
Aussi, comme on l'a remarqué1, la mélancolie
les individus pour leur faire accomplir des for-
religieuse devait-elle être plus fréquente chez
malités, des gestes qui ne comportaient pas d'in-
les catholiques, à cause de préoccupations tout
tention, des actes conformes à la lettre bien que
extérieures à la pensée religieuse proprement
l'esprit eût disparu. Aussi la folie religieuse
dite, se rapportant uniquement aux formalités
revêt-elle, dès cette époque, chez les catholiques,
du culte, à la confession incomplète,, à la com-
une forme distincte de celle qu'elle revêt chez
munion faite dans de mauvaises conditions ;
les protestants.
tandis que chez les protestants l'exaltation ma-
Ceux-ci, en effet, plus attachés au vieil esprit
niaque, la théomanie proprement dite devait
religieux, proscrivaient le luxe, l'appareil théâ-
être la conséquence d'une manière toute diffé-
tral, de plus en plus en honneur dans l'Eglise
rente de concevoir les rapports de l'homme avec
romaine. Ils recherchaient l'austérité, la pureté
Dieu. D'après Ellis, il y aurait moins d'aliénés
des intentions, tendant à faire du culte un mode
par suite de préoccupations religieuses dans le
intime de la conscience. Ils avaient banni la
monde catholique que dans le monde protestant,
confession auriculaire, caractéristique du catho-
et cela à cause du libre examen, de l'absence de
licisme et fondement de sa puissance occulte.
dogme précis chez les partisans du culte ré-
La religion devenait affaire de l'homme avec
formé, obligés de se faire par eux-mêmes une con-
Dieu sans prêtre pour intermédiaire.
viction dont l'importance est considérable. Mais
Mais par là même le protestantisme ramenait
le dogmatisme catholique n'est pas si grand, en
au mysticisme. Il rapprochait la créature du
fait, qu'il puisse rassurer les consciences trou-
créateur, au point de donner au croyant l'illu-
blées ou les esprits inquiets, et les délivrer de
sion d'une suppression effective de la distance
qui les sépare : on sait que cette illusion est à la
1. Cf. M. Marie, loc. cit.
LA FOLIE UELIGIEUSE 149
118 LES CAUSES SOCIALES DE LA FOLIE
pensable. La prière, la confession, la communion
préoccupations religieuses, d'autant plus redou- lui ont été indiqués comme les seuls mqyens de
tables précisément pour la santé morale qu'il salut ; on lui a dit qu'elles procurent même à
peut y avoir conflit entre les affirmations de l'avance l'indulgence du juge suprême; l'accom-
l'Eglise et les convictions nées chez un fidèle de plissement des actes de la vie religieuse importe
la réflexion ou de l'étude approfondie des ques- donc au plus haut degré et peut faire l'objet de
tions religieuses. préoccupations morbides qui amènent la folie.
C'est bien plutôt ce scepticisme de la foule ca- Tout dépend d'abord de la fréquence et de l'inten-
tholique, que nous avons déjà signalé qui la met sité avec laquelle le croyant conçoit et désire le
en général à l'abri de la folie religieuse à forme bonheur dans la vie future, conçoit et redoute les
.mystique. La foi beaucoup plus vive des popu- peines de l'enfer. Si son salut éternel l'obsède, on
lations protestantes, entretenue sans doute par comprend aisément que le délire religieux s'em-
la controverse, par l'examen continuel des pare de lui; et si cette idée l'obsède, c'est par une
textes bibliques, mais due aussi à l'évolution néfaste conséquence de l'idée sociale de religion.
naturelle de la pensée religieuse dans certaines Son cas ne diffère donc pas au fond de celui
nations, est la source du danger auquel échap- du protestant que l'esprit religieux ambiant fait
pent les populations catholiques. délirer dans un autre sens. Sans doute le pro-
Est-ce à dire que la folie religieuse ne soit pas testant a plus d'orgueil, il est plus porté au délire
aussi maligne en celles-ci qu'en celles-là, parce des grandeurs, tandis que le catholique est plus
qu'ici elle a pour objet la forme et là le fond? porté au délire des persécutions. L'un prophétise,
La religion n'agit jamais que par les sentiments sermonne, évangélise ; l'autre prie, se recueille.
troublés qu'elle suscite. Si le catholique ne craint La folie de l'un a un caractère plus contagieux,
plus les tentations du démon, il craint l'enfer ; celle de l'autre un caractère plus individuel.
comme hors de son église, hors des secours de Mais il ne faudrait pas exagérer la différence.
sa religion il n'y a point de salut, il redoute de Il est des catholiques atteints de théomanie et il
manquer au dernier moment du viatique indis-
150 LES CAUSES SOCIALES DE LA FOLIE
LA FOLIE RELIGIEUSE 151
est des protestants plongés dans une profonde est connexe des conditions politiques et écono-
mélancolie. Une forme très commune de la folie miques d'existence.
religieuse, et qui confine au délire des négations, Les campagnes les plus pauvres fournissent à
par conséquent à la mélancolie, consiste en l'heure présente le plus grand nombre des alié-
« idées d'indignité » : fréquemment, le malade nés mystiques internés dans les asiles publics.
se croit damné, a une « anxiété énorme » parce Sans doute, il né faut pas en conclure que la
qu'il est persuadé que quelle que soit sa bonne folie religieuse n'existe que fort peu dans les
volonté, il fera mal1. Il y a, dans ces cas, ou classes aisées de la population des villes ; car
bien une exagération des scrupules religieux la bourgeoisie conserve ordinairement au sein
qui provient de l'habitude prise par le malade de leur famille ses aliénés les moins dangereux,
de faire des examens de conscience minutieux qui échappent par là même aux moyens ordi-
en vue de la confession ; ou bien exagération de naires d'investigation en vue de la statistique
l'idée chrétienne de chute, de déchéance morale morbide. Cependant, il est une raison de croire
après le péché originel. Il en résulte une atti- au développement exceptionnel des délires reli-
tude humble, contrite, que les médecins sem- gieux dans les campagnes pauvres, celles préci-
blent ne pas avoir assez soigneusement dis- sément qui offrent le moins de prise à la para-,
tinguée de l'attitude des mélancoliques et des lysie générale : c'est que toujours les épidémies
persécutés, beaucoup plus orgueilleux, vaniteux de folie mystique, les cas les plus remarquables
et égoïstes dans leur apparente modestie. du même genre, ont fait leur apparition dans des
régions sans prospérité économique, sans gran-
VI
des voies de communication, sans production
Si les excès morbides de la religiosité particu- industrielle, sans activité commerciale, dépour-
lière sont, comme nous l'avons vu, intimement vues de moyens d'instruction et d'éducation
liés à la religiosité générale, celle-ci à son tour populaires.
1. Cf. Trénel. Archives de neurologie, 1898. Si l'air y est pur, l'atmosphère morale, aussi
' 152 LES CAUSES SOCIALES DE LA FOLIE
sociales ; ce que nous croyons d'ailleurs avoir dans l'individu même qu'elle se produit, le sujet
suffisamment montré jusqu'ici. est « tiraillé » en divers sens, entraîné tantôt
En quoi consiste essentiellement un état socio- dans une direction, tantôt dans une autre, obligé
pathologique? Les sociologues l'ont parfois re- de sacrifier souvent à regret une partie de ses
cherché 1 et nous nous contenterons de rapporter désirs au triomphe d'autres désirs, rendus pré-
ici ce qui nous semble résulter des recherches pondérants en lui par leur triomphe antérieur
déjà faites. Un état socio-pathologique est en dans la collectivité ou par leur conformité à la
désaccord avec le système stable des tendances logique du système prévalent.
sociales qui déterminent l'évolution normale 11 n'y a pas^de système social parfait. Quand
d'une collectivité donnée. S'il y a des faits socio- un système entier se trouve par hasard réalisé, il
pathologiques, c'est qu'il existe un défaut géné- est instable. Presque universellement, dans l'hu-
ral de coordination ou de systématisation des manité, on constate à la fois instabilité sociale et
forces et des fonctions sociales ; c'est que celles- désagrégation sociale, ou défaut d'intégration
ci relèvent de divers systèmes différents, plus ou sociale, selon qu'une nation, une collectivité, est
moins incompatibles, qui tous tendent à se réa- en voie de décadence ou en voie de progrès. Il y
liser intégralement ou à se maintenir, et qui par a progrès quand l'état suivant présente sur l'état
conséquent déterminent la lutte pour l'existence précédent l'avantage d'être plus systématique ou
entre types sociaux opposés autrement que par de réaliser plus complètement ce qui est con-
une contrariété dialectique. Cette lutte, quand la forme à un système normal. Il y a décadence
société en est le théâtre, fait les dissensions po- dans le cas contraire.
litiques, les conflits économiques, les dissenti- La désagrégation sociale ne se manifeste par-
ments religieux ou esthétiques ; — quand c'est fois qu'aux yeux de l'observateur perspicace :
c'est qu'elle consiste en une décomposition lente
1. Cf. de Lilienfeld. La pathologie sociale (Biblioth. de Soc. des organismes sociaux sous l'influence de cer-
intern.). Durkheim,Le suicide (Paris, F. Alcan). Duprat, Science
sociale et démocratie. taines forces, qui dissolvent les sentiments indis-
156 LES CAUSES SOCIALES DE LA FOLIE PATHOLOGIE SOCIALE 157
L'éducation, si précieuse quand elle transmet d'une intelligence cultivée et qu'à cause de la
aux générations nouvelles les acquisitions scien- liberté relative dont elles jouissaient, elles pou-
tifiques et morales des générations antérieures, vaient s'élever au-dessus du niveau intellectuel
met comme un venin dans le cœur et comme moyen de leur sexe, il n'en saurait être de même
un poison dans l'esprit, quand lentement, par dans nos sociétés modernes. La plupart des demi-
des insinuations perfides, elle tend à détruire le mondaines et toutes les prostituées de bas étage
respect de ce qui est bon et vrai,, à « détraquer » sont des êtres inférieurs, dont l'abjection morale
l'intelligence, à affoler la sensibilité, à donner égale la paresse intellectuelle et l'inertie au point
l'habitude des sophismes ou même de la dérai- de vue pratique. Elles ont toutes sortes de vices
son. N'oublions pas que notre esprit est en qui les rapprochent des criminels ; on sait d'ail-
grande partie tout au moins un produit de l'ex- leurs combien nombreuses sont celles qui com-
périence et de l'éducation ; nous conviendrons mettent de graves délits ou aboutissent à la folie ;
d'autant plus facilement qu'il est aisé à une édu- la paralysie générale et la démence les guette.
cation de détruire la synthèse qu'une autre édu- Si l'immoralité et la folie ne sont pas conta-
cation a contribué à réaliser. gieuses à rigoureusement parler, bien que le
La fréquentation des prostituées, dans laquelle terme « contagion morale » soit à bon droit très
beaucoup déjeunes gens à notre époque semblent usité, du moins il est indiscutable que la fré-
se complaire, est un de ces tristes moyens d'édu- quentation des êtres immoraux ou prédisposés
cation morbide qui ne peuvent qu'abaisser le ni- à la folie est néfaste aux esprits faibles. Le com-
veau intellectuel et moral de la classe sociale dans merce des prostituées en outre éloigne du foyer
laquelle ils sont devenus comme une pratique familial, de la vie saine et normale, au sein de
habituelle. Si dans l'antiquité grecque quelques laquelle seulement un être social trouve les con-
hétaïres furent capables de favoriser l'essor du ditions indispensables à son équilibre mental.
génie et du talent chez les hommes qui les fré- Ce commerce ajoute donc à la débilité physiolo-
quentaient, parce qu'elles étaient des femmes gique la débilité psychologique, et à l'instabilité
PATHOLOGIE SOCIALE 161
160 LES CAUSES SOCIALES DE LA FOLIE
une lutte politique, comme celle qui met sans
mentale une déchéance morale et sociale : il
cesse aux prises les Anglais et les Irlandais,
n'en faut pas davantage pour préparer le règne
ne diffère pas essentiellement d'une guerre ; et
de la folie.
M. Robertson, dont nous avons déjà cité l'ou-
L'art malsain est à l'esthétique ce que la pros-
vrage au début de cette étude, a dit avec raison
titution est à l'amour. Or l'artiste, nous l'avons
que si les Irlandais sont actuellement versatiles,
dit plus haut, est déjà prédisposé par son tem-
incapables de se gouverner eux-mêmes, s'ils
pérament et par les exigences mêmes de l'art
présentent une sorte de débilité congénitale de v
-
aux hallucinations, aux exagérations maladives ;
l'esprit, ils le doivent aux incessantes tracasse-
si la perversité des conceptions et des joies vient
ries de leurs souverains, les Anglais, et à la con-
encore ajouter au malaise de son esprit, le dan-
tinuelle oppression dont les néfastes effets sem-
ger n'est-il pas beaucoup plus grand ? Par artiste,
blent se transmettre héréditairement.
nous pouvons entendre aussi bien celui qui ap-
Les luttes économiques qui donnent naissance
précie les œuvres d'art et en jouit que celui qui
aux grèves, aux mouvements populaires, et qui,
les crée : l'exaltation de certains hommes en
d'après Karl Marx, sont les causes déterminantes
présence d'une œuvre belle égale parfois celle
des révolutions politiques et de tous les boule-
de l'auteur ; elle présente les mêmes dangers
versements sociaux, ne peuvent manquer, en
quand elle a un principe immoral.
entretenant un grand nombre d'esprits dans l'ef-
fervescence, en multipliant les préoccupations,
II
les craintes et les maux, d'amener des troubles
Tout conflit social est également redoutable
de l'esprit. Nous avons amplement développé plus
pour la santé-de l'esprit. Nous avons vu précé-
haut les rapports de la paralysie générale et de
demment soit les inconvénients de la vie mili-
notre régime économique. Or, ce régime n'est si
taire et les accidents psychopathologiques en-
désastreux qu'à cause de la désintégration sociale,
traînés par les manœuvres pénibles et par les
du défaut d'harmonie morale dans les intérêts
guerres, soif les dangers de l'émigration. Mais
162 LES CAUSES SOCIALES DE LA FOLIE PATHOLOGIE SOCIALE 163
et les tendances, de systématisation rationnelle Le « fou moral » est un être antisocial chez
des entreprises. qui l'immoralité est devenue folie et chez qui la
Le malaise économique vient aussi de l'insta- folie détermine l'action criminelle. Sans adopter
bilité sociale qui fait que le devenir collectif est la doctrine qui fait de tout criminel un aliéné,
plein d'imprévu, d'événements accidentels, de on peut, pour expliquer le passage de la crimi-
brusques solutions de continuité. Celles-ci, nalité à la folie, reconnaître avecLombroso com-
comme nous l'avons dit précédemment, déses- bien est étroite la parenté de l'aliéné avec le
pèrent les plus débiles, incapables de s'adapter délinquant, qui n'est pas délinquant d'occasion,
successivement à des milieux si variés, et les mais bien « criminel-né ».
acculent souvent ou au suicide ou à la folie. Les criminels, dit le savant italien1, « ont en
commun avec les aliénés la violence et l'instabi-
III lité de certaines passions, l'insensibilité affective
Si l'état psycho-pathologique et l'immoralité assez fréquente, l'insensibilité physique plus fré-
chez un individu doivent être distingués, surtout quente encore, le sentiment exagéré du moi ». Le
parce qu'il peut y avoir une systématisation psy- criminel, il est vrai, « ne peut vivre sans compa-
chique à la fois normale et immorale, l'état socio- gnons » tandis que l'aliéné préfère la solitude,
pathologique ou antisocial et l'immoralité chez mais cela ne fait que mieux marquer le caractère
l'individu peuvent du moins s'identifier. On ne asocial ou antisocial de l'aliéné. Comme le cri-
peut séparer la morale de la sociologie, car tous minel et la prostituée, les fous ont une « imagi-
les devoirs de l'homme sont des devoirs sociaux nation déréglée, une vanité exubérante, une sotte
et toute morale humaine est une morale sociale. irritabilité... Leur langage en est une preuve
Être antisocial, c'est donc être immoral; c'est ne manifeste, avec son abondance de tropes, ses
pas vouloir remplir les obligations qu'il est ration- métaphores hardies, ses homophonies sans nom-
nel, qu'il est moral, de remplir quand on appar-
tient à une société définie. 1. L'homme criminel, trad. Régnier et Bournet, p. 373.
161 LES CAUSES SOCIALES DE LÀ KO LIE
PATHOLOGIE SOCIALE 165
bre, ses jeux de mots, ses calembours, son
constitue l'absence même de caractère, est,
lyrisme d'idées qui déroute un froid observa-
teur1.» comme l'a dit M. Ribot, et comme nous l'avons
D'ailleurs, manquer de sens moral, c'est montré dans notre étude sur l'Instabilité men-
manquer de cette volonté raisonnable, de cette tale, le point de départ de toute psychopathie.
puissance qui fait que l'on est maître de soi- Ce défaut de caractère est sans doute le plus sou-
vent congénital, mais il n'est pas primitivement
même et qu'on n'agit pas directement sous l'in-
fluence de ses passions. Quand la raison et la irrémédiable ; il ne le devient que sous une
double influence : celle qu'exerce l'individu indul-
volonté font défaut dans la pratique, comment ne
gent pour lui-même, sur son propre moi, et celle
seraient-elles pas tout près de faire défaut dans
qu'exerce la société, le milieu social, quand il
la spéculation? L'esprit est un, et ses facultés ne
sont pas des entités distinctes dont les unes peu- déprime l'individu, le désempare, le démoralise.
Le déséquilibre moral naît d'un défaut d'adap-
vent rester saines tandis que les autres sont ma-
tation, aux conditions même de l'existence so-
lades. L'attention volontaire, la puissance de
ciale. Quelle que soit l'opinion que l'on professe
coordination, fondement de l'unité synthétique
au sujet des règles morales, on ne peut se dis-
de l'esprit, est aussi nécessaire à l'exercice de
penser d'y voir des commandements sociaux, des
l'intelligence qu'à la pratique proprement dite.
prescriptions de la collectivité imposant à l'indi-
L'incoordination des tendances si remarquable
vidu une conduite définie. Or, dans les conditions
chez le fou moral, l'impulsif, le violent, le pas-
actuelles de la vie sociale le dogmatisme, qui avait
sionné, le criminel, n'est-elle pas la cause du
fait la moralité factice et essentiellement passa-
désordre des pensées, de l'incohérence des dis-
gère des siècles passés, à quelques exceptions
cours? L'absence de tendances dominatrices
près, a fait place au scepticisme ou du moins à
stables et caractéristiques d'une personnalité, qui
un esprit de libre examen qui rend la moralité à
la fois plus difficile et plus méritoire.
1. Op. cit., p. 479.
Il n'y a plus unanimité sur les préceptes de la
-166 LES CAUSES SOCIALES DE LA FOLIE PATHOLOGIE SOCIALE 107
morale ; l'émancipation des intelligences a fait quête d'un guide, d'un appui ! Le résultat de
de chacun de nous un juge responsable du bien l'instabilité et du manque de précision dans les
et du mal, du juste et de l'injuste. Nous nous règles de la conduite sera chez eux ce qu'on a
sommes accoutumés à considérer l'adage: « vox appelé la « folie morale ».
populi, vox Dei » comme l'expression d'un pré- Il y a des degrés dans la « folie morale » :
jugé, le sens commun comme un oracle souvent tantôt l'intelligence reste entière, mais les ten-
trompeur, les règles traditionnelles comme autant dances altruistes, le sens de l'équité, l'amour
de contrefaçons des règles rationnelles. Nous du bien, le jugement môral ont disparu ; tantôt
aurions tort de nous en plaindre outre mesure : les raisonnements sont faux et les actes résultent
l'homme libre doit se conduire selon les prescrip- des déductions erronées tirées de principes ab-
tions de sa raison et affranchir le plus possible sa surdes. Que la moralité soit innée à l'homme,
conscience morale du joug imposé par le dehors. du moins en tant que tendance générale à la
Cependant il n'y a rien de rationnel qui ne bonne conduite, ou bien qu'elle lui soit devenue
puisse être universellement reconnu comme vrai, comme un patrimoine héréditaire, il y a incon-
et le critérium pratique, objectif, de la moralité, testablement, sinon un « sens moral », du moins
restera toujours la conformité à des règles posées une sorte « d'instinct moral », plus impérieux
par la collectivité, l'accomplissement de devoirs chez les uns que chez les autres, mais qui chez
sociaux. tous doit être le point de départ de la sociabilité
Si le doute atteint ces règles, si ces devoirs normale. Pour que cet instinct s'actualise, se
n'apparaissent plus comme des impératifs caté- précise en tendances morales bien définies et
goriques, mais simplement comme des obliga- engendre des actes convenables, il faut que vien-
tions passagères, discutables, auxquelles on peut nent le renforcer la réflexion personnelle et la
se soustraire sans encourir la réprobation uni- contrainte extérieure. Si l'intelligence est débile,
verselle, dans quelle détresse se trouveront les il manque d'une confirmation nécessaire ; si l'in-
cerveaux malades, les esprits faibles toujours en telligence est vive, mais si le sujet en fait usage
PATHOLOGIE SOCIALE 169
168 LES CAUSES SOCIALES DE LA FOLIE
sans tenir compte des influences moralisatrices peser sur certaines tendances de l'individu,
qu'il subit, ou sous l'action d'influences démo- quand les sentiments de sociabilité sont très
ralisatrices, il se pervertit. Dans le premier cas, puissants chez ce dernier.
faible, incertain, le « sens moral » ne guide pas Certains crimes monstrueux semblent même
le sujet dont la conduite est équivoque, plutôt attester une régression générale vers des formes
amorale qu'immorale. Dans le second cas, les de la vie barbare ou de la vie sauvage. Tel est le
instincts moraux sont devenus des instincts im- « dépeçage criminel » quand il a pour but non
moraux, antisociaux, des impulsions au crime, défaire disparaître toute trace du crime par la
des tendances perverses qui cherchent à s'étayer dispersion des restes de la victime, mais sim-
sur toutes sortes de sophismes et qui parfois plement la satisfaction d'instincts cruels, san-
ruinent l'intelligence même. guinaires. Le Dr Nina Rodrigues a observé ce
Le criminel-né de Lombroso est un dégénéré genre de crime au Brésil, chez les métis qui pré-
chez qui la folie morale est héréditaire, du sentent en général un caractère très marqué de
moins pour autant que des instincts pervers dé- férocité atavique, chez qui l'évolution semble se
finis peuvent être héréditaires. Depuis plusieurs faire à rebours et rapprocher de plus en plus les
générations, ses ascendants se sont affranchis du générations nouvelles de' leurs barbares an-
joug de la raison et de la contrainte sociale ; ils cêtres.
lui ont transmis non pas même un sens moral C'est de même à un état social particulier qu'il
débile, mais plutôt une forte tendance générale faut attribuer le. développement de la folie mo-
à l'accomplissement d'actes universellement ré-
rale homicide, anarchiste, dans certains pays.
prouvés par les êtres raisonnables. Le nombre L'Italie n'est pas seulement la patrie de l'anthro-
croissant des criminels-nés ne peut être que l'in- pologie criminelle, c'est peut-être, en ce mo-
dice d'une « désintégration sociale » depuis ment de la civilisation européenne, le pays le
longtemps commencée, d'une absence prolongée plus cruellement frappé par la criminalité et la
de cette inhibition normale que la société fait folie morale ; ses sociologues ne cessent de jeter
G.-L. DUPRAT. 10
HO LES CAUSES SOCIALES DE LA FOLIE PATHOLOGIE SOCIALE 171
des cris d'alarme qui ne semblent que trop jus- sous ses différents aspects : vol, homicide, diffa-
tifiés. Les enfants criminels y sont d'une préco- mation, attentat à la pudeur, etc. Il ne serait
cité surprenante, les suicides y abondent, les pas sans doute malaisé de retrouver la passion
attentats contre les personnes et les biens, contre sous chacune de ces formes criminelles et de
la pudeur, y sont fréquents. Mais il ne faut pas montrer les rapports de la passion chez l'individu
oublier que la misère y est profonde en cer- avecles imperfections de son'milieu. Mais ce serait
taines régions, que le désordre politique y est raisonner en prenant pour point de départ une
continuel, que l'insécurité est partout et qu'une hypothèse et non des faits. Contentons-nous de
politique néfaste perpétue les causes d'agitation, l'observation des aliénés criminels, sans émettre
d'inquiétude, de malaise économique et moral. l'opinion, peut-être juste d'ailleurs, que tous les
Les excitations à la révolte, à la guerre civile, à criminels sont plus ou moins aliénés.
la réaction violente, troublent certains esprits au Lombroso et les auteurs qu'il cite1, Ardu,
point de leur faire oublier leurs devoirs, de leur Morrison, Semai, ont surtout recherché le rap-
faire perdre parfois pour toujours la notion in- port inverse de celui que nous aurions ici intérêt
dispensable du juste et de l'honnête. à établir : tandis que nous recherchons et que
Quant aux impulsions morbides, homicides MM. Fenayrou et Ramadier2 nous fournissent le
ou autres, lorsqu'elles ne résultent pas d'obses- nombre des criminels parmi les aliénés, Lombroso
sions dont nous avons déjà parlé, elles dénotent nous signale le nombre considérable d'aliénés
une grande instabilité mentale correspondant en rencontrés en divers pays parmi les criminels : ce
général à l'instabilité des principes sociaux, aux qui tend surtout à démontrer l'influence de la folie
difficultés d'adaptation de l'individu à un milieu sur la criminalité en général. Mais la folie crimi-
trop complexe et trop changeant. nelle nous paraît constituer un genre à part de
S'il fallait voir dans tout criminel un fou mo-
ral ou un épileptique, notre tâche serait main- 1. Nouvelles recherches de psychidlrie et d'anthropologie cri-
minelle. Traduet. française (Paris, F. Alcan).
tenant de rechercher les causes sociales du crime 2. Annales médico-psychol., 1898.
172 LliS CAUSES SOCIALES DE LA FOLIE
PATHOLOGIE SOCIALE 173
folie qu'il est illégitime de confondre avec la
pour la débilité mentale (9/11) ; il était particu-
manie et la mélancolie. Conformément d'ailleurs
lièrement faible pour l'épilepsie (1/10). Les mo-
aux indications de Lombroso, nous faisons de la
tifs des actes délictueux étaient futiles, les mo-
« folie morale » une entité morbide distincte,
biles puérils, les actes en eux-mêmes absurdes.
correspondant à tous les cas d'aliénation mentale
Or, le département de l'Aveyron est remar-
qui consistent essentiellement én une tendance
quable entre tous, d'après MM. Ramadier et
au crime accompagnée d'actes, tendance mor-
Fenayrou, par le défaut d'instruction, la rudesse
bide, irrésistible, déraisonnable, insensée et en-
des manières, l'amour intense de la propriété,
traînant toute une série de troubles de l'esprit.
la méfiance excessive de ses habitants à l'égard
Nous nous posons dès lors le problème des
des étrangers et môme les uns à l'égard des
rapports de cette « folie morale » avec le milieu
autres. Si l'aliénation mentale criminelle y est
social au sein duquel elle prend naissance. Pour
proportionnellement plus marquée que dans la
les fous-criminels de rAveyron, la solution est
plupart des autres régions de la France, il faut
favorable à notre thèse générale.
donc l'attribuer à des causes sociales bien défi-
Sur 284 malades internés à l'asile de Rodez en
nies et en particulier au caractère de la popula-
1897x, on trouvait 93 criminels provenant du
département de l'Aveyron : un atteint de délire tion.
M. Garnier attribue à l'alcoolisme 37 et demi
systématique, trois d'épilepsie, neuf de démence,
pour 400 des 8,139 cas de folie criminelle qu'il a
deux de dégénérescence mentale, vingt-quatre
constatés au Dépôt de la préfecture de police, de
d'imbécillité, cinquante-quatre de débilité men-
1886 à 1888. L'agitation politique est cause d'un
tale. Le rapport du nombre des délinquants au
certain nombre de cas de folio délinquante.
nombre des malades clans chaque série était par-
Quant aux 1,465 cas attribués par M. Garnier à
ticulièrement élevé pour l'imbécillité (6/7) et
la « dégénérescence mentale » et aux 999 cas
I. Cf. le rapport présenté par MM. Ramadier et Fenayrou attribués à la paralysie générale, soit un peu
(Annales méd. psych., 1898).
moins du tiers des cas observés, ils peuvent vrai-
10.
1
174 LES CAUSES SOCIALES DE LA FOLIE ;f PATHOLOGIE SOCIALE 175
semblablement être tous rattachés à des causes dangereux et parfois des inconvénients graves.
sociales. La désignation « dégénérescence men- On pourrait relater en effet de nombreux délits
tale » ne saurait en effet constituer une indication dus à un manque d'éducation ; et il est hors de
précise ; elle ne fait que mieux montrer par son ■ doute que la « résistance commandée par cer-
manque de précision qu'il a été impossible de i taine éducation aux instincts sexuels » est bien
confondre la folie morale avec les autres formes faite pour favoriser une transformation des
bien nettes d'aliénation mentale. I tendances naturelles en des sentiments per-
i vertis qui peuvent être le principe d'actes déli-
IV | ctueux.
I Parmi les jeunes filles qui conçoivent du dé-
Les attentats à la pudeur, les crimes qui se
!
- goût pour le mariage, qui ont une aversion
rattachent aux passions humaines dérivées de
morbide pour ce qu'on leur a représenté d'ail-
l'instinct sexuel, sont fréquents dans la « folie
leurs comme un acte foncièrement immoral,
morale ». M. Féré prétend1 que les perversions
est-il étonnant qu'on en trouve qui aboutissent
sexuelles se développent sous l'influence de
au crime ou au suicide dans des accès de folie ?
l'éducation, de l'imagination brodant sur cer-
; Certaines n'éprouvent que du dégoût pour leurs
tains faits d'imitation. D'après lui. ce qui fait
amies qui se marient : ce qui est déjà l'indice
que ces anomalies existent chez les hommes et
l d'un caractère pathologique et antisocial assez
non pas chez les animaux, c'est que les condi-
nettement marqué ; d'autres, après quelques an-
tions sociales de l'existence des premiers varient
nées ou quelques mois de mariage commettent
considérablement et diffèrent presque radicale-
des attentats sur leurs enfants ou sur leur mari
ment de celles des seconds.
et, internées, subissent l'évolution d'une folie
Havelock Ellis signale dans l'éducation, en ce
érotique ou mystique dont l'acte sexuel fournit
qui concerne les instincts sexuels, des défauts
le thème fondamental.
1. Archives de neurologie, avril 1898. Peut-être ne suffit-il donc pas de donner l'ex-
PATHOLOGIE SOCIALE 177
176 LES CAUSES SOCIALES DE LA FOLIE
point de la personne. A certaines époques, le
plication que Lombroso1 fournit de la folie mo- sentiment de la pudeur est par conséquent plus
rale dans des cas d'attentats à la pudeur, de exigeant ; la « conscience sociale » l'éprouve
satyriasis, d'exhibitionnisme ou d'érotisme, et avec plus d'intensité et réprouve avec plus
de les ramener avec lui à l'épilepsie larvée. Les d'énergie les actes qu'elle juge impudiques. Il y
diverses formes prises dans les différents milieux a ainsi une lutte continuelle entre la conception
par le sentiment social de la pudeur fourniront sociale de l'amour et la conception sociale de la
vraisemblablement une explication complémen- pudeur.
taire. Dans l'antiquité la pudeur n'était pas ce qu'elle
Le sentiment de pudeur semble né en réaction est de nos jours ; chez les peuples où la polyga-
contre les formes brutales, animales, immorales mie est la règle, il est évident que la pudeur ne
sous lesquelles se manifeste parfois l'amour. C'est peut être ce qu'elle est dans notre civilisation,
un produit de la pensée raisonnable et c'est à la base de laquelle se trouve la monogamie.
pourquoi il est inconnu des animaux, plus ignoré De plus, la conception chrétienne de l'amour, la
des sauvages que de l'homme civilisé. C'est aussi glorification de l'ascétisme, puis les coutumes
un produit de l'évolution sociale, et c'est pour- chevaleresques du moyen âge ont, malgré de
quoi la pudeur est presque innée à la jeune lille, fréquentes transactions, contribué à rendre la
c'est pourquoi aussi le sentiment de pudeur peut femme plus attentive à son maintien, à la
être totalement détruit chez la femme, presque décence de son vêtcnient et de ses mœurs,
ignoré de l'homme. l'homme plus respectueux de la femme, plus
Les traditions sociales donnent au sentiment soucieux d'éviter tout ce qui peut froisser la sen-
de pudeur ce qu'on peut appeler sa matière, sibilité féminine, tout ce qui peut porter atteinte
c'est-à-dire ce qui l'étend à tel ou tel objet, ce à la pureté de la jeune fille, pureté considérée
qui le fait porter sur tel ou tel acte, tel ou tel comme un idéal moral.
Le sentiment qui en est résulté est précisé-
I. Op. cil., p. 172.
178 LES CAUSES SOCIALES DE LA FOLIE PATHOLOGIE SOCIALE 179
ment en contradiction avec la brutalité naturelle résultat funeste. Ici encore, les crimes qui résul-
de l'instinct sexuel. Il y a opposition entre la tent de perversions de l'instinct sexuel ne sont
pudeur et la vivacité des sentiments amoureux, pas tant des faits purement individuels que des
l'intensité des désirs érotiques. Il s'ensuit qu'à faits à causes sociales ; et la folie morale qui est
certaines périodes la société se relâche de sa sé- la raison immédiate de tels crimes trouve ainsi
vérité à l'égard des actes qui portent atteinte aux dans des phénomènes sociaux une légitime ex-
sentiments de délicatesse et de respect de la plication.
femme ; la littérature reflète ce relâchement et Il est inutile d'ajouter qu'il en est de même
l'accentue; la presse, de nos jours, devient de tous les « crimes professionnels », quel que
immédiatement plus licencieuse et pornogra- soit leur mobile, et de toutes les manifestations
phique, le théâtre devient plus ouvertement de la « folie morale » en général.
audacieux pour tout ce qui touche à la peinture
des mœurs obscènes. Tant d'influences agissent V
sur les esprits débiles pour les déterminer à exa- De ce dernier chapitre ne résulte-t-il pas que
gérer encore le cynisme des mœurs et les ame- les causes sociales de la folie tendent à se laisser
ner aux actes délictueux en même temps qu'à ramener aux conséquences variées d'un état so-
la déraison. cial anormal ? M. Durkheim1 a attribué le suicide
Inversement, il arrive parfois que le sentiment à la désintégration sociale ; nous avons cru devoir
de pudeur s'exagère, que l'ascétisme est ouverte- ajouter ailleurs à cette explication sociolo-
ment prêché et accueilli avec faveur dans certains gique une explication psychologique du suicide
milieux, donné en exemple à la jeunesse. De cela fondée sur l'instabilité mentale. Il en est donc
même résulte un déséquilibre moral, une lutte de la folie comme du suicide. C'est un phéno-
sociale entre l'érotisme collectif et la tendance mène mixte qui a des causes biologiques, des
collective à l'exagération de la pudeur. Nous
avons dit plus haut quel en est, d'après Ellis, le 4. Le Suicide (Paris, F. Alcan).
. 180 LES CAUSES SOCIALES DE LA FOLIE PATHOLOGIE SOCIALE 181
causes psychologiques et des causes sociologi- formes politiques, économiques, sociales, moins
ques ; mais au premier rang de ces dernières il systématiques, contribue aussi à la ruine du
faut placer l'imperfection de la vie sociale qui sens moral, et non seulement à la régression
oblige l'individu à faire un effort incessant, sou- individuelle vers une moralité et une sociabilité
vent vain, toujours débilitant, pour trouver ce moindre, mais encore à une diminution de
qu'il doit rechercher, ce qu'il est dans la nature l'énergie indispensable à la sensibilité, à l'intel-
de l'homme en général et de l'être social, appar- ligence, à la volonté normales.
tenant à une société donnée, de rechercher, de Parce que l'individu n'est pas simplement un
désirer, de vouloir. être biologique ou un être psychologique, mais
C'est cette même imperfection qui fait que encore, et essentiellement, comme l'avait bien
certains individus recherchent ce qu'il n'est ni vu Aristote, un être social, parce que la con-
d'un être humain en général, ni d'un être social science sociale n'est rien en dehors des conscien-
déterminé de désirer. Il y a trop d'« anomie » ces individuelles et sans l'existence en la partie
et trop de contrainte irrationnelle à la fois, dans sociale de chacun de nous, de sentiments col-
notre organisation collective, pour que la santé lectifs, d'idées communes, le sort de la société et
humaine puisse être bonne, au moral, au moins celui de l'individu sont intimement liés. Tout
autant qu'au physique. trouble social est susceptible d'entraîner un
Trop de règles nuisent à l'essor de l'intelli- trouble mental.
gence; pas assez de lois, pas assez de systéma-
tisation nuit à la santé morale. La stabilité
complète est la négation du progrès ; dès qu'il
y a instabilité, il y a difficulté d'adaptation et
danger pour l'esprit.
En général, tout agent de réaction, tout fait
qui contribue à la régression collective vers des
G.-L. DUPBAT. 11
THÉRAPEUTIQUE SOCIALE 18.3
à l'instabilité excessive, pas trop cependant et doute, au début, chez le fou, marquée au coin de
au point d'entraîner la fatigue de l'attention. Il la déraison. Mais ne peut-on pas espérer que peu
présente de l'attrait, car il est à la fois suivant la à peu l'imagination de l'aliéné, surveillé, guidé,
distinction aristotélicienne pratique et poétique, contraint môme à ne pas trop s'écarter de son
puisqu'il est l'occasion d'une activité qui se modèle, produira des innovations utiles, tout au
déploie et qu'il a pour fin la réalisation d'une moins acceptables?
œuvre. Si l'on prend soin d'appliquer à l'activité de
Mais c'est surtout du séjour de l'aliéné dans une l'atelier la règle de la division du travail, de
sorte d'atelier, institué tout spécialement pour sorte que, dans chaque groupe d'ouvriers, l'activité
répondre aux exigences de l'étal mental patho- déployée soit complémentaire de celle qui se
logique, qu'on peut, à notre avis, attendre des déploie dans le groupe voisin, l'aliéné ne finira-t-il
résultats heureux. La vie d'atelier est un genre pas par concevoir une sociabilité rudimentaire?
de vie sociale où chacun s'habitue d'abord à imi- ne sera-t-il pas porté à se trouver lié par une
ter son voisin, ensuite aie compléter. Les aliénés solidarité effective à tous les éléments de son
ne sont pas incapables d'imitation ; d'ailleurs milieu ? Et ne s'ensuivra-t-il pas peu à peu
l'imitation spontanée est à la base des processus chez lui l'obéissance spontanée à une règle
psychiques les plus simples ; elle se retrouve commune, prélude de l'obéissance à la raison?
dans toute la série animale, elle constitue une Ceci dit sous la réserve expresse de la curabi-
économie de forces mentales ; elle convient donc lité des troubles de l'esprit au moment où les
aux esprits les plus débiles. aliénés entrent clans les asiles: S'il faut nous ré-
Elle met un frein à l'imagination si déréglée signer à Tincurabilité radicale, du moins pour-
des maniaques ; elle permet cependant une ima- rons-nous espérer que les progrès de la psychose
gination plus féconde, celle qui fait que chacun seront enrayés, que la maladie mentale n'attein-
introduit sa « manière » dans l'activité et surtout dra jamais le degré d'acuité morbide, de gravité,
dans la construction. L'innovation sera sans que nous lui connaissons actuellement.
il.
190 LES CAUSES SOCIALES DE LA FOLIE
THÉRAPEUTIQUE SOCIALE 101
des préjugés bourgeois », contribuerait efficace- pétition dans tous les domaines, sur tous les
ment à une réforme des mœurs, à une amélio- terrains; mais la compétition est âpre surtout
ration de l'esprit public sur ce point. dans le domaine économique. La théorie marxiste
2° Le smrmenage intellectuel n'est qu'une forme du déterminisme économique (matérialisme his-
du surmenage professionnel, car ce n'est pas par torique) a surtout cela de vrai que le désordre du
pur amour de la science que les hommes cher- monde économique entraîne celui du monde
chent à se surpasser les uns les autres dans le politique et du monde moral. La lutte des classes,
domaine des connaissances et dans l'activité in- les conflits incessants entre capitalistes et tra-
tellectuelle ; c'est parce que la science, le déve- vailleurs, ébranlent jusque dans ses fondements
loppement de l'esprit, mènent à des situations la société contemporaine.
avantageuses, soit au point de vue pécuniaire, Trouvera-t-on un moyen de diminuer la con-
soit au point de vue honorifique. Le surmenage currence, d'apporter un adoucissement à la lutte
est né de la concurrence. pour l'existence si cruelle aux humbles, aux dé-
C'est encore d'une sorte de concurrence que biles d'esprit? Qu'une nouvelle révolution soit ou
résultent la recherche de l'élégance, du luxe, non nécessaire pour cela, il est impossible qu'un
même dans la débauche. C'est delà concurrence nouvel ordre de choses ne s'établisse pas, qui sub-
des nations que sont nés les efforts faits pour stitue lacoopération à la concurrence, l'harmonie
coloniser et pour entretenir de formidables ar- à la guerre, l'accord pour vivre à la lutte pour
mées permanentes. C'est à la concurrence enfin l'existence. La désagrégation sociale a un terme :
qu'il faut attribuer la misère d'où nous avons après avoir assisté à la dissolution, de mieux en
vu sortir l'alcoolisme et la dépravation, surtout mieux étudiée1, de tous les organes essentiels à
dans les grandes villes. la vie sociale, de la famille, des associations, des
Bref, la concurrence caractérise notre civilisa- cités, des nations, nous pourrons constater sans
tion, tout comme le développement croissant de
1. Voir le livre très documenté do M. Lalande, La dissolution
la paralysie générale qui en résulte. Il y a com- opposée à l'évolution, déjà cité plus haut.
194 LES CAUSES SOCIALES DE LA FOLIE THÉRAPEUTIQUE SOCIALE 195
doute l'intégration des multiples forces sociales Mais pourquoi les ouvriers du siècle prochain,
dans un système imparfait sans doute, mais rela- retenus pendant la journée, par leur travail,
tivement stable et fondé sur des principes de dans les grands centres tels que Paris, Londres
justice et de charité. Il semble que l'on voie déjà et New-York, n'auraient-ils pas, comme l'ont dès
poindre l'aurore de ces temps nouveaux où la à présent les fonctionnaires « bourgeois » et les
brutale théorie morale, qui veut que l'on aban- employés aisés, la faculté de se retirer le soir en
donne les «■ inaptes » sur le bord du chemin et leur foyer, dans la banlieue saine, aérée, où
que l'humanité se débarrasse du lourd fardeau l'atmosphère est pure au point de vue moral
d'éclopés, de criminels et de fous qui entravent comme au point de vue physique, où les enfants
1
sa marche , où la doctrine qui voit dans la sélec- peuvent grandir bien portants et loin de la néfaste
tion naturelle le principe même de toute poli- contagion morale des quartiers sombres et infects
tique et de tout devenir social, ne trouvera plus de la capitale?
d'adeptes conscients ou inconscients. Les ligues contre l'alcoolisme ne pourront
Les cas de folie deviendront alors nécessaire- rien tant que les problèmes économiques les
ment plus rares, du moins si nos considérations plus pressants ne seront pas résolus, tant que
antérieures sont fondées. Le développement in- les conditions matérielles d'existence ne seront
dustriel, commercial, économique de l'humanité pas améliorées pour l'ouvrier, pour le travail-
ne sera pas arrêté pour cela. 11 peut se faire que leur pauvre. La question économique n'est pas
les grandes villes continuent à absorber dans seulement une question sociale et une question
leur sein les meilleurs éléments des populations morale ; c'est, on le voit, indirectement une
extra-urbaines ; peut-être la centralisation sera- question psycho-pathologique.
t-elle une nécessité d'autant plus urgente que la En remédiant par une amélioration politique
coopération sera plus active et plus étendue. à l'état de concurrence économique qui devient
un danger pour la santé physique et morale de
1. Est-il besoin de Taire des rapprochements avec la théorie
de Spencer ? tous, on diminuerait la gravité non seulement
THÉRAPEUTIQUE SOCIALE 197
•196 LES CAUSES SOCIALES DE LA FOLIE
foi en des pratiques absurdes, en des légendes
de bien des cas de paralysie générale, mais én-
terrifiantes ou simplement ridicules. C'est que la
core de beaucoup de délires à évolution systé-
science a conquis aux yeux de tous des droits
matique, de délires de la persécution, de l'auto-
incontestables à la reconnaissance des hommes ;
accusation, de la revendication, etc. Moins il y
elle a rendu de tels services, créé de si merveil-
aura d'injustices sociales, moins le délire des
leux moyens d'adaptation au milieu physique,
persécutés-persécuteurs aura sa raison d'être. Des
de transformation de ce milieu, qu'on est bien
mœurs plus douces entraîneront une atténuation
convaincu que désormais tout progrès matériel
de la cruauté et de la sauvagerie de certains dé-
dépendra du progrès scientifique. On estime donc
ments, de certains fous criminels. Sans doute,.
la science pour ses bienfaits pratiques ; on n'en
il faudra toujours compter avec l'atavisme, avec
estime pas davantage pour cela l'esprit scientifique
la régression vers un type de moindre moralité ;
qui ne fait qu'un avec l'esprit de démonstration,
mais la régression aura d'autant moins des con-
de preuve, de libre examen, avec la tendance
séquences funestes.
rationaliste.
3° Une des formes morbides les plus malaisées
Le rationalisme, l'intellectualisme, loin d'être
à combattre dans ses origines mêmes est la folie
en progrès constant, semble éprouver toutes
religieuse. Sans doute, il semble facile de lutter
sortes de vicissitudes, tantôt accueilli avec fa-
contre la superstition, d'opposer la science à
veur par la majorité des esprits cultivés, tantôt
l'ignorance et d'assurer à la première une vic-
repoussé par les savants et les penseurs qui
toire décisive et durable. On voit bien chaque
n'hésitent pas à mettre comme Kant etHamilton
jour et encore mieux, de siècle en siècle les pré-
la croyance au-dessus de la connaissance, ou
jugés les plus déraisonnables perdre du terrain
comme Auguste Comte et Spencer le « mysté-
devant l'envahissement progressif des idées
rieux au delà » à l'entour de la 'sphère des
scientifiques.
choses connaissables.
Mais c'est un dogmatisme qui remplace un
C'est que le mysticisme, ennemi du rationa-
dogmatisme. La foi dans la science remplace la,
198 LES CAUSES SOCIALES DE LA FOLIE THÉRAPEUTIQUE SOCIALE 199
lisme, correspond à une tendance impérissable Ou bien enfin, poussés par l'orgueil, nos mys-
de l'esprit humain. Tant qu'il y aura un In- tiques se croiront des prédestinés, des élus de
connu,- et ce sera toujours pour l'Humanité, il y cet Inconnu dont on ignore les desseins et les
aura des hommes pour trembler devant cet in- voies et qui trouvera toujours des prophètes
connu, pour se livrer à une frénétique débauche pour révéler au monde un de ses avatars. Ils
d'imagination, afin de le concevoir à leur guise écouteront avec avidité soit des voix intérieures,
ou à leur image, sefon leurs sentiments ou de nature variable, soit le Baî^uv socratique, soit
leurs désirs. Et alors ces hommes, écoutant les exhortations patriotiques à la façon de celles
gronder dans leur cœur la haine ou la ven- que Jeanne d'Arc crut venir du ciel, soit les
geance, « éjectiveront » leurs sentiments dans « paroles sans voix » qui conduisent à l'extase,
le Dieu inconnu, le proclameront terrible justi- anéantissent la raison, obnubilent la conscience,
cier ou despote cruel, et trembleront à l'idée des rainent ainsi d'une façon définitive la santé
châtiments qui les menacent, des catastrophes mentale de l'individu, entraînent des hallucina-
imprévisibles que le tout-puissant Inconnu leur tions sans nombre et sans lien. Ils vaticineront
réserve. ou iront prêchant la bonne parole, faisant des
Ou bien, prêtant une oreille complaisante aux adeptes, créant des églises, inaugurant une
doux murmures d'un amour inassouvi, ils se forme nouvelle de religion.
prendront à aimer le Dieu qu'ils rêveront bon, Nous laissons de côté la question essentielle
doux, compatissant, paré de toutes les ver- en théologie, celle de la révélation. Toute re-
tus aimables chez l'homme s le quiétisme de ligion qui se dit et se croit fondée sur une
Mmo Guyon et de Fénelon sera renouvelé autant de'* révélation faite par Dieu aux hommes a des fon-
fois que des âmes candides uniront un érotisme dements tout autres que les phénomènes psy-
inconscient et sans violence, du moins apparente, cho-sociologiques que nous étudions ici. Mais
à une imagination métaphysique pleine de fraî- ces phénomènes entrent dans toute vie reli-
cheur et de poésie. gieuse et en constituent l'élément le plus impor-
200 LES CAUSES SOCIALES DE LA FOLIE TIIÉRAPETJTIQUE SOCIALE 201
tant, rendent la religiosité humaine pour tou- cises, aussi discutées, aussi variables. Comme
jours dangereuse. l'indiquait récemment un de nos penseurs1,
Rien ne saurait empêcher les excès du mysti- l'unité morale doit être d'abord recherchée dans
cisme. La Raison est pour ainsi dire « frappée la bonne foi apportée par tous à l'étude des pro-
d'opposition » aux yeux du croyant ; l'esprit cri- blèmes moraux et sociaux. Cette unité ne suffit
tique est condamné d'avance ; toute tentative pas pour le peuple, pour tous ceux qui ne pen-
d'insubordination de la raison à l'égard de la foi sent pas par eux-mêmes et qui resteront, si on
est considérée comme une manifestation de la ne leur donne un code incontesté de lois à obser-
« superbe » humaine. Et quand la conception ver, les prisonniers du journal, les esclaves de
religieuse est devenue conception collective, fait l'opinion publique livrée à l'anarchie morale par
pleinement social, sa puissance est tellement la diversité des tendances que les journaux
grande que rien ne saurait y résister. La folie créent ou reflètent.
religieuse en est fatalement la conséquence dans Deux remèdes peuvent être proposés : on peut
les esprits débiles; on ne peut donc rien faire prétendre, avec Renan, qu'une religion morale
d'efficace pour la prévenir. On ne peut que s'ef- est nécessaire au peuple, c'est-à-dire qu'il fau-
forcer d'empêcher la superstition, l'ignorance, dra se résigner à doter les gens sans instruc-
la crainte morbide, d'aggraver le mal. tion et sans réflexion d'une sorte de petit ma-
4° Nous avons vu enfin la « folie morale » liée nuel de morale courante, inoffensive, fondée sur
à un état particulier d'« anomie » sociale, à l'ab- des principes sans trop d'élévation ni trop-de
sence de principes bien établis de vie morale. médiocrité, qui les incitera d'une façon continue
Cependant réaliser l'unité d'obédience morale à remplir leurs devoirs les moins contestables
apparaît chose impossible. Tous les philosophes et aussi à élever un peu leur idéal.
rationalistes ont vainement tenté d'établir des On peut préférer développer le sens critique
doctrines définitives de la Vertu, du Bien et du
Devoir ; ces notions sont restées aussi peu pré- 1. M. Marcel Bernés. La morale sociale (Paris, F. Alcan).
202 LES CAUSES SOCIALES DE LA FOLIE
ÏÎ.VIKAIT DU CATALOGUE
SCIENCES — MÉDECINE — HISTOIRE — PHILOSOPHIE
SÉE (M.), Le Gonocoque, 1 vol. in-8. 1896. 10 fr NIMIER ET DESPAGNET. Traité élémentaire d'ophtalmolo-
SOLLIER (Paul). Genèse et nature de l'hystérie, 2 forts gie. 1 fort vol. gr. in-8, avec 432 gr. Cart. à l'angl. 1894. 20 fr.
vol. in-8. 1897. 20 fr.
PAGET (sir James). Leçons de clinique chirurgicale, trad. par
TAYLOR. Traité de médecine légale, traduit sur la 7° édition
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L.-ll. PETIT, et iutrod. du prof. VERNEUIL. 1 vol. gr. in-8. 8 fr.
anglaise, par le D HENRI COUTAGNG. 1 vol gr. in-8. 4 fr. 30
VOISÏN (J.). L'épilepsic, 1 vol. in-8. 1896.' fi fr. RICHARD. Pratique journalière de la chirurgie. 1 vol.
WIDE (A). Traité de gymnastique médicale suédoise, gr. in-8, avec 215 fig. dans le texte. 2" édit. 5 fr.
trad. annot. et augm. parle D'Bourcart, 1 vol. in-8 avec 128 gra- SOELBERG-WELLS. Traité pratique des maladies des
vures. 1898. . 12 fr. S0 yeux. 1 fort vol. gr. in-8, avec ligures. 4 fr. 50
TERRIER. Éléments de pathologie chirurgicale générale.
B. — Pathologie et thérapeutique chirurgicales. lor fascicule : Lésions traumaliques et leurs complications. 1 vol.
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ANGER (Benjamin). Traité iconographique des fractures 2° fascicule : Complications des lésions traumatiqv.es. Lésions
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et 127 gravures dans le texte. 2° tirage. Relié. 1S0 fr. TERRIER ET BAUDOUIN. De l'hydronéphroseintermittente,
B1LLROTH ET WIN1WARTER. Traité de pathologie et de 1892. 1 vol. in-8. 5 fr.
clinique chirurgicales générales, 2° édit. d'api es la
VIRCHOW. Pathologie des tumeurs, cours professé il l'uni-
10" édit. allemande. 1 fort vol. gr. in-S, avec 180 fig. 20 fr.
versité de Berlin, traduit de l'allemand par le docteur AROXSSOHN.
Congrès français de chirurgie. Mémoires et discussions, pu-
— Tome I, 1 vol. gr. in-8, avec 106 Iig. 3 fr. 75. — Tomé II.
bliés par MM. Pozzi et PICQUÉ, secrétaires généraux
1 vol. gr.. in-8, avec 74 fig. 3 fr. 75. —Tome III, 1 vol. gr. in-8,
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