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Lelivre
del'amateurde
fromages
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Pour Marie-Claude,
Pour Paulette, nos muses...
Pour tous lesfromagers connus et inconnus ;
que leur travail et leur mérite
soient ainsi un peu plus
appréciés !

@ ÉDITIONS ROBERT LAFFONT S.A., 1984


ISBN: 2-221-01194-5
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Lelivre
del'amateurde
fromages

Micheljchast
HenryVoy

ROBEKTLArU
tN1
MC
IHELA
RCH
M
I BAUD
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Introduction

LE LIVREDELA ' MATEURDE


fromages estfruit de la passion... D'un côté, leprofessionnel,
l'affineur defromages. De l'autre, l'amateur, qui les caresse
du regard, les hume, lespalpe... et les déguste. Mais ces deux
hommessecomplètentet surtout communientdans l'émerveille-
ment toujours neufque leur inspire la tradition. En d'autres
termes : la transmission, dans l'amour du terroir et le respect
dessagessesanciennes, dela recetteartisanale. Avec, enbouche,
pour récompenserde la patience et du labeur, cette saveur que
nos ancêtres, il ya dessiècles, appréciaient d'identiquefaçon;
et telle qu'en elle-même l'éternité - si Dieu prête vie aux
fromagers - ne la changera pas. N'est-ce pas là, à y bien
réfléchir, chose plus émouvante, plus « éloquente », que la
reconstitution péniblement imaginée de lontaines existences,
dans des salles de château fleurant l'encaustique ? Et puis,
en ces temps de standardisation outrancière, quelle diversité,
quellesubtilité heureusementpréservées ! Bienplus quemoines
oupaysans, ils étaient à n'enpas douter magiciens, tous ceux
qui, d'une matière unique, le lait, firent naître la multiplicité
infinie desfromages de France. Ils nous racontent l'histoire
et la géographie de notre pays aussi bien que l'architecture,
que les toits d'ardoise du Val de Loire ou les tuiles romaines
du Midi. Ils nous les restituent charnellement, dans la course
lente des saisons, les goûts et les besoins de ses régions.
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Mais cette magie-là nefut point donnéeà nos ancêtrespar


quelque divinité généreuse présidant aux plaisirs de la table.
Et notregratitude n'en est queplus grande desavoir les mille
difficultés, lesinfinis tâtonnementsd'où naquirentcesfromages.
Gratitude aussi à l'égard desfermières et desfermiers qui,
aujourd'hui, consacrent tout leur temps à la plus noble des
tâches : perpétuer les enchantements gustatifs du passé.
Ilfaut aussi, hélas, témoigner de notre inquiétude etfaire
écho à ces propos désabusés deJames de Coquet écrivant de
notre précieuxfromage qu'il en est en train deprendre place
dans la désolante galerie des chefs-d'œuvre enpéril. Il meurt
parce qu'Ï/ n'est pas rentable. Voilà le grand mot lâché, en
ces tempsdemercantilismeeffréné. Dans le mêmeordred'idées,
il convient d'expliquer à nos contemporains qu'un emballage
somptueux et haut en couleur nefait pasplus le bonfromage
quela robenefait lemoine. Et lapublicitétapageuse, chantant
les louangesdela standardisation et desméthodesindustrielles,
ne saurait remplacer le travail patient, méthodique, assidu,
de la ferme, avec cet ingrédient irremplaçable qu'on ne nous
en voudra pas d'appeler l'amour.
Carlefromagevit, nenousytromponspas. Il luifaut mûrir
tranquillement dans l'ombre des caves d'affinage. Chacunsait
qu'unegrossesse doit durer neufmois: c'est l'ordre deschoses,
la loi de la nature, et il ne viendrait à l'esprit depersonne
de vouloir en réduire la durée. Dès lors, pourquoi s'étonner
si l'accélération de la maturation desfromages « industriels »
nuit à leur qualité. Oh! certes, enplace des trois moisrequis,
on «fabrique »unfromageen trois semaines. La belleaffaire,
puisquecesproduits, stérilisés, stabilisés, nouslaissentaupalais
un arrière-goût de plâtre et -damertume ! Si le fromage se
meurt, c'est une partie de notre culture, de notre patrimoine,
descoutumesdenotreterroirquimeurtaveclui. Resterons-nous
indifférents ?Redisons-le : savourer lesfromages d'une région,
c'est découvrir sa géographie, son climat, ses habitudes, les
goûts de ses habitants. Sepromener à travers un plateau de
fromages, c'est rendre visite à différentesprovinces, mais aussi
à leur histoire, à leurs ressources propres, aux conditions de
vie de leurs habitants.
En un mot : aimeret connaître lefromage, c'est sepencher
sur lh' omme, son passé et s'interroger sur son avenir.
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Vousavezdit
fromage?

CHACUN SAIT QUE LE


fromage est un aliment obtenu par la coagulation du
lait, suivie d'une fermentation plus ou moins impor-
tante. On achète unfromage, on le palpe, on le hume,
on le sort de sa boîte, on le déguste. Gestes, plaisirs
quotidiens, mais d'où vient ce nom, qui nous semble
si familier ?
Dans les temps anciens, on laissait cailler le lait dans
des formes où il pouvait s'égoutter. Ce moule, cette
faisselle, en latin, s'appelle forma. En français, on
pourrait utiliser maintenant les termes de caseret,
caget ou cagerotte, qui dérivent du mot latin caseus,
désignant le caillé égoutté, mais non moulé. Le mot
grec formos, quant à lui, signifie panier (en fait un
récipient d'osier où l'on déposait le caillé). Forma
donna les mots formage et fourmage, au XIIIe siècle,
ou encore formaige, en provençal ancien. Au xve siè-
cle, on utilise le mot frommaige, d'où fromage, ou
encore fourme, illustré par les fromages du Massif
central. Le nom commun fromage a cependant
d'autres significations.
Encuisine, il désigne les plats que l'on prépare dans
un moule ou une forme. C'est ainsi que le fromage
de cochon est un hachis de viande de porc frais et
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le fromage de tête, un hachis fait de morceaux de tête


de porc. Dans le langage populaire, « manger du
fromage » signifie être mécontent. On retrouve cette
expression dans un épigramme de 1814 contre
Cambacérès.
« Le duc de Parme (Cambacérès) déménage :
plus d'hôtel, plus de courtisans ;
Monseigneur mange du fromage,
mais ce n'est plus du parmesan. »
Savez-vous que le fromage des arbres est une espèce
de champignon blanc ? Le fromage végétal, quant à
lui, est une substance alimentaire préparée en Chine
avec la pulpe du dolic rouge du Japon : on broie les
graines de cette plante, on tamise, on humecte avec
le jus de la tige, qui ne tarde pas à fermenter et à
cailler à la façon du lait.
Mais c'est en argot, bien sûr, que le mot fromage
est le plus riche de sens, même si nous nous éloignons
fort en l'occurrence de notre régal.
C'est un élève de la section normale des Arts. On
l'appelle aussi, avec dédain, « fromton », car il
pratique moins les mathématiques et l'atelier : c'est
presque un instituteur.
C'est une casquette d'uniforme.
C'est un élève de l'École normale qui porte
casquette - on l'appelle aussi from's (l'élève de
troisième année sera un « fromage mou »). Enfin,
c'est, par extension, un professeur.
C'est une pièce de cinq francs.
C'est un juré de cour d'assises.
C'est le nom d'une vedette sur une affiche.
Si l'on parle d'un « fromage blanc », il s'agit :
D'une casquette de chef de gare à coiffe blanche
(SNCF, 1927).
Sur une photographie, d'un visage trop pâle et qui
appelle la retouche.
Un « fromage à la pie » est un homme sans
caractère.
Une personne qui « trouve un fromage » découvre
une sinécure, une situation de gros rapport, sans
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effort. On dit aussi « se retirer dans un fromage »,


« jouir d'un bon fromage », « défendre ou se
partager un fromage ».
Lorsqu'on « fait de quelque chose un fromage »,
c'est qu'on en grossit l'importance, qu'on en fait
« tout un plat ».
Mais il existe également de nombreux mots argoti-
ques qui ont trait au fromage-nourriture : from,
fromgi, fromgé, fromton, fromlo, fromgom, fromte-
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gom, fromogom, frodogom, frodgom, fromdu... Et,


quand on parle d'un « claquot », ou d'un « ca-
lendo », c'est d'un camembert qu'il s'agit...
Et maintenant, redevenons sérieux pour passer en
revue le vocabulaire « technique ». On fabrique le
fromage dans : un buron, un chalet, une fromagerie,
une fruitière, une marcairie.
Celui qui fabrique le fromage est : le buronnier, le
fromager, le maître-fruitier, le marcaire.

Moule àfromage.
Le «formos » est un récipient en osier,
dans lequel on dépose le caillé.

Les étapes de la fabrication sont : le brassage,


l'adjonction de présure, la coagulation, l'émiettement,
le salage, la cuisson, l'égouttage (qui se fait sur des
claies, des clayons, des clayonnages, des stores ; dans
des moules, ou formes, en osier, en métal, en terre,
que l'on nomme caget, cargeron, cargerotte, cage-
rotte, cannelon, caserotte, clisse, éclisse, couloire,
faisselle, frechelle, panier, poche), le persillage, le
sanglage, le découpage, le pressage ou pressurage, le
moulage, le séchage (sur claie ou lit de paille, en
séchoir ou hâloir), l'affinage (par mise en cave et
séjour en cave de maturation), le croûtage.
Les outils du fromager sont : le brassoir, le frémial,
le tranche-caillé, le moussoir, le menole, le mesadou,
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ou messadour, la sonde, évocateurs des temps anciens


au même titre que la guillande et la table à rigole.
Quant au fromage lui-même, il fait l'objet d'un
vocabulaire bien particulier, qui permet d'en définir
l'état de maturation.
Il peut être offensant, en désignant le fromage, de
demander s'« il se tient ou s'il s'abandonne ». A
moins que le marchand ne préfère sourire. Son métier
n'est-il pas justement de le présenter dans l'état
adéquat à la consommation ? Il convient donc d'em-
ployer les mots propres à indiquer la nature, le degré
d'affinage du fromage désiré.
Un fromage est « aveugle » s'il est dépourvu de
trous ou s'il s'agit d'une pâte pressée non cuite
(saint-nectaire, tomme) bien lisse.
Il est « à cœur » lorsqu'il est entièrement affiné
et que sa pâte est onctueuse. On dit également « affiné
à point » ou « fait à point ».
Certains consommateurs raffolent de fromages
« coulants » (camembert, brie). En fait, dans ce cas,
la consistance trop fluide indique une tare qui résulte
d'un ressuyage insuffisant avant la mise en cave.

Lafabrication dufromage d'Auvergne.


Cours d'agriculture de l'abbé Rozier. 1787.
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On dira d'un fromage qu'il est « échauffé » lorsque


des traces de pourriture se sont substituées aux
moisissures, détruites par un excès d'humidité dans
l'emballage.
Unfromage est « passé » lorsqu'il a subi un affinage
spécial dans des cendres, dans du marc ou en pot.
Dire d'un fromage qu'il est « à point » est
totalement subjectif, car cette appréciation relève du
goût de chacun. Cela peut vouloir dire qu'il est
complètement affiné.
Il existe enfin un certain nombre de mots pour
désigner les altérations et les défectuosités des
fromages : broché, chailleux, gercé, mille-yeux, qui
coule, qui fermente, qui se pique, qui se mite, et enfin,
suprême disgrâce, qui est attaqué par les vers...

Un matériel rustique,
la râpe àfromage.
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Silefromagem'était
conté

LE LAITESTINDISPENSABLE
aux premiers moments de la vie. Le fromage, qui en
dérive, est un aliment complet : grâce à sa haute valeur
énergétique, il permet une croissance et un dévelop-
pement correct de l'individu et l'on ne s'étonnera pas
qu'il constitue l'un des plus anciens aliments de
l'homme.
L'homme préhistorique se mit peu à peu à domesti-
quer des animaux et à élever des troupeaux. Tout
naturellement, il but le lait de ses bêtes et essaya de
le conserver. Ainsi naquit le premier de tous les
fromages : le caillé. En effet, le lait, en s'acidifiant,
coagule et caille. Les premiers palafittes, vases
perforés permettant l'égouttage du caillé, datent du
VIemillénaire avantJ.-C. L'homme néolithique provo-
quait le caillage en emmagasinant le lait dans des
panses de ruminants, outres naturelles à la présure
encore active. Il le conservait dans des récipients en
bois, en renouvelant constamment la masse coagulée
au fur et à mesure de sa consommation.
Ainsi le lait pouvait se conserver toute une saison.
On utilisait des bâtons en sapin pour le brassage
(bâtons à baratter).
C'est en Eurasie, cependant, que l'on trouve les
premières mentions du caillé, en particulier chez les
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Kalmouks, les Kirghizes, les Tartares, ainsi qu'au


Tibet et en Perse. Dans l'Égypte ancienne, jusqu'à
l'occupation romaine, la place du lait et des laitages
est des plus réduites. La Bible nous enseigne que
Jacob avait « 400 brebis, 200 chèvres et 40 jeunes

vaches » et qu'Abraham utilisait le beurre (Genèse,


XVIII). Établi au pays de Canaan, alors qu'il recevait
les envoyés du Seigneur, il dit à Sarah : « Apporte
trois mesures de fleur de farine, pétris-les et fais cuire
des gâteaux sous la cendre. » Lui-même courut au
troupeau, prit un veau tendre et bon et le donna à
un serviteur, qui le fit cuire aussitôt. Il prit aussi du
beurre et du lait avec le veau qu'on avait apprêté et
il les servit, en se tenant debout devant eux, sous
l'arbre... »
Job, quant à lui, se plaignait (Livre deJob, X, 10) :
« Ne m'as-tu pas versé comme le lait ? Et, comme le
fromage, ne m'as-tu pas caillé ? » Chez les Hébreux,
ce caillé devait être un lait de jument auquel on
ajoutait pour le faire fermenter des herbes fraîches
et du jus de figue. Peu à peu, apparaissent d'autres
variétés de caillé. Ainsi, David reçoit en hommage des
fromages de lait de vache. Dans la Bible (Livres de
Samuel), on cite également des « fromages mous ».
Les habitants de la Grèce préhellénique appré-
ciaient les laitages. On a découvert des récipients
perforés, datant de cette période, qui servaient à
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égoutter le lait caillé. A Athènes, durant la fête des


Dioscures, le repas servi rappelait celui des aïeux. Il
se composait de fromages, de gâteaux, d'olives et de
poireaux.
A Sparte, Lycurgue contraignait les habitants à
prendre leurs repas en commun. Ils devaient tous
apporter à table une part égale de farine, d'huile, de
miel, de fruits, de légumes et de fromage.
Socrate, en évoquant les citoyens de sa république
modèle, leur proposait pour nourriture le pain et le
sel, le vin, les olives, les fromages, les oignons et les
fèves, les pois grillés, les fruits, les baies de myrte et
les faines de hêtre. Selon Aristote, afin d'activer la
coagulation du lait, on utilisait des feuilles de figuier
incisées ou bien des fleurs de caille-lait (galcum verum).
Apartir du ve siècle avantJ.-C., le développement de
l'art culinaire entraîne celui des écoles de cuisine. Les
gâteaux sont à la base de fromage, mélangé à du miel
et de l'huile. Le nanos est fait de fromage et d'huile,
le kines est un fromage pressé arrosé de miel. La
préparation du thrion est plus complexe. La pâte est
composée de farine de gruau et de jaunes d'œufs
pétris avec de la graisse et de la cervelle de porc. Elle
est mélangée avec du fromage frais, enrichi d'amandes
et de raisins secs. Le tout est roulé en boule et
enveloppé de feuilles de figuier, puis plongé dans du
miel bouillant.
La fabrication du fromage est cependant tout à fait
primitive. Seules, alors, les chèvres et les brebis
fournissent le lait. Homère nous peint ainsi Poly-
phème dans sa caverne : « Il trait avec le plus grand
soin ses brebis, ses chèvres bêlantes et rend ensuite
les agneaux à leur mère. Puis, laissant cailler la moitié
de ce lait, il la dépose dans des corbeilles tressées avec
soin et met l'autre moitié dans des vases pour se
désaltérer et être son repas du soir. »
Les grands cuisiniers que furent Archestrate et
Erasistrate nous fournissent un certain nombre de
recettes. Ainsi, selon eux, il convient parfois d'enduire
le poisson ou le lièvre de fromage, d'huile ou de miel
avant de les faire rôtir.
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Alors qu'elle était réfugiée dans l'île de Crète, la


mère de Jupiter avait à sa disposition la fameuse
chèvre Amalthée, coiffée de la corne d'abondance et
lestée de pis généreux. On peut se demander dès lors
si Jupiter ne fut pas nourri au fromage de chèvre.
Lors de certains sacrifices, les Crétois offraient des
fromages minces et plats, appelés thalies. A Cos, ce
sont des fromages de brebis que l'on offre à Hercule.
Les fromages de Tromélie, de Lesbos, de Bithynie
étaient fort réputés.
AAthènes, on consommait du fromage frais, en telle
quantité qu'un emplacement sur l'agora était réservé
aux fromages. Que ce soit lors du repas du soir ou
du souper plus tardif, le dessert dans la Grèce antique
se composait de miel, de lait caillé et de fromages.
Si, dans la Rome antique, la chèvre fut préférée à
la brebis, c'est qu'elle s'adaptait mieux au climat. C'est
à cette époque que naquirent l'industrie fromagère
et les premiers grands échanges commerciaux, comme
en témoigne l'introduction du fromage en Suisse, vers
le ine siècle, par le Valais romain.
Tout naturellement, le fromage trouve une place
privilégiée dans la cuisine romaine. Il sert par exemple
à préparer des sauces avec des oignons, des poireaux
hâchés dans du vinaigre et du sel, en accompagnement
de poissons bouillis. Il existe une gande variété de
fromages qui peuvent être agrémentés d'herbes, de
thym, d'épices, de pignons, de poivre. Les plus
appréciés sont ceux de Réthié, mais on vante aussi
le vestus, le velabre, le trebula. Virgile, dans les Géorgiques,
nous parle d'Aristée, fils d'Apollon et de Cyrène. S'il
tient des Muses l'art de la médecine, il a appris du
centaure Chiron celui de cailler le lait et de préparer
le fromage. Et c'est lui qui transmit ensuite aux
hommes ces précieuses connaissances.
Le poète chante un peu plus loin la gloire du
moretum, plat de fromage salé, pilé au mortier avec de
l'ail, du persil, du coriandre, et arrosé d'huile et de
vinaigre.
Que savons-nous des rapports qu'entretenaient les
grands avec le fromage, s'il est permis de s'exprimer
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ainsi ?... Auguste était sobre. Il se régalait de gros


pain, de fromage, de poisson sec et de figues fraîches,
arrosés de vin de Rhetié coupé d'eau. Hadrien avait
fixé la ration du légionnaire romain à 832 grammes
de blé, 117 grammes de viande de mouton ou
96 grammes de lard, 27 grammes de fromage, V2litre
de vin et 21 grammes de sel. Horace était exigeant
quant àla qualité et au choix des fromages, il les aimait
bien faits.
La production devient plus élaborée. Apparaissent
alors les pâtes pressées et celles à moisissures
internes. Les fromages de Sicile ressemblent à notre
fromage de Brie. Déjà, la qualité des fromages gaulois
leur permet de conquérir le marché romain. Pline
nous raconte en effet que les fromages de la région
de Nîmes, de la Lozère et du Gévaudan sont appréciés
des Romains et que le « roquefort », ou du moins
son ancêtre, était le plus prisé de Rome, rendez-vous
de la gourmandise du monde.
De ces fastes païens, il semble que le fromage de
Gaule ait conservé certaines traditions que la Sainte
Église réprouvait, par la voix de Grégoire de Tours.

Au VIe siècle, ce dernier évoquait les coutumes


superstitieuses qui avaient cours dans la région
d'Aubrac et de Laguiole et réunissaient les habitants
autour du lac des Sablières, le deuxième dimanche
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d'août. On y faisait des libations et onjetait dans ces


eaux magiques des linges et des pièces d'étoffe, et des
formes de fromage.
Une autre coutume mérovingienne, plus « ortho-
doxe », mais non moins singulière, était l'épreuve de
fromage, qu'on pense avoir été pratiquée avec
l'époisses. Si un homme était soupçonné de vol, on
l'amenait à l'église et on lui présentait du pain et du
fromage pendant que le prêtre faisait une invocation.
S'il était coupable, ces aliments « ne passaient pas »,
et leur rejet équivalait à un aveu.
C'est à l'époque carolingienne que l'on commença
à utiliser le lait des vaches, dont on tira la crème
onctueuse, le beurre et le fromage gras... Peu à peu,
on oublia le lait fermenté. Lors d'une de ses
campagnes contre les Sarrasins, on raconte que
Charlemagne s'arrêta un vendredi chez l'évêque
d'Albi. Celui-ci, fort pieux et donc fort démuni en un
tel jour - même de poisson... - ne put lui offrir au
dîner que des galettes, des fruits et du fromage de
Roquefort. Prenant les tailles du persillé pour de la
pourriture, Charlemagne s'appliquait à les enlever
avec la pointe de son couteau. L'évêque, qui,
respectueusement, se tenait debout à ses côtés, lui
expliqua qu'il jetait le meilleur du fromage. L'empe-
reur, se ravisant, donna raison au prélat, le chargeant
même de lui envoyer tous les ans à Aix-la-Chapelle
deux caisses de ce délectable fromage. « C'est que,
objecta l'évêque, c'est seulement en les ouvrant que
je puis m'assurer qu'il s'agit de persillés et que le
marchand ne m'a pas trompé.
- Eh bien, dit l'empereur, avant de les expédier,
coupez-les par le milieu. Vous verrez bien s'ils sont
tels queje les désire. Vous n'aurez plus ensuite qu'à
rapprocher les deux moitiés, en les assujetissant avec
une cheville de bois. Puis vous mettrez le tout dans
une caisse. »
Ce fromage était-il préparé à l'abbaye de Conques ?
On peut en douter, à en juger par la méfiance de
l'évêque, qui eût été insultante pour les bons moines.
Mais ce qui est sûr, c'est qu'un document de 1060
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Sous la Révolution, les caricatures


fleurissent; ainsi le pape dégustant dans une
cave unfromage de Roquefort.
atteste la vocation fromagère de cette abbaye aveyron-
naise, dont les abbés, à titre de fermage, remettaient
deux formes de roquefort à l'évêque de Vabres.
Si nul n'ignore le rôle que jouèrent les grands
défricheurs et bâtisseurs devant l'Éternel, on sait
peut-être moins en effet qu'on leur doit de nombreux
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fromages, élaborés dans de prestigieuses abbayes :


Cluny, 910 ; Maroilles, 950 ; Cîteaux, 1098... Et il ne
nous déplaît certes pas de voir nos fromages ainsi
associés à ces hauts lieux de l'esprit, à ces refuges,
à ces îlots de civilisation.
Cet intérêt des religieux pour le fromage continue
à se manifester. La réforme monastique entreprise au
XIIe siècle par saint Bernard de Clairvaux en est en
grande partie la cause. Les travaux des champs y
étaient fort à l'honneur, mais les moines ne pouvaient
écouler le produit de leur labeur sur les marchés ; ils
le vendirent donc aux portes des abbayes, leurs
fromages en particulier. D'où la réputation fromagère
des abbayes de Bellelay, de Belval, de Bricquebec, de
Campénéac, de Chambarand, de Cîteaux, de Cluny,
de Conques, d'Echourgnac, d'Igny, de Laval, de
Meilleraye, du Mont-des-Cats, d'Oelenberg, de la
Pierre-qui-vire, de Tamié... Et c'est encore à nos bons
moines que nous devons des fromages tels que le
munster et le maroilles. Enfin, nous les retrouverons
à l'origine du port-salut.
Mais la catholicité n'a pas pour autant le monopole
du bon fromage - s'il nous est permis de nous
exprimer en des termes aussi irrévérencieux... Lepays
cathare possède, lui aussi, de solides traditions, dont
fait état M. Jean Duvernoy dans son étude sur la
nourriture en Languedoc. Il s'agissait en l'occurrence
de fromage de brebis. Les bergers qui gardaient les
troupeaux dans les pâturages de montagne en été
avaient pour chef un cabanier, qui présidait à la
fabrication. On venait de Montaillou (Ariège) acheter
des fromages à Luzenac et à Sorgeat. Ceux d'Ascou
étaient excellents, mais on estimait que les meilleurs
étaient ceux des montagnes d'Orlu et de Mérens. On
fabriquait des fromages spéciaux pour les roties.
Enfin, l'on cuisait (sans doute au four) une préparation
de fromage et de farine, la caseata, considérée comme
une friandise et qui, à Pamiers, au début duxive siècle,
valait quatre deniers.
A cette époque, les fromages les plus prisés en
France sont ceux de Champagne, de Brie et de
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Chaillot. Car, aussi étonnant que cela puisse nous


paraître aujourd'hui, on fabriquait du fromage à Paris,
ou du moins à ses portes. Heureux temps où les
habitants du village de Chaillot emmenaient paître
leurs vaches dans les îles « aux vaches » et de
« Longchamp », dont la réunion formera, au
xve siècle, l'île Maquerelle, devenue l'île-aux-Cygnes
sous Louis XIV et réunie à la rive gauche en 1773.
Avec le développement des villes et des marchés, la
concurrence se fait rude et dicte ses lois : en
1393-1394, le MénagierdeParis indique, en une langue
non moins savoureuse que le produit désigné, les
conditions à remplir pour être reconnu comme un
honnête et bon fromage :
« Non Argus, nec Helena, nec Maria Magdalena,
sed Lazarus, et Martinus respondeus Pontifici » ou
encore :
« Non mie blanc comme Hélaine,
Non mie plorant comme Magdelaine,
Non Argus, mas du tout avugle,
Et aussi pesant comme un bugle,
Contre le pouce soit rebelle,
Et qu'il ait tigneuse croutelle,
Sans yeux, sans plourer, non pas blanc,
Tigneux, rebelle, bien pesant. »
Pour la bonne compréhension de l'édit, sachons
qu'un bugle est un boeuf; que tigneux signifie épais.
La tigneuse croutelle est une allusion à Lazare ; le
caractère rebelle et dur du fromage en est une à
Martinus : en l'occurrence un certain Martin Grosia,
professeur de droit à Bologne, au XIIe siècle, célèbre
pour son entêtement. Toujours les références
culturelles...
C'est après l'expédition d'Italie de Charles VII que
le parmesan fait son apparition sur les tables pari-
siennes. Pendant la Renaissance, beurre et fromage
sont à l'honneur dans les rues de Paris, où les
marchands ambulants se font écho :
« Fromage à la livre,
Fromage de Brie,
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Tant plus haut je crie


Et moins j'en délivre ! â
Puis après, sans vilenie, M
Parmi Paris on voit
Pour fourmage de Brye
Tant chascun cela congnait !
Angelots de Brie *
Des grands et des petits
M'acheter vous prie :
Ils sont d'appétit !
Fromages d'Auvergne !
Griffons de montagne
Sont ceux qui les font
Et l'argent en ont !
Je crie « Fromage à la cresme ! »
Pour manger avec fraisettes
Et d'autres fromages en caresme
Qui se fait en chardonnette ! »
On aimait particulièrement les fromages frais
vendus en caillebottes ou en paniers de jonc (jon-
chées), les fromages d'Auvergne et de Brie, de
Béthune, de Gournay, de Sassenage. Lefromage entre
dans la composition de nombreux plats. Des spécia-
lités culinaires au fromage voient le jour, qui survi-
vront longtemps. Ainsi des pâtisseries que sont
l'arboulastre et la talmouse, tant prisées par François
Villon.
Dans son Théâtre d'agriculture et mesnage des champs,
datant de 1600, Olivier de Serres conseille de
mélanger les laits de chèvre et de brebis. Le
casse-croûte du travailleur comporte toujours un
morceau de fromage, mais ce dernier est toujours
prisé et honoré par les grands de ce monde.
Sait-on que le saint-marcellin doit beaucoup à
Louis XI ?Leroi fut en effet sauvé d'un ours, en 1445,
par deux bûcherons qui lui firent goûter ce fromage. Il
est à supposer qu'il le trouva particulièrement délecta-
ble puisqu'il anoblit les deux braves forestiers, créa la
fondation du « Remage » à Saint-Laurent-en-Royans
et introduisit le saint-marcellin à la table royale.
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r
V 4et ouvrage,
réalisé d'après la maquette de
Dominique Gurdjian,
avec le concours deJean-Marc Gutton
pour la recherche iconographique,
a été composéet imprimé
sur les presses de Maury-Imprimeur S.A.
et relié par les Ets Brun
à Malesherbes
pour les Éditions
Robert Laffont
à Pans

N° D'ÉDITEUR 5686 - N°D'IMPRIMEUR F84/15142


DÉPÔT LÉGAL: OCTOBRE 1984
ISBN: 2-221-01194-5
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