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216, Fount del Mazet, d’une diminution de la superficie de ces steppes et de leur dégradation parfois
34830 Clapiers extrême. Il en ressort que la production pastorale dans ces parcours a globalement
<elefloch@wanadoo.fr>
3 été marquée par un déclin significatif surtout au cours des cinq dernières décennies.
327, rue A.L. de Jussieu,
34090 Montpellier Des changements particulièrement rapides et intenses se sont opérés dans ces milieux
<hn.le-houerou@club-internet.fr> sous la pression des besoins croissants des populations (la population humaine a
triplé en moins de cinquante ans pour les cinq pays du nord de l’Afrique et s’est
multipliée par neuf au cours du siècle), besoins qui sont à l’origine de l’extension des
cultures, des changements de politique de gestion et donc des usages et pratiques
d’élevage, le tout aggravé par des sécheresses périodiques plus ou moins sévères et
prolongées. Il est parfois délicat, et cependant important, de distinguer les tendances
à long terme des fluctuations interannuelles réversibles. La confusion de ces deux
notions alimente un débat mal engagé du fait de la rareté à la fois de données fiables
sur les états préexistants et de suivis à long terme. Les travaux de ce type (description,
études de fonctionnement), en nette progression, conduisent à mieux cerner la
productivité et les potentialités pastorales compte tenu des variations interannuelles.
L’objectif de ce travail a été de dresser les grandes lignes de l’état actuel des milieux
steppiques, de leur dynamique non seulement en fonction de leur physionomie
(steppes à graminées pérennes, à ligneux bas, etc.), de leur biodiversité, de leur
productivité, etc. mais également en fonction de l’état du cheptel (performances et
populations) et de l’impact des changements d’usage de ces espaces et de ces
ressources. Sont également abordés les remèdes identifiés (mise en défens, pâturage
différé, opérations de restauration, réhabilitation, agroforesterie et sylvopastora-
lisme...). Si l’exploitation, parfois anarchique, des ressources steppiques, a entraîné
de profondes modifications des milieux, il ne faut cependant pas généraliser le
constat de désertisation. Certains types de steppes maintiennent un niveau de
résilience suffisant pour permettre leur restauration par la simple gestion raisonnée. Il
s’avère important de considérer des approches hiérarchisées et engageant des
spécialistes des diverses disciplines concernées (écologie, hydrologie, pastoralisme,
élevage, agronomie, socio-économie, etc.).
Mots clés : zone aride, écologie, élevage, pastoralisme, végétation, désertisation,
steppe.
Abstract
The arid steppe rangelands of Northern Africa
The steppes of Northern Africa, located between the annual isohyets of 100 and
400mm, cover some 630,000 km2 between the Atlantic Ocean and the Red Sea.
They are made of a low and sparse vegetation of perennial of sub-shrubs and,
occasionally, a perennial grass (esparto). The natural land use has been for centuries
the nomadic grazing of sheep, goats and dromedaries, together with the shifting
cultivation of cereals. This land use model worked out throughout the historical times
L
es steppes du Nord de l’Afrique, sources pastorales et vivrières. Une telle sion suite à l’extension des cultures et à
situées entre les isohyètes moyennes régulation, somme toute naturelle, s’est une plus forte pression pastorale directe
annuelles 100 et 400 mm évoquent perpétuée jusqu’à aujourd’hui mais en ou indirecte [16, 19, 20]. C’est dire le
toujours de grandes étendues de plus de s’atténuant nettement au cours de la dynamisme élevé des milieux et des phyto-
60 millions d’hectares, couvertes d’une seconde moitié du XXe siècle. cénoses en perpétuel changement dont
végétation basse et clairsemée [1, 2]. À travers la littérature récente traduisant l’évaluation de l’état actuel ne peut se
Réduites à une bande littorale plus ou l’état actuel des connaissances, le princi- suffire d’un « arrêt sur image ». Il s’agit
moins étroite en Égypte et en Libye, ces pal constat est celui de la réduction en d’extraire les tendances à long terme en
steppes prennent leur extension au superficie des steppes et la dégradation les distinguant des fluctuations naturelles
Maghreb (Tunisie, Algérie et Maroc). Elles jusqu’à l’extrême de la végétation et du sol plus ou moins réversibles. La confusion de
ont été soumises à une exploitation [5-11]. Les descriptions des steppes ces deux notions est souvent reprochée
humaine plurimillénaire, sous forme de d’aujourd’hui sont parfois très alarmantes, aux nombreux écrits récents par trop alar-
pratiques diverses variant en intensité en constituant une des préoccupations majeu- mistes alimentant un débat persistant sur la
fonction du niveau d’aridité climatique, de res dans l’ensemble des pays. Le phéno- réalité même des changements [21, 22]. Il
la densité de population et de l’histoire mène de dégradation des parcours steppi- s’agit également de se référer aux diagno-
locale des usages. ques n’est pas récent et a été rapporté ses confirmées des états préexistants afin
La vocation historique des steppes, depuis depuis plus d’un siècle [12-15]. Au cours d’évaluer les changements et leurs causes.
le VIIe siècle [3], est le pastoralisme, dont des quatre dernières décennies, ces Depuis une cinquantaine d’années, les
les pratiques, assez voisines à travers toute milieux semblent avoir subi des change- steppes du nord de l’Afrique ont bénéficié
la région, ont été probablement uniformi- ments particulièrement rapides et intenses, d’une quantité impressionnante de tra-
sées par les tribus venues du Proche- mais cette période a été également mar- vaux. La biogéographie, la phytoécologie
Orient, notamment les Béni Hillal au XIe- quée par des sécheresses récurrentes, plus et l’inventaire des ressources ont fourni des
siècle. À travers cette « bédouinisation » ou moins graves selon les régions. Les connaissances de grande valeur à travers
[4], les pratiques, notamment l’élevage changements profonds des politiques de l’ensemble du nord de l’Afrique [1,
extensif d’ovins et de caprins et les cultures gestion adoptées ainsi que des usages et 23-26]. Ces travaux ont été le plus souvent
itinérantes, étaient réglées par le mode de pratiques d’élevage ont certainement accompagnés de cartographies des res-
vie nomade (nécessité d’une économie modifié les niveaux des impacts anthropo- sources végétales et pastorales. Souvent,
d’échanges et d’exploiter des ressources zoïques sur la végétation et les milieux hélas, les échelles utilisées permettaient
dispersées dans le temps et l’espace). Ce [16, 17]. Les besoins de populations en plus la localisation des ressources que leur
mode de vie obéissait à des règles strictes constant accroissement ont aggravé la aménagement [27-29] ; la finalité des tra-
dictées par les fluctuations du climat dont « saturation des parcours » [18] sur des vaux dépendait du secteur et des objectifs,
dépendait pratiquement la totalité des res- surfaces pastorales en constante régres- dans un monde où les forces directrices en
moyens mais également de difficiles liens systèmes arides, peut être approchée par croissance de plantes (introduites et culti-
entre les institutions et les secteurs concer- le coefficient de variation de P (de 30 à vées), dans les zones arides du nord de
nés [38, 39]. 60 % pour la zone aride stricto sensu). l’Afrique [42]. Ainsi, la culture de l’olivier,
Partant de cette problématique d’évalua- Ainsi, les zones arides du nord de dominante arboricole dans la région
tion des ressources végétales et animales l’Afrique occupent plus de 60 millions côtière du golfe de Gabès, nécessite une
dans les steppes du nord de l’Afrique, d’hectares (tableau 1). valeur de « m » supérieure à + 2 °C [2].
l’objectif de ce travail est de dresser les La partie correspondant aux parcours pas- Cela permet de comprendre la différence
grandes lignes de l’état actuel des milieux toraux occuperait de 33 à 48 des 63 mil- d’usage entre les parcours steppiques des
steppiques en insistant sur leur dynami- lions d’hectares de la zone aride. Basses Plaines tunisiennes et ceux des
que. On s’appuiera pour ce faire sur les Les parcours steppiques ont été longtemps Hautes Plaines steppiques algéro-
synthèses régionales et sur quelques étu- voués au pastoralisme associé à une marocaines.
des de cas. céréaliculture de subsistance plus ou
moins itinérante. Dans les Hautes Plaines,
selon un adage bédouin, les parcours Les parcours steppiques
s’étendent depuis la ligne de semoule (khet
e’smid en arabe) ou aire d’extension géné-
Aperçu général ralisée de la céréaliculture au nord à la Il s’agit majoritairement de formations
ligne de palmes (khet e’djerid) au sud. steppiques arides dont il est difficile de
Cette délimitation, surtout dictée par les dresser un état actuel exhaustif et précis
Les steppes couvrent, dans les cinq pays usages, correspond au moins dans sa par- faute de données suffisantes et compte
du Machrek africain au Maghreb, (de tie sud à celle de l’étage aride [2] avec, tenu de la diversité des situations et des
l’Égypte au Maroc), des situations variées comme indicateur, l’apparition du palmier déterminants d’une région à l’autre. Les
qu’il est possible de résumer comme suit : dattier des oasis. En limite nord de la valeurs « moyennes » actuelles sont rap-
– les plus étendues sont les steppes dites steppe, la céréaliculture, quoique n’étant portées dans le tableau 2.
« de plaines », qu’elles soient Hautes Plai- rentable qu’à partir de 400 mm de
nes, allant de la dépression du Hodna en Les types de parcours
Algérie à l’Oriental marocain, ou Basses et leur dynamique actuelle
Plaines tunisiennes ; 1
Sont données ici les caractéristiques essentiel-
– les steppes de piémonts des montagnes les ; pour plus de détail consulter les synthèses La typologie des parcours steppiques peut,
des chaînes atlasiques du Maghreb ou des climatiques du nord de l’Afrique (2, 42). valablement, être calquée sur les types
collines au voisinage de ces montagnes ;
– celles, plus limitées, de la frange littorale
de la Jeffara (Tunisie, Libye), de la Marma- Tableau II. Parcours steppiques arides (100 < P < 400 mm/an) du nord de l’Afrique (en millions
rique (Égypte) et du Sud-Ouest marocain d’hectares).
[2].
Dans les deux premiers ensembles oroto- Zone aride Zone steppique Parcours
potentielle
pographiques et géomorphologiques, il
convient de distinguer les situations éda- Algérie 21,6 20 13
phiques de glacis à sol squelettique sur Égypte 3,0 3 1
croûte, souvent héritées du quaternaire Libye 19,3 19 12
ancien, des situations plus ou moins Maroc 12,0 11 9
dépressionnaires à sol profonds affectées
Tunisie 6,9 7 5
au quaternaire moyen à récent [14, 40,
41]. Total 62,8 60 40
de glacis de raccordement aux djebels, ce piques n’existent plus [41] ce qui justifie le l’accumulation sableuse devient supé-
type de steppe est en voie de disparition qualificatif de « fossile » parfois attribué à rieure à 50 cm mais n’atteint cependant
dans ses faciès de plaine où l’alfa ne se ces steppes [47, 48]. Les steppes d’alfa pas une forme aussi sociale que le sparte
régénère plus [2, 43]. Dans une steppe en ont néanmoins réussi à traverser des siè- ou l’alfa. L’installation du drinn a été
bon état (nappe alfatière), l’alfa peut cles, voire des millénaires, d’aléas climati- observée suite à la destruction de l’alfa et
représenter plus de 90 % de la phyto- ques, d’exploitation par l’homme et ses à de fortes accumulations de sable dans le
masse. La touffe d’alfa a une taille troupeaux. site de Rogassa du Sud oranais [43].
moyenne de 0,5 à 1 m et sa biomasse Une autre steppe graminéenne bien repré-
aérienne, dans une nappe de densité sentée au Maghreb est celle dominée par
le sparte (Lygeum spartum) qui présente • Steppes arbrissélées
moyenne, est de l’ordre de 5
à 10 t MS4/ha. Il convient de préciser une amplitude écologique plus large [2, Ces steppes sont structurées par des arbris-
que la partie verte ne représente en 49] que celle de l’alfa. L’espèce, considé- seaux ou sous-arbrisseaux tels que les
moyenne que 20 % de la phytomasse. rée comme gypsophile obligatoire dans le armoises (Artemisia herba-alba = Seriphi-
Pour une biomasse de 1 000 kg MS/ha Centre-Sud tunisien [50], peut également dium herba-album, A. campestris, A. mono-
la productivité nette aérienne moyenne est cohabiter avec des halophytes. Dans les sperma), l’arfej (Rhanterium suaveolens), le
de 410 ± 110 kg MS/ha/an [33]. Dans Hautes Plaines où elle peut constituer rem’t (Hammada scoparia) et le baguel
la steppe, l’alfa ne se reproduit quasiment d’importantes ressources, elle est surtout (Hammada schmittiana), le chobrog
que par voie végétative. La touffe croît liée aux voiles sableux dont l’expansion a (Noaea mucronata), des hélianthèmes
lentement et se creuse au centre formant été très nette durant les dernières décen- (Helianthemum hirtum, H. lipii, H. virgatum,
une couronne qui se fractionne dans le nies [51]. Lorsque le sparte est dominant H. cinereum), l’ajrem (Anabasis sp.), le serr
temps pour donner de nouvelles touffes. La (glacis encroûté et ensablé à sol profond), (Atractylis serratuloides, A. phaeolepis...).
touffe d’alfa forme une butte où le sol est
plus riche en matière organique et en
particules fines permettant une plus 106 ha
grande rétention d’eau et une plus grande 3,0
richesse en éléments biogènes [44, 45]
que dans l’espace interstitiel. Au plan pas-
toral, seules les pousses récentes et les
inflorescences (bôss) de l’alfa sont
consommées ; elles étaient souvent récol- 2,0
tées et vendues comme fourrage. Les lim-
bes ne sont utilisés traditionnellement
qu’en accompagnement de l’appoint four-
rager en période d’agnelage.
1,0
La régression de cette espèce a été consta-
tée pour toute son aire nord-africaine [19,
24, 43]. Ces steppes qui couvraient un
peu plus de 8 millions d’hectares dans les
0,0
2
Les noms vernaculaires varient souvent d’une 1860 1880 1900 1920 1940 1960 1980 2000
région à l’autre.
3
Stipa du russe step = steppe. Figure 1. Évolution estimée des steppes d’alfa (en millions d’hectares) dans les Hautes Plaines
4
MS : matière sèche. (versants exclus) du Sud oranais (Algérie) [43].
La synthèse des données disponibles relati- entre 20 et 60 UF/ha/an pour un couvert production pastorale peut varier, par rap-
ves à la vie animale [2], révèle l’existence végétal compris entre 10 et 20 % ; ce qui port à la moyenne, de 7 à 320 % dans
potentielle dans les steppes arides nord- correspond au couvert moyen actuel des une steppe sur sol profond et de 14 à
africaines, d’environ 100 espèces de steppes des Hautes Plaines en Algérie. 160 % dans une steppe de glacis [52].
mammifères, de près de 170 espèces Actuellement, comme conséquence de la
d’oiseaux et de 70 espèces de reptiles. La Efficacité pluviale dégradation des pérennes, on observe
rareté des informations ne permet pas de que, dans de nombreuses steppes sur gla-
faire une synthèse concernant les batra- Le coefficient d’efficacité pluviale (CEP), cis en particulier, la variabilité est essen-
ciens et les invertébrés. Des observations défini comme étant la production primaire tiellement le fait des éphémères (figure 2).
récentes [68] font état d’un recul des popu- nette par millimètre d’eau de pluie reçu, La grande dispersion des points dans ce
lations de mammifères et d’oiseaux, dont s’exprime en kg MS/ha/an/mm. Le CEP, diagramme est imputable au fait qu’aux
certaines espèces endémiques de ces évalué à 4,0 ± 0,3 à l’échelle des zones valeurs les plus élevées de P, la production
zones. La faune est donc menacée suite à arides [73, 74], intègre les deux fonctions varie en plus selon la répartition des pluies
la destruction des habitats, à la dégrada- clefs d’un système écologique que sont les dans l’année et leur intensité.
tion de la végétation mais également par capacités productives de la végétation et La variabilité des pluies, connue pour croî-
la chasse non contrôlée. la capacité du sol à faciliter l’accès de tre avec l’aridité, est surtout élevée sous les
l’eau aux plantes. Il varie peu d’une région régimes pluviométriques bimodaux
climatique à une autre car il semble peu comme en Afrique du Nord [2, 74]. De
Biomasse et production pastorale sensible au régime saisonnier des pluies. manière générale, la variabilité de la pro-
C’est en revanche un indicateur efficace duction primaire est supérieure à celle de
des parcours steppiques du fonctionnement et de la dynamique de la pluviosité [77]. Le rapport RVPP8 entre
la végétation et des écosystèmes [20, 74, le coefficient de variation de la production
La fonction majeure d’un parcours est la 75]. Les écosystèmes en bon état ont des (kg MS/ha/an) et celui de la pluviosité
production pastorale qui dépend, en plus CEP de l’ordre de 4 à 8 kg MS/ha/ (mm/an) est de 1,47 ± 0,07 à l’échelle
du type de végétation, d’un complexe de an/mm notamment sur des sols sableux. des zones arides mondiales, pour les
facteurs que l’on peut décliner en un En Algérie, dans les steppes en bon état années 1960-1980 [78]. La variabilité de
ensemble d’attributs vitaux [70]. De toute sur glacis à sols peu épais, le CEP est en production est donc en moyenne de 50 %
évidence, le facteur primordial est la res- moyenne jusqu’à la limite des déserts, supérieure à celle de la pluviosité. Dans
source en eau. sous des pluviosités moyennes annuelles 30 % des cas, ce rapport RVPP est compris
Il est hélas difficile de dresser un tableau de 80 à 150 mm/an, de 2,2 en intégrant entre 1,5 et 3,5, ce qui correspond bien à
exhaustif des productions dans les steppes la variabilité interannuelle des pluies la situation actuelle dans les steppes du
du nord de l’Afrique en raison de la com- durant plus de dix ans [52]. Dans la même nord de l’Afrique. Les valeurs les plus éle-
plexité des facteurs et processus impliqués tranche pluviométrique, le CEP serait de vées du RVPP correspondent à des par-
et du peu de données récentes disponibles 3,3 en considérant l’ensemble des don- cours dégradés sur des sols à texture fine.
sur la question. nées recueillies par Le Houérou [73]. Dans C’est le cas en particulier des sols battants
ces conditions (P = 200 mm/an), le CEP du Sud tunisien [15].
Biomasse et production primaire peut baisser à moins de 1 kg MS/ha/ Pendant des siècles, les écarts interannuels
nette an/mm en année sèche (P à moins de de production étaient difficiles, ou impossi-
60 % de la normale annuelle). De même, bles, à gérer pour les éleveurs ne dispo-
Les éléments pouvant résumer les tendan- les pluviosités très élevées entraînent une sant pas de ressources pour compenser les
ces sont les suivants : réduction de la production pastorale, la
– pour la majorité des steppes sur glacis à
sol squelettique, le couvert végétal oscille 8
RVPP : rapport variation de la production et
actuellement entre 1 et 10 % [2], soit des 7
UF : unité fourragère. de la pluviosité.
État du cheptel
40,0
L’évolution des effectifs des ovins, espèce
animale dominante dans l’ensemble du
cheptel domestique pâturant les steppes
du nord de l’Afrique, a été la plus mar-
quante. Les troupeaux sont conduits en
modes sédentaire, quasi sédentaire, ou 30,0
migratoire. Ce dernier mode, jadis domi-
nant, a fortement régressé avec, globale-
ment, un gradient de sédentarisation aug-
mentant d’ouest en est [2, 68]. Avant les
années 1960, la courbe des effectifs ovins
enregistre des fluctuations importantes 20,0
liées à la variabilité pluviométrique modi- 1960 1970 1980 1990 2000
fiant directement les ressources pastorales.
Il est reconnu que durant les années 1940, Figure 3. Évolution du cheptel ovin dans le nord de l’Afrique (source : FAO).
stabilisés et que le rapport des superficies de céréales récoltées. Durant les pression sur les réserves hydriques souter-
consacrées à la culture de l’orge et du blé années 1990, on estimait que 30 à 50 % raines [68].
dur a retrouvé un niveau équivalent à celui de la zone aride et steppique avaient été
des années 1960-1970. labourés au moins une fois avec souvent La première cause avancée pour expliquer
de faibles rendements. L’arboriculture cette emprise agricole est l’augmentation
Ces nouvelles pratiques et surtout celles (essentiellement oliviers et/ou figuiers), des niveaux de vie et des besoins d’une
concernant l’alimentation du bétail, ont s’est étendue dans la partie littorale orien- population croissante. Les statistiques
entraîné, par exemple en Tunisie [84], une tale des plaines de la Jeffarra jusqu’aux montrent qu’en quarante ans, la popula-
modification profonde du mode d’utilisa- environs d’Alexandrie, encouragée sou- tion a globalement été multipliée par 2,56
tion des plantes pérennes. C’est égale- vent par les États, malgré de grands écarts (minimum de 2,24 pour la Tunisie et maxi-
ment le cas, en Algérie, où la ration de production dus aux variations pluvio- mum de 3,92 pour la Libye). Pour les cinq
d’encombrement accompagnant des métriques [75] et aux types de sol [75, pays considérés, la population vivant
apports massifs d’aliments concentrés 76]. Dans cette région, en raison de la actuellement dans les zones steppiques
(couverture de 90 % des besoins énergéti- réduction de la superficie des parcours, la représente de 20 à 30 % d’un total
ques des troupeaux), a été assurée par pression de pâturage a augmenté même de plus de 150 millions d’habitants. Outre
l’alfa, ce qui explique la rapidité de sa quand le cheptel total a diminué [68]. l’accroissement des besoins, l’emprise
destruction [43, 80]. Les animaux sont L’extension de l’olivier a fait régresser agricole répond également à une logique
conduits dans les parcours collectifs l’activité pastorale au point qu’elle sem- spéculative, la mise en culture permettant
dégradés où, soit ils sont « promenés » ble, au moins en partie, remise en cause traditionnellement de s’approprier, pour
comme disent des éleveurs, soit ils pâtu- dans le Sud tunisien où le retour à des un temps, les terres dont le statut collectif
rent l’acheb, en complément des apports terres de parcours collectives semble de est souvent mis en cause.
d’aliments concentrés. C’est ainsi que de plus en plus improbable, voire irréaliste, Les terres de parcours, contrairement aux
principale ressource pastorale, la végéta- dans le contexte socio-économique actuel terres cultivées, restent dans leur ensemble
tion steppique est très rapidement devenue [87-89]. soumises au régime collectif [93]. Au
elle-même un « complément ». La steppe Les implications écologiques de cette Maroc, où la politique foncière reste dans
algérienne, dans son ensemble, s’est trans- emprise agricole ont été en particulier un relatif statu quo avec une réglementa-
formée en véritable « bergerie à ciel importantes en Tunisie, dans les « Basses tion peu précise sur les conditions d’usage
ouvert » [82]. Plaines Méridionales » et dans la plaine des pâturages, on estime la superficie
Il s’en est suivi un choix d’animaux plus littorale de la Jeffara (P compris entre 150 totale des terres collectives à 10 millions
performants que les races ovines locales et 200 mm) [2, 36, 90]. La steppe origi- d’hectares, dont 1 million de terres de
face à ce nouveau mode d’alimentation et nelle à alfa, a progressivement cédé la cultures. En Algérie, après avoir été pro-
de conduite des troupeaux. Ainsi, dans les place à une steppe d’arbrisseaux xérophi- priété collective des tribus, les terres
Hautes Steppes de Tunisie, la race barba- les [14, 15, 76, 90]. La sédentarisation, la « steppiques » appartiennent depuis
rine tunisienne a perdu de son importance mécanisation de l’agriculture et l’irrigation 1975 au domaine privé de l’État, mais
[85] et, en Algérie, la principale race ont été les causes d’une dégradation leur gestion relève des communes à
ovine hamra (à tête brune) a pratiquement accrue et récente des ressources naturel- l’exception de quelques rares propriétés
disparu du Sud oranais. Ces races locales les, aggravée par les sécheresses [66]. privées héritées de la période coloniale.
étaient connues pour leur rusticité et leur D’abord cantonnées dans les dépressions Dans les faits, le droit coutumier, toujours
capacité à se satisfaire d’une alimentation et au voisinage des ouvrages hydrauli- respecté, autorise le libre accès à tous, à
en grande partie prélevée sur parcours. ques, la céréaliculture puis l’arboriculture la seule condition d’éviter les terres labou-
Cette rusticité n’étant plus une exigence, ont ensuite gagné les glacis et les plaines rées. On assiste à une domination pro-
ces races ont été rapidement remplacées sableuses [36]. Le diagnostic écologique gressive des puissants et riches éleveurs et
par un groupe hybride comme la berguia établi [91] dans les années 1970 a permis d’« étrangers à la collectivité steppique »,
(la « blanche ») venant de l’Est algérien une modélisation des dynamiques proba- venus souvent du Nord (Tell) [81]. En Tuni-
cours, est globalement marquée par un ment de la rusticité des races locales qui se descence des phénomènes d’ensablement et de
déclin significatif au cours des quarante trouvent ainsi menacées de raréfaction, désertification au sud-est du Maroc (vallée de
dernières années. Dans la majeure partie voire d’extinction. Drâa et vallée de Ziz). Sécheresse 2000 ; 11 :
des steppes, le couvert végétal des espè- La population humaine, de l’ordre de 297-308.
ces pérennes est aujourd’hui inférieur à 150 millions d’habitants dans les cinq 6. Firdawcy L, et al., eds. Programme d’action
15 % et la biomasse épigée inférieure à pays concernés, a triplé en moins de cin- nationale de lutte contre la désertification.
200 kg MS/ha. Dans ces conditions et en quante ans. L’exploitation des ressources Rabat : Ministère de l’Agriculture, du Développe-
année moyenne (200 mm de pluie), la biologiques et édaphiques des steppes, ment rural et des Eaux et Forêts, 2001.
productivité est inférieure à 50 UF/ha. sans restitution et le plus souvent sans 7. Asma-Ali-Abuhussain, Abdu AS, Al
Un certain nombre de facteurs d’ordre contrôle, a conduit à de profondes modifi- Zubari WK, El Deen NA, Abdul Raheem M.
écologique, social et économique, plus ou cations du milieu nécessitant de gros Desertification in Arab Region : Analysis of cur-
moins emboîtés, ont concouru à la baisse efforts d’adaptation. Le constat de déserti- rent status and trends. J Arid Environ 2002 ; 51 :
de la production pastorale des parcours : fication ne doit cependant pas être géné- 521-45.
– la sédentarisation progressive accrois- ralisé. Certaines steppes ont gardé un 8. Oussedik A, Iftène T, Zegrar A. Réalisation
sant la pression pastorale sur des parcours potentiel de résilience suffisant permettant par télédétection de la carte d’Algérie de sensibi-
que les troupeaux quittent de moins en leur restauration par la simple gestion rai- lité à la désertification. Sécheresse 2003 ; 14 :
moins ; sonnée. Durant les dernières décennies, 195-201.
– la surface pastorale régressant au profit
les actions visant à corriger la dynamique 9. Romdhane A. Gestion des parcours et lutte
de la céréaliculture et de l’arboriculture, ce
actuelle ont été nombreuses et coûteuses, contre la désertification en zone pré-désertique
qui remet en cause la vocation pastorale aride : le cas de Menzel Habib (Sud-Tunisien).
de certains espaces ; mais souvent sans résultats probants. Le
niveau de connaissances en sciences de la Revue des Régions Arides 2002; (1) : 62-82.
– l’expansion de l’agriculture portant sur
les terres les plus fertiles, privant ainsi restauration permet désormais d’engager 10. Ben-Mahmoud KR, Mansur S, Al-Gomati A.
l’élevage des meilleurs pâturages et des programmes expérimentaux visant à Land degradation and desertification in Libya.
accroître les connaissances sur les méca- In : Alsharhan AS, Wood WW, Goudie AS,
accroissant la pression pastorale sur des Fowler A, Abdellatif EM, eds. Desertification in
parcours déjà dégradés ; nismes écologiques et biologiques. Ces
the third millennium. Lisse : Swets Zeitlinger
– l’augmentation du cheptel accroissant la expérimentations restent cependant trop
Publishers, 2003.
pression pastorale déjà élevée et marquée rares.
11. Fikri-Benbrahim K, Ismaili M, Fikri-
par un déficit fourrager devenu chroni- Les steppes du nord de l’Afrique consti- Benbrahim S, Tribak A. Problèmes de dégrada-
que ; tuent une des zones concernées par tion de l’environnement par la désertification et la
– les pratiques d’élevage favorisant le plus l’application de la CCD9 encourageant déforestation : impact du phénomène au Maroc.
souvent l’alimentation par les concentrés l’observation à long terme et l’expérimen- Sécheresse 2004 ; 15 : 307-20.
afin de combler le déficit fourrager ; tation de techniques de restauration. Des 12. Trabut L. Étude sur l’Halfa. Alger : Jourdan,
– les espèces pérennes en forte régression programmes ambitieux sont prévus dans 1889.
car consommées de plus en plus par les le cadre de la mise en œuvre des Program-
ovins en tant que complément d’une ration mes d’action nationaux et régionaux (PAN 13. Lavauden L. Les forêts du Sahara. Rev Eaux
dans laquelle domine l’aliment concentré ; For 1927 ; LXV : 265-77.
et PAR) dans lesquels l’activité pastorale,
– l’absence, une bonne part de l’année, en tant que contribution au développe- 14. Le Houérou HN. Recherches écologiques et
d’une couverture végétale pérenne, livrant ment des steppes, doit dépasser le stade floristiques sur la végétation de la Tunisie méri-
le sol à l’érosion et favorisant dès lors une de la simple cueillette. ■ dionale. Mem Inst Rech Sahariennes 1959 ; 1 :
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