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L'Immaculée Conception (André Breton, Paul Eluard)
L'Immaculée Conception (André Breton, Paul Eluard)
PAUL ÉLUARD
L’IMMACULÉE CONCEPTION
Seghers
Poésie d’abord
© Seghers, Paris, 1961, 2011
En couverture : Gravure de Salvador Dalí
© Salvador Dalí, Fundació Gala - Salvador Dalí - Adagp, 2011
EAN 978-2-232-12331-3
Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo
Ce livre a été numérisé en partenariat avec le CNL.
Préface
par Philippe Forest
AMAS DE CERTITUDE
ou
LE LIVRE DES RECOMMENCEMENTS
LA CONCEPTION
Un jour compris entre deux autres jours et, comme d’habitude, pas de
nuit sans étoile, le ventre long de la femme monte, c’est une pierre et la
seule visible, la seule véritable, dans la cascade. Tout ce qui s’est tant de
fois défait se défait encore, tout ce que le ventre long de la femme a tant de
fois entrepris, de conserver son plaisir plus pur que le froid de se sentir
absent de soi-même, s’entreprend encore. C’est à ne pas entendre un souffle
de bête fauve tout près de soi. Ce n’est pas le don qu’on aimerait faire d’une
seule pièce de ce trésor déterré qui n’est pas la vie qu’on aimerait avoir
reçue puisque aussi bien le ventre long de la femme est son ventre et que le
rêve, le seul rêve est de n’être pas né. La nuit habituelle est tellement
suffisante. L’ignorance y trouve si bien son compte. Elle n’interrompt pas
l’amour qui ne se couche ni ne se lève. On a bien soufflé sur les charbons,
on s’est bien regardé en face au point de se perdre de vue. Tout à l’heure
encore, tout à l’heure encore… Nous n’étions chacun que nous.
L’homme ne se reproduit pas dans un grand éclat de rire. L’homme ne
se reproduit pas. Il n’a jamais peuplé son lit que des yeux ardents de son
amour. Il suppose le problème résolu, et c’est tout. Le problème est
rarement résolu. Les chiffonniers ont des fils qui sont en réalité des fils de
rois, des fils qui confondent en ouvrant les yeux le diadème de leurs mères
avec les fanes merveilleuses des carottes. Des vipères naissent quelque part.
Les pères de famille n’en croient rien. On ne coupe la tête qu’au désir.
Place, dit le conducteur du vieil omnibus, le conducteur qui te ressemblera,
qui me ressemblera sans pitié pour les chevaux à tête de mer d’huile. Et,
comme il est très poli, place, ajoute-t-il, s’il vous plaît. L’omnibus fantôme
est déjà loin.
Il faudrait rester le même, toujours, avec cette déconcertante allure de
gymnaste, avec ce port de tête ridicule. Mais voici que la statue tombe en
poussière, qu’elle refuse de garder son nom. Tu n’en sais heureusement rien
et c’est à peine si tu regardes du côté de l’image murale qui montre
Mazeppa, seul, éperdu dans la steppe. Il me semble que depuis hier il a
bougé. Cette pièce est absurde, prenons garde. Il y a ici des murs que tu ne
franchiras pas, des murs que je couvrirai d’injures et de menaces, des murs
qui sont à jamais couleur de sang vieilli, de sang versé.
LA VIE INTRA-UTÉRINE
De tous les hommes, à vingt-quatre ans, j’ai reconnu que, pour s’élever
au rang d’homme considéré, il ne fallait pas avoir plus que moi la
conscience de sa valeur. J’ai soutenu il y a longtemps que la vertu n’est pas
estimée, mais que mon père avait raison quand il voulait que je m’élève très
haut au-dessus de ses confrères. Je ne comprends absolument pas qu’on
remette la croix de la Légion d’honneur à des personnalités étrangères de
passage en France. Je trouve que cette décoration devrait être réservée aux
officiers qui ont fait acte de bravoure et aux ingénieurs des Mines sortant de
Polytechnique. Il faut en effet que le grand maître de l’ordre de la
Chevalerie n’ait pas de bon sens pour reconnaître du mérite là où il n’y en a
pas. De toutes les distinctions, officier est la plus flatteuse. Mais on ne peut
pas se passer du diplôme. Mon père a donné à ses cinq enfants garçons et
filles la meilleure instruction et une bonne éducation. Ce n’est pas pour
accepter un emploi sans rétribution dans une administration qui ne paye
pas. En voici la preuve : quand on est capable comme mon frère aîné, qui a
concouru plusieurs fois dans les journaux, de décrocher la timbale contre
des bacheliers ès lettres ès sciences, on peut dire qu’on a de qui tenir. Mais
à chaque jour suffit sa peine, dit le proverbe. J’ai dans la poche intérieure de
mon veston d’été le plan d’un sous-marin que je veux offrir à la Défense
nationale. La cabine du commandant est dessinée en rouge et les canons
lance-torpilles sont du dernier modèle hydraulique, à commande artésienne.
Les as de la route ne montrent pas une énergie plus grande que moi. Je ne
suis pas gêné pour assurer que cette invention doit réussir. Tous les hommes
sont partisans de la Liberté, de l’Égalité, de la Fraternité et, j’ajoute, de la
Solidarité mutuelle. Mais ce n’est pas une raison pour ne pas se défendre
contre ceux qui nous attaquent par mer. J’ai écrit au président de la
République une lettre secrète sur papier ministre pour demander à le voir.
L’escadre méditerranéenne croise en ce moment au large de Constantine,
mais l’amiral accorde trop de permissions. Un soldat a beau se mettre à
genoux par humilité devant son supérieur, l’ordre est l’ordre. La discipline
gagne quand le chef est juste mais ferme. On ne donne pas des galons à tort
et à travers et le maréchal Foch méritait bien d’être le maréchal Foch. La
libre-pensée a eu le tort de ne pas se mettre au service de la France.
Je tiens aussi à ce qu’on débaptise les fusiliers marins, j’ai fait une
démarche dans ce sens à la Ligue des droits de l’homme. Ce nom est
indigne de leur col bleu. À eux, d’ailleurs, de se faire respecter. La Grèce de
Lacédémone était autrement fière. Enfin l’homme croit en Dieu et on a vu
de fortes têtes demander l’extrême-onction, c’est déjà un bon point.
ESSAI DE SIMULATION
DE LA MANIE AIGUË
Ma grande adorée belle comme tout sur la terre et dans les plus belles
étoiles de la terre que j’adore ma grande femme adorée par toutes les
puissances des étoiles belle avec la beauté des milliards de reines qui parent
la terre l’adoration que j’ai pour ta beauté me met à genoux pour te supplier
de penser à moi je me mets à tes genoux j’adore ta beauté pense à moi toi
ma beauté adorable ma grande beauté que j’adore je roule les diamants dans
la mousse plus haute que les forêts dont tes cheveux les plus hauts pensent à
moi – ne m’oublie pas ma petite femme sur mes genoux à l’occasion au
coin du feu sur le sable en émeraude – regarde-toi dans ma main qui me sert
à me baser sur tout au monde pour que tu me reconnaisses pour ce que je
suis ma femme brune-blonde ma belle et ma bête pense à moi dans les
paradis la tête dans mes mains.
Je n’avais pas assez des cent cinquante châteaux où nous allions nous
aimer on m’en construira demain cent mille autres j’ai chassé des forêts de
baobabs de tes yeux les paons les panthères et les oiseaux-lyres je les
enfermerai dans mes châteaux forts et nous irons nous promener tous deux
dans les forêts d’Asie d’Europe d’Afrique d’Amérique qui entourent nos
châteaux dans les forêts admirables de tes yeux qui sont habitués à ma
splendeur.
Tu n’as pas à attendre la surprise que je veux te faire pour ton
anniversaire qui tombe aujourd’hui le même jour que le mien – je te la fais
tout de suite puisque j’ai attendu quinze fois l’an mille avant de te faire la
surprise de te demander de penser à moi à cache-cache – je veux que tu
penses à moi ma jeune femme éternelle en riant. J’ai compté avant de
m’endormir des nuées et des nuées de chars pleins de betteraves pour le
soleil et je veux te mener la nuit sur la plage d’astrakan qu’on est en train de
construire à deux horizons pour tes yeux de pétrole à faire la guerre je t’y
conduirai par des chemins de diamants pavés de primevères d’émeraudes et
le manteau d’hermine dont je veux te couvrir est un oiseau de proie les
diamants que tes pieds fouleront je les ai fait tailler en forme de papillon.
Pense à moi qui ne songe qu’à ton éclat où s’endort le luxe ensoleillé d’une
terre et de tous les astres que j’ai conquis pour toi je t’adore et j’adore tes
yeux et j’ai ouvert tes yeux ouverts à tous ceux qu’ils ont vus et je donnerai
à tous les êtres que tes yeux ont vus des habits d’or et de cristal des habits
qu’ils devront jeter quand tes yeux les auront ternis de leur mépris. Je
saigne dans mon cœur aux seules initiales de ton nom sur un drapeau aux
initiales de ton nom qui sont toutes les lettres dont z est la première dans
l’infini des alphabets et des civilisations où je t’aimerai encore puisque tu
veux être ma femme et penser à moi dans les pays où il n’y a plus de
moyenne. Mon cœur saigne sur ta bouche et se referme sur ta bouche sur
tous les marronniers roses de l’avenue de ta bouche où nous allons dans la
poussière éclatante nous coucher parmi les météores de ta beauté que
j’adore ma grande créature si belle que je suis heureux de parer mes trésors
de ta présence de ta pensée et de ton nom qui multiplie les facettes de
l’extase de mes trésors de ton nom que j’adore parce qu’il trouve un écho
dans tous les miroirs de beauté de ma splendeur ma femme originelle mon
échafaudage en bois de rose tu es ma faute de ma faute de ma très grande
faute comme Jésus-Christ est la femme de ma croix – douze fois douze
mille cent quarante-neuf fois je t’ai aimée de passion sur le chemin et je
suis crucifié au nord à l’est à l’ouest et au nord pour ton baiser de radium et
je te veux et tu es dans mon miroir de perles le souffle de l’homme qui ne te
remontera pas à la surface et qui t’aime dans l’adoration ma femme couchée
debout quand tu es assise en te peignant.
Tu viendras tu penses à moi tu viendras tu accourras sur tes treize
jambes pleines et sur toutes tes jambes vides qui battent l’air du
balancement de tes bras une multitude de bras qui veulent m’enlacer moi à
genoux entre tes jambes et tes bras pour t’enlacer sans crainte que mes
locomotives t’empêchent de venir à moi et je te suis et je suis devant toi
pour t’arrêter pour te donner toutes les étoiles du ciel en un baiser sur les
yeux tous les baisers du monde en une étoile sur la bouche.
Bien à toi en flambeau.
P.-S. – Je voudrais un bottin pour la messe un bottin avec une corde à
nœuds pour marquer les pages. Tu m’apportes aussi un drapeau franco-
allemand que je plante sur le terrain vague. Et une livre de chocolat Menier
avec la petite fille qui colle les affiches (je ne me rappelle plus). Et puis
encore neuf de ces petites filles avec leurs avocats et leurs juges et tu viens
dans le train spécial avec la vitesse de la lumière et les brigands du Far West
qui me distrairont une minute qui saute ici malheureusement comme les
bouchons de champagne. Et un patin. Ma bretelle gauche vient de casser je
soulevais le monde comme une plume. Peux-tu me faire une commission
achète un tank je veux te voir venir comme les fées.
ESSAI DE SIMULATION
DU DÉLIRE D’INTERPRÉTATION
Quand c’en fut fait de cet amour, je me trouvai comme l’oiseau sur la
branche. Je ne servais plus à rien. J’observai toutefois que les taches de
pétrole dans l’eau me renvoyaient mon image et je m’aperçus que le Pont-
au-Change, près duquel se tient le marché aux oiseaux, se courbait de plus
en plus.
C’est ainsi qu’un beau jour je suis passé pour toujours de l’autre côté de
l’arc-en-ciel à force de regarder les oiseaux changeants. Maintenant je n’ai
plus rien à faire sur la terre. Non plus que les autres oiseaux je dis que je
n’ai plus à me commettre sur la terre, à faire acte de présence ailée sur la
terre. Je refuse de répéter avec vous la chanson verte : « Nous mourons pour
les p’ti-i-its oiseaux, régalez vos p’ti-i-its oiseaux ! »
Le bariolage de l’averse parle perroquet. Il couve le vent qui éclôt avec
des graines dans les yeux. La double paupière du soleil se lève et s’abaisse
sur la vie. Les pattes des oiseaux sur le carreau du ciel sont ce que
j’appelais naguère les étoiles. La terre elle-même dont on s’explique si mal
la démarche tant qu’on demeure sous la voûte, la terre palmée de ses déserts
est soumise aux lois de la migration.
L’été de plume n’est pas fini. On a ouvert les trappes et l’on y engloutit
des moissons de duvet. Le temps mue.
Le coq de clocher orne la fumée des coups de feu tandis que la veuve à
poitrine orangée se rend au cimetière dont les croix sont le pointillement
minuscule des diamants du Sénégal et que l’homme continue à se croire sur
la terre comme le merle sur le dos du buffle, sur la mer comme la mouette
sur la crête des vagues, le merle solide et la mouette liquide.
Horus, le doigt sur la bouche, c’est l’avalanche. Je n’avais pas vu ces
oiseleurs qui cherchent des hommes au ciel et se dénichent avec les pierres
qu’ils lancent en l’air.
Les phénix viennent m’apporter ma pâture de vers luisants et leurs ailes
qui se retrempent sans cesse dans l’or de la terre sont la mer et le ciel qu’on
ne voyait embrasés qu’aux jours d’orage, et qui cachent leurs aigrettes de
foudre dans leurs plumes au moment de s’endormir sur le pied unique de
l’air.
Les moulins des éclairs ont brisé leur coquille et s’enfuient à tire-d’aile,
le sable mange les dunes, l’horizon tente d’éviter les nuages.
Vous avouerez que vos lits-cages, et vos barreaux tordus, et vos
planchers mordus, et vos muscades, et vos épouvantails à la dernière mode,
et vos fils télégraphiques, et vos voyages en compartiment de pigeon, et le
socle d’agneaux de vos statues de proie, et vos courses de haies faites au
crépuscule de rouges-gorges qui s’envolent, et les heures, et les minutes, et
les secondes dans vos têtes de pics-verts, et vos glorieuses conquêtes,
cependant, vos glorieuses conquêtes de coucous ! Tous ces pièges de grâce
ne furent jamais là que pour me faire passer les barrières du danger, les
barrières qui séparent la peur du courage. Ne comptez plus sur moi pour
vous faire oublier que vos fantômes ont la tournure des paradisiers.
Au commencement était le chant. Tout le monde aux fenêtres ! On ne
voit plus, d’un bord à l’autre, que Léda. Mes ailes tourbillonnantes sont les
portes par lesquelles elle entre dans le cou du cygne, sur la grande place
déserte qui est le cœur de l’oiseau de nuit.
ESSAI DE SIMULATION
DE LA DÉMENCE PRÉCOCE
La table est mise dans la salle à manger ; les robinets distribuent l’eau
claire, l’eau tendre, l’eau tempérée, l’eau parfumée. Le lit est aussi grand
pour deux que pour un. Après le bourgeon va venir la feuille et après la
feuille la fleur et après la pluie le beau temps. Parce qu’il est l’heure, les
yeux s’ouvrent, le corps se dresse, la main se tend, le feu s’allume, le
sourire dispute aux rides de la nuit leur courbe sans malice. Et ce sont les
aiguilles de la pendule qui s’ouvrent, qui se dressent, qui se tendent, qui
s’allument et qui marquent l’heure du sourire. Le rayon de soleil fait le tour
de la maison en blouse blanche. Il va encore neiger, il va encore tomber
quelques gouttes de sang vers cinq heures, mais ce ne sera rien. Oh ! j’ai eu
peur, j’ai cru tout à coup qu’il n’y avait plus de rue devant la fenêtre, mais
si, elle est là. Le droguiste est même en train de lever son rideau de fer. Il y
aura bientôt plus de monde à la roue qu’au moulin. Le travail se taille, se
forge, s’amenuise, se calcule. La main retrouve avec plaisir dans l’outil
familier la sécurité du sommeil.
Pourvu que cela dure !
Le miroir est un merveilleux témoin, sans cesse variant. Il dépose avec
calme, avec force, mais quand il a fini de parler, on s’aperçoit qu’il s’est
repris sur tout. C’est la personnification courante de la vérité.
Sur le chemin ricochet obstinément noué aux jambes de celui qui repart
aujourd’hui comme il repartira demain, sur les gisements légers de
l’insouciance, mille pas chaque jour épousent les pas de la veille. On est
déjà venu, on reviendra sans se faire prier. Chacun est passé par là, en allant
de sa joie à sa peine. C’est un petit refuge avec un bec de gaz immense. On
met un pied devant l’autre et on est parti.
Les murs se couvrent de tableaux, les fêtes se tamisent de bouquets, le
miroir se couvre de buée. Autant de phares sur un ruisseau et le ruisseau est
dans le vase de la rivière. Deux yeux semblables, à l’usage de ton seul
visage – deux yeux couverts des mêmes fourmis. Le vert est presque
uniformément répandu sur les plantes, le vent suit les oiseaux, on ne risque
pas de voir mourir les pierres. Ce qui se produit n’est pas un animal dressé,
mais un animal dresseur. Bah ! c’est l’ordre imprescriptible d’une
cérémonie déjà si fastueuse, en somme ! C’est le pistolet à répétition qui
fait apparaître les fleurs dans les vases, la fumée dans la bouche.
L’amour, à la longue, se passe si bien d’y voir clair la nuit.
Quand tu n’es plus là, il y a ton parfum qui me cherche. Je n’arrive à me
faire rendre que l’oracle de ta faiblesse. Ma main dans ta main ressemblait
si peu à ta main dans ma main. Le malheur, vois-tu, le malheur lui-même
gagne à être connu. Je t’avais reçue en partage, tu ne peux pas n’être pas là,
tu es la preuve que j’y suis. Et tout est conforme à cette vie que je me suis
faite pour m’assurer de toi.
— À quoi penses-tu ?
— À rien.
LA SURPRISE
L’amour réciproque, le seul qui saurait nous occuper ici, est celui qui
met en jeu l’inhabitude dans la pratique, l’imagination dans le poncif, la foi
dans le doute, la perception de l’objet intérieur dans l’objet extérieur.
Il implique le baiser, l’étreinte, le problème et l’issue indéfiniment
problématique du problème.
L’amour a toujours le temps. Il a devant lui le front d’où semble venir la
pensée, les yeux qu’il s’agira tout à l’heure de distraire de leur regard, la
gorge dans laquelle se cailleront les sons, il a les seins et le fond de la
bouche. Il a devant lui les plis inguinaux, les jambes qui couraient, la
vapeur qui descend de leurs voiles, il a le plaisir de la neige qui tombe
devant la fenêtre. La langue dessine les lèvres, joint les yeux, dresse les
seins, creuse les aisselles, ouvre la fenêtre ; la bouche attire la chair de
toutes ses forces, elle sombre dans un baiser errant, elle remplace la bouche
qu’elle a prise, c’est le mélange du jour et de la nuit. Les bras et les cuisses
de l’homme sont liés aux bras et aux cuisses de la femme, le vent se mêle à
la fumée, les mains prennent l’empreinte des désirs.
On distingue les problèmes en problèmes du premier, du second et du
troisième degré. Dans le problème du premier degré, la femme, s’inspirant
des sculptures Tlinkit de Nord-Amérique, recherchera l’étreinte la plus
parfaite avec l’homme ; il s’agira de ne faire à deux qu’un seul bloc. Dans
celui du second degré, la femme, prenant modèle sur les sculptures Haïda
d’origine à peine différente, fuira le plus possible cette étreinte ; il s’agira
de ne se toucher qu’à peine, de ne se plaire à rien tant qu’au délié. Dans
celui du troisième degré, la femme adoptera tour à tour toutes les positions
naturelles.
La fenêtre sera ouverte, entrouverte, fermée, elle donnera sur l’étoile,
l’étoile montera vers elle, l’étoile devra l’atteindre ou passer de l’autre côté
de la maison.
1. Lorsque la femme est sur le dos et que l’homme est couché sur elle,
c’est la cédille.
2. Lorsque l’homme est sur le dos et que sa maîtresse est couchée sur
lui, c’est le c.
3. Lorsque l’homme et sa maîtresse sont couchés sur le flanc et
s’observent, c’est le pare-brise.
4. Lorsque l’homme et la femme sont couchés sur le flanc, seul le dos
de la femme se laissant observer, c’est la Mare-au-Diable.
5. Lorsque l’homme et sa maîtresse sont couchés sur le flanc,
s’observant, et qu’elle enlace de ses jambes les jambes de l’homme, la
fenêtre grande ouverte, c’est l’oasis.
6. Lorsque l’homme et la femme sont couchés sur le dos et qu’une
jambe de la femme est en travers du ventre de l’homme, c’est le miroir
brisé.
7. Lorsque l’homme est couché sur sa maîtresse qui l’enlace de ses
jambes, c’est la vigne vierge.
8. Lorsque l’homme et la femme sont sur le dos, la femme sur l’homme
et tête-bêche, les jambes de la femme glissées sous les bras de l’homme,
c’est le sifflet du train.
9. Lorsque la femme est assise, les jambes étendues sur l’homme
couché lui faisant face, et qu’elle prend appui sur les mains, c’est la lecture.
10. Lorsque la femme est assise, les genoux pliés, sur l’homme couché,
lui faisant face, le buste renversé ou non, c’est l’éventail.
11. Lorsque la femme est assise de dos, les genoux pliés, sur l’homme
couché, c’est le tremplin.
12. Lorsque la femme, reposant sur le dos, lève les cuisses
verticalement, c’est l’oiseau-lyre.
13. Lorsque la femme, vue de face, place ses jambes sur les épaules de
l’homme, c’est le lynx.
14. Lorsque les jambes de la femme sont contractées et maintenues
ainsi par l’homme contre sa poitrine, c’est le bouclier.
15. Lorsque les jambes de la femme sont contractées, les genoux pliés à
hauteur des seins, c’est l’orchidée.
16. Lorsqu’une des jambes seulement est étendue, c’est minuit passé.
17. Lorsque la femme place une de ses jambes sur l’épaule de l’homme
et étend l’autre jambe, puis met celle-ci à son tour sur l’épaule et étend la
première, et ainsi de suite alternativement, c’est la machine à coudre.
18. Lorsqu’une des jambes de la femme est placée sur la tête de
l’homme, l’autre jambe étant étendue, c’est le premier pas.
19. Lorsque les cuisses de la femme sont élevées et placées l’une sur
l’autre, c’est la spirale.
20. Lorsque l’homme, pendant le problème, tourne en rond et jouit de
sa maîtresse sans la quitter, celle-ci ne cessant de lui tenir les reins
embrassés, c’est le calendrier perpétuel.
21. Lorsque l’homme et sa maîtresse prennent appui sur le corps l’un de
l’autre, ou sur un mur et, se tenant ainsi debout, engagent le problème, c’est
à la santé du bûcheron.
22. Lorsque l’homme prend appui sur un mur et que la femme, assise
sur les mains de l’homme réunies sous elle, passe ses bras autour de son cou
et, collant ses cuisses le long de sa ceinture, se remue au moyen de ses pieds
dont elle touche le mur contre lequel l’homme s’appuie, c’est l’enlèvement
en barque.
23. Lorsque la femme se tient à la fois sur ses mains et ses pieds,
comme un quadrupède, et que l’homme reste debout, c’est la boucle
d’oreille.
24. Lorsque la femme se tient sur ses mains et ses genoux et que
l’homme est agenouillé, c’est la Sainte-Table.
25. Lorsque la femme se tient sur ses mains et que l’homme debout la
tient soulevée par les cuisses, celles-ci lui enserrant les flancs, c’est la
bouée de sauvetage.
26. Lorsque l’homme est assis sur une chaise et que sa maîtresse, lui
faisant face, est assise à califourchon sur lui, c’est le jardin public.
27. Lorsque l’homme est assis sur une chaise et que sa maîtresse, lui
tournant le dos, est assise à califourchon sur lui, c’est le piège.
28. Lorsque l’homme est debout et que la femme repose le haut de son
corps sur le lit, ses cuisses enserrant la taille de l’homme, c’est la tête de
Vercingétorix.
29. Lorsque la femme est accroupie sur le lit devant l’homme debout
contre le lit, c’est le jeu de la puce.
30. Lorsque la femme est à genoux sur le lit, face à l’homme debout
contre le lit, c’est le vétiver.
31. Lorsque la femme est à genoux sur le lit, tournant le dos à l’homme
debout contre le lit, c’est le baptême des cloches.
32. Lorsque la vierge est renversée en arrière, le corps puissamment
arqué et reposant sur le sol par les pieds et les mains, ou mieux par les pieds
et la tête, l’homme étant à genoux, c’est l’aurore boréale.
L’amour multiplie les problèmes. La liberté furieuse s’empare des
amants plus dévoués l’un à l’autre que l’espace à la poitrine de l’air. La
femme garde toujours dans sa fenêtre la lumière de l’étoile, dans sa main la
ligne de vie de son amant. L’étoile, dans la fenêtre, tourne lentement, y
entre et en sort sans arrêt, le problème s’accomplit, la silhouette pâle de
l’étoile dans la fenêtre a brûlé le rideau du jour.
L’IDÉE DU DEVENIR
Habite les maisons abandonnées. Elles n’ont été habitées que par toi.
Chante la grande pitié des monstres. Évoque toutes les femmes debout
sur le cheval de Troie.
Tu es l’émondeur de ta vie.
Pour découvrir la nudité de celle que tu aimes, regarde ses mains. Son
visage est baissé.
Figure-toi que cette femme tient en trois mots et que cette colline est un
gouffre.
Cachette les véritables lettres d’amour que tu écris avec une hostie
profanée.
Ne t’attends jamais.
Contemple bien ces deux maisons : dans l’une tu es mort et dans l’autre
tu es mort.
Tords de tes propres mains ton corps au-dessus des autres corps :
accepte bravement ce principe d’hygiène.
Coupe les arbres si tu veux, casse aussi les pierres mais prends garde,
prends garde à la lumière livide de l’utilité.