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CHAMP

LIBRE

la médecine
C des preuves
lé de voûte de la médecine des preuves – la fameuse
CHAMP–, l’essai clinique contrôlé est
evidence-based medicine

Othmar Keel
LIBREla plus grande innovation médi-
parfois présenté comme
cale du xx siècle. De fait, la recherche en santé qui n’y a pas
e
U n e h i s to i r e d e l’ e x p é r i m ent at i o n
recours n’a aujourd’hui pratiquement plus voix au chapitre. Des
techniques comme la randomisation et le double insu ont
t h é r a p eu t i q u e pa r es s a i s
indéniablement fait beaucoup pour la rigueur de l’expérimen- cl i n i q u es co nt r ô l é s
tation et la sûreté de ses applications thérapeutiques. Mais le
recours à l’essai clinique contrôlé est-il toujours nécessaire et O thmar K eel
suffisant pour obtenir des résultats valides ? Par ailleurs, les
innombrables études qui s’en réclament en suivent-elles vrai-
ment les règles ? Enfin, point crucial, le contrôle du financement
de la recherche par l’industrie pharmaceutique et biomédicale

la médecine des preuves


privée ne met-il pas en cause sa fiabilité ?
Cet ouvrage adopte la perspective historique pour répon-
dre à ces questions en décrivant l’avènement de l’essai clinique
contrôlé dans les pays anglo-saxons, les dynamiques de son
expansion et sa réalité contemporaine. Une critique nécessaire
et convaincante d’un des fondements de la médecine moderne.

Othmar Keel, professeur au Département d’histoire de l’Université


de Montréal, est spécialiste du champ de l’histoire de la médecine
et de la santé. Il est l’auteur de nombreuses publications dans ce
domaine, dont L’avènement de la médecine clinique moderne
en Europe, 1750-1815 (PUM/Georg Éditeur, 2001) et La santé
publique au Québec (PUM, 1998, en collaboration avec Georges
Desrosiers et Benoît Gaumer).

isbn 978-2-7606-2051-3

24,95 $ • 22 €
CHAMP
LIBRE
www.pum.umontreal.ca PUM
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Othmar Keel

LA MÉDECINE DES PREUVES


Une histoire de l’expérimentation thérapeutique
par essais cliniques contrôlés

Les Presses de l’Université de Montréal

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Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et
Bibliothèque et Archives Canada

Keel, Othmar
La médecine des preuves : une histoire de l’expérimentation thérapeutique
par essais cliniques contrôlés
Comprend des réf. bibliogr.
ISBN 978-2-7606-2051-3
1. Études croisées - Histoire.
2. Études cliniques - Histoire.
3. Médecine factuelle.
4. Thérapeutique expérimentale - Histoire. I. Titre.
r853.c76k43 2010   615.5072’4   c2010-941667-8

ISBN (version imprimée) 978-2-7606-2051-3


ISBN (version imprimée) 978-2-7606-2675-1

Dépôt légal : 1er trimestre 2011


Bibliothèque et Archives nationales du Québec
© Les Presses de l’Université de Montréal, 2011

Les Presses de l’Université de Montréal reconnaissent l’aide financière du


gouvernement du Canada par l’entremise du Fonds du livre du Canada
pour leurs activités d’édition.
Les Presses de l’Université de Montréal remercient de leur soutien financier
le Conseil des Arts du Canada et la Société de développement des entrepri-
ses culturelles du Québec (SODEC).

imprimé au canada en mars 2011

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À ma femme, Monique

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Je remercie madame Andrée Yanacopoulo pour ses com-
mentaires sur une première version du manuscrit de cette
étude. Merci également au vice-doyen à la recherche de la
Faculté des arts et des sciences de l’Université de Montréal
pour son soutien à la publication de cet ouvrage.

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abréviations

APS Acide para-aminosalicylique


ECC Essai clinique contrôlé
ECR Essai clinique randomisé
ETC Essai thérapeutique contrôlé
FDA Food and Drug Administration
MRC Medical Research Council
NHS National Health Service
NRC National Research Council
OSRD Office of Scientific Research and Development
PHS Public Health Service
RCT Randomized controlled trial
STTC Streptomycin in Tuberculosis Trials Committee
TCTC Tuberculosis Chemotherapy Trials Committee
TTC Therapeutic Trials Committee
VA Veterans Administration

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introduction

En 1998, le British Medical Journal marqua par un numéro


spécial le cinquantième anniversaire du premier essai
clinique randomisé (ECR). Le rédacteur en chef écrivait
qu’il s’agissait peut-être de la plus grande innovation
médicale du xxe siècle, tout en reconnaissant qu’elle était
loin d’être complète et qu’elle était même âprement
contestée. Quelques années plus tôt, un comité d’experts
canadiens n’avait pas hésité à dire que la mise en œuvre
des essais cliniques randomisés avait permis l’émergence
d’un nouveau paradigme et que l’evidence-based medicine
constituait rien de moins qu’une révolution scientifique.
Quoi qu’on puisse penser de telles déclarations, il faut
reconnaître que l’ECR est un enjeu fondamental de la
médecine actuelle et qu’il en détermine, du moins en
apparence, l’orientation. D’où l’importance de clarifier les
conditions sociohistoriques et épistémologiques de sa
mise en place et de son expansion. C’est l’objectif de ce
livre.
Il convient de préciser ici que, à strictement parler, la
notion d’essai clinique contrôlé par randomisation est

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12 n la médecine des preuves

plus large que celle d’essai thérapeutique randomisé,


puisqu’elle peut s’appliquer aussi bien aux essais effectués
dans un but diagnostique ou préventif. Cette distinction
s’impose d’un point de vue historique, mais, comme nous
voulons surtout élucider certaines articulations de la
chaîne des médicaments, nous nous intéresserons essen-
tiellement aux essais entrepris dans un but thérapeutique.
De nos jours, l’ECR est la procédure la plus usitée pour
valider une nouvelle molécule (le futur médicament) et
pour obtenir l’autorisation de sa mise en marché. L’essai
clinique comparatif contrôlé a ainsi redéfini les condi-
tions d’accession d’une nouvelle molécule au statut de
médicament selon des procédures précises et standardi-
sées. Il aurait, par là même, permis de spécifier la struc-
ture de la chaîne des médicaments ou, du moins, celle de
certains de ses maillons essentiels puisque, avant lui, la
conception, la production et la consommation des médi-
caments s’opéraient en dehors de tout rapport ou de tout
lien à un essai clinique contrôlé (au sens actuel de cette
notion). Un médicament aussi reconnu que l’aspirine a
été, à la fin du xixe siècle, conçu, produit et mis en marché
sans qu’on ait eu recours à quoi que ce soit qui ressemble
à des essais cliniques contrôlés comparatifs randomisés
— ce dispositif de validation n’étant apparu que vers la fin
de la première moitié du xxe siècle.
Mais en quoi exactement consiste l’ECR ? Il semble
qu’il y ait un certain flou à ce sujet. Par exemple, pour
Löwy, les trois piliers de l’essai thérapeutique contrôlé
sont : « 1) le rôle central des statisticiens dans la planification
des essais, le contrôle de leur déroulement et l’évaluation
des résultats ; 2) l’introduction de critères objectifs quanti-
fiant les conséquences d’un traitement […] ; 3) enfin, la

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introduction n 13

randomisation, c’est-à-dire la répartition au hasard des


malades sélectionnés pour participer à l’essai entre un
groupe expérimental et un groupe témoin, et le traite-
ment en double aveugle » (Löwy, 1998, p. 124).
Cette dernière condition implique, selon cette auteure,
que le malade et le médecin traitant ignorent si le malade
reçoit un médicament ou un placebo. Pour Löwy, une
condition sine qua non de l’essai clinique contrôlé est qu’il
soit mené dans le cadre d’une recherche en coopération
(ou multicentrique). Et c’est effectivement le premier cri-
tère qui permet de distinguer l’ECC moderne des essais
thérapeutiques comparatifs contrôlés antérieurs. C’est
ainsi qu’a commencé ce qu’on a pu appeler rétrospective-
ment le mouvement de la médecine des preuves, à la fin
des années 1920 et au début des années 1930, aux États-
Unis et en Grande-Bretagne. Le deuxième critère généra-
lement retenu pour distinguer l’ECC moderne des essais
comparatifs contrôlés antérieurs est celui de la présence
ou non de la procédure de randomisation.
Il est vrai que, si la maladie est commune et si l’on peut
s’attendre à une grande différence de résultats entre les
deux bras de l’essai, un ECR peut couramment être entiè-
rement conduit par un seul chercheur et dans une seule
clinique. Mais les études en coopération ont l’avantage
d’étudier une population plus large, et les différents cen-
tres cliniques introduisent aussi une certaine variabilité
dans le « matériel » clinique, ce qui rend les conclusions
plus largement applicables quand les différences vont dans
la même direction dans chaque établissement. Lorsque ce
n’est pas le cas, cela permet de se demander si des patients
de types différents ne réagiraient pas différemment au
traitement étudié.

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14 n la médecine des preuves

Cela dit, étant donné que les premiers ECC modernes


ont été menés en coopération durant la période qui va de
la fin des années 1920 au début des années 1950 et que c’est
dans ce cadre que la randomisation s’est d’abord imposée,
nous nous intéresserons à la mise en place de ces deux
conditions.
Si l’on peut admettre que le rôle central des statisti-
ciens, l’introduction de critères objectifs quantifiant les
conséquences d’un traitement et la randomisation sont
des conditions inhérentes à la définition d’un essai clini-
que contrôlé, il n’en va pas de même, comme nous allons
le voir, pour le traitement à double insu et pour l’usage
d’un placebo. Il est de première importance, si l’on veut
comprendre la structure actuelle du processus de produc-
tion, de validation et de certification sanctionnée des
médicaments, de bien saisir en quoi consiste un essai
clinique contrôlé randomisé. Pour ce faire, un détour par
l’analyse historique de la mise en place de cette procédure
est indispensable pour éviter certaines confusions majeu-
res — et fréquentes — sur la nature et le statut de l’ECC
actuel.
Les essais thérapeutiques ou cliniques comparés ont
une histoire de plus de trois siècles. Les deux innovations
qui sont à l’origine de l’ECC moderne ont été la mise en
place des essais comparatifs en coopération (ou multicen-
triques) et l’introduction de la randomisation. Par la suite,
cette pratique a pris, en principe du moins, de plus en plus
de place dans le champ des essais cliniques. Au point que
depuis un certain nombre d’années, de plus en plus d’au­
teurs n’utilisent plus que la désignation d’essai contrôlé
randomisé (ECR) pour désigner les essais cliniques compa­
ratifs contrôlés. La littérature médicale spécialisée emploie

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introduction n 15

systématiquement l’abréviation RCT (randomized controlled


trial) pour traiter des essais thérapeutiques contrôlés et
l’on peut dire que, pour être reconnus comme contrôlés,
la grande majorité des essais cliniques pratiqués de nos
jours doivent être randomisés. Bien ou mal randomisés,
réellement ou seulement prétendument randomisés, c’est
une autre question, que nous traiterons plus avant.
Pour l’instant, il suffira de relever le fait que la croyance
très largement partagée que tous les essais cliniques sont
désormais randomisés — et que, de plus, ils sont menés
avec placebo et à double ou simple insu — est erronée. En
effet, il se pratique encore de nos jours des essais cliniques
comparatifs, c’est-à-dire avec groupe de contrôle, qu’il
faut reconnaître — dans certaines limites — comme
contrôlés même s’ils ne sont pas randomisés.
Curieusement, cette idée que tout essai thérapeutique
contrôlé doit être randomisé est accréditée en partie dans
des manuels classiques comme Méthodologie de l’évaluation
thérapeutique (Caulin et al., 1993), où l’on peut lire : « Réaliser
un essai contrôlé, c’est constituer 2 (ou plus) groupes de
patients qui vont bénéficier de modalités thérapeutiques
différentes […]. Il est fondamental que les groupes consti-
tués soient identiques au début de l’essai : le seul moyen
d’y parvenir est le tirage au sort » (Mery, 1993, p. 251). On lit
aussi : « Les essais thérapeutiques non randomisés intro-
duisent un biais potentiel dans la constitution des grou-
pes et doivent donc être rejetés » (Chevret, 1993, p. 30).
Caulin est lui un peu plus nuancé : « L’essai thérapeutique
comparatif suppose dans l’extrême majorité des cas une
randomisation » (Caulin et al., p. 3).
Par ailleurs, certains auteurs ont voulu revaloriser la
méthode dite des contrôles historiques. Dans les essais

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16 n la médecine des preuves

cliniques non randomisés pratiqués autrefois, les résultats


obtenus avec un nouveau traitement étaient comparés à
ceux obtenus précédemment avec le traitement habituel,
les malades de ce groupe étant appelés « témoins histori-
ques ». En 1980, Perrin souligne que l’on a voulu réhabili-
ter cette méthode dans certaines conditions, « la principale
étant que le groupe témoin soit récent et ait été observé
par l’auteur même de l’essai » (Perrin, 1980, p. 16).
Cela dit, la plus grave des confusions est en fait celle
qui consiste à assimiler essai clinique contrôlé et essai
clinique à double insu et avec placebo. En réalité, ce qui a
distingué au départ l’ECC moderne des essais cliniques
antérieurs ou courants, ce n’est pas la mise en place de la
procédure de l’essai à double insu et contre placebo, mais
bien celle de la randomisation. Il est capital de faire ces
distinctions, car, comme le souligne Löwy — après bien
d’autres —, la randomisation est ce qui a été considéré
comme « l’innovation la plus importante des essais clini-
ques contrôlés » (Löwy, 1998, p. 124). Depuis, le plus sou-
vent, lorsqu’on parle d’essai clinique contrôlé, c’est qu’il y
a eu randomisation.
On distingue la stricte randomisation (répartition au
hasard des malades dans les deux bras de l’essai selon une
liste d’attribution [allocation schedule] ou séquence d’assi-
gnation [allocation sequence] générée à partir d’une table de
nombres aléatoires) de la quasi-randomisation où la répar-
tition au hasard se fait par des procédés plus simples (en
alternance suivant l’ordre d’entrée du patient dans l’essai,
affectation par pile ou face ou par tirage au sort entre
deux couleurs, etc.). La randomisation stricte implique, en
outre, que le secret de la séquence d’assignation est pré-
servé auprès des participants à l’essai (observateurs ou

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introduction n 17

malades) jusqu’à ce que tous les patients soient entrés


dans l’essai. C’est autre chose, soulignons-le, que le pro-
cédé de l’essai en double (ou simple) aveugle avec ou sans
placebo. L’absence de cette seconde condition (secret de
l’assignation) dans les essais quasi randomisés peut avoir
pour effet d’y introduire des biais de sélection et en limite
donc la fiabilité. (Voir le chapitre 3.) Par ailleurs, il faut
souligner que l’on peut parler d’essai clinique contrôlé
même là où il n’y a eu ni double aveugle, ni essai contre
placebo ; il suffit que l’essai ait été randomisé. À noter
aussi, comme nous le verrons, qu’un essai clinique rando-
misé peut être mené à double insu sans que cela implique
le recours à un placebo.
Une autre regrettable confusion est de croire que, au
départ, la mise en place dans l’entre-deux-guerres de la
recherche dite coopérative a impliqué d’emblée le recours
à la méthode de l’essai contre placebo. Cette confusion est
commise par Philippe Pignarre qui écrit : « Les études
contre placebo ont été imaginées dans l’entre-deux-guerres
par des cliniciens américains que les historiens appellent
les “réformateurs thérapeutiques”. Ils cherchaient le moyen
de contrôler les prétentions de l’industrie pharmaceuti-
que de plus en plus puissante et s’opposaient à la vieille
idée fermement ancrée chez chaque médecin qu’il est le
meilleur juge pour décider de ce qui est utile à chaque
patient pris individuellement » (Pignarre, 2004, p. 877).
Or, sauf de très rares exceptions, les études contre
pla­cebo n’ont pas été mises en œuvre dans l’entre-deux-
guerres, mais seulement au début des années 1950. De
plus, ce qui a été mis en place par les réformateurs théra­
peutiques, non seulement aux États-Unis mais aussi en

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18 n la médecine des preuves

Grande-Bretagne, ce sont des essais cliniques « multicen-


triques » — une recherche incluant des essais menés en
collaboration dans plusieurs centres — et non pas des
études contre placebo.
La confusion est également patente dans cet autre
passage de l’article de Pignarre : « Une masse considérable
d’études contre placebo ont été réalisées depuis l’étude,
considérée comme fondatrice, faite en 1948 avec la strep-
tomycine » (ibid.). Or, l’étude faite en 1948 — en Angleterre,
et non pas aux États-Unis — n’était pas une étude contre
placebo ; elle ne saurait donc être fondatrice de cette
méthode. On doit considérer l’étude de 1948 comme
l’étalon-or (gold standard) de l’essai clinique con­trôlé — la
première étude à être à la fois menée en coopération entre
plusieurs centres cliniques et à être randomisée —, mais
nullement comme celui des études contre placebo.
Nous le verrons, avant les années 1950, il n’y a eu,
­semble-t-il, qu’une ou peut-être deux études coopératives
à avoir été à la fois multicentriques, randomisées, en dou-
ble aveugle et contre placebo. L’une — dont il n’est pas
certain qu’elle ait été randomisée —, portant sur l’évalua-
tion des effets de l’acide para-aminosalicylique sur la
tuberculose pulmonaire, fut menée en Suède (et non aux
États-Unis). Elle fut publiée en 1949, soit après celle —
multicentrique et randomisée, mais conduite sans double
insu ni placebo — du Medical Research Council (MRC),
publiée en 1948. À la différence de cette dernière, l’étude
suédoise est demeurée isolée et ne semble pas avoir eu
d’influence comme modèle sur les protocoles des essais
thérapeutiques contrôlés ultérieurs en Grande-Bretagne,
aux États-Unis ou ailleurs. Il en est de même — et cela est

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introduction n 19

à la fois beaucoup plus surprenant et très révélateur pour


le cas britannique — pour la seconde étude de ce type,
menée en 1950, en Angleterre même, et toujours par le
MRC, sur des antihistaminiques contre le rhume ordi-
naire (sur ces points, voir MRC, 1950b, repris dans Bradford
Hill, 1962, p. 105-119).
Nous nous proposons donc de présenter, pour la
période 1920-1960, une analyse des conditions effectives
de la constitution de la médecine des preuves ou des essais
cliniques multicentriques et randomisés aux États-Unis et
en Angleterre. Pour ce faire, nous mettrons en évidence,
dans le premier chapitre, la spécificité du type de l’essai
clinique contrôlé moderne ou actuel par rapport aux dif-
férents types d’essais cliniques contrôlés qui avaient été
pratiqués depuis le xviiie siècle. Ensuite, dans le deuxième
chapitre, nous analyserons la constitution de la médecine
des preuves aux États-Unis entre les années 1920 et 1950,
afin de mettre en évidence les limites des essais cliniques
entrepris au cours de cette période par rapport à la défini-
tion actuelle de l’essai clinique contrôlé. Dans le troisième
chapitre, nous examinerons la façon dont s’est constituée
parallèlement en Angleterre une telle médecine des preu-
ves. Les essais cliniques menés dans ce pays avant et après
la guerre sont censés avoir produit le gold standard, le
modèle des essais cliniques contrôlés entrepris par la
suite. Nous confronterons ces essais cliniques britanni-
ques avec l’essai clinique contrôlé (randomisé) pratiqué
aujourd’hui et, dans la foulée, nous nous interrogerons
sur les caractéristiques fondamentales qui ont fait de
l’essai de 1947-1948 le modèle par excellence de l’ECC
moderne. Dans le quatrième chapitre, nous présenterons

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20 n la médecine des preuves

un bilan des essais cliniques contrôlés jusqu’à la fin des


années 1960 et nous analyserons leur structure et les con­
ditions de l’expérimentation thérapeutique. Enfin, dans
le dernier chapitre, nous nous pencherons sur les problè-
mes posés par le fait que les essais thérapeutiques sont
décidés, gérés et financés dans le cadre privé des firmes
pharmaceutiques.
Nous aurons ainsi vu que, si l’essai clinique contrôlé
actuel implique habituellement la procédure de la rando-
misation, il n’implique pas nécessairement celle de l’insu
(simple ou double), ni celle de l’essai contre placebo. Nous
aurons également démontré que la méthode d’essai contre
placebo n’a pas été employée pour la validation, par essais
contrôlés, des premiers antibiotiques, contrairement à ce
que prétend la thèse la plus répandue. Pignarre, par exem-
ple, affirme que le placebo est « l’instrument permettant
la réalisation d’essais cliniques contrôlés » (Pignarre, 2004,
p. 876). Or, non seulement la méthode d’essai contre
­placebo n’a pas été le premier instrument permettant la
réalisation d’essais cliniques contrôlés, mais elle n’est tou-
jours pas actuellement l’instrument principal permettant
la réalisation de tels essais contrôlés — cet instrument
principal étant la randomisation, à laquelle l’essai contre
placebo peut se conjuguer dans certains cas.
Actuellement, dans plusieurs essais cliniques contrô-
lés, l’évaluation du candidat médicament se fait par rap-
port à un traitement ou à un médicament de référence et
non pas par rapport à un placebo. C’est la procédure de
randomisation qui assure leur fiabilité. La comparaison
peut porter aussi sur plus de deux médicaments dans des
essais thérapeutiques qui ont plus de deux bras et où il n’y
a pas non plus de placebo. Et, historiquement, c’est de

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introduction n 21

cette manière qu’ont été validés les premiers antibiotiques


— la streptomycine, par exemple.
Il y a donc distorsion dans la présentation de l’essai cli-
nique contrôlé moderne, chez un auteur comme Pignarre,
qui prétend que, dans les essais cliniques qui compa-
rent un candidat médicament avec un traitement ou un
médicament de référence, ce dernier a lui-même néces-
sairement fait l’objet antérieurement d’un essai contre
placebo. Il cite à l’appui de cette thèse les règles éthiques
énoncées à l’article 29 de la 18 e assemblée de l’Association
médicale mondiale, qui stipulent que : « Les avantages,
les risques, les contraintes et l’efficacité d’une nouvelle
méthode doivent être évalués par comparaison avec les
meilleures méthodes diagnos­tiques, thérapeutiques et
de prévention en usage. Cela n’exclut ni le recours au
placebo, ni l’absence d’intervention dans les études pour
lesquelles il n’existe pas de méthode thérapeutique ou de
prévention éprouvée. » Et il poursuit : « Cela implique que
lorsqu’un traitement existe déjà, il n’est ni logique, ni éthi-
que de comparer le candidat médicament à un placebo.
Cela sous-entend que ce traitement de référence, auquel
il faut comparer le candidat médicament, a lui-même fait
l’objet d’une comparaison avec un placebo. Le placebo est
donc toujours, directement ou indirectement, le point de
référence de tous les essais thérapeutiques, mais on peut
en pratique s’en passer dans l’intérêt des patients » (ibid.).
Or, ce dernier argument est irrecevable. En effet, nous
le verrons, dans le passé tout comme aujourd’hui, un
nombre important de médicaments ou de traitements qui
ont servi de référence pour évaluer un candidat médica-
ment n’avaient pas eux-mêmes été validés par l’essai contre
placebo, mais par d’autres moyens.

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22 n la médecine des preuves

Autre point important, il nous apparaît qu’une confu-


sion sur la nature de l’essai clinique contrôlé peut en
entraîner une seconde portant, cette fois, sur la relation
entre le problème posé par la suggestion et la mise en place
de l’essai clinique contrôlé. Ainsi, Löwy, qui croit que le
placebo est inhérent à l’essai clinique contrôlé, en vient à
affirmer que l’essai thérapeutique ou clinique contrôlé a
été conçu pour répondre à la question « comment peut-on
administrer des traitements sans suggestion ? », autrement
dit pour essayer de mettre entre parenthèses la suggestion
dans l’évaluation du traitement. Pour étayer sa thèse, elle
s’appuie sur Edmund Biernacki : « Plus important encore,
l’art de guérir ne peut pas devenir une véritable science
puisqu’il est indissolublement lié aux rapports médecin-
malade, donc à un rapport singulier entre deux individus.
L’effet thérapeutique dépend pour une large part de fac-
teurs psychologiques : “La suggestion […] peut influencer
de manière positive les perturbations les plus matérielles
des fonctions végétatives de l’organisme.” Pour cette rai-
son, continue Biernacki, une vérification scientifique de
l’efficacité des traitements est impossible. Pour la rendre
possible, la condition nécessaire est d’appliquer le traite-
ment à deux séries de malades : les uns recevront le traite-
ment avec suggestion, les autres sans suggestion. Mais
comment peut-on administrer des traitements sans sug-
gestion ? » (Löwy, 1998, p. 122).
Or, nous verrons que, si c’est bien là un des objectifs
de l’essai clinique contrôlé qui a recours au placebo, ce
n’est pas pour répondre à ce problème que l’ECR — sans
placebo — a été, au départ, mis en place. En fait, il l’a été
pour remédier aux biais méthodologiques qui pouvaient

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introduction n 23

s’intro­duire dans la constitution des deux groupes (expé-


rimental et témoin) de patients pour l’essai. En effet, ces
deux groupes risquaient de ne plus être « équivalents »
et donc objectivement comparables si la répartition des
patients entre les deux bras de l’essai ne se faisait pas au
hasard.
Enfin, un autre enseignement important qui se déga-
gera au fil des pages — et que nous exposerons dans le
chapitre 5 — est que la majorité des premiers essais clini-
ques contrôlés ont été conduits par des organismes publics
et avec des fonds publics. En fait, lors des premiers essais
cliniques contrôlés, les firmes pharmaceutiques fournis-
saient souvent gratuitement la quantité nécessaire du
produit ou du médicament à tester, mais les dépenses
entraînées par l’essai lui-même (planification et réalisa-
tion ensuite dans le cadre hospitalier ou sur le terrain)
étaient entièrement assurées par les organismes publics
ou les administrations publiques de santé. Ceci permettra
peut-être de mieux cerner l’ampleur du glissement qui
s’est produit pour que les essais cliniques contrôlés aient
pu devenir le quasi-monopole du financement privé et des
sociétés pharmaceutiques.
Il est à noter qu’au début de ce processus de prise de
contrôle, les sociétés pharmaceutiques qui finançaient
des recherches menées dans des centres ou instituts de
recherche publics respectaient l’indépendance et l’auto-
nomie des chercheurs. Mais, depuis quelques années,
leurs politi­ques à cet égard ont complètement changé et
elles imposent maintenant sans retenue et sans respect
pour l’indépendance des chercheurs, leurs normes et leurs
exigences dans les recherches qu’elles financent dans les
centres ou dans les instituts.

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24 n la médecine des preuves

En conclusion, nous verrons quels sont les enseigne-


ments à tirer de cette analyse épistémologique et sociohis-
torique pour la compréhension de l’essai clinique contrôlé
tel qu’il fonctionne aujourd’hui.

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chapitre 1

L’essai clinique contrôlé moderne

De tout temps, le traitement administré à un malade,


quelle qu’en soit la nature, a été une expérience thérapeu-
tique — voire une expérimentation —, dès lors qu’il était
prescrit à un nombre important de patients dans le but de
vérifier si l’on obtenait des résultats identiques, que ces
derniers soient positifs ou négatifs. On pourrait même
dire que l’expérience thérapeutique a toujours été con­
trôlée, soit par l’amélioration ou la guérison, soit par la
régression ou le décès du patient.

L’expérimentation thérapeutique moderne

Les traités d’aujourd’hui sur les essais thérapeutiques


­distinguent l’essai ouvert et l’essai contrôlé. L’essai ouvert
est ce que les cliniciens qui essayent un nouveau traite-
ment ont fait depuis longtemps — et font encore aujour­
d’hui. Comme l’explique Perrin : « Ils se contentaient
d’observer les résultats qu’ils obtenaient et tiraient des
conclusions d’après leur impression clinique. Ils compa-
raient en fait inconsciemment leurs nouveaux résultats

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26 n la médecine des preuves

avec ceux précédemment obtenus par d’autres thérapeu-


tiques ou encore avec ce qu’ils savaient de l’évolution
spontanée de la maladie » (Perrin, 1980, p. 20).
L’auteur poursuit ainsi : « C’est ce qu’on appelle l’essai
libre ou ouvert ou encore “essai en clair”. Dans ces essais,
il y a en fait un contrôle implicite par référence à l’expé-
rience antérieure » (ibid.). L’auteur note qu’en procédant de
cette manière, il n’est pas possible de mettre en évidence
des progrès thérapeutiques, sans doute moins spectacu-
laires, mais néanmoins réels ou effectifs. Pour pouvoir
repérer ces progrès, il est donc indispensable, dit-il, d’être
en mesure de comparer, dans des conditions scientifique-
ment satisfaisantes, les malades qui reçoivent le nouveau
traitement avec un groupe témoin, dit de contrôle, et
cons­titué de malades présentant la même affection, mais
traités différemment ou même laissés sans traitement.
C’est là, d’après lui, « la base de l’approche expérimentale
de l’essai clinique qu’on appelle alors un essai contrôlé »
(ibid., p. 21).
Selon les traités classiques sur les essais thérapeutiques,
un essai contrôlé se définit par l’existence d’un groupe de
contrôle, mais également par les critères suivants :

1) La recherche en coopération (ou multicentrique).


2) La randomisation, « terme venant de l’anglais random
qui signifie “hasard” » et qui « désigne simplement le
tirage au sort des malades. On utilise pour cela des
tables de nombres aléatoires qui, suivant l’ordre d’en-
trée des malades dans l’essai, détermineront le type de
traitement qui sera appliqué » (ibid.).
3) L’essai en simple aveugle — ou, le plus souvent possible,
en double aveugle (à double insu). Dans l’essai en simple

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l’essai clinique contrôlé moderne n 27

ou en double aveugle, il y a deux possibilités : l’essai


contre médicament ou produit de référence et l’essai
contre placebo. Perrin précise : « Lorsqu’il s’agit d’une
maladie bénigne, le médicament est comparé à un pro­
duit inactif ayant exactement la même présentation.
Ce produit inactif ayant l’aspect d’un médicament est
appelé placebo. Là encore, médicament actif et placebo
peuvent être administrés à deux groupes différents ou
en deux séquences successives au même patient » (ibid.,
p. 24).

Toutefois, dans l’histoire de la médecine, on trouve de


nombreux essais thérapeutiques qui, sans réunir toutes les
conditions de l’ETC moderne ou actuel, n’en étaient pas
moins des essais cliniques contrôlés à différents degrés, et
qui n’étaient certainement plus seulement des essais
ouverts simples (ou en clair) tels que les définissent les
traités modernes sur l’expérimentation thérapeutique.
Et pour comprendre comment s’est mis en place l’ETC
moderne, il est indispensable de connaître l’histoire de
son passé.

L’expérimentation thérapeutique dans l’histoire

On peut considérer les essais cliniques de James Lind


(1716-1794), en Angleterre, comme les premiers exemples
d’une expérimentation thérapeutique contrôlée, c’est-à-
dire utilisant des groupes témoins concurrents. En effet,
Lind montra qu’en ajoutant des agrumes (notamment des
citrons et des oranges) à l’alimentation des marins au long
cours atteints de scorbut (une avitaminose C), on pouvait
les en guérir. Pour ce faire, douze marins malades furent
divisés en six groupes de deux. On leur donna à tous le

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28 n la médecine des preuves

même régime de base. Un des groupes y ajouta des agru-


mes ; les cinq autres reçurent chacun l’un des traitements
de l’époque (cidre, élixir de vitriol, vinaigre, eau de mer et
un électuaire composé de substances variées). On constata
que seuls les deux marins ayant consommé des agrumes
avaient guéri. Six traitements différents avaient donc été
comparés entre eux. L’expérience permit de traiter cette
grave maladie et, par la suite, de la prévenir.
D’autres formes d’expérimentation comportant un
groupe témoin furent menées, dans les premières décen-
nies du xixe siècle, dans les écoles médicales de Paris et de
Vienne. Si elles n’aboutirent pas à des innovations théra-
peutiques, elles démontrèrent par contre, à l’aide des statis­
tiques, l’inefficacité, voire la nocivité, selon leurs auteurs,
de certains traitements traditionnels. Ainsi, des expéri-
mentateurs comme Pierre-Charles-Alexandre Louis (1787-
1872), à Paris, ainsi que Josef Dietl (1804-1878), à Vienne,
purent tester des pratiques thérapeutiques alors courantes
— comme la saignée en cas de pneumonie. En comparant
l’état de santé de malades auxquels on avait administré
ce traitement avec celui d’autres qui n’en avaient pas
reçu, ils arrivèrent à la conclusion qu’il n’y avait pas de
différence appréciable quant à la mortalité. Il n’y en avait
pas non plus selon que la saignée avait été effectuée tôt
ou tard ou selon les quantités de sang prélevé. Ce type
d’expérience basée sur un contrôle statistique fut peu
fréquent dans la médecine hospitalière de l’époque.
On lui donna le nom de « méthode numérique ». On y
retrouve les deux conditions essentielles d’une expérimen-
tation contrôlée : la constitution d’un groupe témoin (ou
groupe de contrôle) concurrent et l’im­portance numéri-
que du groupe expérimental et du groupe témoin, soit une

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l’essai clinique contrôlé moderne n 29

vingtaine ou plus de malades de part et d’autre, ce qui


n’était pas le cas dans l’expérience de Lind. Mais de tels
ETC, à la différence de ceux d’aujour­d ’hui, n’étaient ni
randomisés, ni multicentriques, ni vérifiés par un instru-
ment statistique comparable à celui dont on disposera à
partir des années 1930.
Un autre type d’ETC a prévalu dans les hôpitaux du
xixe siècle, qui répond à une autre définition de la notion
d’expérimentation contrôlée, à savoir des essais cliniques
pratiqués à une échelle suffisante, statistiquement par-
lant, et l’analyse, avant et après traitement, de l’état de
santé d’un échantillon important de sujets atteints de la
même maladie — même sans groupe témoin. Par exemple,
dans les années 1890, Behring et ses collègues mirent au
point le sérum antidiphtérique en se basant sur des études
bactériologiques et immunologiques. Ils en évaluèrent
l’efficacité sur une trentaine de patients, dont six mouru-
rent. Ils comparèrent ce résultat non pas avec celui d’un
groupe témoin, mais avec la mortalité habituelle, qui était
de 50 % pour cette maladie, et avec la mortalité diphtéri-
que de l’année précédente dans le même hôpital, qui avait
été de 66 % (Lilienfeld, 1982).
En 1898, Johannes Fibiger, à l’hôpital Blegdam au Dane­
mark, améliora la qualité de l’essai contrôlé du sérum anti-
diphtérique en utilisant une autre méthode de contrôle,
plus perfectionnée, celle du contrôle alterné : lorsqu’un
nouveau patient était traité, le suivant servait automati-
quement de contrôle en n’étant pas traité. Fibiger déter-
minait ensuite si les groupes traités et les groupes non
traités étaient comparables sous le rapport de l’âge, des
symptômes et de la gravité de la maladie. L’utilisation des
contrôles alternés représentait une avancée conceptuelle

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30 n la médecine des preuves

dans la pratique de l’ETC, car elle cherchait à évaluer de


manière objective les résultats d’un traitement avec le
souci méthodologique de l’axiome selon lequel toutes cho-
ses doivent demeurer égales par ailleurs (ou ceteris paribus)
(Lilienfeld, 1982).
Ces formes déjà pourtant élaborées d’expérimentation
thérapeutique contrôlée ne répondent encore à aucun des
critères de l’ETC au sens actuel le plus courant : des essais
faisant appel à la coopération entre plusieurs centres cli-
niques ou hôpitaux et portant sur un grand nombre de
malades ; la détermination au hasard (par tirage au sort
utilisant des tables de nombres aléatoires) des patients
faisant partie respectivement du groupe expérimental et
du groupe témoin ; ainsi que, éventuellement, l’essai en
simple ou double aveugle et le recours à un placebo.
Les deux premiers critères — auxquels peuvent se
combiner les deux derniers — sont ceux qui définissent
ce qu’on appelle aujourd’hui la médecine des preuves
(evidence-based medicine). Mais à partir de quand et com-
ment ces critères ont-ils été introduits dans la pratique de
l’expé­rimentation thérapeutique ? Comme nous allons le
voir, ils l’ont été progressivement et indépendamment les
uns des autres à partir des années 1920.
Soulignons que l’efficacité des deux premiers anti­
biotiques majeurs, la pénicilline (contre la syphilis) et la
streptomycine (contre la tuberculose), a été, en partie au
moins, reconnue avant l’adoption de ces critères et que,
donc, des malades ont été traités et guéris avant que la
médecine des preuves ait été en mesure de démontrer leur
efficacité. Ce serait, par conséquent, une grave erreur, du
point de vue historique et épistémologique, que de croire
que c’est grâce à elle que ces deux antibiotiques ont été

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l’essai clinique contrôlé moderne n 31

découverts. Ils sont en fait, au départ, le fruit de recher-


ches expérimentales (pharmacologiques) et de premiers
essais cliniques « empiriques » qui ne devaient rien à la
médecine des preuves. Néanmoins, comme nous le ver-
rons au chapitre 3, en particulier pour ce qui est de la
streptomycine dans le cas de la tuberculose, les ECR ont
permis de renforcer considérablement la preuve expéri-
mentale, sur le plan clinique et thérapeutique, de cette
efficacité et de déterminer l’usage optimal de ce médica-
ment par une étude systématique des résultats de ses com-
binaisons avec d’autres produits pharmacologiques. Pour
mieux comprendre comment se sont mis en place ces
nouveaux critères qui, ensemble, balisent ce qu’on doit
considérer maintenant comme un maillon constitutif et
incontournable de la chaîne des médicaments, nous allons
donc analyser, étape par étape, le processus de constitu-
tion de cette médecine dite des preuves.

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chapitre 2

La médecine des preuves


aux États-Unis

Les premières étapes de la médecine des preuves aux


États-Unis ont été analysées de manière précise dans un
ouvrage désormais classique de l’historien Harry Marks
(1999). Ilana Löwy a repris en partie ces analyses dans
deux articles généraux sur les essais cliniques. De ces ana-
lyses, nous ne retiendrons, pour le moment, que ce qui sert
notre objectif, à savoir la mise en évidence des limites des
essais cliniques entrepris aux États-Unis au cours de ces
périodes successives — jusqu’en 1950 environ. Nous tente-
rons ensuite de situer chacune de ces étapes dans le cadre
plus général de la recherche clinique par le biais de l’expé-
rimentation thérapeutique dans les pays occidentaux.

La première étape

La première étape de la médecine des preuves est celle où,


au début du xx e siècle, à l’initiative de « réformateurs
médicaux » (élites médicales universitaires et administra-
teurs de la santé) ayant pris position contre, d’une part, le
lobbying et le marketing de l’industrie pharmaceutique

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34 n la médecine des preuves

et, d’autre part, l’« improvisation » et la routine des prati-


ciens en thérapeutique, un programme de la médecine des
preuves a vu le jour. On exige désormais d’un traitement
qu’il fournisse de son efficacité des preuves plus rigoureu-
ses — entendons quantifiables et mesurables — que celles
de la pratique courante. On commence aussi à penser à
une recherche en coopération entre plusieurs centres,
c’est-à-dire à plus grande échelle que celle du chercheur ou
praticien individuel. Mais ce n’est encore pour le moment
qu’un programme.

La deuxième étape

La deuxième étape est la mise en place de cette nouvelle


pratique de l’expérimentation thérapeutique. Les premiè-
res recherches « en collaboration » entre plusieurs centres
sont entreprises dans les années 1920. En 1928, à l’initia-
tive de John Stokes, de l’Université de Pennsylvanie, fut
constituée entre plusieurs centres cliniques une équipe
coopérative destinée à étudier de nouveaux traitements
antisyphilitiques à base de composés de l’arsenic censés
être moins toxiques que le fameux Salvarsan (l’arsphéna-
mine, ou composé 606, mise au point par Ehrlich en 1910).
Le Salvarsan était alors apparu comme un remède miracle,
le premier projectile chimique magique : en quelques
jours, des malades dont les cordes vocales avaient été
­presque entièrement détruites recouvraient l’usage de la
parole. Mais le traitement était très long (plusieurs mois)
et un nombre important de patients présentaient de graves
effets secondaires au niveau du foie, de la moelle épinière
et de la peau. On enregistra même des décès. En outre, on
s’aperçut que le Salvarsan était un produit instable et que

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la médecine des preuves aux états-unis n 35

sa puissance variait avec les livraisons. Ehrlich essaya de


surmonter ces obstacles en mettant au point en 1912 un
nouveau composé, toujours à base d’arsenic, le 904 ou
Néosalvarsan (néoarsphénamine). Comme le Salvarsan, le
Néosalvarsan fut aussitôt commercialisé par la firme
Hoechst, en Allemagne. Bien que moins dangereux que son
prédécesseur, il était toutefois loin d’être la médication
idéale. Mais, faute de mieux, on continua à l’utiliser pen-
dant une vingtaine d’années (Weatherhall, 1993, p. 926).
Un antisyphilitique plus efficace restait à trouver, et
c’est pourquoi le Cooperative Clinical Group, mis sur pied
par Stokes, avait entrepris de comparer le Salvarsan et des
traitements expérimentaux à base d’autres composés de
l’arsenic. Cette recherche coopérative se fondait sur le
principe que les résultats obtenus par un chercheur ne
valent que s’ils sont comparés avec ceux obtenus dans
plusieurs autres centres. Mais les mesures étaient encore
étroitement liées au savoir spécialisé des médecins qui les
faisaient (Marks, 1988 et 1999, p. 86 sq.). De fait, explique
Löwy, l’évaluation devait se faire sur la base des dossiers
hospitaliers, mais on eut du mal à apparier les centres
d’expérimentation sous le rapport de la classification des
malades, de la dose du traitement à administrer et, fina-
lement, de l’appréciation des résultats thérapeutiques. Il
fut donc convenu que seul le chef du service clinique de
chaque centre hospitalier serait habilité à sélectionner les
cas et à juger des résultats. Cela revenait à ne reconnaître
qu’un seul savoir, celui de l’expert, et à admettre que,
même dans une recherche faite en coopération, il était
bien plus garant de l’exactitude des résultats obtenus que
l’observation standardisée dans la collecte des données de
critères d’objectivité préétablis par les aides-­statisticiens

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36 n la médecine des preuves

mis à la disposition du Cooperative Group par le Service


de santé publique (Löwy, 1998, p. 123 ; Marks, 1988, p. 301-
309).
De fait, avant la Seconde Guerre mondiale, seul un
spécialiste d’une pathologie définie pouvait, aux yeux des
médecins, juger si deux individus étaient à un stade com-
parable de leur maladie et si un patient était en meilleure
condition après traitement. Le spécialiste était donc le
seul en mesure de former des groupes témoins correspon-
dant aux groupes expérimentaux et de juger des effets du
traitement sur le groupe expérimental. Dans cette pre-
mière recherche faite en collaboration, la standardisation
des données fut problématique, faute d’accord entre les
responsables de chaque centre d’expérimentation. En par-
ticulier, John Stokes, ainsi que Joseph Moore, professeur
à l’Université Johns Hopkins, ne parvinrent pas à s’enten-
dre sur les critères de comparaison de l’état des malades.
Comme l’écrit Löwy : « Ainsi les conclusions de cette
recherche furent présentées sous la forme de grands
tableaux juxtaposant les résultats obtenus dans chacun
des hôpitaux participants et excluant ainsi un traitement
statistique de ces résultats » (Löwy, 2004, p. 443). Il n’y eut
donc pas, en fait, de recours à des groupes témoins for-
mellement constitués, non plus que de randomisation
possible. Et, bien entendu, dans ces conditions, il ne pou-
vait y avoir non plus d’essais cliniques en aveugle et contre
placebo. Cette recherche montra toutefois que les traite-
ments à base de nouveaux composés d’arsenic n’avaient
pas vraiment plus d’efficacité que le Salvarsan d’Ehrlich.
Selon Marks, elle mit surtout en évidence une difficulté de
taille : « Comment convaincre les médecins de renoncer à
une partie de leur autonomie et de l’autorité qui découle

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la médecine des preuves aux états-unis n 37

de leur savoir individualisé pour favoriser une action


collective » (Marks, 1999, chap. 4). Néanmoins, jusque dans
les années 1940, les études du Cooperative Clinical Group
sur le traitement de la syphilis contribuèrent à la connais-
sance de la maladie, permirent de développer des métho-
des de traitement fiables et réalisables et établirent un
modèle pour des études en collaboration qui serait imité
par d’autres par la suite (Dowling, 1975-1976, p. 22).
Parallèlement, et tout à fait indépendamment, on pro-
cédait depuis 1926 à ce qui est considéré comme le premier
essai clinique ayant mis en œuvre une méthode authenti-
que d’assignation aléatoire des patients à un groupe expé-
rimental et à un groupe de contrôle. Il s’agissait de tester
la valeur thérapeutique de la sanocrysine, un composé
aurifère introduit en 1924, dans le traitement de la tuber-
culose pulmonaire. Des composés semblables avaient été
testés à l’époque dans différents pays et les opinions diver-
geaient quant à leur efficacité. En 1931, J. Burns Amberson
et ses collègues publièrent dans l’American Review of Tuber­
culosis les résultats d’un essai thérapeutique mené depuis
1926 à Northville, au Michigan, dans un sanatorium.
Ces chercheurs avaient soigneusement sélectionné
24 cas, qu’ils avaient ensuite divisés en deux groupes à peu
près comparables de 12 malades chacun. Ensuite, en tirant
à pile ou face, l’un (Groupe I) fut traité à la sanocrysine et
l’autre (Groupe II, de contrôle), reçut de simples injections
intraveineuses d’eau distillée. Les sujets de l’un et l’autre
groupe, qui n’étaient connus que par les infirmières char-
gées de leurs soins et par deux des chercheurs, n’étaient
pas au courant d’une différence quelconque dans le trai-
tement administré. C’était donc, si l’on peut dire, un essai
clinique en simple aveugle. Les chercheurs admettaient

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38 n la médecine des preuves

que, à partir de si petits échantillons de malades, il n’était


pas prudent de tirer des conclusions générales. Néanmoins,
ils avaient constaté que l’état des patients traités par la
sanocrysine avait empiré (l’un d’eux était même mort
empoisonné par le composé aurifère).
Ce rapport est intéressant dans la mesure où il est fait
état pour la première fois de l’utilisation d’une assigna-
tion au hasard des malades au groupe expérimental, d’une
part, et à celui de contrôle, de l’autre, bien que ce soit les
groupes — et non les individus — qui aient été ainsi choi-
sis (Bloom, 1986, p. 302). Il semble que ce soit aussi l’un des
premiers rapports d’un essai thérapeutique où l’on s’était
efforcé d’apparier les individus malades en fonction d’un
ensemble de caractéristiques bien déterminées ou de
critères bien définis d’inclusion et d’exclusion. Enfin, il
s’agit de l’un des premiers essais en simple aveugle et
faisant usage d’un placebo. Cet essai comportait donc
une première forme d’utilisation du hasard, le recours
à un placebo et une procédure en simple aveugle, mais
ni recherche coopérative multicentrique sur un grand
nombre de patients, ni randomisation par tirage au sort
des patients pour le groupe expérimental et le groupe
de contrôle, ni procédure à double insu. Le médicament
n’avait pas été évalué par rapport à un autre, de référence,
mais en regard d’un placebo.
Rappelons également que des essais cliniques sur l’im-
munisation contre les maladies respiratoires aiguës avaient
été entrepris dès le début des années 1920, en utilisant des
vaccins de différentes compositions. Des groupes de con­
trôle avaient été sélectionnés à des fins de comparaison
dans ces essais, mais cette sélection n’avait pas été faite

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la médecine des preuves aux états-unis n 39

systématiquement. En 1938, Harold Diehl et ses collabora-


teurs firent paraître dans le Journal of the American Medical
Association un rapport sur un essai de ce genre mené à
l’Université du Minnesota. Ils expliquaient qu’au début de
chaque année de l’étude, des étudiants étaient affectés, au
hasard et sans sélection, à un groupe de contrôle ou à un
groupe expérimental. Ils mentionnaient aussi que Mogath
et Berkson avaient mené en 1936-1937 à la Mayo Clinic une
étude similaire de vaccination orale, dans laquelle le
groupe expérimental et le groupe témoin avaient été soi-
gneusement assortis et traités de façon identique. Aucun
de ces vaccins ne s’avéra efficace (Lilienfeld, 1982). Dans
ces deux cas, l’un des deux critères de la médecine des
preuves avait été respecté, soit celui du hasard, mais pas
celui du multicentrisme. Et il s’agissait de prévention.
Dans les années 1920-1930, tout se passe donc comme
si, lorsqu’on utilise la méthode coopérative (comme dans
le cas du Cooperative Clinical Group de Stokes), on ne
recourt ni à des groupes de contrôle ni à la randomisation
de l’échantillonnage, et que lorsque, par ailleurs, on com-
mence à faire usage du hasard (comme au sanatorium de
Northville, puis à l’Université du Minnesota et à la Mayo
Clinic), on ne respecte pas le second critère de la médecine
des preuves, à savoir la nécessité d’essais thérapeutiques
contrôlés multicentriques.

La troisième étape

La troisième étape, pendant la Seconde Guerre mondiale, a


permis d’instaurer, entre les médecins et les chercheurs,
une large collaboration multicentrique les conduisant à
accepter de céder une partie de leurs prérogatives en

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40 n la médecine des preuves

matière de jugement et d’évaluation au niveau du diagnos-


tic et de la thérapeutique. Au cours de cette période, on
mit sur pied des essais cliniques pour évaluer l’efficacité
de la pénicilline dans les cas de syphilis. Mais si la prati-
que systématique de ces essais à grande échelle favorisa
chez les chercheurs un nouvel « habitus » de soumission à
un plan commun de coopération et d’expérimentation, ce
fut seulement, comme nous allons le voir, dans une
mesure encore limitée.
En 1943, un chercheur du Service de santé publique,
John F. Mahoney, avait démontré que la pénicilline avait
un puissant effet spirochéticide dans les infections expé-
rimentales. Étant donné l’ampleur des ravages causés par
la syphilis dans les effectifs militaires, les médecins de
l’armée américaine avaient commencé à utiliser cet anti-
biotique à fortes doses avant même qu’aient été effectuées
des évaluations contrôlées. Les autorités militaires, sou-
cieuses de recevoir une évaluation impartiale de ce médi-
cament qu’elles pensaient ne pas pouvoir obtenir de leur
propre service de santé, s’adressèrent alors au National
Research Council (NRC) pour que soit mise en place une
recherche objective sur son efficacité. Comme la produc-
tion accrue de pénicilline le rendait maintenant possible,
le NRC organisa donc, à l’automne 1943, un essai clinique
à grande échelle sur l’utilisation optimale de ce médica-
ment dans le traitement de la syphilis pour faire une
évaluation strictement contrôlée de ses effets.
Cette recherche fut conduite par Joseph E. Moore,
celui qui, comme nous l’avons vu, avait participé en 1928
avec John Stokes, au premier essai clinique en coopération
et qui, depuis, était devenu président du Subcommittee
on Venereal Diseases du NRC. Il y eut cette fois dès le

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la médecine des preuves aux états-unis n 41

début accord entre les chercheurs des différentes cliniques


sur les conditions de recrutement des malades et pour
« coopérer dans une recherche planifiée, chaque clinique
utilisant un modèle de traitement qui lui était indiqué par
le comité de direction » (Marks, 1999, p. 159). De plus, ces
chercheurs parvinrent à s’entendre sur un mode standar-
disé de collecte des données cliniques et des procédures de
laboratoire. Les cliniques cibles avaient été sélectionnées
en fonction de la présence de chercheurs d’élite reconnus
pour leur expertise dans le domaine de la syphilis et de la
recherche sur le traitement des maladies infectieuses.
L’Office of Scientific Research and Development (OSRD),
créé en 1941 par le président Roosevelt, assurait la totalité
des dépenses encourues.
Mais, en dépit de ces circonstances particulièrement
favorables, les réformateurs médicaux se heurtèrent au
refus des cliniciens de renoncer à leur autonomie et de se
soumettre à une discipline collective. Soucieux de guérir
le plus de malades possible, ces derniers transgressèrent,
entre autres, la consigne d’essayer de tester une dose de
pénicilline inférieure à celle qui avait déjà été utilisée. Par
ailleurs, beaucoup d’entre eux refusèrent d’assurer un long
suivi des patients traités, plus intéressés qu’ils étaient par
d’autres pistes de recherche prometteuses sur ce nouveau
médicament ; or, pour une maladie protéiforme comme la
syphilis, seule l’analyse sur le long terme était pertinente.
Ainsi, le manque de respect du protocole fit qu’on ne put
utiliser qu’un peu plus de la moitié des données recueillies,
soit 6000 des 11 000 dossiers qui avaient été constitués. Et
le manque de suivi des patients posa de graves problèmes
pour l’interprétation des données utilisables. C’est ainsi
que la guerre se termina sans que les chercheurs du NRC

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42 n la médecine des preuves

aient pu arriver à des conclusions valables, même provi-


soires (Marks, 1999, p. 155 sq.).
Peu après la fin de la guerre, Margaret Merrell, qui avait
été du nombre des statisticiens du NRC, tira des limites
méthodologiques de cette étude la leçon que, en l’absence
de groupes de contrôle menés simultanément, il avait été
difficile de distinguer entre les effets de la pénicilline et
ceux des nombreux autres facteurs susceptibles d’affecter
le résultat du traitement : choix des patients, thérapies
complémentaires et symptomatologie protéiforme de la
maladie. En effet, cette étude n’avait pas fait appel à des
groupes témoins. On s’était contenté de demander aux
chercheurs d’observer sur une longue période l’état des
patients avant et après le traitement — et encore, comme
on l’a vu, dans près de la moitié des cas cette directive
n’avait pas été suivie en ce qui concerne la surveillance
post-traitement. Il est évident que, dans ces conditions,
l’interprétation des données utilisables et la comparaison
avec des traitements antérieurement mis en œuvre pour
la syphilis devenaient très problématiques. Margaret
Merrell et d’autres statisticiens tirèrent après coup de cette
étude une autre leçon : « Plutôt que d’avoir un grand nom-
bre de patients sur un calendrier donné que l’on ne s’in-
quiète plus ensuite de suivre, il vaut mieux en avoir un
petit nombre que l’on suit jusqu’au bout. Il existe un équi-
libre entre le problème du nombre suffisant de patients et
celui de l’énergie que l’on consacre à les suivre pour que
les conclusions ne soient pas basées sur de purs présuppo-
sés » (cité par Marks, 1999, p. 164).
Le NRC avait décidé de financer cette étude à condi-
tion qu’elle soit menée dans des conditions strictement
contrôlées. Et, de fait, les statisticiens occupaient une

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la médecine des preuves aux états-unis n 43

place prédominante dans cette étude, puisque toutes les


données étaient centralisées et traitées par l’Unité des
statistiques du NRC où travaillait, entre autres, Margaret
Merrell. Mais ils n’arrivèrent pas à imposer le principe
d’un groupe de contrôle. Dans son article sur l’« Essai cli-
nique » du Dictionnaire de la pensée médicale, Löwy écrit :
« Pourtant, de nombreux participants à cet essai [celui de
1943 sur la pénicilline], ainsi que dans les deux essais sur
l’efficacité de la streptomycine dans le traitement de la
tuberculose conduits en 1946, celui de la Veterans Admi­
nistration (USA) et celui du Service de santé américain
(Public Health Service), eurent du mal à accepter entière-
ment la discipline collective et à adopter pleinement le
principe d’un test contre placebo et en aveugle. Ces essais
furent donc jugés imparfaits du point de vue méthodolo-
gique » (Löwy, 2004, p. 443).
Löwy commet ici une erreur. Le programme de l’étude
de 1943 sur la pénicilline, même s’il visait à procéder dans
des conditions strictement contrôlées, ne s’est jamais
imposé des principes méthodologiques reconnus qui, plus
tard, seraient utilisés sous l’appellation d’essai en double
aveugle ou de test contre placebo. S’il est vrai, comme
nous allons le voir, que de rares velléités de faire appel à
ces principes se sont manifestées chez l’un ou l’autre des
organisateurs des deux études ultérieures mentionnées
par Löwy, on semble bien, dans le cas qui nous occupe,
n’avoir même pas pu imposer l’obligation d’appliquer le
principe méthodologique du simple groupe de contrôle,
même sans randomisation ou tirage au sort des malades
retenus. Comme il n’y avait pas de groupe de contrôle
dans cette étude, il ne pouvait être question de test contre
placebo et en aveugle. Comme l’écrit Marks : « La nécessité

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44 n la médecine des preuves

d’une planification accrue et d’un meilleur suivi était une


leçon de l’expérience qui ne s’apprenait pas facilement
dans les manuels. Beaucoup d’autres chercheurs allaient
connaître les frustrations des études sur la pénicilline
avant que le message ne soit passé » (Marks, 1999, p. 164).
Mais cet auteur souligne, par ailleurs, que, nonobstant
les problèmes méthodologiques considérables qu’elles sou-
levaient, les études multicentriques continuèrent, après
la guerre, à présenter un grand intérêt. D’une part, si on
avait pu imposer un protocole standard d’essai clinique
en milieu militaire, on pouvait sûrement, avec les ajus-
tements requis, transférer ce modèle dans le milieu civil.
D’autre part, les essais multicentriques sur la pénicilline
avaient prouvé que l’on pouvait restreindre considérable-
ment l’écart temporel entre l’introduction d’un nouveau
médicament et la constitution d’un corpus d’expérien-
ces et de connaissances qui rendait possible son emploi
adéquat par le praticien moyen. C’est ainsi que Walsh
McDermott, un des spécialistes des études du NRC, écri-
vait en 1947 à certains de ses collaborateurs : « Ehrlich avait
franchi l’étape “un médicament X pour une maladie Y”
voici bientôt quarante ans, et pourtant nous souffrons
encore aujourd’hui d’un manque pathétique d’infor-
mation sur l’utilisation des arsenics organiques dans le
traitement de la syphilis. Mahoney a franchi cette étape
pour la pénicilline appliquée à la syphilis voici moins de
quatre ans et, grâce à l’approche coopérative, une quantité
notable d’informations sur les étapes ultérieures a déjà
été accumulée » (cité par Marks, 1999, p. 164).

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la médecine des preuves aux états-unis n 45

La quatrième étape

La quatrième étape de la médecine des preuves, qui se situe


juste après la guerre, prend pour cible la tuberculose. Elle
voit la recherche sur la streptomycine se faire en collabo-
ration et à grande échelle. On a pu y voir une forme encore
plus étroite de collaboration entre les médecins réforma-
teurs et les statisticiens. Il faut, en fait, considérer deux
phases. Tout d’abord, une recherche faite sans groupe
témoin. C’est l’étude menée à partir de 1946 par la Veterans
Administration de l’armée américaine. Cette dernière
avait déjà à sa charge environ 9000 malades tuberculeux
et en attendait d’autres. Puis, une recherche en collabora-
tion, avec groupe témoin et projet de randomisation : c’est
l’étude menée à partir de 1947 par le Service de santé
publique des États-Unis (Public Health Service). Cette fois,
il y eut bien mise en place d’un groupe témoin, mais la
randomisation, selon les organisateurs, fut problémati-
que, car beaucoup de médecins ne comprenaient pas bien
— ou ne voulaient pas comprendre — le principe et les
modalités de l’assignation au hasard des patients.
On peut donc constater, avec Marks et Löwy, que ces
deux études bénéficièrent de méthodes plus rigoureuses
quant au suivi des malades et à l’évaluation des résultats,
mais que leurs responsables ou leurs superviseurs se sont
toujours heurtés à une certaine résistance des médecins
cliniciens impliqués dans ces essais vis-à-vis de ces métho-
des. Il nous semble donc approprié, maintenant, d’analy-
ser l’histoire de ces deux études afin de mettre en évidence
les obstacles rencontrés et de comprendre si oui ou non on
peut les comparer aux essais randomisés actuels.

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46 n la médecine des preuves

1. L’étude de la Veterans Administration

En janvier 1944, Selman A. Waksman, microbiologiste


réputé de la Rutgers University, et ses collaborateurs firent
savoir qu’ils avaient, après de patientes recherches, décou-
vert un nouvel antibiotique, la streptomycine. Le nouvel
antibactérien fut testé à l’institut de recherche de la Mayo
Clinic par W. H. Feldman, de la division de médecine
expérimentale, et H. C. Hinshaw, de la division de méde-
cine, qui constatèrent qu’il était bien toléré par le cobaye
et qu’il avait un effet thérapeutique remarquable (« a stri-
king therapeutic effect ») sur la tuberculose expé­rimentale
(Hinshaw et Feldman, 1945, p. 314). À partir de décembre
1944, ces chercheurs et plusieurs associés de la Mayo
Clinic, en collaboration avec le Dr Karl H. Pfuetze, alors
directeur du sanatorium de Cannon Falls, au Minnesota,
firent une série d’essais, sans groupe de contrôle, avec
la streptomycine impliquant 34 patients tuberculeux
pendant neuf mois et ils en conclurent qu’elle avait
un effet limité (Hinshaw et Feldman, 1945, p. 317). Ces
tests furent effectués sans publicité indue, la prudence
demeurant de mise dans ce rapport comme dans les
­suivants.
Les essais de Feldman et Hinshaw se poursuivirent à
la Mayo Clinic et montrèrent que la streptomycine agis-
sait sur les formes létales de la tuberculose. Un des essais
suivants, de septembre à décembre 1945, avait porté sur
54 patients ayant reçu de la streptomycine pendant plus
d’un mois. Et, en juin 1946, le nombre de patients impli-
qués dans les essais s’était élevé à 75 (Feldman, 1954, p. 865).
Feldman et Hinshaw bénéficièrent de la collaboration de

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la médecine des preuves aux états-unis n 47

la firme Merck & Co., qui, dès la fin de 1944, produisit de


la streptomycine en quantité suffisante pour leur permet-
tre de mener à bien leurs essais.
Au début de 1945, comme les études sur la strepto­
mycine avaient révélé son potentiel en tant que subs-
tance thérapeutique, plusieurs sociétés pharmaceutiques
se montrèrent intéressées à son développement. La pro-
duction augmentait, mais la demande, en dépit du coût
élevé, dépassait de loin l’offre disponible. Néanmoins, la
production permettait une distribution suffisante à dif-
férents groupes à des fins de recherche. Au cours de cette
période, le Committee of Medical Research de l’Office
of Scientific Research and Development, à Washington,
qui contrôlait la distribution des substances médicamen­
teuses rares, organisa le 14 juin, sous la présidence du
Dr Chester Kiefer, une rencontre avec les chercheurs qui
travaillaient sur la streptomycine comme agent antibac-
térien. Feldman et Hinshaw y présentèrent leurs résul-
tats expérimentaux et cliniques. L’évaluation positive qui
en fut faite leur assura prioritairement une fourniture
régulière en streptomycine pour l’étude de son efficacité
dans l’infection tuberculeuse. En juin de la même année,
une rencontre semblable fut organisée par la compagnie
Merck & Co. à Rahwah, au New Jersey, où Feldman et
Hinshaw présentèrent à nouveau leurs résultats. Selon
Feldman, la direction du « management » de Merck & Co.
fut sans doute impressionnée par ces premiers résultats
expérimentaux et cliniques, car elle assuma le « risque
considérable » d’autoriser la construction d’une nouvelle
usine à Elkton, en Virginie, qui fut achevée en 1946 et qui
a été en production depuis lors (ibid., p. 866).

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48 n la médecine des preuves

Par ailleurs, Walsh McDermott et ses collaborateurs,


après leurs propres essais sans groupe de contrôle, confir-
mèrent les résultats de Feldman et Hinshaw lors de la
réunion de l’Association nationale contre la tubercu-
lose à Buffalo, dans l’État de New York, en juin 1946.
Cela donna le coup d’envoi à ce qui a été qualifié par la
suite d’études les plus complètes jamais entreprises sur
un seul médicament pour une seule maladie (Hinshaw,
1954, p. 13). En effet, tout de suite après la conférence de
Buffalo, une rencontre fut organisée à Washington D.C.
avec les autorités militaires, et Hinshaw et Feldman y
présentèrent de nouveau leurs résultats. Des plans furent
proposés pour donner de l’extension à l’étude. Une série
de recherches, rendue possible grâce à un don de strep-
tomycine de la part des fabricants, évalué à un million
de dollars, fut supervisée par un comité de l’American
Trudeau Society. Très vite, l’initiative fut transférée à la
Veterans Administration (VA), qui, sous la direction du
Dr J. Barnwell et du Dr A. Walker, lança, dès juin 1946, un
projet de recherche clinique coopérative d’une ampleur
sans précédent. Il impliquait des centaines de chercheurs
et plusieurs milliers de patients (Hinshaw, 1954, p. 14).
De prime abord, la VA semblait être l’organisation
idéale pour mener à terme ce type d’étude. En effet,
10 000 de ses membres étaient atteints de tuberculose et
elle possédait une bureaucratie centralisée et renforcée
par l’arrivée de nouvelles compétences dans le domaine
médical et scientifique. Mais la réalité était plus complexe
et plus problématique. La VA hésitait à instaurer un groupe
de contrôle dans son étude, à la fois par souci éthique
(comment refuser aux malades d’un groupe témoin le
traitement prometteur dont ils avaient besoin ?) et pour

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la médecine des preuves aux états-unis n 49

des raisons politiques, les lobbies des anciens combattants


étant très influents dans de nombreuses circonscriptions
électorales. Aussi jugea-t-elle prudent de ne pas donner
l’impression, en parlant d’« expérience », que l’on considé-
rait l’homme comme un cobaye. Elle trouva plus judicieux
d’utiliser les termes de « recherche » ou d’« observation ».
(Marks, 1999, p. 169). Les scrupules de la VA faisaient donc
obstacle à une étude conçue initialement comme stricte-
ment contrôlée. Pourtant, les raisons qui imposaient le
recours à un groupe témoin étaient bien reconnues et
acceptées, en principe, par ses responsables. Les essais
faits avant et pendant la guerre sur la pénicilline avaient
déjà amplement mis en évidence les problèmes méthodo-
logiques posés par des essais cliniques menés sans groupe
témoin. Sans la présence d’un tel groupe, il s’avérait pro-
blématique de mesurer l’efficacité de la streptomycine
puisque, comme celui de la syphilis, le cours de la tuber-
culose est erratique : variations, rechutes, guérisons spon-
tanées peuvent s’observer.
Les chercheurs statisticiens du NRC sur la pénicilline
avaient bien vu que l’absence de groupes de contrôle les
avait empêchés de distinguer véritablement les effets de
la pénicilline sur la syphilis des nombreux autres facteurs
pouvant intervenir dans le résultat du traitement. Par
ailleurs, il n’était pas facile pour les cliniciens participant
à l’essai de ne pas donner de traitement aux patients des
groupes de contrôle alors qu’ils le donnaient à ceux des
groupes expérimentaux. En effet, comme l’écrivirent en
1949 les deux chercheurs cliniciens qui dirigeaient cette
étude, Walker et Barnwell, « en général, et notamment
avec une maladie aussi variable et imprévisible que la
tuberculose pulmonaire, il ne peut y avoir de doute sur

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50 n la médecine des preuves

l’opportunité théorique de groupes témoins, choisis par


alternance ou par randomisation. Dans le laboratoire,
c’est un axiome. Mais dans la clinique, une telle série ne
nous semble justifiable que sur l’une des deux bases sui-
vantes : 1) une authentique ignorance ou suspicion que le
médicament ait une quelconque valeur thérapeutique. Ou
2) une limitation des stocks qui, en rendant impossible de
traiter tous les cas, justifie de traiter ceux-ci en alternance »
(cité par Marks, 1999, p. 170).
Le recours à un groupe de contrôle constituait bien la
seule formule méthodologique rigoureuse. Mais les cher-
cheurs cliniciens de la VA, qui disposaient des quantités
nécessaires de streptomycine et qui avaient déjà certai-
nes preuves empiriques concrètes, bien que limitées, de
son efficacité, n’étaient pas prêts pour autant à priver de
traitement certains de leurs patients. Aussi, au bout de
quelques mois d’étude, ils suspendirent le projet initial
de création de groupes témoins de peur, semble-t-il, que
les hôpitaux participants ne soient bientôt plus en mesure
de trouver des patients susceptibles d’en faire partie. On
craignait de manquer ainsi de matériel clinique pour pou-
voir fournir des réponses rapides sur les mérites de la
streptomycine. Ce fut la raison immédiate pour laquelle
l’étude de la VA ne fut pas basée sur des groupes témoins
et ne put donc pas être randomisée ou au moins basée
sur la sélection par alternance (Toth, 1998, p. 228). Mais
d’autres considérations entrèrent rapidement en ligne
de compte. Comment justifier après coup d’avoir laissé
autant de patients sans traitement ? La crainte de fortes
contestations politiques dans les puissantes associations
d’anciens combattants du pays et dans d’autres milieux
concernés fut la raison déterminante de l’abandon pro-

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la médecine des preuves aux états-unis n 51

gressif de cette procédure méthodologique. En dépit des


admonesta­tions insistantes des consultants extérieurs,
l’essai clinique fut poursuivi sans qu’on fasse appel à des
groupes témoins.
Les chercheurs de la VA ne purent donc se baser que
sur une méthode de contrôle classique, « la comparaison
ad hoc entre les patients des études et les résultats des
thérapies conventionnelles obtenus dans un passé récent
sur des patients comparables » (Marks, 1999, p. 171). Mais il
apparut rapidement que, dans ces conditions, l’analyse et
l’interprétation des données posaient de graves problè-
mes. En procédant de cette façon, la VA avait donc démon-
tré a contrario que la méthode du groupe témoin était la
seule qui permettait d’arriver à des résultats concluants.
Par ailleurs, comme le rappelle Marks : « L’étude fut en
outre compromise par la décision des chercheurs, en octo-
bre 1947, d’abandonner une période d’observation de deux
mois avant d’entamer un traitement » (ibid.).
Donc, là encore, l’affirmation de Löwy selon laquelle
c’est parce que les participants eurent du mal à accepter la
discipline collective et à adopter les principes du placebo
et de l’essai en aveugle que cette étude fut jugée impar-
faite du point de vue méthodologique doit être rectifiée.
En fait, le seul vrai problème sur le plan méthodologique
fut l’absence d’un groupe de contrôle. Un certain nombre
d’organisateurs de cette étude auraient souhaité que les
malades soient affectés au groupe expérimental ou au
groupe de contrôle par alternance ou par randomisation.
Il ne fut pratiquement pas question de test contre placebo
et en aveugle.
Notons qu’à partir de 1948 les patients dans chaque
hôpital furent assignés au hasard à différents régimes

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52 n la médecine des preuves

thérapeutiques. Il n’y avait pas de groupes témoins, mais


en essayant ainsi plusieurs traitements, les chercheurs
furent capables de trouver celui qui donnait des résultats
optimaux avec le moins d’effets secondaires (Dowling,
1975-1976, p. 24).

2. L’étude du Public Health Service

Comme on ne pouvait faire entièrement confiance à


l’étude de la VA, le PHS (Public Health Service) entreprit
d’effectuer ses propres recherches sur la streptomycine.
Son programme d’expérimentation thérapeutique, basé
sur la recherche en coopération, se voulait complémen-
taire de celui de l’étude entreprise par la VA. Pour obtenir
des cliniciens chercheurs une conduite disciplinée, les
responsables du PHS mirent sur pied un protocole bien
défini. Ce protocole contenait des règles explicites sur le
choix des patients et les phases de traitement ; il exigeait
de traiter les patients sur le même mode et de ne pas inter-
rompre le traitement sans le consentement du comité
directeur. Les chercheurs cliniciens, quant à eux, souhai-
taient que le PHS assure le financement d’un programme
de recherche libre, non restreint à l’évaluation du traite-
ment par la streptomycine. Mais ils furent contraints d’y
renoncer, car le Congrès annonça une réduction des cré-
dits prévus de 1 250 000 $ à 500 000 $. De plus, le Bureau
du budget du Congrès exigeait que la recherche soit « soi-
gneusement coordonnée avec un travail similaire mené
par d’autres agences gouvernementales et étroitement con­
trôlée dans son étendue et ses orientations par la Section
des études (du NRC), le National Health Advisory Council,

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la médecine des preuves aux états-unis n 53

et par les spécialistes du Service de santé publique » (cité


par Marks, 1999, p. 176).
Carroll Palmer, ancien membre du Département de
biostatistiques de l’Université Johns Hopkins, fut nommé
pour superviser les essais dans les centres cliniques. Il
était fermement convaincu de la nécessité des groupes de
contrôle. Il n’hésita pas à menacer de réduire leur budget
pour obtenir des chercheurs du PHS que leur essai théra-
peutique comporte, à la différence de l’étude de la VA, un
groupe expérimental et un groupe de contrôle : « Les cas
choisis par le Comité devront éviter, par une randomisa-
tion adéquate, tout risque de biais et être répartis par
l’Unité centrale en cas à traiter et en cas de contrôle » (cité
par Marks, 1999, p. 177). Les médecins partisans de cette
façon de faire exigèrent toutefois des autorités médicales
du Comité directeur de l’étude une déclaration les justi-
fiant de ne pas donner de streptomycine aux malades du
groupe de contrôle. Ils se disaient que l’insuffisance des
réserves de ce médicament et les questions pendantes
quant à son efficacité pourraient leur servir de caution.
De leur côté, certains membres du Comité n’étaient pas
convaincus qu’une telle déclaration suffirait à empêcher
que, mis en présence de patients des groupes témoins
dont l’état se dégradait, certains chercheurs ne se sentent
obligés de les traiter.
Dans des courriers adressés à Palmer, deux membres
du Comité, Hinshaw et McDermott, faisaient clairement
état de leurs difficultés morales à endosser une déclara-
tion qui aurait nié d’emblée que la streptomycine puisse
avoir une quelconque efficacité. Hinshaw suggérait une
attestation expliquant le bien-fondé de la méthode du
groupe de contrôle ; McDermott, lui, considérait que le

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54 n la médecine des preuves

plus simple était de ne rien dire du tout sur la question.


Hinshaw proposa alors, en guise de compromis, que l’on
tienne uniquement les malades du groupe témoin dans
l’ignorance et que « les médecins ne communiquent pas à
leurs patients que l’on envisage de les inclure dans cette
série. Ainsi les patients du groupe témoin ne réaliseraient
pas qu’on leur avait refusé la streptomycine » (cité par
Marks, 1999, p. 177). On aurait donc finalement affaire à
une étude en simple aveugle, mais seulement pour les
patients des groupes témoins. Il semble que, à un moment,
Palmer ait même suggéré d’injecter un placebo au groupe
de con­trôle, mais le Comité ne retint pas sa proposition.
Il faut souligner que des divergences de taille demeu-
raient au sein même du Comité directeur relativement à ce
qui devait être considéré comme le bon plan de recherche
et comme la méthodologie adéquate d’un essai contrôlé.
Ainsi, J. Burns Amberson, pourtant l’un des membres de
la section des études du NRC associée en l’occurrence au
PHS, s’affirmait catégoriquement comme un opposant
résolu à la méthode du groupe de contrôle. Par rapport
au problème des patients du groupe témoin dont l’état
empirait nettement au cours de l’étude, Palmer et son
associée du PHS, la Dre Shirley Ferebee, avaient proposé
que les chercheurs soumettent ces cas à un comité d’appel
qui déciderait si on pouvait leur donner le médicament.
Amberson s’y opposait, arguant que cette décision devait
dépendre uniquement du clinicien. « En fait, écrivait-il, je
ne crois pas qu’il soit possible de donner une définition
des conditions impliquant le pronostic vital recouvrant
toutes les possibilités. Elle dépend fondamentalement du
jugement du médecin traitant qui connaît le mieux le
patient. Il est dans une bien meilleure position que qui-

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la médecine des preuves aux états-unis n 55

conque pour prendre la décision. S’il est capable d’entre-


prendre une recherche clinique pour un traitement, il est
certainement capable d’assumer la responsabilité d’un tel
jugement » (cité par Marks, ibid., p. 178).
Et, comme le souligne Marks à propos de l’essai con­
trôlé mené par Amberson à la fin des années 1920 sur la
sanocrysine comme traitement de la tuberculose : « Les
obstructions continuelles posées par Amberson devant le
maintien de contrôles effectifs sont d’autant plus frap-
pantes qu’en 1931 il avait mené ce qui semble être la pre-
mière étude clinique américaine utilisant un groupe
témoin non traité où l’assignation de traitement ou de
non-traitement était laissée au hasard » (ibid., n. 3).
Pour les instigateurs et défenseurs du principe d’un
groupe témoin, adopter la méthode préconisée par
Amberson signifiait miner à la base un essai qui se voulait
strictement contrôlé et compromettre entièrement la vali-
dité du projet de recherche du PHS et de ses partenaires.
L’étude du PHS, plus restreinte et moins compliquée que
celle de la VA, permit aux responsables de mieux veiller sur
sa conduite et sur la juste application du protocole. Mais
en raison des problèmes méthodologiques qui s’étaient
posés (absence de randomisation vraiment fiable), les
résultats de l’étude demeuraient sujets à caution.
Ici aussi, l’affirmation de Löwy selon laquelle, dans
cette étude du PHS comme dans celles de la VA et du NRC
auparavant, les participants ne se plièrent pas totalement
aux directives concernant le principe d’un test contre
placebo et en aveugle, d’où le fait qu’elle fut jugée impar-
faite du point de vue méthodologique, et donc non fiable
selon les critères d’une « médecine des preuves », demande
par conséquent à être corrigée.

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56 n la médecine des preuves

Dans ce cas, le problème dominant ne fut pas l’absence


d’un groupe de contrôle, comme dans l’étude de la VA,
mais les difficultés méthodologiques qui surgirent par
rapport au plan de recherche initial et à la méthode d’éva-
luation. On eut aussi du mal à mettre en pratique le prin-
cipe de la randomisation et à assurer le suivi des cas, car
plusieurs des chercheurs impliqués dans cette étude sem-
blaient ne pas bien comprendre — ou peut-être ne le vou-
laient-ils pas — le principe et les modalités de la répartition
au hasard des patients (ibid., n. 4). Mais surtout, il y eut des
désaccords entre les cliniciens chercheurs et les statisti-
ciens sur le plan initial de l’étude. Les limites de l’étude
vinrent de là. L’essai en aveugle, par contre, ne faisait pas
partie du plan initial de recherche. Ce fut uniquement
pour trouver un compromis entre les exigences de la
recherche (refuser le médicament aux malades du groupe
témoin) et les problèmes humains et éthiques que cette
décision posait aux cliniciens, que l’on suggéra aux méde-
cins de ne pas dire à leurs patients qu’ils allaient faire
partie du groupe témoin. Ces malades étaient donc mis
« en aveugle » ou laissés dans l’ignorance, mais ceux du
groupe traité ne l’étaient pas, et pas davantage non plus
les chercheurs qui analysaient les résultats. Cette situation
ne découlant donc pas d’une volonté méthodologique
délibérée, on ne saurait vraiment parler d’une figure de
simple aveugle. Enfin, il ne fut pratiquement pas question
d’appliquer le principe du test contre placebo, à part, sem-
ble-t-il, une suggestion de Palmer restée de toute façon
lettre morte (ibid.).
Peut-on alors convenir avec Marks que ce qui fait l’in-
térêt des études que menèrent la VA et le PHS « ne tient pas
à leurs réussites scientifiques ou à l’influence historique

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la médecine des preuves aux états-unis n 57

qu’elles exercèrent par la suite, mais à ce qu’elles nous


apprennent sur la variabilité des objectifs et des moyens
de la recherche thérapeutique » (ibid., p. 180) ? Oui, certes,
mais nonobstant cette variabilité, force est de constater
que, au moins depuis les premières recherches en collabo-
ration à la fin des années 1920, en passant par celles sur la
pénicilline pendant la Seconde Guerre mondiale, puis à
celles de la VA et du PHS successivement, il y a eu une
progression dans la définition de la procédure méthodo-
logique adéquate de l’essai thérapeutique contrôlé multi-
centrique. À savoir que, pour qu’un essai clinique puisse
être valablement contrôlé par l’instrument statistique, la
condition impérative était que la procédure méthodologi-
que de la randomisation soit rigoureusement appliquée.
Cela avait été très bien compris par les responsables des
essais cliniques de la VA et du PHS, mais ils s’étaient heur-
tés à divers obstacles et n’avaient pas pu mettre le principe
de randomisation en pratique.
Cela s’était avéré impossible pour des raisons principa-
lement politiques et éthiques dans le cas de la VA, et pour
des raisons principalement éthiques, professionnelles et
scientifiques dans le cas du PHS, à savoir que certains des
chercheurs cliniciens, même quand ils acceptaient offi-
ciellement la randomisation, n’en comprenaient en fait
pas bien les conditions de mise en pratique ou ne pou-
vaient pas se résoudre à laisser sans traitement les mala-
des des groupes témoins. Ces obstacles et ces limites ne
pourront êtres surmontés que dans l’essai clinique mené
peu de temps après (1947-1948) en Angleterre par le Medical
Research Council, dans des conditions sociopolitiques et
d’expérimentation thérapeutique différentes qui ont rendu
possible ce qu’on a appelé, par la suite, le gold standard ou

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58 n la médecine des preuves

le paradigme méthodologique de l’essai clinique contrôlé,


que nous allons analyser dans le chapitre suivant. Mais il
faut noter que les études de la VA et du PHS se poursuivi-
rent et que, à partir de 1950, elles utilisèrent la randomisa-
tion (ibid., p. 183).
Il faut mentionner également qu’au cours de l’été 1944,
les Drs W. H. Feldman et H. C. Hinshaw avaient recruté
un groupe d’associés (en particulier, le Dr K. Pfuetze et
M. Pyle) pour mener dans plusieurs hôpitaux psychiatri-
ques du Minnesota un essai contrôlé sur le Promizole (un
composé de sulfone hétérocyclique) contre la tuberculose,
qui devait être conduit en double aveugle, et où la répar-
tition des patients entre groupe traité et groupe de con­
trôle était faite par tirage au sort (pile ou face). Il s’agissait
donc d’un essai contrôlé multicentrique mettant en jeu
une répartition au hasard des patients. Mais cet essai cli-
nique qui devait porter sur 100 paires de patients (une
paire comprenant un patient traité et un patient non
traité servant de contrôle) n’a pas été conduit jusqu’à son
terme, comme l’a souligné Hinshaw lui-même par la suite.
Il n’a donc pas été publié. Il ne s’agissait pas encore, dans
cet essai clinique, de randomisation au sens qu’elle a pris
dans l’essai de 1947-1948 du MRC, mais cette tentative est
tout à fait révélatrice et les historiens auraient intérêt à la
connaître (voir Hinshaw, 1969).
C’est, semble-t-il, en raison des découvertes faites au
même moment des propriétés de la streptomycine comme
antituberculeux que cet essai clinique n’a pas été conduit
à terme. Mais, comme nous le verrons, on n’était plus très
loin, aux États-Unis à l’époque, de la réalisation d’essais
contrôlés du type de celui qui allait être mené peu après
(en 1947-1948) en Grande-Bretagne et, donc, de la mise en

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la médecine des preuves aux états-unis n 59

place du paradigme ou du gold standard de l’essai thérapeu-


tique contrôlé.
Il est, toutefois, instructif, pour mieux cerner les con­
ditions de la mise en œuvre de l’essai de 1947-1948, de savoir
qu’il a été en partie mis en place parce que les chercheurs
britanniques, à l’opposé de Hinshaw et des chercheurs
américains, considéraient eux, en 1946, que la streptomy-
cine était loin d’avoir fait ses preuves comme médicament
antituberculeux. Pour Hinshaw et ses collègues, le constat
des bénéfices thérapeutiques obtenus par la streptomy-
cine à partir de 1944 était justement ce qui rendait inutile
la mise en place d’un essai contrôlé sur ce médicament
dans le prolongement de l’essai contrôlé en double aveugle
de 1944 sur le Promizole.
Or, les chercheurs du Medical Research Council (MRC)
britannique, qui étaient loin d’ignorer en 1946 les résul-
tats obtenus par les essais cliniques américains depuis
1944, n’étaient précisément pas convaincus, vu le carac-
tère erratique de la tuberculose et les rémissions sponta-
nées et en l’absence d’essais contrôlés sur le traitement par
la streptomycine aux États-Unis, des effets thérapeutiques
bénéfiques incontestables de ce médicament. Et, comme
l’a souligné, bien des années plus tard (1991), P. D’Arcy
Hart, l’un des principaux organisateurs et directeurs de
l’essai de 1947-1948, cette impossibilité de faire une évalua-
tion adéquate de ce médicament, vu son « usage indiscri-
miné » aux États-Unis à l’époque, a été l’une des conditions
essentielles de la mise en œuvre par le MRC britannique
de cet essai.
Comme nous allons le voir, la rareté de la streptomy-
cine en Angleterre à l’époque levait l’obstacle éthique à la
mise en œuvre d’un essai contrôlé sur ce médicament —

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60 n la médecine des preuves

puisque de toute manière il n’y en avait pas assez pour


pouvoir l’administrer à tous les malades faisant partie de
l’essai, ce qui obligeait donc à prendre certains d’entre eux
comme sujets non traités servant de contrôles. Mais force
est de souligner que, même si le MRC britannique avait
disposé de quantités suffisantes de streptomycine, il se
serait trouvé dans l’obligation de procéder à un essai
contrôlé du médicament, puisque ses chercheurs jugeaient
que son efficacité n’avait pas encore été évaluée adéquate-
ment aux États-Unis par une procédure de contrôle rigou-
reuse qui, seule, pouvait faire la preuve de cette efficacité.

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chapitre 3

La médecine des preuves


en Angleterre

Cette nouvelle phase de la médecine des preuves a vu un


renforcement considérable de l’alliance des médecins
réformateurs et des statisticiens médicaux. Nous allons
montrer que ces recherches cliniques britanniques corres-
pondaient cette fois à l’essai randomisé tel qu’il est conçu
et pratiqué aujourd’hui. Et pourtant, il n’y a eu recours ni
à l’essai contre placebo, ni au double aveugle. Cette étude
de 1947-1948 du MRC anglais, toujours sur la streptomy-
cine, allait devenir le modèle des essais thérapeutiques
contrôlés, l’étalon-or de la recherche clinique.

Le gold standard des essais cliniques

Le MRC avait mis en place dès 1931 un comité sur les essais
thérapeutiques. L’essai comportait un groupe témoin ;
chaque groupe comprenait une cinquantaine de malades
et était placé du début à la fin sous la haute surveillance
de statisticiens. L’étude dura 15 mois, soit de janvier 1947 à
la fin mars 1948. Elle était multicentrique. Cette recherche
clinique sur l’utilisation de la streptomycine dans le

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62 n la médecine des preuves

t­raitement de la tuberculose avait été planifiée et était


conduite par le Streptomycin in Tuberculosis Trials Com­
mittee (STTC), composé de 16 membres, dont Austin
Bradford Hill et le Dr Marc Daniels, qui devaient la diriger
de 1946 à 1948. Les chercheurs étaient des cliniciens et
des pathologistes travaillant dans les sept hôpitaux parti-
cipants.
Les malades furent distribués au hasard entre les
­g roupes expérimentaux et les groupes témoins (MRC,
1948, p. 770). En principe, les patients ne savaient pas de
quel groupe ils faisaient partie. Chaque groupe était placé
dans une salle différente. On procéda donc à une rando-
misation (nous verrons plus loin selon quel protocole),
mais, contrairement à ce qu’affirme Löwy, sans recourir
à un placebo ; elle confond, semble-t-il, l’absence de traite-
ment avec l’administration d’un placebo. L’évaluation des
progrès cliniques fut faite sur la base de clichés radiologi-
ques et de manière totalement anonyme, dans la mesure
où les deux radiologistes et le clinicien qui lurent les cli-
chés ne connaissaient pas le malade et ne savaient pas s’il
appartenait au groupe expérimental ou au groupe témoin
(ibid.). Les changements observés sur les clichés furent
enregistrés, comparés et analysés. Dans tous les hôpitaux
concernés, il s’avéra que le taux de mortalité était beau-
coup plus faible dans les groupes expérimentaux que dans
les groupes témoins : 7 % des patients moururent dans le
groupe expérimental et 27 % dans le groupe témoin, écart
qui fut considéré statistiquement significatif (ibid., p. 771).
Il faut noter que cet essai clinique contrôlé s’est fait
sans médicament de référence. Les malades du groupe
témoin ne reçurent pas d’autre « traitement » que le repos
au lit, tout comme, bien entendu, ceux du groupe expéri-

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la médecine des preuves en angleterre n 63

mental, afin que toutes choses demeurent, par ailleurs,


égales. Soulignons des critères d’inclusion et d’exclusion
précis dans cet essai. Les malades sur lesquels portait
l’expérience devaient tous être atteints d’une forme peu
commune de la maladie : tuberculose pulmonaire bilaté-
rale aiguë progressive, d’origine en principe récente, non
accessible à la collapsothérapie. Autre critère : ils devaient
se situer dans la tranche d’âge des 15-30 ans. La justifica-
tion éthique qui fut donnée de la constitution de groupes
témoins fut la rareté du produit en Angleterre. Le Conseil
du Trésor, en ces temps de restrictions d’après-guerre,
n’avait accordé qu’un budget très limité pour l’importation
de streptomycine des États-Unis. Il fallait donc en faire un
usage parcimonieux en le limitant aux formes les plus
graves de la maladie : tuberculose miliaire et méningite
tuberculeuse ; il en restait donc très peu pour la recherche
clinique. Selon Löwy, « le but de l’essai clinique conduit
par Bradford Hill n’était pas de prouver l’efficacité de la
streptomycine dans le traitement de la tuberculose, mais
d’étudier les conditions optimales d’utilisation de cet
antibiotique et, avant tout, de démontrer l’efficacité de
l’ETC dans l’évaluation des thérapies. Le maintien d’un
groupe placebo fut légitimé par la pénurie de streptomy-
cine en Grande-Bretagne. En 1946, contrairement à leurs
collègues américains, les chercheurs britanniques ne dis-
posaient pas d’une quantité suffisante de streptomycine
pour traiter tous les malades souffrant de tuberculose.
L’utilisation du hasard comme critère principal de l’attri-
bution de ce médicament fut considérée comme le moyen
le plus juste de distribuer une ressource rare » (Löwy, 2004,
p. 444).

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64 n la médecine des preuves

En fait, comme on va le voir, le groupe de contrôle


ne reçut pas un placebo, mais un non-traitement. Löwy
affirme, par ailleurs, que « l’essai fut conduit en double
aveugle — ni le malade ni son médecin traitant ne savaient
si le patient avait reçu de la streptomycine ou un pla-
cebo » (ibid., p. 443). Or, il est également erroné d’affirmer
que l’expérience fut conduite en double aveugle. Voici
pourquoi. En septembre 1947, on avait admis 109 patients
pour cet essai clinique. Deux étant décédés au cours de la
semaine préliminaire d’observation, il resta 107 patients,
dont 55 furent affectés au groupe expérimental et 52 au
groupe témoin. On détermina, par référence à une série
statistique basée sur des nombres d’échantillonnage sélec-
tionnés au hasard et qui avait été constituée par Bradford
Hill pour chaque sexe et pour chacun des centres cliniques
en cause, si un patient était traité par la streptomycine
et le repos au lit (cas S) ou s’il l’était par le repos au lit
seulement (cas C). Les détails de la série n’étaient révélés
ni aux chercheurs sur le terrain ni au coordonnateur des
essais cliniques, le Dr Marc Daniels (MRC, 1948, p. 769). Les
détails de la série statistique étaient contenus dans des
enveloppes scellées qui ne portaient que le nom de l’hôpi-
tal et un nombre. Entre l’acceptation d’un patient par le
Trials Committee et son admission dans l’un des hôpitaux
participants, l’enveloppe numérotée lui correspondant
était ouverte au bureau central du comité, lequel savait
alors si le sujet devait être un cas S ou un cas C, et il le
faisait savoir à l’officier médical du centre concerné (ibid.,
p. 770). On comprend sans peine que ce dernier en infor-
mait immédiatement les chercheurs cliniciens impliqués.
Le rapport du MRC de 1948 insiste sur l’importance,
pour le succès de l’étude, de garder secrets les détails du

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la médecine des preuves en angleterre n 65

schème de contrôle ; il faut, y est-il écrit, porter au crédit


des nombreux médecins qui y ont participé de ne pas
avoir rendu publics tous ces renseignements pendant les
15 mois qu’elle dura — et le Trials Committee leur en était
reconnaissant. Ce qui signifie en clair que les cliniciens
et le personnel infirmier savaient quel patient était S et
quel patient était C, même si la répartition des sujets avait
été faite auparavant au hasard et à l’insu des chercheurs.
Avant leur admission dans les centres dits de strepto-
mycine, les sujets n’étaient pas mis au courant du traite-
ment spécial qui leur était destiné. Les patients C, pendant
tout leur séjour à l’hôpital, ne savaient pas qu’ils étaient
des patients témoins ; en fait, ils étaient traités comme ils
l’auraient été par le passé, sauf qu’ils avaient été hospita-
lisés plus rapidement que normalement. Habituellement,
ils n’étaient pas dans les mêmes salles que les patients S,
mais ils étaient astreints au même régime. Chaque patient
devait garder le lit pendant au moins six mois, au bout
desquels on procédait à une évaluation.
Entre-temps, cliniciens et pathologistes se rencon-
traient régulièrement pour discuter de la progression du
travail. Les cliniciens des différents centres tenaient leurs
réunions dans un workshop subcommittee, sous la direction
du Dr G. Marshall, qui était, par ailleurs, le président du
STTC, et les pathologistes, dans un sous-comité de travail
sous la présidence du D r R. Cruickshank, membre lui
aussi de l’équipe du Trials Committee. Ni Marshall ni
Cruickshank ne faisaient partie des centres cliniques où
se déroulaient les essais : ils n’étaient donc pas direc­
tement impliqués dans la recherche elle-même, mais
­faisaient la supervision de celle déjà assurée par le sous-
comité des cliniciens et par celui des pathologistes. Ce

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66 n la médecine des preuves

dernier sous-comité était chargé d’établir les procédures


de laboratoire, de discuter des résultats à intervalles régu-
liers et de mettre en place une vérification indépendante
des tests de sensibilité du bacille tuberculeux et des taux
de streptomycine dans le sang. Le coordonnateur de l’étude,
nommé par le STTC, le Dr Daniels, rendait régulièrement
visite aux centres hospitaliers et gardait le contact avec les
cliniciens pour discuter de l’évolution des recherches.
Les patients S recevaient de la streptomycine par voie
intramusculaire. La dose (2 g par jour) était administrée
en quatre injections toutes les six heures. Les cliniciens
savaient donc nécessairement quels patients faisaient par-
tie du groupe expérimental et lesquels faisaient partie du
groupe témoin. Il ne s’agissait donc pas d’un essai clinique
en aveugle en ce qui concerne les soignants et, donc, on
ne peut parler d’essai clinique en double aveugle.
Il faut souligner, à ce propos, que Bradford Hill n’a
jamais prétendu être l’initiateur du premier essai rando-
misé en simple ou double aveugle. Ce qu’il revendique,
c’est le « premier essai strictement randomisé » qui mar-
qua le « début de la nouvelle ère en médecine » (Bradford
Hill, 1990, p. 78). Selon lui, la recherche de 1947-1948 était
randomisée, mais cela ne veut pas dire qu’elle avait été
effectuée en simple ou en double aveugle. Même la prati-
que consistant à ne pas informer les patients qu’ils étaient
les sujets d’un essai clinique n’était pas pour lui une exi-
gence méthodologique nécessaire et appropriée dans tous
les cas pour les essais cliniques randomisés, mais, dans ce
cas particulier, une exigence de la conjoncture, imposée
par les circonstances du moment.
Bradford Hill affirme que la rareté de la streptomycine
en Angleterre à l’époque (ou de dollars dont le Trésor

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la médecine des preuves en angleterre n 67

disposait pour en acheter en Amérique) a été le facteur


décisif pour la mise en œuvre du premier essai clinique
strictement contrôlé ou randomisé. Selon lui, c’est la
rareté de la streptomycine qui a permis de faire accepter
sur le plan éthique aux membres du Special Committee
du MRC l’idée d’un essai clinique contrôlé, c’est-à-dire
d’un essai dans lequel les patients du bras de contrôle
étaient laissés sans médicament.
Dans sa thèse intitulée « Clinical trials in British medi-
cine 1858-1948, with special reference to the development
of the randomised controlled trial » (1998), B. Toth conteste
la version donnée par Bradford Hill des conditions qui
ont présidé à la mise en œuvre de la méthodologie du
premier essai strictement contrôlé ou randomisé. Selon
lui, les raisons de la mise en œuvre de l’essai de 1947-1948,
les objectifs qu’il visait et les fonctions auxquelles il a
servi sont plutôt à chercher dans la politique du MRC,
qui désirait être au cœur du développement d’un nouveau
médicament en Grande-Bretagne. Toth n’aurait proba-
blement pas mis de l’avant une telle vision des condi-
tions de l’essai de 1947-1948 s’il avait eu connaissance de
la thèse soutenue la même année (1998) par Yoshioka sur
l’administration centrale britannique des fournitures, à
partir de 1946, de la streptomycine, le nouveau médica-
ment d’origine américaine, et dans laquelle, ce dernier
s’emploie à démontrer que la rareté du produit a été l’une
des conditions déterminantes de la conception et de la
mise en œuvre de l’essai en question (voir Yoshioka, 1998b
et 1998a). Remarquons, par ailleurs, que Toth ne fournit
aucune preuve basée sur des sources historiques de son
affirmation selon laquelle, au moment de l’essai clinique

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68 n la médecine des preuves

de 1947-1948, le STTC disposait de plus de streptomycine


que la quantité dont il avait besoin.
Relativement à cette critique non fondée de Bradford
Hill par Toth, notons que Bradford Hill n’est pas le seul
membre du STTC à avoir affirmé que la rareté de la strep-
tomycine était l’une des conditions principales qui avaient
rendu possible l’essai de 1947-1948. D’Arcy Hart, qui avait
été le secrétaire du STTC, a donné la même version des
faits en 1999. Par ailleurs, les raisons de la mise en œuvre
du premier essai contrôlé et la méthodologie de cet essai
sont deux choses différentes. Contrairement à ce qu’af-
firme Toth, Bradford Hill ne prétend pas que la rareté de
la streptomycine est ce qui rend compte de la méthodo­
logie de l’essai. Elle explique seulement que sa mise en
œuvre pratique ait été rendue possible.
Dans son article de 1990, Bradford Hill fait appel à
deux autres conditions pour expliquer la méthodologie
de l’essai en question. Il rappelle d’abord qu’il réfléchissait
aux essais cliniques contrôlés depuis la publication de ses
Principles of Medical Statistics en 1937 et qu’il attendait une
opportunité pour mettre en œuvre un tel essai. Il rappelle
aussi qu’il avait déjà utilisé, à partir de la fin de 1946, la
randomisation pour un essai dans le domaine de la méde-
cine préventive lors de l’administration d’un vaccin contre
la coqueluche à des enfants (Bradford Hill, 1990, p. 77-78).
L’autre condition était l’existence d’une unité de recherche
sur la tuberculose au MRC sous la direction du Dr Philip
D’Arcy Hart qui, par ses intérêts de recherche, était prêt
à faire un essai clinique bien contrôlé si l’occasion se
présentait.
En ce qui concerne la méthodologie de l’essai clinique
de 1947-1948, Armitage, dans son article « Bradford Hill

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la médecine des preuves en angleterre n 69

and the randomized controlled trial » (1992), montre très


clairement que pour Bradford Hill les méthodes du simple
ou double aveugle et de l’essai contre placebo n’étaient pas
toujours indispensables pour la méthode de l’essai contrôlé
par randomisation.
Comme nous l’avons vu, le Trials Committee justifiait
l’absence de traitement pour les patients du groupe témoin
par l’insuffisance de réserves en streptomycine. Par ailleurs,
la seule façon d’être sûr de ne pas provoquer de résistan-
ces de la part des patients était de ne pas leur dire qu’ils
étaient les sujets d’une expérience. C’était donc pour des
raisons pratiques, et non pas en fonction d’impératifs
méthodologiques, qu’on leur cachait ce qu’il en était.
La tendance dominante de cette expérience fut déga-
gée à partir des rapports mensuels des centres hospita-
liers. Et ce sont les résultats des six premiers mois qui
furent présentés dans le fameux rapport de 1948. Leur
analyse était basée, pour chaque patient, sur son dossier
et sur ses radiographies. Les clichés furent examinés indé-
pendamment par deux pathologistes et un clinicien, qui
ne savaient pas à quel type de malade — S ou C — ils
avaient affaire. Ces trois spécialistes ne faisaient pas par-
tie des chercheurs engagés dans l’essai contrôlé, qui, eux,
le savaient. La première condition d’un essai clinique con­
trôlé est que les malades choisis soient atteints de la même
maladie et qu’ils soient dans la même tranche d’âge.
L’assignation des patients au groupe expérimental et au
groupe de contrôle avait été faite au hasard à partir du
service des statistiques du MRC et, donc, à l’extérieur des
centres cliniques impliqués.
C’est, pensons-nous, parce que les trois évaluateurs
externes ignoraient auquel des deux groupes appartenait

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70 n la médecine des preuves

le patient dont ils examinaient les clichés après coup et à


l’extérieur des centres cliniques que certains auteurs ont
pu être induits en erreur et en inférer que l’essai avait été
mené en double aveugle, alors qu’il n’a même pas pu être
mené en simple aveugle par les cliniciens. Sept hôpitaux
participaient à cet essai clinique, dont certains hors de
Londres, car on ne trouvait pas dans la capitale suffisam-
ment de cas de tuberculose pulmonaire bilatérale aiguë
d’origine récente. On ne connaît pas la répartition des
107 malades retenus, mais une moyenne donnerait envi-
ron 15 malades par hôpital.
L’essai, pour mériter l’appellation d’essai contrôlé, doit
conduire à une comparaison avec un groupe de contrôle
(ou témoin) n’ayant pas reçu le médicament à l’étude ou
recevant soit un traitement déjà connu soit un placebo.
Dans l’essai du MRC, le groupe de contrôle ne recevait
aucun autre traitement que le repos au lit. Dans un essai
en double aveugle (ou double insu), ni les sujets, ni les
chercheurs, ni l’évaluateur des résultats ne savent qui
reçoit quoi. L’essai du MRC ne correspondait pas à cette
définition puisque les patients et le personnel soignant
savaient qui recevait les injections de streptomycine et qui
ne les recevait pas et que seule l’analyse des clichés radio-
logiques répondait au critère de « double insu » — le terme
d’observation indépendante serait beaucoup plus approprié
dans ce cas de figure.
Un essai clinique contrôlé peut être randomisé sans
pour autant impliquer la procédure du simple ou du
­double aveugle. En effet, il ne faut pas confondre secret
d’assignation et insu. Le secret de l’assignation a pour but
d’éviter les biais de sélection et les éléments générateurs
de confusion ; il sauvegarde la séquence d’assignation

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la médecine des preuves en angleterre n 71

avant et jusqu’à la répartition des patients dans le groupe


expérimental et dans le groupe de contrôle, et il peut
toujours être établi et respecté. En revanche, l’insu a pour
objectif d’éviter que le personnel et les participants puis-
sent savoir à quel groupe les participants ont été affectés ;
il sauvegarde la séquence après l’assignation, et il ne peut
pas toujours être établi et respecté (Schulz, 2000, p. 36-38).
C’est, selon nous, à la mise en œuvre du secret de l’assigna-
tion, mais sans insu, que correspond la méthode employée
dans l’essai du MRC sur la streptomycine. La séquence
d’assignation générée par Bradford Hill avait pour but
d’éviter des biais de sélection dans les centres cliniques
participants. Autrement dit, le secret qui protégeait la
séquence d’assignation dressée par Bradford Hill avant et
jusqu’à la répartition des patients entre le groupe S et le
groupe C avait été respecté.
On peut dire que les deux conditions d’une randomi-
sation rigoureuse avaient été respectées dans l’essai de
1947-1948, puisque Bradford Hill avait généré la séquence
d’assignation des patients dans les deux bras de l’essai de
manière correcte à partir d’une table de nombres aléatoires
(ou de nombres aléatoires d’échantillonnage) et que, par
ailleurs, le protocole suivi préservait le secret de l’assigna-
tion en ne permettant pas à ceux qui participaient à l’essai
de connaître les assignations à venir. Autrement dit, si les
cliniciens et les infirmières — et même probablement les
patients — pouvaient savoir quel patient appartenait au
groupe S et lequel au groupe C, une fois les premières
assignations faites, ils ne pouvaient pas connaître les assi-
gnations suivantes ou auquel des deux groupes serait assi-
gné le prochain patient entrant dans l’étude.

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72 n la médecine des preuves

Les deux conditions de la randomisation (séquence


d’assignation générée à partir d’une série de nombres
d’échantillonnage produits aléatoirement et préservation
du secret de la séquence d’assignation) ont donc été res-
pectées dans l’essai sur la streptomycine. C’est d’ailleurs
la seconde condition qui est la plus importante pour la
rigueur et la validité méthodologiques de l’essai clinique.
C’est en fait le respect de cette seconde condition qui a été
le principal progrès méthodologique et qui a élevé l’essai
du MRC sur la streptomycine au rang de gold standard
pour les essais cliniques ultérieurs (voir I. Chalmers, 1999,
p. 1372).
Cela dit, que les deux conditions d’une randomisation
rigoureuse aient été respectées dans l’essai de 1947-1948 ne
signifie pas pour autant que l’essai avait été mené en insu
ou en double insu. Le double insu, notamment, ne pou-
vait pas être respecté, puisque le personnel clinique savait,
par la force des choses, qui recevait des injections et qui
n’en recevait pas. Pour les mêmes raisons, il nous semble
impossible que le simple aveugle ait pu être observé vis-
à-vis des patients, malgré le fait que Bradford Hill affirme
que l’on ne disait pas aux patients qu’ils faisaient partie
d’un essai clinique. Cela a d’ailleurs été confirmé de
manière irréfutable, en 1999, par J. G. Scadding, un des
derniers témoins du STTC de 1947-1948, qui souligne que
c’est précisément parce que l’essai clinique ne pouvait pas
être mené en aveugle — ni simple, ni double — que la
méthode d’allocation par randomisation, plus compli-
quée, fut retenue comme étant celle qui offrait le meilleur
moyen de minimiser les biais méthodologiques (Scadding,
1999). Ainsi, en 1947-1948, le prototype ou ce qu’on a appelé
depuis l’étalon-or de l’essai clinique contrôlé a été produit

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la médecine des preuves en angleterre n 73

par la combinaison du principe de l’étude multicentrique


et de celui de la randomisation — laquelle, cette fois, était
vraiment effective. Mais, rappelons-le, on n’a pas eu
recours à la méthode du double (ou même du simple) insu,
ni à celle de l’essai contre placebo.
Un autre essai contrôlé randomisé a été entrepris par
le STTC du MRC en 1949 pour évaluer le traitement de la
tuberculose par la combinaison de la streptomycine et de
l’acide para-aminosalicylique (APS) (MRC, 1950). On y
retrouvait les protagonistes de l’essai de 1947-1948, entre
autres Marshall comme président, Daniels comme rappor-
teur et D’Arcy Hart comme secrétaire. Bradford Hill était
à nouveau responsable du statistical design (ibid., p. 1073).
Et le STTC décida d’appliquer la même méthode de recher-
che que lors de l’essai de 1947-1948, soit la randomisation
sans recours au double insu ni au placebo. L’étude était
multicentrique, impliquant huit hôpitaux et deux sana­
toriums à travers l’Angleterre, dont deux établissements
seulement à Londres. Elle a porté sur 166 patients, répartis
au hasard et selon la règle du secret de la séquence d’assi-
gnation, à peu près également en trois groupes. Dans le
premier, les patients étaient traités par l’APS, dans le
deuxième, par la streptomycine, et dans le troisième, par
une combinaison des deux. Les patients étaient atteints de
la même forme de tuberculose que ceux de l’essai contrôlé
précédent (pulmonaire bilatérale aiguë d’origine récente)
et on appliqua les mêmes critères d’inclusion-exclusion.
Mais, comme l’essai de 1947-1948 avait prouvé l’efficacité
relative de la streptomycine pour cette forme de tubercu-
lose, il était clair pour les organisateurs qu’il n’était pas
possible de ne prescrire que le repos au lit aux patients du
groupe témoin. Les résultats montrèrent que le traitement

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74 n la médecine des preuves

par la streptomycine était supérieur à celui par l’APS, et


que celui par la combinaison streptomycine-APS était
supérieur à celui par la seule streptomycine (ibid., p. 1085).
Notons que, dans les années 1930, le Therapeutic Trials
Committee (TTC) du MRC avait organisé une étude en
collaboration multicentrique et contrôlée, menée au cours
de deux hivers (impliquant quatre centres : à Aberdeen, à
Édimbourg, à Glasgow et à Londres), pour le traitement de
la pneumonie lobaire par sérum, à laquelle avait participé
Bradford Hill en tant que statisticien du MRC. La méthode
utilisée pour constituer le groupe expérimental et celui de
contrôle n’était pas encore celle de la randomisation, mais
celle de l’alternance, où l’on avait affecté alternativement
les patients à l’un ou l’autre de ces deux groupes (traite-
ment au sérum ou contrôle) selon l’ordre de leur admis-
sion à l’hôpital. Cette méthode avait été utilisée en 1898
par Fibiger dans son essai thérapeutique sur le sérum
contre la diphtérie, comme nous l’avons vu au chapitre 1.
À cette époque, Bradford Hill était déjà conscient des
problèmes et des limites de la méthode de l’alternance, ce
qui l’avait amené à proposer celle de la randomisation
pour l’essai de 1947-1948. En effet, dans son article de 1990,
il souligne que si on avait adhéré strictement à la méthode
de l’alternance, l’assignation des patients aurait été faite
effectivement au hasard, mais, écrivait-il, « c’est un très
grand SI » (Bradford Hill, 1990, p. 77). Le problème qui se
pose alors est celui des biais possibles en raison de la
transparence du système d’assignation. En effet, si le trai-
tement qui va être assigné à un patient est connu — ou
peut être découvert — avant que le patient ne soit inclus
dans l’étude, cette connaissance peut déterminer le fait
que tel patient a été choisi et non pas tel autre et induire

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la médecine des preuves en angleterre n 75

donc des biais dans la comparaison entre les groupes. C’est


pourquoi, selon Bradford Hill, une assignation au hasard
des patients dans les deux bras de l’essai n’a été faite que
dans l’essai de 1947-1948 du STTC, qu’il qualifiera lui-
même, plus tard, de « premier essai clinique randomisé »
et de « premier essai strictement contrôlé qui nous a fait
entrer dans une nouvelle ère de la médecine » (Armitage,
1992, p. 27).
Selon des auteurs comme Doll et Chalmers, ce qui
aurait fait de l’essai de 1947-1948 l’étalon-or de l’essai cli-
nique contrôlé, ce ne serait pas tant la génération de la
séquence d’assignation à partir de nombres d’échantillon-
nage sélectionnés au hasard que le fait que cela permet de
préserver le secret de cette séquence d’assignation plus
facilement qu’avec la méthode de l’alternance (Chalmers,
1999, p. 1372).
Chalmers a développé récemment plus systématique-
ment ce point de vue dans le chapitre intitulé « Statistical
theory was not the reason that randomization was used
in the British Medical Research Council’s trial of strepto-
mycin for pulmonary tuberculosis » de l’ouvrage La quan-
tification médicale, perspectives historiques et sociologiques
édité par Jorland et al. (2005). Son analyse converge avec
celle de Doll, qui affirme que « la randomisation a été
introduite en médecine pour contrôler les biais de sélec-
tion et non pas pour une quelconque raison statistique
ésotérique » (Doll, 2002, cité par Chalmers, 2005, p. 309).
Mais justement, comme on l’a vu, la randomisation pour
être effective implique deux processus interreliés : non
seulement celui de la génération de l’ordre d’allocation
des patients à partir d’une série de nombres d’échan-
tillonnage sélectionnés au hasard — à partir de laquelle

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76 n la médecine des preuves

les participants sont assignés aux deux bras, ou plus, de


l’essai sur lesquels on va intervenir —, afin d’assurer la
non-prévisibilité de cette séquence, mais aussi un proces-
sus qui garantisse que cette séquence demeure cachée ou
secrète afin d’empêcher ceux qui participent à un essai de
con­naître les assignations à venir.
Car, sans ce second processus, on a constaté que les
chercheurs et les patients changeaient cette séquence,
ce qui rendait les groupes devant être comparés moins
équivalents. Or, si l’assignation des patients à un groupe
ou à un autre par alternance selon l’ordre d’arrivée est
bien une méthode basée sur le hasard, il est beaucoup plus
difficile dans ce cas, comme l’admet Chalmers lui-même,
de préserver le secret des assignations à venir — même
s’il s’agit d’une alternance mise en œuvre strictement
—, ce qui introduit des biais et ne rend pas possible une
randomisation effective. Par contre, Chalmers considère
que, pour abolir les biais de sélection, les séquences d’assi-
gnation générées par des nombres aléatoires ne sont pas
supérieures à celles générées par une stricte alternance.
Mais, dit-il, les premières sont préférables parce que plus
faciles à cacher.
La question de savoir si la randomisation a été intro-
duite dans l’essai clinique du MRC de 1947-1948 — et, par
conséquent, dans les essais suivants du MRC — pour une
raison de statistique ou pour contrôler les biais de sélec-
tion mérite que nous nous y arrêtions un peu. Dans son
article « The clinical trial » (1952), Bradford Hill rappelle
que, pour disposer de données sur lesquelles on puisse
obtenir par le calcul des résultats significatifs du point de
vue statistique, il faut tout d’abord constituer pour un

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la médecine des preuves en angleterre n 77

essai clinique des groupes qui soient effectivement com-


parables (un groupe ou un bras de l’essai étant formé des
patients recevant le nouveau traitement à évaluer et l’autre
de ceux recevant le traitement plus ancien ou « ortho­
doxe ») et que, pour cela, il est impératif de les choisir au
hasard (Bradford Hill, 1952, repris dans Bradford Hill, 1962,
p. 24). Selon lui, la construction d’une séquence d’assigna-
tion basée sur des nombres d’échantillonnage sélection-
nés au hasard représente, en fait, un substitut moderne
des procédés connus de tirage au sort (par exemple en
jouant à pile ou face). Et c’est un procédé plus simple
quand on doit s’en servir dans un service hospitalier ou
dans un bureau.
Toutefois, si les procédés habituels et connus de tirage
au sort ne font pas appel à la statistique, il en va autrement
pour la construction d’une séquence d’assignation (ou
ordre d’allocation des patients) basée sur des nombres
d’échantillonnage sélectionnés au hasard. En effet, pour
construire une telle séquence d’assignation, Bradford Hill
a utilisé les tables de nombres aléatoires d’échantillon-
nage de L. H. C. Tippet, qu’il reproduit et dont il explique
l’utilisation à la fin de la huitième édition de ses Principles
of Medical Statistics (1966, p.  355-376). Or, les tables de nom-
bres aléatoires d’échantillonnage comme celles de Tippet
sont produites par des méthodes statistiques. Et l’usage de
telles tables est un des procédés qui permet de produire
un échantillonnage aléatoire ou encore un échantillon-
nage statistique. C’est pourquoi Bradford Hill affirme,
avec raison, que pour l’essai de 1947-1948, la répartition
des patients avait été faite selon un ordre d’allocation basé
sur une série statistique de nombres d’échantillonnage

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78 n la médecine des preuves

sélectionnés au hasard. Donc, contrairement à ce que


laissent entendre des auteurs comme Doll et Chalmers, la
statistique joue bien ici un rôle essentiel.
Pour les essais cliniques, on définit l’échantillonnage
au hasard (ou aléatoire ou statistique) comme celui dans
lequel chaque membre de la population échantillonnée a
une probabilité connue d’être sélectionné. Et comme une
méthode dans laquelle chaque arrangement ou mise en
ordre (par exemple les prescriptions d’assignation de trai-
tement dans une randomisation) a la même probabilité
d’occurrence ou une probabilité connue d’occurrence
(Meinert, 1996, p. 219). Or, c’est uniquement par un échan-
tillonnage aléatoire ou randomisé que l’on peut constituer
pour un essai clinique un groupe de traitement et un
groupe de contrôle sur lesquels l’essai en question permet
de dire que la différence des résultats obtenus sur les deux
groupes est statistiquement significative, c’est-à-dire avec
une probabilité d’erreur inférieure à 5 % ou à 1 %. Ces chif-
fres sont obtenus en utilisant des tests statistiques tels que
le X2 ou le test t de Student (Cochrane, 1977, p. 45).
Or, c’est justement sur la base statistique d’une proba-
bilité d’erreur inférieure à 1 % que les résultats de l’essai de
1947-1948 ont été évalués par Bradford Hill (4 des 55 patients
du groupe de traitement S [7 %] et 14 des 52 patients du
groupe de contrôle C [27 %] sont morts en six mois, ce qui
est statistiquement significatif et a donc permis d’affirmer
que l’essai clinique prouvait qu’il y avait une efficacité
de la streptomycine dans cette forme de la tuberculose)
(MRC, 1948, p. 771). Or, il n’aurait pas été possible d’obtenir
un résultat statistiquement signi­ficatif dans cet essai si
la constitution des deux groupes n’avait pas été générée

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la médecine des preuves en angleterre n 79

par échantillonnage au hasard ou par randomisation.


Contrai­re­ment à ce que prétend Chalmers, il y avait donc
bien une raison statistique à l’origine de l’introduction
de la randomisation, et cette raison n’avait rien d’ésotéri-
que. Elle était aussi simple et logique qu’impérative si on
voulait pouvoir évaluer rigoureusement les résultats de
l’essai clinique.
En ce qui concerne la méthodologie, un autre point
à souligner est que, actuellement encore, les essais clini-
ques contrôlés randomisés et multicentriques ne sont pas
toujours effectués contre placebo et selon la méthode du
double insu. Selon K. Schulz (2000), le double insu est
une bonne méthode, mais il ne devrait pas être considéré
comme le seul critère de qualité d’un essai, ni comme
une condition sine qua non. Par ailleurs, il conviendrait
de se défaire de la perception largement répandue que les
essais cliniques contrôlés ont toujours été menés selon
une méthodologie rigoureuse. De fait, l’Evidence-Based
Medicine Journal a dû modifier, en 2000, sa politique édi-
toriale en exigeant dorénavant des auteurs désireux de
publier les résultats de leurs essais cliniques soi-disant
contrôlés qu’ils exposent clairement les procédures métho­
dologiques suivies quant au secret de l’assignation et quant
à l’insu. Dans un commentaire approuvant ces nouvelles
directives, K. Schulz a rappelé à quel point, contrairement
à l’idée qu’on s’en fait et en dépit de leurs prétentions à la
rigueur, la grande majorité des essais cliniques contrôlés
prétendument randomisés ont été menés jusque-là de façon
très approximative (ibid.) Ce qui est confirmé, encore plus
sévèrement, par I. Chalmers, directeur du Centre Cochrane
à Oxford en 1998, qui affirme que, depuis cinquante ans,

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80 n la médecine des preuves

d’énormes efforts, la bonne volonté de milliers de patients


et des sommes faramineuses ont tout simplement été gas-
pillés (Chalmers, 1998, p. 1167).
Mais il ne faut pas oublier que si l’on peut évaluer que
la plupart des essais cliniques ont été menés de manière
inadéquate, c’est que depuis la série d’essais menés par le
MRC à la fin des années 1940 et au début des années 1950,
on dispose d’un « étalon-or » qui permet de définir ce
qu’est un essai clinique randomisé adéquat. Le problème
n’est donc pas que l’essai clinique randomisé n’a pas de
valeur scientifique et de crédibilité objective, mais que, en
raison, entre autres, de sa complexité, il a été le plus sou-
vent conduit de manière inadéquate en ne respectant pas
les critères de rigueur et les protocoles indispensables qui
sont pourtant bien établis et qui ont été toujours mieux
définis et précisés depuis 1948.
En effet, dans l’étude de 1947-1948 et dans la série d’es-
sais cliniques qui a suivi, le MRC avait mis en œuvre une
procédure de randomisation rigoureuse qui peut toujours
servir de modèle. En ce qui concerne la méthode d’expéri-
mentation clinique, il est encore assez difficile de cerner
précisément à quelle période le recours au double (ou
même simple) insu et éventuellement au placebo a été
introduit sur une large échelle en plus de la randomisation
(avec secret de la séquence d’assignation) dans les essais
cliniques proprement thérapeutiques (médicaments curatifs)
— le cas des essais cliniques en médecine préventive (vaccins,
etc.) étant différent. La pénicilline et la streptomycine ont
inauguré l’ère des antibiotiques : au cours des années sui-
vantes (jusqu’en 1965), on isole successivement le chloram-
phénicol, la tétracycline, la néomycine, l’érythro­mycine,
la vancomycine, la kanamycine, la méthicilline, la cépha-

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la médecine des preuves en angleterre n 81

losporine, l’ampicilline, la gentamycine, etc., qui repré-


sentent l’essentiel de l’arsenal contemporain dans la lutte
contre les germes pathogènes. Toutefois, comme le fait
remarquer Gaudillière : « Leur histoire et celle des pro-
grammes de criblage ou de synthèse dont ils sont issus de
même que celle de leurs usages récents restent à écrire.
Des témoignages et mémoires ont bien été publiés. Mais,
dans la plupart des cas, les analyses historiques font défaut »
(Gaudillière, 2004, p. 70-71). Parmi tous ces nouveaux
anti­biotiques, quels sont ceux qui ont été validés par des
essais contrôlés coopératifs (multicentriques) randomisés,
avec éventuellement en plus le recours au double aveugle
et à un placebo ?
Après une étude pilote entreprise en 1944, un autre
essai randomisé, cette fois dans le domaine de la méde-
cine préventive, avait été mis en œuvre par le Whooping
Cough Immunization Committee du MRC en 1946-1948,
toujours planifié par la Statistical Research Unit du MRC
et avec la participation de Bradford Hill. Cet essai visait à
mesurer l’efficacité de vaccins contre la coqueluche. Il ne
fut complété qu’en 1950 et publié en 1951 (MRC, 1951). Les
vaccins actifs furent comparés à un vaccin anticatarrhal
ne contenant pas de pertussis. Cet essai démontra de
manière évidente que les vaccins disponibles à l’époque
étaient efficaces, mais son succès même rendit peu conce-
vable que de futurs essais puissent se faire en utilisant un
groupe de contrôle non vacciné (Armitage, 1992, p. 29).
L’essai impliqua 7558 enfants de 6 à 18 mois, dans cinq
régions d’Angleterre (il était donc multicentrique). De ce
nombre, 3801 furent vaccinés et 3757 furent considérés
comme non vaccinés puisqu’ils n’avaient reçu que le
­vaccin anticatarrhal considéré comme un placebo. Ni les

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82 n la médecine des preuves

parents, ni les observateurs, ou field workers, qui étaient


des médecins et des infirmières, ne savaient si un enfant
faisait partie du groupe vacciné ou non vacciné. Par
conséquent, on peut dire que l’essai avait été mené en
double aveugle.
On avait au préalable fait signer aux parents une for-
mule de consentement. Après avoir été inoculé, chaque
enfant fut visité une fois par mois sur une période de
deux ou trois ans par une nurse-investigator. Il faut noter
que cet essai a été mené dans le cadre des structures exis-
tantes du Service de santé publique. Dans chaque région,
on constitua une « équipe pertussis » avec un medical offi-
cer (médecin fonctionnaire de santé publique), une nurse-
investigator pour chaque groupe de 500 enfants, et un
secrétaire. Les membres de ces équipes furent recrutés
parmi le personnel des départements locaux de santé
publique associés aux activités d’immunisation contre la
diphtérie dans leur travail de routine avec les mères des
jeunes enfants et dans leur travail au jour le jour. Il est
probable qu’avec un tel personnel, il était plus facile d’avoir
un contrôle sur l’essai que dans le milieu hospitalier. Et,
dans un cadre de prévention, les conséquences éventuel-
les pour le patient étaient certainement moins graves que
dans un milieu de soins ou de cure. Cela explique sans
doute en partie que dans cet essai — de type prophylac­
tique et non curatif — randomisé, on a introduit une
méthode de double aveugle et qu’on a eu recours à un
« vaccin placebo ».
Il est important de noter que le premier essai contrôlé
qui a mis en œuvre à la fois la randomisation, l’étude en
double aveugle et l’étude contre placebo n’a porté ni sur
un antibiotique, ni sur un médicament, ni sur une théra-

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la médecine des preuves en angleterre n 83

peutique, comme on le croit souvent, mais sur une mesure


de prévention.
Si on laisse de côté le domaine de la prévention pour
s’en tenir rigoureusement au champ de l’expérimentation
thérapeutique portant sur les médicaments curatifs, on
voit que le second essai contrôlé randomisé du MRC, tou-
jours conçu par Bradford Hill et mené en 1949, sur le trai-
tement de la tuberculose par la streptomycine associée à
l’acide para-aminosalicylique (APS) ne faisait intervenir ni
le double insu, ni le recours au placebo. Ce second essai
contrôlé avait été planifié par le STTC du MRC, dès la fin
du premier essai de 1947-1948, quand les résultats avaient
mis en évidence une résistance importante au traitement
à la streptomycine. Au bout de deux ou trois mois, de
nouvelles souches du bacille, résistantes à de fortes con­
centrations du médicament, se développèrent. Par consé-
quent, le rapport indiquait que des recherches seraient
nécessaires pour déterminer si l’émergence de souches
résistantes à la streptomycine pouvait être prévenue en
l’associant avec un autre médicament ou par un rythme
de traitement particulier (MRC, 1948, p. 781 sq.). C’est pour-
quoi le STTC avait entrepris dès 1949 un essai contrôlé avec
trois bras ou groupes de patients, dont le premier recevait
de la streptomycine, le deuxième de l’APS et le troisième
une combinaison des deux médicaments précédents.
Un autre essai contrôlé coopératif (multicentrique) sur
la streptomycine fut conduit en 1951 par la même méthode
de randomisation et sans double (ni simple) aveugle ni
placebo. Mené par le STTC, sous la direction des mêmes
responsables (Daniels et Bradford Hill), cet essai a comparé
le traitement de la tuberculose par la streptomycine asso-
ciée à une dose d’APS de 20 g par jour (qui était efficace,

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84 n la médecine des preuves

mais avait d’importants effets secondaires — nausées et


vomissements) avec celui par la streptomycine associée à
une dose inférieure d’APS (5 à 10 g). On trouva que la
résistance des patients à la streptomycine était plus élevée
chez ceux recevant la dose inférieure d’APS (MRC, 1952a).
Donc, dans ces trois essais chimiothérapiques contrô-
lés randomisés sur la streptomycine, le STTC et Bradford
Hill n’avaient pas introduit les méthodes du double aveu-
gle et de l’essai contre placebo. Ces méthodes n’étaient
généralement pas applicables à ces cas de tuberculose,
puisque cela aurait impliqué dans le groupe de contrôle
l’administration de traitements simulant des injections
journalières de streptomycine ou simulant la dispensa-
tion de fortes doses orales d’APS, ou encore l’administra-
tion de ces deux traitements fictifs. Comme nous l’avons
souligné, l’essai de 1949 était conçu par le MRC comme un
prolongement de celui de 1947-1948 et celui de 1951 comme
une suite des deux autres. Pour pouvoir, comme on le fit,
comparer entre eux les résultats de ces essais, il fallait
garantir qu’on avait suivi, à chaque fois, la même procé-
dure méthodologique.
Toutefois, en 1950, un autre comité d’essais théra-
peu­ti­ques du MRC, le Special Committee, présidé par le
Dr F. H. K. Green et dont le Dr J. A. Harrington était le
­secrétaire et le coordonnateur, avait conduit une étude
randomisée en double aveugle et avec placebo sur un
antihistaminique pour le traitement du rhume (common
cold). Ce comité avait requis l’expertise de Bradford Hill et
de D’Arcy Hart, qui en étaient membres. Bradford Hill
était même le concepteur du protocole de cette étude qui
comprenait en fait trois essais cliniques. Deux de ces
essais avaient été menés à petite échelle, le premier avec le

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la médecine des preuves en angleterre n 85

Histantin et le deuxième avec le Phénergan. Le troisième


avait été mené à grande échelle (multicentrique) avec le
Thonzilamine. Les deux premiers essais n’eurent lieu que
dans un seul centre, le Harvard Hospital de Salisbury. En
revanche, 1550 volontaires (dont 755 auxquels fut adminis-
tré le placebo) participèrent au troisième dans plusieurs
centres éloignés les uns des autres en Grande-Bretagne et
en Irlande du Nord. En cours de route, certains des parti-
cipants à l’essai furent éliminés pour diverses raisons —
comme de n’avoir pas suivi leur traitement ou rapporté
leur condition le jour requis — et, en fin de compte, le
groupe recevant le traitement compta 579 patients et celui
recevant le placebo, 577. Dans les trois essais de cette
étude, le groupe contrôle avait reçu un placebo, et ni les
patients ni les investigateurs de l’essai ne savaient qui
recevait quoi. Donc, cette étude randomisée a été menée
en double aveugle et avec placebo. Elle démontra que les
antihistaminiques n’étaient pas efficaces contre le rhume,
les patients des groupes recevant le traitement n’ayant pas
été guéris ou n’ayant pas vu leur état s’améliorer plus que
ceux des groupes ayant reçu le placebo (MRC 1950a et
Bradford Hill, 1962).
Cet essai du MRC est le second ECR contrôlé, à la fois
multicentrique et ayant recours à la procédure du double
aveugle et du placebo, que l’on puisse retracer — le pre-
mier étant l’essai clinique mené en Suède un an plus tôt.
Cependant, cette procédure du double aveugle et du pla-
cebo ne s’est pas imposée comme paradigme dans la série
des essais cliniques du MRC sur la tuberculose au début
des années 1950. Et pourtant, Bradford Hill et D’Arcy Hart
avaient participé à l’essai randomisé — et en double aveu-
gle avec placebo — du MRC sur les antihistaminiques, et

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86 n la médecine des preuves

Bradford Hill était même le concepteur du protocole. En


effet, il a repris le texte de l’article sur cette étude, paru en
1950 dans le British Medical Journal sous le titre « Clinical
trials of antihistaminic drugs in the prevention and treat-
ment of common cold », comme chapitre 6 de son ouvrage
Statistical Methods in Clinical and Preventive Medicine (1962,
p. 105-119). C’est donc qu’il était bien le concepteur de
l’étude et l’auteur de l’article. Il est intéressant de souli-
gner que Bradford Hill et les responsables du STTC du
MRC, même après cette étude avec placebo et en double
aveugle, continuaient à considérer que les ECC randomi-
sés, même sans procédure en double aveugle et placebo,
offraient toutes les garanties de fiabilité et de validité
requises. Ce paradoxe apparent se comprendra mieux à la
lecture de la suite de ce chapitre.

L’élargissement du champ d’application


de la preuve expérimentale

On a cru pouvoir affirmer qu’« en 1948, lorsque furent


publiés les résultats du MRC, l’enjeu du débat n’était plus
de convaincre de l’importance de la streptomycine pour
le traitement de la tuberculose, mais de réfléchir aux con­
ditions d’administration de la preuve. En Grande-Bretagne
comme aux États-Unis, l’intérêt de l’antibiotique n’était
pas contesté » (Gaudillière, 2004, p. 70). Une telle position
doit être nuancée à plusieurs niveaux. Par exemple, rétro­
spectivement, W. A. Feldman a souligné, en 1954, à quel
point les résultats des premiers essais cliniques menés
par lui et ses collaborateurs au cours des années 1945 et
1946 étaient encore limités et non absolument probants
(Feldman, 1954, p. 865). L’adéquation de la streptomycine

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la médecine des preuves en angleterre n 87

comme traitement de la tuberculose pulmonaire n’était


pas encore définitivement établie. Par ailleurs, c’est paral-
lèlement — et non pas antérieurement — à l’essai coor-
donné par Bradford Hill qu’un autre essai, toujours organisé
par le MRC, allait faire connaître, lors de sa publication la
même année (1948), l’efficacité encore relative de la strep-
tomycine sur une forme particulière de la tuberculose, la
forme méningée. L’essai démontra, en effet, que la strep-
tomycine était parvenue à guérir environ 12 % des 33 cas
d’enfants de moins de 3 ans étudiés et 36 % des 72 cas
d’enfants plus âgés. Cette efficacité s’expliquait parce que
la résistance au médicament ne se développait pas chez
ces patients atteints de la forme méningée de la tubercu-
lose étant donné que la population bac­térienne était trop
réduite pour pouvoir contenir des mutants résistants
(MRC, 1948c ; Mitchison, 2005, p. 700).
En fait, toute la série des essais entrepris sur le traite-
ment de la tuberculose pulmonaire de 1947 à 1955 avait
pour objet de mieux définir les conditions d’adminis­
tration de la preuve, mais les premiers essais au moins
avaient aussi et avant tout pour objet de tester l’efficacité
des nouveaux médicaments antituberculeux. À cette
enseigne, les conclusions du rapport du MRC sur l’essai de
1947-1948 étaient encore très partielles, modestes et pru-
dentes. On soulignait que la valeur relative de la strepto-
mycine n’avait été démontrée que pour une forme peu
commune de la tuberculose pulmonaire (bilatérale aiguë
d’origine récente, non traitable par la collapsothérapie),
que cet essai ne présentait pour le moment qu’une évalua-
tion à court terme et que, si la mortalité était significati-
vement inférieure dans le groupe traité par rapport à celui
non traité, il n’y avait eu, par contre, aucune guérison,

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88 n la médecine des preuves

spectaculaire ou non (MRC, 1948, p. 781). La streptomycine


était donc loin d’apparaître, en 1948, comme un médi­
cament en tout point efficace contre la tuberculose et,
encore moins, comme un médicament miracle. L’essai
avait même mis en évidence que l’administration de la
streptomycine provoquait à brève échéance (deux ou trois
mois) l’apparition de souches très résistantes du bacille
tuberculeux. Par conséquent, la réduction de la mortalité,
dans le groupe expérimental, baissait fortement après une
certaine période de traitement. Le rapport recommandait
donc d’être très prudent avant de prescrire de la strepto-
mycine à un patient.
En fait, à cette étape, selon le rapport, la streptomycine
constituait moins un traitement en soi qu’un moyen pro-
bable, dans certains cas de forme aiguë récente, de gagner
du temps pour préparer les lésions dues à une forme de la
maladie progressant rapidement à une intervention chi­
rur­gicale — la collapsothérapie — qui demeurait encore
indispensable même après « traitement » à la strepto­
mycine — ou de stabiliser l’état du patient pour contrer
des effets négatifs après intervention comme la diffusion
(spread) contralatérale aiguë du bacille après pneumotho-
rax artificiel (insufflation de gaz dans la cavité pleurale)
ou thoracoplastie (intervention qui consiste à réséquer un
nombre plus ou moins grand de côtes pour affaisser une
caverne tuberculeuse sous-jacente). C’est en cela, et non
comme moyen de guérison efficace, qu’elle était considé-
rée comme pouvant être la plus utile. Le rapport concluait
qu’il restait encore beaucoup à faire pour déterminer les
indications précises de la streptomycine et les meilleurs
systèmes de dosage pour la tuberculose pulmonaire (MRC,
1948, p. 781).

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la médecine des preuves en angleterre n 89

L’essai de 1947-1948 n’avait donc prouvé que de manière


limitée la valeur thérapeutique de la streptomycine dans
les cas de tuberculose. Elle servait encore principalement
d’adjuvant pour des traitements chirurgicaux. Ce sont
les essais ultérieurs du MRC qui allaient permettre de
mettre en évidence que, dans d’autres conditions, soit en
combinant le médicament avec d’autres — avant tout pour
neutraliser la production de souches résistantes causée
par la streptomycine elle-même —, on pouvait obtenir
une plus grande efficacité. Disons donc, pour nuancer le
propos de Gaudillière, que les essais cliniques du MRC (de
celui de 1947-1948 à celui de 1951 et à ceux qui ont suivi), où
l’on a comparé les effets de son administration combinée
avec d’au­tres substances avec ceux d’autres médicaments
comme l’isoniazide, avaient bien pour objet de prouver
progressivement l’efficacité du médicament pour le trai-
tement et de déterminer à la fois l’extension légitime de
son application et ses conditions optimales d’utilisation.
S’agissait-il dans l’essai de 1947-1948 de réfléchir aux
conditions de l’administration de la preuve de l’efficacité
d’un médicament ? Il faut faire une distinction entre « faire
la preuve de l’efficacité d’un médicament » et « déterminer
les conditions expérimentales et méthodologiques de la
valeur de la preuve ». Selon nous, l’équipe du MRC, avant
d’entreprendre l’essai en 1947, avait déjà défini un protocole
expérimental et méthodologique rigoureux pour garantir
la valeur de la preuve que l’on voulait obtenir. Ce qu’il faut
comprendre c’est que l’essai, tel qu’il était conçu, permet-
tait de mettre en évidence aussi bien la non-efficacité que
l’efficacité du médicament. Dans les deux cas, si le proto-
cole était suivi, la preuve était valable. En fait, on démon-
tra, lors de l’essai, une efficacité limitée ou relative. Donc

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90 n la médecine des preuves

pour les organisateurs de l’essai de 1947-1948, il ne s’agis-


sait pas de « réfléchir sur les conditions d’administration
de la preuve », car ces conditions, qui étaient aussi celles
de sa validité, étaient définies justement par la structure
du protocole expérimental et méthodologique mis en
place. Le rapport de 1948 ne constitue pas une réflexion
sur les conditions de l’administration de la preuve ; il
constitue l’exposé d’une mise en pratique dans un essai
contrôlé de ces conditions. Ces conditions y sont explici-
tement présentées et elles y définissent les limites de la
portée de la preuve : par exemple, l’efficacité relative du
« traitement » ne concerne qu’une forme peu commune de
la maladie ; il produit des souches résistantes du bacille ;
le « traitement » améliore l’état de certains patients (pas
tous, car il y a eu des décès dans le groupe traité), mais il
ne produit en aucun cas à lui seul la guérison.
Ce qui ne veut pas dire qu’une preuve de portée limitée
n’est pas une preuve et qu’on ne pourra pas élargir cette
portée par la suite. Au contraire, comme nous l’avons vu,
les résultats de l’essai de 1947-1948 ont amené à deux autres
essais cliniques conduits selon la même démarche expé­
rimentale et méthodologique. L’essai de 1949 permit de
démontrer que l’association de la streptomycine à l’APS
prévenait le développement de souches bactériennes résis-
tantes. Cela rendait donc le médicament plus utilisable et
donc plus efficace. Cependant, l’essai mettait aussi en
évidence de nouveaux effets secondaires dus à l’APS (ver-
tiges, éruptions fébriles, troubles gastro-intestinaux, diar-
rhées, nausées) (MRC, 1950, p. 1076). Ce qui conduisit à un
troisième essai, où l’on essaya de combiner une dose infé-
rieure d’APS avec la streptomycine. Dans ce cas, l’essai
démontra que la résistance des patients à la streptomycine

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la médecine des preuves en angleterre n 91

(dispensée à 1 g par jour) était la plus forte chez les patients


qui recevaient la dose la plus réduite d’APS (5 g par jour) et
qu’elle était la plus faible chez ceux qui recevaient la dose
la plus forte (20 g par jour). Un troisième groupe recevant
une dose d’APS de 10 g par jour présentait une résistance
intermédiaire à la streptomycine. Toutefois, au bout de six
mois, l’évaluation radiologique ne faisait pas apparaître
de différence entre les trois groupes. La proportion d’amé-
lioration au point de vue radiologique pour ces malades
souffrant de tuberculose pulmonaire bilatérale progres-
sive aiguë était de 87 à 88 % (MRC, 1952a, p. 1162). Ces deux
derniers essais avaient donc permis d’élargir la portée de
la preuve obtenue dans celui de 1947-1948, cette preuve
étant celle de l’efficacité relative à court terme de la strep-
tomycine (rappelons que cet essai avait démontré aussi
qu’à plus long terme, la streptomycine produisait de nou-
velles souches bactériennes qui lui étaient résistantes).
Ces deux derniers essais avaient ainsi permis de définir
des conditions (combinaisons de la streptomycine avec
l’APS à des doses précises bien expérimentées) qui don-
naient au traitement une plus grande efficacité, mais qui
demeuraient cependant limitatives.
En effet, si la portée de la preuve dans ce domaine était
plus grande, elle demeurait cependant encore limitée dans
d’autres : par exemple, les deux derniers essais ne por-
taient, comme le premier, que sur la même forme peu
commune de la tuberculose et donc la preuve obtenue
d’efficacité n’était alors valide que pour de tels cas. Comme
nous allons le voir, cette limite ne sera levée que lors d’un
autre essai du MRC, où l’on compara le traitement de la
tuberculose par l’isoniazide avec celui par la streptomy-
cine associée à l’APS. Dans cet essai, on inclut plusieurs

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92 n la médecine des preuves

types différents et beaucoup plus courants de la maladie,


y com­pris des cas chroniques. Le nombre de centres, de
patients ainsi que de chercheurs impliqués dans l’essai fut
aussi beaucoup plus important. Ces conditions, entre
autres, allaient élargir encore la portée de la preuve et
permettre de préciser le degré d’efficacité de la streptomy-
cine combinée avec l’APS (équivalent à celui, qui s’avéra
important, de l’isoniazide).
C’est de mars à la fin août 1952 que le MRC conduisit ce
nouvel essai contrôlé. Il porta sur 331 patients et impliqua
un nombre beaucoup plus important d’hôpitaux et de
sanatoriums (39) ainsi que de chercheurs (cliniciens,
pathologistes, bactériologistes, radiologistes) à travers le
pays. À nouveau, l’essai fut soigneusement randomisé
avec séquence d’assignation basée sur une table de nom-
bres aléatoires et protection du secret de cette séquence
vis-à-vis des participants à l’essai. On n’y eut pas recours
au placebo, puisque c’étaient des médicaments actifs qui
étaient comparés entre eux. On aurait pu utiliser la pro-
cédure du double (ou du simple) aveugle pour comparer le
nouveau médicament (isoniazide) à celui de référence
(streptomycine + APS), mais cela ne fut pas le cas. Comme
nous l’avons indiqué, l’essai portait cette fois sur plusieurs
types de tuberculose. Un premier rapport intérimaire,
basé sur des résultats obtenus pendant un traitement de
trois mois, démontra que l’isoniazide avait une efficacité
certaine contre la tuberculose pulmonaire, mais que,
administré seul, il n’était pas plus efficace que la strepto-
mycine associée avec l’APS (MRC, 1952b, p. 45). Cependant,
on découvrit aussi que ce médicament produisait des sou-
ches bactériennes de plus en plus résistantes de mois en
mois (71 % de cas à la fin du troisième mois).

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la médecine des preuves en angleterre n 93

Cela amena les organisateurs à poursuivre l’essai en en


modifiant les conditions pour déterminer quels effets on
pouvait obtenir en combinant l’isoniazide avec la strep-
tomycine et en comparant avec les résultats obtenus dans
la première partie de l’essai. Pour ce faire, 364 malades
furent traités pendant trois mois. Ils furent divisés en
trois groupes : l’un reçut de l’isoniazide associé à la strep-
tomycine, l’autre de la streptomycine (1 g par jour) associée
à l’APS, et le dernier de l’isoniazide uniquement. L’essai
permit de conclure — il était précisé que cette démonstra-
tion n’était basée que sur les résultats après trois mois —
que la streptomycine (1 g par jour) associée à l’isoniazide
(200 mg par jour) était cliniquement le traitement le plus
efficace, bien que sa supériorité sur celui de la streptomy-
cine (1 g par jour) associée à l’APS (20 g par jour) ne fût pas
très grande (MRC, 1953a, p. 535).
Il y a ainsi une dynamique (ou une chaîne) de ces essais
cliniques, où les uns sont impliqués par les autres et par
laquelle on gagne toujours en connaissances et en preuves
sur les effets des traitements chimiothérapiques contre la
tuberculose et sur leurs conditions d’efficacité. On pour-
rait dire que l’on assiste à un élargissement constant du
champ et de la portée de la preuve expérimentale. C’est
ainsi que le dernier essai clinique mentionné fut suivi
d’un autre, par lequel on voulut déterminer sur 391 patients
l’efficacité respective, à des doses définies, d’un traitement
associant la streptomycine à de l’isoniazide et d’un autre
associant l’APS à l’isoniazide. L’essai démontra que l’effi-
cacité était du même ordre (MRC, 1953b).
Puis, comme on n’avait obtenu que peu d’information
pour déterminer si la dose de streptomycine ou d’APS

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94 n la médecine des preuves

combinée avec l’isoniazide aurait pu être réduite au-des-


sous des niveaux qui avaient été utilisés, le TCTC du MRC
planifia à partir de septembre 1952 jusqu’en juillet 1953 un
nouvel essai contrôlé pour vérifier cela. Cette fois, 51 hôpi-
taux et 588 patients étaient impliqués pour étudier les
effets de deux dosages de streptomycine et de deux dosages
d’APS, en combinaison avec l’isoniazide, sur la tubercu-
lose. On put en conclure, au bout de trois mois seulement,
que l’association de la streptomycine à 1 g par jour et de
l’isoniazide à 200 mg par jour était non seulement le plus
efficace des quatre traitements, mais aussi qu’elle repré-
sentait la combinaison de médicaments la plus efficace de
toutes celles étudiées au cours de ces différents essais. La
démonstration faite par cet essai fut renforcée par les
résultats concordants de l’analyse bactériologique sur
241 patients dont le traitement avait duré au moins six mois.
Mais cet essai permit aussi de découvrir que la combinai-
son d’APS avec l’isoniazide, bien que moins puissante que
celle que nous venons de mentionner, constituait néan-
moins une forme orale très efficace de chimiothérapie
combinée pour le traitement de la tuberculose (MRC, 1955,
p. 444).
Il est intéressant de remarquer la continuité entre tous
ces essais thérapeutiques du MRC. Si l’essai de 1947-1948 a
fait apparaître la streptomycine comme un médicament
ayant une efficacité très limitée — seulement pour une
forme peu commune de la maladie et utile seulement
comme appoint pour préparer à une intervention chirur-
gicale ou pour stabiliser l’état du patient après une telle
intervention —, la série des essais successifs qui l’ont
combi­née avec d’autres substances l’ont fait reconnaître

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la médecine des preuves en angleterre n 95

comme un traitement efficace pour les diverses formes de


la tuberculose. Il faut donc souligner que c’est la série de
tous ces essais cliniques — et non seulement le premier de
1947-1948 — qui a donné aux cliniciens un gold standard
(ou étalon-or) de l’expérimentation thérapeutique et de la
méthode de recherche.
Du point de vue épistémologique, il est important de
comprendre que la méthodologie et la procédure expéri-
mentales ne se réduisent pas, dans cette série d’essais, à la
randomisation, qui est pourtant un élément invariant du
protocole expérimental. Il y a toutefois à ce niveau une
continuité remarquable de la démarche en ce qui concerne
les essais successifs. Dans chaque rapport, pour chaque
essai, il est indiqué clairement, en des termes identiques,
que l’essai a été randomisé selon la même procédure :
assignation des patients à l’un ou l’autre des deux bras, ou
plus, de l’essai selon une table ou séquence de nombres
aléatoires fournis par la Satistical Research Unit du MRC ;
protection du secret de la séquence d’assignation vis-à-vis
des chercheurs participant à l’essai. Mais il est spécifié à
chaque fois que ce n’est qu’au moment où le patient était
sélectionné pour un traitement que le traitement était
ignoré par le médecin. Autrement dit, le médecin était
dans l’impossibilité de savoir à l’avance si tel patient choisi
pour entrer dans l’essai allait faire partie du bras A, B ou
C de l’essai, ou de savoir lequel des médicaments (ou com-
binaison de substances), que l’on voulait comparer entre
eux, il allait recevoir. Par contre, une fois cette assignation
ou allocation à un groupe ou à un des bras du traitement
effectuée, le médecin en était informé, c’est-à-dire qu’il
savait et devait savoir à quel bras de l’essai avait été assigné

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96 n la médecine des preuves

chacun des patients pour pouvoir rapporter à l’unité de


recherche statistique centrale du MRC les données obser-
vées sur les différents traitements suivis que l’on voulait
comparer. Aucun essai de la série de ces essais cliniques
n’a donc été conduit en double aveugle et aucun n’a mis en
jeu un placebo, puisque ce sont toujours des médicaments
ou des combinaisons de substances ayant des propriétés
pharmacologiques effectives qui ont été comparés entre
eux.
Le paradigme de l’essai contrôlé qui allait s’imposer
comme le gold standard des essais cliniques contrôlés a
donc été constitué par toute cette série d’essais dont le
premier était celui de 1947-1948 et qui ont été conduits sur
le même plan : randomisation avec secret de l’assignation,
mais sans mise en jeu de la méthode du double aveugle et
du placebo. Les variations dans les essais n’ont à aucun
moment remis en cause ce plan général. Elles ont concerné
le nombre de centres, de patients et de médecins impliqués
— qui, étant de plus en plus important, renforçait encore
ainsi la preuve — et diverses modalités de l’essai. Par exem-
ple, seul l’essai de 1947-1948 a comparé un médicament
avec un non-traitement et il n’avait que deux bras (ou
groupes de patients). L’essai de 1949 avait déjà trois bras et
il a comparé entre eux les traitements avec deux médica-
ments « simples », soit la streptomycine dans le premier
groupe et l’APS dans le deuxième, avec une combinaison
des deux dans un troisième groupe, ce qui était une inno-
vation.
La seconde innovation dans cet essai, mené toujours
uniquement sur la même forme peu commune de tuber-
culose pulmonaire, a consisté à faire une comparaison
avec l’essai précédent de 1947-1948 où, comme nous l’avons

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la médecine des preuves en angleterre n 97

vu, un des groupes avait été traité sans médicament et


uniquement par le repos au lit. Ceci permit de mettre en
évidence que le groupe traité à l’APS se comportait beau-
coup mieux que celui qui, dans l’autre essai, n’avait été
traité que par le repos au lit. La combinaison des deux
essais permettait donc de mettre en évidence qu’un autre
médicament que la streptomycine, l’APS, avait une effica-
cité contre la tuberculose. L’essai démontra également
qu’il était moins efficace que la streptomycine, mais que
la streptomycine associée à l’APS, administrée dans le
troisième groupe, était plus efficace que la seule strepto-
mycine administrée au deuxième groupe, bien que la dif-
férence ne fût pas grande (MRC, 1950a).
Nous voyons donc ici se mettre en place une dyna-
mique expérimentale féconde, où le principe métho-
dologique suivi va consister à tester non seulement un
médicament contre un autre ou l’un à la suite de l’autre,
mais aussi différentes combinaisons de ces médicaments
entre eux, puis ces différentes combinaisons à des doses
variables. Ainsi on compare l’isionazide seul avec la strep-
tomycine combinée avec l’APS (MRC, 1952b) ; ensuite, la
streptomycine combinée avec l’isionazide avec les deux
traitements précédents (MRC, 1953a) ; ensuite, la combi-
naison de streptomycine et d’isoniazide avec celle d’APS
et d’isoniazide (1953b) ; enfin on compare deux dosages de
streptomycine et deux dosages d’APS, combinés tous deux
avec l’isionazide (MRC, 1955). Dans ce dernier cas, comme
dans certains des essais précédents (p. ex. : MRC, 1952a), la
variation nouvelle qui est introduite dans la comparaison
est celle du dosage, qui permet de comparer quatre trai-
tements différents entre eux. C’est ce qui sera fait dans
les essais suivants du MRC. Une troisième innovation

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98 n la médecine des preuves

consista à élargir le champ de l’expérience en incluant


diverses formes communes, aiguës et chroniques, de la
maladie et à répartir les patients, toujours par randomi-
sation, en sous-groupes à l’intérieur des bras de l’essai.
L’essai clinique se complexifie ainsi toujours davan-
tage. Il y a de plus en plus de conditions expérimentales
mises en œuvre et de variables mises en jeu, ce qui per-
met d’administrer une preuve toujours plus précise et
circonstanciée, donc toujours plus valide. Autrement dit,
de préciser toujours mieux les conditions, à la fois posi-
tives et restrictives, de l’efficacité des médicaments (ou
des combinaisons de médicaments). Notons que, pour la
validité croissante de la preuve des essais cliniques, l’aug-
mentation régulière du nombre de centres, de patients
et de chercheurs impliqués dans ces essais vaut surtout
à cause de la diversification et de la complexification de
l’expérience qu’elle représente : faire des essais sur toutes
les formes de la maladie — notamment les plus commu-
nes —, donc constituer des sous-groupes toujours plus
différenciés, tester de plus en plus de produits ou de com-
binaisons de médicaments, varier l’expérience en fonc-
tion du plus grand nombre de paramètres ou de modalités
possible (doses, fréquence d’administration, etc.), cela
compte autant, sinon plus, que la quantité elle-même.
Par ailleurs, cette série d’essais du MRC a permis de
dégager quatre facteurs qu’il est nécessaire d’étudier afin
de comparer les mérites des traitements dans un essai
contrôlé ou d’en faire l’évaluation : l’efficacité clinique
relative des traitements, l’incidence de la négativité des
crachats (on n’y retrouve pas de bacille tuberculeux),
l’émergence de souches de la bactérie résistantes au trai-
tement et enfin la toxicité des médicaments. Un essai

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la médecine des preuves en angleterre n 99

contrôlé doit être planifié pour fournir le maximum


d’information sur ces facteurs, puisque c’est d’eux — en
plus de sa facilité d’administration et de son coût — que
le choix d’un traitement pour un patient va dépendre
(Fox, 1954, p. 111).
Pour l’évaluation à court terme de l’efficacité d’un
traitement, les essais du MRC prenaient en compte les
changements sur le plan radiologique. Évaluation menée
de manière indépendante, tout comme celles des données
bactériologiques, de la résolution de la fièvre, de la baisse
du taux de sédimentation de l’érythrocyte, du gain en
poids ainsi que celle faite par le médecin des changements
dans la condition générale du patient. Pour une évaluation
à long terme du traitement, les principaux indicateurs
étaient le taux de survivance, l’arrêt de la maladie et la
capacité du patient de reprendre une activité complète
(ibid.). Ces normes d’évaluation ont été observées dans
tous les essais du MRC, autant dans les premiers, qui
étaient encore des essais limités du point de vue du nom-
bre des patients, que dans les suivants, qui étaient des
essais à grande échelle (MRC, 1953a, 1953b, 1953c, 1955) et
dans lesquels on étudia les effets des traitements sur diver-
ses formes de la tuberculose pulmonaire (et non plus sur
une seule forme peu commune comme dans les premiers).

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chapitre 4

Un bilan des essais cliniques


contrôlés

La structure des essais cliniques

À partir de 1952, aux États-Unis, le Public Health Service


(PHS) et la Veterans Administration (VA) ont entrepris des
essais cliniques parallèles à ceux du MRC britannique sur
les combinaisons possibles de la streptomycine, de l’iso-
niazide et de l’APS. Un rapport du PHS, publié en 1954,
établissait que sur une période de 32 semaines, une com-
binaison des trois médicaments n’était probablement pas
plus efficace qu’une combinaison de streptomycine et
d’isoniazide ou d’APS et d’isoniazide (Dowling, 1975-1976,
p. 25 sq. et Marks, 1999, p. 183 sq.). En fait, les essais clini-
ques menés sur un plus long terme allaient démontrer le
contraire. Mais, quoi qu’il en soit, ce qu’il faut relever, c’est
que, à cette étape, on observe une convergence remarqua-
ble dans le protocole et les normes d’évaluation suivis
aussi bien par le MRC que par le PHS ou la VA. Dans tous
ces essais, le plan de conduite et le contrôle impliquaient
maintenant la coopération à large échelle (multicentri-
que), la randomisation et des paramètres semblables pour

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102 n la médecine des preuves

le contrôle, mais ni l’essai contre placebo ni le double


aveugle.
Par contre, à partir de 1955, le PHS eut recours au pla-
cebo dans certains essais. De 1955 à 1957, le PHS entreprit
un essai coopératif entre plusieurs cliniques pédiatriques.
Dans cet essai coopératif, on administra de l’isoniazide
à 1394 enfants atteints de tuberculose primaire asymp­
tomatique et un placebo à 1356 enfants dans la même
condition. Seulement 5 des enfants traités à l’isoniazide
développèrent des complications sérieuses de tuberculose,
tandis que ce fut le cas de 26 de ceux traités par le placebo.
Cet essai stimula l’intérêt pour la prévention de l’in-
fection en général. Des études coopératives furent menées
sur des personnes exposées à des patients tuberculeux
dans leurs foyers. Dans le premier de ces essais, le PHS
coordonna le travail des départements de santé de 39 com-
munautés où 25 512 contacts de 5677 personnes signalées
récemment comme tuberculeuses furent examinés. Les
contacts diagnostiqués comme ayant une tuberculose
active étaient traités ; les autres entraient dans l’essai.
L’affec­tation de chaque famille au groupe isoniazide ou
au groupe placebo était effectuée par randomisation et les
contacts dans la famille étaient traités en double aveugle.
De manière significative, davantage de tuberculose pri-
maire extrapulmonaire et de type adulte se manifesta
dans les groupes de contrôle traités par placebo. Ces essais
cliniques semblent être les premiers aux États-Unis où l’on
a utilisé, en plus de la randomisation, les placebos et la
procédure du double aveugle. Ils ont démontré aussi l’effi-
cacité de la prophylaxie chimique (Dowling, ibid.).
Comme nous l’avons vu, jusque-là, un des seuls essais
cliniques contrôlés utilisant le placebo et le double aveugle

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un bilan des essais cliniques contrôlés n 103

(pour tester le traitement par l’APS) avait été entrepris en


Suède, en 1949. Cet essai était multicentrique : il avait porté
sur cinq sanatoriums et un total de 176 patients. Enfin, la
distribution des patients entre le groupe expérimental et
le groupe de contrôle avait été faite par « réparti­tion »
(allotment). Il est difficile de savoir précisément de quelle
procédure il s’agissait : simple alternance ou authentique
randomisation ? Il pourrait s’agir du premier essai rando-
misé curatif multicentrique comportant également la
méthode du double aveugle et du placebo, mais ce n’est
pas certain. Quoi qu’il en soit, il est à noter que ce type
d’essai contrôlé est demeuré isolé et ne s’est pas imposé
comme modèle à suivre pour les essais contrôlés menés au
début des années 1950 sur la streptomycine dans la tuber-
culose par le MRC en Grande-Bretagne et par le PHS et la
VA aux États-Unis.
Pour la Grande-Bretagne, cela est particulièrement
frappant et instructif quand on sait que, en 1950, le MRC
avait mis en place ce qui est probablement, après l’essai
suédois, le second essai clinique randomisé curatif multi-
centrique comportant également la méthode du double
aveugle et celle du placebo. Mais cet essai a été entrepris
pour tester un médicament contre le rhume et non contre
la tuberculose. Le médicament testé était un antihistami-
nique et non pas la streptomycine. Au cours de cet essai,
le médicament fut administré à 579 patients et le placebo
à 577 (Bradford Hill, 1951, p. 280 sq.). Cet essai est demeuré
lui aussi isolé et, comme nous l’avons vu, dans la série des
essais randomisés du MRC d’après 1950 sur la tuberculose,
on n’a pas repris la méthode en double aveugle et contre
placebo.

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104 n la médecine des preuves

En 1952, en dehors du cadre des essais menés par le PHS


et par la VA, un essai contrôlé en double aveugle fut mené
aux États-Unis. Mais comme on comparait entre eux deux
traitements de la tuberculose pulmonaire (celui par la
streptomycine et celui par la dihydrostreptomycine), il n’y
eut pas de recours à un placebo (Cohen, Sumner S. et al.,
1953). Par ailleurs, les patients furent assignés aux deux
bras de l’essai par la méthode de l’alternance et non par la
randomisation. L’essai multicentrique impliqua cinq sana­
toriums dans quatre États et 294 patients. Un autre essai
multicentrique en double aveugle pour comparer ces deux
médicaments (Mahady et al., 1953) fut mené en même
temps dans quatre hôpitaux publics pour la tuberculose
de l’État de New York et il impliqua 166 patients. La distri-
bution des patients entre les deux bras de l’essai se fit aussi
par alternance et non par randomisation. Cet essai faisait
partie d’un essai contrôlé coopératif plus large — dans
huit hôpitaux à travers les États-Unis — qui avait été
entrepris à la fin de 1950. Tous ces hôpitaux suivaient le
même protocole sans randomisation et sans placebo. Le
modèle suédois de l’essai clinique contrôlé ne s’était donc
pas encore imposé aux États-Unis, ni même le gold stan-
dard des essais du MRC, puisque, dans ces deux essais il
n’y avait pas de randomisation. De l’essai suédois de 1949
et de celui du MRC de 1950 sur les antihistaminiques, on
ne retrouvait, dans les deux essais mentionnés ci-dessus,
ni la randomisation, ni le recours à un placebo, mais seu-
lement la procédure en double aveugle.
De nos jours, l’essai thérapeutique comparatif suppose
dans la majorité des cas une randomisation. Seul le tirage
au sort permet de s’assurer d’une comparabilité des grou-
pes (Caulin, 1991). Or, la méthode de l’alternance, bien

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un bilan des essais cliniques contrôlés n 105

qu’elle fasse place au hasard, n’est pas celle de la constitu-


tion de la séquence d’assignation à partir d’une table de
nombres aléatoires comme on le fait dans la randomisa-
tion. Bradford Hill a expliqué clairement en 1951, dans un
article sur l’essai clinique, pourquoi la méthode de la ran-
domisation était plus adéquate que celle de l’alternance et
en quoi elle en différait. Il écrit que, pour la mise en place
d’un essai, il faut procéder à l’allocation des patients à
inclure dans le groupe de traitement et dans celui de non-
traitement, ou à plus de deux groupes si on veut tester plus
d’un traitement. Il fait remarquer que par non-traitement,
il ne faut pas entendre absence de traitement. Presque
toujours, la question qui se pose est : est-ce que cette nou-
velle forme particulière de traitement promet davantage
que le traitement orthodoxe habituel ? Sur le plan éthi-
que, la comparaison ne peut se faire avec une absence
de traite­ment (Bradford Hill, 1951, p. 279). L’objectif est
donc d’attribuer les patients au groupe de traitement et
au groupe de contrôle d’une manière qui garantisse que
les deux groupes soient au départ équiva­lents par rap-
port à tout ce qui est pertinent dans cette investigation.
Il précise que, comme il est impossible que des individus
soient identiques, ce qui est recherché, c’est une réaction de
groupe. Il observe que, dans beaucoup d’essais, cette allo-
cation a été faite adéquatement en affectant les patients
alternativement, selon l’ordre de leur arrivée, au groupe de
traitement et au groupe de contrôle. Toutefois, souligne-t-
il, une telle méthode peut ne pas être vraiment aléatoire
(random) si l’admission ou la non-admission d’un cas dans
l’essai dépend d’une évaluation (ou diagnostic) difficile de
l’état du patient (a-t-il bien la même forme de maladie que
les autres ?) et si le clinicien impliqué sait dans quel groupe

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106 n la médecine des preuves

le patient sera inclus s’il est accepté. Il peut, en effet,


être biaisé par une telle connaissance, consciemment ou
inconsciemment, dans le fait d’accepter ou de refuser le
patient pour l’essai. Ou son jugement peut être influencé
justement par la peur qu’il a d’être biaisé. Cette dernière
situation, note Bradford Hill, peut être une source d’er-
reur tout aussi importante que la précédente, mais cela
est moins souvent reconnu.
C’est pour cette raison, poursuit-il, que les essais clini-
ques britanniques récents (ceux du MRC dont nous avons
traité) ont évité la méthode de l’alternance et adopté celle
de la table de nombres aléatoires (random sampling num-
bers). De plus, l’allocation du patient au groupe de trai­
tement ou à celui de contrôle est tenue secrète pour le
clinicien tant qu’il n’a pas pris sa décision quant à l’admis-
sion ou non du patient. Ainsi, il peut procéder à cette
décision sans craindre que son jugement ne soit biaisé.
Comme nous l’avons vu, c’est la méthode qui fut suivie
dans l’essai de 1947-1948 : générer par une procédure fai-
sant intervenir le hasard la séquence des assignations, et
garder le secret des assignations par rapport aux cliniciens
impliqués dans l’essai jusqu’au moment où le patient
aura été admis ou refusé. Une de ces techniques, ajoute
Bradford Hill, a consisté pour le statisticien à fournir
au clinicien un certain nombre d’enveloppes scellées et
numérotées. Après que chaque patient a été admis dans
l’essai, l’enveloppe numérotée appropriée est ouverte (no 1
pour le premier patient, no 2 pour le deuxième, et ainsi de
suite) et le groupe auquel le patient est affecté, traitement
(T) ou contrôle (C), est prescrit par un billet à l’intérieur
de l’enveloppe. Sinon, une liste indiquant l’ordre à suivre
est préparée à l’avance (par exemple, T, T, C, T, C, C, T, T,

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un bilan des essais cliniques contrôlés n 107

T, C, etc.) et elle reste confidentielle jusqu’à ce que toutes


les admissions aient été décidées par le clinicien (Bradford
Hill, 1951, ibid.).
Au début des années 1950, les essais cliniques du MRC
en Angleterre incluaient tous la randomisation dans le
protocole, mais ce n’était pas encore le cas aux États-Unis.
Nous avons vu qu’après la guerre, l’essai coopératif de la
VA n’avait pas pu être randomisé et que celui du PHS, qui
avait inclus en principe la randomisation dans le proto-
cole, s’était heurté à des obstacles chez une partie impor-
tante des cliniciens participants, qui en avaient empêché
la mise en pratique complète et donc effective. Les pre-
miers essais cliniques coopératifs américains qui ont été
effectivement randomisés sont, semble-t-il, entrepris à
partir de 1952 par la VA et surtout par le PHS sur la combi-
naison de la streptomycine avec l’isoniazide, puis avec
l’APS (Fox, 1954, p. 108 sq.). Mais ces essais ne comprenai-
ent ni le placebo ni le double aveugle. Rappelons-le, un
des premiers, sinon le premier essai thérapeutique mobi-
lisant un placebo et la méthode du simple aveugle, avait
été mené de 1926 à 1931 au sanatorium de Northville, près
de Detroit. Mais cet essai n’était pas vraiment randomisé,
puisque l’assignation au hasard du traitement ou du pla-
cebo avait désigné seulement quel bras de l’essai recevrait
l’un ou l’autre, et non pas quels patients devaient faire
partie de chaque groupe ; de plus, il n’était pas multi­
centrique. Par ailleurs, dès les années 1930, on trouve en
Angleterre et aux États-Unis des essais thérapeutiques
non randomisés et non multicentriques, avec un groupe
de contrôle recevant un placebo (voir Kaptchuk, 1998a,
p. 424 sq.).

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108 n la médecine des preuves

Kaptchuk affirme que, après la Seconde Guerre mon-


diale, on commença à réaliser que l’essai contrôlé rando-
misé pouvait bénéficier de l’évaluation en aveugle. On
s’aperçut qu’il était difficile de faire des assignations au
hasard à un groupe non traité quand il était clair que le
traitement était factice. Dans ce cas, les médecins comme
les patients avaient tendance à ne pas se soumettre au
protocole (non-compliance). Avant la guerre, quelques cher-
cheurs s’étaient déjà rendu compte que des groupes non
traités étaient difficiles à maintenir. On avait également
du mal à éviter que les membres du personnel chargés de
la répartition des patients dans les deux bras de l’essai et
de l’évaluation de cet essai ne découvrent lequel des deux
groupes était celui qui était traité, à moins que chacun
d’eux ne soit complètement mis en aveugle. On comprit
alors, selon Kaptchuk, que la méthode en aveugle n’est
véritablement possible que là où l’on a employé la rando-
misation, et que la randomisation ne peut réussir que
lorsqu’il y a double aveugle : « La cécité devint l’obscurité
qui imposait de force la randomisation […]. Les chercheurs
en médecine donnaient maintenant une signification,
une pertinence et une urgence nouvelle à de vieux refrains
comme “Là où j’étais aveugle, maintenant je vois”… »
(Kaptchuk, 1998a, p. 31).
Or, cet argumentaire appelle deux rectifications impor­
tantes. Tout d’abord, jusqu’au début des années 1950, la
randomisation, sauf cas particulier, n’était pas encore
mise en œuvre dans les essais cliniques contrôlés (ECC)
et, quand elle l’était, la mise en aveugle (simple ou double)
n’était pas toujours considérée comme un des critères
d’un bon ECC. D’ailleurs, Kaptchuk signale lui-même que,
en 1951, Ross et Charlotte pouvaient encore présenter une

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un bilan des essais cliniques contrôlés n 109

analyse quantitative qui mettait en évidence le manque


d’études cliniques comparatives bien contrôlées dans les
revues médicales les plus importantes aux États-Unis de
janvier à juin 1950.
Deuxièmement, comme nous l’avons vu, l’essai cli-
nique de 1947-1948, fondateur de la pratique de l’ECR
(comme toute la série des essais du MRC sur la tuber-
culose), n’avait pas été conçu ni n’avait été basé sur le
critère de l’application du double aveugle sur le terrain
clinique (c’est-à-dire pour les participants directs à l’essai :
les malades et les cliniciens, ainsi que le personnel infir-
mier). Ce qui avait été planifié et ce qui a été fait dans cet
essai, c’est l’évaluation en aveugle et après coup, par deux
radiologistes et un clinicien non participants à l’essai
dans les centres hospitaliers où il était conduit, des clichés
radiologiques régulièrement pris sur les malades. Comme
nous l’avons vu, ces trois évaluateurs ne savaient pas,
au moment où ils devaient « déchiffrer » les clichés pour
évaluer s’il y avait eu ou non progrès thérapeutique, si le
dossier du patient examiné était celui d’un malade du
groupe expérimental (S) ou celui d’un malade du groupe
de contrôle (C). Il ne faut pas confondre ce qu’on appelle
une évaluation indépendante des résultats radiologiques
ou d’autres données, soit pathologiques (analyse du cra-
chat) soit bactériologiques (ampleur et persistance ou non
de la présence du bacille tuberculeux), avec une procédure
de déroulement de l’essai sur le terrain où les soignants
aussi bien que les soignés ont été mis en aveugle (donc
double). Il est par conséquent essentiel de bien distinguer
dans un ECC comparatif ces deux niveaux ou processus
très différents : la procédure du déroulement de l’essai en
double aveugle sur le terrain, et l’évaluation en aveugle

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110 n la médecine des preuves

ou, mieux, indépendante, à l’extérieur du déroulement


de l’essai, de divers résultats (cliniques, pathologiques,
bactériologiques) par des chercheurs qui ne sont pas des
participants à l’essai sur le terrain.
Les « concepteurs » de l’essai de 1947-1948 avaient, dans
leur planification, programmé explicitement le second
processus et exclu délibérément le premier. Plus précisé-
ment, une des caractéristiques essentielles du premier
essai du MRC sur la streptomycine (caractéristique inchan-
gée dans toute la série qui a suivi) avait été l’effort mis
dans la programmation du plan de traitement pour garan-
tir que la collecte des données qui seraient utilisées pour
évaluer les résultats de l’essai ne pourrait pas être biaisée
par la connaissance du traitement reçu par le patient. On
reconnut explicitement que cela pouvait se faire de trois
manières : soit en faisant le décompte, à titre de résultats
finaux, d’événements précis comme le décès ou la survie,
soit en faisant un essai en double aveugle, soit en assurant que
les résultats qui impliquaient un élément de jugement
subjectif, comme le degré d’amélioration indiqué par les
ombres des rayons X, soient évalués indépendamment par
des personnes ignorant la liste d’assignation des patients.
Comme le remarque Doll, il faut, rétrospectivement, bien
souligner que le STTC rejeta la deuxième méthode et se
fonda sur la première et la troisième pour obtenir des
résultats non biaisés (Doll, 1982, p. 338). Donc, pour les
concepteurs de cet essai, un ECR n’avait pas besoin, pour
être rigoureux et fiable, de mettre en place la méthode du
double aveugle pour le déroulement sur le terrain.
Il est très important aussi de savoir que les concepteurs
de l’essai de 1947-1948 s’étaient posé tout à fait explicite-
ment la question de la pertinence du recours à un placebo

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un bilan des essais cliniques contrôlés n 111

et qu’ils l’avaient délibérément écarté, pour des raisons


éthiques et humaines, car cela aurait impliqué d’adminis-
trer aux patients du groupe témoin (non traité) une véri-
table injection intramusculaire — mais ne contenant que
de l’eau distillée (placebo) — quatre fois par jour pendant
quatre mois. Selon le STTC, la réaction au traitement pou-
vait être évaluée tout à fait objectivement sans placebo.
Les facteurs psychologiques, estimait-on, ne pouvaient
avoir que très peu d’impact dans une maladie aussi grave.
Rappelons qu’il s’agissait d’une forme très grave de tuber-
culose pulmonaire : bilatérale aiguë d’origine récente et
non traitable par la collapsothérapie.
Bradford Hill et le STTC étaient conscients du fait que
la procédure du double aveugle et du placebo était idéale-
ment la meilleure, mais aussi que, souvent, elle ne pouvait
pas être mise en œuvre pour des raisons éthiques ou pra-
tiques. Néanmoins, dans les très fréquentes situations de
ce genre, les résultats de l’ECR demeuraient tout à fait per-
tinents et fiables. D’ailleurs, comme l’a indiqué Bradford
Hill lui-même 15 ans plus tard, c’est à une telle situation
que le STTC s’était trouvé confronté lors de l’essai de 1947-
1948. Pour lui et pour ses collègues du MRC, la fiabilité et
la validité d’un ECC ne dépendaient pas d’un modèle sta-
tistique absolu ou d’une formule mathématique parfaite,
non plus que d’une procédure méthodologique abstraite
et idéale. Il s’agissait plutôt d’expliciter et de bien préciser
les conditions pratiques minimales de fiabilité et de vali-
dité pour que la procédure mise en œuvre dans chaque
essai puisse être reconnue comme étant contrôlée. Dans
de très nombreux cas d’essais multicentriques, la rando-
misation et les autres conditions standard du protocole
suffisaient comme garantie du contrôle de l’essai. Dans

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11 2 n la médecine des preuves

d’autres, il était préférable ou nécessaire d’y inclure le


double aveugle et, dans d’autres encore, le placebo en plus.
Un ECC devait être, à tout le moins, randomisé, ce que
devraient être tous les ECC authentiques — alors qu’ils ne
permettent pas toujours le double aveugle et le placebo.
Faisons un rapide bilan des ECC pour la période allant
des années 1950 au début des années 1960. Au début des
années 1950, au Royaume-Uni, la plupart des ECC étaient
des ECR multicentriques, selon la procédure de rando-
misation définie par le modèle de référence gold standard
de l’ECC de 1947-1948, le premier ECR « curatif ». Mais la
majorité des ECR menés de 1950 à 1955, sinon à 1960, n’in-
cluaient pas les procédures de contrôle du double aveugle
et du placebo. Un certain nombre de ces ECR ont inclus
le double (ou le simple) aveugle. Un nombre plus réduit
encore ont inclus le placebo. Au début des années 1960,
il n’est pas certain que la majorité des ECC multicentri-
ques aient été randomisés. Par ailleurs, la plupart des ECR
ne comportaient pas encore le double aveugle, et encore
moins le placebo, dans leur procédure de contrôle. Aux
États-Unis, la procédure standard de randomisation (celle
du gold standard de l’essai de 1947-1948) n’a commencé à
être implantée que dans les essais de la VA et du PHS de
1952 et 1953.

Les conditions de l’expérimentation thérapeutique

Marks, dans l’histoire de ce qu’il appelle l’expérimenta-


tion thérapeutique, avance que l’essai clinique contrôlé
randomisé en double aveugle est le critère qui marque la
coupure entre la première moitié du xx e siècle, où les

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un bilan des essais cliniques contrôlés n 11 3

réformateurs thérapeutiques « dépendaient de l’intégrité


et de l’expertise de chercheurs individuels pour produire
une connaissance fiable, non biaisée, sur les effets d’un
traitement médical », de la seconde, où les réformateurs
« ont perdu la confiance de leurs prédécesseurs dans le
jugement des cliniciens expérimentés. À la place, dit-il, ils
ont proposé un critère impersonnel d’intégrité scientifi-
que : l’essai contrôlé randomisé en double aveugle » (Marks,
1999, p. 18). Mais une telle formulation peut induire en
erreur. Car si l’ECR britannique de 1947-1948 (le gold
­standard) a inauguré une « nouvelle ère de la médecine
moderne » (Bradford Hill, 1990), comme nous l’avons vu,
cet ECR (et ceux du MRC qui ont suivi) était randomisé,
mais non pas conduit en double aveugle sur le terrain. Et
aux États-Unis, les premiers essais randomisés dans les
années 1950, ceux de la VA (1952) et du PHS (1953), n’ont pas
été conduits en double aveugle ni avec placebo.
Une des premières applications à grande échelle de la
méthode d’évaluation contrôlée comprenant la mise en
aveugle et l’utilisation d’un placebo a été faite, il faut le
souligner, non pas comme ECC randomisé curatif, mais
dans le domaine de la médecine préventive. À strictement
parler, il ne s’agit pas d’expérimentation thérapeutique
contrôlée, mais d’expérimentation préventive contrôlée.
Il s’agit de l’essai contrôlé du vaccin de Salk contre la
poliomyélite, qui eut lieu en 1954 dans plusieurs États
américains. L’essai Francis, du nom de son organisateur,
commença le 24 avril 1954, donc peu avant l’été, saison de
la poliomyélite. « Ce fut la plus impressionnante expé-
rience médicale de l’histoire : 650 000 enfants furent
inoculés, dont 440 000 avec le vaccin de Salk et 210 000
avec un placebo ; 1,2 million servirent de groupe témoin.

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114 n la médecine des preuves

De 150 000 à 300 000 bénévoles participèrent à l’organi-


sation et à la collecte des résultats. La proclamation des
résultats, avec une mise en scène certaine, le 12 avril 1955,
déclencha un immense enthousiasme : le vaccin était effi-
cace à 60-70 % contre le type 1 du virus de la poliomyélite
et à 90 % contre les types 2 et 3. La nouvelle fit la une des
journaux du monde entier » (Seytre, 2004, p. 887 ; voir
aussi Meir, 1972).
Il faut clairement dissocier les premiers essais cliniques
en double (ou simple) aveugle et éventuellement avec pla-
cebo des premiers essais cliniques randomisés. En effet,
certains essais cliniques en double (ou simple) aveugle et
avec placebo avaient été entrepris avant l’essai clinique
randomisé de 1947-1948. Ainsi, en 1999, le Dr Scadding, un
des derniers témoins vivants de l’essai clinique de 1947-
1948, s’appuyant sur un article qu’il avait publié dans The
Lancet en 1945, « Sulphonamides in bacillary dysentery :
further observations on their effects », faisait ressortir le
fait que, précisément, la différence entre l’essai clinique
sur l’effet des sulfonamides dans la dysenterie bacillaire
qu’il avait dirigé en 1944 et celui de 1947-1948 du MRC est
qu’il n’était pas randomisé (Scadding, 1999, p. 1353). Par
ailleurs, il n’était pas multicentrique. Il faut donc distin-
guer, à ce stade, deux histoires différentes des essais clini-
ques : celle des essais randomisés multicentriques, d’une
part, et, de l’autre, celle des essais avec placebo et en dou-
ble aveugle qui pouvaient n’être pas multicentriques. Au
début, c’est seulement dans quelques cas que ces deux
types d’essais se rejoindront et seront combinés.
Survolant la question des essais cliniques et de la
médecine des preuves, Gaudillière reprend à son compte
la thèse selon laquelle la généralisation de la procédure de

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un bilan des essais cliniques contrôlés n 115

l’essai contrôlé et randomisé n’a été rendue possible que


par l’intervention de l’État, qui l’a imposée dans les éva-
luations administratives des médicaments aux États-Unis
dans les années 1960 et en France, 20 ans plus tard. Il
affirme, suivant en cela divers auteurs, que l’organisation
d’essais contrôlés de l’efficacité, comme préalable à la
demande de mise en marché, a été imposée aux sociétés
pharmaceutiques par les membres du Congrès, et, par la
suite, par la Food and Drug Administration (FDA) aux
États-Unis dans les années 1960, après la crise provoquée
par le scandale de la thalidomide (Gaudillière, 2006, p. 82).
Selon lui, Marks (1999), dans son analyse de la mise en
place de la procédure de l’essai contrôlé — ou de l’« expé-
rimentalisation » de la clinique —, a laissé de côté cette
contrainte externe de l’intervention de l’État. Il souli-
gne que Marks a plutôt insisté sur l’alliance entre l’élite
de la profession médicale et les responsables de la FDA.
Gaudillière rend ainsi compte de la thèse de Marks :
« Fondées sur la conviction partagée que la plupart des
annonces des firmes pharmaceutiques sont peu fiables et
que les médecins n’ont pas la compétence pour s’en aper-
cevoir, les deux parties ont vu dans les essais un moyen
de réguler le marché sur une base objective imposant de
“faire la preuve” de l’utilité des agents thérapeutiques.
Dans ce contexte, ce qui comptait était moins le tirage au
sort ou les tests statistiques que l’existence d’une compa-
raison contrôlée des usages » (ibid., p. 90-91).
Il est possible que Marks sous-estime le poids de l’in-
tervention de l’État dans l’imposition et la généralisation
progressives des essais contrôlés comme norme de plus en
plus impérative de nos jours pour l’évaluation des médi-
caments et des thérapeutiques. Mais il ne faut pas oublier

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116 n la médecine des preuves

que, pour que les autorités étatiques puissent imposer une


telle procédure dans l’évaluation administrative des médi­
caments, il fallait que cette procédure ait fait la preuve de
sa fiabilité. Or, ce qui permettait une comparaison contrô-
lée des usages, c’était justement la forme spécifique de
tirage au sort impliquée dans la procédure de randomisa-
tion et, à partir de là, l’analyse statistique des résultats.
Mais, aux États-Unis, comme l’a montré Marks et comme
nous l’avons vu au chapitre 2, en raison de divers obsta-
cles, la randomisation rigoureuse n’avait pas pu être mise
en place dans les grandes études coopératives menées à
partir des années 1920 jusqu’au lendemain de la Seconde
Guerre mondiale.
C’est pourquoi, selon nous, l’étude du MRC de 1947-
1948 et la série d’études qui l’a suivie ont offert justement
un standard de contrôle de l’efficacité des médicaments
dont la fiabilité démontrée permettait aux autorités
sanitaires de l’imposer plus facilement comme norme
à suivre pour faire accréditer un produit pharmaceuti-
que. Gaudillière note encore que : « En 1972, le médecin
épidémiologiste britannique A. L. Cochrane publiait un
ouvrage dénonçant les errements de la pratique théra-
peutique, la mul­tiplication des mauvaises enquêtes et
insistant sur le besoin d’une exploitation beaucoup plus
systématique et rigoureuse des essais. Un des outils qu’il
prônait était une lecture comparative et critique des
résultats souvent contradictoires que livrent les essais
courants, doublée d’une réévaluation de leurs données
brutes par le biais de méta-analyses statistiques » (ibid.,
p. 91). S’appuyant sur les conclusions de l’ouvrage de
Timmermans et Berg, The Gold Standard. The Challenge of
Evidence-Based Medicine and Standardization in Health Care

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un bilan des essais cliniques contrôlés n 117

(2003), il ajoute : « L’importance du mouvement dit d’evi-


dence-based medicine et des centres Cochrane créés depuis
tient moins à la défense de telle ou telle procédure statis-
tique qui serait “l’étalon-or” de la preuve qu’à la revendi-
cation d’une expertise critique des pratiques médicales
débouchant sur l’écriture de recommandations ou de
guidelines. Celle-ci est multiforme et émane aujourd’hui
aussi bien d’une élite clinique prenant pour cible les erre-
ments engendrés par l’opinion d’administrateurs des sys-
tèmes de soins et d’assurances revendiquant le contrôle
des dépenses médicales, que de médecins généralistes
visant l’inutilité de nombreuses spécialités » (ibid., p. 92).
Fort bien, à condition de ne pas oublier que, si Cochrane
dénonçait la multiplication des mauvaises enquêtes et les
errements de la pratique thérapeutique, c’était justement
parce qu’au début des années 1970 — tout comme encore
aujourd’hui — un grand nombre d’essais cliniques préten-
dument randomisés ne respectaient pas rigoureusement
soit l’engendrement au hasard (randomisé) de la séquence
d’assignation (des patients dans les bras respectifs de l’es-
sai clinique), soit le secret de cette séquence, soit, encore,
ni l’un ni l’autre. Par ailleurs, les résultats n’étaient pas
évalués par des analyses statistiques fiables. C’est donc
bien, alors, la non-observance de l’étalon-or de l’essai cli-
nique pour la procédure de randomisation et pour celle de
l’analyse statistique qui était en cause dans ces errements.
Tout comme Schulz et d’autres aujourd’hui (voir le
chapitre 3), Cochrane, en introduisant les méta-analyses
statistiques, voulait fournir des guidelines précises complé-
tant et renforçant la procédure qui s’était avérée l’étalon-
or de la preuve pour l’expérimentation thérapeutique. Il
ne s’agissait pas de fournir une vague expertise critique

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118 n la médecine des preuves

des pratiques médicales qui aurait débouché sur des


recommandations (ou guidelines) de type général. Comme
nous allons le voir à la fin du chapitre 5, Cochrane a
effecti­vement insisté sur le fait que les ECR avaient aussi
certaines limites, notamment en ce qui a trait à l’interpré-
tation statistique des résultats et à la tendance à conférer
trop de puissance aux tests. Il fallait donc examiner, en
effet, tous les résultats de manière critique. Mais, a for-
tiori, cela présupposait justement que l’étude avait, à tout
le moins, été menée, avant l’analyse des résultats, selon les
règles rigoureuses de l’étalon-or ou du modèle sanctionné
de l’essai clinique contrôlé.
Par ailleurs, soulignons que la prescription de guide­
lines pour les essais cliniques, loin d’être multiforme, est
de plus en plus standardisée, précise et univoque. Ainsi en
est-il de celles qui sont prescrites par les Consolidated
Stan­dards of Reporting Trials (CONSORT) et de celles du
Quality of Reporting of Meta-Analyses (QUOROM). Par
exemple, les CONSORT imposent toute une série de règles
très strictes pour les ECR (ou RCT). À noter, tout d’abord,
qu’il va de soi qu’un essai clinique contrôlé est un essai
randomisé. Les règles de présentation d’un essai clinique
contrôlé exigent de fournir, selon un ordre prédéterminé,
tout un ensemble d’informations préalables (voir Moher
et al., 2001, p. 659 ; Turpin, 2005, p. 682). Ces guidelines, très
précises et détaillées, correspondent à ce que des spécia-
listes des ECR comme Schulz (qui en est un des auteurs)
recommandaient. Comme nous l’avons vu, Schulz criti-
quait le manque de rigueur du plus grand nombre des
essais cliniques publiés en déplorant que les protocoles ne
spécifiaient pas les modalités de la randomisation, ni s’il
y avait mise en œuvre ou non du double insu. Il insistait

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un bilan des essais cliniques contrôlés n 119

en outre sur le fait que la procédure de randomisation


n’était pas complète et effective si, en plus du tirage au
sort par une procédure adéquate ou de l’engendrement de
la séquence d’assignation (allocation sequence) des patients
dans tous les bras de l’essai clinique, on n’assurait pas le
secret sur cette séquence d’assignation jusqu’au moment
du début de l’intervention sur les patients (soit tant que la
répartition dans les groupes n’avait pas encore été faite).
Et nous avons montré précédemment que ces règles de
l’essai contrôlé randomisé étaient précisément celles qui
avaient été mises en place dans les essais du MRC.
Les chercheurs en histoire et en sciences sociales s’ac-
cordent pour dire que, aux États-Unis, c’est par la promul-
gation du Kefauver-Harris Bill (ou Drug Amendment), signé
par le président Kennedy en 1962, qu’il a été exigé de la
Food and Drug Administration qu’elle impose des règle-
ments complets sur la mise à l’épreuve des nouveaux
médicaments avant leur mise en marché (Temin, 1980 ;
Liebenau, 1987 ; Swann, 1988 ; Abraham, 1995 ; Matthews,
1995 ; Marks, 1999 ; Daemmrich, 2004). Désormais la FDA
devait donner son approbation au plan (ou design) proposé
pour tout essai clinique d’une nouvelle thérapeutique et
pour ses modifications éventuelles en cours de route. Le
responsable d’un essai clinique devait fournir « un proto-
cole raisonnable » constitué sur la base de ses recherches
antérieures. Ainsi, avec l’avènement de l’essai clinique
comme une procédure standard soumise à la réglementa-
tion gouvernementale, la prise de décision en médecine
(medical decision making) devenait une question de politi-
que publique dans la plupart des sociétés démocratiques
occidentales. Bien que les agences de contrôle se soient
basées au début sur le jugement clinique professionnel des

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1 20 n la médecine des preuves

médecins, l’expertise des statisticiens prit une importance


croissante pour l’évaluation des résultats des essais clini-
ques (voir Matthews, 1995, p. 139 sq.).
Matthews croit pouvoir affirmer que, à la fin des années
1960, la méthodologie du double aveugle était devenue
obligatoire pour l’approbation d’un essai clinique par la
FDA aux États-Unis et qu’elle était devenue la procédure
standard dans la plupart des autres démocraties industriel-
les occidentales vers la fin des années 1970. Il suit sur ce
point la thèse de Bodewitz, Buurma et de Vries qui affir-
ment qu’à cette date le double insu devint la méthodologie
de recherche générale (Bodewitz, Buurma et de Vries, 1999,
p. 253). Cependant, on trouve chez ces auteurs aussi une
confusion qui leur fait considérer la méthodologie du dou-
ble aveugle comme étant le fondement de ce qui permet-
trait aux essais cliniques contrôlés de tester l’efficacité des
médicaments. Or, cette thèse est erronée.
En effet, comme nous l’avons vu au chapitre 3, un
grand nombre d’essais cliniques contrôlés — même encore
aujourd’hui — ne spécifient pas dans leur protocole si la
procédure du double insu a été suivie au cours de l’essai.
C’est le cas aux États-Unis comme ailleurs. Il n’est donc
pas exact de dire que les agences de contrôle comme la
FDA aux États-Unis ou celles des autres pays imposent la
méthodologie du double insu pour reconnaître la validité
d’un essai clinique. Par ailleurs, plusieurs spécialistes des
essais cliniques contrôlés, comme Schulz, ont souligné
que, pour valider un essai contrôlé, le facteur décisif n’est
pas la mise en œuvre de la méthodologie du double aveu-
gle. En effet, en premier lieu, il faut savoir que certains
essais cliniques ne peuvent pas être menés en double
aveugle. Ensuite, ce qui est l’indicateur le plus important

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un bilan des essais cliniques contrôlés n 1 21

de la validité d’un essai clinique, c’est la randomisation,


mais qui doit être accompagnée de la tenue au secret de la
séquence d’assignation des patients dans les deux (ou plus)
bras de l’essai (Schulz, 2000).
En ce qui concerne la Grande-Bretagne, Bodewitz et ses
collègues admettent que le Safety of Medicines Com­mittee
n’a jamais imposé de méthodologie spécifique pour l’essai
clinique contrôlé et qu’il n’a même jamais imposé directe-
ment l’essai clinique contrôlé pour la reconnaissance de
l’efficacité et de la sécurité des médicaments (Bodewitz,
Buurma et de Vries, 1999). Aux États-Unis, ce n’est pas
avant 1969, en fait, que l’« évidence » ou la preuve d’effica-
cité administrée par un essai clinique randomisé est deve-
nue obligatoire pour obtenir l’autorisation de mise en
marché d’un médicament (Pocock, 1983, p. 26). Mais, si la
randomisation était obligatoire en principe, la méthodo-
logie du double aveugle dans la pratique ne l’était pas.
Plusieurs auteurs ont montré que dans les années 1940
et 1950, aux États-Unis, les médecins réformateurs ne sont
parvenus à imposer pour les essais cliniques ni les contrô-
les quantitatifs statistiques, ni la randomisation, ni la
méthode du double insu ni celle du placebo (Marks, 1999 ;
Daemmrich, 2004). Ainsi, pour les premiers antibioti-
ques découverts après la pénicilline et la streptomycine,
comme la terramycine, il n’y a pas eu de mise en œuvre,
dans les essais cliniques « contrôlés » du début des années
1950, de la procédure du groupe de contrôle et, donc, de
la randomisation ou de la méthode du double aveugle
(Daemmrich, p. 56).
Comme nous l’avons déjà signalé, Ross et Charlotte
ont examiné en 1951 les études cliniques contenues dans
100 articles publiés de janvier à juin 1950 dans cinq des

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1 22 n la médecine des preuves

principales revues médicales américaines — The Journal of


the American Medical Association, The American Journal of
Medicine, Annals of Internal Medicine, Archives of Neurology
and Psychiatry et The American Journal of the Medical Sciences.
Cette enquête révéla que, dans 45 % des études rapportées,
il n’y avait pas de groupe de contrôle, que dans 18 %, le
groupe de contrôle était inadéquat, que dans 27 %, le groupe
de contrôle était adéquat, et que dans 10 %, le contrôle
avait été rendu impossible. Certaines de ces études clini-
ques avaient utilisé un placebo dans le groupe de contrôle.
Les auteurs citent une étude portant sur 190 patients
auxquels on avait administré des antihistaminiques
contre la grippe tandis qu’on administrait un placebo à
un groupe de taille comparable, ce qui démontra la non-
efficacité du traitement en question (Ross et Charlotte,
1951, p. 73 ; Hoagland et al., 1950).
Pour définir une étude bien contrôlée, Ross et Charlotte
font référence explicitement au modèle de l’essai du MRC
de 1947-1948, qui avait été présenté comme la procédure
idéale de contrôle dans une publication de Reid parue en
1950. Selon eux, un essai clinique, pour être considéré
comme vraiment contrôlé, devrait suivre cette procédure,
mais ils notent que, souvent, aux États-Unis, ces procédu-
res de contrôle ne sont pas mises en œuvre dans l’évalua-
tion des nouveaux puissants agents thérapeutiques comme
les antibiotiques. Même l’usage du placebo n’était pas cou-
rant dans les études cliniques, car les auteurs citent
comme particulière une étude de Wolf (1950), qui avait
utilisé plusieurs traitements, y compris des médicaments
puissants et des placebos, sur un patient ayant une grande
fistule gastrique et qui avait constaté que des effets pla-
cebo pouvaient modifier — et parfois même surpasser —

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un bilan des essais cliniques contrôlés n 123

l’action des médicaments. Bien sûr, il ne s’agissait pas,


dans ce cas précis, d’un essai clinique contrôlé, mais de la
mise à l’épreuve d’un traitement sur un seul patient.
Selon Pocock, les premiers essais cliniques randomisés
aux États-Unis n’ont pas été entrepris avant la seconde
moitié des années 1960, ce qui est inexact, car, on l’a vu, il
y en a eu à partir des années 1950. Il affirme, par contre,
que, à partir de 1969, la randomisation a été rendue obli-
gatoire par la FDA dans les essais cliniques faits en vue
d’autoriser la mise en marché d’un médicament (Pocock,
ibid.). Mais il semble que cette exigence soit demeurée
formelle et que les modalités de la randomisation n’aient
pas été bien définies et précisées, puisque, en 2000 encore,
on trouve autant d’essais cliniques qui mettent en œuvre
le tirage au sort, mais qui n’assurent pas ou ne donnent
même pas d’information sur la tenue au secret de la
séquence d’assignation des patients dans les bras de l’essai.
En revanche, un certain nombre d’essais procédaient déjà
selon un protocole où il y avait un groupe de contrôle et
où l’on avait recours à la méthode du double aveugle et,
éventuellement, à celle du placebo. C’est le cas, par exem-
ple, de l’essai de Hoagland (1950) sur les antihistaminiques
contre la grippe que nous venons de mentionner. En effet,
comme nous l’avons montré précédemment, un tel proto-
cole peut être mis en œuvre sans inclure la procédure de
la randomisation (voir le chapitre 3). Cela avait été le cas
aussi, entre autres, de l’essai clinique mené par Scadding
en 1944 sur les sulfamides contre la dysenterie bacillaire.

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chapitre 5

Cadre public ou cadre privé ?

Le cadre public de la recherche

Nous avons vu que, au cours des premières années de leur


mise en œuvre, en Angleterre comme aux États-Unis et
même en Suède, la quasi-totalité des ECC coopératifs ont
été menés dans le cadre d’institutions publiques (VA, PHS,
MRC), par des organismes de recherche publics et qu’ils
ont été financés par des fonds publics. Les firmes pharma-
ceutiques fournissaient, en les offrant souvent ou en les
vendant à ces organismes publics, les produits qui étaient
évalués, mais elles ne procédaient pas elles-mêmes à ces
essais contrôlés et, donc, ne les finançaient pas ou n’en
contrôlaient pas le financement. Ce qui, notons-le, per-
mettait d’accorder une crédibilité plus grande à l’objecti-
vité des résultats de ces essais. On n’était pas encore entré
dans l’ère de la crédibilité douteuse des essais cliniques
que l’on connaît aujourd’hui à cause de conflits d’intérêts
potentiels puisque ce sont les firmes pharmaceutiques
qui, presque seules dans les pays occidentaux, financent
ou contrôlent le financement de la grande majorité des

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1 26 n la médecine des preuves

essais cliniques et qui se portent garantes de leur « objec-


tivité », de leur « validité » et de leur « sécurité ».
Bien entendu, il existe des agences gouvernementales
publiques de réglementation et de contrôle externe pour
autoriser la mise en marché d’un médicament testé par
des essais contrôlés financés par les firmes. Mais on soup-
çonne souvent ces agences de collusion avec les sociétés
pharmaceutiques. À juste titre — du moins parfois, semble-
t-il — puisque des agences comme Santé Canada accep-
tent que certains de leurs services de recherche soient
financés par des sociétés pharmaceutiques. Ces agences
ont fait ainsi l’objet de nombreuses critiques et accusa-
tions. Il est à noter d’ailleurs que le directeur de la FDA a
reconnu publiquement, il y a déjà un certain temps, que
son agence n’était plus à même de garantir la sécurité des
médicaments mis en marché aux États-Unis. Les accidents
graves — comme ceux causés par le Vioxx — qui se sont
produits avec des médicaments soi-disant validés par des
essais cliniques financés par les firmes et homologués par
les agences de contrôle ont, par ailleurs, semé le doute
sur la « crédibilité » sociale des agences de contrôle et des
sociétés pharmaceutiques. Et, étant donné que ces firmes
ont intérêt à vendre leurs médicaments, les accidents
­survenus ont forcément fait douter des essais cliniques
eux-mêmes et de leur valeur scientifique.
Précisons que, lorsque nous disons que les essais clini-
ques sont financés par les firmes privées, nous voulons
dire qu’elles ont le contrôle presque exclusif de ce finan-
cement et, donc, du choix des produits soumis aux essais.
En effet, il se trouve qu’une partie importante des sources
de financement sont, elles, d’origine publique, octroyées
sous forme de subventions et de larges déductions fiscales

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cadre public ou cadre privé ? n 1 27

aux firmes privées qui ont ensuite l’entier contrôle de ces


fonds. Ce qui n’est pas le moindre paradoxe. En effet, il est
connu que, même aux États-Unis, une grande partie des
médicaments brevetés ont été produits, entre autres, grâce
au financement public et à des déductions fiscales sub­
stantielles.
Comme le rappelle St-Onge : « L’étude de Cockburn et
Henderson, portant sur les 21 médicaments les plus impor-
tants commercialisés entre 1965 et 1992, montre que 76 %
d’entre eux ont bénéficié de fonds publics. Entre 1992 et
1997, 45 des 50 médicaments les plus vendus ont bénéficié
de subsides gouvernementaux. D’après les National Insti­
tutes of Health (NIH), les contribuables ont financé 55 %
des projets ayant mené à la production des cinq médica-
ments les plus populaires en 1995 : Capoten et Vasotec
pour l’hypertension, Prozac pour la dépression, Zovitax
pour l’herpès et Zantac pour le traitement des ulcères
digestifs. En 1995, une étude du Massachussets Institute of
Technology montre que sur les 14 médicaments les plus
prometteurs pour l’industrie, 11 sont produits grâce au
financement par l’État. Ainsi, les contribuables ont parti-
cipé au développement du Taxol pour le traitement du
cancer à hauteur de 27 millions de dollars. Bristol-Myers
Squibb en a obtenu l’exclusivité ; en 2000, les ventes de
Taxol atteignaient 1,6 milliard de dollars. Le gouverne-
ment a investi 4 millions de dollars dans la mise au point
du Xatalan pour le glaucome. Le brevet fut racheté pour
la somme de 150 000 dollars par Pharmacia (aujour­d ’hui
absorbée par Pfizer) ; en 1999, le chiffre d’affaires du
Xatalan s’élevait à 507 millions de dollars. Pour la société
qui produit le médicament, c’est de l’« or liquide », note le
New York Times. Le même scénario s’est reproduit avec le

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1 28 n la médecine des preuves

Copaxone, utilisé dans le traitement de la sclérose en


plaques » (St-Onge, 2004, p. 58).
On est donc en présence d’un processus où les fonds
publics contribuent pour une part substantielle à la pro-
duction des nouveaux médicaments sélectionnés comme
candidats médicaments par les firmes uniquement en
fonction d’impératifs de marché, et où ces firmes mono-
polisent ensuite le rendement par le système des brevets.
Autant dire qu’il n’y a pas de retour à l’État ou au public
de cet investissement. Cette situation de contrôle mono-
polistique des firmes privées sur la sélection de candidats
médicaments produits en grande partie grâce à des fonds
publics caractérise, bien entendu, non seulement la phase
des essais cliniques, mais l’ensemble du processus de pro-
duction des nouveaux médicaments. Les sociétés pharma-
ceutiques évaluent à environ un tiers la part des essais
cliniques dans les dépenses de recherche pour la mise au
point d’un nouveau médicament. Des associations comme
Public Citizen estiment le coût de production d’un nou-
veau produit à seulement un peu plus du quart du mon-
tant de l’estimation faite par les firmes, mais, selon elles,
les dépenses pour les essais cliniques, selon le produit
testé, peuvent varier du tiers à un peu plus de la moitié
(ibid., p. 51). Quoi qu’il en soit, on notera que le finance-
ment des essais cliniques est couvert indirectement, pour
une part substantielle, par des fonds d’origine publique,
mais que le contrôle de l’investissement et de l’utilisation
de ces fonds ne relève que du secteur privé des sociétés
pharmaceutiques.
Ce paradoxe est encore accentué si l’on tient compte du
fait que la recherche industrielle privée a pour condition
préalable la recherche fondamentale, financée publique-

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cadre public ou cadre privé ? n 1 29

ment. Comme l’écrit St-Onge : « La plupart de ces décou-


vertes ont été faites en Europe, et c’est seulement depuis
la Deuxième Guerre mondiale que les États-Unis se sont
taillé une place enviable dans le domaine. Ces dernières
années, la recherche a été révolutionnée par la chimie
combinatoire, qui a mis au point des méthodes permet-
tant de produire des quantités impressionnantes de molé-
cules interreliées. Si plusieurs de ces méthodes ont été
mises au point par des scientifiques employés dans l’in-
dustrie, elles furent précédées d’une recherche fondamen-
tale financée par les fonds publics » (ibid., p. 59).
Cela dit, nous nous devons maintenant de faire la
part des choses. Il est tout à fait compréhensible que la
« crédibilité » sociale des ECC « financés » par les sociétés
pharmaceutiques et menés dans de telles conditions de
« contrôle » soit mise en doute ; ils ne pourront qu’être de
plus en plus suspects et vus comme des montages « scien-
tifiques » d’un trust médico-pharmaceutique de plus en
plus puissant en ressources financières, « scientifiques »,
légales, publicitaires et médiatiques. Néanmoins, les
ECC sont indispensables et on va continuer d’en faire.
La société démocratique et les citoyens sont-ils donc con­
damnés à vivre dans cette impasse et à subir cet abus exor-
bitant de pouvoir légitimé par « la science », ou y a-t-il des
moyens d’en sortir ? Une condition préalable serait peut-
être une meilleure con­naissance historique des ECC, qui
rendrait possible une évaluation plus juste de leur statut
social et épistémolo­gique. On peut arguer, en effet, qu’il y
a eu un détournement partiel des ECC à partir du moment
où ils ont été conduits presque exclusivement dans les
conditions actuelles en Occident : contrôle et gestion du
financement par les firmes privées, contrôles de sécurité

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1 30 n la médecine des preuves

insuffisants ou controversés par les agences publiques,


etc.
Or, comme nous l’avons vu, les ECC ont été effectués
sur une assez longue période dans des conditions très
différentes. Une période très importante, puisqu’il s’agit
de la plus féconde de la pharmacologie et de la médecine :
celle de la mise au point de médicaments « miracles ». En
effet, force est de constater que les plus grandes conquêtes
de la thérapeutique (médicaments) et de la médecine pré-
ventive (vaccins, etc.) ont été faites dans les années 1940,
1950 et 1960, lorsque les essais cliniques contrôlés étaient
décidés, organisés et planifiés dans un cadre public et
financés dans un tel cadre. Ces découvertes ont donc été
validées hors du cadre du financement privé, qui en mine
souvent la crédibilité et qui a conduit à l’impasse actuelle.
Il ne faudrait donc pas faire retomber sur les essais
cliniques fondateurs et fondamentaux de cette période
des critiques qui ne sont pertinentes que pour ceux qui
sont menés dans les conditions actuelles. Ce qui ne veut
pas dire pour autant que le statut social et cognitif (ou
épistémologique) de ces essais fondateurs soit parfaite-
ment clair et transparent. Mais, justement, il y a bien assez
de questions à démêler à ce sujet — comme nous l’avons
vu — pour ne pas en compromettre l’analyse rigoureuse et
adéquate par des faux problèmes et des anachronismes,
ou par une critique sociopolitique qui viserait des cibles
qui ne sont pas les bonnes.
Malheureusement, force est de constater qu’une bonne
partie des travaux qui ont été faits sur l’histoire des essais
cliniques contrôlés sont hypothéqués par ce genre d’amal-
game abusif entre le présent et le passé. C’est ainsi que des
études, au demeurant fort utiles, comme celles de Marks,

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cadre public ou cadre privé ? n 1 31

de Cox-Maximov ou de Meldrum, ne permettent pas tou-


jours de poser les problèmes de manière adéquate. Par
exemple, ces auteurs, bien qu’informés du fait que les ECC
ont été décidés, organisés et financés dans le cadre des
institutions publiques au cours de la fameuse période des
remèdes et des vaccins « miracles », semblent n’avoir jamais
pris la mesure des implications de cette donnée fonda-
mentale : que non seulement les ECC étaient pratiquement
en totalité financés par les fonds publics, mais surtout
qu’ils étaient pensés, décidés, programmés, organisés et
menés en fonction d’objectifs d’intérêt public et de santé
publique par des agences et des services publics.
Paradoxalement, Marks, Cox-Maximov et Meldrum —
qui insistent pourtant sur le fait que les premiers ECC ont
été mis en place par des « réformateurs » de la médecine
qui voulaient soustraire le champ et le marché des médi-
caments à l’influence exorbitante de la promotion et de la
publicité des sociétés pharmaceutiques qui imposaient
ainsi, sans contrôle extérieur, les normes de qualité, de
« scientificité » et de « sécurité » de leurs propres produits,
et qui notent aussi que c’est dans un tel contexte qu’on été
mis en place les ECC à grande échelle, puis ceux menés en
recherche coopérative — ne semblent accorder aucun
poids particulier à cette réalité historique de première
importance : que ces essais cliniques ont été mis en place
et pratiqués pour ainsi dire exclusivement dans un cadre
public et avec des objectifs de santé publique et sans inter­
vention des sociétés pharmaceutiques sur quelque plan
que ce soit : types d’essais choisis, raisons des choix, moda-
lités de planification et d’organisation — durée, nombre
de participants, types de contrôles tout au long de l’essai
(thermométrique, chimique, bactériologique, radiologique,

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1 32 n la médecine des preuves

etc.) —, modalités d’évaluation des résultats, décision de


procéder à des essais complémentaires ou nouveaux en
fonction de ces résultats et, bien entendu, financement.
Quelles que soient, par ailleurs, les limites de ces pre-
miers ECC, il est indéniable que les instances et procédu-
res de contrôle n’étaient pas mises en cause au départ par
une situation aussi massivement exposée aux possibles
conflits d’intérêts que celle qui prévaut pour les ECC
actuels. Il ne faut donc pas faire rejaillir sur le passé des
essais cliniques les abus et l’arbitraire qui peuvent affecter
les conditions actuelles de leur déroulement.
Au début du xxe siècle, les sociétés pharmaceutiques et
leurs pratiques de promotion étaient en butte à des criti-
ques très fortes, non seulement dans le milieu médical,
mais plus encore dans la société. C’est ce qui a amené les
structures de santé publique à mettre en place les premiè-
res instances de contrôle des procédures de production et
de validation des médicaments. À ce stade, cela n’allait
certainement pas dans le sens des vœux et des intérêts des
firmes. Cox-Maximov souligne que, lorsque, à la suite de
la crise du Salvarsan pendant la Première Guerre mon-
diale (celui produit au Royaume-Uni était toxique, car la
rupture avec l’Allemagne où il avait été élaboré avait laissé
les sociétés pharmaceutiques sans préparation suffisante
pour le manufacturer), le Board of Trade — qui donnait
l’autorisation pour la fabrication des médicaments —
força les sociétés à soumettre tous les échantillons de leur
production au contrôle de tests biologiques par le MRC,
les grandes compagnies comme Burroughs & Wellcome
ou May & Baker furent très contrariées par l’imposition
de ces contrôles qui remettaient en cause leur crédibilité
au point de vue de la sécurité et de l’efficacité de leurs

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cadre public ou cadre privé ? n 1 33

produits. La tendance vers la standardisation du contrôle


des produits pharmaceutiques — qui débouchait sur le
con­trôle par les essais cliniques — était favorisée par la
politique du Comité Asquith pour la reconstruction
d’après-guerre, qui demanda aux organismes médicaux de
lui soumettre leurs meilleures stratégies pour promouvoir
la conservation de la santé de la population (Cox-Maximov,
1997, p. 106).
Par contre, dans un deuxième temps — en fait, elles
n’avaient plus d’autre option, les instances publiques de
contrôle étant imposées par les lois —, les sociétés pharma-
ceutiques se sont rendu compte que la seule stratégie pos-
sible pour reconquérir une certaine crédibilité était de
« jouer le jeu » et d’en tirer parti pour essayer de redorer le
blason de leurs produits. Elles n’ont pas alors prétendu au
contrôle des ECC par le biais du contrôle de leur organisa-
tion et de l’appropriation de la gestion de leur financement.
Bien entendu, elles fournissaient souvent gratuitement, il
faut le souligner, les produits à évaluer — ce qui, précisons-
le, n’impliquait par ailleurs nullement qu’elles avaient
acquis pour autant le contrôle sur le choix des produits à
tester, l’organisation des essais et leur financement.
Après la mise en place du TTC en 1931, les sociétés
pharmaceutiques pouvaient proposer des produits à l’éva-
luation de cet organisme, mais ce dernier pouvait refuser
de procéder à des évaluations s’il jugeait — sur la base
d’un questionnaire obligatoire — que le produit ne visait
qu’un objectif commercial et non pas aussi l’intérêt de la
santé collective de la population. Par ailleurs, le MRC et le
TTC pouvaient choisir eux-mêmes — et ils l’ont fait très
souvent — les produits à tester, et ce, en fonction des
intérêts de la population et de la société avant tout. C’est

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134 n la médecine des preuves

d’après ces critères qu’il fut décidé de mener les grands


essais sur le sérum contre la pneumonie, sur les sulfamides,
sur la pénicilline, sur la patuline, sur l’antihistaminique
contre la coqueluche, sur la streptomycine, sur l’isiona-
zide, sur le vaccin antipoliomyélite, etc.
Si une telle situation prévalait aujourd’hui, les autori-
tés sanitaires et les milieux indépendants de la recherche
pourraient orienter beaucoup plus facilement la recherche
et l’évaluation sur des médicaments destinés à de vrais
problèmes de santé. Mais, en se retranchant derrière la
justification qu’ils n’ont plus les moyens de financer les
essais cliniques vu leur coût toujours croissant, les orga-
nismes de contrôle de la santé publique et de la recherche
médicale semblent avoir abandonné presque complète-
ment aux sociétés pharmaceutiques le terrain du finance-
ment de ces essais, et donc celui du choix du type et de la
nature des essais qu’il vaut la peine de mener dans l’inté-
rêt collectif, national, continental ou mondial.

Le cadre privé de la recherche

Dans son ouvrage intitulé La vérité sur les compagnies phar-


maceutiques. Comment elles nous trompent et comment les
contrecarrer (2005), la Dre Marcia Angell, ex-rédactrice en
chef du New England Journal of Medicine, propose que la
Food and Drug Administration soit renforcée et qu’elle
retrouve son autonomie. Elle considère que la FDA « est
aujourd’hui si dépendante des firmes qu’elle en est devenue
la servante » et que « tout se passe comme si la FDA était au
service de l’industrie et non du public » (Angell, 2005,
p. 246). Pour ce faire, elle suggère trois grandes mesures.
Premièrement, les compagnies ne devraient plus verser

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cadre public ou cadre privé ? n 1 35

d’honoraires à la FDA pour chacune des molécules exa­


minées : « Cette rémunération à la pièce, selon laquelle
l’agence reçoit d’autant plus d’argent des compagnies
qu’elle homologue un grand nombre de médicaments, en
fait une employée de l’industrie et crée un conflit d’inté-
rêts majeur » puisque la FDA est au service du public et
non à celui des compagnies pharmaceutiques. Deuxième­
ment, le financement public de la FDA devrait être accru :
« Non seulement pour compenser la perte de ce que
lui verse actuellement l’industrie, mais bien au-delà. […]
Lui donner le budget nécessaire à sa mission serait ren­
table. » Troisièmement, les comités d’évaluation de la FDA
ne devraient pas inclure des experts liés à l’industrie :
« Personne n’est indispensable. En vérité, les experts sont
récupérés par ces transactions, tout comme l’agence est
récupérée par les “frais d’utilisateurs” » (ibid., p. 247).
Pour Angell, la pièce maîtresse d’une telle politique
serait la création d’un institut indépendant pour supervi-
ser les essais cliniques. Il convient ici de la citer intégrale-
ment : « Les compagnies pharmaceutiques ne doivent plus
contrôler les essais cliniques de leurs propres molécules.
Il est clairement prouvé que ces pratiques faussent les
résultats en faveur des compagnies qui les subvention-
nent. Ils distorsionnent également le type de recherche
effectué, les compagnies étant beaucoup plus intéressées
à développer le marché qu’à faire progresser les connais-
sances médicales. Il n’y a ni nécessité, ni avantage à enga-
ger une étude de plus pour savoir si une molécule est
supérieure à un placebo dans une indication à peine dif-
férente de celle qui a été antérieurement approuvée. Les
compagnies ne financent de tels essais que dans le but
d’étendre leur part de marché. Pour s’assurer que les essais

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1 36 n la médecine des preuves

cliniques concernent d’authentiques problèmes médicaux et


qu’ils sont correctement organisés, conduits et rapportés, je
propose qu’un institut consacré aux essais cliniques soit créé au
sein des National Institutes of Health (NIH) pour administrer
les essais cliniques des médicaments vendus sur ordonnance. Les
compagnies pharmaceutiques devraient être tenues de
verser un pourcentage de leurs revenus à cet institut spé-
cial, mais leur contribution ne serait pas liée à l’étude
d’une molécule particulière, comme c’est actuellement le
cas pour le financement de la FDA à la pièce. L’institut
devrait passer contrat avec des centres universitaires indé-
pendants pour diriger ces essais. Ces chercheurs en défi-
niraient les caractéristiques, analyseraient les résultats,
écriraient les rapports et décideraient de la pertinence de
les publier. Les résultats seraient la propriété conjointe des
NIH et des chercheurs. La FDA confie actuellement la
conduite des essais cliniques aux compagnies commandi-
taires. Cette pratique cesserait. La responsabilité resterait
là où elle doit être : entre les mains de chercheurs indépen-
dants et de leurs institutions » (ibid., p. 248).
Angell expose clairement le « scandale » de la complicité
de l’agence de réglementation, la FDA, dans la production
de faux nouveaux médicaments qu’elle désigne par le terme
de « moi-aussi ». Elle rappelle que 415 « nouveaux » médica-
ments ont été homologués par la FDA de 1998 à 2002 et que,
de ce nombre, 14 % seulement étaient reconnus comme
vraiment innovants et que 9 % seulement étaient reconnus
comme « améliorés de façon significative » (termes de la
FDA). Elle pose alors le problème suivant : « Et les autres
77 % ? Incroyable, mais vrai, des “moi-aussi” que l’agence
ne considérait pas comme supérieurs aux molécules déjà
disponibles. Certains “moi-aussi” étaient chimiquement

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cadre public ou cadre privé ? n 1 37

différents des originaux, la majorité non, mais aucun


n’était innovant. Et voilà, 77 % de la production de l’indus-
trie pharmaceutique étaient des restes » (ibid., p. 101 ; voir
aussi St-Onge, 2004, p. 54-56).
Et, comme elle le montre, cette opération se pare de la
caution des essais cliniques : « Cette mystification n’est
possible que grâce à une faille dans la loi : les compagnies
n’ont à démontrer que l’efficacité de nouveaux médica-
ments. Elles n’ont pas à prouver, ni même à tenter de
démontrer qu’ils sont plus efficaces ni même aussi efficaces
que les médicaments déjà commercialisés. Elles n’ont qu’à
montrer qu’ils sont meil­leurs que rien. Et c’est exactement
ce à quoi elles se bornent en comparant, en essais clini-
ques, leurs nouvelles molécules à de simples pilules d’ami-
don (placebo). L’obstacle qu’elles ont à franchir est donc
extrêmement bas et tous leurs médicaments peuvent être
homologués, même s’ils sont inférieurs aux molécules déjà
sur le marché pour traiter les mêmes pathologies. C’est
seulement dans le cas où il serait clairement dangereux de
priver un malade d’un traitement disponible en le plaçant
sous placebo — par exemple, dans le domaine de la cancé-
rologie — qu’elles se résolvent à comparer les nouvelles
molécules aux anciennes. Cela arrive rarement » (ibid.).
Cela peut contribuer à expliquer pourquoi un nombre
toujours plus grand d’essais cliniques sont effectués contre
placebo et non pas contre médicaments de référence et
pourquoi dans l’imaginaire social, voire dans l’imaginaire
de l’idéologie scientifique ou pharmacologique, on en
vient à assimiler, comme nous l’avons vu, essai clinique et
essai contre placebo. Or, il s’agit là, sur plusieurs plans,
d’un véritable détournement des essais cliniques contrôlés
et de l’esprit des pratiques de recherche à partir duquel ces

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1 38 n la médecine des preuves

essais ont été mis en place. Rappelons que, au départ, les


essais cliniques contrôlés avaient pour objet de démontrer
la supériorité d’un nouveau traitement (ou médicament)
sur le traitement (ou médicament) qui avait été considéré
le meilleur jusque-là — ou à la limite la supériorité par
rapport à un non-traitement pharmacologique pour des
maladies pour lesquelles on ne disposait pas de traitement
chimiothérapique efficace (comme dans l’essai fondateur
de 1947-1948 du MRC). Rappelons également que les essais
cliniques sur la pénicilline contre la syphilis avaient pour
objet de prouver sa supériorité sur le traitement courant
par des dérivés du Salvarsan et non pas de démontrer que
la pénicilline « valait mieux que rien ». Dans cet esprit, le
seul cas où il était justifié de démontrer qu’un nouveau
traitement « valait mieux que rien » était celui où l’on ne
disposait encore d’aucun traitement pharmacologique.
Ainsi, en l’absence d’existence de tout médicament phar-
macologique reconnu, il était légitime, lors de l’essai de
1947-1948, de comparer le traitement par la streptomycine
dans le groupe expérimental avec le simple traitement non
pharmacologique de repos au lit dans le groupe témoin.
Donc, même là, il ne s’agissait en fait pas de démontrer
que le traitement par la streptomycine valait mieux que
rien, mais qu’il valait mieux que le traitement courant
non pharmacologique, le seul disponible à l’époque.
D’autre part, comme nous l’avons vu également, toute
la série des essais cliniques contrôlés menés par le MRC
sur la streptomycine avait pour objet de trouver un médi-
cament pharmacologique supérieur à la streptomycine ou
encore quelle combinaison de la streptomycine avec un
autre médicament était la plus efficace. Procéder à des
essais cliniques contrôlés simplement pour démontrer

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cadre public ou cadre privé ? n 1 39

qu’un médicament pharmacologique « valait mieux que


rien » et non pas qu’il était supérieur au médicament déjà
disponible n’aurait eu aucun sens pour les chercheurs de
l’époque impliqués dans ces essais, ni pour ceux qui en
étaient les organisateurs au MRC, comme Bradford Hill.
Les conséquences de cette situation où le principe et l’ob-
jectif de l’esprit et de la pratique des essais cliniques
contrôlés sont complètements détournés et où ces essais
servent alors de manière tout à fait abusive à cette mysti-
fication où il suffit de montrer qu’un nouveau médica-
ment vaut mieux que rien — et non pas qu’il est supérieur
à ceux déjà disponibles — ont été décrites par Angell :
« L’existence de cette faille est essentielle à la compréhen-
sion de ce qu’est l’industrie pharmaceutique moderne. À
elle seule, ou presque, elle a permis aux compagnies de se
transformer en d’immenses géants industriels entière-
ment consacrés à la commercialisation de “moi-aussi”. Si la
grande industrie devait montrer que les nouveaux produits
sont supérieurs aux précédents, il y aurait beaucoup moins
de médicaments “moi-aussi”, parce que peu d’entre eux
passeraient le test. Les compagnies n’auraient pas le choix :
elles devraient se mettre à la recherche de nouvelles molé-
cules au lieu de faire durer le vieux stock » (ibid., p. 102).
Or, rechercher des nouvelles molécules, c’est précisé-
ment ce que ne fait pas l’industrie pharmaceutique en
étirant les brevets ou en retirant du marché un produit à
l’approche de l’échéance du brevet et en le remplaçant par
un composé similaire du point de vue pharmacolo­
gique — la simple combinaison de la même molécule avec
un nouvel « ingrédient » justifiant l’homologation d’un
nouveau brevet. C’est ainsi que la firme britannique Astra-
Zeneca a remplacé le Prilosec, un médicament inhibant

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14 0 n la médecine des preuves

l’acidité de l’estomac, par un autre produit, le Nexium,


juste assez différent pour « mériter » un nouveau brevet.
Comme le note Angell, le Nexium aurait très bien pu se
nommer demi-Prilosec, car c’est ce qu’il est. Mais, fait-
elle observer : « Avec ses six milliards de ventes par an, le
Prilosec était la molécule la plus prescrite dans le monde.
[…] Sans la protection du brevet, le Prilosec serait exposé
aux attaques de génériques » (ibid., p. 103). À sa place, la
compagnie a donc commercialisé « le plus connu des
“moi-aussi” », le Nexium. La compagnie a alors testé ce
« nouveau » médicament dans de nombreux « essais clini-
ques » contre de simples placebos et démontré qu’il était
« plus efficace que rien » (seule exigence de la FDA). Il n’y
a eu que quatre essais de comparaison du Nexium et du
Prilosec, mais qui étaient de la plus grande importance
puisque la stratégie de la compagnie vis-à-vis du marché
était de démontrer, en plus, une soi-disant supériorité du
Nexium sur le Prilosec. Or, ces essais cliniques ont été
réalisés carrément à l’encontre des règles de base de l’expé-
rimentation thérapeutique.
Comme l’explique Angell : « Au lieu de comparer le
Nexium (pas plus de 20 mg et aussi peu que 10 mg) à des
doses doubles de Prilosec (20 mg en dose simple), puisqu’il
était censé être la fraction active du Prilosec, elle a fait
l’inverse. Une première comparaison à doses égales n’ayant
montré aucune différence notable, quatre comparaisons
ont été faites avec des doses doubles de Nexium (40 mg
contre 20 mg seulement de Prilosec). Le médicament sup-
posé le plus actif a donc été donné à dose double de l’autre.
Et malgré des dés pipés, les différences étaient à peine
mesurables — et ce, dans seulement deux des quatre com-
paraisons. Le Nexium a tout de même été massivement

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cadre public ou cadre privé ? n 141

promu comme une amélioration décisive » (ibid., p. 104).


Dans ce cas-ci, il ne s’agit plus seulement de l’usurpation
de la caution fournie pas les essais cliniques contrôlés,
mais d’un détournement patent des procédures sanction-
nées de l’expérimentation thérapeutique pour la pratique
de ces essais et, donc, de fraude scientifique flagrante.
Cette situation, qui s’est créée surtout depuis la fin des
années 1980, est clairement dénoncée par Philippe Even
dans son avant-propos au livre de Angell : « Ces mana-
gers (des grandes multinationales pharmaceutiques) sont
exclusivement préoccupés de la taille et de la solvabilité
des marchés à conquérir. Ils s’intoxiquent eux-mêmes sur la
valeur clinique de leurs produits, à travers des essais cliniques
faussés par leurs propres services. Ils œuvrent dans une totale
opacité, y compris et même surtout, à l’égard de leurs pro-
pres départements de recherche, de marketing et d’admi-
nistration. Ainsi masquent-ils leurs investissements et les
raisons mêmes de ces investissements, essentiellement
consacrés à la promotion, sous mille formes aux frontières
de la légalité » (ibid., p. 9). Et également : « Pour tenter de
démontrer l’efficacité de ces molécules, les grandes firmes
ont dû multiplier les essais cliniques, dont la plupart ne
visent qu’à élargir leur marché. Pour en tirer les argu-
ments de vente qu’elles souhaitent, elles y ont multiplié les
distorsions, voire les trucages. Elles se sont bornées à montrer
leur supériorité sur des placebos, c’est-à-dire très exacte-
ment sur du vent, en obligeant pour cela les universités
à passer sous les fourches caudines de leurs exigences, à
travers des contrats léonins. En parallèle, pour mieux les y
contraindre, elles ont développé une véritable industrie privée
de la recherche clinique à leur botte, à travers des centaines
de firmes qu’elles contrôlent entièrement. Celles-ci sont

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142 n la médecine des preuves

destinées à organiser à leur service inconditionnel la majo­


rité de leurs 80 000 essais en cours (aux États-Unis), et
d’abord à recruter les millions de malades nécessaires à ces
études-marketing » (ibid., p. 10-11).
Ce détournement de la caution scientifique fournie
par les essais cliniques, doublé à l’occasion par une falsifi­
cation avérée de la pratique des essais cliniques contrôlés,
comme dans le cas du Nexium, a eu pour effet regrettable
de produire un amalgame fréquent entre ces mystifica-
tions et les essais cliniques eux-mêmes, et risque donc de
conduire à « jeter le bébé avec l’eau du bain ». Or, les essais
cliniques menés selon les procédures rigoureuses établies
par l’expérimentation thérapeutique depuis la fin des
années 1940 ne sont pas à mettre en cause en raison de ces
abus et falsifications.
En revanche, il est vrai que, comme nous l’avons sou-
ligné au chapitre 3, en 2000 encore, l’évaluation de la
qualité des rapports des essais cliniques a détecté réguliè-
rement des failles majeures. Seulement 9 % des essais cli-
niques prétendument randomisés publiés dans les revues
spécialisées et 15 % de ceux publiés dans les revues généra-
les rapportaient une méthode adéquate d’engendrement
de la séquence d’assignation et une méthode adéquate de
préservation du secret de cette séquence. Parmi les essais
cités comme ayant été conduits en double aveugle, seule-
ment 45 % décrivaient une similarité du traitement et du
régime de contrôle, et 26 % fournissaient de l’information
sur la protection du secret de la séquence d’assignation. La
plupart des rapports des essais cliniques ne fournissaient
aucune information sur les méthodes suivies. Schulz en
concluait que, avec si peu d’information, la plupart des
lecteurs ne pouvaient se baser que sur des marqueurs

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cadre public ou cadre privé ? n 143

inappropriés de la qualité des essais cliniques (Schulz,


2000, p. 37).
C’est pourquoi l ’Evidence-Based Medicine Journal a
modi­fié, en 2000, sa politique éditoriale pour exiger que,
dans les articles proposés, les procédures méthodologi-
ques soient clairement exposées quant à la préservation
du secret de l’assignation et quant au double insu. Ici, il
ne s’agit pas de falsification ou de fraude scientifique,
mais plutôt d’un problème, considérable et surprenant,
de rigueur méthodologique. Avec pour conséquence, là
encore, une méfiance et un discrédit qui retombent sur la
procédure même de l’essai clinique contrôlé randomisé. À
tort, car ce n’est pas parce que la procédure ou la métho-
dologie n’est pas appliquée adéquatement dans la majorité
des essais cliniques rapportés qu’il faut remettre en cause
la validité de la procédure elle-même ou de cette métho­
dologie de l’expérimentation thérapeutique. La solution
consiste plutôt, comme l’a fait l’Evidence-Based Medicine
Journal, à exiger des articles soumis aux revues la spéci-
fication des critères stricts de méthodologie selon les-
quels ont été conduits les essais cliniques. Bien entendu,
la majorité des revues médicales n’imposent pas encore
de tels critères, ce qui ne peut qu’entretenir une suspicion
compréhensible, mais non fondée, sur la méthodologie
même de l’essai clinique contrôlé randomisé et sur un
certain nombre d’essais qui, depuis celui de 1947-1948, ont
été conduits selon des critères rigoureux — ce qui a rendu
possible d’indéniables progrès thérapeutiques (Sackett et
al., 2000).
Il est probable que, tant que n’existeront pas des insti-
tuts indépendants des sociétés pharmaceutiques (qui
d’ailleurs, le plus souvent, confient la réalisation des essais

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14 4 n la médecine des preuves

cliniques à des sous-traitants spécialisés qui sont d’autres


firmes privées) pour organiser, conduire et superviser les
essais cliniques — comme le propose Angell —, le laxisme
actuel perdurera. Ce qui aura pour effet de maintenir la
confusion existante et de continuer à discréditer de
manière illégitime la procédure même de l’expérimenta-
tion thérapeutique par essais cliniques contrôlés randomi-
sés. Angell considère que le problème des priorités sociales
à faire respecter dans le choix des produits à soumettre à
des essais cliniques pourrait être résolu par un institut de
supervision de ces essais qui fonctionnerait de la manière
suivante : « Le nouvel institut pourrait fixer les priorités,
en se fondant sur l’avis d’experts indépendants, comme
cela se fait dans les autres instituts des NIH concernant
les priorités de recherche. Mais il est à souhaiter que tous
les essais revêtant un intérêt scientifique soient menés à
terme. Et il faudrait aussi mettre sur pied une instance
d’appel qui examinerait les propositions rejetées » (Angell,
2005, p. 248).
Elle émet une opinion bien fondée quand elle écrit :
« Mais le point primordial, c’est l’administration par une
agence publique indépendante des essais cliniques, si l’on
veut avoir l’assurance qu’ils sont conduits correctement
sur le plan scientifique et éthique » (ibid.). Elle est donc
d’avis que les essais cliniques pourraient être — et sont
parfois — menés de manière adéquate sur le plan scienti-
fique comme sur le plan éthique. Et elle observe très jus-
tement que « cette question est trop importante pour la
confier à des sociétés de recherche qui travaillent sous
contrat pour des compagnies pharmaceutiques » (ibid.,
p. 249). Elle explique aussi de manière très pertinente que :
« À cause de la réduction massive d’essais cliniques de

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cadre public ou cadre privé ? n 145

“moi-aussi”, le nombre d’essais serait considérablement


diminué de sorte que la plupart pourraient être conduits
au sein ou sous le contrôle des institutions universitaires.
Les entreprises privées de recherche, immanquablement
en conflit d’intérêts, n’auraient plus leur raison d’être »
(ibid.).
Angell note, à juste titre, que si c’étaient les centres
de recherche universitaires qui conduisaient ces essais
cliniques, « il faudrait voir à ce que ces centres et leurs
chercheurs ne soient pas en conflit d’intérêts. Pour être
admissibles à des subventions, les institutions univer-
sitaires ne devraient pas avoir d’intérêts boursiers dans
l’industrie pharmaceutique. De même leurs chercheurs
ne devraient avoir aucun lien financier avec des firmes
pharmaceutiques dont ils évaluent les médicaments, et
il devrait en être de même pour les experts qui agiraient
comme consultants auprès du nouvel institut. Ces réfor-
mes devraient éliminer la plupart des abus dont j’ai fait
état. Il ne serait plus possible de supprimer les résultats
défavorables. Les rapports ne pourraient plus être manipu-
lés pour mettre l’accent sur les résultats favorables » (ibid.).
Or, le problème est justement que les chercheurs qui
procèdent aux essais cliniques dans les centres hospitalo-
universitaires ou dans d’autres structures de soins ont
souvent des liens financiers avec les firmes dont ils
­évaluent les médicaments, puisque le financement de ces
essais, et donc de ces recherches, est assuré presque uni-
quement par ces firmes. Ceci est dénoncé avec force par
Angell et par Even, entre autres. Ce dernier écrit : « Trop de
médecins et d’institutions médicales se sont laissé influen­
cer, pervertir et pour quelques-uns, très clairement et
preuves publiques en main, corrompre par une industrie

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14 6 n la médecine des preuves

qui n’a plus pour loi que le profit rapide et maximum :


orientation des recherches biologiques et cliniques dans
le sens qu’elle souhaite, au détriment de la recherche fon-
damentale ; recrutement de chercheurs universitaires sou-
tenus par elle, moins intéressés par la pure connaissance
que par le profit, mais porteurs de contrats avantageux
pour les caisses d’universités qui tendent à se muer en
entreprises ; multiplication des programmes de collabo­
ration universités-industrie ; protection des résultats par
le secret des brevets, ralentissant la progression de la
recherche fondamentale ; participation passive, mais bien
rémunérée à des essais thérapeutiques gravement défor-
més que l’industrie décide, organise, finance, contrôle et
rédige à sa convenance, en n’hésitant pas à taire les résul-
tats qui la dérangent, au point de faire perdre toute fiabi-
lité à ces essais, dont la plupart ne servent qu’à promouvoir
les inutiles “moi-aussi” et à influencer les guidelines et
l’evidence-based medicine, de façon à accroître le plus possi-
ble les prescriptions ; compromission des experts des
agences de contrôle des médicaments ; concours grasse-
ment payé des leaders d’opinion pour influencer les prati-
ciens et les conduire, par la parole et l’écrit, à prescrire à
tout va et bien au-delà des indications autorisées ; prise en
main de la formation médicale continue par l’industrie,
qui n’a pour cela ni compétence, ni objectivité, quand elle
devrait être la responsabilité exclusive des facultés, des
sociétés savantes et des associations professionnelles. “Il
est accablant que le rôle de formateur que s’attribuent
unilatéralement les compagnies pharmaceutiques ne soit
jamais remis en question, ni par les médecins, ni par les
gouvernements.” C’est ce que croit, selon moi, Marcia
Angell. Et tout cela à l’identique dans la plupart des pays

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cadre public ou cadre privé ? n 147

occidentaux, en particulier en France » (Avant-propos à


Angell, ibid., p. 19-20).
Comme on le voit, ce qui est en cause ce n’est pas
l’objectivité de la procédure expérimentale des essais cli-
niques contrôlés, mais bien le système institutionnel et
sociopolitique incroyablement biaisé dans lequel ils pren-
nent habituellement place. L’obstacle incontournable est
donc bien celui du financement privé et de l’orientation
pervertie de la recherche que cela implique et induit. Tant
que cette situation prévaudra, les fraudes sur le plan scien-
tifique et éthique et les accidents qui en résultent pour-
ront perdurer. Même un apologiste des essais contrôlés
comme le Dr Sackett dénonce cette situation où les essais
cliniques sont souvent biaisés, dans leur conception
comme dans leur présentation, et où il y a incompatibilité
entre les buts commerciaux et les buts scientifiques visés
par ces essais. Il souligne, entre autres à propos du Canada,
« qu’en permettant aux sociétés pharmaceutiques de finan-
cer les essais cliniques, on laisse les impératifs du profit
plutôt que ceux de la santé publique dicter l’ordre du jour
des programmes de recherche » (Sackett, 1999, cité par
St-Onge, 2004, p. 98 ; St-Onge, 2004, chap. 4).
Tout compte fait, selon nous, il faut éviter aussi bien de
fétichiser ou d’hypostasier les essais cliniques que de les
diaboliser. Que la majorité des essais cliniques randomi-
sés menés jusqu’ici, depuis celui qui les a inaugurés en
1947-1948, l’aient été selon des procédures de randomisa-
tion inadéquates et que, dans un grand nombre de cas, ils
aient même été biaisés délibérément par un système de
recherche perverti du fait de son financement privé par
l’industrie pharmaceutique, cela n’est plus à démontrer.
Par ailleurs, il est certain, comme l’admet A. L. Cochrane

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14 8 n la médecine des preuves

lui-même, que la procédure d’évaluation par essais con­


trôlés randomisés n’est pas « la seule technique valable »
dans la recherche médicale et aussi qu’elle a ses limites.
Selon lui, deux des limites principales des ECR sont la
question de l’interprétation statistique des résultats et
la tendance à conférer trop de puissance aux tests : « En
effet, il existe d’autres difficultés dans l’interprétation des
résultats de tels essais. La première est d’ordre purement
statistique. En dernière analyse, les résultats sont exprimés
de la manière suivante : la différence observée entre les
deux groupes est statistiquement significative, avec une pro-
babilité d’erreur inférieure à 5 % ou à 1 % (P < 0,05 ou < 0,01).
On obtient ces chiffres en utilisant des tests statistiques
tels que le X2 ou test t de Student. Or, beaucoup d’unités
de recherche utilisent ce genre de tests des centaines de
fois par an, tout en oubliant que, selon le niveau de signi-
fication choisi, 1 fois sur 20 ou 1 fois sur 100 leurs résultats
sont, par définition, l’objet d’une interprétation erronée.
Un autre péril a été introduit par la tendance générale à
conférer trop de puissance aux tests. Le résultat de ces tests
dépend fortement du nombre de sujets dans chaque
groupe. Avec de petits groupes — comme c’est souvent le
cas dans les essais cliniques —, il est très facile de donner
l’impression qu’un traitement n’est pas plus efficace qu’un
placebo alors qu’il présente une efficacité réelle, mais fai-
ble. Inversement avec de grands effectifs, on peut aboutir
à un résultat statistiquement significatif, mais clinique-
ment sans importance. Tous les résultats doivent donc
être examinés d’une manière critique pour éviter ces piè-
ges » (Cochrane, 1977, p. 45).
À retenir, donc, que la procédure de randomisation d’un
essai contrôlé peut être adéquate techniquement et scienti-

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cadre public ou cadre privé ? n 149

fiquement, mais qu’il peut quand même ensuite y avoir des


biais dans l’interprétation statistique des résultats ou parce
que l’on confère trop de puissance aux tests. Par ailleurs,
Cochrane note que dans le cas de certains médicaments,
comme l’insuline, les sulfamides ou la péni­cilline, l’effet
sur la réduction de la mortalité immédiate est si évident
qu’on n’a pas besoin d’en évaluer l’efficacité par la procé-
dure des ECR pour qu’elle soit démontrée et reconnue.
Mais, tout cela étant dit, il n’en demeure pas moins que
l’expérimentation thérapeutique par ECR, menée avec la
circonspection scientifique et la correction éthique indis-
pensables, demeure, comme le dit Cochrane, une « techni-
que magnifique, susceptible d’applications très larges »
(ibid., p. 43). Si, comme nous l’avons vu, la technique des
ECR n’est pas ce qui a rendu possibles des découvertes
comme celles de l’insuline, des sulfamides ou des premiers
antibiotiques, qui sont dues à la recherche expérimentale
en laboratoire, par contre, dans le cas de la streptomycine,
elle est bel et bien la procédure qui a permis de découvrir,
lors des essais contrôlés du MRC qui ont suivi celui de
1947-1948, l’usage adéquat de cet antibiotique (en com­
binaison avec l’isionazide et l’APS) pour obtenir le trai­
tement efficace de la tuberculose pulmonaire. Ce qui a
conduit, comme on le sait, dans les années suivantes, à la
régression inexorable de la « peste blanche » en Occident
pendant deux à trois décennies et à la fermeture des
­sana­toriums, sans parler du nombre de vies sauvées. Si
l’expérimentation thérapeutique par la technique des ECR
n’avait que cette réalisation à son actif, elle mériterait déjà
une place exceptionnellement importante au tableau des
innovations scientifiques et techniques qui ont rendu les
plus grands services à l’humanité.

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La médecine des preuves.corr 3.indd 150 11-05-02 11:38
conclusion

Dans le présent ouvrage, nous avions comme objectif de


clarifier la notion moderne d’ECC. En effet, indiquer,
examiner et lever des confusions et des distorsions fré-
quentes, voire des erreurs ou même des contresens dans
la compréhension courante de cette notion, nous est
apparu comme un préalable indispensable pour poser
plus adéquatement les problèmes — considérables — à la
fois épistémologiques, socioéconomiques, politiques et
éthiques qui sont soulevés par les pratiques actuelles de
ces essais.
Par une analyse sociohistorique et épistémologique des
conditions de leur mise en place et de leur fonctionne-
ment, nous avons fait apparaître que la confusion la plus
courante et la plus insidieuse est celle qui ramène tout ECC
à un essai clinique contre placebo et en simple ou double
aveugle. Nous avons vu qu’un ECC moderne ou actuel se
définit et se pratique le plus souvent comme un essai cli-
nique randomisé (ECR) multicentrique. Or, le para­digme
ou l’étalon-or de cet essai clinique actuel a été mis en
place et pratiqué depuis 1947-1948 en Grande-Bretagne,

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152 n la médecine des preuves

sous l’égide du MRC, par une série d’expérimentations


thérapeutiques dont le protocole ne faisait pas intervenir
la méthode du placebo et du simple ou double aveugle. À
l’heure actuelle encore, nombre d’ECR ne font pas inter-
venir cette procédure. Il est donc fallacieux et trompeur
d’affirmer, comme le font nombre d’auteurs que nous
avons cités, que la procédure du placebo et du simple ou
double aveugle serait l’instrument permettant la réalisa-
tion d’essais cliniques contrôlés.
Comme nous l’avons vu, il y a, certes, actuellement,
une pratique de plus en plus répandue d’un certain type
d’essais cliniques qui exhibent cette procédure comme
caution prétendument scientifique et indiscutable de
leur légitimité et de leur fiabilité. C’est ainsi que, de plus
en plus, les sociétés pharmaceutiques, qui font d’ailleurs
effectuer le plus souvent les essais cliniques par des firmes,
privées elles aussi, de sous-traitants, décident arbitraire-
ment et abusivement de ne pas soumettre à l’expérimen-
tation thérapeutique un « nouveau » médicament en le
comparant à un médicament de référence déjà éprouvé
— et de démontrer ainsi la supériorité du premier sur
le second —, et de ne comparer le nouveau médicament
qu’à un placebo en se contentant ainsi de démontrer que
le « nouveau médicament » vaut mieux qu’une substance
qui n’a aucun effet ou qu’il « vaut mieux que rien » (Angell,
2005, p. 124 sq.).
C’est ce qui explique que l’on a vu proliférer les « can-
didats médicaments » qu’on a pu définir comme des « moi-
aussi » dans la mesure où l’essai clinique n’a plus pour but
de faire la démonstration de leur supériorité sur un trai-
tement déjà reconnu comme relativement efficace dans
une maladie donnée, mais seulement qu’ils valent mieux

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conclusion n 153

qu’un placebo, ou qu’un traitement nul ou fictif. Il serait


d’ailleurs sans doute édifiant d’examiner si ces essais cli-
niques sur des « médicaments moi-aussi » respectent la
règle de base de l’ECC, c’est-à-dire la randomisation. Et
même s’ils respectent vraiment les règles de l’insu ou du
simple ou double aveugle.
En effet, comme nous l’avons vu, des auteurs comme
Schulz ont démontré que la plus grande partie des essais
cliniques publiés dans les revues spécialisées et dans les
revues générales de médecine n’étaient pas fiables, parce
que les rapports de ces essais n’indiquaient pas quelle
avait été la procédure suivie pour garantir que l’essai était
effectivement randomisé ou pour garantir que la procé­
dure de l’insu avait été effectivement suivie. Cette dérive
grave et exponentielle des essais cliniques tient essentiel-
lement, nous l’avons montré, au fait du contrôle presque
exclusivement privé du financement de ces essais par les
sociétés pharmaceutiques. Car ce sont bien ces dernières
qui contrôlent et orientent cette recherche et qui choi­
sissent les molécules qui seront les nouveaux candidats
médicaments à soumettre à l’expérimentation clinique.
Dès ce stade, on voit ce choix se déterminer avant tout en
fonction d’impératifs de marché et de rentabilité et privi-
légier les médicaments « moi-aussi » ou les médicaments
de confort, ou encore ceux qui visent les pathologies plus
spécifiques d’une clientèle privilégiée qui jouit des res-
sources économiques nécessaires pour avoir accès à ces
produits (St-Onge, 2004, p. 44).
C’est donc ainsi, dès le départ, que se met en place une
médecine à deux vitesses, puisque les sociétés pharmaceu-
tiques n’investiront pas prioritairement dans la recherche

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154 n la médecine des preuves

et le développement (R&D) de médicaments qui permet-


traient de traiter les maladies les plus répandues, comme
les maladies parasitaires ou propres au tiers et au quart-
monde, voire aux populations les plus défavorisées en
Occident (ibid., p. 56). Il est révélateur également de voir la
priorité donnée dans les pays « développés » à la recherche
et à la production des tranquillisants, anxiolytiques, som-
nifères, psychotropes et de tous les produits (avec leurs
propres « moi-aussi ») destinés à combattre le stress et à
favoriser l’adaptation des populations à des conditions de
vie de plus en plus difficiles, socialement et psychologi-
quement. Une orientation qui permet de ne rien changer
aux causes des « maladies », mais d’assurer une consom-
mation toujours élargie des produits en question (ibid.,
p. 144).
Un premier pas vers un redressement de cette dérive des
essais cliniques serait, nous l’avons indiqué, d’en confier
l’administration à une agence publique indé­pen­dante afin
d’avoir l’assurance qu’ils sont menés c­ orrec­te­ment, de
manière scientifique et éthique. Cela conduirait à une
réduction massive d’essais cliniques sur des médicaments
« moi-aussi », de sorte que la plupart des essais pourraient
être conduits au sein, ou sous le contrôle, d’institutions
universitaires. Mais le problème est justement que les
chercheurs qui procèdent aux essais cliniques dans les
centres universitaires et hospitalo-universitaires ont des
liens étroits avec les firmes dont ils évaluent les candidats
médicaments, puisque le financement de ces essais est
assuré pratiquement uniquement par ces firmes. Les ins-
tituts universitaires et le milieu hospitalo-universitaire ne
sont donc pas des agences indépendantes pour la mise en
œuvre d’essais cliniques.

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conclusion n 155

Certes, un grand pas serait fait si on pouvait mettre en


place une structure où le financement des essais cliniques
dans les instituts universitaires et les centres hospitalo-
universitaires serait exclusivement public et où, en outre,
ces essais seraient validés par une agence publique de
contrôle indépendante des structures de soins. Les essais
cliniques ne pourraient pas alors être fictifs, faussés ou
déformés sur les plans scientifique et éthique. Cepen­dant,
demeurerait le problème d’une orientation persistante, en
amont, de la recherche expérimentale préclinique sur des
molécules ou candidats médicaments sélectionnés avant
tout selon les impératifs du marché et du profit.
C’est donc, selon nous, à ces différents niveaux qu’il
faut situer les problèmes — déjà considérables — posés par
les essais cliniques prétendument contrôlés. Par ailleurs,
comme nous l’avons vu à la fin du chapitre 5, les partisans
les plus résolus et les plus crédibles des ECR n’ont pas
manqué de souligner que, sur le plan épistémologique, il
fallait tenir compte, pour en assurer la fiabilité, du fait
qu’ils présentent, dans certains cas, des limites intrinsè-
ques : la question de l’interprétation statistique des résul-
tats et la tendance à conférer trop de puissance aux tests.
Ces spécialistes reconnaissent donc très clairement que la
procédure d’évaluation des candidats médicaments par
ECR n’est pas la seule technique valable dans l’expérimen-
tation thérapeutique et qu’elle a aussi ses limites. Toute­
fois, ces spécialistes n’en considèrent pas moins que, du
point de vue méthodologique, les ECR constituent l’éta-
lon-or pour procéder à l’évaluation scientifique des trai-
tements et qu’ils ont permis à la fois d’éliminer ceux qui
étaient inefficaces et de faire un grand nombre de progrès
thérapeutiques en faisant reconnaître ceux qui étaient

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156 n la médecine des preuves

efficaces. Il ne faudrait donc pas que les ECR se voient


condamnés et rejetés par le public en tant que procédure
de validation des médicaments parce que l’industrie phar-
maceutique en détourne la nature et la finalité en les
tronquant et en les mettant avant tout au service de ses
impératifs incontournables et immuables de marché et de
profit. C’est, en fait, à ce problème qu’il faudrait trouver
une solution en mettant en place des structures socio-
institutionnelles et des conditions de financement qui
assureraient une véritable indépendance à la recherche
pharmacologique et aux ECR par rapport à l’industrie
pharmaceutique. Il s’agit là, comme on peut le constater,
d’un enjeu considérable et d’un immense défi.

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La médecine des preuves.corr 3.indd 166 11-05-02 11:38


table des matières


abréviations 9

introduction 11

1 L’essai clinique contrôlé moderne 25


L’expérimentation thérapeutique moderne 25
L’expérimentation thérapeutique dans l’histoire 27

2 La médecine des preuves aux États-Unis 33


La première étape 33
La deuxième étape 34
La troisième étape 39
La quatrième étape 45

3 La médecine des preuves en Angleterre 61


Le gold standard des essais cliniques 61
L’élargissement du champ d’application
de la preuve expérimentale 86

4 Un bilan des essais cliniques contrôlés 101


La structure des essais cliniques 101
Les conditions de l’expérimentation thérapeutique 112

5 Cadre public ou cadre privé ? 125


Le cadre public de la recherche 125
Le cadre privé de la recherche 134


conclusion 151

bibliographie 157

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dans la même collection

Comité spécial du Sénat sur les drogues illicites, Le cannabis.


Rapport du Comité spécial du Sénat sur les drogues illicites

Normand Baillargeon, Contre la réforme. La dérive idéologique


du sytème d’éducation québécois

Charles Blattberg, Et si nous dansions ? Pour une politique du


bien commun au Canada

Gérard Boismenu et Guylaine Beaudry, Le nouveau monde


numérique. Le cas des revues universitaires

Esther Cohen, Les narrateurs d’Auschwitz

Yolande Cohen, Femmes philanthropes. Catholiques, protestantes


et juives dans les organisations caritatives au Québec

Joseph Heath, La société efficiente. Pourquoi fait-il si bon vivre


au Canada ?

Ingo Kolboom, Pièces d’identité. Signets d’une décennie alle-


mande 1989-2000

Armand Mattelart, Pour un regard-monde. Entretiens avec


Michel Sénécal

Catherine Mavrikakis, Condamner à mort. Les meurtres et la


loi à l’écran

Éric Méchoulan, La culture de la mémoire ou comment se débar-


rasser du passé ?

Alain Noël et Jean-Philippe Thérien, La gauche et la droite. Un


débat sans frontières

La médecine des preuves.corr 3.indd 169 11-05-02 11:38


CHAMP
LIBRE

la médecine
C des preuves
lé de voûte de la médecine des preuves – la fameuse
CHAMP–, l’essai clinique contrôlé est
evidence-based medicine

Othmar Keel
LIBREla plus grande innovation médi-
parfois présenté comme
cale du xx siècle. De fait, la recherche en santé qui n’y a pas
e
U n e h i s to i r e d e l’ e x p é r i m ent at i o n
recours n’a aujourd’hui pratiquement plus voix au chapitre. Des
techniques comme la randomisation et le double insu ont
t h é r a p eu t i q u e pa r es s a i s
indéniablement fait beaucoup pour la rigueur de l’expérimen- cl i n i q u es co nt r ô l é s
tation et la sûreté de ses applications thérapeutiques. Mais le
recours à l’essai clinique contrôlé est-il toujours nécessaire et O thmar K eel
suffisant pour obtenir des résultats valides ? Par ailleurs, les
innombrables études qui s’en réclament en suivent-elles vrai-
ment les règles ? Enfin, point crucial, le contrôle du financement
de la recherche par l’industrie pharmaceutique et biomédicale

la médecine des preuves


privée ne met-il pas en cause sa fiabilité ?
Cet ouvrage adopte la perspective historique pour répon-
dre à ces questions en décrivant l’avènement de l’essai clinique
contrôlé dans les pays anglo-saxons, les dynamiques de son
expansion et sa réalité contemporaine. Une critique nécessaire
et convaincante d’un des fondements de la médecine moderne.

Othmar Keel, professeur au Département d’histoire de l’Université


de Montréal, est spécialiste du champ de l’histoire de la médecine
et de la santé. Il est l’auteur de nombreuses publications dans ce
domaine, dont L’avènement de la médecine clinique moderne
en Europe, 1750-1815 (PUM/Georg Éditeur, 2001) et La santé
publique au Québec (PUM, 1998, en collaboration avec Georges
Desrosiers et Benoît Gaumer).

isbn 978-2-7606-2051-3

24,95 $ • 22 €
CHAMP
LIBRE
www.pum.umontreal.ca PUM

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